"tMNML. oson sas, 3 ASSOCIATION FRANÇAISE POUR L'AVANCEMENT DES SCIENCES LILLE. — IMPRIMERIE DANEL ASSOCIATION FRANÇAISE POUR L'AVANCEMENT DES SCIENCES COMPTE RENDU DE LA 3ME SESSION LILLE — 1874 — LIBRA New YORK BOTANiCAL QAROEN «cf^F PARIS AU SECRÉTARIAT DE L'ASSOCIATION 76, RUE DE RENNES, 76 1875 ' -î • oS'ol STATUTS ET RÈGLEMENT Adoptés par l'Assemblée générale dans la séance du 28 avril 1875 NE' STATUTS TITRE ï. — But de l'Association. Article 1er. — L'Association se propose exclusivement de favoriser par tous les moyens en son pouvoir le progrès et la diffusion des sciences au double point de vue du perfectionnement de la théorie pure et du développement des applications pratiques. A cet effet, elle exerce son action par des réunions, des conférences, des publications, des dons en instruments ou en argent aux personnes travaillant à des recherches ou entreprises scientifiques qu'elle aurait provoquées ou approuvées. Art. 2. — Elle fait appel au concours de tous ceux qui considèrent la culture des sciences comme nécessaire à la grandeur et à la prospérité du pays. Art. 3. — Klle prend le nom d'Association Française your l'avancement des Scieiices. TITRE II. — Organisation. Art. 4. — L'Association se compose de membres fondateurs et de membres ordinaires ; les uns et les autres sont admis, sur leur demande, par le Conseil. Art. 5. — Sont membres fondateurs les personnes qui auront souscrit à une époque quelconque une ou plusieurs parts du capital social : ces parts sont de 500 francs. Art. 6. — Le capital de l'Association se compose des souscriptions des membres fondateurs, des sommes versées pour le rachat des cotisations, des 1 II ASSOCIATION FRANÇAISE dons et legs laits à l'Association, à moins d'affectation spéciale de la part des donateurs. Art. 7. — Les ressources annuelles comprennent les intérêts du capital, le montant des cotisations annuelles, les droits d'admission aux séances et les produits de librairie. Art. 8. — Chaque année le capital s'accroît d'une retenue de 10 pour 100 au moins sur les cotisations, droit d'entrée et produits de librairie. Art. 9. — Sont en outre membres de l'Association les personnes qui versent la cotisation annuelle. Cette cotisation peut toujours être rachetée par une somme versée une fois pour toutes. Le taux delà cotisation et celui du rachat sont fixés par le Règlement. Art. 10. — Tous les membres jouissent des mêmes droits. Toutefois, les noms des membres fondateurs figurent perpétuellement en tête des listes al- phabétiques, et ces membres reçoivent gratuitement pendant toute leur vie autant d'exemplaires des publications de l'Association qu'ils ont souscrit de parts du capital social." TITRE III. — Sessions annuelles. Art. il. — Chaque année l'Association lient, dans l'une des villes de France, une Session générale dont la durée est de huit jours : cette ville est désignée par l'Assemblée générale au moins une année à l'avance. Art. 12. — Dans les Sessions annuelles, l'Association, pour ses travaux scientifiques, se répartit en sections, conformément à un tableau arrêté par le Règlement général. Ces sections forment quatre groupes, savoir : 1» Sciences mathématiques, -!■ Sciences physiques et chimiques, 3° Sciences naturelles, 4° Sciences économiques. Art. 13. — Il est publié chaque année un volume, distribué à tous les membres, contenant : 1° Le compte rendu des séances de la Session ; 2° Le texte ou l'analyse des travaux provoqués par l'Association, ou des mémoires acceptés par le Conseil. Ces publications n'engagent en rien l'Association, qui laisse à chaque auteur la responsabilité de ses œuvres. COMPOSITION DU BUREAU Art. 1 i. — Le Bureau de l'Association se compose : D'un Président, D'un Vice-Président, D'un Secrétaire, D'un Vice-Secrétaire, D'un Trésorier. pour l'avancement DES SCIENCES III Tous les membres du- Bureau sont élus en Assemblée générale. Art. 15. — Les fonctions de Président et de Secrétaire de l'Association sont annuelles ; elles commencent immédiatement après une Session et durent jusqu'à la fin de la Session suivante. Art. 16. — Le Vice-Président et le Vice-Secrétaire d'une année deviennent de droit Président et Secrétaire pour l'année suivante. Art. 17. — Le Président, le Vice-Président, le Secrétaire et le Vice-Secrétaire de chaque année sont pris respectivement dans les quatre groupes de sections, et chacun d'eux est pris à tour de rôle dans chaque groupe. Art. 18. — Le Trésorier est élu par l'Assemblée générale ; il est nommé pour quatre ans et rééligible. Art. d9. — Le Bureau de chaque section se compose d'un Président, d'un Vice-Président, d'un Secrétaire, et au besoin d'un Vice-Secrétaire, élus par cette section parmi ses membres. TITRE IV. — Administration. A ht. 20. — Le siège de l'Administration est à Paris. Art. 21. — L'Association est administrée gratuitement par un Conseil composé : 1° Du Bureau de l'Association, qui est en même temps le Bureau du Conseil d'administration ; 2° Des Présidents de sections ; 3° De trois membres par section élus à la majorité relative en As- semblée générale, sur la proposition de leurs sections respectives, renouvelables par tiers chaque année. Art. 22. — Sont membres honoraires les anciens Présidents de l'Association; ils ont voix consultative. Art. 23. — Les Secrétaires des sections de la Session précédente sont admis dans le Conseil avec voix consultative. Art. 24» — Pendant la durée des Sessions, le Conseil siège dans la ville où a lieu la Session. Art. 25. — Le Conseil d'administration représente l'Association et statue sur toutes les affaires concernant son administration. Art. 26. — Le Conseil a tout pouvoir pour gérer et administrer les affaires sociales, tant actives que passives. 11 encaisse tous les fonds appartenant à l'Association à quelque titre que ce soit. 11 place en rentes sur l'État ou en valeurs garanties par l'État les fonds qui constituent le capital social ; il décide l'emploi des fonds disponibles; il sur- veille l'application à leur destination des fonds votés par l'Assemblée générale, et ordonnance par anticipation, dans l'intervalle des Sessions, les dépenses urgentes, qu'il soumet dans la Session suivante à l'approbation de l'Assemblée générale. 11 décide l'échange ou la vente des valeurs achetées ; les transferts des rentes sur l'État, obligations des compagnies de chemins de fer et autres titres IV ASSOCIATION FRANÇAISE nominatifs sont signés par le Trésorier et un des membres du Conseil délégué à cet effet. 11 accepte tous dons et legs faits à la Société ; tous les actes y relatifs sont -unes par le Trésorier et un des membres délégué. Art. 27. — Les délibérations relatives à l'acceptation des dons et legs, à des acquisitions, aliénations et échanges d'immeubles sont soumises à l'approbation du gouvernement. Art. 28. — Le Conseil dresse annuellement le budget des dépenses de l'Association ; il communique à l'Assemblée générale le compte détaillé des recettes et dépenses de l'exercice. Art. 29. — Il organise les Sessions, dirige les travaux, ordonne et sur- veille les publications, fixe et affecte les subventions et encouragements. Art. 30. — Le Conseil peut adjoindre au Bureau des commissaires pour l'élude de questions spéciales et leur déléguer ses pouvoirs pour la solution d'affaires déterminées. Art. 31. — Les Statuts ne pourront être modifiés que sur la proposition du Conseil d'administration et à la majorité des deux tiers des membres votants dans l'Assemblée générale, sauf approbation du gouvernement. Ces propositions, soumises à une Session, ne pourront être votées qu'à la Session suivante : elles seront indiquées dans les convocations adressées à tous les membres de l'Association. Art. 32. — Un Règlement général détermine les conditions d'administration et toutes les dispositions propres à assurer l'exécution des statuts. Ce Règle- ment est préparé par le Conseil et voté par l'Assemblée générale. Les dispositions générales réunies dans le titre Ier du Règlement et annexées aux présents Statuts, ne peuvent être modifiées que dans la même forme que les Statuts, mais à la simple majorité des voix, dans l'Assemblée générale. Les autres articles du Règlement pourront être modifiés par le Conseil, à charge d'en rendre compte à l'Assemblée générale dans la plus prochaine session du Congrès. TITRE V. — Dispositions complémentaires. Art. 33. — Dans le cas où la Société cesserait d'exister, l'Assemblée géné- rale, convoquée extraordinairement, statuera, sous la réserve de l'approbation du gouvernement, sur la destination des biens appartenant à l'Association. Cette, destination devra être conforme au but de l'Association, tel qu'il est indiqué dans l'article 1er. Les clauses stipulées par les donateurs, en prévision de ce cas, devront être respectées. Art. 3i. — Tous pouvoirs sont donnés à MM. pour consentir toutes modifications demandées par le gouvernement. pour i/avancement des sciences RÈGLEMENT. TITRE I. — Dispositions générales. Article 1er. — Le taux de la cotisation annuelle des membres non fonda- teurs est fixé à 20 francs. Art. 2. — Tout membre a le droit de racheter ses cotisations à venir en versant une lois pour toutes la somme de "200 francs. Il devient ainsi membre à vie. La liste alphabétique des membres à vie est publiée en tête de chaque vo- lume immédiatement après la liste des membres fondateurs. Art. 3. — Dans les Sessions générales, l'Association se répartit en quinze sections formant quatre groupes conformément au tableau suivant : 1er groupe : Sciences mathématiques . 1. Section de mathématiques, astronomie et géodésie; 2. Section de mécanique; 3. Section de navigation; h. Section de génie civil et militaire. 2e groupe : Sciences physiques et chimiques. 5. Section de physique; 6. Section de chimie ; 7. Section de météorologie et physique du globe. 3e groupe : Sciences naturelles. 8. Section de géologie et de minéralogie; 9. Section de botanique; 10. Section de zoologie et de zootechnie; 11. Section d'anthropologie, 12. Section des sciences médicales. 4e groupe: Sciences économiques. 13. Section d'agronomie; 14. Section de géographie; 15. Section d'économie politique et statistique. ART. 4, _ Tout membre de l'Association choisit chaque année la section à laquelle il désire appartenir. Il a le droit de prendre part aux travaux des autres sections avec voix consultative. Art. a. — Les personnes étrangères à l'Association, qui n'ont pas reçu d'invitation spéciale, sont admises aux séances et aux conférences d'une Ses- sion, moyennant un droit d'admission fixé à 10 francs. Ces personnes peuvent communiquer des travaux aux sections, mais ne peuvent prendre part aux votes. VI ASSOCIATION FRANÇAISE Art. (3. — Le Conseil d'administration prépare les modifications réglemen- taires que peut nécessiter l'exécution des Statuts, et les soumet à la décision de l'Assemblée générale. Il prend les mesures nécessaires pour organiser les Sessions de concert avec les comités locaux qu'il désigne à cet effet. Il fixe la date de l'ouverture de chaque Session. Il nomme et révoque tous les employés et fixe leur traite- ment. Art. 7. — Le Conseil délibère à la majorité des membres présents. Les dé- libérations relatives au placement des fonds, à la vente ou à l'échange des valeurs et aux modifications statutaires ou réglementaires ne sont valables que lorsqu'elles ont été prises en présence du quart au moins des membres du Conseil dûment convoqués. Toutefois, si, après un premier avis, le nombre des membres présents était insuffisant, "il serait fait une nouvelle convocation an- nonçant le motif de la réunion, et la délibération serait valable, quel que fût le nombre des membres présents. TITRE II. — Attributions du Bureau et du Conseil d'administration. Art. 8. — Le Bureau de l'Association est en même temps le Bureau du Conseil d'administration. Art. 9. — Le Conseil se réunit au moins quatre fois dans l'intervalle de deux Sessions. Une séance a lieu en novembre pour la nomination des Com- missions permanentes; une autre séance a lieu pendant la quinzaine de Pâ- ques. Art. 10. — Le Conseil est convoqué toutes les fois que le Président le juge convenable. Il est convoqué extraordinairement lorsque cinq de ses membres en font la demande au Bureau, et la convocation doit indiquer alors le but de la réunion. Art. 11. — Les commissions permanentes sont composées des cinq membres du Bureau et d'un certain nombre de membres élus par le Conseil dans sa séance de novembre. Elles restent en fonctions jusqu'à la fin de la Session suivante de l'Association. Elles sont au nombre de quatre : 1° Commission de publication ; 2° Commission de finances; 3° Commission d'organisation de la Session suivante ; 4° Commission des récompenses et encouragements. Art. 12. — La commission de publication se compose du Bureau et de quatre membres élus, auxquels s'adjoint, pour les publications relatives à chaque section, le Président ou le Secrétaire, ou, en leur absence, un des délégués de la section. Art. 13. — La commission des finances se compose du Bureau et de quatre membres élus. Art. 14. — La commission d'organisation de la Session se compose du Bureau et de quatre membres élus. Art. 15. — La commission des récompenses et encouragements se compose POUR h AVANCEMENT DES SCIENCES VII du Bureau et de onze membres élus représentant chacun l'une des 11 sections qui ne sont pas représentées par les quatre premiers membres du Bureau. Les propositions de cette commission sont soumises au vote du Conseil. Art. 16. — Le Conseil peut en outre désigner des commissions spéciales pour des objets déterminés. Art. 17. — Pendant la durée de la Session annuelle, le Conseil tient ses séances dans la ville où a lieu la Session. TITRE III. — Du Secrétaire du Conseil. Art. 18. — Le Secrétaire du Conseil reçoit des appointements annuels dont le chiffre est fixé par le Conseil. Art. 19. — Lorsque la place du Secrétaire du Conseil devient vacante, il est procédé à la nomination d'un nouveau Secrétaire dans une séance précé- dée d'une convocation spéciale qui doit être faite quinze jours à l'avance. La nomination est faite à la majorité absolue des votants. Elle n'est valable que lorsqu'elle est faite par un nombre de voix égal au tiers au moins du nombre des membres du Conseil. Art. 20. — Le Secrétaire du Conseil ne peut être révoqué qu'à la majorité absolue des membres présents, et par un nombre de voix égal au tiers au moins du nombre des membres du Conseil. Art. 21. — Le Secrétaire du Conseil rédige et fait transcrire sur deux registres distincts les procès-verbaux des séances du Conseil et ceux des As- semblées générales. 11 siège dans toutes les commissions permanentes, avec voix consultative. 11 peut faire partie des autres commissions. 11 a voix con- sultative dans les discussions du Conseil. 11 exécute, sous la direction du Bureau, les décisions du Conseil. Les employés de l'Association sont placés sous ses ordres. Il correspond avec les membres de l'Association, avec les présidents et secrétaires des Comités locaux et avec les secrétaires des sections . 11 fait partie delà commission de publication et la convoque. Il dirige la publication du volume et donne les bons à tirer. Pendant la durée des Sessions, il veille à la distribution des cartes, à la publication des program- mes et assure l'exécution des mesures prises par le Comité local concernant les excursions. TITRE IV. — Des Assemblées générales. Art. 22. — Il se tient chaque année, pendant la durée de la Session, au moins une Assemblée générale. Art. 23. — Le Bureau de l'Association est en même temps le bureau de l'Assemblée générale. Dans les Assemblées générales qui ont lieu pendant la Session, le Bureau du Comité local est adjoint au Bureau de l'Association. Art. 24. — L'Assemblée générale, dans une séance qui clôt définitivement la Session, élit, au scrutin secret et à la majorité absolue, le Vice-Président et le Yice-Secré taire de l'Association pour Tannée suivante, ainsi que le Trésorier, s'il y a lieu. Elle nomme, sur la proposition des sections, les membres qui doivent représenter chaque section dans le Conseil d'administration. Elle Vin ASSOCIATION FRANÇAISE désigne enfin, une ou deux années à l'avance, les villes où doivent se tenir les Sessions futures. Art. 25. — L'Assemblée générale peut être convoquée extraordinairement par une décision du Conseil. Art. 26. — Les propositions tendant à modifier les Statuts ou le titre 1er du règlement, conformément à l'article 27 des Statuts, sont présentées à l'As- semblée générale par le rapporteur du Conseil et. ne sont mises aux voix que dans la Session suivante. Dans l'intervalle des deux Sessions, le rapport es imprimé et distribué à tous les membres. Les propositions sont en outre rap- pelées dans les convocations adressées à tous les membres. Le vote a lieu sans discussion, par oui ou par non, à la majorité des deux tiers des voix s'il s'agit d'une modification au Règlement. Lorsque vingt membres en font la demande par écrit, le vote a lieu au scrutin secret. TITRE V. — De l'organisation des Sessions annuelles et du Comité local. Art. 27. — La commission d'organisation, constituée comme il est dit à l'article H, se met en rapport avec les membres fondateurs appartenant à la ville où doit se tenir la prochaine Session. Elle désigne, sur leurs indications, un certain nombre de membres qui constituent le Comité local. Art. 28. — Le Comité local nomme son Président, son Vice-Président et son Secrétaire. Il s'adjoint les membres dont le concours lui paraît utile, sauf approbation de la commission d'organisation. Art. 29. — Le Comité local a pour attribution de venir en aide à la commission d'organisation, en faisant des propositions relatives à la Session, et en assurant l'exécution des mesures locales qui ont été approuvées ou in- diquées par la commission. Art. 30. — Il est chargé de s'assurer des locaux et de l'installation néces- saires pour les diverses séances ou conférences; ses décisions, toutefois, ne deviennent définitives qu'après avoir été acceptées par la commission. 11 pro- pose les sujets qu'il serait important de traiter dans les conférences, et les personnes qui pourraient en être chargées. 11 indique les excursions qui se- raient propres à intéresser les membres du Congrès, et prépare celles de ces excursions qui sont acceptées par la commission. Il se met en rapport, lors- qu'il le juge utile, avec les sociétés savantes et les autorités des villes ou lo- calités où ont lieu les excursions. Art. .'M. — Le Comité local est invité à préparer une série de courtes notices sur la ville où se tient la Session, sur les monuments, sur les éta- blissements industriels, les curiosités naturelles, etc., de la région. Ces noti- ces sont distribuées aux membres de l'Association et aux invités assistant au Congrès. Art. 32. — Le Comité local s'occupe de la publicité nécessaire à la réus- site du Congrès, soit à l'aide d'articles de journaux, soit par des envois de programmes, etc., dans la région où a lieu la Session. Art. 33. — Il fait parvenir à la commission d'organisation la liste des savants français et étrangers qu'il désirerait voir inviter. POUR L AVANCEMENT DES SCIENCES IX Le Président de l'Association n'adresse les invitations qu'après que cette liste a été reçue et examinée par la commission. Art. 3i. — Le Comité local indique en outre, parmi les personnes de la ville ou du département, celles qu'il conviendrait d'admettre gratuitement à participer aux travaux scientifiques de la Session. Art. 3o. — Depuis sa constitution jusqu'à l'ouverture de la Session, le Comité local l'ait parvenir deux fois par mois, au Secrétaire du Conseil de l'Association, des renseignements sur ses travaux, la liste des membres nou- veaux, avec l'état des paiements, la liste des communications scientifiques qui sont annoncées, etc. Art. 36. — La commission d'organisation publie et distribue de temps à autre aux membres de l'Association les communications et avis divers qui se rapportent à la prochaine Session. Elle s'occupe de la publicité générale et des arrangements à prendre avec les compagnies de chemins de fer. TITRE VI. — De la tenue des Sessions. Art. 37. — Pendant toute la durée de la Session, le Secrétariat est ouvert chaque matin pour la distribution des cartes. La présentation des cartes est exigible à l'entrée des séances. Art. 38. — Tout membre, en retirant sa carte, doit indiquer la section à laquelle il désire appartenir, ainsi qu'il est dit article 4. Art. 39. — Le Conseil se réunit dans la matinée du jour où a lieu l'ou- verture de la session ; il se réunit pendant la durée de la Session autant de fois qu'il le juge convenable. Il tient une dernière réunion, pour arrêter une liste de présentation relative aux élections du Bureau de l'Association, vingt-quatre heures au moins avant la réunion de l'Assemblée générale. Le Président et l'un des Secrétaires du Comité local assistent, pendant la Session, aux séances du Conseil, avec voix consultative. Art. 40. — La Session est ouverte par une séance générale, dont l'ordre du jour comprend : 1° Le discours du Président de l'Association et des autorités de la ville et du département ; 2° Le compte rendu annuel du Secrétaire général de l'Association ; 3° Le rapport du Trésorier sur la situation financière. Aucune discussion ne peut avoir lieu dans cette séance. A la fin de la séance, le Président indique l'heure où les membres se réu- niront dans les sections. Art. 41 . — Chaque section élit, pendant la durée d'une Session, son pré- sident pour la Session suivante : le président doit être choisi parmi les mem- bres de l'Association . Art. 42. — Chaque section, dans sa première séance, procède à l'élection de son vice-président et de son secrétaire, toujours choisis parmi ses membres. Elle peut nommer en outre un second secrétaire, si elle le juge convenable. Elle procède aussitôt après à ses travaux scientifiques. Art. 43. — Les présidents de section se réunissent dans la matinée du se- X ASSOCIATION FRANÇAISE cond jour, pour fixer les jours et heures des séances de leurs sections respec- tives, et pour répartir ces séances de la manière la plus favorable. Ils décident, s'il y a lieu, la fusion de certaines sections voisines. Les présidents de deux ou plusieurs sections peuvent organiser en outre des séances collectives. Une section peut tenir, aux heures qui lui conviennent, des séances supplé- mentaires, à la condition de choisir des heures qui ne soient pas occupées par les excursions générales. Art. 44. — Pendant la durée de la Session, il ne peut être consacré qu'un seul jour, non compris le dimanche, aux excursions générales. Il ne peut être tenu de séances de sections ni de conférences pendant les heures consacrées à une excursion générale. Art. 45. — Il peut être organisé une ou plusieurs excursions générales ou spéciales pendant les jours qui suivent la clôture de la Session. Art. 40. — Les sections ont toute liberté pour organiser les excursions par- ticulières qui intéressent spécialement leurs membres. Art. 47. — Une liste des membres de l'Association présents au Congrès pa- raît le lendemain du jour de l'ouverture, parles soins du Bureau. Des listes complémentaires paraissent les jours suivants, s'il y a lieu. Art. 48. — Il paraît chaque matin un Bulletin indiquant le programme de la journée, les ordres du jour des diverses séances et les travaux des sections de la journée précédente. Art. 49. — La commission d'organisation peut instituer une ou plusieurs séances générales. Art. 50. — Il ne peut y avoir de discussion en séance générale. Dans le cas où un membre croirait devoir présenter des observations sur un sujet traité dans une séance générale, il devra en prévenir par écrit le Président, qui dé- signera l'une des prochaines séances de section pour la discussion. Art. 51. — A la fin de chaque séance de section, et sur la proposition du président, la section fixe l'ordre du jour de la prochaine séance ainsi que l'heure de la réunion. Art. 52. — Lorsque l'ordre du jour est chargé, le Président peut n'accor- der la parole que pour un temps déterminé qui ne peut être moindre que dix minutes. A l'expiration de ce temps, la section est consultée pour savoir si la parole est maintenue à l'orateur; dans le cas où il est décidé qu'on passera à l'ordre du jour, l'orateur est prié de donner brièvement ses conclusions. Art. 53. — Les membres qui ont présenté des travaux au Congrès sont priés de remettre au secrétaire de leur section leur manuscrit ou un résumé de leur travail; ils sont également priés de fournir une note indicative de la part qu'ils ont prise aux discussions qui se sont produites. Lorsqu'un travail comportera des figures ou des planches, mention devra en être faite sur le titre du mémoire. Art. 54. — A la fin de chaque séance, les secrétaires de section remettent au Secrétariat: POUR L'AVANCEMENT DES SCIENCES XI 1° L'indication des titres des travaux de la séance ; 2° L'ordre du jour, la date et l'heure de la séance suivante. Art. 55. — Les secrétaires de section sont chargés de prévenir les auteurs désignés pour prendre la parole dans chacune des séances. Art. 56. — Les secrétaires de section doivent rédiger un procès-verbal des séances. Ce procès-verbal doit donner d'une manière sommaire le résumé des travaux présentés et des discussions; il doit être remis au Secrétariat aussitôt que possible, et au plus tard un mois après la clôture de la session. Art. 57. — Les secrétaires de section remettent au Secrétaire du Conseil, avec leurs procès-verbaux, les manuscrits qui auraient été fournis par leurs auteurs, avec une liste indicative des manuscrits manquants. Art. 58. — Les indications relatives aux excursions sont fournies aux mem- bres le plus tôt possible. Les membres qui veulent participer aux excursions sont priés de se faire inscrire à l'avance, afin que l'on puisse prendre des me- sures d'après le nombre des assistants. Art. 59. — Les conférences générales n'ont lieu que le soir, et sous le con- trôle d'un président et de deux assesseurs désignés par le Bureau. Il ne peut, être fait plus de deux conférences générales pendant la durée d'une Session. TITRE VII. — Des comptes rendus. Art. 60. — Il est publié chaque année un volume contenant: 1° le compte rendu des séances de la Session; 2° le texte ou l'analyse des travaux provo- qués par l'Association, ou des mémoires acceptés par le Conseil. Art. 61. — Le volume doit être publié dix mois au plus tard après la Ses- sion à laquelle il se rapporte. 11 est expédié aux invités de l'Association. L'apparition du volume est annoncée à tous les membres par une circulaire qui indique à partir de quelle date il peut être retiré du Secrétariat. Art. 62. — Les membres qui n'auraient pas remis les manuscrits de leurs communications au secrétaire de leur section, devront les faire parvenir au Secrétariat du Conseil avant le 1er décembre. Passé cette époque, le titre seul du travail figurera dans les comptes rendus, sauf décision spéciale de la com- mission de publication. Art. 63. — La commission de publication peut décider qu'un travail ne figurera pas in extenso dans les comptes rendus, mais qu'il en sera donné seulement un extrait que l'auteur sera engagé à fournir dans un délai déter- miné. Si, à l'expiration de ce délai, l'extrait n'a pas été fourni au Secrétaire du Conseil, l'extrait du procès-verbal relatif à ce travail sera seul inséré. Art. 64. — Les discussions sont reproduites d'après les procès-verbaux, auxquels doivent être jointes les notes fournies par les membres qui y ont pris part. La commission de publication, d'après ces notes, peut apporter des modi- fications à l'extrait du procès- verbal. Art. 65. — La commission de publication décide quelles seront les planches qui seront jointes au compte rendu, et s'entend à cet effet avec la commission des finances. XII ASSOCIATION FRANÇAISE POUR ^AVANCEMENT DES SCIENCES Al,r_ 66. — Aucun travail publié en France avant l'époque du Congres ne pourra être reproduit dans les comptes rendus : le titre et l'indication bibliogra- phique figureront seuls dans ce volume. ivlKT> 07 _ Les épreuves seront communiquées aux auteurs en placards seu- lement ; une semaine est accordée pour la correction. Si l'épreuve n'est pas renvoyée à l'expiration de ce délai, les corrections sont faites par les soins du Secrétariat. Akt. 68. — Dans le cas où les Irais de corrections et changements indiqués par un auteur dépasseraient la somme de f5 francs par feuille, l'excédant calculé proportionnellement serait porté à son compte. Aut. 69. — Les membres dont les communications ont une étendue qui dé- passe une demi-feuille d'impression recevront 15 exemplaires de leur travail extraits des feuilles qui ont servi à la composition du volume. Art. 70. — Les membres pourront faire exécuter un tirage à part de leurs communications avec pagination spéciale au prix convenu avec l'imprimeur par le Bureau. Les tirages h part porteront la mention : « Extrait des Comptes rendus du Congrès tenu à... par l'Association française pour l'avancement des Sciences. » Ils seront distribués aussitôt après la publication des comptes rendus. RAPPORT DU CONSEIL D'ADMINISTRATION à l'Assemblée générale SUR LES STATUTS ET LE RÈGLEMENT DE L'ASSOCIATION (Lille, 27 août 1874.) Commissaires : MM. Cornu, Demongeot, Gariel, G. Masson, de Quatrefages, Wurtz, et Rkoca, rapporteur. I. Ceux d'entre nous qui préparèrent, il y a trois ans, la fondation de l'Associa- tion française, formulèrent en une série de 3i articles les bases essentielles de notre organisation. Ces articles, adoptés le 22 avril 1872 par notre première Assemblée générale, sont devenus nos statuts. Les promoteurs de l'Association ne crurent pas devoir procéder à la rédaction d'un règlement. Ils pensèrent que, s'il était nécessaire de fixer d'avance les principes généraux, il était nécessaire aussi d'attendre, pour en déterminer d'une manière précise le mode d'application, que l'expérience eût fait connaître tous les besoins d'une association comme la nôtre, et toutes les difficultés de détail qui pouvaient surgir dans la pratique. L'exécution des statuts a donc été laissée jusqu'ici à la sagesse des membres du Conseil, dont l'autorité, émanée des Assemblées générales, a toujours été reconnue. Mais il est clair que cet état de cboses ne doit être que provisoire. Deux années d'expérience ont suffi pour nous indiquer les conditions d'une bonne direction et d'une bonne administration. Le Conseil a donc pensé que le moment était venu de procéder à la rédaction d'un règlement et, sur la pro- position qui vous en a été faite en son nom par M. le président de Quatrefages, dans l'Assemblée générale qui a clos la session Lyonnaise, vous avez décidé qu'une commission spéciale serait chargée de préparer ce règlement dans un bref délai et de le soumettre aux délibérations du Conseil avant la session actuelle. L'article 27 des statuts porte que le Conseil d'administration « fait tous les XIV ASSOCIATION FRANÇAISE règlements d'ordre intérieur que peut nécessiter l'exécution des statuts » Il semble donc au premier abord que le Conseil aurait pu s'acquitter de cette tâche sans demander des pouvoirs spéciaux à l'Assemblée générale. Mais il était impossible de faire un règlement sans toucher aux statuts. Ceux-ci, en effet, ayant été destinés dès l'origine à fonctionner quelque temps sans règlement exécutif, on avait dû y introduire divers articles contenant des dispositions purement régle- mentaires, qui n'avaient rien d'essentiel, mais qu'il fallait cependant faire connaître. Tels étaient les articles qui concernaient les délais accordés pour la remise des manuscrits et pour la publication du volume annuel, le jour de la nomination des divers membres des bureaux de sections, les invitations adressées aux étrangers, l'admission aux séances de personnes étrangères à l'Asso- ciation, etc. Ces articles devaient évidemment passer en totalité ou en partie des statuts dans le règlement qu'on allait rédiger ; ceux qui n'y passaient qu'en partie de- vaient être remaniés. L'intervention de l'Assemblée générale était donc né- cessaire. Il y avait, d'ailleurs, un autre motif qui obligeait le Conseil à s'adresser à l'Assemblée, M. le président vous a signalé deux articles des statuts dont le Conseil demandait la révision. L'article 10 concernant l'époque de l'apparition du volume n'avait pu être appliqué; le délai de huit mois, tixé par cet article, avait été insuffisant, et le Conseil demandait qu'il fût prolongé de deux mois. Enfin, une mesure beaucoup plus grave et tout à fait statutaire, puisqu'elle était relative à notre administration financière, s'imposait à nous comme une nécessité. Le taux de la réserve annuelle était fixé, par l'article 33, à 20 0/0 du revenu et de toutes les recettes. Mais on n'avait pas prévu que la prospérité scientifique de l'Association se développerait plus rapidement que sa prospérité matérielle. On supposait que les travaux des premières sessions seraient peu nombreux, que dès lors les premiers volumes seraient minces et peu coûteux ; mais de même que le succès scientifique a dépassé nos espérances, les frais de publicité ont dépassé nos prévisions et se sont élevés, dès le premier volume, à un chiffre qu'on supposait ne devoir être atteint qu'au bout de plusieurs an- nées. Dans ces conditions, il a bien fallu reconnaître que la retenue de 20 0/0 sur nos revenus et recettes de toutes sortes était incompatible avec l'équilibre de nos budgets , et qu'il était nécessaire de la réduire. Il s'agissait donc à la fois de formuler un règlement et de réviser les statuts; c'est la tâche que vous avez imposée au Conseil, en décidant, par votre vote du 27 août dernier, que le Conseil, dans sa plus prochaine séance, nommerait une Commission chargée de procéder à ce double travail. Conformément à cette décision, le Conseil, dans sa séance du 14 novembre 1873, a élu comme commissaires MM. Broca, Cornu, Demongcot, Gariel, G. Masson, de Quatrefages et Wurtz, Dans la discussion qui a précédé cette élection, une question d'une importance tout à fait prépondérante a été soulevée. Notre capital, déjà considérable, a été placé dans les meilleures conditions, mais les garanties personnelles les plus solides ne sauraient nous suffire. Il faut que la fortune de l'Association soit mise à l'abri de toutes les chances, et qu'elle soit placée sous son nom, en POUR L, AVANCEMENT DES SCIENCES XV rentes sur l'État. Il faut en outre que l'Association soit apte à recevoir les dons ou legs qui pourraient lui être faits. Or, la loi n'accorde ce double avantage qu'aux sociétés reconnues d'utilité publique par un décret du pouvoir exécutif, rendu sur l'avis du Conseil d'Etat. Votre Conseil d'administration a donc pensé qu'il fallait avant tout songer à obtenir la reconnaissance d'utilité publique, et il a invité ses commissaires à se préoccuper de cette question, qui primait toutes les autres. L'un des commissaires, M. Demongeot, maître des requêtes au Conseil d'Etat, avait à ce sujet une compétence toute spéciale, qui nous a été du plus grand secours. Par lui, nous avons connu les conditions que le Conseil d'État a l'ha- bitude d'exiger dans le double but d'assurer la bonne gestion financière des institutions reconnues d'utilité publique, et de les maintenir d'une manière durable dans la voie tracée par leurs statuts. 11 nous a indiqué en outre les ar- ticles que le Conseil d'Etat considère comme statutaires, ceux qui, une fois adoptés par lui, ne peuvent plus être modifiés sans l'approbation du gouverne- ment, et ceux qui, étant considérés comme moins essentiels, peuvent ne pas figurer dans les statuts. Nous dirons tout à l'heure comment nous avons procédé à la séparation de ces deux séries d'articles. La Commission a soumis ces diverses questions à une étude approfondie. Elle leur a consacré dix longues séances. Le projet de statuts et règlement qu'elle a préparé a été distribué à tous les membres du Conseil d'administra- tion, puis discuté, amendé et enfin adopté par ce Conseil dans les deux séances extraordinaires du 12 et du 26 juin 1874. Le projet qui est soumis aujourd'hui au vote de l'Assemblée générale émane donc du Conseil tout entier, conformément à l'article 30 des statuts actuelle- ment en vigueur. C'est aussi du Conseil qu'émanait la proposition qui vous a été faite l'année dernière de procéder à la rédaction du règlement et à la révi- sion des statuts. Le délai d'un an formulé dans ce même article 30 est donc expiré, et c'est à vous qu'il appartient maintenant de confirmer ou de rejeter par vos votes le projet que le Conseil vient vous présenter, en -exécution de votre décision du 28 août 1873. IL Si vous jugez comme nous que notre premier besoin soit d'obtenir que l'Association soit reconnue d'utilité publique, vous jugerez sans doute aussi qu'il ne faut pas hésiter à introduire dans nos statuts quelques modifications en vue d'un résultat si désirable qui, en consolidant définitivement notre capital, en nous permettant de recevoir des legs, en augmentant notre force morale, assurera la prospérité et la durée de notre Association. Ces modifications sont peu nombreuses et, pour la plupart, tout à fait insi- gnifiantes. Mais il en est une dont l'importance mérite d'être signalée. Le Conseil d'administration tel qu'il est aujourd'hui, conformément à l'article 24, se compose des six membres du bureau de l'Association, des quinze pré- sidents et des quinze secrétaires des sections, et des quarante-cinq membres XVI ASSOCIATION FRANÇAISE (trois par section) élus en Assemblée générale sur la proposition de leurs sec- tions respectives; en tout quatre-vingt-un membres. Or, il résulte de rensei- gnements officieux, mais puisés à des sources sûres, que ce chiffre a paru beaucoup trop élevé. On objecte qu'un Conseil aussi nombreux ne peut s'oc- cuper par lui-môme de tous les détails de l'administration, qu'il est difficile à réunir, que les délibérations se compliquent en proportion du nombre des membres, que, d'ailleurs, la responsabilité, en se fractionnant trop, s'atténue, et que le chiffre de quatre-vingt-un membres excède de beaucoup celui qui est admis dans les plus grandes administrations. Nous pouvons répondre, il est vrai, que beaucoup de membres de notre Conseil résident dans les dépar- tements, qu'ils ne peuvent assister qu'exceptionnellement aux séances tenues à Paris dans le courant de l'année, mais l'objection persiste pour les séances qui se fienneift pendant la durée des sessions annuelles, et nous avons dû comprendre qu'il ne serait pas possible de faire accepter sans modification l'article qui détermine la composition du Conseil. Nous vous proposons donc, en premier lieu, de réduire de six à cinq le nombre des membres du bureau de l'Association, en supprimant les fonctions d'archiviste, fonctions qui sont et resteront purement nominales, l'Association n'ayant ni bibliothèque, ni collections, et ne conservant d'autres pièces que celles du secrétariat. L'archiviste actuel a été nommé pour quatre ans ; ses fonctions doivent finir avec la -4e session, qui aura lieu l'année prochaine. Nous vous proposons de décider qu'il ne sera pas remplacé. Nous vous proposons, en outre, de réduire de cinq à quatre le nombre des membres fournis au Conseil par chacune de nos quinze sections. Le Conseil se trouvera ainsi ramené à soixante-cinq membres, savoir : les cinq mem- bres du bureau de l'Association, et les soixante membres représentant les sections. Nous avons lieu de croire que cette réduction sera jugée suffisante. Jusqu'ici chaque section a été représentée par cinq membres qui sont : le président et le secrétaire élus par la section, puis trois délégués élus pour trois ans par l'Assemblée générale, et renouvelés par tiers chaque année. Parmi ces cinq membres, il y en a un qu'il ne saurait être question d'élimi- ner ; c'est le président de la section ; mais on peut songer à réduire de trois à deux le nombre des délégués, ou encore à n'admettre le secrétaire dans le Conseil qu'avec voix consultative. C'est cette dernière combinaison qui nous a paru préférable. En portant à trois le nombre des délégués, ou, ce qui revient au même, en fixant à trois années la durée de leur mandat, nos statuts ont voulu que le renouvellement annuel ne pût rompre subitement les habitudes du Conseil. Après chaque session, trois membres sur cinq peuvent être remplacés ; mais les deux autres sont là pour continuer la tradition, pour donner suite aux affaires commencées, et pour taire profiter leurs nouveaux collègues de l'expérience qu'ils ont acquise. Ce but ne serait pas atteint si l'on n'admettait plus que deux délégués par section, car, l'un d'eux disparais- sant chaque année, il n'en resterait plus qu'un seul pour relier le présent au passé ; et ce serait insuffisant. D'un autre côté, nous ne devons pas oublier que l'Association se propose avant tout de décentraliser l'activité scientifique ; elle veut que les sections puissent, sans nuire à leur intérêt, élire comme POUR L AVANCEMENT DES SCIENCES XVII présidents, et présenter comme délégués au vote de l'Assemblée générale, les savants de la province. Mais le Conseil d'administration, qui siège en province pendant la durée des sessions, siège à Paris pendant le reste de l'année. C'est à Paris que se débattent les intérêts des sections au point de vue de la publi- cation de leurs travaux, aussi bien qu'au point de vue de la distribution des encouragements. Chaque section a donc intérêt à compter, parmi ses repré- sentants, au moins deux membres résidant à Paris. Or, une section qui n'au- rait que deux délégués et qui aujourd'hui, par exemple, choisirait un délégué en province, serait obligée l'année prochaine d'élire un président parisien, sous peine de n'avoir plus à Paris qu'un seul représentant. Avec trois délégués les sections sont beaucoup plus à l'aise. Elles peuvent, à chaque session, élire pour président, ou désigner comme délégué, un savant de province, sans cesser d'être représentées à Paris par leurs deux autres délégués. Il nous pa- raît donc très-désirable, et conforme aux principes de notre organisation, de ne faire porter aucune réduction sur le nombre des délégués des sections. En outre, puisqu'il faut opter entre la catégorie des délégués et celle des secrétaires, nous ferons remarquer que ceux-ci représentent seulement les intérêts de la section qui les a élus, et que ceux-là représentent de plus les intérêts généraux de l'Association, puisqu'ils sont élus par l'Assemblée géné- rale. La présence des délégués dans le Conseil est donc plus indispensable que celle des secrétaires. Enfin, et cette raison vous paraîtra décisive, la suppression d'un délégué par section priverait entièrement le Conseil du concours de quinze membres ; tandis que, par la mesure que nous vous proposons, les secrétaires ne seront pas supprimés : admis dans le Conseil avec voix consultative, ils le feront profiter de leurs lumières ; ils y apporteront une connaissance précise des affaires de leurs sections respectives, et le Conseil ne sera pas affaibli. Ils auront perdu, il est vrai, le droit de voter, mais dans une assemblée comme le Conseil, où il n'y a pas de partis en présence, mais seulement des hommes dévoués au succès de l'entreprise commune, celui qui a de bonnes raisons à faire valoir exerce plus d'influence par sa parole que par son vote. Les secré- taires continueront donc à remplir dans le Conseil un rôle important ; et leur position, d'ailleurs, sera égale à celle des anciens présidents de l'Associa- tion, qui, eux aussi, n'auront dans le Conseil que voix consultative. Il y a, dans les statuts de 1872, une lacune fâcheuse. Il n'y est rien dit des anciens présidents de l'Association. Ces hommes éminents, que les suffra- ges de l'Assemblée générale ont placés à la tête de l'Association française, qui pendant deux ans se sont dévoués à ses intérêts, et qui, justement fiers de l'avoir dirigée, ne cesseront jamais de la soutenir et de l'aimer, ces hom- mes dont l'autorité, l'expérience et le zèle éprouvé nous seraient si utiles, disparaissent tout à coup le jour où expire l'année de leur présidence. Cette situation est très-regrettable ; et vos commissaires, dès les premières séances, s'en étaient préoccupés. Ils avaient admis en principe que les anciens prési- dents devaient continuer pendant dix ans à faire partie du Conseil. Mois ils ont dû renoncer à cette pensée puisque aujourd'hui, loin qu'on puisse songer à augmenter le nombre des membres du Conseil, il faut au contraire le ré- XVIII ASSOCIATION FRANÇAISE duire. Le Conseil vous propose donc de ne maintenir les anciens présidents qu'avec le titre de membre honoraire, et avec voix consultative. Les modifications statutaires relatives à la composition du Conseil tiennent le premier rang parmi celles que nous présentons au vote de l'Assemblée générale. Il en est une autre dont la nécessité pressante vous a déjà été signalée, et sur laquelle nous n'avons pas à insister de nouveau. C'est celle qui concerne le taux de la réserve annuelle. En inscrivant dans les nouveaux statuts la clause que la retenue doit être de 10 0/0 au moins, nous nous réservons la faculté de la porter, lorsque les conditions seront plus favorables, à un taux plus élevé, sans nouvelle modification de nos statuts. Les autres modifications qui ont été introduites dans nos anciens statuts sont tout à l'ait secondaires. Certains articles ont changé simplement de rang; d'autres ont été fractionnés en plusieurs articles, par suite du partage qui a dû être fait entre les statuts et le règlement général. — L'article 32, qui nmeerne le règlement général, est nouveau comme ce règlement lui-même. L'ancien article 10, devenu l'article 12, portait que le volume annuel com- prendrait les mémoires approuvés par le Conseil. Cette formule, rendant le Conseil responsable de toutes les opinions publiées par les divers membres de l'Association a dû être modifiée. Le nouvel article porte seulement que les mémoires seront acceptés par le Conseil, en ajoutant que l'Association laisse à chacun la responsabilité de ses œuvres. Enfin les mots : au moi?is une année à l'avance, ont été introduits dans l'article H (ancien article 8) en prévision du cas où l'Assemblée générale jugerait utile de désigner deux ans à l'avance le siège d'une session. III. Nous appelerons, maintenant, votre attention sur une série de modifications qui, en réalité, n'en font qu'une seule, et qui, d'ailleurs, n'apportent aucun changement dans notre organisation. 11 s'agit de divers articles qui ont cessé de faire partie de nos statuts, et qui constituent, sous le titre de Dispositions générales, le titre Irr du règlement. Cette transposition a été faite en vue de la situation que créerait pour nous un décret reconnaissant l'Association comme établissement d'utilité publique. Ce décret une fois rendu, nos statuts ne pourront plus être modifiés sans l'autorisation du Gouvernement. Le plus petit changement devra être soumis au Conseil d'État, et nécessitera des démarches et des lenteurs que nous devons éviter autant (pie possible. 11 importe donc de ne conserver dans les statuts que ce qui est absolument statutaire, afin d'aliéner le moins possible notre indépendance. Toute notre organisation repose sur la répartition de nos sections en quatre groupes, dans lesquels devront être; choisis à tour de rôle le président, le vice-président, le secrétaire et le vice-secrétaire de l'Association. Ceci est tout POUIl L AVANCEMENT DES SCIENCES XIX à fait fondamental, et la partie de l'ancien article 12 qui concerne la distinction et les titres de ces quatre groupes doit évidemment être maintenue dans les statuts. Mais il n'en est plus de même du nombre et des titres des sections de chaque groupe. Il suffira peut-être d'une expérience de quelques années pour démontrer la nécessité de fusionner en une seule deux sections voisines, ou de créer des sections nouvelles. Il faut que l'Assemblée générale puisse faire ces changements de sa propre autorité, sans avoir à attendre l'avis du Conseil d'État. La subdivision de chaque groupe en un certain nombre de sections n'intéresse, d'ailleurs, que nous seuls; elle ne modifie en rien notre pacte fondamental. La partie de l'ancien article 12 qui s'y rapporte doit donc passer dans le règlement. De même, il peut devenir opportun d'augmenter ou de réduire le taux de la cotisation annuelle, celui du rachat des cotisations, celui des droits d'admission payés par les personnes étrangères à l'Association. Ce ne sont là que des affaires intérieures, et les statuts n'ont, pas à s'en occuper. C'est donc dans le règlement que ces chiffres doivent être inscrits. C'est dans les statuts au contraire que doit être fixée, ne varietur, la valeur des parts des membres fondateurs, car il n'est pas admissible que ces parts puissent être de valeur inégale. L'ancien article 5, relatif aux parts des membres fondateurs, reste donc dans les statuts, tandis que l'article (j, relatif aux cotisations annuelles, et l'article 11, relatif à l'admission des étrangers, sont renvoyés au règlement. Ces deux exemples suffisent pour indiquer les principes qui nous ont guidés dans la répartition des articles des anciens statuts entre les nouveaux statuts et le règlement. Mais ces articles, en devenant réglementaires, doivent rester distincts des antres articles du règlement. Ils ont à nos yeux, comme aux vôtres, une importance presque égale à celle des articles maintenus dans les statuts, et nous demandons qu'ils conservent la même solidité. Ils ont été inscrits primi- tivement dans les statuts. Ils ne font donc pas partie du règlement intérieur qui, d'après ces mêmes statuts, doit être fait par le Conseil d'administration. Ils sont placés sous la garde de l'Assemblée générale; ils ne peuvent être modifiés que par elle, dans les formes et dans les délais prescrits par l'ancien article 30, et cette garantie de stabilité, ils doivent la conserver* Us sont donc réunis sous le titre de Dispositions générales, en tête du règle- ment, dont ils forment le titre Ier. Le règlement se compose ainsi de deux parties, dont l'importance est très-inégale. La première, en sept articles, intitulée Titre /erj Dispositions générales, provient des anciens statuts. C'est elle qui est désignée sous le nom de Règlement général, dans les articles 12 et 32 des nouveaux statuts, et d'après cet article 32 elle ne peut être modifiée que dans la même forme que les statuts. Toute proposition tendant à y introduire un changement quelconque devra être soumise d'abord au Conseil d'administration , puis présentée par le Conseil à l'Assemblée générale d'une session pour être mise aux voix dans la session suivante, après avoir été indiquée dans les convocations adressées à tous les membres de l'As- sociation (art. 31 des nouveaux statuts). En outre, l'article 27 du règlement XX. ASSOCIATION FRANÇAISE porte que la proposition présentée à l'Assemblée générale par le Conseil doit être appuyée, le jour même, d'un rapport qui est imprimé et distribué à tous les membres avant la session suivante. Enfin, lorsque 20 membres en l'ont la demande par écrit, le vote de l'Assemblée générale a lieu au scrutin secret. Cette procédure est exactement la même que lorsqu'il s'agit de modifier les statuts proprement dits : il n'y a de différence que relativement au chiffre de la majorité exigée, les mesures statutaires ne pouvant être adoptées qu'à la majorité des deux tiers, tandis que la simple majorité est suffisante pour les articles du règlement général. Cette différence vous paraîtra sans doute légitime, si vous songez que les modifications du règlement général ne dépendent que de vous, que vous pouvez les abroger de vous-mêmes si vous le jugez utile, et sans en rendre compte à personne. La règle ordinaire des majorités est donc applicable ici. Mais les statuts proprement dits étant destinés à recevoir une sanction officielle, et ne pouvant plus, ensuite, être modifiés qu'avec l'approbation du gouvernement, les votes qui les concernent doivent avoir une autorité plus grande; l'A.ssemblée générale n'est jamais complète, et il ne faut pas qu'on puisse se demander si le vote exprimé dans une session est vraiment conforme à la volonté de la majorité des membres de l'Asso- ciation. Ce doute ne saurait raisonnablement subsister en présence d'un vote rendu par les deux tiers des membres présents. Dans le projet imprimé qui vous a été distribué, vous trouverez, à la fin du Règlement général, un article 8 que le Conseil avait admis avec une certaine hésitation, et qu'après un nouvel examen il croit maintenant devoir rejeter. Cet article concernait les sommes qui sont votées par les Munici- palités ou par les Conseils généraux , et dont l'emploi est confié au Comité local; il a été rédigé en prévision du cas où, après la liquidation des dépenses d'une session, il y aura un reliquat disponible qui pourra servir soit à décerner des encouragements aux savants de la région, soit à faciliter la publication complète de leurs travaux. Il n'est pas douteux que cet emploi du reliquat soit conforme au but que se proposent les conseils qui votent des sommes destinées à assurer le succès d'une session, car le succès ne dépend pas seulement d'une réception plus ou moins brillante, mais encore de l'im- portance des travaux publiés dans le volume et de l'efficacité des encourage- ments accordés aux pionniers de la science. Il avait donc paru avantageux d'indiquer aux Comités locaux l'usage qu'ils peuvent faire de leurs reliquats en les mettant à la disposition du Conseil d'administration. Mais, en y réfléchissant de nouveau, le Conseil a craint que l'article 8 pût paraître de nature à limiter les attributions des Comités locaux, et, pour éviter jusqu'à l'apparence d'une immixtion dans leur gestion financière, il a jugé utile de supprimer entière- ment cet article. Il ajoute d'ailleurs, que les reliquats dont l'emploi pourra lui être confié ne pourront jamais être détournés de leur destination et qu'ils devront toujours être appliqués aux dépenses de la session à laquelle ils se rapportent. POUR I, AVANCEMENT DES SCIENCES XXI IV. Avec l'article 7 (l'article 8 étant supprimé), se termine le Règlement général. Les articles suivants, jusqu'à la fin, constituent la réglementation détaillée qui est destinée à assurer la bonne exécution des Statuts et du Règlement général. Cette seconde partie du Règlement, contenant les articles 9 à 70, répond à la prescription formulée, dans les termes suivants, par l'article 27 des anciens statuts : « Le Conseil d'administration fait tous les règlements d'ordre intérieur que peut nécessiter l'exécution des présents statuts. » Le droit de faire ces règlements implique naturellement celui de les modifier suivant les besoins démontrés par l'expérience. Les anciens statuts laissaient, à cet égard, au Con- seil un pouvoir discrétionnaire, qui nous a paru devoir être tempéré par une disposition statutaire, imposant au Conseil le devoir de rendre compte à l'As- semblée générale des motifs qui l'ont dirigé. Tel est le but du troisième alinéa de l'article 32 des nouveaux statuts, portant que : « les autres articles du règle- ment (ceux qui viennent après le titre 1er) pourront être modifiés par le Con- seil, à charge d'en rendre compte à l'Assemblée générale dans la plus pro- chaine session du congrès. » Le Conseil ne pourra donc introduire aucun chan- gement dans cette partie du règlement sans présenter à l'Assemblée générale un rapport motivé, qui aura le double avantage de donner aux nouvelles mesures toute la publicité dont dispose l'Association et de restreindre l'exercice du droit de réglementation conféré au Conseil aux mesures dont l'utilité aura été bien nettement constatée. Les nombreux articles des titres II et VII du Règlement, adoptés par le Con- seil sur le rapport de la Commission, dans les séances des 12 et 26 juin 1874, ne font, pour la plupart, que formuler les usages qui se sont établis parmi nous depuis l'origine, et il serait aussi fastidieux qu'inutile de les passer un à un en revue. Il est toutefois deux dispositions nouvelles dont nous devons vous rendre compte, par une application anticipée de l'article 32 des nouveaux statuts. Ces deux dispositions concernent le fonctionnement intérieur du Conseil et la nomination des présidents de sections. D'après l'article 27 des anciens statuts, où sont énumérées, en huit alinéas, les nombreuses attributions du Conseil, celui-ci est responsable de toute l'ad- ministration , de toutes les affaires. Il représente l'Association , il la dirige, organise les sessions, désigne les Comités locaux, décide l'emploi des fonds disponibles, et, par conséquent, la répartition des sommes allouées à litre d'en- couragement. En un mot, les statuts ne reconnaissent d'autre pouvoir que le sien ni d'autre responsabilité que la sienne. Le Conseil cependant est trop nombreux, et composé d'éléments trop divers, pour qu'on puisse le réunir continuellement, et soumettre à ses délibérations toutes les affaires, tous les incidents qui surgissent pour ainsi dire de jour en jour. Il résulte de cette impossibilité matérielle que le Conseil a dû jusqu'ici s'en rapporter, pour la décision des affaires courantes, à la sagesse de son bureau, XXII ASSOCIATION FRANÇAISE qui, jouissant de la confiance de l'Assemblée générale, ne peut manquer de mériter aussi toute la confiance du Conseil. On ne peut se dissimuler cependant que cette procédure n'est pas entièrement conforme au principe formulé dans les statuts. Le bureau, élu par l'Assemblée générale, et non par le Conseil, ne saurait être considéré comme le mandataire du Conseil; c'est cependant au nom et sous la responsabilité du Conseil qu'il agit. Il est donc nécessaire de prendre des mesures pour concilier les exigences de la pratique avec le principe de l'administration représentative qui est la base de notre Association. Nous pensons que l'institution des quatre commissions permanentes indiquées dans les articles 12 à 16 du règlement résout pleinement la difficulté. Toutes les affaires de l'Association se ramènent à quatre chefs : 1° l'administration financière ; 2° l'organisation des sessions; 3° la publication des travaux, et 4° la distribution des récompenses et encouragements. Le Conseil, chaque année, dans sa première séance, adjoindra au bureau, par voie d'élection, un certain nombre de commissaires, de manière à constituer quatre commissions permanentes, qui resteront en fonctions jusqu'à la fin de la session suivante. Chaque commission permanente se composera ainsi à la Ibis des membres du bureau, mandataires de l'Assemblée générale, et des mandataires du Conseil, au nombre de quatre pour les trois premières commissions, et au nombre de onze pour la quatrième, où chacune de nos quinze sections doit être représentée. Les commissions per- manentes, étant peu nombreuses, pourront se réunir fréquemment, étudier une à une toutes les affaires, et prendre les mesures urgentes dans l'intervalle des réunions du Conseil, qui d'ailleurs sera convoqué en entier au moins quatre fois dans l'intervalle de deux sessions, qui n'aura rien perdu de son initiative et de sa responsabilité, en confiant à des mandataires une mission déterminée, et qui enfin sera appelé à sanctionner par ses délibérations et par ses votes toutes les mesures de quelque importance. Pour donner à cette disposition du règlement une base statutaire, il a été introduit dans les nouveaux statuts un article 30, ainsi conçu : « Le Conseil peut adjoindre au bureau des commissaires pour l'étude de questions spéciales, et leur déléguer ses pouvoirs pour la solution d'affaires déterminées. » Cette formule est assez générale pour se prêter à des combinaisons diverses, dans le cas où l'expérience démontrerait la nécessité d'augmenter ou de diminuer le nombre des commissions permanentes, d'étendre ou de restreindre leurs attri- butions. Une seconde innovation qui doit vous être signalée est celle qui concerne la nomination des présidents de sections. Jusqu'ici, chaque section a élu son bureau au commencement de sa première séance. L'élection du vice-président et des secrétaires continuera à se faire ainsi, mais l'article 42 du règlement porte que celle du président aura lieu un an à l'avance. Le but de cette inno- vation est de donner à celui qui a l'honneur d'être le président désigné, une autorité et une influence dont il usera pendant le courant de l'année pour assurer le succès de sa section, en provoquant des travaux et en recrutant des adhésions parmi les savants avec lesquels il est en relations. Cette action personnelle sera efficace surtout dans les sections qui ont compté pour l'avancement des sciences xmii jusqu'ici peu de membres et peu de travaux. Ce qui a retardé le développe- ment de ces sections, ce n'est pas l'insuffisance du personnel scientifique de la France; il n'est aucune branche d'étude qui ne soit représentée dans notre pays par toute une cohorte de savants; mais beaucoup sont encore étrangers à l'Association ; d'autres, quoique déjà inscrits sur nos listes, n'ont pas encore pris une part active à nos travaux. Les présidents de sections, désignés une année à l'avance, pourront obtenir leur concours et stimuler leur zèle. Cette nomination anticipée présente un autre avantage. Jusqu'ici, les sections élisaient leur bureau tout entier dès le début de la première séance, au moment où les membres venaient de se rencontrer pour la première fois, et sans qu'ils eussent eu le temps de s'entendre; souvent même on ne connaissait pas encore toute la liste des membres de la section. Il est bien préférable que le pré- sident, qui est le membre le plus important du bureau et qui en outre doit devenir le représentant de la section dans le Conseil de l'Association, soit nommé un peu plus tard, lorsque la section connaît tout son personnel. Élu pendant la durée d'une session, pour présider la session suivante, le président aura toute une année pour se pénétrer des besoins de sa section. Puis, au début de chaque session, lorsque les sections se réuniront pour la première fois, elles pourront procéder, sous une présidence régulière, à l'élection des autres membres de leur bureau. 11 est superflu d'ajouter sans doute que cette nouvelle mesure ne modifie en rien la composition du Conseil d'administration. Ce n'est pas le président dé- signé, mais le président effectif de la session précédente qui fait partie de ce Conseil. Nous ne croyons pas devoir ajouter à ce rapport déjà trop long l'analyse des autres articles du règlement. Le Conseil ne saurait se flatter ni d'avoir prévu toutes les difficultés qui pourraient surgir ultérieurement, ni d'avoir toujours trouvé la solution la meilleure, mais les Conseils qui lui succéderont pourront compléter ou améliorer son œuvre sous la dictée de l'expérience. En résumé, Messieurs, les articles que nous vous présentons se décomposent en trois groupes : 1° ceux des nouveaux statuts; 2° ceux du règlement gé- néral, émanés des anciens statuts; 3° ceux qui sont purement réglementaires. Ces derniers, rédigés par le Conseil en exécution de votre décision du 23 août dernier, vous sont aujourd'hui régulièrement présentés, avec rapport à l'appui. Ils ne doivent pas être soumis au vote de l'Assemblée générale. L'un d'eux, toutefois, exigera de votre part un vote spécial. C'est l'article 62, portant que le volume annuel doit paraître dix mois au plus tard après la session à laquelle il se rapporte. Cet article n'étant pas conforme à l'article 10 des anciens statuts, qui fixait le délai à huit mois seulement, l'intervention de l'Assemblée générale est nécessaire. Les articles des deux premiers groupes ne font, pour la plupart, que repro- duire des dispositions déjà inscrites dans nos anciens statuts ; et vous jugerez sans doute qu'il serait fastidieux et superflu de les voter un à un. Mais vous avez à vous prononcer par des votes spéciaux sur les articles qui modifient réellement les anciens statuts, savoir : 4° l'article 8 relatif au taux de la retenue annuelle; 2° l'article 41, portant que le siège d'une session sera XXIV ASSOCIATION FRANÇAISE POUR L' AVANCEMENT DES SCIENCES désigné au moins une année à l'avance; 3° l'article U concernant la suppression des fonctions d'archiviste; et 4° les articles 21, 22 et 26 relatifs à la compo- sition du Conseil. Après le vote sur ces quatre points, nous vous proposerons un vote d'en- semble sur les statuts, puis un second vote d'ensemble sur le règlement général. Ces divers votes, concernant des articles statuaires, devront être rendus à la majorité des deux tiers des voix, conformément à l'article 30 des anciens statuts. Enfin, Messieurs, nous ne devons pas perdre de vue le but important que nous vous avons signalé, et qui est d'obtenir un décret reconnaissant l'Asso- ciation française comme établissement d'utilité publique. Cette pensée nous a dirigés dans notre travail, et nous avons lieu de croire que les articles de nos statuts pourront être acceptés par le gouvernement dans la forme que nous leur avons donnée. 11 est possible toutefois que le rapporteur du Conseil d'État de- mande quelques modifications que nous n'aurions pas prévues. Vous aurez donc à vous prononcer sur un article additionnel inscrit dans les nouveaux statuts sous le n° 3-i, et donnant aux mandataires que vous désignerez les pou- voirs nécessaires pour consentir les modifications demandées par le gouverne- ment. — Si vous adoptez cet article, vos fondés de pouvoir pourront com- mencer dès la rentrée les démarches nécessaires pour obtenir le décret d'utilité publique qui consolidera la fortune de l'Association, la rendra apte à recevoir les dons et legs, et assurera sa durée. LISTE DES MEMBRES DE L'ASSOCIATION FRANÇAISE POUR L'AVANCEMENT DES SCIENCES Les noms des Membres qui ont assisté au Congrès de Lille sont précédés d'un astérisque.) MEMBRES FONDATEURS PA d'Abbadie, Membre de l'Institut, 120, rue du Bac. — Paris *Aimé-Girard, professeur au Conservatoire des Arts-et-Métiers, 5, rue du Bellay. — Paris Alberti, Banquier, 17, rue de Londres. — Paris d'Almeida, Professeur au lycée Corneille, 31, rue Bonaparte. — Paris d'Amboix, Capitaine d'état-majcr. — Bayonne André (Alfred); Banquier, Membre de l'Assemblée nationale, rue de Londres, 27. — Paris André (Edouard), 158, boulevard Haussmann. — Paris Aubert (Charles), Licencié en droit, Avoué plaidant. — Rocroy (Ardennes) . . . Audibert, Directeur de la Compagnie de Paris à Lyon et à la Méditerranée. (Décédé ) Aynard (Ed.), Banquier, rue de Lyon, 19. — Lyon Azam, Professeur à l'Ecole de médecine. — Bordeaux Baille, Répétiteur à l'Ecole polytechnique, 2, rue de Fleurus. Paris *Baillon, Professeur à la Faculté de médecine, rue Cuvier, 12. — Paris .... *Balard, Membre de l'Institut, rue d'Assas, 100. — Paris Bamberger, Banquier, 3, rue d'Antin. — Paris Béchamp, Professeur à la Faculté de médecine. — Montpellier Belon, Fabricant, rue de Lyon, 9. — Lyon Beral, Ingénieur des mines, 6, rue d'Isly. — Paris Bernard (Claude), Membre de l'Académie des sciences et de l'Académie française, rue des Écoles, 40. — Paris Billaud-Billaudot et Cie, Fabricants de produits chimiques, place de la Sorbonne. — Paris de Billy, Inspecteur général des mines. (Décédé.) de Billy (Charles), Auditeur à la Cour des comptes, 14, rue Franklin. — Paris Bischoffsheim (L.-B.), Banquier, boulevard Haussmann, 39. — Paris Bischoffsheim (Raphaëi-Louis), Banquier, boulevard Haussmann, 39. — Paris . . Blot, Membre de l'Académie de médecine, avenue de Messine, 24. — Paris . . du Bochet (Vincentl, Faubourg-Poissonnière, 175. — Paris Boissonnet, Général du génie, rue de Rennes, 78. — Paris Bondet, Professeur à l'Ecole de médecine, 2, quai de Retz. — Lyon XXVI ASSOCIATION FRANÇAISE PARIS Borie (Victor), Membre de la Société des agriculteurs de France, rue Louis-le- Grand, 19. — Paris Boudet (F.), Membre de l'Académie de médecine, rue Jacob, 30. — Paris .... Bouillaud, Membre de l'Institut, Professeur à la Faculté de médecine, rue Saint-Dominique-Saint-Germain, '32. — Paris Brandenburg (Albert), Négociant, rue de la Verrerie, 1. — Bordeaux *Bréguet, Membre du Bureau des longitudes, quai de l'Horloge, 39. — Paris . . . Bréguet (Antoine), ancien Élève de l'École polytechnique, quai de l'Horloge, 39. Paris *J5keittmayer (Albert), ancien Sous-Directeur des docks et entrepôts de Marseille, 8, place de la Préfecture. — Marseille *Broca (Paul). Membre de l'Académie de médecine, Professeur à la Faculté de médecine, rue des Saints-Pères, 1. — Paris Broet, Membre de l'Assemblée nationale, avenue de Saint-Cloud, bl. — Ver- sailles BnouzET (Ch.), Ingénieur civil, avenue de Noailles, 69, Lyon-Vaise Burton, Administrateur de la Compagnie des forges d'Alais, rue Lepelletior, 24. — Paris Cacheux (Emile), Ingénieur civil des arts et manufactures, quai Saint-Michel, 27. — Paris Cambefort (J.), Banquier, Administrateur des Hospices, 5, place Saint-Clair. — Lyon riE Camondo (comte N.), rue Lafayette, 31. — Paris de Camondo (comte A.), rue Lafayette, 31. — Paris Cap^ron père, Négociant à Villenave-d'Ornon, près Bordeaux Caperon fils, à Villenave-d'Ornon, près Bordeaux Carlier (Auguste), Publiciste, rue de Berlin, 12. — Paris *Carnot (Adolphe), Ingénieur des mines, Professeur à l'École des mines, rue de Morny, 89. — Paris Casthelaz (John), Fabricant de produits chimiques, rue Sainte-Croix-cle-la-Bre- tonnerie, 19. — Paris Caventou père, Membre de l'Académie de médecine, rue de la Sourdiôre, 29. — Paris *Caventou fils, Membre de l'Académie de médecine, rue Sainte-Anne, 51 bis. — Paris , DE Chabaud-Latotjr, Général de division du génie, rue Abbatucci, 41. — Paris Chakrières-Arlès, Administrateur des hospices, place Louis XVI, 12. — Lyon Chambre de Commerce (la). — Bordeaux Chambre de Commerce (la) . — Lyon Chantre (Ernest), Géologue attaché au Muséum, 37, cours Morand. — Lyon . . "Charcot, Professeur à la Faculté de médecine de Paris, 17, quai Malaquais. — Paris Chasles, Membre de l'Institut, passage Sainte-Marie-Saint-Germain, 3. — Paris. Le Chatelier, Inspecteur général des mines. [Décédé.) *Chauveau (A.), Professeur de physiologie à l'École vétérinaire, 22, quai des Brot- teaux. — Lyon Chevalier, Négociant, rue du Jardin-Public, 50. — Bordeaux Clamageran, Avocat, 57, avenue Joséphine. — Paris de Clermont, Sous-Directeur du laboratoire de chimie à la Sorbonne, boulevard Saint-Michel, 8. — Paris Cloquet (Jules), Membre de l'Institut, boulevard Malesherbes, 19. — Paris. . . . *Collignon (Ed.), Ingénieur des ponts et (haussées, boulevard Saint-Germain, 70. — Paris 1 POUR L AVANCEMENT DES SCIENCES XXVII PARIS Comiul, Professeur à la Faculté de médecine de Montpellier 1 Comises, Inspecteur général des mines, directeur de l'École des mines. (Décédé.) 1 Compagnie des chemins de fer du Midi, boulevard Haussmann, 54. — Paris ... 5 — des chemins de 1er d'Orléans, place Walhubert, 1. — Paris 5 — des chemins de fer de l'Ouest, rue d'Amsterdam, 5. — Paris 5 des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée, rue Saint- Lazare, 88. — Paris 5 — du Gaz parisien, rue Condorcet. — Paris 4 — des Salins du Midi, rue de la Victoire, 84. — Paris 2 — des Messageries maritimes, 28, rue Notre-Dame-des-Victoires. —Paris, des Fonderies et Forges de Terre-Noire, la Voulte et Bességes. — Lyon. Générale des verreries de la Loire et du Rhône, à Rive-de-Gier (Loire), (M. Hutter, Administrateur délégué) — des Fonderies et Forges de l'Horme, 8, rue Bourbon. — Lyon .... — du Gaz de Lyon, rue de Savoie. — Lyon — de Roche-la-.Molière et Firminy. — Lyon Conseil d'administration de la Compagnie des Minerais de fer magnétique de Mokta-el-Hadid, rue de la Victoire, 59. — Paris Conseil d'administration de l'École Monge,- rue Chaptal, 32. — Paris de Coppet, Chimiste, avenue de Friedland, 26. — Paris, et à Campagne-Clermont, près Lausanne (Suisse) *Cornu, Ingénieur des mines, Professeur à l'Ecole polytechnique, boulevard Saint- Michel. JO. — Paris Cosson, Membre de la Société botanique, 7, rue Abatucci. — Paris Courtois de Viçose, petite rue d'Albade. — Toulouse *Courty, Professeur à la Faculté de médecine de Montpellier. — Montpellier . . Daguix, ancien Président du Tribunal de commerce de la Seine, 4, rue Castellane. — Paris Dalligny, Maire du 8e arrondissement, rue d'Albe, 5. — Paris . • Davillier, Banquier, rue Roquepine, 14. — Paris Degousée, Ingénieur civil, rue de Chabrol, 35. — Paris , Delaunay, Ingénieur en chef des mines, Membre de l'Institut, Directeur de l'Ob- servatoire. [Décédé.) Dr Delore, Chirurgien en chef de la Charité, place Belleeour, 31 . — Lyon. . . . Demarquay, Membre de l'Académie de médecine, rue Taitbout, 52. — Paris. . . +ûemongeot, Ingénieur des mines, Maître des requêtes au Conseil d'Etat, boule- vard Haussmann, 73. — Paris Dhôtel, Adjoint au maire du 2e arrondissement, 107, boulevard de Sébastopol. — Paris D'' Diday, ex-chirurgien en chef de l'Antiquaille, Secrétaire général de la Société de médecine, rue de Lyon. — Lyon Dollfus (Mme Auguste), rue de la Côte, 53. — Le Havre Dollfus (Auguste), rue de la Côte, 53. — Le Havre Dorvault, Directeur de la Pharmacie centrale, rue de Jouy, 7. — Paris .... Dumas, Membre de l'Institut, rue Saint-Dominique, 69. — Paris Dupouy (E.), Avocat, Conseiller général, député de la Gironde. — Bordeaux. . . Dupuï de Lôme, Membre de l'Institut, rue Saint-Honoré, 374. — Paris Dupuy (Paul), Professeur à l'Ecole de médecine, 8, allées de Tourny . — Hordeaux Dupuy (Léon), Professeur au Lycée, rue Vital-Caries, 13. — Bordeaux *Durand-Billion, ancien architecte, rue Thénard, 9. — Paris, et au Pioletto. — Nice Duval (Fernand), Administrateur de la Compagnie parisienne, rue François Ier, 45. — Paris Duvergier, Président de la Société Industrielle, 35, rue Saint-Cyr. — Lyon. . . . XXV11I ASSOCIATION FRANÇAISE PARIS *d'Eichthal, Banquier, rue Neuve-des-Mathurins, 98. — Paris 10 *Engel, Relieur, rue du Cherche-Midi, 91. — Paris Erhardt-Schieble, Graveur, rue Duguay-Trouin, 12. — Paris. . d'Espagny (le comte), Trésorier-Payeur général du Rhône, place de Lyon, 53. — Lyon Faure (Lucien), Président de la Chambre de commerce. — Bordeaux Follin (Mmt veuve), boulevard Saint-Germain, 244. — Paris *Friedel, Maître de conférences à l'École normale supérieure, Conservateur des collections de minéralogie à l'École des mines, boulevard Saint-Michel, GO. — Paris *Friedel (Mme), née Combes, boulevard Saint-Michel, 60. — Paris Frossard (Ch.-L.), 14, rue de Boulogne. — Paris Fumouze (Armand), Docteur-Medecin-Pharmacien, faubourg Saint-Denis, 78. — Paris Galante, Fabricant d'Instruments de chirurgie, rue de l'École-de-Médecine, 2. ■ — Paris . Galline (P.), Banquier, Président de la Chambre de commerce, 11, place Belle- cour. — Lyon *Gariel (C.-M.), Ingénieur des ponts-et-chaussées, Professeur agrégé à la Faculté de médecine, rue des Martyrs, 41. — Paris *Gaudry (Albert), Professeur au Muséum d'histoire naturelle, rue des Saints-Pères, 7 bis. — Paris Gauthier-Vii.lars, Libraire, quai des Augustins, 55. — Paris Geoffroy-Saint-Hilaire (Albert), Directeur du Jardin d'acclimatation, boulevard Maillot, 50. — Neuilly (Seine) Germain (Henri), Membre de l'Assemblée nationale, Président du conseil d'admi- nistration du Crédit lyonnais, rue Murillo, 8. — Paris Germain (Philippe), Directeur de l'agence du Comptoir d'escompte de Paris, place Bellecour, 33. — Lyon *Germer-Baillière, Libraire, rue de l'École-de-Médecine, 17. — Paris Gillet fils aîné, Teinturier, quai Serin, 9. ■ — Lyon Dr Gintrac père, Correspondant de l'Institut. — Bordeaux *Girard (Ch.), Manufacturier, 20, rue des Ecoles. — Paris Goldschmidt (Frédéric), Banquier, boulevard Haussmann, 39. — Paris Goldschmidt (Léopold). Banquier, 16, rue Murillo. — Paris Goldschmidt (S. -H.), boulevard Malesherbes, 33. — Paris Gounouilhou, Imprimeur, rue Guiraude, 11. — Bordeaux Gruner, Inspecteur général des mines, rue d'Assas, 90. — Paris Dr Gubler, Professeur à la Faculté de médecine, rue du Çjuatre-Septembre, 18. — Paris Dr Guérin (Alphonse), Membre de l'Académie de médecine, rue d'Astorg, 9. — Paris de la Gciche (marquis), rue Matignon, 16. — Paris Guimet (Emile), Négociant, place de la Miséricorde. — Lyon Hachette et C°, Libraires-Éditeurs, boulevard Saint-Germain, 79. — Paris .... Hadamard (David), rue Bleue, 14. — Paris Haton de la Gol'pilliére, Ingénieur des mines, Examinateur d'admission à l'E- cole polytechnique, rue Garancière, 8. — Paris Halssonville (comte D'), Membre de l'Académie française, rue Saint-Dominique, 109. — Paris Hentsch, Banquier, rue Lepelletier, 20. — Paris Hillel frères, rue d'Argenson, 9. — Paris HoTTiNGUER, Banquier, rue de Provence, 38. — Paris Hocel, Ingénieur, avenue des Champs-Elysées, 75. ■ — Paris *Hovelacque (Abel), 135, boulevard Saint-Germain. —Paris POUR L AVANCEMENT DES SCIENCES XXIX PARTS *Dr Hureau de Villeneuve, rue Lafayette, 95. — Paris 1 Hutot, Ingénieur des mines, Directeur de la Compagnie des chemins de 1 r du Midi, rue du Cirque, 10. — Paris Jacquemart (Frédéric), faubourg Poissonnière, 58. — Paris Jameson (Conrad), Banquier, rue de Provence, 38. — Paris Javal, Membre de l'Assemblée nationale. [Décédé.) Johnston, Député de la Gironde, boulevard de l'Aima, 7. — Paris Kann, Banquier, rue de Grammont, 14. — Paris de Kônigswarter (baron Maximilien), ancien Député, rue d'Astorg, 4. — Paris.. Kônigswarter (Antoine), rue de la Chaussée-d'Antin, 60. — Paris *Kuhlmann (Frédéric), Correspondant de l'Institut. — Lille Kuppenheim (.1.), Négociant, Membre du conseil des hospices, quai Saint-Antoine, 26. — Lyon *Dr Lagneau (Gustave), rue la Chaussée-d'Antin, 38. — Paris Lai.ande (Armand), Négociant, quai des Chartrons, 84. — Bordeaux Lamé-Fleury, Ingénieur en chef des mines, Secrétaire du Conseil général des mines, rue de Verneuil, 62. — Paris Lan, Ingénieur en chef des mines, Directeur des forges de Chàtillon et Coinmentry, rue du Regard, 3. — Paris de Lapparent, Ingénieur des mines, 3, rue de Tilsilt. — Paris Larrey (le baron), Membre de l'Institut, Président du Conseil de santé des armées, rue de Lille, 91 . — Paris de Laurencel (le comte), rue des Écoles, 26. — Paris *Lauth (Ch.), Chimiste, rue de Fleurus, 2. — Paris , . Leconte, Ingénieur civil des mines, rue Laffite, 49. — Paris Lecoq de Boisbaudran, Négociant. — Cognac *Lefort (Léon), Professeur à la Faculté de médecine, Médecin des hôpitaux, rue de la Victoire, 96. — Paris de Lesseps (Ferdinand), Président-Fondateur de la Compagnie Universelle du canal maritime de l'Isthme de Suez, rue Richepanse, 9. — Paris Léyy-Crémieux, Banquier, boulevard Haussmann, 39. — Paris * Loche, Ingénieur des ponts-et-chaussées, rue de Berlin, 10. — Paris Dr Lortet, Professeur à l'École de médecine, Directeur du Muséum d'histoire na- turelle, avenue de Noailles, 69. — Lyon Lugol, Avocat, rue de Téhéran, 11 (parc Monceaux). — Paris Lutscher, Banquier, rue Labruyère, 43. — Paris De Luze père, Négociant, rue et château Rivière. — Bordeaux Dr Magitot, rue des Saint-Pères, 8. — Paris Mangini, Député à l'Assemblée nationale, rue des Archers. — Lyon Mannrerger, Banquier, rue de Provence, 59. — Paris *Mann'heim, Professeur à l'École polytechnique, rue Le Peletier, 24. — Paris . . . Mares (Henri). — Montpellier Martinet (Emile), Imprimeur, rue et hôtel Mignon, 2. — Paris De Marveille, château de Calviac-Lassale (Gard) *Masson (Georges), Libraire, place de l'École-de-Médecine, 17. — Paris M. E. (anonyme). — Paris *Mémer, Membre de la Chambre de Commerce de Paris, Conseiller général de Seine-et-Marne, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, 37. — Paris 10 Meynard (J.-J ), Ingénieur en chef des ponts-et-chaussées en retraite, 3, quai Saint-Clair. — Lyon Mirabaud, Banquier, rue Taitbout, 29. — Paris Dr Monod (Charles), rue des Écoles, 38. — Paris Mony (C), à Commentry (Allier) Morel d'Arleux (Charles), Notaire, rue de Rivoli, 28. — Paris Dr Nélaton, Membre de l'Institut. (Décédé.) X. XX ASSOCIATION FRANÇAISE PARIS *Ollier, Correspondant de l'Institut, Chirurgien titulaire de l'Hùtel-Dicu de Lyon, quai de la Charité, 5. — Lyon 1 Oppenheim frères. Banquiers, rue de Londres, 17. — Taris 2 Parran, Ingénieur des mines, Directeur des mines de fer magnétique île Mokta- el-Hadid, rue du Regard, 3. — Taris Pasteur. Membre de l'Institut, rue d'Ulm, 45. — Paris Terdrigeon, Agent de change, rue Montmartre, 178. — Taris Perrot (Adolphe). — Genève (Suisse) , Peïre (Jules), Banquier. — Toulouse Put (A.), Constructeur mécanicien, rue Saint-Maur, 49. — Paris PlATON, Président du Conseil d'administration des hospices, 9, rue Ravez. — Lyon Poirrier, Fabricant de produits chimiques, rue Hauteville, 49. — Paris *Potier. Ingénieur des mines, Répétiteur à l'École polytechnique, rue de Boulo- gne, 1. — Paris Poupinel (Paul), rue de Sainlonge, 64. — Paris Poupinel (Jules), rue Murillo, 8. — Paris *De Quatrefages de Bréau, Membre de l'Institut, Professeur au muséum, rue Geoifroy-Saint-Hilaire, 3G. — Paris Renouvier (Charles), à la Verdette, près le Pontet, par Avignon [Vaucluse] . . . Rkinach, Banquier, rue de Berlin, 31. — Paris Dr Ricord, Membre de l'Académie de médecine, rue de Tournon, 6. — Paris . . Riffault (le Général), 10, rue Garancière. — Paris Risler (Charles), Chimiste, 18, rue de Berri. — Paris de la Bochette, Maître de forges (hauts fourneaux et fonderies de Givors), cours du Midi, 11. — Lyon Rolland, Directeur général des manufactures de l'État, G6, rue de Rennes. — Paris Dr Rollet de l'Ysle. — Montmerle-sur-Saône (Ain) de Romillt, rue Bergère, 22. — Paris de Rothschild (le baron Alphonse), rue Saint-Florentin, 2. — Paris Dr Roussel (Théophile), Membre de l'Assemblée nationale, rue Neuve-des-Mathu- rins, 118. — Paris Rouvière (A.), Ingénieur civil et propriétaire. — Mazamet (Tarn) Saint-Paul de Sinçay, Directeur de la Société de la Vieille-Montagne, rue Richer, 19. — Paris - Salet (Georges', Préparateur à la Faculté de médecine, boulevard Sainl-Germain, 84. — Paris Salleron, Constructeur, rue Pavée, 24 (au Marais). — Paris Sauvage. Directeur de la Compagnie des chemins de fer de l'Est. [Décédé). . . . *Say (Léon), Membre de l'Assemblée nationale, rue Labruyère, 45. — Taris . . . Sciieurer-Kestner, Député de la Seine, rue Neuve-des-Mathurins, 84. — Taris. . Schraubr père, ancien Directeur des classes de la Société philomathique, rue Borie, 20. — Bordeaux Serret, Membre de l'Institut, au Collège de France. — Taris de Seynes, Agrégé à la Faculté île médecine, rue Saint-Guillaume, 29. — Paris. Siéber, rue Paradis-Poissonnière, 23. — Taris Société anonyme des houillères de Montrambert et de la Béraudière. — Lyon. . Société nouvelle des forges et chantiers de la Méditerranée, rue Kotre-Dame-des- Vicloires, 28. — Taris Dr Suchard. — Lausanne (Suisse) *Surell, Administrateur des chemins de fer du Midi, 54, boulevard Haussmann. — Taris Talabot (Paulin), Directeur général des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée, rue Saint-Arnaud, 10. — Taris POUR L AVANCEMENT DES SCIENCES XXXI l'Ail IS Thénard (le baron Paul), Membre de l'Institut, place Saint-Sulpice, 6. — Paris. 1 Vautier (Emile), Ingénieur civil, rue Centrale, 46. — Lyon 1 Verdet (Gabriel), Président du Tribunal de commerce. — Avignon 1 Vernes (Félix), Banquier, eue Taitbout, 29. — Paris 1 A'ernes d'Arlandes (Th.), faubourg Saint-Honoré, 25. — Paris 1 Vignon (.1.), rue Malesherbcs, 45. — Lyon 1 Dr Voisin (Auguste), rue Séguier, 16. — Paris \ Wallace 'sir Richard), rue Laflitte, 2. — Paris 2 *Wurtz (Adolphe), Membre de l'Institut, Doyen de la Faculté de médecine, rue Saint-Guillaume, 27. — Paris \ Wurtz (Théodore). — Leipzig \ Membres à vie. Baille (Mmc), rue de Fleurus, 2. — Paris. Baron, Ingénieur de la Marine, 8, rue Laforêt. — Rocheibrt-sur-Mer. Baysellance, Ingénieur de la marine. — Bordeaux. *Bergeron, Ingénieur civil, 26, rue de Penthièvre. — Paris. Bichon, Constructeur de navires. — Lormont, près Bordeaux. Dr Boutin (Léon), rue de la Pépinière, 18. — Paris. Brandenisurg (Mrac veuve), rue de la Verrerie, 1. — Bordeaux. Brolemann (Georges), Administrateur de la Société générale, boulevard Haussmann, 166. — Paris. Brolemann, Président du Tribunal de commerce, 11, quai Tilsitt. — Lyon. *ûe Caix de Saint-Aymour (Vicomte Am.), Membre du Conseil général de l'Oise, de la Société d'Anthropologie et de plusieurs Sociétés savantes.— Château d'Ognon, près Barbery (Oise). Caperon père, à Villenave-d'Ornon, près Bordeaux. Caperon fils, à Villenave-d'Ornon, près Bordeaux. "Cardeilhac, négociant, rue de Rivoli, 91. — Paris. *de Cassagne (comte Antoine), Propriétaire, membre de la Société des sciences indus- trielles , Arts et Belles-Lettres de Paris, au château de Saint- Jean-de-Libron, près Béziers (Hérault) , Cazalis de Fondouce (Paul-Louis), Licencié es sciences, 18, rue des Étuves.— Mont- pellier (Hérault). *Cazeneuye, Directeur de l'École de médecine, 26, rue des Ponts-de-Comines. —Lille. hé Gazenove (Raoul), Propriétaire, 8, rue Sala. — Lyon. Cazottes (A.-M.-J.), Pharmacien. — Millau (Aveyron). Chambre des Avoués au Tribunal de première instance. — Bordeaux. Df Chil-y-Naranjo (Grégorio), Palmas (Grand-Canaria). des Cloizeaux, Membre de l'Iustitut, rue Monsieur, 13. — Paris. Clouzet (Ferd.), Conseiller général, cours des Fossés. — Bordeaux. *Cotteau, 36, boulevard Saint-Michel. — Paris. Counord, Ingénieur civil, 85, cours Saint-Louis. — Bordeaux. "Crespel-Tilloy (Charles,), Manufacturier, 3, rue des Fleurs. — Lille. 'Delatthe (Carlos), Filateur. — Roubaix. Delessert (Edouard), 17, rue Raynouard. — Paris-Passy. Delvaille, Docleur en médecine. — Bayonne. Detroyat (Armand). — Bayonne. Dida (A.), Chimiste, 9, rue Popincourt. — Paris. DucLaux (Emile), Professeur à la Faculté des sciences, avenue de JNoailles, 29.— Lyon Di'crocq, Sous-Intendant militaire. — Niort (Deux-Sèvres). Dr Dulac — Montbrison. Faye, Membre de l'Institut, Inspecteur de l'instruction publique, rue Nicolo, 26. — Paris-Passy. D1' de Fromentel.— Gray. •- XXXII ASSOCIATION FRANÇAISE Dr Gintrac (Henri), Directeur de l'École de médecine.— Bordeaux, ('.omis, Ingénieur en chef du service municipal, place Saint-Jean, 8.— Lyon. Guieysse, Ingénieur hydrographe de la marine, 46, rue des Ecoles.- Pans. Hovelacque-Gense, 2, rue Fléchier.— Paris. Hovelacque-Khnopfk, 88, rue des Sablons.— Passy-Paris. Jingkleisch, Conservateur des collections à l'École polytechnique. — Paris. Koechlin (Jules), avenue Ruysdael, 4 (parc Monceaux). —Paris. Labrunib, Négociant, 49, pavé des Chartrons. — Bordeaux. Lacretelle, Ingénieur. — Bois-d'Oingt (Rhône). •Laennec, Professeur à l'École de médecine, boulevard Détonne, 13. — Nantes. *Dr Lantier (E.), 150, avenue de Neuilly. — Neuilly. Laroche (Félix), Ingénieur des ponts el chaussées, 7, allées de Tourny. — Bordeaux. Laroche (Mmc Félix), 7, allées de Tourny. — Bordeaux. •Laussedat, Colonel du génie, rue de Grenelle-Saint-Germain, 104.— Paris. Le Monnier, Professeur de physique à la Faculté des sciences.— Besançon. •Lksi'Iaii.t, Professeur à la Faculté des sciences, rue Michel-Montaigne. — Bordeaux. •Levasseur, Membre de l'Institut, rue Monsieur-le-Prince, 26.— Paris. LISBONNE, Ingénieur de la marine, 168, rue du Faubourg-Saint-Honoré.— Taris. •Lonohaye (Aug.l, Négociant, rue de Tournai.— Lille. de Loriol, Ingénieur civil, ancien élève de l'École des mines, 46, rue Centrale. — Lyon . •Loyer (Henri), Filateur, 294. rue Notre-Dame. — Lille. Maas, rue de la Banque, 15. — Paris. Mahyer, Ingénieur en chef des ponts et chaussées, rue de Grenelle-Saint-Germain, 102. — Paris. Marchegay, Ingénieur civil des mines, 27, quai Tilsitt. —Lyon. Dr Mares (Paul), rue Babazoun. — Alger. Marignac (Charles), Professeur. — Genève (Suisse). Martin (William), Propriétaire, 13, avenue de la Reine-Hortense.— Paris. MaxIREL (Marc), Banquier, conseiller municipal.— Bordeaux. Maurel (Emile), Négociant, 7, rue d'Orléans.— Bordeaux. *Dr Micé, Professeur à l'École de médecine.— Bordeaux. 'de Mortillet (Gabriel), Sous-Directeur du Musée des antiquités nationales.— Saint- Germain-en-Laye. Odier, Directeur-adjoint de la Caisse générale des Familles, rue de la Paix, 4.— Paris. Œchsner (William), 63, rue des Feuillantines, — Paris, et 33, rue de la Cote, — Le Havre. Perez, Professeur à la Faculté des sciences. — Bordeaux. ♦Dr Perroud, Médecin de l'Hôtel-Dieu, 43, quai Saint-Vincent.— Lyon. Piche (Albert), Conseiller de préfecture, 8, rue Montpcnsier. — Pau. •Plassiard, Ingénieur en chef des ponts et chaussées en retraite.— Lorient (Morbihan) . Prat, Chimiste, 101, route de Toulouse.— Bordeaux. Rilliet, 8, rue de IHotel-de-Ville. — Genève (Suisse). Bisler, — Calèves, près Nyon. -Canton de Vaud (Suisse). Rodin, Banquier, 38, rue de l'Hùtel-de-Ville. — Lyon. Roger (Henri), Membre de l'Académie de médecine, Professeur agrégé à la Faculté de médecine, 15, boulevard de la Madeleine. — Paris. Sabatier (Armand), Professeur agrégé et chef des travaux analomiqucs à la Faculté de médecine de Montpellier. — Montpellier. Saint-Olive (G.), Banquier, 13, ru.- de Lyon.— Lyon. Schlcmberger (Charles), Ingénieur des constructions navales, 30, rue du Plat. — Lyon. Segretain, Commandant du génie, 28, rue Vaubécourt.— Lyon. de Séglmer (Jean-Joseph-A 1 1 ted , Conseiller à la Cour «l'appel.- Orléans. Seryier (Aristide-Edouard), Ingénieur des arts et manufactures, Directeur de la Com- pagnie du gaz de Metz, 9, avenue Serpeuoise. — Metz. POUIi L AVANCEMENT DES SCIENCES XX.X1H de Seynes (Léonce), rue Calade, 58.— Avignon. Siégler (Ernest), Ingénieur des ponts et chaussées . — Bur-le-Duc. Société académique de la Loire-Inférieure. — Nantes. Société philomathique de Bordeaux. Société centrale de .Médecine du Nord. — Lille. Stengelin, maison Évêque et Cic, 31, rue du Puits-Gaillot. — Lyon. Tayernier, Ingénieur en chef îles ponts et chaussées, 14, quai Tilsitt. — Lyon. Dr Teillais, place du Cirque. — Nantes. I)r Teissier, 16, quai Tilsitt. — Lyon. Terquem (Alfred), Professeur à la Faculté des sciences, 116, rue Nationale. — Lille. D' Thulié, 31, boulevard Beauséjour. — Paris. *Trélat (Ulysse), Membre de l'Académie de médecine, Professeur à la Faculté de médecine, rue Jacob, 33. — Paris. de Turenne (le marquis), rue de Berri, 26. — Paris. *Dr Vaillant (Léon), chargé de cours au Muséum, 22, place Saint-André-des-Arts. — Paris. Vassal (Alexandre), 67, boulevard Haussmann. — Paris. Vautier (Théodore), Étudiant, 46, rue Centrale. — Lyon. "Verneuil, Membre de l'Académie de médecine, Professeur à la Faculté de médecine, 11, boulevard du Palais. — Paris. Vieillard (Albert), 77, quai de Bacalan. — Bordeaux. Vieillard (Charles), 77, quai de Bacalan. — Bordeaux. *Willm, Chef des travaux chimiques à la Faculté de médecine, 82, boulevard Mont- parnasse. — Paris. rSSviubres annuels. Akria, Doyen de la Faculté des sciences, 15, quai de Bacalan. — Bordeaux. Académie de Màcon. Académie des sciences, belles-lettres et arts. — Bordeaux. Acollas, ancien Professeur de droit fiançais à l'Université de Berne, membre de la Société d'économie politique, 25, rue Monsieur-le-Prince. — Paris. Adam (Paul), place Richelieu. — Bordeaux. 'Agache (Edouard), Manufacturier. — Lille. 'Agache (Edmond), 49, boulevard de la Liberté. — Lille. Agache (Alfred), 13, square de Jussieu. — Lille. Alauze, Avoué, rue Ferrère. — Bordeaux. Albertin, Pharmacien, 3, place de la Miséricorde, — Lyon. Alcantara (Ch.), Professeur à l'Ecole de médecine. — Alger. Alexandre, Pharmacien, 20, cours du Chapeau-Rouge. — Bordeaux. Alglave (Em.), Directeur de la Revue Scientifique, 36, rue Gay-Lussac. — Paris.' Alicot (Mme veuve), rue Sainte-Foix. — Montpellier. D' Alix, Médecin principal à l'Hôpital militaire. — Lyon. *Alluard (E.), Profess«ur à la Faculté des sciences, Directeur de l'Observatoire mé- téorologique du Puy-de-Dome. — Clermont-Ferrand. Alphand, Inspecteur général des ponts et chaussées, boulevard Beauséjour, 1. — Paris-Passy. Alphandery, Membre du Tribunal de commerce, 4, rue de la Licorne. — Alger. Amé (G.), Attaché au chemin de fer du Midi, rue Naujac, 7. — Bordeaux. Andouard, Pharmacien, Professeur à l'Ecole de médecine et de pharmacie. — Nantes. André (Fréd.), Ingénieur des ponts et chaussées. — Fontenny-le-Comte (Vendée). *Anthoine, Inspecteur d'Académie, 19, rue Inkerniann. — Lille. Arcelin (A.), Secrétaire de l'Académie de Màcon. — .Màcon. D' Ariza. — Madrid. Arlés-Dufour (Armand), 12, place Louis XVI. — Lyon. 3 XXXIV ASSOCIATION FRANÇAISE ARMAINGAUD, Docteur en médecine, cours tl 'Alsace-Lorraine, 93. — Bordeaux. d'Arras , Maire de Dunkerque. — Dunkerque. A.RSON, Ingénieur en chef delà Compagnie du gaz, 40, rue de Bourgogne — Paris. Axjbergier, Doyen de la Faculté des sciences de Clerraont-Ferrand. — Clermont- Ferrand. Dr Albert, 33, rue Bourbon. — Lyon. Dr Aude. — Fontenay-le-Comte (Vendée). Bachi Cli.), Propriétaire, 40, Faubourg-Roubaix. — Lille. T)r Baelde. — Marcq-en-Barœul (Nord). "Baggio, Professeur à l'Ecole de médecine, rue de Tournai. — Lille. Dr Baillarger, Membre de l'Académie de médecine, 15, quai Malaquais. — Paris. Haillon (Mœe H.), 12, rue Cuvier. —Paris. *Baillou (A.), Propriétaire. — Vérac (Gironde). Balguerie (Edmond), 25, allées de Chartres. — Bordeaux. Balguerie (Raoul), Consul ottoman, 26, cours du Chapeau-Rouge. — Bordeaux. 'Ball, Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris, 13, Faubourg-Saint-Ho- no ré. — Paris. Balley (Noël), 2, rue Crébillon. — Paris. Baotjr (Abel), Membre de la Chambre de commerce, cours du Chapeau-Rouge. — Bordeaux. *Dr Baraduc (Léon), Médecin des mines de Saint-Eloi. — Montaigu-en-Combrailles, par Saint-Éloi (Puy-de-Drôme). Barbé (Edmond), Ingénieur des arts et manufactures, 27, rue de Rocroi. — Paris. Barbet (Paul), Banquier. — Royan (Charente-Inférieure). "Barral (J.-A.l, Secrétaire perpétuel delà Société centrale d'agriculture de France, 66, rue de Rennes. — Paris. ■Barrois (Ch.), Préparateur à la Faculté, Faubourg-de-Roubaix. — Lille. *Barrois (Th.), Filateur, 113, boulevard de la Liberté. — Lille. 'Barrois (Jules), 17, rue Rousselle. — Lille. Barsalon, Vérificateur de la comptabilité à la Compagnie des Charentcs, — Saintes (Charente-Intérieure). Bartholost, Président du Conseil de la Compagnie d'Orléans, rue de la Rochefou- cauld. 12. —Paris. (Pour cinq parts.) Basset (Charles), Négociant, 3\, rue des Merciers. — La Rochelle. Bastide (Etienne), Pharmacien, 4, rue de la Citadelle. — Béziers. Batilliat (Sisoi), Pharmacien, rue Pont-Laguiche, 25. — Màcon. Dr Baudet. — Cadillac, par Gérons (Gironde). Baudouin, Marchand de fer. — Pons (Charente-Inférieure). Baudrimont père. Professeur à la Faculté des sciences. — Bordeaux. Dr Baudrimont fils. — Bordeaux. Baumgartner, Ingénieur des ponts et chaussées, rue de la Verrerie. — Bordeaux. 'Baumevielle (Aristide), impasse des Tanneries, 13. — Bordeaux. Bazaine, Ingénieur des ponts et chaussées en retraite, 94, rue d'Amsterdam. — Paris. "Bazaine (Achille), Ingénieur civil, ancien élève de l'Ecole polytechnique, 42, rue de Bruxelles. — Paris. Baz i [■"• Achille); 12, rue de Bruxelles. — Paris. Beau-Delince, Propriétaire. — Saintes Charente-Inférieure). Beaudin (Léon), Architecte, 8, rue Plantey. — Bordeaux. Beciii (E.), Professeur à l'Institut technique. — Florence (Italie). Béclard, Membre de l'Académie de médecine, Professeur à la Faculté de méde- cine, 4, impasse des E omettes. — Charenton-Saint-Maurice. Becls, ancien Notaire, place de la Citadelle — Béziers. Béer (Guillaume), 88, rue des Mathurins. — Paris. Beigbeder (D.), ancien Ingénieur des manufactures de l'Etat, 7, rue Bridaine. — Paris. Bélime (Frédéric), Propriétaire. — Vitteaux (Cùte-d'Or). POUR L AVANCEMENT DES SCIENCES NXKV Bellier, Ingénieur civil, 101, cours d'Alsace-et-Lorraine. — Bordeaux. *Dr Benoist, Docteur es sciences, Ingénieur civil. — Bezons (Seine-et-Oise). Béraud (Michel), Fabricant, 8, rue du Grillon.— Lyon. Dr Berchon, Médecin principal de lre classe de la marine, Directeur du service sani- taire de la Gironde. — Pauillac (Gironde). 'Berchon (Mme). — Pauillac (Gironde). Berdoly (H.), Avocat. — Château d'Uhuart-Mixe, près Saint-Palais (Basses-Pyrénées,. Berger (Adrien), Négociant, 29, cours Morand. — Lyon. *Bergis-Dounous (Ém.), 17, rue Villebourbon. — Montauban. Bergis (Léonce), Propriétaire. — Tempe, près Montauban. Bernard, Avocat agrégé; 9, rue Castillon. — Bordeaux. *Bernard (Henri), Industriel, 20, rue de Courtrai. — Lille. Dr Berne, Professeur à l'Ecole de médecine, 14, rue Saint-Joseph. — Lyon. Berne (Georges), Étudiant en médecine, 75, rue Pelegrin. —Bordeaux. Berrens, Manufacturier. — Barcelone. *Bertèche, 82, rue Blanc-Ballot. — Lille. *Berthaut, Professeur à l'Ecole Monge, 32, rue Chaptal. — Paris. Berthier (Camille), Ingénieur civil. — La Ferté-Saint-Aubin (Loiret). Berthier (Victor), chez MM. Sauzay frères, quincailliers. — Autun (Saône-et-Loirs). *Dr Bertillon, 20, rue Monsieur-le-Prince. • — Paris. Bethmajnn (Edouard), 5, rue de la Verrerie. — Bordeaux. *Bethouard (Emile), receveur des domaines. — Doullens (Somme). *Beurier, Bédacteur de la Gironde, rue de Cheverus. — Bordeaux. Beylot, Vice-Président du Tribunal civil. — Bordeaux. Bézineau, 31, rue des Argentiers, — Bordeaux. *Bigo (E.), Négociant, 95, boulevard de la Liberté. — Lille. *Bigo (L.), Agence des mines de Lens, 24, rue Basse. — Lille. *Bigo, ancien Maire de Lille, 3, rue Sans-Pavés. — Lille. *Dr Billon, Maire de Loos (Nord). de Billy (Alfred), Inspecteur des finances, 2, rue Corvetto. — Paris. Dr Bitot, Professeur à l'École de médecine. — Bordeaux. Blanc (Pierre), Pharmacien, 7, rue Tholozan. — Lyon. Dr Blanc, Chirurgien-major de l'armée Boyale-Britannique, 2, rue de la Paix. — Paris. *Blavet, Négociant, Président de la Société d'Horticulture de l'arrondissement d'à- tampes, 10, 12 et 14, rue de la Juiverie. — Etampes (Seine-et-Oise). Blondeau (Charles), 14, rue d'Anse. — Villefranche (Rhône) - Boeswilwald, Chimiste, 19, rue Hautefeuille. — Paris. s Boire, Ingénieur civil, 143, rue Beauharnais. — Lille. "Boivin, Ingénieur, 26, rue de la Gare. — Lille. *Dr Bollaert (Jules). — Bergues (Nord). *Bonduel-Lesoffre, Distillateur. — Marquette (Nord). Dr Bonn al. — Arcachon. Bonnange, Archiviste au ministère des travaux publics, 126, rue d'Assas. — Paris Bonnet, Teinturier, 6, rue Bugeaud. — Lyon. de Bonniot (l'abbé), École libre Saint-Grégoire-de-Tours, 26, rue de la Scellerie. — Tours. 'Bonté (Ad.) Négociant, 25, boulevard de la Liberté. — Lille. Bordet (Adrien), Avocat défenseur, 4, rue Neuve-du-Divan. — Alger. Borel, 5, quai des Brotteaux. — Lyon. de Borelli (le vicomte), premier Secrétaire d'ambassade à Athènes, rue de l'Uni- versité, 41. — Paris. Bouchu (C), Ingénieur civil, 13, rue Bombarde. — Lyon. Boue (Louis), 43, rue du Médoc. — Bordeaux. *Boulé, Ingénieur des ponts et chaussées, rue Abatucci, 23. — Paris. Bouquet, 22, rue Soufflot. — Paris. X\XVI ASSOCIATION FRANÇAISE Bourdelles, Ingénieur des ponts et chaussées. — Lorient. "Boubdtl, de l'Ecole centrale, 13, boulevard Haussmann. — Pai *Bouriaud. Défenseur, 34, rue Duquesne. — Alger. *Dr Bourgeois, boulevard Poissonnière, 13. — Paris. D-- Bourliee Charles), Professeur à l'Ecole de médecine. — Alger. !) Boursier, 1, rue Ausone. — Bordeaux. Boussuge, Avocat, 2, rue d'Auvergne. — Lyon. *Dr Bouteiller [J.j. —Rouen. 'Boutet, Propriétaire. — Sainte-Hermine (Vendée). *Dr Boutry (Jules), 37, rue d'Arras. — Lille. Bouvet, 51, rue de la Bourse. — Lyon. Bouvier, Naturaliste, 55, quai des Grands-Auguslins. — Paris. D1 Boymier. — Sainte-Foy (Gironde). Dr Brame (Ch.), Professeur de chimie à l'École de médecine. — Tours. D1 Brantza, Professeur à l'Université. — Jassy (Roumain . ♦Brassard, Adjoint au Maire, 28, rue Nicolas-Leblanc. — Lille. D' Breen (James), 2, rue Noire-Dame. — Bordeaux. Breton, Procureur de la République. — Provins. Mîri'.ul (Charles), Avocat à la Cour d'appel, 11, rue Turbigo. — Paris. Brezol (Charles), Industriel. — Mohon (Ardennes). Brissaud, Professeur d'histoire au lycée Charlemagne, 18. rue de Rivoli. — Paris. D' Brisson. — Averton, commune de Montils (Charente-Inférieure). Brives-Cazes, Juge au Tribunal civil. — Bordeaux. Brivet, Ingénieur de la Société anonyme de produits chimiques, établissements Malétra, 140, rue de Rivoli. — Paris. Broca (Mme), 1, rue des Saints-Pères. — Paris. D' Brocchi, pris la gare, rive gauche. — Sèvres. Broemer (Gustave), Chimiste, 9, quai Serin. — Lyon. de Broglie (le duc), 10, rue Solférino. — Paris. Brouardel, Professeur agrégé à la Faculté de médecine, G, rue Bonaparte. — Paris. Brousse (Raymond), Négociant, 61, quai des Chartrons. — Bordeaux. Dr Bruch (Edmond), Professeur à l'École de médecine. — Alger. Bruel, ancien Constructeur de machines agricoles. — Moulins (Allier). Brun (Charles), Architecte, 3G, allées d'Orléans. — Bordeaux. ♦Bruyère, Négociant, 27, rue de Béthune. — Lille. Buhan (Pascal), place des Quinconces, — Bordeaux. *Buhxmeyer, Libraire, 15, rue des Beaux-Arts. — Paris. Buisson, Président du consistoire protestant, place Saint-Clair, 1. — Lyon. Dr Bulard, Médecin principal de l'hospice des aliénés. — Bordeaux. D' Bureau (E.), Professeur au Muséum d'histoire naturelle. — Pari-. 'Bureau (A.), Graveur, 6, rue Esquermoise. — Lille. •Bureau [R. , Graveur, 6, rue Esquermoise. — Lille. D1 Butz. — Caudéran, près Bordeaux. Cabanes (J.-J-), 17, rue Pondaudége. — Bordeaux. *Caffiaux, Receveur municipal. — Valenciennes. CAHOURS, Membre de l'Institut, à la Monnaie, rue Guénégaud. — Paris. Cailliot, Professeur, 48, rue Monsieur-le-Prince. — Paris. Callot (Ernest), Directeur , Membre de la Société des sciences, Professeur de lang 18, rue des ^.rts. — Lille. ( vnnissié (Philippe), Architecte, 10, boulevard de la Liberté. — Lille. * POUR L AVANCEMENT DES SCIENCES XXXVII Dr Cany (G.)» ancien Président et Doyen actuel de la Société de médecine, place Saint-Pantaléon, 4. — Toulouse. Caqué, Professeur de mathématiques, rue Notre-Dame-des-Champs, 83. — Paris. *Carème, Ingénieur civil, 19, rue de la Gare. — Lille. Carles, Pharmacien, 30, quai des Chartrons. — Bordeaux. Carré, Propriétaire. — Fontenay-le-Comte (Vendée). Carrel, 3, quai de la Pêcherie. — Lyon. *Carron (C), Ingénieur, à la Voulte (ArdèchcJ. Cartailhac, Directeur de la Revue des matériaux pour l'histoire de l'Homme, 33 bis, rue Valade. — Toulouse. *Casatï, Juge au Tribunal civil, 3, boulevard Vauban. — Lille. *Dr Castelain père, 1, place des Roigtieaux. — Lille. *Dr Castelain fils, rue du Molinel. — Lille. *Catalan, Professeur d'analyse à l'Université. — Liège. *Catalan (M""). — Liège (Belgique). * Catel (Charles). — Lille. *Catel-Béghin, Maire de Lille, 11, rue Beauharnais. — Lille. Causse (Scipion), Propriétaire, 32, quai Jays. — Lyon. *'D' Cazi.\. — Boulogne-sur-Mer. Cercle d'Alger de la Ligue de l'enseignement, rue de Bone, 1. — Alger. Cercle Girondin de la Ligue de l'Enseignement, 2, rue Mautrec. — Bordeaux. Cercle philharmonique de Bordeaux. *Cerf, Percepteur, 25, rue des Jésuites. — Armentières (Nord). Dr Chabrely, à la Bastide. — Bordeaux. D' Chaigneau, Maire de Floirac, allées de Tourny. — Bordeaux. de Champlouis (le baron), boulevard Latour-Maubourg, 8. — Paris. Champonnois, rue Neuve-des-Petits-Champs, 45. —Paris. Chanal, Négociant, rue Lafont. — Lyon. Chancel, Doyen de la Faculté des sciences. — Montpellier. |:!!happelier (Georges), Manufacturier. — Masnières (Nord). de Chappelle, Docteur en médecine, pont de La Maye. — Bordeaux. Chaperon (Charles), 27, rue Borie. — Bordeaux. *Chaplain-Duparc (G.), Capitaine au long cours, Ingénieur civil, 11, rue Royer-Col- lard. — Paris, et 4, rue des Minimes. — Au Mans. Chapon (Jules), 16, impasse Sainte-Catherine. — Bordeaux. Dr Chappet, avenue de Noailles, 49. — Lyon. Charcellay, Pharmacien, — Fontenay-le-Comte (Vendée). Charier, Architecte. — Fontenay-le-Comte (Vendée;. * Charles (A.), Vétérinaire, 25S, rue Nationale. — Lille. D'" Chassagny, 8, place de la Miséricorde. — Lyon. he Chasteigner (le comte Alexis), rue Montbazon, 23. — Bordeaux. *Chatin (Joannès), Docteur en médecine, rue de Rennes, 129. — Taris. Chaubart (Léopold).— Moissac (Lot-et-Garonne). Chaumeil, Inspecteur primaire, rue Ducau. — Bordeaux. Chauvet (G.), Notaire. — Lar*ochebaucourt (Dordogne). Chauvot, 26, pavé des Chartrons. — Bordeaux. Chayée, professeur de linguistique, 6, place des Batignolles. — Paris. Chevalier, Fabricant de produits chimiques, 3, rue Magenta. — Villeurbanne (Rhône). Choisy, Ingénieur des ponts et chaussées. — Rethel (Ardennes). *Chon, Président de la Société des sciences, 5, rue du Palais-de-Juslice. — Lille. *Chouillou (Albert), Élève à l'École d'agriculture de Grignon, 13, quai du Havre. — ftouen. *Chrestien, Professeur à l'École de médecine. — Lille. Clément, Médecin des hôpitaux, 53, rue Saint-Joseph. — Lyon. de Clkrvaux (le Comte). — Saintes (Charente-Inférieure). Cloq'jemin (Georges), Licencié en droit, 4, rue Ménars. — Paris. XXXVIII ASSOCIATION FRANÇAISE Clouet (G.), Professeur de pharmacie et de toxicologie de l'École de médecine, rue de la Grosse-Horloge, 52. — Rouen. Cllnet (Ed.), Avocat, 93, boulevard Magenta. — Paris. Cochot (Albert), Ingénieur-Mécanicien. — Gond, près Angoulème. (Charente). Collet, Officier de marine, 230, Faubourg Saint-Denis. — Paris. Collomb (Edouard), Membre de la Société géologique, de Fiance, 26, rue Madame. — Paris. D Colrat, 19, rue Gentil. — Lyon. Dr Colson (Auguste). — Beau vais. Comité médical des Bouches'-du-Rhône, 25, rue de l'Arbre. — Marseille. C ime, Chef de culture, rue de Belleville, 15. — Bordeaux. ■lard, Directeur de fabrique. — La Madeleine-lès-Lille. Coquerel (le pasteur Athanase), rue de Boulogne, 3. — Paris. *Corenwinder, chimiste, 281, rue Nationale. — Lille. Cormack (Sir John-Rose) F. R. S. E. — D. M. Edinburg. — M. D. Paris, rue d Aguesseau, 7. — Paris. Cornu (Max), Répétiteur de botanique à la Faculté des sciences, Secrétaire de la Société botanique de France, 5, place Monge . — Paris. Cornu, Juge de paix. — Châteauneuf-sur-Loire (Loiret). *Cornut, Ingénieur civil, 71, rue d'Isly. — Lille. Dr Corivaud. — Blaye (Gironde). de Costeplane (Mathieu), de Camarès, 31, rue de Beaune. — Paris. *Coulon, pharmacien, 269, rue Nationale. — Lille. Couperie (Aurélien), 19, rue Judaïque. — Bordeaux. *Coupey (Henri), Conducteur des ponts et chaussées, 73, rue de l'Hôpital-Militaire. — Lille. Courcières, Inspecteur de l'Académie. — Alger. *Courtois (Henri), Licencié es sciences physiques. — Au château de Muges, par Damazan (Lot-et-Garonne). *Courty (Mlle Marie). — Montpellier. *Courty (M"e Mathilde). — Montpellier. Dr Coutagne (Henri), 79, rue de Lyon. — Lyon. tànceau, Ingénieur civil, rue de la Concorde. — Bordeaux. *D' Couvreur, Médecin en chef de l'Hôpital. — Séelin (Nord). Cox Ed.), Industriel, 08, rue du Pont-de-Roubaix. — Lille. Crapon. — Pont-1'Évesque (Isère). Craponne (Paul), Ingénieur de la Compagnie du gaz, cours Bayard, 2. — Lyon. *Crepelle, Constructeur de machines. — La Madeleine-lès-Lille. "Crépy (Paul), Négociant, 28, rue des Jardins. — Lille. *Cuignet, Médecin principal à l'Hôpital militaire, 26, boulevard de la Liberté. — Lille. Cusset, Imprimeur, 123, rue Montmartre. — Paris. *Dagrève (E.), Médecin du lycée et de l'hôpital. — Tournon (Ardèche). I) , .eau (François). — Bourg-sur-Gironde. Dalléas, Propriétaire, cours de Tournon, à. — Bordeaux. *Dr Dally (Eugène), 56, avenue de Neuilly. — N'euilly. Dambricourt (Alex.), Industriel. — Le Choquet, près Saint-Omer. *Dambricourt-Legrani>, Industriel. — Wizernes. *Danel, imprimeur, 93, rue Nationale. — Lille. *Danel-Bigo, Propriétaire. — Lille. Daney, Négociant. — Bordeaux. *Dan Dawson, Milcsbridge chemical Works near Hudderslield (Angleterre). *Dr Dareste, 37 bis, rue de Fleuras. — Paris. Darolle. Négociant, 7, rue de la Trésorerie. — Bordeaux. Dastre, Préparateur à l'école normale, rue d'Ulm. 4~>. — Paris. Daubree, Membre «le l'Institut, Directeur de l'École des mines, 62, boulevard Saint- Micbel. — Paris. POUR L AVANCEMENT DES SCIENCES XXXIX Dr David. — La Rochelle. Debidour, Professeur de l'Université', 91, nie de Lerme. — Bordeaux. Debize, Lieutenant-Colonel d'état-major. — Caini> de Sathonaj . *Debray (H.), Conducteur des ponts et chaussées, 5, rue du Plat. — Lille. Decazes (le duc], Député de la Gironde, château de Lagrave. — Libourne. D1 Dechambre, rue de Lille, 91. — Paris. *Decocq, ancien Employé des tabacs. ~r Lille. *Decroix (Jules), Banquier, 42, rue Royale. — Lille. *Dehérain, Professeur de chimie à l'École de Grignon, 15, rue de Madrid. — Paris. *Dejaeghère (Edouard), 114, rue de Wazemmes. — Lille. *Delacourt (E.). — Epéhy, par Roisel (Somme). *Deladerrière, Avocat. — Valenciennes. *Dr Delage, 18, rue des Fleurs. — Lille, Delarue, Pharmacien. — Meaux. Delaunay (Gaston), Sous-Inspecteur des eaux et forêts. — Vitry-le-Français. Delbruck (J.). — Langoiran (Gironde). *Delesalle (Alfred), Filateur. — La Madeleine (Nord). *Delesalle lEm.), propriétaire, 98, rue Jemmapes. — Lille. *Delezenne, Pharmacien, 4, rue Royale. — Lille. *Deligne, Professeur. — Lille. D'' Delmas, rue David-Johnston, 1. — Bordeaux. Delocre, Ingénieur en chef des ponts et chaussées, 38, rue de la Reine. — Lyon. Demarsy, Membre de la Commission centrale de la Société de géographie. — Com- piègne (Oise). D" Démons, rue Michel-Montaigne, 15. — Bordeaux. Denoyel (Antonin), Propriétaire, 4, rue des Deux-Maisons. — Lyon. Denucé, Professeur à l'École de Médecine. — Bordeaux. Depouilly, Chimiste, 27, rue des Fêtes. — Paris. *Deprez (Marcel), Ingénieur, 16, rue Cassini. — Paris. *Dequoy, Filateur, 27, rue de Wazemmes. — Lille. *Derode, Négociant, 5, rue de Thionville. — Lille. *Deroo, Pharmacien, 119, rue de Paris. — Lille. ^Deroulède, Propriétaire. — Bouscat, près Bordeaux. *Deruelle, Propriétaire, rue de Vaugirard, 199. — Paris. *D' Derville, 2, rue des Augustins. — Lille. *Desbonnes (F.), Négociant, 18, allées de Chartres. — Bordeaux. Desbrîères, Secrétaire du Comité des Forges, 56, rue de Provence. — Paris. Descamps (A.), Professeur à l'École de médecine. — Alger. *Dr Descamps, Anzin (Nord). *Descamps (Ange), Filateur, 31, rue de Thionville. — Lille. *Descamps-Longhaye (Anatole), Négociant, 22, rue de Tournai. — Lille. *Descat (Constantin), Maire de Roubaix, Député du Nord. — Roubaix (Nord). *Desespringale, Négociant, 103, boulevard de la Liberté. — Lille. Desgrand (Louis), 24, rue Lafond. — Lyon. Deshayes, Ingénieur civil des mines, aux Fonderies de Terre-Noire. — (Loire). Deslongchamps, Professeur à la Faculté des sciences. — Caen. Dr Desmaisons-Dupallans. — Castel-d'Andorte, près Bordeaux. *Desmetd-Wallaert, 2, rue Sans-Pavé. — Lille. Desmirail, Propriétaire, 24, rue de Rohan. — Bordeaux. *de Swarte (Romain), Ingénieur de l'École centrale, à la raffinerie-sucrerie de Pin. — Pin près Douai (Nord). Devay (F.), Faubourg-Sainl-Denis, 155. — Paris. Devès, Avocat, rue de Bonn. — Béziers. Dfacon, Professeur à l'École de pharmacie. — Montpellier. *Dr Dicca, de Constantinople, 15, rue du Sommerard. — Paris. Dietz (J.), rue de la Monnaie, 4. — Nancy. XL ASSOCIATION FRANÇAISE D' Dieilafoy [Georges), 16, rue Caumartin. — Paris. "Dolle, Élève de l'Institut, 48, rue Jeanne-Maillotte. — La Madeleine-lès-Lille. Doii.fl'S (Auguste). — Mulhouse. Donon de Cannes, Ancien élève de l'École des mines, 248, Faubourg-Sainl-Honoré. — Paris. Dont, Ingénieur de la Société anonyme de produits chimiques agricoles. — Bor- deaux. Doré-\Yum>erly, 2, rue Lallitte. — Paris. DoRMOT, Conseiller municipal, rue Vilaris. — Bordeaux. Dr Dol'aud, rue Notre-Dame. — Bordeaux. Douilj.ard de LA Mahaitiére, Propriétaire, cours du Jardin-Public. — Bordeaux. Doumerc, Ingénieur civil, 13 bis, rue d'Aumale. — Paris. Dr Doyon, Médecin des eaux. — Uriage (Isère). *Dr Dransart. — Somain (Nord). Drevon (Henri), G", cours d'Herbouville. — Lyon. Drouault (M™0 Ch.), rue de Rennes, 76. — Paris. Drol'llet-Lafargue, Propriétaire, 173, boulevard Caudéran. — Bordeaux. *Druez (A.), Propriétaire, 51, rue de Roubaix. — Lille. *Dubar, Rédacteur de Y Écho du Nord, Grande-Place. — Lille. "Duboscq, Constructeur d'instruments d'optique, 21, rue de l'OJéon. — Paris. Dlbost, Professeur d'économie rurale à l'École de Grignon, 36, rue de Varennes. — Paris. Dubouché (Adrien), Négociant. — Jarnac (Charente). Dubourg, Avoué, rue du Temple, 27. — Bordeaux. D1 Dubreuilh (Ch.). rue du Champ-de-Mars, 12. — Bordeaux. Dubuisson (François), Propriétaire. — Jouarre (Seine-et-Marne). Dublisson ^Edmond), Ingénieur civil à Jouarre (Seine-et-Marne). Dublisson (Emile), Ingénieur à l'usine de produits chimiques. — Saint-Florent, par Saint-Amboix (Gard). *Duchaufour (Georges), Négociant en métaux, 52, rue de Paris. — Lille. *Duchaufour (Eugène), Négociant en métaux, 52, rue de Paris. — Lille. Ducrost (l'abbé), Professeur, 4 rue Martin. — Lyon. Dr Dudon, rue Huguerie, 10. — Bordeaux. Dukaure (Gabriel) Ingénieur civil des mines et Inspecteur du service du matériel au chemin de fer des Charentes. — Saintes (Charente-Inférieure). *Dr Dufay, Membre de l'Assemblée nationale. — Blois (Loir-et-Cher). Dr Duménil, rue de l'Hôtel-de-Ville, 45. — Rouen. "Dlmont (L.), Rédacteur à la Revue scientifique, 20, rue Louis-le-Grand. — Paris. Dumortier, Membre de. l'Académie de Lyon, avenue de Saxe. — Lyon. Dr Dupouy (Edmond), 81, rue ïurbigo. — Paris. *Dcpré (Anatole). Préparateur de chimie, 55, rue du Cherche-Midi. — Paris. Durand-Claye (Alfred), Ingénieur des ponts et chaussées, 85. rue Richelieu. — Paris. *Durand (Edouard), Vicaire de Notre-Dame, 49, quai Bourbon. — Paris. Durando (Gaétan), Bibliothécaire de l'École de médecine. — Alger. Durassier, Chimiste. — Creusot (Saône-et-Loire). Dlreau (Alexis), Archiviste de la Société d'Anthropologie de Paris, Bibliothécaire- adjoint à l'Académie de médecine, rue La Tdur-d'Auvergne, 16. — Paris. Duret (P.-H.) père, Propriétaire, rue Lafaurie-de-Monbadon, 3. — Bordeaux. *Dr Duriav, rue de Soubise. — Dunkerque. *Du Rielx, Ingénieur, 4'i, rue Colbert. — Lille. •Durot-Binal'ld. Fondeur en fer. — La Madeleine-lès-Lillc. *Durros, Négociant, cours des Fossés, 43. — Bordeaux. "Dutertre, Étudiant en médecine. — Lille. •Dutilleul, Conseiller général, 22 et 24, rue du Quai. — Lille. "Duvillier, Préparateur à la Faculté. — Lille. Élie (Eugène), Propriétaire, rue Berthelot, 22. — Elbeuf. , POUR I AVANCEMENT DES SCIENCES XL! Engel (Eugène), chez MM. Dolfus, Mieg et C'c, 9, rue Saint-Fiacre. — Paris. Escarraguel, Propriétaire, 1, allée de Tourny. — Bordeaux. Faget (Marins), Architecte. — Bordeaux. Faguet (L. -Auguste), Préparateur de Botanique à la Faculté des sciences et au labo- ratoire de la Faculté de médecine, 22, rue des Boulangers. — Paris. Faivre, Doyen de la Faculté des sciences, 27, rue Gentil. — Lyon. Falateuf (Oscar), Avocat, Membre du Conseil de l'Ordre, rue du Conservatoire. — Paris. Faliéres, Pharmacien. — Libourne_v Falsan (Albert), Géologue. — Collonges-sur-Saùne (Rhône). *Faucheur-Delemcque, Propriétaire, 282, rue Notre-Dame. — Lille. *Fauchille-Stiévenart. — Lille. Faure (Jules), cours d'Alsace-Lorraine, 16. — Bordeaux. Faure (Charles), Négociant, rue du Pont-de-la-Mousque, 36. — Bordeaux. 'Faure (Alfred), Aide de Botanique à la Faculté de médecine de Montpellier, Membre de la Société botanique de France. — Montpellier. Dr Favre, Médecin consultant de la Compagnie P. L. M., 1, rue du Peyrat.— Lyon. *Favreuil, Géomètre, 25, rue de Molinel. — Lille. Fayol, Ingénieur en chef des houillères de Commentry (Allier). Fée (Félix), Médecin en chef, Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Nancj . — Batna (Algérie). D' Féréol (Félix), rue du Pont-Neuf, 21. — Paris. Féret (Edouard), Libraire, cours de l'Intendance. — Bordeaux. Ferrière (Gabriel), rue du Réservoir. — Bordeaux. Ferrouillat (Prosper), Fabricant de produits chimiques, 1, rue d'Egypte.— Lyon. *Festch (Chrétien-Albert), Pharmacien major à l'hôpital militaire. — Lille. Février (le général), Commandant la place, 33, quai de la Charité. — Lyon. *Fiévet, Fabricant de sucre. — Masny (Nord). Filhol, Professeur à la F'aculté des sciences. — Toulouse. Filhol, Interne des hôpitaux de Paris, rue Cuvier, 16. — Paris. Dr Filleac, 19, rue des Archives. — Paris. Fillon, Propriétaire. — Fontenay-le-Comte (Vendée). Filloux. Pharmacien. — Arcaehon. *Flamant, Ingénieur des ponts-et-chaussées, 19, rue de la Gare. — Lille. F'leurv (Claude), Directeur de l'École de commerce. 106, rue de l'Hôtel-de-Ville. — Lyon. *Fleury, Recteur de l'Académie. — Douai. vFlorand (Maurice), Pharmacien de l*" classe. — Guéret (Creuse). 'Flotard, Membre de l'Assemblée nationale.— Vernaison (Rhône), et rue du Luxem- bourg, 49. — Paris. *Folet, Professeur à l'École de médecine, 10, rue Masurel. — Lille. Foltz, Professeur à l'École de médecine, 5, rue Saint-Dominique. — Lyon. Foncin, Professeur d'histoire et de géographie au lycée de Bordeaux, Membre de la Société de géographie. — Bordeaux. *Dr Fontaine, rue Neuve-des-Mathurins, 99. — Paris. *Fontannes. 4, rue de Lyon. — Lyon. *de Fonvielle (Wilfrid), Homme de lettres, 50, rue des Abbesses. — Paris. FuRT fils. Négociant, cours du Jardin-Public. — Bordeaux. Fouque (Charles), Archiviste de la Société d'histoire naturelle de Toulouse, rue de la Pomme, 64. — Toulouse. Fourcand, Député de la Gironde. — Bordeaux. F'ourcand (Léon), Négociant, Membre du Conseil municipal, rue Saint-Rémi, 34. — Bordeaux. Fourmond (L.), Négociant, avenue de Paris, 4 (la Bastide). — Bordeaux. Fournereau (l'abbé), Professeur de sciences à l'institution des Chartreux. — Lyon. Fournet, place Tourny. — Bordeaux. XLII ASSOCIATION" FRANÇAISE Dr Fraj (Victor) rue Maguelonnc, 23. — Montpellier. de Frémenyille, Géologue, 23. rue Sainte-Hélène. — Lyon. de Frémenyille. Château rie l'Àumusse, par Pont-de-Vcsle (Ain). Freyssinge, Pharmacien de l,c classe, rue Saint-Dominique, 148. — Paris. Froment, Agent-Voyer, Conducteur. — Au Cheylard (Ardèche), Frossard (Émilien), Pasteur, président delà Société Ramond. — Bagnères-de-Bigorre. Fuster, Professeur à la Faculté de médecine de Montpellier. — Montpellier. Gabriel (l'abbé), Desservant, Docteur en théologie. — Eynesse, canton de Sainte-Foy (Gironde). Gachassin-Lafite (Léon), Avocat, 158, rue Sainte-Catherine. — Bordeaux. *Dr Gairal père, Carignan (Ardennes). D1' de Galdo (Manuel-M.-J.), Professeur d'histoire naturelle à l'Université, ex-Maire de Madrid, Sénateur du royaume, rue Hortaleza. — Madrid. Galibert (Paul), Avoué, 1, rue Cheverus. — Bordeaux. Gal, Répétiteur à l'École polytechnique, rue Cardinal-Lemoine, 53. — Paris. *Gallard, Médecin des hôpitaux, 7, rue Monsigny. — Paris. Gallé-Reinemer, rue de la Faïencerie, 1. — Nancy. Galos, Négociant, rue Croix-Blanche, 103. — Bordeaux. Galos (Robert), 103, rue Croix-Blanche. — Bordeaux. Gandriau (Raoul), Manufacturier. — Fontenay-le-Comte (Vendée). Garcia (Manuel), Ingénieur du service de la voie du chemin de fer des Charentes. — Saintes (Charente-Inférieure). Gariel (Mme Marguerite), rue des Martyrs, 41. — Paris. Gariot. — Bourgoin (Isère). *Garreau, ancien Capitaine de frégate, rue de Floirac, 1. — Agen. *Garreau, Professeur à l'École de médecine, 13, rue de Douai. — Lille. Dr Garrigou, rue Valade, 38. — Toulouse. Gasquet, Vétérinaire. — Aiguillon. Gassies, Directeur du Musée préhistorique, allées de Tourny. — Bordeaux. Gautier (Antoine). — Château de Piquayne, près Cazères (Haute-Garonne). Gautier, Professeur agrégé à la Faculté de médecine, rue de Vaugirard, 35. — Paris. *Gavelle (Emile), Filateur, 275, rue de Solférino. — Lille. D' Gay. — Jarnac. *Gay (Henri). — Jarnac. Dr Gayat, 10, rue de la Barre. — Lyon. *Dr Gayet, Chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu, 1, rue de la Barre. — Lyon. Dr Gellie, rue Neuve, 33. — Bordeaux. *Genain, Elève de l'Institut.— Saint-Saulve (Nord). Dr Gérard, 2, rue Constantine. — Lyon. Germain, Ingénieur de la marine, 4, rue de Vienne. — Paris. *Giard, Professeur à la Faculté des sciences, 75, rue Beauharnais. — Lille. Dr Gibert, rue Cerise. — Le Havre. Gibon, Ingénieur-Directeur des forges de Commenlry. — Commentry (Allier). "Giffard (Henri), Ingénieur, 14, rue Marignan. — Paris. Gillet (François), Teinturier, 9, quai Serin. — Lyon. Gillet-Paris, Ingénieur, 41, rue de la Reine. — Lyon. GiLLON, Serrurier-Mécanicien, rue du Cherche-Midi, !)4. — Paris. *Giraldès, Membre de l'Académie de médecine, rue des Beaux-Arts, 11. — Paris. Girard, Directeur de la manufacture des tabacs. — Lyon. *Girard de Rialle (Julien), ancien Préfet de la République, 64, rue de Clichy. — Paris. Girardon, Ingénieur des ponts et chaussées, 1, cours Lafayette. — Lyon. Giraud (Dominique), Négociant. — Saint-Peray (Ardèche). Dr Giraud-Teulon, 53, rue de Rome. — Paris. Dr Girin, 24, nu- de Lyon. — Lyon. Giroud, rue des Petits-Hôtels, 27. — Paris. Glotin, ancien Ollicier de la marine, rue de la Devèsc, 11. — Bordeaux. POUR L AVANCEMENT DES SCIENCES XLIIF *Goblet, Chimiste. — Croix (Nord). Godard (Camille), Négociant, façade des Chartrons, 10(3. — Cordeaux. Gonindard (l'abbé), Directeur de l'institution des Chartreux. — Lyon. Gonnard (F.), Minéralogiste, rue Saint-Pierre, 27. — ■ Lyon. Gordon (Richard), Bibliothécaire-Adjoint, à l'École de médecine. — Montpellier. Dr Gosse. — Genève. *Gosselet, Professeur à la Faculté, 18, rue d'Antin. — Lille. Gosselin, Membre de l'Institut, Prof, à la Faculté de méd., r. desPyramides,3.— Paris. Gouget, Archiviste du département. — Bordeaux. *Gouiuin (Félix), Propriétaire, 3, route de Toulouse. — Bordeaux. *Gourdon (Camille), Professeur École La Martinière. — Lyon. * Goussard, Président de section au Conseil d'État. — Watten, près Saint-Omer. Goybet, Directeur de l'École La Martinière, à l'École La Martinière. — Lyon. Gozzadim (comte J.), Sénateur du royaume d'Italie, ancien Président du Congrès international d'anthropologie et d'archéologie préhistoriques. — Bologne (Italie). * Graillât (Jean), 18, rue du Pont-Louis-Philippe. — Paris. Grandidier, rue du Berry, 14. — Paris. Gremailly, Directeur de l'hôtel de la Paix. — Bordeaux. *Grimaux, Professeur agrégé à la Faculté de médecine, rue d'Assas, 104. — Paris. de Grissac. — Bel-Air-les-Cartes, par Mortagne-sur-Gironde (Charente-Inférieure). Gros (Camille), Professeur à l'École de médecine. — Alger. Grossard (Hippolyte), Négociant. — Bordeaux. Des Grottes, Conseiller général, cours de Tourny. — Bordeaux. Dr Guépin, rue Thiac. — Bordeaux. *de Guerne (J.), Etudiant, 9, rue Lewarde. — Douai. Guestier (Daniel), Membre de la Chambre de commerce. — Bordeaux. *Gueury, Médecin principal à l'Hôpital militaire. — Lille. Dr Guillon père, 25, rue Gaillon. — Paris. *Guyerdet (A.), attaché aux collections géologiques de l'École des mines, 16, rue Gay- Lussac. — Paris. *Dr Hache, 2, rue des Augustins. — Lille. *Hallez (L.), Professeur à l'École de médecine, 1, rue des Jardins. — Lille. *Hallez (Paul), Préparateur à la Faculté des sciences, 62, rue de Gand. — Lille. Halphen (Constant), rue Tilsitt, 11. — Paris. Halphen (G.), Répétiteur à l'École polytechnique, 51, rue Sainte-Anne. — Paris. Dr Hameau, Docteur en médecine. — Areachon. *Hanappier (Mmc), rue du Jardin-Public, 57. — Bordeaux. "Henninger, rue Daguerre, 13. — Paris. *Henry père, Pharmacien, 2, rue Jeanne-Maillote. — Lille. *Dr Henry, 39, rue de Béthune. — Lille. v *Henry (Louis), Professeur de Chimie à l'Université de Louvain (Belgique). , Herbault-Nemours, Agent de change, rue Port-Mahon, 12. — Paris. Hérilier (Charles), 36, rue de Paris. — Lyon. Hirsch, Architecte en chef de la ville, 17, rue Centrale. — Lyon. *Hirsch, Ingénieur des ponts et chaussées, 63, boulevard Suchet. — Paris (Auteuil). "Hochstetter (Georges), Chimiste, boulevard de la Liberté. — Lille. Holstein (P.), Agent de change, 20, rue de Lyon. — Lyon. *Houdoy (J.), Propriétaire, 8, square Jussieu. -y Lille. *Houzé de l'Aulnois (Alfred], Professeur à l'École de médecine. — Lille. *Houzé de l'Aulnois, Avocat. — Lille. *Hoyelacque-Mahy, 99, rue Royale. — Lille. *D' Huidiez. 19, rue de l'Arc. — Lille. Humbert (G.), 53, quai Saint-Vincent. — Lyon. *Hureau de Villeneuve (Mme), rue Lafayette, 95. — Paris. Dr de Hysern (Joachim), ancien Professeur, Conseiller royal, Inspecteur général de l'Instruction publique d'Espagne, rue du Prado, 20. — Madrid. XLIV ASSOCIATION FRANÇAISE Dr Icard, Secrétaire général de la Société des sciences médicales, rue de Lyon. 48. — Lyon. Illarf.t (A.), Vétérinaire. — Sainte-Ferme, par Monségur (Gironde). Jacquet. Directeur de l'usine de la Voulte. — La Voulte (Ardèche). de la J aille (le général]. — Grenoble Jangot, Propriétaire, 7, rue Montée-des-Anges. — Lyon. Janssen, .Membre de l'Institut, rue Labat, 21. — Paris. JaqdinÉ, Inspecteur général honoraire des ponts et chaussées. — Nancy. - Jeanjean, Professeur à l'École de pharmacie. — Montpellier. D' Jeannin (0.). — Montceaux-les-Mines (Saône-et-Loire). Jenoudet, Étudiant endroit, quai Joinville, 39. — Lyon. JOANNE [A..), rue de Vaugirard, 20. — Paris. Joannon, Vice-Président de la Société d'agriculture, 23, quai Tilsitt. — Lyon. Dr Jobert, Professeur à la Faculté des sciences. — Dijon. Johnston H.), Négociant, rue Vauban, 25. — Bordeaux. *JorRE, Professeur à l'École de médecine, 67, rue Royale. — Lille-. Joly, Ingénieur en chef des ponts et chaussées, cours de Gourgues. — Bordeaux. Jordan (A.), Professeur, rue de l'Arbre-Sec, 40. — Lyon. Joret, ancien Élève de l'École polytechnique, Ingénieur. — Angers. Dr Joubert, rue Vital-Caries, 20. — Bordeaux. Jouet (Daniel), Étudiant, 22, rue Sainte-Catherine. — Bordeaux. Dr Jouon, rue des Moulins, 23. — Nantes. Jourdy, Capitaine d'artillerie. — Oran (Algérie). Jullien, Ingénieur des ponts et chaussées. — Béziers. D1' Kastus, 8, rue Lanterne. — Lyon. "Kiener (E.), Banquier, 11. rue des Jardins. — Lille. Klein mann, Sous-Directeur du Crédit lyonnais. — Lyon. Dr Kloz, cours Tourny. 36. — Bordeaux. Koechlin (Emile), boulevard Saint-Michel, 85. — Paris. *Koi.b (Jules;, Docteur es sciences, chimiste. — Loos près Lille. "Kuhlmann (F.), Membre de la Société des sciences, rue des Canonniers. — Lille. Labat, Professeur à l'École de médecine. — Bordeaux. *Dr Labbé, Rédacteur en chef du Mouvement médical, rue des Feuillantines, 65. — Paris. *Labbe-Roussel, Négociant, 6, rue de Metz. — Lille. Lacaze-Duthiers (de), Membre de l'Institut, Professeur à la Faculté des sciences. — Paris. Dr Lachaud. — Lugon (Gironde). "Lacombe (Gilbert), Professeur à l'Institut industriel, 45, rue de Bourgogne. — Lille. Lacroix, Pharmacien de lre classe, 6, rue Philibert-Laguiche. — Màeon. Lacroix, Propriétaire. — Saint-Loubès (Gironde). "Ladureau (Albert), Chimiste. — Tourcoing (Nord). Lafargue (Georges), 63, rue des Remparts. — Bordeaux. Lafargue, Industriel, à la manufacture de Laprade, par Aubcterre (Charente). Lafon, Directeur de l'Observatoire, 2, place Louis XVI. —Lyon. Lafont (Alexandre), Naturaliste. — Arcachon. Lag.neau (Mme), rue de la Cbaussée-d'Antin, 38. — Paris. Lagrave, Magistrat, cours de l'Intendance, 27. — Bordeaux. de Lagre.né, Ingénieur en chef des ponts et chaussées, — Chuumont (Haute-Marne). Lagrolet, Négociant, cours d'AIsace-et-Lorraine, 12t. — Bordeaux. Dr Lahens (Th.), cours du Jardin-Public, 49. — Bordeaux. Laisant, Capitaine du Génie. — Bastia (Corse). *de Lalande, 22, rue d'Enfer. — Paris. Lalanne, rue Doidy, 23. — Bordeaux. Lalan.ne, Propriétaire. — Castillon (Gironde). Dr Lai.esque (Jules). — La Teste (Gironde . pour l'avancement des sciences xlv *LallemAND (A.), Doyen de la Faculté des Sciences. — Poitiers. Dr Lallement (Ed.), prolesseur suppléant à l'École de .Nancy, rue Saint-Dizier, 28. — Nancy. Dr Laluer, rue Caumartin, 22. — Paris. Lalouette, Directeur do l'Omnium, i3, rue de Lyon. Lyon. Lamt (Ernest), 83, rue Taitbout. — Paris. *Lamv (A.), Professeur à l'École centrale. — Paris. *Lamï fils, 77, boulevard Saint-Michel. — Paris. Landa, Rédacteur du Progrès de Saône-et- Loire. — Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire). Landard, Avocat, 226, rue Sainte-Catherine. — Bordeaux. Dr Lande, Chef interne de l'hôpital Saint-André, rue Vital-Caries. — Bordeaux. *Dr Landowski, 31, rue Chaptal. — Paris. *Landron, Pharmacien. — Dunkerque. . Lanelongue, Professeur à l'École de médecine, rue du Temple, 24. — Bordeaux. Lang, Directeur de la Société d'enseignement professionnel, 7, rue des Marronniers. — Lyon. Lanoire (Albert), rue Hustin, 8. — Bordeaux. Lanusse fils, Négociant, rue du Temple, 13. — Bordeaux. Laporte, Professeur du cours municipal de géométrie et de mécanique, rue Mouneyra, 71. — Bordeaux. Laporte (Maurice), Négociant. — Jarnac (Charente). Dr Larauza, .Médecin en chef des Thermes. — Dax (Landes). de la Roche-Tolat (H.), Ingénieur en chef des ponts et chaussées. — Bordeaux. Dr Laroyenne, Chirurgien en chef de la Charité, 100, rue de l'Hôtel-de-Ville. —Lyon. Laroze (Alfred), Avocat, rue Montméjan, 17. — Bordeaux. Larré, Avoué, rue Vital-Caries. — Bordeaux. Larronde (E.), Conseiller municipal, rue Vauban, 9. — Bordeaux. Lartet,; Docteur es sciences, chargé de cours à la Faculté des sciences. — Toulouse. Lataste, Maire de Libourne. — Libourne. de Saint-Laumer, ancien Maire. — Chartres (Eure-et-Loir). "Laurent, Directeur de la fabrique de produits chimiques. — Amiens. Laurent, Négociant, cours de l'Intendance. — Bordeaux. de Saint-Laurent, Avocat, cours d'Aquitaine, 92. —Bordeaux. *Vr Laussedat (L.), Membre honoraire de l'Académie de médecine de Belgique, Rédacteur en chef de. l'Art médical, 34, rue de Ligne. — Bruxelles. *Laussedat (Henri), Étudiant en médecine, 104, rue de Grenelle-Saint-Germain. — Paris . Lawrence-Smith, Président du Congrès scientifique américain. — Louisville (Ken- tucky), United-Stdtes . Lawton (William), Négociant, pavé des Chartrons. — Bordeaux. Dr Le Blaye (J.), cours de Gourgues, 9. —Bordeaux. D1 Lecadre (A.), rue Fontenelle, 13. — Le Havre. Dr Leclerc (Alfred). — Rouillac (Charente). *D; Leclerc (J.-B.), 12, rue Ratisbonne. — Lille. *Lecocq (Gustave), Principal clerc de notaire, 3, rue delà Justice. — Lille. *D" Lecdyer (H.). — Beaurieux (Aisne). *Dr Leenhardt (René). —Montpellier. ♦Leenhardt (Frantz), Licencié es sciences naturelles et Bachelier en théologie, rue Saint-Guilhem. — .Montpellier. *Lefebvre (Léon), Négociant, 9, rue Saint- Gabriel. — Lille. *Lefebvre (Jules), Agrégé de l'Université, Professeur au Lycée, 53, rue des Jacobins. — Amiens. *Lekèvre (Léon), Ingénieur des ponts et chaussées. — Saint-Pol (Pas-de-Calais). *Leeort (Jules), Membre de l'Académie de médecine, rue Neuve-des-Petits-Champs, 87. — Paris. XLYI ASSOCIATION FRANÇAISE *Lefort (Joseph), Avocat à la Cour d'appel, 11, rue du Marché-Saint-Honoré. — Paris. *Lefort (Pierre), Étudiant endroit, 16, avenue Victoria. — Paris. *Lefort (Mrac Léon), 96, rue de la Victoire. Lefranc (Edmond), 14, quai Louis XVIII. — Bordeaux. "Le Gavrian (Paul,, Ingénieur, 165, boulevard de la Liberté. —Lille. *Le Gavrian (Albert), Ingénieur-Mécanicien, 50, rue de Valenciennes. — Lille. *LeGavrian (P.), Constructeur de machines. — Lille. Dr Le Gendre, 103, rue Porte-Dijeaux. — Bordeaux. Dr Le Gendre, rue de la Sourdière, 25. — Paris. Leguay (Louis;, Architecte expert, 3, rue de la Sainte-Chapelle. — Paris. 'Lejeune (E.), Membre de la Société d'anthropologie de Paris, rue Notre-Dame. — Calais. *Dr Lelorain, 9, rue Bertin-Poiré. — Paris. *Leloir, Étudiant en médecine, 34, place auxBluets. —Lille. Lemercier (le comte Anatole), Président du Conseil d'administration du chemin de fer des Charentes. — Saintes (Charente-Inférieure). Lemoine (Emile), Ingénieur civil, ancien Élève de l'École polytechnique, rue du Cher- che-Midi, 55. — Paris. * Lemoine, Ingénieur des ponts et chaussées, rue du Sommerard, 19. — Paris. Lennier (G,), Directeur du .Musée d'histoire naturelle. — Le Havre. Lenoih, Négociant, Membre du conseil municipal, cours d'Alsace-Lorraine, 9. — Bordeaux. Léon, professeur à l'École de médecine navale. — Bochefort. Léon (Adrien), Député delà Gironde, rue Foy, 5. — Bordeaux. Léon (Alexandre), Administrateur de la Compagnie du Midi, Armateur, cours du Chapeau-Bouge, 11. — Bordeaux. Léon (Anselme), Avocat, 22, rue Fondaudége. — Bordeaux. Léon (Henri), Négociant, cours du Jardin-Public, 24. — Bordeaux. Dr Léon-Dufour (A.). — Saint-Sever-sur-Adûur (Landes). Dc Lépine, 364, rueSaint-Honoré. — Paris. Leroux, Capitaine au 81e de ligne. — Bodez (Aveyron). Leroï (L.), Ingénieur eivil, Entrepreneur de travaux publies, boulevard de Calais, 10. — Argenteuil. *Le Bot, Président du tribunal, 95, rue Boyale. — Lille. Lescarret, Président de la Société philomatique, rue Montméjan. — Bordeaux. Lesnier (Frédéric), Conseiller général de la Gironde. — Carbon-Blanc (Gironde). *Lestrange (le vicomte de). — Saint-Julien, par Saint-Genis-de-Saintonge (Charente- Inférieure). Dr Letessier. — Lormont-Bordeaux. *Lethierry, Propriétaire, 6, rue Blanche. — Lille. Létiévant, Chirurgien en chef de l'Hùtel-Dieu, rue Childebert, 3. — Lyon. Lecdet, Directeur de l'École de médecine, 49, boulevard Cauchoise. — Bouen. *Leudet (Mmc), 49, boulevard Cauchoise. — Bouen. *Leudet (Olivier), Étudiant, 49, boulevard Cauchoise. — Bouen. * Leudet (Robert), Étudiant, 49, boulevard Cauchoise. — Rouen. i.r.vALLOis (J.), Inspecteur général des mines en retraite, 91, rue Saint-Dominique. — Paris. Dr Levieux, Vice-Président du Conseil d'hygiène et de salubrité de la Gironde. — Bordeaux. Leydet, rue Ausonne, 33. — Bordeaux. L'Hôte, Chimiste, 16, rue de Lancry. — Paris. *Lhotte (Gustave), Rédacteur à l'Echo du Nord. — Lille. LlBAUDlÈRE, rue Duplessis, 1. — Bordeaux. Liès-Dodart, Inspecteur de l'Académie de Bordeaux, rue Montaigne. — Bordeaux. Lilienthal, Membre de la Chambre de commerce, 13, quai de l'Est. — Lyon. POUR L AVANCEMENT DES SCIENCES XLVII 'Limousin (Charles), Publiciste, avenue d'Orléans, 112. — Paris. Linder, Ingénieur en chef des mines. — Alais. Livache, Ingénieur civil, rue de Grenelle-Saint-Germain, 24. — Paris. Locard (Arnould), Ingénieur civil, 59, rue de la Reine. — Lyon. Locard, Membre de la Société d'Agriculture, 59, rue de la Reine. — Lyon. Lœvy (Maurice), Astronome à l'Observatoire. — Paris. Loir, Professeur à la Faculté des sciences, 54, avenue de Noailles. — Lyon. Lombard (Louis), Ingénieur civil, 4, rue Constantine. — Lyon. "Loncke, Directeur particulier de la Compagnie d'assurances générales, 13, boulevard de la Liberté. — Lille. Lopès-Dubkc (Félix), Armateur, place Dauphine, 28. — Bordeaux. Lorenti cadet, Secrétaire général de la Société d'agriculture, 22, cours Morand. — Lyon. de Loriol (P.), Géologue.— Frontenex, près Genève (Suisse). Loste, Notaire, rue Ferrère, 50. — Bordeaux. *Lotar, Pharmacien, 27, rue de Roubaix.— Lille. Lottin. — Noyers (Loir-et-Cher). *Lougnon (Cyr), Étudiant, 22, rue des Fossés-Saint-Jacques.— Paris. Saint-Loup, Professeur à la Faculté des sciences. — Besançon. Loyson, Président honoraire en Cour d'appel, 42, rue Vaubecour. — Lyon. Lucas (Charles), Architecte, boulevard Denain, 8.— Paris. Dr Lunier, Inspecteur général des asiles d'aliénés de France, 6, rue de l'Université. — Paris. Luuyt, Ingénieur en chef des mines, 55, cours de l'Intendance. — Bordeaux. Lykiardopoulos, 32, rue des Écoles.— Paris. Mabit, Professeur à l'École de médecine. — Bordeaux. Macé, Professeur à l'École de médecine. — Rennes. *Machelart, Pharmacien, 142, rue Notre-Dame. — Lille. Madelaine (Joachim). — Évian-les-Bains (Haute-Savoie). Madelaine, Inspecteur du service de la voie au chemin de fer des Charentes. — Saintes (Charente-Inférieure). Magné, Négociant, 12, rue de Sèze. — Bordeaux. Magnien (A. -G.).— Trémont, par Tournus (Saône-et-Loire). *Mahieu (Aug.), Filateur. — Armentières (Nord). Mailho, Pharmacien, cours des Fossés, 9. — Bordeaux. Mairet, Constructeur-Mécanicien, 41, rue Centrale.— Lyon. Malkzieux (E.), Ingénieur en chef, Secrétaire de la Commission des Annales des Ponts et Chaussées, rue du Bac, 108. — Paris. Malingre, Ingénieur civil, rue Cervantes.— Madrid. *Dr Mallez, 6, rue du 29 Juillet.— Paris. Malvezin (Th.), 5, place Dauphine.— Bordeaux. Manès, Ingénieur civil, rue Castéja, 2. — Bordeaux. Manès (Mme), 2, rue Castéja. — Bordeaux. Dr Marduel, 23, rue de Bourbon. — Lyon. Maréchal, rue du Manège, 25. — Bordeaux. Mares (Mmc veuve), rue Salle-l'Evèque. — Montpellier. *Dr Marey, Professeur au Collège de France, rue de l'Ancienne-Comédie, 14. — Paris. Mariage (J.), Fabricant de sucre.— Thiant, par Denain (Nord). Marié-Davy, Astronome, Directeur de l'Observatoire de'Montsouris. Marion, Professeur de philosophie, rue Villedieu, 2. — Bordeaux. Marix (A.), Négociant, 96, rue de l'Hôtel-de-Ville. — Lyon. Dr Marmisse, rue Saint-Sernin, 49. — Bordeaux. Marmorat, Négociant, 21, rue Centrale.— Lyon. D' Marmotan, Membre du Conseil municipal, rue Desbordes-Valmore, 31 . — Pari»" Marnas (J.-A.), quai des Brotteaux, II.— Lyon. XLV1II ASSOCIATION FRANÇAISE Martin (Edmond), rue des Jeûneurs, 14. — Paris. Martin (Albert), 7, rue du Puits-Gaillot. — Lyon. de Saint-Martin. — Artigues, par la Bastide (Gironde). Martin-Barbet, Pharmacien, cours Tourny, 21. — Bordeaux. Martinet (Ludovic). —Château de la Roche, commune de Graçay (Cher). Martins (Charles), Professeur à la Faculté de médecine. — Montpellier. Mascart, Professeur au Collège de France, rue ïournefort. — Paris. Masfrand, Pharmacien, rue de l'Hôtel-de-Ville. — Aurillac (Cantal). *Masingue- (Victor), Fabricant de bonneterie. — Mortaime, près Saint-Amand (Nord). "Masquelez, Ingénieur en chef des ponts et chaussées, Directeur des travaux munici- paux, 128, rue Nationale. — Lille. "Masquelier (Aug.j, Négociant, 5, rue de Courtrai. — Lille. Masséna (duc de Rivoli), rue Jean-Goujon, 8. — Paris. Massénat (Elie). — Brives (Corrèze). Masson, Pharmacien, 5, place de la Victoire. — Lyon. *Dr Masurel, 18, rue de la Barre. — Lille. 'Masurel jeune, Mécanicien, 29, rue Inkermann. — Lille. '.Mathelin, Ingénieur, 46, rue Àlexandre-Leleux. — Lille. 'Mathias, Ingénieur de la traction au chemin de fer du Nord, 28, rue des Fossés.-- Lille. *Matrot, Ingénieur des mines. — Lille. *Maufras (E.l. — Pons (Charente-Inférieure). Maumet (Paul). — Château-Bonnet, à Grézillac ^Gironde). Mayer, Négociant, rue Saint-Georges, 20. — Paris. Mkhc, Pharmacien de première classe. — Villefranche (Bhône). Mmùné, Ingénieur des arts et manufactures, Directeur propriétaire de l'usine à gaz. — Saintes (Charente-Inférieure). Meissas, boulevard Saint-Germain, 81.— Paris. Meller père, Négociant, pavé des Chartrons, 43. — Bordeaux. *Melun (le comte de), Député du Nord, 79, rue Saint-Dominique-Saint-Germain. — Paris. 'Menche de Loisne, Ingénieur en chef des ponts et chaussées. — Guéret. 'Mercadier, Répétiteur à l'École polytechnique, 27, rue Caumartin. — Paris. Merget, Professeur à la Faculté des sciences, 5, rue de l'Hôtel-de-Ville. — Lyon. Meschinet de Richemond (Louis-Marie), Archiviste de la Charente-Inférieure, Officier d'Académie, Secrétaire de l'Académie de La Rochelle, rue de la Cloche, 7. — La Rochelle. Dr des Mesnards (P.), rue Amelot, 29. — La Rochelle. Messimy, Notaire, 13, rue de Lyon. — Lyon. Mestrezat, Négociant, Consul suisse, rue du Parlement. — Bordeaux. Dr Métadier, allée d'Orléans. — Bordeaux. Metzger, Ingénieur des ponts et chaussées. — • Saint-Fleur. 'Meunier (Mme Hipp.), avenue de Paris, 13. — Versailles. Dr Meunier (Valéry). — Pau. Meure, Pharmacien, rue Notre-Dame, 147. — Bordeaux. *Meurein, Pharmacien, 30, rue de Gand. — Lille. Mic.haud fils, Notaire. — Saintes (Charente-Inférieure). Michel (Charles), Avoué, cours de l'Intendance, 23. — Bordeaux. Michel (Joseph), Interne des hôpitaux de Paris, 25, rue de Vaugirard. — Paris. Milne-Edavards (Alphonse), Professeur de zoologie à l'École de pharmacie, rue Cu- vier, au Muséum. — Paris. Min-Bararraham, Banquier, place Puy-Paulin, 12. — Bordeaux D' Mingali), du Gard, Pharmacien de première classe, Ex-médecin aide-nuijor de première classe, Lauréat de plusieurs Sociétés savantes, nationales et étrangères, rue Godefroy, 1.— Lyon. Moitessier, Professeur à la Faculté de né !eeim>, — Montpellier. POL'll L AVANCEMENT DES SCIENCES XLIX *de Mollins, Architecte. — Croix (Nord). de Monchv, Propriétaire, rue des Remparts, 52. — Bordeaux. Mondiet, Agrégé de L'Université, Professeur au lycée. — Mont-de-Marsan. Mongkaud, Chef «lu bureau «le la voie au chemin de fer des Charenles. — Saintes (Charente-Inférieure) . l> Monnereau. — Saintes (Charente-Inférieure). Monnier. Préparateur à l'Académie. — Genève. Monta ut, Avocat.— Marmande (Gironde). D1' Moreau (E.), rue du 29 Juillet, 7. — Paris. Dr Moreau (Armand), Membre de l'Académie de médecine, 55, rue de Vaugirard. — Paris. Morisset (Hippolyle), 3, rue de Marivaux. — Paris. *Morisson, Professeur à l'École de Médecine, rue Royale. — Lille. *Moritz, Directeur de l'Observatoire. — Tiflis (Russie). Dr Morlot, Docteur en médecine, rue Saint-Philibert, 24. — Dijon. 'l)r Moser, 14, rue des Petits-Hôtels. — Paris. Motelay (Léonce), Négociant, rue Guillaume -Brochon, 7. — Bordeaux. *Moulan, Négociant. 75, rue du Molinel. — Lille. *Mouquet-Leroux (Ed.), propriétaire, 19, rue de Valmy. — Lille. D1' Moussous, rue d'Aviau, 38. — Bordeaux. Mulsant, Président de la Société linnéenne, Correspondant de l'Institut, 25, quai Saint-Vincent. — Lyon. Muntz, Préparateur au Conservatoire des arts et métiers, 30, rue de Rivoli. — Paris. de Nadaillac (le marquis), Préfet des Basses-Pyrénées. — Pau. Dr Négrié, Médecin des hôpitaux, cours Portai. — Bordeaux. Dr Neucourt. — Verdun (Meuse).' D1' Nicas. — Fontainebleau (Seine-et-Marne). *NrcoDÈME, Ingénieur civil, de la maison Lloyd et Lloyd, 38, Grande-Chaussée. — Lille. Nivet, Ingénieur civil. — Echoisy (Charente). *Nivoit (Edmond), Ingénieur des mines. — Mézières (Ardennes). Noack, Ingénieur, 4, rue Constantine. — Lyon. Noguès (A.-L.), Ingénieur civil des mines. Président de la Société géologique, Pro- fesseur de sciences physiques et naturelles, 3, rue de Jussieu. — Lyon. *Norguet (de), Propriétaire, 61, rue de Jemmapes. — Lille. *Nottelle, Secrétaire du syndicat général des chambres syndicales, Membre de la Société d'économie politique, 49, rue Réaumur. — Paris. Nougaret, Contrôleur du service de la voie au chemin de fer des Charentes. — Saintes (Charente-Inférieure) . Nouvel, pharmacien de l'u classe. — Rodez (Aveyron). *Nugues (A.), Rafîinerie de potasse et de soude. — Saint-Saulve près Valenciennes (Nord). Oberkampff (E.), Ministre du Saint-Évangile, 69, avenue de Saxe. — Lyon. Oherlin, Gérant de la Librairie Georg, rue de Lyon, 65. — Lyon. Ollier de Marichard, Archéologue. — Vallon (Ardèche). Ollive, rue Bleue, 3. — Paris. *Dr Ollivier, Médecin de l'hôpital Saint-Sauveur, 314, rue Solférino. — Lille. Onésime (le frère), montée Saint-Barthélémy, 24. — Lyon. Dr Oré, Professeur à l'École de médecine, rue du Palais-de-Justice. — Bordeaux. *Outl!eb, Chimiste. — Croix, près Lille. Oustalet, Propriétaire, 7, rue de Navarin. — Paris. *D' Papillaud. — Saujon (Charente-Inférieure). *Paquet, Professeur à l'École de Médecine, 28, rue Notre-Dame. — Lille. *Parise, Professeur à l'École de médecine, 26, place des Bluets. — L'Ile. Parizet, 29, rue Royale. — Lyon. 4 L ASSOCIATION FRANÇAISE Parmentier, Colonel du génie, Directeur du génie. — Lyon. Parrot, Professeur agrégé à la Faculté de médecine, 5, rue de Savoie. — Paris. Dr. Parseval-Grandmaison (J.), ancien Président de l'Académie de Màcon, Membre de la Société botanique de France. — Au château des Perrières, près Màcon. PASCAULT, Avoué, ru;* du Temple, 25. — Bordeaux. Passi Frédéric), rue Labordère, 8. — Neuilly-sur-Seine. Paul (Constantin), Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris, rue de l'Université, i*ï>- — Paris. Dr Paulet, rue des Écoles, 40. — Paris. Peaucellier, Lieutenant-Colonel du génie. — Toul. *Peligot, Membre de l'Institut, à l'hôtel des Monnaies. — Paris. *I) Pi.li.arin (Charles), 71, route d'Orléans. — raris-Montrouge. de Pellorce, Président de l'Académie de Màcon. — Màcon. Pe.not Achille), Directeur de l'École de commerce, 3i, rue de la Charité. — Lyon. Pereire (Henri), rue du Faubourg-Saint-Honoré, 35. — Paris. *Peeot. Banquier, 51, rue Nationale. — Lille. Perrégaux (Louis), Manufacturier. — Jallien (Isère). Perret. Député du Bhône. — Collonge (Rhône) et hôtel du Louvre. — Paris. Perret (Emile), Pharmacien. — Moret-sur-Loing. Perret (Auguste), Négociant, 49, quai Saint-Vincent. — Lyon. Perrier. Chef d'escadron d'état-major, Membre du Bureau des longitudes, rue du Bac, 106. — Paris. D Perrin, Professeur au Yal-de-Grâce, rue Saint-Placide, 45. — Paris. Perrot (Ernest), 7, rue du Lycée. — Laval (Mayenne). *Pesier Edmond), Chimiste. — Valenciennes. D' Pery. Médecin des hôpitaux, 67, cours d'Aquitaine. — Bordeaux. Petit, Pharmacien, 8, rue Favart. — Paris. Petit, Ingénieur des ponts et chaussées, 33, rue de Jarente. — Lyon (Rhône). *Petit, Professeur à l'école de médecine, rue Royale. — Lille. Dr Peïraud. — Libourne (Gironde). Piarron de Montdésir, Ingénieur en chef des ponts et chaussées, rue du Cherche- Midi. 76. — Paris. Pichou (Alfred), Géomètre des chemins de fer du Midi, rue de la Croix, 137. — Narbonne. "Pierret, Agent comptable des ateliers de construction et poudreries d'Aulnoy. — Berlaimont (Nord). Piette (Ed.), Juge de paix. — Craonne (Aisne). *D~ Pilât, Professeur à l'École de Médecine, 36, rue Beauharnais. — Lille. Pillet, 18, rue Saint-Sulpice. — Paris. D' Pillot (E.), 14, rue de Douai. — Paris. M'inard (Alphonse), Membre des- Sociétés de géographie et d'anthropologie de Paris, aux usines de Marquises (Pas-de-Calais). Dr Pinet. 60, rue Saint-Joseph. — Lyon. *Picquet (H.), Capitaine du génie, Répétiteur à l'École polytechnique, 12, me Bil- lault. — Paris. *PlCQUET (Mmc), 12, rue Billaull. — Paris. Pitrat aine, Imprimeur, 4, rue Gentil. —Lyon. Plainemaison, Ingénieur, Chef du service du matériel et de la traction au chemin de fer des Charentes. — Saintes (Charente-Inférieure). Planchon, Correspondant de l'Institut. — Montpellier. Planteau, Interne des hôpitaux de Paris, à l'Hôtel-Dieu. — Paris. Plante, Ingénieur du service télégraphique au chemin de fer des Charentes. — Sa i ni es i.l i,i rente-Inférieure). Planté Gis, Contrôleur de l'exploitation au chemin de fer des Charentes. — Saintes (Charente-Inférieure). Platkt. Etudiant, I, rue de Penthièvre. — ; Lyon. POUR L AVANCEMENT DES SCIENCES Ll D' Plumeau, rue Baubadat, 25. — Bordeaux. Poincarré, rue Lafayette, 6. — Nancy. Poisson (Jules), Aide-Naturaliste au Muséum, CS, rue Monge. — Paris. Poitiers, Avocat. — Saintes (Charente-Inférieure). *Pollet, Vétérinaire, rue Jeanne-Maillotte, 20. — Lille. *Pouony, Ingénieur des ponts et chaussées. — Rocheforl. PONCIN, Courtier à la Bourse, 25, rue Rochambeau. — Bordeaux. Poncin, chei' d'institution, quai des Brotteaux, 7. — Lyon. "Pouchain (V.), Maire d'Armentières, rue du Faubourg-de-Lille. — Armentières. D' Pouchet, rue Hautefeuille, 1. — Paris. Pouget, rue Poyenne, 37. — Bordeaux. D1' Pourtier (Michel). — Québec (Canada). *Dr Pozzi, Aide d'anatomie à la Faculté de méd., 131, boul. St-Germain. — Paris. Preller, Négociant, allées de Chartres, 18. — Bordeaux. Preslier (Mme), chez M. Francisque Sarcey, rue de Douai, 59. — Paris. *Prévost (Charles), 26, rue de Thionville. — Lille. Prost (Achille), Négociant, 14, rue Grenette. — Lyon. *Prouvost (Auguste). — Haubourdin (Nord). *Dr Prunières. — Marvejols (Lozère). *Dr Pucelle, 29, rue Saint-Pierre. — Lille. Puchemin (E.), 33, place Saint-Sever. — Rouen. Pujos, allées de Chartres, 19. — Bordeaux. D' Pupier, rue Strauss. — Vichy. Putz (H.), Lieutenant-Colonel d'artillerie, commandant le parc des équipages mili- taires. — Vernon \Eure). de Puyferrat, rue Saint-Bémy, 64. — Bordeaux. *de Quatrefages (Mmc), 36, rue Geollroy-Saint-Hilaire. — Paris. de Quatrefages (Léonce), 36, rue Geoffroy-Saint-Hilaire. — Paris. Queyrens, Mécanicien à la Monnaie. — Bordeaux. Quivogne, Vétérinaire, 47, rue de Bourbon. — Lyon. D1' Rafaillac. — Margaux (Gironde). *Raillard, Ingénieur en chef des ponts et chaussées. — Lille. *D'' Raillard. — Dax (Landes). Ramey (Eugène), rue Bertin-Poirée, 16. — Paris. Ramié (Jules), 101, rue de l'Hôtel-de-Ville (maison café Morel). — Lyon. Ramon, Chef du dépôt au chemin de fer des Charentes. — Saintes. Rangot-Péchiney, Ingénieur-Chimiste, 23, chemin de la Corne-de-Cerf. — Lyon. D1' de Ranse, place Saint-Michel, 4. — Paris. D1' Ranvier, rue Monsieur-le-Prince, 61. — Paris. Raoult, Médecin-major à l'hôpital militaire. — Lille. Raveaud, conseiller à la Cour, 116, rue de l'Église-Saint-Seurin. — Bordeaux. Raynal, Négociant, place des Quinconces, 12. — Bordeaux. Read (général John-Mérédith), 3, rue Scribe. — Paris. Reboux, Archéologue, 3, rue Montenotte (Ternes). • — Paris. ' Récamier (Etienne), Docteur en droit, publiciste. — Ecully (Rhône), et rue Cu gard, 1. — Paris. Regnauld, Ingénieur des ponts et chaussées, rue de Pessac. — Bordeaux. *Rehm (L.). — Pagny-sur-Moselle. Reimonenq (Charles), ex-chef de section de la voie au chemin de fer du Midi, rue Ferrère, 42. — Bordeaux. Reinwald, Libraire, rue des Saints-Pères, 15. — Paris. Dr Reuquet, rue Le Peletier, 7. — Paris. Uemerand, Pharmacien. — Fontenay-le-Comte (Vendée). Renard et Villet, Teinturiers, quai de Pierre-Scize, 53. — Lyon. *Renaud (Georges), Professeur d'économie politique, Lauréat'de l'Institut, Secrétaire adjoint de la Société de statistique de Paris, 37. rue Schelfer.— Passy-Paris. LU ASSOCIATION FRANÇAISE Rennes. Chef du mouvement du trafic du chemin de fer des 'Cha rentes. — Saintes (Charente-Inférieure). Renouard fils (Alfred,, Filateur, 3. rue à Fiens. — Lille. *Renouard-BéGhin, Filateur et fabricant de toiles, 3, rue à Fiens.— Lille. ^Renversé, Sous-Intendant militaire en retraite, rue Naujac, 49.— Bordeaux. Réroixe [Louis], 44, quai de la Guillotière.— Lyon. RESAL, Membre de l'Institut. Ingénieur des mines, Professeur à l'École polytechnique, rue de Condé, 1»'..— Paris. Rf.yol, Ingénieur des ponts et chaussées. — Saint- Nazaire. *Dr Rey, 87, rue de l'Hôpital-Militaire.— Lille. Dr Riban, Chef des travaux chimiques des hautes études au Collège de France, au Collège de France. —Paris. Richard (Adolphe], Attaché aux collections de l'École des mines, rue des Feuillantines, 93. — Paris. •Richard, Chimiste, 17, rue de l'Hôtel-de-Ville. — Rouen. *Dr Riche.— Jeumont (Nord). *Dr Riégé, 30, rue Hauteville.— Paris. RlEUMAL, Négociant, (ï, rue de Mulhouse. — Paris. de Rieunègre (Théodore Fabre), 18, rue Rlanc-Dutrouil. — Bordeaux. *Rigaud (Charles).— Pons Charente-Inférieure). *Rigaud (Ad.), Négociant, Conseiller municipal, 49, quai de Béthune. — Lille. *Rigaut (E.), Filaleur, 102, rue Saint-Sauveur. — Lille. *Rigaut (Adolphe), Négociant, 102, rue Saint-Sauveur.— Lille. *Rigaux (Henri), Propriétaire, rue de l'Hôpilal-Militaire.— Lille. Dr Rigout, Chimiste à l'École des mines, boulevard Saint-Michel, 60. — Paris. Robert, Ingénieur des ateliers au chemin de fer des Charentes. — Saintes (Charente- Inférieure). Robin (Michel), 12, quai des Célestins.— Lyon. Robineaud, Pharmacien,. rue Notre-Dame, 62. — Bordeaux. Rolland, Directeur de la Société générale pour favoriser le développement du com- merce et de l'industrie en France, 7, place de l'Helvétie.— Lyon. Dr Rollet, rue Michel-Montaigne, 3.— Bordeaux. Dr Rollet, 41, rue Saint-Pierre.— Lyon. *Romain (Bernardj, Agent voyer en chef. 17, rue Masséna. — Lille. Rondeau (Philippe), Conseiller à la Cour d'appel.— Poitiers. Ronna (A.), Ingénieur, Secrétaire du comité de l'Association autrichienne I. R. P. des chemins de fer de l'Est, boulevard Haussmann, 25. — Paris. Roques (Adrien), Ingénieur civil.'— Saint-Atfrique (Aveyron). de Rocquevaire M",e la baronne), square du Chemin-de-Fer. — Montpellier. *des Rosiers, 1ô4, boulevard Haussmann. — Paris. Ross (Alexander-Milton), M. D. ; M. A., Membre des Associations anglaises et amé- ricaines pour l'avancement des sciences, de la Société Impériale des naturalistes de Moscou et île la Société entomologiste de France. — Toronto (Canada . Roudier , Conseiller général de la Gironde, Membre de l'Assemblée nationale. — Pessac de Gensac (Gironde). Rouget (Ch.), Professeur à la Faculté de médecine, rue du Carré-du-Roi , 12.— Montpellier. Dr Rciugier. — Arcachon. Rouit, Ingénieur en chef de la Compagnie du Médoc. — Bordeaux. Roumieu, Négociant, cours de l'Intendance.— Bordeaux. •Roussel-Defontaine, Maire de Tourcoing. Rhussflet (L.j, Archéologue, 113, boulevard Magenta.— Paris. Rousselier, Ingénieur civil. 2, rue Grignan.— Marseille. •Roussille (Albert), Professeur à l'École d'agriculture du Grand-Jouan.— Nozay (Loire- Inférieur • . •Rolssille M'" . — Nozay (Loire-Inférieure). pour l'avancement des sciences lui Roux. Imprimeur, 21, rue Centrale. — Lyon. Roux (Henri), Propriétaire, 11, place Bellecour. — Lyon. Roter (Mm0 Clémence), 3, nie Brochant. — Paris. Sabatier (l'abbé), Professeur à la Faculté de Théologie, 1G, rue Saubat. — Bordeaux. I)r Sabatier, rue de la Coquille. — Béziers (Hérault). Sagnier (Henri), Secrétaire de la rédaction du .Journal d'Agriculture, 66, rue de Rennes. — Paris. Sainte-Claire-Deville (Charles), Membre du l'Institut, 8, rue de Vieux-Colombier.— Paris. Sainte-Colombe (Fernand de), Propriétaire, château des Touches, commune de Vil- lais, près Bons (Charente-Inférieure). de Saint-Vidal, Directeur particulier à Bordeaux de la Compagnie d'assurances gêné raies, cours de Tourny. — Bordeaux. Salf.t (Mmc), 84, boulevard Saint-Germain. — Paris. Salle (Adolphe]. Négociant, 61, pavé des Chartrons. — Bordeaux. Salmon, Agent principal de la traction au chemin de fer des Charentes. — Saintes. de Salve, Recteur de l'Académie. — Alger. Samazeuilh (Fernand), Avocat, 60, cours de l'Intendance. — Bordeaux. Sam y, Préparateur à la Faculté des sciences, 8, rue Michel. — Bordeaux. Sansas, Député de la Gironde, rue du Hà. — Bordeaux. de Saporta (le comte). — Aix (Bouches-du-Rhône). Sarcev (Francisque), 59, rue de Douai. — Paris. *Dr Sauvage (Emile), 2, rue Monge. — Paris. Savigny et Bunand, Négociants, 13, rue Bugeaud. — Lyon. Schacher (Georges), Négociant, 15, allées de Chartres. — Bordeaux. Schmol (Charles), rue de Turenne, 132. — Paris. *Schneider-Bouchez, Négociant, rue des Ponls-de-Commines. — Lille. Schoengrun, Membre de la Chambre de commerce, place Dauphine. — Bordeaux. Schrader (François), 2U, rue Borie. — Bordeaux. Schultz, Fabricant, 8, rue du Grillon. — Lyon. Schutzenberger, Directeur du laboratoire de la Sorbonne, 75, rue Notre-Dame-des- Champs. — Paris. Schwaeblé, Ancien élève de l'École polytechnique, Directeur de l'École supérieure du commerce, 102, rue Amelot. — Paris. "Scrive (Désiré], Négociant, 1, rue des Lombards. — Lille. *Scrive-Loyer, Manufacturier, 292, rue Notre-Dame. — Lille. Secrestat, Négociant, membre du Conseil municipal. — -Bordeaux. *Sée (Marc), Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris, 7, rue de l'Ecole- de-Médecine. — Paris. *Sée (Edmond). Ingénieur, 121, boulevard de la Liberté. — Lille. Segrestaa (Maurice), 27 bis, cours du Jardin-Public. — Bordeaux. Dr Seguay, Chirurgien des hôpitaux. — Bordeaux. Séguin (Paul), Ingénieur, 4, rue des Deux-Maisons. — Lyon. Seignouret (P.-E.), pavé des Chartrons, 24. — Bordeaux. Seuvantie, Étudiant en médecine, rue de Cheverus. — Bordeaux. Séve,nne, Membre de la Chambre de commerce, 1, rue de Lyon. — Lyon. Skvérac (Paul), Maître de forges, 1, boulevard Macdonald (la Villette). — Paris, Dr Sichei., 86, rue Neuve-des-Mathurins. — Paris. Siégler (Ernest), Ingénieur des ponts et chaussées. — Bar-le-Due. *Dr de Sinéty, 10, rue de la Chaise. — Paris. *Silya (R.-D.), Chimiste, 43, rue Monsieur-le-Prinee. — Paris. Simon, Directeur de l'exploitation au chemin de fer du Midi, rue du Réservoir. — Bordeaux. Siret (Eugène), Rédacteur du Courrier de la Rochelle, place de la Mairie. — La Rochelle. 'SgiÉTÉ des Sciences naturelles de la Charente-Inférieure. — La Rochelle. LIV ASSOCIATION FRANÇAISE Société Pharmaceutique de l'Indre. — Chàteauroux. Société d'Agriculture de l'Indre, place du Marché-au-Blé. — Chàteauroux. Société d'Histoire naturelle de Toulouse, rue de la Pomme. — Toulouse. Société de Géographie. — Lyon. Société de Médecine de Saint-Étienne et de la Loire. — Saint-Étienne (Loire . Société d'Émulation des Côtes-du-Nord. — Saint-Brieuc. Société de Médecine el de Chirurgie de Bordeaux. Société de Médecine et de Chirurgie. — La Rochelle. 'Société de Médecine de Sainl.es, représentée par M. le docteur Papillaud. — Saujon (Charente-Inférieure). Société des Sciences physiques et naturelles, rue Montbazon. — Bordeaux 'Société Polytechnique de Nemours. — Nemours (Seine-et-Marne). Société Havraise d'études diverses. — Le Havre. *Société Libre d'Émulation du commerce et de l'industrie de la Seine-Inférieure. — Rouen. Société Académique d'Architecture de Lyon, palais des Arts. — Lyon. 'Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe. — Le Mans. Société des Sciences médicales de Lyon. *Société d'Agriculture, Sciences et Arts de Douai, Centrale du département du Nord, 8 bis, rue d'Arras. — Douai. Société des Sciences et Arts de Vitry-le-Français . Dr Solles, Conseiller municipal, rue Sainte-Catherine. — Bordeaux. Soret (Louis), Rédacteur des Archives des Sciences naturelles, 1, promenade du Pin. Genève (Suisse). Soubeiran (L.), Professeur à l'École de pharmacie. — Montpellier. *Souillard, Professeur à la Faculté des sciences, 20, rue de la Fontaine-del-Saulx. — Lille. Souverbie (Saint-Martin), Conservateur du Muséum d'histoire naturelle. — Bordeaux. *Dr Spitaels (L.).— Croix (Nord). Sthéhélin (E.), Conseiller municipal, rue Vauban. — Bordeaux. Stœcklin, Ingénieur des ponts et chaussées. — Boulogne-sur-Mer. Stolipine, 11, Grand-Hôtel. — Paris. "Storck, Ingénieur civil, 78, rue de l'Hôtel-de-Ville. — Lyon. 'Strobl, Étudiant à la Faculté. — Lille. *Swarte (Romain de), Ingénieur à la raffinerie, sucrerie de Sin. — Sin, près Douai (Nord). T... (Louise), chez M. Francisque Sarcey, 59, rue de Douai. —Paris. "Talrich (Jules), Statuaire modeleur d'anatomie des Facultés de médecine de Paris et de Nancy, 41, rue de l'École-de-Médecine. — Paris. Tardy, Membre de la Société géologique de France, à l'Observatoire. — Bourg (Ain). Tarrade (A.) Pharmacien, 65, avenue du Pont-Neuf. — Limoges (Haute-Vienne). Tastet (Edouard), Négociant, 00, façade des Chartrons. — Bordeaux. Techouetres, 1, rue de la Merci. — Bordeaux. "Tellier, Juge au Tribunal civil, 22, rue des Fleurs. — Lille. *Terq_UEM, Professeur d'hydrographie. — Dunkerque. Terrier (Léon), Professeur de rhétorique. — Montpellier. 'Dr Testelin (Achille), Député du Nord, 16, rue de Thionvillc. — Lille. Tf.sseire (Albert), 26, cours du Jardin-Public. — Bordeaux. Ti.sseire (Orner), 26, cours du Jardin-Public. — Bordeaux. Tessier (P .-Charles), rue de Pessac, 170. — Bordeaux. Texieb Louis), Directeur de l'Ecole de médecine, Président de l'Association des médecins de l'Algérie. — Alger. Théry, Conseiller général. — Langon (Gironde). Thibault, aux Archives départementales. — Bordeaux. THIBAULT, Ingénieur, Entrepreneur. 18, rue du Pas-du-Loup. — Rochefort. POUR L AVANCEMENT 1>KS SCIENCES *Thibaut, Pharmacien de première classe, 2, rue des Augustins. — Lille. *Thomas (A.), Ingénieur civil, 17, rue Nationale, — Lille. Tissanmkr (G.), Chimiste, rue Bleue, .'i, — Paris. TissEiRE (Albert), cours du 29 Juillet, 26. — Bordeaux. Tisseur (Clair), Architecte, 10, rue de la Reine. — Lyon. *Toffart (Auguste), Secrétaire général de la mairie. — Lille. *Tommassi (Donato), Chimiste, 69, avenue de l'Aima. — Paris.. J> Topinard (Paul), Préparateur au laboratoire d'anthropologie de l'Ecole des lu.. études, 420, rue Sainl-IIonoré. — Paris. Tour. \n, Pasteur. — Castillon (Gironde). Tournaire, Ingénieur en chef des mines. — Saint-Etienne (Loire). Toussaint, Chef de service à l'Ecole vétérinaire. — Lyon. Dr Toutant. — Marans (Charente-Inférieure). innin, Licencié es sciences, à la Faculté des sciences. — Lille. Travelet, Ingénieur des ponts et chaussées. — Vesoul (Haute-Saône). Dr Trïxat, Membre du Conseil général de la Seine, à la Salpétrière. — Paris. Trélat, (Emile), Architecte. r Tripier (Léon), 17, rue de Childebert. — Lyon. Trutat (Eugène), Conservateur du Musée d'histoire naturelle, 3, rue des Prêtres. — Toulouse. *Trystram, Conseiller général. — Dunkerque. Valat, Professeur, ancien Recteur, rue de Cursol, 38. — Bordeaux. *Van Hende, Propriétaire, 50, rue Masséna. — Lille. *D' Vanpeteghem, 66, rue Colbert. — Lille. *Van Rysselberghe, Professeur à l'Ecole de navigation de l'Etat. — Osten le (Belgique). Van Tiegheïvi, Maître de conférences à l'Ecole normale supérieure, rue de l'Odéon, 20. — Paris. Variot, Ingénieur civil, 13, rue de Constantine. — Lyon. *Vasse, Professeur de physique en retraite, Maire de Douai (Nord). Dr de Vauréal. — Biarritz. Vavin (Jules), Capitaine de frégate, Faubourg-Poissonnière, 47. — Paris. Vée (Amédée), rue Vieille-du-Temple, 24. — Paris. Veltard, Supérieur de la maison des Minimes, place des Minimes. — Lyon. Dr Vergely, rue Castéja. — Bordeaux. Verger (A.). — Saint-Genis-dc-Saintonge. Vergne (comte de la), Propriétaire, rue de Poissac, 1. — Bordeaux. *Verly, Rédacteur en chef de l'Echo du Nord. — Lille. Vial, Pharmacien, rue Bourdaloue, 1. — Paris. Dr Vibert. — Puy-en-Velay. *Dr Viennois, 39, quai de la Charité. — Lyon. Vignon (Léo), docteur es sciences, 4, place des Jacobins. — Lyon. Vignon (Mme), 45, rue Malesherbes. — Lyon. Dr Viguier, Pharmacie centrale, 3, rue Sainte-Marie. — Lyon. Villette (Ch.), Négociant, allées Damour. — Bordeaux. Vincent (Auguste), 9, rue d'Orléans. — Bordeaux. *Vinchon, Propriétaire, rue Traversière. — Roubaix. Violle, Professeur à la Faculté des sciences. — Grenoble. *Viollette, Doyen de la Faculté des sciences, 18, rue des Fleurs. — Lille. *Vogt (G.), Ingénieur, 14, rue de Rivoli. — Paris. Voigt, Professeur de physique au Lycée, 53, rue Malesherbes. — Lyon. Vourloud, Ingénieur civil, 4, rue Constantine. — Lyon. *Vuillemin, Directeur des Mines. — Aniche. *\Vallaert (Auguste), Filaleur, 28, boulevard de la Liberté. — Lille. 'Wallaert (Edouard), Propriétaire, rue Notre-Dame. — Lille. *D' Wannebroucq, Professeur à l'Ecole de médecine, 25, rue Beauharnais. — Lille. LVI ASSOCIATION FRANÇAISE POUIÏ L AVANCEMENT DES SCIENCES *Wartelle, Blanchisserie de fils et tissus, 191, rue Paris. — Herrin (Nord). *Watremez, Etudiant en médecine, 4, rue des Brigittines. — Lille. *Weber (Victor), Ingénieur des ails et manufactures, 6, rue des Fossés-Neufs. — Lille. Dr Wedbel H. -A.), Correspondant de l'Institut, rue de la Tranchée, 14. — Poitiers. *Weill, Ingénieur des manufactures de l'Etat, 39, rue du Pont-Neuf. — Lille. Wheeller (Silbert), Professeur de chimie, Chicago University. — Chicago (Illinois). United-States. •Wintrebert, Professeur à l'Ecole da médecine, rue du Blanc Billot, 8S. — Lille. Wittelshoffer (Bichard), Etudiant en médecine, 1, Frances Caner Piatz. — Vienne (Autriche; . Wolf, Ingénieur des ponts et chaussées, rue Paulin. — Bordeaux. Wokms 15.), 28, rue Jacob. — Paris. Worms (Fernand), 48, rue Jacob. — Paris. WoRMS, rue Laffitte, 36. — Paris. WoRMi Simon), rue de la Chaussée-d'Antin, 13. — Paris. •Woussen, Fabricant de sucre. — Houdain (Pas-de-Calais). Wurth, 6'», rue Saint-Sernin. — Bordeaux. Wyrouboff (G.), Docteur es sciences, 76, rue de Seine. — Paris. *Xambeu, Professeur au Collège. — Saintes (Charente-Inférieure). D1 Varuow (H.-C), Smithsonian Institute. — Washington [United-States . Yver (P.), ancien Élève. de l'École polytechnique, 13, rue Bleue. — Paris. Yvernès, Avocat, rue Casimir-Peret. — Béziers. *Dr Zandyck, 36, rue du Sud. — Dunkerque. LISTE DES SAVANTS ÉTRANGERS AYANT ASSISTÉ AU CONGRÈS DE LILLE.' Boi'hy (Victor), Directeur général de la Nouvelle -Montagne, à Engis (Liège . Dr Broch, de Christiania; Professeur à l'Université, ancien ministre de la marine membre de l'Académie des sciences de Christiania, Stockholm et Copenhague. Cannizaro, Sénateur à Borne. Dan Dawson, Fabricant d'aniline à Milesbridge (Angleterre). Donders (F.-C), Professeur de physiologie à l'Université d'Utrecht. De Garcia, Ex-Professeur de mécanique à l'École spéciale de la Havane (Cuba). Le Hardy de Beaulieu, Membre de la Chambre des représentants belges, Président de la Société d'Économie politique à Bruxelles. Ibanez (général), Directeur général de l'Institut géographique et statistique d'Espagne. Président de la commission du mètre à Madrid. Laussedat, Docteur en médecin;', Membre honoraire de l'Académie de médecine de Belgique à Bruxelles. .Malaise (C), Membre de l'Académie royale de Belgique, Professeur à l'Institut agri- cole de Gembloux (Belgique). Mocrlon (Michel), Docteur agrégé à l'Université de Bruxelles, conservateur au Musée royal d'histoire naturelle de Belgique. • Muspratt, de Liverpool, Chimiste-manufacturier. Negki (le Commandeur), de Turin, Président de la Société de Géographie d'Italie. Bicc.i (le Marquis), Lieutenant-général en retraite à Turin. Dr Séguin (E), de New-York, Délégué de la American médical association. Sîlvester, de Londres, mathématicien, membre de la Société royale de Londres. Van der Mensuuugghe, Professeur à l'Université de (iaml. Van Bysselhrghe, Professeur à l'Ecole de navigation de l'État à Os tende. WabloMONT, Docteur en médecine à Bruxelles. Winkler (F.-C), Docteur, conservateur au musée Teyler, à Harlem. ASSOCIATION FRANÇAISE P O U R L'AVANCEMENT DES SCIENCES ASSEMBLÉES GÉNÉRALES ASSEMBLÉE GÉNÉRALE Tenue à Lille le 27 Août 1874 Présidence de M. Ad. WURTZ, Membre de l'Institut. Président de l'Association — Extrait du procès -verbal — Le Président donne lecture du télégramme qui lui a été adressé pour l'Association française par sir J. Tyndall au nom de l'Association britannique pour l'Avancement des Sciences, réunie en Congrès à Belfast, et de la réponse qu'il a faite. Un projet de Statuts (modification des Statuts primitifs) et de Règlement a été préparé par le Conseil d'administration, conformément à une décision de l'Assemblée générale du 28 août 1813. Ce projet a été communiqué aux membres de l'Association (Documents et Informations diverses, n° S) ; un rap- port de M. le Dr Broca, rapporteur du Conseil, a été distribué pendant la session de Lille. Le Président rappelle les faits que nous venons d'exposer; il donne lecture d'une moditication .proposée par quelques membres ; puis le vote a lieu sépa- rément sur les articles modifiés et les nouveaux articles des Statuts et sur l'ensemble du projet. Les nouveaux Statuts sont adoptés. 2 ASSOCIATION FRANÇAISE Le titre I ' du Règlement (sauf l'article 8 qui, depuis la publication du projet, a été supprimé par le Conseil) est soumis au vote de l'Assemblée et adopté; les titres suivants ne sont pas soumis au vote de l'Assemblée générale, ils sont mis en vigueur après leur adoption par le Conseil d'administration. Un amendement proposé par plusieurs membres, et relatif à l'article iO, est renvoyé à l'examen du Conseil d'administration. Au nom du Conseil d'administration, le Président propose la ville de Nantes comme lieu de réunion de la session de 187o. Il rappelle que, dés l'année 1873, le Conseil municipal de la ville de Nantes et le Conseil général du département de la Loire-Inférieure ont voté éventuellement les fonds des- tinés à la session prochaine. L'Association est assurée de trouver à Nantes un concours empressé : la Société académique de la Loire-Inférieure, à l'initiative de laquelle on doit les propositions qui ont été faites, est la première société savante qui ait souscrit à l'Association comme membre perpétuel, et l'on peut être assuré que les membres de cette . Société tiendront à honneur de faire réussir brillamment cette session. Deux autres villes avaient également fait ou renouvelé une invitation : Clermont-Ferrand et la Rochelle. C'est après avoir entendu les délégués en- voyés spécialement par les villes de Nantes et de Clermont-Ferrand que le Conseil d'administration propose la ville de Nantes comme lieu de réunion de la prochaine session. L'Assemblée, consultée, adopte cette proposition. Il est procédé au vote pour l'élection d'un Vice-Président et d'un Vice- Secrétaire général. M. Faye, membre de l'Institut, est nommé Vice-Président; M. A. Cornu, professeur à l'Ecole polytechnique, est élu Vice-Secrétaire général. L'Assemblée adopte les propositions faites par les diverses sections pour la nomination des délégués. En conséquence le Conseil d'administration se trouve composé ainsi qu'il suit : BUREAU DE L'ASSOCIATION FRANÇAISE MM. An. d'EICHTHAL, Banquier Président. i-'AYE, Membre de l'Institut Vice-Président. I)r ol.l.lEH, Chirurgien titulaire de l'IIôtel-Dieu de Lyon Secrétaire général. V. CORNU, Ingénieur des minés, Professeur à l'Ecole polytechnique. Vice-Secrétaire général. <;. MASSON, Libraire-Editeur Trésorier. FRIEDEL, Conservateur à l'Ecole des mines Irchiv C.-M. G URIEL, Ingénieur des ponts et chaussées, Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris Secrétaire du Conseil. POUR L AVANCEMENT DES SCIENCES PKÉSIDENTS, SECRÉTAIRES ET DÉLÉGUÉS DES .SECTIONS 1 l'c et 2e Sections. 8e Section. 12" Section. Catalan, Président. Gosselet, Président. Vkkm.L'IL. Président. Picûi et, Secrétaire. Ortlieb, Secrétaire. FOLET, Secrétaire. Perrier. DES Cloizeaux. Chude Bernard. BOURDELtES. Chantre. Chauveau. Em. Lemoine. Lartet. Trélat. 3e et 4e Sections. 9e Section. 13= Section. Maso_uelez, Président. Haillon, Président. Barral, Président. Loche, Secrétaire. Landron, Secrétaire. Hdlssille, Secrétaire. Arson. Faivre. Clouzet . Marchegay. de Saporta. Barral. Thomas. Garreau. Corenwinder. 5e et 7e Sections. 10e Section. " 14e Section. Terquem, P résilient. C. Vogt, Président. Durand (l'abbé), Président. Mercadier, Secrétaire. Hallez, Secrétaire. Hureai; de Villeneuve, Secr. d'Almeida. L. Vaillant. DE MARSY. Xambeïï. Lafont. Hedde. Lallemand. J. Chatin. Hureau de Villeneuve. Lespiaclt. 6° Section. 11e Section. 15e Section. Viollette, Président. Broca, Président. Méniek, Président. Grimaux, Secrétaire. Pozzi, Secrétaire. G. Renaud, Secrétaire. BERTHELOT. Cartailhac. Demongeot. Gruner. de Quatrefages. Bouvet. Viollette. Dally. Alglave. Le Président déclare clos le Congrès de Lille et la session de 1874. CONGRÈS DE LILLE PROGRAMME DE LA SESSION 20 Août. — A 10 heures du matin, Conseil d'administration. — A 3 heures, Séance d'ouverture à l'Hôtel de Ville. — A 9 heures du soir, réception à l'Hôtel de Ville. 21 Août. — A 9 heures du matin, Séances de sections. — A 2 heures, Séance générale à l'Hôtel de Ville»: MM. Gosselet, Masquelez, Dubar, Giard, Renouard. 22 Août. — Excursion à Boulogne. 23 Août. — A 9 heures du matin, Séances de sections. — A 8 heures et demie du soir, au cercle du Nord, Conférence : Le passage de Vénus sur le Soleil, par M. Faye, memhre de l'Institut. 24 Août. — Excursion spéciale à Roubaix et à Tourcoing. — A 9 heures du matin, Séances de sections. — A 2 heures, Séance générale à l'Hôtel de Ville: MM. Ménier et Alglave. — A 8 heures et demie du soir au cercle du Nord, Conférence : L'aérostation et la météorologie par M. G. Tissandier. 25 Août. — Excursion à Anzin et à Denain . 26 Août. — A 9 heures du matin et dans l'après-midi, Séances de sections. — Ai heure, Conseil d'administration à l'Hôtel de Ville. — A4 heures, Conférence spéciale pour MM. les officiers de la garnison : La télé- graphie optique, par M. Laussedat, lieutenant-colonel du génie. 27 Août. — A 9 heures du matin, Séances de sections. — Al heure, à l'Hôtel de Ville, Assemblée générale. — A4 heures, banquet offert par la mu- nicipalité aux membres de l'Association. La session de 1874 a été préparée à Lille par les soins d'un Comité local dont nous donnons ici la composition. MEMBRES HONORAIRES : MM. Le Général de division Clinchant, Commandant le premier corps d'armée. Le baron Le Guay, Conseiller d'Etat, Préfet du Nord. Salmon, premier Président de la cour d'appel de Douai. Catel-Béghin, Maire de Lille. Le baron A. de Rothschild, Président du Conseil d'administration du chemin de fer du Nord. BUREAU : Président, M. Kuhlmann, Correspondant de l'Institut. Vice-Président, M. Fleury, Recteur de l'Académie de Douai. Secrétaires. M. Gosselet, Professeur à la Faculté des Sciences de Lille. M. Tekquem, — — — M. Alglave, — — — 6 ASSOCIATION FRANÇAISE POUR l/ AVANCEMENT DES SCIENCES MEMBRES : MM. D'Arras, Maire de Dunkerque. H. Bernard, Conseiller général, Président de la Chambre de Commerce de Eille. Adrien Bonté, Membre de la Chambre de Commerce. Brassart, Adjoint au Maire de la ville de Lille. •Cazeneuve, Directeur de l'École de Médecine de Lille. Chon, Président de la Société des Sciences. Corenwinder, Chimiste, Membre de la Société des Sciences. Ch. Crespel, Vice-Président de la Société industrielle. Crepin-Deslinsel, Fabricant de sucre à Denain. Isaac Crothers-Holden, Manufacturier à Croix. L. Danel, Imprimeur à Lille. C. Delattre, Vice-Président de la Société industrielle, Manufacturier à Roubaix. C. Descat, Député, Maire de Roubaix. Desmyttère, Maire de Cassel. Carreau, Professeur à l'Ecole de Médecine. Giard, Professeur à la Faculté des Sciences de Lille. Gueury, Président de la Société de Médecine de Lille. Le Roy, Président du Tribunal civil à Lille. Hamoir, Directeur des Hauts Fourneaux de Maubeuge. Aug. Longhaye. Membre de la Chambre de Commerce, Vice-Président de la Société industrielle. H. Loyer, Manufacturier à Lille. Mahieu-Delangre, Manufacturier à Armentières. De Marsilly, Conseiller général, Directeur général des mines d'Anzin. Masquelez, Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, Directeur de l'In- stitut industriel à Lille. Mathias, Membre de la Société des Sciences, Ingénieur du chemin de fer du Nord. Motte-Bossut, Manufacturier à Roubaix. De Norguet, Membre de la Société des Sciences, Secrétaire du Comité agricole. Pesier, Professeur de chimie à Valenciennes. V. Pouchain, Maire d' Armentières. Roussel-Defontaine, Membre de la Société des Sciences, Maire de Tourcoing. Terquem, Professeur d'hydrographie à Dunkerque. Vasse, ancien Professeur de physique, Maire de Douai. Viollette, Doyen de la Faculté des Sciences. Vuillemin, Directeur des mines d'Aniche. Wàllerand, Vice-Président de la Chambre consultative des Arts et manufactures de Cambrai. Wilde ht, Président de la Société d'émulation de Cambrai. Zandyck, Docteur en médecine à Dunkerque. SÉANCES GÉNÉRALES SÉANCE D'OUVERTURE 20 Août 1874. Présidence de M. WURTZ Assistaient à la séance : MM. le général Clinchant, commandant le corps d'armée du Nord et du Pas-de-Calais; Catel-Béghin, maire de Lille; Brassart, adjoint au maire ; Kuhlmann, correspondant de l'Institut et Président du Comité local ; Fleury, recteur de l'Académie de Douai, Vice-Président du Comité local ; Terquem, professeur à la Faculté des sciences de Lille, et Alglave, pro- fesseur à la Faculté de droit de Douai et à la Faculté des sciences de Lille, secrétaires du Comité local, ainsi qu'un certain nombre de savants étrangers. Les discours suivants ont été prononcés par : MM. Wurtz, président de l'Association ; Catel-Béghin, maire de Lille ; Laussedat, secrétaire général de l'Association ; G. Masson, trésorier. M. Ad. WÏÏRTZ Membre de l'Institut, Doyen de la Faculté de médecine de Paris, Président de l'Association. LA THÉORIE DES ATOMES DANS LA CONCEPTION GENERALE DU MONDE François Bacon a conçu l'idée d'une société d'hommes voués au culte de la science. Dans sa nouvelle Atlantide, où il décrit l'organisation de cette société et son influence sur les destinées d'un peuple sagement gouverné, il nous la montre s'élevant à là hauteur d'une institution d'État. Le progrès de la civili- sation par la recherche de la vérité, et la vérité reconnue, dans l'ordre de la nature, par l'expérience et l'observation, tels étaient le but proposé et le moyen mis en œuvre. Ainsi, dans un siècle où régnait encore le syllogisme et qui était loin d'être affranchi du joug de la scolastique, le chancelier d'An- 8 SÉANCES GÉNÉRALES gleterre assignait à la science à la fois sa vraie méthode et son rôle dans le monde. Le plan de Bacon embrassait tontes les branches des connaissances humai- nes. La terre était parcourue p:ir une foule d'observateurs chargés, les uns d'étudier 1rs monuments du passé, la langue, les mœurs, l'histoire des peuples. lis autres d'observer la configuration et les productions du sol, de noter la (•tructure superficielle du globe et les traces de ses révolutions, de recueillir toutes les données concernant la nature, l'organisation et la distribution des plantes et ùc^ animaux. Les sciences exactes étaient cultivées par d'autres hommes, fixés dans diverses régions. Des tours étaient construites pour l'ob- servation des astres et des météores; de vastes édifices, disposés pour l'étude des lois physiques et mécaniques, recevaient les machines qui suppléent à l'insuffisance de nos forces et les instruments qui ajoutent à la précision de nos sens et rendent sensibles les démonstrations abstraites. Ce labeur immense était continu, coordonné, contrôlé. Il avait pour mobile l'abnégation person- nelle, pour règle l'exactitude, pour sanction le temps. 11 était donc fructueux. Telle était l'idée de François Bacon. Observer toutes choses par la compa- raison raisonnée de ces observations, dévoiler les liaisons cachées des phéno- mènes et s'élever par induction à la découverte de leur nature intime et de leurs causes, tout -cela en vue « d'étendre l'empire de l'homme sur la nature entière et d"exécuter tout ce qui lui est possible », voilà le but qu'il nous a montré, voilà le rôle de la science. Cetle grande exploration de h terre qu'A voulait instituer, cette recherche patiente et exacte des lois de l'univers, cette intervention mesurée de la science dans les choses de la vie et du monde, tout cela pouvait-il être l'œuvre de son temps? Il le connaissait trop bien pour oser l'espérer lui-même, et c'est par cette raison sans doute qu'il a relégué le pays fortuné qui jouissait d'une si noble institution dans la solitude du grand Océan. 11 y a deux siècles et demi, la conception de Bacon pouvait passer pour une généreuse utopie : elle est devenue une réalité: aujourd'hui. Ce magnifique programme qu'il traçait alors, c'est le nôtre, messieurs, le nôtre, non pas dans le sens restreint du mot, car j'étends ce programme à tous ceux qui dans les temps modernes et clans tous les pays s'adonnent à la recherche du vrai, à tous les artisans de la science, humbles ou grands, obscurs ou illus- tres, et qui forment en réalité, sur tous les points du globe et sans distinction de nationalité, cette vaste association que rêvait François Bacon. Oui, la sciente est aujourd'hui un champ neutre, un bien commun, placé dans une région sereine, supérieure à l'arène politique, inaccessible, je voudrais pouvoir le dire, aux luttes des partis et des peuples : en un mot, ce bien est le patrimoine de l'humanité. Il est aussi la principale conquête de ce siècle (pie mon illustre prédécesseur a qualifié, avec tant de raison, de siècle de la science. Les générations modernes assistent, en effet, à un spectacle magnifique. Depuis cent ans, l'esprit humain a dirigé' un effort immense vers la recherche des phénomènes et. des lois du monde physique. Delà, un développement sur- prenant de toutes les sciences fondées sur l'observation et sur l'expérimenta- tion. Des idées nouvelles qui ont surgi de nos jours sur la corrélation et la AD. WURTZ. — LA THÉORIE DES ATOMES 9 conservation des forces ont été comme une révélation pour quelques-unes tic ces sciences. La mécanique, la physique, la chimie, la physiologie elle-même, y ont trouvé à la fois un point d'appui et un lien. Et ce puissant essor des idées a été soutenu par le progrès des méthodes, je veux dire par l'exactitude plus attentive des observations, la délicatesse perfectionnée des expériences, la sévérité plus rigoureuse des déductions. Voilà les ressorts de ce mouvement qui entraîne les sciences et dont nous sommes les témoins étonnés et émus. C'est pour le propager au loin dans notre pays que nous tenons, chaque année, ces assises où sont convoqués tous ceux qui participent ou qui s'intéressent à la lutte contre l'inconnu. La lutte contre l'inconnu, voilà la science; car si dans les lettres il suffit de donner une expression et dans les arts un corps à des conceptions ou à des beautés éternellement déposées, soit dans l'esprit humain, soit dans la nature, il n'en est pas ainsi clans les sciences, où la vérité est profondément cachée. Elle veut être conquise, elle veut être déro- bée, comme le feu du ciel. C'est de quelques-unes de ces conquêtes que je désire vous entretenir aujour- d'hui, plein d'incertitude et d'appréhension devant une tâche si grande. Pour répondre aux exigences de sa position et pour suivre de nobles exemples, votre président devrait, au début de cette session et des solennités qui inau- gurent notre jeune Association, tracer le tableau des progrès accomplis dans les sciences, marquer en quelques traits saillants les routes diverses qu'elle a récemment parcourues et les points culminants qu'elle vient d'atteindre. Je recule devant ce programme : s'il n'excède pas les forces de plusieurs de mes confrères et sans doute de quelques-uns d'entre vous, il dépasse largement les miennes. Moins autorisé et moins hardi que ne fut Condorcet à la fin du siècle dernier, je n'aperçois que les contours et quelques plans lumineux de l'esquisse qu'il s'agirait de tracer, et, pour la voir achevée, j'appellerai à mon aide ceux qui vont me succéder dans le poste honorable et périlleux que j'occupe. Je me bornerai donc, messieurs, à vous parler de ce que je sais ou de ce (me je crois savoir, en appelant votre attention sur la science à laquelle j'ai voué ma vie. La chimie a été non-seulement agrandie, elle a été rajeunie depuis La- voisier. Vous connaissez l'œuvre de ce maître immortel. Ses travaux sur la com- bustion ont donné à notre science une base immuable, en fixant à la fois la notion des corps simples et le caractère essentiel des combinaisons chimi- ques. Dans ces dernières, on retrouve en poids tout ce qu'il y a de pondérable dans leurs éléments. Ceux-ci en s'unissant pour former les corps composés ne perdent rien de leur propre substance : ils ne perdent qu'une chose impon- dérable, la chaleur dégagée au moment de la combinaison. De là cette con- ception de Lavoisier, qu'un corps simple tel que l'oxygène est constitué, à proprement parler, par l'union intime de la matière pondérable oxygène avec le fluide impondérable qui constitue le principe de la chaleur et qu'il nom- mait calorique, conception profonde que la science moderne a adoptée, en lui donnant une forme différente. C'est donc à tort que, dar.s ces derniers temps, 5 10 SÉANCES GÉNÉRALES on a accusé Lavoisier d'avoir méconnu ce qu'il y a de physique dans le phé- nomène de la combustion et qu'on a essayé de réhabiliter la doctrine du phlo- gistique qu'il a eu la gloire de renverser. 11 est vrai qu'en brûlant, les corps perdent quelque chose: c'est le principe combustible, disaient les partisans du phlogistique ; c'est du calorique, dit Lavoisier, et il ajoute, chose essentielle, qu'ils gagnent de l'oxygène. Ainsi Lavoisier a vu tout entier le phénomène dont le grand auteur de la théorie du phlogistique, G.-E. Stahl, n'avait entrevu que les apparences exté- rieures et dont il avait méconnu le trait caractéristique. Voilà, messieurs, le fondement, et, je le maintiens, l'origine de la chimie moderne. Est-ce à dire que le monument élevé sur ces bases par Lavoisier et ses contemporains sub- siste dans toutes ses parties, et qu'il ait été achevé à la fin du siècle dernier ? 11 ne pouvait l'être faute de matériaux, et même dans ses contours on a pu remarquer des lignes que le temps a fait disparaître. 11 a donc été agrandi et transformé en partie ; mais il repose encore sur les mêmes fondements. Tel a été dans toutes les sciences et dans tous les temps le sort des concep- tions théoriques : les meilleures comportent des obscurités ou des lacunes qui, en disparaissant, deviennent l'occasion de développements importants ou d'une généralisation nouvelle. Celle de Lavoisier embrassait surtout les corps les mieux connus de son temps, c'est-à-dire les composés oxygénés dont ses travaux sur la combustion lui avaient révélé la véritable nature. Tous ces corps sont formés de deux élé- ments ; leur constitution est binaire, mais elle est plus ou moins compliquée. Les uns, oxydes ou acides, renferment un corps simple uni à de l'oxygène ; d'autres, plus complexes, sont engendrés par la combinaison des acides et des oxydes entre eux, combinaison qui donne naissance aux sels. Ces derniers sont donc formés de deux parties constituantes, qui renferment l'une et l'autre de l'oxygène uni à un corps simple. Telle est la formule de Lavoisier sur la constitution des sels : elle est en harmonie avec l'idée fondamentale qu'il a émise sur la combinaison chimique, idée d'après laquelle tous les corps com- posés sont formés de deux éléments immédiats qui sont ou des corps simples ou, eux-mêmes, des corps composés. Cette hypothèse dualistique a été consacrée, de son temps et avec son con- cours, par la nomenclature française, œuvre de Guyton de Morveau et dont le principe peut se résumer ainsi : deux mots pour désigner chaque composé, l'un marquant le genre, l'autre l'espèce. Ainsi, une des conceptions fonda- mentales du système de Lavoisier, le dualisme dans les combinaisons, a trouvé une expression saisissante dans la structure binaire des noms et s'est comme insinuée dans les esprits par les mots mêmes de la langue chimique, et l'on sait quelle est, en pareil cas, la puissance des mots. Le grand continuateur de Lavoisier, Berzelius, a étendu à la chimie tout entière l'hypothèse dualistique de Lavoisier sur la constitution des sels. Vou- lant lui donner un appui solide, il l'a doublée de l'hypothèse électro-chimi- que. Tous les corps sont formés de deux parties constituantes, dont chacune est en possession et comme animée de deux fluides électriques. Et comme le fluide électro-positif attire l'électro-négatif, il est naturel, il est nécessaire que AD. VVURTZ. LA THÉORIE DES ATOMES H dans tout composé chimique les deux éléments s'attirent réciproquement. Ite sont-ils pas portés l'un vers l'autre par des fluides électriques de noms con- traires ? On voit que l'hypothèse de Berzelius donnait à la fois une interpré- tation saisissante du dualisme dans les combinaisons et une théorie simple et profonde de l'affinité chimique. Cette attraction élective que les dernières par- ticules de la matière exercent les unes sur les autres était ramenée à une at- traction électrique. Une autre conception théorique a donné un corps à l'hypothèse électro-chi- mique, comme elle a donné depuis une base solide à la chimie tout entière. Nous voulons parler de l'hypothèse des atomes, renouvelée des Grecs, mais qui a pris, au commencement de ce siècle, une forme nouvelle et une expres- sion précise. Elle est due à la pénétration d'un penseur anglais, Dalton, qui professait la chimie à Manchester au commencement de ee siècle. Elle était moins une spéculation pure de l'esprit, comme les idées des atomisles anciens et des philosophes de l'école cartésienne, qu'une représentation théorique le faits bien constatés, savoir de la fixité des proportions suivant lesquelles les corps se combinent et de la simplicité des rapports qui expriment les combi- naisons multiples entre deux corps. Dalton avait trouvé, en effet, que, dans les cas où deux substances se com- binent en plusieurs proportions, la quantité de l'une d'elles restant constante, les quantités de l'autre varient suivant des rapports très-simples. La découverte de ce fait a été le point de départ de la théorie atomique. Voici la substance de cette théorie. Ce qui remplit l'espace, c'est-à-dire la matière, n'est pas divisible h l'infini, mais se compose d'un monde de particules invisibles, in saisissables, et qui possèdent néanmoins une étendue réelle et un poids déter- miné. Ce sont les atomes. Dans leurs dimensions infiniment réduites, ils offrent des points d'application aux forces physiques et chimiques. Ils ne sont point tous semblables à eux-mêmes, et la diversité de la matière est liée à des différences inhérentes à leur nature. Parfaitement identiques pour un même corps simple, ils diffèrent d'un élément à l'autre par leurs poids re- latifs et peut-être par leur forme. L'affinité les met en mouvement, et lorsque deux corps se combinent entre eux les atomes de l'un sont entraînés vers les atomes de l'autre. Comme ce rapprochement se fait toujours de la même fa- çon entre un nombre déterminé d'atomes, lesquels se juxtaposent un à un, ou un à deux, ou un à trois, ou deux à trois, en d'autres termes suivant des rapports très-simples, mais invariables pour une combinaison donnée, il en résulte que les plus petites particules de cette combinaison présentent une com- position fixe et rigoureusement semblable à celle de la masse tout entière. C'est ainsi que le fait le plus considérable de la chimie, l'immutabilité des proportions suivant lesquelles les corps s'unissent entre eux, apparaît comme une conséquence de cette hypothèse fondamentale que les combinaisons chi- miques résultent du rapprochement d'atomes possédant des poids invariables. Berzelius comparait ces atomes à de petits aimants. 11 leur attribuait deux pôles où les deux fluides électriques étaient distribués séparément, mais iné- galement, de telle sorte que l'un d'eux fût en excès à l'un des pôles. Il existe, disait-il, des atomes avec excès de fluide positif et d'autres avec excès de fluide 12 SÉANCES GÉNÉRALES négatif : les premiers attirent les seconds et cette attraction, source de l'affi- nité chimique, maintient les atonies dans toutes les combinaisons. Au moment où ces dernières se forment, ils sont mis en mouvement; dans le composé tout formé, ils sont au repos et comme partagés en deux camps, à la fois rap- prochés et maintenus en opposition par les deux fluides électriques de noms contraires. On le voit, la théorie électro-chimique, ingénieusement adaptée à l'hypo- thèse des atomes, avait élevé le dualisme de Lavoisier à la hauteur d'un sys- tème qui paraissait solidement établi pendant la première partie de ce siècle. Les laits connus alors y rentraient sans peine, et les riches matériaux que la patience ou le génie des expérimentateurs amassait sans cesse étaient aussi- tôt coordonnés. Sans vouloir énumérer les travaux plus anciens relatifs à la décomposition des alcalis, à la nature du chlore reconnu comme corps simple, à divers éléments nouvellement découverts, tels que le sélénium, le tellure, l'iode, nous mentionnerons d'une manière spéciale, parmi tant de découvertes, celle du cyanogène que l'on doit à notre Gay-Lussac. C'était un grand pas dans la marche progressive de la science que la démonstration des fonctions chimi- ques de ce gaz composé qui présente les allures d'un corps simple, qui est capable de former les combinaisons les plus variées avec de vrais éléments, qui enfin, lorsqu'il est engagé dans de telles combinaisons, se prête aux doubles décompositions comme fait le chlore dans les chlorures. De là cette définition : le cyanogène est un radical composé et l'apparition triomphante de la doctrine des radicaux. Elle avait été vaguement indiquée par Lavoisier; elle date réellement de la découverte du cyanogène et elle va prendre un essor rapide. Jusque-là, les grands efforts avaient été dirigés du côté de la chimie minérale, et les grandes idées avaient surgi dans ce domaine. L'ap- plication de ces idées à la chimie organique, sur laquelle l'attention com- mença à se porter alors, présentait quelques difficultés. On sait que les corps innombrables que la nature a répandus dans les or- ganes des plantes et des animaux renferment un petit nombre d'éléments: le carbone, l'hydrogène, l'oxygène et souvent l'azote. Ce n'est donc pas par leur composition générale qu'ils diffèrent, c'est par le nombre et l'arrangement des atomes qu'ils renferment. En s'accumulant plus ou moins et en se groupant de diverses manières, ces atomes engendrent une multitude im- mense de composés distincts qui sont de véritables espèces chimiques. Mais quel est l'arrangement de ces atomes '.' quelle est la structure de ces molé- cules organiques, si semblables parla nature de leurs éléments, si étonnantes par la diversité infinie de leurs propriétés ? Berzélius avait tranché cette question sans hésiter. Assimilant les composés organiques aux corps de la chimie mi- nérale, il faisait avec les atomes des uns comme des autres deux lots, grou- pant d'un côté le carbone et l'hydrogène, électro-positifs, et de l'autre l'oxy- gène, électro-négatif. Et lorsque plus tard on eut introduit artificiellement le chlore dans les composés organiques, les atomes de ce puissant élément étaient rangés du côté de l'oxygène, tous deux étant invariablement engages dans des combinaisons binaires dont ils formaient l'élément électro-négatif, AI). WURTZ. — LA THÉORIE DES ATOMES 13 les atomes de carbone et d'hydrogène constituant le radical électro-positif. Ainsi le grand promoteur de la .chimie minérale avait essayé de façonner les molécules organiques à l'image de ces composés de la nature mort.;' qu'il avait tant étudiés. Les routes que Lavoisier avait tracées dans ce domaine, il voulut les étendre vers le monde des produits formés sous l'influence de la vie : elles ont abouti à une impasse. A mesure que les richesses de la science augmentaient il a fallu, pour soutenir le système, entasser des hypo- thèses, inventer des radicaux, construire, avec des données insuffisantes ou imaginaires, des formules de plus en plus compliquées, travail ingrat où le sentiment des réalités expérimentales et l'appréciation sobre des faits faisaient place trop souvent aux raisonnements à outrance et aux vagues subtilités. Os efforts stériles d'un grand esprit ont inauguré le déclin, sinon marqué le terme des idées dualistiques, qui étaient à la base de ce qu'on a appelé, im- proprement peut-être, l'ancienne chimie. La nouvelle va commencer désor- mais. De grandes découvertes, interprétées avec talent et hardiesse, vont lui donner une impulsion qui dure encore. II y avait alors, je parle d'il y a quarante ans, de jeunes hommes, à leur tête M. Dumas, et Liebig dans le camp opposé, qui s'adonnaient, avec ardeur, à l'étude des composés organiques. Convaincus que la constitution de ces composés ne peut être déduite que de l'étude attentive de leurs propriétés et de leurs métamorphoses, ils ont pris à tâche d'interroger les corps eux-mêmes, de les transformer, de les tour- menter en quelque sorte par l'action des réactifs les plus divers, dans l'espoir- de découvrir leur structure intime. Et c'est là, messieurs, la vraie méthode en chimie : déterminer par l'analyse la composition des corps, et par l'étude attentive de leurs propriétés fixer, autant que possible, le groupement de leurs dernières particules. C'est aussi le couronnement de notre science et l'unique mais précieuse contribution qu'elle puisse fournir pour la solution de ce pro- blème éternel: la constitution de la matière. Des recherches qui ont été faites à cette époque et dans cet esprit un fait capital s'est dégagé : il est relatif à l'action du chlore sur les composés orga- niques. Ce corps simple leur enlève de l'hydrogène et peut se substituer à cet élément, atome par atome, sans que l'équilibre moléculaire soit troublé et sans que, ajoutait M. Dumas, les propriétés fondamentales soient modifiées. Celte proposition rencontra d'abord la plus violente contradiction. Comment le chlore pourrait-il prendre la place de l'hydrogène et jouer son rôle dans les combinaisons? Ces deux éléments, disait Berzelius, sont doués de proprié- tés contraires, et si l'un fait défaut, l'autre ne saurait y suppléer, car enfin ce sont deux frères ennemis, peu disposés et nullement propres à se soutenir dans la maison. Ces critiques et bien d'autres n'ont pas prévalu contre l'au- torité des faits. La théorie des substitutions est sortie triomphante de cette grande discussion, qui marque une date dans l'histoire de notre science. Son développement naturel y a introduit peu à peu des idées nouvelles sur la constitution des composés chimiques et sur le mode de combinaison des élé- ments qu'ils renferment. Ces idées se sont fait jour par diverses comparaisons ingénieuses. Laurent 44 SÉANCES GÉNÉRALES envisageait les composés organiques comme formés de noyaux avec des appendices, les uns et les autres admettant dans leur structure des atomes groupés avec une certaine symétrie. M. Dumas les comparait à des édifices dont ces atomes constituent, en quelque sorte, les matériaux. De là l'expression pittoresque, mais pleine de justesse, d'édifices moléculaires pouvant se modifier, dans certains cas, par la substitution d'une partie à une autre, et que, dans d'au 1res cas, le choc de puissants réactifs peut faire écrouler» Dans l'une et l'autre conception, les molécules chimiques étaient envisagées comme formant un ensemble, un tout. Un peu plus tard, M. Dumas les a comparées à des systèmes, planétaires; et ici il a véritablement devancé son époque en laissant entrevoir les groupes d'atomes maintenus en équilibre par l'affinité, mais entraînés par des mouvements, comme les planètes d'un système solaire sont sollicitées par la gravitation et emportées dans l'espace. C'est dans ces mouve- ments des atomes et des molécules qu'il faudra chercher plus tard la source des forces physiques et chimiques : mais je ne veux pas anticiper sur les temps. J'ai essayé de montrer comment les idées sur la combinaison chimique se sont modifiées peu à peu sous la double influence de l'hypothèse des atomes < t des faits mis au jour par l'école française concernant leur remplacement réciproque dans les composés. Formant un tout plus ou moins complexe, les molécules des substances organiques peuvent se modifier par substitution et donner naissance à une multitude de dérivés qui se rattachent naturellement à la substance mère, à laquelle ils sont semblables. Celle-ci leur sert de mo- dèle ou de type. L'idée typique ainsi introduite dans la science y a pris bientôt une très-large place. Elle lui a apporté d'abord de précieux éléments de classification. Tous les composés dérivés par substitution d'un même corps étaient rangés dans la même famille, dont ce dernier était en quelque sorte le chef. De là des groupes de corps parfaitement distincts les uns des autres, et dont les découvertes de chaque jour multipliaient sans cesse le nombre. Il a fallu non-seulement mettre de l'ordre dans toutes ces tribus, mais les rattacher les unes aux autres par un lien commun. L'honneur d'avoir découvert ce principe supérieur de clas- sification appartient à Laurent et à Gerhardt, vaillants champions de la science, auxquels une mort prématurée a ravi, sinon la victoire, du moins les satis- factions de la victoire. Laurent a dit le premier qu'un certain nombre de composés minéraux et organiques possédaient la constitution de l'eau, et cette idée, brillamment développée par M. Williamson, a été généralisée par Ger- hardt. D'après ce dernier, tous les composés minéraux et organiques peuvent être rapportés à un petit nombre de types, dont l'acide chlorhydrique, l'eau, l'ammoniaque, sont les principaux. Dans ces composés, relativement simples, un élément peut être remplacé par un autre élément ou- par un groupe d'atomes faisant fonction de radical, de telle sorte que ce remplacement en- gendre une multitude de composés divers reliés entre eux par l'analogie de leur structure, sinon par la concordance de leurs propriétés. Ce dernier point était nouveau et important. Les corps appartenant à un même type et semblables par leur structure moléculaire peuvent différer beau- coup par Leurs propriétés : celles-ci dépendent non-seulement de l'arrangement AI). WURTZ. — LA THÉORIE DES ATOMES 15 des atomes, mais aussi de leur nature. Ainsi les corps minéraux et organiques rangés clans le type eau sont, suivant la nature de leurs éléments ou de leurs radicaux, des bases puissantes, des acides énergiques ou des substances indif- férentes, idée juste et forte, qui a établi un lien entre les corps les plus divers, et. qui a renversé définitivement les barrières que l'usage avait établies et que la faiblesse de la théorie avait maintenues entre Ja chimie minérale et la chimie organique. Et pourtant ce ne fut là qu'une étape dans la marche des idées. De quel droit et par quel privilège, a-t-on dit, les composés relati- vement simples que nous venons de nommer pourraient-ils servir de type à tous les autres, et pourquoi la nature serait-elle astreinte à façonner tous les corps sur le mode de l'acide chlorbydrique, de l'eau, de l'ammo- niaque? Cette difficulté était sérieuse; elle a été levée; elle est devenue l'oc- casion d'une discussion approfondie et le germe d'un progrès réel. Ces composés typiques représentent au fond diverses formes de combinaison dont il est nécessaire de faire remonter la diversité à la nature des éléments eux-mêmes. Ces derniers impriment à chacun de ces composés-types un carac- tère particulier et une forme spéciale. Les atomes de chlore sont ainsi faits, qu'il ne faut à l'un d'eux qu'un seul atome d'hydrogène pour former de l'acide chlorbydrique, alors qu'un atome d'oxygène prend deux atomes d'hydrogène pour former de l'eau, qu'un atome d'azote en demande trois pour constituer de l'ammoniaque, et qu'un atome de carbone en exige quatre pour devenir gaz des marais. Quelle différence dans le pouvoir de combinaison de ces élé- ments et, en quelque sorte, dans leurs appétits pour l'hydrogène ! Et cette différence ne serait-elle pas liée à quelque particularité dans leur manière d'être, à quelque propriété inhérente à la matière elle-même et qui imprimerait à chacun de ces composés hydrogénés une forme spéciale? Il en est ainsi. On admet aujourd'hui que les atomes ne sont pas immobiles, même dans les corps en apparence les plus fixes et dans les combinaisons toutes faites. Au moment où celles-ci se forment, les atomes se précipitent les uns sur les autres. Dans ce conflit, on remarque ordinairement un dégagement de cha- leur, résultant de la dépense de force vive que les atomes ont perdue dans la mêlée, et l'intensité de ce phénomène calorique donne la mesure de l'énergie des affinités qui ont présidé à la combinaison. Mais il y a autre chose dans les phénomènes chimiques que l'intensité des forces qui sont en jeu et qui s'épuisent plus ou moins par un dégagement de chaleur : il y a leur mode ; il y a cette attraction élective dont parlait Bergman il y a un siècle, et qui gouverne la forme des combinaisons. Les atomes des divers corps simples ne sont pas doués des mêmes aptitudes de combinaison, les uns à l'égard des autres : ils ne sont pas équivalents entre eux. C'est ce qu'on nomme l'atomi- cité, et cette propriété fondamentale des atomes est liée sans doute aux divers modes de mouvement dont ils sont animés. Lorsque ces atomes se combinent entre eux, leurs mouvements ont besoin de se coordonner réciproquement, et cette coordination détermine la forme des nouveaux systèmes d'équilibre qui vont être engendrés, c'est-à-dire des nouvelles combinaisons. C'est avec des atomes ainsi pourvus que les chimistes construisent aujour- d'hui les édifices moléculaires. S'appuyant à la fois sur les données de l'ana- {Q SÉANCES GÉNÉRALES lyse et sur l'étude des réactions, ils expriment la composition îles corps par des formules qui marquent la nature, le nombre et l'arrangement des atomes que renferme chaque molécule de ces corps Mais quoi! s'agit-il ici d'un exercice ingénieux de l'esprit, et cette construction de formules à l'aide de maté- riaux symboliques que l'on trie, que l'on ordonne pour donner à l'édifice moléculaire une forme déterminée, est-ce affaire de pure curiosité? En aucune façon. Ces formules, à l'aide desquelles on exprime la composition des corps et la constitution de leurs molécules, offrent, aussi un secours précieux pour l'interprétation de leurs propriétés, pour l'étude de leurs métamorphoses, pour la découverte de leurs relations réciproques, toutes choses qui sont intimement liées, pour chaque corps, à la nature et à l'arrangement des atomes. Aussi, l'investigation et la comparaison de ces formules fournissent-elles à l'esprit de recherche les éléments d'une puissante synthèse. Que de trésors acquis à la science par ce procédé, qui consiste à déduire les transformations des corps de leur structure moléculaire et à créer, par une sorte d'intuition, de nouvelles molécules à l'aide de celles que l'on connaît déjà. La formation artificielle d'une multitude de combinaisons, la synthèse de tant de composés organiques que la nature seule semblait avoir le privilège de former; en un mot la plu- part des découvertes chimiques qui ont enrichi la science et le monde depuis vinfft ans, sont fondées sur cette méthode inductive, la plus efficace et la seule rationnelle dans les sciences. Je n'en veux citer qu'un exemple entre beaucoup d'autres. Un hasard heureux amène la découverte de cette brillante matière d'un pourpre éclatant, qui est connue sous le nom de fuchsine ou de rosaniline. L'analyse en détermine la composition ; de savantes recherches en fixent la structure moléculaire. Aussitôt on apprend à la modifier, à multiplier le nombre de ses dérivés, à varier les sources de leur production, et de l'étude attentive de toutes ces réactions sort une pléiade de matières analogues dont les couleurs diverses rivalisent en éclat avec les teintes les plus riches de Farc-en-ciel. C'est une industrie nouvelle et puissante déjà qui est sortie de tous ces travaux et dont la théorie a suivi pas à pas et dirigé la féconde évo- lution. Dans cet ordre de travaux, la science a remporté récemment un de ses plus éclatants triomphes. Elle a réussi à former de toutes pièces la matière colorante de la garance, l'alizarine. Par une ingénieuse combinaison de réac- tions, et par des raisonnements théoriques plus ingénieux encore, MM. Graebe et Liebermann ont réussi à obtenir ce corps par voie de synthèse, à l'aide de Fanthracène, un des nombreux corps que l'on retire aujourd'hui du goudron de houille, la source impure de tant de richesses. Voilà une découverte qui est sortie des entrailles de la science, et de la science la plus abstraite, confir- mant des idées préconçues sur les relations de composition et de structure atomique entre Fanthracène, l'alizarine et les termes intermédiaires. Et ce no sera pas le dernier fruit de ce beau développement de la chimie. Les concep- tions futures sur la structure intime des composés organiques complexes seront autant de jalons pour de nouvelles synthèses, et les hypothèses rigou- reusement déduites des principes acquis seront fécondées par les applications les plus heureuses. Al). VVURTZ. — LA THÉORIE UKS ATOMES 17 Les matières sucrées, les alcaloïdes, d'autres corps complexes, dont ou étudie activement les propriétés et les transformations diverses, dans le but d'en dé- duire la constitution moléculaire, toutes ces matières pourront être reproduites artificiellement dès que ce travail préparatoire si difficile, et qui semble souvent ingrat, sera suffisamment avancé. Un si beau programme justifie les grands efforts qui sont faits de nos jours dans cette direction. Découvrir, analyser, étudier, classer, reproduire artificiellement tant de corps divers, en étudier la structure intime, en indiquer les applications utiles; surprendre, en un mot, les secrets de la nature et l'imiter, sinon dans ses procédés, du moins dans quelques-unes de ses productions, tel est le noble but de la science contem- poraine. Elle ne pourra l'atteindre que par les voies sûres, mais lentes, que nous venons d'indiquer : l'expérience guidée par la tbéorie. En chimie, du moins, l'empirisme a fait son temps : les problèmes, posés nettement, veulent être abordés de front, et désormais les conquêtes raisonnées et l'expérience ne laisseront qu'une place de plus en plus amoindrie aux trouvailles fortuites et aux surprises du creuset. Arrière donc les détracteurs de la théorie qui vont en quête de découvertes qu'ils ne savent ni prévoir ni préparer: ils moissonnent où ils n'ont pas semé. Mais vous, travailleurs courageux, qui tracez méthodiquement vos sillons, je vous félicite. Vous pourrez rencontrer des déceptions, mais votre ouvrage sera fructueux et les biens que vous amassez seront le vrai trésor de la science ! Cette science ne sera-t-elle pas un jour embarrassée et comme encombrée de tant de richesses, et la mémoire la plus heureuse en pourra-t-elle sup- porter tout le poids? Si ce péril existe, il ne faut point le redouter. Il suffira que tous ces matériaux soient classés pour n'être plus un embarras. Dans un édifice bien ordonné, chaque pierre a besoin d'être préparée avant de prendre sa place; mais, la construction achevée, toutes ne ressortent pas également, bien que chacune ait son utilité : seules, les fortes assises, les pierres angu- laires et les parties saillantes se font remarquer. Il en sera ainsi dans le mo- nument de la science. Les détails qui ont pour but de combler les lacunes disparaîtront dans l'ensemble, dont il ne faudra considérer que la base, les lignes principales et le couronnement. Messieurs, la chimie, ainsi constituée, et la physique ont entre elles des rapports nécessaires. L'une et l'autre étudient les propriétés des corps, et il est évident qu'en ce qui concerne les corps pondérables, ces propriétés doivent être liées intimement à la constitution de la matière. Dès lors, l'hypothèse ato- mique qui satisfait à l'interprétation des phénomènes chimiques doit s'adapter aussi aux théories pbysiques. Il en est ainsi. C'est dans les mouvements des atomes et des molécules que l'on cherche aujourd'hui, non-seulement la source des forces chimiques, mais la cause des modifications physiques de la matière, des changements d'état qu'elle peut éprouver, des phénomènes de lumière, de chaleur, d'électricité, dont elle est le support. Deux savants français, Dulong et Petit, ont découvert depuis longtemps une loi très-simple qui lie les poids des atomes aux chaleurs spécifiques. On sait que les quantités de chaleur nécessaires pour faire varier d'un degré la tem- pérature de l'unité de poids des corps sont très-inégales. C'est ce qu'on nomme 18 SÉANCES GÉNÉRALES les chaleurs spécifiques ; mais les quantités de chaleur qui font éprouver aux corps simples, pris dans des conditions où ils sont rigoureusement compara- bles, les mêmes variations de température, sont égales, si on les applique, non pas à l'unité de poids, mais aux poids des atomes; en d'autres termes, les atomes de ces corps simples possèdent les mêmes chaleurs spécifiques, bien que leurs poids relatifs soient très-inégaux. Mais cette chaleur, qui leur est ainsi communiquée et qui élève également leur température, quelle est, en réalité, son mode d'action? Elle augmente l'intensité de leurs mouvements vibratoires. Les physiciens admettent, en effet, que la chaleur est un mode de mouvement, et qu'elle devient sensible à nos organes par le fait des vibrations de la matière atomique ou de l'éther; de l'éther, ce fluide matériel parfaitement élastique, mais incoercible, impondérable, et qui remplit toute l'immensité de l'espace et les profondeurs de tous les corps. C'est au sein de ce fluide que les astres parcourent leurs orbites; c'est au sein de ce même fluide que les atomes exécutent leurs mouvements et décrivent leurs trajectoires. Ainsi l'éther, messager rayonnant de la chaleur et de la lumière, porte et distribue leurs radiations dans tout l'univers, et ce qu'il perd lui-même en énergie vibratoire, lorsqu'il pénètre dans un corps froid qu'il échauffe, il le communique aux atomes de celui-ci en augmentant l'intensité de leurs mou- vements, et, ce qu'il gagne en énergie au contact d'un corps chaud qui se re- froidit, il l'enlève aux atomes de ce dernier, diminuant l'intensité de leurs mouvements vibratoires. Et de cette façon la chaleur et la lumière, qui viennent des corps matériels, sont transmis fidèlement à travers l'espace et retournent aux corps matériels. Vous souvient-il, à cet égard, de cette parole que Gœthe met dans la bouche du prince des ténèbres, maudissant la lumièr « Elle est engendrée par les corps ; elle est émise et portée par les corps, elle périra avec eux. » Mais cet échange de forces qui circulent de l'éther aux atomes, et des atomes à l'éther, doit-il se manifester toujours par des phénomènes calorifiques ou lumineux? Cette force vibratoire qui est transmise par l'éther ne peut-elle pas être conservée et comme emmagasinée par la matière, ou apparaître sous d'autres formes? Elle peut être conservée comme affinité, dépensée comme électricité, trans- formée en mouvements dynamiques. C'est elle qui est mise en provision dans ces innombrables composés que le règne végétal élabore; c'est elle qui pro- voque la décomposition de l'acide carbonique et de la vapeur d'eau par les organes les plus délicats des plantes qui s'épanouissent au soleil. Dérobée :i cet astre, la radiation lumineuse devient affinité dans les principes organiques immédiats qui se forment et s'accumulent dans les cellules végétales. Le mode de mouvement de l'éther, qui était lumière, devient un autre mode de mouve- ment qui est affinité et qui agite maintenant les atomes d'un composé organique. A son tour cette force ainsi emmagasinée est dépensée de nouveau, lorsque les composés organiques sont détruits dans les phénomènes de combustion. L'affinité satisfaite, et comme perdue par la combinaison des éléments com- bustibles avec l'oxygène, redevient chaleur ou électricité. Ce bois qui brûle, ce charbon qui s'oxyde, font jaillir la flamme ou l'étincelle; ce métal qui AI>. WURTZ. LA THÉORIE DES ATOMES 19 épuise ses affinités en décomposant un acide, échauffe la liqueur ou, dans d'autres conditions, produit un courant électrique en l'échauffant moins, lorsque ce courant est extérieur. Et, dans un autre ordre de phénomènes, la chaleur, qui se distribue ou se propage inégalement entre deux surfaces frottant l'une contre l'autre, ou dans un cristal que l'on chauffe, ou dans deux métaux unis par une soudure, disparaît partiellement comme telle et se manifeste comme électricité statique ou comme courant électrique. Ainsi toutes ces forces sont équivalentes entre elles et apparaissent sous des formes diverses soit qu'elles passent des atomes à l'éther ou de l'éther aux atomes, mais jamais nous ne les voyons disparaître ou faiblir: elles ne font que se transformer; elles se rajeunissent toujours. Et ce n'est pas tout, ces mouvements vibratoires qui agitent les atomes et qui tourbillonnent dans l'éther peuvent engendrer des mouvements de masse, des déplacements de corps ou de molécules. Chauffez un barreau de fer, il se dilatera avec une force presque irrésistible; une portion de la chaleur sera employée à produire entre les molécules un certain écartement. Chauffez un gaz, il se dilatera de même, et une partie de la chaleur, disparaissant comme telle, aura pour effet de produire un écartement, considérable cette fois, entre les molécules gazeuses. Et la preuve de la consommation de chaleur, dans ce travail de dilatation, est. facile à donner, car si vous chauffez ce même gaz au même degré, mais en l'empêchant de se dilater, il faudra lui fournir moins de chaleur que dans le cas précédent. La différence entre les deux quantités de chaleur correspond précisément au travail mécanique qu'ont accompli les molécules du premier en se dilatant. C'est là une des considérations les plus simples sur lesquelles on ait fondé le principe de l'équivalent mécanique de la chaleur, si souvent invoqué aujourd'hui, en mécanique, en physique et en physiologie. En physique, il a expliqué le mystère de la chaleur latente de fusion et de volatilisation. Pourquoi donc la chaleur que l'on fournit sans cesse à un liquide qui bout, pour entretenir Fébullition, ne parvient-elle jamais à élever la température de ce liquide au-dessus d'un point qui demeure fixe, sous une pression constante? La raison en est que cette chaleur est absorbée sans cesse et disparaît comme telle pour produire le travail mécanique de l'écartement des molécules. Et de même dans le phénomène de la fusion, la constance de la température marque l'absorption de la chaleur qui est consommée dans le travail moléculaire. Ces conceptions ont modifié et singulièrement éclairci les définitions que les physiciens appliquent aux différents états de la matière, et l'on voit qu'elles sont en harmonie avec les théories chimiques sur la consti- tution des corps. Ces derniers sont formés de molécules qui représentent des systèmes d'atomes animés de mouvements harmoniques et dont l'équilibre est précisément maintenu et fortifié par ces mouvements. Appliqué à des molécules ainsi constituées, la chaleur peut produire trois effets différents : premièrement une élévation de température par l'accroisse- ment de l'énergie vibratoire. En second lieu, une augmentation de volume par l'écartement des atomes et des molécules, et, cette augmentation devenant très-considérable, un changement d'état, le solide se faisant liquide, le liquide 20 SÉANCES GÉNÉRALES se faisant gaz; dans ce dernier, l'écartcment des molécules est devenu immense par rapport aux dimensions de ces dernières. Enfin, agissant sur les atomes eux-mêmes qui composent la molécule et dont elle amplifie les trajectoires, la chaleur peut rompre l'équilibre qui existait dans le système, |en provoquant le conflit de ces atomes avec ceux d'une autre molécule, de telle sorte que cette rupture ou ce conflit engendre de nouveaux systèmes d'équilibre, c'est-à-dire de nouvelles molécules. Là commencent les phénomènes de décomposition, de dissociation ou, inversement, de combinaison qui sont du ressort de la chimie, et ils ne sont, comme on voit, que la continuation ou la suite des phénomènes physiques que nous venons d'analyser, la même hypothèse, celle des atonies, s'appliquant aux uns et aux autres avec une égale simplicité. Je le demande, serait-il facile de concevoir que les forces physiques et chimiques qui agissent sur les corps pondérables fussent appliquées à de la matière continue et diffuse, en quelque sorte, et n'est-il pas plus naturel de supposer que ce sont des particules limitées et définies qui représentent les points d'application de toutes ces forces? Et cette vue doit s'appliquer aux deux sortes de matière qui forment l'univers, Téther et la matière atomique, l'une infiniment raréfiée, mais homogène, remplissant toute l'étendue, et par conséquent énorme dans sa masse, bien qu'insaisissable et impondérable : l'autre discontinue, hétérogène et ne remplissant dans l'immensité qu'un espace très-restreiut, bien qu'elle forme l'universalité des mondes. Oui, elle forme tous les mondes, et les éléments du nôtre ont été retrouvés dans le soleil et dans les étoiles. Oui, les radiations émises par la matière atomique incandescente qui constitue ces astres sont aussi, pour la plupart, celles que font naître les corps simples de notre planète; merveilleuse conquête de la physique, qui nous révèle tout ensemble l'abondance des forces que nous envoie le soleil et la simplicité de la constitution de l'univers. Un rayon solaire tombe sur un prisme, il est dévié de sa marche et décom- posé en une infinité de radiations diverses. Celles-ci prennent chacune une direction particulière, et toutes vont se ranger par bandes juxtaposées et s'étaler en spectre, si l'on reçoit sur un écran la lumière ainsi décomposée et dispersée. La partie visible de ce spectre brille de toutes les couleurs de l'arc- en-ciel ; mais au-delà et des deux côtés des bandes colorées, les radiations ne sont pas absentes. Les rayons de chaleur se font sentir au-delà du rouge ; les rayons chimiques, plus puissants que les autres pour faire et défaire des combinaisons, se manifestent au-delà du violet. Toutes ces forces qui vont se mettre à l'œuvre à la surface de notre globe, comme chaleur, lumière, énergie chimique, nous sont envoyées dans un rayon de lumière blanche. •Mais ce spectre brillant n'est pas continu; Fraunhofer y a découvert une infinité de lignes noires coupant les bandes brillantes: ce sont les raies du spectre, et Kirchhoff a trouvé qu'un certain nombre d'entre elles occupent exactement les mêmes positions que les raies brillantes qui constituent les spectres des substances métalliques portées à une vive incandescence. Ce dernier physicien, généralisant une observation due à Foucault, a vu, en outre, que dans des circonstances données, ces raies brillantes pouvaient s'obscurcir et comme se renverser, devenant semblables alors aux raies obscures du AD. WUltTZ. LA THÉORIE DES ATOMES 21 spectre solaire. On a pu en conclure que colles-ci avaient une origine identique et étaient dues à des radiations émises par des substances métalliques répan- dues en vapeurs dans le globe solaire, radiations qui sont obscurcies par ces mêmes vapeurs, dans l'atmosphère du soleil. Ainsi, l'astre qui nous inonde de chaleur, de lumière et de vie, est constitué par des éléments semblables à ceux qui forment notre monde. Ces éléments sont l'hydrogène et des métaux réduits en vapeur. Ils ne sont point également distribués dans la masse du soleil et dans ses enveloppes raréfiées; l'hydrogène et les métaux les plus vola- tils s'élevant à la surface du globe à une plus grande hauteur que les autres métaux. Us n'y sont point en repos, cet océan de gaz incandescents étant agité par des tempêtes effroyables. Des trombes s'élancent en colonnes im- menses, jusqu'à 50,000 lieues au-dessus de la sphère gazeuse : ce sont les protubérances; et elles sont éclairées par une lumière rose qui leur est propre; et elles sont formées, d'après Janssen et Lockyer, par de l'hydrogène très- raréfié et aussi par une substance inconnue, l'hélium. Le globe lumineux lui-même, la photosphère, donne les spectres de nos métaux usuels, moins ceux de l'or, du platine, de l'argent, du mercure; les métaux précieux, ceux qui ont peu d'affinité pour l'oxygène, manquent dans le soleil. Par contre, on trouve dans le spectre solaire des raies étrangères à celles que donnent nos métaux terrestres, mais qui leur sont semblables. Les raies des métalloïdes sont absentes, ainsi que les bandes qui caractérisent les corps composés. La masse gazeuse est portée à une telle incandescence, que nulle combinaison chimique ne peut y résister. Les raies de Fraunhofer sont obscures: seules les lignes que fournissent les protubérances et, une seconde avant l'apparition du disque, les parties voisines du bord apparaissent sous forme de raies brillantes, comme celles qui carac- térisent les spectres fournis par les substances métalliques incandescentes, curieuses relations qui ont fourni des indications précises sur la constitution physique du soleil. C'est la chimie du soleil que je viens de vous exposer, mais le spectroscope a exploré toutes les profondeurs du ciel. Des centaines d'étoiles lui ont envoyé leur lumière, des nébuleuses à peine visibles lui ont révélé leurs radiations. La lumière, si faible quelquefois, dont brillent un grand nombre de ces étoiles, donne un spectre à raies noires, semblable au spectre solaire, preuve que la constitution de ces astres est analogue à celle de notre soleil. Aldebaran nous envoie les radiations de l'hydrogène, du magnésium, du calcium, qui abon- dent dans la lumière solaire, mais aussi celles de métaux qui y sont rares ou absents, comme le tellure, l'antimoine, le mercure. Des nébuleuses vingt mille fois moins brillantes qu'une bougie à 400 mètres ont pourtant donné un spectre; car cette lumière si faible est très-simple dans sa constitution, et le spectre qu'elle donne se réduit à deux ou trois raies brillantes, une de l'hydrogène et une autre de l'azote. Ces nébuleuses, qui donnent un spectre à raies brillantes, sont celles que les plus puissants télescopes ne parviennent pas à réduire: il y a un abîme entre elles et les nébuleuses résolubles, lesquelles, semblables aux étoiles ordinaires, donnent un spectre à raies noires. Quel effort de l'esprit huma'n! Découvrir la constitution d'étoibs dont les 22 SÉANCES GÉNÉRALES distances mêmes nous sont inconnues, de nébuleuses qui ne sont pas encore des mondes, établir une classification de tous ces astres, et, mieux encore, supputer leurs âges, ah! dites-le-moi, n'est-ce pas là un triomphe pour la science! Oui, on les a classés d'après leur ancienneté, en étoiles colorées, étoiles jaunes, étoiles blanches. Les blanches sont les plus chaudes et les plus jeunes. Leur spectre se compose de quelques raies seulement, et ces raies sont noires. L'hydrogène y domine. On y rencontre aussi des traces de magnésium, de fer, el peut-être de sodium; et s'il est vrai que Sirius ait été rouge du temps des anciens, il devait peut-être cette teinte à l'abondance plus grande de l'hydro- gène à cette époque. Notre soleil, Aldébaran, Arcturus, font partie du groupe des étoiles jaunes. Dans leurs spectres, les raies de l'hydrogène sont moins développées, mais les raies métalliques apparaissent fines et nombreuses. Les étoiles colorées sont les moins chaudes et les plus vieilles. En raison de leur âge, elles émettent la lumière la moins vive. Là, peu ou point d'hydrogène. Les raies métalliques dominent dans le spectre, mais on y rencontre aussi des cannelures ombrées, semblables aux bandes des combinaisons. La température étant plus basse, ces dernières peuvent exister, soit qu'elles constituent des atomes conjugués de la même espèce, soit qu'elles renferment des groupes d'atomes hétérogènes. En rappelant récemment cette classification du Père Secchi et la distribution des corps simples dans les diverses étoiles, M. Lockyer a fait observer que les éléments dont les atomes sont les plus légers sont répandus dans les étoiles les plus chaudes, et que les métaux à poids atomiques élevés abondent au contraire dans les astres les plus froids. Et il ajoute ceci : Les premiers élé- ments ne seraient-ils pas le résultat d'une décomposition que des températures extrêmes feraient subir aux autres, et tous ensemble ne seraient-ils pas le produit d'une condensation d'atomes très-légers d'une matière primordiale inconnue, qui est peut-être l'éther. Ainsi s'est posée de nouveau, par des considérations empruntées à la constitution de l'univers, cette question de l'unité de la matière, que la chimie avait soulevée autrefois par la compa- raison des poids relatifs des atomes. Elle n'est point résolue et il n'est pas probable qu'elle le soit jamais dans le sens qui vient d'être indiqué. Tout fait croire, au contraire, à la diversité de la matière et à la nature indestruc- tible, irréductible des atomes. Ne faut-il pas, comme l'a fait remarquer M. Berthelot, la même quantité de chaleur pour les mettre en mouvement, qu'ils soient lourds, qu'ils soient légers, et cette loi de Dulong et Petit ne doit-elle pas prévaloir, dans sa simplicité, contre l'hypothèse opposée, si ingé- nieuse qu'elle soit. J'ai essayé, messieurs, de vous retracer la marche des derniers progrès accomplis en chimie, en physique, en astronomie physique, sciences si diverses dans leur objet, mais qui ont un fond commun, la matière, et un but suprême, la connaissance de sa constitution, de ses propriétés et de sa distribution dans l'univers. Elles nous apprennent que les mondes qui peuplent les espaces infinis sont faits comme notre propre système et entraînés comme lui, et que dans ce grand monde tout est mouvement, mouvement coordonné. Mais chose nouvelle et merveilleuse, cette harmonie des sphères célestes dont parlait CATEL-BEGIIIN 23 Pythagore et qu'un poëte moderne a célébrée en vers immortels, se retrouve aussi dans le monde des infiniment petits. Là aussi tout est mouvement, mou- vement coordonné, et ces atomes dont l'accumulation constitue la matière ne sont jamais au repos. Un grain de poussière est rempli de multitudes innom- brables d'unités matérielles dont chacune est agitée par des mouvements! Tout vibre dans ce petit monde et ce frémissement universel de la matière, cette musique atomique, pour continuer la métaphore du philosophe ancien, est quelque chose de semblable à l'harmonie des mondes. Et n'est-il pas vrai que l'imagination demeure également subjuguée et l'esprit également troublé devant le spectacle de l'immensité sans bornes de l'univers et devant la considération des millions d'atomes qui peuplent une goutte d'eau? Écoutez les paroles de Pascal : « Je veux, dit-il, lui peindre non-seulement l'univers visible mais » l'immensité qu'on peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci » d'atome. Qu'il y voie une infinité d'univers dont chacun a son firmament, » sa terre, en la même proportion que le monde visible. » Quant à la matière, elle est partout la même et l'hydrogène de l'eau, nous le retrouvons dans notre soleil, dans Sirius et dans les nébuleuses. Partout elle se meut, partout elle vibre, et ces mouvements qui nous apparaissent comme inséparables des atomes sont aussi l'origine de toute force physique et chimique. Tel est l'ordre de la nature, et, à mesure que la science y pénètre davantage, elle met à jour, en même temps que la simplicité des moyens mis en œuvre, la diversité infinie des résultats. Ainsi, à travers ce coin du voile qu'elle nous permet de soulever, elle nous laisse entrevoir tout ensemble l'harmonie et la profondeur du plan de l'univers. Quant aux causes premières, elles demeurent inaccessibles. Là commence un autre domaine que l'esprit humain sera toujours empressé d'aborder et de parcourir. Il est ainsi fait et vous ne le changerez pas. C'est en vain que la science lui aura révélé la structure du monde et l'ordre de tous les phénomènes : il veut remonter plus haut, et dans la conviction instinctive que les choses n'ont pas en elles-mêmes leur raison d'être, leur support et leur origine, il est conduit à les subordonner à une cause première, unique, universelle, Dieu. M. CATEL-BEGHII Maire de Lille. Messieurs, Nous saluons avec bonheur le jour heureux où la science fait visite à l'in- dustrie. Comment, en effet, la science ne serait-elle pas la bienvenue dans la ville du travail? C'est elle qui, aidant l'industriel à franchir les limites étroites dans lesquelles il semblait renfermé, a multiplié la production, c'est-à-dire les richesses nationales. C'est la science qui, mise en éveil par les études sur la pesanteur de l'air, ^4 SÉANCES GÉNÉRALES sur la vaporisation de l'eau et sa condensation, a créé sous l'inspiration de deux génies, Papin et Watt, la machine à vapeur, cette âme de l'industrie moderne. C'est la science qui, guidée par les recherches de Galvani, nous a donné la pile de Volta, merveilleux instrument confié à l'homme pour produire, à son gré, la lumière la plus éclatante, la chaleur la plus intense, et pour lui ouvrir, jusque sur les points les plus reculés du globe, des communi- cations dont la rapidité, pareille à celle de l'éclair, a mis aux mains du com- merce le plus puissant moyen de transaction. Cette création, la plus sublime de toutes assurément, est en même temps la plus féconde par son universalité d'action. Elle renferme une force immense : nul ne peut prévoir où s'arrêtera son application. Je n'ai pas la prétention de rappeler devant vous, messieurs, les services sans nombre que la science rend à l'industrie; mais je tiens à vous dire que nous attachons le plus haut prix à ses enseignements et qu'elle est tenue en grand honneur à Lille. Le succès de notre Faculté des sciences est là pour en témoigner : nulle part les cours ne sont plus nombreux; nulle part aussi, et nous nous en glo- rifions, les municipalités ne font plus pour accroître ses moyens d'action. Le budget municipal pourvoit aux frais des cours de géologie, de géographie, d'histoire, d'économie politique, de droit commercial, de littérature française, de littérature étrangère. Ces cours sont annexés à la Faculté des sciences. Elle forme ainsi avec cette extension, avec nos cours publics de langue étrangère, avec notre École de médecine, que l'intelligente direction de M. le docteur Cazeneuve tend à élever, pour la force des études, à la hauteur d'une Faculté en attendant qu'elle en reçoive le titre, une sorte d'université qui, à défaut d'existence légale, possède du moins tous les éléments de succès que présente un centre populeux et avide de s'instruire. Car notre population ne demande pas seulement à la science ce qui peut servir à l'avancement de l'industrie. Elle ne demeure pas oisive au milieu du mouvement intellectuel qui entraîne et transforme les sociétés. Elle a ses travailleurs, ses savants, intrépides pion- niers qui étudient et scrutent le champ si vaste de la science pour préparer le chemin de l'avenir. Sans aller au delà de notre époque, et au risque de blesser la modestie de ceux d'entre eux qui nous prêtent en cet instant une oreille bienveillante, nous citerons : La famille Lestiboudois, où la culture des sciences naturelles est à l'état d'hérédité ; M. Delczenne, qui a laissé de si remarquables travaux de physique ; L'infatigable M. Kulhmann, connu de tout le monde savant par ses magni- fiques études de chimie pure, et dont on ne saurait mieux faire l'éloge qu'en rappelant h; prodigieux développement qu'il a donné à la chimie industrielle; M. Corenwinder, dont la modestie égale le savoir, et qui se repose de ses travaux de chimie en cultivant la physiologie botanique et la botanique appliquée, pour le plus grand profit des agriculteurs de notre r'gioi, don' il est le guide dévoué ; A. LAUSSEDAT. — LÀ SESSION DE LYON 23 M. de Coussemaker, à qui sa révélation de la musique du moyen âge a ouvert les portes de l'Institut; M. Meurein, dont l'esprit, préoccupé des vérités de l'ordre physique, pour- suit avec ardeur l'étude des pnénomènes de météorologie. Le goût de notre contrée pour les hautes études vous expliquera, messieurs, le vif désir qu'éprouvait la ville de Lille de vous voir tenir cette année vos grandes assises dans ses murs. Elle a voulu que l'hospitalité offerte au Congrès tût un hommage rendu à la science dans l'élite de ses représentants. Vous avez répondu à son appel avec un empressement qui nous pénètre de recon- naissance. Votre réunion marquera certainement dans les fastes de la ville de Lille. Elle sera fière de se rappeler l'honneur de votre visite et s'efforcera de s'en montrer digne en travaillant plus résolument encore au développement de ses institutions d'enseignement public. M. A. LAUSSEDAT Lieutenant-colonel du génie. LA SESSION DE LYON Messieurs, En essayant de faire un compte rendu, môme sommaire, des travaux de l'Association française pendant la session de 1873, je n'ai pas tardé à recon- naître combien la tâche que j'avais assumée était ardue, et j'ai été bien près de renoncera m'en acquitter, en me proposant de venir vous faire loyalement l'aveu de mon insuffisance. Un peu de réflexion m'a déterminé cependant à aborder cette tâche : j'ai pensé que je pouvais compter sur beaucoup d'indul- gence en échange d'une grande bonne volonté. Il vous aura suffi, en effet, de parcourir vous-mêmes le beau volume qui vous a été remis, un peu tardive- ment encore cette année (sans qu'il y ait de la faute de votre comité de rédac- tion), pour juger delà variété des sujets traités, de l'étendue et de l'importance du plus grand nombre des communications qui y sont insérées, et vous m'ex- cuserez certainement si je ne suis pas parvenu à analyser, comme il eût convenu de le faire, des œuvres dont beaucoup exigeraient une étude approfondie et une préparation qui rfie manquaient dans la plupart des cas, je n'hésite pas à le dire. Ce que vous y verrez, ce que vous savez déjà sans doute, mais que je n'ai pas moins le devoir de constater ici, c'est qu'après une année seulement d'existence de notre Association, nous avons continué à Lyon en 1873, comme nous avions commencé à Bordeaux en 1872, à nous rapprocher du but que nous nous sommes proposé: grouper en un puissant faisceau tous ceux qui ont le double culte de la science et de la patrie. Votre bureau ne doute pas que la session qui va s'ouvrir aujourd'hui dans cette grande et noble cité de Lille, si française et si éclairée, ne confirme encore une fois d'une manière éclatante l'espoir 6 26 SÉANCES GÉNÉRALES que nous avons tous de fonder une œuvre durable et de marcher en avant, toujours en avant. Cela dit, messieurs, j'arrive à mon compte rendu. Nus sessions comprennent, comme on le sait, des séances générales, des séances de sections, et des conférences, auxquelles viennent s'ajouter les dis- cussions si instructives, si intéressantes, qui naissent en présence des objets eue nous rencontrons dans nos excursions. Vous me permettrez, pour mettre un peu d'ordre dans mon exposition, et aussi pour abréger, de me référer à la division de nos travaux en quatre groupes principaux : sciences mathéma- tiques, sciences physiques, sciences naturelles et sciences économiques, et de rapporter à chacun de ces groupes non-seulement les travaux des sections, mais les conférences, les dissertations et les questions soulevées pendant les excursions. Groipe des scieïsces mathématiques. — Ce groupe contient quatre sections: les mathématiques pures et la mécanique, l'astronomie et la géodésie, la navigation, le génie civil et militaire. Le travail de mathématique le plus important qui ait été exposé dans la session de Lyon est dû à l'un de nos savants invités étrangers, M. Tchébiclief, membre de l'Académie de Saint-Pétersbourg. L'analyse mathématique des problèmes de la philosophie naturelle aussi bien que celle des problèmes de l'industrie perfectionnée, conduit souvent à des expressions algébriques qu'il paraît impossible de ramener à une forme simple, se prêtant aux applications numériques. Les efforts des géomètres se bornent alors, soit à guider les calculateurs dans la manière de diriger les essais, les tâtonnements auxquels ils doivent se livrer, soit à transformer les expressions rigoureuses , mais inabordables aux chiffres , en d'autres à peu près équiva- lentes, mais seulement approchées. Telles sont, dans bien des cas, les formules- dites de quadratures. Celle dont M. Tchébiclief s'est occupé avait déjà été l'objet des recherches de Gauss et de notre célèbre géomètre M. Hermite; c'est assez dire qu'elle compte parmi les plus difficiles de ce calcul intégral, hérissé de symboles indéchiffrables pour le plus grand nombre, mais en même temps l'instrument le plus merveilleux que l'homme ait tiré de son propre fonds, et auquel nous devons une grande part de reconnaissance, tant pour les grandes vérités qu'il a aidé à découvrir que pour les services qu'il a rendus et qu'il continue à rendre tous les jours dans les applications les plus délicates ou les plus grandioses de la mécanique. M. Tchébiclief ne s'en est pas tenu à cette communication si remarquable, il a encore indiqué une méthode pour déterminer la valeur limite de certaines intégrales-, et nous a présenté un nouveau régulateur à force centrifuge fort intéressant, surtout au point de vue théorique. Deux grands géomètres français, Poncelet et M. Chasles, retrouvant peut- être, sans le savoir positivement, d'anciennes méthodes découvertes par Euclide, et malheureusement perdues , ont fondé de nos jours une géométrie nouvello appelée géométrie supérieure, par opposition à cette vénérable géométrie élémentaire que nous connaissons tous. Ces méthodes très-délicates, intui- tives en quelque sorte, consistent surtout à opérer des transformations de A. LAUSSEDAT. — LA SESSION DE LYON L2~ figures ou de rapports de grandeurs, et à diriger ces transformations, pour les figures par exemple, de manière à eu obtenir de plus simples, dont les pro- priétés soient connues ou faciles à étudier, pour remonter de ces dernières aux propriétés des figures les plus compliquées. Un des représentants les plus distingués de cette nouvelle école, qui compte aujourd'hui en France et à l'étranger de nombreux disciples, M. Mannbeim, a exposé à Lyon plusieurs théorèmes nouveaux ou des démonstrations très-simples de théorèmes qu'il avait découverts auparavant par d'autres voies. M. E. Lemoine a aussi apporté un contingent très-recommandable de théo- rèmes de géométrie, qu'il a intitulés : « Propriétés d'un point remarquable d'un triangle », et M. Ed. Collignon a prouvé une fois de plus, par quelques exem- ples, que si la géométrie sert à résoudre les problèmes de la mécanique ration- nelle, par une heureuse réciprocité celle-ci peut, à son tour, venir en aide à la géométrie. Tout le monde connaît la règle à calculs et Farithmomètre qui rendent tant de services aux ingénieurs et à ceux qui ont à effectuer de longs calculs d'a- rithmétique. M. Marcel Deprez a voulu faire plus et donner aux calculateurs des instruments capables de résoudre pour eux les équations algébriques d'un degré quelconque. — Des tentatives avaient été déjà faites dans cette voie- cependant je ne crois pas que personne se soit avisé de moyens aussi ingénieux que ceux que propose M. Deprez. 11 me serait difficile d'en donner ici une idée même succincte, mais je suis certain que l'Association approuvera son Conseil d'administration d'avoir voté une somme de 500 francs destinée à la réalisation de l'une des machines imaginées par M. Deprez pour la résolution des équations. M. Marcel Deprez avait encore entretenu la section de mathématiques d'ap- pareils destinés à la mesure des forces variant rapidement. 11 doit revenir, je crois, sur ce sujet dans la session de Lille, et présenter ses appareils ou tout au moins les résultats des expériences qu'il a poursuivies dans le cours de cette année. Il n'y a donc pas lieu d'insister, en ce moment, sur une question qui sera traitée plus complètement devant ceux d'entre nous qu'elle intéresse et nous ne pouvons que prier M. Deprez de donner pour notre prochain recueil les mémoires qu'il nous avait promis pour celui dont j'ai l'honneur de vous rendre compte. M. Lisbonne, après avoir décrit le curieux cadran solaire du parvis de l'église de Brou, près de Bourg, cadran tracé sur le sol horizontal, et dont le style est formé par l'observateur lui-même, en a donné une construction géométrique très-simple et très-élégante. Ce cadran remonte au commencement du xvic siècle, et suppose chez son inventeur des connaissances astronomiques et géo- métriques avancées. Lalande, qui était de Bourg, n'avait pas manqué de le remarquer, et l'avait fait restaurer en 1757. La question d'un premier méridien universel et international a été soulevée par M. le docteur Hureau de Villeneuve, qui apprendra avec satisfaction, ou plutôt qui sait déjà que la même question sera mise à l'ordre du jour du pro- chain congrès géographique qui doit se tenir à Paris en 1875. La présence du savant M. Tchébichef à Lyon a fourni une heureuse occasion 28 SÉANCES GÉNÉRALES de régler une question de priorité relative à une invention mécanique de la plus haute importance. Le problème de Watt, désigné en Angleterre sous le nom de « mouvement parallèle », et que Watt avait résolu approximativement au moyen de son célèbre parallélogramme articulé, a donné lieu à de labo- rieuses recherches, auxquelles M. Tchébichef a précisément pris la {dus grande part. Les difficultés de ce problème étaient telles, qu'il était presque réputé insoluble. Cependant, dès 1865, le capitaine Peaucellier, aujourd'hui lieute- nant-colonel du génie, en avait découvert nue élégante solution qui passa trop inaperçue, bien qu'elle eût été communiquée, en 18G7, à la Société philoma- thique par M. Mannheim, qui n'insista peut-être pas assez sur son importance auprès de ses collègues. La même solution était trouvée, d'un autre côté, par M. Lipkine, élève de M. Tchébichef, et publiée, en 1871, dans le Journal des Mines, de Liège. Notre collègue, M. Lemoine, s'empressa le premier de rappe- ler à ce propos les droits du colonel Peaucellier dans le Journal tir Physique, de M. d'Almeida, et indiqua même une manière d'adapter « le losange articulé» au balancier des machines à vapeur. La question de priorité n'était pas dou- teuse, mais il convenait de fournir à M. Tchébichef, qui s'intéressait naturelle- ment beaucoup à l'invention de son élève et ami M. Lipkine, toutes les preuves qu'il pouvait désirer. M. Mannheim se chargea de ce soin, et nous avons eu la satisfaction de constater avec quelle loyauté M. Tchébichef se montra con- vaincu. Un journal scientifirjuc anglais, the Iron, nous a apporté depuis une nouvelle confirmation de la reconnaissance pleine et entière des droits de notre compatriote. L'illustre professeur Sylvester, à qui M. Tchébichef fit connaître, en quittant Lyon, l'invention et ses auteurs, a fait à l'institution royale de Londres une conférence enthousiaste sur « le mouvement parallèle de Peaucel- lier » et sur ses merveilleuses propriétés géométriques et mécaniques. Le pro- fesseur Sylvester est allé jusqu'à dire que, depuis la vis d'Archimède, on n'a- vait peut-être rien imaginé, en mécanique, d'aussi ingénieux et d'aussi fécond, et il a annoncé qu'une application allait en être faite incessamment à une ma- chine fixe en construction pour le service du Parlement anglais. Je n'ai pas cru devoir passer sous silence cet épisode de la session de Lyon qui fait honneur à tous : Français, Anglais et Russes, et qui témoigne hautement de l'utilité de ces réunions, de ces assises pacifiques, exemptes du formalisme officiel, où de- vraient être réglées, où l'on prendra sans doute l'habitude de régler les ques- tions du même ordre que celle dont je viens de vous entretenir. Je voudrais pouvoir vous dire maintenant quelques mots de la conférence de M. Janssen sur la constitution physique du soleil; malbeureusement, cette con- férence a eu lieu le jour de l'excursion à la Youlte, à laquelle j'avais pris pari, et M. Janssen ne l'a pas publiée. Mais les travaux de l'intrépide et heu- reux missionnaire de l'Académie des sciences sont bien connus, et nul doute qu'en revenant du nouveau voyage qu'il entreprend en ce moment même, pour aller observer au Japon le prochain passage de Vénus sur le soleil, il ne reprenne et ne complète devant l'Association le récit de ses belles décou- vertes. Je dois immédiatement rapprocher des travaux mathématiques la remar- quable étude de M. Marchegay, sur le vélocipède ou véhicule bicycle. Quand A. LAUSSEDAT. — LA SESSION DE LYON 29 nous voyons dans nos rues ces cavaliers d'un nouveau genre courir avec une rapidité vertigineuse, l'idée qui nous vient, naturellement, c'est qu'ils accom- plissent des prodiges d'adresse, et nous tremblons pour eux et un peu pour nous-mêmes quand ils nous effleurent de trop près. Les géomètres y ont vu tout autre chose, et M. Marchegay, notamment, a su y découvrir d'abord, au point de vue cinématique , des théorèmes très-curieux concernant les pistes des deux roues, les vitesses et les accélérations des points d'appui de ces roues; il a en outre étudié l'équilibre et la direction de l'appareil pendant qu'il avance, les résistances vaincues, et enfin déterminé les meilleures conditions du moteur animé, c'est-à-dire de celui qui monte le vélocipède. M. Marchegay arrive à cette conclusion qu'il est préférable, pour un homme de taille moyenne, (remployer une assez grande roue motrice, mais de ne pas dépasser le dia- mètre de Jm,2Q dans les courses de fond, et, de descendre à lm,15 en voyage. Je ne veux pas ici répéter les conseils que M. Marchegay donne aux vélocipé- distes, mais j'engage beaucoup ceux d'entre eux qui peuvent m'entendre à lire avec attention l'intéressant mémoire dont je n'ai pu leur donner qu'une idée très-incomplète. J'ajouterai une remarque qui a peut-être été déjà faite : l'u- sage du vélocipède tendant à se répandre, ne pourrait-on pas songer à en tirer parti à la guerre, pour faire porter des dépêches, par exemple? On sait, dès à présent, qu'il n'y a rien d'exagéré à demander à un vélocipédiste exercé de fournir une course de cinq à six heures par jour, avec de légers temps d'arrêt, à la vitesse de 16 kilomètres à l'heure. Je me contente de poser la question, sans prétendre la résoudre; mais je serais bien surpris si ce nouvel engin, dont, par parenthèse, on ignore l'inventeur, n'était pas appelé assez prochai- nement à rendre des services à l'armée, comme il en rend déjà à l'industrie. Notre infatigable collègue, M. Bergeron, a donné sur la grande entreprise du percement du Saint-GoLhard et sur le gigantesque projet du tunnel sous la Manche les détails les plus intéressants, que je vais m'efforcer de résumer. Le tunnel du mont Cenisaun peu plus de 12 kilomètres de longueur, et a été exécuté en quinze ans environ. Celui du Saint-Gothard aura un peu moins de 15 kilomètres, et l'habile entrepreneur, M. Louis Favre, de Genève, s'est en- gagé à le terminer en huit années. Naturellement, l'expérience acquise au mont Cenis est mise à profit au Saint-Gothard. Déjà on emploie là des ma- chines perforatrices plus puissantes et le secours de la dynamite; cependant, les journaux américains ayant annoncé que les ingénieurs de leur pays se fai- saient forts de percer, dans les montagnes Rocheuses, un tunnel de près de 20 kilomètres en quatre ans, M. Bergeron, sans connaître les moyens dont ces ingénieurs comptent faire usage, suggère l'idée que ce pourrait être quelque chose d'analogue au marteau-pilon du capitaine anglais Penrice, mis en mou- vement par l'air comprimé ou la vapeur, et fonctionnant à peu près comme le bélier qu'employaient les Romains pour creuser leurs longs aqueducs sou- terrains. M. Bergercn estime que l'entrepreneur du tunnel du Saint-Gothard gagnerait plus de deux ans en taisant usage du marteau-pilon du capitaine Penrice, auquel il propose lui-même quelques modifications. Quoi qu'il en soit, personne ne doute aujourd'hui qu'avant la fin de l'année 1880, l'Allemagne ne soit en communication directe avec l'Italie, à travers la Suisse et le 30 SÉ VNCES GÉNÉRALES Saint-Gothard. C'est un fait qui ne saurait être indifférent pour personne. La réunion de la France à l'Angleterre, à travers le détroit qui a donné son nom à un département voisin, ne serait pas, à coup sûr, un fait moins intéres- sant. M. Bergeron ne l'examine, bien entendu, qu'au point de vue de l'ingé- nieur. Il rappelle que le nom d'un de nos compatriotes, M. Thomé de Gamond, est lié pour toujours à l'idée du percement du tunnel sous la Manche; car, pour la faire triompher, il y a consacré sa fortune et trente-cinq aps de sa vie. Ln célèbre ingénieur anglais, M. J. Hawksha'W, a contribué .beaucoup, de s&ii- côté, à la faire progresser. Quand on parle de ce projet, de creuser une galerie sous la Manche, la pre- mière objection qui se présente, c'est que cette galerie sera exposée à être inon- dée. Or, l'expérience est faite, sous ce rapport, dans des mines sous-marines et dans des terrains tout aussi perméables à l'eau que la craie qui forme le fond du détroit, et l'eau qu'on y rencontre, et qui gêne les mineurs, n'est pas celle qui vient du côté de la mer, mais celle qui vient du côté de la terre. La seconde objection se rapporte à la dépense et au temps considérable que né- cessiterait le travail ; mais il résulte , de calculs fondés sur des observations auxquelles ont donné lieu le percement de nombreux tunnels de chemins de fer, qu'avec 120 millions de francs, et dans dix à douze ans au plus, l'œuvre pourrait être achevée. Si ces calculs sont exacts, ce siècle, qui a déjà vu s'ac- complir tant d'entreprises réputées à peu près impossibles, pourrait bien joindre à sa liste le chemin de fer sous-marin entre la France et l'Angleterre. Le problème de la stabilité des navires au repos et en mouvement a été abordé successivement, pour sa première partie, par Euler, Bouguer, Borda, Ch. Dup'm et M. Reech. Les lois qu'ils ont établies pour le cas du repos en mer calme, et qui servent habituellement de guides aux constructeurs, sont cependant loin de suffire pour permettre d'arrêter définitivement un projet, et il serait même dangereux de les appliquer d'une manière absolue. Il faut que la science, au- trement difficile, des mouvements du navire dans une mer agitée, intervienne, et cette science est loin d'avoir dit son dernier mot. M. Yillaret, sous-ingénieur de première classe de la marine française, aurait désiré passer en revue les travaux remarquables publiés à ce sujet par MM. Moseley, Scott Russel, Rankine, Froude et Reed, en Angleterre, et ceux non moins importants de MM. Reech, Dupuy de Lôme, Ch. Brun, Ch. Antoine, Bertin, de Benazé, et d'autres ingénieurs français. Le temps a manqué à M. Yillaret, prévenu trop tard de l'invitation qui lui avait été adressée pour le congrès de Lyon; mais il n'a pas moins voulu nous donner une idée de la nature des questions si im- portantes, aussi bien pour l'avenir de la marine marchande que pour celui de la marine militaire, dont s'occupent à l'envi les ingénieurs des deux grandes puissances navales de l'Europe. M. Yillaret nous a offert d'abord la traduction d'un très-curieux mémoire de M. Reed sur la propulsion des navires, qui est publiée dans notre compte rendu, et plusieurs autres documents qui sont dé- posés dans nos archives. Ce que j'ai dit, d'après M. Yillaret, du problème qui occupe les ingénieurs de la marine, suffit pour faire pressentir que les res- sources de l'analyse et de la mécanique, et je pourrais ajouter de la physique, ne sont pas de trop pour le résoudre. A. LAUSSEDAT. — LA SESSION DE LYON 3i On en peut dire autant du problème de l'artillerie dont un autre de nos invités, M. le capitaine André, est venu exposer les conditions et les diffi- cultés devant la section de physique, en rappelant que les remarquables progrès accomplis par l'artillerie française, peu de temps avant la campagne d'Italie, avaient coïncidé, ou du moins suivi de très-près la magnifique théorie des rotations donnée par Poinsot en 1852. Notre collègue à titre temporaire aurait pu ajouter au nom de Poinsot celui de Poisson, dont le projectile idéal, déduit de la théorie, n'a pas encore été essayé comme il mériterait d£ l'être. Personne, parmi nous, ne doute de l'influence considérable qu'exerce la science, en général, sur les progrès des arts de la guerre aussi bien que sur ceux des arts de la paix ; mais il est bon de saisir toutes les occasions de répéter que ce qu'on appelle « les sciences abstraites », et que trop de gens sont portés à dédaigner, pour ne pas vouloir prendre la peine de les étudier, leur rendent, sans doute à leur insu, les plus incontestables services. Après avoir ainsi mentionné les communications relatives à la guerre et à la marine faites par deux hommes du métier, je ne changerai pas de sujet en signalant le mémoire de M. Ed. Piette, de Craonne, sur « les lignes défen- sives de la France ». Je ne pourrais pas, sans entrer dans beaucoup de dé- tails, examiner, au point de vue critique, le mémoire de M. Piette, qui renferme d'ailleurs une description très-bien faite du bassin de Paris et des collines concentriques qui le forment et le protègent. M. Piette est géologue, et s'est pénétré, à n'en pas douter, des idées si éloquemment exposées par M. E. de Beaumont, dans son introduction à la Description de la carte géolo- gique de la France. Je ne lui en fais pas un reproche, loin de là, mais je crois devoir le mettre en garde contre des idées trop systématiques par les- quelles tous, tant que nous sommes, nous nous laissons souvent séduire. Ainsi, je relève encore dans son mémoire cet aphorisme stratégique : « Ce n'est ni la frontière ni une ligne parallèle à la frontière qu'il faut fortifier, c'est le chemin que suit l'envahisseur. » Sans aucun doute il faut fortifier, non pas la ligne, mais les lignes d'in- vasion, malheureusement nombreuses et devenues si dangereuses, depuis qu'une plaie béante saigne au flanc de la patrie mutilée; mais les meilleures formules ne valent rien quand on leur donne un sens trop absolu, et M. Piette lui-même l'a sans doute compris, lorsqu'il a indiqué, à la fin de son mémoire, indépendamment du camp de la montagne de Reims et des positions d'Épernay et du mont Prouvais, une foule d'ilôts tertiaires qu'il conviendrait de fortifier et qui formeraient autour de Paris comme un vaste demi-cercle de fer et de feu de trente lieues de rayon, dont les extrémités s'appuyeraient sur la Seine et sur l'Oise. Ce serait là, que M. Piette me per- mette de le lui faire observer, une ligne parallèle à la frontière, quoique déjà bien éloignée et dont l'efficacité, en raison de la concentration, de la conden- sation de la résistance, qu'il a sans doute voulu créer, est au moins discuta- table ; mais, d'ailleurs, comment peut-il se résigner à laisser sans protection nos provinces de l'Est (1). Ne craindrait-il pas qu'en se voyant ainsi aban- (i) Une note rectificative, que l'on trouvera plus loin dans ce volume, m'a été adressée par 32 SÉANCES GÉNÉRALES données, en quelque; sorte, à l'ennemi, elles ne fussent hantées par la mau- vaise pensée de se croire détachées de leur devoir envers une patrie qui se confinerait, pour ainsi dire, dans l'Ile-de-France. Je reconnais d'ailleurs hau- tement l'excellence des intentions de M. Piette et je vais plus loin, je souhaite qu'il continue et que d'autres hommes instruits comme lui entreprennent des études topographiques aussi soignées que celles dont je viens de m'occuper. C'est un symptôme rassurant que de voir des hommes, qui ont sans doute d'autres devoirs à remplir, employer leurs loisirs à méditer sur les moyens de protéger leur pays contre de nouvelles entreprises d'invasion. Il ne doit y avoir, d'ailleurs, j'en suis certain, aucune préoccupation d'amour-propre dans ces projets sou nus à l'appréciation de tous. Aussi terminerai -je la critique que je me suis permis de faire des idées de M. Piette par ces excellentes paroles que le général Duvivier avait écrites à la suite d'un semblable projet de dé- fense générale de la France, dont il était l'auteur, et que chacun de nous devrait souvent avoir à s'appliquer : « Les erreurs d'un citoyen qui rêve l'in- dépendance et le bonheur de son pays sont toujours respectables. » Nous resterons dans la région où le mémoire de M. Piette vient de nous conduire, en passant à l'examen de celui de M. Hirsch, intitulé : Des voies navigables dans l'est do la France. M. Hirsch fait un historique sommaire et une description très- instructive des canaux de l'Est qui existaient avant la guerre et de ceux qui sont en cours d'exécution ou projetés. 11 a accompagné cette étude d'une carte topographique qui orne notre volume. On sait que les travaux de canalisation entrepris au commencement de ce siècle furent con- sidérablement ralentis lors de la création des chemins de 1er. Les industriels alsaciens, frappés de l'insuffisance de ces nouveaux moyens de transport poul- ies matières lourdes et encombrantes, prirent l'initiative de l'amélioration et de l'achèvement des voies navigables, dans les deux départements du Haut et du Bas-Rhin. Une souscription ouverte à Strasbourg, à Colmar et à Mulhouse produisit 12 millions en trois jours; les travaux, commencés en 1862, furent terminés en 1806 et les résultats, au point de vue du trafic, dépassèrent toutes les espérances. Le développement incessant de l'industrie dans ces belles provinces d'Alsace et de Lorraine appelait d'autres améliorations : la canalisation de la Moselle et le canal de Vitry à Saint-Dizier étaient entrepris peu de temps après et d'autres mis à l'étude. La guerre est venue interrom- pre ces travaux et tarir une source de richesse pour les populations qui avaient eu le mérite de les concevoir et de les exécuter. Aujourd'hui, la frontière que nous a imposée le vainqueur coupe la Moselle en amont de Metz, le canal de la Marne au Rhin et le canal du Rhône au Rhin. Les communications par eau se trouvent interceptées entre l'est de la France et le bassin houiller de la Belgique d'une part, et de l'autre entre le nord-est et le midi de la France. C'est pour rétablir ces communications que sont projetés et déjà en coins d'exécution la canalisation de la haute Moselle et le canal de la Meuse à la M. Piette. Je suis heureux de reconnaître que j'avais été induit en erreur, faute d'avoir eu sous les yeux le mémoire complet dont il est question dans sa note, et que M. Piette avait adressé à M ïhiers. A. LAUSSEDAT. — LA SESSION DE LYON 33 Moselle et à la Saône, qui permettra à un bateau chargé de se rendre de Marseille à Anvers. L'alimentation du canal de la Meuse à la Moselle et à la Saône est assurée par les nombreux cours d'eau des Vosges et par les beaux lacs de Gérardmer, de Longemer et de Retournemer transformés en réservoirs. Ce projet, dont l'importance générale ne saurait taire l'objet d'un doute, présente cet intérêt particulier que les populations d'Alsace-Lorraine ont émi- gré en grand nombre dans la Lorraine restée française, et qu'il s'agit de les mettre en état de continuer les grandes traditions industrielles qui ont fait, surtout depuis le commencement de ce siècle, la fortune et la gloire de ces beaux pays devenus allemands par la force, mais [que rien ne saurait empê- cher de rester français au fond du cœur. M. Hirsch expose dans son mémoire les desiderata de la navigation par canaux. Un autre ingénieur dont les idées font autorité dans cette matière, M. de Lagrené, avait déjà présenté de son côté un résumé très-substantiel des questions relatives au perfectionnement des voies navigables en France. Je ne saurais mieux faire que de transcrire ici les conclusions de ce travail, parce qu'elles intéressent au plus haut degré le département du Nord lui-même, qui possède déjà de nombreux canaux, et qui, en connaissant tout le prix, doit applaudir sûrement à tous les progrès de ce mode économique de com- munication. Voici le programme un peu abrégé des réformes proposées par M. de Lagrené : 1° Donner aux écluses des dimensions uniformes ou approebant ; 2° Adopter comme type de bateau la péniche du nord légèrement mo- difiée ; 3° Adopter une section de voie navigable compatible avec la navigation à vapeur; 4° Avoir partout une chaîne ou un câble de touage ; r>° Diminuer le temps de passage aux écluses ; G° Appliquer la vapeur aux chargements et aux déchargements ; 7° Utiliser la chute des barrages ; 8° Livrer à l'agriculture la plus grande quantité d'eau possible. Les effets de l'adoption de ce programme sont incalculables. M. de Lagrené craint qu'on ne se décide pas à corriger immédiatement ce que nos voies navigables ont de contraire à ces principes; mais il demande du moins qu'on en ait un dont on ne s'écarte pas dans les nouveaux travaux et dans les améliorations projetées, au fur et à mesure qu'elles seront entreprises. M. de Lagrené aurait encore voulu expliquer en quoi consistent les bar- rages mobiles qui permettent l'utilisation complète des cours d'eau, et dont l'origine est exclusivement française. Espérons qu'il entretiendra bientôt l'As sociation de cet intéressant sujet. Je dois encore signaler à votre attention, à cause des nombreuses applica- tions dont il est susceptible, le procédé de fondations tubulaires par percus- sion décrit par M. Bourdelles, et qui a parfaitement réussi à Lorient où il a été expérimenté récemment. M. Bourdelles pense qu'il pourrait être avanta- geusement employé, notamment au foncement de puits artésiens en Algérie. 34 SÉANCES GÉNÉRALES Me voici arrivé, messieurs, à la fin de l'exposé des travaux du premier groupe auquel j'appartiens. J'ai dû, pour ne pas l'allonger démesurément, laisser de côté quelques communications, et je prie leurs auteurs de m'excu- ser. Je serai encore plus bref naturellement, en rendant compte des travaux des trois groupes suivants, pour la raison que j'ai déjà avouée, dès le début, c'est-à-dire parce que, bien souvent, je me suis senti au-dessous de la tâche de rapporteur. Groupe des sciences physiques. Physique, ntétéorolpgie, physique du globe, chimie. — Jje dois vous prier de remarquer, quand vous ouvrirez notre compte rendu, que plusieurs des plus importants mémoires de physique pré- sentés à Lyon n'y figurent que par des extraits du procès-verbal, ces mé- moires ayant été publiés antérieurement ou postérieurement à la session dans des journaux scientifiques. Telles sont les études de M. Mercadiersur l'électro- diapason et sur le mouvement d'un fil élastique,, les observations délicates de M. Lallemand sur l'illumination et la fluorescence, enfin les recherches ingé- nieuses de M. Merget sur la diffusion des vapeurs mercurielles, l'emploi des gaz comme révélateurs et l'influence de l'état moléculaire des corps sur la sensibilité qu'ils manifestent sous l'action de la lumière. Ces recherches qui ont pour objet d'éclairer certaines questions de physiologie végétale et d'offrir de nouvelles ressources à l'art du photographe, ont été grandement appréciées par la section de physique. Votre conseil d'administration a été heureux de pouvoir offrir à M. Merget une subvention de iOO francs pour l'aider à les poursuivre. M. Merget a encore présenté à la section un exposé de l'organi- sation du musée technique de Lyon, institution analogue au Conservatoire des arts et métiers de Paris, due à l'initiative de la municipalité lyonnaise : il a appelé l'attention sur les remarquables modèles que M. Bénévolo a construits pour ce musée, et qui sont destinés à la démonstration expérimentale des principes sur lesquels sont fondées la télégraphie, la galvanoplastie, les ma- chines électro-magnétiques et la photographie. S'associant à un vœu exprimé par la section de physique, pour la vulgarisation de la science à l'aide d'ap- pareils bien conçus, votre conseil d'administration a encore voté une somme de 200 francs pour encourager M. Bénévolo à en construire de nouveaux. La détermination de l'attraction et de la densité moyenne de la terre, en- treprise par MM. Cornu et Baille et poursuivie depuis plusieurs années par eux, au moyen de la méthode de Cavendish, notablement perfectionnée dans ses détails, a fait l'objet d'une première communication de la part de l'un des auteurs. Il y a lieu de supposer que les résultats de ce travail de longue haleine seront prochainement présentés à l'Association. Enfin, parmi les mémoires dont notre compte rendu ne renferme que des extraits, je citerai encore celui de M. Dufour, de Lausanne, sur les variations de température qui accompagnent la diffusion des gaz, et le vernier de vernier de M. le commandant Mannheim, destiné, comme son nom le fait pressentir, à accroître la précision des mesures micromélriques. Le premier mémoire complet que contient notre recueil est dû à l'un de nos plus éminents imités, M. Soret, de Genève1. Nous sommes sans doute accoutumés aux merveilles que le spectroscope sert à découvrir^ mais accroître A. LAUSSEDAT. — LA SESSION DE LYON 35 sa puissance, ce n'est pas moins nous ménager de nouvelles surprises. On y est parvenu déjà à l'aide de la photographie et de la fluorescence qui permettent de scruter la partie ultra- violette du spectre. M. Soret propose également d'employer la fluorescence, mais au lieu d'opérer par projection dans une chambre obscure, il construit un spectroscope à oculaire fluorescent. Cet oculaire se compose d'une lame de verre d'urane, de bisulfate de quinine ou bien encore d'esculine en dissolutions peu concentrées, contenues entre ^eiix James de vefrre mince écartées de lnv» à lTOm,5, qui donnent très-netto ment, à la lumière solaire, le spectre depuis les raies H jusqu'aux raies N et même 0. Avis aux spectroscopistes qui ne manqueront certainement pas d'utiliser une métbode aussi simple qu'ingénieuse. Tout le monde s'est occupé plus ou moins, depuis quelque temps, de l'ob- servation du prochain passage de Vénus, pour laquelle les principales nations de l'Europe et les États-Unis d'Amérique font entreprendre, à grands frais, de lointaines expéditions. Les méthodes d'observation et les instruments qu'on doit leur appliquer sont assez variés, mais la photographie est appelée à y jouer un rôle important. Les Anglais, les Russes, les Américains, les Alle- mands, les Portugais et les Français s'en serviront. L'une des principales difficultés que Ton a rencontrées quand on a voulu photographier les images des corps célestes au foyer d'une lunette, au lieu de les y observer directement optiquement, a consisté en ce que le foyer chimique, celui de certains de ces rayons obscurs ultra- violets dont je parlais tout à l'heure, ne coïncide pas natu- rellement avec le foyer optique ou des rayons de la partie brillante du spectre. Plusieurs solutions de cette difficulté avaient été déjà données, notamment aux États-Unis, par M. Rutherfurd, à qui l'on doit d'admirables photographies de la lune ; mais la méthode de M. Rutherfurd était coûteuse, et il était sur- tout à désirer de trouver un moyen d'obtenir des images au foyer d'une lunette astronomique, sans altérer ses propriétés optiques. C'est à quoi notre habile et laborieux collègue, M. Cornu, est parvenu. Son procédé consiste sim- plement à séparer l'un de l'autre, d'une certaine quantité, les deux verres, crown et flint, qui forment l'objectif de la lunette. Quand on veut observer optiquement, avec cette même lunette, on n'a qu'à rapprocher les deux verres en contact. 11 était impossible de rien imaginer de plus simple et de plus économique. M. Cornu a eu soin de faire remarquer que sa méthode d'achro- matisme chimique était générale, et qu'elle pouvait s'appliquer à la solution d'une foule de questions de physique, d'astronomie et de micrographie. Il ne me sera pas aussi facile de vous donner une idée des investigations délicates» de M. Friedel sur les relations qui peuvent exister entre les propriétés thermo-électriques et la forme des corps cristallisés. Les tentatives que ne cessent de faire les physiciens minéralogistes, pour arriver à pénétrer le secret de la structure intime des minéraux et les lois de la physique moléculaire, ont une grande portée au point de vue philosophique. Les recherches de M. Friedel appartiennent à cet ordre d'idées, mais c'est tout ce que je puis en dire ici, à cause de l'impossibilité d'exposer, en langage ordinaire, des considérations qui exigent inévitablement l'emploi d'un vocabulaire peu répandu. C'est à un grand physiologiste italien que la physique est redevable de la 30 SÉANCES GÉNÉRALES découverte des merveilleux effets de l'électricité dynamique ; il est donc bien naturel que les progrès de la science de l'électricité viennent en aide, de leur côté, à la physiologie. Les appareils dont on se sert communément dans les laboratoires pour étudier les rapports qui existent entre les excitations électro- physiologiques et l'intensité de l'agent excitateur, sont de simples piles à cou- rants continus. L'emploi de ces courants est commode, mais il n'est pas sans inconvénients, à cause des effets électroly tiques perturbateurs exercés sur les tissus excités par le moindre courant. M. le professeur Chauveau a démontré de la manière la plus rigoureuse, qu'on évitait ces inconvénients en substituant aux courants continus des courants instantanés qui ne donnent pas le temps à l'électrolyse de se produire, d'une manière sensible, et qu'il obtient en utili- sant la tension électroscopique des circuits voltaïques fermés. M. le professeur Chauveau s'appuie, pour justifier la disposition qu'il a adoptée pour son appareil, sur la théorie mathématique des courants de Ohm ; en se fondant, d'un autre cô.té, sur les expériences faites sur les fils télégraphiques, pour mesurer le temps de la charge dynamique, il montre que ce temps pour le fil très-fin de platine de 20 mètres de longueur qui lui sert à fermer son circuit est tout à fait négligeable. De nombreuses expériences faites sur la grenouille galvano- scopique et enregistrées sur un cylindre tournant, qui marchait avec une grande lenteur, sont venues justifier toutes les prévisions de M. Chauveau, qui a ainsi doté les laboratoires de physiologie d'un instrument de recherches d'une grande précision. En abordant les travaux de la section de chimie, je suis obligé de répéter ce que je disais, il y a un instant, à propos des recherches de physique miné- ralogique de M. Friedel. Je suis très-peu versé moi-môme dans les théories de la chimie organique moderne, mais fussé-je tout à fait au courant de ces théo- ries, qu'il me serait bien difficile de faire apprécier dans cette réunion, comme ils le méritent, sans aucun doute, les mémoires de M. Gautier sur un nouvel isomère de la saccharose, de M. Grimaux sur les composés de la série aroma- tique, de MM. Friedel et Silva sur la pinacone et ses dérivés, de M. Donato Tomassi sur une combinaison de l'urée avec l'acétyle chloré, de M. Riban sur l'isomérie des carbures d'hydrogène, etc. Je ne pourrais pas davantage faire connaître les procédés délicats d'analyse de MM. Schutzenberger et Ch. Risler pour reconnaître et doser î'osygène dissous, la méthode de réduction des alcools polyatomiques de M. Ilenninger, les recherches de M. Vignon sur la mannitane et celles qu'ils a entreprises pour étudier l'action de l'amalgame de sodium sur les sels ammoniacaux. C'est seu- lement entre eux, en famille, que les chimistes, nos collègues, peuvent traiter toutes ces questions dans une langue interdite aux profanes; ce qui ne doit pas nous empêcher de leur vouer une vive reconnaissance pour les résultats pré- cieux, à tant de points de vue divers, qu'ils obtiennent dans leurs laboratoires. Je ne me permettrai donc, dans ce qui va suivre, que de citer ceux de ces résultats dont nous pouvons comprendre l'intérêt immédiat. Le premier que je trouve dans le compte rendu se rapporte à la découverte d'un minerai de bis- muth en France, et à son analyse par M. Adolphe Carnot. C'est la première fois que le bismuth est signalé sur notre sol. Il est d'ailleurs A. LAUSSEDAT. — LA SESSION DE LYON 'M si rare, que la Saxe a eu pendant longtemps le monopole de son exploitation. Nous nous en apercevions bien, car en peu d'années, le prix du métal s'était élevé de 11 francs à 55 francs le kilogramme, et pendant la guerre, il était devenu introuvable, même pour les usages médicaux. Si les travaux entrepris à Meymac, dans la Corrèze, conduisent à la découverte de filons exploitables, nous aurons la satisfaction de ne plus avoir besoin du bismuth d'Allemagne, et. nous la devrons, d'un»; part, à M. Vény, conducteur des ponts et chaussées, qui a remarqué le premier, dans des matériaux d'entretien des routes, un métal lourd et noir à cassure brillante, et, de l'autre, à M. Carnot, qui a reconnu le bismuth, conseillé à M. Vény d'entreprendre des recherches, et qui n'a cessé de l'aider et de l'encourager à les poursuivre. En entrant dans la voie tracée par M. Merget, qui avait remarqué le premier l'influence des dépôts métalliques sur le zinc mis en présence des acides, M. Camille Gourdon, également de Lyon, a été conduit à une série d'observa- tions intéressantes du même genre, et il a constaté, en outre, que certaines liqueurs alcalines produisaient sur le zinc, recouvert en partie de précipités métalliques, des réactions aussi singulières que les acides. Ces expériences lui ont servi à découvrir deux procédés de gravure en creux et deux procédés de gravure hélio-graphique, également en creux. Ces derniers méritent de fixer l'attention des photographes et des établissements dans lesquels on reproduit les gravures, les cartes géographiques et d'autres dessins analogues. M. Gour- don aurait vivement désiré que ses méthodes pussent s'adapter à la gravure en relief, si précieuse pour obtenir des planches à intercaler dans les textes d'imprimerie ; il ne les croit pas suffisantes pour atteindre un semblable ré- sultat, mais il est disposé à entreprendre de nouvelles recherches, et pour l'y aider, votre conseil lui a voté une subvention de 500 francs. M. Vidal (de Marseille) a présenté, de son côté, un procédé de polychromie photographique qui est une extension des procédés dits au charbon, et qui pré- sente, dans l'exécution, une certaine analogie avec la chromolithographie. Les spécimens présentés par M. Vidal étaient d'un excellent effet. M. Masson, pharmacien à Lyon, frappé de l'économie que l'on pourrait réa- liser en substituant le pétrole purifié à l'alcool, dans un grand nombre d'usages, a cherché et découvert un moyen simple et économique de purifica- tion et de désinfection des huiles minérales. Je ne crois pas devoir indiquer ici ce procédé, mais, d'après M. Masson, l'emploi du pétrole purifié, substitué à celui de l'alcool dans les seules préparations pharmaceutiques, produirait une économie de 70 pour 100, soit 1,400,000 sur la dépense annuelle. M. Jacquemin, de Nancy, a fait connaître les résultats de recherches analy- tiques et toxicologiques sur l'acide pliénique qui seront probablement mis à profit dans certains cas de médecine légale. L'acide pliénique, dont les pro- priétés sont si nombreuses, et dont l'usage tend à se répandre universellement, n'en est pas moins un poison, et il convenait, par conséquent, de découvrir un réactif qui permît d'en constater sûrement la présence. Ce réactif est l'hypo- chlorite de soude dilué et additionné d'une goutte d'aniline qui, versée dans un liquide contenant des traces de phénol, donne naissance à un sel bleu (érythro- phénate de soude) d'un pouvoir colorant considérable. 38 SÉANCES GÉNÉRALES La section de chimie a encore entendu deux importants mémoires, l'un de M. Ch. Blondeau, sur l'existence de l'alcool dans le sang, l'autre de M. Macé, de Rennes, sur l'existence des germes-ferments dans l'organisme des êtres» Ces thèses soulevant des questions de doctrine qui échappent à ma compétence, j'ai pensé que je devais me borner à les mentionner dans ce compte rendu. Je suis bien obligé, à mon grand regret, d'en agir de même : ln pour les deux mémoires de M. Gruner sur les quantités de chaleur possédée* par les fontes, 1rs fers et laitiers aux températures élevées et sur l'origine du carbone ferrugineux que Von rencontre le long des parois internes de certains hauts fourneaux, et 2° pour le mémoire de M. Wurtz sur la densité de vapeur du sel ammoniac. Les travaux de ces illustres maîtres, qu'ils se rapportent aux applications industrielles les plus importantes ou aux théories les plus délicates, les plus fondamentales de la science, demandent à être étudiés à fond et médités avec soin, et je me sens indigne de les analyser. Je termine ce qui concerne les communications sur la chimie en rappelant le succès si légitime de la conférence de M. Aimé Girard sur les progrès récents des industries chimiques. M. A. Girard voyage beaucoup, observe beaucoup et ne fait pas mentir le proverbe : Quiconque a beaucoup vu doit avoir beau- coup retenu. Ceux qui l'ont entendu n'oublieront pas cotte élégante diction mise au service d'un sujet dont le titre semblait si sévère, je ne dis pas aride, car nous savons tous que les industries chimiques ont fait de nos jours d'immenses progrès ; mais je serais bien surpris si, parmi les plus instruits d'entre nous, il s'en était trouvé un seul à qui M. A. Girard n'ait rien appris. La lecture de son discours dans notre compte rendu sera une compensation pour ceux qui ne l'ont pas entendu, et ceux qui ont eu ce plaisir pourront le renouveler. Je ne me hasarderai pas, à coup sûr, à essayer de le reproduire en raccourci. Groupe des sciences naturelles, géologie et minéralogie, botanique, zoologie et zootechnie, anthropologie, sciences médicales. — J'arrive au groupe des sciences naturelles ; ici les travaux se multiplient et, quand bien même je serais en étal de les apprécier, il me faudrait renoncer à les examiner tous faute de temps. Je me bornerai donc à mentionner ceux qui se rapportent aux questions les plus actuelles, les plus nouvelles, autant qu'il m'a été permis d'en juger, et je demande encore une fois aux auteurs de m'excuser pour les omissions nom- breuses que je commettrai nécessairement. La section de géologie et de minéralogie a été informée, dès sa première séance, par M. Victor Deshayes, du fait important de la découverte d'un gise- ment de cuivre au Charrier, près La Prugne (Allier). Ce gisement a été reconnu en 1870, par M. Ducrozan, qui cherchait des minerais de manganèse, et à qui un paysan du Charrier apporta un jour un échantillon de carbonate de cuivre. M. Deshayes a constaté que le filon de La Prugne s'est ouvert dans le porphyre granitique, dans des conditions analogues à celles que l'on trouve en Corse, et il lui a paru que ce gisement était en relation avec le soulèvement du Forez. Cette découverte, qui peut avoir une grande importance industrielle, n'est pas moins intéressante au point de vue de la science, si l'on considère surtout que la mine de cuivre de La Prugne est la seule de ce genre que l'on connaisse en France jusqu'à ce jour. A. LAUSSEDAT. — LA SESSION DE LYON 39 On se préoccupe un peu partout, et non sans motifs, de nos ressources houil- lères. Si la houille, ce pain de l'industrie, comme on l'appelle aujourd'hui, venait à manquer, que deviendrions-nous ? M. Ducarre, député du Rhône et rapporteur d'une commission chargée d'étudier les questions relatives à la houille, n'a cru pouvoir mieux faire que de s'adresser à Y Association, fran- çaise, pour s'éclairer lui-même sur les points qui lui semblaient les plus im- portants à résoudre. M. Grosjean a l'ait, au nom de la section de géologie, une réponse assez rassurante quoique un peu vague; il a promis que l'Association chercherait à élucider les questions de quantité, en provoquant des cubages dans chaque bassin houiller, et a indiqué au député du Rhône les dispositions législatives qui lui semblaient devoir concourir à favoriser la production de la houille. 11 m'a semblé tout à fait opportun de signaler cet échange de renseigne- ments entre un membre du pouvoir législatif et une réunion de savants spéciaux. Je passe, sans pouvoir m'y arrêter, les savantes dissertations sur les terrains de la Bresse et du bas Bugey, et les discussions auxquelles elles ont donné lieu, pour m'arrêter quelques instants à la carte du terrain erratique et des anciens glaciers de la partie moyenne du bassin du Rhône, dressée par MM. Chantre et Faisan. La théorie des glaciers, des moraines et des phénomènes erratiques, devinée par le chasseur de chamois Pérraudin, exposée avec une grande netteté et une grande autorité par de Charpentier et par Agassiz, soutenue en France, d'abord par notre confrère M. Collomb, et ensuite par plusieurs éminents géo- logues, est venue se substituer à celle des grands torrents ou dïluviums, au moyen de laquelle on expliquait sans doute trop de choses. Les traces des anciens glaciers, qui ont recouvert une grande partie de l'Europe, se retrouvent aux portes mêmes de Lyon, à Sathonay, dans les tranchées du fort de Mer- cières, où les membres de l'Association, guidés par MM. Chantre et Dumor- tier, ont été les visiter. La belle carte, de 12 mètres carrés de surface, que MM- Faisan et Chantre ont mise sous les yeux de la section de géologie, est une contribution consi- dérable à l'histoire des révolutions du globe, dans nos Alpes françaises et dans la contrée qui avoisine Lyon. Après les travaux des savants suisses et ceux de M. Collomb clans les Vosges et dans les Pyrénées (ces derniers en collabo- ration avec M. Martins), il n'en est peut-être pas de phis important pour la période glaciaire que celui de nos deux collègues de Lyon. Au surplus, l'élan est donné de ce côté, et les explorations systématiques auxquelles vont se livrer les membres du club Ramond dans les Pyrénées et ceux du club Alpin français (embrassant le Jura, les Vosges et les CévennesJ, nous promettent d'importantes découvertes sur ce sujet, comme sur tous ceux qui intéressent la géologie'. Avant de terminer avec la carte de MM. Faisan et Chantre, je dois vous faire part de cette question qu'ils se sont posée assez naturellement. Quand les glaciers recouvraient une si grande partie de notre territoire, que se passait-il au delà ? et ils y répondent ainsi : 40 SÉANCES GÉNÉRALES « De même que de nos jours on voit des villages près des moraines termi- nales, vers certains grands glaciers de la Suisse ou de la Savoie, en face et au pied des anciens glaciers don', nous venons d'indiquer L'énorme extension, se groupaient, les abris des premiers habitants de nos contrées. Ces hommes avaient les usages et les mœurs des peuples sauvages des régions polaires ; autour d'eux s'étaient développées des séries d'animaux adaptés à ce climat froid et rigoureux, des mammouths, des ours, des rennes, des marmottes, des renards, des boeufs, des antilopes saiga. Quelques-uns de ces animaux devaient, être réduits à L'état de domesticité. » Et les auteurs nous renvoient h la sta- tion de Solutré dont nous nous occuperons plus loin avec les anthropoiogistes. En quittant les glaciers, je vais, si vous le voulez bien, vous transporter sans transition, avec M. Yogt, sur le terrain volcanique. Notre savant invité vous apprendrait d'ailleurs, si vous ne le saviez déjà, que sur un grand nombre de points du globe les glaciers et les volcans se trouvent associés et font aussi bon ménage que peuvent faire l'eau et le feu. M. C. Vogt, dans son instructive conférence, a voulu s'attacher à combattre des théories qui sont, pour lui, autant d'erreurs dont il faut déblayer la science, c'est son expres- sion. Bien qu'en général je sois d'avis qu'il soit imprudent de renverser ses idoles pour en mettre d'autres à leur place, je suis assez porté à croire, comme lui, qu'on a peut-être eu tort de charger le feu central d'expliquer les volcans et les tremblements de terre. Le feu central a-t-il fait son temps? C'est ce que j'ignore, bien que la déser- tion de ses partisans s'accentue chaque jour davantage ; mais je crois que c'est le cas, à propos des volcans comme à propos des glaciers, de ne pas s'obstiner à nier les faits qui contredisent les théories. Les théories sont nécessaires, assurément ; elles aident à résumer, à synthé- tiser un grand nombre de faits qui, sans elles, sembleraient étrangers les uns aux autres ; il faut s'en servir même pour se guider, mais il faut se garder d'y croire aveuglément, et dès qu'on s'aperçoit qu'elles ne cadrent plus avec les faits nouveaux que l'on découvre, il faut les modifier ou même les aban- donner et en imaginer d'autres plus probantes. C'est ce travail de Pénélope auquel les savants vraiment dignes de ce nom ne craignent pas de se li- vrer, parce qu'ils ont la certitude qu'en définitive ils marchent vers la lu- mière. La théorie du feu central et celle des soulèvements écartées, M. C. Vogt ex- plique, avec d'autres géologues d'ailleurs, notamment avec le grand volcaniste anglais Poulett-Scrope, les phénomènes que présentent les volcans (qui ne sont plus des soupapes de sûreté, comme on le disait, mais, au contraire, d'im- menses machines à vapeur et de t"ès-désagréables voisins) par l'existence « de foyers distincts placés à une profondeur relativement peu considérable, espèces de grands Laboratoires chimiques dans lesquels se font constamment des réac- tions qui engendrent une chaleur assez considérable pour tenir une certaine quantité de matière en lusion et pour faire dégager ces vapeurs, ces gaz, ces sublimations que fournit le volcan dans son état de repos. » Quant à la force soulevante, celle qui lance les bombes, les scories, les cendres, et qui pousse la lave hors du cratère, c'est la vapeur d'eau, et les volcans (''teints ne le sont A. LAUSSEDÀT. — LA SESSION DE LYON 41 que parce que l'eau, mers ou lacs, s'est retirée ou que les communications avec les foyers chimiques se sont bouchées. Cette nouvelle théorie est certainement séduisante ; elle concorde bien avec les laits observés, et il me semble qu'on pourrait, sans trop se compromettre, l'adopter, au moins provisoirement, et jusqu'à ce qu'on en trouve une meil- leure ou plus complète. Si le l'eu central n'est pas actuellement nécessaire pour expliquer les phénomènes volcaniques dont nous avons maintenant une autre théorie, il n'est pas aussi facile de s'en passer, aux autres époques, pour rendre compte du soulèvement incontestable des montagnes et des oscillations, des affaissements et des exhaussements successifs du sol. Je n'ai, en aucune façon, le désir de me lancer plus avant dans l'examen des théories générales. Mon rôle doit se borner à enregistrer les opinions émises par mes collègues, et surtout à constater qu'en géologie, comme partout, on suit chez nous l'excellente méthode qui consiste à observer attentivement, minutieuse- ment les laits, et à accumuler ainsi les matériaux qui doivent servir à fonder la science sur des bases inébranlables. C'est à cet ordre de travaux qu'appartiennent les savantes recherches de feu Victor Thiolliôre sur les poissons fossiles du Bugey, publiées par MM. Dumor- lier et Faisan, celles de M. de Saportasur la flore contemporaine de ces mêmes poissons, le mémoire de M. Chantre sur les faunes mammalogiques, tertiaire et quaternaire, du bassin du Rhône, celui de M. Noguès sur les oscillations de la mer nummulitique, qui a donné lieu à une aiscussion à laquelle ont pris part M. C. Vogt et M. Bayan, et qui a donné à M. C. Vogt l'occasion de sou- lever la question de savoir si les faits récents que nous ont révélés les sondages dans les mers profondes ne doivent pas modifier, jusqu'à un certain point, les idées admises sur la contemporanéité des couches géologiques déterminée par la présence de ce qu'on appelle des fossiles caractéristiques. 11 faut y joindre encore la paléontologie du miocène marin du Languedoc de M. Noguès, des suggestions de M. Guyerdet sur les causes de la transformation de certains calcaires en dolomie, le mémoire de M. Sauvage sur la faune ichthyologique d« l'époque tertiaire, enfin la conférence de M. Gaudry sur les anciens ani- maux fossiles du mont Léberon, en Vaucluse, remplie de faits bien constatés et d'aperçus nouveaux sur la plasticité des espèces fossiles. Plusieurs observations minéralogiques intéressantes ont été présentées par M. C. Vogt sur la structure microscopique des roches volcaniques ; par M. Gonnard, sur les associations zéolithiques dans les laves anciennes de l'Au- vergne ; par M. Friedel, sur un minéral auquel il a donné le nom de Dela- fossitc, en l'honneur du vénéré professeur du Muséum, et par le frère Onésime sur une variété nouvelle de fer oxydulé. •le suis encore moins botaniste ou zoologiste que géologue, mais je n'ai pas moins accompli mon devoir en lisant les mémoires de la neuvième et de la dixième section, et je ne le regrette pas. Cela me permet au moins d'engager ceux qui sont dans le même cas que moi à ne point les passer quand ils parcourront notre volume. Les ingénieuses recherches de M. Bâillon sur le développement et la germination des graines bulbifornies des amaryllidées, si curieuses et si laciles à saisir au moyen des 7 42 SÉANCES GÉNÉRALES dessins de la planche III et de sa légende explicative, leur paraîtront bien dignes de leur attention. Les autres précieuses monographies du même auteur relatives au jalap, à d'autres convolvulvacées purgatives que l'on peut cultiver en Europe et au groupe des chailletiées, tribu intéressante de la famille des euphorbiacées, ses recherches sur l'organogénie florale des Podocarpus dans es conifères, enfin ses études sur les Toluifera et sur les baumes de Tolu et du Pérou, toutes accompagnées de planches admirablement dessinées, consti- tuent un ensemble de travaux qui font le plus grand honneur à celui qui les a exécutés et à l'école française qu'il représente. Dans un travail sur les urédinées, qui sont des plantes parasites, M. Antoine Magnin, interne des hôpitaux à Lyon, a montré que les élèves cherchaient à se rendre dignes de leurs maîtres. Entre autres remarques intéressantes, M. Magnin a reconnu qu'en général les parasites se développaient de préférence sur les plantes dépajrsées, par exemple sur les plantes alpestres, dans les jar- dins botaniques, où il est toujours difficile de les conserver en bonne santé. Une autre observation curieuse consiste en ce que les plantes locales, qui sont fréquemment attaquées en plein champ par les parasites, en sont complètement dépourvues dans le jardin où on les cultive. M. Magnin a cherché, dans le même ordre d'idées, à découvrir les causes ou les circonstances favorables au développement de la rouille qui attaque nos moissons. Les conclusions auxquelles il est arrivé ne sont pas assez précises, il le reconnaît ; mais il y a lieu d'espérer qu'en poursuivant ses études il pourra arriver à nous indiquer des moyens sûrs de nous préserver de l'un des fléaux de l'agriculture. Le mémoire de M. de Saporta sur la flore des tufs pliocènes de Meximieux est un des plus importants parmi ceux qui ont été présentés à la section de botanique ; il avait été déjà communiqué, à la section de géologie qu'elle intéressait également au plus haut degré. Je me bornerai à dire qu'il résulte du travail très-étudié du savant paléophytologue, que l'ensemble dos espèces que nous possédons maintenant n'est en réalité qu'un prolongement amoindri de l'ordre végétal qui a précédé. Ainsi, tandis qu'à l'époque de l'éo- cène supérieur et même du miocène, la flore qui recouvrait notre sol présen- tait un aspect presque tropical, les palmiers et d'rutres végétaux au port élé- gant ont disparu, à l'avènement de la période pliocène, et ont reculé leur habitat plus au sud. Je dois encore mentionner les recherches de physiologie végétale de M. Mergot et de M. Gabriel Roux, des remarques très-importantes de M. Alexis Jordan, de Lyon, sur des faits relatifs à la question de l'espèce, et une note de M. Faivre sur l'effeuillcment. Enfin, je pense que .l'Association accueillera le vœu exprimé par M. Huot relativement à la rédaction d'un petit traité de botanique, contenant l'histoire des plantes usuelles et médicinales, à l'usage des écoles primaires ; mais nous ne sommes pas encore entrés, je le crains, dans la phase où il pourra nous être permis d'établir des prix et d'ouvrir des concours comme le demande M. Huot. Je trouve dans la section de zoologie et de zootechnie deux mémoires sur A. LAUSSEDAT. — LA SESSION DE LYON 43 des sujets qui sont essentiellement du domaine de la pratique, et qui ont un intérêt d'actualité indiscutable. Le premier nous a été donné par un de nos invités étrangers, M. le docteur Yarrow, membre de l'Académie des sciences naturelles de Pbiladelpbie ; il a pour titre : la Pisciculture aux Etats-Unis. Aux Étals-Unis comme ailleurs, les hommes d'initiative éprouvent souvent de grandes difficultés et de vives contrariétés. C'est ce qui est arrivé, dans l'État de New-York, à M. Seth Green, chargé de la constitution d'une commis- sion de pêche, qui devait s'occuper de l'élevage artificiel du poisson. Malgré les injures qui lui furent prodiguées, car aux États-Unis on ne se pique pas toujours de politesse, M. Green a persévéré et il est parvenu, pour se venger sans doute, à approvisionner de truites toutes les provinces des États-Unis; il a introduit, en outre, dans les lacs, des quantités d'un délicieux poisson blanc nommé corregone. M. Green a été, dit M. le docteur Yarrow, après notre compatriote M. Coste, celui qui a fait le plus pour la propagation de la pisci- culture pratique dans le monde entier. Le gouvernement des États-Unis s'intéresse aujourd'hui activement au repeu- plement des rivières, des lacs et des côtes; il donne des fonds et met un steamer à la disposition de la commission de pêche. — M. le docteur Yarrow a promis de nous donner des renseignements ultérieurs sur les progrès de la pisciculture en Amérique, en déclarant que son pays n'oubliait pas ce qu'il doit de reconnaissance à la France et à ses savants dont les noms y sont populaires. Espérons que chez nous l'œuvre de Rémy et de Coste sera pour- suivie avec le même entrain qu'en Amérique. Le second mémoire que je dois signaler à votre attention est celui de M. Qui- vogne, vétérinaire à Lyon, sur un Nouveau système de remonte du cheval de guerre. M. Quivogne fait une critique très-vive des moyens employés par l'adminis- tration pour la remonte du cheval de guerre, et en propose un nouveau qui lui paraît à la fois plus sûr et beaucoup plus économique- Je me borne à enre- gistrer les assertions de M. Quivogne ; il ne m'appartient pas de décider une pareille question; mais je dirai du mémoire de M. Quivogne ce que j'ai dit de celui de M. Piette : il est bon, il est utile que chacun recherche les moyens qui peuvent aider à préparer la défense du pays et la réorganisation de l'ar- mée, et la question de la remonte du cheval de guerre est assurément l'une des plus importantes dont on puisse s'occuper dans ce but. Pour la par Lie théorique de la zoologie, je citerai : 1° un mémoire sur le Développement de certains crustacés inférieurs, de M. C. Vogt, qui estime que l'embryogénie seule peut fournir les bases d'une zoologie raisonnée, et d'une classification naturelle fondée sur les affinités et les parentés des êtres orga- nisés; 2° un important travail d'ostéologie comparée entre certains mammi- fères, les reptiles et les oiseaux, par M. Ch. Martins. La conclusion de M. Mar- tins est que la doctrine de l'évolution est seule capable de rendre compte de l'existence chez ces animaux, désignés sous le nom de monotrêmes, des carac- tères, les uns propres aux reptiles, les autres aux oiseaux, associés à des ca- ractères mammologiques plus importants qui les placent à l'extrême limite de la classe des mammifères ; 3° une étude anatomique des sangsues, par M. Monnier, de Genève, d'après des coupes nombreuses, transversales et Ion- 44 SÉANCES GÉNÉRALES gitudinales, conservées en préparation et ensuite photographiées. Une de ces figures est publiée, à titre de spécimen, dans notre volume, el donne une idée de la perfection de ce moyen d'investigation, qui ne laisse aucune partie de l'animal à l'abri de l'exploration la plus minutieuse ; -4° un mémoire de M. Schlumberger sur la structure des foraminifères ; 5° enfin, une étude très- complète de la chronologie du follicule dentaire chez l'homme, par les docteurs M agi tôt et Ch. Legros. Bon nombre d'entre vous se souviennent sans doute encore de la visite qu'ils ont faite, il y a deux ans, à l'aquarium d'Arcachon. si utile aux natu- ralistes; ils apprendront avec plaisir que le conseil d'administration a pu, cette année encore, accorder une subvention de 300 francs pour son entretien. Tout ce qui se rapporte à l'homme et a ses origines est fait pour nous inté- resser au plus haut degré, et cependant l'anthropologie proprement dite est une science essentiellement moderne, née d'hier en quelque sorte, si l'on excepte les recherches ethnologiques qui se rapportent aux temps historiques. Mais depuis que l'attention a été éveillée, d'abord par la découverte de cités lacustres, en Suisse et au Danemark, puis par celle des ateliers de haches et d'autres ustensiles de pierre, et enfin par celle de tous les débris des arts primitifs enfouis dins le sol de certaines cavernes, ou même de quelques stations à ciel ouvert, débris parmi lesquels on a rencontré des crânes et des squelettes humains, la science de l'antiquité de l'homme a pris une impor- tance qu'on était bien loin de soupçonner, il y a quinze ans à peine. C'est à deux savants français, Boucher de Perthes et surtout Lartet, ce Cuvier de la paléontologie humaine, comme l'a si bien nommé notre éminent collègue M. le docteur Broca, que l'on doit l'impulsion propagée aujourd'hui dans toutes les contrées de l'Europe. Partout les recherches sont entreprises et les découvertes succèdent aux découvertes. Le sol s'ouvre de toutes parts et met au jour des trésors de science enfouis depuis des siècles et des siècles ; c'est une véritable éclosion. Comment a-t-elle été si lente à se produire ? C'est ce dont il ne faut pas trop nous plaindre, car plus tôt elle eût peut-être avorté. Quoi qu'il en soit, beaucoup d'entre nous ont eu la satisfaction de se convaincre par leurs propres yeux en visitant, il y a deux ans, les cavernes du Périgord, et, l'année dernière, la station de Solutré, de l'existence de l'homme à des époques dont il est difficile de fixer la distance. Je ne crois pas, messieurs, qu'il convienne de vous rappeler toutes les com- munications et les discussions relatives à l'anthropologie. Quand je n'aurais pas d'autre motif, j'hésiterais à le faire devant un si grand nombre de nos collègues qui sont à la tête de cette science nouvelle, les de Quatrefages, les Broca, les de Mortillet, et d'autres encore. Je crois seulement remplir un devoir de reconnaissance en citant les noms des découvreurs de la staiion de Solutré, MM. de Ferry et Arcelin, et ceux de ses deux autres savants investi- gateurs, MM. Toussaint et l'abbé Ducrost. Je resterai encore dans mon rôle en signalant les recherches ethnologiques, de M. Gustave Lagneau sur les populations du bassin de la Saône et des autres affluents du Rhône, celles de M. G. Chauvet sur la grotte de la Gélie, dans la Charente, de M. TopinarJ sur le cimetière burgonde de Rannsse, dans A. LAUSSEDAT. LA SESSION DE LYON Ai) le département de l'Ain, les renseignements donnés par MM. le docteur Jean- nin et Berthier sur de nouvelles stations préhistoriques de Saône-et-Loire, les fouilles faites dans les cavernes de Soyon (Ardèche) par M. de Lubac, la com- munication de M. Gosse, de Genève, sur la station préhistorique du Veyrier ' et l'âge du renne en Suisse, enfin celle de MM. Noguès et le docteur Clément sur l'ossuaire humain des environs d'Heyrieux. La plupart de ces travaux ont donné lieu à d'importantes discussions sur la question de l'antiquité de l'homme, sur ses moyens d'existence, sur ses habi- tudes, ses arts, j'allais dire ses mœurs ; mais toutes ces discussions ont été éclipsées par celle qui a été soulevée à propos de la station de Solutré, dis- cussion conduite par le président M. Broca, avec le tact et la méthode dont le célèbre anthropologiste était plus capable que personne et qui, ainsi que l'a dit M. Cartailhac, restera célèbre dans les fastes de la science. Je recommanderai aussi à votre attention la carte archéologique du "Viva- rais dressée, à l'instigalion de M. le docteur Prunières, par M. Ollier de Mari- chard, et la carte archéologique d'une partie du bassin du Rhône, pour les temps préhistoriques, par M. Chantre. L'intérêt de pareilles cartes n'a pas besoin d'être démontré; il est clair, ainsi que le dit. M. Chantre, qu'elles pourront servir notamment à « faire ressortir la marche de certaine civilisation et le choix constant des sites que les popu- lations de chaque époque faisaient en arrivant sur un nouveau territoire *. M. Chanlre a fait usage de signes conventionnels pour spécifier les monu- ments de l'âge de la pierre taillée, de l'âge de la pierre polie, de l'âge du bronze et enfin du premier âge du fer et de l'époque gauloise. 11 serait à dé- sirer, comme il le demande, que l'on s'entendît avec les étrangers pour créer ainsi une sorte de langage international qui servirait grandement au progrès de la science paléo-ethnologique. L'activité développée dans notre pays pour remonter à nos origines témoigne hautement du progrès des idées et de la science. Ce n'est pas, comme on pour- rait être tenté de le croire, par une vaine curiosité que sont guidés tous ces chercheurs, et la proposition de MM. le docteur Prunières et Trutat, de faire placer les dolmens et les autres constructions mégalithiques, les tumuli, etc., qui renferment les restes des premières civilisations, sous la surveillance de la commission des monuments historiques, le prouve surabondamment. En effet, ce ne sont pas les objets eux-mêmes, pour leur rareté et leur bizarrerie, qui attirent nos modernes antiquaires, dont la plupart sont des naturalistes philosophes. Ce que cherchent ces derniers, c'est à sonder le passé de l'homme pour tâcher d'y vérifier la loi de perfectibilité à laquelle nous nous attachons tous comme à une ancre de salut, pour reconstruire, partout où ils le peuvent, L'histoire qui nous éclaire et nous montre la route, et la substituer à la lé- gende qui ne peut que nous égarer. Les travaux de la section des sciences médicales ont été très-nombreux et plusieurs d'entre eux présentent le plus sérieux intérêt. Entrant dans la voie féconde ouverte par les physiologistes, les médecins ont compris qu'ils ne pouvaient arriver à fonder leur art sur une base vraiment scientifique que par l'expérimentation et l'observation attentive des phénomènes 46 SÉANCES GÉNÉRALES qu'ils provoquent. De là les essais remarquables ae pathologie expérimentale dont la section a eu si fréquemment à s'occuper. Dans certains cas déjà, rares encore, mais qui se multiplieront à coup sûr, ces essais ont eu les résultats les plus heureux. C'est ainsi que notre excellent collègue, M. le docteur Ollier, eni étudiant les effets de l'irritation traumatique sur les divers éléments d'un os pendant la période de croissance, a reconnu qu'on pouvait à volonté augmenter ou diminuer la longueur de l'os, selon les points sur lesquels on fait porter l'excitation. De là un procédé pratique, bien imprévu assurément, pour guérir sur les enfants des déformations des membres. Le docteur Ollier a opéré ainsi sur de jeunes enfants de six à douze ans, et dans aucune des tentatives qu'il a faites, en prenant naturellement toutes les précautions nécessaires, il n'a observé le moindre accident. Les expériences sur la transmission de la tuberculose par les voies diges- tives, faites par le professeur Chauveau sur de jeunes veaux, expériences dont les résultats ont été constatés par les membres d'une commission prise dans la section, paraissent avoir démontré que cette transmission est indubitable. L'espèce bovine partageant avec l'espèce Humaine le triste privilège d'être atteinte communément par la tuberculose, on peut deviner les conséquences de ces expériences originales et dispendieuses, selon les termes du rapporteur de la commission, s'il est vrai, comme l'annonce l'habile observateur, que : « 1° Sur cent veaux de lait, issus de parents sains, il n'y en a peut-être pas un seul qui présente, à l'autopsie la plus minutieuse, la moindre trace de lésion tuberculeuse ; » 2° Et que sur cent veaux de lait, issus de parents sains, il n'y en aurait peut- être pas un seul qui ne présentât à l'autopsie les signes anatomiques d'une infection tuberculeuse plus ou moins généralisée, six semaines ou deux mois après avoir avalé de la matière tuberculeuse convenablement choisie. » 11 me paraît impossible, faute de temps et des lumières suffisantes, de vous rendre compte des autres expériences de pathologie dont la section des scien- ces médicales a reçu communication. Celles des docteurs Arloing et Tripier sur les lésions organiques provoquées chez le poulet peuvent être rapprochées des précédentes. Il faudrait encore citer celles du docteur Gayat sur la régéné- ration du cristallin étudiée sur de jeunes lapins, et bien d'autres encore qui démontrent la tendance de nos médecins à recourir de plus en plus aux mé- thodes véritablement scientifiques. Les physiologistes purs étaient d'ailleurs représentés aussi à la section des sciences médicales par M. le docteur Marey, qui a donné un mémoire sur les conditions dynamiques du cœur et présenté un nouvel appareil enregistreur des mouvements respiratoires. La clinique pratique n'a pas été négligée, et vous trouverez dans notre Compte rendu les noms des maîtres les plus autorisés et les plus aimés atta- chés à des mémoires dignes de leur réputation, sur les sujets les plus variés. Je me bornerai à citer celui de notre cher et excellent hôte de Bordeaux, M. le docteur Azam, sur le mode de réunion des plaies d'amputation, parce qu'il a été l'occasion d'une importante discussion à laquelle ont pris part MM. les docteurs Verneuil, Ledentu, Diday, Fochier, Courty et Ollier. A. LAUSSE1UT. — LA SESSION DE LYON 47 Cette question si impartante du pansement des plaies, qui intéresse au plus haut degré l'hygiène des hôpitaux et la chirurgie militaire, est toujours pen- dante, mais elle a été traitée à Lyon avec toute l'attention qu'elle mérite. C'est en définitive par le perfectionnement du pansement occlusif, qui a pour objet de soustraire les plaies à l'action des germes atmosphériques, que l'on cherche les moyens d'éviter les complications qu'entraîne le séjour des malades dans un milieu infecté. D'un autre côté, ces complications sont d'autant plus à re- douter que la disposition des édifices hospitaliers est malheureusement trop souvent mal conçue, même par les plus grands architectes. C'est ainsi que sur l'invitation du docteur Ollier, la section, s'étant rendue à l'Hôtel-Dieu de Lyon où sont entassés des centaines de malades, n'a pas hésité à condamner à l'unanimité l'œuvre de Soufflot, que l'on pourra sans doute utiliser autre- ment, mais dont il faut renoncer à faire un hôpital acceptable par des chi- rurgiens. Cet exemple devrait suffire à lui seul pour mettre en garde les administra- teurs et les architectes contre la tendance exagérée au luxe des constructions, luxe auquel on ne satisfait trop souvent qu'au détriment des malades. Je ne terminerai pas ce que j'ai cru pouvoir dire des travaux de la section des sciences médicales sans signaler au moins les très-curieuses recherches du docteur Favre sur le daltonisme, qui réclament toute l'attention des adminis- trateurs des compagnies de chemins de fer. Gkoupe des sciences économiques. Agronomie, géographie, économie politique, statistique. — Personne n'est plus convaincu que moi de la haute importance des sciences économiques, et j'aurais beaucoup désiré vous faire connaître quelques-unes des questions traitées pendant la session de Lyon, mais plus j'avance et plus je sens que je m'éloigne de ma base d'opérations, je veux dire des sciences exactes. A part les questions de statistique, de cadastre et de géographie, j'avoue sans détour que je me sens mal à l'aise, non pas seulement pour exprimer une opinion personnelle, mais pour bien exposer celles des auteurs, par exemple sur les causes si variées de la crise houillère, sur l'organisation ouvrière de la fabrique lyonnaise, sur l'impôt des tissus ou sur celui du capi- tal, sur la valeur et l'utilité, sur les effets économiques de l'impôt foncier ou sur la monnaie internationale. Je prie donc humblement mes honorables col- lègues du quatrième groupe de m'excuser si je ne tente pas même de donner une idée de leurs travaux. Il vaut mieux, je pense, m'abstenir sur des sujets qui ne me sont point familiers que de m'exposer à les défigurer. Je signalerai toutefois, sans qu'il soit bien nécessaire de le faire, tant elles sont connues et appréciées, les précieuses recherches du docteur Bertillon sur la démographie. Les avertissements que nous donne le savant statisticien ne doivent pas être perdus, et il y a tout lieu d'espérer qu'ils contribueront à nous rendre attentifs aux moyens de faire disparaître les causes de la morta- lité des enfants et du si faible accroissement relatif de la population française. Au surplus, le docteur Bertillon doit donner à Lille, et pour la population du nord de la France, les résultats de ses investigations, comme il l'a fait Tannée dernière pour celle du groupe lyonnais. 48 SÉANCES GÉNÉRALES Je recommande aussi à la sérieuse attention de tous nos collègues qui s'in- téressent à la question vitale de l'instruction primaire et secondaire, l'impor- tant mémoire de M. Barrett sur ce que l'on fait pour la jeunesse en Amérique. Même après M. Laboulaye, même après M. de Laveleye, M. Barelt nous donne de nouveaux renseignements dont il serait grandement temps que nous sussions profiler. Enfin, ai-je besoin de dire que je suis moi-même l'un des plus anciens partisans de la révision et de la refonte du cadastre, comme tous ceux qui ont étudié la question sans idées préconçues? Je recommande donc la lecture du travail de M. Pichou sur ce sujet, et j'ajoute que je regrette beaucoup de ne pouvoir pas mentionner les nombreux et intéressants mémoires qui sont insérés au ebapitre des sciences économiques; mais j'abuse depuis bien long- temps, messieurs, de votre bienveillante attention. Permettez -moi cependant, avant de terminer, de vous entretenir un peu de nos affaires que je ne dois pas négliger non plus. Je vous ai annoncé, cbemin faisant, les subventions et les encouragements donnés par l'Association dans le courant de l'année qui vient de s'écouler. Le total s'élève à la somme de i,900 francs que le conseil avait fixée comme minimum à répartir. Mais une demande récente et instante nous a été adres- sée par un savant professeur du Muséum, M. Lacaze-Duthiers, en faveur de M. Yélain, jeune naturaliste qui sollicitait l'honneur d'être embarqué à bord du navire que monte M. le capitaine de vaisseau Mouchez, chef de l'expédi- tion qui va observer le passage de Vénus à l'île Saint-Paul, dans le grand océan du Sud. Pendant le séjour de plusieurs mois que fera l'expédition astro- nomique dans l'île Saint-Paul, le navire croisera dans son voisinage, et M. Yélain se propose de mettre cette occasion si rare à profit pour opérer des sondages dans cette partie à peu près inexplorée de l'Océan. Je n'ai pas besoin d'insister sur l'intérêt des recherches que va entreprendre M. Yélain, qui est parfaitement préparé par les campagnes qu'il a faites avec M. Lacaze-Duthiers et le commandant Mouchez, sur les côtes de l'Algérie. Yous apprendrez, sans doute, avec une vive satisfaction que votre conseil a pu allouer une somme de 1,500 francs pour contribuer aux frais de voyage du jeune et vaillant natu- raliste. Le volume de la session de Lyon, que vous avez entre les mains, a été l'objet des soins les plus dignes d'éloges de la part de son imprimeur, M. Pilrat aîné de Lyon. Je n'ai pas besoin de vous dire la part considérable qui revient dans la mise en ordre de cette importante publication, d'une part à M. Gariel, secrétaire de votre conseil d'administration, dont il est en même temps le membre le plus actif, et de l'autre à notre trésorier, M. G. Masson dont l'ex- périence en toutes choses nous est si précieuse et ne nous fait jamais défaut. L'Assemblée générale de 1873 avait chargé le Conseil d'administration de préparer un projet de modification des statuts et un règlement. Ce travail a occupé un assez grand nombre de séances d'une commission dont le rappor- teur vous fera connaître en détail les propositions. Nous ne dirons rien des statuts qui n'ont subi que de légères modifications au fond et dont la forme A. LAUSSEDAT. EA SESSION DE LYON 49 et l'ordre sont presque seuls changés. Ces statuts vous seront soumis aussi Lien que le règlement, et vous aurez à les accepter ou à les rejeter cette, année. Le règlement intérieur, pour ainsi dire, a été élaboré avec soin. La plupart des articles s'expliquent d'eux-mêmes; quelques dispositions seulement doivent fixer votre attention d'une manière spéciale, et je vous signalerai particulièrement celle qui vous appelle à désigner un an à l'avance les prési- dents de section. 11 a paru utile, nécessaire, qu'il y eût, avant l'ouverture de la session, et pour chaque section, une personne autorisée qui s'occupât de réunir des travaux et de préparer des séances, au même titre que le président de l'Association s'occupe de la session en général. Il me resterait enfin à remercier les organisateurs de ce Congrès de Lyon dont j'ai si longuement parlé, les autorités de la commune de Solutré, et l'honorable M. Guimet, dont aucun de nous n'a oublié la magnifique hospita- lité, M. Dumorlier, qui a dirigé l'excursion de Sathonay, M. le directeur des usines de la Youlte, enfin les autorités du canton et de la ville de Genève, ainsi que M. Yernes d'Arlandes, pour l'accueil cordial qu'ils ont fait aux membres de l'Association qui ont pris part à l'excursion de Genève; mais ce devoir a été rempli l'année dernière, soit par M. le président de l'Association, soit par M. le secrétaire du conseil. Ai-je besoin d'ajouter que le Bureau et l'Association tout entière remercient aujourd'hui avec effusion le comité local de Lille et son savant président, M. Kuhlmann, pour tous les soins qu'ils ont apportés à préparer la session actuelle. Nous remercions également les nom- breux savants étrangers qui ont répondu à notre invitation et à celle de la ville de Lille, et nous leur souhaitons la bienvenue. Quelques mots encore, messieurs, et j'ai fini. On a dit depuis longtemps, avec une certaine mélancolie, que les hommes se laissaient mener par des phrases et se faisaient tuer pour des mots. Eh! sans doute, messieurs, et nous aurions mauvaise grâce à nous en plaindre, car ce qui élève l'homme au-dessus de la brute, c'est d'une part le sacrifice volontaire et de l'autre le langage qui est l'expression de la pensée et des sentiments. Tout consiste donc à bien choisir les mots pour lesquels on veut se dévouer. Nous avons arboré ceux de science et de patrie, parce que nous croyons à la force bienfaisante et irrésistible de la science et que nous sommes pénétrés de nos devoirs envers la patrie. « La science, a dit un éminent physicien et philosophe de ce pays ami, si dignement représenté parmi nous au moment où je parle, la science, a dit l'excellent Quételet, est la grande puissance devant laquelle tous peuvent s'in- cliner sans humiliation, et les savants n'ont pas le droit de s'enorgueillir, mais le devoir de répandre la science et ses bienfaits. « La patrie (j'emprunte cette définition à l'un des plus profonds penseurs de ce siècle, à Lamennais), la patrie, c'est la mère commune, l'unité dans laquelle se pénètrent et se confondent les individus, c'est le nom sacré qui exprime la fusion volontaire de tous les intérêts en un seul intérêt, de toutes les vies en une seule vie éternellement durable. » En inscrivant sur notre drapeau ces deux nobles mats de science et de patrie, nous nous gommes engagés à servir à la fois l'une et l'autre ; nous avons 80 SÉANCES GÉNÉRALES proclamé notre foi dans la France, qui s'est tant honorée par la culture des sciences. Quoi qu'il arrive, nous conserverons cette foi ardente, inébranlable, nous la léguerons à nos enfants, et en dépit de la nouvelle morale prcchée ailleurs, et qui fait si peu d'honneur à l'apôtre et à ses disciples, nous leur ensei- gnerons ce que nos pères nous ont enseigné : le respect de la justice et de la vérité, l'horreur de l'hypocrisie et le mépris de la force, quand elle n'est pas au service du droit. M. Georges MASSON Trésorier. LES FINANCES DE L'ASSOCIATION J'ai l'honneur de vous présenter, au nom de votre Conseil d'administration, l'état des recettes et des dépenses de l'Association française, du 1er janvier au 31 décembre 1873. CAPITAL. Solde au 31 décembre 1872 Fr. 136.464 90 42 parts de fondateurs versées en 1873 22.950 » 29 rachats de cotisation 5 . 800 » Fr. 165.214 90 Ladite somme représentée ainsi qu'il suit : 9,150 francs de rente ayant coûté Fr. 156.106 62 Mobilier 1.937 » Au Comptoir d'escompte 5.517 85 En caisse 1 • 653 43 Fr. 165.214 90 REVENUS Recettes, Reliquat de l'année 1872 Fr. 1.903 67 Arrérages des rentes 8.197 95 848 souscripteurs annuels 16.960 » Vente de volumes 1.130 » Diverses recettes pendant la session de Lyon 1.323 80 Fr. 29.515 42 Dépenses. Impression du volume des Comptes Rendus de la session de Bordeaux Fr. 16.666 80 Frais de la session de Lyon 1.532 45 Subventions et encouragements 1.900 » Impressions diverses 650 70 Loyer, appointements et frais de bureau 6.063 40 Frais de publicité, all'ranchissements et recouvre- ments 2.432 05 Excédant à reporter sur 1874 270 02 Fr. 29.515 42 G. MASSON. LES FINANCES DE L'ASSOCIATION 51 Il résulte des chiffres que je viens de vous lire que le capital de l'Associa- tion s'est augmenté pendant l'année 1873 de 28,730 francs, et que nous possé- dions au 31 décembre 1873, 9,150 francs de rente, soit 1,970 francs de plus qu'au 31 décembre 1872. En même temps, les ressources provenant des souscriptions annuelles n'ont cessé de s'accroître. L'exercice 1872 s'était terminé avec 669 souscripteurs. Nous avons encaissé en 1873 848 quittances, soit, pour l'année, une augmentation de 179 membres. Enfin, la vente des volumes nous a créé une source nouvelle de produits qui ne saurait être très-importante, puisque la plupart de ceux qui veulent suivre vos travaux deviennent membres de l'Association, mais qui témoigne cependant de l'intérêt qu'excitent vos publications en dehors du cercle de nos adhérents. Les ressources de l'Association continuent donc à se développer de la façon la plus heureuse. — En 1872, nous disposions pour notre budget annuel de 15,000 francs à peine. Cette année, nous avons pu faire face à des dépenses de près de 30,000 francs, et nous pouvons dès maintenant prévoir pour 1874 un chiffre sensiblement plus important. Malgré cet état prospère, votre Conseil d'administration a dû, pour cette année, renoncer à opérer sur les revenus la retenue de 20 0/0 qu'avaient prévue les statuts et qui aurait réduit d'environ 5,000 francs le chiffre restant disponible pour les dépenses de l'année. Il eût donc fallu, pour exécuter strictement la règle que nous avions voulu nous imposer lors de la fondation de la Société, taire cette année sur le budget des publications, ou sur celui des encouragements scientifiques, de trop radi- cales et regrettables économies. Toutefois, la pensée de réserver, pour l'ajouter au capital, une partie des revenus annuels, était dictée par un sentiment trop sage pour être complète- ment abandonnée. Les statuts définitifs qui seront soumis à votre ratification stipulent donc, pour l'avenir, une retenue sur le montant des cotisations et sur nos autres recettes, suffisante pour assurer l'accroissement progressif du capital sans pouvoir être un obstacle à des dépenses utiles à la science, ou au développement de notre œuvre. Ces dépenses, vous le voyez, messieurs, sont dès à présent importantes et nous ne pouvons que souhaiter de les voir s'accroître encore, puisque toutes ont un but élevé; laissez-nous donc, en terminant ce compte rendu, vous demander d'aider, par une propagande active, à rendre bientôt notre budget l'égal de celui de l'Association britannique, qui dispose chaque année d'une somme deux fois plus considérable. 52 SÉANCES GÉNÉRALES SÉANCE GÉNÉRALE Du 21 août 1874. Présidence de M. WURTZ Dans cette séance, MM. Gosselet, Masquelez, Dubar, Giard, Renouard, ont pris successivement la parole et ont présenté les communications suivantes : M. GOSSELET Professeur ù lu Faculté des sciences de Lille. LES PROGRÉS DE LA GÉOLOGIE DANS LE NORD DEPUIS DIX ANS Messieurs, Lorsque vous avez appris que le congrès de l'Association française se réunirait à Lille en 1874, vous vous êtes fait la promesse de venir y admirer les merveilles de l'industrie et de l'agriculture. Sous ces deux rapports, la Flandre passe à bon droit pour la première province de France. C'est une réputation dont nous sommes fiers, mais qui cependant nous fait un certain tort au point de vue intellectuel. La science appliquée joue chez nous un rôle si important que les progrès de la science pure s'en trouvent éclipsés. Dernièrement à la tribune de l'Assemblée natio- nale, on a pu opposer les recherches faites à Lille dans l'ordre des applications scientifiques au culte de la science pure qui brille dans d'autres villes. Je crois que cette appréciation n'est pas complètement exacte, et que même dans le domaine le plus élevé de la science, nous marchons au même rang que les autres provinces de la patrie com- mune. Je ne puis mieux vous le prouver qu'en vous rappelant quelques-unes de nos gloires éteintes, le physicien Delezenne, le botaniste Lestiboudois et sa botanographie belgique, Degland, dont l'ornithologie européenne fait toujours autorité dans la science, Macquart, le fondateur de la diptérologie, Demazières, le cryptogamiste, et d'autres. Il va vingt ou trente ans, l'histoire naturelle était l'une des sciences les plus en honneur à Lille, et nos naturalistes s'étaient acquis une réputation européenne. Aujourd'hui encore cette science présente un attrait particulier pour nos populations à l'intelligence froide, lente, mais GOSSELET. LES PROGRÈS DE LA GÉOLOGIE DANS LE NORD 53 par cela môme mieux disposée peut-être que d'autres à l'étude des sciences d'observation. J'espère vous le prouver. Le développement de l'agriculture, celui surtout de la culture intensive, a été un stimulant qui a dû appeler notre attention sur les problèmes les plus obscurs de la nutrition des végétaux. M. Corenwinder a appliqué à la physiologie végétale les connaissances chimiques qu'il avait acquises dans le laboratoire de M. Kulilmann et dans les recherches quotidiennes de l'industrie sucrière. Passant suc- cessivement en revue les divers éléments qui constituent le tissu végétal, le phosphore, l'azote, le carbone, il les suit dans leur migration à tra- vers les tissus, de la racine aux bourgeons et aux feuilles, puis de celles- ci à la graine, but essentiel de la vie du végétal. Dans ses dernières expériences, il a démontré qu'on opposait à tort, sous le rapport de la respiration, le règne végétal au règne animal. Les végétaux comme les animaux absorbent l'oxygène de l'air pour former de l'acide carbonique. Pendant le jour et sous l'influence de la lumière solaire, cette fonction continue d'une manière normale parce qu'elle est en quelque sorte inhérente ù la matière vivante; mais elle est masquée quant à ses résul- tats par l'action spéciale de la chlorophylle qui décompose l'acide car- bonique et régénère l'oxygène, en quantité d'autant plus grande que la lumière est plus intense. Ce fait était soupçonné depuis quelques années ; les expériences d'un autre Lillois, M. Garreau, lui avaient donné une base scientifique; M. Corenwinder le fait passer du domaine de la théorie dans celui des faits les mieux démontrés. En zoologie, j'ai également des savants à vous signaler. M. Lethierry s'est borné à faire le catalogue des hémiptères du département du Nord. Mais au risque d'effrayer sa modestie, je vous dirai qu'il est en relation avec les plus célèbres entomologistes d'Europe, qui le consultent fré- quemment, tant au sujet des hémiptères que pour les coléoptères. Son catalogue se trouve dans tous les laboratoires d'entomologie, à côté du catalogue des coléoptères d'un autre de nos compatriotes, M. de Nor- guet, auquel nous devons aussi le catalogue des oiseaux et celui des mam- mifères du département. Sous peu, un autre [catalogue, aujourd'hui à l'impression, celui des lépidoptères, dû à M. Leroy, viendra augmenter le nombre de ces œuvres essentiellement provinciales, qui constituent une base sérieuse pour la zoologie systématique et pour la distribution géographique des êtres. Vous me permettrez d'inscrire à notre actif intellectuel une partie des travaux des deux savants qui ont fondé à la Faculté de Lille l'ensei- gnement de l'histoire naturelle. M. de Lacazc-Duthiers nous appartenait encore lorsqu'il fit sa belle monographie du corail. C'est en grande partie ici que M. Dareste s'est 54 SÉANCES GÉNÉRALES livré à ses expériences sur le développement des œufs. L'agriculture du pays lui a également fourni des faits intéressants de tératologie animale et végétale. M. Giard continue ces traditions de travail. Sous son active impulsion, il se forme une phalange de jeunes naturalistes qui se mettent à étudier les animaux inférieurs. L'un s'occupe des tubellariées, un autre des éponges, un troisième des némertes, un quatrième des nématoïdes. Un laboratoire est installé à Wimereux, et nos jeunes gens sacrifient une partie de leurs vacances pour aller y travailler. Je ne veux pas anticiper sur l'exposé que mon collègue va vous faire de son installation et des travaux de ses élèves. Je n'ai pas, du reste, une autorité suffi- sante pour vous en faire ressortir convenablement l'importance. J'ai voulu simplement vous montrer que pour la zoologie comme pour la botanique, vous trouverez ici des savants qui ont bien mérité de la science. Mais il est une branche d'études où vous pourrez mieux saisir encore l'activité réelle qui fait le fond du mouvement scientifique à Lille depuis quelques années : c'est la géologie. M. Meugy, ingénieur des mines, avait tracé en 1858 la carte géologi- que du département du Nord, travail de détail très-consciencieux qui est encore parfaitement au courant de la science. Il avait aussi publié une esquisse géologique de la Flandre française. C'était un beau début, qui malheureusement n'eut pas d'imitateurs. Pour trouver des documents sur notre région, il fallait recourir à des ouvrages généraux, tels que l'Explication de la carte géologique de France, ou les mémoires de M. d'Omalius d'Halloy, notre illustre et vénéré maître, que nous avons un instant espéré avoir parmi nous. Il y a dix ans, le département du Nord ne comptait pas un seul géo- logue; aujourd'hui, il possède une Société géologique de trente-cinq membres, dont plusieurs ont déjà acquis par leurs travaux une véritable notoriété. Pour vous exposer les progrès que nous avons accomplis, je dois en quelques mots vous dire quelle est la structure générale du sol. Au sud de Lille, on trouve un plaieau de craie recouverte, par ci, par là, de petits lambeaux de sable ou d'argile. Au nord de Lille, s'étend une autre plaine plus basse, de nature argileuse, que l'on peut suivre jusqu'à la mer sans rencontrer d'autres accidents que quelques collines sableuses. La craie y existe encore, mais à une profondeur qui dépasse parfois 100 mètres : sables et argiles appartiennent aux terrains tertiaires. Sous le terrain crétacé de notre pays on trouve la houille; mais beau- coup de sondages, dits négatifs, n'ont atteint, au lieu du combustible si recherché, que le vieux grès rouge, les schistes ou les marbres. Ces GOSSELET. — LES PROGRÈS DE LA GÉOLOGIE DANS LE NORD 55 terrains, que nous appelons en géologie terrains primaires, se relèvent vers le sud-est et vont affleurer dans l'arrondissement d'Avesnes. Un de leurs caractères généraux, c'est d'être en couches inclinées, car ils ont été relevés et plissés avant le dépôt de la craie. Partout, ou presque partout dans notre département, ces couches géo- logiques sont recouvertes par un épais manteau de limon appartenant au terrain quaternaire ou diluvien. Il faut un torrent, une rivière, un che- min creux, pour que l'on puisse apercevoir un lambeau du sous-sol. C'est ce qui rend la géologie si difficile et si peu attrayante dans notre pays ; mais ce qui tait le désespoir du géologue fait la joie de l'agricul- teur, car c'est à son manteau de limon que le département du Nord doit sa fertilité. Vers le nord, près de la mer ou dans les vallées des fleuves, se sont déposés des terrains plus récents. Je vous parlerai successivement des progrès accomplis dans chaque groupe de terrain. Terrains -primaires. — Dans le travail de 1860 qui m'a valu le titre de docteur et ultérieurement la chaire de Lille, j'ai déterminé, plus exac- tement qu'on ne l'avait fait jusqu'alors, l'âge de certaines couches de schiste ou de calcaire de l'arrondissement d'Avesnes; je viens de conti- nuer cette étude dans un mémoire publié cette année par l'Académie de Belgique. M. Ortlieb, en analysant un banc qui existe aux environs de Bavai, au milieu du terrain devonien, y a reconnu des grains, invisibles à l'œil nu, de silice insoluble, translucide, mais non cristallisée. M. Corenwinder a fait l'analyse de plusieurs espèces de dolomies. La limite sud de notre riche bassin houiller est formée par une large bande de grès rouge. Il importait d'y établir des divisions géologiques, de savoir si telle roche rapportée par la sonde était plus ou moins loin du terrain houiller. Je n'ai pu y arriver qu'après de longues études faites en Belgique. J'ai constaté que les divers affleurements de grès rouges qui surgissent au milieu de la craie du Pas-de-Calais montrent exactement la même succession que les rochers des bords de la Meuse. Quand des caractères se poursuivent avec une constance si parfaite, depuis Spa jusque près de Boulogne, on peut être certain qu'on n'a pas affaire à des acci- dents, et l'on peut avoir confiance dans les conclusions qui en découlent. C'est une étude que je considère comme importante pour le pays, car j'ai établi qu'une partie de notre bassin houiller s'est trouvée ensevelie sous le grès rouge par une faille qui s'étend vers le sud, plus loin qu'on ne le croit généralement, et qu'on pourra aller le chercher sous la partie inférieure du grès rouge. Il était donc nécessaire, comme je vous l'ai dit, de donner les caractères des divers niveaux de ce grès. 56 SÉANCES GÉNÉRALES Enfin, dans un autre travail fait on commun avec M. Bertaut, con- ducteur des ponts et chaussées à Saint-Omer, j'ai confirmé par une étude plus approfondie mes premières vues sur l'âge du bassin houiller du Boulonnais; j'ai expliqué pourquoi on le trouvait sous le calcaire carbonifère, bien qu'il fût géologiquement plus récent. Vous voyez, messieurs, comment les préoccupations industrielles du pays agissent sur nous en imprimant la direction que nous donnons à nos études." Quoique le plus fouillé de tous, le terrain houiller est peut-être le moins connu au point de vue géologique. Les grandes divisions ont été tracées, mais les distinctions d'ordre secondaire restent à faire. On ne sait rien ou presque rien de la distribution des végétaux fossiles. C'est ce qui donne une valeur réelle au mémoire de M. Breton, ingénieur des mines d'Auchy-au-Bois. Il a décrit les veines de la concession de Bourges et les végétaux qui se trouvent dans chacune d'elles. Je n'en ai pas iini avec le terrain houiller. Son origine a donné lieu à de nombreuses hypothèses. Tandis que les uns y voient d'anciennes tourbières, d'autres admettent que ce sont des bois flottés ; une troisième hypothèse suppose que la mer envahissait parfois les marécages où se produisait la tourbe. La présence, au moins temporaire, des eaux salées dans les lieux où se formait la houille, a reçu de nouvelles preuves. M. Ch. Barrois a trouvé à la base de l'étage houiller du Pas-de-Calais deux niveaux de coquilles marines qui correspondent probablement à ceux reconnus en Belgique par MM. Cornet et Briart. M. Laloye, en étudiant les eaux salées que l'on rencontre dans le terrain houiller, est arrivé à cette conclusion, que c'est de l'eau de mer fossile enfermée dans la houille lorsqu'elle était encore spongieuse. Le même géologue s'est occupé également des eaux sulfureuses de Saint-Amand et de Meur- chin, dont on ne connaissait pas l'origine. Il a prouvé qu'elles vien- nent du terrain houiller à son contact avec le calcaire carbonifère. Terrain crétacé. —Dans des poches à la surface des terrains primaires et sous l'étage de la craie, on voit parfois des dépôts irréguliers d'argile et de sable. J'ai montré dans plusieurs notices que les argiles appar- tiennent au gault; il en est de même des sables, mais ceux-ci nous offraient un problème assez intéressant; ils sont une gêne pour l'ex- ploitation des mines d'Anzin par la quantité considérable d'eau qu'ils renferment et qui leur a valu le nom de torrent. On a prétendu que cette eau, qui est salée, venait de la mer par des conduits souterrains; mais c'est là une hypothèse qui, géologiquement, ne pouvait se soutenir. M. Lalove a fait connaître les causes de celte salure : elle provient de ce que les sables du torrent reçoivent les eaux salées du terrain houiller a voisinant. GOSSELET. — LES PnOGKÈS DE LA GÉOLOGIE DANS LE NORD 57 M. Ladrière, instituteur ù Lille, a reconnu et décrit l'argile et les sables du gault des environs de Bavai. M. Barrois, qui s'est occupé des couches de môme âge que l'on trouve à Wissant, n'a pas pu y distinguer les nombreuses zones paléontologiques admises par M. de Rance pour le gault de Folkcstone. Une marée exceptionnelle lui a permis d'apercevoir les couches néocomiennes qui se trouvent entre le terrain jurassique et les argiles à Ostrea aquila et à Ostrea Leymcrii, signalées par 31. Gaudry. Notre jeune et zélé géologue a aussi découvert à la partie supérieure de l'argile du gault à Vierre-aux-Bois, près de Desvres, une couche qui renferme environ 4 0/0 de silice solublc; il y voit le repré- sentant de la gaize de l'Argonne. Les diverses couches de la craie que traversent les puits des houillères ont reçu des mineurs des noms vul- gaires, tels que ceux de Tourtia, de Dièvcs, de Bleus, de Gris, de Gris- bleus, etc.; mais leur âge géologique n'était pas exactement déterminé. Pour le préciser, il fallait recueillir sans mélange les fossiles de chacune de ces couches. C'est ce que j'ai fait pour le puits Saint-René, à Gues- nain, près de Douai, et M. Barrois pour le puits de Mâcou. M. Dau- bresse, ingénieur des mines de Carvin, a indiqué exactement la pro- fondeur des fossiles ramenés d'un de ces puits. M. Ortlieb a étudié dans les mêmes vues un sondage fait à Croix. Si nous n'avons pas encore pu arriver à un résultat bien satisfaisant, c'est que nous éprouvons des difficultés matérielles qu'il n'y a pas lieu d'énumérer ici. 11 se pourrait aussi que la question de fait se compliquât d'une question théorique in- téressant au plus haut degré la science. 11 ne faut pas perdre de vue que nous sommes sur un ancien rivage de la craie, où la nature miné- ralogique des dépôts était très-variable et où la faune devait varier elle- même avec la composition des sédiments. La craie nous a beaucoup occupé, ce qui n'a rien d'étonnant, puisque c'est elle qui forme en quelque sorte le squelette du département. J'ai décrit la craie du Cambrésis et celle des environs de Lille. M. Chelloneix a étudié la falaise du cap Blauc-Nez ; depuis quelque temps il nous entretient de ses excursions dans les collines de craie de l'Artois. Il a constaté que ces collines étaient séparées de la plaine de Flandre par une faille considérable et par une ancienne ligne de hauteurs que n'ont pas recouvertes les couches crétacées les plus anciennes. Son travail sur ie cap Blanc-Nez est particulièrement intéressant en ce moment. De la direction des couches qu'il a reconnues, à marée basse, on doit con- clure à l'existence d'une faille qui correspond à la cassure du détroit. Ce sera là, je le crains, un obstacle considérable au percement du tunnel entre la France et l'Angleterre. M. Barrois a décrit la craie des tranchées du chemin de fer de Bou- logne à Saint-Omer; puis jugeant avec raison que, pour acquérir une 8 58 SÉANCES GÉNÉRALES connaissance exacte de la géologie du pays, il fallait suivre les mêmes terrains dans les pays voisins, il a traversé le détroit et est allé étudier la craie de l'île de AYight. Dans son mémoire qui va paraître prochai- nement, vous trouverez, outre les détails nombreux de géologie strati- graphique, une fort ingénieuse application de l'étude des sources à la découverte des failles. . Comme résultats définitifs, nous sommes arrivés à une détermination stratigraphique très-exacte des divers horizons paléontologiques de la craie dans le département du Nord et dans une partie de celui du Pas-de-Calais. Le côté minéralogique de la question a été traité par M. Savoye, à qui nous devons plus de cent analyses de craie recueillie à différents niveaux. Dans beaucoup il a reconnu la présence du phosphate de chaux. Tantôt cette substance se trouve en concrétions contemporaines de la couche qui les renferme, tantôt en nodules roulés provenant de couches plus anciennes. Les fossiles de la craie ont fourni matière à plusieurs travaux. M. Decocq a exploré le gisement de Lezenne avec une patience et un soin au-dessus de tout éloge. Il en a rapporté une collection qui fait un des plus beaux ornements de notre musée géologique. Il a étudié lui-même les inocérames; M. Hallez s'est occupé des crustacés; M. Ch. Barrois a dressé le catalogue des reptiles et des poissons. Parmi les rep- tiles, on doit mentionner un os de ptérodactyle, le premier que l'on ait rencontré dans la craie; un second a été signalé presque en même temps à Vaudricourt (Aisne), par M. Sauvage. M. Chelloneix a aussi dé- crit un squelette de tortue qu'il avait découvert dans le même gisement. La craie a été profondément ravinée avant le dépôt des terrains ter- tiaires. MM. Chelloneix et Ortlieb ont dressé un plan en relief qui montre la surface inégale de la craie, en supposant enlevés les terrains plus récents. Ils ont constaté entre Roubaix et Tourcoing l'existence d'une falaise de 60 mètres au pied de laquelle s'est formé un conglo- mérat de silex. Terrains tertiaires. — Nos terrains tertiaires ont été l'objet, en 1869, d'un travail magistral fait par MM. Ortlieb et Chelloneix. Avant eux, les sables qui constituent le mont de Cassel et les autres collines de Flan- dre étaient considérés en masse. Ils y distinguèrent plusieurs niveaux paléontologiques ou minéralogiques qu'ils suivirent jusque dans les en- virons de Bruxelles et de Louvain. Leur mémoire fait autorité dans la science; il sert dès maintenant de base à toutes les études entreprises en Belgique sur les mêmes terrains. Le substratum de ces collines sableuses est une masse d'argile épaisse de plus de 400 mètres. Déjà les géologues que je viens de citer, résu- GOSSELET. LES PROGRÈS DE LA GÉOLOGIE DANS LE NOItD o9 mant les faits observés par M. Meugy et par eux-mêmes, avaient re- connu que la partie supérieure de l'argile peut être distinguée de la partie intérieure; qu'elle renferme quelques fossiles qui la rapprochent des sables de Mons-en-Pévèle à Nummulites planulata. M. Dolfuss a re- connu des faits du même genre a la gare de Roubaix et de Mouscron, et 31. Flahaut à celle de Bailleul. Je me suis servi de toutes ces observa- tions pour mettre en parallèle, comme deux formations contemporaines, l'argile de Londres avec les sables de Cuise du bassin de Paris. Dans le même mémoire que j'ai communiqué, il y a un mois, à la Société des sciences de Lille, et que je dois présenter dans quelques jours à la Société géologique de France, je montre que les marnes heersiennes de Belgique ont chez nous des couches qui leur correspondent et que le terrain tertiaire inférieur du Cambrésis renferme plusieurs niveaux d'ar- gile plastique. L'année passée j'avais étudié dans le même pays les débris des couches à Nummulites lœvigata, et j'avais montré les communications de la mer du bassin de Paris avec celle des Flandres à l'époque du calcaire grossier. M. Ortlieb a essayé de faire une synthèse générale du terrain éocène du Nord, en prenant comme base de ses raisonnements le principe du synchronisme des formations. Il explique les modifications survenues dans la faune par les changements de nature des sédiments, et ceux-ci par des modifications géographiques. 11 prend comme indicateur hydro- timétrique de l'eau de ces mers anciennes la richesse en fossiles des dé- pôts qu'elles nous ont laissés. En collaboration avec M. Dolfuss, il a appliqué les mêmes principes au terrain oligocène des environs de Tongres. Us ont fait en outre de ce terrain une description plus détaillée et plus claire que tout ce qui avait déjà été écrit à ce sujet. Ceux d'entre vous qui ont lu les principes de géologie transformiste publiés à Paris par M. Dolfuss, reconnaissent facilement dans les théo- ries que je viens de vous exposer l'esprit qui devait diriger un an plus tard le jeune et hardi géologue. Terrain diluvien ou quaternaire. — Bien que ce terrain occupe une place importante dans la géologie du département, c'est celui que nous avons le moins travaillé. Je n'ai guère à vous citer que les études de M. Chelloneix sur le diluvium de Vaudricourt et sur celui de Sandgatte ; celles de MM. Chelloneix et Ortlieb sur le limon traversé par les tran- chées du canal de Roubaix au mont de la Masure; celles de MM. Hallez, Lecocq et Savoye sur le sable campinien des environs de Lille, et les quelques observations de ma part dans le Cambrésis. Mais il n'y a pas là de travail d'ensemble faisant faire à la science un progrès réel. 60 SÉANCES GÉNÉRALES Nous devons cependant revendiquer une part dans la distinction des deux limons : le limon supérieur ou terre à briques dont l'âge est in- déterminé ; le limon inférieur ou ergeron, qui renferme des débris d'élé- phants et de rhinocéros. Dans cette voie, nous nous sommes rencontrés avec M. Delanoue, dont je suis heureux, de rappeler le nom, car il est de nos compatriotes et, sans avoir beaucoup écrit, il a contribué puis- samment à l'aire connaître le sol du département. Je ne puis non plus quitter le terrain quaternaire sans mentionner le beau squelette d'Ursus arctos que M. Hanquelle, pharmacien à Béthune, a trouvé dans le limon intérieur de Beuvry et dont il a fait don au musée de Lille. M. Chelloneix. nous a fait connaître les circonstances de son gisement et de sa dé- couverte. Terrain récent. — Si j'ai pu passer rapidement sur nos études au sujet du terrain diluvien, il n'en sera pas de même pour les dépôts plus récents. J'ai à vous citer sur ce sujet un travail de première importance, celui de M. Debray sur les tourbières d'Albert et du littoral flamand. Les premières constituent, ou plutôt constituaient, car elles ont été presque complètement supprimées par l'exploitation, un petit lac tour- beux où des ruisseaux amenaient tantôt une eau boueuse, qui déposait de l'argile, tantôt une eau pure, calcaire, qui formait autour de chaque brindille de tourbe un petit étui solide de calcaire concrétionné. Cette tourbière, exploitée à ciel ouvert sur une épaisseur de 5 à 6 mètres, est peut-être le plus bel exemple d'un dépôt d'eau douce moderne dont on puisse suivre et expliquer la formation dans ses moindres détails. On y a trouvé des instruments de pierre polie comme dans les tourbières de la Somme. Les tourbières du littoral flamand sont plus récentes, car elles con- tiennent des débris de l'époque romaine. Ce qui en fait surfout l'intérêt, c'est qu'elles sont surmontées de 3 mètres de sédiments marins où l'on voit les coquilles en place, les deux valves réunies, la bouche en bas, l'anus en haut, en un mot, dans la position normale. Ce dépôt marin, dont la faune a été indiquée d'une manière complète par M. Dolfuss, est postérieur à l'époque romaine. On voit donc que si le nord de notre département était habité lors de la conquête de César, puis sous l'empire, plus tard il fut envahi par la mer, qui le recouvrit pendant un siècle ou deux. Chose singulière ! l'histoire ne fait pas mention de cette inondation. Nous pouvons cepen- dant en fixer à peu près la date. Sur les bords des tourbières flamandes, on a trouvé des monnaies à l'effigie des empereurs romains jusqu'à Posthume; l'inondation date donc au plus tôt de ce règne. L'époque où la mer se retire nous est moins facile à déterminer. Cependant un jeune Lillois, bien connu des archéologues par le soin et la précision qu'il GOSSELET. LES PROGRÈS DE LA GÉOLOGIE DANS LE NORD () I apporte dans ses recherches, M. Rigaux, est parvenu, en compulsant les chartes, à constater qu'au vu0 siècle quelques villages du littoral étaient déjà habités. Cependant, au xp siècle, il y avait encore des bras de mer qui s'avançaient dans l'intérieur du continent. Puisque je vous ai parlé de M. Rigaux, laissez-moi vous dire un des résultats les plus curieux, les plus inattendus auxquels il est arrivé dans ses études archéologiques. A l'époque de Posthume, le nord de notre département, les environs de Lille eux-mêmes, qui étaient jusque-là très-peuplés et où la culture était en honneur, lurent tout d'un coup privés de leurs habitants. Est-ce la guerre, une invasion barbare? l'histoire ne nous le dit pas. Ne serait- ce pas quelque phénomène naturel tel qu'une inondation. C'est plus douteux? Mais, s'il en est ainsi, ne désespérons pas d'en découvrir un jour la cause. Vous venez de voir quels féconds résultats on peut retirer de l'alliance de la géologie avec l'archéologie. Au risque d'abuser de votre patience, je ne puis résister au désir de vous indiquer un autre fait du même genre tout aussi curieux et encore inédit. Une partie de la ville de Lille est construite sur de la tourbe dont l'âge est assez récent, car, rue Beauharnais, elle repose sur un lit de sable de rivière où l'on a recueilli une belle hache de bronze. Plus loin, au bout de la rue Nationale, le long d'une branche de la Deule, on trouve aussi de l'argile tourbeuse, mais elle est plus récente, car le dépôt flu- viatile qui la sépare de la craie, comme à la rue Beauharnais, est rempli de monnaies romaines dont la dernière s'arrête à Posthume. Or, ce lit fluviatile contient des galets de silex, des morceaux de craie roulés gros comme le poing. Songe-t-on à la Deule, ce cours d'eau dormante, à peine capable de charrier la boue de nos ruisseaux, transformée en une sorte de torrent. Quel changement ce devait être dans les conditions cli- matologiques ? Ce n'est pas tout, la tourbe, qui a 2ni,50 d'épaisseur, est séparée en deux bancs par une autre couche de galets tout aussi gros. Ainsi, c'est à deux reprises que la Deule a roulé des cailloux. N'est-il pas remarquable que la première trace de crue corresponde exactement à l'époque où M. Rigaux nous signalait une interruption dans la civili- sation de nos contrées? La couche torrentielle inférieure et la tourbe qui la surmonte immé- diatement étaient remplies d'ossements. Ce sont évidemment des restes d'animaux de l'époque romaine. Nous en avons plusieurs centaines, j'es- père en trouver encore beaucoup d'autres ; je compte pour cela sur M. Rigaux, et j'en ai bien le droit, car, il y a quelques années, n'a-t-il pas déniché un puits où un Romain, fabricant d'objets d'os, s'était avisé de jeter tous les débris de squelettes qui ne pouvaient pas lui servir. Nous en avons deux grands tiroirs au musée. 62 SÉANCES GÉNÉRALES J'ai donc conçu l'espoir qu'à une des prochaines sessions du Congrès, un naturaliste lillois pourra vous présenter un travail sur les races fla- mandes d'animaux domestiques à l'époque romaine. Je termine avec cette promesse, et je compte sur elle pour me faire pardonner de vous avoir si longtemps parlé de nous et de nos études. M. MASQÏÏELEZ Ingénieur en chef des ponts et chaussées, Directeur des travaux municipaux de Lille et de l'Institut industrie agronomique et commercial du nord de la France. L'INSTITUT INDUSTRIEL, AGRONOMIQUE ET COMMERCIAL DU NORD DE LA FRANCE Il existait à Lille une Ecole d'enseignement technique, dite des Arts industriels et des Mines, dont l'origine remontait à 1854, et qui rece- vait certaines subventions du département du Nord et de la ville de Lille. Malheureusement, ces subventions étaient insuffisantes pour y or- ganiser tous les enseignements propres à assurer sa prospérité, et, d'un autre côté, la rapide diminution du nombre des élèves réduisait telle- ment les ressources, qu'il fallait, au contraire, supprimer des cours très- essentiels. Aussi la décadence arriva si brusquement, en 1872, que cette École n'a pu léguer que quinze élèves à l'Institut du Nord de la France. Justement inquiets des symptômes précurseurs de cette décadence, le Département et la Ville s'étaient concertés pour nommer une commission spéciale, chargée d'étudier et de proposer la réorganisation d'un éta- blissement indispensable dans une région où. l'industrie, l'agriculture et le commerce ont pris un développement exceptionnel. Cette commission était composée, sous la présidence de M. Hamoir, membre de la Commission permanente du Conseil général, de M. Henri Bernard, président de la chambre de commerce de Lille et membre dû conseil général, de M. Catel-Béghin, maire de Lille, de MM. Ruhl- mann, Emile Delesalle et Scrive-Wallaert, grands industriels. Pour mettre ses collègues en mesure de bien s'éclairer, avant de produire leurs propositions concernant une institution appelée à devenir une des plus importantes de la cité, en môme temps que de la région, M. le maire de Lille nous confia, le 6 juillet 1872, le soin d'aller faire une enquête sur l'organisation des écoles professionnelles, industrielles et commerciales du nord de la France, de l'Alsace et de la Belgique. A notre retour, nous rendîmes compte des résultats de cette enquête, en les groupant dans un tableau synoptique, et nos appréciations, MASQUELEZ. — l/lNSTITUT INDUSTRIEL DU NORD DE LA FRANCE (13 ainsi que les conclusions pratiques à en tirer, furent le reflet de celles des hommes éminents avec lesquels nous avions eu le bonheur de confé- rer successivement, et dont nous avions admiré la science et l'expérience spéciale, savoir : M. Gand, directeur de l'École industrielle d'Amiens; M. Dolfus, président de la Société industrielle de Mulhouse, et membre des Conseils de perfectionnement de toutes les écoles spéciales de cette ville ; M. Penot, ancien directeur de l'École supérieure des sciences appli- quées de Mulhouse, qui est depuis passé directeur de l'École de com- merce de Lyon ; M. Perrey, lauréat de l'École centrale, professeur de l'École supérieure de chimie industrielle de Mulhouse; M. Trasenster, professeur de l'Université de Liège, directeur des études de l'École spéciale des mines, président de l'Association des ingénieurs; M. Bureau, ingénieur des ponts et chaussées, directeur de l'École in- dustrielle de Gand, la plus ancienne et la plus florissante de la Belgique. Nous avions recueilli les renseignements relatifs : à l'École industrielle d'Amiens ; à l'École des arts et métiers de Châlons (visitée après avoir vu M. Tresca, sous-directeur des Arts-et-Métiers de Paris, qui aurait désiré l'établissement, à Lille, d'une quatrième École des arts et métiers) ; à l'École professionnelle de Mulhouse ; aux deux Écoles supérieures des sciences appliquées de Mulhouse (section des mathématiques et de phy- sique et section dite du laboratoire de chimie) ; à l'École théorique et pratique.de filature et de tissage mécanique de Mulhouse; à l'École de commerce de Mulhouse ; à l'École industrielle de Liège ; à l'Institut supérieur de commerce d'Anvers et à l'École industrielle de Gand. On nous avait signalé : l'enrichissement rapide des collections des Écoles par les dons généreux des grands industriels, désireux d'aider au développement d'institutions indispensables au recrutement d'auxiliaires instruits pour les industries régionales; la nécessité d'entourer la nomi- nation des professeurs des plus grandes garanties, afin d'éviter la dévia- tion de l'enseignement et l'abaissement de son niveau, par des hommes trop étrangers eux-mêmes aux applications des sciences pour pouvoir les bien inculquer aux élèves ; la nécessité non moins grande de prévenir l'abaissement du niveau de l'instruction par le relâchement de la disci- pline et des examens d'entrée, de passage en seconde ou troisième année •et de sortie ; la grande utilité de constituer un conseil de perfectionne- ment, dont les membres aient une compétence suffisante pour apprécier les programmes des cours des professeurs, pour assister à des examens sans avertissement préalable, de manière à entretenir une précieuse ému- lation tout à la fois chez les professeurs et les élèves. ()i SÉANCES GÉNÉRALES L'ensemble de toutes les données que nous avions recueillies amena la commission spéciale à reconnaître : que deux années d'études suffisaient pour l'agronomie et le commerce ; que, en ce qui concerne les diverses branches industrielles, deux années ne pouvaient suffire qu'aux fils de patrons en mesure d'être initiés ensuite, par leurs pères, à tout ce qui doit leur permettre de diriger avec fruit les usines destinées à passer dans leurs mains; qu'il fallait un cours supérieur de trois années pour conduire à la position d'ingénieur constructeur ou d'ingénieur civil des mines, ou d'ingénieur mécanicien pour filatures et tissages, les jeunes gens doués d'une aptitude 'assez grande, mais sans ressources suffisantes pour suivre, à Paris, les cours de l'Ecole centrale. La commission spéciale éprouvait quelques hésitations à l'endroit de çc cours supérieur, tout en reconnaissant qu'on trouverait toujours à Lille, parmi les ingénieurs de l'État ou civils, la Faculté des sciences, les chimistes émérites, les agronomes distingués, etc., des pro- fesseurs suffisamment hommes de science et présentant l'avantage d'être toujours au courant des travaux de l'industrie de la région, dans les- quels ils interviennent à chaque instant. Mais il fut établi que, formés par de tels professeurs, les élèves fourniraient à cette même région des directeurs d'usines mieux préparés que ceux sortant de l'École centrale. Or, le besoin de se procurer un bon directeur surgit fréquemment dans les exploitations si diverses et si nombreuses du nord de la France, lorsqu'un patron âgé et qui n'a pas de fils en mesure de l'aider, ne peut plus déployer une activité suffisante, lorsqu'un patron meurt pré- maturément, etc., etc. — Au surplus, les faits sont venus démontrer qu'on avait tort de craindre un insuccès, car un très-grand nombre d'é- lèves voudraient être admis dans la division de l'enseignement supé- rieur, et beaucoup donnent leur démission lorsqu'on refuse de les y laisser entrer, parce qu'on ne leur trouve pas une aptitude et une ins- truction acquise suffisantes pour en suivre les cours avec fruit. En résumé, la commission spéciale appuya tout notre travail, qui fut adopté par le département et la ville; puis, comme il ne fallait laisser aucune interruption entre le fonctionnement de l'ancienne École et celui du nouvel institut, il fut décidé qu'un essai de trois années serait en- trepris immédiatement dans l'ancien local de la rue du Lombard, appar- tenant à la ville, la dépense devant être supportée, jusqu'à concurrence des trois quarts, par le département, et, pour le surplus, par la ville. Nous avions d'abord déclaré à M. le maire de Lille que, malgré des instances très-flatteuses, nous ne pouvions accepter la direction ; mais la séduction qu'exerçait sur nous l'honneur de prêter un concours dé- voué à une création dont nous sentions toute l'importance pour la région du Nord l'emporta. Après avoir obtenu le précieux concours de MASQUELEZ. L 'INSTITUT INDUSTRIEL DU NORD DE LA FRANCE G5 M. Ma trot, savant ingénieur des mines, dont le choix, comme futur di- recteur des études, était pour ainsi dire commandé par ses aptitudes tout à fait spéciales et par son étude approfondie de la réorganisation des cours théoriques de l'ancienne École, nous nous mîmes à l'œuvre, avec lui, pour établir les conditions d'admission et les plans d'études compli- qués des dix-neuf sections que l'Institut pouvait compter dès son début ; pour recruter le surplus du personnel administratif et le corps ensei- gnant ; pour commencer activement des mesures de publicité et des tournées de propagande, réellement indispensables, en présence d'un délai tout à fait insuffisant de deux mois avant la rentrée ; pour faire connaître la réorganisation complète de l'ancienne institution, avec un corps enseignant hors ligne, possédant toutes les connaissances spéciales nécessaires à une excellente préparation des jeunes gens qui veulent en- trer dans les industries si variées de la région, dans l'agriculture et dans le commerce. Les conditions d'admission, tant pour la division d'enseignement moyen de l'École industrielle, dite de technologie, que pour l'École agronomique et pour l'Ecole supérieure de commerce, comprennent ;les éléments de l'arithmétique, de la géométrie, de l'algèbre, de la physique, de la chimie, de l'histoire naturelle et de la géographie, avec cette dif- férence que, pour l'École cle commerce, les éléments d'algèbre ne sont pas obligatoires, tandis que les connaissances géographiques doivent être complètes. — Pour la division d'enseignement supérieur, dite du Génie civil, il faut avoir seize ans au moins, au lieu de quinze ans, et bien posséder toutes les connaissances scientiliques exigées des candidats à l'École de Saint-Cyr. Les plans d'études de l'enseignement supérieur et des enseignements moyens se sont trouvés en parfaite concordance, sans qu'il y ait eu aucun concert préalable, avec ceux combinés pour plusieurs des autres grandes écoles régionales fondées en môme temps que la nôtre. Mais il y a lieu de faire observer qu'il est fait, à l'Institut du nord de la France, une très-large part aux exercices pratiques : dessins, manipula- tions chimiques, travaux d'ateliers divers, bureau commercial pour l'É- cole de commerce, nombreuses visites dans les établissements industriels, agricoles et commerciaux de Lille et des environs. Ainsi que nous l'a- vons déjà dit, il y a dix-neuf sections distinctes (en tenant compte, bien entendu, des élèves de première, de seconde et de troisième année), parce qu'on s'est attaché à bien approprier les cours théoriques et pra- tiques aux diverses carrières spéciales de la région. Aussi le nombre des professeurs titulaires et chargés de cours s'élève à vingt-neuf, et celui des chefs d'ateliers, contre-maîtres, préparateurs et autres auxiliaires du corps enseignant atteint dix. — Ce corps enseignant, si nombreux, est 66 SÉANCES GÉNÉRALES insuffisamment rétribué et accomplit une œuvre de dévouement : une réforme deviendra urgente dès que les recettes en frais d'études seront venues réduire notablement les charges actuelles du département du Nord et de la ville de Lille. Dès la première année scolaire 1872-73, il devint évident que l'ancien local mettrait déjà à l'étroit l'année suivante et gênerait beaucoup pen- dant la troisième année ; d'un autre côté, la ville ne l'avait loué que pour trois ans, à cause de la nécessité d'y installer l'École primaire supé- rieure. Ces considérations déterminèrent le Département et la Ville à passer une convention, aux termes de laquelle le premier s'engagea à ériger de premières constructions évaluées à 500,000 francs, sur un terrain d'une valeur de 300,000 francs, cédé gratuitement par la ville et compris entre quatre rues, dont deux sont des artères importantes. Grâce à l'activité déployée par l'entrepreneur de ces constructions et à l'action persévérante de ceux qui ont charge de le stimuler, les travaux sont extrêmement avancés, et nous avons, de plus en plus, l'espoir que la rentrée des vacances de Pâques 1875 pourra s'effectuer dans l'édifice définitif. Un pensionnat spécial, construit sur un terrain que la ville a vendu à prix réduit, en vue de favoriser cette création si importante pour le succès de l'Institut, sera prêt dès la rentrée d'octobre 1874. Cette cir- constance sera très-lieureuse, car beaucoup de familles qui avaient ma- nifesté, l'an dernier, l'intention d'envoyer leurs enfants à l'Institut, ont reculé au dernier moment, parce qu'elles ont redouté les dangers de l'externat libre. Enfin, l'effectif des élèves s'est accru de la manière la plus satisfai- sante, le nombre des nouveaux de la seconde année scolaire ayant dé- passé de 23 pour 100 celui de la première. — A ce propos, nous devons beaucoup remercier M. le recteur de l'Académie de son concours éclairé et sympathique : il a bien voulu édifier les chefs des établisse- ments universitaires sur le débouché que nous venions apporter aux élèves de l'enseignement secondaire spécial, trop souvent tentés de né- gliger et même de tronquer leurs études, tandis qu'il faut les achever consciencieusement pour être admis à l'Institut. La marche des études a été très-satisfaisante. On compte, cette année, six sujets très-distingués, vingt bons élèves et vingt assez bons, le sur- plus se répartissant également entre les passables et les médiocres. Si l'Institut fournissait ainsi, chaque année, à l'industrie, à l'agriculture et au commerce de la région, une cinquantaine d'auxiliaires instruits et pourvus d'une initiation suffisante à la pratique, cela suffirait déjà pour justifier pleinement les sacrifices que le département et la ville se sont imposés en sa faveur. Il les justifiera d'autant mieux, dans l'avenir, MASQUELEZ. — L'iNSTITUT INDUSTRIEL DU NORD DE LA FRANCE 67 qu'il y a tout lieu d'espérer que la proportion des bons élèves s'amélio- rera dans les effectifs croissants des années prochaines, par suite d'une sévérité plus grande encore dans les examens d'admission. Nous espérons donc que la région du Nord sera bientôt en possession des avantages que l'Alsace retirait des excellentes écoles de Mulhouse, et qui étaient la juste récompense des sacrifices considérables que les grands industriels avaient su s'imposer pour créer et pour entretenir ces écoles, qui ont, hélas ! beaucoup perdu depuis la rentrée en France de presque tous les professeurs. En terminant ce rapide historique, nous sommes heureux d'offrir un juste tribut de reconnaissance aux chambres de commerce de Lille et de Valenciennes, qui ont environné nos débuts d'un sympathique et gé- néreux concours. Grâce à leur libéralité et à celle de la Société indus- trielle, créée après la fondation de l'Institut, que nous devons également remercier, les ateliers ont pu recevoir une installation suffisante. De- puis, l'honorable M. Seydoux, grand industriel et conseiller général du Câteau, nous a fait don, de la manière la plus gracieuse, d'un des ap- pareils perfectionnés qu'il emploie ; il y a lieu d'espérer que son exemple sera suivi et que, avec le temps, nos ateliers deviendront montés aussi grandement que ceux de Mulhouse et d'Amiens. En attendant, nos col- lections vont passer tout d'un coup au plus haut degré de richesse, grâce à l'installation du beau musée industriel de la ville dans notre nouveau local : l'honneur de cette belle inspiration en faveur de nos enseignements revient en entier à M. Catel-Béghin, maire de Lille, dont la sollicitude est si grande pour tout ce qui peut développer l'instruc- tion, à tous ses degrés. M. DÏÏBAK, Rédacteur en chef de l'Écho du Nord. HISTOIRE DE L'INDUSTRIE DE ROUBAIX 68 SÉANCES GÉNÉRALES M. GIAO Professeur « In Tnculté des sciences de Lille. LABORATOIRE DE ZOOLOGIE MARITIME A W1MEREUX ( PAS-DE-3ALAIS ) Messieurs, Ce n'est pas devant une assemblée telle que celle à laquelle j'ai l'honneur de m' adresser, qu'il est nécessaire de plaider la cause des laboratoires de zoologie maritime. L'utilité de semblables établissements n'est plus à démontrer, et il semble qu'il devrait suffire aux zoologistes de notre génération de citer les œuvres de ceux qui furent leurs maîtres, pour convaincre les timides et les incrédules s'il en existe encore. Mats comme il n'arrive que trop souvent, alors que de tous côtés l'on s'élance avec ardeur dans les voies ouvertes par des savants français, tandis que des zoologistes allemands, suisses, russes, anglais, décrivent la faune de Saint-Waast-la-Hougue, de Port-Vendres, de Nice, on hésite, chez nous, à créer quelques-uns de ces observatoires zoologiques que les nations voisines multiplient dans toutes les mers ; on refuse d'encourager des recherches dont les conséquences pratiques et les applications, pour ne pas être immédiatement sensibles, n'en sont pas moins importantes et parfaitement assurées. Aussi ne comptons-nous, en France, que trois laboratoires de zoologie maritime : Concarneau, Marseille et RoscofT. Concarneau est devenu à jamais célèbre par les travaux de Coste, de Gerbe et de G. Pouchet. Marseille est connu par les belles recherches de Lespès et surtout de Marion, le jeune et habile directeur de ce laboratoire. Quant à la station de Roscolf, bien que de création récente, elle a déjà fourni le sujet de plusieurs mémoires importants, dont il ne m'appartient pas d'apprécier la valeur. Mais ces trois points de notre littoral, si intéressants qu'ils puissent être, sont trop éloignés du nord de la France pour pouvoir servir aisément aux investigations des naturalistes de notre pays. Le département du Nord, malgré son aspect uniforme, malgré les tendances pratiques de la plupart de ses habitants, a vu naitre cependant bien des amants passionnés de la nature. Les Maequart, les Degland, les Desmazières, les Lestiboudois, les Lecocq ont laissé parmi nous des tra- ditions qui sont loin d'être perdues. Toutefois, c'est surtout depuis quelques années qu'un courant plus marqué entraîne nos jeunes gens vers l'étude des sciences biologiques. Grâce à l'éclat que mes prédéces- seurs, MM.de Lacaze-Duthiers et Dareste, ont jeté sur l'enseignement de GIARD. — LABOItATOUlE DE ZOOLOGIE MARITIME 69 la zoologie dans notre Faculté ; grâce au zèle infatigable que mon col- lègue, M. Gosselet, a déployé depuis dix ans pour répandre dans notre pays le goût des recherches géologiques et des sciences naturelles en général, j'ai trouvé en arrivant à Lille un noyau de travailleurs tel qu'on en rencontre dans peu de facultés de province. Quelques excursions, laites pendant la durée des vacances, m'avaient permis de comprendre tout ce qu'on pouvait attendre de cette jeunesse flamande, difficile à en- thousiasmer, peu accessible aux théories, mais douée d'une rare ténacité et d'une sage prudence dans les observations. C'est ainsi que pendant une année j'ai exploré successivement les points les plus intéressants de notre littoral et même de la Belgique, depuis Ostende jusqu'au cap Gris-Nez. Toutefois, élevé à l'école de M. de Lacaze-Duthiers, je n'étais que médiocrement satisfait par ces excursions plus ou moins rapides, faites dans des conditions d'installa- tion toujours fort défectueuses. En effet, comme l'a si bien dit mon savant maître, « ces recherches, faites à pied levé, ne peuvent nous fournir que des données, non-seulement insuffisantes, mais encore trompeuses, parce qu'elles n'ont pas leur point de départ dans des études longtemps poursuivies ». J'ai donc dû me préoccuper de chercher, sur un point de nos côtes, une localité où l'on pût établir, non pas un laboratoire complet destiné à faciliter les travaux de personnes ayant déjà un nom dans la science, mais une sorte de dépendance du laboratoire de la Faculté de Lille, où les jeunes étudiants dont la direction m'est confiée pussent, d'une part, compléter sur la nature l'enseignement théorique du cours, et, d'autre part, s'essayer à des recherches originales en faisant connaître la faune encore si peu étudiée de cette partie du littoral. Le choix de la station de Wimereux m'était indiqué par des raisons nombreuses et importantes. La première et la plus sérieuse est la nature géologique du rivage. L'on a remarqué depuis longtemps, en effet, que la richesse zoologique d'une côte est en raison directe de l'âge des roches qui la composent. Mon attention devait donc se porter tout d'abord sur les terrains jurassiques du Boulonnais, et, parmi ces terrains, sur ceux d'entre eux dont la structure minéralogique est le plus com- pacte, les grès portlandiens qui forment les plages de Wimereux et du Portel.Ces plages rocheuses sont, en effet, bien plus riches que les baies sablonneuses d'Ambleteuse et d'Audresselle,bien plus riches surtout que les environs de Dunkerque et le rivage plus récent de la mer du Nord. Du reste, les catalogues des mollusques et des crustacés supérieurs des environs de Boulogne, dressés il y a plus d'un demi-siècle par un zélé naturaliste de cette localité, M. Bouchard-Chanteraux, m'avaient fait pressentir que les rochers souvent cités de la Tour de Croy et de la 70 SÉANCES GÉNÉRALES Pointe-aux-Oies, devaient renfermer aussi une grande variété d'animaux inférieurs peu connus et intéressants. Vous estimerez, j'espère, que mon attente n'a pas été trompée. Wimereux est près de Boulogne et relié à cette ville par le chemin de fer ; c'est là un second avantage qui m'a paru avoir quelque valeur. On peut, en effet, en jouissant du calme de la campagne et du recueillement nécessaire aux études sérieuses, profiter des ressources que donne le voisinage d'une grande ville, éviter des transports coûteux et se procurer aisément sur place une foule d'objets qui constituent un bagage incom- mode quand on doit passer quelque temps dans les localités plus écartées. L'absence d'établissement balnéaire et le manque d'hôtel luxueux écartent de Wimereux cette population oisive et malsaine dont la curiosité pares- seuse est si gênante pour le travailleur dans les ports de mer plus courus et plus renommés. Enfin, grâce au nouveau chemin de fer de Saint-Omer à Boulogne, on peut facilement faire en trois heures le trajet de Lille à Wimereux; venir, par exemple, recueillir des animaux pendant une grande marée et retourner le soir à Lille avec son butin pour l'étudier les jours sui- vants. J'ai pu ainsi entreprendre à la Faculté des études suivies d'em- bryogénie: il est même intéressant de noter que l'eau de mer conservée depuis longtemps, et dans laquelle on ne trouve plus ni infusoires ni crustacés copépodes, est merveilleusement propre à l'éducation de cer- tains embryons qui se trouvent ainsi mis à l'abri d'une dangereuse concurrence vitale. Ce trajet si court et si facile de Lille à Wimereux est, pour le service, un avantage inappréciable. Pendant l'été, par autorisation spéciale de M. le recteur de l'Académie, les cours de botanique auront lieu deux jours de suite, et le professeur passera le reste de la semaine au laboratoire de zoologie maritime, où il remplacera, par un enseignement pratique de tous les instants, les conférences et manipulations qu'il a instituées au laboratoire de la Faculté. Je sais qu'en procédant ainsi (et j'en ai fait l'expérience depuis le mois de juin de cette année), je perdrai une grande partie du temps que les nécessités de l'enseignement me laissent pour mes travaux per- sonnels ; mais j'ai la conviction que je ne rendrai pas pour cela moins de services à la science dont je désire les progrès avant tout. Telles sont, messieurs, les idées qui ont présidé à la création de la station maritime de Wimereux; telles sont les raisons qu'à diverses reprises j'ai cherché à faire valoir pour obtenir quelque assistance dans la réalisation de mon projet. La ville de Lille, qui sait admirablement comprendre les besoins de la science, venait de m'accorder, à Lille même, en face des bâtiments GIARD. LABORATOIRE DE ZOOLOGIE MARITIME 71 de la Faculté devenus trop étroits pour les services qu'ils renferment, une vaste maison où seront installés l'année prochaine des laboratoires d'histologie, d'anatomie et de physiologie, en un mot tout ce qui com- pose ce qu'on appelle en Allemagne un institut zoologique. Je suis heureux de saisir cette occasion pour remercier publiquement M. le maire de la ville de Lille et tout le conseil municipal, dont la générosité à l'égard de l'enseignement supérieur ne s'est jamais démentie un instant. On comprend qu'après une pareille faveur je ne pouvais recourir à notre cité, dont les charges sont déjà si lourdes, pour l'entreprise que je voulais tenter à Wimereux. C'est donc au ministère que j'adressai mes demandes, encouragé par les promesses de M. Dumesnil dont le dévoue- ment aux intérêts de la science est bien connu de tous ceux qui ont pu l'approcher. Malheureusement, les crédits trop restreints affectés aux nécessités les plus urgentes des diverses facultés n'ont pas permis à M. le ministre de nous venir en aide dans cette circonstance. Ma plus vive reconnaissance n'en est pas moins acquise aux personnes qui ont bien voulu appuyer mes démarches et surtout à M. Viollette, doyen de la Faculté des sciences de Lille, dont les conseils et l'assistance ont puissamment secondé mes efforts. C'est alors que je me suis décidé à entreprendre avec mes seules ressources la première installation du laboratoire de "Wimereux. J'ai bientôt reçu le concours le plus empressé de la plupart de mes élèves, MM. H. Leloir, Ch. et J. Barrois, Dutertre et de Guerne qui ont déployé le zèle le plus louable pour le succès de notre œuvre. J'ai aussi été fort bien secondé par M. P. Hallez, mon préparateur, que je suis heureux de remercier ici du dévouement qu'il m'a toujours témoigné. Si je suis entré dans les détails minutieux de nos misères, c'est que je tiens à vous expliquer d'avance tout ce que l'installation de notre laboratoire maritime présente encore de défectueux. Vous savez ce que peuvent être Jes économies d'un professeur suppléant dans nos Facultés françaises. J'ai pris à ma charge le local, la verrerie et les aquariums. Mes élèves ont apporté leurs instruments de travail et une partie des livres indispensables. L'état de nos finances ne nous a pas permis d'avoir cette année un garçon de laboratoire; nous avons donc été forcés de faire nous-mêmes tout le service d'appropriation, de remplir et dévider les aquariums, de transporter seau à seau l'eau de mer dont nous avions besoin, de nettoyer et entretenir les instruments de dissection que le contact de l'eau salée détériore si rapidement. Malgré cette modeste, cette trop modeste installation, nos dépenses pour cette année s'élèvent à 3,000 francs environ, dont 1,000 francs pour la location de l'immeuble du lo juin 1874 au 15 juin 1875. Voici maintenant l'inventaire rapide de ce que nous avons rencontré 72 SÉANCES GÉNÉRALES à AYimereux et des recherches que nous avons pu y taire. Je n'ai pas, cela va sans dire, la prétention de vous donner un catalogue complet de la faune de cette localité. Je veux simplement attirer votre attention sur les types les plus intéressants que nous y avons observés et sur les principaux résultats que l'étude de ces animaux nous a fournis jusqu'à présent. Plusieurs de ces résultats ont été déjà communiqués à l'Acadé- mie des sciences ; beaucoup sont encore inédits et formeront le sujet de mémoires qui ne tarderont pas à être publiés. Rien n'est plus facile pendant l'été que d'observer à Boulogne la phos- phorescence de la mer. Cette phosphorescence est due presque exclusi- vement à la Xoctiïuca miliaris, animal du groupe des Protozoa, qui est parfois tellement abondant qu'il constitue un véritable embarras pour le naturaliste en encombrant les vases où l'on conserve des embryons. Pendant quelques jours, du 20 au 25 juin, l'eau de la mer, à la marée montante, présentait sur le bord la consistance du tapioca et une cou- leur d'un rouge tomate assez pâle. Cette couleur était due, comme je m'en suis assuré, aux spores des noctiluquesqui paraissaient se reproduire avec une prodigieuse rapidité pendant les journées chaudes et orageuses. Ces spores sont vertes à la lumière transmise et rougeâtres par réflexion ; il m'a été facile de vérifier à cette époque la plupart des observations de Cienkowsky. Parmi les autres protozoaires, je dois citer les grégarines, dont de nombreuses espèces se rencontrent dans les némerticns, les annélides, etc. Une espèce intéressante du genre Monocystis se trouve fréquemment dans les lobules hépatiques du Molgula socialis. Je ne parle pas des radiolaires, des rhizopodes et de tout le monde des infusoires, dont les types innombrables exigeraient encore, rien que pour être décrits, la vie de plusieurs naturalistes. J'ai pourtant remarqué plus particu- lièrement deux curieux acinétiens, dont l'un vit en parasite sur les crus- tacés copépodes, l'autre se fixe de préférence sur les connus des bryozoaires. Les spongiaires comprennent plusieurs espèces intéressantes. On trouve fréquemment, sous les rochers de la zone profonde, Yllalimrca Dujardini, et bien plus rarement une autre espèce de myxosponge qui présente une singulière ressemblance avec le Botrylloidcs rubrum du groupe des ascidies. Parmi les siliceuses on remarque plusieurs Vioa ou éponges perforantes : le Chalina oculata, qui est parfois rejeté sur les coquilles d'huîtres, l' H y me ni aci don caruncula, Ylsodictrya rosea, et sur- tout YHalicondria panicea, dont la cosmogenèse est singulièrement modifiée suivant les conditions extérieures d'existence et, mériterait d'être étudiée avec soin. Les calcispongiaires sont représentés également par des types nom- GIARD. — LABORATOIRE DE ZOOLOGIE MARITIME 73 breux : le Syoortis quadrangulata, YAscandra cohtoiia, le Sycandra compressa, YAscandra variabilis. L'un des jeunes travailleurs de la Faculté des sciences, M. Ch.Barrois, s'est occupé cet été de l'embryogénie de ces animaux, qui présente de grandes difficultés et sur laquelle on est loin de s'entendre. Haeckel et Metschnikoff, les deux zoologistes qui ont étudié cette question, sont arrivés à des résultats tout à l'ait différents. M. Ch. Barrois a choisi comme objet de ses recherches le Sycandra compressa, espèce voisine de celles étudiées par ses prédécesseurs, et excessivement commune à Wimereux, où elle présente les faits de polymorphose les plus inté- ressants. Les résultats obtenus par ce jeune naturaliste ne tarderont pas, je l'espère, à être publiés ; ils me paraissent confirmer d'une façon remar- quable l'opinion que j'avais émise en m'appuyant principalement sui- des considérations d'ordre morphologique, à savoir: que les oscules des éponges sont le plus souvent des ouvertures d'expulsion de l'eau, des cloaques et non des bouches ou des pseudostomes, comme le prétend le professeur Haeckel. Les idées du savant professeur d'Iéna sur la nature des éponges ne peuvent s'appliquer convenablement qu'au groupe des Ascones. Cbaque tube radial des Sycones est homologue à la personne des Ascones, l'ouverture garnie de longs spicules est un cloaque commun. Chaque Sycon est un connus et non une personne unique. 11 en est de même pour les Leucones, où chaque personne est constituée par ce qu'on a appelé les chambres ou corbeilles vibratiles . La couche de grosses cellules extérieures de l'embryon, que Haeckel considère comme un exoderme, paraît plutôt comparable aux cellules formatrices du testa chez les ascidies composées et en général chez tous les tuniciers; mais c'est là un point qui exige encore de nouvelles recherches. Enfin, il résulte des recherches de M. Charles Barrois que les spicules simples apparaissent les premiers et ont par conséquent, contrairement à l'opinion de Haeckel, une importance très-grande pour la phylogénie, c'est-à-dire pour la classification généalogique des éponges . Le groupe des zoophytes proprement dits est assez largement repré- senté à Wimereux. Le charmant Cydippe pileus est souvent rejeté par milliers sur la plage, tout à fait au premier printemps. Quand la mer est agitée, elle amène fréquemment sur le sable des méduses d'espèces variées (Chrysaora isoscela et Rhizostoma Cuvieri). On rencontre aussi sur les côtes du Boulonnais la plupart des tubulaires, 9 74 SÉANCES GÉNÉRALES des campanulaires et des sertulaires signalés par Van Beneden sur les côtes de Belgique. L'Alcyonium digitatum couvre souvent les grandes huîtres draguées aux environs d'Étaples ; on le trouve communément aux grandes marées sous les rochers de la tour de Croy et de Châtillon. Les anémones de mer, ces gracieuses créatures semblables, à des fleurs composées, sont excessivement nombreuses en espèces et en individus ; je citerai parmi les plus remarquables le superbe Actinoloba dianthus (l'œillet), le Bunodes crassicornis (le dahlia), YActinia equina et sa variété mesembrianthemum reliée au type par une multitude de formes intermédiaires; les Sagartia troglodytes, rosea, viduata, bellis, etc. Comme caractère négatif pour notre faune, on peut indiquer l'absence complète de YAnlhea cereus si commune sur les côtes de Bretagne. Les échinodermes ne comprennent qu'un petit nombre d'espèces, mais quelques-unes d'entre elles sont représentées par des myriades d'indi- vidus. Telles sont YAsteracanthion rubens et le Psamanechinus miliaris. Vers Ambleteuse, on trouve communément rejetés sur le sable les Echi- nocardium purpureum et arenarium. L'intestin des soles nous a plusieurs fois fourni les Echinocyamus tarentinus et pusillus. Enfin, sous les pierres, on rencontre plusieurs espèces d'ophiures dont chacune paraît avoir des zones d'habitat parfaitement circonscrites. Le groupe des géphy riens nous a fourni le Sipiïnculus nudus, qui n'est pas rare au milieu des tubes d'hermelles, dans la zone des lami- naires, et un type très-curieux que j'ai rencontré parmi les corps étran- gers recouvrant le dos d'un Inachus scorpio. C'est un petit géphyrien qui, par la disposition de ses tentacules buccaux, semblerait appartenir au curieux genre Petalostoma de Kefcrstein : mais la trompe est armée et les muscles rétracteurs, au nombre de quatre, sont situés à la partie antérieure de l'animal. C'est donc un type synthétique réunissant les caractères des genres Petalostoma, Sipunculus et Phasco- losoma . Parmi les bryozoaires, je citerai particulièrement le remarquable genre PedicelUna, dont nous possédons au moins deux espèces distinctes. L'une d'elles, très-voisine du PedicelUna echinata, vit en parasite sur les Bugula et notamment sur le Bugula plumosa. Les affinités de ces ani- maux avec le groupe si anormal du Loxosoma ont déjà frappé tous les naturalistes qui les ont étudiés. Or, le Loxosoma Kefersteinii vit aussi, d'après Claparède, en parasite sur les Bugula. Le Loxosoma singularis habite sur les annélides du genre Capitella. Le Loxosoma neapolitana a été trouvé par Kowalewsky dans les tubes d'un chétoptère. J'ai observé sur nos côtes une espèce inédite de Loxosoma qui vit sur les siponcles. GIARD. — LABORATOIRE DE ZOOLOGIE MARITIME ~0 Les relations de parallélisme qui existent entre l'arbre généalogique .1rs animaux parasites et celui des êtres sur lesquels ils vivent, me portent, à voir dans les faits précédents une confirmation des idées ingénieuses auxquelles Schneider est arrivé par l'embryogénie, relativement à la parenté des annélides, des géphyriens et des bryozoaires, le genre Pho- ronis établissant un passage entre ces derniers types. Du reste, les recherches embryogéniques sur le groupe des bryozoaires sont encore fort insuffisantes. Les larves sont loin de présenter une structure aussi simple que celle qui leur est attribuée par Van Beneden, Nitsche, Clapa- rède. M. Jules Barrois, élève de la Faculté, qui se livre en ce moment à des recherches sur ce sujet, a trouvé chez les embryons du Bugula et de deux autres genres une organisation au moins aussi compliquée que celle du Cyphonautes qui n'est, on le sait, qu'une larve de Membra- nipora. 31. J. Barrois s'est occupé aussi de l'organisation des némertiens, dont on trouve à Wimereux des types nombreux, et variés. Ses recherches ont porté surtout sur les questions si pleines d'intérêt, mais encore si obscu- res, de la cavité du corps et du système circulatoire; elles l'ont amené à ce résultat, que la cavité générale des némertes est généralement com- posée d'un ensemble de cavités secondaires plus ou moins complexes, dont les rapports constants avec certains organes jettent un jour nou- veau sur la signification morphologique de ces derniers. La trompe est bien, comme l'ont annoncé Claparède et Marion, un organe tout à fait indépendant du tube digestif. Ces recherches, que l'auteur s'occupe en ce moment à compléter, ont été faites sur plusieurs espèces de Polia, notamment le curieux Polia involuta, parasite des œufs de Cancer mœnaSy sur le Borlasia longissima, le Tetrastema marmoreum, les Valen- cenia, etc. Les turbellariés de notre région ont déjà fourni le sujet de deux tra- vaux importants à M. P. Hallez, préparateur à la Faculté des sciences de Lille. Ce jeune naturaliste a fait voir que le testicule des rhabdocœles possède, comme l'ovaire, des follicules dont le produit n'est plus un élément direct de la génération, mais une sécrétion accessoire destinée à parachever le développement des spermatozoïdes, comme la production des cellules vitellines dans le vitellogène complète le développement de l'œuf. Parfois, cette glande accessoire, tout en gardant ses rapports mor- phologiques, joue un rôle physiologique très-différent et secrète un liquide venimeux. C'est ce qui a lieu dans le beau genre Prostomum, dont M. Hallez a pu étudier à Wimereux plusieurs espèces marines pour la plupart encore inédites. Les annélides nous ont présenté plusieurs espèces d'oligochètes mari- nes, dont l'étude serait certainement très-intéressante. Les chétopodes 70 SÉANCES GÉNÉRALES sont excessivement nombreuses. Les plus abondantes sont : YAphrodita aculeatà, le Pectinaria belgica, l'arénicole des pêcheurs, de nombreuses espèces de Néréides, Phyllodoce, Polynoc, Syllis, etc. Les hermelles sont assez abondantes dans la région des laminaires pour caractériser une zone très- nette, où les rochers sont complè- tement recouverts par les masses alvéolées que forment leurs tubes en s'agrégeant. Un rencontre également des Leucodorum, des Tercbelks, des Sabella, des Spiivrbis, qui recouvrent souvent la tige et les expansions foliacées des fucus et des laminaires. Au bas de l'eau, sous les rochers, on peut recueillir les élégants polypiers d'une Salmacina voisine de la S. Dysteri. Parmi les vers, j'ai remarqué une abondance extraordinaire de néma- toïdes libres, et de très-nombreuses espèces de nématoïdes parasites, de cestodes et de trématodes. Je signalerai seulement deux types de ce der- nier groupe : un petit distome parasite du Cydippe pileus, et le singulier Bucephalus polymorphus dont j'ai eu le bonheur d'observer l'enkystemcnt dans les viscères de l'orphie (Belone vulgaris). Les tuniciers simples sont représentés, à Wimereux, par le doua intestinalis, YAscidia scabro, YAscidia chlorhema, qui abondent sous les pierres de la tour de Croy et de la roche Bernard. Le Cynthia rustica ta- pisse le dessous des rochers qui surplombent ; elle est surtout fort com- mune au Gris-Nez. Les huîtres draguées d'Étaples sont souvent couvertes de beaux échantillons de Cynthia morus. Cette espèce se trouve d'ailleurs, aux basses eaux, à la surface inférieure des pierres. Parmi les molgulides, il faut citer d'abord la très-intéressante Molgula socialis, qui caractérise une zone et se trouve largement distribuée à l'est et à l'ouest de Boulogne-sur-Mer. J'ai déjà fait connaître plusieurs particularités remarquables que présente cette espèce au point de vue du l'embryogénie et de l'éthologie. Je signalerai encore la suivante, qui me paraît avoir une certaine importance. Tandis que la Molgula socialis est excessivement abondante au printemps et au commencement de l'été, et représentée alors principalement par de très-gros individus, elle devient, au contraire, bien moins commune et même rare vers la fin de juillet et au commencement d'août. Puis à la fin d'août on la retrouve de nouveau très-commune, mais représentée uniquement par des individus jeunes et de petite taille. Comme celte espèce vit très-solidement fixée sur la roche et en masses compactes, il est clair qu'il n'y a pas ici de migrations, mais les vieux individus qui ont hiverné meurent après la reproduction, sont entraînés par les vagues et bientôt après remplacés par la jeune génération qui échappe quelque temps à la vue par sa peti- tesse. On comprend à quelle méprise ces faits pourraient donner lieu si GIART). — LABORATOIRE DE ZOOLOGIE MARITIME 77 l'espèce, au lieu d'être fixée sur les pierres, se trouvait libre et plongée dans le sable. Au milieu des masses grégaires formées par le Mohjiila. socialis, on rencontre assez fréquemment un petit Gymnocystis dont le têtard présente," d'une façon déjà très-remarquable, les singuliers rayons natatoires que j'ai signalés chez diverses larves d'ascidies, et qui attei- gnent un si haut degré de développement chez lesCynthia composés du genre Polystycle. Parmi les ascidies composées, on trouve très-abondamment le Circi- nalium concrescens, le Polyclinum succineum, un botrylloïde nouveau que j'appellerai Botrylloides boloniensè, une forme très-remarquable du Moï'chellium argus, V Encœlium parasiticum, les Leptoclinum maculosum et durum, etc. Les Polyclinum, les ascidies simples et autres corps étrangers de la zone des hermelles sont fréquemment recouverts par les. connus d'une intéressante espèce de diplosomien. Les synascidies de ce groupe, dont j'ai le premier nettement indiqué l'organisation et la place taxononhque, sont encore confondues par des zoologistes très-distingués avec les genres si distincts de la tribu des didemniens. C'est une erreur que n'a pas su éviter l'un des premiers zoologistes de notre époque, Kowalewsky, dans un travail récent qu'il vient de publier sur le bourgeonnement des asci- dies, travail dans lequel se trouvent confirmés une grande partie des faits que j'avais indiqués en 1872 relativement au bourgeonnement ovarien des Amarœcium. Une nouvelle espèce de ce dernier genre a été décou- verte cet été à Wimereux. Je l'ai nommée Amarœcium bilatérale, à cause d'une disposition remarquable de la branchie qui présente de chaque côté une ligne longitudinale de papilles analogues à celles que l'on trouve entre chaque rangée de fentes dans l'organe respiratoire du Perophora Listeri. Je ne parlerai pas de la classe des mollusques qui est aussi largement représentée à Wimereux, mais dont l'étude est relativement plus avancée, du moins pour ce qui concerne la spécification, grâce aux laborieuses recherches de Bouchard Chanteraux, et de son zélé continuateur, M. Al- laud, administrateur du musée de Boulogne. J'insisterai cependant sur l'intérêt que présente l'étude purement descriptive de ces animaux au point de vue de la géographie zoologique. Les kelles publications de Forbes, de Jeffreys, de Aider et Hancock nous ont fait connaître par- faitement la faune malacologique des côtes d'Angleterre. Hensen et Moebius publient en ce moment celle de la baie de Kiel. Plusieurs mollusques du Boulonnais, particulièrement les nudibranches, présentent des formes intermédiaires entre les types britanniques et ceux observés à l'entrée de la Baltique. Tels sont, pour citer quelques exemples, YEolis papil- losa, les Polijcera oeellala et cris ta la, le Dendronotus arborescens, etc. 78 SÉANCES GÉNÉRALES Le groupe des arthropodes, aux. formes si variées et souvent si bizar- res, a particulièrement attiré mon attention. L'embryogénie des pycnogonides, dont cinq ou six espèces se retrou- vent communément à Boulogne, m'a fourni plusieurs résultats intéres- sants. Les quatre paires de pattes que ces animaux possèdent à l'état adulte ne peuvent être regardées comme homologues des quatre paires de pattes des acariens, dont la première forme larvaire présente cepen- dant une ressemblance indiscutable avec le NaupUus des Pycnogonum . La première paire d'appendices de la larve des Pycnogonum littorale renferme un organe glandulaire que je crois comparable à celui qu'on rencontre chez les embryons des cirrhopodes et des rhizocéphales. Cet organe n'est autre que le rudiment de la glande verte, depuis long- temps connue chez un grand nombre de crustacés , et qui souvent vient déboucher au dehors, comme cela a lieu dans la corne frontale des embryons des cirrhopodes vrais ou parasitaires. Il est singulier que Clarapède ait pris cette glande pour une partie musculaire chez le NaupUus de l'anatife, Claparècle, qui avait fait con- naître un organe analogue et probablement homologue chez les embryons d'un grand nombre d'annélides. Keferstein a aussi indiqué cette forma- tion chez les larves des Spirorbis : elle paraît du reste permanente chez une foule d'espèces du groupe des chétopodes. J'ai étudié avec une satisfaction toute particulière les types dégradés par le parasitisme, notamment ceux qui appartiennent aux groupes des rhizocéphales, des isopodes et des copépodes. Cette étude m'a convaincu de l'insuffisance des recherches anatomiques, quand ces recherches ne sont pas complétées par l'embryogénie. Il est remarquable, en effet, que sous des conditions d'existence similaires, les parasites appartenant aux classes les plus différentes arrivent à présenter une structure anatomique des plus uniformes. Les organes des sens et ceux de la locomotion ont subi le plus souvent une atrophie complète. Le tube digestif lui-même a souvent fini par disparaître, et tout l'animal à l'état adulte se réduit, dans le sexe femelle, à un simple sac ovigère, dans le sexe mâle à une bourse à spermatozoïdes. Entre une Sacculina et un Peltogaster, un Cryp- toniscus et un Ophinseides, il y a, au point de vue de l'ànatomie pure, des différences bien peu considérables. Mais l'embryogénie nous révèle aussitôt les véritables relations de parenté de ces êtres dégradés par le parasitisme. L'étude des parasites fournit, si je ne me trompe, toute une série d'arguments décisifs en faveur des idées de Darwin. Telles sont, messieurs, les quelques observations que nous avons pu faire au laboratoire de Wimereux. La satisfaction d'un devoir accompli et le plaisir que j'éprouve à m'occuper des questions si intéressantes que soulève l'étude de la nature sont pour moi un ample dédommagement GIARD. — LABORATOIRE DE ZOOLOGIE MARITIME 79 des sacrifices que je me suis imposés et que je suis tout prêt à m'im- poser encore pour les progrès de la science. Si, accédant au vœu ex- primé dans les dernières réunions de notre comité local, l'Association française daigne encourager nos efforts, je crois pouvoir affirmer sans trop de présomption que les travailleurs de notre pays se montreront dignes d'un semblable patronage et redoubleront de zèle pour rivaliser avec les nations voisines, dont il serait puéril de nous dissimuler actuel- lement la supériorité. Réduits à nos propres forces et avec le seul concours de l'initiative privée, nous avons pu organiser à Wimereux, non pas un de ces aqua- riums de parade destinés à la vulgarisation, non pas un de ces labora- toires où l'on n'entre qu'en aliénant une partie de son individualité et en contractant des engagements pour l'avenir. Nous nous sommes inspires de ces belles paroles de l'immortel Savigny : « Des obligations trop im- périeuses paralysent les facultés, elles semblent altérer la volonté même. Si les bonnes observations sont le fruit de la patience, elles sont aussi celui de la pleine et entière liberté. Venena servi tus, libertas poma. » Je vous l'ai dit, messieurs, je ne veux pas dissimuler nos misères, je ne suis pas un pauvre honteux. Je suis loin de supposer aussi que, même avec nos faibles ressources, j'ai fait tout ce qu'il était possible de faire et tiré le meilleur parti de la situation. Vous verrez notre laboratoire de Wimereux. Je compte sur vos critiques et surtout sur vos conseils. Les conseils ne doivent être dédaignés à aucun âge, et plus que tout autre, je dois les réclamer. Grâce à votre bienveillant concours, grâce aux lu- mières de ceux d'entre vous qui, depuis longtemps, s'occupent avec tant de succès de l'étude si attrayante et si indispensable des animaux inférieurs, j'espère créer un jour auprès de notre Faculté des sciences un centre actif et de puissante attraction : j'espère former à Lille un groupe de zélés travailleurs comme on en rencontre dans la plupart des universités étran- gères. Mon plus grand désir, je dirai presque la seule passion qui m'anime, est de voir se propager, grâce aux travaux entrepris dans notre région, ces admirables doctrines que les Darwin, les Vogt, les Claparède, les Ko- walewsky, les Haeckel, ont depuis bientôt vingt ans répandues chez tous les peuples où la science a fait les plus rapides progrès, ces doctrines qui ont opéré dans les recherches biologiques une révolution compara- ble à celle que l'hypothèse de Newton a jadis amenée dans les sciences astronomiques ; ces doctrines qui ont imprimé aux sciences naturelles le même caractère de grandeur et de simplicité que la théorie mécanique de la chaleur et l'hypothèse des ondulations avaient antérieurement com- muniqué à l'étude des grandes lois physiques de la nature. 80 SÉANCES GÉNÉRALES M. Alfred REIOÏÏÀED fils Filateur et fabricant de toile?, à Lille. DES PROGRÈS DE L'INDUSTRIE DES LINS — Séance générale du SI a mit 1874. — Messieurs, Je ne puis mieux choisir que la ville de Lille pour vous retracer les progrès successifs de l'industrie des lins, vous redire les difficultés qui en entravèrent la marche et les luttes qu'elle eut à supporter. Vous avez parcouru nos campagnes, vous avez pu voir quelle activité résultait de la culture et de la récolte de ce précieux textile. Hier, nos champs étaient verts et serrés, émaillés de petites Heurs bleues miroi- tant sur une surface d'une vigoureuse coloration; aujourd'hui, c'est la récolte des tiges, c'est le rouissage sur le bord de nos rivières qui, occupant un grand nombre de bras, vous font voir quelle grande place tient chez nous le travail de cette plante, et combien elle mérite son nom de linum usitatissimum. De tous temps en effet, Lille a été la patrie du lin, depuis ces temps reculés où la filature ne fut qu'une industrie toute manuelle et l'apa- nage des familles ouvrières, jusqu'à cette époque plus moderne, où, passant à l'état d'industrie mécanique, elle s'agrandit, prospéra sous forme d'ateliers et de manufactures, et devint, pour notre pays, l'une des sources les plus fécondes de richesses. L'intérêt tout relatif qui s'attache au filage à la main me forcera à être bref à ce sujet ; je ne ferai qu'en signaler les principales étapes et vous montrerai par les documents qui nous restent, tant sur la topogra- phie des Gaules que sur le commerce des Flandres, combien l'industrie des lins a toujours été en honneur chez nous. Mais je m'arrêterai plus volontiers et plus longuement sur l'industrie mécanique proprement dite. I Parmi nos industries locales, s'il en est une que nous pouvons à bon droit considérer non comme lilloise, mais comme française, c'est cer- tainement celle du lin. Il nous semble que dans la France l'emploi du lin n'a pas de date, car, aussi loin que nous remontions, tout indique qu'après la laine le lin doit être le premier textile employé pour la con- fection des vêtements. A. REN0UARD. — PROGRÈS DE L'INDUSTRIE DES LINS 81 Lorsque les Romains firent la conquête des Gaules, nos champs de lin les frappèrent d'admiration. César, dans ses Commentaires, ne manque pas de décrire le sagum de nos ancêtres, habit fait de fil de lin, et dans la dénomination duquel il faut sans doute chercher l'origine de notre sarrau actuel. Strabon et Pline nous disent aussi que, de leur temps, notre pays, quoique fort boisé, produisait beaucoup de blé, de millet, et « quantité de lin avec lequel on faisait différentes sortes de toiles ». Les Francs ne dédaignèrent pas de continuer la tradition, et Charle- magne, au viue siècle, en encourage la culture. 11 défend en outre dans ses Capitulaires de filer le dimanche (789), il- spécifie la peine à infliger à ceux qui se seront rendus coupables du vol de cette plante (798), et il exige (813) que l'on file le lin à la Cour pour en confec- tionner des vêtements. Au siècle suivant nous voyons Charles le Gros (884) ordonner que toutes les femmes, même les princesses, soient instruites dans l'art de le filer et de le lisser. Les chroniqueurs du temps parlent alors des fu- seaux d'argent dont se servaient les femmes de la Cour, mais ils ne disent rien du métier qui servait à en faire de la toile. Parmi les documents qui nous restent sur le commerce des Flandres, l'un d'eux surtout mérite d'être signalé. Il y est rapporté qu'à l'entrée d'Isabelle de Flandre dans la ville de Courtrai, les magistrats voulurent donner à la comtesse une idée de la principale industrie du pays, et en même temps la récréer en l'instruisant. On représenta alors devant elle, sur un théâtre à dix degrés, les diverses manipulations que l'on faisait subir au lin avant de le transformer en toile. Préparation de la terre, ensemencement, sarclage, récolte, rouissage et teillage; toutes les opéra- tions en un mot, jusqu'à même celles du filage au fuseau, du tissage et du blanchiment, furent représentées en simulacre devant elle. On feignit même en terminant de vendre en marché la toile qu'elle avait vu tisser. Nous pourrions encore citer un grand nombre d'autres documents qui nous prouveraient combien alors cette industrie était chez nous étendue et en quelque sorte vénérée. Toutefois, en dehors de la Flandre, les toiles de lin étaient, en France, d'une extrême rareté, ne s'offraient qu'aux grands personnages , et l'emploi journalier du linge sur le corps était même regardé comme un luxe effréné. Ainsi, pour les cérémonies du sacre, on fabriquait exprès à Reims des serviettes dont le travail était très-estimé ; d'autre part, on reprochait à Isabeau de Bavière, femme de Charles VI (1380), de dilapider le trésor public parce qu'elle avait deux chemises de toile fine. D'ailleurs, à Lille, les sayetteurs, qui étaient, avec les drapiers, les principaux 82 SÉANCES GÉNÉRALES industriels de la ville, fabriquaient beaucoup plus de toiles anglaises, c'est- à-dire de toiles mixtes en lin et en laine, que de tissus de lin proprement dits. Le comté de Laval avait été le premier qui eût profité de l'exemple des Flandres. On sait en effet que les manufactures de ce pays ne doi- vent leur origine qu'aux cultivateurs et aux toiliers flamands que Béa- trix de Gaure, comtesse de Flandre, avait emmenés avec elle en 129G, lors de son mariage avec le comte de Laval. Peu à peu cependant, l'emploi des tissus de lin commença à se géné- raliser clans les classes moyennes, et le commerce s'agrandit, tout autant par le bénéfice qu'on en retirait que parce qu'on s'aperçut que l'emploi de ces étoffes faisait disparaître un grand nombre de maladies cutanées, la lèpre en particulier. Mais alors, ce n'est plus en France que ces in- dustries prennent leur plus grand essor; c'est en Allemagne, où elles y deviennent une source inépuisable de richesses. La Silésie avait créé en 1300 une corporation spéciale pour en favoriser le commerce, et le Pa- latinat, en 1340, comptait déjà un grand nombre de fabriques de toile. Chacun connaît le nom du fabricant Fulger qui, dans un banquet offert à Charles-Quint, brûlait gracieusement dans un bol d'aromates un billet d'un million de florins que l'empereur lui avait souscrit, du tisserand Sugger qui se trouvait assez riche pour prêter des millions d'écus aux papes et aux empereurs: « J'ai dans ma ville d'Augsbourg, disait alors Charles-Quint, en parlant de Sugger, un tisserand capable de vous ache- ter tous les trésors de la couronne de France. » Il fallut la guerre de Trente ans pour renverser cette suprématie, et répandre le commerce des fils en Angleterre et en Hollande. En France, la Flandre avait toujours la primauté. La filleterie (au- 'ourd'hui filtene) avait surtout pris grande extension ; on y faisait alors des fils de 3, 4, 5 et 7 bouts, des fils de masse, des fils façon Tournai, des fils de Bretagne, des fils à broder, à faire dentelles, des fils dits chaînets, etc. Quant au commerce de tissus il ne se bornait guère qu'à la sayetterie. On citait encore, comme étant chose très-rare, l'emploi du linge sur le corps, et les historiens (1580) mentionnent comme une grande nouveauté les deux chemises de toile que Catherine de Médicis possédait dans son mobilier. La mécanique, si je puis m'exprimer ainsi, ne faisait guère de pro- grès durant ce temps. Le fuseau, bâton pointu et court, qui tordait et enroulait les fibres suspendues à une quenouille, avait été, en 1533, rem- placé parle rouet. Cet instrument, inventé par un bourgeois de Bruns- wick, Jurgens de Walenbutlel, tordait le lin des mains de la fileusc et l'enroulait sur une bobine. Il ne fut guère changé «[n'en 1777, par l'in- tendant De Bemières qui y ajouta une seconde bobine pour permettre A. RENOUARD. — PROGRÈS DE i/lNDUSTRIE DES LINS 83 de filer des deux mains à la fois. Depuis ce temps il n'a reçu aucun changement. Tel est en peu de mots l'historique du filage à la main dans nos con- trées. Les grands événements politiques, tels que les guerres de Flandre, la révocation de l'édit de Nantes, en entravèrent quelquefois les progrès; il faudrait alors, pour en raconter toutes les péripéties, passer en revue l'histoire proprement dite des Flandres et de la France. Nous préférons nous borner à ce simple récit. Nous terminerons en indiquant rapidement ce qu'était le commerce des fils de lin à Lille avant 1789. A cette époque, Lille possédait un grand nombre démarchés, dont un spécial pour la vente des fds de lin. Le Marché au Fil-de-Lin devait se tenir, d'après une ordonnance de l'époque, « dans la place vulgairement nommée le Petit-Marché, au-dessus du Pont de Fin, entre la rue des Malades (1) et les Petites Boucheries. » C'est l'endroit que nous appelons aujourd'hui la rue des Ponts-de-Comines, située dans le vieux Lille. Une ordonnance réglait les heures d'ouverture de ce marché qui de- vait alors « se faire les mercredis et samedis du matin, çavoir : depuis les Pâques jusqu'à la Saint-Remy, à sept heures, et depuis la Saint-Remy jusqu'aux Pâques, à huit heures. » Les fabricants de toile et filtiers formaient alors la véritable aristocra- tie lilloise, bien plus encore qu'aujourd'hui, et toutes les ordonnances prises au sujet de ces corporations n'avaient en vue que de favoriser constamment et circonscrire leur commerce. Nous citerons entre au- tres celles du 15 février 1576, émanant des officiers de la chambre des comptes et défendant « de lever le droit de Tonlieu sur les fils de lin que les fileuses apporteraient en cette ville pour être vendus dans les marchez » ; puis celles des magistrats de Lille du 24 octobre 1662, 15 avril 1692;24 novembre 1705,29 octobre 1707,16 novembre et 17 juil let 1714, 26 mai 1727, 26 janvier 1735, tendant toujours à monopoliser pour certains corps d'état la vente et même l'emploi des fils de lin. Ainsi, les manufacturiers qui employaient ce produit avaient seuls le droit d'entrer au marché durant la première heure. Tout étranger ou ha- bitant de Lille qui n'était ni sayetteur, ni bourgetteur, ni filetier, ni ta- pissier, n'avait le droit d'y mettre les pieds sous peine d'une amende de 6 florins. Il fallait attendre l'heure suivante. L'achat de fils au marché était en outre défendu à ceux qui en fai- saient commerce en dehors des corporations de métiers ; Aux gens dits recoupeurs, c'est-à-dire à ceux qui faisaient profession d'acheter du fil pour le revendre, — sous peine d'une amende de 6 florins ; (1) Actuellement rue de Paris. 84 SÉANCES GÉNÉRALES Aux baloteurs, c'est-à-dire aux commissionnaires chargés de revendre les fds des recoupeurs (même amende en cas de contravention); Aux étrangers, manants de la ville, etc., sauf pareille punition. En outre, il n'était aisé d'acheter du fil à sa guise. Ceux qui avaient ce droit ne pouvaient « acheter ou l'aire acheter fil de lin plus que par deux personnes de chaque famille, à peine de trois florins d'amende, et de six florins en cas (pie la contravention fût faite par quelque personne interposée. » En ce qui concernait les vendeurs, il était dit: « Personne ne pourra vendre fils de lin au préjudice de ce que dessus, à peine de 10 patards d'amende en cas de contravention. » De plus, comme il était complètement défendu de vendre des fils en dehors du marché de la ville, on était arrivé, sauf de rares exceptions, à monopoliser le commerce des fils et des toiles entre les mains des cor- porations de tissus et de fllleterie, et la vente entre les mains des fileu- ses seules. La fileuse qui vendait des fils en dehors du marché payait trois florins d'amende, et tout acheteur dans les mêmes conditions en payait vingt- quatre. Il était d'ailleurs souvent spécifié dans les ordonnances qu'on ne devait ni aller en chercher dans les villages, les faubourgs, ou aux portes de la ville, ni recevoir chez soi des lîleuses avec leurs fils, etc. Ceux qui étaient suspects d'être recoupeurs, baloteurs, etc., en un mot de faire un métier en fraude, étaient toujours, en cas de requé- rance « tenus de jurer sur les faits servans à la découverte desdites frau- des, à peine de conviction. » II Depuis trente ans déjà, la filature mécanique du coton avait trouvé son inventeur; la laine de son côté se filait aussi mécaniquement; le lin seul restait à l'écart. Rien cependant n'avait été négligé pour arriver à un but utile. Arkwright essayait de filer le lin sur ses machines à coton; Paul Lewis, André, de Paris, Perron inventaient successivement des appareils à filer le lin, mais sans arriver à aucun résultat. L'Angleterre surtout avait fait de grands efforts; en 1787. Porthouse, de Darlington, prenait un brevet pour un métier à filer auquel cinq ans plus tard James Aytoun, delvir- caldy, ajoutait des perfectionnements notables; une petite filature mon- tée par Aytoun lui-même, avec quatre de ses machines, fonctionna pen- dant quelque temps en Angleterre, mais pour disparaître bientôt. Robinson, en 1798, William Brown, deux ans plus tard, imaginèrent d'autres appareils ; ceux de Brown, introduits en Angleterre et plus tard en A. REXOUARD. — PROGRÈS DE L INDUSTRIE DES LINS 80 Franco en 1805, étaient regardés comme les plus parfaits, mais étaient loin de résoudre le problème. Frappé de cet état de choses, Napoléon Ier voulut avoir avant tous L'idée d'une telle création : son patriotisme l'y poussait, comme aussi son aversion des Anglais. Étonné des prodiges d'activité et dos sources de richesses qu'engendrait chez nos voisins l'industrie de la filature de co- ton, il pensa que, de préférence au blocus continental, le meilleur moyen de faire concurrence à ce produit exotique était de hier un textile indi- gène, et il choisit le lin, matière filamenteuse d'un usage alors uni- versel . Le 12 mai 1810, un décret, daté de Bois-le-Duc, parut dans le Moni- teur, promettant un million de récompense à l'inventeur de la filature de lin. Chacun en connaît le texte. Deux mois après, le 18 juillet 1810, un premier brevet était pris pour cette invention, il contenait tous les principes fondamentaux du filage mécanique. Philippe de Gifai'd avait résolu le problème, la France comp- tait une gloire de plus. « Quelques jours après la publication du décret impérial, dit M. Am- père, Philippe de Girard, alors âgé de trente-cinq ans, était chez son père à Lourmarin. Pendant le déjeuner de famille, on apporta le jour- nal qui contenait ce déii magnifique jeté à l'esprit d'invention, sans ex- clure aucun peuple, et comme avec la confiance que l'universalité du concours n'empêcherait pas cette récompense d'être remportée par un Français. En effet, c'est un Français qui a eu, sinon le bonheur de l'ob- tenir, du moins la gloire de l'avoir méritée. Philippe de Girard passa le journal à son fils en lui disant : « Philippe, voilà qui te regarde. » Après le déjeuner, celui-ci se promenait seul, décidé à résoudre le pro- blème. Jamais il ne s'était occupé de rien qui eût rapport à l'industrie dont il s'agissait. II se demanda s'il ne devait pas étudier tout ce qui avait été tenté sur le sujet proposé ; mais bientôt il se dit que l'offre d'un million prouvait qu'on n'était arrivé à rien de satisfaisant. Il voulut tout ignorer pour mieux conserver l'indépendance de son esprit. Il rentra, fit porter dans sa chambre du lin, du fil, de l'eau, une loupe, et regardant touràtour le lin et le fil il se dit: « Avec ceci.il faut que je fasse cela ». Après avoir examiné le lin à la loupe, il le détrempa dans l'eau, l'exa- mina à nouveau, et le lendemain à déjeuner il disait à son père. « Le million esta moi! » Puis il prit quelques brins de lin, les décomposa par l'action de l'eau, de manière à en séparer les fibres élémentaires, les fit glisser l'une sur l'autre, en forma un fil d'une finesse extrême, et ajouta: « Il me reste à faire avec une machine ce que je fais avec mes doigts, et la machine e-t trouvée. » 80 SÉANCES GÉNÉRALES Il avait effectivement trouvé le principe de la filature à l'eau chaude, et pour lui, du principe à l'application il n'y avait qu'un pas. Certain du succès de ses œuvres, il voulut toutefois les mettre en pra- tique, afin de présenter au concours proposé une méthode logique et as- surée. Associé avec ses frères et quelques amis, il convertit en appareils de tous genres et en constructions l'héritage paternel (700,000 fr.), et monta bientôt, rue Meslay, à Paris, la première filature de lin. Sous l'influence de Constant Prévost, un second établissement fut bientôt créé rue de Cha- ronne, et Girard se trouva tout à coup à la tête de deux fabriques mo- dèles. Le moment étant venu de faire connaître son invention, Philippe de Girard en fit part à l'empereur. Accompagné de Chaptal celui-ci visita toutes les machines et examina les produits fabriqués. Son approbation fut complète. Aussitôt après cette visite, il écrivit lui-même au Ministère le 22 mai pour donner l'ordre de convoquer le jury de concours. Les événements politiques en décidèrent autrement. * * Nous arrivons à la Restauration. Peu soucieux de payer les dettes de Bonaparte, ce gouvernement ne donna aucune suite au concours provoqué par Napoléon Ier. Avec les Cent-Jours, Philippe de Girard reprit espoir. Il avait, pour soutenir son industrie, grevé d'hypothèques ses proprié- tés et celles de ses frères, et comme, grâce à ces sacrifices, il avait pu soutenir sa réputation d'inventeur, il écrivit à l'administration pour qu'elle donnât suite aux promesses de 1810. Le Directeur du Conser- vatoire lui écrivit le 11 juin que sa demande était agréée. Mais, peu de jours après, Waterloo vint nous perdre. Napoléon tomba définitivement, et avec lui son protégé. Philippe de Girard ferma d'abord sa filature de la rue Meslay. Il ne conserva celle de la rue de Charonne que dans l'espoir de relever son crédit, refusant malgré tout de céder aux conseils de ses amis qui l'in- vitaient à déposer son bilan. Un créancier impitoyable le fit arrêter et conduire à Sainte-Pélagie. En ce moment critique, Philippe de Girard offrit au gouvernement, par l'intermédiaire de M. de Bévière, de vendre ses machines à des con- ditions exceptionnellement avantageuses. Le ministre de l'intérieur, M. de la Branche, jugea d'abord plus digne de ne pas donner suite à ces pro- positions, et se décida ensuite, à bout de sollicitations, à donner à Phi- lippe un léger secours: Napoléon n'avait pas reculé devant l'offre d'un million pour l'invention de la filature mécanique, celui-ci finit, après maintes demandes, par accorder une simple subvention de 8,000 francs, A. RENOUARD. — PROGRÈS DE LINDUSTRIE DES LINS 87 et encore, en prenant pour garantie un matériel qui en valait plus de 30,000 ! Ce fut alors qu'exaspéré par ces revers et sollicité par François d'Au- triche, Philippe de Girard alla construire une filature mécanique à Hir- tenberg, près Vienne. Il laissait cependant à Paris, sous la direction de ses frères, un assortiment (1) complet, pour perpétuer dans sa patrie le souvenir de ses inventions. A la même époque, un brevet était pris en Angleterre par M. Horace Hall, en société avec MM. Lanthois et Cachard, employés de Philippe de Girard, qui, profitant de la confusion des événements, avaient eu l'im- pudence d'enlever clandestinement les dessins du maître et de se les approprier. Chose singulière, tandis qu'en France le gouvernement refu- sait tout secours à Girard, de l'autre côté du détroit, on donnait à Lan- thois et Cachard, pour prix de leur abus de confiance, 2,000 liv. st. comptant ! Cependant il n'était pas étonnant, après les guerres de l'empire, de voir diminuer en France la culture du lin, qui demande beaucoup de bras, tant pour la préparation de la terre que pour la récolte même. Les cultivateurs s'y livraient de moins en moins, découragés par de mau- vaises années, et effrayés d'un décret d'octobre 1815 qui, rangeant le rouissage dans la première catégorie des établissements insalubres, en ordonnait la suppression à la moindre réclamation. L'industrie du lin était dans une situation tellement précaire, que son déclin fut remarqué du gouvernement d'alors. On chercha, pour en atténuer la chute, des moyens moins onéreux que le paiement d'une dette contractée. En 1816, un décret frappant d'un droit de 4 francs aux 100 kilog. les lins importés de la Belgique stimula le courage des cultivateurs. La culture du lin reprit un essor qui ne fut que mo- mentané. Toutefois, l'établissement créé à Paris était loin de prospérer. Abreuvé de revers, et désespéré du peu de sympathie qu'il rencontrait en France, Frédéric de Girard qui le dirigeait mourut en 1820. Il était le seul sur- vivant des frères de Philippe de Girard, dont l'usine fut aussitôt fermée. Or, il arriva qu'en récapitulant les dettes de Philippe de Girard, on ne trouvait pas asse:^ dans la vente de ses machines pour les couvrir. M. Laborde les acheta toutes, en fit construire d'autres par M. Saulnier, et monta une filature à ses risques et périls. C'était le second Français qui osait filer mécaniquement (1818). D'autres établissements furent bientôt créés (1820), par M. Jacques, à Versailles, par M. Boulet, à Gamache, par 31. Milloret, à Mouy, et par 0) Terme technique qui désigne la série de machines nécessaires à la transformation du lin en fil. 88 SÉANCES GÉNÉRALES M. Hunel Waldel, à Aarau en Suisse. Toutes ces fabriques étaient basées sur le système de Philippe de Girard; et ceux qui tout d'abord n'en avaient pas voulu, le copiaient aujourd'hui. Leur inexpérience les perdit peu à peu, ils ne purent supporter la concurrence du filage à la main. C'est alors qu'on vit se produire débâcles sur débâcles. D'autres usi- nes remplaçaient celles qui tombaient, mais avec leurs appareils des plus défectueux grossièrement copiés sur les premiers modèles, elles se perdaient rapidement. Un tel état de choses ne pouvait manquer de frapper encore le gou- vernement, malgré le peu de sympathies qu'il témoignait jusque-là pour le progrès. Sollicité de toutes parts, il chercha enfin des moyens sérieux de faire revivre chez nous cette industrie toute française. En 1822, un décret ayant élevé à 10 francs le droit d'importation, la filature finit par pros- pérer, et nos produits commencèrent dès lors à être goûtés à l'étranger. Cette année, notre exportation fut considérable, tant en matières brutes qu'en fils et tissus, notre culture s'éleva dans le Nord à 15,000 hectares. * En 1824, on vit venir en France un Anglais, homme obscur jusque- là et inconnu de tous, mais qui était poussé par une idée fixe : dérober à la France le secret de la filature mécanique et l'importer en Angle- terre. 11 se nommait Marshall. Après un court séjour chez nous, il retourna clans sa patrie, muni des renseignements qui lui étaient nécessaires, et bientôt fonda à Leeds la première filature anglaise. A ne considérer cette industrie que par ses résultats financiers, elle date vraiment de cette époque, car Marshall réalisa bientôt des bénéfices incroyables. Il engagea comme contre-maître, avec un salaire élevé, Lanthois, employé de Girard, dont nous avons parlé plus haut. Quant à Cachard, largement aidé, il fit bientôt concurrence à son ancien com- plice, sous la raison sociale de ses deux commanditaires, Hives et Atkinson. L'essor une fois donné à l'Angleterre, la filature de lin s'y transforma bientôt. Exploitées par nos voisins, les idées ingénieuses de Philippe de Girard, considérées chez nous comme ineptes et peu pratiques, furent aussitôt appliquées et vulgarisées, et ce qui n'avait pu servir en France qu'à mettre au jour quelques ruines scandaleuses, devint pour l'Angleterre un foyer non interrompu de prospérités. 11 serait trop long, Messieurs, sans entrer dans des détails par trop techniques et précis, de vous redire toutes les transformations que notre matériel défectueux subit entre des mains habiles et exercées. Une nuée A. RENOUARD. — PROGRÈS DE l'lNDUSTRIE DES LINS 89 de jeunes ingénieurs étudia attentivement Ions les changements de la malière textile sur nos machines, remonta aux causes premières de cette transformation, changea peu à peu quelques pièces secondaires de nos principaux métiers, et, par mille et une corrections de détail, dota l'An- gleterre d'une industrie que nous avions créée, mais que nous ne con- naissions pas. Ainsi, entre les mains du constructeur P. Fairbairn, nos métiers de préparation se transforment, l'ancien système à chaînes est remplacé par des vis (1), et la matière première, mieux nettoyée, plus divisée, nous donne un ruban plus net et plus soyeux. John Combe et Robinson transforment aussi nos machines de peignage; Wortivhoordl et Caern- cross étudient nos métiers continus; il n'est pas jusqu'aux progrès de la tilature de coton qui ne prolitent à l'industrie des lins, et nos bancs-à- broches à cordes et à vis, ingénieusement transformés, deviennent bancs- à-broches à mouvement différentiel, grâce à l'initiative d'un filateur de .Manchester, le mécanicien Houldoworth. Nous ne pouvions, avec nos machines primitives, lutter contre les appa- reils anglais. Ce fut en 1825 que commença la grande importation des fils d'An- gleterre en France, ce fut en 1830 qu'elle prit une véritable extension. Les fils anglais étaient tellement supérieurs aux nôtres, que c'était à peine si les filateurs de Leeds pouvaient répondre aux besoins de la consommation. Toujours primés sur nos marchés, ils n'entraient cepen- dant pas en assez grande abondance pour nous causer de graves préju- dices, mais bientôt la multiplicité de leurs filatures de lin força nos voisins à chercher un grand débouché à l'étranger. L'importation des fils anglais en France s'était élevée de 161 kilog. en 1825 à 418,383 kilog. eu 1833. Outre qu'elles n'atteignirent pas un chiffre fort élevé, les premières importations nous causèrent peu de mal, car les Anglais retiraient de France une partie des matières brutes qu'ils lui réexpédiaient ensuite en fils. Mais bientôt la perfection de leurs machines leur permit, avec des lins communs, d'atteindre à de grandes finesses, et nos produits furent délaissés.. Les lins russes, par exemple, que l'on ne considérait en France que propres à la fabrication des cordages et des toiles à voile, servaient alors en Angleterre à la fabrication des nos 35 et 50 mouillé (2). Ce fut en France une débâcle complète. D'une part, notre exportation en lin cessa presque complètement. Elle s'élevait en 1825 à 2,472,671 kilog.; elle était tombée en 1833 à (t) Voir pour le détail de ces transformations les Études sur le trava'.l des Uns (3 vol. in 8° jésus. Libr. scient. E. Lacroix Paris). :;= édition. (2) Numérotage anglais, adopté encore aujourd'hui. 10 <ï( SÉANCES GÉNÉRALES 4,175,510 kilog., et en 1834 à 287,822 kilog. La Russie, la Hollande et la Belgique nous avaient remplacés. D'autre part, l'importation des fils anglais prit des proportions effrayantes. Jusque-là nous ne tirions guère de fils que de la Belgique, de la Prusse et de quelques autres parties de l'Allemagne, et la moyenne de nos importations, évaluée sur treize années à partir de 1825, ne s'é- levait guère pour la Belgique qu'à 748,000 kilog., pour la France à 70,000 kilog.; pour le reste de l'Allemagne à 1 03,000 kilog. Mais quand l'Angleterre vint prendre la place de ces pays producteurs, elle envahit complètement nos marchés, comme on peut en juger par le tahleau suivant : IMPORTATIONS . A N N È E S FILS BELGES FILS ANGLAIS 1S25 826.739 794.101 862.6',3 926.008 768.746 83 1 . 243 670. 035 688.125 82'..7s2 714.391 654. 74 9 635.690 34 l. 950 161 1.151 ',2 453 524 3.049 14.532 56. '.78 418.383 826.439 1.295.593 1.901.074 3.199.917 1S2G I827 | S'y 1829 1830 1831 1832 1 83 4 1836 Ou voit que l'importation des fils anglais, à peu près nulle avant 1830, s'est élevée rapidement de la quantité de 3,049 kilog., où elle était dans cette dernière année, à celle de 3,199,917 kilog., où elle est arrivée en 1837, c'est-à-dire qu'elle a centuplé dans le court espace de sept années. De cette inondation de produits anglais résultait évidemment pour la filature une chute inévitable. Dans son Dictionnaire du Commerce (1), M. Hautrive, de Lille, évaluai! à trente-sept le nombre de filatures de lin qui fonctionnaient en France, en 1831. Situées au centre de la production de la matière première, ces filatures donnaient des résultats, sinon brillants, du moins satisfai- sants. Mais peu à peu l'invasion des filatures anglaises les fit tomber. (i) Publié en I83i A. RENOUARD. — PROGRÈS DE i/lNDUSTRIE DES LINS 91 En 1836, quinze à seize de ces établissements subsistaient à peine dans toute la France; à Lille, il en restait huit. * Nous tenons ici à taire remarquer qu'en principe l'extension de la filature anglaise n'était due qu'au perfectionnement des œuvres de Girard. De sa filature d'Hirtenberg, il ouït parler des progrès des Anglais dans les industries textiles et particulièrement dans celle du lin, et il voulut voir de ses propres yeux quels étaient les merveilleux appa- reils employés. En 1826, il alla visiter les établissements anglais, et le 11 octobre de la môme année, il écrivait de Manchester à Constant Prévost : « Vous lirez sans doute avec intérêt quelques détails sur la branche d'industrie que nous pouvons considérer comme notre domaine. J'ai vu les premières filatures de Leeds, celle de Marshall et de M. Hives et Atkinson. M. Marshall file par an 30,000 quintaux de lin, et les autres environ 15,000. Il y a une vingtaine d'autres fabriques plus petites. Je n'ai vu dans tous ces établissements que mes procédés, exécutés sur une échelle immense. La grande prospérité de ces fabriques, ainsi que la perfection de leurs produits, datent de l'époque où MM. Cachard et Lanthois apportèrent nos procédés en Angleterre. J'ai vu la patente prise en mai 1815, et j'ai eu la douleur d'y retrouver mes propres dessins.. . C'est depuis ce temps que mon système de machines préparatoires à peignes continus s'est introduit dans ces fabriques, et c'est depuis lors qu'elles ont acquis cette immense prospérité. M. Marshall a, dit-on, plus de 20 millions de bénéfices acquis uniquement depuis cette époque. » Ce fut en ce moment que Girard quitta Hirtenberg, appelé à Varsovie par l'empereur de Russie. Aidé par le gouvernement russe, et sous les auspices du comte Lubienski, il monta par actions aux environs de cette ville une filature de lin qui prospéra bientôt, et autour de laquelle se forma un petit bourg. Celui-ci prit alors le nom de Girardow (1). Girard eut à la même époque occasion d'écrire en France pour se faire reconnaître une fois de plus comme l'inventeur de la filature de lin, et pour dévoiler l'impudence d'un nommé Kay, mécanicien anglais, qui, après l'expiration du brevet de 1815, l'avait recopié en entier et repris en son nom propre. On fit droit sans difficulté à sa juste réclamation, d'autant plus qu'elle permettait de jouir gratuitement du bénéfice de (1) Aujourd'hui, la filature de lin fondée par Philippe de Girard est entre les mains do deux capitalistes allemands, MM. Hiele et Dietricht, et compte parmi les établissements les plus floris- sants de la contrée ; elle est entourée de toute une mise en œuvre représentant l'industrie linière au grand complet (retorderie, tissage et blanchissage) et le bourg sur lequel elle était d'abord établie est devenu une ville, dont le nom a été polonisé, et dont on a fait Zyrardow. 92 SÉANCES GÉNÉRALES l'invention première à ceux qui hasardaient en France de monter des établissements liniers. Le nombre de ceux-ci devenait de plus en plus restreint. Chose re- marquable, autant la filature déclinajt dans son pays d'origine, autant elle prospérait chez tous nos voisins. En Belgique, Bnuwena introduisait le système anglais et fondait des filatures à Gand et aux environs. En Autriche, des établissements se montaient à Pottendorf, Junchbuch, Schônberg, Schaltzlar, Brùnn. En Angleterre enfin, il existait une quantité de filatures de lin florissantes à Leeds, dans le Yorkshire, en Irlande et en Ecosse. La filature de Girardow, en Russie, continuait en outre à s'agrandir. En France, par contre, la situation n'était plus tolérable. Dans le Nord, les filatures se fermaient; dans l'Aisne, les récoltes demeuraient invendues; dans l'Eure, le lin avait subi, d'après une note du député Boudin-Duver- gers, une baisse de 45 0/0. Les fileuses à la main ne gagnaient plus en beaucoup d'endroits que 0 fr. 35 et même 0 fr. 10 par jour. Les journaux du temps racontent que dans la petite ville de Moncontour, qui ne vivait que de l'industrie du lin; une pétition avait été faite à la Chambre des députés, dans laquelle on disait que plus des trois quarts des habitants en étaient réduits à mendier leur pain. En présence de cette situation précaire, une idée vint alors à deux de nos industriels, celle de dérober le secret de la filature de lin à l'Angleterre comme l'avait fait M. Marshall quelques années auparavant. Parmi eux, nous sommes heureux de citer un Lillois, M. Scrwe-Labbe ; l'autre était M. Féray, d'Essonnes. Les difficultés cependant semblaient insurmontables. Une fois en possession d'un secret de fabrication, l'Anglais est par- dessus tout jaloux de le conserver. Par une sorte de convention tacite, ceux qui en font usage s'engagent en quelque sorte à n'en pas souffler mot, et l'accès des établissements est scrupuleusement défendu à l'étranger. Le gouvernement du pays encourageait alors les industriels dans cette voie, il avait même décrété une loi générale de non -expor- tation punissant tout infracteur de 5,000 francs d'amende et d'un an de prison. Au cas de contrebande, cette loi ne manquait jamais d'être appliquée. Kappelez-vous, Messieurs, l'histoire de ce pays, et vous pourrez vous- mêmes juger de ce que j'avance. En 1696, un bill du Parlement défend l'exportation du métier à bas; en 1 7 45 , le décret s'étend aux machines propres à la manufacture des soieries et des lainages; en 1774, nouvelle prohibition des machines à coton, etc. Nous voyons même plus tard ce A. RENOUARD. — PROGRÈS DE L'INDUSTRIE DES LINS 93 système descendre jusqu'aux objets les plus minimes, telles que les ma- chines à fabriquer les boutons d'os ou les tuyaux d'ambre jaune. A certain moment même, les ouvriers anglais ne purent sortir du Royaume.. Pour la filature de lin, l'opposition lut encore plus vive. A peine eut-on connaissance en Angleterre des tentatives de M. Scrive que tous les filateurs anglais se réunirent d'un commun accord pour former à leurs frais une contre-ligne de douanes, destinée ù fortifier le service du gouvernement. A tout prix, il ne fallait pas laisser sortir du Royaume- Uni la moindre pièce de machine à lin. Ce lut en 1833 que MM. Scrive et Féray commencèrent leurs démarches. Ce ne fut qu'en 1835" qu'ils purent monter leurs filatures. Après des peines inouïes, avec une patience infatigable, ils parvinrent à tromper la surveillance anglaise et finirent par triompher de tous les obstacles. Permettez-moi, Messieurs, de vous instruire des fatigues de notre com- patriote, des obstacles qu'il eut à surmonter. Embarqué à Calais sur un bateau pêcheur, et revêtu d'habits de travail afin de tromper la surveillance anglaise., M. Scrive obtient à grand'peine une place de mécanicien dans l'une des plus importantes manufactures de Leeds. Pendant un an, il lime, il tourne lui-même toutes les pièces qui entrent dans la construction des machines de fila- ture, afin de les connaître dans toutes leurs parties et de n'en ignorer aucun détail. Lorsqu'au bout d'une année d'efforts, il a saisi tous les secrets de ces machines, il s'étudie à en prendre le moule, et il lui faut encore deux années de patience et de travail avant de pouvoir mener son œuvre à bonne tin. Il s'embarque enfin à Douvres pour retourner en France. Mais déjà l'Anglais qui a eu vent de sa présence, pourchasse tous les bateaux pêcheurs qui se dirigent vers la côte de France; trois industriels ont mis à prix la tête du Français, et ce n'est qu'à la faveur de la nuit, après avoir failli être pris par un énorme vaisseau de guerre, que M. Scrive parvient à toucher le sol de la France. M. Scrive monta à Lille une filature de 2,500 broches; M. Féray une autre, à Essonnes, de 1,800. Il leur avait fallu faire expédier les métiers pièce à pièce dans autant de ports différents, sous de fausses dénomi- nations, et en payant des primes de contrebande qui s'élevaient souvent à plus de 80 0/0. M. Scrive, qui était entré le premier en possession de ses métiers, reçut à titre de premier importateur l'exemption des droits à l'entrée. Une fois établis, MM. Scrive et Féray n'avaient pas rompu avec toutes les difficultés. De toutes parts, le filage à la main fut unanime à se récrier; l'ignorance était telle qu'on entendait souvent les paysannes s'élever contre l'invasion de la mère Canique (mécanique), qu'ils sup- 94 SÉANCES GÉNÉRALES posaient être une femme parcourant les campagnes et dévorant les entants. Peu à peu cependant les esprits se calmèrent et d'autres filatures turent créées. En 1834, M. Vayson, fabricant de lapis à Abbeville, parvenait à rapporter d'Angleterre deux métiers de 100 broches chacun , non cependant dans le but d'établir une filature, mais pour fabriquer lui- même, comme le faisaient les Anglais, les chaînes de ses tapis avec des fils d'é Loupes. Il n'obtint ces machines qu'avec des peines inouïes et elles lui arrivèrent avec un surcroît de frais de 130 0/0. MM. Malo et Dickson, de Dunkerque, qui avaient fait, parait-il, leurs premières démarches en Angleterre en 1832, même avant MM. Scrive et Féray, ne parvinrent cependant à obenir des métiers qu'en 1837. Ils montèrent 600 broches. Mais après tous leurs exploits, nos premiers importateurs n'admirent personne au partage de leurs conquêtes. MM. Scrive et Féray ajoutèrent même à leurs établissements des ateliers de construction où ils essayaient de construire ces machines pour leur usage particulier, afin de s'en réserver le monopole. Il fallut qu'un Français se dévouât à nouveau pour faire connaître à tous et construire enfin lui-même les machines à lin. * Ce fut M. De Coster qui voulut remplir cette noble mission. Dès 1834, il partit en Angleterre, faisant dire bien haut qu'il n'avait d'autre intention que de faire employer dans ce pays la peigneuse Girard qu'il ne pouvait propager en France. L'Angleterre se montra comme toujours hospitalière et bienveillante envers les industriels sérieux, et, sous les auspices d'un riche négociant anglais, De Coster put bientôt, malgré son titre de Français', visiter à loisir les principales filatures de Leeds. Il analysa toutes les machines, les étudia, les compara à celles de Girard, se rendant compte de tout ce qui pouvait l'instruire et être utile au bien de son pays. Il rentra en France en 1835, non-seulement muni de tous les dessins des machines anglaises, mais initié à tous les mystères de la fabri- cation. Il commença alors à Paris la construction d'un atelier spécial, qu'il ne put ouvrir qu'en 1837. A cette époque, les commandes lui arrivèrent de tous côtés. M. Vayson, à Abbeville, moins sévère que d'autres, laissait visiter ses deux métiers sous certaines conditions à M. Liénart, de Pont-Remy, et celui-ci montait bientôt dans cette dernière ville une filature de 289 broches, composée exclusivement de métiers français construits par De Coster, et A. IlENOUARD. — PROGRÈS DE L'INDUSTRIE DES LINS 95 dont il faisait en peu d'années le plus important des établissements de ce genre (4380 broches). 31. Cachet, au Blanc (Indre), le suivait de près, et commandait à De Coster 3440 broches. Trois filatures nouvelles apparurent bientôt, celle de M. Mercier, à Alençon, de. 10G0 broches, de M. Giberton, à Yernou, de 800 broches, et de M. Bérard, à Bélair, de 300. D'autres constructeurs suivaient ensuite l'exemple de De Coster, parmi lesquels M. Schlumbergcr , à Guebwiller, M. Kœchlin, à Mulhouse, et M. de Bergae-Spreafico, à Paris, aujourd'hui à Manchester. M. De Coster était cependant resté le meilleur constructeur français. En 1836, il n'avait commencé à travailler que dans une simple chambre, n'ayant pour moteur qu'une simple manivelle, et travaillant absolument seul; il lui avait fallu près d'une année pour livrer à M. Liénard ses deux cent quatre-ving-neuf premières broches! En 1837, plusieurs capi- talistes lui viennent en aide, et il se trouve à la tête de quatre- vingts ouvriers, tous français, et de deux établissements : l'un au passage Laurette, l'autre rue Notre-Dame-des-Champs. En 1838, il construit un nouvel atelier dans la rue Stanislas, avec moteur à vapeur, et au com- mencement de 1839, il pouvait livrer à l'industrie française environ 2,000 broches par mois. A notre sens, c'est donc à De 'Coster avant tout que la France doit la restitution de l'invention de Philippe de Girard. Grâce à son initiative, on comptait en France, vers la fin de 1839, le chiffre respectable de trente-sept filatures de lin. Il avait fourni le matériel des trois quarts d'entre elles. D'après une ancienne tarification, les fils d'étoupes en 1832 payaient à l'importation en France un droit de 14 francs pour 100 kilog., les fils de lin un droit de 24 francs. Mais, lorsque la perfection des ma- chines à filer permit d'obtenir en étoupes des numéros égaux en finesse aux fils de lin, les agents en douane, qui ne savaient en faire la distinction, prirent le parti de considérer comme provenant des étoupes tous les fils en dessous du n° 30 anglais inclusivement.' Cette manière d'agir, qui faisait ressortir le droit de 2 1/2 à 5 0/0 pour les fils d'étoupe et les gros fils de lin, et qui rendait l'importance du droit insignifiante pour les fins numéros, engendra bientôt des récla- mations. Dans un voyage qu'il fit à Lille en 1833, le ministre du commerce reçut les plaintes des filateurs et en référa aux Conseils du commerce, de l'agriculture et des manufactures. Le Conseil du commerce laissa la chose à l'abandon ; le Conseil des manufactures conseilla de porter à 96 SÉANCES GÉNÉRALES 100 francs le droit de 24 francs des fils de lin ; le Conseil de l'agriculture vota le doublement du droit. Ce dernier avis parut le meilleur. Le 4 février 1834, un projet de loi portant le droit de 24 à oO francs fut adopté... en principe, mais jamais définitivement. Ce ne fut qu'en 1837, que les Conseils généraux et les Chambres de commerce furent de nouveau saisis de la question. Ils ne purent se résoudre à donner des réponses précises. Seule, la Chambre de com- merce de Lille proposa de diviser le tarif en catégories suivant le numéro du fil. Des pétitions sans nombre furent alors adressées au gouvernement. Pour en finir, le Ministère du commerce s'empara de la question, et le 28 mai 1838 rendit un arrêté qui constituait au sein du conseil supé- rieur du commerce une commission, d'enquête à ce sujet. La commission siégea de suite durant les mois de mai et juin, et conclut à nue augmentation des droits d'entrée. Les choses semblaient prêtes à se conclure, quand l'Angleterre se mêla de la question : sous le fallacieux prétexte d'établir avec la France les bases d'une convention commerciale, mais plutôt dans la crainte de voir aboutir les demandes des filateurs, elle nous lit entrer dans la voie des conférences. Une fois lancés dans ce système, nous ne devions plus avancer, et ce ne fut seulement qu'en 1841 qu'on consentit à doubler les impôts. Cependant, de l'enquête de 1838, il était résulté que nous étions en- core inférieurs aux Anglais. Nous avions leurs machines, mais elles nous coûtaient à peu près 20 0/0 plus cher; nous n'atteignions pas non plus la finesse de leurs numéros. 11 s'ensuivit qu'une commission fut nommée pour aller en Angleterre étudier la filature de lin, et M. Thiers, alors ministre, ne crut pas mieux faire que de la composer de nos quatre premiers filateurs, à savoir : MM. Scrive, Féray, Vayson et Liénart; soit ignorance, soit désir de dé- verser sur eux toute la gloire de l'introduction de la filature mécanique en France, ces quatre industriels rédigèrent à leur retour un rapport détaillé qui était exactement le contre-pied de la vérité. « C'est finalement en Angleterre, — y était-il dit, — que le problème de la désagrégation des fibrilles élémentaires du lin a reçu sa solution, et comment? par le simple rapprochement des appareils fournisseurs et étireurs. On comprend en effet que, plus ces appareils sont rapprochés, moins il y a danger de rupture. Ce rapprochement des cylindres est peut-être le plus grand pas que l'Angleterre ait fait faire à la filature mécanique; non-seulement il lui a permis d'employer l'eau chaude et A. REN0UARD. — PROGRÈS DE L'INDUSTRIE DES LINS 97 par là de filer les numéros élevés, mais il l'a conduite à travailler les étoupes, dont le brin naturellement toujours plus court no pouvait se filer avec des appareils si distants l'un de l'autre. Les anciens filateurs avaient jugé nécessaire de conserver les filaments dans leur longueur, tandis 3.630 0 ■ 1 5 13.60 125 10.80 7 .',.2:;:; 0 • 1 5 I I 6a 108 10. 09 8 4.840 0.15 10.20 90 M. 16 10 o.o:;o 0.20 m. so 83 13.01 12 7.205 0-20 ' 9.03 75 13.33 14 8.470 0.20 7.75 71 10. ia 1'! 9.G80 0.20 O.80 GS 9.S6 18 10.900 0.20 0.05 04 9.45 20 12. 100 0-30 8.16 02 12.39 22 13.310 0.30 7.11 59 12.37 23 15.125 0.30 6.50 55 12. » 28 16.940 0.30 5.80 59 9.90 30 1S.150 0-30 5.45 57 9.57 35 21.175 0.30 4.05 55 8.61 '.0 24.200 0.36 4.90 52. 50 9.33 45 27.225 0.30 4.35 58 . 50 8.61 so 30.250 0.36 3.92 48 8.16 55 33.275 0.30 3 . 56 46 7.69 GO 30.300 0.00 5 . 4 3 45 12. »' 65 30.325 0.60 5 » 44.50 II. 23 70 42.350 0.00 4.65 ', '. 1 0 . 36 75 4 3.375 0.00 4.35 * 43.75 9.94 so 48.400 0.00 4 . OS 43.50 9.34 90 3'.. 450 0.00 3.00 43.30 S. 27 100 00. 500 0 . 00 3.2a 44.50 7.33 110 66 . 550 0.G0 2.95 46 6.41 120 72.600 1. » 4 . 50 47.50 9.47 130 78.650 1. » 4.18 33 7.88 140 8'.- 700 1. » 3-90 50 7-50 150 90.750 1. » 3.62 59 7.09 100 96.800 1. » 3.40 61 3.57 170 102.850 1. s 3.20 64 . 50 4.96 180 108.900 1. » 3.02 72 4.10 190 114.950 1. » 2.83 80 3.56 200 121.000 1. » 2.72 95 2.86 220 133.100 1. » 2.46 115 2.13 240 1 ',5.200 1. y 2.23 1 3 5 1 .66 260 157.300 1. « 2.0'. 150 1.36 Quelques détails sur lu façon dont on appliqua la protection ne seront pas de. trop. Pour fixer les valeurs des objets imposés, les négociateurs français se procurèrent tout d'abord les chiffres dressés par les Anglais, puis s'ad- A. ItENOUAUI). PROGRÈS DE i/lKDriSTRIE DES LINS 105 joignirent des Français pour contrôler leurs assertions : M. Dickson (1), filateur à Dunkerque, pour les gros numéros; M. Bertrand, fabricant de batistes à Cambrai, pour les numéros fins. A peine eurent-ils jeté les yeux sur les tarifs anglais, nos filateurs français se récrièrent. Ainsi les Anglais avaient fixé pour la deuxième catégorie de fils, et comme valeur au kilog. des numéros 10 et 20, le chiffre de 1 fr. 57 c. Il fut facile d'é- tablir que ce chiffre ne représentait seulement pas la valeur du lin pei- gné, et qu'il fallait au moins aller jusque 1 fr. 95 c. ou 2 francs. M. Ber- trand, de son côté, eut aussi à démontrer la fausseté des déclarations anglaises. Malgré tout cela, MM. Rouher et Michel Chevalier s'en rap- portèrent a M. Cobden, qui soutint la véracité des valeurs données par les Anglais. Une lettre, publiée par le Times et signée de M. Mulholland, l'un des plus grands manufacturiers de l'Angleterre, en donne la preuve : « J'ai reçu aujourd'hui, dit-il, une lettre de M. Cobden, dans laquelle il m'annonce que le montant du droit établi par le nouveau tarif fran- çais a été fixé à 10 0/0 pour les (ils, et à 15 0/0 pour les tissus de lin. Le droit pourtant ne sera pas ad valorem. Il sera spécifique et réparti en six classes de fils et sept classes de tissus. On a calculé le droit spé- cifique en calculant les taux mentionnés ci-dessus sur une évaluation pour chaque classe. Ces évaluations et les détails pour les classifications ont été déterminés (settled) par la députation de cette ville (Londres), lorsqu'elle était à Paris. Les détails complets seront publiés sous peu de jours; mais, en attendant, cette esquisse de l'arrangement ne peut man- quer d'intéresser un grand nombre de vos lecteurs. » Le ministre français ne voyait dans les réclamations des manufactu- riers du Nord que des manifestations égoïstes. M. Cobden, au contraire, soutenait sans réserve les valeurs données par les fabricants anglais. Il était facile de savoir qui des deux l'emporterait. Quelques jours avant la promulgation de la convention complémen- taire, un membre du Parlement, M. Baxter, démontrait au grand jour l'inanité des réclamations françaises : « Les droits, disait-il, je suis en mesure de vous le dire d'après une bonne autorité, seront de 10 0/0 sur les fils de lin, de 15 0/0 sur les tissus de lin, ces tarifs étant calculés sur des classifications spécifiques qui ont été fixées si bas que, sur le pied du taux adopté, le droit moyen sera seulement de 6 1/4 à 6 1/2 pour 100 sur les fils de lin et 12 0/0 sur les tissus de lin. » Ceci était écrit tout au long sur un placard affi- ché avant les élections du Parlement sur les murs de Montrose. Aussi, la nouvelle de la signature du traité fut-elle accueillie en An- (l) M. Dickson est Anglais. 11 106 SÉANCES GÉNÉRALES gleterre par une acclamation générale. Tous les journaux élevèrent jus- qu'aux nues non-seulement M. Cobden, mais encore les négociateurs français. Les journaux spécialistes surtout ne celèrent nullement leur joie : « La confrérie protectionniste, disait alors YEconomist, est dans la consternation, parce que la réforme effectuée se fait au-delà de ce qu'elle croyait possible. Les amis de la liberté commerciale sont enchantés dans la même proportion. Aux yeux de ces derniers, le nouveau tarif fait le plus grand honneur à M. Michel Chevalier et à M. Rouher, ministre du commerce, par qui il a été négocié; à coup sûr, c'est une mesure hardie et vigoureuse à l'égard de la France, et, il y a deux ou trois ans, elle eût été traitée comme un rêve des plus insensés. » Le traité de commerce fut bientôt arrangé sans que personne, pour ainsi dire7 pût s'en douter en France. Conclu le 22 janvier, il' fut rati- fié à Paris le 4 février suivant. C'est ce qui faisait dire au Times que nous pouvions nous endormir protectionnistes, pour nous réveiller libre- échangistes le lendemain matin. Cette manière d'expédier les choses ne fut même pas goûtée de tous les libre-échangistes, dont quelques-uns auraient voulu voir la discussion à l'ordre du jour. Voici à ce sujet ce qu'écrivait un économiste sérieux, M. de Lavergne, dans la Revue des Deux Mondes: « Fermement attaché aux principes de la liberté en économie comme en politique, nous n'en comprenons le triomphe que par la discussion. Tout ce qui tend à l'imposer par voie d'autorité nous paraît contraire au principe même. Lorsque le free trade l'a emporté en Angleterre, il n'a réussi que par la puissance de l'opinion, après une série d'enquêtes et de libres luttes qui ont fini par dégager la vérité. Les promoteurs n'ont jamais demandé à la reine Victoria de décréter à elle seule cette in- novation si contestée. Eux-mêmes ne l'auraient point acceptée de ses mains. » Les Chambres de commerce de l'Angleterre votèrent toutes à M. Cob- den des remerciements mérités. En France, il fut loin d'en être de même. L'influence du traité se fit aussitôt sentir. En 4860, nous avions exporté, tant en filés qu'en tissus, 17,700,000 francs de marchandises, et l'importation pour les mêmes matières avait été de 15,303,000 francs, ce qui constituait une balance de 2 millions 400,000 francs en faveur des exportations. L'année suivante, nous n'exportions plus que pour 16,500,000 francs, et nos importations s'étaient élevées à 19,200,000 francs. En 1802, même situation. Nos importations étaient de 19,500,000 fr., nous avions exporté 17,800,000 fiants. Total : 1,300,000 francs en fa- veur des importations. A. 15E.NUU.UiE). — PROGRÈS DE L'INDUSTRIE DES LINS 4()7 Il fallut la guerre d'Amérique pour nous relever de ce faux pas. Mais alors, la prospérité de la filature n'est plus due qu'à une cause majeure, imprévue, inhérente à une situation forcée, nous voulons parler de la disette du coton et de la cherté de ce textile, qui avait haussé subitement de 100 a 400 0/0. Alors, le nombre des broches qui, en [1864, était arrivé à 563,625, s'éleva peu a peu jusque plus de 700,000. L'Angleterre profitait comme nous de la môme situation, et de 1,200,000 broches qu'elle avait en 1860, elle en comptait 1,700,000 en 1866. Nous parlions tout à l'heure de l'excès des importations ; le contraire arrive durant la période de la guerre de sécession. On peut s'en rendre compte par le tableau suivant : ANNÉES IMPORTATIONS EXPORTATIONS BALANCE EN FAVEUR DES EXPORTATIONS DES IMPORTATIONS 1863 1864 1865 1866 1867 1868 Francs. Filés 7.700.000 Tissus 12.300.000 Francs. Filés 26.600.000 Tissus 19.000.000 » a » » 25.400.000 26.600.000 13.800.000 15.800.000 10.700.000 378.000 20.200.000 43.600.000 Files 5.100.000 Tissus 14.300.000 Filés 21. 500. 000 Tissus 24.500.000 19.400.000 46.000.000 Filés 9.900.000 Tissus 1 3. '.00.000 Filés 11.900-000 Tissus 25.200.000 23.300-000 37.100.000 Filés 9.300.000 Tissus 14.800.000 Filés 8.600.000 21.100.000 39.900.000 Filés 9.800.000 Tissus 14.400.000 Filés 6.200.000 Tissus 28.700.000 24.200.000 3 'f. 900. 000 Filés 13.853.000 Tissus 17.169-000 Filés 5.900.000 Tissus 23.500.000 3i 022.000 31.400.000 On voit par ce tableau qu'au fur et à mesure qu'elle quitte les sentiers de l'imprévu pour rentrer dans les conditions normales, la filature de lin revient à son ancienne situation. 108 SÉANCES GÉNÉRALES Une statistique faite en 18G9 constatait que le nombre de nos broches était réduit à 525,000. Et qu'on n'en accuse pas ici la stagnation des affaires ou le trop-plein résultant d'une situation exceptionnelle, car l'Angleterre, de soncûté, avais encore 1,000,000 broches. Les conséquences funestes auxquelles nous avions été amenés sous l'influence des traités de commerce nous faisaient espérer que l'année . 1870 mettrait un terme aux souffrances de notre industrie. Nous avions deux traités qui devaient suffire à nous ouvrir les yeux. En 1796, lors de la signature du traité d'Eden, l'Angleterre avait dit à la France : « Laissez-moi fabriquer vos tissus, je prendrai vos vins, je prendrai vos produits de luxe que vous seuls, Français, savez bien fabriquer. » Mais, accoutumée aux vins alcooliques, l'Angleterre délaissa nos vins légers; elle acheta très-peu de nos produits de luxe, et nous fûmes inondés de ses tissus. Ce fut en vain qu'on réclama des droits protecteurs pour mettre une digue à un tel torrent. Napoléon Ier, qui savait combien les Anglais étaient puissants par leur industrie, leur opposa le blocus continental ; et seulement alors nous pûmes nous relever. « Tous les deux, disait- il à Oherkampf en visitant sa fabrique, nous faisons la guerre à l'Angleterre, mais la vôtre est encore la meilleure. » Cette leçon ne nous avait pas suffi. En 1860, mêmes promesses de la part de l'Angleterre, môme traité, mais aussi mêmes conséquences. Sur 194 filatures qui étaient en activité en 1865, 52 étaient arrêtées, dont 6 à Dunkerque. Sur 80 fabricants existant à Halluin en 1860, 43 avaient disparu, et nombre de métiers étaient en chômage à Armentières et à Lille. A l'échéance de ce dernier traité, les intéressés adressèrent au ministre du commerce mille réclamations ; on promit d'en faire un sé- rieux examen. Mais, lorsque la discussion du traité fut mise à l'ordre du jour au Corps législatif, on en était arrivé à ce point qu'il fallait en quelque sorte du courage pour s'attaquer à la théorie séduisante du libre-échange. On mettait en avant les immortels principes de 89 ; mais, mon Dieu, que venaient-ils faire ici! Qui eût osé alors, réactionnaire et prohibition- nisle (épithète qu'on affectait de donner aux protectionnistes), attaquer la liberté commerciale, et substituer à une ère de bonheur et de paix le règne du privilège manufacturier. Aussi, certains économistes étaient-ils prêts à sacrifier d'un cœur léger telle ou telle spécialité industrielle, et a A. REN0UARD. — PROGRÈS DE L'INDUSTRIE DES LINS 109 abandonner à leur sort les industries qui ne pouvaient supporter la libre concurrence (1). On réclama une enquête. Dans des réunions présidées par M. Rouher, il fut facile à nos fila- teurs français de démontrer l'influence néfaste du traité de 1860 (tant anglais que belge), sur l'industrie linière, et de signaler le grand nombre de fraudes auxquelles on était exposé par la forme et le texte même de ce traité. Diminution des droits sur certains numéros par suite des différences considérables entre les catégories; introduction de toiles ardoisées au droit des toiles écrues, erreurs qui résultaient de la déter- mination de ne compter que les iils de chaîne, mille inconvénients en un mot furent signalés, et les filateurs tombèrent d'accord pour réclamer une protection indispensable d'au moins 25 0/0. La guerre de Prusse arriva pour mettre un terme aux discussions économiques qui devaient, en quelque sorte, décider de l'avenir de la filature de lin. Lorsqu'il nous fut permis d'entrevoir une ère plus calme, la question revint à l'étude. Le 10 janvier 1871, la chambre de commerce de Lille signalait au gouvernement de Bordeaux la nécessité de la dénonciation. Le 23 du même mois le même appel était adressé aux ministres de l'in- térieur et de la guerre. Ce ne fut que le 2 janvier 1873 que la dénon- ciation fut ordonnée, mais elle ne fut accomplie que le 15 mars pour l'Angleterre et le 28 du même mois pour la Belgique. Cependant, dès le commencement de l'année 1871, la filature de lin avait eu plusieurs luttes à soutenir contre ceux qui, n'y voyant qu'une source de richesses, voulaient constamment l'accabler d'impôts. Le fameux projet d'impôt sur les matières premières est alors le plus im- portant à signaler. Il a été trop longtemps discuté pour que j'aie à vous en entretenir longtemps. Il avait été proposé au mois de février par M. Thiers, alors président de la Bépublique, et M. Pouyer-Quertier, ministre des finances, pour payer les intérêts d'une dette accrue, en huit mois, de plus de 10 milliards. Sous prétexte de taxer les tissus, dont l'emploi est proportionné à la fortune de chacun, ils voulaient frapper les matières premières qui les mettaient en œuvre. Le droit était de 20 0/0, remboursable à la sortie sous forme de drawback. Cet impôt, examiné par une commission nommée à cet effet, fut dès (1) Je forai remarquer ici que je n'admets la protection que pour les industries qui en ont besoin, et qu'en aucun cas je n'admets la prohibition, qui est la condamnation du mouvement. Je suis particulièrement rebelle à cette idée qui a cours chez certains économistes : « Périsse une industrie plutôt qu'un principe. » En toute science de doctrine, il est permis, je crois, d'être éclectique ; si l'on trouve profit à appliquer le principe de la liberté commerciale, qu'on fas-se du libte-échange ; en cas contraire, qu'on fasse de la protection. Je crois avoir suffisamment prouvé jusqu'ici, chiffres en main; que l'industrie des lins avait besoin d'une certaine protection : iVw- meri regunt mundum. — A. H. 1 I 0 SÉANCES GÉNÉRALES l'abord rejeté. Toutefois, sur un avis subséquent qu'en diminuant le quantum proposé on arriverait à un résultat pratique, on pensa à imposer les matières suivant un droit variant de 3 à 10 0/0. Le travail de la com- mission, sanctionné par l'Assemblée nationale, devint la loi du 26 juillet 1872. Vous savez le reste. Le o novembre de la même année, le traité franco-anglais fut renou- velé dans les mêmes termes, signé à nouveau, et son échéance ramenée au lor janvier 1877. Le o février 1873 le traité belge fut conclu pour dix ans dans les mêmes termes. Ici, je m'arrête, car l'histoire de la filature de lin se mêle trop à celle des autres industries, pour être spéciale. Qu'il me suffise, pour rappeler clairement dans quelle situation elle se trouve, de rappeler combien elle a eu sa large part dans tous les impôts nouveaux : surtaxe de pavil- lon, droit sur la marine marchande, surtaxe des entrepôts, timbre, des reçus, augmentation des patentes, impôt sur les transports, droit sur les assurances, augmentation des timbres d'effets, etc., tous l'ont frappée, tous ont entravé sa marche. Il n'est pas besoin de vous dire combien Lille a eu sa grande part dans ces fardeaux, elle qui est aujourd'hui la reine de l'industrie des lins. Sur 188 filatures que possède la France, il y en a 139 dans notre département, dont 69 pour la ville de Lille et 4o pour les autres loca- lités de l'arrondissement. La ville de Lille compte, d'autre part, 279,160 broches, sur 500,000 environ que possède la France, et nous pouvons ajouter que notre département est encore celui de France où la culture du lin est le plus répandue. Aussi, est-ce à Lille que l'industrie linière a toujours trouvé ses plus chauds défenseurs. Parmi eux je signalerai : Le Comité linier de Lille, qui, depuis 1829, n'a cessé, toutes les fois qu'il a pu le faire, d'élever la voix en faveur de l'industrie locale; La Chambre de commerce de Lille, qui s'est toujours émue des périls de notre industrie. Enfin, parmi les institutions appelées à lui rendre les plus grands services, tant au point de vue technique qu'au point de vue économi- que, la Société industrielle du Nord, fondée en 1873, grâce à l'initiative de M. Kuhlmann. La création d'une semblable institution était d'autant plus à désirer pour cette industrie, que la filature de lin, susceptible des plus grands perfectionnements, mais pour ainsi dire spéciale au nord de la France, n'avait guère jusqu'ici trouvé de voix pour en signaler les progrès. En n'examinant la Société qu'à ce point de vue restreint, elle n'est pas restée en arrière ; outre qu'elle s'est occupée des questions épineuses et encore obscures jusque-là de la force absorbée par les MÉNIER. — DÉVELOPPEMENT DE LA RICHESSE PAU LA SCIEiNCE 111 diverses machines, et do celle du conditionnement des matières brutes et travaillées, elle a encore signalé l'invention d'une repasseuse-étaleuse, destinée à supprimer le repassage à la main et à allier cette opération à l'étalage mécanique, une méthode spéciale de nettoyage de gills et bar- rettes, l'invention d'une machine à corriger les inégalités des fils retors, et elle est appelée en ce moment à donner son opinion sur des mé- thodes spéciales de désagrégation des fibres brutes. Dans les questions détaillées d'un programme rigoureusement étudié, elle a indiqué les progrès les plus désirables, et, nous en avons l'espoir, elle rendra à la filature de lin autant de services que son émule de Mulhouse, malheu- reusement perdue pour nous, a rendus à la filature de coton. Que la filature de lin, dégagée de toute entrave, puisse marcher libre- ment et sans crainte, le Nord restera l'un des plus beaux fleurons de notre couronne industrielle, car l'on peut toujours dire de nous ce que Charles-Quint en affirmait il y a des siècles : « Le pays sera toujours riche tant qu'on laissera aux Flamands des terres pour cultiver le lin, des doigts pour le filer et des bras pour le tisser. » SÉANCE GÉNÉRALE Du 24 août 1874. Présidence de M. WURTZ Dans cette séance, MM. Ménier et Alglave ont pris successivement la parole et ont présenté les communications suivantes. M. MEÎflEE Membre de la Chambre de commerce de Paris, Conseiller général de Seine-et-Marne. DU DEVELOPPEMENT DE LA RICHESSE PAR LA SCIENCE Messieurs, M. de Quatrefages vous disait, comme savant, l'année dernière, à Lyon, avec un sentiment de profonde tristesse que nous partageons tous encore : « Une partie de la société repousse encore et craint la science 112 SÉANCES GÉNÉRALES Chose étrange, c'est peut-être dans le monde de l'instruction publique qu'elle est le moins bien accueillie... Les gouvernements, quels qu'ils aient été, ont à peu près toujours agi comme s'ils n'avaient pas besoin des hommes qui étudient la nature et ses forces. » Comme industriel, je viens aujourd'hui, appréciant chaque jour les avantages que donne la science dans la formation de la richesse, pro- tester, à mon tour contre la défaveur que l'on ne cesse de jeter encore sur elle. Si je le fais, c'est que je crois qu'on ne doit pas oublier que c'est la science seule qui forme la richesse. Par conséquent, comment doit-on donc qualifier ces gens qui sont souvent les premiers à désirer les richesses et qui, par leur aveuglement calculé, cherchent cependant à en tarir la source? Il me serait facile de rechercher les origines de ce préjugé et d'ana- lyser les causes qui le maintiennent ; mais je me borne, parmi ces causes, à en retenir une : — l'ignorance du véritable rôle de la science. Je ne viendrai pas vous le définir, à vous, Messieurs; toutefois je dois déclarer qu'il y a encore une foule de gens qui l'ignorent. Ils sonttrès- surpris si on vient leur dire que la science a pour but d'étudier les phé- nomènes de la nature, de les contrôler les uns par les autres ; d'observer leurs rapports complexes, et quand elle voit ces rapports constants, de les exprimer dans une formule qui s'appelle une loi. Ils ignorent que c'est uniquement par l'application de ces lois que l'inventeur, l'ingénieur, le mécanicien, l'architecte, l'agriculteur, le manufacturier parviennent à réaliser tant de merveilles utiles. Cependant il y a près de trois siècles que le grand Bacon a dit : « On ne triomphe de la nature qu'en obéis- sant à ses lois. » Or, qu'est-ce que le triomphe de l'homme sur la nature? Il suffit, pour répondre à cette question, de jeter un regard sur le passé. Il y a parmi vous, Messieurs, trop d'anlhropologistes pour que j'aie besoin d'insister sur les origines de la civilisation. L'homme de l'âge de pierre était, à coup sûr, un être très-misérable et très-chétif, soutirant de toutes les intempéries des saisons, craintif, parce qu'il était en perpétuel danger et dominé par une perpétuelle préoccupation : la faim. Il n'avait que ses mains, ses dents, ses muscles pour conquérir sa nourriture et pour se défendre contre les périls dont il était entouré. Puis cet homme, si faible, si inintelligent qu'il soit, s'efforce peu à peu de devenir le dominateur de tous les agents naturels qu'il redoute; il s'efforce de se procurer de plus en plus facilement des aliments. De ces agents naturels ennemis, du sol, de la mer, de l'air, des arbres, des pierres, il se fait des auxiliaires, et l'esclave de la nature tend à en de- venir le maître. MÉNIER. — DÉVELOPPEMENT DE LA RICHESSE PAU LA SCIENCE Htf L'effort qu'il t'ait |>our triompher des résistances des agents naturels et pour les approprier à ses besoins, s'appelle le travail. Mais ce travail lui-même se décompose en deux genres. L'homme commence par ne faire qu'un effort instinctif : il se jette sur une proie; il évite un danger; il combat un ennemi. Ce sont là autant de mouvements réflexes qu'il n'analyse pas, ne combine pas, dont il ne se rend pas compte. Puis, à cette première période en succède une autre d'observation, d'expérience. Il compare les laits entre eux ; il en tire certaines conséquences : il sait pourquoi il fait telle chose et pourquoi il ne fait pas telle autre. Il y a là, Messieurs, un immense progrès : c'est le commencement de la prédominance de l'effort intellectuel sur l'effort corporel. Le jour où l'homme a eu conscience de l'un de ses actes, la science est née. Il applique cet effort à approprier des agents naturels à ses besoins. Plus il parvient à satisfaire facilement ses besoins, plus il devient riche. La richesse est donc l'appropriation des agents naturels aux besoins de l'homme. Les agents naturels, ainsi appropriés aux besoins de l'homme, sont des utilités. Ce sont ces utilités qu'on désigne sous le nom de capitaux. Le progrès de la richesse consiste dans la facilité de cette appro- priation. Et qu'est-ce qui produit cette facilité d'appropriation ? La science, qui représente la suprématie de l'effort intellectuel sur l'effort corporel. C'est là le critérium certain du progrès humain ; au fur et à mesure que l'homme perfectionne ses instruments de production, son effort cor- porel diminue , tandis que son effort intellectuel augmente. Dès que l'homme a trouvé l'instrument, le moyen de tailler un silex, de l'en- châsser dans un bâton, de l'y consolider à l'aide de liens, de creuser un tronc d'arbre, de le maintenir en équilibre sur l'eau, il fait un effort intellectuel qui prime l'effort corporel. Plus l'humanité se développe, plus cet effort intellectuel devient grand. Il devient tel parfois qu'il par- vient à annihiler l'effort corporel. Pour arriver à cette annihilation de l'effort corporel et à cette puis- sance de l'effet produit, il a fallu précédemment une longue série de puissants efforts intellectuels, et c'est de ces efforts intellectuels que se compose la science qui a su approprier aux besoins de l'homme les deux agents dont l'utilité était ignorée il y a moins d'un siècle : la vapeur et l'électricité. Nous retrouvons la science dans toutes ces machines mer- veilleuses qui, sous l'impulsion de puissantes forces motrices, transfor- ment le fer, le bois, les matières textiles, etc. ; dans ces marteaux-pilons pesant 50,000 kilos, et qui obéissent si docilement à. la volonté de l'homme . Quand on voit toutes les utilités que la science a livrées à l'homme, 114 SÉANCES GÉNÉRALES quand on la voit chaque jour approprier de nouveaux agents naturels de manière à ce que nous puissions espérer qu'un jour chacun de nos besoins pourra être satisfait immédiatement par une utilité correspon- dante, on se sent pris d'une; pitié railleuse pour l'Éden, pour l'âge d'or que rêvaient les anciens, et que, dans leur ignorance, ils plaçaient der- rière eux, n'osant espérer que jamais l'humanité pût atteindre cet idéal. Non, l'âge d'or n'est pas derrière nous, il est devant nous ; il n'est pas dans le passé, il est dans l'avenir; et c'est la science qui en tisse la trame . Mais il faut que les sciences physiques, chimiques, naturelles qui tra- vaillent si activement au développement de la richesse, soient aidées par la science économique. Vous savez tous, Messieurs, que l'économie politique a pour but l'étude des lois qui régissent la production et la répartition des richesses. Mais l'économie politique faisant partie des sciences sociales, est une nouvelle venue. Jusqu'à présent, elle a tâtonné plus qu'elle n'a marché ; et cependant déjà elle est parvenue à formuler une loi indéniable : la loi de l'offre et de la demande. C'est là un pre- mier point. Mais il ne faut pas que les économistes actuels, par respect pour les premiers maîtres, se contentent de les compiler et de les alour- dir par des commentaires subtils. Il faut qu'ils se dégagent de la rou- tine; qu'ils observent par eux-mêmes; qu'ils serrent de près la réalité. Il faut qu'ils indiquent à nos gouvernements les lois dont ils ne doivent pas s'écarter, exactement comme le savant indique à l'industrie les lois qu'elle doit suivre, afin que nos hommes d'État cessent de traiter nos affaires par des moyens empiriques, exactement comme les alchimistes faisaient de la science, comme les sorciers faisaient de la médecine. Je ne viens pas ici, Messieurs, vous exposer le système de l'impôt sur le capital ; mais permettez-moi de vous montrer, en quelques mots, combien il est urgent que la science économique entre dans les faits. Je suis convaincu qu'il y a longtemps qu'on aurait abandonné les impôts qui nous écrasent, si on s'était rendu compte de la manière dont se produit la richesse. J'ai dit, Messieurs, que les agents naturels appropriés formaient des utilités ou des capitaux. Les économistes ont depuis longtemps distingué les capitaux en capi- taux fixes et en capitaux circulants. Seulement, à quels signes pouvait-on reconnaître un capital tixe d'un capital circulant? Quelle était la règle fixe de cette distinction? Voilà ce que les économistes n'avaient pas précisé. Selon moi, les capitaux fixes sont ceux qui produisent de l'utilité sans perdre leur identité, tandis que les capitaux circulants sont ceux qui ne produisent de l'utilité qu'en perdant leur identité, c'est-à-dire en se MÉNIER. — DÉVELOPPEMENT DE LA RICHESSE PAR LA SCIENCE 115 transformant. Prenons un exemple : mie machine à battre le blé est, pour l'agriculteur, un capital fixe, parce qu'elle ne peut produire d'uti- lité qu'à la condition de rester machine. Le blé qu'elle bat, au contraire n'a d'utilité que s'il est vendu ou consommé. Cette machine elle-même, qui est capital fixe entre les mains du fermier, était capital circulant entre les mains du mécanicien qui l'a construite, parce qu'elle ne pou- vait lui produire d'utilité qu'à la condition d'être vendue, c'est-à-dire transformer en une autre utilité. C'est l'action de ces deux capitaux l'un sur l'autre, des capitaux fixes sur les capitaux circulants ou des capitaux circulants entre eux, qui crée et augmente la richesse. Plus le capital circulant est abondant, mieux est utilisé le capital fixe. Si le capital circulant fait défaut, le capital fixe ne peut produire qu'une partie de son effet utile. Mais à mesure que le capital fixe augmente, il faut un capital circulant moindre pour obtenir un même effet utile. Augmenter le capital fixe, tel doit donc être notre but constant. Cette augmentation est donc un critérium de progrès. Au début de l'huma- nité, l'homme n'a pas de capitaux fixes. Quand il arrive à la notion de l'instrument, le capital fixe se développe ; puis aux capitaux fixes, exis- tant déjà, viennent s'ajouter les nouveaux capitaux produits par l'effort de l'homme. Mais les capitaux ne peuvent se développer rapidement qu'à la condi- tion qu'ils puissent être employés utilement. Or, plus la circulation est rapide et mieux ils peuvent être utilisés. Si la circulation est lente, la production s'arrête, et les capitaux fixes ne donnent pas toute l'utilité qu'ils sont capables de fournir. Enfin eux- mêmes ont été capitaux circulants avant de devenir capitaux fixes. Il en résulte que tout arrêt dans la circulation entrave le développement des capitaux fixes. Bien plus, Messieurs, je suis arrivé à établir avec rigueur que la produc- tion augmentait en raison géométrique de la rapidité de la circulation. La science, l'industrie avaient déjà compris depuis longtemps cette importance de la rapidité de la circulation. La plupart des grandes in- ventions modernes ont pour but d'abréger la distance et le temps. Au contraire, notre système fiscal actuel entrave précisément la circu- lation ; et en entravant la circulation, il frappe la production en raison géométrique. Il faut donc en changer complètement l'assiette. Pour moi, l'impôt représente la mise en valeur et les frais généraux d'exploitation du capi- tal national ; soit qu'il serve à le protéger, soit qu'il soit employé à en- tretenir les routes, ponts, canaux, etc. , lesquels représentent les capitaux fixes communs de la nation. J16 SÉANCES GK.NÉIULES Sur (juoi doit donc être pris cet impôt ? Sur le capital fixe de la nation. Vous voyez, 3Iessieurs; par ces quelques mots, combien il est urgent de changer tout notre système fiscal, si l'on veut que la France se relève. J'insiste sur cette question, parce qu'elle n'est pas une question isolée. Ce système fiscal est lié à toute notre organisation sociale, et représente une civilisation rétrograde, en contradiction avec le caractère que doit avoir la civilisation a venir. Et il faut bien que nous nous fassions cet aveu : c'est que nous ne nous sommes pas encore suffisamment préoccupés de cette question. De là tant de contradictions dans notre société, tant d'archaïsmes d'un côté, tant d'utopies de l'autre. Nous voguons au hasard sans savoir au juste où nous voulons aborder. Il n'est donc pas étonnant que nous nous orientions si mal et que nous tournions parfois sur nous-mêmes. Il y a eu des peuples, au contraire, qui ont eu un but parfaitement déterminé et précis : c'est la perception de ce but qui a constitué leur force, parce qu'ils ont su faire les efforts nécessaires pour y arriver. Pre- nez Rome, par exemple, les Romains n'avaient qu'un but : asservir les autres peuples et vivre a leurs dépens. La Sicile, la Grèce, l'Afrique, l'Asie leur fournissaient du blé, de l'or, de la pourpre, des esclaves. L'impôt, pour les Romains, est l'exploitation des peuples vaincus. Aujourd'hui, malgré les faits récents qui pourraient démentir mes pa- roles, le temps des conquêtes est passé. La guerre est une mauvaise spéculation. Les risques à courir sont grands, et les intérêts du peuple vainqueur en souffrent presque autant que les intérêts du peuple vaincu. De plus, plus les moyens de communication deviennent faciles, plus est grande la solidarité des intérêts. Quand deux peuples sont en guerre, ce ne sont pas eux seulement qui ressentent les désastreux effets de cette situation. Toutes les autres nations en subissent le contre-coup. Les peuples modernes ne peuvent se donner pour idéal une ruine réciproque. Ils doivent donc se donner un autre but. Ce but ne peut être que l'ap- propriation de plus en plus grande des agents naturels aux besoins de l'homme. A ceux pour lesquels le mot de conquête a je ne sais quel éclat et quel prestige, je dirai que c'est aussi une conquête, celle de toutes les utilités que la nature recèle et doait la plus grande partie nous est en- core inconnue. Les résultats obtenus nous montrent que c'est là le but que nous de- vons nous assigner. Tous les autres sont menteurs, lui seul présente une réalité. Grâce au génie d'Arkwright, d'Hargreaves, de Watt et de beaucoup d'autres savants et inventeurs, l'Angleterre possède, dans son outillage, MÉXIER. — DÉVELOPPEMENT DE LA RICHESSE PAU LA SCIENCE 117 une puissance productive de quatre cent millions de travailleurs. Quelle est la conquête du passé qui eût donné d'aussi splendides résultats ? Ne sont-ce pas, en réalité, quatre cent millions d'esclaves qui travaillent sans relâche à créer des utilités pour le peuple anglais. Ce sont là des esclaves qui ne coûtent rien et qui ont cet avantage précieux, de ne ja- mais se révolter. Aussi, Messieurs, je pense que le budget de la Science devrait être fait par les industriels, les agriculteurs et les commerçants, qui sont les premiers à profiter de son développement. Les savants sont les précur- seurs de l'industrie. Je voudrais que les récompenses de tous genres, les honneurs, les statues, leur fussent prodigués. La reproduction des traits d'un homme utile à son pays, utile à l'humanité, n'est-elle pas plus égitime et plus morale que lorsqu'il s'agit d'un conquérant, dont la gloire est faite de sang, de souffrances et de larmes ? Nous avons, pour cela, à changer beaucoup de choses dans nos habitudes et dans nos ma- nières de voir et de comprendre. Il nous faut faire de la politique éco- nomique ; en d'autres termes, substituer les préoccupations fécondes qu'entraînent le maintien et le développement de la production aux luttes stériles des sentiments irréfléchis et des passions inconscientes. Il nous faut répandre à pleines mains l'instruction scientifique, les moyens de vivre et de s'élever par le travail ; il nous faut ouvrir des écoles et des ateliers pour fermer les prisons. Le meilleur des gendarmes, c'est l'instituteur. Les savants sont de véritables moralisateurs. Une des premières con- ditions pour que la morale soit observée, ne doit-elle pas être que les besoins matériels soient satisfaits afin de faire disparaître le plus pos- sible la préoccupation pénible de l'existence ? Il faut en outre que les nations jouissent de toutes leurs forces vives, qu'aucune intelligence ne reste inutile ou ne produise au-dessous de ce qu'elle peut donner pour avoir manqué du secours nécessaire à son développement. Messieurs, il est question de modifier les statuts et règlements de notre Association ; lorsque la discussion en viendra au comité, je soumettrai un projet de délibération sur lequel j'appelle dès à présent votre atten- tion : « L'Association française pour l'avancement des sciences, considérant : » Que la richesse est l'appropriation des agents naturels aux besoins de l'homme ; que le progrès consiste à obtenir le maximum d'utilités avec le minimum d'efforts ; que le progrès n'a lieu qu'en raison de la prédominance de l'effort intellectuel sur l'effort musculaire ; que cet ef- fort intellectuel est représenté par la science et par les applications de la science; » Considérant, en outre, que les peuples modernes ne peuvent avoir Jj8 SÉANCES GÉNÉRALES d'autre but que l'appropriation de plus en plus grande des agents natu- rels aux besoins de l'homme ; que ce but ne peut être atteint que par un large développement de l'instruction scientifique à tous les degrés ; » Invite, en rappelant l'article 1er des statuts, tous les hommes de progrès à se joindre aux membres de l'Association présents à Lille, pour fonder des institutions au moyen desquelles prendront tout leur développement les études scientifiques dont dépend l'avenir économique et social de la France. » M. ALGrLAYE Professeur à la Faculté des sciences de Lille et à la Faculté de droit de Douai. HISTOIRE DE L'INDUSTRIE HOUILLERE DU BASSIN DU NORD SÉANCES DE SECTIONS 1er Groupe SCIENCES MATHÉMATIQUES lre & 2e Sections MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉGANIQUE Un incendie a consumé, le 2 décembre 1874, le magnifique établissement de M. Danel, imprimeur à Lille, à qui le Conseil d'administration avait confié l'impression des Comptes Rendus du Congrès. Les manuscrits des travaux des lre et 2e sections ont presque tous été détruits par le feu : la Commission de publication se voit donc contrainte de rejeter à la fin du volume ces deux sections afin de laisser aux auteurs le temps de faire parvenir un nouveau manuscrit. 120 NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE 3P & 4" Sections NAVIGATION — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE Président M. MASQDELEZ, Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, Directeur des travaux Municipaux de la ville de Lille. Vice-Président M- Ch. BERGERON, Ancien élève de l'École polytechnique, ingénieur civil. Secrétaire M. LOCHE, Ingénieur des Ponts et Chaussées. M. E. LEM0OE Ingénieur civil, ancien élève de l'École polytechnique. RÉGULATEUR DE PRESSION POUR LA VAPEUR, SYSTÈME H. GIROUD — Séance du 21 août 1874. — M. Giroud a pu appliquer à la vapeur le procédé de compensation de la pression d'entrée qu'il avait imaginé pour le gaz d'éclairage et que nous avons décrit à la session de Bordeaux. Le régulateur de pression pour la vapeur, système Giroud, est représenté ci-contre. L'appareil (fig. 1) se compose d'une partie fixe et d'un système mobile ; la partie fixe comprend deux cylindres de même axe; le cylindre supérieur est d'un diamètre plus petit que le cylindre inférieur, lequel porte deux tubulures A et B, et est fermé par le bas. Entre A et B se trouve un diaphragme percé d'un trou de même diamètre que le cylindre supé- rieur. La partie mobile consiste en un piston D à cannelures, système Deleuil , qui se meut dans le cylindre supérieur de la partie fixe. Au- dessous du piston, et lié invariablement avec lui, est un obturateur C qui peut venir fermer en tout ou en partie le trou du diaphragme situé dans la partie fixe, entre A et B. La vapeur entre en A, passe au- tour de G et sort en B ; elle ne peut avoir d'issue par le cylindre supé- rieur, parce que le piston à cannelures Deleuil y forme une fermeture étanche. Lorsque l'appareil fonctionne, il est en équilibre sous l'action de son poids et de la vapeur ; l'action de la vapeur se réduit à la pression exercée de bas en haut au-dessous de G ; car, et c'est en cela que con- siste la correction de la pression d'entrée, le diamètre de G et celui de I) étant égaux, la pression d'entrée, qui s'exerce de bas en haut sur D, compense celle qui s'exerce de haut en bas sur G. La seule condition d'équilibre est donc que fa pression de la vapeur sous C, c'est-à-dire la pression de sortie, égale le poids du système mobile, lequel est con- E. LEMOINE. — RÉGULATEUR DE PRESSION 121 stant. La pression de sortie en B est donc constante, quelles que soient les variations de pression en A et les variations de dépense en B. Le système mobile prend toujours la position con- venable pour que, autour de C, passe la quantité de vapeur nécessaire au maintien de la pression en B. Si, par exemple, la consommation augmente en B, parce que l'on en ouvre de nou- veaux robinets de vapeur, la pression diminue, mais le système mobile des- cend jusqu'à laisser passer autour de C assez de vapeur pour ramener la pres- sion à la valeur voulue. Si ce régulateur de pression doit dé- terminer tantôt une pression, tantôt une autre, et qu'il y ait d'assez grandes différences dans la valeur de ces pres- sions, on élargit au besoin l'espace au dessous de C et l'on accroche à G un plateau qui peut être chargé plus ou moins de poids lorsque l'on veut faire varier la pression. Cet appareil con- vient pour le chauffage par condensa- tion, pour les séchoirs et pour tous les cas enfin où l'on a besoin d'un effet constant dans l'emploi de la vapeur. MM. les iils d'Isaac Kœchlin, à Willer, et M. Scheurer-Rott, à Thann, se servent de ces régulateurs, qui fonctionnent depuis deux ans avec une parfaite régularité. La sensibilité de l'instrument est telle qu'une légère impulsion donnée avec le doigt en E imprime à la partie mobile des oscillations très-sensibles. L'appareil est en entier métallique, et n'est pas exposé à mal fonctionner au bout de peu de temps comme ceux 'qui reposent sur l'emploi et l'élasticité du caoutchouc. «'" ''M fii.i Jr i. . mi-, m i,f Fig. 1. 12 422 NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE M. E. LEMOIO Ingénieur civil, ancien Élève de l'École polytechnique. LOSANGE ARTICULÉ DU COLONEL PEAUCELLIER — Séance du 21 août 1874. — L'illustre géomètre J.-J. Sylvester vient d'entretenir la première sec- tion d'une découverte importante, faite il y a déjà quelques années par notre compatriote le lieutenant-colonel du génie Peaucellier; cette décou- verte, très-célèbre à l'étranger mais encore assez peu connue en France, touche, par les théories générales dont elle dépend, aux sommets les plus élevés de l'analyse et comprend des applications variées à la méca- nique industrielle; M. Sylvester a développé surtout le côté théorique de la question ; je me bornerai donc ici à en exposer brièvement les élé- ments; je mentionnerai l'application qui a été faite à un problème de cinématique cherché longtemps par les plus grands géomètres : la trans- formation par tiges articulées du mouvement circulaire en mouvement rectiligne . Imaginons (fig. 2) un système LDMÀC de 6 tiges articulées rigides CL, CM, LA, AM, MI), DL, telles que LA, AM, 3ID, DL soient égales à une longueur donnée a et forment par suite un losange articulé LDMA et que CL et CM soient égales à une autre longueur donnée b; je dis qu'on aura toujours : CD.CA = V — a1 Fig. 2. M En eiïèt, d'abord les trois points C, D, A sont toujours en ligne droite, car chacun d'eux est à égale distance des points L et 31. Soit K le milieu de DA, on a identiquement : CD.CA = (CK — DK) (CK -f DK) = CK2 — DK2 or : (Jlv2 =. CL2 — KL2 TÛT2 = DL2 — KL2 Donc CK2 — DK2 =^~CL2 — TÏÏ7 = &2 — a2 On a donc : CD.CA = 62 — a2. Fixons maintenant le point C, il est évident que si l'on astreint D à E . LEMOINE . LOSANGE ARTICULÉ 123 décrire une certaine courbe, le point A décrira une autre courbe telle que o2 — a2 CA sera — — — , puisqu'on a CD.CA = 62 — a2. Cette courbe, lieu de A, est ce qu'on appelle une transformée par rayons vecteurs réciproques du lieu de D. Cela posé, si nous articulons (fig. 3) en D une tige DC dont le >C Fig. 3 point C est fixe, le point D décrivant une circonférence, le point A dé- crira une transformée par rayons vecteurs réciproques, de la circonférence lieu de D. Cherchons la nature de cette courba. Prenons (fig. 4) CC pour axe polaire, C pour pôle ; appelons l la longueur CD, et j la distance CC. Fig. U. L'équation du cercle lieu de D sera : p2 — 2 j p Cos ta -f p — r- = o. Pour avoir l'équation du lieu de A, il suffira dans cette équation de b2 a- , ce qui donne en chassant le dénominateur changer p en (&2 _ fl2)â _ 2./.p (62 _ a2) Cos w _f_ (/2 _ /2) po = Q et représente une circonférence dont le centre est situé sur CC à une distance j 62 A 7j2 - de C; le rayon de cette circonférence est l — a2 f1 - P —/r^T?' si l = j le rayon devient infini, le lieu devient une droite perpendicu- laire à CC, coupant CC à une distance b1 a? % de C, Il suit de là que, dans le système articulé que représente la figure 3, i"2i NAVIGATION. — GÉME CIVIL ET MILITAIRE A décrit en général un cercle, et une droite si l'on a GC = CD; le mouvement circulaire de D est donc dans ce cas transformé en mou- vement rectiligne de A. Celt" question a élé introduite dans la science par Watt qui, à pro- pos de sa machine à vapeur, avait besoin de transformer le mouvement rectiligne du piston en mouvement circulaire du balancier; il ne put trouver qu'une solution approximative connue depuis et appliquée sous le nom de Parallélogramme de Watt; d'après cette solution, le point lié au piston ne décrit pas une ligne droite, mais une courbe du sixième ordre à longue inflexion. Les figures (5) et (6) représentent, d'après le colonel Peaucellier, deux exemples d'application du losange articulé aux machines. 3. 2.L-.-_ Fie. 5. J^\, iH-^fg)* i» / s y^^>S ^^^-^^Jr ^s £• ^t""^"-^ ^ 7 > u ,\ i /i \ . * i / i _\ . N i ' i *^~ ™" — — i x , ' - „ s ""-"*-_ J v '' 1 - -»N^ ' — * 1 "V "* "» m. , .' 1 V "î -~--^ ' ^* ^"" - \ ; >. \ ' \ ! " - ^ c./ — , » 56 2'i 2ii 2:; Ainsi, pour éviter une demi-heure de voyage en mer, un quart des voyageurs donnent la préférence à Calais sur Boulogne, bien que la durée du voyage entre Londres et Paris en soit augmentée d'une heure et demie et que le prix soit un peu plus élevé, et encore le nombre des voyageurs attribués à Boulogne com- prend-il ceux qui se rendent à Londres par la Tamise. La même observation s'applique à la voie de Dieppe. Les voyageurs qui prennent cette direction sont transportés à très-bon marché et encore assez rapidement; mais ils ont trois heures de mer de plus que par Boulogne et trois heures et demie de plus que par Calais, et cela suffit pour que les voyageurs qui suivent celte ligne n'at- teignent pas le tiers du nombre de ceux qui donnent la préférence à Boulogne, ni le quart de ceux qui prennent par Calais, quoique la différence de prix soit de près de moitié à l'avantage de la voie de Dieppe. Il n'est donc guère douteux qu'une voie qui supprimera complètement la traversée n'accapare à peu près la totalité des voyageurs, et que le nombre de ceux-ci n'augmente même considérablement, beaucoup hésitant aujourd'hui à se mettre en route s'ils n'y sont pas absolument obligés. On peut d'ailleurs se faire une idée des résultats qui seront obtenus, au double point de vue que l'on vient d'examiner, par ce qui a été constaté au sujet du chemin de fer de Liverpool à Manchester. En 1830, quand la ligne s'ouvrit, les transports s'effectuaient par voitures pour les voyageurs, par char- rettes et par bateaux pour les marchandises. Le nombre des voyageurs était de 21,600 par an. Tout d'abord ce nombre fut quadruplé, bien que la vitesse ne fut que de 27 kilomètres à l'heure. En 1837, quand elle eut atteint 43 kilo- mètres, les voyageurs furent sept fois plus nombreux. Maintenant il y a trois lignes ferrées transportant annuellement plus de 750,000 voyageurs entre les deux villes. Le transport des marchandises augmenta dans la proportion de 1,432 tonnes dans le premier mois, à 5,10i tonnes dans le quatrième mois, et s'est depuis constamment accru, bien que dans une proportion moindre que celui des voyageurs. . M. Bergeron termine en donnant un aperçu des produits financiers probables de l'entreprise. 11 admet qu'en 1880, époque où le chemin sous-marin pourra être achevé, en tenant compte de l'augmentation actuelle et assez régulière de 3 0/0 par 1 40 NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE an que l'on remarque dans le nombre des voyageurs et d'une augmentation de 100 0/0 par suite de l'existence du tunnel, le transport des voyageurs s'étendra à un million ds personnes par an et donnera une recette de 10 millions. Un calcul analogue donnerait 2 millions 1/2 pour les marchandises à grande vitesse et les bestiaux, et 7 millions pour les marchandises à petite vitesse, soit en tout -19 millions 1/2, ou, en chiffres ronds, 20 millions. Or, si l'on considère que dans le tunnel il n'y aura ni station, ni embran- chement, ni changement de température nuisible à la voie, on pourra admettre que les frais d'exploitation, qui sont estimés en général à 45 0/0 de la recette brute sur les grandes lignes, ne dépasseront pas, sur cet ouvrage spécial, 35 0/0 (M. Bcrgeron pense même qu'on pourrait, sans imprudence, les évaluer à 20 0/0 au minimum). Le produit net annuel serait, dans ces conditions, de 13 millions, et, par suite, supérieur à l'intérêt à 5 0/0 du capital de 250 millions, que l'on considère comme un maximum absolu de la dépense totale du tunnel et des raccordements. Si, ce qui est fort probable, le montant des travaux ne dépassait pas 120 ou 125 millions, les actionnaires recevraient plus de 10 0/0 de leur argent. On peut donc dire que la construction du tunnel sous-marin entre la France et l'Angleterre, qui réaliserait un progrès immense pour le commerce et la facilité des voyages, serait en même temps une opération très-rémunératrice pour les capitaux qvc l'on y consacrerait. DISCUSSION. M. Georges Lemoine, ingénieur des ponts et chaussées, présente quelques observations sur la perméabilité des terrains que doit, selon toute probabilité, traverser le tunnel sous-marin. La craie se classe, à ce point de vue, entre les terrains complètement perméables, comme les sables ou les graviers, et ceux qui jouissent d'une imperméabilité absolue, comme les argiles ou les roches granitiques. En dehors d'une certaine faculté d'imbibition dont le degré n'est pas abso- lument connu, on y rencontre assez fréquemment, de place en place, des fissures qui laissent passer de véritables nappes d'eau. Ce phénomène se pré- sente notamment dans les couches supérieures du terrain crétacé. Il peut exister aussi, quoique à un degré moindre, dans la craie grise inférieure que l'on traversera, en sorte qu'après avoir cheminé pendant un certain temps dans des couches qui auront tous les caractères d'une imperméabilité presque complète, on pourra se trouver brusquement envahi par l'eau. M. Georges Lemoine cite un travail qui a été récemment présenté par M. Priestwich à la Société des Ingénieurs civils de Londres, et dans lequel ce géologue déclare qu'il tiendrait le succès pour assuré si l'on opérait le perce- ment dans les terrains paléozoïques, ce qui comporterait une profondeur de 1,000 pieds environ.,, tandis que l'opération lui paraît beaucoup plus hasardée dans les terrains crétacés ; comme compensation à l'augmentation de dépense qu'entraînerait la solution qu'il indique, M. Priestwich fait observer qu'il y a CH. BERGERON. — TUNNEL SOUS-MARIN 1 il de grandes chances pour qu'à ce niveau on rencontre des couches de houille dont l'exploitation donnerait des produits considérables. M. Georges Lemoine demande, en terminant, à M. Bergeron s'il pense que, dans le cas où l'on viendrait à reconnaître que le percement du tunnel est impossible ou trop dangereux, on pourrait aller chercher les terrains paléo- zoïques. M. Achille Bazaine fait remarquer que, dans sa récente communication sur la structure du département du Nord, M. Gosselet a signalé de fréquentes tis- sures dans la craie; il croit même se rappeler que ce géologue a parlé de la probabilité de l'existence de fissures semblables ou même d'une grande faille dans le détroit. M. Bergeron n'ignore pas que plusieurs géologues, notamment MM. Priest- wich et Gosselet, ont élevé des objections contre la possibilité du percement. M. Belgrand considère également les terrains crétacés comme peu favorables à une pareille entreprise, et il pense que les chances d'insuccès augmenteraient à mesure que l'on se rapprocherait des couches supérieures de la craie; mais plusieurs savants sont d'un avis contraire, et l'opinion de M. Priestwich, en particulier, a déjà été combattue et réfutée à la Société des Ingénieurs civils. Il est certain qu'il subsiste encore quelques doutes à ce sujet; mais les tra- vaux préparatoires que l'on se propose d'exécuter tout d'abord ont précisément pour but d'éclaircir ce point. M. Bergeron revient sur les considérations déjà exposées par m au Congrès de. Lyon, au sujet des arguments que l'on peut tirer en faveur des chances de réussite de l'exemple des mines de Cornouailles et du pays de Galles. Quant à l'idée d'aller chercher le passage dans les terrains paléozoïques, il la considère comme absolument impraticable. En dehors de la question de la dépense, qui deviendrait énorme par suite de l'augmentation de profondeur, quand bien même on viendrait à rencontrer quelques veines de houille exploi- table, ce qui est très-douteux, les rampes de raccordement s'allongeraient déme- surément des deux côtés. M. Masquerez fait observer qu'il ne faudrait d'ailleurs pas désespérer du succès quand bien même on viendrait à se trouver en présence d'infiltrations d'une certaine importance ; il rappelle, en effet, que dans la construction du tunnel de la Tamise, le célèbre ingénieur Brunnel rencontra, à deux reprises, de véritables irruptions d'eau qui noyèrent en partie les travaux, et dont il parvint à se rendre maître par des procédés ingénieux. Il y a donc lieu de croire qu'à moins d'être envahi subitement par des masses d'eau considérables, on pourrait triompher des infiltrations et continuer le percement. Il prie M. Bergeron de vouloir bien faire savoir si l'on s'est préoccupé de la question de ventilation. M. Bergeron répond affirmativement. Le système qui paraît le plus simple consiste à assurer le renouvellement de l'air par des tuyaux de fort diamètre, suspendus à la voûte, présentant, dans la partie centrale de la galerie une interruption de 150 à 200 mètres de longueur, s'élevant aux deux extrémités le long des puits, et communiquant à la surface du sol avec de hautes cheminées, où l'appel d'air serait activé par des foyers, des jets de vapeur, ou l'action 142 NAVIGATION. GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE d'un ventilateur. Un courant continu s'établirait alors dans le tunnel, l'air frais descendant par les puits, ouverts à l'air libre à leur partie supérieure, et che- minant de part et d'autre vers la partie centrale de la galerie, pour remplacer l'air vicié qui sortirait par les tuyaux, appelé par le tirage des cheminées. On pourrait également loger les tuyaux d'appel dans l'épaisseur des maçon- neries des pieds droits; la communication de ces tuyaux avec l'intérieur de la galerie se ferait alors par des portes placées de distance en distance, dont on ouvrirait ou fermerait un certain nombre, suivant que l'on voudrait activer ou ralentir le renouvellement de l'air. M. Masquelez pense que la première solution serait préférable. Il craindrait qu'en plaçant les tuyaux dans l'épaisseur des maçonneries on ne risquât d'af- faiblir celles-ci. Il est vrai que ce n'est qu'une question de surépaisseur à leur donner; mais il est inutile d'augmenter ainsi le cube des maçonneries quand on peut s'en dispenser par un autre procédé, et, d'ailleurs, lorsqu'on se trouve placé dans des circonstances où les infiltrations sont si redoutables, il vaut mieux écarter tout ce qui tendrait à diminuer l'homogénéité de la maçonnerie. M. Bergeuon fait remarquer qu'il ne peut donner à ce sujet que des indi- cations très-sommaires, la question restant à étudier dans le détail; il a seu- lement voulu faire voir qu'on n'avait pas négligé de s'en préoccuper. C'est, d'ailleurs,, une considération de première importance. Un ingénieur anglais, M. Low, avait proposé une solution toute différente, qui aurait consisté à décomposer le tunnel en deux galeries de petite section et à une seule voie chacune, accolées l'une à l'autre, comme dans le tunnel de la Tamise. Les trains circulants toujours dans le même sens dans chaque galerie, cha- cun d'eux aurait poussé devant lui la masse d'air vicié par le passage du train précédent, en déterminant en arrière un appel d'air frais ; il pensait que la petite section des galeries suffirait pour produire un renouvellement, à peu près complet, de l'air à chaque passage de train; l'expérience a déjà condamné ce système qui n'est applicable qu'à des souterrains très-courts; dès que la longueur devient un peu considérable, la masse d'air qu'il faudrait mettre en mouvement, en avant du train, offre une résistance insurmontable, et il ne se produit qu'un appel d'air à peu près nul. Ainsi, M. Bergeron cite ce qui s'est passé, il n'y a pas longtemps, au tun- nel d'Albeyspère, sur le chemin de fer de Brioudeà Alais; c'est un souterrain à petite section et à voie unique. Quoiqu'il n'ait pas une très-grande longueur, l'air ne s'y renouvelle que d'une manière insignifiante par le passage des trains; de plus, les gaz de la combustion, sortant avec force de la cheminée, viennent ricocher sur la voûte qu'ils rencontrent presque immédiatement et retombent sur le mécanicien et le chauffeur, qui se trouvent ainsi enveloppés d'émana- tions particulièrement dangereuses, au milieu d'une atmosphère déjà peu pro- pre a. la respiration. Ces circonstances ont donné lieu à des accidents graves, et un ordre de service récent a prescrit l'emploi, sur chaque train qui tra- verse ce tunnel, de caisses en tôle contenant de l'air comprimé, et d'où partent, des tuyaux en caoutchouc qui l'amènent à la bouche du chauffeur et du mé- canicien; ceux-ci peuvent, de la sorte, respirer de l'air pur pendant tout le Dr KONTALNE. UADEAU DE SAUVETAGE 143 temps qu'ils sont entourés de gaz délétères. Cet exemple prouve a la Ibis l'im- portance d'une bonne ventilation et le danger d'une trop petite section, surtout pour des longueurs considérables. M. Thomas craint qu'en ne prenant l'air qu'à la partie supérieure de la ga- lerie, on n'y laisse séjourner l'acide carbonique, qui, étant plus lourd, tendra à s'accumuler dans les couches inférieures. On arriverait facilement à parer à cet inconvénient en établissant une dou- ble prise, l'une vers le sommet de la voûte, l'autre près des rails, si l'on craignait que le mélange du gaz ne fût pas suffisamment opéré par les courants d'air énergiques que détermineront, d'une part le passage des trains, de l'autre la ventilation. D1 FOITAIO DESCRIPTION D'UN NOUVEAU RADEAU DE SAUVETAGE — Séance du 24 août 187 4 L'impossibilité de mettre à flot en temps utile les chaloupes de sauvetage en cas de collision, a suggéré à M. le docteur Fontaine un projet de radeau instantané dont voici la description sommaire. Fig. 7. La ligure 7 représente mis à flot le nouveau radeau de sauvetage. Il se compose d'un tablier carré en forte toile de 12 mètres de côté, soit de 144 mètres de superficie, cloué sur de fortes traverses en bois que supportent dix sacs tabulaires en toile et caoutchouc, remplis d'air comprimé à une demi-atmosphère, et rendus par cet excès de pression presque aussi rigides que le seraient des tubes métalliques. D représente le tuyau commun d'insufflation des tubes, il fournit les branche- 144 NAVIGATION GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE ments qui, au moment du gonflement, alimentent chacun d'eux. Comme ces branchements sont munis de clapets se fermant de dedans en dehors, les tubes sont indépendants les uns des autres. Il résulte de cette disposition que si une fuite venait à se déclarer à l'un d'eux, celui-là seul perdrait son air. Sur le tablier E sont tendues, guidées de distance en distance par des anneaux, des cordes parallèles entre les- quelles s'assoient et auxquelles se cramponnent les naufragés pour ne pas rouler et être enlevés par la lame. Comme on ne pourra se maintenir sur ce radeau sans parapet, excepté au centre, qu'à la condition de s'y asseoir, la répartition du poids des naufragés se fera exactement sur toute sa surface, ce qui est une condition favorable de stabilité. En temps ordinaire, les tubes d'air sont vides et l'appareil, roulé sur lui-même, est suspendu, solidement arrimé contre ses supports, au-dessus du mur de bordage où il n'occupe que la place d'une embarcation. Ainsi disposé, cet appareil forme un long cylindre de 12 mètres de longueur et de 1 mètre de diamètre. Il est protégé contre la pluie, l'eau de mer, le brouillard et le soleil par une toile cirée, longue de 11 mètres et large de 3, dont les bords, dans le sens de la longueur, viennent se rejoindre en arrière, sur la ligne où se trouvent les points de contact du radeau roulé sur lui-même, et de ses supports. Deux chapeaux en tissu élastique coiffent les extrémités du radeau ainsi enveloppé, et fixent la toile cirée. La partie libre du tuyau commun d'insufflation des tubes D, repliée et couchée parallèlement sur l'appareil roulé, est par conséquent enveloppée et protégée par les enveloppes de toile cirée. La paroi des tubes à air, faite de plusieurs épaisseurs de toile et de caoutchouc, peut résister à une pression intérieure d'une atmosphère. Le diamètre des tubes est de0"',69, leur longueur est de 12 mètres. Quand ils sont vides, et, par conséquent aplatis, leur largeur est de lm,08. Pour gonfler ces tubes qui cu- bent 4,500 litres chacun, il suffît, après avoir déroulé l'appareil sur le liane du bateau — manœuvre que représente la figure 8 — de faire communiquer leur tuyau d'in- sufflation (c'est là qu'est l'idée nou- velle) avec un réservoir (lig. 9) contenant o mètres cubes d'air comprimé à la atmosphères, ou, ce qui est la même chose, 75 mètres cubes d'air, pris à la pression ordinaire et réduits au quinzième de leur volume primitif. Lorsque l'équilibre d'élasticité s'est établi entre le réservoir — ÎTrcflor l'ig. 8. l)r FONTAINE. — RADEAU DE SAUVETAGE 145 5 mètres — et les dix tubes — 4S mètres cubes — ce qui peut se faire en moins d'une minute si l'on donne au tuyau d'insufflation 12 ou 15 centimètres de section, l'air n'occupe que 50 mètres cubes, c'est-à-dire les deux tiers seulement de son volume primitif. Il en ré- sulte qu'il exerce intérieurement sur la paroi des tubes une pression d'une demi-atmosphère, soit de 50 kilogrammes par décimètre carré. Cette extra-pression, concurremment avec l'épaisseur de leur paroi, 0m,004, donne aux tubes qui, au lieu de contenir 4,500 litres, leur ca- pacité, en contiennent 0,750, un tiers en sus, une rigidité telle qu'on peut presque les considérer comme des tubes métalliques. Cette rigidité a une grande importance, car elle permet aux tubes de former avec les traverses qu'ils supportent et qui leur sont perpendiculaires comme di- rection une sorte de charpente solidaire formant radeau. Pour faire com- muniquer le réservoir et les tubes, il suffit de coiffer l'ajutage del'écrou C avec le tuyau d'insufflation D, et de tourner cet écrou à l'aide des bras horizontaux qui font corps avec lui; en descendant, celui-ci, par l'intermédiaire d'une douille centrale, abaisse la tige verticale du clapet, qui ferme la lumière de la conduite du réservoir. Une fois l'équilibre établi, on décoiffe l'ajutage, et les clapets de chaque tube se referment par l'effet de la pression intérieure. Comme l'appareil doit être essayé et même quelquefois manœuvré en dehors du cas de naufrage, il est nécessaire de pouvoir vider les tubes. Pour cela, chacun d'eux porte un petit tuyau d'expiration fermé par une vis. Cet organe n'est pas indiqué dans les figures. Le clapet qui termine la conduite du réservoir reçoit la pression d'en bas et est soudé sur son siège à la pâte de caoutchouc. a, a représentent les cordes de suspension de l'appareil ; elles sont fixées à la première traverse du radeau et s'attachent à la face posté- rieure des supports. Les cordes servent en temps ordinaire à fixer solidement le radeau enveloppé dans sa toile cirée contre ses supports, et, en cas de nau- frage, à dérouler cet appareil sur le flanc du paquebot. Elles s'attachent à la face antérieure des supports, traversent, après avoir embrassé le radeau roulé (fîg. 8), des trous ménagés dans ces mêmes supports et viennent s'enrouler dans les gorges de leurs treuils respectifs. Ces treuils sont com- mandés par des cliquets. Aussitôt ceux-ci soulevés, le poids du radeau tire sur les cordes et le déroulement a lieu. Les deux bords longitu- dinaux de la toile cirée dont on a préalablement arraché les chapeaux élastiques, se séparent, et bientôt la partie inférieure de l'appareil va baigner dans l'eau. A ce moment, la toile cirée recouvre la partie su- périeure du tablier du radeau, mais elle tombe à l'eau aussitôt que les treuils ont débité toute la longueur des cordes En effet celles-ci, 146 NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE toujours entraînées par l'appareil qui termine son déroulement, traversent les trous des supports, et venant pendre le long de la muraille du ba- teau, elles ne maintiennent plus cette enveloppe et lui permettent ainsi de glisser à la mer. La partie libre du tuyau D, qui est couchée parallè- lement à la première traverse du radeau, vient se présenter à la droite du radeau, aussitôt le déroulement commencé. C'est à ce moment qu'on s'en empare pour en coiffer l'ajutage de l'écrou qui commande le cla- pet obturateur de la conduite du réservoir. Pendant le mouvement de l'écrou, on fixe l'extrémité du tuyau D sur l'ajutage pour l'empêcher de se tordre. La figure 8 représente, comme je l'ai dit, le radeau au moment oïï il se déroule par son propre poids. Le transvasement de l'air est très- rapide, aussi le bateau n'a-t-il pas le temps de s'enfoncer beaucoup, même en cas de sinistre rapide, avant la mise à Ilot. Le poids du radeau est d'environ 2,000 kilogrammes, et comme, ses tubes gonflés, il déplace 45 mètres cubes d'eau, sa poussée est de 42 tonnes et demie. 400 personnes pèsent 28 tonnes (70 kilogrammes cha- cune) : l'appareil pourra donc, avec son chargement maximun, flotter encore d'un tiers de sa hauteur. Il en résulte qu'un ou plusieurs tubes pourraient perdre leur air — accident très-improbable d'ailleurs — sans que le sauvetage des naufragés en fût le moins du monde compromis. La réserve d'air qui doit remplir les tubes de flottaison, au moment du sinistre, est contenue (lig. 9) dans un sac A, À et une conduite a en caout- chouc contenus eux-mêmes dans un ré- cipient en forte tôle A', A' et une conduite a en fer étiré pouvant résister à une pression de 20 atmosphères. L'extrémité de la conduite du réservoir sur laquelle est vissé l'écrou G est visible dans la figure 8. Le sac de caoutchouc et sa carapace métallique forment un réser- voir d'air absolument étanche et qui peut conserver l'air indéfiniment sans en perdre un centilitre, condition d'une extrême importance pour le fonction- nement du système, car elle permettra de retrouver intégralement la flottaison de salut en tout temps et sans qu'on ait jamais à s'en occuper. En effet, le sac de caoutchouc contenu dans le récipient métallique qui fournit la résistance à. la pression est, ne se dilatant pas, absolument imperméable. L'air ne pourrait s'échapper que in Dr FONTAINE. — RADEAU DE SAUVETAGE 147 par les joints do robinetterie, mais comme son orifice de sortie est fermé par un clapet recevant la pression d'en bas et soudé au caoutchouc sur .son siège, et comme d'autre part le robinet du tuyau par lequel il a été forcé est surmonté d'une couche liquide qu'il ne peut traverser, il est de toute évidence qu'aucune fuite n'est possible. Mais il ne suffisait pas d'emprisonner l'air nécessaire au sauvetage entre du caoutchouc et de l'eau, et de faire ainsi un réservoir absolu- ment étanche, il fallait encore empêcher cet air de se refroidir pendant sa détente, car si les tubes étaient gonflés avec de l'air très-froid, — sa température devrait théoriquement s'abaisser à plus de 150 degrés au- dessous de 0, — leur pression intérieure serait bien inférieure à une demi-atmosphère, et ils n'auraient pas, au moment de la mise à flot et du transbordement des naufragés, la rigidité nécessaire pour faire avec les traverses une charpente presque inflexible formant radeau. En augmentant les dimensions du réservoir et en y forçant une plus grande quantité d'air, on pourrait peut-être ne pas se préoccuper de l'effet frigorifique de la détente ; les tubes seraient ainsi gonflés avec de l'air très-froid, mais en volume suffisant néanmoins pour leur donner la ri- gidité nécessaire. Mais en ce cas il faudrait augmenter le nombre des épaisseurs de toile et caoutchouc qui forment la paroi des tubes, car celle-ci, se réchauffant au contact de l'eau, réchaufferait l'air intérieur et surélèverait sa pres- sion. Cela entraînerait une augmentation de poids et de prix de l'appa- reil, ce qu'il faut éviter. Il vaut évidemment mieux prévenir le refroidissement de l'air. Pour obtenir ce résultat, je place dans le sac de caoutchouc une certaine quantité d'eau alcoolisé, laquelle doit, en se refroidissant, céder au fur et à mesure à l'air la chaleur que consomme son travail de détente. C'est exactement le contraire de ce qui se passe dans la pompe Sommeiller où la vaporisation de l'eau qui recouvre le piston absorbe, au fur et à mesure, la chaleur que le travail de compression fait dégager à l'air (1). Dans le sac de caoutchouc A est placé un cylindre en cuivre B percé à sa base (fig. 9) d'un grand nombre d'orifices R dont la section totale est de beaucoup inférieure à celle de l'orifice de sortie qui débite l'air dans le tuyau d'insufflation D. C'est le réchauffeur. Le tuyau B', ouvert aux deux extrémités, fait corps avec le cylindre B, et son extrémité inférieure est forcée dans la partie tubulaire du sac A. L'air en mouvement, comme l'indiquent les flèches, ne peut passer delà partie cylindrique de ce sac (1) On pourrait réchauffer l'air en projetant la vapeur de la chaudière sur la coaduite du ré- servoir disposée en serpentin sur une partie de sa longueur; mais ce système, qui nécessiterait comme construction, des organes additionnels, et, comme manœuvre, un terni s de plus, est moins simple que celui que je propose. On ne pourrait du reste pas l'installera boid des grands voiliers anglais qui font le service des émigrants d ms l'Indo-Chine et en Australie. 148 .NAVIGATION. GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE dans sa partie tubulaire qu'en traversant le réchauffeur. Sur le pourtour du tuyau B sont fixés quatre tamis en cuivre qui ont pour objet d'em- pêcher l'entraînement de l'eau à l'état de poussière par l'air en mou- vement. Le réservoir cube o mètres et demi, il a lm,G0 de diamètre etsa hau- teur est de 2m,75. On le place à la cale ou sur le pont, dans la ligne d'axe du bateau pour empêcher qu'il ne soit touché en cas d'abordage, On pourrait craindre qu'en pareil cas l'ébranlement causé par la ren- contre des deux navires en mouvement ne déterminât une fuite du ré- servoir, ce qui priverait le personnel du bord de son agent de sauvetage au moment précis où il en aurait besoin ; mais cela n'est pas à redou- ter; car le sac de caoutchouc sera toujours assez bridé pour ne pas se dilater, et par suite ne pourra perdre son air même en cas de fissure de la carapace métallique. Pour mettre en charge le réservoir, ce qu'on fait une fois pour toutes, puisqu'il est absolument étanche, on y force d'abord 69 mètres et demi d'air, puis 500 litres d'eau alcoolisée, laquelle faisantpiston réduit à 5 mètres l'espace occupé par l'air et élève ainsi sa pression à lo atmosphères. Comme la surface du liquide, en s'élevant dans le réchauffeur, y com- prime un volume d'air inférieur à celui que comprime une égale surface dans le, sac A, la pression y est légèrement plus élevée. C'est ce que tra duit la différence des niveaux du liquide. La compression de l'air se fait lentement et avec intervalles de repos pour donner à l'air le temps de se refroidir. Si l'on n'agissait pas ainsi, le manomètre placé sur le tuyau d'émission de la pompe à air marquerait lo atmosphères bien avant qu'on eût forcé les 09 mètres cubes et demi dans le réservoir. Lorsqu'on fait communiquer le réservoir et les tubes, la pression baisse subitement dans le réchauffeur; il en résulte que l'eau du sac de caout- chouc pénètre dans cet appareil par les orifices R et s'élève jusqu'à la ligne X Y. Mais aussitôt que ces orifices sont démasqués, l'air y pénètre à son tour; or, comme l'orifice du tuyau de sortie qui alimente le tuyau d'insufflation D, est, ainsi que je l'ai mentionné, beaucoup plus grand que la somme des sections des orifices R, l'air sort du réchauffeur aussi vite qu'il y entre; la pression dans cet appareil, subitement abaissée au début, ne peut donc que s'abaisser davantage, et, par suite, quand l'air traverse le liquide, il s g détend : un centilitre par exemple, quand la pression dans le sac A est encore de 10 atmosphères, devenant avant qu'il en émerge 5 centilitres — lorsque la pression dans le réchauffeur est de 2 atmosphères. Donc, puisque c'est au moment où l'air se détend qu'il absorbe la chaleur des corps ambiants, il absorbe évidemment la chaleur de l'eau alcoolisée, laquelle se refroidit en proportion de la chaleur cédée. L'équilibre de température s'établit alors entre le liquide et le gaz, Dr FONTAINE. — RADEAU DE SAUVETAGE 149 et le premier agit comme agent de réchauffement, non pas qu'en réalité il chauffe l'air, mais parce qu'il l'empêche de se refroidir davantage qu'il ne se refroidit lui-même. Au moment où l'air pénètre dans le réchauffeur il est moins froid qu'il ne le serait s'il ne restait une couche d'eau dans le sac au-dessous du niveau des orifices R. Cette couche d'eau cède sa chaleur à l'air qui se refroidit en se détendant pour alimenter le réchauffeur dans lequel la détente est poussée'plus loin et se fait au sein même du liquide. Il se produira, dans le réchauffeur, au moment où l'air s'y détendra, un bouillonnement d'une extrême violence, l'eau y sera projetée contre les tamis et formera une sorte de mousse gazeuse. Malgré ces tamis, il y aura toujours un peu d'eau entraînée ou, tout au moins, l'air sera hu- mide, cela n'aura aucun inconvénient, et bien au contraire, assurera le réchauffement de l'air jusqu'à sa détente maximum. Il est bien évident que, plus sera grand l'excès de la section de l'oriùce de sortie de l'air que commande le clapet soudé à la pâle de caoutchouc sur la somme des sections des orifices R, plus l'air se détendra dans le réchauffeur. L'expérience et le calcul serviront de guide pour déterminer le rapport qui doit exister entre ces sections de débit. Si les 5 mètres cubes d'air comprimé à quinze atmosphères devaient, sans changer de température, se détendre jusqu'à la pression ordinaire et retrouver leur volume primitif, il faudrait leur restituer exactement la quantité de chaleur qu'en a fait dégager le travail de la compression. Quelle est cette quantité de chaleur ? En vertu du principe de l'équiva- lence qui est le fondement de la thermodynamique, cette quantité de chaleur doit être égale au travail théorique de la compression. Il suffit donc, pour l'obtenir, de connaître ce travail et de diviser son expression numérique en kilogrammètres par l'équivalent mécanique de la cha- leur: 370. Comme la compression est exactement le phénomène inverse de la dé- tente, on peut calculer le travail théorique nécessaire pour réduire 75 mètres cubes d'air, pris à la pression ordinaire, à un volume de 5m è très, à l'aide de la formule connue T=PV log. hyp. — r— (1), qui exprime le travail théorique que peut produire un gaz comprimé se détendant à température constante jusqu'à la pression atmosphérique. On trouve ainsi que ce travail est de 2 108 000 kilogrammètres. Ce nombre, divisé par 370, donne au quotient 5030, chiffre qui représente en calories la quantité de chaleur dégagée pendant la compression ou qu'il faudrait (1) T=travail, p = pression, V = volume final après la détente complète, V, =volume de l'air comprimé, loi) NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE communiquer à l'air au fur et à mesure de sa détente pour lui restituer son volume primitif de 75 mètres cubes. Comme dans le cas qui nous occupe l'air se refroidit autant que l'eau, et comme il ne se détend qu'à une demi-atmosphère, le nombre de ca- lories qu'il faut lui fournir est de beaucoup inférieur à 5530. Or, puisque 500 litres d'eau, en s'abaissant de 20 degrés, peuvent céder 10,000 calo- ries, on voit qu'ils seront plus que suffisants pour empêcher l'air de se refroidir de plus de 20 degrés pendant sa détente. ' Il n'y a pas à craindre le congèleinent de l'eau en bloc, car elle est alcoolisée et agitée : deux conditions qui lui permettront de rester à l'état liquide à plus de 20 degrés au-dessous de 0. Il pourra se former quelques glaçons dans le réchauffeur, cela n'aura aucune importance. On pourrait gonfler les tubes à l'aide d'une pompe à air actionnée par le moteur du bord, mais si l'arbre de couche de la machine ou ses pis- tons venaient à être brisés par l'accident cause du naufrage, il n'y aurait pas de sauvetage possible. D'ailleurs, pour qu'une pompe pût forcer en quarante secondes, — ce qui est possible avec le réservoir, — 67 mètres cubes d'air dans les tubes; il faudrait qu'elle engendrât plus de 15 hectolitres à la seconde ; un pareil engin, avec sa transmission, coûterait beaucoup plus cher et occuperait un bien plus grand espace que le récipient, tôle et caoutchouc, décrit plus haut. Ce qui caractérise le système que je propose, c'est l'emmagasinemcnt d'une force pouvant être mise en jeu assez rapidement pour lutter de vi- tesse avec le naufrage. On pourrait employer un poids qui, jeté à l'eau au moment de l'accident, mettrait en mouvement, à l'aide d'une corde enroulée sur un arbre de couche, une puissante pompe à air; mais si le naufrage avait lieu sur un bas-fond, ce qui est toujours le cas quand un navire touche à la côte, le travail de la pompe s'interromprait avant l'insufflation complète des tubes. On pourrait, pour gonfler ces tubes, em- ployer la détente des gaz coërcibles : acide carbonique, protoxyde d'azote, etc., qu'on emporterait dans des récipients appropriés, à l'état solide ou liquide; on pourrait encore utiliser l'ammoniaque liquide passant subi- tement à l'état gazeux ; ou avoir recours à la préparation instantanée de l'acide carbonique ; mais aucun de ces moyens ne paraît aussi simple et aussi pratique que la réserve d'air comprimé. La manœuvre de mise à flot de ce radeau de sauvetage est des plus simples : après avoir arraché les chapeaux qui fixent l'enveloppe, et relevé les cliquets des treuils, ce qui cause le déroulement de l'appareil, il suffit de coiffer, avec l'extrémité libre du tuyau d'insufflation, l'ajutage de l'é- crou C, et de tourner cet écrou pour gonfler les tubes de flottaison. Pen- dant le transvasement de l'air, on jette à la mer les échelles de sau- vetage, puis cela fait, on décoiffe l'ajutage, et après avoir décroché les Dr FONTAINE. — RADEAU DE SAUVETAGE lo cordes de suspension a a, on pousse le radeau qui tombe à l'eau en bas- culant, et reste fixé au flanc du bateau retenu par l'amarre fixée au crochet V. En donnant aux tuyaux une section de 15 centimètres, le transvasement de l'air pourra se faire en 40 secondes, et toute la manœuvre en une minute et demie ou deux minutes. Quoiqu'il l'aille une grande force pour abaisser le clapet obturateur, deux ou trois hommes y suffiront, car, c'est ce que n'indiquent pas les ligures, les bras de leviers de l'écrou pourront être faits coudés, articulés, et par conséquent aussi longs que cela sera né- cessaire. On fera facilement basculer, tomber le radeau à la mer, môme s'il souffle sur les tubes un fort vent de travers, car en pareil cas ce ne sera jamais la force qui manquera. Le radeau de sauvetage est transformé en radeau de fortune après l'embarquement des naufragés; le cylindre toile et bois suspendu à l'avant du radeau (lig. 7) contient la mâture et la voilure. Mais, dira-t-on, le tissu toile et caoutchouc dont sont faits les tubes ne se détériorera-t-il pas facilement? Évidemment non, pas plus que ne se détériorent les tuyaux de toile et caoutchouc qu'on emploie pour l'arrosage des jardins et ceux dont se sert à Paris la compagnie de gaz portatif pour transvaser dans les réservoirs de ses clients le gaz qu'elle leur porte à domicile, comprimé dans des récipients de tôle à 10 ou 12 atmosphères. Comme ces tubes sont roulés sur eux-mêmes, leur tissu ne peut se casser, ce qui arriverait s'ils étaient plies. Certains bateaux amé- ricains, comme je l'ai dit, portent des bouées de sauvetage en toile et caoutchouc accrochées au bordage. On doit les gonfler au moment du danger si l'on en a le temps, par exemple, et si le moteur du bord n'a pas été stoppé par l'accident. Ces bouées durent longtemps, quoique exposées à l'air, au soleil, à l'eau de mer et à la pluie. Un grand nombre de paquebots n'ont dans leurs cabines que des matelas à air. Ces matelas sont généralement en gomme-caoutchouc ou en caoutchouc vulcanisé pris entre deux toiles ; mais souvent, pour rai- son d'économie, on les fait en toile et caoutchouc, et dans tous les cas ils durent des années. Il n'y a donc rien à craindre de ce côté-là. La grande difficulté du nouveau système consistait dans la construc- tion du réservoir de salut, qui doit être absolument étanche. Les détails que j'ai donnés à ce sujet démontrent que le récipient pourra conserver l'air indéfiniment sans perte aucune. Il est évident que si la mer est très-mauvaise, il sera difficile' de maintenir longtemps le radeau près du bateau pour l'embarquement des passagers; il serait plus difficile encore d'y maintenir les chaloupes; mais il faut se souvenir que ce radeau a pour objet le sauvetage des passagers en cas de naufrage instantané. Ces naufrages, de tous les plus fréquents et les plus meurtriers, ont généralement lieu en temps calme. 152 NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE Pour les abordages, par exemple, l'amiral Jaurès fait remarquer que leur cause la plus commune est la négligence de la veille au bossoir ; or, quand la mer est mauvaise, presque tous les officiers sont sur le pont ; on veille, et les abordages ne sont pas à redouter. Le côté du radeau sur lequel s'embarqueront les passagers s'inclinera sous leur poids et le côté opposé se relèvera en proportion ; mais comme d'instinct les naufragés chercheront le centre ou le point le plus élevé de la surface flottante, l'horizontalité se rétablira nécessairement. Les matelots qui auront fait la manœuvre de mise à flot du radeau de sau- vetage y descendront les premiers et aideront les passagers, en leur tendant la main, à sauter des échelles sur le tablier. Lorsque le "paquebot va sombrer, ou auparavant, s'il ne reste plus personne à bord, on décroche l'amarre de retenue et le radeau libre flotte avec son chargement de naufragés. L'équipe de sauvetage n'a plus alors à s'occuper que des signaux que commande la situation. Un dra- peau à hampe brisée, des bouquins et un 'paquet de fusées enveloppés dans le paquet des voiles servent à faire des signaux. On le voit, avec ce radeau le sauvetage devient une manœuvre régu- lière, prévue, étudiée à l'avance, et à laquelle est consacrée, à bord de chaque paquebot, une équipe spéciale. A peine les passagers ont-ils conscience du danger qui les menace, qu'ils voient, fixée au flanc du bateau, une vaste surface insubmersible qui leur offre un refuge assuré. Pendant qu'ils s'y transbordent, les matelots, libres de leurs mouvements, mettent à flot les embarcations vides ou chargées (1), suivant le plus ou moins de rapidité du naufrage, et viennent se ranger autour du radeau qu'ils pourront prendre à la remorque. Tout cela peut se faire en cinq ou six minutes. Supprimez le radeau : les scènes de désordre et de confusion qui précèdent la catastrophe finale se reproduisent : tout le monde, et en désordre, se précipite aux chaloupes; il n'y a plus de discipline, les efforts des matelots sont paralysés, et à peine a-t-on le temps et la pos- sibilité de. mettre une ou deux embarcations à la mer. Mais ce n'est pas tout. En pareil cas les embarcations qu'on a pu mettre à flot se dirigent, si elles ont leur maximum de charge, vers le bateau abordeur en cas de collision, ou à la côte si le bateau a touché, et ne peuvent ainsi rendre aucun service aux malheureux luttant avec la mort, qu'un secours immédiat pourrait sauver et qu'un secours tardif ne retrouvera plus. Au contraire, avec le radeau, si le naufrage a marché (1) Si le naufrage ne marche pas uvec une trop grande rapidité, les chaloupes peuvent prendro la mer avec un certain nombre de passagers. Dr FONTAINE. — RADEAU DE SAUVETAGE 153 plus vite que le transbordement, les chaloupes sillonnent le théâtre de la catastrophe, recueillant les naufragés qui portent des ceintures de sauvetage et ceux qui nagent et peuvent se soutenir sur l'eau pendant un instant. Comme en cas de collision le radeau pourrait être enlevé ou brisé par le beaupré, par exemple, du bateau abordeur, il sera nécessaire, si ce système est adopté, d'imposer aux compagnies de navigation l'obliga- tion d'emporter deux radeaux, l'un à bâbord, l'autre à tribord. Cette disposition suppose évidemment deux réservoirs. On sera toujours sûr ainsi d'avoir un radeau en état de service. Comme le radeau que je viens de décrire ne tient pas de place sur le pont, rien ne s'opposerait à ce qu'on lui donnât des dimensions plus considérables. Cela sera indispensable pour les transports de la marine militaire et pour les bateaux à émigrants qui ont quelque fois un per- sonnel de plus de douze cents personnes. La nécessité d'armer les paquebots de moyens de sauvetage plus effi- caces que ceux actuellement en usage s'impose à tous les esprits. Aussi la commission de l'Assemblée nationale, chargée d'examiner la proposition Farcy, a-t-elle, suivant les expressions du rapporteur, « été unanime à penser qu'il était indispensable qu'une commission permanente fût instituée au ministère de la marine pour étudier les moyens de prévenir les abordages ou d'en atténuer les conséquences. » L'article 2 du projet de loi soumis à l'approbation de l'Assemblée nationale, et dont l'adoption est probable, règle les pénalités qu'encour- raient les compagnies de navigation dont les paquebots ne seraient pas pourvus des moyens de sauvetage rendus réglementaires par arrêté du ministre de la marine. En voici le texte : « Art. 2. — Tout armateur qui n'aura pas mis à bord d'un navire les feux réglementaires et des moyens d'éclairage et de signaux suffisants, sera puni d'une amende de 2 à 10 francs par tonneau. » Tout armateur d'un navire destiné au transport des passagers qui ne l'aura pas pourvu des moyens de sauvetage rendus réglementaires par décrets ou arrêtés ministériels, sera puni d'une amende de S à 20 francs par tonneau. » Les deux amendes pourront être appliquées cumulativement en cas de constatation d'une double contravention. » Il y a donc lieu de croire qu'à l'avenir le nombre de catastrophes maritimes diminuera, et que celles qui auront lieu malgré les précau- tions prises feront de moins nombreuses victimes. Les bouées américaines en caoutchouc, les matelas imperméables gon- flés au soufflet ou à la pompe, le léger radeau pour 12 personnes, claiic- voie soutenue par des outres pleines d'air, récemment expérimenta sur 14 154 .NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE la Seine, ont mis en évidence les services que l'air peut rendre comme agent de sauvetage. En complétant l'idée ancienne des sacs imperméables par celle d'un réservoir de salut contenant sous pression l'air qui peut les gonfler rapi- dement, je crois avoir fait taire un pas à la question du sauvetage. L'expérience en décidera. A. THOMAS Ingénieur à Lille. TACHOMETRE A AIR — S van ce du 22 août 1 874. — M. Albert Thomas soumet à la Société le projet d'un appareil qu'il a imaginé pour mesurer, indiquer et enregistrer au besoin la vitesse ab- solue des systèmes de rotation. — Cet appareil, fondé sur le principe de l'écoulement des fluides, comprend d'abord une pompe à air, ou tout autre appareil de compression, attelé sur le système à étudier. L'air refoulé par cette pompe se rend dans un cylindre, percé suivant une génératrice, d'une fente rectangulaire, et dans lequel se meut librement un piston surchargé ou équilibré. — L'air devra donc s'échapper par la partie de la fente que le piston découvre au fur et à mesure qu'il s'élève, c'est-à-dire par une section variable ;,il s'écoule d'ailleurs sous la pression constante due au piston et à sa charge, c'est-à-dire avec une vitesse constante, et par conséquent, la section de l'orifice d'écou- lement devra varier forcément avec la dépense. Or, d'une part, la dé- pense doit être rigoureusement égale au débit de la pompe, c'est-à-dire à la vitesse du moteur ; d'autre part, l'orifice d'échappement ayant une largeur constante, sa section sera rigoureusement proportionnelle à sa hauteur, c'est-à-dire que la position du piston sera à chaque instant en rapport direct avec la vitesse du moteur. La formule générale de l'appareil sera : Kcsx=zK'ay60\-£l dans laquelle c est la course et s la section du cylindre soufflant, x le nombre de tours par minute et K le coefficient de rendement, constant pour une même pompe une fois établie; K c s x sera donc le vol uni»1 A. THOMAS. — TACHOMÊTRE A AIR | gg dépensé par minute; pour le 2° membre, a est la largeur de la fente, y sa hauteur libre (hauteur du piston), K' est le coefficient de dépense, p le poids par mètre carré du piston et o le poids de 1 mètre cube du iluide employé. K a y GO y — -^L représente donc le volume écoulé par minute. L'auteur discute cette formule générale; il en déduit d'abord que le rapport '— sera constant, c'est-à-dire que les hauteurs du piston (y) x . • s'accroîtront également pour des accroissements égaux de vitesse (x). Il démontre encore qu'on peut en déduire x2 = p C, c'est-à-dire que les surcharges du piston devront croître comme les carrés des vitesses ; — Ces deux observations doivent servir à l'étude de la construction. — L'auteur indique ensuite les dimensions d'un appareil qu'il se propo- serait de faire construire à titre d'essai. 11 a dû pour cela admettre, sous toutes réserves, quelques données empiriques, telles que l'emploi de l'air, 0m,75 de vitesse linéaire aux pistons des pompes; 0m,80 pour le rendement de celles-ci et 0m,65 pour le coefficient d'écoulement. Il a ensuite adopté pour la vitesse de régime (celle pour laquelle l'indica- teur serait au milieu de sa course) loO tours par minute; il a donné 0m;002 de largeur à l'orifice d'écoulement et 0m,12 de course totale, tandis qu'il ne portait pas à plus de 0m,lo la course des pompes. Cel- les-ci étant supposées à deux corps, il a trouvé ainsi qu'il leur suffit d'un diamètre de 0m,089 ; la charge par mètre carré (p) avait été évaluée à 150k de manière à n'avoir pas à soulager le piston. L'introduction de ces quantités dans les formules donne alors y — = 0m,0004, soit environ 1/2 millimètre de course pour une différence de 1 tour par- minute. P Elle donne encore — = 2k, soit 2k de charge par mètre carré en plus, dans le cas où la machine ferait 1 tour de plus à la minute et que le piston cessât d'obéir. Un piézomètré à colonne d'eau posé sur la conduite d'air suffirait donc à indiquer immédiatement et de la manière la plus sensible tout dérangement dans l'appareil. Il n'est pas nécessaire d'ajouter que le tachomètre de M. Thomas se complétera en armant la tige du piston indicateur soit d'une aiguille qui se meuve le long d'une échelle graduée en divisions équidistantes, soit d'une pointe traçante portant sur une bande de papier déroulée par un mouvement d'horlogerie; dans ce dernier cas, le crayon engendrerait des courbes dont les abscisses représenteraient les divers temps de l'ex- 136 NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE périence tandis que les ordonnées resteraient à chaque instant égales aux hauteurs du piston, c'est-à-dire proportionnelles aux vitesses du moteur. En dehors de l'exactitude des résultats et de la sensibilité de l'appa- reil, d'équarrissage et 0m,G0 de longueur, accouplées deux par deux à chaque ex- trémité et sur chaque face des traverses, et fixées à celles-ci par des boulons. Fil **r Ces systèmes de traverses métalliques et de joues en bais jumelées, se repro- duiraient tous les deux mètres (fig. 13), et dans l'intervalle les rails, qui CU. BÈUGERON. — NOUVELLE VOIE FERHÉE 1MW seraient rendus solidaires les uns des autres par des éclisses, reposeraient sur des taquets en bois de 0m,(ï0 de longueur sur 0ra,20 de largeur et 0"',h2 d'épaisseur, espacés de 0m,50, d'axe en axe, sur lesquels ils seraient fixés par des chevillettes. Les taquets, comme les joues correspondant aux traverses, seraient appliqués sur le ballast, préalablement réglé avec grand soin et y seraient enfoncés à coups de niasse, comme des pavés. Dans les parties courbes, on rapprocherait les traverses dont l'espacement se m n n ri m n n n m nn n ■m_n n W UU LJ UFIX W LTTEFXI U U U> OU mnnnmnnnrh-nnnmnn in u i j u aj u u u u> u u u m lttx Fig. 13. réduirait à lm,50 ou à 1 mètre, selon que le rayon serait supérieur ou inférieur à 800 mètres. M. Masquelez craint qu'il ne soit difficile d'obtenir un calage bien uniforme de tous ces morceaux de bois sur le ballast, et que la voie ne porte, par suite, pas exactement dans toutes ses parties; il préfère le système ordinaire des traverses plus rapprochées et supportant les rails en même temps qu'elles en maintiennent l'écartement, pour les motifs qui ont fait abandonner les voies posées sur longrines. M. Bergeron ne croit pas que l'on doive voir dans sa proposition un retour vers le système des longrines; il pense qu'un peu de soin suffira, le ballast étant convenablement dressé, pour faire appliquer, d'une manière bien régu- lière, les joues et les taquets sur sa surface ; il fait remarquer, d'ailleurs, que si le système, tel qu'il le décrit, n'a pas encore été appliqué, il l'a déjà vu, par suite de circonstances particulières, exécuter, dans des conditions assez analo- gues, notamment sur le chemin de fer de Belleville à Branjeu, où depuis six ans un kilomètre de voie posée sur taquets avec seulement deux traverses par longueur de rail de six mètres, se comporte aussi bien que tout le reste de la ligne. Il pense, en conséquence, que ce système mériterait d'être appliqué d'une ma- nière générale, car il aurait le grand avantage d'être très-économique, en per- mettant d'utiliser des morceaux de bois de peu de valeur, difficilement appli- cables à d'autres usages. 158 NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE M. OÏÏSTÀLET PRÉSENTATION DE BRIQUETTES EN AGGLOMÉRÉ PERFORÉ (EX IRAIT DU procès-verbal] — Séance du 2i août 1874. — M. Oustalet demande à présenter à la Section, avant l'excursion à Anzin, un échantillon de briquette en aggloméré perforé. C'est une briquette de forme et de dimensions ordinaires, percée d'évidements intérieurs analogues à ceux des briques creuses, de manière à offrir, à poids égal, une surface de combustion plus considérable que les briquettes ordinaires, et à donner, par suite, une production de chaleur plus grande, dans un temps donné, ce qui peut avoir d'assez grands avantages dans certains cas. EXCURSION A DUNKERQUE EXTRAIT DC; PROCES-VERBAL — S S août 1874. — Les membres qui ont pris part à l'excursion de Dunkerque ont été reçus, à leur arrivée, par MM. Plocq, ingénieur en chef, Garlier et Guillain, ingénieurs ordinaires, qui les ont conduits immédiatement sur les chantiers. Le travail, en cours d'exécution, consiste dans la construction d'un nouveau bassin à flot, et d'une écluse qui doit le mettre en communication avec l'avant-port. Les crédits alloués pour cette campagne n'ont permis d'exécuter qu'une petite portion des murs de quai du bassin ; cette partie du travail n'offre, d'ailleurs, pas grand intérêt, mais il n'en est pas de même du chantier de l'Écluse, que les membres du congrès ont examiné en détail. Cette écluse doit avoir trois paires de portes : une première à la mer; une deuxième à 80 mètres de la première; et la troisième à 40 mètres de la deuxième, de manière à présenter, selon que l'on laissera ouverte la deuxième ou la troi- sième paire, en maintenant fermée la première avec la troisième ou la deuxième, une longueur de sas de 80 ou de 120 mètres, en raison de la di- mension des navires à écluser. On en était, à la fin du mois d'août, à l'opération du coulage du béton du radier, qui approchait de sa fin. On a remarqué, principalement, un appareil à morlier, fort ingénieux, de EXCURSION A DUNKERQUE 159 l'invention de M. Jacquet, conducteur des ponts et chaussées. Cet appareil opère mécaniquement, non-seulement le mélange, mais encore le dosage des ma- tières, lesquelles sont, pour le béton en question, au nombre de trois, dans les proportions suivantes : Trass d'Andernach 400 Chaux de Tournay 800 Cendres de houille 250 Ces dernières remplissent le rôle de sable ; mais on va voir qu'il serait facile, moyennant une très-légère modification, de faire servir la même machine au dosage d'un nombre quelconque d'éléments divers. Les parties essentielles de l'appareil, pour cette première opération, sont: 1° Une sorte de vaste entonnoir fixe, divisé par des cloisons en comparti- ments à peu près proportionnels aux cubes des matières à mélanger; 2° Un boisseau cylindrique vertical, également fixe, percé, dans le sens pa- rallèle aux génératrices, de trois trous cylindriques exactement proportionnels en volume à ces mêmes cubes, et dont les ouvertures correspondent à celles du fond de l'entonnoir; 3° Deux disques, peu épais, qui s'appliquent exactement sur les faces infé- rieure et supérieure du boisseau, celui de dessus se trouvant interposé entre ce dernier et l'entonnoir; ils tournent tous les deux d'un mouvement commun autour de leurs centres, et présentent, chacun, une ouverture un peu plus grande que les trous du boisseau. Mais ces ouvertures sont disposées de ma- nière à se contrarier, en sorte que, lorsque celle du disque supérieur corres- pond à l'un des trous du boisseau, qui se trouve ainsi en communication avec le compartiment correspondant de l'entonnoir, ce trou est fermé en bas par la partie pleine du disque inférieur; le contraire se produit lorsque l'ouverture de ce dernier vient ouvrir à son tour le même trou du boisseau; il se vide alors dans la partie inférieure de la machine, mais il n'y laisse écouler que son propre volume de matière, puisque la partie pleine du disque supérieur intercepte, à ce moment, sa communication avec l'entonnoir. On voit donc que les ouvriers n'ont qu'à remplir, au fur et à mesure qu'ils se vident, les divers compartiments de l'entonnoir, et que la surveillance doit se borner à vérifier qu'ils ne mettent, dans chaque compartiment, que ce qu'il est destiné à recevoir, ce qui est fort simple; tout» le reste se fait mécanique- ment, et sans fraude possible, puisqu'à chaque révolution des disques, la par- tie inférieure de l'appareil reçoit les diverses matières dans la proportion exacte qu'elles doivent conserver. Un premier mélange se fait dans ce compartiment inférieur d'où les matiè- res passent dans une vis à mortier ordinaire mue par la même machine que les disques, et où s'opère le mélange définitif avec l'eau en quantité conve- nable. Cette machine est fort simple, peu coûteuse, fonctionne très-régulièrement, et donne toute sécurité pour la composition du mortier. On voit que, comme on l'a dit plus haut, elle peut facilement servir pour doser et mélanger un nombre quelconque de matières, quelles qu'en doivent 160 NAVIGATION. — OÉNIE CIVIL ET MILITAIRE être les proportions ; il n'y a qu'à changer le boisseau et à régler le nombre et le volume de ses trous d'après ceux des éléments du mélange à obtenir. On voyait, également avec intérêt, sur le même chantier, un broyeur méca- nique destiné à casser les matériaux qui doivent être employés dans le béton. Ce sont, généralement, des surcuits de briques et des galets que l'on mélange, à parties égales, avec le mortier ci-dessus décrit. Mais les déchets des brique- teries de Dunkerque ayant été épuisés, on les a remplacés par des quartzites de Cherbourg, que l'on obtient très-économiquement, cette matière servant de lest a des bâtiments qui viennent s'en décharger à Dunkerque; seulement ces quartzites arrivent en gros blocs qu'il faut casser en morceaux ne dépassant pas 0m,06 à 0m,08 dans leur plus grande dimension. C'est ce que l'on fait au moyen du broyeur en question, composé de deux fortes mâchoires en fer dont l'une est fixe tandis que l'autre s'écarte et se rapproche alternativement de la première, en formant avec elle un angle plus ou moins ouvert. Les morceaux déroche introduits, tels qu'ils sortent des navires, dans la partie supérieure de la machine, retombent par la partie inférieure débités en fragments de la grosseur voulue. Le mouvement est donné par un excentrique calé sur l'arbre de rotation ; on règle à volonté l'écartement des mâchoires selon la dimension que l'on veut donner au caillou. Enfin, une sonnette à vapeur, qui ne fonctionnait plus, le battage des pieux étant terminé, mais dont le principe était facile à saisir, a également attiré l'attention des visiteurs. Le mouton, qui n'est pas décomposé en deux pièces, comme, dans la plupart des sonnettes, est mis en mouvement par une chaîne sans fin verticale, au moyen de taquets fixés, de distance en distance, dans les maillons, qui viennent saisir le mouton par une pièce saillante qui y est adaptée, et le soulèvent jusqu'à ce qu'un déclic, placé à la hauteur voulue, le dégage et le laisse retomber sur la tête des pièces à enfoncer; mais, à peine a-t-il fait son effet, qu'il est repris par un nouveau taquet, et ainsi de suite.' Cette sonnette, qui fonctionne sans aucune perte de temps et a donné des résultats très-satisfaisants sur ce chantier, est due, comme l'appareil à mortier ci-dessus décrit, à M. Jacquet, conducteur des ponts et chaussées. Après le déjeuner, pour lequel les trois ingénieurs de Dunkerque avaient ai- mablement offert l'hospitalité aux xisiteurs, en se les partageant entre eux, on a donné un coup d'œil aux travaux de terrassements exécutés, près de la je- tée, par le génie militaire, puis on s'est remis en roule pour Lille où l'on était de retour à 6 heures du soir. MASQUELEZ. — AGRANDISSEMENT DE LILLE 101 M. MASQÏÏELEZ Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, Directeur des Travaux municipaux de. Lille. HISTORIQUE DE L'AGRANDISSEMENT DE LILLE — Séance du 25 août I87i. — Depuis assez longtemps déjà, l'édilité lilloise avait constaté que l'in- dustrie et le commerce étaient paralysés par l'étendue devenue insuffi- sante de l'ancienne cité, lorsque, vers 1834, les esprits les plus éclairés commencèrent à agiter la grande question de l'agrandissement de l'en- ceinte fortifiée. Ce projet ne rencontra pas, tout d'abord, l'accueil sympathique qui aurait pu hâter l'avènement de la période des études sérieuses : le chiffre considérable des capitaux nécessaires, la crainte d'une grande dépréciation des propriétés de l'ancienne ville, Fépouvantail du monde de difficultés administratives à surmonter, faisaient hésiter les hommes doués de l'ini- tiative la plus énergique. C'est seulement en 185" que le sentiment public fut enfin éveillé de manière à déterminer un sérieux examen. On demeura convaincu alors que l'agrandissement était une oeuvre qui s'imposait fatalement, si l'on voulait conserver à l'ancienne capitale de la Flandre française sa prépondérance comme centre industriel et adminis- tratif, en même temps, d'un département comme le Nord. D'activés dé- marches furent entreprises auprès du gouvernement, et, en particulier, au Département de la guerre. Le Ministre' de la guerre, tout en admettant la mesure en principe, s'attacha à faire ressortir qu'elle était surtout commandée par les intérêts civils, de sorte que l'Administration locale devait avant tout présenter « une étude complète de ce qui était nécessaire pour les besoins réels». La Ville répliqua que Lille ne pouvait plus évidemment remplir son rôle de place forte de premier ordre , en présence des agglomérations si importantes de Moulins-Lille, Wazemmes et Esquermes, qui couvraient la majeure partie des lignes de défense; puis, dans la confiance que cet argument irréfutable entraînerait forcément l'État dans une participation équitable à la dépense, on entreprit résolument l'étude demandée, après avoir réclamé le concours des ingénieurs civils et militaires, auxquels d'autres hommes d'une compétence incontestable furent adjoints. Quatre projets distincts furent discutés. Sous l'empire de la préoccupation d'éviter une extension susceptible 162 NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE de déprécier les propriétés urbaines existantes, un premier projet, le plus économique, ne comportait qu'un agrandissement d'environ 160 hec- tares et se bornait à englober le faubourg Saint-Maurice, en reportant le point le plus avancé des nouveaux ouvrages de défense sur la hauteur comprise entre le lieu dit le Chevalier-Français et le pont du Lion-d'Or. Dans le même but de prévenir la dépréciation des propriétés urbaines, un second projet demandait : 1° le démantèlement complet; 2° la réu- nion des 248 hectares occupés à la périphérie par toutes les fortifications existantes alors; 3° la construction d'un mur d'enceinte, destiné à assu- rer les recettes de l'octroi. Quant aux intérêts militaires, ils devaient trouver leur satisfaction dans l'établissement d'un système de forts déta- chés, à construire dans les meilleures positions stratégiques, à une dis- tance suffisante de la cité. A l'appui de ce second projet, on faisait valoir, d'une part, les réclamations des communes de Moulins-Lille, de Wa- zemmes, d'Esquermes, contre le surcroît de contributions que leur vau- drait l'annexion à la ville, et, d'autre part, celles des établissements hospitaliers contre les charges écrasantes que leur apporteraient des populations en majeure partie ouvrières. Le troisième projet englobait les communes précitées de Moulins-Lille, Wazemmes, Esquermes et portait la surface de la ville de 210 à 720 hec- tares environ. Le quatrième projet, produit par M. Lefort, plus grandiose encore, enfermait Canteleu et la Deùle jusqu'au barrage militaire de ce nom : il réduisait les nouvelles fortifications à une simple enceinte, mais on devait construire des forts détachés à une grande distance, ce qui était en har- monie avec les principes généralement admis aujourd'hui. L'Administration de la guerre ne voulut accepter que le troisième projet, et décida qu'on exécuterait la vaste enceinte aujourd'hui terminée, sauf à l'appuyer ultérieurement par les forts extérieurs nécessaires : mal- heureusement, le temps et l'argent ont manqué pour exécuter ces der- niers ouvrages avant la dernière guerre, et il est fort heureux que l'en- nemi n'ait pas pu comprendre dans ses plans l'attaque de Lille, car la ville n'était pas en mesure de résister à un bombardement avec la nou- velle artillerie prussienne à longue portée. Ce projet était évidemment le seul rationnel, le seul qui fût en mesure de donner, à une cité aussi industrielle et aussi commerçante, la possi- bilité de se développer au large, au lieu de la laisser exposée à étouffer encore dans sa nouvelle enceinte, avant l'expiration d'un seul siècle. Il donnait immédiatement à la ville un développement d'enceinte de 12 kilomètres, une superficie de 720 hectares et une population de plus de 100,000 habitants. Un décret approbatif intervint à la date du 2 juillet 1858, et on s'oc- MASQUELEZ. — AGRANDISSEMENT DE LILLE 1G3 cupa immédiatement de tout ce qui pouvait faire entrer dans la période active de l'exécution, en commençant par la nouvelle enceinte. — Celle-ci a coûté à l'État environ 22 millions. De son côté, la ville, conformément à sa convention du 8 juin 18(50 avec l'Etat, a rempli des obligations qui se sont chilïrées par une somme d'environ 11,700,000 francs, et, en retour, a obtenu de l'Etat la rétrocession des ô'98,927 mètres carrés qui étaient occupés par la totalité des fortilications déclassées. La question de l'enceinte résolue, il fallait aborder l'étude des pre- mières satisfactions à donner aux intérêts civils, et il n'y en avait pas de plus pressante que celle de raccorder partout, avec l'ancienne ville, les communes qui venaient de lui être annexées. Or, les projets de ces rac- cordements devaient être compris dans un plan d'ensemble, formant en réalité le plan d'alignement de la nouvelle ville, c'est-à-dire qu'il fallait exécuter rapidement une œuvre qui exigeait une étude approfondie, puisqu'elle touchait tout à la fois aux intérêts publics et particuliers les plus divers, œuvre qui serait d'autant meilleure, qu'elle parviendrait à concilier un plus grand nombre de ces mêmes intérêts. — On reconnut que les nécessités de la défense en temps de siège exigeaient, outre la création de casernes et l'amélioration de quelques établissements mili- taires, certaines dispositions des voies intérieures de communications qui permissent aux troupes, le cas échéant, de se porter rapidement à la place d'armes, à l'une quelconque des portes pratiquées dans la nouvelle enceinte et aux différents établissements militaires, comme aussi de l'une des portes à toutes les autres. — D'un autre côté, les intérêts industriels et commerciaux réclamaient, d'abord une distribution des îlots à bâtir telle qu'on pût y installer convenablement de nouvelles et grandes usines; puis une grande amélioration des voies navigables, avec extension du développement des quais , puisque ceux-ci, déjà insuffisants pour les besoins de la batellerie en 1858, ne pourraient certainement pas desservir les arrivages et les embarquements pour les approvisionnements et les exportations de la cité agrandie. — Il fallait encore approprier la voirie aux besoins de toutes les classes de la population : si les industriels et les commerçants devaient obtenir les conditions les plus favorables à leurs travaux et à leurs transports, les propriétaires et les rentiers, tout le monde, les dimanches et jours de fêtes, devaient pouvoir goûter les bienfaits de promenades agréables et tranquilles. Il fallait donc aug- menter l'étendue de l'unique promenade de l'ancien Lille , créer des jardins, orner de plantations plusieurs voies importantes et leur donner des largeurs telles que leurs trottoirs pussent être fréquentés par les promeneurs, donner à chaque quartier un square où les personnes âgées et infirmes, ainsi que les enfants, pussent respirer un air salubre, où les ouvriers et leurs familles pussent venir se reposer, en été, du travail de 1G4 .NAVIGATION. — GÉXIE CIVIL ET MILITAIRE la journée, au lieu de rester enfermés dans les petites cours de leurs tristes demeures. Il fallait encore assainir les courettes habitées par les ouvriers, en expropriant ce qui faisait obstacle à la circulation de l'air, de la lumière, et en disposant, à proximité, de nouveaux îlots suscep- tibles de recevoir des habitations saines et commodes, de manière à leur permettre de ne pas s'éloigner de la partie de la ville qu'ils ont toujours affectionnée. On a pourvu à cette nécessité en dotant le quartier Saint- Sauveur de vastes annexes , places étendues et larges voies de commu- nication, qui ont décoré l'aspect général, en même temps qu'elles ont assuré d'excellentes conditions de salubrité. Enfin, il fallait pourvoir aux besoins de la nouvelle population, qui viendrait s'agglomérer sur des points inhabités au moment de la créa- tion de la nouvelle enceinte, par des constructions d'écoles, de salles d'asile, d'églises, de marchés , etc. Il fallait , en outre, réserver les em- placements convenables pour recevoir plus tard d'autres constructions semblables, au fur et à mesure qu'elles deviendraient indispensables au bien-être moral et physique de nouveaux accroissements de popu- lation. A côté de toutes les créations dont nous venons de parler , il impor- tait au plus haut degré de créer des artères destinées à relier commo- dément les communes annexées à l'ancienne ville, à établir des commu- nications semblables entre ces mêmes communes, de manière à porter sur tous les points de Lille agrandie le mouvement nécessaire au déve- loppement de sa prospérité. Il était très-difficile de trouver une solution satisfaisante et pratique à toutes ces questions si complexes. Tout a été examiné sérieusemen], les décisions prises ont toujours été basées sur l'intérêt général , tout en cherchant à le concilier, autant que possible, avec les intérêts particuliers. A ce propos , il importe de faire ressortir que les craintes d'une dépré- ciation considérable des propriétés de l'ancien Lille ne se sont pas réa- lisées, grâces aux deux percements des rues Nationale et de Tenremonde, qui lui ont été accordés de suite, et à celui de la rue de la Gare, entre- pris en 1809. Le danger redouté sera encore plus sûrement écarté par les autres grandes améliorations projetées dans l'ancienne ville. Les nouveaux travaux, qui seront exécutés dès que la situation iinancière sera dégagée, comprennent l'élargissement de la rue des Manneliers, l'élargissement des rues du Sec-Arembault et des Orangers, les perce- ments des courettes des quartiers Saint-Sauveur et Sainte-Catherine. Pour justilier complètement que toutes les parties de ce vaste pro- gramme ont été remplies aussi bien (pie possible , il faudrait consigner ici les motifs à l'appui de toutes les parties du plan , ce que ne com- porte pas le cadre de la notice trop sommaire que nous rédigeons à la MASQUELEZ. — AGRANDISSEMENT DE LILLE 167> liâle. Ceux qui voudront bien examiner le plan du nouveau Lille avec attention se rendront compte assez facilement des motifs qui ont déter- miné chacune des dispositions adoptées. Ajoutons cependant quelques mots encore : Les emplacements des casernes et les nouvelles portes de ville ayant été déterminés par l'Administration de la guerre, il a fallu, dans l'in- térêt de la défense, en cas de siège, adopter des tracés rectilignes non- seulement pour la rue Solferino , grande artère qui relie les portes de Douai et de Dunkerque, en même temps que les trois communes an- nexées, mais encore pour les prolongements, vers l'ancienne ville, des principales rues de ces mêmes communes. Il en est résulté que les com- munications entre le grand axe de la rue Solferino et les casernes, les nouvelles portes, sont devenues aussi directes que possible, et qu'il en est de même pour les relations entre les susdites communes, le centre de la nouvelle ville et l'ancienne ville. — Les intérêts industriels et com- merciaux, ainsi que l'amélioration de la navigation de transit, ont commandé l'abandon du passage par le bassin Saint-Martin et la magni- fique rectification par les glacis de la citadelle, ainsi que le grand déve- loppement de quais qu'elle a procurés. De même, la création des vastes bassins de l'îlot Vauban était indispensable pour arriver à l'établisse- ment de docks-entrepôts (1), reliés tout à la fois à la navigation et au chemin de fer du Nord par le chemin de fer de ceinture, projeté tout le long de la rue Militaire de la nouvelle enceinte. Cette rue a été élargie jusqu'à 20m,50, pour en faire un grand boulevard, d'un développement d'environ G kilomètres, parfaitement propre à desservir les usines dont on espère déterminer la création sur les vastes terrains en bordure dis- ponibles, parce qu'elles y jouiront de l'immense avantage d'être reliées, par une voie ferrée, tout à la fois à la gare des marchandises , au port Vauban et aux magasins généraux. Nous avons puisé ce qui précède dans les documents de l'époque, parce qu'il nous a semblé du plus haut intérêt de faire ressortir à quel point toutes les faces du grand problème à résoudre avaient été admira- blement comprises alors. Les questions ont été parfaitement résolues par une Administration municipale qui comptait dans son sein beaucoup de membres d'une haute capacité, après collaboration attentive avec une Commission spéciale composée tout à la fois d'ingénieurs civils et mili- taires très-éminents et d'hommes d'affaires très-expérimentés. La ville de Lille sait qu'elle doit beaucoup aux créateurs (2) de cette (1) Cette nés-heureuse conception est due à M. Mercier, conseiller municipal. (21 Le cadre restreint de cette notice ne permet pas d'énumérer les résultais dus à chacun d'eux; mais certain* noms sont dans toutes les bouches et resteront attachés à l'histoire de l'agrandissement de Lille. 160 NAVIGATION. GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE grande œuvre, qui a conquis les suffrages de tous les étrangers qui visi- tent la nouvelle cité. Ils admirent nos beaux percements , noire magnifique boulevard de la Liberté (1), le développement magistral de notre nouveau canal navi- gable, nos jardins artistiquement créés et entretenus , qui ornent d'une ceinture d'eau , de verdure et de fleurs un quartier où s'élèvent inces- (1) Il convient de faire remarquer, en passant, combien le tracé de ce boulevard a été heureu- sement conçu pour mettre en valeur les terrains cédés par l'État et dont la vente devait procurer de grandes ressources pour la transformation de la ville. DESIGNATION des CATÉGORIES DE TRAYAIX Extension de l'enceinte for- tifiée. Ouverture des grandes ar- tères, boulevards, rues et places Candélabres pour l'éclairage des nouvelles rues Rectification et détourne- ment de canaux, amélio- ration du régime des enu\, construction du portVau- ban, de ponts et passe- relles et d'une école de natation Bâtiments neufs, écoles, marchés couverts, égli- ses, etc Cimetières Promenades et plantations. Distribution d'eau Divers Totali EXERCICES IS59 fr. c. 1,200,008 96 n » » » » >.- 11,810 7i » » n » n n 7,121 54 1,218,950 24 1860 fr. c. 4,699,935 62 1,353 ni ■2,041 39 4,703,330 85 1861 fr. c. 3,323,972 3i n » n n » » » >> D î) » « » » 957 22 1.321,929 50 1862 fr. c. 1,279,352 ^i 2,556,831 17 5, 113 39 34, 004 06 92.554 09 161,777 82 13, 485 84 » » 4,000 » 4,147,119 2! 1863 fr. c. 900,000 » 1,415,848 99 5,008 20 418,031 81 60,073 11 145, 903 62 68,955 61 7,500 .1 953 18 3, 052, 334 58 1864 fr. c. 6,813 86 3,477,668 81 2,911 » 329,319 10 42,392 20 37. 073 98 132,596 33 20, 810 37 ."., 225 45 1,060,841 10 2.695,225 44 1865 fr. c. 262,019 99 2,000,500 47 9, 867 34 158, 750 67 149,015 51 12,501 38 97, 071 05 3,400 12 2,032 91 Etaient Maires: De l'époque de l'agrandissement à juillet 1866, M. Richebé; Du 11 août 1866 à mars 1867, M. Flamen; Du 16 mars 1867 à avril 1867, M. Meunier.; Du 20 avril 1867 à août 1870, M. Crespel-Tilloy; Du 2o août 1870 jusqu'à ce jour, M. CateltBéghin. M. Kolb a été le Conseil désintéressé de la Ville, de 1858 à 1860 : Etudes générales de l'agrandissement 2,900,000 fr. AGRANDISSEMENT DE LILLE 167 MASQUELEZ. samment des hôtels somptueux. On ne leur entend jamais dire : « Ceci aurait dû être fait de telle autre manière ». En ce moment, où la créa- tion des tramways a fait émettre par la Chambre de commerce un vœu instant en faveur de la circulation des wagons de marchandises des grands chemins de fer, partout où elle sera possible, on est heureux de l'ampleur de vues qui a présidé au tracé des artères du nouveau Lille, car leurs dégagements sont si faciles, que toutes les grandes usines pourront y être desservies , ce qui leur fera réaliser l'avantage considé- rable de faire leurs arrivages et leurs expéditions sans transbordements. EXERCICES 1866 fï. c. 4, 258 98 852, 673 92 16,235 94 307, 366 34 1(17,772 65 94,387 86 13, 670 67 13, 545 34 35, 169 92 ,534,981 60 1867 fr. C. 25,077 15 1,632,350 43 20,532 44 233, 011 82 242, 742 04 35, 456 09 12.508 09 36, 292 62 26,524 52 2,264,495 20 1868 fr. c. 8, 560 28 1.036,665 23 29,004 12 205, 299 26 161,195 36 14,364 63 24,436 87 434, 462 28 16,931 35 1,990,919 38 1869 fr. c. 1870 » » 4,459,112 71 17,622 61 93, 080 95 490,77-1 45 » » 15,101 93 1,655.580 88 12,022 10 6. 743, 291 09 fr. c. » w 746,697 07 10,639 05 106, 200 84 591,160 43 » » 10,070 81 746.764 05 11,918 31 2, 223, 450 50 1871 fr. c. > » 484,514 65 6,904 09 141,153 75 408, 730 37 » » 20, 866 88 205. 178 25 6,753 21 1,271,081 20 1872 fr. c. » » 529, 494 57 219 28 57, 254 05 427,402 89 » » 48,017 07 93, 396 83 59,769 65 1,215,554 34 1873 fr. c. 21,014 56 216,867 05 1,950 76 42, 922 28 355. 859 57 181 97 1.672 55 89, 455 95 61, 467 39 791,392 08 TOTAL par CATÉGORIE fr. c. 11,731,014 50 19,439,225 10 126.068 28 2, lsii,539 93 3, 202, 842 25 501,647 35 4?8, 453 73 3,312,316 69 252, 868 14 41,210,897 03 Etaient Directeurs des Travaux Municipaux : Du 1er mai 18G0 au 1er avril 1862, M. Gosselin : Avant-projets et exécution partielle 7,400,000 fr. Du 1er avril 1862 au 1er janvier 1867, M. Lemaitre : Continuation des tra- vaux, notamment pour l'ouverture des grandes artères. . . . 1 4,437,000 fr. Du 1er janvier 1867 jusqu'à ce jour, M. Masquelez: Continuation des tra- vaux des grandes artères, églises, écoles et salles d'asiles, marchés couverts, port Yauban, distribution d'eau, école de natation, squares, etc. 16,S0i,000 fr. 168 NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE Moyennant cinq emprunts successifs, qui ont procuré une somme totalede 33,800,000 francs, et les ventes montant à 15,000,000 de francs, qui ont été opérées jusqu'à ce jour, d'une grande moitié des terrains militaires cédés par l'État, soit environ 49,000,000 de francs de ressources extraordinaires, et un prélèvement annuel, sur les ressources ordinaires, s'élevant à 1,200,000 francs en moyenne, soit à l'aide d'une somme totale approchant de 36,000,000 de francs, la Ville a pu acquitter les lour- des annuités des emprunts et exécuter les travaux compris dans le ta- bleau ci-contre, où ils sont réunis dans dix groupes principaux. Ces travaux comprennent la création de 40 kilomètres de nouvelles voies publiques, vingt-deux places importantes, 5 nouveaux kilomètres de quais autour de ports très-utiles, l'agrandissement de l'église métro- politaine, la construction d'une nouvelle église, de cinq marchés cou- verts, douze écoles, quatre salles d'asile, une grande distribution d'eau potable, un chemin de fer de ceinture , 36 hectares de jardins , prome- nades et squares. Les habitants ont contribué à l'œuvre en ouvrant, à leurs frais, des rues destinées à mettre leurs terrains en valeur et en édifiant 6,577 mai- sons, soit une dépense minimum de 200,000,000 de francs, dans une ville qui ne comptait que 13,061 maisons en 1858, au moment de l'annexion des communes suburbaines. Les désastres de 1870 sont venus arrêter ce mouvement, que personne n'avait osé espérer aussi grandiose. Non-seulement les particuliers ont cessé de bâtir, mais encore la ville n'a presque plus vendu de terrains et s'est vue privée ainsi d'une des plus importantes ressources qui l'ai- daient à continuer ses travaux extraordinaires. Ce temps d'arrêt est sur- venu au moment où un véritable élan était donné a la vente des ter- rains municipaux de la rue de la Gare et à l'érection de maisons neuves sur ces mêmes terrains. Espérons que ce point si important participera bientôt au mouvement de reprise des travaux de bâtiment, qui s'accen- tue de plus en plus depuis quelques mois. 11 est grand temps que les recettes de la ville reprennent une marche ascendante, tant pour les droits d'octroi que pour les ventes de terrains, car la grande œuvre si bien commencée attend encore des compléments bien essentiels, savoir : Ouverture de la rue des Manneliers (eu égard à la subvention de 300,000 francs accordée par l'État) et de la partie la plus urgente de la rue du Sec-Arembault Fr. 600.000 Complément des travaux des rues ouvertes 2.500.000 Expropriations et travaux des rues restant à ouvrir.. . 1.100.000 Achèvement de l'égoût collecteur et ouverture des canaux intérieurs 1.600.000 CH. BERGERON. — DÉSENSABLÈRENT DES PORTS 109 Complément du réseau actuel des égouts 500.000 Construction de nouvelles écoles et salles d'asile 000.000 Compléments de la distribution d'eau 1.G00.000 Construction de nouveaux marchés 1.700.000 Nouveaux percements dans l'ancien Lille (achèvements de la rue du Sec-Arembault, courettes des divers quar- tiers, etc.) 3.800.000 Total des travaux qui vont devenir de plus en plus urgents 14.000.000 M. Ch. BERGERON Ingénieur civil. NOUVEAU PROCÉDÉ DE DÉSENSABLEMENT DES PORTS DE ER (extrait du procès-verbal) — Séance du 27 août I S~ i. — M. Bergeron donne connaissance d'un nouveau procédé qu'il a imaginé pour désensabler l'entrée des ports de mer. 11 commence par faire voir, par quelques chiffres, avec quelle rapidité mar- chent les dépôts de sable lorsque, par suite de considérations pécuniaires, ou de toute autre cause, le fonctionnement des chasses, des dragages, etc., est arrêté ou simplement ralenti. 11 fait remarquer, ensuite, que, non-seulement il y aurait le plus grand intérêt, dans l'état actuel des communications, à permettre aux navires d'entrer dans les principaux ports, sinon à toute hau- teur de marée, du moins pendant un temps plus long qu'ils ne peuvent le faire aujourd'hui, mais que cela va devenir de toute nécessité pour les ports de la Manche, si l'on veut les mettre en état de soutenir la concurrence que leur fera le tunnel sous-marin entre la France et l'Angleterre, dont la cons- truction paraît devoir être prochaine. La commission d'enquête, instituée dans le département du Pas-de-Calais pour donner son avis sur le projet de ce tunnel, a en effet terminé son avis par le vœu suivant : « La commission, en outre, considérant [que les villes du littoral ont des » droits acquis qu'il importe de respecter ; r> Considérant qu'il convient de mettre la navigation des ports de ces villes » en état de soutenir la concurrence qui lui serait faite, un jour, par le che- » min de fer sous-marin, » Emet le vœu que l'État fasse exécuter les travaux nécessaires pour ren- 15 170 NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE » dre les ports de Boulogne et de Calais accessibles, à toute heure de marée, » aux bâtiments d'un fort tonnage. » La question est donc de la plus haute importance. M. Bergeron, en voyant fonctionner le système dit aérovapeur de Warsop, pour prévenir l'incrustation des chaudières à vapeur, a eu l'idée d'appliquer en grand le principe de cet ingénieux appareil, pour faire disparaître les dé- pôts de sable qui se forment à l'entrée des jetées. On sait qu'il se compose d'un tube, percé de petits trous, posé au fond de la chaudière, dans lequel on introduit, au moyen d'une pompe, de l'air à une pression supérieure à celle de la vapeur. L'agitation produite par la sortie de l'air, à travers la masse liquide, suffit pour maintenir en suspension les dépôts calcaires qui ne peuvent, de la sorte, se fixer ni sur les parois de la chaudière, ni sur les tubes bouilleurs. Ne pourrait-on pas de même, en faisant sortir de l'air ou de l'eau sous une forte pression, à la surface des bancs de sable que l'on cherche à dé- raser, mettre ce sable en suspension dans l'eau de mer, de manière à facili- ter son entraînement soit par les courants de flot, de jusant, soit par l'action des chasses ? La production d'entonnoirs naturels au-dessus des sources qui débou- chent dans le sable, où l'on voit celui-ci se creuser peu à peu, entraîné qu'il est par le courant de l'eau qui le tient en suspension, d'autre part la facilité avec laquelle on a pu, en Angleterre, enfoncer dans le sable des tubes en fer, soit en y comprimant de l'eau, soit en y faisant le vide, parce que l'eau chassée ou aspirée enlève, dans son courant, le sable sur le- quel repose le fond du tube, sont, pour M. Bergeron, autant de motifs de croire à l'efficacité de ce procédé, et il ne reste plus, dès lors, qu'à trouver le moyen de l'appliquer dans les conditions voulues. Or, si l'on pouvait in- staller dans le banc de sable, à 3 ou 4 mètres en contre-bas de sa surface supérieure, et, dans l'axe du chenal, un tube de fort diamètre, d'où partiraient, de part et d'autre, des tubes plus petits percés de trous très-rap- prochés, il est évident qu'en mettant ce système en communication avec un réservoir d'eau à forte pression, on déterminerait la formation de petites sources en nombre égal à celui des trous, et que le phénomène que l'on ob- serve aux abords des sources naturelles, comme on vient de le rappeler, se reproduirait très-vraisemblablement ; mais la mise en place d'un tubage de ce genre ne laisserait pas que de présenter d'assez grandes difficultés. M. Bergeron croit que l'on arriverait à un résultat analogue, et beaucoup plus simplement, en échouant sur la surface du banc de sable de gros tuyaux assemblés au moyen d'un bâtis en charpente, de façon à former les deux côtés d'un angle aigu, ou un demi-cercle ; ces tuyaux seraient percés de trous assez fins et très-multipliés, sur toute la partie inférieure de leur superficie, et communiqueraient, par une conduite en toile ou en caoutchouc, avec une pompe placée sur un bateau, au moyen de laquelle on y comprimerait de l'eau, à une pression de plus d'une atmosphère ; cette eau, sortant par tous les trous, désagrégerait le sable : si, de plus, on faisait coïncider celte opération avec le mouvement du plus fort courant de flot ou de jusant, ou, mieux en- MENCIIE DE LOISNE. — IIÉG1ME DES EAUX SOUTERRAINES 171 core, avec des chasses énergiques, le courant, rencontrant ce sable en suspen- sion, l'entraînerait rapidement au large, et les tubes s'enfonceraient par leur propre poids dans l'ornière, ainsi creusée, qui s'approfondirait peu à peu. Ces tubes et les châssis qui les porteraient pourraient, d'ailleurs, être fa- cilement manœuvres au moyen de cabestans placés sur des bateaux accou- plés, où seraient également installées les pompes; on les changerait de place lorsque l'ornière serait devenue suffisamment profonde, et l'on finirait par creuser, ainsi, un sillon qu'il serait facile d'entretenir par le même procédé. M. Bergeron a exposé ses idées à la Société des Ingénieurs civils de Paris, où on les a accueillies avec grand intérêt; il suit, en ce moment, à Gemie- villiers, des expériences en petit sur l'efficacité de ce procédé, avec M. Brûll et le concours de M. Alfred Durand-Claye, ingénieur des ponts et chaussées ; enfin il en a conféré avec plusieurs ingénieurs, notamment M. Plocq, M. Cé- zanne, député, et M. Caillaux, ministre des travaux publics, qui ont paru dis- posés à admettre le principe, et à lui faciliter les moyens de mettre le sys- tème à l'épreuve sur une plus grande échelle. M. MENCIIE de LOISNE Ingénieur en chef des ponts et chnussées. REGIME DES EAUX SOUTERRAINES DANS LA REGION DU NORD (extrait) — Séance du 3 7 août -187 4. — La ville de Lille agrandie dut pourvoir à son alimentation en 'eaux polables. Une commission fut nommée à cet effet en 1864 et désigna comme devant être exploré et approfondi un terrain de suintement situé à Emmerin,dans la val- lée de la Deûle, à 6 kilomètres de Lille, à la limite des terrains tertiaires et de la craie senonienne. Les faits ont confirmé des prévisions basées sur des études géologiques facilitées par l'observation de faits simultanés au percement des avaleresses (puits de mines) des houillères du Nord et du Pas-de-Calais. Délégué pour les observations et expériences, l'ingénieur des ponts et chaus- sées à Lille, M. Menche de Loisne, a défini la situation des différentes nappes d'eau dans l'étage crétacé, et a vu que l'on pouvait trouver dans cet étage des eaux potables d'un volume correspondant aux besoins de l'alimentation d'une grande ville en eau potable, en se plaçant convenablement dans un thalvvegh. Il en a conclu que les procédés de fonçage et de cuvelage des avaleresses (puits de mines) à l'aide de l'air comprimé dans certains cas, et d'une ma- nière plus générale le procédé de fonçage à niveau plein de MM. Kind et Chau- dron, pouvaient avec quelques modifications, être avantageusement appliqués à la captation des eaux souterraines. Ces eaux seraient élevées au jour par des pompes mues par des machines à vapeur. 172 NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE Le système peut se résumer ainsi : L'eau est l'accident dans les travaux de mines. Il faut inverser le problème et faire de l'accident le but. L'on pourrait ainsi trouver à faible distance des eaux plus pérennes et de même qualité que celles que l'on va chercher au loin en drainant les affleurements. M. Mendie de Loisne a communiqué les no- tes et dessins de détail dont il coni] te faire l'objet d'une publication spéciale; il a indiqué les applications du système aux. villes de l'arrondissement de Lille. M. MASQÏÏELEZ !ng neux m chef des Ponts et Chaussées, Directeur dis Travaux Municipaux de Lille. LES DISTRIBUTIONS D'EAU DANS LE NORD — Séance du 27 août 1874. — Nous avons eu à nous occuper d'un assez grand nombre de distri- butions d'eau dans le Nord, notamment de celles de Valenciennes et de Lille, que nous avons successivement exécutées, de celle de Dunkerque que nous avons achevée et de quelques autres pour lesquelles nous avons été consulté. C'est évidemment pour ce motif que le Bureau du Comité local nous a fait l'honneur de nous demander une note sur ce sujet, dans l'espoir sans doute que nous serions en mesure de fournir des indications d'une utilité générale pour notre région. Malheureusement, nous aurons le regret de ne pas répondre complètement à cette attente, car la solution du problème varie presque toujours du tout au tout, d'une ville à l'autre, parce que les capacités financières de la cité à des- servir forcent souvent d'écarter, à cause de leur éloignement ou de leur altitude, les eaux qui devraient être choisies de préférence. Il nous est possible, néanmoins, de relater un fait qui contient un grand enseignement, non-seulement pour notre région, mais encore pour toute la France. Pendant la lutte si active et si persistante que la ville de Seclin a faite au projet de la distribution d'eau de Lille, il nous est arrivé fréquemment d'avoir des audiences succédant à celles que ses mandataires venaient d'obtenir. Un jour, où ils avaient produit leur dé- monstration « que nous devions nous en tenir à l'eau de la Deûle », de- vant l'homme éminent qui présidait la Section des Travaux publics au Conseil d'Etat, et qui est devenu ministre peu de temps après, celui-ci nous dit finement : « Il était de mon devoir de bien écouter toutes » leurs raisons, mais ils ne pouvaient convaincre un homme qui voit pas- MASQUELEZ. — DISTRIBUTIONS d'eAU DANS LE NORD 173 » ser sous ses yeux les plaintes de toutes les villes qui ont commencé à » s'alimenter aux rivières et, qui s'ingénient ensuite à trouver mieux, en » recourant aux eaux de sources, comme Paris vu le faire en ce moment, » sur une si grande échelle. Quand j'ai le malheur de prendre un bain » dans ma ville natale, moins de six semaines après une crue de la » Garonne, j'en sors couvert de moutarde, malgré tout ce qui a été lait » pour perfectionner le filtrage. » Nous regrettons de n'avoir pas profité d'une si bonne occasion de re- cueillir un certain nombre dos exemples les plus saillants, mais nous en citerons trois très-connus, savoir : les déceptions de Lyon avec l'eau du Rhône, qui reste trouble en été ; celles de Marseille avec l'eau de la Durance, qui exige des dépenses très-élevées en dragages et en dé- vasi'ments par chasses de fond dans les réservoirs ; enfin, celles de Nantes avec l'eau de la Loire, où les conduites sont fréquemment obs- truées par des chapelets de petites moules qu'engendrent les larves qui passent à travers les filtres. A Valenciennes, les crues fréquentes de l'Ercline et de la Selle rendent l'Escaut très-limoneux, sans compter le viciement par les déjections in- dustrielles. A Lille, l'eau de la Deûle obstruerait beaucoup les conduites, à en juger par le fait suivant : lorsqu'on a voulu alimenter la cascade du jardin Vauban avec l'eau de la distribution, on a démonté l'ancienne conduite de 0m,25 de diamètre, dans laquelle on refoulait l'eau de la Deûle au moyen d'une forte locomobile, et on l'a trouvée presque rem- plie d'une sorte d'épongé, moins dense que celle de la mer, mais pa- raissant douée d'une végétation très-active. A Dunkerque, on n'a pu re- courir qu'à l'eau saumâlre du canal de Bourbourg, en communication trop fréquente avec la mer. A Roubaix et à Tourcoing, l'eau de la Lys est, pendant l'été, si infectée par le rouissage du lin, qu'il serait im- possible de s'en servir pour l'arrosage des voies publiques, au moment où cela serait le plus nécessaire. Dans le Nord, plus que partout ailleurs, les cours d'eau sont infectés par des déjections industrielles et il importe, au plus haut degré, de n'y puiser que dans l'impossibilité de faire mieux, d'autant plus que l'insa- lubrité des eaux s'accroît, en été, à mesure qu'elles s'échauffent davan- tage. Il est bien préférable, lorsqu'on trouve des sources suffisantes, dans un rayon qui n'est pas trop éloigné, d'amener leurs eaux fraîches et pures, qui constituent un si puissant instrument d'hygiène et de sa- lubrité. Aussi, nous croyons devoir émettre l'opinion que toutes les villes en- core dépourvues d'une distribution en eau potable doivent avoir la sa- gesse d'acquérir discrètement les sources existantes dans leur contrée, ou bien des terrains contigus, pour ne pas éveiller d'avides prétentions. 174 NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE II peut arriver, en effet, qu'elles soient obligées tout d'un coup d'y re- courir, comme cela s'est produit à Valenciennes, où la majeure partie dos eaux souterraines s'étaient maintenues bonnes pendant des siècles et se sont gâtées en peu d'années, sur beaucoup de points, par suite d'infiltrations diverses, et notamment de celles provenant des déjections des industries intra-muros, envoie de développement. DISTRIBUTION D'EAU DE VALENCIENNES. La contrée permettait de choisir entre divers groupes de sources. Nous avons appuyé l'adduction des trois sources précédemment propo- sées par une Commission du Conseil municipal, et situées dans la partie intérieure de la vallée de la Rhônelle, parce qu'il était possible d'acqué- rir une quatrième source, située un peu plus haut dans la même vallée, et d'arriver ainsi à un volume largement suffisant. En outre, on pouvait trouver, en remontant encore davantage vers l'amont, d'autres sources susceptibles d'être acquises à l'amiable ou par expropriation, dans le cas où le développement des consommations viendrait à dépasser de beau- coup les prévisions. L'analyse des eaux de toutes ces sources, faite par le savant chimiste de Valenciennes, M. Pesier, avait donné les meilleurs résultats. Les jaugeages, opérés après les trois années consécutives de sécheresse 1857, 1858 et 1859, fournissaient évidemment un minimum presque absolu (1). En vue d'obtenir le plus grand volume possible, les prises d'eau ont été abaissées, dans la craie fendillée aquifère, jusqu'au point le plus bas qui pût permettre encore de faire arriver les eaux en ville par leur pente naturelle, après les pertes de charge dues à deux passages en siphon sous la Rhônelle. De cette manière, on n'a recueilli que des eaux provenant du meilleur des filtres naturels de notre région, et on a disposé des filtres artificiels en amont de barbacanes ménagées dans les culées de l'aqueduc, pour que les eaux provenant des parois la- térales du déblai dans la susdite craie aquifère, arrivassent directement dans l'aqueduc, sans avoir à siphonner par son radier non maçonné. Ces diverses dispositions ont si parfaitement réussi que, dans la pré- sente année, dont la sécheresse est tout à fait exceptionnelle, on dispose à Valenciennes d'un cube plus élevé que celui constaté après la période précitée de 1857-1858-1850, de sorte qu'on a encore, par jour, environ 120 litres par habitant. L'eau qui- passe dans les tissures de la craie pour arriver dans un aque- duc, où elle est rapidement entraînée, nettoie peu à peu ces fissures des petits débris qui les obstruent, et le débit s'accroît progres- sivement. (1) Les cours d'eau du département avaient perdu uno partio do leur débit moyen qui variai de la moitié aux deux tiers. MASQUELEZ. — DISTRIBUTIONS D'EAU DANS LE NORD 175 Tous les organes de la distribution, c'est-à-dire les réservoirs inférieur et supérieur, les machines destinées à élever, dans le réservoir supérieur, l'eau arrivant par sa pente naturelle dans le réservoir inférieur .a ca- nalisation inférieure, ont été calculés de manière à permettre d'employer, en douze heures, le plus grand cube qu'on pût espérer. Ces mêmes or- ganes sont combinés de telle sorte qu'on puisse les utiliser encore dans le cas où l'on voudrait, dans l'avenir, amener et distribuer un plus grand volume d'eau, pour faire lace à des besoins nouveaux. Le réservoir inférieur a été établi sous l'extrémité de la promenade de la place Verte, point culminant de la ville, et le réservoir supérieur a été construit latéralement, sous le grand cavalier militaire qui do- mine cette promenade, de sorte qu'on n'a perdu aucune surface utile, dans une ville à l'étroit dans son enceinte fortifiée. Ils sont susceptibles d'être agrandis plus tard, s'il le fallait; dans les mêmes conditions. Leurs fondations ont exigé la consolidation préalable d'anciennes galeries d'ex- ploitation de pierres blanches, découvertes seulement après l'exécution de la fouille pour la construction du réservoir inférieur, parce que quatre sondages de reconnaissance, faits en vue de l'évaluation de la dé- pense, étaient tombés sur des piliers. Ce travail était bien périlleux au début, non-seulement à cause de l'état de ruine imminent du ciel des galeries, mais encore parce qu'on pouvait redouter les effets de la charge effrayante du cavalier, d'une hauteur de 9 mètres, tout près des parois, minées de toutes parts, de la grande fouille, laquelle avait été descen- due à 11 mètres pour se procurer le double avantage de fonder sur le terrain ferme du fond des galeries et d'accroître grandement la capacité. On a été assez heureux pour éviter tout accident, grâce à l'intrépi- dité d'un surveillant, nommé Boissier, qui entraînait les charpentiers à sa suite partout où il fallait aller étayer avant d'exécuter les maçonneries de consolidations, au pourtour de la fouille d'abord, puis sous l'empla- cement du réservoir supérieur. Nous avons demandé et obtenu que cet homme dévoué fût dignement récompensé par le Conseil municipal. Les machines élévatoires ont été adjugées à M. Quillacq, habile cons- tructeur à Anzin, qui a fourni d'excellents appareils, consommant très- peu de combustible. La distribution intérieure a été exécutée en conduites de fonte, avec les joints élastiques inventés par l'ingénieur de l'Etat belge Delperdange, qui consistent en une bague en caoutchouc vulcanisé, qu'un collier en fer, .fermé à l'aide d'un boulon, serre sur les parties saillantes des deux bourrelets terminus de deux tuyaux juxtaposés. Une Commission du Conseil municipal, composée d'un adjoint, constructeur en fer, et de trois chefs habiles de grands établissements industriels, auxquels on avait prié M. Pesier de vouloir bien se joindre, s'était rendue en Bel- 176 NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE gique et y avait constaté le plein succès de nombreuses applications. A son retour, elle lit ressortir les avantages de ce système, qui procurait une grande économie de tonte et de pose, une étanchéilé parfaite et une flexibilité particulièrement précieuse dans une ville où le sol est très-peu résistant. Son rapport établit : 1° que des bagues en caoutcbouc, em- ployées dans la distribution d'eau de Bruxelles, pendant quatre ans et sous une pression de sept atmosphères, étaient parfaitement conservées ; 2° que la célérité de la pose ne laissait rien à désirer ; 3° qu'une con- duite avec joints Delperdange résistait, sans manifester aucune fuite, à une pression de quatorze atmosphères ; 4° qu'en recouvrant le joint d'un lut protecteur, de brai notamment, on acquerrait une grande ga- rantie pour la conservation de la bague en caoutchouc et du collier de serrage en fer, dont la durée en bon état formait la seule inconnue ; 5# que les avantages sous le rapport de l'élasticité devaient être pris en grande considération, à cause de la nature générale du sol à Valen- ciennes et des meilleures conditions de résistance aux coups de bélier ; 6° enfin, que les intérêts de la grande économie à réaliser suffiraient pour renouveler tous les joints, après neuf années seulement. En présence de ces conclusions, le Conseil adopta le système et le droit de brevet que la Commission avait négocié conditionnellement avec l'in- venteur. Il était rendu évident, en effet, par la durée connue des autres joints élastiques déjà usités, que l'on pouvait compter sur une durée beaucoup plus longue que celle des neuf années en question. On n'a eu qu'à s'en louer, tous les avantages espérés ayant été réalisés, notamment en ce qui concerne le petit nombre des fuites au début, tandis qu'il y en a toujours beaucoup lors de la mise en service des canalisations avec joints au plomb. On continue à appliquer le même système, depuis onze années, à toutes les extensions de la distribution intérieure et on en est toujours aussi satisfait. Eu égard à la nature générale du sol de la ville, nous sommes convaincus qu'il eût été désastreux d'appliquer un système complètement rigide. Les recettes actuelles, défalcation faite des frais d'entretien, procurent environ 4 0/0 du capital engagé. DISTRIBUTION D'EAU DE LILLE. Depuis que l'industrie avait pris un grand développement à Lille, les années de sécheresse occasionnaient une grande gêne, tout à la fois aux usines, qui manquaient d'eau vers la lin de la journée, et aux maisons voisines, dont les pompes ne fournissaient plus dans l'après- midi. La série des années très-sèches, 1857, 1858, 1859, détermina de telles souffrances, que la nécessité de recourir à une distribution d'eau fut universellement admise. Mais l'opinion publique se divisa entre deux MASQUELEZ. — DISTRIBUTIONS D'EAU DANS LE NORD 177 solutions : les industriels soutenaient qu'il fallait fournir aux usines les appoints dont elles avaient besoin, en recourant à l'eau de la Deftle, ce qui ferait cesser les appels de fonds excessifs et, par suite, l'interruption du service des pompes des ménages; la majeure partie de la population réclamait, de préférence, une distribution d'eau potable, en alléguant que c'était le seul moyen d'être mis à l'abri des abus de l'industrie et d'avoir partout de l'eau salubre. Ce dernier argument était destiné à prévaloir, car, dans certains quartiers, l'eau a un goût très-désagréable de fer ou de soufre ; ailleurs, elle est excessivement chargée de sels cal- caires et contient des sulfates en proportion nuisible; presque partout, on constate une grave altération, par suite d'infiltrations diverses dans les terrains très-perméables en contact, et on sait que, dans ce cas, la pré- sence des matières organiques offre les plus grands dangers pour la santé. Aussi, après trois années de débats, le Conseil municipal opta en faveur de la distribution d'eau potable, au moyen des sources d'Em- merin dont on évaluait le volume à 5,000 mètres cubes, à 6,000 mètres cubes au plus, et, dès notre entrée en fonctions à Lille, nous fûmes chargé d'établir le projet de cette distribution. — Il était entendu que, lorsque les eaux d'Emmerin deviendraient insuffisantes, on irait capter les sources alimentant le canal de Seclin, évaluées à 10,700 mètres cubes, ce qui permettrait de disposer, en totalité, de 17,000 mètres cubes au plus. Il nous parut impossible de rester dans ce programme, car 17,000 mètres cubes pour 155,000 âmes ne fournissaient que 110 litres par habitant, susceptibles d'être réduits de moitié si la population arrivait aux 300,000 âmes que l'agrandissement de Lille permet d'espérer dans un avenir éloigné. On devait donc craindre que, dans un nombre d années trop restreint, on serait obligé de recourir à l'eau de la Deûle, pour faire face aux arrosages publics et pour fournir à l'industrie les appoints dont elle aurait besoin, ce qui aurait entraîné : 1° une cause d'insalubrité, résultant de la projection sur les voies publiques d'une eau de rivière plus ou moins infectée par des déjections industrielles; 2° de nouveaux réservoirs, de nouvelles machines, plus une double canalisation dans un grand nombre de rues, c'est-à-dire une dépense énorme et un surcroît déplorable de gêne et d'ennuis pour la population, pendant la pose, les réparations et l'exécution des prises d'eau pour concessions. Cette triste éventualité nous décida à étudier si on ne pourrait pas ajouter d'autres sources à celles qu'on avait eues en vue jusque-là et nous fûmes assez heureux : 1° pour faire acheter discrètement (1) les puissantes sources de Bénifontaine, situées dans la partie amont du flot (V, Nous avons agi de même pour les sourcas alimentant le canal de Seclin, qu'on s'était borna à désigner, sans prendre la précaution de b'en assurer la possession. 178 NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE de Wingles; 2° pour constater, par des sondages multipliés en tous sens, que le collecteur destiné à recueillir toutes les sources acquises serait engagé dans la craie aquifère sur de grandes longueurs, ce qui donnait la certitude d'opérer des drainages abondants, de la même eau que celle des sources qui émergeaient au jour en des points où la même craie se trouvait en affleurement; 3° pour constater, en outre, que le collecteur, entre le flot de Wingles et Emmerin, au pied de la colline de l'Arbrisseau, traversera un vaste réservoir naturel de 19 kilomètres de long sur 8 kilomètres de largeur moyenne, c'est-à-dire une superficie de 152 kilomètres carrés, qui semble disposée exprès pour emmagasiner les eaux pluviales. Le sous-sol, accusé par les sondages précités, est formé par le tun imperméable, qui s'oppose aux pertes dans le sens vertical; l'eau, qui marche du sud au nord avec une pente insensible, est emprisonnée à l'est et au nord par le relèvement du tun précité, à l'ouest par le niveau de la Deùle endiguée. Le trop-plein de ce réservoir, dont l'existence est accusée séculairement par des sources nombreuses, par des marais dits clairs, n'a d'issue que par les canaux de dessèche- ment qui passent en siphon sous la Deùle et il est essentiel de faire ressortir que le radier du collecteur sera plus bas, d'environ un mètre, que le fond de ces canaux de dessèchement. Quant au volume des eaux pluviales qui tombent annuellement dans ce vaste bassin de réception, il atteint 103 millions de mètres cubes par année moyenne, ce qui répond à 283,000 mètres cubes par jour. Par les jaugeages au plus bas étiage des sources acquises, et par des évaluations du produit des drainages, dont la modération a été démon- trée excessive par les résultats des travaux exécutés jusqu'à ce jour, nous sommes arrivé à la certitude que le réservoir naturel dont nous venons de parler assurera à la distribution de Lille, quand il sera com- plètement exploité, un cube d'eau minimum de 40,000 mètres cubes en temps d'étiage le plus bas. La Ville a donc la possibilité de réunir jusqu'à 40,000 mètres cubes d'eau excellente, dont elle ira successivement recueillir des fractions croissantes, au fur et à mesure que la nécessité en sera constatée par la progression du nombre des abonnés et par celle de l'importance de leurs consommations. En tenant très-largement compte des besoins pour les usages publics et domestiques, nous estimions qu'il resterait toujours au moins 20,000 mètres cubes disponibles pour l'industrie, ce qui pa- raissait devoir suffire amplement à tous les appoints qu'elle demanderait à la distribution dans l'avenir, car elle n'avait encore accusé que des besoins très-restreints, comme le prouvent les évaluations faites par la Commission des eaux de 1863, pour des distributions d'eau de la Deùle de 2,000, de 5,000, de 7,000 mètres cubes. MASQUELEZ. — DISTRIBUTIONS D'EAU DANS LE NORD 179 Mais la sécheresse exceptionnelle de 1874, qui a pris les proportions d'une calamité publique dans de nombreuses régions de la France, est venue réduire notablement le volume d'eau que les industriels de Mou- lins-Lille puisaient dans les nappes souterraines de leur quartier. Ils ont dû demander des appoints très-importants à la distribution d'eau qui n'avait eu que peu de chose à leur fournir jusque-là, et, comme il en résultait des sacrifices assez lourds (malgré le prix extrêmement bas du tarif, qui est le plus modéré de toutes les distributions de France), ils ont grossi les cubes dont ils avaient besoin , pour en conclure que la ville ne serait jamais en mesure de les fournir, même en terminant l'exécution des travaux arrêtés, en principe, jusqu'à Bénifontaine, de sorte qu'il fallait nécessairement revenir à la solution d'une prise d'eau à la Deûle et, cette fois, il ne s'agissait plus de lui demander 2,000,n3, 5%000m3, ou 7,000m3, mais une quantité assez grande pour qu'elle puisse suffire à la totalité des consommations industrielles. Disons d'abord qu'il est permis de croire que la nécessité d'acheter de l'eau et le désir naturel de la payer moins cher sont les principaux mobiles de la campagne ouverte. Disons ensuite qu'un mot suffit pour réduire au vrai le cube des appoints réellement nécessaires dans le présent, et ce mot, le voici : pen- dant le mois de juin, nous avons fourni à l'industrie toute l'eau qu'elle a voulu consommer et le cube n'a pas dépassé 11,000 mètres par jour ouvrable. En juillet, nous avons encore élevé autant d'eau par jour ouvrable, mais l'industrie a dû subir quatre temps d'arrêt (représentant ensemble 28 heures), parce que des chaleurs^ excessives ont poussé les abonnés au robinet libre à de tels gaspillages d'eau, qu'ils dépensaient jusqu'à 4,500m3 par jour, de sorte que la ville arrivait à ne plus perce- voir qu'environ un centime (1) par mètre cube d'eau consommé par eux. D'un autre côté, la campagne en faveur d'une prise d'eau à la Deûle ne pouvait pas tomber dans un moment plus inopportun pour ses promoteurs, car le débit de la rivière était tellement réduit pendant les chaleurs excessives du mois dernier, qu'après avoir fourni aux besoins de la navigation et aux droits du propriétaire des moulins Saint-Pierre, elle ne pouvait plus arriver dans nos canaux intérieurs en quantité suffisante pour les empêcher de devenir pestilentiels. Tout prélèvement au profit de l'industrie était donc radicalement impossible, sous peine de mettre en péril imminent la salubrité publique déjà très-exposée. Enfin, il n'était pas possible de donner le change sur le succès com- plet de la partie exécutée de la distribution, qui a coûté 80,000 francs (1) Il faudra évidemment imposer le frein d'un compteur à tous les propriétaires de grands jardins et de grandes cours: s'ils veulent continuer à se donner de la fraîcheur, par d'abondants arrosages devant leurs façades et 'à l'intérieur, tout au moins la caisse municipale ne sera plus frustrée. 180 NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE de moins que les prévisions, qui a permis de recueillir un volume d'eau supérieur aux espérances et qui arrive à donner des receltes constituant un produit net dépassant cinq pour cent du capital engagé. Aussi, à la suite du remarquable rapport fait par M. Gustave Testelin (élève distingué de l'École Centrale), le Conseil municipal a décidé, à l'unanimité, qu'on poursuivra l'œuvre commencée en allant capter les sources d'Ancoisnes, les plus rapprochées. — Si l'industrie consent à prendre l'engagement, envers la ville, de consommer d'une manière permanente des minimums (à déterminer) en eau de la distribution, moyennant certains avantages de prix, il est probable, qu'on ira, en 1875, capter les puissantes sources d'Ilouplin, celles qui alimentent en grande partie le] canal de Seclin et on se retrouvera, pour de longues années, dans une grande abondance. A ce propos, il est assez curieux de rappeler ici ce qu'on peut trouver, page 596, de notre ouvrage sur la distribution d'eau de Lille, publié il y a trois ans : nous ne nous sommes trompé que d'une année. i En 1873, le produit net dépassera 5 0/0 par suite de la progression » toujours croissante des demandes en concessions, et, pendant les cha- » leurs, on ne pourra plus faire marcher les cascades et le jet d'eau » que les dimanches et jours de fête. Nous ne serions pas étonné qu'il » devînt nécessaire, en 1874, d'aller capter les sources de Seclin, et » cette dépense devra alors être acceptée sans le moindre regret, puis- » qu'elle rapportera un revenu assuré, supérieur à l'intérêt normal des » nouveaux capitaux à engager. » Quand le développement des consommations de toutes natures l'exi- gera, on ira enfin chercher les grandes réserves de Bénifontaine, et, au besoin, celles de Meurchin, Pont-à-Vendin, Eslevelles et Vendin-le-Viel. Puis, dans l'éventualité bienheureuse, où la création d'un nombre consi- dérable de nouvelles usines viendrait encore rendre insuffisante la dis- tribution en eau de sources, cette fois terminée, il serait temps d'en venir à l'eau de la Deûle. On le ferait alors dans des conditions infini- ment plus favorables qu'aujourd'hui : 1° parce qu'il faudrait lui deman- der beaucoup moins d'eau ; 2° parce qu'on pourrait, conséquemment, réduire beaucoup la double canalisation, en unifiant le prix des eaux industrielles fournies par les deux distributions; 3° parce (pue la ville aurait pu sans doute, à cette époque encore bien loin de nous, amélio- rer la salubrité de ses canaux intérieurs, par leur couverture et par l'a- chat des moulins, de sorte qu'il lui serait devenu possible de disposer d'une grande partie du volume que ces moulins consomment, pour l'af- fecter aux besoins de l'industrie. Après cette digression, que des débats récents ne permettaient pas d'éviter, revenons à l'économie générale de la distribution. MASQUELEZ. — DISTRIBUTIONS D'EAU DANS LE NOKO 181 Le produit de chaque source est recueilli dans un aqueduc dit rigole alimentaire, qui s'embranche sur l'aqueduc collecteur, dit conduite prin- cipale d'amenée, lequel vient emmagasiner toutes les eaux dans un ré- servoir situé à Emmcrin, au pied du long- versant méridional de la colline de l'Arbrisseau. De puissantes machines, installées près du réservoir inférieur, servent à y pomper les eaux et à les refouler dans le réservoir supérieur, placé, au sommet de l'Arbrisseau ; là, elles atteignent l'altitude de 50 mètres et exercent une pression d'environ trois atmosphères sur tout le réseau de la distribution intérieure. Tous les organes de la distribution sont combinés de manière à pou- voir continuer leurs fonctions lorsque l'accroissement des besoins exigera que chacun d'eux reçoive des auxiliaires. A l'exception du. collecteur, qui peut fonctionner constamment, grâce à un déversoir de superficie ménagé près du courant de Bargues, ils ont tous été établis en double, pour mettre le service d'une grande ville comme Lille à l'abri de tout danger d'interruption. Le collecteur n'a été exécuté que sur les 885 mètres de longueur, compris entre la source Billaut, qui est située sur son trajet même; et le réser- voir inférieur. La rigole alimentaire destinée à amener au collecteur le produit de la source Guermanez, a été exécutée sur une longueur de 250 mètres, en dis- posant les parties qui étaient engagées dans la craie aquifère, comme dans les travaux semblables de la distribution de Valenciennes. Une coupole a été construite au-dessus du dégagement circulaire qu'il a fallu opérer autour du point d'émergence de la source, à l'effet de bien re- cueillir tous ses affluents ; de plus; des barbacanes, avec filtres en amont, ont été ménagées dans toute la partie inférieure des culées de la cou- pole; enfin; comme certaines barbacanes fournissaient beaucoup plus que toutes les autres, on a construit, en amont, une nouvelle petite rigole alimentaire le long d'un filon de craie aquifère en relèvement. Le réservoir inférieur a été établi à l'extrémité aval du grand bassin de réception que nous avons décrit plus haut : par une heureuse coïn- cidence, cette extrémité est contiguë au chemin pavé d'Haubourdin à Guermanez. La capacité totale, qui atteint environ 12,000 m3, est par- tagée en deux parties égales par un mur de séparation d'une épaisseur suffisante pour qu'on puisse les isoler à volonté, en cas de nettoyage ou de réparations, ou les laisser en communication. De même, l'arrivée de l'eau dans chaque compartiment et sa sortie pour aboutir dans les pui- sards d'aspiration des pompes, sont indépendantes : il faut que le service d'une grande ville comme Lille soit parfaitement assuré, et c'est pour cela que, à partir de la fin du collecteur, qui paraît à l'abri de tout ac- ■ 182 NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE cident, tous les organes doivent être établis en double, de manière que 1 un puisse fonctionner seul si une cause quelconque oblige de se passer de l'autre. L'exécution de ce grand ouvrage a entraîné des épuisements qui atteignaient 18,000 mî par jour (1), et il a fallu recourir, pour pou- voir exécuter les maçonneries, à de nombreuses rigoles avec gros tuyaux de drainage, assez profondes et assez larges pour débiter les eaux, ayant des pentes de fond convenablement ménagées pour conduire ces mêmes eaux aux puisards d'aspiration des pompes d'épuisement. Pour utiliser ultérieurement cette belle ressource, on a ménagé, dans les parois verticales des murs d'enceinte et dans le radier, des barbacanes susceptibles de fonctionner [avec une puissance croissante, au fur et à mesure que .le niveau de l'eau , dans le réservoir, baisse en raison des appels pour le service des consommations de la ville. En présence d'une telle abondance d'eau, on s'est décidé à ajourner la construction de la rigole alimentaire destinée à amener au collecteur le produit de la source Cressonnière. Cet ajournement a duré quatre an- nées, jusqu'au moment où le brusque développement des consommations industrielles a commandé de se mettre en mesure d'y faire face. Sur la longueur totale, 1 , 160 mètres de la rigole, 800 mètres ont dû être établis dans un terrain mouvant jusqu'à une grande profondeur, et nous avons em- ployé avec succès une conduite en fonte, à joints élastiques Delperdange, de 0m,50 de diamètre. Les parties de la rigole établies dans la craie aquifère et la coupole, au-dessus du p;ùnt d'émergence, ont été exécutées omme pour la source Guermanez ; mais, ici, il y a lieu d'établir six petites rigoles alimentaires autour de la coupole. Il est intéressant de comparer le volume d'eau, 6,500m3, qui avait é prévu, en étiage, pour la source Guermanez et les drainages, y corn, pris ceux du réservoir inférieur, avec les volumes constatés aux étiages de 4870, 4871, 4872 et 4873. Pendant les trois premières années, le vo- lume s'est accru de 9,500m3 à 44,500,n3, par suite de l'effet que nous avons signalé pour la distribution de Valenciennes, du dégagement des fissures de la craie par le passage continu de l'eau attirée dans les aqueducs. En 4873, le volume d'étiage n'est pas descendu au-dessous de 42,500 m3, mais il faut tenir compte des grandes pluies qui avaient précédé cet étiage. Le volume prévu en étiage, avec l'adjonction de la Cressonnière, était de 8,4o0'"3, et on a encore près de 40,000m3, actuellement, malgré les dépenses d'eau excessives faites pendant l'été de 4873 et celles dépas- sant évidemment les disponibilités que nous avons faites cette année, en élevant, par jour ouvrable, en mai, 42,8o'0m3, en juin 42,920m3, en juillet, 40,993,ni. Si nous avions pu prévoir la crise actuelle dès l'an (1) Aussi on y a employé jusqu'à 240 ouvriers divers, et on est parvenu à terminer les travaux en moins de cinq mois. MASQUELEZ. — DISTRIBUTIONS D'EAU DANS LE NORD 183 dernier, au lieu d'abuser autant de nos richesses pour les arrosages et effets d'eau (1), nous aurions laissé une plus grande réserve dans la partie exploitée de noire bassin : ce sera une leçon pour l'avenir. Le réservoir supérieur, d'une capacité égale à celle du réservoir infé- rieur et divisé pareillement en deux compartiments, a été exécuté sans difficulté et avec une économie notable sur les prévisions. Les bâtiments des machines et des générateurs ont été construits de manière à se placer dans les meilleures conditions d'aspiration et de marche, réclamées par les constructeurs, chargés de résoudre le pro- blème d'un minimum de dépense en combustible. C'est pour cela que le sol de la chambre des machines s'est trouvé commandé à 3m,15 plus bas que le seuil de la porte d'entrée, qui devait être au niveau de l'axe du chemin d'Haubourdin à Guermanez. — La façade du côté de Noyelles renferme trois fortes colonnes en fonte, supportant les trois fermes en tôle (système américain) de la charpente, en vue de pouvoir enlever la maçonnerie de cette façade, lorsque, par la suite, il faudra établir deux nouvelles machines en doublant le bâtiment. De cette ma- nière, la chambre de ces deux nouvelles machines ne formera, avec celle des deux premières, qu'un seul vaisseau à l'intérieur, permettant d'em- brasser la vue des quatre appareils, ce qui en facilitera la surveillance. Les eaux de condensation dont l'issue est dans le courant de Bar- gues, près du déversoir de trop-plein du collecteur, sont dirigées au moyen d'une conduite en fonte de 0m,50, que nous avions eu la précau- tion de loger dans la fouille ouverte pour construire le collecteur précité. La cheminée, de forme circulaire, a une hauteur totale de 40 mètres au-dessus du sol. Ses dimensions sont calculées pour deux machines marchant à la fois et, comme il n'y aura jamais plus de quatre machines en marche (avec deux de réserve), on ne devra plus construire qu'une seconde cheminée. Les machines élévatoires ont été parfaitement exécutées par la Com- pagnie de Fives-Lille, qui a été déclarée adjudicataire, au prix total de 123,500 francs, qui présentait une réduction de 104,500 francs, par rapport à la soumission de M. Girard, inventeur des excellentes pompes qui portent son nom. Moyennant une dépense additionnelle de 28,000 francs, la ville a pu se procurer l'avantage d'employer les pompes Girard, ce qui lui a encore laissé une économie finale de 104,500 francs — 28,000 francs = 76,500 francs. Les canalisations ont été exécutées avec les conduites élastiques du système Delperdange, dont on avait été si satisfait à Valenciennes, et nous allons montrer combien cette nouvelle et grande application est H) On a élevé trop souvent jusqu'à 20,000 mètres cubes par jour. 184 NAVIGATION. GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE venue confirmer tout ce qui avait" été observé sous les divers rapports de Tétanchéité, de la célérité de pose, de l'élasticité, de la durée et de l'é- conomie considérable dans la dépense. Les fuites du début sont inévitables, avec l'un quelconque des bons systèmes usités, parce que ceux des joints qui ont été exécutés avec un peu moins de soin (les ouvriers les plus consciencieux et les surveil- lants les plus attentifs ne sont pas infaillibles) et qui ont néanmoins ré- sisté à l'essai en tranchée, cèdent sous les coups de bélier qui sont si nombreux quand on n'a pas encore pu faire disparaître les terminus en fermant les circuits, ou simplement sous l'action continue de la pres- sion. A Lille, on n'a constaté qu'une fuite de joint Delperdange par kilo- mètre en moyenne, et les joints Delperdange ont donné lieu à environ vingt fois moins de fuites que les joints au plomb, auxquels il a fallu recourir en assez grandes quantités lorsqu'on a exécuté des poses con- vergentes vers le milieu des rues les plus fréquentées, et des raccords près des robinets, des aqueducs, des caves, etc. Les fuites sont deve- nues si rares, depuis cette période de début, qu'elles représentent à peine une par année. La célérité de la pose a fait de nouveau ses preuves et elle a rendu de grands services dans les rues de grande circulation. Le nombre des pièces spéciales, qui occasionnent tant de retards et de dépenses, a pu être diminué dans une proportion notable par cette circonstance que l'obliquité d'un tuyau, par rapport au tuyau assemblé avec lui, peut at- teindre de grandes proportions sans qu'il y ait fuite, en raison de la an de élasticité du joint : ainsi, il existe depuis trois ans, rue Solférino, deux tuyaux de 0'",20, présentant entre eux une obliquité de 0m,20 sans qu'il se soit encore déclaré aucune fuite ; tandis qu'une flexion de 0m,07 a ouvert un joint au plomb, parfaitement exécuté entre deux autres tuyaux de 0"',20, de manière à rendre une fuite inévitable, dans un temps donné, par l'action de l'eau sur le chanvre qui maintenait une étanchéité momentanée. Remarquons, en passant, que cette faculté de llexion, en s'exerçant dans le sens vertical, au fond d'une tranchée mal réglée ou en mauvais terrain, met à l'abri, dans une grande mesure, de ces petites fuites à l'état latent qui Unissent par inonder des caves et par causer des accidents comme celui de l'ancienne Bourse de Bruxelles, mise en péril par une fuite de joint au plomb que rien n'accusait dans la ebaussée. Un autre avantage de l'élasticité, c'est la diminution du nombre des ruptures de tuyaux (1) sous l'effort des coups de bélier, qui sont rendus (I) Un tuyau à joint Delperdange est remplacé en quelques heures par le fontainier de service, tandis qu'il faut souvent plus d'un jour pour exécuter le même travail dans une conduite avec joints au plomb. MASQUELEZ. — DISTRIBUTIONS D'EAU DANS LE NORD 18S plus fréquents à Lille par les imprudences que commettent les agents des industriels, dans la manœuvre des robinets de leurs importantes prises d'eau. Nous avons constaté, en effet, que nous avons moins de ruptures que dans les conduites de Paris soumises à des pressions éga- les, et ce fait est d'autant plus remarquable que nos tuyaux sont un peu plus minces et que ceux de 0m,30 à 0ra,07o présentent souvent d'assez grandes inégalités d'épaisseur. La question de durée a fait l'objet, à Lille, d'un nouvel et très-sérieux examen, parce qu'on a invoqué l'opinion des ingénieurs qui ont combattu les autres systèmes élastiques, précédemment inventés, en prétendant que l'humidité du sol finit toujours par altérer le caoutchouc. Les meilleures conditions pour conserver le caoutchouc vulcanisé étant l'immersion dans l'eau et l'obscurité, l'opinion dont il s'agit ne peut conserver son auto- rité, et nous croyons inutile de rappeler les exemples détaillés que nous avions cités de la durée du caoutchouc, substitué au cuir, pour les gran- des pompes à épuisements des mines, les clapets des bateaux à vapeur maritimes, les rondelles des machines à essayer les tuyaux. La commission de Lille est donc restée convaincue, comme celle de Valenciennes, que les altérations en terre, anciennement constatées, étaient dues tout à la fois à la qualité insuffisante du caoutchouc employé et à l'existence de principes délétères dans les terrains en contact immédiat. Cette commis- sion a constaté en effet, en faisant démonter des joints faits à Valencien- nes depuis neuf ans et demi en moyenne, que, grâce au lutage en brai de goudron, non-seulement le collier et son boulon étaient intacts, mais encore le caoutchouc avait conservé toute son élasticité, quoique sa qua- lité fût notablement inférieure à celle qu'on a obtenue depuis en em- ployant la gomme du Para et en perfectionnant les procédés de miné- ralisation. — Elle a constaté, en outre, que ce dernier caoutchouc, employé à Lille depuis cinq ans, dans des joints non lûtes, avait conservé toutes ses précieuses qualités, en môme temps que le fer des colliers, grâce à sa qualité exceptionnelle, était aussi dans un parfait état de conservation . La durée peut donc être considérée comme indéfinie, quand les ma- tières employées sont parfaitement fabriquées et protégées, en outre, par un bon lutage au brai de goudron. Il nous reste à parler des avantages que le joint présente au point de vue des économies de dépenses. Nous dirons d'abord que la Ville a réalisé une économie nette, en total, d'environ 50,000 francs dans diverses circonstances (notamment pour les écoulements pendant la construction du réservoir inférieur, pour la cons- truction de l'école de natation, etc., etc.), où elle a pu établir de gros- ses conduites provisoires, à cause de la possibilité de retrouver tuyaux 16 186 NAVIGAVION. — GÉME CIVIL ET MILITAIRE et joints intacts. Au contraire, le démontage d'une conduite à emboî tements et joints au plomb entraîne des pertes considérables, soit par la destruction de la moitié des tuyaux, ce qui est le sacrifice le plus gé- néralement subi, soit par des dépenses équivalentes en main-d'œuvre de démontages de joints ou de coupures au burin des tuyaux. En outre, pendant nos études approfondies pour combiner au mieux Ja première moitié des canalisations intérieures, seule comprise dans le projet primitif, nous avons déterminé les diamètres d'après les chances de développement plus ou moins rapide des consommations de chaque rue. Or, on comprendra aisément combien écs chances peuvent être bou- leversées par l'érection imprévue d'une usine qui s'abonne et combien cette incertitude aurait pu nous conduire à exagérer les diamètres, con- séquemment les dépenses, si nous avions eu à redouter les pertes qu'en- traînent les remplacements de conduites avec joints au plomb. En tenant compte, au contraire, de la possibilité de démonter sans grands frais les conduites Delperdange, devenues insuffisantes, et de les réemployer ail- leurs, nous avons pu certainement réduire le projet primitif de plusieurs centaines de mille francs, car il y a déjà 64,000 francs pour les deux con- duites provisoires du faubourg Saint-Maurice et de la rue d'Isly, qui de- vront être remplacées par le diamètre 0m,60 des conduites maîtresses, quand on aura exécuté l'adduction des sources d'Houplin. Nous avons maintenant à faire ressortir l'économie qui résulte de la moindre épaisseur et, surtout, de la forme des tuyaux du système Del- perdange. L'extrême flexibilité des conduites de ce système les fait descendre en même temps que tout leur lit de pose, plus ou moins affaissé, de sorte que chaque tuyau isolé forme une pièce courte, appuyée en tous ses points, qui n'a pas besoin d'être aussi forte qu'un tuyau encastré à ses deux extrémités dans une conduite avec joints au plomb : en effet, cette der- nière conduite, exposée à se trouver sans appui sur une grande longueur du lit de pose affaissé, doit être en mesure de résister à un effort de flexion considérable (1). L'application du système Delperdange permet donc de réduire, dans une certaine mesure, les épaisseurs usitées (2) pour les tuyaux des conduites avec joints au plomb, et cette réduction, faite à Lille dans la limite prudente d'un demi-milimètre à un millimètre pour les petits diamètres, et de deux millimètres pour les grands, a procuré une économie de 0 0/0 sur les fontes. En ajoutant à cette pre- (I) Le calcul démontre que les conduites avec joints au plomb de 0m,l0 et de 0m,20, ayant des épaisseurs généralement usitées, se rompraient sous leur propre poids, si des longueurs do 28 mètres et de 38 mètres venaient à perdre tout appui inférieur : eu égard aux charges de l'eau, des remblais et des passages do voitures, la rupture se produirait certainement dans le cas où les longueurs isolées seraient seulement de 10 et \$ mètres. !2) Ces épaisseurs sont commandées, tant par les résistances à opposer aux efforts du roatage MASQUELEZ. DISTRIBUTIONS D'EAU DANS LE NORD I iS~ mière économie celle de 11 0/0 correspondante à la longueur de 0,n,10 du bout mâle, perdue dans chaque emboîtement, et à la sur-épaisseur de la tulipe, qui ne peut être réduite, tant à cause de la nécessité de résis- ter au matage du plomb que de celle d'éviter le guillotinement à la sor- tie du moule, la ville de Lille est arrivée à une réduction totale de 20 0/0 sur les fontes. Cette économie considérable a été diminuée notablement par l'excédant de prix que les joints Delperdange, grevés de droits de licence jusqu'à l'expiration du brevet, présentent sur les joints au plomb ; mais, finale- ment, l'application du système aux canalisations de Lille a procuré un bénéfice d'environ 200,000 francs sur l'emploi du système à emboîte- ments, en comptant la tonte au prix très-bas qu'elle avait en 1868 et les joints au plomb au prix moyen des marchés de Paris, Roubaix- Toureoing et Dunkerque. Quant aux droits de licence votés sur le rapport de la Commission du Conseil municipal de 18G8, la ville de Lille a obtenu les conditions les meilleures que l'inventeur ait jamais consenties, car elle a payé, pour faire la première application du système perfectionné, 25 0/0 moins cher que le client le plus favorisé, pour l'ancien système, encore valable pour près de trois ans, et 33 0/0 moins cher que le client ayant conclu de plus grosses affaires qu'elle-même. — Lors de la convention nou- velle passée avec les héritiers Delperdange, en 1872, le brevet de per- fectionnement était seul resté valable, et la Ville a obtenu des nouveaux prix pour les joints, qui les mettent à peu près au pair avec les joints au plomb, de sorte qu'elle profitera en entier de l'économie sur le poids de fonte, économie d'autant plus considérable que la fonte coûte maintenant beaucoup plus cher qu'en 1808. En résumé, la grande application du système Delperdange à Lille, qui était justifiée par de nombreux succès antérieurs et qui s'est accomplie dans les conditions les plus favorables pour la science, est venue démon- trer qu'on peut obtenir les meilleurs résultats avec ce système, tout en réalisant des économies considérables, non-seulement par la réduction de la fonte des diamètres employés, mais encore par l'adoption de beau- coup de diamètres provisoires, plus petits que ceux qui peuvent devenir nécessaires plus tard. Nous avons donc la conviction qu'un grand service a été rendu à la Ville de Lille d'abord, puis à la civilisation , qui s accroît avec les faci- et de flexion, que par la nécessité de se mettre à l'abri des conséquences de défauts de fabrica- tion inévitables. Aussi, elle pourrait faire face à des efforts de pression bien autrement considé- rables que la pression de huit atmosphères qui est adoptée en général pour les essais : mais cette pression suffit pour révéler les défectuosités qui finiraient par amener la rupture, et il ne faut pas provoquer une destruction prochaine, par un effort susceptible d'altérer un degré de solidité suffisant. 188 NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE lités créées pour le développement des canalisations, puisque celles-ci conduisent l'eau, l'instrument le plus efficace de l'hygiène et de la salu- brité, le gaz, l'électricité souterraine, la transmission pneumatique des lettres, etc., etc. Le jour où un grand maître de fonderies se détachera de la ligue formée contre un système qui réduit les bénéfices par la réduction de la matière, il créera une concurrence invincible, qui lui profitera, en même temps qu'elle rendra grandement service à tous ceux qui ont besoin d'établir des canalisations. Nous avons déjà eu occasion de dire que, eu égard aux recettes de 1874, à la suppression des machines à vapeur de l'abattoir et des bains publics, à l'économie dans les frais d'arrosage des jardins, aux services des bâtiments municipaux et de la voirie, la distribution d'eau est ar- rivée, en 1874, à produire un revenu net dépassant cinq pour cent, et cela avec le tarif le plus bas qui existe pour les eaux industrielles. M. DU EIEÏÏX Ingi-nieur à Lille. LE PULSOMÈTRE (EXTRAIT DU PROCÈj-VERBAL) — ^Séance du 27 août 1874. — M. Du Rielx donne quelques explications au sujet d'un nouvel appareil amé- ricain, dit Pulsomètre, dont il a apporté un échantillon ; c'est une sorte de pompe sans piston, ne présentant que des clapets, en état d'équilibre presque instable sur leurs sièges, et que la plus légère impulsion lait basculer d'un siège sur l'autre, en ouvrant et fermant alternativement deux corps de pompe accolés l'un à l'autre. Cet appareil, dont la description complète entraînerait trop loin, fonc- tionne au moyen de jets de vapeur qui arrivent tour à tour dans les deux corps de pompe, tantôt en très-petite quantité, pour se condenser ensuite, en aspirant l'eau, tantôt à pleine pression, pour la refouler dans le tuyau d'ascension. Le jeu de l'appareil se fait par des robinets qui s'ouvrent et se ferment alternativement. Le Pulsomètre paraît avoir un rendement extrêmement faible, et M. Du llieux en a principalement parlé à titre de curio îté. ED. PIETTE. LIGNES DEFENSIVES DE LA FRANCE 180 M. Edouard PIETTE De Craonnc. SECONDE NOTE SUR LES LIGNES DÉFENSIVES DE LA FRANCE (1) M. Laussedat, en rendant compte des travaux du congrès réuni à Lyon en 1873, a bien voulu dire quelques mots de ma note sur les lignes défensives de la France. Malgré sa bienveillance, je rie puis laisser passer sans réclamer une de ses allégations : il a cru que mon opinion était de laisser sans protection nos provinces de l'Est. Je n'ai jamais dit cela. La note que j'ai présentée au Congrès est un extrait d'un mémoire plus complet que j'ai envoyé en 1871 à M. Tbiers. Dans ce mémoire, j'ai considéré nos places fortes sous deux rapports : les unes sont offensives, les autres dé- fensives. Les places offensives sont celles qui, situées sur la frontière, peuvent servir de base d'opération pour envahir le pays ennemi. Les places défensives sont celles dont le rôle est de nous protéger contre une invasion. J'ai consi- déré Belfort comme place offensive, et je suis bien convaincu que ce serait une faute de la laisser isolée. Le triangle formé par cette place, Besançon et Langres m'a toujours paru destiné à jouer un rôle considérable dans les guerres de l'avenir. Loin d'en proposer l'abandon, j'ai demandé qu'il fût relié au Mor- van et à Lyon par une série de forts afin qu'une armée d'invasion put s'avan- cer en sécurité du centre de la France, vers l'Alsace, les Vosges et le duché de Bade. J'ai appelé cette ligne de forteresses une ligne offensive parce qu'elle est destinée à protéger des troupes marchant vers l'Allemagne. Me plaçant ensuite au point de vue de la défense de notre pays contre une invasion, je proposai d'abandonner presque complètement la frontière de Prusse qui est très-difficilement défendable et de créer des obstacles sur le chemin de l'envahisseur, c'est-à-dire de fortifier la route de Metz à Paris. Dans cette ligne défensive, les forts devaient être, aux environs de Paris, plus nombreux que partout ailleurs, de même que dans la ligne offensive, ils de- vaient être d'autant moins éloignés les uns des autres qu'ils seraient plus voisins de Belfort. Je proposai encore de faire de Mézières un camp retranché, et sans sacrifier Longwy, d'ajouter de nouvelles défenses à plusieurs places de notre frontière du nord que le général Faidherbe a su si bien utiliser comme base d'opération pendant la dernière guerre. Tel est, dans son ensemble, le projet que j'ai soumis à l'appréciation de M. Thiers. Lors de la réunion du congrès scientifique à Lyon, il devenait inutile d'ex- poser une partie de ce système. Je n'ignorais pas que l'attention des hommes (I) Cette note, qui par suite d'une erreur a été remis? tardivement à la section, n'a pu être lue à l'une des séances. 190 [NAVIGATION. — GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE compétents s'était fixée sur la nécessité de fortifier notre frontière de l'Est et que la plupart d'entre eux voulaient en faire un des remparts de la France. Le désastre de Bourbaki avait servi d'enseignement. Je n'avais donc plus à m'oc- cuper de cette! ligne offensive. Tous mes efforts devaient se porter sur la néces- sité de créer une voie défensive entre Paris et la frontière. Fortifier cette ligne au lieu de fortifier la frontière, couper les masses envahissantes en deux ou les forcer à laisser intacte une partie de la France, c'était,, je pense, une idée nouvelle, qui comme toutes celles qui ne se traînent pas dans l'ornière des siècles, avait besoin de temps pour faire son chemin. Je fis tous mes efforts pour l'exposer clairement, et je négligeai de parler de la frontière de l'Est, ne m'imaginant pas qu'on put croire que je désirasse l'abandon de ses places fortes. La commission de défense proposa à l'Assemblée nationale, comme je l'avais supposé, de voter les dépenses nécessaires pour exécuter les fortifications de la ligne de Belfort à Dijon et au Morvan, et pour faire de Lyon un camp retran- ché ; mais elle ne demanda pas le moindre crédit pour créer une forteresse sur la montagne de Reims, et ce fut la commission de la Chambre, présidée par le général Chabaud-Latour, qui demanda et fit voter des fonds pour l'éta- blissement d'un fort en cet endroit. Ce commencement d'exécution peut faire espérer qu'on a compris l'impor- tance de cette position, et qu'il y aura un camp retranché entre Reims et Eper- nay, comme il yen aura un à Toul et à Verdun. Mais il serait très-important qu'on ne s'arrêtât pas en si bon chemin. On n'aura rien fait tant que ces camps ne seront pas reliés l'un à l'autre et tous deux à Paris par une série de forts. Alors la voie fortifiée que j'ai demandée se trouvera réalisée. Puisse- t-elle l'être avant qu'une nouvelle invasion en démontre la nécessité. J'ai foi dans l'idée que j'ai émise ; je la crois juste, et toute idée juste finit par se faire jour. La force des choses amènera infailliblement ce résultat. M. Laussedat cite une phrase de ma note qui résume en une ligne mon système : « Ce n'est ni la frontière, ni une ligne parallèle à la frontière qu'il faut fortifier : c'est le chemin que suit l'envahisseur. » Là, en effet, est l'origi- nalité de mon mémoire, et si parfois je propose de barrer des vallées paral- lèles à la frontière, au lieu de m'occuper uniquement du rayon joignant Metz à Paris, c'est parce que je pense qu'il convient d'occuper accessoirement les fortes positions que présente le relief de notre sol. On objecte que l'invasion pourra prendre à l'avenir une route différente de celle qu'elle a suivie en 1870. Ce n'est pas une raison pour éparpiller nos places fortes et les multiplier outre mesure sous le prétexte de lui barrer par- tout le chemin. Sans doute, il est bien des voies que pourraient prendre les Allemands pour marcher vers Paris, mais elles sont plus ou moins bonnes, et la ligne défensive de Paris à Verdun les rendra toutes dangereuses. Mon système consiste à concentrer nos moyens de défense sur une seule route puis- samment fortifiée, afin de pouvoir, à un moment donné, réunir toutes nos troupes et attaquer les communications des envahisseurs assez hardis pour s'avancer dans la Picardie ou dans la Bourgogne, à droite ou à gauche du cap formé par notre voie fortifiée. De notre temps, les impedimenta des armées ED. PIETTE. — LIGNES DÉFENSIVES DE LA FRANCE 191 sont devenus considérables par la nécessité où l'on est d'agir avec des masses énormes et de traîner derrière soi une grande quantité de munitions. C'est une raison pour qu'on cherche plus que jamais à conserver ses communications. Les Allemands doivent hésiter plus que tous autres à marcher en avant sans les avoir assurées ; car s'ils les perdaient, ils pourraient, après deux batailles, en être réduits à se battre à la baïonnette et ils ne brillent pas dans les com- bats à l'arme blanche. Je crois que les provinces de l'Est seraient beaucoup mieux protégées par mon système qui permet de se concentrer rapidement et de tourner l'ennemi, que par l'établissement de quelques forteresses dispersées sur la frontière et sur les diverses routes que pourrait suivre l'envahisseur. Vouloir défendre tout, c'est ne défendre rien. On l'a bien vu quand on a épar- pillé nos armées /en petits corps, le long de la frontière comme des postes de douaniers pour protéger toutes les parcelles de notre territoire. D'ailleurs, les lignes fortifiées qui s'étendraient de Belfort au Morvan et de Lille à Mézières, protégées par la neutralité de la Belgique et de la Suisse, pourraient aussi devenir la base d'opérations défensives qui forceraient l'ennemi à se mettre en garde de tous côtés. La première dirigée vers le centre de la France parti- cipe des avantages du rayon fortifié. Il en est de même de la seconde qui re- lie la frontière de Prusse à une région que l'invasion allemande ne peut que bien difficilement atteindre. En me voyant mal compris par M. Laussedat, je dois sans doute m'accuser de n'être pas entré dans assez de détails sur l'ensemble de mon système. Je pensais que la dernière page de mon mémoire suffirait pour empêcher de se méprendre sur ma pensée. Voici en effet ce qu'on y lit : « Qu'est-ce que les cent cinquante millions que peuvent coûter nos fortifications défensives, en y comprenant celles de Paris, quand on pense aux milliards que, par notre faute et par notre imprévoyance, nous avons été contraints de donner à nos ennemis ? Que serait-ce même que deux ou trois cents mil- lions pour créer de toute pièce notre système de fortifications offensives et défensives ? » J'admettais donc qu'il fallait à peu près autant d'argent pour créer nos fortifications offensives que pour élever nos fortifications défensives. Dès lors on ne devait pas rn'attribuer l'idée de laisser sans défense nos fron- tières de l'Est. 2° Groupe SCIENCES PHYSIQUES ET CHIMIQUES 5° & 7e Sections PHYSIQUE, MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE Président d'honneur. ... M. VAN DER MENSBRUGGHE, Professeur de physique mathématique à l'Université de Gand. Président M. TElïQUEM, Professeur de physique à la Faculté des sciences de Lille. Secrétaire M. E. MERCADIER, Ingénieur des télégraphes. M. PLASSIAED Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées en retraite. DES CORDES DU VIOLCPJ — Séance du 21 août I8~i. — lre partie. — Justesse et assortiment des cordes. La monture harmonique du violon se compose de quatre cordes de boyau dont trois sont nues et la quatrième recouverte d'un fil ou trait métallique. Ces cordes sont accordées à intervalles de quinte. La ire, nommée aussi chanterelle, soime le mi au-dessus du diapason, la 2mft — le la du diapason, la 3me^ — le ré au-dessous du la, et la 4me ou bourdon — le sol au-dessous du ré. La partie vibrante de ces cordes est comprise entre un sillet placé près des chevilles de tension, et un chevalet reposant sur le milieu de la table supérieure du violon. Justesse des cordes. — Toutes les cordes de boyau n'ont pas les PLASSIARD. — DES BORDES DU VIOLON li)3 qualités harmoniques nécessaires. La plupart sont mal calibrées, c'est- à-dire de grosseur inégale. Il en résulte que lorsqu'on les fait vibrer, les nœuds de vibrations qui se forment entre les deux extrémités iixes ne divisent pas la corde en parties aliquotes, et que les sons secondaires qui se produisent ne sont pas d'accord avec le son principal; le son rendu par la corde s'élève à mesure que son intensité diminue. Les cordes qui se comportent ainsi sont dites fausses. Lorsqu'on met un chevalet sous leur milieu, les deux moitiés ne sonnent pas à l'unis- son, et ne donnent ni l'une ni l'autre l'octave de la corde entière; si le chevalet est placé au tiers, les deux parties ne sonnent ni la quinte, ni la quinte redoublée de la corde entière. Pareille conséquence se tirerait de toute autre position du chevalet intermédiaire; d'où il suit que l'artiste exécutant, qui par la pression des doigts de la main gauche cherche à obtenir les différentes notes de la gamme, est exposé à produire des notes fausses avec de telles cordes. La mesure du diamètre est insuffisante pour reconnaître la justesse d'une corde de boyau; il faudrait faire l'opération sur toute la lon- gueur et même tout autour de chaque corde, car il doit souvent arriver que la forme en soit plus ou moins elliptique. Cette opération ne serait pas, d'ailleurs, concluante, car, par l'effet de la tension, la corde ne s'allonge pas toujours uniformément sur toute sa longueur. Les luthiers essaient les cordes de la manière suivante : ils saisissent la corde entre le pouce et l'index de chaque main, la tendent faiblement sur une longueur de 0m,30 à 0ra,40 et la font vibrer avec le petit doigt. Aucun son n'est entendu parce que la tension est trop faible; mais les vibrations, étant peu rapides, sont visibles. L'opérateur juge par leur régularité de la justesse de la corde. Outre la difficulté de bien apprécier à l'œil la régularité des vibrations, il y a dans cette méthode une cause d'erreur indépendante de l'habileté de l'opérateur. C'est que des cordes qui paraissent justes à une tension faible, mais suffisante pour donner un son bien articulé, deviennent assez fréquemment fausses lorsque leur tension est notablement augmentée. Cet effet est probablement la conséquence d'une inégalité de torsion ; mais quelle qu'en soit la cause, il trompe les prévisions basées sur la mesure du diamètre. Jusqu'à présent on n'a pas su distinguer sûrement les cordes justes des cordes fausses; les plaintes des violonistes font foi de cette assertion. Il y a pourtant un moyen facile et efficace de faire ce choix. Voici en quoi il consiste : On prend une planche de 0m,30 environ plus longue que la corde à essayer; on place à l'une de ses extrémités une cheville de tension au travers de laquelle est passée une ficelle; on attache un bout de la corde 194 PHYSIQUE. MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE à cette ficelle et l'autre bout à un clou planté à l'autre extrémité de la planche ; puis on tourne la cheville pour tendre la corde. On est muni, d'autre part, d'une planchette que j'appellerai phonoscope, sur laquelle sont fixés deux chevalets ou sillets écartés l'un de l'autre d'une distance égale à celle du sillet au chevalet du violon et portant à mi-distance des chevalets un levier ou touche, On passe le phonoscope sous la corde tendue, et l'on fait sonner la partie comprise entre les chevalets; au moyen de la cheville on règle la tension au degré qui produit le son que la corde doit rendre sur le violon. Cette tension est alors égale à celle que la corde supporterait sur le violon accordé. (Voir la note I et la planche 2.) Ce résultat obtenu on abaisse la touche intermédiaire et l'on partage ainsi en deux parties égales la portion de corde comprise entre les chevalets, puis on fait sonner ces deux moitiés. Si elles donnent l'unisson, la portion de corde essayée est peut-être juste. En cas contraire, on pousse le phonoscope vers l'une ou l'autre extrémité de la corde pour en essayer d'autres portions. Dans ce tâtonnement il arrive presque toujours, qu'après avoir obtenu le son le plus grave de la moitié de la corde située, par exemple, à gauche de la touche, un déplacement un peu considérable du Phonos- cope donne un résultat inverse. Entre ces deux positions de l'instrument il y en a une où les deux moitiés de la corde sonnent l'unisson ; le plus souvent la corde est cependant fausse. L'apparence favorable pré- sentée par cette position intermédiaire du Phonoscope est due à ce que la touche a rencontré un point à partir duquel la corde est à peu près symétrique de part et d'autre jusqu'aux chevalets. Pour que la corde soit vraiment juste, il faut pouvoir déplacer le Pho- noscope d'une quantité notable sans que l'unisson des deux moitiés comprises entre la touche et les chevalets soit altérée. Par l'étendue de ce déplacement on juge du plus ou moins de qualité de la corde. Après cet essai on fait à la corde un nœud au point convenable pour que, fixée au cordier du violon, la partie reconnue suffisamment juste tombe entre le chevalet et le sillet, et l'on retranche les extrémités inutiles. Assez généralement, d'une'corde de bonne qualité, dont le calibre a été d'abord vérifié au métrocorde, on peut tirer une tendue passable, très-rarement deux, assez souvent aucune. La tendue juste, ou à peu près, se trouve à un endroit quelconque de la corde, de sorte que si l'on coupait d'abord la corde en deux, comme on le fait communément, on trouverait presque toujours que les deux moitiés, essayées séparément, sont fausses. Ces essais de cordes produisent un grand déchet ; cependant il y a PLASSIAKD. — DES CORDES DU VIOLON 195 encore économie de temps et d'argent à les faire lorsqu'on tient a se servir de cordes justes, parce qu'ils donnent la certitude de ne pas perdre la partie juste d'une corde et qu'ils épargnent la fatigue et l'ennui d'essais incertains faits sur le violon môme, avec des cordes prises pres- que au hasard. On peut diminuer beaucoup les déchets en rendant justes les cordes qui ne sont pas très-fausses et qui n'ont pas de tare. Il suffît pour cela d'user les parties les plus grosses, c'est-à-dire celles qui, au Phonoscope, donnent le son le plus grave. La surface des cordes dût-elle être un peu altérée par ce traitement, on y gagnerait encore d'utiliser pendant un certain temps des cordes qui eussent été perdues. 11 faut bien d'ailleurs se dire que les cordes que l'on trouve dans le commerce ont été presque toutes usées et plus ou moins polies par les fabricants, et que ce qu'ils font au hasard n'est pas plus dangereux à faire avec discernement, pourvu qu'il n'y ait pas trop de matière à enlever. (Note II.; Assortiment des cordes. — La grosseur des cordes n'est pas indiffé- rente : plus une corde est grosse ou lourde, plus il faut la tendre pour la monter à un son déterminé. Des cordes trop tendues fatigueraient le violon et en accéléreraient la ruine ; des cordes trop faibles ou peu ten- dues ne produiraient pas assez de son. Les luthiers et beaucoup d'artistes et d'amateurs font l'assortiment des cordes au moyen du métrocorde. C'est un petit instrument composé de deux lames de métal formant un angle très-aigu dans lequel on pré- sente les cordes ; on juge de leur grosseur par la profondeur à laquelle elles y pénètrent. Des divisions gravées sur le bord de l'ouverture angu- laire servent de repère. Ce procédé peut suffire dans la pratique ; mais il suppose qu'on a acquis par des expériences préalables la connaissance des divisions auxquelles doivent s'arrêter les cordes. Ce qu'il est essentiel de connaître, c'est la tension des cordes lors- qu'elles sont montées et accordées sur le violon, puisque c'est de cette tension que dépend l'intensité du son qu'on en tirera. Le métrocorde ne peut l'indiquer qu'indirectement. Il ne dispense pas d'ailleurs des essais de justesse, et, si l'on fait ces essais par la méthode que j'ai indi- quée, il suffira d'attacher un dynamomètre au clou planté au bout de la planche ou métier d'essai et d'y accrocher la corde de boyau pour connaître en même temps et directement la tension qu'elle aurait sur le violon. (Note III.) Pour opérer avec le dynamomètre, la mesure préalable pour le métrocorde sera toutefois utile, parce que, donnant l'indication approxi- mative de la tension, elle dispensera de dérouler et de tendre beaucoup de cordes dont la grosseur ne pourrait convenir au violon qu'il s'agit 190 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE de garnir. Mais alors, au Hou de tracer sur le métrocorde des divisions équid istantes, il serait préférable d'y marquer les tensions qui correspon- dent à quelques-unes des grosseurs des boyaux employés habituellement. Les vibrations des cordes sont transmises à la table du violon par l'intermédiaire du chevalet sur lequel elles s'appuient en formant un angle. Cet angle étant à peu près le même pour les quatre cordes, il s'ensuit que chacune communique à la table une même fraction de sa propre tension, et que ces pressions sont, par conséquent, entre elles, dans le même rapport que les tensions. Cette circonstance a fait penser à beaucoup de personnes que les quatre cordes devraient avoir même tension, mais cette opinion est con- tredite par les luthiers et par les artistes soigneux du choix de leurs cordes. D'autres, pour se rapprocher de la pratique, mais voulant une loi simple, ont supposé que les différences de tension de deux cordes con- sécutives devait rester la même (note IV); mais ce n'est là qu'un prin- cipe empirique. Il est bien plus rationnel d'admettre que la rapidité d'exécution sur le violon, que le fréquent passage d'une corde à une autre et le jeu sur double corde exigent que l'archet ne rencontre pas plus de résistance sur une corde que sur une autre, c'est-à-dire que le travail soit le même pour obtenir le son des quatre cordes. Pour cela le rapport des tensions de deux cordes consécutives doit être égal à la racine carrée de leur intervalle musical ou à \ ,! , puisque pour le violon cet intervalle est une quinte. (Note V.) D'après cette loi et en partant d'un sol ou bourdon tendu à 4kil,5, comme les exécutants paraissent les préférer, on aurait pour les tensions d'une monture de force moyenne : Sol Ré La Mi 4kil,o0 okil,51 Ckil,7o 8kil,26 ensemble 25kil,02 et pour une monture forte : Sol Ré La Mi 5kil,00 Gkil, 12 7kil,50 9kil,18 ensemble 27kil,80 La loi que je viens d'énoncer pour les tensions ne donne que l'éga- lité de travail de l'archet sur les quatre cordes ; elle ne tient pas compte de l'intensité des sons qui est en proportion de l'amplitude des vibra- tions communiquées à la table du violon par le chevalet. Les intensités des sons produits par les quatre cordes seraient donc inégales comme leurs tensions, si le violon était symétrique à l'intérieur comme il l'est à l'extérieur. Mais il n'en est pas ainsi. Presque sous le pied de droite du chevalet, du côté de la chanterelle, ELASSIARD. — DES COUDES DU VIOLON 107 qui est la corde la plus tendue, se trouve un petit bâtonnet, nommé âme, qui va d'une table à l'autre. Il est comme un pilier entre elles. Sous l'autre pied du chevalet il n'y a pas de pilier, mais seulement une barre longitudinale collée à la table supérieure et qui, suivant la force qu'on lui donne, rend cette table plus ou moins rigide. On conçoit que la force de cette barre rétablisse l'égalité des vibrations malgré les tensions iné- gales des cordes. Les grands luthiers de la fin du xvne siècle et du com- mencement du xviii6 avaient atteint ce résultat. Quand la table du violon est collée sur les éclisses, on ne peut plus retoucher la barre sans détabler. Il est donc utile qu'il y ait à l'extérieur du violon un moyen de rectification au cas où la barre n'aurait pas exactement la force convenable. Ce moyen existe en effet, mais d'une manière très-limitée. Lorsque la barre est un peu trop forte, ce qui affaiblit les sons des cordes basses, ou exhausse un peu le chevalet sous ces cordes, ce qui, en rendant leur angle plus aigu, augmente leur pres- sion sur la table. Lorsque la barre est trop faible, on raccourcit l'âme, ce qui permet à la table de s'abaisser un peu et bande la barre comme un ressort que l'on courbe; on obtient le même résultat en poussant légèrement l'âme vers le milieu du violon où les tables sont plus écartées à cause de leur courbure, mais à la condition que les sons ne perdent pas de leur qualité. La quatrième corde du violon, le bourdon, pourrait être de boyau nu comme les trois autres, mais elle serait plus grosse et moins tendue que la troisième et rendrait des sons faibles et sourds. On a évité ce grave inconvénient en employant un boyau plus mince, de la grosseur d'une chanterelle, sur lequel est enroulé un fil ou trait de métal qui en aug- mente le poids et fait baisser le son. La troisième corde, ré, se trouve alors entre deux cordes plus minces qu'elle et qui sonnent avec plus d'éclat. On pourrait la filer comme la quatrième, ce qui rendrait les sons du violon plus homogènes (note VI). Divers essais isolés de cette substitution ont déjà été faits. La longue pratique des luthiers leur a indiqué les grosseurs de boyau et de trait métallique convenables pour faire un sol ou bourdon de vio- lon, mais comme ils n'ont pas de moyens précis de mesurer les ^cordes de boyau, et qu'ils s'en rapportent au numéro que portent les bobines de trait dans le commerce, ils ne sont pas sûrs de reproduire à volonté le même résultat. Leurs erreurs sont quelquefois considérables. Les principes .de l'opération vont être exposés dans la deuxième par- tie, ci-après. 108 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE 2e Partie. — De la quatrième corde ou bourdon. La quatrième corde du violon, ainsi qu'il a été dit plus haut, est filée, c'est-à-dire enveloppée d'un trait ou fil de métal. Pour qu'elle soit juste, il faut que le boyau qui en est l'âme soit juste lui-même, car il est évident qu'avec une corde mal calibrée, les spires de métal auraient plus de longueur sur les parties grosses que sur les parties minces, et que le poids additionnel serait inégalement réparti dans la longueur de la corde. La justesse du boyau n'est pas la seule condition à remplir : les cor- des de boyau sont très-élastiques; elles s'allongent beaucoup lorsqu'on les tend, et l'allongement augmente avec la tension. Si on filait une corde à faible tension, elle éprouverait, plus tendue sur le violon, un allongement et en môme temps un amincissement qui auraient pour conséquence l'écartement des spires l'une de l'autre et de la surface du boyau. Le trait deviendrait flottant et roulerait sur le boyau lorsqu'il serait attaqué par l'archet. Il en résulterait un retard dans la production du son et un bourdonnement accessoire désagréable. Le résultat serait le même, si on iilait sur un boyau humide, parce que, en séchant, il s'amincirait. On ne doit donc filer les cordes que par un temps sec et qu'après les avoir soumises pendant plusieurs jours à une tension un peu supérieure à celle qu'elles supporteront sur le vio- lon, et jusqu'à ce que leur son ne baisse plus. Mais si, par crainte des inconvénients que donne une tension trop laible, on tend trop fortement le boyau pendant le filage, on arrive en- core à un mauvais résultat : la corde se trouvant ensuite moins tendue sur le violon et, par conséquent moins allongée qu'au moment de la fabrication, comprime par sa contraction élastique les spires de métal l'une contre l'autre; les vibrations ne sont pas libres, les harmoniques du son fondamental se produisent difficilement, et les sons prennent de l'analogie avec ceux d'une verge rigide. Enfin, pendant le filage, la compression du trait qui s'enroule amincit un peu le boyau qui, par compensation, s'allonge. Il faut donc que le tour à filer soit construit de telle sorte que la tension puisse rester constante. Ce que je viens de dire montre que les bourdons doivent être filés à une tension égale à celle qu'ils supporteront sur le violon. Les luthiers soigneux cherchent à remplir toutes ces conditions pour les cordes de choix, mais ils le font vaguement; d'abord, parce qu'ils paraissent mal renseignés sur la tension des cordes du violon ; ensuite, parce qu'ils n'ont pas le moyen de connaître d'avance à quelle tension sonnera sol un bourdon formé d'un boyau et d'un trait métallique donnés. Je vais chercher la mesure de cette tension. PLASSIARD. — DES CORDES DU VIOLON 199 Soient: n le nombre de vibrations que fait une corde par seconde; / la longueur de cette corde entre les sillets; m sa masse; t sa tension ; p le poids de l'unité de longueur de la corde ; g l'action de la pesanteur. On aura entre les quantités n, m, I, t, la relation suivante qui a été établie par Sauveur au commencement du siècle dernier : n» = — / m l p ou bien en remplaçant m par son équivalent — — «• = ^x('a) g est une quantité constante, l est aussi constant, car il varie assez peu d'un violon à un autre pour que les différences ne puissent influer au point de vue pratique. L'équation ( A ) ne contient donc que trois variables n, l, p, qui se réduisent à deux, lorsqu'on considère un son déterminé : le la du dia- pason, le sol que rend le bourdon à vide, ou toute autre note de la gamme, puisqu' alors n est invariable comme ce son. Pour un son déterminé, l'équation ( A ) est donc du premier degré entre les variables p et t et représente une ligne droite passant par l'ori- gine des coordonnées ; les valeurs de la tension t pourront être prises pour ordonnées, et celles du poids p de l'unité de longueur de la corde pour abscisses. Que l'on construise les lignes droites représentées par cette équation pour une série de sons donnée, pour les notes de la gamme, par exemple, et qu'on écrive sur chacune la valeur correspon- dante de n, ou, ce qui est préférable et revient au môme, le nom de la note à laquelle elle appartient; on obtiendra une figure comme celle ci-contre qui permettra de résoudre avec la plus grande facilité les questions relatives aux cordes du vio- lon, celle-ci entre autres : étant donnés le poids par mètre d'une corde et le son qu'elle doit rendre, à quelle tension sera- t-elle portée sur le violon? Pour obtenir la solution, on portera sur l'axe des poids une longueur Ap proportionnelle au poids de la corde, et on élèvera la perpendicu- 5 ï ■a (hu- lies peids - \/C, + v + p" + m v'I / o o 0_ 0 Le poids de l'unité de longueur de la corde filée étant obtenu, on 204 PHYSIQUE. MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE passe à la tension au moyen de la formule (F), comme dans le cas du fi- lage à un trait; mais les associations possibles de deux, ou de trois traits étant très-diverses, on ne peut prévoir celles qui se présenteront, ni pré- parer par prévision des tableaux graphiques. (Pour la manière de calculer les formules à plusieurs traits, voir la note VII.) Données numériques. Diapason. — J'avais d'abord adopté dans mes calculs le nombre de 882 vibrations par seconde pour le la que sonne à vide la deuxième corde du violon. C'était un nombre moyen entre les divers diapasons alors en usage. Mais un arrêté ministériel en date du 16 février 1859 a levé toute incertitude sur ce point en fixant à 870 ce nombre, qui est devenu obligatoire pour tous les orchestres qui dépendent d'un départe- ment ministériel et, par conséquent, pour les musiques militaires, ce qui oblige successivement presque tout le monde à s'y conformer. J'ai refait mes calculs en prenant pour base le diapason officiel : Longueur de corde vibrant sur le violon. — D'après 31. Vuillaume, le très-habile luthier de Paris, la longueur de corde comprise entre le sillet et le chevalet du violon est de 1 pied 2 lignes ou, en mesure mé- trique, 0"',329o. Pour mes calculs, j'ai adopté 0m,33. Sur un violon de Bergonzi, que j'ai mesuré, elle n'était que 0n,,326, et sur un autre violon sans nom d'auteur elle atteignait 0m,333. Les mêmes cordes placées successivement sur ces trois violons y au- raient les tensions suivantes : Bourdon 3e corde. 2'' corde. Chanterelle. Sur un violon, de M. Vuillaume. . . kil. 4.50 kil. 5. 51 kil. 0. 75 kil. 8.26 Sur le violon do Bergonzi. • . . . . 4.39 5.38 6.58 8.06 4 . 57 li.GI 6.87 8.41 D'aussi faibles différences ont peu d'importance en pratique, et d'autant moins qu'elles n'altèrent pas les rapports de tension des cordes. Poids de 1 mètre de longueur de corde en fonction de la tension. — De la formule (A), page 199, on tire la valeur de un mètre de longueur de corde p = - — ; /- ri- où g, action de la pesanteur, à Paris, vaut 9,n, 80944 et l, comme je viens de le dire, — 0'",33 Portant ces nombres dans la valeur de p, on obtient : p = 90,08 — (G) ' ri1 PLASSIARD. — DES CORDES 1>U VIOLON 20i> En remplaçant successivement n par les valeurs inscrites dans les 2e et oe colonnes du tableau ci-après, on obtient en fonction de t les valeurs de p des 3'' et 0'' colonnes, où p et t sont exprimés en grammes. Pour chaque valeur de n, l'équation (G), représente une ligne droite, passant par l'origine des coordonnées ; il suffît de déterminer un second point de chacune pour tracer le premier des tableaux graphiques de la planche 2, qui a été réduit à la partie utile d'une épure complète. SONS Nombre de vibrations par seconde tempéram. égal. Poids de 1 mètre de corde montée au ton. SONS Nombre de vibrations par seconde tempéram. égal. Poids de 1 mètre de corde montée au ton. n P n P Soi (Bourdon). . . t 387.34 0 t 10000 La (2e corde). . . 870.00 1.190 10000 Ré (:!c corde). . . 5S0.C5 2.672 , 10000 Lutf ou sib . . . 02 1 . 7.3 t.ooo t 1000O Ré# ou mib . . . 615.16 2.3S0 f 10000 956-54 0.045 10000 0-842 , 10000 001.70 2.120 10000 ut 1034.61 Fa 690.53 ,.s,„ t toooo Ut# ou réb . . . 1 090 . 1 3 0.750 f 10000 Fafr ou solb . . . 7,1 1 . 63 1.0,3 t 10000 Ré 1101.31 0.608 ( toooo Sol 775.08 I . soo 10000 Ré# ou mib . . . 1230.37 0.595 t 10000 Sol# ou lab . . . 821.17 t. 3.30 toooo Mi 1303.53 0.530 t 10000 Fils métalliques ou traits. — Les traits que l'on emploie, presque exclusivement, pour filer les cordes, sont de cuivre argenté. Le poids spécifique des fils de cuivre est donné dans toutes les tables de poids spécifiques ; il est de 8,8785. Pour les fils argentés, qui doivent être un peu plus lourds, j'ai pris 8,88. Les poids de 1 mètre de fil portant le même numéro, sont quelquefois assez différents, comme le montrent les résultats suivants de pesées que j'ai faites. Poids de l mètre . \'° Il N° 12 N° 14 N» 15 N" 16 N» 17 N° 19 N* 20 gr. 0.608 gr. 0.395 g>". 0.250 gr- 0.150 gr. 0.110 gr- 0.075 gr. 0 . 000 gr- 0.07 4 0.678 0.430 0.200 0.185 0.120 0.095 0.006 0.752 0.465 0.200 0.212 0.125 0.133 0.139 0.105 206 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE Les écarts considérables de ces nombres montrent qu'on ne peut pas s'en rapporter au numéro que portent les bobines, et qu'il est indispen- sable de peser une longueur plus ou moins grande de trait, suivant sa finesse et la précision de la balance dont on dispose, pour en déduire le poids de 1 mètre. Les plus grands écarts proviennent des différentes fabriques où ont et étirés les traits. S'ils ont un inconvénient, que la balance fait disparaître, ils ont l'avantage de faciliter un assortiment : il suffît pour cela d'a- cheter des traits portant même numéro chez différents marchands. Les traits de cuivre argenté forment une série dont le numéro le plus élevé est le numéro 20. Pour les bourdons de violon on emploie presque toujours le numéro 16. Les fils d'argent que l'on étire pour la passementerie sont au titre de 975 , 980 _ . . . ,. * tttttt: a — — — Je ne connais aucune détermination directe du poids 1000 1000. spécifique de ces fils. En comparant les nombres connus pour l'argent , , , „ , . ,951 . 900 . _ , . tondu et 1 argent forge, pur, a t— — et à ; — - i ai ete conduit a adopter ° v 1000 1000, J pour les fils de passementerie le poids spécifique 10,5. Le numérotage des traits d'argent n'est pas le même que celui des traits de cuivre. Ils forment une série qui, en commençant par les plus gros, porte les numéros suivants : 1, 1 1/2, 2, 2 1/2... 8,8 1/2; puis les fils plus fins qui continuent la série sont marqués 1P, 1P 1/2, 2P, 2P 1/2... 6P. Quelques échantillons m'ont donné les résultats suivants : Poids de i mètre. N° 5 gr. 0.303 N° 7 g''- 0.131 0.H5 li. 152 N° T'/o gr. 0.1255 N° 8 gr. 0.117 N" 1 Pl/> gr. 0 . 0'.lO N° 3Pl£ gr- 0.055 N- k P l/2 gr- 0.0-10 N°5 P gr. 0.02G La grosseur du n° 7 est à peu près la même que celle des traits de cuivre n° 16. Le poids spécifique des traits de platine est 21,04. Je ne crois pas qu'ils soient numérotés en série comme ceux de cuivre et d'argent. Je n'ai pu me procurer de traits d'aluminium. Us seraient fort conve- nables, associés aux traits de cuivre ou d'argent, pour filer les ré de violon d'alto et de violoncelle. J'ai cru pouvoir conclure des poids spé- cifiques connus de l'aluminium à différents états que les fils doivent avoir pour poids spécifique 2,6. PLASSIAIID. — DES CORDES DU VIOLON 207 Faute do fils d'aluminium, j'ai employé des traits de fer. Ce métal étiré en fils très-fins conserve assez de ténacité pour filer des cordes. Les fils pesant 0,02 gr. seulement sont plus solides que ceux d'argent de 0,04. Le poids spécifique des traits de fer est 7,8. Poids spécifique des cordes de boyau. — Le poids spécifique des cordes de boyau non tendues est approximativement 1,3; mais la ma- tière en est tellement hygrométrique, que ce poids varie avec l'état de l'atmosphère. Ce chiffre est d'ailleurs peu important à connaître, puisque ces cordes ne s'emploient que tendues et que la tension, en les allongeant, change probablement leur poids spécifique en rapprochant leurs fibres tendues en hélice. Dans les cordes filées, la densité est encore augmentée par la compression du trait. C'est à l'état de corde tendue et filée qu'il est intéressant de connaître le poids spécifique du boyau, puisque le nombre qui le représente entre dans la composition de la formule (E) (page 201), où il est désigné par la lettre ô (note Mil). Pour l'obtenir, j'ai coupé des tronçons de cordes filées ; j'en ai me- suré la longueur et je les ai pesés ; puis j'ai pesé séparément le boyau et le trait qui les formait, et j'ai introduit ces poids dans la formule (E) d'où j'ai extrait la valeur de o. Pour les bourdons de violon filés à la main, j'ai trouvé § = 1,64. Mais cette valeur peut varier, on le conçoit, avec l'effort que l'on fait pour retenir le trait qui s'enroule et le serrer sur le boyau. En outre, elle augmente quand on file sous une trop forte tension, et diminue quand la tension est trop faible. Pour régulariser la pression du trait sur le boyau et pour rendre in- variable la direction suivant laquelle le trait se présente à l'enroule- ment, je me sers d'une pince dont une des mâchoires est en bois et reçoit les premières spires, filées à la main, dans une entaille où s'im- prime, dès le début de la rotation, un écrou suffisant pour faire avancer la pince ; l'autre mâchoire est une roulette d'acier portée par un ressort. La direction du trait est assurée par des épingles plantées dans un morceau de liège fixé à la mâchoire en bois. La valeur de 8 varie encore avec la grosseur du trait et selon qu'on file à un ou à plusieurs traits; mais on peut se servir avec confiance des valeurs données ci-après parce que je les ai trouvées invariables dans les circonstances pour lesquelles je les indique. Sol de violon ou d'allo filé avec : Un seul trait de cuivre argenté ou d'argent 2=1,85 Deux ou trois traits de cuivre argenté ou d'argent c=l,70 Un ou deux traits de cuivre argenté ou d'argent et un de platine. o=l,C5 Ré de violon ou d'alto filé avec : 208 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE Un seul trait de fer c= l ,(30 Deux traits de fer c=l ,55 TJt d'alto filé avec un seul trait de platine 0=1,85 Toutes ces valeurs de o supposent que le filage est l'ait avec une pince analogue à la mienne, produisant sur le trait une pression de lUil,3o. Allongement des cordes de boyau. — Les cordes de violon s'allongent par l'effet de la tension. La quotité de cet allongement, pour une même tension, varie avec la grosseur de la corde et avec le degré de torsion donné par le fabricant. On peut prévoir qu'il est rarement uniforme sur toute l'étendue d'une corde, puisque le calibre n'en est que rarement uniforme et que la torsion doit être inégale comme le calibre. Sur neuf boyaux de 3e corde, ré du violon, l'allongement produit par la tension qui faisait sonner ré à une longueur de 0m,33, a varié de 0,03, 0,05 et a été en moyenne de 0,045. Treize boyaux de 2e corde, montés au ton de la pour une longueur de 0m,33, se sont allongés d'une quantité variant entre 0,05 et 0,11 de leur longueur avant tension, et en moyenne de 0,08. Quatorze boyaux de chanterelle se sont allongés de 0,095 à 0,125 et en moyenne de 0,103 de leur longueur primitive, mesurée à l'état lâche, quand on les a tendus au point qu'une longueur de 0m,33 rendît la note mi. Des expériences en plus petit nombre m'ont indiqué qu'une 2e corde montée au ton de la pour 0"',33 de longueur, lorsqu'on l'a descendue au sol ou montée au si, a éprouvé un accourcissement ou un allonge- ment de 0,013 de sa longueur au ton de la. Une corde de chanterelle, en descendant du mi au ré, s'est raccourcie de 0,009, et en descendant au si de 0,030. Quoique la tension ne varie pas pendant le filage, les cordes éprou- vent un allongement graduel a mesure que la longueur filée augmente, de sorte que le poids primitif du boyau se trouve réparti sur une plus grande longueur; après l'opération, le poids de 1 mètre de boyau filé est donc moindre qu'à l'état nu sous la même tension. Cet allongement que j'ai mesuré dans différentes circonstances est en moyenne : 1° pour le sol de violon ou d'alto filé avec un trait de cuivre ou d'argent, 0,01 ; pour le sol de violon ou d'alto lilé avec un trait de platine associé avec un trait de cuivre ou d'argent, 0,005 (les traits sont plus lins que dans le cas précédent) ; pour le ré de violon lilé avec trait de fer, 0,005. Le poids représenté par p dans la formule (E), page 201, n'est donc pas exactement celui que l'on conclut de la tension et de la note sonnée au moyen du tableau graphique; il a une valeur un peu moindre : 0,99 p ou 0,995 p, suivant les circonstances, ainsi qu'il est indiqué ci-dessus. Cette correction a été faite dans les calculs qui ont servi à établir PLASSIÀRD. DES CORDES DU VIOLON 2()9 les autres tableaux graphiques et il n'y aurait à eu tenir compte que pour les nouveaux calculs que l'on pourrait faire. Assortiment du boyau et du trait d'une corde filée. — On peut l'aire des assortiments très-divers d'une corde de boyau et de traits mé- talliques pour obtenir une corde filée à une tension donnée. Comme exemple, je suppose qu'on veuille faire un bourdon de violon sonnant sol à 4\5 de tension, en n'employant qu'un seul trait de cuivre argenté. C'est le tableau graphique n°2,pl. 2, qui devra être consulté.En y suivant la ligne horizontale qui correspond à la tension 4k,5, on rencontre d'abord la courbe du trait de 0e, 16 en un point où elle est coupée par la verticale indiquant, sur la base du tableau, un boyau de 0M23 ; puis, en continuant, un trait de 0e, 15 avec un boyau de 0^,455 ; un trait de 0g,14 avec un boyau de 0?,48o; un trait de 0g,13 avec un boyau de 0^,52; un trait de 0g,12 avec boyau de 0?,566; un trait de 0*,H avec boyau de 0S,G0. Au delà on aurait des assortiments de traits plus légers avec des boyaux plus lourds; et en deçà du tableau, qu'on aurait pu étendre, on aurait d'autres traits plus lourds avec des boyaux plus minces ou plus légers. Tous ces assortiments seraient compris entre deux limites : 1° l'une où le boyau serait trop faible pour supporter la tension de 4k,5 et ne pèserait que 0%20 environ par mètre ; 2° l'autre où le trait serait trop mince pour être mis en œuvre et se romprait soit pendant l'opération du filage, soit sous le frottement de l'archet ou des doigts de la main gauche du violoniste ; cette limite est pour les traits d'argent 0ff,04 et pour ceux de cuivre vers 0S,25 ; les traits de fer sont plus solides. Mais il y a en deçà de la limite physique la limite commerciale : on ne trouve pas dans le commerce de traits de cuivre ou de laiton plus lins que le n° 20, dont le poids, par mètre, est au moins 0,05. On ne peut en ob- tenir de plus lins que par un étirage exceptionnel et c'est un des obstacles que présente la fabrication des ré lilés pour le violon. Comme on vient de le voir, l'assortiment du bovau et du trait laisse aux fabricants une grande latitude; mais ils n'en abusent pas, car la pratique les a amenés à filer les bourdons du violon sur boyaux de chanterelle avec trait de cuivre argenté n° 16 ; et, comme les boyaux de chanterelle varient de 0S,40 à 0^,55, et les traits n° 16 de 0g,110 à 0S,139, il leur est possible de faire des bourdons de violon sonnant sol depuis la tension de 3k,6 jusqu'à celle de 4\8. Pour obtenir un bourdon plus tendu à l'accord, ils doivent prendre un boyau plus gros ou un trait n° 15 ; mais comme ils ne pèsent jamais les traits, et ne mesurent les boyaux qu'au métrocorde ; que ces boyaux sont presque toujours faux et par conséquent mal calibrés, on peut dire que la fabrication des bourdons se fait presque au hasard. 210 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE Dans les circonstances ordinaires, il convient de prendre un boyau pesant par mètre autant de centigrammes qu'il y a d'hectogrammes dans la tension du sol à obtenir (notes VI et IX). Ainsi pour un bourdon à la tension de 4\o ou 4o hectogrammes, on prendra un boyau de 0?,4o ou 45 centigrammes ; pour un bourdon à S kilog. un boyau de 0%50. Mais comme on n'a pas toujours un boyau du poids exact, ni le trait du poids qu'il faudrait, on prend ceux qui s'écartent le moins du poids requis et dont l'assortiment donnera au sol la tension la plus rapprochée de celle qu'on s'est fixée. Lorsque, relativement à la tension, on prend pour l'âme du bourdon un boyau plus léger que celui qui vient d'être indiqué, on obtient une corde plus riche en sons harmoniques, plus éclatante, dont le timbre contraste davantage avec celui de la 3e corde, qui est toujours un peu éteint lorsqu'elle est en boyau nu. Si l'on veut amoindrir ce contraste des timbres, il convient de filer sur un boyau plus gros. Le mieux pourrait bien être, du moins pour la musique d'ensemble, de laisser à l'alto les sons couverts et mélancoliques, et de n'avoir sur le violon que des sons brillants. On atteindrait ce résultat en filant le ré, ce qui en éclaircirait le son. Applications. Rappelons d'abord les principales conditions à remplir pour obtenir des produits bons et durables : le boyau doit être de bonne qualité, il doit être juste et très-sec. Cette dernière condition permet rarement de filer une corde au mo- ment où l'on vient de l'ajuster. Aussitôt que la justesse est obtenue, on met à la corde une étiquette indiquant la tension a laquelle elle a sonné une note connue, par exemple : si à 4k,75', ou, ce qui revient au même, le poids par mètre qui y correspond sur le tableau n° 1 pi. 2 : p = 0s,4o ; puis on la tend à un degré un peu supérieur à celui du fi- lage futur. Le dispositif qui paraît le plus commode pour cette tension prolongée consiste en un coffre de bois mince, long de 0m,55, muni à l'une de ses extrémités d'un cordier analogue à celui de la guitare, et, à l'autre ex- trémité, d'autant de chevilles qu'il y a de trous ou de fentes au cordier. On y tend la corde en plaçant au-dessous deux petits chevalets que l'on espace de 0m,33, et l'on augmente la tension jusqu'à ce que la corde sonne ut, c'est-à-dire un demi-ton au-dessus de si, cette dernière note étant celle qui se rapproche le plus de celles' que sonnent, dans les con- ditions ordinaires de la pratique, les cordes montées à la tension à la- quelle on doit les filer. Comme un luthier a toujours un diapason sous la main, il peut simplifier en augmentant la distance des chevalets et PLASSIARD. — DES CORDES DU VIOLON 211 la portant de 0m,33 à 0'\393; il suffira alors de monter la eorde au la du diapason; car elle sonnerait ut pour une longueur de 0m,33 entre les chevalets. On vérifie de temps en temps l'accord et l'on ne file que lorsque le son ne baisse plus et par un temps sec. Pendant ce délai, les cordes perdent un peu de leur poids par extension et dessiccation. Il convient donc, lorsqu'on les monte sur le tour à filer, de les faire sonner sur le phonoscope et de noter la tension à laquelle elles sonnent la note si qui a déjà servi au premier essai. On trouve presque toujours une tension un peu moindre que la première fois, c'est-à-dire que le poids par mètre a un peu diminué. Supposons que cette dernière épreuve ait donné si à 4k,7o; sur le tableau n°4, pi. 2, on suivra la ligne horizontale qui passe à cette hauteur jusqu'à la rencontre de la ligne oblique portant l'indication s/, puis on descendra verticalement jusqu'au bas du tableau, où l'on tombera à la cinquième division au delà de 0S,4, ce qui indiquera que la corde pèse 0S,45 par mètre. Supposons que le trait de cuivre argenté que l'on veut enrouler sur ce boyau pèse 0*,14 par mètre. A quelle tension devra-t-on filer? Si l'on ne doit employer qu'un seul trait, on se servira du tableau n° 2 pi. 2. On prendra à la base du tableau 0g,4o et l'on suivra la verticale jusqu'à la rencontre de la courbe portant l'indication 0^,14. La ligne horizontale passant par ce point montrera, à gauche du tableau, que la tension du filage doit être 4k,33. C'est à cette même tension, si l'on a bien opéré, que la corde essayée au moyen du phonoscope sonnera sol . N'oublions pas. toutefois que le filage est supposé fait avec une pince dont une mâchoire est de bois, l'autre une roulette d'acier portée par un ressort produisant sur le trait une pression de lk,35. Si la tension pendant le filage avait été moindre que 4k33, la corde filée aurait sonné sol à une tension plus grande, et inversement si le filage avait été fait à une tension supérieure à 4k,33; on aurait obtenu la note sol à une tension moindre. Mais on peut penser que la tension 4k,33 est trop faible et que le vio- lon à garnir demande une tension plus forte. On pourrait alors em- ployer un trait de 0,15" qui donnerait un bourdon sonnant sol à 4k.50 ; et si l'on n'a pas de trait de 0^,45, on a encore la ressource de filer avec deux traits de 0,14, car il est facile d'en obtenir un second de ce poids en portant sur une bobine vide une partie du trait de la bobine que l'on possède. Il faudrait alors se servir du tableau n° 3 pi. 2, où l'on trouve, en suivant la marche qui vient d'être indiquée, que l'on doit filer à 4k,45; et la corde obtenue sonnera sol à cette même tension 4k,45. La question peut se présenter autrement : on a du trait de 0?,1S en 212 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DE GLOBE cuivre argenté et l'on veut faire un bourdon sonnant sol à la tension de5k,00. Quel boyau faudra-t-il prendre? Sur le tableau n» 2, pi. 2,1a ligne horizontale qui correspond à 5k,00de tension coupe la courbe du trait de 0?,lo en un point d'où l'on descend par une verticale sur la base du tableau à la sixième division au delà de 0?,o. c'est-à-dire que le boyau à prendre pour iiler à un seul trait doit peser 0*,56 par mètre. Le tableau n° 1 pi. % montre que ce boyau sonnerait si\> à la tension de 5k,2o. Mais ce boyau est un peu fort. Pour pouvoir en employer un plus mince qui donnera plus d'éclat à la corde filée, nous filerons à deux traits et nous chercherons sur le tableau n° 3, pi. 2, qui indiquera que, l'on doit prendre un boyau de 0*,525 qui sonnera si[> à 4k,9o de tension. NOTE I (page 194). L'explication donnée dans le mémoire suffit pour faire comprendre l'opéra- tion, mais il faut un appareil mieux disposé pour opérer commodément. 11 se compose d'un colî're léger de 2 mètres de longueur sur 0ra,08 de largeur et 0m,06 de hauteur; la corde y est tendue à 0"',02 au-dessus de la surface supé- rieure pour faciliter le passage du phonoscope. Plusieurs trous percés dans la face supérieure permettent de rapprocher ou reculer l'arrêt (le clou) auquel est attaché un bout de la corde à essayer suivant que cette corde est plus ou -moins longue. A l'autre extrémité du coflrc, au lieu d'une simple cheville de tension, il est bon d'avoir deux trous, l'un pour recevoir un point d'attache, et l'autre pour la cheville de tension. Une ficelle va du point d'attache à la cheville de tension en passant sur une poulie à la chape de laquelle on accroche la seconde extrémité de la corde. On empêche par ce dispositif la corde de se détordre lorsqu'on la tend. Un certain nombre d'appareils complets comprenant le coffre ou métier de tension, un phonoscope de 0m,33 pour violon, un second phonoscope plus court servant à la recherche des inégalités courtes que le premier n'indique pas avec assez de précision, un métrocorde divisé de manière à indiquer les ten- sions des cordes de boyau lorsqu'elles seront montées à l'accord sur le violon, et un frottoir pour calibrer les cordes ont déjà été construits par M. Knout, horloger, rue des Fontaines, n° 28, à Lorieot, qui vend le tout 40 francs. Le phonoscope est aussi compris dans le catalogue d'instruments d'acoustique de M. Kœnig, rue Hautefeuille, nn 30, à Paris. NOTE 11 (page 195). Pour user les cordes, je me sers de papier à émeri n° 6, que l'on trouve chez tous les quincailliers. Le papier de verre est trop rude et coupe fréquem- ment les fibres du boyau. PLASSIAUD. — DES CORDES DU VIOLON 213 J'ai longtemps usé à sec, mais souvent les cordes devenaient pelucheuses. En mouillant d'huile, l'opération se fait bien. Pour calibrer une corde en l'usant on peut tenir le papier dans ses doigts, mais il faut plus de soin et d'habileté. 11 vaut mieux le tenir dans une pince ou frottoir composé de deux planchettes parallèles dont on règle la distance au moyen d'une vis à pas très-fin; on est plus certain de n'user que les parties trop grosses de la corde sans mordre dans 1< s parties minces. NOTE 111 (page 195). Le dynamomètre n'est pas compris dans le prix de 40 francs indiqué à la fin de la note I. Celui dont je me sers est composé d'un ressort à boudin placé dans un tube de laiton, comme certains pesons du commerce. Il a 0m,30 de longueur et peut donner la tension jusqu'à 11 kilogrammes. Les divisions d'hectogrammes sont espacées d'environ 1 millimètre. Lorsqu'il s'agit de tensions supérieures à 11 kilogrammes, comme pour les cordes de violoncelle, au lieu d'attacher le dynamomètre directement à la corde harmonique, je l'attache au point d'arrêt, près de la cheville de tension, et j'y accroche la ficelle, qui passe ensuite sur la poulie mobile dont la chape reçoit, l'extrémité de la corde harmonique ; alors la tension de la corde harmonique est double de celle qui se lit directement sur le dynamomètre. NOTE IV (page 196). Voir dans la Chélonomie ou le Parfait Luthier, rédigé d'après des notes du luthier Lupot par l'abbé Sibire, 1806, où la monture proposée pour type a les tensions suivantes : Sol Ré La Mi Liv. Liv. Liv. Liv. 13 15 17 19 ensemble : 64 liv. G\36 7k,34 Sk,32 9k,30 ensemble : 31k,32 L'article Violon du Dictionnaire technologique a donné les mêmes chiffres qui probablement avaient été copiés dans le Parfait luthier, ou provenaient de la même source. M. Fétis, dans un livre intitulé Stradivarius, dont la plupart des matériaux ont été fournis par l'habile luthier M. Yuillaume, qui s'en est fait l'éditeur en 1856, dit que Tartini a trouvé, en 1751, pour la somme des tensions des quatre cordes de son violon, 63 livres. Tartini habitait Padoue dès 1721 et y a publié en 1859 son Traité de mu- sique. 11 a dû se servir des poids en usage dans cette ville. Il y avait à Padoue deux livres : la libra grossa valant -479 grammes, et la libra sottile valant. 340 grammes. 63 livres équivalent, par conséquent, soit à 30k,2, soit à 21 k, 4. Le diapason a monté de 810 vibrations en 1710 (Sauveur), à 898 en 1856 (Lissajous). En supposant que le diapason de Tartini battît 815 vibrations, les mêmes cordes, qui ont servi à son expérience, montées au diapason de l'Opéra de Paris en 1856, donneraient pour somme de leurs tensions soit 37k,4, soit 26k,5. Le premier de ces nombres ne me paraît pas admissible, eu égard aux montures en usage aujourd'hui. C'est donc la libra sottile qu'a employée Tar- 214 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE tini. Ses cordes avaient donc la môme grosseur que celles qu'on emploie en- core, car les deux exemples de montures proposés à la page 19G du présent mémoire donnent pour somme des tensions 25k,02 et 27k,80, nombres entre lesquels se trouve compris celui de Tartini, en supposant ses cordes montées au diapason de l'Opéra en 1856. La confusion qui s'est faite sur les tensions me paraît provenir de ce que ceux qui les ont citées ne se sont pas doutés que la livre employée par Tartini était différente de la livre française. Je regarde comme très-probable qu'on n'a pas répété l'expérience de Tartini et qu'on a accepté sans examen son chiffre de 63 livres. Les nombres 43, 15, 17, 19, ensemble 64 livres, que donne le Parfait Lu- thier, viennent de ce qu'on a voulu avoir des différences de tensions égales et en même temps des nombres ronds. Le total s'est trouvé d'une livre plus fort que celui de Tartini. Je le répète, l'erreur provient de la différence entre le libra sottile de Padoue et la livre française, car, d'après le Parfait Luthier, la tension du bourdon (sol) devrait être 6k,36, et aujourd'hui que la tension des cordes est plus forte que du temps de Tartini, les bourdons à la tension de 5k,00 sont regardés comme trop raides, et on préfère généralement ceux dont la tension n'est que de ik,5. NOTE Y (page 196)^ Le travail de l'archet, pour faire vibrer une corde, est proportionnel à la masse m mise en mouvement, à la tension t de la corde, et à la vitesse im- primée à la masse, vitesse qui est elle-même proportionnelle au nombre n de vibrations par seconde de temps. En représentant ce travail par Q, on aura donc : Q = K. ?». t. n K étant un coefficient qui ne varie qu'avec l'inLensité du mouvement, qui doit rester dépendant de la volonté de l'exécutant et qui, dans la question, doit être considéré comme constant. La masse m mise en mouvement est égale à la masse mi de l'unité de lon- gueur de la corde multipliée par la longueur / mise en vibration, donc, Q = K. /. m,, t. n (1) La formule de Sauveur n- = — devient en y remplaçant aussi m par lmt (2) l- m{ d'où l'on tire : /-n'2 = —, ce- qui montre que pour une corde dont la tension m ne change pas, le produit l1 n- est constant. Je reviendrai plus loin sur cette propriété. De l'équation (2), on tire / m, = j— ■„ valeur qui, mise dans l'équation (1), lui donne la forme Q = K £ (3) PLASSIARD. — DES COUDES DU VIOLON "2\T> J'ai fait remarquer tout à l'heure que lorsque la tension t ne change pas, /2 n- ne varie pas non plus ; la racine carrée l n est de même invariable ; d'où il résulte que, dans l'équation (3), le second membre est invariable et que le travail de l'archet sur une corde reste le même, quelle que soit la longueur mise en vibration, c'est-à-dire quelle que soit la position des doigts de la main gauche qui appuient cette corde sur la touche. C'est là un effet que tous les exécutants ont éprouvé sans y réfléchir, et beaucoup sans le remarquer. Je reviens à l'équation (3) pour une autre corde on aurait Q' d'où l'on tire le rapport A vide les quatre cordes du violon ont même longueur : la distance du sillet au chevalet; donc 1=1, et si l'on veut que Q' = Q, on devra satisfaire à la con- t:i n dition — -r X — - = I t1 n . : t' iH: ou bien Q — K *2 l n Q' = K fi /' n' Q' Q = t'2 l n /' n' t V n n' n et n' étant les nombres de vibrations des deux cordes par seconde, — est n l'intervalle musical des sons qu'elles produisent. Pour que le travail de l'ar- chet soit le même sur l'une et sur l'autre, il faut donc que le rapport de leurs tensions soit égal à la racine carrée de cet intervalle. Pour le violon, qui est accordé par quintes, y — = y ^ , et les tensions des quatre cordes, en commençant par la moins tendue, doivent former une progression géométrique dont la raison est y 3- ou 1,2247. C'est ainsi qu'ont été calculés les deux assortiments proposés en exemple à la page 196. Sur l'alto, les tensions des cordes suivent la même loi que sur le violon. Il n'en est plus de même sur le violoncelle. Si l'on garnissait cet instrument d'après la même règle que le violon et l'alto, on aurait avec une quatrième sonnant ut à 12 kilog. de tension une chanterelle sonnant la à 22 kilog. ; ou bien avec une chanterelle tirant 15 kilog., une quatrième sonnant ut à la ten- sion de 8k,2 seulement; tandis que, dans la pratique, on rencontre une qua- trième à 12 ou 13 kilog. avec une chanterelle à 15 kilog. Ainsi sur le violoncelle, les tensions, sans être égales, diffèrent beaucoup moins que sur le violon et l'alto. Le motif de cette anomalie est la grandeur même de la tension qui exige de plus grands efforts des doigts de la main gauche pour appuyer les [cordes sur la touche. Pour faciliter le doigté, on a sacrifié l'égalité du travail à l'archet sur les quatre cordes; mais aussi on a rendu impossible sur la quatrième l'exécution de traits qui sortent facilement sur la chanterelle. 216 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE NOTE VI (page 210). L'éclat, la richesse d'un son dépendent surtout des harmoniques qui accompagnent le son fondamental. Une corde de fort diamètre étant moins flexible qu'une corde mince, ce qui est surtout sensible, lorsqu'on agit sur une petite longueur, les harmoniques aigus qui proviennent des fractions courtes de la corde ne se produisent pas ou restent trop faibles pour ôlre perçus. Le son fondamental reste presque isolé et produit un effet un peu mélancolique, comme la troisième corde du violon. Cette grosse corde entre deux plus min- ces qui ont des sons plus brillants est une anomalie que l'oreille juge bien, mais que l'on peut faire ressortir par la comparaison de chiffres. Le tableau de la page 203 donne le poids de 1 mètre de corde en fonction de la tension. Pour les quatre cordes de la monture du violon on en tire : Sol Ré La Mi t 10Û00 t 10000 t 10000 / 10000 y G,;000 p 2,072 1,190 p 0,530 La tension spécifique d'une corde, ou sa tension rapportée à l'unité de sur- face de sa section droite, est égale à sa tension divisée par sa section ; et, comme la section, lorsque les cordes sont de même matière, est proportionnelle au poids de l'unité de longueur, la tension spécifique est proportionnelle à — . Les quatre rapports sont donc proportionnels aux tensions spécifiques des quatre cordes supposées toutes quatre en boyau nu. L'expérience a prouvé que le sol ou bourdon ne pouvait être conservé ainsi parce que le son en était trop éteint. On l'a filé et on est arrivé empirique- ment à prendre pour cette opération une corde de boyau de la groseur d'une t 10000 , chanterelle, qui, à la tension du bourdon, donne à peu près — = ■ , de sorte que la suite des valeurs de — devient P 1,000 Sol Ré La iVi 10000 t 10000 t 10000 t 10000 p 4,000 p 2,072 p 1,190 }u 0,530 en ne tenant compte, bien entendu, que de l'âme en boyau du bourdon, et sans avoir égard au trait métallique qui l'enveloppe. On voit immédiatement que dans la troisième corde (ré) la tension spéci- fique n'est pas moitié de celle de la deuxième (Ja), et surpasse de peu le tiers de celle du bourdon (sol). C'est là la cause des sons couverts de cette corde. Il n'y a pas de probabilité qu'on puisse jamais filer le la; il faut donc con , t 10000 .,-,,,, server pour cette corde— = . , _„■ ; il faut a plus forte raison renoncer a mo- r p 1 , 1 00 * difier la chanterelle. Mais on peut filer la troisième corde (ré) et porter sa tension spécifique à un taux intermédiaire entre celles du sol et du la. PLASSIARD. — DES CORDES DU VIOLON 217 Si l'on n'a que rarement usé de. ce moyen de rendre plus homogènes les sons des quatre cordes, c'est à cause des soins que demande l'opération à rai- son de la ténuité du lil de métal à employer. On y parviendrait facilement avec du trait d'aluminium, métal dont la densité n'est que 2,(3, mais je n'ai pu me procurer de trait d'aluminium assez fin. Parmi les autres métaux ductiles, le fer est le plus léger et en même temps le plus tenace. Les traits de 1er qui conviennent pour liler le M ne doivent peser que Os, 02 à 0s,O;{ par mètre. Oii peut très-bien adopter pour la tension spécifique de l'âme en boyau de la troisième corde le même nombre que pour la quatrième. Si l'on voulait prendre une moyenne entre les tensions de la quatrième et de la deuxième, il faudrait employer un trait de fer plus fin et plus difficile à mettre en m 1*1 , ioooo -, (cuvre. Il ne laut donc pas prendre — plus grand que . — — — : il vaut encore p 1 ,100 , ft( . t 10000 mieux s arrêter a — = , „,,r.. p I , 000 On aurait alors pour les tensions spécifiques d'un assortiment de quatre cordes dont deux couvertes de métal. Sol Ré La Mi t 10000 t 10000 t 10000 t 10000 "/T™ 1,000 5"" 1,000 ]7" 1,100 /7= 0,530 NOTE VII (page 204). Les formules pour cordes filées à deux et à trois traits donnent seule- ment le poids P de l'unité de longueur de ces cordes. Pour avoir la ten- sion à l'accord, on se sert ensuite de la formule (F) de la page 201, de la même manière que pour les cordes à un seul trait. Le tableau de la page 205 donne la valeur du coefficient à employer. Pour le bourdon sol du violon ce œ . , . 10000 , , , ,. ' 10000 n . . v . ., coefficient est — - — , c est-a-dire que T = — — P ; et pour la troisième corde, T 10000 D rc, onaT = — — P. Ces formules sont moins compliquées en réalité qu'en apparence. Je .vais montrer par un exemple comment il convient de procéder au calcul pour un sol de violon à trois traits. Lorsqu'on achète une bobine de trait, la première opération à faire est d'en peser une longueur suffisante pour être certain du poids de 1 mètre à 1 centi- gramme près pour les gros traits, et à 1 ou 2 milligrammes pour les plus fins. On écrit ce poids sur la bobine même ; puis on calcule une fois pour toutes y IL et p y ^, et on écrit les résultats soit sur la bobine, soit sur un tableau en regard de la valeur de p. La formule à trois traits 18 218 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOUE peut se mettre sous la forme dans laquelle D représente le dénominateur, A la somme des valeurs p v/^. pour les trois traits, et B la somme des poids, par mètre, des traits. On prépape les valeurs de A, B, D, de la manière suivante : V vf ' 6 ,Vf Platine 0.175 0,070 0,083 0,0912 0,0888 0,0967 0,0159 0,0062 0,0080 Cuivre argenté Cuivre argenté B = 0,328 A 0,0900 0,0926 0,0938 = 0,0301 ] Moyennes..) D = 0,2764 * _3,H16 D 0,276 i 11,35 On met ces nombres dans la formule, et, comme le boyau s'allonge pendant le filage de 0,01 environ de sa longueur, on remplace en même temps p par 0,99 p. 11 vient P= 0,99 p + 41,35x0,0301 + 11, 35x0,328 y0'99? P = 0,99 p + 0,340 + 3,73 y/0'99? P = 0,99 p + 0,3-40 + 2,846 \'p Pour les trois valeurs de p suivantes : p = Os, 40 on a 0,99 p = 0,396 Le deuxième terme, qui ne varie pas, est. 0,3i0 Le troisième terme donne les valeurs 1,800 Os, 50 0, 195 0,340 2,013 5 k, 23 La somme P = 2s, 536 La tension en kilogrammes est T = 4k,23 Sur un papier quadrillé on inscrira à la base les poids des trois cordes de boyau pour lesquelles on a fait le calcul, à gauche les tensions de kilo- 2s, 848 4^,75 0?,60 0,594 0,3i0 2,205 3 s, 139 PLASSIARD. — DES CORDES DU VIOLON gramme en kilogramme, puis on rapportera sur les trois verticales correspon- dant aux poids des boyaux les tensions données par le calcul, et on tracera une ligne par les trois points obtenus. Cette ligne sera légèrement concave vers la droite. Ce petit tableau graphique montre qu'avec les trois traits métalliques qui ont servi au calcul et un boyau de Os,tô, poids que l'on obtient au moyen du tableau n" 3 pi. 2, qui l'ait suite au présent mémoire, on aurait un bourdon de violon sonnant sol à ik,5 de tension; avec un boyau du poids de 0k,{8, on aurait un bourdon sonnant sol à 4k,65, et que pour obtenir sol à la tension 4k,4, il faudrait employer un boyau pesant par mètre 0s,43 qui, nu, sonne- rait si à la tension de ik,5. NOTE VIII (page 207). Le nombre 3 dépend en partie du poids spécifique du boyau, mais n'est pas l'expression de ce poids. En se reportant à la page 201, on verra que 8 a été introduit dans le calcul pour éliminer le diamètre cl du boyau en le rempla- çant par sa valeur en fonction du poids p de l'unité de longueur, c'est-à-dire que l'on a écrit y — § au lieu de cl. Mais cl est en réalité le diamètre du cy- * 1t 8 lindre sur lequel s'enroule le trait, et 8 ne serait exactement la densité du boyau qu'autant que la corde de boyau resterait cylindrique ; mais le trait s'y imprime en forme d'hélice et le change en une vis. cl est le diamètre du cy- lindre tangent au fond de cette vis. 8 est fonction de ce diamètre, mais n'est pas le poids spécifique. Cela importe peu d'ailleurs pour le but à atteindre: il suffit que les valeurs numériques de 8 à mettre dans la formule (E) soient convenablement déterminées. L'enfoncement du trait dans le boyau altère évidemment l'élasticité d'une couche de la corde, et c'est pour cela que l'âme d'une corde filée doit avoir une tension spécifique moindre qu'une corde nue pour résister à la rupture. NOTE IX (page 210). On voit, dans le tableau de la page 203, que la tension spécifique de la chan- „ . t 10000 terelle est proportionnelle a — = n ■,,■. r r p 0,530 Sur un violon où les quatre cordes seraient assorties suivant la loi trouvée dans la note Y, c'est- à-dire où les tensions formeraient une progression géo- métrique ayant pour raison \J L f^jy^ ]a lensioa du bourdon ne serait que de la tension de la monture de la chanterelle , et en prenant pour âme de ce boyau la chanterelle même, et, la tension spécifique de cette âme serait £'— loooo ^~0,53x(V4)3 Mais en passant de la tension t à la tension t', la corde de boyau s'est 2*20 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE accourcie dans le rapport de 103 à 100, et son poids par mètre a augmenté dans le rapport inverse, de sorte que pour l'âme du bourdon la tension speci- fique devient : t ' 10000 1 0000 f= 0,53 X (VT.)3x* ,03 = 1,038 . 10000 A.„, , . , 10000 _ . . , Le rapport dinere tres-peu de — - — , ce qui confirme la règle empi- rique approximative donnée, page 210, de prendre pour poids par mètre du boyau qui doit former l'âme d'un bourdon de violon autant de centigrammes qu'il y a d'hectogrammes dans la tension à laquelle ce bourdon doit sonner sol. MM. TEEQÏÏEM et BOUSSINES^ Professeurs à la Faculté des sciences de Lille. SUR LA THEORIE DES BATTEMENTS — Séance du 21 août 1874. — Ire Partie. — Théorie. Quand on produit l'un près de l'autre deux sons à peu près égaux en hauteur et ayant la même intensité, on démontre facilement que l'on devra entendre le son dont le nombre de vibrations est la moyenne de ceux des deux sons isolés; de plus, l'intensité de ce son varie périodi- quement, d'où résulte le phénomène des battements; le nombre de ces derniers est égal à la différence des nombres des vibrations des deux sons. En effet, soient : x = a sin 2 r. ni, x' = a sin 2 % ri t les vitesses communiquées par les deux sons à une même molécule d'air, vitesses que nous supposerons, pour plus de simplicité, dirigées dans un même sens; la vitesse résultante, y, sera donnée par la formule ix -4— n' y ï= a sin 2 % nt -f- a sin 2 t. îi t = 2 a cos % (n — ri) t sin 2 % — ^ — /. 25 Cette relation est vraie, quels que soient n et ri ; mais si n et ri dif- fèrent peu l'un de l'autre, le facteur cos z (n — ri) t a une très-longue période, et comme les deux mouvements vibratoires ébranlent sensible- TEIIQUEM ET BOUSSINESQ. — THÉORIE DES BATTEMENTS 221 ment les mêmes libres nerveuses dans l'oreille, on entendra le son cor- respondant à — - — vibrations par seconde, avec une intensité variable représentée par 4 a1 cos2 % (n — ri) /; il y aura donc, en une seconde, n — ?! maxima et n — ri minima, c'est-à-dire n — ri battements. Que doit-il se produire, si; les deux sons restant très-voisins l'un de l'autre, leurs intensités ne sont plus les mêmes? L'expérience a fait voir depuis longtemps que le nombre des battements entendus est indé- pendant de l'intensité relative des deux sons; mais il restait à savoir quel est le son perçu, dont la hauteur doit varier évidemment suivant le son qui prédomine. Voici comment nous avons résolu par le calcul cette question, non pas d'une manière générale ni tout à fait rigoureuse, mais avec une approxi- mation suffisante, quand on suppose n assez peu différent de ri. Soient, comme précédemment, mais avec des intensités différentes, proportionnelles aux carrés des deux coefficients a, a, x = a sin 2 % nt, x' =. a sin 2 % ri t {{) les vitesses communiquées à la même molécule d'air par les deux corps qui vibrent simultanément; x et x peuvent être considérés comme les projections des vitesses réelles sur la normale à la surface de la mem- brane du tympan. On aura pour la vitesse résultante : y — a sin 2 % nt -f- a sin 2 % ri L (2) Posons M -t. N , M — N «=—>—> a=— — > (3) ou on aura M == à -f a', N = a — a; (4) M + ^T • -, , M— N . n y = —j— sin 2 - nt H — - sin 2 r> n t, (h) M , . n N = - (sin 2 tu nt + sin 2 tu n t) + - (sin 2 tc nt — sin 2 t: rit) ou bien y=Mcosic (n — ri) ts'm %(n + ri) t-\- Nsinw(n— n')t cos it (n -f- n') t (6) Pour transformer cette expression et lui donner la forme habituelle. a sin 2:: n [t — o), par laquelle on représente un mouvement vibra- toire quelconque, posons : M cos tc (n — n') t = A cos a , N sin r. (n — ri) t = A sin a; (7) d'où l'on déduit A2 = M2 cos2 tc (n — ri) t -f N2 sin2 z (n — ri) t; (H) 222 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE et en vertu des relations (4) : A2 = (a 4- df cos- % (n — ri) t + (a — à )- sin- t. (n — n') t — a2 -f a- + 2 a a eos 2 « (n — n') /. (9) On aura, pour déterminer a, la relation : N tg*= ^ tg%.(n—n:)t; (10) d'où enfin nous déduirons cos2 a, dont on a besoin pour les calculs ultérieurs : Ma M2 cos2 ic (» — n1)*,.., C0S a = M*+N»fr»*(n-n')$ = F ~ (11)* On obtient donc pour y, vitesse résultante : y = A cos a sin w (/i -f- ri) t + A sin a cos - |n+ n') t = A sin [> (n + ri) t -f a]. (12) Le son représenté par cotte égalité aurait une intensité égale à A2 et ... , , , n -4- n . , . un nombre de vibrations égal a — - — , si a était constant; mais a est SU fonction du temps. Quand n et ri sont très-différents l'un de l'autre, cette expression ne représente rien de plus, au point de vue delà perception, que l'égalité (2), dont elle n'est qu'une transformation; elle est môme moins claire. Mais lorsque n et ri diffèrent peu, a varie très-lemement et l'on voit que si l'oreille pouvait percevoir chaque vibration comme un son distinct, ce son aurait une hauteur variable d'un instant à l'autre ; cherchons à déterminer la hauteur du son variable, ou plutôt le nombre de vibrations par seconde qui lui correspondrait s'il restait constant. Nous supposerons dans ce qui suit n peu différent de ri et nous négli- gerons des quantités très -petites. Soit 6 la durçe de la vibration du son perçu à un moment quel- conque; posons : o = :: (n + ri) t'+ %=% (n + w) t + f(t), (13) avec a = f (t). Si on remplace dans cette expression t par t + 0, ç devra augmenter de 2 z; donc : «p-f- 2rc = x.(n + ri) U+0) +f(t +0), (14) et, en retranchant (13) de (14), on obtient : <2t.= t. (n+n) 6 + f{t+*) — f (t). (15) Or, comme a varie très-lentement avec t, on pourra poser : /•(< + 0)-/V)=4t0' dt TERQUEM ET BOUSSI.NESQ. — THÉORIE DES BATTEMENTS "I^l'â et l'égalité (15) devient : d0L 2 w s (h + »■) + dt 0. (10) Soit iii le nombre de vibrations par seconde correspondant au son entendu à chaque instant; on a nt= — , et par suite : n+ri 1 da Pour déterminer — -, différentions l'équation (10); on aura : 1 da IN 1 -l — = tt " (^ — n')X ; : i cos- a dt M cos'2 7i (n — n) t d'où, remplaçant cos'2 a par sa valeur (11), fZa M Nt: (n — n') dt A'2 et, comme MN=a'2 — a'1, en vertu des égalités (4) : n + n a1 — n:1 . . . „. ni = -^ + -TÂ^~(n~''r) (17)' La valeur de n{ varie donc continuellement suivant la valeur de A2 ; , . . na \4- n'a' . . na — ri a' x . . le maximum de n, = — . le minimum = — , et la valeur a -\- a ' a — a de n, correspondant à la valeur intermédiaire de A- ou a1 -f- a'- est n a- -f- n' a1 a- -\- à1 Chaque son variable, à cause de sa faible durée, ne peut produire une impression isolée sur l'oreille; celle-ci percevra un certain son moyen, dont la hauteur dépendra des impressions successives. Mais pour trouver ce son, il faudra tenir compte pour chaque ébranlement suc- cessif de l'intensité correspondante ; ainsi quand A2 est minimum, l'ébranlement transmis à l'oreille sera très-faible. Donc, pour trou- ver le nombre n.2 réel de vibrations que l'oreille entendra, il faudra prendre la moyenne des nombres n{ calculés précédemment, en affec- tant chaque n, d'un coefficient d'importance proportionnel à l'intensité correspondante A2. Soit T la durée d'un battement, très-longue par rapport à celle de chacun des sons isolés ; on aura : 224 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE JniA?dt Jn{ A«y O (1 «o = = . (18) O 0 On a, d'après (17), n{ A2 = ^ A'2 H — (n— w') et par suite f T " d* n-+ »' rT,f// r?2 — a'2 , J ",A T = ~2— J A'2-r+— T-(n-?ij- D'autre part, vu la valeur de A2 (9), on a : T On aura donc pour *i2 : a 4- a' (a2 — a'2) (n — h') » a3 4- n'a'2 2 2 ^ 2(a2-f-a2) o- + a- On pouvait penser que telle devait être la formule qui représenterait le nombre de vibrations du son entendu; on ne pouvait cependant a priori se contenter d'écrire que le nombre moyen de vibrations du son entendu devait être tel que son produit par l'intensité moyenne a2 + a'2 égale la somme des produits des intensités respectives a1 et a"1 des sons composants par leurs nombres correspondants de vibrations /; et ri; on ne le pouvait du moins en s'appuyant sur le principe des forces vives, vu que les produits na-, n a'1 et ri- (a2 + a'2) ne repré- sentent nullement les forces vives moyennes correspondant aux divers sons. On reconnaît facilement que si a ou ri est égal à o, «2 deviendra , n + ri égal à ri Ou a n, et si a = a, on a : n2 = — ^ — • Deuxième Partie. — Vérification expérimentale. L'appareil qui a été employé, se composait de deux diapasons A B et A' B' (fig. 18), munis de curseurs, dont le mouvement était entretenu à l'aide d'un courant électrique; vis-à-vis les extrémités libres des branches sont placés deux résonnateurs R et R, à tirage ; un des diapasons A B, avec son résonnateur R, est placé dans l'intérieur d'une grande caisse, TERQUEM ET BOl'SSINESy. — THÉORIE l>KS BATTEMENTS ï2*2'> afin d'étouffer le son, et empêcher que l'ébranlement se communique au second résonnateur R' par les vibrations de l'air; des précautions mi- nutieuses avaient été prises pour que cette même communication ne puisse se faire par les supports des diapasons et la table qui supporte l'appareil. Aux résonnateurs sont fixés des tubes de caoutchouc CD, et C D', de mêmes longueurs et sections, qui aboutissent à une pièce jC^^^.v, gBp l'iji. is. voisine de celle où se trouvent les diapasons. En D et D' les tubes sont réunis par un tube de laiton DDE, à trois branches appartenant à l'appareil de M. Kœnig pour «l'interférence des sons; en E est fixé un petit tube de caoutchouc, dont on place l'extrémité F contre l'ouverture de l'oreille. Un peu en avant des extrémités D et D' des tubes de caout- chouc, sont placées deux petites presses munies de ressorts, omises dans le dessin, et qui servent à comprimer l'un ou l'autre des tubes; on peut ainsi intercepter à volonté partiellement ou totalement l'arrivée de l'un ou l'autre son à l'oreille. Le diapason A B, dont le son était fixe ren- dait le son uU , faisant par suite 428 vibrations doubles par seconde, ou 25G simples; le curseur du second diapason a été déplacé progres- sivement, de manière à produire des sons de plus en plus différents du premier ; ce second diapason a été aussi remplacé par un autre pouvant permettre d'obtenir des intervalles allant jusqu'à une tierce majeure et une quarte. Voici quel a été le résultat de nos observations : 1° Sons concomitants — ut2 (236 v. s.) et un son inférieur à ré.2 (288 v. s.). — De 0 à 16 battements par seconde. Quand les deux sons diffèrent peu, et qu'il y a au plus de 8 à 10 bat- tements par seconde, on perçoit très-nettement ces derniers. Supposons ^r><» PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE que l'un des deux sons soit d'abord complètement intercepté, le son supérieur par exemple; dès qu'en desserrant légèrement la presse qui comprime le tube de caoutchouc correspondant, le ton supérieur vient se combiner avec l'autre, on cesse d'entendre ce dernier; on n'entend plus que le son intermédiaire, qui éprouve les variations d'intensités caractérisées par les battements, et que pour abréger, nous nommerons désormais le son des battements. Celui-ci, en même temps monte ou descend sensiblement, suivant qu'en comprimant l'un ou l'autre caout- chouc, on laisse prédominer l'un ou l'autre des deux sons. Si, au con- traire, on enlève le tube de cuivre D D' E, et que l'on rapproche l'extré- mité D d'une oreille et D de l'autre, de manière à entendre chaque son isolément par une oreille, la combinaison des mouvements vibratoires ne peut plus s'opérer, et l'on n'entend plus que les deux sons isolés, sans aucune espèce de battements; la sensation de la dissonnance au contraire est très-forte et très- désagréable. Si le nombre de battements dépasse 10, ils commencent à former cette espèce de roulement, que l'on continue à entendre, même quand ils sont si nombreux, que l'on n'a plus la sensation de chaque battement. Mais on constate aussi qu'à mesure que les deux sons concomitants s'éloignent l'un de l'autre, si l'un d'eux existe seul d'abord, l'autre peut acquérir une certaine intensité sans que l'on en ait la sensation; puis tout à coup, on cesse d'entendre le premier son, et à la place on entend le son des battements, qui diffère notablement du premier en hauteur, quand les deux sons ont à peu près la même intensité; les mêmes faits se produisent en sens inverse, quand on fait prédominer l'autre son ; de plus le son des battements change moins de hauteur, et cesse brus- quement de se produire, comme il a pris naissance. Avec la perception séparée des deux oreilles, on entend les deux sons sans aucun battement, comme précédemment. Si l'on écoute les deux sons de loin, en se plaçant vis-à-vis de l'ou- verture des résonnateurs, la sensation est très-confuse; cela tient en réalité à ce que l'on entend trois sons à la fois, les deux sons isolés et celui des battements; c'est ce qui explique la sensation si désagréable de discordance que l'on éprouve dans ce cas ; si les sons se trouvent très-rapprochés, comme on n'entend que le son des battements seul, la sensation est donc bien moins désagréable. C'est le premier fait qui a conduit 31. Helmholtz à admettre que la dissonnance était due unique- ment à la présence des battements, tandis qu'il résulte de nos expé- riences que la discordance est due en réalité aux sensations inégales perçues par les deux oreilles. 2° — Sons concomitants ut2 (%56 u. s.) et un son compris entre ré2 (288 v. s.) et mi,,.2 (307 v. s.). — De 10 à 23,6 battements par seconde TERQUEM ET BOUSSINESQ. — THÉORIE DÉS BATTEMENTS 22 1 Mêmes effets que précédemment, et variant dans le même sens. 30 _ Sons concomitants ut2 (256 v. s.) et un son compris entre mi,,2 (307,2 v. s.) et mi2 (320 v. s.).— De 25,6 à 32 battements par seconde. Le son des battements est encore entendu seul, quand les deux sons ont la même intensité, mais cesse plus vite que précédemment quand cette égalité eesse d'exister; on commence à entendre les deux sons isolés avec une oreille, quand ils sont très-inégaux en intensité; en même temps que le son des battements, on entend un son beaucoup plus grave que les précédents avec un fort roulement. Ce dernier son est peut-être un son résultant, ou bien il est dû aux battements eux- mêmes. Il n'est pas démontré en effet, que des battements assez nom- breux ne puissent donner naissance à des sons. 40 _ Sons concomitants ut.2 (256 v. s.) et mi2 (320). — On n'entend plus le son de battement, mais seulement un son très-grave avec le roulement particulier qui accompagne la perception des sons dont le nombre des vibrations est inférieur à 40 ; ce qui peut être attribué à l'extinction rapide des ébranlements communiqués aux parties de l'oreille, qui doivent vibrer à l'unisson du son perçu. Si l'on entend les deux sons avec une seule oreille, la sensation de l'accord et de l'inter- valle est loin d'avoir la même netteté que quand on écoute chaque son avec une oreille différente. 5° — Sons concomitants ut2 (256 v. s.) et un son compris entre mi2 (320 v. s.) et fa2 (341, 1/3 v. s.). Avec une seule oreille, l'intervalle est difficile à apprécier, et l'on entend un son très-grave. G0 — Sons concomitants ut2 (256 v. s.) et fa2 (341 '1/3 v. s.) L'intervalle devient parfaitement perceptible avec une oreille, quoi- qu'on entende encore un son très-grave. Conclusions. Un son quelconque ébranle, comme l'on sait, dans l'oreille un cer- tain nombre de fibres, avec une intensité décroissante de part et d'autre des fibres dont l'ébranlement est maximum. Si donc deux sons, de hau- teurs peu différentes coexistent, il y aura un certain nombre de fibres communes ébranlées par les deux sons; on ne pourra donc avoir une sensation nette de leur intervalle, et l'expérience nous a fait voir que, partant de ut2l cette limite dépasse m/2. Il se produit ici un phénomène analogue à celui que l'on observe dans la vision, quand l'œil reçoit les impressions émanant de deux points très-rapprochés ; les surfaces de la rétine qui sont ébranlées se superposent en partie, et l'on ne peut apercevoir nettement ces deux points ; si les deux lumières, homogènes chacune, sont différemment 228 PHYSIQUE. MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE colorées, on aura une sensation due au mélange des deux premières. De même, dans l'audition avec une seule oreille, on entend un son intermédiaire entre les deux sons isolés, qui se rapproche plus ou moins l'un de l'autre suivant leurs intensités individuelles. Il y a peut-être aussi des battements dans les vibrations lumineuses, mais à cause de leur rapidité, on ne peut en avoir la perception. Si les deux sons ont des hauteurs très-peu différentes, les vibrations des fibres communes sont tellement intenses, que les sons isolés cessent d'être perçus et la période de ces vibrations change suivant le son qui domine. Si les deux sons diffèrent notablement, les libres communes ébranlées par les deux sons le sont très-peu par chacun d'eux, et il leur faut à chacun sensiblement la même égalité, pour que l'on en- tende le son intermédiaire, que nous avons appelé son des battements. Contrairement à ce qui a lieu pour la vision, les sensations apportées au cerveau par les deux oreilles restent complètement indépendantes, et par conséquent, deux sons même très-voisins, perçus chacun par une oreille, ne donnent plus de battements ; mais l'on éprouve la sensation très-nette de l'intervalle concordant ou discordant, par suite de la com- paraison que l'on peut faire entre les deux sensations simultanées. L'impression produite par les accords concordants ou discordants ne saurait donc être attribuée, comme l'avait supposé M, Helmboltz, à la présence des battements, puisque l'impression est la plus nette possible en l'absence de tout battement, et disparait, quand les battements se produisent. M. Henri GAY De Jarnac. MESURE DE LA RESISTANCE INTÉRIEURE DES PILES (kxtuait do procès-verbal) — Séance du -' I août I87i. — M. Gay indique une mélhoile pour mesurer la résistance intérieure des piles. Elle consiste d'abord à rendre équivalents un certain nombre d'éléments de la pile considérée en les appliquant successivement à un même circuit extérieur renfermant un galvanomètre et de résistance négligeable, puis faisant varier la hauteur des liquides ou la dislance des électrodes, de façon à obtenir la même intensité I. Cela étant, on réunit un certain nombre n de ces éléments VAN RYSSELBERGHE. — OBSERVATIONS DE MARÉE 221) en surface; avec le même circuit extérieur, l'intensité change: on la ramène à sa valeur primitive l eu introduisant une certaine résistance R. La formule de Ohm donne alors une relation dont on peut déduire la valeur de la résistance de la pile en* fonction de R, et, par suite, celle de chaque élément. M. YAI RYSSELBERGHE Professeur ù l'École dj navigation de l'État à Ostende. SUR L'IMPORTANCE DES OBSERVATIONS DE MARÉE AU POINT DE VUE DE LA MÉTÉOROLOGIE — Séance du 22 août 187 4 — Je me propose d'exposer quelques réflexions qui m'ont été suggérées par des marins, et qui me portent à considérer les observations de marée comme très-importantes au point de vue de la météorologie. — Les hommes de la mer montrent souvent une remarquable aptitude à lire clans le ciel les menaces du mauvais temps ou les indices de sa disparition prochaine. Luttant nuit et jour contre les éléments, ils ont pour préoccupation constante l'observation des moindres variations dans l'état de l'atmosphère ; et l'on ne doit pas s'étonner qu'ils lisent dans l'apparition de tel nuage le signal d'un combat terrible, ou que telle lueur à l'horizon leur présage la fin du danger. Je ne prétends pas que cette aptitude, développée par une longue expérience, soit suffisante pour les mettre en garde contre les météores les plus redoutables. Mais il est tel proverbe que nos marins se trans- mettent de père en fils, et qui pourrait bien avoir quelque fond de va- leur réelle. Ils disent qu'ils doivent s'attendre à un coup de vent lorsque, sans cause apparente, la mer haute atteint une cote anormale. Ils disent encore que la houle, par temps calme est souvent messagère de mauvais temps, parce qu'elle dénote l'existence d'une tempête au large ; et la valeur de ce dernier pronostic est généralement reconnue , puisque toutes les stations météorologiques établies au bord de la mer observent avec soin l'agitation plus ou moins grande de la surface des eaux. Mais ce qu'elles ne font pas encore, c'est observer minutieusement la marche de la marée, les fluctuations du niveau moyen de la mer ; quoi- que ces dernières données soient peut-être plus importantes que la première. 230 PHYSIQUE. — UÉTÉOIïOLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE En effet, le niveau moyen de la mer est loin d'être constant, il subit à chaque instant des variations, intimement liées à celles de la pression atmosphérique. Plusieurs savants très-distingués se sont déjà occupés dé1 cette ques- tion . De Saussure, dans son Voyage aux Alpes (tome Ipr, p. 14), dit : « Je » crois que des variations promptes et locales dans la pesanteur de l'air » peuvent produire des flux et des reflux momentanés, en occasionnant » à la surface des eaux des pressions inégales. » Catteau-Catteville rapporte, dans son Tableau de la mer Baltique (tome Ier, p. 118), le phénomène remarquable que voici : « De temps en temps, et à des intervalles plus ou moins rap- » proches, les eaux de cette mer prennent des crues tout a fait anor- » maies, de manière qu'elles sont quelquefois à un mètre environ au- >> dessus de leur hauteur ordinaire. Quoique ces crues se manifestent » dans toutes les saisons de l'année, on les observe surtout en automne. » quand le ciel est chargé de nuages et le temps à la pluie » (c'est-à- dire à l'approche d'une bourrasque). Schulten, hydrographe et physicien suédois, a observé des rapports fréquents entre l'état du baromètre et la crue des eaux de la Baltique ; de manière que le baromètre baisse lorsque les eaux montent, et réci- proquement ; avec cette circonstance remarquable que les mouvements de la mer précèdent ceux du baromètre. L'observateur en a conclu qu'il faut chercher la cause des crues dans la pression inégale de l'atmo- sphère sur les diverses parties du bassin maritime ; mais il n'explique pas pourquoi les mouvements de la mer précèdent ceux du baromètre. Daussy considère le niveau moyen comme un véritable baromètre dont les fluctuations sont proportionnelles à celles de la pression atmo- sphérique. Si cette idée est exacte, il faut que les mouvements du niveau moyen soient à ceux du baromètre dans le rapport inverse des densités du mercure et de l'eau salée. A 10° ce rapport est = 13,24 ; — (en moyenne, car la densité de l'eau de mer est variable suivant les endroits). Or, des observations, faites à Brest donnèrent à 31. Daussy 14,7 pour le rapport des mouvements respectifs du baromètre et du niveau moyen de la mer, tandis que d'autres observations faites à Lorient lui donnèrent 12,3. Récemment, M. A. Stessels, hydrographe et commissaire permanent de l'Escaut, a conclu 12,8 pour le même nombre, d'après une série d'observations continuées à Flessingue pendant une période de cinq années, jusqu'en 1868. Ces divers résultats, dont la moyenne donne précisément 13,20 comme VAN RYSSELBERGHE. — OBSERVATIONS DE MARÉE 231 l'exige la théorie, sont assez concordants pour démontrer d'une ma- nière certaine l'influence de la pression atmosphérique sur le niveau moyen de la mer. dette influence se conçoit d'ailleurs très-bien. Car, supposons que le baromètre marque aujourd'hui 770""" en un endroit A et 730""" en un autre endroit plus ou moins éloigné B; si demain cette répartition des pressions se trouve renversée de manière que l'on ait 730mm en A et 770""" en B, il est clair qu'un siphonnement aura dû se produire dans l'eau et (pie celle-ci aura été refoulée par la forte pression vers l'en- droit de la pression faible. Mais il importe d'insister sur ce point que les variations du niveau moyen précèdent toujours ceux du , baromètre ; — et pour ne laisser subsister aucun doute sur la réalité de ce fait, constaté par l'expérience, il suffira de citer les circonstances dans lesquelles se produisent les ras de marée. Le ras de marée est une surélévation extraordinaire des eaux, qui brisent, dans leur fureur, tous les obstacles qui s'opposent à leur marche. « La mer surtout est terrible dans les tempêtes tournantes. Soulevée » en masses pyramidales, elle présente un amas confus de vagues pa-. » reilles à celles qui se brisent , furieuses, sur les roches d'un récif. » (Ar_ Thomson, Inquiry into the Nature and Course of S t omis). Au mois d'octobre de l'année 1780, la mer s'éleva à une telle hauteur sur les côtes de la Martinique, qu'à Sainte-Lucie elle lança un navire jusqu'à l'hôpital maritime, qui fut écrasé sous son poids: « Il est impossible de » décrire l'épouvantable spectacle que présentent les Barbades », écrit M. Roclney dans son rapport officiel. Or, d'après M. Bridet , directeur de l'Observatoire de Saint-Denis à l'île de la Réunion , /'/ n'y a pas d'exemple d'un ouragan ayant frappé la Réunion qui n'ait été amioncé , longtemps d'avance, par un 'ras de marée. « Deux ou trois jours arant l'arrivée de l'ouragan , un indice, » qui ne manque jamais, est fourni par l'état de la mer. Un très-fort » courant agit sur les navires mouillés sur les rades de la colonie, et » indique déjà, à peu près, de quel côté menace le cyclone dont on a » reconnu l'existence. » — Voilà comment s'exprime M. Bridet dans son étude sur les ouragans de l'hémisphère austral (page 178). Il considère le ras de marée comme le pronostic le plus sûr pour reconnaître d'avance la marche probable d'un cyclone; et, après avoir accumulé les exemples, il conclut en ces termes : « Un ras de marée, sur quelque point qu'il se » fasse sentir à la Réunion, indique toujours le passage d'un cyclone » plus ou moins violent à une distance qui peut aller jusqu'à 700 » milles. Ras de marée et cyclone sont deux phénomènes intimement 232 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE » liés, et le premier est toujours le précurseur du second (page 230). » Voilà ce que dit l'expérience. Voyons si nous pouvons expliquer par la théorie pourquoi le ras de marée devance le cyclone et la dépression barométrique qui accompagne toujours ce dernier. 1° Si l'on ouvrait, pour quelques instants , les portes d'écluse qui retiennent à son embouchure les eaux d'un canal, on verrait une ondu- lation puissante se propager d'un bout du canal à l'autre avec une vitesse que Lagrange exprime par la formule : V = y/V'l g étant la gravité et h la profondeur à laquelle l'ondulation se fait sentir. 2° Si l'on tenait ces mêmes portes alternativement ouvertes et fer- mées, une succession d'ondes parcourrait le canal, semblables aux sinuosités de la corde, étendue par terre, et que les enfants, dans leurs jeux, secouent à l'une des extrémités pour produire la marche tor- tueuse du serpent. 3° On observe un effet analogue lorsque les portes restent ouvertes d'une manière permanente. Car; de même que l'écoulement d'une masse d'air comprimé à travers un orifice étroit donne lieu à des vibrations assez puissantes pour produire un son, de même l'écoulement d'un liquide dans des circonstances analogues s'effectue avec des alternatives d'accélération et de ralentissement qui réagissent sur l'état de la surface. On peut observer ces différents phénomènes dans tous les ports où fonctionnent des écluses de chasse : lorsqu'on lâche les eaux, le premier effet qui se produise, à l'autre côté du bassin, est une surélévation momentanée du niveau; et cette circonstance ne laisse pas que d'intri- guer les spectateurs, qui, assez naturellement, s'attendaient à un effet contraire. •i° Lorsque deux mers communiquent l'une avec l'autre , les marées produites par les actions du soleil et de la lune dans une quelconque des deux mers se propagent dans l'autre; de sorte que, dans chacune d'elles, il y a tout à la fois des oscillations produites directement par les actions des deux astres sur l'eau que cette mer renferme; et des oscil- lations dérivées, provenant de celles que ces astres occasionnent dans l'autre mer : les marées qu'on y observe sont le résultat de la combi- naison de ces deux espèces d'oscillations. Si les deux mers ont des dimensions très-différentes, les marées qui ont lieu dans la plus grande sont presque en totalité des marées directes; et au contraire, celles qui ont lieu dans la plus petite ne sont, pour ainsi dire, que des marées dérivées. VAN RYSSELBERGHE. — OBSERVATIONS DE MARÉE 233 Par exemple, les maires de l'océan Atlantique occasionnent des marées dérivées très-intenses dans la Manche, avec laquelle il communique très- librement. Lorsque la mer devient haute à l'ouest de la France, dans les environs de Brest, le flot de la pleine mer, tout en continuant sa marche vers le nord, se bifurque latéralement pour se précipiter dans la Manche. Celte petite mer se trouvant resserrée brusquement par la presqu'île du Cotentin, le Ilot monte contre la barrière qui s'oppose ainsi à sa marche, et il en résulte des marées extrêmement grandes sur les- côtes de la baie de Cancale, et notamment à Granville. De là, le flot continue à s'avancer, et la pleine mer a lieu successivement à Cher- bourg, au Havre, à Dieppe, à Calais, à Ostende, etc. — Mais pendant ce temps la marée de l'Atlantique s'est transportée jusqu'au nord de l'Ecosse, et au moment de se diriger vers les côtes de la Norwége, elle donne naissance, dans la mer du Nord, à une deuxième marée dérivée qui descend sur nos côtes et se propage dans la Manche en sens con- traire de la première. Enfin M. Whewel, en traçant les lignes cotidales de l'Atlantique, a démontré que les marées de l'océan Atlantique dérivent elles-mêmes, presque en totalité, de celles du Pacifique. En effet, l'Atlantique, resserré entre les deux Amériques d'un côté, l'Europe et l'Afrique de l'autre, doit être considéré comme un canal relativement étroit, dans lequel les marées directes dues à la gravitation universelle ne peuvent atteindre à une grande ampleur. Mais ce canal débouche au Sud dans le Pacifique, mer libre en tous sens et dont les marées directes ont une grande énergie. Celles-ci produisent à l'embouchure de l'Atlantique des surélé- vations et des abaissements successifs de niveau, qui se propagent jusqu'aux rivages septentrionaux de l'Europe, en conservant les mêmes périodes que les oscillations qui les engendrent. De tout ce qui précède je conclus qu une dénivellation même momen- tanée, dans un endroit quelconque de l'Océan, donne naissance à une raque-marée, une onde solitaire comme on rappelle, qui se propa<;e avec une vitesse considérable donnée par la formule r = Jgh. Devant Ostende, malgré la grande résistance du fond, cette vitesse est encore de -2.333 mètres par minute, soit 28 lieues à l'heure. Or tout cyclone est une cause permanente de dénivellation. Par exem- ple, si l'axe du cyclone est vertical, la force centrifuge du tourbillon déterminera, à son centre, une dépression barométrique qui atteint sou- vent 50 millimètres , mais en même temps, dans le niveau moyen de la mer, une surélévation correspondante, de 0m,0o0 X 13.2o = 0m,66 quantité considérable; car dans l'Océan la marée lunaire n'élève les eaux qu'à 0"\2o au-dessus de leur niveau normal. — Mais dans tous 19 "2'S4 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLORE les cas, tandis que la vague-marée produite par le cyclone se pro- page avec une vitesse d'au moins 28 lieues à l'heure, le cyclone, lui, EST ANIMÉ D'UNE VITESSE DE TRANSLATION" TRÈS-FAIBLE (1 lieilC à l'heure à l'origine, et plus tard, dans nos latitudes, 6 lieues en moyenne). De sorte que, dans les circonstances les plus défavorables, le ras de marée devance encore de 22 lieues à Vheure la tempête dont il est sorti. On conçoit dès lors pourquoi M. Bridet considère le ras de marée comme le pronostic le plus certain du danger qui approche. Mais ne pourrions-nous pas. nous aussi, tirer des indications précieuses des variations du niveau moyen de la mer'/ Je ne prétends pas que toutes les tempêtes d'Europe soient des cyclones qui prennent naissance entre les tropiques ; mais toutes possèdent la ca- ractéristique des cyclones, c'est-à-dire qu'en général, le vent souffle per- pendiculairement aux rayons qui, dans la région affectée par la pertur- bation, se dirigent vers l'endroit de la pression minima. Toutes sont accompagnées de fluctuations barométriques considérables, donc toutes doivent produire des vagues-marées , qui devancent le danger dans son mouvement de translation. Je ne prétends pas non plus que chez nous ces marées cycloniques soient très-grandes, quoique déjà à Ostende j'aie eu l'occasion d'observer des crues très-anormales ; mais n'envions pas aux tropiques le triste privilège des ras de marée, et estimons-nous heureux de devoir recourir peut-être au microscope pour découvrir dans nos courbes marégraphiques les anomalies du niveau moyen. Les plus grands dangers nous viennent de l'Atlantique. « Une opinion » depuis longtemps accréditée chez les marins, veut que le Gulfstream > soit le père des tempêtes des côtes de l'Europe. » C'est ainsi que s'ex- prime 31. Marié-Davy dans son excellent Traité des mouvements de l'at- mosphère et des mers (page 597). « Les cartes synoptiques de l'Europe, » dit-il, complétées par les observations maritimes, montrent que les ■» tourmentes les plus violentes comme les plus faibles bourrasques nous » viennent de régions plus ou moins éloignées sur l'Atlantique.» C'est donc là que nous devrions avoir des stations météorologiques, et c'est précisément là qu'elles nous feront toujours défaut. Le nord de l'Ecosse essuie généralement les premières fureurs de la tempête, et nulle dé- pèche télégraphique ne peut prévenir les marins de ce pays si maltraité. Nous-mêmes* nous ne pouvons guère obtenir de là des avertissements efficaces, puisque nous ne connaîtrons la direction que suit le météore que lorsque déjà la tempête se sera abattue sur nos rivages. Mais supposons que, tout le long des côtes occidentales de l'Europe, on soit attentif à signaler les moindres anomalies du niveau moyen de la VA.N RYSSELBERGHE. — OBSERVATIONS OU MAIIÉE 235 mer, ne pourrions-nous pas suivre du doigt la marche d'une bourrasque à travers l'Océan, ou tout au moins discerner si le météore se dirige per- pendiculairement ou parallèlement à nos rivages ?Les indices fournis par l'état de la mer, joints aux pronostics que Ton peut tirer de la forme et de la direction des nuages ne peuvent être lettres mortes pour nous, alors qu'ailleurs ils rendent des services inappréciables. Mais il ne faut pas se contenter de signaler l'agitation plus ou moins grande de la surface de la mer : la vague proprement dite est trop su- perficielle et trop locale pour qu'elle se propage au loin. Il n'en est pas de même de la perturbation profonde que le niveau moyen subit sous faction d'un violent cyclone. Cette perturbation, si je ne me trompe, est double. En effet, le vide qui tend à se former au centre du tourbillon, aspire les eaux de la mer, et celles-ci, en s' accumulant, déterminent une protubérance qui accom- pagne le météore dans son mouvement de translation. C'est là l'effet statique étudié par M. Daussy et qui explique pourquoi, sur le passage d'un cyclone, le niveau de la mer se comporte comme un véritable ba- romètre. Le météore, en s'approchaut d'un endroit, y soulève une mon- tagne aqueuse, qui s'écroule à son départ. Mais ces élévations et ces abaissements successifs ne peuvent se produire Sans engendrer des mouvements ondulatoires puissants, qui se propagent avec une vitesse considérable. De là, une perturbation dynamique qui de- vance le cyclone dans sa marche, et sur laquelle je voudrais attirer l'at- tention des météorologistes. Car, pour démêler une question aussi complexe que celle des marées, il faut le concours de tout le monde, et des observations prises sur une grande étendue de rivages» Je recevrai, avec reconnaissance, tous les renseignements qu'on vou- dra bien me communiquer sur ce sujet ; et j'offre en échange les observa- tions que je poursuis à Ostende. J'ai installé en cette ville depuis le mois de mars de l'année dernière, un météorographe, basé sur un principe nouveau, et dans lequel un seul burin d'acier grave, en regard les unes des autres, et sur une même planche de cuivre, des courbes représentant les variations de tous les instruments de la météorologie. Ces planchés gravées et graduées par l'appareil même^ avec une rigoureuse exactitude, se reproduisent à vo- lonté par l'impression, et fournissent ainsi des tableaux météorographi- ques donnant les indications simultanées du baromètre à mercure, du psychromètre d'August, de l'hygromètre de Saussure, 'de l'udomètre, de la girouette, de l'anémomètre de Robinson, et enfin les fluctuations de la marée dans la rade d'Ostende. Car ma méthode (dont on trouve la description dans le Bulletin de l'Académie royale de Belgique pour le 236 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE 1)1" GLOBE mois d'août 1873) permet d'obtenir l'enregistrement d'instruments placés à une grande distance de l'enregistreur, de sorte que, dans un observa- toire central, on peut recueillir les indications simultanées de plusieurs instruments installés dans plusieurs stations éloignées. M. VAN ItYSSELBERaHE rrof>'ssrur ;'i l'École de navigation de l'État, à Ottende. MÉTÉOROGRAPHE ENREGISTREUR [extrait du pkocks-verbal) — Séance avec la surface du tube; l'autre ¥t dirigée vers la portion bai- gnée du tube : puisque la molécule en a est en équili- bre, on a F, = F cos œ; la composante de F normale au tube est détruite par la résistance de la paroi. D'a- près cela, un liquide a caractérisé par les éléments Fa et wa possède, le long de sa surface de contact avec la paroi solide, une force con- tractile Fa cos t»a. Plaçons-nous maintenant en un point b (fig. 20) du ménisque (concave, par exemple) commun aux deux liquides a, (3, supposés l'un et l'autre en contact, en ce point b, avec la paroi solide : on aura la force Fa cos ug , dirigée vers la partie baignée par le liquide supérieur (3, la force Fa cos wa, dirigée vers le bas, et la force Fag, dirigée suivant la tangente au ménisque déterminée par l'angle wag. Pour que la molé- cule en b soit en équilibre, il faut que la somme des composantes parallèles à la paroi soit nulle, c'est-à-dire que : Fig. 1 F, — Fa cos wa = 0 Fig. 20. < [lions que, a ■aS cos u>aS -f Ffi cos wp Pour savoir quelles sont les forces qui main- tiennent tout le système en équilibre, remar- ia partie inférieure du tube, on a aussi la force Fa cos toa, dirigée le long du tube et vers le haut; dès lors, il y a deux manières de trouver les forces qui soutiennent le poids P des deux colonnes. 4° On peut regarder les deux forces Fa cos u>a comme s'annulant, ainsi que les deux autres forces F g cos a (2) Je ne sache pas que le poids P ait déjà été exprimé sous cette forme; nous verrons plus loin des expressions équivalentes. Si l'on avait trois liquides superposés a, (3, y, le liquide a étant celui que contient le vase où est plongé le tube capillaire, on pourrait écrire, pour la valeur du poids total soulevé, soit P = L j Ey cos (oY + FpT cos o>pY +• Fap cos w^ J (j his) soit P = L Fa cos wa (2 bis) Dans le cas où un ou plusieurs ménisques sont, convexes, il suffit de changer, dans les équations ci-dessus, les signes des cosinus des angles qui s'y rapportent. II. — Voyons maintenant comment on peut obtenir l'équation (1) en partant de la théorie de Laplace. On sait que la pression normale exercée en un point quelconque d'une surface liquide courbe et dirigée vers l'intérieur de la masse a pour valeur, d'après cette théorie, K - H ( h + H' ) K et H étant des constantes qui dépendent de la nature du liquide, R et R' les rayons de courbure principaux de la surface au point considéré; on prend le signe -f- quand la surface est convexe, et le signe — quand elle est concave. Je nommerai Ka, Ha, les valeurs respectives de K, H, pour le liquide a, et Kg, Hg, celles qui concernent le liquide [3. Cela posé, considérons le fdet vertical a, b, rJ c (lîg. 21), compris entre un point quelconque de la surface libre supérieure et le plan hori- Fig. 21. 240 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE zonlal du niveau extérieur dans le vase; tâchons d'évaluer les forces qui sollicitent le point inférieur c de ce lilet, toutes ces forces étant rapportées à l'unité de surface ; ce sont : 1° Le poids p même du iilet; 2n la pression Kg — Ho I — + — ), appliquée en a, et dirigée de haut en bas : H g est précédé du signe — , parce que la surface libre est sup. posée concave ; 3° une pression normale appliquée au point b de la surlace supposée convexe du liquide (3, pression qu'il est aisé de déterminer ; en effet, remarquons que, à la surface commune aux deux liquides, les forces Kg H g sont altérées par suite de la présence du liquide a; soient \i\ — Rfl Ho — H pu les valeurs respectives des deux constantes au point b de la surface convexe du liquide [i ; si II,, H ',, sont les rayons de cour- bure principaux de la surface en ce même point, nous aurons, pour la pression dirigée de bas en haut: _[Kp-Vf(Hs-Hj. )(£ + ,£)]; 4" quant à la surface concave du liquide inférieur, il y a, au point b. une pression dirigée vers l'intérieur du liquide a, c'est-à-dire de haut en bas ; cette pression a pour valeur KI-Ka,-(ni-H,,)(iii + fii). Faisons actuellement la somme algébrique de toutes les forces qui sol- licitent le point c,en ayant égard auxdeux égalités Kg a==Ka g Hga= H y o puisque l'action du liquide a sur le liquide £ équivaut à celle de (i sur a; nous trouverons pour l'action totale en c: p+*.-Hp(ï+ï)-(«.+»p-M.|i)(£+ff;)- D'autre part, si le vase est suffisamment large, la surface extérieure du liquide a pourra être considérée; comme plane et sera sollicitée par la pression normale K a ; comme tous les points d'une même tranche ho- rizontale doivent supporter la même pression pour être en équilibre, cette quantité Ka doit être égale à l'expression précédente, d'où il ré- sulte que "="Kir+K') + (H'+H?--"^)(R;+i?i Il est bien facile actuellement de prouver que cette relation conduit à VAN DER MENSBRUGGHE. — TENSION DES LIQUIDES 241 la formule [1]; en effet, comme l'a fait voir Dupré de Rennes, H ^ n'est autre chose que la force de cohésion ou la tension superiieielle F ^ du liquide p, tandis que le trinôme Ha+ Hp — 2 Hap représente la force contractile Fag de la surface commune aux deux liquides (voir la Théorie mécanique de la chaleur, p. 370); nous pouvons donc écrire "=*(, (.l"+ If) +p-*(i + r, > i Reste à trouver le poids P du volume total soulevé par les actions capillaires: pour cela, il faut chercher la somme des valeurs du second membre pour tous les points de la surface libre et de la surface com- mune; or cette somme peut s'obtenir par le procédé indiqué par M. Ber- trand dans son beau Mémoire sur la théorie des phénomènes capillaires {Journal de Liouville, t. XIII, 1848, p. 199) : on trouve ainsi, en nom- mant toujours L le contour de la section intérieure du tube, et wo, wa* les angles de raccordement de la surface libre et de la surface com- mune P = L | F ^ cos a> ? + F ap cos a) ap | f ce qui n'est autre chose que l'équation [1]. Laplace n'a pas exprimé le poids P en fonction de >o^ et de wa^ ; mais il a établi que P = LHacos wa Or, si l'on se rappelle que Ha n'est autre chose que la tension Fa du liquide inférieur, ce résultat équivaut à l'équation (2) donnée plus haut. Il serait bien facile d'appliquer les raisonnements précédents au cas de trois liquides superposés, et l'on arriverait à l'équation (1 bis) : aussi je ne m'y arrêterai pas. Quant à la théorie mise en avant par Poisson, d'après laquelle la den- sité va en croissant à partir de la surface, M. Bède (Recherches sur la capillarité, t. XXX des Mém. cour, et des sav. étr. de l'Acad. Roy. de Belg.) a déjà montré que cette hypothèse permet de relier très-simple- ment la théorie de Poisson au principe de la tension. Je n'insisterai donc pas sur la solution de notre problème fondée sur ces idées, parce qu'elles ne l'ont que donner aux constantes de Laplace des valeurs analytiques différentes, et que, en tenant compte de cette correction, on retombe en définitive sur les équations [1] et [2], III. — Je passe,en troisième lieu, à l'examen de la théorie de Gauss, en ce qui concerne le cas de deux liquides superposés. Par l'application de cette théorie, M. J. Bertrand, dans le mémoire cité plus haut, a trouvé : P=(^2»;!)PL-(«'i2?'î)^P> (3) 242 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU (.EOUE 3' et [i' étant des constantes qui dépendent uniquement de la nature du liquide intérieur et de celle de la paroi solide; b est la section intérieure du tube, B celle du vase et p la densité du liquide intérieur. C'est ce ré- sultat identique, au tond, à celui de Laplace, que les physiciens on regardé comme inexact et en opposition directe avec l'observation ; en effet, disent-ils, on connaît l'expérience faite d'abord par Young et con- sistant à verser une mince couche d'huile à la surface du ménisque d'eau distillée dans un tube capillaire; aussitôt la colonne descend de plusieurs millimètres. Cette contradiction, qui, aujourd'hui, ne me semble qu'ap- parente, m'a longtemps embarrassé : car, si, d'une part, il est impossi- ble de révoquer en doute le résultat de l'expérience, d'autre part, l'ana- lyse de M. Bertrand paraît d'une rigueur absolue. Il n'y a qu'un moyen de lever la difficulté : c'est de démontrer que le 2e membre de l'équa- tion de M. Bertrand est identique à celui de l'équation [2], et par con- séquent aussi de l'équation [1]. Or c'est à quoi l'on parvient simplement de la manière suivante : Bemarquons d'abord que la section B du vase dans lequel plonge le tube peut être supposée très-grande par rapport à la section b de ce dernier, et qu'ainsi le dernier terme de l'équation (3) disparaît. Quant à la constante a -2(3" , elle peut être remplacée par a -cosu>a à cause de la relation .■> '> *'-2S " COSO)a=r * "'J , 7.'- trouvée également par M. Bertrand d'après la méthode de Gauss, et ser- vant à déterminer l'angle wa de raccordement du liquide inférieur con- sidéré seul; nous aurons donc P = L x''2p cos (o _ c'est-à-dire que le poids soulevé est le même que si le liquide inférieur était seul; mais la théorie des tensions donne LFa cos ^ = F ^ cos w ^ + Fp T cos w ^ ; d'où, en ajoutant ces deux relations membre à membre Fa{CM)swa = Fïcoswï-f-Fapcos(daP4.Fpïcosu)p^ résultat conforme à l'équation (1 bis). IV. — En résumé, il y a un accord complet entre les trois théories que j'ai voulu comparer en les appliquant successivement à la solution d'un même problème ; mais toutes les trois supposent formellement: 1° que les liquides mis en présence n'agissent pas chimiquement l'un sur l'autre ; 2° que les liquides superposés aient avec la paroi solide un contact in- time, et 3° enfin que la ligne de contact commune à deux de ces liqui- des et à la paroi solide soit parfaitement régulière, afin que l'angle de raccordement soit le même en tous les points de cette ligne. Du moment où l'une ou l'autre de ces conditions n'est pas remplie, les résultats ci- dessus cessent d'être applicables dans toute leur généralité. Jusqu'à quel point l'expérience permet-elle de remplir les trois condi- tions que je viens d'énoncer? C'est ce que je me propose de rechercher dans un Mémoire spécial sur la question. Je dirai seulement ici que, dans l'expérience de Young, il me paraît certain qu'il y a une couche mince d'eau demeurant adhérente à la paroi de verre, et qu'ainsi l'huile n'arrive au contact avec la paroi solide qu'à une distance notable du sommet du ménisque : de cette manière, les choses se passent comme si la colonne liquide était mobile entre des parois de même nature qu'elle-même ; mais, dans ce cas, la force provenant de l'action du li- quide inférieur sur le tube n'intervient pas dans le phénomène, de sorte que la formule de M. Bertrand ne peut plus être employée. Les forces agissantes sont alors évidemment la tension de l'huile et celle de la sur- face commune des deux liquides: or, ainsi que l'a montré M. Quincke, la somme de ces deux tensions est notablement inférieure à la force con- tractile de l'eau: voilà pourquoi la colonne descend. 24 i PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE M. C.-M. (tARIEL Ingénieur des jionts et chaussées, Professeur agrégé à la Faculté .le médecine de Parii APPAREILS SCHEMAS POUR L'EXPOSITION DES LOIS ET PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE ÉLÉMENTAIRE — Séance d u -'? août 1871. — Ayant eu à plusieurs reprises, et notamment à l'École de médecine de Paris, l'occasion d'exposer les lois et les phénomènes de l'optique élémentaire, j'ai reconnu bientôt la difficulté de taire comprendre et retenir les résultais auxquels on est conduit alors que l'on ne peut s'appuyer sur les formules simples, qui nécessitent cependant la nota- tion algébrique, et que la discussion de ces formules est interdite par le manque de connaissances mathématiques, même les plus élé- mentaires. J'ai pensé qu'il y aurait moyen de faire saisir aux auditeurs la marche des rayons dans les différents cas, en employant des schémas mobiles analogues à ceux qui ont été, à diverses reprises, employés avec succès en physiologie : un tableau, représentant une coupe des milieux ou surfaces divers rencontrés par les rayons lumineux, sur lequel peuvent se mouvoir des règles représentant ces rayons lumineux, et dont les déplacements sont déterminés de manière à correspondre toujours à un cas de l'appareil optique, tel était le programme que je m'étais trac»' et qui me paraissait de nature à donner de bons résultats dans la pratique. La construction de pareils schémas pour la réflexion ne présente au- cune difficulté : les rayons incident et réfléchi sont, dans tous les cas, les côtés d'un losange articulé dont l'un des sommets est au point d'incidence et dont l'autre décrit la normale à la surface réfléchissante en ce point. Des dispositions analogues se rencontrent dans divers appareils, et bien que ces schémas doivent présenter quelques disposi- tions particulières pour la démonstration, nous ne croyons pas devoir insister (1). La question nous paraissait moins simple pour les phénomènes de la réfraction : il s'agissait, en effet, d'abord d'avoir un mode de liaison cinématique qui correspondît à la loi des sinus, et nous n'en connais- sions pas. Nous sommes arrivés au résultat, non sans tâtonnement, à l'aide des considérations suivantes : (l) Un appareil représentant la réflexion sur les miroirs combes a été présenté au congrès de Lille. C.-M. GAR.EL. — SCHÉMAS d'OPTIQUE ÉLÉMENTAIRE 2i'> Soient (lig. 22) XY la ligne de séparation de deux milieux diverse- ment réfringents; AI, un rayon incident; NIN , la normale au point d'incidence I. De ce point, comme centre, dé- crivons deux circonférences avec des rayons IF IE et IF tels que l'on ait — = m, m étant l'indice de réfraction du second milieu, par rapport au premier. Prolongeons le rayon incident Al jusqu'au point C où il rencontre la circonférence IE et menons la droite CD parallèle à la normale en I : le point D où cette parallèle rencontre la circonférence IF est un point du rayon réfracté IB cor- respondant au rayon incident IA. ci- • IG Nui ? = — et Sin r On a , 1G : II) e.i effet et par suite Sin i Sin r II) ÏC = '"' ligne Al et sur une Il est clair que cette condition est suffisante. Si donc on prend sur le prolongement d'un autre ligne IB deux points C et D à des distances convenablement choi- sies, et que l'on assujettisse ces points à la condition que la ligne qui les joint soit toujours perpendiculaire à une droite donnée XY, ces lignes seront respectivement le rayon incident et le rayon réfracté cor- respondant à deux milieux dont XY serait la ligne de séparation. La réalisation pratique de ces conditions m'a conduit à la disposition suivante (lig. 23) : sur un tableau divisé en deux parties par la ligne XY, se trouve une règle AC mobile autour du point 1 : la ligne IG est un côté d'un parallélogramme matériel défor- mable ICHK, dont les sommets I et K sont lixes sur la normale au point 1. La règle CH présente une coulisse dans laquelle s'engage un bouton D lixe sur une règle IB, pouvant tourner autour du point I ; on a d'ailleurs ID = m, m IC étant l'indice de réfraction du FIL milieu inférieur par rapport au milieu supé- rieur. En se reportant à la démonstration précédente, il est facile de voir que, dans ces conditions, AI et IB seront toujours respectivement un rayon incident et le rayon réfracté correspondant. 246 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE 11 convient de remarquer que, si on place le parallélogramme mobile dans la position ICI1K représentée par les lignes ponctuées, et si on place le boulon qui glisse dans la coulisse en un point D' tel que ID = IC, il est évident que la règle mobile dans la position IB repré- sentera le rayon réfléchi correspondant au rayon incident AI. Bien qu'il n'y ait pas, à notre avis, une aussi grande utilité, nous avons cherché à représenter d'une manière analogue la marche des rayons dans la double réfraction ; nous ne sommes pas encore arrivé à la solution complète, mais nous espérons être sur la voie. Possédant ainsi la représention schématique exacte du phénomène de la réfraction, il devenait facile de l'appliquer à l'exposition des chan- gements de direction qui se produisent lorsqu'un rayon passe d'un milieu dans un autre à travers une surface de séparation sphérique : il suffisait évidemment d'appliquer le parallélogramme de l'appareil pré- cédent sur une normale quelconque de la surface de séparation. Mais au lieu de placer les sommets I et K d'une manière fixe sur le tableau, nous les avons fixés sur une règle 00' (fig. 24), mobile elle-même au- tour du centre 0 de la surface réfringente, et se prolongeant en 10' d'une longueur égale au rayon. Une réglette LM égale au rayon peut contri- buer à former un parallélogramme OILM, dont le côté IL est toujours parallèle à l'axe QH. Si donc, on ne fixe pas le point I, on peut vérifier de visu, que pour des rayons tels que BI arrivant parallèlement à l'axe QR, et tant que ces rayons s'en écartent peu/ ils vont tous après la réfraction passer en un même point de l'axe F, foyer principal. La même disposition peut être prise pour le rayon IAj et l'on peut ainsi vérifier l'existence d'un second foyer. Si l'on enlève, au contraire, la réglette LM, et si l'on l\\c le point I à une petite distance du sommet P, les rayons Al et IB se meuvent de telle sorte qu'ils ont toujours, respectivement, l'un le rayon incident, l'autre le rayon réfracté. Nous avons supposé ici que le système était convergent, le milieu le plus réfringent se trouvant du côté de la concavité de la surface de. séparation. S'il en était autrement, il suffirait de retourner simplement C.-M. GARlEL. — SCHÉMAS d'oPTIQUE ÉLÉMENTAIRE 247 tout l'appareil mobile, de manière à fixer l'extrémité 0' au centre de Ja surface, le parallélogramme articulé étant alors du côté de la con- vexité de la courbe. Le mode de démonstration serait d'ailleurs le même. Nous laissons de côté divers détails que nous croyons utiles dans la pratique, mais qui allongeraient cette description sans présenter un grand intérêt. Nous avons construit un autre appareil mobile se plaçant sur le même tableau, et qui est basé sur l'emploi des plans focaux ; outre qu'il pourra servir lorsque l'on donnera la théorie de la rétraction sous cette' forme, comme il est plus simple, il devra être seul employé toutes les t'ois qu'il s'agira de montrer, sans démonstration, l'action des sur- faces réfringentes. Soient XY (fig. 25) la surface réfringente F/', et F'/", les plans focaux; soient également AI un rayon incident, f le point où il perce le plan Fie. 23. focal F/'; 113 le rayon réfracté correspondant, et f, le point où il perce, lé plan focal F/". On sait que si l'on mène le rayon /"'0, cette droite sera parallèle au rayon réfracté 1B, et que de même la ligne IA est parallèle à Of La ligure I/O/* est donc un parallélogramme et les dia- gonales se coupent en leurs milieux. Donc, les rayons incidents et ré- fractés percent les plans focaux en deux points qui sont en ligne droite avec le milieu du rayon qui aboutit au point d'incidence, et si le point I s'écarte peu de l'axe, on pourra confondre les plans fo- caux avec des arcs de cercle, ayant ce point milieu pour centre, et dont la longueur sera égale à la distance des plans focaux» L'appareil se compose alors d'une réglette 01 mobile autour de 0, et qui porte en son milieu m une règle ff telle que mf = mf\ deux règles mobiles autour du point 1 et s'appuyant sur les extrémités de ff, seront respectivement le rayon incident et le rayon réfracté cor- respondant . Comme pour l'appareil précédent) on peut démontrer dé visu l'exis* tence des foyers par une méthode analogue ; et de même, en reportant 248 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE UL" GLOBE la partie 01 du côté de la convexité de la surface de séparation, l'ap- pareil sert pour le cas d'un système divergent. Enfin, la même théorie de la réfraction de Gauss nous a permis de construire un appareil simple pour l'exposition des effets des lentilles. Soit en effet une lentille convergente, par exemple, dont F et F' sont les foyers (lig.2G), X et X les points nodaux, F/*et F'/'' les plans focaux, Gg et G'#' les plans situés à une distance double des plans focaux, NP et N'P, les plans principaux. Soient AI un rayon incident, /'le point où il perce le plan focal F ; PB le rayon réfracté correspondant et f' le point où il perce le plan focal F'. On sait : que I et I' sont sur une même paral- lèle à l'axe ; que tout rayon tel que /X sort parallèlement en Nh', et que tout rayon réfracté correspondant à un rayon incident qui passe en /', l'B par conséquent, est parallèle à N li et à /'X ; que de même les trois lignes AI, JiS et X/ sont parallèles. Dès lors, l'hexagone /Il'/'X'X a ses côtés opposés deux à deux égaux et parallèles, il a donc un centre en C à la rencontre de ses diagonales ; la ligne f/" passe donc toujours en ce point C, et y est divisée en parties égales, de plus, tant (jue les points l et 1' s'éloignent peu de l'axe, on peut admettre que //" égale fa distance des plans focaux. Donc une règle mobile autour de C d'une longueur égale à FF' se meut de telle sorte que sur ses extrémités s'appuient constamment les rayons incident et réfracté aboutissant en I et ['. On peut donc construire pour les lentilles un appareil analogue au précédent. Pour diverses raisons faciles à saisir, nous avons préféré remplacer la règle //' mobile autour de C par une autre règle gg\ de longueur à peu près double, mobile autour de 0, milieu de XX' et dont les ex- trémités décrivent les plans situés à une distance des plans principaux double de la distance focale, dette substitution, rigoureuse dans le cas C.-M. GARIEL.» — SCHÉMAS D'OPTIQUE ÉLÉMENTAIRE 249 où l'on néglige l'épaisseur de la lentille, conduit à des résultats aussi exacts que le comporte la théorie des lentilles, ainsi que nous allons le prouver tout à l'heure. Dans le cas où, dans un cours complet, on ne donnerait pas la théorie de Gauss, on démontrerait a posteriori que cet appareil donne bien les rayons incident et réfracté, en démontrant qu'on en peut conclure la formule connue. On a en effet : AG AN A' G' A'N' et • ■> G0-"i\l Gy N'1 D'où, à cause des longueurs égales , {} A' G' A'N" c'est-à-dire en employant les notations consacrées : \7~_ . = ^ ou PP — W = %fp — M>\ 1 1 1 c'est-à-dire pp = fp 4- fp et enfin — \- — -. p p / La même équation (1) en employant les notations qui se rapportent à la théorie de Gauss aurait conduit à l — 9 _ l + ? ou par addition et soustraction, 2i 2? — = t4t , c'est-à-dire IV = c2 2cp 2 1" Ce qui démontre, en même temps, la possibilité de transporter en 0 la règle mobile. Nous n'avons pas eu le temps de faire construire d'autres appareils que ceux que nous présentons aujourd'hui à la section de physique du Congrès de Lille ; mais nous avons les éléments qui nous permettront d'en établir d'autres dans le même ordre d'idées. Sans vouloir nous exagérer l'utilité de ces ajDpareils, nous croyons qu'ils peuvent rendre des services dans l'enseignement élémentaire, où il est nécessaire de parler aux yeux. Ces appareils de démonstration construits sur une assez grande échelle remplaceront avantageusement, pensons-nous, à cause de leur mobilité, les figures tracées sur le tableau noir. D'autres modèles plus petits, et que l'on pourra sans doute établir à un prix très-modéré, permettront à l'élève qui travaille seul de repas- ser ou d'apprendre des questions difficiles à saisir et à retenir, si l'on n'a pas à sa disposition au moins quelques notions de mathématiques. 20 250 PHYSIQUE. MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOUE M, E. MERCAEIER, Répétiteur à l'École polytechnique. ÉLECTRO-DIAPASON A PÉRIODE VARIABLE : SON EMPLOI COMME CHRONOGRAPHE, TONOMÈTRE ET INTERRUPTEUR — Séance du 22 août 1874 — Dans deux Notes insérées aux Comptes rendus de l'Académie des sciences, les 12 et 19 mai 1873, j'ai indiqué un nouveau moyen très- simple d'entretenir électriquement le mouvement d'un diapason. Le dispositif adopté alors est rendu plus commode en plaçant l'électro-aimant entre les branches du diapason, et la plaque et le style interrupteurs sur l'un des côtés. On obtient ainsi cet avantage, qu'un seul électro- aimant, un seul interrupteur, une seule pile, un seul support, peuvent servir pour des diapasons très-différents, pourvu que la distance inté- rieure de leurs branches soit à peu près la même. L'application de cet entretien électrique n'offre aucune difficulté poul- ies diapasons ordinairement usités dans la chronographie et dont le nombre de périodes par seconde varie environ de 64 à 2o6 (de \uti à \'ut3)>. Des recherches d'une nature particulière m'ont conduit à employer comme chronographes des diapasons d'un nombre de périodes beaucoup plus petit ou beaucoup plus grand. * I. Pour construire des électro-diapasons d'un nombre de périodes supé- rieur à 250, limite supérieure qu'on n'a pas dépassée usuellement jus- qu'ici, à ma connaissance, je n'ai rencontré, contre mon attente, aucune difficulté. 11 n'y a rien à changer à la disposition ordinaire. Par exem- ple, un électro-aimant formé d'une cinquantaine de tours de fil bien isolé, de 1 millimètre de diamètre, et un élément de pile au bichromate de potasse (grand modèle) suffisent pour activer des électro-diapasons qui ont jusqu'à 1024 périodes par seconde (ut5). L'application de ces instruments à la chronographie se fait très-aisé- ment. Si l'on ne veut évaluer que les millièmes de seconde, on peut prendre comme style enregistreur, soit une plume d'oie dont on a raclé l'extrémité jusqu'à ce qu'elle soit transparente et très-flexible, soit une plume faite avec une paille. Si l'on veut pousser plus loin l'approxima- tion et subdiviser microinétriquement l'intervalle qui marque les périodes E. MERCAD1EH. — ÉLECTRO-DIAPASON A PÉRIODE VARIABLE 251 et les millièmes de seconde, il convient de tracer la ligne médiane de la sinusoïde qui constitue le tracé du diapason sur un cylindre tournant recouvert de papier enfumé. Mais, pour cela, il faut que l'amplitude de la courbe soit suffisante. On y arrive en prenant comme style un fil d'acier fin et en utilisant les lois du mouvement de pareils styles, que j'ai indiquées précédemment (voir Comptes rendus, 15 et 22 septembre, 1er et 8 décembre 1873). J'ai pu obtenir ainsi des graphiques où l'am- plitude des sinusoïdes dépasse 3 millimètres et où l'espace qui repré- sente un millième de seconde est d'environ 2 millimètres ; j'espère pou- voir prochainement doubler encore cet espace et apprécier ainsi exacte- ment des fractions de seconde d'environ 0,00001. D'ailleurs, la certitude des indications de ces instruments sera jugée par l'examen des nombres suivants, qui représenten .es nombres de périodes de l'un d'eux obtenus dans des déterminations différentes : 900.44, 902.10, 902.75, 900.50, 900.12, 901.92, 900.13, 898.77, 899.75, 900, 898.78. La moyenne de ces nombres est 900.48, et leur erreur relative moyenne est de 0,001. L'instrument donne donc des neuf-centièmes de seconde, à 1 millième près de leur valeur. Des essais non encore terminés me permettent d'affirmer la possi- bilité de la construction d'électro-diapasons de deux à trois mille pé- riodes; mais je crois qu'on pourra aller encore plus loin avec les mêmes moyens. Les instruments de cette nature vibrent d'ailleurs en conservant un régime permanent aussi longtemps qu'on peut le désirer, à la condition de déplacer légèrement, de temps en temps, la plaque interruptrice sous le style correspondant, parce que les étincelles d'induction qui résultent d'interruptions aussi brèves (mille par seconde) finissent par creuser la plaque de platine, ce qui peut gêner les mouvements du style ; mais cette opération n'a pas d'inconvénients, car elle peut se faire aisément sans arrêter les vibrations du diapason. II. Lorsqu'on veut, au contraire, employer des diapasons d'un nombre de périodes inférieur à 64 {ut{), on est conduit à construire des ins- truments très-longs avec une épaisseur moyenne, ou très-minces avec une longueur moyenne. Les premiers sont gênants : on peut craindre, dans les autres, la production d'harmoniques et de battements. Heu- reusement l'entretien électrique empêche l'un et l'autre de ces incon- vénients, et l'on peut ainsi arriver, sans danger, à employer des élec- tro-diapasons de 30 centimètres de longueur et de 3mm,5 d'épaisseur, 252 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE qui donnent environ trente-deux périodes par seconde (ut0), dont la marche est parfaitement régulière et qui fournissent des graphiques où les sinusoïdes ne présentent pas trace d'harmoniques ni de battements. Si l'on veut descendre au-dessous de celte limite, il est à craindre que l'amincissement exagéré des branches n'augmente par trop leur fragilité; mais on peut arriver au même résultat sans toucher au dia- pason, par deux moyens bien connus, dont j'ai étudié en détail la valeur et l'emploi. Le premier moyen consiste à charger en deux points invariables les branches de l'instrument avec des masses additionnelles de poids croissants; le second, à leur adapter des curseurs, chargés de poids constants, qu'on fait glisser le long des branches à des distances variables des extrémités. On obtient ainsi, dans les" deux cas, des ins- truments qu'on peut appeler des électro-diapasons à période variable. L'emploi du premier moyen, appliqué près des extrémités des bran- ches, produit une décroissance de la période du diapason d'abord très- rapide, puis beaucoup plus lente; de sorte que si l'on construit la courbe AB (lig. 27) dont les abscisses sont les charges de l'instrument et les ordonnées son nombre de périodes par seconde, cette courbe s'abaisse d'abord assez vite vers l'axe des x, puis tend lentement à se rapprocher de cet axe, affectant ainsi une forme hyperbolique, qui montre clairement qu'au delà d*une certaine limite, pour un diapason donné, on n'a plus aucun avantage notable à augmenter la charge. Ainsi un diapason de 78 périodes est immédiatement réduit à la moitié par une charge d'environ 170 grammes seulement sur ses extrémités ; mais si l'on veut réduire au tiers la valeur de sa période, il faut aller jusqu'à des charges de 700 à 800 grammes. L'emploi du second moyen est, sous ce rapport et sous tous les autres du reste, plus avantageux ; aussi l'emploie-t-on depuis longtemps, mais dans des limites trop restreintes, qu'on peut beaucoup reculer sans aucun inconvénient. On est allé, par l'emploi de curseurs, jusqu'à abaisser de moitié le nombre des périodes d'un diapason, mais excep- tionnellement, et je ne crois pas qu'on ait dépassé cette limite. Cela tient sans doute à la difficulté qu'on a de faire vibrer, avec l'archet ou par le choc, des diapasons chargés de curseurs qui ne sont pas iden- tiques de poids et de position (conditions difficiles à remplir; ; mais, avec l'entretien électrique, cette difficulté n'existe pas : il suffit que les conditions précédentes soient à peu près remplies pour que les vibra- tions se produisent et se maintiennent très-régulières. Les courbes CD (fig. 27) que l'on construit alors, en prenant pour abscisses les distances des curseurs aux extrémités, et pour ordonnées les nombres de périodes du diapason, s'obtiennent par points aussi nombreux qu'on le veut et très-facilement, en enregistrant, pour chaque position des E. MERCAD1EK. — ÉLECTRO-DIAPASON A PÉRIODE VARIABLE 253 curseurs, les vibrations du diapason, concurremment avec celles d'une horloge à secondes. Ces courbes tournent d'abord leur convexité vers 100»-' 3ûe 2SO icosr icor jocsr Fig. 27. l'axe des x, puis changent de courbure en présentant un point d'in- llexion ; elles s'élèvent ensuite très-lentement, en tendant vers une limite qui est précisément le nombre des périodes des instruments sans curseurs, et qu'onatteint très-sensiblement quand les curseurs sont encore à quelques centimètres du talon du diapason. Quelques nombres suffiront pour donner une idée des variations de période qu'on peut obtenir ainsi. Un diapason de 78 périodes est ra- mené à 30 à l'aide de curseurs de 300 grammes, glissant sur une lon- gueur de 22 centimètres. Le diapason cité plus haut, de 32 périodes, est ramené au tiers de ce nombre par des curseurs d'environ 600 gram- mes glissant sur une longueur de 26 centimètres, fournissant ainsi un excellent chronographe au dixième de seconde ; enfin un diapason de 482 périodes est ramené par les mêmes curseurs au quart de ce nom- bre, c'est-à-dire abaissé de deux octaves, par une course de 10 centi- mètres . III. On peut employer également ces instruments comme tonomètres. Cet emploi n'est pas nouveau : M. Kœnig, par exemple, a exposé en 1867 une série de huit grands diapasons à curseurs pour les quatre octaves comprises entre Yut^ (16 périodes) et Yut3 (2o6 périodes); mais l'en- tretien électrique permet d'opérer avec des curseurs d'un poids relati- vement considérable et, par suite, de réduire beaucoup le nombre des diapasons à employer. Ainsi la série qu'on vient d'indiquer peut être ré- duite a quatre diapasons et même à trois, en utilisant convenablement les lois du mouvement vibratoire des diapasons au sujet desquelles je donnerai prochainement les résultats de recherches nouvelles. J'indi- querai à ce moment le nombre minimum de diapasons à période va- 254 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE riable, qui suffit pour pouvoir effectuer facilement l'évaluation numéri- que de sons dont la hauteur est supérieure à Yut3. Le procédé à employer pour faire cette évaluation consiste d'ailleurs à faire glisser les curseurs le long des branches de l' électro-diapason, jus- qu'à ce que le son qu'il produit soit à l'unisson de celui dont on veut déterminer le nombre de vibrations, cet unisson étant déterminé par l'absence de battements. Les branches de l'instrument ont été divisées préalablement en centimètres et millimètres, et l'on a déterminé, à l'aide d'une courbe analogue à celle dont il a été question ci-dessus, les nombres de périodes qui correspondent à une variation de 1 milli- mètre dans la course des curseurs. La courbe peut être tracée par points correspondant à chaque centimètre, et son examen montre que dans l'intervalle de chaque centimètre (sauf dans la partie la plus voi- sine de la courbure des branches du diapason), on peut admettre la proportionnalité entre la variation de la distance et celle du nombre des périodes. Il est donc assez facile de construire pour chaque électro-dia- pason chargé de curseurs d'un poids déterminé une table numérique qui indique immédiatement le nombre de périodes correspondant à une posi- tion donnée des curseurs. Il va sans dire qu'on peut employer aussi les électro-diapasons à période variable à la comparaison optique des mouvements vibratoires d'après les principes indiqués par M. Lissajous. Ils ont cet avantage de permettre avec un nombre restreint d'instruments de se servir comme termes de comparaison, dans une échelle très-étendue, des figures de l'unisson qui sont les plus simples. Un seul suffit d'ailleurs, en lui adap- tant un miroir, pour faire avec un autre diapason à miroir sans cur- seurs toutes les expériences relatives à la composition des mouvements vibratoires. Je ferai remarquer à cet égard que, lorsque après avoir amené les curseurs dans une position déterminée on a produit la courbe acoustique correspondante animée de ce balancement qui caractérise l'accord plus ou moins parfait des deux instruments, il est très-facile d'arriver à l'accord complet et de rendre la courbe stable sans arrêter le mouvement vibratoire. A cet eifet, un petit aimant est fixé sur la face supérieure de chacun des curseurs qui sont en plomb : on peut alors se servir de fils et de plaques en fer doux comme d'autant de petites masses additionnelles qu'on met en prise avec les pôles de l'aimant, ou qu'on retire à volonté. On produit ainsi facilement et graduellement la stabilité de la courbe, et on la rétablit si, par suite d'une cause quelconque, elle vient, à cesser. E. MERCADIER. — ÉLECTRO-DIAPASON A PÉRIODE VARIABLE 2oo IV. Enfin, on peut employer un électro-diapason à période variable comme interrupteur électrique pour produire et faire passer dans un appareil donné, électro-aimant, galvanomètre, bobine d'induction, eudiomètre, etc. , des courants ou des étincelles intermittents (c'est même dans ce but (pic ces recherches ont été entreprises). A cet effet, il n'y a rien à changer au système électrique de l'instru- ment : on ajoute aux extrémités de chaque branche un anneau fait avec une matière isolante, caoutchouc durci ou ivoire, par exemple, fixé au diapason par une vis. La partie inférieure de l'anneau porte une vis isolée du diapason, à l'aide de laquelle est fixé à l'anneau un style formé d'un fil ou d'une lame métallique dont l'extrémité oscille entre deux buttoirs reliés entre eux par une coulisse métallique le long de laquelle ils peuvent glisser. Le pôle positif d'une pile est relié à la vis isolée et au style par un fil flexible qui vibre en même temps que le diapason sans en gêner le mouvement, et les buttoirs au pôle négatif par un conducteur métallique dans lequel on intercale l'appareil qu'on veut soumettre à l'action des courants intermittents. On voit alors que chaque fois que le style entraîné par l'éleetro-diapason vibrant touchera l'un des buttoirs, le courant de la pile passera dans l'appareil en question pendant la durée du contact seulement. Dans les cas où l'on n'a pas à se préoccuper des extra-courants qui accompagnent toujours les courants intermittents, les buttoirs dont on vient de parler suffisent. Dans le cas où il est nécessaire de diminuer autant que possible leur influence, comme par exemple lorsqu'il s'agit d'animer une bobine d'induetion, on n'a qu'à remplacer les buttoirs par un godet rempli de mercure surmonté d'une couche d'alcool, comme dans l'interrupteur de Foucault, en plaçant l'appareil de façon que la vibration du diapason s'effectue dans un plan vertical, ce qui ne pré- sente aucune difficulté (1). En fixant à chaque branche du diapason des styles d'inégale longueur et taraudés de façon à se mouvoir dans un écrou fixe, on peut d'ailleurs faire en sorte qu'ils plongent alternative- ment dans le mercure en produisant ainsi, comme cela a lieu avec les buttoirs, deux interruptions pour chaque période du diapason ou une pour chaque vibration. En faisant glisser les curseurs le long des branches, on détermine ainsi le nombre d'interruptions par seconde que l'on veut. Ainsi un électro-diapason de 30 périodes, réduit à 10 par les curseurs placés au \\) Une disposition nouvelle, que je n'ai pas encore eu le temps d'étudier suffisamment, per- mettra même, je pense, d'éviter ce changement du plan de la vibration. 25G PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE [DU GLOBE bout des brandies, peut donner à volonté de 10 à 60 interruptions par seconde. Avec un second instrument pareil de 120 périodes, on peut produire de 00 à 2i0 interruptions par seconde, et ainsi de suite. Il me semble qn'un interrupteur de ce genre présente sur l'interrup- teur de Foucault plusieurs avantages notables : 1° Il est, à volonté, à simple ou à double elïet. 2° Les deux systèmes électriques qui produisent, l'un l'entretien du mouvement vibratoire du diapason interrupteur, l'autre les courants intermittents, sont nettement et clairement séparés, ce qui n'a pas lieu dans l'interrupteur de Foucault. 3° L'isochronisme parlait des vibrations du diapason maintient, quelle que soit leur amplitude, un nombre constant d'interruptions par seconde pour chaque position des curseurs mobiles. 4n Le mouvement de l'appareil est continu ; il peut durer longtemps, jour et nuit : il ne s'arrête pas, comme celui des interrupteurs ordinaires, sans qu'on puisse le plus souvent déterminer la cause de l'arrêt. 5° Enfin on peut arriver, avec une disposition additionnelle simple, à l'aire varier la durée individuelle de chaque interruption. Au lieu de faire butter le style contre des buttoirs, on n'a qu'à le faire frotter sur une plaque métallique en forme de triangle aigu incrusté dans une plaque isolante en ivoire, la direction des vibrations étant perpendiculaire à la hauteur du triangle. La plaque peut d'ailleurs être animée de deux mou- vements rectangulaires dans son plan, et une vis permet de la rapprocher plus ou moins de la pointe du style. On conçoit alors aisément qu'on puisse produire ainsi soit une, soit deux interruptions par période, et que, suivant la portion du triangle frottée, la durée de chaque interruption soit une fraction donnée de la période. Les premiers essais que j'ai faits de ce dispositif m'ont donné de bons résultats. Je compte l'appliquer à l'étude des courants intermittents. MM. TEEQÏÏEM et TEAMIN APPAREIL DESTINÉ A PERCER LES LAMES [DE VERRE A L'AIDE DE L'ÉTINCELLE ÉLECTRIQUE — Séance du 22 août 18' 'i. — On connaît les difficultés que l'on éprouve lorsqu'on cherche a percer une lame de verre un peu épaisse, à l'aide des étincelles des machines 1 r i Mm m i: T' TERQUEM ET TRANNIN. — APPAREIL A PERCER LE VERRE 237 électriques ou de la bobine d'induction. L'appareil que l'on emploie habituellement doit être préparé longtemps d'avance afin que la résine soit refroidie, et il ne peut servir qu'une seule fois. Si, par hasard, le retrait a produit la moindre lissure entre le verre et la résine, l'étincelle, au lieu de percer la lame, tourne autour de la lame et tout est à recom- mencer. L'expérience faite dans ces conditions ne laisse pas que d'être toujours pénible, longue et incertaine. Nous avons cherché à réaliser un appareil qui permît d'opérer à coup sûr et d'tmc manière continue, pour ainsi dire. Après quelques tâton- nements, voici la disposition à laquelle nous nous sommes arrêtés et qui nous a donné d'excellents résultats : Notre appareil se compose de deux parties mobiles, entre lesquelles est placée la lame à percer (fig. 28). La partie supérieure se compose d'une tige MP en cuivre, entourée de deux tubes de verre de diamètre différents TUTU' et tut'u'. La tige porte en haut une boule métallique M et est terminée en bas par une pointe P très-aiguë qui entre dans une ouver- ture 0 percée dans une lame de glace LL', sur laquelle reposent les deux tubes de verre. Les intervalles compris entre la tige et les tubes sont remplis d'ar- canson, mélange de cire et de résine, qui isole parfaitement et fait adhérer fortement la lame de glace LL' contre les extrémités rodées Ull' et uvl des deux tubes. L'extrémité en pointe P de la tige est située dans le plan inférieur de la lame LL. L'autre partie mobile de l'appareil se compose d'une tige de cuivre coudée P'BN. La pointe P' passe dans la petite ouverture 0' d'une glace L^' réunie à un cylindre de verre cyc'y' par de l'ar- canson qui le remplit et maintient la tige P'BN. Ce cylindre est percé latéra- lement d'une ouverture (e) afin de laisser passer la partie coudée BN; il repose par sa base sur une soucoupe de porcelaine SS' encastrée dans un socle en bois E. Des vis calantes, vv', permettent de placer la glace LjL/ dans un plan horizontal. La lame à percer, humectée d'huile sur ses deux faces, est placée entre les lames LL' et LjL/; l'huile en excès tombe ?\\\\\\\TC j l\N\\\\\\-/tgN\x\\\\\| w Fiff. 28. 238 PHYSIQUE. MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE dans la soucoupe. Si on a eu soin de prendre des lames de glace rec- tangulaires et égales et de les percer en leurs milieux, il suffira, pour mettre les deux pointes en regard, de placer les deux lames de façon qu'elles se recouvrent exactement l'une et l'autre. Dans ces conditions, les communications étant établies en M et N avec la machine, l'étin- celle percera du premier coup une lame de verre d'une épaisseur pro- portionnée a la tension de la machine. Avec une machine de Holtz de 60 centimètres de diamètre, nous perçons une lame de 12 à lo milli- mètres d'épaisseur. En déplaçant légèrement cette lame, on peut la percer de nouveau à une petite distance du premier trou; nous avons ainsi des lames percées en cinq ou six endroits différents. Il y a une précaution à prendre lorsqu'on coule l'arcanson dans les tubes de verre. Comme cette matière éprouve un retrait considérable par le refroidissement, il faut n'en verser dans les tubes que de petites quantités à la fois, et attendre que la soliditication soit complète, avant d'en ajouter de" nouveau. En opérant ainsi, le retrait se fera toujours sur les couches nouvelles et la masse sera parfaitement homogène. Si on négligeait cette précaution, le retrait briserait en outre infailliblement la lame LL'. Le rôle de l'huile qu'on interpose entre le verre à percer et les lames de glace est d'empêcher l'étincelle électrique de tourner autour du verre; aussi convient-il d'employer l'huile d'olive de préférence à toute autre, à cause de son plus grand pouvoir isolant. Il est bon de presser les lames de glaces contre le verre afin d'em- pêcher le glissement de ces différentes surfaces lubrifiées par l'huile ; nous nous servons quelquefois dans ce but de pinces en bois. Quand on veut obtenir la maximum de tension d'une machine de Holtz, il est indispensable de la débarrasser de tous les conducteurs inutiles et particulièrement des conducteurs verticaux reliés par des plaques d'ébonite au bâti de la machine et qui pourraient agir par in- fluence. Il est encore très-utile d'envelopper de tubes de caoutchouc les conducteurs auxiliaires qui relient les extrémités M et N de l'appareil à percer le verre aux conducteurs de la machine. En opérant avec ces précautions, la machine ne subit aucune perte de tension et peut donner ainsi son maximum d'effet. Comme perfectionnement à la machine de Holtz, nous croyons bon de signaler celui que nous avons apporté à la construction des bouteilles de Leyde qu'on ajoute à la machine pour augmenter la puissance de l'étincelle. Au lieu de coller la lame d'étain sur la surface intérieure, nous la collons sur une feuille de papier que nous introduisons ensuite dans la bouteille. Les bouteilles ainsi modifiées ne se percent plus et donnent de bons résultats. A. LALLEMAND. — DIFFUSION LUMINEUSE 2Î)0 En faisant usage d'une bobine de Ruhmkorf donnant des étincelles de 32 centimètres de longueur, nous avous pu percer, avec le même appareil, des lames de verre ayant 3 centimètres d'épaisseur; nous avons donc lieu de penser que cet appareil fonctionnerait également bien, si l'on voulait percer des lames plus épaisses, en employant des bobines plus puissantes. M. A. LALLEMAND Doyen de la Faculté des sciences do Poitiers. SUR LA DIFFUSION LUMINEUSE — .Séance du 26 août 1874. — Lorsqu'on éclaire la surface mate d'un corps opaque par un faisceau de rayons solaires neutre ou polarisé, on observe des phénomènes com- plexes qui conduisent à identifier la diffusion, avec l'illumination des corps transparents, laquelle peut être considérée comme une diffusion intérieure. Un premier mode d'expérimentation consiste à faire tomber sur la sur- face du corps le spectre ordinaire d'un prisme de spath d'Islande, dont les arêtes sont parallèles ou perpendiculaires à l'axe du cristal. Les rayons solaires, émanés d'une fente étroite, traversent une lentille achro- matique et émergent ensuite du prisme complètement polarisés. La lumière du spectre est alors diffusée en tous sens, et reste visible quelle que soit la direction suivant laquelle on l'observe. En l'analysant avec un nicol, on reconnaît que si la substance est blanche, la dépolarisation est à peu près complète. Dans ce cas, la diffusion est un phénomène de fluorescence isochromatique ; chaque rayon polarisé du spectre excite la vibration des molécules superficielles du corps, celles-ci vibrent à l'unisson du rayon incident et émettent de la lumière neutre de même couleur et d'une intensité proportionnelle. Avec les corps colorés, la polarisation est partielle ; quelques-unes des couleurs du spectre prennent un vif éclat ; ce sont celles qui dominent dans la couleur propre du corps, et le nicol les affaiblit moins que toutes les autres dont la polarisation est presque complète. C'est ainsi que dans le cinabre, le minium etc. , le rouge et l'orange dominent ; l'ana- lyseur diminue peu leur intensité, tandis qu'il éteint presque complè- tement les couleurs les plus réfrangibles. Les corps colorés en bleu tels 200 PHYSIQUE. — MÉTÉ0H0L0GIE ET PHYSIQUE DU GLOBE que l'indigo, les sels de cobalt, etc., donnent des résultats inverses. La diffusion dans ce cas résulte de deux effets distincts : une partie de la lumière incidente est absorbée par la couche superficielle du corps et développe une fluorescence, en général isochromatique. L'autre partie éprouve une sorte de réflexion moléculaire qui constitue une véritable diffusion. La polarisation du rayon incident y est conservée ; l'intensité du rayon diffusé et l'orientation du plan de polarisation indiquent un phénomène identique à celui que nous offrent les corps transparents il- luminés. C'est une simple propagation en tout sens du mouvement lu- mineux incident, de telle sorte que suivant une direction donnée, la vibration de l'éther dans le rayon diffusé est toujours la projection du mouvement vibratoire incident. Les corps noirs tels que l'oxyde de cuivre, le noir de fumée, etc., dif- fusent le spectre à la manière des corps colorés; mais la fluorescence développée par les rayons incidents est toujours très-faible, et la lumière véritablement diffusée, qui a conservé la polarisation, est relativement intense. L'absence de coloration dans la lumière que diffusent les corps noirs, éclairés par la lumière blanche polarisée, donne aux phénomènes de diffusion une grande netteté, et permet une détermination assez pré- cise de l'intensité et de l'orientation du plan de polarisation des rayons diffusés. Le noir de fumée surtout, déposé par la flamme du gaz sur une surface polie, se prête à des mesures rigoureuses. Supposons la plaque enfumée verticale, et éclairons-la par un fais- ceau horizontal de lumière blanche polarisée : soit w, l'angle que fait le rayon diffusé, supposé horizontal, avec le rayon incident; a et C, les angles des plans de polarisation du rayon incident et du rayon diffusé avec les plans verticaux qui contiennent ces rayons. Si l'on admet que le mouvement vibratoire de l'éther dans la lumière diffusée représente la projection du mouvement vibratoire incident, l'intensité I de la lu- mière diffusée a pour expression T. 1 — cos- a sin3 w 1 = K COS 0) et l'angle C doit vérifier la relation, tang a=cosw tang C. Les mesures photométriques et la détermination de l'angle C qui s'obtient avec assez de précision au moyen d'un biquarlz, ont justifié ces conclusions. La formule qui détermine l'angle C indique que, dans le cas de io = 90", c'est-à-dire quand l'observateur vise dans une direction^ nor- male au rayon incident, C = 90°, quelle que soit la valeur de a ; mais si en même temps a = 0, l'intensité du rayon diffusé doit être nulle. Dans ce cas particulier, l'œil ne reçoit qu'une lumière neutre due à la fluorescence. C'est le résultat que donne le noir de fumée; il présente A. LALLEMAND. — DIFFUSION LUMINEUSE 201 alors une teinte jaune, qui prouve une absorption relativement plus forte des rayons violets. Quand on opère sur d'autres corps mats, noirs ou colorés, l'angle G déterminé par l'expérience est intérieur à la valeur calculée, tant que w est plus petit que 90°, et d'autant plus faible que a est plus grand. D'un autre côté, pour le cas particulier de a =: 0, w = 00°, la pola- risation persiste dans le rayon diffusé, et l'on est ainsi conduit à recon- naître que la diffusion dans la plupart des corps est un phénomène multiple, de telle sorte que la diffusion proprement dite avec ses carac- tères simples, telle qu'elle a été définie plus haut, est toujours compli- quée d'une réflexion. Il ne s'agit pas ici de la réflexion spéculaire, qui s'opère sur une surface polie, considérée comme une surface géomé- trique, mais d'une réflexion régulière sur les facettes que présentent les aspérités superficielles, et qui sont normales a la bissectrice de l'angle formé par le rayon incident et le rayon diffusé. Cette manière d'envi- sager la diffusion est justifiée par l'invariabilité du plan de polarisation de la lumière diffusée, alors que l'on fait varier l'angle suivant lequel la lumière incidente rencontre la surface du corps, depuis l'incidence normale jusqu'à l'incidence presque rasante. D'un autre côté, l'angle d'incidence correspondant à la réflexion dif- fuse étant égal à 1/2 w, en augmentant graduellement sa valeur, on atteint l'angle de polarisation maximum. Dans ce cas, le plan de pola- risation du rayon réfléchi se confond avec le plan d'incidence, et l'azi- mut de polarisation du rayon diffusé éprouve des perturbations et des variations extrêmes, qui dépendent des proportions de lumière diffuse et de lumière réfléchie qui composent le rayon diffusé. L'étude d'une lame de verre noir, polie d'un côté et mate de l'autre, fournit à cet égard des résultats instructifs qui viennent tous à l'appui de l'interpré- tation du phénomène de la diffusion dans le sens que je viens d'in- diquer. A ce point de vue, il y a deux directions particulières du rayon dif- fusé, qui permettent d'isoler le rayon réfléchi, et aussi le rayon diffusé proprement dit, dans les cas peu nombreux de la réflexion vitreuse pour lesquels les formules de Fresnel sont applicables : c'est lorsque pour a = 0, on a g> = 90°, et 1/2 w égal à l'angle de polarisation maximum. En faisant varier a dans ces deux cas, on pourrait, à l'aide de mesures précises d'azimuts de polarisation, déterminer le rapport des propor- tions de lumière diffusée et réfléchie et en conclure le coefficient de diffusion. Les nombres que j'ai obtenus n'ont pas une exactitude suffi- sante pour que j'aie pu aborder utilement un pareil calcul. J'ai seule- ment constaté que la diffusion proprement dite est le phénomène do- minant dans l'indigo, le bleu de Prusse, le sulfure et le phosphure de 262 PHYSIQUE. JIÉTÉOIiOLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE cuivre obtenus par précipitation, etc.; tandis que dans l'oxyde de cuivre, le sulfure noir de mercure, le noir d'aniline, l'oxyde noir d'urane, le verre dépoli, etc., la lumière réfléchie est en proportion plus grande que la lumière diffusée. Ajoutons que certains corps, tels que les sul- fures de plomb et d'argent précipités, donnent aux rayons diffusés des caractères non équivoques de polarisation elliptique, et l'on peut alors juger des complications que présente le phénomène de la diffusion, et la nécessité de faire intervenir dans cette étude les compensateurs et appareils appropriés à l'étude de la réflexion elliptique. Le résumé succinct que je viens de donner de ces premiers essais a pour but de définir les caractères essentiels de la diffusion lumineuse, et d'établir qu'elle constitue un phénomène complexe dans lequel inter- viennent à la fois : 1° la diffusion proprement dite, régie par les mêmes lois que la diffusion intérieure ou illumination des corps transparents ; 2° la réflexion régulière sur les aspérités de la surface ; 3° la fluores- cence. M. A. COMU Ingénieur des mines, Professeur à l'École polytechnique. SUR LE LEVIER A REFLEXION — Séance du 26 août- 187 4. — La nécessité de mesurer de petites longueurs en valeur absolue m'a conduit à employer un dispositif expérimental applicable à une foule de cas : je l'appellerai levier à réflexion, et décrirai une de ses applications à la mesure ds petites épaisseurs et à celle de la courbure des surfaces cylindriques et sphériques : sous cette forme on peut le nommer le sphéromètre à réflexion. Fig. 29. Imaginons un fléau de la balance (fig. 29) reposant sur un couteau ou mieux sur deux pointes PP et présentant à chaque extrémité une pointe A. CORNU. — LEVIER A RÉFLEXION 2(J3 A et A'. Il porte en son milieu un miroir plan parallèle à la ligne des deux pointes PP' et perpendiculaire à la ligne des deux autres AA. Il est en équilibre instable lorsque la ligne AA est horizontale ; on allège la monture centrale de façon (pie le contre de gravité soit aussi près que possible de Taxe AA'. Imaginons ce levier placé sur un plan et les quatre pointes réglées de façon à poser à la l'ois sur la surface d'un plan : plaçons sous les pointes PP' une lame à faces parallèles dont on veut connaître l'épaisseur ; alors le levier ne portera plus sur les quatre pointes : on pourra le faire basculer autour de l'axe PP'. Si l'on observe l'angle dont le levier se déplace dans cette rotation (ce qui est très-aisé avec une lunette et une échelle divisée se réfléchissant dans le miroir), on déduira de la longueur du levier l'épaisseur e qu'on désire obtenir. En effet, dans le triangle PAQ (fig.30), on a sin PAQ = j, / étant la demi-longueur du levier. Le mouvement de bascule double cet angle, et la réflexion double encore une fois, de sorte qu'on observe quatre fois l'angle PAQ. vi7^ — si ! Fig. 30. Si l'épaisseur est petite par rapport à la demi-longueur du levier, on pourra remplacer les sinus et tangentes par les arcs, de sorte que l'on pourra écrire e = l a, a étant le quart de l'angle mesuré sur l'échelle divisée, c'est-à-dire tel que n — ri 4D a, n et ri étant les points de division extrêmes visée par la lunette, et D la distance du miroir à l'échelle. L'observation que nous venons de décrire suppose que les quatre pointes sont dans un même plan : on arrive assez aisément à cette con- dition en prenant pour AA les pointes du deux vis à iilet très-petit : avec quelques précautions dans la manœuvre, on arrive k serrer ou desserrer l'une d'elles de façon que le mouvement de bascule devienne 2Gi PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE de plus en plus petit, lorsque l'appareil est posé sur un plan. Mais on peut se passer de ee réglage à l'aide d'une observation préliminaire: en effet, supposons que la ligne AA.' soit située au-dessus de l'axe de rota- tion PP' à une distance h: lorsqu'on fera basculer le levier sur un plan, on observera un angle de rotation a, tel que h . , h sin a0 = — ou simplement a0 = —, d'où l'on conclura la quantité h. Si maintenant on veut mesurer une autre épaisseur e (/ig. 31), le dé- placement angulaire du levier correspondra à la somme de l'angle a0 et de l'angle a, qu'on aurait mesuré si h était nul. On retranchera donc de la différence des lectures faites sur l'échelle divisée n — ri, lors de la mesure de l'épaisseur cherchée, la différence ,io — n'n> faites lors de l'observation initiale du levier seul ; on aura alors (n — ri) — (n0 — ri0) e = IX 4 D Ce dispositif a, sur le sphéromètre ordinaire, l'avantage d'une simpli- cité telle que chacun peut aisément le construire de ses mains. Cet avantage, déjà fort important, n'est pas le principal. Le levier à réflexion a surtout pour but de permettre les mesures absolues, c'est-à-dire rap- portées à l'unité de longueur vraie. Or l'unité de longueur est donnée soit par une règle étalonnée, soit par une machine à diviser. Comme le pas de la vis d'une telle machine est rarement métrique, on parvient, à l'aide d'un microscope placé sur le chariot de la machine, à déterminer la valeur métrique du pas de la vis, à l'aide d'une règle auxiliaire : ces deux instruments, règle et machine, sont donc équivalents. Mais un sphéromètre à vis est excessivement difficile à comparer avec une machine à diviser ou avec une règle : en tous cas, les modes de comparaison usités jusqu'à ce jour sont très-indirects; si bien qu'en gé- néral on se contente de l'affirmation du constructeur pour la valeur du pas de la vis du sphéromètre : ce qui conduit quelquefois à des erreurs de 4 pour 100 et au delà pour la valeur absolue des quantités qu'on A. CORNU. — LEVIER A RÉFLEXION 205 mesure. Le levier à réflexion n'est point sujet à ces causes d'erreur. La longueur 2 / des deux pointes se détermine avec une machine à diviser, à As de millimètre près : si 2 l = 100""" environ, on a une précision relative de J„„. Comme le pas de la vis a pu être comparé à une bonne règle, la mesure réduite de 2 /est absolue. 11 ne reste plus qu'à tracer ou à mesurer avec la même machine les traits de l'échelle divisée qu'on emploiera et à vérifier, toujours avec la même machine à diviser, la règle avec laquelle on mesurera D, distance de l'échelle au plan de réflexion. En général, il suffira de prendre D = 1 à 2 mètres; l'approximation de D sera d'au moins \ milli- mètre, c'est-à-dire 2J',„ pour 1 mètre et ,0'1U pour 2 mètres. Quant à n — ri, comme on estime avec une bonne lunette ù de millimètre, il suffira de s'arranger de manière à avoir n — ri > 100mm pour avoir le millième comme erreur relative. En résumé, il sera donc aisé d'obtenir une précision voisine du mil- lième sur l'ensemble des opérations, ce qu'on est loin d'atteindre avec les sphéromètres. Le levier à réflexion est surtout utile pour la mesure des courbures, et spécialement en optique dans le cas de la mesure des éléments géo- métriques des lentilles, objectifs, miroirs, etc. Fig. 32. Fig. 33. Prenons le cas le plus général d'une courbure sphérique à mesurer (fig. 32). Le mouvement de rotation du levier posé sur la surface à me- surer s'effectue autour de la ligne passant par les deux pointes. On dé- termine donc ainsi la flèche de l'arc compris entre les points touchés par les points AÀ'. Rigoureusement parlant, ce n'est pas cette flèche, mais cette flèche diminuée de la flèche de l'arc transversal compris entre les deux pointes PP'. Comme les pointes ne sont écartées que de la 21 26G PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE quantité nécessaire à ia stabilité du levier, la correction très- petite qu'elle nécessite (les flèches varient comme le carré des arcs), se fait à l'aide de la valeur approchée de la courbure. Soit et l'angle PAA'; la flèche f= PQ définie par cet angle est donnée par la formule /' = / sin a Le rayon p du cercle, passant par les trois points À, P, A', satisfait à la condition ^ = /-X2p. Le vrai rayon de courbure R passant par les points A, A', H, ÂÛ2 = P — /2 = HQ x (2 R — HQ). Or HP = f + z, z étant la petite flèche produite par l'écartement 2 e des pointes P, P'. Donc on a aussi (fig. 33) e- = z X (2 R — s) = 2R s approximativement. On peut, comme z est excessivement petit, se contenter de la valeur approchée p du rayon R, d'où e2 e2 e2 *~~ 2R = 2p=Z2 '' Substituant dans AQ-, il vient l2-f2 = (f+r)[<2l\-(f+r)], d'où Z2 — p 2R = m+p Sv+'i'+a- Or, on peut prendre aisément e2 e4 - = 0,1 , - = 0,01 et - = 0,0001, f qu'on peut négliger : de plus y est également très-petit; on peut donc V P e2 négliger le produit —j- ; développant en série le dénominateur, il vient, après avoir supprimé les termes négligeables : A. COUNU. — LEVIER A RÉFLEXION 267 Substituant la valeur de f, '"'(' ~ rD // en R = — ^ ou approximativement -M • L / sm a a\ iy a étant toujours le quart de l'angle observé sur la surface courbe di- minuée de l'angle observé sur un plan. Si l'angle a était un peu notable, il vaudrait mieux le calculer avec la Table de logarithmes par la formule il — n' 2 tang 2 a = j , qu'on trouve aisément d'après la condition que l'échelle est normale au rayon visuel lorsque le levier est dans la position moyenne. Pour s'habituer à l'usage du levier à réflexion, il est bon de l'employer à la mesure de la courbure d'un miroir concave, par exemple de la surface concave d'une lentille divergente. On a, en effet, une vérification très-délicate pour la mesure optique du rayon de. courbure; on répète les observations jusqu'à ce qu'on obtienne la concordance des deux valeurs. La détermination optique du rayon de courbure de la surface concave s'obtient aisément de la façon suivante : on dispose (fig. 34) un petit prisme hypoténuse P, de façon à renvoyer sur toute la surface du miroir MM' la lu- mière d'une lampe monochromatique (al- cool salé) rendue convergente sur la face ad par une lentille C. On colle avec un peu de cire un fil métallique d'environ \ de millimètre de diamètre sur la face aa' en a, de façon que ce fil parallèle aux arêtes dépasse de 4 à o millimètres la surface horizontale du prisme. Après quelques tâtonnements, on arrive aisément à recevoir l'image conju- guée de la face a du prisme au-dessus de Fis- 3<- ce prisme et dans le plan de cette face. On aperçoit alors l'image du fil à qui se projette sur Timage éclairée de la face du prisme et aussi le prolongement du fil a qui se détache sur le même fond brillant. Avec un oculaire (qui n'a pas besoin d'être achromatique) (Fautant plus puissant que le miroir concave sera plus parfait, on pourra observer le fil et son image côte à côte et régler la distance au miroir, de telle a. p 208 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE façon qu'ils soient bien dans un même plan perpendiculaire à l'axe principal du miroir. Il sullit alors de mesurer la distance du centre du miroir au plan commun des deux images pour avoir le rayon de courbure cherché. Pour la commodité et la précision de l'expérience, le prisme P, la lentille C, la lampe L et l'oculaire 0 doivent être disposés sur un même support qui glissera dans une coulisse dirigée suivant l'axe du miroir (1). Le levier optique se prête à une foule d'autres applications ; l'une des plus utiles est la mesure de la flèche des flexions des corps élas- tiques. Je suis parvenu avec ce dispositif à estimer de semblables mouvements d'une petitesse comparable aux longueurs d'onde de la lumière. Il suffit de diminuer suffisamment la longueur du bras de levier et d'augmenter à la fois la puissance de la lunette et la distance de l'échelle divisée. Au point de vue de la délicatesse, comme de la précision, l'appareil ne laisse donc rien à désirer : toutefois il ne faudrait pas se faire illusion sur les conditions géométriques de l'instrument et croire qu'on peut avoir à la fois l'extrême précision et l'extrême délicatesse : il y a là une question d'erreurs relatives facile à apprécier. En raccourcissant le levier, on perd en précision ce qu'on gagne en sensibilité. (1) La mesure absolue du rayon de courbure est fondée sur l'observation initiale du levier posé sur un plan parfait : il faut donc être assuré que cette dernière surface remplit cette condition ou au moins connaître cette courbure. Pour effectuer cette vérification, la méthode optique sui- vante est très-délicate. On choisit pour plan une lame de glace polie et l'on observe par réflexion sur sa surface l'image d'un objet éloigné ou la fente d'un collimateur, à l'aide d'une bonne lunette. Si l'on n'est pas obligé de modifier le tirage de la lunette pour voir l'objet directement et par réflexion, et surtout si l'image de cet objet est également nette sous toutes les incidences, la sur- face est suffisamment plane. Si l'image perd sa netteté, il faut rejeter la lame ou chercher si dans certains azimuts de réflexion la netteté des lignes perpendiculaires au plan d'incidence ne se conserve pas. Il arrive presque toujours qu'un de ces azimuts donne une image suffisante en modifiant le tirage ; on peut alors tirer parti de cette lame en calculant sa courbure suivant le plan de réflexion. En efïet, d'après la théorie des caustiques, on sait que la distance focale des rayons parallèles, après réflexion sous une incidence i, est égale à 8 =. \ R cos i, H étant le rayon de courbure de la surface dans le plan de réflexion ; on observe le Jépointcmcnt ou varia- tion de tirage de la lunette, on en conclut 8 d'oii R = En augmentant l'anglo d'incidence cos i \ on multiplie, pour ainsi dire, la courbure autant qu'on le veut par le facteur cos » M. DEPREZ. — ÉTINCELLE D'INDUCTION 2G9 M. Marcel DEPREZ Ingénieur civil. THÉORÈME SUR L'ESPACE NUISIBLE DES MACHINES A VAPEUR — Séance du S 6 août 1874. — M. M. Deprez démontre un théorème qu'il a déjà exposé dans la section de mécanique, d'où résulte que l'espace nuisible des cylindres des machines à va- peur et la compression de la vapeur qui s'opère dans ces cylindres pendant une partie de la course du piston, n'ont pas l'influence fâcheuse qu'on sup- pose généralement sur le rendement de la machine. M. Deprez fait, voir qu'il en résulte au contraire un avantage. M. Marcel DEPREZ iDgénirur civil. SUR L'ÉTINCELLE D'INDUCTION ET LES ELECTRO-AIMANTS (extrait du procès-verbal) — Séance du S 6 août 1874. — M. M. Deprez résume les recherches auxquelles il a dû se livrer pour ré- soudre des questions de balistique intérieure, notamment la détermination de la vitesse d'un boulet dans l'âme d'un canon et celle des pressions successi- ves de la poudre pendant le trajet du boulet. La difficulté de cette étude pro- vient de ce qu'il s'agit d'enregistrer des phénomènes qui se passent ou qui va- ' rient beaucoup dans un temps extrêmement court. M. Deprez expose qu'il a dû renoncer à l'étincelle d'induction comme organe d'enregistrement, parce que lorsque cette étincelle éclate entre une pointe fixe et une surface qui se dé- robe sous elle très-rapidement comme un cylindre qui fait par exemple dix tours par seconde, elle produit sur cette surface plusieurs traces entre lesquel- les on ne peut faire un choix, lors même qu'elles sont suffisamment visibles. Il a étudié alors les électro-aimants au point de vue de la rapidité de l'aiman- tation et de la désaimantation des noyaux et des palettes. Il a été conduit par ses études à employer des électro-aimants très-petits dont les noyaux sont taillés en biseaux entre lesquels s'engage une palette en fer extrêmement légère en forme de prisme triangulaire, et qui exécutent dans une seconde, sous l'action d'un ressort en caoutchouc, un grand nombre d'oscillations qui peut aller jusqu'à 270 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE 250. Il a pu obtenir ainsi des appareils qui, sous l'influence d'un courant, se meuvent instantanément avec une grande rapidité et une grande précision, et qui lui ont permis d'enregistrer les instants où se produisent des phénomènes- aussi rapides par exemple que les passages successifs d'une balle de fusil à tra- vers des cibles rapprochées les unes des autres de quelques décimètres à peine» M. XÀMBETJ Professeur au Collège de Suintes. SUR UNE APPLICATION DU PARATONNERRE DE MASSON — Séance du 26 août 1874. — Les fils conducteurs de l'électricité dans les télégraphes et les torpilles sont soumis aux actions électriques de la terre et de l'atmosphère; il se développe souvent dans ces fils des courants induits qui troublent les appareils, déterminent de vives étincelles, provoquent des commotions et des explosions. Pour empêcher ces irrégularités et obvier à ces incon- vénients, on a imaginé les paratonnerres : tous les télégraphistes con- naissent les appareils de MM. Stenheil, Walker, Bianchi, Masson. Dans le paratonnerre construit par M. Bianchi, le courant passe sur une boule métallique placée au centre de deux hémisphères en verre mastiquées à un anneau de métal disposé à l'intérieur : cet anneau est garni de pointes en cuivre qui entourent la boule sans la toucher et com- muniquent avec le sol par une garniture munie d'un robinet. Si l'on raréfie l'air dans l'appareil, l'électricité atmosphérique passe dans le sol par les pointes, et le courant de la pile, n'ayant qu'une faible tension, suit la boule et le fil conducteur. Au lieu de faire le vide dans l'appareil, Masson eut l'idée d'entourer les pointes d'alcool à 40°, auquel il attribuait la propriété de conduire l'électricité de tension et d'isoler le courant des piles. M. Planté, chef du service télégraphique dans les chemins de fer des Charentes, a eu l'occasion, dans des circonstances qui me paraissent dignes d'être notées, de faire une application du paratonnerre de Mas- son et lui a donné une nouvelle destination. Il n'avait pas à constater le peu d'efficacité de l'appareil employé comme parafoudre; de nombreuses expériences lui avaient prouvé que le pouvoir diviseur de l'alcool ne se manifeste d'une manière sûre que XAMBEU. — PARATONNERRE DE MASSON 271 si le liquide marque 90°; dans ce cas, l'alcool a une faible conductibi- lité, isole le courant voltaïque et laisse cependant passer l'électricité de tension . La Compagnie des chemins de fer des Gharentes emprunte, près de la gare d'Angoulême, une, portion de la voie de la ligne d'Orléans; elle a dû, pour relier les communications télégraphiques, à cette gare, installer un câble d'une longueur de mille mètres dans le tunnel d'arrivée. Ce câble contient cinq fds dont deux sont utilisés : l'un, pour fil omnibus, jusqu'à la station de Saint-Michel, distante d'Angoulême d'environ six kilomètres ; l'autre, pour iil direct, sur une longueur de cinquante kilo- mètres, allant à Cognac. La construction et l'installation du câble ne laissaient rien à désirer ; on pouvait compter après les essais de réception sur une marche régu- lière. Lorsque les appareils des postes furent placés dans le circuit, on constata la production des courants de charge qui s'accumulaient dans le câble. Le courant de retour parfaitement caractérisé augmentait d'in- tensité en même temps qu'augmentait la durée de transmission, de telle sorte qu'on pouvait croire que les appareils des deux correspondants étaient dans le même circuit. Des expériences nombreuses furent tentées pour remédier à ces inconvénients; c'est alors que M. Planté eut l'idée d'employer pour ce but spécial le paratonnerre de Masson. L'appareil se compose d'une éprouvette en verre remplie d'alcool à 90°; elle est fermée par un disque en caoutchouc durci qui permet d'.isoler entre eux les conducteurs, et qui D s'oppose à l'évaporation de l'alcool ; trois boutons B, C, B g A ^ç D sont placés sur le disque ; les deux B et C sont reliés par un fil d'argent de deux millimètres de diamètre qui descend jusqu'au fond de Féprouvette; le troisième bou- ton D communique avec un second iil d'argent F placé entre le premier. On dispose l'appareil dans le circuit en fixant le fil de la ligne au bouton B et le fil du poste en C, le bouton D communique avec le sol Le courant dynamique s'établit par le fil E et les Fis- se- courants de charge passent en F et vont dans le sol. Le câble se décharge dans le paratonnerre à mesure que se produit l'é- lectricité statique, et le poste fonctionne normalement. La station de Saint-Michel n'éprouve plus les perturbations constatées. L'alcool doit être renouvelé tous les six mois ; on constate, en effet, qu'après ce temps les courants de retour ont une tendance à reparaître; l'alcool devient meilleur conducteur en s'affaiblissant et perd son pou- voir diviseur : de plus, les fils d'argent sont attaqués ; on reconnaît après deux ou trois ans de service que leur diamètre est plus petit et qu'il 272 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE s'est formé au fond de l'éprouvette un précipité d'oxyde d'argent : tous ceux qui s'occupent de constructions télégraphiques savent que les con- tacts et les fils en argent sont préférables aux contacts en platine. Les électriciens peuvent, dans beaucoup de cas, faire l'application in- diquée par M. Planté, et des essais devraient être faits pour empêcher les courants statiques dans les fils conducteurs de l'électricité dans les torpilles. M. A. CORNU Ingénieur des mines, Professeur à l'École polytechnique. APPAREIL A ENREGISTRER LES DIXIEMES DE SECONDES (EXTRAIT DD PROCÈS-VERBAL) — Séance du 26 août 187 i. — M. Cornu décrit un appareil dont il se sert dans ses expériences sur la vi- tesse de la lumière, et qui lui sert à enregistrer des fractions du temps qui sont des parties aliquoles de la période d'une pendule astronomique, des dixiè- mes de seconde par exemple. C'est une lame élastique encastrée à un bout, et qui porte à l'autre un écrou mobile qui permet de faire varier sa période jus- qu'à ce qu'elle soit réglée au dixième de celle de la pendule. Le mouvement vi- bratoire de la lame est entretenu électriquement, à l'aide d'un électro-aimant dans l'intérieur duquel pénètre une tige en fer doux lixé à la lame vibrante, et qui est parcouru par un courant à toutes les secondes ou toutes les demi- secondes. A ebacune de ses périodes, la lame élastique ferme le circuit d'une pile qui anime un électro-aimant enregistreur. Dès que la lame est bien ré- glée, elle se met spontanément en mouvement, et c'est même à ce signe qu'on reconnaît que le réglage est bon. La marche de la lame est d'ailleurs parfaite- ment régulière. M. TERQÏÏEM Professeur à lri Faiulté des sciences do Lille. TRANSFORMATION DU VIBROSCOPE EN TONOMÈTRE — Séance du 26 août IS74. — M. Tkrquem rappelle les études qu'il a laites et publiées déjà sur la transfor- mation du vibroscope en tonoinètre (I): il présente des vibroscopes gradués aux membres de la section en indiquant la méthode qu'il emploie pour les obtenir. (I) Voir Comptes rendus de l'Académie des Sciences, 1 87 '. , Tome LXXVIII, p. 125. E. ALLUARI). OBSERVATOIRE DU PUY DE DOME 273 M. E. ALLÏÏAO Professeur à la Faculté des sciences de Clermont-Ferrand, Directeur de l'Observatoire météorologique du Puy de Dôme. OBSERVATOIRE MÉTÉOROLOGIQUE DU PUY DE DOME — Séance dit 27 août I81i. — Messieurs, Depuis plus de cinq ans, je poursuis la création d'un établissement scientifique qui sera unique dans son genre, aussi bien en France qu'à l'étranger. Dans quelques mois, sa construction sera terminée; dès lors il m'a semblé opportun d'attirer sur lui votre bienveillante attention. Je veux parler de l'observatoire météorologique du Puy de Dôme. Situation et forme exceptionnelles de la montagne du Puy de Dôme. — Beaucoup d'entre vous le savent, la montagne du Puy de Dôme, qu'ont rendue célèbre les expériences faites sur le baromètre en 1G48 par Périer, à l'instigation de Pascal, occupe à peu près le centre de la chaîne des Dômes. Elle dépasse de trois cents mètres environ tous les pays volcaniques qui l'entourent, lesquels forment une série de monti- cules détachés les uns des autres, sur une longueur d'à peu près quatre lieues au nord et quatre lieues au sud. Le Puy de Dôme s'élève comme un cône isolé au milieu de ces puys. De son sommet placé à une altitude de 1,468 mètres, le regard embrasse un vaste horizon ; la vue n'est gênée dans aucun sens. Au sud-ouest, à sept ou huit lieues, apparaît le massif du mont Dore; à une plus grande distance vers l'est, se montrent les montagnes du Forez ; à l'ouest, ce sont les départements de la Creuze et de la Corrèze, et au nord la plaine de la fertile Limagne. Exposé succinct du projet de l'observatoire météorologique du Puy de Dôme. — La forme même de la montagne du Puy de Dôme, l'isole- ment de son sommet à une altitude qui est le commencement de la région des nuages, son voisinage d'une grande ville, de Clermont, qui possède une faculté des sciences, et enfin le désir de renouer les traditions glo- rieuses des expériences de Pascal, telles sont les principales idées qui m'ont conduit au projet de création de l'observatoire météorologique du Puy de Dôme. Ce projet consiste : 1° A établir au point culminant du Puy de Dôme un pavillon destiné à abriter des instruments de météorologie; 2° A établir à Clermont même, près la Faculté des sciences, à onze cents mètres plus bas que le sommet de la montagne, et à une distance à vol d'oiseau de huit à neuf kilomètres seulement, les mêmes appareils scientifiques ; 274 PHYSIQUE. MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE 3° A relier les deux stations, la station de la montagne et celle de la plaine, par un télégraphe électrique, qui permette la comparaison in- cessante des observations faites en haut et en bas, et qui permette aussi une foule d'expériences simultanées entreprises dans [des conditions at- mosphériques si différentes. Voici, en deux mots, le projet. — [Entrons maintenant dans quelques détails : De la station de la Plaine. — Parlons d'abord de la station de la Plaine. Il nous a été impossible d'établir cette station à la Faculté des sciences même. Le local ne s'y prêtait pas. Nous avons loué pour dix ans, tout à côté, à quatre cent cinquante mètres, une maison avec un jardin et une portion de prairie. L'escalier de la maison est dans une tour carrée, à peu près orientée suivant les quatre points cardinaux. Nous y cons- truisons à la partie supérieure deux salles situées l'une au-dessus de l'autre, et nous la terminons par une terrasse qui sera élevée à vingt mètres au- dessus du sol. La salle supérieure est le cabinet de travail de l'aide physicien ; de là, il voit la montagne du Puy de Dôme ; le télégraphe qui en descend y aboutit, et se trouve sous sa main. Dans la salle située au-dessous sont placés les appareils enregistreurs. Dans la prairie, sous un abri convenable, sont disposés les autres instruments. Des ob- servations trihoraires s'y font régulièrement de six heures du matin à neuf heures du soir, depuis le 1er janvier de cette année. Elles ont été commencées le 1er janvier et continuées toute l'année 1873, dans de moins bonnes conditions; les instruments étaient alors placés dans le jardin de l'Académie, près le jardin des Plantes de la ville. De la station de la Montagne. — C'est la station delà Montagne qui a attiré notre attention d'une manière toute particulière. Là, en effet, étaient concentrées toutes les difficultés, et des difficultés de toute sorte. Expropriation des terrains pour cause d'utilité publique. — Le sommet du Puy de Dôme appartient à un grand nombre de personnes ; il a fallu recourir à une expropriation pour cause d'utilité publique. Elle se pour- suit en ce moment, et sera bientôt terminée. Cela a été la principale cause du retard dans les constructions. Amélioration de l'état des chemins qui conduisent a la base de la Montagne. — Réparation d'un chemin romain. — En 1872, on a amélioré l'état des chemins qui conduisent à la base de la montagne ; puis, sur les pentes du sud-ouest, on a réparé ou plutôt on a refait un vieux chemin, probablement un chemin romain ; on lui a donné une pente moyenne de quinze pour cent, et une largeur de trois à deux mètres. Maintenant, il rend facile l'ascension du Puy de Dôme ; on peut même la faire à cheval. C'est par ce chemin qu'une voiture attelée de trois mu- E. ALLUARD. — OBSERVATOIRE DU PUY DE DÔME 27a lets porte, quatre et cinq fois par jour des matériaux de toute sorte do la base au sommet. En 1872, on a construit aussi trois baraques, l'une à la base, et deux au sommet, pour loger les ouvriers qui devaient être] employés aux con- structions. Plan des constructions de l'observatoire a la Station de la Mon- tagne.— C'est dans l'été de l'année 1873 qu'ont été commencés les tra- vaux de construction. Le plan général des constructions comprend : 1° Une tour circulaire située au point culminant du Puy de Dôme; 2° Un bâtiment d'habitation placé à quinze mètres au-dessus de la cime de la montagne; il servira de logement au gardien et au directeur de l'observatoire ; 3° Une galerie souterraine qui reliera la tour à ce bâtiment. 1° La tour circulaire, située au point culminant du Puy de Dôme, aura un étage souterrain, entouré d'un corridor destiné à l'assainir, puis un rez-de-chaussée tout à fait aérien . Ce rez-de-chaussée d'un diamètre intérieur de 6 mètres, sera éclairé par quatre fenêtres orientées suivant les quatre points cardinaux. Les murs, ayant 1 mètre 1/2 d'épaisseur, le diamètre extérieur de la tour sera de 9 mètres. Elle se terminera à une hauteur de 7 mètres au-dessus du sol par une plate-forme d'un ac- cès facile, sur laquelle seront installés tous les instruments de météoro- logie qui doivent être exposés dehors à l'air libre. 2a Je ne dirai rien du bâtiment d'habitation qui renfermera le loge- ment du gardien et quelques salles pour le directeur de l'observatoire, si ce n'est qu'il sera construit avec soin, bien abrité au nord et à l'ouest, de manière à être habité toute l'année. Pour diminuer l'isolement du gardien, une petite hôtellerie sera annexée à son habitation ; de cette manière, nous pourrons donner l'accès de l'observatoire aux savants qui désireraient profiter de notre installation, qui sera unique au monde, pour y faire certaines recherches. 3° La galerie souterraine, qui reliera . la tour à l'habitation du gardien et à l'hôtellerie, permettra de se rendre facilement à la tour d'observa- tion, par tous les temps. Etat actuel des travaux. — Voici quel est l'état actuel des travaux. La galerie souterraine est entièrement percée et la tour circulaire est construite jusqu'au niveau du sol. Le rez-de-chaussée sera terminé en juillet, et si le mauvais temps ne se fait pas trop sentir, à la fin d'oc- tobre, nous pourrons y apporter quelques appareils. Récit abrégé des démarches faites pour obtenir la création de l'ob- servatoire du Puy-de-Dôme. — C'est au mois de mars 1869 que remon- tent les premières démarches que j'ai faites dans le but de créer l'ob- servatoire du Puy-de-Dôme. L'honorable M. Duruy était alors ministre 270 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE de l'instruction publique. Séduit par l'originalité et l'importance de mon projet, il l'accueillit avec la plus vive sympathie. Son successeur, M. Bourbeau, l'accueillit avec la môme faveur. Mais, pendant que ce projet réussissait à Paris, des envieux le minaient à Clermont même, et le faisaient échouer. Je le repris 'en 1870, avec le concours de l'hono- rable M. Mége, qui, pendant son court passage au ministère de l'ins- truction publique, s'est montré si dévoué à l'enseignement supérieur. Cette année-là, le Corps législatif vota une somme de 50,000 francs, comme part contributive de l'État. Après nos désastres, l'Assemblée na- tionale voulut bien maintenir cette somme au budget rectificatif de 1871. Puis, j'obtins du Conseil général du Puy de Dôme un crédit de 2o,000 francs, et la ville de Clermont, malgré une situation financière peu bril- lante, m'accorda aussi la somme de 2o,000 francs que je lui avais de- mandée. Ainsi, après trois ans d'efforts, j'étais parvenu à réunir une somme de 100,000 francs. 11 restait encore une grave difficulté à lever. Qui prendrait à sa charge tout l'imprévu de la création d'une œuvre aussi nouvelle et aussi hardie? Pourquoi ne le rappellerais-je pas? En 1800, lorsque je commençai à par- ler de la création d'un observatoire au sommet du Puy-de-Dôme, je ne rencontrai à Clermont même que bien peu d'encouragements : presque partout, j'étais accueilli par dessourires d'incrédulité, ou des sarcasmes qui ne sont pas parvenus à ébranler ma foi dans l'importance et la possibi- lité de mon œuvre. Grâce à un charmant et excellent rapport sur l'ob- servatoire du Puv de Dôme, adressé à M. le ministre de l'instruction publique, par M. Faye, membre de l'Institut, qui avait été délégué pour étudier cette question sur les lieux mêmes, l'opinion publique prit mon projet moins en pitié; grâce enfin à des discours et des écrits fréquents sur ce sujet, elle me devint favorable. Ce qui avait été traité de rêve et d'utopie ne parut plus que difficile à réaliser. Aussi n'ai-je pas craint, en avril 1872, de m'adresser de nouveau au Conseil général du Puy-de- Dôme, de lui demander de prendre sous son patronage l'observatoire, et de le déclarer établissement départemental. Ma demande, appuyée par 31. Albert Delmas, alors préfet à Clermont, et par M. Martha-Becker, président du Conseil général, a été bien accueillie, et le succès de mon entreprise a été assuré. Qu'il me soit permis, Messieurs, de remercier ici publiquement le Conseil général du Puy-de-Dôme; de sa libéralité envers la science: il a doté la météorologie d'un observatoire qui, j'en ai la conviction, apportera une vive lumière dans beaucoup de questions de la physique du globe. A ces remerciements je désire en ajouter d'autres pour les divers ministres, MM. Jules Simon, Batbié, de Fourtou et de Cumont, qui ont bien voulu donner des crédits importants pour l'achat des ins- E. ALLUARD. — OBSERVATOIRE DU PUY DE DÔME 277 truments de météorologie destinés à noln- établissement. La reconnais- sance du monde savant n'oubliera pas non plus M. du Mesnil, le directeur de l'enseignement supérieur au ministère de l'instruction pu- blique, qui a toujours favorisé mon projet de tout son pouvoir; M. Jo- seph Michon, préfet du Puy-de-Dôme, dont le concours dévoué a levé tous les obstacles qui se sont présentés, et M. Le Verrier, directeur de l'Observatoire de Paris, qui n'a cessé de me prêter l'appui de son autorité et de sa haute position. Découverte, a la cime du Puy de Dôme, des ruines grandioses d'un temple gallo-romain. — Je rappelais, il y a un instant, à quelles mo- queries j'avais été exposé en 1869, lorsque j'eus proposé de faire habiter toute l'année la cime du Puy de Dôme. Eh bien ! il y a un an, quand nous eûmes réuni sur le sommet de la montagne les ouvriers destinés à creuser les fondations de l'observatoire, nous songeâmes à leur faire pra- tiquer quelques tranchées à vingt mètres plus bas que le sommet. Nous y avons trouvé, à la grande surprise de tout le monde et à la confusion de ceux qui déclaraient le Puy de Dôme inhabitable, nous y avons trouvé, dis-je, les fondations d'un vaste édifice. Nous avons mis à dé- couvert les fondations de sa façade sur une longueur de 70 mètres, sans en atteindre les angles. Des fragments de marbre très-variés, et des plus beaux marbres connus dans l'antiquité, indiquent que l'édifice était dé- coré avec luxe à l'intérieur. Quel en était l'usage? Nous l'ignorons en- core. Des médailles d'empereurs romains des premiers siècles prouvent suffisamment l'ancienneté de cette construction. Les fouilles continuent cet été ; elles continueront l'année prochaine. Elles sont un attrait de plus pour faire l'ascension du Puy de Dôme. Je reviens à l'observatoire, pour ajouter une dernière remarque. L'observatoire météorologique du Puy de Dôme est une annexe de la Faculté des sciences : aussi pourra- t-il profiter de toutes les ressources expérimentales qu'offre cette Facullé. Alors, nos études ne se borneront pas à la météorologie proprement dite. Bien des questions de physique du globe pourront être examinées dans des conditions nouvelles, et, Mes- sieurs, si quelques-uns d'entre vous désirent profiter de cette installa- tion spéciale et venir y travailler, je serai heureux de leur ouvrir les portes de l'observatoire : ils seront les bienvenus. Nota. — L'exécution du projet de l'Observatoire du Puy de Dôme a été confié à M. Gautié, ingénieur des ponts et chaussées. M. Jacomet, inspecteur, chef du service télégraphique du département, a établi la ligne télégraphique qui réunit les deux stations de cet établissement. L'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Germon t-Ferrand s'est chargée des fouilles entreprises à la cime du Puy de Dôme, fouilles qui ont mis à découvert l'édifice ci-dessus indiqué. 278 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE M. MOMTZ Directeur de l'Observatoire de Tiflis. OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES DU CAUCASE (EXTRAIT Dl' PROCÈS-VERBAL] — Séance du 27 août 1874. — M. Moritz donne des renseignements sur les observatoires météorologiques établis sur tous les points de la région du Caucase, et sur les conditions cli- matologiques des diverses parties de cette région. 11 décrit ensuite et montre une photographie de l'appareil dont il se sert pour l'observation des tremblements de terre, si nombreux dans le pays qu'il habite. Cet instrument indique: 1° l'instant où se produit le tremblement, en faisant marcher à ce moment une montre arrêtée ordinairement à midi juste et une sonnerie d'avertissement ; 2° la direction vers laquelle le phénomène s'est pro- duit, à l'aide de quatre niveaux à bulle d'air dirigés vers les quatre points cardinaux, niveaux dont la surface est concave, et dont la bulle, en équilibre instable à la partie inférieure, remonte instantanément quand il se produit un soulèvement, et reste ensuite dans sa nouvelle position, indiquant ainsi, au moins approximativement, la direction du soulèvement; 3° enfin, l'intensité relative du tremblement, par l'oscillation d'une sorte de pendule bifilaire sup- portant un miroir, dont on apprécie l'angle décrit à l'aide d'une disposition analogue à celle des magnétomètres. M. h. TRAirra MESURE DE L'INTENSITE RELATIVE DES ELEMENTS CONSTITUTIFS DES SOURCES LUMINEUSES — Séance du 27 août 187i. — M. Trannin présente le photomètre qu'il a décrit récemment dans les comp- tes rendus de l'Académie des sciences (1), et qu'il destine à l'étude des élé- ments constitutifs des sources lumineuses. [i] Voir Co tes rendus de l'Académie des Sciences, 1873, Tome LXXVII. CH. GRAD. — MOUVEMENT DES GLACIERS 279 M. TERQÏÏEM Professeur à la Faculté des sciences de Lille. APPAREIL POUR LA DÉMONSTRATION DE LA PROPAGATION DES ONDES — Séance du 27 août 1874. — M. Teequem 'présente et fait fonctionner sons les yeux des membres de la section un appareil très-simple qui permet de montrer à un nombreux audi- toire le mécanisme de la propagation des ondes dans les divers cas que l'on considère habituellement. M. Charles GRAD Membre correspondant de l'Institut géologique d'Autriche. THÉORIE DU MOUVEMENT DES GLACIERS — Séance du 27 août 1874. — Le mouvement des glaciers se manifeste par le transport des rochers à leur surface et par l'invasion des glaces venues du haut des monta- gnes au fond des vallées. Non-seulement les grands blocs de rochers épars à la surface des glaciers changent de place sans aucun déplace- ment visible, même à défaut de pente sensible ou appréciable, mais les glaciers envahissent souvent les champs cultivés dans les Alpes et re- couvrent les maisons ou les chalets, sans mouvement perceptible à l'œil dans le courant de glace immobile en apparence. Dans les ré- gions polaires, au Groenland et sur les terres australes, où les glaciers atteignent le bord de la mer avec une épaisseur de 1,000 mètres par- fois, des tranches de glace énormes se détachent pendant l'été au-des- sus des eaux pour être enlevées et transportées ensuite par les courants océaniques à l'état de montagnes flottantes vers des régions plus chau- des où elles se fondent peu à peu. Immobiles en apparence, les glaciers, quoique solides et rigides, se meuvent donc continuellement avec un mouvement propre sur le sol ferme, depuis leur origine au sein des champs de neige persistante jusqu'à leur disparition sous l'influence de la fusion. On a essayé d'expliquer le mouvement des glaciers de plusieurs ma- nières différentes sans cependant rendre compte dans ces explications de tous les faits observés. Suivant les uns, les glaciers se meuvent sous l'effet de la pesanteur, comme un corps solide glissant sur un plan in- cliné. D'aorès d'autres, le mouvement des glaciers ressemble à l'écou- 280 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE lement des substances visqueuses et s'accomplit comme pour le goudron ou la mélasse. D'autres encore attribuent ce mouvement à la pression de la glace sur elle-même, qui fond et regèle alternativement la masse du glacier en la poussant en avant. A la théorie du glissement, soute- nue par Altmann, Gruner et Saussure; on peut objecter que les gla- ciers se meuvent sans glisser sur leur base à l'altitude où la tempéra- ture du sol reste pendant toute l'année au-dessous de 0° de manière à l'aire adhérer la glace au roc contre laquelle elle est gelée. Pour ce qui concerne la viscosité de la glace, déduite par Rendu et Forbes de l'analogie du mouvement des glaciers avec le mouvement des courants d'eau, nous savons que la glace se crevasse et se brise quand la pente du sol s'abaisse brusquement au lieu de s'étirer comme les matières visqueuses. Quant à la pression, dont 31. Tyndall a surtout fait ressor- tir l'influence, elle peut contribuer pour une certaine part au mouve- ment par suite du regel ; mais cette action n'explique pas comment le mouvement des glaciers se ralentit en hiver alors que l'accumulation des neiges augmente la pression, et elle ne rend pas bien compte non plus de la croissance des glaciers dans le sens de l'épaisseur. Toutes ces explications du mouvement des glaciers par glissement, sous l'influence de la pression ou en vertu de la plasticité, reposent sur des observa- tions exactes, mais elles sont insuffisantes ou erronées parce qu'elles n'embrassent pas l'ensemble des phénomènes dont le résultat modifie l'action de faits isolés auxquels on a attribué à tort une influence pré- pondérante. Pour être complètement vraie et par conséquent définitive, la théorie du mouvement des glaciers doit expliquer tous les phéno- mènes qui s'y rapportent avec les changements de structure qui accom- pagnent le passage des courants de glace des champs de neige des hau- tes régions à leur extrémité inférieure au fond des vallées. Composée de grains agglutinés et criblée de bulles d'air dans les régions supérieures, la glace des glaciers devient de plus en plus com- pacte en descendant vers l'extrémité inférieure, gagnant en transparence avec un accroissement de densité par l'expulsion graduelle des bulles gazeuzes. Ces changements se remarquent au premier coup d'œil et l'examen avec la lumière polarisée les confirme en indiquant des mo- difications de structure qui tendent à donner aux molécules de la glace glaciaire une disposition semblable aux molécules de la- glace d'eau. Malgré cela il y a toujours une grande différence entre la glace formée par la congélation des nappes d'eau et la glace des glaciers à toutes les hauteurs. La glace d'eau est réellement compacte et imperméable ; elle fond ordinairement sans se diviser, et si parfois elle se fendille par un dégel rapide, les fragments sont des aiguilles prismatiques, normales aux faces horizontales des glaçons. La glace glaciaire au contraire est CH. (IRAI). — MOUVEMENT DES GLACIERS 281 traversée par un réseau de fissures capillaires qui permettent l'infiltra- tion des liquides; elle se décompose d'ailleurs en fragments irréguliers, en grains plus ou moins gros quand on l'expose au soleil. C'est la per- sistance des tissures capillaires dans la glace des glaciers en apparence même la plus compacte, après l'expulsion des bulles d'air, qui permet l'infiltration à l'intérieur du glacier de l'eau de fusion dont la regel la- tion dilate la masse en la mettant en mouvement. Une expérience facile fait observer l'existence des fissures dans la glace glaciaire. On verse sur la glace une dissolution d'eau colorée soit par du sulfate d'indigo, soit par du violet d'aniline. Le liquide coloré traverse la glace glaciaire en un instant, lui donnant une apparence marbrée qui disparait après le passage du liquide à travers les fissures. M. Tyndall conteste l'existence de ces fissures d'après une expérience faite à la Mer de glaces et au glacier du Géant, près Chamounix. J'ai au contraire reconnu l'infiltration sur tous les glaciers où j'en ai fait l'essai avec M. Anatole Dupré, préparateur de chimie à la Sorbonne. Seulement nous avons constaté qu'après des nuits claires, au matin, il faut attendre le dégel pour que la circulation s'accomplisse près de la surface soit des blocs de glace, soit du glacier lui-même. Dans les blocs de glace pris à une certaine profondeur ou dont la partie superficielle était enlevée avec la scie, les liquides colorés circulaient parfaitement, même le matin. Ajoutons que la glace des régions inférieures nous a paru plus perméable que dans la partie supérieure des glaciers où les liquides se sont infiltrés plus lentement. Quand on remonte un glacier depuis son extrémité inférieure jusqu'à son origine dans les hautes régions, on est frappé des changements successifs qui apparaissent dans la constitution de sa surface. Une glace plus ou moins compacte et semblable à la glace d'eau se présente tout d'abord, puis vient une glace moins transparente et toute remplie de bulles d'air, suivie enfin de couches de névé grenu ou de neige. Il n'y a pas cependant de région où la neige ou le névé se trouvent seuls, car la glace existe partout sur toute l'étendue du glacier, même lors- qu'elle disparaît sous les dépôts supérieurs. Une séparation nette et constante se manifeste entre la glace et les champs de neige ou de névé qui la recouvrent en amas stratifiés plus ou moins considérables. Les neiges fraîches des régions supérieures se changent en névé grenu sous l'influence du soleil par suite d'une fusion partielle. Le névé persiste plus longtemps que la neige primitive, mais dans les années assez chaudes, il disparait aussi complètement. Ainsi, à la fin de l'été 4865, le glacier supérieur de Saint-Théodule, près du mont Cervin, se débar- rassa tout à fait de ses névés et resta à nu pendant un mois entier. Sur toute sa surface, le glacier était alors sali par un léger enduit de 22 282 PHYSIQUE. — MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE boue qui sépare la glace des nouvelles couches de névé qui s'accumu- lent pendant les années moins chaudes ou plus rigoureuses. Par une série de transformations faciles à suivre avec la lumière po- larisée, la glace des glaciers tend à prendre une structure analogue à celle de la glace formée à la surface des nappes d'eau, dont elle diffère cependant toujours par la persistance des fissures capillaires. En exa- minant la glace d'eau avec la lumière polarisée, David Brewster y re- connut les propriétés caractéristiques des cristaux uniaxes perpendicu- laires, c'est-à-dire que tous les cristaux qui composent une lame de glace d'eau ont leur axe vertical, quand cette lame est elle-même pa- rallèle à la surface de congélation. Si, dans l'appareil de Noremberg à lumière convergente on place sur le porte-objet une lame de glace prise à la surface d'une nappe d'eau, cette lame montre dans l'appareil des franges colorées composées d'anneaux concentriques traversés par une croix noire. Si la lame est taillée perpendiculairement à la surface, et si on la partage en deux morceaux que l'on superpose ensuite sur le porte- objet du même appareil, en croisant les lignes de rupture, on observe des franges formant deux groupes d'hyperboles conjuguées équilatères. Les lames taillées verticalement donnent des hyperboles, et les lames horizontales des anneaux. Quand la taille qui fournit les anneaux con- serve la môme direction dans un bloc de glace, cette glace est cristalli- sée régulièrement. Dans la lumière parallèle, les lames de glace com- posées de cristaux réguliers, donnant des anneaux dans la lumière con- vergente, ne produiront aucun effet ; mais lorsque le groupement des cristaux est irrégulier, on aperçoit une sorte de mosaïque colorée, quel- que chose comme un assemblage irrégulier de verres de couleur. A la limite des névés située dans les Alpes entre 2,800 et 3,000 mètres d'altitude, les lames de glace prise à une certaine profondeur dans le glacier et examinées dans la lumière parallèle de l'appareil de Norem- berg présentent la mosaïque colorée dont nous avons parlé tout à l'heure. La glace est donc formée en ce point de cristaux sans groupe- ment régulier. Dans la lumière convergente les mêmes lames font voir des franges disposées en tous sens et quelquefois des anneaux. Ces anneaux n'apparaissent cependant pas dans toutes les lames de glace prises en ce point, et quand ils apparaissent, ils n'occupent point dans le glacier de position régulière. Impossible de savoir si, en taillant des lames dans une direction quelconque à cette hauteur, ils fourniront des anneaux dans la lumière convergente. Toute la masse du glacier se com- pose encore de grains soudés les uns aux autres, presque tous de la dimension de nos lentilles comestibles et dont l'assemblage rappelle l'as- pect du frai de grenouilles. Plus bas et à mesure qu'on descend le long du courant de glace, les lames donnent plus souvent des anneaux dans €11. GRAD. — MOUVEMENT DES GLACIERS ^83 la lumière convergente. Près de L'extrémité intérieure des grands glaciers, ces anneaux observés dans la lumière convergente deviennent con- stants dans toutes les laines prises dans la même direction, ainsi que les hyperboles conjuguées équilafcères dans les lames prises dans une direction perpendiculaire aux lames avec anneaux. Avec la lumière pa- rallèle, les lames du glacier présentent toujours et à toutes les hauteurs une mosaïque colorée, dont les éléments de la grandeur d'une lentille dans les régions supérieures acquièrent le diamètre d'une pièce d'un franc au bas du glacier d'Aletsch. Les résultats de ces observations ont été les mêmes dans toutes les régions des Alpes. Nous les avons constatés suc- cessivement sur les glaciers de la Suisse, de la Savoie et du versant de l'Italie. Une suite de transformations continues changent la neige tombée sur les sommets et dans les cirques élevés des vallées en grains ou cris- taux qui tendent à prendre une structure analogue à celle de la glace d'eau. Comment s'opèrent ces transformations ? L'infiltration des liquides colorés démontre l'existence dans la glace des glaciers de fissures capil- laires imperceptibles à l'œil. La surface des glaciers, qu'elle se compose de glace à nu ou de neige, fond sous l'influence du soleil et l'eau pro- duite par la fusion y circule. A l'intérieur des galeries pratiquées dans la glace on voit l'eau suinter à travers les parois. D'autres observations indiquent le mouvement du glacier dans la direction de leur pente incli- née d'une part et de l'autre leur gonflement dans le sens de l'épaisseur. Ce gonflement élève ou rapproche de la surface les points de l'intérieur du glacier en augmentant l'épaisseur de la masse pendant que l'ablation des parties superficielles tend à la diminuer ou à la réduire par suite de la fusion. Puis pendant la fusion ou ablation de la surface, pendant l'in- filtration des eaux à travers les fissures capillaires, pendant le gonfle- ment et le mouvement des glaciers, la structure change de manière à transformer la glace grenue des hautes régions en cristaux compactes régulièrement groupés comme dans la glace formée directement par la congélation des nappes d'eau. Une relation intime se manifeste ainsi entre le mouvement du glacier et les transformations de la glace. Bref, le mouvement des glaciers provient de la dilatation causée par le regel de l'eau qui circule à travers les fissures capillaires en modifiant la structure du courant de glace. Je ne peux pas exposer ici tous les détails des observations et des ex- périences à l'appui de cette théorie, ni entreprendre la critique détaillée des explications antérieures proposées par tous les naturalistes qui se sont occupés des glaciers. Ce sera l'objet d'un ouvrage spécial que j'es- père pouvoir terminer bientôt. En attendant, nous nous bornerons à quelques chiffres sur la vitesse du mouvement et sur l'importance de 2r£Tf> GLACIERS 283 miuuc avec la chaleur, et elle s'accroît ainsi que la température moyenne de l'air depuis les sommets élevés jusqu'aux régions les plus basses. Elle s'attaque d'abord aux neiges et aux névés pour entamer ensuite la glace quand elle se trouve à nu . Elle commence quand le thermomètre s'élève au-dessus de 0n centigrade par un temps serein, alors que les rayons solaires frappent la glace di- rectement, mais les nuages y mettent obstacle. Sur les bords, les parois rocheuses des montagnes rendent la fusion plus active par le rayonne- ment du calorique. Pendant les journées chaudes et claires de l'été, cette fusion donne naissance à la surface des glaciers à de gros ruisseaux, à de petits lacs. Au glacier de l'Aar, l'ablation a souvent atteint '15 mil- limètres par heure. Même dans les régions élevées, sur les plus grands sommets, la température devient souvent assez forte pour entamer la neige et la glace. La neige, tant qu'elle recouvre la glace, la protège contre l'ablation, et l'eau produite par sa propre fusion nourrit les glaciers, contribue à leur développement en regelant à l'intérieur des fissures ca- pillaires de la glace. Un glacier s'accroît d'autant plus qu'il reçoit plus de neige. Pour s'accroître, pour grandir beaucoup, les glaciers doivent être alimentés à leur origine par de grands champs de neige. Les plus grands glaciers des Alpes sont ceux qui sortent des cirques neigeux les lus étendus. La conformation des vallées et le relief des montagnes influent beaucoup sur la formation et le développement des glaciers. Comme la fusion contre-balance la croissance des glaciers, ceux-ci aug- mentent ou diminuent d'une année à l'autre suivant que la hauteur de glace enlevée par l'ablation est inférieure ou supérieure à la quantité de l'alimentation fournie par la neige. Dans les années humides et froides, les glaciers avancent à leur extrémité et gagnent en épaisseur. Dans les années sèches et chaudes, ils reculent et s'abaissent en aban- donnant pendant leur retraite des traînées de débris rocheux. Ces traînées de débris, blocs erratiques et moraines, permettent de fixer la longueur dont un glacier diminue. Depuis dix ans que j'explore les Alpes, presque tous les glaciers de ces montagnes sont en décroissance, en Suisse et dans le Tyrol, comme du côté de l'Italie. En 1868, j'ai trouve le glacier de Rosenlaui à une demi-lieue en arrière de sa dernière moraine frontale. A la môme époque, le glacier inférieur du Grindelwald avait reculé de 575 mètres en ligne droite depuis 1855, et le glacier infé- rieur de 398 mètres. Le glacier de Viesch avait subi en 18G0 une ré- duction de 600 mètres, celui du Rhône de 150 mètres, et le glacier de Gorner au pied du mont Rose de 60 mètres environ. Dans la vallée de Chamounix, le glacier des Rois a reculé de 698 mètres dans l'inter- valle de juin 1851 à la fin de l'été 1871, et le glacier des Rossons de 596 mètres dans le môme espace de temps. Sur les glaciers du versant italien PHYSIQUE. — METEOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLORE el dans le Tyrol, j'ai reconnu pendant les trois dernières années des réductions non moins considérables. Nos collègues du club alpin français rendront à la science un sérieux service en fixant lors de leurs courses la position exacte de l'extrémité des glaciers afin d'étudier leurs oscillations dans leurs rapports avec les variations climatériques. A ceux qui visitent les Pyrénées nous recommandons aussi de mesurer le mouvement des m petits glaciers de cette chaîne de montagnes, car les observations exactes sur la vitesse de la marche des parties élevées des glaciers manquent encore, et ces observations sont plus faciles a suivre sur les petits gla- ciers des Pyrénées que dans les Alpes. J'ai d'ailleurs exposé la ma- nière dont ces mesures peuvent être faites dans mes instructions données à l'expédition autrichienne au pôle Nord et publiées dans la Revue scien- tifique du mois d'août 1872. En résumé, le mouvement des glaciers s'explique maintenant par la dilatation résultant de la congélation de l'eau à l'intérieur des fissures capillaires, combinée avec la pression exercée par la masse du glacier sur elle-même. La pression du glacier détermine d'abord dans les ré- gions supérieures la formation des fissures capillaires et provoque une certaine liquéfaction de la glace suivie de regel. L'infiltration à travers les fissures capillaires de l'eau produite par la fusion à la surface du glacier augmente ensuite l'effet primitif de la pression par l'accroisse- ment de la proportion d'eau assimilée par le glacier sur l'influence du regel. D'une part, l'action simple de la pression explique le mouvement des glaces pendant l'hiver. D'un autre côté, l'influence de l'infiltration montre pourquoi la fusion de la surface du glacier accélère la marche au printemps et en été. Dans tous les cas, le mouvement provient de la congélation de l'eau à l'intérieur de la masse, que cette eau provienne de la glace liquéfiée sous l'influence unique de la pression ou qu'elle soit fournie à la fois par cette pression et par l'in- filtration du produit de la fusion superficielle. Le point de congélation de l'eau et son point de fusion se trouvent à une température voisine de 0° centigrade, température à peu près constante ou qui varie dans des limites très-faibles à l'intérieur des glaciers, comme il résulte des expé- riences directes d'Agassiz. Toutes choses égales, un glacier s'assimile à l'intérieur par la congélation une quantité d'eau d'autant plus grande, que son épaisseur est plus considérable et les fissures capillaires plus nombreuses. Aussi, pour ce motif, le mouvement est plus rapide au milieu que sur les bords, contrairement à l'opinion de Schenchtzer et de Charpentier, qui ont affirmé à tort l'existence d'un mouvement plus ra- pide près des bords, dans leurs "premiers essais d'une théorie du mou- vement des glaciers sous l'influence de la dilatation. YIOLLETTE. — SUR LE SUCRATE DE CHLORURE DE POTASSIUM 287 6e Section CHIMIE Présidents d'ho.nneiu . . . MM. CANNIZZARRO, Sénateur, à Rome. KUHLMANN, Correspondant de l'Institut, à Lille. MUSPRATT, de Liverpool. Président M. YIOLLETTE, Doyen de la Faculté des sciences de Lille. Vice-Présidents MM. LAMY, Professeur à l'École centrale des arts et manufactures. J'RANCHIMONT, Professeur à l'Université de Leyde. Secrétaire M. GRIMAUX, Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris. M. YIOLLETTE ^Doyen de la Faculté des sciences de Lille. SUR LE SUCRATE DE CHLORURE DE POTASSIUM (extrait du procès-verbal) — Séance du 21 août 18^4. — M. Viollette, doyen de la Faculté des sciences de Lille, fait connaître une combinaison de chlorure de potassium et de sucre, isomorphe avec le sucre ordinaire. Les cristaux volumineux et très-nets de cette combinaison ont fourni les mesures suivantes : l'angle des faces verticales du prisme droit à base rhombe a été trouvé égal à 100°,40'. En retournant le prisme de 90°, les angles des faces qui forment la zone parallèle à la petite diagonale sont : 131°27', 115°55', 44025', 150°23', 131°18', 115°55', 140°20', 150°15'. Ce sont là, comme on le voit, les angles caractéristiques des cristaux du sucre. M. Viollette a obtenu une combinaison analogue avec le bromure de potas- sium nettement cristallisée. L'angle des faces verticales du prisme a seul pu être mesuré à cause du rapprochement des cristaux; il a été trouvé égal à 100°i0'. L'analyse de ces cristaux a montré que la combinaison était formée par l'action d'une molécule de sucre et d'une molécule de bromure de potas- sium. La combinaison de sucre et de chlorure de potassium m'a paru offrir la même constance de composition. Les cristaux observés provenaient d'une géode qui avait mis beaucoup de temps à se former ; ceux de la partie supé- 238 (;I:^::1- rieurc étaient plus riches en sucre que ceux de la partie inférieure, ce qui s'explique par l'isomorphisme de la combinaison avec le sucre. 11 suit donc de là que deux compositions peuvent être isomorphes sans avoir nécessairement la même formule chimique. Les sucres bruts du commerce contiennent souvent du chlorure de potassium sous forme de combinaison avec le sucre ordinaire. M. Yiollette a rencontré dans certains échantillons jusqu'à 10 pour 100 de chlorure de potassium combiné. M. Yiollette poursuit l'étude de ces combinaisons. M. R.-D. SILYA ciic-i des travaux chimiques à l'École centrale. RECHERCHES SUR LE DIISOPROPYLE (extrait du procès-verbal) — Séance du 21 août IHli. — M. Silva a étudié les "dérivés chlorés et bromes du diisopropyle C6H14. 11 a constaté que cet hydrocarbure traité par le chlore, en l'absence de toute trace d'iode, fournit un dérivé chloré C6H13C1, bouillant à 118 degrés. Si la chloruration a lieu en présence de l'iode, le dérivé chloré C°H13C1 est un iso- mère du précédent et bout 'à 124 degrés. L'un et l'autre, traités parla potasse alcoolique, fournissent un même élher mixte C6H13OC2H5 et un hydrocarbure non saturé bouillant à 60-6i degrés. Les hydrocarbures obtenus dans les deux cas ne semblent pas être identiques ; traités par l'acide îodhydrique, ils don- nent des iodhydrates d'un point d'ébullition différent. Outre les dérivés monochlorés du diisopropyle, il se forme des dérivés bi- chlorés ; l'un d'eux, obtenu en présence de l'iode, est cristallisé ; il a été déjà indiqué par M. Schorlemmer. lui opérant en l'absence d'iode, il se forme un dérivé bicldoré, liquide, bouillant à 165 degrés. Outre ces composés, M. Silva a préparé le dérivé dibromé C6H12Br2, qui, par l'acétate d'argent, donne un éther diacétique. Cet éther, à la saponification, fournit un liquide aromatique qui paraît être l'anhydride CtiII,20 d'un glycol CcH"0*. e. DL'viLLiEr. — PRÉPARATION DE L*ACIDE CIir.O:.IIQL"E 289 M. E. DÏÏVILLIEB, Licencié es sciences physiques, Préparateur de chimie a la Faculté des sciences de Lille. NOTE SUR LA PRÉPARATION DE L'ACIDE CHRONIIQUE — Séance du il août 1874. — Les traités clc chimie, indiquent généralement pour préparer l'acide chromique de traiter une solution bouillante de bichromate de potasse par 4 à 5 fois autant d'acide sulfurique que la solution renferme de bi- chromate de potasse ; la majeure partie de la potasse du chromate se dé- pose bientôt à l'état de bisulfate de potasse, teint en rouge par de l'acide chromique. 11 reste alors un liquide formé d'acide sulfurique, d'acide chromique et de bisulfate de potasse. Pour en retirer l'acide chromique (1), on ajoute autant d'acide sulfurique qu'on en a déjà employé : l'acide chromique presque insoluble dans l'acide sulfurique concentré se précipite à l'état de poudre rouge, ou de petites aiguilles ; c'est à cet état que l'on trouve généralement l'acide chromique dans le commerce. La liqueur d'où s'est déposé l'acide chromique en renferme encore : on la concentre pour en obtenir un nouveau dépôt ; mais cette concen- tration entraîne une perte partielle d'acide chromique, qui se trans- forme en sulfate de chrome. L'acide chromique ainsi obtenu n'est pas pur, il renferme surtout de l'acide sulfurique qu'on lui enlève en partie seulement par des cristal- lisations successives. Cristallisé dans le vide, cet acide se présente sous forme de plaques noires. Il est très-hygrométrique et devient d'un beau rouge en «s'hydratant. Ces plaques renferment encore 1/4 0/0 d'acide sulfurique. Si l'on veut obtenir de l'acide chromique entièrement exempt d'acide sulfurique, on dissoudra ces plaques dans 5 à 6 fois leur poids d'eau, on portera à l'ébullition, on ajoutera une quantité convenable d'eau de baryte et on maintiendra l'ébullition 3 à 4 heures ; car le chromate de baryte qui se forme en même temps que le sulfate de baryte résiste énergiquement à l'action de l'acide sulfurique en raison de son insolubilité. Cette méthode exige l'emploi d'une énorme quantité d'acide sulfurique, représentant 12 à 15 fois le poids du chromate de potasse ; on perd une partie assez notable de l'acide chromique qui passe à l'état de sul- fate de chrome ; outre la grande difficulté d'enlever les dernières traces (1) Annalen der Chemie uni Pharmacie, t. LVI, p. 113. 290 CHIMIE d'acide sulfurique, il y a encore un danger à courir, celui de laisser dans le produit de la potasse provenant du chromate ; enfin l'opération est très-longue et exige des manipulations dans le vide pour obtenir un produit suffisamment pur. On a proposé une autre méthode pour préparer l'acide chromique; cette méthode consiste à traiter ù chaud équivalents égaux de chromate de baryte et d'acide sulfurique étendu de 10 fois son volume d'eau. Cette méthode n'est pas plus avantageuse que la précédente Après plu- sieurs heures d'ébullition, on obtient un acide chromique renfermant beau- coup d'acide sulfurique, et une notable quantité de chromate de baryte reste inattaquée. J'ai constaté, en effet, en prenant les proportions indiquées, qu'après 3 heures d'ébullition, la liqueur renfermait encore les 25.8 0/0 de l'acide sulfurique employé. Après 11 heures d'ébullition, la liqueur renfermait encore les 21.2 0/0 de l'acide sulfurique employé. Du reste, Gay-Lussac a montré qu'on n'obtenait jamais de l'acide chromique pur en faisant bouillir de l'acide sulfurique étendu même avec un grand excès de chromate de baryte, ou de chromate de plomb, et que l'acide chromique ainsi obtenu renfermait toujours beaucoup d'acide sulfurique (1). Néanmoins, on peut par des concentrations successives retirer du liquide l'acide chromique qu'il contient ; l'acide chromique se précipite, comme dans ie procédé de préparation de l'acide chromique par le bichromate de potasse, sous forme de poudre rouge, dès que l'acide sulfurique qui n'a pas réagi est arrivé au degré de concentration voulu. Ce procédé n'est pas plus avantageux que le précédent ; il nécessite moins d'acide sulfurique, il est vrai, mais il faut toujours en venir à en- lever l'excès de cet acide par des concentrations successives. .En outre, on ne retire même pas les 3/4 de l'acide chromique renfermé dans le chromate de baryte, à cause du chromate de baryte inattaqué et de l'acide chromique transformé en sulfate de chrome pendant les concen- trations. Vauquelin, dans son remarquable travail sur le chrome, conseille, pour préparer de l'acide chromique pur, une méthode qui repose sur l'action de l'acide sulfurique sur une solution de chromate de baryte dans l'acide nitrique. On dissout à cet effet, le chromate de baryte dans de l'acide nitrique faible, on précipite ensuite la baryte par l'acide sulfurique, de manière que tout le sel soit décomposé sans qu'il y ait d'acide sulfurique en ex- (l) Annales deChimie et de Physique, 21 série, t. LVI, p. 102. E. DUVILLIER. — PRÉPARATION DE L'ACIDE CHRONIQUE 201 ers. On filtre pour séparer le sulfate de baryte, on concentre, et l'acide chromique cristallise par refroidissement (1). Cette méthode donne de très-bons résultats ; elle fournit tout l'acide chromique contenu dans le chromate de baryte. Seulement les traités de chimie n'en parlent pas. Ce procédé exigeant l'emploi d'acide nitrique très-étendu, nécessite l'évaporation d'une grande quantité de liquide et la baryte passant à l'état de sulfate de baryte, telles sont peut-être les raisons qui ont fait abandonner cette méthode à une époque où les sels de baryte n'étaient encore que des produits de laboratoire. Je suis parvenu à éviter les inconvénients des méthodes précédentes en attaquant à l'ébullition le chromate de baryte par l'acide nitrique de concentration moyenne et en excès ; le nitrate de baryte rendu à peu près insoluble se précipite à l'état cristallisé et il reste de l'acide chro- mique qu'on purifie par des concentrations successives et ne renfermant plus qu'une trace de nitrate de baryte, qu'on peut facilement lui enlever par une addition convenable d'acide sulfurique faible. Cette méthode diffère de celle recommandée par Vauquelin en ce que l'acide nitrique remplace l'acide sulfurique pour la précipitation de la baryte. Voici comment il convient d'opérer. On fait réagir à l'ébullition pen- dant 10 minutes environ : 100 parties de chromate de baryte ; 300 parties d'eau ; 150 parties d'acide nitrique ordinaire. On forme une bouillie avec l'eau et le chromate de baryte, puis on ajoute l'acide nitrique. Il est important d'opérer de cette manière, autre- ment l'attaque se ferait moins bien, le nitrate de baryte formé emprison- nant du chromate de baryte. Après avoir maintenu l'ébullition une di- zaine de minutes environ, on laisse refroidir ; il se dépose rapidement du nitrate de baryte. Après refroidissement, le liquide rouge surnageant contient environ 4 parties de nitrate de baryte pour cent parties de ni- trate de baryte et d'acide chromique renfermées dans la liqueur. On décante, puis on concentre ce liquide jusqu'à ce que son volume soit devenu à peu près celui de l'acide nitrique employé. Pendant cette opé- ration la plus grande partie du nitrate de baryte dissous se précipite et après refroidissement de la liqueur on obtient de l'acide chromique ren- fermant moins de 1/2 0/0 de nitrate de baryte. On chasse ensuite l'a- cide nitrique en évaporant la liqueur à sec à une douce chaleur. L'acide chromique ainsi obtenu se présente sous la forme de mame- lons noirs en tout semblables aux plaques que l'on obtient dans le vide. (1) Annales de Chimie, ite série, t. LXX, p. 82. 232 CHIMIE On obli nt par ce procédé en quelques heures un aciJe Irès-satisfaisant pour la plupart des cas. Si l'on veut obtenir un produit complètement pur, il suffit de préci- piter, à l'ébullition, pur une quantité convenable d'acide sulfurique, la petite quantité de baryte renfermée dans le produit. Cette méthode a, sur toutes celles décrites jusqu'à ce jour, l'avantage de donner très- rapidement tout l'acide chromique renfermé dans le cliro- mate de baryte employé et en outre un acide pur. Elle a l'avantage sur le procédé de Vauquelin de retrouver à l'état de nitrate de baryte la baryte du chromale qui peut servir à refaire du chromate de baryte pour une autre opération ; enfin elle n'exige pas plus d'acide nitrique que le procédé de Vauquelin, car ou emploie précisément la quantité d'acide nitrique nécessaire pour effectuer la dissolution complète du chromate de baryte dans une liqueur étendue. M. CAmZZAEO Sénateur à Rome. SUR LA SANTONINE (EXTRAIT DO PROCÈS-VERBAL] — Séance du il août f 874. — M. Canmzzaro communique des recherches en cours d'exécution sur la san- tonine, recherches dont une partie a été faite en collaboration avec M. Fausto Sestini. La santonine C,5H,803 donne deux, combinaisons isomères en prenant les éléments de l'eau: l'une, peu stable, se dédouble facilement par l'action des acides; les sels qu'elle fournit ne sont autres que les anciens santonates décrits comme dérivés métalliques de la santonine; l'autre combinaison, obtenue par l'ébullition de la santonine avec la baryte, est un véritable acide décomposant les carbonates, fonctionnant comme acide monobasique, et que M. Cannizzaro désigne sous le nom d'acide santonique C,5H*20O4. De nombreuses expériences ont été entreprises pour découvrir les relations de ce corps avec les composés renfermant également C15, comme l'essence de cubèbe, l'essence de patchouly. Traité par l'acide iodhydrique, l'acide santonique donne un iodure C15H25I et un hydrocarbure C15H26. Cet hydrocarbure présente la composition et le poids moléculaire de l'hydrocarbure obtenu avec le camphre de patchouly. Quant à l'iodure, il fournit par saponification un alcool C15H2"',OIi, qui parait être un alcool secondaire. Il n'a pas été possible de régénérer la santonine avec l'acide santonique; mais THIBAUT. — SUR L HYOSCIAMINE 21KI en soumettant celui-ci pendant plusieurs jours à une ébullition prolongée avec l'acide iodhydrique en présence du phosphore, il se forme un isomère de la santonine, la méta-santonine, cristaux blancs, fusibles à 160 degrés, distillant sans .altération dans le vide, et ne donnant, pas d'acide santonique par l'action de l'eau de baryte. Quant au composé que M. Fausto Scstini a décrit autrefois sous le nom de photo-santoninc, il paraît être une combinaison d'alcool et de santonine. La photo-santonine, traitée par la baryte, fournit le même, acide santonique que la santonine elle-même. M. THIBAUT Pharmacien do première classe à Lille, ex-interne des hôpitaux de Paris. SUR L'HYOSCIAMINE — Séance du SI août 187!. — Le travail que j'ai eu l'honneur de présenter au congrès scientifique de Lille a pour but l'étude de l'hyosciamine alcaloïde retirée de Yhyos- ciamw niger (solanées). L'idée d'entreprendre ces recherches me vint à la vue du produit si inconstant et si peu défini que nous livrait le commerce allemand. Avant de relater mes propres expériences, j'ai cru qu'il serait intéressant de rappeler, en quelques mots, l'historique des travaux entrepris sur ce sujet. L'hyosciamine découverte en 1840 par Brandes, chimiste allemand, était un alcaloïde cristallisé que Runge, en 1824, ne put retrouver à cet éat, mais bien sous la forme d'un corps pulvérulent et non cristallisé. En 1854, Geiger et Hesse publièrent un grand travail sur ce sujet et donnèrent un procédé d'extraction qui permit d'isoler des graines de jusquiame un alcaloïde cristallin. Après ce travail, Zletzinski donne un procédé d'épuration avec leque il obtient un corps cristallisé dont il donne la formule suivante : Gir'H,7AzO et qui, traité par l'acide chlorhydrique, donne un corps analogue à l'acide santonique : d'où il conclut que l'hyosciamine serait le nitrile de l'acide santonique. Holin donne en 1871 un procédé nouveau d'extraction, mais il n'ob- tient qu'un corps incristallisable alcalin, et dont la formule obtenue par lui est C'*H^Az203 + iy2H*0 294 CHIMIE et qui ne serait d'après cet auteur que de l'atropine dont un équivalent d'hydrogène est remplacé par du méthylammonium. C17H22(CH3H3Az)Az03 Il annonce ensuite la décomposition de ce corps sous l'influence delà baryte : nous y reviendrons tout à l'heure. Outre ce corps, il arrive aussi à retirer de la liqueur alcaline d'où on a enlevé l'alcaloïde en la satu- rant par l'acide chlorhydriquc et précipitant par le tannin qu'il élimine par le carbonate de plomb, un corps qu'il nomme hyoscipicrine et dont il détermine la formule : C27H.r20li et qu'il prétend être une glucoside d'après l'équation % Gi7H'2014)=2(C,iH,'20,J)+3(C1 'ff'U '' )+4(fP0). Qu'il nous soit permis d'élever quelques doutes sur l'existence de ce glucoside dans la plante, car le procédé d'extraction par le tannin, qui est lui-même un glucoside, ne nous paraît pas d'une exactitude irrépro- chable. Reprenant quelques temps après ses travaux avec Reichardt, Hôhn, par un autre procédé, obtient un corps cristallisé C30H23AzOU; c'est sur ce corps qu'ils étudièrent le dédoublement dont nous avons parlé; l'équation suivante rend compte de ce dédoublement C3oH-23Az06 = C,8H10O'; + Cl2HI5Az Acide hyoscinique. Hyoscine. ïhorrey, à peu près à la même époque, modifia le procédé d'extrac- tion et obtint un corps amorphe d'abord, puis cristallisant dans le chlo- roforme en tables rhomboïdales et dans la benzine en aiguilles. Merck, en 1873; prétendit n'avoir obtenu qu'une masse molle et vis- queuse qui, soumise à la distillation, donne un corps cfliï se rapproche de la conicine et de la nicotine. Ce court historique des travaux alle- mands terminé, rappelons le travail de notre compatriote et collègue M. Clin, qui, en 1868, annonçait dans sa thèse n'avoir pu obtenir rien de bien défini des graines de jusquiame. Maintenant que nous avons passé en revue tous les travaux allemands sur ce sujet, quel résultat pouvons-nous tirer de ce chaos d'opinions diverses 1 Pouvons-nous même dire ce que c'est que l'hyosciainine ? .le ne le crois pas. En effet, parmi tous les auteurs qui ont abordé cette question, nous n'en rencontrons guère qui soient du même avis. Tantôt c'est un corps cristallin, tantôt c'est un corps amorphe, tantôt c'est un alcaloïde volatil qu'on pourrait ranger à côté de la nicotine et de la conicine. Si nous comparons les formules qui ont été données, le doute THIBAUT. — SUR l'iIYOSCIAMINE 295 reste le même, car le nitrile de l'acide santonique de Zletzinski est loin de ressembler aux deux formules données par Hôlm et Reicliardt. En présence de ces laits contradictoires, on serait porté à croire soit à la présence de plusieurs principes organiques alcalins dans la jusquiame, soit à l'impureté des produits sur lesquels l'analyse organique a été faite. Élucider cette question était mon but, et le point capital à mon avis était de préparer de l'iiyosciamine pure. Je m'adressais d'abord aux pro- cédés qui semblaient donner les résultats les plus satisfaisants. Avec celui de Geiger et liesse que j'essayais d'abord, je n'obtins après plusieurs tentatives que des résultats négatifs analogues à ceux trouvés avant moi par M. Clin. Avec les procédés de Ludvvig, Hôhn et Reicliardt, je ne fus pas plus heureux, et les résultats furent toujours les mêmes, c'est- à-dire une masse poisseuse plus ou moins colorée. Cependant par celui de Hohn et Reicliardt j'obtins dans la niasse des rudiments de cristaux. Craignant mon peu d'habitude pour des manipulations si délicates, je m'adressai alors à des chimistes connaissant à fond la question des alcaloïdes; ils m'avouèrent qu'ils n'avaient jamais pu retrouver l'alca- loïde cristallisé. Me basant sur ces faits, je cherchais à éliminer toutes les causes qui pouvaient altérer l'alcaloïde. Je m'adressais alors au procédé d'ex- traction des alcaloïdes de Stass perfectionné par M. Duquesnel dans ses recherches sur l'aconitine cristallisée. J'obtins dans ces conditions un produit moins coloré mais toujours incristallisable. Parce procédé, j'avais éliminé une des causes principales d'altération des alcaloïdes, l'emploi d'une trop haute température. Dans celui que je suivis, j'évitai non-seule- ment une trop forte chaleur, mais encore le contact prolongé des alcalis trop puissants. L'idée de ce procédé me vint en lisant la description de celui que Graves employa pour l'extraction de l'aconitine cristallisée. Mais le trai- tement du précipité alcaloïdique par l'iodohydrargyrate de potassium donnant lieu à une série d'opérations trop compliquées, je l'abandonnai. Je songeai alors à l'iodure de potassium ioduré que M. Bouchardat avait déjà employé pour extraire divers alcaloïdes. Mais avant d'essayer ce mode opératoire, je cherchai à isoler quelques alcaloïdes, et ce n'est qu'après avoir obtenu de l'atropine cristallisée et de la quinine que je me mis à l'œuvre. Je choisis comme tous mes prédécesseurs les semences de jusquiame pour extraire l'hyosciamine. Mais ces graines contenant une grande quan- tité d'huile fixe, il fallait l'éliminer au début pour qu'elle ne nous gênât pas dans les opérations subséquentes. Comme moyen d'élimination j'avais à choisir entre l'éther et le sulfure de carbone. L'éther, outre l'huile fixe 296 CHIMIE s'emparait d'une certaine quantité d'alcaloïde que j'ai pu constater par un traitement à l'eau acidulée. J'eus recours alors au sulfure de carbone qui, lui, se chargeait de toute l'huile fixe sans toucher à l'alcaloïde; c'est à l'appareil d'épuisement continu de M. Cloez que j'eus recours dans cette circonstance. Les graines broyées au moulin, puis débarrassées de leur huile par le traitement au sulfure de carbone, sont mises à sécher au soleil ou à une température de 30 à 35 degrés pour chasser l'excès de sulfure de car- bone. Elles sont alors devenues très-friables ; on les pulvérise, puis on les mélange avec 2 à 3 0/0 d'acide tartrique. On les met alors digérer pendant deux jours à une température de 30 à 3o degrés. Après deux digestions semblables on filtre et on exprime le marc à la presse. Les liqueurs réunies, on les précipite par l'iodure de potassium ioduré en excès (1). Le précipité est recueilli sur un filtre, puis lavé à l'eau distillée. Il s'agit maintenant de le décomposer et de mettre l'alcaloïde en liberté. Dans cette circonstance, M. Bouchardat père avait eu recours au zinc, mais ce procédé nous parut long et pénible. C'est alors que, nous ins- pirant d'une idée de M. Bouchardat fils, nous nous sommes servi de l'acide sulfureux. Sous l'intluence de ce corps, la combinaison iodée se trouve transformée en sulfate d'alcaloïde et en acide iodliydrique, et la solution devient presque incolore. La solution d'acide sulfureux pouvant être aussi concentrée que l'on veut, on a l'avantage de n'avoir à employer qu'une très-petite quantité d'eau. La liqueur restante est alors traitée par la magnésie calcinée, base très-faible, qui, malgré son excès, ne peut altérer l'alcaloïde. La masse séchée à basse température, 30 à 3o°, est reprise par l'alcool à 95°. L'alcool est distillé dans le vide. Le résidu qu'on obtient se présente sous la forme d'une masse légèrement colorée. On la traite par du chloroforme pur, et pour séparer une certaine quantité d'iodure de magnésium qui aurait pu être entraîné par l'alcool. Le résidu chloroformique ne présente alors que quelques petits cristaux enchevêtrés dans une masse visqueuse. On le traite alors par l'acide sulfurique étendu en ayant soin de mettre la plus petite quantité d'eau possible. Ou agite avec du chloroforme pour enlever ce qui reste d'im- pureté, puis on ajoute à la liqueur filtrée un léger excès d'une solution de potasse étendue. On agite alors avec du chloroforme, on décante ra- pidement, on répète deux fois ce traitement, et on fait évaporer le chlo- roforme dans une capsule ou un verre de montre, et on trouve pour (<) Voici la solution de M. Bouchardat que nous avons employée à cet effet Iode 7 gr. 5 Induré de potassium ^s — Eau distillée sso — THIBAUT. — SUR l'hYOSCIAMINE 297 résidu un alcaloïde sous forme d'aiguilles soyeuses, incolores, groupées ' en étoiles, tandis que sur le fond de la capsule on remarque une masse visqueuse incolore, alcaline aussi et jouissant des mômes propriétés que ces cristaux. Après avoir enlevé les cristaux, déposés sur les parois, nous avons voulu les faire recristalliser dans un mélange d'alcool et d'éther afin de les mieux faire se rassembler. 3Iais le résultat n'a pas répondu à notre at- tente, et les cristaux se sont transformés en une masse visqueuse que nous n'avons pu faire recristalliser ensuite. Heureusement nous avions eu la pensée d'examiner quelques-unes des propriétés de ce corps. x\ous allons les énumérer. Disons d'abord qu'il ne ressemble en rien à ce que nous livre le commerce sous le nom d'hyos- ciamine. A ce sujet, je me permettrai une observation : toutes les fois que j'ai opéré sur la graine et que j'ai obtenu un alcaloïde, jamais je n'ai perçu cette odeur que l'on rencontre dans les produits commerciaux, tandis qu'en opérant sur la feuille j'ai trouvé un corps dont l'odeur rap- pelait l'hyosciamine du commerce. Il y aurait là un point intéressant à éclaircir et que j'étudierai, qui consiste à savoir s'il n'y a point dans la jusquiame deux alcaloïdes parfaitement distincts et siégeant dans des parties différents de la plante. Revenons aux caractères du corps que nous avons notés : son odeur est faible, sa saveur acre et piquante.' Il possède une réaction, franche- ment alcaline, et forme avec les acides des sels cristallisables. Nous avons obtenu un sulfate parfaitement cristallin ; avec l'hyosciamine du commerce jamais nous n'avons pu obtenir de combinaison cristalline. Il est assez soluble dans l'eau, qu'il rend alcaline, très-soluble dans l'alcool, l'éther, le chloroforme qui est son meilleur dissolvant ; la ben- zine le dissout bien, mais moins facilement que ce dernier corps. Le réactif de Bouchardat donne un précipité brun chocolat ; Celui de Valser (iodohydrargyrate de potassium), un précipité blanc verdâtre en solution acide; Uiodo-bismuthure de potassium, un précipité jaune orangé en solution acide ; Le tannin donne aussi un précipité grisâtre, mais les solutions doivent être plus concentrées que par les réactifs précédents. Placé sur une lame de platine, il fond d'abord en un liquide bru- nâtre qui se volatilise complètement sans laisser de résidu. Il fond à 90°. Une des propriétés saillantes de ce oorps est son pouvoir mydiïatique. Il dilate la pupille, et ses effets persistent très-longtemps. Le sulfate neutre d'ésérine n'a qu'une action momentanée sur l'œil où a été placée l'hyos- ciamine. En exposant mes travaux sur les graines de jusquiame, si incomplels 23 298 CHIMIE qu'ils puissent Cire, je n'ai voulu pour ainsi dire que prendre date sur 'la question. Au prochain congrès, je me propose de communiquer les résultats des recherches que je continue à ce sujet. M. E. CAYENTQÏÏ "Membre de l'Académie de médecine. DES PRODUITS DE CONDENSATION DU GAZ DE L'ÉCLAIRAGE SOUMIS A UNE HAUTE PRESSION — Séance du 22 août 1874. — Le gaz de l'éclairage, obtenu par la distillation du boghead et soumis à une pression variant de 7 à 9 atmosphères, laisse déposer l'eau et une certaine quantité de liquide formé d'hydrocarbures saturés et non saturés, dont le point d'ébullition varie depuis la plus basse température jusque vers 140°. Ce mélange est principalement de la benzine : on a constaté en outre la présence du propylène, du butylène, de l'amylène, de l'acétylène, du crotonylène..., etc. Le propylène se trouve en proportion relativement assez considérable. Les produits supérieurs distillant au-dessus du point d'ébullition de la benzine n'ont pas encore été étudiés. 11 n'est pas possible; d'obtenir séparément ces hydrocarbures à l'état de pureté; leur existence n'a pu être établie qu'en les combinant avec le brome et isolant leurs combinaisons bromées par distillations fraction- nées. Le crotonylène, objet principal de ce travail, n'a pu être obtenu qu'à l'état de tétrabromure ; on en obtient d'assez grandes quantités en opé- rant de la manière suivante : on soumet le produit brut, c'est-à-dire le mélange d'hydrocarbures, à la distillation en prenant le soin de ne re- cueillir que les vapeurs qui passent avant 30°. On les fait passer d'abord à travers un matras fortement refroidi par un mélange de glace et de sel ; dans ce matras se condense surtout de l'amylène mélangé d'un peu de butylène et de crotonylène. Puis, les vapeurs non condensées sont dirigées sur du brome qui absorbe les gaz non saturés et laisse échapper toutes les vapeurs formées par des hydrocarbures saturés ; on peut les allumer à leur sortie du vase renfermant le brome. Lorsque tout le brome est transformé, le flacon contient alors des bromures de propylène, de butylène et d'amylène, ainsi que le tétrabro- E. CAVENTOU. — PRODUITS 1)E CONDENSATION DU GAZ 299 mure de crotonylène qui se dépose. Purifié convenablement par des cris- tallisations successives dans l'alcool, le tétrabromure de crotonylène se présente sous la forme de belles aiguilles blanches, prismatiques, peu solubles dans l'alcool froid, très-solubles dans l'alcool chaud, ainsi que dans l'éther, la benzine et l'acide acétique; leur point de fusion est à 116°, leur composition répond à la formule CAH6Br4. Le crotonylène C4H6 élant un hydrocarbure tétratomique, c'est-à-dire un corps capable de se combiner avec quatre atomes monatomiques de brome, d'oxacétyle ou d'oxhydryle. .., etc., il était permis d'envisager sa combinaison avec le brome, comme étant l'éther tétrabromé de l'éry- thrite ou d'une érythrite isomère; et l'on pouvait espérer, qu'en substi- tuant quatre molécules d'oxhydryle aux quatre atomes de brome, on reproduirait soit l'érythrite, soit l'un de ses isomères possibles. L'essai des sels d'argent a donc été tenté. Action des sels d'argent sur le tétrabromure de crotonylène. Le tétrabromure de crotonylène, chauffé en vase clos à la température de 140 à 100°, en présence de quantités équivalentes d'acétate d'argent, ne donne que des résultats peu satisfaisants. Il se forme un mélange de bromacétines liquides qui distillent dans un vide incomplet, avec 2 ou 3 centimètres de pression, depuis 130° jusqu'à 190°. Il a été impossible de séparer, par des distillations frac- tionnées, un produit répondant à une formule rationnelle quelconque. Il y a toujours eu réduction d'une quantité plus ou moins grande du sel d'argent. L'acétate d'argent n'ayant point donné de réaction bien nette, on a essayé le benzoate d'argent; les résultats ont été meilleurs; il se forme dans ce cas deux produits différents : l'un est un liquide épais, siru- peux, fortement coloré, qu'il n'est pas possible de distiller sans dé- composition ; l'autre est un corps solide cristallisé, et dont l'analyse conduit à la formule C'H'^C^KK)'2)'2. Ce serait l'éther dibenzoïque d'un glycol non saturé C4H4(OH)2, peut-être celui que M. A. Henninger a fait connaître en traitant l'érythrite par l'acide formique. Il faut ajouter que cette réaction n'a pas une marche régulière ; cet éther ne se forme qu'en très-faible quantité, et l'on retrouve une grande partie de l'acide benzoïque à l'état libre. Il y a enfin réduction du sel d'argent. Action de l'acétate de potassium. L'action de l'acétate de potassium sur le létrabromure de crotonylène est plus régulière ; il ne se forme qu'un seul produit : c'est un liquide un peu épais distillant dans le vide entre 168 et 170°, avec une pression 300 CHIMIE de 5 à (J centimètres de mercure. L'analyse de ce corps, ainsi que le dosage du brome et de l'acide acétique, lui assignent la formule C'IF'Dr(C-lI!0-)-. Dans cette expérience, trois atomes seulement de brome du tétrabromure de crotonylène prennent part à la réaction : l'un est éliminé simplement à l'état d'acide bromhydrique, et les deux autres sont remplacés chacun par une molécule d'oxacétyle. Cet éther a été saponifié par de l'oxyde de plomb nouvellement préci- pité et bien lavé. Lorsque l'opération paraît terminée, on filtre et l'on obtient un liquide coloré contenant en dissolution une grande quantité d'oxyde de plomb. Cette liqueur, évaporée au bain-marie, en consistance sirupeuse, se prend en masse cristallisée par le refroidissement ; mais si l'on a pris soin d'enlever l'excès de plomb par l'hydrogène sulfuré, on obtient alors par l'évaporation de ce liquide ainsi privé de plomb une masse colorée qu'on lave avec un peu d' éther pur, pour enlever quelques traces d'éther bromodiacétique non attaqué. Il reste une matière soluble dans l'eau, qui réduit avec énergie la liqueur eu propotassique et le nitrate d'argent. Action de la potasse alcoolique. Lorsqu'on soumet le tétrabromure de crotonylène à l'action d'une solution alcoolique concentrée de potasse, et qu'on distille l'alcool, il passe, avec ce dernier, une matière solide, qui reste dissoute dans l'al- cool distillé ; mais si l'on ajoute de l'eau à cette solution alcoolique, il se précipite une matière blanche amorphe, qui devient ensuite insoluble- dans l'eau, l'éther, l'acide acétique et l'alcool lui-même. Le mélange d'eau et d'alcool qui surnage cette matière, renferme une certaine pro- portion d'un corps qui absorbe du brome, et se précipite ensuite sous forme cristalline. Action de l'eau. Le trétrabromure de crotonylène chauffé en vase clos à une haute température, comprise entre 180 et 210°, en présence d'un grand excès d'eau, s'y dissout à peine; le tétrabromure renfermant 85,56 de brome, il faudrait agir sur de grandes quantités de tétrabromure, pour obtenir un résultat appréciable. Tels sont les faits observés ; ils sont encore incomplets, et il serait prématuré de vouloir en tirer une conclusion quelconque. De nouvelles expériences sont donc nécessaires. On a voulu surtout prendre date, en faisant cette communication, et se réserver en même temps la faculté de continuer l'étude des composés du crotonylène. D. TOMASI. — ACTION DE L'AMMONIAQUE SUR LES DÉRIVÉS CHLORÉS 301 M. C. FBJEDEL Mait:-e des conférences à l'École normale supérieure, Conservateur des collections de minéralogie à l'École des mines. ACTION DU SULFATE D'ALUMINE SUR LE FLUORURE DE CALCIUM — Séance du 22 no lit 1874. — M. Fiuedel a constaté l'action qu'exerce le sulfate d'alumine sur le fluorure de calcium; il se forme une masse blanche, cristalline, analogue à lacryolithe. M. Edouard GRIMAUX Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris. SUR LES UREIDES DE L'ACIDE PYRUVIQUE (EXTRAIT HU l'HOLÈS-YERBAL) — Séance du 22 août 1874. — L'auteur communique à la section les premiers résultats qu'il a obtenus, en étudiant l'action de l'acide pyruvique sur l'urée. Ces recherches ont été continuées depuis la réunion du congrès. Le mé- moire qui les renferme est inséré au Bulletin de la Société chimique, 1873, t. XXIII, p. 49. M. Donato TOMASI Chimiste ù Paris. ACTION DE L'AMMONIAQUE SUR LES DÉRIVÉS CHLORÉS DE LA PHÉNYL ET DE LA CRÉSYLACÉTAMINE — Séance du 22 août 1874. — M. Tomasi a étudié l'action de l'ammoniaque sur la chlorophénylacétamide ; il a obtenu ainsi la glycolylanilide AzH(C6fP)CO-CH2,OH, à laquelle il donne le nom de phénylhydroxylacétamide. M. Tomasi fait en même temps connaître l'action du zinc sur le bromure d'éthylène. 302 CHIMIE M. Frécl. KUÏÏLMAII Correspondant de l'Institut à Lille. DE L'ÉCLAIRAGE ET DU CHAUFFAGE PAR LE GAZ AU POINT DE VUE DE L'HYGIÈNE — Séance du 22 [août 18Ï4.— La découverte de l'éclairage au gaz fait époque dans l'histoire des progrès industriels : « transporter la lumière et le feu, comme on trans- porte l'eau et la force motrice », cela pourrait paraître tenir du prodige, si dans ces temps modernes, nous n'avions été habitués à une foule de découvertes dont les conséquences ont été plus étonnantes encore, telles que la photographie et la télégraphie électrique. Comme toutes les grandes découvertes qui appartiennent au xixe siècle, l'éclairage au gaz, dont l'application pratique, en France, ne remonte qu'à 4812, a été l'objet de rapides perfectionnements; après l'éclairage, le gaz a été utilement em- ployé pour le chauffage, dans nos laboratoires de chimie d'abord, puis dans certaines industries, enfin dans l'économie domestique. Le gaz d'éclairage a été successivement extrait du bois, de la houille, des lignites, des schistes, du boghead, de l'huile, de la résine, etc., mais c'est la houille qui, le plus généralement, sert de matière première pour sa fabrication. Le produit de la distillation de la houille en vases clos est fort com- plexe : outre l'hydrogène bicarboné qui constitue la base du gaz d'éclai- rage proprement dit, on y trouve des carbures, gazeux ou vaporisables, à divers degrés de carburation, comprenant le méthylène, l'acétylène, la naphtaline, la benzine, etc., et, indépendamment de ces carbures, divers corps qui exercent une influence des plus fâcheuses dans la respiration : c'est de ces derniers que je me suis plus particulièrement occupé dans ce travail. Les géologues sont aujourd'hui généralement d'accord pour attribuer à la houille une origine organique; elle est due, d'après eux, à un englou- tissement de forêts entières et à une décomposition lente sous l'influence d'excessives pressions exercées par les roches bouleversées." Quel est, dans les houilles extraites de nos jours, l'état des carbures hydrogénés, quel est l'état de l'azote, du soufre, etc.? 11 y a là des mystères qui ont jusqu'ici échappé à nos investigations. Quoi qu'il en soit, la distillation de la houille donne de l'eau, de l'am- moniaque, de l'acide carbonique et de l'oxyde de carbone; elle produit en outre de l'acide sulfhydrique, de l'acide cyanhydrique, de l'acide sul- locyanhydrique et du sulfure de carbone. F. KUHLMANN. LE GAZ AU POINT DE VUE DE L'iIYGIÈNE 303 Il est impossible de constater la préexistence de ces corps dans la houille; ils sont évidemment le résultat de la distillation, et l'analyse chimique ne peut y reconnaître, outre le carbone et des carbures hydriques solides, que l'oxygène, l'azote et le soufre en quantités variables , mais on n'y trouve ni les carbures solubles dans l'éther ou les huiles essen- tielles, ni l'ammoniaque en combinaison avec quelque acide. Des recherches spéciales ont été faites en vue de la détermination des quantités relatives d'oxygène, d'azote et de soufre dans les diverses qualités de combustibles minéraux; on peut puiser à cet égard d'inté- ressants renseignements dans divers traités de chimie, mais en particulier dans la précieuse monographie des houilles de l'Europe de MM. Geinitz, Fleck et Hartig, publiée à Munich en 1865. Oxygène et azote. — il n'y a dans tous ces documents que des conjectures sur les conditions dans lesquelles l'azote se trouve lixé; seu- lement, nous devons rappeler ici que, dans le charbon animal résultant de la calcination des os, l'azote non transformé en ammoniaque est re- tenu fixement par le carbone. Des analyses nombreuses donnent les chiffres suivants, eh ce qui con- cerne les quantités d'azote et d'oxygène contenues dans les combustibles minéraux : 100 parties de combustibles minéraux contiennent : Tourbe : . . . OXYGÈNE ET AZOTE BÉUNIS OXYGÈNE AZOTE 33.05 36.88 17. 44 à 27.77 8.9 à 17.9 (13.3 moyenne) 7.5 à 11.5 (11.5 moyenne) 3.69 à 7.64 (5.01 moyenne) 8.54 à 20.84 3.93 à 17.53 (8.34 moyenne) 4.41 à 12.26 2.52 à 17.25 3.71 4.40 0.53 à 1.50 1.13 à 2.37 1.14 0.77 Bois fossile Lignite (Braunkohle) Houille de Saxe Id. Basse-Silésie Id. Hautc-Silésie Id. Westphalie Id. Saarbruck Id. Angleterre Id. France Cannel Cool Boghead Soufre. — Sans nul doute, le soufre de la houille provient en partie des pyrites qui imprègnent les dépôts de ce combustible et dont la présence se manifeste par l'éclat métallique que présentent souvent les 30 {• CHIMIE couches superposées de houille; mais ce soufre doit aussi provenir en gronde partie de la réduction des sulfates solubles et en particulier du sulfate de chaux. Arsenic. — Habituellement les pyrites contiennent de l'arsenic; de là l'explication de l'existence, que j'ai constatée par divers essais, de petites quantités d'hydrogène arsénié, dans le gaz d'éclairage. Phosphore. — Le phosphore, qui dans les végétaux joue un si grand rôle, a presque entièrement disparu dans la houille; sans doute les phos- phates ont été dissous dans l'eau qui a eu le contact des dépôts char- bonneux naturels. Dans une analyse de la houille de Satteliïdtz à Rœnigsgruoe, d'après M. (irundmann, il ne s'est trouvé, dans 100 parties de cendres, que 0,350 d'acide phosphorique. Acide carbonique et oxyde de carbone. — Quant à la formation de l'acide carbonique et de l'oxyde de carbone, elle s'explique facilement par la présence simultanée d'oxygène et de carbone. Acide cyanhydrique. — En ce qui concerne l'acide cyanhydrique qui accompagne les précédents composés, mes publications de 1840 (Annales de chimie et de pharmacie, t. XXXVIII, page G2) concernant unemouvelle méthode de préparation de l'acide cyanhydrique, donnent une facile explication de son origine. La présence de cet acide dans le gaz d'éclai- rage se manifeste facilement par le formation du bleu de Prusse dans les procédés d'épuration; l'analyse des eaux ammoniacales résultant de l'épuration du gaz a démontré de plus l'existence du sulfocyanogène. Acide hyponitrique. — Il en est de même de la formation de l'acide hyponitrique ou du bioxyde d'azote ; l'explication de cette formation est toute donnée dans mes expériences de 1838, où j'ai démontré qu'à l'aide de l'éponge de platine, on peut transformer rapidement de l'am- moniaque en acide hyponitrique lorsque cette ammoniaque rencontre une suffisante quantité d'air ou d'oxygène. Cette transformation, lors de la combustion du gaz d'éclairage, est sans doute moins complète, mais elle a lieu dans une forte proportion, et je n'en veux d'autre preuve que celle de l'odeur nitreuse qui se manifeste en particulier par l'emploi des appareils de chauffage au gaz. Acides sulfureux et sulfurique. — Ajoutons que, pour ce qui concerne l'acide sulfureux et l'acide sulfurique, leur production est justifiée par la combustion de l'acide sullhydrique et par la facilité avec laquelle l'acide sulfureux se convertit en acide sulfurique (1). Sulfate de soude. — J'ai remarqué que dans les cheminées de verre des becs à gaz, il se produisait souvent à la longue des taches blan- (1) Cette facile transformation doit avoir pour conséquence la prompte altération des étoffes qui servent de tentures dans nos appartements. F. KUHLMANN. — LE GAZ AU POINT DE VUE DE L 'HYGIÈNE 30S ches qui ne sont qu'un dépôt de sulfate de soude qui rend le verre opaque dans les parties saillantes où le dépôt s'effectue plus particuliè- rement. La soude dans ces dépôts paraît due à l'alcali du verre, et sa présence dans ces sortes d'efflorescences est un fait inattendu et qui présente quelque intérêt scientifique. En m'arrêtant à examiner les principales causes d'impureté du gaz d'éclairage, j'ai voulu justifier le malaise qui résulte pour la respira- tion, dans les conditions actuelles de la fabrication du gaz, de l'accu- mulation de nombreux becs de gaz dans les salles de réunion où une forte ventilation n'a pas été ménagée. Ce malaise est augmenté encore par la chaleur considérable que produit la combustion, mais les incon- vénients de gaz délétères sont à redouter surtout dans l'application de divers appareils de chauffage par le gaz, où la production du gaz nitreux, en particulier, rend en peu de temps les locaux inhabitables. Cette méthode de chauffage ne tardera pas à être entièrement pro- scrite dans nos habitations, si la pureté du gaz d'éclairage n'est pas plus parfaite, et en particulier si l'ammoniaque n'est pas plus complètement absorbée par les procédés d'épuration. C'est, en effet, comme je l'ai dit, l'ammoniaque qui engendre le gaz nitreux et l'acide cyanhydrique, composés qui donnent plus particuliè- rement au gaz d'éclairage des propriétés délétères; il y a bien aussi l'oxyde de carbone, mais ce dernier se brûle assez facilement en pré- sence d'une quantité suffisante d'air; il ne peut échapper qu'à la faveur d'une pression un peu élevée que subit parfois le gaz dans les tuyaux d'alimentation des becs. Les procédés de condensation de l'ammoniaque ne manquent pas; une grande partie de ce gaz est absorbée par l'eau, par le seul refroidissement, et donne les eaux ammoniacales qui, dans les usines à gaz ou dans les fabriques spéciales, sont converties en sulfate ou en muriate d'ammo- niaque ; mais je ne saurais trop insister sur la nécessité de l'emploi d'autres moyens d'épuration complémentaires, tels que les chlorures de manganèse, les sels de fer, ou l'action directe de l'acide sulfurique faible. L'écoulement de cet acide dans des colonnes en plomb, munies de coke et à travers lesquelles le gaz chemine en sens contraire du liquide, me paraît devoir être plus particulièrement recommandé; c'est un sys- tème qui a déjà été appliqué dans de grandes usines en Angleterre, mais qui demande à être employé d'une manière générale et assez complète pour que, dans le gaz ainsi divisé, toutes traces d'ammoniaque puissent être absorbées. Si j'insiste sur ce point, c'est que l'avenir et la généralisation de l'emploi du gaz pour l'éclairage et surtout pour le chauffage en dépendent. Les méthodes d'épuration ont malheureusement pour résultat, 30G CHIMIE lorsqu'elles arrivent à une certaine complication, de rendre le gaz moins éclairant, par la condensation de certains carbures. On ne perdra pas de vue que l'entière pureté du gaz d'éclairage devient surtout nécessaire lorsqu'il s'agit d'éclairer les galeries souter- raines, et j'ajouterai que mon attention a été plus particulièrement appelée sur cette question, au moment où le projet de la construction d'un tunnel sous-marin entre la France et l'Angleterre a été conçu et se trouve peut-être à la veille d'être réalisé. M. Ad. WÏÏRTZ Membre de l'Institut, Doyen de la Faculté de médecine de Paris. , SUR LE GLYOXAL — Séance du 22 août 1874. — M. Wurtz a essayé d'hydrogéner le glyoxal, seconde aldéhyde du glycol, dans le but d'obtenir la première aldéhyde (alcool-aldéhyde), CH'2,OH — OH: mais l'hydrogénation ne peut être arrêtée, et il se forme du glycol. En outre, on obtient de l'acide glycolique, formé par fixation d'une molécule d'eau sur le glyoxal. L'action du bioxyde de baryum sur le glyoxal donne naissance à différents corps, entre autres à un acide cristallisé ; l'étude de ces composés se poursuit. M. Louis HENRY Professeur de chimie ù l'Université de Louvain. SUR LE BROMURE D'ACROLEINE [C3H4 0 + Br2. — Séance du 21 août 1874. — J'ai entrepris depuis quelque temps, avec mon préparateur M. le Dr Bisschopinck, des recherches sur l'acroléine. On sait combien la consti- tution de ce corps est encore gravement controversée. J'avais pensé pouvoir jeter quelque lumière sur cette question, en étu- diant l'oxydation de ce produit. L'acroléine elle-même ne se prête guère à ce genre de réaction ; j'espérais que son bibromure, qui s'obtient si aisément, donnerait de meilleurs résultats et je m'attendais à pouvoir le transformer en acide bibromo-propionique CH2Br — CHBr — COOH, iden- tique à celui qu'a obtenu M. Tollens en oxydant le bibromure de l'alcool allylique (C3H5) (OH) Br2. Cela étant, l'acroléine devait être regardée l. hewry. — sur i/acéto-nitrate d'éthyle 307 comme la véritable aldéhyde acrylique et la formule à lui attribuer devait être CHO— CH=CH2. Mes prévisions ne se sont pas réalisées. Sous l'action de l'acide azo- tique de concentration moyenne, le bibromurc d'acroléine C3H40 -f- Br2 ne s'oxyde pas, mais se polymérise. Ce bibromurc se transforme en un beau corps solide, d'une blancheur parfaite, cristallisant de l'eau en paillettes ou en prismes, fusibles à 59". Ce produit est fort peu soluble dans l'eau à froid; il se dissout beau- coup mieux dans l'alcool. Sa solution alcoolique saturée de HCl laisse précipiter par l'eau un corps huileux, insoluble et fort dense auquel je crois pouvoir assigner la formule C3H4Br2<^H5° {1) Dans le bibromurc d'acroléine polymérise, on a trouvé 74,04 et 73,70 0/0 de brome, La formule C3H40 + Br2 en demande 74,07. L'acide bibromo-propionique renferme 68,96 0/0 de brome. Mi. Louis HENRY Professeur de chimie à l'Université de Louvain. SUR L'ACETO-lNITRATE D'ETHYLE — Séance du 24 août 4874. — * En 1860, M. Nadler, élève de M. Staedtler, à Zurich, a fait connaître, sous ce nom, un des produits de la distillation d'un mélange d'éthylsul- fate et d'azotate potassique. On obtient dans cette réaction, non de l'azotate d'éthyle, comme on devrait le supposer, mais un corps qui renferme les éléments de deux molécules de cet azotate et d'une molécule d'aldéhyde acétique C2H40-|-2(C2H5Àz03). Cet acétonitrate ressemble beaucoup extérieurement à l'azotate d'éthyle. Depuis l'époque où on l'a fait connaître, on ne s'en est plus occupé ; aussi n'a-t-il reçu aucune place dans les classifications chimiques. Ce produit, de composition si complexe, m'a paru mériter un meilleur sort. J'en ai fait préparer une certaine quantité par M. le Dr Bisschopinck; j'ai pu constater l'exactitude des assertions de M. Nadler. Je ferai remar- 0) L'analyse a confirmé cette formule. Ce produit se décompose à la distillation. 308 CHIMIE quer seulement qu'il se l'orme, pendant cette distillation, une certaine quantité de sulfate diéthylique (C2H5)2S04. On a regardé jusqu'ici l'acétonitrate d'éthyle comme une combinaison moléculaire d'azotate d'éthyle et d'aldéhyde acétique. A mon avis, ce n'est rien dire ; je regarde ce composé comme représentant une combinaison d'un genre tout spécial : c'est un éther de l'acide pyroazotique inconnu H4(Az207) 2(C2H5-Az03) + C2lLéO= ^]]\ >Az207, ou le pyro-azotate d'éthylidène et d'éthyle. Ce corps bout vers 80°-85°; mais ce n'est là, comme on le suppose bien, qu'une température de dissociation. — J'en ai pris la densité de vapeur à la température de 100". — Sa molécule représente 6 volumes; cette vapeur se constitue d'un mélange de 2 volumes de vapeur d'azotate d'éthyle et de 1 volume de vapeur d'aldéhyde. Densité de vapeur trouvée à 100°: 2,77; 2,76. f" H : l >Az207. Densité calculée : 7,809. m"5J2 (C2H5)Az03 Densité de vapeur : 3,14. G2H40 id. : 1,52. (3,14)2+1.52 3 " J'ai trouvé ainsi que je l'indique, 2,70. 11 serait intéressant d'examiner si les éthers nitriques sont susceptibles de se combiner directement et par addition avec les aldéhydes, si notamment l'éther nitrique se com- < bine avec l'aldéhyde ordinaire pour donner le corps dont je viens de m'occuper. M. Louis HENRY Professeur do chimie à l'Université de Louvain. SUR LES COMPOSÉS PROPARGYLIQUES — Séance du 24 août 1874. M. Louis Henry exhibe une collection assez nombreuse de dérivés tricarbonés, glycériques, allyliques propargyliques el di-propargyliques, L. HENRY. — COMPOSÉS PROPARGYLIQUES 309 sur lesquels ont porté ses recherches. Des cristaux d'octobromure de di- propargyle C6H6Br8 sont fort remarqués. Ces cristaux prismatiques, fort bien conformés, mesurent environ un centimètre et demi. M. Henry attire notamment l'attention sur Yiodure de propargyle C3H3I0, qu'il a obtenu récemment à l'état de pureté. Ce corps résulte de l'action de l'iodure de phosphore (Pli. rouge et iode) sur l'alcool propargylique C3H3, OH. L'iodure de propargyle cristallise en aiguilles, d'un blanc parfait, mais brunissant à la lumière; son odeur est très-piquante et irrite forte- ment les veux; il fond à 48°-49°. Il est fort peu soluble dans l'eau d'où il cristallise cependant en ai- guilles longues et minces, formant un véritable feutrage; il est fort soluble dans l'alcool et l'éther, même à froid. On a trouvé dans ce corps 76,85 et 76,73 °/0 d'iode. La formule C3H3Io en demande 76,50 °/0. Un isomère de ce composé, l'allylène monoiodé CH3 — C=CIo a été dé- crit précédemment par M. Liebermann. C'est un liquide bouillant à 98°. D'après M. L. Henry, les composés propargyliques représentent les dérivés alcooliques primaires de l'allylène CH3 CH,X I I C C III III CH CH. Cette constitution, en rapport avec le mode de formation de ces com- posés en général à l'aide des dérivés allyliques de substitution, est confirmée par certaines réactions, notamment l'action de la potasse caustique sur l'alcool propargylique et l'oxydation de celui-ci. Chauffé légèrement avec de la potasse caustique, l'alcool propargylique dégage de l'acétylène CII.OH 1 CH C -fKOH = ||| + CHK02 -f H*. III CH CH Il se dégage en même temps de l'hydrogène et il se produit du for- miate potassique qui, par une oxydation ultérieure, se transforme en car- bonate. Cette réaction est des plus faciles et des plus nettes : c'est une véri- 310 chimie table expérience de leçon, et si l'alcool propargylique était plus aisé à obtenir, ce serait là le meilleur mode de préparation de l'acétylène. M. L. Henry croit avoir réussi à oxyder le bibromure de l'alcool pro- pargylique C3H3(OH)-|-Br.2 et obtenu l'acide acrylique bibromé, C3H2Br202. Il continue ses expériences dans cotte direction. M. L. Henry attire enfin l'attention de la section sur les trois bro- mures. C3H3Br Bromure de propargyle C3H3Br3 Bibromure de bromure de propargyle . C3H3Br5. Tétrabromure de bromure de propargyle. Le radical C3H3 pentavalent au maximum 0 o C3H8 C3H3 est en même temps tri et monovalent. C'est, à son avis, le premier radi- cal de ce genre connu et signalé jusqu'ici. En général, les composés propargyliques (C3H3) X sont bi et tétrava- lents, susceptibles de se combiner, soit avec X2, soit avec X4. M. Louis HEIEY Professeur de chimie à l'Université de Lourain. SUR LES PRODUITS D'ADDITION DE L'ALLYLAMINE (C3H5) H2Az. ■ — Séance du Si août I87i. — Il m'a paru intéressant d'examiner les produits d'addition de l'allyla- •mine : 1° D'abord parce que, jusqu'ici on n'a pas fait connaître de produits d'addition de composés non saturés, renfermant le groupement H2Az. On sait avec quelle énergie les corps halogènes et l'acide (OH)Cl atta- quent et détruisent l'ammoniaque ; il élait curieux de savoir comment ces réactifs se comporteraient en présence d'un composé renfermant des chaînons hydrocarbonés non saturés à côté d'un fragment de la molécule de l'ammoniaque ; 2° Ensuite, parce que j'espérais arriver ainsi à la propargylamine C3II3(H2Az). Je n'ai atteint qu'en partie mon but. J'ai réussi à obtenir des dérivés d'addition de l'allylamine avec les corps halogènes. L. HENRY. — PRODUITS D'ADDITION DE L'ALLYLAMINE 311 Dérivés bromes. L'allylamine elle-même se combine avec le brome avec une énergie extrême, alors même qu'elle est dissoute dans l'eau. On n'obtient ainsi qu'une masse résineuse, de couleur brunâtre, insoluble dans l'eau, qui est, ainsi qu'on le verra plus loin, du bibromure (C3H5)Br2(AzH2) plus ou moins altéré. Les résultats de la réaction sont beaucoup plus nets quand on fait usage des sels de l'allylamine. J'ai employé le chlorhydrate. Dans la solution aqueuse de ce sel, on introduit petit à petit du brome; celui-ci disparaît de suite, et la liqueur s'échauffe notablement. On con- tinue l'addition du brome tant qu'il se décolore; on parvient ainsi à fixer Br2 sur [(C3H5)H2Az] HC1. La concentration de cette solution par évaporation laisse déposer le produit à l'état de cristaux. Ce bibromure Br2(C3H3)(H2Az);HCl constitue un beau sel parfaitement incolore, cristallisant de l'alcool en prismes rhomboïdaux droits, durs et cassants. Ces cristaux fort simples présentent une facette de troncature sur les angles des bases correspondant aux arêtes verticales obtuses. Ce sel est assez soluble dans l'eau, même à froid ; à chaud, l'alcool absolu le dissout fort bien. En voici l'analyse : Br2C3H5(H2Az);HCl Calculé. Trouvé. Br — 63,12 i „ ._ 76,42 — 77,28 Cl 14,00 S7''12 14'44 Avec le chlorure platinique, la solution de ce bibromure donne un précipité jaune orangé, qui se dissout aisément dans l'eau à chaud, d'où il cristallise par refroidissement sous forme de lamelles aiguës d'un beau rouge. Ce sel répond à la formule [Br2 (C3H5) H2Az; HC1]2 PtCl4. On y a trouvé 23,83 et 23,4o pour 0/0 de platine; la formule en demande 23,28 0/0. Le bibromure d'allylamine lui-même Br2C3H5 (H2Az) est précipité par la potasse caustique, de la solution aqueuse de son chlorhydrate sous forme d'une huile lourde, incolore. Une partie du produit reste en dis- solution. Je l'en ai retiré à l'aide de l'éther. En se desséchant sur de l'acide sulfurique, cette huile se transforme à la longue en une masse amorphe jaunâtre, d'aspect gommeux, dure, cassante et fortement hygroscopique. 312 CHIMIE Ce produit me paraît être le bibromure d'allylamine ; on y a trouvé 73,9o et 74,14 de brome, la formule en exige 73,73. Mais ce bibromure doit être altéré, car je n'ai pas réussi jusqu'ici à refaire avec lui son chlorhydrate cristallin. Dérivés chloro-iodés . Le chlorure d'iode loCl se combine intégralement et immédiatement au chlorhydrate d'allylamine. Je n'ai pas réussi à obtenir ce produit d'ad- dition à l'état cristallin. Il se dessèche en une masse poisseuse brunâtre. La solution aqueuse de ce produit fraîchement préparé est parfaitement incolore. Avec le chlorure platinique, cette solution donne un abondant pré- cipité jaune qui devient peu après cristallin. Ce chloroplatinatc se dissout bien dans l'eau chaude, d'où il cristallise par le refroidissement en belles lamelles d'un jaune orangé. J'y ai trouvé 24,10 0/0 de platine, la formule [loCl(C3H5)H2Az;HCl]2PtCl4 en demande 24,05. Il résulte des réactions que je viens de faire connaître qu'en présence d'un composé non saturé, à fonction basique, de la formule générale Cn Hx — H>Az, les corps halogènes se portent de préférence sur le côté non saturé de la molécule et non sur le fragment ammoniacal. M. Louis Henry expose encore les résultats des recherches qu'il a entre- prises sur l'isomérie dans les éthers glycériques, mono, bi et tri-acides, simples et mixtes. 11 s'occupe enfin du produit d'addition de l'acide (OH) Cl au propylène; lequel doit être (OH) CH2-CH Cl— CH3 et non CH.Cl— CH (0H)-CH3, ainsi que le prétend M. Markownikoff. C'est un point qu'il se propose de vérifier expéri- mentalement (]). M. le Dr F. GrARRI&OIJ De Toulouse. SUR LA NATURE ET SUR LE DOSAGE DES PRINCIPES SULFURÉS DANS LES SOURCES MINÉRALES — Séance du 26 août 1874. — Depuis longtemps déjà les chimistes qui se sont le plus occupés d'hydrologie pratique ont fait porter leur attention et leurs études sur la composition et sur la nature du principe sulfuré que les eaux miné- (1) L'expérience a confirmé les prévisions de M. Henry. Voir son travail inséré dans les Comptes rendus, 2e semestre de 1871. F. GARRIGOU. — NATURE ET DOSAGE DES PRINCIPES SULFUIiÉS 313 raies tiennent en solution. Des le commencement des recherches laites sur ce sujet intéressant, les savants se trouvèrent complètement divisés, et cette division suhsiste encore de nos jours. D'un coté, l'on trouve que Save, Pommier, Longchamps, A. Fontan, MM. Bécharap, Frésenius, quelques autres chimistes et moi-même, ont soutenu ou soutiennent encore que le principe sulfuré contenu dans les eaux minérales est constitué surtout par des sulfhydratcs de sulfure solubles et aussi par de l'hydrogène sulfuré. D'un autre côté, Bayen, Anglada, Ossian Henry, MM. Boullay, Filhol et Lefort ont soutenu et soutiennent encore que les eaux sulfurées ne contiennent que du monosulfure de sodium. Les chimistes qui acceptent cette dernière manière de voir s'appuient sur les expériences d' Anglada et surtout sur celles que M. Filhol a exécu- tées à Bagnères-de-Luchon, principalement à la source Bayen. Il me sera permis de faire observer qu'une telle manière de penser est bien peu scientifique; juger la nature de toutes les sources sulfurées par l'étude de la composition d'une seule, c'est une erreur à mon sens, c'est aller à la légère, car bien des raisons physiques, chimiques et géologiques permettent de dire, a priori, que certaines de ces sources doivent différer entre elles. Et, en effet, nous pouvons dire que l'on trouve des sources chaudes et des sources froides, des sources qui blanchissent au contact de l'air et d'autres qui ne blanchissent pas, des sources donnant d'épais encroû- tements de soufre et d'autres ne fournissant même pas de traces de ce métalloïde, des sources à principe sulfuré très-tixe, et d'autres dont le principe sulfuré s'altère avec une grande rapidité en dégageant abon- damment l'odeur sulfurée, tandis que les premières l'ont d'une manière moins prononcée; certaines enfin naissent dans les granits, et d'autres dans des terrains gypseux ou calcaires. La composition exacte du principe sulfuré des eaux minérales est telle- ment utile à connaître au point de vue de l'installation des divers établis- sements thermaux où. on les exploite, que je ne crains pas d'avancer le fait suivant, quelque grave qu'il soit. La plus grande partie des établissements d'eaux sulfurées ont été manques dans leur installation parce qu'on n'a pas su reconnaître quelle était la véritable composition du principe sulfuré qu'on avait à y exploiter. Chargé par un grand nombre de propriétaires d'établissement thermaux de faire l'analyse de leurs sources, et convaincu expérimentalement de l'exactitude du fait que je viens d'émettre, j'ai dû étudier de nouveau la question d'une manière approfondie, et arriver à trouver des procédés d'analyses aussi irréprochables que possible, pour reconnaître les divers principes sulfurés des eaux minérales. 24 314 CHIMIE Les eaux de Luchon ayant été de tout temps les types principaux sur sur lesquels A. Font an, Bayen, 0. Henry et M. Filhol ont fait les expé- riences qui ont amené à l'adoption de la théorie du monosulfure, j'ai dû refaire sur ces eaux toutes les expériences faites par A. Fontan et M. Filhol. Je ne dois pas hésiter à dire que toutes celles d'A. Fontan, au point «le vue qualitatif, m'ont paru être d'une exactitude parfaite. Les expé- riences exécutées par 31. Filhol, surtout les expériences fondamentales, sont toutes inexactes. Je n'en citerai qu'une, la plus importante de toutes : o J'ai désulfuré, dit M. Filhol, par un excès de sulfate de plomb pur, un litre d'eau naturelle et un litre d'eau contenant du sulfhydrate de sulfure; toutes les deux étaient après l'action du sulfate de plomb, parfai- tement inodores et ne donnaient pas de précipité noir avec les sels d'argent; mais la première était très-légèrement alcaline, tandis que la deuxième était acide. En effet : » Dans le premier cas : SNa-|-S03Pbo=SPb+Nao,S03. » Dans le second cas : HS,SiSa +2(S03,PbO) = 2PbS+SO:iNaO-hS03. » L 'alcalinité très-légère de la première est due à la petite quantité de carbonate et de silicate de soude qu'elle renferme. » Cette expérience est totalement inexacte. En effet, toutes les sources de Luchon, surtout les plus sulfureuses et les plus chaudes, deviennent acides lorsqu'on les désulfure par le sulfate de plomb ; je donnerai plus loin leur degré d'acidité. De plus, il est impossible qu'elles soient deve nues alcalines, car lorsqu'on traite du sulfate de plomb pur et neutre par l'eau distillée, il se fait une vraie dissociation de ce sulfate, l'eau devient toujours très-légèrement acide, et en la filtrant il est permis de voir que c'est bien de l'acide sulfurique qui lui donne cette acidité. Elle se trouble légèrement avec le chlorure de baryum. J'ai été obligé d'entrer dans les détails qui précèdent à cause des nouveaux procédés de dosage que je vais faire connaître, et dans lesquels il faut tenir un compte exact de l'action du sulfate de plomb sur l'eau sulfureuse. Du reste, pour qu'il ne reste pas le moindre doute dans l'esprit du lecteur sur la transformation acide des eaux de Luchon sous l'influence de l'action du sulfate de plomb, je vais donner immédiatement le tableau alcalimétrique de ces sources ainsi traitées : Substances employées : acide sulfurique titré. — Eau distillée bouillie — Teinture de tournesol. — Eau de chaux. 1 ' Essai à blanc 32cc9 2» Source du Saule naturelle sur 50" 30OC5 3- — désulfurée par PbO,S03 311 F. GARRIGOU. NATURE ET DOSAGE DES PRINCIPES SULFURÉS #15 4» — Pré n° 1 naturelle 30,2 5» — — désulfurée 32,:» 6» — Bordeu naturelle 30,5 7c — — désulfurée 32,1 g» _ de la Grotte supérieure naturelle 30,5 9» _ _ _ désulfurée 32,2 10° — Baj en naturelle 30,3 11» — désulfurée 32,3 La dissociation du sulfate de plomb entraînant, ainsi que je l'ai dit, une production d'acide sulfurique libre, j'ai cru devoir calculer quelle était la quantité d'eau de chaux nécessaire pour saturer cet acide formé en dehors de celui qui est dû à la désuif uration. J'ai trouvé que deux gouttes correspondent à — de centimètre cube, c'est-à-dire qu'une petite division de la burette suffisait pour saturer cet acide. L'on rendra donc le titre alcalimétrique exact en retranchant — • de centimètre cube à chaque nombre, ce qui est insignifiant. Ces faits une fois constatés, j'ai procédé à quelques expériences quali- tatives pour confirmer la vérité qui ressortait des précédentes, à savoir la présence dans l'eau d'un sulfhydrate de sulfure et non pas d'un mono- sulfure. De l'eau de la source Bayen a été mise dans un ballon contenant six litres environ. Cette eau, portée à l'ébullition, a laissé dégager dans le pre- mier moment, avec une abondance extrême, un gaz qui, reçu dans une solution de nitrate de cadmium, a fourni un précipité de sulfure cadmium jaune. L'ébullition prolongée après un quart d'heure environ n'a plus donné que des traces d'acide sulfhydrique, mais d'une manière constante pendant tout le temps qu'a continué cette ébullition. Ces phénomènes sont exactement les mêmes que ceux obtenus avec une solution de sulfhydrate de sulfure alcalin mise dans les mêmes condi- tions que l'eau sulfureuse de la source Bayen. Une solution de mono- sulfure ne fournit, par l'ébullition, que des traces d'acide sulfhydrique avec une extrême lenteur. Dix litres d'eau de la source Bayen ont été désulfurés au moyen du carbonate de plomb. A mesure que le sulfure de plomb se formait et tombait au fond du récipient, on voyait se dégager une quantité de petites bulles de gaz qui venaient crever à la surface de l'eau, et que j'ai pu recueillir. Ce gaz était constitué par de l'acide carbonique. Cette pro- duction ne pouvait avoir lieu qu'avec un sulfhydrate de sulfure soluble car HS NaS + 2 (PbO, CO2) = 2PbS + NaO,C02 -f CO2 + HO et non avec un monosulfure soluble, car NaS + PbO, CO' = PbS + NaO,C02. Pendant cette expérience, l'eau perdait complètement son odeur sulfurée. Ce ne sont pas seulement les essais qualitatifs qui m'ont permis d'arri- ver ainsi à la certitude de l'existence d'un sulfhvdrate de sulfure dans 316 CHIMIE l'eau des sources de Luchon. L'étude de certains phénomènes qui se passent dans les galeries de captage des sources conduit forcément aux mêmes conclusions. Lorsque l'on parcourt ces galeries, on voit qu'il se passe, au-dessus des griffons d'eau sulfurée, deux phénomènes d'un ordre différent. Au-dessus des naissants les plus exposés à l'air, on voit la roche en place, soit gra- nit, soit calschistc quartzeux, recouverte d'une couche épaisse d'efllores- cences constituées par de petits cristaux aciculaires réunis en forme de houppes. Au-dessus des naissants les mieux abrités du contact de L'air, la roche en place est recouverte d'une épaisse couche de soufre cristal- lisé, et il n'y a pas de traces des efflorescences précitées. Au-dessus des griffons moyennement abrités du contact de l'air, on trouve un mélange de plaques de soufre et de cristaux en houppe, les premières se trouvant placées dans les points les plus abrités et les secondes dans les points les moins abrités du contact de l'air. Les sources de la galerie du Saule, de la galerie de recoupement du Saule à Bordeu ou au drainage, de la galerie du drainage, etc., sont des exemples du premier cas. La source n(> 3 de Bordeu est un magnifique exemple du second. Quelques naissants épars de la galerie Bosquet et de la galerie de recoupement du drainage au Saule forment quelques exemples du troisième. En étudiant les cristaux en houppe dont je viens de signaler l'exis- tence, on reconnaît, ainsi que nous le verrons bientôt, que ce sont des sulfates. On se trouve donc là en présence de deux phénomènes indiquant une double transformation d'un principe sulfuré volatil, qui ne peut être que de l'acide sulfhydrique. Et, en effet, pendant que, les eaux sulfurées naissant des profondeurs du sol montent à la surface en colonnes liquides, la pression exercée par cette colonne sur elle-même fait que l'hydrogène sulfuré, soit libre, soit uni à un sulfure, a de la tendance à ne pas s'échapper malgré la tempéra- ture élevée de l'eau. Arrivé à la surface du sol, cette pression n'existant plus et la température, de 00 à 6ou ayant une tendance à faire dégager l'hydrogène sulfuré, celui-ci se dégage. Mais là n'est pas la seule cause de dégagement de l'acide sulfhydrique: il y en a une seconde qui est tout à fait chimique. En effet, lorsque l'eau arrive au contact d'un air riche en acide carbo- nique comme l'est celui des galeries souterraines de Luchon, le sulfhy- drate soluble se décompose en donnant de l'acide sulfhydrique qui se dégage, et en fournissant un carbonate alcalin qui reste en solution (lj. (I) L'analyse de l'eau sulfureuse qui a séjourné au contact de l'air indique une augmentation de carbonates dans cette eau, eu même temps qu'une diminution du principe sulfuré. F. GARRIGOU. — NATURE ET DOSAGE DES PRINCIPES SULFURÉS 317 HS, NaS -f- 110 + CO2 = NaO, CO2 -f- 2 IIS Avec un rnonosulfure on aurait aussi un dégagement d'hydrogène sul- furé, mais il serait infiniment moins abondant. NaS -f 110 + CO2 = NaO, CO2 -f IIS L'acide sulfhydrique qui se dégage ainsi trouvant des roches plus ou moins poreuses et de l'air se décompose en fournissant deux produits suivant les cas : de l'eau et de l'acide sulfurique. ou bien de l'eau et du soufre. HS -f 4 0 = S0'! + HO HS -f- 0 = HO + S Lorsque l'air se renouvelle facilement dans les points où la roche et l'acide sulfhydrique sont en contact, la première transformation se pro- duit, tandis que la seconde n'a lieu que dans les points où l'air ne se renouvelle qu'avec de grandes difficultés. Lorsqu'il se forme de l'acide sulfurique, si cet acide peut se fixer en décomposant des roches attaquables, il forme des sulfates aux dépens de ces roches. Dans le cas où il ne se forme que du soufre, ce soufre se dépose. Telle est l'explication des phénomènes si singuliers et si intéressants auxquels donne lieu, dans les galeries de Luchon, l'abondant dégagement d'acide sulthydrique. Pour terminer ce qui regarde cet ordre de choses et pour pouvoir re- prendre ensuite la question du dosage des principes sulfurés des eaux minérales, je donnerai ici quelques détails sur les produits de l'attaque des roches par l'acide sulfurique secondairement formé. Les roches dans lesquelles sont percées les galeries, et qui se trouvent par conséquent attaquées par l'acide sulfurique. sont des calschistes si- liceux et des granits. Les efflorescences produites sur les premiers sont généralement neutres et constituées soit par du sulfate de chaux pur, soit, quelquefois (rarement), par des sulfates de chaux, d'alumine et de fer. Celles qui recouvrent les granits de la galerie du saule sont for- mées par du sulfate de chaux acide. Ce dernier fait ne doit pas étonner, car les nombreuses analyses qua- litatives que j'ai pu faire des granits de Luchon m'ont prouvé que le feldspath, entrant dans leur composition a une constitution totalement différente de celle qu'on lui avait supposée jusqu'ici. Les larges cristaux de feldspath que l'on peut reconnaître dans la roche en place à leur éclat nacré contiennent des silicates de chaux, de soude, de potasse et de lithine.. J'ai trouvé, de plus, dans ces mêmes granits, du cœsium et du rubidium. 318 CHIMIE Voici la composition des cristaux formant les houppes qui tapissent les granits de la galerie du Saule : Silice 3-r,590 Sulfate j Chaux 27sr,990 1 de 67"r,975 chaux f Acide sulfurique 39cr,985 ] Acide sulfurique libre 0sr,7(j2 Eau et perte 27^,673 ÎOO^OOO Les cristaux sont fortement humides dans la galerie et fortement acides. La présence de l'acide sulfhydrique et l'existence d'un sulfhydrate de sulfure soluble étant constatées dans les eaux de Luchon. d'une manière irréfutable, je vais décrire le procédé que j'ai employé et que je conseille d'employer désormais pour arriver à avoir un dosage par- faitement exact des divers principes sulfurés contenus dans les eaux minérales : 1° Désulfurer une quantité déterminée d'eau par le nitrate d'argent, laisser reposer, décanter et doser les sulfates ; 2° Désulfurer une nouvelle quant ité d'eau par du sulfate de plomb parfaitement pur et neutre, laisser reposer, décanter, et, sur une partie de l'eau, doser les carbonates, sur l'autre partie, doser l'acide carbo- nique libre ; 3° Désulfurer une nouvelle quantité d'eau par le carbonate de plomb parfaitement pur, laisser reposer, décanter la majeure partie de l'eau, et recueillir sur un filtre le sulfure de plomb formé et le carbonate de plomb en excès. Ce sulfure et ce carbonate sont traités par l'acide azo- tique fumant, qui transforme le sulfure en sulfate et qui dissout le car- bonate en excès. Le sulfate, directement pesé, fait connaître la quantité totale de soufre du principe sulfuré. L'eau décantée est divisée en deux parties A et B. Dans A on dose l'acide carbonique libre en faisant bouillir cette eau dans un ballon presque plein, avec repère (1). L'acide carbonique est reçu, pendant qu'il se dégage, dans l'eau de baryte, à l'abri du contact de l'air, et on le dose à l'état de sulfate. Cette même eau A peut servir, après cette première opération, à doser une seconde fois les carbonates fixes pour savoir si leur poids est resté le même. L'acide carbonique, trouvé libre, correspond à l'acide sulfhydrique de l'eau, soit libre, soit combiné au sulfure. On calcule la quantité de soufre correspondant a cet acide sulfhydrique, et, en la retranchant de (l) On fait un essai à blanc pour connaître, une fois pour toutes, l'acido carbonique contenu dans l'air, au-dessus du liquide, dans le ballon, afin de le retrancher de la quantité d'acide car- bonique libre trouvée. V. GARRIGOU. — NATURE ET DOSAGE DES PRINCIPES SULFURÉS 319 la quantité de soufre total du principe sulfuré, on peut connaître, par un simple calcul d'équivalents, quelle est la quantité de monosulfure combiné à l'acide sulfhydrique pour former le sulfhydrate de sulfure. La partie; lï de l'eau est concentrée et traitée par l'acide azotique, de manière à transformer en sulfate les hyposulfite et sulfite naturellement contenus dans l'eau. Le sulfate ainsi obtenu est dosé et la différence entre son poids et celui de l'opération n° 1 permet de calculer l'acide sulfurique correspondant aux liyposullite et sulfite, et, par conséquent, ces hyposullite et sulfite eux-mêmes. •i° On fait un essai sulfhydrométriquc sur l'eau naturelle, après avoir ajouté, suivant les prescriptions ordinaires, du chlorure de baryum, pour se débarrasser des sels alcalins, et l'on calcule s'il y a concordance entre les quantités de soufre des principes "sulfurés obtenus par le dosage direct du sulfure de plomb et par l'essai sulfhydrométrique. Je puis dire que, dans les cas simples, "c'est-à-dire lorsque l'eau con- tient de l'acide sulfhydrique, un monosulfure (fort rare) ou un sulfhydrate de sulfure, les quantités de soufre trouvées par les deux procédés corres- pondent à très-peu de chose près. Mais il n'en est plus de même avec les polysuliures. Dans le premier cas, je ne puis attribuer les très-légères différences à autre chose que, surtout, à de très-légères pertes dans le cours de l'opération, le dosage des principes sulfurés à l'état de sulfate de plomb étant en général très-légèrement inférieur à ceux faits avec le sulfhydromètre. En prenant la différence entre le soufre total obtenu par la pesée di- recte et le soufre total obtenu par la snfhydrométrie, qui accuse comme sulfure les hyposullite et sulfite, et le soufre total obtenu par la pesée directe, qui n'accuse que le- soufre de l'hydrogène sulfuré et du mono- sulfure, on peut avoir le soufre correspondant aux hyposulfite et sulfite. C'est en suivant les procédés de dosage que je viens d'indiquer, que j'ai obtenu sur la source Bayen, de Ludion, les résultats importants e' décisifs dont je donne ici connaissance. Grammes 1° Acide carbonique naturellement contenu dans l'eau (variable suivant la saison) actuellement — sur un litre 0,01000 2° Acide carbonique sur l'eau désulfurée par le carbonate de plomb . . . 0,02975 3° Soufre correspondant à l'acide carbonique précédent (par différence 0,02975—0,01000) 0,01436 4° Acide sulfhydrique correspondant à ce soufre 0,01524 5° Soufre total par la sulfhydrométrie 0,03049 6° Soufre total par la pesée directe du sulfure de plomb transformé en sulfate de plomb. 0,02944 7° Soufre correspondant aux hyposulfite et sulfite (obtenu par la différence entre les dosages 6° et 5" et par la pesée directe en oxydant ces hyposulfite et sulfite et les pesant à l'état de sulfate) 0,00105 320 CHIMIE 8° Par conséquent, hyposulfite de soude 0,00277 9' Soufre à letat de sulfure 0,01539 10* Par conséquent, monosulfure de sodium 0,03751 11° D'où sulfhydrate de sulfure de sodium 0,0r>ix."> Si maintenant on combine le soufre total trouvé parla sulfhydrométrie en le transformant en monosulfurc de sodium, on a 0,07453. Si d'un autre côté on combine le soufre total trouvé par la pesée di- recte en le transformant en monosulfure de sodium, on a . . 0,07170. Mais il y a dans le premier nombre celui de l'iiyposuliite de soude en même temps que celui du monosulfurc de sodium. Si donc du premier nombre on retranche le second, on obtient le nombre 0,00277 qui re- présente sensiblement l'hyposullite alcalin contenu dans l'eau ; la pesée directe donne 0,00300. Ces expériences prouvent donc que la quantité de soufre total obtenue par la métliode sulfbydrométrique, et celle qui provient de la pesée directe, sont à très-peu de chose près les mêmes. Il me sera donc permis de tirer des faits précédents les conclusions suivantes : 1° La sulfhydrométrie telle qu'on la pratique aujourd'hui est une ex- cellente méthode de dosage des principes sulfurés des eaux minérales, tant que l'on a affaire à des sulfhydrates de sulfure, monosulfure ou hydrogène sulfuré. 2° Pour obtenir la certitude qu'une eau minérale sulfurée contient de l'hydrogène sulfuré, soit libre, soit combiné, il faut désulfurer l'eau avec du carbonate de plomb et calculer l'acide carbonique mis en liberté pendant cette désulfuration. L'hydrogène sulfuré se calcule ensuite d'a- près la quantité d'acide carbonique trouvée. 3° L'eau de la source Bayen à Luchon contient un sulfhydrate de sul- fure alcalin, et non du monosulfure de sodium, ainsi que l'admettent aujourd'hui certains chimistes. 4° L'acide sulfhydrique que les sources de Luchon émettent dans les galeries peut se transformer, suivant les circonstances, en acide sulfurique et en eau, ou bien en soufre et en eau. 5° Cet acide sulfurique attaque les calschistes et les granits des ga- leries de Luchon, et produit sur les deux roches des cristaux très-abon- dants de sulfate de chaux. 6° Le feldspath des granits de Luchon contient non-seulement de la chaux, mais encore de la soude, de la potasse et de la lithine. E. PESIEll. — IA CHIMIE DE L'INDUSTRIE SUGRIÈRE 321 M. Edmond PESIEE Professeur jv chimie, U Valenciennes. LA CHIMIE DE L'INDUSTRIE SUCRIÈRE — Séance du 26 août 1874. — Vous m'excuserez si je me permets de résumer devant vous les vues que j'expose et que je propage depuis longtemps sur la chimie de l'indus- trie sucrière. Je ne pouvais choisir un sujet qui fût plus directement lié à nos productions locales, à nos ressources, que vous venez étudier sur place. L'arrondissement de Valenciennes, auquel j'appartiens, peut revendi- quer à bon droit une large part dans le développement de cette industrie indigène. 11 possédait une fabrique en 1810, deux en 1813. Elles ont succombé avec le premier empire. En 1825, cette fabrication refait sérieusement son apparition. Une fabrique fonctionne parmi nous. En 1827, il y en avait deux ; En 1828, trois ; En 1829, trois; En 1830, cinq; En 1835', quarante-cinq ; En 1838, soixante-deux. Depuis lors leur nombre varie de quarante-sept à soixante-quatre. 11 se tient à ce dernier chiffre depuis plusieurs années. Est-ce par le nombre de ses fabriques seulement que cet arrondisse- ment est remarquable ? En 1850, la production de la France entière étant de 76 millions, l'arrondissement en fournissait 16 ; il en fournissait 20, en 1855, sur 02 millions; 26, en 1858, sur 132 millions; 36, en 1805, sur 265 millions. Ces rapprochements prouvent que l'arrondissement de Valenciennes a donné plus du cinquième de la production française jusqu'au moment où de grandes usines se sont ouvertes ailleurs. Il a aussi pris part à l'im- pulsion générale, puisque sans aucune de ces nouvelles créations colos- sales, au lieu de 16 millions, il en livre 36 à la consommation. Ce chiffre lui assure un rang honorable parmi nos régions industrielles. Il représente encore plus du septième de la production totale de la France. Et l'on 322 CHIMIE peut dire, au point de vue économique, que si, forcé par la nature des lois, on obtient en Allemagne de betteraves mondées et choisies un plus fort rendement, nulle part l'hectare de terre ne rend davantage. La bonne culture intensive du pays concourt à ce résultat. Dans une occasion solennelle où les hommes les plus éminents dai- gnent visiter notre province, j'ai considéré comme un devoir de leur dire le parti que l'on peut tirer, dans l'industrie, de leurs travaux et de leurs découvertes de laboratoire. Je m'estimerai heureux si ma commu- nication est jugée par eux digne d'intérêt. Mêlé depuis 1840 aux choses de la sucrerie, j'ai suivi ou dirigé le tra- vail en usine sans préoccupation d'affaires d'argent ou de gérance. J'ai observé en chimiste d'application, j'ai agi de même. J'ai fait mes démons- trations devant un nombreux personnel d'ouvriers, avec le concours d'élèves devenus chimistes ou directeurs d'établissements, dans une usine ouverte à tout venant ; enfin, de 1858 à ce jour, j'ai reproduit mes théories dans l'enseignement oral public que la ville de Valenciennes m'a confié. Malgré cette divulgation notoire, malgré les rapports imprimés de M. Barrai à la Société d'encouragement en 1862, de M. Mariage parlant au nom des fabricants de sucre de l'arrondissement de Valenciennes en 1867, malgré ma réponse à M. le docteur Stammer dans le Jour- nal des fabricants de sucre du 9 novembre 1865, mes explications, mes préceptes apparaissent en France, pour la plupart, retour d'Allemagne. De même, le procédé Payen pour l'essai des sucres revient sous un nom allemand. La théorie des ciments et mortiers hydrauliques n'est pas attribuée par Wagner à Vicat (1). La fabrication de la potasse, à l'aide du sulfate, par le procédé de Leblanc, que le même auteur déclare fort difficile, est attribuée par lui à Grùneberg, en iS6^ (2). J'ai cependant publié nos succès à cet égard en 1844, et nous n'avons pas cessé de réaliser cette décomposition sur une très-large échelle chez MM. Serret, Hamoir, Duquesne et Gie. Est-ce manque d'érudition, ignorance de ce qui se passe en France, ou désir de glorifier les siens aux dépens de l'étranger ? L'honnêteté scientifique devrait être de tous les pays. N'oublions pas que si la présence du sucre dans la betterave a été signalée par Margraff, et que si le premier pain de sucre indigène a été présenté au roi de Prusse en 1799 par Achard, de Berlin, cette industrie s'est éteinte dans son berceau. Elle s'est développée, elle [1) Wagner, Traité de chimie industrielle, t. ï, p. 637. (2) / de chaux à l'hectolitre de jus. Or pour 100 kil. de sucre, le sucrate le plus faible, le monobasique, contient lGk,370 de chaux, (.es jus à iùa, qui contiennent 10 kit. de sucre, devraient donc tenir lk.G30 de. chaux et ils n'en ont que 114 gr. 24 ! Pourrait-on admettre l'existence d'une faihle proportion de sucrate ? 1 hectolitre d'eau froide dissout i:)0 gr. de chaux ; 1 hectolitre d'eau bouillante 79 gr. A la température intermédiaire à laquelle se fait l'addition de chaux, ce seraient bien les 114 gr. qui devraient se dissoudre. -Y eût-il 35 gr. de chaux en plus, si l'on voulait raisonner, à la rigueur, sur la solubilité de la chaux à l'ébullition, il serait bien permis d'admettre que la solubilité de cette base peut être mo- diliec par les matières contenues dans le jus. E. PESIER. — LA CHIMIE DE L'INDUSTRIE SUCRIÈIîE 327 L'alcalinité libre ainsi produite est suffisante, quoique faible, pour chasser par ébullition, sous forme d'ammoniaque, l'azote de i'asparagine et des matières protéiques retenues en solution parles alcalis caustiques, et pour détruire la glucose si elle est présente. Les acides aspartique, glucique, mélassique et les acides bruns humoïdes engendrés par cette ébullition neutralisent partie de la chaux, et le titre de la liqueur diminue sensiblement. Il diminue d'autant plus que la constitution du jus est plus mauvaise (1). En même temps il se forme des écumes, que l'on sépare, ou, si l'on néglige de les enlever, qui s'ajoutent à un dépôt gommeux, azoté, qui prend naissance et vient troubler la limpidité du jus. Ce précipité rassemblé, recueilli et traité par l'acide carbonique, se dissoudrait, il rendrait à la liqueur les impuretés que la chaleur seule peut en séparer. Agir ainsi, ce serait faire un travail de Danaïdes. Faute d'avoir connu ou d'avoir compris cette circonstance, on dirige encore certaines usines en véritables ateliers nationaux. De cette façon : on fait bouillir avec de la chaux, en présence des dépôts, voire même des écumes, et en même temps on neutralise à fond. On n'a pas obtenu la neutralité au papier de tournesol, il est vrai; on ne s'est pas aperçu que la potasse et la soude libres ou carbonatées doivent conserver au jus sa réaction alcaline. Il est donc indispensable de séparer ce dépôt, ou, ce qui est plus pratique, d'arrêter l'action de l'acide carbonique assez tôt pour laisser de la chaux libre, ce que l'alcalimètre permet de régler. On a certai- nement outre-passé le terme quand le jus, de jaune qu'il était, a viré au brunâtre. En me servant de la liqueur de Decroizilles, conservée par Gay-Lussac, étendue de trois volumes d'eau pour lui donner plus de sensibilité dans les mains des ouvriers, lorsque les jus ont préalablement bouilli, je conseille de laisser 2 à 3 degrés (1/2 cent, cub.) en sus de ce que titre le même jus, quand il a reçu, dans un essai de laboratoire, de l'acide carbonique ù refus, c'est-à-dire de laisser, pour 50 cent, cub., 6 à 7 degrés (2). (1) J'ai observé que le nombre qui représente les degrés neutralisés ou disparus est constaul, quelle que soit la dose de chaux. En faisant bouillir un quart d'heure du jus de cossettes titrant Ï3 degrés, il eu a perdu 19°,». Ce même jus agité à froid avec de la chaux et titrant 131 degrés; bouilli le même temps, et le volume rétabli bien entendu, a perdu 20 degrés. La diminution du nombre de degrés par la simple ébullition alcaline est un indice précieux de la qualité et de l'état de conservation ou d'altération des betteraves. Faible est l'écart avant et après ébullition, quand les jus sont de bonne nature; il est d'autant plus considérable que leur altération est plus profonde. (2) Ce mode de surveillance des opérations s'est généralisé; partout on se sert de cette liqueur au quart, et les degrés de la burette sont les demi-centimètres cubes. Désireux de rendre ce moyen de contrôle encore moins délicat, certains industriels ont fait la liqueur acide au huitième et se servent d'une burette divisée par centimètres cubes. De la sorte il n'y a rien de changé dans l'énoncé des degrés. Mais je ne puis résister au besoin de relever la regrettable 328 CHIMIE .l'aime à croire qu'on sera convaincu par tout ce qui précède quel'ébul- lition des jus alcalins, ou en présence de la chaux, est utile (1). On fera sagement d'y soumettre aussi les jus d'écumes, sans les laisser refroidir, ce que le nouvel outil, le filtre-presse, rend aujourd'hui facile. Ces prémisses posées, je présenterai, sous forme de résumé, pour plus de brièveté, rémunération des conditions que je considère comme essentielles pour assurer un bon travail, quels que soient les détails cl le nom du procédé adopté. Il est en dispensable : 1° Do n'admettre que du jus obtenu par déchirure des tissus et pres- sion, en d'autres termes du jus de râpes et presses; 2° D'éviter les produits de cuisson de la betterave, conséquemment de ne pas laisser de pulpe dans les jus. Cette précaution est surtout nécessaire avec l'emploi des filtres-presses où ce qui aurait pu échapper à la chaleur de la défécation serait cuit par la vapeur. Ici encore l'Allemagne intervient. Elle entre en scène avec le dépulpeur de M. Lintz appuyé des analyses de M. Marschall. On remplace par un appareil le cadre garni de toile métallique que, depuis 485i, partout où l'on a cru à mes conseils, on iixe verticalement dans le bac qui précède le monte-jus. C^ simple cadre, qui divise le réservoir au jus en deux compartiments, satisfait parfaitement au but proposé. Que la pulpe soit grosse ou légère, elle se tient au fond ou au-dessus; le jus trouve toujours une surface pour son passage. Cette disposition a contre elle la défaveur d'appartenir au domaine public. 3° D'employer à la défécation une dose de chaux telle que le jus en soit saturé. Autrement dit que ce jus titre comme celui qui sort d'une défécation faite, pour renseignement, avec un excès de cette base ; 4" De tenir en ébullition les jus alcalins déféqués assez de temps pour ({ne l'ammoniaque se dégage complètement. La vapeur, une injec- tion d'air, ou l'acide carbonique impur ou l'agitation mécanique favo- risent l'expulsion de l'azote sous cette forme ; 5° De ne pas neutraliser toute la chaux libre par l'acide carbonique, de manière à éviter de remettre en solution les impuretés combinées à l'état insoluble. pensée de modifier la composition de la liqueur au point de porter la confusion dans la langue dès ateliers. On l'a fait sans motif plausible, en amenant la liqueur de Gay-Lussac au dixième. Dans l'ordre scientifique, il est permis de faire le même reproche à M. Frésénius qui, dans son traité d'analyse chimique, modifie la constitution de la liqueur alcalimétriquo usuelle de telle sorte que 50 cent, cub.- ou 100 deg.: neutralisent 3 gr. de carbonate de soude au lieu de Ssr,'i0, et exposent par là les chimistes à des écarts considérables dans les indications de leurs résultats. (I) On me fait remarquer que ces conseils ont reçu l'appui de M. Dubrunfaut, dans une lettre du 2G mars 186(J, publiée par la Sucrerie indigène, t. III. p. 383-384. Ce savant chimiste-manufac- turier les donne comme de son propre fonds; il est trop riche par lui-même pour vouloir rester plus longtemps mon emprunteur. E. PES1ER. — LA CHIMIE DE L'INDUSTRIE SUCRIÈRE 329 La neutralisation complète ne serait avantageusement praticable, pour soulager le noir, que sur des sirops tout à l'ait limpides, bien épurés par les opérations antérieures. Nota. — Il n'est pas hors de propos de taire remarquer ici les vices de l'Outillage adopté dans les fabriques pour la fabrication et l'emploi de l'acide carbonique : Généralement, le four à chaux comporte des proportions plus monumen- tales que les besoins ne le commandent. Là n'est pas le mal. On perd sim- plement de vue que, si l'on n'opère pas la double carbonatation, il ne faut décomposer théoriquement que 153 kilog. de craie pour saturer à point 1000 hectolitres. La pompe aspirante et foulante a des dimensions et une vitesse qui ne sont pas en rapport avec le volume de gaz expulsé de la pierre calcaire dans le même temps. L'air est nécessairement appelé ; il arrive par la grille et se mêle au produit principal en l'appauvrissant. Ce n'est pas tout : pour combler la mesure par un acte rationnellement inexplicable, on envoie dans le laveur un courant continu d'eau froide dans laquelle l'acide carbonique seul est insoluble. Il a fallu imaginer des instru- ments commodes pour doser l'acide carbonique contenu dans le mélange gazeux, et l'on s'étonne de ne trouver que 25 pour 400 et même 10 pour 100 de gaz utile. Cet agent est-il au moins mis en parfait contact avec le liquide à neutra- liser ? Nullement. Il est lancé dans les chaudières ouvertes, les bulles volu- mineuses gagnent rapidement la surface sans rencontrer dans leur ascension le moindre obstacle, la moindre chicane. Le peu d'acide carbonique qui a tra- versé, protégé par l'air qui l'enveloppe, disparaît sans résultat produit. En 1859, une dizaine de fabriques se servaient d'un vase clos que j'avais adopté, et disposé de telle sorte qu'il pouvait faire office aussi de monte-jus. Cet appareil est décrit dans le Bulletin de la Société d'encouragement, année 1872, page 359. 11 n'a pas prévalu. Il n'était pas breveté et sa construction (Hait sans doute trop économique. Les livres techniques allemands nous en apportent une variante appelée le saturateur Keeberger. S'il est breveté, il est sûr de faire son chemin. Le brevet commande la propagande. 6° De faire usage de noir bien cuit, bien lavé, ne retenant ni chaux libre, ni sulfure, ni chlorure de calcium si l'acide chlorhydrique est intervenu dans sa régénération ; 7° D'éviter tout arrêt, et les lenteubs de tbavail ; 8° Enfin, d'oBTENm I'évapobation la plus rapide, à la plus basse tempé- rature possible. Les appareils à triple effet et de cuite en grains ne laissent rien à désirer sur ce point. Mais il est un détail de construction auquel on n'a pas qu assez égard ei que j'ai reconnu être la cause de coloration des sirops avant et pendant la cuite. Au lieu d'amener la vapeur dans les serpentins, directement au bas de 25 330 CHIMIE la chaudière, on la fait arriver par un tuyau qui se recourbe, ou dans une boîte en bronze appliquée le long de la paroi. Les mousses, les projections d'une vive ébullition rencontrant une surface à découvert, et à la température de la vapeur sous pression, s'y caramélisent. Il suffit d'indiquer le défaut de ce montage pour qu'il y soit porté remède. Je ne récuse en quoi que ce soit l'efficacité des procédés scientifiques et rationnels comme l'osmose et la baryte, qui assurent l'extraction d'une plus grande quantité de sucre des bas produits. L'admission de ces procédés ne relève que de circonstances économiques variables. J'ai l'intime conviction que dans le travail courant, la seule réalisation scru- puleuse des préceptes que je viens d'énumérer donne des résultats qui ne le cèdent, ni pour la qualité ni pour la quantité, à ceux des fabriques dites perfectionnées qui s'appuient sur l'emploi d'un dosage immodéré de chaux. Dans celles-ci, l'augmentation considérable du poids des écumes qui sortent chargées de 50 à 60 pour 100 d'humidité, c'est- à-dire de jus, fait jeter journellement à la porte deux sacs de sucre, au moins, sur une fabrication de 100,000 kilog. de betteraves. J'ai eu l'honneur de vous dire, Messieurs, que tout ceci n'était pas neuf autour de nous. Je l'enseigne, je le démontre, on le pratique depuis 1858. Mais ce qui passe par tradition dans les usines parvient lentement d'ordinaire au monde savant ; peut-être aurai-je eu le bon- heur de vous intéresser, en entrant dans tous ces détails. Dans tous les cas, si vous voulez soumettre à l'examen les pratiques suivies dans les fabriques de sucre que vous aborderez, sans demander le nom du système adopté, avec l'esprit d'observation et le savoir qui vous caractérisent, vous reconnaîtrez, j'en ai la conscience, que tous les préceptes formulés ci-dessus sont observés, si le travail est satisfaisant ; vos investigations vous feront vite découvrir celle de ces prescriptions qui est négligée, sll laisse à désirer. M. A. H1ÏÏIÏÏGÏB Préparateur à l'Ecole des hautes études. SUR QUELQUES APPAREILS A DISTILLATION FRACTIONNÉE [EXTRAIT Jil PROCÈS-VERBAL) Séance du i6' août 1 87 1 — M. Henkinger fait connaître quelques appareils imaginés en collaboration avec M. Le Bel, et destinés aux distillations fractionnées dans les laboratoires. Celui que les auteurs ont adopté finalement comme donnant les meilleurs F. DE LALANDE. — SYNTHÈSE DE LA PURPURINE 331 résultats est une modification du tube à boules de M. Wurtz ; au-dessous de chaque boule le tube est étranglé, de telle sorte que les liquides condensés viennent s'accumuler dans les boules et y produisent un véritable lavage des vapeurs ascendantes. Le reflux des liquides se fait par des tubes étroits laté- raux, faisant communiquer la partie intérieure de chaque boule avec bipartie correspondante de la boule placée au-dessus; ces tubes possèdent une cour- bure qui s'oppose au passage, par ce chemin, des vapeurs ascendantes. Cet appareil, qui réalise en petit les conditions de fonctionnement des co- lonnes à distillation, permet de fractionner rapidement des mélanges com- plexes. Une note plus complète sur ce sujet a déjà paru dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. LXXIX, p. 480. M. Félix de LALAIDE SYNTHESE DE LA PURPURINE — Séance du 26 août 1874. — Les beaux travaux de MM. Sclmtzenberger et Schiffert ont fait con- naître les diverses matières colorantes contenues dans la garance. Les deux plus importantes au point de vue industriel sont l'alizarine et la purpurine : ce sont les seules dont on ait reconnu la présence sur l'es tissus qui ont subi les opérations ordinaires de la teinture et de l'im- pression. L'alizarine a été obtenue synthétiquement au moyen de l'an- thracène par MM. Grœbe et Liebermann, dont les travaux ont établi la constitution de ce corps et conduit, en outre, à une fabrication indus- trielle déjà très-développée. — Quant à la purpurine, bien qu'elle pré- sente des caractères très-voisins de ceux de l'alizarine et que sa réduc- tion par la poudre de zinc indique qu'elle doit dériver également de l'anthracène, les divers essais de synthèse qui avaient été tentés étaient restés infructueux. Avant de décrire le mode de préparation de la purpurine artificielle auquel je suis arrivé, je dirai quelques mots sur les recherches préli- minaires et la suite de raisonnements qui m'ont conduit dans la voie que j'ai suivie. I. — Ayant fait agir le nitrate de méthyle sur l'alizarine, en tubes scellés, pendant quelques heures à la température de 100°, j'ai obtenu, après évaporation du liquide en excès, un corps ayant l'aspect de l'ali- zarine et teignant les mordants d'alumine en jaune orangé de nuance peu brillante. Ce corps se transforme immédiatement par l'action des 332 CHIMIE alcalis ou plus lentement par l'action de l'eau en une nouvelle matière colorante dont les propriétés ont quelque analogie avec celles de la pur- purine, soluble, comme cette dernière, en rouge groseille dans les al- calis et communiquant aux mordants d'alumine une nuance rouge différente de celle fournie par l'alizarine et très-rapprochée de celle que donne la garancine. II. — Mon attention se trouva appelée sur une note déjà ancienne de M. Strecker (1) qui signalait des corps ressemblant parleurs propriétés à ceux que j'avais obtenus et résultant de l'action de l'acide nitrique fumant sur l'alizarine. Le produit de cette réaction se transforme par ébullition avec l'eau en un composé analogue à la purpurine auquel M. Strecker donnait le nom de nUroxijalizarine ou de nitropurpurine et attribuait la formule correspondante à la purpurine nitrée C ''Il7(AzO-)03. L'auteur n'indique, du reste, aucun fait établissant que ce corps ait réellement la constitution qu'il lui suppose. J'ai préparé la nitroxyalizarine par le procédé de M. Strecker et je l'ai comparée au corps obtenu par le nitrate de méthyle : les deux composés me parurent identiques. Le nitrate de méthyle, dans les con- ditions de l'expérience, s'était donc comporté comme l'acide nitrique agissant à froid. III. — La nitroxyalizarine préparée par l'une ou l'autre méthode était-elle réellement la purpurine nitrée? Pour élucider ce point impor- tant, j'ai traité de la purpurine par l'acide nitrique fumant de manière à obtenir une substitution nitrée. Le corps ainsi préparé m'a paru avoir les mêmes propriétés que le composé dérivant de l'action du ni- trate de méthyle sur l'alizarine. J'ai admis en conséquence que la nitroxyalizarine était de la purpurine nitrée. IV. — Dès lors j'ai pensé que, dans l'action de l'acide nitrique sur l'alizarine, on pouvait distinguer deux phases : 1° la transformation de l'alizarine en purpurine, et 2" la substitution nitrée dans la purpurine formée. Il y avait donc lieu d'essayer de faire le départ entre ces deux actions : on pourrait sans doute obtenir la purpurine en traitant l'aliza- rine par un corps oxydant convenable. V. — Dans cet ordre d'idées, j'ai soumis de l'alizarine artificielle re- connue complètement exempte de purpurine à l'action d'agents oxydants dans des conditions diverses, et j'ai été assez heureux pour obtenir ainsi la purpurine synthétique. Comme la purpurine ne diffère de l'alizarine que par de l'oxygène en plus, on a sans doute, avant de connaître la constitution de l'alizarine, essayé plusieurs fois sa transformation en purpurine sous l'influence des M) Bullotin ilf lu Société rhiitiHjue, t. XI, 1869, p. 259. F. DE LALANDE. — SYNTHÈSE DE LA PURPURINE 333 agents oxydants. Dans la plupart des cas; on obtient une modification dans les nuances fournies par l'alizarine, mais sans production de pur- purine. Cette dernière ne se forme facilement que par oxydation de l'alizarine en solution acide, notamment dans l'acide sulfurique con- centré. Ces conditions étant assez limitées, il n'est pas étonnant que les tentatives antérieures d'oxydation de l'alizarine n'aient pas abouti. Le procédé qui m'a donné les meilleurs résultats est le suivant (1) : « A huit ou dix parties d'acide sulfurique concentré on ajoute une » partie d'alizarine desséchée et pulvérisée et une partie d'acide arsé- » nique desséché ou de bioxyde de manganèse, et on élève progressi- » veinent la température vers ISO ou 160 degrés, jusqu'à ce qu'une » goutte du mélange projetée dans de l'eau contenant un peu de soude » caustique donne la coloration rouge de la purpurine. La masse est » alors versée dans une grande quantité d'eau; le précipité épuisé par » l'eau froide, puis dissous dans un volume suffisant de solution d'alun » saturée à froid, laisse déposer, par addition d'un acide, d'abondants » flocons de purpurine, qu'on finit de purilier par un nouveau traite- x> ment à l'alun suivi d'une cristallisation dans l'eau surchauffée. » L'analyse a donné les résultats suivants : Matière Acide carbonique Eau » I 0^157 0°r3705 08r0oi » II 0sr2085 O^'oOO 0^0615 » ce qui correspond à la composition centésimale • I II C14H805 calculé » Carbone 65,40 65,40 65,62 » Hydrogène 3,60 3,28 3,13 » Oxygène » » 31,25 100,00 » Les caractères du corps ne laissent aucun doute sur son identité » avec la purpurine naturelle : mêmes colorations par les alcalis, solu- » bilité dans les mêmes réactifs, solution rouge couleur d'œillet et fluo- » rescente clans l'alun, mêmes nuances communiquées par teinture aux )> tissus mordancés, même solidité de ces nuances, etc.... » VI. — Ce mode de formation de la purpurine, par l'action des agents oxydants sur l'alizarine, n'en indique pas d'une façon certaine la cons- titution. MM. Grœbe et Liebermann envisageaient la purpurine comme étant de la trioxyanthraquinone (2), de sorte que la purpurine ferait, partie de la série : (1) Extrait textuellement d'un pli cacheté déposé à l'Académie des sciences le 29 juin 1874. 2) Bulletin de la Société chimique, t. XI, 1809, p. 178. 334 CHIMIE C mètres, repose sur quelques mètres de sables pyriteux de l'assise des sables à Nu m. pïanulatade Mons-en-Pévèle. Cette couche a été observée jadis dans un puits domestique creusé à la briqueterie Grondel. Le faible développement de l'assise de Mons-en-Pévèle doit être attri- bué à ce que le point que nous étudions était autrefois assez éloigné de la côte, et à une profondeur généralement suffisante pour que la sédimentation argi- leuse des époques précédentes ai pu s'y continuer plus longtemps. En effet, aucun changement n'y devient bien manifeste avant l'époque paniselienne qui termine l'éocène inférieur. Au-dessus des sables paniseliens viennent les sables de Casscl proprement dits, formés de différentes zones bien nettes, partagées autrefois en trois groupes, rapportés par M. Meugy aux systèmes bruxellien, laekénien et tongrien (pars) de Dumont. Depuis cette époque, MM. Chellonneix et Ortlieb ont reconnu dans la partie supposée tongrienne, un ensemble de fossiles bien caractéris- tique du laekénien supérieur, de sorte que toute la masse visible dans les deux grandes carrières des Récollets, représente l'éocène moyen complet de notre région . Or, en respectant les deux autres termes de la nomenclature de l'illustre géologue belge, termes utiles à conserver comme sous-assises régionales , la grande carrière qui nous occupe pourra être résumée, dans l'ordre où elle se présente à nous, de la manière suivante : Eocènc moyen ou Sables de Cassel proprement dits. b Sous-assise laekénienne. a Sous-assise bruxellienne. \ 4 Argile glauconifère. . 3 Sables sans fossiles. 2 Zones à Num. variolaria, Cerith. iji- ganteum, Nautilus zigzag. 1 Zone de transport à Oursins et à Terebratula Kickxi. 4 Grès à Num. lœvigata. 3 Sables à fossiles friables et bancs à Cardita planicosta, etc. 2 Sable blanc sans fossiles. 1 Couches à Turitella édita. 1. Couches à Turitella Edita. - Cette zone, formée de bancs calcareux alter- nant avec un sable tiès-glauconieux, ouvre nettement dans notre bassin une 5 EXCURSION A CASSEL 38» ère nouvelle; d'une part, les éléments siliceux ou légèrement calcaires rem- placent l'élément argileux caractéristique de l'Eocène inférieur; d'autre part, une faune riche en genres et en espèces succède à une population malacolo- ique clair semée. Les couches à turritelles devraient peut-être prendre le nom de zone d'Aeltre, du bourg belge où sa faune a été plus particulièrement étu- diée par MM. Nyst et Mourlon. C'est à ce niveau que l'on constate la première apparition des Nummulites lœvigata et scabra. Parmi les autres fossiles, les plus caractéristiques, par leur abondance, sont : Natica epiglottina, N. labcllala Turritella édita, Ostrea cymbula var. Virgata, Nucula fragilis, N. Similis, Car- dium porulosum, Lucina pulchella, L. Squamula, CrassatellaNystana, Cr. plicata, Cardita elegans, C. planicosta , Cytherea lœvigata , C. suberycinoïdes , Corbula gallicula, C. Lamarkii, etc. 2. Sable blanc sans fossiles. — Ce sable, bien caractérisé par son nom, a un grain régulier formé de quartz pur. Sa blancheur le fait particulièrement re- chercher pour l'usage domestique. On y a trouvé, vers le bas surtout, des restes de tortues marines. 3. Sables à fossiles friables et à bâties solides à Cardita planicosta. — Minéra- logiquement, ces sables ne diffèrent pas du précédent, mais ils renferment un grand nombre de coquilles lamellibranches tellement friables qu'un souffle les fait disparaître complètement. Les bancs solides sont formés de sable agglu- tiné, intercalé dans le sable. Les coquilles les plus caractéristiques sont : Cardium poridosum, Cytherea suberycinoïdes, Lucina pulchella, Pectunculus pul- vinatus, Ostrea cymbxda, Ostrea jlabellula, Solarium marginatum, Rostellaria ampla, Lenita patelloïdes, etc. 4. Grès à Nummulites Lœvigata. — Cet horizon de très-faible épaisseur fait suite naturelle à la zone précédente dans laquelle il pourrait rentrer; mais l'immense quantité de nummulites, qui constituent ce banc, le fait si bien re- connaître qu'il mérite d'être cité à part. Mais son intérêt le plus sérieux con- siste surtout en ce que, à la faveur de sa dureté, il a laissé des débris épars sur toute son ancienne continuité. C'est à L'aide de ces matériaux disséminés que M. Gosselet a pu récemment retracer les contours de l'ancienne mer à lœ- vigata et raccorder le bassin de Paris au bassin flamand par Valenciennes, Cambrai, Busigny, Saint- Quentin, Ham et Chauny. La surface de ce banc à nummulites est usée et corrodée partout où il est resté en place, depuis Cassel jusqu'à Bruxelles où l'action du courant destruc- teur était beaucoup plus intense : cette ligne de démarcation termine, par con- séquent, nettement dans notre contrée la première sous-assise ou système bruxellien. La dénudation dont il s'agit correspond à un changement brusque dont la cause n'est pas encore déterminée. Elle coïncide avec un retrait de la mer, au sud du bassin, peut-être même avec sa séparation du bassin de Pa- ris, et à une plus grande extension de celle-ci, vers le nord. A ces modifica- tions se rapporte notre deuxième sous-assise, ou système laekénien, dont voici la composition. 1. Zone de transport à Oursins. — La nouvelle sous-assise commence par une zone de transport, graveleuse à la base, à éléments plus ténus vers le 386 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE haut; l'examen des fossiles permet d'y admettre trois groupes bien tranchés, à savoir : 1° Le groupe bruxellien; il renferme à l'état fossile et roulé des espèces de la sous-assise précédente ; 2° Un groupe de transport, caractérisé par des espèces roulées, mais qui n'ont pas vécu chez nous à l'époque bruxellienne; citons particulièrement les oursins et un brachiopode, la Tcrcbratula Kickxi] 3° Une faune vivante caractérisée par de petites nummulites : Num. vario- laria var. minor et N. Ueberti. 2. Zone à Cerithium giganteum, Nautilus Zigzag, etc. — Cette zone fait suite naturelle à la précédente, rentrée à l'état normal. Elle est remarquable par la. finesse du sable, qui est toujours légèrement argileux, et, par ses bancs solides dont chacun renferme un fossile dominant et caractéristique. De petites num- mulites traversent cette masse de bas en haut, mais elles appartiennent à plu- sieurs espèces : les Num. Variolaria var. minor et Heberli à la base, et la Num. planulata var. minor et l'Operculina Orbignyi à la partie, supérieure. Une bande de sable sans fossiles sépare les deux horizons numinulitiques. Quant aux bancs solides intercalés dans les sables, ils se succèdent dans l'ordre suivant : 1° Banc continu à Cerithium giganteum. Rappelons à ce sujet que M. Bayan a émis quelque doute sur cette détermination ; il penche à y voir une autre espèce que celle désignée sous ce nom, dans le bassin de Paris. Malheureuse- ment, on ne trouve à Cassel que des moules intérieurs et toute ornementation de la coquille a disparu sur le contre-moule, toujours sableux et friable. L'ob- servation de M. Bayan a, il nous semble, une importance réelle, et il serait à souhaiter d'en connaître le bien fondé. En effet, une différence dans cette dé- termination ajouterait un argument de plus à d'autres différences fau niques que nous avons déjà remarquées entre les couches qui renferment ce fossile à Paris et à Cassel. 2° Banc interrompu à Turritella imbricataria. 3° Banc continu à Nautilus Zigzag. é° Banc à Ostrea in/lata. 3. Zone des sables sans fossiles. — Cette zone, qu'il convient de ne pas con- fondre avec la bande de sable sans fossiles intercalé dans la zone précédente, est formée par un sable gris verdâtre, un peu moins fin que le précédent, et parsemé de petits grains anguleux de quartz. Il a raviné profondément, et le plus souvent même enlevé les zones inférieures, laekénienne et bruxellienne, et l'on peut alors le reconnaître, au loin, comme au mont des Kats, à une ligne de nummulites plutôt altérées que roulées (N. lœvigita-scabra-Lamarlcii), qu'il a dégagées des anciens affleurements bruxelliens. -i. Argile glauconifère. — Les sables précédents ont vraisemblablement participé à un nouveau changement brusque survenu dans la contrée. Dans la zone que nous examinons en ce moment, nous pouvons en constater les conséquences. Les nouveaux sédiments sont, en effet, si différents des parties sous-jacentes, qu'ils avaient été rangés dans l'assise tongrienne. Toutefois, après de patientes recherches, MM. Chellonneix et Ortlieb ont recueilli un certain nombre de fos- EXCURSION A CASSEL -''xS" siles reconnu par M. Nyst pour être des espèces bien caractéristiques, en Bel- gique, des horizons les plus élevés du laekenieu de Jette et de Wemmel. Ce sont : Cardium Edivarsii , Pccten Honii, Pccten corneus, Tellina plagina, Turritella brevis, etc. Telle est la composition de l'éocène moyen du bassin flamand dont les relations, avec le bassin de Paris, ont été formulées, il y a quelques années, par M. Hébert dans les termes suivants : 1° Le système bruxellien correspond à la partie du calcaire grossier inférieur qui est au-dessous des bancs à Cerithium giganteum. 2° Le système laekenieu (pars) comprend la partie du calcaire grossier qui est au-dessus des mêmes bancs. Quant à l'argile glauconiière, M. Potier pense qu'elle correspond aux Caillas- ses. Nous admettons cette idée, qui aurait pour conséquence de placer le laeké- nien à la hauteur du calcaire à milliolites. Enfin, le système paniselien semble devoir être rapporté à la partie supé- rieure des sables de Guise, ou, plus exactement, à des dépôts qui s'effectuaient dans le bassin flamand, en même temps que se formait dans le bassin de Pa- ris le lit de gravier que l'on observe à Pont-Sainte-Maxence, par exemple, en dessous du calcaire grossier. Enfin, pour en revenir aux sables de Cassel, nous avons constaté, dans les carrières du mont des Récollets, qu'ils sont recouverts par des éboulements diluviens composés principalement de blocs de grès ferrugineux du système diestien, dont l'assise, en place, couronne la colline. Mais il reste une lacune à combler: espérons que les progrès de l'exploitation permettront, un jour, de voir de près les relations de l'argile grise et des sables aquifères du mont Cas- sel, avec les assises enveloppantes (1). Tel est le résumé des observations de cette intéressante journée, qui a été fa- vorisée par un temps splendide. Chacun a pu se convaincre que la réputation du beau panorama de Cassel est justifiée à tous égards. Le souvenir de cette excursion nous remplirait le cœur de joie, si nous n'avions, au moment où nous écrivons, à déplorer la mort de l'un de nos savants visiteurs, de notre cher et regretté confrère M. Bayan, qui, malgré son indisposition, a poussé l'héroïsme pour la science jusqu'à nous accompagner à Cassel, malgré les fa- tigues qu'une journée aussi bien remplie promettait aux excursionnistes. (1) Pour plus de détails sur Cassel, consulter l'Etude géologique des collines tertiaires du dé- partement du Nord comparées avec celles de la Belgique, par M. Chellonneix et Ortlieb ; Mémoi- res de la Société des sciences de Lille, 1870. 3e série, VIIIe volume. 388 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE M. DES CLOIZEAÏÏX Membre de l'Institut. SUR LA FORME CRISTALLINE ET SUR LES PROPRIÉTÉS OPTIQUES DE LA DURANGITE — Séance du 37 août 1874. — On a trouvé -il y a quelques années, dans des sables stannifères, près de Durango au Mexique, de petits cristaux isolés d'un rouge orangé, à poussière jaune, à cassure conehoïdale, fragile-, mais possédant à peu près la dureté de l'apatite, auxquels on a donné le nom de duraïujite et qui, d'après les analyses du professeur J. Rrusb, offrent la singulière composition d'un fludarséniate d'alumine et de soude. Ces cristaux, qui se rencontrent associés à de nombreuses petites topazes incolores très- éclatantes, sont restés jusqu'à ce jour excessive- ment rares en Europe. Mais grâce à l'obligeance de mon ami le pro- fesseur Lawr. Smith, qui m'en a remis un certain nombre pendant le séjour qu'il a fait l'automne dernier à Paris, j'ai pu déterminer assez exactement leurs caractères optiques et cristallographiques. Les cristaux de durangite ont presque toujours des surfaces raboteuses, corrodées ou ternes, et ce n'est que très-exceptionnellement qu'ils se prêtent à des mesures au goniomètre de réflexion. Ils ont une longueur qui varie de 3 à 8 ou 9 millimètres, sur une largeur de 2 à 4 ou 5 millimètres. Leur forme dominante et la plus habituelle est celle d'un octaèdre oblique à base rbombe, dont quatre faces, suivant lesquelles a lieu un clivage net, peuvent être considérées comme les faces verticales du prisme primitif, tandis que les quatre autres formeraient une troncature symétrique sur les arêtes basiques aiguës de ce prisme. On peut admettre que l'angle antérieur du prisme clinorbombique fondamental est de 110° 10' (4). Les combinaisons de formes que m'ont présentées les cristaux soumis à mon examen sont : m b^2 ( assez ordinaire ) ; m fy/'2bl (fréquente) ; m /VôVafti (assez fréquente, lig. 36) ; m h{gib^/2b{ (plus rare); m ^1/251/251 (assez fréquente); mh^l^^b^^b1 (moins fréquente); m/Ve' -d^^^b1 (assez (i) Cet angle est celui que M. J.-M. Blake a observé sur de bons plans de clivage et il coïncide, à deux minutes près, avec la moyenne des nombreuses mesures que j'ai obtenues au goniomètre de rullexion et au goniomètre d'application. DES CL.OIZEAIJX. — SUR LA DURANGITE 389 rare); m /lyeVadvs&vaô* (rare, fig. 37). Jamais je n'ai rencontré la moindre trace de la base du prisme fondamental. 10 Fig. 36. Fig. 37. Les dimensions de la forme primitive et les incidences calculées, com- parées aux incidences mesurées, sont comprises dans le tableau suivant : b : h : : 1000 : 651,077 D = 791,724 cl = 610,878. Angle plan de la base = 104° 41' 38". Angle plan des faces latérales = 10o° 5' 10". Angle de la base sur h1 = 115° 13'. Angles calculés : *mm 110" 10' Angles mesurés : 110° 10' Blake 109° à 110» 7' gon. réfl. 110° 40' à 111° gon. ord. » 124° 40' à 50' g. r. 147" environ, g. r. 152» 30' env. g. o. mhx 145» 5' mgx 124° 55' '/y 146» 6' ' md1'2 adj. 150» 24' mbl opp. sur dll? 72° 13' . . . . mVP opp. sur dll- 44° 28'. . . VblP adj. 152° 15' bhn adj. 107° 47' •61/*» adj. 135° 32' 135» 32' moy. g. r 73* 25' env. g. o. 44» 30' g. r. 152° 5' moyen, g. o dW2 opp. sur V 74° 4'. gWP'ii& 6' d'r-d1!- avant 133» 48'.. gW 112° 13' &'&' adj. 135» 34' 135» 14' moy. gW2 123° 55' *&'/'&i/J adj. 112° 10'. #''&< sur g1 120° 6' 120° g. o. mb1 sur g1 97° 19' 98° g. o. t e'Pm antér. 132° 4' » \ mb'i2 sur e1'2 85° 27' 85° g. r. ( mW* sur h> 94e 33' 76° envir. g. o. 134° 4' moy. g. o. 112° 10' moy. g. r. 95° env. g. o. 300 hl : ■— 148° 46" d'i- GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE 150° onv. g. o. 83» à 84" g. o. 125° 54' moy. g. o. 151" g. o. h' : — - sur p83°16' b' b'1- V : — adj. 125» 25' &' b'I- - : — adj. 151» 19' cvr- bl — : — ■ adj. 114° 30' 115° env. g. o Le plan des axes optiques est perpendiculaire au plan de symétrie. Leur bissectrice aiguë est négative, et, pour la lumière jaune de la soude, elle fait approximativement, comme l'indique le diagramme fig. 38, des angles de /J Fig. 38. d° 7' avec Jt[ an ter. 71° 37' avec l'arête postérieure 79° 42' avec l'arête postérieure bVi m 2H = L'écartement apparent des axes est trop considérable pour permettre de voir dans l'air les deux systèmes d'anneaux qui leur correspondent. Dans l'huile, j'ai trouvé sur une assez bonne plaque, à 15° C. 80° 53' ray. rouges; 80° 49' ray. jaunes. Leur dispersion propre est donc faible avec p > v. La dispersion horizontale est visible à travers des lames très-minces. Une des analyses de M. Brush dont j'ai parlé plus haut a fourni : Acide arsénique 55/10 Alumine 20,68 Ox. ferrique 4,78 Ox. manganeux 1,30 Soude 11,66 Lithine 0,81 Tluor 5,67 100,00 Densité = 3,9o à 4,03. A. GUYERDET. — SUR LES ROCHES ÉRUPTIVES 391 Il en résulte que la dùrangite est un lluoarséniate d'alumine, de 1er et de soude, dont la composition offre une certaine analogie avec celle du fluophosphatc d'alumine, de lithine et de soude, connu sous le nom tfamblygonite. Mais, comme je l'ai t'ait voir (1), ce dernier minéral appartient au système triclinique, et aucune de ses propriétés optiques ou physiques n'a le moindre rapport avec celles de la dùrangite. M. C. EEIEDEL Maître de conférences ù l'École normale supérieure, Conservateur des collections de minéralogie de l'École des mines. SUR CERTAINES ALTÉRATIONS DES AGATES ET DES SILEX M. A. GrïïYEOET Attaché aux collections de l'École nationale des Mines et au Service de la Carte géologique détaillée de la France. ÉTUDE MICROSCOPIQUE DE ROCHES ÉRUPTIVES — Séance du 27 août 1874. — L'étude microscopique des substances minérales a commencé très- anciennement par l'étude des minéraux cristallisés et transparents doués de propriétés physiques ou optiques spéciales; ensuite l'on a employé cette méthode pour chercher à reconnaître la nature même et le mode de formation des minéraux. Un des mémoires les plus remarquables qui ait paru sur ce sujet est celui qu'a publié en Angleterre M. Sorby, dès 4 808, sur la struc- ture microscopique des cristaux indiquant l'origine des minéraux et des roches (2). L'auteur; dans ce mémoire, fait connaître d'abord le résultat des phé- nomènes qu'il a pu observer dans les cristaux artificiels, c'est-à-dire (i) Annales de chimie et de physique, tom. XXVII, novembre 1872, <* Mémoire sur une nou- velle localité d'amblygonite, etc. » et tom. XXIX, mai 1873. « Note sur la détermination des dimen- • sions relatives de la forme fondamentale de l'amblygonite. » (2) On the microscouical Structure of tlie crystals, indicating the origin of minerais and Rocks. — From the Qunrterly Journal of Geological Society, for Novemberi858. 392 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE obtenus dans les laboratoires à la suite d'expériences chimiques, en distinguant les cristaux formés par dissolution, sublimation, et fusion ignée. Ensuite il passe aux cristaux naturels et il examine ceux qui renferment des liquides ou des gaz, comme le quartz, le feldspath, etc. Par une méthode minutieuse d'observation, M. Sorby arrive même à distinguer les minéraux qui remplissent les veines ou filons métallifères de ceux renfermés dans les roches stratifiées. En s'appuyant sur le cal- cul et sur ses observations, il détermine encore avec précision les con- ditions de pression et de température qui ont dû exister lors de la for- mation de certains minéraux dans les roches. Enfin il montre le rôle très-important de la chaleur combinée à la vapeur d'eau dans la forma- tion notamment des laves, des granités, et des roches dites métamorphi- ques généralement si riches en minéraux. C'est après la lecture de ce mémoire, vers 1861, qu'ayant eu l'occa- sion d'étudier et de déterminer quelques échantillons de laves compactes envoyés au Musée de géologie de l'École des Mines, provenant en grande partie des deux volcans du Vésuve et de l'Etna, j'eus l'idée. de tailler en plaques extrêmement minces quelques fragments de ces laves et de les examiner au microscope, atin d'arriver à une détermination plus exacte. Je fus d'abord surpris du résultat que j'obtenais en voyant que je pouvais facilement discerner et reconnaître ainsi tous les éléments mi- néralogiques entrant dans la composition de ces laves, sachant surtout qu'il était impossible de les distinguer à simple vue , ni même d'en faire la séparation mécanique par un triage minutieux des éléments réduits en très-menus fragments. Bientôt, j'arrivais même par la méthode mi- croscopique à différencier facilement ces deux roches l'une de l'autre, en remarquant, par exemple, que toutes les laves provenant du Vésuve renfermaient de l'amphigène ou leucite, tandis que celles de l'Etna n'en renfermaient pas. C'est ainsi que j'ai pu arriver à reconnaître que les laves du Vésuve étaient généralement composées d'une pâte amphi- génique hyaline, grise, d'aspect filamenteux, sans feldspaths (sanidiue ou labrador) mais renfermant de très-nombreux petits cristaux hyalins, blancs , souvent fissurés d'amphigène ou leucite, faciles à reconnaître à leurs contours arrondis, et se trouvant toujours en si grand nombre, qu'ils devenaient l'élément dominant; parmi eux se trouvaient aussi de petits cristaux bruns ou verts de pyroxène (augite), quelques cristaux prismatiques jaunes de mélilite et quelques grains noirs de fer oxydulé magnétique. Les laves de l'Etna, de couleur plus foncée, étaient composées prin- cipalement d'une pâte feldspathiquc , gris brunâtre, aussi d'aspect fila- menteux, renfermant beaucoup de cristaux hyalins, blancs, striés, de A. GUYERDET. — SUR LES ROCHES ÉRUPTIVES labrador, des cristaux bruns de pyroxène (augite) avec des grains de péridot d'un jaune verdâtre et noirs de ter oxydulé magnétique. Dans ces laves, j'avais encore remarque la présence de très-petits corps diversement colorés, souvent placés au milieu même des cristaux, sans avoir jamais pu les rapporter à une espèce minérale déterminée. Ce sont ces petits corps étranges, autant par leur forme que par leur coloration, qu'on a appelés depuis microlithes à cause de leur petitesse. Je fis encore quelques essais sur d'autres laves compactes de diverses provenances, mais cependant, malgré les résultats avantageux que j'avais obtenus de ces différents échantillons, ce n'est que plus tard, vers 1868, que j'entrepris de nouveau l'étude microscopique d'autres roches érup- tives. Je commençais par celles dites lithoïdes ou compactes, comme les eurites, les prétosiîex, les basaltes, etc., mais n'obtenant pas de résultats très-satisfaisants tout d'abord, à cause peut-être de la trop grande opacité des fragments que j'avais choisis, je restais encore quelques années sans poursuivre cette étude. Lorsqu'en 1872, apprenant que déjà la méthode microscopique était très-répandue en Angleterre et en Allemagne, et surtout encouragée parles conseils bienveillants du professeur de géologie de l'École des Mines, M. de Chancourtois, qui, lui-même, s'est beaucoup occupé de l'étude des roches et de leur classification, je me remis à tailler quelques plaques de roches porphyriques et à les examiner au microscope. Dès mes pre- miers essais il m'a été facile de reconnaître qu'on pouvait obtenir des résultats importants et même exacts, non-seulement pour la détermina- tion des éléments essentiels des roches, mais aussi sur leur constitution intime. C'est ainsi que j'ai pu voir, par exemple, que la pâte des por- phyres, qui est généralement d'aspect tout à fait compacte, soumise au microscope , montre que cette compacité n'est souvent qu'apparente , puisque en réalité elle possède encore une certaine cristallinité, qui est souvent le résultat de l'association intime de minéraux à l'état fibreux ou filamenteux, et tellement enchevêtrés les uns dans les autres, qu'ils forment comme une espèce de feutrage très-serré; ou bien encore cette pâte aura l'aspect floconneux ou une disposition analogue à celle que présentent des matières insolubles tenues en suspension dans un liquide. C'est de l'étude minutieuse de la pâte des porphyres, de la disposition qu'elle présente et des cristaux qu'elle renferme, qu'on peut, je crois, tirer quelques remarques dignes d'intérêt, surtout pour les idées qu'on peut se faire de la formation des roches porphyriques. Ainsi lorsque la pâte de certains porphyres présente comme une espèce d'étirement suivant une direction, ne pourrait-on y voir l'indice irrécu- sable du degré de plus ou moins grande fluidité que cette roche a dû 29 394 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE avoir lors de sa formation ou de sa consolidation? Quand on voit, comme je l'ai observé souvent, presque tous les cristaux renfermés dans la pâte de certains porphyres être brisés, puis ressoudés, o;i bien simplement fendillés ou fissurés, ne peut-on y voir encore les traces- du refroidisse- ment plus ou moins brusque que cette roche a dû subir ? Enfin la pré- sence des nombreuses bulles de liquides ou de gaz que contiennent presque tous les cristaux et minéraux entrant dans la constitution de ces roches, ne peuvent-elles pas indiquer aussi l'intensité des phénomènes caloritiques ou l'action plus ou moins énergique des agents chimiques, qui ont pu se produire ou réagir lors de la formation de ces roches ? On pourrait encore multiplier ces remarques, mais j'indique seulement celles qui m'ont paru les plus remarquables. Dans les roches porphyriques, la reconnaissance et la détermination des feldspaths est aussi de la plus grande importance, et le seul moyen pratique qui existait pour les reconnaître en dehors de l'analyse chi- mique, était d'examiner très-attentivement la forme cristalline des cris- taux, quoiqu'ils soient souvent imparfaits et déformés dans les roches, ou de chercher à les distinguer à l'aide de la loupe en remarquant ceux qui présentent le phénomène si remarquable des stries; mais il faut encore que ces cristaux soient d'une certaine grosseur, tandis qu'au mi- croscope les plus petits cristaux de feldspath strié, vus dans des plaques minces de roches, laissent voir des stries très-nettes, et même il m'a été souvent facile de distinguer les stries très-fines de l'oligoclase, par exemple, de celles beaucoup plus grosses du labrador. J'ai pu remarquer que ces stries, qui semblent n'exister qu'à la surface des cristaux, sont au contraire bien marquées dans leur intérieur, mais toujours suivant une seule et même direction. C'est encore par l'étude microscopique des roches porphyriques que l'on peut voir que les phénomènes de coloration ne sont pas toujours aussi intenses qu'ils le paraissent , attendu que beaucoup de porphyres , par exemple, présentant une coloration très-marquée, qui donne même ■a leur pâte une certaine opacité, lorsqu'ils sont réduits en plaques minces et placés sous le microscope, sont généralement composés de parties hyalines presque blanches, très-peu colorées et souvent transparentes; ce qui prouve qu'il a fallu qu'il existât seulement des quantités très- faibles, soit d'oxyde de fer, de silicate ou même de sulfure de fer, ou tout autre composé minéral, pour que ces roches puissent présenter ces phénomènes de coloration qui les font tant rechercher pour leurs couleurs si variées. J'ai aussi examiné au microscope des plaques minces des roches dites vitreuses, surtout de celles qui paraissaient les plus homogènes ou être A. GUYERDET. — SUR LES ROCHES ÉRUPTIVES .'!!).'i presque tout à fait compactes, comme certains trachytes très-vitreux, des rétinites, des phonolitlies, des obsidiennes, etc. Dans ces roches, j'ai pu observer à peu près les mêmes phénomènes et faire les mêmes remarques que dans les porphyres, quoique les miné- raux qui les constituent soient quelquefois différents et que ces éléments soient aussi toujours plus fissurés ou fendillés, ce qui en rend même la préparation assez difficile, ainsi que la fréquence de nombreux vides qui font que ces roches sont susceptibles de se désagréger ou de se briser en très-menus fragments, lorsqu'on veut les tailler ou les user. L'étude des roches vitreuses présente, cependant, un grand avan- tage pour l'examen microscopique, parce qu'une grande partie des élé- ments minéralogiques étant vitreux, sont transparents, et on peut voir par cela même jusqu'aux moindres détails de leur constitution. C'est surtout dans ces roches que l'on rencontre le plus de ces petits corps si curieux et si variés, qu'on a appelé avec raison microlithes, et qui pour- raient être pris pour des pierres précieuses ou gemmes, à moins d'être simplement des bulles gazeuses ou des liquides multiples, doués de colorations diverses, mais qu'il est toujours assez difficile , à cause de leur extrême petitesse, de rapporter à une espèce minérale bien définie. Ce qui m'a paru encore extrêmement important dans l'étude micros- .copique des roches, dans celles dites vitreuses comme dans toutes les autres, c'est que par un examen attentif on peut non-seulement arriver à reconnaître les différents minéraux qui composent ces roches, mais on peut même leur assigner jusqu'à un certain point un âge relatif, les uns par rapport aux autres. Ainsi il est facile de voir que plusieurs miné- raux sont les éléments primitifs ou primordiaux de certaines roches et que d'autres au contraire sont venus plus tard ou postérieurement aux premiers, et qu'ils ont été introduits parmi eux, ou bien qu'ils sont venus, comme j'ai pu l'observer, ressouder entre elles des parties qui avaient été disloquées et séparées par une cause ou une autre. On peut surtout faire ces remarques dans les feldspaths, les différents quartz et les divers micas, par exemple, que renferme souvent une même roche, en les désignant par feldspaths et quartz anciens ou feldspaths et quartz récents, etc. Enfin, c'est aussi dans les roches que les phénomènes de polarisation ou de dichroïsme des minéraux sont le plus fréquents et le plus manifestes; aussi deviennent-ils encore un moyen sûr et irrécusable, pour la recon- naissance et la détermination des minéraux qui entrent dans la compo- sition intime de ces roches et surtout pour fixer l'âge de ces différents minéraux. 390 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE Les échantillons de roches suivants, taillés en plaques minces et examinés au microscope, ont été choisis comme offrant quelques faits intéressants et à l'appui des remarques précédentes : \. Ophite de Saint-Béat {Hautes-Pyrénées). — Masse feldspathique ancienne hyaline, blanche, composée de filaments grisâtres, renfermant des cristaux hyalins, blancs, fissurés d'oligoclase, des parties noirâtres d'hornblende, associés à des parties vertes d'épidote, et taches jaunes de péridot, avec mouches de pyrite entourées d'oxyde de fer de formation plus récente. 2. Ophite de Saint-Pandelon (Landes). — Masse feldspathique ancienne hya- line, blanche, composée de filaments grisâtres, renfermant des cristaux hyalins, blancs d'oligoclase, des parties noirâtres d'hornblende et des traces jaunâtres de péridot, avec mouches de pyrite entourées d'oxyde de fer de formation récente. 3. Serpentine porphyroïde à bronzite de Todtmoas (Duché de Bade). — Masse serpentineuse hyaline, blanche, fissurée, toute pénétrée de taches vertes de chlorile avec taches rougeâtres et grisâtres de bronzite. 4. Trachyte porphyroïde à Ittnérite d'Oberbergen, Kaiserstuhl (Duché de Bade). — Pâte feldspathique, blanc-grisâtre, composée de filaments, gris-jaunâtre, renfermant des cristaux hyalins, blancs, fissurés de sanidine, avec taches noir- brunâtres d'Ittnérite. 5. Hypersthénite verte (Diabase) de Herstcin près Oberstein (Oldenbourg). — Masse feldspathique hyaline, blanche, renfermant des cristaux blanc-verdâtres en partie opaques de labrador ancien, des cristaux fissurés, brun-jaunâtres d'hornblende, avec dos cristaux, brun-noirâtres, d'hyperslhène ( Diallage) de formation relativement récente. 6. Eurite porphyroïde de la Bombarde (Loire). — Pâte feldspathique ancienne hyaline, blanche (anorthite), composée de filaments grisâtres, avec taches ver- dâtres de chlorite, renfermant des cristaux imparfaits hyalins, blancs, striés d'oligoclase, de petits cristaux noirs d'hornblende, et des grains de quartz pola- risant, de formation récente. 7. Serpentine brechoïde rougeâtre du col du Bonhomme au Mont-Blanc (Haute- Savoie). — Masse serpentineuse hyaline, blanche, remplie de filaments, noir- brunâtres, renfermant de nombreux fragments ressoudés par des parties blan- ches et rougeâtres parsemées de petits points verts de formation plus récente. Cette serpentine offre une disposition bréchiforme remarquable. 8. Trachyte porphyroïde (variété au contact de celui à Ittnérite) de Oberbergen- Kaiserstuhl (Duché de Bade). — Pâte feldspathique ancienne, blanc grisâtre, composée de filaments gris et verdâtres, renfermant des cristaux hyalins, blancs, fissurés, de sanidine contenant des bulles, des cristaux opaques blancs laiteux, de néphéline , des cristaux hyalins verts de pyroxène (augite), des cristaux rouges, violacés de mica, et des taches noirâtres d'Ittnérite de formation récente. 9. Lave porphyroïde (éruption de 1669) de l'Etna (Sicile). — Pâte feldspathi- que et pyroxénique, hyaline, composée de filaments noirâtres augitiques, ren- fermant des cristaux hyalins, blancs, striés de labrador, des grains hyalins jaunâtres de péridot, et de nombreux petits cristaux noirs d'augite. A. GUYEHDET. — SUR LES HOCHES ÉRUPTIVES 397 10. Obsidienne de Anganguco (Mexique). — - Masse feldspathique hyaline, blan- che, composée de filaments noirs et rougeâtres (sanidine) avec mierolithes rou- ges et noirs. Cette obsidienne présente le phénomène de l'étirement, et a une certaine analogie avec du verre en fusion. il. Trapp feldspathique noir de la montagne de Tarare (Rhône). — Masse feldspathique hyaline, blanche, composée de filaments verdâtres d'augite et de taches jaunâtres (hornblende) renfermant des cristaux hyalins, blancs, striés de labrador contenant des mierolithes bleus. 12. Mélaphyre feldspathique brun d'Oberstein (Oldenbourg). — Pâte feldspathi- que et pyroxénique hyaline, composée de filaments noir-brunâtres, renfermant des cristaux hyalins, blancs, striés de labrador, contenant des bulles et des cristaux imparfaits rougeâtres et noirâtres de pyroxène (augite). 13. Lave compacte (éruption de 1791) de Torre dcl Greco au Vésuve (Italie). — Masse amphigénique ancienne hyaline blanche, composée de filaments gris, avec nombreux points verts augitiques, renfermant des cristaux hyalins, blancs fissurés d'amphigène ou leucitc contenant des mierolithes de diverses couleurs et généralement disposés sous forme annulaire au centre des cristaux de for- mation plus récente. (Fig. 39.) Fig. 39. Fig. 40. Fig. 41. 14. Lave compacte (éruption de 1858) de Fosso Grande au Vésuve (Italie). — Masse amphigénique ancienne hyaline, blanche, composée de filaments gris et de points verts augitiqnes, renfermant des cristaux hyalins ver'.s fissurés de pyroxène (augite) avec un grand nombre de mierolithes de diverses couleurs, des cristaux hyalins , blancs , tissures d'amphigène ou leucite contenant des mierolithes bleus (Haûyne) verts et jaunes, disposés sous forme annulaire à la périphérie des cristaux et coïncidant avec chaque face du cristal de formation plus récente. (Fig. i0.) 15. Trapp feldspathique noir de Bolam Durham (Angleterre). — Masse felds- pathique et pyroxénique noirâtre ancienne, composée de filaments brun-noi- râtres augitiques, renfermant des cristaux hyalins, blancs, striés d'oligoclase contenant des mierolithes de diverses couleurs se présentant surtout dans un cristal avec des formes et une disposition particulière. (Fig. il.) Ce trapp ren- ferme encore quelques cristaux noirs de fer oxydulé de formation récente. 16. Pétrosilex rubané (Halleflinta) de Dannemora (Suède). — Masse feldspa- thique hyaline floconneuse rosée (ayant l'aspect de matières insolubles en sus- pension dans un liquide), renfermant des bandes feldspathiques grises, roses et vertes alternant entre elles et quelquefois fissurées et ressoudées. 17. Serpentine verte brechiforme de Liskeard-Comouailles (Angleterre). — 398 ' GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE Masse serpentineuse ancienne hyaline jaunâtre fracturée, composée de nom- breux fragments, vert-jaunâtres, ressoudés entre eux par la serpentine hyaline blanchâtre formant comme des bourrelets autour des fragments et renfermant des filaments et points noirâtres de fer oxydulé de formation plus récente. Cette serpentine présente une disposition bréchiforme remarquable. (Fig. 42.; 18. Trachyte compacte verdâtre des îles Ponces (Italie). — Pâte feldspathique, blanc-verdâlre, floconneuse et en partie opaque, renfermant des cristaux brun- verdâtre d'hornblende et des cristaux hyalins, blancs, fissurés de sanidine contenant des bulles et des microlithes. (Fig. 43.) 19. Porphyre quartzifère (eurite porphyroide-Elvari) de Great-Wheale-Busy- Cornouailles (Angleterre). — Pâte feldspathique ancienne hyaline floconneuse, gris-jaunâtre, renfermant des cristaux hyalins blancs, de quartz ancien, con- tenant des bulles et des microlithes bleus et jaunes et quelques cristaux im- parfaits hyalins blancs d'oligoclase, des cristaux bruns de mica relativement plus récents. 20. Lave ancienne de VEtna (Sicile). — Masse feldspathique et pyroxénique hyaline, composée de filaments noirâtres augitiques, renfermant des cristaux hyalins, blancs, striés de labrador, contenant des bulles et des microlithes, des cristaux imparfaits fissurés jaunâtres de péridot et quelques cristaux noirs d'augite. Fig. '.2. Fig. 43. Fig. 21. Perlithe compacte grise de Schemnitz (Hongrie). — Masse feldspathique hyaline, étirée suivant une même direction, composée de filaments gris et noirâtres, renfermant des cristaux quelquefois imparfaits, hyalins, blancs, fis- surés de sanidine, contenant des bulles et des microlithes bleus, jaunes, et des cristaux brun-rougeâtres d'hornblende. Cette roche présente le phénomène de l'étirement très-dé veloppé. (Fig. 44.) 22. Obsidienne verdâtre chatoyante des environs de Mexico (Mexique). — Masse feldspathique hyaline, étirée, composée de filaments très-fins et de bulles généralement vérdâtres, étirées suivant une même direction, avec quelques parties bleuâtres de sanidine. C'est le phénomène de l'étirement très-développé qui produit le chatoiement. 23. Hauynophyre porphyro'idc de liecitsset (Cantal). — Pâte feldspathique ancienne hyaline, composée de filaments gris et de petits points noirs augitiques, renfer- mant des cristaux imparfaits hyalins, blancs, fissurés de sanidine, contenant des bulles, des cristaux hyalins bleus d'Haiiyne , et des cristaux hyalins vert- olives de pyroxène (augite) contenant de nombreuses bulles de formation récente. 24. Phonolithc grise de Saint-Pierrc-Eynac (Haute- Loire). — Masse feldspa- thique hyaline, composée de filaments gris et brun-noirâtres avec points bruns A. GUYERDET. — SUR LES ROCHES ÉRUPTIVES 390 augitiques, renfermant des cristaux imparfaits, hyalins, blancs, de sanidine contenant quelques microlithes très-petits, bleus, jaunes, avec des cristaux im- parfaits verdâtres d'hornblende. 25. Grès porphyrique vert de Laye près Saint-Symphoricn (Loire). — Masse feldspathique hyaline ancienne, composée de filaments gris et jaunâtres , ren- fermant des cristaux imparfaits, hyalins, blancs, striés d'oligoclase, des cristaux hyalins, blancs, fissurés de quartz ancien, contenant des bulles et des microlithes, avec taches vertes de chlorite, des cristaux noirâtres de mica et des fragments noirs de schiste de formation récente. 26. Dioritine verte de la Bombarde (Loire). —Masse feldspathique hyaline an- cienne, composée de filaments gris et jaunâtres avec points brun-noirâtres d'hornblende, renfermant des cristaux imparfaits, hyalins, blanchâtres, d'oli- goclase, et des taches vertes de chlorite de formation récente. 27. Dolérite porphyroïde du Puy-de-Barneire (Cantal). — Pâte feldspathique hyaline blanche, composée de filaments grisâtres avec microlithes variant de formes et de couleurs, renfermant des cristaux hyalins, blancs, striés très- minces et très-allongés de labrador souvent s'entre-croisant, des cristaux brun- jaunâtres, très-fissurés d'augite, des taches vertes de chlorite et des cristaux noirs de fer oxydulé. 28. Mélaphyre compacte (Diabase) de Herbom (Nassau). — Pâte feldspathique hyaline ancienne, verdâtre, composée de filaments verdâtres et grisâtres, ren- fermant des cristaux hyalins, blancs, striés de labrador ancien, avec cristaux, brun-jaunâtres, d'augite et nombreuses taches et points verts de chlorite plus récentes. 29. Porphyre feldspathique brun de Quénast (Belgique). — Pâte feldspathique ancienne, hyaline, composée de filaments grisâtres et jaunâtres, renfermant des cristaux imparfaits hyalins , blancs , quelquefois opaques d'oligoclase ancien et des taches vertes de chlorite, colorant en partie les cristaux d'oligoclase, avec mouches de pyrite entourées d'oxyde de fer de formation récente. 30. Porphyre feldspathique vert de Quénast (Belgique). — Pâte feldspathique ancienne hyaline, composée de filaments blanchâtres, renfermant des cristaux imparfaits, hyalins, blancs, d'oligoclase ancien, des taches vertes de chlorite, quelques grains hyalins, blancs, de quartz, et mouches de pyrite entourées d'oxyde de fer de formation récente. 31. Mélaphyre vert (Diabase) de Ternuay (Vosges). — Pâte feldspathique an- cienne hyaline, blanchâtre, composée de filaments grisâtres, renfermant des cristaux imparfaits, hyalins, blancs, fissurés d'oligoclase ancien, avec des grains hyalins blancs de quartz ancien et des cristaux brun-noirâtres d'augite, des taches vertes de chlorite de formation récente. 32. Trachyte porphyroïde avec Thomsonite de la Somma au Vésuve (Italie). — Pâte feldspathique hyaline, composée de filaments grisâtres, avec nom- breux petits points verts (microlithes), renfermant des cristaux hyalins, blancs très-fendillés de sanidine, des cristaux hyalins blanc-verdâtres fissurés, bordés de noir (Thomsonite) contenant des microlithes bleus, des cristaux bruns de mica. 400 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE 33. Phonolithe grisâtre de Salzhausen (H esse). — Masse feldspathique hyaline, composée de filaments grisâtres, arec nombreux points verts (microlithes), renfermant des cristaux imparfaits hyalins, blancs, de sanidine, des cristaux noir-brunâtres d'augite. 34. Rétinite jaunâtre de Friebitzchthal, près Meissen (Saxe). — Masse felds- pathique hyaline très-fissurée, composée de filaments jaunes et noirs, souvent en forme d'anneaux, renfermant quelques cristaux imparfaits de sanidine, bordés de jaune, contenant des bulles et des microlithes bleus, avec petites veines parallèles, jaune-rougeâtres. 35. Leucitophyre de Vatrio del Cavallo au Vésuve (Italie). — Masse amphigé- nique et pyroxénique ancienne, brune, opaque, renfermant de nombreux cris- taux hyalins, blancs, très-fissurés d'amphigène ou leucite, souvent en partie teintés en jaune de formation plus récente. 3G. Trapp feldspathique de Callandcr (Ecosse). — Masse feldspathique et py- roxénique, hyaline, composée de filaments noir-brunâtres, augitiques, renfer- mant des cristaux hyalins, blancs, striés d'oligoclase et des cristaux impar- faits noirâtres d'augite. 37. Phonolithe compacte grise du Puy-dc-Bort (Corrèze). — Masse feldspathi- que hyaline grise, mouchetée, composée de filaments grisâtres et de nombreux points verts augitiques, renfermant quelques cristaux hyalins, blancs, de sa- nidine, des cristaux noirâtres de mica et bruns d'augite. Les cristaux de mica présentent une disposition remarquable et sont de formation ancienne. (Fig. 4o.) Fie. 4o. Fig. 46. Fie. 38. Lave compacte de la Motta di San Ànastasio à l'Etna (Sicile). — Masse leldspathique et pyroxénique hyaline, composée de filaments noirâtres et bru- nâtres augitiques, renfermant des cristaux hyalins, blancs, striés de labrador, et des grains hyalins jaunâtres de péridot. 39. Basalte compacte de Mauriac (Cantal). — Masse feldspathique hyaline, composée de nombreux filaments brunâtres augitiques, renfermant des cris- taux hyalins, blancs, striés de labrador, des cristaux bruns d'augite, des cris- taux noirs de fer oxydulé et des grains blanc-jaunâtres de péridot, contenant des microlithes. 40. Lave compacte de l'Etna (Sicile). — Masse feldspathique et pyroxénique, composée de filaments, noir brunâtre, renfermant des cristaux hyalins, blancs, striés de labrador, contenant des microlithes, bleus et verts, et des grains hyalins blanc-jaunâtres de péridot. 41 . Lave compacte noire (éruption de 4S6I) du Vésuve (Italie). — Masse amphi- génique et pyroxénique, hyaline composée de filaments, noirâtres augiti- A. GUYERDET. — SUR LES ROCHES ÉRUPTIVES 401 ques , renfermant de nombreux cristaux hyalins, blancs, fissurés d'am- phigène ou leucite de formation plus récente. 42. Porphyre feldspathique brun d'Elfalen (Suède).— Pâte feldspathique hya- line, grise, étirée, composée de filaments très-fins, gris et jaunâtres, renfer- mant des cristaux imparfaits, hyalins, cl des veines jaunâtres d'oligoclase, des cristaux noirs de fer oxydulé. Ce porphyre présente le phénomène de l'étire- ment très-développé. (Fig. 40.) 43. Mélaphyre pyroxénique du lac Vicsena (Tyrol). — Pâte feldspathique et pyroxénique hyaline, composée de filaments bruns augitiques, renfermant des cristaux hyalins, blancs, striés de labrador, contenant beaucoup de microli- thes toujours placés au centre des cristaux, et quelques taches vertes de chlo- rite et de petits cristaux noirs d'augite. 4L Serpentine verte de Reichenstein, Silésie (Prusse). — Masse serpentineuse ancienne hyaline, blanche, renfermant des taches vertes de chlorite , et des veines serpentineuses, composées de fibres très-fines jaunâtres, avec petits cris- taux grisâtres de Mispickel de formation récente. 45. Lave compacte (éruption de 1333) du Vésuve (Italie). — Masse amphigé- nique ancienne hyaline, composée de filaments grisâtres, renfermant des cris- taux hyalins, blancs d'amphigène ou leucite. contenant des bulles et des mi- crolithes de diverses couleurs avec cristaux prismatiques, jaune rougeâtre, de métilite de formation plus récente. 46. Lave compacte (éruption de 1822) du Vésuve (Italie).— Masse amphigénique ancienne et pyroxénique hyaline, composée de filaments, noir brunâtre, ren- fermant des cristaux hyalins, blancs, fissurés d'amphigène ou leucite contenant des microlithes prismatiques ou en forme d'aiguilles de formation plus récente. 47 . Grès porphyrique brun de la ferme Le More près Cordelle (Loire) . — Pâte feldspathique hyaline ancienne, jaunâtre, renfermant des cristaux hyalins, blancs, fissurés d'oligoclase, contenant des bulles, avec des cristaux bruns de mica, des taches vertes de chlorite et des fragments noirs de schiste de forma- tion plus récente. 48. Porphyre syénitique bleu cFAgay (Var). — Pâte feldspathique ancienne hyaline, composée de filaments grisâtres, renfermant des cristaux hyalins, blancs, striés et fissurés, d'oligoclase, contenant des bulles, ou quelquefois opaques et bordés d'un filet feldspathique transparent. (Fig. 47.) Ce porphyre renferme encore des cristaux bruns d'hornblende, des taches et points verts de chlorite, de petits cristaux noirs de pyrite de formation récente; 49. Trachyte porphijroïde de Eichstœden-Kaiserluhl (duché de Bade). — Pâte feldspathique ancienne, hyaline, composée de filaments grisâtres et verdâtres, renfermant des cristaux hyalins , blancs , fissurés , de sanidine ancienne, des cristaux hyalins blancs de Trydimite,- des cristaux rouge-brunâtres, de mica, et des cristaux verts d'hornblende de formation plus récente 50. Lherzolithe de l'étang de Lherz (Ariége). — Masse hyaline, blanc jaunâ- tre, très-fissurée de péridot, contenant des bulles, renfermant des cristaux im- parfaits verdâtres et noirâtres d'augite. 402 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE M. Michel MOURLON Conservateur au Musée royal d'histoire naturelle de Bruxelles. SUR LES TERRAINS DE LA BASSE BELGIQUE (EXTRAIT DE PROCÈS-VERBAL) — .Séance du 26 août 1874. — M. Michel Mourlon fait une communication sur les terrains de la basse Belgique et plus particulièrement sur les dépôts tertiaires, quaternaires et modernes des environs d'Anvers. Ces dépôts sont devenus classiques par la prodigieuse quantité de fossiles vertébrés et invertébrés qu'ils ont fournis lors des grands travaux militaires exécutés dans ces dernières années autour de cette ville. Comme la plupart de ces fossiles se trouvent déposés au Musée de Bruxelles, on n'a pas tardé à s'apercevoir, lorsqu'il s'est agi de leur classement géolo- gique, que [l'indication de leur gisement laissait souvent à désirer quand elle ne faisait pas complètement défaut. C'est que l'étude stratigraphique détaillée de ces terrains restait à faire. C'est cette étude, que M. Mourlon vient d'aborder. Ses recherches ont été faites principalement sur la rive droite de l'Escaut, à Austruwel, à Deurne, à Borgerhout et à Berchem dans les talus du fossé ca- pital de l'enceinte où, grâce au concours bienveillant et éclairé des officiers du génie, il a été possible de faire tous les travaux de terrassement que réclamaient les études géologiques de cette région. Des recherches nombreuses ont été poursuivies également au Kiel, derrière la citadelle du sud, lors du creusement, non encore terminé, d'un grand fossé destiné à prolonger le fossé capital de l'enceinte jusqu'à l'Escaut. Les nombreuses coupes qui ont pu être ainsi relevées très-soigneusement, dans ces différents points des environs d'Anvers, ont montré, que tandis qu'au Kiel, par exemple, les sables noirs diestiens de la zone d'Edeghem à Panopœa Menardi sont immédiatement surmontés d'un dépôt coquiller et caillouteux renfermant des ossements de mammouth, rhinocéros, etc., lequel est, à son tour, recouvert des sables de Campine présentant, à leur base, une zone ar- gileuse à coquilles fluviatiles. A Berchem, au contraire, les sables noirs dies- tiens à pétoncles sont séparés des dépôts analogues précédents, par un ensemble de couches de sables verts. Ces sables verts renferment une faune toute particulière et des plus inté- ressantes, caractérisée par la présence des Cétothérium, genre de crustacé qui fait complètement défaut dans le erag. Ils sont limités à la partie supérieure par un lit mince de concrétions jaunes, parfois pétries de térébratules (T. grandis). Ces nouvelles recherches viennent confirmer le classement des couches ter- tiaires supérieures, tel qu'il a été adopté dans une publication récente ( Patria Bclgica)) et qui consiste à placer la limite supérieure du miocène, immédiate- ment sous les couches scaldisiennes, c'est-à-dire sous le crag proprement dit. LANDRON. — LE MADTA DU CHILI 403 11 est à remarquer, en effet, que la faune des sables noirs diestiens à pétoncles, de même que celle des sables verts à Cctothérium, présente des différences telle- ment sérieuses avec celles du crag qu'elles semblent indiquer la présence d'une véritable lacune entre les depuis diestiens et scaldisiens. D'autre part, les sables diestiens ont des rapports fauniques si intimes avec les sables faluniens d'Edeg- hem qu'il est impossible de les en séparer. Les sables d'Edeghem ont encore été retrouvés avec une faune identique, en creusant des puits en Hollande, où ils sont regardés comme des miocènes. Il en est de même aussi, pour les sables analogues du bassin de Vienne. Il faut ajouter enfin que, dans l'état actuel de nos connaissances sur les ter- rains tertiaires supérieurs, on ne saurait guère synchroniser les dépôts belges avec ceux de l'étranger, à moins que ces derniers ne présentent une série complète et bien étudiée, comme cela paraît être le cas pour l'Italie et aussi pour la Sicile, où M. Segenza a fait connaître, il y a peu de temps entre l'Asten et le Plaisancien (pliocène) d'une part, et le Tortonien (miocène) d'autre part, un dépôt particulier sous le nom de Zancléen (de Zancléus, ancien nom de la ville de Messine) qui renferme une faune toute spéciale, laquelle pourrait peut- être bien venir combler un jour, en tout ou en partie, d'après M. Mourlon, la lacune qu'il vient de signaler entre les couches scaldisiennes et diestiennes. 9e Section BOTANIQUE Président M. H. BAILLON, professeur à la Faculté de médecine de Paris. Secrétaire M. LANDRON, pharmacien-chimiste à Dunkerque. M. LANDRON Pharmacien-chimiste à Dunkerque. LE MADIA DU CHILI OU ESSAI DE CULTURE D'UNE PLANTE OLÉIFÈRE DANS LES TERRES SABLONNEUSES DE LA FLANDRE MARITIME — Séance du 21 août 487 f. — « Le fondement de l'agriculture est la cognoissance » du naturel des terrains que nous voulons cultiver. » Ce mot d'Olivier de Serres, qui commence le « Mesnage des champs », paraît avoir reçu presque partout en Flandre une heureuse application. 404 BOTANIQUE L'extrême variété de cultures que l'on y remarque tient en grande par- tie à la diversité des terrains, autant qu'au génie industrieux et patient des habitants, et à la présence d'importants débouchés. Ici on cultive, dans les terres argileuses, le lin, le colza, le pavot, qui ne peuvent prospérer dans les sables; là, les terres sablonneuses portent du seigle, des minettes, dont le produit ne pourrait payer la rente des bonnes argiles. Or, les alluvions sableuses privées de calcaire abondent dans notre région, entre Dunkerque et Gra vélines, entre Dunkerque et Furnes. Ces terres, perméables à l'excès, se lavent par les pluies d'hiver, et l'application des engrais n'y serait souvent qu'un gaspillage. Beaucoup d'entre elles ne portent que du seigle, d'autres se couvrent d'un triste gazon que les moutons broutent à regret, d'autres sont abso- lument incultes. Il faudrait donc n'y cultiver que des plantes dont le tempérament est susceptible de s'accommoder d'une station aussi ingrate; végétant dans la saison sèche, végétant rapidement, peu exigeantes sur les engrais, d'une culture très-économique et fournissant un produit dont le com- merce et l'industrie sont toujours avides: une huile, par exemple! Ce que l'on savait du Madia : qu'il craint l'humidité, l'abondance des engrais, qu'il se trouve fort bien de la sécheresse et que quelques mois suffisent à sa végétation, me fit penser que cette plante remplirait ces desiderata. Il restait à déterminer si le climat de la Flandre maritime lui con- viendrait. Déjà le Grand-Soleil (Helianthus annus) et le Topinambour (Helian- thus tuberosus), plantes de la famille des Composées, comme le Madia, prospèrent dans les sables maigres et secs. Guidé par cette analogie, je fis, en 1873, un premier essai dans un Champ d'expériences, situé au pied des dunes, à Rosendael. Les résul- tats de cet essai sont consignés dans le tome XVII des Mémoires de la Société Dunkerquoise pour l'encouragement des lettres, sciences et arts. Encouragé par ces résultats, je repris mes expériences en 1874, mais en employant, cette fois, la graine de ma récolte, afin de savoir si cette graine était venue avec toutes ses qualités, la principale, surtout : celle qui assurerait la reproduction de l'individu sans dégénérescence. Un premier semis, fait dans une jardinière de mon officine, a donné lieu aux observations suivantes: La graine, semée le 12 mai dans de la terre de bruyère épuisée, mais arrosée avec un peu de phosphate d'ammoniaque, de nitrate de soude et de sulfate de potasse en dissolution, et grâce à une température LANDRGN le madia du chili 405 élevée, comprise entre 20 et 32 degrés, donna des tiges fructifères le 15 juillet suivant, soit deux mois après. La graine renfermait 28 0/0 d'une huile très-belle. Je fis un second essai plus important dans la partie la plus sablon- neuse de ma terre de Rosendael ; j'y affectai GO mètres carrés, divisés en trois parcelles de 20 mètres chacune, que je désignerai numéros \, 2 et 3. Cette terre, comme toutes celles de Rosendael, situées le long du canal de Fumes, est profonde, meuble, blanchit sous l'action des vents, boit très-vite les pluies; la couche arable fertilisée par d'an- ciennes cultures est en grande partie formée de sable; elle repose sur un sous-sol argilo-sablcux. J'amendai les trois parcelles avec de l'engrais flamand, à raison de 00 hectolitres à la mesure (de 44 ares 04), ou 13G à l'hectare, et j'ob- tins un succès qui dépassa mes espérances. Il y avait environ 35 tiges par mètre carré; les tiges touffues, longues de 50 à 60 centimètres, étaient pourvues d'une racine pivotante enfoncée en terre de 15 à 25 centimètres; elles étaient garnies de 30 à 35 capitules en moyenne; chaque réceptacle portait environ 20 graines du poids de 0*,01. Les résultats culturaux bruts que j'obtins sont consignés au tableau suivant: SUPERFICIE DE CHAQUE PARCELLE V X3" = 2Û""1 ET POIDS DE LA GRAINE OBTENUE SUR CHAQUE PARCELLE 1,700 2,250 2,500 i Parcelle 1 et 3 moitié non défoncée.. 3, 400 gr 2 — 1 et 3 moitié défoncée 4,500 > 3 2 ancien fossé 5,000" Epoque de l'ensemencement 24 avril. \ Epoque de la récolte 11 août .[ 2,15 Durée de la végétation 108 joursJ RENDEMENT CULTURAL A L HECTARE poids Kilos* VOLUME Urctol. 34 45 50 a item KraDCs G80 900 1,000 A LA MESURE POIDS Kifog" 748 990 1,100 VOULUE llectol. 15 19 22 MOYENNE DES RESULTATS 43 800 94G ARGENT Fi-jdcs 300 380 440 373 Les résultats économiques de cette culture peuvent être établis ainsi qu'il suit, pour la terre de Rosendael. 400 BOTANIQUE DÉPENSES A L'HECTARE [LA MESURE Francs. 200 » 102 » 0 » 30 » 12 » 2 i » 30 » 13 o Francs. 88 » 'id » /, » 13 2j 5 2.", 10 50 13 23 5 75 Total '.20 » I8a •> RECETTES Le prix de l'hectolitre de Madia, estimé 20 fr. 8G0 » 373 » BÉNÉFICES 410 » 188 * Ces chiffres ont leur signification. Mais le Madia semé en 1873, dans la même terre, le sous-sol n'ayant pas été remué, avait produit, à l'hectare, 4,555 kilogrammes de graine du poids de 48 kilogrammes, soit 32 hectolitres ; et dans ces conditions, tous les éléments de dépenses restant les mêmes (dans les bonnes situations agricoles ordinaires, ces dépenses sont moins élevées : on ne loue pas un hectare de terre 200 francs), le bénéfice net réalisable eût encore été, à l'hectare, de 640 — 420 = 220 francs, à la mesure, de 280 — 185 = 95 francs. L'importance industrielle de celte graine peut se déduire de sa compo- sition même : PRINCIPES IMMEDIATS Eau 9] Cendres phosphatées ferrugineuses \\ Matières organiques azotées sai /u Huile 85j PRINCIPES FERTILISANTS 3.09 Azote. 2.80 Phosphate de chaux. Cette huile peut, à la rigueur, passer pour comestible ; l'on arriverait très-probablement, par une épuration soignée, à la mettre sur le même LANDROiN. — LE MADIA DU CHILI 407 rang que l'huile d'œillelte; mais elle est surtout propre à la peinture et a la fabrication des savons durs. MM. P. Marchand frères, fabricants d'huile à Dunkerque, ont bien voulu, à ma demande, procéder, dans leur laboratoire, à un essai indus- triel de la graine de 31adia, récoltée à Rosendael, et m'ont adressé la réponse suivante: « Monsieur, selon votre demande, nous avons soumis à la pression » de nos presses la portion de graine pilée, Madia du Chili, que vous » nous avez remise. Nous estimons que dans une fabrication courante » et régulière, cette graine donnerait trente-deux pour cent d'huile, tout en laissant encore environ sept pour cent d'huile dans les tourteaux. » Recevez nos salutations bien sincères. » Marchand frères. » MM. P. Marchand frères étant classés parmi les plus grands fabricants d'huile de la France, leur analyse a une importance exceptionnelle pour préjuger l'avenir de cette graine. Au surplus, le tourteau de Madia, valant celui de colza; est excellent comme engrais ; sa composition déduite de celle de la graine donne des teneurs élevées en principes éminemment fertilisants: azote, 4,25 0/0; phosphate de chaux, 4 0/0. Il est en outre, à cause de la texture même des enveloppes de la graine, d'une décomposition plus facile et plus rapide. — Le Madia, plante oléifère des terres sablonneuses, mérite par- ticulièrement de fixer l'attention des agriculteurs du Nord, toujours en quête de progrès et auxquels on doit beaucoup d'acclimatations utiles; et l'on peut affirmer, sans hésitation, que les expérimentateurs qui tente- ront cette culture, notamment ceux du littoral entre Dunkerque et Grave- lines (et sans doute toute la côte de l'Océan) n'auront qu'à s'en féliciter. J'insiste surtout sur cette particularité que le Madia, ayant une longue racine pivotante, et accomplissant sa végétation en très-peu de temps, un peu plus de trois mois, ne peut prospérer que dans les terres pro- fondes et sèches, parfaitement ameublies, et d'une fertilité moyenne. En conséquence, les terres qui lui conviennent à merveille sont toutes les terres légères, les terres à seigle, même les sables, avec fumure ordi- naire d'une décomposition facile. Les meilleures fumures sont l'engrais flamand, ou les guanos, ou les tourteaux de graines oléagineuses, pavots, colza, madia. Ces essais seront repris en 1874-75, dans mon champ d'expériences, à Rosendael; dans les dunes, tout à fait au bord de la mer, et à Loo- berghe, dans une terre sablonneuse d'une superficie de 44 ares 04 cen- tiares, à ma demande et sur mes indications, par les soins de M. Désiré Landron, agriculteur. 408 BOTANIQUE Je veux, avant de préconiser cette plante près des cultivateurs, con- naître les résultats qu'elle pourra donner en grande culture; ce n'est qu'alors que je porterai sur son avenir, un jugement définitif. A mon avis, la culture ne doit point courir les chances d'expériences hasardeuses, et il ne faut pas non plus s'exposer à compromettre le sort d'une plante utile par des expériences incomplètes. C'est au congrès de Nantes que je me propose de fournir le résultat de la troisième année de culture du Madia, dans la Flandre maritime, en diverses situations. M. L. GAREE AIT Docteur es sciences, Professeur à l'École de médecine de Lille. NOUVELLES RECHERCHES SUR LE PROTOPLASMA VÉGÉTAL — Séance du Si août 4874. — ]° Dès l'année 1837, dans une série de mémoires sur l'absorption et l'exhalation par les surfaces aériennes des plantes et leur respiration, le docteur L. Garreau avait cru devoir attirer l'attention des physiologistes sur le rôle actif de leurs matières protéiques vivantes, matières que l'on doit considérer aujourd'hui comme la gangue dans laquelle s'éla- borent les matières organiques et se produisent les sécrétions si variées des végétaux. 2° Depuis cette époque, aucune étude suivie, à l'exception de celle du pro- toplasma, n'a été faite de ces matières. Cependant, les quantités d'azote organique si abondantes dans les parties les plus centrales du bourgeon, dans les plantules, leur décroissance graduelle dans ces mêmes parties à mesure qu'elles s'accroissent et leurs migrations (Garreau, Ann. des scienc. nat. 4852), offrent de nombreux sujets d'études, bien dignes d'exciter, par leur intérêt, les recherches des savants. 3U II est vrai que quand il faut suivre dans l'intérieur des cellules les transformations de ces matières, leur texture, leurs déplacements, et qu'il s'agit de les extraire pour mieux en étudier les formes et la composition, de nombreuses difficultés se présentent, et qu'il faut beaucoup de temps et de patience pour trouver un joint qui conduise au progrès. L'on peut, cependant, en suivant le développement du protoplasma dans certaines parties de quelques plantes qui se prêtent mieux que d'autres à son examen optique et dont on peut l'extraire pour en faire L. GARREAU. — LE PROTOPLASMA VÉGÉTAL 409 l'analyse chimique, trouver quelques données nouvelles pour aider à leur histoire. 4° Quand on examine avec soin, par un grossissement de 350 à 400 diamètres, à l'aide d'un éclairage convenable, les plus jeunes parties des végétaux, tels que ; les cotylédons de l'embryon épispermique, l'albumen des embryons périspermiques, la tigelle, la plumule, les axes très-jeunes et les feuilles les plus centrales du bourgeon naissant, il est aisé de se convaincre que les jeunes cellules qui les constituent sont gorgées d'un nombre considérable de granules, généralement arrondis qui, alors qu'ils ne sont pas encore enchaînés par une petite quantité de matière proto- plasmique amorphe, oscillent à la manière des molécules browniennes et se colorent en jaune sous l'action de l'iodure de potassium ioduré. 5° Ces petits corps qui, à eux seuls, dans les très-jeunes feuilles du bourgeon et de la plumule, constituent la plus grande masse du contenu solide de chaque cellule et qui, comme nous venons de le dire, sont isolés les uns des autres et nagent libres dans l'eau au milieu de laquelle on les observe, sont ceux que l'on retrouve, à une époque plus avancée de la végétation, toujours enchaînés à l'aide de la matière visqueuse amorphe du protoplasma filamenteux et de la membrane primor- diale. Ce sont ces granules libres du protoplasma que quelques botanistes ont désignés sous la dénomination impropre d'aleurone; car, contraire- ment au corps désigné sous ce nom par Hartig, ils sont insolubles dans l'eau et résistent même, pendant longtemps, à l'action des alcalis et des acides d'un certain degré de concentration. 6° Dans le cariopse de l'orge, les granules du protoplasma sont très- abondants, surtout dans la portion du périsperme contiguë à l'embryon; ils sont tellement nombreux dans le corps radiculaire et la plumule de l'orge qui commence à germer, qu'ils constituent à eux seuls la presque totalité de la masse des éléments qui tombent sur le porte-objet. 7° Dans le cariopse provenant de certaines variétés de blés d'Afrique on retrouve les granules du protoplasma également libres et abondants, tant dans l'endosperme que dans le germe ; mais il n'en est plus de même alors qu'on examine le périsperme des variétés de blés de nos pays : ces granules, également abondants et libres dans le principe sont, sous l'influence d'une certaine quantité d'eau, enchaînés par une matière plastique amorphe pour constituer ce que l'on désigne sous le nom de Gluten de Beccaria et qui, pour nous, constitue le protoplasme du fro- ment. 8° D'après cela le protoplasma est physiquement composé : 1° De granules ; 2° d'une matière visqueuse amorphe qui les enchaîne à une époque voisine de celle de la germination et des premiers déve- 30 410 BOTANIQUE loppements des jeunes axes et des feuilles des bourgeons au début de leur végétation printanière (I). En effet, si l'on examine les très-jeunes cellules de la radicule nais- sante de l'orge prises à la périphérie de l'organe ou au sommet de l'axe, au point végétatif, examen facile alors que l'on comprime légèrement sous le couvre-objet la portion exfoliable de la radicule, il est facile de s'assurer que les granules protoplasmiques primitivement libres se mon- trent enchaînés dans une masse visqueuse comme cela se remarque pour le protoplasma du froment, et que ce protoplasma, parfaitement distinct du liquide intracellulaire, se meut avec tous les caractères de celui de la généralité des plantes dans lesquelles on a pu facilement l'observer. 9° L'orge, qui commence à germer, broyé et infusé dans l'eau à 30° pour en extraire la diastase, donne, après filtration, une liqueur limpide ; mais l'examen microscopique de ce produit montre de nombreux gra- nules protoplasmiques tantôt libres, antôt adhérents par leur enveloppe hyaline; ils ont ainsi traversé les mailles du liltre. Vient-on à précipiter par l'alcool, on constate que la matière précipitée, désignée sous le nom de diastase impure, est, en partie, formée par la réunion des granules protoplasmiques de l'orge. Enlîn, si l'on vient à calciner cette diastase elle laisse un résidu de 14 0/0 de matières minérales fixes formées, en grande partie, de phosphates de chaux et de magnésie. Il y aurait sur ces derniers faits bien des réflexions à faire, car il nous semble que, s'il est incontestable que les ferments du sucre, du lait, constituent des espèces végétales, la prétendue diastase ne peut appar- tenir à la môme classe. 10° Mais si, au lieu de précipiter le moût de l'orge après avoir été filtré, on le porte à une température de 90°, on aperçoit des flocons for- més par la réunion des granules protoplasmiques presque purs, que l'on peut étudier sous le microscope et analyser chimiquement. On recon- naît alors que ce sont ceux que l'on retrouve dans la diastase impure et que, à part les sels minéraux qu'ils recèlent, ils sont aussi azotés que la protéine. 41° Les granules protoplasmiques et la partie plastique amorphe constituent donc les principaux éléments du protoplasma proprement dit, et il n'est guère douteux, quand on étudie ses migrations chez les plantes monocarpiennes annuelles, végétaux chez lesquels il est facile de le suivre, qu'il soit la seule partie vivante de l'individualité végétale; car, (I) En exprimant quo la masse du protoplasma est composée de granules et d'une matière plas- tique amorphe, nous n'entendons pas dire qu'il no recèle pas d'autres substances essentielles à son organisation, telles que do l'albumine, par exemple, que contient aussi le fluide aqueux dans lequel il se meut. Quant à la chlorophylle, aux petits granules féculents, aux matières sucrées et gommeuses qui le pénètrent en potito quantité, on no peut, dans notro opinion, les considérer que comme dos matières secrétéos. L. GARREAU. — LE PROTOPLASMA VÉGÉTAL 411 s'il s'élève en sécrétant des cellules nouvelles, il ne fait chez elles qu'une station passagère pour s'accroître et les quitter ensuite pour se réfugier dans les graines qu'il constitue avec les combinaisons phospho- rées qui l'accompagnent, et les sécrétions nécessaires aux besoins d'une nouvelle génération. 12° Nous avons dit que les granules adhérents à l'aide d'une matière plastique constituaient les principaux éléments visibles du protoplasma, et chacun sait que la farine de froment réduite en pâte et malaxée sous l'eau abandonne, en moyenne, 12 0/0 de gluten. Cette matière est le protoplasma du froment et ne peut être autre chose, car le protoplasma est insoluble dans le suc cellulaire et dans l'eau; en conséquence, ce liquide ne peut que lui donner de la mollesse et de la plasticité, sans pouvoir le dissoudre ou l'altérer. En effet, si l'on soumet une parcelle de gluten à l'examen microscopique, après l'avoir suffisamment com- primée, il est facile de se convaincre qu'elle se compose de granules nom- breux avec tous les caractères de ceux que l'on rencontre dans le germe et l'endosperme du grain, et d'une matière plastique amorphe qui les enchaîne. Si l'on dessèche ce produit et qu'on l'incinère, on y trouve 4,6 0/0 seulement de phosphate de chaux et de magnésie, — mais il est bon de remarquer ici que les sels minéraux ne peuvent être dosés très-utilement, attendu que, d'une part, on ne peut obtenir le protoplasma du blé à l'état de pureté et que, d'autre part, le lavage entraîne une partie des sels minéraux y compris du phosphate tribasique de chaux. 13° Les granules protoplasmiques du gluten sont encore plus faciles à reconnaître si l'on immerge cette substance dans un soluté d'iodure de potassium ioduré qui les fonce un peu plus que la portion amorphe du protosplama. 14° En faisant une section un peu au-dessus du point d'insertion de chaque feuille sur la tige adulte du commelina tuberosa ou du trades- cantia virginica, plantes chez lesquelles le protoplasma est abondant ; il suinte de la surface coupée, par les cellules ouvertes, des gouttes pois- seuses d'un aspect opalin, d'une odeur spermatique ayant la consistance et les propriétés élastiques et collantes du gluten; cette matière est constituée par le protoplasma de ces plantes dans les cellules desquelles on remarque avec facilité les mouvements vitaux de ce corps. Ce pro- toplasma n'ayant eu que le contact du suc aqueux intro-cellulaire, ne contient pas de matières solides étrangères visibles, et l'examen optique le montre comme le gluten formé : 1° d'une matière azotée plastique et amorphe ; 2° et de granules protoplasmiques très-nombreux, de telle sorte que ce protoplasma se montre physiquement le même, qu'il soit examiné dans la cellule ou recueilli directement sur le porte-objet. 412 BOTANIQUE Lavé à l'eau distillée, séché à 100° et incinéré, il laisse 13,5 0/0 de sels minéraux fixes, composés en presque totalité de phosphate de chaux tribasiquc et de phosphate de magnésie. 15° Le protoplasma, pris chez les commélinées, les céréales, les cucur- bitacées, les acanthacées, qui recèlent des plantes chez lesquelles on peut l'extraire pour l'étudier au point de vue chimique, se présente sous l'aspect d'une masse molle, demi-fluide, plus ou moins opaline, exhalant une odeur spermatique ; sa sapidité est fade et sa densité plus grande que celle de l'eau et du fluide aqueux intra-cellulaire dans lequel il se meut; l'acide acétique eristallisable lui donne plus de transparence, diminue sa consistance et le dissout très-lentement en agissant à la fois sur les granules et la matière plastique amorphe. La liqueur de Sweitzer ramollit le protoplasma sans dissoudre les enveloppes des granules, et ce n'est qu'après une macération longtemps prolongée dans ce réactif que la matière plastique se dissout, et que les granules se détruisent après avoir présenté une certaine opacité, effet dû à l'ammoniaque du réactif, car cet alcali agit de la même manière que le soluté cupro-ammoniaque ; l'acide chlorhydrique n'agit qu'avec une extrême lenteur sur les gra- nules du protoplasma qu'il colore en rouge, comme la matière plas- tique amorphe. L'alcool le condense, lui donne plus d'opacilé et de cohésion, en le privant d'une partie de son eau. 10° Les granules libres du protoplasma, tels qu'ils se présentent dans les jeunes embryons, l'endosperme, les axes très-jeunes et les feuilles naissantes des bourgeons, comme ceux que l'on voit enchaînés dans la matière plastique de l'utricule primordiale et des courants intracellulaires, sont transparents, un peu plus réfringents et plus denses que le fluide cellulaire qui les baigne et se rapprochent généralement de la forme arrondie ; leur diamètre oscille, en général, entre 1 et 2 millièmes de millimètre, et, à l'aide d'un bon éclairage, par un grossissement de 350 à 400 diamètres, on reconnaît que chacun d'eux est entouré d'une auréole semblable à une pellicule hyaline très-transparente, dont ils constituent le noyau. Et si l'on vient à les précipiter du liquide aqueux qui les tient en suspension, on remarque que aucun des noyaux ne touche au noyau voisin, parce qu'ils sont séparés les uns des autres, dans la petite masse précipitée, par l'épaisseur de l'enveloppe ou couche de matière hyaline qui les entoure. 17° Les matières protéiques qui constituent les granules, leurs enve- loppes hyalines et la portion amorphe du protoplasma n'ont encore pu être isolées assez complètement les unes des autres pour nous fixer sur les différences de composition qu'elles peuvent présenter dans la même plante ou dans des cellules provenant de végétaux d'espèces différentes, et les physiologistes n'ont pu jusqu'à ce jour que constater leur nature L. GARREAU. — LE PROTOPLASMA VÉGÉTAL 413 animale, l'action de la chaleur, du froid plus ou moins intense, du cou- rant vol laïque qui, à un certain degré, les anéantissent s'ils agissent avec trop d'intensité. Quant aux mouvements qu'elles exécutent, quoi- que soumises, depuis plus de 30 ans, aux investigations nombreuses des savants allemands pour en déterminer la cause, on n'a pu enregistrer que des opinions assez divergentes: Sachs et d'autres physiologistes les attribuent, avec peu de foi cependant, à l'affinité des molécules pro- toplasmiques pour l'eau qui, suivant qu'elle arrive sur certains points de la masse du protoplasma, la dilate plus ou moins, de là le mouve- ment ; d'autres avouent que la cause de ce mouvement leur échappe complètement. Une troisième catégorie l'attribue à la contractilité, opi- nion que nous avons émise dans un mémoire présenté en 1837 à l'Académie des sciences, et qui s'appuie sur les observations suivantes. 18° Les amibes brachiées, diffluentes et beaucoup d'autres espèces se présentent, sur le porte-objet du microscope, comme de petits amas protoplasmiqucs sans traces d'organisation apparente: cependant, ces petits êtres se creusent spontanément, sous l'œil de l'observateur, d'un nombre variable de petites vacuoles qui disparaissent et renaissent dans d'autres points; elles émettent des prolongements simples ou rameux que l'on voit tantôt disparaître par rétraction, tantôt se souder avec la petite masse pour s'empâter et se confondre avec elle, comme le fait la sub- stance des courants protoplasmiques chez les végétaux. Or, la cause de ces mouvements semblables ou au muins très-analogues à ceux du pro- toplasma végétal est toute vitale et suppose l'excitabilité et la contrac- tilité pour qu'ils se produisent. 19° Le sarcocle des infusoires, de la douve du foie, s'arrondit de lui- même en se creusant des vacuoles comme les amibes, et ce changement de forme, tout spontané, ne peut être attribué qu'à la contractilité de cette matière encore vivante. 20° Les expansions des gromia, de certaines difflugies surtout, qui, comme le protoplasma végétal, sont formées d'une matière plastique amorphe contenant des granules, se ramifient, s'anastomosent et se confondent de manière à former un réseau protoplasmique dont l'image varie à chaque instant comme celles que forment le protoplasme fila- menteux des végétaux. 21° Après ces comparaisons, si l'on considère que les portions réti- culées et filamenteuses du protoplasma végétal, qui se renflent d'am- poules comme celles plus fluides qui ne peuvent que ramper ou fluer contre la cellule primordiale, se meuvent dans tous les sens et qu'elles progressent, les unes et les autres, contre la pesanteur, puisqu'elles se meuvent dans toutes les directions, au milieu d'un liquide qui est moins dense qu'elles, et que ces directions ne peuvent être modifiées, quels que -il i BOTANIQUE soient le sens et le degré d'inclinaison donnés au porte-objet, il faut bien, si l'on se demande à quelle cause ces changements de formes et de positions si diverses doivent être attribués, reconnaître qu'il est naturel d'admettre qu'elle est la même que celle en vertu de laquelle le sarcode, les amibes, les expansions des gromia et le protoplasma végétal sous l'orme d'anthérozoïdes et de zoospores se meuvent : c'est-à-dire, à cette propriété vitale élémentaire, la contractilité caractérisée par ce fait que la substance protoplasmique qui en jouit, se raccourcit clans un sens et augmente de diamètre dans un autre ; propriété qui appartient à sa masse comme à ses parties prises isolément. ln D'après cet exposé, le protoplasma est constitué par les matières protéiques vivantes des végétaux. 2° Considéré au point de vue optique, pendant le cours de la végé- tation active, il se montre formé : 1° de granules entourés d'une enve- loppe hyaline; 2n d'une matière plastique amorphe qui les enchaîne pour constituer la matière des courants et celle de l'utricule primordiale douées du mouvement spontané. M. DE SEYNES Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris. DE QUELQUES PHÉNOMÈNES DE COLORATION CHEZ LES BACTÉRIES — Séance du 21 août 1874. — La difficulté de trouver des caractères génériques ou spécifiques qui permettent de classer les innombrables formes de Vibrioniens, Bactéries ou Bactéridies, étudiées dans ces derniers temps, est reconnue par tous les auteurs qui s'en sont occupés, aussi bien par M. Davaine qui les range dans un certain nombre de genres, que par M. Hoffmann (1), qui paraît hésiter à faire de pareilles coupures et qui s'est contenté de les grouper en Micro, Méso et Macrobactéries. M. Hoffmann insiste sur la tendance de ces groupes à réaliser le type de Leptothrix, admis aussi par M. Robin (2), comme l'état plus développé de la plupart des Bacté- ries et en particulier des Bactéridies. M. Hoffmann a essayé de prouver, comme corollaire de sa manière de voir, l'indifférence des Bactéries à (1) H. lliiflinann, Ilot. Zeitung, avril, mai 1869, traduit dans les Annales des sciences naturelles, 5' série, tome XI (1869), pages 5 à 71. 2] Kobin, Traité du Microscope, 1871, p. 020-95:.'. DE SEÏNES. — COLORATION DES BACTÉRIES 415 l'égard du milieu dans lequel ces végétaux vivent et se développent, il a cité à l'appui quelques expériences; mais un 'grand nombre d'autres très-précises montrent combien l'existence des Bactéries est lice à la nature du substratum sur lequel elles se développent, et cette dépen- dance du milieu nutritif n'est souvent liée à aucune différence appré- ciable dans leurs caractères extérieurs; aussi, M. Davaine a-t-il pu dire, à propos de l'apparence identique de la Bactéridie du levain et de celle du charbon (4) : « Elles offrent un exemple intéressant de la diver- sité de l'espèce dans l'identité des formes. » La solution du problème que soulèvent ces faits contradictoires offre donc une grande difficulté, difficulté à laquelle on ne saurait échapper en supposant des différences d'action des Bactéries sur les milieux am- biants suivant les phases de leur développement. L'analogie avec les levures, sur ce point, ne peut plus guère être invoquée, car la théorie qui faisait des levures une phase particulière de l'existence des Pénicil- lium ou des Mucor perd tous les jours du terrain ; les dernières recher- ches de M. Brefeld (2) sur la reproduction sclérotiale du Pénicillium glaucum Lk. semblent destinées à lui porter les derniers coups en fer- mant le cycle d'évolution de ce champignon, rendu si fantastique par les observateurs de l'école de MM. Hoffmann, Bail et Hallier. On s'est peu occupé de la couleur des Bactéries, généralement tenues jusqu'ici pour incolores. Beaucoup le sont, en effet, et toutes le parais- sent, lorsqu'on les observe isolément à la lumière réfléchie. Si on les examine superposées ou agglomérées en masse, elles peuvent dans cer- taines conditions présenter des couleurs très-nettes. Les observations que je résume dans cette note ne peuvent, à la vérité, nous donner l'espoir de trouver dans ces colorations un caractère taxonomique, mais elles nous feront connaître des particularités physiologiques qui m'ont paru dignes de quelque intérêt. Deux Bactéries doivent leur nom spécifique à la coloration qu'elles présentent, ce sont : les Vibrio Synxanthus ou Xanthogenus et Syncya- nus ou Cyanogenus, l'un jaune et l'autre bleu. J'ai eu l'occasion d'ob- server et de communiquer à l'Académie des sciences (3) le fait de Bac- téries fixées sur des Pénicillium et qui, vues en masse, présentaient une couleur jaune très-prononcée ; leurs dimensions, leurs modes d'articu- lation permettaient de les rattacher au Vibrio Synxanthus d'Ehrenberg. Depuis lors, j'ai pu constater que la couleur jaune n'est pas élaborée par le vibrion, voici en effet ce qui se passe sur ces vibrions observés sur le (1) Davaine, article Bactérie, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, tome VIII, page 27. (2) Brefeld. Bot. Untcrsuch. iiber Schimmelpize. II, Heft. Loipsig 1874. (3) Sur le Pénicillium btcolor Fr. Comptes rendus Académie des sciences, n décembre 1871. 416 BOTANIQUE Pénicillium appelé bicolor par Fries. Le Pénicillium glaucum Lk. prend les caractères du Pénicillium bicolor dans des circonstances qu'il est très- facile de reproduire. On n'a pour cela qu'à abandonner à elles-mêmes, dans un milieu suffisamment humide, de vieilles pseudo-membranes de Pénicillium crusloceum; leurs spores donnent naissance à des Pénicil- lium dont la végétation est peu active et qui passent au jaune paille, au jaune serin et même au jaune d'or. De semblables Pénicillium prennent fréquemment la forme de Coremium à la surface de corps en décompo- sition ou de liquides sur lesquels ont déjà végété des Pénicillium. Dans ces conditions, il est facile de voir que l'intensité de la couleur jaune est duc au développement des Bactéries, mais en examinant les cellules du Pénicillium qui ne présentent pas de Bactéries ou que l'on a débarras- sées de ces végétaux, on reconnaît que la partie ordinairement hyaline du protoplasma est colorée en jaune; cette coloration est faible et ne suffirait pas à donner au champignon la couleur jaune qu'il présente, si les bactéries absorbant le liquide coloré de la cellule fongique ne la ren- daient sensible en multipliant les éléments colorés superposés. La cou- leur jaune qui apparaît dans les cellules du Pénicillium ne saurait, du reste, pas plus en faire une espèce distincte que cette même coloration apparaissant dans les feuilles des végétaux à chlorophylle à la lin de leur végétation, ou le passage d'une matière colorante étrangère dans le protoplasma comme cela se présente pour l'observation suivante. En cultivant des Pénicillium glaucum sur de l'urine, j'ai souvent constaté l'action de la mucédinée sur ce liquide organique. Lorsque l'urine n'est pas trop concentrée et qu'on en retarde la fermentation ammoniacale par une addition d'eau et mieux encore de sirop de sucre, on voit les cellules du Pénicillium absorber la matière colorante rouge de l'urine, souvent avec beaucoup d'intensité; c'est la partie aqueuse, ordi- nairement hyaline, du protoplasma, et non les substances grasses, qui se charge de cette matière colorante. Pendant le mois de mai 1873, j'a- vais plusieurs récipients qui me servaient à renouveler cette expérience : l'un d'eux fut conservé longtemps exposé à l'air, le liquide étant pres- que évaporé, le Pénicillium continuait à végéter d'une manière assez languissante sur les parois du vase; il présenta bientôt, par place, une couleur d'un rouge beaucoup plus vif que la teinte rosée produite or- dinairement par la matière colorante de l'urine. Ces portions de la plante plus fortement colorées, examinées au microscope montrèrent des Bactéries agglomérées sur les filaments du Pénicillium et présen- tant, vues en masse, une couleur rouge de même nuance que celle qui remplissait les cellules fongiques. Ces Bactéries groupées, appartenaient à plusieurs des types décrits par M. Davaine, et entre autres au Bacte- rium putredinis et au Bacterium capitalum ; ainsi voilà une couleur DE REYNES. — COLORATION DES BACTÉRIES 417 qui ne se rencontre pas normalement dans les cellules du Pénicillium glaucum et qui passe telle quelle de ces cellules dans les Bactéries qui sont lixées sur elles. Le Bacterium putredinis, souvent incolore, peut présenter aussi, vu en masse, une coloration brune qui a la même origine, ainsi que je m'en suis assuré en opérant sur le môme champignon. La pseudo-membrane du Pénicillium glaucum, à l'orme de crustaceum , offre dans certaines circonstances et à la iin de sa végétation des taches brun-noirâtres ana- logues à celles des fruits qui pourrissent ; cette couleur est due à la formation, dans l'intérieur des cellules, d'une matière brune épaisse, sou- vent très-foncée, que l'on voit apparaître avant qu'aucune Bactérie s'ob- serve, soit à l'extérieur, soit à l'intérieur de la cellule. Quand le Bacle- rium putredinis se fixe sur ces cellules et y forme des agglomérations caractéristiques, il présente la même coloration brune que la substance qui remplit les cellules du Pénicillium; le mucus qui environne les Bac- téries est du reste incolore. Il serait difficile d'admettre que les colorations des Bactéries en jaune, rouge ou brun, aient une autre origine que la matière colorante des cellules sur lesquelles ces microphytes sont implantés, et la concor- dance de cette coloration dans ces trois cas différents, observée un grand nombre de fois, ne saurait laisser de doute. M. Hoffmann a décrit un phénomène analogue dans son mémoire sur les Bactéries : « La Fuch- sine, dit-il, dissoute dans l'eau vinaigrée, de même qu'une solution de carmin, colore au bout d'un certain temps ces petits organismes en rouge intense, tandis que le mucus qui les environne reste incolore. » Ce fait pourrait être le résultat d'une imbibition passive, car il est fort difficile de distinguer une Bactérie immobile vivante d'une Bactérie morte , et par conséquent inactive. Les observations que je présente aujourd'hui ne peuvent donner lieu à une semblable objection : dans les deux premières, la coloration jaune et la coloration rouge se sont montrées sur des Bactéries vivant dans un milieu humide, et non sub- mergées par un liquide coloré. La matière colorante a donc traversé la membrane de la cellule du Pénicillium et celle de la Bactérie pour rem- plir la cavité interne de celle-ci. Quant au troisième cas, les Bactéries étaient submergées, mais dans un liquide incolore, et la couleur brune ne pouvait également provenir que des cellules fongiques qui la conte- naient. Il nous semble que l'on peut tirer de ces faits les conséquences sui- vantes : 1° Le passage endosmotique des substances colorantes à travers les membranes des cellules végétales, sous l'influence des actes vitaux de la cellule, reçoit ici une confirmation; l'observation se fait chez ces 418 BOTANIQUE petits végétaux dans des conditions plus précises que chez les végétaux supérieurs, car il est facile de constater qu'aucune déchirure avant l'ex- périence ou pendant la préparation micrographique n'a permis l'accès purement mécanique de la matière colorante. 2'1 Les Bactéries fixées sur des cellules vivantes se nourrissent à la ma- nière des vrais parasites; en s'implantant sur des champignons, elles absorbent la portion aqueuse du protoplasma, de préférence à la sub- stance grasse ; nous avons vu en effet que la partie aqueuse seule se chargeait de la matière colorante. 3° D'après ces observations et celles de M. Hoffmann sur la coloration artilicielle des Bactéries, on est conduit à se demander si les Vibrio synxanthus et syncyanus sont véritablement la cause de la coloration jaune ou bleue du lait, ou s'ils ne font qu'absorber les matières colo- rantes développées dans le lait. Ces vibrions ne formeraient plus alors qu'une même espèce, puisqu'ils ont les mêmes caractères, sauf ceux de coloration; ils pourraient bien n'être l'un et l'autre que des Microbac- téries identiques aux Bacterium termo, catenula ou punctum (1). M. H. BAILLON Professeur à la Faculté de médecine de Paris. SUR LES GOUSSES CHINOISES DE SHANG-HAI ET SUR LES GYMNOCLADUS — Séance du 22 août 1874 — En 1866, M. Payen lit connaître quelques particularités remarquables relatives à une gousse chinoise, que M. Paul Champion avait rapporté de Shang-haï, où ce fruit est employé, ainsi que dans plusieurs autres parties du pays, « pour le savonnage, de la matière suivante : on enlève au couteau la plus grande partie de l'épicarpe, puis, avec ces gousses (1) Ces observations paraissent au premier abord en contradiction avec les expériences qui oui fait supposer les Bactéries capables de produire des substances colorantes rouges, bleues nu autres. Mon intention n'est pas de contester la valeur de ces expériences, mais la corrélation très-nette que j'ai observée nombre de fois entre la couleur de la Bactérie et celle de son sujet nourricier ne m'a pas permis de supposer une simple coïncidence. J'ai été très-surpris de voir, dans certains cas, la coloration du protoplasma fongique précéder celle de la Bactérie, tant j'étais convaincu que la Bactérie était l'agent de cette coloration. Dans tous les cas, s'il faut vraiment admettre une fermentation pigmentaire, ces observations montrent qu'elle n'est pas exclusivement provoquée par les Bactéries, mais qu'elle est, comme beaucoup d'autres, une des propriétés phy- siologiques des moisissures. Quant au lien parasitique qui unit dans certains cas la Bactérie à telle ou telle cellule vivante, il se démontre par d'autres faits, notamment par la résorption des membranes cellulaires sur lesquelles les Bactéries sont implantées; et le passage de la substance colorante du Penicilium dans les Bactéries paraît assez nettement confirmé par l'existence, dans le voisinage, de Bactéries non fixées sur la collule fongique et restées incolores. H. BAILLON. — LES GOUSSES CHINOISES ET LES GYMNOCLADUS 419 ainsi dénudées, on frotte le linge mouillé préalablement; un rinçage suffit ensuite pour achever cette sorte de blanchissage ». (Annales des sciences naturelles, série 5, VI, 220.) M. Payen a trouvé dans ces péri- carpes des composés pectiques, amylacés et de la saponine ou une sub- stance très-analogue. Dans -la graine, il a rencontré un périsperme remarquable, suivant lui, à plus d'un titre et différent « des autres péri- spermes décrits par sa structure et sa composition », et il a justement fait observer que sa substance gélatineuse, se distinguant notablement de la gélose et des matières pectiques, se rapprochait, surtout par ses réactions chimiques, de la cellulose désagrégée dont elle pourrait bien être isomère. Mais, voulant donner un nom à cette matière et le tirer du nom géné- rique de la Légumineuse qui porte les gousses, il eut recours à un bo- taniste. « Notre savant confrère, M. Decaisne, dit-il, a bien voulu dé- terminer ces fruits comme appartenant à un Dialium. » De là le nom de Dialose, qu'il appliqua à cette substance considérée par lui comme nouvelle. Rien cependant ne ressemblait moins au fruit d'un Dialium que cette gousse dont on peut retirer la Dialose. Le péricarpe est allongé, polysperme, déhiscent, et l'on sait fort bien que les fruits des Dialium sont courts, mono- spermes, indéhiscents, plusou moins nettement clrupacés, globuleux, ovoïdes ou orbiculaires-comprimés, en un mot à peu près aussi larges que longs ; et les fruits que M. Payen présentait à M. Decaisne étaient trois ou quatre fois plus longs que larges, atteignaient jusqu'à un décimètre ou plus de longueur, avaient une forme cylindrique un peu comprimée, portaient suivant toute leur longueur deux lignes profondes de déhiscence, bor- dées de chaque côté d'une crête longitudinale mousse, et surtout conte- naient jusqu'à « cinq graines brun-noirâtre, globuleuses, pesant chacune jusqu'à près de deux grammes, attachées alternativement de chaque côté de la nervure dorsale par de forts funicules appartenant, au nombre d'un, deux ou trois, à l'une des valves, et un ou deux à l'autre valve. » Comment était-il possible de confondre ces gousses, si analogues quant à leur conformation générale avec celle de toutes les Légumineuses or- dinaires, avec le fruit tout à fait exceptionnel, dans cette famille, des Dialium ou de la plupart des Copaiférées ? Pour nous, les seules gousses qui nous aient paru, dans cette immense famille des Légumineuses, analogues sinon tout à fait identiques à celles de la gousse de Chine, sont celles d'un arbre d'un tout autre pays, le Chicot du Canada ou Gijmnocladus canadensis Michx, qu'il conviendra sans doute d'appeler G. dioica, puisque c'est le Guilandina dioica de Linné. Un peu plus petite que celle de la plante chinoise, la semence du Chicot, bien connue dans quelques parties de l'Amérique du Nord comme succédané des grains de café, est, comme elle, presque sphéri- 421 » BOTANIQUE que ou de forme obovée très-courte, avec une surface extérieure glabre, une enveloppe externe testacée, dure et noirâtre, une dépression ombi- licale assez profonde, dans laquelle vient s'insérer le sommet d'un funi- cule arqué, conique, de couleur pâle, mais d'une grande solidité, dilaté à sa base suivant laquelle il s'attache au bord de l'une dès deux valves de la gousse. Dans l'espèce américaine, aussi bien que dans celle de la Chine, les téguments séminaux recouvrent un albumen corné, assez épais, qui est partagé par l'embryon en deux moitiés à peu près égales, appliquées par leur concavité sur le dos des cotylédons. C'est dans cet albumen que M. Payen a découvert la Dialose. Quant à l'embryon, il est sensiblement le même dans les deux espèces, c'est-à-dire formé d'une courte radicule obtuse, cachée par la base auriculée des cotylédons au delà de laquelle elle fait à peine saillie, obtuse au sommet et se continuant d'autre part avec une tigelle cylindrique assez longue, surmontée d'un bourgeon clans lequel on distingue déjà plusieurs petites feuilles. Les cotylédons sont elliptiques, charnus, plans-convexes, d'une teinte blan- che plus ou moins jaunâtre ou verdâtre, suivant l'âge auquel on les examine. Cependant la gousse qui renferme ces semences est bien moins sem- blable au péricarpe du G. dioica. Sa forme extérieure est déjà bien différente. Elle est relativement beaucoup moins large et moins apla- tie. Ses valves brunes sont convexes en dehors, généralement obtuses à leur base, terminées au sommet par un petit apicule. En partie des- séchées quand elles nous parviennent en Europe, elles ne laissent pas voir ce tissu intérieur, aréole et presque pulpeux, qu'on aperçoit si faci- lement dans le fruit du Chicot canadien. En outre, la consistance de leur masse n'est pas la même. Elle est plus charnue, moins dure el moins ligneuse, moins fragile, par conséquent. C'est comme une sub- stance cornée, en partie ramollie, qui rappelle ainsi certaines colles-forte s brunes du commerce. On peut plier les valves sans les briser complè- tement. Elles se fendillent en pareil cas et présentent au niveau de ce pli des gerçures ou des rides ; mais il faut une forte traction ou un grand nombre de mouvements en divers sens pour amener unesolution de con- tinuité inégale et déchiquetée, analogue à celle qu'on produirait sur un épais fragment de gélatine. C'est, on l'a vu, cette portion qui, au contact de l'eau, produit des effets analogues à celui du savon. En semant les graines de la Légumineuse chinoise, nous obtînmes promptement des germinations d'une plante qui, elle aussi, présentait avec le Gijmnocladus d'Amérique de nombreux points de ressemblance. Après les premières feuilles, beaucoup moins composées que les sui- vant» s, il se développa, sur la jeune tige, dressée, cylindrique et lisse, des feuilles alternes, décomposées-pennées, et qui étaient tout à l'ail H. BAILLON. — LES GOUSSES CHINOISES ET LES GYMNOCLADUS 421 celles du Chicot canadien, avec leurs nombreuses folioles presque ellip- tiques, mais insymétriques, surtout à la base, accompagnées en ce point de stipellules ovales-aiguës, de même qu'il y a des stipelles ù l'origine des nervures principales et des stipules à la base du pétiole commun. Quant à l'extrémité des nervures, elle supportait un petit nombre d'é- cailles remplaçant les folioles ultimes et qui s'arrêtent de bonne heure dans leur développement, puis se dessèchent et tombent; de sorte que ces sommets de rachis sont marqués d'une cicatrice et qu'on comprend par là comment, à l'âge adulte, la feuille de ces Légumineuses ne pos- sède point de foliole impaire terminale. Mais le point qui attira le plus mon attention, parce qu'il ajoutait une ressemblance de plus à celles qui avaient été constatées dans le fruit et la graine entre notre plante et celle du Canada, c'est que la base du pétiole se renflait en une sorte de cône creux dans l'intérieur duquel proéminait déjà le bourgeon axil- laire tout à fait invisible au dehors. Il y avait donc probabilité, mais non certitude, que la gousse chinoise de Shanghaï appartenait à un Gymnocladus, et que ce genre, jusqu'ici monotype, comptait un autre représentant en Asie. Mais comment ad- mettre, malgré tous ces indices, qu'un Gymnocladus, arbre utile, de grande taille et probablement d'une belle apparence, fût demeuré si longtemps inconnu des botanistes européens? La solution de cette ques- tion semblait devoir être remise à une époque indéterminée, quand je reçus d'un missionnaire en Chine, le P. Heudes, une lettre relative à quelques faits consignés dans mou Histoire des plantes, et qui indiquait chez lui un grand désir de rendre des services à notre science. Je ne perdis pas cette occasion de lui demander des renseignements sur l'arbre à gousses savonneuses dont je lui adressai le dessin, avec tout ce que je savais de ces fruits et en l'engageant à ne pas con- fondre ces gousses avec celles de plusieurs Gleditschia (4), qui servent, dit-on, en Chine aux mêmes usages. Après plusieurs années, mon sagace correspondant put lever tous mes doutes par l'envoi des fleurs mêmes de l'arbre dont je lui avais fait connaître le fruit. Ces fleurs sèches «n'a- vaient pas, me dit-il, perdu leur couleur naturelle. » Elles étaient d'un lilas terne, couvertes d'un fin duvet blanchâtre. Elles se trouvaient sur des arbres magnifiques, très-ornementaux, « poussant à pleine peau », sur lesquels les habitants laissent pourrir une partie des fruits, ne sachant pas sans doute de quelle valeur ils pourraient être pour les Européens. Près des villages seulement, les gousses sont récoltées pour servir aux (i) Il y a, en effet, bien peu de différences entre les deux genres; l'organisation des feuilles et la forme du tube réceptaculaire étant à peu près les seules. Aussi avais-je cru longtemps que notre plante devait être le G. Chinensis Lamk, ou une espèce voisine. Mais la plante-type de Lamarck, dont j'ai sous les yeux les échantillons authentlùques, est tout à fait différente de celle-ci par ses feuilles, ses fleurs et ses fruits. 4^2 BOTANIQUE usages domestiques. J'ai pu analyser quelques-unes de ces fleurs, qui se montrent au commencement de la belle saison et qui sont dioïques. Aussi n'ai-je vu que les mâles pour la structure desquelles je renvoie le lecteur à la planche qui accompagne ce mémoire. Elles sont disposées en épis, comme celles du Gymnocladus canadensis, et elles ont stricte- ment la même organisation, plus petites environ d'un tiers et différentes en outre par leur couleur, puisque celles de l'espèce américaine sont d'un jaune verdàtre. Mais le tube réceptaculaire, les dix pièces du pé- rianthe et les dix étamines bisériées sont, de même que le gynécée ru- dimentaire qui occupe le fond du réceptacle cylindrique, les mêmes que dans le Chicot du Canada. Il y a plusieurs conséquences a tirer de ce qui précède : Premièrement, comme tant d'autres genres, appartenant à un grand nombre de familles diverses, le genre Gymnocladus est représenté par deux espèces distinctes qui croissent, l'une en Amérique, et l'autre, dans une portion plus méridionale, il est vrai, de l'Asie orientale. En second lieu, vu la latitude de Shang-haï, la plante asiatique, que nous pouvons nommer Gymnocladus chinensis, étant un arbre orne- mental qui, sans doute, donnera un bois utile, comme celui du Chicot canadien et qui, de plus, fournira à l'industrie une substance muci- lagineuse dont elle fait grand cas, pourra utilement être cultivée dans la région méditerranéenne de l'Europe et surtout dans notre colonie algé- rienne. A l'abri d'un mur, il est vrai, la plante placée, en pleine terre, a supporté cet hiver, sans en souffrir le moins du monde, un froid de — 12°. Troisièmement, le commerce qui, notamment pour la fabrication des parfumeries, paraît devoir tirer de grands avantages de cette substance mucilagineuse qui abonde dans les gousses du Gymnocladus chinois, n'aura plus à se le procurer à grand'peine dans un pays où les habi- tants ne semblent pas comprendre quel parti ils en peuvent tirer et ne lui en fournissent qu'une quantité tout à fait insuffisante pour ses be- soins. 11 pourra peut-être l'obtenir largement et à bas prix, des colons algériens qui en tireront un profit considérable. EXPLICATION DES FIGURES. Planche IV. GYMNOCLADUS CHINENSIS. Fig. I. — Feuille insérée sur une portion de rameau, prise sur un jeune pied vivant. Son pétiole est accompagné à la base des stipules. Le raclns principal porte des stipelles au niveau de l'insertion des raclas (nervures) secondaires, lesquels portent des stipcllules au niveau de l'insertion des folioles. BLAVET. — INFLUENCE DE LA LUMIÈRE COLORÉE 423 Fig. 2. — Base d'une feuille, la dilatation inférieure du pétiole ouverte pour montrer le bourgeon axillaire enveloppé par elle. Fig. 3. — Sommet du rachis principal, avec la naissance des deux dernières nervures principales et leurs stipelles, au-dessus desquelles se voit le sommet, arrêté dans son développement, de la feuille. Fig. i. —Extrémité des rachis (nervures) secondaires, portant des folioles avortées. Fig. 5. — Foliole avec sa stipellule. Fig. G. — Fleur mâle grossie. Fig. 7. — Fleur mâle, coupe longitudinale. Fig. 8. -- Gousses mûres, grandeur naturelle. Fig. 9. — L'une des valves du fruit, avec les graines correspondantes. Fig. 10. — Graine supportée par son funicule coupée en travers (]). Fig. 11. — Graine, également grossie, coupe longitudinale. On y voit, contre un des cotylédons, la tigelle et la radicule, et entre les cotylédons et les enve- loppes séminales, une couche, mince en ce point, de l'albumen. M. L. aAEEEATJ Docteur es sciences, Professeur à l'École de médecine de Lille. DE LA ROTATION DE L'OXYGENE ET DE L'ACIDE CARBONIQUE CHEZ LES ANIMAUX INFÉRIEURS ET LES PLANTES. (extrait du procès-verbal) — Séance du 22 août 1874. — M. Garreau donne les conclusions d'un travail qu'il a envoyé à l'Académie des sciences et qui résume ses observations de plus de trente ans ; il y a chez ces deux séries d'êtres deux actions simultanées, une action de réduction et une de combustion, pouvant alternativement se masquer selon les êtres observés et les conditions où ils se trouvent. M. BIAYET Président de la Société d'horticulture de l'arrondissement d'Étampes. SUR L INFLUENCE DE LA LUMIÈRE COLORÉE SUR LA VÉGÉTATION. (EXTRAIT DU PROCÈS-VERBAL) — Séance du 36 août 1874. — M. Blavet constate que ses expériences concordent avec celles faites par plusieurs autres expérimentateurs. — Son mémoire a été inséré dans les Annales de la Société centrale d'horticulture de France. 424 BOTANIQUE M. TOUSSAINT Chef de service à l'École vétérinaire de tyon. ALTÉRATION DES FARINES PAR LA PRÉSENCE DE LA GRAINE DE NIELLE Ai.ROSTKMMA GITHAGO. M. Toussaint expose les résultats d'observations faites à l'École vétérinaire de Lyon, M. H, BAILLON Professeur à la Faculté de médecine do Paris. ORGANOGÉNIE FLORALE DU CYTINUS HYPOCISTIS L. — Séance du 26 août 187i. — C'est au printemps qu'on peut commencer l'étude du développement des lleurs du Cytinus Hypocistis. Les racines du Cistus salvifolius qui, dans les landes de Gascogne, supportent ce curieux parasite, en ren- ferment dans leur épaisseur la portion végétative, c'est-à-dire une sorte de parenchyme d'un jaune pâle qui s'insinue presque partout dans les interstices des tissus normaux, soit entre les zones ligneuses, soit, en dehors du bois, dans le parenchyme cortical. Cette gangue molle qui, sans doute, reçoit directement des cellules de la racine nourrice, avec lesquelles elle est en contact multiplié, les sucs alimentaires qui lui sont nécessaires, fait saillie en plusieurs points sous les couches brunes de l'enveloppe corticale qu'elle soulève et qui présente, par suite, un cer- tain nombre de mamelons proéminents et inégaux, analogues à ceux qui se produisent dans les points où doivent apparaître des racines adven- tives. De même aussi ces couches superficielles de la racine du Ciste, distendues outre mesure par les mamelons du Cytinus, finissent par céder à la pression qu'elles subissent de dedans en dehors et se déchi- rent vers leur sommet, à la façon d'une coléorhize, pour laisser sortir un mamelon ovoïde appartenant à l'Hypociste. Ce qui s'en échappe est une branche florifère, chargée de bractées alternes, imbriquées, dont les plus haut placées, généralement teintées en rouge au bout d'un certain temps, présenteront une fleur sessile dans leur aisselle ; de sorte que ces H. BAILLON. — ORGANOGÉNIE FLORALE DU CYTINUS HYPOCISTIS 425 épis de fleurs sont les seules portions du Cytinus qui émergent de la ra- cine de la plante nourrice. Les fleurs y sont accompagnées de deux bractéoles latérales; les inférieures sont généralement femelles, et les supérieures, mâles, dans une même inflorescence. Toutefois, il y a des épis dans lesquels quelques femelles peuvent être placées plus haut que les mules. Le mamelon floral qui occupe l'aisselle de la bractée-mère est d'abord à peu près globuleux, À droite et à gauche de lui se montrent l'une après l'autre, mais à un court intervalle de temps, les deux brac- téoles latérales qui demeurent stériles et qui plus tard peuvent être plus ou moins soulevées avec la fleur axillaire, notamment avec l'ovaire infère de la fleur femelle. Le calice est le plus ordinairement formé de quatre folioles, dont deux latérales, une antérieure et une postérieure. Elles naissent de la même façon, dans les fleurs des deux sexes, sur le réceptacle floral; et quoique l'observation du fait soit très-difficile, je crois pouvoir affirmer, pour l'avoir vérifié plusieurs fois, que leur ordre successif d'apparition est constamment le même, le sépale postérieur se montrant le premier, puis l'antérieur, et enfin, l'un après l'autre, les deux latéraux. Ils grandissent et se disposent dans le bouton en préflo- raison imbriquée. Après leur naissance, le sommet du réceptacle prend une forme différente dans les fleurs des deux sexes. Il demeure con- vexe dans les fleurs mâles et se couvre d'un petit verticille de mamelons â apparition simultanée, qui sont autant d'étamines. On en compte jus- qu'à huit, mais plus ordinairement six, dont quatre sont superposés aux sépales latéraux, les deux autres étant, l'un antérieur et l'autre posté- rieur. Bientôt ils s'élèvent tous ensemble et finissent par occuper le sommet d'une colonne commune, sous forme d'autant d'anthères extrorses, biloculaires, surmontées d'un petit apicule du connectif et présentant en dehors de chaque loge un sillon vertical de déhiscence. Les sépales offrent dans les fleurs des deux sexes un mode tout particulier d'évolution sur lequel Payer a, dans ses Eléments de bota- nique (p. 148, fig. 252, 253), attiré l'attention des observateurs, et qui consiste en ce que, la base d'insertion du jeune sépale étant d'abord représentée par une ligne transversale, presque droite, ou à peine arquée, l'inégal développement des différents points de cette zone a pour consé- quence finale la forme en fer à cheval de la base du sépale et l'existence, entre celui-ci et le réceptacle accru en hauteur, d'une de ces cavités qu'on a souvent considérées comme des « éperons adhérents» et telle qu'il s'en observe une au côté postérieur de la fleur des Pelargonium, et cinq autour du réceptacle de celle des Gluta et des Cedrela américains. (Voy. Histoire des plantes, V, 270, 482.) Plus ces sortes de puits de- viennent profonds dans les Cytinus, et plus le tissu qui en tapisse la face interne se modifie. Il s'épaissit, se gonfle, devient glanduleux et 31 4-2G BOTANIQirE charnu dans une portion bien limitée de son étendue; telle est l'origine d'une glande nectarifère, en forme de croissant à concavité supérieure, qui s'observe finalement en bas et en dedans de chacun de ces prétendus éperons. Le réceptacle des Heurs femelles se déforme généralement de très- bonne heure au-dessus de l'insertion des sépales, de façon à former à ce niveau une sorte de coupe à bords épais et à cavité d'abord peu profonde. Quand cette déformation se produit dans la fleur maie, ce qui est tout à fait exceptionnel, c'est au-dessus et en dedans de l'insertion des étarnines, et c'est l'indice de la présence, dans cette fleur, d'un rudiment de gynécée qui fait généralement défaut. Dans la fleur femelle, l'ouverture supérieure de celte cupule réceptaculaire allécte à un certain moment une direction très-oblique de haut en bas et d'arrière en avant, qui est due à l'élévation et à l'épaississement plus considérables de son bord postérieur. C'est au pourtour de cette ouverture que se montrent les feuilles carpellaires , c'est-à-dire la portion appen- diculaire du gynécée. Il y en a ordinairement six ou huit, c'est-à- dire autant que d'étamines dans la fleur mâle, et leur disposition est la même. Elles s'unissent en une sorte de bourrelet à crénelures égales, en même temps que la cavité réceptaculaire qui constituera l'ovaire infère se déprime davantage; et c'est aussi à partir de ce moment que, dans la fleur, commencentà se produire, entre le périanthe et le style, ces dépres- sions occupées par une glande et qu'on nomme les éperons adhérents. En dedans de la cavité ovarienne, jusque-là largement béante et qui ne sera fermée que bien plus tard par un style épais et court, à tête stigmatifère partagée en un nombre de lobes égal à celui des placentas , ceux-ci se dessinent graduellement, dans l'intervalle des feuilles carpellaires, sous forme de cordons verticaux qui s'avancent peu à peu vers le centre de la loge, sans jamais arriver jusqu'à lui. Bientôt, ces cordons se couvrent, à partir du milieu de leur hauteur ou à peu près, de bosselures qui, dans la plupart des plantes analogues, représenteraient autant d'ovules à évolution successive. Il n'en est rien ici. Par une exception remar- quable, ces saillies sont , non pas des nucelles ovulaires, mais bien des lobes du placenta ramifié; et les nucelles sont précisément les extrémités de ces ramifications placentaires, très-petites et très-nombreuses. On le voit bien plus tard, quand chacune d'elles, sans cesser d'être orthotrope, se recouvre successivement, de haut en bas, d'une première, puis d'une deuxième enveloppe ovulaire, puis se creuse, suivant son axe et non loin de son sommet, d'une cavité qui n'est autre chose qu'un sac embryon- naire. M. Hofmeister (qui n'admet pour l'ovule qu'un tégument unique) a vu, dans l'intérieur de ce sac, une portion de l'évolution des vési- cules embryonnaires (Ann. se. nat., sér. iv, XII, 3G) ; mais il a dû se bor- II. BAILLON. — ORGANOGÉNIE FLORALE DU CYTINUS IIYPOCISTIS 427 ner à citer, pour l'organisation des graines mûres, ce qu'en a dit R. Brown en 1834 (in Trans. Imn. Soc, XIX, 229; Mise. Works, éd. Benn., 1,410). C'est, à peu de différences près, ce qu'en dit aussi M. Planchon (in Ann. se. nat., sér. ni, III, 297). D'après les deux derniers auteurs cités, la masse cellulaire de la graine, intérieure aux téguments, représente un nucleus que R. Brown compare à celui des Orchidées. M. Planchon (qui a considéré comme un arillc ce que nous venons d'indiquer comme un tégument extérieur de l'ovule) décrit ce nucleus comme ne contenant point d'embryon, « embryo nullus»; tandis que M. J.-D. Ilooker (Prodr., XVII, 107) dit des graines des Cytinées : « Semina exalbuminosa. Em- bryo indivisus homogenus », considérant probablement comme l'embryon ce o nucleus sans embryon » dont parlent R, Brown et M. Planchon. Il s'agit donc, on le voit, d'un point aussi controversé qu'il est inté- ressant et exceptionnel dans le règne végétal. Je ne saurais encore choi- sir d'une façon définitive entre les diverses solutions proposées de cette importante question, d'abord parce qu'elle doit être traitée ultérieure- ment avec tous les développements qu'elle mérite, puis parce que les matériaux que je possède des graines de Cytinus (presque toujours dévo- rées par les insectes) sont trop incomplets pour que j'aie pu répéter plu- sieurs fois mes observations. Mais je demande aux botanistes qui se livrent à des recherches sur la formation des graines en général et sur celles du Cytinus en particulier, la permission d'attirer leur attention sur quelques faits généraux qui ne sont peut-être pas assez connus ou qui sont en contradiction avec ce qu'on admet le plus souvent dans l'ensei- gnement classique. Malgré la publication de plusieurs travaux d'une incontestable valeur sur l'évolution des graines en général, cette question est presque com- plètement inconnue. Nous savons que les théories classiques de l'orga- nisation des tiges n'ont, pendant de longues années, été édifiées que sur l'étude anatomique d'un petit nombre de plantes vulgaires, érigée pré- maturément en loi générale et absolue. Il en est de même pour la trans- formation des ovules en graines. De ce que, dans certains ovules, plus étudiés que d'autres ou étudiés les premiers, les enveloppes de l'ovule, par exemple, deviennent les enveloppes de la graine, et de ce que tel tégument ovulaire devient dans la semence ce qu'on a appelé un testa, et tel autre, ce qu'on nomme un tegmen , conclure qu'il en doive être toujours ainsi, c'est s'exposer à de cruelles méprises. De même, à quels déboires ne se condamnera pas, pour un temps plus ou moins proche, un théoricien qui veut tirer de l'observation de tel ou tel tissu des enve- loppes séminales des arguments en faveur de la nature foliaire des tégu- ments de l'ovule, alors qu'il tombe, sans le savoir, sur une de ces graines, bien nombreuses déjà, dont les enveloppes auxquelles on donne 438 LOTAXIQL'E les noms de tegmen et de testa se forment en dehors des téguments de l'ovule et parfois même bien loin d'eux".' De ce que, dans un grand nombre de phanérogames connues , l'em- bryon, à partir du moment de la fécondation, entre, sans un seul mo- ment d'arrêt, dans une période de développement quelquefois rapide, mais en tout cas continu; ou bien, de ce que cet embryon présente, à l'époque du contact du pollen avec l'organe femelle, un état suffisam- ment avancé de développement pour être fécondé, conclure qu'il en doive être forcément ainsi, c'est se condamner aussi, dans certains cas donnés, à des erreurs presque inévitables. Une cellule du nucelle ovu- laire, ou un nombre très-restreint de cellules peuvent produire très- tardivement dans leur intérieur ou conserver longtemps à l'état de repos les éléments d'un futur embryon dont l'évolution complète ne se fera, dans l'un et l'autre cas; que bien longtemps après l'époque de la florai- son. Sans parler des plantes, dites gymnospermes, parmi lesquelles des faits analogues sont si fréquents, nous pouvons rappeler ce qui se passe dans plusieurs Renonculacécs vulgaires, notamment dans YEranthis lujc- malis, où l'on ohserve un sac embryonnaire bien développé avant l'épo- que de la floraison et un embryon parfait un an plus tard (Voy. Bull. de la Soc. Linn. de Pans, I) et où, dans une période intermédiaire, la graine contient un nucleus homogène, c'est-à-dire un albumen dans lequel la plupart des observateurs ont renoncé à chercher un embryon. Le nucléus séminal du Cytinus n'est pas sans analogie avec celui des plantes précédentes. Pourquoi l'organisation de sa graine ne présente- rait-elle pas aussi (dans une plante d'ailleurs si exceptionnelle à tant d'é- gards) un exemple de ces développements embryonnaires tardifs auxquels on ne songeait pas, il y a quelques années encore, et qui commencent à devenir si nombreux ? Cette hypothèse, puisque c'en est une, est plus rationnelle que celle par laquelle on suppose que les ovules du Cytinus ne sont pas aptes à être fécondés. M. Plancton dit bien (loc. cit.. 297) que : « Quoique le Cytinus soit pourvu d'organes sexuels complets, l'ab- sence d'embryon dans ses graines pourrait jeter quelques doutes sur la réalité de la fécondation chez cette plante. Ces doutes augmentent encore si l'on considère que ses ovules orthotropes dirigent leur micropyle en sens inverse du tissu des placentas, et semblent être dans les disposi- tions les plus défavorables pour l'imprégnation. Si ce dernier acte a véritablement lieu , il faut nécessairement admettre que la matière vis- queuse dont l'ovaire est rempli sert de tissu conducteur». Nous n'avons point besoin de répondre à cela que, dans un grand nombre de Cistac.'rs, par exemple, la direction des ovules étant la même et la substance visqueuse manquant l;t où se trouvent les micropyles ovulaires, dans une cavité ovarienne d'ailleurs beaucoup plus vaste et dans laquelle les H. HAILLON. — ORGANOGÉNIE FLORALE T)U CYTINUS HYPOCISTIS 429 ramifications placentaires ne sont pas aussi rapprochées qu'elles le sont dans le Cytinus, la fécondation se t'ait cependant avec une grande facilité, et cela même par des grains de pollen qui ne sont pas forcément tombés sur le stigmate (Adansonia, II, 59). Le tissu stigmatique du Cytinus a une aptitude singulière à développer le tube pollinique des grains qui tom- bent à sa surface, et non-seulement de ceux de son propre pollen, mais encore de ceux du pollen des Pins dont, sur des fleurs venues de la forêt d'Arcachon , les papilles du stigmate sont chargées à un certain moment. Le nucelle renferme un sac embryonnaire, avec des vésicules embryonnaires bien développées, et il n'est pas probable que la fécon- dation ne s'opère pas complètement. C'est aux botanistes du Midi à compléter sur place l'histoire de l'évolution embryonnaire. Quant à la graine mûre, si incomplètes qu'aient été mes observations, vu la rareté des matériaux, elle mérite d'être signalée pour son analogie avec un tronçon de tige dicotylédonée. La portion cellulaire désignée plus haut sous le nom de nucléus, et dont la forme est celle d'un tronc de cône, y ligure assez bien une moelle. A la surface de la semence se voit une couche molle extérieure dont le parenchyme se prolonge, à l'une des extrémités, en cornes saillantes et jaunâtres formant par leur réunion une sorte de couronne. Sur la surface convexe de la graine, le même tégument superficiel se dilate en ailes verticales géminées dont chaque paire répond à une des cornes dont il vient d'être question. En dedans de cette enveloppe superficielle, après une certaine épaisseur de parenchyme, on voit un étui formé de faisceaux durs, bruns, qui répon- dent aux paires d'ailes et qui simulent aussi les faisceaux d'une tige. Ils sont formés d'éléments parallèles, allongés et fortement striés en tra- vers. Il s'agit donc encore ici, on le voit, d'une semence tout à fait exceptionnelle. EXPLICATION DES FIGURES Planche V CYTINUS HYP0CIST1S Fig. 1. — Jeune inflorescence, en forme d'épi, chargée de bractées alternes. A l'aisselle des inférieures, il y a déjà des réceptacles floraux, dont les plus avancés en âge sont accompagnés de bractéoles latérales très-jeunes. Fig. 2. — Une jeune fleur détaché de l'axe de l'inflorescence, avec la bractée b dont elle occupe l'aisselle et ses deux bractéoles latérales b'b", un peu plus jeunes l'une que l'autre. Fig. 3. — Fleur mâle accompagnée de ses deux bractéoles latérales et dont le calice est déjà représenté parle sépale postérieur s1, l'antérieur s2 commençant à se montrer. 430 BOTANIQUE Fig. /i. — Fleur mâle un peu plus âgée, dans laquelle les deux sépales laté- raux s3 et s4 se montrent en face des bractées latérales. Les sépales postérieur et antérieur s1 et s2 sont plus développés, et le sommet du réceptacle floral a conservé la forme convexe. Fig. li. — Fleur dans laquelle, au-dessus des sépales, se sont montrés six mamelons staminaux ce, disposés en verticille au-dessous du sommet arrondi du réceptacle. Fig. 6. — Fleur mâle un peu plus âgée, mais dans laquelle la disposition relative des parties est la même, vue par le sommet. Celui-ci est entouré d'un verticille de six mamelons staminaux ce, autour desquels se voient les quatre sépales étalés s1, s'1, .s3, s*, numérotés suivant leur ordre d'apparition, et les deux bractéoles latérales de la fleur b', b", écartées. Fig. 7. — Fleur mâle un peu plus avancée, vue de côté ; mêmes lettres. Fig. 8. — Bouton mâle dans lequel les anthères aa sont dessinées, et dont le sommet du réceptacle floral a s'est un peu déprimé. Fig. 9. — Fleur mâle exceptionnelle en ce sens que le sommet de son ré- ceptacle porte un rudiment de gynécée, représenté par six carpelles stériles ce. Plus bas se voient les anthères extrorses ce, dont les loges se sont bien dessi- nées avec leurs sillons de déhiscence, et dont le connectif s'est prolongé en apicule. Fig. 40. — Coupe longitudinale de la même fleur. Mêmes lettres. Fig. 11. — Jeune bouton femelle. Le réceptacle, devenu déprimé au som- met et oblique de haut en bas et d'arrière en avant, porte déjà deux sépales, le postérieur s1 et l'antérieur, plus jeune, s2, Fig. 12. — Bouton femelle plus âgé, accompagné des deux bractéoles latérales b'b". Outre les sépales postérieur et antérieur s1 et s2, le réceptacle, concave au sommet, porte les deux sépales latéraux s3 et s4. Fig. 13. — Coupe longitudinale antéro-postérieure du même bouton. Mêmes lettres. Fig. 1-4. — Bouton plus âgé encore, accompagné des bractéoles latérales b' et b" et dans lequel les sépales se recouvrent déjà, le postérieur si étant le plus extérieur de tous. Fig. 15. — Gynécée jeune; le calice enlevé. Les six feuilles carpellaires c, disposées en verticille, forment une sorte de coupe à six crénelures et sont séparées les unes des autres par un cordon vertical saillant. Fig. 1G. — ■ Coupe longitudinale du gynécée précédent. Mêmes lettres. Fig. 17. — Fleur femelle plus âgée, accompagné des bractéoles latérales b'b". Les sépales, dont l'insertion a été soulevée avec le gynécée, sont coupés à leur base se pour laisser voir le sommet des feuilles carpellaires c constituant la portion stylaire du gynécée. Fig. 18. — Coupe longitudinale de la même fleur femelle: b'b", bractéoles latérales; s calice, recouvrant le sommet des feuilles capellaires (style). La cavité de l'ovaire s'est creusée (par suite d'inégal accroissement des parties) et dans cette cavité proéminent des colonnes placentaires, en nombre égal à celui des feuilles carpellaires, avec une légère indication des mamelons ovuliières des placentas. II. BAILLON. — ORGANOGÉNIE FLORALE DU CYTINUS HYPOCISTIS 431 Fig. 19*. — Placentas tels qu'ils sont dans la figure précédente, mais vus de face. Fig. 20. — Placenta un peu plus âgé. Dans l'intervalle de ses lobes prin- cipaux se sont produits des lobes secondaires. Fig. 21. — Fleur femelle à un âge plus avancé. Au-dessus des bractéoles latérales coupées b'b", la portion ovarienne de la fleur s'est élevée. En haut d'elles s'inséraient lés sépales ss, ici coupés pour laisser voir les poches inté- rieures à chacun d'eux et dont la paroi interne s'est gonflée en bas en une glande g. Au-dessus, la portion stylaire du gynécée, dilatée en une tête stig- mati l'ère à six lobes. Fig 22. — Coupe longitudinale de la même fleur. Mêmes lettres. A l'inté- rieur les placentas pi, déjà finement lobés. Fig. 23. - Un des placentas de la fleur précédente, vu de face. Fig. 24. — Bouton femelle, deux ou trois jours avant l'épanouissement, avec les bractéoles latérales b'b". Fig. 2fi. — Même bouton ; les bractéoles latérales et les sépales coupés au niveau de leur insertion. Mêmes lettres que dans la fig. 21. Fig. 26. — Coupe longitudinale du même bouton. Mêmes lettres que dans la fig. 21. Fig. 27. — Un des placentas de la fleur précédente, vu de face. Fig. 28. — Placenta de la fleur presque adulte, vu de face. Tig. 29. — Un des lobes ultimes de ce placenta, grossi davantage et chargé d'ovules, encore réduits, sauf un seul, au nucelle. Fig. 30. — Un ovule plus âgé; n, nucelle; ti, tégument intérieur; te, té- gument extérieur (arille des auteurs). Fig. 31. — Ovule dans lequel les téguments sont plus développés. Mêmes lettres . Fig. 32. — Ovule adulte. Son tégument intérieur ti recouvre totalement le nucelle n, dans l'intérieur duquel se voit le sac embryonaire se. Le tégument extérieur te s'élève jusqu'au milieu environ de la hauteur du nucelle. 432 ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE 10e Section ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE Président.. . . M- CARL VOGT, Professeur à l'Université de Genève. Secrétaire M. HALLEZ, Préparateur à la Faculté des sciences de Lille. M. L. TAILLANT Répétiteur i'i l'Ecole des hautes études. LES ÉCAILLES DE LA LIGNE LATÉRALE CHEZ LES PLECTROPOM ES AU POINT DE VUE DE LA CLASSIFICATION EXTRAIT DU rROCÈS-VEItCAL — S é ance du 21 août f 87 4: — M, L. Vaillant a étudié avec soin les écailles de la ligne latérale chez ces poissons; il indique les différences principales qu'elles présentent dans les diverses espèces du groupe; pour lui, ces écailles sont bien certainement des organes de sens spécial et, à ce titre, il faut en tenir compte dans la classification (1). M. Alfred GIAED Professeur suppléant à la Faculté des sciences de Lille. NOTE SUR QUELQUES POINTS DE L'EMBRYOGÉNIE DES ASCIDIES — Séance du 21 août 1874 — Tout ce qui a trait à l'embryogénie des ascidies a pris depuis quelques années une importance si considérable que le moindre fait nouveau mé- rite d'être signalé et diseuté avec soin. C'est en 1867 que, dans une de (I) Comptes rendus, t. LXXIX, p. 406. — Recherches zoologiques de la mission scientifique au Mexique. — Amérique centrale, de MM. L. Vaillant et Bocourt. A. OIARD. — EMBRYOGÉNIE DES ASCIDIES 433 ses belles communications à l'Académie de Pétersbourg, Kowalcvsky lit connaître les rapprochements que Ton peut établir entre le développe- ment des Tuniciers et celui des Vertébrés inférieurs. Depuis cette époque, bien que les interprétations aient considérablement varié sur un certain nombre de points, les résultats obtenus par le savant professeur de Kiew ont été confirmés dans leur ensemble par les travaux de plusieurs zoolo- gistes parmi lesquels je citerai Kupffer, Mctschnikoff, Ganin, Ed. van Be- neden, W. Millier, C. Heller, et en France par mes propres recherches, s'il m'est permis de placer mon nom à côté de ceux des habiles observa- teurs que je viens d'énumérer. Les réserves qui m'étaient imposées lors de mes premières publica- tions sur ce sujet par mon inexpérience et par les conditions de milieu dans lesquelles j'étais placé ont disparu en grande partie à la suite de nouvelles études entreprises dans une nouvelle situation; chaque jour j'ai senti croître mon admiration pour l'éminent embryologiste russe qui est entré si résolument dans la voie naguère entrevue par Goodsir, en rapprochant les Ascidies et YAmphioxus au point de vue de l'évolution, comme l'anatomiste anglais les avait rapprochés au point de vue de l'organisation. i. STRUCTURE DE L'APPENDICE CAUDAL DE CERTAINES LARVES D'ASCIDIES. Les particularités que je vais indiquer d'abord me paraissent fournir de nouveaux et importants éléments de comparaison entre le têtard de certaines Ascidies du groupe des Cynthia et l'embryon des Poissons et des Batraciens. Une grande partie de ces résultats m'étaient connus dès l'été de 1872 : mais ils me semblèrent d'abord tellement surprenants que j'attendis pour les publier d'avoir pu en vérifier l'exactitude sur un certain nombre d'espèces différentes. Pendant les mois de mai et juin des années 1873 et 4874 j'eus l'occasion de faire cette vérification, et le 29 juin 1874, je communiquai à l'Académie des sciences les faits les plus incontestables parmi ceux que j'avais observés. J'ai eu depuis le plaisir et le désagrément d'apprendre que j'avais été devancé en plu- sieurs points par le professeur Morse, le même qui partage avec Kowa- levsky l'honneur d'avoir mis en lumière les ressemblances embryolo- giques des Annélides et des Brachiopodes. Le travail de l'éminent zoologiste américain est intitulé Note on the earhj stages of an Ascidian (Cynthia pyriformis. Bathke). Il a été lu à l'Académie de Boston en octobre 1871 et a paru en 1872 dans les Proceedings of the Boston So- ciety of natural History, vol. XIV, p. 351. Ce volume n'est arrivé à la bibliothèque de la Société des sciences de Lille qu'à la fin de l'année 1873, et si cette raison ne suffisait à me faire excuser d'avoir ignoré l'exis- tence du mémoire du professeur Morse, j'ajouterais que ce mémoire n'a été signalé ni dans le Zoological Record ni dans le Bericht de Leuckart. 43 i ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE Nous avons d'ailleurs observé des espèces différentes et les résultats auxquels nous sommes parvenus ne sont pas toujours entièrement con- cordants. Nous exposerons donc d'abord nos observations et nous analy- serons ensuite le travail du savant zoologiste de Cambridge. Mon excellent ami M. G. Lemirre, préparateur de zoologie à la Fa- culté des sciences de Paris, venait de passer l'été de 1871 sur les côtes de l'Océan à Noirmou tiers. Parmi les innombrables^matériaux qu'il avait recueillis dans cette riche localité se trouvaient quelques Ascidies compo- sées, qu'il eut la bouté de mettre à ma disposition pour que je pusse en entreprendre l'étude. L'une de ces ascidies attira particulièrement mon attention, parce qu'elle semblait la réalisation d'un type dont j'avais prévu l'existence bien avant de l'avoir rencontré dans la nature. L'on sait que l'on a longtemps divisé et que bien des zoologistes divisent encore aujourd'hui les ascidies en ascidies simples, ascidies so- ciales et ascidies composées. C'est là un mode de classification tout à fait artificiel, ne reposant sur aucune donnée embryogénique, ou même anatomique, et fondé uniquement sur les caractères peu solides de la cormogenèse. Que penserait-on d'un zoologiste qui distinguerait parmi les coralliaires (hexacoraux) les trois groupes suivants : Actinies simples, actinies sociales ou zoanthes, actinies composées ou madrépores ? Dès 1872, dans mes Recherches sur les synascidies, je disais (pag. 4) : « L'étude des ascidies composées ne peut pas plus être séparée de celle des ascidies simples que l'histoire des actinies et des polypes simples ne peut être isolée de celle des zoanthes et des coralliaires vivant en colo- nies. Ce sont là deux parties connexes d'un même tout et l'on peut se convaincre aisément que chaque progrès réalisé par les zoologistes dans la connaissance de l'un de ces groupes d'animaux a eu pour consé- quence des découvertes parallèles dans le groupe corrélatif (1) ». Dans le même travail j'indiquais les rapports nombreux qui existent entre lesCynthia et les Botrylles, et je soupçonnais la présence de formes composées chez les Cynthia. Cette opinion me paraît en partie justifiée par la découverte de l'as- cidie de Noirmoutiers. Chez cette espèce, en effet, les divers individus formant une colonie (cormus) sont disposés sur une lame basilaire com- mune à la façon des coralliaires du genre Sympodiim. Chaque individu est d'ailleurs parfaitement libre par la partie supérieure du corps : celui- ci est cylindrique de 4 à 6 millimètres de hauteur et terminé par deux (i) Outre des divergences d'opinion très-grandes et relatives à l'essence même du type ascidie et à la tendance à donner aujourd'hui aux études zoologiques, le passage que je viens de rappe- ler indique assez pourquoi j'ai dû refuser l'offre de collahoration qui m'était faite à cette époque par un homme aussi éminent que le professeur Lacaze-Duthiers; l'un de nous devait s'occuper exclusivement des ascidies simples l'autre exclusivement des ascidies composées. Collahoration écrasante d'ailleurs pour un débutant, dont les idées particulières auraient été fatalement sacri- fiées à l'homogénéité du tout. A. G1AM). — EMBRYOGÉNIE DES ASCIDIES 435 siphons assez courts à ouvertures obtusément gûadrangulaires; l'orga- nisation interne (tube digestif, branchie et tilet tentaculaire) rappelle en tous points la structure anatomique des Cynthia appartenant aux troi- sième et quatrième tribus de Savigny (Styelœ et Pandociœ) ; le seul ca- ractère qui différencie ces deux tribus est, d'après Savigny, l'existence d'un ovaire unique et situé du côté de l'abdomen chez les Pandocia, tandis que chez les Styela il y a plusieurs ovaires, un au moins de chaque côté du corps. Il nous a été impossible de faire usage de ce caractère, car les animaux que nous possédions ne paraissaient plus renfermer d'ovules, mais seulement des larves parfaitement développées. Du reste, J. Aider fait remarquer avec raison que les deux dernières sections de Savigny devraient être réunies en une seule, la forme et la position de l'ovaire variant considérablement chez les Cynthia et pouvant fournir seulement de bonnes distinctions spécifiques ; comme de plus on n'a pas jusqu'à présent rencontré dans nos mers de Cynthia du groupe des Pandocia, je rapproche notre espèce des Styela et je propose de l'appeler Poly styela Lemirri, en l'honneur du naturaliste qui m'a fait connaître cette espèce (1). N'ayant à ma disposition que des exemplaires conservées dans l'alcool, je n'ai pu m'assurer si les connus de cette ascidie étaient bien le ré- sultat d'une gemmation ou s'ils étaient dus à la concrescence d'individus issus de larves distinctes. Je dois dire cependant qu'on ne trouve sur la membrane basilaire aucune trace de démarcation entre les diverses per- sonnes ; en outre, la distance assez faible d'ailleurs qui sépare ces per- sonnes est sensiblement constante. Enfin certains caractères éthologiques rapprochent aussi la Polystyela des autres ascidies bourgeonnantes, c'est ainsi que les embryons sortent tout formés de l'organisme naturel à l'in- térieur duquel s'effectue l'incubation. Quoi qu'il en soit, la cormogenèse de cette intéressante espèce mérite de nouvelles études, mais je crois qu'il n'y a là rien de comparable à ce qu'on observe chez certaines Cynthia grégaires (Cynthia rustica et C. grossularia -par exemple) dont les masses compactes sont toujours sus- ceptibles de se diviser facilement en un certain nombre d'individus par- faitement distincts. Le Polystyela se rapproche peut-être davantage d'un type trouvé aux îles Sorlingues et décrit par Victor Carus sous le nom de Thylacium (2). (1) Je me fais un plaisir et un devoir d'exprimer publiquement ma vive reconnaissance à H. G. Lemirre. Tous ceux qui ont fréquenté le laboratoire de la Faculté des sciences de Paris connaissent la vaste érudition, la complaisance sans limites de ce trop modeste ami de la nature. C'est à lui que je dois mes premières notions de zoologie maritime descriptive et ^systématique. Grèce à sa science profonde de la faune de nos principales plages françaises, grâce à ses pa- tients travaux de classification, le zélé préparateur de la Sorbonne arrivera, nous en sommes con- vaincu, à rendre au Musée de cet établissement l'importance et l'éclat que lui avait donnés naguère l'illustre auteur des Manuels de molluscologie et d'actinologie, Ducrotay de Blainville. (2) Yoy Proceedings of The Ahsmokan Society, vol. Il, p. 266. 436 ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE Carus plaçait ce type parmi les Clavelines à cause de la base commune unissant les individus, mais les caractères analomiques montrent que le Thylacium a surtout de grandes affinités avec les Cynthia. Toutefois une particularité remarquable le distingue immédiatement de la Polystyela, c'est la présence d'un abdomen aussi long que le thorax. Joshua Aider a décrit trois autres espèces de Thylacium qui vivent dans les mers Britanniques; l'une de ces espèces, le Thylacium Nomanni, pourrait être à certains égards rapprochée de notre Polystyela, si toutefois on fait abstraction du caractère générique de l'abdomen, sur lequel Aider ne paraît pas avoir fixé suffisamment son attention (1). Les Polystyela et les Thylacium sont des formes de Cynthia présen- tant un mode d'agrégation tout à fait comparable à celui des Ascidies sociales, et c'est dans ce groupe qu'il faudrait les ranger si l'on gardait l'ancienne classification, comme l'a fait Carus en considérant le Thylacium Sylvani comme une espèce de la famille des Clavelinidœ. D'autres formes, appartenant encore d'une façon évidente au type Cynthia et au sous-type représenté par les deux dernières tribus de Sa- vigny, se comportent d'une façon plus singulière encore dans la forma- tion de leurs cormus, identique, en apparence, à ceux des ascidies composées de la famille des didemmiens, ou plus exactement à ceux du genre Distoma, de Savigny. On trouve abondammentà Roscoff (Bretagne), dans la zone profonde sur les tiges des Laminaria et des Cystoseira, de vastes cormus d'un rouge vif formé par une espèce de Cynthia com- posée à laquelle on pourrait donner le nom de Synslyela : les individus composant ces cormus sont à peu près de môme taille que ceux de la Polystyela; mais leur forme est plus aplatie, ovalaire ; les ouvertures buccales et cloacales sont tout à fait sessiles, obtusément quadrilobées. De plus, les diverses personnes sont intimement soudées les unes aux autres par leurs parois latérales, de sorte que si l'on enlève avec pré- caution toute la partie superficielle du cormus, il reste une masse formée d'autant d'alvéoles que l'on comptait de personnes distinctes. Les parois qui séparent ces alvéoles sont d'un blanc nacré brillant. Elles sont beau- coup plus minces que la paroi supérieure, celle qui porte les deux ou- vertures : cette dernière est colorée en rouge vif et présente au micro- scope un aspect rugueux dû à des rides irrégulières. Le manteau est également d'un rouge vermillon plus accentué vers les siphons, plus clair vers la partie inférieure. La structure du tube digestif et de la branchie rappelle tout à fait celle des mômes organes chez la Polystyela. Pour cette espèce encore, il nous est impossible de dire comment se produisent les masses alvéolées que nous venons de décrire. Je crois ce- (1) Voy. J. Aldek. On the Bristith Tunicata. Annals and Mag. 3e série, vol. II, 1 86J, p. 167. GIARD. EMBRYOGÉNIE DES ASCIDIES 437 pendant qu'il y a plus qu'un simple phénomène de concrescence (1). En effet, ces masses peuvent souvent se décomposer en plusieurs lobes qui, quoique étroitement appliqués les uns contre les autres, ne se soudent que d'une façon apparente, comme les individus grégaires de la Cynthia rustica, tandis que les ascidies composant l'un de ces lobes forment entre elles un tout continu, dont on ne peut séparer une personne sans déchirer les personnes avoisinantes. J'ai cru devoir donner quelques détails sur ces deux types si curieux des Polystyela et des Synstyela, afin de provoquer de nouvelles recher- ches sur la formation du connus de ces ascidies. Mais l'embryogénie de ces animaux n'est pas moins intéressante que leur anatomie, et c'est surtout sur ce point que je veux insister maintenant. J'ai étudié l'em- bryon de la Polystyela Lemirrî, et j'ai porté principalement mon atten- tion sur la structure de l'appendice caudal de cette larve, lequel est des plus remarquables. Le têtard de la Polystyela Lemirrî est relativement très-volumineux, ce qui rapproche encore cette espèce des ascidies composées. On en trouve généralement deux ou trois dans chaque individu; peut-être une partie des larves avaient-elles déjà quitté l'organisme maternel. La forme générale est celle des embryons de Cynthia, le corps très-gros, arrondi, la queue deux fois aussi longue que le corps, très-aplatie dans le sens transversal comme celle des jeunes Batraciens. Le limbe membraneux qui entoure la chorde dorsale est très-large et se prolonge assez loin der- rière l'extrémité de cette chorde. Je ne dis rien de la couleur de ces larves n'ayant étudié que des in- dividus conservés dans l'alcool. L'appendice caudal de l'embryon de Polystyela présente sur toute sa longueur des rayons natatoires parfaitement développés et très-régulière- ment disposés. Perpendiculaires à la chorde dorsale dans la première partie de la queue, celle qui avoisine le corps, ces rayons vont en s'in- clinant de plus en plus sur l'axe longitudinal, à mesure qu'on se rap- proche de l'extrémité. Cette extrémité caudale ressemble ainsi d'une façon surprenante à celle d'un jeune poisson encore dans l'œuf. (Voy. pi. VI, lîg. 1.) On pourrait à peine distinguer le dessin qui le représente de celui que l'on peut faire de la même partie chez l'embryon d'un poisson osseux, par exemple du Macropodus viridi auratus, ce joli pois- son de Chine dont il est si facile aujourd'hui de suivre l'évolution, (1) Si la concrescence est le processus par lequel ont pris naissance ces agrégations, il faut au moins qu'elle se soit fait sentir de très-bonne heure et probablement sur les larves. Peut-être pour- rait-on invoquer en faveur de cette opinion l'observation faite, par le professeur Huxley, d'une Cynthia, chez laquelle les larves urodèles se présentent solidement unies les unes aux autres longtemps avant de perdre leur appendice caudal. Voy. Report on the Brit. Ans. for tlie Adv. of Se, 1832, p. 7G. 438 ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE grâce aux indications de notre intelligent pisciculteur Carbonnier. Dans la première portion de la queue et jusque vers le tiers posté- rieur de la chorde dorsale, les rayons natatoires, très-légèrement in- clinés sur eette chorde ou même perpendiculaires à l'axe, présentent une base cartilagineuse d'aspect granuleux, occupant environ le tiers du limbe membraneux de l'appendice. On a donc, en cette région, une struc- ture à peu près identique à celle que l'on observe sur l'appendice caudal du jeune saumon vers le dixième jour de son développement : des sup- ports cartilagineux s'appuyant ou non sur la chorde dorsale et terminé par des rayons soutenant une membrane délicate. (Voy. pi. VI, fig. 2. ) Ainsi, on trouve sur l'appendice caudal de la Polyslyela deux sortes de productions : 1° à l'extrémité, des filaments cornés, hyalins ou légè- rement jaunâtres ; 2° dans la partie qui avoisine le corps une disposition particulière de rayons plus développés, qui a été admirablement décrite chez l'embryon de l'épinoche par mon savant collègue de la Faculté de Nancy, le professeur Baudelot : « Si l'on examine la nageoire embryonnaire d'une épinoche peu de jours après la naissance, on reconnaît que cet organe se présente sous l'aspect d'une lame membraneuse très-mince, striée perpendiculairement à son bord. » Quelque temps après l'éclosion, lorsque la nageoire embryonnaire va donner naissance aux nageoires définitives, on voit se former, dans l'épaisseur de la membrane primitive, des zones parallèles d'une certaine épaisseur alternativement plus claires et plus obscures et perpendiculaires au bord libre. » Une fois commencé, le travail de formation des rayons se poursuit avec rapidité ; les zones radiales s'allongent, elles acquièrent des limites mieux tranchées, et l'on voit se former dans leur épaisseur, de distance en distance, des lignes plus foncées qui représentent des sortes de cassures transversales. Ces lignes n'apparaissent pas toutes à la fois; il s'en forme une première d'abord, puis une seconde, puis une troisième et ainsi de suite, en allant de la base de la nageoire vers le sommet (1). » Ce processus paraît s'arrêter après la formation du premier article basi- laire chez le têtard du Polystyela, mais le rapprochement me parait néanmoins mériter quelque attention. Ayant communiqué mes observations sur ce sujet au professeur Bau- delot, dont je connaissais la grande compétence sur toutes les questions d'ichthyologie, il m'engagea à vérifier si les iilaments cornés de la nageoire ascidienne présentaient comme ceux des poissons une grande résistance à la macération et à tous les agents chimiques. Il en est ainsi en effet, (l) Voy. Baudelot. — Observation sur la structure et le développement des nageoires des pois- sons osseux. {Archiva de zoologie, t. II, notes, p. 18.) A. GIARD. — EMBRYOGÉNIE DES ASCIDIES 439 et j'ai pu montrer aux membres de la section de zoologie, pendant le congrès de Lille, des nageoires de Polystyela qui avaient été plusieurs fois desséchées et humectées, qui avaient subi l'action de la potasse et du picrocarminate d'ammoniaque, et dont les filaments cornés se voyaient cependant avec une netteté parfaite. Mais comme ces résultats avaient été obtenus sur des embryons con- servés dans l'alcool, j'ai voulu, pour me mettre à l'abri de tout reproche, examiner aussi des larves vivantes. C'est ce que j'ai pu faire pendant les étés de 1873 et 1874, mais en m'adressant à des espèces différentes, et dont la nageoire caudale présentait une organisation bien moins élevée que celle de la Polystyela. L'ascidie la plus commune aux environs de Boulogne (Pas-de-Calais) est sans contredit une Molgula probablement identique à la Molgula socialis Aider, espèce très-intéressante à bien des égards, et dont nous parlerons plus loin. Sur les touffes que forment les individus de cette espèce, en s'agrégeant les uns aux autres, on rencontre assez fréquem- ment une petite Molgulidée du genre Gymnocystis, qui atteint à peine 7 à 8 millimètres de hauteur. Cette Gymnocystis m'a paru différente de celle que l'on rencontre parmi les touffes de Cynthia rustica ; mais je n'ai pu encore en étudier l'anatomie d'une façon assez complète pour en donner une bonne caractéristique. Quoi qu'il en soit, chez cette espèce comme chez la Gymnocystis comosa, les œufs sont fécondés et se développent à l'intérieur de l'organisme maternel : le têtard est grand, son appendice caudal assez long. La membrane qui borde cet appendice présente d'une façon très nette à l'état frais les filaments cornés de la première sorte, c'est-à-dire sem- blable à ceux qui existent à l'extrémité de la queue du têtard de Polystyela. C'est surtout également à l'extrémité que ces filaments sont abondants chez notre Gymnocystis, mais il en existe cependant un cer- tain nombre le long de l'appendice caudal, disposés symétriquement par paires l'un au-dessus, l'autre au-dessous de l'axe longitudinal. Ces rayons sont fortement inclinés sur l'axe, et par conséquent très-longs; ils deviennent plus évidents par l'emploi de certains réactifs (potasse, acide acétique, etc.). Je n'ai pas trouvé trace de rayons plus développés analogues à ceux qui existent chez l'embryon de la Polystyela. (Voy. pi. VI, fïg. 7.) Des dispositions de même nature se rencontrent chez les larves de plusieurs espèces de Cynthia. On en trouve même des traces, quoique fort affaiblies, chez les Molgula à embryons urodèles, par exemple chez la Molgula socialis de Wimereux. Tels sont les faits que j'avais observés et qui me paraissaient entière- 440 ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE ment nouveaux, lorsque je découvris dans les Mémoires de l'Académie de Boston la note du professeur Morse. Les observations du professeur Morse n'ont porté que sur un seul type, mais comme il le fait observer avec raison, le sujet présente un si profond intérêt que le moindre détail mérite les honneurs de la publication. L'espèce étudiée est une ascidie simple de Eastport (Maine), la Cynthia pyriformis ; comme le travail du savant zoologiste américain a passé presque inaperçu, il nous paraît utile d'en indiquer ici les principaux résultats. « En juillet 1870, J.-E. Gavit, esq., de New-York, eut l'obligeance de soumettre à mon examen les larves de la Cynthia pyriformis. Ces larves étaient visibles à l'œil nu et ressemblaient a de gigantesques sperma- tozoïdes. » A l'état frais, les segments axiaux de l'appendice caudal étaient net- tement définis. La fig. 6, pi. 1, représente deux embryons vus latérale- ment. J'ai compté quarante segments, dont quatre s'étendent dans le corps proprement dit : le segment antérieur envoie trois prolongements divergents vers la région hsemale ou ventrale. Cette persistance des segments chez la larve sortie de l'œuf n'a été observée ni par Kupffer ni par Kowalevsky chez les espèces qu'ils ont étudiées ; mais la queue présentait en outre une structure remarquable et qui n'a pas encore été figurée que je sache, à savoir des rayons de la nageoire caudale rap- pelant d'une façon frappante ceux que l'on observe chez les embryons de poissons. » Ces rayons sont extrêmement délicats, mais nettement marqués. Ils se dirigent presque parallèlement à l'axe longitudinal de la queue et sont limités aux cinq derniers segments et s'étendent au delà du dernier segment, à une distance égale à huit segments, comme cela est indiqué sur les fig. 4 et 6. Tous ceux qui ont vu la nageoire caudale de Vem- bryon de la truite avec ses nombreux rayons étroitement serrés, pourront témoigner de la grande similitude quelle présente avec celle de notre Cynthia. A la jonction de la queue avec le corps, on voit aussi une série de rayons de différentes grandeurs, convergents par paires au bord externe de la membrane et tombant perpendiculairement sur l'axe lon- gitudinal ; mais ces rayons sont d'une extrême ténuité. Cette structure particulière est représentée sur la fig. o. Tous les segments sont nucléés, et la queue présente une longueur uniforme. Elle est renfermée dans une gaîne continue, qui disparaît ù l'extrémité. Cette dernière région est granuleuse » Depuis que ces lignes ont été écrites, M. Gavit m'a confié un certain nombre d'embryons de la même espèce, conservés dans une solution saturée de sel marin. Il en a t'ait des préparations dans le même liquide, A. GIAKD. — EMBRYOGÉNIE DES ASCIDIES 441 et bien que ces préparations soient montées depuis plus d'un au, elles sont remarquablement conservées et présentent des détails de structure qui échappent sur les spécimens vivants. » La fig. 3 représente un de ces spécimens conservés. Toutes traces de segments ont disparu; les segments sont brisés irrégulièrement en petites masses cylindriques. Lôwig et Rolliker représentent (1) la queue d'une larve de Botrvllus dont tous les segments sont divisés suivant une ligne médiane, de sorte qu'il y a deux séries de segments courant parallèle- ment, et aussi une double série de cellules plus petites, représentant la membrane enveloppante, dette condition doit représenter un stade plus avancé, puisque tous les exemplaires conservés par M. Gavit présentent celle apparence particulière. » En même temps que les segments se brisent, il se produit une con- traction de l'axe longitudinal de la queue, qui laisse à son extrémité une cavité distinctement indiquée sur la lig. 4. L'existence antérieure et la position des segments sont encore faiblement indiquées par de doubles lignes transversales. La nageoire l'orme une membrane continue, entourant tout le corps de l'embryon. Les rayons natatoires sont très- visibles : ils commencent juste à la jonction de la queue avec le corps et tombent à angle droit sur l'axe longitudinal. Sur la queue, ils divergent rapidement et Unissent par devenir parallèles à l'axe; le nombre des espaces limités par les rayons natatoires coïncide presque exactement avec celui des segments. Comme ces rayons sont invisibles sur les spé- cimens vivants, il est impossible de dire s'ils correspondent aux segments eu nombre et en position. » A la suite de cette communication, le professeur Agassiz déclare qu'il a étudié, il y a près de vingt-cinq ans, l'embryologie des ascidies, mais 442 ZOOLOGIE ET ZOOTECHMK je dois prévenir les embryogémstes. C'est que l'appendice caudal des larves placées vivantes sur le porte-objet ne tarde pas à se rétracter comme il le fait du reste normalement un peu plus tard lors de la transformation de l'embryon en ascidie. Cette rétraction, qui commence par la chorde dorsale, se l'ait sentir bientôt dans la partie membraneuse de l'appendice. Le limbe de l'appendice caudal se couvre alors de plis- sements très-lins qu'on pourrait à première vue confondre avec les fila- ments cornés ; mais il est facile, avec un peu d'babitude, d'éviter une semblable erreur. Les plissements sont toujours beaucoup moins régu- liers et ils se produisent surtout au point où la queue vient s'unir au corps, tandis que les rayons sont principalement développés à l'extrémité de la nageoire caudale. 11 y a tout lieu de supposer que le professeur Morse ne s'est pas assez tenu en garde contre ces apparences trompeuses; les rayons qu'il a décrits et figurés comme convergents par paires au bord externe de la membrane dans le voisinage de la naissance de la queue, sont très-pro- bablement de simples plis de rétraction. Ce qui me conlirme dans cette opinion, c'est que l'appendice ligure (lig. 4 et 6, pi. VI ) était déjà en période de métamorphose régressive, comme le prouve l'aspect de l'extrémité de la chorde où la dégénérescence graisseuse est manifes- tement indiquée. Les rayons de deuxième espèce paraissent exister chez l'embryon de la C y ni hia pomi fera, mais ils présentent chez cette espèce un développe- ment bien moins complet que chez le têtard de la Polyslyela Lemirri. leurs contours sont moins nets, presque invisibles à l'état frais, et l'on n'y rencontre pas l'article basilaire mieux différencié que nous avons signalé chez l'ascidie de Noirmoutiers. La persistance des segments, c'est-à-dire des cellules formatrices de la chorde chez l'embryon sorti de l'œuf, n'est pas, comme semble le supposer Morse, un fait très-rare chez les ascidies : outre la ligure de Botrylle, dessinée il y a déjà longtemps par Kœlliker, et où cette particula- rité est déjà représentée, des dessins analogues ont été donnés par divers observateurs, et par moi-même dans mes Recherches sur les Synascidks. Cette disposition se remarque à des degrés divers chez les têtards du Perophora, du Circinalium, de plusieurs Polyclinum, Anarœcmm, etc. Elle correspond à une phase moins avancée du développement de la notochorde, qui souvent n'atteint pas un degré supérieur d'organi- sation. Avant de passer à un autre ordre d'idées, j'insisterai encore sur un fait qui me paraît fournir une nouvelle analogie entre le têtard ascidien et l'embryon des vertébrés. Je veux parler de la structure de l'appendice caudal de la larve du Perophora Listeri, structure que j'ai fait connaître A. GIARD. — EMBRYOGÉNIE DES ASCIDIES 'iï-î il y a déjà plusieurs années (1), et qui offre une disposition dont on n'a peut-être pas apprécié toute l'importance. La queue du têtard du Perophora présente deux plans de symétrie, l'un vertical l'autre hori- zontal, de sorte que la nageoire présente deux limbes perpendiculaires l'un sur l'autre. (Voy. pi. VI,fig. 8.) Il nie semble que ce plan de struc- ture est une première indication de l'existence des quatre antimères primitifs, que l'on retrouve dans la queue de YAmphioxus et dans le système musculaire de la même partie chez les poissons. De nouvelles recherches, entreprises dans le but de pousser plus loin cette compa- raison, fourniraient certainement des résultats tort intéressants. II. — DES FORMES EMBRYONNAIRES CONDENSÉES CHEZ LES ASCIDIES. En terminant la note que nous avons analysée plus haut, le profes- seur Morse rappelle la découverte d'un embryon anoure chez une espèce de Molgula par Lacaze-Duthiers. Il signale en outre un remarquable travail du professeur A.-E. Verril, sur les ascidies de la Nouvelle-An- gleterre (2). Dans ce travail, Verril dit à propos d'une ascidie composée qu'il appelle Lissoclinum tenerum (gen. et sp. nov.) : « Les œufs sont peu nombreux et relativement très-gros. Leur développement est direct et l'embryon ne passe pas par la forme de têtard. » Le savant américain ajoute, il est vrai, que n'ayant étudié que des spécimens conservés dans l'alcool, il lui est impossible d'indiquer les premiers stades de ce dé- veloppement, et même qu'il n'est pas tout à fait certain que ces corps oviformes soient de véritables œufs, bien que certains d'entre eux par- raissent contenir d'abord une vésicule germinative. Morse conclut de ces observations que de nouvelles recherches prou- veront sans doute que les œufs, passant par un développement anormal, sont d'une nature particulière. Il n'est pas improbable à son avis, que les ascidies simples du genre Eagyra (3) et les ascidies composées du genre Lissoclinum, présentent en outre une espèce d'œufs suivant le cours régu- lier du développement supposé typique de la classe des Tuniciers. Ces ascidies posséderaient ainsi, comme bien d'autres animaux, des œufs de deux formes différentes, dont le développement se ferait ici suivant des modes très-distincts. L'explication tentée par Morse peut paraître séduisante, mais elle n'est pas justiliée par les faits. Le Lissoclinum tenerum est une ascidie com- posée qui appartient par ses caractères anatomiques à un groupe trës- (1) Voir Archives de zoologie, t. I. 1872. Études critiques sur l'embryogénie des ascidies et Re- cherches sur les synascidies, p. 174. (2) American jour. Science and arts. Jan. to june 1871, p. 445. (3) Morse adopte ici l'opinion de Hancock d'après lequel la Molgule observée par Lacaze-Duthiers appartiendrait à un genre distinct qu'il appelle Eugyra. J'ai réfuté ailleurs cette manière de voir qui, d'ailleurs, modilie peu l'état de la question (Voy. Giard, Deuxième étude sur l'embryogénie de* ascidies. Archives de zoologie t. I. p. 400.) 444 ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE intéressant, longtemps confondu avec lcs'didemniens et que j'ai séparé de ces derniers sous le nom de diplosomiens. Il est possible que les corps observés par Verril chez cette ascidie, soient simplement des bour- geons libres, d'une nature toute particulière, qu'on observe chez plusieurs espèces du groupe; mais même en admettant que ces productions soient de véritables œufs, présentant un développement anormal, il est impos- sible de rapprocher ce développement de celui de l'embryon anoure des molgules libres. L'embryogénie du Lissoclinum serait simplement le terme ultime d'une série dont font partie les larves bien connues des genres Astellium et Pseudodidemnum . Chez Y Astellium comme chez le Lissoclinum, les œufs sont très-peu nombreux et très-volumineux. Le têtard au moment de l'éclosion présente un corps énorme et une queue fort courte. Le corps renferme déjà une petite colonie de trois individus inégalement développés, et deux heures après l'éclosion la queue a complètement disparu et la colonie compte cinq ou six jeunes ascidies. On voit qu'il est très-facile de passer d'un sem- blable embryon à une larve à développement tout à fait direct, et peut- être cette dernière forme est-elle réalisée chez le Lissoclinum étudié par Verril . Les molgules à embryons anoures sont également le dernier terme d'une série de types présentant une embryogénie de plus en plus con- densée : rien ne nous autorise pour le moment à supposer qu'elles pos- sèdent des œufs de deux sortes différentes, dont les uns, inconnus jusqu'à présent, produiraient une larve agile tandis que les autres don- neraient directement naissance à une petite ascidie. Je ne crois pas non plus qu'on puisse accepter sans de très-grandes réserves les résultats d'un travail dû également à un savant américain, et qui tendrait à établir l'existence d'une génération alternante chez les Molgulidécs. Je veux parler d'un curieux mémoire publié en 1871 par le Dr Tellkampf (1). Il est étonnant que les zoologistes qui ont écrit sur le genre Molgula ne fassent nulle mention de ce travail qui est le fruit de vingt années d'ob- servations. L'un d'eux au moins, habitant Paris, aurait eu toute facilité pour le consulter. Mais il est plus commode et plus agréable de faire dater la science de ses propres découvertes, et ce n'est là que la plus mince des lacunes bibliographiques de l'auteur auquel nous faisons allu- sion. Tellkampf a étudié une ascidie de l'île Manhalte décrite autrefois par De Kay sous le nom de Ascidea Manhattensis, mais appartenant évidem- (<) Voy. Tellkampf. Notes on the Ascidea Manhattensis, Do Kay, and on the Mammaria Man- hattensis dans Aimais of the Lycewn of natural history of New-York, vol. X. 1871. Je n'ai inallieureusemcnl pas pu me procurer la planche qui accompagne ce travail intéressant. A. GIARD. — EMBRYOGÉNIE DES ASCIDIES 445 ment au genre Molgula. Dans la même localité se trouve également un Tunicier que le zoologiste américain rapproche des Mammaria et qu'il considère comme une phase de l'évolution de la Molgule, près de laquelle on le rencontre. Les Mammaria signalées par Otho Fabricius (in Fauna Grœnlendica) ont été placées parmi les Tuniciers par Laraarck qui les décrit de la façon suivante : Corpus liberum, nudum, ovale aut subglobomm apertura unica ad apicem. « Le 10 août 1850, dit Tellkampf, je trouvai des Mammaria à peu près de la même dimension que les trois espèces décrites par Lamarck, c'est- à-dire ayant environ pour les plus grandes 1 ligne 1/2 de long et 1 ligne de large; elles présentaient une ouverture terminale située à l'extrémité d'un tube court, faiblement lobée et pourvue de fibres musculaires, circulaires et longitudinales. Le sac de cette Mammaria est épais et con- tient beaucoup de pigment ; la plupart des cellules à pigment sont rem- plies soit partiellement, soit en totalité par des granulations jaunes, brunes ou noirâtres. Ces granules pigmentaires forment à ce stade de dé- veloppement des lignes divergentes allant de la base au sommet où ils constituent un cercle entourant un espace plus clair. » L'orifice s'ouvre et se ferme à des intervalles irréguliers. La contrac- tion de l'un de ces orifices est suivie de la contraction de toutes les autres Mammaria renfermées dans la même enveloppe commune. » Nous n'avons pas besoin d'aller plus loin pour voir que les Mammaria de Tellkampf diffèrent complètement de celles décrites par les anciens auteurs, puisque ces dernières sont des animaux simples tandis que l'espèce de l'île Manhatte est composée et peut se développer par bourgeonne- ment. De plus, la Mammaria Manhattensis est fixée pendant la plus grande partie de son existence. C'est seulement pendant les mois de septembre et octobre qu'elle se détacherait graduellement des objets auxquels elle adhère et serait entraînée par les vagues. La tunique commune présente des libres musculaires et peut se contrac- ter indépendamment des individus qu'elle renferme. Quant à la structure interne, elle est d'après Tellkampf excessivement simple. Un sac bran- chial à mailles ovalaires et coloriées par un pigment rougeàtre remplit les trois quarts du corps: l'espace restant est occupé par le cœur et une masse de différentes cellules parmi lesquelles un remarquable amas de cellules graisseuses et un autre corps cellulaire entouré d'une paroi propre. Il n'existe ni tube digestif ni ouverture interne. Le corps cellulaire entouré d'une paroi propre renferme un embryon qui, d'après la description qui en est faite, ne diffère en rien des larves urodèles des autres ascidies. Aussi ne peut-on s'empêcher de trouver 446 ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE singulière la conclusion que Tellkampf veut tirer de ces observations si rud imenta ires et si incomplètes au point de vue anatomique. Comme je n'ai pas vu d'organes sexuels, il est certain, dit-il, que la Mammaria est une nourrice. Notre auteur cherche ensuite à déterminer quel est l'animal avec lequel la Mammaria est en relation génétique. Ce serait d'après lui la Molgula Manhattensis. Cette Molgule, que Tellkampf décrit assez complètement, pond à la fin de juin ou au commencement de juillet. Les adultes meurent et dispa- raissent quelque temps après la ponte comme nous l'avons également observé chez la Molgula socialis des environs de Boulogne. Les œufs, d'une couleur orangée pâle, sont agglutinés dans une substance visqueuse, de sorte qu'en passant par le cloaque, ils se disposent en filaments plu- sieurs fois repliés sur eux-mêmes. Une semblable agglutination des œufs a été signalée par Ruptfer chez une autre espèce de Molgule, la Molgula macrosiphonica, ce qui donne à cette particularité un intérêt considé- rable. Deux jours après la ponte, la masse visqueuse est devenue contractile: les œufs sont visibles à l'œil nu. Ils sont ronds et de dimensions va- riables. Deux ou trois jours plus tard les plus grands s'approchent de la surface de l'enveloppe commune et forment des aggrégations circulaires ou ovales semblables à celles des Mammaria observées l'année précé- dente. L'enveloppe externe des œufs a pris les caractères de la tunique. Le pigment s'est beaucoup accru après un intervalle de quatre à cinq jours ; le onzième jour après la ponte, l'on trouve les œufs toujours ar- rondis, plus grands que précédemment et pourvus d'un orifice central circulaire ou ovale, à travers lequel on aperçoit les mouvements des cils du réseau branchial. Ce large orifice sans tube conduit directement dans la branchie qui forme une portion du corps plus grande que chez les Mammaria adultes, et on trouve à ce stade de développement l'em- bryon enfermé dans son chorion. Tellkampf déclare que dans les notes prises par lui à cette époque (1851), il n'exprime aucun doute sur l'identité de structure présentée par les animaux sortis des œufs et examinés deux ou trois jours après la ponte, et ceux qu'il a trouvés plus tard pourvus d'un orifice central et renfermant un embryon. Il n'a pas d'ailleurs suivi les transformations successives que subissent les divers organes entre ces deux périodes du développement. Mais comme il a établi que les Mammaria sont des nourrices, il est certain qu'une alternance de génération se produit chez les Molgulœ. Nous sommes loin de partager cette certitude et nous avons tout lieu de croire que la conclusion du naturaliste de New-York repose sur la con- A. GIARD. ■— EMBRYOGÉNIE DES ASCIDIES 447 fusion qu'il fait entre les divers stades de développement de deux Tuni- ciers bien distincts. Les prétendues Mammaria de l'île Manhatte sont évidemment des Sy- nascidies mal étudiées et probablement appartiennent à ce groupe des Diplosomiens dont nous avons parlé plus baut. La présence d'un seul embryon développé dans chaque individu, l'existence de nombreuses cellules à pigment dans la tunique externe sont deux excellents carac- tères des ascidies de cette tribu. Il arrive fréquemment à Wimereux que les agrégations de Molgula socialis sont recouvertes par les connus de certaines synascidies' surtout par un Botrylloïdes et par un AstelHum. Or, ce dernier genre, appartient, comme on sait, au groupe des Diplosomiens. C'est en vain que Tellkampf invoque les exemples de génération alter- nante connus dans d'autres groupes de la classe des Tuniciers : car nulle part on ne voit naître par bourgeonnement la larve urodèle typique de cette classe. Un des faits qui ont peut-être contribué à continuer dans l'esprit de son auteur l'étrange confusion dont nous parlons en ce mo- ment, c'est que le Molgula Manhattensis est souvent fixée sur les plan- ches, les pilotis, les rochers (Sandy Hook, Bay) et quelquefois même sur les Zostères (rivière Nevesink). Or, généralement, les Molgules fixées ont une larve urodèle qui les transporte au point où elles doivent passer leur existence, et l'absence d'un semblable embryon chez la Molgula Manhat- tensis pouvait causer quelque embarras. Il est manifeste, en effet, malgré ce qu'a d'insuffisant la description relatée plus haut, que la Mol gule américaine présente une larve amœboïde; mais il ne faut pas perdre de vue la remarquable agglutination des œufs en longs filaments que le courant entraîne et qui vont s'accrocher à tous les corps étrangers sur lesquels ils sont portés par la vague. La Molgula macrosiphonica, qui parfois adhère également aux herbes ma- rines présente, d'après Kupffer, la même particularité, quoique à un degré moindre, car les œufs sont tantôt expulsés isolément, tantôt en masses filamenteuses analogues au frai des mollusques gastéropodes (1). On peut donc regarder la Molgula macrosiphonica comme représentant un état inter- médiaire entre les molgules complètement libres, la Molgula tubulosa, par exemple, et la Molgula Manhattensis. 11 est regrettable, malgré ces erreurs d'interprétation, que les remar- quables observations de Tellkampff n'aient pas été publiées plus promp- tement. Dès 1851, en effet, ce zoologiste connaissait l'existence d'une larve anoure chez une espèce du genre Molgula, et il a fallu près de vingt années pour que ce fait intéressant fût retrouvé et publié en France par le professeur Lacaze-Duthiers. Ce dernier attache une importance 'D Voy. Khpffbr. Zur Entwickelung de einfacher Ascidien. Archives de Max Schultze. îMi- 4i8 ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE énorme a cette découverte qu'il considère comme étant de nature à renverser complètement la théorie de l'origine ascidienne des vertébrés. Malgré toute l'influence d'une autorité respectée, je ne pus accepter une pareille exagération ; le t'ait en lui-même Délaissait toutefois aucun doute dans mon esprit, et si je me misa étudier l'embryogénie des Molgulidées, ce n'était pas, comme on me l'a reproché, avec l'espoir de trouver chez l'embryon de la M. tubolosa un appendice caudal qui aurait échappé à mon prédécesseur, mais avec la conviction que l'anomalie constatée chez cet embryon n'était qu'apparente et n'altérait en rien la valeur des idées de Kowalevsky. Je ne lardai pas en effet à rencontrer chez des ascidies appartenant à nu genre très -voisin des Molgula , mais vivant solidement fixées aux corps étrangers (Lithonephnja) un embryon urodèle. Hancock fît de son côté des observations analogues et attira l'attention sur l'embryogénie d'une espèce étudiée par van Beneden et qui appartient certainement au groupe des Molgules, bien qu'elle présente également un têtard. Cette ascidie est encore adhérente. De ces observations rapprochées de celles de Kuptfer dont il a élé question ci-dessus, j'ai cru pouvoir conclure qu'il y a un rapport con- stant entre la forme embryonnaire des ascidies du groupe des Molguli- dées et les conditions éthologiques dans lesquelles ces animaux sont pla- cés à l'état adulte. r Les Molgules qui, à l'état adulte, sont solidement fixées aux corps étrangers. ont un embryon semblable à celui des autres ascidies. Les Molgules qui, à l'état adulte, sont libres et peuvent se déplacer ou être déplacées dans le sable ont un embryon anoure. Nous pouvons ajouter aujourd'hui que si la fixation de l'adulte est faible , c'est-à- dire si l'animal peut être détaché de son point de fixation primitif sans courir grand danger de mort, il peut encore y avoir un embryon anoure; mais dans ce cas une modification dans la ponte permet aux embryons d'aller se fixer contre la paroi verticale d'un rocher ou sur les rameaux d'une plante marine. C'est ce que nous avons dit exister chez la Mol- gula macrosiphonica et chez la Molgula Manhattensis : c'est ce qui existe aussi chez une petite espèce des côtes de Bretagne que j'ai appelée .I/o/- gula adheerens, et qu'on a quelquefois confondue avec la M. tubulosa, bien qu'elle n'ait pas le même habitat. Ces particularités de l'embryogénie des Molgulidées ont été exposées dans un travail publié en 1812 (1). J'ai eu depuis l'occasion de les vérifier de nouveau sur une espèce de Molgule très-commune sur les cotes du Bou- lonnais et fort intéressante à divers points de vue. (il Voy. Gmrd. Deuxième étude critique d s travaux d'embryogénie relatifs aua Irchioes de zoôloyi l. i. p. 400. A. GIARD. — EMBRYOGÉNIE DES ASCIDIES 449 Les plages très-riches de Wimereux et du Porte], à l'est et à l'ouest de Boulogne-sur- Mer sont littéralement tapissées dans la première partie de la zone des laminaires par une belle Molgule qui, au lieu de vivre isolée comme ses congénères, se présente en masses, formées d'individus grégaires, adhérant fortement les uns aux. autres et souvent même deve- nus polyédriques par pression réciproque. D'après ce genre de vie, on pourrait' supposer que celle espèce est celle décrite par Joshua Aider, sous le nom dé Molgula socialis (1). Malheureusement les caractères anatomiques donnés par le natura- liste anglais sont insuffisants pour affirmer l'identité. 11 ne parle pas de la longueur des siphons et de leur l'orme, qui est très-remarquable : la taille (un demi-pouce) est intérieure à celle des échantillons de Wime- reux, qui ont en moyenne deux à trois centimètres de hauteur; enfin, l'unique spécimen de cette espèce, étudié par Aider, était une. colonie fixée sur un Pecten maximus dragué à douze milles de Hastings par les pécheurs de cette localité qui l'avaient apporté au D1 Bowerbank. Has- tings est situé de l'autre côté du détroit, presque en face de Wimereux, mais la Molgule du Boulonnais ne paraît pas s'étendre jusqu'à la zone profonde, car, tout à fait au bas de l'eau, elle est remplacée par les masses gaufrées que forment les tubes des Hermelles. La Molgule de Wimereux s'établit souvent à la face inférieure des pierres, plus souvent encore à la face supérieure des roches jurassiques (grès Portlandiens) qui constituent le fond de la mer dans le voisinage de la Tour de Croy et à la Roche-Bernard. La forme des individus réunis en agglomérations varie suivant la position qu'ils occupent dans les mas- ses : les individus placés au centre s'allongent pour ne pas être recouverts par leurs voisins de la périphérie: souvent même il se développe ainsi du côlé Dpposéaux siphons un large pédoncule de cellulose qui peut atteindre deux centimètres de longueur et quelquefois plus. Ne pourrait-on voir dans ce pédoncule une formation analogue au long support des BoUenia, qui n'a peut-être pas eu d'autre origine et a dû s'allonger graduellement par sélection naturelle? Le type BoUenia parait en eli'et se rapprocher beaucoup par ses caractères anatomiques du groupe des Molgulidées. La Molgula socialis étant fixée présente, comme on pouvait s'y attendre, une larve urodèle dont l'appendice caudal atteint même un développe- ment assez élevé. IS'eùt-on pas constaté directement l'existence de cette larve, on pour- rait cependant la prouver par une voie détournée. Le Cancer Maenas, qui pullule à Wimereux comme sur presque tous les points du littoral de la Manche et de la mer du Nord, est fréquem- ii). Voy. Annals and Magazine ef natural Hislory, 3e série, i. II, a0 03, -Murs 1S68, p. 150. 450 ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE ment infesté par un parasite du groupe des Rhizocéphales , la Sacculina Carcini. Mais la sacculine est bien plus rare à Boulogne que sur les cotes de Bretagne et de Belgique (Ostende), et je crois que l'un des plus grands obstacles à sa multiplication est la présence de la Molgule qui nous occupe. On sait en effet que le Rhizocéphale parasite se loge sous l'ap- pendice caudal du crabe et écarte cet appendice de la surface ventrale contre laquelle il est habituellement appliqué chez les crustacés brachyoures. Or, presque tous les crabes porteurs de sacculines que l'on rencontre à "Wimereux sont aussi chargés de Molgula socialis qui entourent et étouffent le parasite, dont on ne retrouve souvent que la dépouille flasque et molle ou le collier chitineux. Il est évident que les larves agiles de la Molgula ont profité pour s'y fixer de l'espace laissé libre par l'écartement de la queue du crabe, espace admirablement abrité, puisque c'est le point que choisit le Mcenas femelle pour y placer ses œufs. Quelle est maintenant la vraie signification de l'embryon anoure des Molgules libres? Je crois l'avoir indiquée le premier dans le travail auquel j'ai fait précédemment allusion. Contrairement à l'opinion de Kupffer, qui considérait l'embryogénie de la Molgule comme le développement typique du groupe des Tuniciers, j'ai fait voir que cette embryogénie était au contraire une forme con- densée telle qu'on en trouve fréquemment chez les espèces les mieux différenciées et les plus élevées en organisation dans les diverses classes du règne animal. « 11 y a lieu de s'étonner, disais-je (1), que Kupffer considère la for- mation du squelette axile des larves modèles comme un épisode dans le développement de la Molgule, épisode pour la réalisation duquel des matériaux seraient déjà préparés chez l'embryon de cette ascidie sous forme de sphères de réserve. Comment un transformiste aussi convaincu que le savant professeur de, Kiel peut-il recourir aux causes finales pour expliquer un fait qui, an fond, n'a rien d'extraordinaire et qui s'éclaire facilement par les principes généraux de l'embryogénie? Ne sait-on pas que, dans son développement, un animal supérieur ne passe pas, à proprement parler, par toutes les formes qui ont appartenu à ses ancê- tres, mais seulement par les ébauches de ces formes? c'est la grande loi de l'économie du travail appliquée à révolution. L'embryon de la Mol- gule reproduit la série des stades que parcourt la larve des autres asci- dies, mais en ne présentant de chacun de ces degrés que ce qui lui est nécessaire pour arriver à la forme adulte qu'il doit reproduire. » Les prétendues sphères de réserve constituent en réalité un organe rudimen- taire de l'embryon. (0 Voy. Giard, l. c. p. 420. A. GIARD. — EMBRYOGÉNIE DES ASCIDIES 4SI Dans presque tous les groupes du rogne animal, à côté d'espèces dont l'embryogénie suit un cours régulier et présente successivement la répé- tition explicite de toutes les formes ancestrales, on rencontre d'autres types parfois très-voisins et à peine distincts au point de vue anato- raique, dont le développement est au contraire abrégé et condensé de façon à laisser peu de place à ce qu'on appelle de vraies métamor- phoses. Tantôt c'est le premier cas qui représente la règle générale, comme cola a lieu chez les échinodermes (1), les insectes dits à méta- morphoses complètes, etc. Tantôt, au contraire, le développement con- densé devient la loi du plus grand nombre, comme cela a lieu chez les Némertiens, où la larve de Desor paraît plus répandue que l'embryon à forme pilidienne, ou comme chez les crustacés décapodes macroures du groupe des Carides, dont la plupart sortent de l'œuf sous la forme Zoea et où l'état de Nauplius ne se retrouve plus que chez certains Peneus de la côte du Brésil, ainsi que l'a signalé Fritz Mûller. Bien qu'il soit en général très-difficile de démêler les influences qui ont agi pour modifier ainsi l'embryogénie et la diriger dans l'un ou l'autre sens, il me paraît qu'on peut rapporter ces modifications à deux causes principales. La première est bien connue et a été souvent invo- quée à juste titre : ce sont les conditions de milieu dans lesquelles doit vivre l'embryon; la seconde, au moins aussi puissante, semble n'avoir pas attiré aussi vivement l'attention des zoologistes. Je veux parler de l'éthologie de l'adulte lui-même, qui, dans un grand nombre de cas, peut avoir une intluence énorme sur le développement des animaux inférieurs comme sur celui des vertébrés. D'ailleurs cette deuxième cause renferme en général la première, l'adulte pouvant fréquemment assurer à l'em- bryon un milieu déterminé. C'est ainsi que, chez deux espèces d'astéries observées par Sars et qui présentent une embryogénie condensée, les œufs ne sont pas abandonnés au hasard dans les eaux ; « ils sont reçus dans une cavité que la mère prépare en ployant la face ventrale de son disque et rapprochant ses bras. C'est en quelque sorte une espèce de matrice externe analogue jusqu'à un certain point à la poche des Marsupiaux. Cette cavité incu- batrice demeure hermétiquement fermée pendant la ponte des œufs et jusqu'au moment où les organes d'attache sont tout à fait développés chez les petits. Il est probable que, pendant tout ce temps, la mère ne peut prendre aucune nourriture, car la cavité incubatrice, close infé- (1) On connaît toutefois de nombreuses formes à embryogénie condensée chez les échinodermes, notamment chez les Holothuries, où elles ont été signalées surtout par Kowalevsky; il en existe également chez les Astéries : des embryons très-différents des larves ordinaires ont été décrits et figurés par Sars en 1843 chez YEchinostcr sanguinolent us et chez l' Aster acanthion Miilleri, espèce très-voisine de VAsteracanthion glacialis; le même fait a été observé chez VAsteriscus verrucu- (atus et signalé comme nouveau trente ans après la découverte de Sars. 452 ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE rieurement, interrompt toute communication avec l'extérieur. » Le déve- loppement de la jeune astérie est complet en six à sept semaines, et pen- dant tout ce temps chez VA steracant Mon Mulleri, le jeune animal prolonge sou séjour dans la poche incubatrice. Chez les Molgules, nous pensons que les conditions d'existence de l'adulte ont également déterminé l'abréviation de l'embryogénie chez les espèces où il était inutile (pie le têtard choisît un lieu déterminé pour y subir sa métamorphose, l'adulte devant être soumis à des déplacements volontaires ou involontaires. On a quelquefois invoqué, pour expliquer -l'existence d'une embryo- génie directe ou celle d'une embryogénie abrégée, l'absence ou la pré- sence d'un vitellus nutritif volumineux. Cette explication n'est qu'une pure pétition de principe, car un vitellus nutritif est le plus souvent, sinon toujours, la marque d'une condensation, une sorte d'organe rudi- mentaire ovogénique. Je pense donc qu'il existe dans le groupe des tuniciers, comme dans bien des autres branches de l'arbre zoologique : 1° des formes qui ne sont que la continuation ou l'exagération de l'état larvaire de la classe (Appendicularia) ; 2° des formes à embryogénie explicite et régulière (Ascidia) ; 3° des formes à embryogénie abrégée et condensée (certaines Molgula). Le tableau suivant, où je compare ces formes à d'autres pa- rallèles prises dans différentes classes du règne animal, fera mieux saisir ma pensée. Le lecteur pourra d'ailleurs aisément multiplier les exemples: Appendicn laria. Ascidia. Molgula. Hydra. Campanularia. Pelagia. Apus. Penœus. Astacus. Campodea. Sitaris. Nycteribia. Prolcus. Rana. Pipa. Ou d'une façon plus générale chez les vertébrés Téléost.éens. Batraciens. Sauroïdes et Mammifères Tous ces résultats sont déjà indiqués en substance dans mon mémoire de 1872 et dans les diverses notes que j'ai publiées sur l'embryogénie des ascidies; si je les expose de nouveau d'une, façon plus explicite, c'est en grande partie pour répondre aux critiques qui m'ont été adres- sées par un zoologiste à l'estime duquel j'attache la plus haute impor- tance, le professeur Oscar Schmidt. Dans un très-intéressant petit livre qui vient de paraître dans la Biblio- thèque scientifique internationale et qui a pour titre Descendance et Dar- winisme, le savant professeur de Strasbourg paraît me ranger parmi les adversaires de la théorie de la descendance. Ce reproche me surprend d'autant plus qu'au moment même^OÙ il m'était adressé, j'étais en but aux attaques de plusieurs zoologistes français peu suspects de Darwi- A. GIAHD. — EMBRYOGÉNIE DES ASCIDIES 153 nisme : l'un d'eux déclarait même, tout en regrettant une pareille ten- dance, que je ne travaille qu'au /lambeau des doctrine* transformistes. Il n'est qu'une façon d'expliquer cette diversité des jugements portés sur mon compte dans les deux parties de la France (pie séparent les Vosges : c'est que les précautions de langage dont j'ai été obligé de me servir pour l'aire tolérer mes opinions dans le milieu où je devais les produire m'ont rendu incompréhensible, ou peu s'en faut, pour des naturalistes habitués à employer comme choses entièrement passées dans la science des hypothèses que l'on considère généralement dans notre pays comme très-aventureuses et pleines de dangers (1). J'ai été moi- même un exemple de l'adaptation aux conditions d'existence : l'élève de Lacaze-Duthiers, comme dit si bien Oscar Schmidt, n'a pu exprimer que fort imparfaitement ce que pensait Giard. Je crois toutefois qu'avec un peu d'attention on reconnaîtra facilement que plusieurs des propositions que j'ai émises ne sont pas aussi obscures qu'on l'affirme. J'ai dit : « La chorde et l'appendice caudal sont, chez la larve ascidienne, des organes de locomotion d'une importance assez secondaire, malgré leur généralité, pour qu'on les voie disparaître presque entièrement dans le genre Molgula, où ils sont devenus inutiles par suite des mœurs de l'animal adulte : l'homologie entre cette chorde dorsale et celle des vertébrés n'est donc qu'une homologie d'adaptation déterminée par l'identité des fonctions à remplir et n'implique pas des rapports de parenté immédiate entre les vertébrés et les tuniciers. » J'ai fait voir ci-dessus que l'homologie était encore plus grande qu'on ne le supposait quand j'exprimais cette opi- nion, et cependant je persiste à croire que ce qui a été transmis par les Chordonia aux vertébrés, c'est le rudiment de la chorde qu'on trouve aux premiers stades du développement même chez les embryons anoures de la molgule, et non l'appendice mieux différencié des Cynthia. Les liomo- logies de ce dernier avec la queue des jeunes poissons résultent seule- ment d'une tendance à la production de parties homomorphes sous des influences identiques. Si je dis, par exemple, que la queue prenante du caméléon et celle des singes du nouveau continent sont des organes ho- mologues par adaptation et non par atavisme (ce qui est évident pour (l) Pour prouver que je n'exagère rien, je cite ici, on soulignant certains passages, lés propres expressions d'un des représentants les plus renommés de la science zoologique française : « L'histoire naturelle, considérée au point de vue des relations qu'ont les animaux entre eux. conduit aujourd'hui aux théories les plus hasardées et, on peut le craindre, les plus nuisibles pour la science. Des naturalistes, aveuglés par un besoin désordonné de soutenir dos idées propres à leur faire une prompte réputation personnelle (sic), ou bien destinées à rallier les (laiteries de la jeunesse trop encline à accepter tout ce qui séduit, tout ce qui évite un travail pénible et long, exagèrent les exagérations, et par là font, sans s'en douter, plus contre leurs idées que l'argu- mentation opposée la plus serrée. » Ces lignes sont écrites à propos de la belle théorie du mimé- tisme donnée par Wallace. Ainsi les observations du naturaliste anglais dans la Malaisie, celles de Bâtes au Brésil, celles de Trimen dans l'Afrique australe ne constituent pas un travail pénible et long, et ceux qui s'elforcent de poursuivre et de compléter de semblables recherches sont des ambitieux effrénés et des corrupteurs de la jeunesse! 454 ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE tout le monde, bien que la similitude entre ces deux, organes soit plus grande que celle qui existe entre la queue de YAmphioxus et celle du têtard d'ascidie), en quoi cette affirmation est-elle contraire à l'existence de liens de parenté non immédiats entre le caméléon et les mammifères''? « En quoi consiste, dit Oscar Sclnnidt, l'identité des fonctions à rem- plir par la chorde chez les vertébrés et les ascicliens? Nous voyons au contraire ces organes fonctionner d'une manière tout à fait différente chez les deux groupes, puisque dans l'un ils conservent une importance fon- damentale pour la vie et dans l'autre point. » Je ferai observer d'abord que mon savant critique confond ici le rôle physiologique d'un organe et la durée de son fonctionnement. Dira-t-on que la queue du têtard de grenouille ne fonctionne pas comme celle du triton, parce que la première est transitoire et l'autre permanente? Rien n'est plus simple à com- prendre que cette identité du rôle physiologique de l'appendice caudal chez les vertébrés nageurs et chez un embryon dépourvu de cils vibra- tiles externes ; il fallait évidemment un axe solide pour fournir des points d'insertion aux muscles moteurs; il fallait une rame pour diriger la natation. Bien loin des ascidies ne trouve-t-on pas une disposition ana- logue chez d'autres formes larvaires, par exemple chez les cercaires d'un grand nombre de distomes dont la natation s'accomplit par un mécanisme rappelant ce qu'on observe chez les têtards des tuniciers? Et si l'on veut remonter très-haut dans la généalogie des Chordonia vers le point où ce phylum doit rejoindre le tronc des Vernies, peut-être trouverait-on, comme cause déterminant l'apparition de la chorde dor- sale, la présence de la couche externe de cellulose si caractéristique du groupe des tuniciers. La plupart des formes embryonnaires des vermes sont ciliées : la transformation de la cuticule chitineuse ciliée en mem- brane de cellulose a dû contribuer au développement des muscles de l'axe cartilagineux et de l'appendice caudal. En résumé, je n'ai pas nié la parenté sanguine des Vertébrés et des Ascidiens, mais la parenté immédiate des ascidies et de l'ainplhoxus ; l'opinion de Ray-Lankester est sur ce point la plus conforme à la mienne. Quant à l'affirmation d'Oscar Sclnnidt, que je n'ai fait connaître aucun fait nouveau sur l'embryogénie des ascidies, je suis convaincu quel'émi- nent professeur ne l'aurait pas émise s'il s'était livré sur les Tuniciers à des études aussi longues et aussi suivies que celles qu'il nous a don- nées sur le groupe des Spongiaires. Nous combattons pour le même but et sur le même terrain, mais dans des conditions bien différentes d'ex- périence et d'habileté. Je m'estimerai heureux si j'ai pu, dans ma faible mesure, rendre quelques services à la cause transformiste. Kupller, en avançant que l'embryon anoure de certaines molgules représente la forme typique de la larve ascidienne, détruisait d'une main ce qu'il A. GIAKD. — EMBRYOGÉNIE DES ASCIDIES 455 édifiait de l'autre avec tant de succès dans ses études sur le dévelop- pement de la Ciona canina. J'ai cherché une autre interprétation des faits qu'il énonçait, mais je suis prêt à abandonner cette interprétation si de nouvelles observations venaient à s'y montrer contraires. 111. — D'UiN CRITERIUM QUI DOIT GUIDER LE ZOOLOGISTE DANS i/APPLICATION DU PRINCIPE DE FRIT/ MULLER. Pour expliquer l'anomalie que présente l'embryogénie des molgules à embryon anoure; nous avons invoqué le principe de la condensation et de l'abréviation du développement. Ce principe porte le nom de Fritz Millier, qui l'a énoncé de la façon suivante : « Die in der Entwicklungsgeschichte erhaltene geschichtlichtc Urkunde wird allmahlich verwïscht, indem die Entwicklung einem immer gera- deren Weg von Ei zum fertigen Thiere einschlâgt, und sie wird hâufig gefalscht durch den Kampf unis Dasein, den die freilebenden Larven zu bestehen haben (1). » C'est là en quelque sorte la substance de l'admirable petit livre intitulé Pour Darwin, que tout zoologiste devrait connaître par cœur. Dans la pratique, l'application du principe de Mûller n'est pas sans difficultés, et l'on en a fait parfois d'étranges abus. 11 ne suffit pas en effet d'affirmer que telle ou telle disposition est primitive et telle autre le résultat d'une abréviation ou d'une falsification de l'ontogénie : il ne suffit pas de considérer selon notre bon plaisir une forme embryonnaire comme typique et les autres comme des adaptations secondaires à des conditions de milieux ; nous devons chercher ailleurs que dans notre imagination un guide et des règles précises pour diriger notre raison- nement. Or, jusqu'à présent, on s'est peu préoccupé de trouver un critérium qui réponde à ce besoin des études embryogéniques. Ce critérium, je crois qu'on pourrait le trouver surtout dans un processus que j'appellerai dégénérescence graisseuse normale ou nécrobiose phylogénique* Quand, par suite d'une embolie |ou de toute autre cause pathologique, un tissu normal ou un néoplasme n'est plus nourri que d'une façon insuffi- sante, ce tissu ou cette tumeur subissent dans leurs éléments une mo- dification spéciale qui aboutit à la mort de ces éléments, à leur trans- formation en granulations graisseuses et à leur fonte ou leur résorption par les tissus voisins. C'est ce qui constitue la dégénérescence graisseuse ou nécrobiose pathologique. De môme, quand un organe a joué un rôle important dans la phylogénie d'un groupe zoologique, il arrive souvent (1) Voyez Fh'tz MblIër, Fur Darwin, p. 77. 456 ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE que cet organe réapparaît par hérédité dans l'ontogénie d'un animal de ce groupe, bien qu'il soit devenu complètement inutile à l'embryon, mais alors cet organe est toujours essentiellement transitoire: il présente une tendance marquée à la réduction et les cellules qui le composent entrent rapidement en régression et dégénérescence granulo-graisseuse, parce que le développement des organes directement utiles à la nou- velle forme embryonnaire détourne les principes nutritifs de leur direc- tion première : l'absence de fonction atrophie l'organe insuffisamment nourri, et souvent même cet organe n'est plus représenté dans l'évolu- tion que par un amas graisseux, comme nous l'avons vu pour l'embryon anoure de la molgule, où la chorde dorsale n'est plus indiquée que par l'amas appelé sphères de réserve. L'étude de cette nécrobiose peut jeter une grande lumière sur une foule de phénomènes importants de l'embryogénie en rendant claire et légitime l'application du principe de Millier. C'est par ce phénomène qu'on peut expliquer par exemple la période de nymphe immobile chez les insectes à métamorphoses complètes. On peut comparer dans ce cas l'évolution de l'animal à la course d'un anneau auquel on imprime à la fois un mouvement de rotation d'avant en arrière et un mouvement de translation d'arrière en avant. Quand ce dernier cesse d'agir, l'anneau s'arrête un moment, puis se dirige en sens contraire de sa direction première: le mouvement de rotation correspond à l'hérédité ; le mouve- ment de translation, c'est l'adaptation de la larve à un genre de vie spécial; souvent, comme chez les larves des papillons, à la vie de parasite. Quand les globules graisseux apparaissent dans les premiers phénomè- nes embryogéniques, ils ont la même signification : simplification et condensation de l'embryogénie. Lorsque deux processus de formation aboutissent par des modes différents au même résultat morphologique, si l'un d'eux a présenté à un moment donné le nécrobiose phylogénique, on peut affirmer qu'il est secondaire et l'autre primitif. De là une appli- cation intéressante à la théorie de la Gastrœa et à celle île la formation des divers systèmes d'organes (moelle épinière, tube digestif, etc.). On sait que dans un même groupe et chez des espèces voisines, la Gastrœa se forme tantôt par invagination d'une sphère blastodermique creuse ÇBlastosphœra) , tantôt par l'intermédiaire d'une Monda, dont les cellules centrales entrent en dégénérescence graisseuse, ou par d'autres procédés analogues présentant plus ou moins la nécrobiose. On peut affirmer dans ce casque la Gastrœa par invagination est primitive. C'est, je crois également, la manière de voir du professeur Hœckel (1) et de Ray Lan- H) Voy, Hœckel, Die Gattma Théorie, p. 23) note A. G1AUU. — EMBRYOGÉNIE DES ASCIDIES Vil Rester; mais aucun de ces deux zoologistes ne me parait avoir établi son opinion sur des bases bien solides. Ray Lankester invoque le principe d'é- conomie qui est manifestement favorable à lu thèse qu'il .soutient, Mais je crois qu'il attache trop d'importance à la présence ou l'absence d'un deutoplasme abondant, phénomène secondaire ci modifié lui-même par adaptation. De même on sait que les divers organes du corps de l'embryon se constituent tantôt par des gouttières dont les bords se rapprochent pour former des tubes creux ; tantôt au contraire par des tubes pleins qui se creusent ultérieurement, ici encore les deux processus s'observent chez des animaux très- voisins ; mais ils ne sont pas indifférents, et la solution de la question est la même que pour le cas de la Gastrœa; le mode de formation typique est la production d'une gouttière ; la formation par épaississement suivi de necrobiose interne est une falsilication de l'or- ganogénie. On peut d'ailleurs montrer facilement que le seul principe de la moindre action (lex parcimoniœ) dont l'application est si générale dans lu nature peut faire prévoir a priori les solutions que nous avons indiquées. Aucune des cellules qui constituent un embryon ne lui est inutile et si une portion de ces éléments se transforme en un simple amas nutritif, c'est que cette portion représente une partie naguère active de l'organisme embryonnaire, partie actuellement inutile dans l'on- togénie. Enfin, il est digne de remarque que les animaux à embryogénie dila- tée, c'est-à dire régulière, sont ceux qui présentent le plus souvent une Gastrœa par invagination ; or dans ce cas on a tout lieu de supposer que la régularité des processus s'étend jusqu'aux premiers phénomènes du développement. C'est ce qu'on observe par exemple chez les Nemertes, à Pilidium, chez les Échinodermes à larves pélagiques, chez les Batra- ciens, etc. J'ai cru devoir indiquer ici ces considérations parce qu'elles m'ont été suggérées d'abord par l'étude du développement des Tuniciers. Je souhaite que de nouvelles études d'embryogénie moderne viennent éclairer ces questions difficiles mais fondamentales, dont la discussion ne peut qu'être avantageuse aux progrès ultérieurs des sciences biologiques. EXPLICATION DE LA PLANCHE. Fig. 1. — Appendice caudal de l'embryon de la Polystyela Lemirri; b. filaments cornés; a. rayons. Fig. 2. — Partie de la queue de l'embryon de Polystyela qui avoisine le corps ; rayons natatoires à base cartilagineuse. 33 4o8 ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE Fig. 3. — Embryon de la Cynthia pt/rt/brmw, d'après Morse, échantillon conserve montrant les débris de l'axe et les rayons. Fig. i et 6. — Appendice caudal du même embryon (d'après Morse). Fig. o. — Deux embryons montrant de fins rayons au point de jonction de la queue avec le corps (d'après Morse). Fig. 7. — Appendice caudal d'une Gymnocystis indéterminée de Wi- mereux. Fig# 8. — Coupe idéale de la queue de l'embryon du Perophora, montrant la division en quatre antimères; o. couche de cellulose; c. chorde; m. muscles. DISCUSSION M. Vaillant demande si M. A. Giard a déterminé la forme de la coupe de la churde dorsale ascidienne ; il a observé des larves d'ascidie chez lesquelles la coupe de la chorde dorsale était polygonale au lieu d'être ronde ou ovale comme cela arrive le plus ordinairement. M. A. Giakd répond que quelques ascidies composées, notamment le Pero- phora, présentent des faits analogues à ceux observés par M. Vaillant. M. C. Yogt fait ensuite ressortir toutes les ressemblances qui existent entre l'embryon de VAmphyoxus et celui des ascidies, et conclut à l'origine asci- dienne des vertébrés. 11 cite, en terminant, un travail tout récent de M. Semper, de Wurtzbourg; d'après ce savant, les embryons des raies et des squales ont des organes segmentaires comme les annélides. C'est un trait d'union de plus entre les vertébrés et les invertébrés. M. SABATIEE Professeur agrégé et chef des travaux anatomiques à la Faculté de médecine de Montpellier. SUR LES CIRCONVOLUTIONS DE L'HIPPOCAMPE CHEZ LES MAMMIFÈRES. (EXTRAIT DTJ PRni'i >-VKBBAL'i — Séance du il août 1874. — M. Sabatier étudie l'anatomie de l'hippocampe chez l'homme et chez les autres mammifères. Il résulte de ses observations, faites avec le plus grand soin, que l'hippocampe est un ganglion nerveux, un conducteur ganglionnaire placé entre le cerveau antérieur et le cerveau intermédiaire, et dont le développe- ment est constamment proportionnel au développement des lobes olfactifs dans la série des vertèbres. C. VOGT. — OBSERVATIONS SUR LE PARASITISME ANIMAL 459 M, Cari VOGT Professeur à l'Université de (Jcnéve. QUELQUES OBSERVATIONS SUR LE PARASITISME ANIMAL — Séance du 3-1 a<>ûl 1874. — Pour comprendre le parasitisme si répandu dans le règne animal et pour pouvoir embrasser sous quelques points de vue généraux les phénomènes si complexes qu'il engendre, il faut considérer le parasite comme un adversaire, comme un ennemi, cherchant à se nourrir aux dépens d'un autre animal, mais qui, trop faible pour terras- ser sa proie de vive force, cherche à entrer dans son corps et à l'atta- quer par conséquent de manière à trouver chez lui en même temps nourriture et protection. Le parasite devient aiusi le nourrisson et le locataire de son hôte. 11 résulte de ces rapports que les deux tendances dominantes dans le combat pour la vie, l'offensive et la défensive, et qui se trouvent déve- loppées plus ou moins distinctement dans les différentes branches d'une même souche phylogénique animale, sont réunies chez les parasites, mais cependant pas d'une manière égale. Chez les uns prédomine la recherche de la protection, chez les autres le perfectionnement des armes offensives. Cette manière de considérer les parasites conduit aussi nécessairement à la conclusion, justifiée du reste par les faits de l'embryogénie, savoir que tout parasite a été primitivement un animal libre, vivant de sa propre industrie indépendante; que le parasitisme est une condition d'existence, acquise lentement et successivement pendant la durée de générations innombrables qui se sont succédé et que les classifications en ectoparasites et endoparasites, commensaux et locataires, etc.; ne mar- quent que des étapes d'une évolution progressive de la tendance para- sitique. Nous pouvons démontrer cette liberté primitive et cette acquisition successive et graduelle de la condition parasitique de deux manières : 1" par la comparaison de parasites apppartenant au même type d'or- ganisation, soit entre eux, soit avec des formes non parasites voisines; 2° par l'étude des différentes phases que parcou/ent les espèces parasites depuis l'œuf jusqu'au terme de leur développement. Aucun groupe ne se prête mieux à ce genre de recherches, dans les deux directions indiquées, que celui des crustacés parasites, dont les 400 ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE formes sont si variées et offrent tant de points de repère dans le déve- loppement et la rétrogradation des membres, des organes des sens, etc. Suivant la tendance plus prononcée, soit pour l'attaque, soit pour la défense ou protection, tel parasite développera dans sa marche progres- sive depuis son état de liberté, les armes offensives, tel autre les moyens de fixation. La première tendance portera davantage sur les organes buccaux, la seconde sur les organes locomoteurs. Les stylets, dards et perçoirs des jeunes dragonneaux , nématodes et cercaires, font évidem- ment partie de l'appareil buccal, lequel fournit plus tard les trompes, suçoirs, soies, becs, etc., dans lesquels se transforment les pièces primi- tivement masticatrices des articulés parasites. Quant à la fixation et à l'immobilité plus ou moins parfaite, nous les voyons intervenir en général dans le règne animal pour deux raisons : pour parer aux dangers ou pour faciliter, par la réduction des relations extérieures, un travail intérieur organique considérable. Les animaux non parasites fixés transforment leurs membres locomo- teurs et perdent successivement les organes des sens devenus inutiles, sauf ceux du tact, dont la fonction s'amoindrit cependant considérable- ment. Les animaux parasites offrent absolument les mêmes phénomènes. Nous pouvons donc formuler une seconde loi, tout aussi importante que celle établissant la liberté originaire des parasites, à peu près de la ma- nière suivante : les phases que parcourent pendant leur jeune âge les parasites dans leurs transformations successives sont d'abord identiques avec celles que montrent les animaux lixes non parasites, appartenant au même type d'organisation. Mais depuis ce point là les divergences deviennent manifestes. L'animal fixe non parasite doit encore se procurer son entretien par sa propre industrie, tout en se garant des dangers qui peuvent le mena- cer. Il aura par conséquent des organes pour produire des tourbillons, pour happer, enlacer, mâcher et réduire, des organes digestifs énergi- ques , des moyens de protection puissants , tels que carapaces , bou- cliers, etc. Le parasite fixé n'a plus besoin de toute cette industrie. Son hôte lui présente la nourri lure toute préparée et le protège en se protégeant lui- même. L'organisme du parasite se simplifie donc davantage à mesure qu'en entrant plus profondément dans le corps de son hôte, il se dépouille de ces fonctions nécessitant des appareils particuliers, et cela suivant la loi générale qui veut que tout organe, tombé en non-usage, dépérisse successivement et finisse par disparaître. Les organes locomoteurs se perdent donc jusqu'à des rudiments mé- connaissables ou même disparaissent complètement ; les organes des sens C. VOGT. — OBSERVATIONS SUR LE PARASITISME ANIMAL 461 suivent la môme marche rétrograde; le système nerveux central se réduit à des restes insignifiants. Le système intestinal se simplifie, se rabou- grit et finit par disparaître, la nutrition se faisant par. endosmose et à la fin il ne reste debout (pi' une seule (onction prédominante et enva- hissant tout l'organisme : la reproduction. Pour développer encore davantage cette dernière fonction, des individus produisant asexuellement sont intercalés dans le cycle de vie chez beaucoup de parasites. M. Vogt démontre à ce propos que les indivi- dus asexuels produisant par bourgeonnement interne des cercaires, et que l'on a nommés rédies et sporocystes, suivant qu'ils possèdent en- core ou non des rudiments d'intestins, ne sont que des trématodes rétro- gradés. Revenant à l'influence qu'exerce le parasitisme sur les parasites eux- mêmes, M. Vogt entre dans une comparaison assez détaillée de trois parasites, types empruntés à trois embranchements différents, YEntoconcha mirabilis, mollusque gastéropode vivant dans les synaptes, le Lemœo- discus porcellanœ, crustacé rhizocéphale étudié par Fritz Millier et une Bêche de trématode. Pour tous les trois, pour le mollusque, l'arthropode' et le ver platyelme, lorsqu'ils sont adultes, les traits fondamentaux de l'organisation sont les mêmes ; une enveloppe externe plus ou moins épaisse et contractile, un canal intestinal rabougri, terminé en cul-de- sac et dépourvu d'organes auxiliaires ; des organes de reproduction énormes , remplissant presque tout le corps, hermaphrodites chez le mollusque et l'arthropode, asexuels chez le ver — voilà tout; aucun autre organe, ni de locomotion, ni de sensation, de respiration, de cir- culation ou de sécrétion, aucun trait distinctif du type , de l'embran- chement, auquel appartiennent les animaux, n'est resté; l'articulé, le mollusque, le ver sont réduits chacun de la même manière à un boyau contractile reproducteur sans segmentation ni articulation, conte- nant seulement un intestin rabougri. Aussi longtemps qu'on ne connais- sait pas les formes de leurs larves, on a pris ces êtres et on devait les prendre pour des animaux du même groupe, pour des vers à parenté très-rapprochée — et cependant ils partent d'origines entièrement diffé- rentes et sont primitivement éloignés les uns les autres plus que l'homme n'est éloigné du poisson ! M. Vogt tire de ces faits, qu'il pourrait multiplier beaucoup, quel- ques conclusions qui lui semblent importantes au point de vue du transformisme. 1° L'adaptation sans réserve à des conditions d'existence peu variées, telles que les pose le parasitisme, conduit à une simplification étonnante de l'organisation elle-même, en sacrifiant successivement tous les appa- reils et toutes les fonctions à une seule, la reproduction. 462 ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE 2° Ladivision du travail étant la mesure duprogrès organique accompli, il s'ensuit que la lutte pour la vie, ainsi que l'acquisition et la transmis- sion héréditaires des avantages acquis dans cette lutte ne conduisent à un perfectionnement de l'organisation que lorsqu'il s'agit d'animaux vivant en liberté et ayant besoin, par conséquent, d'un développement harmo- nique et coordonné de toutes leurs facultés. Au contraire, lorsqu'il s'agit d'animaux privés de leur libre locomotion pour une raison quelconque (iixation, parasitisme), ces mêmes causes, perfectionnant l'organisme li- bre, ne produisent que l'abaissement général et la dégradation de l'or- ganisme privé de liberté. 3° L'adaptation prolongée à une cause restreinte, mais prédominante, efface graduellement les caractères divergents des types et opère fina- lement, sinon leur union, du moins leur rapprochement à un tel poin!, que les caractères distincts, même des grandes divisions du règno ani- mal, deviennent entièrement méconnaissables. M. Vogt insiste particulièrement sur la troisième proposition. Jusqu'ici, les théories transformiste et darwiniste ont de préférence cherché à expli- quer les divergences que présentent les différents types; on s'est donné surtout pour tâche de suivre et d'étudier ces divergences depuis une souche commune, supposée ou démontrée, en suivant autant que possible les différentes phases parcourues, soit en embryogénie, soit en phylogé- nie. On a eu raison d'agir ainsi, car on devait aller au plus pressé et d'ailleurs, en s'adressant surtout aux animaux libres, on n'avait devant les yeux que des divergences. Chez eux, en effet, l'adaptation aux con- ditions extérieures de la vie, ainsi que la transmission héréditaire des caractères gagnés par cette adaptation, ont eu pour résultats ces accumu- lations de divergences, qu'à la fin nous reconnaissons même comme caractères fondamentaux des grandes divisions du règne animal. Or, il est temps de reconnaître que les mêmes causes peuvent con- duire finalement au rapprochement des types jusqu'au point d'effacer complètement, comme nous l'avons vu, les caractères fondamentaux des grandes divisions du règne animal. La même cause prédominante et déterminée agissant sans cesse sur les matériaux plastiques, que nous appelons organismes, doit avoir les mêmes effets. Plus cette action est puissante et concentrée, moins aussi les effets engendrés seront variés. Il y aura cependant toujours certai- nes différences dépendantes de la nature originaire du matériel soumis à l'action. L'adaptation au parasitisme agira d'une autre manière sur un mollusque que sur un arthropode; mais finalement les différences s'a- planiront de plus en plus et disparaîtront complètement. Cette connivence de types originairement très-différents, mais soumis aux mêmes adaptations, ne se borne pas au parasitisme ; — elle se voit Dr J. CHATIN. — ÉTUDES HELMINTHOLOGIQUES i(i-'! dans une foule de cas. Le, parasitisme en fournit seulement les exem- ples les plus saisissants. M. Vogt ;i démontré, il y a déjà longtemps, la même connivence dans les singes anthropomorphes qui, partant dr souches différentes, se rapprochentde l'homme par des voies différentes. L'étude de ces connivences fournira une quantité de laits curieux et for- mera, de l'avis de M. Vogt, un côté nouveau et fécond de la doctrine darwinienne. M. A. Giard l'ait observer, à la suite de cette communication, qu'il est déjà arrivé à des idées entièrement analogues en étudiant les ascidies. Les exem- ples qu'il a cités à l'appui de cette thèse, dans son article intitulé les Contro- verses transformistes, sont : YEnloconcha, la Sacculina, le Liriope, VOphioseides. M. le D1 Joannes CHATII Professeur ;igrégé à l'École supérieure de pharmacie de Paris. ÉTUDES HELMINTHOLOGIQUES — Séance du 22 août 1874. — I. — CYATHOSTOMA TADORNE. Le nématoïde décrit ici a été trouvé dans la trachée d'un tadorne (Anas Tadorna L). Les individus mâles et femelles se trouvaient fort éloi- gnés les uns des autres; il diffère d'ailleurs totalement du syngame et doit prendre place dans le genre Cyathostoma créé par M. Blanchard, et caractérisé surtout par ses sexes séparés, sa tête arrondie en avant, son œsophage rétortiforme, son pénis double et présentant deux spicules égaux, l'absence de tout étranglement à la surface du corps et la très- faible épaisseur des téguments (1). Le cyathostome du tadorne diffère de celui de la Mouette, seule espèce décrite jusqu'à ce jour, par plusieurs caractères parmi lesquels il con- vient d'indiquer la présence de dents pharyngiennes manquant chez le C. Lari, la situation de la vulve s'ouvrant plus antérieurement, les dimensions générales bien plus considérables, etc. Cyathostoma Tadornœ Nob. Corpus cylindricum, rectum, purpureum. Caput subglobosum. Il) E. Blanchard, Recherches su,r l'organisation des Vers {Annales des sciences naturelle* Zoologie, 3« série. 1849. t. XI. p. 102.) 464 ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE Os cupuliformè corneum, duabus dentibus pharyngiis. Bursa maris intégra, decemradiata. Extremitas caudalis feminse acute coniea aiigulataque. Long. mar. 9mm. Long. fem. 23mm. Habitat : in trachea Tadornas. II. — SCLEROSTOMA PELECAXI. En faisant l'autopsie d'un pélican mort au Muséum le jour de son ar- rivée, je trouvai, dans le tissu cellulaire sous-cutané, quelques kystes de couleur brunâtre, mesurant environ lmm de diamètre. Chacun d'eux ren- fermait un petit nématoïde enroulé sur lui-même, long de 3mm, présentant des stries écartées de 0mm,009 et denticulées; l'extrémité postérieure se ter- mine par une pointe mucronée longue de 0mm,07. La tête est arrondie el armée de quatre séries de dents superposées. L'animal, examiné par transparence, montre un tube digestif, composé d'un œsophage clavi- forme et d'un intestin brunâtre; à la bouche se trouvent annexées trois paires de tubes salivaires. Dans le sac respiratoire sous-scapu faire du même pélican se trouvaient deux kystes analogues aux précédents, mais dans lesquels le parasite of- frait déjà les rudiments d'un appareil génital, la vulve s'ouvrant vers la région moyenne du corps. La forme de la tête, les dimensions relatives de l'œsophage et de l'in- testin, la constitution de l'appareil salivaire, en un mot, tous les carac- tères tirés de l'anatomie et de l'embryologie obligent à ranger ce type dans le genre Sclérostome. Sclerostoma Pelecanr Nob. Corpus postice mucronatum. Capvt multis dentibus. Tractus intestinalis pauce flexuosus. Vulva lateralis. Long. 3mm. Hab. Pelecanus onocrotalus. III. — AMPIUBDELLA TORPEMNIS. Ce parasite, trouvé sur les branchies d'une Torpille (Torpédo marmorata , est long de 4mm.o, large de 0mm,o. aplati el atténué en avant, tandis qu'il se termine en arrière par une sorte de bourse ou d'expansion campanu- iforme, portant quatre crochets recourbés. Le tube digestif, très-réduit, est formé d'un œsophage, «l'un pharynx et de deux cœcums. Dans le voisi- nage de la bouche se trouvent deux glandes antérieures analogues à celles P. HALLE/.— ORGANISATION DES TURBELLAR1ÉES RHABDOCOELES 465 qui ont été décrites chez certains trématodes. L'appareil femelle com- prend deux longs vitellogènes débouchant flans un ootype qui reçoit également les conduits du germigène et s'ouvre dans le vagin. Les testicules s'étendent sur les côtés du corps, reliés par des conduits séminaux qui s'ouvrent dans une vésicule séminale ; le pénis est cordiforme. Ce type doit évidemment prendre place auprès de ces curieux tré- matodes (Epidelles, Nitzchies, Capsales) si minutieusement étudiés par M. Van Beneden, et qui semblent établir le passage entre les hirudinées avec les trématodes. Amphibdella Torpedinis Nob. Corpus elongatum, depressum, antice attenuatum. Captif corpori continuum. Aperturae genitalium. antrorsum sitye, ap- proximatae. Pénis cordiformis. Testes multi, latérales. Ovaria ramosa. Bursa terminalis, quatuor uncis. Hab.: Torpédo marmorata, ad branchia. M. C. Vogt fait remarquer l'importante réduction que subit l'intestin de Y Amphibdella, réduction qui est presque comparable à celle que présentent les rédies; ce fait est d'autant plus remarquable que cet animal vit sur les bran- chies des poissons, dont il suce le sang, et qu'il se nourit par conséquent par intussusception et non par une simple imbibition des liquides. M. P. ÏÏALLEZ Préparateur à la Faculté des sciences de Lille. SUR L'ORGANISATION DES TURBELLARIÉES RHABDOCŒLES (extrait) — Séance du 22 août 1874. L'auteur fait connaître quelques-uns des résultats nouveaux auxquels l'ont conduit ses études sur ce groupe. 11 insiste particulièrement sur la formation du pigment et des points oculi- formes, sur l'organe pulsatile des Prostomun, sur les organes de la reproduc- tion, sur le rôle des glandes accessoires mâles que, pbysiologiquenient, on peut considérer comme des vitellogènes mâles, et enfin sur quelques faits d'embryogénie. 46() ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE DISCUSSION. L'auteur ayant dit, dans le courant de sa communication, que l'ovaire et le testicule ne pouvaient pas être considérés comme des organes homologues , sans rendre très-difficile, sinon impossible, l'explication de l'hermaphrodisme, M. le professeur Sabatier relève cette assertion. M. Sabatier considère l'ovaire et le testicule comme homologues et, comme étant le résultat d'une différen- ciation particulière; il explique l'hermaphrodisme en admettant que d'organe génital primitif s'est divisé en deux, et que chacune de ces parties a subi une adaptation particulière. M . P. Hallez trouve qu'il est plus simple de considérer l'hermaphrodisme comme étant l'état complet et la séparation des sexes, la dioïcité, comme un état incomplet, résultant de l'avortement de l'un des deux sexes. M. Giard rappelle un travail récent de M. Van Beneden qui semble venir à l'appui de cette dernière opinion : en effet, le savant belge admet pour les organes mâles et femelles des origines différentes, les organes mâles naissant aux dépens de l'exoderme, et les organes femelles aux dépens de l'entoderme. M. A. Giard réserve d'ailleurs complètement son opinion à cet égard, les idées de Van Beneden n'étant pas encore suffisamment démontrées en dehors des polypes hydraires; toutefois, il a observé dans l'embryon de la sacculine la formation de l'organe mâle naissant aux dépens des glandes frontales, les- quelles proviennent de l'exoderme. M. le professeur C. Vogt, réservant la question pour les invertébrés, ne peut s'empêcher de regarder l'ovaire et le testicule des vertébrés comme organes homologues. MM. Vaillant et Sabatier font ensuite une observation relativement au cœur du Prostomum lineare ; la position transversale de ce tube pulsatile les porte à croire qu'il est l'homologue de l'anastomose des canaux longitudinaux de némertiens, et qu'il doit communiquera chacune de ses extrémités avec un canal longitudinal. M. P. Hallez n'a jamais observé ces canaux longitudinaux chez le Prosto- mum lineare, mais il se rallie d'autant plus volontiers à l'opinion de MM. Vail- lant et Sabatier, qu'il a été le premier à ranger les Prostomum dans la branche des rhabdocœles qui conduit aux némertiens. M. A. GIARD Professeur suppléant a la Faculté des sciences de Lille SUR lenkystement du bucephalus haimeanus (rxtrait du procks-vbrbal) Séance du 22 août 1874. — Le Bucephalus Haimeanus est un trématode qui vit en parasite dans les glandes génitales de l'huître (Ostrea edulis) et de la bu carde (Cardium rusti- cum). Les sporocystes et la forme cereaire de cet animal onl été figurés avec soin en 1854, par M. de Lacaze-Duthiers, mais, malgré d'activés recherches, TOUSSAINT. — LA RÉJECTION DANS LA RUMINATION 467 on n'avait pu réussir à connaître la destinée ultérieure du Cercaria Haimeana. Plus heureux que ses devanciers, M. A. Giard a pu constater l'enkystement du bucéphale, et il s'est assuré que c'est sur l'orphie (Belone vulgaris), si commune à Boulogne pendant les mois de mai, juin et le commencement de juillet, que se fait cet enkystement. L'auteur, d'accord avec Claparède, ne peut se ranger à l'opinion de M. Lacaze-Duthiers, qui considère la cavité géné- rale comme une cavité digestive. Que devient le bucéphale enkysté'? M. A. Giard n'a pu encore répondre à cette question, niais il lui paraît vraisembable, d'après les observations de Siebold, de supposer que le Buoephalus Haimeamis, enkysté dans le Belone vulgaris, se métamorphose en une espèce du genre Gasterosfomum, dans l'in- testin de quelque grand poisson auquel l'orphie sert de nourriture. M. SABATIER Professeur agrégé et chef îles ira aux RijatomiqTies ;'i la Faculté rie médecine île Montpellier. ÉTUDES ANATOMIQUES ET PHYSIOLOGIQUES SUR LA MOULE (EXTRAIT nu PROCÈS-VERBAL.) — Séance il ir 22 août 1874. — M. Sabatieh t'ait l'étude anatomique d'un organe très-intéressant, l'organe godronné, qu'il considère comme un organe supplémentaire de la respiration. En effet, le manteau, au moment de la reproduction, cesse d'être un organe de respiration, et quant aux branchies, l'auteur, qui est très-habile à faire les injections les plus délicates, n'est jamais parvenu qu'à en injecter une très-faible portion, encore le réseau obtenu était-il fort peu riche : M. Saba- tier en conclut que les branchies de la moule ne doivent jouer qu'un rôle insignifiant dans la respiration, il les considère plutôt comme des organes de préhension. L'organe godronné, au contraire, est très-riche en vaisseaux sanguins . M. TOUSSAINT Chef de service à l'École vétérinaire de Lyon. DÉTERMINATION DU MÉCANISME DE LA RÉJECTION DANS LA RUMINATION (EXTRAIT DU PROCÈS-VERBAL) — Séance du 24 août 1874. — M. Toussaint a appliqué avec beaucoup de bonheur la méthode des tracés graphiques à l'étude si complexe du phénomène de la rumination, et il a fait 468 ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE usage d'appareils fort ingénieux (1). Le résultat principal de ses recherches est d'avoir démontré que les aliments, associés à une grande quantité de liquide, remontent dans la bouche pendant la rumination, par l'effet de la pression atmosphérique. M. H.-E. SAUVAGE Aide-Naturalisle au Muséum d'histoire naturelle do Pans. DE LA CLASSIFICATION ET DE LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DES POISSONS DU GROUPE DES SEBASTES — Séance du 24 août 1 8 7 4 . — L'auteur rappelle d'abord que beaucoup des espèces de la nomen- clature ne doivent être considérées que comme des espèces dérivées grou- pées en plus ou moins grand nombre autour des espèces principales, dont elles descendent, et auxquelles elles se rattachent, de telle sorte que la plupart des sous-genres de la taxonomie semblent correspondre à l'espèce réelle, à ce que l'on pourrait nommer l'espèce anatomique, les espèces de ces sous-genres représentant les espèces secondaires; l'étude de ces dernières espèces dans leur distribution géographique à la surface du globe semble confirmer dans beaucoup de cas cette manière de voir; comme exemple,, l'auteur s'est proposé d'appeler l'attention sur le mode de répartition et sur la classification des espèces que l'on peut grouper autour de la Perça marina de Linné. Cette espèce est devenue pour Cuvier le type du genre Sebastes; comme chez les perches, toute la tête, aussi bien le museau et le maxillaire (pie la joue et les pièces operculaires, est garnie d'écaillés; les rayons simples de la partie inférieure de la pectorale, l'extension du sous-orbitaire re- couvrant la joue, fixent toutefois la place du genre dans le groupe des Joves cuirassées. Plus tard, Valenciennes (2) sépara les Sebastes des Scorpènes. Les Sebastes n'ont pas de lambeaux charnus au vertex, et les rayons inférieurs des pectorales sont plus longs que les autres. M. A. Gunther catalogue sous le nom de Sebastes toutes les espèces chez lesquelles le vertex est dépourvu de cavité, réservant le nom de Scor- pènes à celles qui ont une dépression au vertex; de plus, les Sebastes (I) Comptes rendus de l'Académie des Sciences, tome LW'IX. ût 1874 . — M. Sabatiek a fait des expériences sur l'inoculation du venin du Scorpio occitanus, et n'est jamais arrivé qu'à des résultats négatifs. 11 a fait piquer, au mois de juillet, des pigeons, des chats, des souris, des lapins par des scorpions bien vigoureux et n'a obtenu aucun résultat. M. Sabatier ne sait à quoi attri- 472 ZOOLOGIE ET ZOOTECHNIE buer cet insuccès constant; il se propose de répéter ses expériences aux diverses époques de l'année. M. A. Giard a remarqué que le liquide acre des carabes est surtout actif au printemps et à l'automne ; il engage donc M. Sabatier à répéter ses expé- riences aux différentes saisons. M. À. &IAO Professeur suppléant à la Faculté des sciences de Lille SUR LES RIZOCEFHALES. 1MRAIT Ht: PROCÈS-VERBAL.] — Séance Un 26 août 1874. — M. A. Giaud insiste principalement sur deux points très-importants. Le pre- mier a rapport à la fixation de l'embryon de la sacculine : la fixation du jeune parasite sous la queue des crabes se fait pendant que ceux-ci sont en accou- plement; car, d'une part, les jeunes crabes dont les organes génitaux ne sont pas encore arrivés à maturité ne présentent jamais de sacculine sous leur abdomen, et d'autre part, les jeunes sacculines ne se rencontrent jamais avant l'époque de l'accouplement des crabes. Le second point sur lequel M. A. Giard insiste ensuite se rapporte à un fait d'atavisme des plus intéressants. L'auteur a reconnu que la position du Saccu- lina, par rapport au crabe qui la porte, est constante et qu'elle est semblable à celle qu'occupe le Peltogaster par rapport au Bernard-l'Ermite, sur lequel il vit. Rien cependant, ni dans les conditions extérieures, ni dans l'embroygé- nie, ne peut déterminer cette position constante de la sacculine, qui n'a aucun intérêt, aucun besoin de se fixer plutôt d'une façon que d'une autre sous la queue du C. mœnas. 11 en est tout autrement pour le Peltogaster; celui-ci devant se fixer sur un animal, le Pagwrus Bcrnhardus, retiré dans une coquille, ne peut vivre qu'à la condition de diriger son ouverture vers l'ouver- ture de la coquille; de là résulte nécessairement une position constante, déter- minée, du Peltogaster par rapport à son hôte. Cette position par rapport au Pagurus Bernhardus ('tant identique avec celle du. .Saeculina par rapport au C. mœnas, l'auteur considère le brachyure et son Saeculina comme dérivés graduellement d'un anomoure porteur d'un Peltogaster. Si la sacculine con- tinue à se fixer, sans raison apparente, d'une manière déterminée et constante, sous l'abdomen du crabe, c'est uniquement par atavisme. G. LAGNEAU. — ETIINOGÉNIE DU NORD DE LA FRANCE 473 11° Section ANTHROPOLOGIE Président M. le l)r BROCA, Professeur à la Faculté de médecine de Paris. Vice-Présidents M. le Dr PRUNEÈRES, de Marvejbls, membre de la Société d'anthropologie de Paris. M. le Dr LAGNEAU, ancien Président de la Société d'anthropologie de Paris. Secrétaires M. le Dr POZZl (S.), aide d'anatomie à la Faculté de médecine de Paris. M. HOVELACQUE (Abcl). M. austave LAGNEAU ETHNOGÉNIE DES POPULATIONS DU NORD DE LA FRANCE — Séance du 21 août 1874. -~ Dans la région septentrionale de la France, non-seulement l'archéologie préhistorique, mais aussi la paléontologie humaine, ont fourni de nom- breuses preuves de l'existence de l'homme lors de la formation des strates des terrains quaternaires, lors de la présence en cette contrée des grands mammifères fossiles éteints ou émigrés. Depuis 1838, époque à laquelle Boucher de Crevecœur de Perthes reconnut que des silex recueillis dans des gravières des environs d'Ab- beville avaient été taillés par la main de l'homme (1), de nombreux observateurs ont trouvé des instruments de pierre dans maintes localités de nos départements du Nord. Sans prétendre déterminer l'aire géographique des peuplades s'étant servies de ces armes primitives, M. Hamy a cru pouvoir indiquer Comme limite septentrionale des haches amygdaloïdes en silex éclatés, dites haches de Saint-Acheul, trouvées dans le diluvium gris, une ligne qui, partant de Sangatte à l'ouest de Calais, passerait par Balinghen Arques, Blandecque près de Saint-Omer, par Béthune, Vaudricourt, pour * Ce Mémoire a été public in extenso dans la Revue d'anthropologie, t. III, p. 577-612, 1874 . (I) Boucher de Perthes : de l'Homme antédiluvien et de ses œuvres, p. 9, 1860- 34 474 ANTHROPOLOGIE gagner Viry-Noureuil et Gœuvres près de Soissons (1). Quoique au delà de cette limite, en Belgique, dans le Hainaut, aux environs de Mons, en particulier à Mesvins et à Spiennes, MM. Briart, Cornet (2), Houzeau de Lehaye et Neyrinck aient recueilli de très-nombreux silex taillés, assez comparables, suivant M. Dupont (3), à ceux des bassins de la Somme, de la Seine, voire même de la Tamise, ces instruments primitifs seraient plus grossiers encore, comme s'ils étaient l'œuvre d'une peuplade habi- tant isolément des autres peuplades moins avancées vers le nord. Des populations de ces temps reculés, il ne reste que quelques osse- ments très-fragmentés. Quoique, par voie de comparaison avec des têtes osseuses complètes de différentes races, M. Pruner-Bey, parmi les quelques os retirés par Boucher de Perthes du banc diluvien de Moulin- Quignon et de Menchecourt, ait été amené à penser que la demi-mâchoire soumise à l'examen de la commission d'enquête franco-anglaise avait appartenu à un individu de race petite et brachycéphale (4) ; quoique MM. de Quatrel'ages et Hamy aient cru devoir rapporter à la plus ancienne race de notre Europe occidentale; à la race dolicho-platycéphale, dite de Canstadt ou de Néanderthal, les fragments de mâchoires recueillis par M. Dupont, avec des ossements d'elephas primigenius, de rhinocéros tichorhinus et de Renne dans les cavernes de la Naulette et de Goyet, des vallées de la Lesse et du Samson près de Dinant, en Belgique; fragments dont l'un surtout, celui de la Naulette, se fait remarquer par l'absence de saillie mentonnière, par la dépression tenant lieu des apo- physes géni et par quelques autres caractères (5) ; quoique parmi les débris humains trouvés par M. Malaise au milieu d'ossements de rhinocé- ros, d'hvènes, d'ours des cavernes dans la seconde excavation d'Engihoul près de Liège, M. Hamy ait montré la ressemblance remarquable de certain maxillaire inférieur volumineux avec celui de la tête de vieillard extraite de la grotte de Cro-Magnon en Périgord (6) , ces fragments osseux sont insuffisants pour permettre de déterminer les caractères anthropolo- giques de ces anciennes races humaines. Mais outre ces nombreux débris (1) Hamy : de l'Ë&têASion géographique des population* primitives en Belgique et dans le Nord de la France : Congrès international d'anthropologie et d'archéologie de Bruxelles, 1872, p. 269. 278. Bruxelles, 1873. (2) Cornet et Briart : l'Homme de l'âge du mammouth dans la province du Hainaut : Cong . hist. d'anthrop. et d'archéol. de Bruxelles, p. 250.. (3) Dupont : Cong. int. d'anthrop. et d'archéol. de Bruxelles, p. 63 et Mï. (4) Sur la mâchoire et autres ossements humains découverts par Boucher de Perthés dans le diluviwn d'Abbeville .- Voir rapports et notes de de Quatrefages, Pruner-Bey, Milne-Edwards, dans Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. LVI du 20 avril au 23 mai 1863. — Bulletins de la Soc. d'anthrop. : do Quatrefages, Broca, Gosse, Pruner-Bey, Boucher de Perthes, etc., t. IV; p. 207, 248, 298, 311, 323 etc., 1863; t. V, p. 63'i, 730-760. 1861. — Mém. de la Soc. d'anthrop. t. 11, p. 37-68. Procès-verbaux des séances du Congrès réuni à Paris et Abbeville, Delesse. (5) Hamy : Sur quelques ossements découverts dam la troisième caverne de Goyet jtrrs de Nameche: Bull, de la Soc. d'anthrop., 2«sér., t. Mil, p. 423-'.3o, 1S73. — De Quatrefages et Hamy : Crania ethnica, p. 25, 26, etc., 1X73. (6j Hamy : Sur quelques ossem tnts fossiles de la seconde caverne d'Engihoul près Liège .■ Bull, dz la Soc. d'anthrop., 2« sér., t. VI, p. 370-386; 187t. G. LAGNEAU. — ETHNOGÉME DU INOItD DE LA FRANCE 475 humains, intéressants quoique trop incomplets, des ossements, entre autres un crâne sans fortes saillies sourcilières, de forme allongée ou dolichocé- phale, ont été recueillis en 1833 par le professeur Schmcrling eu Belgique près de Liège, à un mètre et demi de profondeur, dans la caverne d'Engis avec des ossements d'hyène, de rhinocéros et d'éléphant (1). On peut donc reconnaître que dans cette région une race dolichocéphale existait dès l'âge paléontologique des grands mammifères éteints ; simple consta- tation qui ne préjuge nullement de la non-existence d'autres races bra- chycéphales ou dolichocéphales dans les régions qui correspondent au IJainaut et à nos départements du Nord. Continuant à emprunter à la Belgique les données d'archéologie pré- historique et de paléontologie humaine pouvant jeter quelque lumière sur l'ethnogénie de la région voisine de notre pays , on peut remarquer que, suivant MM. Neyrinck et Dupont (2), il aurait existé dans la contrée qui répond actuellement à la province de Namur, une population qui n'aurait eu aucune relation avec les habitants des vallées s'étendant de la Haine à la Somme; tandis que ces derniers taillaient en haches plus ou moins grossières les silex de leurs vallées, les anciens habitants de la province de Namur, demeurant dans des grottes, chassant le renne, faisaient leurs instruments clans la forme triangulaire, à bords courbes, dite du Moustier et aussi dans la forme allongée dite de la Madeleine, avec des silex provenant des terrains crétacés situés au sud-ouest de la Belgique, principalement de la Champagne. La présence de ces nom- breux silex champenois dans ces grottes de la province de Namur semble incliquer, sinon la voie suivie par les migrations de ces peuplades troglo- dytiques, au moins leurs relations avec d'autres peuplades s'étendant vers le centre de notre pays. Parmi les ossements humains recueillis par M. Dupont avec des osse- ments de Renne, de Hamster clans le trou du Frontal, à Furfooz sur les bords de la Lesse, près de Dinant, dans cette province de Namur, les deux crânes les mieux conservés sont globuleux, mésaticéphales ou 81 sous-brachycéphaies; leur indice céphalique étant de — - selon M. Vir- chow (3). Ainsi que je l'ai fait remarquer au Congrès d'anthropologie et d'archéologie de Bruxelles, ainsi que MM. Hamy, Virchow et de Quatrefages (4) ont paru le confirmer, cette race de Furfooz a encore de nombreux représentants de nos jours. En outre de ces sous-brachy- (1) Schmerling : Recherches sur les ossements fossiles découverts dans la province de Liège, t. I, ch. m. p. 60, Ole. Liège, 2 vol. 1S33. (2) Dupont :Cong.. int. d'anthrop. et d'archëol. de Bruxelles en 1872, p. 62 et 46U-470, -'.76. (3) Sur les crânes de Furfooz : Dupont, Virchow, Hamy, Lagneau, etc. :Cong. inter. d'anthrop. et d'archëol. de Bruxelles de 1872, p. 349-566. — Pruner-Bey, Coiuj. int. d'anth. et d'arch. de Paris en 1867, p. 347, etc. — De Quatrefages et Hamy : Crania ethnica. (4) De Quatrefages : Cong. int. d'anthrop. et d'arch. de Bruxelles, p. ii83. 476 ANTHROPOLOGIE céphales, parmi les ossements du trou du frontal, une voûte crânienne paraissant se rapporter à une race éminemment dolichocéphale semble témoigner de la présence dans cette région d'un élément ethnique dis- tinct, peut-être celui d'Engis déjà mentionné. D'ailleurs, ces dolicho- céphales n'auraient nullement détruit la race des premiers occupants. Car à l'époque néolithique ou de la pierre polie, M. Virchow constate, d'une part, que les crânes retirés par M. Arnould de la grotte de Selai- gneaux près de Vezin, non loin de Namur, sont brachycéphales, avec un indice céphalique variable de — — ^— — , tandis que, d'autre part, le crâne extrait par M. Soreil de la caverne de Chauvaux explorée près de Rivière, entre Namur et Dinant, anciennement explorée par Spring, esttrôs- 71 dolichocéphale et présente un indice de -r-~- (Ij. Dans le nord de notre pays, à l'époque de la pierre polie, il paraît en avoir été de même au point de vue ethnologique; brachycéphales et dolichocéphales y existaient simultanément. Toutefois, il faut reconnaître que les fouilles pratiquées par M. Lejeune dans les tumuli du cap Blanc- Nez, à Escalles(2), par MM. Sauvages et Haignéré, à Equihen près de Bou- logne, par M. le comte de Lavaulx, dans l'allée couverte de diamant près de Senlis (3), par Serres dans celle de l'Isle-Adam (4), et par maints autres observateurs paraissent avoir fourni un nombre notable- ment plus considérable de crânes dolichocéphales. Aussi M. Broca en mesurant cinquante-quatre crânes de l'époque de la pierre polie, recueillis dans la France septentrionale, a-t-il reconnu que leur indice céphalique moyen était de — — , sur la limite de la dolichocéphalie et de la sous- dolichocéphalie (£>). De l'époque de la pierre polie aux premiers temps historiques, l'élé- ment ethnique dolichocéphale, loin de décroître, semble plutôt témoigner d'immigrations successives de peuplades de même race, mais dans la région septentrionale de notre pays, aucun lait anthropologique ne paraît permettre, jusqu'à ce jour, d'attribuer à l'immigration d'une race nou- velle et distincte l'importation du bronze et du fer, métaux travaillés (•i) Arnould : sur la Grotte de Sclaigneaux ; Soreil : sur une Nouvelle exploration de la caverne (U: Chaut aux .- Virchow : sur les Crânes - sér., I. 1. p. 633, ''le, 186G. (:;) Broca : la Rare celtique, ancienne et moderne, Arvernet et Armoricains .• Revue d'omthrop., t u. p. :;77-G28- (ci Susse : Revue d'anthrop. (1873), t. III, p. 157, 341, etc, 1874. G. LAGNEAU, — ETHNOGÉNIE DU NORD DE LA FRANCE 479 Ce poëte nous montre les Celtes repoussant les Ligures du voisinage dos îles OEstrymniques (1), et Plutarque parle de la Celtique comme d'une contrée vaste et profonde s'étendant le long de la mer extérieure sous des climats septentrionaux (2). Enfin, l'origine vraisemblablement celtique des noms de Morimarusa et de Cronium, KpovÎYj, Mor-Marwsis et Cronn, mer morte, mer gelée, indiqués par Philémon, Pline (3) et Denys le Périégète (4) comme étant portés par les mers du Nord; et ainsi que l'ont fait remarquer plusieurs observateurs, entre autres M, Vanderkindere (5), celle de divers autres noms latinisés comme Noviomagus , Nimègue (de magh plaine) Lugdunum, Leyde (de Dun et Luc'k, colline des marais), etc., etc., montrent aussi combien s'avançait vers le Nord l'aire géographique des langues celtiques. Mais ces Celtes, que les recherches statistiques de divers observateurs, entre autres de MM. Broca (6) et Guibert, de Saint-Brieuc (7) sur les habitants actuels de l'ancienne Celtique et en particulier de notre Bretagne où se parlent encore certains dialectes celtiques, tendent à nous montrer comme ayant eu une taille petite ou moyenne, des cheveux de couleur foncée, bruns ou châtains, d'après certains passages de Dion Cassius (8), de Pausanias (9) et d'Appien (10) paraîtraient avoir perdu leur nom ethnique de Celtes, KçXtoi, pour prendre celui des Gaëls ou Galates, Tctk&xctt, vrai- semblablement leurs vainqueurs. Ces Gaëls, qui imposèrent leur nom atout notre pays Gallia, la Gaule, comme à bien d'autres contrées, mais paraissent avoir surtout occupé nos provinces maritimes du Nord et de l'Ouest, nous sont montrés par Diodore de Sicile comme ayant été d'abord entièrement distincts des Celtes. Le nom de Galates, selon cet historien, appartient aux peuples qui sont établis au delà de la Celtique, soit clans les contrées voisines de l'Océan, soit vers les monts Hercyniens (actuellement les montagnes du Hartz) (11). Ces Galates, que ce même auteur dit avoir été regardés comme des Kimmériens, plus tard appelés Cimbres, se seraient faits remarquer par leurs cheveux blancs dans l'enfance, blonds à l'âge adulte, par leur taille élevée dans les deux sexes, par leur peau blanche (1) Festus Avionus : Orœ.mwr., vers 139 à 136. (2) Pktarque : Vie de Marius, XI, texte et trad. iat. de Deehner; coll. Didot. (3) Pline : Hist. nat., 1. IV, cap. xxvn, p. 201. (4) Denys le Périégète, vers 48, in-12, 1620, Mussipanti. (5) Vanderkindere : loc. cit., p. 13, etc. (6) Broca : Recli. sur l'Ethnologie de la France, et nouvelles Rech. sur lanthr. de la France en général et de la Basse- Bretagne en particulier [Mém. de la Soc. d'anthrop., t. I, p. 1-56, et t. III, p. 147-209, etc). (7) Guibert : Lecture sur l'anthr. des Côles-du-Nord, Saint-Brieuc, 1864. — Ethnologie armori- caine {Mém. du Congres celtique international de 1867). Saint-Brieuc. — Bulletin de la Soc. danthr., 2e sér., t. II, p. 619-621. (8) Dion Cassius : Hist. romaine, 1. XXXIX, cap. xlix, texte et trad. de Gros, t. III, 1851. (9) Pausanias : Atlique, ch. m, trad. de Clavier, p. 22, 1814. (10) Appien : de Rébus Hispaniensibus, § 1, p. 34, éd. Didut (11) Diodore de Sicile: l. V, cap. xxxn, p. 273, texte et trad. Iat. de Dindorf et Millier, coll. Didot. 480 ANTHROPOLOGIE et leur carnation molle. Ces caractères anthropologiques des Galates, signalés aussi par divers autres auteurs anciens, par Tite Live(l), Ammien Marcellin (2), etc., sont identiques à ceux assignés par Tacite aux habi- tants de la Germanie (3), qui d'ailleurs, selon Diodore, seraient eux- mêmes des Galates (4), et, suivant Strabon (5), ne différeraient de la nation gallique, ç6Xou valXr/.cj, ni sous le rapport physique, ni sous le rapport des institutions, les deux peuples reconnaissant une même origine. Ces Gaëls, Galates, sembleraient donc avoir constitué une des plus anciennes, des plus occidentales immigrations des peuples cinabres de race germanique, dans notre pays ; immigrations cimbriques dont, sui- vant Jac. Meyer, les anciens auteurs flamands paraîtraient avoir encore conservé le souvenir (0). Cependant, malgré quelques inductions chro- nologiques exposées par plusieurs historiens et ethnologistes, par Amédée Thierry (7), par M. Henry Martin (8), il semble fort difficile d'indiquer l'époqUe approximative de cette première immigration kymrique, comme aussi de celle des Belges. Toutefois, en voyant dans les sépultures pré- historiques certains crânes dolichocéphales se montrer principalement à partir de la période archéologique de la pierre polie, on est amené à se demander si ces premiers immigrants de race germanique ne remonte- raient pas jusqu'à cette époque reculée. D'ailleurs, vu la proportion vraisemblablement peu considérable de ces premiers immigrants gaëls à la chevelure blonde, à la haute stature, leur influence anthropologique sur la population occupant antérieurement le pays dut être minime. Ainsi peut s'expliquer le grand nombre d'individus à la chevelure de couleur foncée dans le pays wallon au sud-ouest de la Belgique, comme dans le pays de Galles ou des "YYelsh à l'ouest de l'Angleterre, ou dans tout autre pays, qui, tout en conservant le nom de ces premiers conquérants gaëls. n'a pas, depuis cette époque reculée, été occupé, d'une manière durable, par d'autres immigrants de race germanique. Quant aux Belges, qui ont donné leur nom à la partie; de la Gaule depuis appelée Gaule Belgique, ils paraissent s'être avancés au moins jusqu'auprès de la Seine, Sequana, et de la Marne, Matrona, que César (9), Pline (10); Pomponius Mêla (11) indiquent comme étant ses (1) Tite Live : Hist. rom., 1. XXXVIII, cap. wu-xxi, p. oo, texte et trad.de Dureau de Lamalle et Noël; voy. aussi 1. XX, cap. xi.i et lv, etc. (2) Ammien Marcellin : 1. XV, cap. xn, p. 45, coll. Nisard [3j Tacite : de Mor. Germ., IV. 1'.) Diodore de Sicile : 1. V. cap, \\v, p. 269. (5) Strabon: 1. IV, cap. iv, § 2, p. 163, coll. Didot. (6) Jacob Meyer: Flandricarum rerum, t<>me x, fol. 4, in-12. Autverpiœ, i 531 . (7) Amédée Thierry. Hist, des Gaulois, introduction, p. :,r, etc. du t. I, éd. de 1S62. (8) Henri Martin: sur la Première émigration des Cimmériens [Bulletin de la Soc. d'anthr., P- 373, 1865). (y/ César: de Itello Gallico, 1. I. cap. 1. (loi Pline: Hist. nui., 1. IV, cap. xxxi, p. 17; Panckouckn. 1829. (11) Pomponius Mêla : île Situ orbis, 1. III, cap. 11. G. LAGNEAU. — ETllîNOGÉNIE 1)1 NORD DE LA FRANCE 481 limites au sud-ouest ; mais quelques-unes de leurs tribus se sont vrai- semblablement portées bien à l'ouest de ces rivières, au moins jusqu'au- près de la Loire ; limite méridionale des Belges, selon Strabon, qui plaee les Venètes, Veneti, O&evéçot, anciens habitants des environs de j Vannes, au nombre des Belges voisins do L'Océan (1). j De nombreux peuples sont mentionnés par César (2), Strabon (3), Pline (4), Ptolémée (S) et autres auteurs, dans la portion de la Gaule Belgique qui correspond à la région septentrionale de la France, com- prise entre la mer d'une paît, les Ardennes et le plateau de la Cham- pagne d'autre part. Du nord-est au sud-ouest habitaient lès Ménapiens, Menapii, Msva-îot, les Nerviens, Nervii, Nepoufot, Nep&oÉ, les Morins, Morini, Moptvot, les Oromansacs, Oromansaci, les Atrebates, Atrebates, &Toe6aTiot, ATp'.êixtoi, les Veromanduens, Veromandui, O5epo[*<*v8ueç, les Bernes, Rémi, 'P-r^ot, les Ambianiens, Ambiant, 'Ap-êiaivcî, les Bretons, Britanni, Bpetavot, les Bellovacs, Bellovaci, BsXXoàxoi, BeXXouoaot, les Suessions, Suessiones, Oôéaawveç, Zueacrfaveç, les Sylvanectes, Ulma- nectes, 2oué6. (7) Denys le Périégète : vers 254-6 [Geographi grœci minores, God. Bernhard, 1828). (8) Roget de Belloguet : Ethnog. gaul., p. 251. 1864. (9) lieda : Ecclrsm .,. historiée geni inglorum libri V: 1. I, cap. 1, p. 2. Antverpiœ, 1550. (10) WiUiein monach. Malmesburiensis : de Gestis Regum Anglorum 1. V: 1. I, p. 2-3. 1601. (11) Gilda Sapiens : de Excidio et Conques tu Britannicœ epistola [Rerum Britcmnicarwm Scriptores Vetustiores, p. I20 xxv. in-fi l. I687). (12) Ermold Nigell : Cann. de rébus gestis Vit. Lud. pii l. III. vers n et suiv. 'Rerum Galli- carum et Francicarwm scriptores de doni Mart. Bouquet, t. VI, p. 38). G. LAGNEAU. — ETHNOGÉNIE DU NORD DE LA FRANCE 483 actuellement Ilschester, Bath et Winchester, dans les comtés de So- merset et de Southampthon (1). Les Atrebates, peuple considérable delà Gaule-Belgique, ayant pour capitale Nemelocenna, actuellement Arras, avaient également envoyé au sud de la haute Tamise, la Tamesis, de nombreux émigrants, qui avaient pour ville principale Caleva (2). Des Manapicns, Mxvi-toi, des Chauques, Kauxot (3), des Cimry (4), homonymes des Menapii, des Chaud, des Cimbri (S) habitant notre littoral et celui de la Germanie, ayant traversé la mer, ainsi que plus tard le firent les Saxons, les Danois, les Normands, étaient établis au sud-est de l'Hiber- oie, l'Irlande, et à l'ouest de la Grande-Bretagne. Aussi César remar- quait-il que los côtes de cette dernière île étaient peuplées de Belges, qui y avaient conservé les noms des peuples continentaux dont ils pro* venaient (6). Les Morins, que Pline (7), Virgile (8) et Pomponius Mêla (9) signalent comme étant les plus éloignés des hommes, les plus éloignés des peuples des Gaules, considérées, par la plupart des auteurs anciens, comme s'étendant vers le nord jusqu'aux embouchures du Rhin, ces Morins vraisemblablement s'avançaient d'abord bien au delà de l'Aa, assez généralement regardée comme la limite septentrionale séparant les Morins des Ménapiens. Leur nom, vraisemblablement tiré du celtique mor, mer ou amas d'eau, mais ayant encore en flamand, dialecte ger- manique, la signification d'habitants des marais mour einen (10), est rappelé par la dénomination de moéres, moeren, servant dans cette portion du littoral de plus en plus émergé, à désigner les étangs, lacs ou marais plus ou moins considérables, en particulier ceux situés loin au nord de l'Aa, auprès de Bergues et d'IIondschoote (11). De cette étymologie commune, à la fois celtique mor et germanique mohr, il n'est nullement permis d'inférer de quelle race étaient les Morins, regardés par beaucoup d'écrivains comme des' Celtes (12), par quelques-uns comme des Germains (13). Quoique clans les pays situés ausud-ouest de l'Aa, M. Cour- (1) Ptolémée : Geogr.,, 1. II, cap. n, p, 100, éd. de Wirlberg. (2) Ptolémée : l. c. (3) Ptolémée : l. c, p. 103. (4) The Myvyrian Archaiology of Wales, t. II, p. 37, etc. London, 1801. (5) Pline: 1. IV, cap. xxyiii, p. 202. — Tacite : de Mor. Germ., xxxv et xxxvn, (6) César : de Bell. Gall., 1. V, cap. xn, (7) Pline : 1. XIX § II, p. 712. (8) Virgile : Enéide, fin du livre VIII. (9) Pomponius Mêla : de Situ orbis, 1. III, cap. n, p. 1147, coll. Nisard. — Voy. aussi saint Paulin : Epist. XXVIII. ad Vilricium, n, p. 248, Opéra, 1622. (10) Henry : Essai hist., topog. et statist. sur l'arrond. de Boulogne-sur-Mer, p. S. Boulogne, 18'.o, in-',». — Hennebert : Histoire gén. de la province d'Artois, t. I, p. 16. Lille, l78G,-etc. (11) Grille d'Angers : Description du dép. du Nord, p. 67, etc., 1823-30. Paris. (12) Warnkœnig : H st. de la Flandre, trad. de l'allemand par Gheldorf, t. I, p. 110, 1833, Bruxelles. — P. Clément : Hist. de la Flandre, p. 13, etc., in-18, 1836. Lille, etc. (13) Jean Derheims : Hist. de la ville de Saint-Omer, p. I, 1843. Saint-Omer. — Derode : Etat de la Flandre maritime av. le Ve siècle (Ami. du Comité flamand de France, t. Iv, p. 222. 1S58-39), etc. 484 ANTHROPOLOGIE tois ait découvert quelques anciennes chartes flamandes (1), il semble probable que ces Morins étaient des Celtes. Leur capitale, d'après Pto- lémée (%, était Thérouanne, Tervanna, Tapouawa, grande ville ancien- nement, petite actuellement, située sur la haute Lys, dans le départe- ment du Pas-de-Calais (3). Strabon dit que les Morins possédaient le Portuslctius, "Igticv (4), où César réunit sa tlotte pour se rendre en Breta- gne (o). Ce port était-il W'issant, auprès du cap Gris-Nez, ou plus près de Watten, Promontorium Itium, "htov axpov (G) était-il Sithiu, actuel- lement Saint-Omer, anciennement au fond d'un large estuaire, mainte- nant sur l'Aa, loin de la mer (7) ? Gessoriacum, plus tard Bononi a, actuel- lement Boulogne, était aussi un des ports des Morins. Ptolémée (8), Poraponius Mêla (9), Pline, le disent positivement, quoique ce dernier semble l'attribuer également aux 0 roman sacs, Oromansaci (10), petite tribu sans doute de race celtique, comme les Morins eux-mêmes, comme les Meldes, Meldœ, autre petite peuplade dont d'Anville et M. Lefils (il) pensent retrouver la demeure dans le Meldfeldt ou Maldeg -Hem-Velt: canton des environs de Bruges, dont J.Malbrancq (12), M. Y. Derode (13) et bien d'autres auteurs paraissent reconnaître la résidence vers la Lys, sur les bords de la Melde ou Meldick, affluent de l'Aa, au-dessus de Saint-Omer. Chez ces Meldes, anciens habitants d'une région jusqu'où s'étendent encore les marécages, derniers vestiges des eaux profondes, Altus Pontus, existant anciennement autour de Sithiu, César aurait fait construire, pour ses expéditions de Bretagne, des navires (14) qu'il n'au- rait pu faire venir qu'avec grande difficulté de chez les Meldœ, habitant sur les bords de la Matrona, la Marne, dans les environs de Meaux, (1) Courtois : Communauté d'origine et de langage entre les habitants de l'ancienne Morinie flamingante et ivallonne [Annales du Corn, flamand de France, t. IV, p. 390, etc., 18o8-59). (2) C. Ptolémée : Geogr., 1. II, cap. vin, p. 141, éd. de Wilberg. (3) Sur Thérouanne, voy. Piers : Hist. de la cille de Thérouanne, 1833, Saint-Omer. — Alb. Legrand : Rech. hist. sur l'origine de Thérouanne [Mèm. Je la Soc. des antiquaires de la Morinie, t. V, p. 63, 1830-40), -etc.) (4) Strabon : 1. IV, cap. vi, § 2. (o) César : de Bell. Gatl., 1. IV, xxi, et 1. V, cap. v. (6) Ptolémée : 1. II, cap. vm. p. 139. (7) Florentin Letils : Rech. sur la configuration de la côte de la M'initie, p. 19-1GG. Paris, 1859. — Henry : Essai hist. sur Boulogne, p. 43. — Derode : Hist. de Lille, t. I, p. 29, 1848. — Piers : Hist. de la ville de Bergues, p. 130, 1833. — Laroière : Etude sur le Sinus Itius (.1/ni. du Corn, flamand,, t. X, p. 2'<9, etc., isos-69). — Deverité : Essai sur l'hist. gén. de Picardie, t. I, p. :.!, ch. Vit, 2 vol., Abbeville, 1770. — Théoph. Barbier : Guerre des Gaules, de i ésar, 1. V, cap. h, note, p. 148, 1825, etc. (8) Ptolémée : l. il, cap. vm, p. 140. (9) Pomponius Mêla : de S:tu orbis, I. [II, cap. il, p. 647, coll. Nisard. in Pline : 1. IV, cap. xxx et x\xi, p. 202-203. (11) Flor. Lefils : Rech. sur lu config. I e de la Worinie, p. 57, Paris, i8:;o, (12) J. Malbrancq : de Morinis, t. i, ca] . i\. p. u. ci cap. xvm, p. 81, 1 r.39 . (13) Victor Derode : Hist. de Lille, t. i. p. 29, is',s.— Voy. aussi Lefebvre : Hist. gén. et p' de la ville de Calai*, t. i, ch i, p. 7-8, Paris. i7iio. — Hennebert : Hist. de la province à Ar- tois, t. I, p. 29, 1780. — Ji'. m Derheims : Hist. de Saint-Omer, p. 49, 1843. — Aimé Courtois : Utcl. géograph. de l'arrond. du Saint-Omer av. t~89 (Mém. de la Soc. dei antiquaires de la Morinie, t. Mil, p. 146, 1846-49.) 114) César : de Dell. Gall., I. V, cap. v. G. LAGNEAU. — ETHN06ÉNIE DU NORD DE LA FRANCE 485 Peut-être doit-on voir, dans ces trois demeures dos Meldes, dans la Flandre-Belge, dans notre Flandre et près de la Marne, les trois étapes où les débris d'un même peuple repoussé par des immigrants venus d'outre-Rhin. En effet, plusieurs peuples, d'origine germanique, entre autres les Nerviens et les Ménapiens, sont signalés par les historiens anciens comme s'étant avancés dans une région, qui paraîtrait avoir été antérieurement occupée par, les Meldes et les Morins. Les Nerviens, nous disent Strabon (1) et Tacite (2), étaient tiers de leur origine germanique. Selon Appien (3), ils descendaient des Cim- bres et des Teutons, origine cimbrique que Dion Cassius assigne égale- ment à leurs voisins, les Aduatiques, anciens habitants du pays de Namur (4). Ces Nerviens, dont le territoire parait avoir répondu approxi- mativement au Hainaut belge actuel et à notre Cambrésis, ces conqué- rants de race germanique avaient vraisemblablement soumis des peu- plades de race celtique occupant antérieurement le pays. On est disposé à l'admettre, lorsqu'on voit César (5) dire que les Nerviens avaient sous leur dépendance des Grudiens, des Lcvaques, des Pleumoxiens, des Gei- duniens et des Centrons, dernière peuplade dont une partie paraît avoir préféré à la domination étrangère une émigration vers le Midi, jusque dans les Alpes, où Strabon (6), Pline (7) et César lui-même (8) nous montrent des Centrons habitant la -Tarentaise actuelle, non loin des Caluriges, des Yéragres, des Nantuates, etc. La présence de nombreuses peuplades celtiques dans la région de la Gaule-Belgique occupée par les Nerviens de race germanique, autorise à penser que lorsque ces Ner- viens, à la suite de leur première guerre avec César, se trouvèrent réduits de soixante mille à cinq cents combattants (9), l'élément celtique antérieur dut notablement prédominer dans la population. Selon Raep- saet (10), actuellement le complet abandon de tout dialecte germanique, dans la région anciennement habitée par ces Nerviens, tiendrait à cette destruction clés immigrés germains et au repeuplement de leur terri- toire par les peuplades d'autre race. Suivant Ptolémée (H), et d'après l'Itinéraire d'Antonin (12), la capitale (1) Strabon : 1. IV, cap. ni, § /,, p. 161. (2) Tacite : de Mor. Germ., XXVIII. (3) Appien : de Rébus Gallicis, 1. IV, cap. i, § iv. (4) Dion Ca-sius : Hist. romaine, 1. XXXIX, § /., texte et trad. de Gros, t. IV, p. 11. (5) César : de Bell. Gall., I. V, cap. xxxix. (6) Strabon : 1. IV, eh. vi, § 6. (7) Pline : 1. III, eh. xxiv. (8) César : 1. I, cap. x. (0) César : 1. Il, cap. xxvin. (10) Raepsaet : Supplément àl' analyse historique et 'critique de l'origine cl des progrès des droits des Belges et des limitais: réponse à M. Meyer, à la fin du vol., p. 1, etc. Gand, 1826. (11) Ptolémée : 1. Il, cap. vin, p. U1. (12) An'onini Augusti Ilinerariuin, cap. m, p. 112, et cap. v, p. n/,, Recueil des Itinéraire* anciens du marquis do Fortia d'Urbain. Paris, 18'i3. 486 ANTHROPOLOGIE des Nerviens parait avoir été Bagacum, Bcfyttwv, actuellement Bavai, dans le département du Nord (1). Camaracum, actuellement Cambrai, parait avoir été également une de leurs villes principales, ainsi que Fanum Martis (temple de Mars), vraisemblablement Famars, petit village à l'ouest de Bavai et au sud de Valenciennes. D'après la Notice des dignités de l'empire d'Occident (2), on serait porté à penser que les Nerviens se seraient avancés plus vers le nord, dans une vaste région taisant suite au littoral armoricain. Les Ménapiens, que Strabon dit habiter de chaque côté des embou- chures du Khin, dans des marais et des bois peu élevés (3), après avoir d'abord repoussé de leur territoire' transrhénan les Usipètes et les Tenchtères, eux-mêmes chassés de leur pays par les Suèves, lurent vaincus et refoulés par ces immigrants, qui, non-seulement s'emparèrent de ce territoire d'outre-Rhin, mais s'établirent aussi dans leurs posses- sions cis-rhénanes, ainsi que l'indique César (4). Par suite de celte invasion, les Ménapiens paraissent eux-mêmes avoir été refoulés sur le territoire des Morins jusqu'à l'Aa, généralement regardée comme la limite séparative de ces deux peuples, et semblent avoir occupé, selon 31M. de Baecker et Derode (5), une partie des côtes vraisemblablement peu habitées auparavant par suite de leur état marécageux et de leur émersion incomplète. Cette occupation par les Ménapiens d'une partie de l'ancien pays des Morins, indiquée par plusieurs historiens, entre autres M. V. Derode (6), cette stratification ethnique dans une même région répondant approximativement à la Flandre occidentale belge et à la partie septentrionale de notre département du Nord, explique com- ment certaines villes lurent successivement attribuées à ces deux peuples, et plus particulièrement aux Ménapiens immigrés, ainsi que M. Schayer l'a montré pour une ville de notre Flandre ilamingante, pour Cassel (7), tour à tour appelé Castellum Moriiiorum, puis Castellum Menqpiorum, dans l'Itinéraire d'Antonin, dans les Tables de Peutinger (8), et dans la Géographie de Ptolémée (9). (1) lsid. Lebeau et Michaux : Bavai, notice hist. sur cette ancienne capitale des Nerviens. Avesnes, 1859. (2) Notitia dignitatum et administrationum omnium, cap. i, p. s, cap. xxxvi, § i. p. 106, et Cap. XL, p. 120. (3) Slrabon ; 1. I N, cap. ni, § ',. 1G1. ('.) César : de Bell. Gall., I. l\. cap. iv. (5) L. du Baucker : la Flou tic maritime muni et fendant la domination romaine (Mèm. de la Soc, des antiquaires de la Morinie, t. l\, p. tvi, 1851-54.) — Derode : Etat de la Flandre maritime av. le I « tiècle [Ann. du Com. flam.j t. iv, p. 208; isss-59) . [6)'Victor Derode : les Ancêtres des Flamands de France [Ann. du Coin, /lam., t. VIII, § i, p. 84, etc., 1864-65.] — Voy. aussi Heroand : Notice hist. sur Watttm [Ann. du Com. jlam., t. IV, p. OU, etc., 1837-38). (7) Schayes : Mém. mr le Castellum Morinorum [Mon. de la, Soc. des antiq. de la Morinie, t. n. p. (09, etc., 1834). [ntonin. Itin., c. ni, et Tabula Peutinger, lxix, lxxiv, etc. [Recueil des itinéraires anciens du marquis de Fortia d'Urbain, p. ni, 22s, 230). (9) Ptolémée : 1. Il, cap. \ni, p. 141. G. LAGNEAU. — ETHNOGÉMIB DU NORD DE LA FRANCE 487 Sans insister sur tous les immigrants, Cimbres, Rutènes ou Russes, Suèves, Frisons, Ratavcs, Francs, Vandales, Goths, Saxons, Huns, Scy- thes, Danois, qui, selon Jacob Meyer (1), seraient venus à diverses épo- ques habiter les Flandres, il importe de rappeler quelques minimes don- nées ethnologiques relatives à quelques-uns de ces peuples. Les Cimbres, qui paraissent anciennement s'être étendus ou s'être disséminés de la Chersonèse Cimbrique, actuellement le Jutland, au pays des Nerviens, d'origine cimbrique selon Appien (2), auraient occupé notre littoral, où, jusqu'à l'époque mérovingienne, certains chefs portaient encore le titre de Rulhenorum Cimbrorumque dux, ainsi que l'indiquent J. Meyer et Malbrancq (3). Les Ruthènes ou Russes, comme les désigne J. Meyer, mentionnés dans les Proludia du Carthularium Sithiense, paraissent avoir très-an- ciennement habité, suivant Malbrancq, une partie du littoral Ruthenicum Littus, encore appelé Ruthen par les pêcheurs flamands, compris entre Calais et Dunkerque, correspondant à la terre de Merck ou Ras-Calaisis selon M. Am. Courtois (4). Quels étaient leurs liens de parenté avec les habitants de certains pays de Ruthen, de Ruthénie, qui auraient été situés au nord de l'Ecosse, au sud-est de l'Angleterre (5), avec les Ru- thènes, Ruteni, anciens habitants du Rouergue, et avec les Ruthènes ou Petits-Russes du bassin du Dniester au sud-ouest de la Russie, en Gal- licie etc. ? Sans prétendre trancher cette question ethnogénique fort obscure, on peut remarquer que si sur notre littoral les Ruthènes étaient voisins des Cimbres, pareillement les Ruthènes des rives du Dniester habitent encore un pays anciennement parcouru par les Cimmériens, ancêtres des Cimbres, dans leur migration de la Crimée et du littoral du Pont-Ëuxin; actuellement la mer Noire, vers le nord-ouest de la Ger- manie et le littoral de la mer du Nord (G). D'ailleurs Alex. Guagnin en parlant des Ruteni sive Rassi, de langue slave, observe qu'ils ont envoyé des colonies des bords du Pont-Euxin jusque sur ceux de la mer Germanique (7). De ces Ruthènes ou Russes devraient sans doute être rapprochés les Scythes dont le souvenir semble s'être conservé dans une partie de la Flandre occidentale belge. Quelques-unes des peuplades de ces Scythes (1) Jac. Meyeri Baliolani Flandricarum rerum t. X, fol. 4. Antverpiœ, in-12, 1331. (2) Appien : de Rébus Gallicis, 1. IV, cap . i, § iv. (3) J. Meyer, l. c. — J. Malbrancq : l. c, t. I, p. 174, etc. ('■) A Courtois : Sur l'origine du mot Ruthen [Ann. du Comité flamand, t. VI, p. 387 etc. 1861-2). — Voy. aussi : Malbrancq : l. c. t. I. cap IV. p 11, 174.— Derode : Ilist. de Lille, t. I. p. 43; et les Ancêtres des Flamands (Ann. du Corn. flam. t, VIII, ch. III, p. 2ii etc., 1864-ii). (5) Lefèvre : Histoire générale et 2)articulïère de Calais et du Calaisis, t. I, p. 7-8. 2 vol. 1700.— A. Courtois : l. c. etc. (6) Sur les Cimmériens et les Cimbres, voy. Hérodote, 1. IV, cap. xn.— Strabon: 1. VII, cap. n, s. 2 p. 244. — Plutarque : Marins, XL — Diodore de Sicile, 1. V, cap. xxvm, etc. (7) Alex. Guagnin : Sauromatia Europœa. p. 246, etc. [Respubliçœ Poluniœ, Lituaniœ, Prussiœ, Livoniœ, etc., Elzevir. Lugd. Batav., 1627.) 488 ANTHROPOLOGIE qu'Hérodote montre chassant les Cimmériens des régions situées auprès du Bosphore cimmérien, actuellement le détroit de Zabache ou d'Iéni- kalé, auraient-elles suivi quelques tribus de Cimmériens dans leurs migra- tions vers le nord-ouest? Suivant certain passage des Actes de saint Ar- noulf, cité par Meyer, rappelé par M, Delepierre (1), les habitants de Ghistelles, près de Bruges, auraient été de race scythique. D'ailleurs des Scythes naviguaient sur les mers du Nord, car, selon Bédé le Vénérable, les Pietés d'Ecosse seraient venus de la Scythie (2). Sous le rapport an- thropologique, ces peuplades scythiques devraient- elles être assimilées aux Slaves, ou bien aux Finnois, ainsi que le pense M. Yanderkin- dere (3)? A l'est et au sud de la région du littoral anciennement occupée par les Scythes, Bauduin (4), Varnkœnig et M. Derode (S) mentionnent la présence de Vandales, qui, en 411, commandés par Croscus au Carocq, auraient imposé leur nom de Vandt ou Wandt à tout le pays où s'élèvent Gand, Alost, Audemerde, ainsi qu'à Pont-à-Wendin et à Vende- ville, anciennement Vandalorum villa, petite localité près de Temple- mars dans l'arrondissement de Lille. Or les Vandales, de race gothe, -i-\[j.i ëôvïj, suivant Procope; de race slave, selon Martin Cromer et Guagnin(6), nous sont dépeints par l'historien byzantin comme ayant la peau blanche, les cheveux blonds, une belle prestance, comme étant de haute stature (7). Dans une région voisine ; auprès de Bruges et de Courtrai, on a éga- lement pensé retrouver une colonie de Suèves, anciens habitants de la Souabe. Leur nom se serait encore conservé dans les dénominations locales de Sueveghem Suevezeele, etc., habitation, limite des Suèves (8). Certains ethnographes, avec Gill. Boucher (9), ont supposé que l'arrivée de ces Suèves remonterait vers l'an 14 après J. C, sous le règne d'Au- guste, lorsqu'à la suite de ses victoires en Germanie, Tibère, selon Sué- tone, lit conduire quarante mille Germains, Suèves et Sicambres, dans les Gaules, non loin du Rhin (10). Suivant Varnkœnig, au vif siècle saint Ëloi trouvait encore des Suèves dans cette région. Mais, selon MM. Lubach (1) Octave Delepierre : Tradition* et légendes de l'ancienne histoire des Flandres, p. 189, Lille, 1834. (2) Beda : Èclesiastica Bistoria gentis Anglorum, 1. i, cap. i. p. 2, 1560. (3) L. Yanderkindere, Recherches sur l'Ethnologie de la Belgique, p. 56. Bruxelles, 1R72. (A) François Baudoin, oé en 1.120 : Chronique d'Arthois, p. 20. Arrasj 1856. (s) Varnkœnig : Bist. de Flandre, t. I, p. 120, trad. du Gehldolf. — Derode : Bist. rie Lille, t. I, p. M; et Ann. du Corn, flamand, t. VI, p. 163, etc., ingi-2. (G) Martin Cromei • Polonia, l. 1, p. 37; et Alexandre Guagnia : Sauromalia Europœa, p. £41, [Respublica Poloniœ, Lituaniœ, Pruisiœ, Livoniœ, etc. 1627, Rlzevir, Lugd. Batav.) 17) Procope: de llclh Vandalico .- 1. 1, § 2, p. 312 dut. I, texte et trad. lut. deNiobuhr. BonnaS, 1833. (s) Varnkœnig : / c. p. 11s. — Derode: les Ancêtres des Flamands Je France [Ann. du Com. flamand, t. vin. p. 40, 1864-5.) (9) iEgidius Bucherius : Belgicum Romanum, p. 49, cap. xx, in fol. 1G5S. (lu) Suétone: Auguste, XXVI, p. 48, et Tibère, XI. p. 32'. du t. Il du texte et trad. d'Ophellot de la I'ause. G. LAGNEAU. — ETHNOGÉNIE DU NORD DE LA FRANCE 48D et Vaiiderkindere (1), ces prétendus Suèves des Flandres ne seraient pas venus du sud-ouest de la Germanie, niais auraient été des Zeeuwen ou Zélandais, habitants de la Zélande, d'un pays maritime. Un autre peuple de la Germanie, voisin des Suèves et des Usipètes, celui des Cattes, Catli, anciens habitants de la liesse, aurait également envoyé quelques émigrants dans notre Flandre, où les noms deKatsberg, de Rattslliet, etc., indiqueraient encore les localités par eux anciennement occupées entre Bailleul et Steenwoorde, ainsi qu'aux environs de Bour- bourg (2). Watten sur l'Aa passerait également pour une colonie de Bataves(3); Bataves que d'ailleurs Tache dit n'être eux-mêmes qu'une portion de la nation des Cattes transrhénans, ayant franchi le Rhin pour venir s'é- tablir dans l'île, alors inhabitée, formée, près de la mer, par les bras de ce fleuve (4). Soit que toutes ces peuplades d'outre-Rhin, la plupart de race germanique, aient été confondues sous la dénomination de Saxons, assimilés, par Malbrancq (5), aux Cinabres, précédemment men- tionnés, soit que d'autres immigrants soient venus se fixer sur notre lit- toral, directement de la Saxe, qui, d'ailleurs, à la fin de l'époque méro- vingienne s'étendait à la plus grande partie du nord-ouest de la Germanie (6), voisine du Rhin et de la mer du Nord, bien avant cette époque, la Notice des dignités de l'empire romain d'occident semble mentionner la présence de Saxons à la partie la plus septentrionale de notre littoral, dès-lors appelé Littus saxonicum (7). Ce littoral saxon, qui suivant Malbrancq, Lefebvre (8), se terminait à l'ouest à la côte des Ruthènes, c'est-à-dire au pays de Merck, d'après M. Florentin Le- iils aurait présenté au nord du golfe Ictius, ancien estuaire de l'Aa, de nombreuses îles dites îles saxonnes (9). Dans cette région l'émersion de terres antérieurement submergées permit vraisemblablement à de nou- veaux immigrants de se iixer sur ce littoral. Quelques historiens, entre autres Warnkœnig (10), ont aussi été portés à penser que cette région, principalement entre Ypres et Saint-Omer, aurait reçu de nombreux immi- grants lorsque vers l'année 804, Charlemagne, vainqueur des Saxons trans- (1) Luback : de liewoners i)un Nedcrland. — Vanderkindeie : Rech. sur l'Ethuol. de la Belçj. p. 31. (2) Derode : les Ancêtres dés Fldm., I. c. p. 63; et Etat de la Flandre marit. av. le ve siècle. (Ann. du Coin. flamand, t. VI, p. 21b, note 1858-9), et Hist. de Lille, t. I, p. 40-3, 1848. (3) Derode : rJat de la Flandre maritime, l. c, p. 215, note. (4) Tacite : Hist., 1. IV, cap. xn, t. V, p. 22, texte et trad. de Dureau de Lamalle. (3) Jac. Malbrancq : /. c, t. I, cap. iv, p. 11, 174. ((>) Houzé : Atlas universel historique et géographique; France, carte VI. (7) Notitia dignitatum cl administrationum omnium, cap. I, § 20, p. 4, et cap, xxxvi, § 1, p. 106, etc., éd. d'Edw. Bœcking, 1838-1833, (8) Malbrancq: l. c, t. I, cap. iv, p. II. — Lefebvre : Hist. de Calais, t. 1, p. 7-8. (9) Flor. Lefils : Rech sur laconfig.de la côte de la Morinie, il" part. , ch. iv, p. 162, etc. Paris, 1859. (10) Warnkœnig : l. c, t. I, p. 120, etc. 35 190 ANTHROPOLOGIE albiens (d'outre-Elbe), en fit disséminer dix mille avec leurs femmes et leurs enfants dans les Gaules, ainsi que le rapporte Eginhard (1). A ces Saxons ou à des Flamands fugitifs sembleraient également devoir être rapportés, selon MM. Piers, Derode, Vallongue et Derheims, les Lyse- lards et Hobrigbenarts ou Hautponnais des faubourgs et marais voisins de Saint-Omer, ainsi que les habitants du Hantay dans le département du Nord (2). D'ailleurs, avec M. Derode, on est assez généralement porté à regarder les Flamands, Vlaemings, comme ayant constitué les dernières immigrations germaniques, dites saxonnes (3). L'introduction de la langue flamande sur notre littoral remonterait au moins à l'é- poque où cette région reçut le nom de Littus saxonicum, les dialectes vlaëmsch ou flamand, franck, thiois, hollandais, frison et saxon parais- sant avoir les plus grandes analogies, ainsi d'ailleurs que MM. L. Ho- det (4), de Coussemaker (5) et quelques autres linguistes spéciaux semblent le reconnaître. Il faut d'ailleurs remarquer que bien avant les immigra- tion saxonnes ou flamandes, vraisemblablement dès les temps préhisto^ riques, dès l'époque celtique ou pré-romaine, les nombreux immigrants transrhénans Belges et Germains avaient dû notablement modifier le langage des habitans du nord-est de notre pays, ainsi que semble en témoigner César lorsqu'il dit que les habitants des trois grandes divisions de la Gaule, diffèrent entre eux par la langue, les institutions et les lois (6). Mais sous la domination romaine, l'introduction de la langue latine, et la formation de dialectes ou patois romans avaient dû faire disparaître plus ou moins incomplètement l'influence linguistique de Ces immigrants d'outre-Rhin, dont le nombre s'accroissait par l'arrivée fréquente de colons, de letes, laeti, de prisonniers germains dans la région des Gaules voisine de ce fleuve . Notre dialecte flamand, le plat-vlaëmsch, comme le désigne M. de Coussemaker pour le distinguer du flamand belge et du hollandais, parait avoir été anciennement parlé bien au sud-ouest de l'Aa et du Neufossé, ainsi que M. A. Courtois l'a démontré (7). Actuellement, d'a- (•)) Eginhard, Opéra omnia : Vita Karoll imperatoris, anno 804, cap. vu, p. 258, du texte, et trad. de Teulet, 1840. (2) H. Piers : Ilist. des Flamands du Haut-Pont et de Lysel, Saint-Omer, in-8, 1830. — Berodi les Ancêtres des Flamands. [Ann. du Corn, flartict/nd., t. VIII, p. 64. ) — i. Derheims : Hist. de la ville de Saint-Omer, p. 88, 1843, Saint-Omer. (3) V. Derode : les Ancêtres des Flamands, et Bribes philologiques \Ann. du Coin, flamand, t. VIII, p. 60-9, etc., 1864-5, et t. V, p. 121, 1889-60.) (4) Léon Rodet : Remarqua sur quelques dialectes parlés dans l'Europe occidentale. [Ann. du Coin, flamand, t. V, p. 274, etc., 1859-60.) (5) De Coussemaker : Délimitation du flamand et du français. Quelques recherches sur le dia- lecte flamand; et le Keurc île Bergues. (Ann. du <'um. flamand, t. III, p. 394, etc., 1856-7; t. IV, p. 79, 1859; et t. V, p. 183, 1859-110, etc.) !6) César : de Bell.Gall., 1. l, cap. i. (7) A. Courtois : Communauté d'origine et de langage entre les habitant de l'ancienne Morinie flamingante et wallonne. (Ann. du Com. flamand, t. IV, p. 390 etc. 1858-9); et Ancien idiome audomarois; Dictionnaire géographique /le V arrondissement de Saint-Omer.) Mém. de la Soc. des antiq. de la Morinie, t. XIII, ir partie, p. 63, 1864-9). G. LAGNEAU. — ETHNOGÉNIE DU INORD DE LA FRANCE 491 près les recherches de linguistique topographique de MM. de Cousse- maker et Bocave (1), l'aire géographique du dialecte flamand en France est limitée dans le département du Pas-de-Calais à quelques faubourgs de Saint-Omer et à quelques communes, au llaut-Pont, au Lysel, à Clairmarais, à Ruminghem, et dans le département du Nord à l'arron- dissement de Dunkerque, moins le canton de Gra véline, et à l'arrondis- sement d'Hazebrouck , excepté dans la partie sud du côté de Mrrville; la langue française étant d'ailleurs déplus en plus usitée dans les villes et sur les contins occidentaux et méridionaux de cette Flandre flamingante. A la suite des immigrants importateurs du dialecte teutonique ap- pelé Je vlaëmsch, il faut parler des Francks, dont la langue paraît avoir peu différé du Flamand. Sous la dénomination de Francks, dénomina- tion appliquée non à un peuple en particulier, mais à une confédéra- tion transrhénane, fort mutable, de divers peuples germaniques (2), furent compris les Sicambres, les Saliens, les Chamaves et quelques au- tres tribus en partie immigrées dans les Gaules à l'époque romaine. Les Sicambres, dont le nom paraîtrait rappelé par le nom de la Siega, la Sieg, affluant au Rhin vers Bonna Bonn, sont mentionnés par Strabon comme ayant habité auprès des Cimbres au nord-est de la Germanie, entre l'Elbe et le Rhin (3). César les montre 53 ans avant Jésus-Christ, traversant le Rhin pour faire des incursions dévastatrices dans les ré- gions limitrophes des Gaules, entre autres sur le territoire des Ebu- rons, anciens habitants des environs de Liège (4) . Selon Tacite et Sué- tone, ces Sicambres d'outre-Rhin vaincus par les Romains, sous le règne d'Auguste, auraient en grand nombre été transportés dans les Gaules (5). Quant aux Francks-Saliens, dont le nom aurait rappelé leur habitat sur les bords de Ylsala, actuellement l'Yssel, dans le Salland, Ammien Marcellin rappelle que longtemps avant que Julien l'Apostat fût César dans les Gaules, c'est-à-dire avant le milieu du ive siècle avant Jésus- Christ, ces Germains s'étaient fixés dans la Toxandrie (6), dont Tessen- der-Loo près de Hasselt, dans le Limbourg, conserve encore le nom; région que Wastelain dit s'appeler encore Vranrilch, le royaume des Francks (7). Des Chamaves, qui paraissent avoir habité près des Saliens au delà du Rhin, semblent également avoir immigré en deçà de ce fleuve, car Julien eut également à les combattre et à les soumettre (8). (Ù De CouSsemaker et Bocave : Délimitation du flamand. (Ann, du Com. flatti., t. III, p\ 377s etc. (2) Procope : de Bello Vandalico, l. I, p. 319, Dirulorf. Bonnes, 1833. (3) Strasbon : 1. VII, cap. n, § 4, p. 244, coll. Didot. (4) César : de Bello Gallico, 1. Yl, cap. xxxv, etc.; et 1. IV, cap. xvi. • (5) Tacite : Annales, 1. XII, cap. xxxix, p. 362-4. — Suétone : Auguste, XXVI, p. 48. — Voy. aussi Eutrope : Breviarium rerum Romanarum, 1. VII, § y, p. 8iJ2, coll. Nisard. (6) Ammien Marcellin : 1. XVII, cap. vni. (7) Charles Wastelain : Descript. delà Gaule Belgique, p. 27-33, etc.; nouv. éd. Bruxelles, 1788. (8) Ammien Marcellin : 1. XVII, cap. vin. ill-2 ANTHROPOLOGIE Aussi saint Prosper d'Aquitaine (1) remarque-t-il que vers le milieu du siècle suivant, sous le patriciat d'Aëtius, la partie des Gaules voisine du Rhin était en possession des Francis. Clodion, Hlodio, un des chefs de ces Francks, ainsi que le rapporte Grégoire de Tours, Baldéric et Roricon (2), entra dans la forêt Charbonnière, s'empara de Tournai et de Cambrai et s'avança jusqu'à la Somme. Quoique battus par Aëtius et Majorien auprès du bourg d'Héléna (3), vraisemblablement Lens, près Béthune, dans le département du Pas-de-Calais, ces Francks ne tardèrent pas à s'emparer de plus en plus de la région septentrionale, puis de la totalité des Gaules. Mais, de même que la conquête de notre pays par les Romains, la conquête Franque, qui eut une grande importance au point de vue politique, dut avoir, sous le rapport anthropologique, une influence minime sur la population antérieure, relativement nom- breuse. Aux immigrants germaniques en général, à ces Francks en par- ticulier, ayant principalement occupé la région septentrionale de l'an- cienne Gaule Belgique, on est amené à assigner les caractères anthro- pologiques que Tacite reconnaît aux Germains, regardés par lui comme formant une race spéciale, pure et homogène, caractérisée par des yeux bleus et farouches, par une chevelure rouge, par de grandes propor- tions et par un courage impétueux (4). D'ailleurs, Sidoine Apolli- naire (5), Claudien (6) et maints autres auteurs, signalent la blonde chevelure des Sicambres, et en particulier de deux jeunes époux tombés aux mains des Romains à la suite d'une attaque imprévue. Dans la pré- face de la loi salique, les Francks sont dépeints comme nobles de maintien, sains de corps, blancs de teint, beaux de formes, audacieux, agiles, redoutables (7). Si de ces faibles indications anthropologiques fournies par les auteurs anciens, on rapproche les documents ostéologiques relatifs aux époques mérovingienne et carlovingienne, de l'ensemble des ossements humains extraits des sépultures de ces époques, recueillis par M3I. Danicourt, Vallois et Bertrand, à Eterpigny (8), par M. Hamy, à Marquise, dans le département du Pas-de-Calais (9), par M. Garrigou, près de Sain t- (i) Saint Prosper d'Aquitaine : Opéra omnia, p, ~.\:i. (2) Grégoire de l'ours : Historia Ecclesiastica Francorum, I. il, càp. i\ du texte et trad. de Guadet, 1836, Paris. — Baldéric : Chronique d'Arras, et de Cambrai, 1. I. cap. m, p, 8-9; édil de LeGlay, Paris, I83'i. - Roricon ■+ Gesta Francorum, t. m, p, -i, tic dom Martin Bouquet Rec. des hist. des Gaules. (3) Sidonius Apollinarius : Panig. de Majorien, ver.? 215, p. 315, éd. 1652, in-;\ Parisiis. (*) Tacite : de Mor. Gertn . w . (5) Sidoine Apollinaire : Panég. A rit. August., vers /,2-3, p. 331, et Paneg. Major., vers 220, p. 315, éd. 1652. (6) Claudianus : Lib. de quarto consulattt Honorii. Lugd. Batav., 100^, cxt. dans dom Martin Bouquet : [ter. des hist. des Gaules, t. I, p. 769. (7) Pactus legis salicœ .■ Prologus, p. 122 du t. tv, de dom Martin Bouquet, /. c. (8) Bertrand : Bull, de la Sur. d'anthr., 1. \i, p. 396, i86i>. Hamy : Bull, de la Soc. d'anthr., 2" série, t. Il, p. ^,2. 1867. G. LAGNEAU. — ETHNoGÉNIE DU .NORD DE LA FRANCE 493 Acheul, dans le département de la Somme (1), par MM. Broea et Bourgeois, à Champlieu et à Chclles, près de Pierrefonds, dans Je dé- partement de l'Oise (2); par M. Prioux, à Pommiers, près de Soissons (3); par M. Bigorgne et par moi, à Chouy, près de Neuilly-Saint-Front, dans le département de l'Aisne (4), etc., il semble permis d'inférer que la plupart des immigrés germains étaient des dolichocéphales à lace haute, a stature élevée, à ossature forte et longue. En effet, quatre-vingt-un crânes de l'époque mérovingienne, provenant de ces immigrés ou d'habitants antérieurs, mesurés par M. Broca, offrent un indice moyen de - — indice moyen de sous-dolichocéphalio (5). 100. U0 D'ailleurs, les mésaticéphales ou sous-brachycéphales existant anté- rieurement dans ces contrées continuent à être largement représentés dans les sépultures de ces époques. Le crâne trouvé à Saconin près de Soissons est même remarquablement brachycéphale (6). Il faut encore faire remarquer que, tout en assignant à la plupart des immigrants d'oulre-Bhin les caractères de la race germanique septen- trionale, grande, blonde et dolichocéphale, certains habitants de l'an- cienne Germanie paraîtraient avoir notablement différé de ce type de haute stature. Tacite remarque que les Cattes, anciens habitants de la Hesse, différaient des autres Germains par des membres courts, par une plus grande force de résistance, par une plus grande vigueur d'âme, par plus d'intelligence et de finesse (7). L'immigration vers le littoral de la mer du Nord de Germains de taille peu élevée semble d'autant moins invraisemblable qu'actuellement encore dans les Flandres belges, où les Ménapiens paraissent s'être fixés, où le vlaëmsch, dialecte germa- nique, est encore usité, les habitants sont, en général, de petite taille, d'après les recherches statistiques de M. Vanderkindere (8). Depuis la grande invasion franeque, il n'est guère d'immigrations im- portantes à signaler dans nos provinces du nord-est. Depuis cette époque, des Danois, des Scandinaves, Northmans ou Normands vinrent fréquem- ment, de 842 ù 925, dévaster et piller de nombreuses localités de notre littoral, mais ces redoutables pirates paraissent ne pas s'être fixés d'une manière durable dans la région qui répond actuellement à nos départe- (1) Garrigou : Bull, de la Soc. d'àrithr., t. IV, p. 206, 1863. (2) Broca, Bourgeois : Bull, de la Soc. d'anthr., t. IV, p. 464, 510, 5-H, 5S0, et 2e sér., t. III p. 39, 1863 et 1868. (3) Prioux : Bull, de la Soc. d'anthr., t. VI, p. 395, 1865. (4) Lagneau : Bull, de la Soc. d'anthr., t. VI, p. 496, 1863. (3) Broca : Clarification et nomenclature crâniométrique, tableau des indices céphaliques. [Revue d'anthr., t. I, p. .',23, 1872.) (6) Calland : Bull, de la Soc. d'anthr., 2<" sér., t. I, p. 280, 1866. (7) Tacite : de Mor. Gcrm., XXX. (8) Vanderkindere : Rech. sur îethn. de la Belgique, p. 37, 44, etc., 1872. 494 ANTHROPOLOGIE ments du Nord et du Pas-de-Calais (i). D'ailleurs, au point de vue an- thropologique, ces Normands sembleraient avoir peu différé des Francks, car, non-seulement les annales de Fuldes (2), ainsi que les vers d'Ermold Nigell, s'accordent à signaler la beauté remarquable de leur visage, leur stature très-élevée, leur aspect imposant, leur agilité, mais ce poëte paraît même les regarder comme étant de même race que les Francks (3). Quant aux Espagnols, dont la domination sur la Flandre et l'Artois dîna près d'un siècle et demi, du règne de Charles-Quint à la paix de Nimègue en 1678, malgré certaines influences sur les mœurs, les coutu- mes, les arts de nos habitants du Nord, leurs descendants y sont vrai- semblablement trop disséminés au milieu de la population ambiante pour qu'il soit facile de les distinguer. Cependant certains noms de familles et aussi certains caractères anthropologiques, entre autres le teint basané, les cheveux noirs et bouclés de certains habitants, ainsi qu'on me le faisait remarquer, il y a quelques années, à Bruxelles, rap- pellent encore la présence d'immigrés espagnols, dont les descendants peuvent d'ailleurs être facilement confondus avec ceux des colons ibé- riens ou ligures de même race paraissant très-anciennement avoir occupé certains points de notre littoral septentrional. De cet exposé ethnologique, il semble ressortir que dans le nord-est de notre pays peuplé par diverses races insuffisamment déterminées, depuis et peut-être avant l'âge archéologique de la pierre polie, deux races principales se sont incessamment croisées et constituent encore actuellement l'ensemble de notre population. L'une, la race celtique» caractérisée anthropologiquement par une tête plus ou moins globuleuse, sous-brachycéphale, par une face courte, ronde, par une chevelure de couleur brune, par une taille peu élevée, paraît anciennement avoir occupé la région septentrionale de notre territoire comme elle en occupe encore principalement et presque exclusivement le centre et le nord- ouest. L'autre race, la race germanique septentrionale, caractérisée anthropologiquement par une tête allongée, dolichocéphale, par une face haute, longue, par une chevelure rousse ou blonde, par des yeux bleus, par une peau remarquablement blanche, par une stature élevée, par une ossature volumineuse, parait avoir eu des représentants dans notre pays au moins dès l'époque néolithique, et a formé principalement les peuples gaëls ou galates, belges, cimbres, germains, saxons, francks, successive- (i) Alp. Paillard : Histoire des invasions des Northmans dans la Morinie [Mém. de la Soc. des antiquaires de la Morinie, t. \, a* partie, p 1-64, 1858). Piers : Hist.de Ifi ville de Thérouanne p. it. etc.; Saint-Omer, 1835. — Dervode les Ancêtres des Flamands [Ann. du com. flamand), t. vin. p. 50, etc.) (2) Annalium Fuldiensium, ann. 884. (Dom Bouquet : Rec. des hist. îles Gaules, t. vin, p. 44, 1652.) |3) Ermoldi Nigelli Carmina, 13-17 (Dom Bouquet : l. c, t. IV, p. 50-54). G. LAGNEAU. — ETHNOGÉNIE DU NORD DE LA FRANCE 495 ment immigrés dans notre région septentrionale en soumettant ou re- foulant la population antérieure de race celtique. Maintenant que depuis longtemps la coexistence prolongée et l'immix-» tion de ces deux principales races celtique et germanique, ont mêlé en toutes proportions leurs caractéristiques anthropologiques, les recherches statistiques de MM. Dévot, Sistach, Boudin et Broca sur les exemptés du service militaire pour taille moindre de lm,56, et sur les recrues do plus de lra,732, permettent encore d'apprécier parfaitement l'influence anthro- pologique que les grands immigrés de race germanique ont eue sur la population antérieure, principalement de race celtique, à taille peu élevée. Tandis que dans nos départements du Nord, du Pas-de-Calais, de la Somme, de l'Oise et de l'Aisne, sur 1,000 jeunes gens examinés il n'y a que 36 à 45 exemptés pour défaut de taille, et sur 1 ,000 recrues il y a 109 à 139 jeunes hommes de haute stature. Contrairement dans certains de nos départements de l'ouest et du centre presque exclusive- ment peuplés d'habitants de race celtique, comme le Finistère, les Côtes-du-Nord, le Puy-de-Dôme, la Corrèze, la Haute-Vienne, sur 1,000 conscrits, il y a de 107 à 174 exemptés pour défaut de taille, et sur 1 ,000 recrues il n'y a que 31 à 43 jeunes hommes de haute stature (1). Plus étudiée, plus approfondie, notre ethnogénie nationale nous ren- drait souvent compte de bien des faits restés jusqu'à ce jour sans explication. Dans notre Europe occidentale, la population de toute région d'une certaine étendue résulte du mélange en proportions inégales d'éléments ethniques plus ou moins nombreux. Cherchons donc à préciser leurs caractères anthropologiques différentiels, à déterminer leur répartition géographique, et à évaluer statistiquement la proportion- nalité de leur mélange. DISCUSSION. M. Dally demande quelle est l'origine du mot flamand et de quelle époque il date. ■ M. Lagneau : Ce mot remonte à l'époque mérovingienne, au commence- ment du cinquième siècle. On a prétendu qu'il était tiré du nom d'un chef mérovingien, mais il faut faire de grandes réserves à ce sujet. Selon certains auteurs il signifie « émigrés ». J'ai surtout insisté sur ce fait que les Flamands (t) Dévot : Essai de statistique médicale sur les principales causes d'exemptions du service militaire, et recherches sur leur fréquence et leur distribution géographique en France, thèse. Paris, 1855. — Sistach : Etudes statistiques sur les infirmités et le défaut de taille considérés comvie cause d'exemption du service militaire (Recueil de méd, chir. et pharm. militaires. 3e série, t. VI, p. 353, 1861). — Buudin : Traité de géographie et de stalist. médicales, 1857; de l'Accroissement de la taille et des conditions de l'aptitude militaire en France [Mèm. de la Soc. d'anthr., t. II, p. 221-259,7 mai 1863, Paris, 1S65).— Broca : Recherches sur l'ethnologie de ta France, elNouvelles Recherches sur l'anthropologie de la France en général et de la basse Bretagne en particulier [Mèm. de la Soc. d'anthr., t. I, p. \ à 56, 26 juillet 1859, et t. III, p. U7-210, 20 décembre 1866.) 496 ANTHROPQLOGIE i a laissent être les derniers immigrants germaniques; le territoire qu'ils ont occupé répond assez exactement à celui des anciens Ménapiens. M. IIovelacque : Dans la population lilloise blonde, à teint clair, — et qu'il faut distinguer des Flamands, — il est aisé de remarquer un certain nombre d'individus caractérisés par le développement de la région jugale et un maxil- laire inférieur, sinon rétrograde, au moins très-peu proéminent. Ce double fait se constate d'une façon particulière chez les femmes. Au sujet du dernier de ces caractères, je n'oserais faire allusion au maxillaire de la Naulette. M. de Quathefages : Ces observations me rappellent des remarques que j'ai déjà laites à Anvers; en me promenant sur le marché, j'ai rencontré un cer- tain nombre de femmes dont le type se rapprochait des crânes de Furfooz. Cette observation fut communiquée au congrès géographique d'Anvers. J'assi- gne une double cause à la présence de ce type parmi les Flamands : 1° la persistance des types quaternaires qui joue, je crois, un très-grand rôle; 2° les traces, signalées par M. Lagneau, d'immigrations de Germains ayant des caractères particuliers, petite taille, cheveux bruns, etc. 11 est probable que ces Germains bruns, ayant des caractères quaternaires, étaient les anciens habi- tants fuyant devant les envahisseurs Aryans blonds. L'oser val ion de M. Hove- lacque s'accorde avec cette doctrine fondamentale pour moi, de la persistance des types anciens. Cette doctrine sur laquelle on a particulièrement insisté dans notre pays pourrait être appelée la doctrine française. M. Yogt : Dans les contrées germaniques il y a eu partout superposition de- deux races, l'une grande et blonde, dolichocépbale, rappelant les Germains de Tacite, l'autre plus petite, brune, brachycéphale. Tantôt le premier type est le plus ancien, comme en Bohême, tantôt il est le plus récent, comme en Souabe où il est superposé à un type brachycéphale. Dans la Prusse orientale il y a eu émigration de dolichocéphales au milieu de brachycéphales. D'autre part il ne faut pas trop appuyer sur les crânes quaternaires; la provenance, par exemple, du crâne de Cannstadt est loin d'être démontrée. M. Dally demande s'il y a véritablement un type flamand et désirerait qu'on en précisât les caractères. M. Hovelacque : M. Dally semble regarder comme peu justifié ce que j'a dit d'un type flamand. J'en appelle à l'expérience et propose à M. Dally quel- ques pérégrinations à la recherche de ce type; il l'aura bientôt reconnu. On n'a guère que huit ou dix crânes flamands, à Bruxelles et dans un ou deux autres musées de Belgique. Us ont été étudiés et ils diffèrent nettement soit des crânes wallons soit des crânes sous-brachycéphales néerlandais qui se trou- vent en nombre dans la collection de M. Broca. Par malheur il est fort dif- ficile de se procurer des crânes flamands. Les Flamands, pleins de préjugés religieux, ne laissent pas toucher à leurs ossuaires. En tous cas la race fla- mande se distingue , entre autres caractères pris sur le vivant, par sa taille moins élevée, en moyenne, que celles des Belges-Wallons, un teint plus mat, des traits beaucoup plus arrêtés , un développement bien moindre des parties molles, une chevelure généralement plus foncée. M. Lecoq demande s'il y a une différence d'origine entre les Flamands et les Hollandais dont les langues sont si voisines. DISCUSSION SUR l'eTIINOGÉNJE DU NORD DE LA FRANCE i(.»7 M. Lagneau : M. Abel Hovelacque paraît penser que les Flamands et les Belges, les uns et les autres rapprochés par moi de la race germanique, diffè- rent notablement par leurs caractères anthropologiques. Certains Flamands, et en particulier d'assez nombreux habitants de Lille, suivant notre collègue, pré- senteraient un grand développement des régions jugales, une disposition obli- que du menton rentrant ou fuyant en arrière, caractères qui s'observeraient souvent avec une coloration plus ou moins blonde des cheveux. Je ferai re- marquer que M. Yanderkindere paraît avoir reconnu statistiquement que les Flamands étaient généralement de petite taille et avaient les cheveux bruns (1) ; caractères bien différents de ceux remarqués par M. Hovelacque, mais d'ail- leurs bien plus différents encore de ceux du véritable type germanique, aux cheveux blonds, aux yeux bleus, à la peau blanche, à la haute stature et aux membres volumineux. La présence dans les Flandres de nombreux habitants de petite taille, à la chevelure de couleur loncée me paraît pouvoir s'expli- quer de deux manières. D'une part, par la présence en celte région d'une po- pulation celtique, brune , petite et brachycéphale , antérieure aux immigra- grations de peuplades d'outre-Rhin. D'autre part par des immigrants d'outre- Rhin n'appartenant pas à la véritable race germanique. En effet, ainsi qm je l'ai tait remarquer au congrès de Bruxelles en 1872, l'ancienne Germanie est loin d'avoir été peuplée uniquement par la grande race blonde, h peau blanche et à membres volumineux qui nous a été décrite par la plupart des auteurs anciens. Tacite indique lui-même que les Cattes, anciens habitants de la Hesse, avaient des membres courts, stricti artus, et offraient une plus grande force de résistance que les autres Germains (2) généralement regardés comme n'étant redoutables qu'au premier choc, et ne supportant nullement la chaleur. Or, de ces Cattes, également suivant Tacite, seraient descendus les Bataves qui étaient venus occuper les îles comprises entre les embouchures du Rhin (3). De ces Cattes et Bataves plusieurs peuplades paraîtraient s'être portées dans la région plus tard appelée les Flandres. Notre collègue M. Daily demande à quelle époque remontent les dénomina- tions de Flamands et de Flandres, et remarque que le type flamand reste bien mal déterminé. Les dénominations de Flamands et de Flandres paraissent remonter vers l'époque mérovingienne. Divers auteurs, entre autres Meyer (4) et Jac. Mal- brancq (o) rapportent que Chlodion ayant vaincu Goldner, chef des Ruthènes et des Cimbres habitant notre littoral septentrional, fit épouser sa fille Théo- dora à Flandbert, neveu de sa sœur Blesinde, et que du nom de Flandbert le pays prit le nom de Flandres, et conséquemment que les Ruthènes et les Cimbres, mêlés de quelques Francks. prirent celui de Flamands. Cette étymo- logie me paraît peu acceptable; des peuples vaincus sont fréquemment amenés à prendre, par le fait même de la conquête, le nom d'un peuple vainqueur, (i) Vanderkindere : Recherches sur l'Ethnologie de la Belgique, p. 43 et suivantes : Bruxelles 1872. (2) Tacite : de Mor. Germ., xxx. (3) Tacite : Hist., 1. IV, cap. xn. (*i Jacob Meyer: Flandricarum rerum. tom. X, fol. 4, anticopix, 1531, in-12. (5) Jacob Malbraucq : de Morinis, t. I, p. 174, 1639, 3 vol. in-4u. 498 ANTHROPOLOGIE mais rarement le nom d'un chef. Aussi me suis-je borné à admettre que les Flamands, Fledmens, Vlaëminks, étaient les derniers immigrants venus, dans cette région, de la Germanie ou de la Saxe, s'ëtendant alors jusqu'auprès du Rhin. Peut-être les linguistes expliqueraient-ils mieux que les historiens l'ori- gine du nom de Vlaëminks. Et, en effet, selon notre collègue M. Abel Hove- lacque, cette dénomination paraîtrait signifier émigrants , signification très- justement applicable aux peuplades transrhénanes établies dans les Flandres. Quoique ces dénominations de Flandres et de Flamands ne paraissent nul- lement remonter jusqu'au premier temps de la domination romaine, il semble que le territoire des Flandres flamingantes corresponde, d'une manière plus ou moins approximative, à la région envahie par les Ménapiens que César nous dit avoir été chassés de leur territoire par les Usipètes et les Tench- tères (1). Je reconnais avec M. Daily que le type flamand reste bien mal déterminé sous le rapport des caractères anthropologiques. Aussi je fais appel aux obser- vateurs du département du Nord et de la Flandre Belge pour mieux préciser ces caractères. De mes différents voyages en Belgique et en Hollande, il m'est resté l'impression qu'un des types, d'ailleurs assez souvent représenté par les peintres, serait blond ou châtain clair, aurait la peau remarquablement blan- che, fraiche, principalement chez la jeune femme, les yeux plus ou moins bleus, le nez arrondi, lobuleux, et présenterait des parties molles abondantes, dissimulant toutes les saillies osseuses, et rendant les traits du visage peu accusés. Mais ce type est -il commun dans les Flandres ? Doit-il être regardé comme prédominant? Non. A Bruges, comme à Lille, il me semble que les cheveux châtains ou bruns sont communs, et que la peau est souvent blan- che, mais sans être très-colorée. Le type que M. de Quatrefages a remarqué sur certains points de la Belgi- que, me rappelle quelques individus que M. Vanderkindere aurait également observés particulièrement près de Bouvines. Ce type peu répandu se ferait remarquer par une taille très-petite, une peau bistre, des cheveux et des yeux très-noirs (2). Quoique dans mon étude ethnogénique de notre population des départements du Nord, la plupart des documents paraissent se rapporter à deux races prin- cipales, ainsi que MM. Cari Vogt et de Quatrefages, je crois que, dans notre Europe occidentale, les peuples sont considérablement mêlés par migrations en directions diverses et à différentes époques. Au congrès de Bruxelles, en 1872, et depuis, j'ai insisté pour montrer que dans l'Allemagne actuelle, où Tacite et maints autres auteurs nous signalaient anciennement une race de grande stature, aux cheveux blonds, aux yeux bleus, aux membres volumi- neux, se trouvent également de nombreux habitants de taille moins élevée, aux cheveux bruns, .l'ai rappelé alors que M. Mayer de Berlin, qui, dans ses recherches sur l'âge auquel se manifeste la première menstruation chez les jeunes filles de l'Allemagne centrale et septentrionale, a eu le soin de noter (1) César : De Bello Gallico, pi. IV, cap. i-xix. (2) Vanderkindere : 1. I, p. 55. DISCUSSION SUR l'ETHNOGÉNIE DU NORD DE LA FRANCE 499 leur taille et la couleur de leurs cheveux, met à même de reconnaître que la proportion des brunes est considérable (1). M. Cari Vogt en signalant la stratification de plusieurs races en Bohème, me rappelle que dans ce pays l'histoire nous a conservé le souvenir de plu- sieurs peuples l'ayant successivement habité. Tacite et Strabon nous montrent les Boïes, homonymes de ceux des bords de l'Allier, et des environs de la Teste- de-Buch, allant des Gaules se fixer dans la région depuis appelée Bohème Boisemum (2). Plus tard, ces Boïes furent chassés ou vaincus par les Marco- mans, ainsi que l'indique Tacite (3), Les Boïes, sortis des Gaules, les Marco- mans vraisemblablement de race Germanique occupèrent donc cette contrée bien avant les Tschèques, de race Slave. M. Lecoq me demande si, entre les Hollandais et les Flamands, il y a pour la conformation céphalique les mêmes analogies existant entre leurs langues. Les rapports linguistiques sont incontestables et incontestés. Quant à la conformation céphalique, de même que dans les Flandres flamingantes il paraît y avoir des types humains multiples, de même, suivant M. Lubach (4), des types très-différents existeraient en Hollande, soit à l'état de mélange, soit séparément à un état de pureté relative, ainsi que sembleraient l'indi- quer certains crânes brachycéphales, assez uniformes, étudiés par MM. Sasse de Zaandam, et Assézat (5). M. Prunières : Quelques mots au sujet de la persistance jusqu'à nos jours, des races de l'époque quaternaire. J'ai exposé l'an dernier, à Lyon , que sur les causses lozériens, dans la contrée de la Lozère que j'ai appelée la « région des dolmens », on trouvait, surtout dans les communes où ces monuments sont très-nombreux, une population actuelle dont les crânes sont souvent sem- blables à ceux que l'on retire des dolmens avoisinants. Or la plupart de ces derniers ressemblent fort à ceux de la caverne de l'Homme-Mort, ressemblant eux-mêmes à ceux de Cro-Magnon. Cette population actuelle dolichocéphale de nos causses a généralement les cheveux foncés et les yeux noirs. M. de Quatrefages : Il faut absolument distinguer les deux termes « po- pulation » et « race » ; ainsi, dans la population flamande, on trouve deux races distinctes. Quant aux doutes élevés par M. Vogt sur le crâne de Cann- stadt, je ne suis pas édifié sur leur valeur. Du reste un fait subsiste, c'est que ce crâne appartient bien décidément au type du Neanderthal et par con- séquent doit être considéré comme étant de la même race. M. Prunières : La race dolichocéphale de nos causses n'est pas caractérisée seulement par les crânes, mais aussi par les os longs, ainsi que j'en fournirai la preuve à la prochaine séance. Il semble que la race de Cro-Magnon se soit ici perpétuée avec tous ses caractères; la cannelure des péronés, notamment, est tout aussi remarquable . (1) Louis Mayer -'Exposé statistique de la menstruation dans l'Allemagne septentrionale et cen- trale (Congrès médical international de Paris en 1867, p. 212, 1868). (2) Tacite : de Mot. Germ., XXVIII.— Strabon. 1. VII, cap. Il, ? 2, p. 244, col. Didot. (3) Tacite: de M or. Germ., XLII. (4) Lubach : les Habitants de la Néerlande; extrait dans Bull, de la Soc. d'anthropol., t. IV, p. 4S1-497, 1863. (5) Sasse : Sur la forme crânienne des Néerlandais {Revue d'anthropologie de M. Broca, t. III. p. 157 et 341-5, 1874.) 500 ANTHROPOLOGIE M, Girard de Riai.i.i: : Je profite d'une phrase de M. de Quatrefages cou reniant des Aryas blonds pour faire une remarque qui me semble opportune. On n'a aucun motif scientifique d'affirmer que les vrais Aryas fussent blonds. Je n'ignore pas que c'est une opinion généralement répandue, mais elle me semble avoir la même origine que l'expression ^Indo-Germanique : un senti- ment de vanité a poussé certains savants à accorder à la race dite supérieure dans l'humanité, le type que Tacite donnait aux Germains. Si, comme l'a fort bien dit M. de Quatrefages, la persistance des types primitifs est un fait p sitif, c'est dans les pays d'où l'on fait venir la race Aryenne, que l'on doit chercher le type aryen vrai ; les habitants des hautes vallées de l'Oxus et du Zarafchau seraient donc très-probablement les représentants des anciens Aryas; or. les Tàdjiks éraniens de ces contrées ont le type des Parsis actuels de Bom- bay, qui est en même temps le type des Perses sculptés sur les monuments des Achéménides; or ni les Parsis, ni les Tàdjiks, ne ressemblent au type Allemand classique. Ils ont la chevelure et les yeux noirs, au lieu de les avoir de couleur claire. Je crois utile de faire ces réserves, et de reléguer la théorie des Aryas primitifs blonds parmi les hypothèses non encore démon- trées. M . de Quatrefages : Je suis disposé à faire à ce sujet toutes les réserves possibles ; seulement, je ferai observer que dans les montagnes du nord de l'Indus, il y a des populations, les Kiaffirs ou Tyapouchs, parmi lesquels on a remarqué des individus blonds aux yeux bleus. Il y a donc dans ces contrées, admises comme patrie originelle des Aryens, un élément ethnique blond. Le langage de ces tribus serait également très-antique. M. Hovelacque : La patrie des Aryas pourrait peut-être se placer davan- tage vers l'occident (mais toujours en Asie) ; certains auteurs penchent vers cette opinion. M. de Quatrefages : Ce qu'on a nommé le Caucase Indien serait peut-être une localité mieux choisie. M. Girard de Rialle : Sur la langue des tribus dont a parlé M. de Qua- trefages, je pourrai donner quelques renseignements. J'ai, il y a peu de temps, étudié les vocabulaires et les quelques phrases qui se trouvent dans les lettres du malheureux Haynard, voyageur anglais assassiné dans le Dar- distan, et je puis assurer qu'elle n'a point du tout le caractère d'antiquité que d'autres voyageurs ont cru pouvoir lui accorder. Le verbe, par exemple, a toute la physionomie du verbe persan moderne, si différent du verbe vieux- baktrien. I)1 CHIL-Y-NARANJO. — ORIGINE DES PREMIERS CANARIENS 501 M. le D1 CÏÏIL-Y-MMNJO Je Palmas (Grande-Canarie) . ORIGINE DES PREMIERS CANARIENS — .Séance du il août 1 874. — Les îles Canaries, autrefois nommées îles Fortunées, sont situées vis- à-vis la côte du Maroc entre les 27° 30' et 29° 25' de latitude nord et les 7° 2' 30" et 12° 2' 30" de longitude ouest comptés du méridien de l'obser- vatoire de San Fernando de Cadix. L'aspect des diverses iles qui composent ce groupe diffère beaucoup; a Sainte-Croix, de Ténérife, la côte est hérissée d'immenses rochers arides, mais en montant à l'antique ville de Laguna on rencontre des plaines d'une grande fertilité; de POrotava l'on jouit déjà de merveilleux points de vue, puis, dépassant les forêts d'Agua-Garcia, on arrive au pic du Teyde d'où la vue, s'étendant sur quarante lieues de mer, embrasse le groupe entier des îles. C'est à Gran-Canaria que l'on trouve enfouis sous les laves les tombes des habitants primitifs des Canaries, sur une presqu'île volcanique reliée à l'île même par un isthme. Apres avoir traversé des sables mouvants qui rappellent ceux du Sahara, on arrive à la belle ville de Las Palmas, ancienne capitale des Canaries, environnée de terrains tellement fertiles qu'on y fait annuellement jusqu'à trois récoltes. En marchant vers le sud, après avoir traversé une zone très-accidentée et fort aride, on arrive à Telde, coquette ville entourée de bois d'orangers et de pal- miers; la douceur du climat et sa salubrité sont telles que les maladies y sont presque inconnues et que les personnes âgées de plus de quatre- vingt-quinze ans n'y sont point rares. En quittant Las Palmas, si l'on monte à Tafira et sur le Monte Leii- liscal, on trouve les pépérinos, coulées de laves du volcan Bandama, ayant jusqu'à trois et quatre mètres d'épaisseur ; c'est le type de la vraie Cal- dera; les pépérinos et le fond même de la Caldera sont plantés de vignes. En s'élevant jusqu'à la Cumbre, c'est-à-dire sur les hauts pla- teaux, on a sous les yeux un panorama splendide, et sur le sommet d'un des plus hauts pics s'élève le Nublo, immense obélisque monolithe; enlin, un peu plus au sud, on est arrêté par le précipice de Tirajana presque à pic et d'une étendue de quatre à cinq lieues ; il est impos- sible, sans l'avoir vu, de se faire une idée d'une nature aussi accidentée et Cependant il y a deux petites villes dans cette partie de l'île que 502 ANTHROPOLOGIE j'appellerai le Paris des végétaux. Car de même que Paris devient presque une seconde patrie pour les étrangers de tous pays qui y abon- dent et ne le quittent qu'à regret, de même les plantes qui croissent sous tous les climats et à des altitudes les plus diverses réussissent parfai- tement à Tirajana; ainsi le châtaignier, qui habite les hauts plateaux et auquel le froid et l'humidité semblent favorables, croît à Tirajana côte à côte avec le guayabo du Pérou, et tous deux y donnent de superbes fruits. Les fougères, l'olivier, le grenadier, l'oranger, le noyer, le peu- plier, etc., prennent ici des proportions inusitées ailleurs; enfin, tous les végétaux, de quelque pays qu'ils proviennent, s'acclimatent parfaite- ment, c'est pourquoi je persiste à dire, quelque forcée que paraisse cette comparaison, que Tirajana est le Paris des végétaux. La population se compose de trois races distinctes, savoir : des des- cendants des canariens primitifs (Guanches), encore bergers et essen- tiellement grimpeurs, ils habitent les grottes les plus élevées du massif; l'andalou qui a fondé les villes ; et enfin le nègre amené de la côte de Guinée, à la fin du xve siècle, pour la culture de la canne à sucre, et qui habite les grottes des vallées. Ces populations sont restées étran- gères les unes aux autres; la femme du groupe andalou est d'une mer- veilleuse beauté et citée comme le type le plus accompli de la femme des Canaries. A Tegeda, l'on rencontre le pays plus accidenté, et le pins des Cana- ries y couronne les sommets des pics les plus élevés ; en redescendant à la Montana de Doramas on trouve une forêt d'arbres séculaires d'une végé- tation vraiment exubérante qui donne asile à de nombreux oiseaux par- ticuliers à l'île ou venus de la côte d'Afrique. Viennent ensuite : Fuertaventura, plus rapprochée du continent afri- cain, pays de plaines arides l'été, mais se couvrant d'une végétation vigoureuse pendant la saison des pluies ; dans ces plaines s'élèvent de nombreux troupeaux de dromadaires si utiles dans notre pays accidenté ; Lanzarote, île volcanique renommée pour ses vins; Palma, célèbre par sa caldera et ses forêts; Gomera, où l'on élève une race de petits che- vaux très-vigoureux, et enfin Ilierro. L'habitant des Canaries est un véritable enfant de la nature; peu ambitieux, sobre, pacifique, il reste, sur son sol fortuné, étranger aux guerres de partis qui, en ce moment encore, ensanglantent la péninsule ibérique; ses aptitudes varient avec les milieux qu'il habite; à Fuerta- ventura c'est un marcheur infatigable, il met sa gloire à suivre ses dro- madaires à la course; à Gran-Canaria, l'île aux grands rochers, el principalement à Guayadeque, Tirajana et Tegeda, habitué à descendre ou à gravir les pentes des précipices, c'est un véritable grimpeur. Ces Enriscadorcs peuvent seuls explorer les pentes à pic où sont situées les 1)' CH1L-Y-NARANJ0. — ORIGINE DES PREMIERS CANARIENS 503 grottes qui servaient de demeures et de sépultures aux premiers habi- tants de l'île. Employant ces hommes à l'exploration des grottes, j'ai pu les examiner à loisir : la face plantaire de leurs pieds, et ceci ne doit pas surprendre, est revêtue d'une vraie semelle . épaisse et dure qui ne nuit en rien cependant à la sensibilité, car sans regarder, au tact seul, ils reconnaissent si la roche à laquelle ils vont se confier offre une résistance suffisante. Leurs orteils ont une grande mobilité, avec eux ils prennent des pierres, arrachent des touffes d'herbe, ils sont en un mot de vrais organes de préhension; les enriscadores sont maigres. Ptolémée lit passer son méridien par l'île Hierro, et sous le règne de Louis XIII, le cardinal de Richelieu réunit à Paris, à l'Arsenal, les plus célèbres mathématiciens de l'époque alin d'établir ce même méridien pour la France. Les îles Canaries sont connues depuis une haute antiquité, et le commandeur don Christobal Perez del Gristo, père Louis de Anetrieta de l'ordre des Jésuites, a recueilli de nombreux documents qu'il a publiés dans son remarquable ouvrage Eccelencias de las islas Canarias. Les légendes sur les origines des Guanches ne font pas défaut ; selon quelques auteurs, Gran-Canaria tira son nom de deux des fils de Noé qui vinrent s'y fixer, Crana et Crano, d'où l'île prît son nom de Cra- naria qui plus tard devint Gran-Canaria ; Gomer, fils de Japhet, donna son nom à la Gomera, et Hero, l'un de ses fils, donna le sien à Hierro. Suivant- d'autres auteurs, ce fut en 1542 avant Jésus-Christ, que sous le règne de Habis, roi d'Espagne, l'île de la Palma fut peuplée par une émigration produite par une sécheresse qui désola l'Espagne pendant sept années consécutives. La première occupation de Ténérife fut attri- buée à Quintus Sertorius qui, fatigué des agitations de Rome, s'y retira pour y vivre oublié et tranquille. Enfin Lanzarote et Fuertaventura auraient été peuplées par des Mauritaniens chassés de leur pays. Citons encore les légendes qui font peupler les Canaries par des tribus d'Israël échappées au joug de Salmanazar, ou par des colonies phéni- ciennes et enfin celle qui considère les habitants des îles comme les restes de la nation atlantide réfugiée sur les sommets élevés lors du cataclysme qui engloutit dans l'Océan le continent qu'elle peuplait. Le seul auteur qui parle des Canaries avec connaissance de cause est Pline qui cite le rapport que Juba envoya à Auguste et dans lequel figure le nom de Canaria avec l'orthographe actuelle, lequel nom lui aurait été donné à cause de la multitude de grands chiens quelle ren- fermait; le rapport dit aussi qu'on y trouvait des vestiges de monu- ments, mais ne parle nullement de la population, à moins que le cha- pitre qui la concernait n'ait point été conservé. Ces ruines, signalées par Pline, ne pourraient-elles pas être les restes 504 A N Tfl ROPOLOG1 1: des établissements des Phéniciens qui venaient à la pêche du murex dont ils tiraient la pourpre, car de nos jours les pécheurs canariens qui parcourent les iles établissent des campements temporaires qu'ils abandonnent en quittant la place et qui tombent rapidement en ruines. Juba, marié à Cléopâtre la jeune, lille d'Antoine et de la reine d'E- gypte, reçut de l'empereur Auguste le royaume de Mauritanie dont son père avait été dépossédé pour avoir pris le parti de Pompée; le royaume restait cependant sous la domination romaine^et l'armée était composée de soldats mauritaniens commandés par des officiers romains. Homme vraiment supérieur, Juba ne voulut pas admettre dans ses Ëtats certains cultes encore en honneur à Rome, tels que ceux de Vénus et de Priape; aussi fit-il reconnaître les Canaries dans la pensée d'y fonder des colonies où il pourrait, tout en gardant la forme gouverne- mentale romaine, moraliser les croyances religieuses du peuple. Natu- rellement les chefs de la colonisation étaient Romains. La croyance en un Dieu était le fond de la religion des anciens cana- riens; les sacrifices humains et ceux d'animaux étaient inconnus, les manifestations du culte consistaient en visites aux temples vénérés, en grandes processions rogatives dirigées par le grand prêtre (Faycan) accompagné des harimagiiadas, sortes de vestales qui faisaient vœu de chasteté, elles habitaient des grottes spacieuses et élevaient les filles des rois et des grands. Dans les sanctuaires on faisait des libations de lait, on brisait des vases avec certaines cérémonies et le peuple portant des palmes et des branches d'arbres se rendait au bord de la mer en chantant des hymnes pour demander la fin de la sécheresse, et là on frappait l'eau avec les palmes en se plaignant qu'elle retenait les nuages qui déversent, la pluie. Le pouvoir civil était distinct du pouvoir religieux qui, en ces îles fortunées, obéissait à l'autorité sans chercher à la supplanter, et ne s'occupait que des pratiques religieuses et des bonnes mœurs. La royauté était héréditaire, mais le roi ne pouvait prendre aucune détermination sans consulter le Sabor, chambre élective; composée de nobles élus par une sorte de plébiscite. Quand une vacance se produi- sait dans le Sabor; le roi, le grand-prêtre et tous les conseillers se réu- nissaient, le candidat les cheveux rejetés sur les épaules se présentait devant l'assemblée et le grand-prêtre interrogeait le peuple sur sa con- duite; si des plaintes appuyées de preuves étaient formulées, le Faycan, avec son couteau de pierre, lui coupait les cheveux au-dessus des oreilles et il était exclu à jamais par celte marque de déshonneur; si, au contraire, l'épreuve était favorable, le grand-prêtre remettait au can- didat le magado, arme de guerre des Canariens, et lui rappelait qu'il Dr CHIL-Y-NARANJO . — ORIGINE DES PREMIERS CANARIENS 505 devait, de cette arme, défendre la loi et la pairie, et le roi le procla- mait membre du Sabor. La polygamie n'existait point aux Canaries, la femme y était respectée. Lorsqu'une jeune lille était demandée en mariage, après l'acceptation, elle demeurait encore pendant trente jours avec ses parents, qui l'en- graissaient avant de la livrer à son mari lequel avait le droit de la répudier si elle n'était pas jugée assez robuste pour donner le jour à des enfants bien constitués. Du reste cette faculté ne dégénéra jamais en abus, les Canariens étant d'une honnêteté scrupuleuse dans l'exécution de leurs contrats. L'homme qui ne travaillait pas était méprisé. La peine du talion était la base des lois répressives. La majorité du peuple était troglodyte, cependant ils bâtissaient des maisons ; leurs tissus étaient grossiers, mais ils savaient parfaitement tanner les peaux qu'ils teignaient ensuite de différentes couleurs ; leurs poteries, assez élégantes de formes, étaient ornées de lignes entrelacées ; ils connaissaient l'art d'embaumer les morts, mais ils n'employaient pas les métaux ; jusqu'à ce jour on les avait considérés comme ignorant l'écriture, et cependant au moment de mon départ on venait de décou- vrir à Hierro des signes sur lesquels M. le général Faidherbe a, paraît- il, fait un travail dont j'ignore encore les conclusions. 11 y a quelque temps, j'ai trouvé une hache polie et, plus récemment, une deuxième d'un module plus petit, qui auraient pu faire croire à l'existence d'un peuple habitant les îles antérieurement à la colonisation de «Tuba; mais ces deux faits isolés ne prouvent rien, car depuis le com- mencement de ce siècle, on a remué tous les pépérinos du mont Len- tiscal, pour y planter des vignes, sur une étendue de plus de quatre lieues. Dans beaucoup de localités des autres îles les laves ont aussi été enlevées, et jamais l'on n'a trouvé un seul vestige de la présence de l'hom- me. Cependant jamais aussi des fouilles minutieuses n'ont été faites et je compte à mon retour à Palma combler cette lacune. Depuis l'arrivée aux Canaries du célèbre Jean de Béthencourt en 1402 jusqu'à la conquête de Ténérife en 4495, les malheureux Canariens ont été, sous prétexte cl'évangélisation, traqués et réduits en esclavage; des prêtres, des évêques, ne craignirent point de diriger eux-mêmes ces entreprises iniques, et jamais cependant les malheureux opprimés n'es- sayèrent de rendre le mal pour le mal. Malgré tout, la race n'a point disparu et ses descendants, croisés dans quelques endroits, peuplent encore les îles. Enfin la reine Isabelle la Catholique donna une Chambre (Fuero) aux îles et envoya pour les gouverner de justes magistrats, de dignes évêques, et, grâce à leur sage administration, l'œuvre morali- satrice commencée par Juba reçut son entier développement. 36 ,')(>() ANTHROPOLOGIE DISCUSSION M. Dally désire savoir ce que sont devenus les Normands qui accompa- gnaient Jean de Béthencourt. M. Chil répond qu'un certain nombre d'indigènes des Canaries, notamment à Fuertaventura, présentent encore le type normand le plus caractérisé. M. Voot. Nous avons des récits de l'extermination complète des Guanches. Cela peut être exagéré, mais, en tous cas, quelles peuvent bien être les preuves île ce fait que les habitants actuels soient les descendants des anciens Guanches? Quelles sont ces preuves, spécialement sous le rapport anthropo- logique? M. Broca. 11 subsiste encore des doutes dans l'esprit de ceux qui ont lu M. Sabin Berfhelot, selon lequel les Guanches n'auraient pas été exterminés par les Espagnols et formeraient encore le fond de la population des Canaries. Cela est probable, mais il nous manque à cette heure encore des preuves anatomiques : nous voudrions comparer les ossements des anciens Cana- riens avec ceux des modernes. M. Chil parle des plus anciennes sources con- statées (auxquelles il aurait pu joindre quelques médailles) et qui nous condui- sent jusqu'à Juba; il en conclut que la population dont il s'agit ne remonte également qu'à Juba. Il me semble, cependant, que ces îles sont bien près de la côte, et la mer qui les en sépare a dû être traversée souvent par les Phé- niciens et d'autres navigateurs. Je pense que Juba a fait aux Canaries ce qu'y firent plus tard les Espagnols : il a introduit la civilisation de son pays au milieu d'une population qui occupait déjà ces îles. Les deux types berbers existent aux Canaries : il est possible qu'ils proviennent d'une très-ancienne colonisation partie du continent. M. Vogt. Il est difficile de croire qu'avec ces deux éléments peu avanta- geux, les berbers de Juba, puis les catholiques, éléments barbares, il ait pu se former une civilisation aussi heureuse que celle dont parle M. Chil. M. Lagneaù. Les os longs des Canariens doivent être soigneusement recueillis; on a déjà parlé de la perforation de la fosse olécrânienne que présentent souvent les Guanches. Quant à leurs orteils crochus, c'est un fait constaté également chez les kabyles; il est dû à l'habitude de vivre au milieu de pays tf es-accidentés. M. Chil. Ce caractère se rencontre chez de très-jeunes enfants. Il a donc été fixé, et il est devenu héréditaire. PIIUMÈRES. — OS LONGS DES DOLMENS DE LA LOZÈRE 507 M. PROIERES de Marvejola (Lozère). PRÉSENTATION DOS LONGS PROVENANT DES DOLMENS DE LA LOZÈRE — Séance du Si uoût 187L — « Je demande la permission de présenter à la section un certain nom- bre de péronés qui me paraissent offrir un assez grand intérêt anthro- pologique. Je disais, ce matin, dans le cours de la discussion qui a suivi la lecture du savant mémoire de M. Lagneau, que la race de la caverne de l'Homme-Mort a laissé ses restes, qui y sont même en grande majo- rité, dans tous les dolmens que j'ai fouillés, et que cette race s'était perpétuée de siècle en siècle jusqu'à nos jours, dans certaines com- munes iozériennes. J'avais émis la même assertion l'année dernière au congrès de Lyort» On sait d'ailleurs que les squelettes de l'Homme-Mort sont, à la taille près, semblables aux célèbres squelettes de Çro-Magnon. J'ai rappelé que ce fait était établi non-seulement par la parfaite res- semblance des crânes magistralement étudiés par M. Broca, mais en- core, et d'une façon non moins décisive, par l'identité des divers os longs : lémurs, tibias et péronés. Les péronés de Cro-Magnon présentèrent des caractères si particuliers, si différents de tous ceux qu'on avait remarqués jusqu'alors, qu'en dé- crivant, devant la Société d'anthropologie, les os de ce gisement célè- bre, M. Broca n'hésita pas à faire de la profonde cannelure antérieure du péroné un caractère ethnique d'une haute importance. Or, ces péronés si caractéristiques, je les ai retrouvés, disais-je ce matin, dans les dolmens de la Lozère comme dans la grotte de l'Homme-Mort. Mais à l'Homme-Mort, il n'y a qu'une race, la race la plus homogène peut-être que l'on connaisse. Tous les crânes de cette race sont doli- chocéphales, mais vous voudrez bien vous rappeler qu'ils le sont avec des degrés divers toutefois, et que, si la moyenne de cette dolichocéphalie est de 73 0/0, certains crânes n'ont qu'un indice de 70, et d'autres atteignent ou dépassent 75'. Or, les variations se retrouvent dans les péronés qui sont tous cannelés, mais à des degrés divers, et quel- quefois d'une façon presque insensible, ce qui est très-rare toutefois. Il n'en est plus de même dans nos dolmens, où je trouve, mêlée aux débris des hommes de l'Homme-Mort, une population nouvelle à crânes brachycéphales très-caractéristiques» Ici, les péronés varient comme les Crânes, et si beaucoup de péronés sont cannelés comme à Cro-Magnon, 5()8 ANTHROPOLOGIE d'autres sont triangulaires, et quelques-uns présentent la torme d'un cylindre irrégulier à base carrée ou rectangulaire qui les différencie com- plètement des premiers. Voici, à l'appui de cette assertion, quelques pièces qui devront, je n'en doute pas, lever tous" les doutes. » Les deux premiers péronés exposés par M. Prunières ont été compa- rés, avant-hier, par M. Broca lui-même, aux. célèbres péronés de Cro- Magnon au laboratoire d'anthropologie de l'Ecole des hautes études ; et il a été facile de constater que ces os, de date et de provenance si différentes, sont absolument identiques avec les mêmes formes et les mêmes dimensions. Aucun doute à ce sujet n'est possible, et n'est manifesté ni par M. de Quatrefages ni par les membres les plus compétents de la Société d'an- thropologie de Paris, MM. Daily, Lagneau, Bertillon, Hovelacque et autres savants qui examinent successivement ou simultanément les péro- nés de M. Prunières. Les deux péronés suivants, montrés comme terme de comparaison, sont au contraire à base rectangulaire; et ces nouveaux péronés diffé- rent tellement des premiers, qu'on serait tenté, à première vue, de les croire étrangers à l'homme. M. Prunières montre ensuite un péroné de femme de la caverne de l'Homme-Mort. Cet os, fortement cannelé, offre une cassure médiane, qui permet de voir que les péronés à profonde cannelure ont souvent la forme de la baïonnette, et ne sont pas d'ailleurs caractéristiques du sexe. Un autre péroné, également de la caverne de l'Homme-Mort, et ap- partenant à un enfant, prouve de même que la cannelure n'est pas non plus un caractère de l'âge, car cette cannelure est ici proportionnelle- ment tout aussi profonde que sur les deux premières pièces, qui appar- tiennent à des hommes adultes, fortement constitués et déjà plus ou moins âgés. M. E. DALEAÏÏ de Bourg-sur-Gironde. GROTTE DES FÉES — Séance du Si août IS7f. — Je viens vous signaler la découverte que j'ai faite, le 3 octobre der- nier, en compagnie de mon ami et collègue, M. Maufras, d'une habita- F. DALEAU. — LA TAILLE DU SILEX A L'ÉPOQUE PRF.IIISTORIQI'F 509 tion appelée Grotte-des-Fées, située au Roc, commune de Marcamps, canton de Bourg (Gironde). D'après les fouilles que j'ai terminées ces jours-ci, elle appartient à l'âge du renne, et a la plus grande analogie avec la grotte de Bruni- quel (Tarn-et-Garonne), fouillée et décrite par M. Victor Brun. J'aurais voulu vous en donner la description aujourd'hui, mais j'ai promis ce travail à la Société archéologique de Bordeaux, à laquelle j'ai l'honneur d'apparteni'1 M. F. DALEAU de liourg-sur Gironde. NOTE SUR LA TAILLE DU SILEX A L'ÉPOQUE PRÉHISTORIQUE — .S c' a nre il u 24 août 1 H 7 4. — La taille des silex se faisait de deux façons : 1° Par la percussion d'une roche quelconque sur le silex, Exemple : haches de Saint- Acheul, pointes de lances de Solutré, haches polies avant le polissage; 2° Par la pression du silex sur l'os, Exemple : la plupart des grattoirs ou couteaux-grattoirs. La taille par la pression, ou par le frottement du silex sur l'os, avait lieu comme suit : L'ouvrier enlevait, du bloc matrice ou nucleus, au moyen d'un per- cuteur en silex ou en toute autre roche, la croûte blanchâtre dite cacholong ; puis au moyen de coups secs, il détachait de ce bloc des lames ou longs éclats. Ces dernières, à bords très-tranchants, servaient à scalper la chair, et par l'usure devenaient couteaux-scies, et avec plus de facilité, coupaient en sciant les parties dures ou tendineuses. Entin, s'usant encore davantage par son frottement presque continuel sur l'os, la partie tranchante changeait d'aspect en devenant obtuse, et le grattoir, arrivé ainsi à son état complet de retouche, était abandonné. On se sert de nos jours de fragments de verre à vitre pour racler le cuir, le bois ou l'os. Si l'on regarde avec précaution le tranchant du verre ne pouvant plus racler (et que par conséquent on abandonne), on le trouvera aussi bien retouché que nos plus beaux grattoirs. C'est du reste cette observation qui m'a donné l'idée de la taille par la pression, système que j'ai expérimenté, soit sur le silex ou sur le verre. •)I0 ANTHROPOLOGIE Si les silex étaient communs dans la localité où se trouvait la station, les grattoirs complets étaient laissés en place. Si au contraire, elle se trouvait dans un milieu où on était obligé d'apporter ces roches, l'ou- vrier conservait l'outil qu'il eût abandonné dans le premier cas. Au moyen de deux coups donnés à la partie intérieure de la laine, il refaisait deux tranchants latéraux, qui de nouveau étaient utilisés. Ce grattoir, à base pointue, servait de perçoir et à inciser longitudi- nalement les os et les bois de cervidés. Les deux éclats résultant de ces chocs, retouchés d'un côté seulement, ne doivent pas être confondus avec les pointes de flèche (1) comme cela a lieu la plupart du temps. Voici maintenant les faits qui viennent à l'appui de mon assertion, sur les grattoirs retouchés, que je considère comme instruments aban- donnés. Généralement, on trouve dans les grottes ou abris, proches de la craie, un nombre de grattoirs complètement retouchés beaucoup plus consi- dérable que de lames intactes, et la plupart du temps, ces outils sont groupés en certain nombre comme si l'ouvrier les avait rejetés autour de lui, au fur et à mesure qu'il les usait. 11 est certain que si ces outils avaient coûté un travail de retouche, au moyen d'un percuteur quelconque, on ne les trouverait pas intacts en aussi grande quantité. Car les instruments en os et bois de cervidés, qui ne demandaient pas un travail beaucoup plus long que la retouche, sont très-rarement complets, quand ils sont épars. Je dis épars, parce qu'on en rencontre d'intacts, qui ont dû être oubliés dans des cachettes. Dans le cas contraire, on ne doit les considérer que comme instru- ments égarés. Je termine en disant : que les grattoirs complets sont des outils usés, et par conséquent abandonnés intentionnellement, tandis que les instru- ments complets, en os ou bois de cervidés, les dents et les coquilles percées, font partie des objets égarés par les troglodytes. Quant à la diversité des formes, des couteaux et des grattoirs, à laquelle on attache souvent tant d'importance, je crois qu'elle est due généralement beaucoup plus à la forme prinvtive de la lame qu'au goût réel de l'ouvrier. (1) Ce à quoi cependant on pourrait les utiliser. E. DALLY. — LA CHEVELURE DANS LFS RACES HUMAINES 511 M. E. DALLY Vice-Président de la Socitté d'nijtliropologie de Paris. 4>E LA CHEVELURE COMME CARACTÉRISTIQUE DES RACES HUMAINES — Séance du §§ août 1874. — Les tentatives de classification des races humaines fondées sur un seul caractère, n'ont pas donné jusqu'à ce jour de résultats bien satis- faisants. Malgré le développement extraordinaire des études crâniolo- giques, les crânes eux-mêmes ne sauraient déterminer les groupes natu- rels des types humains. La couleur de la peau a conservé une impor- tance que la crâniologie n'a point diminuée ; en même temps l'étude des proportions des membres a pris place dans les travaux des anthropolo- gistes; je voudrais aujourd'hui appeler l'attention de la section sur les caractères tirés de la chevelure qui a donné lieu à des travaux qui n'ont peut-être pas été suffisamment systématisés. Bory de Saint-Vincent a le premier, croyons-nous, attaché à ce der- nier caractère une importance décisive. Il a, dès 1825, dans son Essai zoologique sur le genre humain, divisé ce genre en deux grands groupes, les Léiotriques et les Ulo triques, c'est-à-dire le groupe des hommes à cheveux lisses et celui des hommes aux cheveux crépus, division sur laquelle nous reviendrons plus loin. Plus tard, Isidore Geoffroy-Saint- Hilaire, dans son mémoire sur la Classification anthropologique, a pris pour base fondamentale l'insertion des cheveux en attribuant à la seule race hottentote l'insertion circulaire, tandis que dans toutes les autres races humaines la ligne d'insertion est anguleuse. Mais parmi celles-ci les unes ont les cheveux lisses, les autres les ont crépus; de là une nouvelle subdivision empruntée, sans commentaire, à Bory, qui com- prend, d'une part, les races caucasique, américaine, hyperboréenne, malaise et mongolique (cheveux lisses), et d'autre part les Cafres, les Ethiopiens et les Mélanésiens (cheveux crépus). Ces différentes classes sont différenciées entre elles par des caractères de plus en plus spéciaux qui ne se rattachent point à la chevelure. Cette classification, tout en prenant les cheveux pour point de départ, réduisait à un degré d'extrême simplicité les caractères de la chevelure, beaucoup plus complexes que ne semblerait le comporter la dichotomie d'Isidore Geoffroy. Broca, dans ses Instructions générales sur V anthropo- logie) (p. 57), Pruner-Bey, dans ses deux mémoires sur les Caractères microscopiques de la chevelure (Mémoires de la Soc. d'anthrop., t. II et 512 ANTHROPOLOGIE III), et tout récemment Hœckel, dans son Histoire le lu création des êtres organisés (trad. Letoumeau, 1874, p. 59), et Frédéric Mùller, dans son Ethnographie générale (Vienne, 1873), ont singulièrement augmenté l'importance que l'on attachait aux caractères taxonomiques tirés de la chevelure. Nous aurons à revenir sur les travaux histologiques donnés par Pruner-Bey. Broca a particulièrement décrit la nature des cheveux. Il a précisé dans les termes suivants les recherches auxquelles les voyageurs doivent se livrer : « La nature des cheveux doit être constatée avec soin. On dira s'ils sont longs ou courts, rares ou abondants, roidesou souples, lisses, ondes, bouclés, frisés ou laineux. Les cheveux lisses n'ont pas besoin d'être définis; les cheveux sont ondes lorsqu'ils décrivent de longues courbes ondulées; bouclés lorsque, au-delà d'une certaine longueur, ils se re- courbent en tonnant des anneaux en général incomplets et assez larges; frisés lorsqu'ils forment dans toute leur longueur des anneaux ordinai- rement plus petits que les précédents. Les cheveux laineux diffèrent enfin des cheveux frisés par deux caractères; d'une part ils décrivent des anneaux encore plus petits ; d'autre part ils s'enroulent et s'entortil- lent avec leurs voisins de manière à former de petites touffes crépues dont l'aspect rappelle celui de la laine. Comme les cheveux laineux sont en général assez courts, leurs touffes sont globuleuses et serrées les unes contre les autres. La forme extrême des chevelures laineuses porte le nom de chevelures à grains de poivre; elle s'observe chez les Hotten- tots; les touffes, très-petites comme le nom l'indique, sont plus denses, plus étroitement enroulées que dans les chevelures laineuses ordinaires. Lorsque les cheveux ont une plus grande longueur, les grains de poivre, s'allongent en tonnant des espèces de torsades dures qui ressemblent à de grosses franges. On appelle enfin chevelures en tête de vadrouille celles dont les cheveux gros, durs, roides et longs et différant par tous les caractères des cheveux laineux ordinaires, décrivent cependant, dans tout leur trajet, des courbes rapides et très-petites, se mêlent et s'intri- quent avec leurs voisins sans former des touffes comme le font les che- veux laineux et constituent, par leur ensemble, une énorme masse glo- buleuse qui peut avoir plus de 30 centimètres de diamètre. » Broca signale d'ailleurs les autres caractères importants de la cheve- lure, la couleur, l'implantation, l'insertion. Il mentionne cette particularité de la race hottentote, d'avoir les cheveux disposés en touffes isolées, en pinceau de brosse. Quant à Hœckel, le rang qu'il a donné à la chevelure mérite une cita- tion spéciale : « La conformation des cheveux, dit-il, doit prendre place immédiatement après le langage au point de vue de l'importance. Ce caractère morphologique, quelque secondaire qu'il soit en apparence, E. DALLY. — LA CHEVELURE DANS LES RACES HUMAINES SlîJ semble être un signe de race rigoureusement transmissible par l'hérédité. Parmi les douze espèces humaines que nous allons bientôt énumérer, il en est quatre, les quatre plus inférieures, qui sont caractérisées par une chevelure laineuse; chaque cheveu, considéré isolément, est aplati en ruban et a une section transversale elliptique. Les quatre espèces hu- maines à cheveux laineux {Ulotriques) peuvent se diviser en deux groupes : chez l'un de ces groupes, la chevelure est disposée en touffes (Lophocomi); chez l'autre, elle est en toison (Eriocomi). Chez les Lopho- comes comprenant les Papous et les Holtentots, les cheveux sont inéga- lement distribués en touffes ou petites houppes. Au contraire, chez les Ériocomes, c'est-à-dire chez les Cafres et les Nègres, les cheveux laineux sont également répartis sur toute la surface du cuir chevelu. Les Ulo- Iriques sont prognathes et dolichocéphales. Chez eux la couleur de la peau, des cheveux et celle des yeux sont toujours très-foncées. Tous les hommes de ce groupe habitent l'hémisphère méridional; ils franchissent l'équateur en Afrique seulement. En général, ils sont inférieurs à la plupart des Lissotriques et se rapprochent beaucoup plus du type simien. Les Ulotriques ne sont pas susceptibles d'une vraie culture cérébrale, d'un haut développement intellectuel, même dans un milieu social favo- rable comme on l'observe aujourd'hui aux États-Unis d'Amérique. Nul peuple aux cheveux crépus n'a eu une véritable histoire. » Quant aux Lissotriques, hommes à cheveux lisses, ou du moins non laineux (Leiotriqùes de Bory), Hœckel en compte huit races divisées en deux groupes : le groupe à cheveux droits (L. Eutycomi) et le groupe à cheveux bouclés (H. Euplocomi). « Au premier groupe, dit-il, appar- tiennent les Australiens, les Malais, les Mongols, les races arctiques et les américaines. Les hommes à cheveux bouclés, chez qui la barbe est aussi plus touffue que chez les autres espèces, comprennent les Dravidiens, les Nubiens et les Méditerranéens. » Parmi les Ulotriques, Hœckel signale le Papou, « dont les cheveux laineux croissent en touffes roulées en spirales, ayant souvent plus d'un pied de long, de sorte qu'ils semblent former une perruque laineuse. » C'est la tête de vadrouille dont il question plus haut. On en rapproche avec raison la chevelure des Hottentots et des Buschmen qui habitent les régions montagneuses du Cap. Déjà Pruner-Bey, dans ses Études microscopiques sur la chevelure, avait établi ce rapprochement que de Quatrefages a également reconnu dans son mémoire sur les Mincopies (Revue d'Anthropologie, 1872, p. 55). Les deux races ulotriques, les Nègres et les Cafres, ont les cheveux uniformément implantés. Ils ne forment point de touffes isolées, de façon que le fait singulier de l'isolement des Hottentots d'Afrique n'est pas moins remarquable au point de vue de la chevelure qu'au point de vue §14 ANTHROPOLOGIE des autres caractères ethniques. Mais il s'en faut que la chevelure du Papou (Lophocomi) soit répandue dans toute l'Océanie, ni même dans toute la Mélanésie. Bernard Davis a décrit, dans une note communiquée à ['Institut anthropologique de Londres (avril 1872), plus de cinquante spécimens de cheveux océaniens qu'il a présentés à la Société. On trouve là les cheveux longs et ondulés des Philippiens, à côté des cheveux crépus des Négritos et des cheveux en tire-bouchons des Tasmaniens. Dans toute la Polynésie, les cheveux sont longs et ondulés, et nous donnerons plus loin la théorie que l'on expose de ce caractère. Hœckel est donc logique lorsqu'il compose ses Lissotriches de races océaniennes mêlées à des races asiatiques et européennes; mais ici se montre l'insuffisance des classifications tirées d'un seul caractère naturel, Il est évident qu'il n'y a qu'un intérêt fort minime à mettre côte à côte, dans Lissotriches euthycomi, les Américains, les Malais, les Australiens et les Mongols, qui diffèrent entre eux par tant d'autres caractères. Avoir les cheveux lisses et droits (et l'on pourrait ajouter noirs) est une caractéristique bien effacée alors que la forme du crâne, la couleur de la peau, la taille, les proportions des membres, etc., diffèrent profondé- ment. Le groupe des lissotriches euplocomi est encore plus extravagant. Là sont réunis en raison de leur chevelure lisse et bouclée, les Dravidiens du Deckan, les Nubiens et les Méditerranéens, c'est-à-dire les peuples qui habitent l'Europe, beaucoup moins autour de la Méditerranée qu'au- tour de la Baltique, de la mer du Nord et de l'Atlantique. On voit par cette analyse de la tentative de Hœckel, que l'idée pri- mitive de Bory, reprise par Isidore Geoffroy, a reçu un développement hors de proportion avec sa valeur réelle. Il est d'ailleurs évident que toute classification qui ne repose pas sur l'ensemble des caractères n'a d'autre importance que celle qui résulte d'une étude plus complète du caractère auquel on veut subordonner tous les autres. Quant à F. Mùller, il a adopté sans réserve toutes les divisions de Hœckel, subordonnant ainsi aux cheveux les caractères linguistiques qu'il a si bien étudiés, ce qui le conduit à mettre dans la race méditerranéenne trois systèmes de langues irréductibles, le basque, le sémite et l'indo-européen, et dans la race mongolique, les langues agglutinatives ouro-altaïques à côté des langues monosyllabiques, chinoise et thibétaine. Pour Frédéric Miïllcr, l'explication d'une telle confusion est que les genres de Vhomo primige- nius s'étaient formés avant l'invention du langage articulé. Nous avons assez parlé de la forme des cheveux. D'autres caractères jouent en anthropologie un rôle important : les corrélations organiques des cheveux avec les dents, les yeux ou le teint, la longueur, la coiffure naturelle ou artificielle, etc. Mais c'est surtout la couleur qui a servi aux J$. DALLY. — - LA CHEVELURE DANS LES RACES HUMAINES ol5 ethnographes pour décrire les races contemporaines, et aux historiens pour déterminer la part qu'elles ont prise dans la constitution des races européennes blondes ou brunes. Broca et Simonot avaient dressé en 1864 " \m tableau chromatique de la coloration des cheveux , qui reposait sur l'examen de plusieurs centaines d'échantillons ; après l'élimination des doubles le tableau renfermait plus de soixante nuances formant un cercle complet, passant du noir au blanc par le brun et le gris, et revenant du blanc au noir par le brun et le rouge ( Bulletins de la Société d'anthr., 1864, p. 138), mais dans le tableau chromatique annexé aux Instructions anthropologiques, l'éminent anthropologiste n'a conservé (pie trente-trois nuances numérotées qui servent pour la peau et pour 1rs cheveux. L'expérience a prouvé que ces nuances étaient insuffisantes. Si distinctes toutefois que soient ces nuances, il faut reconnaître que l'homme a en général une chevelure brune ou noire. La couleur claire est exclusivement propre à quelques groupes des populations européennes, parmi lesquels il convient de citer les Scandinaves, les Pélasges, quel- ques tribus germaniques. Cependant dans presque toutes les races hu- maines, on a cité des exceptions plutôt individuelles que collectives. C'est ainsi que l'on a souvent cité les Mandans de l'Amérique du Nord comme blonds, mais il semble probable que cette indication a plutôt été relative à quelques familles albinos qu'à tout une tribu. Les Kabyles de l'Auress offrent cependant, au rapport de Faidherbe, une proportion de blonds ou de châtains d'environ dix pour cent. Le même observateur dit que chez les Ouled-Jacoub, fraction des Amaras et chez les Denhadja, cette proportion est dépassée. Jl est vrai que dans Lopin ion de Faidherbe ces Kabyles seraient originaires de l'Europe (Bull, de la Soc. d'anthr., 1870). « La couleur noire des cheveux , dit Pruner-Bey , est celle que l'on rencontre sur presque tous les points du globe soit sous l'équateur, soit vers les pôles, soit dans les climats tempérés. Elle est l'apanage de l'Esquimau tout autant que du nègre, de l'Hindou brahmanique comme du Malais, et les nations européennes en offrent de nombreux exemples. Il n'en est pas ainsi de l'autre extrême de l'échelle chromatique, c'est- à-dire de la chevelure claire avec ses nuances presque imperceptibles du jaune de lin sérancé, du jaune de paille, du jaune doré auxquels se joignent le roux, le rouge de feu, etc. De cette dernière nuance, on peut établir une transition au brun rougeâtre et de là au brun clair, au brun foncé ou châtain, etc. Parmi ces innombrables nuances, le blond clair est réparti en masse sur peu de races : celles:ci appartiennent en grande partie à l'Europe et notamment aux rameaux germaniques,"slaves et celtiques de la souche aryenne et au rameau finnois des Touraniens, on en trouve quelques exemples dans le Caucase, chez les Arméniens a 16 ANTHROPOLOGIE qui sont en partie d'origine aryenne, chez les Sémites de la Syrie et peut-être en Afrique chez les Berbères de l'Atlas. La chevelure rouge au contraire me paraît être représentée au moins par quelques individus chez presque toutes les races connues, soit équatoriales, soit boréales. » (Mémoires de la Soc. d'unthr., t. Il, p. 4). C'est ce dernier fait qui a donné naissance à l'opinion que l'homme primitif était roux. Ce qui est certain, c'est que bien des exemples de chevelure blonde ont été signalés en Asie et en Afrique , mais nulle part ils n'y ont été assez nombreux pour que l'on ne puisse rattacher leur présence à des émigra- tions européennes. Madame C. Rover s'est servie de ce fait pour soutenir que la race blonde est autochthone d'Europe et que les conquérants aryens n'étaient pas blonds. « 11 faut tenir compte de ce fait frappant, dit-elle, que la grande majorité de nos enfants naissent blonds, que leurs cheveux et leurs yeux brunissent avec l'âge, et que c'est seulement chez les adultes que, même parmi les groupes de populations brunes, le brun se montre en majorité. Il est impossible de ne pas voir dans cette évolution un développement embryonnaire nous représentant les diverses phases généalogiques de nos races européennes reproduites successive- ment dans la vie des individus et en vertu des lois de l'hérédité et de l'atavisme. Si nos enfants, avant de devenir bruns, passent en général par toutes les nuances du blond , c'est que les premières populations indi- gènes de l'Europe étaient blondes et que l'élément brun n'est venu s'y mélanger que plus tard. Et ce n'est pas seulement en France que l'on constate cette évolution du blond au brun. » (Bull, de la Soc. anthr., 4873, p. 246). Broca, à cette occasion, a dit que pour lui la patrie origi- nelle sinon de toutes les races blondes, ce qui lui parait encore douteux, du moins de la plupart d'entre elles, était l'Europe. Mais il ne s'ensuit pas que toutes les races préhistoriques de l'Europe fussent blondes, et selon l'émincnt professeur il y avait parmi les races primitives au moins une blonde et une brune. « Pour ce qui concerne la France , ajouto Broca. nous y trouvons partout des bruns et des blonds ; mais les pre- miers prédominent dans le sud et dans le centre, les derniers dans le nord et dans l'est. Cette disposition nous donne donc l'idée d'une ou de plusieurs races brunes au milieu desquelles une ou plusieurs races blondes ont pénétré par le nord-est; nous savons qu'il en a été ainsi dans les temps historiques, à L'époque des invasions germaniques et an- térieurement à l'époque des invasions kymriqucs, et j'admets volontiers que plus anciennement encore d'autres peuples blonds avaient suivi la même voie. » (Ibid., p. 248.) Cette race blonde, — l'accord est maintenant établi sur ce point, — était grande. La race brune était petite, A la première la grande majorité des érudits contemporains rattache le nom de race kymrique , à la E. DALLY. — LA CHEVELURE DAMS LES RACES HUMAINES 517 seconde le nom de race; celtique. Il ne peut être ici question dos Celtes de la linguistique auxquels on a attribué successivement des caractères ethniques fort divers, mais seulement des Celtes tels que les décrit et les cantonne J. César. Ajoutons que des recherches de Magitot, il résulte que la taille, la couleur blonde et la plus grande fréquence de la carie dentaire marchent parallèlement. (Bull, de la Soc. d'anthv., 1867, p. 85.) La question de la répartition actuelle des blonds de l'Europe a donné lieu à de nombreux travaux parmi lesquels il faut citer ceux de Beddoc (de Bristol), qui ont été repris et confirmés par un grand nombre d'ob- servateurs, notamment par Yogt, Charnock , madame Royer, d'Omalius d'IIalloy, de Quatrefages, etc. La conséquence en est que la prédomi- nance des cheveux bruns sur les blonds va toujours croissant et que, dans un temps donné, il se pourrait bien que la chevelure blonde ne se présentât plus que comme une réminiscence atavique d'une époque où les nombreuses races du genre humain n'avaient pas encore acquis l'u- niformité qu'elles tendent à revêtir, au grand détriment du pittoresque et de l'intérêt que peut offrir notre terre (voy. Bull, de la Soc. d'anthr. 1861, p. 362; 1864, p. 855; 1873, p. 257). Dans un curieux travail sur la Prédominance croissante de la chevelure foncée en Angleterre (Anthropological Review, 1864), J. Beddoe, médecin de l'hôpital de Bristol , après avoir exprimé l'opinion que les constitu- tions blondes lui paraissent moins capables que les brunes de supporter les conditions anti-hygiéniques des grandes villes, ajoute que les femmes aux cheveux foncés ont bien plus de chance de se marier que les blondes. En effet, sur 737 femmes examinées à ce point de vue, il se trouvait 33 rousses, 95 blondes, 240 châtain clair, 336 châtain foncé, et 33 aux cheveux noirs. Or, parmi les blondes, il ne s'en trouvait de ma- riées que 55 pour cent, tandis que parmi les noires on en comptait 79 pour cent; les châtain clair, 60 pour cent; châtain foncé, 69 pour cent. Parmi les non mariées, la proportion est inverse. Sur 100 blondes, 37 sont tilles, tandis que sur 100 femmes aux cheveux noirs on ne trouve que 18 filles. Il semble donc qu'en Angleterre, plus les cheveux d'une femme sont de couleur foncée, plus elle a de chances pour se marier et pour favo- riser, en conséquence, l'envahissement du brun dans la chevelure hu- maine. Le même auteur, dans son substantiel mémoire sur les Celles de l'Ir- lande (Journal of Anthropology. 1870, p. 117), a établi ce qu'il appelle Vindice de nigresemee pour les populations irlandaises, c'est-à-dire la proportion de bruns par rapport aux blonds dans chaque comté, et ce travail tend à prouver que le brun foncé prédomine largement en Irlande partout où la race indigène n'a pas été profondément modifiée par l'im- 51tf ANTHROPOLOGIE migration anglaise, et notamment dans les rangs inférieurs de la société. Les conclusions de Beddoe sur le type celtique, en partie fondées sur la répartition actuelle de la coloration des cheveux, constituent un des documents les plus importants sur un problème extrêmement obscur. On en trouvera un excellent résumé dans la Revue d'Anthropologie, t. 1, p. 125. Nous ne connaissons de travail analogue que celui qui a été fait par le docteur Argiliès : sur 47 Basques vivants, des environs de Saint-Jcan- de-Luz, qui n'ont pas offert un seul individu aux cheveux blonds, deux d'entre eux les avaient d'un brun rougeâtre ; les 4o autres les avaient châtain foncé ou tout à fait noirs {Bull. Soc. d'anthr., 1868, p. 14). Jl serait, d'ailleurs, fort intéressant de rechercher avec précision s'il existe quelque rapport entre la couleur des cheveux, la fécondité, les maladies, la menstruation, etc. Nous n'avons sur ces points que des observations vagues, mais point de statistique. C'est ainsi que Marc d'Espine et Brierre de Boismont ont cru reconnaître que les femmes ayant des cheveux blonds ou de couleur châtain étaient menstruées un peu plus tard que les femmes ayant les cheveux noirs , mais ces deux auteurs ont également trouvé que les femmes aux cheveux châtain foncé étaient réglées encore plus tardivement (cités par Lagneau. Bull. Soc. ûnthr.j 18G5, p. 735). Il nous reste cependant des statistiques, celles de Broca et de Magitot, qui assignent aux blonds : le premier, une plus haute taille; le second, une plus mauvaise denture qu'aux bruns. Cer- taines qualités intellectuelles, affectives et morales sont aussi, d'après les croyances populaires, en relation avec la couleur de la chevelure, et qu'il s'agisse des blondes , ou qu'il s'agisse des brunes, il semblerait que la psychologie n'est plus du tout la même. Mais on est loin de s'entendre sur la répartition des dons, ce qui autorise à croire qu'en pareille matière le jugement est plutôt inlluencé par l'expérience personnelle que par l'observation froide et désintéressée. Toutefois, comme les amateurs de chevaux rattachent avec une certaine constance certaines qualités à la couleur de la robe et aux marques dont elle peut être parsemée , il se pourrait qu'une observation rigoureuse nous montrât chez les hommes des conditions du même ordre. A tort ou à raison, les hommes roux passent pour violents. Darwin a signalé chez les animaux quelques corrélations d'un autre ordre : les chats blancs aux yeux bleus sont invariablement sourds ; les moutons et les porcs blancs seraient affectés par les poisons végétaux d'une autre manière que les individus autrement colorés; les chiens nus, c'est-à-dire glabres, de race chinoise et turque, offrent constam- ment des anomalies dentaires . qui, selon Magitot, « échappent à toute loi lixe, puisqu'il y a tantôt corrélation de variabilité, tantôt compensa- E. DALLY. — LA CHEVELURE DANS LES RACES HUMAINES 519 tion ou balancement. » (Darwin, Origine des espèces , pages 20 et 178 ; trad. r\oyer; et Magitot, Les hommes velus, Gazette médicale, 15 nov. 1873). En résumé, la chevelure humaine, qu'on la considère au point de vue de la classification anatomique des races , ou au point de vue de leur origine ou de leur mélange, offre une importance qui ne paraît pas avoir diminué la détermination de plus en plus précise des caractères d'un ordre d'apparence plus élevé. Il est certain que la détermination des groupes humains par la seule chevelure, en dépit de l'habitat, de la lan- gue, de la forme du crâne, des proportions des membres, et même de la couleur de la peau, n'est rigoureuse ni naturelle, ni d'une saine méthode. Cependant, il faut reconnaître que jusqu'à présent cette critique peut s'appliquer à tous les points partiels de vue des séries anthropolo- giques spéciales. D'un autre côté, à part la chevelure en touffe, nous pouvons trouver parmi nous des spécimens de toutes les chevelures humaines, à titre d'exceptions, il est vrai, pour quelques types, tels que ceux de la chevelure dite laineuse, et du gros cheveu cylindrique de l'Américain. Mais la même remarque peut se faire des caractères cra- niologiques qui ne parviennent à s'établir, pour une région donnée, que par des moyennes ; la brachycéphalie , la dolichocéphalie, le prognathisme et les divers degrés d'angles faciaux et crâniens se rencontrent partout. Les proportions moyennes seules varient dans des limites, il est vrai, fort étendues. Il faut enlin ajouter ici queles diverses formes de la che» velure se transmettent par l'hérédité avec une persistance comparable à celle de la coloration cutanée dans les croisements de races très-^ distinctes. DISCUSSION M. BeRtiLlon : Le poil et la plume des animaux sont, aux yeux des per- sonnes qui s'occupent d'acclimatation, les caractères qui se modifient le plus rapidement. Ils ne constituent un caractère solide que lorsque l'animal vit dans le même milieu : ils varient facilement si le milieu est changé. M. de Quatrefages : La question de la classification des races me semble encore irrésoluble, même en ce qui concerne les principes fondamentaux. Ce- pendant nous ne devons pas rester dans la voie du système. La méthode na- turelle doit tenir compte des caractères multiples chez l'homme comme chez les animaux , c'est-à-dire de l'ensemble des caractères. J'ajouterai que d'après certains observateurs les cheveux des Anglais et des Français émigrés aux États-Unis se seraient déjà modifiés. M. Dally ; C'est là un fait à vérifier de même que l'assertion de M. Ber- tillon . O^O ANTHROPOLOGIE M. Lagneau : Je suis loin de vouloir exagérer l'importance de L'ostéologie, et eu particulier de la crâniométrie, qui a été presque exclusivement étudiée, mais dans la détermination des espèces ou des races, si l'on cherche à apprécier l'importance relative, la subordination des caractères, certains caractères ostéo- logiques paraissent avoir une plus grande valeur que les caractères fournis par la chevelure. Ainsi que M. de Quatrefages, je crois que pour déterminer une race avec précision, il faut tenir compte de l'ensemble des caractères, de ceux présentés par les os, par les cheveux, les yeux, la peau, les parties molles, etc. La crâniométrie est importante, mais il importe d'étudier avec le même soin les caractères différentiels présentés par tous les organes. Relativement au changement de couleur des cheveux sous l'influence de l'âge, je ferai remarquer que si chez certaines races de notre Europe occiden- tale les cheveux changent de teinte avec l'âge, si beaucoup d'enfants, durant leurs premières années d'existence, ont des cheveux d'un blond plus ou moins clair, puis, à l'âge adulte, deviennent châtains ou bruns, il en est d'autres, dont les cheveux sont bruns ou noirs dès le jeune âge, et restent bruns ou noirs à l'âge adulte. Et pareillement des enfants blonds restent blonds ou de- viennent rouges à l'âge adulte. La mutabilité de la chevelure, du blond ou châtain pâle au châtain foncé, en passant de l'enfance à l'âge adulte, paraît être l'apanage d'une de nos races occidentales, vraisemblablement de la race celtique, mais ne se montre pas dans toutes ces races. Quant à l'influence des milieux, des climats, sur la couleur de la chevelure, elle paraît être minime. Je ferai observer d'une part que dans l'Europe septen- trionale, à côté des Lapons aux cheveux de couleur foncée, habitent des Scan- dinaves dont bon nombre sont blonds; d'autre part qu'en Afrique, à côté des Kabyles à la chevelure noire , se trouvent des Chaouia , des Kabyles blonds des monts Auress, bien que ces derniers paraissent habiter depuis longtemps le pays, soit qu'on les considère comme les descendants des Vandales de Giseric (1), soit qu'on les regarde comme les descendants des blonds men- tionnés par Scylax (2). Relativement au brunissement des blonds, outre l'explication que M. d'Oma- lius d'Halloy en a donnée, explication que vient de rappeler M. de Quatrefages on peut remarquer que dans certains pays, comme en Angleterre d'après les recherches statistiques de M. Reddoe (3), la préférence accordée par les hommes aux femmes à la chevelure foncée sur celles à la chevelure blonde paraîtrait en partie l'expliquer. Les femmes brunes y trouveraient plus de maris que les blondes. 11 est loin, d'ailleurs, d'en être de même dans tous les pays de notre Europe occidentale. Quant au brunissement des cheveux des habitants de notre Normandie, je crois que l'on a tenu trop exclusivement compte des caractères anthropologi- ques des immigrés Northmans du x"' siècle. En effet, les compagnons du Iarl Hrolf ou Rollon sont généralement dépeints comme des hommes de stature (i) rrocope : De Bello Vandalico, lit). H, cap. xin, xiv, xix, xxm, xxviii, etc. (2) Scylax ; Périple, ebap. des Lotophages, p. 47, éd. grocque-latine de Vossius, 1639. iteilriuc : Tli" nuthropological Review, et Huit, de In Société d'anlhropoloyie , t. V, p. $:,i, etc.. 1*64. E. LEJEUNE. — ABIU SOUS HOCHE DE RINXENT 521 très-élevée, aux cheveux blonds; mais ils trouvèrent dans la Neustrie, qui leur fut cédée, une nombreuse population, en grande partie de race celtique, à la chevelure brune et à la taille peu élevée, comme la population de l'ouest et du centre 'de notre pays. Il n'est donc pas étonnant que les conquérants Northmans, relativement peu nombreux, prenant le plus souvent pour femmes des jeunes filles du pays conquis, aient eu des descendants à cheveux de cou- leur plus ou moins foncée. Notre collègue M. Daily s'est étonné que je désignasse sous la dénomination de race germanique une race particulière de la Germanie, contrée où moi-même je reconnais plusieurs races distinctes. Je dirai que de même que Desmoulins, Bory de Saint-Vincent, M. Broca (1) croient devoir appeler celtique la race brachycéphale, de petite stature, aux cheveux bruns, dont ils trouvent les descendants dans la région de notre pays appelée la Celtique, région s'étendant de la Garonne à la Seine, de l'Océan aux Alpes. Pareillement, je crois devoir désigner sous la dénomination de race germanique septentrionale la race que non-seulement Tacite (2), mais la plupart des auteurs anciens dénomment ainsi, et placent en Germanie sur la rive orientale du cours inférieur du Rhin, race à laquelle ils s'accordent à assigner une haute stature, des mem- bres volumineux, une chevelure blonde, des yeux bleus, une peau remarqua- blement blanche. Si à ces caractères de la race germanique, les descriptions laissées par les auteurs anciens ne permettent pas d'ajouter l'indication de la forme de la tête, je ferai remarquer que cette race germanique, qui au ve siècle envoya en Gaules un grand nombre d'immigrants, paraît avoir été dolichocé- phale, car d'après les mensurations crâniométriques prises par M. Broca, dans la plupart des sépultures des époques mérovingienne et carlovingienne on ' trouve des squelettes de grande taille, présentant des crânes dolichocéphales. M. E. LEJEUNE Membre de la Société d'anthropolngie de Paris. ABRI SOUS ROCHE DE L'AGE DU RENNE SITUE A RINXENT. LES DIFFÉRENTS AGES PRÉHISTORIQUES DANS LE DÉPARTEMENT DU PAS-DE-CALAIS — Séance du 21 août 1874. — Dans l'une des plus jolies vallées du Boulonnais, dans celle qui a reçu le nom si pittoresque de vallée heureuse, se trouvent, près de la M) Desmoulins : Hisl. nat. des races humaines, t. I, p, 136, Paris. — Bory de Saint-Vincent : l'homme, t. I, p. 120, Paris, 1827. — Broca : la Race celtique ancieime et moderne (Revue d'an- thropologie, t. II, p. 577- 628). [2] Tacite : de Moribus Germanorum t. IV. 522 ANTHROPOLOGIE commune d'Hydrequent, plusieurs grottes qui, bien que (Je petites dimen- sions, ont attiré déjà l'attention de nos explorateurs. Ces grottes formées à la suite, soit du creusement de la vallée, soit du bouleversement des couches du calcaire carbonifère, sont situées dans une région si ti'é(|iientée et sont d'un si facile accès, qu'il n'y a pas lieu de s'étonner du peu de résultat qu'ont eu les recherches qui ont été faites. M. L. Cousin d'une part, et MM. Emile Sauvage et Rigaux de l'autre, ont rendu compte de l'exploration qu'ils ont faite de ces grottes. M. L. Cousin dit (1) avoir trouvé dans l'une d'elles, au milieu d'un terrain noirâtre, rapporté, des fragments de poterie grise et des morceaux de charbon brûlé, mais le tout dans l'état de désordre le plus complet. M. E. Sauvage, rendant compte des observations qu'il a faites dans la grotte dite de Clèves, dit (2) que le propriétaire du terrain, M. Battel, lui a affirmé que lorsqu'on a déblayé la grotte, on y avait trouvé quel- ques ossements humains. M. Sauvage dit en outre avoir trouvé dans la grotte de Clèves des poteries de trois âges différents, des ossements de gallinacés, de mouton, bœuf, renard, des dents de cheval, etc. M. Sau- vage ajoute, et c'est là le point qui nous a paru le plus intéressant de sa communication, qu'au-dessous de la couche superficielle dans laquelle il a fait les découvertes ci-dessus, se trouvait une autre couche de 0m,10 à 0m,50 d'un limon jaunâtre argileux, semblant formé de débris de calcaire oolithique délayé, quant à l'aspect du moins. Cette couche ne lui a présenté ni poteries, ni ossements, mais de nombreuses coquilles d'espèces rares et (luviatiles. C'est précisément cette couche, probablement quaternaire, que j'ai retrouvée dans une autre caverne située près de là et sur laquelle je désire appeler votre attention; Il y a quelques mois, faisant exécuter quelques fouilles archéologiques dans les environs de Marquise, je résolus de visiter en passant les grottes d'Hydrequent dont j'avais lu la description faite par MM. Cousin et Sauvage. Il me fut facile de vérifier les observations qui y avaient été faites, c'est-à-dire de m'assurer que toutes ces grottes avaient été souvent visitées, non pas seulement, malheureusement, par des explorateurs sérieux, mais aussi par de simples touristes, désireux de s'y reposer, sans aucun souci des vestiges si précieux que la science aurait pu y recueillir. in L. Cousin. — Notice sur des antiquités celtiques ou gallo-romaines du nord de la France — Mémoires de la Société Dunkerquoi.se (I86b-1866). (2 Emu Sauvage. — Grotte do la basse Falize, près d'Hydrequent. Bulletin de la Socié Académique de Boulogne (1866. n° 1)- E. LEJEUNE. — ABRI SOUS ROCHE DE RINXENT 523 Le terrain avait été profondément retourné, une grande partie même en avait été projetée au dehors. En résumé, il n'était plus possible d'y faire aucune recherche sérieuse. Un fragment de silex cependant, trouvé au milieu des débris, attira mon attention. Ce silex était incontestablement taillé et de la forme dite 7~acloir ; géologiquement étranger à ces régions, il y avait donc été ap- porlé et probablement utilisé. La caverne avait donc été, selon toutes probabilités, habitée à l'époque préhistorique. Je n'avais malheureusement pas encore de preuves assez sérieuses pour pouvoir l'affirmer d'une manière certaine. Quelques mois plus tard, en passant de nouveau dans la vallée heu- reuse, je découvris par hasard, non loin de l'endroit où se trouvaient les grottes précitées, mais plus près du village de Rinxenl, une autre cavité située dans le rocher, à une vingtaine de mètres de hauteur par rapport au bas de la vallée. Cette cavité, presque masquée par les brous- sailles et que je n'avais jamais remarquée jusque-là, me semblait, par la régularité de sa forme, avoir été, sinon entièrement pratiquée, du moins élargie de main d'homme. Je résolus aussitôt d'y pénétrer, et bien que l'accès en fût assez difficile, circonstance, du reste, qui devait rendre mes recherches plus fructueuses, je parvins à y descendre et à découvrir que cette cavité était bien l'entrée d'une grotte, ou plutôt d'un abri sous roche d'assez grandes dimensions. A première vue, je pus m'assurer que cette grotte avait été habitée. Le terrain, sans y être bouleversé comme dans les grottes dont nous avons parlé tout à l'heure, portait les traces d'un piétinement prolongé, surtout dans la partie la plus proche de l'ouverture. Nous trouvâmes dans ce terrain noirâtre, formé d'humus, de débris de broussailles, etc., plusieurs fragments de poterie d'une pâte très-gros- sière, poterie à laquelle nous n'hésitons pas à attribuer une très-haute antiquité, bien qu'un grand nombre d'ossements d'espèces actuelles nous fassent regarder cette première couche comme d'origine géologique rela- tivement moderne. Nous observâmes alors que, dans un coin de la grotte, avait été pra- tiquée une espèce de poche s'étendant assez loin et qui se continuait par une fissure naturelle des couches calcaires, fissure qui avait été élargie par la main des hommes. Lorsque nous eûmes déblayé la première couche de terrain, nous trouvâmes de suite la couche de limon jaunâtre, argileux, empâtant les fragments de la roche encaissante, qui nous avait été signalée dans la grotte explorée par M. Emile Sauvage. Cette couche contenait la plupart des espèces fluviatiles déterminées bar M. Sauvage. Déposée à la suite d'une inondation indubitablement !>24 ANTHROPOLOGIE quaternaire, elle se prolongeait dans la cavité, pratiquée de main d'homme antérieurement à eette inondation. La hauteur de la grotte, par rapport à l'étiage actuel du ruisseau dit du haut banc, qui coule dans le bas de; la vallée, à 20 mètres environ de l'ouverture de cette grotte, ne devait pas laisser de doutes sur l'ori- gine très-ancienne de cette couche de limon et des débris qu'elle pou- vait renfermer. Nous trouvâmes en effet, en dessous de cette couche d'environ 40 cen- timètres d'épaisseur, une tète de cheval entièrement conservée, plusieurs silex travaillés, des ossements fendus, plusieurs rognons de pyrite analo- gues à ceux trouvés par M. Dupont dans le trou de Chaleux (1), et ayant servi probablement à battre le briquet, une petite corne presque complète du Cervus Capreolus, et enfin plusieurs dents et une vertèbre du Cervus Tarandus qui sont venus assigner à la couche de limon qui surmontait ces vestiges une date géologique presque certaine. La caverne de Rinxent avait donc été habitée à l'âge du Renne. L'a- t-elle été à l'époque de la pierre polie, rien ne peut nous l'affirmer, n'ayant trouvé aucun silex dans la couche superticielle, et bien que les poteries qui s'y trouvaient puissent être regardées comme appartenant à cet âge. Un point qui me paraît digne de remarque, c'est que les silex trouvés au-dessous de la couche de limon ressemblent en tous points comme nature, comme taille et comme formes, à ceux trouvés par nous sur le cap Blanc Nez, en dessous d'une couche de limon analogue à celle de la grotte de Rinxent. Ayant exploré avec beaucoup de soin le cap Blanc Nez, je n'hésite pas à regarder les silex trouvés en dessous de la couche du limon qui couronne une certaine partie du cap, comme appartenant à une tout autre époque que ceux que l'on trouve près de là à la sur- face du sol, et qui proviennent d'un atelier de l'âge de la pierre polie, dont j'ai donné la description au congrès de Bruxelles, en 1872 (2). Nous croyons donc pouvoir admettre que les silex trouvés sur le cap Blanc-Nez à la base du limon argileux sont contemporains de ceux trouvés dans la grotte de Rinxent et appartiennent comme ces derniers à l'époque du Renne, époque suffisamment déterminée par la faune qui les accompagne. Si j'insiste sur des observations aussi locales, c'est que je crois que la concordance et la similitude des faits ont besoin d'être bien établies pour bien spécifier et caractériser une époque. (1) E. Dupont : l'Homme pendant les âges de lu pierre, dans les environs de Dinant-sur-Meuse, page 153. (2) M. Lejbunc : Atelier de silex ouvrés et tumuli contemporain*, découverts sur le cap Blanc Nés (Pas-de-Calais! — (Gotopte rendu du congrès d'archéologie et d'anthropologie de Bruxelles), K. LEJEUNE. — AlîUI SOUS ROCHE DE RINXENT o'2."> Or, si nous rapprochons toutes les découvertes faites dans nos régions celles faites naguère par notre savant collègue M. Hamy, aux environs de Boulogne- sur-Mer (1 ), l'importante station située sur l'une des trois noires mottes de Sangalte et signalée récemment par nous à la Société Académique de Boulogne, station appartenant aussi à l'époque du Renne (2), de plus, les trois remarquables couteaux déposés au musée de Boulogne, et trouvés par M. François Haigneré, dans un terrain d'ar- gile quaternaire, entre la voie de la Leulène et la route de Guines à Ardres, et enfin les nombreux spécimens de silex taillé dispersés dans diverses collections, nous pourrons en toute assurance affirmer qu'à l'époque du Renne, le département du Pas-de-Calais était habité sur plusieurs points. A l'époque du Mammouth, c'est-à-dire à une époque encore plus reculée, des découvertes nombreuses nous permettent d'affirmer le même fait. Nous ne citerons que les carrières de Blandecques, Hesdin, Vaudricourt, où les instruments de silex taillés attestent la présence de l'homme, au milieu des ossements des animaux éteints. Les mêmes observations viennent d'être faites tout récemment encore dans les terrains quater- naires de Balinghen et Pihen. Quant à l'époque de la pierre polie, nous ne dirons qu'une seule chose, c'est que tous les sommets des collines du département ont été explorés par nous et que nous n'en avons pas trouvé un seul où il n'y ait, gisant à la surface du sol, un plus ou moins grand nombre de silex taillés appartenant à l'époque de la pierre polie. S'il n'existait pas par- tout un centre de fabrication, un atelier aussi bien caractérisé et aussi important que celui du cap Blanc-Nez, nous avons du moins trouvé constamment trace de stationnement et de fréquentation. Sur certaines hauteurs, sur le mont d'Andréhen par exemple, nous avons découvert les vestiges d'une véritable agglomération d'habitations, consistant en un grand nombres de petites fosses circulaires, dans les- quelles il était rare de ne pas trouver quelques silex taillés ; sur beau- coup d'autres collines, partout où la culture ne les avait pas fait dispa- raître, plusieurs tumuli appartenant à la même époque. Quant aux cavernes du département du Pas-de-Calais, nous avons pu affirmer que l'une d'elles avait été habitée et il n'y a pas lieu de douter que toutes les autres ne l'aient été de même, ce que nous aurions pu probablement affirmer, si leur fréquentation toute moderne n'avait pas dérangé les vestiges d'un passé plus reculé. (0 Hamt : Etude sur l ancienneté de l'espèce humaine dans le d(partement du Pas-de-Calais. — Bulletin de lu Scciétê Académique de Boulogne. Année 1800, n» 4. [i\ E. Lejelnf. : Foyer et station de l'âge du renne découvert sur l'un" dei trois noires mottes de Sangatte. — Bulletin de la Société Académique de Boulogne (1873). ,"26 ANTHROPOLOGIE Il nous reste maintenant à nous demander si le peuple qui, dans plu- sieurs de nos autres provinces de France, a érigé de si remarquables monuments mégalithiques, a traversé nos régions et y a laissé des traces de son passage Deux monuments ont été signalés à différentes reprises comme devant appartenir à cette époque ou plutôt à ce peuple à caractère si spécial, nous voulons citer le cromlech et les menhirs de Lendrethun-le-Nord d"une part, et le monument dit druidique de Tubersent, de l'autre. L'an dernier, nous résolûmes, M. Alphonse Lefebvre, membre de la Société Académique de Boulogne et moi, de faire pour ces deux monu- ments, ce qui n'avait jamais été l'ait jusque-là, malgré l'assertion de plusieurs auteurs, c'est-à-dire des recherches et des fouilles métho- diques. Le résultat ne vint pas malheureusement donner raison à l'opinion qui avait été si souvent émise, que les deux monuments de Lendrethun- le-Nord et de Tubersent étaient dus à la main des hommes. A Lendrethun, nous trouvâmes effectivement un cercle, ou plutôt une réunion de pierres assez volumineuses, dont l'aspect et surtout la situa- tion au milieu d'une plaine aride, près d'une source, sur une hauteur, isolée de toutes habitations, avait dû prêter naturellement à l'imagination des auteurs qui, sur un simple et rapide examen, en avaient non-seulement donné une description, mais encoreen avaienttiré des déductions ne s'ap- puyant sur aucune recherche sérieuse. Après avoir entrepris les fouilles tout autour de ces pierres, nous n'y trouvâmes rien 'en effet qui pût leur taire attribuer l'origine qui tant de fois leur avait été assignée. Pas le moindre ossement, pas le moindre silex travaillé, pas le moindre vestige humain, et seulement la certi- tude que ces pierres n'étaient que la tête des roches calcaires se trou- vant à leur place géologique, appartenant à l'assise dolomitique et dont le pays esL rempli. Quant aux traces du travail humain qui a été signalé sur deux de ces pierres (1), nous ne voudrions pas les nier, mais seulement nous ajoute- rons que ce travail est tout moderne et qu'il n'a été fait qu'en vue d'une simple extraction. Quant à la roche de Tubersent, mêmes recherches, mêmes observa- tions: une roche beaucoup plus grande que celle de Lendrethun, plus isolée et plus élevée, et prêtant par là plus encore à l'imagination. Là, comme à Lendrethun, des traces de travail fait en vue d'une exploita- tion : une rigole ou un commencement de sciage pratiqué dans la pierre sur deux lignes perpendiculaires, probablement pour la débiter en quatre (1) L. Cousis (loc. cit.). E. LEJEUNE. — ABRI SOUS ROCHE DE RINXENT 527 morceaux, mais pas le moindre vestige qui pût faire croire que cette pierre a été érigée par la main des hommes et constitue un monument mégalithique analogue à ceux signalés dans d'autres régions et alors si bien caractérisés. Gc que nous croyons donc pouvoir conclure de tout ceci, c'est que les régions comprises dans le département du Pas-de-Calais ont été habitées aux époques du Mammouth, du Renne et de îa pierre polie et que les hommes préhistoriques y ont habité les cavernes, mais que nous trou- vons une lacune si nous y recherchons les traces du peuple qui dans d'autres parties de la France a érigé les dolmens et les constructions mégalithiques. De nouvelles découvertes viendront-elles démentir ou accréditer cette dernière assertion? Nous ne pouvons que le désirer, notre seul vœu étant d'obtenir pour les questions préhistoriques touchant nos contrées ce qui doit être le but des recherches de tous, la vérité. DISCUSSION. M. Hamv a entendu avec beaucoup d'intérêt la lecture de M. Lejeune qui t'ait connaître, pour la première fois, l'existence d'une grotte de l'âge du renne dans une région où jusqu'à présent on n'en avait signalé aucune. Les conclu- sions dé l'auteur sont, du reste, conformes à celles que M. Hamy avait tirées de l'examen des alluvions du même pays, en particulier dans un Mémoire intitulé VAge du Renne dans le Nord de la France, lu en 1867, à la Société d'an- thropologie de Paris. M. Lejeune a terminé cette communication par quelques considérations géné- rales sur le préhistorique du Boulonnais. M. Hamy regrette de ne plus se trouver aussi complètement d'accord avec son collègue, en ce qui touche cette seconde partie de son travail. M. Lejeune y déclare, en effet, que les monuments mégalithiques font défaut dans la pro- vince, et que ceux qu'on y a signalés sont, ou des jeux de la nature, comme les Neuches, ou des blocs erratiques portant la trace d'une tentative d'exploita- tion, comme la pierre de Tubersent. M. Lejeune ne tient pas compte des travaux exécutés à Equihem, près Boulogne, par la Société académique de cette ville, qui ont mis à jour une petite allée couverte, et plus tard un cromlech avec sépultures des âges de la pierre, du bronze et du fer. M. Hamy entretient la section des recherches exécutées sous sa direction dans les dernières sépultures, et dont le compte rendu doit paraître dans le tome V des Mémoires de la Société académique de Boulogne. Le lieu dit tombe Fourdaine est un long barroiv entouré d'un cromlech dont l'enceinte n'est complète que du côté de l'Est. Les fouilles ont permis d'y reconnaître l'exis- tence de trois ou quatre squelettes presque complètement incinérés et inhumés .'fëS ANTHROPOLOGIE en pleine terre, à de faibles profondeurs, recouverts d'une simple pierre. Au même niveau se sont trouvées des armes de fer, parmi lesquelles une grande épée dont la lame dépasse un mètre de long, un fer de lance et divers frag- ments indéterminés de fer et d'os, un vase fait au tour, deux coscinopores perforés, enfui une grosse perle de verre, d'un gris noir, ornée de chaque côté d'un quintefeuille blanc, et presque exactement semblable à celles des sépultures du premier Age du 1er de Danemark. Un tout petit dolmen à •1 mètre; à 1 mètre 50, un cist, enfermé au milieu d'un galgal, et ne conte- nant que des cendres noires et grasses ; enfin, à 2 mètres 25, une chambre avec parois d'argile battue, couverte de deux pierres, l'une de 60, l'autre de 35 centimètres de long sur 40 de large, complètent rénumération des monu- ments funéraires delà Tombe Fourdaine. Cette petite chambre du fond con- tenait les restes d'un vase de terre1 brisé, d'aspect néolithique, et un squelette tout écrasé, qui avait eu, d'après la position des os, l'attitude' repliée usitée à l'âge de la pierre polie. Au niveau de cette sépulture inférieure se sont rencon- trés dans l'enceinte un vase grossier, ornementé de stries irrégulières faites avec un bâton, et plusieurs silex taillés, dont un fort beau grattoir, et quel- ques couteaux. M. E. HAMY Aide naturaliste d'anthropologie au Muséum d'histoire naturel! •. RECHERCHES ANTHROPOLOGIQUES EN SCANDINAVIE. LA GROTTE DE SORDES ET LE DOLMEN DES VIGNETTES. PERMANENCE DE L'UN DES TYPES PALÉOLITHIQUES DANS L'ÉPOQUE NÉOLITHIQUE. ïextrut) — S é a n ce du S 2 août 1 8 7 i . — M. Hamy revient du Congrès de Stockholm, et plusieurs anthropologistes suédois, MM. Van Diiben, Retzius, etc., l'ont chargé de leurs compliments pour la section. M. Hamy analyse rapidement les principales communications faites au Congrès et signale, entre autres, au point de vue de la géographie ethnolo- gique, les beaux travaux cartographiques de MM. Hermeline, Aspelin, etc. M. "Van Dùben a résumé dans une communication du plus haut intérêt tout ce que l'on sait sur les races néolithiques Scandinaves. L'une , la dolichocé- phale, qui est de beaucoup plus nombreuse, ressemble aux Scandinaves actuels; elle est très-voisinè de celle que nous trouvons le plus souvent dans les mo- numents mégalithiques de notre pays; l'autre, brachycéphale, qui ne fournit qu'un dixième de la population de Suède à cette même époque, est assimilée aux Lapons par M. Van Dûben. M. Schaaffausen a appuyé d'observations nouvelles recueillies en Westphalie cette manière de voir. M. Hamy a com- E. HAMY. — DISCUSSION 529 nmniqué au Congrès de Stockholm ses recherches sur les crânes de Grenelle, sur ceux de Sorties et, sur ceux du dolmen de Léry. Les têtes tirées de ces deux derniers gisements présentent tous les caractères de la race paléolithique de Cro-Magnon, dont ils montrent, à n'en plus pouvoir douter, la persistance pendant l'âge de la pierre polie. M. Hamy annonce la prochaine publication du second volume de l'ouvrage de M. Van Duben sur les Lapons, et d'une étude de même nature sur les Finnois, par M. Retzius. M. Hamy a visité les musées anthropologiques de Christiania, d'Upsal, de Lund, de Stockholm, qui recèlent de véritables trésors. M. G. de Mortillet. — Je demande la permission d'ajouter quelques mots à ce que notre collègue, M. Hamy, vient de dire concernant le Congrès d'ar- chéologie et d'anthropologie préhistoriques. Lorsqu'il s'est agi de déterminer le lieu où se tiendra la prochaine session en 1876, il y a eu lutte assez vive au Conseil. Les uns voulaient Moscou, les autres Pesth. Ce sont les partisans de cette dernière ville qui l'ont emporté. C'est, je crois, fort regrettable au point de vue de l'anthropologie. D'après les traditions, sur six jours de séances, cinq sont consacrés à l'archéologie. Le dernier seul est laissé à l'anthropologie. A Moscou on avait l'intention d'agrandir la part de cette dernière science. En allant à Pesth, le Congrès restera probablement dans les errements du passé. M. Hamy nous a parlé aussi de l'homme préglaciaire en Scandinavie. Il était admis sur le dire de certains auteurs qu'on avait trouvé les restes d'une habitation humaine sous un dépôt glaciaire. Le fait en lui-même est vrai, mais cette habitation, qui ne paraît pas devoir remonter à une bien grande antiquité, au lieu d'être sous un dépôt en place, était sous un dépôt remanié. Les ter- rains glaciaires sont généralement très-meubles, très-coulants. Une forte portion de terrain glaciaire avait glissé et enseveli une habitation très-postérieure. L'homme n'a pas pu probablement vivre en Suède pendant l'époque glaciaire à cause de l'intensité du froid. A celte époque, le renne vivait et se reprodui- sait chez nous, tandis que maintenant il ne peut pas se propager à la latitude de Stockholm et de Pétersbourg. Jugez dès lors le degré de froid qu'il devait faire en Suède à l'époque glaciaire ? Pour atténuer l'importance de ce froid, M. Hamy dit qu'alors le figuier vivait à la latitude de Paris. 11 est vrai que le figuier et l'arbre de Judée, le cercis, ont été retrouvés en abondance dans un tuf des envi- rons de Moret, à la Celle. Mais ce tuf, dont j'ai entretenu la Société d'anthro- pologie il y a quelques mois, n'est pas de l'époque glaciaire. Il est préglaciaire, et nous savons tous qu'à la fin de l'époque tertiaire le climat était plus doux que maintenant. A propos de la grotte de Duruty, à Sordes, M. Hamy a cru pouvoir établir qu'il n'y pas de transition entre l'époque paléolithique et l'époque néolithique. Je pense que la démonstration n'est pas concluante. Effectivement, les sépul- tures néolithiques reposaient directement sur les débris de l'habitation paléo- lithique; il y avait même des os de rennes et des silex taillés paléolithiques en con- tact avec les ossements de la sépulture. Cela tient tout bonnement à ce qu'au moment où l'on a voulu faire dans la grotte une sépulture régulière, on a arrangé et nivelé le sol. Silex et os de rennes étaient là remaniés comme le glaciaire sur la cabane de Suède. A Solutré, où sur la station paléolithique 530 ANTHROPOLOGIE existent des sépultures mérovingiennes, dira-t-on qu'il n'y a pas solution de continuité entre les deux époques, parce qu'on trouve dans les sépul- tures mérovingiennes des silex taillés et des débris de renne '! Certainement non! Eh bien, c'est le même cas qui s'est rencontré à la grotte de Duruty. M. IIamy appuie sa manière de voir sur Sordes, bien moins sur les considé- rations stratigraphiques si bien mises en lumière par MM. Lartet el Chaplain- Duparc, que sur l'identité absolue des squelettes, qu'ils appartiennent à la couche paléolithique ou à la couche néolithique. M. de MORTILLET Sous-Directeur du Musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye. SUR LA NON-EXISTENCE D'UN PEUPLE DES DOLMENS — Séance du 5i août 1874. — En travaillant à ma Paléontologie de V histoire, je suis arrivé à d'in- téressants résultats que je suis heureux de pouvoir vous soumettre. D'au- tant plus heureux que ces résultats, étant en contradiction avec bien des idées reçues, ont besoin d'être discutés. Je ne pouvais trouver une meil- leure occasion : je m'empresse de la saisir. Grâce à de nombreuses recherches et aux travaux spéciaux de savants distingués de diverses nations, les dolmens nous sont très-bien connus. Malheureusement ces savants, s'enfermant trop exclusivement dans la question, en ont t'ait un tout spécial et complètement isolé. De là est née l'idée d'un peuple des dolmens! Peuple particulier, émigrant, et semant sur son passage, comme des témoins de sa marche, des monuments particuliers, tout à tait caractéristiques, les dolmens. Cela posé, on a longuement discuté sur les migrations de ce prétendu peuple, les uns le faisant aller du nord au sud, les autres au contraire le taisant remonter du sud au nord. Mes recherches, poursuivies avec le plus grand soin, m'ont prouvé que ce peuple spécial des dolmens n'a pas existé. C'est une supposition pure- ment théorique. Déjà la divergence d'opinion qui le fait aller suivant les uns du sud au nord, suivant les autres du nord au sud, montre qu'il n'y a rien de bien clair, de bien net et de bien précis dans la conception de ce peuple. En traçant la carte de la distribution des dolmens, on voit non-seule- DE MORTILLET. — LE PEUPLE DES DOLMENS 531 ment des lacunes dans la ligne d'ensemble, — ce qui à la rigueur peut s'expliquer par un passage plus rapide ou le manque de matériaux convenables dans les pays où existent ces lacunes, — mais on reconnaît des groupes de dolmens dans des régions isolées, ne se rattachant nulle- ment à la traînée générale. Tels sont, par exemple, les groupes de la Crimée et de la Palestine. Ces groupes isolés ne peuvent s'expliquer dans l'hypothèse d'un peuple spécial en migration. Dans des régions fort éloignées l'une de l'autre, comme la Bretagne et le Jutland, on reconnaît au sein des dolmens un développement de civilisation tout à t'ait analogue. Dans les deux régions, l'ensemble des monuments ne contient que de la pierre pure ; pourtant, de part et d'autre, quelques-uns renferment déjà du bronze. Les dolmens des deux régions ont donc assisté à la même évolution industrielle. Us étaient indépendants les uns des autres pendant tout le -temps, fort long, que s'est effectuée cette évolution, qui probablement même n'a pas été syn- chronique, comme chronologie absolue, dans les deux régions. Il faut en conclure forcément que les constructeurs de dolmens, loin d'émigrer de l'un de ces pays dans l'autre, étaient sédentaires dans chacun d'eux. Bien que dans leur ensemble les dolmens aient des caractères communs, qui en font un groupe bien caractérisé, pourtant dans les détails ils va- rient d'une contrée à l'autre, ce qui montre qu'ils ne^sont pas l'œuvre d'un seul et même peuple en migration, mais bien l'œuvre de populations sédentaires, assez distinctes pour avoir des habitudes diverses. Ces varia- tions sont même parfois très-rapprochées, très-voisines les unes des autres. Ainsi, la France seule en renferme plusieurs. Dans la Bretagne, les dolmens sont généralement des chambres ou caveaux avec longs couloirs d'accès; dans les environs de Paris, ce sont de longues et larges allées couvertes, précédées d'un vestibule très-court; dans la Lozère, l'Aveyron, le Gard, l'Ardèche, ce sont presque toujours de simples caisses rectangulaires aux larges proportions. Entin, la preuve la plus concluante de la non-existence d'un peuple particulier des dolmens, c'est la diversité des débris humains trouvés dans ces monuments. Parmi ceux des dolmens de France nos collègues, MM. Broca, Prunières et de Quatrefages ont reconnu de nombreux caractères ataviques rappelant les populations paléolithiques du pays. Les dolmens ne forment pas un ensemble spécial, un tout distinct; ils ne sont qu'une portion d'un grand ensemble, d'un grand tout. Le dolmen est une simple dérivation de la grotte sépulcrale, et l'ensevelis- sement dans les grottes est un usage qui s'est répandu chez des peuples nombreux fort divers. L'ensevelissement a d'abord eu lieu dans la grotte naturelle. Les grottes devenant rares et les morts toujours plus nombreux, on s'est 532 ANTHROPOLOGIE mis a creuser des grottes artificielles, puis on en a fabriqué de toutes pièces, avec des matériaux rapportés, ce sont les dolmens. Cette marche se reconnaît et se suit très-bien en France. Dans le relevé général que j'ai l'ait de nos cavernes, j'ai reconnu au moins vingt- quatre grottes naturelles, fouillées et décrites par divers auteurs, ayant servi de caveaux funéraires à l'époque robenhausienne, ou époque de la pierre polie. Le mobilier qui s'y trouve est semblable en tout à celui des dolmens de la même région. Le rite funéraire employé est identique dans les deux cas. De ces grottes naturelles, il faut rapprocher les grottes sépulcrales artificielles, constatées dans l'Aveyron, le Finistère, l'Oise, la Seine-et- Marne, et surtout par M. Joseph de Baye dans la Marne. Là encore le mobilier et le rite funéraire sont semblables au rite et au mobilier reconnus dans les dolmens. La construction elle-même de la grotte artificielle a la plus grande analogie avec les dolmens du pays. Ainsi, dans la Marne, qui se rattache à la région des allées couvertes, à vesti- bule ut entrées étroites, la salle mortuaire des grottes artiticielles est précédée d'un petit vestibule, et l'entrée n'est qu'une étroite ouverture par laquelle il est difficile de passer. Le Gard nous fournit des transitions encore plus caractéristiques entre les grottes et les dolmens. M. Aurès nous a montré à Aubussargues une grotte sépulcrale naturelle appropriée et fermée à la manière des dolmens du pays. M. Cazalis de Fondouce a décrit et ligure les sépultures hybrides de Cordes et du Castellet, commune de Fontvieille, qui sont moitié grotte artificielle et moitié dolmen. Ces sépultures se trouvent creu- sées à ciel ouvert, dans la roche en place et sont recouvertes de grandes dalles de pierre, semblables aux tables caractéristiques des dolmens. Toutes les transitions existent donc, en France, entre les deux termes . extrêmes, la grotte naturelle sépulcrale et le dolmen. Il y a passage insensible et évident de l'un à l'autre. Le trait d'union le plus remarquable, h; plus caractéristique, le plus concluant entre les grottes naturelles sépulcrales, les grottes funéraires artificielles et les dolmens consiste en une pratique particulière, tout exceptionnelle, l'enlèvement de rondelles d'os sur le crâne chez l'homme mort et même chez l'homme vivant. Cette singulière et étonnante pra- tique, découverte par M. le docteur Prunières et bien constatée par M. le docteur Paul Broca, a été reconnue tout à la fois dans la grotte sépulcrale naturelle de l'Homme-Mort (Lozère), dans les grottes funéraires artificielles de la Marne et dans les dolmens de la Lozère. Le dolmen n'est donc qu'une des formes d'un usage sépulcral qui s'est répandu de proche en proche chez des peuples nombreux et divers. Il ne peut, par conséquent, servir à caractériser un peuple spécial. DISCUSSION SUIt LE PEUPLE DES DOLMENS 533 DISCUSSION M. Prunieres regarde les dolmens comme postérieurs aux cavernes et indi- quant, une civilisation plus avancée; il ne diffère que sur ce point d'avec M. de Mortillet, qui tient ces sépultures pour contemporaines. M. de Quatrefages. — A l'appui de l'opinion soutenue par M. de Mortillet et que continuent les recherches de M. Prunieres, je ferai remarquer qu'on rencontre deux types dans les dolmens du Danemark comme dans ceux de la Lozère. Mais les deux types du nord sont différents de ceux de la France. Il n'y a donc pas eu une race de dolmens. J'insiste sur ce fait que, dans les dol- mens, ce que l'on trouve en majorité c'est le type local. M. Pr,UNiEi;i:s. — La Lozère nous en fournit un exemple ; ce n'est qu'en minorité que j'y ai trouvé l'élément brachycéphale. M. de Mortillet fait observer à M. Prunieres qu'à propos des dolmens du midi de la France, il a dit : sont presque toujours des caisses quadrangulaires, justement parce qu'il y a parfois des exceptions. Il a fouillé divers dolmens dans l'Aveyron et parmi eux se trouvait justement un dolmen à vestibule latéral semblable à celui figuré par M. Prunieres. Quant à la localisation des dolmens dans la région calcaire, elle a aussi été signalée par M. Boisse pour l'Aveyron et par M. Ollier de Marichard pour l'Ardèche. Cela tient tout bonnement à ce que le calcaire offre des dalles commodes pour la construction des dolmens, tandis que les terrains schisteux n'en offrent pas. Par contre, les cavernes artificielles qui ont été signalées dans l'Aveyron se trouvent dans la région schisteuse. La grotte de l'Homme-Mort peut bien appartenir à une époque un peu plus ancienne que la plupart des dolmens de la Lozère, mais c'est une exception. Les grottes sépulcrales du Midi de la France ont généralement fourni des mo- biliers funéraires identiques à ceux des dolmens de la même région. La grotte de Saint-Jean-d'Alcas contenait du bronze comme les dolmens des environs. Le tout était tellement semblable qu'à l'Exposition de l'histoire du travail en 1867, M. Cartailhac crut ne pas devoir séparer le produit de cette grotte du produit des dolmens. La grotte de Durfort a également fourni du bronze mêlé à tous les objets qui se rencontrent habituellement dans les dolmens. Dernièrement encore, M. le docteur Carret signalait ,à la Société d'anthropologie une grotte sépulcrale des environs de Chambéry, la grotte de Challes, où le bronze s*est trouvé mêlé à la pierre et le bronze d'une époque avancée. M. Broca. — Je suis très-aisê de voir que de nouveau l'anthropologie reprend ses droits vis-à-vis de l'archéologie. On peut comparer la question actuelle à celle qui fut soulevée il y a quinze ans par la linguistique. On constata alors la parenté des langues de l'Europe et on en conclut à la parenté des populations ; les différences qui existaient entre elles s'expliquent par l'influence ultérieure du climat ; mais toutes provenaient des mêmes envahisseurs que l'on appela race aryenne. J'ai combattu cette opinion. J'ai émis alors une idée analogue à celle que soutient aujourd'hui M. de Mor- 534 ANTHROPOLOGIE tillet. J'ai dit que la forme humaine ne différait pas beaucoup actuellement de ce qu'elle était à l'invasion asiatique. Les peuples anciens, d'après moi, sont restés en majorité avec leur type propre : l'invasion aryenne a eu pour unique résultat de modifier la langue, la religion, de donner en un mot une civilisation nouvelle. La thèse présentée par M. de Mortillet contre la généralisation trop rapide de l'archéologie rappelle en plusieurs points cette ancienne discussion. Ici encore l'identité de sépulture a donné lieu à une interprétation fautive, et a amené la même conclusion qu'autrefois, l'identité (relative) de la langue. — Je crois cependant avec M. de Mortillet qu'il faut ajouter à l'invasion de la race des dolmens une valeur toute différente de celle qu'on lui prête ordi nairement. 11 y a eu dans ce fait plutôt une propagande qu'une migration ; elle s'est opérée non par le déplacement de grandes masses, mais par l'œuvre d'in- dividus isolés. M. de Quatrefages. — J'ai dit à peu près la même chose au congrès de Stockholm en réponse à M. Worsaae. M. Ludovic MARTINET Membre de la Société d'anthropologie île Paris. SUR LES DÉFORMATIONS ARTIFICIELLES DU CRANE — Séance du 22 août 4874. — Les déformations artiiieielles du crâne ont été en usage chez beau- coup de peuples anciens et modernes : Hippocrate parle des populations de la Crimée qui comprimaient la tète des nouveau-nés de façon à en faire de véritables macrocéphales : il croyait même que cette déforma- tion était transinissible par hérédité. Celte coutume, si répandue chez les peuplades du nouveau monde, a régné jadis sur l'ancien continent : les Avares et les Bretons -en sont un exemple, et cet usage existe encore, paraît-il, dans quelques localités du midi de la France, quoiqu'il lende chaque jour à disparaître de plus en plus. Selon la mode du pays, chaque peuple a adopté un genre particulier de déformation : ainsi les anciens Égyptiens et les Fidjiens actuels compriment l'occiput de façon à ce qu'il soit assez large pour faire saillie au dessus de la ligne du cou; il en est de même chez les Malais et chez quelques insulaires du Pacifique. Le crâne des Natchez et des Incas était aplati dans le sens du dia- mètre antéro-postérieur. Suivant Garcilaso de la Vega, «' ils déformaient L. MARTINET. — LES DÉFORMATIONS ARTIFICIELLES DU CRANE 535 la tête de leurs enfants nouveau-nés en leur mettant une planchette sur le front et une autre sur l'occiput, et ils les rapprochaient de jour en jour, jusqu'à ce qu'ils eussent atteint l'âge de quatre ou cinq ans; de seilc que leur tête était large d'un côté à l'autre, et étroite à l'occiput. » Par suite de l'aplatissement et de l'empiétement sur les pariétaux du coronal et de l'occipital, les loges pariétales faisaient une saillie très- prononcée; la tête était plus large à sa partie postérieure qu'à sa partie antérieure, et toute la masse cérébrale se trouvait refoulée en arrière et latéralement. Dans l'île de Vancouver, une corde fortement serrée autour de la tête de l'enfant donne à celle-ci la forme d'un cône allongé. .Chez les Têtes- IMates, habitant les bords de la Clark, cette déformation paraît être un privilège de caste, un signe de noblesse ; tantôt leur crâne offre une pente tellement prononcée à partir des sourcils, que les yeux semblent sortir de leur orbite; tantôt il représente un disque complètement plat avec le front et la face très-proéminents. Le plus habituellement, ils placent l'enfant dans une espèce d'auge garnie de mousse, et ils main- tiennent pendant toute une année un coussin recouvert d'écorce, pressé sur sa tête. Sous cette tension, les yeux de; la victime ressem- blent, suivant l'expression des voyageurs, à ceux d'une souris prise au piège. Après le temps voulu, quand on détache les ligatures, la partie supérieure de la tête de l'enfant a quelques centimètres à peine d'épaisseur. D après M. Riedel, certaines peuplades des Célèbes ont encore l'habi- tude de la déformation artificielle : on entoure d'écorce et de coton la tête des enfants sur laquelle on place deux planchettes, Tune en avant, l'autre en arrière ; le crâne alors s'élargit extraordinairement. Cette cou- tume a dû être importée aux Célèbes, car elle est inconnue des autoch- thones de race papoue. Dans la presqu'île d'Alaska, récemment visitée par M. Alphonse Pinart, on retrouve deux modes de déformation artifi- cielle : dans l'un, la tête est démesurément allongée d'avant en arrière {long head) ; dans l'autre, elle est aplatie dans le sens transversal (round head). C'est ce que M. Pinart désigne sous le nom de déformation en forme de pavé. Au surplus, d'après cet explorateur, cette pratique est aujourd'hui tombée en désuétude. Mackensie a, de son côté, décrit la déformation crânienne « en coin » chez les Indiens voisins des bords de la rivière du Saumon. L'usage de la déformation artificielle existait chez les peuplades con- temporaines des Tnmuli de l'Ohio, du Tennessee et du Mississipi ; la forme pyramidale de la tête et l'étroitesse du front se remarquent éga- lement sur les crânes que M. Lund a découverts dans les cavernes du Brésil, au milieu d'ossements d'espèces animales disparues, et il en est de 536 ANTHROPOLOGIE même pour ceux qui se trouvaient dans les anciennes sépultures péru- viennes. Ces derniers, en effet, offrent un aplatissement irrégulier de la région occipitale. Plusieurs historiens pensent qu'au Pérou et dans le royaume de Quito, une loi spéciale prescrivait la déformation pour les entants mâles : cette pratique était fort ancienne, puisque, d'après Velasco, les Caranguis, qui habitaient l'Amérique méridionale plusieurs siècles avant la domination des Incas, « comprimaient et allongeaient habituellement la tête des entants, ainsi que le font les Omeguas des bords du Maranon. » Quant à la cause de cette déformation du crâne, peut-être faut-il la chercher dans une tradition ethnique, puisque l'homme du Renne, avec son frontal déprimé et ses arcades sourcilières proéminentes, offrait un type bestial analogue à celui de certaines têtes comprimées artifi- ciellement ; mais je crois en outre et je vais tâcher d'établir qu'elle doit êire surtout le résultat de l'observation. On sait, en effet, que les instincts cruels, les passions violentes, sont généralement en rapport avec la saillie latéro-postérieure de la tête, au niveau des temporaux ; les anciens conquérants, d'autant plus observateurs qu'ils étaient moins civilisés, mettaient un courage aveugle et brutal au-dessus de toutes les autres qualités, et ils ont dû s'efforcer d'obtenir artificiellement des facultés si précieuses pour eux en exagérant les protubérances tempo- rales à l'aide de la compression, soit sur le frontal et l'occipital, soit sur le sommet des pariétaux. A la suite de cet exposé, l'auteur entre dans des considérations éten- dues relatives à la phrénologie. Il conclut à l'insuffisance de ses résul- tats. Cependant, l'observation des formes de la tête dans ses rapports avec les diverses aptitudes avait, suivant l'auteur, frappé sans doute tous les peuples qui ont déformé le crâne des enfants. Il arrive, par suite, à cette conclusion : En résumé, je crois que l'usage de la déformation artificielle du crâne ne provient pas seulement d'une tradition ethnique, mais qu'il doit être considéré en grande partie comme le résultat de l'observation des premiers dominateurs de peuples, et que cette pratique contribuait efficacement à mettre les masses sous leur influence et à les faire con- courir à la réalisation de leur ambition et de leur despotisme. DE MORTILLET. — LES BOHÉMIENS DE L'AGE DU BRONZE 537 M. de MORTILLET Sous Directeur du Musée des [Antiquités nationales à Saint-Germain-en-Lnye. LES BOHÉMIENS DE L'AGE DU BRONZE — Séance du 22 août 1874. — La France, et même tout ce qui fut l'ancienne Gaule, a eu un âge du bronze bien défini, qui fut de longue durée, ainsi que l'établit très- clairement un de nos collègues, M. Ernest Chantre, dans un magnifique ouvrage qui est sur le point de paraître. En étudiant cet âge du bronze, j'ai pu le diviser en deux époques très- bien caractérisées par le développement de l'industrie. Dans la première de ces époques, la plus ancienne, les hommes du bronze ne connaissaient que la fusion. Tous leurs produits sortaient directement du moule. C'est ce qui m'a fait appeler cette époque, époque du fondeur. Plus tard, par un progrès tout naturel de l'industrie, progrès qui pourtant a dû demander beaucoup de temps pour apparaître et se dé- velopper, aux procédés de fusion se sont joints ceux du martelage. Le fondeur est devenu en même temps chaudronnier. C'est ce qui consti- tue la seconde époque, que je nomme pour cela époque du chaudronnier ou marteleur. C'est la belle époque du bronze en France et dans les pays voisins ; c'est celle qui, dans les habitations lacustres de la Savoie et de la Suisse, vient se souder à l'âge du fer. La première époque, l'époque du fondeur, pourrait aussi s'appeler l'époque de la pénurie. En effet, le bronze est encore rare. Les trou- vailles de cette époque sont proportionnellement peu nombreuses ; les objets sont disséminés. Dans la confection des objets, le métal est éco- nomisé. Ainsi, pour ne parler que des plus communs, dans les haches, c'est l'époque de ce que Morlot a appelé haches à main, c'est-à-dire des haches à partie supérieure étroite, peu épaisse, avec rebords très-bas, presque rudimentaires . La seconde époque, l'époque du chaudronnier, est l'époque de l'abon- dance. Le bronze se montre en quantité bien plus considérable. Les trouvailles sont riches et nombreuses, les objets se corsent, prennent un développement plus fort ; on trouve les grosses et puissantes haches à ailerons et à douille. Les épées ont souvent la poignée entièrement en bronze, ce qui n'existait pas dans la première époque. Ces deux époques sont du reste parfaitement prouvées par les pêches 38 538 ANTHROPOLOGIE lacustres de M. Forel, à Morges, lac de Genève. Il y a là deux sta- tions voisines , qui se touchent presque, et qui pourtant sont tout à l'ait différentes. Dans l'une, la plus restreinte et la plus pauvre, il n'y a en fait de haches que des haches à main. Dans l'autre, la plus étendue et la plus riche, les haches à main t'ont tout à fait défaut, et l'on trouve en certaine abondance de grosses et fortes haches à ailerons. En France, Suisse et Belgique, c'est-à-dire dans l'ancienne Gaule, l'âge du bronze se divise donc très-nettement en deux époques bien définies, bien caractérisées. Les recherches que j'ai faites pour ma Paléontologie de l'histoire m'ont encore conduit à un autre résultat fort intéressant. Le bronze, métal complexe, produit de l'industrie, se montre, dans l'ancien territoire de la Gaule, immédiatement, sans transition, sans intermédiaire d'un âge de cuivre. L'introduction du bronze dans cette région est donc le résultat d'une importation. Ce fait est reconnu et admis. Mais comment s'est faite cette importation? Est-ce le produit d'un simple commerce*? est-ce la conséquence de l'invasion d'un peuple conquérant, qui a apporté avec lui la civilisation et des habitudes nou- velles? On a discuté longuement ces deux hypothèses. Eh bien, je crois que pour la Gaule ni l'une ni l'autre n'est exacte. Je pense que la vérité se trouve entre deux. Le bronze s'est introduit en Gaule par suite de l'infiltration, au milieu de la population de ce pays, d'hommes nomades voués à la métallurgie, d'hommes analogues, comme mœurs, industrie et habitudes, aux bohé- miens de nos jours, qui s'en vont eucore, errants de pays en pays* faire de la chaudronnerie, et qui, soit qu'ils voyagent, soit qu'ils se fixent, ne se mêlent pas aux populations. Ces bohémiens de l'âge du bronze, race aux petites mains, ce qui peut servir à reconnaître leur point d'ori- gine, ont commencé par fondre, suivant en cela une longue habitude, des épées aux courtes poignées. — Telles sont les épées de la première époque. — Puis, voyant que ces épées ne s'adaptaient pas facilement aux mains des acquéreurs, des habitants vrais du pays, ils ont allongé la poignée, ou bien abattu le tranchant de la lame vers sa base, afin qu'on puisse, sans inconvénient, appuyer l'index contre cette base et saisir plus solidement l'arme. Ces deux caractères s'observent dans les épées de la seconde époque. S'il y avait eu simple commerce, il existerait beaucoup plus d'uni- formité entre les objets des divers points du pays. Tous ont bien des caractères généraux communs, qui démontrent une provenance originelle de même source, mais entre les diverses régions de la Gaule,' on peut BROCA. — RÉPARTITION DE LA LANGUE BASQUE 539 constater des différences secondaires, suffisantes pour prouver que les fabricants étaient à demi sédentaires, comme le sont encore dans cer- taines contrées certaines bandes de bohémiens. Et puis, la découverte de moules nombreux sur des points très-divers montre bien qu'on fabri- quait sur place. Enfin, s'il y avait eu envahissement et conquête, les conquérants maîtres du pays, n'auraient pas eu à cacher leur matière première, leurs produits et leurs trésors. Or, l'âge du bronze, en France, est justement caractérisé par l'abondance et la richesse des cachettes. M. P. BEOCA Professeur à la Faculté de médecine de Paris. RÉPARTITION DE LA LANGUE BASQUE — Séance du 27 août 1874. — M. Broca présente une grande carte sur laquelle sont indiquées les limites actuelles de la langue basque ou euskarienne. Cette langue oc- cupe, en France, une partie du département des Basses-Pyrénées ; en Es- pagne, toute la province du Guipuzcoa, et une partie des trois provinces de Navarre, d'Alava et de Biscaye. En France, la langue qui entoure le basque est le patois béarnais, dialecte de la langue d'oc. Ce patois, tombé depuis longtemps en décadence, n'a aucun pouvoir d'extension ; aussi la ligne de démarcation des deux langues est-elle stationnaire; l'auteur prouve même, par des documents historiques, qu'elle n'a pas changé depuis le moyen âge. En Espagne, au contraire, le basque se trouve aux prises, sur ses limites, avec le castillan, langue littéraire et officielle, que tout le monde a intérêt à apprendre, et qui s'infiltre aisément de proche en proche. De ce fait découlent deux conséquences : en premier lieu, la limite basque remonte peu à peu vers le nord; en certains points, elle a reculé de 7 à 8 lieues depuis soixante ans; en second lieu, il y a entre la région purement basque et celle où l'on ne parle plus que le castillan, une zone intermédiaire où le peuple parle à la fois les deux langues. Rien de pareil n'existe sur la limite de la Vasconie française. L'auteur rappelle qu'il a présenté, en 1864, à la Société d'anthropo- logie et déposé dans les archives de cette Société une carte de la partie française de la langue basque. Cette carte, dressée avec le concours de MM. Elisée Reclus, d'Orthez, et de M. le Dr Henri Broca, d'Oloron, a été 540 ANTHROPOLOGIE complétée depuis avec le concours de M. le Dr Argelliès, de Saint-Jean- de-Luz, et de M. Camino, maire de Briscous. Il ajoute que la partie espa- gnole de la carte, esquissée par lui en 1867, dans son voyage en Vas- conie, avec le concours de MM. les D1"1 Velasco, Cardon et Otafio, a été revisée l'année suivante à l'aide de divers renseignements, et présentée en 1868 à la Société d'anthropologie, mais n'a pas été publiée, parce qu'un détail relatif aux. environs d'Orduna était encore douteux, et sur- tout parce que M. d'Abbadie avait annoncé la publication prochaine d'une carte générale de la langue basque et de ses dialectes, par le prince Charles Bonaparte. 3Iais cette dernière carte n'ayant pas encore paru, M. Broca se décide, après une longue attente, à faire connaître la sienne (1). Pour montrer combien il est utile de déterminer les limites actuelles de la langue basque, il rappelle que le basque est le dernier représen- tant des langues préaryennes de l'Europe occidentale. On en a vaine- ment cherché l'origine en Asie, en Afrique, en Amérique, et après l'in- succès de ces recherches, on est obligé de considérer le basque comme issu d'un groupe de langues autochthones. Ce groupe ne compte plus au. jourd'hui qu'un seul descendant, qui est le basque; mais il a dû nécessai- rement autrefois se composer de plusieurs langues plus ou moins étroite- ment affiliées entre elles, et occupant une aire géographique assez étendue ; car il en est toujours ainsi. La formation d'un système spécial de langues n'exige pas seulement beaucoup de temps, elle exige encore beaucoup d'espace. Il ne nous est pas donné d'assister à cette première phase, qui s'est partout effectuée à des époques antérieures à toutes les his- toires, chez des peuples encore barbares ou sauvages, dont le parler se modifiait insensiblement de tribu à tribu, et de génération en génération ; dialectes sans nombre, parmi lesquels ceux-là seulement avaient quelque chance de durée qui avaient reçu quelque perfectionnement, ou qui appartenaient aux tribus les plus puissantes. Mais cette évolution par aires géographiques nous est démontrée par la répartition des grandes familles linguistiques, par la continuité des langues de même famille et par leur extension sur de vastes espaces, ou même sur un continent en- tier. Dans le nouveau monde, les langues guaraniennes occupent presque toute l'Amérique méridionale ; en Asie et dans le nord de l'Europe les langues dites touraniennes ont une extension aussi grande ; il y a un système de langues africaines qui, au milieu de ses grandes diver- gences, s'étend sur la plus grande partie de l'Afrique moyenne, etc. Cette loi est générale, et à moins d'admettre, comme certains baski- carle a paru dans le numéro de janvier 187;. de la Revue d'anthropologie, avec lu mémoire sur l'Origine et la répartition de la laïu/uc basque, dont nous donnons ici le résumé. BROCA. — RÉPARTITION DE LA LANGUE BASQUE 541 sants fanatiques, que le basque ait été la langue du paradis terrestre, mère de toutes les autres, et seule vierge d'altération, il faut bien recon- naître qu'il s'est développé comme toutes les autres langues, par une sorte de végétation, et qu'il a été l'un des rameaux d'un tronc dont les autres branches ont péri. Cette conclusion, que le seul fait de l'isolement actuel du basque rendrait déjà nécessaire, s'impose à l'esprit lorsqu'on songe à la rare perfection de cette langue, et à l'immense travail de sé- lection dont elle a été le produit. Il est donc impossible que le basque soit né, qu'il ait accompli toutes les phases de son évolution et de son perfectionnement dans le petit ter- ritoire qu'il occupe aujourd'hui. Autour de lui s'étendaient au loin d'au- tres langues qui lui étaient plus ou moins étroitement affiliées, et toutes ensemble formaient un groupe, que l'on peut appeler d'après le nom de son seul rejeton actuel, la famille euskarienne. Jusqu'où s'étendait cette famille de langues autochthones? Peut-être occupait-elle avant l'époque aryenne toute l'Europe occidentale; peut- être s'étendait-elle à travers l'Europe centrale jusqu'au contact des lan- gues dites touraniennes, qui n'étaient pas autochthones en Europe, car elles y étaient venues de l'Asie, mais qui s'y étaient introduites selon toutes probabilités bien longtemps avant les langues indo-européennes. Ces langues touraniennes d'Europe, représentées aujourd'hui par le fin- nois (et aussi par le lapon, dont l'introduction paraît bien moins ancienne) occupaient vraisemblablement toute la Russie, ou du moins toute la Kussie septentrionale ; il est même permis de croire que, vers le commen- cement de notre ère, le finnois descendait encore jusqu'à la Vistule. Les langues aryennes, pénétrant en Europe par le Caucase et par les Darda- nelles, séparèrent d'abord le groupe touranien du groupe occidental, puis se répandirent en tous sens et se substituèrent presque partout aux. langues préaryennes, qui périrent successivement à l'exception de deux: le iinnois, aujourd'hui refoulé au nord de la Neva, et le basque, dont la ré- partition actuelle est indiquée sur la carte présentée à la section d'an- thropologie. Suivant Guillaume de Humboldt, dont les idées ont été acceptées pres- que sans contestation jusqu'à ces derniers temps, la langue basque au- rait été, jusqu'à l'époque romaine, répandue dans toute la pénin- sule ibérique et dans toute l'Aquitaine. Tout le monde connaît le pro- cédé de recherches de cet auteur éminent. Passant en revue les anciens noms géographiques dont l'explication ne pouvait être tirée des éty- mologies aryennes, Humboldt s'est efforcé de les rattacher à des étymo- logies basques. Ces noms basques, il les a signalés dans toutes les par- ties de l'Ibérie et dans l'Aquitaine, et il en a conclu qu'avant l'époque arvenne, c'est-à-dire avant l'invasion des Celtes dans la péninsule, il 542 ANTHROPOLOGIE n'y avait dans toute cette région qu'un seul peuple, les Ibères, parlant une seule langue, qui était le basque. Mais depuis Humboldt la lin- guistique en général , la linguistique cuskarienne en particulier , a fait de grands progrès, et aujourd'hui deux: hommes très-compétents, M. Ju- lien Vinson et M. Van Eys, ont mis en doute l'exactitude des étymolo- gies invoquées par Humboldt. M. Broca déclare n'avoir aucune com- pétence sur cette question de linguistique, mais il est d'autant plus disposé à accepter quelques-unes de ces objections qu'il considère la doctrine de Humboldt, dans les termes où elle a été formulée, comme incompatible avec les données générales de l'histoire et de l'anthropologie. Dans l'état social où se trouvaient, avant les temps historiques, les peu- ples autochthones de l'Europe, il est impossible qu'ils aient pu consti- tuer une grande nation et une unité politique assez forte et assez durable pour amener l'unité de langage. En Ibérie, en Aquitaine, comme dans tous les pays incivilisés, il ne pouvait y avoir de véritables nations, mais seulement un grand nombre de petits peuples, ou même de tribus affi- liées probablement par le sang, et plus encore par le langage, mais sans cohésion politique, sans administration commune, sans stabilité, en un mot, sans aucune des conditions qui peuvent faire prévaloir dans une vaste contrée une langue unique. Uibérisme (tel est le nom qu'on a donné à la doctrine de Humboldt) est donc inacceptable ; mais les ob- jections que soulève cette doctrine ne sont pas fondamentales : ellos laissent subsister ce grand fait démontré par Humboldt, fait qui nous paraît banal aujourd'hui , mais qui fut alors une grande découverte, savoir : que le basque est une langue autochthone, et qu'avant l'époque indo-européenne, il y avait dans l'Europe occidentale des peuples au- tochthones. Si, dans la formule de Humboldt, on substitue à l'idée d'un peuple unique celle d'un groupe de peuples affiliés entre eux par le sang, et à celle d'une langue unique celle d'un groupe de langues affiliées entre elles, toutes les impossibilités qui viennent d'être signalées dispa- raîtront et feront place à une probabilité voisine de la certitude. La doctrine de Humboldt ainsi amendée échappe à toutes les objections anthropologiques et historiques, et s'impose même à nous comme une nécessité, car seule elle est compatible avec l'isolement linguistique de la langue basque, avec sa perfection, avec sa répartition actuelle, et enfin avec la crâniologie qui constate la similitude des crânes basques du Guipuzcoa et des crânes des anciennes cavernes de Gibraltar. Quant aux objections dirigées contre les étymologies de Humboldt, M. Broca ne s'en fait pas juge ; il remarque toutefois qu'elles n'ont été jusqu'ici que partielles; qu'on a réfuté un certain nombre de ces étymolo- gies, mais qu'on ne les a pas toutes passées en revue;que d'ailleurs Hum- boldt ne s'est pas basé uniquement sur les étymologies des noms BROCA. — RÉPARTITION DE LA LANGUE BASQUE 543 géographiques ibériens, qu'il a invoqué encore la consonnance, la physio- nomie de ces noms, leur similitude avec les noms de lieux du pays basque, similitude qui va quelquefois jusqu'à l'identité et qui, lors- qu'elle se montre sur des mots de trois ou quatre syllabes, ne peut être attribuée au hasard. Ces noms identiques ont eu certainement des éty- mologies communes ; celles qu'a données Humboldt peuvent être fausses, il faudra dire alors que le sens de ces mots est jusqu'ici inconnu; mais il n'est pas nécessaire de savoir la signification d'un nom géographique pour le reconnaître à sa seule forme syllabique, lorsqu'il reparaît plu- sieurs fois dans des lieux différents. 11 faut remarquer, en outre, que les adversaires de Humboldt, le sui- vant sur son terrain, se sont attachés à démontrer que les noms ibéri- ques ne s'expliquent pas par le basque, mais cela dépose seulement contre l'unité attribuée par Humboldt aux anciennes langues ibériques; cela ne prouve pas que ces langues ne fussent pas affiliées au basque, comme sont affiliées entre elles, par exemple, les langues du groupe latin. Cette langue basque s'est maintenue en Espagne, dans une région montagneuse comprise entre l'Èbre, les Pyrénées et le golfe de Gascogne, pendant que, dans tout le reste de la péninsule, ses congénères de la famille euskarienne disparaissaient et étaient remplacées par le latin et plus tard par des dialectes néo-latins. On admet généralement que le même phénomène s'est produit en France, et que le pays basque fran- çais n'a jamais abandonné sa langue autochthone. M. Broca pense, au contraire, que la langue aquitaine, qui était de famille euskarienne, a été partout, dans les siècles qui suivirent la conquête des Gaules, sup- plantée par le latin, que cette langue a entièrement disparu, et que l'in- troduction du basque en France a été un fait ultérieur. 11 attribue ce résultat à l'invasion des Vascons d'Espagne, qui, à la fin du vie siècle, conquirent tout le bassin de l'Adour, et qui restèrent définitivement maîtres de toute la partie qui constitue le pays basque actuel. Il invo- que, à l'appui de cette opinion, diverses preuves. Il montre en premier lieu que l'invasion des Vascons a été numériquement très-considérable; qu'elle a suffi pour amener un croisement de races très-intense; que le type dolichocéphale des Vascons d'Espagne se reconnaît encore très-bien au milieu des brachycéphales qui forment plus des deux tiers de la popu- lation de la Vasconie française. Les conquérants vascons furent donc très-nombreux, et comme ils joignaient à cette grande force numérique la domination politique, consolidée par des communi- cations directes avec le gros de la nation vasconne, ils se trouvaient dans des conditions de nature à faire triompher définitivement leur langue. L'examen de la carte de la langue basque fournit, à l'appui de 544 ANTHROPOLOGIE cette opinion un argument très-solide. La limite orientale de la Vasconie française et celle tle la Vasconie espagnole viennent aboutir l'une et l'autre exactement au même point de la chaîne des Pyrénées, au pied du pic d'Anie, là où la vallée de Roncal donne accès sur celle du gave de Mauléon. Or, ce serait un hasard tout à t'ait inexplicable si, sur les deux versants des Pyrénées, la marche envahissante du latin et de ses dérivés avait, dans des conditions politiques différentes, progressé de la même manière pour s'arrêter exactement au même point. Tout s'explique au contraire très-bien si l'on admet que les conquérants vascons du vie siècle, après avoir conquis toute la Novempopulanie jusqu'à l'Adour et même jusqu'à la Garonne, avaient ensuite été refoulés vers les Pyré- nées, et n'avaient maintenu leur suprématie, leur importance numé- rique, leurs mœurs et leur langue que dans la partie de leur conquête qui s'appuyait directement, à travers les ports (portes) des Pyrénées sur la Vasconie espagnole où dominait leur nation. DISCUSSION M. Hoveeacque. — La communication de M. Broca sur la répartition ac- tuelle de la langue basque est un fait capital. Elle nous met en possession d'un document longtemps désiré et qui servira de point de départ, de base sérieuse à des recherches ultérieures. M. Broca sait mieux que quiconque ce que c'est qu'une famille linguistique et quelles sortes de relations il convient ou ne con- vient pas d'établir entre les langues ; aussi c'est en toute connaissance de cause que je regrette de l'avoir entendu s'en rapporter avec pleine confiance, au sujet de l'origine de la langue basque, aux dires de Humboldt. Assurément c'est beaucoup que de porter ce nom illustre, mais c'est quelque chose de mieux encore que de s'interdire en linguistique les recherches purement étymologi- ques. Sans entrer dans une discussion inopportune, je me contente de déclarer ici de la façon la plus positive que les étymologies proposées par Humboldt pour l'explication des anciens documents ibériques par le basque ont un ca- ractère purement empirique; je n'hésite pas à les regarder comme toutes fan- taisistes et il m'est impossible d'admettre que M. Broca les accepte à son tour d'une façon définitive. J'en appelle à un second examen. Ce n'est donc pas assez de dire que Humboldt, en voyant dans le basque actuel l'ancien ibérien, « n'a pas fait le correctif nécessaire. » Arguer des auteurs anciens lorsqu'ils parlent des rapprochements ou des divergences des langues ne saurait me satisfaire : sur ce chapitre je n'hésite pas à les récuser absolument et j'estime qu'il n'y a pas même à interpréter leurs dires. — 11 n'est qu'un bien petit nombre d'auteurs qui aient parlé scien- tifiquement de la langue basque; or, les deux premières autorités, MM. Mnson et Van Eys, ont protesté hautement contre les étymologies de Humboldt qui menaçaient d'obtenir une sorte de cours forcé. MM. Vinson et Van Eys ne nient point que l'ibérien ne soit un ancêtre plus ou moins direct du basque : je ne DISCUSSION SUR LA RÉPARTITION DE LA LANGUE BASQUE 54?) le nie pas davantage. Le fait est probable, mais il n'est pas démontré. 11 fau- dra même, pour le faire admettre aux linguistes qui ne se paient point d'éty- mologies, user d'une méthode radicalement différente de celle employée à ce sujet par Hnmboldt; je tiens à répéter que ces rapprochements sont dépourvus de tout caractère sérieux. Cela n'empêche pas que sa cause ne soit peut-être excellente, et ce n'est pas à dire que parce qu'on l'a soutenue jusqu'ici sans la moindre critique on ne puisse demain la faire triompher avec éclat. Le fait est probable, très-probable, mais, encore un coup, il n'a pas, jusqu'à ce jour, l'ap- pui de la plus faible preuve. M. Girard de Rialle confirme l'opinion de M.Hovelacqueet s'y associe com- plètement. Comme M. Broca, il pense que les Finnois ne sont pas des Euro- péen s autochthones ; leurs légendes tendraient à les faire venir de l'Orient, c'est-à-dire de l'Asie septentrionale ; mais il ne faut pas se servir à leur pro- pos de cette détestable expression de Touranien que M. Max Millier a inventée dans un but monogéniste et que repoussent un grand nombre de savants; elle n'a d'ailleurs aucune raison d'être et ne signifie rien. M. Girard de Rialle con- teste ensuite la théorie de M. Broca sur la nécessité de l'affiliation des langues par suite de la situation géographique des peuples qui les parlent ; il a, par exemple, donné trop d'unité aux langues des nègres de l'Afrique, qui sont divi- sées en beaucoup plus de familles qu'il ne le croit. 11 ne résulte donc pas delà proximité des régions où l'on parlait ibérien et de celles où l'on parle basque que ces langues aient aucune affinité ; cela est possible, mais M. Broca va trop loin quand il dit que le basque est à l'ibérien comme le français est au latin ; rien n'est moins démontré. Eu vain, les crânes anciens de Gibraltar res- semblent aux crânes basques de Guipuzcoa, la linguistique a autant le droit d'être indépendante de l'anthropologie que celle-ci^ d'être indépendante de l'archéologie et de la linguistique, comme l'a si bien dit précédemment M. Broca. M. G. Lagneau. — La première carte manuscrite des pays basques français présentée le 17 novembre 1864 par M. Broca à la Société d'anthropologie (1), se trouve actuellement complétée par celle mise hier sous les yeux de la section d'anthropologie, relative non-seulement aux pays basques français, mais aussi aux pays basques espagnols. Cette carte, qu'il pourra être intéressant de comparer à celle analogue que M. d'Abbadie, le 6 juillet 1868, nous disait être préparée avec grands détails par le prince Lucien Bonaparte (2), précise les limites actuelles de la langue basque et permettra dans l'avenir de suivre les modifications qui pourront survenir ultérieurement. M. Broca parait admettre que les Basques ne sont passés du versant méri- dional sur le versant septentrional des Pyrénées que vers le vie siècle, à la suite de leur guerre avecLéovigilde, roi visigoth d'Espagne. Alors seulement les Bas- ques auraient importé dans notre pays la langue qu'ils parlent encore aujour- d'hui. A l'appui de son opinion, notre Président fait remarquer, au milieu du territoire de langue basque, une sorte de presqu'île formée par la langue d'oc. (H) Buliet. delà Soc. d'antitr, t. V, p. 819, etc. !2i BtUlet, de la Soc. d'antitr.. 2e sér., t. 111, p. 521, etc. 546 ANTHROPOLOGIE béarnaise autour delà Bastide-Clairenco, ancienne forteresse qui aurait permis aux habitants du voisinage de résister à ces immigrants basques, Celte immigration des Vascons du sud au nord des Pyrénées est générale- ment admise. Toutefois quelques historiens, eritreautres M. Fauriel (1), tout en reconnaissant l'importance de cette immigration de la tin du vi° siècle, parais- sent assez disposés à admettre également la présence antérieure de tribus basques sur le versant septentrional de ces montagnes. Il est très-possible que les Vascons proprement dits, Oùaaxûveç, Vascoîics, que Strabon (2), Pline (3), Ptolémée (i) et maints autres auteurs placent en Ibérie, Espagne, sur le ver- sant méridional des Pyrénées et le haut Èbre, poussés par les rois Goths. aient seulement alors franchi les cols de ces montagnes pour se rendre sur le versant septentrional. Mais il faut remarquer que les tribus occupant anté- rieurement ce dernier versant, de même que celles situées au sud de l'Èbre, comme les Vaccéens, OOaxxafoi, vaccœi (5), habitant sur le haut Douro, pa* raissent avoir eu de grands rapports ethniques avec les Vascons, et semblent avoir été également de race ibérienne. Au nord des Pyrénées, les Sibyllates ou Sibuzates, les Osquidates, les Bigerri ou Bigerriones et autres peuplades signalées par César (6), par Pline (7), et divers autres auteurs comme occupant dans les Gaules la partie occidentale de ces montagnes, sont compris au nombre des peuples aquitains. Or, ainsi que le rappelait M. Broca, Strabon, à plusieurs reprises, signale la parenté des Aquitains, anciens habitants de la région comprise entre les Pyrénées et la Garonne, avec les Ibères de l'Hispanie, l'Espagne, sous le double rapport de la langue et des caractères physiques (8). Au point de vue anthropologique, il semble donc devoir être fort difficile 'de distinguer les descendants des Aquitains des descendants des Vascons ou Bas- ques. Quant à la distinction linguistique qui existe actuellement entre les descendants des Aquitains et ceux des Vascons, elle tiendrait uniquement à l'adoption par les Aquitains d'un idiome roman, alors que les Vascons non subjugués par les Romains auraient conservé leur langue euskarienne. D'après les considérations précédentes, il semblerait donc que les Ibères, les Aquitains, les Basques dussent tous présenter les mêmes caractères ethniques, et appartenir à une seule et même race. Cependant, tandis que MM. Broca et Velasco (9), ainsi que M. Virchow (10), ont trouvé à Zaraus dans le Guipuzcoa, et à Villaro dans la Biscaye, sur le versant espagnol des Pyrénées, des crânes dolichocéphales, comparables à ceux de certains anciens troglodytes du Périgord, de la Lozère, de Gibraltar, voire même de certains habitants du nord-ouest de (1) Fauriel : Eintoire de la raphiques, signalée par M. Broca, est un fait important dont il faut tenir compte. M. Hovelacque.— Un mot encore au sujet de la langue basque : Ce ne sont pas seulement les étymologies de Humboldt que j'ai argumentées, c'est encore toute sa méthode dans la question ibérienne. M. Lagneau.— De cette discussion il semble résulter que M. Broca est disposé, ainsi que moi, à admettre l'existence probable de plusieurs anciennes races brachycéphales dans l'occident et le sud-ouest de notre Europe. J. ASSÉZAT. — PROPORTIONS DU SQUELETTE DE LA FACE 551 M. HYDE CLARKE Membre de la Société d'anthropologie do Londres. NOTE PRÉLIMINAIRE SUR LA CLASSIFICATION DE LA LANGUE DES AKKAS ET DES PYGMÉES DE L'AFRIQUE — Séance du 24 août 1874. — M. DALLY Vice -Président de la Société d'anthropologie de Paris. PRÉSENTATION DE PHOTOGRAPHIES Séance du 24 août 1874 — M. Dally présente des photographies qui montrent les déformations des parties molles et même des os, consécutives à des attitudes vicieuses pathologiques anciennes. M. J. ASSÉZAT RECHERCHES SUR LES PROPORTIONS DU SQUELETTE DE LA FACE — Séance du Si août 1874. — I. La face peut être étudiée seule ou bien dans ses rapports avec le crâne cérébral. Il ne sera question ici que de la face isolée et de la compa- raison de ses diverses mesures entre elles. Ces mesures seront d'une part la hauteur et la largeur qui me don- neront l'indice facial, et d'autre part la hauteur et les profondeurs per- pendiculaire et oblique à cette hauteur prise sur une verticale qui me conduiront à la construction du triangle facial, que j'appellerai interne pour le distinguer du triangle facial connu, dont l'un des sommets est le point auriculaire, situé à l'extérieur du crâne. Je commencerai par l'indice facial, mais avant d'en entamer l'étude, il est utile de s'entendre sur les limites mêmes de la face. 532 ANTHROPOLOGIE Pour sa largeur, il n'y a point de divergence entre les divers observa- teurs. On s'accorde, tant cela est naturel, à prendre la distance maxi ma des arcades zygomatiques. Pour la hauteur, on n'est pas aussi bien d'accord . Il est assez généralement admis que quoique la face soit ostéologi- quement limitée par la suture naso-frontale et le bord alvéolaire, on doit cependant considérer comme en faisant partie la portion du frontal qui s'étend du point nasal au. point sus-orbitaire. M. Rroca a insisté sur la nécessité de cette délimitation dans les Bulletins de la Société d'anthropologie (année 4862). Je n'aurai pas l'outrecuidance d'aller contre une opinion qui a pour elle non-seulement l'autorité d'un maître mais de bonnes raisons. Je me bornerai à faire une simple remarque. M. Broca, lorsqu'il traita cette question, s'occupait du crâne céré- bral. Il cherchait à déterminer à l'extérieur la place occupée intérieure- ment par le cerveau, et comme cette place est en effet limitée en avant par les sinus frontaux et la voûte orbitaire. il avait complètement raison de tracer sa ligne sus-orbitaire. S'ensuit-il delà qu'il faille, lors- qu'on s'occupe de la face et non plus du cerveau, détacher une portion du frontal pour la faire passer d'un système osseux dans un autre ? Je ne crois pas, pour ma part, y être autorisé. Cependant comme une observation de cette importance ne peut pas non plus être négligée, la première chose que j'indiquerai avant de passer outre sera la différence qui existe chez les diverses races dans les dimensions de cette partie faciale du frontal. Je me suis servi pour ce calcul des mesures prises par mon excellent collègue et ami, M. le docteur Topinard, dans son remarquable Mémoire sur le prognathisme. M. Topinard a mesuré séparément la hauteur verticale du point nasal et celle du point sus-orbitaire au-dessus du plan condylo-alvéolaire considéré comme horizontal. En comparant ces deux éléments, j'ai obtenu par soustraction la distance moyenne, en projection et non réelle, du point nasal au point orbitaire, distance qui varie entre 24,34 et 15,95. Ce sont les Esquimaux chez lesquels cette distance est la plus considérable. Viennent ensuite les Tasmaniens, les Guanches, les Néo-Calédoniens, les Malais et Javanais, les Lapons. Chez le vieillard de Cro-Magnon, la distance est égale à celle qui existe chez les Lapons (22) et de très-peu plus forte que celle constatée chez les Parisiens de la fosse commune du cimetière de l'Ouest, conservés à la Société d'anthro- pologie (21.35). Elle va toujours en diminuant chez les nègres, les Arabes, les races jaunes, les Basques, les Égyptiens anciens, pour arriver enfin à son minimum chez les Auvergnats (15). Cette gradation, que j'ai relevée dans un tableau que je compléterai, .1. ASSÉZAT. — PROPORTIONS DU SQUELETTE DE LA FACE '■>■>> serait sans doute modifiée si le nombre des crânes de chaque race était le même, condition sans laquelle la comparaison des moyennes est toujours un peu défectueuse ; telle qu'elle est cependant, elle permet de considérer le plus grand écart comme un signe d'infériorité, mais ce signe ne peut être concluant que s'il accompagne un Iront fuyant et surbaissé. On comprend alors. que l'étendue des sinus frontaux concourt à diminuer la place occupée dans la boîte crânienne par les lobes anté- rieurs du cerveau, et j'en conclus que s'il y a à rapporter la distance naso-sus-orbitaire à une autre mesure crâniométrique, c'est à celle du frontal plutôt qu'à celle de la face; cet espace restera donc pour moi un terrain neutralisé et sur lequel je n'entrerai plus. II. Cherchons maintenant la hauteur du point nasal, le plan condylo- alvéolaire étant considéré comme base. Cette hauteur (qu'il ne faut pas confondre avec la longueur de la ligne naso-alvéolaire qui serait une oblique) est variable sur une assez vaste échelle. Je ne veux pas charger ce très-succinct résumé de tableaux qui le rendraient illisible. Je me bornerai donc, comme je l'ai fait tout à l'heure, à donner les chiffres extrêmes et à formuler quelques observations. Nous trouverons encore cette fois en tête de la série les Esquimaux (77.10), dont les échantillons peu nombreux malheureusement que nous possédons sont remarquables par le développement de la face dans tous les sens. Puis immédiatement après eux viennent les Auvergnats. La série précédente recommence presque exactement en sens inverse et elle se termine par les Tasmaniens, dont la hauteur faciale est de 61.80, de très-peu supérieure à celle du chimpanzé adulte (60) qui fait partie du laboratoire d'anthropologie. J'ai dit que cette nouvelle série décroissante était presque l'inverse de la précédente. Il y a bien cependant quelques différences. Le vieillard de Cro-Magnon s'y trouve entre les deux groupes de Bas-Bre- tons et de Bretons-Gallots (71). Les Lapons (6-1) sont rejetés à la lin. Les Arabes (70.28) s'y rapprochent davantage des Égyptiens de la xvme dynastie, mais les Parisiens (Ouest) s'y montrent encore tout près des nègres d'Afrique (côte occidentale), avec lesquels ils ont d'ailleurs d'antres points d'affinité (G8.ô'2-67.47). On pourra peut-être remarquer que, sur le vivant, ces différences sont en réalité peu de chose et qu'elles sont en partie compensées par le développement du maxillaire inférieur. Cela est vrai et cette remarque même est significative. Le maxillaire inférieur développé aux dépens de la face est un signe disfinctif de l'animalité, et s'il y a de ces maxillaires monstrueux chez l'homme, c'est surtout chez les Néo-Calédoniens et 39 ANTHROPOLOGIE chez les Européens qui, par une cause inconnue, s'en rapprochent, qu'on les rencontre. Il esl donc permis do tirer de cette étude de la hauteur propre de la face cette déduction que plus elle est courte, plus la (lis- lance naso-sus-orbitaire est grande, plus la mâchoire inférieure est volu- mineuse, plus enfin le type est inférieur. Un seul de ces caractères constaté sur un débris crânien autorise à présumer d'une façon générale dans ce sens, sauf les cas dans lesquels celte première appréciation paraît être corrigée par l'examen du dia- mètre bizygomatique. III. Un caractère ne doit pas être, en effet, considéré isolément. Il peut se trouver des faces à la fois hautes et larges, courtes et larges, etc. C'est pour les ramener à une règle uniforme, qu'il est nécessaire de calculer l'indice facial. C'est aussi ce que nous allons faire dès que nous aurons indiqué les limites entre lesquelles oscille le diamètre bi- zygomatique. C'est chez ies Mongols et Kalmoucks (races jaunes), que ce diamètre est le plus considérable. 11 atteint chez eux 139lum. Les Chinois (même race) ne dépassent pas 135. Les Esquimaux, les Lapons et les Guanches viennent ensuite (138), puis les Néo-Calédoniens (137), les Auvergnats (135), les Bas-Bretons, les Bretons-Gallots, les Esthoniens, les Basques, les Croates, les Malais-Javanais, les Parisiens du cimetière de l'Ouest (132). Les nègres d'Afrique, les Egyptiens, les Corses, les Tasmaniens, continuent la série que terminent les Hottentots et les Basques, marqués Velasco, du musée de la Société d'anthropologie (121). Nous pouvons donc maintenant déduire de ces deux dimensions : hau- teur et largeur de la face, l'indice facial, c'est-à-dire le rapport entre la hauteur de la face et sa largeur ramenée à 100. Je crois devoir don- ner ici le tableau de cet indice chez les différentes races étudiées. Tableau de l'indice facial chez quelques races humaines. Casques (Saint-Jean-de-Luz) 66.76 Basques Velasco), 61.98 Auvergnats 56.32 Esquimaux .... 55.90 Egyptiens (xwir dynastie) 55.80 Corses 54.74 Bretons-Gallois 54.33 Ouololls 53.93 Races jaunes (en bloc) 53.53 Egyptiens anciens (série Schneit), 53.46 Bas-Bretons 53.27 S\ riens 53 » Mérovingiens (de Chelles] 52.35 Malais-Javanais 52.31 Nègres d'Afrique (côle orientale). 52.30 Parisiens (cimetière de l'Ouest)... 51.99 Basques (Guipuzcoa) Hottentots IS'a- maquois 51 .59 Nègres d'Afrique (côte occidentale) 51.50 Nubiens 50.91 Esthoniens 50.50 Croates 50.15 Kalmoucks 49. G8 Néo-Calédoniens 48.59 Tasmaniens 48.28 Lapons 46.44 * « » » \- .1, ASSl'./.AT. — PROPORTIONS OU SQUELETTE DE LA FACE ■>■>■> Comme on le voit par ce tableau, les indications fournies par la hau- teur seule de la face, quoique modifiées, conservent toujours une cer- taine valeur. Ici, comme précédemment, les Auvergnats, les Esquimaux, tiennent la tête de la colonne, et les Néo-Calédoniens, les Tasmaniens et les Lapons sont rejetés à la fin, les Parisiens sont restés voisins des nègres, il n'y a que les Basques (deux séries sur trois) «pii, cette fois, dépassent tous les autres groupes grâce à une remarquable hauteur de la face et à l'étroitcssc relative des arcades zygomatiques. Les Corses, qui présentent ce même caractère, sont aussi placés clans les faces lon- gues, et sans vouloir faire de ce type de faces longues un signe de su- périorité, on ne peut méconnaître que les faces courtes qui sont en bas de notre échelle sont aussi sur les derniers degrés de celle de l'huma- nité. IV. Mais la face ne s'étend pas seulement en largeur et en hauteur, elle s'étend aussi en profondeur. Elle est limitée en haut par la base du crâne formée par le sphénoïde et l'ethmoïde, et en bas par la voûte palatine. Les caractères que nous avons déjà énumérés doivent influer sur les dimensions de l'angle inscrit entre les deux côtés que nous ve- nons de nommer, et dont le sommet sera dans un point situé à leur rencontre. Or, sur le crâne, ce point commun est le basion duquel nous pouvons tirer deux lignes idéales joignant, l'une le point nasal, l'autre le point alvéolaire. Mais la ligne tirée du basion au point alvéolaire n'est pas horizontale, le basion étant toujours au-dessus du plan condylo-alvéo- laire. Si nous mesurions directement la distance du bord alvéolaire au basion, nous formerions, avec la verticale qui nous a servi à mesurer la hauteur de la face, un angle aigu. Or, pour les conséquences que je cherche à tirer de la construction du triangle facial interne, il est be- soin que cet angle soit droit. Je mesure donc la longueur basion point alvéolaire, mais cette longueur projetée sur le plan condylo-alvéolaire. Pour cela je me sers d'un instrument qui n'est autre que la plan- chette du crâaiophore Topinard appropriée à son nouvel usage, c'est-à- dire réduite dans sa longueur et munie d'une tige rigide à l'extrémité postérieure du coulisseau qui, par son glissement, permet d'en modi- fier les dimensions. De cette tige à la pointe de la lame mince qui doit venir affleurer le; point alvéolaire, l'instrument mesure 80 milli- mètres, distance minima sur les crânes d'adultes entre les deux points qu'il s'agit de réunir. Le coulisseau, en sortant de sa rainure, permet de lire sur une échelle millimétrique les distances plus longues qui n'atteignent que très-rarement 120 millimètres. 550 ANTHROPOLOGIE ' Le relevé de cette mensuration présente encore et toujours les Esqui- maux en tête de la série (108.40). Ils sont suivis par les Néo-Calédo- niens, par les Ouoloffs et les Nègres d'Afrique (106,105), par les Na- maquois. les Lsthoniens, les Tasmaniens. Les Bretons-Gallots ont une distance basilo-alvéolaire plus grande que les l>as-l>retons (99.10; 94.30). Ce dernier chiffre est à peu près celui qu'on trouve chez les Parisiens du cimetière de l'Ouest et les Mérovingiens de Chelles. Les Auvergnats viennent ensuite. Les Malais-Javanais et les races jaunes ont la même longueur (98), et les groupes qui ont la moindre longueur basilo-alvéo- laire sont les Basques et les Corses (91). L'allongement de la base palatine de la face nous apparaît donc comme un nouveau signe d'infériorité. Elle coïncide souvent, mais pas invariablement, avec le prognathisme maxillaire supérieur. Pour juger des cas où ces deux formes marchent ensemble, il faut voir sur le crâne diminuer la ligne naso-basilaire, en même temps que la ligne alvéolo-basilaire devient plus grande. J'ajouterai qu'en général, dans les groupes où cette ligne est très- longue, l'arcade dentaire est rétrécie, ce qui fait ressembler très-exac- tement le palais à celui des simiens. Dans le cas contraire, le palais est plus court, plus arrondi; il arrive cependant, comme chez les Mongols, que le palais étant encore assez vaste, la distance entre son bord pos- térieur et le trou occipital est fort réduite, et que le sphénoïde se joint à l'eihmoïde par un très-brusque ressaut. On dirait que cette partie de la base du crâne a été refoulée comme si l'on avait pressé d'une part sur la face, d'autre part sur l'occiput. Cette forme se retrouve sur tous les sujets orthognathes. V. La seconde ligne que nous menons du basion au point nasal n'a point été encore mesurée par moi sur tous les crânes que j'ai eus à ma dis- position. Les résultats que je consignerai ici seront donc moins com- plets que les précédents, déjà si incomplets. Cependant, je ne puis passer SOUS silence ceux que j'ai recueillis. Les Esquimaux tiennent toujours la première place avec une lon- gueur basilo-nasale égale, à une fraction près, à la longueur basilo- alvéolaire (108.40; 108.00), viennent ensuite les Néo-Calédoniens, qui sont dans le même cas, puis les Syriens, chez lesquels la nouvelle ligne est plus longue que la précédente (105, 94); les nègres d'Afrique, chez lesquels elle est plus courte (104, 100). La ligne basilo-nasale la plus courte se trouve chez les Namaquois (94). Chez les Parisiens, elle est plus longue (pie la ligne basilo-alvéolaire (101, 95). Toutes deux sont égales dans les races jaunes. Il y a une petite différence en moins pour J. ASSÉZÀT. — PROPORTIONS DU SQUELETTE DE LA FACE 557 celle que nous étudions en ce moment chez les Malais-Javanais (96, 08). Ku comparant ces deux lignes Tune à l'autre on voit qu'elles sont, en thèse générale, assez rapprochées. On peut, comme je le disais tout à l'heure, inférer de la diminution de l'une et de l'augmentation de l'autre la ligne basilo-alvéolaire que la face est prognathe, mais on n'en peut être bien assuré qu'à la condition de faire intervenir le troisième facteur, la hauteur de la face,' et c'est ce que je vais faire en cons- truisant le triangle facial dont j'ai parlé au début de ces lignes. VI. On peut construire ce triangle de deux manières : La première, en traçant sur le papier deux lignes parallèles distantes entre elles de la hauteur de la face. D'un point quelconque de la ligne inférieure, point qui représentera le basion, on reportera sur cette ligne la longueur basilo-alvéolaire et on coupera la seconde au moyen d'un arc de cercle dont le rayon sera la longueur basilo-nasale. En réunissant les points ainsi obtenus, on aura le triangle cherché. La seconde manière consiste à élever sur une ligne de base, une per- pendiculaire d'une hauteur égale à celle de la face, puis à prendre le som- met de cette ligne comme centre, et à décrire un arc de cercle d'un rayon égal à la longueur basilo-nasale, arc qui coupera la ligne de base en un point d'où on reportera sur cette même ligne la longueur basilo-alvéo- laire. Les deux triangles ainsi obtenus sont identiques, mais la première construction doit être préférée dans les cas où l'on voudrait superposer plusieurs triangles représentant des groupes différents. Le basion sera alors commun à tous ces triangles, et la ligne faciale de chacun des groupes indiquera par l'angle qu'elle formera au point nasal avec la ligne basilo-nasale, le plus ou moins d'étendue du prognathisme facial. Dans la seconde construction, ce prognathisme pourra être mesuré linéairement sur la ligne de base. Ce sera la longueur située en avant de la perpendiculaire élevée sur cette ligne. Ce sont les Malais, les Esqui- maux, les nègres d'Afrique, les Néo-Calédoniens et les Tasmaniens qui sont les plus prognathes de nos séries. Ce résultat concorde avec ceux obtenus par M. ïopinard; ils n'en diffèrent qu'à l'égard clés Esquimaux, que cet anthropologiste place un peu moins près des nègres. Il m'a semblé que ce triangle, d'après les facilités que présente sa construction, pouvait rendre quelques services. Il n'exige aucune me- sure d'angles. On peut, si on le veut, les mesurer ensuite sur le dessin. Il est dans la coupe médiane du crâne et peut servir, avec quelques mesures complémentaires, comme point de départ d'un tracé géomé- trique de cette coupe. L'un de ses sommets, le basion, mérite d'être 558 ANTHROPOLOGIE considéré comme le centre autour duquel peut être établi ce tracé, et quoique le triangle manque d'une exactitude rigoureuse puisqu'il repose sur celte fiction que le basion est situé sur le plan condylo-alvéolaire, il n'est pas beaucoup plus inexact que la plupart des triangles et des quadrilatères usités jusqu'ici. S'il ne donne qu'une vue approximative de la surface occupée en profondeur par la face, il permet la compa- raison de celle surface chez les différentes races, abstraction faite des sinuosités que ses contours externes et internes peuvent présenter, et c'est celte dernière comparaison que je lui demanderai de nous fournir. Tableau de la superficie du triangle facial interne. Esquimaux 41 .82 Ouoloffs 37. 80 Nègres d'Afrique (côte orientale).. . 35.73 Auvergnats 35.54 Races jaunes 35.45 Nègres d'Afrique (côte occidentale) 35.15 Egyptiens anciens 34.87 Néo-Calédoniens 34.62 Brctons-Gallots 34.53 Malais-Javanais 33.81 Egj pliens (série Schneff) 33.53 Esthoniens 33.41 Egyptiens (xvme dynastie) 33.35 Bas-Bretons 33.27 Guanches 33.14 Nubiens 32.59 Namaquois 32 . 50 Basques 31.85 Syriens 31.09 Parisiens (cimetière de l'Ouest] .. 31.50 Tasmaniens 31.51 Croates 31.12 Lapons 30.37 Mérovingiens de Chelles 30.21 '&' On voit ainsi que des Mérovingiens de Chelles et des Lapons aux Esquimaux sur lesquels ce triangle est le plus étendu, il y a une dif- férence de plus de 1,100 millimètres carrés, que cette différence n'est plus que de 500 millimètres carrés entre les mêmes groupes et les Au- vergnats, et enfin que la moindre surface du triangle facial se trouve chez les Namaquois, Basques, Syriens, Parisiens, Tasmaniens et Croates qui terminent, avec les Lapons et les Mérovingiens, la série. .l'arrêterai ici cette communication en regrettant de n'avoir eu ni le temps ni les moyens de la rendre plus démonstrative et, par suite, plus utile. Ce dernier paragraphe, surtout, demanderait à être complété par la comparaison du volume de la face et de celui de la partie cérébrale du crâne, travail long et pénible que j'entreprendrai peut-être un jour. DISCUSSION. M. HovELACQEE. — Un poinl me parait devoir être relevé d'une façon spé- ciale dans le travail de M. Assézat. Sans me prononcer sur la valeur de son opinion qui consiste à placer le sommet de la ligne faciale non au point sus- orbitaire, niais au point nasal, je constate avec approbation que M. Assézat fait aboutir celte ligne non pas au point alvéolaire, mais bien verticalement sur Le plan condylo-alvéolaire. Cette verticale est, à mes yeux, la vraie ligne DUPONT. — L'ÉPOQUE QUATERNAIRE 559 faciale et j'ai repoussé également, dans une étude sur [es Tsiganes, la ligne oblique naso-alvéolaire. Sur des crânes prognathes, la divergence est notable, selon que l'on prend l'indice facial avec cette verticale ou avec l'oblique naso- alvéolaire. — Je demande, en outre, s'il ne serait pas avantageux de rem- placer les termes vagues de lace longue, courte, moyenne, par des noms composés tirés du grec, comme cela a lieu pour l'indice cépbalique. M. Broca. — .l'estime qu'il n'y a pas lieu à créer une nomenclature de cette espèce pour tous lesxaractères indistinctement : cela doit être réservé aux caractères qui peuvent servir à un classement. J'en ai agi ainsi avec l'indice nasal, qui donne un véritable classement naturel, mais il faut être sobre dans cette innovation. Ainsi, je ne voudrais l'appliquer ni à l'indice du trou occi- pital, ni à l'indice orbitaire, et je ne suis pas convaincu qu'il soit nécessaire de l'appliquer à l'indice facial. — M. Assézat fait partir la ligne faciale du point nasal ; je ne puis me ranger à son opinion. C'est au point sus-orbitaire que je la lais commencer, car ce point correspond à la limite antérieure du cer- veau, et les arcs sourciliers font partie de la face. MM. Assézat et Hovelacque abaissent, d'autre part, une verticale sur un plan borizontal donné par une manœuvre spéciale, plan dont je reconnais loute la valeur, mais qui, en défi- nitive, ne constitue pas un élément anatomique. il faut comparer des lignes naturelles entre elles, non des lignes virtuelles. D'ailleurs, la différence d'in- dice résultant de ce que la ligne faciale tombe verticalement sur le plan en question, ou qu'elle est constituée par l'oblique naso-alvéolaire, n'est pas très- importante. M. Hovelacque. — Elle peut l'être parfois, si je m'adresse à cette ligne obli- que naso-alvéolaire ; il se peut qu'un individu très-prognathe me paraisse, considéré de face, avoir une face très-écrasée, tandis que, considéré de profil, il l'aura très-allongée, il y a là, à mes yeux, une contradiction fâcheuse et inadmissible. M. DUPONT Directeur du Musée roya] d'histoire naturelle de Bruxelles SUR L'EPOQUE QUATERNAIRE (EXTRAIT DU PROCÈS-VERBAL) — Séance du 24 août 187 4 — M. Dupont expose à la section ses vues sur l'époque quaternaire. Les habitants des cavernes de la vallée de la Meuse avaient incontestablement de fréquents rapports avec le pays qui est à présent la Champagne; le silex qu'ils employaient à faire des armes et des outils provient de Vertus; leurs bijoux étaient faits avec du jais, de l'ardoise, des coquilles de Youziers, et cependant, malgré leurs aptitudes commerciales, les troglodytes de la Meuse n'avaient aucun rapport avec les habitants des hauts plateaux du Hainaut, 560 ANTHROPOLOGIE car on ne trouve aucun instrument en silex de cette provenance dans les grottes de la vallée de la Meuse. Les plateaux du Hainaut étaient, habités alors, puisqu'on y recueille des ins- truments en silex taillé, semblables à ceux des vallées quaternaires de la Somme et de la Seine. 11 y avait donc à l'époque de la pierre taillée deux populations différentes en Belgique. A l'époque de la pierre polie, tout change; ce ne sont plus les silex de Champagne qu'on emploie sur les bords de la Meuse, mais le silex du Hainaut. L'usage des cavernes disparaît, et l'homme habite des camps fortifiés sur les hauteurs. Au reste, l'industrie se continue normalement, le type des haches de Saint-Acheul, qui s'est prolongé à travers l'époque quaternaire, devient naturellement le type de la hache polie ; le même fait se produit également à l'égard des pointes de flèches ; les ébauches des ate- liers de Mons et de Spiennes le démontrent suffisamment. M. Dupont prétend avoir trouvé ties poteries dans les cavernes. M. Franks (de Londres) lui a dit que, dans la collection Christy, il y avait quelques fragments de poterie grossière. M. Dupont a du reste exposé ses idées à plusieurs archéologues, à M. l'abbé Bourgeois, à M. Cazalis de Fondouce entre autres, qui ont accepté sa manière de voir. En résumé, deux peuples divers habitaient la Belgique à l'époque quaternaire, l'un vivant sur les plateaux, l'autre dans les cavernes de la Meuse; probablement vers le commencement de l'âge delà pierre polie, les hommes des plateaux ont attaqué, vaincu, subjugué les troglodytes et les ont contraints à abandonner leur genre de vie et à adopter celui des vain- queurs . DISCUSSION M. de Mortillet, dont le système de classification est contesté par les as- sertions de M. Dupont, lui répond qu'il se trompe s'il croit que le type des haches de Saint-Acheul s'est prolongé à travers toute la période paléolithique. La caverne de Brixham en Angleterre, par exemple, fouillée avec un soin et une minutie extraordinaires, a présenté plusieurs couches superposées ; et ce n'est que dans la couche la plus inférieure que l'on a rencontré des instru- ments du type de Saint-Acheul. M. Dupont a établi avec sûreté la réalité des rapports des troglodytes de la Meuse avec la Champagne ; mais l'histoire de la conquête de ceux-ci par leurs voisins du Hainaut est fort contestable. Il semble assez naturel que les hommes assez hardis, assez actifs pour aller chercher au loin des matières plus favo- rables à la confection de leurs armes et de leurs bijoux que celles de leur lieu d'habitation, soient supérieurs aux hommes qui se contentent de ce qu'ils tint sous la main, lui outre, on a des exemples que ces deux espèces d'hommes ont été en contact sans que l'une ait fait disparaître l'autre. Ainsi, au fond de la Bretagne, en plein terrain granitique où le silex fait défaut, on a trouvé une grotte, celle de Roc'toul, où il y avait des instruments en silex taille, qu'on devait aller chercher jusqu'en Normandie; et dans la région intermé- diaire, à Saint-Hélen près Dinan, on a trouvé des haches du type de Saint Acheul en quartzite du pays. DISCUSSION Sl'lt L'ÉPOQUE QUATERNAIRE ")<)l Dans le midi de la France, près de Toulouse, les galets de la Garonne furent façonnés au commencement de l'époque quaternaire suivant le type de Saint- Acheul ; en deçà de la Garonne, au nord de Toulouse, on trouve des cavernes avec des silex taillés, le silex étant facilement recueilli dans le pays; niais au sud, dans les Pyrénées, on trouve aussi des cavernes à silex, bien que le silex fasse défaut dans la contrée, ce qui prouve, ainsi que la nature crétacée des silex travaillés de ces gisements, que les hommes de ces cavernes allaient chercher leurs matériaux plus loin que Toulouse, sans pour cela subjuguer les peuples dont ils étaient obligés de traverser le territoire. Du reste, l'âge des cavernes est généralement postérieur à l'âge déterminé par la hache du type de Saint- Acheul, et l'on trouve fréquemment les quatre divisions de l'époque paléoli- thique nettement superposées. Le type de Saint-Àcheul, par sa forme même, n'a pu donner naissance à la hache polie : le premier est amygdaloïde, et la seconde en forme de coin. A l'époque de Saint-Acheul, il n'y avait pas non plus de flèches, mais il y en avait dans les cavernes, comme à Saint-Martin- d'Excideuil, à Menton, etc. M. Dupont est à peu près le seul qui prétende avoir trouvé de la poterie à l'époque quaternaire, contrairement aux découvertes de tous les autres archéologues du reste de l'Europe. Parmi les personnes citées par M. Dupont, M. l'abbé Bourgeois, que M. de Mortillet avait vu cinq jours auparavant, continue à adopter la classification du musée de Saint-Germain. D'autres archéologues, il est vrai, sent en train de faire une évolution rétrograde: dans un but mystique, dans un intérêt d'orthodoxie, on veut raccourcir l'époque quaternaire, confondre les âges et les périodes, ramener l'époque de la pierre polie aux temps historiques, et ne pouvant raisonnablement faire entrer les temps préhistoriques dans la chronologie biblique, les encastrer au moins dans la chronologie historique d'Egypte. C'est là une voie dangereuse dans laquelle M. Dupont ferait bien d'éviter de s'engager. Les hommes des plateaux du Hainaut qui fabriquaient des haches du type de Saint-Acheul ont vécu antérieurement aux troglodytes plus civilisés de la Meuse et n'ont donc pu les vaincre et les asservir vers les premiers temps de l'époque néolithique. La civilisation de la pierre polie n'est point originaire de nos contrées ; elle y a été importée, comme celle du bronze le fut plus tard ; outre le polissage des instruments, elle se distingue encore par les poteries et les animaux domestiques. S'il y a un hiatus entre les deux époques paléolithique et néolithique, c'est un hiatus dans l'industrie, et surtout un hiatus dans nos connaissances actuelles; niais il n'y pas pas eu hiatus dans les populations, dans les races qui se sont propagées de l'époque quaternaire à l'époque de la pierre polie sans solution de continuité. M. Dupont répond à M. de Mortillet sans apporter de nouveaux faits à l'appui de sa théorie; il se contente de maintenir ce qu'il a dit précédemment. 56:* ANTHROPOLOGIE M. Paul TOPIMRD Préparateur au laboratoire il'anthroijoloçic uV l'Ecole des hautes études. DES PROPORTIONS GÉNÉRALES DU BASSIN CHEZ L'HOMME ET DANS LA SERIE DES MAMMIFÈRES Séa lire 08 ANTHROPOLOGIE lement occupé de la mensuration de ces angles chez l'homme et chez les anthropoïdes. Élèves du laboratoire d'anthropologie, nous avons cru devoir apporter notre tribut à l'étude de cette question, en mesurant les trois angles sur les crânes d'une quinzaine d'espèces d'animaux différents. Nous avons employé pour nos recherches le goniomètre rectan- gulaire. Nous pouvons dire, d'ailleurs, dès le début, que les résultats auxquels nous sommes arrivés sont tout à fait conformes à ceux obtenus par le savant professeur. Ce qui est vrai pour la comparaison des individus d'une même espèce, l'est aussi pour celle des individus d'espèces différentes. Ainsi, en ne tenant compte que de l'angle de Daubenton, le jeune chat mériterait d'être classé avant le maki; mais celui-ci reprend immédiatement un rang supérieur à celui du jeune chat, dès que l'on fait intervenir les résultats donnés par la mensuration des deux autres angles. RÉSULTATS OBTENUS PAR LA MENSURATION DES ANGLES OCCIPITAUX ET BASILAIRE. 1" L'angle basilaire est toujours le plus grand des trois; l'angle de Daubenton est le plus petit. — Sur le chien, par exemple, l'angle de Dau- benton égale, en moyenne, 61 degrés; le deuxième angle occipital est de 73 degrés ; enfin, l'angle basilaire s'élève à 92 degrés. (Voy. tableau n° 1); • 1° Chez l'homme, la différence qui existe entre l'angle de Dau- benton et le deuxième angle occipital est toujours plus forte que celle qui existe entre ce dernier angle et l'angle basilaire. Cependant l'écart entre les deux différences semble diminuer à mesure que le type s'abaisse. 3° En arrivant aux anthropoïdes, nous voyons que l'écart entre l'angle de Daubenton et le deuxième! angle occipital cesse d'être régu- lièrement supérieur à celui qui sépare ce dernier angle de l'angle basi- laire. (Voy. les tableaux 2, 3, 4, 8.) 4° Les résultats fournis par les deux angles occipitaux et l'angle basilaire sont assez comparables entre eux (Broca). Cependant, si nous cherchons à classer les animaux que nous avons étudiés, d'après les chiffres fournis par la mensuration de chacun des trois angles, nous voyons que le même animal n'occupe pas toujours le même rang sur chacun des trois tableaux ainsi obtenus. Hâtons-nous d'ajouter que, sur un tableau présentant lu' ou il rangs, les variations max. ne dépassent jamais 3 rangs. Il n'est pas rare, d'ailleurs, de voir la même espèce ATJGIER ET JULIEN. — ANGLES OCCIPJTAUX ET BASILAIRE 569 occuper le même rang sur chacun des 3 tableaux. (Voy. tableau ii° (!, a, b, c). :»" Les différences respectives des divers angles peuvent présenter des écarts très-étendus; il est donc nécessaire de tenir compte de chacun d'eux. Ainsi, chez le chien/ la différence entre l'angle de Daubenton et le deuxième angle occipital descend une fois à 13 degrés, et monte une autre fois à 22 degrés; si donc on ne mesurait qu'un seul de ces angles, on ne connaîtrait la valeur de l'autre qu'à 12 degrés près. 6° Chez les anthropoïdes, l'angle de Daubenton des jeunes est plus petit que celui des adultes. Sur les quatre crânes de chats que nous avons étudiés, un seul ap- partenait à un jeune; son angle de Daubenton a été inférieur de 10 de- grés à celui des trois autres; son deuxième angle occipital est de G degrés au-dessous de celui des trois autres; enfin, son angle basilaire était dépassé de 3 degrés par celui des adultes ; mais nous devons ajouter qu'il était supérieur de 3 degrés au chiffre minimum atteint par l'un de ces derniers. 7° Chez les individus d'une même espèce, la distance qui existe entre les valeurs minima et maxima de l'angle de Daubenton, est beaucoup plus considérable que celle qui sépare la valeur minima du deuxième angle occipital de la valeur maxima du premier. On peut en dire autant de la valeur maxima du deuxième angle occipital, comparée aux valeurs minima de l'angle basilaire et du deuxième angle occipital. (Voy. la série des chiens. — Tableau n° 1.) 8° Ce qui est vrai pour les individus d'une même espèce l'est aussi pour des individus d'espèces différentes, c'est-à-dire qu'il existe quelquefois moins de différence entre le maximum de l'une et le minimum de l'autre qu'entre ce minimum et le maximum de la même espèce. Ainsi, sur notre tableau n° 1, nous voyons que la chèvre d'Europe, le chien boule français et le chien (n° 12), nous donnent les chiffres sui- vants : Angle Deuxième de angle Angle basilaire. Daubenton. occipital. 1° — Chèvre si 67 77 2° — Chien boale français. m 70 86 3» — Chien (n) '.... 08 84 95 9° Daubenton avait avancé que l'angle occipital s'élève à 37 degrés chez le chimpanzé. Nous voyons, par les chiffres de M. Broca, que, dims cette espèce, la valeur moyenne de cet angle est de 26 degrés ; sa valeur maxima ne dépasse pas 29 degrés. 4U 570 ANTlIliOl'ol.oUI. 10° D'après Daubenton, l'angle occipital du maki serait de 47 degrés ; le seul individu de cette espèce que nous avons mesuré nous a offert un angle occipital de 31 degrés. 11° Daubenton avait cru que l'angle occipital du chien égalait 80 degrés. Les 11 chiens sur lesquels nous avons mesuré cet angle nous ont donné un chiffre moyen de 01 degrés; le chiffre maximum n'a pas dépassé 68 degrés; le chiffre minimum est descendu jusqu'à 51 degrés. 12° Enfin, Daubenton avait été conduit par ses recherches à éva- luer l'angle occipital du cheval à 90 degrés. Les deux individus de cette espèce que nous avons eus entre les mains nous ont donné, pour cet angle, une valeur moyenne de 52 degrés. L'angle de Daubenton a atteint une seule fois le chiffre de 90 degrés, sur le sus asiaticus. Le deuxième chiffre maximum atteint par cet angle est de 78 degrés {sus ibericus). Premier tableau indiquant les chiffres individuels obtenus par la mensuration des trois angles : Maki Jeune chat Bélier mérinos (1) Bélier mérinos (2) Chat (3) Chat (2) Chat (1) Mouton à quatre cornes. Lièvre Lapin Cheval (i) Cheval (2) eii. vie d'Europe Veau Vache Paca Mouton mérinos Blaireau (1) Blaireau 12) Chien boule fr Chien (12) Chien (3) Chien [Terre-Neuve] . . . i bien (Terre-Neuve bit). Chien 14) Chien (s) Chien (2) Chien de bouvier Chien (1) Chien (H) Belette Sanglier Sus [ibericus) Sus [asiaticut] 1° 2" 3» Angle Deuxième de angle Angle Daubenton. occipital. basilaire. 31 45 59 30 48 64 39 55 61 40 54 68 37 58 70 39 53 70 47 57 61 41 60 71 41 56 78 46 63 SO 50 62 71 54 69 (?) 51 67 77 52 75 S9 (?) 75 85 53 63 81 54 74 90 G3 77 C?) 90 (?) 70 77 (?) 94 (?) 51 70 86 62 77 ;?) 94 (?) 57 75 90 60 76 (?) 86 (?) 62 82 93 60 76 (?) 95 (?) 64 79 95 66 83 (?) 90 (?) 6G 80 (?) 96 (7 67 80 94 G8 84 95 70 80 91 11 80 (?) 78 90 98 90 95 101 AIGIER ET JULIEN. ANGLES OCCIPITAUX ET ÏÎASILAIKE 574 Résultats de lu mensuration des angles occipitaux cl basilaire. 1° L'angle basilaire est toujours le plus grand des trois (Broca). L'angle de Daubenton est le plus petit (Broca). Sur le chien, par exemple, l'angle de Daubenton égale, en moyenne, 01 degrés; le deuxième angle occi- pital est de 78 degrés; enfin, l'angle basilaire s'élève à 02 degrés. 2°. La différence qui existe entre l'angle de Daubenton et le deuxième angle occipital, est tantôt supérieure, tantôt inférieure, à celle qui sépare ce dernier angle de l'angle basilaire. Ce l'ait ressort claire- ment de la comparaison des chiffres des deux tableaux ci-dessous : A. — Deuxième tableau. — L'écart entre l'angle de Daubenton et le deuxième angle occipital est plus considérable que celui qu'on constate entre ce dernier angle et l'angle basilaire. Angle Deuxième Écart entre de angle Angle les Daubenton. occipital. basilaire. différences. 1° Mouton à quatre cornes AI 60 71 8 i Maki 31 48 59 6 2° / Chèvre d'Europe 51 67 77 6 3° (Deux béliers mérinos) 39 54 6i 5 ( Trois chats adultes 51 36 67 i *° ( Mouton mérinos 54 74 90 4 5° il Chiens ci 78 02 y 6° Jeune chat 30 48 64 2 7» 1 Cheval 50 62 71 1 B. — Troisième tableau. — L'écart entre l'angle de Daubenton et le deuxième angle occipital est moins grand que celui qu'on observe entre ce dernier angle et l'angle basilaire. Angle Deuxième Écart entre de angle Angle les Daubenton. occipital. basilaire. différences . I" Porc 53 63 81 8 2° Lièvre 41 56 78 7 a c 2 Blaireaux 66 77 92 4 30 / Belettes 70 80 94 4 1 2 Porcs 84 92 101 1 !,° \ Veau 62 75 86 1 N. B. — Chez le lapin, les deux différences sont égales entre elles : Angle Deuxième de angle Angle Daubenton. occipital. basilaire. Lapin • 46 63 80 3° Chez l'homme, la différence entre l'angle de Daubenton et le deuxième angle occipital est toujours plus forte que celle qui existe entre ce dernier angle et l'angle basilaire. Prenons les types placés aux deux extrémités du premier tableau du m îmoire de 31. Broca ; voici ce que nous trouvons : .» I ^2 ANTHROPOLOGIE 1» — Basques do Zaraus — 2" — Nubiens d'Elcpbantine. do Daubenton. 1,52 9,34 Deuxième angle occipital. 11,10 20,12 Angle basilaire. 1a,29 26,32 Ecart entre les différences. 8 4 Ainsi, au liant comme au bas do l'échelle humaine, l'angle de Dau- benton est inférieur au deuxième angle occipital d'une quantité plus considérable que celle qui sépare l'angle basilaire du deuxième angle occipital. Mais l'écart entre les deux différences est plus grand chez les Basques que chez les Nubiens; il semble donc diminuer à mesure que le type se dégrade. 4° En arrivant aux anthropoïdes, nous voyons que l'écart entre l'angle de Daubenton et le deuxième angle occipital cesse d'être régulièrement supérieur à celui qui sépare ce dernier angle de l'angle basilaire. Quelques chiffres empruntés au troisième tableau du mémoire de M. Broca suffiront pour prouver cette proposition au point de vue où nous nous plaçons actuellement. Nous pourrons subdiviser le troisième tableau de M. Broca en deux tableaux secondaires. Dans le premier de ces tableaux, nous aurons les anthropoïdes, chez lesquels la différence entre l'angle de Daubenton et le deuxième angle occipital est plus grande que celle qui existe entre ce dernier angle et l'angle basilaire. Dans le deuxième, nous aurons ceux des anthropoïdes, chez lesquels la distance entre l'angle de Daubenton et le deuxième angle occipital est moindr que celle qui sépare le dernier angle de l'angle basilaire. Anthropoïdes. — -i" tableau. Angle Deuxième Écart entre de angle Angle les Daubenton. occipital. basilaire. différences. 1 chimpanzé (très-jeune] 5 20 32 3 1 — jeune H 25 '. 2 3 Orangs jeunes 24 37 18 2 8 — adultes :il 15 53 4 i Gorille (très-jeune) 16 29 37 5 2 Gorilles jeunes 25 39 40 7 5 — adultes 32 44 5.! 3 [ues 19 33 15 2 1 Cynocéphale (jeune) n 23 33 2 6 Cynocéphales adultes 23 35 45 2 Anthropoïdes. — Se tableau. i Chimpanzés adultes 20 35 4:; 1 i Orang (très-jeune) i" 2<> 40 5 2 Gibbons jeunes 22 :i> 43 1 9 — adultes 31 40 51 2 3 Semnopithèques 23 35 49 2 Le premier tableau nous montre que chez les gorilles jeunes la diffé- rence entre le premier et le deuxième angle l'emporte de 7 degrés sur celle qui sépare le deuxième du troisième. Chez les orangs (adultes), l'écart entre les différences n'est plus que de 4 degrés, c'est-à-dire, égal ÀUGIER ET JULIEN. — ANGLES OCCIPITAUX ET BASILAIRE 873 à celui qui existe entre les deux, différences fournies par la mensuration des angles des Nubiens d'Éléphantine. 5° Les résultats fournis par les deux angles occipitaux et l'angle basilaire sont assez comparables entre eux (Broca). Cependant, si nous cherchons à classer les animaux dont nous avons mesuré les angles oc- cipitaux et basilaire, d'après les résultats de nos mensurations, nous voyons que le môme animal n'occupe pas toujours le même rang sur chacun des trois tableaux. Sixième tableau. i° — 2° — 3° — ( *'■! 5» — 6» — 8° — 9° — (0° — 10" (b H° — 12» — 13° — a Angle de Daubenton. Jeune chat 30 Maki 31 2 Béliers mér 30, ! 3 chats 1 Mouton i< C. ; 41 Lièvre J Lapin 46 Chèvre SI 2 Chevreaux. . . î Veau S 52 Porc 5:: Mouton mérinos. . :-> 2 Blaireaux . . 66, tï.) H Chiens iii. Belette 70 Sanglier 71 Sus [ibericut et asiaticus] 84 1° 2° 3» 4» o° 6° 7° 8» 0° 10» 11° 11° 12° 13° Deuxième angle occipital. — Maki — Jeune chat — 2 béliers mérinos l 3 Chats ( Lièvre — Mouton à_4 cornes l Lapin ( Porc — 2 Chevaux — Chèvre — Mouton mériûos. . — Veau et vache. . . — 2 Blaireaux fils) H Chiens Sangliers Belette — Sus [ibericus et asiaticus) 43 48 5 ; . 3 56 60 63 65, 5 67 74 75 77 78.3 80 I" 2° 3" 6» 7" 8° 9" 10° 11" 12° 13° 13° 14° Angle basilaire. Maki Jeune chat 2 Béliers mérinos . — 3 Chats Mouton à 4 cor. . Cheval — Chèvre — Lièvre — Lapin. . — Porc — Veau et vache . . . Mouton mérinos Belette — Blaireaux [bis] M Chiens — Sus [ibericus et asiaticus 59 64 64,5 67 71 77 78 80 SI 87 90 91 92 92,4 101 6n Par la comparaison de ces tableaux, nous voyons que : i» — 2» — 3° — 4° — 8° 1 9° S 10" ! 11» 12° ( 13" ï 11» 1 5o — 16" — 17° \ Le maki est deuxième sur le premier, et premier sur les deux autres; Le jeune chat est premier sur le premier, et deuxième sur les deux autres ; Les béliers mérinos sont au troisième rang sur chaque tableau ; Les chats (adultes) sont au quatrième rang sur les trois tableaux; Le mouton à quatre cornes est au quatrième rang sur le premier tableau, au cinquième sur ces deux derniers. Le lièvre est au quatrième rang sur les deux premiers tableaux, au septième sur le dernier. Le lapin est au cinquième rang sur le premier tableau, au cinquième sur le deuxième, au huitième sur le troisième. La chèvre d'Europe est au sixième rang sur le premier et le troisième tableau, au hui- tième sur le second; Le cheval est au cinquième rang sur le troisième tableau, au septième sur les deux pre- miers ; . Le porc est le sixième sur le deuxième tableau, le huitième sur le premier, le neuvième sur le troisième ; Le veau est au septième rang sur le premier tableau, le dixième sur les deux autres ; Le mouton mérinos est neuvième sur les deux premiers tableaux, onzième sur le troi- sième ; ..... Le blaireau est dixième sur le premier tableau, onzième sur le deuxième, treizième sur le troisième ; Le chien est avant le blaireau dans le premier tableau, après dans les deux autres; La belette est au onzième rang sur le premier tableau.au douzième sur les deux autres; Le sanglier est au douzième rang sur les deux premiers tableaux ; Les deux porcs sont au treizième rang sur les deux premiers tableaux, au quatorzième sur le troisième. De ces deux derniers, le sus ibericus occupe un rang supérieur au sus asiaticus ; les chiffres donnés par la mensuration des angles du premier, 374 ANTHROPOLOGIE sont, en effet : 78 degrés, 90 degrés, 08 degrés; ceux donnés par la men- suration du second sont : 90 degrés, 95 degrés, 104 degrés. 7° Dans ce dernier tableau, nous voyons que le jeune chat occupe un rang supérieur à celui des chats adultes. De même, dans les tableaux de M. Broca, nous voyons les jeunes anthropoïdes placés sur un rang supérieur à celui qu'occupent les adultes de la même espèce (chim- panzés, orangs, gorilles, gibbons). Le bélier mérinos est placé avant le mouton mérinos; Le lièvre avant lo lapin ; Le blaireau avant la belette ; Le sanglier avant le porc. 8° Ce fait, constaté par M. Broca, lui avait inspiré les réflexions suivantes : « On peut, à la rigueur, dans la description d'une race basée sur les moyennes, ne parler que d'un seul de ces angles, et se borner, par exemple, à mentionner l'angle de Daubenton. Mais il n'en est plus de même lorsque, au lieu d'étudier une série entière, on veut décrire un crâne isolé, ou un petit groupe de crânes dont on cherche à déterminer les caractères ethniques. Alors, en effet, les différences respectives des divers angles peuvent présenter des écarts très-étendus, de telle sorte que, connaissant un seul de ces angles, on pourrait se faire une idée très- fausse des deux autres. » Ainsi, chez les chiens, la différence entre l'angle de Daubenton descend une fois à 13 degrés et monte une autre fois à 22 degrés; si donc on ne mesurait qu'un seul de ces angles, la valeur de l'autre serait connue à 12 degrés près seulement. La différence entre l'angle basilaire et le deuxième angle occipital descendune fois à 7 degrés et s'élève une autre fois à 10 degrés. Enfin, la différence entre l'angle basilaire et l'angle de Daubenton s'élève à 33 degrés dans deux cas, tandis que dans un cas elle ne dé- passe pas 24 degrés. En ne tenant compte que de l'angle de Daubenton, nous serions obli- gés de placer le jeune chat avant le maki ; mais, en comparant les ré- sultats fournis par la mensuration des deux autres angles, le maki reprend immédiatement un rang supérieur à celui du jeune chai. 0° D'après Daubenton, le premier angle occipital devait atteindre 90 degrés chez le cheval. La mensuration de cet angle sur deux indi- vidus de celte espèce nous a donné une fois 50 degrés, une autre fois 54 degrés, c'est-à-dire une moyenne de 52 degrés. L'angle basilaire lui- même n'a pas dépassé 71 degrés sur l'individu où nous avons pu le prendre. Sur les 34 individus appartenant à 14 ou lo espèces différentes, que nous avons mesurés, l'angle de Daubenton atteint une seule fois 90 de- A. HOVELACQUE.— CONTRIBUTION A i/ÉTUDE DE L'OCCIPITAL 575 grés (sus asiaticus) ; le deuxième chiffre maximum où s'élève cet angle est de 78 degrés (sus ibericus). Daubenton avait cru que l'angle occipital du chien égalait 80 degrés. Les M chiens sur lesquels nous avons mesuré cet angle nous ont donné une moyenne de 61 degrés; le chiffre maximum n'a pas dépassé 68 de- grés; le chiffre minimum est descendu jusqu'à 51 degrés. Daubenton avait annoncé que l'angle occipital s'élève à 37 degrés chez le chimpanzé. Nous voyons, d'après les chiffres de M. Broca, que dans cette espèce, la valeur moyenne de cet angle est de 26 degrés ; la va- leur maximum ne dépasse pas 29 degrés. D'après Daubenton, l'angle occipital du maki serait de 47 degrés ; sur la seule tête de maki que nous ayons eue entre les mains, il n'a pas dépassé 31 degrés. 10° Chez les individus d'une même espèce, la différence qui existe entre les valeurs maxima et minima de l'angle de Daubenton est beau- coup plus considérable que celle qui sépare la valeur minima du deuxième angle occipital de la valeur maxima de l'angle de Daubenton. Ainsi, dans notre série de 11 chiens, nous trouvons une différence de 17 degrés entre l'angle de Daubenton maximum et l'angle de Dauben- ton minimum (68 — 51 = 17); un écart de 2 degrés seulement sépare l'angle de Daubenton maximum du deuxième angle occipital minimum (70 — 68 = 2). On peut en dire autant des valeurs maxima et minima du deuxième angle occipital comparées d'abord entre elles, puis à la valeur minima de l'angle basilaire. •Si nous constatons, en effet, une différence de 14 degrés entre le deuxième angle occipital maxima et le deuxième angle occipital minima (84 — 70 = 14), nous trouvons un écart de 2 degrés seulement entre l'angle basilaire minimum et le deuxième angle occipital (86 — 84=2). M. Abel HOVELAGQÏÏE CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OCCIPITAL Séance du 24 août 1874. — Le jour est encore éloigné sans doute, où, à l'aide d'une longue et sûre expérience, l'on sera arrivé à se rendre compte de la valeur res- 576 ANTHROPOLOGIE pective des diverses mesures prises sur le crâne humain. Tel critérium peut voir son importance lléchir plus ou moins, tel autre peut obtenir une faveur de plus en plus considérable, tel autre enfin, auquel l'on n'avait pas songé tout d'abord, peut être appelé a entrer sérieusement en ligne de compte. En somme, — et dans l'état actuel de la science, — l'on ne saurait recourir à un trop grand nombre de procédés pour rechercher ce que les races diverses offrent de corrélations et de divergences. Pris isolément, — môme sur une grande moyenne, — les différents caractères du crâne n'ont rien d'absolu. Il n'en est aucun, peut-être, qui ne se trouve déterminé soit par la structure générale, soit par la conformation particulière de telle ou telle partie plus ou moins avoisi- nante. Juger d'après une seule caractéristique, fût-elle de premier ordre — comme l'indice nasal, — non-seulement cela serait téméraire, mais cela se trouverait en contradiction flagrante avec les plus simples enseigne- ments de l'expérience. L'indice céphalique, par exemple, à ne s'en rap- porter qu'à lui, entremêle confusément des races très-distinctes, sous d'autres rapports : par exemple, les Nubiens, les Esquimaux, les Corses, les Hindous au teint clair, les Hottentots ; ou encore les Lapons, cer- tains groupes de Néerlandais, les Bas-Bretons, les Javanais. Il arrive aussi qu'une seule et môme race partage avec telle autre race un caractère déterminé, tandis que par un second caractère non moins précis, mais très-différent, elle se rapproche d'une race tout autre ; l'Esquimau, par exemple, n'est pas très-éloigné de l'Australien par sa voûte crânienne, et sa face le rallie aux populations ouralo-altaïqucs. En somme, à l'heure actuelle, il n'est pas encore permis de dire que toute espèce de mensurations nouvelles n'ait qu'une faible chance de succès; celles-là peuvent toujours se produire légitimement, qui sont le fruit d'une expérimentation sérieuse. 11. Nous nous sommes occupé de la mensuration de l'occipital humain, à un point de vue auquel, pensons-nous, l'on ne s'est pas encore placé. L'on a recherché successivement, — et non sans arriver à d'heureux résultats, — quelle était l'importance de la projection maxima posté- rieure, à partir du bord antérieur du trou occipital; quelle part occu- pait l'occipital dans le circuit horizontal crânien; quelle était la courbe de l'occipital dans le sens antéro-postérieur (c'est-à-dire du lambda au point médian du Word postérieur du trou occipital) ; quelle était la pro- portion respective de la partie occipitale sus-iniaque et de la partie cérébelleuse ou occipitale inférieure. A. HOVELACQUE. — CONTRIBUTION A l'ÉTUDE DE L'OCCIPITAL 577 Nus propres recherches ont porté sur la direction Lransverse, non-seu- lement en ce qui concerne le diamètre maximum, ou bien une courbe quelconque [tassant par tels ou tels points précis,— mais bien avec égard à la relation du dit diamètre transverse et d'une ou plusieurs courbes précises plus ou moins déterminées. Il s'agit, en un mot, non d'une mesure abstraite, mais d'une corrélation, d'un rapport : le rapport d'un arc à une corde. III. La corde en question, c'est le diamètre transverse compris entre les fontanelles postéro-latérales. Dans nos recherches, là où un os wormien rendait difficile la détermination du point en question, nous avons pris le parti de nous abstenir. Avec la corde dont il s'agit, prise à l'aide du compas à glissière, nous avons mis en relation deux courbes prises sur l'extérieur de l'occipital avec le ruban métrique. Première courbe. Le ruban partant de la fontanelle postéro-latéralc gauche va gagner la fontanelle droite, en passant par la protubérance occipitale externe et en suivant de façon approximative, — mais en ligne directe, — le trajet de la ligne courbe supérieure. Bien que la protubérance occipitale externe ne corresponde pas exac- tement à la protubérance interne, on peut dire toutefois que l'are ci-dessus désigné, pris sur l'extérieur de l'os, répond de façon générale, — en ce qui concerne sa direction, — à l'arc qui suivrait intérieurement les gouttières du sinus latéral, en passant, au milieu de sa course, par la protubérance occipitale interne. Si nous remarquons, — et nous nous en sommes assuré par l'examen de nombreuses coupes, — que, de chaque côté, les gouttières latérales aboutissent aux fontanelles, nous constaterons que l'arc dont il s'agit est établi sur une base anatomique : son point de départ est précis, c'est la double extrémité de la corde transverse ci-dessus déterminée, et il répond, dans son parcours à la séparation des fosses cérébelleuses et des fosses cérébrales, du cervelet et des lobes postérieurs du cerveau. Seconde courbe. Le point de départ et celui d'arrivée ne sont pas changés, mais l'arc ne se dirige pas forcément par la protubérance occipitale externe. 11 relie une fontanelle à l'autre en suivant, de façon approximative, un plan horizontal, c'est à dire sensiblement parallèle au plan de la vue ou au plan condylo-alvéolaire. Le tracé de cette seconde courbe, de ce second arc, n'est donc pas purement arbitraire. Dans la pratique il est utile, avant de le mesurer, de le tracer d'avance au crayon sur le crâne môme. Ce deuxième arc est loin parfois de correspondre toujours au précé- 578 ANTHROPOLOGIE dont. S'il s'en rapproche beaucoup chez les Croates, chez les Bas-Bre- tons, chez les Auvergnats et chez les individus appartenant aux popu- lations ouralo-altaïques, de même aussi chez les Malais, par contre il s'en éloigne notablement chez les Cafres, chez les Nègres du Sénégal et chez les Nubiens. Écart considérable également dans certaines races d'Europe : les Corses, les Basques et, chose curieuse, les Néerlandais. Au surplus, il faut bien se garder de croire que cette deuxième courbe soit en rapport quelconque avec la projection maxima posté- rieure de l'occipital. A la vérité, il y a bien quelque connexité lorsqu'il s'agit des races ouralo-altaïques, mais chez d'autres races l'occipital forme au-dessus de cette courbe transverse une sorte de chignon plus ou moins proéminent : bien marqué, par exemple, chez les Esquimaux, parfois chez les Guanches; souvent chez les Basques espagnols, presque toujours chez les Corses. IV. Nous avons cherché quel était le rapport centésimal de ces deux arcs à la corde précitée. L'arc formé par la courbe passant sur la protubé- rance procure, dans le tableau suivant, le rapport A, la courbe hori- zontale procure le rapport B. Rapport A Happort B 61 Bas-Bretons 119,9 125,7 83 Auvergnats 115 122,2 11 Croates 121,1 123 13 Roumains 119,6 123 13 Guanches 121 126 16 Basques 122,1 133,7 23 Corses 124,3 137,7 48 Néerlandais 121,7 135,8 7 Tsiganes 120,3 1.27,7 32 Javanais 116,4 118,9 Rapport A Rapport B 5 Annamites 117,9 121,8 3 Siamois 118,5 120 5 Mongols 117,8 119,3 15 Esquimaux 123 125,9 13 Cafres. ". . . 119,6 124,6 18 Wolofs 120,3 126,3 3 Mandingues 120 1:28,5 16 Hablt du Cap-Vert. 120,5 125 4 Nègres du Soudan . 121,6 127,5 19 Nubiens 122 130,4 La comparaison de ces diverses mesures amène à des résultats qui ne sont pas sans intérêt et qui confirment d'ailleurs des conclusions ac- quises de façon différente. a. Nous remarquerons en premier lieu la concordance des deux courbes inter-pariétales chez les Mandingues, les Wolofs et les habi- tants du Cap-Vert, tous dolichocéphales. La ditférence de longueur des deux courbes est d'approximativement 7 0/0 en moyenne. b. Les Tsiganes présentent, on peut le dire, des résultats identiques à ceux du groupe précédent : un premier rapport de 120,3, un second de \Ti/>. Devons-nous chercher la raison de cette coïncidence dans la part qui revient, chez les Tsiganes, à des éléments très-inférieurs qui A. II0VELACQUE. — CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OCCIPITAL 571) concoururent, dans l'Inde, à. la formation de leur race? Le fait est pos- sible. En tous cas, les Tsiganes sont mésaticéphales. c. Chez les Esquimaux, race très-dolichocéphale (indice de 71 à 75), la différence d'étendue des deux arcs que nous étudions est moindre : 123 et 125,9 0/0. On n'est donc pas en droit de dire que la différence en question réponde proportionnellement au plus ou moins grand dia- mètre de la courbe antéro-postéricure du crâne. Il se peut toutefois que cette tendance à une corrélation réelle entre rallongement du crâne et la différence d'étendue de nos deux courbes soit modifiée ici par un autre élément : nous voulons dire la face mongolique de l'Esquimau. C'est la, d'ailleurs, une question se rattachant à la connaissance de l'ar- chitecture générale du crâne, dont les principes, actuellement, ne sont pas encore suffisamment déterminés. d. Chez les vrais Mongols, par contre, et dans les races qui paraissent leur être alliées de près, — brachycéphales ou sous-brachycéphales, — la diversité d'étendue des deux courbes, celle passant par la protubé- rance occipitale externe et celle tracée horizontalement, est minime, parfois elle est nulle. Elle est de 1 1/2 0/0 chez les cinq Mongols. Chez quelques Lapons, Finnois, Magyars, Mandchous et autres indi- vidus appartenant également à des populations ouralo-altaïques, elle est, de même, ou minime ou nulle (1). e. Les brachycéphales et sous-brachycéphales javanais ne présentent aussi qu'une faible différence entre la longueur des deux courbes, à savoir 2 1/2 0/0. Sur seize autres Malais de diverse provenance, la diversité est de 1 1/2 0/0. En somme, les quarante-huit Malais que nous avons étudiés offrent en moyenne une première courbe de 116,6 0/0 du diamètre interpariétal, une seconde courbe de 118,4; écart moyen : 1,8, ce qui est presque insignifiant /'. Minime différence également chez les brachycéphales siamois, dont l'indice céphalique est de 84 d'après M. B. Davis. g. Deux des branches actuellement connues et bien déterminées de la race celtique, les Bas-Bretons, sous-brachycéphales, et les Auvergnats, brachycéphales vrais (2), offrent entre la longueur de leurs deux cour- bes in ter-pariétales une diversité d'environ 6 1/2 0/0. Cela nous a un peu troublé; nous nous attendions, en effet, à un autre résultat; nous supposions que les deux arcs seraient encore plus rapprochés l'un de l'autre qu'ils ne le sont en réalité. La solution de cette difficulté est (l; Voici d'ailleurs nos mesures : cinq Lapons : premier arc, H7,4, deuxième, 117,5; -deux Finnois : premier arc, 118,7, deuxième, 119,6; un Ostiaque : premier arc, 120,9, deuxième, 122,7; deux Magyars : premier arc, 119,1, deuxième, 121,4; un Mordvin : les deux arcs, H8,l ; un Bouriate : les deux arcs, 1|G,3; deux Mandchous : premier arc, 118, :;, deuxième, 119,8. (2) P. Broca : la Race celtique ancienne et moderne, in Revue d'anthropologie, t. H, p. 577. 580 ANTHROPOLOGIE malaisée. Nous n'osons penser à un vestige d'anciennes races préhis- toriques dolichocéphales. h. — Chez les Croates brachyeéphales (indice 84,3) les deux courbes sont fort rapprochées l'une de l'autre : 121,1 et 123. ». — Chez les Roumains, eux aussi brachyeéphales, la différence de longueur des deux courbes est d'environ trois et demi pour cent. Elle n'a rien d'extraordinaire chez une race brachycéphale. Peut-être serait- elle réduite à trois ou même à deux pour cent sur une moyenne, non plus de treize, mais de trente ou quarante spécimens. C'est ce que des études subséquentes nous apprendront peut-être. Quoi qu'il en soit, on peut dire, d'une façon générale, que toute recherche sur la race rou- maine actuelle souffre d'un grave inconnu : l'inconnu de la race des Daces d'il y a dix-huit cents ans. j. — Chez les Néerlandais, la différence entre la courbe passant par la protubérance occipitale externe et la courbe approximativement hori- zontale, est considérable. Et pourtant ils sont sous-brachycéphales, leur indice est de 80,3. La diversité qu'ils montrent ici d'avec les autres races brachyeéphales et sous-brachycéphales a manifestement sa raison dans la forme même, dans la forme générale de leur crâne. Le brachy- céphale néerlandais n'a point comme l'Auvergnat, moins encore comme le Croate, une tête globuleuse. Vue de profil, elle semble même allon- gée. Cela tient à ce que la partie sous-iniaque de l'occipital, la partie cérébelleuse fuit rapidement vers l'orifice occipital et présente un apla- tissement singulier. Nous retrouvons cette conformation dans des races inférieures très-dolichocéphales et dont le crâne est loin, très-loin d'être aussi capace que celui des Néerlandais. /;. Terminons par les Basques d'Espagne, les Corses et les Guanches. Ces trois races sont sous-dolichocéphales (1), et quelque affinité plus ou moins intime a été soupçonnée entre elles. La comparaison des deux mesures qui nous occupent révèle clairement cette affinité entre les Corses et les Basques; relativement à la mensuration absolue, l'écart est faible entre les deux races, et relativement à la différence de longueur des deux arcs pris chez chacune d'elles, la diversité est encore minime : cette divergence est chez l'une de onze pour cent, chez l'autre de treize. A la vérité, elle n'est que de cinq chez les Guanches. — Il ne serait pas sans intérêt de comparer avec les résultats donnés par les Basques, les Corses rt les Guanches, ceux que fourniraient les Kabyles (2), un peu plus dolichocéphales, et les crânes préhistoriques plus ou moins rap- prochés du type dit de Cro-Magnon, un peu plus allongés encore, (1) Corse : 7j,:î ; f asques espagnols, 77,6 Guanches, "5,5 (Broca, Revue d'anthropologie, t. I, P- 423), 7:;, 7 (B. Davis, Thésaurus craniorum], (2) Faidheibe, Congrès international il anthropologie et d'archéologie préhistoriques. 6* session. Bruxelles, 1872, p. 419. S. POZZI. — DE LA VALEUR DES ANOMALIES MUSCULAIRES *iy. â ce sujet l'article CirconvolitIuss du Dicl. enajet. des sciences nùihcales. G, Masson; b-dileur. «*)88 ANTHROPOLOGIE résultats de nos recherches. Nous donnerons plus tard d'autres faits si nous en découvrons de nouveaux. C'est à Chevroches, près Clamecy (Nièvre), que se trouve la brèche osseuse, et cela dons un point assez curieux pour mériter une mention particulière. Elle se trouve sur le versant méridional d'une colline abso- lument isolée, qui occupe un espace situé entre les branches d'un 1er à cheval, formé par d'autres collines à peu près de même hauteur. Toutes sont couvertes de bois. La plus grande dimension de notre montagne s'étend de l'est à l'ouest, elle n'a pas plus de 800 à 1,000 mètres, le diamètre transversal n'atteint guère que le tiers de cette longueur. A l'extrémité est du monticule coule l'Yonne, bordée par le canal du Nivernais, et de tous les côtés on descend en pente douce vers le fond d'une jolie vallée qui sépare la montagne des collines voisines. A la première inspection, il est facile de voir qu'à une certaine époque, l'Yonne a occupé toute cette vallée, qui aujourd'hui encore ne se trouve qu'à une très-petite hauteur au-dessus de son niveau, et que la mon- . tagne à ossements s'élevait à cette époque au milieu même du lit de la rivière. Les sondages pratiqués dans la vallée circulaire nous donnent des alluvions en tout semblables dans tous les points de l'ancien et du nouveau lit. Quant à la montagne elle-même, elle est formée par du calcaire juras- sique dont les assises sont absolument horizontales de tous les côtés, les éboulis ont adouci ses pentes, et c'est à peine si du côté du midi on trouve encore quelques rochers à pic dont la hauteur ne dépasse pas trois ou quatre mètres. Le terrain formé en place et les éboulis ont permis à quelques arbres de végéter médiocrement sur les lianes et jus* que sur le sommet de la colline, mais encore ici la disposition plane de la pierre les maintient à des dimensions peu considérables. C'est au pied d'une de ces petites masses de rochers que nous avons fouillé tout d'abord, et cela parce que les os mis à découvert par les carriers nous promettaient un résultat immédiat. Effectivement, il a suffi de déranger quelques mètres cubes de terre pour recueillir un assez grand nombre de dents de chevaux, dont quelques-unes rangées en séries, des dents d'hyène et de bœuf primitif, ainsi que des frag- ments d'os appartenant aux espèces rhinocéros, ours et lion. Sur un point de nos fouilles nous avons rencontré une sorte d'ancienne excava- tion, actuellement comblée, et renfermant des os en grand nombre, mai» ceux-ci sont calciliés, extrêmement friables et mélangés avec des sub- stances calcaires, très-molles lorsqu'on les découvre, mais qui durcis- sent à l'air avec la plus grande facilité; elles deviennent alors extrême- ment compactes et ressemblent sous ce rapport aux magmas de Solutré. Sur un des côtés de cette excavation on trouve le rocher intact, avec DARLET ET TOUSSAINT. — BRÈCHE OSSEUSE QUATERNAIRE f>89 ses couches bien horizontales ; mais il n'en est plus de même sur le eôté opposé : ici les couches de pierre, souvent très-épaisses, qui ont dû autrefois former la voûte et les parois de l'anfraetuosité, sont écroulées et se dirigent dans tons les sens, se recouvrent très-incomplétement et laissent entre elles des espaces, plus ou moins considérables, occupés par des fragments d'os, quelquefois des os entiers lorsqu'ils se trouvent sous une large dalle qui les a recouverts et protégés. Mais ce qui indi- que qu'il y a dû avoir là une excavation d'une certaine importance, c'est qu'on trouve, entre les pierres plates, des fragments de stalactites, et, de plus, de longs blocs stalagmitiques d'une épaisseur de plus de 0"',20; mais il n'est guère possible, vu l'effritement de la paroi antérieure et l'affaissement de la voûte du côté ouest, de dire quelles étaient ses dimensions et son aspect. Les ossements rencontrés dans cette caverne ont été apportés munis de la chair qui les entourait, et celle-ci a été mangée sur place; en effet, toutes les arêtes des os sont intactes, aucun os n'a été roulé, ceux dont les tubérosités sont quelque peu endommagées ne se trouvent que dans les couches très-supertieielles du gisement. Ce qui nous permet encore d'affirmer qu'il y a eu en cet endroit un rendez-vous de chasse, c'est la nature des os qu'on y rencontre ; ils montrent que l'animal a été dépecé loin du lieu de campement. On ne trouve, en effet, que les débris osseux des portions de l'animal qui ont pu être transportées. Les os des membres sont nombreux, il en est de même de ceux de la tête, la quantité considérable de dents nous le prouve ; nous n'avons trouvé que de très-rares débris de vertèbres, et ceux de ces os que nous avons pu extraire sont les premières vertèbres cervicales et quelques fragments de vertèbres lombaires. Nous avons pu constater également, ù la surface de quelques-unes, des stries faites par du silex, et enfin au milieu même des amas d'ossements, dans un point évidemment non remanié, nous avons recueilli un os perforé; c'est un fragment de diaphyse d'os long d'un grand herbivore. Une particularité assez curieuse, c'est qu'au milieu de tous ces osse- ments appartenant à la plupart des animaux de la faune quaternaire, que l'on rencontre dans toute la France, la Belgique, la Suisse, etc., nous n'ayons pas retrouvé la moindre parcelle de Henné. A quoi attri- buer cette absence ? Le climat n'était-il point assez froid à cette époque dans cette partie du Nivernais ? C'est une question que nous nous posons, mais sans oser la résoudre. Les débris d'ossements appartiennent aux différents animaux énumé- rés ci-après : Equus caballus, dents en très-grand nombre, membres complets, mais pas de vertèbres. 590 ANTHROPOLOGIE Bos primigenius, très-grande taillé, beaucoup de dents, humérus, radius et cubitus entiers et brisés, canons, phalanges, dernières vertè- bres lombaires. Cervus elaphus, dents, bois, canons et phalanges. Rhinocéros tichorhinus, humérus. Elephas, fragments d'os longs. Felis spclca, radius et cubitus. Hyena spelea, dents, une mâchoire intérieure complète. Ursus speleus, dents. Mîistella foïna . M. MAÏÏFEAS Do Pons l Charente -Inférieure] DU PRÉHISTORIQUE DANS LA CHARENTE-INFÉRIEURE — Séance du 24 août I S* 4 — Les premières découvertes des restes de l'homme préhistorique avaient lait penser que la race humaine était à cette époque peu nombreuse et répandue seulement dans un petit nombre de régions. Mais l'in- térêt qu'offraient ces premiers aperçus d'un âge jusqu'alors totale- ment inconnu eut naturellement pour résultat de multiplier les recherches et par conséquent les découvertes; de sorte qu'aujourd'hui on a acquis la certitude que, dès l'âge de la pierre taillée, les hommes étaient extrêmement nombreux, puisque partout où l'archéologue a pu l'aire des Touilles, il a trouvé en grande quantité des preuves incon- testables de l'existence de la race humaine à cette époque reculée. La Saintonge avait jusqu'à ces derniers temps fourni un très-faible contingent de matériaux pour l'histoire de l'homme antéhistorique ; mais depuis quelques années des recherches faites avec soin ont révélé la présence dans cette contrée de richesses archéologiques jusque-là ignorées. J'ai pensé qu'une description sommaire de ces différentes découvertes ne serait peut-être pas sans intérêt; c'est ce que j'ai essayé de l'aire. Je joins à rette note une carte du déparlement de la Charente-Infé- rieure, sur laquelle je les ai indiquées 1 1 >. [1) Cette carte archéologique, dressée sur le même plan que celle de M. Chantre sera publiée, dès que les recherches entrepri e i cel eflfel auront permis de la compléter. MAUFRAS. — LE PRÉHISTORIQUE DANS LA CHARENTE-INFÉRIEURE 391 Afin de rendre ma description pins claire, je suivrai autant que pos* sible la classification de M. de Mortillet. i° Époque de Saint-Acheul . En 1869, M. Marc-Arnaud, ingénieur du chemin de fer des Charentes, constata la présence de nombreux silex travaillés dans le ballast de Sa- lignac, exploité alors pour la construction de la ligne de Saintes à Cou- tras. Après quelques recherches, il trouva dans ce sable des ossements roulés des grands mammifères de l'époque quaternaire. Deux ans plus tard, je découvris également des silex travaillés dans plusieurs sablières des environs de Pons. Ces différents dépôts dont l'épaisseur varie entre 1"\60 comme à Marjolance, et 4m,o0 comme à Pinthiers, sont composés de fragments roulés de calcaire, de sable lin et d'un peu d'argile. Les différentes couches qui les constituent ne sont point régulières et continues comme les dépôts véritablement stratifiés. L'inégalité de leur épaisseur, la différence des niveaux auxquels on les trouve, leur discon- tinuité, tout cela ce sont des preuves, croyons-nous, que ces dépôts doivent leur existence à des eaux torrentielles dont le volume et le pouvoir de transport étaient sujets à de très-grandes variations. C'est du reste ainsi que l'on peut expliquer la présence de silex taillés dans toutes les couches de ces dépôts. Nuclei, racloirs, lames, et surtout haches du type de Saint-Acheul, sont en très-grand nombre dans ces sables ; mais tous ces objets ont été roulés, ce qui les a considérablement dété- riorés. Les principaux dépôts de ce genre sont ceux de Salignac sur les bords de la Charente, et de Tartifume, Marjolance, Pinthiers et Mosnac sur le bord de la Seugne. Sur bon nombre de coteaux, il existe des gisements assez importants de lames, racloirs et haches de Saint-Acheul. L'étude attentive de ces gise- ments qui, chose digne de remarque, sont reliés les uns aux autres par une suite de pièces isolées éparses sur le sol, permet d'y constater tout ce qui devait constituer le matériel des tribus de cette époque, sauf bien entendu ce que les eaux et les agents atmosphériques ont pu détruire. Au nombre de ces gisements sont ceux de la Guiarderie, de la Thibau- derie, de Condennes, aux environs de Pons, que j'ai eu la bonne fortune de découvrir et d'explorer. 2" Époque intermédiaire. — Stations à air libre. Au mois d'août 1871, mon ami M. Daleau et moi, découvrîmes sur les bords de la Gironde, à Vallières, près P»oyan, un gisement assez considérable de silex travaillés. Quelques recherches nous permirent de 592 ANTHROPOLOGIE ramasser un certain nombre de silex fort bien taillés et plusieurs pointes de ilèches assez belles. Depuis lors, M. Daleau a pu constater la présence de semblables sta- tions préhistoriques sur tout le littoral de la Gironde, à Terre-Nègre, Saint-Palais, Pontaillae, Foueillon, Saint-Georges, Suzac, Moscher et Talmont. Mais il est une découverte sur laquelle je désire attirer votre atten- tion, c'est celle d'une couche d'environ 0m,80 d'épaisseur, située sur les roches blanches de Saint-Georges, contenant silex taillés, poteries, osse- ments, traces de loyers, et une grande quantité de débris de coquilles telles que huîtres, moules, etc. Ce dépôt est le seul de ce genre que l'on connaisse sur nos côtes. Il existe bien, dans un département voisin, à Saint-Michel-en-FHerm (Vendée), un certain nombre de buttes coquillières, mais des études faites successivement par MM. Rivière, Fleuriau de Bellevue,de Quatre- fages et Beltremieux, il me paraît résulter que l'on ne saurait établir de comparaison entre ces dépôts et celui de Saint-Georges. Ce dernier en effet peut parfaitement être regardé comme analogue aux kjokem- moddings du Danemark, tandis que l'on n'a encore rien trouvé dans les buttes de Saint-Michel-en-1'Herm, qui soit de nature à prouver qu'elles aient été faites de mains d'hommes. Voici du reste comment M. Beltremieux termine un mémoire qu'il a lu sur ce sujet à la Société des sciences naturelles de la Rochelle. •-< De grandes quantités d'huîtres provenant de bancs considérables ont dû être entraînées par la vague et amoncelées dans la forme ondulée qu'on remarque aujourd'hui, par la force des courants, et ce qui pour- rait venir à l'appui de cette idée, c'est un intervalle qui sépare les deux masses en forme d'esse, dont sont formées les buttes, trouée due sans doute à une action puissante des eaux. Nous ajoutons que ces huîtres ont été généralement déposées à plat, très- souvent retournées, mais sans que les coquilles aient été altérées, ainsi que nous le voyons tous les jours pour d'autres espèces fragiles, telles que les Tellines qui sont jetées en assez grande abondance sur quelques-unes de nos côtes. Enfin, par un soulèvement lent et partiel, ces dépôts auraient atteint leur élé- vation actuelle (I). » A Saint-Georges, au contraire, les coquilles sont presque toutes bri- sées, mélangées à des os, à dos silex, ce qui prouve bien qu'elles ont été apportées en cet endroit par des hommes. Depuis déjà plusieurs années, M. Henri de Lestrange explore une belle [■)) Voy, compte rendu des travaux de la Société des sciences naturelles de !.. Rochelle., années i86G-r,r. MAUFRAS. — LE PRÉHISTORIQUE DANS LA CHARENTE-INFÉRIEURE 593 station préhistorique située sur sa propriété de Saint-Julien, canton de Saint-Genis-de-Saintonge. Les champs sont littéralement jonchés de lames, de grattoirs et de nuclei, mais, chose assez digne de remarque, pas une seule hache n'a encore été trouvée au milieu de cette quantité prodigieuse de silex. Sur les coteaux de Saint-Georges-des-Agouts, près de Mirambeau, M. Rigaud découvrit, il y a quelques mois, une station analogue. Seule- ment, après bien des recherches, 31. Rigaud est parvenu à trouver une jolie petite hache du type du 3Ioutier. Tout dernièrement, je recevais de l'île d'Oléron une lettre d'un de mes amis, dans laquelle on me signalait sur la cote de l'Ile faisant face au continent, deux importants gisements de silex taillés. L'un situé au lieu appelé le Fief de la Fraichaire, à 3 kilomètres du château d'Oléron, est riche en racloirs arrondis, en petites lames et en nuclei. L'autre, â 4 kilomètres environ du iief de la Fraichaire, est situé sur une longue langue de terre qui s'avance dans la mer, et c'est sur la plage même, au milieu des galets, que l'on trouve des silex et même des haches polies. 11 semble donc qu'à l'époque de la pierre taillée, l'île ait été encore moins éloignée du continent que de nos jours, qu'elle en fit peut-être même partie, car les pêcheurs disent avoir trouvé des traces d'habita- tions anciennes sur une partie des rochers de la 3Iortanne qu'ils appellent pour cela les Portes, et qui sont situés actuellement à plus d'une lieue du rivage. 3° Pierre polie. La station de l'âge de la pierre polie, la plus considérable qui soit connue dans la Charente-Inférieure, est, je crois, celle de Pernan, située à quelques kilomètres de Pons. C'est au mois d'août 1873 que, 31. Rigaud et moi, nous fîmes cette découverte. Les silex taillés se trouvent en grand nombre sur le plateau qui sur- monte de vastes rochers en amphithéâtre d'une hauteur moyenne de 8 à 10 mètres aux pieds desquels coule la petite rivière de Cartier. Dans les rochers il y a plusieurs grottes qui ont été habitées d'abord par la hyène des cavernes et les autres animaux, ses contemporains, et ensuite par l'homme, ainsi <|ue des fouilles nous ont permis de le constater. Malheureusement ces cavernes ont été envahies, à une cer- taine époque, par les eaux qui ont entraîné dans la vallée la plus grande partie des ossements et silex qui pouvaient s'y trouver. Sur le plateau, nous avons trouvé bon nombre de silex parfaitement taillés, quelques haches polies et plusieurs pointes de flèches. 594 ANTHROPOLOGIE A Vallières près Pons, à Neuillac près Jonzac, ainsi qu'à Semoussac, on a trouvé également bon nombre de hachés polies. Sur la carte, j'ai indiqué les autres endroits où il en a encore été trouvé. 4° Monuments mégalithiques. En première ligne, je mentionnerai la belle allée couverte dite Pierre- Folle, située à peu de distance de Montguyon. Les premières fouilles turent faites par M. Duteil il y a déjà un certain nombre d'années ; il y trouva des haches polies, des flèches, des poteries et des ossements humains. Voici ce qu'il dit des crânes : « Ils indiquent une race à front bas mais large, à angle facial très-ouvert, à menton saillant, à crâne dur. » Un membre de la Société des études historiques de Saintes vient d'y faire de nouvelles fouilles qui ont fourni des haches, des flèches, des poteries et des ossements en assez mauvais état. En second lieu, je citerai les deux dolmens situés près d'Ardillièivs. M. Rigaud a fouillé l'un d'eux et y a trouvé une hache polie de fort petites dimensions, une mâchoire humaine, des dentales qui servaient sans doute à faire des colliers et deux ou trois amulettes assez remar- quables. Il y a quelques mois, M. de Lestrange fouillait également deux dol- mens; l'un situé près de Saint-Palais-de-Négrignac, l'autre à Civrac, près de Crazanne. Sous ce dernier il trouva, entre autres objets, une hache polie, plusieurs pointes de ilècheset deux de ces petits instruments appelés flèches à tranchant transversal. Dans une excursion que je fis il y a quelques jours dans les environs de Fouras, je constatais la présence de deux dolmens sur la propriété appelée le Grand-Lhoumée, à 3 kilomètres de Saint-Laurent-de-la-Prée, L'un d'eux a été complètement abîmé par le propriétaire, qui n'a laissé subsister que deux ou trois énormes pierres brisées qui ne permettent point de se faire une idée de l'importance que pouvait avoir ce dolmen. L'autre, qui en est éloigné seulement d'une centaine de pas, est formé d'une pierre circulaire de I'",o0 d'élévation, sur à peu près autant de largeur et creusée à sa partie supérieure en forme d'auge. Les dimen- sions de ce trou sont : profondeur 0'", et large de 2m,20 sur une hauteur delm,30 environ. La situation des sept squelettes accroupis qui ont été trouvés dans la partie déblayée est indiquée sur le plan. On a en outre trouvé dans cette sépulture un certain nombre de flèches avec ou sans ailerons, à bords tinement retaillés, et une magnifique tête de lance en silex, longue de 0'",1G, large de 0m,v2o, parfaitement régulière et d'une taille très-délicate. M. Broca annonce en outre qu'il a reçu dans son laboratoire quelques-uns des ossements trouvés dans ce dolmen. Ce sont deux humérus de femmes, dont un est perforé, un humérus d'homme sans perforation, un cubitus dont la partie supérieure est arquée, quatre tibias tous plus ou moins plalycnémiques ; deux péronés dont un est cannelé, et deux fémurs sans colonne. On trouve donc sur plusieurs de ces os les caractères qui ont déjà été observés sur un grand nombre d'os néolithiques. Dr PHUMÈHES. SIR LES CRANES PERFORES S97 M. le D' PRUNIERES De Horrejols. SUR LES CRANES PERFORÉS ET LES RONDELLES CRANIENNES DE L'ÉPOQUE NÉOLITHIQUE — Séance du SO août IS7L — La plupart des membres de la section se rappellent une rondelle crânienne de forme ovale, que je présentai l'année dernière, à Lyon, où elle excita vivement l'attention des membres du Congrès, et que j'ai l'honneur de remettre aujourd'hui sous vos yeux. Beaucoup de mes collègues ont déjà pu s'assurer qu'il s'agit là d'une pièce découpée dans un pariétal humain, et dont les bords, parfaite- ment polis, ont été taillés en biseau aux dépens de la table externe de l'os. Les dimensions de cette pièce sont les suivantes: la face interne, qui est la plus grande, a 50 millimètres au grand diamètre, et 38 seulement au plus petit ; le long diamètre de la face externe n'est que de 42 mil- limètres et le petit de 30 millimètres seulement. L'épaisseur de l'os est de 7 à 8 millimètres. Les sillons vasculaires, qu'on voit sur la face cérébrale, ou interne, prouvent que la rondelle appartient au pariétal, et probablement au pa- riétal gauche, vu la direction de la branche principale de l'artère méningée moyenne (fig. 48 et 49). ris;, '.s. — Face interne. Fig. 49. — Face externe. La face externe, ou cutanée, est linement rayée dans trois sens par la pointe d'un silex très-aigu. — On sait d'ailleurs que j'avais trouvé cette rondelle dans l'intérieur d'un crâne des dolmens lozériens, en le 598 ANTHROPOLOGIE déblayant de la terre qui lt* remplissait, pour L'envoyer au laboratoire de l'Ecole des hautes études, et qu'elle y avait pénétré par une grande ouverture qu'on voit au eôlé gauche de ce crâne, où elle empiète sur le pariétal, l'occipital et le temporal. Ce crâne ayant été malheureusement oublié à Paris, je me contente- rai de vous dire que l'ouverture qu'il présente ne diffère point, si ce n'est quant à la dimension, de plusieurs des perforations qui passeront aujourd'hui sous vos yeux. J'ajoute, pour rappeler tout ce (pie j'ai dit précédemment sur ces deux pièces, (pie l'ouverture crânienne de tonne à peu près circulaire, si ce n'est qu'elle est ébréchée sur son bord antérieur, mesure environ 8 centimètres dans tous les sens; qu'elle se montre sur l'angle postérieur et inférieur du pariétal, tandis que la rondelle a été découpée sur l'angle antérieur et intérieur; que le pariétal perforé est moins épais que celui qui a donné la rondelle ; enfin, que le crâne enveloppant est très-foncé en couleur, tandis que la pièce incluse est de couleur claire, tenant le milieu entre le jaune et le blanc. Ces observations sont plus que suffisantes pour démontrer que les deux pièces n'ont pas appartenu au même sujet. A Lyon, en vous montrant cette première rondelle crânienne, j'avais ajouté que cette curieuse pièce, comme le crâne non moins curieux qui me l'avait donnée, faisait partie d'une collection déjà nombreuse de pièces plus ou moins analogues que je comptais décrire tôt ou tard, mais seulement quand j'aurais terminé les fouilles que je poursuis, de- puis de longues années, dans les dolmens de la Lozère. 11 s'agit ici d'une question toute nouvelle qui, après avoir excité d'abord la surprise ou même l'incrédulité, ne saurait toutefois plus être contestée; mais l'ex- périence m'a plus d'une fois démontré, et même dans le cas actuel, combien les idées nées d'une première trouvaille peuvent souvent se modifier, et dans tous les cas se compléter, sous l'influence de décou- vertes nouvelles. Toutefois, le bruit qui s'est fait autour de ma communication de Tan- née dernière, portée depuis par notre éminent président devant la So- ciété d'anthropologie de Paris , et les conseils de mes aniis^ m'ont déterminé à modifier mes anciennes résolutions et à sortir de ma ré- serve. C'est ainsi que je viens aujourd'hui exposer1 devant vous, avec les laits déjà connus, les hypothèses auxquelles ces faits ont donné lieu, et les explications dont ils me paraissent susceptibles jusqu'à ce jour. D'ailleurs, comme vous pouvez en juger par le grand nombre de crâ- nes, de fragments crâniens et de rondelles dont le bureau est recouvert, les matériaux sont suffisants pour une description assez complète de ces Dr PRUNIÈRES. — SLR LES CRANES PERFORÉS ft99 sortes de pièces, en attendant de nouvelles découvertes qui ne manque- ront pas de se produire, plus ou moins rapidement, une t'ois que l'at- tention des explorateurs de tous les pays aura été appelée sur cette intéressante et quelque peu mystérieuse question. Les pièces que j'ai étalées ici, et que j'aurai soin de faire passer sous les yeux de mes collègues, au fur et à mesure qne je les décrirai, se rapportent aux deux ordres de pièces signalées l'année dernière à Lyon. Voilà, d'un côté, de nombreuses rondelles plus ou moins semblables à celle que vous connaissez déjà ; et voici, de l'autre côté du bureau, de nombreux crânes perforés que j'ai divisés en deux séries, dont l'une ne présente que des crânes perforés pendant la vie et cicatrisés; dont l'autre présente en même temps des crânes avec perforations probablement posthumes. Je commencerai1 par la description des diverses perforations, de celles qui sont cicatrisées et de celles que j'appelle posthumes ; je décrirai ensuite les rondelles crâniennes; j'émettrai enfin quelques hypothèses plus ou moins plausibles sur l'explication dont les faits, que j'aurai signalés, me paraissent jusqu'ici susceptibles. I Avant de commencer la description des crânes perforés, je vous de- manderai, Messieurs, la permission de faire en quelques mots l'histori- que de ma découverte. C'était en 1867. Par une belle journée d'été, je fouillais un très-grand dolmen sur le causse de Chanac (Lozère). Les os humains étaient abon- dants, mais extrêmement ramollis et très-fragiles. Beaucoup d'os longs, quoique plus ou moins cassés par le tassement des terres, ou par suite des enterrements successifs, étaient très-beaux. Le péroné que je vous ai présenté récemment comme parfaitement semblable aux péronés du grand vieillard de Cro-Magnon, provient de cette fouille. Mais les crânes étaient si écrasés, et dans un état de décomposition si avancée que je devais les considérer comme à peu près inutiles pour l'étude. Je u'ai pu en reconstituer que quatre, tous incomplets d'ailleurs, mais dont deux très-remarquables : le premier, brachycéphale, par ses vastes dimen- sions : c'est le plus grand crâne que j'aie jamais découvert; le deuxième, parce qu'il présente une fracture cicatrisée du front. Ces deux crânes sont au laboratoire de l'École des hautes études sous les nos 10 et 12 de ma série des dolmens. J'avais vidé les quatres cinquièmes de mon dolmen en fouillant de haut en bas et couche par couche, procédé que je recommande, malgré ses difficultés, aux explorateurs qui veulent conserver les os; je déses- pérais de pouvoir recueillir un crâne à peu près entier, lorsque soudain, 600 ANTHROPOLOGIE je vois, à la pointe de mon grattoir, un occipital que voici, et qui était si frais, si blanc, si lourd, j'oserais presque dire si plein de vie organi- que, qu'on aurait pu penser, en le voyant, que cet os n'était là que de- puis la veille. Cet os, retiré de la terre depuis sept ans, s'est desséché chez moi ; mais vous pouvez vous assurer qu'il conserve encore les caractères que je viens de mentionner ; et vous jugerez de son incomparable conser- vation en le comparant aux nombreux crânes qui sont ici, et surtout aux autres fragments crâniens que j'ai placés à côté de lui, et qui pro- viennent de la même fouille. La vue de celte pièce exceptionnellement blanche et saine, perdue au milieu de plus de deux milliers d'os noirs, et si ramollis qu'on aurait pu les croire presque pourris, devait faire impression sur moi. Je consi- dérai longuement cet occipital, à l'admirable conservation duquel je ne compris rien; mais je conçus au moins immédiatement l'espoir de retrouver les autres parties d'un crâne dont un grand fragment était si merveil- leusement conservé. Je repris donc ma fouille avec une nouvelle ardeur, et je fouillai jusqu'à la nuit ; mais je ne trouvai plus un seul fragment crânien ayant la couleur, l'épaisseur, la consistance de mon remarquable occipital. J'allai coucher à Chanac avec mon ami M. l'ingénieur Trilhe, qui m'avait accompagné dans cette excursion, et avec mes fouilleurs. Le lendemain, à l'aurore, nous étions tous de nouveau à l'œuvre. Le dolmen fut raclé jusque dans ses moindres llssures; les terres extraites la veille furent revues : tout fut inutile. Je classai alors, un à un, tous les os extraits, qui durent en masse, jusqu'aux plus petits fragments, être emportés à Marvejols; mais préalablement, sur place, une fois tous les os mis en ordre, je comptai le nombre de sujets exhumés, et je constatai que le mégalithe avait reçu, avec celle d'un certain nombre d'enfants et d'adolescents, la dépouille de douze adultes. Or, je retrouvais, plusieurs fois brisés, mais cependant faciles à recons- tituer, les occipitaux de ces douze adultes. J'avais, en sus, l'occipital dont la conservation m'avait tant frappé. Cette pièce était donc un os surnuméraire, seul représentant dans le dolmen d'un sujet dont la dépouille avait été très-certainement déposée ailleurs. Je m'aperçus alors, comme vous pouvez le constater encore aujour- d'hui en examinant les bords de cette pièce, qu'elle avait été cassée violemment et qu'elle n'avait pu s'éclater ainsi qu'à l'état frais. Cette dernière observation n'a peut-être plus rien d'étonnant aujourd'hui après la découverte des rondelles crâniennes; mais vous comprendrez qu'elle Dr PRUNIÈRES. — SL'It LES CRANES PERFORÉS 1)01 ait dû, au début, me préoccuper au moins autant que l'état de conser- vation, de couleur, de densité, etc., que présentait cette belle pièce. Quant à cette conservation si rare, il serait peut-être téméraire d'en essayer une explication. Cependant, beaucoup de rondelles sont encore, quoique à un degré moindre, très-bien conservées : ainsi celle que vous venez de revoir. Je me suis donc souvent demandé, comme je me demande toujours, depuis mes découvertes subséquentes, si cette conser- vation exceptionnelle ne tiendrait pas à ce fait, qu'avant de les déposer dans les dolmens, on a pu très-longtemps entourer de soins spéciaux ces objets probablement précieux. Je dirai plus tard qu'on les portait suspendus. Ne serait-il pas possible que, dans le cas particulier dont je parle, la matière organique de l'occipital, s'étant au moins longuement desséchée à l'air libre, se soit ainsi complètement modifiée et presque momifiée, de telle sorte que l'os serait devenu à peu près inaltérable, le jour où on l'a déposé dans la terre peut-être avec la dépouille de son heureux possesseur? Si on voulait d'ailleurs pousser plus loin les inductions d'après ce que nous savons maintenant par des découvertes subséquentes, on pourrait aussi se demander encore si ce possesseur n'aurait pas été l'homme au frontal fracturé et guéri, dont je trouvai en même temps le crâne dans le même tombeau. Quoi qu'il en soit, j'avais retiré de cette observation un enseignement qui ne doit jamais être oublié: celui d'étudier avec une attention minutieuse tous les débris osseux qu'on trouve dans les fouilles des sépultures antiques. Dès ce moment et pendant longtemps, je ne me contentai même plus d'une étude sommaire faite sur le terrain. Je crus qu'il était bon de revoir tous les débris de squelette dans mon cabinet; il me parut qu'il serait toujours temps de rejeter les fragments complètement inutiles; et j'emportai, d'après ce principe, quelquefois, chez moi de véritables char- retées d'os pour les réétudier à loisir. En procédant ainsi, je colligeai peu à peu beaucoup de pièces intéres- santes, et notamment dans un grand dolmen appelé « la Cave des fées », la rondelle curieuse représentée dans la figure 53. L'occipital dont je viens de raconter la découverte avait des bords cassés violemment; mais il était impossible de tirer une conclusion quelconque de cette unique pièce; ici, au contraire, le travail de l'homme est tellement évident sur le sillon creusé autour de la rondelle, qu'il fut dès ce moment certain pour moi que les hommes des dolmens travaillaient quelquefois les os de leurs semblables. Mais j'avais beau me creuser le cerveau, je ne voyais encore aucun moyen logique d'expliquer ces premiers faits. Cependant, je ne tardai pas à découvrir de nouveaux fragments crâniens qui me parurent se rattacher à mes premières trouvailles, et 42 G02 ANTHROPOLOGIE <|iii font partie do ma communication d'aujourd'hui. Ces nouvelles pièces, dont plusieurs sont exposées ici, présentaient, sur un de leurs bords, un arc concave, à bords polis, qui n'avait évidemment pas été creusé par la dent des rongeurs. On sait, en effet, qu'une foule de petits carnassiers, des genres murins et mustelins surtout, ont souvent rongé les os des dolmens et y ont laissé des empreintes caractéristiques dont je lis alors une bonne étude qui m'a bien servi consécutivement dans mes recherches sur les bois du lac Saint-Andéol. L'arc concave que présentent, sur un de leurs bords, les fragments que je recueillis à cette époque avait, comme je le dirai plus tard (ce que je ne pouvais soupçonner alors), fait partie, le plus souvent, d'une perforation entière. Voici un de ces fragments, dont le bord creusé artiliciellement en demi- cercle d'un assez grand diamètre, présente toutes les cellules du diploé ouvertes, et, dans le sens de sa longueur, de nombreuses stries paral- lèles produites par le raclement d'un silex ébréché. La plupart de ces nouvelles pièces avaient été cassées accidentellement sur leur périphérie dans l'intérieur du dolmen, et n'étaient remarquables que par le bord poli ; mais d'autres semblaient avoir été éclatées à l'état frais, comme l'occipital que j'ai décrit, et n'étaient pas sans analogie avec ces calottes crâniennes que les étudiants en médecine déta- chent à l'aide du marteau pour étudier l'intérieur de la base du crâne. J\la mémoire me rappelant alors que beaucoup de peuples parmi ceux de l'antiquité historique, et entre autres les Celtes, avaient été accusés de boire dans le crâne de leurs ennemis vaincus qu'on enchâs- sait même quelquefois dans l'or, et qui servaient de coupe dans les temples (1), je ne vis qu'un moyen d'expliquer les calottes crâniennes et les fragments que je viens de décrire : je les regardai comme des coupes à boire, dont le bord poli aurait été l'embouchure. Mais les ron- delles restaient à peu près inexplicables. .l'écrivis dans ce sens à la Société d'anthropologie. Cependant les trouvailles se multipliaient, et je découvris bientôt de nouvelles pièces dont ma première hypothèse ne pouvait évidemment plus rendre compte. Je crus, dès lors, devoir suspendre mes conclusions, «I piis le parti de ne pas donner suite à ma communication. Je n'avais pas encore découvert de perforations entières; mais en juin 1870, dès mes premières fouilles dans la caverne de l'Homme-Mort, j'en recueillis trois en quelques heures, dans une seule soirée. Chacune de ces perforations était d'un type différent, et j'avais trouvé, en même temps, une rondelle nouvelle d'une forme particulière. Les crânes de la (O Calvum aura cœlavere, idque sacrum vas Userai, quo solemnibus libarent, poculumque ~<!,. MM. Broca et Lagneau ont vu, à Baye, une rondelle exactement sem- blable à celle de Lyon, mais percée d'un trou de suspension ; et j'en ai apporté une à Lille qui me paraît plus curieuse encore (fig. 54), c'est une grande rondelle, de forme irrégulièrement carrée, présentant sur un de ses bords la moitié d'une grande perforation cicatrisée. On a essayé de la perforer au centre, avec un silex, en creusant un petit trou en forme de losange très-régulier. La profondeur du trou, dont les quatre côtés en ligne droite sont très-nets, intéresse la table externe et le diploé ; on semble s'être arrêté devant la dureté de la table interne; et on a alors, à l'aide de la scie, creusé le bord h opposé au bord a cicatrisé, en donnant à la pièce ainsi échancrée la forme d'une de ces planchettes qui servent souvent de bobines pour dérouler un écheveau de fil. Il est évident que ces deux dernières pièces pouvaient être suspen- dues, de la même manière, par un lien suspenseur noué autour de leur partie artificiellement rétrécie. Mais la rondelle de la figure 54 présente, à gauche, la moitié d'une perforation cicatrisée, tandis que rien ne prouve que la précédente ait appartenu à un crâne de cette espèce : j'ai dit précédemment que la rondelle de Lyon pouvait laisser soupçonner cette origine, grâce à quelques traces de vascularisation qu'on voit sur un point de son bord poli ; niais ici, ce n'est que par analogie que nous pourrions avoir l'idée d'une semblable provenance. I)' PRUNIÈRES. — SUR LES CRANES PERFORÉS 013 Comment expliquer les perforations et les divers faits que je viens de décrire sommairement ? Il me semble qu'il est un premier fait qui ne saurait soulever aucune contestation, et qui est évident pour tout le monde : c'est celui des rondelles crâniennes incisées, détachées par la main de l'homme, et dont quelques-unes ont été intentionnellement percées, entaillées, pour être suspendues. On pourra différer sur le but, sur l'intention qui a présidé à la con- fection de ces pièces ; on ne saurait contester la main de l'homme dans le travail qu'elles accusent. Il en est évidemment de même pour les incisions regardées comme posthumes qu'on voit sur certains crânes : le travail de la main de l'homme est incontestable à tous les yeux, et incontesté, sur ces grandes échancrures produites par l'enlèvement de rondelles autour des perfora- tions cicatrisées, pratique dont le crâne représenté dans la ligure 51 nous donne une complète démonstration. Il est donc définitivement acquis à la science que les hommes de l'époque néolithique découpaient, sciaient, polissaient, au moins après la mort, dans certains cas, les crânes de leurs semblables. Mais d'autres faits restent à expliquer; et parmi ces derniers faits, le premier, le plus important, celui qui me paraît dominer toute la ques- tion, est celui de ces perforations cicatrisées que j'ai décrites au com- mencement de ma communication. Ici, deux hypothèses s'imposent à mon examen, et toutes les deux peuvent s'étayer sur des arguments d'une grande valeur. Après avoir exposé ces deux hypothèses, après avoir discuté les arguments pour et contre, je dirai comment je comprendrais pour ma part qu'elles puissent se rattacher l'une à l'autre, et être ramenées au môme ordre d'idées. La première de ces hypothèses est celle de blessures reçues à la guerre, à la chasse ou accidentellement, ce qui est de tous les temps et de tous les lieux, et guéries par la seule force médicatrice de la nature, aidée peut-être de l'extraction chirurgicale des esquilles. J'ose prononcer le nom de chirurgie à l'époque néolithique, et je le prononcerais encore lorsqu'il s'agirait de l'époque paléolithique, car la chirurgie, art manuel, est aussi ancienne que le monde. L'homme a pu de tout temps se soulager de certains maux extérieurs. Partout et toujours, sous l'influence de la douleur et de l'expérience acquise, son intelligence lui démontrera la nécessité d'enlever une épine ou un trait entré dans ses chairs, d'arrêter une hémorrhagie, etc. Du reste, nous voyons dans 614 ANTHROPOLOGIE Homère qu'à l'époque fabuleuse de la guerre de Troie, la chirurgie est déjà un art : Machaon et l'odalire, fils d'Esculape, pansent les plaies des blessés et les recouvrent de plantes amères. N'a-t-on pas vu la même chose chez les peuples sauvages de tous les pays? A la môme date, la médecine n'existe pas encore chez les Grecs; le grand prêtre Calchas est aussi le suprême médecin qui prie les dieux d'éloigner la peste du camp d'Agamemnon. Heureux les croyants de cette époque quand on ne leur demande pas, pour calmer les colères suprêmes ou pour obtenir le con- cours de la divinité, le sang des Iphigénies ou celui de la fdle de Jephté! Quant à la force médicatrice do la nature, on pourrait peut- être se demander si elle n'était pas plus grande chez les populations épurées dans la lutte pour l'existence de l'époque néolithique que dans nos sociétés civilisées. Dans son grand mémoire sur les crânes de l'Homme- Mort, M. le professeur Broca a développé, avec son incomparable talent, cette idée que la civilisation fait participer au banquet de la vie une foule d'individus faibles, maladifs que la brutalité des lois de la con- currence vitale devait éliminer à l'époque néolithique. Les faibles dispa- raissant ainsi, il ne restait que les plus énergiques, les plus forts de leur race, c'est-à-dire ceux qui résistent toujours le mieux aux blessu- res, comme aux privations et à l'ennemi. Quoi qu'il en soit, tous les médecins savent que la solution de conti- nuité des os du crâne n'est pas, par elle-même, une lésion grave, et que la gravité d'une pareille blessure tient uniquement aux complications qui peuvent se présenter. Il est d'ailleurs bon de noter que ces complica- tions, qui sont l'épanchement du sang, l'encéphalite, la contusion, la compression du cerveau, etc., arrivent bien plus souvent quand il n'y a qu'une seule fissure, que lorsqu'il y a une perforation complète : c'est ainsi qu'on a vu, nombre de fois des fractures multiples et très- étendues ne produire que de légers accidents et se terminer d'une manière heureuse. C'est encore ainsi que des blessures faites par un instrument tranchant, agissant plus ou moins horizontalement pour détacher une plaque de la calotte crânienne, sont souvent guéries très- rapidement, même après avoir enlevé une petite partie de la surface du cerveau. Je crois, à cette occasion, devoir citer ici l'histoire des blessés du combat de Landrecies, combat dans lequel, d'après une mesure prise par la Convention de ne pas faire de prisonniers, on se battit avec un acharnement incroyable. Presque toutes les blessures furent faites à l'arme blanche, et vingt-deux soldats eurent, à la tête, une plaie, sou- vent plus grande que la paume de la main, avec perte des téguments, des os, des méninges et d une lamelle plus ou moins épaisse du cer- veau. Tous ces blessés liront, sans pansement, trente lieues à pied, Dr PRUNIÈRES. — SUR LES CRANES PERFORÉS 615 presque sans s'apercevoir de leur blessure. Ce ne tut qu'au dix-sep- tième jour que les douze plus largement blessés commencèrent à dépé- rir et on les vit s'éteindre peu à peu. Les dix autres, dont la blessure présentait en surface environ la moitié de la paume de la main, n'éprouvèrent aucun accident et guérirent très-bien. On pourrait m'objecter, non sans raison, que les hommes de l'époque néolithique n'avaient pas d'armes comparables aux sabres Cobourg qui avaient blessé les soldats de la République. Mais cette objection n'a pas toute la valeur qu'on pourrait être tenté de lui attribuer a priori. En effet, s'il est malheureusement trop certain que les fractures du crâne par instruments contondants s'accompagnent souvent des lésions du cerveau que j'ai mentionnées et d'accidents mortels, il est tout aussi certain qu'un corps contondant, mû avec une grande force, de petit volume, irrégulier, aigu, anguleux, tranchai) t/ et, en un mot, tel que devaient être les armes de l'époque néolithique, pourra produire une fracture plus ou moins arrondie et borner son action sur le point sou- mis à la percussion. Dans ce cas, le blessé aura beaucoup de chances de guérir sans graves accidents. Mais, parmi les accidents qui pourront survenir, il en est certains qui sont d'ailleurs les plus fréquents, sur lesquels je crois devoir insister d'une façon toute spéciale, parce qu'ils me paraissent de la plus haute importance dans la question que j'étudie : ce sont le délire, les convulsions épileptiformes, l'épilepsie traumatique, qui guériront souvent par l'extraction des esquilles, comme chez un blessé que j'ai soigné, dont je raconterai l'histoire dans un instant, et dont on juge, aujour- d'hui même, au moment même où je parle, la cause devant le tribunal civil de Marvejo's. J'ajoute, — tous ces cas se retrouvant dans mes crânes, — j'ajoute, dis-je, que les blessures directes du crâne peuvent se borner à la table externe avec attrition plus ou moins considérable du diploé ; intéresser toute l'épaisseur de l'os, la lésion extérieure restant aussi grande ou plus grande que l'interne; enfin, détacher, sur la table interne, dont la fragilité égale la dureté, des écailles plus grandes que l'ouverture faite à la table externe. Dans ce dernier cas, le fragment éclaté ne pourra pas sortir par l'ouverture extérieure. Je demande pardon aux chirurgiens présents à cette séance, et dont plusieurs sont la gloire de la chirurgie française, à M. le professeur Broca et à M. le docteur Ollier (de Lyon), qui connaissent mieux que personne tout ce qui touche a la pathologie des os, de parler devant eux des blessures du crâne ; mais j'ai cru utile d'entrer dans les détails qui précèdent, afin d'être mieux compris de ceux de mes auditeurs qui sont étrangers au corps médical. 616 ANTHROPOLOGIE Ces notions générales sommairement rappelées, je puis aborder immé- diatement la discussion de la première hypothèse, de l'hypothèse d'après Laquelle les lésions cicatrisées que vous venez de voir auraient été produites par des blessures accidentelles guéries. Voici, Messieurs, un petit nombre de faits, tous observés sur des crânes recueillis dans mes fouilles, qui me paraissent apporter, en faveur de cette hypothèse, des arguments dont il est nécessaire de tenir grand compte. 1" Vous avez déjà vu les crânes n° 8 de la caverne de l'Homme-Mort et n" 18 de ma série des dolmens, qui présentent des pertes de substance arrondies, non pénétrantes et recouvertes d'une lame de tissu com- pacte comme s'il s'agissait d'une simple blessure accidentelle. 11 faut évidemment avouer que si ces deux lésions cicatrisées ont été produites par une opération méthodique, on s'est arrêté à moitié chemin, et, dans tous les cas, avant d'arriver dans la cavité crânienne. 2° Le crâne n° 10 de ma première série des dolmens déposée au labo- ratoire de l'Ecole des hautes études, présente, sur la bosse frontale gauche, une fracture régulière guérie. Extérieurement, le fragment de forme ronde est un peu plus petit qu'une pièce de o francs; mais à l'intérieur, ce fragment a une étendue bien plus considérable. C'est ainsi que sur la face vitrée, le bord du fragment est de 2 centimètres plus rapproché de la ligne médiane que le bord correspondant externe. Il est évident qu'un pareil fragment ne pouvait pas sortir par l'ouverture extérieure et devait rester forcément dans la cavité crânienne: c'est ce qui est arrivé. 11 s'est consolidé sur place, en laissant une légère dé- pression extérieure, tandis qu'à l'intérieur la fosse coronale est effacée par le relief du fragment abaissé et considérablement épaissi . Le frag- ment consolidé a aujourd'hui 10 millimètres d'épaisseur, tandis que la partie correspondante, sur la bosse coronale droite, n'est épaisse que de 5 millimètres. La partie de l'os qui borde le fragment présente de même une augmentation d'épaisseur qui va en diminuant d'une manière insen- sible jusqu'aux parties que l'ostéite n'a point envahies. Sans cette disposition toute particulière du fragment actuel, n'aurions- nous pas là une perforation de plus, cicatrisée, arrondie, et très-remarquable? 3" Un autre crâne, resté dans mes collections de Marvejols parce qu'il n'a été extrait d'un dolmen que depuis quelques jours, et qu'il n'aurait pu supporter le transport, présente, au vertex, une perforation cicatrisée avec bords minces, tranchants, éburnés, identiques à ceux observés dans les pièces placées sous vos yeux. Mais ici. la perforation n'est point arrondie ou ovale ; ce n'est qu'une simple fente longue de 30 millimètres et large de 5 seulement au milieu. Ne dirait-on pas une blessure produite par le tranchant d'une petite hache polie? Aux trois pièces précédentes, cicatrisées, je pourrais joindre les sui- Dr PRUNIÈRES. — SUR LES CRANES PERFORÉS 017 vantes qui militent dans le même sens, mais qui, avec des bords éclatés, ne présentent aucun vestige de travail réparateur. 1° Une large et épaisse calotte crânienne montre, en arrière, sur la suture sagittale, une perforation arrondie, large d'environ 2 centimètres à l'extérieur, où les bords de la perforation sont très-nets, cassés à angle vif, mais beaucoup plus large à l'intérieur, des écailles s'étant détachées de la lame vitrée sur tout Je pourtour de la perforation. Le sujet a dû succomber sous le coup : il n'y a aucune trace d'inflammation. 2° Une petite perforation, se présentant dans les mêmes conditions que la précédente, se voit sur le crâne d'un vieillard dont le squelette entier a été trouvé seul, assis au centre d'un monument appelé « le Clapas des fées », objet de superstitieuses terreurs parmi les habitants des environs. 3° Une troisième pièce est bien plus remarquable encore que les pré- cédentes. Il s'agit d'un magnifique crâne des dolmens, très-solide, très- épais et entier avec sa face. Ce crâne présente, sur le pariétal droit, une perte de substance longue de 11 centimètres sur 6 centimètres de largeur maximum (fig. 55). Fie. Le crâne était plein de terre, et en le vidant, j'ai trouvé à l'intérieur deux fragments appartenant à l'ouverture qu'il présente. Ces deux frag- ments présentent ceci de remarquable que, comme dans la fracture 43 018 AYI'IIUUPOLOGIE guérie du crâne des dolmens n° 10, dont j'ai parlé, leur face externe est plus'petite que l'interne, et que le coup qui les a produits les a enfon- cés dans la cavité crânienne, d'où ils n'ont pu sortir. Sur les deux fragments, la table externe présente une cassure nette, à bords arron- dis, que déborde la lame interne écaillée sur une largeur allant jusqu'à 14 millimètres (tig. 56). Fig. 56 Les crânes qui ont séjourné un certain temps dans la terre ne se cassent jamais ainsi. La forme de ces bords prouve sur- abondamment, à mes yeux du moins, qu'une pareille fracture a eu lieu à une époque où le crâne était plein de vie organique, c'est-à-dire, ou peu de temps après la mort, ce qui ne s'expliquerait pas, ou immé- diatement avant la mort, ce qui est infiniment probable, pour ne pas dire certain. De plus, en regardant de près les bords de cette perforation caracté- ristique, on voit quatre fissures rayonnant autour de l'ouverture, et une de ces fissures se continue avec la ligne de séparation des deux frag- ments (fig. 55). Mais il y a plus : si on rapproche les deux fragments, recueillis à l'intérieur, des bords de la perle de substance, on voit qu'ils ne fer- ment qu'une partie du trou, et qu'il manque, pour l'obturer complète- ment au moins un fragment antérieur et un fragment postérieur. Que sont devenues ces deux pièces? Elles auront pu tomber dans le dolmen, pendant le cours des enterrements successifs ; mais un crâne si entier, avec sa face intacte, ne semble pas avoir subi de grands déplacements; dès lors ne pourrait-on pas se demander aussi, après ce que nous savons de mon premier occipital et des rondelles crâniennes, si ces fragments Dr PRUNIÈRES. — SUR LES CRANES PERFORÉS 619 n'auraient pas été recueillis avant l'inhumation, pour être gardés comme tant d'autres pièces de cette espèce. J'enverrai tous les derniers crânes que je viens de décrire au labora- toire de l'École des hautes études et à la Société d'anthropologie. Aux. faits ci-dessus, qui me paraissent tous en faveur de l'hypothèse que les perforations cicatrisées, que j'ai décrites, seraient dues à des blessures guéries, on pourrait peut-être encore joindre les considéra- tions suivantes : 1° on sait déjà que les perforations, dont la grandeur moyenne est à peu près celle d'une pièce de cinq francs, ne sont quel- quefois pas plus grandes qu'une pièce de deux francs, et atteignent, dans certains cas, un diamètre de huit centimètres ; j'en ai décrit une qui n'est qu'une étroite fissure; 2° ces perforations s'observent sur toutes les parties de la voûte crânienne, au front, sur les pariétaux, l'occipital, les temporaux, en un mot sur tous les points du crâne où un corps contondant peut produire des fractures directes. Ces deux dernières considérations me paraissent d'ailleurs importantes à un autre point de vue, au point de vue de l'hypothèse dont je vais maintenant parler, et d'après laquelle les perforations crâniennes qui nous occupent seraient dues à une opération méthodique faite sur le vivant. En effet, en voyant ce siège et ces dimensions variables, il me paraît qu'il ne saurait être question de penser à une initiation religieuse quelconque, analogue â la circoncision par exemple, qui aurait des formes, des dimensions et un siège fixe et sacré comme tout ce qui appartient au dogme. Tout au plus peut-on penser à un principe du mal idéal ou réel, auquel on aurait voulu, suivant, son siège supposé, ouvrir une porte de sortie plus ou moins large, ce qui serait en rap- port avec les idées que nos pères eux-mêmes ont eues, jusqu'à des temps fort rapprochés de nous, sur beaucoup de fous, sur les idiots et les illuminés, regardés, par tant de peuples et pendant tant de siècles, comme possédés des dieux ou des démons. On voit que l'hypothèse de blessures directes du crâne pourrait très- bien expliquer successivement chacune des perforations cicatrisées que j'ai décrites, et il n'y eût pas eu lieu d'en chercher d'autres si je n'eusse recueilli qu'un petit nombre de crânes cicatrisés. Mais les doutes ont dû commencer à se faire jour quand on a vu combien étaient nombreux ces sortes de crânes. En quatre ou cinq ans (depuis 1808, j'ai dû inter- rompre pendant plus de deux ans mes fouilles des dolmens pour explo- rer les bas-fonds du lac Saint-Andéol), — en quatre ou cinq ans au plus, j'ai pu recueillir plus de vingt-cinq crânes ou fragments de crânes repré- sentant un pareil nombre de sujets ayant eu de ces sortes de perforations. Je doute que j'eusse pu seul avec mes fouilleurs en trouver autant dans tous les cimetières de Paris. Je sais bien qu'à l'époque néolithique, les 620 ANTHROPOLOGIE guerres devaient être surtout des luttes corps à corps, et qu'en pareil cas, lorsque l'homme n'est guère armé que de bâtons ou de pierres c'est surtout a la tête que les adversaires cherchent à se frapper. J'en vois très-fréquemment la preuve chez les habitants de l'Aubrac, célèbres par leurs rixes, qui portent, dans la région et li.ême dans les dépar- tements voisins, le nom de « Justice de la Guiole », du nom d'une petite ville des environs. Chez ces montagnards, les coups sont presque toujours portés et reçus sur le crâne. La femme de Cro-Magnon porte une grande blessure à la tête. Mais on ne saurait évidemment admettre, quelque robustes que fussent les races néolithiques, que les fractures du crâne fussent à tel point chez elles moins graves qu'aujour- d'hui, pour que la guérison fût presque toujours la règle. Rappelons- nous d'ailleurs que la caverne de l'Homme-Mort a donné, sur dix-neuf crânes entiers, trois perforations remarquables. Les doutes ont dû augmenter en voyant ces perforations cicatrisées au moins aussi nombreuses que sur les crânes masculins, sur les crânes des femmes, qui ne vont guère à la guerre, môme chez les nations sau- vages : vous savez que, sur les trois crânes perforés de la caverne de l'Homme-Mort, deux sont des crânes féminins. De plus, j'ai fait passer sous vos yeux un fragment de crâne d'enfant âgé d'environ quatre ou cinq ans ; et cet os porte d'un côté le bord d'une grande perforation cicatrisée. Vous savez d'ailleurs que M. le professeur Broca, dont personne ne contestera la haute compétence, a pu regarder la plupart des perforations découvertes jusqu'à ce jour comme remon- tant à l'enfance, tant leurs bords sont éburnés, compactes, sans trace d'ostéite, de vascularisation pathologique, etc. Des vestiges d'ostéite n'ont été observés que sur le crâne numéro 5 de l'Homme-Mort, et ce cas est encore unique, peut-être môme douteux. Notons aussi la forme régulière, presque toujours arrondie ou ovale, des perforations; l'absence, sur leurs bords, de bourrelets, ou de saillies anguleuses suite d'esquilles adhérentes ou de fragments aigus émoussés parle travail de cicatrisation, et l'absence de fêlures, de fractures rayon- nantes autour de la perte de substance. La régularité de ces perforations est généralement si parfaite qu'une première fois, M. Broca a pu attribuer la lésion du crâne numéro 5 de l'Homme-Mort à un coup de hache polie porté obliquement, qui au- rait agi sur le crâne, comme les sabres Cobourg sur les blessés de Landrecies. Mais il est bien évident qu'aucune arme tranchante n'au- rait pu enlever un pareil fragment sur la région temporale droite, à deux centimètres du trou auditif, de la femme numéro 19 de la môme caverne, et cependant la partie cicatrisée qui nous reste de cette perforation, dont le bord antérieur a subi des mutilations Dr PRUNIÈRES. — SUR LES CRANES PERFORÉS t>2l posthumes , est aussi régulière et aussi arrondie que la précé- dente. Ces considérations diverses ont dû faire penser à une opération mé- thodique faite sut- les crânes de leurs semblables, par les hommes de l'époque néolithique. Cette idée, que M. Broca a déjà développée devant la Société d'anthropologie, devait peut-être d'autant plus facile- ment s'imposer à l'esprit qu'au début de mes trouvailles du moins, on pouvait se demander si les lésions que nous n'appelons posthumes que par induction seulement et sans preuves d'aucune sorte, n'auraient pas été faites avant la mort et n'en auraient pas été la cause immé- diate. Nous savons bien qu'il est posé en principe par tous les chirurgiens que, comme lésion osseuse, la perforation des os du crâne, le trépan, ne présente que peu de gravité. On ne saurait toutefois se dissimuler qu'une telle hypothèse ne doive, au premier moment, exciter la même surprise, les mômes doutes, peut- être même la même incrédulité qu'ont rencontrées mes premières com- munications sur les os humains travaillés par l'homme à l'époque néolithique. Cependant, en y réfléchissant de près, on s'aperçoit vite que non-seulement une telle hypothèse n'a rien d'absolument impos- sible, mais qu'elle est même assez en rapport avec ce qu'on sait de l'antiquité de la trépanation, et aussi des mœurs des sauvages mo- dernes. Je viens de prononcer le mot de sauvages à l'occasion de nos ancêtres, ou de nos prédécesseurs sur le sol de la France à l'époque néolithique. Je crois qu'il y a ici une importante distinction à établir. L'époque qui a reçu le nom de néolithique a été probablement très-longue ; elle touche d'un côté à l'époque de la pierre taillée et de l'autre à l'âge des métaux. En Lozère, la caverne de l'Homme-Mort est dans le premier cas; nos dol- mens sont dans le deuxième. Mais la caverne de l'Homme-Mort n'a donné que des crânes extrêmement dolichocéphales, les représentants de la race de Cro-Magnon. Les dolmens Lozériens au contraire renferment, avec des représentants nombreux, qui y sont même en grande majorité, de cette antique race, les restes d'une race nquvelle très-brachycéphale, dont j'ai envoyé un squelette entier et plusieurs crânes au laboratoire de l'École des hautes études. A la caverne de l'Homme-Mort, il n'a pas été trouvé de bronze, ni d'autres grains de collier qu un unique fragment de sta- lactite percé d'un trou et quelques dents percées ; dans les dolmens Lozériens au contraire, il y a des objets en bronze, lances et pointes de flèches, bracelets, bagues, boutons, etc., etc., dont j'ai recueilli plus de cent échantillons ; des pierres à écraser le grain, des poteries variées; enfin des quantités considérables de grains de colliers 622 ANTHROPOLOGIE admirablement travaillés, on jais, cardium, pierre dure, ambre, verre émaillé, etc. (1). Les hommes de nos dolmens ont donc été en contact, ou en rapport, avec une civilisation très-avancée, et on comprendra facilement que je me sois demandé, comme je le disais précédemment, si ce ne sont pas ces nouveaux venus brachycéphales que j'ai vus, à un moment donné, se mêler aux dolichocéphales autochthones, qui auraient importé sur nos causses ces produits d'une grande civilisation (2). Quoi qu'il en soit, vous savez que mes premières perforations crâ- niennes ont été découvertes sur trois crânes de la caverne de l'Homme- Mort, dont la population, qui n'a pas connu la civilisation dont je viens de parler, pourrait bien avoir été plus ou moins sauvage. Il faudrait donc admettre que ce serait dans ces natures primitives qu'aurait germé et se serait développée l'idée des opérations que j'étudie. Mais cette hypo- thèse ne doit point nous étonner quand nous voyons qu'elle a bien pu naître et être mise à exécution chez d'autres peuplades bien plus sau- vages certainement et bien moins intelligentes que la race de l'Homme- Mort, dont M. le professeur Broca a constaté, et non sans surprise, les hautes facultés intellectuelles. Nous savons, en effet, par les récits des voyageurs, que beaucoup de peuplades sauvages pratiquent aujourd'hui encore et journellement, sou- (1) J'ai présenté plusieurs de ces colliers au Congrès de Bordeaux, où ils produisirent une certaine sensation ; mais l'attention des archéologues se fixa particulièrement sur de très-nom- breuses perles, en verre bleu souvent émaillé de petits cercles blancs, recueillies par moi dans divers mégalithes lozériens, et notamment dans ce dolmen du causse de Chanac, qui me donna l'occipital dont j'ai parlé au commencement" de cette communication. Depuis cette époque, j'ai trouvé, dans un mégalithe, une nouvelle perle en émail différente des précédentes. Cette perle, grosse comme une plume de corbeau, fusiforme, allongée, mais mal- heureusement incomplète, est de couleur verdàtre ou plutôt d'un bleu tirant sur le vert à l'extérieur. J'avais dit à Bordeaux que ces grains en verre me paraissaient d'origine étrangère, et que je n'étais pas éloigné de penser qu'ils avaient bien pu être importés dans nos montagnes par le commerce des Phéniciens, les plus célèbres navigateurs de l'antiquité. Les Phéniciens sont regardés comme les inventeurs du verre, dont ils auraient gardé longtemps le secret, et dont ils avaient des fabriques célèbres à Tyr et à Sidon. On sait d'ailleurs, par les textes égyptiens, que le commerce phénicien fournissait à l'Egypte, dès le xvne siècle avant notre ère, du lapis, de l'or, des vases, etc., et des colliers (Chabas, Etudes, etc.) Notons encore les antiques relations non-seulement des Phéniciens, mais des Egyptiens eux- mêmes avec les peuples du littoral de la Méditerranée, et l'invasion de l'Egypte, dès le xiv- siècle avant notre ère, par les Libyens confédérés avec les Etrusques, les Sardiniens, les Sicules, les Grecs. Depuis le congrès de Bordeaux, j'ai eu l'occasion d'aller étudier au Louvre les colliers laissés par les plus anciennes civilisations, et j'ai retrouvé des colliers en verre bleu émaillé de blanc si semblables aux miens qu'on ne saurail, après mélange, les distinguer les uns des autres, dans le musée Egyptien (salle civile R, vitrine centrale). Il y a encore là des colliers en petites perles noires très-semblables à celles qu'on trouve si nombreuses dans nos dolmens. La ressem- blance s'étend jusqu'aux grains d'ambre. On voit d'ailleurs quelques grains de collier, en verre bleu émaillé de cercles blancs ou jaunes, dans le musée de l'île de Chypre et au musée Campana; toutefois, mes diverses variétés de ces sortes de perles n'ont pas là leurs analogues comme au musée Egyptien. Enfin, je n'ai trouvé de perles fines et longues, identiques à ma dernière trouvaille, que dans co dernier musée (même salle cl même vitrine). (2) D'où sont venus ces brachycéphales? On comprend que je n'ai pas la prétention, dans l'état Dr PRUNIÈRES. — SUR LES CRANES PERFORÉS 6%S vent même pour des mobiles insignifiants, cette opération devant laquelle hésitent nos plus illustres chirurgiens. Permettez-moi de citer, à cette occasion, un article curieux de la Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie (n° du 16 avril 1874) : « Étrange thérapeutique. » Les applications de moxas qui ont été faites à M. Summer, le séna- » teur des États-Unis, quelques jours avant sa mort, ont fourni à un » rédacteur du Médical Times l'occasion de signaler un traitement chi- » rurgical qui est appliqué dans quelques îles de la mer du Sud. « Les sages de ces îles se sont imaginé que les maux de tête, les » névralgies, les vertiges et autres affections analogues proviennent d'une » fente du crâne, ou de la pression du crâne par la cervelle. Le remède » qu'ils ont inventé consiste à faire dans le cuir chevelu une incision en » forme de T, et à racler le crâne lui-môme, avec un morceau de verre » cassé, jusqu'à ce que la dure-mère soit atteinte et qu'un trou grand » comme une pièce de deux francs soit ouvert. » ..... Un remède analogue est employé contre les rhumatismes. L'os » qu'on suppose affecté est mis à découvert et gratté jusqu'à ce qu'une » portion extérieure soit enlevée. » D'après M. Larrey, cité par M. Broca, certaines tribus kabyles prati- quent la trépanation et y ont même assez souvent recours pour des maladies relativement peu graves. Pourrait-on rapprocher ce dernier fait de cette observation de M. Brora, que les Berbères du nord de l'Afrique ont les plus intimes rapports non-seulement par l'ensemble de leurs traits, mais encore par leurs divers caractères crâniométriques avec les crânes de la caverne de l'Homme-Mort? M. Broca a présenté, il y a quelques années, à la Société d'anthro- pologie un crâne remarquable, extrait par M. Squier d'un ancien tombeau du Pérou. Sur cette pièce existe une ouverture carrée pratiquée peu de jours avant la mort. Le morceau manquant avait été détaché par quatre traits de scie, dont on aperçoit encore les huit extrémités tout autour de la perte de substance. A tous ces faits je pourrais peut-être joindre la pratique suivante, répandue parmi les paysans les plus arriérés des montagnes Lozériennes et des communes limitrophes des départements du Cantal et de la Haute- Loire. Pour guérir les moutons du tournis, on leur fait une perforation à la tête. L'opérateur improvisé, assis sur une chaise et plus souvent sur une pierre, tient la tête du mouton entre ses genoux comme dans actuel de la science, de chercher à répondre à une pareille question; je crois toutefois devoir rappeler ici, ce que je disais dans mon mémoire sur les constructions et stratifications lacustres du lac Saint- Andéol, non-seulement sur les noms de Lébous et de Carnac, mais encore sur ceux de Gabalum, Gabala et sur celui de Mimas, qu'on trouve en Lozère et en Orient. [Mém. de la Soc. d'antlirop. de Paris, t. III, p. 380.) 624 ANTHROPOLOGIE un étau et perfore par raclement, en faisant tourner dans la main le manche d'un couteau à lame fixe, le crâne de l'animal, jusqu'à ce que l'instrument soit parvenu dans la cavité crânienne. Une pareille pratique se serait-elle transmise par tradition chez nos bergers et remonterait-elle aux époques préhistoriques ? Quoi qu'il en soit, la trépanation est très-ancienne. Hippocrate, le premier auteur qui ait écrit sur la trépanation, en parle comme d'une opération très-con- nue, et dont l'origine se perd dans la nuit des temps. D'ailleurs, le nom de trépanation, qu'il lui donne, indique qu'elle se pratiquait à l'aide d'un instrument tournant, soit que cet instrument fût plus ou moins analogue à nos couronnes de trépan, soit qu'on procédât comme les bergers des montagnes Lozériennes. On voit donc que l'hypothèse de perforations artificielles, d'une opé- ration faite sur le vivant, pour expliquer mes perforations crâniennes, peut être à son tour étayée de nombreux arguments qui ne manquent, pas de valeur, et qui expliquent tous les faits. Mais dans quel but aurait-on trépané? par quels procédés aurait-on pu pénétrer dans le crâne avec des scies ou des racloirs en silex? enfin et surtout comment serait née l'idée d'une telle opération chez les hommes de l'époque néolithique? La question du modus agendi n'a peut-être qu'une importance très- secondaire après ce que je viens de dire sur le procédé employé pour trépaner les moutons, et avec la connaissance que nous avons de la façon d'agir des sauvages de la mer du Sud : un grattoir de silex valait bien, pour pénétrer dans le crâne par raclement, un éclat de verre. Tout l'inconnu de ma deuxième hypothèse se réduit donc maintenant à la réponse à donner aux autres deux questions que je viens de poser : Comment serait née l'idée d'une pareille opération, et pourquoi aurait-on trépané? Cette réponse me paraît d'une importance capitale. Je vous demanderai dès lors la permission de lui donner tous les déve- loppements qu'elle comporte. Cela me permettra d'expliquer en même temps une assertion que j'ai émise précédemment sur les traits d'union, j'allais dire sur l'origine commune, que je crois entrevoir entre les deux hypothèses que j'ai exposées comme causes possibles de mes perfo- rations. Je me baserai d'abord sur des faits d'observation, comme tous les praticiens peuvent en rencontrer; et je commencerai, en lui donnant quelques développements, par l'histoire, que j'ai promis précédemment de raconter, d'un blessé que j'ai soigné et dont on juge aujourd'hui même, à l'instant même où je parle à Lille, la cause devant le tribunal civil de Marvéjols. Le procès correctionnel a eu une solution il y a déjà quelques mois. Dr PRUNlÊItES. — SUR LES CRANES PERFORÉS Permettez-moi de faire observer préalablement que la blessure du crâne qui t'ait le sujet de cette observation doit avoir dans ses causes, dans sa forme, dans le traitement suivi longtemps, dans ses symptômes et dans ses suites, les plus intimes rapports avec la plupart des fractures crâniennes, par cause directe, de l'époque néolithique. Dans les derniers jours de décembre 1870, un jeune homme de Pailhers, village situé à quatre kilomètres de Marvéjols, était attendu la nuit, par une obscurité profonde, dans un chemin creux qu'il devait suivre pour rentrer chez lui, par un ennemi vigoureux, armé seulement d'une pierre aiguë qu'il serrait dans la main. Au moment où sa victime passe sans méfiance à sa portée, l'agres- seur lui assène sur la tête un violent coup de poing, ou plutôt de la pierre qu'il tient à la main. Puis il prend la fuite, mais il a été reconnu. Le blessé, renversé sous le coup, se relève aussitôt, et, sentant son sang couler sur la figure, se rend immédiatement à Marvéjols sans môme rentrer chez lui, et va déposer une plainte devant l'autorité. Il revient ensuite à Pailhers dans le courant de la même nuit, malgré la neige, la tempête et sa blessure. Le lendemain, il se croit si peu blessé qu'il consent, sur le conseil d'amis communs, à se contenter d'une modique indemnité de 70 francs, que son agresseur devra lui payer, il n'est donné aucune suite à sa plainte devant le procureur de la République. Cependant, les jours suivants quelques souifrances sont ressenties, mais assez peu vives probablement, puisqu'un médecin, appelé à visiter le blessé, ne croit à rien de sérieux et se contente de prescrire une médi- cation insignifiante sans s'occuper de la blessure. Mais peu à peu, dès la semaine suivante, des accidents nouveaux éclatent; le blessé s'alite, se paralyse, est pris de délire, etc. Deux femmes, sa vieille mère et son épouse, qui appartient à la famille de l'agresseur, le soignent à leur guise dans une vieille chaumière, qui n'est certainement guère plus confortable que beaucoup d'habitations •troglodytiques de l'époque préhistorique. Aucun médecin n'est appelé. Dès le mois d'avril des crises épileptiformes, des accès convulsifs apparaissent, ou deviennent si effrayants et si rapprochés, que je suis appelé. A mon examen, le 24 avril, je découvre, au milieu d'une chevelure inculte, longue et épaisse, quelques croûtes ignorées par le blessé et par ses gardes-malades; j'ouvre un abcès dont des croûtes desséchées fer- maient peut-être le pertuis fistuleux, et je constate une fracture du crâne. Le choc de la pierre avait détaché plusieurs écailles de la table interne, et réduit la partie frappée en parcelles dont plusieurs très- ténues que j'ai conservées, et dont certaines, qui représentent toute 6Z6 ANTHROPOLOGIE l'épaisseur du crâne, ont été, avant mon départ pour Lille, confiées à l'avocat du blessé, demandant actuellement une indemnité un peu plus importante à son ancien agresseur. Dès ce moment, les crises épileptiformes, les attaques d'épilepsie, qui s'étaient montrées deux fois depuis mon arrivée auprès du malade, dis- parurent comme par enchantement pour ne plus revenir. Le subdéli- rium cessa aussi ; et quelques jours après, ce malheureux, que j'avais trouvé paralysé, contracture, épileptique et pourrissant littéralement sur son grabat, venait me voir à pieds à Marvéjols. Qu'un fait de celte espèce, —et des blessures pareilles ne devaient pas être rares à l'époque préhistorique, — se soit présenté à l'observation des hommes de ces temps reculés, et de là à procéder dans la suite de la même manière, à enlever les esquilles et les fragments crâniens d'abord dans le délire et l'épilepsie traumatiques, puis, par extension, dans les cas d'épilepsie essentielle ou de folie spontanée, il n'y avait peut-être qu'un pas facile à franchir pour des esprits observateurs, comme le sont tous les peuples sauvages. Nous savons d'ailleurs combien étaient déjà observateurs les dolichocéphales de Cro-Magnon, de la vallée de la Vézère, les ancêtres des dolichocéphales de l'Homme-Mort : il n'y a qu'à voir, pour s'en convaincre, les admirables sculptures qu'ils ont tant de fois gravées sur le bois de renne et jusque sur l'ivoire du mam- mouth. Du reste, ne serait-ce pas ainsi que l'usage du trépan, si fréquent au- trefois dans les blessures du crâne, se serait imposé à nos devanciers? On sait, sans remonter plus haut, que des chirurgiens de la valeur de J.-L. Petit, de Quesnoy, de Pott, etc., ont recommandé de traiter les fractures simples du crâne par l'application préventive du trépan, sans attendre les accidents. A la fin du dernier siècle, c'était un principe gé- néralement incontesté que toute fracture du crâne réclame l'emploi du trépan sur le point où elle siège ; et ce principe fut admis par l'Acadé- mie jusqu'au moment où Desault et Bichat tentèrent de le renverser. Mon opéré de Pailhers porte aujourd'hui une perforation ovale et cicatrisée du crâne. Le cuir chevelu s'est déprimé au niveau de l'an- cienne fracture, et forme un godet dans lequel on loge la pulpe du doigt. Son crâne, qui figurerait très-bien au musée Dupuytren, reposera probablement longtemps dans le cimetière de sa paroisse. Mais, si jamais quelque chirurgien de l'avenir venait à le recueillir, la perforation qu'on pourrait constater sur son pariétal droit ne différerait probable- ment pas sensiblement de la plupart de celles que je viens de décrire. J'ai encore, dans ma clientèle, à Marvéjols, un enfant qui porte une large ouverture crânienne dont les suites ont été bien plus simples. Il y a quatre ans, un petit garçon de six ans, nommé Georges X..., tombe à Dr PRUNIÊRES. — SUR LES CRANES PERFORÉS 627 la renverse, du haut d'un balcon de 2 mètres d'élévation, sur le pavé de la rue. On le relève simplement étourdi et on le porte au lit. Il ne sur- vient ni délire, ni convulsions, ni paralysie. Dès le lendemain l'enfant mange, mais il a des envies de vomir. Tout était rentré dans l'ordre en trois ou quatre jours. On me conduit alors cet enfant, et je constate une grande ouverture crânienne intéressant la partie gauche de l'occi- pital. J'ai revu l'enfant il y a huit jours à peine; sa perforation, large de 0Q\025 au milieu, et longue de 0m,07, est le siège de pulsations iso- chrones à celles du pouls, et on les voit, à distance, soulever les che- veux. L'enfant est intelligent et se porte très-bien. FI n'y a jamais eu la moindre crise épileptiforme. Mon blessé de Pailhers, à crâne perforé, ainsi que ses gardes-malades, n'hésite pas à déclarer que les nombreux os que j'ai extraits de sa blessure lui avaient donné le mal caduc et causé des convulsions hideu- ses. On m'a laissé prendre ces os, mais non sans quelque regret peut- être, car nos superstitieux campagnards sont toujours persuadés que les médecins recueillent divers produits humains, et spécialement la graisse des morts, que nous exhumerions mystérieusement pendant la nuit, pour préparer des drogues composées. Je ne pense pas, toutefois, que leur imagination soit allée jusqu'à leur inspirer la pensée que des frag- ments osseux qui donnaient l'épilepsie, que les os du crâne d'un jeune homme mort violemment, pouvaient être utiles contre cette triste mala- die ; mais une pareille idée s'est longtemps imposée à des esprits autre- ment intelligents et instruits que mes ignorantes et superstitieuses femmes de Pailhers. Il ne faut même pas remonter plus loin que le dernier siècle pour voir la poudre du crâne humain administrée doctrinalement contre l'épilepsie. C'est un fait connu de tous les médecins ; mais, ce qu'on ne sait pas généralement, et que j'ai été, pour ma part, très- heureux de voir spécifié, dans divers auteurs anciens, et jusque dans ceux du xviii0 siècle, c'est que pour être salutaire, la poudre de crâne humain devait être préparée avec la boite crânienne d'un jeune homme mort de mort violente. Certaines formules sont plus exigeantes encore, et demandent que le jeune homme, mort de mort violente, liait jamais été inhumé. Permettez-moi de citer, à l'appui de ces assertions, le passage suivant d'un grand ouvrage, approuvé de toutes les autorités scientifiques du temps, et dédié à Messire Guy Fagon, médecin ordinaire de Sa Majesté le grand roi Louis XiV. « Le crâne humain, cranium humanum, est une boite osseuse, etc. » 11 est employé en médecine. » On doit choisir celuy d'un jeune homme d'un bon tempéramment, » qui soit mort de mort violentent qui n'ait point été inhumé. 11 faut secon- 628 ANTHROPOLOGIE » tenter de le râper et de le mettre en poudre sans le calciner, comme » le vouloient les anciens ; parce que dans la calcination l'on en fait » dissiper le sel volatile en qui consiste sa principale vertu. » Il est propre pour l'épilepsie, pour l'apoplexie, et pour les autres » maladies du cerveau, il résiste au venin, etc. » {Traité universel des drogues simples, etc., par Nicolas l'Emery, docteur en médecine. Paris, Laurent d'IIoury, MDCXCIX.) Le traité de pharmacie du même auteur contient un grand nombre de formules contre l'épilepsie. Le crâne humain, choisi dans les condi- tions que je viens de spécifier, ligure dans toutes ces formules. Je me contenterai de mentionner les suivantes : 4° Pulvis antiepilepticus D. Daquin. Pr. — Radiées paeoniae maris, ineunte vere et decrescente luna collectas, Visci quercini. Rasurae cranii hominis morte violenta perempli, etc. Cette poudre « est propre contre l'épilepsie et contre les autres mala- is dies du cerveau ». 2° Voici une deuxième formule du même auteur intitulée Pulvis anti- epilepticus insignis : Pr. — Cranii hominis morte violenta perempti rasi. Hepatum viperarum cum cordibus. Visci quercini, etc. 3° La poudre de Guttete, vulgo de Gutteta, contre l'épilepsie des enfants, varie un peu des précédentes; elle demande que le sujet qui fournit la poudre de crâne humain n'ait jamais été inhumé. Pr. — Radice paeoniœ maris. Visci quercini. Cranii humani nusquam inhumali. On pourrait multiplier ces formules extrêmement nombreuses dans les auteurs anciens. Je me contenterai de faire observer que les traités de l'Emery portent l'approbation: 1° de « Mess ire Guy-Crescent Fagon, » conseiller du Roy, etc., et premier médecin de Sa Majesté » ; 2° de Messieurs les maistres et gardes apothicaires de Paris ; 3° de Messieurs les doyen et docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris, qui déclarent que « M. Lemery... a débarrassé toutes les compositions que » ce livre contient, de ce qui pouvait s'y rencontrer d'inutile, et les a » augmentées de médicaments capables d'augmenter considérablement » leurs vertus, etc. » Et ont signé : Boudin, doyen, Cressé, de Saintyon, de Relestre et de la Carlière. La vue des formules ci-dessus, la connaissance des propriétés qu'on attribuait au crâne humain et surtout celle des circonstances dans les- Dr PRUNIÈRES. — SUR LES CRANES PERFORÉS 029 quelles il devait être recueilli pour produire ses effets, me permet maintenant d'aborder la question des rondelles crâniennes. Et d'abord il est historiquement prouvé que beaucoup de remèdes modernes remontent aux époques les plus reculées. Pour n'eu citer qu'un exemple, je rappellerai ce l'ait qu'on se sert toujours, dans nos cam- pagnes, de la boule de Nancy, appelée vulgairement boule d'acier, dé- layée dans de Veau de rivière, pour laver les contusions et les brûlures. Or, M. Chabas cite, dans ses Études sur l 'antiquité égyptienne, une pré- paration identique employée il y a six mille ans par les Égyptiens pour guérir les brûlures : «Baa du ciel (acier) rouillé avec eau de l'inonda- » tion bassiner la personne avec cela ». . Nos ancêtres n'ont pas, comme les antiques populations du Nil, gravé sur le granit leur histoire, leurs lois, leur médecine, etc.; mais la tra- dition n'en a pas moins conservé, de génération en génération, quel- ques-uns de leurs usages et une partie de leurs croyances religieuses et médicales. Il me suffira de citer l'adoration du lac Saint-Andéol, et la foi dans la propriété curative de ses eaux (1). Il est bien évident que si la foi dans les vertus médicales du crâne humain remontait jusqu'à nos époques préhistoriques, et rien n'empêche de le supposer, surtout quand on voit dans les formules que j'ai citées, un mélange qui donne bien à réfléchir, des poudres de guy de chêne, d'ivoire, d'ongle d'élan et de licorne qu'on peut remplacer, si elles font défaut, par celle de corne de cerf, les cœurs de vipères, etc., associés au crâne humain, il est bien évident, dis-je, que la question des rondelles crâniennes serait probablement à peu près expliquée. Il n'y aurait pas jusqu'à la présence de cet occipital isolé dans un dolmen, dont les bords cassés violemment et l'aspect général m'ont tant préoccupé, qui ne trouvât là une explication plausible. Il en serait évidemment de même des deux fragments que j'ai vainement cherchés, à l'intérieur du crâne représenté dans la ligure 5o. On comprendrait encore ainsi comment il se fait que certains crânes perforés ont conservé intacts leurs bords cicatrisés, tandis que d'autres bords, également cicatrisés, ont été découpés pour faire des rondelles. Ne pourrait-on pas se demander si on ne recueillait pas les rondelles exclusivement sur les sujets dont le crâne, comme celui du blessé de Pailhers, avait été perforé violemment, et quj, après avoir présenté du délire et des convulsions épileptiformes, étaient guéris par l'extraction des esquilles ou par la trépanation ? Ne serait-ce pas là une première applica- tion de l'aphorisme Similia similibus curantur ? Dans cette idée, le crâne du petit Georges X. (page G%6) eût été sans vertu et fût resté intact. (I) Les constructions et stratifications du lac Saint-Andéol (Lozère) dans Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, t. III. (530 ANTHROPOLOGIE Il me paraît évident d'ailleurs que de pareilles reliques ne devaient pas être moins précieuses pour les hommes de cette époque que tant d'autres reliques portées depuis lors, et je comprends très-bien qu'on les ai tachât par un lien suspenseur. Beaucoup de peuples sauvages regardent encore aujourd'hui les fous comme les amis des dieux, et nos paysans vénèrent les idiots comme des innocents (on leur donne ce nom) pré- destinés à l'éternel bonheur. Toute l'antiquité classique regardait l'épi— lepsie comme une maladie divine : divinus morbus (Platon) ; deifica lues (Apulée) ; morbus herculeus (Àristote) ; morbus sacer, etc. On compren- drait dès lors, même en laissant de côté certaines des considérations dans lesquelles j'ai cru devoir entrer, que les fragments osseux de per- sonnages ayant eu quelque chose de divin aient pu quelquefois être entourés de la même vénération dont les catholiques entourent les reliques des saints et des martyrs. Du reste, l'usage de porter suspendus des débris de squelette humain n'est pas spécial aux nations civilisées. J'ai eu tout récemment la bonne fortune de découvrir, dans la magnifique collection d'un habile archéo- logue, de M. Boban, qui a longtemps exploré le Mexique, des amulettes américains qui ont la plus grande analogie avec les miens. Voici ces pièces, que M. Boban a bien voulu me conlîer avec une bonne grâce et une amabilité parfaites. a ^ Fig. 57. Fig. 58 Il y a là d'abord (fig. 57) un amulette crânien, grand comme une pièce de cinq francs, qui a la plus grande ressemblance avec celui de Baye et avec celui que j'ai montré l'année dernière â Lyon. Mais il y a de plus des fragments d'humérus (fig. 58), de fémurs, etc., qui, comme le rondelles crâniennes, sont percés d'un trou de suspension. Ces dernières pièces sont en outre recouvertes de gravures, de sortes d'arabesques et d'hiéroglyphes finement ciselées. Les pièces que j'ai re- Dv PRUNIERES. — SUR LES CRANES PERFORÉS 631 cueillies jusqu'ici n'offrent rien de pareil, à moins qu'on ne regarde comme telle une série de sept tout petits cercles gravés par la main de l'homme à la surface interne d'une nouvelle pièce crânienne que j'ai tout récemment recueillie avec un crâne offrant une perforation cicatri- sée. Ces petits cercles sont identiques aux deux petits cercles a et b qu'on voit à l'extrémité supérieure de l'amulette mexicain de la figure 58. D'ailleurs, j'ai trouvé dans l'admirable collection de M. Boban une foule d'armes, d'objets en pierre, de grains de collier pour la parure qui ont la plus grande analogie, ou qui sont même identiques avec les objets de môme nature que je recueille dans les dolmens de la Lozère. J'ai parlé tout à l'heure d'une nouvelle rondelle, portant gravés sur sa face interne de petits cercles fort curieux, que je viens de recueillir avec un nouvau crâne perforé. Vous savez que plusieurs autres rondelles, et entre autres celle de Lyon, ont été trouvées dans les mêmes circonstances. Vous savez que je m'étais demandé, au moment de la première obser- vation de ce genre, si la pièce incluse n'aurait pas pu pénétrer dans un crâne largement perforé, fortuitement, après la décomposition des par- ties molles, par la poussée des terres, ou durant le cours des enterre- ments successifs, comme les grains de collier et tant d'objets divers dont sont remplis les crânes des dolmens. Mais la répétition des mêmes faits semble bien établir aujourd'hui, comme je l'ai déjà dit, qu'ils ne sont point accidentels, et que c'est bien intentionnellement qu'on a, au moment de l'inhumation, placé avec certains crânes des rondelles prises sur d'autres crânes. Comment expliquer ce dernier fait? On pourrait peut-être penser que l'homme qui était guéri d'une perforation crânienne, et des consé- quences, ou du motif de cette perforation, après avoir porté pendant la vie une rondelle à laquelle il attribuait sa guérison, aura voulu l'em- porter avec lui dans le tombeau. On comprendrait de même très-bien que la précieuse rondelle fût tombée tout naturellement dans la boîte crânienne devenue vide par la décomposition du cerveau, après avoir été placée comme obturateur soit sur la partie guérie, soit sur les brèches qu'on venait de pratiquer et en remplacement des nouvelles rondelles qu'on avait découpées. M. Broca a émis, à ce sujet, une idée d'un ordre supérieur à laquelle je me range, en principe, pour ma part, complètement. Il y aurait là d'après notre éminent président, la preuve matérielle la plus ancienne connue jus- qu'ici, de la croyance de nos ancêtres dans le dogme de l'immortalité de l'âme. On sait que les quelques pièces dont je parle ont toutes été trouvées dans des crânes dont les perforations s'étaient cicatrisées pen- dant la vie, et qui ont été sciés, découpés, etc., après la mort, pour G32 ANTHROPOLOGIE fournir des rondelles prises sur le pourtour de l'ouverture cicatrisée. Ces illustres personnages arrivaient ainsi incomplets dans la tombe; et comme ils n'auraient pu revivre avec de pareilles mutilations, n'aurait- on pas eu la pensée, en leur restituant une rondelle prise sur un autre crâne, de leur fournir le moyen de se recompléter clans le monde nouveau où ils se rendent? On sait que, chez les anciens Égyptiens, les paraschistes ne devaient pas mutiler la tête des cadavres au moment de l'embaumement parce que leur bonne conservation était liée aux conditions de la vie future : c'est pour ce motif que les momillcateurs vidaient le crâne par les narines. Du reste, à mon tour, je crois entrevoir cette croyance des hommes de l'époque néolithique à l'immortalité de l'âme, dans l'étude des dolmens eux-mêmes. Je fouille, en ce moment, un cimetière extrêmement intéressant qui fera le sujet d'une nouvelle communication de ma part devant le prochain congrès de l'Association française. Ce cimetière, de moins de cent mètres de longueur et d'une largeur bien moindre, est formé de très-petites tombes et de sortes de tout petits dolmens, qui ne renferment ordinairement qu'un seul sujet, homme, femme ou enfant. Les sujets sont dans la position accroupie : et, quand il n'y a qu'un seul sujet, on trouve à côté du squelette, un petit vase en terre, une sorte de coupe, avec un seul objet d'industrie. Ces derniers objets sont le plus souvent une arme de pierre, quelquefois un poinçon en os; ailleurs une coquille percée, ou une pierre à écraser le grain avec sa molette. Les armes recueillies jusqu'ici sont quatre hachettes si petites qu'elles ne pouvaient être que des simulacres; une pointe de flèche en cristal de roche, de tout petits couteaux en silex, etc. Quand une tombe a reçu la dépouille de deux morts, le dernier sujet enterré est seul en position, et un seul vase est en place; les débris du premier squelette et de son vase sont éparpillés un peu partout. Je ne sais ce qu'on pensera, l'année prochaine, de cette communica- tion nouvelle, quand j'aurai exposé sous les yeux de mes collègues, les vases, les simulacres d'armes et les objets divers que je trouve dans mon cimetière. Pour moi, je vois jusqu'ici dans ces objets, des objets symbo- liques devant servir au mort dans le monde nouveau où il se rend. J'ajoute que si je faisais transporter dans un dolmen voisin, que j'ai précédemment fouillé , tous les os pêle-mêle avec les objets divers que contiennent les petites tombes de mon cimetière, et si je recouvrais tous ces débris suivant le procédé suivi par les hommes des dolmens pour refermer leurs sépulcres, un archéologue du xxx'' siècle fouillant ce monument, pourrait croire avoir mis la main sur un dolmen vierge, Dr PRUN1ÈRES. — SUR LÈS CRABES PERFORÉS (533 tant son contenu ressemblerait au contenu de tous les dolmens des causses lozériens. Messieurs, je viens d'exposer, dans cette communication beaucoup trop longue, certains faits inconnus, et paraissant incroyables il y a quelques mois à peine; et j'ai émis diverses hypothèses pour essayer d'expliquer ces faits. Mes hypothèses pourront passer et seront remplacées par d'au- tres, ou peut-être par des conclusions établies sur des bases plus cer- taines ; mais les faits resteront. Maintenant que l'attention est appelée de ce côté, de nouveaux faits ne tarderont pas à venir compléter les miens, et je. ne doute pas que nous n'ayons à en constater, bientôt, dans les congrès futurs de l'Association française. En attendant, permettez-moi d'espérer que ma communication d'au- jourd'hui n'aura pas été complètement inutile, même au point de vue de la chirurgie. Les maîtres de la science savent bien que la fracture des os du crâne n'a pas par elle-même une grande gravité, et que l'opé- ration du trépan n'est pas non plus une opération bien dangereuse, qui n'est suivie si souvent de mort que parce qu'elle est appliquée dans les cas désespérés : « Ce qui fait périr tant d'opérés , dit avec raison » M. Broca, ce n'est pas la trépanation, c'est le traumatisme cérébral » dont on cherche à conjurer les accidents par cette opération. » Mais ces notions sont ignorées des gens du monde et souvent méconnues de beaucoup de médecins qui croient que toute fracture du crâne est fata- lement suivie des accidents les plus formidables. C'est ainsi que, dans le cas de mon blessé de Pàilhers, dont j'ai raconté l'histoire, un médecin chargé de faire un rapport sur cette affaire, a cru devoir conclure que puisque le blessé a pu aller à Marvéjols après le coup qu'il avait reçu sur la tête, c'est qu'il n'y avait pas de fracture; et que si on a extrait plus tard des esquilles, ces esquilles ne pouvaient être que la conséquence d'une nécrose. J'ai vu, il y a quelques années, pour une autre lésion du crâne, des conclusions plus graves encore par leurs con- séquences : un malheureux halluciné, qui entendait constamment des voix lui ordonner de se détruire; qui disait sans cesse à sa femme de ne pas . lui laisser de couteaux, etc., prend un jour la clef des champs. Après avoii erré, pendant trois ou quatre jours dehameau en hameau, faisant rire ou ■ effrayant tout le monde par ses extravagances, il va frapper, au milieu de la nuit, à la porte d'une maison toujours ouverte devant la misère. Le propriétaire, un des plus riches et des plus honorables paysans des montagnes Lozériennes, se lève, accueille le pauvre fou avec bonté, et le conduit lui-même dans son grenier à foin. L'halluciné trouve là une de ces haches extrêmement effilées dont on se sert, dans la région, pour couper les meules de foin ; il prend cette arme, monte sur la meule, s'assied la tête appuyée contre une poutre, et dans cette position se 44 (j'S i ANTHROPOLOGIE porte sur le crâne, dans un espace large d'un pouce environ, onze coups de haches parallèles, qui incisent en môme temps et les os du crâne et la poutre qui les amortit en arrêtant le sommet de la hache, et qui pré- sente sur un espace d'égale largeur le même nombre d'entailles parallè- les que le crâne. Le lendemain, sur les onze heures, on trouve ce malheu- reux encore en vie, poussant des gémissements et des paroles inarticulées. Pendant qu'on essaie de le retirer du point élevé sur lequel il était allé s'asseoir, une servante pose par mégarde, ou par curiosité, sa main sur la blessure, et ses doigts s'enfoncent dans le cerveau avec la série des lan- guettes crâniennes qui cèdent sous la pression. Le blessé était mort. Un médecin chargé juridiquement de visiter le cadavre déclare que du moment où il existe onze incisions pénétrantes sur le crâne, il y a assassinat, l'hal- luciné ayant dû perdre connaissance immédiatement après la première. Le propriétaire est arrêté séance tenante, avec le domestique qui a dé- couvert le blessé, mis au secret et ne sort de son cachot qu'après de trop longues souffrances, et lorsque déjà cette généreuse victime de la charité commence à perdre la raison à son tour. Une des perforations que vous venez de voir, dont le diamètre est de 0m,08, et dont les bords sont aussi admirablement cicatrisés et éburnés sur toute la circonférence que ceux des plus petites, prouverait de même, s'il en était besoin, combien la vie est compatible, pendant de très-lon- gues années, avec de vastes pertes de substance de la boîte crânienne. Ma communication me paraît devoir être encore très-utile au point de vue des travaux de notre section : elle déterminera certainement les explorateurs des dolmens à rechercher dorénavant les rondelles crâ- niennes et les crânes perforés, avec la même ardeur qu'on a mise jus- qu'ici à recueillir les silex travaillés, les poinçons en os et les dents percées. Des milliers de pièces pareilles à celles que je viens de produire, d'autres pièces qui nous eussent peut-être donné des renseignements plus intéressants encore, ont dû être souvent mises au jour par des explora- teurs quelquefois du premier mérite; mais ces fragments crâniens sont passés inaperçus, et sont perdus pour toujours [tarée que l'attention n'était pas dirigée de ce côté. Gela n'arrivera certainement plus à l'ave- nir chez les explorateurs qui se tiennent au courant des progrès de la science. Mais ci' n'est peut-être pas assez. Les péronés que j'ai eu l'hon- neur de mettre sous vos yeux dans une précédente séance, ont été trouvés très-remarquables, et ont montré tout l'intérêt que pouvaient pré- senter les diverses pièces des squelettes anciens au point de vue ethnolo- gique. De nombreux os, dont le nombre s'augmente, d'année en année, dans mes collections, ne seront peut-être pas moins utiles un jour, au point de vue de l'histoire de l'anatomie pathologique aux épo- ques préhistoriques. Nous avons émis à Bordeaux et à Lyon, des vœux DISCUSSION SUR LES CRANES PERFORÉS 635 jusqu'ici stériles, pour la conservation des dolmens. Permettez-moi, en finissant, d'émettre un nouveau vœu d'une réalisation plus facile, que j'adresserai surtout à ceux de nos collègues qui, étrangers à la méde- cine, s'occupent plus spécialement d'archéologie préhistorique : c'est celui de recueillir et de mettre à l'abri de la destruction, jusqu'à ce qu'ils puissent être étudiés devant notre section ou par des sociétés savantes, à la Société d'anthropologie, au laboratoire de l'École des hautes éludes, etc., tous les débris osseux qu'ils trouvent dans leurs fouilles : ce sera le moyen de ne rien perdre et de ne rien regretter à l'avenir. DISCUSSION M. Broca. — Les populations préhistoriques de la Lozère, dont parle M. Pru- nières, comprenaient deux groupes bien distincts. Dans l'un étaient des troglodytes vivant dans les cavernes, et n'ayant sans doute pas d'animaux domestiques. L'autre groupe était formé par des hommes vivant en plein air, ayant certai- nement avec eux des animaux domestiques, puisqu'on en rencontre les déhris avec les restes qu'ils ont eux-mêmes laissés. Or, dans ces gisements très-diffé- rents, mais tous néolithiques, on a trouvé des pièces pourtant très -analogues. Ce fait doit être rapproché d'un autre du même genre. L'an dernier, je suis allé à Baye (Marne) avec M. Lagneau, pour y voir les fouilles qu'on y pratique sous la direction de M. Joseph de Baye. Des cavernes artificielles y sont creusées dans le roc tendre. On trouve successivement, une porte, une anti- grotte, une seconde porte, et la caverne sépulcrale. M. de Baye en a ouvert plus d'une trentaine. Toutes datent de l'époque de la pierre polie. Dans l'anti- grotte de trois d'entre elles, M. de Baye a rencontré des figures étranges, sculptées dans la pierre; ces dessins, très-analogues entre eux, représentent une tête grossière, au cou de laquelle est suspendu un objet, ornement ou amulette. Deux seins placés au-dessous de ces figures montrent qu'elles repré- sentent une femme. Au congre^ de Bruxelles, où ces dessins furent présen- tés, des doutes s'élevèrent sur leur signification ; on hésitait à admettre avec M. de Baye qu'on dût les rapporter à l'existence d'une religion chez les troglodytes. Je partageais ces doutes alors, mais depuis, après avoir vu les bas- reliefs en place, je suis resté convaincu qu'ils représentent des divinités fémi- nines, qu'il y avait par conséquent à l'époque de la pierre polie, une religion déjà parvenue à la période de l'anthropomorphisme. Le fait que des divi- nités étaient sculptées à l'entrée des grottes sépulcrales, permet de supposer que ces gens là croyaient à une autre vie, mais ce qui le prouve tout à fait, c'est la pratique découverte par M. Prunières, et qui consistait à introduire dans les crânes mutilés après la mort un amulette, nn fragment de partie crânienne emprunté à un autre crâne. C'était évidemment un viatique destiné à accompagner le mort dans une autre vie. J'ai en outre vu, dans la collection de M. de Baye, une rondelle osseuse munie d'un trou de suspension, tout à fait comparable à la rondelle dépour- 636 ANTHROPOLOGIE vue de trou que M. Prunières nous a montrée à Lyon. Les amulettes crâniens n'avaient donc pas tous les mêmes destinations : les uns étaient introduits dans le crâne de certains morts, les autres étaient portés par les vivants, et il me parait assez probable que l'objet suspendu au cou des femmes sculp- tées dans les antigrottes de Baye, représente un de ces amulettes. Enfin, M. de Baye a envoyé à l'Ecole des hautes-études, 49 crânes. Eh bien ! sur deux d'entre eux, j'ai trouvé des perforations cicatrisées, tout à fait sem- blables à celles des crânes de la Lozère. Sur un troisième existe une perfora- tion non cicatrisée et posthume. Ces crânes appartiennent à la fin de l'époque de la pierre polie, la pratique dont ils sont les témoins remonte donc à une très-haute antiquité. M. le général Faidherbe m'a donné le moule de deux crânes qu'il a recuillis dansl es dolmens de Roknia, en Algérie. Sur le pariétal de l'un de ces moules existe une perte de substance cicatrisée dont la forme et les dimensions sont exactement les mêmes que celles des trépanations préhistoriques de la Lozère et de la Marne. Or, il est aujourd'hui bien reconnu que l'usage des dolmens fut introduit en Afrique, à travers le détroit de Gibraltar, par les peuples, blonds qui avaient traversé l'Espagne et le midi de la France. Il n'est donc pas étonnant que la pratique des pertes de substances crâniennes ait été intro- duite dans le nord de l'Afrique par ces peuples migrateurs, qui furent les ancêtres des Kabyles blonds. Aujourd'hui encore la trépanation est très-usitée chez les Kabyles, qui traitent ainsi des maladies quelquefois très- légères. Ce n'est pas tout. Au Pérou, M.Squier a trouvé dans un ancien tombeau un crâne surlequelexisteuue trépanation carrée bien évidemment chirurgicale,faile à l'aide de quatre incisions dont les branches débordaient un peu la perforation. Une ostéite avait du se produire consécutivement, et avait laissé sur les bords des porosités siégeant sur la table externe. Le sujet avait sans doute survécu une douzaine de jours. Une particularité curieuse consiste dans la présence sur la table interne de porosités qui siègent à 0m, Oï des bords. Là, avait donc existé une lésion, sans doute un épanchement sanguin sous la dure- mère qui avait excité cette inflammation après avoir provoqué l'intervention cbirurgicale. Donc, dans le nouveau monde, on pratiquait l'opération du tré- pan pour les traumatismes de la tête, et cela parfois avec une rare sagacité ! Une question se pose à propos des crânes de M. Prunières: quel procédé a été employé pour faire les perforations? Est-ce le raclage? c'est très-probable. Ce n'est pourtant pas absolument certain et le biseau de la section n'est pas une preuve aussi péremptoire qu'on l'a cru. En effet, un commencement de réparation peut produire cette forme, parce qu'elle se fait toujours par la table interne seule, aux dépens de la dure-mère, d'où la forme oblique des bord.-». J'ai vu cette dispo- sition, mais, il faut le dire, à un degré beaucoup moindre, sur d'anciens opérés de Boyer et de Dupuytren. Quelle était l'origine de cette pratique? il faut se souvenir que les os du crâne ont eu la réputation de guérir certaines maladies de la tête jusqu'au xvue siècle; cette vertu était surtout attribuée aux os wormiens, et je tiens d'un voyageur que dans certaines pharmacies de la Bavière, il y a encore le bocal aux os wormiens. La trépanation une fois faite, on a donc peut-être DISCUSSION SUR LES MANES PERFORÉS 637 conservé les rondelles à cause de la propriété qu'on leur attribuait de pré- server de certaines maladies de la tête. L'origine de la trépanation elle-même est plus obscure. Elle était trop fré- quente pour qu'on puisse la considérer comme exclusivement chirurgicale. Etait-ce une pratique religieuse, une initiation, comme la circoncision chez les Orientaux? — Etait-ce une épreuve à laquelle se soumettaient ceux qui vou- laient passer pour saints, comme font au Sénégal les possesseurs de gris-gris lorsqu'ils s'ouvrent le ventre? La trépanation avait-elle pour but de laisser échapper le malin esprit qui possédait les épileptiques et les enfants atteints de convulsions? Toutes ces idées peuvent s'allier. Les épilepliqnes, il faut s'en souvenir, sont considérés par plusieurs peuples comme des saints. M. Vogt. —L'idée de la trépanation est certainement antique. Si je ne me trompe, Zeus se fit ouvrir la tête par Héphaistos, etAthènè en sortit. Actuelle- ment, chez les mahométans, les possédés sont encore considérés comme des saints. Il est très convenable, dans le cas qui nous occupe, qu'après la mort d'individus qui n'avaient point succombé à l'opération, on ait pris sur leurs os des morceaux avoisinant la partie d'abord enlevée. C'est de l'homceopathie ancienne. De même aujourd'hui on porte en amulettes, contre le mal de dents, des dents arrachées. — Quant au fait de rondelles taillées introduites dans les crânes d'individus morts après avoir été opérés et guéris, on peut admettre que cela avait lieu dans le but de compléter la personne. Cette idée vit encore de nos jours, c'est l'idée chrétienne primitive : l'homme ressuscite complet, et même avec ses plaies comme nous l'apprend l'aventure de saint Thomas. M. Chil. — Les anciens Canariens pratiquaient l'opération du trépan. J'ai vu deux crânes qui l'avaient subie. M. Broca signale l'importance de ce fait, qui viendrait à l'appui de la thèse du peuplement des Canaries par les habitants du nord de l'Afrique. C'est en même temps une preuve de l'antiquité de cette colonisation, bien plus reculée que l'époque du roi Juba. M. Girard de Rialle rapproche de ces rondelles-amulettes le fragment d'omo- plate humain pourvu d'un anneau de suspension en os, trouvé par M. deCaix de Saint-Aymour dans l'allée couverte de Vauréal près Pontoise. Il ajoute aussi que chez les Albanais modernes, les prétendus médecins usent et abusent à propos de tout de la trépanation. M. Ollier. — Je m'explique difficilement que l'on ait pu réunir dans une contrée très-limitée un tel nombre de crânes ainsi opérés, trente sur cinq cents peut-être. M. Prunières. Je n'ai pas fait le relevé du nombre de sujets que renfermaient les divers dolmens que j'ai fouillés depuis que mon attention a été appelée de ce côté. Toutefois, la proportion serait quelquefois plus forte encore; mais il y a ici une distinction à faire : ainsi, tandis que la caverne de l'Homme Mort a donné, comme je l'ai dit précédemment, un sixième de crânes perforés et qu'un vaste dolmen en a donné près du quart, plusieurs mégalithes ne m'ont donné aucun vestige de perforations crâniennes. A quoi tient cette différence ? Il y a évidemment là jusqu'ici une inconnue. 638 ANTHROPOLOGIE M. BEUTILLOI Ancien président de la Société d'anthropologie de Paris. LA DÉMOGRAPHIE DU DÉPARTEMENT DU NORD — Séance du 26 août IH7i — La population du département du Nord (dénombrement de 1872) est de 1,447,764 habitants; il résulte de ce nombre imposant que ce dépar- tement qui, au point de vue administratif, n'est que le 87e de la France, et par sa superficie seulement le 93e, en constitue cependant plus de la £5e partie par le nombre de ses habitants. C'est cette importante fraction de la population française que je me suis proposé d'étudier, soit dans ['état où nous la montrent les dénom- brements successifs depuis le commencement du siècle; — soit dans les mouvements par lesquels cette collectivité se maintient et s'accroît tout en changeant sans cesse par sa natalité, sa matrimonialité, sa mortalité et par ses mouvements migratoires . Enfin je compte rehausser l'intérêt de ce travail, et pouvoir préciser plus sûrement les quelques conclusions auxquelles il conduit, en com- parant chacun des éléments étudiés dans ce département à ceux de même ordre fournis par la France entière, et, quand il se pourra, par la Belgique elle-même, non-seulement contiguë, mais composée, comme le Nord, de l'union des peuples de langue flamande et de langue française. Densité et habitat. — Cette population de près d'un million et demi, qui place le département du Nord immédiatement après celui de la Seine par le nombre absolu de ses habitants, lui conserve aussi le second rang par rapport à la population relative, c'est-à-dire comparée à la superficie du sol. En France on ne compte plus, depuis le rapt de l' Alsace-Lorraine, que ©S habitants par kilomètre carré (et 70 avant la guerre), tandis que le département du Nord en a £55, presque quatre fois davantage. La Belgique, en général, en a loi, mais 259 dans sa province la plus peuplée, la Flandre orientale. Cette densité si remar- quable de la population du Nord se complique d'une agglomération considérable de ses habitants, dont le plus grand nombre demeure dans des villes de plus de 2,000 âmes : Tandis que sur 100 habitants on trouve en France 31 citadins et «9 ruraux, dans le Nord on rencontre près de 5? citadins (ï'Sfi) et 43 ruraux. BERTILLON. — DÉMOGRAPHIE DU DÉPARTEMENT DU NORD 639 Division de la population selon l'origine et le lieu de naissance. — Je commence par cette étude parce que son influence sur les autres phé- nomènes que j'aurai à signaler est considérable. Dans la France prise en son ensemble, sur 100 habitants on en compte 85 qui sont nés dans le département où on les rencontre ; mais il n'y en a que VS dans le Nord. Il en reste donc 15 en France, et «£ dans le Nord qui sont étrangers, au moins au département qu'ils habitent; mais parmi ces étrangers, il n'y en a guère en France que S, ©S, mais 1G,£ dans le Nord qui ne sont pas Français. Ainsi, dans ce département, près de i/o de ces habitants sont d'une autre natio- nalité (presque tous Belges et notamment Belges Flamands). En outre les 5/6 français selon la nationalité, une fraction très-notable, mais que je crois indéterminée, est flamande selon la descendance et l'idiome. Il résulte de là que la population du département du Nord est fort mêlée et que l'investigation statistique, obligée de confondre aujour- d'hui en un seul ensemble l'étude d'une population si complexe, ne peut espérer aboutir elle-même qu'à des résultats complexes. On peut s'en faire une idée par l'étude de la population belge composée, comme le département du Nord, de gens parlant le flamand et d'autres le français. Pour montrer les différences considérables qui, au point de vue démographique, existent entre ces deux groupes, M. Bertillon fait passer sous les yeux de l'assistance une série de cartes de la Belgique. Ces cartes sont diversement teintées suivant l'intensité de la mortalité à chaque groupe d'âge, suivant l'aptitude à la phthisie, suivant le nombre relatif de réformés par défaut de taille, par diverses infirmités, etc. ; et dans chacune on distingue toujours du premier coup d'œil, par l'inten- sité des teintes, le groupe des provinces flamandes de celui des pro- vinces wallonnes (ou à langue française), si bien que l'auteur a pu ter- miner sa monographie sur la Belgique dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales par ces mots : « Les Flandres belges gardent partou t le triste privilège d'être les élues de toutes les misères humaines ; la Flandre orientale notamment n'en laisse échapper aucune: aveugles, aliénés, criminels, conscrits illettrés, indigents. Elles ont tous les maxima, même celui des couvents, ces pauvres Flandres! » Et en effet, d'après le tableau concernant la répartition de la population monacale, on la trouve représentée (sur 10,000 habitants) par 53 individus dans la Flandre orientale, 40 dans la Flandre occidentale, 37 à 32 dans les autres pays à langue flamande, tous décimés par une plus forte morta- lité, et tristement remarquables par leur aptitude toute spéciale pour les maux ci-dessus signalés, tandis que les provinces wallonnes, qui ne comptent que 22 (une seule 28) à 9 congréganistes; comptent également 640 ANTHROPOLOGIE à chaque âge une moindre mortalité et un bien moindre tribut aux misères humaines ! Il est assez piquant de rapprocher ces faits des conclusions statistiques formulées par le même auteur l'année précédente à la session de Lyon. Alors, étudiant l'intensité comparée de la mortalité qui pèse à chaque âge dans les divers départements de France, l'auteur concluait : « Les chances de vie et de mort sont, comme les autres phénomènes naturels, soumises à des lois constantes ; lu, non plus qu'ailleurs dans la nature, n'apparaît aucune trace d'un gouvernement personnel; dans les mêmes départements la mort toujours décime largement les vivants, ou toujours les épargne; vous l'avez vu: pour les enfants c'est une affaire de thermomètre, de soins éclairés, d'autant plus nécessaires qu'ils sont plus jeunes; pour l'âge adulte, affaire de profession, de moralité, etc., c'est-à-dire d'hygiène... et aussi de race ou d'hérédité; partout la vie est ce que la font l'ancêtre et le milieu où elle s'agite. » J'ai cherché, disait l'auteur, sans les trouver, les influences d'un autre ordre qui pourraient se faire sentir. — Vous avez vu la Bretagne être .décimée par une mortalité des plus intenses, pesant sur ses ado- lescents et sur ses adultes, plus lourdement que partout ailleurs, et vous avez vu aussi la mortalité si aggravée à tous les âges du département du Rhône. » A cette conclusion de l'année précédente, l'auteur peut ajouter, par suite de son étude des provinces belges, que bien loin que les causes dispensatrices des misères humaines s'en laissent imposer par les pieuses dévotions de la population monacale, elles paraissent marcher de com- pagnie : d'autant plus de couvents d'autant plus de douleurs! Quoi qu'il en soit, les différences profondes qui existent en Belgique entre les populations flamandes et les populations wallones démontrent combien il est regrettable pour la science que, dans le département du Nord, les relevés statistiques se rapportant aux populations flamandes aient été confondus par l'administration avec ceux des populations françaises. Ces réserves faites, M. Bertillon montre, par une succession de tableaux graphiques saisissants et parlant aux yeux, les divers traits caractéristiques de la population du département du Nord; mais nous ne pouvons ici que résumer les principaux résultats numériques de cette étude. Accroissement de la population. — Depuis le commencement du siècle (1801), l'ensemble de la population française s'est accru en ces 71 ans : en France dans le rapport de 1000 : 1330, et dans le dépar- tement du Nord dans celui de 1000 : 1S93; et pour chacun des sexes pris isolément : 1000 hommes au commencement du siècle sont devenus : en BERTILLON. — DÉMOGRAPHIE DU DÉPARTEMENT DU NORD 641 France, 1851 en 1872 (mais 1 428 en 1866); dans le Nord, l»9ft en 1872 (et 1916 en 1860). 1000 femmes au commencement du siècle sont devenues : en France, 1399 en 1872 (mais 1357 en 1806) ; dans le Nord, tSOO en 1872 (et 1727 en 1800). L'accroissement partout pins prononcé de la population mâle paraît être une règle générale pendant la paix. Elle a son origine dans l'excès des naissances masculines sur les naissances féminines (dans le rapport de 100 : 100), excès qui n'est pas entièrement effacé par la mortalité constamment plus prononcée des petits garçons pendant la première année de la vie (117 : 100). Mais les sévices de la guerre apportent une notable perturbation à cet acroissement. Ainsi, en 1801, par 1000 femmes en France, on ne trouve que 948 hommes et seulement 945 en 1821 ; mais en 1800, c'est-à-dire après quarante-cinq ans de paix relative, 1094 hommes. Cependant nos malheurs font rétrograder notre popu- lation maie, et en 1872 il n'y a plus en France que 993 hommes pour 1000 femmes. Si l'on pousse l'analyse de ces accroissements aussi loin que nos médiocres documents le permettent, on trouve : 1° Pour les hommes : 1000 célibataires hommes (enfants compris) sont devenus : en 1872, en France, 1385(1378 en 1806); et dans le Nord, 1980; 1000 époux sont devenus : en 1872, en France, 14-8© (1496 en 1806) ; et dans le Nord, 1993; 1000 veufs sont devenus : en 1872, en France, 1545 (1487 en 1866) et dans le Nord, 3073 ; 2° Pour les femmes : 1000 filles sont devenues : en 1872, en France, 1154 (1239 en 1866) ; et dans le Nord, 169» ; 1000 épouses sont devenues: en 1872, en France, 143» (1501 en 1866); et dans le Nord, 19*9; 1000 veuves sont devenues : en 1872, en France, 15?9 (1492 en 1866); et dans le Nord, 18GO. Il résulte de là que, même dans le Nord, mais bien plus en France, ce sont les veufs, puis les époux dont l'accroissement est le plus sen- sible ; ce caractère, exclusif à la France, tient à sa faible et décrois- sante natalité (rapport des naissances à la population, et mieux à la population pubère). Immigration étrangère. — Il convient dans cet accroissement de faire la part de ce qui est dû à l'immigration étrangère, si prononcée dans le département du Nord. Je ne puis renseigner que depuis 1851, époque 642 ANTHROPOLOGIE où, pour la première ibis, les dénombrements ont relevé cet élément démographique, et peut être incomplètement. Quoi qu'il en soit, depuis 1851, 1000 étrangers domiciliés sur le territoire français (leur nombre absolu étant alors de 380,000) sont devenus lt?GO, et cela en vingt ans, ce qui fait un accroissement de 48 par 1000 et par an, quand notre population française de 1851 à 186G ne s'est accrue normalement que de 3,1 % par 1000 et par an ! Quant au département du Nord, l'accroissement par immigration étran- gère a été encore bien plus sensible. En 1851, elle était de 80,876, et faisait 1/14 de la population générale; par une crue continuelle, elle est arrivée en 1872 à 234,504, et fait 1/G de la population totale ! Ainsi, en ces vingt années, elle s'est accrue de 96 par an et par 1000, et 1000 étrangers en 1851 sont devenus 3910 en 1872! Dans l'accroissement général de la population du Nord, une bonne part revient donc à l'immigration étrangère ; nous pouvons déterminer cette part, au moins depuis vingt ans. Pendant ce temps, en nombre absolu, elle s'est élevée de 1,158,285 à 1,447,764; soit comme 1000 : 1£50; mais si dans cette crue on enlève cequi est dû à l'immigration étrangère, l'accroissement de la seule population française est réduit à la moitié, au rapport 1000 : 11 S»; au lieu de 12 à 13 par an et par 1000, il n'est que de 6 à 7! Conséquences sociales de l'immigration étrangère. — Pour bien saisir l'importance et les conséquences pratiques de ce fait, il faut observer que l'immigration ne porte guère sur la population pubère, de sorte qu'en tenant compte de cette observation, ce n'est plus le sixième, mais au moins le quart des hommes de vingt à cinquante ans qui sont étrangers : ainsi, un quart de la population pubère du Nord est étran- gère. Et, qu'on le remarque, si l'on peut regarder seulement comme très-vraisemblable que cette population augmente peu la nationalité légitime, mais beaucoup l'illégitime; que le plus grand nombre emporte à l'étranger le petit ou gros capital qu'ils ont réalisé chez nous; on peut en revanche regarder comme certain qu'en cas de guerre ces commensaux se dérobent (légalement jusqu'ici) à la défense du territoire qui les a nourris, chance heureuse quand ils ne se servent pas des connaissances qu'ils y ont acquises pour en aider la conquête; c'est comme une préconquête amiable qui prépare et facilite l'annexion vio- lente. A ces graves considérations j'en ai une autre purement démo- graphique à ajouter, mais je ne puis que l'énoncer ici : c'est que cette immigration d'hommes faits, qui pour l'Amérique est une source inouïe de richesse (1), est pour nous une cause qui contribue à ralentir encore H) Voyez l'article Migiutioiv de l'auteur, dans le Dictionnaire encyclopédique de* sciences médicale!. BERTILLO.N. — DÉMOGRAPHIE DU DÉPARTEMENT DU NORD 643 notre trop lente natalité. En effet, un ■ peuple valide engendre vite autant de travailleurs qu'il lui en faut pour répondre à l'appel quotidien du travail, à moins qu'il ne. trouve dans l'immigration de quoi satisfaire à ce besoin. Ainsi font les Anglais qui, par leur seule natalité, fournissent à un accroissement de douze par an et par mille, et quinze en comptant leur immense émigration; ainsi ont fait les Français au Canada et dans des proportions encore bien plus formidables. L'arrivée de travailleurs tout faits devient une concurrence à la natalité : pour satisfaire aux appels du travail, il n'est plus néces- saire d'engendrer et d'élever tant d'enfants, les places sont plus prompte- ment, et à moins de frais pour le pays, occupées par des adultes. Cette immigration d'adultes pourrait donc être regardée comme un avantage et en serait un si le travailleur était, comme en Amérique, définitive- ment acquis pour le travail, pour la constitution de la famille et du capital, enfin pour la défense du sol qui le nourrit; mais c'est une perte, une cause d'affaiblissement, quand l'immigrant peut n'être qu'un passager, bénéficiant des bonnes chances, défaillant aux mauvaises, répondant aux appels du travail, à la distribution de ses produits, a la •place des enfants que, sans lui, nous eussions faits, mais ne répondant pas aux appels du canon! Natalité. — Bien que ce soit en partie (et à peu près pour moitié) l'immigration étrangère qui vienne satisfaire aux besoins du travail dans ce département du Nord, dont le sol et le sous-sol est un des plus fer- tiles qui soit au monde, la natalité elle-même se ressent de cette fertilité et si, par le fait de cette immigration, elle est loin encore d'égaler la natalité anglaise ou prussienne, ou seulement belge, cependant elle dé- passe très-notablement celle de la France en général. Il y a deux manières d'apprécier la 7iatalité, soit en comparant les naissances à la population en général, c'est la méthode ordinaire; nous la tenons pour mauvaise, parce qu'elle a pour effet d'atténuer d'autant plus l'apparente force reproductive d'une nation que cette nation est plus féconde , car c'est alors que sa population renferme le plus d'im- pubères impropres à procréer et qui pourtant, dans le rapport, comptent comme les adultes ; l'autre méthode, que nous regardons comme mesu- rant vraiment la fécondité et comme la seule mesure conforme aux règles du calcul, consiste à comparer les nouveau-nés à la seule partie de la population qui est apte à les faire, c'est-à-dire aux pubères. On pourrait certainement y comprendre les hommes et les femmes , mais comme la fécondité des mâles a des limites très-étendues et fort indéterminées, qui n'ont d'autres mesures effectives que la fécondité de la femme démon- trée par l'enfantement, nous croyons qu'il y a avantage à resserrer la 644 ANTHROPOLOGIE mesure de la fécondité d'un peuple, en lui donnant pour expression le rapport des naissances aux femmes ayant l'âge ordinaire de fécondité (soit de quinze a quarante ans). Cela posé, nos tableaux, par leurs expres- sions figurées, ou par les nombres qui y sont adjoints, montrent que, par année moyenne, pendant la période de dix ans, 1856-65 : 1° En ce qui concerne la natalité ordinaire, sur 1,000 habitants il y a eu, en France «6,6 naissances vivantes et 33 dans le Nord; le rap- port, entre les deux natalités est tel, que la natalité de la France étant 100. celle du Nord est 1«8; 2° En ce qui concerne la fécondité effective, celle des femmes de quinze à quarante ans, sans distinction d'état civil, on trouve que: 1,000 femmes ou filles de quinze à quarante ans font par an : ISO enfants vivants en France; *»4 enfants vivants dans le département du Nord; Le rapport des deux fécondités est comme 100 : 135. Enfin, en distinguant les épouses des filles, on trouve que : 1,000 épouses dont l'âge est compris entre quinze et quarante ans, ont par an : 361 enfants vivants en France, 33 3 enfants vivants dans le Nord, 442 en Belgique et en Hollande ; Le rapport des deux fécondités est comme 100 : 144. Et 1,000 filles de quinze à quarante ans, font par an : 19 enfants vivants en France, £8 enfants vivants dans le Nord; Le rapport des deux fécondités est comme 100 : 14*. Pour abréger, nous passons ce que dit l'orateur d'une fécondité pure- ment physiologique, mais socialement nulle, celle qui se résout en mort- nés. Us sont relativement plus nombreux dans le Nord, mais seulement pour les naissances légitimes. Quoi qu'il en soit, cette natalité plus puissante du département du Nord aura pour effet, non-seulement l'accroissement plus rapide de ses habitants, ainsi que nous l'avons constaté, mais aussi de lui donner une population enfantine relativement plus touffue (quoique l'immigra- tion des adultes diminue ce résultat) : ainsi, sur 1,000 habitants, on en trouve seulement *? 5 au-dessous de quinze ans en France et 3 14 dans le Nord; mais par suite, la France possède relativement plus d'adultes de quinze à soixante ans, 6*6 en France et 5î>3 dans le Nord (mais ce nombre descendrait sans doute assez près de 500 si l'on en ôlait les immigrants); enfin la France a également plus de vieillards, 1©?; et le Nord »4. BERTILLON. — DÉMOGRAPHIE DU DÉPARTEMENT DU NORD i>V> Matrimonialité. — Même remarque que pour la natalité; il y a deux méthodes : celle, ordinairement employée, qui consiste à comparer les mariages annuels à la population en général; mauvaise méthode, selon nous; et celle qui rapporte les mariages annuels à la seule population mariable, c'est-à-dire défalcation faite des non-mariables (impubères se- lon la loi : au-dessous de dix-huit ans pour les garçons et de quinze pour les filles; et gens déjà mariés). La matrimonialité comparée de la France en général et du départe- ment du Nord semble assez peu différente quand on se contente du rapport ordinaire des mariages annuels à la population en général. Ainsi, tandis qu'on compte ?,0 mariages en France par 4,000 habi- tants, on n'en trouve que V,& dans le Nord, le rapport entre ces deux nombres est à peine 100 : lOî; mais quand on ne fait entrer en ligne que les mariages et les mariables, on trouve pour la France £4,© ma- riages (ou 49,2 fiancés) par 4,000 mariables de l'un et de l'autre sexe, et seulement £3,1 (ou 46,2 fiancés) dans le Nord; et alors, le rapport de la tendance au mariage étant de 100 pour le Nord s'élève à t «6,5 pour la France. Cependant, un point très-important, quand il s'agit de mariage, de la constitution de la famille, est l'âge des liancés ; nous donnerons seu- lement ici le résultat général de cette recherche. La probabilité du mariage, en général moindre dans le Nord, l'est sur- tout pour les femmes avant vingt-cinq ans, et c'est seulement à trente- cinq ans et après, qu'une femme a plus de chance de mariage dans le Nord. Quant aux hommes, à tous les âges leur probabilité de mariage est très-notablement moindre dans le Nord, mais surtout après trente ans, fai- ble matrimonialité qui tient sans doute aux immigrants étrangers. Nous passons les diverses notions concernant l'âge respectif des fiancés, leur état civil, et notons seulement en un mot la composition particulière de la population sous le rapport de l'état civil. Il résulte forcément de ce que nous venons de dire que, dans le département du Nord, il y a no- tablement plus de célibataires des deux sexes et moins d'époux. Mortalité par âge et par sexe. — C'est une étude qui a été particu- lièrement soignée par M. Dertillon, mais dont l'analyse, même succincte, nous entraînerait trop loin. Nous dirons seulement, d'une manière générale, que la mortalité du département du Nord, ressemble assez à celle de la France en général , la vie moyenne qui en résulte est d'environ quarante ans en France comme dans le Nord. La morta- lité des enfants dans la première année de la vie y est un peu moindre et surtout celle des petites filles; mais, par un retour fâcheux, celle de un à cinq ans y est plus forte pour les deux sexes. La mortalité des adultes y est à peu près la même, plutôt moindre pour les hommesymais ti1(J ANTHROPOLOGIE notablement plus marquée pour les femmes à l'âge de la parturition ; au delà de cinquante ou soixante ans, la mortalité est décidément moins élevée dans le département du Nord, propriété que ce département par- tage avec toute la région nord et nord-ouest de la France. En outre, M. Bertillon constate, que la mortalité générale et surtout celle de l'enfance, a notablement diminué dans le département du Nord. Il s'étonne de voir qu'un département où la population est aussi dense, aussi resserrée dans les villes, où il y a autant de fabriques, d'usines, de mines aussi exploitées, enfin une population ouvrière aussi nom- breuse, ne fournisse pas un plus gros contingent à la mort. Mais il fait remarquer que ce qui explique en partie ce résultat, c'est la richesse et la fertilité du sol qu'on lui a dit être possédé en partie par le cultivateur, et la salubrité générale de cette région de la France accusée par la mor- talité si faible des départements contigus au Nord (Pas-de-Calais, Somme, Aisne, Ardennes), qui tous ont une mortalité bien moindre que le Nord lui-même, malgré la plus grande richesse de son sol. Aussi, il conclut que ce département, malgré sa mortalité moyenne, a encore, comme la France entière, ainsi qu'il l'a établi dans sa Démographie figurée (1), beaucoup d'économies à faire sur la mort prématurée. Pour y parvenir, il faut d'abord en découvrir le scauses, et rien n'y contribuerait plus efiicacement que des enquêtes statistiques : Premièrement, distinguant les documents afférents aux populations de langue flamande, de ceux qui concernent les populations de langue française; et secondairement rele- vant, en même temps que l'âge et le sexe du décédé, sa profession- L'enquête des décès, simultanément par âge et par profession, telle est, dit M. Bertillon, la source de tout savoir, sur l'hygiène comparée des professions et des indications à venir, et pour le prouver, il met sous les yeux de l'assistance un des tableaux de sa Démographie figurée (LV et LVI), montrant pour chaque âge la mortalité par groupe professionnel en Angleterre. Ce tableau met en lumière les résultats les plus frap- pants et les plus inattendus concernant la mortalité comparée à chaque •âge des magistrats et membres du clergé anglais, celle des fermiers et de leurs riches propriétaires, les lords et hauts feudataires, celle des ouvriers des diverses professions, des médecins, des mineurs, des auber- gistes et marchands de spiritueux, etc., etc., et il est bien propre à mon- trer, selon le désir de l'auteur, l'importance extrême du relevé de la profession des décès... Il est clair que l'hygiène publique et privée aussi (t) DémogiuiHiib FIGURÉE DE la France, ou élude statistique de la population française, avec ta- bleaux graphiques traduisant les principales conclusions. Série Mortalité selon l'âge, le sexe, l'état civil, etc., etc., en chaque département et pour la France entière, comparée avec les pays étrangers, par le docteur Bertillon, 1874. Grand atlas in-folio de 58 cartes ou tableaux et 10 pages do texte, relié, 20 francs chez l'auteur (20, rue Monsieur-lc-Prince) ou chez G. Masson, place do l'École-do-Médecine. DISCUSSION SUR LA DÉMOGRAPHIE DU DÉPARTEMENT DU NORD 64*7 bien que la moralité et l'opinion publique auraient également à gagner a une telle enquête. DISCUSSION M. Lagneau. — D'après le travail très-considérable de démographie que vient de nous exposer M. Bertillon, je vois que les populations des provinces flamandes de la Belgique diffèrent des populations des provinces wallones, non-seulement par une proportion plus considérable de jeunes gens exemptés du service militaire pour défaut de taille, ainsi que M. VanderKindere l'avait déjà démontré (1), mais aussi par une plus grande morbidité, et une plus grande mortalité. Dans l'accroissement notable delà population du département, du Nord, l'im- migration paraît entrer pour une proportion considérable. Je crois voir les preuves de cette immigration, non-seulement dans la proportion des non-na- tifs de ce département, égalant 22 sur 100 habitants, mais aussi dans l'ac- croissement plus rapide du nombre des hommes que de celui des femmes, durant une même période de temps, la proportion des premiers s'étant élevée de 1,000 à 1,990, alors que la proportion des secondes ne s'élevait qu'à 1,800. Les hommes appelés par les salaires élevés des travaux industriels se dépla- cent probablement plus que les femmes. Dans ce département, où la matrimonialité est assez faible, l'âge des mariées paraît bien tardif, beaucoup de filles ne se mariant que vers 30 ans. Ces ma- riages tardifs, qui, selon M. Bertillon, s'observent également en Belgique, tiennent évidemment à des conditions sociales qu'il serait intéressant de dé- terminer. Enfin je remarque la proportion assez considérable des mort-nés. Or, cette proportion ne paraît pas porter sur les mort-nés illégitimes, dont, suivant notre collègue, dans la plupart des pays, le nombre semble dépendre du de- gré de réprobation dont l'opinion publique frappe les filles-mères. La propor- tion élevée des mort-nés dans le département du Nord, selon M. Bertillon, porterait principalement sur les mort-nés légitimes. Ce fait, rapproché delà mortalité assez considérable, signalée également par notre confrère, chez les femmes à la période de la vie à laquelle les mariages sont le plus fréquents, semblerait indiquer que la gestation et la parturition ne s'accomplissent pas toujours, pour la mère et l'enfant, aussi heureusement dans la population de notre département du Nord que dans la population de la France en gé- néral. Aussi serait-il intéressant de rechercher statistiquement, non-seulement la proportion des mort-nés, mais aussi la proportion des accouchements dif- ficiles ou laborieux, et la proportion des femmes mortes en couches dans les maternités ou maisons d'accouchements, dans les villes et les campagnes, comparativement pour le département du Nord, et pour certains départements (1) Van der Kiadere : Recherches sur l'ethnologie de la Belgique, p. 35, etc. Bruxelles, 1872. ti4S ANTHROPOLOGIE du midi do la France, principalement peuplés d'habitants de race aquitanique ou ibérienne; race dont les courbes pelviennes et rachidiennes, selon M. Du- chenne de Boulogne (1), semblent notablement différentes de celles des races ayant peuplé la région septentrionale de notre pays. M. GIRARD de EIALLE DE L'ANTHROPOPHAGIE. tTUDE D ETHNOLOGIE COMPAREE. — Séance du 26 août 1874. — Adonné depuis longtemps aux études ethnologiques, particulièrement en ce qui concerne la partie mythologique et religieuse, je n'ai pas manqué' d'être frappé d'un rit qui nous semble aujourd'hui abominable, le sacrifice humain. De ce fait mon attention a été attirée vers un autre fait qui lui paraît corrélatif au premier abord, l'anthropophagie. Deux de nos plus renommés collègues, MM. Cari Vogt (2) et de Quatrefages (3). chacun à un point de vue bien différent, ont pensé que l'anthropophagie pouvait avoir une origine mystique et religieuse. Sans nier absolument les rapports incontestables qui existent entre certaines religions, leur culte et l'usage de la chair humaine, je ne puis néanmoins accepter cette opinion. Je crois même au contraire que l'anthropophagie religieuse et le sacrifice humain qui en dépend tout naturellement constituent une phase secondaire, et qu'il faut chercher l'explication de cette coutume si horrible à nos yeux d'Européens du xixe siècle dans un ordre d'idées plus simples et plus terre à terre. L'opinion la plus répandue à ce sujet est que l'anthropophagie est « l'acte le plus bestial à inscrire au dossier de l'espèce humaine ». On considère en effet cette action comme le propre des peuples les plus barbares, les plus sauvages, ceux qui sont livrés aux passions les plus brutales. Je tenterai de démontrer plus loin, et ce d'accord avec M. Vogt, que l'anthropophagie est au contraire généralement propre à des popu- (1) Duchenne (de Boulogne) : Elude physïol. sur la courbure lombo-sacrée. [Archives générales de médecine, 180G, t. "NUI, p. 5i3, etc.) (2) Anthropophagie cl sacrifices humains [Comjil: rendu du Congres international d'anthropologie el d'archéologie préhistoriques de Bologne, iS7t, pp- 2;ij-328). (3) Les Polynésiens el leurs migrations, pp. Uli-37. 1er vol. Rf. 8». Paris, Arthus Bertrand, édit. GIRARD DE RIALLE. — DE l'aNTHUOPOPHAGIE 049 lations relativement cultivées, et que cette coutume est en quelque sorte caractéristique d'un certain point, d'un certain degré dans les phases diverses du développement progressif de l'humanité Je ne nie dissimule pas ce qu'il y a en apparence de paradoxal dans ce que je viens de dire; je sais que je surprends et trouble peut-être ceux qui considèrent l'anthropophagie comme une aherration des sens contraire à la nature de l'homme, t'ait, on le sait, a l'image de son Créa- teur. Mais ce sont là affaires de sentiment que nous devons négliger. Je ne veux pas faire de polémique, mais essayer plutôt de jeter quelque jour sur un curieux problème d'ethnologie comparée. La première idée qui se présente, c'est que l'homme est devenu anthro- pophage par besoin ; que la nourriture animale lui faisant défaut, pressé par une impérieuse nécessité d'alimentation, il s'est décidé à se repaître de son semblable; et qu'ensuite cette action se répétant, l'usage de l'an- thropophagie s'est implanté dans certaines tribus qui, par habitude ont continué dans cette voie barbare, même lorsque les conditions de milieu déterminantes furent moditiées. Le grand argument à i'appui de cette thèse ingénieuse est ordinairement tiré de l'histoire des Maoris de la Nouvelle-Zélande. Ces insulaires habitent en effet des îles où la faune est relativement pauvre : les mammifères comestibles, lors de l'arrivée des Européens, y étaient le chien, le rat, le phoque, la baleine et le marsouin; les oiseaux y étaient d'autre part assez nombreux; il y avait entre autres le fameux Moa, aujourd'hui disparu, et dont on ne trouve plus que les ossements; les poissons enfin foisonnent le long des côtes, ainsi que les grands crustacés. Les Maoris cultivaient aussi certains végé- taux tels que la patate douce réservée aux chefs et le taro, sorte d'igname de l'Océanie; en outre, la racine d'une fougère (pteris esculenta) légè- rement torréfiée, puis ramollie après avoir été battue quelque temps sur une pierre avec un maillet leur tenait lieu de pain et constituait la base de leur nourriture. Dans tout cela on ne voit guère la nécessité inéluctable de manger l'homme. Mais, du reste les Maoris ne sont pas autochthones; ils viennent, on le sait à présent fort bien, de la patrie commune a tous les Poly- nésiens; et s'ils étaient anthropophages, c'est que leurs ancêtres l'étaient aussi dans la mystérieuse Hawdiki. Aussi bien les Maoris racontent-ils dans leurs légendes (1) que les premiers chefs qui colonisèrent la Nou- velle-Zélande amenèrent dans leurs canots des chiens et certains oiseaux. Ces mêmes légendes nous rapportent sous des traits originaux certains cas d'anthropophagie tout à fait typiques et dont le théâtre fut la pre- mière patrie des émigrants polynésiens. Enfin, et tandis que je parle des (1) Sir George Grey, Polynesian Mythology, l" vol. in 8°. Londres, Murray, édit. 1875. 4ô GoO ANTHROPOLOGIE Maoris, il n'est pas inutile de remarquer que tout ce que l'on sait de leur état social au siècle dernier (lorsque Cook les visita et leur donna des pores qui réussirent très-bien sans faire disparaître l'usage de manger de la chair humaine) établit que. celui-ci était déjà à un point assez élevé dans l'échelle humaine. Loin d'être livrés à un grossier fétichisme, les Maoris étaient déjà des polythéistes aussi raffinés que l'étaient les Grecs ou les Romains; la société était divisée en classes diverses et dis- tinctes, la séparation du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel y était même opérée, puisque les chefs, rangatiras, n'avaient plus le caractère religieux, tandis qu'à côté d'eux les iohoungas, prêtres-médecins-sorciers, ne prenaient point une part directe au gouvernement des choses d'ici- bas. Un exemple emprunté à la vie des Kanaks de notre colonie, la Nou- velle-Calédonie, semble, au premier abord, continuer assez bien la thèse que j'ai exposée plus haut. Les Néo-Calédoniens sont anthropophages, et ils habitent un pays où la faune mammalogique n'est représentée que par une chauve-souris immangeable. En revanche, les poissons, les crustacés, les coquillages comestibles sont très-abondants et forment le fond de l'alimentation de ces populations, qui y joignent le taro, et d'autres légumes. M. de Rochas (1), parmi ceux qui ont voyagé dans cette contrée, pense que l'anthropophagie y est « purement alimentaire » ; il ajoute que la plupart du temps la guerre se déclare sans autre but que celui de conquérir de la viande humaine. « 11 y a longtemps, disent les chefs, que nous n'avons mangé de la chair, allons-en chercher. » On s'arrête de combattre quand on a deux ou trois cadavres, que l'on coupe ensuite en morceaux et que les chefs se partagent. M. de Rochas fait observer que les gens du commun mangeraient également bien de l'homme, si les chefs ne se réservaient le privilège de cette nourriture succulente. M. Jules Garnier (2) nous donne à son tour certains détails tout parti- culiers sur ce sujet. Un de ses serviteurs, nommé Toki, assez intelligent, et surtout dépourvu de préjugés et de crainte par suite de son ancienne vie de matelot, lui fournit avec une grande naïveté quelques renseigne- ments sur l'anthropophagie des habitants de l'île Ouen. Outre les prison- niers de guerre et les cadavres abandonnés sur le champ de bataille par les vaincus, on y mangeait aussi les criminels frappés par le casse-tête des chefs; les enfants mal conformés ou mort-nés étaient portés par leurs parents au bord de la mer, bien lavés, après quoi ceux-ci les faisaient cuire avec des ignames et les mangeaient. « Ça faisait beau- coup de bien la mère! » ajouta Toki en terminant. L'usage de tuer (\) Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, t. I, -f* série, 1880, pp. 414» 415. (2) Le Tour du monde, t. XVIII. 18G8, pp. 31 et 32. GHIARD DE RIALLE. — DE i/ ANTHROPOPHAGIE 651 et de dévorer les vieillards n'existait pas à l'île Ouen, mais Lien à Kanala et ailleurs. Au reste, personne, pas même la victime, ne trouvait à redire à une pareille coutume, qui était môme accompagnée d'une cérémonie. M. Garnier constata positivement que les Kanaks n'éprouvaient aucune répulsion pour ces actes qui nous semblent abominables; bien plus, ils les trouvent très-naturels et ne comprennent rien à notre horreur. La conclusion d'une longue conversation entre M. Garnier et Toki, où le premier essaya de lui démontrer combien l'anthropophagie était révoltante et lui donna les mœurs des Européens pour exemple, fut cette observation de ce dernier : « Je comprends : vous avoir beau- coup de viande, vous faire la guerre et laisser pourrir les morts. » Remarquons même l'ironie cachée de cette réponse, à l'endroit du gas- pillage des Européens, car pour Toki et pour les autres Kanaks, la chair humaine, « c'est aussi bon que porc et vache. » On le voit, il y a là un sentiment gastronomique bien caractérisé, et qui explique pourquoi les chefs se réservent ce mets délicat. Dans certaines fêtes appelées Pilou- Pilou, la nuit, à la lueur des torches, les guerriers dansent en brandis- sant leurs armes avec une frénésie toujours croissante, s'enivrent de mouvement et du bruit de leurs chants mystérieux et sauvages, restent ainsi parfois plusieurs jours sans prendre de nourriture, puis se jettent sur des victimes amenées à cet effet, qu'ils dévorent alors comme des bêtes féroces. Il a fallu l'enivrement de la danse, des chants de guerre pour les amener au point voulu d'excitation qui donne une saveur spéciale à leurs repas de cannibales, excitation qu'ils éprouvent dans le feu du combat. « Je vis l'un d'eux, dit M. J. Garnier (1), presque un vieillard, séparer à coups de hache un bras du cadavre du malheureux chef ennemi, l'agiter au-dessus de sa tête en manière de triomphe, puis arracher avec les dents un lambeau de cette chair palpitante. J'appris depuis que cet homme était le père du jeune guerrier tué au début de la lutte. » On voit poindre ici dans l'acte de cannibalisme du vieux Kanak un sentiment de vengeance féroce, mais parfaitement explicable. Au reste, dans cette même occasion, le discours qu'adressa à M. J. Garnier le chef vainqueur en lui offrant la jambe d'une des victimes du combat est véritablement topique : « Voilà un morceau de ton ennemi et du mien (la tribu victorieuse était amie de la France). Il pensait que ses os resteraient dans sa tribu : mais son crâne blanchira au soleil devant nos cases, nos femmes et nos enfants riront en le voyant, et sa chair fournira un bon festin à mes guerriers, qui seront après plus braves et plus forts. » Toute la théorie de l'anthropophagie est, à mon sens, contenue dans (1) Loc. cit., pp. 10-11. 602 ANTHROPOLOGIE ces paroles. Et pas n'est besoin de chercher dans le défaut d'alimenta- tion animale le motif d'un usage où il faut voir surtout le résultat poussé à bout du sentiment de la force et de la victoire. M. Garnier décrit un peu plus loin (p. 14) le repas des cannibales en ces termes : « Une douzaine d'bommes étaient assis près d'un grand feu ; je reconnus les chefs que j'avais vus pendant la journée ; sur de larges feuilles de bananier était placé au milieu d'eux un monceau de viandes fumantes entourées d'ignames et de taros Nos amis se livraient à leurs barbares festins, et. sans doute, les malheureux Pone- rihouens tués dans la journée en faisaient les frais ; le trou dans lequel on avait fait cuire leurs membres détachés à coups de hache était là ; une joie farouche se peignait sur le visage de tous ces démons ; ils mangeaient à deux mains Un point surtout attirait toute mon attention ; en face de moi, et bien éclairé par la lueur du foyer, se trouvait un vieux chef à la longue barbe blanche, à la poitrine ridée, aux bras déjà étiques ; il ne paraissait pas jouir de l'appétit formidable de ses jeunes compagnons ; aussi, au lieu d'un fémur orné d'une épaisse couche de viande, il se contentait de grignoter une tête ; celle-ci était entière, car, conservant le crâne comme trophée, ils ne le brisent jamais ; on avait eu cependant le soin de brûler les cheveux ; quant à la barbe, elle n'avait pas encore eu le temps de pousser sur les joues du pauvre défunt, et le vieux démon, s'acharnant sur ce visage, en avait enlevé toutes les parties charnues, le nez et les joues ; restaient les yeux qui, à demi ouverts, semblaient être encore en vie. Le vieux chef prit un bout de bois pointu et l'enfonça successivement dans les deux prunelles ; on aurait pu croire que c'était pour se soustraire à ce regard et finir de tuer cette tête vivante , point du tout, c'était tout simplement pour parvenir à vider le crâne et en savourer le contenu : il retourna plusieurs fois son bois pointu dans cette boîte osseuse, qu'il secoua sur une pierre du foyer pour en faire tomber les parties molles, et, cette opération accomplie, il les prenait de sa main maigre comme une griffe et les portait à sa bouche, paraissant très-satisfait de cet ali- ment. Ce premier procédé ne réussissant pas à extraire entièrement la cervelle, le vieux sauvage expérimenté mit l'arrière de cette tête dans le feu, à l'endroit où il était le plus violent, de façon que par cette cha- leur intense le cervelle pût se séparer complètement de son enveloppe intérieure ; ce procédé réussit parfaitement, et, en quelques minutes, le cannibale fit sortir par les diverses petites ouvertures du crâne le reste de son contenu. » Si, dans le premier tableau présenté par M. Garnier, nous avons vu l'anthropophagie produite par l'ivresse de la vengeance assouvie, nous voyons dans celui-ci une anthropophagie que nous qualifierons de GIRARD DE RIALLE. — DE i/ANTHROPOPHAGIE 653 gastronomique, car nous ne sommes pas en présence de gens affamés ou irrités, mais de chefs qui dégustent paisiblement leur gibier humain, au lieu de le laisser pourrir, comme nous en accusait Toki. C'est donc un sentiment de gourmandise qui, conjointement avec celui de la haine, conduit l'homme au cannibalisme ; or il paraît que la chair humaine est délicieuse ; déjà Juvénal l'avait dit : ... Sed qui morderc cadaver Sustinuit, nil unquam hac carne libenlius edit. (1) Et un chef de ces Battas de Sumatra, dont je parlerai plus loin, répli- qua il y a peu à un missionnaire qui lui reprochait son goût pour cette sorte de nourriture et l'engageait à y renoncer : c< Dis tout ce que tu voudras, dis que c'est horrible, inhumain, atroce, mais ne dis pas que c'est mauvais ! » On sait également que, dans l'Inde, les tigres deviennent redoutables à l'excès quand ils ont goûté à l'homme, et l'on appelle spécialement ceux-ci des mangeurs d'hommes, parce qu'ils ne veulent plus se repaître que de chair humaine et qu'ils sont constam- ment en quête pour s'en procurer. Mais revenons aux Kanaks et à la cause de leur anthropophagie tirée d'un besoin violent de manger de la viande. Je ferai remarquer cepen- dant que toutes les îles de la Micronésie, les Marshall, les Gilbert, les Carolines, Ualan, Otdia, etc., ne sont pas mieux pourvues au point de vue de la faune mammalogique que la Nouvelle-Calédonie, et que leurs habitants n'ont été jamais dépeints comme cannibales. D'autre part, on a lieu de penser que la population indigène de notre colonie est com- posée de deux éléments au moins, l'un mélanésien ou noir ou papou, l'autre polynésien; or, chacune de ces races est notoirement anthropo- phage; il y a donc plutôt raison de croire que nos Kanaks ont gardé cette coutume de leurs ancêtres de l'une et l'autre branche. Si, en effet, l'anthropophagie des Polynésiens est incontestable, le can- nibalisme des Mélanésiens n'est pas moins certain. A l'est comme à l'ouest de la Nouvelle-Calédonie sont des archipels importants et très- peuplés de noirs océaniens, qui ont, comme les Kanaks, un goût pro- noncé pour la chair humaine, sans avoir comme eux la prétendue excuse du manque de viande indispensable à leur alimentation. Aux îles Fidji, la population mélangée elle aussi de Polynésiens et de nègres, bien qu'abondamment pourvue de porcs, de volailles, de poisson et de légumes, fut toujours très-avide de cette chair délicate. En 1809, par exemple, le second d'un navire anglais, la Favorite, venu à Vanoua- Levou pour y faire un chargement de bois de sandal, fut fait prisonnier (i) Satire XV ' vers 87-88. 654 ANTHROPOLOGIE par un grand chef et emmené avec ses matelots dans une campagne entreprise par celui-ci contre les habitants de l'île Tat'ere. Les Anglais n'échappèrent à la mort et à la cuisine des Fidjiens qu'en acceptant de prendre part à leur expédition. Dès le premier engagement, un combat naval, ils virent assommer et rôtir un prisonnier qu'on avait t'ait, et dont le corps fut réservé pour les chefs. Mais toute l'armée put bientôt se rassasier de cette horrible nourriture si estimée, car après la fuite des guerriers de Tafere, ceux de Vanoua-Levou ayant découvert un bois de palétuviers où s'étaient cachés les vieillards, les femmes et les enfants de Tafere, l'entourèrent et se saisirent de ces infortunés, qu'ils mas- sacrèrent tous impitoyablement. Les cadavres furent traînés au bord de la mer. et entassés par centaines dans une grande pirogue destinée à cet usage. Le chef ou roi se réserva le corps d'une jeune fille qui lui parut appétissant. De retour à Vanoua-Levou, les préparatifs de l'abo- minable festin eurent lieu, les victimes furent dépecées et rôties, et pen- dant toute une nuit les cannibales se gorgèrcnt de cette nourriture délicieuse à leur goût. Les guerriers seuls prirent part naturellement à cette orgie. Le lendemain, ce qui n'avait pu être mangé fut préparé pour être conservé et serré dans des corbeilles. Les Anglais prisonniers eurent le bonheur d'échapper a l'appétit des Fidjiens, qui, repus de chair hu- maine, préférèrent les rendre à leur capitaine, moyennant rançon. Les Fidjiens nous démontrent encore par leur exemple ce qu'il y a de gourmandise dans l'anthropophagie. Pour eux rien n'est bon comme la chair de l'homme, et c'est chez eux le plus grand compliment à faire d'un mets que de l'y comparer. Comme la plupart des Océaniens et des Américains anthropophages, ils n'aiment point la chair des Européens, mais ils donnent la préférence à celle de la femme et de l'enfant sur celle de l'homme fait; les morceaux de choix sont l'épaule, la cuisse et les parties sexuelles de l'homme. Outre les prisonniers de guerre et les vaincus morts sur le champ de bataille, ils mangent des esclaves gardés et engraissés dans ce but; tantôt ils laissent les cadavres arriver à un certain degré de putréfaction, comme certains des gourmets européens le font parfois pour certains gibiers; tantôt au contraire, ils font rôtir des hommes tout vivants et les dévorent pour ainsi dire encore pante- lants. Et cependant, ces insulaires sont, de l'avis des voyageurs modernes, très-intelligents, d'une politesse raffinée, de mœurs douces en dehors de l'anthropophagie et de la guerre ; leur organisation sociale est déjà fort compliquée; ils sont très-industrieux, très-adroits, et leurs barques ont toujours fait l'admiration des navigateurs. Nous n'avons donc pas aifaire là à des sauvages proprement dits. Ajoutons pourtant que, de même que d'autres populations dont nous GIRARD DE RIALLE. — DE L'ANTHROPOPHAGIE 655 parlerons, les Fidjiéns tuent les vieillards et les impotents, soit en les étranglant, soit en les enterrant tout vifs; mais il faut dire que c'est sur la demande de la victime elle-même qui, convaincue de renaître dans un autre monde dans l'état où elle est au moment de la mort, tient à mourir sans être trop affaiblie par l'âge ou par les infirmités. Les Fidjiéns ne mangent pas les personnes décédées de cette façon (1). Si nous nous tournons maintenant vers les archipels situés au nord-ouest de la Nouvelle-Calédonie, nous les trouvons également peuplés de Méla- nésiens cannibales. Les Nouvelles-Hébrides, les îles Salomon, la Nou- velle-Bretagne, la Nouvelle-Irlande, les îles de la Louisiade, la Nouvelle- Guinée en sont remplies, et cependant là non plus ce ne peut être le défaut de nourriture animale qui est la cause de l'anthropophagie chez les Mélanésiens et les Papous, puisque ces contrées sont loin d'être privées de porcs et de volailles. Malgré cela, la chair de l'homme y a été de tout temps très-prisée, tandis que c'est à peine si l'on mange du cochon et des poules; le fond de la nourriture de ces indigènes est sur- tout emprunté au règne végétal avec accompagnement de poisson et de coquillages. Le goût de la viande est même si peu prononcé chez ces populations, qu'à une certaine époque, les cochons de l'île de Tikopia qu'on avait laissés dans un état presque sauvage, ayant dévasté les plan- tations des insulaires, furent exterminés jusqu'au dernier, et qu'il fut in- terdit d'en introduire à nouveau. A Tanna (Nouvelles-Hébrides), remarquable par son volcan et ses sol- fatares, où c'est à peine si l'on mange les porcs et les poules que les naturels laissent vaquer dans les bois, M. Forster, compagnon de Cook, assista à la scène suivante qui eut lieu lorsque ce voyageur, malgré la répugnance des indigènes, s'obstina à vouloir pénétrer dans un bois pro- bablement consacré : «...Ils réitérèrent leurs prières, et enfin ils nous dirent par signe qu'on nous tuerait et qu'on nous mangerait. Nous fîmes semblant de ne pas les comprendre et de croire qu'ils nous offraient à manger, témoignant en même temps que nous acceptions volontiers ; mais ils mirent beaucoup d'empressement à nous détromper et nous montrèrent par signes comment ils tuaient un homme, comment ils coupaient ses membres et séparaient sa chair de ses os ; enfin ils mor- dirent leurs propres bras pour exprimer plus clairement qu'ils mangeaient de la chair humaine. » Dans le même archipel, à l'île Sandwich (1), il y a quelques années, plusieurs de nos soldats, prisonniers des indigènes, eurent la douleur (1) Sir John Lubbock. les Origines de la civilisation, trad. Barbier, p. 372. Un fort vol. in-R» Paris, Germer Baillière, édit. 1873. (2) Ne pas confondre l'île ou les iles Sandwich des Nouvelles-Hébrides avec l'archipel Hawaïen, apppelé aussi parfois Sandwich. 656 ANTHROPOLOGIE d'assister à la mort d'un d'entre eux et à la préparation culinaire de son corps. On lui coupa la tête, et on le pendit par les pieds à un arbre, où il resta une heure jusqu'à ce que tout le sang fut écoulé. Entre temps, on avait creusé un trou de quatre pieds de profondeur sur trois de lar- geur, garni soigneusement de pierres plates, un véritable four, où l'on alluma un grand feu. Les cannibales vidèrent le corps, tranchèrent et etèrent les pieds et les mains, et découpèrent la chair en morceaux d'un pied de long ; on plaça ceux-ci sur des feuilles d'arbres avec des noix de cocos, des bananes et d'autres condiments aromatiques, on lit du tout une boule qui fut mise dans le trou et recouverte de pierres brûlantes, on laissa cuire pendant une heure, et les guerriers se réga- lèrent sans en donner une parcelle aux femmes. Les habitants des îles Salomon ne sont pas moins anthropophages. En 1830, un navire américain, VAntartic, capitaine Morell, qui récoltait du tripang dans un des groupes de cet archipel, perdit quatorze hommes; quelques mois après, y étant retourné pour compléter son chargement et tirer vengeance de la perlidie des insulaires, qui avaient d'abord eu des manières très-amicales à l'égard des Européens, Morell eut le bon- heur de recueillir un matelot nommé Shaw, échappé par bonheur au massacre, et épargné ou plutôt mis en réserve non par la pitié, mais par la prévoyante gourmandise des chefs, car au moment de sa fuite, il savait devoir faire les frais d'un prochain gala officiel ; au début de son séjour forcé dans cette île, il avait eu l'horreur d'assister de loin aux repas où ses treize compagnons avaient été dépecés et dévorés. En 1845, dans le même archipel Salomon, les naturels apportèrent à des mission- naires un enfant, et pour les engager à le leur acheter, ils leur tirent' remarquer comme il était bien à point pour être mangé. Non loin de là, dans l'Archipel de la Louisiade, l'île Rosse] fut en 1858 le théâtre d'un massacre épouvantable (1). Un navire français, le Saint-Paul, moulé par 20 hommes d'équipage et 317 coolies chinois à destination de l'Australie, lit naufrage sur cette île. Après avoir mis tout son monde à l'abri sur un îlot, le capitaine alla avec quelques hommes de l'équipage dans une chaloupe cher- cher du secours; par suite de diverses circonstances, il ne put arriver à Nouméa que le 25 décembre, et le 27, le Styx, de la marine de l'État, partit avec lui recueillir les malheureux naufragés ; arrivés à l'île Rosse], nos marins n'en découvrirent-plus un seul; entin, un petit Chinois parvint à rejoindre le bâtiment et expliqua par signes, personne ne sachant le chinois à bord du S/yx, (pie, sauf quatre hommes gardés à l'intérieur, tous ses camarades étaient morts et mangés. A la suite du débarque- (l) Le Tour 'lu monde, t. IV. 1801. pp. 81-9* Naufrage et scènes d'anthropophagie à l'Ile lios- sel, par V. do Hochas. GIRARD DE RIALLE. — DE L'ANTHROPOPHAGIE 657 ment d'une troupe de nos marins, ou trouva sur le lieu du massacre et du festin un monceau de vêtements et de queues de Chinois, ainsi que le billot encore taché de sang sur lequel ils avaient été égorgés. De re- tour à Sydney, on apprit du petit Chinois, grâce à un interprète, que les malheureux naufragés pressés par le besoin, encouragés par les perfides avances des naturels, s'étaient les uns après les autres aventures sur la grande île ; là, entraînés à quelque distance, la tête appuyée sur le billot, les quatre membres et la chevelure nattée tenus ferme, ils étaient saignés à coups de lance au cou, dépecés et dévorés. Par un atroce raffi- nement sensuel, les noirs anthropophages, pour leur amollir la chair, en rompaient de coups de bâton quelques-uns jusqu'à la mort. Enfin, la grande terre de la Nouvelle-Guinée, la patrie des Papous à la bizarre chevelure, est aussi souvent le théâtre de scènes de canniba- lisme. « Encore, au mois de décembre 1872, dix-huit hommes de l'équi- page d'une brigantine de Hambourg, le Franz, envoyés à la recherche des perles à l'embouchure de la rivière Crarbera, dans le golfe de Mac-Clure, ont été surpris et assommés, vendus et ma'ngés par les gens du pays (1). » Les Aetas des Philippines, frères- des Papous, et dont Semper (2) dit qu'il se souviendra toujours des moments passés au milieu d'eux, tant ils sont doux, polis, hospitaliers, ne se glissent pas moins la nuit pour surprendre des villages ennemis, tuer tous les hommes, réduire femmes et enfants en esclavage, et permettre à leur chef d'ouvrir la poitrine des cadavres avec un couteau spécial pour en arracher le cœur ou le foie, qu'il dévore en témoignage de sa vengeance assouvie. Ce n'est donc point le besoin qui, dans ces pays d'anthropophages, conduit l'homme à se nourrir de la chair de son semblable. C'est bien plutôt avec le sentiment de la vengeance, celui de la gourmandise. Suffisamment nourris par le poisson et les légumes, mais très-friands d'une chair qu'ils prétendent exquise, ces indigènes ne perdent pas une occasion de faire un régal si parfait, et la preuve en est qu'ils l'inter- disent généralement aux esclaves, aux femmes et aux hommes du vul- gaire. C'est si bien la gourmandise qui conduit à l'anthropophagie, lors- qu'en même temps le sentiment moderne de la dignité humaine est inconnu, que dans une autre partie du monde que celle que j'ai jus- qu'à présent étudiée à ce point de vue, en Amérique, les Caraïbes, non- seulement dévoraient les prisonniers de guerre, mais encore élevaient les enfants des femmes captives, les châtraient, les engraissaient et les mangeaient ensuite dans les grandes occasions ; au reste, étaient-ils con- (1) Exploration de la Nouvelle-Guinée, par Ch. Grad. Revue scientifique, '," année. 2e série. n« 5, p. HO- Paris, 1874. (2) Die Philippinen, par Karl Semper. 1 vol. in-8». Wurzbourg, 1869. 6o8 ANTHROPOLOGIE nus surtout comme anthropophages, et le mot de cannibale, d'abord une des formes de leur nom national (carribi ou cannibi), devint par la suite aisément synonyme d'anthropophage (1); et l'on ne peut pas dire que ces peuples avaient de la peine à se nourrir, loin de là, leur pays est des plus fertiles en fruits et en végétaux comestibles, les forêts re- gorgent de gibier, et la mer de poissons et de tortues; d'autre part, les Caraïbes, dont les Indiens de Christophe Colomb faisaient partie, jouis- saient d'une demi-civilisation. Les mêmes observations peuvent être faites à propos des Tupis et des Guaranis, au moins des tribus de l'in- térieur appartenant à ces deux nations, qui nourrissaient et engrais- saient des prisonniers pour les dévorer ensuite. Encore en 4840, le voyageur français Castelnau remarqua chez les Apiacas, agriculteurs établis au sud des sources du Paraguay, la coutume de rôtir et de man- ger les ennemis morts, et aussi de nourrir des enfants prisonniers et, de les servir dans une fête. D'après Sery, tous les Brésiliens étaient des anthropophages (2); ce goût raffiné de la chair humaine peut se retrou- ver dans des contrées moins lointaines. A une époque de civilisation déjà avancée, au ive siècle de notre ère, un peuple de Scott, venu en Gaule on ne sait pourquoi, s'était adonné à l'anthropophagie, d'après saint Jérôme ; parcourant les forêts, quand ils rencontraient des trou- peaux, à la chair des porcs, des bœufs ou des moutons, ils préfé- raient celle des bergers et des bergères : Quum ipse adolescentulus in Gallia viderim Scolos gentem britannicam humanis vesci car- nibus. Et quum per silvas, porcorum grèges et armentorum pecudumque reperiant puerorum notes et feminorum papillas, solere obscindere et fias solas ciborim delicias arbitrnri (3). On voit qu'ils avaient même des morceaux de prédilection. Au reste, Strabon (4) et Diodore de Sicile (5) accusent les Bretons, habitants de l'Irlande, du même goût pour la chair humaine. Qui sait si le bandit écossais Sawney Beene, et sa famille d'anthropophages, ne présentaient point un cas d'atavisme ethnographi- que ? Ces monstres vivaient à la fin du xve siècle, dans une caverne presque inaccessible au bord de la mer. Ils en sortaient pour attaquer et tuer les voyageurs, dont ils emportaient les cadavres avec les dépouil- les. Sawney Beene et sa femme avaient commencé par goûter de cette chair, qui leur sembla probablement bonne, ear ils se mirent à décou- per leurs victimes en quartiers qu'ils faisaient mariner, qu'ils salaient, qu'ils fumaient ; ce devint la base de leur alimentation ainsi que de (i) J.-G. Mùllcr, Geschichlc der amerikemischen Vrreligionen. un vol. in-s*. Bûlo, 1 855, pp. 202-203. (2) J.-G. Millier, loc. cit., p. 245. (3) S. Euseb. Bieronym., edit. Paris, 1845- Op. II, 33:1. (4) Lib. IV. cap. v. ; (5) Lib. V, l 32. GIRARD DE RIALLE. — DE L'ANTHROPOPHAGIE (h'ïï celle des huit garçons et des six filles qu'ils eurent, et qui, avec le temps mirent au monde à leur tour trente-deux petits cannibales ; car tout ce monde-là mangeait de la chair humaine, et si la justice d'alors n'avait à la fin terminé la carrière de cette famille par une exécution générale, à un moment donné, sur les rives de la mer du Nord, on aurait pu voir dans les temps modernes une tribu d'anthropophages. L'antiquité classique nous présente des cas d'anthropophagie ailleurs que dans les îles Britanniques. Sans parler des Cyclopes et des Lestry- gons de l'Odyssée qui ne sont pas sans avoir certains caractères mytho- logiques qui me poussent à les écarter de ce débat, on rencontre dans Hérodote de fréquentes mentions de peuples qui no craignent pas de manger de la chair humaine : les Issédoniens (1) qui mêlaient la chair de leurs parents décédés à celle des moutons dans les repas funéraires, les Massagètes (2) leurs voisins, qui faisaient de même et qui apparte- naient probablement aux hordes de race ouralo-altaïque du nord de l'Asie. Il parle aussi des Androphagcs (3) dont le nom indique assez les mœurs, qui habitaient vraisemblablement ce qui est aujourd'hui la Russie centrale, et qui étaient tout à tait différents des Scythes (4), lesquels cependant ont été accusés d'anthropophagie par Eratosthènes. Enfin le naturaliste romain Pline (o) parle de populations qui vivaient à dix jours de marche du Borysthène, et qui mangeaient de la chair hu- maine, buvaient dans des crânes humains et se paraient de chevelures humaines. M. Schaaifhausen, au mémoire duquel (sur l'Anthropophagie et les sa- crifices humains) (6) je dois beaucoup, a, entre autres renseignements, recueilli tous les passages de la Bible qui tendent à faire constater l'exis- tence de l'anthropophagie chez les anciens Sémites. Cependant la plupart des passages qu'il indique ont trait à des cas d'anthropophagie excep- tionnels, pendant des sièges par exemple. Il dit pourtant : « On ne peut douter aussi que les sacrilices humains, des anciens Hébreux ne soient liés au goût de la chair et du sang humain. De tels repas sacrés ont été reprochés aux Cananéens, et divers passages des livres de l'An- cien Testament y font allusion (livre de la Sagesse xn, 3 et xiv, 22, Zacharie ix, 7).» Du reste, Héliogabale, qui était grand prêtre du dieu du temple d'Emèse en même temps qu'empereur romain, et qui voulut remettre en honneur le culte de la vieille divinité mâle des anciens Sémites, fit sacrifier un entant, tirer des présages de l'inspection de ses (1) Lit». IV, cap. 26. (2) Lib. I, cap. 216. (3) Lib. IV. cap. 18, 106. [!,) Fr. cependant Ephore, fragm. 78. (5) Lib. VII, cap. 22. (6) Arehiv fur Anthropologie, t. IV, pp. 245-285. Brunswick, 1870. 660 ANTHROPOLOGIE entrailles, et le mangea ensuite. Enfin , Juvénal (1) accuse certains Égyptiens de son temps de ce goût extraordinaire. .... Lanatis animal ï bus abstinet omnis Alensa, nefas illic fetum ingulare capellœ, Carnibus humants vesci licet.... Le cas des Égyptiens de Juvénal, ainsi que celui d'Héliogabale, peuvent être considérés comme des cas sporadiques, isolés, et, si j'ose m'expri- mer ainsi, pathologiques. C'est bien là, à coup sûr, l'expression qui convient à certains exemples donnés par M. Schaaffhausen : comme celui de la femme enceinte de Brettenburg qui, en 1553, pour satisfaire une envie, tua son mari, le fit cuire et le mangeait quand elle mit au monde trois fils; comme celui de la femme enceinte de Droissig, en 1562, tout à fait analogue au précédent; comme celui d'un certain M. de 'SY. de Neisse en Silésie, qui aimait tant le sang humain, que sa femme, par un beau dévouement à la gourmandise conjugale, se faisait saigner au moins une fois l'an pour faire plaisir à son mari. Viennent encore les cas de superstition, comme les bains de sang humain contre le mal caduc, comme la croyance d'un misérable fou de Bayreuth, qui, au siècle dernier, avait tué et éventré sept femmes grosses pour dévorer le cœur des entants encore contenus dans leur sein, et qui était convaincu de pouvoir s'élever et se diriger dans les airs après avoir mangé un huitième cœur d'enfant dans les mêmes conditions. Encore aujourd'hui, les Chinois attribuent des propriétés magiques extraordinaires à certaines parties du corps humain. Mais ceci nous ramène aux peuples notoirement anthropophages, parmi les- quels est fréquemment répandue cette conviction qu'en mangeant tel ou tel organe de son ennemi, on accroît en soi d'autant la faculté corres- pondante. C'est là probablement un des motifs principaux de l'anthro- pophagie chez les Australiens, où cette coutume est très-peu répandue. Une tribu cependant y est, dit-on, plus particulièrement adonnée, peut- être vient-elle de la Papouasie, que nous avons vue habitée exclusivement par des cannibales. Les sorciers, en Australie, acquièrent leur pouvoir surnaturel en goûtant de la chair humaine (2). En résumé, néanmoins, les races australiennes ne peuvent être comptées parmi les peuples anthro- pophages à proprement parler. Si parfois une tribu, pressée par la faim, dans une région infertile et peu giboyeuse, a été amenée à faire d'êtres humains sa nourriture, cela rentre dans l'ordre des cas exceptionnels, comme ceux que l'histoire nous signale sur des navires affamés, dans (1) Satire XV, vers 11-13. (2) Eludes ror la races indigènes de l'Australie, par le D' Paul Topinard. [Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, tom. Vil. 2e série, 1872.) GIRARD DE RIALLE. — DE L ANTHROPOPHAGIE 661 des villes assiégées, etc. Les Esquimaux également ont pu; dans des moments de disette, arriver à cette extrémité étrangère à leurs coutumes ordinaires, et pourtant leur misère habituelle serait presque une excuse. On cite fréquemment les Pécherais de la Terre-de-Feu, qui, dans certains cas de famine, se nourrissent de la chair des vieilles femmes delà tribu, de préférence à celle de leurs chiens, et cela, disent-ils, parce que les vieilles femmes ne sont plus bonnes à rien, tandis que les chiens servent à chasser la loutre. Mais tout cela, ce n'est pas de l'anthropophagie systématique, de l'anthropophagie élevée à la hauteur d'une institution, comme nous l'observons, chez les Polynésiens, chez les Battas, chez les anciens Mexicains, et chez certaines peuplades nègres. Aussi n'hésité-je pas à considérer, avec M. Cari Vogt (1), mais sans lui attribuer, autant qu'il le fait, une cause mystique, l'anthropo- phagie comme un de ces usages qui forment un passage général et par conséquent nécessaire de tout développement de la civilisation humaine. Mais cette phase n'est point une des premières, comme je l'ai dit plus haut; et je répète, toujours avec M. Vogt, que les tribus adonnées au cannibalisme et aux sacrifices humains sont en général plus avancées dans l'agriculture, l'industrie, les arts, la législation, etc., que les tribus voisines qui repoussent ces honneurs. L'ancien continent, où les divers degrés de culture morale et intellec- tuelle sont très-inégalement échelonnés, nous présente cependant des preuves de cette dernière assertion . La grande péninsule indienne , par exemple , nous offre non loin des rives si civilisées du Gange et de l'Indus, des tribus anthropophages et des tribus tout à fait primitives qui ne le sont point. Au Bengale, une certaine caste de mendiants, celle des Agorah Punth, est véhémente- ment soupçonnée de cannibalisme d'après Leyden ; à cinquante lieues de Calcutta, d'après Gairdner, vit dans les montagnes une tribu qui professe un goût particulier pour la chair humaine; on donne également cette coutume aux Aghori, nous disent J. Larbes et J.-V. Kaye (2). Et dans la même région, nous trouvons des peuplades tout à fait primuives, comme les Mahars, les Varalis , les Gounds , les Malers et surtout ces Bandar-lokhs (hommes singes) habitant les plateaux vierges de l'Amar- kantak (3), qui ne sont point anthropophages. La même observation peut être faite pour l'Afrique. Dans la partie australe de ce grand continent, le Hottentot et le Boschiman, celui-ci surtout, peuvent être placés à un bas degré de l'échelle humaine , ne (i) Loc. cit. p. 278. (2) Voy. Schaaffhausen, Loc cit., p. 293. (3) Louis Rousselel. les Races de l'Inde centrale dans la Revue d'anthropologie, t. I, pp. 68-69 et 275-285. Pans, 1873. tilrj ANTHROPOLOGIE se livrent pas à l'agriculture, sont sans énergie, sans ardeur au travail, satisfont leur faim au moyen de tout ce qu'ils rencontrent commede véri- tables omnivores et ne sont cependant point anthropophages. Leurs voisins, au contraire, les Cafres, plus intelligents, plus industrieux, habi- les éleveurs de bétail, buveurs de lait, mangeurs de beurre, présentent à l'observateur des cas de cannibalisme parfaitement déterminés. Dans les légendes des Zoulous, en premier lieu, il est fréquemment fait mention d'êtres humains anthropophages. Dans une série de tableaux concernant la guerre des Cafres et des Boërs, qui se trouve dans la galerie anthro- pologique du Muséum d'histoire naturelle de Paris, il en est un qui re- présente un malheureux Hotlentot prisonnier des Cafres auquel ceux-ci ont coupé l'extrémité des doigts pour en faire sortir le sang qu'ils boivent avec délices ; un des Cafres presse même le bras de l'infortuné captif pour activer l'écoulement du sang. Enfin, dans YAnthropological Review de 1869 , on trouve des détails curieux sur le cannibalisme développé des Cafres. M. J.-H. Bowker décrit une caverne d'un accès très-pénible située dans les montagnes de Thaba-Bosigo : « Son entrée est une arche naturelle, longue et irrégulière; sa profondeur est de 100 yards et sa largeur de 130. Sa voûte, qui est ample et haute , est noircie par la fumée et la suie des ïms. des sauvages qui, autrefois, y demeuraient, et son sol est jonché de tout.ee qu'ils ont laissé, des amas d'ossements humains, formant des tas et dispersés ça et là ou en talus contre les parois du rocher, aussi loin que l'œil peut apercevoir; partout "des taches blanches, des éclats et des fragments d'os et de crânes humains. Les crânes spécialement d'adultes et d'enfants sont très-nombreux. Ces débris attestaient trop fidèlement à quel usage ils avaient servi, car ils étaient hachés et coupés en morceaux , ce qui semble avoir été fait au moyen de haches grossières ou de pierres aiguisées. Les os à moelle sont brisés en menus morceaux; les têtes d'articulations seules sont entières. Il n'y a qu'un petit nombre de ces ossements qui soient brûlés, et cela prouve qu'on préférait faire bouillir que rôtir les victimes Devant moi est un passage irrégulier, conduisant de l'intérieur de la caverne à une obscure galerie naturelle, et j'apprends que là étaient parquées les victimes infortunées qui n'étaient pas nécessaires au repas de la journée. 11 leur était impossible de quitter cette place sans passer au milieu de la caverne et sans être vues Toute la contrée de Moluta à Caledon, renfermant une partie de la rivière Putesana, était, il y a trente ans environ, habitée par les anthropophages, et ils étaient la terreur des tribus voisines. Quand ils allaient à la chasse, ils se cachaient au milieu des rochers et des buissons, restant en embuscade près des routes et des endroits fréquentés, pour capturer les femmes et les enfants ou les voyageurs et les petits garçons à la recherche du bétail égaré. » GIRARD DE IUALLE . — DE l/ ANTHROPOPHAGIE 603 M. lîowfcer ajoute que son guide, autrefois cannibale, avouait sans remords avoir l'ail autrefois trois jeunes femmes prisonnières, pris la plus jolie pour sa compagne et mangé les deux autres; son ménage avait été fort heureux. Ce cas n'était pas rare; une autre jeune captive qui avait échappé à la dent de ses ravisseurs pour devenir l'épouse d'un d'eux, avait pris tant de goût à celte existence que, rachetée par son père moyennant six bœufs, elle s'était bientôt enfui du sein de sa famille pour retourner auprès de son bien-aimé cannibale. Ces tribus, tour- mentées parles lions, leur dressaient des pièges et des trappes où, pour appât, ils mettaient de jeunes enfants, tant ils faisaient peu de cas de la vie humaine. M. le Dr Bleek fit remarquer que quatre tribus étaient possédées de cette passion pour l'anthropophagie, deux appartenant à la nation des Betchouanas, et deux Cafres proprement dites. Elles prétendaient n'être cannibales que depuis peu, mais cela n'est pas démontré. A ces communications M. le Dr Beddoe ajouta les particularités sui- vantes : « Un Anglais, qui visita les cavernes d'anthropophages, en dé- cembre 1808, dit qu'ils ont un système pour casser les os du squelette, exactement comme un boucher fait pour le mouton. Ils fendent les crânes avec une hache en travers du nez pour en détacher les mâchoires qu'ils rejettent. Un trou est alors pratiqué au sommet du crâne et la cervelle est enlevée. Les côtes sont toutes coupées pour être mises dans la mar- mite; les os longs sont fendus et la moelle extraite. Les cartilages qui adhèrent aux os sont arrachés par petits morceaux, avec des instru- ments tranchants qui laissent alors leurs traces sous formes de stries. Les cadavres des Européens tombés dans l'attaque de Thaba Bosigo furent tous mangés, dans l'espoir que leur courage passerait dans le corps de ceux qui les dévoraient. Un Bassouto qui, dernièrement, prit du service chez un colon, près de la ville de Graham, établit que les can- nibales mangent toujours les blancs et les noirs des autres tribus, mais non les Hottentots ou les métis. Ils mangent le cœur, le foie, enlèvent le cerveau, l'attachent dans un chiffon, et le font cuire dans les cendres: dans les temps de grande disette, ils ne dédaignent aucune, partie du corps; ils mangeaient tous les blancs qui tombaient dans leurs mains, pendant la dernière guerre dans les États libres.... » Tous les sentiments créateurs de l'anthropophagie ont été en jeu chez les Cafres : rage de vengeance contre l'ennemi, gourmandise raffinée, superstition attachant à l'absorption d'un organe humain le pouvoir d'augmenter les forces du consommateur. Ces noirs ont prétendu que ce goût horrible ne leur était venu que récemment; mais cela ne me semble qu'une excuse bonne pour les Européens, et les contes dont j'ai parlé plus haut démentent cette assertion. 064 ANTHROPOLOGIE Le tableau de ces cavernes d'anthropophages ne peut-il servir à finir plus complètement l'esquisse qui a été faite souvent de l'anthropophagie en Europe aux temps préhistoriques? Ce n'est pas seulement parmi les Cafres qu'on trouve des cannibales en Afrique. Autrefois., tout le littoral oriental en était infesté, au dire des géographes arabes, qui peignent sous de sombres couleurs la férocité des Zindjs, mangeurs d'hommes. Encore aujourd'hui le plateau central, qu'ont commencé à visiter l'illustre et regretté Livingstone, ainsi que le hardi voyageur livonien Schweinfurth, est la demeure de tribus résolu- ment anthropophages, et en même temps de beaucoup supérieures aux autres peuplades nègres qui les entourent. Ce sont, par exemple, les Manyouemas, qui vivent dans les clairières des forêts, isolés les uns des autres, car les hommes d'une tribu n'osent s'aventurer sur le terri- toire d'une autre de peur d'être dévorés par les gens de celle-ci. & Leurs femmes sont très-jolies, dit Livingstone, dans une lettre, leur teint n'est pas très-foncé, et leur physionomie est d'un aspect agréable. Les hommes et les femmes sont d'une condition très-supérieure à celle de leurs es- claves, qui paraissent avoir conscience de leur infériorité. La plupart des hommes sont d'une taille élevée et n'ont rien des caractères que nous croyons appartenir à la race nègre. » Ce que nous l'apporte M. Schweinfurth sur le peuple des Mombouttous, dans l'Afrique centrale (1), vient encore à l'appui de la théorie qui admet une concordance entre l'anthropophagie et un certain degré de culture matérielle et intellectuelle. Leur pays est un véritable paradis terrestre, où arbres, arbustes, céréales, fruits tropicaux croissent avec profusion ; les villages sont entourés de véritables jardins cultivés par les femmes; la fabrication de l'huile de palme qui, avec la graisse d'homme, assaisonne tous leurs mets, est pratiquée sur une vaste échelle; la cuisine y est faite avec des raffinements de gourmets; le sentiment du comfort y est développé à un haut degré : les 3Iombouttous bâtissent, non des huttes, mais de véritables maisons, vastes et aérées, garnies de meubles bien faits, commodes et élégants ; l'art de la poterie, de la van- nerie, de la sparlerie, atteint chez eux une grande perfection; en re- vanche, la fabrication des étoffes et le corroyage y sont inconnus; on se contente pour se couvrir de l'écorce d'un iiguier bien battu et bien préparé qui remplace suffisamment la toile ou le cuir. Mais, ce en quoi excellent les Mombouttous, c'est la métallurgie et l'appropriation des deux métaux qu'ils connaissent, le cuivre et surtout le fer, dont ils fa- briquent des armes et des outils d'une facture admirable. Le pouvoir du roi est immense, mais à côté de cela, les guerriers sont d'une bravoure (1) Zeitschrift fur Ethnologie, j' année, 1"" fasicule, pp. 1-27. Berlin. 1873. GIRARD DE RIALLE. — DE L' ANTHROPOPHAGIE GG5 et d'une hardiesse incomparables; les femmes jouissent d'une liberté considérable, elles possèdent même des droits équivalents à ceux du sexe mâle. Comme type physique, les Mombouttous se distinguent très- notablement des autres nègres; la couleur de leur peau est beaucoup plus claire, leurs proportions nobles et élégantes, c'est donc à tous égards une race supérieure, et avec cela, ils sont cannibales à un haut degré. Le mépris où ils tiennent leurs voisins de race nègre proprement dite et bien inférieurs à eux, les poussent à considérer ceux-ci comme un vil bétail digne de la boucherie. Dans les incursions qu'ils font régulièrement de tous côtés, notamment au sud, leur but principal est la chasse à l'homme, à la chair humaine. Les ennemis tombés dans le combat sont dépecés sur le champ de bataille, les morceaux en sont séchés et transportés à la maison. Les prisonniers de guerre sont entraînés par les Mombouttous vainqueurs, comme un troupeau destiné à l'abattoir, et servent à tour de rôle à alimenter les festins après la campagne. Les enfants sont mis à part comme morceaux de choix, et le bruit courait alors que M. Schwein- furth était à la cour du roi Mounsa, que chaque jour on en préparait quelques-uns pour la table de ce souverain. Cependant, pendant le sé- jour de ce voyageur et des Nubiens qui l'accompagnaient, le roi, pour respecter ce qu'il considérait comme un préjugé de ses hôtes, avait or- donné de dissimuler les habitudes anthropophagiques des siens, et M. Schweinfurth ne put assister qu'à deux cas parfaitement déterminés. Le goût que nous avons signalé tout à l'heure des cannibales de l'Afrique centrale pour la graisse humaine avait été déjà observé ; un témoin oculaire raconta à sir Samuel Baker le drame suivant : « Une des esclaves femelles ayant essayé de s'échapper, son propriétaire lui tira un coup de fusil qui l'atteignit dans le côté. Elle tomba blessée. Elle était fort grasse, et de sa blessure sortait une grande quantité de graisse jaunâtre. Les Makkarikas (porteurs d'ivoire venus de l'Afrique centrale à Khartoum, capitale du Soudan égyptien) ne l'ont pas plutôt vue dans cet état qu'ils se précipitent sur elle en foule, arrachant par poignées de sa blessure cette graisse palpitante de vie et se disputant cette horrible proie. D'autres la tuent à coups de lance et se la partagent en lui cou- pant la tète et lui dépeçant le corps avec leurs armes dont ils se servent comme de couteaux, en faisant des sections longitudinales à partir de l'entre-jambes, le long de l'épine- dorsale jusqu'au cou. Beaucoup de femmes esclaves et d'enfants, témoins de la scène, prennent la fuite et se réfugient parmi les arbres. Les Makkarikas leur font la chasse et, ' arrachant les enfants de leur abri entre les branches, ils en tuent plu- sieurs. Bientôt un festin gigantesque en résulte pour toute la troupe. » Sur la côte occidentale, sans parler des énormes hécatombes que font les rois de Dahomey et des Achantis et qui sont des sacrifices humains 46 QQQ ANTHROPOLOGIE (sujet que je m'abstiens de traiter dans ce mémoire déjà trop long), les peuples anthropophages ne manquent pas ; mais parmi eux, il faut citer avant tout les Fans ou Pahouins du Gabon, arrivés récemment de l'inté- rieur, cannibales dans le genre des Mombouttous, comme ceux-ci encore supérieurs aux populations environnantes, non anthropophages, et sur- tout très-habiles métallurgistes et forgerons. Pour trouver des pendants à ces cannibales de l'Afrique, à l'époque actuelle, il nous faut traverser le grand Océan Indien et observer les Malayo-Polynésiens et les nègres Mélanésiens. Je me suis étendu plus haut sur ces derniers, et n'ai donc point à y revenir. Quant aux Malayo- Polynésiens, voici ce qu'en disait, il y a un an, un des savants de l'expé- dition autrichienne autour du monde de la Novara, mon confrère et ami M. Friedrich Mùller, dans sa remarquable Ethnographie générale (1): « Il (le Malayo-Polynésien) est le cannibale 7.y.-"ï:zyi^ ; cette coutume inhumaine ne s'explique pas chez lui par le manque de nourriture, mais semble bien plutôt être en fait le produit d'une disposition morale qui lui est propre. L'habitude du cannibalisme peut être observée non-seu- lement chez tous les indigènes de la mer du Sud, mais aussi chez de nombreuses nations plus civilisées de l'ouest, comme les Battas de Suma- tra, par exemple. . . » Les deu* archipels les plus reculés vers l'est habités par des Polyné- siens, l'archipel des Marquises et l'archipel Hawaïen, étaient occupés par des anthropophages. Pour le premier, il n'y a aucun doute ; quant au second, bien que la coutume de manger de l'homme y ait perdu de son intensité, lorsque Cook en fit la découverte, elle existait encore à cer- tains égards, et le grand navigateur en fut même la victime. A Tahiti, l'an- thropophagie était tombée en désuétude complète; cependant, en certai- nes occasions, on sacrifiait un homme dans les moraïs, et les prêtres offraient un de ses yeux au souverain, qui feignait de l'avaler. M. Broca a fait même remarquer (2) que la reine Pomaré, avant d'être reine, s'appelait A'imala, ce qui veut dire « manger l'œil ». A Tonga également, l'anthropophagie avait disparu ; aux Samoa, au contraire, lors des visi- tes de Bougainville et de la Pérouse, la population polynésienne sem- blait avoir conservé encore un goût prononcé pour la chair humaine. Le même goût, on le sait, est développé à un haut degré chez les belli- queux Néo-Zélandais, qui sont du reste très-probablement des émigrés de l'archipel Samoa. Les Maoris dévorent principalement la chair de leurs ennemis tués sur le champ de bataille; et, la sensualité aidant; il a été constaté que des chefs ont assommé des esclaves rien que pour avoir le plaisir de ce régal. De la tète ils ne mangent absolument que la cer- U) Allgemeine Ethnographie, p. 29o. Un vol. in-s». Vienne. Alfred Holder, ('•dit. 1873. (2) Bulletins de la Société d'anthropologie de J'uris, t. I, 1" iérie, 1SG0, p. '«78- GIRARD DE MALLE. DE L 'ANTHROPOPHAGIE 667 velle, après quoi ils préparent le reste du corps et le font cuire dans leurs fours en terre. J'ai cité plus haut le recueil de traditions de sir George Grey ; certaines d'entre elles contiennent d'importantes allusions au cannibalisme : c'est, par exemple, la légende de Tawhaki, dont le père a été tué et mangé par une tribu d'êtres étranges, les Ponatouris, et qui arrive à leur reprendre les os de son père après les avoir fait périr; c'est l'histoire de Rata, petit-fils de ïawhaki, à peu près analogue à la précédente, mais où le meurtrier est un chef nommé Matoukouta- kotako, qui vit sous terre et ne sort de sa retraite qu'à chaque nouvelle lune pour laver et peigner sa chevelure et ensuite aller à la chasse de l'homme. La tradition concernant le meurtre de Tuwhakararo, tué par un rival jaloux et vaincu à la lutte, nous montre une tribu, les Ati- Apaï, dépeçant le corps du jeune héros et le mangeant. Dans le cycle de légendes concernant le départ des Maoris d'Hawaïki pour la Nou- velle-Zélande, on rencontre cette mention que des ennemis repoussés dans l'assaut qu'ils donnent à un village laissent des leurs, morts sur place; ceux-ci sont cuits et dévorés ; mais c'est un grand crime commis par les vainqueurs, car les victimes du combat se trouvent être de pro- ches parents à ceux-ci, et ce forfait leur porte malheur. La légende intitulée la Malédiction de Manaïa est presque toute basée sur l'anthropophagie. Un chef d'Hawaïki, nommé Manaïa, irrité de ce que sa femme n'avait pas fait assez cuire sa nourriture, s'emporta et prononça ces imprudentes paroles : « Est-ce que le bois est aussi sacré pour toi que les os de ton frère, que tu crains de le brûler dans le four? Je ferai griller la chair de ton frère sur des pierres de Wai- korora mieux rougies au feu que le four que tu n'as pas assez chauffé! » Or, ce frère était le grand prêtre Ngatoro-i-Rangi, qui avait accompagné les émigrants polynésiens à la Nouvelle-Zélande ; la femme de Manaïa le fit prévenir des menaces de son mari, et aussitôt le grand prêtre retourna à Hawaïki à la tête de 140 guerriers pour se venger de l'insulte de son beau-frère. Pendant le voyage, les sorciers de Manaïa avaient tait des incantations pour amener Ngatoro et les siens, et con- vaincus de pouvoir les tuer et les manger, ils avaient déjà préparé les trous où on devait faire cuire leurs cadavres. Instruits de ce fait, et grâce à leur arrivée de nuit, les assaillants se couchèrent barbouillés de sang dans les fosses, et quand les sorciers et les guerriers de Manaïa les eurent vus là, ils se réjouirent du succès de leurs sortilèges; mais Nga<- toro et ses 140 Maoris se levant brusquement armés de casse-tête tom- bèrent sur cette foule désarmée, la massacrèrent et firent cuire les cadavres dans les fours préparés pour eux-mêmes, et les dévorèrent. Manaïa put s'échapper, mais l'histoire continue sans qu'il soit encore question d'anthropophagie. 6G8 ANTHROPOLOGIE Ce fut également à la suite d'une scène de cannibalisme que Touri, un des chefs colonisateurs de la Nouvelle-Zélande, quitta Hawaïki. U de ses parents avait un petit garçon qui fut envoyé un jour comme messager au grand prêtre Ouenoukou, et qui trébucha sur le seuil de la maison de ce dernier. C'était là une offense et un mauvais présage; aussi le grand prêtre tua le petit garçon et le mangea tout cru. Pour venger sa famille, Touri attira dans un piège le fils d'Ouenoukou, le petit Hawepotiki, qu'il tua, dont il dévora le corps et dont il envoya le cœur cuit avec des patates douces au père, qui ne sut ce que c'était qu'après l'avoir mangé; celui-ci résolut naturellement de tirer vengeance de ce fait, ce qui amena l'émigration de Touri pour la Nouvelle-Zélande. On voit que les Polynésiens étaient de féroces cannibales ; leurs con- génères de Malaisie, les Dayaks, les Tidjouns, les Biadjous de Bornéo ont été ou sont encore anthropophages ; ils mangent les prisonniers et les criminels ; chez les Biadjous, lorsqu'une femme a commis un adul- tère, on immole et on mange deux ou trois esclaves pour expier ce crime. Toutes ces populations ne laissent pas de jouir d'une civilisa- tion relativement assez marquée. On ne peut à aucun titre considérer les Polynésiens polythéistes, divisés en classes sociales diverses, excel- lents navigateurs, charpentiers et sculpteurs sur bois très-habiles comme des sauvages; on doit réserver cette épithète aux Australiens, aux Min- copies, aux pauvres indigènes des plateaux et des bois de l'Inde cen- trale. La même observation subsiste, et même à un plus haut degré, à l'égard des habitants de Bornéo dont je viens de parler, et qui sont tout aussi civilisés que la plupart des peuples de l'Orient. Pour eux, pas plus que pour les Polynésiens, ce ne peut être le manque de nourriture et surtout de nourriture animale, qui les conduit à l'anthropophagie, car ils élèvent porcs, chiens et poules, mais n'en mangent la chair, ainsi; que celle des singes et des crocodiles, qu'aux grandes fêles ; le fond de leur alimentation est le riz. Le peuple qui, aujourd'hui encore, unit au cannibalisme le plus vaste développement matériel et intellectuel, c'est le peuple des Battas de Sumatra. A une époque reculée, les îles de la Sonde étaient peuplées par des anthropophages ; les traditions javanaises disent que lorsque Java lut conquise par un prince indien venu d'Hastinapoura, l'île était habitée par des Raksasas ; on sait que les épopées sanscrites entendent par ce nom des monstres ou des peuples mangeurs d'hommes. L'influence brahmanique, puis bouddhique n'agissant qu'indirectement sur Sumatra, n'en extirpa point l'anthropophagie. Les géographes arabes du moyen âge parlent des tribus cannibales de cette île; les vieux voyageurs ita- liens, comme. Marco Polo, font de même. Nicolo Conti (xve siècle) dit précisément : In ejus insulœ (Sumatra) quam dicunt Bathech parte> GIRARD DE RIALLE. — DE L'ANTHROPOPHAGIE G69 anthropophagi habitant. Aux Battus fait évidemment allusion Brunetto Latini, quand il dit : « Or sachiez que en Ynde, il i a tels qui ocient loi* pères avant qu'ils dechieent par vieillesce ou par maladie; et si les manjuent, ce est entre eulx une chose de grant pitié. » Cette coutume existe encore de nos jours. Quand un Batta est arrivé à un certain âge, ou qu'il se sent très-malade, il convoque sa famille et ses amis, monte sur un arbre que ceux-ci agitent avec violence en chantant : « Le temps est venu ! le fruit est mûr ! il faut qu'il tombe ! » Et quand, en effet, le vieillard ou le malade tombe à terre, tous se précipitent sur lui, l'achèvent et le mangent. Mais ce n'est pas le seul cas d'anthropophagie que l'on rencontre chez les Battas ; ceux-ci mangent aussi tous les prisonniers de guerre saisis les armes à la main, les espions, les traîtres, les déserteurs, et enfin certains criminels, ceux par exemple qui ont commis un adultère avec une femme de Badja. C'est à l'exécution d'un coupable de cette sorte qu'assista sir Stamford Baffles au commencement de ce siècle ; la vic- time était attachée au poteau d'exécution; un chef demanda au mari offensé quel était le morceau qu'il préférait : celui-ci demanda l'oreille, qui fut détachée d'un seul coup et qu'il croqua après l'avoir trempée dans un bassin rempli d'une sauce pimentée, préparée pour cet usage; aussitôt les assistants se jetèrent sur le patient, et coupant les morceaux qui leur plaisaient, se repurent de cette chair toute palpitante. A cause de la présence du résident anglais, on avait percé le cœur du condamné après l'ablation de l'oreille, mais cela ne se fait pas d'ordinaire. Qu'on ne s'imagine pas pourtant que ces cannibales^ si friands de chair humaine, soient des sauvages. Ils ne le sont à coup sûr pas plus que la plupart des autres populations de l'Asie. « Les Battas sont no- bles, francs et hospitaliers. C'est un peuple à l'intelligence éveillée, où la lecture et l'écriture sont généralement répandues. Ils possèdent un ancien alphabet qui doit provenir des antiques caractères monumentaux de l'Inde. Leurs livres (Pustaha) sont souvent d'une antiquité reculée. On les conserve avec les autres objets précieux dans les maisons commu- nes (1) ». Leurs esclaves sont toujours bien traités. Leur gouvernement est beaucoup plus démocratique que monarchique. Au point de vue matériel, leur culture n'est pas moins développée; ils tissent des étoffes pour leur usage, ils fabriquent de jolis ouvrages en métal et en ivoire; le commerce qu'ils font a généralement pour objet la vente des produits de la terre, tels que le poivre, le camphre, le benjoin, etc. Ce sont de bons agriculteurs et éleveurs de bestiaux. On voit que ce n'est ni par besoin, ni par idées religieuses que les 1) Fried. Millier, Allgemeine Ethnographie, p. 322. 670 ANTHROPOLOGIE Battas sont surtout anthropophages. Le goût de la chair humaine et le sentiment de la vengeance sont les deux mohiles qui continuent à les porter à cet usage, que n'exclut pas une civilisation incontestable. Or, quand on leur compare les misérables Mincopies des îles Andaman, placés certainement au dernier degré de l'échelle humaine et quand on remarque qu'ils ne sont point anthropophages, la thèse de M. Vogt se trouve solidement confirmée. Les pauvres Mincopies ne sont pourtant pas bien pourvus au point de vue de l'alimentation, ils ne cultivent pas la terre, nx'lèvent point d'animaux domestiques, ne peuvent guère compter sur le rare gibier de leurs îles, et n'ont pour se repaître suffi- samment que le poisson et les coquillages qui abondent sur leurs côtes; ils seraient donc bien excusables de manger de la chair humaine, si le besoin de nourriture animale était si impérieux chez l'homme primitif. Mais il est certain que ce besoin n'est pas si grand qu'on veut bien le dire, puisque, comme le fait remarquer M. Peschel (1), plus de cent millions d'hommes dans l'Inde se contentent d'une nourriture végétale. Les populations rurales de l'Europe, -de leur côté, n'abusent généralement pas de l'usage de la viande, et l'on sait combien le pain ou les pommes de terre constituent la base de l'alimentation de ces classes de la société. Aussi bien faut-il reconnaître avec M. Schaaffhausen (2) que « l'an- thropophagie n'est point une disposition naturelle et primitive de l'homme, car il est, d'après ses dents, frugivore, comme les singes anthropomorphes. Les puissantes mâchoires de ces singes, qui paraissent être en contradiction avec une alimentation végétale, leur sont néces- saires pour déchirer les durs fruits dont ils vivent. La nourriture prin- cipale du gorille est la noix d'une sorte d'amomum, et l'orang-outang, selon Wallace, ne vit principalement que de noix de Dourias, qui ont une écaille résistante et épineuse. L'homme n'a donc pas été d'abord destiné par la nature a se nourrir de viande. » Rien d'étonnant, par conséquent, à ce que les peuples véritablement primitifs ne se livrent point à l'anthropophagie. Mais aussi rien de surprenant non plus à ce que l'homme, par une transition inconnue, devenu Carnivore, n'ait été graduellement amené au cannibalisme. Il n'y est cependant pas arrivé d'un coup, puisque nous voyons les races les plus inférieures du temps présent, Mincopies et Boschimans, manger volontiers de la viande et s'abstenir de chair humaine. Le même fait a dû se produire chez les peuples primitifs de l'Europe. Je n'ignore pas que cela contrarie certaines personnes qui n'aiment point à penser que les anciens Européens aient été anthropophages ; pour mon compte, je m'en sens moins blessé que de songer aux massa- (1) Oscar Peschel, Vôlkerkunde. Leipzig, Dunker et Humblot, édit. 1874. (2) Loc. cit., p, 245. GlRAttD DE MALLE. — DE L'ANTHROPOPHAGIE 671 cres, aux auto-da-fé, accomplis par des ancêtres beaucoup moins éloi- gnés de moi. Je suis du reste, en cela, appuyé par l'autorité d'un grand philosophe français, de notre sage et spirituel Montaigne : « Je pense, dit-il, qu'il y a plus de barbarie à manger un homme vi- vant qu'à le manger mort, à deschirer par torments et par géhennes un corps encores plein de sentiment, le l'aire rostir par le menu, le l'aire mordre et meurtrir aux chiens et aux pourceaux (comme nous l'avons non-seulement leu, mais veu de fresche mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens, et qui, pis esl, soubs prétexte de piété et de religion), que de le rostir et manger aprez qu'il est trespassé (1). » Quoi qu'il en soit, plusieurs explorateurs ont constaté la présence d'os humains fendus, striés, ayant subi l'action du feu au milieu d'os d'ani- maux, rebuts incontestables de la cuisine des hommes de l'âge de pierre, M. Spring (de Liège) est le premier qui ait signalé ce fait, à propos de ses fouilles de Ja grotte de Chauveau. MM. Messikonner et Clément ont trouvé des os humains brisés à la façon des cannibales dans les stations lacustres de Robenhausen et de Saint- Aubin en Suisse. 31. Garrigou, dans l'Ariége, a fait souvent les mêmes trouvailles, ainsi que 31. Roujou à Villeneuve-Saint-Georges, et 31. Félix Regnault dans la grotte de 31ontesquieu (Ariége); 31. Ollier de 3Iarichard a rencontré dans la grotte du Derocs (Ardèche) des os de femme confondus dans un foyer avec des os d'animaux et fracturés comme ceux-ci. 31. Delgado assure avoir fait des découvertes analogues dans des cavernes du Por- tugal. 31. 3Iac-Pherson attribue également à des actes de cannibalisme la présence d'ossements humains dans la Cueva de la Muger, près d'Alhama, en Espagne. Or, toutes ces stations appartiennent notoirement à l'âge de la pierre polie ou néolithique, qui manifeste une culture supérieure à celle de l'âge de la pierre taillée, puisqu'il y a des probabilités pour que les hommes de ce temps aient eu quelques animaux domestiques et quel- ques connaissances agricoles. L'âge du bronze ne paraît pas non plus avoir été étranger au canni- balisme. La date qu'on peut attribuer à la station d'Ultz, où 31. Schaaff- hausen a trouvé des os humains traités comme ceux de Chauveau, semble devoir être fixée à cette période. Le fait est plus positif pour ce qui concerne la baume du Four en Suisse, et MM. Roujou et Pom- merol ont rencontré des traces évidentes d'anthropophagie dans une station de l'âge du bronze à Villeneuve-Saint-Georges. Dans l'âge paléolithique, on ne connaît de restes de mangeurs » (1) Essais, liv. Ier, chap. xxx. 672 ANTHROPOLOGIE d'hommes que ceux de la grotte des Colombes, à l'île Palmaria, dans le golfe de la Spezia, grotte si bien fouillée par M. le professeur Capel- lini. Le gisement est pour M. Capellini de l'époque de la Madeleine, c'est-à-dire de la fin de la période de la pierre taillée ; et l'on n'a point encore trouvé la preuve que les hommes des époques précédentes, car- nivores et guerriers, comme l'a démontré la terrible entaille du crâne de la femme des Eyzies, fussent déjà anthropophages. Quelles ont donc pu être les sensations qui ont conduit les hommes primitifs à prendre la chair humaine pour nourriture ? Les faits rap- portés dans ce travail l'indiquent clairement à mon sens. Ce furent à la fois l'hostilité et la gourmandise. Une tribu troublée dans ses chasses par une tribu voisine s'est vengée sur celle-ci en lui tuant quelques-uns de ses membres et en les dévorant pour les punir de leur avoir dérobé un gibier qui leur appartenait selon eux. Puis, le goût de cette chair nouvelle fut trouvé excellent, et on y revint. Mêlez à cela quelques idées superstitieuses secondaires, comme la croyance de la transfusion des qualités du mangé chez le mangeant, et vous avez l'explication du désir de dévorer l'ennemi valeureux ou habile, ou l'abnégation du vieillard qui, plutôt que de mourir naturellement, préfère communiquer ainsi ses vertus à ses descendants et à ses proches. Plus tard, l'idée religieuse s'en mêla ; on imagina, comme les Fidjiens, que les dieux se nourissaient des âmes des victimes, comme leurs prêtres et leurs ado- rateurs se régalaient de leurs corps ; pour se rendre les divinités favo- rables, il était bon aussi de leur offrir ce qu'il y avait de meilleur ; et quoi de meilleur que cette chair humaine si prisée de tous ceux qui en font usage ! Si ce travail n'était pas déjà bien long, je montrerais dans les mœurs des diverses races américaines presque toutes adonnées au cannibalisme, la preuve de ce que j'avance. Les Peaux-Rouges des prairies, des bords des grands lacs, Iroquois, Hurons, Odjibiwais, Mia- mis, etc., me fourniraient le tableau des peuples dans l'état initial de l'an- thropophagie, c'est-à-dire mangeant l'homme par vengeance et par gourmandise. Les Caraïbes, dont j'ai parlé plus haut, représenteraient les anthropophages uniquement friands de la chair exquise de l'homme. Enfin, les Mexicains, dont la civilisation prodigieuse étonna les conqué- rants espagnols, me serviraient d'exemple de peuple ayant élevé l'anthro- pophagie à la hauteur d'une institution. Un fait se dégage de tout l'ensemble que je viens d'exposer, c'est que partout, dans tous les temps, dans toutes les races, l'homme n'a pas toujours eu notre répugnance, à nous Européens d'aujourd'hui, pour la chair de son semblable. Son semblable! ce mot dit 'tous les préjugés que l'on s'est faits et que l'on répète sur l'anthiopophagie. GIRARD DE R1ALLE. — DE L'ANTHROPOPHAGIE G73 La conception de l'humanité, prise dans le sens que nous lui don- nons, est incontestablement toute récente, et même, il faut l'avouer, encore peu générale. Le respect de la vie et de la dignité humaine est encore loin d'être complet chez tous ; comment donc les hommes d'une époque plus ancienne ou d'une civilisation moins avancée auraient-ils pu avoir des sentiments si peu répandus encore parmi nous? Pour l'homme arrivé à un degré de culture inférieur, le semblable c'est le frère, c'est le parent, c'est l'homme de la tribu ; mais l'étranger est un être différent, la plupart du temps hostile, et aussi dangereux que la bête fauve. Homo homini lupus. Cette bête fauve, on la mange; cet en- nemi, cet étranger, on le mange. Quoi de plus naturel? Aussi bien l'une et l'autre sont pour l'homme primitif de valeur égale; la bête pour lui sent, pense, réfléchit tout autant et aussi bien que lui-même; il lui parle, il l'invective ou la loue comme il ferait pour un homme ; mais, aussi il la mange : il mange donc aussi l'étranger, l'ennemi, le vaincu. Est-ce que l'Hellène ne traitait pas de barbares aussi bien les Asia- tiques civilisés que les Scythes nomades et les rudes habitants de la Thrace et de la Dacie ? est-ce que les Romains, encore grossiers, ne mé- prisaient point comme barbares ces mêmes Grecs? A coup sûr, ni les uns ni les autres ne se mangeaient plus, mais ils se réduisaient en esclavage, en un esclavage atroce, où l'homme était prisé à peine plus haut qu'une bête de somme ; entre faire périr à la peine un prisonnier de guerre et le dévorer, il ne me semble pas qu'il y ait une bien grande différence; et, si l'un est un peu en progrès sur l'autre, si cette espèce d'adoucissement a conduit les Européens à des mœurs moins cruelles, ce n'est certes pas par compassion, par charité, mais bien par intérêt; un jour, on a remarqué qu'il valait mieux se faire nourrir par le travail du captif que de se nourrir de sa chair, et tout doucement l'anthropophagie a cessé chez les peuples qui ont fait celle observation. Mais, je le répète, le respect de l'humanité n'y a été pour rien; et nous sommes du reste encore bien loin du temps où ce sentiment régnera sans conteste. Est-ce bien respecter l'humanité que d'entasser des centaines de mille hommes, que la fortune des armes vous a remis entre les mains, dans des camps malsains, dans de sombres forteresses, si bien qu'à la paix, vingt mille cadavres engraissent les champs du vainqueur? est-ce bien respecter l'humanité que de revendiquer ce vieux droit de conquête qui veut qu'une province, terre et hommes, devienne la propriété du vain- queur, sa chose, sans que les conquis soient consultés, sans qu'on leur demande s'ils veulent changer de patrie? Cependant, nous avons vu, hélas ! de nos propres yeux, de pareils faits se passer, nous avons vu des peuples qui se croient à la tête des races humaines, qui s'estiment les grands 674 ANTHROPOLOGIE propagateurs, les défenseurs de la culture moderne, commettre des actes semblables. Or, si l'anthropophage, jugeant tout naturel de se repaître de la chair de son ennemi, peut être équitablement excusé par l'état de développement moral où il se trouve, que dire de ceux qui, se procla- mant les plus civilisés des hommes, n'ont pas plus de respect que les cannibales pour la vie et la dignité humaines? DISCUSSION M. Yogt. — Lorsqu'il y a quelques années, j'ai traité la question de l'anthropo- phagie, il s'agissait avant tout de détruire cette idée que l'anthropophagie était un fait primitif. M. Girard de Rialle accepte comme moi qu'elle est la mar- que d'une certaine civilisation, que les anthropophages, — réels ou symboliques, — ont un degré de civilisation que peuvent ne pas avoir des populations non anthropophages et issues peut-être du même sang. D'où l'anthropophagie a-t-elle pu venir ? comment a-t-elle pu s'établir ? J'ai été frappé de ce fait que, dans la plupart des peuples qui la pratiquent, elle se trouve liée à des idées méta- physiques ; l'assimilation des qualités morales et intellectuelles de l'individu mangé, puis l'idée du sacrifice, c'est-à-dire de la punition d'un innocent à la place du pécheur. Ces deux idées, nous pouvons les suivre à travers l'his- toire. De nos jours, elle est frappante dans le christianisme, et la communion en est un exemple : Dieu est sacrifié à Dieu et puni pour les péchés des autres. Si l'on voit que les sauvages ne font point de distinction entre les ani- maux vivants et les hommes vivants par rapport à leurs qualités, nous devons dire que nécessairement l'homme devait arriver à l'idée de s'assimiler les qualités de l'ennemi qu'il combattait. M. Girard de Rialle place dans la haine la source de l'anthropophagie. Le goût se serait ensuite développé et enfin seraient venues les conceptions métaphysiques. Je ne puis partager cet avis; la haine seule n'a pu généraliser à tel point l'usage dont nous parlons. Pour se répandre, pour se perpétuer ainsi, les usages demandent une autre idée que celle-là, par exemple une idée religieuse. Si nous analysons les us et actions symboliques, nous sommes amenés à admettre que l'anthropophagie a été universelle. Tous les anciens peuples ont des dieux mangeurs d'hommes; or, comme dit Feuerbach, le dieu est un superlatif dont le positif n'est autre que l'homme. Je pense jusqu'ici qu'un usage comme l'anthropophagie ne peut devenir si général que par un fond de pensées, non par la seule gastronomie. La gourmandise s'en est assuré- ment mêlée, mais plus tard. M. Lagneau. — Sans s'arrêter aux Celtes, aux Ibères, que Strabon, César (1) nous disent s'être nourris de chair humaine exceptionnellement, dans des villes assiégées, plutôt que de se rendre, pour montrer que l'anthropophagie était anciennement en usage dans les îles Britanniques, à la suite du passage (1) César : de Bcllo Gallico, 1. VII, cap. LXXVII. discussion sur l'anthropophagie 075 de saint Jérôme, rappelé par M. Girard de Rialle, relatif aux Attieotcs, on peut mentionner ceux de Strabon (1) et de Diodore de Sicile (2) relatifs aux Bretons anthropophages habitant l'Irlande. M. Broca. — M. Girard de Rialle, dans ses recherches sur l'anthropophagie, n'a-t-il pas rencontré certains faits dont je désirerais la vérification ? Ainsi, j'ai vu dans un ouvrage de M. Huxley l'image d'une figure sur bois du xvie siècle, représentant une boucherie d'hommes en Nigritie. M. Huxley ne dit pas d'où vient cette figure. Les Anglais, lors de leur expédi- tion de Bénué, virent les indigènes de l'une des rives transporter leurs morts à travers la rivière et les livrer, à charge de service réciproque, aux indigènes de l'autre rive. Il convient de noter d'autre part la différence de goût entre les différentes races. L'homme blanc, paraît-il, est de tous le plus mauvais. Ainsi les Néo- Calédoniens préfèrent le nègre au Polynésien, le Polynésien au blanc ; s'ils mangent volontiers ce dernier, c'est surtout par patriotisme. On attribue au sel cette différence. Ce n'est pas assez dire. Il y a probablement d'autres diffé- rences tenant à la constitution même des tissus. J'ai constaté, par exemple, dans, nos amphithéâtres, que les muscles du nègre se putréfient plus difficile- ment que ceux du blanc ; ils ont en outre une couleur plus foncée, et il n'est pas étonnant qu'ils n'aient pas les mêmes qualités culinaires. M. Girard de Rialle répond à M. Yogt qu'en ce qui concerne la superstition, il l'a signalée dans son travail ; que du reste l'homme, à une certaine période de développement, ne peut faire de différence entre les animaux et l'homme, et qu'il les traite de même ; mais il ne peut admettre que l'idée de sacrifice soit primordiale dans les faits d'anthropophagie ; si les dieux ont voulu de la chair humaine, c'est parce que, faits à l'image de leurs adorateurs, comme eux ils la mettaient au-dessus de tout ; enfin si certains peuples, comme les anciens Mexicains, avaient fait de l'anthropophagie une cérémonie reli- gieuse, d'autres nations encore plus civilisées, comme les Battas de Sumatra, n'y attachent aucune idée mystique, mais la considèrent comme une institution sociale. M. Bertillon. — Il résulte de l'ensemble des faits que les causes de l'anthro- pophagie se sont développées en plusieurs phases successives. La première, et bien longtemps la seule cause exclusive, a été, on n'en peut douter, le besoin, la pénurie habituelle d'aliments. C'est ce que nous présentent encore certains peuples misérables et affamés, tels les habitants de la Terre-de-Feu mangeant leurs vieilles femmes, plusieurs peuplades australiennes, etc. Chez d'autres, un peu plus élevés, comme chez beaucoup de Polynésiens, si ce n'est plus le besoin aigu, c'est encore l'utilité et même la gourmandise ; c'est le légitime désir de ne rien laisser perdre, de tirer de l'ennemi mort ou prisonnier tout ce qu'il peut donner. Ces deux anthropophagies ont sans doute été communes à tous les peuples primitifs. Cependant, chez les races les mieux douées, à la suite d'une évolution des plus remarquables de l'huma- (1) Strabon : 1. IV, cap. v, § u, p. 167, text. et trad. lat. de Millier et Dubner, coll. Didot. (2) Diodore de Sicile : 1. V, 5, 32, p. 273, texte et trad. lat. de Dindorf et M'ûller, coll. Didot. 076 ANTHROPOLOGIE nité, alors que le mysticisme eut envahi l'esprit humain, l'anthropophagie se mit à la mode des temps, et devient mystique et religieuse. Ce n'est plus seulement pour l'homme un acte bestial dont la nutrition du corps est le seul objet. Maintenant qu'il a conçu les qualités et les forces comme des entités, L'homme cherche à se les approprier; il ne mange plus seulement pour nour- rir son corps, mais son âme, restaurer, fortifier ses qualités « animiques » en y infiltrant celles du mangé ! Ainsi, grâce aux conceptions spiritualistes, voilà l'homme qui mange l'homme avec dévotion, — soit que, pieux, il se pénètre de l'âme d'un ancêtre et lui assure un gîte aimé, — soit que bien avisé, il s'assimile par la digestion, il s'approprie les meilleures qualités du guerrier malheureux tombé sous sa dent. D'ailleurs, ces spiritualistes inten- tions n'empêchent pas de déguster avec sensualité un mets déclaré supé- rieur par ses qualités sapides et précieux par ses propriétés psychiques. Aussi quand l'anthropophagie devient difficile, qu'elle n'est plus à la portée de tous, elle est réservée aux grands, aux prêtres, et surtout aux dieux qui, chez tous les peuples, apparaissent comme les derniers anthropophages. Mais ce qui marqua vraisemblablement la fin de l'anthropophagie, surtout chez les peuples agriculteurs, ce fut l'invention de l'esclavage qui, donnant le moyen de tirer un long profit du prisonnier, faisait de l'anthropophagie une cou- tume préjudiciable ; aussi n'est-ce plus que dans les grandes occasions qu'on la réserve encore pour les dieux ! Cependant, cette idée naïve de se pénétrer des qualités éminentes d'un organe ou d'un héros en le mangeant ne s'est pas perdue, elle a laissé des traces nombreuses dans la médecine du moyen âge et dans les pratiques reli- gieuses ; et c'est elle qui, par une évolution très-logique et très-originale, a conduit le dévot à manger son Dieu, la perfection même, dans l'espérance louable de s'en pénétrer ! Je ne fais ici qu'esquisser à grands traits cette évolution de l'anthropophagie, tour à tour nécessaire, puis utilitaire, puis religieuse (mystique ou métaphysi- que), dont la thcophaijic me paraît être le dernier terme ; elle me semble trouver ses preuves non-seulement dans le travail si intéressant de M. Girard de Riallc, mais aussi en ce qu'elle me paraît expliquer tous les faits connus, les relier, et rendre compte de leur succession. M. Vogt. — L'anthropophagie, basée sur le désir d'assimilation, se montre encore dans nos contrées. J'ai vu à Innsbruck un individu arrêté pour avoir tué cinq femmes dont il avait mangé le cœur. Il espérait se rendre invisible. D'autres faits analogues se sont passés dans les Alpes bavaroises et tyroliennes. A propos de l'idée de sacrifice de l'innocent châtié pour la faute d'autrui, j'ajouterai qu'elle a été une des idées primitives de l'humanité; nous la retrouvons chez tous les enfants. GOSSELET. — PRÉSENTATION DE CRANES 077 M. (tOSSELET Professeur à lu Faculté des sciences de Lille. PRESENTATION DE CRANES — Scan ce du 26 août 1 874. — M. Gosselet présente quelques crânes et fragments de crânes trouvés dans les tourbières de la région du Nord. DISCUSSION M. Bhoca. — Vu la formation des tourbières, on ne peut déterminer l'âge de ces ossements ; ils ont pu n'y pénétrer qu'à une époque très-postérieure. Le premier indique un homme dont l'âge, à notre époque, serait de iO ans, mais qui, peut-être, s'il est ancien, n'en avait que 30. 11 est sous-brachycéphale; les sutures sont simples; il est très-lourd et très-épais, 12 millimètres environ. Le second spécimen, homme de 4o ans, peut-être de 40, s'il est ancien, pré- sente une déformation certainement posthume, car il n'y a pas trace de com- pensation, comme cela se serait produit sur le vivant. Ce n'est pas la pression de la terre, mais bien le milieu humide qui l'a déformé. La troisième pièce est une mâchoire de femme ; elle ne présente aucun caractère archaïque ; le menton n'est nullement rétrograde ; l'angle de la mâchoire n'est pas inversé en de- dans, il est même inversé en dehors. Les dents sont petites et usées à plat, et non obliquement, comme c'est le cas pour les individus trouvés dans les cavernes et les dolmens. La quatrième pièce est un crâne de jeune fille à su- tures très-simples. 11 dénote une activité très-faible de la croissance dans la partie antérieure; c'est un caractère d'infériorité. La partie frontale est petite, la suture coronale située assez en avant. L'empreinte des circonvolutions, sur la face interne des os, est assez profonde; c'est encore un caractère d'infé- riorité. M. Lagneau. — Dans la région peu accidentée de notre littoral septentrional, la répartition géographique des instruments de pierre présentés par M. Gosse- let, exclusivement sur les collines et les plateaux, tient, peut-être, en partie, à l'émersion de ces collines et de ces plateaux pouvant être habités, alors que les plaines du littoral étaient encore plus ou moins inondées ou immer- gées sous les eaux. La carte géologique de France dressée par M. Élie de Beaumont (1), en montrant la répartition des terrains de nouvelles formations, les alluvions, les tourbes, pourrait peut-être le faire supposer. (i) Brochant de Villiers, Dufiénoy et Elle de Beaunn nt : Explication de la carte géologique de la France, t. I. 1841', in-4°, et tableau d'assemblage des six; feuilles de cette carte. 078 ANTHROPOLOGIE M. Jules TALEICH Statuaire modeleur il'nmtomie des Facultés de médecine de Paris et Nancy. PRESENTATION DE BUSTES DE CAFRES — Séance du :''<' août 1874 — Présentation de deux bustes de nègres caf'res, de la tribu des Zoulous ; homme et femme (en cire de couleurs et grandeur naturelle). Ces bustes, qui ont été créés pour le Musée de la ville de Lille, d'après les documents authentiques puisés dans les galeries d'anthropo- logie du Muséum de Paris, sont destinés à l'enseignement de l'ethno- graphie. M. CHAPLAIN-DUPARC Capitaine au long cours, ingénieur civil. LA GROTTE DE SORDES (EXTRAIT Dl~ I'H'li Hs-YERBAL) — Séance du 26 août 1874. — M. Chaplain-Dltarc lit un mémoire sur les troglodytes des Pyrénées. Il s'agit de la caverne néolithique de la Sordes, dont M. Hamy avait parlé déjà. Le fait le plus important qui ressort de cette communication et qui avait jusqu'ici passé inaperçu, c'est qu'un des crânes trouvés dans cette fouille présente une perforation artificielle analogue à celle des crânes de la Lozère, et de la Marne. DISCUSSION M. Pruntères. — M. Chaplain-Duparc vient confirmer, lui aussi, la théorie de l'existence des races quaternaires jusqu'à nos jours. Cela est important, mais voici qui l'est plus encore. M. Du parc a recueilli, dans la grotte de Sordes, de nombreux squelettes qui seraient de la même race que ceux de Cro-Magnon et que ceux de la caverne de l'Homme-Mort. Sans agiter la question de savoir si ces troglodytes des Pyrénées remontent ou non à l'époque paléolithique, j'appelle votre attention sur la planche 22 de la brochure de MM. Duparc et Lartet. L'on y voit une voûte dolichocéphale présentant une de ces perforations É. TIETTE. HISTOIRE DE LA CUILLER 679 artificielles sur lesquelles nous avons discute précédemment. Or, en rappro- chant de cette figure le crâne n° 1 de la caverne de l'Homme-Mort, on est frappé de l'identité des deux perforations; même étendue, même forme, et dans les deux cas, les trépanés ont succombé à l'ostéite. Je suis de plus en plus convaincu qu'une grande race dolichocéphale a occupé la plus grande partie de la France, peut-être dès l'époque paléolithique, dans tous les cas pendant la longue période delà pierre polie. M. Edouard PIETTE De Craonne. HISTOIRE DE LA CUILLER — Séance du 21 août 1874. — De tous les ustensiles, le plus commun est la cuiller. L'usage en est général, et son invention date des temps les plus lointains.; elle est due au besoin de prendre commodément les aliments liquides ou peu con- sistants, et plus encore peut-être à l'instinct de propreté. Elle dérive donc de l'un des penchants élevés de l'humanité, et l'histoire de ses perfectionnements se rattache à celle de la civilisation. Il y a aujourd'hui une grande variété de cuillers sur les tables bien servies : les cuillers à potage, les cuillers à dessert, les cuillers à café, celles qu'on met dans les moutardiers, dans les saladiers, les grandes cuillers de service, la louche, la truelle à poisson, la passette, qui ta- mise le sucre râpé, la pelle au sel, etc. Nous avons encore la cuiller qui sert à prendre des fruits à l'eau-de-vie, celle avec laquelle on ar- rose les rôtis, la cuiller à pot, la papinette, Fécumoire, etc. Cette multi- plicité d'usage et de forme d'un ustensile est le signe du raffinement de nos mœurs et surtout de notre luxe. L'outillage et l'argenterie de nos pères étaient plus simples. Les relations sociales n'exigeaient pas d'eux un pareil déploiement de richesse. Rœderer, dans YHistoire de la société polie en France (p. 100), loue Montausier d'avoir introduit l'usage des grands couverts avec lesquels on fait le service ; et Saint-Simon, dans ses Mémoires, dit de ce per- sonnage : « La propreté de M. de Montausier, qui vivait avec une » grande splendeur, était redoutable à sa table, où il avait été l'inven- » teur des grandes cuillers et des grandes fourchettes qu'il mit en » usage et à la mode. » Ce Montausier était le mari de Julie, dont les 680 ANTHROPOLOGIE poëtcs contemporains ont célébré les vertus et la beauté ; il avait vécu dans cette société choisie, honnête et droite, mais un peu quintessenciée, de l'hôtel de Rambouillet, qui a réagi d'une façon si puissante contre les mœurs corrompues de la cour, en bannissant l'expression des amours libertins et en favorisant, malgré une légère teinte de préciosité, l'essor de la grande littérature. L'usage nouveau que Montausier fit de la cuiller correspond donc à un progrès très-réel dans les mœurs et dans les idées. La cuiller dont nous nous servons communément est une petite coupe ovale, munie d'un long manche terminé par une spatule qui fait con- tre-poids et rend l'ustensile facile à manier. Sa capacité est réglée sur celle de la bouche, et sa forme est très-gracieuse. Cette forme n'a pas été universellement adoptée. Si nous pénétrons chez des peuples voi- sins moins civilisés que nous, chez les Kabyles par exemple, nous les voyons faire usage d'une cuiller de bois arrondie. Les Romains se ser- vaient aussi d'une cuiller ronde en cuivre. On pourrait donc être tenté de croire que cet ustensile fut primitivement rond et que la forme ovale ne fut inventée que pendant les siècles derniers On se trompe- rait. M. Chantre, en faisant des fouilles dans les palalittes des grands roseaux, sur les bords du lac de Paladru, dont on avait abaissé le niveau, a trouvé des cuillers en bois très-bien conservées, presque sem- blables à celles que Von fait encore de nos jours. La seule différence que j'ai remarquée entre elles et nos cuillers à salade consiste dans la forme de la spatule, qui n'est pas plus large que le manche. Cette sta- tion lacustre date du ixe siècle. Les Français se servaient donc déjà de cuillers ovales à l'époque carlovingienne. (Voyez les Palafittes du lac de Paladru, Isère, p. 12, pi. 12, lig. 2-4.) Cette forme a été en usage dans le pays de Gaule dès la plus haute antiquité, et tout porte à croire qu'elle a été inventée par les populations qui l'ont habité autrefois. Les peuplades néolithiques se servaient de cuillers ovales en terre cuite (voyez pi. IX, fîg. 3 -G). On en a trouvé plusieurs débris dans la Seine, et M. Perrault en a découvert de nom- breux fragments dans un foyer néolithique du camp de Chassey (Bourgogne;. Il y a recueilli aussi une cuiller à pot (voyez pi. IX, fig. 1-2). Les cuillers à bouche, dit-il, sont allongées et ressemblent exactement aux cuillers de bois employées dajis nos cuisines. Leur profondeur varie entre 3 et 14 millimètres. Les fragments de manche qu'il a recueillis sont trop incomplets pour qu'on puisse savoir s'ils se terminaient par une large spatule. (Voyez Note sur un foyer de l'âge de la pierre polie découvert au camp de Chassey, p. 18, pi. VIII, fig. 1 et 4-6.) On devait s'attendre à rencontrer cet ustensile dans les stations de la pierre polie. Dès que l'homme eut trouvé l'art de façonner des vases en É. PIETTE. — HISTOIRE DE LA CUILLER 681 terre capables de subir l'action du feu, il fit cuire des aliments; il fit du potage, de la bouillie, des sauces, et il lui fallut la cuiller pour les prendre. L'invention de cet instrument fut le corollaire obligé de celle de la poterie; mais rien n'indiquait qu'il eût été imaginé avant elle. On pouvait même s& demander comment il aurait pu servir aux chasseurs de renne, qui mangeaient la viande crue et n'avaient que des outres de peau. Cependant j'ai trouvé une véritable cuiller en bois de renne dans la grotte de Gourdan (voyez pi. X, fig. 1, 2, 3). Elle est ovale, très-allongée et fort peu creuse. Sa longueur est de 10 centimètres et demi; sa largeur de 2 centim. 8 millim.; sa profondeur de 2 milli- mètres. Son manche très-élégant est couvert d'un treillis de raies pro- fondément gravées qui forment des losanges en se croisant. Malheureu- sement il est brisé, et nous ignorons s'il se terminait par une spatule. Nous ne devons pas être surpris de la faible profondeur de cette cuiller : les hommes qui l'ont fabriquée ne connaissaient ni la soupe ni les sauces; elle ne pouvait leur servir qu'à retirer la moelle des os longs de très-gros animaux ou à manger leur cervelle, et pour cet usage, la profondeur était inutile. Au surplus, on a trouvé des cuillers néolithiques qui n'étaient guère plus creuses. Je l'ai rencontrée dans des foyers de l'âge du renne parfaitement ca- ractérisés. Une cuiller plus mince, plus étroite, plus profonde et moins élégante gisait dans une assise inférieure (voyez pi. XI, lig. S, 6, 7) ; elle est ovale et très-allongée ; sa partie postérieure est brisée. Le fragment qui en reste a 10 centim. 1 millim. de longueur, 1 centim. 7 millim. de largeur et 3 millimètres de profondeur. Il n'est pas certain qu'elle ait eu un manche. A une plus grande profondeur, dans les mêmes foyers, j'ai encore recueilli une cuiller épaisse et très-grossière qui me semble avoir été la cuiller primitive (voyez pi. XI, fig. 1, 2, 3, 4). Elle est en os à peine dégrossi ; ses bords sont polis et sa forme ovale ; elle paraît n'avoir jamais eu de manche. Sa longueur est de 13 centim. 7 millim.; sa largeur de 3 centim. 2 millim., et sa profondeur de 6 millimètres. Elle est donc deux fois plus creuse que certaines cuillers néolithiques. Ces ustensiles indiquent un besoin de propreté relative et un progrès sous le rapport de l'hygiène. Quiconque a fait des fouilles dans des foyers de l'âge du renne sait que l'homme de cette époque brisait en éclats tous les crânes et tous les os longs des animaux. Il lui était donc très-facile d'en extraire la moelle et la cervelle sans le secours de la cuiller. Ses doigts pouvaient suffire à cette besogne; mais il lui déplai- sait sans doute de les en souiller. Assurément, il n'était pas très-délicat sous le rapport des soins hygiéniques. Dans son insouciance, il ne reje- tait môme pas hors de ses grottes les os dont il avait détaché les chairs 47 (J82 ANTHROPOLOGIE pour s'en nourrir. De leurs débris qui jonchaient le sol des cavernes devaient s'échapper des exhalaisons fétides qui seraient insupportables pour nous, mais auxquelles une habitude contractée depuis l'enfance l'avait rendu insensible. Cependant, il sentait poindre en lui un instinct de propreté inconnu probablement à ses pères, et, par un raffinement très-grand pour cette époque, il manifestait cet instinct par la création de la spatule et de la cuiller. En même temps, comme l'homme ne progresse jamais d'un côté sans que ses facultés se développent sur d'autres points, l'amour du beau, le goût des arts, l'idée de l'infini germant dans son âme, se révélaient par des instruments de musique, par des gravures, par des sculptures et par la représentation du Dieu solaire dont il a laissé l'image sur des bois de renne et sur des ossements. Avant d'inventer la cuiller, l'homme de l'âge du renne avait créé la spatule. J'en ai recueilli à toutes les hauteurs, dans les foyers de Gour- dan et de Lortet. Ce sont des côtes d'animal arrondies et polies à leur extrémité. Elles étaient très-commodes pour retirer la moelle des os longs et étroits que l'on ne voulait pas casser. (Voyez pi. X, fig. 4-G.) Peut-être doit-on considérer aussi comme des spatules à moelle, les ins- truments en forme de couteau à papier qu'on trouve dans tous les gisements magdaléniens. Cependant plusieurs archéologues les regardent comme des écorchoirs. Outre les cuillers dont je viens de parler, et qui sont celles dont sont dérivées les nôtres, on a trouvé, dans plusieurs stations de l'âge du renne, des instruments auxquels on a donné, parfois peut-être abusive- ment, le nom de cuillers. Telle est la pointe en bois de renne décrite par MM. Lartet et Christy (Reliquiœ Aquitanicœ, D, p. 12o, pi. 28, fig. Aa et Ab). Ces auteurs font remarquer que cette pointe, très-orne- mentée, éviclée à sa base qui se termine en bec, semble bien moins être une cuiller à moelle qu'une tête de lance ou de javelot, dont la partie inférieure a été creusée pour recevoir une hampe en bois. J'ignore à quel usage elle pouvait servir. Ses ornements en relief ne sont pas de nature à favoriser la pénétration dans les chairs; mais, d'un autre côté, elle eût été une cuiller bien peu commode. Il est certain que la moelle qui s'enfoncerait dans le trou de cet instrument, n'en pourrait guère être tirée plus facilement que de l'os dont on l'aurait extraite. M. Garrigou a aussi trouvé dans la grotte d'AUiat, dite de la Vache, un fragment en bois de cerf creusé dans toute sa longueur, ayant pu être destiné à contenir un liquide. (Age du renne dans la grotte de la Vache. — Bull, de la Soc. d'hist. nul. de Toulouse, t. 1, p. 04, pi. I, fig. l.j Enfin, à Gourdan même, j'ai recueilli divers fragments d'os qu'on a pu également utiliser pour mettre une petite quantité de liquide. É. PIETTE. — HISTOIRE DE LA CUILLER 683 On s'est peut-être momentanément servi de ces os travaillés comme de cuillers; mais les seules cuillers véritables sont celles que j'ai dé- crites d'abord. Ce sont elles qui ont servi de modèle pour la fabrica- tion des cuillers néolithiques. Il y eut à l'âge de la pierre polie des variétés aussi plates qu'à l'âge du renne. Pour faire la cuiller à potage, il a suffi d'en façonner de plus profondes. En retrouvant, dans la grotte de Gourdan, ces ustensiles dans les diverses phases de leur per- fectionnement, échelonnés dans l'épaisseur des assises qui représentent la succession des temps, depuis l'ébauche informe jusqu'à l'œuvre d'art, nous avons surpris l'homme de l'âge du renne au moment où il accom- plissait un véritable progrès; nous avons vu la cuiller se former, appa- raître d'abord sans manche, puis devenir plus commode et prendre une forme élégante qu'elle a conservée depuis lors. Avant d'avoir saisi sur le fait le chasseur de renne perfectionnant son outillage et créant des formes nouvelles, on pouvait se demander s'il avait été réellement homme de progrès, s'il n'avait pas reçu de ses devanciers une industrie toute faite, n'ayant eu lui-même que la bonne fortune de graver sur l'andouiller de renne presque incorruptible, ce que d'autres avaient gravé auparavant sur du bois qu'un petit laps de temps suffit à détruire. Le doute n'est plus permis maintenant. Il a . été un des initiateurs de l'humanité dans les grandes voies de la civilisation, et s'il ne lui a pas été donné, au commencement de l'âge magdalénien et pendant sa durée presque tout entière, de connaître la domestication des animaux, si, par la nécessité des temps où il a vécu, il a été contraint de mener la vie de sauvage, il a semé les germes des idées qui se sont développées pen- dant les âges suivants et qui ont fait la noblesse et la grandeur du genre humain! La France peut s'enorgueillir de retrouver sur son sol les traces de ce peuple oublié qui fit le premier effort sérieux vers une vie différente de celle de l'animal, et pour lequel les joies de la vie artistique et intellectuelle compensèrent ce que sa condition physique avait de misérable. M. Broca. — M. Piettc ne semble pas convaincu que la cuiller à moelle de la station de la Madeleine ait été une cuiller véritable ; il n'y voit, avec quel- ques auteurs, qu'une pointe de dard. L'examen de cet instrument montre que c'est un fût allongé, une cavité taillée en biseau. Près de la pointe se trouve une ornementation délicate dont on n'aurait pas chargé un trait destiné à se perdre. Je suppose que c'était un instrument destiné à recueillir et manger la moelle ; peut-être appartenait-il à un chef. Cet outil se retrouve chez les peu- ples sauvages : le chef commence par sucer un bout de l'os et ses subordon- nés lui succèdent. Dans le journal anglais Natur, on peut lire une discussion récente sur l'emploi de la cuiller à moelle chez les Peaux-Rouges. 684 ANTHROLOLOGIE M. Piette fait observer que l'usage plus ou moins malpropre que certains sauvages font de la cuiller ne prouve rien contre le peuple intelligent qui a inventé cet instrument, de môme qu'il ne prouve rien contre nous. EXPLICATION DES PLANCHES : PI. IX. — Fig. 1. Cuiller à pot en terre cuite, de l'âge néolithique (1/2 grai deur). — Fig. 2. Coupe de la même prise au point A. — Fig. 3. Cuiller à bouche en terre cuite, remarquable par sa faible profondeur (âge néolithique); grandeur naturelle. — Fig. 4. Coupe de la même, prise au point C. — Fig. 5. Autre cuiller à bouche en terre cuite, plus profonde (âge néolithique) ; grandeur naturelle. — Fig. 6. Coupe de la même, prise au point B. PI. X. — Fig. 1. Cuiller en bois de renne, de grandeur naturelle, vue du côté convexe. — Fig. 2. La même, vue du côté concave. — Fig. 3. Coupe de la même. — Fig4- 4. Spatule en os vue de face (grandeur naturelle); âge du renne. — Fig. 5. La même, vue de profil. — Fig. G. Coupe de la même. PL XL — Fig. 1. Cuiller primitive en os, vue du côté concave; grandeur naturelle. Couches profondes de l'âge du renne. — Fig. 2. La même, vue du côté convexe. — Fig. 3. La même, vue décote. — Fig. 4. Coupe de la même. — Fig. 5. Cuiller en os, vue du côté concave; grandeur naturelle. Couches moyennes de l'âge du renne. — Fig. 6. La même, vue du côté convexe. — Fig. 7. Coupe de la même. M. de GUERIE SUR L'AGE DE LA PIERRE DANS L'ARRONDISSEMENT DE DOUAI Séance du 27 août 1874. — M. Jules de Guerne présente divers objets de l'âge de la pierre polie, récem- ment découverts aux environs de Douai, et appartenant au musée de cette ville. DE GUERNE. SUR L*AGE DE PIERRE 685 Les restes préhistoriques étant peu répandus dans la région, ces pièces ne sont pas sans intérêt. La plupart des haches, d'ailleurs parfaitement finies, paraissent avoir été brisées intentionnellement vers le milieu de leur longueur; on rencontre le plus souvent la partie tranchante, le côté du manche faisant presque toujours défaut. Une seule hache, en silex gris noirâtre, de dimension moyenne, a été trouvée entière, à Féchain, par M. Pèpe, arpenteur à Douai. Une petite hache, en silex gris, qui semble avoir été retouchée sur les bords, a été rencontrée au bois d'Hamel, au lieu dit les Pendus, parmi des osse- ments et des cendres , restes d'un tumulus ou d'un foyer qui malheureuse- ment n'ont pu être étudiés. — Deux autres haches, en silex jaune, ont été recueillies dans la commune d'Hamel ; deux proviennent d'Oisy-le-Verger ; une d'Erchin; une de Lewarde et trois de Cantin. Parmi ces trois dernières on distingue une hache en grès, d'un si beau poli, qu'on serait, à première vue, tenté de la prendre pour un silex. Les haches en grès, considérées comme assez rares, sont relativement communes dans la région du Nord. M. de Guerne en donne comme preuve trois petites haches entières, en grès, qui ont été rencontrées à Cambrai, à Fontaine-au- Pire, près Cambrai, et à Izel-les-Esquerchin (Pas-de Calais). D'autres haches en grès, de provenance inconnue, mais trouvées suivant toute probabilité dans le pays, figurent d'ailleurs au musée de Douai. M. de Guerne présente ensuite un percuteur en grès des terrains primaires, trouvé à Douai même, dans les fondations d'une maison, place Jemmapes, par M. Delplanque, conservateur du musée. La présence à Douai de cette roche primaire suppose un transport lointain. M. de Guerne appelle l'attention sur ce point, que les instruments en pierre se rencontrent généralement dans le Nord au sommet des collines, témoin plu- sieurs localités citées plus haut. Cette particularité s'explique facilement si l'on songe que les habitants se retiraient sur les hauteurs pour éviter les inon- dations alors fréquentes, peut-être même permanentes, ainsi que l'attestent de nombreux dépôts tourbeux. M. Jules de Guerne profite de l'autorisation qui lui a été accordée par l'ad- ministration du musée de Douai de déplacer quelques pièces des collections, pour présenter aux anthropologistes deux remarquables haches encore emman- chées dans leurs gaines en corne de cerf. — L'une parfaitement authentique et d'une fort belle conservation a été recueillie à Lens (Pas-de-Calais). — L'autre, au sujet de laquelle peuvent s'élever quelques doutes, le silex ne pa- raissant pas approprié à la gaine, provient des déblais du chemin de fer d'A- miens à Boulogne. 686 ANTHROPOLOGIE M. P. BROCA Professeur à la Faculté de médecine de Paris. SUR L'INDICE ORBITAIRE — Séance du SI août 487i. — La conformation des régions orbitaires présente, suivant les individus et suivant les races, des différences très-étendues, qui influent considé- rablement sur la physionomie des crânes et qui ont été signalées par tous les observateurs; ces différences dépendent en partie de la direction des orbites, dont je n'ai pas l'intention de m'occuper ici, mais elles dépen- dent surtout de leur forme, qui dépend à son tour de l'étendue rela- tive de leur diamètre transversal ou de leur diamètre vertical. C'est le rapport de ces deux diamètres que j'ai désigné sous le nom d'indice orbitaire. J'ai depuis longtemps étudié cet indice dans divers mémoires relatifs à certaines séries de crânes ; mais j'en fais aujourd'hui pour la première fois l'objet d'une étude générale. Les anatomistes assignent à l'ouverture orbitaire une forme quadrila- tère ; ils y distinguent quatre bords parallèles deux à deux, et inter- ceptant quatre angles: deux internes et deux externes. Le parallélisme des bords opposés n'est sans doute point parfait ; les angles, toujours plus ou moins émoussés, sont quelquefois tout à fait arrondis; néanmoins le contour des ouvertures orbitaires peut toujours être inscrit dans un quadrilatère assez régulier pour pouvoir être considéré comme un rectangle. La forme de ce rectangle circonscrit constitue la meilleure caractéristique de l'orbite, et elle est indiquée par l'indice orbi- taire. La forme d'un rectangle résulte des dimensions relatives de ses deux côtés. Celle du rectangle orbitaire et de l'ouverture orbitaire est donc déterminée par le rapport de la plus grande hauteur de cette ouverture à sa plus grande largeur. Disons d'abord de quelle manière on peut mesurer les deux diamètres de l'orbite ; si le diamètre transversal était toujours horizontal, on obtiendrait ce diamètre en mesurant dans l'ouverture orbitaire la plus grande ligne horizontale; mais comme il est presque toujours un peu obli- que de haut en bas et de dedans en dehors, une ligne horizontale ne serait pas parallèle à la base du rectangle orbitaire, et donnerait dès lors une trop grande longueur. Il faut donc procéder autrement, et recourir à un point de repère anatomique. P. BKOCA. — L'INDICE OMJITAIIIE G87 Vers le milieu du bord interne de l'orbite, on aperçoit une suture transversale formée en haut par l'apophyse orbitaire interne du frontal, en bas par deux os : l'apophyse montante du maxillaire, qui est en avant et l'os unguis ou lacrymal, qui est en arrière. Il y a donc sur cette suture un point où une épingle peut toucher à la fois trois os, le frontal, le maxillaire et l'unguis. C'est ce point que j'appelle le point lacrymal, et qui constitue l'extrémité interne du diamètre transversal de l'orbite. Au-dessous du point lacrymal existe une gouttière verticale assez pro- fonde interceptée par le maxillaire et par l'unguis,, et aboutissant en bas au canal nasal ou lacrymal. Cette gouttière loge le sac lacrymal; c'est une dépression de profondeur variable, qui est surajoutée à l'orbite, mais qui n'en fait pas essentiellement partie; si notre diamètre transver- sal venait y aboutir, il se trouverait indûment allongé de 1 à 2 millimè- tres, et un détail de très-minime importance, limité à un petit coin de l'ouverture orbitaire, donnerait le change sur la forme générale de cette ouverture. Ce n'est donc pas dans la gouttière lacrymale, mais sur le point lacrymal qui la surmonte, que doit être appliquée la branche interne du compas. L'autre branche est appliquée sur le bord externe de l'orbite dans le point qui donne le plus grand écartement. La ligne qui unit les deux pointes du compas ainsi placé est parallèle aux deux bords dits hori- zontaux des orbites, et est à peu près à égale distance de chacun d'eux. Le second diamètre, celui qui mesure la hauteur de l'orbite, doit être perpendiculaire au précédent. Pour l'obtenir, on place l'une des pointes du compas sur le milieu, ou à peu près, du bord inférieur de l'orbite, en un point situé immédiatement au-dessus du trou sous- orbitaire. L'autre pointe va s'appliquer sur le bord supérieur de l'orbite, c'est-à-dire sur le bord inférieur de l'arcade orbitaire, suivant une ligne perpendiculaire à la direction du diamètre transversal déjà déterminé. Ces mesures doivent être prises avec la plus grande précision, non pas seulement à un millimètre près, comme on le fait pour les mesures ordinaires, mais à un demi-millimètre près, car, sur des dimensions aussi petites, une erreur d'un millimètre pourrait faire varier le chiffre de l'indice de deux unités. Il était donc indispensable de préciser rigou- reusement le procédé de mensuration. Le seul instrument qui permette d'atteindre avec précision est le compas-glissière , à branches parallèles •et pointues. On l'introduit fermé dans l'orbite, et on l'ouvre jusqu'à la rencontre des points de repère, suivant une direction rendue évi- dente par celle de la longue branche transversale du compas. L'échelle 68H ANTHROPOLOGIE gravée sur cette branche permet de lire aisément les demi-milli- mètres. L'indice orbitaire, comme tous les autres indices crâniométriques, est le rapport centésimal de deux éléments dont l'un B est pris constamment pour dénominateur, et l'autre A pour numérateur, suivant la formule : . ,. 100 A indice = — tt — B Le plus souvent l'une des deux mesures est invariablement plus grande que l'autre; c'est celle-là que l'on prend pour dénomina- teur, de sorte que l'indice est plus petit que 100. Mais quelquefois, l'une des deux mesures est tantôt la plus grande et tantôt la'plu s petite; on choisit alors pour dénominateur la mesure que l'expérience a démon- trée être ordinairement la plus grande. L'indice que l'on obtient ainsi est donc ordinairement plus petit que 100, mais il peut atteindre et quelque- fois dépasser ce chiffre. C'est le cas de l'indice orbitaire. La largeur de l'orbite, étant presque toujours supérieure à sa hauteur, a été prise pour dénominateur, même lorsque, par exception, elle lui est infé- rieure. Je dirai d'abord quelques mots des dimensions absolues de l'ouver- ture orbitaire. La largeur de cette ouverture chez l'adulte peut descendre jusqu'à 32mm5, et s'élever jusqu'à 47mm. Les quatre orbites les plus étroites que j'aie mesurées sont celles d'une Parisienne du xir siècle (32mmo), de deux femmes de l'ancienne Egypte (33n,m) et d'une femme basque de Saint- Jean-de-Luz (SS™"1). Les maxima de cette largeur ont été Almm sur un Guanche, 46 sur un Néo-Calédonien et 45 sur un Australien. Les limites extrêmes de la hauteur ont été : Minima : un Tasmanien 2omm, puis à 2b'mm un Mérovingien, une femme des grottes de Baye (pierre polie) et le célèbre vieillard de Cro- Magnon (pierre taillée). Maxima: Une femme arabe à 40mm5, puis à 39mm deux Chinois, un Bas-Breton et un Parisien du xixe siècle. On remarquera, pour ce qui concerne les largeurs, que les maxima ont été observés sur des hommes et les minima sur des femmes ; mais il en est autrement de la hauteur : quoique en général cette mesure soit plus grande chez l'homme que chez la femme, le maximum a été observé sur une femme, et le minimum sur un homme Les dimensions absolues des orbites dépendent pour beaucoup des variations individuelles, mais elles dépendent beaucoup aussi de l'influence de la race. Dans les nombreuses séries que j'ai mesurées j'ai vu la largeur moyenne de l'orbite descendre au-dessous de 37mm et s'élever p. bhoca. — l'indice orbitaire 689 au-dessus de 42mm. Les trois plus faibles moyennes sont celles des Chinois (3G. 74), des anciens Égyptiens (30.97) et des Polynésiens (37.29). Les trois plus fortes sont celles des Guanches (42.30), des Cafres(41 .31), et des Esquimaux (40.46;. La hauteur moyenne a présenté ses trois chiffres les plus faibles dans les grottes sépulcrales de Baye (30.73), dans la caverne sépulcrale de l'Homme-Mort (31.07), et chez les Tas- maniens (31.44), — et ses trois chiffres les plus fort ches les Esquimaux (36.19), les Chinois (34.43) et les Polynésiens (34.40). Jj'indice orbitaire présente des variations bien plus étendues que les diamètres dont il exprime le rapport. Entre le maxhnun de 107, que j'ai constaté sur un Chinois, et le minimum de 61.36, observé sur le vieillard de Cro-Magnon (pierre taillée), il y a un écart de près de 46 0/00. Mais l'écart reste dans des limites beaucoup plus étroites si, au lieu des cas individuels, on considère les moyennes des diverses séries ; on Verra sur le tableau qui accompagne cette notice que la plus forte moyenne, celle des Polynésiens d'Hawaï, s'élève à 95.40 0/00, que la plus faible, celle des Guanches de Ténériffe, descend à 70.01, et que l'écart de ces moyennes n'est que de 18.39 0/00. Si nous divisons cet écart total en trois parties à peu près égales, comprenant chacune 6 unités, nous pourrons établir trois groupes dans notre tableau : 1er groupe. — Indice orbitaire grand, 89 0/00 et au delà; 2e groupe. — Indice intermédiaire, de 83 à 88.99 0/00; 3e groupe. — Indice orbitaire petit, au-dessous de 83 0/00. La répartition des diverses races dans ces trois groupes est loin d'être sans signification ethnologique; elle établit des affinités et des diffé- rences qui ne doivent pas être méconnues ; mais elle établit aussi des rapprochements qui ne concordent pas avec l'ensemble des caractères crâniologiques. Ces groupes n'offrent donc pas assez , d'homogénéité pour qu'il soit nécessaire de compliquer la nomenclature crâniologique en créant, pour les désigner, une terminologie spéciale. Il suffira de leur appliquer les termes de la nomenclature générale que j'ai adoptée pour exprimer les degrés des indices crâniométriques. Cette nomenclature consiste à caractériser un indice par trois épi- thètes, suivant qu'il est grand, moyen ou petit. Le radical sème (de cY)tj.a, signe ou indice) commun aux trois termes, se combine avec les adjectifs grecs pour constituer les trois mots mégasème, grand indice, mésosème, indice moyen, et microsème, indice petit. Dans la nomencla- ture spéciale de l'indice céphalique, mégasème correspond à brachycé- phale, mésosème à mésaticéphale, microsème à dolichocéphale ; dans celle de l'indice nasal, mégasème correspond à platyrhinien, mésosème 690 ANTHROPOLOGIE à mésorhinien, microsème à leptorhinien. Quant aux autres indices, y compris l'indice orbitaire, il ne m'a pas paru indispensable jusqu'ici de les caractériser autrement que par les termes généraux que je viens d'indiquer. On peut voir sur le tableau de l'indice orbitaire que le groupe méga- sèrne (indices moyens supérieurs à 89) réunit les Chinois, les Polynésiens des divers archipels, et les Esquimaux, qui tous se rattachent au type mongolique. Ce groupe serait donc homogène, si les Hollandais ne venaient y faire une note discordante. Le groupe microsème donne lieu à deux remarques intéressantes : on y trouve, avec des indices moyens presque égaux, les trois séries méla- nésiennes des Tasmaniens, des Australiens et des Néo-Calédoniens, rap- prochement parfaitement conforme aux affinités ethniques et géogra- phiques. Un autre fait non moins digne d'attention, c'est que dans ce même groupe microsème se trouvent réunies en tête du groupe les quatre séries préhistoriques des alluvions de Grenelle (82,o8), de Solutré (82,07), des grottes de Baye (81,89) et de la caverne de l'Homme- Mort (81,91). Les séries modernes de la France (Parisiens, Auvergnats, Bas-Bretons, Basques de Saint -Jean-de-Luz), ont au contraire un in- dice orbitaire mésosème, compris pour les quatre séries entre 86,18 et 87, 2o. La comparaison de ces deux groupes prouve que l'indice orbitaire s'est grandement accru dans notre pays depuis les temps préhistoriques. L'excessive petitesse de cet indice, c'est-à-dire la forme élargie et sur- baissée de l'ouverture orbitaire, constituait l'un des caractères les plus remarquables de nos races paléolithiques. L'indice orbitaire du vieillard de Cro-Magnon était, comme je l'ai déjà dit, réduit à 6i ,86 ; celui de la femme de Cro-Magnon n'était que de 71, 2o, et la moyenne de ces deux individus dépassait à peine 66, cette moyenne n'a pas été portée sur le tableau 'parce que deux faits ne constituent pas une série. Il est permis de croire dès lors que les races néolithiques de l'Homme-Mort, de Baye et de Grenelle étaient issues en grande partie des races paléoli- thiques, que leur indice orbitaire avait déjà été sensiblement accru par suite d'un certain degré de mélange avec des races étrangères, mais qu'il restait encore très-petit, et que depuis lors l'influence croissante de ces races étrangères a porté l'indice orbitaire jusqu'au degré qu'il présente aujourd'hui. Quant à la série de Solutré, elle est certainement pour une grande part, paléolithique ; vous savez que M. l'abbé Ducrost soutient, contre M. Arcelin, qu'une partie des crânes qui la composent sont néolithiques. Il faut bien reconnaître que, d'après l'indice orbitaire, elle se place à côté des séries néolithiques. On remarquera toutefois que la station de Solutré, dans sa partie la plus ancienne, est bien posté- P. BROCA. — l'indice orbitaire 691 rieure à l'époque de Cro-Magnon, et que le mélange de races qui a agrandi l'indice orbitaire a très-bien pu commencer à se produire pen- dant les derniers temps de l'époque de la pierre taillée (1). Nous n'avons qu'une seule remarque à faire sur le groupe mésosème ; c'est qu'il est très-disparate, qu'on y trouve confondues des races de tout type : Javanais, Égyptiens, Arabes, Nègres et Européens. Le carac- tère de l'indice orbitaire n'est donc pas de ceux qui peuvent servir à établir dans le genre humain des groupes primaires ; s'il révèle des affinités intéressantes, on ne le voit pas se développer dans la série des races, suivant un ordre déterminé, et sous ce rapport il est bien moins important que l'indice nasal. Mais le point de vue de la classification n'est pas le seul sous lequel on doive se placer. On ne classe bien que ce que l'on connaît complètement, et l'ordre logique, — auquel on n'a pas toujours la patience de s'astreindre, — veut que l'étude des carac- tères descriptifs précède la recherche des groupes naturels. Or, parmi les caractères morphologiques des races humaines, il en est peu qui offrent plus d'intérêt que la forme des ouvertures orbitaires, déterminée par l'étude de l'indice nasal. Un mot enfin sur les différences sexuelles. Notre tableau montre que l'indice orbitaire moyen de la femme est presque toujours plus grand que celui de l'homme. L'inégalité est d'ailleurs moindre que ne sem- blent l'indiquer les chiffres inscrits dans la colonne des différences. Si l'on tient compte des grandes variations individuelles que présente cet indice, on reconnaîtra que les moyennes ne sont valables que lorsqu'elles reposent pour chaque sexe sur l'étude de dix crânes au moins. Ainsi la différence sexuelle, dans la série des Arabes, s'élève à 8,65 0/00, mais il n'y a que deux femmes dans cette série, et la moyenne féminine ne nous offre aucune garantie. Bornons-nous donc à considérer les quatorze séries qui comprennent au moins dix crânes de femmes, et nous verrons alors que la différence sexuelle moyenne ne dépasse jamais 4,30 0/00, que cette différence est quelquefois très-légère, et inférieure à 1 0/00, qu'enfin elle est toujours en faveur des femmes, excepté chez les Bas- Bretons, où l'indice masculin l'emporte de 0,39 0/00 sur l'indice féminin. (1) La série préhistorique de Solutré décrite dans le volume de la session de Lyon (1873, p. 631), comprend 18 crânes, mais 10 seulement ont les orbites intactes. L'indice orbitaire moyen de cette série est de 82.07, et non de 82. 87, comme on l'a imprimé par erreur dans le volume de l'année dernière. 692 ANTHROPOLOGIE INDICE ORBITAIRE N» 2 CLASSEMENT PAU ORDRE DES INDICES MOYENS, ET DIFFÉRENCES SEXUELLES 1» Mégasèmes. Hawaï -- Chinois Polynésiens divers , Iles Marquises. Zaandara (Hollande) Ile de Pâques Esquimaux Parias de Calcutta 2° Mésosèmes. Corses Savoyards Javanais Egyptiens anciens Gaulois Berneuil (Charente-Infor.) (moderne Bas-Rretons (modernes) Arabes Auvergnats (modernes) Parisiens du xixc siècle Basques de Saint-Jean-de-Luz. ... Nègres Lapons flasques de Zaraus Hottentots Parisiens de la cité (xne siècle)... Dolmens de la Lozère 3» Microsèmes. Préhistoriques de Grenelle Solutré (série ancienne) L'Homme Mort (pierre polie) Baye (pierre polie) Nubiens Mérovingiens de Chelles Cafres Néo-Calédonicns Australiens Tasmaniens Guanchos de Ténérifle SÉRIES TOTALES HOMMES FEMMES DIFFÉRENCE nomb. indices nomb indices nomb. indices F = H± 7 95.40 4 96.73 3 93.51 — 3.22 27 93. S 5 20 93. 12 7 95.91 + 2.79 40 92.02 21 92.56 15 92.68 + 0.12 28 91.21 15 91.52 10 92.64 + 1.12 49 90.93 22 88.95 22 92.94 + 3.49 4 90.27 1 80.48 2 61.67 + 5.19 13 89.44 9 b0.05 4 88.05 — 2. » H 89.29 7 86.15 3 95.45 + 9.30 28 88.f.4 13 85.92 8 92.08 -f- 6.16 + 2.75 17 88.59 10 87.47 7 90.22 29 88.46 18 88.55 6 87 58 — 0.97 112 87.97 51 86.29 52 89.90 + 3.61 3'. 87.52 24 86.37 10 90.38 + 4.01 11 87.30 8 87.04 2 87.22 -f 0.18 63 87.25- 32 87.04 26 86.65 — 0.39 17 86.73 14 85.58 2 94.23 + 8.65 87 86.55 43 85.72 28 87-76 -f 2.04 122 86.45 76 85.70 40 88.17 + 2.47 53 86.18 32 85.46 14 88.51 + 3.05 84 85.40 55 84.91 24 87.46 + 2.55 10 8'.. 45 5 85.98 3 81.14 — 4.84 53 83 . 95 26 83.67 20 83.83 + 0.16 16 83.82 10 84.47 3 82.71 — 1.76 77 83.76 43 82.14 27 86.44 + 4.30 0 83. 'i9 4 83.23 1 83 . 78 + 0.55 4 82.58 2 81.71 2 83.56 + 1.85 10 82.07 6 81.17 4 83.43 + 2.26 14 81.91 5 80. » 5 81.72 + 1.72 39 81.89 25 81.41 13 82. 06 + 0.65 22 8t. 40 10 81.07 7 82. OS + 1.01 55 81.27 30 79.92 21 82.89 + 2.97 8 81.09 7 80.07 1 88.09 + 8.02 49 80.59 22 78-86 21 82.85 + 3.99 14 80.07 10 78.82 3 82.32 + 3.50 8 79. 33 5 78.32 3 81.14 -r- 2.82 11 77. CI 9 76.53 o 79.27 + 2.74 M. Hoyelacque. — La valeur descriptive de l'indice orbitaire est-elle toujours égale à celle de l'indice céphalique ? Les oscillations me paraissent plus consi- dérables dans le premier. Sur une douzaine de crânes savoyards que j*ai étu- diés tout récemment — crânes de femmes pour la très-grande partie, — l'os- cillation n'est que de 10 pour cent lorsqu'il s'agit de l'indice céphalique et elle est de plus de 20 lorsqu'il est question de l'indice orbitaire. Il se peut, à la vérité, que dans telle ou telle race, tel ou tel indice soit sujet à de plus amples oscillations, mais je serais surpris si l'indice orbitaire devait être placé définitivement sur le même pied que l'indice céphalique en ce qui concerne la fluctuation individuelle. M. Broca répond qu'il est loin d'attribuer à l'indice orbitaire une impor- tance égale à celle de l'indice céphalique et de l'indice nasal. Dr GAYRAL. — PRÉSENTATION D INSTRUMENTS m 12" Section SCIENCES MÉDICALES Présidents d'h nneur. MM. DONDERS, Professeur de physiologie à l'Université d'Utrecht. WARLOMONT, Membre de l'Académie de médecine, à Bruxelles. Président M. VERNEUII-, Professeur à la Faculté de médecine de Paris. Vice-Présidents MM. CAZENEUVE, Directeur de l'École de médecine de Lille. LEUDET, Directeur de l'École de médecine de Rouen. OLLIER, Chirurgien-major de l'Hôpital de la Charité de Lyon. TESTELIN, Docteur en médecine, Député du Nord. Secrétaires MM. FOLET, Professeur-adjoint à l'École de médecine de Lille. HALLEZ, Professeur à l'École de médecine, à Lille. PAQUET, Professeur à l'École de médecine de Lille. F &AYEAL père De Carignan (Ardennes) PRÉSENTATION D INSTRUMENTS [extrait du procès-verbal) — Séance du 21 août 1874. — M. Gayral père présente à la section les divers instruments suivants : 1° Un pessaire annulaire recouvert de caoutchouc, destiné à remédier aux descentes de matrice. Cet anneau agit en forçant le vagin à rester dilaté et à se replier autour de lui, de façon à produire un raccourcissement de com- pensation dans la longueur totale du conduit vaginal, et cela sans que le pes saire touche le col utérin ; 2° Un appareil destiné aux bains du col utérin, composé d'un anneau sem- blable au pessaire annulaire, sur lequel vient s'ajuster une cavité de caout- chouc, ayant la forme d'un cône, renfermant le liquide qui doit être mis en contact avec le col, ou une éponge chargée de principes médicamenteux; 3° Un vaginomètre ou instrument destiné à mesurer la capacité du vagin, ou plutôt le degré de dilatabilité auquel il peut être porté sans gêne pour la malade ; 4° Un instrument destiné à porter directement sur le col un topique ou un tampon ; 694 SCIENCES MÉDICALES 5° Une sonde uréthrale présentant quelque analogie avec la sonde de Belloc, et qui a pour but, par une disposition spéciale, de remédier à l'inconvénient des œillères des sondes ordinaires, par lesquelles le sang en caillot vient fré- quemment obstruer le canal de la sonde ; fî° Enfin, un perforateur du tympan, lequel, mû à l'aide d'un ressort, produit une perforation circulaire qui peut intéresser jusqu'au tiers de la sur- face de la membrane, et établir ainsi une communication définitive entre l'oreille moyenne et l'oreille externe. D1 WAMEBROÏÏCQ Professeur de pathologie interne à l'École de médecine de Lille. DE L'ENTÉRITE INTERSTITIELLE ENTÉRITE PSEUDO-MEMBRANEUSE) ET PARTICULIÈREMENT DU SIÈGE ET DE LA NATURE DE CETTE AFFECTION — Séance du 21 août 1874. — Vers le milieu de l'année 1863, je présentai à mes collègues de la Société de médecine du Nord des fausses membranes intestinales lon- gues de plusieurs pieds, larges, épaisses, rejetées par une malade entrée à l'hôpital pour un cancer de l'utérus, mais atteinte déjà depuis nom- bre d'années de douleurs abdominales accompagnées fréquemment de l'évacuation de produits morbides semblables. J'avais recueilli peu de temps auparavant une pseudo-membrane très- solide, longue de lm,20 qui figure actuellement dans la collection ana- tomo-patliulogique de notre École de médecine. Cette dernière pièce provenait d'une dame de la ville atteinte, depuis plus d'un mois, d'ac- cidents abdominaux aigus graves, accompagnés presque journellement de l'expulsion de matières stercorales rares et dures, ou de fausses membranes de volume et de longueur variables. Me trouvant déjà depuis quelque temps aux prises avec plusieurs cas de même nature, rebelles à des traitements variés, j'espérais obtenir de mes confrères d'utiles conseils ; mais malgré la grande expérience et le haut savoir de la plupart d'entre eux, ma présentation les prenait au dépourvu. Plusieurs déclarèrent avoir été témoins de faits analogues récents ou remontant à un certain nombre d'années, mais aucun n'était fixé sur la nature du mal, sur la marche habituelle de l'affection, sur sa terminaison, sur la médication à lui opposer. Ces desiderata constituaient une trop large lacune de science et de pra- Dr WANNEBROUOQ. DE L'ENTÉRITE INTERSTITIELLE 695 tique pour que je ne fisse pas quelques tentatives pour la combler. Je recherchai donc dans les auteurs toutes les indications propres à me servir de guide et je résolus d'étudier attentivement, à l'avenir, tous les cas de cette espèce qui se présenteraient à mon observation. Depuis plus de dix ans j'ai rassemblé de nombreux matériaux sur ce sujet et me propose d'en signaler, dans ce travail, les points les plus importants. Historique. — A voir le silence gardé sur cette question des fausses membranes intestinales par la plupart des traités classiques il semble- rait que la maladie dont elles constituent un des principaux signes est tellement rare que la pratique courante n'a pas à compter avec elle, et qu'elle ne vaut pas la peine d'être étudiée. Si telle était la raison de cet oubli ou de cette négligence, je ne saurais trop m'élever contre elle. J'estime au contraire que cette rareté supposée n'est qu'apparente. Cette affection n'ayant pas jusqu'ici trouvé sa place dans les ouvrages de pathologie, passe souvent inaperçue; les phénomènes en sont mal in- terprétés, à tel point que si le hasard en amène un exemple sous les yeux d'un observateur, celui-ci croit avoir rencontré quelque trouble morbide exceptionnel, ignoré de ses devanciers, et cela parce qu'il ne lui connaît ni un nom ni une place dans les cadres nosologiques. Pourtant, en retournant en arrière de quelques générations médi- cales, nous trouvons déjà des preuves que cette excrétion de corps membraniformes avec les garde-robes avait été curieusement remarquée sinon interprétée à sa juste valeur. Morgagni (XXXIe lettre : des Flux de ventre) dit que dans la dyssen- terie on peut rendre des corps gras en apparence, charnus et membra- neux, sans qu'aucun ulcère affecte les intestins. Il rapporte d'après Zollicoiïer, le fait d'une concrétion pituiteuse rendue par Justus de Leipsick par le ventre, telle que celui-ci s'imagina que c'étaient des in- testins parce qu'elle en avait la forme. Il emprunte à Fernel, l'obser- vation de la maladie de l'ambassadeur de Charles-Quint, qui expulsa un corps ferme et percé d'un conduit dans son milieu et long d'un pied. Sennert, Lancisi savaient et enseignaient « que certains tœnias des » intestins n'étaient pas des vers, mais des excréments muqueux qui » prenaient cette forme dans les intestins. » Roche (1) décrit la gastro-entérite membraneuse à l'état aigu et à l'état chronique; mais la description en est tout à fait incomplète, au point de vue des symptômes, et il a le tort de rapprocher l'entérite membraneuse aiguë des affections diphthéritiques, telles que l'angine couenneuse et le croup, avec lesquelles, dit-il, « cette forme d'entérite (l) Nouveaux Éléments, de pathologie médico-chirurgicale, de Roche et Sanson ; 3° édit. 1833, t. I, p. 557. tf96 SCIENCES MÉDICALES » semble former un genre d'inflammation particulière que M. Breton- » neau propose de désigner sous le nom de diphthérite. » Pour l'entérite membraneuse chronique, il la connaît mieux et la décrit succinctement avec assez de vérité. Il a examiné des malades chez qui l'affection durait depuis vingt et trente ans. Il croit qu'elle n'est pas produite par des causes spéciales, mais qu'elle est liée à l'idio- svncrasie des individus ; « ce qui ne nous apprend pas grand'chose » , avoue-t-il sincèrement. Si incomplètes que soient les notions contenues dans l'ouvrage de Roche et Sanson, il est à regretter que les écrivains venus après eux n'aient pas conservé dans leurs divisions des maladies du tube digestif cette variété d'entérite. Ils eussent épargné aux obser- vateurs bien des incertitudes et des embarras. Les auteurs du Compendium de médecine pratique (t. V, p. 399) admettent bien, au point de vue anatomique, l'entérite pseudo-membra- neuse comme forme d'inflammation intestinale aiguë. Ils en rapportent quelques exemples empruntés à Cruveilhier, Gendrin, Bretonneau, Copland, Billard, Valleix, Barthez et Rilliet, avec détails nécroscopiques, mais il n'en est plus question à propos de la symptomatologie. Gendrin, traitant de la dyspepsie nidoreuse, dit que dans les cas où l'autopsie a pu être faite, il a souvent trouvé, outre des liquides variés dans la cavité de l'intestin, des mucosités adhérentes. « Le mucus déposé » et comme agglutiné sur la surface de la muqueuse gastro- intestinale » acquiert quelquefois une assez grande densité pour former des con- » crétions d'apparence pseudo-membraneuse, qui sont excrétées avec les » selles et que l'on rencontre dans les intestins après la mort. » (Traité philosophique de médecine pratique 1841, t. III, p. 23.) Barthez et Rilliet, dans leur division des catarrhes et phlegmasies du tube gastro-intestinal, admettent la gastro-entérite pseudo-membraneuse et donnent des détails nécroscopiques sur cette forme d'inflammation. Mais il est évident à la lecture de leur description qu'ils ont le plus souvent rencontré du muguet ou des exsudats pultacés et rarement de véritables fausses membranes d'une consistance et d'une dimension no- tables. Si j'en crois d'ailleurs une observation déjà longue, celles-ci ne se produisent pas chez les nouveau-nés. Les séances de la Société anatomique de Paris ont été, à plusieurs reprises, le théâtre de discussions sur le sujet qui nous occupe. En 1854, M. Broca y présente de fausses membranes intestinales provenant de divers membres d'une même famille. M. Cruveilhier déclare voir sou- vent des personnes qui rendent ainsi des fausses membranes. En 1857, M. Potain y montre des fausses membranes longues de 30 à 40 centi- mètres. Il n'en connaît pas, dit-il, d'exemples mentionnés dans la science. Dans le cours d'une discussion qui s'engage alors, MM. Dufour, Dr WANN'EBROUOQ. — DE L'ENTÉRITE INTERSTITIELLE (597 Barth, Axenfeld, Blondeau citent différents faits analogues. M. Potaiii résume ainsi la discussion : « Quoique l'histoire de ces productions » mucoso-gélalineuses soit encore très-incomplète, on peut déjà les di- » viser en deux classes : les unes seraient formées de mucus concret, » les autres seraient l'exsudat d'une sécrétion toute particulière se for- » niant dans l'intestin. Elles seraient l'expression d'une maladie peut- » être spéciale, encore incomplètement connue. » Dans son précieux ouvrage sur les affections pseudo-membraneuses, M. Laboulbène consacre quelques pages à l'étude de l'entérite couen- neuse. Il n'admet pas l'identité des fausses membranes intestinales avec les produits analogues de la diphthérie et du muguet. La description anatomique qu'il en donne est complète. Il cite une curieuse observa- tion d'entérite pseudo-membraneuse aiguë empruntée au Recueil de Mé- moires de médecine, de chirurgie et de pharmacie militaires (t. XXXVII, p. 297, 1835). Il parle, dans un chapitre spécial, des mucosités intesti- nales colloïdes et des concrétions gélatiniformes. C'est à tort, selon moi, qu'il sépare ces deux sortes d'exsudats, lesquels ne sont que des degrés divers d'un même produit inflammatoire. Cruveilhier (Traité d'anatomie pathologique générale, 1862, t. IV, p. 4SI) n'a pas omis de signaler les fausses membranes rubanées ou tubuliformes expulsées avec les matières alvines, souvent prises par des personnes étrangères à l'art pour des vers intestinaux. Grisolle parle incidemment de concrétions albumino-fibrineuses qui peuvent être expulsées par l'intestin. Chez un membre de sa famille il en a observé pendant de longues années. Il croyait à l'existence d'une entéralgie après avoir d',abord songé à une affection organique (Patho- logie interne, t. II, p. 727, 8e édition, 1862). C'est vers cette époque que je publiai successivement (Bulletin médi- cal du Nord, 1863), deux notes qui accompagnaient la présentation de fausses membranes intestinales remarquables par leur longueur et leur consistance, m'eflbrçant déjà dès ce moment de différencier l'entérite commune de celle qui donnait lieu à de tels exsudats. Le docteur Perroud a fait paraître dans le Journal de médecine de Lyon (septembre 1864) un mémoire avec quatre observations à l'appui. Il y étudie très-complètement les fausses membranes intestinales au point de vue anatomique, physique et chimique. Le docteur Jules Guyot a porté la question des fausses membranes intestinales devant la Société médicale des hôpitaux de Paris (28 février 1868) en y présentant un paquet de mucosités intestinales concrètes auxquelles il attribue des phénomènes d'étranglement éprouvés par le malade soumis à son observation; mais la lecture attentive du fait dé- montre assez clairement l'existence primitive de l'occlusion intestinale 48 698 SCIENCES MÉDICALES momentanée, l'inflammation secondaire de la portion de l'intestin de- venue le siège de l'occlusion, et enfin la production en cet endroit de pseudo-membranes courtes et ténues. Cette entérite pseudo-membra- neuse fut aussi éphémère que l'accident qui y avait donné naissance. Ce fait intéressant d'ailleurs, publié dans V Union médicale, a valu à ce journal (18 juin 4868) une excellente note du docteur Merland de Chaillé. Il a observé un grand nombre de cas d'entérite pseudo-mem- braneuse à l'état aigu et suraigu ; il en connaît bien les accidents sou- vent sérieux et bien propres dans nombre de circonstances à rendre le diagnostic équivoque. Il semble en avoir assombri un peu trop le pro- nostic et ne paraît pas avoir eu l'occasion de suivre des malades pendant de longues années. Le souvenir de l'intérêt obtenu par l'observation de M. Guyot engage M. le docteur Siredey à présenter de nouveau à la Société médicale des hôpitaux de Paris (11 décembre 1868) un travail sur le même sujet. Il a suivi un malade qui, depuis quatorze ans environ, est atteint de trou- bles nerveux bizarres, portant principalement sur la sensibilité et sur l'état moral. Depuis plusieurs années que M. Siredey l'observe, ce ma- lade expulse de temps en temps, à des époques irrégulières, des matières filamenteuses, vermicellées ou rubanées, et ressemblant alors à des fausses membranes. En raison de la coïncidence des phénomènes ner- veux morbides et de cette sécrétion anormale, il admet que ces muco- sités gélatiniformes sont sécrétées sous l'influence seule d'un trouble de l'innervation. Cette théorie pathogénique ne me paraît pas admissible, et je me propose de la discuter plus loin. Sauf quelques indications (1) sans grande valeur au point de vue de l'étude du mode de production des fausses membranes intestinales, je crois avoir rapporté toutes les notions historiques que comporte la ques- tion. Avec l'aide de tous ces enseignements, en compulsant les observations que j'ai recueillies depuis longtemps sur le sujet, au nombre de plus de quarante, je m'efforcerai de tracer de l'entérite pseudo-membraneuse, affection bien peu connue, comme on l'a pu voir, une description aussi complète que possible en l'état de pénurie de matériaux où nous nous trouvons encore. Anatomie pathologique. — Ce chapitre sera nécessairement assez bref et incomplet. Les occasions sont rares, en effet, où il soit donné de pratiquer l'autopsie à la suite de cette maladie. A l'état aigu, elle gué- rit presque constamment. Les individus qui en sont atteints chronique- (1) Clemcns : du Croup intestinal, in Gaz. hebd., 1860, p. 217. — Leçons cliniques de Trous- seau. — Leçons cliniques de Graves. — Obs. d'entérite membraneuse, par van Valzah, in the American Journal of Med. Juillet 1873. Dr WANNEBROUCQ. DE L'ENTÉRITE INTERSTITIELLE 699 ment ne meurent pas ordinairement de son fait, et, s'ils viennent suc- comber dans les hôpitaux à une maladie organique, c'est sur celle-ci que se concentre exclusivement l'attention, et presque toujours, de même que l'affection intestinale a passé inaperçue pendant la vie, les lésions en sont négligées après la mort. Les auteurs qui se sont le plus occupés de V entente pseudo-membra- neuse aiguë au point de vue de l'anatomie pathologique sont Barthez et Rilliet ; mais, comme nous l'avons déjà fait observer, ils ont rencontré surtout des phlegmasies intestinales avec production de muguet ou d'enduits pultacés, et rarement la véritable entérite membraneuse. Voici pourtant ce qu'on trouve dans leur ouvrage de plus applicable à l'affec- tion qui nous occupe : « Aux points où commence la fausse membrane, » elle est disposée par petites plaques inégales, irrégulières, rares, iso- » lées et situées sur le sommet des plis ; mais bientôt elle devient plus » étendue et finit par former de larges plaques qui suivent la muqueuse » dans tous ses replis et couvrent presque tout le calibre du tube irites- » tinal. Son épaisseur va rarement au delà de 0m,001 ou 0m,002. Cette » forme est la plus fréquente de toutes, et s'accompagne toujours d'une » grave inflammation de la muqueuse sous-jacente. » Il faut regretter que la description analytique des lésions ne soit pas plus complète, et que nous n'y trouvions aucune indication sur l'état d'alté- ration plus ou moins profonde de la muqueuse, du tissu cellulaire et des autres tuniques intestinales. La dénomination de grave, que ces auteurs donnent à la phlegmasie, implique certainement que le processus inflam- matoire avait gagné la profondeur des tissus et dépassait les limites d'une simple inflammation catarrhale. Ce qui tend à établir la réalité de ces supputations, c'est que, dans tous les cas où des fausses membranes intestinales viennent à être expul- sées dans le cours de maladies pouvant avoir une issue funeste, les recherches anatomo-pathologiques font constamment découvrir des dé- sordres sérieux dans la vascularisation et dans la nutrition de toute l'épaisseur de la paroi intestinale. N'en est-il pas ainsi dans l'inflammation dysentérique, même sous sa forme sporadique ? Cette forme atténuée que les pathologistes devraient séparer de la dysenterie vraie, a pu être étudiée anatomiquement, et elle a toujours montré des ulcérations superficielles de la muqueuse, ainsi que des altérations dans les autres tuniques de l'intestin (1). Il est une variété d'entérite pseudo-membraneuse où ces désordres profonds de presque toutes les parties constituantes de l'intestin ont été plus d'une fois constatées par les recherches de Nonat, de Bernutz, de (Ù Gély (de Nantes) : Essai sur les altérations anatomiques qui constituent spécialement l'étal dysentérique, H 838. 700 SCIENCES MÉDICALES Goupil, de Gallard. C'est celte rectite secondaire survenant si souvent au cours d'une phlegmasie péri-utérine, et donnant lieu à l'expulsion de fausses membranes quelquefois très-épaisses et fort consistantes. Quand l'autopsie en a été faite, on a rencontré du côté du rectum une inflammation violente, parfois ulcéreuse. Les mêmes lésions se produi- sent encore sur l'intestin lorsqu'une phlegmasie d'un des organes du petit bassin ou de tout autre point de la cavité abdominale réagit par propagation sur une portion du tube digestif, comme dans les cas de phlegmons des ligaments larges, d'abcès des fosses iliaques, de périty- phlite, de périnéphrite, d'hépatite suppuréc, de cholécystite, de périto- nite circonscrite, etc. On peut conclure de tout ceci que, dans les diverses circonstances où l'expulsion de fausses membranes intestinales constitue un symptôme habituel et où l'on a pu en rechercher le point de départ anatomique, on a trouvé une inflammation grave et profonde que nous pouvons appeler interstitielle. On peut donc sans témérité en inférer et tenir pour démontré que l'existence de fausses membranes dans les déjec- tions alvines implique nécessairement une phlegmasie intense, profonde, étendue à la totalité ou à presque toute l'épaisseur de ia paroi intesti- nale. Est-il permis d'en douter d'ailleurs, lorsque, explorant le trajet du gros intestin à travers les parois abdominales pendant le cours de la maladie, on trouve tout ou portion de cet intestin transformé en une sorte de cylindre volumineux, épais, rigide et ne se laissant ni déprimer ni mobiliser. L'inflammation interstitielle aiguë primitive peut-elle atteindre jusqu'à l'ulcération et peut-être même à la perforation? Je n'en fais pas doute pour ma part, quoique le fait soit rare. J'ai vu succomber à des hémor- rhagies intestinales précédées d'évacuations muco-purulentes, un jeune homme de 24 ans, jouissant antérieurement de la plus brillante santé. Il avait subi durant l'espace de huit mois plusieurs attaques d'entérite pseudo-membraneuse, avec des intervalles de rétablissement presque complet de la santé En ce qui concerne l'entérite pseudo-membraneuse chronique, les au- teurs sont encore plus laconiques, si c'est possible, sur les lésions qui la caractérisent. Nul doute néanmoins qu'on ne puisse lui appliquer pres- que en totalité la description consacrée par la plupart des traités clas- siques à l'entérite chronique. C'est tantôt une atrophie avec amincis- sement des parois, tantôt au contraire l'épaississement , l'induration comme lardacée du tissu cellulaire; on trouve assez souvent une certaine friabilité ou un ramollissement pulpeux, de certains points de la mu- queuse. Celle-ci peut être érodée, ulcérée. Le calibre du canal intesti- nal est, dans certains cas, considérablement diminué; non d'une manière S Dr WANNEBROUCQ, — DE L'ENTÉRITE INTEHSTITIELLE 701 uniforme, mais inégalement suivant les régions. Gendrin (I) a constaté une particularité importante qui nous expliquera l'aspect de certaines évacuations alvines. Il dit : « La tunique muqueuse sur la surface de » laquelle s'était déposée cette couche de mucus plastique présentait un » développement anormal d'une partie de ses cryptes mucipares tuméfiéï » au point de former comme des grains épais et disséminés, les uns » comme sphériques, les autres lenticulaires ; tous étaient marqués par » un point grisâtre à leur centre. Sur un assez grand nombre on re- » marquait comme une strie de matière noire qui donnait à la muqueuse » un aspect tacheté. Cette matière noire s'était épanchée dans la couche » muqueuse plastique adhérente dans un grand nombre de points et s'en- » levait avec elle. Lorsqu'on essuyait avec un linge la surface de la » membrane muqueuse, on recueillait quelques parcelles de cette ma- » tière noire qui tachait le linge. » Symptomatologie. — Nous laisserons décote les entérites pseudo-mem- braneuses secondaires survenues par contiguïté, et dont les phénomènes morbides disparaissent pour ainsi dire au milieu des symptômes de la maladie initiale, pour nous attacher exclusivement à la description de l'entérite interstitielle ou pseudo-membraneuse primitive aiguë et chro- nique. On ne s'étonnera pas de voir figurer dans cette description les signes de la dysenterie sporadique, car, selon nous, celle-ci est complètement distincte de la dysenterie épidémique, aussi bien au point de vue de l'étiologie que du pronostic, et nous sommes heureux de nous rencontrer dans cette manière de voir avec des maîtres dont nous sommes accou- tumés à estimer très-haut les opinions scientifiques (2) . L 'entérite pseudo-membraneuse aiguë ne débute pas toujours d'une manière univoque. Souvent l'anorexie, la fatigue, du malaise général, de la céphalalgie durant quelques jours constituent un ensemble prodro- mique sans caractère bien défini, mais susceptible par son intensité d'éveiller déjà l'attention du malade. Ajoutons-y l'épistaxis, qui vient assez fréquemment compléter un tableau analogue à celui des prémisses de la fièvre typhoïde. '? Après ou sans manifestation de ces phénomènes précurseurs, des fris- sons parfois assez intenses surviennent et se répètent habituellement plusieurs jours de suite. Ils peuvent même se montrer de nouveau après avoir disparu pendant quelques jours, comme si le processus inflammatoire se faisait par poussées successives. La fièvre qui s'établit alors est variable, mais elle atteint son apogée en deux à trois jours. Dans les cas moyens, H) Médecine, pratique, t. III, p. 25. [2] Hardy el Bôhior, Pathologie interne, t II. 702 SCIENCES MÉDICALES le pouls monte à ilO. la température oscille entre 38°,S et 39°,o. Dans les cas intenses, on peut trouver le pouls à 430 et la température à 40°, ou 40° ,5. On observe des rémissions matinales inégales et générale- ment plus marquées encore que celles de la fièvre typhoïde. La cépha- lalgie est vive, la courbature générale très-forte et péniblement supportée, mais dans aucun cas je n'ai observé la prostration, l'abattement, l'inertie qui se développent assez souvent dès les premiers jours de cette dernière pyrexie. Des vomissements bilieux ou muqueux, se répétant parfois plu- sieurs jours de suite, marquent assez souvent le début de la maladie. Les douleurs figurent constamment parmi les phénomènes initiaux. Le siège en est variable; mais dans la plupart de nos observations elles ont commencé dans la fosse iliaque droite. Elles peuvent s'y manifester exclusivement durant un certain temps; mais généralement, au bout de quelques jours, d'autres points douloureux sont accusés soit en sui- vant de proche en proche le trajet des côlons, soit sans douleur inter- médiaire, dans la fosse iliaque gauche, ou dans la région hypogastrique . Ces douleurs sont ordinairement vives. Elles se renouvellent sous forme de coliques violentes, arrachant souvent des plaintes au malade ou se révélant tout au moins sur sa physionomie par une pâleur subite et une apparence grippée de la face. Le moindre déplacement du corps les aggrave presque toujours ; aussi voit-on la plupart des malades garder l'immobilité complète dans le décubitus dorsal. Certains même se tien- nent à demi fléchis, le dos et la tête soutenus par des oreillers, n'osant s'allonger afin d'éviter une sensation très-douloureuse de tiraillement et comme de corde tendue profondément dans l'abdomen. La pression exaspère les douleurs et celles-ci semblent parfois si superficielles qu'on les croirait péritonéales. Ce qui pourrait encore contribuer à donner le change, c'est que constamment il y a du météorisme presque dès le début. Cette pneumatose intestinale est due sans doute à plusieurs causes telles que la paralysie incomplète de la tunique musculaire enflammée, et l'ob- stacle à la circulation gazeuse amené par l'épaississement pariétal aug- menté de la présence d'exsudats ; de sorte qu'il se produit ici sous une forme amoindrie un ballonnement analogue à celui de l'occlusion intesti- nale. Lorsque la douleur aussi bien que la distension de la paroi abdo- minale ne s'opposent pas absolument à une palpation profonde, on trouve la totalité ou une notable partie du gros intestin augmentée de volume, dure, donnant l'idée d'un cylindre rigide et peu mobile. La palpation de cet intestin donne souvent lieu non à du véritable gargouillement, mais à une sorte de crépitation ; il semble que l'on écrase de la neige ou que l'on presse un corps spongieux chargé d'eau. Cette sensation se rencontre plus habituellement vers le cœcum qu'en aucun autre point. Un certain degré de péritonite circonscrite n'est pas rare d'ailleurs et Dr WANNEBROUCQ . — DE L'ENTÉRITE INTERSTITIELLE 703 se reconnaît non-seulement à la nature des douleurs, mais à une tumeur résultant de la production de fausses membranes et de l'agglutination de quelques anses intestinales entre elles et avec la paroi abdominale. La constipation est la règle au moins pendant un certain nombre de jours, souvent durant plus d'une septénaire et quelquefois pendant toute la durée de la maladie. Des lavements réitérés parviennent difficilement à entraîner quelques matières excrémentitielles en petits fragments durs, irréguliers, en scy- bales. On aperçoit déjà mêlées à ces matières des excrétions glaireuses, filamenteuses, mais ce n'est souvent qu'après 6 à 8 jours qu'apparaissent des fausses membranes. Celles-ci sont d'abord petites, ténues, minces, presque gélatineuses, intimement appliquées sur les matières alvines mais se suspendant bientôt dans les liquides mêlés aux garde-robes. Si la phlegmasie est assez intense et occupe une grande étendue du tube intestinal, on ne tarde pas à voir se montrer des pseudo-membranes plus épaisses, plus longues, de formes variées. Il en est de quelques centi- mètres à peine, d'autres ont 15, 25, 50 centimètres ou davantage encore, et je rappellerai ici pour la rareté du fait cette pseudo-membrane très- résistante, longue de 1 mètre 20 centimètres, que je présentai il y a une dizaine d'années à mes collègues de la Société de médecine de Lille. Dans certaines circonstances, ces produits pathologiques sont minces comme des pellicules translucides, se rompant sous la moindre traction, ayant, quand ils flottent dans un liquide, une apparence aréolaire. D'autres fois, au contraire, ils ont une épaisseur considérable de 1 à 4 millimètres, et sont comme stratifiés ou feutrés. Si ces fausses membranes sont assez étendues pour être étudiées sous leurs deux faces, on trouve l'une de celles-ci plus lisse, de couleur gri- sâtre ou teintée de jaune biliaire : c'est la face interne accolée aux ma- tières alvines ; l'autre face est tomenteuse, fortement villeuse même, quand on examine le fragment flottant dans l'eau, de couleur blanchâtre souvent ponctuée par de la matière colorante noire ou teintée de sang, c'est la face pariétale qui entraîne parfois avec elle des débris de la muqueuse. On rencontre, mais assez rarement, des pseudo-membranes tubulées ; plus souvent elles sont rubanées, rappelant vaguement la forme du ténia, avec lequel elles sont souvent confondues par les personnes étrangères à l'art ; on les voit fréquemment se diviser vers leurs extrémités en digitations ou en longues lanières. D'autres fois elles se présentent sous la forme d'un cordon plein ou creux de la grosseur d'une plume de pigeon à celle du petit doigt, assez régulièrement cylindrique, plus souvent moni- liforme, avec étranglements et renflements alternatifs. Quelques auteurs ont attaché une certaine importance à ce fait que les fausses membranes sont souvent expulsées séparément avant ou après "04 SCIENCES MÉDICALES les fèces. C'est là une éventualité variable et sans valeur. Tantôt, en effet, ces fausses membranes ont été roulées, pelotonnées dans l'intestin en une masse compacte franchissant lentement le trajet intestinal sans se mêler intimement auxmatières ; [tantôt au contraire, elles ne se détachent que mêlées aux fèces, et en agglutinent les fragments, de manière que si l'on vient à soulever l'une de ces fausses membranes par une extrémité, on a comme une sorte de chapelet dont la corde plus ou moins centrale retient les grains formés de scybales. L'expulsion des fausses membanes peut alterner avec d'autres produits, et ces derniers peuvent mêmes les remplacer complètement dans certaines périodes de la maladie, quand elle passe à l'état subaigu. Ces autres exsudats sont des masses glaireuses, gélatiniformes, quelquefois colorées, le plus souvent transparentes et comme vitreuses. Il n'est pas rare d'y apercevoir quel- ques traces de sang, mais ce n'est qu'exceptionnellement qu'elles prennent l'aspect gelée de groseilles. On en observe quelquefois qui sont consti- tuées par des paquets gélatiniformes mêlés de points noirâtres, méla- niques, ressemblant à du frai de grenouilles en voie d'éclosion. L'étude microscopique de ces fausses membranes montre qu'elles sont formées d'une trame fibrillaire à filaments entrecroisés composés sur- tout de mucine (inaltérable par l'acide acétique) partiellement de fibrine et rarement de quelques débris de tissu conjonctif. Dans cette trame on rencontre en grande quantité de l'épithélium cylindrique altéré, des leucocytes, quelques globules sanguins dégénérés, beaucoup d'éléments granuleux et graisseux et souvent des cristaux de phosphateammoniaco- magnesien. Ces divers exsudats sont rejetés ainsi pendant un temps variable en- tre deux à trois septénaires et plusieurs mois. Quand la maladie tend à guérir, les pseudo-membranes disparaissent peu à peu et deviennent graduellement plus courtes et plus minces et font même exclusivement place à des mucosités de moins en moins concrètes. Quoique la constipation soit un des symptômes les plus constants, on la voit quelquefois alterner avec la diarrhée séreuse. Celle-ci est le plus souvent provoquée par des purgatifs, ou bien il existe simultanément dans la portion supérieure de l'intestin une inflammation catarrhale four- nissant ses produits liquides habituels. Il y a de la soif. La langue est saburrale, mais elle ne présente jamais ce degré de viscosité ou de sécheresse qu'on observe dans la fièvre typhoïde. La peau est sèche dans les premiers jours. Plus tard, elle est habi- tuellement halitueuse. On y observe des éruptions sudorales ou miliaires, mais on n'y voit jamais de taches rosées lenticulaires. Je n'y ai jamais !>' WANJSEBROUCQ. — DE l'eNTÉKITE INTERSTITIELLE 705 rencontré les taches ardoisées qu'on voit souvent dans la lièvre gastrique intense. Les urines sont rares, colorées, et déposent abondamment d'urates. La respiration a une fréquence en rapport avec le degré de la fièvre; elle est parfois gênée par le ballonnement intestinal, mais il n'existe aucun signe stéthoscopique révélant un état congcstif ou inflammatoire des voies aériennes. Du côté du système nerveux, à part les troubles de sensibilité déjà signalés, on n'observe aucun phénomène grave. La céphalalgie persiste longtemps. Le sommeil est difficile, nul même pendant les premiers jours, mais il n'y a pas de délire, et même dans les cas les plus intenses que j'aie vus, l'intelligence est demeurée parfaitement intacte et la physionomie conservait toute son expression. Nous devons indiquer d'une manière spéciale les traits que présente l'entérite interstitielle ou pseudo-membraneuse quand elle envahit le rectum, qu'elle s'y soit établie d'emblée, ou, ce qui m'a paru plus com- mun, qu'elle s'y soit propagée avec plus ou moins de rapidité après avoir débuté vers le cœcum. Aux symptômes indiqués ci -dessus se joi- gnent alors ceux qu'on a coutume de regarder comme caractéristiques de la dysenterie. Les malades éprouvent de très-fréquents besoins d'aller à la garde-robe, sensations illusoires, car ils rejettent à peine quelques mucosités insignifiantes avec de vives coliques et des douleurs anales. Les excrétions glaireuses ou pseudo-membraneuses sont ici plus sou- vent teintées de sang, ce qui est dû bien certainement au ténesme anal, aux frottements violents que la muqueuse exerce sur elle-même dans un point où existe naturellement un développement vasculaire extrêmement riche et une grande tendance aux congestions hémorrhagiques. Les lavements sont, dans le cas de rectitc, très-difficilement tolérés. Au ténesme anal se joint souvent le ténesme vésical, et chez deux de mes malades, il m'a été donné d'observer l'expulsion de fausses mem- branes non-seulement par l'anus, mais encore par le vagin et par l'urèthre. Je n'ai trouvé du pus et des liquides sanieux avec des débris de mu- queuse que dans quelques cas : l'un s'est terminé par la mort après plus de huit mois d'alternatives de rémission et d'aggravation d'une entérite interstitielle très-étendue; d'autres étaient des typhlites avec suppuration du tissu cellulaire entourant le ccecum ; en un mot, avec phlegmon iliaque et les accidents graves qui peuvent en être la consé- quence. Imbu des idées régnantes, on ne retrouvera, dans les faits que je 70() SCIENCES MÉDICALES viens d'indiquer en dernier lieu, que des exemples de dysenterie spora- dique. Mais, ainsi que je l'ai déjà fait observer, il importe de séparer définitivement cette dernière affection de la dysenterie épidémique. Tout nous y oblige : la genèse, les lésions anatomiques, les symptômes, la marche et la terminaison sont essentiellement différentes. L'une est une affection miasmatique, contagieuse, ulcéreuse, grave souvent; l'autre est une inflammation née de causes communes, non contagieuse, presque constamment bénigne. L'entérite interstitielle aiguë a une première période ascendante de durée variable, mais le plus souvent d'un septénaire ou un peu plus. A ce moment, la fièvre s'amoindrit notablement ; les phénomènes abdomi- naux persistant avec leurs caractères primitifs durant plusieurs septé- naires encore ; puis les accidents généraux cèdent complètement et les fonctions intestinales se rétablissent peu à peu dans leur intégrité par la disparition des douleurs, du météorisme et des excrétions membra- niformes ou glaireuses. La santé générale laisse cependant longtemps à désirer; les forces musculaires particulièrement ont souvent éprouvé une profonde et dura- ble atteinte. Les efforts pour l'accomplissement d'un travail manuel ; les secousses de la marche, le cahot de la voiture retentissent douloureuse- ment dans le ventre longtemps encore après la disparition des symptômes principaux. Certains malades restent sujets à des névralgies diverses, à des fourmillements dans les membres, ensuite à des crampes. J'ai ob- servé plusieurs fois des sueurs locales, principalement aux membres inférieurs avec sensation de froid. Il peut rester encore des prédisposi- tions aux vertiges, aux lipothymies même après disparition de l'anémie. Les fonctions digestives, contrairement à ce qu'on serait tenté de croire a priori, reprennent assez rapidement toute leur énergie dans la plupart des cas; ce qui tend à démontrer que l'estomac ni l'intestin grêle, au moins dans sa plus grande étendue, n'ont pris aucune part à la phleg- masie. Des rechutes plus ou moins sérieuses, complètes ou seulement ébauchées, surviennent assez fréquemment et, si j'en crois mes propres relevés, la maladie passe à l'état chronique dans un quart des cas. Les récidives à intervalle d'une ou de plusieurs années sont d'ailleurs loin d'être rares. — L'entérite interstitielle ou pseudo-membraneuse chronique s'établit assez souvent d'emblée. Une douzaine au moins de mes malades m'ont très-nettement affirmé n'avoir nul souvenir d'une affection aiguë intes- tinale comme point de départ des accidents auxquels ils étaient sujets. Les phénomènes fébriles sont habituellement nuls, dans cette forme I)1 VVANNEBROUCQ. — DE L'ENTÉRITE INTERSTITIELLE 707 de la maladie en dehors de toute complication inflammatoire pyrétique. Ils ne reparaissent que très-exceptionnellement et seulement dans les cas où survient une sorte de poussée ou de recrudescence aiguë. La douleur n'est pas permanente. Elle ne se fait sentir chez bien des malades qu'au moment des garde-robes et plutôt un peu avant. Variable en intensité, mi- nime chez quelques-uns, elle acquiert un degré excessif chez d'autres. Ceux-ci la comparent à une violente colique avec sensation de torsion ou d'arrachement, ou à une brûlure prolongée comme celle d'un liquide es- carrotique. Un état lipothymique s'ensuit souvent; les traits du visage s'altèrent profondément et expriment dans certains cas une anxiété et un découragement extrêmes. La douleur se fait sentir dans certains points fixes, quelquefois même dans un point unique qui est par ordre de fré- quence l'S iliaque, le cœcum, le côlon transverse vers le creux épigastri- que. Lorsque l'inflammation a son principal siège dans le rectum et vers l'anus, les malades éprouvent constamment une pesanteur sacro-périnéale augmentant beaucoup par la marche, parla station debout, par les efforts. par la constriction du corset chez la femme. Il n'est pas rare de voir encore, dans ces cas, se développer tous les accidents de la fissure à l'anus ; mais rarement l'opération, de quelque procédé qu'on se serve, amène une guérison définitive, le spasme et la fissure se reproduisant presque fatalement. On a vu la muqueuse rectale, poussée par des efforts violents et répétés, finir par tomber en prolapsus et nécessiter plusieurs excisions successives sans bénéfices réels (1). Presque toujours aussi du ténesme vésical existe d'une manière con- comitante. Ce trouble dans la fonction urinaire prédomine même par- fois au point de concentrer l'attention des malades exclusivement sur ce point et de dérouter ainsi les investigations médicales. J'ai soigné un malade atteint d'entérite pseudo-membraneuse compliquée de contrac- ture ano-vésico-uréthrale, à qui un spécialiste haut placé de Paris avait pratiqué l'uréthrotomie interne dans la croyance à un rétrécissement. Chez la femme, les époques menstruelles aggravent considérablement ces troubles de la sensibilité, et les actes réflexes qui en sont la consé- quence. L'examen au spéculum est souvent pénible; il détermine une douleur recto-anale insupportable. J'ai observé quelques cas de vaginisme de degré moyen. Dans les recrudescences qui, à des intervalles très-variables du reste, manquent rarement de se montrer, les douleurs peuvent redevenir géné- rales et occuper tout le trajet du gros intestin comme dans la forme aiguë. La constipation est ordinaire. Les malades ne vont facilement à la (l) Siredey : Société médicale des hôpitaux de Paris, u décembre 1863. 708 SCIENCES MÉDICALES selle que lorsqu'ils sont pris de diarrhée. Sinon, soit par parésie intesti- nale, soit par coarctation ou encore par diminution de calibre due à l'é- paississement des parois, la défécation est difficile alors même que les matières alvines sont demi-solides. Dans l'état de constipation, ces matières sont rarement bien formées; elles se composent le plus souvent de petits fragments irréguliers, durs, de scybales ; ou bien une garde-robe est mi-partie solide, mi-partie en consistance de purée. On trouve aussi des matières stercorales apla- ties, comme passées au laminoir, ou arrondies mais étroites comme si elles avaient traversé une filière. Chose remarquable d'ailleurs, ces for- mes ne sont pas permanentes ; elles peuvent exister pendant une ou plusieurs semaines et prendre, ensuite, un autre aspect ; ce qui sem- blerait indiquer que le processus inflammatoire présente dos oscillations dans son intensité et des déplacements d'un point à un autre de l'in- testin. De temps en temps surviennent des périodes de diarrhée rebelle aux moyens ordinaires. Durant ces périodes, les douleurs, l'affaissement organique sont beaucoup plus prononcés qu'au temps ordinaire. Le signe caractéristique principal de l'entérite interstitielle chro- nique est, comme pour la forme aiguë, l'expulsion de pseudo-mem- branes. Celles-ci présentent toutes les variabilités de forme et d'aspect que nous avons énumérées à propos de l'entérite aiguë. Contrairement à ce qu'avancent les auteurs qui se sont occupés du sujet, ce n'est pas toujours au milieu de douleurs vives que les fausses membranes sont expulsées. Les phénomènes douloureux sont contemporains d'un retour agressif d'inflammation; ils ont souvent disparu déjà quand les exsudats, membraneux sont rejetés au dehors. Ces produits peuvent se montrer en même temps que des matières albumineuses ou glaireuses, d'aspect vitreux sale. J'ai observé bien des fois des excrétions composées d'énor- mes paquets formés d'une matière comme gélatineuse, un peu fluide, parsemée de points noirâtres. Ces points noirs ne sont pas formés de fragments de substances excrémentitielles, mais d'une sorte de matière colorante mélanique provenant des cryptes mucipares, ainsi que Gendrin l'a vu dans certaines autopsies, particularité que nous avons relevée à propos de l'anatomie pathologique. Il arrive parfois que, sans amendement réel de l'affection dans ses symptômes principaux, les excrétions glaireuses ou pseudo-membra- neuses disparaissent pour faire place ou à une constipation simple, ou à une diarrhée habituelle avec sécrétions muco-purulentes ou sanieuses fétides. Il s'est vraisemblablement fait alors une transformation pro- gressive des éléments de la paroi intestinale en tissu modulaire impro- pre à la production des pseudo-membranes. Le ventre est ordinairement ballonné, soit uniformément dans toute l)r WANNEBROUCQ. — I>E L'ENTÉRITE INTERSTITIELLE 709 son étendue, soit partiellement, et les malades supportent mal d'être serrés dans leurs vêtements. Sans complications accidentelles, l'appétit est habituellement conservé et les digestions s'accomplissent sans grandes difficultés, pourvu qu'il soit apporté quelque soin dans le choix des aliments. Il convient de s'abs- tenir de repas copieux, de substances végétales, des assaisonnements excitants. Grâce à l'absence de lièvre, à une nutrition suffisante, la santé géné- rale se soutient. L'amaigrissement ne se prononce qu'en cas de diarrhée répétée et abondante, et ce dernier accident est rare. J'observe en effet des malades atteints d'entérite pseudo-membraneuse depuis plus de quinze ans et dont l'habitus extérieur n'est guère différent de celui des autres personnes de leur âge jouissant d'une santé moyenne. La langue est souvent normale, et la soif n'est exagérée que si la lièvre se rallume. Les urines examinées maintes fois chez la plupart de mes malades ne m'ont jamais révélé la présence d'aucun élément morbide, si ce n'est un excès d'urates. Indépendamment des signes énumérés ci-dessus et dont la manifesta- tion est en relation directe avec les lésions primitives, il existe tout un ordre de symptômes paraissant au premier abord n'avoir avec ces lésions aucune connexité et qui s'y rattachent, selon moi, indubitablement, quoi- que d'une manière indirecte. Ces symptômes sont d'ordre nerveux : multiples comme les nombreux phénomènes biologiques dus à l'accom- plissement normal des fonctions des systèmes cérébro-spinal et ganglion- naire, ils peuvent nous montrer ces phénomènes à l'état de perversion plus ou moins profonde et dans des combinaisons variables et mobiles comme en réalisent quelques-unes des grandes névroses dont la patho- logie a fait de véritables entités. La plupart des malades porteurs d'entérite pseudo-membraneuse que j'ai observés m'ont offert des désordres fonctionnels delà motilité, de la sensibilité générale ou spéciale, des facultés intellectuelles et morales plus ou moins prononcées. Chez les femmes j'ai rencontré, et je vois encore actuellement des accidents nerveux bizarres, protéiformes tels que ceux que nous englo- bons sous le nom générique d'hystérie. Chez les hommes, ces troubles nerveux sont rarement poussés aussi loin ; mais tous en sont plus ou moins sérieusement atteints. Quelques sujets hystériques du sexe mas- culin, pour qui j'ai été consulté, souffraient d'entérite chronique pseudo- membraneuse. Depuis que mon attention s'est dirigée vers cet objet spécial, beaucoup de femmes hystériques que j'ai examinées et interrogées avec le plus 710 SCIENCES MÉDICALES grand soin ne m'ont présenté d'autres altérations organiques qu'une phlegmasie intestinale chronique, et si l'on a pu révoquer en doute l'influence pathogénique des maladies utérines sur la production de l'hystérie, j'estime qu'il n'en saurait être de même du pouvoir de l'en- térite interstitielle à engendrer cette névrose chez des sujets prédisposés. Je n'insiste pas sur la description de ces symptômes trop connus, sur- tout en ce qui concerne les femmes. Je dirai seulement que chez l'homme les grands accès convulsifs ne se voient guère ; on voit surtout se déve- lopper chez lui des troubles de la sensibilité, des dermalgies de siège variable. J'ai observé chez plusieurs, sans pouvoir m'expliquer ce point d'élection, une hyperesthésie du cou-de-pied ou des régions malléolaires. Chez l'un de mes malades cette hyperesthésie était si intense en arrière des malléoles internes que le moindre attouchement sur ces points pro- voquait un tremblement de tout le corps avec claquement de dents et refroidissement comme dans un frisson intense. Cette hyperesthésie de la peau qui recouvre le cou-de-pied est aussi notée dans une observation déjà signalée, due à M. Siredey. La plupart des malades finissent par tomber dans l'hypochondrie ou dans la nosomanie, et nombre d'entre eux se mettant à la poursuite de remèdes de toute nature deviennent la proie d'empiriques ou de guéris- seurs sans scrupules, entre les mains desquels ils compromettent souvent leur santé d'une manière irréparable. Ces troubles nerveux variés, en rapport avec des affections gastro-in- testinales chroniques, ont été signalés de tout temps par les auteurs spé- ciaux qui ont traité des maladies mentales et des névroses. Mais l'idée n'a pas suffisamment pénétré l'esprit médical de notre époque. Broussais avait sans doute exagéré cette relation de cause à effet; mais dans la réaction qui s'en est suivie on a dépassé toute mesure, et l'on est arrivé à méconnaître les faits les plus évidents. Les désordres d'innervation sont regardés la plupart du temps comme indépendants, et n'ayant d'autre corrélation avec l'affection intestinale que leur sim ultanéité Quelquefois même les signes les plus irrécusables de lésions inflamma- toires du tube digestif sont regardés comme de simples troubles d'in- nervation primitifs et non consécutifs. C'est ainsi, pour citer un seul exemple, que M. Siredey, dans son estimable travail, explique la plupart des cas où se produisent des pseudo-membranes intestinales par une né- vrose particulière de l'intestin avec perturbation secrétaire se rencontrant principalement chez des hypochondriaqucs et des hystériques. Tous les observateurs seront, j'espère, d'accord avec moi, pour renverser les ter- mes de cette proposition, tout au moins hasardée, et dire que la mala- die intestinale étant le fait primitif, c'est secondairement que se sont développées l'hystérie et l'hypochondrie. Dr WANNEBROUCQ. — DE L*ENTÉRITE INTERSTITIELLE 711 Marche, Durée, Terminaison. — Nous avons dit comment l'entérite pseudo-membraneuse aiguë arrivait à guérison ou comment, dans un cer- tain nombre de cas, elle passait à l'état chronique. Sous cette forme chronique, qu'elle s'y soit constituée d'emblée ou consécutivement à un état aigu, l'entérite pseudo-membraneuse a une durée indéterminée, qui se mesure par de longs mois et môme par des années. Bien des praticiens ont cité des exemples de cette affection da- tant de vingt à trente ans. Il est à peine besoin de dire que durant cette évolution morbide il y a des temps d'arrêt, des améliorations mo- mentanées presque équivalentes à une guérison, bientôt suivies de re- chutes qui ramènent tout le cortège des accidents. On conçoit que des lésions aussi persistantes puissent amener la mort, soit par occlusion intestinale, soit par ulcérations suivies d'hémorrhagies ou de perforations, soit encore par épuisement progressif; mais en réa- lité, cette terminaison est rare. Je n'ai observé qu'un cas de mort à la suite d'hémorrhagies répétées et, eu égard au grand nombre de sujets de tous âges que j'ai pu suivre, j'ai lieu de croire qu'en dehors d'une tuberculisation intestinale venant se greffer sur la phlegmasie primitive, celle-ci n'a que très-exceptionnellement une issue fatale. Diagnostic. — L'entérite pseudo-membraneuse aiguë serait facile- ment diagnostiquée si l'on y songeait seulement ; mais le plus souvent le praticien reste hésitant, parce qu'il ignore presque toujours jusqu'au nom même de la maladie qu'il a devant les yeux. Le diagnostic oscille généralement entre une fièvre gastrique ou une lièvre typhoïde , affections qui ont en effet quelques points de con- tact avec l'entérite membraneuse. On se rappellera donc que, dans la fièvre gastrique ou gastrite catarrhale fébrile, les symptômes se loca- lisent davantage du côté de l'estomac, la pneumatose abdominale est presque nulle, et la constipation bien moins opiniâtre. La sensibilité ne siège pas sur le trajet du gros intestin; les matières stercorales, en- fin, n'ont aucun des caractères de celles de l'entérite pseudo-membra- neuse . Pour la fièvre muqueuse ou fièvre typhoïde, le doute peut légitime- ment exister durant les premiers jours ; car, on n'a, comme signes dif- férents du début, que l'invasion plus brusque et l'élévation plus prompte de la température dans l'entérite; mais bientôt, parla constatation du gargouillement dans la fosse iliaque droite, par la diarrhée continue, par le défaut presque constant de vives douleurs intestinales , par les signes stéthoscopiques des voies respiratoires, par l'augmentation du volume de la rate, par les phénomènes de stupeur et, plus tard de dé- lire, par l'apparition des taches rosées, par l'ensemble de ces signes opposés à ceux de l'entérite pseudo-membraneuse, le praticien est rapi- 712 SCIENCES MÉDICALES dément mis sur la voie et l'examen des évacuations alvines permet enfin de donner à la maladie sa véritable dénomination. La prédominance de. quelques-uns des symptômes de l'entérite pseudo-membraneuse pourrait, dans certaines circonstances, faire croire à des accidents avec lesquels la confusion ne semblerait pas tout d'a- bord admissible. On pourrait par exemple craindre une péritonite géné- ralisée si le météorisme est très- prononcé et la douleur excessive dans une notable partie du ventre; mais, même alors, la douleur ressentie suivant un trajet bien déterminé, l'absence de vomissements répétés et verdâtres, la non-apparition de la cyanose des extrémités permettrait d'écarter l'idée d'une phlegmasie péritonéale généralisée. Quant à une péritonite localisée, nous avons fait observer qu'elle n'était pas rare et ne constituait pas ordinairement une complication grave. Dans un cas rapporté par le Dr Guyot on a pu croire après coup à une entérite pseudo-membraneuse quand il s'agissait en réalité d'une occlusion intestinale. L'erreur sera évitée si l'on tient compte non-seu- mentdela douleur mais encore de la fièvre qui manque au début de cette dernière aifection, et qui est si vive au contraire dans l'autre. Quant à Y entérite catarrhale, quelques-uns de ses sympômes sont iden- tiques avec ceux de l'entérite pseudo-membraneuse; mais la fièvre y est ordinairement moins vive; les coliques se font sentir principalement au voisinage de l'ombilic; et la diarrhée qui se montre promptement vient lever tous les doutes. Je ne crois pas devoir établir de diagnostic différentiel avec la dysen- terie, parce que, en ce qui concerne cette dernière maladie sous la forme épidémique, sa genèse, sa contagiosité, son épidémicité même suffiront pour faire éviter toute erreur; et que, eu égard à la dysenterie spora dique, je crois avoir suffisamment établi qu'elle constitue une inflamma- tion intestinale d'ordre commun non spécifique, une variété, en un mot, de l'affection à laquelle nous consacrons ce travail. L'entérite pseudo-membraneuse chronique donne peut-être lieu plus souvent encore à des erreurs de diagnostic. Sans accuser toujours, en effet, de troubles digestifs sérieux, les malades se plaignent parfois très-vivement d'une douleur dans un point fixe, et détournent ainsi l'attention vers tout autre organe viscéral que l'intestin. C'est ainsi que j'ai vu, suivant les circonstances, soupçonner à tort l'existence de cal- culs biliaires, de métrites, d'ovarites, de coliques néphrétiques, de cys- tite. Ces erreurs seraient facilement redressées si l'on recherchait sévère- ment tous les signes appartenant à l'affection supposée et si, dans le cas où quelques-uns de ces signes font défaut, on songeait à la possibilité de l'entérite pseudo-membraneuse. Une investigation bien dirigée, quelques interrogations bien posées, lèveraient promptement toute incertitude. I)r WANNEBROUCQ. — DE L'ENTÉRITE INTERSTITIELLE 713 Les phénomènes de la fissure anale se développent quelquefois dans le cours de l'entérite pseudo-membraneuse, mais il importe de ne pas les regarder comme ayant une existence isolée et indépendante, sinon l'on aurait recours à des opérations réitérées sans résultat sérieux en présence d'une rectoproctite persistante dont on aurait méconnu l'influence pathogénique. Je ne rappellerai ici ce fait signalé plus haut d'un spasme vésico-uré- l lirai pris pour un rétrécissement organique et opéré comme tel, que pour montrer une fois de plus combien le spécialisme, tout en offrant certains avantages, peut en venir à borner l'horizon médical de celui qui l'exerce. Nous avons trop insisté sur les accidents nerveux réflexes engendrés par l'entérite pseudo-membraneuse pour ne pas mettre en garde le pra- ticien contre la possibilité de regarder comme essentiels, c'est-à-dire sans cause organique appréciable, les désordres fonctionnels multiples et souvent bizarres offerts par certains malades des deux sexes. La coexis- tence reconnue de l'entérite et de ces troubles d'innervation, outre qu'elle assure le diagnostic, fournit les plus précieuses indications thé- rapeutiques. La forme des garde-robes rubanées comme aplaties par le laminoir ou minces, étirées et comme passées à la filière, coïncidant avec des douleurs habituelles dans un point fixe, pourrait faire redouter la pré- sence d'une tumeur maligne dans la paroi ou au voisinage de l'intestin. Il est ceriain que cette crainte serait très-rationnelle, si l'on manquait de renseignements commémoratifs suffisants; mais le plus souvent, l'on apprendra que cet état de choses existe depuis longtemps, que, néan- moins, la santé générale n'est pas profondément atteinte, et si le malade est capable de judicieuse observation, il déclarera que cet aspect des selles est susceptible de se modifier d'une époque à une autre, parfois même à peu de jours d'intervalle, ce qui ne saurait s'expliquer dans la supposition d'une tumeur à développement progressif et continu. Siège et Nature. — L'étude des lésions anatomiques dans les cas où. l'on a rencontré à l'autopsie des fausses membranes intestinales libres ou adhérentes a constamment révélé des altérations profondes de la mu- queuse et souvent même des autres parties constituantes de la paroi de l'intestin. Nous savons d'ailleurs que, dans les inflammations de voisinage pro- pagées par contiguïté à travers tous les tissus qui composent l'épais- seur de l'intestin, comme dans les cas de pelvi-péritonite, d'inflamma- tion rétro-utérine, d'invagination, de suppuration tendant à se faire jour dans la cavité intestinale, il se produit immanquablement des exsudais membraneux. 49 "14 SCIENCES MÉDICALES Nous vovons encore dans la dysenterie épidémique, sous l'influence d'un agent d'intoxication encore inconnu, l'intestin intéressé dans tous ses éléinents anatomiques se recouvrir de fausses membranes dans la période qui précède les ulcérations étendues et les pertes de sub- stance. Il en est de même dans les gastro-entérites par empoisonnement au moyen des poisons irritants. J'ai vu, chez un enfant de trois à quatre ans, un lavement d'eau pres- que bouillante administré insciemmeht, ou peut-être par une cruauté bestiale par une stupide domestique, provoquer immédiatement les ac- cidents locaux et généraux les plus graves et ultérieurement l'expulsion de nombreuses fausses membranes précédant elles-mêmes, de quelques jours, celle de véritables débris de tissus sphacélés. Nous pouvons conclure de ces faits que l'entérite pseudo-membra- neuse primitive est constituée anatomiquement par une inflammation profonde de la muqueuse intestinale, de ses divers ordres de glandes, du tissu conjonctif, qui unit entre elles les tuniques et même dans cer- tains cas, toutes les couches qui composent la paroi de l'intestin. Je propose, en conséquence, de la dénommer entérite interstitielle. terminologie plus exacte que celle de pseudo-membraneuse, attendu que les fausses membranes peuvent faire défaut à certaines périodes de l'évolution morbide. Cette maladie diffère totalement de Y entente superficielle ou catar- rhale; aussi serait-il de la plus grande utilité, non-seulement au point de vue scientifique pur, mais surtout au point de vue de la pratique journalière, que ces deux affections fussent désormais étudiées séparé- ment et mises comme en opposition l'une avec l'autre. Le diagnostic, le pronostic en seraient vivement éclairés d'une part, et de l'autre, les indications thérapeutiques s'en déduiraient d'une façon plus judicieuse et. plus profitable au malade. Quant au siège topographique de l'entérite interstitielle, indépendam- ment de la nature intime des lésions, il résulte de tout ce que nous avons dit qu'il faut le placer presque exclusivement dans le gros in- testin. Tout au plus les portions inférieures de l'iléon nous ont-elles paru, dans quelques circonstances, envahies par le processus inflam- matoire. Étiologie. — Je n'ai relevé aucune cause spéciale, en quelque sorte spécifique, propre à déterminer Je développement de l'entérite intersti- tielle. Comme la plupart des inflammations viscérales franches, elle peut naître du fait de diverses influences pathogéniques, pour peu qu'il existe une prédisposition native ou acquise. Les malades accusent généralement soit le froid humide, soit des Dr WANNEBROUCQ. — DE L'ENTÉRITE INTERSTITIELLE 715 écarts de régime prolongés, particulièrement l'abus des boissons froides on des végétaux frais, ou plus communément encore ces deux actions nuisibles réunies. La fatigue extrême produite par de longues marches aggravée par un refroidissement consécutif m'ont paru, dans certains cas, avoir pris la plus grande part étiologique au développement de la maladie. Trois de nos malades ont été pris d'entérite interstitielle à la suite de l'administration réitérée de téniafuges, et particulièrement de la ra- cine de grenadier. L'un d'eux en est atteint chroniquement depuis déjà cinq ou six ans. L'abus des purgations, surtout du séné et de l'aloès, m'a paru plu- sieurs fois avoir été la cause de cette affection. Je n'ai pas eu occasion de rencontrer de malades pouvant attribuer l'altération de leur santé à l'alimentation par des substances en voie de putréfaction ou à l'inhalation d'air infecté par des émanations putrides. Les auteurs s'accordent néanmoins à signaler cette origine à nombre de cas de dysenterie sporadique. L'accumulation des matières stercorales, des corps étrangers peuvent provoquer la typhlite et toutes ses conséquences. Au nombre des causes prédisposantes, l'hérédité m'a paru jouer un rôle important. Je connais quelques familles où plusieurs générations sont affectées d'entérite interstitielle, quoiqu'elles vivent dans l'aisance et s'astreignent aux règles hygiéniques les mieux entendues. Aucun âge n'en est absolument exempt. Toutefois, les nouveau-nés jusqu'au moment du sevrage n'en présentent pas d'exemple que je sache et je n'en ai pas observé non plus chez aucun sujet ayant dépassé 50 ans. Les femmes y paraissent plus prédisposées que les hommes ; mais c'est là un fait peut-être plus apparent que réel, en ce sens que les premières étudient ordinairement certains détails avec plus de soins et mettent ainsi plus facilement le médecin en état d'apprécier la nature d'une affec- tion dont la symptomatologie est parfois équivoque. Traitement. — L'entérite interstitielle aiguë doit être traitée dès son début d'une manière énergique. On pourrait sans doute, chez un sujet robuste, avoir recours à une ou plusieurs saignées du bras ; mais le plus souvent les sangsues suffisent. On en fait appliquer huit à douze sur le point primitivement doulou- reux, et si l'extension de l'inflammation développe de nouvelles souf- frances dans d'autres régions, on réitère les émissions sanguines locales. Aucun autre moyen n'apaise aussi efficacement la sensibilité du ven- tre. Dans les cas de trop grande débilité, on se servirait des injections hypodermiques de morphine, malgré l'inconvénient qu'elles présentent d'augmenter encore la constipation. "7 10 SCIENCES MÉDICALES Des topiques émollienls recouvriront d'une manière permanente la paroi abdominale. Le repos dans le décubitus dorsal sera forcément gardé par les ma- lades qui ne peuvent d'ailleurs habituellement supporter une autre position. Après plusieurs tentatives j'ai renoncé aux grands bains. Ils exas- pèrent presque toujours le mal, tant par les mouvements qu'ils nécessi- tent que par la pression qu'ils exercent sur les régions douloureuses. Les lavements seraient de la plus grande utilité pour combattre la constipation, mais le plus souvent, au début, au moment de la plus grande acuité de l'inflammation, ils sont mal tolérés et provoquent des coliques violentes. Vers la lin du deuxième septénaire, ils sont mieux supportés. On les compose avec l'eau de mauve ou l'eau de lin addi- tionnée d'une petite proportion d'eau de chaux. Sous l'influence de ce dernier agent, les fausses membranes se dissocient et sont éliminées plus facilement. On sera forcé dans les premiers temps de provoquer des évacuations au moyen de légers purgatifs. Pour les malades qui acceptent l'huile de ricin, c'est le meilleur laxatif à employer ; il purge efficacement à petite dose de 20, 15 et même 10 grammes, à condition de la prendre à jeun et de rester ensuite trois heures au moins sans ingérer aucun liquide, (liiez ceux qui n'auraient pas la tolérance de l'huile de ricin, on uti- liserait les purgatifs salins et particulièrement l'eau de Pullna. Une diète sévère sera gardée durant le premier septénaire. Du bouil- lon de bœuf léger froid ou tiède sera seul permis ; mais la lièvre tom- bant généralement à cette époque, on prescrira une alimentation douce composée de lait, de potages gras, de laits de poule. L'évolution heureuse de la maladie ne se fait pas ordinairement sans quelques retours agressifs qui obligent à revenir pendant quelques jours à une alimentation presque nulle sous peine d'indigestion. Ainsi que nous l'avons fait observer, les voies digestives supérieures restent presque toujours indemnes, ce qui autorise une alimentation sub- stantielle précoce, c'est-à-dire sitôt que la fièvre est tombée. Il importe que ces aliments soient très-nutritifs sous le moindre volume possible, ne laissant ainsi que peu de résidu destiné à parcourir le trajet de l'intestin malade. La surveillance la plus active s'exercera jusqu'à une époque avancée de la convalescence ; les prescriptions les plus scrupuleuses de l'hygiène seront observées afin d'obtenir la disparition des dernières traces de la maladie et d'éviter les rechutes. Cette affection a en effet une singulière tendance à devenir chronique et alors l'heure des traitements sûrs et rapides est passée. Dr WANNEBROUCQ. — DE l'ENTÉMTE INTERSTITIELLE 711 L'entérite interstitielle chronique résiste souvent de longues années aux traitements les mieux dirigés et les plus rationnels. Les moyens hygiéniques priment tous les autres, et les plus minu- tieux ne sauraient être taxés d'exagération. Le régime alimentaire sera soigneusement prescrit ; les substances fortement animalisécs sont celles qui conviennent le mieux. Telles sont le lait, les œufs, les viandes, certains poissons à chair ferme et alibile. On écartera les végétaux en général, à l'exception de quel- ques féculents, de facile digestion, sous forme de purée ou de bouillie, comme le riz, la pomme de terre, les pois, le tapioca. Les stimulants réussissent peu d'ordinaire. On proscrira le café, le thé, les liqueurs, les vins très-alcooliques. Le vin de Bordeaux seul en petite quantité doit être toléré. L'habitation sera bien exposée et exempte d'humidité; le vêtement léger et chaud. On évitera la fatigue musculaire, les longues courses à pied et même en voiture. Sans rester confiné trop étroitement, le malade gardera, au- tant que possible, le repos une partie du jour, dans la position horizon- tale, ce moyen étant, en cette circonstance, tout aussi souverainement efficace que dans le traitement des maladies des organes génito-urinaires. Les principaux symptômes seront l'objet d'indications variables, selon qu'il s'agira de constipation opiniâtre, de diarrhée, de troubles nerveux. Contre les accidents de contracture anale ou uréthro-vésicale, j'ai em- ployé avec succès les lavements avec 1 ou 2 grammes d'hydrate de chloral pris chaque soir. Difficilement supportés les premiers jours, il s'établit bientôt une tolérance complète, et le soulagement est des plus marqués. On sera souvent contraint d'appliquer sur la paroi abdominale une succession de révulsifs. Je dois déclarer que ces agents m'ont toujours semblé d'une efficacité douteuse. J'attache plus de prix à un traitement interne par l'iodure de potas- sium aux doses minimes de 25 à 50 centigrammes par jour. Il excite souvent à un haut degré les fonctions digestives et agit, chez certains sujets, comme un puissant résolutif. Parmi les agents eupeptiques, ceux qui trouvent ici le plus fréquem- ment leur application sont les alcalins sous toutes leurs formes, particu- lièrement le carbonate de lithine chez les sujets entachés de goutte ; les amers, la noix vomique, le charbon végétal, assez souvent aussi le quin- quina et les préparations ferrugineuses. Quant à cet état névropathique qui s'empare si souvent des malades atteints d'entérite interstitielle chronique, il réclame une attention toute spéciale. 748 SCIENCES MÉDICALES Il faudra mettre en œuvre, intus et extra, les grandes modificateurs du système nerveux. Le bromure de potassium, l'hydrothérapie se re- commandent par leurs nombreux succès. On pourra encore tirer grand profit des traitements thermaux de Vi- chy, de Plombières, de Bagnoles (Orne), selon la constitution du sujet. Une longue saison de bains de mer, avec recommandation de les prendre • le courte durée (5 à 6 minutes environ), m'a donné des succès ines- pérés. La distraction sans fatigue, l'éloignement de tout souci, seront comp- tés comme de puissants auxiliaires dans ce traitement, qui consiste, par- dessus tout, à entretenir des digestions faciles et réparatrices. Conclusions. — Presque tous les auteurs ont, jusqu'à présent, con- fondu et décrit sous le nom générique d'entérite les différentes formes que peut prendre, en dehors de toute étiologie spécifique, l'inflammation intestinale. Or, l'une de ces formes, tout au moins, mérite une étude distincte qui s'impose au nom de l'anatomie pathologique et de l'observation cli- nique. Cette variété d'entérite, très-fréquente pour les praticiens qui savent la reconnaître, est celle que l'on a dénommée quelquefois entérite mem- braneuse, pseudo-membraneuse, croupale, et' que je propose d'appeler entérite interstitielle, par opposition à l'entérite catarrhale ou superfi- cielle, dont elle diffère essentiellement. L'entérite interstitielle occupe presque exclusivement le gros intestin, en totalité ou en partie. Elle comprend, à titre de sous-variétés, les in- flammations localisées quant au siège anatomique, auxquelles on a donné les noms de typhlite, de colite, de dysenterie sporadique. Les lésions en sont plus profondes, plus graves que celles de l'entérite catarrhale ou superficielle; elles s'étendent au delà de la muqueuse et souvent à toutes les tuniques intestinales ainsi qu'au tissu conjonctif in- terposé. Entre autres différences symptomatiques, il faut signaler la constipation habituelle et l'expulsion avec les déjections alvines de pseudo-membranes et de matières glaireuses ou gélatiniformes. Cette maladie, contrairement aussi à l'entérite catarrhale, a la plus grande tendance à passer à l'état chronique, et peut durer alors un temps indéterminé se mesurant parfois par vingt et trente années. Sous cette forme chronique, elle entraîne souvent, avec l'hypochon- drie, le développement, par action réflexe , de symptômes nerveux mul- tiples hystériformes, même chez l'homme. Le diagnostic est souvent mis en défaut, si l'on ne songe pas à l'exa- men indispensable des garde-robes. La pathogénie de cette affection ne saurait faire incriminer aucun - l'alcoolisme dans la classe aisée 719 agent spécial univoque; elle emprunte ses éléments à toutes les causes habituelles des inflammations franches et, dans certaines circonstances, à la nature défectueuse des ingesta. Le traitement n'a rien à demander aux spécifiques; il s'appuie sur l'observation rigoureuse de toutes les règles de l'hygiène et sur l'appli- cation de quelques médications appropriées aux symptômes et à l'état général. D' E. LEOET Directeur do l'école de médecine de Rouen, Membre correspondant de l'Académie de médecine. DES SYMPTOMES ET DE LA MARCHE DE L'ALCOOLISME DANS LA CLASSE AISÉE — S éanc e d u -' / a o à t 1 87 Z — Il ne faudrait pas croire, dit Roesch (cit. de Lancereaux, Dict. encyc. des se. méd., p. 690), que les excès alcooliques soient rares dans la classe aisée ; mais dans cette classe, l'alcoolisme revêt une forme un peu différente; les phénomènes cérébraux y sont prédominants, ainsi que l'embonpoint produit à la fois par l'usage des boissons et de la bonne chère. Lancereaux, qui cite ce passage de Roesch, adopte complètement l'opinion de ce savant auteur, mais n'y ajoute aucun détail. L'histoire de l'alcoolisme chronique a été écrite par presque tous les auteurs, en prenant pour base de leurs descriptions les symptômes provoqués par l'abus des boissons alcooliques chez les ouvriers; ainsi, Magnus Huss, le savant professeur de Stockholm, dans son excellent livre, a puisé ses matériaux d'études dans la pratique d'hôpital; son œuvre, qui date de plus de vingt ans, est encore aujourd'hui un recueil auquel le temps n'a rien enlevé de sa vérité, auquel, il faut le reconnaître, les recherches ultérieures ont ajouté sans contredit de nouveaux résultats, mais n'ont rien modifié des résultats cliniques obtenus par notre érni- nent confrère suédois. Depuis plus.de vingt ans, j'ai suivi avec attention, dans la pratique de la ville et de l'hôpital, l'évolution de toutes les lésions produites par les abus alcooliques; depuis lors, j'ai publié dans divers recueils (1) le résultat de mon expérience comme médecin d'hôpital; H) De l'Ictère causé par l'abus des alcooliques [Mém. de la Soc. du biologie). — Des Ulcères de l'estomac à la suite de l'abus des boissons alcool. [Compte rendu du Cong. méd. de Rouen). — De la Forme hypérsthésique de l'alcoolisme chronique (Archiv. g en. de méd.) — De la Pellagre et de la pseudopellagre des alcoolisés [Mém. de la Soc. de biologie).— ne la Marche de la phthisie chez les alcoolisés [Cong. médic. de Lyon). — Clinique médicale de l'Hùlel-Dieu de Rouen. 1874. 720 SCIENCES MÉDICALES le dernier travail, publié cette année même, dans la Clinique médicale de l'Hôlel-Dieu de Rouen, contenait l'exposé de quelques laits d'hépatite interstitielle empruntés à la pratique de la ville. Depuis mes derniers travaux, j'ai pu étudier les effets de l'abus des alcooliques dans toutes les classes de la population, chez les ouvriers à l'hôpital, dans la popu- lation aisée et la population riche de la ville de Rouen et des départe- ments de la Seine-Intérieure et de l'Eure. Les excès alcooliques ne sont pas rares à tous les degrés de l'échelle so- ciale de notre population, mais ils se produisent dans des circonstances tellement différentes, que leurs effets morbides présentent une grande va- riété d'expression. Parmi les riches, soit sans profession, ou parmi les commerçants, quelques-uns continuent encore les traditions de l'ancienne population normande, que Lepecq de la Clôture indiquait déjà comme aimant la bonne chère, comme aussi grands mangeurs que buveurs. J'en ai vu chez lesquels l'usage du vin et des alcooliques pouvait être poussé pendant des années à un degré extrême; chez d'autres, l'usage de l'alcool semble être la conséquence de leur profession, ou du moins ce sont les occupations commerciales qui en fournissent la première incitation; tels sont un grand nombre d'individus s'occupant de la commission, du commerce de transit, les commerçants en vins, les débitants de liquides, les cultivateurs eux-mêmes. Les cafés deviennent trop souvent le lieu de réunion des personnes s'occupant du commerce de transit. On pourra avoir une idée du nombre des personnes s'occupant du commerce des liquides, quand on saura que la ville de Rouen compte près de 1,000 individus faisant le commerce des liquides, négociants, entrepositaires, cafetiers, débitants, etc. La nature et la qualité des boissons alcooliques consommées doit tenir une large place dans l'effet morbide. Si la classe aisée consomme en général des eaux-de-vie, du cognac, etc., moins adultérés que la classe ouvrière, il n'en est pas moins certain que ces liquides sont rarement absolument naturels. La classe aisée consomme, il est vrai, beaucoup de vin, mais il est rare que les grands buveurs usent exclusivement de ce liquide; ils y joignent en général l'absinthe, le vermouth, le bitter, la chartreuse, liqueurs qui tendent de plus en plus à se répandre dans toute la population et à pénétrer jusqu'à la classe ouvrière. Parmi les cultivateurs aisés de la campagne, l'abus de l'alcool se propage chaque jour davantage. L'eau-de-vie qu'on y consomme de préférence est bue pendant tout le cours du repas, à certains moments consacrés par l'usage pour stimuler l'appétit, et, comme le disent nos cultivateurs, « pour faire un trou ». J'ai dit que dans la classe aisée le vin était rarement le liquide servant uniquement aux excès ; cependant, l'on voit aussi quelques individus absorber journellement, et cela pendant vingt années, I)' LEUDET. — L'ALCOOLISME DANS LA CLASSE AISÉE 741 jusqu'à cinq ou six bouteilles de vin. C'était là le chiffre habituel de la consommation d'un grand seigneur, très-riche propriétaire du départe- ment, qui croyait trouver dans cette espèce de jouissance la consolation d'infirmités congéniales qui lui interdisaient des plaisirs d'une autre nature. Il faut insister surtout sur ce fait, c'est que chez beaucoup d'individus de la classe aisée, la consommation habituelle des alcooliques peut atteindre une quantité plus grande que dans la classe ouvrière. La continuité de l'usage des alcooliques est surtout beaucoup plus marquée; il en serait de même chez l'ouvrier, si ses ressources pécu- niaires lui permettaient de se procurer chaque jour une quantité consi- dérable d'alcool. Le buveur delà classe aisée consomme donc journellement des alcooli- ques sous diverses formes, du vin; il a en outre sur l'ouvrier l'avantage d'user d'aliments réparateurs, mais aussi le désavantage d'en abuser quel- quefois. Ces excès simultanés d'alimentation et de boisson ne trouvent pas leur compensation dans un exercice corporel qu'impose le travail manuel, et surtout le travail à l'air libre ; de là des conséquences pathologiques diverses, sur lesquelles on a eu raison de fixer l'attention. Les négociants en liquides, les entrepositaires d'eau-de-vie, et surtout les débitants, présentent rapidement et en grand nombre une série d'accidents de l'alcoolisme aigu et chronique. Dans cette classe d'indi- vidus, l'abus des boissons est tellement habituel qu'on pourrait presque avancer que les individus indemnes d'accidents constituent l'exception, et ceux qui en présentent, sous une forme quelconque, la règle. Chez leà débitants d'eau-de-vie, les accidents d'alcoolisme se rapprochent beaucoup de ceux de la classe ouvrière, et cela s'explique facilement, puisqu'ils consomment les mêmes boissons alcooliques que leurs clients; ils ont uniquement sur ces derniers l'avantage d'user d'aliments de meil- leure qualité, et en quantité suffisante. La classe aisée présente une forme d'abus alcoolique difficile à recon- naître : c'est l'habitude de boire seul ; j'ai rencontré cette forme d'abus alcooliques chez des individus riches, et le soin qu'ils apportaient à dissimuler leur fâcheuse habitude pouvait induire le médecin en erreur sur la nature des troubles gastriques et des autres accidents qu'ils pré- sentaient. Chez d'autres individus, les habitudes sont plus faciles à reconnaître, elles sont même avouées : j'en ai rencontré un exemple remarquable. M. X., âgé de 44 ans, est un rentier qui n'a jamais eu d'occupation sérieuse ; il demeure habituellement dans une de ses propriétés, à la campagne. A l'âge de 32 ans, pendant un voyage en Sicile, 31. X. a pris l'habitude de boire des vins d'Italie et de Sicile, de préférence des 722 SCIENCES MÉDICALES vins de Capri et de Marsala. Depuis lors, il a continué à boire d'une manière désordonnée. Dans ses journées habituelles, il boit, le matin au réveil, une demi-bouteille de vin d'Italie avec quelques biscuits; au dé- jeuner, il absorbe une bouteille de vin, du café, plusieurs verres d'eau- de-vie; vers trois heures du soir, il goûte avec une demi-bouleille de vin; vers six heures, il dîne et boit une bouteille de vin et un ou deux petits verres. Ce régime habituel subit quelques modifications quand M. X. dîne en ville ou reçoit quelques amis. Pendant les sept premières années, on ne remarqua aucun changement dans sa santé. Dans le cours d'un voyage, fait il y a quelques années en Suisse, Mme X. remarqua que M. X. était souvent altéré et qu'il buvait au moins cinq ou six bouteilles d'eau dans sa journée ; l'appétit était modéré, mais régulier, ce qu'il a encore après douze ans d'excès de boisson. Depuis l'âge de 38 ans, M. X. pré- sente une irritabilité extrême, un dégoût de ses plaisirs habituels; ainsi, il a renoncé à la chasse. Les bizarreries de caractère qui sont constantes augmentent quand il dîne en société, et l'on a été plus d'une fois embar- rassé de ses paroles, qui semblaient celles d'un aliéné. A 39 ans, on remarqua une émotionnabilité exagérée; ainsi il verse des larmes pen- dant tout le service funéraire de son médecin ; une autre fois, après avoir appris la mort d'un oncle qui avait succombé à une pneumonie, il se crut atteint de la même affection et fit appeler son médecin, qui ne constata aucune trace de maladie. Vers l'âge de 42 ans, M. X. com- mença à éprouver, presque chaque après-midi ou dans la soirée, une sorte de prostration qui dure une ou deux heures; pendant ce temps, il est incapable de toute conversation, ses jambes s'affaiblissent au point qu'il na peut se soutenir. Au bout de peu de temps, ces symptômes de prostration se dissipent. Dans sa 44e année, époque de la vie à laquelle j'examinai M. X., il éprouve encore fréquemment l'après-midi, vers deux heures du soir, ou dans la soirée, ces accès d'hébétude ou de pros- tration, pendant lesquels il reste inerte ou prononce quelques mots incohérents. Dans ces derniers temps, les accidents revêtent parfois une autre forme. Un jour, il monte dans un canot pour aborder un navire à vapeur en Seine ; arrivé près du navire à vapeur, il perd subitement l'usage de ses jambes et doit être hissé à bord ; il perd connaissance, sa face devient pâle, les membres [rigides, sans convulsions cloniques. Une autre fois, en se promenant dans une prairie, il veut s'asseoir sur un tas de foin, il s'affaisse, perd l'usage de ses jambes et se déchire la peau de la face. On a pu s'assurer que fréquemment, lorsque M. X. était pris de ces accidents subits, il avait emporté une bouteille de vin qu'il buvait en cachette. Quand M. X. fait un voyage plus long et qu'il peut être surveillé, ces accidents ne se produisent pas. M. X., au mo- ment où je 'examinai, présentait l'apparence d'un homme qui n'est pas Dr LEUDET. — L'ALCOOLISME DANS LA CLASSE AISÉE 723 atteint d'une maladie grave; ainsi, il n'avait pas de tremblement, n'ac- cusait que des douleurs fugaces dans les membres et ne présentait pas d'anesthésie ; il assurait éprouver uniquement des vertiges. Malgré un peu de catarrhe gastrique du matin, son appétit est bon. Lé malade dont je viens de relater l'histoire a présenté une succession lente d'accidents d'alcoolisme chronique, augmentant graduellement de gravité, mais n'apportant aucun trouble permanent dans la santé. J'ai cité ce fait comme un exemple remarquable de la persistance des abus de liqueurs alcooliques. Cette funeste tendance qui pousse parfois l'homme intelligent et riche à abuser de substances ébrieuses, je l'ai rencontrée une autre fois, sous une forme curieuse, dont on a cité quelques exemples ; cependant, aucun plus prononcé que celui que j'ai rencontré et qui a été constaté par plusieurs médecins : c'était l'intoxication par les vapeurs de chloroforme. M. X., sujet à des douleurs stomacales dont la cause pouvait être rap- portée à des erreurs de régime, a usé pendant près de neuf années consé- cutives avec passion des inhalations chloroformées ; il arriva, sans aucun autre but que celui de se procurer une sensation de bien-être, à inhaler jusqu'à 150 grammes de chloroforme par jour. Cette inhalation était pratiquée en versant du chloroforme sur un mouchoir, et en le plaçant sous ses narines. La personne qui administrait le chloroforme était chargée de répéter les inhalations, chaque fois que le patient semblait reve- nir à lui. Cette torpeur était souvent entretenue pendant une heure, et ré- pétée plusieurs fois chaque jour. Lorsqu'il répétait ces inhalations plusieurs jours de suite, il maigrissait rapidement, sa physionomie avait un aspect terreux particulier, comme subictérique, tellement que ses amis recon- naissaient parfaitement qu'il avait cédé à ses penchants funestes. Quand il renonçait à ses excès de chloroforme, il retrouvait rapidement son appétit et mangeait tellement qu'il recouvrait en peu de temps l'embon- point qu'il avait perdu. Les inhalations de chloroforme ont été continuées avec une telle passion que, dans une année, X. consomma plus de 5 kilogrammes de chloroforme, et, dans l'année suivante, 4 kilogrammes. Au bout de cinq années de cette passion funeste, X. devient graduel- lement paraplégique ; la perte du mouvement, très-marquée, ne lui permettait pas de faire de longues courses; il n'a jamais remarqué de points anesthésiques ; une incontinence d'urine apparaît simultanément. Vers cette époque, X. fut atteint d'une gangrène sèche du gros orteil droit, survenue sans beaucoup de douleur. Le chirurgien qui pratiqua l'amputation de l'orteil dans l'articulation métatarsophalangienne, ne voulant pas recourir aux inhalations de chloroforme, profita d'une mo- dification de la susceptibilité du malade aux narcotiques. Depuis ses ex- cès de chloroforme, X. avait remarqué que lui, qui supportait autrefois, 72i SCIENCES MÉDICALES sans aucun effet fâcheux, des doses ordinaires de narcotiques, ne pouvait, depuis quelques années, prendre un centigramme d'extrait d'opium, sans éprouver une anesthésie de tout le corps qui durait deux ou trois jours. Aussi, ayant pris, la veille de l'amputation de l'orteil, un centigramme d'extrait d'opium, eut-il à peine conscience de la section des parties par l'instrument tranchant. Quelque temps après cet accident, X. recommença ses inhalations de chloroforme. La paraplégie, qui avait complètement et rapidement cessé depuis la période de sobriété, reparut de même que l'incontinence d'urine. Depuis lors, les excès ont été continués; lorsque je vis le ma- lade, la paraplégie du mouvement était considérable ; pas d'hyperesthé- sie ou d'anesthésie de la peau des membres; pas d'hallucinations dans la nuit. L'intelligence est toujours restée parfaite ; aucun trouble des sens. Peu d'appétit, môme incontinence d'urine. Ce liquide, examiné plusieurs fois dans le cours de sa maladie, n'a jamais contenu de gly- cose ou d'albumine. M. X., soumis à un traitement tonique et hydro- thérapique, n'éprouva aucune amélioration et succomba dans l'adynamie quelques mois après mon examen. Je n'ai pas l'intention d'établir un parallèle entre les effets de l'ab- sorption prolongée de l'alcool et du chloroforme. Déjà Faure (Archives ge'n. de mcd., sér. V, vol. XII, p. 593 1858), a comparé l'ivresse al- coolique à la chloroformisation ; Trousseau a fait le même rapproche- ment et j'ai vu, dans son service de l'Hôtel-Dieu de Paris, une femme chez laquelle des chloroformisations répétées et prolongées avaient dé- terminé un ictère dont les symptômes et la marche offraient une grande analogie avec celui qui survient à la suite de l'abus des boissons alcoo- liques. L'observation de cet ivrogne de chloroforme prouve que, dans la classe aisée, l'abus prolongé des liquides enivrants peut être porté à un haut degré et que, malgré cette persistance de l'action toxique, les effets morbides ne sont ni aussi rapides, ni aussi graves qu'on pourrait le supposer. La quantité d'alcooliques consommée habituellement par les gens de la classe aisée est loin d'être aussi considérable que dans les cas précé- dents. L'action nocive est souvent cachée sous une apparence de santé qu'on rattache à l'existence de l'obésité. En effet, dans la classe aisée on constate à côté de l'obésité, la goutte,, la glycosurie, formes d'accidents qu'on ne rencontre pas dans la classe ouvrière. Robin (Leçons sur les humeurs, p. 716, 18G7) dit: « G. Harley a démontré que l'injection de substances irritantes dans le système de la veine porte amène l'apparition du sucre dans l'urine, ce qui peut expliquer le diabète, que l'on voit parfois survenir chez ceux qui abu- Dr LEL'DET. — L* ALCOOLISME DANS LA CLASSE AISÉE 72o sent des boissons alcooliques. » Cette relation de cause à efiet n'est démontrée par la clinique que chez les buveurs d'alcool de la classe aisée, joignant à l'abus des alcooliques un régime azoté, et usant peu leur substance animale par l'exercice corporel. Mon expérience person- nelle m'a fait constater, chez sept goutteux ayant abusé des alcooliques, quatre fois un diabète. De ces sept goutteux, quatre offraient des signes d'une lésion du foie, c'était trois fois une cirrhose atrophique et une fois une augmentation du volume de l'organe. La goutte, chez les bu- veurs d'alcool, n'offre rien de particulier ; les accès présentent les mêmes variétés. Les lésions simultanées ou consécutives sont identiques ; aussi suffira-t-il de rappeler, parmi cette variété de lésions, la lithiase urique, les lésions du cœur et des gros vaisseaux. La gravelle urique, de même que les athéromes artériels, survient, sans contredit, beaucoup plus fréquemment chez les ivrognes de la classe aisée que chez ceux de la classe pauvre. Ces modilications de la diathèse goutteuse sont donc, pour les buveurs de la classe aisée, un accident fréquent que l'on ne rencontre guère dans la classe pauvre. Je dois signaler que les abus des alcooliques, aussi communs chez les cultivateurs aisés que chez les riches de la ville, provoquent moins la goutte et le diabète chez les premiers que chez les seconds; la quantité d'aliments azotés absorbés est souvent énorme chez les campagnards, et cependant ils souffrent moins de la goutte et du diabète. Chez eux les lésions des appareils vasculaires et urinaires sont très-communes en même temps que l'obésité. Les troubles de l'estomac sont incontestablement la variété d'accidents que l'abus des boissons alcooliques provoque le plus souvent dans la classe aisée comme dans la classe pauvre. Magnus Huss l'a écrit avec raison, un des premiers effets de l'intoxication alcoolique est, sans contredit, le catarrhe gastrique, la gastrite. S'il est incontestable que l'in- flammation aiguë ou chronique de l'estomac est la règle chez les débi- tants d'eau-de-vie, pour la classe ouvrière, elle est très-commune éga- lement chez les entrepositaires d'eau-de-vie qui vendent principalement des liquides d'une qualité supérieure. Parmi ces derniers, arrivés déjà à un certain âge, je ne connais qu'un seul individu qui ne présente aucun symptôme de trouble stomacal. Je ne voudrais pas assurer que tous ces marchands soient atteints de gastrite alcoolique, mais la coïn- cidence est au moins singulière. Les débitants d'eau-de vie et les cafe- tiers sont, sans aucun doute, ceux qui boivent habituellement et sans interruption la plus grande quantité de boissons alcooliques; chez eux, le catarrhe gastrique avec ses régurgitations aqueuses, le ballonnement, les éructations, le pyrosis apparaît au bout de quelques mois d'abus al- cooliques. Mais, ce qu'il faut surtout signaler, c'est la longue durée de i25 . SCIENCES MEDICALES cette forme de lésion stomacale, sans aggravation, bien que l'ivrogne continue ses excès alcooliques; ainsi, j'ai vu un homme de 61 ans, dé- bitant l'eau-de-vie depuis l'âge de 20 ans, et qui, depuis lors, était sujet à des douleurs d'estomac, pituites, pyrosis. A l'âge de 22 ans, il com- mençait à vomir, le matin comme dans le jour, tantôt des liquides bi- lieux, tantôt des aliments. Ces vomissements se répétaient deux ou trois fois la semaine, pendant sept ou huit années. Alors, ces accidents se calmaient et étaient remplacés par une diarrhée continue, de la dyspep- sie intestinale et quelques troubles nerveux périphériques. Jamais dans la classe aisée, je n'ai observé ces gastrites aiguës soit d'emblée, soit, ce qui est presque la règle, greffées sur une gastrite chronique antérieure ; ainsi, on observe rarement les crises de vomis- sements avec état adynamique, sensibilité excessive de l'épigastre. Ces accidents manquent dans la classe aisée, parce que l'usage de l'alcool est constant, mais n'est pas, comme chez les ouvriers, poussé subite- ment à une exagération extrême. La nutrition éprouve habituellement une modification indiquée, c'est le dégoût de la viande. J'ai vu des gens manger à peine 500 grammes de viande par mois, se nourrir de légumes, d'œufs, et, malgré cette alimentation peu réparative, et tout en continuant d'user habituellement des boissons alcooliques, maigrir peu et conserver un état des forces très- satisfaisant. L'ulcère simple de l'estomac est-il aussi fréquent chez les ivrognes riches que chez les pauvres? Je n'oserais le dire, n'ayant pas fait l'exa- men des cadavres dans les deux conditions Dans un travail antérieur, j'ai montré qu'un certain nombre de ces ulcères pouvait exister sans avoir provoqué, à aucune période de son évolution, de troubles séméiologiques assez graves pour attirer l'atten- tion de l'alcoolisé. Comme dans la classe ouvrière, l'ulcère simple de l'estomac peut reconnaître deux causes principales : ou bien il est l'effet de l'irritation directe de l'irritant alcoolique sur la muqueuse stomacale, ou bien il est l'effet des troubles de la circulation des vaisseaux de l'es- tomac dans l'inflammation interstitielle du foie. Chez les malades de la classe aisée où les autopsies ne peuvent être pratiquées après le décès, on reste incertain sur la variété pathogénique de l'ulcère stomacal. Voici ce que j'ai observé en ne tenant compte que de la séméiologie. L'ul- cère aigu ne se rencontre point; s'il existe dans la classe ouvrière, c'est le plus souvent à la suite de l'ingestion de l'alcool concentré. Dans la classe aisée, rien de pareil ; l'ulcère peut exister nombre d'années avec des rémissions et des recrudescences, et ce n'est que tard qu'il provoque des gastrorrhagies, ou des hémorrhagies intestinales. J'ai vu chez un riche entrepositaire de boissons alcooliques les symptômes d'ulcère de l'esto- ])r LEUDET. — L'ALCOOLISME DAMS LA CLASSE AISÉE 727 ma*' persister pendant près de vingt ans, et se terminer par une ané- mie considérable, consécutive ;i des hémorrhagies intestinales lentes, qui se caractérisaient par des selles noires. L'hémorrhagie intestinale n'est pas toujours aussi lente ; j'ai vu chez trois individus, dont l'un très-aisé et les deux autres riches, des gastrorrhagies considérables, formées par du sang rougeâtre, survenir dans le cours d'une affection ulcéreuse de l'estomac; deux guérirent, l'autre succomba. La guérison, dans ces deux cas, s'effectua rapidement, par le change- ment de régime et la cure lactée. La coïncidence d'une maladie du foie aggrave le pronostic de l'ulcère simple de l'estomac; j'ai vu succomber dans ces conditions la femme d'un riche meunier du département de l'Eure, qui usait journellement de grandes quantités d'eau-de-vie. Les accidents intestinaux ne sont pas rares chez les individus de la classe aisée à la suite des abus alcooliques. Les diarrhées, qui se pro- longent pendant des années, amènent rarement un grand trouble de la constitution. J'ai même vu les individus, atteints de cette forme de ca- tarrhe intestinal depuis de longues années, conserver encore l'intégrité presque complète de l'appétit et présenter peu d'amaigrissement. L'alcoolisme chez les gens aisés, en dehors des complications cardia- ques, provoque très-rarement de l'albuminurie et de l'anasarque. Les accidents nerveux sont de beaucoup les plus fréquents. Les for- mes les plus communes sont des troubles intellectuels, des accidents spasmodiques, des hyperesthésies périphériques, tous accidents appar- tenant aux premières formes de l'alcoolisme chronique et dont Huss no- tait déjà la curabilité. Chez les gens de la classe aisée qui ont usé longtemps des alcooliques, je dois noter d'abord les cauchemars nocturnes, une émotionnabilité plus grande, qui se traduit chez quelques-uns par de la susceptibilité, la crainte de la mort, des terreurs peu habituelles; ainsi l'un d'eux ne pou- vait passer sous un tunnel sans être pris d'un effroi qu'il était incapa- ble de maîtriser. Un autre avait remarqué que le séjour dans un appar- tement chaud lui faisait perdre la netteté de son intelligence, et il ne faudrait pas croire que ces perversions intellectuelles fussent uniquement provoquées par un excès plus qu'habituel et le suivissent immédiate- ment ; souvent cet état survenait sans que le malade eût abusé excep- tionnellement des alcooliques, et même dans certains cas, l'intolérance, qui survient à la longue chez les buveurs habituels, expliquait comment une quantité minime d'eau-de-vie suffisait pour provoquer chez eux des perversions intellectuelles du genre de celles que je viens d'indiquer. Les accidents spasmodiques légers sont très-communs; tels sont d'une part un sentiment d'œsophagisme, qu'on pourrait comparer à la boule ,28 SCIENCES MEDICALES des hystériques, avec cette seule différence qu'il n'a pas de direction ascendante, existe d'emblée au col. Chez deux individus, un hoquet per- sistant, et pouvant durer jusqu'à vingt-quatre heures de suite, devenait un accident gênant. Les douleurs dans les membres sont, de tous les accidents d'hyperes- thésie, les plus communs. Ils n'ont pas de siège anatomique fixe, occu- pent presque toujours les jambes et sont curables par la médication to- nique générale, surtout par le quinquina. J'ai observé ces symptômes bien plus fréquemment chez les alcoolisés de la classe aisée que chez ceux de la classe ouvrière. Chez ces derniers ils constituent souvent le début d'un alcoolisme chronique à évolution incessante. D'autres troubles de sensibilité sont surtout l'engourdissement des pieds, quelques analgésies, mais rarement des anesthésies complètes. Les troubles de la motilité sont très-communs; la forme la plus lé- gère est le tremblement et le défaut d'équilibre. Le malade craint de marcher seul. Il butte contre les pavés ou, comme dans un fait que j'ai cité plus haut, il perd subitement l'usage de ses jambes; ces troubles de la motilité peuvent être momentanés et même disparaître sous l'in- fluence d'un changement de régime. Peut-être pourrait-on ranger à côté de ces accidents les vertiges si communs chez les alcoolisés et qui peu- vent prendre une telle intensité que l'individu se sent menacé de chutes à tout moment; d'autres éprouvent surtout des crampes dans les jambes, des soubresauts, des convulsions de forme épileptique; je les ai ren- contrées trois fois dans la classe aisée, et chez ces trois malades la sobriété a suffi pour provoquer la guérison de la névrose. La paralysie générale n'est pas très-commune dans la classe aisée; elle l'est beaucoup moins que dans la classe ouvrière, mais elle offre dans les deux classes une complète identité. Les paralysies localisées et surtout l'hémiplégie ne sont pas rares chez les alcoolisés ; j'en ai vu chez des gens qui dépassaient à peine leur trentième année, et chez lesquels il n'existait pas d'autre cause prédis- posante que les abus alcooliques. Je n'ai* pas parlé du delirium tremens, je n'en ai vu que deux cas dans la classe aisée ; c'est dire qu'il est beaucoup moins fréquent que dans la classe ouvrière ; ce qu'on observe le plus souvent, c'est une forme particulière de l'alcoolisme subaigu, délire maniaque, demi-rai- sonné avec hallucination qui a été fort bien décrit (Arch. gén. de méde- fine 18G9), par M. Lasègue. Cette forme, qui peut avoir plusieurs semai- nes de durée, guérit en général pour ainsi dire d'elle-même, après la cessation des abus alcooliques. Dr PAQUET. — DE LEMPLOI DE l'àCOMTINE 729 D' A. PAQUET Professeur à l'École de médecine de Lille, Chirurgien des hôpitaux. DE L'EMPLOI DE L'ACONITINE CONTRE LES ACCIDENTS GRAVES CONSÉCUTIFS AU TRAUMATISME. — Scan ce du Si août 1874 — La question du traitement prophylactique et curatif des accidents généraux graves consécutifs au traumatisme est une de celles qui ont, à juste titre, attiré l'attention des chirurgiens de toutes les époques. Parmi, ces accidents, les phénomènes inflammatoires et infectieux, le tétanos, ont été et sont encore le sujet d'expérimentations nombreuses, dé recherches persévérantes, et l'occasion de discussions multipliées dont le terme ne se laisse pas pressentir. Cela tient à l'ignorance de la cause réelle de la plupart de ces accidents, et à la vraisemblance plus ou moins accentuée de l'hypothèse ou de la théorie par lesquelles le chirurgien cherche à expliquer leur pathogénie. Aussi la prophylaxie et la curation consistent-elles pour les uns dans l'art des pansements, pour d'autres dans le traitement médical du blessé ou de l'opéré, pour le plus grand nombre dans l'exécution fidèlement remplie de certaines conditions bien déterminées d'hygiène, d'habileté opératoire et de soins consécutifs, tant médicaux que chirurgicaux. Notre désir n'est pas d'insister sur ces points qui ont été développés et discutés tant de fois par les hommes les plus compétents. J'appellerai aujourd'hui votre bienveillante attention sur les résultats que j'ai obtenus de l'administration de l'aconitine chez des blessés graves, dans plusieurs cas de complications inflammatoires, de tétanos et de trismus, et chez des malades opérés de hernies étranglées. Il me paraît utile de vous présenter au préalable quelques considérations qui doivent toujours entrer en ligne de compte, lorsqu'on emploie l'aconitine. L'aconitine du commerce n'est pas homogène ; l'aconitine dite allemande, qui, pour la plus grande part provient des laboratoires de Merck, à Darmstadt, est de beaucoup la plus répandue dans le commerce . de la droguerie ; c'est un mélange d'aconitine pure, de napelline moins active que l'aconitine, et d'aconelline, substance non toxique. Cette aconitine dite allemande est beaucoup moins active que l'aconi- tine cristallisée, découverte par Grove qui en présenta des échantillons au Congrès de Nottingham, en 1866, et étudiée avec détails par M. Duquesnel en 1872. On ne doit donc pas manier pari manu les aco- 50 730 SCIENCES MÉDICALES nitines de différentes provenances; mais ces différences ne portent que sur la dose ou le degré d'activité, de puissance de l'aconitine, car, à part la question des doses, les effets physiologiques et partant théra- peutiques sont les mêmes avec des aconitines de puissances inégales, ainsi que le prouvent les expériences de Scroff, Henrich, von Praag-, Hottot et Liégeois. De plus, cette remarque prouve la supériorité de l'emploi de l'alca- loïde même impur, sur les préparations pharmaceutiques ordinaires, les extraits par exemple, qui se décomposent facilement et promptement. Un extrait très-actif d'aconit ferox de l'Himalaya, toxique à la dose de 2 ou 3 centigrammes et ne déviant pas la lumière polarisée, ne tarde pas à perdre une grande partie de son activité; on constate alors qu'il dévie la lumière polarisé: c'est que son aconitine s'est transformée en glu- coside, et au bout d'un certain temps, l'extrait est devenu complètement inerte. Ainsi s'explique la défaveur dans laquelle sont tombées les diffé- rentes préparations d'aconit. Je me suis exclusivement servi dans mes expériences d'aconitine amorphe de Merck, qui entre à la dose de 1/2 milligramme dans les granules d'aconitine de Chanteaud. En 1846, J.-P. Tessier proposa l'emploi des préparations d'aconit contre la métropéritonite puerpérale, et les bons effets qu'il en avait retirés lui firent recommander son emploi dans les complications des plaies. Dans le travail qu'il publia dans la Gazette médicale de la même année, il préconisa l'usage de l'aconit contre la phlébite, les abcès métastatiques, la résorption purulente et l'érysipèle. Un certain nombre de chirurgiens l'employèrent avec succès; quelques-uns, comme M. Chassaignac, le donnèrent comme préventif, faisant subir de la sorte au futur opéré une espèce d'entraînement chirurgical ; mais le plus grand nombre avouèrent n'avoir rien obtenu, n'avoir été témoins d'aucun phénomène, d'aucun effet appréciable à la suite de l'administration de hautes doses d'aconit; preuve évidente de la nullité des préparations qu'ils avaient employées, car on aurait dû tout au moins, dans ces cas, à défaut d'effet curatif, constater les phénomènes physiologiques que produit l'aconit, et c'est pour arriver à plus de cer- titude que, dans mes essais, j'ai préféré employer l'aconitine, même im- pure, au lieu des diverses préparations d'aconit, le plus souvent obtenues dans des conditions défectueuses, ou falsifiées par le commerce, ou alté- rées par le temps. J'ai été guidé dans ces expériences par les réflexions suivantes, que m'ont suggérées les propriétés physiologiques de l'aco- nitine. 1° L'aconitine possède une influence sédative des plus prononcées sur les systèmes nerveux et circulatoires; d'où j'ai conclu à son application contre la fièvre et l'érysipèle trauinaliques. Dr PAQUET. — DE L EMPLOF DE L'ACONITINE 731 2° L'aconitine paralyse le système nerveux vaso-moteur et les nerfs sensitifs à la périphérie; d'où son application contre le tétanos. (L'action paralysante de l'aconitine sur le système nerveux vaso-mo- teur a été constatée par MM. Gréhant et Duquesnel, dans les expériences sur l'aconitine cristallisée, faites par eux au laboratoire du Muséum d'histoire naturelle, et publiées dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences (juillet 1871). Le même résultat avait été constaté par M. Aschamouron, physiologiste russe, dans l'emploi de l'aconitine amorphe.) Depuis le commencement de mes essais, je n'ai pas eu l'occasion d'employer l'aconitine contre la résorption purulente. Je n'hésiterais pas à le faire, car en abaissant la température. et le pouls, l'aconitine doit avoir une grande influence sur la production et le développement de l'infection purulente, quelle que soit la cause pro- bable de cette complication des plaies, soit l'infection du sang par un poison violent spécial, ou la pénétration dans le sang, en totalité ou en partie, des éléments du pus altéré , soit le développement parfois im- mense de microzoaires, soit plutôt la prolifération excessive des glo- bules blancs ou leucocythes, éléments embryonnaires du' sang, qui, en s'accumulant, entravent si facilement la circulation dans les fins ca- pillaires. Observation I. — D... Louis, cardeur, 29 ans; eut le 3 juin la face dor- sale de l'avant-bras droit, de la main et des doigts lacérée, par une carde, qui intéressa la peau, les muscles et leurs tendons à leur partie inférieure de l'avant-bras et au poignet, détruisit les tendons extenseurs et ouvrit l'articu- lation de la première et de la deuxième phalange des troisième et quatrième doigts. Deux ligatures furent posées et le pansement fait avec de la charpie im- bibée du mélange par quarts de perchlorure de fer, alcool camphré, eau phéniquée au 1/500 et d'eau pure, le tout recouvert d'une épaisse couche d'ouate. Trois jours après, à la suite d'une nuit très-agitée, le blessé accuse des douleurs vives le long du bras, sans que l'état de la plaie puisse en rendre compte ; raideur de la mâchoire et des muscles du cou : pouls 126. Température 40° 2/10. Nous prescrivons le chloral à dose de 6 grammes, asso- cié à 5 centigrammes de chlorhydrate de morphine. Le lendemain, le tétanos augmente; les mâchoires ne peuvent plus être écartées; la tête est forte- ment renversée en arrière, convulsions fréquentes. Pouls 128. Tempéra- ture 30° 4/10. Plaie rouge sur les bords, qui sont légèrement tuméfiés. Suppression de la médication précédente, et administration de l'aconitine de Merck, deux, granules par demi-heure, dissous dans de l'eau légèrement acidulée. Six heures après, le malade avait pris 18 granules, c'est-à-dire 9 milligrammes d'aconitine amorphe; le pouls tremblotant marquait 84, la température 38° 8/10. Cessation du délire et des secousses convulsives, persistance du trismus et de la raideur du cou ; vertiges, lipothymies, déman- 732 SCIENCES MEDICALES geaisons, vives à la peau, principalement au niveau des plis de la face. Six granules. g juîn> _ Reprise du délire pendant la nuit, mais moins intense que la veille ; quelques convulsions ; à la visite du matin, le tétanos n'a pas pro- gressé; il y a une légère détente dans les muscles de la nuque. 12 granules d'aconitine. Le soir, pouls G8. Température 38° 2/10. 9 juin. Nuit meilleure, sans délire •ni convulsions; cou moins raide, bien que la tête ne puisse pas encore tourner librement.; les mâchoires sont moins resserrées, et permettent un écarte- ment de 5 millimètres environ. Le soir, pouls 64; température, 37° 8/ 10e. 10 juin, nuit bonne, pouls 58, température 37° 6/1 0e. Le cou est détendu, l'écartement des mâchoires est de 2 centimètres. Ce jour et les suivants, diminution graduelle de la dose d'aconitine. 14 juin. — Cessation du médicament, sans retour d'accidents tétaniques : la plaie granule régulièrement, et la cicatrisation est complète dès la sixième semaine, Observation II. — Donnât (Charles), mécanicien, 32 ans. Le 10 janvier 1873, plaie par broiement, écrasement -partiel du premier métatarsien, avec ouver- ture de l'articulation métatarsophalangienne. Ablation de trois esquilles dont la plus grande mesure 2 centimètres de longueur ; pansement au perchlorure de fer mélangé d'alcool camphré phéniqué et étendu d'eau. Rien de remarquable jusqu'au 22 janvier : la plaie est belle, bien détergée, l'os bourgeonne. Le malade se lève et se refroidit ; en remontant dans le lit, il heurte le pied contre la traversent ressent une vive douleur qui se prolonge dans la jambe jusqu'au genou. Dès le lendemain, raideur de la nuque et tris- mus : pouls, 124; température, 39 5/10; douze granules d'aconitine dans les 24 heures. — 24 janvier, diminution du trismus et de la raideur du cou : pouls, 62; température, 37° 8/10. — Quatre granules. 25 janvier. — Disparition du trismus et de la raideur du cou : pouls, 58; température, 37°. — Cessation de l'aconitine. La guérison est complète le 8 avril, sans autres accidents. Observation III. — C... (César), 18 ans, ouvrier fileur, a, le 23 mai 1873, la main droite prise dans un engrenage ; broiement de la main et de l'avant- bras, qui est arraché un peu au-dessous de sa partie moyenne. Régularisation des lambeaux, résection du radius et du cubitus jusqu'à 4 centimètres au- dessus des bords des lambeaux cutanés, réunion immédiate par cinq points de suture avec drainage préventif. Pansement à l'huile phéniquée et l'ouate. Réaction inflammatoire très-modérée. Les sutures sont enlevées le quatrième jour. Sans aucune cause appréciable, le 9 juin, le blessé se plaint de douleurs vives le long du bras droit de l'épaule et du cou, et de resserrement des mâchoires : dysphagie, gène de la respiration : pouls, 118; température, 39° 8° 10/. Administration de l'aconitine et de la vératrine, deux granules de chacune, dissous dans un peu d'eau légèrement acidulée, et donnés en quarts de lavements qui sont bien gardés. Après la huitième dose, apparition Dr PAQLET. — DE l/EMPLOI DE L'ACONITINE 733 des vertiges, lipothymies, pouls tremblottant, 90. — Le soir, cessation des vertiges ; démangeaisons cutanées très-vives, surtout à la face. Pouls, 36 ; température, 37° 2/10. 10 juin. — 8 granules d'acontine. 11 juin. — Nuit assez tranquille : les mâchoires peuvent être écartées d'un centimètre ; la raideur du cou a considérablement diminué. Suppression de Faconitine : quatre granules de sulfate de strychnine à 1/2 milligramme. Bouillon au vin, potages. 12 juin. — Nuit bonne : plus de contractures, mais persistance des démangeai- sons, surtout à la face. Café avec addition d'eau-de-vie, 20 grammes. Pendant ces trois jours l'aspect de la plaie n'a guère changé ; les bords sont à peine tuméfiés, et la suppuration est de bonne nature. Le 2i juin, les orifices d'entrée et de sortie du tube à drainage se froncent ; le tube est enlevé, son trajet s'oblitère huit jours après, et la guérison demeure définitive. Ces trois faits ne suffisent certes pas à démontrer une action élective spéciale de l'aconitine contre le tétanos ; mais ils indiquent suffisam- ment le bénéfice que l'on peut retirer de l'emploi de ce médicament contre l'une des plus graves complications des plaies, qui compte un grand nombre de médications préventives ou curatives ayant toutes fourni quelques succès, mais un bien plus grand nombre de revers. Les effets de l'aconitine, dans les cas que nous venons de citer, sont une preuve évidente de l'intensité d'action de cet agent, même impur, contre le mouvement fébrile et l'élévation de la température. Cette propriété de l'aconitine se retrouve dans les observations qui suivent : Observation IV. — L (Adèle), 37 ans, bien réglée, présente à la suite d'une chute dans un escalier, et qui remonte à sept jours, une large plaie contuse de la région externe de la cuisse gauche. Le pourtour de la plaie est rouge foncé et tuméfié ; cette rougeur et cette tuméfaction s'étendent à 25 centimètres, principalement vers la gauche, et se termine par un bord net, légèrement saillant; dans toute l'étendue de la portion prise, la peau est luisante, chaude, et le siège de picotements qui se changent en douleurs vives à la moindre pression : fièvre intense, langue sèche, soif ardente; pouls, 128; température, 40°. — Sulfate de soude, 45 grammes : deux heures après, un granule d'aconitine de demi en demi-heure ; onction huileuse sur la portion de peau prise d'érysipèle. La malade prend dix-huit granules d'aconitine amorphe : le soir, huit heures, après notre première visite, nous trouvons le pouls tremblotant à 76 : le thermomètre appliqué dans le creux de l'aisselle donne 38° 5/10. Depuis trois heures, vertiges, éblouissements, légère dilata- tion de la pupille, lipothymies qui se succèdent et se prolongent, établissant ainsi un état syncopal. — Cessation de l'aconitine. Café et eau-de-vie, 30 gram- mes. Une heure après, disparition de l'état syncopal et des vertiges, déman- geaisons excessives à la peau, et chose singulière, diminution de la douleur dans les points affectés par l'érysipèle. 734 SCIENCES MÉDICALES Le lendemain matin, le malade est, sur son séant, et réclame de la nourri ture. Pouls 02, température, 37° 1 /2. A partir de ce moment, l'érysipèle cesse de s'étendre en haut, mais il envahit la jambe, et se termine aux pieds sans autre accident. Observation V. — François Glorieux, cocher, 48 ans, se blesse à la face dorsale de la main en essuyant sa voiture ; deux jours après, on constate une rougeur diffuse, remontant à la face dorsale de l'avant-bras, puis gagnant le bras; les bords de cette rougeur sont nettement circulaires, non découpés, offrant une légère saillie, et présentant tous les caractères de l'érysipèle vrai. Langue saburrale, peau sèche, pouls 128, température 40°. Sulfate de soude 45 grammes, puis deux heures après, vingt granules d'aconitine de Merck, à prendre un de quart en quart d'heure. Bouillon et eau vineuse. Onctions à l'huile d'olive sur toute la portion de peau atteinte par l'érysipèle. Dès le dix-huitième granule, 9 milligrammes d'aconitine étant pris, le ma- lade se sent défaillir; il cesse de lui-même de prendre le médicament. Le soir nous constatons un changement complet dans son état ; la peau est moite, le pouls bat 62, la température marque 38°. Cessation de l'aconitine, l'érysipèle s'épuise sur place, et se termine par une abondante desquamma- tion de l'épiderme. On peut remarquer, dans ces deux observations, l'action très-prompte de l'aconitine. Il en est ordinairement ainsi, lorsque, le médicament doit produire un effet utile; d'une façon générale, nous avons observé que les effets physiologiques de l'aconitine se sont montrés d'une heure à trois heures, après l'administration de l'aconitine de Merck, de 40 à 50 minutes après l'administration de l'aconitine cristallisée (que nous n'a- vons essayée qu'en expériences sur les animaux et à doses dix fois moindre qne l'aconitine amorphe). Ces effets physiologiques nous ont servi de principale indication pour juger de l'opportunité d'interrompre ou de continuer l'emploi du médicament. OBSERVATIONS DE HERNIES ÉTRANGLÉES OPÉRÉES. Observation VI. — Justine B..., gouvernante, porte depuis longtemps une épiplocèle adombilicale de la grosseur du poing. A différentes reprises, elle a éprouvé de la gêne à ce niveau, gêne qu'elle faisait disparaître en exerçant une légère pression sur la tumeur. Le dimanche 14 décembre 1873, elle éprouve une douleur insolite, à la suite d'un travail fatigant. Dans la nuit les douleurs augmentent ; elle cherche à les faire disparaître en usant de son moyen habituel, mais sans y parvenir. Les vomissements apparaissent, alimen- taires, puis bilieux, et la douleur s'irradie au pourtour de la tumeur. Des tentatives de réduction pratiquées par M. le docteur Let'ebvre, de Roubaix, ne donnent aucun résultat; les signes de l'étranglement herniaire se complètent; suppression des selles, vomissement de matières fécaloïdes, ballonnement du Dr PAQUET. DE L'EMPLOI DE l'aCONITINE 735 centre, douleurs généralisées à tout l'abdomen, mais surtout intenses au pour- tour de la région ombilicale, .le suis mandé près d'elle le samedi soir, 20 dé- cembre, et avec MM. les docteurs Lefebvre et Carrette, je constate tons les signes précités. La malade cependant accuse une certaine rémission dans son état; les vomissements ont diminué depuis la veille, ainsi que l'acuité des phénomènes généraux : la tumeur, au dire de la malade, s'est un peu ra- mollie sans toutefois avoir diminué de volume. Nous réservons d'un commun accord au lendemain matin la question de l'opération. Durant la nuit, les vomissements ont reparu avec une intensité nouvelle, ainsi que les douleurs; le pouls est petit, 124, le faciès grippé, la faiblesse excessive. L'opération du débridement est proposée et acceptée par la malade. Aidé par MM. Lefebvre et Carrette, et après avoir renouvelé sans succès les tentatives de réduction par le taxis, je fais une incision en T, je dissèque complètement la tumeur, et après avoir divisé une dernière membrane d'enveloppe s'étendant comme une poche à la surface de la tumeur, jusqu'à l'orifice fibreux, à la façon d'un véritable lac herniaire, je trouve une masse épiploïque fortement congestion- née, et, au centre une anse d'intestin grêle, mesurant à peu près douze cen- timètres de longueur et repliée sur elle-même ; contrairement à notre attente et malgré la durée de l'étranglement, l'intestin ne présente pas de gangrène. Après l'avoir inspecté jusqu'au pourtour de l'orifice fibreux sans apercevoir d'altération profonde, je cherche à réduire par pression. Cette tentative de- meurant inutile, je pratique à l'aide du bistouri boutonné, et me servant du doigt comme conducteur, au pourtour de l'orifice sur lequel l'intestin s'est étranglé, trois petits débridements, l'un transversal dirigé à gauche, les deux autres obliques, en remontant vers la gauche. Le doigt peut être alors engagé entre l'anse intestinale et l'orifice fibreux débridé; quelques adhérences légères sont rompues, et l'intestin peut être attiré au dehors. La portion qiû prenait sur l'orifice fibreux et produisait l'étranglement n'est guère plus attirée que le reste de l'anse intestinale; il est vrai que, dans la presque totalité de sa circonférence, elle n'était qu'en rapport médiat avec l'orifice, ce dernier étant, pour ainsi dire, tapissé par l'épiploon. Dès lors, je pus réduire, et avec faci- lité. L'épiploon est abandonné au dehors; cinq points de suture ferment la plaie extérieure ; une couche d'huile, quelques compresses trempées dans l'ai - cool camphré, un bandage de corps complètent le pansement. — Extrait thébaïque, 20 centigrammes en vingt pilules : une pilule par heure. — Un soulagement immédiat succède à l'opération : les vomissements s'arrêtent ; dans la nuit suivante la malade a deux selles. 22 décembre. — Réaction intense, pouls 120, peau chaude; un vomisse- ment bilieux a eu lieu dans la matinée. Nous proposons l'emploi de l'aconi- tine, que l'on administre à raison de dix granules d'aconitine à 1/2 milli- gramme, dans les vingt-quatre heures, et quatre granules de digitaline amorphe à 1 milligramme. 23 décembre. — Nuit bonne; le bouillon et l'eau vineuse sont ingérés, sans produire de vomissement : démangeaisons cutanées, surtout à la face et au pourtour des oreilles; douleurs diffuses peu intenses, au pourtour de la ré- 736 SCIENCES MÉDICALES gion ombilicale : pouls 96, vertiges et dilatation légère des pupilles. Conti- nuation de l'aconitine, quatre granules dans les vingt-quatre heures. 2i décembre. — Il y a eu une selle; les vomissements sont complètement arrêtés; un peu de suppuration existe dans les angles de la plaie; pouls 76: diminution des médicaments : aconitine, deux granules ; digitaline, un gra- nule. A partir de ce jour, l'état de la malade s'améliore progressivement, et ne présente rien de particulier à noter. L'épiploon se détruit en partie; le dixième jour la plaie est couverte de granulations. Des injections à l'alcool camphré et un linge légèrement cératé constituent tout l'appareil de panse- ment. Au bout de six semaines, la guérison est définitive. Observation VU. — Louis Désiré, tailleur de pierre, porte depuis huit mois une hernie inguinale gauche, résultant d'un effort produit pour soulever une pierre de taille. Cette hernie habituellement contenue à l'aide d'un bandage défectueux, est sortie de nouveau le 28 avril 1873 ; le malade en état d'ivresse ne l'a pas réduite, et ne s'en est même aperçu que le lendemain malin. Quelques tentatives de réduction sont faites par lui-même, puis il applique, de son chef, un cataplasme sur la tumeur. Appelé près de lui quatre jours après, 3 mai, je constate tous les signes de l'étranglement : la tumeur des- cend jusqu'au fond du scrotum, est demi-dure, mate dans toute son étendue, se continuant obliquement vers l'abdomen, puis suivant le trajet du canal in- guinal, par un pédicule volumineux. Les tentatives de réduction par le taxis demeurant inutiles, j'applique autour delà tumeur une bande en caoutchouc; le malade est placé dans la position horizontale, les pieds élevés, la tête basse. . Après une heure la tumeur est notablement ramollie, mais n'a pas diminué de volume. Les tentatives de réduction sont reprises sans succès. Je pratique l'opération du débridement. Le collet du sac a contracté des adhérences avec l'anneau fibreux; je ne cherche pas à les détruire, et j'incise le tout, par quatre débndements de quelques millimètres, en dehors et en haut. L'intestin n'étant pas gangrené est réduit ; l'épiploon est laissé dans la plaie et forme bouchon. Extrait thébaïque et de belladone, 10 centigrammes en dix pilules : une par heure. Arrêt des vomissements; une selle dans la nuit. 4 mai. — Rien à noter : pouls 88°. .*> mai. — Réaction intense : douleurs vives dans la fosse iliaque gauche, s'irradiant à tout le côté gauche de l'abdomen, l'ouls 120, hoquet, renvois fréquents, san.i vomissement. Douze granules d'aconitine et six granules de digitaline. Après la prise du huitième granule d'aconitine, vertiges, re- froidissements, horripilatiôns, pouls 86, température 38°, cessation de l'aconi- tine, café et potion cordiale ; rien à noter du côté de la plaie. 6 mai. — lnsommie, tendance marquée à la syncope : 4 grammes d'acétate , d'ammoniaque, frictions à l'alcool sur les membres. Le soir, l'état général est meilleur; disparition de l'état syncopal, démangeaisons cutanées. Cessation de tout médicament. A partir de ce moment, la marche de la maladie ne pré- sente plus rien de remarquable; la guérison est complète le 29 mai. J'ai Dr CUIGNET. — DES SUITES DE FRACTURES DES MEMBRES 737 revu plusieurs fois cet homme, qui a repris son état et n'a plus vu reparaître sa hernie. Observation VIII. — Clémentine D..., 53 ans, ménagère; hernie crurale étranglée depuis soixante-quatre heures. Taxis prolongé sans résultat. Débri- dement de l'orifice fibreux du fascia crébriforme et du collet du sac ; réduc- tion de l'intestin. Administration préventive de l'aconitine; huit granules d'aconitine amorphe à 1/2 milligramme à prendre, un granule d'heure en heure. Effets physiologiques restreints : quelques démangeaisons cutanées, pas de tendance à la syncope : le lendemain le pouls est à 58, la température 37° 8/10, plus de vomissement : une selle provoquée par un lavement à la glycérine. Suppression de l'aconitine, nous réservant d'y revenir aussitôt que l'état de la circulation en indiquera l'emploi. Cette occasion ne se présente pas ; le jour suivant, le pouls est à 60 et se maintient entre 60 et 68 jusqu'à l'époque de la guérison, qui a lieu vingt-cinq jours après, sans qu'aucune réaction inflammatoire en soit venue troubler la marche. 11 nous paraît difficile, dans les trois cas qui précèdent, de ne pas admettre l'action préventive ou curative de l'aconitine contre les acci- dents consécutifs à l'opération. On peut objecter à notre manière de voir que des malades opérés de la hernie étranglée peuvent guérir sans réaction, sans fièvre traumatique. Il est arrivé à bien des chirur- giens d'observer à la suite de cette opération l'absence complète de réaction inflammatoire ; pour mon compte, j'ai le souvenir de trois opé- rations de hernie étranglée que j'ai pratiquées, il y a plusieurs années, deux à l'hôpital Saint-Sauveur de Lille, lorsque j'étais professeur-adjoint de clinique, la troisième dans une commune voisine, sans que les opé- rés présentassent le moindre signe de fièvre traumatique. Mais, il faut en convenir, ces faits constituent des exceptions, et il n'en demeure pas moins constant que l'aconitine, même impure, par l'énergie de son ac- tivité sur le système nerveux et l'abaissement du pouls et de la tempé- rature, est un moyen puissant de modérer la réaction inflammatoire, peut-être même de la prévenir. D' GÏÏIMET Médecin principal à l'hôpital militaire de Lille DES SUITES DE FRACTURES DES MEMBRES PAR PROJECTILES DE GUERRE — Séance du Si août 1874. Depuis la fin de la guerre j'ai eu à examiner, avec la commission spéciale pour les réformes et pour les pensions de retraite, un grand ~38 SCIENCES MÉDICALES nombre de blessés, qui m'ont offert des suites de blessures dont l'étude m'a paru très-intéressante, non-seulement sous le rapport de la nature de ces suites, mais encore et surtout au point de vue des deux principes encore débattus, encore ennemis de l'amputation et de la conservation dans les cas de fractures des membres par projectiles de guerre. Ce sont les résultats de cette étude que je résume pour les soumettre à votre appréciation. Ils sont fondés sur l'examen détaillé de plus de cent cinquante cas de fractures de cuisse, de plaies pénétrantes du genou, de fracas des deux os de la jambe ou du tibia seul, de coups de feu ayant traversé le pied dans tous les sens; de fractures de l'humérus, du coude, de l'avant-bras, du poignet et de la main, toutes blessures par projectiles ayant traversé ces différentes parties des membres et produit des brisures complètes et comminutives. Memêre supérieur. — Fémur. — La première série comprend vingt-six cas de fractures du fémur à toutes les hauteurs, abandonnées à elles- mêmes ou traitées par Fexpectation et consolidées plus ou moins favo- rablement. L'appréciation détaillée de ces vingt-six cas donne lieu aux remarques suivantes : 1° Leur nombre étant de beaucoup supérieur à celui des amputés vus dans la même commission, il s'ensuit que la vie aurait été sauvée plus souvent par l'expectation que par l'amputation. 2° La vie a été sauvée malgré la gravité des accidents primitifs con- sistant en fracas de l'os, altération des parties molles, hémorrhagies, délaissement sur le champ de bataille, transport pénible jusqu'à l'am- bulance et malgré celle des accidents consécutifs consistant en fièvre, chute d'escarres, suppuration du foyer et du pourtour, hémorrhagies, phlegmons, érysipèles, pourriture d'hôpital, enfin malgré les déplace- ments successifs, les changements d'appareil et les plus mauvaises con- ditions locales et générales. 3° Sous le rapport de l'état de la fonction du membre, ces vingt-six cas doivent être partagés en trois séries dans lesquelles on trouve : huit résultats bons et très-bons, entendant par là que les individus pouvaient marcher même sans canne et faire d'assez longues routes ; Neuf résultats passables, entendant par ce qualificatif que les indivi- dus marchaient avec une canne, mais assez péniblement; Enfin neuf résultats mauvais, c'est-à-dire tels que les individus, quoi- que guéris, ne pouvaient aller qu'à béquilles. 4° Ces mauvais résultats dépendent principalement du chevauche- ment des fragments qui a donné lieu à des difficultés et longueurs de réparation, à des suppurations prolongées et diffuses, à des épaississe- ments énormes des bouts, à des déformations par consolidation à angle saillant en dehors et en avant, enfin à un raccourcissement considérable. Dr CUIGNET. — DES SUITES DE FRACTURES DES MEMRRES 739 o° Il s'ensuit que la chirurgie doit actuellement s'efforcer de corriger ce défaut de coaptation par des positions et des appareils capables de maintenir les deux bouts en affrontement et d'obliger l'os a conserver sa longueur . 6° Nous n'avons pas aperçu, dans ces vingt-six observations, qu'aucun des appareils multiples qui ont été employés eût rempli ces indications et obtenu un résultat supérieur. Nous serions disposé à recommander de laisser d'abord passer les accidents de fièvre et de suppuration, puis, à l'époque où la réparation va commencer, de soumettre le membre au double effet régularisant de l'extension et de la contre-extension ; de re- chercher cet effet par la position en décubitus incliné dans lequel le tronc est plus bas que le membre inférieur et fait contre extension et par la fixation du pied et de la jambe pour avoir l'extension. A la troi- sième époque, c'est-à-dire lorsque la consolidation s'achève, il n'y au- rait plus besoin que d'un bandage rigide. — Nous résumerons ce qui concerne les fractures du fémur par projectiles de guerre en disant qu'elles guérissent dans une proportion plus considérable, par l'expec- tation que par l'amputation ; en second lieu, que l'expectation conserve la fonction beaucoup mieux que l'amputation et enfin que les mauvais ré- sultats fonctionnels sont dus au manque d'un bandage capable de s'op- poser au chevauchement des fragments; que, par conséquent, la chi- rurgie doit adopter le précepte de la conservation et se mettre à la recher- che d'une déligation propre à maintenir les fragments en bons rapports. Genou. — La deuxième série comprend huit cas de plaies pénétrantes du genou par coups de feu ou éclats métalliques. Tous ces projectiles ont ouvert la capsule et altéré les os ; la plupart ont perforé les condyles d'outre en outre ; mais dans aucun cas il n'y a eu de grands délabrements. — Presque tous ces blessés ont, comme les précédents, reçu des propositions d'amputation et les ont repoussées. Deux n'ont eu des soins médicaux que huit et dix jours après leur bles- sure. Les résultats ont été les suivants : cinq marchent avec une canne et peuvent faire des promenades de plusieurs kilomètres ; deux marchent difficilement; un ne peut aller qu'à béquilles. Tous s'amélioreront, attendu que les plaies pénétrantes du genou n'entraînent guère que des ankyloses plus ou moins prononcées et non point le raccourcissement, ni la déformation des os, ni des atrophies musculaires. Je rappelle qu'un autre médecin militaire, M. le docteur Champenois, a, à lui seul, observé onze cas de guérison de plaies pénétrantes du genou par projectiles de guerre dans les années 1870-1871. D'après ces chiffres il y aurait donc lieu : 1° De supposer que les plaies pénétrantes du genou guérissent plus souvent qu'on ne le pense généralement; 740 SCIENCES MÉDICALES 2° Que, sous le rapport de la conservation de la vie, le résultat de l'expectation est bien plus favorable que celui de l'amputation ; 3° Que, sous le rapport de la fonction, il y a également avantage sur l'amputation ; 4" Qu'il y aurait lieu enfin d'atténuer la rigueur du précepte chirur- gical relatif aux plaies pénétrantes du genou et de traiter par l'expectation toutes celles qui consistent en trajets relativement simples à travers l'ar- ticulation ; par la résection toutes celles qui seraient compliquées de grands fracas, cette opération n'étant pas plus grave que l'amputation de la cuisse et donnant, sous le rapport de la fonction, un résultat pré- férable à cette amputation. Jambe. — Cette troisième série comprend les fractures des deux os de la jambe et celles du tibia seul, distinction qui est nécessitée par la différence des résultats qui suivent les unes et les autres. Les fractures doubles sont au nombre de six et celles du tibia seul au nombre de 21. — On comprend de suite que cette proportion est bien celle qu'indiquerait la théorie. Les six cas de fractures doubles ont donné lieu à deux bons résultats, à trois passables et à un mauvais. Elles ont entraîné toutes les suites que nous allons énumérer pour les fractures du tibia seul, moins une qui appartient spécialement à ces dernières et qui concerne le péroné. Les fractures du tibia seul sont donc au nombre de 21. Elles ont donné lieu aux résultats suivants : Sept bons, Sept passables, Sept mauvais. Les résultats mauvais sont dus aux complications suivantes : paralysies et atrophies des muscles, ankyloses du genou et du cou-de-pied ; défor- mation du genou et du pied. Ce qui caractérise principalement cette fracture, c'est le raccourcissement du tibia, qui est dû au chevauchement des fragments et qui produit les conséquences ci-dessous : 1° Du coté du genou, la surface articulaire du tibia s'incline en avant et en dedans, et oblige les condyles fémoraux à se porter dans ces deux sens. En second lieu, le fragment articulaire tourne sur lui-même de dedans en dehors; 2° Du côté du cou-de-pied, la mortaise s'incline en dedans et en haut et oblige le pied à se mettre et à se maintenir en varus ; 3° Du côté du péroné, il y a une action subie qui est très-intéres- sante. Par suite du raccourcissement du tibia, de la rotation du fragment supérieur et de la résistance de l'articulation péronéo-tibiale inférieure, la tête de cet os glisse sur la facette tibiale supérieure, se porte un peu ])r CUIGNET. — DES SUITES DE FRACTURES DES MEMBRES 741 en arrière et enfin se luxe jusqu'au point d'être tout à t'ait branlante et de dépasser, en haut et en arrière, la table articulaire du tibia. Résumé. — La fracture des os de la jambe ou du tibia seul entraîne parmi ses suites fâcheuses : 1° L'incurvation en arc externe très-accentué et en dépression interne ; 2'1 L'ankylose du genou et du cou-de-pied, ensemble ou séparément ; 3° L'atrophie des muscles ou leur paralysie ou leur transformation fibroïde. 4° Enfin des douleurs souvent vives et longues ; 5° Celle du tibia seul entraîne les déformations du genou et du cou- de-pied et la luxation de la tête supérieure du péroné, suites si fâcheuses dans certains cas que l'on peut, à bon droit, préférer la fracture des deux os à celle du tibia seul. Une indication essentielle serait donc d'empêcher le raccourcissement du tibia. Pour cela il n'y a d'autre moyen que de fracturer également Je péroné ou d'assurer, par un bandage non encore trouvé, ni même suffisamment indiqué, la rectitude et la longueur normales du tibia. Nous pensons que ce bandage doit avoir pour principe essentiel de maintenir non-seulement la jambe, mais encore le genou et le pied en position nor- male par la contention et d'y aider par l'extension et par la contre-* extension appliquées un peu avant la période de réparation. Pied. — La quatrième série comprend les mêmes blessures affectant le pied, y compris l'articulation tibio-tarsienne et les extrémités malléolaires. Nous n'avons jugé à propos de n'inscrire en détail que neuf guéri- sons de plaies pénétrantes du pied, par projectiles de guerre, tant le nombre que nous en avons vu a été considérable et nous a fortifié dans l'opinion que toutes ces blessures, y compris celles qui ont intéressé l'ar- ticulation tibio-tarsienne et les malléoles, étaient curables par l'expecta- tion dans une proportion dépassant de beaucoup celle des guérisons après l'amputation partielle ou totale du pied ou après celle de la jambe. A moins d'une mutilation véritable, il n'y a nullement à douter que l'expectation soit ici infiniment supérieure à l'amputation ; mais j'enten- drai plus explicitement ici par expectation la conduite qui consiste à extraire soigneusement les corps étrangers, les esquilles, à régulariser des saillies de fragments osseux et j'ajouterai que la résection des os seuls doit être pratiquée ici sur la plus grande échelle et préférable- ment aux amputations plus ou moins partielles. Je trouve les préceptes de l'école encore fort sévères à propos des traumatismes du pied ; j'ajouterai que la pratique des champs de bataille l'est malheureusement encore plus, et que, vu les bénéfices constatés de l'expectation, on ne saurait trop réagir contre ces préceptes trop tran- chants et contre la conduite trop conforme aux préceptes. 742 SCIENCES MÉDICALES Parmi ces neuf cas, j'en ai relevé quatre de blessures de l'articulation tibio-tarsienne par balles ayant traversé de part en part et qui ont guéri avec trois résultats notés bons et un noté passable. 3Iembre supérieur. — Nous passons aux blessures du membre supé- rieur, que nous diviserons également en quatre séries : pour le bras, le coude, l'avant-bras et la main. Nous ferons remarquer d'abord, au sujet de ces blessures, que les règles de la chirurgie sont bien différentes de celles qui concernent le membre inférieur, et qu'elles plaident très-généralement l'expectation, réservant la résection pour quelques cas spéciaux et l'amputation pour les mutilations par écrasement et les vastes déchirures. Nous n'aurons donc pas de grands efforts à faire pour affermir ces règles plus conser- vatrices. Mais nous insisterons pour que tous les chirurgiens s'y asso- cient en réalité. Nous avons vu, trop souvent encore dans la dernière campagne, qu'on ne s'y est pas conformé d'une manière assez générale. D'autre part, c'est au membre supérieur que les résections ont semblé plus applicables et qu'elles ont, en effet, été appliquées dans une certaine proportion. Nous aurons à en étudier les résultats et à voir si, comme les amputations, elles ne doivent pas être plus réservées qu'encouragées, et à quelles parties de ce membre elles sont plus applicables. Première partie. — Bras. — Cette série comprend vingt-deux cas de fractures de l'humérus par projectiles de guerre, parmi lesquels deux ont été traités par la résection de toute la tête de l'os. L'étude détaillée de ces vingt-deux cas donne lieu aux remarques sui- vantes : 1° Ces blessures guérissent dans une très-grande proportion; 2° Elles donnent lieu à la formation et à la sortie de beaucoup et de grosses esquilles; 8° Elles n'exigent pas un long séjour au lit; 4° Les appareils que nous possédons sont très-suffisants pour les panser ; o° La guérison est obtenue en quatre ou cinq mois, avec un cal géné- ralement un peu gros et avec un raccourcissement de 0m, 01 à 0m,02, très- rarement avec de l'allongement; enfin avec la conservation des fonctions intégrales ou presque complètes du membre, à part les cas très-rares d'ankylose de l'épaule (un seul), et de paralysie par lésion . des nerfs (deux cas). La chirurgie exclusivement conservatrice procure donc d'excellents résultats. Nous avons relevé deux cas de résection de l'extrémité supérieure de l'humérus. L'uni1 a été faite en Allemagne, dix-sept jours après la blessure Dr CUIGNET. — DES SUITES DE FRACTURES DES MEMBRES 743 nous ne savons trop pour quelles raisons précises; l'autre à Paris, au Grand-Hôtel, par M. le DrGuyon, pour éclatement de la tête de l'humérus. Toutes deux ont procuré l'impuissance du membre ballottant comme, un fléau, par défaut d'ankylose scapulo-humérale et surtout par défaut d'une fausse articulation convenable. Dans l'une comme dans l'autre, la main ne rendait de services que quand le bras était serré au tronc et procurait ainsi une base solide de mouvements au coude, à l'avant-bras et à la main. Dans ces vingt-deux cas, nous en trouvons deux où la résection a été refusée, l'une pour l'épaule, l'autre pour une partie de l'humérus. Dans le premier, il y a eu ankylose de l'épaule et fonctionnement consécutif plus satisfaisant qu'à la suite des résections; dans le second, la guérison a été très-avantageuse. En outre, six blessés ont refusé l'amputation qui a été proposée, une ou plusieurs fois , même avec une telle insistance, dans un cas, que le malheureux s'est enfui de l'ambulance pour se soustraire à une obses- sion trop intolérante. Du moins c'est son dire, mais si accentué que j'ai dû l'accepter comme vrai. Conclusion générale. — L'expectation donne de très-bonnes suites et est de règle. La résection ne sera proposée et exécutée que quand on sera certain que la tête de l'humérus a éclaté en nombreux fragments. L'am- putation primitive doit être complètement abandonnée pour les cas qui ne sont pas des mutilations à régulariser. ■ Deuxième série. — Coude. — Cette série comprend vingt-quatre cas de plaies pénétrantes de l'articulation du coude avec fracture des os par projectiles de guerre. Leur étude détaillée donne lieu aux remarques suivantes : 1° L'articulation a été, soit écrétée sur l'une de ses faces, soit traversée de part en part; 2° Toutes les fois il y a eu sortie d'esquilles dont la moyenne est de quatre ; 3° Les accidents locaux et généraux ont été assez intenses; 4° Huit de ces blessés ont refusé ou esquivé l'amputation qui leur avait été proposée ; o° La guérison a eu lieu dans un espace de temps de trois mois en moyenne ; 6° Elle s'est faite avec ankylose le plus souvent complète du coude, presque toujours à angle droit et avec forte pronation de la main. Il y avait seulement deux cas d'ankylose à angle obtus et avec position de la main intermédiaire entre la pronation et la supination; 7° L'avant-bras, le poignet et la main fonctionnaient à l'état normal, en tenant compte de la privation des mouvements du coude; 744 SCIENCES MÉDICALES 8° Tous les résultats consécutifs ont été bons moins un, à cause de l'atrophie de l'avant-bras et de la main. La grandr quantité et la rapidité de ces guérisons, ainsi que la récu- pération d'une grande partie de la fonction du membre, témoignent hau- tement en faveur de l'expectation. Quant a la résection, nous n'en avons observé qu'un seul cas, qui était très-défavorable sous le rapport de la fonction, attendu que l'avant-bras était lâchement attaché au bras comme un fléau et pendait inerte et inca- pable d'aucun service. Il nous reste à noter que les ankyloses du coude se compliquent sou- vent de l'altération ou de l'abolition des mouvements de pronation et de supination; mais les mouvements du bras dans l'épaule et l'élévation ou l'abaissement du tronc suppléent , jusqu'à un certain point , à ce défaut de pronation et de supination. Quant au choix entre l'ankylose à angle droit et celle à angle obtus, il paraîtrait ne pas devoir être aussi absolu qu'on le dit en faveur de l'angle droit, car un de nos blessés se trouvait fort bien de la dernière position à angle obtus. En conséquence, on doit préférer la conservation du membre entier à toute opération ayant pour objet de le mutiler partiellement ou en to- talité, non-seulement pour conserver plus de chances de vie, mais encore pour conserver la fonction du membre. Il est d'autant plus nécessaire d'insister sur ces préceptes que, dans la pratique de la dernière guerre, on a proposé ou commis beaucoup d'amputations dans des cas qui n'offraient même pas, ainsi qu'on le voit par ces vingt-quatre observations et surtout dans celles qui ont fait l'objet d'invitations opératoires, ni de grands délabrements des chairs et des os, ni la blessure de l'artère. Plus sévère que nos devanciers, nous sommes tout à fait disposé à exclure complètement l'amputation, incom- plètement la résection pour les cas qui ne seraient pas de véritables muti- lations demandant à être régularisées. La résection est une deuxième traumatisme ajouté au premier dans des circonstances souvent mauvai- ses; elle ne permet pas la conservation d'un périoste suffisant, elle expose ù des périls nouveaux, enfin elle ne procure que très-rarement la fausse articulation nécessaire pour la récupération des fonctions; même, elle aboutit difficilement à l'ankylose, mais le plus souvent au relâchement qui réduit l'avant-bras au rôle inerte de fléau. L'expectation suivie d'ankylose est donc préférable, au double point de vue de la conservation de la vie et d'une grande part des fonctions. Troisième série. — Avant-bras. — Poignet et main. — Le très-grand nombre de guérisons que nous avons observées à la suite des blessures par projectiles de guerre atteignant ces parties et la différence énorme I)r Cl'IGNET. — l>ES SUITES DE FRACTURES »ES MEMBRES 745 qu'il y a, sous le rapport fonctionnel, entre la perte totale du membre et sa conservation, même en état d'infirmité, font que nous ne saurions hésiter un instant à répudier l'amputation hormis les cas de mutilations nécessitant ce que l'on nomme la régularisation d'une sorte d'amputation déjà faite par broiement, ou par dilacération presque complète. Sans doute les amputations n'ont plus ici la même gravité, au point de vue de la vie seule, que dans les parties plus élevées du membre supérieur, ni surtout qu'aux parties correspondantes du membre infé- rieur; mais elles donnent certainement plus de déchet que l'expectation et elles entraînent la perte absolue de la fonction. D'autre part, les résections de portions de radius ou de cubitus, de la partie radiale du poignet, des métacarpiens et des fragments de phalan- ges ont ici des résultats qui se concilient également avec la conservation de la vie et avec celle des fonctions du membre qui demande plus d'a- gilité et d'adresse que de force et qui ne sert point de base de susten- tation ; de sorte que ces opérations d'ablation partielle peuvent et doi- vent être recommandées ici plus qu'au membre inférieur. Ainsi donc l'expectation se présente en première ligne pour les bles- sures de cette troisième catégorie; les résections seront favorables et les amputations devront être rejetées d'une manière presque absolue. Résumé. — Nous regardons comme tout à fait certain : 1° Que les chirurgiens ont, dans la dernière guerre, bien plus prati- qué d'amputations qu'ils n'ont fait d'expectation à propos des fractures des membres par projectiles de guerre ; 2° Que, malgré cela, un plus grand nombre effectif de blessés ont survécu par l'expectation plutôt que par l'amputation; 3° Que beaucoup d'entre eux doivent à des circonstances indépendantes du chirurgien, plutôt qu'à un principe de conduite arrêté, de n'avoir pas subi l'amputation ; 4° Que tous , ou presque tous ont été plus ou moins transportés à différentes reprises et cependant ont guéri malgré ces circonstances qui passent pour désavantageuses ; 5° Que la constatation de nombreuses guérisons à la suite des plaies les plus graves de la cuisse, du genou et de la jambe, doit encourager les chirurgiens à tenter de plus en plus les bénéfices de l'abstention ; 6° Que l'amélioration dans les moyens de transport et l'appropriation plus satisfaisante de certains modes de déligation favoriseront encore plus, dans l'avenir, les efforts de la chirurgie conservatrice; 7e Que l'amputation procure les plus mauvaises suites tant au point de vue de la vie que de la fonction; 8° Que, le plus souvent, elle ne peut être pratiquée dans les délais immédiats qui la rendent sensiblement moins funeste; 51 746 SCIENCES MÉDICALES 9° Qu'elle doit, par conséquent, être abandonnée pour la plupart des cas ordinaires et graves de fractures comminulives des membres, et ré- servée pour les mutilations étendues ; 10° Que les résections ont le double inconvénient d'être presque tou- jours aussi graves que les amputations sous le rapport des chances de vie et qu'elles ne procurent pas, en général, des résultats favorables sous le rapport de la fonction; 11° Que, pour le coude notamment, nous les repoussons presque aussi complètement que l'amputation; 12° Enfin, que la méthode expectante, dorénavant aidée par de bons moyens de transport et des bandages mieux appropriés, assurera beau- coup mieux que l'intervention opératoire la plus habile et la plus active, la vie des blessés et la conservation des fonctions à la suite des fractures simples et comminutives des os des membres supérieur et inférieur par projectiles de guerre. DISCUSSION. M. Ollier applaudit aux recherches de M. Cuignet, et partage eu principe son système conservateur, mais regrette de ne pouvoir le suivre dans ses con- cktsions. Eu effet, pour que ces conclusions fussent ^rigoureuses, il faudrait qu'elles eussent pour base non l'examen des résultats constatés sur ceux qui ont survécu, mais aussi le nombre de ceux qui sont morts sous ce régime de l'abstention. Je désire, ajoute M. Ollier, attirer spécialement l'attention sur les résections des membres supérieurs et leurs résultats. Ces résections, proscrites dès le début de la guerre par la grande autorité d'un des chefs de la médecine militaire, ont peut-être été trop peu pratiquées. J'ai eu néanmoins occasion de faire alors sept résections du coude : j'ai obtenu six succès et le septième est mort par une cause indépendante de l'opération. 11 s'agissait, en effet, d'une balle qui, pénétrant dans le coude, avait sectionné l'artère numérale ; nous l'ignorions, la circulation étant rétablie. Les suites de l'opération •furent simples; au huitième jour le malade était levé; au vingtième survient une hémorrhagie formidable; l'amputation in extremis fut pratiquée par mon collègue M. Viennois, et le malade mourut le lendemain. I' ic, en réalité, 6 cas, 6 succès. Cette statistique est au moins aussi satis- faisante que celle qu'eût donnée l'expectation, car elle eût fourni, suivant les probabilités, au moins la moitié des cas mortels. — Voilà pour la vie. Et pour les fonctions? Si le bras restait flottant, l'opération mériterait condamna- tion, mais sur ces six cas, trois furent oubliés par suite des circonstances dans leur gouttière, à peine pansés; ils guérirent parankylose; les trois autres jouirent de mouvements satisfaisants; quelquefois même la force d'extension ■i!i"inl son chiffre normal, témoin ce [ait que j'ai montré à Lyon dans lequel DISCUSSION SUR LES SUITES DE FRACTURES DES MEMRRES 747 le bras, après résection, atteignail jusqu'à 12 kilogr. de force d'extension, soit la force normale. Quant au procédé opératoire, je ne puis croire avec M. Cuignet qu'il soit impossible de conserverie périoste. Je rappellerai ces expériences pratiquées au Val-de-Grâce dans lesquelles, après avoir brisé le coude à coups de maillet, je montrai qu'on pouvait y conserver le périoste au moins dans ses éléments essentiels. A l'épaule, on peut arriver également à des résultats excellents quand on peut ménager le nerf circonflexe et par suite la contractilité du deltoïde. Comme conclusion, je pense que les résections pratiquées au membre supé- rieur sont une bonne cbose, surtout quand on conserve le périoste, opération qui du reste nécessite du temps et de l'attention. Avec M. Cuignet, je condamne les amputations hâtives, considérant qu'un membre à mouvements incomplets vaut encore mieux qu'un membre artificiel. M. Laussedat relate certains laits de sa pratique à Bruxelles, pendant la der- nière guerre, tendant à confirmer l'excellence de l'abstention. Dans treize cas de fractures très-graves des membres, aggravées encore par l'absence de tout traitement et transports successifs pendant plusieurs semaines, treize fois le résultat fut des plus heureux. Il relate en particulier un cas de broiement du pied par un obus, un cas de balle dans la plante du pied y ayant séjourné longtemps, un cas de fracture comminutive de la jambe, etc. Dans toutes ces observations il y eut fusées, fièvre de résorption^ etc. Malgré tout, la guérison fut complète. Ce résultat est d'autant plus remarquable que, dans une ambulance voisine où l'amputation était facilement pratiquée, tous mouraient. M. Giraldès croit trop rigoureuses les conclusions de M. Cuignet, surtout en ce qui concerne les plaies du coude. Pendant les journées de juin 1848, nous pratiquions, dit-il, l'abstention, et encourions de M. Bégin, médecin militaire inspecteur, le reproche de ne pas nous servir assez du bistouri. Et malgré cela, nos blessés frappés par les projectiles ronds d'alors guérissaient tous. Pendant le siège, chargé d'un important service au Val-de-Grâce, des ambu- lances du Chemin de fer du Nord et de l'hôpital des Enfants-Malades, j'ai voulu, me souvenant de 1848, conserver les plaies du coude; tous mes blessés sont morts; les esquilles, entretenant la suppuration, développaient par leur présence dans le foyer l'ostéo-myélite et finalement rendaient même l'amputa- tion impossible. En conséquence, m' éloignant en cela de M. Cuignet, je crois qu'il ne faut pas en chirurgie poser ainsi des règles thérapeutiques générales ; il faut s'ins- pirer des circonstances, des conditions de milieu, et modifier sa conduite sui- vant les indications. M. Testelin félicite M. Cuignet d'avoir ainsi recueilli au bénéfice de la science les renseignements que lui a fournis l'examen des blessés militaires pour l'obtention de pension. Il exprime le regret que tous les médecins mili- taires n'aient pas agi ainsi, car la statistique qui en fût résultée eût été riche en enseignements. M. Verneuil. — H y a dans les faits en discussion une double question; 748 SCIENCES MÉDICALES une question de statistique et une question de thérapeutique chirurgicale; ces deux questions sont du reste naturellement inséparables. A ce double po in de vue les laits produits par M. Cuignet sont intéressants, mais ne conduisent pas à une conclusion. En effet, de cette statistique sont exclus tous ceux qui sont morts, puisque ceux-ci n'avaient pas à demander de pension. J'ajoute de plus que la chirurgie de guerre est complètement incapable de contribuer à l'établissement d'une statistique rigoureuse. Pendant les périodes de guerre, les localités font le succès ou l'insuccès; des circonstances toutes spéciales, souvent locales, rendent égales, par le résultat fatal, l'opération ou l'abstention. Exemple : au début du siège de Paris, en sep- tembre et octobre, tout alla bien ; les blessés, quelle que lut la conduite chirur- gicale adoptée, guérissaient tous; à partir de novembre, la scène changea, et l'on pouvait presque dire alors que tout homme blessé était un homme mort. En ce qui concerne les plaies du coude — et les accidents' de chemins de fer rendaient ces sortes de plaies fréquentes à Lariboisière, — je n'ai jamais fait de résection primitive, mais j'ai souvent pratiqué la résection secondaire : pourquoi? parce que les résultats obtenus par l'expectation étaient mauvais et me menaient forcément à la résection tardive. Je crois donc devoir protester contre l'expectation posée en règle absolue pour le traitement des plaies du coude; une résection bien faite amène la guérison plus vite et plus sûrement. Je ne veux parler ici que des résections du coude, car il y a à l'égard de la résection une attitude spéciale de chaque articulation, et le terrain chirurgical se modifie singulièrement, même pour une amputation pratiquée à différentes hauteurs dans la continuité d'un même os. Enfin j'ajouterai que les faits émis par M. Laussedat ne me semblent pas très-démonstratifs au point de vue de la supériorité de l'expectation sur l'ac- tion; les blessés qu'il a soignés étaient en effet blessés depuis plusieurs semaines; pendant ce temps avaient pu mourir tous ceux que l'abstention tuait. M. Tkélat. — M. Cuignet a défendu une doctrine très-généralement acceptée aujourd'hui; depuis les travaux de M. Sédillot, les statistiques des guerres de Crimée, de la Sécession, etc., la chirurgie conservatrice a gagné du terrain, marchant de pair avec le perfectionnement des appareils. Cependant les maté- riaux de M. Cuignet n'entraînent pas à cet égard la conviction. Ce qu'il faut dire, c'est le nombre des blessés morts et guéris, non le nombre de ceux qui marchent bien ou mal après guérison. Ces derniers faits n'ont rien à voir avec la statistique du champ de bataille. M. Cuignet dit que l'on a trop amputé : Qu'en savons-nous? où sont les faits précis le démontrant? Si l'on a beaucoup amputé (je ne dis pas trop, je l'ignore), cela tient peut-être à deux causes. D'abord le mode de recrutement du personnel chirurgical des champs de bataille, la jeunesse et l'inexpérience de quelques-uns; puis surtout la nature même de l'armée prussienne, l'artil- lerie, qui trop souvent commença et finit les batailles, amenant ces grands désordres des parties molles qui menaient presque forcément à l'amputation. Quant à l'influence des circonstances signalées par M. Giraldôs et à la per- turbation qu'elles jettent dans nos prétendues lois thérapeutiques, nous en avons tous constaté l'importance. DISCUSSION SUR LES SUITES DE FRACTURES DES MEMBRES 740 Après la bataille de Mouzon, peu de jours avant Sedan, tous nos blessés allaient à merveille; opérations, expectation, tout réussissait, grâce surtout au moral excellent des hommes; neuf jours après, voici venir l'occupation prus- sienne, les réquisitions, les privations : le moral change, les gangrènes, les résorptions se montrent, et nous ne comptons plus que des insuccès. La thé- rapeutique et la statistique des champs de bataille ne comportent donc pas de lois générales; il n'y peut être question que d'indications et de faits dépendant des circonstances locales. Ces réserves faites, constatons cependant que la chi- rurgie conservatrice est et doit être la tendance générale aujourd'hui. M. Cuignet. — J'ai accentué mes conclusions parce qu'elles m'ont semblé tout autant découler des faits observés par moi que du besoin d'avoir et de suivre des règles, et enfin parce que j'ai toujours été témoin d'un excessif entraînement vers les opérations. On prétend à tort que la tendance générale est à la conservation. La preuve du contraire est dans le grand nombre d'am- putations qui ont été faites lors de la dernière guerre; c'est le sentiment généra], la conviction même chez tous ceux qui y ont pris part. Mes observa- tions, quoique nombreuses, ne sont point une statistique dans le sens absolu du mot; mais elles en sont une par la déduction suivante : on a beaucoup amputé; il y a peu de survivants; parmi les survivants il y a plus de blessés traités par l'expectation qu'il n'y en a de traités par l'amputation; donc la statistique est favorable à la règle de l'abstention. Quant aux variations dans les suites, selon les circonstances générales, elles sont communes aux amputés et aux non amputés; par conséquent autant vaut s'abstenir. Enfin, pour ce qui est du coude, je ne vois pas bien pourquoi, sur les six cas de réséqués tardivement par M. Ollier, trois seraient morts sans cette seconde opération. Je m'étonne plutôt que un ou deux ne soient pas morts après cette deuxième opération. Et puis, trois sur six reprennent un état fonctionnel avantageux; seulement les trois autres ont une ankylose qui serait arrivée seule. Je fais donc mes réserves sur ce dernier point et attendrai des documents comparatifs plus décisifs. Ce qui ressort principalement de toute ma communication, c'est que si, après tant d'amputations de toutes sortes pour fractures comminutives des membres, je rencontre trente survivants après la conservation et dix seulement après l'amputation, je crois devoir m'incliner fortement vers la conservation et en faire la règle de notre conduite. ^0 SCIENCES MÉDICALES D1 H. EOLET Ancien interne des Hôpitaux de Pari?, chirurgien des Hôpitaux de Mlle, Professeur adjoint à l'École de Médecine. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA RÉSECTION DU POIGNET — S é a n c e d u S 1 août 1 8~ f . — La résection a été pratiquée sur certaines grandes articulations assez souvent pour qu'on puisse apprécier la valeur thérapeutique de ce moyen chirurgical appliqué à ces jointures ; mais il est une articulation sur laquelle elle a été essayée beaucoup plus rarement, je veux parler du poignet. La résection de cette articulation est à peine mentionnée dans les relevés statistiques. En 1867 pourtant, j'avais réuni soixante- dix faits (1). J'étais remonté aux relations originales de chacun d'eux, que j'avais toutes ou reproduites ou soigneusement résumées. Cinquante- cinq de ces observations appartiennent à des chirurgiens anglais, alle- mands, américains ou russes, quinze seulement, à des français. On s'ac- corde, en effet, généralement en France à attribuer à l'excision radio- carpienne des résultats très-médiocres. Un explique du reste ces revers par diverses conditions défavorables inhérentes à la région elle-même : difficulté d'exposer librement à l'air ou de détruire complètement la cavité synoviale ; quasi-impossibilité de délimiter exactement la lésion et d'enlever toutes les parties malades sans couper les tendons; faible épaisseur des parties molles autour de l'articulation, et conséquemment faible tendance à la réparation. Toutes ces considérations ont rendu rares les tentatives et fait rejeter la résection du poignet par la plupart des chirurgiens. Cependant l'examen de mes soixante-dix cas, presque tous recueillis dans les hôpitaux des différents pays, m'avait montré que sur onze observations se terminant par la mention de la moit, six lois seulement la terminaison malheureuse avait été imputable à l'opération, soit 8.5 pour cent ; les cinq autres faits se rapportaient à des malades ayant succombé au bout de plusieurs mois à une phthisie avancée qu'ils por- taient déjà au moment de l'intervention chirurgicale. En se plaçant même dans les conditions ordinaires des statistiques qui n'établissent pas la série des morts indépendantes de l'opération et donnent en bloc le nombre des décès, la proportion de onze morts sur soixante-dix opé- rés fournit un taux de 15.6 0/0. La mortalité moyenne de l'amputation (1) Dr. la II. section du poignet. Paris, 1867. 1' il. FOLET. — DE LA RÉSECTION DU POIGNET 751 de l'avant-bras, la moins grave de toutes les grandes amputations, est, d'après les travaux de Malgaigne, de Trélat et de Husson (1), de 39.2 0/0. Il est vrai que ces dernières statistiques se réfèrent au milieu particulièrement défavorable des hôpitaux de Paris. Néanmoins, la diffé- rence considérable qui existe entre les deux moyennes permet d'affirmer que la résection du poignet est moins meurtrière que l'amputation de l'avant-bras. En présence de cette supériorité qui est surtout marquée pour les cas dits pathologiques où l'intervention a été nécessitée par une maladie spontanée des os ou de l'article, en est en droit de s'étonner de voir tenter si rarement cette résection. Les chirurgiens ne font-ils pas sou- vent tous leurs efforts pour sauver un doigt, un tronçon de doigt? L'immense avantage de conserver la main ne s'achèterait pas trop cher au prix d'une gravité égale ou même un peu plus grande de l'opéra- tion; à plus forte raison peut-on essayer de l'obtenir lorsque la gravité est moindre. Est-il vrai de dire que les résultats locaux possibles à atteindre ne valent pas ia peine que l'on impose au malade les ennuis d'un traite- ment long et minutieux, et que les faits observés n'autorisent pas de nouveaux essais? Je crois avoir démontré le contraire. 11 n'en est point ici comme au membre inférieur, où la solidité est la qualité requise avant toute autre, et, tout en tenant compte des nécessités diverses qu'imposent à chaque opéré sa position sociale et sa profession, il est permis de croire qu'une main imparfaite, mais susceptible d'être assou- plie par une gymnastique méthodique, sera généralement beaucoup plus utile que les appareils de prothèse les plus perfectionnés s'adaptant à un moignon. Du reste, les observations que j'ai rassemblées prouvent que l'on peut arriver à un résultat local vraiment satisfaisant, et la présen- tation que j'ai l'honneur de faire aujourd'hui en est un nouvel et remar- quable exemple. Observation. — Carie de l'extrémité inférieure du radius; ouverture de l' 'articulation radiale; résection de l'extrémité radiale, du scaphoide et du semi-lunaire; guérison par pseudarthrose incomplète : Le sujet de mon observation est le nommé Cousin, âgé de 18 ans, charretier. Ce jeune homme entre le 27 janvier à l'hôpital Saint-Sauveur, dans le service de la clinique, salle Saint-Charles, numéro 18. Sa maladie remonte à dix-huit mois; elle a débuté par une douleur à la partie inférieure de la face dorsale de l'avant- bras droit, puis apparut de l'empâtement et de la rougeur. Les moindres mou- vements étaient douloureux et tout travail était impossible. Un abcès se forma et s'ouvrit spontanément par plusieurs ouvertures qui restèrent fistuleuses. Quelques II) Voy. Malgaigne : Archives gèn. de méd., 1842; Trélal : Mém. de l'Acad. de méd., 1882 Husson : Stalist. méd. des Hôpit., 6i et 62. 752 SCIENCES MÉDICALES unes se cicatrisèrent au bout d'un certain nombre de mois pour se rouvrir peu de temps après et se fermer encore. Bref, lorsqu'il se présenta à moi, la face postérieure de l'avant-bras offrait deux fistules situées sur une même verticale, à 4 et à G centimètres au-dessus de l'interligne articulaire. Ces fistules versaient du pus en abondance. Le stylet arrivait, par chacune d'elles, à une profon- deur de deux centimètres, dans un tissu osseux aréolaire à mailles très-fines que l'instrument brisait avec la plus grande facilité, en donnant au doigt une sensation de crépitation particulière; le stylet se mouvait dans tous les sens- en fracturant les lamelles de ce tissu spongieux. Il y avait là un vaste foyer creusé dans toute l'épiphyse radiale, limité de tous côtés par une paroi osseuse et qui ne paraissait ouvert qu'à la face postérieure de l'os au niveau des fis- tules cutanées. Je croyais aussi la surface articulaire radiale intacte et l'arti- culation du poignet non ouverte, mais l'examen des pièces pathologiques me montra plus tard que cette surface radiale était détruite et que la paroi infé- rieure du foyer était constituée par les faces supérieures du scaphoïde et du pyramidal, unis au radius par de petites stalactites osseuses. Le tissu com- pacte du radius était en outre détruit en un point, au niveau de la base de l'a- pophyse styloïde. Nous avions affaire à une carie en train de détruire l'extré- mité inférieure du radius. Rien ne faisait penser que le cubitus et le carpe fussent malades. L'articulation radio-carpienne est gonflée, empâtée, douloureuse à la pres- sion. Elle contient du liquide. Il existe dans cette jointure une synovite fon- gueuse. On peut lui imprimer quelques mouvements limités au prix d'assez vives souffrances, mais tout mouvement volontaire est aboli. J'ai constaté plus tard par l'examen des pièces que ces mouvements se passaient entre la pre- mière et la seconde des rangées du carpe, la première étant, ainsi que nous venons de le voir, fixée au radius par des adhérences osseuses. Les articula- tions des doigts sont raidies mais encore mobiles. Le sujet, quoique assez grand et bien découplé, est évidemment prédisposé au lymphatisme et, en l'absence de tout antécédent de coup ou de violence, on doit attribuer à la carie radiale une nature scrofuleuse. Toutefois la santé générale est restée excellente; le malade n'a que peu ou point maigri. Quel traitement -instituer? Outre une médication générale appropriée, je commence par faire pratiquer dans les fistules des injections détersives, puis- dès injections iodées. Au bout d'une vingtaine de jours, ce traitement n'avait en rien modifié l'état des choses. Cela ne m'étonnait d'ailleurs que médiocrement. Le malade impatient réclamait une solution. Mais de quelle façon intervenir? Un large évidement me paraissait avoir peu de chances d'amener la guérison de cette vaste caverne. En admettant même une issue favorable sur ce point, pendant le temps très-long que mettrait la cavité à se combler, l'arthrite radio-carpienne continuerait ses progrès et les désordres deviendraient beaucoup plus considé- rables dans cette jointure déjà si malade. — Une ablation en totalité de l'ex- trémité radiale, et au besoin de quelques-uns des osselets carpiens, c'est-à- dire une résection partielle du poignet, avait l'avantage, tout en supprimant complètement la lésion osseuse, d'attaquer du même coup l'affection articu- laire. Il est vrai que la guérison ne pouvait être obtenue qu'au prix d'une dé- 1>' H. FOLET. — DE LA RÉSECTION DU POIGNET iùô formation de l'article et probablement d'une ankylose. Mais de toute façon la synovite fongueuse était trop avancée pour guérir autrement que par ankylose. C'était même là, il faut le dire, une terminaison beureuse que l'on n'avait guère le droit d'espérer; il y avait bien plutôt lieu de craindre que la tumeur blanche, continuant sa marche envahissante, ne rendît, dans un avenir plus ou moins prochain, l'amputation nécessaire. Une résection aboutissant à l'an- kylose radio-carpienne avec mobilité des doigts était donc pour le malade une éventualité désirable. Or, les articulations phalangiennes et les tendons digi- taux étaient encore chez lui très-capables de reprendre leurs fonctions. La santé étant satisfaisante, je n'avais pas à compter avec l'objection tirée de l'état d'épuisement du malade, bien que cette objection n'ait pas pour moi une bien grande valeur. Mes recherches m'ont démontré que fréquemment, alors que l'état général était déplorable, la résection a eu le double résultat de relever la santé et de conserver un membre utile ; et môme, le succès local laissant à désirer, l'opération a parfois supprimé les douleurs et ramené les forces et l'embonpoint. Dans plusieurs cas, le chirurgien, qui penchait pour le sacrifice du membre, ne s'est résolu à tenter la résection que sur les ins- tances du malade qui désirait ardemment conserver sa main. Fergusson et Stanley ont eu des succès dans des cas de cette espèce. Je me décidai donc pour la résection. Le 3 février, le malade étant endormi, je commençai, suivant le principe de Lister, par mobiliser les jointures digitales. Faute de cette précaution, les mouvements qu'il est plus tard néces- saire d'imprimer aux doigts sont parfois tellement douloureux que l'on est obligé, pendant le cours de la guérison, de chloroformer le malade pour pra- tiquer la flexion forcée. Cette manœuvre préliminaire achevée, je pratiquai l'o- pération suivant le procédé dont fit usage M. Legouest dans un cas très-ana- logue au mien et que j'ai relaté in extenso dans ma thèse (1). Ce procédé m'a paru le plus commode et le plus simple de tous ceux que j'ai répétés un grand nombre de fois sur le cadavre. Il consiste à attaquer l'articulation par deux incisions dorsales : à travers l'incision cubitale pratiquée la première, on isole tout d'abord l'os le plus facile à dégager, le cubitus, et, quand bien même il ne serait pas malade, on le résèque soit avec la scie à chaîne, soit avec la pince de Liston, d'une longueur égale au fragment radial à exciser. Ce sacrifice d'un morceau de cubitus sain a pour but d'éviter la difformité angulaire qui suit l'ablation de l'extrémité radiale seule ; la main est en effet dans ce cas attirée en dehors et en haut dans l'espace vide qu'a laissé le fragment excisé et s'incline sur l'axe de l'avant-bras. Faisant ensuite l'incision radiale, on dénude le radius à travers les tendons que l'on écarte, en cherchant autant que possible à les respecter. La conserva- tion des tendons des doigts est encore plus utile que celle des tendons de la main. Pour ceux même qui, n'espérant point la pseudarthrose, ont sacrifié ces derniers, l'intégrité des tendons digitaux a toujours eu une importance capi- tale. Ces tendons sont ceux delà région anti-brachiale postérieure: extenseur commun des doigts, extenseur du petit doigt, long abducteur, court et long (l) Résection du poignet. Obs. XL\, p. 50. 734 SCIENCES MÉDICALES extenseur du pouce, extenseur de l'index. Il est bon, quand on le peut, de res- pecter tous ces tendons, niais ce sont surtout les moteurs du pouce, et en particulier l'abducteur, qu'il est très-urgent d'épargner, la motilité du pouce donnant à elle seule à la main une utilité réelle. Une fois le radius suffisam- ment dénudé, on ouvre l'article et, tandis qu'un aide incline fortement la main sur le bord cubital, on fait saillir à travers l'incision le radius que l'on achève d'isoler et que l'on décapite avec précaution. Mais la face antérieure de l'ex- trémité radiale est souvent difficile à détacher des nombreuses gaines fibreu- ses qui s'y insèrent solidairement; aussi a-t-on quelquefois avantage à sec- tionner le radius au moyen d'une scie à chaîne, après avoir ouvert la jointure. Le morceau de radius à extraire est ainsi transformé en une sorte de gros séquestre mobile que l'on peut saisir avec un fort davier et disséquer plus aisément. C'est ce que je fis dans le cas actuel. J'enlevai ainsi l'extrémité ra- diale avec les deux premiers os de la rangée supérieure du carpe qui y adhé- raient solidairement. De quelque manière que l'on s'y prenne, cette énucléa- tion est toujours fort longue et fort laborieuse. L'on est exposé, en la pratiquant, à léser l'artère radiale qui est en rapport direct avec l'os réséqué, malgré le soin que l'on prend de l'écarter en dehors, au milieu du paquet de tendons. Cet accident, qui est arrivé à l'un des plus habiles chirurgiens an- glais, Fergusson, se produisit ici, au moment où j'achevai de dégager l'os. Mettant à découvert toute l'étendue de la plaie par l'inclinaison forcée sur l'avant-bras de la main alors flasque et pendante, j'aperçus, après avoir fait cesser la compression, les deux bouts de l'artère coupée juxtaposés comme les canons d'un fusil de chasse et versant tout les deux du sang. Je pus les saisir ensemble entre les larges mors d'une pince et les étreindre solidement par une seule et même ligature. Cet accident n'eut d'ailleurs aucune suite. L'opération arrivée à ce point, il est facile de faire sortir le carpe par l'une des plaies, de saisir successivement les os malades et même d'abraser ou de réséquer les os métacarpiens, si besoin est. Dans l'espèce, les osselets restants du carpe que j'examinai soigneusement étaient parfaitement sains; je mets sous vos yeux, Messieurs, les fragments d'os excisés. Le bout de cubitus, intact, ainsi que je l'ai dit, est long de 4 centimètres 1/2; le radius est au contraire creusé d'une vaste caverne qui a pour parois supérieure et latérale la couche amincie du tissu compacte périphérique, pour paroi inférieure le scaphoïde et le semi-lunaire. 11 s'ouvre à la face postérieure par une ouverture irrégulière- ment ovalaire de i centimètres 1/2 de long sur 1/2 de large. Le fragment radial réséqué a, avec les deux osselets carpiensqui y adhèrent, une longueur de G centimètres 1/2. Après l'opération la main ne tient plus à l'avant-bras que par les parties molles. Soutenir et immobiliser la main sans gêner le libre écoulement du pus est donc l'indication capitale et immédiate. Lister préconise à cet effet une atelle rembourrée de son invention; Bockel, sa gouttière plâtrée. J'ai rempli quant à moi cette indication grâce à un appareil des plus simples. Il se coin pose d'une palette de bois que l'on garnit d'ouate à volonté et sur laquelle s'appuient l'avant-bras et la main. Le membre est fixé à cette palette par quelques compresses qui forment comme un appareil de Scultel rudimentaire I)r H. FOLET. — DE LA RÉSECTION DU POIGNET 755 facile à appliquer, à défaire et à renouveler sans imprimer de secousses au membre posé sur le plan du lit. Les plaies furent remplies et recouvertes de charpie imbibée d'eau fortement alcoolisée. Il n'est pas nécessaire de rappro- cher d'abord les surfaces de résection et, l'on ne doit point s'inquiéter de l'es- pace qui les sépare; ce n'est que plus tard, au bout de trois à quatre semaines, après que la rétraction des parties molles a déjà quelque peu attiré les os les uns vers les autres, qu'il faut, si la guérison marche bien, effectuer graduelle- ment le rapprochement et le contact, en maintenant toujours l'immobilité. En même temps il est utile de commencer la gymnastique des doigts pour éviter l'adhérence des tendons au niveau du poignet et l'ankylose des articulations digitales que l'on a déjà fléchies pendant l'anesthésie. Lister imprime même des mouvements aux doigts dès le lendemain de l'opération. Aucune complication ne vint troubler la marche de l'opération. La ligature de la radiale tomba le dixième jour, sans donner lieu à aucune hémorrhagie. Les plaies se comblèrent peu à peu. Les bouts d'os se couvri- rent d'une couche granuleuse et bourgeonnante. L'extrémité radiale présentait seulement une fâcheuse tendance à saillir en dehors, et la main à basculer en avant. Je parvins, en rembourrant l'atellede façon appropriée, et au moyen de tampons de ouate placés sous les compresses du bandage de Scultet, au niveau de la saillie radiale , à ramener toutes ces parties dans une bonne direction. Sept semaines après l'opération, les surfaces osseuses s'étaient assez rappro- chées et raffermies pour qu'au cours du pansement le malade pût lui-même soulever horizontalement son membre en le soutenant par le bout de ses doigts. Il se levait et se promenait au jardin. Je maintins cependant soigneusement le bandage contentif. L'immobilité radio-carpienne doit être, en effet, gardée pen- dant longtemps, ordinairement plusieurs mois, même après guérison complète des plaies; elle ne peut cesser sans inconvénient que quand la nouvelle jointure a acquis une solidité convenable et que la main peut être facilement tenue hori- zontale. A ce moment, beaucoup d'auteurs donnent le conseil d'imprimer à la main des mouvements méthodiques dans le but d'obtenir une pseudarthrose. J'avoue que j'étais peu disposé à adopter cette pratique. Si, au point de vue purement physiologique, la terminaison par pseudarthrose est la meilleure, puisqu'elle tend à ramener à l'état normal l'articulation réséquée, l'ankylose n'en est pas moins pratiquement le résultat le plus désirable au poignet comme au coude, et beaucoup de chirurgiens ne recherchent que ce mode de guéri- son, considérant l'ankylose avec fonctionnement régulier des doigts comme l'idéal du succès. La laxité de la fausse articulation est, au contraire, une des suites les plus fâcheuses de l'opération, et l'on risque souvent de l'encourir en cherchant la pseudarthrose. Quand le malade sortit , le 26 avril , son état général était excellent ; ses plaies étaient presque complètement cicatrisées. Le membre, raccourci de 4 centimètres 1/2, était, au niveau du poignet, un peii plus volumineux que l'autre (différence : 1 centimètre 1/2), mais sans déformation notable. Quoique la main fût encore mobile sur l'avant-bras, il parvenait, par un effet de volonté, et en contractant énergiquement 750 SCIENCES MÉDICALES les extenseurs, à la tenir à peu près horizontale; mais il ne peut pousser plus loin l'extension. La flexion de la main est beaucoup moins complète; la supi- nation et la pronation sont nulles. Ainsi, des muscles qui étaient flottants et trop longs après la résection, se sont peu à peu raccourcis , jusqu'au point de retrouver partiellement leurs usages. Nous allons voir qu'il en était de même pour les muscles digitaux. La mobilité passive des doigts était satisfaisante. Quant aux mouvements volontaires, les fléchisseurs avaient repris toute leur action. L'extension, au contraire, était encore incomplète au pouce comme aux autres doigts. Le membre était toujours soutenu par un petit appareil ayant la forme d'une gouttière plâtrée embrassant la demi-circonférence antérieure du membre, depuis la racine des doigts jusqu'au milieu de l'avant-bras. Le membre y était maintenu par une simple bande roulée. J'ai revu le malade le J8 juillet. L'état général est toujours très-bon. La plaie radiale seule offre encore un très-petit point suppurant. L'état de la pseu- darthrose radio-carpienne et de la motilité est toujours le même. Le jeu des doigts est beaucoup plus parfait. L'extension est complète, et la flexion s'exerce avec une certaine force. Seule l'abduction du pouce est impossible. Il se sert de la main pour les usages usuels (manger, s'habiller, etc.). 11 étreint assez vigoureusement les objets qu'on lui présente, et il faut un effort réel pour les lui arracher des doigts. Il peut exécuter quelques mouvements de pronation fort incomplets. L'extrémité inférieure du cubitus tend à faire à la face dor- sale une saillie assez facilement réductible. J'engage le malade à placer, à chaque pansement, sur cette saillie, un tampon de ouate, et j'insiste pour qu'il garde toujours sa demi-gouttière plâtrée, craignant toujours beaucoup plus la laxité exagérée que la raideur de l'articulation nouvelle. Il est pro- bable, cependant, qu'il arrivera, en fin de compte, à posséder quelques mou- vements incomplets de la nouvelle jointure. J'ai, le 3 août, la dernière petite plaie étant complètement cicatrisée, exécuté le moulage que je vous présente ici, et qui vous donne une idée très-exacte du résultat obtenu (1). On le voit, la résection du poignet est donc susceptible; de restituer au malade un membre des plus utiles, apte aux fonctions ordinaires de la vie ou aux travaux qui nécessitent l'adresse plutôt que la vigueur. La conservation de la main est, à ce point de vue, un bienfait considérable, même en admettant que l'ankylose radio-carpienne reste incomplète et que l'on doive remédier à la laxité de la pseudarthrose par divers appa- reils de soutien, du reste peu compliqués et peu coûteux. S'il est vrai de dire, en thèse générale, que le membre demeure incapable de dé- ployer de la force et que les travaux manuels pénibles deviennent im- possibles, il ne faudrait pas attribuer à cette règle une valeur absolue. (1) 3 janvier 187:;. — La guérison s'e^-t consolidée. F. es mouvements de la pseudarthrose nom guère augmenté, mais ils s'exécutent sans douleur el avec vigueur. La mobilité îles doigts est presque parfaite. Le malade, employé connue charretier dans une ferme des environs, peut sans gène panser et conduire ses chevaux et se livrer à tous les travaux de sa profession. L'état général est parfait. DISCUSSION SUH LA RÉSECTION DU POIGNET 757 Notre malade y est une vivante exception , et ces exceptions semblent être plus fréquentes pour la résection du poignet que pour celle du coude. Somme toute, en présence d'une opération conservatrice moins grave que l'opération radicale, et pouvant donner de très-beaux résultats locaux , le chirurgien , tout en tenant sérieusement compte de la posi- tion sociale de l'opéré, des occupations qu'elle lui impose, des soins et du temps qu'elle lui permet de consacrera sa guérison, me semble plei- nement autorisé à faire de nouveaux efforts pour introduire dans la pra- tique une résection qui a pour enjeu un organe aussi précieux que la main. DISCUSSION M. Ollier félicite M. Folet du résultat obtenu; son observation est la plus complète qui ait, jusqu'aujourd'hui , été publiée sur la matière; M. Ollier demande à joindre à ce travail quelques observations sur l'opération en cause. Pourquoi la résection du poignet est-elle si rarement pratiquée en France, alors qu'elle est à l'étranger en certain honneur? C'est que les résultats obtenus différeront singulièrement, si l'on a affaire à des cas traumatiques et à des cas non traumatiques, et c'est parce que cette distinction n'est pas faite qu'il y a tant de différence dans les modes d'appréciation. Pour les cas traumati- ques, pas d'objection : c'est une bonne opération. Pour les cas non traumatiques, c'est autre chose : le plus souvent ce sont des ostéo-arthrites médio-carpiennes ; l'inflammation siège et débute par le centre du carpe et gagne, de là, les surfaces épiphysaires des os de l'avant- bras. Dans cette espèce, la résection, on le comprend, est insuffisante, la deuxième rangée du carpe gardant une inflammation plus ou moins latente menant aux récidives. Mais quand l'arthrite débute par les os longs et tend à gagner le carpe de proche en proche, on peut espérer arriver à temps, alors que la deuxième rangée sera encore intacte : dans ce cas seulement le résul- tat pourra être heureux. C'est parce que l'on ne fait pas cette distinction que l'opération n'a pas donné tous les succès qu'on était en droit d'en attendre : il ne faut agir que quand l'inflammation part du radius et va vers le carpe. Quant au procédé, M. Ollier conseille de préférence le procédé dit de Legouest, en conservant la gaîne sous-périostée : cette conservation seule permet d'espé- rer le rétablissement de la fonction articulaire; de plus, elle fait éviter, dans une certaine limite, le raccourcissement; c'est ainsi que, dans un cas, M. Ollier ayant enlevé 3 centimètres de radius, n'eut qu'un raccourcissement de 15 mil- limètres, un bourrelet ossuex de celte dern'ère dimension ayant poussé dans l'articulation. Quant aux cas traumatiques, bien qu'elle ne soit pas passée dans la pra- 758 SCIENCES MÉDICALES tique journalière, l'opération est bonne. A la suite de la dernière guerre, M. Ollier en a vu deux fois les bons résultats ; lui-même Fa pratiquée deux fois: l'un de ses malades a succombé à l'infection purulente, l'autre a bien guéri et a conservé des mouvements articulaires très -satisfaisants, les doigts ayant pu être mobilisés d'emblée. D1 E. LANTIEK Ex-chirurgien de l'ambulance de l'Administration généri '.■■ des Postes. CONSERVATION DES MEMBRES BLESSÉS PAR ARMES A FEU PERFECTIONNEES PENDANT LE SIEGE DE PARIS ET DANS LES GRANDS TRAUMATISMES EN TOUT TEMPS (extrait) — S t:« urc d n 21 a ont 4874 — Conserver les membres blessés par armes à l'eu perfectionnées était un principe dans l'ambulance organisée par M. Je Directeur général des Postes pendant le siège de Paris. Déjà, à cette époque, ne pas amputer précipitamment, savoir attendre, éviter la fièvre aux blessés, restaurer leurs membres sans presque de douleur et les guérir avec rapidité, constitue un progrès. Pour être fracassé, lacéré et réduit en partie à cet état d'attrition et de stupeur dont j'ai qualifié l'action des nouveaux projectiles, un membre n'a pas nécessairement perdu dans son ensemble sa vitalité ; la nutri- tion amoindrie ou pervertie n'est pas épuisée pour cela dans tous ses éléments constitutifs ; et, ainsi qu'il arrive, si le plus grand nombre de blessures épargne le faisceau vasculo-nerveux principal; la source de la vie n'étant pas détruite, je n'ai pas désespéré de pouvoir revivifier des parties anéanties seulement en apparence ni d'obtenir le plasma d'une cicatrice de bon aloi ; et cela, même dans le cas où l'artère serait lésée, pourvu qu'il fût possible d'employer la ligature, soit d'après la méthode d'Anel, soit dans la plaie, ou mieux, encore la compression. Kégénéralion praticable, hormis dans les délabrements dont la trop grande quantité ou la trop grande surface de substance détruite rend impossible ou inutile la conservation; mais ce sont là de véritables mu- tilations qui, heureusement, ne sont que la minime partie des trauma- tismes, soit sur le champ de bataille, soit dans les usines et partout où d'ordinaire se produisent les grandes blessures. Hors ces cas exceptionnels, le pansement par la teinlure balsamique ])'• E. LANTIER. — CONSERVATION i>KS MEMBRES BLESSÉS 759 de l'Ambulance de la Poste, combiné, s'il y a lieu, aux incisions et ;mx divers procédés de la résection, permet et assure la conservation des membres de même que la guérison rapide. Le mode d'action de la teinture balsamique, dont plusieurs éléments avaient été autrefois employés empiriquement, a été défini d'une manière scientifique dans mes publications : Conservation des membres blessés par armes à feu perfectionnées, et la Charpie de V ambulance de l'Adminis- tration des Postes : pansement immédiat par le soldat des blessures sur le champ de bataille. — (Paris, P. Asselin.) On y a vu avec quelle précision elle rend maître de diriger les phénomènes inflammatoires en modérant la genèse des leucocytes du pus; avec quelle sécurité elle met à l'abri de la fièvre et des complications des plaies, notamment de l'érysipèle et de l'infection purulente. La teinture balsamique en formant sur les plaies une sorte d'épiderme et d'épithélium, non-seulement préserve les liquides et éléments solides de l'organisme des ferments putrides extérieurs, mais encore, par sa vertu catalytique, elle suscite le plasma de la cicatrice et rétablit la rénovation moléculaire nutritive dans les tissus, où elle a été violemment troublée. Ce travail de renaissance s'accomplit, pour ainsi dire, sans douleur, sauf le moment des pansements, et sa rapidité, variable du reste avec la profondeur et la surface des plaies, est telle qu'elle est une garantie absolue contre les atrophies du membre consécutives. Si l'on a eu à observer la dégénérescence fibreuse des muscles à la suite de tentatives de conservation de jambe, c'est que le traitement employé avait été dif- férent) et n'avait pas duré moins d'un an ou deux pour obtenir la con- solidation osseuse et le débarras de la suppuration. Ces faits n'ont rien de commun avec le traitement par la teinture balsamique, dont la durée moyenne est, dans les cas extrêmes, de deux à trois mois, et la stabilité certaine. Sous l'influence de la teinture balsamique, les fragments d'os produi- sent une riche végétation d'ostéophytes ou bourgeons osseux et se sou- dent intimement entre eux, même à ceux qui sont dépourvus de périoste. C'est ce que démontre l'un des quatre dessins que j'ai fait faire spécia- lement pour le congrès de Lille. Deux appareils pour les plaies à fracas osseux et à trajet profond, institués également à l'ambulance de l'Administration générale des Postes, viennent singulièrement en aide au liquide antiseptique : Le premier, appareil à coussins, se compose d'une série de coussins roulés en cylindres de grosseur variable et disposés parallèlement les uns aux autres sur une pièce de taffetas gommé, de façon à former le plan sur lequel on veut que le membre repose. Les bords de la pièce de taf- 7(50 SCIENCES MÉDICALES fêtas, étant relevés tout le long du membre par d'autres coussins cylin- driques, complètent une véritable gouttière, mobile selon les besoins, dans tous et chacun de ses éléments. Cette disposition, complétée par des lacs s'attachant pour l'extension aux barreaux du lit, peut s'adapter à toutes les positions chirurgicales, sans avoir les inconvénients de la gouttière classique, qui est rigide et nécessite, quand il faut changer de garniture, l'ébranlement de tout le membre ; Le second appareil pneumatique à triple effet se compose d'un sys- tème aspirateur et injecteur, formé, d'une part, par des tubes plomb, verre, caoutchouc, et des robinets mis en rapport avec des bocaux où le vide était fait au moyen d'une pompe aspirante; d'autre part, par d'autres tubes et robinets agencés à une pompe foulante qui envoyait le liquide antiseptique dans le fond des plaies. Les tubes plongeant dans les trajets purulents étaient en plomb, dont la sulfuration est inoffensive, métal flexible et propre à garder toutes les formes, plus avantageux en cela que le caoutchouc qui s'altère prompte- ment au contact des humeurs organiques. Ils y étaient fixés herméti- quement au moyen de collodion et d'une cupule en gutta-percha, pre- nant un large point d'appui sur les parties saines, et pouvait ainsi rester en place deux et même trois jours. Les gaz émanés des foyers purulents étaient dirigés dans une solution désinfectante. C'est grâce à cette com- binaison que de loin, en dehors du lit, sans déranger le blessé, les pan- sements étaient pratiqués jusqu'au fond des plaies avec toute la pré- cision désirable. Mais ce n'est pas seulement dans un traitement méthodique et régulier que la teinture balsamique offre de nombreux avantages. Sa propriété d'être hémostatique et de maintenir les plaies dans leur état de fraîcheur, indemnes des sporules et ferments extérieurs, pendant au moins quarante-huit heures, met le blessé à qui elle est appliquée immédiatement, dans les meilleures conditions pour attendre l'interven- tion du chirurgien. Précieux avantages dans les usines, où les plaies par engrenages sont si redoutables, sur les chemins de fer, mais surtout sur le champ de bataille, où les conditions nouvelles faites par les armes à tir rapide et à longue portée, permettent moins que jamais l'enlèvement rapide des blessés et leur transport en dehors de la ligne des feux, à l'ambulance organisée pour les premiers soins. De là l'utilité d'un pan- sement provisoire que tout homme, si inexpérimenté qu'il soit, puisse faire, autant que possible, au moment et au lieu même de la blessure. A la vérité, fermer les plaies, même par un moyen aussi efficace contre les complications que facile à employer, n'est pas un pansement complet, surtout dans le cas de fractures comminutives ; mais appliquer I)r L. TRIPIER. — SUR LA PRODUCTION DU RACHITISME 761 un appareil de contention sur un membre fracturé est un soin qui ne saurait être confié à tout le monde, pas plus que conseillé dans la ligne des combattants. Le volume et le poids de ces appareils constituent à cet égard de véritables impedimenta; de plus, ils ne doivent et ne peuvent être em- ployés que par la main d'un chirurgien expérimenté, un peu à l'abri des projectiles, sous peine de devenir la cause de déchirements intérieurs de vaisseaux et de nerfs et de gangrène du membre. Ils ne peuvent donc jamais être utilisés que tardivement. Voilà pourquoi, afin de rester dans la mesure compatible avec les exigences du champ de bataille, je me suis efforcé de rendre la teinture balsamique portative et facile à manier, en lui donnant la forme d'une charpie, qui parut irréalisable à l'époque du siège de Paris, et dont la place n'est pas moins indiquée dans les cantines d'ambulance primaire que dans le bagage de tout homme en campagne, non plus que dans toutes les boîtes de secours. Au début de la guerre, la Société française de secours aux blessés, faisant appel par de chaleureuses circulaires à toutes les initiatives, présentait comme but à atteindre, les résultats de guérison obtenus en Amérique pendant la guerre de sécession. S'il faut reconnaître qu'en France les résultats ont été loin du chiffre des succès de l'Amérique, il n'y a pas à désespérer de l'avenir, car, lorsque des réformes dans le service de santé seront en vigueur, l'élan et la générosité de l'esprit national ne nous laisseront en arrière d'aucun pays du monde. D' Léon TRIPIER De Lyon EXPÉRIENCES SUR LA PRODUCTION DU RACHITISME (extrait) — 6' é an ce du S S ao û l 1 87 o — Il y a une trentaine d'années, M. Jules Guérin imagina de produire arti- ficiellement le rachitisme. Il prit de jeunes chiens à la mamelle et en fit deux paris; les uns furent soumis à un régime exclusivement annualisé ; les autres furent laissés à leur mère. Or, ceux-ci se développèrent parfaitement; ceux-là devinrent rachitiques. D'après ces expériences, M. Jules Guérin se crut auto- risé à dire qu'on faisait des rachitiques à volonté. Il y a dix ans,, voulant élu- cider certaines questions relatives à l'accroissement des os, M. Léon Tripier fit 52 762 SCIENCES MÉDICALES des expériences analogues sur des chats; ces expériences donnèrent des ré- sultats complètement négatifs ; elles furent répétées sur des chats, des chiens et des poulets. Sur les chats et les chiens, dit l'auteur, j'ai essayé de déter- miner expérimentalement l'influence du sevrage prématuré ou retardé; sur les poulets, j'ai voulu vérifier les effets de la privation plus ou moins complète des sels calcaires. Tous mes efforts sont restés sans succès en ce qui concerne la production du rachitisme. Même insuccès en tenant compte du froid, de l'humidité et de la privation de la lumière ; restait l'influence de la prédispo- sition. Je me mis en quête d'animaux qui portaient d'anciennes lésions rachi- tiques, et je trouvai une chatte dont les os des membres et ceux du bassin étaient déformés. Deux fois les petits vinrent morts; ils semblaient comme passés à la filière; enfin, une troisième fois, elle fit trois petits vivants. J'en sai un avec la mère comme terme de comparaison; des deux autres, l'un fut nourri exclusivement avec du lait de vache ; l'autre fut soumis strictement au régime de la viande crue. Au bout de trois ou quatre jours, diarrhée chez le premier, constipation chez le second ; vingt-deux et vingt-cinq jours plus tard, ils mouraient l'un et l'autre sans présenter de traces de rachitisme. Je proposais de sacrifier la mère pour voir si elle présentait d'anciennes ! ssions pouvant être attribuées au rachitisme ; mais elle m'échappa. Je ne pou- vais donc rien conclure et je devais attendre une nouvelle occasion pour me prononcer. Sur ces entrefaites, M. Heitzmann communiquait à l'Académie de Vienne des expériences sur le développement artificiel du rachitisme et de l'ostéoma- lacie, au moyen de l'acide lactique associé aux aliments et injectés sous la peau à la dose de huit à dix gouttes. Ces doses, d'après l'auteur, injectées sous la peau et mêlées aux aliments. suffiraient pour produire très-rapidement les lésions en question chez les car- nassiers (chiens et chats) ; chez les rongeurs (lapins, écureuils) , il faut distin- guer : pour les adultes, l'action est la même que chez les carnassiers ; les jeunes, au contraire, supportent l'acide lactique sans devenir rachi tiques. Comme j'avais été le premier à combattre les conclusions de M. Jules Guérin, et comme à des faits on ne peut opposer que des faits, de concert avec M. Toussaint, chef des travaux anatomiques, et dans le laboratoire de M. Chauveau, à l'École vétérinaire de Lyon, j'instituai de nouvelles expériences, dont je me propose de faire connaître au Congrès les résultats inédits. M. Léon Tripier entre ensuite dans le détail de ces expériences, dont voici un résumé succinct : elles comprennent deux séries ; dans la première il y a: 1° un chien adulte de taille moyenne ; 2° un chien griffon de douze à quinze mois ; 3° trois lapins dont un noir, âgé déjà, présentant une déviation des pattes an- térieures (un animal de même provenance, mais âgé de cinq mois, offrant une déviation semblable, a été sacrifié et l'on a pu s'assurer que la déviation tenait bien du rachitisme); 4° enfin, deux jeunes chiens de deux mois et demi à trois nu lis. Pour les deux chiens, on a mélangé chaque jour à leur soupe pendant trente jours 2 grammes d'acide lactique blanc concentré, puis la dose d'acide lactique a été portée à i grammes pendant plus de trois mois: le premier de ces animaux étant sacrifié, on ne constate aucune lésion du D' L. TRIPIER. SUR LA PRODUCTION DU RACHITISME 708 squelette tenant au rachitisme ou à l'ostéomalaeie. Le second prend 8 grammes d'acide lactique par jour, et se porte très-bien. Les lapins furent soumis, du 24 décembre 1873 au 21 janvier 187 i, à l'acide lactique mélangé, à la dose de 2 grammes, à leur ration journalière d'avoine. Sur un des lapins on fait une fracture de l'humérus, et l'on s'assure ainsi qu'il n'y a ni ramollissement, ni fragilité du tissu osseux. Le 4 mai, ce lapin est sacrifié; la fracture s'est consolidée et l'on ne trouve pas de traces de rachitisme ni d'ostéomalacie. Les deux autres lapins vivent encore et sont bien portants. Dans la deuxième série il y a : 1° une chatte adulte qu'on suppose en état de gestation ; 2" un chat âgé de quatre à cinq mois provenant d'une portée antérieure du sujet précédent. Tous deux prennent chaque jour 3 grammes d'acide lactique mélangé à du lait. Le 1er mai, le petit chat qui, sans cause appréciable, avait présenté une opacité de la cornée accompagnée de mortifi- cation de la peau au niveau des oreilles et de la queue,, meurt sans offrir de lésions appréciables du côté du squelette. A dater de cette époque, on donne à la mère 4 grammes d'acide lactique par jour; elle meurt le 10 juin sans pré- senter la moindre lésion osseuse. M. Tripier termine sa communication en re- grettant qu'il n'ait pas eu de termes complets de comparaison ; car il est pro- bable que l'analyse chimique aurait accusé des différences notables au point de vue de la composition des os, et à ce point de vue, nous nous proposons, dit- il, de continuer nos recherches, parce que pour nous les lésions décrites par M. Heitzmann ne peuvent s'expliquer que de deux façons ; ou bien il a eu affaire à des animaux prédisposés, ou bien il s'agit de lésions analogues à celles qui ont été observées par Chossat et Friedleben sur les pigeons, et par nous-même sur les poulets, par la privation des sels calcaires. M. Yerneuil fait observer que les conditions dans lesquelles M. Tripier a fait ses expériences diffèrent, en un point, de celles des expériences de Heitzmann, dans lesquelles l'acide lactique était injecté à la dose de 8 a 10 gouttes clans le tissu cellulaire sous-cutané. M. Tripier répond que les in- jections d'acide lactique concentrées, même à petites doses, donnent lieu à des gangrènes du tissu cellulaire. 764 SCIENCES MÉDICALES D1 HOUZÉ DE L'AÏÏLNOIT Chirurgien de l'Hôpital Saint-Sauveur, Professeur ù l'École de méderine e Lille, AMPUTATIONS SOUS-PÉRIOSTÉES — Séance du 22 août 187 4 — APERÇU GÉNÉRAL SIR LES AVANTAGES, SURTOUT CUEZ LES ENFANTS, DES AMPUTATIONS SOUS-PÉRIOSTÉES, AIDÉES DE L'IMMOBILISATION ARTICULAIRE ET COMPRENANT TROIS NOUVELLES OBSERVATIr iNS AINSI ÛUE DES RENSEIGNEMENTS SUR L'ÉTAT ULTÉRIEUR DES PREMIERS OPÉRÉS I. But des amputations sow-périostées, de sauvegarder l'avenir des opérés. — Communications et présentations de pièces aux Sociétés savantes, de 1871 à 187 i. — Résumé de trois nouvelles observations inédites. — Examen comparatif de la durée du traitement à la suite de douze opérations par la périostéotomie. Assurer d'abord l'existence des amputés, puis abréger la durée du trai- tement, tel est le double but que se sont proposé d'atteindre presque tous les chirurgiens de notre époque. A cet effet, les uns ont cherché la réunion des parties superficielles, en facilitant, à l'aide d'un drain, la suppuration des parties profondes. M. Azam, de Bordeaux, s'est déclaré partisan de ce mode de pansement. D'autres, avec M. Lefort, ont pensé qu'il y avait avantage de faire cica- triser d'abord les parties profondes, en les maintenant rapprochées, contre l'os sectionné, avec un anneau de gutta-percha et d'abandonner à un travail consécutif la cicatrisation des parties superficielles. Des succès ont couronné ces deux manières d'agir, quoiqu'au fond complètement différentes l'une de l'autre. M. Guérin et M. Ollier, impressionnés par les ravages surtout à Paris et à Lyon, de l'infection putride et les attribuant à l'influence de l'air sur le liquide purulent, ont recommandé : le premier, les appareils ouatés, et le second, les appareils amovo-inamovibles. Pour tous, les statistiques se sont montrées généreuses et bienveillantes. Elles ont enregistré une très-faible mortalité et une guérison relative- ment très-rapide. Je m'incline devant de si beaux résultats, et j'apprécie à sa juste Dr HOUZÉ DE L'AULNOIT. — AMPUTATIONS SOUS-PÉMOSTÉES 765 valeur la satisfaction d'un chirurgien qui est assez heureux pour perdre peu d'opérés, tout en obtenant une prompte guérison. Mais pour moi, on peut et on doit aller encore plus loin. Il faut de plus mettre les amputés à l'abri des accidents consécutifs à la cicatrisa- tion, et éviter, au bout de quelques mois ou même de quelques années, l'apparition des ostéophytes, des ulcères, de la conicité, de la nécrose ou même des cicatrices adhérentes. Je ne pense pas, surtout pour les os entourés d'une grande masse charnue, qu'on puisse prévenir ces divers accidents par nos procédés classiques. Si la suppuration agit sur une large surface, il s'ensuivra, ainsi que l'a prouvé M. Larrey, une cicatrice interne, dont la rétraction sera en rapport avec la durée plus ou moins longue de la suppuration. De là ces rétractions inattendues, se terminant par la saillie de l'os et exigeant une deuxième amputation. En outre, l'extrémité de l'os, pour oblitérer ses canalicules d'Havers, devra nécessairement suppurer; et il sera tou- jours à craindre que l'extension de son atmosphère inflammatoire ne pénètre à une grande hauteur de la cavité médullaire, et ne produise l'ostéomyélite avec ses graves conséquences, amenant la mort du sujet ou la nécrose de l'extrémité osseuse. Guidé par le flambeau physiologique, j'ai pensé que dans les ampu- tations, on devait se rapprocher des conditions naturelles, c'est-à-dire opposer aux tissus sectionnés des tissus similaires, en maintenant, à l'extrémité des os, la même superposition des couches que dans les au- tres parties du membre. Pour obtenir ce résultat, il m'a suffi de protéger les surfaces osseuses avec des lambeaux composés de toutes les parties molles et doublés à leur partie interne d'une lamelle de périoste. — J'ai pu ainsi, chez cinq amputés de cuisse, éviter les adhérences et rejeter à quatre ou à cinq centimètres en arrière de l'os divisé, la ligne cicatricielle, de manière à rendre inoffensive la pression des appareils prothétiques. Mais une telle cicatrisation exige l'immobilisation du membre tout entier non moins que celle du moignon. J'ai donc vivement conseillé dans toutes les amputations, et surtout à la suite des amputations sous- péiïostées, d'immobiliser les membres avec de simples gouttières métal- liques appliquées au niveau des articulations. L'espoir de vulgariser ce procédé opératoire et ce nouveau traitement m'a engagé à recourir plusieurs fois, depuis près de trois ans, à la haute influence de nos sociétés savantes. Le 8 décembre 1871, j'adressai une première note à la Société des sciences de Lille, qui fut suivie, le oO janvier et le 2 avril 1872, de deux communications à l'Académie de médecine de Paris. 76G SCIENCES MÉDICALES Le 23 avril 1873, il m'était possible de présenter à la Société de chi- rurgie le résultat de dix amputations sous-périostées, dont quatre de cuisse, une du bras, trois de doigts et une désarticulation de l'index. — Tous mes opérés avaient guéri, sauf une femme, amputée de la cuisse in ex /remis, pour une gangrène de la jambe, et qui mourut le cinquième jour d'un thrombus développé dans l'oreillette gauche et d'une paralysie due à un ramollissement du cerveau. Pour mettre chacun de mes collègues dans la possibilité de juger de visu la forme des moignons, je leur soumis sept moulages reproduits par la photoglyptie, dont trois provenaient d'individus amputés de la cuisse par les procédés ordinaires, et quatre opérés par la périostéo- tomie . Ces derniers se rapportaient à trois amputations de cuisse et à une amputation de bras. Ils furent trouvés supérieurs à ceux de la première série par l'épais- seur et la parfaite régularité des lambeaux, par la situation et la di- rection des cicatrices, ainsi que par la forme arrondie des moignons. Ces premières tentatives m'encouragèrent à persister dans une voie qui n'avait été suivie, avant moi, que par cinq ou six chirurgiens, mais abandonnée depuis plusieurs années. — A l'époque où j'y fus entraîné par le hasard, j'attribuai les résultats à peu près négatifs ob- tenus par cette méthode à la manière dont on taillait les lambeaux, soit qu'on les sectionnât des parties profondes vers les parties superii- cielles, soit qu'on recourût au procédé circulaire; — ce dernier m'a tou- jours paru incompatible avec la conservation d'une lamelle de périoste assez riche en éléments de nutrition pour permettre son adhérence au tissu osseux. Les insuccès me semblèrent, de plus, avoir pour cause le défaut d'im- mobilisation des membres amputés. Quant à moi, ayant soin de sectionner les parties molles des parties superficielles vers les parties profondes, en contournant d'emblée, avec la pointe du couteau, la surface osseuse, j'ai toujours pu, dans toutes mes amputations, relever le périoste sans briser ses liens vasculaires. L'immobilisation des membres avec des gouttières bouclées me mit en outre à l'abri des tiraillements sur les chairs, précaution du plus haut intérêt qui s'impose à la pratique à tous les chirurgiens désireux d'obtenir l'adhérence à l'os des parties profondes. Je n'hésitai donc pas à poursuivre mes expériences. Elles furent aussi satisfaisantes pour mes opérés que pour l'avenir du procédé que je viens défendre de nouveau, avec non moins de conviction qu'au jour où je me présentai à l'Académie de médecine et à la Société de chirurgie. Dr IIOLZÉ DE l/AULNOIT. — AMPUTATIONS SOUS-PÉRIOSTÉES 767 Aux dix amputations sous-périostées que j'avais réunies je puis actuel- lement en ajouter trois autres, que je viens de faire mouler et photo- graphier, afin qu'on puisse mieux apprécier leurs résultats définitifs. — Ce sont deux amputations de cuisse et une désarticulation de l'index. Les os, comme sur mes autres opérés, sont revêtus de lambeaux épais, d'une parfaite régularité et à l'abri, par la situation de leurs cica- trices, de toute pression douloureuse. Chez aucun de ces trois amputés, on ne peut craindre pour plus tard les ulcères, la conicité ou la nécrose. Les parties molles glissent sur les extrémités osseuses protégées par l'atmosphère celluleuse du périoste. — Cependant, ces malades ont été opérés dans les plus fâcheuses conditions, car tous trois étaient atteints d'un phlegmon érysipélateux, et les deux amputés de cuisse offraient des signes d'infection putride. Les observations de ces derniers amputés peuvent se confondre en une seule, tant elles présentent de similitude. Observations. — La première se rapporte à un enfant du sexe masculin, âgé de sept ans; la deuxième à une enfant du sexe féminin, âgée de six ans et demi. Tous deux étaient affectés d'une tumeur blanche au genou, compliquée d'abcès par congestion s'étendant jusqu'à la partie moyenne de la cuisse, et ayant envahi le creux poplité. De nombreux trajets fistuleux laissaient pénétrer l'air dans de vastes clapiers purulents. Il en résultait un état de marasme d'autant plus inquiétant pour la santé de ces jeunes malades qu'un phlegmon érysipélateux menaçait de s'étendre jusqu'au pli de l'aine. C'est dans ces tristes conditions que furent opérés, le 25 novembre 1873, le jeune Rattel (Charles); et le 19 mai 1874, la jeune DUlies (Anna). L'examen des membres prouva que les fémurs étaient splénisés. Après l'amputation, on vit, chez l'un et l'autre, l'érysipèle s'arrêter et la réunion des parties en contact se faire par première intention. Mais l'érysipèle, enrayé par l'opération, reparut chez le petit garçon le troisième jour, s'avança jusqu'à l'abdomen et alla, douze jours après, s'éteindre dans les bourses. Chez la petite fille, la réapparition de l'érysipèle se fit vers le onzième jour, suivit la même marche ascensionnelle et se termina dans les grandes lèvres, dix jours après son apparition. Cependant la guérison ne tarda pas à s'ensuivre. Elle fut complète chez le jeune Charles Rattel, le 17 décembre 1873, c'est-à-dire au bout de vingt-deux jours, tandis que chez la jeune Anna Dillies, que vers le vingt-trois juin 1874, ou au trente-quatrième jour. Une particularité de nature à plaider en faveur des amputations sous-périos- tées s'est présentée chez la jeune fille un mois après la cicatrisation de son moignon. En marchant avec des béquilles, elle fit deux chutes qui portèrent 768 SC1E.NCES MÉDICALES sur l'extrémité du membre. Six jours après, apparut un abcès outre le périoste et les parties molles. Nous l'ouvrîmes et, ayant introduit dans le foyer un stylet, nous reconnûmes avec une vive satisfaction que l'os n'était pas dénudé, mais avait été protégé contre cette complication par la lamelle périostique. Quelques jours suffirent pour en faire disparaître toute trace et amener en même temps la cicatrisation. Le sujet de ma. troisième observation est une femme, âgée de 37 ans, entrée dans mon service, à l'hôpital Saint-Sauveur, pour une carie des deux premières phalanges de l'index droit, consécutive à une coupure et compliquée également de phlegmon érysipélateux. Je lui désarticulai l'index en taillant, sur la face externe de la première phalange, un lambeau d'une longueur de trente-cinq millimètres et d'une largeur de quarante millimètres à sa base, revêtu à sa face interne d'une lamelle de périoste. Le quatrième jour, la réunion était complète et l'érysipèle avait disparu. Ce fait m'a prouvé qu'on peut sans inconvénient appliquer du périoste sur du tissu cartilagineux. Ces deux tissus sont presque similaires d'après leur structure. — Dans ce cas, la clinique a justifié les espérances que pouvaient faire naître les données de la physiologie et de l'histologie. Dans une autre désarticulation de l'index que je pratiquai le 27 fé- vrier 1872, en conservant le périoste à la face interne du lambeau, j'ob- tins également une réunion par première intention. Le résultat ne laissa rien à désirer sous le rapport de l'épaisseur des parties molles et fut, en tous points, semblable à celui qu'on peut re- marquer sur le moulage ci-joint. En résumé, je puis offrir les moulages de cinq amputations de cuisse pratiquées sur des enfants sans un seul cas de mort. — En outre, deux guérisons de bras, trois de doigt, et deux désarticulations de l'index, c'est-à-dire douze succès sur treize amputations. Jusqu'à ce jour, aucune statistique, fournie avec les procédés ordi- naires, n'a donné une moyenne de guérison aussi satisfaisante pour un opérateur. Quant aux résultats définitifs, ils sont incontestables et il m'est facile en ce jour d'en fournir la preuve. Par la méthode sous-périostée aidée par l'immobilisation, les malades n'ont jamais accusé, après l'opération, de douleurs vives dans leur moi- gnon, ainsi qu'on les observe si souvent dans les amputations ordinaires. Ce qu'on peut attribuer au parfait rapprochement des lèvres delà solution de continuité protégée contre tout tiraillement par l'absence ou la nota- ble diminution de la contraction des muscles et des mouvements arti- culaires. Dans de nombreux cas, il n'existait pas de gonflement inflamma- Dr HOUZÉ DE l'aULXOIT. — AMPUTATIONS SOUS-PÉIÎIOSTÉES 7()0 toire à l'extrémité des moignons, et on observait une suppuration pou abondante et presque sans odeur. Dès les premiers jours, les malades jouissaient d'un parlait sommeil et mangeaient avec appétit. A moins de complications graves, la peau était fraîche et la fièvre peu intense. J'ai toujours constaté la cicatrisation des parties latérales clés le qua- trième jour après l'opération. A cette époque, l'os était réuni aux parties profondes. Quant aux bords de la partie superficielle et médiane de la plaie, s'ils étaient écar- .tés, on devait attribuer leur défaut de réunion à la présence de la petite mèche, placée au centre du moignon pour faciliter l'écoulement sanguin et purulent. La durée de la cicatrisation a varié du quatrième au quarantième jour, ainsi que cela résulte du tableau suivant : NUMÉROS D'ORDRE des observations. ACES NATURE des amputations. H D R É E du traitement. ire II 22 mois. 9 ans. 5 ans 1/2. 12 ans. 12 ans. 4G ans. 5 ans. 31 ans. 49 ans. 7 ans 1/2. 7 ans. 6 ans. 37 ans. Bras. Cuisse. Bras. Doigt. Doigt. Doigt. Cuisse. Cuisse. Désarticulât, de l'index. Cuisse. Cuisse, Cuisse. Désarticulât, de l'index. 8 jours. 27 jours. 17 jours. 4 jours. 4 jours. 35 jours. 40 jours. Morte le ;;,ue jour. 4 jours. 19 jours. 22 jours. 34 jours. 4 jours. III IV V VI IX x XI XIU La moyenne de la durée du traitement a été donc de 28 jours et demi pour les cinq amputations de cuisse ; De douze jours pour les deux amputations de bras ; De douze jours un tiers pour les trois amputations de trois doigts ; Enfin de quatre jours pour les deux désarticulations de l'index. La moyenne générale, pour les douze cas de guérison, a été de dix-huit jours, chiffre non supérieur à celui obtenu dans les cas les plus heureux par les procédés ordinaires pour de semblables ampu- tations. Malgré ce résultat très-satisfaisant, je suis loin de m'en glorifier, car je ne pense pas qu'un chirurgien, pour des amputations aussi graves que 770 SCIENCES MÉDICALES celles de la cuisse et ;lu bras, doive plus se préoccuper d'abréger la durée du traitement que d'assurer l'avenir de ses opérés. Il me semble plus important de mettre le malade à l'abri des accidents secondaires, tels que conicité, cicatrices adhérentes, nécroses et ostéophytes : ce but a toujours été l'objet de mes plus vives préoccupations, et je crois l'avoir obtenu en adoptant la méthode sous-périostée, ainsi que vous pourrez vous en rendre compte par l'examen des résultats défi- nitifs. II. Résultats définitifs constatés sur des anciens amputés le 20 août 18*74. Pour obtenir des renseignements précis sur le sort de ces jeunes amputés de cuisse, depuis l'époque de leur opération jusqu'à ce jour, et vous mettre à même d'apprécier les conséquences des appareils prothétiques, ainsi que de la marche sur la l'orme de leurs membres, je me suis transporté, avant-hier 20 août 1874, à leur domicile. I. J'ai trouvé le nommé Dewerdyn, opéré le 49 février 1872, par conséquent depuis 18 mois, dans l'état de santé le plus satisfaisant. Il exécute avec son moignon tous les mouvements physiologiques de l'articulation coxo-fémorale. La flexion est assez énergique pour permettre à sa cuisse une direction parallèle aux parois abdominales. Le moignon n'est point sensiblement mo- difié dans sa forme. La cicatrice a une direction horizontale : elle est située à cinq centimètres en arrière du sommet de l'os et ne contracte d'adhérence avec la diaphyse que dans une étendue de cinq millimètres. Elle est blanche, unie, sans la moindre ulcération et se confond d'une manière régulière avec la peau. La marche est facile, non douloureuse et même très-rapide. Les dix-huit mois qui nous séparent de l'opération n'ont donc en rien modifié le beau résultat primitif. J'ai fait mouler hier son moignon afin de vous permettre de juger l'exactitude de ma description. De plus, j'ai engagé cet amputé à venir devant vous se soumettre à votre examen. II. J'ai été, de là, visiter le jeune Merlin, demeurant cour de la Réjouissance à Wazemmes-lez-Lille, opéré le 31 octobre 1872. Comme chez mes autres amputés, il jouit d'une excellente santé. Sa marche est facile et son moignon, sauf qu'il est un peu plus effilé, est semblable à celui que nous avons obtenu par le moulage à sa sortie de l'hôpital. Cet enfant a également la cicatrice blanche, régulière, rejetée à quarante-cinq millimètres en arrière et n'offrant qu'une légère adhérence avec la partie postérieure du fémur. Les mouvements se font avec non moins de rapidité que d'étendue. Celui de flexion est assez considérable pour qu'il soit possible à la face antérieure de la cuisse de se mettre en contact avec l'abdomen. En somme : très-beau résultat également au point de vue du fonctionnement du membre. Dr H0UZÉ DE l'aULNOIT. — AMPUTATIONS SOUS-PÉKIOSTÉES 771 III. Quant au jeune Marônache, demeurant à Lannoy, je n'ai pu le joindre. IV. Le jeune Rattel, opéré le 25 novembre 1873, au moment où je me pré- sentai chez lui, cité Meurisse à Loos, jouait dans les champs avec ses petits camarades et luttait avec eux de vitesse et d'agilité. Son moignon s'est allongé et a diminué d'épaisseur, mais sa cicatrice, rejetée à quarante-cinq millimètres en arrière, ne gêne en rien les mouve- ments du membre, qui sont physiologiques. Sa santé est excellente. Son teint est bruni par le soleil. Rien à redouter de l'avenir au point de vue des acci- dents consécutifs. V. Ma cinquième amputée, la nommée Dillies, est encore à l'hôpital Saint- Sauveur. Quelques membres du congrès ont pu constater que son moignon était irré- prochable au point de vue de la forme et de l'épaisseur, et que son parfait état de cicatrisation ne laissait rien à désirer. in. Réflexions sur l'historique, le procédé opératoire et le mode de traitement des amputations sous-périostées. — Proposition. — Conclusions. L'idée première des amputations sous-périostées remonte à 1814 et appartient à Dewalther ; après lui, Bruninghausen en aurait fait quelques- unes en 1818, et Larghi en 1849. M. Ollier, en 1859, les aurait égale- ment préconisées. Après ce chirurgien, nous pouvons citer Symvoulidés, Desgranges et Trélat. Depuis 1867, cette méthode était tombée dans l'oubli, frappée mor- tellement par ses premiers défenseurs. Le hasard me servit le 21 novembre 1871 pour la réhabiliter. On m'a contesté la priorité de mon procédé opératoire, non moins que la vulgarisation de l'immobilisation en faveur des membres amputés. Permettez-moi de répondre en quelques mots à ces deux objections que j'ai déjà réfutées dans mon ouvrage sur les amputations sous- périostées (1) et qui m'ont paru les plus capitales de toutes celles qu'on a bien voulu m'adresser. La manière dont je sectionne les parties molles des parties superfi- cielles vers les parties profondes se rapproche de celle de Langenbeck, mais elle en diffère en ce que je comprends dans le lambeau, non la moitié de la circonférence du membre, mais les trois quarts antérieurs et que je lui donne pour longueur presque la moitié de cette même circonférence. Une autre différence capitale, c'est que d'emblée, avec l'instrument H) Houzé de l'Aulnoit : Etude historique et clinique sur les amputations sous-périostées et de leur traitement par l'immobilisation du membre et du moig»on. Paris, 1873. 772 SCIENCES MÉDICALES tranchant je divise Ja peau et les muscles jusqu'à l'os; il en résulte que toute l'épaisseur des chairs se trouve sectionnée sur les parties latérales et sur le tiers antérieur, et que les deux tiers postérieurs et médians du lambeau peuvent ainsi se relever sans difficulté au moment où on décolle la lamelle périostique des trois quarts de la circonférence osseuse. Sous ce rapport, le procédé que j'indique peut être considéré comme nouveau, puisqu'il diffère essentiellement et sous un triple point de vue de celui de Verduin et de Langenbeck : 1° Par l'épaisseur plus considérable du lambeau qui comprend toutes les chairs situées entre la peau et l'os; 2° Par le mode de section des parties molles ; 3° Par la conservation dans les points qui doivent recouvrir l'extré- mité osseuse d'une lamelle de périoste doublée de son tissu connectif. Il ne peut être comparé ni à celui de Symvoulidès, qui détachait le périoste après avoir complètement isolé les os de leurs parties molles, ni à celui de M. Poucet; du reste, le procédé de ce dernier chirurgien n'est encore qu'un procédé d'amphithéâtre n'ayant pas été, que je sache, sanctionné par la clinique. Quant à M. 011 ier, il m'a déclaré que sa manière d'opérer ne ressem- blait nullement à la mienne. J'ai recours pour permettre l'adhérence du périoste à l'os, à l'immo- bilisation complète et absolue du membre, tant au niveau des tissus sectionnés que des articulations ; et cette immobilisation je m'efforce de l'obtenir pour le moignon, à l'aide de sutures et de bandelettes de diachylon, et pour les articulations sus-jacentes, à l'aide de gouttières en zinc aux bords desquelles se trouvent cousues des lanières d'un tissu composé de fils et de caoutchouc avec des boucles. Ces gouttières étaient en usage dans mon service, quelques années avant que j'en fisse faire plusieurs centaines pour les blessés de l'armée du Nord. J'en déposai un modèle au comité régional, le 21 septembre 1870, c'est-à-dire à la même époque que M. Champenois, enfermé dans Paris, en appliquait à peu près de semblables sur des soldats traités dans les ambulances de la capitale. La présence des lanières et des boucles constitue leur différence et a pour avantages de permettre leur facile et rapide application, surtout sur les champs de bataille. Quant à l'immobilisation des membres amputés, vainement j'ai con- sulté pour en trouver une mention, tous nos auteurs classiques qui traitent du pansement des amputés : Velpeau, Dupuytren, Boyer, Gerdy, Sabatier, Bégin, Vidal de Cassis, Nélaton, Sédillot, Legouest, Alphonse Guérin, Guyon, etc., etc. Dr H0U7.É DE L'AULNOIT. — AMPUTATIONS SOUS-PÉRIOSTÉES 773 Verduin a seul l'ait représenter, pour l'amputation à lambeau posté- rieur de la jambe, un appareil qui immobilisait le genou ; mais cet appareil, qu'il a désigné du nom de soutien, avait pour but7 non d'im- mobiliser les articulations, mais de soutenir les chairs et de les maintenir en contact avec le plan de section de la demi-circonférence antérieure du membre. Vainement aussi j'ai rappelé mes souvenirs à l'égard de nos maîtres, que j'avais vus opérer dans les hôpitaux de Paris et de la province. Le seul pansement en usage encore de nos jours consiste dans une bande roulée autour du moignon préalablement revêtue, dans certains cas, d'une couche plus ou moins épaisse d'ouate. Tels sont les appareils ouatés de M. Alphonse Guérin, ou ceux amovo- inamovibles de M. Ollier, destinés plutôt à préserver les plaies du con- tact de l'air qu'à s'opposer à la contraction musculaire. Amputations sous-périostées et immobilisation : voilà donc la nouvelle voie que je recommande depuis le 8 décembre 1871. — Ces deux moyens perfectionnés et soumis à la sanction de la clinique sont de nature à imprimer un grand progrès à la chirurgie moderne. A ce double titre, la périostéotomie appliquée aux amputations a acquis le droit d'être vulgarisée à la condition qu'on maintiendra l'adhérence du périoste aux parties profondes, et qu'on aura recours à l'immobilisation des membres. Si j'ai le bonheur d'obtenir vos sympathies et votre concours, je me croirai récompensé de mes peines et des obstacles qu'il m'a fallu surmon- ter depuis trois ans que je me livre à ces longues et patientes expé- riences. Proposition. Les difficultés qu'il m'a fallu vaincre m'engagent, dans l'intérêt de l'humanité, de la science et de la vérité, à vous adresser une proposi- tion : c'est d'aider, de faciliter ou de recommander l'installation dans une de nos facultés d'un musée international de chirurgie et de médecine opératoire, dans lequel on réunirait les moulages des membres amputés afin de pouvoir, tout en appréciant la valeur de nos différents procédés opératoires, recommander en connaissance de cause ceux qui assure- raient la guérison définitive des opérés et seraient de nature à protéger contre la pression des appareils prothétiques. 11 ne suffit pas de sauver la vie des amputés, comme je le déclarais au début de ce travail ; il faut, autant que faire se peut, les préserver des graves complications qui les mettent dans l'impossibilité de subvenir à leurs besoins et les obligent à rester des mois et des années à la charge de la société. 774 SCIENCES MÉDICALES Il est temps d'agir, car notre organisation militaire et nos engins de destruction nous font une loi de préparer les moyens d'atténuer les horreurs que nous fait craindre l'avenir. Employons donc les moyens les plus rationnels pour être édifié sur la valeur de nos méthodes opératoires. Des preuves matérielles se substitueraient ainsi à l'appréciation fantai- siste et souvent erronée que chacun de nous a une tendance à imposer au monde médical, en ne s' appuyant que sur sa propre expérience, ou sur l'examen d'un nombre parfois trop restreint de quelques faits. Conclusions. De cette nouvelle étude sur les amputations sous-périostées, je pense être autorisé à tirer les conclusions suivantes : 1° Désormais les chirurgiens sont en droit d'appliquer la périostéoto- mie aux amputations de cuisse et de bras, surtout chez les enfants, at- tendu que, sur sept jeunes opérés par cette méthode, cinq de cuisse et deux de bras, j'ai obtenu sept cas de guérison et que les moignons par l'épais- seur de leurs lambeaux comprenant toutes les parties molles du membre n'ont présenté, après dix-huit mois de marche, de pression ou d'usage, aucun des accidents qu'on remarque à la suite des procédés ordinaires, tels que conicité de l'os, cicatrices vicieuses, adhérentes, ou douloureuses, ostéiti- et nécrose, etc., etc.; 2° Qu'il est indispensable; surtout dans ce procédé, de recourir à l'im- mobilisation du lambeau et du membre tout entier, à l'aide d'une gout- tière bouclée placée au niveau du pli de l'aine pour la cuisse ; de l'ais- selle pour le bras ; du creux poplité pour la jambe ; en arrière du coude pour les doigts et l' avant-bras, et de l'articulation tibio-tarsienne pour le pied. Ces simples gouttières, dont le prix n'est que de 2 fr. 50 c, qu'on peut enlever et réappliquer avec non moins de facilité que de rapidité, permettent de surveiller l'état de la plaie, et de combattre à la fois toutes les complications ; 3° Que c'est un devoir dicté par les notions les plus élémentaires de la physiologie et de la pathologie de soumettre à l'immobilisation tout membre amputé, quelle que soit la méthode adoptée ; 4° Que la crainte de voir s'élever des ostéophytes à la face profonde de la lamelle de périoste n'est nullement fondée. De mes douze opérés, aucun des onze qui ont guéri n'a vu surgir ces aiguilles osseuses, seul motif de la condamnation de la méthode sous- périostée en 1807, et de l'abstention des chirurgiens jusqu'en 1871, époque où je réhabilitai la périostéoloinie appliquée aux amputations. D' HOUZÉ DE L'AULNOIT. — AMPUTATIONS SODS-PÉRIOSTÉES 775 Ce fait capital, si important pour l'avenir des amputations sous-périos- tées, est une nouvelle confirmation de l'opinion émise par M. le profes- seur Sédillot que « les lamelles périostiques ayant un pédicule assez large peuvent vivre, mais ne produisent pas d'os (1) ». A l'appui de cette affirmation, ce chirurgien rappelle l'opération de rhinoplastiedeM. Langen- beek, où un lambeau doublé de périoste, après avoir été détaché du frontal et abaissé au-devant de la région nasale, n'avait pu, malgré sa vitalité, reproduire l'arête osseuse du nez. P. S. — Depuis la communication de ce travail au Congrès de Lille, j'ai pratiqué quatre amputations par la périostéotomie : deux de bras, une de cuisse et une de jambe. Ces dernières observations ne tarderont pas à être publiées. — Le chiffre de mes amputations sous-périostées s'élève donc au- jourd'hui, 20 mai 4875, à dix-sept. DISCUSSION. M. Ollier. — J'ai posé la question de la conservation d'une portion du pé- rioste dans les amputations dès l'année 1859, et je l'ai résolue en 1862 dans un sens négatif. Je fis par ce procédé plusieurs opérations dans le service de Follin. M. Verneuil, à la même époque, employa le même procédé dans son service ; les malades succombèrent à la pyohémie. Il est vrai que j'opérais sur des adultes : M. Houzé de l'Aulnoit n'a opéré que sur des enfants. J'ai abandonné complètement mon procédé pour la cuisse et pour le bras ; mais je n'ai pas renoncé à conserver le plus possible de périoste dans certaines am- putations de la jambe, et surtout dans l'amputation tibio-tarsienne, où je cherche à conserver le périoste de calcanéum, ce qui me donne un talon bien plus solide que dans les procédés de Syme et de Roux. J'attendrai, du reste, pour porter un jugement définitif, que M. Houzé de l'Aulnoit nous présente des résultats obtenus chez l'adulte. M.Giraldès. — Jordan, de Manchester, a préconisé le procédé comme facile à exécuter chez les enfants. Quant à moi, en faisant des amputations par le procédé de Tyll ou le procédé quadrangulaire, en immobilisant les lambeaux, et après avoir conservé une manchette de périoste, je n'ai pas obtenu de ré- sultats heureux ; la virole osseuse mortifiée par l'action de la scie empêche la cicatrisation par première intention. M. Houzé de l'Aulnoit. — Les pièces qui sont sous vos yeux confirment les propositions que j'ai avancées, et je prie les membres de la section d'exa- miner surtout la forme des moignons. Le procédé des amputations par la méthode sous-périostée me paraît rendre de grands services au point de vue des résultats définitifs. (1) Sédillot, de V Êvklement sow-périoaté des os, p. 31 i, Paris, isgt. 70 SCIENCES MÉDICALES M. OLLIEE, Correspondant do l'Institut, ex-Chirurgien en chef de l'Hôtcl-Dieu de Lyon, Secrétaire t'onéral de l'Association française pour l'avancement dos sciences. DES RESECTIONS ET ABLATIONS DES OS DU PIED ET TlE.S AUTRES OPÉRATIONS PROPRKS A PRÉVENIR LES SlfTJLATIONS DE CEI ORGANE. — Séance du ii août 1874. — La plus grande incertitude règne encore en chirurgie sur la valeur de certaines résections ou extirpations osseuses appliquées aux os du pied. L'analogie les a fait admettre en principe, mais l'expérience clinique ne leur a pas toujours été favorable. S'il est des résections qu'on doive recommander, il en est d'autres dont il faut restreindre et préciser de plus en plus les indications. La structure du squelette du pied, les usages auxquels il est destiné dans la marche et la station créent ici des exi- gences spéciales que le chirurgien ne doit jamais oublier dans l'appré- ciation des diverses opérations. Deux lésions semblables exigeront une conduite différente au membre supérieur et au membre inférieur, et tel résultat opératoire qui sera très-satisfaisant et passera même pour brillant au bras, à l'avant-bras, ou à la main, sera tout à fait insuffisant à la cuisse, à la jambe et au pied. L'analogie anatomique est de peu d'importance dans celte question de thérapeutique; la différence fonc- tionnelle, explicable par le poids à soutenir ou la pression à supporter , doit nous guider en pareil cas. Une opération faite sur le pied ne doit pas être jugée sur son résultat immédiat. Il ne s'agit pas seulement d'obtenir la cicatrisation de la plaie après l'ablation ou la résection d'un os carié ou fracturé, il faut conserver le pied comme organe de soutien et de déambulation. Si l'on n'a conservé qu'un organe inutile ou gê- nant, incapable de supporter solidement le poids du corps ou doulou- reux dans les divers mouvements, on aura fait une mauvaise opération ; l'amputation de l'organe eût été préférable. Je dois donc m'attacher à étudier ici les résultats définitifs des diver- ses opérations conservatrices qu'on peut mettre en balance avec les amputations du pied. C'est cette donnée qui manque dans la science; on n'enregistre guère que les résultats d'hôpital, et si l'on dépouille les observations publiées sur la résection ou l'extirpation des divers os du pied, on ne voit pas ce que sont devenus les opérés qui n'ont pu être suivis pendant assez longtemps. On signale la cicatrisation de la plaie; mais on ne peut nous dire comment fonctionne le pied, et on laisse ignorer même si la guérison a été définitive. Ce sont là des lacunes inévitables Dr 0LL1EU. — RÉSECTIONS ET ABLATIONS DES OS DU PIED 777 dans les observations telles qu'on les publie dans les comptes rendus des cliniques et les recueils périodiques. Mais ce ne sont pas les cas récents qu'il faut faire connaître; ce sont les cas anciens, datant de plu- sieurs années. Le résultat est souvent, au bout de trois ou quatre ans, tout autre qu'on ne l'avait prévu. Telle opération, peu séduisante au premier abord, a fini par donner un résultat fonctionnel excellent; telle autre, trop favorablement jugée au début, par la conservation de la forme du membre et la rapidité du processus réparateur, n'a laissé qu'un membre plus gênant qu'un moignon d'amputation. Je m'attache- rai donc à appuyer mes propositions sur des résultats déjà anciens, aussi éloignés que possible du moment de l'opération. L'attention que j'ai dirigée depuis quinze ans sur cette question me permettra d'appor- ter un certain nombre de faits personnels ; mais je dois profiter de cette circonstance pour faire appel à l'expérience de nos collègues, et les engager à publier les résultats éloignés des résections qu'ils ont été à même de pratiquer. C'est le seul moyen de résoudre des questions autour desquelles on tourne sans profit depuis longtemps. Je ne m'occuperai dans ce travail que des lésions intrinsèques du pied, osseuses ou articulaires, c'est-à-dire des lésions portant sur le os du pied et les articulations de ces os entre eux. Les résections de l'articulation tibio-tarsienne seront par cela même hors de cause. J'examinerai séparément les os du tarse, les os du métatarse, et les phalanges. Cette division, indiquée par les considérations anatomiques, nous parait aussi la plus rationnelle au point de vue chirurgical. Mais avant d'étudier séparément pour ees diverses régions les différentes opérations qui leur sont applicables, je dois mettre en relief la consi- dération capitale qui domine mon sujet : c'est l'âge des opérés. Cette question d'âge, si importante dans toutes les résections l'est ici, plus que partout ailleurs, et nous pouvons dire déjà que les résections et les di- verses opérations conservatrices, très-justifiables au-dessous de l'âge de 20 ans, sont d'autant mieux indiquées que le sujet est plus jeune. Au-dessus de 20 ans, les contre-indications de ces opérations augmentent ; et plus on avancedans la vie, plus l'amputation présente davantages. Nous nedevons pas, dès à présent, chercher à établir de règle applicable aux diverses lésions du pied, car la différence de structure et de fonctions des diverses parties de cet organe entraînerait beaucoup d'exceptions ; mais la donnée générale n'en est pas moins vraie, et à mesure que nous avancerons dans notre sujet, nous verrons se confirmer cette distinction entre les lésions de l'enfance et celles de l'âge adulte. La structure du tissu osseux son développement, la rapidité des processus plastiques chez les jeunes sujets nous rendront compte de cette différence selon les -dges. Chez l'enfant, la plupart de ces lésions osseuses guérissent à la longue ; chez 53 778 SCIENCES MÉDICALES l'adulte, elles sont le plus souvent progressives et envahissantes malgré les traitements les mieux dirigés. Autant il faut recourir avec confiance aux diverses opérations conservatrices dans le premier cas, autant il faut s'en méfier dans le second. Les opérations conservatrices ne se bornent pas seulement aux abla- tions et aux extirpations osseuses. La cautérisation des os et des articu- lations intermédiaires est plus souvent indiquée pour les petits os du tarse que l'ablation régulière de ces mêmes os. Quand ces os sont pris en masse, raréfiés et ramollis au milieu de fongosités articulaires, on peut les extirper sans doute ; mais il est préférable de se conduire tout autrement. En les cautérisant profondément avec le fer rouge, en traversant par exemple, de part en part, la masse des cunéiformes et ducu- boïde, en creusant un tunnel d'un bord du pied à l'autre, et en com- binant cette cautérisation avec l'ablation des portions osseuses cariées, on obtient la guérison de ces ostéo-artli rites suppurées qui paraissent au premier abord au-dessus des ressources de l'art. Cette cautérisation peut se faire aussi au moyen de flèches de Can- quoin ou de crayons de nitrate d'argent, comme Larghi l'a souvent pratiqué, mais je suis de plus en plus partisan du fer rouge, qui dé- truit peu, tout en modifiant profondément les tissus lorsqu'il est hardiment introduit au milieu de ces os, à travers les portions raréfiées et les fon- gosités articulaires. Cette opération n'a pour effet, le plus souvent, que de modifier la vitalité des parties traversées et de changer la nature du processus. Elle peut avoir cependant pour résultat de produire la mortilication du tissu osseux à une certaine profondeur, de produire ainsi une nécrose artiiicielle que nous appellerons nècrotisation du tissu osseux pour la distinguer de la nécrose spontanée. La cautérisation agit d'autant mieux qu'on a affaire à un sujet plus jeune et qu'elle porte sur des os raréfiés, ramollis et fongueux. Plus le tissu osseux se rapproche des parties molles, soit par l'âge du sujet, soit par l'altération pathologique qu'il a subie, plus vite il est modifié par l'action du fer rouge. Par le fait de l'inflammation chronique et de la suppuration qui la suit, les conditions anatomiques des os courts du pied sont complètement changées; les articulations n'existent plus à l'état de cavités closes distinctes ; elles sont remplies de fongosités, et les rapports des cavités articulaires entre elles peuvent être modifiés par des cloisonnements accidentels. La propagation de l'inflammation trouve un obstacle dans ces cloisonnements, et cette circonstance jointe au changement qui s'est opéré dans la vitalité des synoviales, explique pourquoi le résultat des traumatismes articulaires est tout autre dans ces cas d'inflammation chronique qu'à l'état sain. Dr OLLIER. — RÉSECTIONS F. T ABLATIOiNS DES OS DU PIED 779 Voilà pourquoi ou peut hardiment creuser des tunnels et passer des fers rouges à travers ces régions qu'on ue pourrait intéresser à l'état normal, qu'en s'exposant à tous les dangers de l'arthrite aiguë. Grâce aux changements anatomiques que nous venons d'indiquer, on peut, dans ces ostéo-arthrites siégeant sur les os antérieurs du tarse (cunéi- formes cuboïde) et intéressant plus ou moins les autres os contigus, cau- tériser profondément sans trop se préoccuper des articulations limitantes Il faut seulement éviter avec soin les vaisseaux, les nerfs et les tendons voisins, et avoir présents à l'esprit les rapports de ces organes extérieurs à l'os, lorsqu'on promène le fer rouge au millieu des fongosités ostéo- articulaires. Je suis entré dans quelques détails sur cette opération moins classique que la résection osseuse. Elle paraîtra peut-être plus grave qu'elle ne l'est en réalité, aux chirurgiens qui ne sont pas habitués à manier le fer rouge, et qui ignorent l'efficacité de l'occlusion inamovible pour préve- nir les inflammations consécutives. J'ai déjà, il y a quelques années (1), appelé l'attention sur l'efficacité et l'innocuité de ces cautérisations arti- culaires, et j'y insiste aujourd'hui avec plus de confiance encore depuis que l'occlusion inamovible (2), c'est à dire l'enveloppement de la plaie dans un bandage ouaté et silicate, m'a fourni un moyen plus efficace que les pansements connus jusqu'ici pour prévenir les accidents inflam- matoires. Après avoir ainsi cautérisé le pied par le fer rouge, je passe un drain, si le tunnel traverse l'organe de part en part, et j'enveloppe le tout dans du coton, puis dans un bandage silicate remontant jusqu'au- dessus du genou et je laisse le membre ainsi enfermé, à l'abri de l'air, pendant 15, 20, 25 jours et plus sans y toucher. J'ai laissé ainsi pen- dant plus d'un mois sous le bandage de jeunes sujets chez lesquels j'avais éteintplusieurs cautères dans l'articulation tibio- tarsienne elle-même, et ils n'ont accusé ni fièvre ni souffrance. L'abondance de la suppuration détermine le moment où il faut faire une ouverture au niveau de la plaie. Par cette fenêtre on change le coton, puis on referme le bandage et on attend pour faire un nouveau pansement que l'odeur ou la souil- lure de l'appareil incommodent le malade. On est étonné de la petite quantité de tissu osseux nécrosé qui est entraîné par la suppuration. Malgré le passage répété du fer rouge dans ces masses d'os ramollis et fongueux, l'action nécrotisanle est peu profonde, et les plaies se refer- ment souvent sans qu'on ait trouvé de séquestre appréciable. La mol- lesse et l'humidité des fongosités expliquent cette limitation de l'effet destructeur, il faut employer des caustiques chimiques, tels que le chlo- 1872 ^) Traite expérimentai et clinique de la regénération des os, t. XI, chap. n. 2) De l'Occlusion inamovible comme méthode générale de pansement. [Congrès médical de Lyon 780 SCIENCES MÉDICALES rure de zinc, si l'on veut nécrotiser plus profondément, et encore à cause de la structure des os courts, à cause surtout de l'absence du canal médullaire, n'a-t-on jamais de nécrotisation comparable à celles qu'on obtient sur les os longs, en procédant à la manière de Troja, c'est-à-dire en bourrant la cavité de la moelle de charpie imprégnée de liquide caustique. Ces préliminaires posés, je passe à l'examen des cas particuliers. I. OPÉRATIONS PRATICABLES SUR LES OS DU TARSE. Calcaneum. — Quoique pratiquée depuis longtemps, l'ablation du cal- caneum est une opération sur laquelle régnent encore les opinions les plus diverses. Selon qu'un chirurgien a eu occasion de constater quelque cas de succès ou d'insuccès, il se montre favorable ou défavorable à cette opération. Les cas publiés sont d'une soixantaine environ (1), mais les cas bien observés ou plutôt assez longtemps observés sont très-peu nombreux et je comprends l'hésitation des chirurgiens devant une opé- ration qui enlève le principal point d'appui du corps dans la marche ou la station. Mettre en parallèle des cas comparables, c'est la première condition d'une critique sérieuse. En additionnant toutes les observations publiées sous le nom de résection du calcaneum, on obtient un résultat néces- sairement faux, car ce ne sont pas des unités de même espèce. L'âge des sujets, les conditions générales, la nature de la lésion osseuse, etc., influent non-seulement sur la gravité de l'opération, mais en changent les résultats. 11 faut donc établir tout d'abord quelques catégories pour se rendre compte des chances de succès de l'opération et apprécier l'utilité des résultats qu'on obtient. Le petit nombre des cas cliniques réellement comparables me met encore dans la nécessité d'invoquer les résultats des expériences faites sur les animaux et de rappeler les conclusions que j'ai tirées de ce genre de recherches. Après la résection et surtout après l'ablation complète du calcaneum, la régénération de là masse osseuse enlevée est de la plus haute importance, et il n'est pas d'opération qui ait plus bénéficié des avantages apportés à la médecine opératoire par la méthode sous-périostée. On peut même dire que sans la régénération ultérieure d'une masse osseuse, l'ablation du calcaneum sera une mauvaise opération, très-imparfaite du moins au point de vue du résultat physiologique qui en sera la conséquence. Dans mes expériences comparatives sur les animaux (2), j'ai démontré (1) En comprenant to as les cas de résection et d'ablationc plète, Polaillon a résumé soixante- cinq observations dans un tableau comparatif. IVoy. Dictionnaire encyclopédique des science» médi- cales, de Dechambre, article Calcaneum, par PolaÛlon.) (2) Traité expérimental et rliiiiijiie y John Snow, member of theitoyal Colleur of physicians, second eililion, inuch enhugei and illustrated with maps. — l. «union, J, Churchill, new Burlington street, i8i>j. I)r Cil. PELLARIN. — PROPAGATION DU CHOLÉRA 803 » dans la première période de la maladie, il suit que la matière morbifique » produisant le choléra doit être introduite dans le canal alimentaire et » en réalité avalée accidentellement, car personne ne voudrait la prendre » intentionnellement. » Contrairement à l'opinion émise ici par Snow, j'ai toujours pensé, dès le premier moment où je me suis occupé de la question, que c'est sur le sang qu'agit d'abord le principe toxique du choléra. Dans ses leçons faites au Collège de France, en 1832, Magendie cite Hermann, de Moscou, comme ayant déjà signalé, en 1830, une modification des globules du sang des cholériques; suivant cet observateur, ils sont déchirés à leur surlace. Examinant à son tour le sang d'une femme morte du choléra, Magendie trouva les globules altérés ; « la forme cir- culaire n'était pas régulière, le noyau opaque ne se montrait pas dans la plupart; leur surface était fanée et ridée » (1). A la Société médicale des hôpitaux, dans sa séance du 14 novembre 1873, M. le docteur Hayem a communiqué des observations qui confirment les précédentes. D'après le résultat concordant de ces observations microscopiques, faites à plus de 40 ans d'intervalle, et qui contredisent directement une assertion formelle de M. H. Blanc : « On ne trouve rien d'anormal dans le sang des cholériques » (mémoire précité, p. 29) ; d'après ces observations, dis-je, c'est le globule sanguin qui paraît être l'élément anatomique atteint par le poison cholérique. Je fais remarquer en second lieu qu'il y a dans le raisonnement sur lequel Snow fonde sa théorie un vice essentiel qui saute aux yeux. « Comme le choléra, dit-il, commence par une affection du canal ali- » mentaire, il suit que la matière morbifique, produisant le choléra, » doit être introduite dans ce canal et être en réalité avalée. » Mais de ce qu'une manifestation pathologique débute par des troubles du canal alimentaire, il ne suit pas nécessairement que la matière qui les produit a été introduite dans ce canal et ait pénétré par cette voie dans l'éco- nomie. Tout le monde sait que l'émétique, injecté dans une veine ou dans le tissu cellulaire, agit plus promptement pour produire le vomis- sement que s'il avait été introduit dans l'estomac lui-même. Je reprends la citation de l'ouvrage de Snow : « L'augmentation des matériaux morbides doit se faire dans l'estomac et les intestins. » Les exemples dans lesquels une très-petite quantité de la matière des vomissements et des déjections doit être avalée pour amener l'attaque du (1) Leçons sur le choléra, faites au Collège de France par F. Magendie. — 2rac semestre de 1832, p. 140. 804 SCIENCES MÉDICALES choléra sont assez nombreux pour expliquer l'extension de la maladie. 11 n'a été rien trouvé qui favorisât plus l'extension du choléra que le manque de propreté, qu'il tienne aux habitudes ou bien à la disette d'eau. y Les draps de lit du cholérique sont presque toujours humectés par les évacuations, et comme celles-ci n'ont ni la couleur ni l'odeur ordinaire des fèces, les linges se trouvent souillés sans qu'on s'en aperçoive, et à moins que les personnes n'aient des habitudes de propreté scrupuleuse et qu'elles ne lavent leurs mains avant de prendre de la nourriture, elles doivent avaler accidentellement quelques parcelles d'excrétion et en laisser sur les mets qu'elles préparent et touchent. Ces mets sont mangés par les autres membres de la famille qui, dans la classe ouvrière, prennent communément leurs repas dans la chambre même du malade. De là, parmi cette classe, des mil- liers d'exemples dans lesquels un cas de choléra est suivi de plusieurs autres, tandis que le médecin et d'autres personnes qui ont visité le malade échappent généralement. Les gens qui ne font que suivre le convoi contractent souvent la maladie, parce qu'ils prennent des aliments préparés par des personnes de l'entourage du malade, qui ont touché son linge. » On voit par cette citation de l'ouvrage de Snow, et je pourrais la prolonger sans sortir du même cercle d'idées, que la pensée, que l'unique préoccupation de ce médecin, c'est que le principe du cho- léra s'introduit par les voies digestives avec les aliments et les boissons. De là toute la prophylaxie qu'il expose dans les termes suivants, à la page 133 de son livre : « 1° La plus stricte propreté doit être observée par les personnes qui approchent les malades. 11 doit y avoir une cuvette, de l'eau et un essuie-mains dans chaque chambre de malade. La garde-malade et les autres personnes doivent se laver fréquement les mains et plus particulièrement avant de toucher aux aliments. « 2° Les draps souillés seront immédiatement plongés dans l'eau, afin d'em- pêcher que les évacuations, en se desséchant, ne se répandent partout à l'état de poussière. « 3° Éviter que l'eau employée à la préparation des aliments et en boisson ne soit souillée par aucune infiltration d'égout. « 4° Quand le choléra règne dans le voisinage, il faut que les provisions apportées aux domiciles soient lavées ou soumises à une température de 212°. « En ayant soin de se laver les mains et de prendre les précautions relatives à la nourriture, j'estime qu'une personne peut séjourner sans danger au mi- lieu des cholériques. » Je viens de donner d'après Snow lui-même l'exposé textuel de ses vues sur le mode de propagation et sur la prophylaxie du choléra. On peut juger combien elles étaient, quant au premier point, incomplètes; — quant au second point, insuffisantes, pour ne pas dire nulles. Faire con- sister toute la prophylaxie du choléra dans le soin d'éviter l'ingestion I)r CH. PELLARIN. — PROPAGATION DU CHOLÉRA 80o de boissons et d'aliments souillés par les déjections cholériques, c'est la réduire à peu près à rien; c'est laisser le poison, armé de toute sa puissance, en lace de la grande porte d'entrée de tous les poisons mias- matiques, c'est-à-dire les orifices des voies respiratoires. Un autre médecin anglais, le docteur Budd de Bristol, grand partisan de la doctrine de Snow dont il ne parle qu'avec les plus grands éloges, fut amené cependant par l'évidence des laits à revenir de l'opinion par trop exclusive de celui-ci. Dans une brochure portant la date de 1871 et intitulée : Choiera and desinfection. Asiatic choiera in Bristol, in 1866, le Dr Budd s'exprime ainsi, page 7. « Que le choléra soit transmis par l'eau prise en boisson, le Dr Snow, par ses admirables recherches, l'a depuis longtemps prouvé. « Se procurer de l'eau pure et couper ainsi une voie importante de com- munication, c'est conséquemment une très-utile sauvegarde. Mais qu'elle suf- fise pour prévenir une forte invasion cholérique, cela est entièrement contraire aux faits. Au moment même où j'écris, les particularités d'une irruption de choléra viennent à l'appui de cette remarque : Pendant les derniers mois de septembre et d'octobre, dans l'asile des fous du comté de Devon, le choléra attaqua quarante-trois individus et en fit mourir trente sur deux cent quatre-vingt-deux hommes que renfermait l'établisse- ment. Dans le même temps et dans la même maison, les temmes dont le nombre excédait celui des hommes, n'offrirent pas un seul cas de choléra. Hommes et femmes buvaient de l'eau d'un même puits, eau qui fut d'ailleurs trouvée d'une pureté parfaite à l'analyse. De sorte qu'en cette circonstance, la communication par l'eau fut hors de question. Voici donc un admirateur de Snow et de sa théorie, qui constate un fait considérable d'infection cholérique dans lequel ni l'eau prise en boisson, ni les autres ingesta n'ont joué aucun rôle. Que devient en présence de ce fait et de milliers d'autres tout sem- blables, l'assertion de M. H. Blanc, « que la transmission du choléra a « lieu presque toujours au moyen de l'eau employée en boisson ? » Sans rejeter absolument le mode d'intoxication cholérique par les voies digestives, auquel les expériences de Thiersch, faites en 1854, four- nissent un certain appui, je maintiens qu'il est exceptionnel et très-rare comparativement au mode que j'admets comme le plus ordinaire. Je fais observer à ce sujet que les conditions de l'homme exposé à contracter le choléra, ne sont jamais celles des souris mises en expérience par Thiersch, qui faisait avaler à ces animaux des morceaux ,de papier trempés dans le liquide intestinal des cholériques. Les conditions où se trouve l'homme en temps d'épidémie de choléra réalisent plutôt la situation des chats et des chiens des expériences du Dr Lindsay, d'Édim- 806 SCIENCES MÉDICALES bourg, « qui paraissaient démontrer, dit M. le professeur Robin, dans « son rapport sur le concours du prix Bréant pour 1866, la transmission « du choléra par les émanations provenant des vêtements portés par les « cholériques, ainsi que de leurs déjections, lorsque ces émanations sont « respirées par des animaux soumis à de certaines conditions •l'affaiblis- se sèment. » (Académie des sciences, séance annuelle du 11 mars 1867.) Étant admis que l'agent de la transmission du choléra réside princi- palement dans les déjections des cholériques, il existe sur son mode d'introduction dans l'économie deux doctrines : 1° L'une la doctrine anglaise, que le Dr Snow mit le premier au jour en août 1849, et qui a été reproduite par M. H. Blanc au congrès de Lyon en 1873 ; d'après cette doctrine l'unique voie (Snow), la voie de beaucoup la plus ordinaire (H. Blanc) d'introduction du poison cholé- rique dans l'organisme est le conduit alimentaire; 2° L'autre, qu'on pourrait appeler la doctrine française, plaçant aussi l'agent morbifique, non pas exclusivement mais principalement dans les déjections des sujets atteints du choléra, professe que la voie par laquelle il s'introduit le plus communément dans l'économie est la voie pulmo- naire. D'où l'indication de la désinfection, de l'enfouissement des ma- tières rejetées par les malades, de l'assainissement ou de la destruction par le feu des effets contaminés ; l'indication, en un mot, de toutes les mesures efficaces de préservation. Cette seconde doctrine que l'on s'est mis à appliquer de plus en plus pendant les deux dernières épidémies, notamment dans les hôpitaux de Paris, je crois avoir été le premier à la signaler nettement et à en tirer des conséquences pratiques pendant le choléra de Givet en 1849. Si, dans mon opinion touchant la propriété des déjections cholériques de transmettre la maladie, j'ai eu un précurseur, ce serait, avant tout autre, un éminent compatriote français que j'ai déjà mentionné, Del- pech, de Montpellier. Dans son Étude sur le choléra, publiée en 1832, Delpech dit en propres termes, page 273 : « J'ai de bonnes raisons pour » croire que les évacuations des cholériques sont contagieuses et peuvent » donner le choléra. » 11 est remarquable, Messieurs, que ce soient deux chirurgiens, Del- pech et Velpeau, qui aient été les premiers en France à reconnaître et à signaler le caractère contagieux de la peste indienne, sur lequel on a depuis tant discuté. Je ne parle pas ici, malgré mon vif désir de rendre justice à leurs auteurs, je ne parle pas des travaux décisifs dans le sens de la contagion, envoyés à nos deux Académies pendant les épidémies de 1849 et de 1854; cela me conduirait beaucoup trop loin. L'ensemble de ces recherches et de leurs résultats prouve surabondam- Dr CH. PELLAIUN. — PROPAGATION DU CHOLÉRA 807 ment une chose dont il convient de prendre acte à l'honneur de noire pays : c'est que, dans l'élueidation de tout ce quia trait au choléra épi- démique, la part des médecins français ne le cède, or. peut le déclarer hautement, à celle des médecins d'aucune autre nation. En ce qui me concerne, autant je tiens à mon droit, autant je me ferais scrupule d'usurper sur le droit d' autrui. C'est ce qui m'a fait désirer d'éclaircir par moi-même ce qu'il pouvait y avoir de fondé dans l'objection que M. H. Blanc a opposée à ma revendication de priorité, en alléguant le travail de Snow. Or, de ce que je viens d'exposer en produisant des textes authentiques, il ressort : 1° Que Snow, avant moi, a signalé les évacuations alvines des cholé- riques comme recelant le principe de reproduction de la maladie, mais que, n'admettant pour son introduction dans l'organisme que la voie intestinale, il a proposé pour toute prophylaxie les soins de propreté, précaution utile et bonne sans doute, bien insuffisante toutefois ; 2° Que presque en même temps que Snow publiait à Londres son travail, et sans avoir connaissance de ce travail dont je n'aurais pas manqué de me prévaloir à l'appui de ma thèse alors si contestée ou plutôt si ironiquement accueillie, je constatais de mon côté, a Givet, cette propriété des déjections cholériques d'être le principal excipient de l'agent de transmission du mal, mais en expliquant, circonstance mé- connue par Snow, qu'il pénétrait avec l'air pour véhicule, par les voies respiratoires. D'où l'indication des mesures prophylactiques efficaces, la désinfection, etc. Tels sont nos apports respectifs, à Snow et à moi. Que maintenant les médecins anglais de l'armée de l'Inde, à une époque de beaucoup postérieure, en 1867 et en 1868, aient par des obser- vations multipliées confirmé celles de Snow, ils ne sauraient lui rien enlever de son droit de priorité. Que tout en restant à peu près exclusivement dans la donnée de Snow, ainsi que le mémoire de M. H. Blanc en fait foi, à ne voir la cause de la propagation du choléra que dans les aliments et les boissons contaminés, ces médecins en soient venus, comme Budd en 1866, à pré- coniser la désinfection, ils n'ont fait en ceci que répéter ce que j'avais recommandé et pratiqué à Givet en 1849. Aucun mérite par conséquent ni d'invention ni d'initiative propre ne leur appartient. Ils ont corro- boré par des observations nouvelles une vérité acquise. Voilà leur part, toute leur part, et je suis loin de prétendre que ce ne soit rien. Sans doute, la science est, de sa nature, cosmopolite, et elle pourrait être jusqu'à un certain point considérée comme impersonnelle. Peu importent, quant au but d'utilité générale qu'elle poursuit, les noms et #08 SCIENCES MÉDICALES la nationalité de ceux qui ont concouru à en établir telle ou telle partie ! Mais au point de vue de la justice distributive et de l'émulation à entre- tenir parmi les chercheurs, il convient que soit reconnue et maintenue à chacun la part, petite ou grande, qui lui revient dans l'élaboration de l'œuvre scientifique. Un tel but est assurément, Messieurs, dans l'esprit de votre institution. Dr H. N. DRAISART de Somain (Nord) Médecin de la Compagnie des mines d'Anzin et du Chemin de fer du Nord, ancien interne des hôpitaux de Paris. OPÉRATION DU BLÉPHAROPHIMOSIS PROCÉDÉ SPÉCIAL — Séance du 22 août I H~ i — J'ai imaginé, pour l'opération du blépharophimosis, un procédé spé- cial qui se recommande, à mon avis, par la facilité de son exécution et par les résultats qu'on en obtient. Je demande la permission d'en l'aire l'exposé, tout en réclamant l'indulgence des honorables membres du Congrès. J'ai eu, cette année, l'occasion de traiter un certain nombre de ma- lades atteints de blépharophimosis consécutifs à l'ophthalmie granuleuse, affection qui, entre parenthèses, commence à faire des ravages dans les campagnes ou j'ai l'honneur d'exercer notre profession. J'ai commencé par faire le simple débridement. J'ai échoué à plusieurs reprises, et, dans certains cas, j'ai obtenu d'assez bons résultats , mais grâce à de nouvelles opérations et au prix de soins que la plupart de ceux qui sont atteints de cette affection sont incapables de s'accorder. Après avoir modifié plusieurs fois mon procédé opératoire , je me suis arrêté à la manière de faire suivante, dont je n'ai eu qu'à me louer au point de vue de l'exécution et des résultats. Voici comment je procède : 1° Avant de faire le débridement, je passe un fil double dans la pau- pière supérieure et un autre dans la paupière inférieure. Ces fils sont passés de dedans en dehors, le plus près possible au bord orbitaire et un peu au-dessus et au-dessous de la ligne qui doit conti- nuer la fente palpébrale. Le fil de la paupière supérieure est passé au-dessus de cette ligne, et celui de la paupière inférieure est passé au-dessous. I)' II. -N. DRANSART. — OPÉRATION DU BLÉPHAROPHIMOSIS 809 Pour exécuter commodément ce premier temps , un aide tire en de- hors l'angle externe des paupières ; il y a alors béance entre le globe oculaire et la face interne des paupières, ce qui permet le passage facile de l'aiguille entre ces organes. 2° Débridement. — Les fils passés, on ramène les extrémités du fil su- périeur sur la tète ; on les confie à la main d'un aide, qui est chargé de faire une légère traction sur ce fil. Le chirurgien fait la même chose avec le fil de la paupière inférieure; puis, les parties étant tendues par le fait même, on opère le débridement de dehors en dedans avec le bis- touri, en faisant ce débridement aussi étendu que possible, et en évi- tant avec la plus grande facilité de couper l'anse des fils. 3° Maintenir Vécartement des paupières. — Le débridement accompli, on tire en haut le fil supérieur, en bas le fil inférieur, de façon à main- tenir écartés les bords de la nouvelle fente palpébrale. Pour cela, il suffit de fixer les 4 chefs de chaque fil double dans leur état de traction : l'un sur le front et le cuir chevelu et même sur les cheveux, l'autre sur la joue et le cou. On y arrive très-facilement en agglutinant ces diverses parties avec le collodion. Pour attacher le fil inférieur, il faut avoir soin de relever un peu la peau en haut pour lutter contre la mobilité de cet organe sur la joue et le cou. 4° Soins consécutifs. — L'opération terminée, les soins ultérieurs se réduisent à favoriser la formation des bords palpébraux. Des compresses trempées dans l'eau fraîche constituent le pansement; puis, le surlendemain de l'opération, on peut enlever un fil, soit celui de la paupière inférieure, soit l'autre. Le fil qui reste suffit pour empêcher la soudure des paupières; on le maintient, en général, encore cinq à six jours, jusqu'à ce que la cicatri- sation soit suffisante. Les fils n'étant pas liés s'enlèvent avec la plus grande facilité : il suffit de couper un des côtés de l'anse au ras de la paupière. Ce procédé opératoire m'a paru, je l'avoue, d'une exécution facile, et m'a donné des résultats immédiats, entre autres dans un cas de blépha- rophimosis très-prononcé, déjà opéré sans succès par d'autres confrères qui s'occupent spécialement d'oculistique dans notre contrée. Voici le fait. OBSERVATION Ire. La femme Rolland (J eau-Baptiste) , de Saint-Amand-les-Eaux , âgée de qua- rante-neuf ans, se présente à ma consultation le 29 juin 1874. Cette femme présente un rétrécissement double des paupières ; ce rétrécissement est surtout marqué à gauche, où la fente palpébrale est diminuée de moitié. Les paupiè- 65 810 SCIENCES MÉDICALES res sont épaissies; la conjonctive palpébrale est couverte de granulations fibreu- ses; la cornée est tout à fait dépolie et commence à se couvrir de vaisseaux à la périphérie. La vision est presque nulle; la malade a peine à se conduire. L'affection a débuté il y a douze ans; elle a été opérée, il y a cinq mois, sans succès, par l'un de nos confrères. Le 6 juillet, la malade revient pour se faire opérer, ainsi que je le lui avais conseillé. Je pratiquai l'opération que je viens de décrire. Le 8 juillet, on ôte le fil de la paupière inférieure. La vision est déjà amé- liorée par le lait de l'agrandissement de la fente palpébrale. Le 14 juillet, on ôte le fil inférieur. La fente palpébrale est grande. Aujourd'hui, 18 juillet, la vision de la malade est beaucoup améliorée; elle vient seule de Saint-Amand à Somain et vaque un peu à son ménage. J'ai fait également cette opération avec succès sur un nommé Fable, de Saint-Amand, âgé de quarante-sept ans, et sur une jeune fille, Ju- liette Devienne, âgée de seize ans. Chez ces deux derniers malades , j'avais déjà fait le simple débride- ment sans résultat appréciable. Au sujet de la dernière malade, Juliette Devienne, j'ai noté une par- ticularité qull est assez interessant.de signaler dans l'espèce. A la suite de l'opération, les paupières se trouvaient en ectropion au niveau de l'angle externe, L'action des fils avait donc été un peu été exagérée dans ce cas. Seu- lement, cette exagération donne aux paupières une disposition favorable à la guérison, parce qu'elle s'oppose davantage au frottement de la mu- queuse palpébrale sur le globe oculaire. En outre, je dois dire que, de- puis l'opération qui a été faite le 9 juin, cette disposition vicieuse des paupières, désagréable surtout chez une jeune fille , tend à disparaître insensiblement au fur et à mesure que le traitement fait diminuer la boursoufflure de la muqueuse palpébrale. En résumé, le procédé opératoire que je préconise, outre qu'il est facile à exécuter, offre surtout l'avantage de donner plus sûrement que le simple débridement un résultat définitif. C'est avec la plus grande facilité que l'on passe l'anse de fil dans chaque paupière. Il n'y a pas de sang qui gêne. Cette anse de fil, tout en maintenant l'écartement de chaque paupière, rapproche, à l'instar d'une suture, la muqueuse palpé- brale de la peau et favorise, par le fait, une cicatrisation régulière. Je ne puis comparer mon procédé avec celui de Pagenstecher : ce dernier est beaucoup plus difficile à exécuter. Celui que je propose est presque aussi facile à exécuter que le simple dé- bridement, et il offre beaucoup plus de garantie pour le résultat définitif. Enfin, grâce à ce procédé, j'arrive à être maître d'emblée du blépha- rophimosis, si prononcé qu'il soit. Dr DRANSART. — PATHOGÉME DES TUMEURS ET ARCKS URINEUX SU D1 H.-I. DRANSAET de Snmain (N'ord| Médecin de la Compagnie des mines d'Anzin et du Chemin de fer du Nord, ancien interne des hôpitaux de Paris. PATHOGÉNIE DES TUMEURS ET ABCÈS URINEUX. THÉORIE HÉMORRHAGIQUE — Séance du 32 août 1874 — Dans le mémoire que j'ai l'honneur de présenter, j'ai publié un fait avec autopsie observé en 1872 à l'hôpital Cochin, alors que j'étais interne du service de chirurgie dirigé par mon maître le docteur Des- près. — Ce fait démontre d'une façon irréfutable l'origine de la tumeur urineuse et des abcès urineux consécutifs, à la blennorrhagie chronique, dans une hémorrhagie faite dans l'épaisseur du tissu sous-muqueux. Partant de ce fait, et m'appuyant sur les données de l'anatomie patho- logique générale sur la sclérose des tissus, en même temps que sur la physiologie de l'organe, j'avance que le processus hémorrliagique, comme présidant à la formation des tumeurs et abcès urineux, ne doit pas être considéré comme un fait isolé , mais qu'il doit être au contraire admis au lieu et place de la théorie urineuse, dans la plupart des cas. En effet, le fait de la blennorrhagie chronique, c'est de produire dans l'épaisseur du tissu spongieux de l'urèthre, des lésions que Cliopart désignait sous le nom de dégénérescence squirrheuse. Nous appelons aujourd'hui ces lésions, de la sclérose. La sclérose du tissu spongieux a pour résultat la disparition des vacuoles ; ce tissu, à proprement parler, n'existe plus. Il s'est fait éga- lement, au niveau des parties altérées, une vascularisation nouvelle qui a remplacé l'ancienne, comme cela se fait, par exemple, dans la cirrhose du foie et du poumon. On n'a pas assez fait attention jusqu'ici à ce changement total, qui se produit dans la circulation du tissu spongieux à la suite de ces lésions, et personne n'a relevé l'importance qu'elles prennent dans l'es- pèce, à cause des fonctions spéciales de l'organe. Au lieu des vacuoles élastiques résistantes où aboutissent des artères offrant une disposition spéciale qui en augmente la solidité, les artères hélicines, on trouve un tissu plein, dur, coriace, traversé par quelques rares vaisseaux de formation morbide. Ces vaisseaux, qui offrent une faiblesse et une friabilité toute spéciale, tenant à leur structure intime, se trouvent être les seuls moyens de communication des parties du corps spongieux restées saines en amont des lésions squirrheuses avec celles qui sont en aval. 812 SCIENCES MÉDICALES Dans cette seule considération, j'oserai dire, se trouve la solution du problème. Cette solution se présente à l'esprit comme un corollaire qui en découle forcément. En effet, si l'on songe que ces faibles vaisseaux des portions sclérosées remplissent le rôle des vacuoles des artères hélicines du tissu spongieux lorsque l'organe remplit ses fonctions, coït et autres actes dont la conséquence est une congestion active, on comprendra facilement qu'il se fasse une rupture de ces vaisseaux anormaux, sous l'influence de l'augmentation de tension considérable qui se fait alors dans le système circulatoire de l'organe. A la suite de la rupture, une hémorrhagie peut se faire, sous toutes les formes et à tous les degrés au niveau des parties squirrheuses. Nous trouvons également un appui pour notre théorie, dans les ex- périences de Muller. — Muller a démontré que le sang accumulé dans le pénis, pendant l'érection, est soumis à une pression égale à une colonne d'eau de six pieds de haut. Peut-on maintenant, je le demande, avec les notions précédentes, chercher dans la théorie urineuse la solution du problème qui nous occupe ? La liltration de l'urine à travers la muqueuse uréthrale, comme phénomène primitif des tumeurs et abcès urineux, ne doit-elle pas être rangée au rang des hypothèses qu'on doit, sinon abandonner tout à fait, au moins reléguer au second rang, comme devant céder la place au processus hémorrhagique dans la plupart des cas. — Cette der- nière théorie, du reste, si elle n'a d'autre appui pour le moment que la faible autorité de celui qui la présente, a du moins pour elle l'immense avantage d'être l'expression d'un fait. 11 n'y a qu'un fait, il est vrai, mais un fait en appelle un autre, — tandis que la théorie urineuse n'a jamais existé qu'à l'état d'hypothèse. Du reste, ainsi que je l'ai fait ressortir dans mon mémoire, l'étude des faits cliniques concorde beaucoup mieux avec la théorie hémorrha- gique qu'avec la théorie urineuse. Les considérations écologiques surtout plaident en faveur de la théorie que nous soutenons. Il est étonnant qu'on n'ait pas encore signalé les lésions hémorrha- giques dans l'épaisseur des tissus sous-muqueux. J'ai donné la raison de ce fait, de cette lacune, dans mon mémoire. Une des meilleures, c'est que l'on meurt rarement à la suite de ces affections, et que par le fait les autopsies sont rares. En outre, le sang épanché se résorbe et ne laisse que des reliquats. — Ces reliquats ont bien été signalés, mais leur importance avait échappé jusqu'ici aux observateurs. UNITÉ D'OBSERVATION MÉDICALE 813 M. Jules TÀLEICH Modeleur d'anotomie en cire des Facultés de médecine de Paris et de Nancy. PRÉSENTATION D'UNE SÉRIE DE MODÈLES ANATOMIQUES EN CIRE FAITS POUR L'ÉCOLE DE MÉDECINE DE LILLE — 6" è a n ce du 24 an û t 7 87 4 — Cette série se compose : 1° De cent maladies de l'œil et des paupières; 2° De deux écorchés grandeur naturelle pour les démonstrations de la myo- logie et de l'angiologie des couches superficielle, moyenne et profonde du corps humain ; 3° Une circulation complète du fœtus avec ses annexes ; 4° Une tumeur hémato-kystique du genou . M. Talrich a ensuite exposé que, par suite de nouveaux procédés, il est par- venu à perfectionner les travaux en cire et à leur donner, en outre, une grande solidité. Dr Edouard SEGrïïII (de New York) Délégué de l'Association de; médecins des États-Unis d'Amérique. SUR L'ÉTABLISSEMENT DE L'UNITÉ DANS LES INSTRUMENTS, ÉCHELLES ET TABLEAUX D'OBSERVATION MÉDICALE — Séance du S 2 août I 87 4 — Si vous permettez, je vais reprendre le sujet de l'unité des moyens d'observation médicale au point où nous l'avons laissé à Lyon, dans votre réunion du 27 août 1873. Avec cette différence cependant, que l'an passé j'étais seul à vous parler quand MM. les professeurs Verneuil et Marey ont spontanément appuyé ma proposition, tandis que cette année je suis accompagné de collègues américains expressément délégués pour la soutenir. De plus, j'ai reçu ces jours derniers, à Norwich, l'assurance du concours à notre projet de la British Médical Association ; et plus encore, je me sens appuyé ici par la coopération promise des médecins français les plus compétents. Ainsi soutenu de plusieurs côtés, 814 SCIENCES MÉDICALES je reprends les propositions que vous avez si favorablement accueillies l'an passé. Je vous avais, Messieurs, prié de nommer une commission dont les travaux auraient pour but d'étudier les meilleurs moyens de fonder l'unité d'observation médicale, Et, pour arriver à ce résultat, de choisir les instruments, échelles, ta- bleaux et méthodes d'observation les plus simples dans leur emploi, les plus positifs dans leurs résultats afin : 1° De permettre à tous les médecins de comparer leurs observations cliniques avec celles recueillies partout et par tous, 2° Et surtout, d'initier les mères, et tous ceux qui ont charge d'enfant et de malade, à l'usage de nos méthodes naturelles d'étudier, de pré- venir, et de guérir les maladies, au lieu des tromperies des super-natu- ralistes dont l'ascendant a toujours marqué les pages noires de l'histoire humaine. Vous avez, Messieurs, voté dans votre séance du 27 août 1873, la formation de cette section française de la commission internationale qui choisira les moyens d'arriver à cotte Unité clinique qui reliera le plus isolé des praticiens aux plus grands cliniciens, et la mère à son médecin de famille. Maintenant que l'Angleterre et les États-Unis d'Amérique ont aussi choisi leurs commissaires, les considérations théoriques doivent faire place à la recherche des moyens pratiques d'arriver à notre but. Il est donc opportun de vous dire comment nous comptons arriver à cette désirable unité : Par le bon choix des commissaires, et par une bonne organisation des sections. Mais d'abord comme les savants qui s'offrent à former la sec- tion française sont ceux-là même que le jugement le plus sévère y eût appelés, il ne nous reste qu'à déterminer l'objet des premières recher- ches de cette commission jusqu'à votre réunion prochaine, où elle vous rendra compte de ses travaux. La section française de la commssiou d'unité de moyens d'observation choisira son secrétaire, qui indiquera les réunions, recevra les projets, communiquera avec les sections étrangères, et rapportera chaque année, en résumé, les progrès de l'unité de plan à l'Association française pour l'avancement des sciences. Les intercommunications des sections seront fréquentes, se feront le moins possible par écrit et le plus possible par la voie des journaux de médecine, qui élargiront ainsi leur clientèle, en même temps qu'ils relie- ront ainsi les membres de l'Association, et sèmeront ses idées. Chaque section s'efforcera d'envoyer chaque année un de ses membres aux divers congrès médicaux, pour y communiquer les progrès de sa Dr DE SINÉTY. — PHYSIOLOGIE DE LA LACTATION 815 section et en rapporter ceux des autres, étudiés sur place de visu nul midi tu. Les plans d'observation favorablement accueillis seront publiés comme ci-dessus, et envoyés en épreuves ou autrement à chaque commissaire, qui devra, — tout en les critiquant s'il y a lieu, — leur donner toute la publicité possible dans la presse médicale ou autrement, et les soumettre aux épreuves d'une polémique active, d'où ils sortiront acceptés ou rejetés. Les commissaires s'engagent à faire prévaloir dans la pratique privée et hospitalière les plans, instruments, échelles, tableaux et méthodes d'observation à mesure de leur acceptation par le concours des com- missions nationales et internationales. Nous aurons plus et mieux à vous soumettre l'année prochaine. Mais déjà les questions, bases du sujet, ont été attaquées par les commis- saires résidant à Paris, MM. Lorain, Polain, Lépine et Marey, avec un élan vraiment français. M. Marey appuie l'observation de M. Seguin et fait ressortir les avantages qu'aurait l'identité des mesures employées par tous les observateurs. M. Warlomont demande que la question soit portée devant le prochain Congrès international de Bruxelles, conformément au vœu qu'ont déjà exprimé plusieurs médecins américains. M. Seguin voudrait que l'Association française donnât à ce sujet, à la commis- sion déjà existante, une sorte de délégation officielle pour traiter la question. M. Verneuil fait observer que le but très-désirable auquel tendent les com- missaires ne peut être atteint que par une sorte de consentement tacite des observateurs de nationalités diverses, mais qu'il est difficile d'en faire l'objet d'une proposition nettement formulée et débattue. La section ne peut donc donner à cet égard à sa commission un mandat défini. D de SINETY de Paris. SUR QUELQUES POINTS DE LA PHYSIOLOGIE DE LA GLANDE MAMMAIRE ET DE LA LACTATION — Séance du 23 août i 87 i — Le mode de formation des diverses substances qui entrent dans la composition du lait est certainement un des points les moins connus de la physiologie. Quel est le rôle de la mamelle dans cette grande 8l() SCIENCES MÉDICALES fonction de la lactation? Fabrique-t-elle de toutes pièces les éléments du lait? A-t-elle seulement la propriété d'éliminer les uns et de formel- les autres ? Il me suffit de poser ces questions pour montrer quelle obscurité règne encore sur elles. Je n'ai nullement la prétention de donner, pour le moment, la solution de ces problèmes. Mais les recherches auxquelles je me livre depuis plusieurs années sur ce sujet m'ont amené à constater un certain nom- bre de faits intéressants pour la physiologie de la glande mammaire. Depuis que je me suis occupé pour la première fois des rapports qui existent entre un certain état graisseux, spécial, du foie et la lactation, j'ai vu un nombre considérable de faits, qui viennent confirmer ceux que j'exposais en 1872 (1). Déjà, en 1856 et 1857, M. Tamier avait signalé le foie gras chez la femme pendant l'état puerpéral, et Ramier en 1872, dans une communication faite à la Société de biologie, insista sur la disposition de la graisse dans le foie des femelles en lactation. En effet, on trouve là une disposition de la graisse, complètement différente de ce qu'elle est dans tous les autres cas où le foie devient graisseux. On sait, d'après MVirchow et bien d'autres auteurs, que dans toutes les dégénérescences graisseuses du foie, c'est à la périphérie du lobule hépa- tique que la graisse se montre d'abord; de même dans l'engraissement artificiel, on voit, comme l'a signalé Lereboulet, que la graisse s'accumule à la périphérie des lobules avant de s'avancer vers la veine centrale. Ce n'est que quand le foie est complètement gras qu'on trouve alors de la graisse au centre du lobule. J'ai fait un grand nombre d'expériences à ce sujet. J'ai essayé sur le lapin l'empoisonnement par le phosphore, l'ingestion d'huile, longtemps continuée par les voies digestives, l'injec- tion de substances grasses dans les vaisseaux et, dans tous ces cas, j'ai vu la graisse s'accumuler à la périphérie du lobule dans le voisinage des branches de la veine porte, et faire absolument défaut quand on observait le centre de ces mêmes lobules. Dans la lactation c'est l'inverse que l'on observe, et la graisse qui manque complètement à la périphérie se trouve accumulée autour de la veine intralobulaire. Cet état du foie commence à se montrer en même temps que le lait apparaît dans la mamelle et cesse aussi avec la production de ce liquide ; la gestation n'a aucune influence sur cette fonction steatogène du foie, comme je m'en suis assuré, soit par des autopsies de femmes enceintes, soit en sacrifiant des femelles à diverses périodes de la grossesse. Quand j'ai publié mes premiers travaux sur ce sujet, j'avais constaté ces faits sur la femme, la chienne, le lapin, le lièvre etla souris. Depuis cette époque je les ai revus souvent sur les mêmes (0 Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1872, et thèse de Paris 1873. I)' DE SIÎNÉTY. — PHYSIOLOGIE DE LA LACTATION 817 espèces et en outre sur le cobaye, le rat, le cliat et d'autres mammifères. Le foie du lièvre en particulier ne contient presque pas de graisse en dehors de l'état de lactation, aussi est-il très-favorable pour cette étude. Par le moyen de l'acide acétique et encore mieux avec l'acide osmique, on obtient des préparations histologiques où il est très-facile de distinguer quelles sont les portions du lobule occupées par la graisse. Mais même sans l'aide d'aucun réactif et à l'œil nu, on peut juger de cette curieuse disposition de la graisse dans le foie des nourrices. Il me paraît donc très-probable que le foie fabrique, au moins en partie, les corps gras destinés à la sécrétion lactée. Ici j'entre dans la voie des hypothèses et je n'ose pas m'aventurer plus loin, car je suis convaincu qu'en fait de sciences surtout, l'hypothèse est d'autant plus dangereuse qu'elle est plus attrayante. Mais le fait d'un état gras du foie, avec une disposition spéciale de la graisse dans les lobules, coïncidant toujours avec la sécrétion mam- maire, apparaissant et disparaissant avec elle, me semble aujourd'hui acquis à la science. Après les substances grasses, la lactine occupe une grande place dans la composition du lait. L'étude de la glycosurie chez les nourrices m'a amené à certains résultats que je crois assez intéressants pour leur donner place dans cette communication. D'abord, cette question de la glycosurie des nourrices a été le sujet de bien des discussions contradictoires. Depuis que Blot, en 185'6, l'a- vait signalée comme un phénomène constant chez les accouchées, les nourrices et la plupart des femmes enceintes, Lecomte et plusieurs autres, soit en France, soit en Allemagne, n'admirent pas les idées de Blot; bref, la question avait été résolue dans un sens opposé par diffé- rents auteurs, quand j'en ai repris l'étude en 1873. Je ne me suis pas con- tenté de l'étudier chez la femme et j'ai cherché à élucider la question en m'adressant, en outre, à différentes espèces animales. Or, je suis arrivé à constater que rien n'est plus variable que cette apparition du sucre dans les urines des femelles en lactation, mais il est en notre pouvoir de la produire à volonté, en cessant brusquement l'allaitement. Chez la femme, de même que chez des chiennes, des lapines, des cobayes, toutes les fois que j'ai suspendu l'allaitement, au bout de quel- ques heures, j'ai vu le sucre apparaître dans les urines. Quand au con- traire la dépense de la glande mammaire est considérable, le sucre disparaît de l'urine (1). Dans les urines sucrées des nourrices, j'ai aussi (l) Au moment de la montée du lait chez la femme, phénomène auquel on donnait autrefois le nom de fièvre de lait, j'ai trouvé constamment du sucre dans l'urine des accouchées. En ettet à cette époque la glande mammaire produit abondamment, et son débit est peu considérable. 818 SCIENCES MÉDICALES trouvé un grand nombre de granulations graisseuses. Le rein semble donc être la soupape de sûreté, destinée à éliminer de l'économie le sucre qui se trouve en trop grande abondance ; c'est là une vraie gly- cosurie physiologique transitoire (1). Mais voici des expériences qui semblent prouver que c'est la mamelle qui fabrique ce sucre. J'ai pratiqué sur des femelles de cobayes qui, comme on sait, n'ont qu'une paire de mamelles, l'ablation de ces glandes pendant la lactation. Quelques heures après l'opération, on ne trouvait plus de traces de sucre dans des urines qui réduisaient abondamment avant. Dans ce cas, on pourrait croire que le traumatisme aurait eu une influence sur la disparition du sucre. Mais ces mômes femelles, privées de mamelles, ont parfaitement guéri et ont eu depuis plusieurs portées de petits très- bien conformés. Dans tous ces cas où la mamelle n'existait plus, je n'ai jamais vu se produire la moindre glycosurie, dans les jours qui ont suivi la parturition. C'est donc bien à la mamelle qu'est dû ce sucre qui apparaît dans les urines des nourrices. Ces expériences ont démontré, en outre, que la privation des mamelles n'a aucune influence sur la fécondation, la gestation et la parturition; niais elle amènerait forcément la destruction de l'espèce, car les nou- veau-nés, quoique mangeant dès la naissance, ne peuvent pas se passer 21 eienne plaie de l'artère par du plomb de chasse. Cet anévrysme fut pris pour un abcès par un médecin et ouvert comme tel. Une formidable hémorrhagie s'ensuivit. Le malade fut aussitôt amené à l'Hôtel-Dieu. L'appareil d'Esmarch ayant été appliqué, M. Gayet essaya en vain de lier au-dessus et au-dessous de l'artère. Il se décida à lier la sous-clavière, mais dès que la compression fut relâchée, l'hémorrhagie se reproduisit et la désarticulation scapulo-humé- rale dut être sur-le-champ pratiquée. Le malade guérit. Le deuxième cas se rapporte à une malade qui, dans un mouvement mal- heureux, s'enfonça dans la jambe la branche aiguë de ses ciseaux. Une com- pression fut établie et la plaie cutanée se cicatrisa. Mais au premier jour une hémorrhagie eut lieu sous la peau et une infiltration sanguine considérable se produisit à la face antérieure aussi bien qu'à la face postérieure du membre. Au bout de deux jours, des gaz se développèrent dans cette vaste tumeur hé- matique qui ne présentait d'ailleurs ni souffle, ni battement. L'appareil Es- march fut appliqué, puis la tumeur fut largement ouverte. Une quantité énorme de caillots s'élimina spontanément et le chirurgien eut sous les yeux une grande poche limitée latéralement par le tibia et le péroné dénudés. Cette po- che avait pour paroi postérieure (le ligament intérosseux étant complètement détruit) la face antérieure du soléaire. Dans le fond s'apercevait l'artère. — Elle était si profondément située et l'espace où il fallait manœuvrer était si étroit, qu'il était matériellement impossible de faire la ligature. M. Gayet s'ap- prêtait à l'amputation lorsqu'il eut l'idée de réséquer un morceau de péroné. Il arriva par ce moyen à pratiquer, non sans peine, la ligature. La malade est, depuis huit jours qu'a eu lieu l'opération, dans un état satisfaisant (I). M. Gayet se demande si les méthodes anciennes eussent permis de pratiquer cette opération si complexe que l'ischémie, obtenue par le procédé d'Esmarch, a rendue sinon facile au moins possible. M. Gayet met sous les yeux de la section un atlas de nombreuses planches ophthalmologiques. D' YIEMOIS ( de Lyon ) DE LA SUPÉRIORITÉ DE L'IMMOBILISATION SUR LA RESECTION DE LA HANCHE DANS LES COXALGIES SUPPURÉES ; INCONVÉNIENTS DE LA RÉSECTION ; RARETÉ DE SES INDICATIONS. — Séance du 22 août 1874. — L'engouement dont la résection de la hanche a été l'objet dans ces dernières années en Angleterre (2), en Allemagne (3) et en Améri- (1) La malade est parfaitement guérie; le jambier intérieur a seul été détruit par la suppura- lion et la marche est possible avec un léger tuteur (3 mai 1873). (21 Fergusson, Humophry, Gant, Holmes, etc. (3) Langenbeck Bardeleben, etc. 822 SCIENCES MÉDICALES que (1), n'a pas été ressenti en France, et l'on doit en féliciter les chirur- giens français, car depuis qu'on a mieux étudié la question, et su se rendre compte des ressources du traitement par les méthodes non sanglantes, on a vu que les résultats de la résection n'avaient rien de séduisant par eux-mêmes et que, inférieurs à ceux de l'immobilisation au point de vue de l'usage ultérieur du membre, ils n'avaient pas pour eux l'avan- tage de diminuer la mortalité. Si l'on compare en bloc les résultats de cette opération entre les mains des chirurgiens français, on trouve que la statistique est bien moins favorable que celle des chirurgiens étrangers ; mais si l'on se demande la raison de cette différence, on la trouve dans cette circons- tance que les Anglais et les Allemands opèrent souvent dans des cas où nos compatriotes jugent prudent de s'abstenir, c'est-à-dire sur des en- fants'et pour des cas relativement légers. Ces chirurgiens opèrent aussi pour des cas graves sans doute, mais notre but est justementde démon- trer que ces cas-là guérissent encore par d'autres méthodes et en lais- sant un membre plus utile qu'un membre réséqué. Ce n'est pas que nous voulions rejeter absolument la résection; elle a bien ses indications, mais ces indications sont rares, très-rares mêmes, et dans tous les cas bien différentes de celles qu'admettent les chirur- giens étrangers partisans de cette opération. Il y a 15 ans M. Ollier avait fait des réserves sur la résection de la hanche chez les enfants, au nom de l'expérimentation physiologique. Ce chirurgien se basant sur ses expériences avait annoncé que le retranche- ment de l'extrémité supérieure du fémur laisserait après lui un arrêt d'accroissement considérable ; moins grand sans doute que l'excision des extrémités articulaires qui forment le genou, mais suffisant pour rompre l'équilibre du tronc et gêner d'une manière de plus en plus fâcheuse les fonctions du membre. Mais ce n'eût été là qu'un argument d'une valeur secondaire, si l'opération eût été le seul moyen de sauver la vie et si l'immobilisation prolongée n'eût pas dû laisser un membre plus utile qu'après la résection. En matière de résection, je ne saurais trop m'appuyer sur la règle qu'aposéeM. Ollier relativement aux diverses articulations (2). Toutes les fois, dit ce chirurgien, qu'une résection ne peut pas fournir un membre plus utile qu'un membre ankylosé, il faut s'abstenir le plus possible de cette résection ; insister sur les moyens propres à obtenir l'ankylose et n'intervenir pour réséquer que dans le cas où la résection doit sauver la vie du malade : au coude par exemple, la résection par la méthode H) Sayre, Hodges, Lyon, etc. Voyez, pour l'historique la thèse de M. Good. — Paris, 1869. De la Hrseclion de l'articulation coxo-fémurate pour carie. (2) De la Résection <<<-^ grandes articulations. — Lyon, 1869 Dr VIENNOIS. — COXALOIES SUPPURÉES 823 sous-périostée devant nous donner un membre bien plus utile que l'an- kylose, on pourra pratiquer la résection même dans le seul but de pré- venir L'ankylose ; mais au membre intérieur, comme une ankylose rec- tiligne pour le genou, en position étendue pour la hanche, est préférable au point de vue de la longueur et de la solidité du membre à la meilleure des résections, on devra se servir avec persévérance de tous les moyens propres à ankyloser l'article dans une position favo- rable. C'est en se basant sur cette vue générale que ce chirurgien opérait seulement quatre résections de la hanche pendant qu'il pratiquait soixante et une résections du coude, et cependant il avait eu dans le même laps de temps à traiter plus de coxalgies avec abcès que d'arthrites suppu- rées du coude. C'est en suivant sa pratique et en l'imitant dans ma pratique privée que j'ai acquis la conviction de la supériorité de l'immobilisation pro- longée et que je me suis de plus en plus éloigné de la résection qui, je le répète, me paraît la plupart du temps inutile au point de vue de la conservation de la vie et sans avantage au point de vue des usages du membre. Désirant me renseigner sur le résultat définitif de la résection en An- gleterre j'avais prié mon regretté ami M. le docteur Muron de rechercher à Londres d'anciens opérés, mais malgré de longues recherches il n'a pu satisfaire ma demande et nous sommes obligés de nous en tenir, sur ce point, à ce qui se trouve dans les observations anglaises qui, publiées trop tôt, ne sont nullement concluantes sous ce rapport. Le moyen qui me paraît préférable, que j'ai appliqué moi-même plu- sieurs fois et dans lequel j'ai de plus en plus confiance à mesure que mon expérience s'étend, c'est l'immobilisation prolongée non-seulement dans la gouttière mais dans des bandages ouato-silicatés (1), la gouttière seule étant un moyen d'immobilisation très-insuffisant. En présence d'une coxalgie suppurée, la première indication à remplir c'est d'immobiliser le malade avec ou sans redressement de la position. Lorsque la coxalgie n'est pas suppurée, il faut redresser d'abord et im- mobiliser ensuite; mais lorsqu'il y a des fistules et des abcès, il faut procéder autrement. Il faut s'interdire le redressement forcé ; on anes- thésie le malade, on rectifie doucement avec les mains la position du membre, mais on ne fait pas d'efforts suffisants pour exercer des déchi- rures dans les tissus enflammés et produire des épanchements sanguins dans le foyer de l'articulation. Il vaut mieux appliquer un premier bandage sans redressement, si (ij Enveloppant non-seulement l'articulation, mais tout le membre inférieur, tout le bassin et remontant jusqu'aux côtes inférieures. 824 SCIENCES MÉDICALES la résistance est forte; attendre quelques jours ; puis, la douleur passée, procéder à une nouvelle séance et redresser ainsi peu à peu. C'est à cette période qu'il faut employer le redressement lent au moyen de tractions douces et continues avec le caoutchouc, dans la gouttière soit au moyen des gouttières articulées de M. Ollier, soit par des tractions directes. On commence du reste par étendre le fémur sur le bassin ; ces tractions douces et continues avec le caoutchouc, qu'on pent graduer à volonté, font céder peu à peu toutes les résistances ; puis s'il s'agit de changer l'inclinaison en dedans ou en dehors du fémur, c'est-à-dire l'adduction ou l'abduction, c'est encore avec du caoutchouc, en changeant les points d'appui et la direction de la traction, qu'il faut procéder. Eh bien, en persistant dans cette immobilisation, en renouvelant le bandage silicate tous les trois mois en moyenne, en faisant vivre le malade en plein air, dans sa gouttière, en l'entourant de tous les soins hygiéniques qu'on peut se procurer, on voit les abcès se tarir peu à peu. S'il se forme de nouvelles collections, on les ouvre au fur et à mesure avec l'aspirateur ou autrement selon les cas. Après chaque ouver- ture on applique un nouveau bandage silicate bien garni de coton, et l'on voit les abcès se tarir, la santé générale revenir, et le travail de cicatrisation interne, c'est-à-dire de soudure, s'effectuer à l'intérieur de- là jointure. Il faut de la patience pour arriver à ce résultat, et un traitement d'un an, deux ans, trois ans et plus selon l'âge du malade, je ne saurais trop insister sur la question du temps. Mais si le malade n'est pas phtbisique, s'il n'appartient pas à une famille héréditairement vouée à cette diathèse, il guérit, et il guérit avec un membre droit, solide, qui n'a perdu de sa longueur que ce que l'atrophie occasionnée par le repos lui a fait perdre. La suppuration, les fistules multiples péri-articulaires ne sont donc pas des indications de la résection ; mais comme je l'ai dit plus haut, il ne faut pas être absolu et il est des cas où la résection a son utilité. Pour M. Ollier, la principale indication de la résection, dans la coxal- gie, c'est une déformation énorme, impossible à réduire à cause de la solidité des adhérences. Alors la résection de la tête permet de ramener le membre dans une direction rectiligne. Trois fois dans les quatre résections de la hanche qu'il a pratiquées, ce chirurgien a opéré pour remplir cette indication. Hors de cette difformité irrémédiable je ne vois d'indications d'opérer que lorsque la tête (l'épiphyse) décollée, sé- parée de l'os, nage dans la cavité cotyloïde ; mais alors ce n'est pas une résection, c'est une extraction de corps étranger; on trouve la tête nageant dans le pus et on l'extrait par une simple ouverture. Dr VIENNOIS. — COXALGIES SUPPURÉES 825 A part ces conditions, ce n'est qu'après avoir essayé l'immobilisation et avoir constaté l'insuffisance du bandage silicate que je me déciderai à la résection. Je ne suis donc pas hostile en principe à cette opération, mais comme tous les cas que j'ai été à même d'observer ont guéri sans résection, je crois que l'immobilisation et i'expectation attentive doivent être pour la coxalgie la méthode générale, et qu'on n'aura que très- exceptionnellement l'occasion de réséquer. Et ce n'est pas pour les cas, en apparence légers, de coxalgie suppurée que je recommande le bandage silicate, c'est pour les cas graves, poul- ies cas accompagnés de fièvre et de douleur, pour ceux qui, en un mot, sont réputés le plus souvent mortels. Je ne doute pas que si les cbirurgiens anglais avaient adopté d'une manière plus rigoureuse et plus persévérante la pratique de l'immobilisation, s'ils avaient eu plus de patience dans leurs tentatives de traitement rationnel ils eussent renoncé à faire de la résection la méthode de prédilection pour les coxalgies suppurées. Une fois la douleur calmée et la fièvre arrêtée par l'immobilisation, il faut, avons-nous dit plus haut, s'occuper de rectifier, s'il y a lieu, la position du membre. C'est, je le répète, dans la combinaison successive des redressements opérés sans effort, du bandage appliqué immédiate- ment après et des tractions opérées consécutivement avec du caoutchouc, que j'ai vu M. Ûllier arriver dans plusieurs cas à redresser des membres maintenus vicieusement par des adhérences fibreuses et qu'on aurait cru au premier abord inextensibles. Ce chirurgien se sert aussi de gouttières articulées qui permettent de faire varier graduellement la position du membre inférieur, par rapport au bassin, maintenu dans la gouttière par des sous-cuisses et une ceinture solide, Pour opérer ces tractions, on fend circulairement le bandage et on exerce des tractions sur le segment inférieur. Ces tractions sont bien supportées par le malade parce qu'elles sont réparties sur une large sur- face, qui est comprise entre le point de la section et l'extrémité des orteils. On peut aussi s'aider pour changer la position de compas arti- culés qu'on incorpore dans le bandage et qui permettent d'incliner plus ou moins la portion crurale sur la portion pelvienne du bandage, soit en dedans soit en dehors. D'une manière générale, M. Ollier cherche à ramener le membre en dehors et à le placer dans l'abduction. Indépendamment de l'allongement apparent que procure ce clin ngement déposition, il eu résulte un avantage immense pour les jeunes filles qu'on mettra ainsi à même de remplir plus tard leurs devoirs de femme. On rencontre en effet des sujets qu'une adduction exagérée met à peu près dans l'impossibilité de devenir mère, le coït et l'accouchement étant gênés par le fémur qui vient se mettre au-devant de la fente vulvaire. 56 826 SCIENCES MÉDICALES Dans ces cas extrêmes l'ostéotomie ou la fracture du col fémoral peu- vent être pratiquées, mais ce serait sortir de mon sujet que de m'étendfe sur ces opérations, qui ne doivent être pratiquées que lorsque la coxalgie est guérie. J'ai voulu seulement démontrer par ce rapide exposé, que la coxalgie suppurée est loin d'être aussi grave qu'on le dit généralement et que l'immobilisation méthodique, persévérante, suffisamment prolongée dans l'appareil silicate, rend la résection inutile, en laissant au malade un membre plus utile qu'un membre réséqué. Je n'ai voulu dans cette étude ne m'occuper que de la coxalgie vraie, primitive, c'est-à-dire de l'arthrite suppurée de la hanche. Il y a cependant des distinctions im- portantes à faire dans les suppurations de cette articulation ; il y a des suppurations consécutives à une ostéite de l'extrémité supérieure de la diaphyse du fémur, il y en a d'autres qui sont le résultat secondaire d'une ostéite du bassin : mais c'est dans ces cas que la résection est encore moins justifiable, parce que la décapitation du fémur ne remédie- rait pas aux accidents. Je nTai observé qu'une seule mort sur douze coxalgies suppurées ; et encore dans ce cas l'immobilisation, pour des causes indépendantes du cliirurgien, n'avait-elle pas été appliquée dans toute sa rigueur. Je ne doute pas que ces douze coxalgies n'eussent été des cas de résection pour les chirurgiens partisans de cette opération : or en consultant les statis- tiques résumées dans la thèse si complète de M. Good, en 1869 , on ne trouvera aucune série de résection qui puisse lui être comparable. D'après M. Good la coxalgie suppurée donnerait une mortalité de 88 pour 100 et la résection une mortalité de 46 pour 100 seulement, ces chiffres ne sont pas l'expression de la réalité. La coxalgie suppurée ne peut donner lieu à une si grande mortalité que lorsqu'elle est traitée d'une manière défectueuse et dans un milieu tout à fait insalubre. La statistique de 31. Good ne porte que sur 12 malades traités à l'hôpital Sainte-Eugénie. Les éléments en sont trop peu nombreux, nos observations démontrent qu'il faut retourner la proposition et ne pas juger de la gravité de la coxalgie d'après une série limitée de faits observés dans de mauvaises conditions. DISCUSSION. M. Verneuil appuie les idées de M. Viennois. 11 traite depuis longtemps la coxalgie par l'immobilisation : il a vu beaucoup de cas, et des plus mauvais. Il est encore à trouver une indication réelle de résection. M. Giraldès estime que l'engouement des Anglais pour l'excision coxo- lémorale a beaucoup diminué dans ces dernières années. Il est donc bon d'atténuer à cet égard la critique de M. Viennois. M Giraldès a pratiqué pour I)r DALLY. — CONTRACTURES ET CONTRACTIONS PATHOLOGIQUES 827 sa part sept ou huit résections ; c'est à son avis une mauvaise opération, il ne la croit guère indiquée, l'état général restant satisfaisant, que lorsque la luxation de la tête fémorale est complète et que cette tête baigne dans le pus. Mais c'est là une extrémité qui se produira rarement, si le traitement par l'immobilisation est fait à son temps et bien fait. M. Giraldès préfère l'immo- bilisation par la gouttière de Bonnet, bien faite, qui permet de surveiller les malades, à l'appareil ouato-silicaté. M. Ollier constate que tous les chirurgiens de la section sont à peu près d'accord. Quant aux Anglais, ils n'opèrent plus aussi souvent et aussi légère- ment qu'autrefois, mais ils résèquent encore beaucoup. L'année dernière, M. Ollier a vu à Londres pratiquer deux résections] en une semaine. En ce qui touche le procédé d'immobilisation, M. Ollier pense que l'appareil silicate permet de surveiller tout aussi bien le membre que la gouttière de Bonnet et qu'il lui est infiniment supérieur comme procédé d'immobilisation. Avec les bandages silicates il emploie la gouttière, qui permet de déplacer facile- ment les malades et de les transporter, et qui sert, en outre, de point d'appui pour les tractions qu'on peut avoir à exercer dans le but de changer la position du membre. Du reste, il condamne ses malades, même garnis de l'appareil, à un repos absolu au lit, ou du moins ne leur permet de marcher qu'à l'aide de béquilles, sans que la jambe touche à terre. C'est de cette manière qu'il évite les déformations secondaires et tardives qui peuvent compromettre le résultat du traitement tant que l'ankylose n'est pas complète. M. Laussedat, en raison des conditions défavorables où un repos au lit de plusieurs mois et quelquefois de plusieurs années place les enfants atteints de coxalgie, rappelle les excellentes dispositions adoptées dans les hôpitaux suisses pour rouler sur des rails les lits des petits malades au grand air et au soleil. Dr E. DALLY LES CONTRACTURES ET LES CONTRACTIONS PATHOLOGIQUES CONTRIBUTION A LA PATHOLOGIE MUSCULAIRE. — Séance du 2i août 1874 — Les muscles, comme tous les organes, affectent des états pathologi- ques qui se traduisent primitivement, tantôt par des altérations sensibles de texture, tantôt par des troubles fonctionnels. Ceux-ci, après quelque durée, déterminent des modifications trophiques ; ceux-là provoquent des désordres fonctionnels, de sorte qu'au bout d'un certain temps il est difficile de se rendre compte du point de départ des lésions ou des symptômes. 828 SCIENCES MÉDICALES En t'ait, si l'on considère le muscle en faisant abstraction des appa reils qui l'animent, il semble que ses affections spontanées soient peu communes relativement à celles qui frappent les tissus nerveux et glan- dulaire. Il est certain que le froid, l'humidité, les contusions, les trau- matismes affectent directement la fibre musculaire, les aponévroses d'enveloppe, le périmysiuin, le myolemme et les tendons. Mais on sait avec quelle facilité les lésions de cet ordre se réparent sous l'influence d'un traitement approprié, grâce à l'accessibilité des régions atteintes, grâce aussi à la richesse de ce tissu en éléments vasculaires et nerveux et en liquides nutritifs. Toutefois, cette condition même provoque, si les lésions originelles ne se réparent point, des troubles trophiques et des formations hétéroto- piques qui, de proche en proche, par voie centripète, finissent par atteindre un membre entier, tout une région, et se propagent souvent auxe entres nerveux et aux viscères ; c'est ainsi que des rhumatismes d'origine périphérique peuvent déterminer dans la moelle des scléroses qui, à leur tour, produisent des névralgies réflexes et des hypolrophies musculaires sur des points qui s'affectent par voie centrifuge. C'est encore ainsi que des entorses peuvent aboutir à des tumeurs blanches, à des ostéites médullaires et parfois à des abcès dont le siège est fort éloigné du traumatisme primitif. D'un autre côté, il arrive fréquemment que des affections morbides des centres nerveux, des articulations, des viscères, retentissent dans les muscles ; l'ataxie, les contractures, le spasme, le tétanos, la paralysie se présentent sous des formes extrêmement variées, qui s'accompagnent très-fréquemment de troubles trophiques dont le résultat le plus commun est la rétraction avec raccourcissement permanent. Il s'en faut que ces états soient nettement définis, il s'en faut surtout qu'ils soient individuellement rattachés à des états pathologiques bien déterminés; mais il est certain que, loin de vouloir les confondre dans un même groupe, la clinique doit s'attacher h les analyser minutieuse- ment. Et cependant la plus grande confusion règne encore dans leur description et leur définition. Sous le nom de contractures, par exemple, on désigne un grand nombre d'états pathologiques qui n'ont ni les mêmes caractères clini- ques, ni la même origine, ni la même terminaison, ni les mêmes modes de traitement, et qu'il importerait par suite de spécifier nettement. Naguère, cependant, le regrettable Follin écrivait : « Nous avons établi qu'il existait deux variétés de contractures musculaires : les unes tem- poraires, spasmodiques ; les autres continues. On a distingué par les noms de contracture et de rétraction les deux formes morbides ; ainsi la contracture est le raccourcissement spasmodique, aigu et nécessairement Dr DALLY. CONTRACTILES ET CONTRACTIONS PATHOLOGIQUES 829 momentané de la libre musculaire qui, simplement plissée, peut néan- moins revenir immédiatement à sa consistance et à sa longueur nor- males par la cessation du spasme nerveux : la chorée, l'éclampsie, le tic convulsit* de la face, sont des exemples généraux et locaux de cette variété de contracture; la rétraction musculaire, au contraire, est le raccourcissement définitif qui succède à la contracture ; elle implique une tendance du muscle à perdre la texture charnue pour passer à l'état fibreux, ce qui explique un certain degré de paralysie et un arrêt du développement des muscles rétractés. Quoiqu'il ne soit pas besoin de deux mots différents pour désigner des phénomènes de môme ordre, nous conservons l'expression générale de contractures et de rétractions pour désigner plus facilement ces phénomènes morbides. » (Pathologie externe, t. I, p. 12o.) On voit là tout de suite les inconvénients de l'extrême simplification que Follin veut imposer à la. pathologie musculaire : la contracture hys- térique, celle de l'hémorrhagie cérébrale, celle de la paralysie agitante, celle de la sclérose en plaques disséminées, seraient confondues avec les spasmes cloniques de la chorée, avec les crampes professionnelles, avec les contractions réflexes a chlore, et à peu près assimilées aux atrophies musculaires d'accommodation désignées du nom de rétractions. Ni la clinique, ni l'anatomie pathologique, ni la thérapie, ne permet- tent de pareilles confusions. Les contractures de la sclérose en plaques disséminées sont consécu- tives aux lésions médullaires spéciales à cette affection, si bien décrites par Gharcot et Ordenstein ; elles surviennent à une période avancée des phases de la sclérose multiloculaire. Les contractures de la paralysie agi- tante se montrent à une période rapprochée du début du tremblement. Les unes et les autres une fois établies, tendent à devenir permanen- tes. Elles ne reconnaissent pas la même origine; car dans la grande majorité des cas de paralysie agitante les résultats de l'autopsie ont été nuls (voy. Charcot, Leçons sur les maladies du sijstème nerveux, p. 161), tandis que les lésions de la sclérose sont constantes et uniformes. Les contractures de l'hystérie se distinguent des précédentes ; elles débutent brusquement, disparaissent parfois de même et ne deviennent perma- nentes que lorsqu'elles ont déterminé par leur durée la sclérose des cor- dons latéraux de la moelle. Les contractures de l'hémorrhagie cérébrale sont tardives et accompagnent le travail de cicatrisation du foyer. Enfin, les contractures congénitales, celles du pied bot, par exemple, paraissent être des raccourcissements d'adaptation consécutive à des déformations articulaires, dépendantes elles-mêmes de paralysies ou d'atrophie des antagonistes ou de malformations primitives. On voit que les états pathologiques qui accompagnent ces contractures 830 SCIENCES MÉDICALES sont forts distincts les uns des autres ; leur prognose diffère, leur traite- ment n'est pas le même; tandis que sous l'influence du chloroforme la contracture hystérique se dissipe, la contracture cérébrale persiste, de même que la rigidité de la paralysie agitante, de même que les difformités. Au point de vue de la nutrition d'ailleurs, le muscle se comporte de façons fort différentes ; l'hypotrophie ne survient que fort tard dans la contracture hystérique, qui peut même durer plusieurs années sans al- térer notablement le volume du muscle ; mais la dénutrition avec substi- tution graisseuse est rapide dans l'hémorrhagie cérébrale. Enfin, dans la sclérose médullaire il parait établi, grâce aux minutieuses observa- tions de Charcot et de son école, que l'hypotrophie ne se manifeste que quand la substance grise et ses cornes antérieures sont atteintes. Je ne veux pas m'étendre ici sur ce sujet, quelque intéressant qu'il soit ; mais je ne puis m'empêcher de rappeler la théorie de la rétraction active comme cause de réformation du squelette, théorie qui eut une longue période de célébrité et de vogue et qui compte encore ses parti- sans. Selon Jules Guérin, la différence de texture des muscles a pour cause la différence de traction dont les diverses portions du muscle sont le siège dans les efforts de la contraction physiologique ; de sorte que l'élément fibreux résulte de tractions auxquelles sont soumis certains points du muscle. « Le phénomène de la rétraction met en jeu la ten- sion, d'où résulte la fibrosité; déjà on voit le fait anatomique (texture fibreuse) et le fait physiologique qui le réalise (contraction, traction) se confondre; puis vient la rétraction qui produit la tension permanente, celle-ci la transformation fibreuse... » (Essai de physiologie générale, p. 64 et passim, 1860.) Ici on voit que la rétraction, au lieu d'être un phénomène d'adapta- tion, est devenue une cause active d'atrophie musculaire et se confond avec la contracture. Il n'est plus nécessaire de prouver que ces préten- dues rétractions actives, dont l'existence est problématique, ne sont point les causes des déformations (1) ; d'autre part, l'atrophie muscu- laire n'est en aucune façon liée à la rétraction, ni même à la contrac- ture; quand l'atrophie les frappe, c'est à d'autres causes qu'à ces états qu'il faut l'attribuer; enfin, la transformation fibreuse du muscle, la fi- brosité, l'élément fibreux qui résulte de la tension du muscle, etc., sont autant de vues chimériques ou d'erreurs imaginées pour façonner une théorie. Si à ces exemples déjà nombreux de confusions je joins les états mus- culaires dits spasmodiques, les crampes, les tremblements, les convul- sions à l'état tétanique, les chorées, — phénomènes musculaires mal (1) Voyez sur ces points la remarquable thèse de M. Thorens, Sur le pied bot varus congénital, Paris 1S73, et surtout le mémoire de Laborde sur UParalysie de l'enfance ; Paris, 186'., p. 134. Dr DALLY. CONTRACTURES ET CONTRACTIONS PATHOLOGIQUES 83i connus pour la plupart, — j'aurai énuméré le plus grand nombre des états pathologiques relatifs à la propriété contractile du muscle. Je ne crois pas que dans l'état actuel de la science il soit possible d'établir un classement irréprochable de ces désordres en les rapportant à leur origine physiologique réelle ; mais tout au moins est-il permis, dès à présent, de distinguer des groupes tellement séparés en clinique comme en physiologie pathologique, que les indications thérapiques qu'ils présentent différent profondément. Tout d'abord il faut remarquer qu'il existe des contractures sans rac- courcissements du muscle, — comme dans certaines formes, tétaniques ou hystériques, — et des raccourcissements musculaires d'adaptation sans contracture, comme dans certaines néarthroses, dans les déformations anciennes ou congénitales. On voit donc sur-le-champ que c'est à tort que Follin définissait la contracture par le raccourcissement. Ce serait également à tort qu'on la définirait par la rigidité, si le langage habi- tuel devait faire loi, car les contractures de pied bot, par exemple, ne se traduisent par de la rigidité que quand on veut faire prendre au pied une attitude que la disposition des surfaces articulaires de l'astra- gale et du scaphoïde n'autorise pas. A ce compte, en effet, on prendrait pour de la contracture tout état musculaire qui accompagnerait un mou- vement forcé. On sait d'ailleurs que la production des difformités congénitales par rétractions actives intra-utérines est une pure hypothèse, moins bien appuyée par les faits que la théorie des malformations primitives. La question est donc de savoir si le langage habituel doit faire loi lorsqu'un même ternie est appliqué à des phénomènes différents. Je ne le pense pas et je propose de réserver le nom de contracture à tout état de rigidité avec ou sans raccourcissement, entièrement soustrait à '/action de la volonté, et entretenu par une lésion chronique ou aiguë des cen- tres nerveux. Cette catégorie se subdiviserait en contractures directes et en contrac- tures réflexes. Les premières seraient liées aux lésions primitives du cerveau et de la moelle; les scléroses médullaires, la paralysie agitante, fa para.ysie générale en fournissent des exemples. Les secondes seraient oroauites par la transmission à la moelle d'une souffrance viscérale ou périphé- rique : le tétanos, l'hystérie, les crampes professionnelles en offrent les types. De ces contractures vraies je voudrais maintenant séparer : i° un état de rigidité musculaire qui n'est pas indépendant de la volonté et qui ne se produit que par provocation ; dans les arthrites, les membres sont en demi-flexion, et toute tentative de redressement provoque la contrac- .832 SCIENCES MÉDICALES tion des fléchisseurs, souvent prise pour une contracture-cause alors qu'elle ne représente qu'une contraction d'appréhension ; 2° un état de raccourcissement des muscles par adaptation déterminée ou par la para- lysie, la parésie ou toute autre lésion qui supprime l'action des antago- nistes et maintient la contraction dans le membre sain, ou par malfor- mation primitive des surfaces articulaires nécessairement accompagnée d'éJongations et de raccourcissements musculaires. Dans le groupe hétérogène des contractures je distingue donc en résumé : 1° Les contractures d'origine médullaire ou cérébrale ; 2° Les contractures réflexes d'origine périphérique ; 3U Le-s contractions par appréhension ; 4° Les raccourcissements d'adaptation. li me paraît qu'à première vue on peut être tenté de confondre les contractures réflexes et les contractions par appréhension. Mais il suffira, je pense, de faire remarquer que les premières sont permanentes si la lésion périphérique qui les entretient l'est également ; elles sont d'ail- leurs indépendantes de la volonté; les contractions, au contraire, se produisent avant même que la douleur, provoquée par le mouvement communiqué aux articulations, se soit dessinée. Si l'on parvient, par un procédé quelconque, à l'atténuer ou à la supprimer, ces contractions disparaissent, mais sinon elles se transforment, à la longue, en raccour- cissements. M. Verneuiï, notre éminent président, désigne cette forme de contractions sous le nom d'état de vigilance musculaire. Pour terminer l'esquisse que nous venons de tracer, il convient main- tenant de rechercher ce que deviennent ces états pathologiques des mus- cles. Leur évolution diffère profondément. En général on peut dire que les contractures médullaires et cérébrales s'associent à diverses formes d'atrophie substitutive, dont le processus n'est point le même que celui de l'atrophie pure et simple de la paralysie infantile, tandis que les con- tractures réflexes hystériques peuvent subsister pendant plusieurs années sans amener de troubles trophiques. Ce n'est qu'à la longue, après dix et même quinze ans d'inactivité que les cliniciens constatent de l'hypo- trophie musculaire (voyez Charcot, Maladies du système nerveux ; Contrac- ture hystérique, p. 306 et 315), sans que les organes articulaires soient atteints. Les contractures réflexes rhumatismales modifient plus profondément la nutrition du muscle, non ù cause de l'influence tropbique des centres nerveux, mais parce que le tissu a été directement frappé. Les contractions par appréhension qui se renouvellent très-fréquem- ment ont pour résultat fréquent de maintenir des attitudes vicieuses qui rendent l'action des antagonistes plus diflicultueuse et souvent l'annL Dr S. POZZI. — EXTIRPATION DES POLYPES NASO-PHARYNGIENS 833 hilent. Il faut, en effet, remarquer qu'un muscle qui se contracte n'a pas le pouvoir de revenir de lui-même à son état d'élongation primitif. Il n'y revient que par l'action de son antagoniste ; si celle-ci est, par une cause quelconque, rendue impossible, la contraction subsiste et le muscle peut-être atteint d'hypotrophie par excès et continuité d'action. On a désigné cet état, fort improprement, du nom de transformation libreuse, mais il est reconnu que les tissus ne se transforment pas ; on a aussi pensé que ces contractions, — que l'on appelait rétractions actives, causaient certaines déformations ; mais tout au contraire, ces déforma- tions articulaires sont produites par un travail pathologique qui siège dans les synoviales, dans les cartilages et dans les ligaments, et dont l'effet est la contraction par appréhension, — état de vigilance muscu- laire, — et la parésie des antagonistes. Quant au raccourcissement d'adaptation, — qui est l'état des difformités congénitales, — il n'offre pour ainsi dire rien de pathologique, et les muscles qui en sont atteints se comportent comme des muscles sains. A supposer que la théorie de la production des difformités par l'action musculaire fœtale soit admissible, ce n'est pas la rétraction active qu'il faudrait invoquer, mais l'inertie des antagonistes des muscles raccourcis. Les distinctions pathologiques que nous avons faites dans le groupe des contractures reposent sur des faits d'observation clinique qui appel- lent la vérification de nos confrères. Mais je dois ajouter qu'elles reçoi- vent de la thérapie une contirmaLion importante, et qu'elles sont fécon- des en indications de cet ordre. C'est ce que je me propose d'établir dans un nouveau travail. Dr Samuel POZZI Aide d'anatomie à la Faculté de médecine de Paris. — Interne [médaille d'or] des Hôpitaux. SUR LES CAUSES DE LA MORT SUBITE DANS L'EXTIRPATION DES POLYPES NASO-PHARYNGIENS, ET SUR LE PRONOSTIC DE CETTE OPÉRATION — Séance dit 24 août 1874. — I. Au mois de juin de cette année, dans le service de mon excellent maître M. le professeur Verneuil, un jeune homme subissait une opé- ration pour une récidive de polype naso-pharyngien. Une première fois, au mois de novembre 1872, une incision allant obli- quement de l'arcade zygomatique à la commissure labiale, avait permis d'arriver sur la tumeur qui avait détruit la paroi antérieure du sinus 834 SCIENCES MÉDICALES maxillaire et proéminait dans l'arrière-cavité des fosses nasales. Le polype avait été complètement enlevé, son insertion cautérisée, et le malade était parti se croyant définitivement guéri. Cependant, après quelques mois de répit, la repullulation s'était pro- duite. — Au moment où la deuxième opération allait être pratiquée, le fibrome remplissait la cavité des arrière-narines, repoussait le voile du palais, formait une saillie très-notable dans la fosse canine gauche et avait amené du même côté une exophthalmie, qui s'accompagnait d'une cécité complète. Ajoutons que de fréquentes épistaxis, une difficulté croissante de la phonation et même de la respiration, rendaient indis- pensable une prompte intervention chirurgicale. L'état général du sujet était d'ailleurs assez satisfaisant ; aucun accident d'origine cérébrale, point de somnolence, de céphalalgie, de paralysies ou de vomissements. Les forces étaient conservées malgré les hémorrhagies et grâce à l'excel- lent appétit du sujet. Le patient étant anesthésié, une incision nouvelle rouvrit l'ancienne cicatrice et l'on procéda à l'extraction du néoplasme. Un premier lobe volumineux fut enlevé de la cavité nasale considérablement élargie et déformée. Le prolongement pharyngien fut également arraché. Enfin, l'opération fut terminée par l'ablation d'un lobe orbitaire, d'une consis- tance moindre que les précédents, formant une sorte de grappe, et qu'on retira laborieusement par la fente ptérygo-maxillaire agrandie. Ces divers temps de l'opération nécessitèrent l'ablation de quelques fragments osseux avec les pinces de Liston, mais l'instrument tranchant fut abandonné aussitôt après l'incision de la peau et remplacé par la spatule, la rugine ou simplement les doigts du chirurgien. La torsion précéda l'arrachement de chaque segment. Aussi l'hémorrhagie fut-elle médiocre, et à peine supérieure à deux palettes. Le fer rouge fut porté sur le point d'implantation du pédicule, et promené sur les parois de l'énorme cavité qu'on venait de mettre à découvert. A ce moment, le malade qui jusque-là avait bien supporté l'opération, devint subitement très-pâle, le pouls faiblit, et la respiration s'arrêta. Cette syncope, combattue par les moyens usuels, fut de courte durée. — Le pansement achevé, le malade, sortant du sommeil anesthésique, ma- nifesta une agitation extrême. Il se soulevait avec force et prononçait des paroles incohérentes. — On l'emporta sur un brancard dans la salle. Au moment où il fut placé sur son lit, seconde syncope qui dura environ cinq minutes. — Une demi-heure après, troisième syncope, et malgré tous mes efforts, je ne pus parvenir à rappeler à la vie le jeune opéré, qui deux heures auparavant était venu à pied de la salle à l'am- phithéâtre. Un fait aussi inattendu était de nature à frapper vivement et donnait Dr S. POZZI. — EXTIRPATION DES POLYPES NASO-PHARYNGIENS 835 à l'autopsie une importance toute particulière. Allait-elle nous révéler les causes de cette brusque terminaison que rien n'expliquait, soit dans les conditions où l'opération avait été entreprise, soit dans les inci- dents qui l'avaient marquée? L'examen du cadavre fut donc fait avec le plus grand soin. Il permit de constater : l'absence complète de sang dans les voies aériennes; l'existence d'un demi-verre environ de ce liquide dans l'estomac; l'intégrité des divers appareils, et en parti- culier de l'appareil circulatoire. On remarqua seulement que le cerveau et les méninges offraient une anémie notable. En soulevant l'encéphale pour l'enlever, on constata une légère adhérence à la dure-mère du lobe sphénoïdal. On put voir en outre, qu'au niveau du trou déchiré anté- rieur, la base du crâne donnait passage à un lobule du polype. Ce pro- longement, du volume d'une amande, était lisse et présentait à sa sur- face deux petits kystes transparents. La dure-mère était détruite ainsi que la paroi osseuse, et le fibrome, en contact immédiat avec la circon- volution de l'hippocampe, adhérait à l'arachnoïde par de fins tractus. Aucun signe d'altération du tissu cérébral, qui était simplement déprimé. En outre, sur le côté droit de la selle turcique et entre les deux apo- physes clinoïdes antérieures., la dure-mère- est soulevée par une tumé- faction notable, mollasse au toucher. En ce point existe un autre pro- longement du fibrome, qui passe dans le crâne par la fente sphénoïdale très-élargie. J'ai dû rapporter avec quelque détails cette première observation qui a été le point de départ de mon travail. Je serai beaucoup plus bref dans l'énoncé de mes recherches bibliographiques, et qui me permettent d'é- tablir : 1° La grande fréquence de la syncope dans les opérations de polypes naso-pharyngiens, sans hémorrhagie notable ; 2° La fréquence de la mort subite, par syncope, coïncidant avec une perforation plus ou moins grande du crâne. Après avoir établi ces deux propositions par de nombreux exemples, je chercherai à démêler la pathogénie obscure de ces terribles accidents et les conséquences pratiques que cette étude peut fournir au chirurgien. Un fait très-analogue à celui que j'ai rapporté a été observé par M. Ver- neuil, (1) qui l'a immédiatement rapproché de l'observation présente devant les élèves de sa clinique, bien qu'il lui eût autrefois donné une autre signification. Ce fait est relatif à une opération de polype naso-pharyngien , exécutée dans d'excellentes conditions, à la fin de laquelle le sujet eut une syncope dont on ne put le faire revenir. Pendant la syncope, on constata la présence d'une certaine quantité de (1) Bulletin de la Société de Chirurgie, 1870, p. 253, 267 et 272. 836 SCIENCES MÉDICALES sang dans la trachée, et l'on crut y voir la cause de la mort. Mais il nous paraît bien plus probable que ce liquide avait pénétré pendant la syncope elle-même, et sous l'influence peut-être de la position déclive donnée au sujet pour la combattre. Les phénomènes d'anémie cérébrale s'étaient en effet produits les premiers. Disons, en terminant, que l'on trouva la base du crâne usée et soulevée par un prolongement du polype, bien que, durant la vie, rien n'eût été observé qui pût le faire soup- çonner. — Le cerveau était du reste sain. Voilà donc une deuxième observation, du même ordre que la première. Là encore, une opération faite sans une énorme effusion de sang amène une syncope mortelle. J'appelle aussi l'attention sur les lésions trouvées à l'autopsie. Je vais rapporter successivement trois autres de syncope mortelle, et quatre cas de syncope non suivie de mort, survenant sans hémorrhagie très-abondante. Tous sont tirés des Bulletins de la Société de chirurgie. Des recherches plus étendues m'auraient certainement permis de multi- plier ces citations (1), mais il ne m'a pas paru que cela fût utile. Il me suffisait de montrer d'une manière incontestable la réalité des propositions que j'ai avancées, afin d'attirer sur ce point l'attention des chirurgiens. Il est remarquable de voir cet accident se produire dès la première opéiation d'ablation totale du maxillaire pratiquée pour les polypes naso- pharyngiens. Ainsi que l'a fait connaître M. Verneuil (Bull. Soc chir., 2e série, t. I, — 1 86 1 , p. 213), ce premier fait appartient à Syme et se trouve consigné dans son neuvième rapport de la clinique chirurgicale d'Edimbourg (Edinb. Med. and. Surgic. Journal, t. XXXVIII. — 1832.) Voici brièvement résumés les passages qui nous intéressent : Observation m. — « Le malade était affaibli par des hémorrhagies anté- rieures. — Peu de sang fendant l'opération; l'artère palatine supérieure fut le seul vaisseau profond qui exigea la ligature. Arrachement d'une tumeur volu- mineuse. — Le surlendemain tout semblait aller au mieux et le malade prit quelque nourriture. Le matin suivant un de ses voisins lui parla; à cinq heures il se disait très-bien: à six heures, on le trouva mort. » A l'autopsie on découvrit un autre polype qui prenait naissance dans la na- rine gauche, et adhérait non-seulement à tout le bord supérieur et latéral de son orifice pharyngien, mais encore ù la base du crâne. L'observateur n'entre malheureusement pas dans déplus longs détails: il ne dit pas si la surface interne du crâne a été examinée et s'il y avait soulèvement ou pénétration. « Aucune lésion morbide, ajoute-t-il seu- lement, ne fut découverte, en sorte que la cause de la mort resta obs- cure . » (1) Ainsi, rien que dans la thèse de Robin Masse, sur vingt-deux observations, on trouve sept cas de syncope et deux cas de mort pendant l'opération. (Thèse de Paris, 186'., n" 125. Des polypes naio-pharyngiens a>i point de vue de leur traitement.) I)r S. POZZI. — EXTIRPATION DES POLVPES NASO-PIIARYNGIENS 837 Observation iv. (Bull. Soc. chir., tome II (2fi série), 18G2, p. 170.) — Dé- guise. Note sur un cas de mort survenue dans une opération d'ablation du maxil- laire supérieur, pratiquée sur un malade affecté de polype naso-phanjngicn k La section (du lobe pharyngien) à peine terminée, il survint tout à coup » une syncope contre laquelle je luttai inutilement pendant plus de vingt » minutes; les battements du cœur devinrent de plus en plus faibles, et lo » malade s'éteignit. » Au point de vue du manuel opératoire, les choses s'étaient passées avec » régularité et précision; seule l'introduction de la scie à chaîne à travers l'un- « guis avait offert quelque difficulté.... » Le pédicule s'insérait au tissu fibreux qui entoure le trou déchiré anté- » rieur, à la partie interne de l'apophyse ptérygoïde, à la partie postérieure de » la paroi des fosses nasales et surtout au cartilage de la trompe d'Eustache. » De cette insertion multiple et étendue partaient des prolongements qui se » dirigeaient dans divers sens. La partie supérieure de la tumeur n'ayant con- » tracté avec le corps du sphénoïde que des adhérences de voisinage, avait dé- » foncé une partie de la paroi inférieure du sinus sphénoïdal, à l'intérieur du- » quel elle avait pénétré. Puis, après avoir distendu sa cavité, elle était venue » faire saillie du côté de la selle turcique, et même de la petite aile du sphé- » noïde, qu'elle avait atrophiée par compression. Dans aucun de ces points, la » tumeur n'avait détruit la dure-mère.... Un autre prolongement pénétrait » dans la partie postérieure de l'orbite par la fente sphéno-maxillaire, puis se » dirigeant en arrière, il pénétrait dans le crâne par la fente sphénoïdale et » venait formera l'intérieur de cette cavité une tumeur du volume d'une noix, » bosselée, inégale, et qui à ce niveau comprimait sensiblement le lobe moyen » du cerveau. Ce dernier prolongement, placé à la face interne de la dure- » mère, avait contracté avec elle des adhérences filamenteuses, peu vasculaires » et faciles à détruire.... » L'auteur attribue la mort « à la douleur inséparable d'une pareille mu- tilation (le malade n'étant pas anesthésié), jointe à un assez grand écou- lement de sang chez un sujet affaibli déjà par des hémorrhagies anté- rieures. » Mais le chirurgien ne dit pas qu'il ait eu à lutter pendant l'opération contre rhémorrhagie ; d'autre part, le malade avait été soumis trois mois avant l'opération à un régime fortifiant (fer et quinquina), grâce auquel il se trouvait au moment de l'opération dans des condi- tions assez passables. L'explication est donc venue après coup, et le seul fait qui subsiste est la syncope. Observation v. — Bull. Soc. Chir., tome III (2e série), 1863, p. 503. Obser- vation de M. Dolbeau, publiée sous ce titre : Polype fibro-muqueux des fosses nasales. — Diagnostic complexe. — Opération. — Mort. Presque idiot depuis son enfance; se plaignait souvent de douleur de tête; à deux reprises, depuis son entrée à l'hôpital, il était tombé dans les cours, privé de sentiment, sans convulsions. 838 SCIENCES MÉDICALES Opération. Abaissement de la voûte palatine d'un côté en la laissant adhé- rente au voile du palais, comme cela a été indiqué par Huguier. Peu de sang, une seule ligature. Trois premiers jours bons; — le troisième, le malade est assez bien pour écrire une lettre à sa sœur. Le quatrième jour, à 6 heures du matin, le ma- lade qui, quelques heures avant, avait bu seul, pris et remis en place son urinoir, s'affaiblit tout à coup et succomba sans présenter aucun phénomène saillant. Autopsie. Les méninges et le cerveau ne sont le siège d'aucune vasculari- sation ; bien au contraire, ils se présentent avec tous les caractères d'une ané- mie très-prononcée. — H n'y a pas d'épanchement dans les ventricules. La base du crâne est parfaitement normale : le seul fait digne de remarque, c'est l'amincissement des parois des sinus frontaux et ethmoïdaux, lesquels sont distendus par des masses polypeuses d'un blanc rosé en tout semblables à celles qui ont été extraites par l'opération. Dans toutes les observations qui viennent d'être rapportées, la syncope survenue brusquement et sans cause appréciable a été mortelle. Il me serait facile d'en citer un plus grand nombre où tout s'est passé de la même façon, à l'exception de l'issue funeste. Dans un cas, «M. Foucher, après avoir fait seulement la boutonnière staphyline, vit son malade exsangue, pâle, titubant, dans un état syn- copal. » (Bull. Soc. chir. — 2e série, t. II, p. 267.) M. Michaux vit un de ses opérés, après avoir subi la résection pala- tine et l'extirpation partielle du polype (opération qui n'avait pas dû provoquer une bien grande perte de sang), tomber dans un état de fai- blesse si alarmant qu'on jugea urgent de procéder séance tenante à la transfusion. (Ibid.) Le docteur Piachaud (de Genève) « a vu se produire une syncope inquiétante à la suite de l'ablation du maxillaire droit pour un polype naso-pharyngien ». Ce chirurgien note expressément que «Yhémorrhagie avait été modérée». — La guérison fut obtenue. (Bull. Soc. chir., tome III, 2e série, 1863, p. 107.) Le fait suivant de M. Fleury (de Clermont) est encore plus frappant. (Ibid.) Le polype fut énucléé à l'aide de tractions avec les doigts. « A ce moment, dit l'observateur, une syncope est survenue; le pouls était resté bon. L'écoulement sanguin avait été à peu près nul pendant l'opé- ration... » Le malade guérit promptement. Je ne continuerai pas mes citations. Celles qui précèdent suffisent a établir la fréquence très-grande de la syncope pendant les opérations pratiquées pour les polypes naso-pharyngiens, la gravité extrême de cet accident, enfin notre ignorance relativement à ses causes, puisque l'hé- morrhagie est tout à fait insuffisante pour l'expliquer. Dr S. P0ZZ1. EXTIRPATION' DES POLYPES NASO-PHARYNGIENS 839 11 est cependant une circonstance assez frappante qui se retrouve dans quatre sur cinq des autopsies que j'ai rapportées, et dont la constance ne peut manquer d'éveiller l'attention. Je veux parler de l'amincissement du crâne et de la saillie plus ou moins grande du fibrome du côté de l'encéphale. Seule l'observation de Syme, très-écourtée quant à l'examen nécroscopique, ne mentionne pas ce détail d'une manière explicite. Toutefois, l'adhérence à la base du crâne, dont elle parle, pourrait fort bien se rapporter à une lésion de ce genre incomplètement étudiée. Quelle est la valeur de cette déformation de la boîte encéphalique? Suffit-elle à nous rendre compte de la gravité et de la rapidité fou- droyante des accidents observés? Ne peut-on pas comparer ces faits à des cas de tumeur des méninges ou du cerveau en ne faisant jouer à l'opération que le rôle de cause occasionnelle ? D'après cette explication, le malade, incessamment sous le coup d'une mort subite par le fait de la perforation crânienne, serait frappé à la suite de l'intervention chirur- gicale comme il pourrait l'être sous l'influence d'une vive émotion ou d'un traumatisme quelconque. Pour que cette manière de voir, séduisante par sa simplicité, fût adoptée, il faudrait que l'ensemble des phénomènes observés donnât une importance plus grande à la lésion encéphalique. Il serait nécessaire, non-seulement qu'on eût noté des troubles cérébraux antérieurs indi- quant des congestions ou des phénomènes inflammatoires autour de cette épine, mais surtout qu'on eût rencontré à l'examen cadavérique des lésions de la pulpe cérébrale témoignant de ces processus patholo- giques, lésions qui ne manquent jamais dans tous les cas de mort par tumeur intra-crânienne (sauf les cas de compression de l'isthme). Enfin, et ceci paraît trancher la question, la mort, en pareil cas, a lieu par asphyxie, avec la cyanose de la face, la respiration stertoreuse, tout l'ensemble symptomatique de l'apoplexie. — Quelle différence entre ce tableau et celui de la syncope qui foudroie les opérés de polypes naso- pharyngiens (1) ! Je suis donc conduit par cette rapide discussion à n'ajouter à la pé- nétration crânienne qu'une valeur relative dans tous les cas qui nous occupent. Je crois cependant qu'en rétrécissant la cavité crânienne, en gênant jusqu'à un certain point la circulation de l'encéphale, elle a créé pour cet organe une vulnérabilité particulière. Mais, il faut l'avouer, elle (1) Ces opérés peuvent aussi périr asphyxiés par le sang introduit dans les voies aériennes. Cet accident a même conduit des chirurgiens à proposer la trachéotomie préalable (Demaquay), soit l'obturation de la glotte par des procédés spéciaux ( Brendelenburg, Nussbaum). Je ne fais que signaler cet accident, dont l'interprétation est facile, en faisant remarquer toutefois que la syncope semble encore jouer ici un grand rôle. C est elle qui a parfois précédé et permis l'intro- duction du sang dans les voies respiratoires comme dans la seconde observation rapportée plus haut. 840 SCIENCES MÉDICALES ne peut nous donner une explication complète de la mort subite .«ans symptômes antécédents. — Il faut donc chercher ailleurs s'il n'existe pas d'autres causes pouvant contribuer à amener la syncope. I! J'ai dit que l'hémorrhagie avait été constamment peu abondante; aussi les chirurgiens n'ont-ils pas hésité à ne point lui attribuer la syncope et la mort. Mais n'y aurait-il pas quelque chose de spécial dans l'hémor- rhagie que provoque cette opération et qui, si je puis ainsi dire, lui donnerait une importance qualitative autant que quantitative ? La sous- traction brusque d'une seule palette de sang dans le champ vasculaire qu'alimente la carotide n'aurait-elle pas une gravité relative tout à fait inattendue? et si cette saignée bulbo-cérébrale est faite sur un sujet déjà affaibli plus ou moins par des pertes antérieures, dont l'encéphale, empri- sonné dans un crâne amoindri, souffre déjà de troubles circulatoires, n'est-il pas probable qu'un pareil fait suffise à interrompre momentané- ment l'action nerveuse et à produire la syncope? Ces considérations s'étaient présentées à mon esprit. Je résolus de les vérifier en les soumettant à l'expérience. Il s'agissait pour cela de com- parer la gravité d'une hémorrhagie carotidienne avec une hémorrhagie produite par la plaie d'une autre artère d'un calibre analogue. Si mon hypothèse était vraie, la blessure de ces deux vaisseaux faite sur des animaux semblables devait amener une syncope mortelle dans un laps de temps et avec une déperdition sanguine moindre pour la carotide que pour la fémorale par exemple. — (J'ai fait ces expériences dans le laboratoire de M. le professeur Béclard, à la Faculté de médecine," avec l'assistance de mon savant ami le docteur Laborde.) lre Expérience. — Deux chiens de taille moyenne, sensiblement égaux, sont successivement sacrifiés : le premier par la section de la carotide primitive gauche; le deuxième par la section de la fémorale du même coté\ — 1er Chien. Syncope mortelle au bout de 20 minutes après une perte de 450 grammes de sang. — 2e Chien. Syncope mortelle au bout de 35 minutes après une perte de sang de 600 grammes. Nota. Pour obtenir un libre écoulement de sang, j'ai dû introduire dans les vaisseaux une canule. Malgré cette précaution, et à cause de la grande plasticité du sang chez le chien, on est fréquemment obligé de la débarrasser des caillots, surtout à la (in de l'expérience. Assuré- ment, l'interruption complète du cours du sang dans une des carotides est une condition différente de celle où se trouve l'opéré. Il ne fau Irait Dr S. POZZI. — EXTIRPATION DES POLYPES NASO-PHARYNGIENS X{1 pourlant pas attacher ù ce fait une réelle importance, car on sait que la ligature d'un de ces vaisseaux reste absolument sans effet sur le chien, ainsi que je m'en suis moi-même assuré. Ce facteur est donc ici négli- geable et il ne modilie en rien la valeur du résultat. Donc, par l'hémor- rhagie carotidienne la mort est survenue 15 minutes plus tôt et avec une perte de sang moindre de 150 grammes que par l'hémorrhagie fé- morale. 2e Expérience. — Je n'ai pas pu me procurer deux chiens exactement de même taille. L'un de ces animaux est notablement plus fort que l'autre. Il pèse 13 kilog. Le second ne pèse que 10 kilog. Je choisis le plus gros chien pour être sacrifié parla carotide, m' attendant bien à recueillir chez lui une plus forte quantité de sang. L'expérience ne m'en paraissait pas moins devoir être probante si cette différence n'était pas en rapport avec la différence de grosseur des animaux. 1er chien (13 kilog.), carotide, syncope mortelle 'au bout de 17 mi- nutes 1/2, perte de sang 710 grammes; 2e chien (10 kilog.), fémorale, 45 minutes, 680 grammes. Nota. — On a dû ouvrir successivement les deux fémorales sur le 2e chien. Au bout de 2 minutes et avec 300 grammes d'hémorrhagie, le 1er chien (plaie de la carotide) manifestait de l'agitation et laissait échap- per son urine et ses matières fécales. Donc, malgré la différence de taille qui agissait ici en sens inverse, la section de la carotide a amené la mort 27 minutes 1/2 avant celle du vaisseau périphérique, et le plus gros chien qui l'a subie n'a perdu que 30 grammes de plus que l'autre. 3e Expérience. — Faite sur deux lapins, exactement de même grosseur. Le 1er est sacrifié par une plaie delà carotide; il succombe en 4 minutes, après avoir psrdu 53 grammes de sang. Le 2° lapin, auquel je sectionne la fémorale, n'a péri qu'au bout de 11 minutes et après une hémorrhagie de 85 grammes. III. En terminant cette note, je résumerai sous forme de propositions les résultats théoriques et pratiques auxquels mon étude me parait conduire. 1° La syncope, accident fréquent dans les opérations de polype naso- pharyngien en l'absence de toute hémorrhagie sérieuse, peut être attribuée aux causes suivantes (je laisse de côté l'état anémique du sujet qui est évidemment une cause prédisposante) : 1° le rétrécissement de la cavité crânienne par la destruction plus ou moins avancée de la base du crâne, 57 5 saut très-délicatement pour en faire parvenir le bec dans la vessie. Pour que l'extrémité du cathéter pénètre jusqu'au fond de la cavité utérine, il faut en relever le manche parfois contre le méat urinaire. On peut aussi aider la pénétration du bec à travers l'isthme, en soulevant le fond de l'utérus à l'aide de l'indicateur d'une main introduit dans le vagin, en même temps qu'on pousse le manche de l'instrument à l'aide de l'autre main en suivant les règles que je viens de tracer. Une fois le cathéter arrivé au fond de l'utérus, il s'agit de s'assurer s'il est possible de relever ce segment de l'organe et de le replacer dans sa position normale. Pour cela, il faut retourner l'instrument de manière que sa concavité regarde en haut, et en abaisser ensuite doucement le manche, tout en soulevant directement le fond à l'aide d'un ou deux doigts poussés dans le cul-de-sac vaginal postérieur, de bas en haut et d'arrière en avant. Cette manœuvre doit être faite avec beaucoup de lenteur et de douceur à la fois, car le fond de l'utérus peut être retenu par des adhérences dans l'excavation pelvienne, auquel cas la flexion est irréductible; si; après plusieurs tentatives de redressement, aidées de la propulsion à l'aide des doigts dans le fond du vagin, de la position de la femme en pronation sur les genoux et les coudes, la réduction est impossible ; si ces diverses tentatives, quelque délicatement qu'on les pratique, réveillent des douleurs, il faut bien reconnaître que la rétroflexion est irréductible, et il faut renoncer à en obtenir la cure radicale, tout en concentrant les efforts du traitement sur les éléments morbides qui compliquent la flexion, en vue d'en obtenir une cure pallia- tive. Si l'utérus, au contraire, se laisse redresser, il faut déterminer les limites de ce redressement, faire passer l'axe de l'organe par diverses directions, jusqu'à ce que, après s'être confondu avec l'axe du détroit supérieur du bassin, son extrémité supérieure s'incline de plus en plus en avant et qu'il arrive à l'antéversion ; il faut lui imprimer en même temps quelques mouvements latéraux de bascule et de translation, pour juger de sa mobilité en tout sens, de l'absence complète de périmétrite ancienne ou d'adhérences qui auraient pu en être la conséquence ; il faut mesurer la profondeur à laquelle pénètre le cathéter, pour juger du volume de l'utérus et de sa congestion ; il faut imprimer enfin à l'instru- ment des mouvements de circumduction du bec et de déplacement de la tige de droite à gauche, d'avant en arrière, pour juger de son jeu à tra- vers les orifices, de l'amplitude de la cavité utérine, et par suite du volume que devra avoir le tuteur galvanique dont on se servira pour maintenir le redressement, et de l'utilité qu'il y aura à exciter plus ou moins fortement les contractions de l'utérus pour produire progressive- ment le retrait de ses parois . Quelquefois, après cette exploration méthodique et le redressement 866 SCIENCES MÉDICALES effectué par le cathéter, si l'on l'ait relever la malade et si on la touche debout, on s'assure que la réduction est bien faite, qu'elle se maintient les premières heures, ou du moins les premiers instants, et dès ce mo- ment, pendant que la réduction persiste, malgré les douleurs provoquées par les manœuvres qui l'ont effectuée, les malades conviennent, non sans quelque surprise, qu'elles n'éprouvent plus la douleur sacrée carac- téristique, qu'elles marchent avec plus de facilité; en un mot, que leur mal a été bien réellement attaqué dans sa source. VI. — 11 y a peu d'années encore, le pronostic de la rétrotlexion était grave ; car, au dire de Velpeau, si les déviations utérines ne tuent pas, du moins elles ne guérissent pas, c'est-à-dire qu'elles durent toute la vie. Heureusement ce pronostic désolant peut être singulièrement modifié aujourd'hui, au moins pour ce qui est de la rétroflexion. Comme pour toute maladie, la précision du diagnostic et l'opportunité du traitement sont ici, ainsi que je l'ai dit, les seuls garants de succès dans la pra- tique. Pour la rétroflexion en particulier, la précision du diagnostic ne con- siste pas seulement à déterminer les formes, l'aspect extérieur du mal, mais à en reconnaître les causes, à en comprendre le mode de produc- tion, à en pénétrer la nature. Or, nous avons vu que cette nature est l'atrophie, la mollesse, le relâchement, dus le plus souvent au défaut d'évolution rétrogade. De cette nature même et de la connaissance exacte des fonctions de l'utérus, ou plutôt des propriétés de ses éléments histo- logiques, des circonstances qui en provoquent le développement, des conditions clans lesquelles ils s'hypertrophient, nous avons déduit, pour la rétroflexion comme pour la plupart des autres maladies utérines, le mode d'intervention médicale qui est le plus à notre portée et à la fois le plus efficace. Le tissu utérin étant en instance continuelle d'organisa- tion, d'évolution progressive ou régressive, il ne nous est pas impossible, en imitant la nature, de provoquer dans cet organe des actes de régres- sion et surtout de progression qui en déterminent tantôt l'atrophie, tantôt l'hypertrophie. La présence d'un corps étranger dans sa cavité, pendant que cet organe est ramené et maintenu dans sa situation normale, l'in- tervention de quelques moyens excitateurs de sa contraction musculaire, l'influence des agents généraux de toniiication, nous fournissent les moyens de modifier la structure de la matrice dans une direction favo. rable au redressement de ses deux segments, au retour de la rigidité qui peut seule les maintenir dans une direction réciproque normale, et au rétablissement régulier des fonctions qui en sont la conséquence. L'opportunité avec laquelle ce traitement est appliqué et poursuivi dans ses diverses parties en assure enfin le succès, en nous guidant sûrement Dr COURTY. — RÉTROFLEXION DE L'UTÉRUS 867 dans l'emploi des moyens qui doivent être alternativement et tour à tour appliqués à la rétroflexion, à ses causes premières, à ses conséquences, à ses complications directes ou indirectes, en nous apprenant à attaquer successivement chacun des éléments de cet ensemble, de. ce tout com- plexe dont la rétroflexion est le pivot, dans la mesure et dans l'ordre où il doit être combattu. Grâce à l'application rigoureuse de ces principes, nous sommes par- venu à modifier, dans le sens le plus avantageux, le pronostic si nette- ment formulé par un des représentants les plus autorisés et les plus illustres de la chirurgie française, et à substituer à l'aveu d'impuissance de notre art l'assurance de son efficacité réelle dans le traitement de la rétroflexion . VII. — Les indications du Traitement se tirent de la nature de l'alté- ration (relâchement, défaut d'involution, transformation régressive ou défaut de transformation progressive) ; Des causes locales qui ont contribué à la produire et à l'entretenir (laxité des tissus, atonie locale, congestion passive) ; Des causes générales qui ont également contribué à la produire et à l'entretenir (atonie générale, constitution molle, tempérament lymphatique, anémie) ; Des complications qui en mettent l'existence en relief, en aggravent les symptômes et en empêchent la guérison (congestion, engorgement, leucorrhée, métrite chronique, périmétrite, adhérences péritonéales). Pour remplir ces diverses indications, nous disposons de moyens gé- néraux et locaux d'une efficacité aujourd'hui incontestable. Mais ce n'est pas tout que d'employer ces moyens, même sans omettre aucun de ceux qui sont utiles; encore faut-il s'attacher à les appliquer suivant les indications particulières qui dominent, dans l'ordre qui répond à ces diverses indications, ou successivement ou tour à tour, selon qu'il est plus urgent de répondre tantôt à l'une, tantôt à l'autre de ces diverses indications. Non-seulement la rétroflexion et ses complications diverses coexistent, mais encore elles jouent alternativement, l'une par rapport à l'autre, le rôle de cause et d'effet ; il faut donc combattre simultané- ment et la flexion et ses complications, ou commencer par atta- quer celles-ci avant celle-là, ou réduire la première et la maintenir réduite avant de diriger le traitement contre les dernières (supposé qu'elles n'en soient que la conséquence), ou bien enfin combattre alter- nativement la flexion et ses complications, en passant tour à tour et à plusieurs reprises de l'une aux autres ou de celles-ci à celle-là, en même temps que l'on modifie l'état général, comme dans le traitement de toute maladie utérine. En un mot, ici comme en tout état pathologique complexe et à indications thérapeutiques multiples, il n'est pas seulement 868 SCIENCES MÉDICALES essentiel d'instituer un traitement rationnel, mais il importe encore de saisir l'opportunité de ce traitement, et surtout celle de ses divers élé- ments, aux diverses périodes de ce même traitement. Ainsi, très-souvent on est obligé de combattre d'abord la métrite chronique, la congestion, l'engorgement, l'endométrite, la leucorrhée, quelquefois enfin la périmétrite, qui ont précédé la flexion elle-même, qui ont participé quelquefois à sa formation, qui l'entretiennent ou qui entrent pour une bonne part dans les souffrances des malades, et 'qui ne permettraient pas, si elles n'étaient d'abord atténuées, l'application des moyens mécaniques ou des excitants directs et indirects de la con- tractilité utérine, nécessaires pour réduire la flexion et pour la maintenir réduite. Dans ce but, on peut être obligé de pratiquer des saignées locales, d'appliquer des sangsues ou des scarifications sur le col ; de donner de grands bains émollients, résolutifs, toniques (alcalins et ferrugineux, par exemple), avec injection dans le bain et hors du bain, injection à l'amidon, ù l'eau blanche, au tannin, etc. ; de faire usage de pom- mades résolutives sur le bas-ventre, dans le rectum ou sur le col ; de faire garder aux malades un repos prolongé dans le décubitus ven- tral plutôt que dorsal; d'administrer à l'intérieur les alcalins, les toni- ques, le fer, les résolutifs (iodure de potassium), les sédatifs (bromure de potassium) ; de cautériser à diverses reprises, avec le pinceau chargé de nitrate d'argent, la totalité de la muqueuse utérine, etc. Mais que ces moyens doivent être appliqués avant ou après, le moyen qui remplit le plus directement l'indication capitale du traitement de la rétroflexion, c'est celui qui opère le redressement du corps de l'utérus sur le col de cet organe, et qui maintient ce redressement un temps suffisant, soit d'une manière continue, soit à des intervalles plus ou moins éloignés, pour en faire espérer la persistance par le retour gra- duel de la contractilité musculaire de l'organe. VIII. — Ce moyen est le tuteur utérin. Il est souvent insuffisant s'il est employé seul : mais, sans lui, Futilité de tous les autres est fort pré- caire. J'ai adopté comme tuteur un petit instrument dont je trouvai l'idée et même le modèle chez Simpson. Il est constitué par une boule creuse ovoïde ou mieux ellipsoïde, en cuivre rouge, de 2 centimètres et demi dans son plus grand diamètre, surmontée d'une tige moitié inférieure cuivre, moitié supérieure zinc, cylindrique, arrondie à son extrémité libre d'un diamètre de 2 à 4 millimètres, et d'une longueur de 6 à 7 centi- mètres. J'en ai fait construire quatre modèles de dimensions différentes et graduellement croissantes, depuis le n° 1, qui a à peine 2 millimètres de diamètre et 5 centimètres de longueur, jusqu'au n° 4, qui a 4 mil- Dr COURTY. — RÉTROFLEXION 1>E i/UTÉRUS 869 limètres de diamètre et 7 centimètres de longueur. Les numéros extrêmes sont rarement employés; cependant ils peuvent être utiles, le plus petit pour le redressement des utérus nullipares ou dont l'orifice s'est rétréci, le plus gros pour le redressement des utérus très-mous, volumineux orifices larges. Les plus usités sont les deux numéros moyens, de 2 à 3 millimètres de diamètre et de 6 centimètres et demi de longueur. Ils méritent doublement le nom de tuteurs galvaniques, parce qu'ils sont composés de deux métaux accouplés, cuivre et zinc, formant les éléments d'une petite pile, et parce que très-probablement ils dégagent une certaine quantité d'électricité, comme semble l'indiquer la légère corrosion superficielle que l'on remarque toujours sur le zinc après un certain usage, quelquefois même dès le premier jour de leur emploi. Avant de décrire la manière dont j'applique le tuteur utérin galva- nique, je tiens à en justifier l'emploi et à en démontrer l'innocuité. L'usage des tuteurs dans le traitement des flexions, introduit dans la pratique par Simpson, et en France par Valleix, ne tarda pas à y être justement condamné à la suite d'accidents qui furent plus ou moins graves, et dont quelques-uns malheureusement furent mortels. On pense donc que j'ai dû réfléchir longtemps à l'innocuité de mes tuteurs, avant de les appliquer moi-même et avant d'en recommander l'usage. J'ai dû rechercher si les accidents graves provoqués par leur appli- cation tenaient aux tuteurs mêmes, ou à leur mode d'application, ou à l'état pathologique de l'utérus dans lequel on les introduit. Je suis parvenu, à la suite de cette recherche, à éloigner peu à peu les causes d'inflammation et à reconnaître dans quelles conditions les tuteurs galvaniques peuvent être utiles sans être nuisibles. Il a été aisément démontré pour moi que, du moment qu'il y a de l'inflam- mation utérine ou péri-utérine, et même lorsqu'il y a seulement, avec ou sans leucorrhée, une irritabilité très-grande de l'organe qui le dis- pose à être atteint, ainsi que les annexes et les organes voisins, par l'in- flammation et surtout par l'inflammation suppurative, l'application des tuteurs galvaniques dans la cavité utérine doit être proscrite, comme celle de tout corps étranger. Mais il paraît incontestable qu'un certain nombre de femmes, atteintes d'accidents graves à la suite de l'applica- tion des tuteurs, ne présentaient, avant cette application, aucun symp- tôme d'inflammation. Le mode d'application employé précédemment, notamment par Valleix, qui a été le seul essayé en France, consistait à laisser le tuteur en place pendant plusieurs jours dans la cavité uté- rine, à l'y immobiliser autant que possible en le rattachant à un plas- tron pubien et à un bandage passant autour du bassin et au-dessous des cuisses, enfin à permettre à la malade de se lever et de marcher avec cet appareil. Or, qui ne comprend que le séjour prolongé d'un 870 SCIENCES MÉDICALES corps étranger dans la cavité utérine suffit pour l'enflammer? que l'im- mobilisation de ce corps étranger dans un organe suspendu, en équi- libre instable et essentiellement mobile au gré des pressions qui lui viennent de tous les organes voisins, est une cause de chocs continuels de l'utérus contre le tuteur, et par suite de douleurs répétées et d'in- flammation? enfin, que la station debout, la marche, le décubitus dor- sal, mettent l'organe, tendant à revenir à la rétroflexion, en lutte continuelle avec le redresseur et ajoutent aux causes précédentes une nouvelle cause d'inflammation ? Je cherchai donc à me mettre dans des conditions toutes différentes : d'abord tâter la sensibilité de l'utérus par le simple redressement instantané, et s'assurer à la fois de la possibilité de la réduction et de l'innocuité du cathétérisme ; en second lieu, ne laisser le tuteur en place que quelques heures, c'est-à-dire un temps suffisant pour exciter la contractilité de l'organe, sans y provoquer l'inflammation ; troisièmement, conserver à l'organe, pendant tout ce temps, sa mobilité propre, qui lui permet, tout en étant tenu redressé par la présence du tuteur, d'échap- per, par les déplacements que peuvent provoquer les divers mouvements de la malade, aux chocs que ces mêmes déplacements produisent contre le tuteur, du moment que ces déplacements sont rendus impossibles par l'immobilisation ; quatrièmement, obliger la malade à garder le repos pendant ces quelques heures, au lieu de lui permettre de se lever, de marcher, de sortir et même d'aller dans le monde, comme on avait eu l'imprudence de le faire ; cinquièmement, donner pendant tout ce temps à l'ensemble du corps une position favorable à la conservation de la réduction, en faisant coucher les malades en pronation sur le ventre, non-seulement pendant les quelques heures de séjour du tuteur dans la matrice, mais pendant toute la durée du traitement et même un cer- tain temps après. Je ne tardai pas à constater, de la manière la plus positive, que dans ces conditions nouvelles l'application du tuteur n'est jamais nuisible, et qu'elle est au contraire d'une utilité indispensable au succès du traite- ment, dont elle constitue incontestablement le point capital. Mon opinion sur ce point était arrêtée en 1866, au moment de la première édition de mon Traité des maladies de l'utérus ; mais je tenais à la vérifier un très-grand nombre de fois, c'est-à-dire sur des centaines de malades avant de l'exprimer comme je l'ai fait en 1870, en faisant imprimer la seconde édition de cet ouvrage. Mon expérience de tous les jours confirme la vérité des préceptes que je formulai à cette époque sur le traitement de la rétroflexion. Voici comment je procède à l'application du tuteur galvanique dans le traitement des rétroflexions. La malade étant placée sur le bord du Dr COURTY. — RÉTROFLEXION DE i/uTÉRUS 871 lit, de manière que son siège déborde, les cuisses fléchies sur le bassin et les jambes sur les cuisses, je commence à opérer la réduction de la flexion à l'aide du cathéter utérin, en suivant la marche tracée plus haut et sans le secours du spéculum. Le fond de l'utérus étant porté en avant autant que possible, je retire doucement le cathéter, sans laisser mon doigt indicateur gauche abandonner le col de l'organe. Ma main droite, déposant le cathéter, saisit un tuteur galvanique, soit à l'aide d'un manche, soit directement par sa boule, ce qui suffit dans la plupart des cas, puisque l'utérus rétrofléchi est presque toujours abaissé, et elle porte l'extrémité du tuteur sur la pulpe de l'indicateur gauche, de manière à la faire pénétrer dans l'orifice utérin. En poussant alors sur la boule dans la direction donnée à l'organe par le cathétérisme, elle fait péné- trer le tuteur jusqu'à la boule. Pendant que l'indicateur gauche refoule à la fois le col utérin et la boule du tuteur dans le cul-de-sac vaginal postérieur, ma main droite, saisissant un spéculum à gorge uni- valve, le fait pénétrer dans le vagin, dont il longe la paroi postérieure dans sa totalité; la boule du tuteur se trouve reposer alors à l'extrémité de la gorge du spéculum. L'indicateur étant retiré du vagin, je saisis de la main gauche le manche du spéculum, de manière à déprimer forte- ment la paroi vaginale postérieure, je verse au fond du vagin une ou deux cuillerées de glycérine pure, et j'y pousse un fort tampon de coton, tandis que je retire peu à peu et délicatement le spéculum. Introduisant alors l'indicateur d'une main dans le vagin, je m'assure que le tampon est bien refoulé au fond de ce canal, où il retient le col utérin et la boule du tuteur, et je l'y maintiens pendant que la malade se retourne dans son lit avec précaution, de manière à se coucher peu à peu sur le ventre. La malade reste ainsi dans son lit, en décubitus ventral, pendant cinq à six heures la première fois , et jusqu'à dix ou douze heures les fois suivantes si elle n'a éprouvé aucun accident à la suite de la pre- mière épreuve. Il est inutile de dire qu'elle peut manger ou s'occuper pendant qu'elle conserve soigneusement cette position. Le soir venu, elle se met habituellement dans un bain émollient (avec 1 kilogr. de son) ; elle commence à faire quelques injections dans le bain avec l'eau du bain, à l'aide de l'hydroclyse reposant au fond de la baignoire, ce qui facilite l'extraction du tampon. Elle-même n'a qu'à tirer sur le lien par lequel on a toujours soin d'attacher ce tampon pour en opérer l'extraction, et immédiatement après sur celui qui est attaché au tuteur, pour l'extraire à son tour de l'utérus , en ayant soin de tirer en bas et en arrière pour ne pas changer par cette manœuvre la direction nor- male restituée à l'organe; après quoi la malade continue les injections dans le bain pendant une heure au moins, pour prévenir le développe- 872 SCIENCES MÉDICALES ment de toute inflammation. Lorsque la malade est enrhumée ou que l'administration du bain est rendue impossible par toute autre raison, le chirurgien fera bien d'aller extraire lui-même le tampon et le tuteur, la malade conservant pendant cette extraction le décubitus abdominal. 11 est d'ailleurs nécessaire qu'elle se couche toujours de la même ma- nière , non-seulement la nuit qui suit l'application du tuteur, mais encore tout le temps que dure le traitement et quelque temps après qu'il est terminé. Il est bon de faire garder le lit un ou deux jours après chaque application du tuteur, pour prévenir le développement de phénomènes inflammatoires; en même temps on administre de grands bains avec injections, des laxatifs doux, une alimentation légère, mais toni- que, etc. On peut réitérer cette application du tuteur au bout de huit jours, de sorte qu'au maximum on en peut faire trois applications chaque mois. Il est souvent préférable de n'en faire que deux ou même qu'une ; on se décidera à suivre l'une ou l'autre marche, suivant l'irritabilité de la malade et celle de l'organe. Il y a avantage a introduire un tuteur d'un diamètre plus considé- rable, et il est possible souvent de le faire chez les femmes qui ont eu plusieurs enfants et qui présentent, en même temps que de la leu- corrhée, des orifices utérins larges et dilatables. Dans l'utérus virginal, soit chez les vierges, soit chez les nullipares, on est presque toujours obligé d'introduire le tuteur le plus mince; encore est-on fort empêché de lui imprimer dans ce cas la direction d'antéversion indiquée précé- demment, à cause de la brièveté relative de la paroi antérieure du vagin, que nous avons dit être dans ce cas une des causes apparentes de la rétrofiexion. Il suffit quelquefois d'un très-petit nombre d'applications du tuteur galvanique pour réveiller la contractilité utérine et maintenir d'une manière permanente la réduction de la rétrofiexion. J'ai même vu une malade qui, après une application du tuteur, eut le bonheur de devenir grosse et se trouva guérie. D'autres fois il faut pousser jusqu'à vingt et trente fois le nombre de ces applications, avant d'obtenir un résultat satisfaisant. IX. — Mais il ne faut pas s'en tenir à l'application du tuteur et au décubitus en pronation ventrale. Il faut encore administrer simultané- ment aux malades les toniques généraux et locaux capables de modifier dans un sens favorable et leur constitution et l'état des organes atteints de relâchement. Je me dispenserai d'en faire ici rénumération , et je me contenterai de parler des autres moyens qui peuvent être regardés comme les adjuvants les plus directs du tuteur galvanique, c'est-à-dire I)r COURTY. — nÉTROFLEXION DE L'UTÉRUS 873 des moyens qui excitent le mieux la contractilité utérine, à savoir: l'électricité, l'hydrothérapie et le seigle ergoté. L'électricité est celui de ces trois moyens dont l'action se rapproche peut-être le plus de celle du tuteur. Le tuteur, en effet, excite la con- tractilité utérine comme agent physique probablement de deux manières: 1° comme corps étranger ou agent mécanique qui éveille dans l'organe des efforts d'expulsion ; 2° comme agent électrique développant, pro- bablement par l'association des deux mélaux, zinc et cuivre, qui le composent, un léger courant susceptible de provoquer directement des contractions dans la fibre musculaire. Une circonstance que j'ai déjà signalée me paraît confirmer la présomption de cette action électrique: c'est que l'extrémité zinc du tuteur qui plonge dans la cavité utérine ne tarde pas à être corrodée. Le tuteur offre en outre le grand avan- tage d'exciter par cette double action la contractilité de l'organe, tout en le maintenant dans la position même de redressement que le re- tour de cette contractilité musculaire peut seule lui faire conserver. On comprend d'après cela que l'application de l'électricité est un auxi- liaire puissant du tuteur galvanique, et je m'en suis effectivement bien trouvé dans les cas rebelles où le traitement se prolongeait outre me- sure, sans donner de résultats bien satisfaisants. Mais j'avoue que, dans la plupart des cas, les petites difficultés et l'ennui que comporte cette application dans la pratique m'y font renoncer, au moins pour les pre- miers mois du traitement. Quand je suis forcé d'y recourir, j'applique tantôt dans la cavité utérine, tantôt sur la portion cervicale du col, un des pôles de l'appareil, tandis que l'autre est appliqué successivement à l'hypogastre, dans les aines, en suivant le trajet des ligaments ronds, et à la région lombo-sacrée, dans le point correspondant à l'attache des ligaments suspenseurs, ou même à la région dorso-lombaire du rachis, en me rapprochant du centre génital de la moelle. Le seigle ergoté, administré d'une manière intermittente, m'a paru aider aussi très-sensiblement au retour de la contractilité utérine. Je le prescris d'habitude trois jours de suite, à la fin des règles ou immédia- tement après la menstruation, et trois jours de suite après chaque appli- cation de tuteur galvanique, à la dose &e 50 centigrammes de seigle fraîchement pulvérisé matin et soir, pris dans un peu de café après le repas. Plusieurs malades accusent des sensations très-nettes de contrac- tions utérines provoquées par ce médicament. L'hydrothérapie est encore un adjuvant très-efficace et dont l'action multiple, générale et locale, rend l'emploi très-précieux. Aussi, sauf le lendemain et le surlendemain du jour où le tuteur a été appliqué, je fais prendre matin et soir un bain de siège froid de quinze secondes, associé à des ablutions générales froides pratiquées simultanément à 59 874 SCIENCES MÉDICALES l'aide de l'éponge, suivies de frictions sèches et d'exercice ou d'enve- loppement dans des couvertures de laine, pour provoquer la réaction. Pendant les temps d'interruption du traitement mécanique, ou lorsque ce dernier paraît suffisant, j'envoie mes malades faire une cure d'hy- drothérapie, en leur recommandant d'insister sur les douches courtes autour du bassin, et sur les bains de siège froids simples ou à eau cou- rante, mais toujours très-courts, associés aux douches générales. Chez les malades mises dans de bonnes conditions par les traitements précédents, ces derniers moyens sont précieux pour assurer la durée du succès. X. — Quels sont les effets définitifs de ce traitement ? Je n'ai négligé aucune occasion de les rechercher, et je puis assurer que je les ai tou- jours trouvés entièrement satisfaisants. Depuis que j'en fais l'application, je n'ai rencontré aucune malade qui n'ait éprouvé, soit une guérison complète, soit un soulagement si notable; qu'il équivalait, au point de vue des sensations subjectives, à une véritable guérison. Est-ce à dire que l'utérus récupère la position et la direction habi- tuelle en antéversion légère qui le caractérisent chez la plupart des femmes ? On peut répondre à cette question que généralement il n'en est pas ainsi. Mais, par contre, il n'est aucune femme chez laquelle, après un traitement suffisant, et souvent plusieurs années après qu'elle l'a subi, on retrouve l'organe fléchi comme il l'était avant le traitement et les douleurs revenues comme elle existaient à la même époque. Je ne connais aucune de mes malades qui n'ait éprouvé la cessation complète de ses douleurs ou un soulagement si notable qu'il leur per- mettait de reprendre les occupations et le train de leur vie ordinaire. En les examinant attentivement et en explorant l'utérus par le toucher et par le cathétérisme, on trouve que: chez un quart environ cet organe est resté dans le redressement et l' antéversion où il avait été placé par le tuteur ; chez un autre quart, tout en étant redressé, il s'incline tan- tôt dans un sens, tantôt dans un autre, en avant, en arrière, à droite ou à gauche ; enfin, chez la moitié, il reste en rétroversion plus ou moins prononcée, rarement forte, le plus souvent légère; mais il reste en même temps dans un état de redressement du corps sur le col qui ne permet plus de le considérer comme fléchi, et de fait tous les symp- tômes de la rétroflexion ont disparu, et les femmes n'accusent aucune douleur ou se plaignent seulement de légères incommodités paraissant se rattacher à la persistance de la rétroversion : plus de dysménorrhée, plus de ménorrhagie, plus de douleurs dans le coït, plus de douleurs sacrées, plus de douleurs dans le décubitus dorsal, la marche, les efforts, etc. Enfin, plusieurs de mes malades ont vu cesser la stérilité à la suite du traitement. Or il y a un double avantage à voir survenir une gros- sesse dans ce cas: non-seulement elle est une preuve de la guérison ou Dr COURTY. — RÉTROFLEXION DE i/UTÉROS 87o d'une atténuation considérable de la rétrollexion, et par conséquent de l'efficacité du traitement, mais encore elle est un des meilleurs moyens d'imprimer à l'utérus une vie nouvelle, d'y faire développer de puis- santes fibres musculaires et d'assurer la guérison définitive de la rétro- flexion, pourvu qu'on ait soin de profiter des heureuses conditions dans lesquelles l'organe se trouve alors, pour favoriser, après l'accouchement, son retrait et son évolution rétrograde, dans la situation et dans la di- rection normales de ses deux segments. Pour atteindre ce but, il suffit quelquefois d'un long repos, d'autres fois de simplifier ou de hâter l'ac- couchement par la chloroformisation, par l'administration du seigle ergoté avant et après l'expulsion du fœtus, par le décubitus ventral imposé à la malade un temps plus ou moins long après ses couches, par les stimulants et les divers toniques dont nous avons parlé, etc. Une grossesse après la guérison ou dans le cours du traitement d'une rétrollexion est donc un événement heureux, non-seulement au point de vue de la satisfaction des époux, qui souvent dans ce cas la désirent ardemment, mais encore eu égard à la certitude qu'elle donne au mé- decin d'obtenir la cure radicale et durable d'une maladie jusqu'ici ingué- rissable. A mon avis, elle est si importante qu'on ne doit négliger, pour l'obtenir, aucune des conditions [qui peuvent faciliter la fécondation, et qu'on doit considérer une conception comme un nouveau moyen de traitement à ajouter aux autres, non-seulement nouveau, mais supérieur à tous. Aussi, lorsque les premières applications du tuteur ont produit un redressement en apparence suffisant de Forgane, faut-il avoir soin de conseiller aux époux de pratiquer le coït rarement, il est vrai, de peur de congestionner ou de fatiguer l'utérus, mais dans les conditions les plus favorables à la pénétration de la semence par l'orifice utérin jusque dans la cavité de la matrice. La principale de ces conditions est de placer la femme dans la pronation ventrale, soit que Ja copulation s'accomplisse more bestiarum, soit que la femme se place pendant le coït au-dessus de l'époux, ce qui revient à peu près au même, eu égard à la position qui en résulte pour la matrice. En même temps, il ne faut pas perdre de vue qu'il y a toujours de l'abaissement et une sorte de poche copulatrice postérieure au col, où il faut éviter de laisser égarer et perdre la semence, résultat auquel on peut parvenir en recomman- dant au mari de faire pénétrer la verge peu profondément dans le vagin, surtout au moment de l'éjaculation. Grâce à ces précautions, plusieurs de mes malades ont obtenu, pen- dant le cours de leur cure, d'autres après sa terminaison, des grossesses qui ont pu être menées à bonne fin, et qui ont assuré le succès définitif d'un traitement sinon très-pénible, quelquefois du moins décourageant par sa longueur. 876 SCIENCES MÉDICALES CONCLUSION 1° Il est inexact, pour la plupart des cas, d'assimiler entre elles les diverses déviations des différentes portions de l'axe utérin, et de les englober clans une description commune, sous le nom de flexions. 2° La rétrollexion est due toujours à une altération de consistance, dépendant d'une altération histologique régressive des fibres de l'utérus, et coïncidant souvent avec un relâchement des autres parties de l'organe et de ses ligaments. 3° La rétrollexion est presque toujours consécutive à l'accouchement; à l'avortement ou à une maladie utérine ayant apporté aux fibres mus- culaires lisses de l'organe une altération qui ôte à l'utérus, considéré dans sa totalité, la fermeté et la rigidité qui le caractérisent. 4° Les trois degrés de la rétrollexion (au-dessus, au niveau, au-des- sous des ligaments de Douglas et de l'orifice vaginal du col) sont, avec les complications locales (métrite. périmétrite, adhérences, leucorrhée, etc.) et avec les complications générales (atonie, anémie, débilité générale, nervosisme, obésité, etc.), les éléments complexes du pronostic. 5° La rétrollexion a des signes subjectifs très-caractéristiques (douleur sacrée, impossibilité d'efforts, de redressement, d'élévation des bras, absence de soulagement par le décubitus dorsal et la ceinture hypo- gastrique, tendance au décubitus ventral, tiraillements douloureux au nombril, etc.) qui permettent souvent, à eux seuls, d'en présumer l'existence, et qui diffèrent de ceux de l'antéllexion. — Les signes objec- tifs, surtout ceux fournis par le cathétérisme, sont indispensables pour donner au diagnostic la certitude nécessaire, ainsi que pour déterminer la possibilité de réduction et le degré de curabilité. 0° Les moyens qui sont utilement employés dans les autres genres de flexions ne soulagent pas habituellement les malades atteintes de rétroflexion. Ni la ceinture hypogastrique, ni le décubitus dorsal ne les soulagent sensiblement. 7° On peut guérir la rétroflexion, et, sans restituer toujours l'organe à l'intégrité absolue des conditions de statique ou d'équilibre normal de l'utérus sain, on peut arriver à procurer aux malades un soulagement qui les met en état, non-seulement de récupérer l'aptitude gestative (assez souvent perdue, quoi qu'on en ait dit, par la rétroflexion), mais encore de participer aux travaux et aux plaisirs ordinaires de la vie. Chez plusieurs malades, il suffit, pour obtenir ce résultat, que la rétro- flexion soit effacée; alors même qu'il persiste une rétroversion, ce qui arrive souvent, le rétablissement de la santé générale est manifeste. 8" Les meilleurs moyens d'exciter la contractililé utérine pour guérir l)r RAILLARD. — CLIMATOLOGIE COMPARÉE 877 la rétrofiexion, sont: l'application intermittente et souvent répétée du tuteur galvanique, pendant quelques heures de repos en pronation, le décubitus ventral habituel, le seigle ergoté, l'hydrothérapie, l'électricité, les astringents, les toniques locaux et généraux. L'emploi simultané ou successif de ces divers moyens est toujours utile ; mais le décubitus ventral est nécessaire, et l'application du tuteur galvanique est indis- pensable. Er EAILLAED A Dax (Landes). CLIMATOLOGIE COMPAREE (extrait) — Séance du 24 août 4 87 4 — En présence de cette sorte de croisade qui s'est surtout proposé pour but d'affranchir nos malades du tribut onéreux qu'ils .payaient à l'étran- ger, et de mettre en saillie la valeur un peu trop méconnue des res- sources hydrologiques de notre France, je me serais vivement reproché de ne pas contribuer pour une faible part à cette œuvre qui sera tout à l'honneur du corps médical. Comme son titre l'indique, le travail dont je me proposais de vous don- ner lecture a trait à des questions de météorologie médicale compa- rée. Mais, désireux avant tout de ne pas fatiguer votre bienveillante attention et de ne pas abuser de votre temps, je demande la permission de vous présenter en un résumé succinct la substance du travail que j'ai l'honneur de vous soumettre. Je me plais à croire que vous excuserez le parti auquel je m'arrête. Pour plus de facilité^ je diviserai ma communication en quatre points principaux sous forme de propositions générales : 1° Généralités sur les stations hivernales de France ; 2° Stations du sud-est, avantages et inconvénients, indications et con- tre-indications; 3° Stations du sud-ouest, avantages et inconvénients, indications et contre-indications; 4° Stations du sud- ouest entre elles. 878: SCIENCES MÉDICALES 0,017 0,000 71,642 11,662 15,869 1,121 1.000.000 A\KSSE (2) I03S 902,477 1,573 0,380 U.052 0,083 0.069 0,315 2,635 0,554 0,047 0,505 0,006 0,000 60,891 12,157 17,014 1,242 1.000,000 VACHE (3) 1034,2 8 ',7,558 1,369 0,243 0,073 0,108 0,074 0,460 2,686 0,632 0,063 0,430 000 0,004 52,243 40,281 51,073 2,703 1.000.000 Le lait, qui n'est qu'une dissolution de matières albumineuses, de sucre de lait et de sels, tenant en suspension les globules de beurre, aban- donné à lui-même pendant quelque temps à une température un peu élevée, commence à devenir acide, se coagule à cause de la fermenta- tion lactique ; cette fermentation, au bout d'un certain temps, s'arrête pour changer de caractère et devenir fermentation alcoolique. C'est cette fermentation, sur laquelle nous reviendrons dans un instant, qui porte le (1) Lait pris au Jardin d'acclimatation. 12 et 3! Moyenne de 12 analyses de lait de vaches et d'ânesses nourries eu Normandie. Dr LAISDOWSKI. — DU KOUMYS 889 nom de koumys chez les Kirghizes, Baschkirs, Tartares et autres peu- ples nomades de la Russie orientale. Comme nous disions dans la première partie de notre mémoire, ces peuplades demi-sauvages se servent du lait de leurs juments pour la fabrication de cette boisson. Nous avons déjà indiqué la façon dont ils la préparent. En Europe, où il est plus difficile de se procurer du lait de jument en grande quantité, il est avantageusement remplacé par le lait de vache, auquel on ajoute la quantité de sucre nécessaire pour le rendre identique au lait de jument. Le mélange de lait de vache avec du lait d'ânesse, riche en sucre et pauvre en caséine, se rapproche le plus du lait de jument. Quel que soit du reste le choix du lait, il faut que par l'analyse chimique il réponde aux conditions nécessaires pour obtenir cette puissante fermentation al- coolique, et qu'il soit de bonne qualité. Le lait suffisamment riche en sucre possède tous les matériaux né- cessaires à la fermentation alcoolique, et une fois la fermentation com- mencée, elle se poursuit rapidement. La lactose (C24H22022-|-H202) qui répond dans le groupe des hydrates de carbone au type de saccharose (Berthelot), ne peut directement en- trer en fermentation alcoolique, mais sous l'action du ferment elle s'hy- drate, fixe les éléments de l'eau et se transforme en galactose (C12H,2012); et cette transformation est singulièrement activée par la présence de l'acide lactique. En supposant que toute la quantité de lactose ait subi l'action du ferment lacto-alcoolique, l'équation suivante exprimerait un chan- gement qui, du reste, est à peu près confirmé par les analyses quanti- tatives du koumys : 3C24H220S2 4- 3H2()2 — GC^H^O12 = 2C6Hfi06 + iOOWW + 20CO2 Lactose Galactose Acide laclique " Alcool Acide^arbônique La fermentation du lait, comme toutes les fermentations alcooliques, surtout en présence des matières riches en azote : caséum, albumine et lacto-protéine, n'est jamais rigoureusement uniforme, et pour cela bien difficile à exprimer par une équation complètement définie; elle est d'ailleurs toujours accompagnée de la production d'une petite quantité de glycérine, d'acide succinique et de traces d'acide propionique. La quantité des deux premiers corps, relativement à celle de l'alcool, ne diffère pas de la proportion indiquée par M. Pasteur pour la fermen- tation de la saccharose et de la glucose. Dans le koumys comme dans toutes les boissons à l'état de fermentation permanente, la quantité d'al- cool, d'acide lactique et carbonique augmente plus ou moins vite selon la durée et la température, et par contre la lactose s'épuise. 60 890 SCIENCES MÉDICALES De là plusieurs espèces de koumys, dont les nos 1, 2 et 3 représentent les différents degrés de fermentation. Pour l'usage thérapeutique, les nns 1 et 2 sont seulement employés, car la fermentation trop avancée du n° 3 le rend désagréable au goût. ANALYSE. La première analyse chimique du koumys a été faite par M. Hartier, sur la demande du docteur Stahlberg, directeur d'un établissement de koumys à Moscou. Le koumys soumis à cette analyse provenait du lait de jument des steppes et datait de deux jours. Sa composition sur 100 parties donne : Alcool 1,65 Corps gras 2.05 Sucre de lait 2,20 Caséine 1,1- Sels 0,28 Acide carbonique 0,785 Acide lactiqne 1,15 Total des corps solides 6,80 Le docteur Stahlberg donne ensuite une analyse de koumys datant de cinq mois ; nous la copions littéralement dans le même ordre : Ac'de carbonique 1,86 Alcod 3,23 Corps gras 1,01 Acides lactique, succinique et glycérine . 2,92 Caséine et sels 1,21 Total des corps solides .... 5,14 M. Wawnikiewicz, professeur agrégé de chimie à l'Université de Var- sovie, sur la demande des docteurs Novakowski et Przystanski, direc- teurs d'un établissement de koumys dans cette ville, a analysé le koumys. Il a trouvé sur 400 : Alcool 1,23 Beurre 0,22 Sucre 1,77 Caséine 3,08 Acide lactique 0,G2 Sels minéraux 0,63 Total des corps solides 6,32 M. Kokosinski nous donne l'analyse suivante du koumys préparé à Paris. Dr LANDOWSKI. — DU KOUMYS 891 Composition du koumys Edivard (moyenne de i% analyses). 1re CLVSSE. Eau Acide carbonique Chlorure de potassium — de sodium Sulfate de soude Phosphate de soude — de chaux des os. .... , de magnésie — de fer 2e CLASSE. Lactate de soude — de chaux , — d'urée Lactose. . . ... Alcool. Acide lactique — succinique — propionique Glycérine , Corps gras 3e CLASSE. Caséine et albumine Lacto-protéine N- «. 888. 010 6.G03 1.435 0.289 0.007 0.410 2.67H 0.001 O.0IÏ2 0.661 0.225 0.006 38.952 22.530 7.021 0.27Î ©.015 1.427 8.5)7 18.310 1.910 1,000.000 N°*. 886.363 13.982 1.435 0.289 0.067 0.410 2.670 0.601 0-062 0.661 0.225 0.006 23.065 30.310 8-872 0.368 0.022 1.909 8.501 18.290 1 892 1,000.003 Cette analyse nous semble la plus complète de toutes celles connues jusqu'à présent. En comparant les tableaux de l'analyse du lait et du koumys, on voit la différence très- notable de leur composition chimique; cependant plusieurs auteurs allemands, séduits sans doute par l'aspect laiteux du koumys, l'ont rangé parmi les médicaments laiteux, tandis qu'en phar- macologie on doit le classer au nombre des boissons alcooliques fermen- tées, et nous ajouterons que dans cette catégorie il vient en première ligne, comme en état de fermentation permanente par excellence. L'alcool obtenu par la distillation du koumys jouit de propriétés or- ganoleptiques toutes particulières, dues aux éthers gras et éthyliques qu'il contient en grande proportion. La rectification répétée ne l'en dé- barrasse pas. Cet alcool a-t-il les mêmes propriétés que l'alcool de glucose? Nous ne pouvons rien en^dire, n'ayant pas encore pu faire des expériences à ce sujet. 892 SCIENCES MÉDICALES Histologie. — Une goutte de koumys, à un état de fermentation avancé, donne sous le microscope l'aspect que nous reproduisons. Ici, la fermentation alcoolique a, comme toujours, pour ferment la levure de bière, facile à reconnaître par ses cellules sphériques, libres ou réu- nies en chapelets. Nous voyons en outre le ferment lactique qui se dis- tingue par des articles courts, aux extrémités légèrement renflées; nous avons quelques globules graisseux et des cristaux de sels que nous reconnaissons à leurs dimensions plus grandes et à leurs contours coupés en angles droits. Fi{ Nous apercevons aussi un ferment que nous ne pouvons pas bien dé- finir, mais qui par ses caractères nous rappelle beaucoup le ferment gommo-mannitique de M. Pasteur. Quelques mycodermes se présentent dans le champ visuel, ils ont pris naissance sans doute par l'influence trop prolongée de l'air sur la goutte en observation (4). En faisant subir au lait la fermentation qui produit le koumys , nous avons dans le nouveau composé : 1° les mêmes sels qui n'ont pas changé, ni en quantité, ni en qualité, et le koumys reste toujours chargé, comme le lait, de ses principes utiles ; 2° lesjcorps gras qui ne se sont pas dédoublés; 3° la lactose qui s'est dédoublée : l'alcool a pris naissance comme conséquence de cette fermentation alcoolique, le liquide contient de petites quantités d'acide succinique et de glycérine ; enfin lajiature spéciale de la fermentation du koumys produit une quantité notable d'acide lactique et d'acide carbonique. (1) Nous nous proposons de publier plus tard mne étude micrographique du koumys à tous les degrés principaux de fermentation. L>' LANDOWSKI. — DU KOUMYS 893 Nous sommes donc en présence d'un aliment qui contient de grandes quantités de sels inorganiques, des corps gras, du sucre, de l'alcool, des matières albuminoïdes, de l'acide carbonique et de l'acide lactique. Voyons l'action physiologique de chacun de ces éléments. i° Les sels contenus dans le houmys (phosphate alcalin, de chaux, de soude, chlorure de sodium, de potassium, carbonate de soude, traces de fer, etc.) se rapprochent beaucoup par leur quantité et leur nature de ceux qui entrent dans la constitution du plasma sanguin et de ceux que l'on rencontre dans certaines eaux minérales auxquelles, pour cette raison, M. Guider, l'émiiient professeur de thérapeutique de la Faculté, a donné le nom de lymphe minérale. Il est probable que les sels du koumys agissent sur le plasma sanguin de la même façon que ces eaux qui ont pour type le Mont-Dore, etc., et dout le pouvoir reconstituant n'est plus mis en doute. En effet, nous avons là les éléments principaux qu'il importe de rappeler. C'est d'abord la grande quantité de sels contenus, quantité qui favo- rise éminemment leur absorption. M. Gubler, introduisant dans la dyna- mie vitale certaines lois physico-chimiques, a donné la raison de cette particularité. Faites passer sur une petite quantité d'oxyde de fer chauffé au rouge de grandes quantités d'hydrogène, celui-ci va prendre l'oxygène de l'oxyde de fer, et produire par conséquent de l'eau, tandis que le fer restera dans le tube de porcelaine à l'état métallique. Inversement, faites passer sur de grandes quantités de fer chauffé au rouge une partie proportionnellement minime de vapeur d'eau, celle-ci se décomposera en oxygène et en hydrogène, qui, se dégageant à l'état libre, se fixera sur le fer. Tout dépend donc de la réaction directe des quantités disproportionnellcs mises en présence. L'action du fer dans la chloro-anémie nous est encore une démonstration évidente de cette pro- position; certes, en raison de la petite quantité de fer contenue dans le sang, celle que contiennent à l'état normal les aliments devrait suffire à remplacer celle qui est éliminée par suite d'un état morbide ou d'une reconstitution imparfaite. Non, il faut administrer des préparations ferru- gineuses, et les administrer largement et longuement si Ton veut obte- nir un effet utile. Viennent les matières grasses, le sucre et Yalcool. Sans vouloir invo- quer les théories de l'aliment respiratoire et du médicament d'épargne, théories ingénieuses qui ont rendu de grands services, mais dont l'ad- mission, nous semble-t-il, ne cadre plus avec les principes de physiolo- gie chimique, il est nécessaire cependant de rappeler, au sujet du kou- mys, l'influence des matières grasses sur la nutrition, leur rôle adjuvant par rapport aux fonctions hépatiques, et surtout les propriétés de l'a!- 894 SCIENCES MÉDICALES cool mises en lumière par Todd, le professeur Fuster de Montpellier et le professeur Béhier. Ce sont là des faits bien connus, bien étudiés : il n'est pas de tuber- culeux auquel on ne donne des corps gras, et l'expérience des dernières années a pleinement justifié l'emploi prudent de l'alcool à certaines périodes des cachexies. Les matières albuminoïdes sont représentées par la caséine, qui consti- tue un des principes très-importants du koumys. Étant précipitée au début de la fermentation, par l'acide lactique, elle est ensuite pulvérisée en atomes imperceptibles par l'opération mécanique du barattage et tenue en suspension dans le koumys. Il suffit de signaler la proportion notable de cette substance albunh- noïde (18,350 sur 1,000) si importante, pour les tissus organiques, pour apprécier son influence sur la nutrition. Il nous reste l'acide lactique et l'acide carbonique : Le premier, dont l'action sur les matières albuminoïdes est bien con- nue et qui, d'après plusieurs de nos éminents physiologistes, est l'acide principal du suc gastrique. M. Laborde, par un procédé d'analyse qu'il n'a pas encore publié , constate la présence de 3 à 10 0/0 d'acide lactique dans le suc gastri- que du chien. Nous nous permettrons également de citer ses dernières expériences faites à la séance de la Société de biologie, le 11 juillet 1874, expériences très-démonstratives et presque concluantes à ce sujet: Après avoir préparé trois verres avec un mélange de bioxyde de plomb et de sulfate d'aniline en solution dans l'eau (4 centimètres cubes), il verse dans le premier de ces verres une solution à 1 00/00 d'acide chlorhydrique ; dans le deuxième une solution à 1 00/00 d'acide lactique, et dans le troisième du suc gastrique un peu étendu d'eau. Immédiatement on peut observer que l'acide chlorhydrique donne au liquide une teinte acajou, tandis que l'acide lactique et le suc gastrique provoquent tous deux une teinte vineuse identiquement pareille. L'acide carbonique agit avant tout comme anestliésique sur la mu- queuse stomacale et comme stimulant des vaisseaux capillaires. Les expériences de Cyon (Compte rendu de V Académie des sciences, LXIV) constatent son action ralentissante sur es battements du cœur. Thirry et Traube, par une série d'expériences, ont prouvé son action sédative sur le système nerveux en général et son action stimulanle sur les nerfs vaso-moteurs. Comme nous le voyons, le koumys est un aliment complet , qui con- tient de quoi se digérer lui-même; cette propriété est encore augmen- tée, nous semble-t-il, par les ferments spéciaux que nous avons figurés. Vu que le koumys n'est pas seulement une heureuse association natu- Dr LANDOWSKI. — DU KOUMYS 895 relie de l'alcool avec le principe lacté , mais c'est le lait à l'état de fer- mentation, portant en effet avec lui un ferment ou le germe d'une orga- nisation. La question mérite d'être étudiée. Van Helmont, Willis, Descartes lui-même, attribuent à la fermenta- tion, à la ibis les fonctions physiologiques et les troubles morbides ; ils considèrent la digestion comme la première étape de ces transformations qui se poursuivent dans toutes les phases de la vie fonctionnelle et ont le sang pour centre d'action. Il y a peut-être un peu d'exagération dans celte manière de voir, cependant on ne peut nier aujourd'hui que la fermentation joue le rôle le plus important dans les fonctions d'assimi- lation. Réaumur, Spallanzani, Brugniatelli, Magendie , Vauquelin, Che- vreul, Leuret et Lassaigne, Gmelin et Tiedmann, Dumas, ont, parleurs savantes recherches, mis en lumière la haute importance du rôle des ferments dans l'organisme, comme les principaux agents de la nutrition. Robin (1847) précise le rôle physiologique des ferments comme pré- sentant à nos tissus les substances organiques dans l'état le plus apte à l'assimilation. Il dit : « Les matières azotées, par un phénomène de fermentation pré- paratoire (fermentation digestive), pénètrent dans l'organisme pour y être soumises aux forces assimilatrices et à une combustion lente dont l'urée est le résultat. » Ce corps tend déjà à se rapprocher du règne minéral; c'est une fer- mentation continuatrice qui fera rentrer ces éléments dans celui des deux règnes d'où ils étaient sortis. » Jetons un coup d'œil rapide sur les ferments de différente nature qui se trouvent dans l'organisme et qui prennent une part active dans ses fonctions physiologiques. Nous savons, depuis Burdach et Leuchs, que la salive favorise la transformation par fermentation des substances amylacées en sucre. En 1845, M. Mialhe a extrait de ce liquide le principe actif, la ptyaline. La digestion stomacale se fait à l'aide d'un ferment, la pepsine, dont le rôle est, avec l'aide des acides (surtout l'acide lactique), de transfor- mer les matières albuminoïdts en un mélange de dispeptone insoluble, de parapeptone et de peptone, résultant d'un dédoublement de la molé- cule complexe de l'albuminoïde, et qui ont acquis l'importante pro- priété d'êlre dialysables, c'est-à-dire, absorbables à travers les mem- branes de l'estomac et de l'intestin. Elles arrivent ainsi dans le torrent circulatoire. Le suc pancréatique, par ses différents ferments, dissout les albumi- noïdes et spécialement la fibrine, transforme les matières amylacées en glucose et eu dextrine. L'existence de ferments dans le suc intestinal a été établie par MM. Bouchardat et Sanclras. 896 SCIENCES MÉDICALES M. Claude Bernard a démontré dans le foie l'existence d'un amidon animal qu'il nomme glycogène, et qui se forme dans cet organe aux dépens des matières albuminoïdes; le glycogène à son tour se transforme en glucose dans le foie; il est donc probable, dit M. Gauthier dans sa thèse pour le concours d'agrégation 1860, que cet organe contient peut- être deux ferments. Plus loin, notre savant confrère constate la présence de ferments dans les fibres musculaires. « Les muscles à l'état de repos sont neutres; les muscles à l'état de travail et les muscles morts deviennent acides par l'acide sarco-laetique (E. Duboys-Reymond). Si l'on rapproche cette ob- servation de ce fait, que ces muscles contiennent des inosites et de la dextrine, et que ces deux substances soumises, en dehors de l'écono- mie, à l'action de l'albumine en état de se transformer, donnent aussi de l'acide lactique, il sera difficile de ne pas voir dans la présence de cet acide, dans les muscles , le fait de la fermentation de la dextrine et du sucre musculaire. » Le sang lui-même n'est pas exempt de ferments. 31. Béchamps, le savant professeur de Montpellier, a trouvé, dans cer- tains cas, un ferment dans le sang qui saccharifiait l'empois d'amidon et qu'il a nommé néphrozymase. Briïcke y a constaté la présence de la pepsine. Grâce aux travaux bien connus de M. Pasteur, qui a créé l'histoire naturelle des ferments et démontré leur spécificité, l'horizon de ce monde microscopique s'élargit et s'éclaircit de plus en plus. Nous connaissons l'influence morbide de beaucoup de ferments et leur action spéciale : on a trouvé des ferments différents dans la variole, la fièvre typhoïde, la fièvre puerpérale, la lièvre scarlatine, les maladies engendrées par les miasmes les maladies charbonneuses, les maladies virulentes en général et dans différents venins. En réfléchissant sur le rôle immense des fer- ments et leur influence dynamique ou adynamique sur l'économie, nous nous demandons si l'état de fermentation permanente dans lequel se trouve le koumys n'est pas pour beaucoup dans son extrême facilité d'assimilation que nous avons constatée sur nous -même et sur nos malades, et qui a déjà été observée par Schnepp et par tous les mé- decins russes faisant un fréquent usage du koumys dans leur clientèle. Qu'on nous pardonne ici une comparaison peut-être un peu hasardée, mais qui expliquera notre pensée jusqu'à un certain point. Nous savons que la facilité avec laquelle des mollusques crus, tels que les huîtres, les clovisses, etc., se digèrent, est due aux éléments de digestion qu'ils portent en eux-mêmes et qui servent à leur propre di- gestion, tels que le suc gastrique, la bile, etc. (Gubler, Commentaires thérapeutiques du codex medicamentarius, 1871.) Est-ce que le koumys, à cause des ferments spéciaux qu'il ren- Dr LANDOWSKI. — DU KOUMYS 897 ferme, ne porterait pas aussi avec lui les éléments de son assimi- lation ? Déjà Schnepp réfléchissait profondément sur ce problème en considé- rant le koumys comme un ferment, comme une organisation virtuelle, à la fois être animé et animant, comme une puissance portant principa- lement sur les éléments du tissu conjonctif. Arrêtons-nous là pour ne pas chercher dans une hypothèse, quelque logique et intéressante qu'elle nous paraisse, l'explication de l'action physiologique et thérapeutique du koumys ; et si nous nous sommes étendus sur cette question, c'est qu'elle nous paraît très-sérieuse et digne d'attirer l'attention des hommes spéciaux. En résumant tout ce que nous avons dit jusqu'à présent du koumys au point de vue chimico-physiologique, ses propriétés se manifestent par : 1° L'action d'une grande quantité de sels identiques aux sels du sérum du sang, introduits dans l'organisme ; 2° L'action des matières albuminoïdes sur les tissus organiques; 3° L'action éminemment digestive de l'acide lactique ; 4° L'action stimulante de l'alcool et son influence sur le tissu adipeux en général ; 5° Les propriétés stimulantes de l'acide carbonique sur les capillaires, et sédatives sur la muqueuse stomacale ; 6° Enfin l'état de fermentation permanente du koumys, qui pourrait être considéré comme une des principales causes de son absorption di- recte et rapide. L'action directe du koumys, en considérant son influence immédiate sur l'organisme, dépend beaucoup, au début de la cure, des prédisposi- tions individuelles de ceux qui en font usage; mais peu de jours suffi- sent pour établir la tolérance et pour que les phénomènes physiologiques soient à peu près les mêmes partout. Les premières doses de koumys occasionnent chez beaucoup de per- sonnes un sentiment de plénitude dans l'estomac qui disparait rapidement lorsque quelques éructations viennent dégager l'acide carbonique, comme après toute autre boisson gazeuse. Au commencement la soif est complètement apaisée, mais ce n'est que pour devenir plus intense, à cause de la sécheresse de la muqueuse buccale pharyngienne qui diminue la sécrétion, probablement en raison de l'augmentation des autres sécrétions. En même temps on éprouve dans l'estomac un sentiment de légère chaleur, rappelant l'effet des boissons alcooliques en général. Nous ne voulons pas revenir sur ce que nous avons dit plus haut sur l'action stimulante et excitante da koumys pour expliquer ce phénomène; constatons seulement qu'il est 898 SCIENCES MÉDICALES toujours accompagné d'une augmentation considérable de l'appétit . En effet, le procès d'échange de la matière étant plus rapide, la quan- tité des matières dont s'alimente l'organisme doit être plus grande; cependant il est à remarquer que là oïi l'on lait usage du koumys au-delà d'une certaine limite (de 5 à 8 litres par jour) l'appétit diminue. Les vrais buveurs de koumys, qui peuvent en absorber des quantités vraiment incroyables, mangent très-peu. Ce lait s'explique de lui-même par les grandes quantités des matières nutritives contenues dans ce li- quide, de même que la rapidité et la facilité d'assimilation des principes constitutifs du koumys font comprendre pourquoi les personnes habituées à cette boisson peuvent en prendre des quantités immenses (18 litres par jour et même davantage) sans éprouver ce sentiment de plénitude mentionné plus haut, et sans satiété. Le koumys agit sur le tube intestinal parfois comme laxatif, en pro- voquant une légère diarrhée accompagnée de quelques coliques. Cet effet ne se rencontre que dans le koumys n° 1. D'ailleurs cette diarrhée est de courte durée ; elle s'arrête spontané- ment après un ou deux jours, et n'est rebelle que chez les personnes qui, en général, ne supportent pas le lait. Il suffît alors de remplacer le koumys n° 1 par du koumys n° 2 qui est plus fermenté, pour faire disparaître la diarrhée. D'ordinaire, l'action du koumys sur le tube in- testinal est de provoquer la constipation : les selles deviennent dures et sont peu abondantes. La diurèse augmente, et le besoin fréquent d'uriner se fait sentir. L'urine est claire et la réaction en est acide. Cette propriété diurétique, depuis longtemps connue dans la Russie orientale, tient d'une part aux principes lactés du koumys et d'autre part à la quantité d'eau qu'il contient; malgré cela, la densité de l'urine augmente à cause de l'abon- danle élimination des sels uriques. Le premier fait précis à ce sujet a été décrit par le docteur Palubienski dans le Journal du ministère de la guerre, Saint-Pétersbourg, 1865. Palubienski lit des expériences sur lui- même : Le premier jour, en prenant diverses boissons telles que thé, café, bière, eau, équivalant à 4 litres de liquide, il rendit lo00"nc d'urine d'un poids spécifique de 1019 ; sur celte quantité il y avait 57 grammes de corps solides (formule Tropp). Le second jour, il força la quantité de ces boissons jusqu'à 10 litres, quantité égalant les plus hautes doses de koumys que l'on peut donner aux malades; il obtint 2;400rmc d'urine avec un poids spécifique de 1013. Le troisième jour, il prit 10 litres de koumys, à l'exclusion de toute autre boisson, et constata également une augmentation de l'urine, dont Dr LANDOWSKI. — DU KOUMVS 899 il ne donne pas le chiffre, mais dont le poids spécifique, au lieu de di- minuer, est monté au-dessus de 1019 et la quantité des corps solides était, d'après la même formule, 86 grammes. Il est regrettable que Palubienski n'ait pas fait l'analyse qualitative des sels, et qu'il n'ait pas répété ses expériences pour arriver à des données certaines qui, sous le rapport de l'élimination des sels uriques, pourraient avoir une certaine importance au point de vue thérapeu- tique. Nous espérons être bientôt en état de compléter cette lacune par une série d'expériences et d'analyses exactes et précises. L'action du koumys sur les glandes sudoripares est plutôt anti-sudorale, d'après des observations faites sur des malades atteints de sueurs nocturnes. Cependant, pris en grandes quantités, il active la sécrétion cutanée. Dans quelques cas on a observé une espèce d'urticaire légère qui se ma- nifestait les premiers jours de la cure. Sur les glandes mammaires chez les nourrices, son influence se mani- feste par une augmentation notable dans la sécrétion du lait, qui devient plus riche en sels et en globules graisseux. La première impression du koumys sur le système circulatoire se ma- nifeste par une accélération du pouls de 10 à 15 pulsations par minute, mais cette excitation n'est que de courte durée ; cependant un certain développement du pouls et son ampleur qui n'existaient pas auparavant, dénotent l'impulsion donnée à la circulation sanguine. D'après l'analyse du docteur Chomenkow (Journal de médecine du ministère de la guerre, Pétersbourg, p. 39, n° 2), le sang devient plus riche en hœmatoglobuline et en fibrine et plus pauvre en sérum. Seeland compare l'action du koumys sur le sang à l'effet d'une trans- fusion. Nous n'avons pu encoiv confirmer par des expériences ultérieures [les expériences du docteur Chomenkow; d'ailleurs elles sont très-compré- hensibles par la grande quantité de sels, identiques aux sels du sérum du sang, que le koumys, véritable eau minérale organique, apporte à l'organisme, prêts a passer directement dans le système circulatoire. C'est à cette qualité que Stahlberg attribue l'amélioration du teint chez les personnes prenant du koumys. Il nous semble que cette fraicheur du teint dépend plutôt de l'action stimulante du koumys sur la circulation capillaire que de la dens:té du sang. Les observations de Schnepp, Stahlberg, Bogoiawlcnski, Lutostanski et de beaucoup de médecins russes, constatent l'action du koumys sur la capacité respiratoire des poumons, que les intéressantes expériences pnéométriques, faites par 900 SCIENCES MÉDICALES Schnepp et par Stahlberg, nous démontrent comme sensiblement aug- mentée. La température s'élève de 1 à 3 degrés sous l'influence complexe des principes actifs du koumys; cette élévation se maintient plus ou moins selon la quantité et le degré de fermentation et selon l'habitude qu'on a de cette boisson. L'action du koumys sur le système nerveux se traduit par une sorte d'exhilaration qui va même jusqu'à l'ébriété chez certaines personnes. Cet effet, dû sans doute à l'action combinée de l'acide carbonique et de l'alcool, est suivi de bien près par le sommeil, dont le besoin se fait sentir, même dans la journée. On ne ressent, au réveil, aucune pesanteur de tête ou fatigue muscu- laire, ni autres symptômes qui suivent habituellement l'usage des bois- sons alcooliques ; on éprouve au contraire un sentiment de bien-être général, résultat d'un sommeil calme, paisible et réparateur. Quelques médecins russes prêtent au koumys une action légèrement aphrodisiaque qui, selon nous, doit se borner simplement à une excita- tion passagère résultant des qualités analeptiques de ce produit, qualités auxquelles il faut également attribuer les succès obtenus chez des femmes clilorotiques par les docteurs Bogoiawlenski et Postnikow dans le traitement de plusieurs cas d'aménorrhées et de dysménorrhées rebelles. Mais là surtout où l'action du koumys mérite la plus grande atten- tion, c'est dans sa propriété d'augmenter rapidement l'embonpoint, et nous ne saurions assez insister sur cette qualité ; le résultat est constant , certain , et ne manque que dans des circonstances excep- tionnelles. Cette action si manifeste et si facile à contrôler, qui change à vue d'œil l'aspect des personnes soumises à ce traitement et en a fait un spécifique contre la phthisie pulmonaire en Russie, a enthousiasmé Grieve et avec lui tous les médecins qui ont eu l'occasion de l'expéri- menter. Schnepp le qualifie de « merveilleux », et donne à l'appui le résultat de ses expériences. Un de ses malades, pesé après six jours de traitement, avait gagné 2 kil. 300 grammes. Chez un autre, l'augmentation de poids, après quatorze jours, était de 2 kil. 550 grammes. Un autre avait acquis, en douze jours, 6 kil. 300 grammes. Stahlberg a pesé 38 malades atteints de phthisie pulmonaire. Nous le citons textuellement (Der Kumys. Seine physiologischen und thera- peutischen wirkungen, p. 55). Le poids de ces 38 malades a gagné, au bout d'une saison de traitement, 124,655 grammes, par conséquent une moyenm; de 3,280 grammes par personne. Sur ces 38 malades il y en avait 7 qui ne présentaient aucune amélioration, tandis que 5, ayant Dr LANDOWSKI. — DU KOUMYS . 901 des cavernes, représentaient en moyenne une augmentation de poids de 4,855 grammes par malade. 11 malades, avec une infiltration caséeuse, ont gagné 39,648 grammes, donc une moyenne de 3,004 grammes. Deux femmes dans l'état de phthisic pulmonaire très-avancée (vastes cavernes) ont gagné, l'une 9,278 grammes, et l'autre 6,948 grammes. Stahlberg termine ses obser- vations en faisant remarquer que l'augmentation du poids est plus facile à obtenir chez les femmes que chez les hommes. 22 hommes ont représenté, au bout d'une saison de traitement, un surcroît de 48,641 grammes," en moyenne 2,220 grammes. 26 femmes ont gagné, dans le même délai, 101,144 grammes, en moyenne de 3,851 grammes. Les observations de Stahlberg concernant la même action du koumys sur des enfants de 5 à 8 ans se résument à 2,955 grammes en moyenne par enfant, dans un délai de trois mois. En continuant les observations de Stahlberg, voici les résultats de 30 ob- servations recueillies tant dans les hôpitaux que dans notre clientèle privée. Le poids additionné de 30 individus nous a donné, avant le traitement, 1,812 kil. 350 grammes ; après 30 jours de traitement, 1,878 kil. 530 grammes. Par conséquent la différence était de 66 kil. 180 grammes , c'est-à-dire une moyenne de 2 kil. 206 grammes. Comme Stahlberg, nous avons également pu constater une augmen- tation de poids plus rapide chez les femmes que chez les hommes. Cependant nous sommes forcés de faire certaines réserves à ce sujet, vu la différence dans le degré des lésions chez les individus des deux sexes sur lesquels nous avons recueilli nos observations/ et nous nous gardons d'autant plus d'être concluants que, dans quelque cas, il y a eu égalité complète. Chez les enfants, le poids augmente avec une rapidité qui surpasse de beaucoup celle observée chez les adultes. 4 enfants ont gagné de 800 grammes à 2 kilog. en quinze jours, et chez uns petite fille de onze ans, pesant avant le traitement 25 kilog., nous avons constaté une augmentation de 3 kil. en quinze jours ; elle a donc gagné un neuvième de son poids total. La théorie de Liebig sur la formation de la graisse dans l'organisme, ainsi que la production de la graisse par l'alcool, le sucre de lait et des composés plastiques qui se trouvent dans le koumys, n'expliquent pas suffisamment cet engraissement rapide. Nous pensons, avec le docteur Lutostanski et d'autres que le koumys, outre sa valeur comme aliment complet, a une propriété spéciale d'augmenter la nutrition, ce qui permet , par conséquent, d'introduire avantageusement une plus grande quantité d'aliments dans l'organisme. 'J02 ' SCIENCES MÉDICALES INDICATIONS ET APPLICATIONS THÉRAPEUTIQUES DU KOUMYS , ET MODE D'EMPLOI. Les indications thérapeutiques du koumys découlent facilement des considérations physiologiques que nous venons de présenter. Toutes les l'ois qu'une affection chronique ou aiguë a appauvri l'éco- nomie et débilité l'organisme, soit par une exagération de la dépense, soit par une utilisation imparfaite et défectueuse des matériaux apportés (insuffisance fonctionnelle des organes d'assimilation, asthénie, etc.), l'usage du koumys sera indiqué, car, comme nous l'avons dit, c'est un aliment complet, ayant on lui tout ce qu'il faut pour se digérer lui- même, laissant par conséquent peu de chose a faire à la chimie de la nutrition , pouvant même aider à la digestion d'autres aliments ; d'un autre côté, possédant une action stimulante et névro-sthénique. Aussi, nous le plaçons en première ligne de la médication tonique, reconsti- tuante et névro-sthénique. C'est là le rôle thérapeutique que nous lui assignons. Gela posé , passons à l'examen de l'action du koumys dans les différents états pathologiques où son emploi est indiqué, et où de nombreuses expériences ont pleinement confirmé son utilité théra- peutique. En nous tenant à l'ordre nosologique des maladies débilitantes d'un côté, et d'autre part en considérant les premières observations médi- cales de ses applications thérapeutiques, nous devons commencer par la phthisie pulmonaire. Par tout ce que nous avons dit jusqu'ici, nous croyons être à l'abri de la supposition de partager l'opinion très-répandue en Russie, qui donne au koumys des qualités spécifiques contre cette affection. Loin de là. En pensant avec un de nos plus célèbres phthisio- logues, M. Pidoux, que chercher à la phthisie un remède dans le sens pharmacologique du mot est une puérilité, nous sommes con- vaincus qu'un spécifique de cette affection ne pourra jamais être trouvé, et que toute la médication contre cet état pathologique essen- tiellement débilitant, et résultant de l'asthénie générale ou partielle, doit avant tout viser à l'amélioration du terrain pour le rendre moins apte à être envahi. Il n'y a pas de doute que le concours des diverses influences mor- bides prépare l'organisme, par leur action dépressive, au développe- ment de la phthisie. Sans discuter les théories actuellement existantes sur la tuberculose, nous nous rattachons à celles émises par des auteurs comme Pidoux, Guéneau de Mussy, Chauffard, et dans les excellentes Dr LAISDOWSKI. — DU KOUMYS 003 thèses de Thaon et Grancher, se basant sur l'unité de la phthisie. Les mêmes lésions et les lésions de même nature ont, chez différents individus, différentes actions dépressives dont le degré dépend princi- palement de la résistance vitale individuelle. Les progrès et la marche de la phthisie pulmonaire sont en général subordonnés à cette résis- tance, et si l'on doit compter sur une médication efficace dans la phthisie, il faut la chercher, avant tout, dans les éléments qui peuvent soutenir cette résistance. C'est dans la facilité et la rapidité d'assimilation des principes nu- tritifs que nous pourrons trouver un dédommagement de la perte exagérée et de l'adynamie fonctionnelle que l'on rencontre toujours chez la plupart des phthisiques. C'est ainsi que nous comprenons l'utilité et l'importance très-sérieuse du rôle thérapeutique du koumys dans ces affections , et c'est là qu'il faut chercher l'explication des résultats heureux que donne son appli- cation dans la phthisie pulmonaire. Comme nous l'avons déjà dit dans la partie historique de notre étude, c'est au docteur Grieve, médecin anglais dans l'armée russe, 1784, que l'on doit les premières appréciations sur l'action thérapeutique du koumys. Sa première observation concerne un Russe qui, par suite d'une maladie syphilitique et d'un usage exagéré de préparations hydrar- gyriques, était tombé dans la cachexie mercurielle, avec les symptômes les plus alarmants, tels que syncopes très-fréquentes, exténuation com- plète, au point de devoir être porté dans sa voiture. Soumis pendant six semaines au traitement par le koumys, chez les Tartares, cet homme se rétablit entièrement et engraissa tellement qu'il en devint mé- connaissable. Ce cas attira sérieusement l'attention de Grieve sur le koumys, qu"il commença à expérimenter avec ardeur. Il s'enthousiasma pour ce médicament, et arriva à le considérer comme le moyen le plus efficace dans le traitement de toutes les ma- ladies chroniques et à lui attribuer en même temps des propriétés anti- septiques. Depuis Grieve, qui a tiré le koumys de l'empirisme et essayé d'établir sa valeur thérapeutique sur des données scientifiques, les mé- decins russes s'en sont beaucoup et spécialement occupés ; mais les mystères qui entouraient sa fabrication chez les Khirghizes et les Tar- tares, la difficulté de se procurer partout du lait de jument (la possi- bilité de le remplacer par un autre lait étant encore inconnue), le préjugé répandu que le koumys n'était salutaire que pris au lieu même de sa fabrication, l'éloignement et l'étendue des steppes, présentaient des difficultés sérieuses aux investigations de la science. On savait seulement que les phthisiques partaient très-amaigris pour les steppes 904 SCIENCES MÉDICALES et qu'ils en revenaient avec de l'appétit, les forces accrues et un embon- point inusité. Cependant l'intérêt que présentait le koumys, en attirant de plus en plus l'attention du monde médical , a fait que , malgré toutes ces diffi- cultés, on a pu le soumettre à une étude plus approfondie, et les di- verses opinions concernant son action thérapeutique dans la phthisie nous semblent, par leur importance et par l'autorité de ceux, qui les ont émises, mériter d'être résumées ici ; d'autant plus que ces opinions sont appuyées aujourd'hui par des observations suivies, faites dans des établissements spéciaux dirigés par des médecins et où, chaque année, de nombreux malades affluent pour se faire soigner. Le docteur Baron Maydell , dans sa Dissertatio nonnulla topogra- pliiam Orenburgensim spectantia , Dorpat, 1849, dit que des malades avec des cavernes , soumis pendant une saison au traitement par le koumys , ont été dans un état d'amélioration telle , que lui-même com- mençait à douter de son diagnostic, jusqu'à ce que d'autres expériences l'aient convaincu de la justesse de ses appréciations. Il regarde le kou- mys comme un médicament qui , dans la phthisie , dépasse tous les résultats obtenus jusqu'ici. Ucke reconnaît au koumys une action curative des tubercules crus ; mais là où il y a ramollissement, il l'arrête seulement, sans avoir la puissance de restaurer les poumons. Le docteur Postnikow va plus loin : il prête au koumys la faculté de cicatriser les cavernes, et dit que les cavernes, peu après le début de la cure, cessent de fournir le pus d'expectoration ; que les crachats changent de nature en diminuant et en devenant de plus en plus transparents ; les cavernes se rétrécissent et se ratatinent en tissus cicatriciels. Palubiensky observe que l'action du koumys est lente chez certaines personnes et rapide chez d'autres, mais elle est presque toujours salu- taire ; seulement la rapidité dépend du degré plus ou moins avancé de la phthisie. Stahlberg, un des meilleurs observateurs, attribue au koumys la puissance de sauver les phthisiques, même dans un degré très-avancé de la maladie, avec diminution des signes locaux. Les observations qu'il publie dans sa monographie du koumys sont d'une grande valeur. Nous avons déjà parlé du docteur Karell et de son appréciation du koumys comme seul moyen capable de guérir la phthisie pulmonaire. Le docteur Schnepp, en 18(34, soumit six malades au traitement par le koumys. Quatre étaient dans le premier stade de dégénérescence tuberculeuse, présentant des signes non équivoques de tubercules dans Dr LANDOWSKI. — DU KOUMYS 905 le sommet du poumon. Les deux autres avançaient déjà vers la période de la fonte tuberculeuse, portaient des cavernes dans les sommets du poumon ; ils avaient des hémoptysies, de la fièvre hectique ; état d'éma- ciation très-prononcé. Chez les uns et les autres, le koumys a été employé à des doses croissantes de 1 verre jusqu'à 3 litres 1/2 par jour. Il a obtenu des résultats si importants qu'il s'écrie : « Y a-t-il un autre moyen, un aliment ou agent thérapeutique qui soit capable de produire une pareille restauration et de lutter ainsi, contre la grave consomption de la tuberculisation ? N'est-ce pas déjà un bienfait immense que de faire prendre de l'embonpoint à celui qui se voyait entraîné dans une effrayante maigreur? N'est-ce pas faire naître et entretenir l'espérance dans le cœur de celui chez lequel on parvient à diminuer les fatigues d'une respiration gênée et à modérer l'ardeur d'une fièvre dévorante ? N'est-ce pas une guérison relative, que de pro- longer ainsi la vie, ne serait-ce que de peu d'années, de quelques mois même, quand le mal qu'on attaque est la dégénérescence tubercu- leuse? » Le docteur Bogoiawlenski doit sa guérison de la tuberculose avancée exclusivement à l'action salutaire du koumys. Presque en même temps, le docteur Chalubinski, professeur de thé- rapeutique de l'Université de Varsovie, tout en n'admettant pas la spéci- ficité du koumys, le recommande chaudement comme un puissant agent thérapeutique dans les catarrhes pulmonaires, bronchiques, gas- triques et gastro-intestinal, et partout où il faut stimuler et relever rapidement les forces de l'organisme, déprimées par une maladie chro- nique. Pour ne pas nous répéter, nous citerons seulement de nom les doc- teurs Jagielski, Lutostanski, Nowakowski, Przystanski, etc., qui, dans leurs divers exposés sur l'action thérapeutique du koumys, ont suivi les indications du savant professeur de Varsovie. Enfin le docteur Fonssagrives, en reconnaissant la valeur réelle de ce médicament dans la phthisie pulmonaire, théorise son influence salu- taire, comme dépendant de la double action, sédative et nerveuse en même temps, qu'il reconnaît aux cures du petit-lait de la Suisse et de l'Allemagne; mais son résultat le plus avantageux, dit-il, dérive de son action reconstituante : il augmente l'embonpoint, et nous avons dit toute l'importance de ce résultat pour les phthisiques. Y conduit-il par l'abon- dance des boissons, par la quantité de lactose qu'il renferme, par les proportions d'alcool offert à l'assimilation sous une forme inoifensive, ou enfin par son acide carbonique, tous principes auxquels on a reconnu de tous temps la propriété d'augmenter l'embonpoint ? Il est probable qu'on doit attribuer ce résultat à chacun de ces éléments. 61 906 SCIENCES MÉDICALES Tout récemment, M. le docteur Urdy, interne du service de M. Chauffard, réminent professeur de pathologie générale, dans une excellente étude sur l'emploi du koumys en thérapeutique (Bulletin géné- ral de thérapeutique), en réservant à l'avenir de décider de la valeur réelle du médicament, constate que les résultats obtenus sur 8 tuber- culeux et 1 albuminurique sont des plus satisfaisants et méritent d'être signalés. Comme on voit, l'application du koumys dans la phthisie pulmonaire se présente sous un patronage médical très -sérieux; cependant, nous devons reconnaître, comme M. Pidoux en fait si justement la remarque, que les statistiques parues jusqu'à présent sur le rôle du koumys dans la phthisie ne sont pas suffisamment établies, et dans toutes nos recher- ches, en tenant compte des observations chiffrées de Stahlberg, With, Postnikow, Schischonko, Chodatzki, Radakoff, Seeland, etc., la statisti- que de Bogoiawlenski, déjà citée, est celle qui nous semble le mieux répondre aux conditions scientifiquement exigées. Cette statistique porte sur 100 tuberculeux : lo guérisons, 70 amélio- rations notables, 10 résultats nuls et 5 décès. Grâce aux expérimentations faites avec le koumys, depuis quatre mois, dans plusieurs hôpitaux de Paris, sous la direction de nos plus éminents maîtres, nous fûmes à même de recueillir 40 observations concernant des phthisiques, dont vingt-quatre femmes et seize hommes. Au point de vue étiologique, 18 avaient des antécédents de famille, 9 la phthisie acquise, 12 cause inconnue, et 1 bronchite tuberculeuse. Au point de vue des lésions, 2 étaient dans la première période de la tuberculose, 29 dans la période de ramollissement, 1 avec induration pulmonaire et infiltration caséeuse du côté droit, 2 avaient la phthisie à marche rapide et 6 étaient dans la dernière période très-avancée avec vastes cavernes des deux côtés et fièvre hectique. Sur ces 40 cas, nous enregistrons 30 bons résultats, 8 résultats nuls et 2 décès (1). Les 30 bons résultats se répartissent comme suit : 1 guérison, 11 améliorations très-marquées, 16 améliorations et 2 amé- liorations passagères. L'action du koumys s'est surtout manifestée chez les malades atteints de phthisie sans éréthisme "nerveux, sans grande fièvre, et là où des troubles gastriques compliquaient la maladie, il a donné des résultats vraiment surprenants. Il a été sans effet chez les malades atteints de diarrhée. Les progrès d'amélioration allaient à peu près dans l'ordre suivant : O) Nons ne citons ces deux décès que pour la précision de la statistique, attendu que ces malades étaient dans un état tout à fait désespéré; l'un est mort S jours et l'autre 13 jours après le commencement du traitement. î)r LANDOWSKI. — DU KOUMYS 907 1° Le sommeil reparaît; 2° La fièvre se calme et disparaît peu à peu; 3° Le pouls devient ample el modéré; 4° La toux diminue, les crachats changent de nature après peu de jours de traitement, et de purulents deviennent muco-purulents, puis muqueux. L'appétit augmente d'une façon tout à fait remarquable ; les vomis- sements, s'il y avait des complications dyspeptiques, s'arrêtent ou di- minuent. Bientôt l'amélioration se manifeste d'une manière plus frappante: les forces reviennent et en même temps le poids du corps augmente ; — ainsi les phthisiques engraissent. L'augmentation du poids, qui en est la marque constante, même à une période avancée de la maladie, se traduisant par des chiffres, vu que tous ces malades ont été pesés avec soin; on comprend tout de suite l'importance énorme de ce résultat sur le moral du malade. Le tableau suivant indique la répartition du surcroît de poids chez les 30 malades depuis le 10 mai jusqu'au 10 septembre. 1 a gagné 7 kilogr. 1 — 6,400 — 4,8Û0 1 — 4,300 1 — 4 2 — 3,800 â 4 kilogr. 2 — 3 4 — 2 à 2,500 1 — 1,530 1 — 1,500 1 — 1,150 1 — 1 à 1,500 2 — 0.500 Les signes locaux de l'affection se sont amendés chez 5 malades et ont même disparu dans un temps relativement court dans 4 cas ; mais dans les autres ils ont persisté malgré l'amélioration évidente de l'état général. Le koumys a été bien supporté par les malades, provoquant chez quel- ques-uns une légère ébriété. Généralement ils s'habituaient facilement à son goût et le prenaient même avec plaisir ; 5 seulement ont manifesté de la répugnance au commencement, mais qui a disparu après quelques jours. Dans un cas, il a fallu supprimer le traitement malgré ses bons effets, à cause du dégoût, au bout de 36 jours. Le koumys a été appliqué dans 3 cas d'albuminerie. 1° Albuminerie chronique, consécutive à la fièvre scarlatine (hôpital Necker, service de M. Chauffard) ; 908 SCIENCES MÉDICALES 2° Albuminerie passagère (hôpital de la Pitié, service de M. Dujar- din-Beaumetz) ; 3° Albuminerie avec anasarque (dans notre clientèle). Dans tous ces cas, le koumys a donné d'excellents résultats : la dimi- nution de l'albumine dans l'urine, le retour des forces et l'augmentation du poids se sont manifestés très-rapidement, ce qui est facile à com- prendre, par les principes lactés du koumys et la nature de son action. Nous ne faisons qu'enregistrer ces cas en nous abstenant de conclusions définitives à ce sujet, vu que cette médication n'a pas encore été essayée dans les albumineries avec altérations rénales plus avancées. ,. Dans le diabète, le koumys n'a été employé qu'une seule fois et sans succès (hôpital Beaujon, service de M. Gubler). En tenant compte des théories de M. Bouchardat sur l'oxydation dans l'économie, de celles de Brunton sur l'efficacité du lait de beurre et du lait écrémé, par l'acide lactique qu'ils contiennent, et en nous rappelant les nombreuses expériences de Cantani, si connu en Italie, qui donne aux diabétiques de l'acide lactique et de l'alcool (10 gr. d'acide lactique pur, 10 gr. d'alcool dissous dans 200 gr. d'eau), nous croyons que théori- quement le koumys répond à toutes les conditions et mérite d'autant plus une expérimentation sérieuse dans cette maladie, que son état de fermen- tation permanente et ses principes constitutifs en font un puissant modificateur de la nutrition. L'indication précise du koumys se présente dans tous les cas de chlorose et de chloro-anémie, surtout là où des complications dyspep- tiques prédominent. Là où les préparations ferrugineuses sont mal tolérées, quelques semaines de traitement par le koumys, en corrigeant l'état généra], ont suffi pour permettre leur application. Dans trois cas de gastrite, dont 2 appartiennent à l'alcoolisme et 1 à la gastrite chronique avec dilatation d'estomac et vomissement incoer- cibles (Hôtel-Dieu, service de M. Guéneau de Mussy), la guérison com- plète a suivi de près l'emploi du koumys. En général, le koumys donne toujours d'excellents résultats dans les troubles gastriques, quelle que soit leur nature. Nous ne pouvons nous abstenir de mentionner ici l'amendement des crises si douloureuses et des vomissements 'chez deux malades atteints de cancer d'estomac; ils vomissaient tout, même le lait, et ne pouvaient supporter que le koumys qu'ils réclamaient avec insistance, comme seul aliment ne leur occasion- nant pas de souffrances. On comprendra quelle ressource précieuse le koumys offre, au point de vue humanitaire, dans ces cas désespérés où tous les secours de l'art ne peuvent que se borner à adoucir les derniers moments des pau- vres cancéreux Dr LANDOWSKI. — DU KOUMYS 009 Si l'on considère que toutes les observations que nous présentons ici se basent sur les expériences faites dans les hôpitaux, où malgré toute la sollicitude et malgré tous les soins dont on entoure les malades, les conditions hygiéniques ne peuvent jamais se comparer à celles dans lesquelles se trouvent les personnes en état de se soigner chez elles, si l'on considère que la plupart de ces malades étaient dans un degré avancé de la phthisie où tout autre traitement avait déjà échoué, que sous l'intluenee du koumys, l'amaigrissement a été non-seulement arrêté, mais encore que tous ont gagné plus ou moins d'embonpoint et que leur état général s'est sensiblement amélioré dans l'espace de 30 jours en moyenne, il est impossible de ne pas en tirer les conclusions les plus encourageantes pour les malades qui peuvent jouir de bonnes conditions hygiéniques et chez lesquels les lésions sont encore peu avancées. Les expériences ultérieures décideront jusqu'à quel point cette médi- cation, qui commence de plus en plus à gagner droit de cité dans la thérapeutique française, justifiera la grande vogue dont elle jouit en Russie. Rappelons-nous cependant que l'usage du koumys date dans ce pays de temps immémorial, qu'à mesure que les communications y deve- naient plus faciles il a acquis plus d'importance eu se répandant dans l'Europe orientale, et qu'aujourd'hui l'observation scientifique ne fait qu'expliquer, par l'analyse de ses éléments constitutifs, les effet constatés par la méthode expérimentale. MODE D'EMPLOI. L'action thérapeutique du koumys, comme celle de tous les médica- ments appartenant à la classe des reconstituants et des névrosthéniques, est en proportion directe avec la durée du traitement et la quantité administrée au malade. La durée est, au minimum, de six semaines ; la quantité à absorber varie de une à quatre bouteilles par jour. Au commencement cependant, pour habituer le malade au goût acidulé du koumys, qui, du reste, n'a rien de désagréable, on fera bien de commencer par lui faire prendre seulement deux verres en quatre fois entre les repas. Au bout de deux ou trois jours, on augmente la dose jusqu'à une bouteille prise en quatre fois, c'est-à-dire deux verres le matin et deux verres dans l'après-midi. En augmentant graduellement la quantité, on se tient toujours à une dis- tribution proportionnelle de la dose, d'après la règle indiquée plus haut. Nous ne sommes pas d'avis de donner le koumys à jeun, car, en général, les boissons froides et gazeuses ne sont pas bien supportées par la plupart des personnes habituées à prendre un aliment chaud en se levant. 910 SCIENCES MÉDICALES II ne faut pas non plus donner le koumys immédiatement avant ou après le repas, car il présente alors les mêmes inconvénients que le lait, c'est-à-dire immédiatement avant, il peut diminuer l'appétit, immé- diatement après, surcharger l'estomac ; pourtant nous avons vu beau- coup de personnes le prendre sans tenir compte de ces prescriptions et n'éprouver aucun trouble gastrique. L'habitude joue ici un grand rôle. Comme nous l'avons déjà observé, il est bien supporté en général et même pris avec plaisir par beaucoup de personnes ; cependant il se trouve que, par son goût un peu étrange, le koumys déplaît au premier abord, surtout à ceux qui n'aiment pas le lait, ou qui ne connaissent pas le goût du petit lait-lait ou du lait battu. Nous avons également remarqué que cette première impression se dissipe rapidement ; mais là où cette ré- pulsion persisterait, surtout chez les femmes, il est facile d'y remédier en édulcorant le koumys avec un peu de sirop parfumé, ou simplement avec du sucre en poudre, et en fractionnant les doses, Les deux espèces de koumys employé en thérapeutique ne diffèrent, comme on sait, que par le degré de fermentation. Le koumys fabriqué à Paris (koumys Edward) contient : le n° 1, — 22,530 d'alcool par litre, tandis que le n° 2 en contient 30,310. Les indications thérapeutiques doivent se baser sur cette différence. On se sert principalement du koumys n° 1 ; seulement, là où l'on a affaire à une asthénie profonde ou bien à des complications gastro-intes- tinales, comme les vomissements, la diarrhée, etc., il faut avoir recours au koumys n° 2. L'amendement des symptômes morbides, l'amélioration de l'état géné- ral, le surcroît du poids ne doivent en rien ralentir la progression quantitative de cet agent thérapeutique. Le régime, pendant la cure, doit être, avant tout, approprié à l'état pathologique contre lequel on lutte; d'un autre côté, le koumys, par ses principes lactés, exige certaines précautions dépendantes de l'idio- syncrasie et des tendances morbides du malade. Généralement nous sup- primons les fruits, les crudités et tous les aliments moins digestibles, en insistant sur la viande rôtie, saignante ou crue, si c'est possible. Le vin doit être pris en petite quantité, et jamais immédiatement après le koumys. Il est important que les malades, en état de marcher, se donnent beau- coup d'exercice pendant la cure, sans cependant se fatiguer ; c'est une des conditions qui en favorise beaucoup l'action. Dr LANDOWSKI. — DU KOUMIS 911 INDEX BIBLIOGRAPHIQUE. 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Les auteurs l'ont pourtant observé cliez des sujets parfaitement sains chez lesquels la circulation est accélérée aux dépens de la tension. Un souffle se produit quand un liquide passe d'un espace plus étroit dans un espace plus large. Si, chez un cheval, sur une artère dénudée qui ne donne aucun bruit, on exerce une compression, on entend un souffle bref. Si l'on fait manger l'animal, l'excitation produite par le mouvement des mâchoires, par la sécrétion des glandes, exagère l'intensité de la circulation. De là un souffle qui, au lieu d'être bref, sera prolongé, mais avec des alternatives de bruit fort et de bruit faible. Si l'on cesse alors de faire manger l'animal, le phénomène diminue et finit par disparaître ; mais les bruits faibles dispa- raissent les premiers et les bruits forts sont seuls perceptibles, et il n'est pas nécessaire d'invoquer le frottement en retour de la colonne sanguine pour les expliquer. MM. Toussaint et Colrat ont produit par vivisection des insuffisances aortiques sur le cheval, et ils ont constaté par des tracés hémodromographi- ques que jamais la colonne sanguine ne revient en arrière dans ce cas. Le double et quelquefois le triple souffle dans l'insuffisance aortique est donc toujours un souffle en avant. Dr GIRALDÈS. — PÉRIOSTITE PHLEGMONEUSE DIFFUSE 913 Dr J. GIRALDES Membre de l'Académie de médecine SUR UN POINT DU TRAITEMENT DE LA PÉRIOSTITE PHLEGMONEUSE DIFFUSE — Séance du 26 août 187 4 — Je désire appeler l'attention des membres de la section sur un point du traitement de la périostite phlegmoneuse diffuse, maladie commune chez les enfants et les adolescents de la classe pauvre. Cette maladie, malgré la description magistrale qui en a été faite par le professeur Schutzenberger, de l'ancienne Faculté de Strasbourg, 1856, est généra- lement incomplètement exposée dans les livres classiques : partant mal connue. Sous le nom d'abcès sous-périostique, d'ostéite juxta-épiphysaire, d'os- tio-myélite aiguë et diffuse, décollement épiphysaire, les chirurgiens n'ont décrit qu'une des phases terminales de la maladie, et, au lieu de rendre son histoire plus précise, l'ont au contraire rendue plus confuse. Les appellations indiquées laisseraient supposer que la maladie aurait son point de départ dans l'organe auquel elles empruntent leur nom. Je ne tracerai point ici la symptomatologie de cette affection, car pour être exact il faudrait reproduire textuellement la remarquable des- cription du professeur de Strasbourg, Je dirai seulement que le mal débute par un appareil de symptômes très-aigus accompagnés de dou- leurs vives dans un point du segment ou des segments du membre supé- rieur ou inférieur, avec une élévation de température oscillant entre 39 et 42 degrés centigrades. Cet appareil de symptômes a été souvent con- fondu avec les débuts d'une fièvre typhoïde grave ou un rhumatisme très- aigu. Dans son évolution, la périostite phlegmoneuse diffuse marche avec une grande rapidité et se termine promptement par la suppuration du segment du membre où les douleurs ont leur siège. La suppuration dé- tache le périoste de l'os auquel il est adhérent, le décolle dans une très- grande étendue, si bien que, dans les cas suraigus, la diaphyse est dé- pouillée de sa membrane d'enveloppe. Le périoste détaché entraîne avec lui la couche ostéo-plastique de la diaphyse : privé des moyens de nutrition, l'os se nécrose, la moelle osseuse s'enflamme et suppure ; ce sont là autant de phases secondaires de la maladie. J'ai dit plus haut que le périoste décollé entraîne avec lui la couche ostéo-plastique ; aussi, lorsque la maladie dure quelque temps après 914 SCIENCES MÉDICALES l'ouverture de l'abcès, le périoste s'ossifie rapidement et forme autour de l'os nécrosé une gaîne osseuse, une nécrose invaginée nécessitant plus tard une opération chirurgicale afin d'extraire de la gaîne osseuse de nouvelle formation l'os nécrosé. Jusqu'à l'année 180o, j'ai traité par ce procédé à savoir : ouverture de l'abcès et extraction tardive de la nécrose envaginée, les nombreuses périostites diffuses que j'ai eu à observer. Je dois ajouter que l'extrac- tion du séquestre par l'ouverture de la gaine osseuse n'est pas toujours une opération sans danger. Le lo avril 1865, le professeur Holmes, de Londres, publia dans la Lancette anglaise une observation de périostite phlegmoneuse diffuse du membre inférieur, qu'il avait traitée avec succès par l'ablation prématurée du tibia nécrosé. Les expériences physiologiques sur la régénération des os par le périoste donnent une sanction complète à l'opération conseillée par le chirurgien anglais : aussi je n'ai pas hésité dès ce moment jusqu'en 1872, c'est- à-dire pendant une période de sept années, à employer, et ce avec avan- tage dans un très-grand nombre de cas, la pratique à laquelle je fais allusion. Aussitôt que la suppuration était formée et l'abcès largement ouvert et lorsque la diaphyse osseuse était dénudée dans une assez grande étendue, je n'hésitais pas à passer une scie à chaîne autour de l'os et à le diviser, à enlever toute' la portion nécrosée. J'ai enlevé par ce procédé une fois la clavicule, plusieurs fois une portion de l'humérus, le péroné tout entier, une grande partie du tibia, le calcaneum en totalité, etc. etc. L'ossification du périoste se refaisait avec une grande rapidité et les malades étaient guéris dans un laps de temps assez court. Cette pratique, c'est-à-dire l'ablation prématurée du séquestre, ou, si l'on veut, la résection des parties nécrosées, me paraît devoir être sub- stituée avec grand avantage à l'ancienne pratique. Je dois observer que cette manière de procéder ne me paraît pas applicable au premier seg- ment du membre inférieur, c'est-à-dire aux périostites phleginoneuses dif- fuses du fémur. Cette opération, d'une exécution facile, peut être simplifiée en met- tant en pratique le procédé d'Esmarch; on opère presque à blanc et on évite une perte de sang considérable. Dans les cas où la périostite phlegmoneuse se propage à une grande étendue, à toute Ja diaphyse par exemple, le cartilage inter-épiphysaire se ramollit, et la diaphyse se détache complètement de ce cartilage. La diaphyse nécrosée enlevée le périoste doublé de sa couche ostéogène s'ossifie rapidement, et ces os nouveaux sont vite formés; l'os nouveau ne présente pas, il est vrai, la configuration régulière de l'os normal Dr WANNEBROUCQ. — DE LA COQUELUCHE 915 mais présente toutes les conditions nécessaires pour remplacer dans ses fonctions l'os enlevé. La pratique de la résection prématurée de l'os nécrosé dans les périos- tites phlegmoneuses diffuses fournit d'excellents résultats en permettant une guérison rapide. Dr WAJOEBROÏÏCQ Professeur de pathologie interne à l'École de médecine de Lille NOTE SUR L'ANATOMIE PATHOLOGIQUE, LA NATURE ET LE TRAITEMENT DE LA COQUELUCHE — Séance du 26 août I87i — Depuis l'époque déjà éloignée (juin 1859) où je soutenais ma thèse inaugurale sur la coqueluche, j'ai eu la trop fréquente occasion, dans les épidémies qui ont sévi à Lille, d'observer cette maladie. J'y ai ap- porté une attention toute particulière, ayant un vif désir de rechercher tout ce qui serait susceptible de consolider ou d'infirmer la théorie que je m'étais cru en droit de proposer relativement aux phénomènes carac- téristiques de cette bizarre affection. 0r; tout ce que j'ai vu, les investigations cliniques minutieuses aux- quelles je me suis livré, l'efficacité même du traitement que j'ai été amené à instituer m'ont donné la conviction d'avoir fidèlement inter- prété les faits pathologiques. Je crois avoir démontré que les symptômes de la maladie s'expliquent suffisamment et complètement par le siège et par la nature des lésions ana- tomiques que j'ai indiquées, et qu'il n'est nullement nécessaire de s'en réfé- rer à d'hypothétiques modifications fonctionnelles des nerfs de sensibilité ou de motilité du larynx. Je ne relaterai pas ici les détails nécroscopiques et symptomatiques consignés dans mon premier travail. Je désire être très-bref sur un sujet dont presque tous les éléments sont si connus et je me bornerai à énon- cer succinctement un certain nombre de propositions essentielles suivies de l'exposé de la méthode thérapeutique que j'ai mise en œuvre depuis plusieurs années. La coqueluche n'est pas une névrose, comme l'a soutenu Blache et comme l'ont pensé longtemps à sa suite la plupart des auteurs classi- ques. L'analyse des observations mêmes renfermées dans le mémoire de 916 SCIENCES MÉDICALES cet éminent médecin plaide contre ses conclusions, que je ne puis guère m'empêcher d'appeler paradoxales. Constamment on trouve des lésions inflammatoires plus ou moins éten- dues, parfois généralisées, dans les organes respiratoires. Réduites à leur minimum, ces lésions résident dans les ventt icules du larynx. L'inflammation peut manquer ou avoir disparu partout ailleurs; on la retrouve nécessairement dans ces diverticules. Le processus catar- rhal peut s'y maintenir un temps fort long à l'exclusion de toute autre région de la muqueuse aérifère , comme on voit les inflammations des follicules muqueux, ou encore des culs-de-sac de la conjonctive, de l'u- rèthre, du vagin, etc., demeurer longtemps réfractaires aux moyens thé- rapeutiques qui ont amené la guérison de la phlegmasie sur tout le reste de l'étendue des muqueuses. Remarquons que les ventricules laryngiens sont des culs -de -sac d'une capacité bien plus considérable que ne l'imaginent ceux qui ne les ont pas étudiés particulièrement ; le fond s'en élève au moins jusqu'au bord supérieur du cartilage thyroïde, souvent jusque vers l'os hyoïde et exceptionnellement jusque sous la muqueuse linguale (1). Ils constituent, grâce à la juxtaposition des cordes vocales supérieures contre la paroi externe du larynx et aussi à cause de l'espèce de collet qui fait communiquer la portion horizontale avec la portion verticale de ces poches muqueuses, des cavités demi-closes dont l'orifice ne devient béant que dans certaines conditions mécaniques ou physiolo- giques. Les produits muqueux ou muco-pnrulents pourront, en conséquence, s'y accumuler momentanément pour en être expulsés à de plus ou moins longs intervalles, suivant l'abondance des sécrétions, leur consistance, et les actes divers qui entreront en jeu pour en provoquer la sortie. Ceci posé, que doit-il arriver lors de l'élimination des produits morbi- des hors des ventricules ? Cette évacuation se fait non d'une manière continue et presque insensible, mais par collections généralement bien rassemblées, plus ou moins cohérentes ; faisant une brusque irruption hors des cavités qui les renfermaient. Ces sécrétions tombant ainsi, tout à coup et en masse, dans la région glottique du larynx, produisent immédiatement la quinte avec ses spasmes laryngés ,ses expirations sac- cadées et ses inspirations sifflantes. Cette quinte se prolonge jusqu'à ce que le paquet catarrhal soit expulsé. Le rejet définitif en est souvent rendu difficile par la viscosité du liquide et son adhérence à la paroi ventriculaire. La matière glaireuse ou puriforme demeure alors engagée dans la glotte, suspendue comme par un pédicule, grâce à la portion du H) Sappey, Aiiatomie descriptive, 1" édit., t. III, [>. 375. Dr WANNEBROUCft. — DE LA COQUELUCHE 017 liquide restée incluse dans le ventricule. En cet état de choses, les efforts du malade continuent avec une intensité croissante jusqu'à ce qu'il soit libéré de ce corps étranger incommode, qu'il rejette enfin au milieu de produits de sécrétion divers provenant des glandes salivaires, des glan- dules pharyn go-laryngées, dont le fonctionnement est vivement surexcité par irritation réflexe et même souvent de l'œsophage et de l'estomac. Certaines quintes de coqueluche ne sont pas continues ou plutôt se dé- composent en plusieurs actes pour ainsi dire : les deux ventricules ne laissant échapper leur contingent de sécrétion que successivement et parfois sans doute en plusieurs fractions. D'autres fois, la quinte est en quelque sorte avortée. Les malades sen- tent bien et expliquent qu'elle s'est suspendue à peine commencée; qu'elle est comme rentrée après une première démonstration agressive. L'expli- cation de ce phénomène devient bien simple si l'on considère que le flot de muco-pus s'est engagé un instant sous la corde vocale supé- rieure et a fait, par sa partie inférieure seule, une rapide incursion jus- qu'à la glotte; mais qu'il a été refoulé aussitôt par un mouvement d'ins- piration, sans doute, dans la cavité ventriculaire, d'où il émigrera, plus tard, par le fait d'un mouvement plus étendu des cordes ou après une plus complète élaboration. On ne peut comprendre autrement que par leur internement temporaire dans un espace circonscrit, situé en dehors des voies directes du cou- rant aérien, l'expectoration brusque, et parfois de premier jet, de masses assez volumineuses du muco-pus n'ayant révélé leur présence jusqu'à l'instant précis de la quinte, par aucune gène de la respiration, par aucun râle muqueux de la trachée ou des bronches. Car dans les coque- luches pures de toute complication déjà arrivées à leur déclin, il n'y a absolument que des signes stéthoscopiques laryngiens, synchrones avec ceux de la quinte. Je crois donc pouvoir affirmer de nouveau que la coqueluche est une inflammation catarrhale spécifique, contagieuse, dont le principe virulent ou parasitaire peut étendre son action à tout l'arbre respiratoire, mais ne l'exerce le plus souvent que sur le larynx et particulièrement sur les régions ventriculaires de cet organe. Le traitement rationnel de cette maladie, en dehors de toute compli- cation, consiste à amoindrir la sensibilité de la muqueuse laryngée afin d'obtenir une diminution corrélative des spasmes par action réflexe, et à tarir le plus rapidement possible les sécrétions catarrhales du larynx. Les préparations de belladone à des doses voisines de celles qui amène- raient les signes de l'intolérance rendent de grands services dans ce double but thérapeutique. Cependant, après bien des essais comparatifs, voici la méthode de traitement à laquelle je me suis arrêté, et dont une 918 SCIENCES MÉDICALES longue expérience m'a permis d'apprécier la puissante efficacité. Je donne le bromure de potassium à des doses variables suivant les âges jusqu'à abolition de la sensibilité spéciale de la base de la langue et de l'épiglotte, abolition qui implique celle de la sensibilité du larynx ; et si les sujets s'y prêtent avec docilité, je lais pratiquer trois ou quatre fois chaque jour durant quelques minutes des pulvérisations avec une so- lution d'acide phénique au 1/300. Quelques malades pour qui, dans la dernière épidémie de coqueluche que nous venons de traverser, j'avais remplacé l'eau phéniquée par une solution d'hydrate de chloral au 1/100 m'ont paru en éprouver des effets meilleurs encore. L'usage de l'un ou de l'autre de ces liquides mé- dicamenteux abaisse, en peu de jours, le nombre des quintes et les réduit souvent à un maximum de quatre ou cinq dans les vingt- quatre heures. Il est indispensable, au moment de ces pulvérisations, si l'on veut en obtenir tous les effets utiles, de faire de profondes inspirations, ce qui est le moyen le plus propre à faire pénétrer dans les ventricules l'air chargé de la poussière liquide et médicamenteuse. Je ne mets pas en doute, sans toutefois avoir eu l'occasion de les essayer jusqu'aujourd'hui dans le traitement de la coqueluche, qu'on puisse obtenir des résultats analogues au moyen des inhalations de vapeurs d'essences diverses, telles que celles de cèdre, de camomille, d'eucalyptus, Si l'on avait affaire à des sujets très-jeunes à l'égard desquels il ne fût pas possible de mettre en usage les pulvérisations, on les ferait respirer plusieurs heures chaque jour dans une chambre dont l'atmosphère serait fortement imprégnée de vapeurs résineuses (1) ou essentielles. Dr Marc SEE Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris SUR LE FONCTIONNEMENT DES VALVULES AURICULOVENTRICULAIRES DU CŒUR — Séance du 26 août 187f — Dans le mécanisme des valvules auriculo-ventriculaires, deux points ont été établis définitivement par l'expérimentation : le premier, c'est (1) D'après une communication verbale du docteur Moser, cet honorable confrère aurait expé- rimenté ce moyen avec succès. L'un de nos collègues du Congrès, dont je regrette infiniment de ne pouvoir citer le nom, nous a déclaré qu'il avait obtenu do lions et rapides résultats par les inhalations de vapeurs ammo- niacales légères répandues dans la chambre des malades. Dr MARC SÉE. — FONCTIONNEMENT DES VALVULES DU COEUR 919 que les piliers et les muscles papillaires de ces valvules se contractent en même temps que le reste de la paroi ventriculaire ; le second, c'est que la contraction des muscles papillaires produit l'abaissement des valvules, et cela malgré le raccourcissement du diamètre longitudinal des ventricules, qui, d'après la majorité des observateurs, accompagne les systole du cœur (1). Mais cet abaissement des valvules, dans l'opinion de la plupart des auteurs, devait déterminer nécessairement l'ouverture des orifices auri- culo-ventriculaires. Il semblait que les valves, tirées en bas par les muscles qui y envoient leurs cordages, dussent se rapprocher de leurs parois respectives, en s'écartant les unes des autres, comme font les valvules sigmoïdes de l'aorte et de l'artère pulmonaire ; d'où la grande faveur dont a joui pendant si longtempts la théorie du soulèvement passif mlV-,sciir à l'Émir .!,■ médecine'de Lille DÉSARTICULATION DE L'ÉPAULE. (extrait du PROCÈS-VERBAL.) Séance du 26 août IS7 î. — M. Parise relate le cas d'une ablation de la moitié de la clavicule, de l'omo- plate et du bras droit, à la suite d'un écrasement du membre dans des engre- CHAUVEAU. CONTAGION DE LA TUBERCULOSE 943 nages. Il présente le malade dix-huit ans après l'opération. — M. Parise a pratiqué deux autres fois cette opération : une fois pour un traumatisme analogue au cas précédent, succès; une autre fois pour un cancer de l'épaule, guérison, mais récidive dans le poumon et, mort. M. CÏÏATJVEAÏÏ Professeur de physiologie à l'École vétérinaire de Lyon. CONTAGION DE LA TUBERCULOSE (extrait DU PROCÈS-VERBAL) — Séance dit 26 août 1874. — M. Chauveau, voulant parler de la contagion de la tuberculose, aurait désiré faire une étude complète de cette question , mais le sujet est beaucoup trop vaste et ne saurait ici être envisagé qu'à un point de vue spécial. Les membres de la section présents l'an dernier au congrès de Lyon ont pu assister à une expérience préparée pour eux et que l'on peut résumer ainsi : sur quatre veaux bien portants , de parents sains, deux prirent de la matière tuberculeuse; la dose de la matière ingérée fut de 30 à 40 grammes environ, donnée à trois ou quatre reprises pendant deux mois. Au bout de ce temps, ils furent sacrifiés à l'époque du congrès. On trouva les ganglions surchargés partout de matière tuberculeuse ; l'un de ces animaux , du reste, avant d'être sacrifié, avait été très-malade. Les deux autres veaux, conservés intacts comme témoins, et que l'on devait trouver sains, présentèrent cependant des lésions tuberculeuses, mais très-limitées et consistant seulement en quelques nodules gris sur le poumon et quelques petites lésions des ganglions bronchiques. Donc tous étaient tuberculeux, et la démonstration cherchée perdait sa valeur. Quelques personnes présentes se crurent même autorisées à conclure que l'ingestion de la matière tuberculeuse n'avait fait que donner le coup de fouet à la diathèse, mais que celle-ci préexistait dans les quatre animaux. Cependant, dit M. Chauveau, il me semblait singulier que malgré toutes mes précautions, je fusse justement tombé sur quatre tuberculeux héréditaires. Sur quinze autres veaux pris à l'abattoir, au hasard, je ne trouvai pas trace de lésion tuberculeuse. L'affection héréditaire n'est donc pas très-commune. Comment alors expliquer notre malchance? J'avais pris moi-même, et sur- veillé, toutes sortes de précautions, sauf ceci : les animaux avaient été abreuvés dans les mêmes vases, et c'est ainsi qu'avait pu s'établir le contact nécessaire, car j'ai démontré que l'air n'est pas suffisant pour la contagion; en effet, l'un des animaux malades avait des ulcérations pharyngiennes, sécrétant des mucosités infectieuses. Là était le mode de transmission cherché. — Je fus 944 SCIENCES MÉDICALES vraiment effrayé de ces observations. Je crois à la contagion, au moins à la contagion expérimentale, par les voies digestives, mais je n'allais pas jusqu'à admettre que d'aussi faibles ingestions fussent suffisantes pour déterminer l'éclosion tuberculeuse. Aussi ai-je voulu confirmer ces premières données par d'autres expériences : j'ai choisi un veau intact au point de vue héréditaire, nourri directement au lait en vase, j'ai pris de la matière tuberculeuse d'un porc infecté par un autre expérimentateur, et en fis prendre à mon veau 3 grammes mêlés au lait. La santé, au bout de dix semaines, était excellenle : je le sacrifiai et trouvai deux ganglions mésentériques tuberculeux. Il n'y avait que cela, mais le fait était net. J'ai tenu cependant à répéter l'expérience. Il y a deux mois, un veau superbe, de père inconnu, mais de mère saine, fut mis à ma disposition : je pris 4 grammes de masse tuberculeuse et en frottai les trayons; l'animal se refusa à teter. Je lui fis alors sucer mes doigts qui venaient de manier la matière tuberculeuse et qui étaient presque séchés ; ce que l'animal put prendre ce jour-là fut donc insignifiant. Le lendemain, l'animal fut privé de nourriture, mais bien qu'affamé, il refusa obstinément de sucer les trayons de sa mère enduits comme précédemment de matière tuber- culeuse; cependant, la faim le pressant, après avoir essuyé les trayons avec son front et son cou, il se décida à teter. Celte fois encore, le poison ingéré le fut donc en quantité insignifiante. Six semaines après, l'animal fut sacrifié et je trouvai : des nodules tuberculeux dans les poumons, trois à quatre à chaque sommet, puis des petits points gélatiniformes distribués dans toute leur éten- due; l'examen microscopique me montra que c'était là, non des produits d'inflammation catarrhale, mais bien des éléments de prolifération des cloisons; il y avait de plus une éruption laryngienne et pharyngienne de granulations grises transparentes à l'entrée du larynx, sur le pharynx et le voile du palais. Donc tuberculose franche. Je crois que cette tuberculose était acquise par contagion. J'ai pu, en effet, établir que sur cent veaux de lait, nés de parents sains, il n'y en a peut-être pas un seul qui présente à l'autopsie de lésion tuberculeuse, tandis qu'après l'ingestion d'une certaine quantité de matière tuberculeuse on n'en trouverait peut-être pas un seul sur cent qui ait échappé à la tuberculose. Mais faut-il croire maintenant que de faibles quantités peuvent amener le même résultat? Une réponse affirmative ne reposerait que sur deux expériences, je dois donc être réservé, mais si l'expérimentation démontrait ce second fait comme le premier, il y aurait nécessité de provoquer une enquête hygiénique de pré- servation devenue alors indispensable. DISCUSSION M. Peli.auin, pansanï que la tuberculose est transmise par le lait, demande à M. Chauveau d'expérimenter celte transmission en faisant teter des mères tuberculeuses par des veaux sains. M. Chauveau croit a priori que le lait provenant d'une mamelle saine ne peut communiquer la tuberculose. Il n'en est pas de même s'il existe sur la CONTAGION DE LA TUBERCULOSE. — DISCUSSION 9#î mamelle des lésions tuberculeuses. Des expériences nombreuses, faites sur le porc et le mouton, ont démontré la transmission possible par le lait de la mère sans maladie de la mamelle, mais il faut se défier des résultats obtenus sur ces animaux. « Je n'ai, dit-il, bien étudié la tuberculose que dans l'espèce bovine; je crois que dans cette espèce seule la maladie est bien semblable, sinon identique, avec celle de l'homme ; il n'en est pas de même chez le cochon et le mouton ; et je persiste à avancer la nécessité de la lésion de la mamelle. Je dirai encore, étendant un peu la question, qu'on ne saurait transmettre la maladie avec autre chose que les organes malades; c'est ainsi que le sang des vaccinés, que le sang des moutons atteints de clavelée, deux maladies pourtant bien virulentes, est absolument incapable d'inoculer le virus; je l'ai prouvé expérimentalement. La tuberculose ne fait pas exception à cette sorte de loi : l'expérience suivante le démontre. Chez un jeune animal tuberculeux j'ai pris deux ganglions, l'un sain, l'autre altéré; j'ai broyé ces ganglions, j'ai inoculé sur le cou d'un veau sain les deux liquides filtrés pro- venant de cette préparation; le liquide tuberculeux donna une tumeur tuber- culeuse, le liquide sain de l'autre côté du cou n'amena absolument rien. La matière tuberculeuse transmet donc sa maladie et non les autres tumeurs de l'organisme. M. Cazeneuve demande si ce n'est pas à la purulence de la matière tubercu- leuse, agissant comme corps simplement infectieux et non comme élément spécifique, qu'il faut attribuer les résultats observés ; il demande de plus si la tuberculose expérimentale suit la même marche que la tuberculose spontanée. M. Chauveau répond qu'il a employé la matière tuberculeuse sous toutes ses formes, de la granulation transparente à la régression crétacée ou au pus. L'infection par le pus ne peut donc être considérée comme la cause première des lésions produites. Sur la question de la tuberculose comparée, il regrette de ne pouvoir s'étendre ; les faits à produire seraient trop nombreux. Seulement, on peut dire que, dans l'ensemble, la tuberculose naturelle et la tuberculose expérimentale sont semblables, ce ne sont pas seulement des inflammations lobaires ou lobulaires caséeuses, ce sont encore des granulations, des éruptions miliaires que l'on obtient par l'expérimentation ; c'est la granulie vraie des trames celluleuses ultra-lobulaires et sous-pleurales. M. Cazeneuve demande encore si du pus de plaie non tuberculeuse, de plaie d'amputations par exemple, ne peut produire des lésions tuberculeuses ou des pneumonies à forme caséeuse ou à forme globuleuse. Dans ce cas il n'y aurait pas de spécificité. M. Chauveau répond que l'on peut dans ce cas obtenir chez certains animaux, entre autres chez le lapin, des pyohémies chroniques ressemblant beaucoup à la tuberculose. C'est ce qui fait que le lapin doit être condamné comme animal d'expérimentation , et M. Yillemin lui-même l'a reconnu. Seules, les espèces bovine et chevaline doivent être soumises à l'expérience. Or, si l'on injecte sur le cheval du liquide tuberculeux, après avoir pris la précaution d'en enlever les éléments anatomiques pouvant servir de corps irritants, il survient chez le cheval une petite tumeur phlegmoneuse qui guérit vite; mais quinze jours après survient une deuxième tumeur, et celle-ci est tuberculeuse. Si l'on injecte du 9-16 SCIENCES MÉDICALES pus phlegmoneux, jamais on n'obtiendra ces tumeurs tuberculeuses à dévelop- pement chronique, on n'aura que des tumeurs phlegmoneuses qui ne laisseront pas de traces. Donc le pus ne saurait être admis à jouer le même rôle que les éléments tuberculeux. D' CUIGNET Médecin principal à l'Hôpital militaire à Lille. KERATOSCOPIE PAR ECLAIRAGE DIRECT. — Séance du 26 août 187 4 — L'étude des anomalies et des altérations de la cornée forme un chapitre très-étendu et très-intéressant de l'ophthalmologie, connu sous le nom de kératoscopie. Parmi les procédés qui servent à cette étude il en est un principale- ment dont je désire vous montrer les applications multiples et exactes ; c'est celui qui consiste à projeter sur l'œil une lumière empruntée à une lampe à l'aide du miroir oplithalmoscopique ordinaire, par consé- quent réfléchie de la lampe sur l'œil par le miroir. On nomme ce pro- cédé éclairage direct ou par le réflecteur seul, ou kératoscopie par le miroir seul. Les conditions essentielles de cet examen sont : 1° Que le sujet et l'observateur soient convenablement placés l'un par rapport à l'autre, tous deux assis, le sujet un peu plus bas ; 2° Que la lampe soit de côté et un peu en arrière de lui, que le mi- roir n'ait pas un éclat excessif et qu'il réfléchisse à distance d'examen un disque de lumière diffuse de 7 à lo centimètres de largeur selon le rapprochement ou l'éloignement ; 3° Que la lumière ainsi réfléchie tombe sur l'œil, non pas selon la normale, mais sous un angle de 15 à 20 degrés; 4" Que l'observateur éloigne et rapproche alternativement son moyen d'éclairage afin de déterminer plus efficacement les ombres et les éclats qu'il va avoir à analyser. Cela étant, il faut se représenter que cette lumière ainsi projetée va éclairer la cornée et la pupille et que ces deux parties s'offrent alors dans des conditions et sous un aspect propres à chacune d'elles. La cornée, qui est une membrane convexe, doit nécessairement, sous cet éclairage latéral, trahir sa convexité par une certaine disposition Dr CUIGNET. — KÉRATOSCOPIE 947 d'ombre, et d'éclat ù sa surface. Gomme tous les autres corps c'est ainsi qu'elle manifeste sa forme. La pup;lle? agrandie par l'obscurité de la chambre d'examen ou par l'atropine, s'il est nécessaire, forme derrière la cornée un disque d'un rose vif et une sorte de fond sur lequel l'ombre et l'éclat de la cornée se représentent avec des tons bien accentués. Or, lorsqu'on examine à l'aide de ce procédé des personnes qui of- frent, les unes un état normal de la vision, les autres des anomalies ou des troubles de vision rapportables à l'éiat de lacornée, voici ce que l'on remarque : Sur la personne saine, la cornée donne, sous le réflecteur et sur le fond rouge de la pupille, une image composée d'une ombre et d'un éclat ; l'ombre est disposée en un triangle sombre dont le sommet com- prend le centre kératique et dont la base s'étend plus ou moins sur le limbe de cette membrane. Tout le reste de la cornée offre un éclat dis- posé en une sorte de croissant épais. Enfin, quand on imprime au dis- que de lumière projetée sur cette cornée un mouvement régulier de circumduction, on observe que l'ombre tourne régulièrement ainsi que l'éclat et que la premier eregarde le centre du disque, tandis que l'éclat regarde le bord opposé de ce même disque ; ce que l'on peut rendre encore en disant que l'ombre tourne en avant et que l'éclat la suit. Cette image de la surface de la cornée correspond à l'état normal de courbure de cette membrane. Elle change, cette image, lorsque la courbure est anormale et offre des degrés soit supérieur, soit inférieur à celui que nous venons de décrire. Le degré supérieur, c'est-à-dire la courbure plus grande, a pour type le kératocone transparent. Dans ce cas, l'ombre n'est plus au centre, mais à la périphérie; elle n'est plus disposée en triangle, mais en crois- sant ; enfin elle tourne, non plus en avant, mais à la suite de l'éclat. Quand à l'éclat, il a pris la place, la disposition qu'occupe l'ombre dans la configuration normale. C'est-à-dire qu'il occupe le centre, est disposé en triangle et tourne en avant de l'ombre. Les degrés moindres de courbure appartiennent à la myopie ordinaire. On les observe toujours chez les myopes quand la myopie est constituée en partie ou en totalité par une saillie plus prononcée du segment an- térieur de l'œil, D'autre part, le degré inférieur de courbure nous a été fourni, comme type, par des personnes affectées d'aplatissement extrême de la cornée à la suite d'abcès perforants ayant affaissé cette membrane. Dans ce cas, l'examen par l'éclairage direct révèle les dispositions suivantes. L'ombre est périphérique et en croissant plus ou moins épais, 948 SCIENCES MÉDICALES comme dans le kératocone; mais elle tourne en avant de l'éclat comme dans la courbure normale. Les degrés moindres d'aplatissement appartiennent à l'hypermétropie, comme les degrés de proéminence appartiennent à la myopie. Voilà donc trois acquisitions obtenues par l'examen au moyen du réflecteur seul. Il nous en fournit d'autres dont nous donnerons de suite une idée sommaire en disant qu'elles se rapportent : 1° aux inégalités de courbure; 2° aux inégalités d'épaisseur, et 3° aux troubles de la transparence naturelle de la membrane. Voyons les inégalités de courbure des méridiens. Elles constituent ce qu'on appelle l'astigmatisme. Elles se montrent sur des cornées plus ou moins coniques ou myopes et plus ou moins aplaties, ou hypermétropes. On comprend que si le méridien transversal est moins courbe que le vertical, l'ombre et l'éclat n'auront pas les mêmes dispositions sur ces deux principaux méridiens. Prenant pour exemple un astigmatisme myopique avec méridien vertical moins recourbé que le transversal et se rappelant que, sur la cornée saillante, l'éclat est en triangle embras- sant le centre et précédant l'ombre qui est en croissant périphérique; que, de plus, ces physionomies de l'ombre et de l'éclat se rapprochent ou s'éloignent du type de l'image d'une cornée normale, selon que les courbures sont plus ou moins prononcées, nous aurons l'image suivante : partout l'éclat est triangulaire, central et précédant l'ombre qui est en croissant périphérique. Mais sur les côtés. droit et gauche, qui corres- pondent au méridien le plus courbe, l'éclat est très-accentué, en triangle très-ample , et il précède l'ombre qui est en croissant étroit et très- périphérique. En haut et en bas, c'est-à-dire sur le méridien vertical qui est le moins courbe, l'éclat sera moins central et l'ombre moins périphérique, de sorte que, pendant la circumduction du disque de lumière réfléchie, l'ombre tournera ainsi que l'éclat avec une certaine irrégularité caractéristique. Il en sera de même pour l'astigmatisme avec hypermétropie. On comprend encore que la révolution de cette ombre et de ce reflet spécifiques sera modifiée quand l'inégalité de courbure portera sur un rayon au lieu de porter sur un diamètre, c'est-à-dire sur un des côtés seulement de la cornée. Un mode particulier d'irrégularité de courbure consiste en ce que le centre de la cornée est déplacé. Le miroir fait reconnaître cette anomalie, plus commune qu'on ne le pense, car j'en ai déjà rencontré trois cas en moins de deux ans, et si difficile à pressentir et à diagnostiquer. Le caractère révélateur de cette anomalie est le suivant : au lieu de tourner autour du pôle normal et central de la cornée, l'ombre et l'éclat font leur révolution autour d'un point plus ou moins distant du pôle ordi- Dr 0U1G.NET. — KÉRAT0SC0PIE 949 naire. Ce sont les cornées décentrées procurant des troubles de vision parmi lesquels on rencontre plus particulièrement la diplopie. Après les inégalités de courbure, viennent celles d'épaisseur. Par suite de pertes de substance affectant les faces antérieure et postérieure de la cornée, comme par suite de gonflements affectant le tissu intérieur de cette membrane, il se forme en des points de sa substance des défauts qui peuvent être comparés à ce qu'on appelle les bouillons des vitres. Les uns sont concaves et réfractent à la freon des verres concaves; les autres sont convexes et réfractent comme les convexes. Or, ces défauts exercent une grande influence sur la vision quand ils siègent vers le centre de la membrane transparente. Il est donc nécessaire de bien les reconnaître. Pour cela, nous ne connaissons pas de moyen plus propre que l'examen au réflecteur seul. Il rend un compte très- exact de ces altérations d'épaisseur qui échappent à l'attention la plus grande si on n'est pas prévenu et si on n'emploie pas le procédé que nous indiquons. Il montre une certaine disposition circulaire et localisée d'ombres et de reflets et a certaines perceptions partielles du fond de l'œil qui servent à asseoir le diagnostic précis de ce genre d'altération. Enfin nous avons les troubles de la transparence de la cornée. Ils sont reconnaissables à des ombres et à des reflets multiples , irréguliers et changeant d'aspect comme les images d'un kaléidoscope lorsqu'on fait mouvoir en cercle la lumière projetée. L'éclairage latéral sert aussi à les faire distinguer, mais seulement pour les opacités et irrégularités de la face antérieure de la cornée : celles du parenchyme et de la face profonde ne peuvent être reconnues que par l'éclairage direct au réflec- teur seul. RÉSUMÉ. Ainsi donc, ce procédé d'observation et d'examen sert à vérifier : 1° Les courbures normales ; 2° Les courbures myopiques; 3° Les courbures hypermétropiques ; 4° Les courbures astigmatiques de la cornée; Et à en indiquer le degré approximatif. Il sert en outre à reconnaître les modifications survenues dans l'épais- seur soit en moins , soit en trop, et enfin les altérations de la trans- parence. Enfin il sert à localiser dans la cornée elle-même des anomalies ou des états pathologiques parfois localisables dans le cristallin. Quant à la théorie de ces ombres et reflets, elle est celle qui convient à toutes les variations de jeu de la lumière à la surface des corps non 950 SCIENCES MÉDICALES plats et offrant soit des courbures saillantes ou déprimées, soit des pro- jections plus ou moins anguleuses, plus ou moins régulières. Nous aurons plus tard l'occas;on de compléter cette étude en présentant des profils de cornées, obtenus par la photogiaphie et agrandis autant qu'il sera nécessaire pour permettre de mesurer exactement le degré de courbure propre à chacune d'elles et les différences comparatives. Dr PAEISE Professeur à l'École de méiecine de Lille. PRÉSENTATION D'UN CRANE. (EXTRAIT DD PROCÈS-VERBAL.] — Séance du 27 août 1 8 7 i. — M. Parise présente un crâne sur lequel on remarque deux coques osseuses faisant saillie à la table externe et à la table interne. D'après lui, ces coques, qui entouraient des tumeurs du crâne, seraient dues à des ossifications dont le point de départ n'aurait pu être fourni que par le péricrâne et la dure-mère. Dr PEEEOÏÏD Héde m des Hôpitaux de Lyon. DE LA PHTHISIE DES MARINIERS DANS LE DEPARTEMENT DU RHONE ET SPÉCIALEMENT A LYON — Séance du 27 août 1874 — M. Perroud fait une communication sur une nouvelle espèce de phtlii- sie professionnelle : la phthisie des mariniers du déparlement du Rhône, qui serait provoquée par l'usage prolongé de Vharpi. Sous ce nom, les mariniers dans le département du Rhône désignent une longue perche, dont une extrémilé armée d'une pointe ou d'un cro- chet de fer est destinée à prendre un point d'appui sur le bord de la rivière ou sur des objets qui avoisinent le bateau, et dont l'autre extré- mité plus ou moins irrégulièrement arrondie, se fixe sur le haut de la poitrine dans la région sous-claviculaire. L'instrument étant ainsi placé, Dr PERROUD. — LA PHTHISIE DES MARINIERS DU RHONE 951 le marinier exerce sur lui avec la partie supérieure de son thorax des efforts de pression et de poussée au moyen desque's il élo-gne le bateau de la rive ou le fait progresser le long' des bo"ds. Ces manœuvres répétées soumettent le haut de la cage thoracique à une sorte de trcumat'sme chronique qui retentit jusque sur le sommet du poumon. C'est une compression plus ou moins intense, compliquée de chocs plus ou moins multipliés et violents qui dépriment la région sous- claviculaire et atteignent dans une certaine mesure la portion sous- jacente du poumon. Chez les sujets prédisposés à la phthisie ce traumatisme peut être une cause occasionnelle detuberculisation et faciliter l'éclosion de la diathèse préexistante. Mais il peut aussi, à lui seul et en dehors de tout état diathésique, entraîner la formation d'une inflammation chronique du pou- mon qui aboutit souvent à la sclérose, mais qui peut aboutir aussi à l'état caséeux, à l'ulcération, au développement de cavernes et eniîn au marasme et à la consomption. v M. Perroud a constaté plusieurs fois cette évolution chez des gens de forte constitution, exempts de tout antécédent héréditaire et vivant dans des conditions hygiéniques relativement satisfaisantes. Les malades eux- mêmes ont conscience du rôle étiologique de Yharpi dans la production de leur affection, ils sont les premiers à l'accuser. C'est d'abord un point de congestion chronique qui se forme au sommet du poumon, au niveau de l'endroit soumis aux pressions exercées par Yharpi. En ce point les malades ressentent une certaine douleur sourde et profonde, puis ils se mettent à tousser. Cette toux finit par devenir habituelle, et si la maladie n'est pas arrêtée, la congestion pulmonaire devient de l'inflammation, la fièvre s'allume, des signes de ramollissement se ma- nifestent et la phthisie se dessine. La phthisie des mariniers est en somme une phthisie traumatique; rarement l'hémoptysie joue quelque rôle dans sa production. Sa mar- che est lente et son pronostic moins sombre que celui de la plupart des autres phthisies professionnelles, ce qui tient probablement au terrain sur lequel la maladie évolue (sexe masculin, âge adulte, hommes à forte complexion et à musculation développée). Elle n'est pas très- fréquente et elle tend à disparaître chez nous avec la profession qui l'engendre, depuis l'introduction de la batellerie à vapeur sur nos rivières et surtout depuis les travaux qui ont amélioré le cours de la Saône et ont rendu la navigation plus facile dans la traversée de Lyon. 952 SCIENCES MÉDICALES F A. PAYEE de Lyon Médecin consultant de la Compagnie P. L. M. RECHERCHES CLINIQUES SUR LE DALTONISME. — Séance du ii août 1 87 4 — DU TRAITEMENT. L'année dernière, à propos du daltonisme étudié dans ses rapports avec l'industrie des chemins de fer, j'ai dit que je m'occupais du trai- tement de cette maladie ; il convient aujourd'hui de l'aire connaître les moyens que j'ai mis en usage et les résultats obtenus. Je ne pouvais me résoudre à tenir comme étant l'expression de la vérité l'opinion généralement admise que le daltonisme est incurable, et je n'ai jamais pu voir dans ces paroles de Goubert, un arrêt définitif. — « Quels que soient, dit cet auteur (page 457), les symptômes » caractérisant cette bizarre imperfection, elle est du nombre de celles » que l'art du divin Esculape est encore impuissant à guérir, peut- » être même à atténuer. Tous les oculistes sont unanimes sur ce point. » La guérison d'un grand nombre de cas de daltonisme accidentel semble montrer que le daltonisme naturel peut être modilié par les ressources de l'art, et l'action bien constatée de certaines substances sur le sens des couleurs n'indique-t-elle pas la voie dans laquelle il convient de s'engager ? Cependant les faits qui m'ont surtout guidé dans la recherche du traitement de la dyschromatopsie ont été fournis par l'examen que j'ai dû faire, pour les couleurs, d'un très-grand nombre de personnes. 11 m'est arrivé quelquefois, même en peu de temps, de rectifier la notion des couleurs chez des sujets atteints de dyschromatopsie en appa- rence conlirmée. Il est évident que la notion des couleurs se forme et se perfectionne de jour en jour par l'usage; les femmes qui, de bonne heure et par leurs occupations habituelles, sont fréquemment en rapport avec les objets colorés, ne présentent en eilèt qu'une faible proportion de daltoniques. L'étude clinique de la dyschromatopsie, que je fais depuis bien des années, à bâtons rompus il est vrai, m'a conduit à penser que les moyens de guérir cette maladie si fréquente devaient être trouvés; j'espère démontrer que je suis en mesure de les indiquer pour le plus grand nombre des cas, surtout chez les enfants. Dr A. FAVBE. — TRAITEMENT DU DALTONISME 953 Je ne me suis pas désintéressé des théories ingénieuses et des savan- tes études ayant trait au daltonisme, mais je poursuis mes recherches sans m'appuyer sur aucune théorie, sur aucune hypothèse. J'ai dû faire refuser au chemin de fer 27 daltoniques, j'ai réclamé l'admission dans un service sédentaire de plusieurs agents qui ne dis- tinguaient pas le rouge ; j'ai recueilli l'histoire d'un grand nombre de personnes qui, atteintes de cette infirmité, ont été très-sérieusement entravées dans leurs occupations, même au point d'être dans certains cas obligées de changer de profession. Tel se destinait, par exemple, à la peinture artistique ou industrielle, qui, après avoir obtenu de bril- lants succès dans les classes de dessin, éprouvait en prenant la palette un embarras imprévu, peignait une vache verte, un cheval violet; tel autre, associé d'une maison importante de nouveautés devait renoncer aux achats, parce que, disait-on, il manquait de goût il était daltonique. Un fabricant d'étoffes de soie, reconnais- sant tardivement l'impossibilité absolue où il était de distinguer cer- taines couleurs, dut renoncer à une association très-avantageuse et changer de profession L'on pourrait citer par milliers les personnes à qui le daltonisme a été très-préjudiciable. S'il est vrai de dire que la dyschromatopsie ne présente un danger so- cial que dans certaines professions, celles d'employé du service actif des chemins de fer ou de matelot-timonier, par exemple, il est bien certain que cette inlirmité doit être toujours plus ou moins nuisible à ceux qui en sont affectés. Par ces divers motifs, depuis bien longtemps j'ai pensé qu'il est très- important d'appeler de bonne heure l'attention de chacun sur la notion des couleurs. Cette idée m'a conduit à examiner un certain nombre d'enfants, et, chemin faisant, il a été démontré, pour moi, qu'un exercice méthodi- que, dont je ferai connaître bientôt les conditions, peut triompher le plus souvent, chez les jeunes sujets, d'une dyschromatopsie même très- prononcée . Il est évident que les personnes sont plus ou moins bien douées, plus ou moins aptes à distinguer les couleurs et les nuances. Ce que l'on observe dans cette attribution spéciale du sens de la vue est comparable à ce que nous pouvons constater au sujet du sens musical; pour le chant, en particulier, quelle longue série ne pourrait-on pas établir entre le chant des sauvages et les merveilles de la voix d'une grande cantatrice ! ! ! Par des soins assidus , des exercices gradués et méthodi- ques, avec le temps, l'on arrive à faire exécuter, par ceux qui sont le moins bien doués, des sons normaux soit avec la voix, soit à l'aide des instruments de musique. Ci 954 SCIENCES MÉDICALES Il en est, il en sera de môme pour les couleurs, et l'éducation de la vue est tellement facile à cet égard chez les enfants, que l'on sera très- surpris de ne pas trouver les exercices que nous proposons, générale- ment mis en usage dans les écoles. Je propose de faire dénommer les couleurs franches aux enfants dès l'âge de S à 6 ans, dans la famille ou dans les écoles; de graduer, de varier les exercices suivant les cas. Il va sans dire que le dalto- nisme étant à cette heure très-fréquent, il est indispensable de constater que les instituteurs et tous ceux qui seront chargés d'enseigner ont la vue franche et nette pour les couleurs. Nos expériences n'ont encore, faute de temps, été faites que sur un petit nombre d'enfants : sur 146 écoliers appartenant à 2 écoles, âgés de 7 à 16 ans, 111 ont dénommé les couleurs franches sans erreur et sans hésitation; 35 se sont trompés à différents degrés : 12 d'entre eux ont commis des erreurs graves et portant sur plusieurs couleurs, les autres se sont trompés sur l'orangé, le bleu ou le violet : les uns sur ces trois couleurs, d'autres sur deux, quelques-uns sur le violet seulement. Ces 3a enfants ont été soumis, par les instituteurs, à des exercices méthodiques, suivant les indications que je leur avais fournies. Ceux qui n'ont pas été guéris ont été grandement améliorés. L'un des deux insti- tuteurs est parvenu à guérir tous ses daltoniques; la durée du traite- ment a varié, chez lui, de deux semaines à six mois. Le deuxième insti- tuteur n'avait plus, le 2 avril de cette année, que 2 malades sur 11. Je ferai connaître, sous peu de temps, les circonstances précises de ces trai- tements; elles ne me sont pas encore parvenues au sujet de quelques écoliers, mais les résultats que j'annonce sont formellement attestés par les professeurs. J'ai conservé, depuis le 14 février 1873, les noms des enfants que j'ai examinés, et j'ai noté les réponses qu'ils ont faites à chaque examen. Sur un nombre de 138 lilles âgées de 7 à 14 ans, examinées dans deux écoles, je n'ai compté que deux enfants atteintes à un très-faible degré de dyschromatopsie : l'une confondait le violet avec le vert, l'autre avec le bleu. Ce résultat dont j'ai recherché les causes, et j'aurai l'occasion de les analyser, est un nouvel argument en faveur du traitement fonctionnel (pie je propose de généraliser. J'ai fait usage chez six adultes, daltoniques des plus endurcis, des exercices méthodiques; chez trois d'entre eux les résultats ont été très- satisfaisants, chez les trois autres à peu près nuls.... sero medicina paratur. Ceux qui sont mal doués s'aperçoivent le plus souvent de bonne heure du désaccord qui existe pour les couleurs entre eux et la plupart Dr A. FAVRE. — TRAITEMENT DU DALTONISME 955 de leurs camarades; ils discutent dès l'abord.... plusieurs instituteurs et institutrices nous ont dit avoir été les témoins de ces discussions, de ces disputes. Les petits daltoniques étant en minorité, évitent bien- tôt de se prononcer sur les objets colorés et ils prennent instinctivement l'habitude de connaître les objets par des caractères autres que ceux que leur donne la couleur. Ils se désintéressent des couleurs et leur infirmité s'aggrave tous les jours.... Il ne faut pas donner au sens de la vue le temps de se constituer d'une manière vicieuse. Que faut-il penser de l'action des agents médicamenteux qui, suivant de nombreuses et très-curieuses observations, ont influencé la vue pour la notion ou l'appréciation des couleurs? Que peut-on attendre du fer, du phosphore, du quinquina et de la quinine, de la vératrine, de la belladone, du semen-contra? Nous espérons mettre à profit ces divers agents, mais jusqu'à présent nous ne pouvons avancer aucun fait con- cluant que nous ayons personnellement observé. La lumière électrique, la lumière éclatante produite par les métaux en fusion, les flammes colorées, l'électricité nous présentent des moyens qui pourront être mis en usage dans le traitement des daltoniques anciens et rebelles aux autres épreuves. Pour le moment toute notre attention est portée sur l'exercice métho- dique et sur l'influence que les professions peuvent avoir sur la notion des couleurs. Plus nous avançons dans cette voie et plus aussi se confirme chez nous cette conviction : que le daltonisme doit être traité chez l'enfant, dans les écoles ou dans la famille. La cure de cette maladie si commune est de la plus grande simplicité quand elle est entreprise de bonne heure et conduite avec patience. Ceux dont la dyschromatopsie résisterait au traitement que nous pro- posons retireraient au moins de cette pratique l'avantage d'être de bonne heure prévenus et de pouvoir choisir à temps une profession où la notion exacte des couleurs ne serait pas indispensable. Note additionnelle. — Cet exposé du traitement du daltonisme devait être bref à cause de la destination qu'il avait; mais il est peut-être nécessaire de faire connaître en quelques mots le procédé mis en usage dans les écoles. J'ai dû simplifier autant que possible. Il s'agissait d'avoir des couleurs en rapport avec celles du spectre solaire et représentant celles qui sont généralement désignées par les noms de : violet, indigo, bleu, vert, jaune, orangé, rouge. Les gammes de laine colorée que j'ai remises en grand nombre à des chefs de service et à des agents du chemin de fer, à des collègues, à plusieurs instituteurs et insti- tutrices, aux daltoniques en traitement, sont ainsi formées : cinq paquets sont composés de trois nuances chacun; trois nuances de rouge, trois de jaune dont 956 SCIENCES MÉDICALES Y orangé, trois de vert, trois de bleu dont Y indigo, trois de r'élet, plus un paquet de laine blanche et un de laine noire. Les enfants sont appelés les uns après les autres et séparément interrogés. L'examen de ceux qui sont bien doués et bien appris se fait très-rapidement. Ceux qui hésitent ou se trompent doivent être traités avec douceur, orientés si je puis ainsi m'exprimer, et si les erreurs qu'ils commettent ne sont pas facilement redressées, leurs réponses sont notées exactement. Alors le maître dans une prochaine séance montre et dénomme les couleurs devant l'enfant et les lui fait répéter en l'accompagnant. 11 est indispensable de ne pas tourner en dérision l'élève inhabile et surtout de ne pas le désigner à ses camarades. — Les séances doivent être continuées tous les trois ou quatre jours jusqu'à ce qu'il soit bien évident que la notion des couleurs est établie. L'éducation se com- plète en faisant dénommer la couleur des différents objets qui sont à la portée du maître : fleurs, étoffes, cartes de géographie, etc. Nos élèves ne seront pas à même sans doute de distinguer les 4i,420 tons établis par M. Chevreul, mais ils auront acquis le minimum indispensable, ils sauront l'a b c de la science des couleurs, ils auront, que l'on me permette cette comparaison, répété convenablement les premières pages du solfège des couleurs. Ces questions seront traitées avec détail dans un mémoire où j'examinera^ aussi complètement que je pourrai le faire les diverses parties de l'histoire de la dyschromatopsie. 8 mai 1815. — Le traitement de la dyschromatopsie chez les enfants par l'exercice méthodique s'est fait jusqu'à ce jour avec un plein succès dans les écoles où il a été mis en pratique. MM. les instituteurs Heilmann et Turquier, de Lyon, Liotard, de Lèches, et Bouchard, de Tarare, m'ont fourni des ren- seignements les plus intéressants. M. Bouchard écrit à la date du 23 avril 4875 à M. le Dr Matagrin, maire de Tarare : « ... Cent neuf élèves de mon école, âgés de sept à quinze ans, ont » été appelés séparément, le 7 avril, à dénommer les couleurs franches. » Quatre-vingt-dix-neuf les ont dénommées sans erreur et sans hésitation ; les » dix autres ont commis des erreurs sur le violet, le vert et le bleu. Ce sont » les élèves... Le 12, ces dix élèves ont été appelés et interrogés de nouveau, » et ils ont dénommé les couleurs sans hésitation, excepté le n° 40, qui a » toujours vu le violet bleu; mais, le 46 avril, à une troisième interrogation, î) il les a très-bien dénommées. Tous les élèves de mon école connaissent » donc actuellement l'a b c de la science des couleurs, et pour qu'ils ne l'ou- •» blient pas, je me propose de renouveler fréquemment cette expérience... » La précaution indiquée par M. Bouchard est d'une grande importance ; nous avons, en effet, constaté quelques rechutes dans l'école de M. Heilmann. Il sera donc très-utile de montrer de temps en temps les couleurs élémentaires aux élèves pour maintenir leur vue d'accord. Dr MOSER. — MÉDICATION THERMO -RÉSINEUSE 957 Dl LAROYEME Chirurgien en chef de la Charité de tyon. PRESENTATION D'APPAREILS. (EXTI1AIT DU PROCÈS-VERBAL) . — Séance du 27 août 1874. — M. Larovenne présente une série d'appareils agissant, par l'action élastique d'un anneau de caoutchouc, dans les redressements articulaires. Avec ces appareils, on arrive promptement au résultat, sans avoir les inconvénients des redressements brusques. Dr MOSER de Paris QUELQUES MOTS SUR LA MÉDICATION THERMO-RÉSINEUSE — Séance du 27 août 1 87 i — Depuis un certain nombre d'années la médication thermo-résineuse a pris sa place dans la thérapeutique. Elle est acceptée par les sociétés savantes, prescrite par les médecins ; elle a fait et elle fait ses preuves. En 1865, le Dr Gibert, rapporteur d'une commission nommée par l'Aca- démie de médecine pour examiner un mémoire du Dr Chevandier, dé- clarait que ce médecin a rendu à la science un service signalé en vulga- risant ce nouveau moyen thérapeutique. Jusqu'en 1849, le four à poix faisait tous les frais de la médication, les rhumatisants de la Drôme gravissaient le mont Glandaz, se plon- geaient nus dans un trou brûlant, en s'exposant aux dangers les plus sérieux, et revenaient guéris. Il y avait là plusieurs vices à éliminer : l'uniformité de température imposée aux forts et aux faibles, le bain en commun, peu engageant d'aspect et d'accès difficile. Les premiers établissements restèrent primitifs. C'était encore le four, dont on modérait la chaleur, dont on facilitait l'entrée. Bientôt on a remplacé le four par des cellules, puis par des caisses fumigatoires. Si la chaleur convenablement dirigée joue un grand rôle dans cette 958 SCIENCES MÉDICALES médication, il faut admettre que les vapeurs résineuses obtenues en chauffant les copeaux de pin, ceux du mont Glandaz, choisis parce qu'ils ont l'ait leur preuve, sont l'élément indispensable du succès. La haute température est parfaitement tolérée, même par des sujets débilités par de longues souffrances. Il ne serait ni prudent ni logique de conseiller d'emblée le maximum de la chaleur. Le calorique et l'exci- tation produite par les vapeurs résineuses doivent être dosés suivant les indications fournies par l'âge, le tempérament, l'état des forces, suivant la nature, la chronicité ou l'acuité de la maladie. Il est remarquable que des sueurs qui vont quelquefois jusqu'à 1,500 grammes n'affaiblissent pas d'une manière notable. A la fin d'une cure de quinze à dix-huit séances, les malades accusent plus de lassi- tude que de faiblesse; bientôt ils recouvrent leurs forces, et cependant quel travail ne s'est-il pas accompli dans leur organisme! Chaleur mor- dicante à la peau, accélération de tout le système circulatoire, dilatation des veines et du réseau capillaire cutané, qui se tend comme sous une immense ventouse, élimination d'une sueur acide si abondante que toutes les muqueuses en sont émues, puis sédation des douleurs, pré- cédée quelquefois d'une surexcitation temporaire, enfin sensation géné- rale de bien-être, de délivrance : tels sont les résultats obtenus. S'il est logique d'admettre que c'est par une atteinte portée à l'enve- loppe cutanée que les rhumatismes, les névralgies, le catarrhe, l'ana- sarque commencent, on peut bien affirmer que c'est par le rétablissement intégral de ces multiples fonctions qu'ils doivent disparaître. La clinique de la médication thermo-résineuse est assez riche en cures qui se sont affirmées pour qu'il soit permis d'établir une série de mala- dies dans le traitement desquelles elle occupe une place bien conquise. Nous citerons : le rhumatisme subaigu, le rhumatisme chronique, la dyspepsie, l'entéralgie rhumatismale, le lumbago, la névralgie sciatique, la névralgie fulgurante, celle de la face et autres, l'arthrite sèche, les col- lections séreuses et splanchniques, les catarrhes chroniques de la poitrine et de la vessie. La moyenne des cures est assez semblable à celle d'une cure d'eau thermale ; elle se compose de trois à quatre séries de cinq ou six bains, suivies d'un ou plusieurs jours de repos. Il convient d'ajouter que si ce moyen thérapeutique est sans danger quand il est bien conduit, il com- porte ses contre-indications, parmi lesquelles il faut placer: les paralysies, les maladies de la moelle et de l'encéphale, l'ataxie locomotrice, la dia- thèse hémorrhagique, les anévrysmes du cœur ou des gros vaisseaux, les affections pulmonaires graves, etc. Dr DURIAU. — LA SCROFULE AUX BAINS DE MER DU NORD 959 D' DÏÏRIAÏÏ De Dunkerque Ancien Chef de clinique de la Faculté de Paris. LA SCROFULE AUX BAINS DE MER DU NORD — Séance du 27 août 1874. — Cette notice a pour but d'exposer quelques considérations relatives au traitement des scrofules par les bains de mer. Il ne s'agit pas, on le comprend du reste, de faire ici le procès à ce genre de médication : les résultats remarquables qu'on en retire suffiraient pour mettre à néant une telle prétention. Ne voyons-nous pas, en effet, chaque jour des constitutions parvenues au dernier degré d'épuisement, reprendre sous l'influence de cet agent modificateur une énergie qu'elles ne possé- daient môme pas antérieurement ? Et pour le médecin appelé à com- battre une maladie chronique, rebelle à toutes les ressources de la thérapeutique, les bains de mer ne se présentent-ils pas naturellement à son esprit comme un moyen nouveau sur lequel il doit fonder quel- ques espérances ? Car, quoi qu'il arrive, un résultat prochain est géné- ralement la conséquence de cette médication. Limitant ce travail à la maladie scrofuleuse, je chercherai à préciser autant que possible les résultats auxquels on est en droit de s'attendre et surtout les dangers qu'il importe de redouter. Lorsqu'un malade est envoyé aux bains de mer, il va se trouver en présence de deux éléments de traitement très-puissants, il est vrai, mais aussi très-distincts, appelés à concourir à un même but et pouvant aussi parfois se contrarier. Il y a, en effet, à tenir compte : 1° de l'atmosphère maritime dont l'action est continue pendant toute la durée du séjour au bord de la mer; c2° du bain de mer lui-môme considéré indépendamment de l'action de l'air marin et dont l'action n'est que temporaire, nonobstant la réaction qui survient après la sortie de l'eau. Ces deux agents sont très-distincts et peuvent amener des résultats diamétralement opposés à ceux que l'on recherche. Nous aurons donc à examiner comment les manifestations scrofuleuses sont modifiées par l'un ou l'autre de ces éléments, selon qu'ils sont associés ou isolés. Les conclusions auxquelles nous serons amenés sont le résultat de quinze années de pratique aux bains de mer de Dunkerque; elles peuvent heurter certaines idées généralement adoptées, on sera même en droit 900 SCIENCES MÉDICALES de ne pas les considérer comme exprimant des vues nouvelles, elles sont surtout le résumé de l' expérimentât ion. Afin de mieux faire ressortir l'importance de ce qui va suivre, voyons ce qui a déjà été tenté dans notre contrée sous l'habile direction de l'Assistance publique de Paris. L'hôpital de Berck près Montreuil-sur- Mer, inauguré en 1861 pour le traitement des enfants scrofuleux, a reçu, de juillet 1861 au 31 décembre 186o, 380 malades qui se répar- tissent comme suit : Du 1" juillet au 31 décembre 1861 28 enfants. Pendant tannée 1862 96 — — 1863 94 — — 1864 90 — — 1865 72 — — Total 380 enfants. Quels ont été les résultats d'une expérience tentée sur une si large échelle ? Guérisons 234 soit 60 pour 100. Améliorations 93 — 23 — Résultats nuls 35 — 9 — Décès 18 — 4.6 — L'influence manifeste du traitement marin chez de jeunes enfants scrofuleux et pendant une longue durée ressort nettement de cette sta- tistique. Mais il s'en faut de beaucoup que toutes les manifestations scrofuleuses éprouvent une même amélioration; « ainsi, dit M. Ber- geron (1), il y avait des lésions locales dont les unes étaient peu ou point modifiées, parfois même aggravées, tandis que d'autres résistaient invinciblement à la médication maritime ; c'est ainsi que, d'une part, nous voyions rarement s'améliorer, le plus souvent s'exaspérer les blé- pharites chroniques et, en général, les maladies des yeux, les éruptions d'eczéma simple ou impétigineux et que, d'autre part, les otorrhées sans lésion osseuse, les caries étendues et plus encore les nécroses pro- fondes restaient indéfiniment stationnaires. » Et comme conclusion, il ajoute : « Depuis plus de trois ans, les enfants que nous envoyons de préférence au bord de la mer sont ceux qui portent des engorgements ganglionnaires, des abcès froids, des gommes scrofuleuses, des tumeurs blanches et enfin les rachi tiques, c'est-à-dire tous ceux pour lesquels nous pouvons espérer, sinon toujours la guérison, au moins une amé- lioration notable de la lésion. » Après un exposé aussi complet des inrJications des bains de mer et malgré les réserves que nous aurons à y apporter, on a lieu de croire que cette ligne de conduite est scrupuleusement observée par les per- U) Annales d'hygiène, avril 18G8. Dr DDRIAU. — LA SCROFULE AUX. DAINS DE MER DU NORD 961 sonnes chargées d'en prescrire l'usage. Il n'en est rien et quelques chiffres empruntés à notre pratique justifieront mieux que nous ne saurions le dire l'indécision qui préside au choix des malades envoyés aux bains de mer. Sur 215 adultes observés en 1872 et 1873 nous ne trouvons que 38 en 1872 et 74 en 1873, soit 112 chez lesquels l'indi- cation des bains de mer l'ut plus ou moins manifeste. De ces 112 ma- lades, 9o étaient atteints de lésions scrofuleuses d'une gravité variable et, après deux mois au maximum du traitement, ils ont donné le ré- sultat suivant : Guérisons 14 soit 14.6 pour 100. Améliorations 27 — 28 — Etat stationnaire 45 — 46 — Aggravation notable 7 — 7.3 — Décès 2 — 2.1 — Si, à côté de ces chiffres, je place ceux que j'ai recueillis à l'hôpital militaire de Dunkerque, c'est-à-dire dans des conditions analogues de durée de traitement et d'âge, le résultat est à peu près identique. On sait que depuis quelques années l'administration de la guerre, moins heureuse dans ses applications que celle de l'Assistance publique de Paris, dirige sur les hôpitaux et infirmeries militaires du littoral les hommes qu'elle croit devoir soumettre aux bains de mer. Or, dans une période correspondante à celle que nous avons analysée tout à l'heure, — 1872 et 1873, — on a dirigé sur l'hôpital militaire de Dunkerque 120 malades, dont 67 seulement présentaient les indications du traitement maritime et pouvaient être rangés dans la catégorie des scrofuleux (nous négligeons à dessein les syphilitiques, les tuberculeux et les malades atteints de nécrose dont les lésions sont constamment aggravées par les bains de mer). Nous obtenons à peu près le môme résultat que plus haut, à savoir : État stationnaire 40 pour 100 Améliorations plus ou moins notables .... 25 — Guérisons 12 — Un fait capital ressort de suite de ce relevé : la nécessité d'un contrôle sérieux des malades envoyés aux bains de mer ; il suffit de le signaler pour qu'on en saisisse tout de suite toute l'importance. Quant aux conséquences essentiellement médicales, elles sont semblables à celles que nous allons déduire de notre pratique personnelle. Or, entre la statis- tique de l'hôpital maritime de Berck et la nôtre, l'avantage est évidemment au premier; aussi est-on en droit de se demander la raison d'une telle dissemblance, alors que l'agent modificateur et les conditions elimatéri- ques semblent être les mêmes. C'est précisément parce qu'on assimile à tort le traitement par les bains de mer à une cure dans une station 902 SCIENCES .MÉDICALES thermale quelconque. Dans un cas, on est convenu qu'une saison à telle ou telle eau doit durer un nombre déterminé de jours sans jamais dé- passer cette limite assignée par l'usage. Puis le malade, de retour chez lui, ressentira après un certain temps les effets salutaires des eaux. Au bord de la mer, rien de semblable comme durée du séjour, et d'ailleurs les affections qu'on y rencontre sont d'une nature tout autre ; ce ne sont pas seulement des manifestations locales qu'il faut combattre, c'est la constitution entière du malade à laquelle on s'adresse. La diathèse strumeuse est le véritable objectif du traitement maritime, et l'on con- çoit aisément que ce travail intime demande un temps très-long avant d'arriver à bonne fin. Lente dans son évolution morbide, la scrofule l'est de même dans sa transformation. Telle est donc la raison véritable de cette différence entre les deux statistiques qui précèdent. Les résul- tats obtenus à l'hôpital de Berck ont été plus satisfaisants parce qu'on s'est adressé à des enfants et, en second lieu, parce que ces enfants ont séjourné pendant longtemps, même pendant l'hiver, au bord de la mer. Au contraire, les malades que nous avons observés à Dunkerque étaient des adultes, et ils n'y sont restés qu'un mois, six semaines, deux mois au maximum. Dans le premier cas, l'imprégnation des sujets par l'at- mosphère maritime a eu tout le temps nécessaire pour se produire ; dans le deuxième cas, on ne pouvait espérer une transformation complète de l'organisme dans l'espace de quelques semaines. Nous voici donc en présence de la solution naturelle du problème qui s'était imposé à nous. En résumé, il faut que le scrofuleux se fasse une constitution nouvelle, et la durée d'une saison ordinaire de bains est trop courte pour arriver à un résultat quelque peu satisfaisant. De plus, on ne peut compter sur le bénéfice des immersions quotidiennes dans la mer pendant la durée de l'hiver. Ajoutons que si dans certains cas, même pendant la saison d'été, les immersions sont utiles, — nous verrons tout à l'heure qu'elles sont parfois dangereuses, — dans tous les cas sans exception ce n'est que de l'action continue de l'atmosphère maritime qu'on doit attendre la transformation de l'organisme. Et je ne saurais mieux faire que de citer un exemple à l'appui de mon assertion. Au commencement de l'année 1873, on m'amena des L'uvirons de Lille une enfant de huit ans réunissant au plus haut point les symptômes du goitre exophthalmique. En présence de l'inconnue qui enveloppe encore la pathogénie de cette affection, et malgré les hésitations de la famille, j'obtins que cette enfant séjournerait indéfiniment au bord de la mer. Aujourd'hui, — c'est-à-dire après dix-huit mois d'influence de l'atmos- phère maritime et sans usage d'aucun médicament, — la cachexie exophthal- mique est presque complètement guérie, ainsi que l'ont constaté plusieurs médecins qui avaient vu l'enfant avant son arrivée à Dunkerque. Ce Dr DURIAU. — LA SCROFULE AUX BAINS DE MER DU JNORI) 963 seul fait démontre de quelle façon s'exerce l'action de l'atmosphère maritime, et ce que nous venons de constater pour une maladie qui, jusqu'à ce jour, a semblé se jouer des tentatives de la thérapeutique, nous devons le réclamer pour le traitement de la scrofule. Mais si l'atmosphère maritime est ainsi utile et même sans dangers pour les scrofuleux, il n'en saurait être de même des bains de mer considérés isolément et dont nous avons déjà pu constater l'insuccès dans notre statistique de Dunkerque. Dans certaines formes même, ces bains produisent des effets réellement désastreux : il s'agit ici des cas à prédominance ganglionnaire avec tendance au ramollissement. Sous l'influence des bains la suppuration ne tarde pas à envahir, non-seule- ment les ganglions primitivement malades, mais ceux même qui ne présentaient aucune apparence d'engorgement au moment de l'arrivée du malade. L'atmosphère maritime suffit pour amener la résolution de cette espèce d'adénite, si l'on a soin de proscrire de la façon la plus absolue l'usage des bains et surtout si l'on prolonge pendant plusieurs mois le séjour au bord de la mer. Quelle que soit l'explication qu'on donne de cette tendance suppurative, le fait clinique persiste avec toute sa valeur et nous pourrions citer à l'appui de cette assertion une foule de faits dont nous avons été témoin, des suppurations multiples surve- nant après l'usage intempestif des bains de mer et se prolongeant pendant plusieurs années ; mais ce serait dépasser les limites de ce travail. Si de la scrofule nous passons à la tuberculose qui présente avec celle-ci tant de points de contact et souvent vient en prendre la place dans un organisme épuisé, nous pouvons établir que dans tous les cas où l'appareil respiratoire présente la moindre altération, il est non-seu- lement prudent, mais de rigueur de proscrire absolument les bains de mer ; les hémoptysies, la fonte tuberculeuse en sont une conséquence rapide et inévitable. Cette observation trouvait ici sa place en raison même des lésions que les scrofuleux présentent assez fréquemment dans l'appareil pulmonaire. Quant au séjour au bord de la mer, on peut affirmer, sans crainte d'être démenti par les faits, qu'un séjour constant sur les plages du Nord ne saurait être défavorable aux personnes menacées de tuberculose. L'existence à l'air libre est le moyen le plus certain d'enrayer ces maladies, et nous en avons un exemple sous les yeux que personne ne pourrait révoquer en doute. La statistique de l'armée a établi que la phthisie pulmonaire, rare autrefois en Algérie alors que les troupes vivaient en plein air et étaient presque constamment en expédition, est devenue plus commune depuis qu'on a construit de grandes casernes; il en est de même pour les colons algériens depuis qu'ils vivent dans les villes ou dans les habitations où ils sont rassem- 964 SCIENCES MÉDICALES blés, et ce, malgré la douceur du climat. Appliquons donc ces faits d'observation et nous arriverons toujours à cette conclusion qu'une transformation complète de l'organisme ne peut s'obtenir que par un séjour constant et prolongé à l'air libre. CONCLUSIONS. De ce qui précède on est admis à conclure que . 1° Le traitement maritime constitue la médication spécifique par excellence et prophylactique de la diathèse scrofuleuse, vérité universel- lement admise aujourd'hui ; 2° Très-utile chez les adultes, cette médication est d'une efficacité à peu près constante chez les enfants, dont il transforme la constitution ; 3° C'est à l'atmosphère maritime qu'il faut surtout attribuer la plus grande part du succès; 4° Les immersions sont parfois dangereuses dans les formes ganglion- naires avec tendance au ramollissement ; 5° La condition capitale à remplir afin d'assurer le succès de la médication, est un séjour prolongé au bord de la mer. On ne saurait donc trop insister sur la nécessité absolue de laisser les enfants jouir du bénéfice de l'air marin, non-seulement pendant plusieurs mois, mais de préférence pendant plusieurs saisons, quelque rigoureuses que puis- sent paraître les intempéries de l'hiver. A ce prix seulement on obtien- dra la guérison complète du scrofuleux. 4e Groupe SCIENCES ÉCONOMIQUES 13e Section AGRONOMIE Président M. J.-A. BARRAL, Secrétaire perpétuel de la Société centrale d'agri- culture de France. Vice-Présidents M. FIÉVET, Membre du Conseil général du Nord. M. CORENWINDER, Directeur de la station agricole du Nord. Secrétaires M. ROUSSILLE, Professeur à l'École d'agriculture de Grand-Jouan. M. WARTELLE, ancien Élève de l'École de Grignon. M. J.-A. BAREAL Secrétaire perpétuel de la Société centrale d'agriculture de France. RENDEMENT DU BLE EN 1874 (kxtrait du procès-verbal.) — Séance du 21 août 1874. — M. Barral décrit les procédés employés pour déterminer approximativement l'importance des récoltes. Feu M. Pommier a indiqué un procédé qui consiste à prendre dans les champs de blé neuf épis, trois des plus beaux, trois moyens et trois petits, à les égrener et à diviser le nombre de grains trouvés par neuf. Le nombre ainsi obtenu correspond au nombre maximum d'hectolitres qu'on récolterait sur un hectare du champ considéré ; il y a lieu de modifier ce nombre sui- vant que le champ est plus ou moins garni. Ce procédé, mis en pratique par un grand nombre d'expérimentateurs, four- nissait d'excellents renseignements sur la récolte de tout un grand pays comme la France. 966 AGRONOMIE La maison Barthélémy, de Marseille, publie chaque année en un volume tous les renseignements que lui fournissent ses correspondants ; ce volume fournit à M. Barrai les éléments de son appréciation. En divisant les départements en très-bons, bons, assez bons, médiocres, en appliquant à chacun d'eux un facteur variable qui multiplie le nombre d'hec- tares de chaque département, en additionnant tous les produits ainsi obtenus et en divisant leur somme par le nombre d'hectares total, M. Barrai obtient un facteur moyen compris entre 0 et 20. Ce facteur multipliant 120,000,000 d'hectolitres (récolte maximum de la France) fournit un nombre qui, divisé par 20, correspond à la quantité probable d'hectolitres récoltés. En 1874 cette quantité probable s'élève à 110,000,000 d'hectolitres. L'ensemencement exigera 14.000.000. La nourriture de la population pendant une année moyenne exige 76,000,000 d'hectolitres. On aurait donc à prévoir un excédant de 20,000,000 d'hectolitres, mais il y a lieu de retrancher de cet excédant la nourriture de la population pendant six semaines ; cela à cause de l'épuisemeut des provisions au moment de la récolte qui a été faite avec une avance de trois semaines, avance qui pourra se changer en un retard égal en 1875. M. Barrai déclare que les récoltes sont bonnes dans toute l'Europe, excepté en Espagne. Il estime que le blé devra baisser, mais néanmoins conseille aux cultivateurs de ne pas se presser de vendre jusqu'au printemps prochain. M. P. P. DEHERAIÏÏ Professeur de chimie à l'École de Grignon. RECHERCHES SUR LA GERMINATION [EXTRAIT nu procès-verbal) — Séance du 21 août 187 4 — M. Dehérain expose les recherches qu'il a faites, en collaboration avec M. Landrin, sur la germination. Voilà la conclusion de son travail publié dans Jes Annales des sciences naturelles. 1° Aussitôt que le reste des graines est ramolli par l'eau, il devient perméa- ble aux gaz, et les graines condensent une certaine quantité du mélange gazeux dans lequel elles sont plongées. 2° Cette condensation de gaz dans les graines est forcément accompagnée d'un dégagement de chaleur qui favorise l'action de l'oxygène atmosphérique et peut-être la détermine. 3° Une fois que l'oxydation des principes immédiats est' commencée, elle se continue même dans une atmosphère dépouillée d'oxygène, et le volume d'acide A. ROUSSILLE. PHOSPHATES FOSSILES 967 carbonique produit est supérieur au volume d'oxygène primitif; par suite, la graine perd, dans ce cas, non-seulement du carbone, mais encore de l'oxygène provenant de ses propres tissus. 4° L'hydrogène n'apparaît habituellement que dans une atmosphère dont l'oxygène a complètement disparu. 5° Ainsi que l'avait vu Th. de Saussure, l'acide carbonique est plus nuisible à la germination que l'azote ou l'hydrogène. DISCUSSION M. Barral appelle l'attention de la section sur l'importance du travail de M. Dehérain; il rappelle la mauvaise germination des céréales dans les terrains contenant de la pyrite blanche et signale l'urgence de l'emploi des charrues sous-soleuses dans de tels terrains. M. À. ROUSSILLE Professeur de chimie à l'École d'agriculture du Grand-Jouan. DETERMINATION DE LA VALEUR AGRICOLE DES PHOSPHATES FOSSILES — Séance du 21 août 1874 — L'assimilabilité relative des phosphates doit, comme leur richesse réelle, servir à la fixation de leur valeur; cette assimilabilité relative est obtenue en divisant le nombre qui représente la richesse totale du phosphate en acide phosphorique par celui qui représente la quantité d'acide phosphorique solubilisé par l'oxalate d'ammoniaque. On fait une dissolution d'oxalale d'ammoniaque telle que vingt-huit grammes soient exactement contenus dans un litre de solution aqueuse. On verse cent cinquante centimètres cubes de cette solution sur un gramme de phosphate passé au tamis de soie ; on maintient le mélange ' à une ébullition modérée pendant deux heures après lesquelles on filtre ; dans le liquide filtré, auquel on ajoute les eaux de lavage de la matière insoluble, on dose l'acide phosphorique. On prend, d'un autre côté, les deux tiers de la valeur moyenne des cent kilos de phosphate réel, et on les multiplie par le nombre qui re- présente la richesse réelle en phosphate (de l'échantillon essayé), aug- menté du coefficient de l'assimilabilité relative. 68 AGRONOMIE Ainsi pour le phosphate de Bach qui, dans le tableau ci-contre, a une richesse totale de 63.50 et une assimilabilité relative de 0,4765 on a, en adoptant les deux tiers de la valeur moyenne du phosphate qui, en 1873 était 15 francs les 100 kilos de phosphate réel. 63.5 X 10 fr. X 1,4765 = 9 fr. 37. Ci ^_ ""^^^™ o ^~ S3N1D1V3 so co co CM vo o ci 00 00 Ci o r- Cl co oo — CM Ol OC ci o 00 co Oï 311dI33Hd CO m o o glVHdSOHd Cl a> Cl Ch ai C» sNOVdsa.a Cl Cl t- ZT Ci O co -P- 00 HO tii.uy.iv ci in ^ CO ^ CD -r^ co Ci CM o — " co CI -T CM ,- o œ saxiaisi saT r^ M Cl Ci -7 :.o cd -T Ï.O :0 00 r— CI CO -* CO — ;0 co — *.- O o i- ^_ 1N0KH313 co co co co i-O CM ■(■ CD -^ ï— r- Ci — CD CD C* o — w Cl art co ■fl" es O- — ci o J.N9IAHH "^ CM Jrt -c *ï ci oo CD r* o ;.0 *"■ CO CD co ■»- CO o ■** CO — "** -T -w — o :.0 OO » Ci A SIYNN0K103 CO CI oc "^ 0-0 r— OO O .*■* Ci o r-- v • ^_ Ci - ■* 00 co O 00 Ci 1^ o ■^B Cl ~~ ~~ — ** co i-O ■*■ « 00 r- QO m luVlojauYH O ~ CD Ci c A M p o O — co (Ol Cl -.O — CM *•- r- GO ,_ Ci _ LH10J3ïn« "* CM oo co ■*■ -* 00 * Cl 00 o Ci ^- co i.O __ ce — CM m Cl :0 — « Ci Ci !•- OO SHX131SI sai Cl ■* """ ce _ ^, ^ o CO o Ol O-l -r- "~ — CM :0 o o _ CM m mva "T m Ci CO =D l-O OO OC Ci o co « o l> Cl CD o î-O Cl co ■f co -- Cl r^- CO — ;"5 co t— a.\.ia.ManiA a» CD CM I— "^ a « a fi ■^ Ci 00 Ci ï— co O — co 510 o _ r— _ O SÛ1AY3 Ci CO Ci 00 co * R fi R Ci s-O m - CD ;0 o 00 :,0 BflNNttlKl -sr ^1 ;4 Cl CO CD i-O ^ CO -— co *r" co »# *r Pô3 ; ^J { f ; '5 o 1 o m CJ w ** cL a • _o 2 o ta t-" en c M O "en en D9 : 3 a o ; < o a, Cfl 09 o o 4a I £ sa *-> > O o P, o •— tr- o o c5 V) o rt 43 C3 - en sy a PA x: pC pC ès O •zj Çu 12 CM en Pi •T" | c PM Oh o en î_ v-J 'Ô tlfj o -^ en c tï s ***! c- —" -^ 0*. •" ~ LADUREAU. — UTILISATION DES RÉSIDUS LAINEUX 969 DISCUSSION M. Barral ne veut pas qu'on emploie la dénomination d'assimilable pour le phosphate décomposé par l'oxalate d'ammoniaque et propose de l'appeler phos- phate soluble dans l'oxalate d'ammoniaque. M. Roussille déclare ne pas avoir inventé le mot, qui est d'un usage jour- nalier, s'il n'est pas rigoureusement exact ; il trouve la dénomination de phos- phate soluble dans l'oxalate aussi impropre parce qu'il n'y a pas dissolution, mais bien double décomposition ; il admet l'expression de phosphate solubilisé dans l'oxalate d'ammoniaque, que propose alors M. Barral. M. Corenwinder propose de substituer l'essai avec le sulfate d'ammoniaque à l'essai avec l'oxalate ; il se demande si un essai de laboratoire pourra s'ap- pliquer à l'usage des phosphates dans toutes les terres. M. Dehérain hésite sur la solution à employer justement à cause de la di- versité de constitution des terrains; il a observé que l'acide acétique qui n'agit point sur certains phosphates aussitôt après leur pulvérisation, agit lorsque ces phosphates sont restés longtemps exposés à l'action de l'air ; cette action de l'acide acétique est favorisée par la présence de l'acide carbonique. M. A. LADÏÏEEAÏÏ Chimiste induslrkl à Tourcoing. SUR L UTILISATION DES RESIDUS LAINEUX DES FABRIQUES DE ROUBAIX ET DE TOURCOING — Séance du 22 août 1874. — La laine est, comme chacun le sait, une matière très-riche en azote. Elle en contient jusqu'à 16 et môme 17 0/0 de son poids, à l'état de pureté. Un produit aussi azoté doit être et est effectivement un agent puissant de fertilisation. Nos cultivateurs l'ont bien compris, et depuis longtemps ils utilisent une grande partie des résidus de la fabrication des lainages en les enfouissant dans leurs champs, où ils se décomposent et fournissent aux plantes les éléments azotés si nécessaires à leur dévelop- pement. Toutefois, au point de vue de leur emploi comme engrais, les déchets de laine ont un sérieux inconvénient qui provient de la lenteur de leur décomposition, qui dure ordinairement de trois à quatre ans, à ce point que, si l'on n'a pas eu la précaution de déchiqueter convenablement les touffes G5 970 AGR0N0MIK de déchets avant de les enfouir, on les retrouve quelquefois au !>out de deux ou trois ans presque intactes. Les cheveux, le cuir, les os, la corne, qui sont également des matières azotées assez riches, sont d'une dé- composition plus difficile encore. On a même retrouvé au bout de six ans des cheveux indécomposés. Le cultivateur qui achète des déchets de laine pour fertiliser ses champs et qui, n'en ayant pas encore em- ployé, croit en voir de suite le résultat, comme il le voit avec les tour- teaux, le guano et autres engrais facilement décomposables, aura donc une déception et pourra être tenté d'accuser son vendeur de l'avoir trompé et de lui avoir livré une marchandise dont l'effet est presque nul. Mais la deuxième et surtout la troisième année, il reconnaîtra l'efficacité de son engrais, même sans en ajouter de nouveau, s'il en a employé une dose suffisante, et verra ses récoltes s'élever tandis que l'effet des autres agents fertilisants aura cessé depuis longtemps. Les agriculteurs du Nord savent presque tous cela et en tiennent compte dans l'emploi assez considérable qu'ils font des déchets de laine ; mais néanmoins ils se plaignent de cette lente action de la laine et attribuent à l'azote de ce produit une valeur beaucoup moindre qu'à celui des autres engrais ; ils estiment en effet que le premier vaut environ 2 francs le kilog. tan- dis que le prix ordinaire et normal de l'azote dans les autres est 3 francs le kilog. Certains cultivateurs, les Desprez, de Cappelle (Nord), entre au- tres, hâtent la décomposition des déchets de laine dont ils font un très-grand emploi en les faisant servir de litière à leurs vaches et à leurs moutons. Après un séjour de deux à trois semaines sous ces animaux, quand les litières sont bien gorgées d'urine et de matières fécales, on les enlève et les porte au fumier, où elles entrent rapidement en fer- mentation. La production d'ammoniaque qui accompagne toujours la putréfaction des fumiers a sans doute pour objet d'en faire passer une partie à l'état de composé soluble ; car, ainsi préparé, les résultats de l'engrais de laine sont très-prompts et remarquables. Si l'on joint à cette excellente pratique celle non moins bonne et utile d'épandre par-dessus chaque lit de 0m,10 à 0m,lo d'épaisseur une petite couche d'un centimètre à peine de phosphate acide de chaux (superphosphate) provenant du traitement par l'acide sulfurique des os, vieux noirs, ou coprolithes fossiles, on forme ainsi un engrais ayant une grande valeur, et on a de plus l'avantage de ne rien perdre par la volatilisation des principes azotés du fumier. En effet, dans la décom- position spontanée du fumier, il se forme une assez grande quantité de sulfhydrate et de carbonate d'ammoniaque, sels très- volât ils, qui, sous l'influence de l'élévation de température produite par la fermenta- tion, ne tardent pas à disparaître dans l'atmosphère en pure perte pour U* cultivateur. A. LADUREAU. — UTILISATION DES RÉSIDUS LAINEUX 971 Si ces gaz azotés, si éminemment utiles, trouvent sur leur passage une couche de superphosphate, qui est un mélange d'acide phosphorique libre, de phosphate monobasique libre soluble, de phosphates bi et tri- basiques insolubles, et de sulfate de chaux, il se forme immédiatement une double décomposition : l'ammoniaque est enlevée à ses combinai- sons gazeuses et transformée en sels plus stables, tels que le sulfatejet le phosphate d'ammoniaque, qui restent alors iixés dans le fumier jus- qu'au moment où on le répand dans les terres. Les cultivateurs voisins des distilleries d'alcool où l'on n'évapore pas les vinasses, peuvent s'en servir utilement pour arroser lés fumiers. Ainsi préparés, ils y introduiront par ce moyen une quantité notable de sels de potasse et auront alors un engrais complet, restituant entiè- rement au sol tous les éléments que les cultures précédentes lui auront enlevés . Réunissant dans nos magasins une grande partie de la production des déchets de laine des villes de Roubaix, Tourcoing et Reims, qui nous en livrent chaque année des millions de kilogrammes, nous fûmes frappés de l'inconvénient que nous signalaient les cultivateurs dans la lente décom- position de nos produits et songeâmes à y remédier en les torréfiant légèrement de manière à permettre de les pulvériser facilement. Nous traitons donc ainsi actuellement une grande partie de nos matières qui deviennent friables, roussâtres, et exhalent alors une légère odeur de chicorée et de laine brûlée. Ce traitement, qui a lieu à une température comprise entre 120° et 140° centigrades, débarrasse complètement les déchets de leur eau ; ils éprouvent par ce fait une perte de 10 à 15 0/0. Mais leur richesse en azote n'en souffre nullement, quand l'opération a été surveillée et con- duite avec soin. Notre excellente organisation et notre production assez considérable nous permettent d'offrir cette matière à l'agriculture au prix de 14 francs les 100 kilog. avec la garantie de 6 à 8 0/0 d'azote, et comme notre fabrication se maintient presque uniformément au- dessus de 7 0/0, cela fait de l'azote à 1 fr. 80 le kilog. environ. Les expériences nombreuses qui ont été faites cette année avec ce nouveau produit ont été très-satisfaisantes et nous ont confirmé dans notre opi- nion que la torréfaction fait de la laine un engrais rapide et des plus efficaces. Toutefois, la laine n'est pas un engrais complet. Elle renferme bien de l'azote et, comme l'a observé dernièrement notre savant collègue, M. Coren- winder, 1 0/0 de potasse, mais elle est complètement dépourvue de chaux et d'acide phosphorique. Pour en faire un engrais complet, il fallait donc y ajouter ces éléments : c'est ce que nous avons fait. Nous incor- porons donc dans notre laine torréfiée des sels de potasse, chlorure et 972 AGRONOMIE sulfate, des phosphates et superphosphates de chaux, ainsi que des sels de chaux et de magnésie, de manière à avoir un produit offrant la com- position suivante, que nous garantissons à nos acheteurs : Azote (dont 2 0/0 à l'état ammoniacal) 6 » à 7 » 0/0 Matières organiques azotées 54.07 — Humidité 5.76 — Phosphate de chaux (en partie soluble) 7 » à 8 » — Potasse 1.05 à 2 » — Magnésie 0.50 Sels à base de soude 2.50 — Sulfate de chaux 7 » à 8 » — Alumine, oxyde de fer, etc, 15 » — TÔÔ" Ce produit est vendu 20 francs les 100 kilog. par sacs de 50 kilog., et ce prix peu élevé, surtout si l'on tient compte de la garantie de composition que nous donnons toujours à nos clients, paraît assez avantageux aux grands cultivateurs du Nord pour que la plupart d'en- tre eux nous aient réservé leurs approvisionnements d'engrais. Nous appelons également l'attention des membres de la section d'a- gronomie sur deux formules d'engrais chimiques destinées à la culture de la betterave, qui ont été essayées et préconisées par M. Corenwinder et adoptées depuis par le Comité central des fabricants de sucre de France, comme donnant avec le plus grand poids de racines à l'hectare, la plus grande richesse saccharine. Nous en avons jusqu'ici la fabri- cation exclusive, grâce aux conditions d'extrême bon marché auxquelles nous avons pu les établir. Voici la première : 38k,500 sulfate d'ammoniaque. 30k,700 superphosphate de chaux à 11 0/0 acide phosphorique soluble. 15k,400 chlorure de potassium. 15k,400 sulfate de chaux. 100 kilogrammes. Elle vaut 31 francs les 100 kilogrammes. La deuxième formule soit : 6' 30k,800 nitrate de soude. 15k,400 nitrate de potasse. 30"\800 superphosphate de chaux. 23k » sulfate de chaux. 100 kilogrammes. Jok vaut 29 francs les 100 kilogrammes. Nous nous occupons également de tous les engrais chimiques que nous vendons sur garantie d'analyse et aux derniers cours du jour. Enfin un laboratoire spécial attaché à notre établissement permet de contrôler incessamment la fabrication, et d'y faire en même temps toutes BOUTET. — RÉVISION DU CADASTRE 973 les analyses de terres, d'engrais et de produits agricoles que nos collè- gues du Comice de Lille nous envoient journellement. Bien que cette, communication n'ait pas le caractère exclusivement scientifique qui caractérise les travaux de la plupart de nos collègues, nous avons cru qu'elle pouvait néanmoins trouver utilement sa place au sein d'un comité d'agronomie. Elle relate en effet un grand progrès apporté à l'emploi de matières fertilisantes dont l'agriculture exploite annuellement plusieurs millions de kilogrammes, et notre but étant la propagation et l'avancement des connaissances scientifiques, nous avons pensé devoir y apporter notre coopération par cette petite incursion dans le domaine de la pratique. M. BOUTET Do Siinte-Hermine (Vemléo). OBSERVATIONS SUR LA RÉVISION DU CADASTRE. — AMÉLIORATIONS DE LA SANTÉ DES TRAVAILLEURS AGRICOLES PAR L"EMPL0I DES MACHINES A BATTRE. (EXTRAIT DU PROCÈS-VEHEAL.) — Séance dit 22 août 1874. — M. Boutet demande que l'Association émette un vœu pour la révision du cadastre et la péréquation de l'impôt. M. Barrâl croit le vœu inopportun; — il dit que ce n'est pas aux agricul- teurs à demander à être frappés de nouveaux impôts ; — il n'est pas bon que celui qui a amélioré une terre soit par ce fait chargé de nouveaux impôts. — Il déclare qu'on ne saurait assimiler le propriétaire qui améliore sa propriété et amène ainsi une plus grande somme de produits utilisables au propriétaire d'immeubles divers qui en augmente l'importance; il dit que la question est du reste trop complexe pour être utilement discutée par la section en un court espace de temps. M. Boutet signale les heureux effets que l'emploi des machines à battre a produits dans l'hygiène des ouvriers agricoles. — A la suite des battages au fléau, les ouvriers tombaient presque toujours malades par suite de l'exagé- ration du développement de force auquel ils devaient s'astreindre pendant plusieurs semaines; depuis l'emploi des machines à vapeur, les accidents annuels ont complètement disparu. 974 AGRONOMIE M. COREÏTWIOEB, Chimiste à Lille. EXPÉRIENCES SUR L'ORIGINE DU CARBONE DES PLANTES. (EXTRAIT du procès-verbal.) — 6" e a n ce du 22 août 1 87 4 . — M. Corenwinder expose ses recherches sur l'origine du carbone fixé dans les végétaux ; ses expériences ont porté sur des rameaux de figuier. Il a observé que c'est dans l'atmosphère que les plantes puisent leur carbone, mais des organes foliacés peuvent se développer sans être en communication directe avec l'atmosphère; le développement est alors incomplet et doit se faire à l'aide du carbone puisé dans l'acide carbonique de l'atmosphère par les organes voisins et non dans le sol, ainsi qu'on serait tout d'abord tenté de le penser. M. Deiiérain est d'accord avec M. Corenwinder pour les résultats des expé- riences. M. MEfflEB, Membre de la Chambre de Commerce de Paris, conseiller général de Seine-et-Marne. LA PULVERISATION AU POINT DE VUE AGRICOLE. (extrait dl* procès-verbal.) — Séance du 22 août 1874. — M. Memer présente des observations sur la pulvérisation au point de vue agricole; il s'appuie sur ce principe économique que la richesse se forme en raison géométrique de la rapidité de la circulation, et il se demande si on ne pourrait pas abréger le temps pendant lequel les principes utiles aux plantes sont mis à leur disposition. Pour lui, la pulvérisation, en substituant l'action rapide des moyens arti- ficiels à l'action lente des agents naturels, atteindrait le but désiré. Il cite à l'appui de son assertion la chaux, les phosphates de chaux, et en gé- néral les engrais commerciaux qu'on emploie sous une forme très-divisée. M. Barral confirme les observations de M. Ménier, en décrivant une expé- rience faite par lui, dans laquelle après avoir pris des poids égaux de carbo- nate de chaux sous forme de cubes de dimensions différentes, il a remarqué P. -P. DEHÉRAIN. — RESPIRATION DES VÉGÉTAUX :)'■> que la solubilité du carbonate de chaux dans l'eau de Seltz était en raison directe de la surface représentée par ces différents cubes. 11 donne ensuite à la section quelques détails techniques sur l'exploitation des phosphates fossiles. M. P. -P. DEHERAIN Professeur de chimie h l'Ecole de Grignon. RECHERCHES SUR LA RESPIRATION DES VEGETAUX. (EXTRAIT DU PROr.iiS-VERBAL) — Séance du 22 août i81i. — M. Dehérain expose le résultat de ses recherches sur l'absorption de l'oxy- gène et le dégagement d'acide carbonique par les feuilles maintenues à l'obs- curité; il fait voir que ces feuilles émettent une quantité d'acide carbonique comparable à celle qu'exhalent les animaux à sang froid, tels que les gre- nouilles, lézards, hannetons, etc. D'après lui, la combustion lente, dont les feuilles sont le siège et qui s'ac- cuse par le dégagement d'acide carbonique, serait nécessaire à la formation des principes immédiats qu'élaborent les végétaux. DISCUSSION À la suite de cette communication, une discussion s'engage sur la formation des principes immédiats. M. Dehérain fait observer qu'au moment de la transformation des matières amylacées en matières grasses, dans les plantes oléagineuses, il y a élimina- tion d'oxygène, mais l'expérience ne constate pas de disparition. Cet oxygène est-il porté par les racines? M. Wartelle croit la chose peu probable, puisque pour le colza, par exemple, la maturation, c'est-à-dire l'époque de la formation de l'huile dans la graine, se fait alors que la plante est détachée du sol. MM. Dehérain et Corenwinder ajoutent quelques mots sur les conditions qui favorisent la for. mation du sucre dans les betteraves. 976 AGRONOMIE M. NOTTELIE Seerétuire du Syndicat général des Chambres syndicales, membre de la Société d'économie politique SUR LE PHYLLOXERA. (extrait du procès-verbal.) — Séance du 24 août 1874. — M. .\otelle demande à dire quelques mots du phylloxéra, non pour propo- ser un spécifique, à son avis introuvable, de destruction instantanée, mais pour indiquer le moyen rationnel d'amener par une marche décroissante la disparition du fléau. Il insiste surtout sur l'observation physiologique qui devrait éclairer les recherches et les faire sortir de l'empirisme. Les parasites qui existent sur tous les êtres vivants ont cette propriété sin- gulière de rester à l'état d'innocuité tant que la vitalité de leur sujet est com- plète, tandis que, quand ses fonctions sont troublées par une autre cause, dans la plupart des cas ils pullulent, se transforment et acquièrent une virulence qui leur permet d'attaquer des sujets sains de même espèce. Le développement du phylloxéra, effet d'abord, a donc pu devenir ensuite cause secondaire et aggraver l'état morbide qui l'a produit. La composition de certains sols, les besoins de la vigne, les résultats des expériences faites par la commission de l'Hérault, amènent à conclure que l'altération de la vigne est due à l'insuffisance dans le sol de la potasse assi- milable. C'est, d'après l'auteur, la potasse qu'il faudra rendre à la terre arable pour rétablir entre les divers éléments nécessaires à l'alimentation de la vigne l'équilibre actuellement rompu ; l'industrie est, au reste, en mesure aujourd'hui de la livrer dans les conditions des encrais ordinaires. M. de la BLAICHEEE Publiciste. UTILISATION DES PLUMES DE VOLAILLES. (EXTRAIT DD PROCiS-YBaBAL.) — N é ance du 24 août 1 87 5 M. de la Blanchèue commence par déplorer la dép rdition qui est faite de toutes les plumes de volailles autres que celles d'oie, de canard ou de poule, alors (pie l'industrie peut tirer parti de toutes les plumes quelles qu'elles soient. BARRAL. — SUR LE GUANO !H7 Après avoir l'ait l'anatonaie de la plume en général et décrit les diverses ma- nipulations auxquelles elle doit être soumise, M. de la Blanehère aborde l'em- ploi industriel de la plume; — les barbules, coupées au ciseau tout le long du racbis et vigoureusement frottées dans un sac de toile, donnent un édredon artificiel qu'on peut employer, suivant sa qualité, dans la literie ou à la fila- ture; les fils de plume sont très-forts et peuvent être tissés en drap velours, etc.; — les tissus de plume sont fabriqués par M. Bardin, industriel, à Paris, rue de Bondy, 48. On en a déjà confectionné des vêtements remar- quables par leur légèreté, leur solidité et leur imperméabilité; — le drap de plume, dit M. de la Blanehère, aura une valeur inférieure à dix francs le mètre, prix incomparable avec celui des draps de laine. M. de la Blanehère fait voir tout le parti qu'on peut tirer du rachis, dont le centre fournit une farine employée spécialement au vcloutage des papiers peints et des toiles cirées, et dont les parties cornées reçoivent aussi des em- plois très-variés. M. J.-A. BARRAL Secrétaire perpétuel do la Société centrale d'agriculture de Fronce. SUR LE GUANO. (EXTRUT Dt: PROCÈS-VERBAL.} — Séance du ii août 1874 — M. Baiiral fait l'historique de l'exploitation du guano sur les côtes péru- viennes depuis 1825. Le gisement des îles Chinchas étant épuisé, on a commencé l'exploitation de quelques autres; les couches supérieures de Machabi et de Guanape, ac- tuellement en exploitation, ont tout d'abord fourni des engrais moins riches que ceux provenant des îles Chinchas; la richesse, peu élevée d'abord, a augmenté en raison de.la profondeur des couches exploitées. Les guanos importés actuelle- ment en France ont une richesse moyenne de H 0/0 d'azote et de 12 1/2 d'acide phosphorique. Abordant la question de vente avec garantie de titre, M. Barrai la déclare impossible à cause de la variété de composition des diverses parties d'un même chargement; on y rencontre, en effet, des matières pulvérulentes, d'un emploi facile, peu riches en matière azotée, des matières humides appe- lées mottes grasses, beaucoup plus riches en matière azotée, mais d'un emploi difficile; enfin de grosses mottes très-dures, très-riches en azote, nécessitant une pulvérisation souvent fort difficile. Passant ensuite à l'énumération des principes immédiats du guano, M. Barrai rappelle les travaux de M. Clie- vreul et ses propres recherches. Le guano est une matière d'origine organique dans laquelle se trouvent, entre autres débris, des os, des œufs et même des peaux de certains oiseaux 078 AGRONOMIE tels que les pingouins. — Les principes immédiats les plus importants sont : les carbonate et bicarbonate d'ammoniaque, l'oxalate d'ammoniaque, les phosphates d'ammoniaque, ammoniaco-magnésiens et de chaux, divers sels de potasse, de la matière organique et un à deux pour cent de matière insoluble dans les acides. — La détermination du poids de cette matière insoluble est un fort bon moyen de s'assurer de la pureté du guano. Les réclamations des cultivateurs et des chimistes ont amené les concession- naires du guano à présenter à la vente un produit qui porte le nom de guano dissous, dont la teneur garantie est de 9 0/0 d'azote et 9 0/0 d'acide phospho- rique soluble. Ce produit est obtenu en traitant le guano par l'acide sulfurique ; les brassages nécessaires à la réussite de l'opération transforment la nature, primitivement hétérogène en une matière homogène, il est vrai, qui a le grave inconvénient d'être d'un prix plus élevé que le guano naturel. M. Barrai croit que les agriculteurs feront bien de continuer l'emploi du guano naturel, dont la richesse moyenne en azote, sans pouvoir être garantie pourtant, ne s'abaisse guère au-dessous de 10 0/0. DISCUSSION M. Corenwinder confirme ce que vient de dire M. Barrai ; il appelle l'atten- tion de la section sur les fraudes opérées surtout en Allemagne, à l'aide de phosphates de couleur roussfitre. Ces falsifications sont facilement indiquées, ainsi que l'a fait remarquer M. Barrai, par l'augmentation de poids du résidu insoluble. — 11 déplore l'élévation des droits qui frappent le guano, directement importé en France, alors que les guanos dénaturés importés par les frontières de terre sont exempts de droits. M. P. -P. DEÏÏERAII Professeur de chimie à l'Ecole de Cru-non. ACTION DE L'AZOTE ATMOSPHÉRIQUE DAMS LA CULTURE. (KXTRAIT du procès-verbal.) — Séance d u ui août iS7i. — M. Dehérain expose ses recherches sur l'intervention de l'azote atmosphé- rique dans la végétation ; le travail, publié dans les Annales des sciences aturelles, prouve que, dans les forêts et les prairies de montagne, l'azote atmosphérique peut seul fournir aux besoins de la végétation. Une première série d'expériences, faites en tubes scellés et sous l'influence de la chaleur, a pour objet la fixation de l'azote atmosphérique sur de la glu- cose additionnée d'ammoniaque; les résultats n'ayant pas été entièrement i. LANDRON. — LES PLANTES SACCHARIFÈRES 979 probants, une seconde série d'expériences fut tentée avec modification dans le mode d'opérer ; elle prouva que l'azote atmosphérique se fixe sur la glucose azotée en présence de l'ammoniaque, donnant naissance à un corps azoté, probablement l'ammoniaque qui s'unit à la glucose pour former de la glucyla- mine de M. Paul Thénard. Une troisième série d'expériences démontra que la présence de l'oxygène, loin d'être favorable à la fixation de l'azote, lui était contraire ; en conséquence, une quatrième série d'expériences, dans lesquelles de la glucose, mélangée à une lessive alcaline et légèrement chauffée, fut traversée par un courant d'azote, montra que l'azote se fixait abondamment sur la matière organique quand il était pur et ne se fixait qu'en petite quantité en présence de l'oxygène. Une cinquième série d'expériences, faites à froid, avec diverses matières organiques et de l'azote pur, démontra que la fixation de l'azote atmos- phérique se produit quand des matières organiques, se décomposant dans une atmosphère appauvrie ou dépouillée d'oxygène, donnent de l'acide carbo- nique provenant de l'union de deux de leurs éléments, et en même temps de l'hydrogène, qui s'unit alors à l'azote pour former de l'ammoniaque. Ces résultats montrent quelle importance on doit attacher à la matière car- bonée des fumiers qui, dans une atmosphère appauvrie d'oxygène, comme on la trouve dans la terre, amène, par suite de l'émission du gaz hydrogène pendant la décomposition, la fixation de l'azote confiné dans le sol. M. Dehérain, s'appuyant sur ces résultats, fait voir l'importance de l'emploi des engrais verts, qui agissent non-seulement par l'azote qu'ils renferment, mais encore par celui dont ils provoquent la combinaison pendant leur décomposition dans le sol. M. J. LÀNDEOI Pharmacien Chimiste à Dunkerque. EXPERIENCES AGRICOLES ET ESSAIS CHIMIQUES SUR LES PLANTES SACCHARIFÈRES Séance du 26 août I87i. — Après une étude préalable « du sucre, de sa diffusion dans le ré- gime végétal, de ses fonctions physiologiques dans les végétaux», nous avons été amené par une suite naturelle du sujet à entreprendre des essais dans le but : 1° de rechercher quelle part il convient de faire, dans l'amélioration des végétaux sucrés : à la sélection ou au choix des porte-graines, à la constitution physique et chimique du sol, à la nature et à la proportion des engrais, aux méthodes culturales ; et 1)80 AGRONOMIE 2n d'arriver, dans les pays de fermage, à établir les rapports du cultiva- teur avec le fabricant sur des données scientifiques : en adoptant l'achat de la betterave au degré saccharimétrique, source des plus fécondes améliorations ; au lieu de rachat de la betterave au poids, source de récriminations et de querelles indignes d'une ère de progrès. Certaines considérations générales nous ont d'abord servi de guide : 1° la culture doit pouvoir utiliser indifféremment ses sols argileux, sablonneux, calcaires, humifères ou francs, secs ou humides, à sous-sol perméable ou imperméable, pour produire économiquement du sucre, aussi bien que de la fécule ou de l'huile; 2° toutes les innombrables variétés de betteraves sucrées et fourragères proviennent d'un type unique qui s'est modifié à l'infini suivant les habitats et les procédés culturaux ; mais toutes ces variétés sont susceptibles de devenir très- sucrées, en choisissant pour chacune d'elles le terrain qui leur convient et en les soumettant à une culture rationnelle ; 3° mais si l'amélioration de la betterave est un problème toujours subsistant depuis Chaptal, l'agriculture française semble condamnée, sous peine de déchoir, à résoudre un problème plus complexe : trouver pour chaque situation agricole les plantes les plus productives en sucre et les moins épuisantes en substances minérales, à quelque famille qu'elles appartiennent. Nous ne pouvons faire connaître aujourd'hui que les préliminaires de cette étude : ce qui a trait au choix des variétés commerciales répu- tées sucrées ou fourragères. Les meilleures sont évidemment celles qui permettent d'obtenir tout à la fois le plus de poids à l'hectare ( ou à la mesure) et le plus de sucre dans les jus; en d'autres termes, le maxi- mum de poids sur l'unité de surface, et le maximum de richesse saccharine sur l'unité de poids. Nous traiterons principalement de la betterave, et nous dirons quel- ques mots du sorgho et de la carotte. Notre champ d'expériences est établi à Rosendael, en terre sablo-argi- leuse, bien ameublie et fertile, avec sous-sol argilo-siliceux perméable. Les graines des diverses plantes soumises à l'essai en 1873 ont été achetées dans l'excellente et très-recommandable maison Vilmorin, An- drieux et Cie, de Paris. Tous les résultats relatifs à la betterave sont indiqués dans le tableau ci-contre : Superficie des planches ensemencées en betteraves = 15 mètres sur 4 = 15 X 1 = (50 mètres carrés — Fumure médiocre à l'hectare = 500 kilogs tourteaux de graine oléagineuse. Époque de la plantation = 15 avril 1873. Nombre de graines semées sur chaque planche = 4 par mètre carré, soit sur chaque planche 4 X 00 = 240. J.. LANDRON . LES PLANTES SACCHARIFÈRES 981 Nombre de racines récol- tées sur 60 mètres car- rés Nombre de racines par mè- tre carré Poids des racines récol- tées sur 60 mètres car- rés Kilog. Poids des racines en mo- yenne Gram. Rendement cuit, en kilog à l'heclare Rendement cuit, en Ii vies à la mesure de 44 ares 04 Prix pour la culture de l'hectare à 20 francs les 1,000 kilog Prix pour la culture de la mesure à 10 fr. les 1,000 livres Degrés des jus au den simètre de Vilmorin. ... Sucre par approximation d'après les tables Vil morin Sucre réel avec liqueur de Fehling par saccha- rimétrie chimique Sucre à l'hectare en kilog Sucre à la mesure en li- vres Prix payé par la fabri- cation à la culture pour 100 k. sucre Prix payé par la fabrica- tion à la culture p. 100 livres sucre ? a o 5 200 3 '/s 299 1.495 49.893 43.893 996 438 1069-00 12.80 11.76 7. 3 ou 6.478 13.50 6.75 218 3 '/•• 175 802 29.166 25.690 ;;82 256 1061.00 10.30 10 66 3-109 2.738 18.70 9.35 200 3 V; 285 1.425 47.500 41.838 950 418 1056.00 8.94 10.10 4.797 4.225 19.70 9.85 MUÉ TÉ S DE BETTERAVES. H H H W J « O <_; e O H O O U3 *3 a „J S ,_* 3 ~ -, je « ~ ■*; - "3 ? ■/. H O o 00 230 234 2I6 180 200 3 »/« 3 9/>o 3 V;, 3 3 'A 275 320 275 210 295 1.195 1.367 1.277 1.166 1.473 45.833 53.333 45.833 35.000 49.106 '.0.370 46.976 40.370 30-828 13.306 916 1 .066 910 700 982 403 469 403 308 133 1054.20 1053-00 1053.00 1013- 70 1044.20 S. 50 7-59 7.98 5.50 5.30 8.53 8.25 8.00 8.00 8.00 3.909 4.399 3.666 2.800 3.933 3.443 3.875 3.229 2.406 3.464 23.40 24.20 25.00 25.00 25.00 H. 70 12.10 12.50 12.50 12.50 Époque de l'arrachage = 5 Novembre. Sauf pour la betterave disette =11 Octobre. Quels sont les enseignements que nous offre ce tableau ? Ils paraîtront extrêmement remarquables, surtout si nous considérons que ces expériences sont de la même année, que les betteraves ont été placées dans la même terre, ont reçu la même fumure, les mêmes soins, que la durée de la végétation a été la même pour toutes les espèces, la disette exceptée ; que nous nous sommes volontairement placé dans les plus mauvaises conditions de la grande culture en adoptant un espace- ment exagéré des lignes et des plants, afin de savoir une bonne fois ce qu'il faut penser des agissements de la culture et des récriminations de 982 AGRONOMIE la sucrerie; et surtout encore quand nous aurons ajouté que les échan- tillons de jus soumis à l'essai ne proviennent pas de telle ou telle bet- terave, mais ont toujours été prélevés sur une quantité de 15 à 20 litres de jus, jus préparés sans eau à la râpe. Nous sommes donc bien en mesure d'affirmer que les moyennes que nous faisons connaître sont évidemment des moyennes industrielles. Comment accorder cela avec les idées qui ont cours dans le monde sucrier, sur la forme conique des racines, l'abondance et la forme des feuilles, renfoncement des racines dans le sol, comme indices de bon- nes qualités sucrières? Il faut nécessairement en rabattre. Dans les conditions où nous nous sommes trouvé en 1873, nous pou- vons affirmer que la meilleure betterave à sucre est la Jaune ovo'ide des Barres. Elle est précieuse à un double titre , celui de la qualité et celui de la quantité. Nous n'avons plus affaire ici à une espèce torturée, tourmentée comme la betterave maladive de Vilmorin, ou la betterave rudimentaire d'ou- tre-Rhin ; tout le monde sait que la plupart des betteraves allemandes ne sont pas des racines, mais des radicelles auxquelles on a fait beau- coup plus d'honneur qu'elles ne méritent. Nous avons mieux chez nous, il suffit peut-être de faire un choix parmi nos variétés fourragères ro- bustes, témoin la betterave des Barres, Elle n'a pas trop de feuilles, et le vert agréable qui les distingue indi- que une plante saine et d'une végétation vigoureuse ; elle sort moyen- nement de terre, ne pivote pas trop, et le renflement qui la différencie des racines pivotantes coniques et des racines globulaires, n'indique-t-il pas que la nature a préparé là de larges vaisseaux pour emmagasiner de grandes provisions de sucre? Il ressort encore de notre expérience de 1873, et en prenant les cho- ses au point de vue exclusif de la culture, que la meilleure betterave pour elle, c'est la betterave collet rose qui lui rapporterait à raison de 20 francs les 1,000 kilos, ù la mesure : 409 francs; à l'hectare : 1,006 francs; et la plus mauvaise justement rebutée du reste, serait la betterave Vilmorin qui lui rapporterait à la mesure : 256 francs ; à l'hec- tare 582 francs; c'est-à-dire sensiblement moitié moins! Avec la pre- mière, le producteur trouvera une suffisante rémunération pour ses avances et ses travaux; avec la seconde il est sûr de se ruiner! A moins de vendre la betterave Vilmorin d'après sa richesse en sucre, ce qui lui assurerait définitivement l'avantage sur la plupart des variétés commer- ciales. Mais en prenant les choses au point de vue exclusif de la sucrerie, la meilleure betterave n'est pas toujours la Vilmorin ; témoin la Jaune J. LANDRON. LES PLANTES SACCHARIFÊRES 983 ovoïde des Barres ; car avec celle-ci le sucre lui coûte, achat à la cul- ture : 13 fr. 50 les 100 kilog.; et avec l'autre : 18 fr. 70; soit une diffé- rence de 5 fr. 20 par 100 kilog. Supposons une fabrique travaillant 25.000,000 de kilog. de betterave Vilmorin dans une campagne, et gagnant 200,000 francs. Quel serait le bénéfice d'une fabrique travaillant la même quantité de betterave jaune ovoïde des Barres? Un tiers en plus pour le moins, soit environ 300,000. Voilà donc 100,000 francs de perdus pour le fabricant. Cette diffé- rence mérite attention. La betterave des Barres serait parfaitement acceptée par la culture dans les conditions actuelles des marchés entre fabricants et producteurs. Mais, dira-t-on, que promet une expérience, une seule expérience ? Elle promet beaucoup, parce que les résultats connus sont des résul- tats moyens, nous l'avons déjà dit; mais la betterave jaune ovoïde des Barres n'est pas la première venue ; dans le Manuel de V amateur des jar- dins, de MM. Naudin et Decaisne, elle est citée comme peu aqueuse et très-sucrée. M. N. Basset (1) dit notamment ceci : « .... Il nous est arrivé de rencontrer, parmi les betteraves four- ragères, des échantillons très-riches en sucre; ainsi la Jaune longue, la Jaune Ovoïde des Barres et la Jaune globe nous ont donné des chiffres de sucre au moins égaux au chiffre moyen de la Silésie blanche à collet vert. » Cette observation nous conduit à penser que, par une sélection bien comprise et par des soins judicieux, il serait possible d'enrichir un cer- tain nombre de variétés rustiques, dont les avantages culturaux seraient incontestables. » M. Pr0 Joigneaux, dans le Livre de la Ferme et des Maisons de campa- gne, indique aussi la betterave jaune ovoïde des barres comme une espèce peu aqueuse et très-sucrée. Nous nous proposons de continuer cette étude de la Jaune Ovoïde des Barres en semant Van prochain ta semence que nous obtiendrons des plus beaux plants mis en réserve de notre récolte de 1S73. Après celle-là, vient immédiatement la Globe jaune, depuis longtemps très-estimée par la culture, très-sucrée et vigoureuse ; et convenant par- faitement aux sols humides ou peu profonds, parce qu'elle pousse pres- que à fleur de terre, et n'a pas une très-longue racine. C'est une variété très-recommandable, mais moins cependant que la précédente. En somme le sucre ne coûterait au fabricant avec cette ra- cine que sensiblement le même prix qu'avec la betterave Vilmorin; (<) Guide pratique du fabricant de sucre, t. II, p. 332. 9S4 AGRONOMIE et elle serait parfaitement acceptée par la culture qui recevrait à la me- sure : 418 francs, au lieu de 256 avec la Vilmorin. Toutes les autres se valent ou à peu près ; la betterave impériale alle- mande de P. Knauër (de Grobers, près Hall), n'a pas donné de beaux résultats à Rosendael; nous ajouterons même que la globe rouge et la disette seraient préférables en l'espèce, puisque pour la même teneur en sucre, les jus sont moins denses; et renfermant moins de matières étran- gères, seraient plus faciles à travailler. Avant d'aborder l'étude des améliorations à apporter à la betterave, nous devons dire ici quelques mots du Sorgho et de la Carotte. Le sorgho sucré à graines noires, semé le 15 avril 1873, espacé à 65 cen- timètres entre les lignes et 33 centimètres entre les plants fut récolté le 17 octobre suivant. Nous obtînmes sur 6 mètres 25, tiges non effeuillées et garnies de la flèche, 38 kilog. 900, soit: A l'hectare . 60,800 kilog. A la mesure (1) 35,552 livres. Et sur une autre parcelle de 6 mètres 25, le sorgho effeuillé et privé de la flèche fournit 26 kilog, 300 grammes, ou : A l'hectare 41,600 kilogs. A la mesure 36,640 livres. L'on sait que les feuilles et les llèches ne renferment qu'une quantité négligeable de sucre. Le vesou de sorgho, obtenu par pression, marquait au densimètre de Baume 7°. Densimètre Vilmorin 1.044 Essayé par la liqueur de Fehling. il nous donna : Sucre cristallisable 4.57 j Sucre incristallisable 4.57 > 0,0. Soit sucre total 9.14 ] Sucre total à l'hectare 3.744 kos. Sucre total à la mesure 3.298 livres. Sucre cristallisable à l'hectare 1.872 kos. Sucre cristallisable à la mesure 1.648 livres. Le vesou de sorgho, traité pour sucre, se conduisit admirablement à la défécation, qui fut prompte et complète; une légère addition de chaux, suivie de lacarbonatatiou, nous fournit un sirop limpide, agréable, et d'une densité de 42° de Baume; mais dans lequel nous ne vîmes pas apparaître le moindre cristal; cela devait être, puisqu'il était composé, parties égales de sucre de canne et de glucose. Il) Mesure de Flandre - 44 ares 04 centiares. Arrondissement de Dunkerque. J. LANDRON. — LES PLANTES SACCHARIFÈRES 985 Le sorgho, dans ces conditions, ne conviendrait donc qu'à la distillerie, à laquelle il offrirait de beaux bénéfices; à moins d'arriver à en per- fectionner la culture, pour empêcher la formation du glucose ; si ce résultat pouvait être atteint, ce serait la fortune pour le Centre et le Midi ; il pourrait se monter des fabriques de sucre de sorgho, travaillant très- économiquement par la macération, après division des tiges en ron- delles minces, par un hache-paille. Le Nord ne pourra jamais y songer sérieusement, la betterave vaudra toujours mieux à cause des conditions climatériques; voire même la carotte, sous la réserve d'en augmenter le volume, et d'empêcher la for- mation du glucose dans ses racines. Trois échantillons de Carotte rouge des jardins ont donné, à la fin de juillet 1873, des teneurs en sucre de: 1° 8.00 2° 4.85 3n 6.78 19.63 Soit une moyenne de 6.54 0/0 avec une proportion assez forte de sucre incristallisable. Mais des analyses, faites par certains chimistes, ne mentionnent pas de sucre incristallisable dans la carotte. En tout état de cause, la carotte, moins exigeante que la betterave sur le terrain et les fumures, pourrait certainement être utilisée par les distil- leries, et laisser des pulpes que les animaux mangent toujours avidement. Mais rien n'est plus facile que d'améliorer la carotte, en volume et en qualité, par la sélection, le choix du sol, le judicieux emploi des fumures et amendements, et les soins culturaux ; la grande culture, si on la sollicitait de ce côté, aurait bien vite résolu le problème, et ce sont là certes des recherches désirables ; car la carotte, se conservant beaucoup mieux que la betterave, pourrait être travaillée jusqu'au mois de mars, au moins dans le Nord. Nous avons pour notre part commencé cet essai à Rosendael, la pré- sente année, avec la Carotte rouge pale de Flandre, et la Carotte blanche des Vosges, deux variétés robustes, bien faites, et ne sortant pas de terre : les plants ont jusqu'à ce jour une magnifique apparence. Nous nous proposons de rendre compte de ces essais, soit à un prochain Congrès, soit en 1875, aux réunions de la Sorbonne, et à la Société Dunkerquoise . Force nous est d'attendre à la fin de l'année 1874 ou au commence- ment de l'année 1875 pour remplir complètement le cadre assez étendu que nous nous sommes tracé. m !)Nli AGRONOMIE Nous avons besoin encore de terminer des expériences importantes,, de recueillir et coordonner des données précieuses datant de plusieurs années pour élucider ces dernières questions de notre programme, relatif a la culture des plantes saccharifères : 1° Quelle est la meilleure méthode culturelle pour développer leur teneur en sucre ? 2° V a-t-il des terres, des amendement*, des engrais dont la nature ou la proportion contribue ou nuit à ce résultat ? 3° Existe-t-il un moyen pratique de constatation du degré de richesse saccharine des betteraves et dts autres plantes saccharifères qui per- mettrait d'établir des rapports avantageux et durables entre cultivateurs et fabricants 4° La betterave est-elle épuisante? et quelle est la place que la culture betteravière peut occuper dans les assolements en prévision de l'avenir? ■? Les producteurs de betteraves peuvent-ils accepter la semence offerte par les fabricants et les marchands, ou doivent-ils la préparer eux- mêmes? Cette campagne nous apportera des données très-importantes. Nous croyons pouvoir déjà avancer que : 1° La meilleure méthode culturale est celle de la grande culture, à quelques exceptions près, en appliquant modérément la méthode de sélection : faisant un choix des racines porte-graines, d'après la manière dont elles se comportent avec l'eau salée, à divers degrés de Baume. Nous pensons notamment que la façon culturale la plus néces- saire est celle qui approfondit la couche arable, à l'aide des charrues sous-sol, afin de mettre à l'aise cette longue racine pivotante, et de lui permettre de se gorger, môme dans les profondeurs de la terre, de sucs nourriciers. 2° Que les meilleures terres à betteraves sont les terres franches, meubles, profondes et fertiles, c'est-à-dire les bonnes terres à blé ; et même certaines terres-sablonneuses à sous-sol perméable, avec addition à engrais azoté, matières organiques, surtout les tourteaux de graines oléagineuses et les amendements calcaires. — Les terres franches, fertiles. bien fumées n'ont nul besoin de l'amendement calcaire. Il est indubitable que chaque fois que les racines trouveront à leur portée les substances que l'acte de la végétation est susceptible de trans- former normalement en matières albuminoïdes, la proportion de sucre augmentera ; mais dans les sols incomplets (sablonneux), il est bien évident que l'azote seul ne suffira pas ; car les matières albuminoïdes, eu outre de Yasote, renferment du phosphore et du soufre. El les sols siliceux, sablonneux, en sont particulièrement pauvres; les engrais complémentaires qu'il conviendra de leur apporter seront le .1. LANDRON. — LES PLANTES SACCHARIFÈRES 987 sulfate d'ammoniaque et le phosphate de chaux : c'est-à-d ire l'azote, le soufre, le phosphore et l'élément calcaire. 3° Le moyen pratique de constatation du degré de richesse saccharine des betteraves, carottes, etc., c'est la densimétrie. 4° La betterave est épuisante, et elle ne doit entrer dans un assolement judicieux qu'à la condition de partager les soles sarclées entre les diverses plantes industrielles, pour une surface donnée cultivée en céréales ou légumineuses fourragères; c'est-à-dire que l'on peut mettre de la betterave à proportion du bétail que l'on possède. La culture fera toujours sagement, selon nous, en usant modérément des engrais du commerce. 5° Les producteurs de betteraves ne doivent jamais, en aucun cas, étant donnée une racine sucrière satisfaisante, accepter les semences des fabricants ou des marchands, mais la préparer eux-mêmes dans les meilleures terres de leur exploitation avec des soins sévères ; au besoin dans leur jardin. L'on n'est sûr que de ce que l'on fait soi-même. Encore faut-il compter avec les météores; la pluie, le soleil, le vent, qui peuvent amener tant de variations imprévues dans les résultats. Donc, réserve, prudence, vigilance. La tranquillité et la fortune en peuvent dépendre (1) . DISCUSSION M. Corenwinder fait observer que, dans les terres riche» de l'arrondisse- ment de Lille, l'addition du phosphate de chaux et des sels de potasse n'aug- mente ni le rendement pondéral des betteraves ni leur richesse saccharine. — Dans les expériences tentées à Houdain (Pas-de-Calais), sur des terres pauvres, l'effet du phosphate est très-marqué, la densité des jus ainsi que la richesse saccharine sont notablement augmentés. M. Houssaine, de Houdain, confirme les observations de M. Corenwinder; il ajoute que les betteraves récoltées sur des terres ayant reçu à la fois du phosphate de chaux et du nitrate de soude ont donné d'excellents résultats ; tandis que celles récoltées sur des parcelles n'ayant reçu que du nitrate de soude n'ont fourni ni quantité ni qualité. (I) Nous planterons au printemps de 1875 les semences des huit espèces de betteraves déjà essayées comparativement pour leur teneur en sucre. Nous pourrons ainsi apprécier (ce quia été le mobile de notre travail) les résultats que nous donneront le même sol pour chaque variété, la grande et la petite distance, et les diverses fumures : tourteaux et calcaire, et agents chimiques. 088 AGRONOMIE M. PELIGOT M'inbre dr l'Institut. SUR LA COMPOSITION DES BETTERAVES (RXTRAIT du procés-verbal.) — S é an ce du 26 a oui 1 87 o. — M. Péligot s'est proposé de rechercher, par des expériences de culture en pots, quelles sont les relations qui existent entre la nature du sol, la nature des engrais et la constitution des racines, des feuilles et des graines. — Il a constaté que les différences observées entre les rendements en sucre proviennent moins du mode de culture que de la variété des plants cultivés. — Les essais poursuivis par M. Péligot ont été faits avec des graines provenant des plantes améliorées par M. Louis Vilmorin. Il insiste sur la nécessité qu'il y a de continuer les procédés de sélection. L'amélioration de la betterave, dit-il, est la question la plus im- portante à résoudre pour l'avenir de la sucrerie indigène. Des expériences poursuivies en 1871, en arrosant les racines cultivées iso- lément dans une terre de jardin et arrosées soit avec de l'eau de Seine, soit avec de l'eau contenant en dissolution un gramme par litre de chlorure de sodium ou de chlorure de potassium il résulte : que les betteraves arrosées avec de l'eau de Seine ont fourni le plus haut rendement tout en renfermant le moins de chlore; que celles arrosées avec de la dissolution de chlorure de potassium viennent ensuite en renfermant la plus forte proportion de chlore, et qu'en dernier lieu viennent les racines arrosées avec la solution de chlo- rure de sodium. — Les chlorures se sont peu accumulés dans les racines qu'ils n'ont fait que traverser pour se rendre dans les feuilles qui se trouvent être à la fois des organes de respiration et des appareils d'excrétion. Les expériences faites en 1872 ont montré que l'absorption- des chlorures augmente avec la proportion de ces sels mise à la disposition des racines, sans toutefois lui être entièrement proportionnelle. M. Péligot, ayant recherché quelle est la répartition des matières salines dans les diverses parties de la plante, a trouvé dans la partie supérieure des racines une proportion plus grande que dans la partie inférieure; aussi con- seille-t-il de réserver la partie inférieure pour la sucrerie et d'utiliser la partie supérieure à la nourriture du bétail. Enfin M. Péligot a remarqué que l'addition de chlorures alcalins reste sans effets marqués sur les terrains peu riches, tandis que l'addition d'engrais complets amène toujours de beaux résultats. — L'addition du phosphate de chaux n'augmente pas la proportion de ce sel dans les racines tout en favo- risant leur développement, mais l'augmente très-notablement dans les feuilles. DISCUSSION SLR LA COMPOSITION DE LA BETTERAVE 989 DISCUSSION M. Corenwinder confirme les laits signalés par M. Péligot ; il n'a guère rencontré de soucie que dans la betterave et la noix de coco. M. Pesier dit, qu'étranger aux attributions de la section, il n'a jamais insti- tué d'expériences minutieuses en vue de connaître l'influence exacte de chacun des agents chimiques employés pour accroître la qualité ou le rendement des betteraves. Son rôle de chimiste-conseil de sucrerie, de distillerie et de po- tasserie lui a imposé l'obligation d'étudier la constitution des matières pre- mières de ces industries, et à ce titre il a recueilli des données utiles pour élucider la question traitée ici avec méthode et talent par M. Péligot. Il appuie ses observations sur les résultats consignés dans un tableau connu des auditeurs de son cours public à Yalenciennes, tableau où figurent les analyses de betteraves de différents volumes et de diverses origines. Ce tableau le voici : 1851 185" 1) É S I G N A T I 0 N Betteraves de Lombardie, Povegliano — — Biamade — — Dosson de la Suisse — (grosse) de Toulouse — — (grosse; — de Seine-et-Marne — de Seine-et-Oise — de Bretagne (Saint-Brieuc) — de Normandie (grosse' — de la Franche-Comté (montées) — de Saint-Quentin — de Condé (Nord) î racines pesant 8 til. "sll — de Yalenciennes (moyenne) PAR LITHE DE JUS Densité du jns a-f V, 102 » 104 » 105.2 105.1 103.8 106. 5 104.9 106"3 105.3 103.8 102.2 103.6 10ô » 102 6 105 » Suere (grammes) 10.5 43 » 98 7 89.9 4'.. 9 81. 5 79.1 126.7 80.2 35.2 14.3 53.9 122.6 21.2 100 <> Titre alcalimélriqne soluble des tendres Sel marin 90'1 » il) 6.65 80'1 » 0 70 70'1 » 1.40 90'' » 1.72 95J » 2.*2 90'1 » 1.17 80'' » I.'.', 60'1 » 1.01 130'' » 3.60 137''.5 2. G'. l'.5'' " 4.36 100'' " 0.86 67'' . 5 1.64 105a » (2) 5.08 75'1 » 1.25 On y voit qu'attachant une grande importance, d'après les travaux de M. Pé- ligot lui-même, à connaître les proportions de sel marin capable d'enchaîner le sucre dans les mélasses, M. Pesier a, dès 1851, dosé le chlorure de sodium dans le jus des betteraves soumises à son appréciation. Il ressort encore de ce tableau, ce qui n'est plus contesté, que les petites betteraves contiennent plus de sucre et moins de sels que les plus volumi- neuses. (1) C'est pour 100 de sucre contenu, 63.3 de sel marin. (2) C'est pour 100 de sucre contenu, 23.96 de sel marin. 990 AGRONOMIE Pour lui la soude, admise presque toujours à l'état de chlorure, est subordonnée, quant à sa quantité, au mode de culture, à la salure des terres. Cette opinion, il la puise dans cette autre constatation industrielle que le rapport de la soude à la potasse dans les salins varie singulièrement avec les régions ou les loca- lités dont la mélasse est originaire. Ainsi : Dans les salins de mélasse du département de la Marne, le carbonate de soude est au carbonate de potasse comme 16 ou 18 est à 100. Dans ceux des mélasses de l'Aisne comme 33 est à 100 — de la Somme — 30 à 3Ti — 100 — de I'Arr1. deValenciennes — 46 à oO — 100 — de Lille — 92ou95 — 100 — — deSt-Omer— 100 et plus — 100 Pour ces derniers, les mêmes éléments se présentent quelquefois dans le rapport de 160 à 100. On sait qu'à Lille l'engrais humain domine dans les fumures. A Yalencien- nes, où généralement le rapport de ces sels se trouve de 46 à 100, on voit la soude égaler la potasse dans le canton de Saint-Amand. C'est que là les culti- vateurs, pour obtenir des rendements énormes (jusqu'à 80 et 90,000 kilog. à l'hectare), portent par arrosement le liquide des fumiers, le purin, au pied des betteraves en voie de développement. Ces faits, connus dans les usines bien avant qu'on ait tiré cette déduction de l'analyse de betteraves isolées, avaient conduit à ne plus traiter de l'achat des salins que sur leur teneur en carbonate de potasse. M. Pesier conclut en somme qu'il se range à cette pensée commune que: pour accroître la qualité de la betterave il est important de ne pas lui fournir les moyens d'absorber le sel marin que la plante est disposée, par sa nature, à s'assimiler. M. Violette a fait de nombreuses analyses de betteraves et insiste sur l'im- portance du dosage du sucre dans les betteraves choisies pour porte-graines ; il appelle l'attention de la section sur son procédé de saccharimétrie. M. Houssaine confirme les observations de M. Corenwinder ; il fait observer que 1rs iliH'crences devront être moins marquées dans la campagne sucrière de 1874 à cause de la sécheresse exceptionnelle de l'été. M. Corenwinder conclut, en disant: 1° que les expériences citées ont montré la nécessité, pour les cultivateurs, d'employer soit les phosphates, soit les super- phosphates suivant la nature des terres non cultivées en betteraves; 2° (pie la soude est en général rare dans les plantes, excepté dans la famille des atri- plicées, à laquelle appartient la betterave, ou dans les plantes cultivées dans des terrains .-.aies. BAUDRIMONT. — EXPÉRIENCES SUR LA VIGNE i)l)| M. A. BAUMIMOIT Professeur S la Faculté dos sciences de Bordeaux. EXPERIENCES SUR LA VIGNE MISE EN PRESENCE DE DIVERS AGENTS — Séance du if août 1874. — Le phylloxéra continuant à exercer ses ravages, il importe de chercher avec soin les moyens et les agents qu'il convient d'employer pour le combattre. Avant d'opérer sur des vignes phylloxérées, il m'a paru rationnel de le faire sur des vignes saines, afin de savoir si les agents employés ne pourraient être nuisibles à ce végétal et le faire périr en même temps que l'animal que l'on veut détruire. J'ai entrepris des expériences de cet ordre en faisant usage de liquides volatilisables renfermés dans des flacons ouverts et enterrés dans le sol, ou de produits pulvérulents, mêlés avec des produits inertes ou avec la terre même où est plantée la vigne. Ces expériences demandant un temps assez considérable et des déplacements multipliés, j'ai pensé à mettre simplement des rameaux de vignes en présence de produits dis- sous dans l'eau. Non-seulement j'ai employé des produits vénéneux, mais aussi d'autres produits, alin de pouvoir généraliser les résultats qu'il serait possible d'obtenir. Ces expériences se rattachaient ainsi à la physiologie végétale; il vaudrait peut-être mieux dire à la biologie, et principalement à la pharmaceutique, en donnant à' ce mot la valeur ■qu'il a reçue d'Ampère. Ces expériences, comme on le verra bientôt, ont offert un bien vif intérêt et sont l'origine d'une science nouvelle. Je me bornerai à rappeler les principaux faits et à poser les consé- quences qui en découlent. Un rameau était plongé dans de l'eau distillée et un autre dans l'eau potable ordinaire, pour servir de termes de comparaison. La plupart des substances solides ont été employées dans la proportion de 4 grammes pour 100 d'eau ordinaire ou d'eau distillée, excepté pour le bichlorure de mercure, l'acide arsénieux, les sels alcaloïdiques, qui étaient en quan- t i tés très-inférieures . Après trois jours, ie rameau, plongé dans l'eau ordinaire, a com- mencé à se faner. Celui plongé dans l'eau distillée avait conservé toute sa fraîcheur après dix jours . Le bichlorure de mercure, l'acétate de plomb, îe sulfate de cuivre et les cyanoferrures jaune et rouge de potassium ont paru d'abord être 902 AGRONOMIE très-favorables à la vigne, mais ils l'ont ensuite altérée profondément. Après trois jours, les feuilles du rameau plongées dans la dissolution de bichlorure de mercure étaient belles et parfaitement étalées, mais leur pétiole se détachait du rameau par le moindre attouchement, et ce der- nier se divisait dans chacun de ses nœuds par le moindre effort. Les acides sulfurique, azotique, chlorhydrique, oxalique et sulfureux, malgré une forte dilution, ont été pernicieux pour la vigne, l'ont for- tement flétrie en moins de 24 heures et fait périr en 3 jours. L'ammoniaque très- étendue d'eau a fait noircir le rameau et les ner- vures des feuilles; l'hydrosulfate de la même base a agi de même, mais moins rapidement. Les carbonates et Jes bicarbonates potassiques et sodiques ont été défavorables à la vigne. Le bicarbonate de soude seulement a paru d'abord plutôt favorable que nuisible; cependant les feuilles se sont alté- rées sous son influence. Le chlorure et l'acétate calciques ont exercé une action défa- vorable. Un fait excessivement remarquable s'est produit sous l'influence de deuxpolysulfures calciques : l'un obtenu par voie humide et l'autre par voie sèche ; le premier a été très-défavorable à la vigne ; le second, au contraire, lui a conservé toute sa fraîcheur pendant plusieurs jours. Il a d'ailleurs produit le même effet sur des vignes entières et plantées en terre. L'oxalate d'ammoniaque, qui ne renferme que des produits utilisables pour la végétation, a donné de mauvais résultats. Le sulfate d'ammo- niaque a été plutôt favorable que nuisible. Le chromate et le bichromate de potasse ont donné des résultats remarquables. Sous leur influence, le rameau, les pétioles et les ner- vures des feuilles ont noirci, et sous peu de jours, la couleur noire a i^agné le parenchyme des feuilles. Le sulfate et l'acétate de cuivre, le sulfate de zinc et même le sulfate de fer, à la dose indiquée, ont tous été défavorables à la vigne. L'acide arsénieux et l'arséniate de potasse ont aussi été très-nuisibles la vigne. Le suc du tabac dilué et une forte infusion de noix vomique lui ont encore été défavorables. L'extrait d'opium l'a moins été : les feuilles de la vigne sont restées vertes et étalées, mais leur pétiole était infléchi et elles pendaient, comme si elles avaient été suspendues à un simple fil. Le rameau paraissait atteint par le sommeil. Sous l'influence de l'azotate de strychnine et du chlorhydrate de mor- phine, les rameaux de vignes se sont parfaitement bien conservés pen- dant plusieurs jours sans rien perdre de leur verdeur. CORENWJNDER. — PHOSPHATES FOSSILES {)\)3 Trois espèces de savons ont été employées. Elles ont toutes exercé une action néfaste sur la vigne : fortement fanées après 24 heures, les feuilles étaient crispées et en partie desséchées après trois jours. Il résulte de l'ensemble des expériences qui ont été faites, que la grande majorité des substances employées a été nuisible à la vigne, même des sels neutres, comme l'azotate de potasse. Il est possible que, dans ce dernier cas, comme dans celui de l'emploi des sels calciques et des bicarbonates potassique et sodique, l'effet observé ait été dû à la dose élevée des substances employées. Cela est d'autant plus probable que de la cendre de bois déposée au pied de plusieurs ceps de vigne, après les avoir déchaussés, a donné un résultat réellement favorable. En réalité, il n'y aurait que le sulfure calcique, obtenu par voie sèche, qui pourrait être utilisé pour détruire le phylloxéra sans nuire à la vigne. Quant à l'azotate stryclmique et au chlorhydrate morphique, il est probable qu'on ne les emploiera jamais pour combattre le phylloxéra, à cause de leur prix trop élevé. Il résulte de ce travail qu'il y a encore beaucoup à faire pour trouver des agents antiphylloxériques et une méthode économique pour les em- ployer utilement. M. CORENWIIDER Chimiste .'i Lille. PRESENTATION D'ECHANTILLONS DE PHOSPHATES FOSSILES (kxtr.vit du procès-verbal.) — .S <; a n c e cl u 2G a o ût 1 874 . — M. Corenwinder présente de nombreux échantillons de phosphates fossiles rapportés par lui du département de Tarn-et-Garonne, et dont il a déterminé la richesse. 994 GÉOGRAPHIE 14e Section GÉOGRAPHIE Président d'honneir .... M. le Commandeur NEGRI, Président de la Société de géographie d'Italie. Président M. l'Abbé DURAND, vicaire de l'église métropolitaine de Paris, Archi- viste-Bibliothécaire de la Société de géographie. Secrétaire M. le D'- HUREAU de VILLENEUVE, Secrétaire général de la Société de navigation aérienne. M. le Commandeur OGBJ dent de la Société de géographie d'Italie. LA BIRMANIE (EXTRAIT DL" procès-verbal.] — Séance du il août IH~!. — M. le commandeur Negri dit qu'il y a une question géographique fort cu- rieuse et non résolue, c'est la place de la source de l'irrawaddy. Cette source se trouve-t-elle dans le Thibet ou dans les massifs montagneux de l'est? On l'ignore. Cette question a pourtant un grand intérêt au point de vue des com- munications avec le Yunnan, qui est un pays fertile. Mais les produits du Yunnan ne nous parviennent pas, parce qu'il leur faut traverser toute la Chine avant d'être embarqués dans les ports de la Chine orientale. Quand même on les connaîtrait bien, on ne pourrait les utiliser parce que leur transport, pour gagner la mer, augmenterai! de beaucoup leur prix de revient. Pourtant, il y a une communication possible par la Birmanie; M. Negri a vu une lettre adressée par un missionnaire aux prêtres de Turin. Cette lettre venait du Yunnan et n'avait que deux mois de date ; il croyait d'abord à une erreur, mais il apprit que celle lettre avait été apportée par des chré- tiens habitant le Yunnan aux missionnaires de Birmanie qui Pavaient en- voyée en Europe. Il y a donc un passage facile par le haut Irrawaddy. Con- vaincu de ce fait, et se trouvant en relation avec le souverain des Birmans par le père Abbona, missionnaire italien à Mendaley, il pria ce souverain de faire reconnaître dans ses Etats la position des sources de l'irrawaddy. Les Birmans ne paraissent pas encore avoir fait scientifiquement cette reconnais- Dr HUREAU DE VILLENEUVE. — LA BIRMANIE 995 sance. Les Anglais voudraient bien la faire, mais ils sont mal vus eu Birma- nie, où le souverain se méfie d'eux. Il pense que cette expédition devrait être faite par des Italiens qui sont au service birman. Les Italiens sont très- bien vus en Birmanie ; 80 navires italiens sont entrés à Rangoun l'année dernière et les relations vont continuer d'une manière régulière. D1 HUREAU de YILLENEUVE Secrétaire général de la Société de navigation aérienne. LA BIRMANIE AU POINT DE VUE DU COMMERCE — .Séance du 21 août 1874. — 11 y a déjà longtemps que je suis convaincu de l'importance de la Birmanie au point de vue des relations commerciales avec la France. Il y a dix ans déjà, j'ai adressé sur ce sujet au ministère des affaires étrangères un long mémoire que j'avais fait en collaboration avec l'eu le duc Sosthènes de la Rochefoucauld-Doudeauville, président de la Société Orientale de France. Ce mémoire, qui doit se trouver encore dans les cartons du ministère, contenait une carte de la Birmanie faite par moi et un tableau des voies de communications et des produits de ce pays. Ayant été pendant sept ans en relation avec cinq jeunes Birmans envoyés en France pour faire leur éducation, j'ai pu étudier leur langue, leur caractère et la géographie de leur pays d'après des documents incon- nus en Europe. La Birmanie a par elle-même des productions fort intéressantes, comme le riz, le bois de teck et le pétrole ; mais son importance capitale vient de ce qu'elle offre â l'Europe un chemin facile vers le Yunnan et la Chine occidentale. Le fleuve Irrawaddy, qui se jette dans l'océan Indien, est tellement profond, que des navires qui avaient fait le tour du cap de Bonne-Espérance ont pu remonter jusqu'à la capitale Mendaley, à cent cinquante lieues dans les terres. Les Anglais se sont emparés de la pro- vince du Pégou, située à l'embouchure de ce fleuve, mais ils ne mettent pas d'obstacle au commerce. A des époques régulières, des caravanes partent de Mendaley dans des barques et remontent l'Irrawaddy jusqu'à Bammo. Là, elles quittent leurs barques et prennent des bêtes de somme qui les conduisent jusqu'à Tsan-ta, dans le Yunnan. En cet endroit, elles se divisent et vont porter les produits birmans dans la Chine occidentale, puis elles se réunissent i>90 GÉOGRAPHIE à Banuno, reviennent à Mendaley par le même chemin et rapportent en Birmanie les produits de la Chine. Les produits de la Chine occidentale sont différents de ceux de la Chine orientale et ils sont meilleur marché, parce qu'ils n'ont pas encore de débouché sur le marché européen. En effet, le transport énorme qui leur est nécessaire pour arriver jusqu'aux ports de l'Ouest ne leur permet pas de soutenir la concurrence. On y remarque la soie du chêne qui est produite en grande abondance; c'est un textile moins brillant mais plus solide et beaucoup moins cher que la soie du mûrier. Elle serait surtout précieuse pour la chaîne des étoffes mates et solides comme le gros grain et le drap de soit'. L'existence des caravanes qui se rendent au Yunnan montre la possi- bilité de communiquer avec l'ouest de la Chine. Le roi 3Iendoh-Men, qui gouverne actuellement la Birmanie, est en hostilité sourde avec les Anglais, qui lui ont ravi deux provinces, et il aurait voulu depuis longtemps faire un traité d'amitié et de commerce avec la France. Il a envoyé dans ce but plusieurs ambassades. Sous l'empire, il n'a pu réussir parce que le gouvernement impérial était dé- cidé à supporter tous les envahissements de l'Angleterre en Orient; mais ce traité vient d'être signé récemment et maintenant le commerce à tra- vers la Birmanie peut se faire dans les meilleures conditions. Un service de postes et de télégraphes est organisé jusqu'à Mendaley et pourra être continué jusque dans le Yunnan. L'importance de la Birmanie au point de vue français s'est beaucoup accrue depuis que nous occupons la Cochinchine. En effet, des esprits très-sérieux, parmi lesquels nous citerons Francis Garnier, ont cherché à établir des communications entre la Cochinchine et le Yunnan, mais de tous les projets de ce genre, celui qui semble le plus praticable consiste dans l'établissement d'une canal entre le Mé- Kong, le Salouïne et l'Jrrawaddy au moyen d'un affluent de ce dernier fleuve. Ce canal serait fait dans le Laos tributaire des Birmans; de cette façon les marchandises de l'ouest de la Chine pourraient arriver en Co- chinchine. Le souverain de la Birmanie désire beaucoup l'accomplissement de ce travail et offre d'apporter son appui à cette entreprise. Je crois que la question mérite d'être étudiée d'autant plus que l'endroit où se trouve le tracé de ce canal est dans une région peu montagneuse et assez abor- dable, surtout du côté de la Birmanie, dont le climat est bien meilleur 1*0111* les Européens que celui de la Cochinchine. LEVASSEUR. — LA CARTE T)E FRANCE 997 DISCUSSION M. Levasseur demande quelques renseignements sur les chutes de l'Irra- waddy. M. L'abbé Durand dit que, dans son ouvrage intitulé les Missions catho- liques, il a traité des sources de lïrrawaddy d'après les documents fournis par M. l'abbé Desgodins. La partie supérieure de l'Irrawaddy est, en effet, coupée par des rapides. M. Hureau de Villeneuve peut indiquer l'endroit où commencent ces ra- pides. C'est à Bammo, endroit où la caravane quitte les barques pour monter sur des bêtes de somme en suivant le bord du fleuve. M. Baumeyieille dit qu'un lieutenant anglais a déclaré que le passage d'un chemin de fer était impossible dans la vallée de l'Irrawaddy supérieur. M. Hureau de Villeneuve dit que l'empereur Mendoh-Men n'a pas permis aux Anglais de construire un chemin de fer passant dans son empire. 11 n'est pas étonnant qu'ils disent que cela est impossible pour empêcher les autres de le faire. M. Levasseur demande à M. Hureau de Villeneuve quels sont les princi- paux produits du Yunnanet s'ils diffèrent de ceux de la Chine orientale. M. Hureau de Villeneuve répond que ces produits diftèrent beaucoup par la qualité et surtout par le prix. La qualité des porcelaines est tout autre que celle des produits de Nankin et de Pékin. On peut trouver de la soie du mûrier ; mais on peut surtout avoir en abondance de la soie du chêne, tissée ou non tissée. Il croit qu'il vaut mieux la faire venir non tissée, car ce textile présente de grandes qualités, surtout au point de vue de la solidité; mais il est mal tissé par les habitants du Vunnan. M. LEVASSEUR Membre de l'Institut. ' LA CARTE DE FRANCE DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE (extrait du procès-verbal.) Séance du 21 août I87i M. Levasseur parle de la carte du ministère de l'instruction publique. Il expose les difficultés de la construction des cartes destinées à l'instruction des élèves et raconte l'histoire de la carte qui va être bientôt publiée. 99S GÉOGRAPHIE M. l'abbé DURAND Vicaire de l'église métropolitaine de Paris, 'Archiviste-Bibliothécaire de la Société de géographie. ESSAI SUR L'OROGRAPHIE DU BRESIL — Séance du 21 août 1874. — S'il nous était donné de voir le Brésil à vol d'oiseau, nous distingue- rions dans son étendue quatre systèmes de montagnes et trois grands massifs qui le divisent en différents bassins et plateaux. Nous apercevrions, commençant au Sud et longeant la côte jusqu'au cap Saint-Roch, un bourrelet de chaînes qui forme comme le bord d'une terrasse aux pentes orientales abruptes. Vue de la mer, cette chaîne ressemble à une im- mense digue de gneiss, à travers les fractures de laquelle descendent, en cataractes et en rapides, les fleuves orientaux du Brésil. C'est la chaîne de la mer, Serra do Mar. Le système orographique du Brésil se divise en quatre principales chaînes de montagnes. Parmi elles, nous remarquerons qu'il y en a plu- sieurs dans les diverses provinces qui portent le nom de Vertentes, mot qui veut dire versants. Les Portugais l'ont donné à presque toutes les montagnes aux pentes rapides, afin de les distinguer des Chapadas, pla- teaux plus ou moins inclinés. Au Nord, c'est le grand massif des Parecis. Il représente un triangle immense dont la base court parallèlement à l'Amazone, depuis les rivières Tocantins et Madeira (bois), affluents de l'Amazone à une dis- tance moyenne de 600 kilomètres de ses rives. Son côté oriental, appelé Cordilheira grande (grande chaîne), suit les bords de l'Araguaya (rivière des Indiens, Araras), incline vers le sud-est, et vient en former le som- met en se réunissant, au côté occidental, dans la Montagne boisée de l'Aguapehy ou Tromba de Sun t a-Barbara (montagne de la grande rivière ou Trompe de Sainte-Barbe). Le côté occidental suit le cours du Mamoré (variété de palmier) et du Guaporé, à une distance moyenne de vingt à vingt-cinq lieues, traverse cette dernière rivière et forme le versant septentrional de l'Aguapehy. Gomme nous l'avons dit dans un autre mémoire, ce massif est cou- ronné par un immense plateau aride, sablonneux et doucement ondulé, appelé Campos Parecis (les plaines des Parecis, Indiens disparus). Entre ces ondulations s'étendent, des lagunes <-t des marécages d'où naissent et descendent, par le versant septentrional, les principales bran- ABBÉ DURAND. OROGRAPHIE DU BRÉSIL 999 ches des rios Tocantins et Madeira, le Ghmgu, le Tapajoz (Tapuya- assu, tribus d'Indiens de haute taille) grands affluents de l'Amazone. Sur son versant méridional naît le Paraguay (rivière des perroquets) ainsi que ses bras supérieurs. Ces eours d'eau tombent dans leur val- lées véritables par des cascades, des cataractes et rapides appelés ca- choeiras. Le point culminant des Parecis se trouve, par 12° de latitude S., dans la province de Matto Grosso (grandes forêts) qu'ils couvrent presque entière de leurs masses de gneiss et de grès. Ils jettent au sud quelques rainitications qui descendent le bord oriental du Paraguay, dont elles prennent le nom, et vont se terminer sur le bord du lac des Xarayes (Indiens). La serra du Paraguay détache à l'est celle des Ver tentes (versants), qui n'ont pas moins de 1,000 mètres d'altitude, et va se réunir à celle da Sellada (de la gorge ou des défilés), et par celle-ci, à la serra de Sainte- Marthe et da Escalvada (chauve, dénudée), pendant que du nord des- cend la Cordilheira grande, qui n'est que le prolongement de la précé- dente. Son point culminant est auprès de Santa Martha, par le 16'1 de Jat. S. A partir de Meia Ponte (moitié de pont), localité de la province de Goyaz, la serra de Santa Martha, ou das Divisoes (des divisions), projette la chaîne des Pyrénées, la serra das Aimas (des âmes), dans le grand système de Tabatinga (montagnes de terre blanche argileuse). La chaîne de Tabatinga est la troisième chaîne orientale du Brésil. Elle mesure 2,223 kilomètres de longueur et s'allonge du sud-ouest au nord-ouest sous les noms de Serras da Marcella (de Marcelle), dos Ara- ras (Indiens de ce nom), da Tabatinga, Piauhy (espèce de poisson), dos Dous Irmaos (deux frères), Vermelha (rouge), Itaupeba (feuille de ferj, Borborema ou dos Ariris novos (nouveaux ariris ou araras), et vient mourir vers le Piranhas (ciseau, poisson) entre 7° et 8° de lat. S. Les bifurcations de cette chaîne vont former les vallées des rios San Francisco (Saint-François), Parahyba (mauvais poisson) et Tocantins ou Para (ri- vière), ainsi que d'autres cours d'eau de moindre importance. Lorsqu'elle arrive au 20° de latitude S., sur les limites des provinces de Goyaz et de Minas Geraes (mines générales), elle court à l'est pen- dant 445 kilomètres et va se réunir au milieu de Minas, par les Ver- tentes, non loin d'Owro preto (or noir), capitale de cette province, au grand massif de la Mantiqueira, qui appartient au système de la serra Gérai ou do Mar (montagne générale ou de la mer), grand massif cen- tral d'où rayonnent, vers toutes les directions, des ramifications secon- daires et dans lequel viennent se souder les chaînes du nord et du sud. Arrêtons-nous au centre et descendons au sud du Brésil, et de là remontons au nord avec la Serra Gérai (montagne générale) ou do Mar, 1000 GÉOGRAPHIE ainsi appelée parce que son système est composé d'une série continue de chaînes. Dans des plaines de l'Uruguay, s'élève, près de la ville de Maldonato, une suite de petites chaînes de peu de hauteur, auxquelles on a donné le nom de Cochillas. La grande Cochilla (Cochilla grande), après avoir jeté à l'est quelques rameaux qui forment les vallées des affluents du lac des Canards et du petit lac (Lagôa dos palos gros canard de Bar- barie et Lagôa mirim), monte vers le Nord et vient rejoindre la serra do Martinho ('montagne de Martin) par le 29° de lat. S. ; de là, elle tourne à l'est jusqu'au 52° de long. 0. De ses versants méridionaux des- cendent les affluents du Jacuhy (rivière du Jacu). Son sommet est cou- ronné par un plateau qui s'incline insensiblement vers le nord et forme les campos geraes (plaines générales) ou de cima da .serra (du sommet de la Montagne), déserts qui se prolongent jusqu'au bord de l'Uruguay et du Parana. Arrivée au o2° de longitude et par 28° ,8' de latitude, elle lance un contre-fort puissant à l'est, pendant 34 kilomètres, et tourne en ligne droite vers le nord, où elle prend le nom de Serra do Tabo- leiro (montagne de la table), dont les ramifications orientales creusent les bassins des rios Garopcba (des Guaras), Massiambu, Curbatao et autres affluents du lac de Villa Nova (ville neuve); là, elle remonte au nord jusqu'au 27° 3o' et s'avance en deux chaînons vers l'ouest, sous le nom de Cambirola, dans la province de Sainte-Catherine. La vallée qu'ils creusent donne naissance à Yltajahy grande (grand Itajalry ou rivière des pierres) ; ensuite elle s'incline au nord-est jusqu'au 2o°, 40'. Ce point détermine la ligne de partage entre les eaux des rios Guaratuba (habitation des Guaras) et Cubatao Paranagua (grande rivière des perro- quets). En cet endroit, la serra Gérai reprend la direction occidentale pendant quelques lieues et revient à l'est-nord-est. Son versant sep- tentrional descend les rios Ribeira (ruisseau) et Iguarapé (chemin d'eau, canal étroit), pendant que de ses ilancs méridionaux s'échappe le rio Gurityba (bordé de pins pignons, pinus araucaria). Ensuite, elle s'ap- proche de 45 kilomètres environ de la mer, près du port de Santos, derrière lequelle elle dresse la grande muraille de la serra de Cubatao, qu'il faut franchir pour atteindre la ville de San Paulo. Encore quel- ques lieues, et elle entre dans la province de Rio de Janeiro, à Parai// (pêcherie). Là, elle se divise à nouveau en deux chaînes, dans l'arc de cercle décrit par le fleuve Parahyba (mauvaise, dangereuse rivière). La première bifurcation marche vers le nord-est, jette un rameau nommé Serra da Rocaina du sud-est à l'ouest-sud-auest , sur le plateau duquel naît ce fleuve appelé Parahytinga (rivière blanche), dans la première partie de son cours. Elle suit la rive droite de la Pirahy (rivière des poissons), affluent du Parahyba, et vient se terminera l'embouchure de ADIÎK DURAND. — OROGRAPHIE DU BRÉSIL 1001 ce fleuve. C'est à elle qu'appartient le rideau magnifique qui enveloppe l'admirable baie de Rio de Janeiro, et dont les découpures pittoresques dessinent les serras dos Orgaos (des orgues) qui dressent dans l'azur du ciel leurs aiguilles semblables aux tuyaux de l'instrument dont elle porte le nom, et de Morro Queimado (montagne brûlée). Au delà de celle-ci s'avance à l'ouest la serra dos Canudos (des tuyaux, canaux), qui va se fondre dans celle dos Goiatacazes (Indiens), montagne de la rive droite du Rio Grande. C'est l'extrémité orientale de la Serra Gérai, à l'embouchure du Parahyba. La deuxième chaîne est la Mantiquiera. En cet endroit nous nous trouvons sur la terrasse de la première chaîne ou Serra do Mar. La Mantiquiera suit la rive gauche de la Parahyba et forme le versant abrupt qui encaisse son bord occidental. Elle s'étend sur la terrasse formée par la première chaîne. C'est un immense massif, ou second étage de la Serra Gérai, qui forme la quatrième des chaînes principales du Brésil. Elle commence au nord-est de la province de Saint-Paul, à quelques lieues de la ville de ce nom, sur les bords de la Tiete, affluent du Parana, s'allonge en face de la Bocaina, vers l'est-nord-ast, jusqu'à la ville de Rezenda, projette, à l'ouest-nord-ouest de cette ville, le grand massif de Htatiaïà, et s'abaisse considérablement à son point de jonc- tion avec la première chaîne, où elle détermine le col où passe la route de la province de Minas Geraes. Toute cette section de la Mantiqueira est la ligne de faîte qui partage les eaux du Parana ou Bio-Grande de celles du Parahyba. Après avoir couru encore de l'est-nord-est au nord-est, elle vient au sud-ouest de Barbacena former la chaîne élevée d'Ibitipoca, qui est plus élevée que le grand plateau dont elle soutient le bord. De là, elle s'étale dans le grand plateau de Minas, appelé Alto das Taipas (hauteur des murs de torchis) et va se rattacher au sud de la ville d'Ouro Preto, à la Serra de Tabatinga ou d'Ouro Branco (or blanc), et à celle d'Ouro Preto (or noir), qui s'élèvent en chaînes secondaires sur le plateau das Taipas, au sud. De ce point, elle projette trois ramifications : l'une au nord-est, jusque auprès de Porto Seguro (port sûr). C'est de cette nouvelle chaîne que sortent les rios Doce (fleuve aux eaux douces), le Jequiiinhonha, ou Bio grande de Belmonte (grand fleuve de Beaumont). L'autre, au nord d'Ouro Preto, sous le nom de Serra do Frio (du froid) appelée encore do Espinhaço, qui se prolonge jusqu'à Diamantina (ville des Diamants), au nord-nord-est et au nord-est. Elle laisse der- rière elle deux îlots détachés : celui de la Chapada Diamantina (plateau de Diamantine), dans la province de Minas, et celui de la Sincora, dans celle de Babia ; puis elle s'allonge en séparant le bassin du San Fran- cisco, de celui de l'Océan, jusqu'à Jacobina, ville de la province de 67 100:2 GÉOGRAPHIE Bahia, sise par d2°,80' environ de lat. S., sur les bords septentrionaux. du rio Itapicuru (petit vase à boire en terre fine). Au nord de cette ville, par 12°, elle s'arrête et tombe â pic dans la plaine ; c'est pourquoi on lui a donné le nom de Tombador (le tombeur). Au nord de celle-ci, elle s'abaisse insensiblement vers la rive septen- trionale du San Francisco et se fond dans la zone des gneiss du bassin inférieur de ce fleuve, en formant les terrasses, d'où il s'élance par les admirables cataractes d'itaparica (rivière obstruée par des roches) et de Paulo Affonso (Paul- Alphonse). De là elle va former la Serra du Parahyba do Norte, dont le versant nord forme la vallée de cette rivière, et le versant sud limite le bassin du San Francisco. Cette ramification de la Mantiquiera finit à l'em- bouchure méridionale de ce fleuve, par 7° de lat. S. environ. Enfin, après avoir poussé ses prolongements au nord-est, elle vient mourir au cap Saint-Roch. La Sincora rejoint au sud le bourrelet de la Serra do Mar, qui prend le nom de Serra dos Aymores (Indiens Aymores, Rotocudos d'aujour- d'hui), ou das Esmeraldas (des émeraudes). Celle-ci descend jusqu'à la province do San Espirito (Saint-Esprit). C'est à travers les fractures de sa terrasse que tombent en chutes et en rapides les rios Jequitinhonha Mucuri et Doce. La troisième ramification court d'abord à l'ouest, se redresse au nord- ouest sous le nom de Serra do Vertentes, se dirige au nord avec celui de la Canastra (de la malle) et va plus loin se fondre dans le premier système, en venant se souder du côté, nord-nord-ouest, aux premiers contre-forts des Pyrénées, et rejoindre la Serra de Santa Martha. Ces deux derniers rameaux forment la vallée de dénudation du San Francisco, creusée dans les grès à partir du Rio Parauna, son affluent (rivière noire). Si, de la côte, vous vous reportez au centre du Brésil, vous apercevez dans la province du (ioyaz, courant du sud-ouest au nord-est, une longue chaîne isolée appelée Pyrénées (Pyreneos). Son point culminant s'élève près de la ville de Goyaz. Il atteint 2,932 mètres d'altitude ; il serait donc le point le plus élevé du Brésil. Les Pyrénées sont des soulè- vements de gneiss qui dateraient de la même époque que la Manti- quiera. La Serra Gérai est encore appelée Serra do mar, ou chaîne de la Mer, parce qu'elle longe la côte brésilienne à quelque distance de l'Océan en formant la plus grande partie du bord de la première terrasse du Brésil. Elle est caractérisée par des grands plateaux qui déterminent les terrasses de deux grands massifs. Le plateau du sud s'incline légèrement vers l'ouest, dans la pro- ABBÉ DURAND. — OROGRAPHIE BU BRÉSIL 1003 vince de Sainte-Catherine jusqu'aux bords de l'Uruguay (rivière rouge). Au centre de cette province la pente n'est que de 300 mè- tres pour 155 kilomètres, soit environ 0,24 pour cent. Ce sont les çampos geraes ou de cima da serra. Cette déclivité, il est vrai, n'est pas toujours égale; eà et là elle est coupée par des ©adulations, par des petites chaînes secondaires peu élevées. Elle mesure 2,223 kilomètres de superticie et est arrosée par la plupart des affluents de l'Uruguay et quelques-uns du Parana. Ces rios sont presque toujours navigables au pied des chutes, par lesquelles ils descendent vers leur vallée princi- pale. Ce massif tout entier est formé de gneiss relevés ou étendus pres- que horizontalement. C'est au centre du système de la Serra Gérai, dans la Mantiqueira, que se trouve le noyau qui semble être le point d'attache ou de départ de ces chaînes qui rayonnent de tous côtés. Nous voulons parler du grand massif de Minas Geraes, qui est concentré entre Ouro Preto et Sabara (la ville des chèvres), du 20° au 21° de lat. S. Comme nous l'avons vu dans notre communication au congrès de Lyon, où nous avons parlé ex professa de cette province, ce massif est couronné de plateaux aux roches métamorphiques et détermine la plate- forme ou terrasse de la Mantiqueira. Cette plate-forme s'incline légèrement au nord et au nord-ouest, vers le San Francisco ; son point culminant est à Barbacena, où commence cette inclinaison. A partir de cette ville, elle est traversée par une série de collines ou mornes qui vont aboutir à la Serra Deos te livre (Dieu t'en délivre) ou d'Ouro branco (or blanc). En raison de son importance dans le relief du sol brésilien, d'Eschwège a appelé cette partie de la Mantiqueira, Serra do Espinhaça, c'est— à-dire épine dorsale ou colonne vertébrale. En effet, c'est de ce centre que semblent sortir la plupart des chaînes brésiliennes, comme les vertèbres de la colonne vertébrale d'un mammifère. Les points culminants de la Mantiqueira sont: la serra do Caraca (figure de fer, selon l'étymologie portugaise; -cara, visage; aço, fer, et plantation de cara, selon l'étymologie indienne; cara7 légume de la famille des carduacées, et oca1 lieu, plantation), qui mesure 1,995 mè- tres; celle de Piedade (Piété, 1,983 mètres); Itacolumi (tête de pierre) 1,756 mètres d'altitude; au sud-ouest, nous avons rencontré l'Itatiaïa (signal de pierre), qui en atteint 2,713. Le pic le plus élevé des Orgues, près de Rio, en atteint 2,015. Le reste des chaînes brésiliennes varie, dans la province de Minas, entre 1,000 et 1,500 mètres, et le bord dentelé de la Serra do Mar, entre 400 et 1,000 mètres. Au sud, elle dépasse rarement 800 mètres. La Mantiqueira tout entière occupe une superficie évaluée à 640,000 1004 GÉOGRAPHIE kilomètres carrés. Depuis la Tiete jusqu'à l'embouchure du Rio San Francisco, elle en mesure 2,400 de longueur. Le bourrelet de la première terrasse, près de la côte, est formé de gneiss, ainsi (pie la plupart des chaînes qui ne dépassent pas ordinaire- ment 1,000 à 1,200 mètres. Cependant nous avons vu que les Pyrénées, dans la province de Goyaz, s'élèvent jusqu'à 2,932 mètres. La plate- forme de la Mantiqueira est formée de roches diverses, telles que les quartzites, les grès, les itabirites, les itacolumites. Sur les plateaux et sur les côtes, on trouve également quelques dépôts calcaires très-désagré- gés. Ordinairement, ces roches ont subi plusieurs métamorphismes lents et successifs dus à la présence des eaux chaudes, ainsi que le fait remarquer l'illustre représentant de la science française au Brésil, M. Liais, direc- teur de l'Observatoire de Rio de Janeiro. Tous ces étages reposeraient, donc sur une base de gneiss, dont les jets les ont traversés et convul- sionnés en beaucoup d'endroits. Ainsi donc, le système orographique du Brésil nous présente trois massifs surmontés de trois terrasses bien distinctes l'une de l'autre : 1° Au nord, les Parecis, aux terrasses ondulées appelées Campos Pare- eis, découpés à l'est par le Tocantins et l'Araguay ; à l'ouest par la Madeira, le Mamoré et le Guaporé ; au nord par l'Amazone et au sud par l'Aguapehy. Ce massif est peu connu, il n'a pas encore été exploré géo- logiquement. 2° Au centre, le massif de la Mantiqueira, avec la province de Minas, ses chapadas et ses montagnes en forme de table, et en particulier le massif central d'Ouro Preto. 11 est bien déterminé par les cours de la Parahyba à l'est; du San Francisco à l'ouest et au nord, et par celui du Rio-Grande ou Parana au sud. 3" Au sud, le massif de la Serra do Mar, caractérisé par sa plate- forme appelée Campos de Cima ou Campos Geraes. Il est limité par le Parana, l'Uruguay à l'ouest, et, au nord, par le Jacuhy (rivière des Jacus, eN|)èee d'éphiacée), affluent du lac dos Patos, et par l'Ibicuhy-Guassu (Grand-lbicuby). Il est découpé en trois parties à peu près égales par les rios Parapanema (rivière peinte), l'Yguassu (rivière grande) et Uruguay (rivière rouge). La direction générale des montagnes brésiliennes est donc du sud- ouest au nord-ouest, avec plus ou moins d'inclinaison vers le nord ou vers l'ouest. Kllcs appartiennent, en général, au même soulèvement ; leur axe n'a dévié de cette orientation qu'à cause des forces variées de résistance qu'elles ont rencontrées pour sortir de la terre. LAUSSEDAT. — NOUVELLE CARTE DE FRANCE 1005' M. LAUSSEDAT Colonel du génie, Professeur au Conservatoire des arts et métiers. LA NOUVELLE CARTE DE FRANCE D'ERHARD. — Séance du 2 1 août 1 8 7 4 . — Le fond de la carte placée sous les yeux de la section date de plusieurs an- nées avant la guerre; il est dû à M. le lieutenant-colonel d'état-major de Coynart. Le colonel de Coynart, en se chargeant de préparer une carte destinée, dans l'esprit de ses collègues de la commission des Gaules, à servir de support aux phases diverses de l'histoire de notre pays, s'était attaché à utiliser tous les documents topographiques dont le dépôt de la guerre était en possession, et, selon son expression, il avait voulu introduire « la topographie dans la géo- graphie ». On avait d'abord songé à faire graver sur cuivre l'œuvre du colonel de Coynart, mais ce travail aurait exigé trop de temps (8 années environ), et M. Erhard s'engagea et parvint à graver sur pierre la carte oro-hydrographi- que de la commission des Gaules en vingt mois. Cette carte était terminée en 1867 et figurait à l'Exposition universelle du Champ de Mars avec une autre à l'échelle de 1/1,000,000. Il était à désirer que la commission des Gaules en autorisât la publication. C'est ce vœu qui se trouve aujourd'hui réalisé dans la carte de M. Erhard, éditée par la maison Hachette et Cie ; mais il faut ajouter que tandis que la carte oro-hydrographique des Gaules n'était imprimée qu'avec deux couleurs, le bistre pour la montagne et le bleu pour les eaux, ce qui faisait huit pierres pour les quatre feuilles dont se compose la carte entière; celle dont nous nous occupons présente onze couleurs et des teintes encore plus nombreuses. On peut avoir d'ailleurs immédiatement une idée des améliorations considérables introduites par M. Ehrard, au point de vue de l'effet général quand on sait qu'au lieu de huit pierres il en emploie quarante-trois. Le tirage en chromolithographie de la carte, rendue ainsi remarquablement pittoresque, a été effectué par la maison Monrocq, avec un soin et une habi- leté extrêmes. Pour arriver à obtenir le relief saisissant de cette carte, M. Ehrard s'est inspiré des magnifiques photographies des plans en vrai-relief de Bardin, éclairés obliquement, et il a commencé par la contrée la plus montagneuse entre toutes celles qu'embrassait son cadre, par la Suisse. La belle carte du général Dulbur à l'échelle de 1/100,000, également dans le système de la lumière oblique, et les réductions qui en ont été faites rigou- reusement, toujours à l'aide de la photographie, lui ont procuré une gamme de tons qu'il a étendue, après l'avoir accentuée, à toutes les autres régions. Les couleurs qu'il a employées pour caractériser les glaciers, les montagnes, les 1006 GÉOGRAPHIE plateaux ou plaines élevées, les vallées, les dunes, etc., sont celles qui sont généralement adoptées-, et bien qu'elles soient purement conventionnelles, elles ont, sur les bariolages trop fréquents des cartes dites hypsométriques (il y a ce- pendant d'excellentes cartes hypsométriques avec des teintes qui se rapprochent de celles de la carte d'Erhard), l'avantage de ne pas s'éloigner absolument des apparences naturelles, et c'est pour cela que l'aspect en est si agréable. Il est à souhaiter que cette belle carte se répande dans les établissements journel- lement fréquentés par le public, salles d'attente des chemins de fer, mairies' cercles, bibliothèques, etc., et surtout dans nos écoles, depuis celles de l'en- seignement supérieur jusqu'aux écoles primaires, car le prix de cette « image de la France », comme on a qualifié ailleurs la carte d'Erhard, est abor- dable pour les plus modestes budgets; indépendamment de la carte physique ou muette, la maison Hachette en a publié une autre édition avec les chemins de fer, les limites des départements, les noms des villes et des localités prin- cipales, ceux des fleuves et des rivières, et quelques cotes d'altitude. M. l'Abbé DURAND Vicaire de l'Église métropolitaine de P ■ ■ i PRÉSENTATION D'UNE CARTE GÉOGRAPHIQUE (extrait du procès-verbal.) — .Séance du SI août 1874. M. l'abbé Durand présente la carte géographique du frère Alexis. Cette carte n'est pas aussi belle que celle d'Erhard, mais elle coûte bien meilleur marché. Elle est destinée aux écoles chrétiennes. M. le Général IBAIEZ Wrecteur générn de l'Institut géographique et statistique d'Espagne, Président de la commission du Mètre. CARTE DE LA TRIANGULATION DE L'ESPAGNE.- PREMIÈRE CARTE GÉODÉSIQUE D'ESPAGNE. — Séance du Si août IS7S. — M. le général Iranez donne la description des travaux géodésiques et topo- graphiques de la carte d'Espagne. Ces travaux, entrepris depuis vingt ans Ga] IBANEZ. — TRIANGULATION DE L'ESPAGNE fOOT environ, n'ont jamais été interrompus, malgré les circonstances critiques que traverse l'Espagne. En ce moment même, les opérateurs continuent partout où il leur est possible d'installer leurs instruments, et nous allons voir tout à l'heure les effets de cette persévérance, qui ne saurait être mieux comparée qu'à celle de Delambre et Méchain, effectuant leurs opérations géodésiques au plus fort de la Terreur. Pour se mettre à même de fonder en Espagne la science géodésique dans les meilleures conditions possibles, à l'instigation de quelques hommes politiques éclairés, le général Ibanez et son savant collègue Saavedra, mort il y a quelques années, vinrent en France et allèrent de là en Angleterre et en Allemagne pour se mettre au courant des méthodes nouvelles, et pour se procurer des instruments qui leur permissent d'atteindre la plus extrême précision. C'est ainsi qu'ils obtinrent du grand artiste français, Brunner, la construction du plus bel appareil à mesurer les bases qui ait été employé jusqu'à ce jour. La mesure de la base centrale de Madridejos, effectuée au moyen de cet appareil, fait le plus grand honneur aux ingénieurs espagnols, et leur a assigné une place distinguée parmi les observateurs de notre temps. La triangulation du premier ordre, appuyée à cette base, a été exécutée également ave»; des instruments excellents, provenant généralement des ateliers de Repsold, de Hambourg. Cette triangulation est presque terminée aujourd'hui, et les opérations topographiques et cadastrales ont pu y être rattachées facilement, les triangulations d'ordre infé- rieur ayant procuré un grand nombre de repères d'une exactitude rigoureuse. Un nivellement de précision a été d'ailleurs entrepris ; des maréographes ont été établis dans plusieurs ports, et déjà un nivellement a été conduit d'Alicante à San tander en passant par Madrid. Des observations au moyen du pendule à réversion et destinées à déterminer l'intensité de la pesanteur en divers lieux de la Péninsule vont être entreprises. L'effet de l'attraction des chaînes de mon- tagnes sur le fil à plomb a été étudié avec soin ; des latitudes et des azimuts ont été observés aux extrémités des chaînes de triangle dirigées dans le sens des parallèles, et trois nouvelles bases doivent être mesurées. Ces travaux primordiaux sont exécutés par des géodésiens formés dans un intervalle de dix à douze ans à peine. Le général Ibaiïez a été autorisé à recru- ter ce personnel de choix dans tous les corps militaires ou civils où les opérations géométriques sont usuelles. C'est ainsi que le génie, l'artillerie, l'état-major, les ponts et chaussées, les mines, les eaux et forêts ont contribué à constituer un corps de géographes dont l'aptitude est incontestable, et qui, dès à présent fonctionne avec une régularité parfaite. Ce corps est aidé par trois cents topographes, qui sont à la fois opérateurs soigneux et dessinateurs habiles. Le général Ibaiïez a donné sur l'organisation de ce corps, qui est placé dans les attributions du ministère des travaux publics, les détails les plus intéressants ; il a fait connaître en outre le.; résul- tats auxquels il est parvenu et dont il a pu montrer un spécimen remarquable à la section de mathématiques: la première feuille de la carte d'Espagne, exé- cutée en chromolithographie à l'échelle de 1/50000, avec le relief du sol représenté par des courbes horizontales espacées de 20 mètres en 20 mètres, et par des cotes intermédiaires de 10 mètres en 10 mètres. Cette carte est celle des 1008 GÉOGRAPHIE environs de Madrid. Elle est d'un aspect on ne peut plus agréable, grâce au choix des teintes conventionnelles qui en facilitent la lecture sans la surchar- ger,et son exactitude est telle qu'on pourra, à coup sur, y faire tous les avant- projets de travaux publics : routes, canaux, chemins de fer. Enfin, le général Ibaiïez a encore adopté un parti auquel il faut applaudir, en supprimant l'en- trave de la projection et en substituant purement et simplement un polyèdre a faces planes à la portion de la surface de la sphère terrestre qui est occupée par la péninsule espagnole. Ainsi l'Espagne, entrée à peine d'hier dans l'arène, a pu, grâce à l'énergique volonté de quelques hommes instruits et dévoués, prendre dans la science géographique un rang si distingué que, d'une part, l'Association géodésique internationale des degrés des méridiens de l'Europe a appelé le général Ibanez à présider la commission permanente de cette association, et que, d'un autre côté, la Commission internationale du mètre l'a élu président de la commission chargée des opérations destinées à donner au nouveau type des mesures le caractère d'authenticité et les garanties de précision indispensables. Ce double hommage rendu au mérite et à la persévérance d'un homme dont la modestie égale le talent doit être une compensation pour ce noble pays d'Espagne si éprouvé et si digne de sympathie. On ne peut que souhaiter à la France de rencontrer des hommes dévoués comme le général Ibaïîez, et au gouvernement la volonté de reprendre sérieuse- ment la tradition depuis si longtemps interrompue des travaux géographiques, qui sont la base indispensable des améliorations que réclament le cadastre el les travaux publics, auss Chambres syndicales, Membre de la Société d'économie politique. IMPORTANCE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE DANS LES CONDITIONS MODERNES — Séance du 21 août 1874. — Tandis que les autres sciences ont marché à pas de géant, la plus importante de toutes, colle qui doit régler la conduite des peuples et leurs rapports réciproques, est restée stationnaire, ou plutôt elle n'existe pas encore. La politique semble avoir arrêté pour elle la marche du temps. Elle est toujours, comme aux époques primitives, la passion se mou- vant dans l'empirisme. Assemblage hybride de contradictions révol- tantes, de prétentions à la justice et de principes légitimant la barbarie, vrai chaos moral, si elle fut jamais une science, elle est restée la science de perpétuer l'erreur. Par son but avoué, par sa signification étymologique, elle devrait être le centre de convergence de tous les intérêts privés, matériels et moraux, l'intelligente élaboration qui les réunisse par leurs côtés solidaires dans le grand faisceau de l'intérêt NOTTELLE. — IMPORTANCE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE 1031 général; elle reste la bruyante arène où viennent, en s'exaspérant, se heurter tous les antagonismes. Aussi, quand se sont produits les grands faits économiques qui carac- térisent la civilisation moderne, quand la vie collective a parcouru ses diverses phases avec quelque régularité, c'a été, non pas par la politi- que, mais malgré la politique. L'instinct social était le seul initiateur. Nous le voyons aujourd'hui. N'est-il pas de toute évidence que le jour où le travail est devenu prépondérant, où les intérêts des travailleurs sont entrés en ligne dé- compte, le jour surtout où ils ont obtenu leur représentation légale, la science économique, qui avait défini le rôle de ces intérêts, devait, sous peine d'inextricables difficultés, intervenir dans le fonctionnement poli- tique comme élément déterminant? Il n'en a pas été ainsi. Les économistes ont peut-être à se reprocher une attitude trop craintive. La science, dit-on, est incompatible avec le rôle militant. Le rôle d'un Cobden serait-il donc désavoué par la science? Même en attendant qu'il se produise un homme de cette trempe, en dehors ou plutôt au-dessus de la lutte des partis, ne com- prend-on pas plus accentué, plus décisif le rôle d'une école qui, par l'élimination des erreurs, a ramené à sa simplicité primitive la vérité sociale ? Cette vérité, nous, économistes, devons la proclamer hautement, la vulgariser avec énergie, avec persistance ; et si, comme hommes de science, les débats politiques nous répugnent, nous devons dire à tous ceux qui prennent une part quelconque au gouvernement : Voici la règle, à vous la responsabilité si vous refusez d'en tenir compte. C'est pour nous plus qu'un droit, c'est un devoir, Messieurs. Il suffit de rappeler sommairement les traits .essentiels qui précisent la règle, pour se convaincre que les difficultés qui nous préoccupent ne peuvent être résolues que par son application. La société s'étant successivement affranchie de l'esclavage et de Top- pression des castes les unes par les autres, on peut en donner aujour- d'hui cette définition, exacte et complète précisément parce qu'elle est simple : La société est un échange de services. Tout service rendu ou plutôt échangé représentant une utilité créée par un travail accompli, la vie sociale n'est qu'une suite de perpétuels échanges d'un travail contre un autre travail. La définition de la société : échange de services, peut se transformer en cette formule équivalente: propriété individuelle et solidarité collective. La force collective représentée par l'État a donc pour attribution nettement définie de garantir à chacun sa propriété, à tous, la solidarité, c'est-à- dire la liberté des échanges ; et l'État outre-passe son mandat quand, pour protéger certains échanges, il en soumet d'autres à des restrictions 1032 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE L'individualisme est le moteur de la production et de l'épargne. Il nécessite la propriété. Mais la propriété entraîne la liberté de l'échange, qui à son tour ramène l'individualisme à la nécessité de se mouvoir dans la solidarité sociale. L'échange international n'est autre chose que la division du travail pratiquée de peuple à peuple au lieu de l'être d'individu à individu. .. Voilà la règle qui résume toute la science économique. Elle devient une telle nécessité dans les conditions présentes, que c'est pour ne l'avoir point appliquée que nous voyons tout se troubler et se confondre. Son application est par conséquent la condition rigoureuse du retour à l'ordre et à la stabilité. 89 a fauché de révoltants privilèges, mais il en est repoussé à foison sous des formes différentes : privilèges non plus de castes, mais de posi- tion. Sans nous égarer à les suivre un à un, attachons-nous au pro- tectionnisme, qui est le principe et la justification de tous les autres. Son excuse : protéger l'industrie nationale, est tellement percée à jour, que ses partisans n'osent plus l'invoquer. Ils sont écrasés par l'é- vidence des faits. Dès que se produit une atténuation de ce fléau écono- mique, le niveau de la richesse s'élève à vue d'œil. Mais n'insistons pas sur une démonstration qui est devenue banale : le protectionnisme se présente à notre étude par des côtés plus graves. Le protectionnisme est le point de départ et la légitimation des sys- tèmes socialistes, qui dénaturent et rendent si dangereux le mouvement populaire. Tous, en effet, ont pour principe commun l'intervention de l'État pour élargir le rôle et la rémunération du travail manuel. Eh bien, cette intervention dans les transactions économiques, ils la trou- vent inscrite et appliquée dans la législation, non pas au profit d'une classe, mais au profit de certains industriels. Socialisme et protection- nisme sont les applications différentes d'un principe identique. Cela, sans doute, n'apparaît pas aussi clairement à l'esprit des masses; mais en voyant l'ingérence abusive de l'État se produire sous toutes les formes dérivées du protectionnisme : subventions, privilèges, concessions, primes d'encouragement, garanties d'intérêt, etc., etc., les masses ou- vrières ont conclu qu'il fallait, pour améliorer leur condition, détourner sur le travail manuel les bienfaits de cette providence. Pauvres igno- rants ! on n'a rien essayé pour leur faire comprendre que cette provi- dence-la ne crée pas un atome de richesse, et que ce qu'elle leur don- nerait d'une main, elle le prélèverait de l'autre sur leur travail ! Le protectionnisme a un côté plus grave encore, il viole directement la propriété en portant atteinte aux. échanges, en rendant les consom- mateurs tributaires de certaines industries. De plus, il bat en brèche par NOTTELLE. IMPOHTANCE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE 1033 contre-coup le principe même de la propriété. Par la théorie anti- sociale de l'antagonisme entre les intérêts internationaux, il place les peuples vis-à-vis les uns des autres en état d'hostilité permanente, et prépare ainsi la guerre, qui est la négation de la propriété, puisqu'elle en annule le droit au profit du plus fort. Or, aujourd'hui, la propriété n'est-elle pas le seul rempart inexpu- gnable de l'ordre social contre les masses frémissantes légalement inves- ties de la souveraineté ? Il faut donc qu'elle soit placée inviolable, au- dessus de toute atteinte, dans un sanctuaire d'où elle domine et moralise la loi elle-même. Car seulement alors nous pourrons prouver aux massas égarées, qui s'attaquent à la propriété individuelle comme à leur ennemie, qu'elle est la garantie tutélaire du faible plutôt que du fort. Preuve qui ressort d'ailleurs de l'observation : car la comparaison des temps et des lieux montre que la différence des conditions, les contrastes entre la richesse et la misère sont toujours d'autant moindres que la propriété individuelle est plus respectée. Parmi les troubles économiques résultant du protectionnisme, il est utile d'en signaler un qui a un très-grand intérêt d'actualité. Par voie de filiation, le protectionnisme est encore l'origine des impôts pesant de préférence sur la consommation des masses. Or, les masses étant deve- nues pour l'industrie en général le grand consommateur, quand leur puissance de consommation est réduite par l'impôt exagéré, le ralentis- sement et le malaise gagnent de proche en proche; depuis les plus petits commerces de détail jusqu'aux plus grandes industries. Les dénégations n'empêchent pas ce résultat d'être en ce moment partout constaté. En somme, le milieu économique dans lequel se meut la société s'é- tant modifié, il faut qu'elle introduise dans sa conduite une modifica- tion correspondante. La résignation à la souffrance, qui était autrefois la base de l'ordre social, a fait place chez les masses ouvrières à d'é- nergiques revendications. L'ordre désormais ne s'affirmera que par la satisfaction qui leur sera donnée dans la mesure de la justice. Est-ce à dire qu'il faille rompre complètement avec le passé "? Nulle- ment. Les sociétés, pas plus que les individus, ne pratiquent la solu- tion de continuité dans leur existence. Mais il ne faut pas que le sou- venir obscurcisse la notion des nécessités présentes. Soyons les hommes de notre temps, et sans oublier le passé, tendons fermement les yeux vers l'avenir. Messieurs, dans un appel à la science il faut se défier du sentiment qui donne parfois les couleurs delà réalité à ce qui n'est qu'une aspiration géné- reuse. Mais quand, par une étude patiente, sans haine et sans préférence pour les hommes ou les objets qui passionnent, on est parvenu à dé- 69 1034 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE gager la vérité, est-il interdit de puiser dans son cœur la force et la volonté de la défendre ? Nous avons vu le deuil et l'humiliation s'a- battre sur notre patrie, des compatriotes séparés de nous, d'autres poussés au crime par l'égarement. S'il faut prévoir de nouveaux mal- heurs, ah r qu'ils ne soient plus pour nous une sorte de mal imper- sonnel composé de souffrances anonymes ! Voyons-en avec les yeux du cœur toutes les victimes : les familles éplorées, les existences jetées dans une voie mauvaise, les positions conquises par le travail brisées dans la ruine et le déshonneur. Le trouble est profond ; l'explosion en serait terrible. Elle atteindrait les positions les plus hautes comme les plus modestes. Nous-mêmes, serions-nous épargnés? Et qu'importe où tomberaient les coups ? Tout ce qui serait frappé n'est-il pas une part vivante de la patrie? L'évolution raisonnée qui préviendrait la catastrophe dépend de notre volonté, de notre prévoyance. Deux grands hommes nous ont tracé la voie. Turgot chez nous, Cobden chez nos voisins. Le premier a échoué parce qu'il avait devancé son époque, le second a réussi pour s'être mieux rencontré avec la sienne. Notre époque, plus favorable encore que celle de Cobden, promet des résultats plus complets à son imitateur. N'y a-t-il pas là de quoi tenter, dans notre pays, un grand cœur et une noble ambition ? DISCUSSION. M. Chaules Limousin, rédacteur au National, signale certaines contradictions du mémoire de M. Notlelle et s'étonne que, partant des mêmes principes que le socialisme, il soit amené à conclure contre lui. Ce qui sépare les socialis- tes des économistes, c'est tout simplement une question de méthode. 11 existe, dit-il, deux économies politiques : l'une, qu'il appelle l'économie politique procède, et l'autre l'économie politique science. 11 croit qu'on doit se borner à enseigner cette dernière, qui étudie purement, et simplement les phénomènes de la production sans aucune espèce de caractère sectaire. M. Nottelle répond qu'il condamne les sectaires aussi bien d'un côté que de l'autre. Comme M. Limousin a parlé des économistes qui veulent suppri- mer l'Etat, il fait observer que, sans aller jusqu'à ce degré d'exagération, il n'admet pas, quant à lui, l'intervention de l'État dans les échanges entre particuliers. M. d'Eichthal voit dans cette discussion lu preuve certaine de l'état insuffi- sant d'avancement' dans lequel se trouve encore en ce moment l'économie politique. Cc:te science n'est pas faite ; les questions y sont si complexes, el les observations si difficiles ! Il en était absolument de même au commence- ment du siècle pour la géologie, la physiologie, etc. Dans tous les cas, il ne [eut y avoir deu\ sciences économiques, comme le prétend M. Limousin ; et, MÉNIER. — LE RÔLE 1>E L,' IMPOT 1035 quant aux systèmes, qu'ils exagèrent le rôle de l'individu ou celui de la so- ciété, ils ont beau se couvrir de l'intérêt général, il n'y a malheureusement que l'intérêt du plus grand nombre qui les fasse naître. M. Georges Renaud relève cette affirmation, de M. Limousin que l'on doit enseigner la science sans le procédé. C'est vouloir mutiler la science et la rendre inutile ; car à quoi servirait d'enseigner la théorie sans l'application des doctrines mises en lumière par la première ? M. Limousin rectifie son assertion première et prétend la restreindre à ceux qui apportent dans cet enseignement un esprit de sectaire. M. MENIEB, Membre de'la Chambre de commerce de Paris, Conseiller général de Seine-et-Marne. DU ROLE DE L'IMPOT DANS LA PRODUCTION DE LA RICHESSE. — Séance du SI août J 87 4. — I. Dans le passé, l'impôt était l'exploitation d'un peuple faible par un peuple fort, d'une caste asservie par une caste supérieure, comme chez les Indiens, comme chez les Hébreux, d'un peuple conquis par un peuple conquérant, comme à Rome. Dans le droit monarchique, c'est l'exploi- tation du peuple au profit du roi et de ses courtisans. Dans ces diverses civilisations, l'impôt est une des expressions du droit de la force. Le faible , le peuple , la foule n'a que des devoirs ; les maîtres n'ont que des droits, et les coudras de l'Inde, les tributaires de Rome, les sujets du roi ne doivent avoir d'autre but clans la vie que de satisfaire les besoins de leurs dominateurs. L'esclavage est la forme la plus dure, la plus rigoureuse, mais en même temps la plus expressive de l'impôt : c'est l'homme payant de son propre corps. Alors on croyait que l'homme ne pouvait vivre qu'aux dépens de l'homme; que la richesse de l'un n'était que le dépouillement de l'autre; qu'un peuple ne pouvait s'agrandir qu'en affaiblissant ses voisins et qu'un homme ne pouvait s'enrichir qu'en appauvrissant ses concitoyens. C'était l'état de guerre permanent d'homme à homme, de peuple à peuple. La civilisation n'était basée que sur la conquête : quiconque était fort et énergique employait cette énergie et cette force à essayer d'asservir d'autres hommes pour les faire travailler à son profit. 1036 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE L'impôt était l'expression de cet asservissement. Il y avait antagonisme entre celui qui payait et celui qui faisait payer. Le contribuable était l'exploité de l'État. L'État lui prenait le plus possible de ressources et lui rendait le moins de services possible. L'État ne se croyait même pas obligé de lui rendre de services. Il était con- vaincu qu'il avait le même rôle vis-à-vis du contribuable qu'un berger vis-à-vis de son troupeau. Il pouvait le tondre jusqu'à la peau, sans lui avoir nulle obligation. Si, de temps en temps, il lui rendait quelques petits services, c'est qu'il comprenait qu'il ne fallait pas l'épuiser com- plètement. En échange de ces petits services, il exigeait une reconnais- sance sans bornes, et, ce qui est plus étonnant, on la lui accordait. IL Or, depuis la Révolution, depuis la déclaration des droits de l'homme, les choses ont été remises à leur véritable place, si ce n'est en fait, du moins en théorie. On a compris qu'une nation n'était que l'ensemble des citoyens; que l'État n'était que leur représentation; que les intérêts de l'État et les intérêts des citoyens n'étaient pas distincts; et que par conséquent, il n'y a de bons gouvernements que ceux dont les intérêts sont identiques à ceux des gouvernés. A cette idée on en a ajouté encore une autre qui avait été entrevue par les penseurs du xvme siècle et particulièrement par Quesnay, qui n'est pas encore entrée complètement dans le domaine des faits poli- tiques, mais qui cependant ressort, avec la dernière évidence, de l'ob- servation du développement de l'humanité : c'est la séparation de l'homme de la chose, c'est l'affranchissement de l'individualité humaine du pouvoir de l'Etat. A l'origine des sociétés, l'homme appartient complètement à la famille, à la tribu, à la phratrie, à la gens ; tous ses actes, toutes ses pensées sont subordonnés à la communauté, à l'autorité de la tradition. Il n'y a point de contrat qui règle ses engagements et dégage sa personne. Quand l'agrégation des tribus, des phratries, des gentes forme des nations, l'individu , quoique émancipé de cette domination immédiate, est ressaisi par l'État. L'homme ne vaut rien par lui-même. Il n'est quelque chose que comme molécule de la masse. Il y a eu là cependant un progrès; car l'autorité s'affaiblit d'autant plus qu'elle s'éparpille. Puis une idée nouvelle intervient : à l'idée théocratique, gouverne- mentale, autoritaire, les rapports commerciaux de peuples à peuples, u'indiviJus àjindividus, substituent l'idée d'engagement volontaire pour MÉNIER. — LE HÔLE DE L'IMPOT 1037 des services déterminés, l'idée de contrat. C'est à Athènes, république de marchands et de marins, qu'elle prend naissance. L'individu se dégage du despotisme de l'État. Il remplace les arrangements d'autorité par des engagements volontaires qui concernent les choses, les intérêts et ne concernent plus sa personnalité. Cette idée de contrat se retrouve à Rome dans le jus gentium adopté pour régir les contrats commerciaux, existant entre les citoyens romains et ceux des autres nations. Ce droit cosmopolite qui a pour but, tout en garantissant les contrats, de ne pas donner aux étrangers les avantages du droit civil romain, fait abstraction de l'individu, du citoyen, établit la séparation de l'homme et de la chose. Le droit téodal a lié, au contraire , l'homme à la chose, le serf à la glèbe, le seigneur à son fief, et rétabli la subordination étroite de l'homme à l'homme. La destruction de la féodalité n'a pas été faite au profit de l'émancipation de l'individu. Il a changé de maître, voilà tout. La monarchie l'a ressaisi et, en dehors du roi, il n'y a eu que des sujets qui n'avaient d'autre droit que les caprices de son bon plaisir. Ce qui a fait précisément la grandeur de la Révolution de 89, c'est qu'elle a opposé aux droits de l'État les droits de l'homme. Du reste, cette formule contient le critérium certain de tout progrès politique et social : il n'y a progrès que lorsqu'il y a affranchissement de l'individu. Le progrès fiscal ne représente qu'une partie du progrès général. Il doit suivre la même direction, être subordonné aux mêmes règles : et ces prémisses étant posées, j'ai le droit de déclarer rétrograde tout système fiscal qui, au lieu de séparer l'individu de l'impôt, l'absorbe, le tarife, lui demande compte de ce qu'il gagne, de ce qu'il fait, de ce qu'il possède, de ce qu'il dépense, de la manière dont il travaille, dont il vit. C'est là la conséquence fatale à laquelle aboutit l'impôt sur le revenu. III. C'est à la conséquence contraire qu'arrive l'impôt sur le capital. Ces quelques considérations étaient nécessaires, Messieurs, pour bien dégager le caractère de l'impôt sur le capital. L'impôt ne doit plus exprimer l'antagonisme entre les citoyens et l'État. Il n'est plus une forme d'oppression, une forme d'esclavage. Une nation est une collectivité d'individus associés entre eux pour gérer certains intérêts communs. Le gouvernement ne doit être que le conseil d'administration, de direction, le gérant de ces intérêts. 1038 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE Il doit veiller à la sécurité extérieure ; il doit veiller à la sécurité intérieure; il doit contribuer à la production du capital national. L'impôt n'est destiné qu'à une seule chose : subvenir aux dépenses nécessitées par ces services publics. Le gouvernement n'a donc à considérer que la richesse nationale qu'il est chargé de protéger et de développer. Elle doit être indivise pour lui, comme l'est le capital d'un manufacturier. Peu importe qui en possède telle ou telle parcelle : l'Etat n'en connaît pas les détenteurs, n'a pas à s'en inquiéter. Cette fortune existe : elle forme un chiffre \. C'est cette fortune qu'il s'agit de faire prospérer et de garantir. Or, pour la faire prospérer, il faut faire certains travaux d'utilité publique, chemins de fer, télégraphes, routes, ponts, canaux, ports, etc. C'est la mise en valeur de ce capital. Pour la protéger et l'administrer, il faut des agents à l'intérieur et à l'extérieur; ce sont là des frais généraux que nécessite l'exploitation de ce capital. Qu'est-ce donc que l'impôt ? L'impôt représente la mise en valeur et les frais généraux d'exploi- tation du capital national. Sur quoi doit donc être pris l'impôt? — Sur le capital national. Qu'est-ce que le capital ? Le capital d'un particulier est l'ensemble des utilités que possède ce particulier. Le capital d'une nation est l'ensemble des utilités que possède cette nation. Telle est la réponse que je fais à ces deux questions sans tenir compte des subtilités dans lesquelles se sont trop complu les économistes. Mais j'admets avec eux la distinction qu'ils ont faite entre les capitaux fixes et les capitaux circulants. Seulement, tandis qu'ils faisaient cette dis- tinction d'une manière empirique, je suis arrivé à la déterminer d'une manière scientifique. Certains capitaux ne peuvent être employés par l'homme qu'à la condition de se transformer, de perdre leur identité. Tels sont les aliments. Telles sont encore les matières premières, qui ne peuvent devenir marchandises qu'à la condition de subir diverses transforma- tions. Telles sont les marchandises, qui ne peuvent être utiles à leur détenteur qu'à la condition de se convertir en d'autres utilités. Telle est la monnaie, qui n'est qu'un organe de transmission de mouvement. Ce sont là les capitaux circulants. D'autres capitaux ne peuvent, au contraire, servir à l'homme qu'à la condition de ne pas se transformer, de ne pas perdre leur identité : ce sont les capitaux fixes. Les capitaux fixes sont: le sol, les mines, les constructions, les machines, les outillages, les navires, les animaux ser- MÉNIER. — LE RÔLE DE L'iMrÔT 1039 vaut à l'exploitation, les ustensiles de ménage, les meubles, les objets d'art. En un mot, les capitaux fixes sont ceux dont le produit ne détruit pas l'identité. Les capitaux circulants sont ceux dont le produit détruit l'idejitité. Une machine chez son constructeur est un capital circulant, car elle ne peut lui produire d'utilité qu'à la condition d'être vendue, c'est-à- dire de se transformer en monnaie ou en toute autre utilité. Chez celui qui l'emploie, elle est, au contraire, capital fixe, car elle ne peut pro- duire d'utilité qu'à la condition de rester machine. Il en est de même pour les autres capitaux fixes. IV. Je dis maintenant, Messieurs, que l'impôt ne doit être prélevé que sur le capital fixe ; et il suffit d'observer les divers phénomènes à l'aide desquels s'accomplit l'appropriation des agents naturels à nos besoins pour comprendre que l'impôt ne doit pas avoir une autre assiette. L'humanité doit vaincre deux grands obstacles auxquels on n'a pas fait assez attention : l'espace et le temps. Plus les capitaux circulants (matières premières) sont convertis rapi- dement en nouveaux capitaux circulants (marchandises), plus ils pro- duisent d'utilité à l'homme, plus vite ils peuvent se transformer en nouveaux capitaux, et par conséquent, en nouvelles utilités. L'homme voudrait que ces diverses opérations eussent lieu instanta- nément; que la houille, par exemple, à peine tombée sous le pic du mineur, fût transformée en force motrice dans quelque machine à vapeur. Cette transformation des capitaux circulants en nouveaux capitaux circulants s'appelle circulation. Or, j'ai démontré longuement dans mon livre sur la théorie et, l'ap- plication de l'impôt sur le capital que tout arrêt dans la circulation frappe la production en raison géométrique. Je ne vais pas recommencer ici cette démonstration. Il me suffira pour établir cette règle de vous dire que si je puis produire en six mois ce que je ne puis produire qu'en un an, le résultat sera double que si je puis obtenir le même effet en trois mois au lieu de six, le résultat sera quadruple. Il me suffira encore de vous citer un fait bien connu. J'aperçois parmi vous, Messieurs, des banquiers et des négociants dont j'invoque le témoi- gnage. Quand la Banque veut défendre son encaisse, il lui suffit d'élever de 1040 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE 1 ou 2 p. 100 le taux de son escompte. Aussitôt les affaires s'arrêtent. Une crise qui se fait ressentir dans tous les pays en relations commer- ciales avec la France se produit. Que serait-ce donc si cette surélévation atteignait 20, 100, 150, 200 p. 100? Supposez maintenant que toutes les affaires industrielles, commer- ciales et agricoles de la France soient centralisées dans une grande institution comme le sont les affaires financières à la Banque de France et vous pourrez alors facilement apprécier les pertes énormes qu'imposent à notre industrie et à notre commerce les obstacles qui arrêtent la circu- lation et les charges qui pèsent sur nos produits, soit directement, soit indirectement. M. Magne, en réclamant des impôts nouveaux, ne cessait de répéter qu'une augmentation de droits de 10 à 20 p. 100 avait peu d'influence sur la consommation. Les faits antérieurs lui avaient donné un démenti formel : les moins-values du rendement des impôts, dans le premier semestre de 1874. ont confirmé ce démenti. Il ne peut en être autre- ment. Je dis donc, Messieurs, j'établis comme règle absolue, que jamais l'im- pôt ne doit entraver la circulation. Et faites bien attention qu'il est de l'intérêt du fisc de ne frapper que les capitaux fixes. Il gagne à attendre. Car, dans le phénomène de la production, les capitaux circulants, à force de se transformer, arrivent toujours tôt ou tard à se convertir en capitaux fixes. La matière pre- mière devient marchandise ; mais que devient cette marchandise ? Elle a produit un effet utile pour celui qui la vend. Que fait le vendeur de cet effet utile ? Il l'emploie soit en achat de nouvelles matières premières soit en achat de nouveaux instruments, soit eu constructions, etc. Et plus la circulation est rapide, mieux sont utilisés les capitaux fixes. Si la circulation est lente, la production s'arrête et les capitaux fixes ne donnent pas toute l'utilité qu'ils sont capables de fournir. De plus, on n'en augmente pas le nombre, parce que la production, manquant de débouchés, est supérieure à la consommation. V. Ainsi, Messieurs, pour moi les règles constitutives de l'impôt sont celles-ci : 1° L'impôt ne doit jamais frapper la circulation ; 2° L'impôt ne doit pas frapper l'homme, mais être prélevé sur la chose ; 3° L'impôt ne doit jamais entraver la liberté du travail ; 4° L'impôt doit être unique; MÉNIER. — LE RÔLE DE L'IMPOT 1041 oe L'assiette de l'impôt doit être fixe; 6° L'impôt doit être prélevé sur le capital total de la nation; chacun doit y contribuer au prorata de la portion du capital dont il est possesseur ; 7° L'impôt doit être défini et non arbitraire ; 8° L'impôt doit être levé à l'époque et de la manière qui conviennent le mieux au contribuable ; 9° Tout impôt doit être perçu le plus économiquement possible. Parmi ces règles, vous savez que les trois dernières appartiennent à Adam Smith. Je crois que les six autres sont indispensables pour arriver à un système fiscal ayant un caractère réellement scientifique. VI. Je ne viendrai pas faire ici la critique des impôts actuels. Je crois que nous sommes tous d'accord sur cette question. Les contributions indirectes, que nos législateurs augmentent chaque jour, sont irrémédiablement condamnées par tous les économistes sérieux. Mais à ces impôts on a proposé de substituer l'impôt sur le revenu. On est allé à cet impôt instinctivement et un peu étourdiment, ajoute- rai-je. Rien de plus séduisant en apparence. On s'est tenu tout bonne- ment ce raisonnement: — Tel a un revenu de...; tel autre a un revenu de... Chacun paiera au prorata de ce revenu. Malheureusement, l'impôt sur le revenu n'est pas une chose aussi simple que le supposent les esprits fort bien intentionnés qui le récla- ment. Les questions sociales ne présentent tant de difficultés que parce que leurs rapports sont extrêmement complexes. C'est faute d'avoir envisagé l'impôt sur le revenu sous ses divers aspects qu'on en a adopté si facilement le principe. On était cependant averti qu'il fallait apporter une certaine prudence dans l'examen de cette question, par le théoricien même de l'impôt sur le revenu, Sismondi, qui, après en avoir montré tous les avantages, conclut en disant : « L'impôt sur le revenu ne peut exister comme impôt unique. Les impôts sur la consommation n'ont été établis que pour remédier à l'impossibilité de l'appliquer. » C'est l'histoire de la jument de Roland, qui avait toutes les qualités et un seul défaut : elle était morte. Le revenu de chaque particulier n'est pas appréciable. Il est impos- sible que le fisc puisse dire à tel : — « Tu gagnes tant, tu as un revenu de X; il faut que tu paies tant. » Le revenu est soumis à une multitude de variations. Rien de plus facile à chacun que de le dissimuler. Il n'y a que deux manières d'appliquer l'impôt sur le revenu ; ou s'en rappor- ter uniquement à la déclaration du contribuable, ou se livrer à une 1042 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE véritable inquisition. Dans les deux cas, on n'aboutira qu'à des erreurs, à des inégalités et, par conséquent, à des injustices. Il y a longtemps que ces difficultés ont été senties. Tous les impôts actuels, directs et indirects, n'ont d'autre but que d'atteindre le revenu. Seulement comment y parvenir? Alors on a multiplié les impôts, dans l'espoir que si une parcelle du revenu imposable avait échappé à une maille du fisc, elle serait ressaisie par une autre. On a imposé les consommations précisément pour ce motif. On en est arrivé, en poursuivant cette chimère d'imposer le revenu, à frapper le besoin et à épargner les ressources. Toutes les tentatives qu'on fera pour imposer le revenu aboutiront au môme résultat. On parle des pays où est appliqué l'impôt sur le re- venu, on parle de l'income-tax. On oublie une chose : c'est que nulle part l'impôt sur le revenu n'est appliqué comme impôt unique. C'est un impôt qui vient se superposer à d'autres impôts, voilà tout. En Angle- terre, l'income-tax ne compte, dans les évaluations du budget de 4874- 1875, que pour 3 millions de livres sterling sur un budget de 73 mil- lions, moins du vingtième. Loin de vouloir en faire un impôt unique, il n'est pas d'années où on ne propose de la réduire. Il suffit de jeter un coup d'ceil sur les cédules entre lesquelles elle est répartie pour comprendre tout ce qu'elle a d'arbitraire et d'inégal. Du reste, Messieurs, plusieurs de nos collègues nous l'ont dit : partout où l'impôt sur le revenu est appliqué, on s'en plaint et on demande sa suppression, tandis que dans les États de l'Amérique du Nord, où l'impôt sur le capital est appliqué, on s'en trouve fort bien. L'impôt sur le revenu a encore un inconvénient social : il oppose le revenu de l'un au revenu de l'autre, le riche au pauvre. Frappant l'homme directement, il provoque immédiatement cette comparaison. Elle dérive si naturellement de cette situation, que tous les partisans de l'impôt sur le revenu, si timides qu'ils soient, admettent le principe de la progression avec un minimum et un maximum. Vous savez à quelles absurdités aboutit le principe de la progression. Tout principe qui conduit à de pareilles conséquences est condamné par cela même. J'a- joute : tout impôt qui implique la reconnaissance de ce principe est entraîné dans cette condamnation. Avec le système de l'impôt sur le capital, le minimum de besoins est ménagé, puisqu'il ne frappe que le capital fixe ; ce résultat est obtenu sans effort, sans sophisme, simplement par la force des choses. En même temps, comme il fait abstraction de l'homme, il exclut tout parallèle entre les riches et les pauvres. Il ne frappe que la richesse sans s'in- quiéter en quelles mains elle se trouve et dans quelle proportion chacun la possède. MKMKIi. — LE P.ÔLE DE L'iMPÔT 1043 Dans le système de l'impôt sur le revenu, vous frappez également, si vous ne voulez pas l'aire de catégories arbitraires, les revenus du capital et les revenus du travail. Y a-t-il cependant égalité entre eux ? Bien plus, c'est l'activité et l'intelligence que vise l'impôt sur le re- venu. Un homme riche, apathique, qui ne songe qu'à la tranquillité et veut, sans courir de risques et sans avoir à s'en occuper, jouir du re- venu de ses capitaux, cherche pour eux un placement qui, en échange de la sécurité, lui rapporte un faible intérêt. Avec l'impôt sur le revenu, il paiera au prorata de cet intérêt. Un homme entreprenant, actif, in- telligent, risque ses capitaux dans des entreprises difficiles, qui récla- ment toute son attention et toute son énergie, mais qui, si elles lui sont utiles, sont également utiles au développement de la richesse du pays. L'impôt sur le revenu frappe ces capitaux en raison du gain qu'ils rap- portent ; mais à qui est dû ce gain *? Aux qualités de l'homme qui les fait valoir. Ce sont elles que vous frappez, tandis que vous favorisez l'oisif. Enfin, est-ce qu'un revenu de 3,000 francs représente la même valeur en basse Bretagne qu'un revenu égal à Paris ? Les imposerez-vous égale- ment ? vous tombez dans l'injustice. Ferez-vous des catégories? vous tombez dans l'arbitraire. Je n'hésite pas à le dire : je suis fort heureux qu'on n'ait pas com- mencé à appliquer l'impôt sur le revenu, au taux de*3; 4, 5 0/0. Gela fait, on se serait arrêté. De nouvelles inégalités eussent été ajoutées aux iné- galités déjà existantes Notre système fiscal serait resté le même. Son plan n'aurait pas été modifié. Nous eussions continué à nous traîner à travers les débris de la fiscalité empirique, quand il faut que nous arri- vions à une fiscalité scientifique. va. M. d'Eichthal objecte qu'un impôt unique sur le capital fixe serait trop élevé. M. Ménier répond : Si du jour au lendemain, du soir au matin, je proposais de demander tout le budget à cet impôt unique, il est évident que je provoquerais une crise. Mais il n'en est pas de même ; je deman- derais que la transition s'opérât sur un espace de dix, quinze années. On peut évaluer en ce moment la valeur des capitaux fixes, en France, de 160 à 180 milliards. Pour un budget cle 2,600 millions, cela ferait donc à peu près 1 1/2 0/0. Cette somme est sans doute considérable : mais il s'agit de savoir si, en ce moment, les moyens de recouvrer le budget ne sont pas plus nuisibles que ne serait la perception d'un impôt unique sur le capital de la nation. 104i ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE Par les impôts de consommation, vous faites faire l'avance de l'im- pôt par celui qui n'a pas ; mais qui paie en dernier lieu ? Celui qui a. Il y a là un phénomène dont on n'a pas tenu assez de compte : c'est l'in- cidence de l'impôt. Je l'ai dit depuis longtemps : de l'incidence de l'im- pôt dépend la ruine on la prospérité d'un paxj s. Toutes mes observations, toutes mes études ont confirmé cette opinion Avec vos impôts actuels, la répercussion se fait de bas en haut, par secousses, et n'étant réglée par aucune loi économique, crée le péril social. Quand, au contraire, l'incidence a lieu de haut en bas, elle est réglée par la loi de l'offre et de la demande. Soyez-en bien convaincus : le propriétaire de capitaux fixes peut se figurer qu'il échappe à une partie de l'impôt. Il commet l'erreur de l'autruche qui se cache la tète pour ne pas voir le danger. L'impôt vient toujours le frapper, en dernier lieu, seulement alourdi d'une série de répercussions dont il faut précisément l'alléger. Quand l'impôt entrave la circulation, il frappe le capital fixe en raison géométrique. On a voté depuis la guerre 009 millions d'impôts indi- rects. Ils coûtent peut-être 5 ou 0 milliards au pays. Le capital fixe ne peut produire tout son effet utile. Il ne peut augmenter qu'avec les plus grandes difficultés. Il diminue de valeur. Assurez, au contraire, la liberté aux capitaux circulants, aussitôt le capi- tal fixe déjà existant doublera, triplera de valeur, parce que les débouebés à ses produits étant ouverts largement, ceux-ci se multiplieront. En même temps, ces produits se convertissant de plus en plus rapidement en capitaux fixes, le capital fixe de la nation sera augmenté en proportion. L'impôt sur le capital assure la liberté et l'instrument du travail. Tous les économistes sérieux sont en ce moment portés vers le libre échange. C'est là un fait qui me garantit le triomphe de l'impôt sur le capital, car l'impôt sur le capital, c'est le libre échange à l'intérieur. Il y a encore un phénomène qu'on n'a pas assez remarqué et qui seul suffirait à démontrer l'avantage de prélever l'impôt sur le capital fixe. Plus le capital circulant est abondant, plus est grande la valeur du capital fixe. Si le capital circulant double, triple, une terre, qui ne valait que 100 mille francs, en vaut 200, 300 mille. Alors si le budget reste au chiffre actuel, au bout de cinq ans, dix ans, le capital sera dégrevé proportionnellement à toute l'augmentation de valeur qu'il aura acquise. S'il double en quinze ans, l'impôt n.e sera plus de 1 fr. Ô'O 0/0, il sera de 0 fr. 75. L'impôt sur le capital laissant toute liberté à la circulation et, par conséquent, facilitant la production, cet impôt ne sera pas pris sur le capital déjà existant, comme il arrive quand le capital est frappé de stérilité. Il sera pris sur l'augmentation de la richesse. MÉN'IEK. — LE RÔLE DE L'IMPÔT lOi'i VIII. De plus, il faut bien considérer que nous avons un budget anormal. Les crédits ouverts pour la dette publique et les dotations s'élèvent à 1,223,199,474 francs. 11 faut que nous arrivions rapidement à amortir cette charge écrasante, si nous voulons soutenir la concurrence des peu- ples étrangers. Il faut que nous renoncions à ce funeste système d'équi- librer les budgets par des emprunts auxquels nous ont habitués depuis si longtemps les gouvernements ; car un emprunt n'est qu'un impôt non payé et, par conséquent, à payer. Les crédits pour les frais de régie, de perception, etc., s'élèvent à 267,046,749 francs, soit le dixième du budget total. Sur les 1,094,206.608 francs affectés aux services des ministères, le ministère de la guerre ab- sorbe 473,776,321 francs ; le budget de la marine, Io8;590,o42 francs. Il est évident que nous devons arriver à diminuer toutes ces dépenses. Le budget normal de la France devrait se réduire à quelques centaines de millions. Vous voyez donc à quelle faible charge serait soumis le ca- pital fixe. Elle serait, en réalité, insignifiante. IX. Fût-elle très-lourde, je dirais encore : il faut que ce soit le capital fixe qui la supporte. Pour mettre en valeur son champ, est-ce qu'un pro- priétaire ne dépense pas souvent 5, 10, 15 0/0, etc. de sa valeur ? Il faut que les possesseurs du capital fixe de la nation n'hésitent pas à faire de même pour les dépenses communes. Un capital fixe n'a pas de valeur lorsqu'il est isolé*; il faut donc le relier aux autres, ouvrir des débouchés à ses produits par l'établisse- ment de certains capitaux fixes communs : routes, ponts, canaux, che - mins de fer, etc. Voilà le calcul que doivent faire les contribuables ; c'est de cette manière-là qu'ils doivent envisager la question. J'ajoute, .Messieurs, qu'il est urgent qu'ils se rendent bien compte de ce caractère de l'impôt. Le jour où ils auront acquis cette notion, le pro- grès social aura parcouru une nouvelle étape. Les questions accessoires de la politique, les passions qu'enfantent de vieilles habitudes et d'anti- ques préjugés, disparaîtront, parce que chacun aura compris alors le but que doit poursuivre la société et le rôle que doit jouer le gouver- nement. Dans les civilisations anciennes, comme je vous le disais en commençant, l'homme croyait que la seule manière honorable de s'enrichir était de dépouiller les autres. Au fur et à mesure que l'homme, à l'aide de la 104(3 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE science, est arrivé à dominer la nature, cette idée s'est transformée. Maintenant, on commence à comprendre que la véritable richesse consiste dans l'appropriation des agents naturels à nos besoins. Cette appropriation constitue des utilités, et la richesse est l'abondance de ces utilités. On commence à comprendre encore qu'il est de l'intérêt de tous que l'humanité ait à sa disposition la plus grande somme d'utilités. Ceux- là mêmes qui peuvent se plaindie, et non sans raison souvent, de leur mauvaise répartition, doivent désirer que la production de ces utilités augmente, car il est évident qu'on ne peut songer à répartir des riches- ses qui n'existent pas. Le but que doivent poursuivre les sociétés est donc d'augmenter l'ap- propriation des agents naturels à nos besoins. Le rôle des gouvernements est de faciliter cet effort et d'en garantir le résultat. L'impôt est l'instru- ment que la collectivité leur donne pour remplir ce rôle. Tout système fiscal qui, au lieu d'être un auxiliaire à ce développe- ment des sociétés, est une entrave, doit donc, par cela même, être con- damné irrémédiablement. Jusqu'à présent, malheureusement, on a mal compris le caractère de l'impôt. L'idée d'antagonisme entre le citoyen et l'État, entre le contribuable et le fisc, subsiste; l'impôt apparaît avec son vieux caractère de rapine et d'oppression. L'impôt sur le capital, au contraire, est l'affirmation de la solidarité des capitaux qui forme la richesse de la nation, la démonstration de l'identité des intérêts du gou- vernement et des citoyens. DISCUSSION M. HouzE de l'Aulnois, avocat, fait observer qu'en fait l'impôt sur le capital se traduira fréquemment par un impôt sur le revenu. Il demande à M. Ménier de fixer un chiffre indiquant la quotité de l'impôt. M. Ménier réfute vivement l'assertion de M. Houzé de l'Aulnois. Il ne veut entendre à aucun prix parler de l'impôt sur le revenu, qu'il tient pour inique et inégal. Quant au chiffre qu'il proposerait, il serait de -1 0/0. M. Demongeot fait observer que les principes que M. Ménier a émis au com- mencement de la séance ne sont autres que ceux des physiocrates, avec cette différence toutefois que ceux-ci ne frappaient que la terre, tandis que le sys- tème de M. Ménier atteint tous les capitaux fixes. M. Georges Renaud ne voit pas ce que l'impôt sur le revenu peut avoir de si funeste. 11 est sage, raisonnable, très-pratique, si on veut se donner la peine de l'appliquer intelligemment, surtout s'il s'agit d'un impôt sur les revenus, analogue à Yincome-tax. Quant à l'impôt sur le capital, il le tient pour un contre-sens. Il revient à ceci: un particulier dépense tous les ans 1 0/0 de son capital ; au bout de peu de temps, il sera sensiblement écorné ; au bout de cent ans, il sera absolument détruit. M. Renaud met au défi M. Ménier de ré- DISCUSSION. — L'IMPÔT SUR LE CAPITAL I()47 pondre à cette objection, qu'il a toujours laissée de côté. Il faut respecter, au contraire, le capital, dans la crainte de l'entamer; car le capital commande, alimente et active le travail ; c'est sur le revenu seul qu'il est juste et écono- miquement utile de prélever l'impôt. M. Ménier se refuse à reconnaître la supériorité de l'impôt sur le revenu. Les objections que M. Renaud fait à l'impôt sur le capital, il les fait, lui, au précédent. L'impôt sur le revenu frappe le capital en formation ; il empêche donc le capital de se former. M. Lehardy de Beaulieu n'a pas l'intention de suivre les deux orateurs qui ont si savamment exposé les théories de l'économie politique sur la propriété individuelle considérée comme base de la liberté du travail et des échanges et sur l'impôt dans ses rapports avec la création des richesses, Cela le condui- rait au delà des bornes de la simple observation qu'il veut présenter sur un des points développés par M. Ménier. C'est par oubli, sans doute, qu'il n'a pas ajouté à ces considérations que l'impôt sur le capital n'est pas une pure conception de l'imagination, qu'il est appliqué aujourd'hui même, et depuis longtemps, dans une large mesure aux Etats-Unis, où il joue un grand rôle municipal et provincial, puisqu'il forme une grosse part des recettes des villes et de celles de la plupart des États. Une révision quinquennale des valeurs qui y sont soumises sert de thermo- mètre aux villes et même aux divers quartiers d'une ville et aux États pour savoir s'ils prospèrent ou déclinent. Cet impôt direct est quelquefois très-lourd. A New- York, par exemple, et dans d'autres grandes villes, il a résisté aux perturbations économiques produites par la guerre de sécession, alors que le gouvernement central a eu recours à toutes les formes connues et même inconnues des taxes fiscales pour se procurer des ressources. Personne ne se plaint du système de taxe qui est à la fois juste et écono- mique, puisqu'il est perçu aux moindres frais possibles. Si les populations avaient à s'en plaindre, elles auraient tous les ans le moyen de s'en débar- rasser par l'élection de leurs magistrats et de leurs législateurs. M. Ménier aurait pu encore ajouter aux considérations qu'il a fait valoir, à rencontre de l'impôt sur le revenu, qu'il frappe davantage celui qui fait pro- duire plus à son travail, à son intelligence ou à son capital. L'impôt sur la consommation atteint plutôt celui qui fait, par nécessité ou par les besoins de son travail, un plus fréquent usage des choses. L'impôt sur la production frappe directement le travail et l'activité. Au contraire, l'impôt sur le capital ménage la production et le travailleur et n'atteint lourdement que l'indolence qui laisse le capital inactif ou l'avarice qui le stérilise. Sans doute, l'abandon du système d'impôts multiples, prenant aux masses, sans qu'elles s'en doutent, la plus grande partie de leur produit, ne sera pas facile. Des intérêts nombreux et puissants s'y opposeront; mais la nécessité fera la loi un jour, et il faudra bien adopter l'impôt le moins onéreux, si l'État ne veut pas paralyser le travail et ruiner la société. L'impôt sur le capital a, en outre, l'avantage d'obliger le propriétaire à faire de plus grands efforts pour produire davantage. 1048 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE M. d'Eichthal fait observer que, du moment que l'on se place au point de vue de M. Ménier, celui de la plus grande liberté possible de la circulation sous toutes ses formes, on doit préférer que l'impôt soit perçu au moment même de la consommation du produit plutôt qu'au point de départ, au mo- ment de la production. Cela est surtout vrai quand les impôts ont pris des proportions fâcheuses, comme c'est malheureusement le cas en France actuel- lement. 11 ne faut jamais négliger la quotité de l'impôt. Le système de M. Mé- nier devient irréalisable quand il s'agit d'en tirer 2,500 millions. 11 y a à tenir compte de la masse des contribuables. On ne peut pas appliquer un principe d'une manière absolue, en faisant complète abstraction des opinions et des ressources des contribuables. M. d'Eichthal est, du reste, convaincu que la plupart des impôts votés depuis la guerre auront une influence très-fâcheuse sur la prospérité du pays. M. Ch. Limousin, lui aussi, est partisan de l'impôt sur le capital, après l'avoir été de l'impôt sur le revenu II croit que celui-ci ne peut être mis en pratique que d'une manière arbitraire, sans justice, sans égalité, et qu'il ne peut pas rendre ce que l'on pourrait obtenir de l'impôt sur le capital. M. Georges Renaud croit, comme M. Ménier, qu'il faut, avant tout, établir des principes. M. Ménier a dit que l'impôt ne devait pas reposer sur le be- soin, mais être assis sur les choses, de façon à dégager les personnes. C'est là prendre le contre-pied de l'économie politique, attendu que chaque individu représente lui-même un capital, qu'en outre les besoins de chacun varient se- lon le degré d'aisance qu'il possède. Ce qui choque les partisans de l'impôt sur le capital, c'est que jusqu'ici on n'a frappé que les besoins alimentaires, tandis que, pour rester dans la justice, il eût fallu atteindre l'ensemble des be- soins, estimés ad valorem. Il ne peut, au contraire, y avoir de critérium plus juste, pour la répartition de l'impôt, que l'ensemble des besoins satisfaits de chaque individu, si l'on arrive à établir une proportionnalité aussi stricte qu'il est possible. En somme, ce sont les exagérations et les abus de l'impôt indirect qui ont provoqué les esprits progressistes à chercher autre chose et à se rejeter d'abord du côté de l'impôt sur le revenu, puis du côté de l'impôt sur le capital, sous prétexte qu'on voulait l'asseoir sur la chose et non sur la personne. De sorte que cet impôt sur le capital n'est même pas égal, puisqu'on en exemple le capital personnel, incorporé sous forme d'éducation et d'instruction et représen- tant une valeur considérable, quand il permet à un médecin, ou à un chan- teur, ou à une actrice de se faire de gros revenus chaque année. A l'interrup- teur qui l'accuse de vouloir le rétablissement de l'impôt de la capitation, M. Renaud répond qu'il le désire si peu, qu'il est partisan de l'impôt sur le revenu, précisément pour éviter de frapper la personne même et pour n'at- teindre que ce qu'il est juste d'imposer. Du reste, comme l'a dit M. d'Eichtbal, l'impôt sur le capital ne sera souvent qu'une application pure et simple de l'impôt sur le revenu ; car, comment peut-on déterminer la valeur d'un capi- tal fixe? Parla vente ou parle revenu. Si c'est d'après le revenu que l'éva- luation se fait, nous arri\on5, malgré tout, à l'établissement de l'impôt sur le revenu proprement dit. La valeur, dit M. Ménier, est le rapport de l'utilité DISCUSSION. — i/lMPÛT SUR LE CAPITAL 1040 aux besoins ; mais il y a une foule de capitaux fixes anciens qui n'auraient qu'une valeur vénale insignifiante et qui cependant produisent un aussi grand revenu que les capitaux fixes neufs. L'impôt sur le revenu peut donc seul être productif; et l'impôt sur le capital ne peut le devenir qu'en se faisant impôt sur le revenu. C'est ce qui arrive quand on exempte le capital d'impôt en temps de chômage. M. Ménier ne veut pas asseoir d'impôt sur les besoins et, sous ce prétexte, il substitue l'impôt sur le capital à l'impôt sur le revenu, s'en rapportant, pour le reste, à la loi de l'offre et de la demande. 11 n'y a cependant pas de loi économique plus brutale et qui laisse davantage le faible à la merci du fort. M. Ménier reconnaît lui-même que l'impôt sur le capital retombera en fin de compte sur le consommateur, tout comme les autres ; malgré tout donc, il sera prélevé sur les besoins par voie de répercussion dans une mesure impos- sible à déterminer et parfois excessive ; autrement dit, il frappera le besoin au hasard. Avec l'impôt sur le revenu, au contraire, il frappera ce même be- soin directement, immédiatement, dans la proportion que l'on déterminera tt dont on restera absolument maître. Les défenseurs de l'impôt sur le capital disent au travailleur : « On te prend une certaine part de ta vie par l'impôt sur le revenu ; il n'en est pas de même avec notre système ». Quelle illu- sion ! Mais qu'est-ce donc que le capital, sinon le fruit du labeur de quelqu'un, qui l'a créé à la sueur de son front? Le capital ne naît jamais de rien ; il peut avoir glissé des mains qui l'ont formé; mais, originairement, le travail seul a pu lui donner une existence. Vous atteignez aussi bien la vie en frap- pant le capital qu'en percevant l'impôt sur le revenu. Il peut se faire que, l'impôt étant calculé sur le capital, le revenu ne suffise pas à le payer. Il y a aussi des capitaux qui ne sont qu'indirectement produc- tifs, comme les collections de tableaux, qui ne le sont que pour la collectivité, mais non pour leurs possesseurs. Dans ces deux cas, l'impôt entraînerait le capital, et un capital dont il importe de favoriser la multiplication au lieu de l'entraver. M. Ménier le considère comme une juste punition pour les proprié- taires qui laissent leurs capitaux improductifs et comme devant nécessairement susciter chez ceux-ci des efforts pour produire plus encore que l'impôt ne pré- lèverait. Il prétend forcer les individus à ne pas laisser le capital inutilisé, empêcher ces spéculations de toutes sortes, de terrains ou d'autres choses, qui consistent à les garder un certain temps pour les revendre plus cher. M. Mé- nier commet là une hérésie économique. Ces spéculations sont utiles, sont nécessaires ; elles ralentissent ou elles activent l'emploi des capitaux suivant l'intensité des besoins généraux; elles se règlent sur la baisse ou la hausse des prix, qui est le signe le plus sûr du plus ou moins de réalité des besoins. Ces spéculations empêchent les dépréciations trop grandes, en raréfiant les produits à vendre sur le marché; elles empêchent la hausse de devenir trop considéra- ble, en apportant sur le même marché les produits en réserve, au moment où le besoin devient le plus pressant, ainsi que l'indique d'une manière infaillible la hausse des prix. Quant à l'idée de banques régionales pour faire des avances aux gens insolvables, c'est Là une utopie digne de celles émises par Proudhon et d'autres socialistes en matière de crédit. L'État n'a personne à 70 1050 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE punir. Son intervention factice ne peut qu'être nuisible ici comme ailleurs. Ce serait, du reste, du socialisme au premier chef. En somme, l'impôt sur le capital est une impossibilité à cause du taux qu'il faudrait adopter, du moment qu'il serait unique. Au lieu de protéger les fai- bles, c'est sur eux qu'il tomberait principalement ; il pèserait surtout sur les sept millions de petits propriétaires fonciers qui se partagent le sol français et qui manquent déjà des capitaux nécessaires à l'exploitation de leurs biens; et, si on les exempte, alors l'impôt ne produira plus rien. Pour arriver à la solu- tion que poursuit M. Ménier, M. Renaud ne voit qu'un moyen, c'est une ré- duction sensible des dépenses de l'État. M. Ménier ajoute que, quand il s'agit de l'impôt sur le capital, il entend ne pas parler plus particulièrement de la France. C'est dans un ordre d'idées supérieur et plus général qu'il se tient. 11 déclare qu'évidemment l'impôt sur le capital serait lourd en ce moment en France comme impôt unique; mais les autres sont-ils donc légers? Est-ce qu'il ne faut pas bien trouver cette somme de 2 milliards 500 millions que réclame le budget de l'Etat? Et qui la paie en dernier ressort? Ceux qui possèdent; et les capitalistes qui n'ont pas la liberté d'user de leur capital en sont-ils donc exempts? Sans doute, si les Etats n'avaient pas de dettes, s'ils n'engageaient pas des guerres aussi fréquentes, l'impôt sur le capital serait moins lourd. M. Ménier espère bien qu'on arrivera à un régime économique normal d'ici un certain nombre d'an- nées; mais il maintient que l'impôt sur le capital permettra plus que tout autre d'amortir notre dette et d'augmenter notre production, parce que seul il n'entrave pas la circulation. .M. k'Eichthal clôt la discussion par cette observation que M. Ménier, en faisant si facilement abstraction des faits et des personnes et en entourant sa solution de si nombreuses réserves, a fourni lui-même la meilleure preuve de l'impossibilité où se trouvera toujours une grande nation d'appliquer l'impôt qu'il préconise. M. a. EEIAÏÏD Professeur d'économie politique, Lauréat de l'Institut, Secrétaire de la Commission ds géographie commerciale. RÉGIME GÉNÉRAL DES CHEMINS DE FER L'une des plus grandes préoccupations que puissent avoir en ce moment l'industrie et le commerce, tant en France qu'en Angleterre et en Belgique, est due à l'insuffisance aussi bien qu'à la cherté des trans- ports des chemins de 1er. Il n'est pas jusqu'aux États-Unis qui n'aient à s'inquiéter sérieusement de ces questions; tantôt c'est Chicago qui se plaint de l'élévation des tarifs, tantôt c'est le Far-West, et enfin la G. RENAUD. — LE RÉGIME DES CHEMINS DE FER 1054 Californie, violemment divisée par les discussions que provoquent les graves intérêts qui s'agitent autour des compagnies. La question des chemins de fer est devenue pour la Californie une question politique. Elle sert de critérium pour le choix des candidats dans les élections. En France, la question n'est pas neuve. Les crises presque pério- diques dont nos voies de transport sont l'objet la réveillent de dis- tance en distance et d'une manière de plus en plus fréquente au fur et à mesure du plus grand développement des intérêts économiques et du plus ou moins de vivacité de la concurrence étrangère. Toujours est-il que, de toutes parts, le commerce se plaint, l'industrie proteste, la consommation souffre, par suite de l'insuffisance des chemins de fer. Nous payons aujourd'hui les fautes du passé. On a mis la France à la merci de cinq ou six puissances. Que le pays soit malade ou non, elles ont la force, elles font la loi. Peu leur importe que les matières premières manquent à la manufacture, le charbon à l'usine, le minerai aux hauts fourneaux. De là l'impossibilité pour nos négociants de se servir de nos voies de transport et d'accepter nombre de commandes. Où va s'exécuter ce travail repoussé de France? En Suisse, en Prusse, en Belgique, en An- gleterre, en Italie. Sur qui retombent ces négligences, en définitive? Sur l'ouvrier, qui reste sans travail dans un moment aussi éprouvé que ce- lui où nous nous trouvons, au lendemain d'événements qui lui ont dé- voré au delà de ses épargnes, à la veille de nouvelles crises possibles par suite de l'incertitude des choses. Joignons à ces différentes causes de trouble et d'infériorité l'élévation des tarifs. Le prix des transports entre pour une large part dans le prix de revient de certains produits, surtout des matières premières. Ce prix de revient s'accroît autant par les tarifs élevés que par le défaut de vitesse. En 1873, on écrivait de Marseille à V Économiste français qu'Anvers avait ravi à cette ville le marché des cotons destinés à la Suisse, et comment. « Les vapeurs d'Anvers vont jusqu'en Syrie et au fond de la mer Noire nous enlever les cotons du Levant. Il serait à désirer, ajou- tait-on, que le tarif P.-L.-M. fût encore abaissé, afin que nous puissions maintenir à 3Iarseille les arrivages de coton pour les filatures de Suisse ; nous sommes menacés de les perdre; c'est Venise qui en profitera. » Voilà pour les cotons. Il en est de même pour les laines. « Marseille vendait autrefois toutes les laines de la Plata. L'élévation du prix des transports par voie ferrée a détourné peu à peu ces arrivages de notre port, et c'est Anvers qui est devenu, pour la filature française, le plus grand marché. Il ne nous arrive plus que la moitié des laines du Ma- roc. » Les compagnies ont donc repoussé de leurs lignes ces matières pre- 1052 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE mières. Elles se sont arrangées pour en rendre le transport impossible au cabotage ou à la navigation intérieure, grâce à la faculté qu'on leur a laissée de pouvoir abaisser et relever leurs tarifs à volonté. Comme le signalait à l'Assemblée nationale M. Tolain, dans le cours de la discus- sion de la loi éphémère de 1872 sur la marine marchande, nos voies ferrées étant monopolisées comme elles le sont actuellement, le gouver- nement n'a pas le droit de tolérer pareille façon d'agir. « Par suite de ce monopole, ajoutait M. Tolain avec bien du bon sens, il se produit ce fait étrange, que la tonne de marchandise est transportée à plus bas prix et en moins de temps de Birmingham et de Liverpool à Marseille, que du Havre et de Rouen, et la différence s'élève quelquefois à 50, 60, 80 francs. » Pour des raisons analogues, nombre de marchandises sont dirigées sur Trieste, de préférence à Marseille. Avant la guerre, en 1870, c'est-à-dire à une époque normale, l'indus- trie de Mulhouse se plaignait gravement de la surélévation des tarifs fran- çais pour les cotons sur les tarifs étrangers. » La différence de 18 fr. 05 qu'on remarque, observait 31. Dollfus, provient presque en entier de l'é- lévationdu tarif de la Compagnie de l'Est. » Le même fait subsiste à plus forte raison, pour les Vosges. Voilà des faits qui datent de 1870, c'est-à-dire d'une époque de pleine paix et d'une époque prospère. Le mal est donc profond, et la cause permanente. C'est en raison de ce mal que certains industriels réclament des droits protecteurs avec une certaine apparence de raison. Sous le régime du libre échange, régime rendu inévitable par le progrès moderne, il faut absolument que cet état de choses se modifie. Ces crises perpétuelles sont très -dommageables par la lenteur, la cherté et l'encombrement des chemins de fer qui en résultent. Aussi qu'arrive-t-il? Le trafic réservé aux voies françaises est dévié et rejeté sur les voies étrangères. C'est dans ces conditions que le Havre a si grande peine à lutter contre Anvers, et 31arseille contre Gênes. La cherté des transports est un fait indéniable; aussi les prix élevés de la France ont-ils rejeté sur les chemins de fer belges une grande partie du tralic français, au détriment du Havre, notamment pour les cotons destines aux établissements manufacturiers des Vosges. Le même fait s'est repro- duit pour d'autres marchandises : lards, graisses, suifs, peaux. Parfois cependant il y a des abaissements de tarifs; malheureusement, le plus souvent ils profitent aux produits étrangers. Ils résultent de l'ap- plication de ces fameux tarifs différentiels, dont 31. de Franqueville atten- dait monts et merveilles. « Ils obligent, constatait 31. Pouyer-Quertier en lS70, à expédier par Anvers des cotons pris au Havre à destination de Mulhouse, bien qu'il faille acquitter 3 francs de droit à l'entrée par la frontière de terre. » D'autre part, les tarifs de Dunkerque à Marseille G. RENAUD. — LE RÉGIME DES CHEMINS DE FER 1053 permettent aux lins anglais d'arriver de Dundee (Ecosse) à Marseille avec 30 pour 100 d'écart en moins sur les produits français. Or, n'oublions pas que, pour fabriquer 1 kilogramme de produit manufacturé, il faut, quand il s'agit de coton , transporter 21 kilogrammes, et, pour la laine, 28 kilogrammes de toutes matières. Le transport de la matière première vaut donc trente fois le transport du produit manufacturé. « Comment ! s'écriait encore en 1870 M. Pouyer-Quertier, nous faisons venir beaucoup de nos cotons, de Liverpool à Rouen, à moitié meilleur marché que de Marseille à Rouen ; il y a à peu près la môme distance, et on a en plus les transbordements à faire à Hull, ou à Grimsby, ou à Londres, et à Dieppe pour reprendre le chemin de fer. « On dit que l'Angleterre transporte au même prix que la France? En Angleterre, il y a pour une même direction trois, quatre, cinq, six compagnies qui se font concurrence, et ces compagnies ont fait leurs chemins de fer elles-mêmes, elles n'ont reçu de subvention de personne et elles n'en sont pas plus malheureuses pour cela. Les chemins de fer anglais ont donné en 1869 un intérêt de 3,81 pour 100 dans toute la Grande-Bretagne. » Le même déposant, dans l'enquête de 1870, s'est plaint de ce que les compagnies font payer 5 centimes sur tel parcours et 3 centimes sur tel autre, en vue de favoriser telle industrie au détriment de telle autre. Enfin il a ajouté : « Je suis en contact tous les jours avec la Compagnie de Paris-Lyon-Méditerranée, au sujet des cotons d'Egypte et du Levant, et j'ai pris le parti de les faire venir de Liverpool plutôt que par le chemin de fer, qui me prend vingt jours (!) pour me livrer mes cotons, c'est- à-dire le double du temps nécessaire pour venir de New- York. Si je veux les recevoir plus vite , on me dit : Prenez un autre tarif ; mais comme cela n'est pas plus cher, j'aime mieux demander mes cotons en Angleterre. » Voici encore une autre preuve à l'appui des faveurs de tarifs accor- dées trop souvent aux produits étrangers, au détriment des produits simi- laires français. De Port-Vendres à Cette, le tarif est de 8 à 9 centimes par tonne et par kilomètre pour les vins envoyés en dehors du dépar- tement des Pyrénées-Orientales, tandis que ceux qui y entrent en venant de Cette ne paient que la moitié de ce tarif. Ainsi, une tonne, de Per- pignan à Cette, frais de manutention compris, coûte 14 francs de trans- port ; de Cette à Perpignan, elle n'en coûte que 7. De là une concur- rence insoutenable pour la production locale. En outre, par application des tarifs communs S nos 46 et 47, les vins provenant de vingt et une villes d'Espagne arrivent à Bordeaux, à Toulouse, à Paris, à Nantes, à Saint-Nazaire, à des prix inférieurs à ceux qui sont imposés aux vins de France. 1054 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE En somme, on s'est livré, pieds et poings liés, à de grandes compa- gnies, surtout depuis leur fusion en six sociétés colossales. « Ce fut là un malheur, a dit M. Le Royer à l'Assemblée nationale en 1871 ; qui trop embrasse mal étreint ; qui veut avoir un réseau trop considérable s'ex- pose à des conséquences que nous subissons aujourd'hui. » Mais le mal fut encore aggravé, en portant la durée des concessions des six compagnies à quatre-vingt-dix-neuf ans. Enfin, en 1859 (loi du 10 juin) , nouvelles faveurs aux compagnies par l'engagement pris de garantir l'intérêt. On leur donna une subvention et l'État consentit à prendre à sa charge cer- tains travaux. Voilà de quelle façon bizarre l'administration a livré le pays au monopole de ces six puissances rétrogrades. On peut dire que rarement monopole a été acheté à un prix aussi bas. Il est vrai qu'en revanche on exigea une vitesse de 200 kilomètres par vingt-quatre heures, soit cinq jours de Marseille à Rouen. On substitua au tarif général des tarifs spéciaux, communs, différentiels, de transit, internationaux, etc. Il yen a onze à douze cents comme cela dans le Livret-Chai x. Dans ce dédale, les compagnies elles-mêmes s'égarent. Par ces concessions facultatives, et qui peuvent toujours être retirées dans le délai d'un mois, les com- pagnies ont tué la concurrence des canaux, la concurrence des voies flu- viales, et même la concurrence qu'on pourrait leur faire par les voies ordinaires et par chevaux. Ce n'est pas à dire qu'elles y réussissent tou- jours absolument. Ainsi, la cherté des tarifs ordinaires permet à de simples rouliers de faire concurrence au chemin de fer et d'effectuer plus rapidement certains transports entre Évreux et Paris, notamment pour des toiles ; malheureusement ce n'est là qu'une concurrence isolée et accidentelle, sans puissance suffisante pour modifier, en quoi que ce soit, les errements de la Compagnie de l'Ouest. Le public, du reste, a été complice par son silence, ce qui a permis à M. de Franqueville de dire en 186o au Corps législatif : « Jamais ni les chambres de commerce, ni le public, ne font d'objection contre les tarifs, bien que parfois ils puissent en soulever. Dans cet état d'absten- tion, l'Administration ne peut qu'homologuer et homologue, en effet, toutes les propositions qui lui sont soumises. » Ces conclusions sont inadmissibles , car, si le public n'aperçoit pas toute l'étendue du mal qui peut lui être causé, n'est-ce pas le devoir de l'État de le prévoir*? Cette indifférence de l'Administration est fâcheuse, d'autant plus que, d'une autre part, elle se montre étrangère à toute espèce de connais- sance en matière d'économie commerciale. Les quelques hommes qui savent sont relégués dans les grades intérieurs ; leurs avis n'ont aucune autorité; ils sont considérés comme des gens sans expérience et sans pratique. Nous avons vu plus haut que les délais imposés aux compagnies G. RENAUD. — LE RÉGIME DES CHEMINS DE FER 1055 pour la livraison des marchandises n'existent que sur le papier. Depuis trois ans, le ministre des travaux publics a rendu arrêtés sur arrêtés pour dégager les compagnies des obligations qui leur incombent de ce chef. 11 y a environ huit mois, il y a encore eu une décision mi- nistérielle de prise pour suspendre les effets de la loi, décision qui serait, paraît-il, entachée d'illégalité. L'industrie française ne peut vrai- ment pas lutter contre ses rivaux de l'étranger dans de semblables conditions, car l'un des premiers moyens de succès est de pouvoir agir à coup sûr. Malheureusement, la grande centralisation des chemins entre les mains de quelques compagnies rend celles-ci toutes-puissantes. Dirigées, comme elles le sont, par des personnes ayant de grandes si- tuations, elles peuvent résister aux réclamations ; le commerce a sou- vent le dessous. La presse seule pourrait lui venir en aide, quoique avec peu d'efficacité et sans résultat pratique immédiat; mais tout lui manque, jusqu'à ce faible appui; les compagnies tiennent messieurs les journalistes par leur côté faible, l'amour des permis de circulation. Elles se servent même quelquefois de leur concours et leur empruntent leurs colonnes en les payant grassement. C'est ainsi qu'elles se réservent le droit de parler de ces questions dans le sens de leurs monopoles et imposent silence à tous ceux qui n'ont pas assez d'indépendance ni de fermeté pour leur résister. On a toujours la ressource des tribunaux. Les compagnies y perdent quelquefois leurs procès. Mais les préjugés sont tels et les influences des adversaires si redoutables, qu'on risque souvent de perdre la meilleure cause du monde. Et puis les procès coûtent tant de temps et d'argent, que le jeu souvent ne vaut pas la chandelle. Les compagnies spéculent là-dessus et le gouvernement ferme les yeux aveu- glément. L'Administration des travaux publics ne se préoccupe guère que de la construction matérielle des chemins de fer; a ce point de vue, elle a t'ait exécuter d'assez grandes œuvres, comme tunnels ou comme viaducs; mais elle ne sait pas un mot des besoins ni des exigences éco- nomiques de la France actuelle. Le public pourrait, dira-t-on, avoir recours à l'État, qui devrait exiger l'exécution des règlements. Malheu- reusement, nous rencontrons ici des questions de personnes et de cama- raderie entre hommes sortis des mêmes écoles. On a des complaisances les uns pour les autres. C'est ainsi que tout se trouve à la merci de l'État, dont la mission serait de tout contrôler et qui ne contrôle rien, attendu qu'il se compose, généralement, d'une seule personne, englobée elle-même dans cette camaraderie générale. Comme, d'autre part, les compagnies ont bien soin de confier la conduite de leurs affaires à des ingénieurs, il en résulte qu'elles font prévaloir leurs intérêts contre ceux des particuliers qui, loin d'être groupés, se trouvent isolés. Depuis la guerre, les règlements sont moins appliqués que jamais, et aujourd'hui 1056 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE le ministère recule devant leur mise à exécution, en présence des dif- ficultés opposées par les compagnies. Pourtant ces lois et ces règle- ments ont été laits d'accord avec celles-ci. Elles devraient donc être les dernières à s'en plaindre. Le Conseil général de la Somme, en 1871 et 1872, émit le vœu que cette centralisation excessive fût divisée, que l'on retranchât dudit mi- nistère tous les bureaux se rapportant à l'exploitation commerciale des chemins de fer et qu'on les réunit au ministère du commerce. Ce vœu est des plus sages; car, dans la pratique, qu'arrive-t-il? On a cru bien faire en réunissant dans les mêmes mains tout ce qui concerne les che- mins de fer. Comme les hommes qui sont à la tête de l'Administration sont des gens techniques pour la construction, il n'y a que cet ordre de choses qui les intéresse. Tout le reste est considéré fatalement par eux comme secondaire. De l'exploitation commerciale ils ne savent que ce que veulent bien leur apprendre les compagnies. Ce service est donc relégué par eux, instinctivement et sans idée préconçue, au dernier rang de leurs préoccupations. Puis le directeur général, étant seul pour dé- fendre toutes les réclamations du public, se voit encombré et est amené à faire un tri parmi celles-ci ; les observations de tracé passent avant les autres et les font parfois oublier. En outre, il négocie avec les com- pagnies; il leur abandonne ceci pour obtenir cela : c'est ainsi que la production et le commerce se trouvent délaissés. Diviser le service en deux parties ayant chacune un chef, dans le même ministère, serait un remède pire que le mal. Les chefs de service d'une même administra- tion sont, en général, des camarades, au moins en apparence; ils ont besoin les uns des autres pour leur propre avancement ou celui de leur famille; il en résulte qu'ils évitent le plus possible les occasions de se créer mutuellement des embarras. Il faut diviser le service et créer un contrôle du ministère des tra- vaux publics, et, ce contrôleur naturel, on peut le trouver dans le mi- nistère du commerce. De ministère à ministère, il y a généralement une certaine émulation. En outre, le ministère du commerce a été créé pour que les intérêts agricoles et commerciaux ne soient pas toujours subordonnés aux inté- rêts des chemins de fer. Son rôle est de défendre la cause de la pro- duction et du travail. Les chefs de service ont pour amis et pour pro- tecteurs des agriculteurs et des industriels. Leurs intérêts sont donc de faire droit aux demandes du travail national, leurs fonctions n'ayant de raison d'être que par le contrôle même qu'ils exercent. Ce sont là des garanties suffisantes pour que le public rencontre dans cette admi- nistration plus de vigilance. Il y aura sans doute des conflits entre les deux ministères; mais il n'y a pas de contrôle sans conllit, et suppri- G. RENAUD. — LE RÉGIME DES CHEMINS DE FEU K)o7 mer le contrôle pour supprimer les conflits, c'est livrer la France en- tière pieds et poings liés au monopole. Le ministère des travaux publics a quelquefois de bonnes intentions, mais trop souvent elles restent clas- sées dans les cartons. Il faut qu'un autre ministère ait pour mission spé- ciale de le stimuler et même parfois de lui forcer la main, ce dont, croyons-nous savoir, l'Administration des travaux publics serait fort aise dans nombre de cas. Ainsi seulement pourra-t-on obtenir que les règlements soient obser- vés. Ceux qu'il importe de faire exécuter sont ceux qui concernent les délais de livraison; or, le chemin de fer est un instrument de vitesse: si on lui enlève cet avantage, tout le profit que l'on doit retirer de l'emploi de la voie ferrée est annulé. Sans doute, la situation actuelle n'est pas tout entière due aux Com- pagnies. Certaines habitudes vicieuses de l'industrie doivent y être éga- lement pour une notable part. On signalait, par exemple, dans les der- niers temps, ce fait, que l'industrie préfère souvent ne pas retirer ses marchandises et les laisser séjourner en gare. De là un encombre- ment extraordinaire aux époques de crise, dont les compagnies ne sont en aucune façon responsables. Il y eut un moment, au commencement de 1872, où la Compagnie du Nord ne pouvait plus transporter de houille faute de matériel, et cela, pourquoi? Par cette simple raison qu'il existait sur la ligne quinze cents wagons pleins, que les destinataires lais- saient stationner pour ne les décharger qu'au moment qu'il leur plairait de' choisir. Il y a là assurément un abus qu'on n'a peut-être pas été fâché d'encourager, afin de s'en faire un argument. On dit que le commerce tient beaucoup à conserver le droit de laisser séjourner dans les gares, contre rétribution, les marchandises qui lui sont destinées. Cela peut être vrai; mais si, d'une part, il ne faut pas céder aux compagnies sur ce qu'elles ont de défectueux, de l'autre, il est des circonstances dans les- quelles il faut réagir contre de mauvaises habitudes, pouvant, à un moment donné, annihiler tout le profit par l'encombrement factice qu'elles occasionnent. Par cette manière de faire, les quelques industriels qui tirent avantage du séjour nuisent indirectement à tous les autres et à la grande masse du public, qui, avant toute chose, ont besoin d'un transport rapide. La compagnie, qui a un monopole , trouve que tout est pour le mieux dans la gestion de ses affaires. L'État est facilement tenté de le croire. Quant au commerce et à l'industrie, on les a laissés insensiblement glisser sur une mauvaise pente, et ils ne paraissent pas disposés à y renoncer facilement, même dans l'intérêt public; à ce prix, ils s'accommodent volontiers du monopole et de ses inconvénients. Ce cercle n'est pourtant point fatal. Il faut en sortir, et le remède, 1058 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE l'étranger nous l'indiquera peut-être, l'Angleterre notamment. M. Jacq- min a décrit, dans son Traité de Y exploitation des chemins de fer, l'organisation des lignes anglaises, dont voici les bases : « Maximum de vitesse imprimé à tous les transports; livraison immédiate à domicile des marchandises; fourniture des wagons, pour les grosses marchandises, par les expéditeurs. » « Sur les lignes anglaises, une gare de marchandises, a écrit M. Paul Boiteau dans le Journal des économistes de janvier 1871, est disposée comme le sont à Paris les gares destinées au service de la grande vi- tesse. Le matin, grande activité sur le quai d'arrivée : tout un côté du quai est occupé par les wagons en déchargement, tout l'autre côté rempli par des camions prêts à livrer les marchandises à domicile. Le soir, à partir de quatre heures, grande activité sur le ([liai d'expédition : tout un côté du quai occupé par les camions en déchargement, et l'autre côté rempli de wagons sur lesquels la marchandise va être chargée... » On le voit, la marchandise de petite vitesse, en Angleterre, est, sous le rapport des délais et du mode de livraison, traitée comme le sont en France les marchandises de grande vitesse, les denrées et toutes les mar- chandises destinées aux halles et marchés ; les colis ne restent sur le quai que le temps nécessaire à la reconnaissance des adresses, marques et numéros, et ils passent en quelque sorte du wagon sur le camion et inversement. » Il y a urgence et nécessité à réformer l'organisation des chemins de fer français dans ce sens. Les gares ne seraient pas sans cesse encom- brées, ce qui tend à arriver, surtout les années de bonnes récoltes. On pourrait atténuer le mal au moyen de canaux bien organisés. Par mal- heur, notre canalisation a été généralement sacrifiée à nos chemins de fer. Elle n'est utilisable, pour le moment, que sur de petits parcours. Il n'existe pas en France de grandes lignes de navigation ; on n'a le plus souvent construit que des portions de canaux, de manière à don- ner satisfaction à des intérêts locaux, sans se préoccuper de l'ensemble de la canalisation, ni du bien-être général de la nation. Il en résulte qu'aujourd'hui la batellerie française est la plus pauvre de l'Europe. Elle est insuffisante pour affronter une semblable situation. L'abondance des produits à transporter étant considérable, elle profite de l'absence très-fréquente de toute concurrence pour élever, par exemple, le prix du fret jusqu'à 15 et 16 francs par tonne dans le nord de la France, Elle a, du reste, été toujours sacrifiée aux chemins de fer, quand ceux- ci ne l'ont pas accaparée. De même, la concurrence que pourrait faire le cabotage aux chemins de fer, est tuée par le grand nombre de règle- ments, de taxes dont on écrase la population qui s'y adonne. Cependant on eût pu facilement procurer à la France une naviga- G. RENAUD. — LE RÉGIME DES CHEMINS DE FER 10o9 tion plus avantageuse. Par exemple, pour la Seine, M. Krantz, l'émi- nent ingénieur, a fait un devis des dépenses que nécessiterait un appro- fondissement de la Seine tel, que ce fleuve deviendrait navigable jus- qu'à Paris pour les caboteurs de 4 à 500 tonneaux. Il ne faudrait, pour couvrir les frais, que 8 millions de francs. Jamais occasion ne s'est pré- sentée plus belle de fournir au commerce un moyen de transport à bon marché. Le chemin de fer de l'Ouest y trouverait une concurrence, c'est vrai ; mais cette concurrence serait salutaire à l'intérêt public, parce qu'elle lui permettrait de ne plus être à la merci du monopole. Les mêmes études devraient être ordonnées relativement à nos autres lignes de navigation, surtout pour celles qui seraient appelées à jouer un rôle sérieux dans le transit et à décharger d'autant la ligne Nord- Lyon-Méditerranée. Mais, pour obtenir ces améliorations, il faudrait au- paravant avoir réalisé cet autre vœu du conseil général de la Somme (1871-1872), ayant pour objet de retirer à la direction des chemins de fer les services de la navigation. Ils doivent être confiés à un di- recteur spécial, indépendant du directeur des chemins de fer. Ce serait son service, sa chose, et ce fonctionnaire, dans l'intérêt de son influence et de son autorité, défendrait la cause de la navigation contre les em- piétements dont son service pourrait être l'objet. Bien entendu, il au- rait un budget spécial, indépendant du budget des chemins de fer. De cette façon, tout ce qui concerne la navigation, l'amélioration des ca- naux et la canalisation des rivières et des fleuves ne serait pas subor- donné à des intérêts étrangers. On consacrerait des crédits plus sérieux à l'approfondissement des anciens ports ou à la création de nouveaux. Il n'y a pas dans l'Océan un seul port français qui soit dans de bon- nes conditions et qui puisse être mis en parallèle avec les ports anglais ou avec Anvers. Anvers a 10 ou 12 mètres d'eau en tout temps. Notre principal port, le Havre, n'a que 2 mètres à marée basse, et les na- vires importants sont obligés d'attendre la marée haute pour pénétrer dans le chenal, Dieu sait avec quelle peine ! Même chose à Dunkerque et à Boulogne, à Honfleur, à Nantes, à Bordeaux. Dans la Gironde, les gros navires sont obligés de s'arrêter à Pauillac. Cette situation n'est pas sans réagir sur le plus ou moins de marchandises à transporter sur les chemins de fer et contribue à en restreindre le trafic. La nouvelle organisation que l'on donnerait au service de la navigation pourrait améliorer cet état de choses. Elle ne donnerait assurément pas encore la perfection ; mais, à coup sûr, ce serait un progrès. Quand le budget se discute, le directeur de la navigation défendrait son service indépen- damment de toute autre préoccupation, tandis qu'actuellement le di- recteur des chemins de fer subordonne le budget de la canalisation à celui des voies ferrées, et sacrifie l'un pour sauver l'autre. 1060 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE Une pareille situation ne peut être acceptée dans un pays comme le nôtre. En 1805, on a déjà cherché à y porter remède en taisant la loi sur les chemins de fer d'intérêt local. Cette loi a été votée avec toute espèce de sous-entendus ; dans l'esprit d'un grand nombre, elle avait pour objet de tourner la difficulté du monopole des grandes compa- gnies. Avant la guerre, les conseils généraux y ont eu peu de recours. Mais, depuis, ils ont voulu s'en servir pour développer la production et multiplier les voies de communication. On a voté beaucoup d'argent et fait bien des tracés. Les grandes compagnies, redoutant des concurrents nouveaux, ont usé de leur influence pour annuler la bonne volonté patriotique des assemblées départementales. Tel est le cas pour la Seine-Inférieure, pour le Card, pour le Nord, etc. Ces votes n'ont reçu aucune suite, sous le prétexte que les lignes dont il s'agissait étaient des lignes d'intérêt général, et que l'État seul avait le droit de faire construire. Dans la Seine-Inférieure, par exemple, le conseil général avait voté 300 à 400 kilomètres de chemins de fer, dont quelques-uns sans subvention. La Compagnie de l'Ouest tente de s'opposer à la con- cession de ceux qui donneraient quelque profit, afin de se les appro- prier et de ne laisser aux nouvelles compagnies que des chemins sans rapport et sans profit. On avait étudié un projet de ligne de la basse Seine, destiné à réunir une deuxième fois Rouen au Havre. Le conseil des ponts et chaussées a été d'avis de rejeter le projet, vu la concur- rence qui serait faite à la ligne existant actuellement du Havre à Rouen. L'Administration ne veut pas de concurrence en matière de chemin de 1er, car, dit-elle, en Angleterre, la concurrence de deux à trois lignes a donné lieu à une élévation de tarifs. Cependant la concurrence est juste, nécessaire ; c'est notre seule garantie contre les excès du monopole en présence de l'indifférence et de l'inertie de l'État. Elle seule peut obliger les compagnies à faire mieux, à tenter des efforts pour améliorer les transports actuels. Quand on n'est pas forcé de s'ingénier et d'améliorer, on ne le fait pas. On se contente de vivre au jour le jour et de toucher ses dividendes; quant à l'intérêt public, on ne s'occupe d'y donner satisfaction que sous une pres- sion normale, régulière. La concurrence est le frein naturel, nécessaire au bon fonctionnement de toutes choses; c'est un contre-poids à la toute- puissance des monopoles. Il ne faut pas enlever au pays cette dernière branche de salut. Il ne faut pas, dans la construction des chemins de 1er, attendre trop souvent que les produits préexistent. Le chemin de fer a précisément pour but et pour effet de faire naître cette richesse. Ainsi l'entendent les Américains et les Russes. Il ne faut pas non plus livrer des villes, comme le Havre ou Marseille, à la merci d'un mono- pole et du hasard, en leur refusant une seconde ligne qui, au besoin, G. RENAUD. — LE RÉGIME DES CHEMINS DE FER 1061 supplée la première. Qu'il arrive un accident à l'un des nombreux tunnels de la ligne du Havre à Rouen, et voilà tout le trafic du Havre subitement paralysé et entravé, tous les centres de consommation isolés de leur marché d'approvisionnement. Seulement il faut réduire les dépenses au minimum, frais de con- struction, frais d'exploitation ou d'entretien, etc., afin de pouvoir at- tendre sans trop de charges le moment où les recettes effectives com- menceraient à se produire. La centralisation excessive dans les mains de l'État fait ici beaucoup de mal. Elle impose aux chemins de fer des frais souvent excessifs, et par une exagération grotesque, ne laisse pas déplacer un rail sans que l'État l'ait permis. On veut prévenir le mal, et, en cherchant à trop faire, on empêche aussi le bien. Il faut abaisser les dépenses d'entretien et d'exploitation, diminuer les tarifs afin de doubler la masse des trans- ports, respecter les délais et tout sacrifier au maintien de la vitesse, laisser construire le plus de routes et de canaux possible, et tracer les chemins dsetinés à raccourcir les distances, de manière à diminuer la cherté des transports et à les rendre plus rapides. Enfin, il y a lieu de constituer de nouvelles compagnies, afin de ne pas laisser celles qui existent tuer à dessein tel ou tel embranchement, à l'exploitation du- quel elles prétendent, non pour en tirer profit, ni pour l'exploiter au mieux des intérêts nationaux, mais pour empêcher autrui d'en tirer un bon parti et de lui faire une intelligente concurrence profitable à la France. L'État ne saurait avoir le droit d'entraver la construction de nouvelles lignes d'intérêt local ou autres, sous le prétexte qu'elles pour- raient être d'intérêt général et que lui seul peut les concéder. Encore s'il les concédait ! Mais il empêche de construire et ne construit pas lui-même. Sans doute, la concurrence doit être limitée et sagement res- treinte, ne pas imiter les excès qui se sont produits en Angleterre ; mais on demande que le principe en soit admis, au lieu d'être systéma- tiquement repoussé par l'Administration des travaux publics. On a proposé comme remède le rachat des chemins de fer par l'État. D'abord on ne peut y songer dans l'état actuel de notre budget. En outre, ce serait encore pis que sous le régime des compagnies. Ce se- rait, dans toute sa rigueur, l'irresponsabilité introduite dans le régime des chemins de fer; ce serait accroître clans des proportions excessives l'armée déjà immense des fonctionnaires, et introduire dans la conduite de ce personnel le favoritisme excessif qui caractérise l'administration française et la fait tomber dans une décadence qui n'est que trop sen- sible. 11 y a lieu de réduire les subventions le plus possible, ainsi que les garanties d'intérêt, encouragement à l'inertie et à la fraude. En un mot, il faut revenir à une administration économiquement intelligente ; 1062 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE elle seule peut rendre à la France le rôle que lui assigne sa situation géographique, et en faire le marché central de l'Europe occidentale. MM. d'EicfiTHAL et Surell observent que les retards dont a parlé M. Renaud ne regardent pas l'Administration et qu'ils ont valu aux compagnies des millions d'indemnités à payer, car on spécule très-sou- vent là-dessus. M. A. DEMOMEOT Ingénieur des mines, Maître des requêtes au Conseil d'Etat. RAPPORTS FINANCIERS DE L'ETAT AVEC LES GRANDES COMPAGNIES DE CHEMINS DE FER. — Sécmce du 22 août 4874. — M. Demongeot présente un exposé des conventions passées par l'État avec les six grandes compagnies de chemins de fer de 1859 à 1869. 11 s'attache spécialement aux clauses financières et étudie les conditions de cette association de capitaux formée entre le Trésor public et les sociétés anonymes, qui caractérise le régime économique des chemins de fer fran- çais. D'après ces conditions, ajoutées au simple contrat de concession pour assurer l'exécution du nouveau réseau et soumises à la sanction légis- lative, puisqu'elles engageaient les finances de l'État, l'association entre le Trésor et les compagnies peut traverser trois périodes successives : 1« le fonctionnement de la garantie ou le remboursement des avances faites à titre d'intérêts garantis ; 2° la libération complète de la com- pagnie envers l'État ; 3° le partage des bénéfices. Les compagnies qui n'ont pas fait appel à la garantie ou qui se sont ultérieurement libérées de la dette de restitution sont dans la même situation économique qu'un entrepreneur libre exploitant pour son propre compte. Quant aux com- pagnies qui sont placées sous le régime de la garantie ou qui n'ont pas encore atteint le terme de leurs remboursements, leur situation ne peut être comparée qu'avec celle d'un fonctionnaire chargé de la gestion en régie d'un service public pour le compte de l'État, moyennant une rému- nération fixe représentée dans l'espèce par le dividende réservé. La situation est mixte pendant la troisième période. Aujourd'hui que quatre réseaux sur six sont exploités aux risques et périls de l'État, l'opinion publique n'a peut-être pas suffisamment compris que toute concurrence faite aux lignes qui les composent par une extension des voies ferrées retomberait à la charge du Trésor et qu'un détournement du trafic des A. DEM0NGE0T. — RÉGIME ÉCONOMIQUE DES CHEMINS DE FER 1003 réseaux garantis constituerait pour les chemins nouveaux une subven- tion indirecte, dont il serait impossible de prévoir ou de modérer a priori l'importance. Tel est l'intérêt pratique actuel de l'étude des con- ventions qui régissent encore les concessions des grands réseaux. Les conventions, instruments du progrès accompli par l'exécution des lignes de second ordre, deviendraient-elles un obstacle aux progrès ultérieurs ? C'est ce qu'il importe d'examiner. La loi du 18 juillet 1865, sur les chemins de fer d'intérêt local, a soulevé cette question, en jetant au milieu du régime des réseaux, dis- tribués administrativement, un élément contradictoire de libre concur- rence. Les auteurs de cette loi ne s'y étaient point trompés; ils redou- taient une « rupture d'équilibre » ; ils crurent, — l'exposé des motifs en fait foi, — conjurer cet inconvénient d'une manière suffisante en imposant aux localités le vote de subvention. Ce remède, facile à éluder en droit par des allocations illusoires, incompréhensible d'ailleurs et impuissant en fait, lors même qu'il serait sérieusement appliqué, est resté à l'état de lettre morte. Le gouvernement s'est réservé d'apprécier, dans chaque cas et d'après les circonstances de l'espèce, sans tenir compte des subventions, si les lignes concédées par les conseils géné- raux à titre d'intérêt local n'avaient point, en elles-mêmes ou en rai- son de leurs prolongements possibles, un caractère d'intérêt général: la concurrence éventuelle, faite à un réseau garanti par l'État, suffit dans la pratique pour révéler ce caractère. Mais ce n'est là qu'une manière de reculer la difficulté ; quand une ligne est reconnue d'intérêt général, l'État se trouve, ipso facto, mis en demeure de l'exécuter ; la concurrence ne sera pas moins onéreuse parce qu'elle se fera en son nom. Le gouvernement est donc amené à revenir en partie sur son appréciation et, après avoir allégué l'intérêt général d'une ligne pour empêcher le département de la concéder, à lui refuser la déclaration d'utilité publique pour se dispenser de la concéder lui-même. Cette doctrine parait bien subtile ; il est nouveau et peu con- forme aux principes économiques de refuser la déclaration publique à une entreprise parce qu'elle ne semble pas industriellement viable, de prendre en main la g;irde du capital national pour en prévenir le gas- pillage, et de l'empêcher de se perdre à l'intérieur quant il lui est loi- sible de s'égarer à l'étranger. Ne serait-ce point la doctrine de l'État- Providence ? Il est nouveau et dangereux de poser en principe : 1° qu'il peut y avoir trop de chemins de fer, autrement dit, trop de voies de communication dans un pays, le chemin de fer étant devenu la voie usuelle de transport ; 2° que la concurrence en matière de chemins de fer est funeste, parce qu'elle amène la cherté. La première proposition rappelle le décret du Directoire prescrivant la reconnaissance des chemins 1064 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE vicinaux, en vue de rendre à l'agriculture ceux qui seraient inutiles ou d'un entretien onéreux. La seconde est une conséquence outrée des résultats de l'enquête anglaise, dont M. l'ingénieur Achille Bazaine a rendu compte au Congrès de Lyon dans la section de navigation et de génie civil, ainsi que dans les Annales industrielles ; il n'y a aucune parité à établir entre des lignes concurrentes, dont le trafic des points extrêmes est assuré (Londres à Liverpool, Manchester à Southampton) et peut, à la faveur d'une augmentation de tarif, rémunérer trois ou quatre capitaux de premier établissement au lieu d'un, et des lignes de second ou de troisième ordre, qui sont réduites à solliciter sur leur par- cours le trafic local par l'appât du bon marché. Ne vaudrait-il pas mieux user franchement du droit de ne pas auto- riser l'exécution des « travaux », que la loi de 186o accorde au gouver- nement, rappeler aux populations que l'État a pris la charge du second et du troisième réseau, qu'elles en jouissent, tandis qu'il est loin de s'être encore acquitté ou indemnisé de tous ses engagements, qu'enfin tant qu'il ne sera pas rentré dans ses avances, elles doivent s'interdire d'exé- cuter à ses dépens un quatrième réseau dont il ferait encore indirecte- ment les frais '? M. Demongeot, après avoir établi l'utilité de l'examen des conventions, en analyse le mécanisme compliqué ; il montre que le fond ne répond pas aux apparences, que l'économie du régime développé dans le texte est gravement altéré par les règles qui ont présidé au calcul du revenu réservé. 1° La seule hypothèse permettant de différencier le système de la réserve de revenu, sur l'ancien réseau, du système de la garantie sur le second, celle où l'ancien réseau, après avoir recueilli les affluents du nouveau, perdrait néanmoins une partie du trafic antérieur, est inadmissible en théorie et invraisemblable en pratique ; aussi, sans s'arrêter aux mots, on peut dire que les deux réseaux sont successivement garantis au lieu de l'être concurremment, et que l'ancien l'est plus que le nouveau ; car le taux de la réserve dépasse celui de la garantie. 2° Le Trésor ne se borne pas à garantir au nouveau réseau l'intérêt et l'amortissement en cinquante ans du capital de premier établissement au taux de 4 pour 100, puisqu'à cette annuité de 4,65 pour 100 il faut ajouter 1,10 pour 100, compris dans le revenu réservé de l'ancien réseau et prélevé sur le produit net à déverser. L'annuité totale de 5,7o pour 100 est supérieure à celle qu'exigeait le service de toutes les séries d'obligations émises avant 1859, et à celle qu'exigea ensuite le service des séries émises dans la période décennale qui sépare les conventions de 18o9 de celles de 1869. 3° Le déversoir n'est pas une combinaison nouvelle imaginée pour allé- A. DEMONGEOT. — RÉGIME ÉCONOMIQUE DES CHEMINS DE FER 1065 ger la charge de la garantie d'intérêt sur le second réseau ; car c'est par un déversement spontané que s'équilibrent nécessairement les pro- lits et les pertes dans toute entreprise mixte. La fixation arbitraire d'un niveau, connu sous le nom de déversoir, n'a eu d'autre objet que de limiter le concours apporté par l'ancien réseau au nouveau, pour couvrir ses insuffisances de recettes, de manière à garantir de toute atteinte un certain dividende convenu. C'est ainsi que la garantie, restreinte au second réseau, est au fond plus ancienne qu'elle n'eût été, si on l'eût purement et simplement étendue de l'ancien au nouveau, sans réduc- tion de taux. 4° La distinction des comptes de chaque réseau pour le règlement des garanties d'intérêt n'étant pas maintenue pour l'exercice du droit de par- tage des bénélices, la contribution du nouveau réseau à ce partage, sti- pulée en 18o9, est encore une aggravation de la situation antérieure. En effet, lorsque l'ancien réseau était seul astreint au partage, ce par- tage ne devait s'exercer qu'après prélèvement, sur l'excédant des béné- fices, de l'intérêt et de l'amortissement des obligations émises pour formel- le capital du nouveau réseau ; celui-ci ne nuisait donc au partage que jusqu'à concurrence de l'annuité réelle nécessaire pour le service de ses obligations ; il y nuit maintenant jusqu'à concurrence de 6 pour 100 du capital emprunté, taux uniforme et supérieur au taux réel. Ces stipulations, caractéristiques des conventions de 1859 (limitation explicite de la garantie au second réseau et au taux d'intérêt de 4 pour 100, compensation partielle du passif du nouveau réseau avec l'actif de l'ancien, contribution du nouveau réseau au partage des bénéfices), qui toutes semblent, à première vue, favorables au Trésor et qui se retournent contre lui, dès qu'on les analyse de plus près, ne sont point venues d'un seul jet, comme une conception a priori ; elles sont le résultat des événements ; elles procèdent toutes néanmoins d'une pensée systématique : rejeter sur l'État les risques encourus en 1857 par la concession du se- cond réseau, sans renoncer, par contre, aux chances de profit qu'il pou- vait apporter. Un pareil résultat s'explique historiquement par la crise passagère qui a provoqué la révision des conventions de 1857, après en avoir manifesté les seuls inconvénients, et qui a fait prendre pour base de la révision le maintien de la situation financière des compagnies ac- quise à cette époque. La seule clause des conventions réellement avantageuse au Trésor est. celle qui transforme le service des intérêts garantis en simples avances, dont les compagnies restent comptables envers lui sur tout excédant de produits nets en sus, soit du revenu réservé de l'ancien ré- seau, soit du revenu garanti du nouveau; encore le remboursement, dont l'époque reste indéterminée, ne comprend-il que les intérêts non 71 1066 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE capitalisés au taux, de 4 0/0; de sorte que le Trésor, même intégrale- ment remboursé, perdra toujours la différence entre les intérêts simples à 4 0/0 et les intérêts composés à 5 0/0; taux, moyen des emprunts pu- blics. Cette perte augmente avec l'importance des capitaux avancés et les délais de remboursement. Enfin, s'il arrivait que la restitution tût différée jusqu'au terme de la concession et qu'elle s'opérât par voie de compensation avec la valeur du matériel roulant repris par l'État, outre que la compensation pourrait être incomplète, elle ne serait plus qu'un des éléments à débattre pour régler les conditions de renouvellement des concessions; or, il est évident que, dans ce règlement, il aurait toujours été tenu compte des sacrifices passés du Trésor ; donc la créance contre les compagnies devrait au fond être considérée, sous le régime des conventions présentes, comme irrécouvrable. M. Demongeot se propose de discuter la solidité de cette créance et d'apprécier la perte d'intérêt qu'elle entraîne et l'époque probable du remboursement. Le budget du service de la garantie d'intérêt a été établi par le mi- nistère des travaux publics dans un tableau annexé à la loi du 11 juin 1866 et qui assigne comme limite aux avances, un capital de 522 mil- lions ; comme terme au délai, le 1er janvier 1885. Dans la séance du 16 juillet 1874, des rectifications ont été apportées par le ministre à ces prévisions, pour tenir compte des concessions postérieures à 1865; elles portent le maximum des avances à 588 millions et proroge le délai de versement jusqu'en 1890. Ces prévisions ont été établies d'après les dé- clarations de 31. le directeur général au Corps législatif en 1865, en prenant pour base les résultats de l'exploitation de 1859 à 1864 et dres- sant un compte séparé pour chaque réseau jusqu'en 1875, un compte d'ensemble pour tous les réseaux désormais achevés jusqu'en 1885. Depuis, le ministère a publié les documents statistiques relatifs à l'ex- ploitation pendant la période décennale 1859 à 1869; et, si l'on s'arrête à la première moitié de cette période, on est surpris de voir que, d'an- née en année, les produits nets kilométriques présentent pour chaque réseau de tels écarts en sens contraire, qu'il est impossible de prendre une moyenne rationnelle. Cette irrégularité paraît surtout incroyable pour le nouveau réseau, qui se trouvait en voie de développement et n'avait pas encore atteint son équilibre. Pour qu'une moyenne prise sur des variations annuelles de revenu, et qui ne dépasse pas 5 0/0, puisse être admise, on reconnaîtra que les écarts extrêmes entre les accroisse- ments positifs et négatifs dans la période embrassée doivent rester au- dessous de 15 0/0. En s' arrêtant à cette limite d'écart déjà bien élevée, les seules moyennes d'accroissement kilométrique annuel qu'elle per- mette de ne pas rejeter pendant la période quinquennale 1859-1864, concernent l'ancien réseau de l'Ouest et d'Orléans. Le premier manifeste A. DEMONGEOT. — RÉGIME ÉCONOMIQUE DES CHEMINS DE FER 1067 une augmentation moyenne de produit net de 1.44 0/0, le second ac- cuse, par contre, une réduction de 0.78. Ces résultats statistiques ne s'accordent guère avec les bases suivantes, admises pour les prévisions de 1865 et qui supposent les accroissements kilométriques annuels ci- dessous. Période 1865-1875 Ancien réseau. Nouveau réseau. Est 2 1/2, puis 2 0/0 3 1/2, puis 2 1/2 0/0. Ouest 2 1/2 0/0 2 1/2 0/0. Orléans.... 2 1/2, puis 2 0/0 5 0/0. Midi 5 0/0 4 0/0. Période 1875-1885 Ensemble des réseaux 2 0/0, puis 1 1/2 0/0. Ces prévisions, quel qu'en soit le fondement, n'ont été approximati- vement justifiées depuis par les résultats statistiques pour aucune com- pagnie. En admettant dans le calcul des moyennes l'énorme limite d'écart de 25 0/0, celles qui concernent l'ancien réseau sont encore les seules admissibles. L'ancien réseau des Compagnies de l'Est et de l'Ouest s'est tenu, pendant la période 1864-1869, notablement au-dessus du chiffre adopté : 3.63 et 5.29 0/0, au lieu de 2 1/2 0/0. Celui des Com- pagnies d'Orléans et du Midi est resté, au contraire, pendant la même période, notablement au-dessous : i. 38 et 3.30 0/0, au lieu de 2 1/2 et 5 0/0. Grâce à ces compensations, grâce surtout au retard apporté dans l'exécution des lignes nouvelles, les prévisions se sont sensible- ment réalisées pour l'ensemble. En résulte-t-il qu'elles le seront à l'ave- nir et qu'on pourra compter sur une période décennale manifestant un accroissement soutenu de 1 1/2 0/0 par an, à partir de l'achèvement des réseaux"? Ici les termes de comparaison à choisir sont, d'une part, les réseaux arrivés à leur plein rapport, d'autre part, l'ensemble des réseaux des grandes compagnies. Pour le premier terme de comparaison, le seul résultat rationnel, excluant pendant une période suffisamment étendue les écarts en sens inverse de 15 0/0, est fourni par l'ancien réseau de la Compagnie du Nord. De 1859 à 1869, ce réseau n'a varié que de 941 à 1,066 kilomètres, et il a donné un accroissement annuel de pro- duit net de 2.45 0/0. Mais, maintenu au chiffre de 1.066 kilomètres pendant les quatre dernières années, il ne donne plus, tout en recueil- lant encore le tratic des affluents du nouveau réseau, qu'une augmenta- tion de 1.97 0/0. Les résultats, publiés dans le rapport du conseil d'administration de la Compagnie pour 1874, permettent de constater une nouvelle décroissance. Avant la guerre, de 1867 à 1869, l'ancien ré- 1068 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE seau, de 1,06C kilomètres, rapporte, en moyenne, 47,500 francs par kilomètre; en 1870, il atteint 1,115 kilomètres et, en 1873, 1,150; il rapporte, pour une exploitation moyenne de 1,130 kilomètres en 1872 et en 1873, un produit annuel moyen de 48,500 francs, soit une aug- mentation de 1,000 francs en cinq années; l'accroissement kilométrique tombe donc à 0.4 0/0 par an. Le second terme de comparaison accuse des résultats plus significatifs encore; de 1864 à 1869, le produit net kilométrique des lignes concé- dées aux six grandes compagnies reste stationnaire ; la moyenne géné- rale, 23,650 francs par kilomètre, est en môme temps celle des années extrêmes; les écarts ne dépassent point 1,000 francs dans cette période, soit 5 0/0. Cette permanence des résultats est faite pour inspirer con- fiance, et elle se prolonge après la guerre, aussitôt la crise passée; le ministère a publié séparément les résultats de l'exploitation par ligne, d'après les états des six grandes compagnies pour les deux années 1869 et 1872 ; la moyenne générale est de 24,044 francs par kilomètre pendant la première année, de 23,400 pendant la seconde. Il est donc bien douteux que le service de la garantie d'intérêt cesse en 1890, après une durée totale de vingt-cinq ans. Mais, en admettant que les prévisions de l'administration soient absolument réalisées, il faudrait évaluer au moins au double la durée de la période de rem- boursement ; en effet, le remboursement ayant lieu sur les excédants de produits nets en sus de l'intérêt garanti, l'égalité de durée entre les deux périodes supposerait que l'accroissement de ces produits, au-delà de l'intérêt garanti, suivrait ia progression même par laquelle ils se sont élevés jusqu'à cette limite avant de l'avoir atteinte. Admettons encore cette hypothèse, tout à fait invraisemblable après les résultats précédemment constatés ; les intérêts simples à 4 0/0 suflisent pour doubler le capital en vingt-cinq ans et, par suite, la durée du rembour- sement, ce qui reporte le terme commun de libération des Compagnies à 16 + 50 ans, ou 66 ans, à dater de l'époque actuelle. L'année 1940, terme de libération, n'étant éloignée que de quinze ans de celui des concessions, fixé en 1956, il suffit de faire entrer en ligne de compte, à l'exemple de l'Administration, une réduction progressive quelconque sur l'accroissement des produits nets, pour reconnaître que les deux compagnies les plus arriérées, l'Ouest et l'Orléans, seront hors d'état, d'après les prévisions officielles, de compléter leurs remboursements. Le gouvernement doit donc chercher, dans le partage des bénétices avec le Nord et le Lyon, une compensation à l'incertitude et à l'insuffisance des restitutions espérées. Un expédient, trop fréquemment appliqué pour alléger la charge de la garantie d'intérêt, consiste à porter les insuflisancees de recettes au A. DEMONGEOT. — RÉGIME ÉCONOMIQUE DES CHEMINS DE FER 1060 compte de premier établissement; le compte capital est ainsi chargé, à chaque convention nouvelle, si bien qu'il ne représente plus aujourd'hui le prix de revient de la construction. Cet expédient ne soulage le pré- sent qu'aux dépens de l'avenir; il augmente indéfiniment le capital sur lequel seront ultérieurement calculés le revenu réservé, l'intérêt garanti, l'excédant de produits nets à partager. Il a cependant reçu une nouvelle extension par la clause relative aux travaux complémentaires, de laquelle on a déduit l'imputation sur le compte de premier établissement des plus-values résultant de dépenses d'amélioration, par exemple, la substi- tution de l'acier au fer pour la réfection de la voie. Cette imputation entraîne un prélèvement, sur l'excédant de bénéfices à partager, de 3 à 4 0/0, suivant les Compagnies ou les réseaux, du montant de la plus-value, prélèvement qui diffère l'ouverture du partage et se renou- velle chaque année après son ouverture. En revanche, elle n'allège même pas le compte de garantie; en effet, le transfert d'une dépense quel- conque, du compte d'exploitation au compte de premier établissement, détermine, chaque année, soit une augmentation des avances, soit une réduction des restitutions d'intérêts garantis, égale à 5,7o 0/0 du mon- tant de la dépense; et l'abandon de cette annuité par le Trésor se renouvelle, non-seulement pendant le service de la garantie, mais encore pendant la période de remboursement ; l'annuité de S, 75 0/0 représentant l'amortissement d'une somme à 5 0/0 en quarante- deux ans, la contribution successive finira généralement par dépasser le versement du capital, puisque les deux périodes supputées attei- gnent au moins, comme nous l'avons vu, la durée de soixante-six ans. Les expédients sont donc dangereux, d'autant plus qu'ils semblent immédiatement profitables. Une autre illusion consiste à regarder la concurrence provenant de nouvelles concessions comme inolfensive, du moment qu'elles sont faites aux grandes Compagnies. L'institution d'un réseau spécial à leur profit est, au contraire, plus préjudiciable au Trésor que la concession des mêmes lignes à une Compagnie rivale. Dans ce dernier cas, en effet, l'intérêt du Trésor est conforme à celui de la grande Compagnie; il profitera des moyens employés par celle-ci pour se défendre. Dans le premier cas, l'intérêt de la grande Compagnie est contraire à celui du Trésor; car elle détournera sur son réseau spécial le trafic du réseau garanti. Il serait téméraire de poser en principe qu'aucune ligne concurrente ne doit plus être autorisée; la stagnation est impossible; mais il ne suffit plus, aujourd'hui, de faire des conces- sions sans subventions ni garanties d'intérêt. Les concessions de chemins de fer sont essentiellement des questions d'espèces; il y a tel cas où l'intérêt public l'emporte sur l'intérêt fiscal. Toutefois, pour garantir 1070 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE complètement les intérêts du Trésor, il faudrait subordonner toute concession nouvelle aux règles suivantes : 1° Si la concession est faite à une Compagnie qui use de la garantie d'intérêt, ou à une Compagnie nouvelle concurrente, imposer au con- cessionnaire de la ligne des conditions de partage des bénéfices avec l'État, su (lisantes pour compenser immédiatement les pertes qu'il éprou- vera d'autre part ; 2° Si la concession est faite à une Compagnie qui n'a pas usé de la garantie, ou qui a achevé ses remboursements, lui imposer des condL tions de partage des bénéfices au moins équivalentes à celle du nouveau réseau et stipuler que, pour l'exercice du droit de partage, il sera fait masse des produits du réseau spécial et de ceux du réseau général. Ces règles ont été malheureusement méconnues lors de la concession d'un réseau spécial à la Compagnie du Nord par la loi du 15 juin 1872. Seront-elles mieux observées pour la concession officiellement annoncée d'un réseau de 800 kilomètres à la Compagnie de Paris-Lyon-3Iédi- terranée ? En présence de toutes ces difficultés, peut-être pensera-t-on que le meilleur moyen d'en sortir, et à coup sûr le plus radical, serait le rachat pur et simple des concessions, rachat dont les conditions, réglées sur le produit net moyen des quinze dernières années, imposeront à l'État le service d'une annuité d'autant plus onéreuse que le règlement sera plus longtemps différé. Mais c'est là une question délicate qui exigerait un examen approfondi. M. Demongeot ne l'indique que parce qu'elle conduirait au système de l'exploitation par l'État, sur lequel 31. Lehardy de Beaulieu, d'après l'expérience faite en Belgique, pourra- donner à la section des renseignements d'un grand intérêt. DISCUSSION. M. Le I1\kdy de Beaulieu a suivi avec un vif intérêt les deux communi- cations faites dans la séance du matin par MM. G. Renaud et Demongeot. Tous les deux ont, à des points de vue différents, fait le procès aux monopoles créés par les chemins de fer, et accordés, paraît-il, en France comme dans d'autres pays, avec plus de sollicitude pour les intérêts particuliers que pour ceux de la généralité. M. Renaud a entrepris la défense des intérêts des populations nombreuses encore privées de ces voies de communication rapides et perfectionnées qui répandent la vie et la richesse dans les contrées qu'elles traversent. 11 a fait valoir avec beaucoup de force et de logique toutes les raisons que ces popu- lations invoquent pour faire cesser l'injustice flagrante dont elles sont vic- times. LES CHEMINS DE FER. — DISCUSSION 1071 M. Demongeot a fait voir l'autre côté de la question. Il a montré les Com- pagnies dotées du monopole des transports par chemins de fer, et s'en ser- vant pour exploiter le Trésor public chaque fois que l'intérêt public exige l'extension de leurs réseaux. Les deux exposés concourent donc à la démons- tration des inconvénients et des dangers du monopole des transports laissés entre les mains des Compagnies lorsque ce monopole n'a d'autre frein que l'action presque toujours impuissante des gouvernements souvent beaucoup plus enclins à se laisser guider par les influences individuelles, toujours actives, que par les considérations vagues et éloignées de l'intérêt généra] toujours passif. Quelque désir qu'il en ait, M. Le Hardy de Beaulieu a le regret de ne pou- voir suivre les deux orateurs qui l'ont précédé dans l'examen des questions importantes qu'ils ont soulevées, le temps ferait défaut ; il croit mieux entrer dans les vues de la Section en exposant la question des chemins de fer en Belgique qu'il connaît mieux puisque, par position, il est tenu de l'étudier sans cesse. Dans son pays, les hommes d'État, le commerce, l'industrie, l'opinion publique pour tout exprimer en deux mots, poussent à la concentration du monopole des transports par chemins de fer entre les mains de l'État, ou, pour parler plus exactement, de l'administration spéciale qui est chargée par le gouvernement de diriger les chemins de fer de l'État. Pour faire comprendre la situation, un court exposé historique des faits pa- raît indispensable. Les premiers chemins de fer d'intérêt général ont été, après une longue discussion dans la législature, confiés à l'administration publique. Beaucoup de raisons ont été invoquées pour et contre, mais celle qui paraît, clans le moment, l'avoir emporté sur toutes les autres, a été la crainte de remettre à des capitalistes étrangers, ou dont le patriotisme était plus ou moins sur, un instrument économique dont on entrevoyait dès lors l'impor- tance et la puissance. Les premières lignes de chemin de fer devaient, aux yeux des hommes d'Etat qui gouvernaient alors le pays, rendre la Belgique indépendante des ports hollandais et même de l'issue vers la mer par l'Escaut pour son commerce maritime. En effet, la première grande ligne qui fut construite se dirigeait d'Ostende sur Cologne ; la ligne d'Anvers sur Bruxelles n'étant considérée que comme un simple embranchement à l'usage des curieux et des gens d'affaires. Il faut se rappeler que l'Escaut n'était pas encore défi- nitivement affranchi en 1834. Les premiers résultats de l'exploitation par l'État ne furent pas favorables ; ils le furent même si peu que des financiers très-entendus émirent des doutes sérieux sur le succès final de l'entreprsie. Cependant le pays qui avait reconnu l'importance industrielle et commer- ciale des voies ferrées, réclamait vivement l'extension du réseau primitif. L'Etat, n'osant s'aventurer plus avant dans une entreprise aussi colossale, se décida à laisser agir l'industrie privée et l'esprit d'initiative individuelle. Il accorda donc successivement la plupart des concessions qui lui étaient de- mandées. Au bout de vingt-cinq à trente ans la situation devint celle-ci : l'Etat, qui 1072 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE avait commencé la construction des chemins de fer d'intérêt général en Bel- gique, en avait construit environ 600 kilom., l'industrie et les capitaux par- ticuliers en avaient construit plus de 2,500. Aujourd'hui la situation d'après les dernières publications officielles (31 dé- cembre 1872) (i) est celle-ci : l'État a construit 600k700 Les compagnies 2.G2ik » Total pour le pays 3.224k » Mais à partir de 1845, l'Etat ou plutôt l'administration des chemins de fer est entrée dans une voie nouvelle. Elle a tantôt pris en location des lignes concédées, moyennant prélèvement d'une partie de la recette brute, tantôt elle les a rachetées par annuités fixes, et enfin elle vient récemment d'es- sayer de deux systèmes nouveaux savoir : le rachat des actions émises par les compagnies concessionnaires à un taux déterminé en se chargeant des dettes, de l'achèvement et de la réfection des lignes, enfin, la concession par adjudication à celui qui s'engagerait à construire la voie pour la moindre rente annuelle fixe pendant les 90 ans de concession, l'Etat se chargeant de l'exploitation. A la fin de 1872, l'administration des chemins de fer de l'État exploitait de cette façon 1,548 kilom., dont 9i6 construits par des concessionnaires. Depuis cette époque, l'Etat a racheté les lignes du Grand-Luxembourg, environ 200 kilom., et il doit lui être successivement livré environ 850 kilom. de lignes concédées moyennant partage des recettes. D'ici à trois ou quatre ans, l'État exploitera donc environ 2,800 kilom. de chemins de fer, tandis que les compagnies concessionnaires n'en exploiteront plus, si elles ne sont rachetées, que 1,500 à 2,000. Cette situation sommairement esquissée démontre qu'en Belgique, contrai- rement à ce qui se passe en France, les intérêts locaux ont été écoutés ou se sont fait entendre malgré l'opposition et des concessionnaires anciens, et des financiers méticuleux. Près ou plus de 4,000 kilom. de chemins de fer sont ac- tuellement concédés et en très-grande partie construits et exploités sur un territoire qui n'excède pas 30,000 kilomètres carrés (1,875 lieues carrées de 4,000 mètres). Et ce n'est pas tout; beaucoup de localités réclament encore des chemins de fer, et les obtiendront par les influences poliliques qu'elles feront agir ; les tramways viendront à leur tour augmenter la longueur du réseau et com- pliquer la situation. Un double courant d'influence agit, dans ce moment même, sur l'ad- ministration pour la pousser à racheter le restant des réseaux belges : les actionnaires et obligataires, dans l'espoir très-fondé d'augmenter, de doubler dans certains cas, la valeur de leurs titres; le public inconscient qui ne voit, dans le rachat par l'Etat, que l'espoir d'un abaissement des tarifs et plus de régularité, moins de conflits dans les transports. Le public a-t-il raison de pousser le Trésor à racheter les chemins de fer, (I) Le rapport pour 1873 est déposé mais non encore publié. LES CHEMINS DE FER. — DISCUSSION 1073 au risque de créer un monopole complet et sans autre contre-poids que l'opi- nion, telle est la question qui se présente aujourd'hui et que l'orateur croit devoir examiner après l'avoir posée. Le monopole exercé par l'État sera-t-il moins dangereux qu'entre les mains d'une ou de plusieurs compagnies particulières? La commission d'enquête anglaise sur les tarifs a conclu contre le monopole de la propriété des che- mins de 1er entre les mains de l'État, même s'il ne s'agissait pas de lui en confier l'administration et l'exploitation. En Belgique, c'est surtout le monopole de l'exploitation et de l'administra- tion que l'on veut confier à l'administration, on se soucie peu de la propriété ou de l'usufruit. Ce qui séduit le public, c'est l'espoir de tarifs abaissés, d'une exploitation plus régulière et moins coûteuse ; il ne se préoccupe en aucune façon des conséquences. Il adopte volontiers la formule suivante : l'Etat doit exploiter à prix coû- tant ; il ne doit pas faire de bénéfices sur les transports, en opposition avec l'idée préconçue que les Compagnies ou les particuliers n'exploitent qu'en vue du bénéfice à réaliser, le public ne tenant aucun compte des risques nombreux de perte. Or, il est certain, c'est du moins la conviction de l'orateur, que le public belge poursuit une chimère el qu'il aboutira à une complète déception. L'État est incapable d'exploiter à aussi bon compte que des particuliers, et il lui sera, avec le temps, impossible de continuer l'exploitation sans relever les tarifs, ou sans faire payer par l'impôt dû par tous, l'avantage accordé à quelques-uns de jouir de transports à bas prix. Que l'État exploite à moins bon marché que des particuliers, cela est évident non-seulement par la nature même des choses mais encore par sa propre comptabilité. Il avoue que son exploitation absorbe 70 à 71 0/0 de la recette brute, tan- dis que la moyenne des frais d'exploitation en France et en Angleterre ne s'é- lève pas à 53 0/0 de cette recette. Mais ces comptes sont-ils bien exacts ? Le capital des sociétés concession- naires est limité par la loi et par le fait. On a pu y puiser quelquefois pour dissimuler des situations momentanées, mais cela ne peut aller bien loin ; mais le capital de l'État est illimité: dès qu'il est épuisé ou près de l'être on trouve mille prétextes pour l'augmenter et des majorités toujours prêtes à appuyer « leur ministère ». Le Parlement anglais a imposé aux compagnies de chemins de fer une comptabilité uniforme et un contrôle public qui rend impossible toute dé- pense de capital au profit de l'exploitation. Cela n'est pas possible vis-à-vis d'une administration publique qui se contrôle elle-même et qui n'est soumise qu'à une condition: faire approuver ses dépenses parla Cour des comptes qui ne peut refuser son visa qu'en cas d'irrégularité. Quant au reste, c'est affaire de majorité dans le Parlement. Or, jamais majorité ne donnera tort au mi- nistère quel qu'il soit, le tort fût-il patent, surtout s'il est patent. 4074 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE Le monopole dans les mains de l'administration ne peut donc conduire ni à l'économie, ni, par suite, à des tarifs réduits. 11 a d'autres inconvénients encore dont on commence à s'apercevoir en Belgique où l'on commence même à soupçonner certains dangers que le pu- blic nie encore volontiers aujourd'hui. L'administration publique prétend se soustraire à la responsabilité civile de transporteur ou messager ; elle fait des règlements contre le public, contre les commerçants et même contre les voyageurs qui se confient à sa sollicitude. Le public paye, mais l'administration prétend ne pas subir les conséquences de sa position d'agent soldé par le public. La possession d'une vaste admi- nistration contenant une armée de fonctionnaires, d'employés, d'agents et d'ouvriers de toutes sortes donne au parti qui, momentanément, est au pouvoir une influence énorme par le patronage dont il dispose. De là des conséquen- ces diverses politiques et administratives qui tournent au détriment de la fonc- tion économique de l'instrument. De là à la corruption de toute une catégorie d'électeurs dans un pays où le cens réduit considérablement le nombre des votants, il n'y a qu'un pas facile à franchir et qui l'a été plus d'une fois. D'autre part, les employés ne sont plus choisis pour leurs aptitudes, mais pour leurs services politiques. S'imagine-t-on d'ailleurs une administration qui, sûre de l'appui du gouvernement dont elle fait partie, favoriserait cer- taines sections du pays bien pensantes et surtout bien votantes, au détriment d'autres hostiles ou mal disposées pour le parti dirigeant ? 11 n'en faudrait pas davantage pour créer des antagonismes sans issue et sans femède. D'un autre côté on reproche, non sans raison, aux administrations des com- pagnies concessionnaires de ne viser qu'à l'intérêt réel ou apparent de leurs actionnaires et de leurs tantièmes. Il est toutefois singulier que ce reproche ne s'adresse ni aux administrateurs des compagnies minières ou métallur- giques auxquelles, au contraire, on fait un mérite de leur sollicitude, ni à l'industrie ni au commerce en général, auxquels on ne peut en général reprocher une philanthropie exagérée. En Belgique, les compagnies concessionnaires, en général, n'ont pas été gâtées par le gouvernement. En qualité de concurrent industriel, il leur a, dès l'origine, fait sentir et quelquefois très-durement, sa position exceptionnelle et privilégiée. Dans toutes les questions de rapports d'exploitation, c'est toujours l'adminis- tration de l'Etat qui a imposé ses conditions et j'ai quelquefois entendu formu- ler le reproche qu'elle ne se croyait pas toujours liée par ses propres engage- ments, quand elle découvrait qu'ils ne lui étaient pas favorables. Quoi qu'il en soit, la situation faite à l'industrie des chemins de fer en Bel- gique a conduit celle-ci à désirer la reprise des concessions par l'État ; d'autre part, l'administration désirant posséder le monopole ne pouvait qu'encourager ces tendances. La politique des compagnies concessionnaires et de toutes les influences financières et' autres dont elles disposent a donc toujours été d'exploiter de façon à engager le public à les seconder dans leurs efforts, c'est-à-dire dépen- ser peu pour le service, exploiter d'une façon incomplète et sans vues LES CHEMINS DE FER. — DISCUSSION 1075 d'avenir, de tout faire converger, en un mot, vers la reprise par l'État. Déjà ces efforts ont été, comme nous l'avons vu, en grande partie, couronnés de succès. Dans quelques années, l'État exploitera 2,000 kilomètres de chemins construits par l'industrie particulière, qui devait les exploiter et en percevoir les péages pendant quatre-vingt-dix ans. Dans quelques cas, l'Etat a payé le chemin de fer racheté à sa valeur pleine, bien qu'une notable partie du terme de la concession fût déjà écoulée et que la voie comme le matériel fussent négligés et en mauvais état. Dans la plupart, sinon dans tous les cas, le gouvernement a payé plus cher que ne l'eussent fait des particuliers agissant pour eux-mêmes ou comme man- dataires. Je m'étends sur ces faits pour faire comprendre que l'État construisant des chemins de fer à des prix plus élevés que les particuliers, rachetant les autres aux prix les plus élevés du marché, les exploitant tous à des frais plus grands que les particuliers, ne pourrait, quoi qu'il fasse, accorder des tarifs plus bas que les Compagnies, à moins que, puisant dans les caisses publiques, il ne fasse payer ses services par ceux qui ne les ont pas reçus, et contre les- quels il se peut même qu'ils aient été rendus. L'enquête anglaise de 1867, après avoir interrogé un grand nombre de témoins compétents, est arrivée à cette conclusion que le monopole de la pro- priété des chemins de fer, placé entre les mains de l'État, serait ruineux pour ses finances et ne serait avantageux qu'aux banquiers et capitalistes qui prê- tent leurs fonds au commerce et à l'industrie; que le public en général n'en tirerait aucun avantage réel ni permanent, la loi de l'offre et de la demande agissant sur les prix malgré les tarifs de transport.. A quoi faut-il donc viser pour remédier à cet état de choses, si le monopole de l'Etat, pas plus que celui des Compagnies, ne peut donner au public la somme complète des utilités diverses que les chemins de fer doivent lui faire obtenir ? A supprimer le monopole, car c'est à celui-ci seul que l'on peut faire remonter tous les inconvénients indiqués par les orateurs qui m'ont précédé aussi bien que par les plaintes et réclamations du commerce et de l'industrie de tous les pays. Est-il possible de supprimer le monopole des transports dont jouissent les chemins de fer ? Telle est donc la question que je me propose d'examiner briève- ment devant la Section que je remercie de sa longue et bienveillante attention. Comment supprimer le monopole des chemins de fer ? Tout simplement, en les assimilant aux routes et aux canaux, rivières et fleuves. Se plaignait-on des voituriers, des messagistes, des bateliers ou des postes sur les anciennes routes et canaux? Les accusait-on d'opprimer le pays, de rui- ner les finances de l'État? Cela ne serait certainement venu à l'idée de per- sonne. Pourquoi accuse-t-on sans cesse et à tout propos les compagnies de chemins de fer ou les États qui exploitent ces moyens de transports? Exclusivement parce qu'ils exercent un monopole. Le public n'a plus le choix des voies à suivre ni des hommes à qui il peut confier ses marchandises ou ses personnes. 11 doit, s'il veut expédier ou 1070 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE voyager lui-même, passer par les conditions imposées par l'Etat ou par les compagnies. Il doit se soumettre aux tarifs et aux règlements des transpor- teurs. Ce n'est pas celui qui paie qui fait ou au moins qui peut débattre les conditions, c'est celui qui est payé qui, seul, a qualité pour les imposer. La loi n'accorde d'autre protection que la limite d'un maximum de prix. C'est contre cette situation anormale, on pourrait presque dire contre nature, que se révoltent les populations, L'industrie et le commerce qui veulent recouvrer la liberté primordiale de l'offre et de la demande. En Belgique, l'Etat exploitant des chemins de fer s'est même soustrait au- tant qu'il l'a pu aux responsabilités imposées aux transporteurs. Il paie des indemnités dérisoires et quelquefois rien du tout aux victimes des accidents de chemins de fer, tandis que les Compagnies sont presque toujours condam- nées à des indemnités exorbitantes et ruineuses. Ce n'est pas seulement de Belgique que des plaintes ont surgi ; nous venons d'entendre une partie de celles formulées contre les Compagnies françaises. En Angleterre aussi, la tribune et la presse ont retenti de réclamations nom- breuses. L'enquête de 1867 a mis en évidence la cause principale des vices dont le public se plaignait. 11 fallait, là comme ailleurs, remonter au mono- pole de fait concédé aux Compagnies. On avait cru trouver un remède à cette situation en concédant des voies concurrentes, mais les Compagnies concession- naires se sont bientôt entendues, et le public a très-souvent dû subir les exi- gences légitimes de deux capitaux au lieu d'un seul. Quelques-uns ont proposé comme remède le rachat des chemins de fer par l'État, mais l'enquête a démontré l'inanité de cette solution, qui n'eut eu d'avantages certains que pour les actionnaires et obligataires des Compagnies dont les titres eussent doublé et quelquefois triplé de valeur. Dans ce moment, le palliatif auquel les Anglais ont recours pour diminuer les monopoles et établir une certaine concurrence, consiste à étendre le champ d'exploitation des diverses Compagnies en leur permettant de circuler sur les concessions voisines de façon à opérer les transports d'un lieu vers l'autre ou vers les centres de consommation sans rompre charge. Ce système remédie à une partie des défauts du système des concessions morcelées, mais il ne détruit pas le monopole, la cause première et principale de toutes les plaintes. Pour abréger, car je m'aperçois que je deviens long, je dirai sans prolonger davantage cet examen des vices du monopole des moyens de transports que dans ma conviction, il est non-seulement possible, mais à la fois écono- mique et pratique de supprimer le monopole des transports par chemins de fer, en rentrant dans la vérité des lois démontrées et non contestées de l'économie politique, qui sont, entre autres la division du travail et la liberté de l'offre et de la demande. J'ai déjà indiqué plutôt qu'exposé cette solution il y a dix ans, au Congrès des sciences sociales d'Amsterdam ; je l'ai soulevée plus tard au Parlement belge, dans une discussion du budget des travaux publics et à propos de conces- sions; je vais l'indiquer de nouveau aujourd'hui. Il s'agit de séparer la pro- priété des chemins de fer de leur exploitation, l'entretien, la conservation et LES CHEMINS DE FER. DISCUSSION 1077 l'amélioration des voies et de leurs dépendances; de l'entretien de la conser- vation et de l'amélioration du matériel roulant ou mobile. En un mot, il s'agit de rendre la circulation des chemins de 1er libre à tous comme celle des routes, des canaux, des rivières et de la mer, en se soumettant aux condi- tions et règlements spéciaux de ce système mécanique de locomotion, en vue de la sécurité publique et de l'avantage même des exploitants. 11 serait trop long de démontrer la possibilité technique de cette solution, je me bornerai à dire qu'elle est pratiquée, et depuis très-longtemps, aux Etats- Unis et notamment en Pensylvanie où, il y a quarante ans déjà, les transports sont effectués par des entrepreneurs spéciaux dont les uns l'ont le service des voyageurs à grande et petite vitesse ; d'autres, les articles de messageries, d'autres encore les gros transports à grandes et courtes distances. Pour s'établir entrepreneur de transport dans ces conditions, il ne faut plus immobiliser des capitaux immenses comme ceux qu'exige la construction des lignes et de tout leur matériel fixe et roulant. On peut établir des petites et des grosses messageries selon les moyens et le crédit dont on jouit. On voit même de petits messagers atteler leur wagon au train d'un autre transporteur et faire le service des localités intermédiaires. Le public y gagne, outre la liberté du choix de ses serviteurs, une responsa- bilité plus directe et plus spéciale, et en même temps l'espoir, sinon la réalité immédiate du meilleur marché possible. Les propriétaires de la voie reçoivent pour rémunération de leurs services des péages qui ne sont pas exposés à être absorbés ou confondus avec les frais de transports. Leur rémunération est plus certaine et peut devenir en même temps plus grande. On objectera, comme toujours, toutes sortes de difficultés, la plupart imagi- naires, entre autres tous les dangers de la liberté de parcours sur les voies fer- rées (1). Ce sont des objections vieilles comme les chemins de fer eux-mêmes. Notons que ces voies offrent, sous ce rapport, un avantage marqué sur les routes ordinaires et sur les voies navigables. On ne peut pas s'écarter, à volonté, des rails. Or, la direction des manœuvres devrait être conservée à ceux qui ont à la fois intérêt à la conserver et à lui faire produire tout ce qu'elle peut donner, c'est-à-dire aux propriétaires. Les trains resteront sous la direction suprême, comme aujourd'hui, du reste, des chefs de gare qui tiendront la main à ce que l'allure réglée par les néces- sités du service général soit maintenue; on aurait, d'ailleurs, une garantie meilleure encore, c'est-à-dire la responsabilité directe et plus facilement saisis- sable du transporteur, responsabilité qui se perd aujourd'hui dans les nombreux méandres des détours administratifs, surtout quand il s'agit de l'État (2). Peut-on sérieusement rendre un ministre responsable d'un bris d'essieu, du (1) Le parlement anglais a longtemps hésité avant d'accorder la permission d'établir des loco- motives sur les chemins de fer. Il avait limité leur vitesse à 12 milles à l'heure (1 9, 300m), vitesse qu'atteignait alors le Stage coach ou diligence [N, de l'auteur). (2) Le Block system permet déjà en Angleterre de multiplier le nombre des trains au point que certains tronçons près de Londres voient passer dans chaque sens un train par trois minutes [N. de l'auteur). 1078 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE déraillement qui en a été la conséquence et des accidents nombreux et même des morts qui s'en sont suivis? Il peut y avoir responsabilité légale, mais la responsabilité morale fait défaut. D'autres verront dans le système de la liberté l'anarcbie des transports au lieu de la simplification. Comment deux cents, cinq cents, mille, dix mille entrepreneurs de transports au lieu d'un seul ! car dans notre pays, où l'on déteste cependant la centralisation, le commerce et l'industrie, pour éviter quel- ques inconvénients minimes, ne reculent pas devant la centralisation la plus absolue des transports par les voies ferrées. Eb bien, je n'hésite pas à dire que le morcellement de l'exploitation, non pas en réseaux ni en tronçons de réseaux, mais en messageries pouvant aller et passer partout, donnerait beaucoup plus d'ordre réel, plus de sécurité, de célérité et surtout de responsabilité effective que la centralisation à outrance vers laquelle tendent actuellement les idées gouvernementales et l'opinion des classes industrielles et commerçantes de la Belgique. Reste une dernière question à examiner avant de terminer ce trop long exposé. Le système de la liberté des transports sera-t-il plus économique pour les populations et rémunérateur pour les capitaux engagés dans la construction des voies ferrées. Rappelons que je parle surtout au point de vue de ce qui se passe en Bel- gique , où l'État est propriétaire d'une partie des lignes et nu propriétaire de toutes les autres jusqu'à la fin des concessions. Pour ce qui concerne les concessions, il ne peut s'agir de modifier les con- ditions des contrats avant leur expiration. Quand ce moment sera venu elles devront être remises à l'État en bonnes conditions d'entretien, quittes et libres de toutes dettes, charges et hypothèques. Les concessionnaires n'auront droit qu'au prix du matériel roulant et meublant des lignes qu'ils ont exploitées. Si l'administration et les intérêts privés avaient eu la sagesse et la pa- tience d'attendre la fin légale des concessions, rien n'eût été plus simple en Belgique que de réduire les péages à percevoir aux frais d'entretien et d'amé- lioration de la voie, sans aucune complication d'intérêts ni d'amortissement. Mais on a été pressé de jouir de tous les bienfaits que l'on attend du mono- pole absolu de l'État, et je crains fort que les contribuables n'aient à supporter pendant de longues générations les conséquences de cette erreur économique. Mais examinant la question au point de vue de l'état actuel des choses, je dis qu'en supposant que le péage à établir pour le passage sur les chemins de 1er soit égal à ce qui est nécessaire pour assurer non-seulement l'entretien des voies et de l'immeuble en général mais encore l'intérêt et l'amortissement du capital immobilisé, il y aura encore économie dans le système de la li- berté. En effet, les charges que nous venons d'indiquer existeront en tout état de cause, quelque système que l'on adopte, il n'y a pas d'économie à réaliser de ce côté qui ne puise l'être dans tous les systèmes; mais il y a de grandes économies à réaliser dans les frais et l'organisation des transports proprement dits, et ils ne pourront l'être que par l'application à cette bran- che du travail de l'activité et de l'intérêt individuels. LES CHEMINS DE FER. — DISCUSSION 1079 L'esprit d'invention ne peut s'exercer que très-difficilement dans l'état ac- tuel des choses dans l'industrie des transports monopolisés, le matériel em- ployé est trop considérable pour qu'on puisse le remanier au fur et à mesure que les inventeurs trouveraient des simplilications ou des améliorations au matériel. 11 n'en serait plus de même avec le morcellement des exploitations. L'in- venteur d'un nouveau véhicule organiserait une nouvelle entreprise, sans être encombré d'un vieux matériel à détruire ou à vendre comme vieilles ferrailles. S'il réalise des bénéfices, le public en profitera également. Les concurrents adopteront le système nouveau ou le perfectionneront, exactement comme cela se passe dans l'industrie manufacturière. Je pourrais démontrer même par les faits existants dans les divers pays que la tendance de l'exploitation des chemins de fer, même en Belgique où elle semble aller vers la centralisation absolue, est du côté de la liberté des transports ; que là est l'avenir et que d'ici à peu d'années la résistance de- viendra impossible comme elle l'est devenue contre la liberté commerciale malgré les échecs nombreux, les retards et les oppositions passionnées que cette crise féconde a rencontrés dans sa marche en avant. M. d'Eichthal, administrateur de la Compagnie du Midi, fait remarquer que les faits cités pour la France par M. Renaud comme étant la cause de la crise des transports sont exceptionnels. Ils étaient dus à la suspension des transports en 1870-1871, occasionnée d'abord par la guerre, et par la destruction du matériel, sans parler de l'éparpillement des wagons. M. Demongeot signale ce fait, c'est que le système auquel M. Le Hardy de Beaulieu a été conduit par l'expérience et la réflexion est précisément celui qui s'était offert d'abord à l'esprit des Anglais comme la conception rationnelle de l'industrie des chemins de fer. Il faut ajouter toutefois que ce système n'a pu fonctionner et que de nouvelles dispositions législatives sont venues auto- riser les entrepreneurs de chemins de fer à employer un matériel roulant et à organiser des trains pour leur propre compte. M. Demongeot fait observer que le droit de circulation libre, moyennant péage, ne peut être exercé dans ces conditions pratiques, tant qu'il ne sera pas interdit en principe aux Compagnies de chemins de fer d'effectuer elles- mêmes aucun transport. M. Alglave, sur la question générale, est opposé au système de la libre concurrence, qui dans la pratique n'est qu'une illusion. Ce système exige plusieurs capitaux pour construire plusieurs lignes consacrées à un service que pouvait aussi bien remplir une seule ligne coûtant un seul capital. Cette multiplicité des entreprises, avec ses apparences de concurrence, conduit né- cessairement, l'expérience l'a montré, à un accord public ou secret créant le monopole qu'on voulait éviter, mais le créant avec deux circonstances terri- blement aggravantes : la première, c'est qu'il a plusieurs capitaux à rémunérer au lieu d'un seul, ce qui le rendra bien plus exigeant et oppressif; la seconde, c'est que l'Etat n'ayant pas accordé ce monopole purement de fait n'aura pu y mettre de conditions, ce qui lui laissera toute latitude pour satisfaire ses exigences. Il faut remarquer d'ailleurs que les principes théoriques de l'éco- 1080 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE nomie politique ne sont pas engagés dans la question, comme on le croirait tout d'abord. La concunence, — quand des circonstances de fait invincibles la restreignent forcément à un très-petit nombre de personnes et ne lui per- mettent de se produire qu'après de longues et coûteuses préparations, — la concurrence ne produit plus ses bienfaisants effets ordinaires, par l'excellente raison qu'elle devient alors un monopole partagé et non réglementé. Quant à l'intervention de l'État pour empêcher ou réglementer certaines entreprises industrielles, il est certain qu'elle est mauvaise; mais la création d'un chemin de fer est un acte de la puissance publique, surtout au point de vue du droit d'expropriation, et l'État, obligé d'intervenir par sa fonction même, doit s'in- quiéter des conséquences de ses résolutions comme il le ferait pour une ques- tion politique proprement dite. Le système de la libre concurrence a été pra- tiqué dans toute son extension aux États-Unis, où il a produit les résultats les plus déplorables. C'est surtout l'étude de ces résultats qui a conduit M. Alglave aux convictions qu'il exprime sur ce point. Quant au système consistant à scinder la construction et l'exploitation, cette dernière seule étant soumise au régime de la libre concurrence, M. Alglave le repousse également comme tout à fait impropre à résoudre les difficultés ac- tuelles. En effet, la puissance transportante d'un chemin de fer ne dépend pas de ses rails, qui ont une puissance presque illimitée, mais de la rapidité des chargements et des déchargements, c'est-à-dire de la manière dont sont aménagées les gares. Pour les transports de marchandises, il serait bien diffi- cile de charger et de distribuer les marchandises transportées, si des compa- gnies rivales se servaient de la même ligne. 11 leur faudrait donc tout au moins des gares spéciales. On aurait tout lieu de craindre qu'il ne sortît de cette organisation de nombreux conflits qui ne profiteraient pas au public. D'ailleurs, il ne faut pas oublier que ce système a déjà été condamné par l'ex- périence, car la loi organique des chemins de fer prévoyait précisément cette distinction entre la construction et les entreprises de transport, distinction que la pratique a été impuissante, nous ne dirons pas à établir, mais à maintenir, puisque c'était le régime du roulage sur les routes de terre, alors les grandes voies de communication. M. d'Eichthal fait brièvement l'histoire de la création et du développement des chemins de fer en France; il expose toutes les difficultés qui ont entravé leur marche; sans le concours de l'Etat, la si heureuse influence qu'ils ont eue sur la prospérité du pays, grâce à la construction simultanée de notre grand réseau de chemins vicinaux, eût été restreinte, ajournée, arrêtée peut-être. Ce concours a-t-il été donné sous la meilleure forme, par les meilleurs moyens? Aujourd'hui que par suite de l'existence même des routes de terre et des lignes ferrées, le capital s'est multiplié dans une proportion telle, que son abondance étonne les plus optimistes, peut-être des combinaisons moins oné- reuses pourraient-elles réussir, mais certainement rien de moins que ce qui a été fait n'eût assuré la rapide exécution de ces voies de transport. Et d'ailleurs, la combinaison adoptée n'a-t-elle pas procuré et ne continuera-t-elle pas à procurer à l'État des avantages soit directs soit indirects qui dépassent LES CHEMINS DE FER. — DISCUSSION lfJNl de beaucoup les charges qu'elle lui impose et qui, sans aucun doute, iront en diminuant. La libre concurrence pour la construction des voies ferrées est-elle préférable à la concentration de ces voies dans les mains d'un petit nombre de compa- gnies ? Les arguments pour et contre abondent. Les faits, qui valent mieux que les arguments, semblent parler victorieuse- ment en faveur de la concentration. Nos voisins d'Angleterre, si peu favorables à la centralisation, ont construit tous leurs chemins de fer sous le régime de la libre concurrence. Le résultat a été la destruction d'un énorme capital em- ployé sans plan d'ensemble, sans études suffisantes ; une crise des plus graves est venue en 18G7 obliger toutes ces lignes concurrentes à chercher le moyen d'arrêter le mal, de le réparer; les tarifs abaissés ont été relevés et le capital détruit a commencé à se reconstituer. Les intérêts lésés par cette hausse des tarifs se sont émus et le gouvernement a demandé qu'une commission, com- posée de membres de la chambre des lords et de la chambre des communes, fit une enquête sur cette grave question. Après avoir entendu de très-nom- breux témoins représentant tous les intérêts engagés, Jette commission mixte a fait un rapport dont les conclusions sont : La concurrence en fait de che- mins de fer n'est pas possible ; la concentration des chemins de fer, entre un petit nombre de compagnies, paraît inévitable; elle est peut-être désirable. Le système adopté chez nous a empêché une concurrence inutile dans les directions favorables, et utilisé les forces disponibles pour assurer à toutes les parties du territoire leur part des avantages que procurent ces voies nouvelles. On peut affirmer que c'est en France qu'elles ont le plus rapidement atteint les parties du pays où le capital employé sera long à se reconstituer, le déve- loppement de la richesse ne pouvant y être que lent. Faut-il céder à la juste impatience de ceux qui réclament la satisfaction immédiate qu'ont obtenue leurs voisins, au risque de compromettre le succès du système adopté et appliqué? N'y a-t-il pas d'ailleurs des emplois de capitaux d'un intérêt plus général et plus pressant, et que l'État doit chercher à satisfaire en ce qui dépend de lui, et en dirigeant le capital disponible vers cet emploi? Il en est un qui se présente de suite à l'esprit. Nos chemins de fer en arri- vant à la mer trouvent nos ports dans un état d'imperfection qui nuit de la façon la plus fâcheuse au développement de notre commerce extérieur. Nous avons sur la côte méditerranéenne des salins dont la puissance pro- ductive est presque illimitée, et ce sont les Anglais qui monopolisent la vente du sel sur les côtes de cette mer. Les richesses houillères à proximité des côtes sont énormes, et les Anglais ont seuls le marché méditerranéen. Nos importations de minerais de fer sont grevées par la même cause de frais additionnels très-onéreux pour nos grandes usines métallurgiques de cette région. La loi de 1863 sur les chemins de fer d'intérêt local doit-elle recevoir son application sans que le pouvoir central use du droit de contrôle qu'elle lui réserve, même quand il ne s'agit pas de combinaisons qui donnent à la loi 72 1082 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE une portée qui n'a pas été dans l'intention du législateur? M. d'Eichthal n'exa- mine pas la question. Ce qui ne peut être mis en doute, c'est que l'État doit arrêter toute tenta- tive ayant pour but de convertir une série de lignes d'intérêt local plus ou moins constaté en des Lignes d'intérêt général qui d'abord seraient ainsi créées sans subir les enquêtes et les examens si sagement exigés pour ces entre- prises et qui surtout viendraient, par une concurrence inutile avec les grandes lignes existantes, compromettre au plus baut degré les finances publiques. En Unissant, il faut bien dire à ceux qui se plaignent de l'élévation des tarifs, que les probabilités sont bien plutôt au relèvement qu'à un nouvel abaissement des tarifs. L'industrie des chemins de fer subit les mêmes in- fluences que toutes les autres industries, et ce n'est pas à une époque où la hausse des salaires est si grande et si générale que le prix du transport a grande chance d'être abaissé quand le coût ne cesse pas d'en être augmenté. Le maintien des tarifs actuels est, en réalité, pour les compagnies, une baisse de tarifs, en ce sens que la différence entre le coût du service rendu et le prix perçu pour le rémunérer a sensiblement diminué et paraît devoir dimi- nuer encore. M. Levasseur. — Les conditions d'exploitation des chemins de fer ont varié avec le temps. Dans le principe, il n'y avait qu'un petit nombre de lignes et de grandes lignes : elles donnaient un revenu assez abondant. Les lignes secondaires ont été entées sur ces troncs; elles ont augmenté le trafic des grandes lignes et le commerce en général, mais en apportant un revenu brut kilométrique inférieur à celui des premières lignes; la moyenne a baissé et les chemins de fer ont eu une rente inférieure bien que rendant un service plus grand et contribuant dans une large proportion à l'accroissement de la richesse du pays. De grandes lignes parallèles, se faisant concurrence soit dans le même pays, soit dans les pays voisins, ont été construites, et la matière à transporter étant plus disputée, les revenus ont encore de ce fait tendu à diminuer ou à ne pas s'élever dans la même proportion que la richesse générale. Ce n'est pas uniquement par le revenu net kilométrique qu'il convient d'apprécier l'utilité que les sociétés modernes retirent des chemins de fer. 11 faut néan- moins s'appliquer à ce qu'ils donnent un revenu suffisant pour que les capi- taux continuent à se porter de ce côté, et à ce que les transports se fassent au plus bas prix possible pour que le commerce en tire le plus grand parti et que le transit ne soit pas enlevé aux lignes françaises par les lignes concur- rentes de l'étranger. Pour cela, il faut de la part des compagnies anciennes ou des compagnies à créer un système de construction et' d'exploitation sévè- rement économiques, et de la part de l'État un système d'impôts qui ne gêne pas la circulation. D'après M. Durar, la concurrence permettra au moins de créer de nouvelles lignes indispensables. Quand la Compagnie du Nord existait seule, elle s'était toujours refusée à la construction de nouvelles lignes. On n'en aurait jamais rien obtenu sans la menace de la concurrence. Les grandes compagnies se montrent fort peu disposées à créer de nouveaux chemins de fer. M. d'Eichthal croit savoir le contraire. 11 a vu a\ec inquiétude les compa- LES CHEMINS DE FER. — DISCUSSION 1083 gnies se lancer dans des demandes de concessions exagérées, ce qui éloigne d'autant pour l'Etat le moment du partage des bénéfices. On a déjà mis à la charge des grandes compagnies une telle quantité de petites lignes, ne faisant pas leurs frais, qu'on risque fort de les ruiner. M. Alglave constate que beaucoup de lignes que l'on croit très-prospères ne le sont pas, et qu'un grand nombre de chemins de fer d'intérêt local couvrent à peine ou même ne couvrent pas leurs frais d'exploitation. On dit bien que les cantons qu'ils traversent seront plus riches, mais enfin la différence ne sera pas toujours énorme, et il s'agit de savoir si le capital ainsi ajouté à la richesse de la région égale ou n'égale pas le capital perdu dans la construc- tion d'une ligne qui ne produit aucun bénéfice ou donne même des pertes. En matière de chemin de fer comme pour toute autre entreprise industrielle, qu'on se place au point de vue des particuliers ou au point de vue général du pays, il faut toujours prendre pour critérium le principe que toute dépense doit payer ses frais. M. Demongeot n'admet pas que l'État puisse, par un refus de déclaration d'utilité publique, contrarier la construction de nouvelles lignes, sous le pré- texte que leur rapport serait minime ou même nul; ce n'est point là le sens de la loi; le public profitera, même aux dépens des actionnaires. M. G. Dubar appelle l'attention de la réunion sur ïes chemins de fer d'intérêt local; il proteste contre la confusion plus ou moins volontaire que l'on fait bien souvent lorsqu'on traite des voies ferrées de cette catégorie; il est certain qu'il y a en France des départements, des régions entières où les lignes d'intérêt local ne peuvent être d'aucun rapport, mais il en est d'autres, celle du Nord par exemple, où l'industrie, l'agriculture et le commerce ont pris un tel déve- loppement que l'on peut, sans danger pour la fortune publique, y créer de nombreuses voies ferrées. On ne réclame même pas le concours financier de l'État, et les compagnies qui soumissionnent des concessions se déclarent prêtes à entreprendre la construction immédiatement, à leurs risques, mus aucune subvention ou garantie d'intérêt. Quelque belles que soient ces offres, nous n'en attendons pas moins quatre, cinq et six ans, la déclaration d'utilité publique, le seul bienfait que l'on solli- cite du gouvernement. Aussi y a-t-il, parmi nos négociants, nos industriels, nos agriculteurs, qui s'expliquent mal les retards que l'on apporte à l'exécution des plus utiles entreprises une sorte de grave mécontentement dont l'admi- nistration des travaux publics supporte tout le poids. Il serait long, Messieurs, de vous retracer les formalités que doit subir une compagnie d'intérêt local, depuis le jour où elle soumissionne une ligne jusqu'au moment où elle peut la livrer à l'exploitation; heureuse encore quand elle ne rencontre pas la puis- sante opposition de quelque grande compagnie, ou encore dans notre zone frontière, celle de l'administration militaire ! Vous savez combien le temps est chose précieuse pour tous ceux qui s'oc- cupent d'industrie ou de commerce; les retards apportés à la construction •d'une ligne entraînent souvent des pertes considérables. Aussi serait-il sage de .compléter au plus tôt la loi de 1865 ; cette loi confère aux conseils généraux le droit absolu de concéder des lignes d'intérêt local \ mais elle a trop mal 1084 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE défini les caractères propres aux lignes de cette catégorie pour que le gouver- nement ne puisse trop souvent, à l'instigation des grandes compagnies, à l'in- fluence desquelles il essaie en vain d'échapper, revendiquer comme d'intérêt général des lignes qui devraient rester classées dans le réseau d'intérêt local. Bien plus, alors même que le gouvernement ne conteste pas aux lignes d'in- térêt local leur caractère, il peut encore en relarder longtemps l'exécution ; c'est lui en effet qui seul peut donner aux lignes la dernière consécration, c'est- à-dire les déclarer d'utilité publique. Or les décrets d'utilité publique se font souvent attendre plusieurs années; ne serait-il pas juste de fixer un délai, trois mois, six mois, un an s'il le faut? mais le délai expiré, le gouvernement serait obligé de prononcer l'utilité publique. On éviterait ainsi des retards excessifs. M. Yictor BOÏÏHY Ingénieur îles mines, Directeur général de la Nouvelle-Montagne, à Engis (Belgique). PRODUCTION ET CONSOMMATION DE LA HOUILLE — Séance du £6 août 1 87 4 . — La houille étant la matière première la plus utile et la plus impor- tante que recèle le sol du département du Nord de la France, dont la ville de Lille a été choisie pour lieu de réunion en 1874 du Congrès international provoqué par l'Association française pour l'avancement des sciences, il ne sera pas sans intérêt de résumer en quelques lignes les conditions statistiques de production et de consommation de ce combus- tible si précieux. La houille, principalement sous les deux états de houille proprement dite et d'anthracite, se rencontre dans un assez grand nombre de contrées de la terre; dans plusieurs pays, sa présence a été constatée et l'on a plus ou moins reconnu qu'elle s'y trouve en quantité considé- rable (par exemple en Russie, en Chine, au Japon, dans l'Inde); diverses circonstances n'ont pas jusqu'ici permis de tirer parti des grandes richesses enfouies sous ces sols, ou du moins de donner à l'exploitation un développement en rapport avec la puissance des formations houil- lères ; heureusement que la houille ne s'altère pas en restant en terre et que nos neveux la retrouveront avec toutes ses vertus et sauront en tirer un excellent parti. Dans d'autres contrées, les bassins houillers ont été, depuis ce siècle surtout, fouillés en tous sens, et on y a vu l'extraction prendre des proportions de plus en plus grandes et , pour certaines même, excessives eu égard à l'étendue des dépôts que renferme V. BOUHY. — PUODUCTION DE LA HOUILLE 1085 leur sol ; c'est même grâce à la forte extension donnée à l'exploitation de ce combustible que quelques nations ont pu, pour ainsi dire, créer ce que l'on est convenu d'appeler la grande industrie (minière et métal- lurgique), se placer à la tête des nations civilisées et procurer à ses membres ce bien-être matériel , cette habitude de travail qui sont les conditions essentielles du développement de l'intelligence humaine; aussi ce sont ces pays industriels qui ont vu naître ces inventions, ces découvertes étonnantes et merveilleuses qui ont fait de notre siècle le plus remarquable depuis la création du monde. Les pays qui sont actuellement les plus grands producteurs de houille peuvent être classés dans l'ordre suivant : 1° L'Angleterre ; 2° Les Etats-Unis ; 3° Le Zollverein (Union douanière) ; 4° La Belgique et la France, Et 5° l'Autriche, comprise la Hongrie. Je présente dans le tableau n° 1 ci-annexé le relevé en tonnes de 1,000 kilogrammes des quantités de ce combustible extraites depuis un assez grand nombre d'années dans les quatre premiers groupes; le •5e groupe donne en houille moins du tiers de la Belgique et de la France (4,764,786 tonnes en 1872), et le reste de sa production consiste en lignite (5;679,212 tonnes en 1872) et dépasse un peu la quantité de houille exploitée. Comme on peut le voir par ce tableau, le développement de cette industrie minière n'a pas suivi la même marche dans chacun de ces pays; l'Angleterre a toujours fourni plus de la moitié de la production du monde entier; avant 1830, elle atteignait les 3/4 de cette production; en 1845, un peu plus des 2/3;. en 1858, elle était supérieure à la moitié; en 1865 et en 1868, elle conservait à peu près la même proportion de 3/5 environ; enfin, en 1872, elle se trouvait encore dépasser la moitié de plus de 7 millions de tonnes. De 20 millions de tonnes environ en 1830, sa production en 1872 s'est élevée à 131,639,000 tonnes, c'est-à-dire qu'en 42 ans elle s'est successivement accrue de plus de 358 p. 0/0 (1). Nous n'avons pas de données exactes sur la production aux États-Unis en 1830; mais à en juger par les chiffres connus pour 1815, on peut admettre qu'en 1830 ce pays venait au 5e rang après l'Angleterre, la Belgique, la France et la Prusse; en 1872, on le trouve en 2e ligne, avec le chiffre important de 42,800,000 tonnes, ce qui accuse pour la période de 42 ans une augmentation de plus de 2,950 p. 0/0. (i) La tonne anglaise a été calculée à 1,006 kilog., au lieu de 1,01"5 kilog. que l'on admet pour les métaux. 1080 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE Le Zollverein produisait en 1830 moins que la Belgique et la France, environ 1,200,000 tonnes, non compris le lignite; on trouve ce groupe figurant en 1872 pour 33,400,000 tonnes environ de houille, soit en 42 ans une majoration de plus de 2,080 p. 0/0. En 1872, on exploitait en outre dans le Zollverein environ 9,018,000 tonnes de lignite. La production de la Belgique, qui était de 1,913,677 tonnes en 1830, a atteint en 1872 le chiffre de 15,658,948 tonnes, soit en 42 ans une augmentation de 718 p. 0/0 ; en 1830, elle venait en 2e ligne, tandis qu'en 1872, elle se trouve an 4" rang. Enfin, la France a monté de 1,596,370 tonnes en 1830 à 15,204,170 en 1872, c'est-à-dire qu'en 42 ans, elle a augmenté de 852;9 p. 0,0. En 1830, elle occupait le 3e rang, après l'Angleterre et la Belgique; en 1872, elle est à peu près sur la même ligne que la Belgique après l'Angleterre, les États-Unis et le Zollverein. Quant à l'Autriche, elle produisait 210,630 tonnes de charbon et lignite en 1830, et elle arrivait pour la houille seule à 1,948,189 tonnes en 1860 et 4,764,786 tonnes en 1872. Le chiffre de la production française tend constamment, depuis 1830, à se rapprocher de celui de la Belgique, et il est probable qu'avant peu ce dernier pays sera définitivement dépassé par son voisin comme il l'a été déjà en 1868, car pendant cette année la France a extrait 13,253,876 tonnes, tandis qu'en Belgique on n'en a exploité que 12,298,589 tonnes. Le chiffre de la progression pendant les 42 dernières années le fait d'ailleurs présumer, puisque pour la France on a une augmentation de 852,9 p. 0/0, tandis que pour la Belgique on ne trouve que 718 p. 0/0. Cette majoration de production pour la France est due principalement au grand développement que les travaux de mines ont pris dans les départements du Nord et surtout du Pas-de-Calais, départements qui constituent l'un des plus beaux fleurons de la couronne industrielle de la France; c'est ce qu'établit le tableau n° 2, qui donne le détail de l'extraction par année des mines du Nord depuis 1720 et du Pas-de- Calais depuis 1834; en comparant ces chiffres à ceux de la production totale de la France, on voit qu'en 1834, les deux centres du Nord et du Pas-de-Calais intervenaient pour 29 p. 0/0 dans cette production totale et qu'en 1872 ils arrivent à 39,04 p. 0/0. Quand on considère avec quelle rapidité les établissements miniers se sont développés dans le nord de la France, avec quelle intelligence les dernières installations ont été établies, avec quelle hardiesse les capi- taux, se fiant avec raison à la science des ingénieurs du pays, se sont lancés dans ces entreprises qui, sur divers points, ont présenté des difficultés énormes d'exécution; quand on voit que dans le Pas-de-Calais V. BOUHY. — PRODUCTION DE LA HOUILLE 1087 en particulier, l'extraction qui en 1834, année qui a vu naître pour ainsi dire l'industrie houillère dans ce département, n'était que de 4,103 tonnes, est arrivée en 1873 à 2,978,647 tonnes, on doit s'attendre à ce que la production aille encore sensiblement en augmentant, car ce bassin est à peine entamé, il s'y trouve, comme dans le département du Nord, de grandes concessions qui ne sont pour ainsi dire mises en travail que dans une petite portion de leur superficie. Les données ci-après sur les étendues superficielles des concessions appartenant à diverses compagnies confirment ce qui précède: Etendue superficielles DÉPARTEMENT DU NORD ^nTecS* Compagnie d'Anzin 28 . 086 Concession d'Aniche H .850 — de l'Escarpelle 4.721 — de Douchy 3.419 — de Marly 3.313 — de Crespin 2.842 Compagnie de Vicoigne 2.639 Concession d'Azincourt 2 . 182 Compagnie de Fresnes-Midi 1 . 546 Concession d Annœullin 920 Étendue totale 61.518 C'est donc, pour ce groupe, une moyenne de 6,152 hec- tares par concession ou compagnie. DÉPARTEMENT DU PAS-DE-CALAIS. Concession de Noeux 7 .939 — de Lens 6.239 — de Grenay 5.761 de Courrières 5.317 — de Bruay 3.809 — de Dourges 3.787 — de Hardinghen 3.000 — de Maries 2.990 — d'Ostricourt 2.300 Plus onze autres concessions d'une étendue de moins de 1.800 hectares chacune, présentant ensemble 10.908 Étendue totale 52.050 L'étendue totale des 20 concessions du Pas-de-Calais est donc de 52,050 hectares, soit en moyenne 2602,5 hectares par concession, chiffre bien inférieur à celui du groupe du département du Nord. Si l'on compare ces étendues à celles des concessions du Hainaut (Belgique) dont le bassin houiller présente, avec celui des départements du nord de la France, des analogies de formation et de composition assez marquées, on trouve (voir tableau n° 3) que dans le Hainaut, il y avait en 1872, 130 mines concédées ou tolérées provisoirement, ayant 1088 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE ensemble une étendue superficielle de 91,5*14 hectares, soit 704 hectares en moyenne chacune; de ces 130 mines, la plus étendue mesure 4,801 hectares, quatre ont entre 3,000 et 3,940, quatre entre 2,000 et 2,940, huit entre 1,100 et 1,748 hectares, et les 113 autres moins de 1,000 hectares chacune. Comme on le voit, la moyenne du Hainaut, 704 hec- tares, diffère beaucoup de celle des concessions des départements du Nord et du Pas-de-Calais, qui sont de 6.152 et 2.602,5 hectares. Le tableau n° 4 donne pour 1860 à 1873 la production du charbon rxir hectare concédé et par hectare de concessions en exploitation dans les trois centres du Nord, du Pas-de-Calais et du Hainaut. L'inspection de ces chiffres montre que, dans les deux groupes français, on est loin de produire, par hectare, autant que dans le groupe du Hainaut, puis- que les mines en exploitation en 1873 par exemple, ont fourni 69.15 tonnes dans le département du Nord, 59,78 tonnes dans le Pas-de-Calais et 167,83 tonnes dans le Hainaut]; cependant, si l'on en juge par les chiffres donnant le produit moyen annuel par puits d'extraction en activité (voir tableau n° 5) l'exploitation dans les deux groupes français se ferait dans des conditions meilleures que dans le Hainaut, puisque depuis 1871 pour le département du Nord et depuis 1862 pour le Pas- de-Calais, un puits d'extraction a fourni plus de charbon dans ces deux départements que dans le Hainaut; en 1873, la différence a même été très-sensible à l'avantage de ces deux groupes de la France, car l'ex- traction moyenne par puits en activité a été de 73,133 tonnes dans le département du Nord, de 74,567 dans le Pas-de-Calais, tandis qu'elle n'a atteint dans le Hainaut que 57,687 tonnes. Il résulte donc de ce qui précède que les bassins houillers du Nord de la France ont un bel avenir devant eux, qu'ils pourraient fournir de quoi subvenir à tous les" besoins du pays si on pouvait augmenter aussi vite qu'on le voudrait le nombre de sièges d'extraction. Cette augmentation se fera; mais pas aussi rapidement que le com- porte l'impatience du consommateur, parce qu'il y a des obstacles matériels que la meilleure volonté du monde et la puissance des capi- taux ne peuvent pas toujours facilement surmonter; entre autres, nous citerons les ouvriers mineurs que l'on a beaucoup de peine à trouver en nombre suffisant; c'est une catégorie toute spéciale de travailleurs qu'il est très-difficile de créer en un jour; il faut de la patience et de la persévérance pour recruter des mineurs, pour les dresser et pour les fixer à cette industrie ; il est surabondamment reconnu aujourd'hui dans tous les centres charbonniers que c'est une des plus grandes difficultés que l'on puisse avoir à surmonter pour arriver au développement de l'exploitation des mines de houille. Quoi qu'il en soit, il est un fait incontestable, c'est que les bassins du V. BOUHY. — PRODUCTION DE LA HOUILLE 1089 Nord de la France recèlent encore des richesses importantes ; si en 1873, l'étendue moyenne des concessions est dans le Hainaut de 704 hectares, tandis que dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais les com- pagnies houillères ont des concessions de 0,152 et de 2602,5 hectares en moyenne. Si dans ce bassin de Belgique il y a un puits d'extraction en activité par 453 hectares concédés ou tolérés provisoirement, tandis que dans les départements du Nord et du Pas-de Calais il y a seulement un puits d'extraction en production par 1,309 et 1,301 hectares con- cédés, on comprendra facilement qu'il suffirait dans le Nord de la France (les autres bassins continuant leur progression ordinaire et nor- male) d'avoir actuellement environ une fois et demi plus de sièges d'ex- traction en activité pour arriver à produire assez de charbon pour que la France entière ne soit plus tributaire de l'étranger; dans ce cas, on aurait un siège d'extraction par 523,6 hectares dans le Nord et par 520,4 hectares dans le Pas-de-Calais, chiffres encore sensiblement moins favorables que ceux que donne actuellement le Hainaut, et surtout les bassins qui présentent le plus d'analogie avec ceux du Nord de la France, c'est-à-dire ceux dits du Couchant de Mons et du Centre, dans lesquels on trouve, en 1873, un puits d'extraction en activité par 251,6 hectares concédés, au Couchant de Mons, et par 201 hectares dans le Centre. La perspective de voir les bassins houillers du Nord et du Pas-de- Calais augmenter considérablement leur extraction lorsque l'on aura des ouvriers capables en nombre suffisant, doit réjouir les industriels de ce groupe qui, aujourd'hui, sont encore obligés de tirer de l'étranger une grande partie des charbons dont ils ont besoin ; l'espoir d'arriver à déve- lopper l'exploitation dans les concessions ne doit pas non plus être désagréable aux heureux propriétaires des mines qui ont eu la chance, pendant les deux dernières années, de voir combien les hauts prix de vente aidant, il est facile de faire de l'or avec ce modeste charbon de terre; on disait jadis que la métallurgie du fer était l'art de produire de l'argent avec du fer; les exploitants de houille ont bien changé tout cela; ils ont obtenu mieux en 1872 et 1873; ils ont. établi que l'exploi- tation du charbon est l'art de faire de l'or avec de la houille. Souhai- tons pour les départements français et les pays qui ont été favorisés par la nature sous le rapport de l'abondance du combustible minéral, que cette source de richesses (avalanche de jolis dividendes) ne tarisse pas de sitôt, et en même temps, faisons des vœux pour que les autres indus- tries aient une part raisonnable du gâteau, qu'elles ne soient pas amenées, comme cela est arrivé pour quelques-unes en 1872 et 1873, à travailler sans bénéfices et pour ainsi dire uniquement pour consommer du charbon à. très-haut prix et concourir ainsi à en maintenir la rareté relative; il 1090 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE est à désirer que toutes les industries soient rémunératrices ; si tous les bénéfices devaient aller toujours s'accumuler dans les mêmes coffres-forts, cela ne serait franchement pas encourageant pour ceux qui devraient assister en simples spectateurs au délilé de coupons éblouissants des titres et des actions des charbonnages. Nous avons vu, dans ce qui précède, quelle était la production dans les cinq principaux pays extracteurs de charbon ; il sera peut-être inté- ressant, pour terminer ce qui concerne la quantité de charbon exploitée, de donner une idée de ce que l'on tire de ce combustible dans le monde entier. Les renseignements précis pour 1872 et 1873 nous manquent pour plusieurs des pays autres que les principaux, qui sont l'Angleterre, les États-Unis, le Zollverein, la Belgique, la France et l'Autriche; cepen- dant, d'après ce que l'on connaît pour les années antérieures et la mar- che constamment croissante de l'extraction dans tous les pays, on peut arriver à une évaluation assez satisfaisante et qui s'établit comme suit : PAYS DE PRODUCTION Europe. Angleterre Zollverein Belgique.. France Autriche et Hongrie. Espagne Russie et Pologne Italie Pays-Bas. Suède Portugal. . ESTIMATION de la production de houille en 1872. T. de 1,000 kil. Dai emark Suisse Améhiûuk. Etats-Unis Nouvelle-Ecosse, Chili, Colombie an- glaise Australie. Nouvelle-Calles du Sud Queensland et Nouvelle-Zélande.. Ame. Iodes Japon, Bornéo et Chine Total. 131 .6'i0.000 3:!.:106.000 15. 659. 000 15- 204- 000 4.765.000 730-000 1.070.000 2.000 45.000 35.000 21.000 18.000 1.008 12. 704.000 810.000 1.300. 000 47.000 050- 000 ', '. . 000 OBSERVATIONS 2 '. s . t ',4.200 Plus 9,018,000 T. de lignite. Plus 350,000 T. environ de lignite. Plus 5,679,200 T. de lignite. Plus 50.000 T. de lignite. Dont 332,000 d'anthracite et plus 28,000 T. de lignite. Tout anthracite, plus 95,500 T. lignite Presque tout anthracite, plus 4 à 5,000 I. de lignite. Dont très-grande partie d'anthracite. Charbon d'assez médiocre qualité. V. BOUHY. — PRODUCTION DE LA HOUILLE 1094 Comme on le voit, l'Angleterre à elle seule arrive pour plus de moitié dans la production totale du globe. Le chiffre de 248,144,200 tonnes est déjà assez respectable ; mais quand on considère que la consommation du charbon va sans cesse en augmentant, quand on réfléchit qu'il y a beaucoup de gisements exces- sivement importants qui n'ont pour ainsi dire pas encore été entamés' et qui, pour être mis en bonne exploitation n'attendent que des voies de communication, des capitaux et des gens intelligents, on comprend que la production du globe n'est pas arrivée à son maximum et que si elle continuait à suivre la progression rapide qu'elle accuse depuis 28 ans, elle dépasserait bientôt 300,000,000 de tonnes. En effet, d'après les documents qui étaient connus en 1845, on arri- vait à évaluer la production du globe à T. 53. 600. 000 D'autres estimations ont été publiées postérieurement en Angleterre, en Amérique et en France ; voici les prin- cipales : En 1858, on évaluait la production à T. 130.003.000 En 1860, — — 131.210.000 En 1865, — -^ 172.000.000 En 1868, — — 178.000.000 En 1872, nous arrivons au chiffre de 248.144.200 De 1858 à 1872, soit pendant quatorze années, l'augmentation a été de 118,141,000 tonnes, soit de 8,435,000 tonnes par an ; il ne faudrait donc qu'un peu plus de six ans de cette même marche ascendante pour atteindre 300,000,000 de tonnes. On s'est beaucoup préoccupé, depuis quelque temps, de la question de durée et de richesse des principaux bassins houillers en exploitation sur la terre ; des études assez étendues ont été faites, entre autres sur les bassins du Royaume-Uni ; il n'entre pas dans le cadre de cette no- tice statistique d'examiner ou de discuter les idées émises à ce sujet ; il en est qui paraissent raisonnables, d'autres qui portent le cachet d'un esprit pessimiste. Je dirai seulement que je crois bien que nos enfants n'auront probablement pas encore besoin de se préoccuper énor- mément de l'épuisement des bassins houillers en exploitation ; que l'on ne perde pas de vue que ce ne sera pas de sitôt que ceux des bassins qui, eu égard à leur étendue, sont aujourd'hui de très-grands produc- teurs, viendront à se ressentir des premiers symptômes sérieux d'épui- sement, et que, d'ici là, d'autres bassins aujourd'hui délaissés, quoique reconnus en partie, auront eu le temps d'être mis en plein rapport, ce qui viendra rétablir l'équilibre. Pour le moment, on doit chercher à tirer un meilleur parti de ce combustible, dont une grande partie de la puissance s'échappe sans profit de nos nombreux foyers et fourneaux ; 1002 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE on doit se préoccuper surtout des moyens de développer l'exploitation dans les bassins en travail ; il faut s'appliquer à former de bons ou- vriers à substituer le travail des machines au travail de l'homme, à augmenter le rendement utile du mineur, à améliorer sa position, à empêcher les grèves qui, lorsqu'elles se produisent avec le caractère qu'elles présentent en Angleterre, sont de vraies calamités, et on trou- vera dans nos formations houillères du charbon de bonne qualité et en quantité suffisante pour satisfaire à tous nos besoins pendant de lon- gues années encore; enfin, parlant un peu pour les industriels grands consommateurs, nous devons former des vœux pour que Dieu touche le cœur des exploitants des houillères, qu'il les amène à ne plus saigner leurs malheureux clients comme ils l'ont fait en 1872 et 1873 (1) ; ils pourraient, nous semble-t-il, très-facilement se contenter de bénéfices moins exorbitants que certains de ceux qui ont été accusés, notamment pour l'exercice 1873. Pour terminer nous dirons quelques mots de la consommation du charbon. Le tableau n° 6 donne la quantité de ce combustible consommé dans le Zollverein, en Angleterre, en France et en Belgique. En examinant ces chiffres, on voit que la consommation par pério- des de dix années a augmenté, dans ces divers pays, de la manière suivante : PÉRIODES AUGMENTATION DE LA CONSOMMATION DE CHARBON DANS LE ZOLLVEREIN EN FRANCE EN ANGLETERRE EN BELGIQ1 E !)'• 1s:i2 à 1842 159 % 177 » 116 » 1 00 % 3:: » 104.5 * 35.6 » » 89 % 23 4 " 47 » 58.4 % 50 » 50 » 15.5 % De 1842 à 1832 De 1852 à 1862 De 1862 il 1872 De is:!2 à 1872, soit 40 ■i 775 % » 119 % 1 De 1842 à 1872, soit 30 1460 % 324 % •!'• 9 % 227 % La progression de la consommation dans le Zollverein a été très-forte comparativement aux autres pays; celle de la France a aussi sensiblc- [1) En 1872 et 1873, il est des exploitants dans notre pays qui ont vendu la tonne de charbon à 32 et 35 francs sur place, alors qu'elle ne leur coûtai! que 12 à 14 francs, et la tonne de coke à 63 et 70 francs, bien qu'elle ne leur revînt qu'à 22 ou 2:. francs !!! V. BOUHY. — PKOIH'CTION DE LA HOUILLE 4003 ment augmenté, et c'est principalement au développement de la grande industrie métallurgique et des chemins de fer dansées deuxpays que l'on doit attribuer ce résultat. Quant à la quantité totale consommée, la France vient en 4e ligne après l'Angleterre, l'Amérique et le Zollverein ; mais le Royaume-Uni est et restera bien longtemps encore le plus grand mangeur de charbon du monde. Quand on compare la consommation à la production, on trouve qu'il n'y a sur la terre que trois pays, l'Angleterre, la Belgique, et le Zollverein, qui exploitent plus de charbon qu'ils n'en consomment, et qui, par conséquent, exportent cette matière en quantités notables. Le tableau n° 7 indique, pour le Royaume-Uni, la France, la Belgique et le Zollverein, les quantités de charbon importées et exportées ; enfin le tableau n° 8 donne les proportions de charbons importés pour cent de l'extraction, déduction faite des quantités importées, et le tableau n° 9 renseigne sur les provenances des charbons importés en France. En examinant les chiffres inscrits dans ces tableaux, on trouve qu'après avoir déduit les quantités de charbons importés, ce sont le» deux pays, le Royaume-Uni et la Belgique, qui jusqu'ici ont toujours fait les plus fortes exportations de charbon ; le Zollverein exporte entre 3 et 4 millions de tonnes, mais il en reçoit de ses voisins 1 1/2 à 2 1/2 millions. Quant à la Belgique son exportation en houille et coke s'élevait en 1872 à plus de 5,300,000 tonnes et son importation seulement à 236,000 tonnes environ ; l'Angleterre exporte de 10 à 11 0/0 de so/ extraction, et la Belgique plus de 31 0/0 en moyenne de sa production; quant à la France, elle importe environ le tiers de ses besoins et la Belgique intervient dans ce chiffre pour les trois cinquièmes. L'exportation de l'Angleterre se fait naturellement entièrement par mer, et le charbon est quelquefois pour son commerce maritime à peu près un lest. Quand on examine le détail de son exportation, on est surpris du grand nombre de pays que le Royaume-Uni alimente, de l'éloignement des contrées que ses navires à charbon vont toucher et de l'énorme quantité de bâtiments que l'exportation de ses 14 millions de tonnes exige. Si on fait attention que ces navires reviennent chargés de produits des pays chez lesquels ils ont été verser leur contenu, on comprend alors que le trafic de Ja houille forme en grande partie la richesse commerciale de l'Angleterre ; pour les habitants d'outre-Man- che, la houille est donc un puissant moyen d'alimenter ses transactions avec le monde entier, car elle permet à sa marine marchande d'établir des conditions de fret beaucoup plus favorables que n'importe quelle nation, puisqu'elle est la seule qui ait à exporter par mer une quantité de charbon aussi grande et qui constitue une . marchandise dont le 1094 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE placement peut être avantageusement opéré dans tous les coins du globe. La France, comme nous venons de le dire , important de Belgique les 3 o de la quantité de charbon qu'elle réclame de l'étranger, a donc le plus grand intérêt à suivre la marche de l'exploitation en Belgique, puisque c'est là qu'elle va puiser en grande partie la force vitale qu'elle demande au dehors pour alimenter sa grande industrie, ses chemins de ter et sa consommation domestique, pour maintenir sa forte production de fonte et de fer qui, si les chiffres contenus dans un rapport lu récemment à l'Institut du fer et de l'acier en Angleterre sont exacts, la place actuellement au troisème rang après l'Angleterre et les États-Unis dans la série des nations productrices du fer dans le monde ; d'après ce document, elle tirerait de ses fourneaux et de ses forges 1,350,000 tonnes sur 13,300,000 environ que l'on fabriquerait sur la terre ; dans ce chiffre de 13,300,000 tonnes, l'Angleterre interviendrait pour 6,500,000 tonnes, les États-Unis pour 1,912,000 et l'Allemagne pour 1,250,000 tonnes; aucune des autres nations du globe n'atteindrait actuellement 800,000 tonnes par an (1). La Belgique est donc pour la France un vrai magasin de charbon établi à ses portes, et qui peut satisfaire ses besoins même extra- ordinaires, comme on l'a vu en 1872, année pendant laquelle la France a demandé à ce pays au delà de un million de tonnes de plus qu'en 1871, alors que les deux autres nations, l'Angleterre et l'Allemagne, n'ont pu dépasser que de très-peu le chiffre de leurs envois de 1871 ; de leur coté, les exploitants belges doivent voir avec satisfaction la grande industrie française marcher en bonne allure, puisque ce pays constitue un de leurs meilleurs clients ; car c'est en France que la Belgique expédie presque tout le charbon qu'elle ne peut consommer chez elle. L'augmentation de prospérité de sa puissante voisine sera pour elle une source de bénéfices, un moyen de développer et d'affermir encore ces relations industrielles qui existent depuis si longtemps entre les deux nations ; enfin, en même temps que des avantages matériels, la Belgique en recueille d'autres plus importants encore car, si elle envoie de la force ou, ce qui est la même chose, de la chaleur condensée sous forme de houille, les Fiançais, en dégageant cette force qui était latente, cette grande puissance naturelle, âme de toute vie industrielle, produisent des merveilles d'art et de goût qui, pour aller se faire admirer dans les autres pays du continent, ont pris l'habitude de passer d'abord par la petite Belgique qui les accueille toujours avec bonheur et qui, sachant les apprécier, s'en fait une source de jouissances. i Nous reproduisons les chiffres tels qu'ils ont été communiqués à l'institut du fer et de l'acier, bien que nous les considérions comme inexacts, du moins pour ce qui concerne la Franco et L'Allemagne. V. BOUHY. — PRODUCTION DE LA HOUILLE 1095 TABLEAU N° 1. Production annuelle de houille (houille et anthracite; (Tonnes de 1,000 kilogrammes.) ANNÉES ANGLETERRE ÉTATS-I/NIS ZOLLVEREIN BELGIQUE FRANCE 1830 20.000.000 (1) 1.400.000 1 .200.000 1.913.677 1.596.570 1835 23.578.000 2. -'00. 000 I .900.000 2.902.000 2.148.357 1840 33.600.000 3.300.000 2-700.000 3.929.962 3.003.328 1845 38.082.61 S 4-400 000 .'..100.000 4.919. 156 4. 202. 09 I 1850 :;.".. 500.000 5.000.000 4.500.000 5.820.588 4.403.567 18.15 68.684.056 7.500.000 8.950.000 8.409.330 7.453.048 1860 85.389.548 15.099.182 12.347.828 9.610.895 8.300.818 1S6i 89.222.046 10.200.000 14.133.048 10.057.163 9.423.320 1862 87.091.777 17.500.000 15.576.27s 9.935.645 10.290.345 1803 92.050.533 i9. 600. 000 16.906.707 10.345.330 10.796.586 1864 98.986.103 21.726.797 19.403.981 Il .158.336 11.242 634 186S 104.707.043 20.645.646 21. 794. 705 11.840.703 11.840.000 1X66 108.419.463 24.4 70.759 21.629.746 12.774.662 12.260.087 1867 111.481.112 25.505.401 23.73S.327 12.755.822 12.738.686 1X1, S 110.030.984 28.268.31 1 25.704.757 12.298.589 13.253.876 1869 114.614.220 30.600.000 26.774.368 12.043.994 12.570.820 1870 117.807.995 33.834.301 26.397.767 13.697.110 12.512.550 1871 125.191.132 34.081.415 29.373.273 13.733.176 12.759. 400 1872 131.639.993 42. 79'.. 000 33.306.418 15.658.948 15.204.170 TABLEAU N° 2. Production de charbon dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais. (Tonnes de 1,000 kilogrammes.) - te DÉPARTEMENTS ■t. DÉPARTEMENTS DÉPARTEMENTS 2 •< du Nord. du Pas-de-Calais z: du Nord. du Pas-de-Calais z-. du Nord . du Pas-de-Calais. 1720 200 » 1820 323.013 » 1847 1 .2'.5.671 17.731 1752 70.000 » 1821 321.117 » 1848 927. 3 12 15.714 1756 100.000 »> 1822 333.605 » 1849 962.335 15.280 1779 237.500 » 1823 2S7.983 o 1850 1.001.677 16.529 1783 240.000 » 1824 337.236 ï> 1S51 1.030.507 22.951 1789 290.000 » 1825 396.373 » 1852 1.072.846 37.069 1790 310.000 » 1826 406.336 » 1853 1.327.869 69.506 1800 240.000 » 1827 416.449 3> 1854 1.429.206 113.025 1801 235.1 » 1828 425.538 » 1855 1.601.551 151.981 1802 235.000 » 1829 439.987 » 1856 1.577.737 267.355 1803 235.000 » 1830 49'*. 478 » I857 1.568.106 408.275 1804 235.000 » 1831 4,5.868 » 1858 1.615.654 463.197 1805 235.000 » 1832 492.403 » 1859 1.545.739 5 1 0.096 1806 225.000 » 1S:î3 534.706 » 1860 1.595.047 594.106 1807 225.000 » 1834 614.873 4.103 1861 1.650.554 834.832 1808 225.000 » 1835 629.650 3.798 1862 1.736.396 1 .038.616 1809 225.000 » 1836 749. U2 4.974 1863 1.8 11. 608 1.163.670 1810 230-000 » 1837 758.909 4.092 1864 1.845.544 1.295.129 1811 235.000 » 1838 859.247 4.714 1865 2.047.783 1.399.850 1812 235. 000 » 1839 749.706 7.617 1866 2-229.463 1-602.693 1813 235.000 » 1840 776.296 7.132 1867 2.316.546 1.612.197 1814 3 73- 393 » 1841 893.325 17.402 1868 2.411.829 1.741.574 1815 276.326 » 1842 907.159 16.139 1869 2.496.116 1. 831. 561 1816 272.277 » 1843 857.783 14.230 1870 2-417.897 1.891.822 1817 269.9H0 » 1844 927.176 14.987 1871 2.716.428 2.203.334 1818 275.403 » 1845 943.803 18.307 1872 3.226.707 2.709.607 1819 278.834 » •1846 1.039.173 16.516 1873 3.471.562 2.978.647 (1) Pour la réduction des tonnes anglaises en tonnes de 1,000 kilogr., on a calculé, comme cela a lieu généralement pour les minerais et la houille, la tonne anglaise à l,066k,8; pour les métaux on prend la tonne anglaise à 1,016 kilogr. 1096 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE TABLEAU N° 3. Nombri et étendue superficielle des mines dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais et dans le Hainaut Belgique]. 'fi •y. 1 860 «IMS CONCÉDÉES OU rOLÉKÉES PROVISOIREMENT MINES EN EXPLOITATION NOMBRE ÉTENDUE SUPERFICIELLE (hectares ) NOMBRE ÉTEVDIE SDPERF (hectares) C1BLLE S a _ ~ 2. "5 5 » S <« ôsiSf a S. 2 A. 1 s. 1 1 ■5 '5c a S -— ' y — ■ Brpji'lnneut du Pas-de-Calais. = = s a _ — ' Département du Pas-de-Calais. Hainaut (Belgique). 21 17 125 61.518 52.050 80.603 13 18 89 50- 804 49.824 63.263 1861 21 17 127 61 .518 52.050 81.642 14 18 92 51 .785 49.824 62.548 1862 21 18 12'. 61.518 52 . 050 81.391 14 18 s 6 51.785 19.824 58.409 1863 21 1!» 127 61 .318 52.050 81.135 14 18 S7 51.785 49.824 59.607 1864 21 20 129 61.518 52.050 85.31 I 14 18 88 51.785 49.824 59.305 1865 21 20 129 61.518 52.050 85.597 13 18 82 50.865 49.824 54-245 1866 21 20 130 61.518 52.050 85.876 13 18 82 50.865 49.824 55-859 1867 21 20 I30 61.518 52.050 85.876 13 1s 86 30.865 49.824 58.912 1868 21 20 129 61.518 52.050 85.979 13 |s 86 5ii.m;:, 49.824 59.871 1869 21 20 130 61.518 52.050 91.331 13 18 83 50.805 49.824 62.559 1870 21 20 130 61.518 52.050 91.514 13 18 85 50.865 49.824 65.062 1871 21 20 130 61 .518 52 . 050 91.51'. 13 18 86 50 ■ 805 49.82'. 66.512 1872 21 ■20 130 6 1.518 52.050 91.514 12 18 86 49.884 49.82'. 66.512 1873 21 20 130 61 .518 52.050 91.514 13 18 90 50.200 49.824 69.434 TABLEAU N° 4. Production de charbon par hectare de concession des mines des départements du Nord et du Pas-de-Calais et du Hainaut (Belgique). (Tonnes du 1,000 kilogrammes.) PRODUCTION PAU HECTAUE CONCÉDÉ PRODUCTION PAU HECTARE DE C ONT, ESSION EN EXPLOITATION DÉPARTEMENTS DÉPARTEMENTS HAINAUT (Belgique). HAINAUT (Belgique). du Nord. du Pas-de-Calais. du] Nord. du Pas de-Cilais. 1860 25,92 11,41 93,13 31,39 11,92 118,66 1801 20,83 16,04 97,20 31,87 16,76 126,87 1K02 2K.22 19,95 95,76 33,53 20,85 131,73 1863 29,44 22,35 96,28 34,98 23,36 135,92 1864 30,00 24, ss 101,39 35,63 25,99 1'.5,86 1865 33,28 26,89 107,35 40,26 28,09 169,52 1860 36.07 30.7'.' 114,71 43,83 32,17 176,38 1867 37,65 30,97 111, 73 45,52 32,36 162,88 1868 39,20 33,40 109,31 47,41 34,95 156,98 1869 40,57 35,19 107,7'. 49,07 36,76 157,30 1870 .19,30 36, '.0 111,42 47,53 38,o:i 156,72 1871 44,15 42,33 109. os 53,40 44,22 150,91 1872 52,45 52,00 126,93 64,68 54,39 174,63 1873 36, 13 57,22 127,33 69,15 59,78 167,83 V. BOUHY. — PRODUCTION DE LA HOUILLE 1097 TABLEAU N" '). Produit moyen annuel en tonnes de charbon par puits d'extraction en activité dans les mines du Nord, du Pas-de-Calais et du Hainaut. (Tonnes de 1,000 kilogrammes.) NOMBRE DE PUITS D'EXTRACTION PRODUIT MOYEN EN TONNES DE CHARBON" a •a EN ACTIVITE PAR puits d'extraction en ACTIVITE DÉPARTEMENTS DEPARTEMENTS HAINAUT (Belgique) . HAINALT (Belgique). du Nord. ta Pas-de-Calais. du Noril. du Pas-de-Calais. 1800 60 25 221 26.584 23,764 33.967 1861 62 25 215 26.022 32.488 36.909 1862 55 27 212 31.571 37.98V 36.769 1863 53 27 208 32.938 43.099 38.948 1 864 53 30 210 34.822 43.171 41.287 1863 53 30 203 38.637 46.734 45.350 1866 55 31 204 40 509 51.941 48.291 1867 53 31 208 43. 520 52.077 46.131 1868 50 31 199 48.236 56.399 47.229 1809 52 34 192 48.002 56.731 51.252 1870 49 39 196 49.345 50.498 52. 023 1871 45 40 192 60.365 55.841 52.798 1872 45 40 200 71.704 65.989 58.081 1873 47 40 202 73.133 74.567 57-687 TABLEAU N° 13. Charbon^consommè annuellement en Angleterre, en France, en Belgique et dans le Zollverein. (Tonnes de 1,000 kilogrammes.) «3 •H CHARBON CONSOMMÉ ANNUELLEMENT < EN ANGLETERRE DANS LE ZOLLVEREIN EN FRANCE EN BELGIQUE 1832 0 g (I) 2.520-160 1.974.000 1842 33.000.000 2.700.000 5.203.416 3.126.747 1852 62.000.000 7.000.000 7.958.526 4.691 .708 1853 63.000.000 » 9.422.405 4.841.092 1854 64.275.085 » 10.856.777 5.321.784 1855 63.342.187 ' » 12.293.686 5. 43 4- 981 1856 64.714.439 » 12.896.203 5 346.282 1857 62. 469. 58(5 » 13.149.406 5.490.890 1858 62.292.670 » 12. 893. 034 " 5.834.398 1839 68-987.968 » 13.263.661 6.015.467 1860 81 -483. 892 15.675.106 14.267.448 6.160.589 1861 80.480.836 17.551 .752 15.430.600 6-678- 1 12 1802 77.883.625 19.448.186 16.163.055 7.043.665 1863 85.224.457 21.213.213 16.601.686 7.454.356 1864 88.206.531 23.907.715 17.532.824 7.834.742 1805 94.643.751 26.679.992 18.417.940 8.273.016 1866 97.729 228 26.006.290 19.261.970 8-987-136 1867 98.132.300 28.231.297 19.621.398 9.118.773 1868 95.669.211 31.352 637 20.109.047 8.187-338 1869 100. 276 2117 32.811.832 19.647.339 8.375.290 1870 102. 260. 024 32.436.089 18. 191. 700 9-967.524 1871 108. 465. 022 37.422.719 18.031.355 9.779.109 1872 114. 554. 473 42.111.608 22.065.920 10. 250.641 (I) La consommation en France étant établie en ajoutant à la production l'excédant de l'im- portation sur l'exportation, nous n'avons pas cru devoir modifier les' chiffres donnant les quan- 73 1098 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE TABLEAU N° 7. Quantités de charbons importés et exportés. r H •lu IMPORTATIONS DE CHARBONS EXPORTATIONS DE CHARBON s Z z en Irance. dans le Zollyerein en Belgique. d'Angleterre. de Belgique. du ZollTerein. de France. 1831 (11 S 48. '.09 y> 2.881 (2) 544.417 469.315 » 7.062 1840 1 . 290 . 260 177.272 30.424 1.617.427 779.473 339.691 37.330 1850 i'.833 660 480.000 9 . 397 3.542.265 1.987.684 76o. ono 41 .560 1860 6.160.470 755.086 97.009 7.899.951 3.450.306 I .MO. 472 1 99. K40 1861 6-290.290 871 .298 92.780 8.456.546 3.379-051 2.074.906 283.010 1862 6. 217- 570 894.893 78.819 8.878. ',l ; 3.289.193 2.107.383 260.360 1 863 6.120.450 923.899 72.907 8.891.018 3.329.507 2.078.889 315.350 1864 6.633.050 733 . 592 67.337 9.4X6.104 3.782.105 2.438.777 342.860 I86S 6.921.000 1 .089.73:. 75.199 9.893.585 4.070.216 2.962.300 343. 060 1866 7.408-363 1 .152.757 184.246 10.812.263 4.519-276 3.309.273 406. 180 ts,,7 7.238.322 1.303.662 450. 127 11.260.531 4.081.206 3.S05.5I0 355. (il 0 1868 7.249-551 1.643.360 261 .980 11.688.146 4.294-660 3.770.601 394.380 1869 7. 158.159 1.856.149 223.463 11 .448.274 4.268.819 3.984.678 381 .440 1870 5.979.150 1.681. :;t:; 234.104 12.472.097 3.752.329 4.007.400 300.000 1871 5.821.830 2.395.072 jus. 279 13.061-169 4-186.204 3.699.691 549.875 1872 7.630.350 2.533.884 i26.449 14.080.647 5.360.628 3.743. 7 52 768.600 TABLEAU N° 8. Quantités de charbons exportés pour cent de l'extraction, déduction faite de la quantité importée. TONNES DE 1,000 KILOGRAMMES EXPORTÉES l'AR 100 TONNES EXTRAITES ANNÉES D'ANGLETERRE DE BELGIQUE DD ZOLLYEREIN 1860 9,3 % 34,9 % 8,5 % 1861 9,5 » 32,6 » 8,5 » 1N62 10,3 » 32,3 » 7,8 1803 9,9 » 31,'. o 6,8 » 1864 9,9 » 33,3 » 8,8 » 1865 9,9 » 33.7 » 8,6 » 1866 »,9 - 33,9 » : » 1861 10,1 » 28,6 » 10,6 » 1868 10.6 » 32,8 » 8,3 » 1869 10,1 » 31,3 » 7,9 » 1870 10,0 o 25,7 » 8,8 » 1871 10,9 » 28,9 » 4,5 » 1872 11,2 » 32.8 » 3,6 » tités importées d'Angleterre et qui sont consignés dans les documents de l'Administration des iur avoir le poids réel, il faudrait calculer U tonne anglaise à 1,066 kilogr., co ms fait dans les tableaux donnant les quantités extraites et consommées en Angleterre et exportées de ce paj s. (1) Voir la note au tableau n° 1 pour ce qui concerne la réduction des tonnes anglaises im- poi tées en France. (2) La tenue anglaise pour les exportations d'Angleterre a été calculée à 1,066 kilogrammes. M™ HIP. MEUNIER. — ÉDUCATION DE L ENFANCE 4099 TABLEAU N° 9. Détail de l'importation des charbons et coke en France. W IMPORTATIONS DE CHAKBONS ET COKE EN FRANCE (Tonnes de 1,000 kilogrammes.) DE BELGIQUE D'ANGLETERRE DE PRISSE DE DIVERS TOTAUX 1840 718.286 380.77', (1) 160.779 30.821 1.290.660 1850 1.953.190 602.410 277.280 380 2.833.260 1860 3.602.192 1.365.300 1.171 .810 20.168 6.160.470 1861 3.2ls.i:tf 1.439-020 1. 282. 010 351.107 6.290.290 1862 3.138.318 1.404.920 1.126.180 548.152 6.217.570 1863 3.223.101 1.296.600 1.107.160 491.589 6.120.450 186* 3.594.892 1.408.460 1.287.660 342.038 6.633.050 i86i; 3- 825. 299 1.576.000 1.131.000 368.701 6.921.000 1866 4.329.844 1.703.007 1.312.207 63.305 7.^08.363 1867 3.832.513 1.857.783 1.475.577 201.449 7.238.322 1S6S 3.940.370 1.689.137 1.406.119 2)3.625 7.249.551 1869 3.893.767 1.837.673 1.44S.999 287.720 7.458.159 1870 3. 257. 935 1.827.310 518.480 375.425 5.979.150 1871 3.512 313 1.785.620 198.690 325.207 5.821.830 1872 4.591.783 1.999.680 509.630 529.257 7.630.330 Mme Hippolyte MEUNIER NOTES SUR L'ÉDUCATION DE LA PREMIÈRE ENFANCE — Séance du 24 août 1874. — Primo vivere. Les populations croissent ou s'amoindrissent en raison de causes à la fois multiples et absolues ; mais il en est deux auxquelles on attribue plus généralement ces modifications : le mouvement des naissances et l'augmentation de la mortalité. Il ne suffit pas de naître, il faut vivre pour durer. Considérons ici les influences de V éducation sur la durée de la vie, et les réformes qui modifient ces influences. « L'éducation de la santé, a dit le docteur Eliz. Blackwell (Mme Black- well), appartient aux femmes. » Ce précepte commence à pénétrer dans la pratique. Les femmes commencent à modifier leurs procédés d'édu- cation, à se rapprocher de la nature, qu'elles avaient jusqu'alors suivie par instinct ou contredite par ignorance. (1) Les chiffres de l'importation d'Angleterre sont ceux fournis par l'administration publique •rançaise, qui a fait la réduction des tonnes anglaises en prenant i,oi5 kilogr. pour une tonne. 1100 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE L'étude des Lois de la Vie entre dans leur éducation personnelle. Elles arrivent à reconnaître que l'enfant qui naît [« veut liberté ». Mais combien lentement elles y arrivent! que de préjugés restent encore à combattre ! que de mères à la campagne, à la ville, croient encore le maillot nécessaire et indispensable ! que d'enfants, contraints dans leurs langes, demeurent étiolés, déformés pour la vie! et combien ne vivent pas! Cependant le nouveau-né reste aux mains de la mère, — il y restera toujours ! Toujours la femme aura charge d'âmes au début de l'existence. Ce grand devoir intéresse la société tout entière. Des femmes plus ou moins instruites préparent à la nation des citoyens plus ou moins dignes, plus ou moins forts. Cette vérité élémentaire ne peut être mise en doute. Mais il serait téméraire d'assigner une limite à l'influence féminine. L'éducation de la jeunesse appartient aux femmes, aussi bien que l'édu- cation de la première enfance. Tout s'enchaîne, en effet. De nos jours l'enfant n'est plus élevé par la contrainte. Des vêtements plus amples, plus souples favorisent les mouvements de son jeune corps. Plus libre, cet être nouveau vit mieux. Il marche, il parle, il pense plus tôt. La souffrance disparue fait place à l'expansion des facultés. Toutes les femmes françaises connaîtront un jour la grande loi naturelle de la nécessité du mouvement, du renouvellement de l'air dans les demeures, de la circulation universelle. Ce rôle de la première éducation alors sera rempli par la mère. Est-ce par elle que s'accomplira la seconde? Les faits vont nous le dire. L'enfant du passé était lié, contraint. Les éducateurs, à commencer par sa mère, entravaient en lui, et de la naissance à la mort, tout essor de liberté. Comprimé, bandé dans le maillot et dans le berceau, con- tredit plus tard dans chacun de ses actes par les entraves administra- tives et sociales, l'être qui n'avait pu mouvoir ses jambes pendant de longs mois ne pouvait, de toute la vie, développer son esprit dans la cité. Existence physique restreinte et limitée, droits sociaux limités, libertés déniées, servitudes multiples, telles étaient les épreuves succes- sives qui fatalement conduisaient le citoyen de la naissance à la tombe, sinon par un chemin semé de lleurs, à tout le moins par une progres- sion constante de restrictions apportées à sa volonté. Après de longs siècles d'efforts, la mère, plus informée, parvient enfin à soustraire l'enfant au premier de ces supplices, au maillot. Elle lui rend la liberté dans les premiers de ses actes. Elle assiste, ravie, à l'é- closion de vie physique qui se fait en lui. Aussi bien est-ce plaisir de voir avec quelle ardeur elle s'empresse à satisfaire les moindres caprices du jeune être émancipé ! b Mme II1P. MEUNIER. — ÉDUCATION DE L'ENFANCE MOI L'heure de l'école arrive : et l'école qui s'est ouverte devant l'enfant se referme sur lui. La mère n'y pénètre point. Cette seconde éducatrice ne continue pas la première. Elle se désintéresse des questions d'ensei- gnement et croit se réserver les questions d'éducation, oubliant, — grave erreur! — qu'elles sont identiques. L'écolier passe aux mains des hommes. L'antiquité a tracé ce programme. Pourquoi le monde moderne vien- drait-il protester? Parce qu'il est le monde moderne, parce qu'il est la liberté. La nou- velle éducation physique de la première enfance veut abolir la con- trainte : l'enseignement intellectuel veut la continuer, — il y a là con- tradiction, tiraillement. — Il ne peut y avoir équilibre. Un système d'éducation qui échappe à la direction de la femme est un système faussé. Cependant les maîtres de la science se renferment à bon droit dans les programmes technologiques tracés par eux. Ils accumulent les pro- cédés analytiques, les examens, les diplômes. Ils agrandissent tous les jours le cercle de la connaissance et multiplient les heures de travail. L'enfant, dont la liberté a favorisé le premier développement, doit passer par une série graduée de labeurs excessifs, qui le conduisent à l'âge d'homme, à moins qu'il ne s'éteigne à mi-route, ce qui est fréquent. Les exigences de l'enseignement le veulent ainsi : les intelligences quel- quefois s'éteignent et souvent aussi la mort interrompt de belles vies. Nous n'avons pas l'espérance de développer en ces brèves notes un plan général d'études : ni même de tracer sommairement l'un de ces systèmes d'instruction qui sont appliqués avec fruit, depuis de longues années, dans d'autres pays de l'Europe. Nous voulons indiquer simple- ment quelle doit être l'initiative première de la mère dans l'éducation de ses enfants et quelle action elle doit plus tard exercer sur le maître. Voilà toute notre pensée. C'est à tort que la plupart des familles se croient étrangères à l'en- seignement donné, par l'école, à leurs enfants et laissent aux professeurs le soin exclusif de communiquer la connaissance. Chaque acte de l'exis- tence est une leçon pour l'enfant. Son éducation commence avec sa vie ; son instruction aussi. Le professeur est donc chargé de continuer l'édu- cation donnée par la mère; et la mère, souvent à son insu, ébauche un travail qui s'achève loin d'elle, mais non pas en dehors d'elle : le tra- vail de la pensée. L'immense importance des premières notions lui appartient. C'est elle qui prépare l'écolier, le strident, l'homme et le citoyen. Les jeux mêmes de son fils auront une signification. Notons la grave importance des jeux. Car tout est jeu et tout est leçon dans un milieu éducateur. Les facultés du jeune être sont, avant tout, de l'aveu des physiologistes, des facultés 1102 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE d'observation. On l'a dit tant de fois que nous n'avons pas à le redire. L'enfant est un constructeur, un chercheur, un inventeur. Pour res- pecter en lui cette liberté initiale, qui a fait sa force aux premières heures de la durée, nous lui devons telle protection qui le laisse cher- cher ce qu'il veut chercher et qui l'aide à trouver. L'éducation person- nelle, intuitive est là tout entière : chercher, trouver. Les méthodes ont eu trop souvent pour résultat l'asservissement de la pensée. Que désor- mais les professeurs délaissent tant de stériles exercices de mémoire s'ils veulent obtenir la libération de l'esprit. Les superbes procédés de Froëbel donnent à l'enfant des jouets qui le font architecte. Dès l'âge de quatre ans le futur constructeur manie les lignes, droites ou courbes, les cubes, les cylindres, les sphères multi- colores ou rayées de zones. Il exécute, au moyen des dons du maître, des dessins prodigieux, il pressent la géométrie, la cosmographie. Heureux puisqu'il se devine créateur, résolu puisqu'il se sent libre, et libre puisque sa curiosité est satisfaite, tous les talents Imaginatifs qui le feront artiste un jour se développent en lui, sans nuire à sa raison : car le raisonne- ment qui s'éloigne de la raison est celui qui se perd en subtilités. Les mères peuvent toutes servir de professeurs à cette jeune liberté intellec- tuelle, à cette activité première de l'imagination et guider son dévelop- pement naturel en la laissant s'enseigner elle-même. Plus simple encore l'observation scientifique initiale ne réclame pas le moindre outillage coûteux. La nature offre gratuitement ses richesses. S'il a fallu les bâtonnets, les cubes et les sphères pour étudier les ligures et pour construire la machine élémentaire du monde, il ne faut qu'un jardin pour déterminer les grands phénomènes de vie. En vain on m'objecte que pour enseigner la botanique, la zoologie, l'astronomie, la mère devra posséder ces vastes sciences; — je le nie. Aucune mère ne voudra s'avouer incapable de signaler à l'enfant quelles formes constantes différencient la feuille du tilleul ou celle du lilas, de la feuille de l'acacia ou de celle du rosier : la patte du canard de celle du din- don, le pied du cheval de celui du bœuf, et les colorations alternatives de telle étoile rouge ou verte, jaune ou bleue. Si l'oiseau pond ses œufs dans un nid ; si la fleur sème ses graines sur la terre ; la vie de la pierre est autre, car la pierre ne pond ni ne sème ! Et les profes- seurs à venir salueront avec respect cette révélation graduée, qui, par la main maternelle, viendra préparer le futur docteur mille fois plus que ne le lirent jadis l'histoire même de Peau d'âne et celle du Petit-Poucet. Mais, dira-t-on, c'est bel et bien un programme d'enseignement élé- mentaire que vous tracez là? Non pas, j'ai promis de parler éducation, et je tiens à ne pas sortir de mon sujet. Bien que l'éducation de la santé comporte une science réelle, cette Mule HIP. MEUNIER. — ÉDUCATION DE L'ENFANCE 1108 science est accessible aux femmes. Quelle mère ne voudra posséder les lois de la santé pour y conformer ses actes? la discipline de l'esprit pour y préparer son lils ? la relation efficace qui existe entre la crois- sance du corps et réclusion de l'intelligence pour s'assurer tous les bénéfices d'une direction équilibrée et harmonique ? C'est parce que la réforme scolaire intéresse la santé qu'elle doit intéresser les mères de famille plus que les pères eux-mêmes, la plus grande part d'amour étant leur droit comme leur devoir. Les plus braves, les plus héroïques d'entre elles, les meilleures, en un mot, celles qui veulent élever des fils ardents et forts pour les donner à la patrie, ne voudront jamais consentir à un amoindrissement de la race par l'étude, à une vie morale qui soit en contradiction avec la loi physique, et se refuseront toutes à un déve- loppement cérébral qui anéantisse la beauté physiologique. Je dis beauté intentionnellement. Telle mère qui accepterait une série d'épreuves de laquelle son fils dût sortir « pâle et vainqueur » comme le poëte, va préférer à tous les autres le programme universitaire qui, par une gymnastique savante, promet de le lui rendre superbe, héroïque et char- mant, et non pas étiolé, déformé, amoindri. L'amour maternel le plus disposé au sacrifice sera toujours et quoi qu'on fasse, doublé d'un immense orgueil, qui est sa force. Laissons-le-lui, c'est le plus sage. Cet orgueil est d'ailleurs plein de raison. Il est la raison d'être de la mère. Celle qui a donné la vie ne peut sciemment consentir à en mépriser, à en ignorer la loi ! Les connaissances de l'hygiène doivent tôt ou tard intéresser les femmes. Notre pays possédant des femmes intelli- gentes et bonnes, il est impossible que ces femmes demeurent plus indifférentes que les dames suisses, que les dames anglaises, au grand phénomène de la vie universelle. Le docteur Daily avoue, il est vrai, qu'au « point de vue de l'éducation physique, la France est une terre en friche entourée de pays en pleine culture. » Et la France, qui en souffre, ne paraît pas se préoccuper de cet état de choses. Tandis que la Ligue belge de renseignement adoptait en la séance de son conseil général du 18 juillet 1871, «un projet d'organisation de l'enseignement populaire » qui débute par ces mots : « Article premier. — L'objet de l'enseignement populaire est de déve- » lopper chez les enfants les facultés intellectuelles et morales et les » forces du corps. » Cette rédaction si sage était immédiatement repoussée par le Cercle parisien de la Ligue française (décembre 1871). Le moment, dit-on alors, n'était pas venu de traiter ces questions. L'opportunité d'une telle affirmation semblait à tout le moins contes- table. La loi sur l'instruction obligatoire devant être discutée et votée, ce serait entraver une aussi considérable réforme que de révéler les 1104 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE imperfections de nos écoles, de tracer des programmes, de discuter enfin sur le matériel défectueux, sur l'hygiène absente, etc. Nous pensons autrement que ne pensait le comité de Paris. La réforme scolaire doit précéder l'obligation scolaire et non la suivre. Le législa- teur, avant de voter cette loi nécessaire qui enverra obligatoirement les populations à l'école, doit étudier les conséquences de la contrainte scolaire : les familles, avant de l'accepter, doivent la connaître. La société a le droit de faire enseigner la génération nouvelle qui sera sa force et sa grandeur; mais les mères ont le devoir de veiller sur le développement physique de leurs enfants. Cela se passe de démonstra- tion. Pour atteindre ce double résultat si désirable, il faut, nous le savons bien, vulgariser les notions d'hygiène, initier les populations aux condi- tions générales de la santé et donner aux femmes le sentiment de leur responsabilité. Ce que savent les Suisses, ce que les Américains n'igno- rent pas, les Français, à leur tour, peuvent arriver à le comprendre. Le beau livre du docteur Guillaume de Neufchâtel peut devenir popu- laire en France comme il l'est en Suisse, et nos bibliothèques ont le devoir de le répandre, avec l'Hygiène scolaire du docteur Riant, par milliers d'exemplaires. Alors nous verrons se multiplier, chez nous comme chez les autres peuples, les comités d'éducation chargés de guider les réformateurs, de les stimuler, de les soutenir. Et des milliers, des millions de jeunes enfants cesseront de respirer le miasme scolaire, et nos classes infectes et basses seront balayées par un souffle d'air pur. L'action des délégués départementaux chargés de la surveillance et de la direction morale de l'enseignement primaire exerce une excellente influence sur les réformes graduées, nous ne saurions le contester/ Par malheur, cette action est encore limitée. Tout récemment, un inspecteur d'académie nous exprimait le regret de voir les délégués se recruter en dehors de l'influence féminine, tant il est vrai que l'immixtion des femmes dans nos écoles est chose nouvelle, insolite. Le professorat leur est rare- ment confié dans les écoles de garçons, et la surveillance plus rarement encore, même dans les écoles de filles. Nous désignons l'action libre, bien entendu, et nullement l'action administrative. Aussi" les réclama- tions exprimées par les mères de; familles dans nos établissements uni- versitaires ne sont-elles pas formulées avec ordre, avec ensemble, lors- qu'elles doivent être faites. Si juste que soit une cause, son succès dépend d'une certaine entente entre les personnes intéressées au redres- sement d'un tort; et ce tort, ce dommage doit être tout d'abord reconnu, justifié, établi ! En Amérique, dès qu'une loi obligatoire eut précipité toute la popu- - ÉDUCATION DE L'ENFANCE 1105 lation infantile vers les écoles, cette fréquentation obligatoire donna lieu à des résultats que nous devons connaître, et que nous trouvons consignés dans un « rapport d'un comité des écoles primaires de New- York (1). « 1° Il est de notoriété parmi les médecins, dit ce rapport, que les difformités de la colonne vertébrale étaient très-rares il y a trente ou quarante ans. Mais depuis que l'éducation a reçu une si grande et si générale impulsion, ces cas sont devenus assez nombreux pour attirer l'at- tention spéciale des médecins. On trouve de nos jours toute une classe de praticiens et de mécaniciens qui vivent et prospèrent par le traitement des affections de la colonne vertébrale. » 2° Une grande partie de ces cas peuvent être, avec certitude, attri- bués à des causes qui se rapportent à l'éducation scolaire. Ces maladies sont à peine connues parmi les gens illettrés de tous les pays, tandis qu'elles se rencontrent fréquemment dans les écoles, où les jeunes filles sont assises la plupart du temps sans pouvoir jouir beaucoup de ces exercices robustes et actifs qui donnent de la force aux muscles et de la vigueur à la santé générale. »... On se demande si, dans la supposition que les jeunes lilles qui fréquentent les écoles sont exposées à des maladies de la colonne vertébrale, on peut affirmer que ces affections proviennent des bancs sans dossiers ? » La grande réforme du mobilier scolaire fut donc obtenue en Améri- que, comme le sont toutes les réformes des pays libres, par la force de l'opinion. L'intérêt considérable de l'éducation nationale fut sauvegardé par les inspections réitérées et volontaires; — par la sollicitude des citoyens, parmi les plus savants ; — par la tendresse maternelle des familles, parmi les plus favorisées de la fortune. Il en sera de même en France aussitôt que les femmes élèveront leur esprit à la hauteur de leur cœur pour obtenir la réforme sanitaire. Du moment qu'elles ont reconnu combien la contrainte est nuisible à l'en- fant nouveau-né dans le berceau, elles doivent admettre logiquement les dangers de la contrainte sur les bancs de l'école. Elles doivent apprendre à redouter le mobilier scolaire défectueux qui favorise les poses mauvai- ses et insolites, les trop longues durées de classes ; le défaut d'air res- pirable, les maux d'yeux et les affections du larynx qui sont infligés par un milieu malsain. Les familles peuvent accepter la loi sur l'instruc- tion gratuite et obligatoire ; nous dirons plus, elles doivent la solliciter, la voter, s'imposer à elles-mêmes ce sacrifice de leur propre liberté. (l) Report of the primary school committee to the Board of Trustées of the public school Society of New York, on the use of Seats voithout backs, p. 382 (cité par le Dr Guillaume dans son Hygiène scolaire, p. 47), seconde édition, Sandoz et Fischbacher, éditeurs, i3, rue de Seine, Paris. 1106 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE Mais elles ne voteront jamais la déformation prévue de leurs enfants 1 La fréquentation obligatoire de l'école implique donc la salubrité ab- solue du milieu dans lequel les enfants sont appelés à vivre. La loi qui oblige les parents doit sauvegarder la plus entière liberté pour l'enfant. Ce principe a été consacré par l'éducation de la première enfance; il doit guider les réformateurs pour l'éducation de la seconde enfance, pour le choix des méthodes dans l'enseignement primaire, et même pour celles de l'enseignement supérieur . La contrainte est mauvaise et la vie est liberté. Il faut vivre d'abord et durer pour apprendre à se sacrifier plus tard. Avant peu, nos établis- sements scolaires, privés et publics, seront tous édifiés d'après le principe absolu qui consacre le respect de la vie. Le rôle des femmes françaises peut être considérable dans cette grande réforme nationale. Mais, pour ménager la liberté de l'enfant, il nous faut employer des méthodes d'enseignement qui constituent ce que Fourier a si justement appelé le travail attrayant. Au premier rang se place la belle appli- cation du carré à l'enseignement de I'histoire. Ce fut un savant polonais, le Dr Jazwinski, dont les travaux préparèrent longuement cette méthode pendant la première moitié du siècle. Il fut acclamé à la Sorbonne vers 1831. Les procédés de l'enseignement par le carré, appliqués à quelques groupes, demeurèrent inconnus à la plupart des personnes qui s'occupent de pédagogie, et les choses en restèrent là. Il convient aujourd'hui de reprendre et de propager ces ingénieuses combinai- sons. L'enfant, avons-nous dit, est né constructeur, architecte : sa pensée se familiarise d'abord avec des formes, des couleurs, des sons, des ligures. 11 n'admet pas, au début, les idées abstraites, telle que l'espace, la durée. L'espace lui est montré, démontré à l'aide de cartes, de sphères. de mesures proportionnelles. Quant à la durée, ses professeurs se sont contentés jusqu'alors de la lui exprimer par des termes de comparaison vagues, indéterminés. Or, pour des esprits naïfs, la distribution des événements historiques dans les époques lointaines ne comporte aucune exactitude. Une ligure constance et de rigoureuse équité pouvait seule faire la clarté dans ces jeunes esprits. Cette ligure, qui représente le temps vide de faits, se compose d'un carré partagé en cent cases. Les enfants admettent parfaitement que toute la durée de cent années, c'est-à-dire d'un siècle, s'y trouve contenue, sans en distraire un jour. Si tous les élèves d'une classe ne savaient pas compter jusqu'à cent, l'étude du carré constitue le plus parfait enseignement de la numération. Et quant à L'étude du temps passé, il suffit pour démontrer les époques éloignées ou rapprochées de la nôtre, de développer la forme exacte dont nous Mr HIP. MEUNIER. — ÉDUCATION DE L'ENFANCE 1107 donnons ici Je dessin, et qui reproduit vingt fois la ligure du siècle (1). Rien n'est plus simple : aucune langue n'offre une plus facile lecture. En une heure tous les élèves de toutes les écoles du monde acceptent un aussi naïf procédé de démonstration. Le tableau est muet et doit rester muet. Il est partagé par le plus grand fait historique dont l'humanité savante ait gardé la mémoire. La naissance du Christ établit une ligne de démarcation entre les siècles qui l'ont précédée et ceux qui l'ont suivie. Ils sont comptés depuis Abraham jusqu'à Jésus-Christ, et depuis Jésus-Christ jusqu'à nous. Ainsi la durée s'offre aux yeux de l'enfant sous une forme fidèle et continue. Mais sur un parcours aussi étendu il nous faut créer des époques relatives; chaque siècle va recevoir un nom qui le différencie des siècles voisins. Un grand fait humain, un grand nom d'homme, désigné par le maître, sera reproduit par une image, un symbole mobile, que le tableau mural recevra dans ses cadres. Moïse, Homère, Annibal, Auguste, figurent dans les siècles de l'antiquité qui les ont vus naître. Constantin, Attila, Justinien, Mahomet, Charlemagne, les Normands, la Féodalité, les Croisades, les Communes ,' saint Louis se succèdent du ive au xme siècle après Jésus-Christ. Les symboles ont donné une telle sécurité à cette localisation que l'enfant n'hésite jamais à relater le fait lorsque le symbole est enlevé. Son œuvre de construction commence, d'ailleurs, au tableau ; chaque élève, à son tour, vient replacer les symboles. Il note les distances; son œil établit le rapport, la relation des faits et des époques successives. (1) Tableau qui peut servir alternativement à l'étude des vingt siècles qui ont précédé le Christ et à l'étude des sièles qui l'ont suivi : Fig. 60. 1108 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE Il prend possession de la durée et la parcourt avec une merveilleuse rapidité; l'habileté de la main suit la sécurité du regard. Ainsi, la science aride des chiffres et des dates fait place à l'enseigne- ment attrayant, ainsi l'écolier renonce à consulter uniquement la page incolore du livre, si souvent muette pour sa jeune pensée. Il cherche, il fait un travail de reconstruction, et trouve sa voie à travers les âges. En histoire naturelle, rien ne supplée la classification, les analogies, les caractères semblables. En histoire, il fallait classer ; le carré réalise cette classification avec une perfection sans lacune. Suspendu à la muraille de la salle d'étude à coté de l'horloge qui bat les heures, il y demeure l'image immobile des temps écoulés ; lès symboles y figurent, puis disparaissent, le tableau continue d'exprimer aux yeux de l'enfant les lointaines années accomplies et leur ordre immuable de succession dans la durée : telles elles furent, telles il les voit. L'étude des faits annuels suit de près l'étude des faits séculaires. Le professeur s'empare d'un siècle, trace à la craie sur le tableau (qui est noir et verni) huit ou dix points choisis (on sait que chaque case est, par sa position relative, une véritable date, écrites sans chiffres, 'et que chaque ligne horizontale de cases équivaut à une dizaine). Ce sont, en général, les avènements des rois qui servent de jalons pour étudier l'histoire telle qu'elle est écrite. Il est rare que le même siècle compte plus de dix règnes chez un même peuple, à moins qu'on ne veuille enseigner l'histoire pontificale. Les empereurs romains aussi, à l'époque de la décadence, sont plus nombreux. Le Dr Jazwinski savait limiter ces points initiateurs et ne surchargeait pas les cases. Chaque élève reproduit ces signes d'après le tableau mural, sur un tableau de moindre grandeur, posé horizontalement devant lui, et qui compose son outillage personnel avec plusieurs boîtes de jetons mobiles et coloriés. Dix minutes suffisent à la reproduction exacte et maintes fois répétée par tous les élèves d'un groupe, de la série de faits inscrits au tableau mural. Quand la pose est devenue exacte, le professeur désigne le fait par un nom , et jamais par une date. La lecture de la date qui viendra plus tard, qui ne doit donner lieu à aucune précipitation, constitue pour l'enfant la part d'ini- tiative qu'il trouve à ce jeu quotidien. Familiarisé, par un exercice du regard, avec la forme, avec les cases, avec les couleurs de jetons diffé- renciés selon les races ou les actions, il acquiert la plus" sûre notion de la durée. Cette notion lui devient personnelle. Il l'a acquise au prix d'un effort de l'œil inconscient et souvent répété, mais d'un effort libre, puisqu'une leçon qui s'adresse aux yeux est attrayante pour l'esprit. Ce qui rend l'étude du carré supérieure à tous les autres enseigne- ments historiques, c'est l'absolue certitude qu'elle donne aux synchro- nismes. Applicable dans toutes les écoles infantiles, depuis et y compris J. LEFORT. — L'ÉCONOMIE POLITIQUE ET LE DROIT 110i) Yasile, ce procédé rendra des services importants jusque dans nos écoles supérieures. Il est applicable à toutes les classifications, et l'étude de la géographie peut l'utiliser avec profit. Toutes les méthodes d'éducation ayant pour but d'abolir la contrainte et de développer la liberté doivent être adoptées chez un peuple qui aspire à se gouverner lui-même. DISCUSSION. M. Nottelle croit que des considérations développées avec une conviction communicative par Mmc H. Meunier et des ingénieux procédés d'application avec lesquels elle les a rendues sensibles, se dégage le véritable esprit qui doit prévaloir dans la méthode d'enseignement, c'est-à-dire que l'instruction doit être calquée sur l'éducation ; que les notions de la vie courante, reçues par l'enfant avant toute intervention pédagogique, doivent être les premiers élé- ments de la doctrine raisonnée qui s'étendra ensuite à des notions plus étendues et plus élevées. 11 ajoute qu'ayant été chargé d'un travail sur le rapport des délégués de l'instruction primaire à l'Exposition de Vienne, il a pu constater que les conclusions de ce rapport, motivées par des résultats acquis et l'opinion d'hommes faisant autorité en cette matière, étaient conformes, quant à l'en- seignement en général, à celles de Mme H. Meunier pour l'instruction de la première enfance. M. Joseph LEFORT Avocat à la Cour d'appel de Paris, Membre de la Société d'économie politique de Paris, Lauréat de l'Institut. DES RAPPORTS DE L'ECONOMIE POLITIQUE AVEC LE DROIT CIVIL- — Séance du 26 août 1874. — Le droit a des rapports intimes et constants avec toutes les sciences morales et politiques ; il profite de leurs données et de leurs enseigne- ments. Mais celle qui exerce l'influence la plus considérable, qui l'em- pêche de perpétuer des abus et de n'être qu'une routine, c'est, sans contredit, l'économie politique. Dès 1838, un savant professeur en con- statait l'utilité et regrettait que « cette favorite du jour » fut trop aban- donnée en France de ceux qui étudient la science du droit (1). Rap- (l) Ortolan. Cours de législation pénale comparée; introduction philosophique, méthode et som- maire du cours de 1838; 1839, 2092-1-0. 1H0 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE prochant ces lignes de l'indifférence de beaucoup de jurisconsultes, nous nous sommes demandé si elle était fondée et si le légiste n'avait à pro- fiter de ses lumières. C'est pour résoudre ce problème et afin de donner un nouveau motif à la propagation de la science illustrée par les Smith, les Say, les Rossi, et les Mill que nous avons entrepris ce travail, dans lequel nous recherchons les rapports de l'économie politique avec les différentes dispositions de nos lois. Laissant de côté le titre préliminaire du Gode civil, nous pouvons d'abord remarquer, relativement à l'état civil, que le législateur a donné satisfaction aux économistes demandant, dans l'intérêt des affaires et des relations de chaque jour, que la personnalité de chacun soit sûre et certaine, afin que l'on sache bien ce que l'on fait et avec qui l'on traite, sans avoir besoin de recourir à des renseignements dont la promptitude nécessaire pour les transactions s'accommoderait mal. D'autre part, l'éco- nomie politique a exercé une saine influence en démontrant que les lois faites pour encourager les mariages et leur fécondité sont aussi vaines que nuisibles, le chiffre de la population n'étant pas toujours un élé- ment de prospérité. Elle enseigne également que l'union de l'homme et de la femme, fondant la propriété sur la famille qu'elle crée, est en même temps éminemment propre par le rapprochement fécond des fa- cultés que le mariage associe, à procurer l'acquisition et la conservation du patrimoine (1). Allant plus loin, elle fait voir la supériorité et la né- cessité de la monogamie tant comme soutien de la propriété que comme stimulant de la production. S'appuyant sur une expérience constante, la science économique invo- que aussi bien contre la polyandrie; la désorganisation de la famille, la confusion, l'excitation à l'oisiveté et à la dépense que contre la polyga- mie l'infériorité de la femme écartée de ces soins qui permettent à la femme monogame de contribuer à l'élévation morale ainsi qu'à la pros- périté matérielle de la famille. A l'encontre du libertinage, elle allègue la stérilité relative, la mortalité infantile plus considérable, les abandons plus fréquents, les occasions de chute plus nombreuses et plus faciles, en un mot une grande déperdition des forces productrices. L'économie politique confirme l'interdiction du mariage entre certaines personnes parce que ces unions peuvent être fatales à la population et à la race et surtout parce qu'il importe de réunir les fortunes de deux personnes appartenant à des familles différentes, de taire circuler les biens au lieu de les laisser dans l'immobilité. Disons que si la femme a été mise sur le même rang que le mari et que si elle a été intéressée au développement de la fortune et à la conservation du patrimoine de la famille, le fils n'a pas (1) Dictionnaire d'économie politique, art. Mariage par M. de Parieu. J. LEFOItT. — L'ÉCONOMIE POLITIQUE ET LE DROIT 1111 été moins bien traité. Loin de voir en lui la chose du père, le législateur a voulu lui donner une personnalité certaine; il a compris qu'il fallait lui reconnaître des droits, et sachant ce que peuvent les bonnes habi- tudes morales et l'instruction sur l'avenir, il a tenu à ce que l'on mît l'enfant en possession de ces éléments de production. De là cette dis- position qui charge les parents d'élever aussi bien que de nourrir et d'entretenir les enfants nés de leur mariage. On a rompu avec les idées romaines qui donnaient un droit sur les biens du descendant pendant toute l'existence, et comme on s'est aperçu que c'était une entrave à la liberté de l'industrie, à la transmission des biens, au développement des transactions, on a supprimé le privilège du père. Tout en excluant ce qui a été acquis par un travail et une industrie isolés, on a restreint la jouissance aux premières années et on a eu soin de la limiter à l'âge de dix-huit ans, c'est-'i-dire au moment où l'enfant doit chercher des ressources pour la carrière qu'il entend embrasser. Au reste, cette ques- tion des biens de l'enfant a sans cesse préoccupé le législateur : l'ar- ticle 484 parle, en effet, de la réduction, en cas d'excès, des obligations contractées par le mineur, et l'article suivant supprime le bénéfice de l'émancipation à l'encontre de celui dont les engagements ont dû être réduits. Là où l'influence de l'économie politique se remarque encore, c'est pour le conseil judiciaire. Elle affirme, en effet, que l'argent n'est pas fait seulement pour être dépensé, mais qu'il est bon aussi à être placé : c'est donc dire qu'elle condamne en termes formels la prodigalité et les dépenses exagérées, improductives. La loi s'est évidemment inspirée de ces tendances quand elle a muni d'un conseil judiciaire le prodigue à qui elle a interdit d'emprunter, d'aliéner, d'hypothéquer, etc. On a eu en vue tant l'intérêt général que celui de la personne, et l'on a cherché à restreindre la prodigalité dont la conséquence est d'accroître les chances de déperdition, de porter obstacle au développement de l'industrie et du travail. J.-B. Say prétend avec raison que toutes les fois que l'argent se dissipe, il y a dans quelque coin de ce monde une quantité équivalente d'industrie qui s'éteint. C'est ce que l'on a voulu em- pêcher. Disons de plus, en finissant, au sujet de la société domestique, que son organisation juridique importe beaucoup, même au point de vue économique, puisqu'elle est susceptible de faire de l'homme un être plus capable, plus intelligent, plus laborieux, plus industrieux, puisqu'elle peut favoriser dans une large mesure la prospérité générale en rendant la production plus grande, l'échange plus ^facile. C'est pour ces motifs que l'économie politique doit intervenir pour faire voir que ces éléments de succès ne se retrouvent que là où l'unité est la plus cordiale, où les 1112 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE droits de chaque membre de la famille sont le mieux définis et reconnus, où enfin il existe une hiérarchie d'autorité qui, loin de troubler, vient, au contraire, aider la liberté personnelle (1). La science économique est indubitablement celle qui donne la notion la plus exacte de la propriété; aussi le Code civil a-t-il eu le soin de s'inspirer de ses enseignements lorsqu'il s'est agi de définir ce droit; le législateur a, dans l'article 544, fait remonter à la personnalité individuelle le principe du droit que la loi civile se borne à garantir, mais qu'elle ne crée point. En cela il ne fait que suivre les préceptes de l'économie politique. Cette dernière suffit encore pour montrer combien l'appropriation individuelle l'emporte sur la communauté et combien, d'autre part, l'indivision est nuisible en maintenant le provi- soire, en créant l'instabilité, en anéantissant la liberté des coproprié- taires et en substituant l'association forcée à l'association volontaire. Constatons de plus, en passant, que si l'économie politique prescrit d'entourer de protection la propriété, elle justifie également le sacrifice que les particuliers doivent faire de leurs droits à l'intérêt général ; nous voulons parler de l'expropriation pour cause d'utilité publique dont nul économiste n'ignore les effets favorables par le développement qu'elle permet de donner à certains éléments de production. Lorsque l'on a déclaré, dans l'article 530, essentiellement rachetable toute rente établie à perpétuité, on a été guidé par un mobile tiré de la science des richesses: on voulait tellement éviter les graves inconvé- nients que présentait, dans l'ancienne France, la perpétuité des rentes et détruire les entraves apportées jadis à la libre circulation des biens que l'on tint à donner une nouvelle consécration aux principes pro- clamés par la Révolution. En supprimant l'ancien état de choses qui rendait la propriété inaliénable et inaccessible au plus grand nombre, on a été déterminé par le désir de faciliter la transmission des biens fonciers, de les faire parvenir aux différentes couches de la population intéressées, dès lors, au maintien et à la sauvegarde de la propriété devenue sacrée. Au reste, cette idée de suppression des entraves se retrouve dans d'autres parties du Code, et notamment au titre iv du livre II. C'est en effet dans ces articles que, voyant dans le maintien . des servitudes qui existaient dans l'ancienne législation un obstacle à l'exercice du droit de propriété et une cause de diminution de la valeur des biens , on a aboli toutes les servitudes en ne conservant que celles qui étaient nécessaires. On a cherché môme à en préciser le caractère, et l'on a écrit dans les articles 638, 649 et 686 que la servitude n'établit aucune prééminence d'un héritage sur un autre; que celle établie par Sa (1) Minghetti, des Rapports de l'économie publique avec In Morale et le Droit, p. 504- .1. LEFORT. — L'ÉCONOMIE POLITIQUE ET LE DROIT 111'} 'oi doit avoir pour objet l'utilité publique ou l'utilité des particuliers, enfin qu'il est permis aux propriétaires d'établir sur leurs propriétés ou en faveur de leurs propriétés telles servitudes que bon leur semble, pourvu que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds. Remarquons, d'un autre côté, que désireux d'augmenter la richesse publi- que, le législateur a imposé différentes servitudes partielles et particu- lières dont l'intérêt général réclamait la création et qui, dans tous les cas, présentent les caractères qu'exigent les dispositions dont il vient d'être parlé ; telles sont les lois sur les irrigations et le drainage, inspi- rées par le désir de venir en aide à l'agriculture. Si nous passons au livre III, nous voyons que l'économie politique enseigne que l'hérédité découle de la propriété, et qu'il est impossible de refuser la faculté de disposer de sa chose pour le temps où il ne sera plus à celui qui peut l'aliéner et la détruire sans profit pour personne. Après avoir démontré la légitimité du droit, elle en fait aper- cevoir la nécessité et l'utilité, ainsi que les heureux résultats, soit pour l'individu excité à produire par la certitude de transmettre à ceux qui lui sont chers, pour les enfants mis en possession d'un capital permettant d'accroître leurs ressources, soit pour la société bénéficiant des efforts, des labeurs, des épargnes et des accumulations individuelles qui, mis en circulation, contribuent au bien-être général en remplissant le rôle d'instruments de travail ou de production. Si considérables que soient les services rendus par la science en cette matière, il faut remarquer qu'elle peut également expliquer bon nombre de dispositions relatives à la transmission à titre gratuit. Elle montre, en effet, que dans l'intérêt de la fixité on a eu raison d'édicter la règle le mort saisit le vif, afin d'obtenir la continuité des efforts et de relier intimement les travaux du vivant à ceux du défunt. C'est pour mettre obstacle à cette interruption, qui pourrait être nuisible aussi bien aux intérêts généraux qu'aux intérêts privés, que l'on a eu recours à cette fiction de la saisine, « rail sur lequel glisse sans heurt et sans cahot le char de la production (1). » La même idée se remarque à propos du retrait successoral, imaginé tant pour écarter les étrangers dont on a lieu de redouter l'intervention que pour maintenir la fortune dans la possession de la famille, portée plus que quiconque à la conser- ver, à continuer les travaux que la mort est venue interrompre et dont elle avait, sans nul doute, été la confidente ou le témoin. Guidée par l'intérêt général, la science économique a sans cesse con- damné le régime des substitutions ou des majorats, en faisant remarquer (i) Rivet, des Rapports du droit et de la législation avec l'économie politique, p. 22fi. 74 1114 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE que leur résultat inévitable est de rompre la solidarité familiale et l'harmonie, d'éloigner les entants puînés du foyer domestique et de les placer dans une situation inférieure. Elle établit avec non moins d'évi- dence que le régime de substitution de mâle en mâle, par droit de pri- mogéniture, en interdisant toute transaction libre et volontaire et en ne permettant pas de s'attacher d'une façon suffisante, viole la règle qui recommande la circulation des biens ainsi que la grande loi qui les pousse à aller vers ceux qui peuvent en tirer le plus de profit, à ceux qui invoquent les faits et l'expérience de ce qui se passe à l'étranger, elle répond, d'une manière aussi formelle, que la prospérité dont on parle est souvent plus apparente que réelle, qu'elle tient à d'autres causes et que, d'ailleurs, fût-elle vraie, elle serait encore achetée trop cher. L'économie politique réfute victorieusement l'opinion de ceux qui demandent l'abolition de l'héritage au nom de l'utilité publique ; elle montre qu'il descend du travail, que le droit temporaire encourage l'égoïsme, empêche l'épargne, paralyse les bonnes dispositions, permet de donner carrière à ses goûts, à ses penchants, voire même à ses vices, comme aussi elle fait voir que l'homme qui sait être en mesure de laisser son bien à ses enfants est excité à l'améliorer, à redoubler d'efforts, à travailler sans relâche et à économiser sans cesse. Elle est d'avis de condamner l'exhérédation, d'accord en cela avec la morale, mais ses arguments ont une autre valeur parce qu'ils sont fondés sur l'intérêl et ont en vue le bien de tous. Elle enseigne en effet que le patrimoine, si minime qu'il soit, sert au fils d'instrument de production, lui permet de porter son activité vers la carrière en vue de laquelle il a été élevé, d'employer ses facultés au profit de la société sans avoir à s'occuper des premiers besoins auxquels fait face la succession. Cette raison suffirait à justifier le principe de la réserve héréditaire, si l'on ne voyait en lui une reconnaissance de la solidarité qui existe au sein de la famille. Il est vrai que l'on oppose le morcellement de la propriété et le grand avantage qu'il y aurait à conserver les grandes propriétés intactes, mais outre qu'il y a là une erreur économique en ce sens que ce n'est pas la terre qui fait la richesse, mais bien le capital qui y est incorporé et les améliorations qu'elle reçoit, outre que les faits ne confirment pas l'opinion qui prétend que le progrès estliéà cette réforme et à la concentration (1), il faut bien remarquer, d'une part, que la loi a cherché à éviter l'excès du morcellement dans l'article N32, que la (l) Comp. Baudrillart, des Rapports de la murale et de l'économie politique . tsi>o, xvne et svra« leçons. Dans notre Histoire des contrats de location perpétuelle ou à longue durée Paris, Thorin, 1875), nous avons montré les mauvais effets produits par les latifundia et la concentration des biens. .1. LEFORT. — L'ÉCONOMIE POLITIQUE ET LE DROIT 1H§ propriété se reconstitue de bien des manières et, d'autre part enfin, que la division du sol, facilitée par notre régime successoral, a de grands avantages économiques. «L'industrie obtient, en effet, des travailleurs plus robustes, plus sensés, plus moraux; la richesse générale des pro- duits dérobés à la terre comme par délassement; les chômages et les vicissitudes inévitables de l'industrie manufacturière sont alors moins cruels pour les travailleurs et moins redoutables pour les entrepre- neurs (1).» Après avoir dit que la science économique peut être consultée rela- tivement aux dispositions qui concernent la donation, principalement lorsqu'il s'agit de déterminer les raisons qui ont fait édicter les res- trictions à l'encontre des libéralités faites aux personnes morales, nous parlerons du titre du Code relatif aux contrats, qui ne sont pas autre chose que l'activité humaine mise à profit en même temps qu'une con- séquence du principe de la sociabilité. Ce que l'on a parfois nommé la physiologie de la société en fait connaître l'utilité, les différentes sortes, le rôle qu'ils peuvent jouer, leur importance ; grâce à ses lumières, on voit sur quoi repose le contrat et comment il se relie d'une manière étroite, à la propriété en mettant chacun à même de disposer, d'acquérir, de jouir d'une chose qui est le produit de l'activité d'un autre. A la suite des économistes, le législateur proclame la liberté de vendre, d'aliéner, de louer, d'échanger. La simplicité, la facilité et la rapidité ayant été recommandées, on a supprimé la division des contrats en contrats de bonne foi et de droit strict, on n'a plus maintenu la néces- sité de la tradition et l'on a simplifié les formalités jadis si longues et si minutieuses. Ce qui domine aujourd'hui, c'est la volonté, puisque dans certains cas il faut s'en rapporter à l'intention présumée des contractants. L'union intime du droit et de l'économie politique apparaît non moins clairement pour les titres consacrés à certains contrats : c'est par exemple la seconde qui démontre l'importance qu'il y a à régler, lors du mariage, la condition des biens, à se préoccuper de l'avenir de la famille qui se fonde, ainsi que de celui des enfants qui naîtront. Expliquant le fort et le faible, les avantages et les inconvénients des systèmes matrimoniaux adoptés en France, elle justifie la prééminence accordée par le législa- teur à la communauté sur le régime dotal ; elle énumère les bons résultats de la communauté, signale une cause de prospérité dans la responsabilité de la femme commune, dans son association aux travaux et aux avantages réalisés, opposant les désavantages du régime dotal, dont la conséquence est de désintéresser la femme, de frustrer les créanciers et de frapper les biens d'immobilité. La vente étant le but de (i) Rossi, Cours d'économie politique, l. Il, IVe leçon. 4116 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE la production, il importe que ce contrat ne soit soumis à aucune entrave et jouisse de la plus grande liberté ; le Code s'inspirant de ces idées, a supprimé les anciennes prohibitions, a mis la simplicité partout, et comprenant que l'honnêteté peut seule favoriser le mouvement des affaires, il a protégé la bonne foi par tous les moyens possibles. Toutefois si la loi a permis de se défaire aisément d'une chose afin d'en consacrer le produit à une autre branche de l'activité humaine, si elle a fait de la volonté et de la liberté une condition essentielle, elle n'a pas voulu laisser tout à l'arbitraire, notamment quand il s'agit de biens immobiliers, et elle a imaginé la transcription destinée à assurer la sécurité des trans- actions et à sauvegarder les intérêts des tiers. Au surplus, cette idée de fixité se remarque ailleurs ; c'est bien certainement à cette tendance qu'il faut attribuer la défaveur du Code pour la vente à réméré enlevant aux biens la stabilité qui est indispensable, et pour la rescision pour lésion de plus de moitié, laissant l'acquéreur sous la menace d'une résolution dont l'effet est de paralyser sa volonté et ses efforts. L'économie politique ne joue pas seulement un grand rôle dans le commentaire du titre de l'Échange, en montrant la fonction importante de ce contrat, sa légitimité et les bienfaits qu'il procure du moment qu'il met chacun à même de profiter du travail d'autrui, elle est indis- pensable pour l'étude du prêt à intérêt qui, « élargissant les mille canaux du crédit public et particulier, y fait circuler avec abondance les capitaux par lesquels sont fécondés l'agriculture, le commerce et l'in- dustrie (1) ». Il est superilu d'insister sur l'importance de ses données relativement à la légitimité du prêt, à la possibilité pour l'argent de produire des fruits, ainsi qu'aux variations que le taux peut subir. Quant au louage, nous noterons qu'il est du devoir du jurisconsulte sérieux de demander à l'économie politique des notions sur les diverses industries, sur les différents systèmes à employer, sur leurs avantages et leurs inconvé- nients, ainsi que les raisons qui ont fait supprimer les baux perpétuels, vus jadis avec tant, de faveur. Grâce à cette science, il apercevra l'intérêt considérable qu'il y a pour le propriétaire vt pour la société à ce que les biens soient affermés, à ce que les entreprises et les améliorations soient facilitées, et enfin, à ce que des garanties sérieuses soient accordées au preneur. Si l'association est un droit naturel, il n'est pas moins vrai que c'est un principe économique. En facilitant la création d'établisse- ments qui sans cela n'auraient pu être fondés qu'avec beaucoup de peine, en permettant aux uns de placer avantageusement leurs capitaux, aux autres de déployer leur activité dans une large mesure, elle contribue (I) Troplong, Droit civil : Prêt, n° 324. J. LEFORT. — L'ÉCONOMIE POLITIQUE ET LE DROIT \ \\"i à accroître la richesse publique et à augmenter la production. De là l'importance de ce contrat et les règles précises auxquelles il a donné lieu. Sa définition, formulée par l'article 1832, sufîît pour montrer l'influence que prend à cet égard l'économie politique; on remarque, en effet, que le législateur n'admet qu'une association ayant la produc- tion en vue et qu'une société qui n'aurait pas pour conséquence de donner lieu à des bénéfices à partager ne saurait exister. Relativement au titre du Jeu et du Pari, la science économique fournit des lumières spéciales dont il est bon de se pénétrer avant d'en aborder l'étude. Pour empêcher le retour des abus auxquels avait donné lieu l'agiotage déréglé, les rédacteurs du Code refusèrent de reconnaître les dettes de jeu, hors certains cas; ils se conformaient de la sorte au principe formulé par J.-B. Say (1) déclarant que le jeu qui dégénère en agiotage, c'est-à-dire qui a pour but de chercher des bénéfices dans les événements de la hausse et de la baisse, ne sert à rien en ne donnant aucun produit utile et aucune matière à l'échange, mais devient nuisible en occupant des capitaux d'une manière improductive. Sans vouloir apprécier une semblable décision, nous tenons à constater que le légiste peut, pour justifier l'article 1965, puiser des armes dans les ouvrages d'économie politique, et notamment dans les écrits de Mac Culloch soutenant que, pour contrarier le développement de cette habi- tude qui remet tout au hasard , il n'y a pas de moyen plus facile et plus efficace que celui qui prive les intéressés de toute autre garantie que celle de leur honneur (2). On a donc voulu, là aussi, encourager le travail; ailleurs, on a fait plus en cherchant à fournir des instruments, en organisant le crédit. C'est ainsi que le nantissement, le cautionne- ment, les privilèges et les hypothèques ont donné lieu à des dispositions dont on aperçoit facilement l'importance au point de vue économique. Sans vouloir insister plus qu'il ne convient, nous nous bornerons à signaler la publicité essentielle en matière hypothécaire, imaginée tant pour éviter les contestations que pour faciliter les emprunts. Reconnais- sant que, dans certaines circonstances, il est impossible d'aliéner son bien malgré le besoin absolu de capitaux, le législateur a tenu à venir en aide à la production en permettant de se procurer assez vite et sans trop de peines la somme nécessaire, non pas en abandonnant même la jouissance d'un immeuble, mais en le grevant simplement d'un droit de préférence au profit d'un tiers. Par là le travailleur est sûr d'avoir des ressources et le capitaliste certain de rentrer dans ses avances; le crédit en reçoit une impulsion plus vive. H) J.-B. Say, Traité d'économie politique, 1803, t. II, p. D23. (2) Mac Culloch, Principes d'économie politique, trad. Planche, t. I, p. 303. 1118 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE Enfin, une manière d'acquérir attaquée par bien des personnes qui n'en comprennent point le fondement, la prescription, trouve son explication dans l'économie politique. Cette dernière se charge, en effet, de montrer les abus qui se produiraient si l'on pouvait expulser la personne qui, après avoir pris la place d'une autre, a été, par suite d'un accord tacite et sans qu'une plainte se soit élevée, considérée comme détenteur légitime. Du moment qu'elle a fait le bien sien, qu'elle l'a amélioré, elle doit en être indemnisée et ne saurait être, au bout d'un long espace de temps, troublée par les précédents délenteurs qui ont pu tourner leur activité d'un autre côté. Si l'on n'était sur d'une jouissance tranquille, aucun effort ne se produirait, et au lieu de travailler on resterait dans une oisiveté dont la société ne tarderait pas à subir les déplorables conséquences. La prescription est donc juste et tutélaire; elle fortifie les modes légitimes d'acquisition et couvre les vices anciens des acquisitions illégitimes sur lesquelles la sanction du temps a passé(l).» Afin de retracer d'une manière complète les rapports du droit avec l'économie politique, il nous resterait à montrer combien cette dernière est nécessaire pour celui qui, étudiant le droit public et administratif, tient à être fixé tant sur la limite de l'action de l'État et l'intervention administrative que sur notre système financier, ainsi que pour celui qui veut connaître les lois commerciales et qui retire des enseignements de cette science des notions générales sur le commerce, ses opérations, l'uti- lité, la valeur, le prix, ainsi que des idées précises sur les banques, le change, le crédit, etc. Il nous faudrait dire, en outre, que pour le droit international on peut s'inspirer de l'économie politique quant à l'étude des traités, des douanes, des relations commerciales, etc., et que le Code pénal lui-même n'est pas sans avoir des points de contact intimes. Mais ce serait dépasser les bornes d'une simple lecture; aussi aimons-nous mieux renvoyer la suite de ce travail à plus tard, dans un mémoire que nous nous réservons de communiquer ultérieurement. DISCUSSION M. Nottelle croit ({lie M. Lelbrt a fait un travail utile eu prouvant aux légistes, qui ne s'en doutent guère, que la législation civile a été dans une certaine mesure la consécration des principes économiques. Mais il regrette que M. Lefort n'ait pas fait entrer dans le cadre de son étude la législation politique qui régit les rapports de l'État avec] les individus et avec les autres Klats. Car c'est là surtout que la science économique serait efficace, et c'est là au contraire qu'elle fait presque complètement défaut. U) Kenouurd, du Uroil industriel dans ses rapport» mec les principes du droit civil, 1800, p. 2*3. CH. BREUL. PROPAGATION DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES 1119 La loi n'est pas le commandement émané d'une souveraineté abstraite. Elle est indiquée par l'observation des rapports spontanés entre les faits sociaux, rapports que le législateur enferme dans un ordre fixe et obligatoire quand il en a constaté la généralité. L'esprit économique, résultat naturel de la sponta- néité dans les rapports sociaux, s'imposait donc au législateur, forcé, pour faire les lois civiles, d'observer les rapports sociaux qui en sont l'objet. Si les lois politiques ou constitutionnelles étaient ce qu'elles devraient être, c'est-à-dire la condensation des lois civiles dans l'organisme qui en assure et en régularise l'application, celles-ci y auraient au moins apporté l'esprit éco- nomique dont elles sont imprégnées par leur origine. Il n'en a pas été ainsi au moins jusqu'à présent. De la région politique, abstraite à contre-sens de la vie civile, les faits sociaux n'apparaissent pas comme l'élément inspirateur, mais comme le domaine voué à l'assujettissement. Les lois constitutionnelles sont édictées a priori, sous la pression d'intérêts ou de systèmes accidentels, sous toutes sortes d'influences étrangères ou hostiles aux exigences du milieu social. Aussi presque toutes nos constitutions n'ont eu qu'une durée très-éphémère ; heureux quand nous ne les avons pas vu dispa- raître dans le sang et les ruines ! On voit donc la nécessité d'appliquer à la politique, comme aux autres sciences, la méthode d'observation ; de faire émerger des faits sociaux les lois civiles, et des lois civiles, les lois politiques. Les unes et les autres seront alors en harmonie avec la loi sociale qui les résume et les domine, et qui se formule en deux mots : Propriété, Echange. Ce n'est qu'à cette condition que la politique répondra aux besoins de notre époque, où la production et l'échange sont devenus la force sociale incompa- rablement prépondérante. M. Lefort répond à M. Nottelle qu'il est loin de méconnaître la justesse de ses observations, mais qu'il s'est borné pour le moment à étudier le Code civil et qu'il se réserve de revenir l'année prochaine aux rapports de l'économie politique avec le droit public et administratif. M. Charles BREÏÏL Avocat à la Cour d'appel de Paris, Questeur de la Conférence Rossi. NOTE SUR LA PROPAGATION DES ÉTUDES ECONOMIQUES Séance du 26 août 1874. Mon intention, en venant au Congrès, n'était pas de vous faire une communication ; mais l'attention de la section ayant paru se porter tout spécialement sur les moyens de diffusion et de propagande des sciences 1120 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE économiques dans les différents milieux de la société, je vous demande la permission de vous signaler l'existence d'une réunion qui ne compte encore que quelques mois d'existence, mais qui est appelée, je pense, à rendre de véritables services. Cela pourra précisément répondre à un regret que nous venons d'entendre témoigner. Au commencement de cette année judiciaire, quelques jeunes avocats accueillirent avec empressement l'idée émise par l'un d'eux (M. J. Lefort, lauréat de l'Institut) de se réunir pour discuter des questions d'éco- nomie politique. Le succès de cette entreprise n'était cependant pas assuré. Il était à craindre que ses promoteurs ne pussent pas recruter un nombre suffisant d'adhérents parmi des jeunes gens qui ne s'étaient jusqu'alors occupés que d'études purement juridiques. Sans doute, un cours d'économie politique était professé à la Faculté de droit, mais il était et est encore facultatif, en sorte que l'on n'y attachait qu'une im- portance fort secondaire, et ceux-mêmes qui le suivaient n'avaient guère de raison pour s'en occuper spécialement, l'économie politique ne figu- rant à aucun programme d'examen. Ces difficultés ne rebutèrent pas les organisateurs, et le 1er décembre 1873 eut lieu, au Palais de Justice, la première séance où l'on procéda à la discussion d'un règlement et à l'organisation générale de la réunion. Puis elle fut déclarée constituée sous le nom de Conférence Rossi. Le nom de cet homme illustre devait, dans l'esprit des fondateurs, indiquer mieux que tout autre le but de la conférence nouvelle : la discussion de questions de législation, d'économie politique, de droit public et d'administration. C'était une innovation, et, à notre connaissance, il n'existait nulle part de conférence spéciale d'économie politique. Aussi un recueil autorisé, le Journal des Economistes (n°du 15 déc. 1873, p. 5'32-533) s'empressa-t-il de louer cette initiative et de souhaiter la bienvenue à la nouvelle réunion. Le principal élément de succès de la Conférence Rossi fut certainement le soin avec lequel les questions furent étudiées. En effet, les membres de la Conférence sont répartis deux fois par an, et par la voie du sort, en trois sections ou bureaux. La mise en discussion des questions est décidée d'abord en séance générale, puis, au jour indiqué, la question désignée est discutée séparément dans chaque bureau. A la suite de la discussion un commissaire est nommé, et les commissaires réunis, après s'être communiqué la discussion qui a eu lieu au sein de leur bureau res- pectif, rédigent et déposent un rapport où le sujet est étudié tout spé- cialement, avec indication des systèmes divergents de celui qu'a adopté la commission. Enfin, un index bibliographique joint au rapport permet de se reporter, sans recherches inutiles, aux auteurs qui ont traité la question dans les divers sens. CH. BREUL. — PROPAGATION DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES 1 121 Ce rapport est mis à la disposition des membres de la Conférence, dont l'attention s'est déjà, à deux reprises, portée sur la question pro- posée, une première fois pour la mise à l'ordre du jour, et la seconde fois, avec une grande force, pour la discussion par bureaux. — La discussion générale et définitive, qui n'a lieu qu'un certain temps après le dépôt du rapport, se trouve donc admirablement préparée, et tous les éléments en sont ainsi réunis et mis à la portée de tous. C'est dans ces conditions, Messieurs, que la Conférence Rossi a étudié, du 1er décembre au 1er juin, vingt-deux questions sur lesquelles les rapports ont été déposés. Parmi les principales questions discutées se trouvent l'intervention de l'État en temps de disette ou de cherté, la liberté de lester, le travail des femmes dans les manufactures, les brevets d'invention, l'étalon monétaire, la participation, des ouvriers aux béné- fices, le taux de l'intérêt, la grande culture, les octrois, etc., etc. Vous voyez, Messieurs, que les membres de la Conférence ne se sont pas laissé effrayer par l'étendue des sujets et par leur importance. Ils ont eu bâte de regarder en face et d'examiner ces questions qui intéressent si vivement les économistes et qui touchent à la fortune et à la prospé- rité du pays. La discussion qui en est résultée a été toujours intéressante et quelquefois brillante. Les orateurs étaient pleins de leur sujet et dé- fendaient leur opinion avec l'insistance et l'accent de la conviction. Il y avait là pour les auditeurs, qui connaissaient tous la question, un intérêt puissant et continu qui a été certainement, avec le désir de s'instruire, le principal élément de succès. Aussi la Conférence n'a-t-elle cessé de prospérer depuis sa fondation. D'anciens élèves des écoles du Gouvernement sont venus se joindre aux licenciés en droit qui formaient le noyau primitif, et lui apporter le concours de leurs lumières spéciales ; ce mouvement ne s'arrêtera pas, sans doute, et la Conférence y trouvera de précieuses ressources pour ses discussions. Je n'ai plus qu'un mot à dire, Messieurs, c'est que la Conférence ne se désintéresse pas des progrès de la science, et que plusieurs de ses membres font partie du Congrès et sont inscrits dans notre section. Voilà, Messieurs, quels sont les travaux de la Conférence Rossi, pen- dant la première année de son existence, et quels sont ses efforts pour répandre l'étude des sciences économiques dans un milieu où, jusqu'à ce jour, elle a été absolument délaissée. J'ai pensé que ces travaux et ces efforts pourraient vous intéresser. Ce sera mon excuse auprès de vous, pour avoir occupé un moment le temps si précieux de la section, • 1122 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE M. A. ïïouzé de l'AULIOIT Avocit, membre de lu Commission administrative des hospices et du bureau de bienfaisance de Lille. STATISTIQUE DU PAUPERISME ET DES SECOURS PUBLICS A LILLE. — Séance du 26 août 1874. — Toutes les questions qui se rattachent à l'assistance publique ont le privilège d'attirer vivement l'attention des économistes. Soulager la mi- sère, c'est i'œuvre de la charité publique et privée, mais prévenir la misère, ou du moins restreindre dans les plus étroites limites les causes qui y conduisent, c'est là une étude dont on ne saurait se dissimuler tout à la fois l'importance et la difficulté. La question, en effet, est complexe ; avant de chercher le remède, il faut constater le mal, porter un diagnostic certain et surtout mettre en lumière le véritable siège, de la souffrance publique et privée. Dans les grands centres industriels, tels que Lille, s'ouvre un vaste champ aux études de l'observateur, et, dans la statistique officielle de la charité, nous trouverons d'utiles ren- seignements pour la solution de ce difficile problème. Nous diviserons notre travail en trois parties, aussi bien pour le bu- reau de bienfaisance que pour l'administration des hospices, et nous traiterons successivement : 1° Du nombre des indigents assistés; 2° De la nature des secours distribués ; 3° Enfin nous signalerons les industries et professions auxquels appar- tiennent les indigents. NOMBRE DES IXDIGENTS Le nombre des indigents inscrits au bureau de bienfaisance de Lille, s'élève au chiffre énorme de 23,724 (en 1874), pour une population de 156,000 âmes. Sur ce nombre de 23,724, une partie est secourue d'une manière régulière, pendant toute l'année; une autre pendant quatre mois d'hiver seulement. Individus La première catégorie comprend 5.003 familles composées de 19.040 La deuxième — 920 — — 4.078 Soit 5.929 — — r>: : . 72 i Cette population indigente est répartie d'une manière fort inégale sur l'étendue de notre territoire. Ainsi, dans l'ancienne ville, la moyenne A. HOUZÉ DE L'ATJLNOIT. — LE PAUPÉIUSME A LILLE L123 proportionnelle des indigents, comparée à celle des habitants, n'excède pas 10 0/0, sur les deux tiers de la population, et dans le quartier Saint-Sauveur, autrefois le plus misérable de Lille, elle n'atteint qu'une moyenne de 43 0/0. Ce résultat singulier ne peut être attribué, suivant nous, qu'à cette circonstance que les pauvres tendent de plus en plus à émigrer vers la nouvelle ville. Cela est si vrai, qu'en 18o7 et 18o8, avant l'agrandissement, la moyenne des indigents secourus atteignait dans cette partie de la ville 17 0/0 de la population totale. Voici, du reste, les chiffres officiels : DISPENSAIRES POPULATION par dispensaire INDIGENTS inscrits RAPPORT du nombre des indigents à la population liue de ta Barre (anc. ville)... Stappaert (ancienne ville) 46.495 34. 188 32.37S 12.141 14.142 16.4l!i 4.693 '..497 6.640 2.30I 2.140 2.007 10 0/0 13 0/0 20 0/0 20 0/0 15 0/9 17 C/0 153.763 2::. 389 A ce chiffre de 23,389 il y a lieu d'ajouter, pour avoir le nombre véritable de la population indigente, 326 individus qui ne reçoivent point de secours des dispensaires, parce que les sœurs de Charité ne peuvent les visiter, les uns en raison de leur inconduite, les autres en raison des lieux qu'ils occupent, mais auxquels les secours sont délivrés par le bureau central. Les sections de Wazemmes et d'Esquermes sont donc, en réalité, les plus malheureuses et les plus déshéritées de la ville de Lille. Et dans la réalité des faits, malgré les distributions du patrimoine de la charité publique, alors qu'un cinquième de la population ne saurait s'en passer, la bienfaisance privée peut seule, en se multipliant, soulager tant de misères. Dans l'ancienne ville, diverses causes concourent à adoucir le sort du pauvre ; les enterrements riches sont une occasion fréquente de répartitions paroissiales de pains, qui manque presque complètement dans les communes annexées. Les mariages, les naissances sont égale- ment une abondante source d'aumônes dont prolitent seuls les indigents de la paroisse. Comment se décompose cette population ? C'est là une étude des plus intéressantes : 1124 ÉCONOMIE POLITIQUE ET STATISTIQUE Familles individus Hommes seuls âgés, infirmes. ...'. 263 263 Femmes seules, âgées, infirmes 1 .303 1 .303 Ménages vieux ou infirmes 367 73 ï Femmes veuves ou abandonnées ou filles avec enfants 1.019 3.505 Ménages avec enfants 2.1)78 17.924 5.!)30 23 . 729 Les 1,019 femmes veuves ou abandonnées ont avec elles 2,186 enfants, soit environ de 2 à 3 enfants chacune, ci 2.486 Les 2,978 ménages en possèdent 12.173 soit une moyenne de 4 enfants par famille. Total des enfants 1 1.659 Dans un examen comparatif fait pendant l'année 1872, sur les 4,698 familles, composées de 17,G40 individus secourus toute l'année, la moyenne des enfants par famille était dans toute la ville ainsi ré- partie : Moyenne des enfants par famille 1° Dans l'ancienne ville : Dispensaire de la Barre 5 — de Stappaert 5 2° Dans la nouvelle ville : Dispensais de Wazemmes 5 à li — d'Esquermes li de Moulins-Lille 5 à 6 — de Fives plus de 6 Les familles sont donc plus nombreuses dans les communes annexées, de 20 0/0 environ que dans l'ancienne ville. La population indigente de Lille, hommes, femmes et enfants, peut se résumer ainsi : HOMMES. Hommes seuls, infirmes 2(i;! Vieillards mariés 367 Indigents sans profession à cause d'infirmités ou maladies 268 Indigents valides 2.710 3.608 3.608 FEMMES. Femmes âgées, seules 1 .303 — mariées 367 Veuves ou abandonnées avec enfants 1 .010 Mariéesdemeurantavec leurs maris 2.778 5 167 5.4•> une grande œuvre à accom- plir en convenant de l'existence de la « question sociale» ou, si l'on veut de la question ouvrière, et en travaillant à la résoudre tant au point de vue moral qu'au point de vue matériel. C'est là le seul moyen d'éviter pour l'avenir ces crises formidables dans lesquelles la société peut disparaître. DISCUSSION. — LES SOCIÉTÉS COOPÉRATIVES 1155 DISCUSSION. M. Nottelle. L'exposé de M. Limousin fait ressortir cette preuve que si les coopérations ont réussi en Angleterre, c'est qu'elles se sont placées dans les conditions ordinaires de la pratique industrielle, conditions imposées par la nature des choses. Aussi, se déclare-t-il partisan de la coopération si on la considère comme un des moyens partiels de favoriser le mouvement ascensionnel qui pousse les travailleurs vers des positions de pins en plus élevées; mais il la condamne comme une erreur dangereuse si on veut lui donner les proportions d'une solution générale, et transformer par elle les rap- ports entre les agents de la production. 1er Groupe SCIENCES MATHÉMATIQUES lre & 2e Sections MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE il) Président d'honneur ... M. SYLVESTER, Correspondant de l'Institut de France, Membre de la Société Royale de Londres. Président M. CATALAN, Membre de l'Académie des sciences de Belgique. Secrétaire M. PICQUET, Capitaine du génie, Répétiteur à l'École polytechnique. M. SYLVESTEB, Correspondant île l'Institut de France, Membre de la Société Royale 'le Londres DES SYSTÈMES ARTICULÉS - INSTRUMENT RÉCIPROCATEUR DU COLONEL PEAUCELLIER - DESCRIPTION DES COURBES ET SURFACES ALGÉBRIQUES PAR LE MOYEN DES TIGES ARTICULÉES. (EXTRAIT du pkocèe-yerbal.] — Séance il il il août 4 87 i . — M. Sylvester étudie avec de nombreux délails l'invention du colonel Peau cellier qui, en 18(H, a trouvé une solution vsade du problème de la transfor- mation du mouvement circulaire en mouvement rectiligoe. Le système articulé (1) L'incendie do l'imprimerie de M. Danel, à Lille, ayant détruit La pluparl îles manuscrits de la section de Mathématiques, les travaux de cette section onl dû être renvoyés à la lin du volume pour donner aux auteurs le temps de reconstituer leurs communications; malgré un délai assez long qui leur a été accordé, plusieurs d'entre eux ont été empêchés de remettre le mam de leurs travaux, qui figureront seulement par leur titre. Dr MAREY. — TRAVAIL DES MOTEURS ANIMÉS Ho7 imaginé par ce dernier (1) et qui est tel, dans sa disposition générale, que les distances de deux de ses sommets à un troisième situés sur une même ligne droite ont un produit constant, permet de résoudre un grand nombre de pro- blèmes, de décrire des courbes et des surfaces algébriques variées, etc. M. Marcel DEPREZ Ingénieur civil. .• ; . , . REPRÉSENTATION MÉCANIQUE DES FONCTIONS. APPAREIL POUR LA RÉSOLUTION MÉCANIQUE DES ÉQUATIONS. — Séance du 22 août 1874. D1 MAEEY Professeur au Collège de France. DU MOYEN D'ECONOMISER LE TRAVAIL MOTEUR DE L'HOMME ET DES ANIMAUX. — Séance du 22 août 1874. — De récentes expériences sur la locomotion animale, dont le résultat a été publié ailleurs (2) avec les développements qu'il comporte, m'ont fait voir que, chez tous les animaux, la locomotion s'effectue par mou- vements saccadés. Cette irrégularité de la progression n'est pas également accusée à toutes les allures. La marche lente présente le maximum d'inégalité; la course, le minimum. En analysant de plus près le phénomène, on constate que le corps reçoit une impulsion nouvelle à chaque demi-pas, au moment où l'un des pieds termine son appui. Un ralentissement se produit, au contraire, chaque fois qu'un des pieds arrive au contact du sol. Lorsqu'un homme ou un animal, attelé à une voiture, la traîne sur (1) Voy. Bull, de la Société Philomathique, t. 1867 /"'Journal de physique, 1873; et dans ce volume, p. 122. (2) Voy. la Machine animale, p. 127, et Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. LXXIX, p. 125. Ho8 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE un chemin, ses efforts tendront à imprimer au véhicule une vitesse irrégulière ; d'autre part, les résistances éprouvées dans le tirage pré- senteront aussi des irrégularités ; mais, chose remarquable, ces irrégu- larités seront d'autant plus grandes que l'allure sera plus rapide. Ainsi, l'homme qui court en liberté progresse d'un mouvement pres- que uniforme, mais s'il doit courir en traînant un fardeau, il éprouve, même sur un terrain uni, des résistances très-irrégulières qui impriment à son corps des secousses pénibles. Cela vient de ce que les efforts musculaires qu'on développe dans la course ont une intensité et une durée proportionnées à la masse du corps qu'ils sont destinés à transporter ; mais ils sont beaucoup trop brefs pour se transmettre, à la fois, au corps du coureur et à la masse additionnelle que celui-ci doit déplacer. Examinons un homme qui tire une voiture à bras, au moyen d'une de ces bricoles de cuir en ussge à Paris. Si le terrain est plat, ou légè- rement montant, on voit que la courroie est alternativement relâchée et tendue ; que, si le marcheur presse le pas, les tensions de la courroie se font plus brusquement ; enfin que, s'il essaie de courir, la tension de la courroie produit un coup sec, un véritable choc. Pour mieux juger ce qui se passe, il faut s'atteler soi-même à cette voilure. En marchant sur un terrain uni, on sent assez faiblement l'effet des secousses, mais si on presse l'allure, on éprouve, à chaque tension de la courroie, une commotion assez forte qui produit, contre les épaules, une percussion insupportable à la longue; aussi est-il pres- que impossible de courir pendant quelque temps en traînant une voi- ture ainsi attelée. Sur un pavé inégal, la marche lente suffit pour pro- duire un effet analogue. Lorsqu'on observe une voiture attelée d'un cheval qui trotte, on constate les mêmes tensions brusques des traits, ce qui prouve que l'animal subit également des commotions intermittentes. L'existence de ces chocs étant constatée, nous avons cherché à les amortir en transformant cette traction intermittente en une traction plus uniforme. La mécanique résout à chaque instant des problèmes de ce genre, au moyen d'intermédiaires élastiques placés entre la force motrice intermittente et les résistances à vaincre. C'est ainsi que dans la pompe à incendie, la saccade du coup de piston disparaît, transfor- mée par un réservoir à air en une pression constante qui donne au jet de l'eau une vitesse uniforme. Sur les chemins de fer, les wagons sont reliés entre eux au moyen de pièces élastiques qui suppriment, en partie, la brutalité des secousses au moment de la mise en marche. Je plaçai donc un ressort élastique entre la bricole et la voiture, et m'y attelant pour la traîner, je constatai la disparition presque complète Dr MAREY. — TRAVAIL DES MOTEURS ANIMÉS 1159 des chocs qui se produisent dans la marche sur un pavé inégal, et dans la course; sur les terrains unis eux-mêmes. Non content de mon appréciation, je soumis à cette épreuve diffé- rentes personnes qui toutes furent frappées du môme résultat. Ces expériences prouvent déjà qu'avec cette modification dans l'attelage, on arrive à soulager beaucoup l'homme ou l'animal qui traîne un fardeau. Plaçons-nous maintenant à un autre point de vue, et voyons si l'em- ploi de ce ressort élastique accroît ou diminue le rendement du travail des moteurs animés. Deux points distincts sont à considérer : 1° La production du travail par l'appareil musculaire ; 2° L'utilisation du travail produit. DE LA DESTRUCTION DU TRAVAIL MUSCULAIRE PAR LES CHOCS. Il n'y a plus lieu de reproduire ici la description des phénomènes intimes qui se passent à l'intérieur d'un muscle en activité, mais il faut rappeler que ce muscle effectue, dans un effort statique, les mêmes actes intérieurs que dans le travail dynamique. Dans les deux cas, des ondes musculaires se forment; mais tandis que dans le travail dyna- mique ces ondes produisent un raccourcissement réel du muscle, elles ne font que l'échauffer pendant l'effort statique, et mettre ce muscle dans un état de tension sans effet utile. C'est ainsi que nous pouvons, commander à nos muscles un effort de traction de 100 kilog., et dé- penser inutilement cet effort, si l'obstacle à surmonter représente 110 kilog. On sait que la vitesse qu'on imprime à une masse exige un effort proportionnel au carré de cette vitesse même. Telle force qui serait capable de soulever un certain poids, à une certaine hauteur, dans un temps donné, sera incapable d'effectuer ce travail en un temps moins long. Or; l'interposition d'une transmission élastique entre le moteur et la masse à mouvoir a précisément pour effet d'accroître la durée d'ap- plication de la force motrice, et de rendre ainsi utilisable un effort qui, brusquement produit, ne se fût pas transformé en travail. Lorsque notre volonté commande à nos muscles un acte qui doive imprimer au corps une certaine vitesse, l'énergie de cet effort est réglée sur les résistances actuelles ; s'il se produit un accroissement subit de ces résistances, ce changement met l'effort musculaire hors de porpor- tion avec le nouveau travail qu'il doit effectuer, et le place dans les conditions d'utilisation incomplète dont nous venons de parler. La nature a recouru précisément à l'élasticité pour utiliser, à l'inté- rieur des muscles, les forces motrices qui s'y engendrent presque instan- tanément, par des espèces d'explosions dont la durée est à peine de 3 à 4 centièmes de seconde. 1160 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE Placer une élasticité entre nos efforts musculaires et les masses qu'ils doivent mouvoir, c'est imiter le procédé de la nature pour la meilleure utilisation de l'action essentiellement intermittente des muscles. DE LA MEILLEURE UTILISATION DU TRAVAIL EXTERIEUR DES MOTEURS INTERMITTENTS. Des considérations du même ordre que celles que nous venons d'ex- poser portent à croire que le travail extérieur fourni par des moteurs intermittents se trouve dans de mauvaises conditions pour être entière- ment utilisé. Ici la démonstration n'emprunte plus rien à la physiologie; elle est du ressort de la mécanique pure. Chaque fois que notre corps animé de vitesse vient se heurter par l'intermédiaire de la courroie rigide contre la résistance de la voiture, une force vive empruntée à notre propre masse tend à se communiquer à la masse à déplacer. Or, il est facile de démontrer, par une expé- rience très-simple, que la totalité du travail qui correspond à cette force vive ne sera pas employée au déplacement du véhicule. La figure 61 va nous montrer comment une force vive s'éteint dans un choc, tandis qu'elle se transforme en travail lorsque le choc est supprimé. Êf-iOULtÉll t'ig. ci. — Appareil destiné à montrer qu'une force vive, 'lirectement appliquée au déplacement d'une masse, s'éteint dans un choc, tandis que la même force, transmise par un intermédiaire élastique, peut effectuer du travail, ii-'igure empruntée à l'ouvrage intitulé : Du mouvemen dans les [onctions de la vie, I808-] I)r MAREY. — TRAVAIL DES MOTEURS ANIMÉS i\C)\ Sur un support solidement établi est adaptée une sorte de fléau de balance dont l'un des bras porte une sphère du poids de 100 grammes, tandis qu'au bout de l'autre bras une petite sphère, pesant 10 grammes, est suspendue par un fil solide d'un mètre de longueur. Pour que le iléau de balance se trouve horizontal, malgré la charge inégale de ses deux bras, on a établi sur l'axe un encliquelage qui permet les mou- vements d'ascension de la sphère , mais qui en empêche la descente. Une aiguille indicatrice, parcourant 'un quart de cercle, sert à mesurer exactement les déviations du iléau. Pour imiter les forces vives intermittentes qui, dans la traction des voitures, tendent les traits d'une manière plus ou moins brusque, je laisse tomber d'une certaine hauteur la petite sphère qui est suspendue à l'un des bras du fléau, et j'utilise la force vive développée au moment de la tension du fil à soulever la sphère pesante suspendue à l'autre bras. Si l'on prend pour la suspension de la sphère pesante un fil aussi peu extensible que possible, de façon qu'il n'y ait aucune élasticité intermé- diaire entre le corps qui perdra sa vitesse et le corps qui devrait être déplacé, on s'aperçoit, au moment où la balle s'arrête, qu'un choc sonore se produit, que tout l'appareil s'ébranle et vibre, mais que la sphère ne s'élève point. Suspendons, au contraire, la sphère à l'extrémité d'un ressort élastique ou d'un fil de caoutchouc et renouvelons l'expérience. Au moment où la balle, arrivée à la tin de sa course, produit la tension du fil, on voit le fléau s'incliner brusquement et faire un angle plus ou moins ouvert avec sa direction primitive. Ce déplacement s'effectue grâce à l'élasti- cité du ressort qui suspend la sphère pesante ; celle-ci ne subit aucun déplacement dans le premier instant, mais, sous la traction du ressort qui vient d'être distendu, on la voit se soulever peu à peu. Il y a donc un travail effectué dans ce cas où l'on applique, par l'intermédiaire d'un ressort élastique, une force vive qui, directement appliquée tout à l'heure, se détruisait dans un choc. Cette expérience nous amène à conclure que le ressort élastique, placé entre une voiture et le trait qui lui transmet la force du moteur, doit produire une meilleure utilisation des forces intermittentes appli- quées à la déplacer. Le dynamomètre enregistreur, qui fournit en pareil cas la mesure du travail dépensé, doit prouver l'exactitude de ces prévisions. Il doit mon- trer, qu'avec un intermédiaire élastique, on obtient une meilleure utili- sation du travail moteur, soit qu'une même dépense de force produise plus d'effet utile, soit que le même effet utile s'obtienne avec une moindre dépense de force. 1102 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE Le travail utile sera le même, dans deux, expériences comparatives, lorsque la voiture aura parcouru le même espace, dans le même temps, sur la même route. Le travail moteur sera le même lorsque, sur les tracés du dynamomètre, les aires comprises entre les courbes enregis- trées et l'axe de leurs abeisses seront égales. J'ai commencé par appliquer le dynamomètre enregistreur du général Morin à une voiture que je faisais traîner tantôt avec une courroie ri- gide, tantôt par l'intermédiaire d'un ressort élastique. D'autre part, un compteur des tours de roues devait permettre de s'assurer que, dans l'un eL l'autre cas, la traction se faisait avec la même vitesse. Mais je m'aperçus que l'instrument, formé d'un ressort d'acier dont la ilexion est proportionnelle aux efforts exercés, faisait bénéficier la voiture qui en était munie des effets de l'intermédiaire élastique, et que je ne pourrais, avec cet instrument, faire les expériences comparatives que je me pro- posais. Je construisis un autre dynamomètre dont la course, très-petite, ne laissait agir l'élasticité que d'une manière négligeable, puis j'ajoutai à cet appareil des organes amplificateurs du mouvement, afin que les indications fussent d'une lecture facile; je recourus ensuite à la photo- graphie pour obtenir des épreuves de dimensions plus grandes encore. Enfin, je mesurai les surfaces des tracés obtenus comparativement avec les deux modes de traction, et constatai, que pour des chemins égaux ■parcourus en des temps égaux, c'est-à-dire pour un même travail utile ef- fectué, la traction élastique consomme moins de travail moteur. Voici, du reste, la description des appareils que j'ai employés et les tracés qu'ils m'ont fournis. l 'ig. 62. — Dynamugraphe ou dynamomètre inscripteur, transmettant à distance les indications des efforts du traction Dynamographe ou dynamomètre inscripteur. — L'appareil du général Morin, d'un emploi si avantageux toutes les fois qu'il s'agit de déter- miner les variations du travail résistant, quand le travail moteur reste le même, ne saurait s'appliquer à résoudre le problème inverse que je me proposais. Il fallait, dans la construction d'un nouvel appareil, sup- 1/ MAREY. — TRAVAIL DES MOTEURS ANIMÉS 1 1 G3 primer, autant ([uc possible, l'action de l'élasticité qui transforme un choc brusque en un effet plus prolongé ; en même temps, je devais conserver au dynamomètre une sensibilité suffisante pour produire, dans la courbe tracée, un déplacement appréciable et proportionnel aux efforts déployés. La figure 62 représente la modification que j'ai adoptée. Une forte monture de fer est munie de deux anneaux, dont l'un A se fixe à la voiture et l'autre B à la courroie qui sert pour la traction. Ce dernier prolonge la tige d'un piston maintenu en équilibre entre deux, ressorts-boudins très-résistants. De l'autre côté du piston, la tige se conti- nue jusqu'à une membrane de caoutchouc qui ferme une caisse métallique. Toute traction sur la tige du dynamomètre attire la membrane élas- tique et raréfie l'air de la caisse. Des alternatives de raréfaction et de compression de l'air contenu dans cette caisse se produisent, suivant que la force de traction augmente ou diminue; cela donne naissance à une soufflerie qui se transmet, à travers un tube de caoutchouc, jus- qu'à un appareil qui l'inscrit sur un cylindre tournant. Dans le tracé qu'on obtient ainsi, la courbe s'élève d'autant plus haut que l'effort de traction développé est plus énergique. On gradue l'ins- trument, en le soumettant à des tractions connues, et l'on construit l'échelle qui sert à en évaluer les indications. Sur cette échelle, les hauteurs sont très-sensiblement porportionnelles aux poids employés à produire la traction, quand l'effort varie entre 1 et 3G kilogrammes. Expériences sur la traction d'une voiture à bras. — Pour apprécier les avantages de l'emploi d'un trait élastique au lieu d'une courroie ri- gide, il faut faire deux expériences comparatives en mesurant à la fois : le travail moteur dépensé et le travail utile produit. Or, on peut dire que le travail utile a été le même dans deux cas, où une voiture a parcouru, sur la même route, des espaces égaux avec des vitesses égales. Si l'on démontre que, dans l'un des cas, le dynamomètre traceur accuse moins de travail dépensé que dans l'autre, ou aura prouvé que l'un des modes d'attelage est préférable à l'autre. Fig. 63. — Tracé du dynamographe pour uno.voituro tirje avec un intermédiaire élastique. [Surface au planimètre d'Amsler, 53.) 4 104 MATHÉMATIQUES. ASTRONOMIE, GÉODÉSIE; MÉCANIQUE Fig. 64. — Tracé du dynamographe pour une voiture à bras traînée avec un trait rigide. (Surface au planimètre de Amslcr, 72.) Les figures 63 et 64 sont les tracés tournis par deux expériences com- paratives. La vitesse était la même dans les deux cas; on s'en assure au moyen d'un appareil assez simple qui trace un signal à chacun des tours de roue; le nombre de ces signaux est le même sur une longueur- donnée; la vitesse est donc égale dans les deux cas. Quant au travail moteur dépensé, sa mesure correspond, pour chacun des tracés, à la surface comprise entre la courbe et l'axe des abscisses. Cette surface est d'environ 26 0/0 moins grande dans la figure 63 que dans la figure 64. Il y a donc eu pour ce cas 26 0/0 de travail économisé (1). Il s'agissait, il est vrai, d'une allure assez rapide : la voiture était traînée, au pas gymnastique, sur un terrain parfaitement uni (route asphaltée à l'extrémité du jardin du Luxembourg). La différence eût été moindre avec une allure moins vive. Mais, d'autre part, sur un mauvais pavé;, on trouve un écart plus grand encore entre les résultats fournis par les- deux modes de traction. En somme, sur un nombre considérable d'ex- périences, j'ai toujours constaté l'avantage de la traction élastique ain point de vue du rendement. Les mêmes résultats furent obtenus pour des- voitures traînées par des chevaux. Si l'on joint à cet avantage celui qui consiste dans l'amortissement des chocs douloureux qu'une courroie ri- gide transmet aux épaules de l'homme ou de l'animal qui traîne un fardeau, on verra que le mode de traction au moyen d'un intermédiaire élastique est extrêmement avantageux. Quant à l'instrument que l'on doit employer pour cela, il peut être fort simple et peu coûteux, soit qu'on le construise avec des ressorts- boudins de forces calculées (2), soit qu'on emploie des lanières de (1) Cette évaluation a été obtenue en grandissant les traces ci-dessus par la projection di leurs clichés photographiques; en traçant les contours ainsi amplifiés 20 fois et en les découpant suivant toutes leurs sinuosités, enfin en pesant suivant la méthode de Galilée les papiers ainsi découpés. Le rapport des poids est sensiblement celui des aires et sert à mesurer les rapports du travail dépensé. — Les mêmes tracés mesures au planimètre de Amsler donnent une diffé- rence un peu moindre qui réduisait l'économie de travail à 25 %. (2) La disposition qui m'a semblé la plus avantageuse consiste en une série de ressorts- boudins de forces croissantes, introduits dans un tube de cuivre où un piston les comprime- E. LEM01NE. — CENTRE DES MÉDIANES ANTIPARALLÈLES 1 | 63 caoutchouc. L'économie du travail et la diminution de la fatigue qu'on obtient à l'aide de ce moyen de traction me semblent constituer une im- portante application de la physiologie à l'amélioration du sort de l'homme et des animaux. M. E. CATALAN Professeur d'Analyse a 1'Ur.iversité de Liège. SUR LES SURFACES ORTHOGONALES. SUR LA MÉTHODE DES MOINDRES CARRÉS. SUR UN LIEU GÉOMÉTRIQUE. Séance du 2 2 août I 87 4. — M. Em. LEMOIÏÏE Ingénieur civil, ancien Élève de l'École polytechnique. NOTE SUR LES PROPRIÉTÉS DU CENTRE DES MÉDIANES ANTIPARALLÈLES DANS UN TRIANGLE (suite) — Séance du 22 août 187i. — L'année dernière, j'ai communiqué à la session de Lyon un assez grand nombre de théorèmes se rapportant à ce point qui, ainsi qu'on l'a vu, tire son nom de ce qu'il peut se construire par l'intersection des lignes obtenues en joignant respectivement chaque sommet au milieu de la droite antiparallèle au côté opposé à ce sommet; voici quelques nouvelles propriétés de ce point. I. — Si, par un point P du plan d'un triangle ABC, on mène une droite coupant CA en K, CB en H, puis qu'on tire les droites AH7 BK, on sait que le lieu de l'intersection M de ces deux droites, lorsque KH tourne autour de P, est une conique circonscrite au triangle ABC. comme dans le dynamographe (fig. 62) ; suivant l'effort dépensé, on applique ainsi des forces élas- tiques variables. Supposons, par exemple, que le ressort le plus faible agisse entre 5 etiokilog. de traction. Pour des efforts plus grands, ce premier ressort sera entièrement revenu sur lui- même, et le deuxième entrera en action jusqu'à 15 kilogr.; de 13 à 20, ce sera un troisième ressort qui fonctionnera, et ainsi jusqu'au dernier. 11C6 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE Cette conique devient le cercle circonscrit pour un certain point Pf du plan. En taisant par rapport aux côtés AB et AC, puis BC et BA les mêmes constructions que pour le point Pc par rapport aux côtés CB et CA, on trouverait des autres points P„ et P6 pour lesquels la conique, lieu du point analogue à M, serait le cercle circonscrit à ABC. Cela posé : 1° Les trois droites AI\, , BPft, CPC se coupent au centre w des mé- dianes antiparallèles du triangle ABC. 2° Soit A' le point ou Aw coupe BC. — A — AP, — BC. A' et A" sont conjugués harmoniques par rapport à B et à C. II. — 1° Si l'on considère tous les rectangles inscrits dans un triangle ABC et dont l'un des côtés repose sur l'un des côtés BC du triangle, le lieu du centre de ces rectangles sera la droite qui joint le milieu de BC au milieu de la hauteur qui tombe sur BC. 2° Les trois droites, qui dans un triangle, joignent le milieu d'un côté de ce triangle au milieu de la hauteur tombant sur le côté, se coupent au même point w centre des médianes anti parallèles du triangle ABC. 3° Le centre des médianes antiparallèles d'un triangle est le seul point du plan de ce triangle qui soit le centre de trois rectangles inscrits dans ce triangle. III. — 1° La conique inscrite dans un triangle, et qui a pour centre le centre des médianes anliparaClèles , touche les côtés aux pieds des hauteurs. 2° La conique inscrite dans un triangle et dont l'un des loyers est le centre des médianes antiparallèles , a pour autre foyer le centre de gravité du triangle. On peut énoncer ce théorème sous la l'orme sui- vante qui le rend presque évident : Dans un triangle ABC, la médiane et la médiane antiparallèle abou- tissant au même sommet A sont symétriques par rapport à la bissectrice de l'angle A. 3° Le carré du 1/2 petit axe de la conique inscrite au triangle ABC, et dont l'un des foyers est le centre des médianes antiparallèles, a pour 4 Sâ valeur 3 o* + 6*+c* la h le le 1/2 grand axe a pour valeur: * r, — |— /?, — |— /c" S, a, h, c, /„, //,, lc désignent respectivement la surface, les trois côtés et les trois médianes du triangle. IV. — Si par les sommets d'un triangle ABC l'on mène des tangentes E. LEMOINE. CENTRE DES MÉDIANES ANTIPARALLÈLES 11G7 au cercle circonscrit a ce triangle, on forme avec ces tangentes un triangle ABC tel que les droites AA', BB , CC se coupent au centre ries médianes antiparallèles du triangle ABC. V. — 4° Si l'on prend CB et CA pour axes des x et des y, les coordon- nées du centre des médianes antiparallèles du triangle ABC sont : ah* x = a'-b '■' a*+6s4-c*' 2° Ce qui montre que les distances de ce point aux trois côtés sont proportionnelles à ces côtés. 3° Les coordonnées trilinéaires du centre des médianes antiparallèles du triangle ABC, ce triangle étant pris pour triangle de référence, sont sin A, sin B, sin C. VI. — Si du centre des médianes antiparallèles du triangle ABC, on abaisse sur les côtés de ce triangle des perpendiculaires dont les pieds sur BC, AC, AB, sont respectivement Aj, B,, C4, le point w est le centre de gravité du triangle A,B|C,. Cette propriété est connue parce que le centime des médianes antiparallèles coïncide avec le point, tel que la somme des carrés des perpendiculaires abaissées de ce point sur les trois côtés du triangle soit un minimum. VII. — Le lieu des points tels que la somme des carrés de leurs dis- tances aux trois côtés d'un triangle est constante est une ellipse qui a pour centre le centre des médianes antiparallèles du triangle. Nous ferons remarquer que la question de mathématiques élémentaires proposée au concours d'agrégation en 1874 roule, sans le nommer, sur les propriétés du centre des médianes antiparallèles. Dans le numéro de décembre 1874 de la Nouvelle Correspondance mathématique, publiée en Belgique par MM. Eug. Catalan et P. Mansion, M. Neuberg pu- blie une solution de la question de mathématiques élémentaires donnée au concours d'agrégation en 1873, et dans l'étude que lui suggère cette question, il rencontre le centre des médianes antiparallèles; voici l'énoncé du théorème de M. Neuberg. Soit ABC un triangle, 0(l, 0,,, Oc les centres des cercles ex-inscrits à ce triangle, inscrits respectivement dans les angles A, B, C, du triangle. Les polaires de A, B, C, par rapport respectivement aux cercles ex- inscrits de centre 0„, Ob, Oc, forment un triangle ABC. 1° Les triangles ABC, 0„C\,0„ ont même centre K des médianes anti- parallèles. 1168 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE 2° Los lignes A K, B'K, C'K passent respectivement par les milieux de BC, AC, AB. Nous signalerons encore quelques problèmes donnant lieu à des cons- tructions élégantes. 1° Construire un triangle, connaissant la base, la médiane partant du sommet opposé et la médiane antiparallèle partant de ce sommet. 2° Construire un triangle, connaissant un côté et les distances du centre des médianes antiparallèles aux extrémités du côté donné. 3° Construire un triangle isocèle connaissant la base et la médiane antiparallèle partant des sommets de la base. M. A. MAOHEIM Chef d'escadron d'artillerie, Professeur à l'École polytechnique. SUR LA SURFACE DE L'ONDE — Séance du H août lt>74. — Dans les cours de physique, il est utile de savoir que la surface de l'onde de Fresnel possède certains points singuliers pour chacun desquels les plans tangents enveloppent une surface conique du second ordre et certains plans tangents singuliers qui la touchent, chacun, suivant une circonférence de cercle. Nous allons faire voir, géométriquement, en partant de la définition de la surface de l'onde, telle qu'elle se présente en Optique, comment on peut démontrer ces propriétés des points ou des plans tangents singuliers. Pour cela, je ne ferai appel qu'à un petit nombre de propriétés géométriques généralement connues. La marche que nous allons suivre conduit aussi à deux théorèmes relatifs à des points quelconques ou à des plans tangents quelconques de la surface de l'onde. Définissons la surface de l'onde. Le point o (fig. 65) est le centre d'un ellipsoïde (E), m un point de cette surface et mn la normale en ce point à l'ellipsoïde. La section, faite dans (E) par le plan mené sui- vant om perpendiculairement au plan normal omn, a pour sommet le point m : puisque la tangente en ce point à cette courbe de section est perpendiculaire à om. Ce segment om est donc un des demi-axes de cette section. On élève en o une perpendiculaire op au plan de la section dont nous A. MANNHEIM. — SURFACE DE L'ONDE 11(30 venons de parler. Cette; perpendiculaire est alors dans le plan normal omn. On porte sur cette droite, à partir du centre o, le segment op égal a — , k étant une longueur arbitraire. Du point p, on mène un plan Fig. os. perpendiculaire à op, par suite, parallèle au plan de la section faite dans l'ellipsoïde. En employant toujours la même longueur /,-, on a, pour chaque section de l'ellipsoïde, un plan construit comme nous ve- nons de le faire : tous ces plans sont tangents à la surface de l'onde dont nous allons nous occuper. Ainsi : la surface de l'onde est définie par ses plans tangents qui sont menés, parallèlement aux plans diamétraux d'un ellipsoïde, à des distan- ces inversement proportionnelles aux demi-axes des sections faites par ces plans dans l'ellipsoïde. Il résulte immédiatement de cette définition que les plans principaux de l'ellipsoïde sont aussi les plans principaux de la surface de l'onde. On voit aussi facilement que la trace de la surface de l'onde sur l'un de ses plans principaux se compose d'une conique el d'un cercle. Dans le plan principal perpendiculaire à l'axe moyen de l'ellipsoïde, cette coni- que et cette circonférence se coupent en quatre points réels. La surface de l'onde, d'après cela, se compose de deux nappes qui se coupent en quatre points réels. Ces quatre points sont les points singuliers réels de la surface de l'onde. Pour trouver la nature de l'enveloppe des plans tangents à la surface de l'onde en un de ces points, nous allons chercher en quel point r, un des plans tangents de la surface de l'onde, construit comme précédemment, touche cette surface. Reprenons la construction précédente : le point p est le pied de la perpendiculaire abaissée du centre o sur le plan tangent à la surface de l'onde; il appartient donc à la surface, lieu des points analogues qui 1170 .MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCÀNJQUE constitue la surface podaire de la surface de l'onde par rapport à son centre o. La normale à cette surface podaire en p et la droite qui va du point o au point de contact inconnu r sont dans un même plan et sont éga- lement inclinées sur op. Nous aurions donc tout de suite r, si nous con- naissions la normale en p à la surface podaire. Notre problème est ra- mené ainsi à la construction de cette normale. Pour la déterminer, portons, sur op, un segment omt égal à om. Pen- dant que le point m se déplace sur (E) le point m, décrit une certaine surface. Cette surface et la surface podaire sont telles que pour deux points p et mif situés sur la même droite, on a la relation opXomi=k%. D'après cela, une sphère contenant le point m{ et tangente en p à la surface podaire sera tangente en m{ à la surface décrite par ce point. La normale en m{ à cette dernière surface et la normale en p à la surface podaire sont donc dans un même plan et également inclinées sur op. En rapprochant ce résultat de celui que nous avons déjà énoncé, nous pouvons conclure que la droite or est parallèle à la normale en m, à la surface lieu des points tels que mv. Cherchons donc cette normale pour avoir tout de suite r. Le triangle mom{ est rectangle isocèle et de grandeur variable. Consi- dérons sur le plan de ce triangle les droites om et wm^ qui comprennent entre elles un angle invariable de grandeur, quelle que soit la situation du point m sur l'ellipsoïde. Pour un déplacement particulier du point m, le plan monii a un foyer (1) que nous allons déterminer. Le point de la droite om qui vient en o décrit un élément de cette droite, et la normale à cet élément dans le plan mobile est op. La normale à la trajectoire du point m, quelle que soit la direction du déplacement de m sur l'ellipsoïde, est toujours la normale mn à cette surface. Le foyer du plan mobile est donc au point de rencontre /de op et de mn. Nous pouvons remarquer, en outre, que ce foyer est toujours le même, quel que soit le déplacement du point m et par suite quel que soit le déplacement du plan mobile. Puisque f est le foyer du plan o m m{ la perpendiculaire [l abaissée du point / sur mml est la normale à la trajectoire du point l, et comme cette droite est perpendiculaire à mm{, elle est aussi la normale à la surface réglée engendrée par mmt pendant le déplacement du plan mobile. (1) A un instant quelconque du déplacement d'un plan, les plans normaux aux trajectoire» plans du fais- ceau l'adjointe au plan perpendiculaire à l'arête R. Ces plans proje- tants sont des plans normaux aux développables enveloppes des plans du faisceau. Ils forment un faisceau homographique au faisceau mobile R. Après un développement de ce faisceau mobile, on aura une nouvelle adjointe, un nouveau faisceau homographique dont les plans couperont respectivement les plans correspondants du faisceau homographique à R, dont je viens de parler, suivant les génératrices d'un hyperboloïde à une nappe. En considérant un nouveau déplacement infiniment petit, on aura alors des points appartenant aux plans correspondants de trois faisceaux homographiques. Ces points appartiennent alors à une cubique A. LAUSSEDAT. — SUR LA TÉLÉGRAPHIE OPTIQUE 1179 gauche. L'un quelconque d'entre eux est l'intersection de trois plans normaux à une surface développable et infiniment voisins; il est donc le centre commun aux sphères osculatrices des lignes de courbure de cette développable pour les points de ces lignes situées sur une même géné- ratrice de la surface développable. Nous voyons ainsi que : A un instant quelconque du déplacement d'un faisceau de plans de forme invariable, les centre des sphères osculatrices des lignes de courbure des surfaces développables enveloppes des plans de ce faisceau, appar- tiennent à une cubique gauche. Cette cubique rencontre le plan de l'infini en trois points ; par suite : A un instant quelconque du déplacement d'un faisceau de plans de forme invariable, il y a trois plans de ce faisceau dont les enveloppes donnent lieu à des lignes de courbure ayant des plans oscillateurs sta- tionnaires. Lorsque le plan oscillateur d'une ligne de courbure d'une surface développable est stationnaire, le plan tangent de cette surface fait avec ce plan osculateur un angle dont la variation est nulle. Nous pouvons donc énoncer le précédent théorème en disant : Il y a trois plans du faisceau mobile qui, pour un déplacement infini- ment petit, font avec des plans fixes des angles qui ne varient pas. Ces trois derniers théorèmes peuvent être énoncés en considérant comme figure mobile des plans invariablement liés et parallèles à une même droite, car des plans parallèles enveloppent des surfaces parallèles. M. A. LAUSSEDAT Colonel du génie, Professeur au Conservatoire des arts et métiers. SUR LA TELEGRAPHIE OPTIQUE (1). Séance du 24 août iS'i. (1) M. le colonel Laussedat a fait sur le même sujet, le 26 août, une conférence spéciale dont on trouvera le texte ci-après, page 126". 1180 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE M. le général IBAÏÏEZ Directeur général de l'Institut géographique et statistique d'Espsgne, Président de la commission du mètre. TRAVAUX GÉODÉSIQUES ET TOPOGRAPHIQUES DE LA CARTE DESPAGNE. — Séance du Si août 1874. — Ce travail ayant été présenté également à la section de géographie, il en a été donné un extrait dans les travaux de la quatrième section, page 1006. M. le Marquis J. RICCI Lieutenant général en retraite, à Turin. SUR LES OPÉRATIONS GÉODÉSIQUES EFFECTUÉES EN ITALIE — Séance du Si août I87i. — Invité à faire une exposition sommaire des travaux géodésiques en- trepris en Italie, je dois déférer au vœu de la section, sans me dissi- muler les difficultés de cette exposition. Néanmoins, ayant dû prendre part pendant quarante ans aux travaux géodésiques, d'abord en qualité d'opérateur sur le terrain, ensuite comme chef de section, et après comme chef et commandant du corps d'état-major italien de 1860 à 1867, j'essaierai dv retracer l'historique de ces travaux et d'indiquer les résultats obtenus. Afin de bien préciser le développement des opérations géodésiques, il est bon de diviser le mémoire en deux parties : i° Travaux faits dans les divers États dans lesquels était divisée la péninsule italienne avant la formation du' royaume d'Italie ; 2° Travaux entrepris dans le nouvel État. OPÉRATIONS GÉODÉSIQUES AVANT LA FORMATION DU ROYAUME D'iTALlE. Le morcellement de l'Italie avant 1860 a été défavorable à l'exé- cution de ces grandes entreprises scientifiques qui exigent l'accord et l'unité des moyens. Aucun des sept États dans lesquels elle était divi- J. RICCI. — OPÉRATIONS GÉODÉSIQUES EN ITALIE 1181 sée ne possédait à lui seul les moyens d'entreprendre de grands tra- vaux, tandis que la défiance réciproque dont ils étaient animés les éloignait d'une entente commune. Cependant des travaux partiels ont été exécutés ; et j'en ferai un très-court résumé en indiquant seulement ceux qui me semblent le plus remarquables. a) Royaume de Sardaigne. La première opération importante est la mesure de l'arc du méri- dien de Turin compris entre Mondovi et Andrate, faite par le père Beccaria en 1762-64, dont les résultats ont été publiés dans son ou- vrage intitulé : Gradus Taurinensis, En 1821, 1822, 1823, on procéda à la mesure de l'arc du parallèle moyen. Cette grande opération s'étendait de la tour de Cordouan à l'embouchure de la Gironde jusqu'à Fiuine en Illyrie. Les savants fran- çais mesurèrent la portion de la tour de Cordouan à la frontière de la Savoie ; une commission austro-sarde la partie entre la Savoie et le Tessin, les Autrichiens la dernière partie entre le Tessin et Fiume, prolongeant plus tard l'opération jusqu'à Oriowa. La part échue à la commission austro-sarde commençait au côté Colombier-Granier, dont la longueur fut donnée par les Français, et se terminait vers le Tessin au côté Vigevano-Busto. Ce réseau géodésique se composait de 20 triangles et les opérations de campagne et les cal- culs furent faits par des officiers des corps d'état-major sarde et au- trichien. Quatre stations astronomiques furent exécutées au mont Co- lombier, Mont-Cenis; Turin, Milan, par les astronomes Plana et Carlini. Les résultats et les détails des opérations sur le terrain et les calculs relatifs sont décrits dans l'ouvrage en deux volumes intitulé : Mesure d'un arc de parallèle moyen. Il était indispensable au royaume de Sardaigne d'avoir une carte topographique des États continentaux ; de là, la nécessité de procéder à une triangulation générale du pays. Toute la surface de cette partie des États fut couverte de triangles ; les observations angulaires furent faites avec des cercles répétiteurs de Beichenbach et de Gambey, les calculs d'après les formules de Puissant. Celte triangulation fut divisée en réseaux de 1er et 2e ordre, on continua ensuite (et au fur et mesure des convenances) des triangulations de détail pour fournir les bases nécessaires aux levés topographiques sur le terrain, et à la réunion des éléments tirés du cadastre. Les circonstances ne permettant pas de mesurer des bases sur le terrain, on se servit des côtés de la chaîne du parallèle moyen comme bases pour le grand réseau du 1er ordre. Le général Albert La Marmora entreprit à lui seul une triangulation 1182 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE de l'île de Sardaigne, qui fut plus tard augmentée et étendue à l'occa- sion de la formation du cadastre de cette île. On entreprit en 1844 le rattachement de l'île de Capraïa au continent, moyennant une chaîne de triangles partant du côté de Castellana-Monte Gottero, longeant le littoral jusquà Piombino, et de ce point par les îles d'Elbe, Gorgona, Capraïa jusqu'en Corse. Cette opération servit à con- trôler les travaux de Tronchet et du père Inghirami, qui ne concor- daient pas. b) Royaume Lombard-Vénitien. L'astronome Oriani mesura une base près de Somma de la longueur de 10,000 mètres au moyen de barres de fer étalonnées sur la toise du Pérou, et qui servit aux travaux géodésiques des ingénieurs géographes du royaume d'Italie entrepris au commencement de ce siècle. Cette base put être comparée, plus tard, aux bases mesurées en France lors des opérations pour la mesure de l'arc du parallèle moyen, et l'accord fut trouvé très-satisfaisant. Après la constitution du royaume Lombard-Vénitien en 1814, le co- lonel Marieni, de l'Institut géographique de Vienne, mesura des chaînes de triangles de divers ordres pour coordonner les matériaux topogra- # 1 phiques nui servirent à la formation de la carte à l'échelle de L>/, ,,. . du r l l 80,400 royaume Lombard- Vénitien. c) Duchés de Parme, Plaisance et Guastalla. Des opérations géodésiques se rattachant à celles faites en Lombardie furent exécutées sur le terrain par des ingénieurs du pays et par des officiers autrichiens pour réunir les matériaux nécessaires à la carte de 1 cet Etat, publiée en 1828, à l'échelle de 577-77T7.. 80,400 d) Duché de Modène. De petites chaînes de triangles furent mesurées par des ingénieurs morlenais sous la direction du marquis Carandini et par des officiers de l'état-major autrichien, pour servir à la réunion des matériaux topo- graphiques levés sur le terrain. On dressa et publia en 1849 la carte du 1 duché à l'échelle de w. ,.„. 80,400 e) Grand-Duché de Toscane. Le père Inghirami, savant très-distingué, mesura des chaînes de triangles destinées à coordonner les éléments de la carie qu'il publia à I. RICCI. — OPÉRATIONS GÉODÉSIOUES EN ITALIE 1183 1 l'échelle de ———-—. Il se rattacha par des opérations géodésiqucs aux U200.0U0 l r l États limitrophes, et étendit son opération de rattachement de l'ilc d'Elbe à la Gorgona jusqu'en Corse. J'ai indiqué plus haut cette opé- ration. f) Etats de l 'Église. Déjà, en 1751, le père Boscowich avait mesuré une base près de Rimini et une autre sur la voie Appia à Rome. Le baron de Zach reprit en partie les travaux du père Boscowich et en publia les résultats dans sa Correspondance . Le colonel Marieni étendit un réseau de triangles dans les provinces de cet État dans le seul but de fournir les éléments nécessaires à la formation de la carte de l'Italie centrale qui fut terminée et publiée par l'Institut géographique de Vienne en 1851. Le père Secchi reprit en 1854-55 la mesure de la base de la voie Appia, se servant d'un appareil de M. Porro, et en consigna les résul- tats dans son ouvrage intitulé : Misura délia base trigonometrica. Roma, 1858. g) Royaume des Deux-Siciles. Je ne mentionnerai que les travaux les plus importants. Une base mesurée à l'ouest de Naples près de Castel Volturno. Une chaîne de triangles pour rattacher la Calabre à la Sicile, par le colonel Fergola, qui mourut victime de son zèle pour la science à la station d'Antenna-Mare au sud de Messine, frappé par la foudre. Une chaîne de triangles de détail pour servir aux levés sur le terrain 1 d'une zone de la carte à sur la frontière des Etats de Naples et de l'Église. La mesure d'une base près de Foggia avec un appareil d'Ertel de Munich, et faite avec tous les soins possibles. Une notice de M. le pro- fesseur Schiavoni, qui a dirigé cette opération, fournit tous les éléments de cette mesure. DEUXIÈME PARTIE. — TRAVAUX. GÉODÉSIQUES EN ITALIE APRÈS 1860» En 1860, à la constitution du royaume d'Italie, on sentit le besoin 1 d'avoir des cartes topographiques détaillées à l'échelle de de toutes ôOjOOU les provinces qui composaient le nouvel État. Il n'existait que les cartes ci-après • H 84 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE 1" La carie des États de terre ferme du royaume de Surdaigne à l'échelle de Celte carte, dressée sur des levés du terrain à l'é- 50.000 1 1 chelle de — - — — et à celle de _.. '■ pour certaines régions, sur la réduc- 10,000 20,000 ' tion des plans du cadastre réunis ensemble au moyen des réseaux tri- gonométriques, et sur de simples reconnaissances des vallées des Alpes, suffisait jusqu'à un certain point aux besoins de l'État, mais on ne la pouvait pas considérer comme une carte régulière. La publication de cette carte commença en 1851 et fut terminée en 1800; 2° La carte de l'île de Sardaigne, par le général Albert La Marmora, 1 à l'échelle de -rr— — ■ — . Lors de la formation du cadastre de cette île. 2o0 . 000 on réunit par des opérations trigonom étriqués basées sur le réseau du général La Marmora les mappes cadastrales, pour dresser une carte de 1 l'île à l'échelle de .,„,,, . Cette carte n'est pas publiée; 50,000 l v 3n Carte du royaume Lombard-Vénitien dressée par l'état-major autri- 1 chien à l'échelle de et publiée en 1833; oo,400 4° Carte des duchés de Plaisance, Parme et Guastalla à l'échelle 1 de^r-^, publiée en 1828; o° Carte du duché de Modène à l'échelle de 7—,, publiée en 1849; 80,400' * 6° Carte de l'Italie centrale représentant les États de l'Église et la \ Toscane à l'échelle de , — — , et publiée en 1851 : 86; 400 ' 7° Carte du royaume des Deux-Siciles par Rizzi-Zannoni à l'échelle 1 de a ,/ »/»' publiée en 1820. 114.942 l Les cartes indiquées depuis le n° 1 au n" 0 inclusivement représen- tent suffisamment le pays, et fournissent les données nécessaires, soit pour le service administratif, soit pour le service militaire. Mais la carte indiquée au n" 7 est très-incomplète et n'est pas susceptible d'être améliorée. En cet état de choses, le gouvernement italien dut décider la forma- tion d'une carte des provinces méridionales et de l'île de Sicile et un projet ad hic fut présenté au Parlement. On commença les travaux dans l'île de Sicile au moyen d'une trian- gulation, qui, se basant sur un des cotés mesurés par 31. Fergola. se serait étendue sur toute la surface de l'île. On n'avait pas le temps de me- J. RICCI. — OPÉRATIONS GÉODÉSIQUES EN ITALIE M 85 surer une base, car on était pressé de donner au plus tôt des points tri- gonométriques aux topographes chargés des levés sur le terrain. On se réservait de corriger ensuite le réseau de premier ordre d'après la mesure d'une ou deux bases, mesures que l'on devrait entreprendre avant de terminer les opérations géodésiques. Les instruments employés étaient un théodolite répétiteur de Gambëy, et deux théodolites répétiteurs d'Ertel. Les calculs, d'après les formules 1 de Puissant, l'erreur tolérée de ± 5" pour les triangles et ■ pour lo,U')0 les distances. On procédait avec zèle à l'exécution de ces travaux, lorsqu'un événe- ment survint, qui modifia le projet adopté en y substituant des méthodes plus précises d'observation et de calcul. Le général Baeyer proposa, en 1861, au gouvernement prussien d'in- viter les gouvernements de l'Europe à former une association pour entreprendre de concert la mesure de portions d'arcs de méridiens et de parallèles sur une zone centrale du continent européen. Le gouver- nement italien accepta, ainsi que la plupart des autres États, l'invita- tion de la Prusse, et il envoya ses délégués à la réunion qui eut lieu à Berlin du lo au 22 octobre 1864. Je ne rappellerai pas les prescriptions de la conférence relatives aux conditions auxquelles devaient satisfaire les travaux destinés à atteindre le but scientifique qu'elle se proposait. Ces prescriptions, ainsi que les motifs qui les ont dictées, sont minutieusement indiquées dans les pro- cès-verbaux publiés à chaque réunion de la Conférence ; je me limiterai à indiquer la nouvelle direction que cet événement donna aux travaux géodésiques de l'Italie. La commission italienne (1) se réunit à Turin au mois de juin 186o, et prit les résolutions suivantes. Les réseaux géodésiques pour la mesure du degré européen seront trois qui s'étendront sur la ligne de trois méridiens, et trois sur la direc- tion de trois parallèles. Les directions choisies furent comme ci-après : a) Le premier réseau s'étendra de Cagliari par l'île de Sardaigne à la Corse, le littoral toscan, Gènes, Milan, se prolongeant par la Suisse, l'Allemagne occidentale jusqu'à Christiania; (1) La commission italienne était composée: Du général Ricci, président; des professeurs Donati, de Gasparis, Schiaparelli, astronomes; du professeur Schiavoni et du colonel de Vecchi, de l'état-major. La commission fut augmentée et modifiée en 1873, pour cause de mort et de changement de position de quelques-uns. Elle est formée aujourd'hui de M. le général de Vecchi, président; des professeurs de Gasparis, Schiaparelli, Raspighi, Santini, astronomes; du professeur Schiavoni, du général Ricci, du professeur Betocchi, du professeur Oherholtzer, pour la partie géodésiquo; les professeurs Fergola, Nobili, Celoria et Lorenzoni, adjoints aux observatoires de Naples, de Milan et de Padoue, t'ont aussi partie de la commission. Le major Ferrero, de l'état-major, en est le secrétaire. 118G MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE b) Le second, partant de l'île de Ponza par Rome, Florence, Padoue, se dirigera à Munich, Leipsig, Berlin; c) Le troisième, partant du cap Passaro, extrémité sud-est de la Si- cile, par Messine, Potenza, Foggia, îles de Tremiti, traversera la mer Adriatique, aboutira en Dalmatie pour se rattacher aux réseaux autri- chiens et se prolonger à Vienne, Prague, jusqu'à la mer Baltique. Les trois chaînes sur les parallèles sont : d) La première, qui part des frontières de la Savoie, se dirige à Padoue suivant le parallèle moyen déjà mesuré de Bordeaux à Fiume ; e) La seconde commencera à la Corse pour se diriger vers le monte Gargano et suivre le littoral de la Dalmatie; f) La troisième de l'île de Ponza à Brindisi. On reconnut aussi la convenance de relier la Sicile à l'Afrique par une opération géodésique, de remesurer le réseau méridien du père Bec- caria entre Mondovi et Andrate, enfin d'établir une chaîne de triangles sur une direction longitudinale de la péninsule italienne, soit pour relier les réseaux sus-indiqués, soit pour la mesure éventuelle d'arcs obliques. On détermina que les réseaux seraient doubles, c'est-à-dire formés par des polygones adjacents pour fournir des équations de condition aux calculs de compensation. On indiqua la convenance que, à chaque succession de 20 à 2o triangles, il y eût une base mesurée avec tous les soins, pour servir de contrôle, et on désigna les points suivants comme les plus convenables, savoir : Trapani, Catania, Taranto, Foggia, Borne, Rimini, Livourne, Somma, Turin, Cagliari. On proposa d'employer des cercles réitérateurs pour les observations angulaires, avec des microscopes de force à pouvoir juger à la lecture 1" ou 2", sans toutefois exclure l'usage des théodolites répétiteurs. Pour la détermination des altitudes, on convint d'employer les obser- vations zénithales réciproques. Relativement au calcul des réseaux géodésiques, on fixa d'employer les formules de Bessel et de se servir dé tables logarithmiques à dix déci- males, de tenir compte pour les angles des centièmes de seconde, pour les distances des centimètres ; dans les calculs de compensation, d'aller jusqu'aux millièmes. La compensation devra se faire par polygones composés d'un nombre de triangles tel que, dans le procédé des calculs, on ne soit pas obligé de résoudre plus de trente équations. Les éléments périmétriques com- muns à deux polygones contigus devront en outre satisfaire aux condi- tions d'existence géométrique prenant comme valeurs absolues : a) Pour les angles, la moyenne des résultats partiels donnés par la compensation des deux polygones ; i. RICCI. — OPÉRATIONS GÉODÉSIQUES EN ITALIE 1187 6) Pour le rapport des côtés, aussi les valeurs moyennes ; c) Pour les longueurs absolues, les valeurs déduites des deux ou trois bases plus proches, en assignant cependant à chaque base une impor- tance en rapport à sa proximité et à Terreur probable de sa mensuration. J'ai cru convenable d'indiquer sommairement les prescriptions sus- mentionnées pour donner une idée suffisamment claire des travaux géo- désiques de premier ordre que l'Italie est en train d'exécuter, et de la précision qu'on cherche a atteindre. Je ne dirai que deux mots des travaux astronomiques et seulement pour indiquer leur liaison aux travaux géodésiques. Il lut déterminé que les endroits a fixer astronomiquement seraient : 1° Les observatoires astronomiques existants (il y en a à peu près, entre grands et petits, environ vingt) ; 2° Un certain nombre de stations aux points de jonction des réseaux géodésiques méridiens avec ceux des parallèles ; 3° Les stations ou lieux où on aura reconnu, où on pourra recon- naître des anomalies dans la direction ou l'intensité de la gravité. Ainsi on a indiqué pour la latitude : a) Sur le méridien de Cagliari, de faire des observations sur un ou deux endroits de l'île de Sardaigne, un ou deux en Corse, un à l'île d'Elbe, à Pise, à Gênes, Tortona, Pavie, Milan et un point à la frontière suisse ; b) Sur la méridienne de Ponza, observations de latitude à Ponza, Rome, Naplesf Montefiascone, Perugia, Florence, Rimini, Rologne ; c) Sur la méridienne de Capo Passaro, Observations de latitude à Capo Passaro, Gatania, Messine, Cosenza, Potenza et Foggia ; d) Sur la petite méridienne de Turin, vu la force des attractions locales, on déterminera les latitudes de San Remo, d'un point à choisir sur l'Apennin, de Mondovi, Sanfrè, Saluées, Turin, Massé, Andrate. Les longitudes à déterminer sont : e) Sur le parallèle moyen, en considérant que dans la vallée du Pô existent beaucoup d'attractions locales, on devra déterminer avec des appareils électriques la différence de longitude entre Genève et le mont Cenis, entre le mont Genis et Turin, entre Turin et Milan, entre Milan et Padoue. On pense qu'il sera utile d'intercaler d'autres déterminations, soit au moyen de signaux à feu, soit par des excursions chronométriques. /) Sur le parallèle Ajaccio Gargano : Les différences de longitude entre Ajaccio et l'île d'Elbe, entre l'île d'Elbe et Rome, entre Rome et Gargano; g) Sur le parallèle de Ponza Rrindisi ; Les différences de longitude entre Ponza et Naples, entre Naples et Potenza, entre Potenza et Rrindisi. 1188 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE On décréta que la détermination des azimuts devait se faire : 1° A tous les observatoires astronomiques ; 2° A tontes les stations astronomiques situées à l'intersection des chaînes géodésiques méridiennes avec celles des parallèles ; 3° Dans tous les lieux où on pensera que cette détermination puisse porter quelque éclaircissement sur la nature des attractions locales. 4° A plusieurs points de la Calabre et du littoral nord de la Sicile, dans l'hypothèse que le reliement de la Sicile à l'Afrique s'effectuera ; 5° Aux points extrêmes des arcs de méridien et de parallèles sus- indiqués, savoir : Cagliari, Ponza, Brindisi, Capo-Passaro, etc. En résumant, on reconnut que le nombre des points à déterminer astronomiquement serait d'environ soixante. On prescrivit de relier avec le plus grand soin les observatoires exis- tant, et les stations astronomiques de campagne aux réseaux géodésiques. Les travaux géodésiques se sont continués en Italie depuis 1805, sur les bases indiquées par la Commission internationale. Quoique les cir- constances n'aient permis d'employer aux observations sur le terrain et aux calculs qu'un nombre restreint d'opérateurs, cependant on a déjà accompli une partie considérable du programme. L'arc de méridien entre Capo Passaro et la Dalmatie de l'ampleur de 6 degrés a été observé, calculé et compensé, et la traversée de l'Adriatique a été faite en commun avec les Autrichiens; on a ratta- ché l'Albanie à l'Italie ; on a mesuré les bases de Catania, embouchure du Crati et Lecce. Le printemps dernier une base près d'Cdine a été mesurée par des officiers italiens et des officiers autrichiens, se servant chacun de son appareil pour comparer ensuite les résultats obtenus. 1 Le canevas ci-joint, à l'échelle de , , „ — - (pi. XIN ) , donne une J 6,000,000 l " idée exacte de la triangulation de premier ordre exécutée dans les pro- vinces méridionales d'Italie. Par. l'examen de ce graphique, on voit que toute la chaîne méridienne depuis le Capo Passaro jusqu'à la Dal- matie a été observée et soumise au calcul de compensation. On a indi- qué, par la différence des traits qui remplissent les triangles, les diffé- rentes portions dans lesquelles a été subdivisée la chaîne totale pour la soumettre aux calculs de compensation sans avoir un nombre excessif d'équations normales à résoudre. 1° En partant du sud et procédant vers le nord, on voit d'abord le réseau de Sicile s'étendant du coté Renna Mezzogregorio aux côtés Santa Croce, Santo Angelo di Patti, Trefontane. Ce réseau comprend vingt* neuf triangles dont les côtés sont compris entre 30 et 40 kilomètres, plus une chaîne s'appuyant sur la base de Catane et se développant pour tomber sur le côté de premier ordre Monte Kossi Perrière. J. RICCI. — OPÉRATIONS GÉODÉSIOUES EN ITALIE H89 Dans ce premier travail, on s'est encore servi en partie des instru- ments répétiteurs, ce qui a été cause que l'erreur moyenne a dépassé 1" de deux, ou trois dixièmes. Les instruments dont on s'est servi dans ces opérations sont : Un théodolite de Gambey, de 10 pouces de diamètre; — de Heichenbach de 12 pouces de diamètre; — de Gambey de 8 pouces de diamètre; Un instrument universel de Pistor et Martins, de 10 pouces ; Un autre du même, de 8 pouces; Les trois premiers répétiteurs, les derniers réitérateurs. On remarquera que la partie occidentale de la Sicile a une chaîne de triangles non soumise au calcul de compensation. C'est la partie de notre triangulation qui a été exécutée entre 1862 et 1801, s'appuyant sur les côtés de l'ancienne triangulation napolitaine et dont le but était seulement de fournir des données pour les levés topographiques. Les hauts buts scientifiques n'entraient encore pour rien dans les travaux exécutés avant la formation de la Commission pour la mesure des arcs terrestres. Très-probablement dans l'année prochaine; l'on reprendra ce travail pour lui donner toute l'exactitude convenable, et en même temps l'on rattachera la Sicile à l'Afrique par le cap Bon ; opération dont la haute importance n'échappe à personne. 2° On trouve ensuite le réseau entre la Sicile et la Calabre, depuis les côtes Santa Cerco, — Santo Angelo di Patti, — Santo Angelo di Patti Trefontane, jusqu'aux côtés Montea Serra Castellara, — Serra Castellara Cozzo Sordillo, — Cozzo Sordillo, — Capo Trionfo. Cette chaîne présente vingt-sept triangles qui ont été compris dans la compensation générale, et trois indépendants. L'erreur moyenne de chaque direction déduite de la compensation est de 0", 815 ± 0", 04o. Les instruments dont on s'est servi sont : Théodolite de Gambey de 10 pouces, instrument répétiteur ; Théodolites réitérateurs de Repsold 10 pouces. — Starke 10 — — Pistor 10 — — Pistor 8 — Le réseau dont il est question présente des côtés dont la longueur est exceptionnelle dans nos opérations; ce sont les côtés des triangles qui relient la Sicile au continent, à travers la mer, par les îles Ioniennes. Le côté le plus grand est Stromboli Montea, dont la longueur est à peu près 120 kilomètres. Malgré les conditions exceptionnelles de cette triangulation, les ré- sultats de sa comparaison avec celle de Sicile furent très-satisfaisants. H 90 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE La triangulation entre la Calabre et la Sicile s'appuyant sur la base du Crati, il est intéressant de faire voir l'accord des côtés limitrophes des deux triangulations, c'est-à-dire des côtés Santa Croce, — Santo Angelo, — Santo Angelo Trefontane. La différence entre les logarithmes de ces côtés, donnés par les deux triangulations, ne dépasse pas 72 unités du septième ordre, ce qui équivaut à une différence inférieure à de la longueur des côtés. 3° La triangulation entre la Calabre et la Basilicate présente les données suivantes : 25 triangles compensés; 8 en dehors du réseau compensé ; 7 formés par des directions déjà compensées et qui sont hors du contour du réseau que l'on considère. Erreur moyenne de chaque direction 0" 376 ± 0,019. Instruments dont on s'est servi : Pistor, Repsold, Starke, de 10 pouces. 4n Réseau de Basilicate, composé de 25 triangles compris dans la compensation générale, et 3 triangles indépendants. Ce réseau part des côtés de la triangulation entre Calabre et Basilicate Giugola Alpi, Alpi Nocara, et tombe sur les côtés de Pouille, Biccari — Ascoli — Cerignola — Torre Piètre. Erreur moyenne de chaque direction 0" 485 dt 0,025. Instruments : Repsold et Starke de 10 pouces. 5° Réseau entre la Pouille et la Dalmatie. Ce réseau se rattache à celui de Basilicate par les côtés susmentionnés, et à travers l'Adriatique, par les îles de Tremiti et de Lissa, va se rattacher en Dalmatie avec le réseau autrichien. Nombre des triangles formant système dans la compensation, 30; plus 8 indépendants. Erreur moyenne de chaque direction 0" 683 ± 0" 035. Instruments : Rcichenbach de 12 pouces (répétiteur); Pistor, Starke et Repsold de 10 pouces (réitérateurs). Les triangulations de Pouille et de Basilicate s'appuyant sur la base de Foggia, elles confinent avec la triangulation du Crati sur les côtés Alpi Bulgaria, Alpi Nocara. La dif- férence est de 14 unités décimales du septième ordre dans les logarithmes des côtés limitrophes, c'est-à-dire que l'erreur à craindre sur les côtés ne 1 dépasse par le -^r- de leur longueur : résultat très-satisfaisant. zou,uuu Je pense qu'il est très- intéressant de dire quelques mots sur la mesure des bases. L'appareil dont on s'est servi a été construit par Ertel de Munich, sur les principes de celui de Bessel. Je ne m'arrêterai pas à faire des J. RICCI. — OPÉRATIONS GÉODÉSIQUES EN ITALIE 1191 considérations sur la méthode de mesure de cet illustre savant, mais les chiffres qui suivent feront apprécier, je pense, le haut degré de pré- cision que nous avons atteint. 1° Base de Catane : longueur 1,894 toises, avec une erreur moyenne de 1 ligne 22. 2° Base du Crati : longueur 1,497 toises, erreur moyenne 1 ligne 984. 3° Base de Lecce : longueur l,o'G0 toises, erreur moyenne 1 ligne 00. 4° Base de Udine. Cette base, dont la valeur définitive n'est pas encore calculée, a été, comme nous avons dit plus haut, mesurée le printemps passé par des officiers autrichiens et italiens, avec leurs respec- tifs appareils de mesure. L'accord entre l'aller et le retour de la mesure italienne a dépassé tout ce qu'il était permis de désirer, et un accord presque absolu a été constaté entre le résultat autrichien et le nôtre. 11 est aisé de comprendre Futilité de cette mesure comparative et les conséquences qu'on peut en tirer pour la comparaison des triangulations des deux États et des étalons respectifs de mesure. Ici je devrais parler des résultats obtenus dans les opérations de nivellement géodésique dont il avait été question dans la Conférence de 1864, et citées plus haut. Mais cette espèce d'opérations a reçu une nouvelle direction depuis que, par l'initiative des savants suisses MM. Hirsch et Plantamour, on a reconnu l'importance des nivellements géométriques de précision. L'Italie compte entreprendre dans ce but des travaux qui la mettent autant que possible au courant avec les pays qui ont pris l'initiative de ces opérations. Je terminerai l'exposé de ces données en faisant observer que la chaîne trigonométrique sur le paralèlle entre Brindisi et l'île de Ponza est presque toute observée et sera bientôt calculée; que quatre stations astronomiques ont été accomplies à Naples, Monte Mario, Termoli et Lecce; que l'on a déterminé télégraphiquement les différences de longitude entre Païenne, Naples et Rome, et entre Milan, le Simplon et Neucliâtel. Tous les travaux géodésiques et astronomiques faits dans le but de la mesure d'arcs terrestres seront l'objet de publications scientifiques. Il est à espérer que, dans le courant de l'année prochaine, paraîtront des brochures concernant nos mesures de bases et les déterminations de différences de longitudes de Milan , du Simplon et de Neuchâtel. Déjà, par les soins de l'Observatoire de Naples, ont été publiées des brochures sur les opérations analogues faites entre les Observatoires de Rome, Naples et Païenne. En même temps qu'on travaillait aux grands réseaux pour la mesure du degré européen, on activait les opérations destinées à la détermina- tion des chaînes trigonométriques pour fournir les bases nécessaires aux 1192 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE relévateurs de la carte. On prescrivit de déterminer un point trigonomé- trique avec son altitude1, pour chaque étendue de 25 kilomètres carrés. Les 1 feuilles de relèvement à l'échelle de ont les dimensions de 0"\3o o0,000 par 0m,50 : chaque relévateur avait environ 18 points sur sa planchette, et en tenant compte de ceux des feuilles continues qui pouvaient être placés en marge, pouvait disposer d'environ 25 points trigonométriques. 1 On adopta pour échelle de relèvement le rapport de — . On crai- gnait au commencement du travail que cette échelle fût trop petite et que l'opération présentât de trop grandes difficultés. Il était cependant indispensable de dresser au plus vite la carte des provinces méridionales et de l'île de Sicile, le gouvernement et le Parlement étant également désireux d'y aboutir. On commença en 1862 les opérations sur le terrain et le résultat des premiers travaux donna raison à cette hardiesse 1 qui semblait téméraire. Les levés exécutés à l'échelle de avec des planchettes et des dioptres perfectionnés ne laissent rien à désirer. Tous les points sont déterminés par intersection ou par la stadia, et sont cotés, ce qui a permis de tracer sur le terrain les courbes de niveau géomé- triques à l'équidistance de 10 mètres. Cette carte est réellement le portrait exact du terrain; les ingénieurs des ponts et chaussées, ceux des chemins de fer y trouvent tous les éléments nécessaires pour un premier projet. Chaque opérateur en campagne relève dans le laps de temps de sept mois environ 450 kilomètres carrés. La carte de l'île de Sicile est complètement terminée ; elle se compose de 48 feuilles de la dimension de 0m,70 par 0"\50. 1 On a reproduit cette carte à la même échelle de ..,, ,,_,. soit au 1 50,000 moyen de la photographie, soit par des méthodes héliographiques pour l'usage des administrations de l'État , des provinces et des ingénieurs. 1 Une reproduction à l'échelle de tttttt^ au moyen de la photogravure est .1 \J\J j\J\J\.' livrée au commerce. La carte des provinces méridionales est très-avancée et on a l'espoir de la terminer en 1870 : elle se compose de 126 feuilles de la même dimension que celles de Sicile. Lorsque la carte des provinces méridionales sera finie, le gouverne- ment a l'intention de continuer les travaux sur le restant de la pénin- sule pour avoir une carte complète et détaillée de toute l'Italie. R. COLLIGNON. — ÉVALUATIONS D'iNTÉGRALES DOUBLES 1103 M. Edouard COLLIGNOI Ingénieur des ponts et chaussées. MÉTHODEÏGÉOMÉTRIQUE D'ÉVALUATION DE CERTAINES INTÉGRALES DOUBLES. — Séance il u «/ août 187 4. Il existe de nombreuses mélliocles pour l'évaluation des aires planes, c'est-à-dire des intégrales de la forme / ydx, ou y» -» / / dx dy, la double intégration portant sur tous les éléments superficiels compris dans un contour donné. Nous nous proposons d'indiquer des procédés géométriques au moyen desquels la recherche de l'intégrale double / I x"1 y" dx dy, prise à l'intérieur d'un contour fermé quelconque, se ramène à la me- sure d'une aire plane. Les exposants m et n sont supposés entiers et positifs. Ce problème se présente souvent dans les applications du calcul intégral. Pour n'en citer qu'un exemple, la détermination du centre de pression d'une paroi plane suppose, en général, qu'on sache calculer trois intégrales doubles de cette forme, avec les valeurs suivantes des deux exposants : m = 1 , n = 0, m = 2 , n = 0, m = 1 , n = 1 . Appelons V l'intégrale cherchée. Nous aurons, en faisant porter la pre- mière intégration sur yn dy, Les limites y0 et y, sont les valeurs (supposées au nombre de deux) que prend l'ordonnée y sur le contour donné pour la valeur x de l'abscisse. Il est facile de voir que, quel que soit le nombre des inter- 79 1194 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE; GÉODÉSIE. MÉCANIQUE sections du contour avec une parallèle à l'axe des y menée à la dis- tance x de l'origine, l'intégrale cherchée est égale à / >/»+< •'"" dx, n-\-\J la somme étant prise le long du contour, à partir de l'un quelconque de ses points, en revenant à ce point après avoir accompli le tour entier de la ligure; nous exprimerons cette opération par la notation ! / )/»+' xmdx; l'ovale placé au bas du signe / indique que l'intégration doit être dirigée par uu point qui décrit en entier le périmètre de la figure donnée, et la flèche montre le sens dans lequel ce périmètre doit être parcouru par le point directeur, ce qui lixe le signe du résultat. La notation ordi- naire des limites ne se prêterait pas aussi facilement à représenter une intégration le long d'un contour fermé, opération dont l'analyse moderne fait un si fréquent usage. Nous avons donc à former l'intégrale / j/n+1 Xm dx. dans laquelle les valeurs simultanées de x et de y sont dt'linies par le tracé d'une courbe fermée quelconque. On la ramène par une série d'opé- rations graphiques à l'évaluation d'une aire plane : l'ensemble de ces procédés constitue la méthode de quadrature par anamorphose, que nous allons exposer. Prenons un point quelconque M sur la courbe directrice (fig. 60); soitMP la valeur correspondante de y, OP la valeur de x. Prenons sur l'ordonnée MP une longueur arbitraire constante a = PN, et par le point N me- É. COLLIGNON. — ÉVALUATIONS D 'INTÉGRALES DOUBLES 119$ nons une parallèle 0 X' à l'axe des abscisses. Joignons NO; par le point M menons à cette droite NO une parallèle MI jusqu'à la rencontre en I avec l'axe OX. Joignons NI et menons une parallèle MI' jusqu'à la rencontre I' du même axe. Joignons NI' et menons MI" parallèle. Suppo- sons que nous ayons répété (n-f-1) l'ois la même construction ; nous obtiendrons pour résultat un certain point Q, et prenant sur l'ordonnée une longueur Pm = PQ, nous aurons un point m qui sera pour nous un point transformé du point M. Appelons y' son ordonnée Pm. Les parallèles NO et MI, NI et MI', NI' et MI", . . . , NI„_1 et MQ, nous donnent la suite de rapports égaux PU FM y PI»-, PN a Pin-, .'/ Pin- 2 a PI '/ Ml I 1 ~ -■ PI > a PI II PO" a Multiplions membre à membre ces n-\-{ égalités; il vient et, par conséquent, XlJ"+i = fl"+i y'f ce qui transforme l'intégrale / y»+ix»'dx en a»+> j if x>»->- dx. Nous avons donc, en prenant pour nouveau contour directeur le lieu géométrique des pomts m, v an+i r ■ n+4 J*± expression plus simple, puisque l'exposant de l'ordonnée s'y trouve- réduit à l'unité. La même transformation s'applique à la réduction de l'exposant m — 1. I 196 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE A une distance arbitraire constante 00"= b de l'origine (fig. 67), menons une parallèle 0"Y" à l'axe OY. Par le point m obtenu précédemment, menons mh parallèle à OX jusqu'à la rencontre de 0"Y"; menons la Fig. 67 droite 0/t, qui coupe l'ordonnée Pm en m ; menons la parallèle m K jusqu'à la rencontre de 0" Y", et joignons Oh', qui détermine un point m"; répétons cette construction m — 1 fois, et soit \j. le dernier des points obtenus. Nous aurons, à cause des parallèles mh, m' h',. . ., 00", Pm Om' OP mm' m h PO"' d'où l'on déduit Pm' OP x Pm " " 00" " " 6 ' de même Pm" x Pm' — 6'etC-' et enfin, P;x x Pm"-" b' Donc Du — D™ n/ — ii' s^ xm-\ b'"— i b"l~ ' Posons Nous aurons b"^yi = yx'»-^ d'où résulte, en prenant l'intégrale le long du lieu des points [x, v = n + 1 h dx. Une anamorphose, où l'on n'a fait usage que de la règle et du compas, nous a donc conduit à dessiner par points un contour dont l'aire re- présente, à un facteur constant près, l'intégrale cherchée. É. COLLIGNON. — ÉVALUATIONS D'iNTÉGlULES DOUBLES 1197 La méthode peut être variée de bien des manières. Ainsi nous avons donné dans notre Traité de mécanique (t. II, Statique, § 205), une mé- thode graphique pour trouver les intégrales de la forme / y xm dx, méthode l'ondée sur les mêmes principes, mais plus rapide que celle que nous venons d'indiquer. Notre méthode s'étendrait encore au cas où les exposants m et n, sans cesser d'être entiers, ne seraient pas tous deux positifs ; elle n'est en défaut que dans le cas particulier où les deux exposants seraient égaux à — 1. Remarquons, en effet, que pour augmenter d'une unité l'exposant d'une des variables, il n'y aurait qu'à faire les constructions inverses de celles qui servent à le réduire; dans la première série d'opérations, on joindrait MO, et on mènerait par le point N une parallèle NI— \ à cette droite ; dans la seconde, on prolongerait Om jusqu'à la rencontre h—i avec 0"Y"; et on mènerait par le point h—\ la parallèle h-\ m-\ à l'axe des abscisses. On pourra donc, en répétant un nombre suffisant de fois ces opéra- tions; amener les exposants des deux variables à la valeur qui laisse subsister sous le signe / un simple élément superficiel. Observons ce- pendant qu'il y aura avantage à modifier légèrement la marche des opérations dans le cas des exposants négatifs. Considérons, par exemple, l'intégrale double V= f f y—dxdy. Si l'on fait porter la première intégration sur y, on aura v=i ÇiAx. o J0 X Or, si l'on suivait la marche indiquée, la première série d'opérations aurait pour effet de réduire à l'unité l'exposant de y, mais en même temps de diminuer d'une unité l'exposant négatif de x; elle conduirait à l'intégrale / y' dx xL Rien n'est plus facile que d'éviter cette altération de l'exposant de la va- riable x. Au lieu d'opérer tout d'abord sur l'abscisse OP (fig. 68), nous prendrons sur l'axe des x, à partir du pied P de l'ordonnée, une longueur 1108 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE constante PC = c, la même pour tous les points M que nous cherchons à transformer. Ayant pris comme à l'ordinaire une quantité PN = a o'- 0 N Y* m.' ai r c i rr p 0» Fig. 68. sur l'ordonnée, nous joindrons NC; nous mènerons MI parallèle; nous joindrons NI et nous mènerons MI' parallèle; nous joindrons enfin NI' et nous mènerons la parallèle MI"; après quoi nous relèverons en Pm sur l'ordonnée la distance PI". Le point l" sera le point correspondant à M. En effet, nous avons les égalités PI PM y PTT "~PN — a' PT y PI ~ ? pT — à*' Donc pr=Pm = //'=cX^, ce qui permet de remplacer dans l'intégrale y* par 0 y Joignons ensuite Om, prolongeons cette droite jusqu'à la rencontre de la droite 0" Y" au point h, et ramenons le point h en m par une parallèle à l'axe OX : m' sera le transformé définitif du point M. Car on a Pm OP Vm =~ U" donc P m Xb y' b x y m = // x 6 !l_ x x II" b' €t enfin, V=i Çtdx = \ Citiœ* fy»éc. É. COLLIGNON. — ÉVALUATIONS d'iNTÉGKALES DOUBLES I Iî)9 Dans ces anamorphoses, les points correspondants sont toujours situés sur une parallèle à l'axe des y. Plus généralement, ils conservent la co- ordonnée sur laquelle on ne fait pas porter la première intégration. On n'est pas toujours maître de l'ordre dans lequel les deux intégrations doivent s'opérer. Par exemple, la méthode ne réussirait pas pour l'inté- grale dx si l'on commençait par intégrer --; car il en résulterait un logarithme, fonction qui n'est pas, comme les puissances entières, susceptible de réduction géométrique. La méthode est donc en défaut pour l'intégrale ff-, dx dy Pour évaluer cette double somme prise à l'intérieur d'un contour donné, le mieux est de transformer ce contour en faisant correspondre à tout point étitcur A l'École polytechnique. DES INVARIANTS COMMUNS A DEUX FONCTIONS QUADRATIQUES, HOMOGÈNES, A DEUX, TROIS OU QUATRE VARIABLES. — .Séance du 26 août 1874. — 1. — Si l'on considère une fonction homogène du second degré à deux variables Axi+2Bxy+ Cy1 on sait que cette fonction admet un invariant unique (*) qui est son discriminant AC — B2. Si l'on considère en outre une seconde fonction de même espèce, A, j* + 28,^ + 0, y\ les deux fonctions, envisagées simultanément, possèdent un invariant commun, c'est-à-dire une fonction de leurs coefficients qui ne change pas à un facteur près, par une substitution linéaire. Il est connu (**) que cet invariant s'obtient au moyen de l'expression A.r* + 2 Bxy + Cf + X (A, a* + 2B4an, + C, f), en cherchant son discriminant et formant les coefficients des différentes puissances de X. Ce discriminant n'est autre que (A + XA1)(G + XC,)-(B + XB1)-2, ou AC — B* + a [AC, + CA, — 2 BB,] + X* [A, C, — Bt>]. Le premier et le troisième^coefficients sont respectivement les inva- riants des deux fonctions considérées. Quant au second, il renferme les coefficients des deux fonctions : c'est un invariant commun. On peut l'interpréter géométriquement, et il est facile de voir que si l'on fait y = 1 dans les deux fonctions, et si on les égale à zéro, de façon à ob- tenir deux équations en x, les'racines de ces équations portées sur une même droite, à partir d'une même origine, donneront lieu à quatre points en rapport harmonique, toutes les fois que l'invariant commun sera nul. La démonstration mérite à peine d'être rapportée : si les deux AC — B- A + C — 2 B cos Q [*] On enseigne quelquefois que les expressions — , . ne changeant pas — sin-o sin- 9 par suite d'une transformation de coordonnées, sonfdes invariants de la fonction Ax^+ïBxy + Ci/-. Cette locution paraît incorrecte, puisque ces expressions renferment non-seulement les coeffi- cients de la fonction, mais aussi l'angle 9. (**) Salmon, Leçons d'algèbre supérieure, traduction française, p. 92. 4200 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE couples de racines sont x',x" et x\, x'\, elles donneront lieu à un rapport harmonique si la relation ■'' i x ■ r •'■ x\- X' ■JL' i X est satisfaite. Cette relation peut s'écrire : 2 [x' x"+x\ x"î\ = (x> + ■'■") (œ'i -h x"{), ou en remplaçant les sommes et produits de racines par leurs valeurs tirées des équations m c, i i un, ou AQ + CAi — 2BBi = 0. On peut encore dire que lorsque cet invariant est nul, les deux équa- tions homogènes, obtenues en égalant à zéro les deux fonctions, repré- sentent quatre droites formant un faisceau harmonique. 2. — Si des fonctions à deux variables on passe aux fonctions à trois variables, telles que S = ox-2 + hf + cz1 -f %fm -+- 2 gzx -f- 2 ksc& ces fonctions possèdent également un invariant unique qui est leur dis- criminant a h g A= h b f 9 f c Deux pareilles fonctions, considérées simultanément, ont de plus deux invariants communs, que l'on obtient par le même procédé que celui de deux fonctions à deux variables (*). Si la deuxième fonction est T = a' gfl + b' f -f c z2 4- 2/ ys + lg' zx + 2 h' .r,j, et si l'on forme la fonction S 4~ ^X» le discriminant de cette nouvelle fonction sera a _j_ \n> h 4. W g -f \g' h-\-W b + W /'+>/' 0 + V f + W (• + >•'•' et les coefficients des différentes puissances de X dans ce discriminant seront des invariants. Si on le développe, on obtient une fonction bien connue, du troisième degré en X a + h). + (-y y* + a'x\ dans laquelle A et A sont respectivement les discriminants des fonctions l*) Salmon llbid.), p. 201. a' l> 9 a h' g a h h' b f + h // f + h b g' f c g r <■ 9 f H. PICQUET. — DES INVARIANTS 1207 S et T, H et 0' deux invariants communs dont le second se déduit du premier par la permutation des lettres accentuées en lettres non accen- tuées. On obtient facilement la valeur de ©, qui est 0 = ou en ordonnant par rapport aux coefficients de T (6c _ p) a' + (ca _ f) b' -f (ab — V) c' + 2 {gh — af) f + ï(hf-b) aux points d'intersection de chacune des courbes avec le côté du triangle de référence s = 0, c'est-à-dire S4 = ax- -\- 2 h xy -\- by1 T, = a x- -f 2 h' xy -\- b' xf. D'ailleurs, à cause de gs=ft=é=ii, © est devenu bea -\-c> inscrit dans T est conjugué par rapport à S. Si nous avions pris pour sommet du triangle de référence un autre point quelconque de la courbe T, l'invariant 0, qui est nul pour un système de coordonnées, aurait encore été nul dans ce nouveau système, et l'on aurait eu un autre triangle conjugué de S inscrit dans T. On arrive donc ainsi à la démonstration analytique de ce théorème de M. Chasles (*) : Quand on peut inscrire dans une conique T un triangle conjugué à une conique S, on peut en inscrire une infinité d'autres, ou encore ; Les deux coniques sont telles que la polaire par rapport à S d'un point quelconque de T les coupe suivant quatre points en rapport har- monique, et l'on voit en même temps que la dépendance géométrique qui existe alors entre les deux coniques S et T s'exprime analytiquement par la condition 0 = 0. 4. — D'après ce mode de dépendance géométrique, on peut jusqu'à un certain point dire que les deux courbes se partagent harmoniquement (**) et l'on aura alors l'extension aux fonctions à trois variables de la pro- priété de l'invariant commun aux fonctions à deux variables. Cette expres- sion se justifie, si l'on observe que, dans le cas de deux coniques comme dans celui de deux segments d'une même droite empiétant l'un sur l'autre, il y a réciprocité. Non pas que l'on puisse inscrire dans la conique S des triangles conjugués à la conique T, ce qui s'exprimerait évidemment par la condition 0=0, mais c'est un autre genre de réci- procité qui résulte des considérations suivantes : Quand on peut inscrire dans une conique T un, et par suite, une in- finité de triangles conjugués à une conique S, on peut circonscrire à la seconde un et, par suite, une infinité de triangles conjugués à ta première ou encore : *) Traite des sections coniques, p. 141. (**) Remarquons en effet qu'un triangle conjugué à une conique ayant toujours un point à l'in- têrieur de la courbe et deux à l'extérieur, les deux courbes auront toujours au moins deux points communs réels, et par suite empiéteront l'une -ur l'autre. II. PICQUET. — DES INVARIANTS 1209 du pôle par rapport à T d'une tangente quelconque de S, les tangentes menées aux deux courbes forment un faisceau harmonique. Pour démontrer analytiquement ce théorème connu, dont nous avons donné ailleurs une démonstration géométrique (*), il suffira de faire voir que lorsque 0 est nul, la dernière condition géométrique est satis- faite. Pour cela supposons que la droite z = 0 soit tangente à S, et que le point (x = 0, y=0) soit le pôle de cette droite par rapport à T ; on aura alors, pour S, h- — ab=o et pour T, g' = 0, f = 0; et l'invariant 0 se réduira à (bc—P)a'+(ca—g*) b' + <2(fg — ch) h' S'il est nul, les tangentes issues du point (x = 0, y = 0) aux deux courbes formeront un faisceau harmonique ; car l'équation du système des deux tangentes, qui est pour la courbe S (ca - f) x* + 2 (ch - fg) xy + (fc - , *) f = 0; se réduit pour la courbe T à a'x^ + ^h'xy]-j-b,y^=0 et la condition pour que ces quatre droites forment un faisceau harmo- nique, est précisément (1) {bc _ fi) a> + (M _ f) b' _ % (ch - fg) h' = 0 = 0 (* *) Ainsi, il existe entre les deux courbes une certaine réciprocité, qui permet de dire qu'elles se partagent harmoniquement. La propriété rela- tive aux fonctions de deux variables se trouve généralisée, et l'on peut observer que cette propriété, qui est indépendante du choix des axes, devait évidemment s'exprimer par une relation entre les invariants A, 0, A' , 0' ; on ne pouvait la prévoir aussi simple : elle répond à la simplicité du fait géométrique, qui n'est autre qu'une division harmo- nique. Cependant, après avoir adopté cette traduction dans le langage ordinaire d'une propriété géométrique, il faudra encore ajouter dans quel sens a lieu cette division harmonique. Elle peut en effet avoir lieu de deux façons, soit que 0 soit nul, soit que 0' soit nul. C'est pour- quoi nous continuerons à dire avec M. Smith (***) que, dans le premier (*) Systèmes linéaires de coniques, p. 39. — D'après M. Cremona [Curve piane, p. 89), il fau- drait attribuer ce théorème à M. Hesse [Vgrlesungen iiber analytische Géométrie des Raumes) . Leipzig, 1861. (**) Cette démonstration du théorème de réciprocité peut être remplacée par la suivante. Il résulte évidemment de la symétrie que si c'était 0' qui fût nul, ce serait la conique S qui serait circonscrite à une infinité de triangles conjugués de T. Mais le calcul qui le démontrerait, inter- prété en coordonnées tangentielles, démontrerait en même temps que lorsque le 0 tangentielest nul, laconique S est inscrite dans des triangles conjugués deT. Or, pour avoir le 0' tangentiel, il faut prendre les équations tangentielles S = »■ x = o de S et deT, et former le coefficient de ji2 dans 2+ jxt. lequel est précisément égal à A'0, comme il est facile de le vérifier. Si donc l'invariant 0 est nul, le 0' tangentiel l'est aussi, et l'on peut circonscrire à S des triangles conjugués de T. [***) Proccedings of the London mathemettical Society, n° 14, p. 85. 80 1210 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE cas, la conique ï est harmonique ment circonscrite à la conique S, et la seconde harmoniquement inscrite à la première : ces expressions se com- prennent d'elles-mêmes. Dans le second cas, c'est l'inverse qui a lieu. ô'. — Le caractère le plus remarquable de la relation 0=zO, c'est qu'elle est du premier degré par rapport aux coefficients de la conique T. Quant à ceux de la conique S, elle les renferme au second degré ; mais il résulte de la réciprocité même que nous venons de démontrer que si elle est du premier degré par rapport aux coefficients de T, elle doit l'être aussi par rapport aux coefficients tangentiels de S, puisque S jouit, par rapport à T, de la propriété corrélative de celle dont T jouit par rapport à S. Analytiquement, cela est évident, car les multiplica- teurs des coefficients de T dans l'invariant 0 sont précisément les coeffi- cients 'tangentiels de S. On sait en effet que l'équation tangentielle de conique S s'obtient en égalant à zéro le contrevariant a II 9 h b /' y f c X 0 v 0 Telle est la condition pour que la droite a x + $y -f- y r- = 0 soit tangente à la courbe proposée. Cette condition développée peut s'écrire (fc _ p) y;i + (cn _ (f.) p + (ab - ft«) f + 2 (gh - af) ï> + 2 (hf - bg) Ta -f 2 (fg - ch) o0 = 0, ou en posant, suivant une notation souvent employée bc—P=k ca—gi=B ab—hi=C gh—af=¥ hf—bg=G fh—ch=R Aa2 -f B ^ + Cf -f 2 F Py + 2 G^a -f 2 H a 0 = 0, el l'on voit qu'alors la relation 0 = 0, devient Aa' -f B6' -f Ce' -f 2 Vf -f 2 Gg + 2 Eh' = 0 (*) Elle est aussi bien du premier degré par rapport aux coefficients tan- gentiels de S que par rapport aux coefficients ponctuels de T. L'impor- tance de cette remarque ne doit pas échapper : une équation tangen- tielle de la forme précédente représente en effet une seule et unique courbe; si donc, pour déterminer la conique T, on donne une relation i*) On en conclut 6' = A.'a+B'ô-fC'c + 2F7-}-2G'g f 2 il' /i = [b'c' — f'*\ œ+' (c' a'— g'2).b+ ... le B' tangentiel est donc égal à (B' C — I"-') A + (C A' — G'-' R -| m, m:'- f'2— [c'a' — g'i) [a' b" -/,'-•■— g' h'— a' f\* = a' A', de même C A' — G'1 = V A', etc. Cette valeur devient donc à' {An' -f B&' + Ce' |-2 F/î' + 21,7' + 2H/1'), ou A'B, comme on l'a avancé dans la note précédente. H. PICQUET. — DES INVARIANTS 1211 linéaire, et qu'on peut toujours supposer homogène, entre les coefficients inconnus de son équation, ou pourra toujours interpréter cette condition géométriquement en disant que la courbe est assujettie à être harmoni- quement circonscrite à une certaine conique S dont on pourra écrire de suite l'équation tangentielle. Corrélativement, toute relation linéaire, homogène, entre les coefficients tangentiels d'une conique, exprime qu'elle est barmoniquement inscrite à une certaine conique dont on peut écrire immédiatement l'équation ponctuelle. On peut donc énoncer les théorèmes suivants : La relation linéaire la plus générale entre les coefficients ponctuels dune conique exprime quelle est harmoniquement circonscrite à une au- tre conique. La relation linéaire la plus générale entre les coefficients tangentiels d'une conique, exprime qu'elle est harmoniquement inscrite à une autre conique. 0. — De là dérive la notion des systèmes linéaires de coniques. Si l'on suppose en effet qu'une conique soit assujettie à n (n<< o) relations li- néaires, ponctuelles, cela signifiera qu'elle est harmoniquement circonscrite à n coniques données Sj, S2,... et puisque S — n, coefficients de son équation restent indéterminés, il est clair que si T{, T2... T5_„ + J sont les premiers membres des équations de 5 — n -j- 1 ou G — n courbes satisfaisant aux conditions données, X1T1 + ^T,+ ...+X6_„T6_„=:0, sera l'équation générale des courbes du système. Elle représente en effet une courbe qui satisfait aux conditions linéaires données si T,, T2,... T6_„ y satisfont, et elle renferme 5 — n paramètres arbitraires. C'est le sys- tème linéaire, ponctuel, d'ordre 5 — n. Corrélativement, si S(, S2, . . . S„ sont les n coniques auxquelles toutes celles du système sont barmoniquement circonscrites, et'que 2,, 2.2,... 2„ soient les premiers membres de leurs équations tangentielles, il est clair que chacune d'elles est harmoniquement inscrite à toutes celles du sys- tème en vertu du théorème de réciprocité, et conséquemment puisque les relations sont linéaires en A, B, C, ... toutes celles dont l'équation générale tangentielle est l'-i 2i + \H 2.2 -f . . . -j- \k 2» = 0 C'est l'équation générale d'un système linéaire tangentiel d'ordre n — 1, d'après la définition môme du système 'linéaire ponctuel. De là résultent les théorèmes généraux qui suivent. A un système linéaire ponctuel, d'ordre p, c'est-à-dire à l'ensemble de toutes les coniques harmoniquement circonscrites à 5 — p coniques don- 1212 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE nées, correspond un système linéaire tangentiel d'ordre 4 — p, c'est-à-dire l'ensemble de toutes les coniqes harmoniquement inscrites à p -}- 1 coniques données. Toutes les coniques du système ponctuel sont harmoniquement circon- scrites à toutes celles du système tangentiel qui, de leur côté, sont toutes harmoniquement inscrites à chacune des premières. Nous ne nous étendrons pas sur les conséquences ni sur les cas parti- culiers de ces théorèmes, qui ont été suffisamment développés ailleurs (*), notre but étant d'étudier au même point de vue les surfaces du second degré et leurs systèmes linéaires. "• — Considérons maintenant une fonction homogène du second degré à quatre variables -j- %lyz -j- %mzx -f 2nxy -f- %pxv -f- Vqyv -f %rzv. Comme les fonctions à deux ou à trois variables, elle admet un inva- riant unique, qui est son discriminant. 1 = Si l'on considère simultanément cette fonction S et une deuxième fonction analogue T = a! as2 + b'if -f c z1 + d' v1 -\-iVyz -f 2m'sra5-f-2n'*y -f 2p' œv-{-%q'yv -f- 2r' zv, elles possèdent, outre leurs discriminants respectifs, des invariants com- muns que l'on obtient (**) au moyen de la fonction S -f XT, en for- mant son discriminant a -j- ha' n -\- Xn' m -f- "km p -f- Kp n -f- Xn' h -\-\b' l -f- a/' q -j- ~>,q m -f Xm' / -f- W c -f- Xc r -f Xr' p -f- Xp' <7 + Xg' r -f Xr' rf -j- ^' le développant et cherchant les coefficients des dillérentes puissances de X. Cette fonction, développée, devient (*) Systèmes ponctuels et tangenliels de .sections coniques, 1872. On y trouve la démonstration géométrique de ces deux théorème?, lesquels doivent être attribués à M. Smith, professeur à l'université d'Oxford. [l'roceeding of the London mathematicat Society). n° ii, p. 8!>. Nous avons dû les rappeler ici en quelques mots, en les rattachant à des faits analytiques, afin de jeter plus de clarté sur les propriétés analogues des surfaces du second degré, qui seront traitées de la même façon dans ce mémoire et les suivants. (") Salmon, Leçons d'algèbre supérieure, traduction française, p. 222. a n m P n b 1 3 m l c r p Q r d H. PICQIET. — DES INVARIANTS 1213 A -f ex -f $X2 + ®'X3 -J- A' A1, A et A' étant respectivement les discriminants des fonctions S et T ; 0,

P 9 r d C a P Y 0 0 ce qui exprime que le plan olx -f- $y -\- 73 -j-°y=^ est tangent à la surface. L'équation 2 = 0 est homogène, du second degré en a, |J, 7, c, et peut s'écrire Aa'--fBp2-f-C72-|-D52 + 2L(3y -f 2My« + 8N«P -f- 2Pa2 -f 2Q03 + 2R78 = 0, et A, B, (>,..., sont précisément, comme il est facile de le voir en dé- veloppant S, les coefficients de a', b', c, . . ., dans l'invariant 0, pris avec leurs signes, On a, par exemple a m p L =1 — n I q h r d H. PICQUET. — DES INVARIANTS 1217 Supposons maintenant que l'on ait formé de même l'équation tangen- tielle de la surface T, et cherchons le coefficient ®\ de \j?, dans la fonction 2 -f- t*T; il se dé- duira évidemment du coefficient 0' de X3, dans S -J- XT, en y changeant les petites lettres en grandes lettres. Or, on a (7) &+... V l' . H. PICQUET. — DES INVARIANTS 4219 par les plans P,, P2, P3, P4 : soit A le point commun aux trois pre- miers, et soit 1,2,3, l'arête P4 P5 passant par les sommets 1,2,3, déter- minés plus haut. Le plan P4 passant par cette arête, ses droites d'in- tersection avec les trois premiers plans passeront respectivement par ces trois points. Cherchons maintenant l'arête opposée au sommet B(Pj P2P4): pour cela, traçons les polaires 11', 22', 33' des arêtes qui se coupent en A ; afin de déterminer cette arête, nous prendrons d'abord la po- laire 33' de l'arête BA du trièdre B, et nous chercherons son intersec- tion avec le plan opposé P4 du même trièdre, qui est évidemment le point 3 ; l'on voit donc déjà que l'arête cherchée rencontre la première au point 3. Ensuite, nous chercherons l'intersection de la polaire de l'arête BG (P^) avec le plan opposé P2 du trièdre B: or, cette arête rencontre au point 1 la polaire 11' de l'arête AD, donc sa polaire et l'arête AD seront dans un même plan, plan polaire du point 1, et se rencontreront en un certain point 4, qui sera par conséquent l'intersec- tion de cette polaire et du plan P2 ; de même, l'intersection de la polaire de l'arête BD (P2 P.4) avec le plan l\ sera un certain point 5 de l'arête AC, les points 3,4,5 seront en ligne droite pour les mêmes rai- sons que les points 1,2,3, et l'on voit qu'ils sont tous les trois dans le plan P3 : le plan P5 sera donc le plan des arêtes 1,2,3 et 3,4,5. 11. — Dans le cours de cette construction, nous avons disposé de dix indéterminées, savoir neuf pour les trois faces Pl5 P2, P3 choisies arbitrairement, et une pour la face P4 passant par la droite détermi- née 1,2,3. Un système de cinq plans dépend d'ailleurs, en général, de quinze paramètres arbitraires; il en résulte que s'il doit être conjugué à une surface du second degré, il est assujetti à cinq conditions. 11 sem- blerait résulter de là qu'on peut en outre l'assujettir à être circonscrit à une deuxième surface, puisqu'il reste plus d'indéterminées qu'il n'en faut pour remplir ces conditions. Il n'en est rien, et nous allons mon- trer que si la première est la surface T, et la seconde la surface S, il faut pour cela que la condition © = 0 soit satisfaite, ce qui prouvera en outre que si, dans la construction du pentaèdre conjugué à T on a choisi les plans P1? P2, P3, P4 tangents à S, ce qui est toujours possible d'après cette construction, la face P5 qui en résulte sera nécessairement tangente à S, si © est nul. Il suffira pour cela de faire voir que lorsque le pentaèdre conjugué à T et circonscrit à S existe, 0 est nul, car alors si 0 n'est pas nul, le pentaèdre ne pourra pas exister. Prenons donc quatre faces du pentaèdre pour tétraèdre de référence et soit P = eux -j- $V + Y* + ^v = 0' l'équation de la cinquième. Puisque S est tangente aux cinq faces, on aura pour les quatre premières 1-2-20 A= MATHÉMATIQUES, ASTHONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE h l q a m p a n p a n m 1 c r = n B = m c r = 0 C = n b (j = 0 \) = n h l q r d y; r il V S d m l c = 0 et pour la quatrième, la condilion générale (9) a n m p y. 0 n h l q {J m l c r i p q r d c a S 7 2 0 ou A a2 -f- Bp2 + Gf + Do'2 -f 2 L 0y + 2 M 77. -f 2 Na[i -f 2 PaS + 2 Q0S + 2 R?S = ° dont les quatre premiers termes disparaissent en vertu des quatre pre- mières conditions. Quant à T, son équation devra (10) être de la forme Xj œ2 _J_ X2 y* -f X3 S2 -f /^ y2 -f A, P* = 0 et en identifiant seulement dans cette équation et l'équation (7) de T les termes qui renferment les rectangles des variables, on a /' nï m' P' 9 r' fir Y' + 2Qg ' -f 2Rr' = 0. Elle est conséquemment du premier degré par rapport aux coefficients de T, aussi bien que par rapport aux coefficients tangentiels (9) de S. Une équation tangentielle représentant une seule et unique surface, il en résulte que, réciproquement, toute relation du premier degré entre les coefficients d'une surface T exprimera qu'elle est harmoniquement cir- conscrite à une deux ème surface S, dont on pourra immédiatement écrire l'équation tangentielle. Corrélativement, toute relation linéaire entre les coefficients tangentiels d'une surface exprime qu'elle est harmonique- ment inscrite à une autre surface, dont on peut écrire de suite l'équa- tion ponctuelle. Ainsi : La relation linéaire la plus générale entre les coefficients ponctuels d'une surface du second degré exprime qu'elle est harmoniquement cir- conscrite à une autre surface du second degré. La relation linéaire la plus générale entre les coefficients tangentiels d'une surface du second degré exprime qu'elle est harmoniquement ins- crite à une autre surface du second degré. On en déduit la notion des systèmes linéaires de surfaces du second degré. Si en effet une pareille surface est assujettie à n (n< 9) relations, il en résultera qu'elle est harmoniquement circonscrite à n autres sur- faces Sj, S2, ... et puisque 9 — n coefficients de son équation restent indéterminés, il est clair que si Tlf ï2, ... T40_,! sont les premiers membres des équations de 10 — n surfaces satisfaisant aux conditions données, 'M MT^l'iT • • • l 'MO — » MO — » == 0 sera l'équation générale des surfaces du système. Elle représente en effet une surface qui satisfait aux conditions linéaires données si H. PICQUET. — DES INVARIANTS 1223 T^T.,, . . . T10— «y satisfont, et elle renferme 9 — n paramètres arbitraires. C'est le système linéaire, ponctuel, d'ordre 9 — n. Corrélativement, si S>t, S2, ... Sn sont les n surfaces auxquelles toutes celles du système sont harmoniquement circonscrites, et que 5^, Z2, . . . Zn soient les premiers membres de leurs équations tangentielles, chacune d'elles, en vertu du théorème de réciprocité, est harmoniquement ins- crite à toutes celles du système, et par suite toutes celles dont l'équation générale tangentielle est ;;,, Sj -j- |A222 -j- . . . -f- [J.tl S« = 0. C'est l'équation générale du système linéaire, tangentiel, d'ordre n — /, d'après la définition même du système linéaire ponctuel. De là résultent les théorèmes suivants : A un système linéaire ponctuel, d'ordre p, c'est-à-dire à l'ensemble des surfilées harmoniquement circonscrites à 9 — p, surfaces données, corres- pond un système linéaire tangentiel d'ordre 8 — p, c'est-à-dire l'ensemble des surfaces harmoniquement inscrites a p-\-1, surfaces données. Toutes les surfaces du système ponctuel sont harmoniquement circon- scrites à toutes celles du système tangentiel ç«i, de leur côté, sont toutes harmoniquement inscrites à chacune des premières (*). Nous aurons ultérieurement à étudier tous les cas possibles depuis p = i jusqu'à p = H; les quatre derniers se déduiront des quatre autres par voie de dualité. Actuellement, nous nous bornerons à examiner les cas particuliers les plus intéressants de la condition 0=0. 16. — Si la surface ï se réduit à deux plans Pl = a1œ -f P#+Yi* + 3i«=0 P.2 = a.2x -f- 022/ + Ï23 + =2y = 0 son équation deviendra T=(a1x+l31y-f-Y,s-f-o1v) {a%x-\-^y-{-^z-\-\v) = 0 et l'invariant 0 sera de la forme Aa1a,-f-Bp1pJ.2-hCïlÏ2-fDo1o.2-f-L(p1Ï2-l-Tll32)+M(Tla2 + a1v2) + N(aipJ2+fi1a2)+P(a1â2-f-o1a,) + Q(pio2-|-oll3.2)4-R(Y132 + S1Ï2) ce qui peut s'écrire sous forme de déterminant (*) Ces deux théorèmes fondamentaux sont la base de la théorie des systèmes linéaires de surfaces du second degré. A qui les attribuer? M. Smith doit en avoir sa part comme ayant énoncé le premier les théorèmes plans analogues, qui les contiennent évidemment. Nous récla- merions volontiers la nôtre comme ayant énoncé les mêmes théorèmes, sans avoir connaissance des travaux de M. Smith, dans un ouvrage paru en 1872, mais qui s'est trouvé dès 18G9 entre les mains de M. Mannheim. Enfin, M. Darboux a donné le premier les énoncés relatifs aux sur- faces [Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques, t. I, 1870) en y joignant une série d'impurtants théorèmes sur lesquels nous reviendrons. 1224 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE a n m V *i n h l 'l a Pi m 1 c r Vi P S r d y~> 0 v-> •s 0 eu égard aux valeurs de A, B, C, ... (9) Il en résulte que si l'invariant 0 est nul, la condition que l'on écrit n'est autre que celle qui doit être remplie pour que les deux plans Pu P.2 soient conjugués par rapport à S. Ainsi: Un système de deux plans conjugués par rapport à une surface du second degré peut être considéré comme une surface harmoniquement cir- conscrite à celle-ci. Comme cas particulier, les deux plans peuvent se confondre, la con- dition devient a n m P n b I '1 m 1 c r P rl r d *i % • î «V l'a) sera œ2 * + t/a 0 + »2 ï + i'-i 5 = 0, l'équation tangentielle de la surface S sera Z=(œi*-\-yi$-\-zl'{+vi$) {cc%cc-\-y^-\-z^-{-v^)=0 et l'invariant 0 deviendra (9) H. PICQUET. — DES INVARIANTS 122o x{ x.i(ï -f- ,'/i U-2 V + -5i «2 c' + ?;i *>2 rf'+ (i/i s2 + -i 2/2) F -h ( -1 o?2 + xi z-i) m + fa i/-> + //, acj) m' + fa y2 + i'i œ.2) // -f ( //, r, -f ^ y2) 7' -j-(«, v2 -f v, a2) r' c'est-à-dire x{ {n'x-i -f /;' -J- dv2) ou f/T dT rfT rfT ^MTI + ^^+^M^ + 'M^ S'il est nul, c'est précisément Ja condition qui doit être remplie pour que les deux points soient conjugués par rapport à T. Ainsi Un système de deux points conjugués par rapport à une surface du second degré peut être considéré comme une surface harmoniquement inscrite à celle-ci. Si les deux points se confondent, la condition devient f/T . d'î dl dl oxt J dyi ' dSi ' dvi ou, en vertu du théorème des fonctions homogènes, Tl=f(xl, (/,, -,, r,) = 0 c'est-à-dire que le point est sur la surface. Un point d'une surface du second degré peut être considéré comme une surface qui lui est harmoniquement inscrite. C'est la première condition linéaire que l'on étudie lorsqu'il s'agit de déterminer une surface, et l'on voit comment elle se déduit de la con- dition qui donne, entre les coefficients de la surface, la relation linéaire la plus générale. 18. — Si la surface T se réduit à un cône, dont nous supposerons pour plus de simplicité que le sommet est le point (x = Q, y—0, 3=0), son équation devient T = a'x1 + b'y2 -f c V2 -f- 2 l'y» + ïm'zx -f 2 n'xy = 0 et l'invariant 0 se réduit à Ao'+B6'+Cc'4-2LZ'+8Mm'+8Nn' S'il est nul, cela exprime précisément que le cône T et le cône de même sommet circonscrit à S se partagent harmoniquement, le pre- mier étant harmoniquement circonscrit au second. En effet, l'équation du second est {ad— p?) xl + (bd—f) y2 -f (cd— r2) z1 -f 2 (Id — qr) yz -f- 2 (md — rp) zx -\- 2 (nd — pq) xy = 0 , 81 1226 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE L'invariant commun à cette fonction à trois variables et à la fonction T, linéaire par rapport à ï, n'est autre (2) que [{bdr— q-)(cd— r2)— ( kl— qrf] a-\- [(cd— r2)(od— p2)—(md— rp)2]6'-j- ou précisément d [ka'+BV -f Ce' + 2L/' + 2Mm' + 2Nn'] car {bd—q1) (cd — r-) — (kl—qr) '2 = d (6cd + 2 tyr— bf2—cqi—dP) = d\ de même pour B, C, L, M, N. Si donc 0 est nul, l'invariant commun aux deux cônes l'est aussi. Donc, Si un cône du second degré est harmoniquement circonscrit à une surface du second degré, cela revient à dire qu'il est harmoniquement circonscrit au cône du même sommet, circonscrit à la surface. 19. — Si la surface S se réduit à une conique, située, par exemple, dans le plan v = 0, son équation tangentielle se réduit à S = Aa2 -f B02 + Cf + 2L0Y + 2 3rya + 2 Na0 = 0, laquelle exprime que l'intersection avec le plan v = 0 du plan fl«c + Py + Y* + 8v = 0 enveloppe une conique. L'invariant 0 se réduit dès lors à Ao' + Bb' + Cc'-f 2U'+"2Mm' + 8Nn' et s'il est nul, cela signifie précisément que la conique est harmonique- ment inscrite à la courbe a'x* + by + c'ï1 + 2 l'yz + 2m zx + 2 n'xy = 0, suivant laquelle la surface ï coupe le plan de la conique S. Donc Si une surface du second degré harmoniquement inscrite à une autre se réduit à une conique, cela veut dire que cette conique est harmoni- quement inscrite à la courbe d'intersection de so)i plan avec l'autre surface . 20. — Nous supposerons maintenant qu'une des surfaces est une sphère. Pour cela, nous emploierons les coordonnées cartésiennes aux- quelles s'appliquent évidemment les théorèmes démontrés, lesquels ne lont aucune hypothèse sur la situation du plan v = 0 et n'empêchent pas de le supposer à l'infini. Il suffira donc de faire dans les formules v == 1. Si la surface S est une sphère, on aura, dans ce système de coor- données, S = (>-a)2 + (!/ — p)*4-(3_ï;*_p2 = 0 n. PICQUET. — DES INVARIANTS 1227 pour l'équation de cette surface, a, (3, 7 étant les coordonnées du centre et p le rayon. Il est facile de calculer (9) les coefficients tangentiels de S, qui deviennent alors A = ai — p2 B=(32 — p* C = y2 — P'' D=1 L = Pï M=y« N=a0 La condition 0 = 0 s'écrira 4. d' + 2 ffr +2 m'Y« 4 2 »'a(3 + 2/>'a 4- 2 g'£ 4 2 r'7 = 0 d'où l'on tire , __ aV- 4 6'ft2 4 cY 4 rf' 4 2 ffrf 4 2 w> 4 2 n'afi 4 2 p'a 4 2 t une sphère. Le tétraèdre donné devra donc, en général, satisfaire à deux conditions. Géométriquement, il est clair que chaque sommet étant, par rapport à la sphère, le pôle de la face opposée, chaque hauteur du tétraèdre devra passer par le centre de la sphère; de plus, le produit des segments comptés sur chaque 1228 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE hauteur à partir du centre de la sphère jusqu'au sommet d'une part et jusqu'à la face opposée de l'autre devra être constant sur chaque hau- teur et égal au carré du rayon de la sphère. Or, en général, les quatre hauteurs d'un tétraèdre sont sur un même hyperboloïde et ne se ren- contrent pas. 11 faudra donc, pour qu'un tétraèdre admette, une sphère conjuguée, que les quatre hauteurs se coupent en un même point. Ce point sera le centre de la sphère, et son rayon sera le produit indiqué tout à l'heure, et qui se trouve constant, comme on peut le démon- trer. De même, un pentagone gauche devra satisfaire à une condition ana- lytique pour admettre une sphère conjuguée. Géométriquement, les plans menés par chaque arête perpendiculairement au plan opposé se couperont en un même point qui sera le centre de la sphère. Le carré du rayon sera égal au produit constant des segments comptés à partir de ce point sur les perpendiculaires menées sur chaque plan de trois sommets, jusqu'à ce plan, d'une part, et jusqu'à l'arête opposée, de l'autre. Il en résulte le théorème suivant : Lorsque, dans un pentagone gauche, quatre des dix plans menés par chaque arête 'perpendiculairement au plan opposé passent par un même point, les six autres s'y coupent également, puisqu'une condition suffit pour que le pentagone ait une sphère conjuguée. Quant à l'hexagone gauche, le problème sera possible en général, et nous verrons plus loin (26) qu'il admet deux solutions. Ainsi se trouve délinie la puissance orthoptique d'un point par rapport à une surface du second degré. C'est le rayon de la sphère conjuguée aux hexagones, pentagones ou tétragones gauches inscrits dans la sur- face et pour lesquels ce point est le centre d'une sphère conjuguée. Nous verrons qu'elle est susceptible d'autres définitions géométriques. 22. — Théorème. — La puissance orthoptique d'un point par rapport ii une sphère s'obtient en divisant par y 3 la longueur de la tangente issue de ce point. Ceci est évident analytiquement, car si T = 0 est le premier membre de l'équation de la sphère dans lequel les carrés des variables ont l'unité pour coefficient, T représente précisément le carré de la tangente issue du point considéré; or on a (20) R2= T(a|(Vf,) a' + b'+c d'où 1\=: V/J.. La démonstration géométrique suivante nous en a été communiquée par M. E. Lemoine. II. PICQUET. — DES INVARIANTS 1229 Lemme I. — Quand, dans un tétraèdre ABCD, les hauteurs se coupent au même point w, les arêtes opposées sont perpendiculaires. Vis. Soient en effet Aa, Bp deux hauteurs se coupant en w ; le plan ABw est perpendiculaire à la face ACD puisqu'il contient B[ù, et à la face BCD puisqu'il contient Aa : il est donc perpendiculaire à leur intersection CD; par suite, CD est perpendiculaire à AB, qui est située dans ce plan. Lemme II. — Dans un tétraèdre dont les hauteurs se rencontrent, le pied a d'une hauteur est le point de concours des hauteurs du triangle CED formé par la face sur laquelle tombe cette hauteur. Soit I le point où le plan ABto coupe CD, Bal sera la trace de ce plan sur BCD ; or BI est perpendiculaire sur CD comme étant située dans le plan ABw ; il résulte de là qu'une quelconque des hauteurs du triangle BCD contient le point a . Déplus, B(3w est perpendiculaire sur la face ACD comme hauteur, elle est située dans le plan ABw, qui est aussi perpendiculaire à ce plan ; elle est donc perpendiculaire à l'intersection IA[3 ; ce qui fait voir qu'en outre le point w est le point de concours des hauteurs du triangle ABI. Cela posé, soit V le point où Ba coupe le cercle circonscrit à BCD ; on a, d'après un théorème de géométrie plane, aV = 2.aI ; mais si K est le second point d'intersection de Aa avec la sphère circonscrite au tétraèdre ABCD, on a ali . aA = aB . aV par suite aK.aA=aB.2aI d'où aB.al aK = '2 aA 1230 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE De plus, les triangles rectangles semblables waB, Aal donnent aw al al» a A d'où _ aR. al Tr _ 2.aw=2 : — = ah. ou wK=oo)a. aA Or, d'une part, wA.wK représente le carré de la tangente menée du point lo à la sphère circonscrite au tétraèdre ABCD. D'autre part, wA.coa repré- sente le carré du rayon de la sphère conjuguée au tétraèdre (21). Le rapport de ces deux carres est donc égal au rapport — , ou a ô ; ce qui donne la relation cherchée T d'où »=vî Si le point w se trouvait à l'intérieur du tétraèdre, les deux segments toA, G)K seraient comptés en sens inverse et le rayon de la sphère con- juguée serait imaginaire. La propriété wK=3wa, analogue à celle du triangle inscrit dans un cercle, n'en subsiste pas moins. 23. Théorème. — La puissance orthoptique d'un point par rapport à un hyperboloïde est égale à la puissance du même point (*) par rapport aux sections planes de la surface par des plans menés par ce point per- pendiculairement aux génératrices du cône asymptote. Car si ABC est un des triangles inscrits dans la section plane consi- « dérée et ayant le point donné pour point de concours de hauteurs, si D est le point à l'inlini sur la génératrice G du cône asymptote per- pendiculaire à ce plan, le tétraèdre ABCD est inscrit dans la surface, et ses hauteurs concourent au point donné. En particulier, dans ce plan, la puissance du point par rapport à la conique d'intersection peut se mesurer, sur la perpendiculaire abaissée du point sur une asymptote H de la courbe, par le produit des seg- ments comptés à partir du point jusqu'aux points d'intersection de la perpendiculaire avec la courbe (**). Or cette droite est aussi perpendi- culaire sur la génératrice G du cône asymptote, puisqu'elle est située dans le plan sécant ; d'ailleurs l'asymptote H, située aussi dans ce plan sécant, est parallèle à une autre génératrice du cône asymptote (*) Systèmes linéaires de coniques, p. 64. — La puissance orthoptiquo d'un point par rapport à une conique est le rayon du cercle conjugué commun à tous les triangles inscrits dans la courbe et dont les hauteurs concourent en ce point. I**) Ibid., p. 66. II. PICQUET. — DES INVARIANTS 1231 perpendiculaire à la première : on peut donc dire que l'on peut mesurer la puissance du point sur toute droite perpendiculaire à un des plans qui coupent le cône asymptote suivant des génératrices rectangulaires. Donc La puissance orthoptique d'un point par rapport à un hyperboloïde est égale à la racine carrée du produit des segments comptés à partir du point sur une perpendiculaire à un plan quelconque coupant le cône asymptote suivant deux droites rectangulaires, jusqu'aux points d'inter- section de la droite avec la surface. 24. — Cette droite, perpendiculaire à un plan qui coupe le cône asymptote suivant deux droites rectangulaires, engendre un certain cône qui demeure le môme et ne fait que se transporter parallèlement à lui- même, lorsque le point donné varie dans l'espace. Il est facile de trouver l'équation du cône parallèle mené par le centre, supposé à l'origine ; si l'équation de la surface est l'équation de ce cône est (&' + C ) x> + (c' + a' ) ,/- + (a' + V) z2 = G II jouit de la propriété remarquable que si on le transporte parallèle- ment à lui-môme de façon que son sommet soit un point quelconque arbitrairement choisi, il coupe la surface suivant une courbe sphérique. En effet, la puissance orthoptique de son sommet par rapport à la sur- face peut se mesurer sur l'une quelconque de ses génératrices ; le pro- duit des segments interceptés sur chacune d'elle par la surface, segments comptés à partir du sommet, est donc constant, ce qui est suffisant pour que sa courbe d'intersection avec la surface soit sphérique : il en résulte, en outre, que le point considéré, sommet de ce cône, a même plan polaire par rapport à la sphère et à la surface. Il suffit, pour s'en assurer par le calcul, d'ajouter l'équation de la surface avec l'équation ib' + C) (œ_a)2 + (c' + a') (y- fi)* + (a' + b') (s-Y)2=0 qui représente le cône dans sa nouvelle position, ayant pour sommet le point (a. p. y). On obtient ainsi l'équation de la sphère (ar + b'+cOCa^ + ^+a*)— »«(6' + C)aî— ^(C + aOy _2ï(a'+6>-J-(6' + c')a2-f-(c' + a')^ + (a'+&')ï2 + ^=0 sur laquelle on peut vérifier la propriété énoncée relative au plan polaire et remarquer en outre, comme on l'a annoncé, que la tangente menée à cette sphère par le point (a. (3. y) est précisément la puissance du point par rapport à la surface. 25. — Cette sphère est susceptible d'une autre définition. Appelons 1232 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE cône équilatère, comme on le t'ait quelquefois, le cône du second degré, sur lequel on peut mettre les arêtes d'une inimité de trièdres trirectan- gles, et pour lequel on a a -f- 6 + c = 0. Cette sphère n'est autre que le lieu des perpendiculaires abaissées du point (a. 6. y) sur les plans qui coupent la surface suivant des courbes vues du point sous des cônes équilatères. On pourrait le démontrer géomé- triquement au moyen du théorème correspondant de géométrie plane. Pour faire voir que c'est la même sphère, nous allons chercher son équation. Prenons le point (a. 6. y) pour origine et soit T = a'x1 + b' if + C z>- + d' -f- 2 l'yz + 2 m'zx -f- Srixy -f Ipx -f 2r/'y + 2r's = 0, l'équation de la surface. L'équation du cône ayant pour sommet l'ori- gine et pour base la courbe d'intersection de la surface avec le plan (1) Xx + py + va = 1 est a'x'1 -f- b'y- -f- r z'- -f- "2Ï >/z -f- Qiii'z.r -)- Qrixy J_ 2 (Xcc + [At/ + v r. ) (y/.r -f ry'// -f- r's) -f d' ( Xtf -f py -f v*)2 = 0, s'il doit être équilatère, on aura entre a, \j., v la relation (2) a' + 6' + C + 2 (Xy/ + jitf + v r) + cl (X2 + p2 + v2) = 0. La perpendiculaire abaissée de l'origine sur le plan a pour équations ,, x y z (3) — = -^- = _ A [A V Reste à éliminer X, \i, v entre (1), (2), (3). Les rapports (3) et l'équa- tion (1) donnent /. ;,. v Xœ + ny+va d'où l'on tire X, [/,, v. Substituant dans (2) et divisant par le facteur (x- -f xf- -f s2), il reste («' + 6' + c) (oj» + ï,2 + ^2) + 2 (j/œ + y */ + r's) -f- d' = 0. Si l'on suppose la surface rapportée à son centre comme précédem- ment, p', g', r sont nuls et l'on obtient la même sphère que la pre- mière, dans laquelle le point (a. 6. 7.) serait supposé à l'origine. L'équation langentielle (2) en X,jji,v prouve que le plan (1) enveloppe une surface de révolution du second degré ayant le point donné pour foyer. On peut donc donner cette nouvelle délinition de la puissance d'un point : II. PICQLET. — DES INVARIANTS 1233 C'est la longueur de la tangeri'.e menée du point à la sphère, lieu, des pieds des perpendiculaires abaissées du point sur les plans qui coupent la surface suivant des coniques vues du point sous un cône équilatère. Si le point est sur la surface, le plan polaire commun devient le plan tangent en ce point. La sphère et la surface sont tangentes en ce point ; il en résulte que le plan (1) passe par le point fixe delà normale diamétrale- ment opposé dans la sphère, d'où ce théorème connu : Si un trièdre trirectangle tourne autour d'un point fixe d'une surface du second degré, le plan des trois points où les arêtes percent la surfin;1 passe par un point fixe de la normale au point considéré. 26. — Il est impossible de passer sous silence la particularisation de ces propriétés pour le cas où, a -\- b' -f- c étant nul, la surface devient un hyperboloïde équilatère. L'on voit en effet que la puissance d'un point quelconque devient infinie (20) à moins que le numérateur de son expression étant également nul, c'est-à-dire le point étant sur la sur- face, elle ne soit indéterminée. C'est ce que confirme chacune des défini- tions de la puissance; si l'on considère que le plan perpendiculaire à une génératrice du cône asymptote coupe la surface suivant une hyper- bole équilatère, puisque ce cône est lui-même équilatère ; ou encore qu'une droite perpendiculaire à un plan qui coupe le cône asymptote suivant deux droites rectangulaires est elle-même parallèle à une géné- ratrice de ce cône. La partie de la courbe sphérique qui reste à dis- tance finie devient un cercle, et la sphère se réduit à un plan à distance finie. Les énoncés précédents deviennent : Les plans qui coupent un hyperboloïde équilatère suivant des courbes vues d'un point donné sous un cône équilatère enveloppent un paraboloïde de révolution ayant le point pour foyer. Le lieu des pieds des perpendi- culaires abaissées du point donné sur ces plans est un plan. Si un trièdre trirectangle tourne autour d'un point fixe d'un hyper- boloïde équilatère, le plan des trois points où les arêtes percent la surface demeure parallèle à la normale au point considéré. La condition a' -f- b' -f- c ' = 0 étant linéaire par rapport aux coeffi- cients de T, indique que cette surface est harmoniquement circonscrite à celle dont l'équation tangentielle serait c'est-à-dire au cercle de l'infini (*). Si donc l'on suppose qu'une sphère et un hyperboloïde équilatère se partagent harmoniquement le plan de l'infini coupant harmoniquement ces deux surfaces, il faudra que son pôle, par rapport à celle des deux qui est harmoniquement inscrite, (*) Salmon, Geometry of three dimensions, 1874, p. 165. 1234 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE c'est-à-dire le centre de cette dernière surface, soit sur l'autre. Ainsi : Lorsqu'une sphère et un hyperboloide équilatère se partagent harmoni- quement, celle des deux surfaces gui est harmoniquement circonscrite passe par le centre de Vautre. On ne pourra donc pas prendre un point quelconque de l'espace pour centre d'une sphère harmoniquement inscrite à l'hyperboloïde, puisque ce centre ne saurait être ailleurs que sur l'hyperboloïde, et c'est pour cela que la puissance d'un point est infinie s'il n'est pas sur la surface, indéterminée dans le cas contraire. Il en résulte les théorèmes suivants : Lorsqu'un hyperboloide équilatère est circonscrit à un tétraèdre dont les hauteurs se rencontrent, il passe par le point de rencontre des hauteurs; Lorsqu'un hyperboloide équilatère est circonscrit à un pentagone dont les plans-hauteurs concourent en un même point, il passe par ce point; Lorsqu'un hyperboloide équilatère passe par six points, il passe par les centres des sphères conjuguées à l'hexagone des six points. Dans ce dernier cas, la surface est assujettie à sept conditions linéaires provenant des six points et de la relation a -f V + c! = 0. Or nous verrons que toutes les surfaces du second degré qui se trouvent dans ce cas ont huit points communs. Faisant abstraction des six premiers, on voit qu'il en reste deux. Un hexagone gauche admet donc deux sphères conjuguées (21). 27. — Pour ne dire qu'un mot du paraboloïde, nous ferons seule- ment remarquer que la puissance d'un point par rapporta cette surface est égale à la puissance du point par rapport à une section plane per- pendiculaire à l'axe. 28. — Si la surface harmoniquement circonscrite T est une sphère, son équation devient T = {x - «)» + (y - p)« + (z - Y)2 - P2 = 0, ce qui donne . a' = b' = c' = \; l'=m'=n' = 0; p' = — a; g'=— 0; /•' = — 7; et d'=a2 + p2-fY2— P2 La condition O = 0 devient alors : A+B+C+D(a* + pa+T* — p*)— Pa— Qp— RY=0, d'où l'on tire : p^-i^a^ + ^-fY^-Pa-Qp-RY + A + B + c] Le second membre n'est autre que le résultat de la substitution de a, H. PICQUET. — DES INVARIANTS 1235 (J, y» à la place des coordonnées x, y, z, dans le premier membre de l'équation de la sphère concentrique à la surface S, et dont le rayon est la somme des carrés des demi-axes de cette surface. Si, en effet, on suppose la surface rapportée à son centre, P, Q, R sont nuls en môme temps que p, q, r et — ■ — , qui représente le rayon de la sphère, est précisément la somme des carrés des demi-axes. Cette sphère, nous l'avons nommée ailleurs (*) sphère orthoptiquc de la surface, parce qu'elle est le lieu des points de l'espace d'où l'on voit la surface sous un cône équilatère de seconde espèce (**). Si donc une sphère est harmoniquement circonscrite à une surface du second degré, son rayon est égal à la longueur de la tangente menée de son centre à la sphère orthoptique. Cette longueur, déterminée pour chaque point de l'espace, sera la puissance orthoptique de seconde espèce du point par rapport à la surface. C'est le rayon de la sphère conjuguée commune à tous les tétraèdres ou pentaèdres à sphère conjuguée, et à tous les hexaèdres, pour lesquels ce point est le centre d'une sphère conjuguée, et circon- scrits à la surface. Il en résulte que toute sphère harmoniquement cir- conscrite coupe à angle droit la sphère orthoptique. Nous avons vu (21) quand et sous quelles conditions un tétraèdre peut avoir une sphère conjuguée. Un pentaèdre devra remplir une condition pour en avoir une, et alors les dix plans menés par chaque sommet perpendiculairement à l'arête opposée passeront par un même point, ce qui conduit à ce théorème : Si quatre des dix plans-hauteurs d'un pentaèdre concourent en un même point, les six autres concourent également en ce point (***). Eniin, si l'on remarque que lorsque deux points sont conjugués par rapport à une sphère, comme cela arrive pour les sommets opposés d'un hexaèdre, la sphère est coupée orthogonalement par celle qui a pour diamètre le segment qui les joint, on démontre facilement que les dix sphères ayant pour diamètres les dix diagonales d'un hexaèdre ont même centre radical, et que l'hexaèdre admet une sphère conjuguée qui est leur sphère orthogonale commune ( ***) . 29. — Un cas particulier intéressant est celui où la surface est un paraboloïde, pour lequel on sait que la sphère orthoptique se réduit à (*) Systèmes linéaires de coniques, p. 81. (**) On attribue souvent indistinctement la dénomination de cônes équilatères à ceux sur les- quels on peut mettre des trièdres trirectangles, ou à ceux auxquels l'on peut circonscrire ces mêmes trièdres : dans ces derniers, c'est la somme des carrés des axes qui est nulle. Nous avons proposé [Nouvelles Annales de mathématiques, 1866, p. 155) de les distinguer par leur espèce. (***) P. Serret, Nouvelles Annales de mathématiques, 1865, p. 207. [****) Ibid., p. 205. 1236 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE, MÉCANIQUE un plan. D étant nul, la puissance orthoplique de seconde espèce devient infinie pour tout point pour lequel le numérateur de p n'est pas nul, c'est-à-dire pris en dehors du plan orthoptique : pour les points de ce plan, elle est indéterminée. C'est dire que l'on ne peut circonscrire à un paraboloïde de tétraèdres ou pentaèdres à sphère conjuguée, ni d'hexaèdres dont le centre de la sphère conjuguée ne soit pas dans le plan orthoptique. C'était évident, puisque le plan orthoptique doit couper à angle droit toute sphère harmoniquement circonscrite (28). Il en ré- sulte les théorèmes suivants : Lorsqu'un tétraèdre dont les hauteurs se rencontrent est circonscrit à un paraboloïde, le plan orthoptique passe par le point de concours des hauteurs ; Lorsqu'un pentaèdre dont les plans-hauteurs concourent en un même point est circonscrit à un paraboloïde, le plan orthoptique passe par ce point : Lorsqu'un hexaèdre est circonscrit à un paraboloïde, le plan orthop- tique passe par le centre de la sphère conjuguée. ou encore : Les plans ortkoptiques de tous les paraboloïde tangents à six plans concourent en un même point (*). L'examen approfondi de la condition 6 = 0 et de ses cas particuliers nous permettra de poursuivre avec fruit l'étude des systèmes linéaires de surfaces du second degré. M. LAPOETE Professeur du Cours municipal de géométrie et Je mathématiques, â Bordeaux. SUR LES MÉTHODES PROBABLES DE FERMAT Séance il u 26 août 1874. — (*) Voy. une série de théorèmes présenté? par nous à la Société philomathique [Journal l'Imtitut), 20 décembre 186$. LISTE DES TRAVAUX IMPRIMÉS QUI ONT ÉTÉ ENVOYÉS AU CONGRÈS DE LI1J.E ET QUI N'ONT PU FIGURER DANS LES COMPTES RENDUS A. FASCI, professeur d'hydrographie. — La 'Navigation hauturière. Paris, sans date, Artlius Bertrand; éditeur, in-8°, 24 pages, avec 2 planches. — Mémoire sur le point observé et la détermination des courants à la surface des mers. Paris, sans date, Arthus Bertrand, éditeur; in-8% 36 pages, avec 5 planches. Léopold CHAUBART, ingénieur civil, ancien conducteur des ponts et chaus- sées. — Résillage des enrochements. Toulouse, 1870; in-8°, 36 pages, avec 1 planche. LAPORTE, professeur du Cours municipal de géométrie et de mécanique, à Bordeaux. — Petit essai sur quelques méthodes probables de Fermât. Bordeaux, 1874; in- 8°, 22 pages. CONFÉRENCES M. H. FATE Membre de l'Institut, Inspecteur général de l'instruction publique. LE PROCHAIN PASSAGE DE VÉNUS SUR LE SOLEIL. — Conférence du 22 août 1874. — Si, le 9 décembre prochain, vers trois ou quatre heures du matin, vous pouviez contempler de loin le globe terrestre en tournant le dos au soleil, vous assisteriez à un spectacle étrange. Sur l'hémisphère nord, depuis la Perse jusqu'au lac Baïkal, en pleine Sibérie, et du lac Baïkal au bord orien- tal de l'Asie, vers les extrémités de la Chine et du Japon, vous verriez une longue rangée d'établissements astronomiques improvisés pour observer de tous les points à la fois un même phénomène astronomique. A elle seule la Rus- sie aura vingt-sept stations ; la France, l'Angleterre, l'Allemagne, les États- Unis en auront douze ou quinze au nord. En portant vos yeux sur l'hémisphère sud, vous y verriez au même ins- tant, et pour le même objet, une rangée toute pareille d'observatoires distri- bués sur une longue ligne à peu près parallèle à la première, depuis le cap de Bonne-Espérance jusqu'à la Nouvelle-Zélande. Ici les continents manquent : les observateurs français, anglais, allemands, américains sont forcés d'aller se poster avec leurs instruments sur les îles désertes de l'hémisphère austral, à l'île de Kerguelen, à l'île Saint-Paul, à Hobart-Town, au fond de la Terre de Yan-Diemen, aux îles Macquarie, Auckland, Campbell, à la Nouvelle-Zé- lande, etc. Au nord, ils sont en plein hiver, au milieu des neiges et des glaces sibé- riennes ; au sud, ils jouissent de l'été, mais presque toutes les îles où ils sont campés mériteraient le nom de l'une d'elles, île de la Désolation. Évidem- ment, il s'agit là d'un grand phénomène qui intéresse le monde civilisé, d'un problème qu'il faut résoudre coûte que coûte. Voulez-vous que nous considérions en particulier une de ces stations, pour nous rendre un compte exact du grand effort que les nations civilisées s'im- posent : choisissons celle que va occuper M. Mouchez, capitaine de vaisseau et membre du Bureau des longitudes, connu dans le monde scientifique par 1240 CONFÉRENCES ses be;iux travaux hydrographiques sur les côtes du Brésil et ceux qu'il vient d'accomplir, l'an dernier, sur celles de l'Algérie; C'est l'île Saint-Paul. Je vais vous en montrer un beau plan relief dressé par M. l'amiral de "Wiïllerstorff, dans son voyage de circumnavigation à bord de la Novara. Vous le voyez, c'est un volcan éteint, dont la mer a envahi le cratère après en avoir long- temps battu l'enceinte. Elle y a trouvé un point faible et a fini par se frayer un passage; Les navigateurs, qui doublent le Cap pour remonter vers l'indo- Chine ou pour aller en Australie, reconnaissent cette île, mais ils ne s'y ar- rêtent jamais. Impossible d'y prendre de l'eau, des vivres, du combustible. 11 n'y a pas d'eau, pas de gibier, pas un seul arbre. D'ailleurs elle est inabor- dable. Le navigateur la reconnaît, en d'autres termes il en relève de loin la position avec la boussole, afin d'en déduire la position de son propre navire et de rectifier ainsi son estime de la route. Je disais que le volcan est éteint. Pas tout à fait : à mer basse, il projette de tous côtés dans le cratère des fontaines d'eau bouillante. C'est que l'eau de la mer, en remplissant le cratère, y a trouvé des issues souterraines qui la conduisent jusqu'au feu qui couve au-dessous : elle s'y échauffe à la plus haute température que l'eau puisse prendre ; elle se réduit en partie en va- peurs : le reste remonte à l'état d'eau bouillante. Cependant il n'y a plus d'émanations acides ou sulfureuses, comme dans les autres volcans imparfai- tement éteints. Je la disais déserte. Pas absolument ni toujours. L'île Saint-Paul, inacces- sible aux grands navires, offre aux petits qui peuvent franchi]- par les beaux temps la passe étroite que la mer s'est creusée, un asile sûr dans son cratère entouré de toutes parts par une muraille de rochers à pic, de 230 mè- tres de hauteur. Ces mers australes sont fréquentées pendant la belle saison par les pêcheurs de morue de la Réunion et les chasseurs de baleines ou de phoques des États-Unis. Quand les pêcheurs ont fait leur récolte, ils vont à Saint-Paul sécher leurs poissons, les saler, les encaisser, puis ils mettent à la voile et rapportent à Saint-Denis leur cargaison. Voici donc ce que les Français auront à faire. Partis le mois dernier de Paris, ils iront à l'île de la Réunion, où un navire de l'État les attend poul- ies prendre à bord et embarquer leurs instruments et leurs provisions. Puis ils feront voile pour l'île Saint-Paul. Le navire, s'il fait beau, tâchera de jeter l'ancre à bonne distance de ce rivage inhospitalier, sur lequel brisent inces- samment les grandes lames de l'Océan austral ; puis il transbordera dans de petites embarcations les passagers avec leurs instruments, leurs provisions, et, le dirai-je? leurs maisons, construites à Paris, et transportées au loin pièce par pièce. Il faudra installer une vaste cabine pour une quinzaine de personnes; un magasin pour une année de vivres; du combustible; une machine distillatoire pour faire de l'eau douce; un véritable édifice de bois, à dôme sphérique tournant, pour la plus grande lunette, une de celles qui feraient honneur à un observatoire, avec son pilier en pierre, sa monture équatoriale en fer et son mouvement d'horlogerie. Puis un autre édifice pour les instruments méridiens et la pendule sidérale; enfin un quatrième pour les observations et manipulations photographiques. FAYE. — LE PASSAGE DE VÉNUS SUR LE SOLEIL 1241 Lorsque ce difficile débarquement aura été opéré, le commandant Mouche?, renverra à la Réunion le navire qui l'aura amené et s'arrangera pour passer dans l'île cinq mois entiers. 11 aura avec lui pour les observations astrono- miques et photographiques : M. Cazin, professeur de physique au lycée Fontanes ; M. Turquet, lieutenant de vaisseau. De plus, pour rendre cette expédition profitable à d'autres sciences que l'as- tronomie : M. Delisle, géologue, voyageur du Muséum. Ici, Messieurs, j'interromps mon énumération, afin de rappeler que l'Asso- ciation française pour l'avancement des sciences est représentée directement dans cette expédition par M. Vélain, naturaliste, chargé du dragage 'du fond de la mer. Vous avez voté la somme nécessaire pour compléter les fonds que M. le ministre de l'instruction publique a bien voulu affecter à celte expédi- tion sur le chapitre de son budget, si insuffisant, hélas! qui a trait aux mis- sions scientifiques. Grâce à vous, les voyages du navire confié au comman- dant Mouchez seront largement utilises pour l'étude encore peu avancée du fond de l'Océan, étude dont une expédition anglaise, celle du Challenger, a montré récemment l'intérêt et l'importance. M. Vélain, votre délégué, ne stationnera pas à Saint-Paul, mais il étudiera les plages voisines, celle de l'île d'Amsterdam, et les fonds compris entre ces régions et celles de la Réu- nion. Dans ces mers, si complètement isolées des nôtres malgré de vastes communications océaniques, parce qu'elles dépendent exclusivement des eaux australes, il y a d'importantes découvertes à faire. Votre part dans cette grande expédition sera féconde, sinon pour l'astronomie, du moins pour l'é- tude de notre propre globe. Je reviens au corps expéditionnaire. Il me reste à mentionner un habile mécanicien, des timoniers empruntés à la flotte, habitués à tout faire et à faire bien au sein des difficultés et des périls, hommes des ressources suprê- mes, que nous avons vus à l'œuvre au siège de Paris et dont nous avons ad- miré l'habileté, le courage et la discipline à toute épreuve ; enfin un équipage complet de bateau pêcheur destiné à ravitailler la colonie de poissons, car, en fait de vivres frais, il ne faut pas compter sur la chair détestable de trois ou quatre cents pingouins qui habitent cette île et pèchent pour leur propre compte dans le cratère. Mais, me direz-vous, le passage de Vénus sur le Soleil ayant lieu le 9 dé- cembre, pourquoi ne reviennent-ils pas après l'avoir observé ? pourquoi sta- tionner encore de longs mois dans cette île déserte ? Messieurs, la raison en est aussi simple qu'impérieuse. L'observation de Saint-Paul ne doit pas rester isolée : elle doit être combinée plus tard avec celles qu'on fera dans chacune des stations du Nord. Or cela n'est possible qu'à la condition de pouvoir calculer avec précision la distance de cette île à chacune de ces stations, à celles de la Chine comme à celles du lac Baïkal, comme à celles du terri- toire persan. C'est vous dire assez que, outre l'observation du passage de Vénus, les astronomes de Saint-Paul auront à déterminer leur position géo- graphique avec une grande précision, et pour cela ils emportent avec eux un 82 1242 CONFÉRENCES observatoire complet. S'il ne s'agissait que de la latitude, ce serait fait en quelques nuits avec la précision nécessaire. Mais la longitude n'est pas aussi vite obtenue. Il leur faudra pour cela trois mois d'observations de la Luné à son passage au méridien du lieu. Or un mois au moins est nécessaire pour construire les maisons apportées pièce à pièce, ériger les piliers de pierre de taille qui doivent supporter les instruments et les pendules, régler les dits instruments de manière à pouvoir suivre les astres, et déterminer l'heure avec précision, pour être, an un mot, prêts au 9 décembre. Puis, après ce jour-là, ils resteront trois mois dans l'unique but de fixer leur position géographique. Voilà quatre mois au moins de séjour bien comptés. Mais les marins sont prévoyants. Le rapatriement pourrait présenter des difficultés, des accidents ; les tempêtes sont terribles dans ces climats : aussi l'expédition s'est-elle munie de vivres pour une an- née entière, et, pourquoi ne pas le dire? comme le chef s'est aperçu qu'il au- rait à peine de la place dans les endroits accessibles pour installer ses ins- truments, il a emporté des tonneaux de poudre, afin de faire sauter au besoin les rochers les plus gênants. "Vous le voyez, Messieurs, sans la marine française la science fût restée impuissante. Ces difficultés gigantesques ne peuvent être affrontées que par des marins. A l'île Campbell, elles ne sont pas moindres ; le désert y est encore plus complet, plus absolu qu'à Saint-Paul. Que deviendraient dans ces îles nos citadins habitués à toutes les commodités de la civilisation ? Si nous réussissons, et je n'en fais nul doute, nous le devrons avant tout au concours de nos vaillants marins, de leurs savants officiers et à la bienveillance éclai- rée du ministre de la marine, qui a bien voulu mettre d'immenses ressources à la disposition de l'Académie. Maintenant, Messieurs, quel est le but de ces grands efforts ? pourquoi ce concours, cette émulation des grandes nations civilisées ? Il s'agit de mesurer la distance de la terre au soleil, soit ; mais il semble que cette distance est déjà bien connue ; et d'ailleurs, en quoi est-ce donc là chose si importante ? quel grave intérêt se cache au fond de cette question de pure astronomie ? C'est ce que je vais tout d'abord tâcher de vous exposer ; nous terminerons par le tableau détaillé de nos propres expéditions. Pour mesurer directement la distance du soleil à la terre, les astronomes ne procèdent pas autrement que les arpenteurs qui ont à déterminer fré- quemment la distance de points inaccessibles, ou que les artilleurs qui doivent déterminer la distance du but s'ils veulent pointer de manière à l'atteindre. Prenons donc ce second exemple et supposons le canon placé en A pour atteindre un but éloigné en B. Vous savez que pour pointer exactement il ne suffit pas de tirer dans la direction AB : il faut encore connaître la distance afin de donner à l'axe de la pièce l'inclinaison convenable. Pour cela un artilleur, portant une des extrémités d'un cordeau de 20 mètres, s'éloigne de la pièce dans la direction perpendiculaire AC jusqu'à ce que le cordeau soit tendu ; arrivé en C, il mesure l'excès de l'angle BCD sur un angle droit, c'est-à-dire l'angle BCE. Cet angle est précisément égal à l'angle B ; il déter- mine la différence des directions du point B vu des deux extrémités A et C FAYE. — LE PASSAGE DE VÉNUS SUR LE SOLEIL 1243 de la petite base de 20 mètres. Les astronomes l'appellent parallaxe (change- ment, sous-entendu de direction). Cet angle une fois connu, l'officier qui dirige Fig. 73. la batterie n'a qu'à consulter une petite table que je vais mettre sous vos yeux : il y trouve immédiatement, en lacevde l'angle ou de la parallaxe du point B, la distance cherchée AB. Vous voyez que la parallaxe de B est l'angle sous lequel du point B on voit la base de 20 mètres perpendiculaire à l'un des côtés. Cet angle est-il d'une minute, la géométrie nous apprend que la distance est égale à 3,400 fois U base. S'il est de 2', cette distance est ~— ou 1,700 fois la base, et ainsi de suite. La base étant de 20 mètres, la distance sera de 08,000 mètres dans le premier cas, de 34,000 mètres dans le second. Voici la table que l'officier calcule d'avance : PARALLAXE DISTANCE mesurée. conclue. 1' G8.000m 2 34.000 3 22.000 • 20 13.438 21 3.274 22 3.125 4244 CONFERENCES Les angles, petits ou grands, se mesurent d'ordinaire avec la même pré- cision absolue, mais il n'en est pas de même des distances conclues. Plus la parallaxe est petite, plus la distance conclue est grande et en même temps plus elle est incertaine. Une erreur de 1', par exemple, dans la mesure d'une parallaxe de 2', produirait une erreur de 3i,000 mètres, tandis que, pour une parallaxe de 20', l'erreur à craindre sur la distance se réduirait à 16i mètres. Ainsi la première condition du succès, quand on veut mesurer la distance d'un point inaccessible, c'est de s'arranger de manière à avoir une forte pa- rallaxe. Pour cela le moyen est bien simple : il suffit d'augmenter la base si la première base adoptée donne une parallaxe trop faible. Fig. 71 Fie. 73. Appliquons cela à un astre voisin de nous. Des deux extrémités d'une base aussi grande que possible prise sur le globe terrestre, deux astronomes pointent leur lunette vers cet astre et mesurent sa distance angulaire à une étoile voisine. L'étoile étant à une distance infinie, pour ainsi dire, les deux lignes AE et BK dirigées vers elle seront sensiblement parallèles, et la somme des angles a et b donne juste l'angle S, c'est-à-dire la parallaxe de l'astre S. Celle-ci, combinée avec la base AH, nous fait connaître la distance AS. Mais en appliquant ce procédé au Soleil on trouve bien vite que, même en donnant à la base la plus grande dimension possible sur le globe terrestre, celle d'un diamètre entier, ce ne sont plus de minutes qu'il s'agit pour la pa- FAYE. — LE PASSAGE DE VÉNUS SUH LE SOLEIL 1241) rallaxe, mais de secondes. Alors le tableau précédent doit être refait et devient, en substituant les secondes aux minutes et en prenant pour base un rayon terrestre : IWBtLLAXF. DISTANCE mesurée. conclue. 1" 206 . 000 rayons terrestres. 2 ' 103.000 — 3 68.000 — 8 25.000 9 . 22.000 10 20.000 On voit encore avec quelle rapidité croit l'erreur à mesure que la parallaxe est plus petite. La parallaxe du Soleil étant d'environ 9", une seconde d'erreur sur la mesure angulaire donnera 2 ou 3,000 rayons terrestres d'erreur sur la distance. Le Soleil est donc trop éloigné ou notre Terre trop petite. S'il s'agissait d'une des deux planètes, Vénus et Mars, qui circulent comme la Terre autour du Soleil, et par moments s'approchent beaucoup de nous, la même opération donnerait une parallaxe quatre à cinq fois plus forte, et l'on mesurerait par conséquent leur distance avec quatre à cinq fois plus de précision. Eh bien, c'est justement cette substitution que font les astronomes. Entre les distances des planètes au Soleil et les durées de leurs révolutions si par- faitement connues, il existe une relation simple qui nous permet de calculer avec la dernière exactitude, non les distances absolues des planètes à la terre ou au soleil, mais les rapports de ces distances. Le système solaire est, grâce à cette loi, comme un plan exact dont on ignorerait l'échelle. Si une seule ligne de ce plan a été une fois déterminée avec une certaine précision, toutes les autres lignes ou distances se déduisent aussitôt de la carte avec la même précision relative. Il suit de là que, pour obtenir la distance du soleil à la terre, il est avantageux de mesurer la distance de la terre à Vénus, qui est cinq fois plus petite, et qui, par conséquent, donne lieu à une parallaxe cinq fois plus grande. Et comme Vénus, à certaines époques, se projette pour nous sur le disque même du soleil, on choisira ces époques qui seront particulièrement favorables à la précision des mesures. Soient T la Terre, SS' le Soleil, V Vénus, que deux observateurs postés en A et B voient se projeter en a et b sur le Soleil. L'angle akb, compris entre a et 6, est aisé à mesurer. 11 est égal, en vertu d'un théorème de géométrie élé- mentaire, à l'angle AVB ou v (parallaxe de Vénus) moins le petit angle p (pa- rallaxe du Soleil). Ces deux angles sont sensiblement entre eux comme les distances du soleil et de Vénus, c'est-à-dire comme 28 est à 100 ou à peu 124G CONFERENCES près comme 4 est à 1. Nous aurons donc v quadruple de p, ou v — p triple de p. La quantité mesurable est triple de la quantité cherchée. Nous aurons- clic -ci avec une précision triple, et comme AB peut être pris plus grand qu'un rayon terrestre,, nous obtiendrons tinalement la parallaxe du Soleil à l'aide d'une mesure portant sur une quantité 4 ou S fois plus grande qu'elle. Si celle-ci est mesurée à 0", 1 près, l'inconnue de notre grand problème sera obtenue à 0",02 près, c'est-à-dire à — près de sa longueur totale. Toute l'opération est donc ramenée à mesurer avec précision, en A et en B, la distance angulaire de Vénus au centre du Soleil et à prendre la différence de ces deux angles. Le reste est une pure affaire de calcul. Conditions de l'opération. — Vous voyez, maintenant, Messieurs, la raison qui a guidé dans le choix des stations, et pourquoi les astronomes vont se poster en des lieux si éloignés les uns des autres. Pour opérer sur une grande parallaxe, il faut avoir une grande base. C'est pourquoi les uns vont le plus loin possible au nord, les autres le plus loin possible au sud. Ce n'est pas tout, car s'il n'y avait pas d'autres conditions, il suffirait de deux stations, l'une au nord, l'autre au sud. Mais il faut compter avec le mauvais temps. Qu'en A ou eu B le ciel soit couvert toute la journée du 9 décembre, et l'opération est manquée. Il faudra attendre 1882, époque du second passage de Vénus en ce siècle, et si cette année-là le ciel n'est pas plus favorable en l'une ou l'autre des deux stations choisies, on se trouverait ren- voyé au siècle suivant (1). Pour éviter un tel malheur, au lieu d'une station unique sur chaque hémisphère, les astronomes se dispersent sur chacun d'eux et vont se poster dans des endroits très-différents afin que si le ciel est cou- vert pour l'un, l'autre ait la chance de rencontrer un ciel pur de nuages. 11 est bien difficile, en effet, que de l'Egypte à l'extrémité du Japon ou de la Chine le ciel soit partout couvert à la fois. En se dispersant, les astronomes mettent pour eux les chances qui, au contraire, seraient défavorables s'ils se concen- traient dans la même station. De même pour l'hémisphère austral. Là aussi il faut se disséminer. Les Anglais et les Allemands vont à l'île de Kerguelen, qui est habitée. Il nous a fallu, coûte que coûte, aller plus loin, à l'île Saint-Paul, dont le climat est différent et où le ciel peut être pur le 9 décembre, alors qu'il sera couvert à Kerguelen. De même au sud-est. Les Anglais vont aux îles d'Auckland, qui sont habitées et qui leur appartiennent. Nous avons dû aller à l'île Campbell, qui est déserte. Si même il n'y avait là une grave question de méthode qui divise les astro- nomes, le plan le plus raisonnable aurait été de s'en rapporter entièrement aux Russes pour l'observation de l'hémisphère nord, parce qu'ils sont là sur leur terrain et qu'ils y ont d'avance, dans un but géographique et militaire,. (t) On suit, en effet, que les passages de Vénus se succèdent à peu près chaque siècle par couple à 8 ans de distance : ainsi les deux passages du siècle dernier ont eu lieu en juin 1761 et i76!>; ceux de ce siècle auront lieu en décembre iS7i et 1882; ceux du xxi* siècle en juin. 200* et 2012; ceux du Ull* en décembre 2H7 et 212:.. FAYE. — LE PASSAGE DE VÉMUS SUR LE SOLEIL 124" accumulé de grandes ressources en hommes et en instruments pour l'explo- ration de leur colossal empire. Alors reviendrait aux nations maritimes comme la France, l'Angleterre, les États-Unis, le rôle d'envoyer toutes leurs expédi- tions dans les mers du Sud. Malheureusement on n'a pu se mettre d'accord : nous allons en voir la raison en étudiant les diverses méthodes d'obser- vation. Méthode de Hallcij. — Dans les deux derniers siècles, la mesure d'un angle. à 0",1 près, aujourd'hui possible, était impraticable. De là l'idée d'Halley de substituer, à ces mesures angulaires si difficiles, celle du temps employé par Vénus à parcourir le disque du Soleil. Si, à l'aide d'une lunette et d'une pen- dule, on note les heures où l'observateur A voit Vénus entrer en a et sortir en a, le temps écoulé donne la mesure de la corde a». Si de même en B l'observateur détermine pareillement pp', la comparaison de ces deux cordes tracées sur le disque solaire, dont les dimensions angulaires sont bien déter- minées, fait connaître leur écartement, c'est-à-dire la parallaxe de Vénus moins celle du Soleil, ce qui est juste la quantité que nous voulions tout à l'heure mesurer directement. Fg- Ce procédé promettait une grande exactitude. 11 a suscité dans le monde savant un vif enthousiasme, et quand les deux passages de 1761 et 1769 ont eu lieu, tous les gouvernements ont voulu participer à l'opération conseillée par Halley. L'Angleterre, la France, l'Autriche, la Russie, l'Espagne, alors plus heureuse qu'aujourd'hui, envoyèrent des observateurs aux points favorables. Il se fit un mouvement analogue à celui don tlnousf sommes témoins. Mais le résultat ne répondit pas à cette immense attente.[On avait trop raisonné en géomètres. Halley pensait que le contact des deux disques pourrait être observé à 1 ou 2 secondes près. Il n'en fut rien. Le mouvement de Vénus était trop lent. De plus, il se trouva que le contact d'un disque lumineuxjet d'un disque obscur, observé à l'aide de lunettes plus ou moins imparfaites, était accompa- gné de certaines déformations d'images auxquelles personne ne s'attendait. Le disque noir, Vénus, au lieu de se détacher nettement du bord du Soleil, comme m* CONFÉRENCES sur la ligure 77, semblait y adhérer par une sorte de ligament noir (fig. 78) qui s'allongeait peu à peu et finissait par se rompre. Que fallait-il observer alors? Fig. Ti Le passage de 17G1 fut tellement entravé par ces circonstances imprévues que les observateurs échouèrent complètement. On recommença en 1769, sans avoir suffisamment étudié ces phénomènes, et l'on réussit un peu mieux, Fig. 78. mais sans parvenir, tant s'en faut, au degré de précision espéré. Lorsque les résultats des diverses expéditions furent connus, les astronomes se mirent à les calculer ; ils en déduisirent à leur grande surprise non un résultat précis, FAYE. — LE PASSAGE DE VÉNUS SUR LE SOLEIL 1249 déterminé, mais toutes sortes de valeurs discordantes depuis 8",5 jusqu'à 9". Les uns proposèrent 8",*>. d'autres 8",f>, d'autres 8",8, d'autres 8",9... L'in- certitude allait donc à 0",3 sur 9. On n'avait la distance de la Terre au So- leil qu'à J /30e près. Or cette distance est de 23,000 rayons terrestres: cela faisait 800 rayons terrestres d'incertitude, soit plus d'un million de lieues. Longtemps après, en 1820, parut sur ce sujet un grand travail d'un astronome éminent, M. Encke, qui parut mettre fin à tant d'incertitude. Reprenant, avec des méthodes de calcul perfectionnées, l'ensemble des observations de 1761 et surtout de 1769, l'astronome allemand en déduisit 8",57 pour la parallaxe du Soleil. Les calculs étaient si bien conduits que les astronomes ne s'aperçurent pas que l'auteur n'avait absolument rien ajouté à la discussion physique des observations. Ils adoptèrent d'un commun accord ce résultat, le plus faux de tous, et jusque dans ces derniers temps cette erreur régna dans la science. Rien ne démontre mieux que la méthode de Halley est quelque peu illu- soire. Cette ingénieuse idée a fait un tort réel à l'astronomie, d'abord en lui faisant adopter pendant un siècle une évaluation erronée, ensuite en mas- quant la véritable voie, celle où tout le monde serait entré naturellement si l'on avait renoncé à cette méthode après son premier insuccès; on se serait efforcé, en effet, de perfectionner les moyens de mesure angulaire au lieu d'esquiver par un détour cette nécessité au fond inévitable. Néanmoins, comme l'astronomie est une science où l'on respecte profondé- ment les traditions, parce qu'elle n'est pas née d'hier comme tant d'autres sciences modernes, les Anglais et les Français tiennent absolument à faire réussir leur vieille méthode de Halley. Ils ont fait des passages artificiels de Vénus sur le Soleil à l'aide de disques bien éclairés mus par un mouvement d'horlogerie et observés de loin avec une lunette, afin de s'y exercer longtemps d'avance. De plus, deux membres distingués de l'Observatoire, MM. Wolf et André, ayant étudié la question en physiciens, ont trouvé que les phénomènes optiques qui défigurent les disques près du contact tiennent essentiellement à un défaut de netteté et de puissance de la lunette employée, en sorte qu'en mettant en œuvre de grands objectifs bien corrigés de toute aberration de sphéricité, les distorsions optiques doivent disparaître et laisser voir le con- tact des disques avec une netteté géométrique. De là les Français ont conclu qu'il fallait y employer des lunettes de cette dimension aussi parfaites que pos- sible, de 20 centimètres d'ouverture. L'Académie en a fait faire quatre; mais elle ne pouvait les envoyer toutes quatre sur l'hémisphère austral, car les ré- sultats n'eussent pas été comparables à ceux des lunettes beaucoup plus petites des Russes. Il a donc fallu renoncer à un concert européen, et entreprendre à nous seuls de déterminer la parallaxe de Vénus ou du Soleil par nos quatre puissants instruments en formant deux stations au nord (Chine et Japon), et deux stations au sud, Saint-Paul et Campbell. La France aura ainsi fait, pour la méthode de Halley, tout ce qu'il était humainement possible de faire. Quant aux Allemands, qui ne se fient pas du tout à cette méthode célèbre, ils veulent employer des instruments à eux, des héliomètres; ils sont donc forcés, comme nous, de s'isoler, de ne compter que sur eux mêmes et de partager leurs quatre stations entre le nord et le sud. De même, les États- 1250 . CONFÉRENCES Unis, qui ne se fient pas plus que les Allemands à la méthode de Halley, se proposent aussi de déterminer à eux seuls la parallaxe par une troisième mé- thode et des instruments tout différents; ils auront huit stations indépendantes de celles des autres nations. Espérons que l'expérience acquise à tant de frais en 1874 servira pour 1882 et permettra aux nations civilisées d'unir cette fois leurs efforts dans un plan commun. Je compte pour cela moins sur la méthode de Halley que sur un progrès nouveau qui caractérisera l'astronomie moderne, je veux parler de l'adoption de la photographie comme moyen de mesure. Imaginez qu'en A l'observateur photographie le Soleil et obtienne une image de 20 centimètres de diamètre, comme celles que M. Janssen montrait derniè- rement à l'Académie. Tout y viendra, taches, facules, Vénus même, si à cet instant Vénus se montre sur le Soleil. Qu'en B l'observateur austral en fasse autant au même moment. Nous serons en possession à leur retour de deux images parfaites du Soleil, où le déplacement parallactique de Vénus deviendra aisément mesurable. Si A est à Saint-Paul, par exemple, et B au Japon, ce déplacement sera de plus de 3 millimètres. En le mesurant à 0,01 près, ce qui se ferait avec un double décimètre à la vue simple et fort aisément, on aura la parallaxe relative de Vénus à — - près; celle du Soleil, qui est quatre OU fois plus petite, à j^- près, précision bien supérieure à ce qu'ont donné les passages célèbres de 1761 et 1769. Mais il est aisé, avec une loupe et un vernier, de mesurer cet écartement à 0mm,01. Alors vous avez la parallaxe du Soleil , 1 a : — - près. 1200 F Et notez bien qu'ici tout est automatique. L'observateur n'y intervient pour rien avec ses agitations nerveuses, ses anxiétés, ses préoccupations, son impa- tience, les illusions de ses sens et de son système nerveux. C'est la nature même que vous avez sous les yeux; vous l'avez fixée à jamais pour en re- prendre l'examen et la mesure à volonté et à toute époque. 11 y a longtemps que cette admirable méthode, dont la précision semble être illimitée, a été proposée aux astronomes par un Français. Elle va être appliquée en grand par les Américains le 9 décembre prochain. Ils ont fait construire pour cela des lunettes photographiques de quarante pieds de long. Je leur prédis un succès complet. Ce n'est pas à dire que les autres nations aient négligé la photographie; mais elles l'ont reléguée au second plan et n'y emploient pas des instruments photographiques aussi puissants. Vous voyez d'ici, Messieurs, tous les avantages de cette méthode, qui a bien aussi, sans doute, ses difficultés, mais des difficultés aisées à surmonter. Le passage de Vénus va durer quatre heures et demie. Pendant ces quatre heures chaque astronome pourra prendre au moins cent photographies, en sorte que vous aurez le phénomène dans ses moindres détails. Si le ciel devient peu fa- vorable, s'il se couvre pendant quelques heures, une partie de ces cent photo- graphies ne pourra être obtenue, mais il restera encore assez de temps pour FAYE. — LE PASSAGE DE VÉNUS SUR LE SOLEIL 1251 réunir de bonnes observations. Au contraire, dans la méthode de Halley, si le moindre nuage masque le Soleil pendant quelques secondes au moment de l'entrée ou de la sortie de Vénus, tout est manqué. Tout est manqué encore si le bord du Soleil, à cet instant, devient ondulant. En un mot, avec les deux ou trois mille photographies de grande dimension qu'on recueillerait aisément dans toutes les stations de 1874, je ne doute pas i qu'on n'obtienne la parallaxe du Soleil à — — près, c'est-à-dire à moins de 0",01. Toutes les stations françaises, anglaises et allemandes, une partie des sta- tions russes, seront munies d'appareils photographiques ; mais, je le répète, la méthode nouvelle est un peu reléguée au second rang, parce que les astro- nomes ont répugné jusqu'ici à l'employer dans leurs observations ; ils n'en connaissent pas bien encore toute la puissance. C'est que la méthode photo- graphique est une nouveauté et que, dans un corps de science et de matériel scientifique aussi fortement organisé que celui de l'astronomie, les progrès et les méthodes nouvelles ont besoin de beaucoup de temps pour se faire accepter; elles ont plus de chance dans un pays nouveau comme l'Amérique, qui n'a pas pour les traditions le même respect, et qui déjà s'est signalée par d'autres innovations hardies qu'à la longue le vieux monde a fini par adopter (1). Il ne me reste plus, en fait de théorie, qu'une chose à expliquer: c'est de dire pourquoi une telle précision est nécessaire, et comment il se fait que les grands gouvernements du monde civilisé s'y intéressent assez pour y consacrer tant de ressources de tout genre et tant d'hommes éminents qui vont courir de sérieux dangers. Messieurs, s'il s'agissait de mécanique ou de chimie, il serait bien superflu de parler ici, à Lille, dans une ville où ces sciences reçoivent journellement de si belles et de si fécondes applications, de l'importance de la théorie au point de vue pratique, mais il s'agit d'astronomie. Eh bien, le sort de cette science et ses progrès sont tout aussi intimement liés à la puissance navale, militaire ou commerciale de chaque État maritime, que la chimie et la mécanique à vos riches et brillantes industries. Si nos marins parcourent les mers avec sécurité et une vitesse toujours croissante pour porter, d'un point à l'autre du globe, les hommes et les produits, c'est à l'astronomie qu'ils le doivent en pre- mier lieu. Sans elle la navigation se réduirait, comme celle des anciens, à un simple cabotage. Or, en raison même des exigences toujours croissantes du commerce, qui veut des traversées de plus en plus courtes malgré les vents et les courants et qui en est venu à imposer aux marins l'obligation de changer sans cesse de direction azimutale, afin de suivre la voie la plus courte, c'est-à-dire de naviguer sur des arcs de grand cercle et non de loxodromie, la nécessité d'être en étal de fixer avec précision, à tout instant, la position du navire, est devenue toujours plus grande et les besoins d'exactitude toujours croissants. L'astronomie a suivi ou plutôt précédé cette progression d'exigences à tel point que, parmi les sinistres dont la fréquence est la règle suprême du (1) Par exemple, l'introduction de la télégraphie électrique dans les observatoires. J252 CONFÉRENCES taux des assurances, aucun n'a jamais pu être imputé à l'imperfection de la science, qui permet seule aux marins de déterminer exactement leur position indépendamment de tous les accidents de la route. Si l'astronomie était une science imparfaite, les erreurs de route se multiplieraient, et avec elles se multiplieraient aussi les retards qui surchargent le prix des denrées, ainsi que les sinistres qui ruinent l'armateur malheureux et rejaillissent par le taux des assurances, jusque sur les voyages les plus heureux. Or la question de la distance du Soleil est capitale pour cette science : elle a sans cesse besoin de connaître les distances des astres, qui toutes dépendent de celle de la Terre au Soleil. Cette dernière est donc la clef de voûte de tout l'édifice astronomique. Examinons, pour le bien faire comprendre sans entrer dans trop de détails, une simple face de la question. Quand la parallaxe du Soleil est une fois bien connue, on en déduit aussitôt le rapport des masses du Soleil et de la Terre, ou, ce qui revient au même, quand on prend pour unité la masse du Soleil, la parallaxe de cet astre donne la masse de la Terre. Cela étonne de prime abord, car il semble qu'il n'y a pas d'autre moyen pour cela que de peser avec une immense balance romaine les deux astres à la fois ; mais, au fond, il est aisé de voir qu'il y a heureusement d'autres procédés. Lorsqu'un corps tombe à la surface de la Terre en obéissant simple- ment à la pesanteur, c'est-à-dire à l'attraction de notre globe, il parcourt ver- ticalement o mètres dans la première seconde de sa chute. Si le globe terres- tre avait une masse double, triple, quadruple, il parcourrait dans cette pre- mière seconde un espace deux, trois, quatre fois phn grand. Cet espace est donc proportionnel à la masse du globe attirant et peut lui servir de mesure. La Terre aussi tombe continuellement vers le Soleil en décrivant autour de lui son immense orbite annuelle, et si l'on connaît le rayon de cet orbite, c'est-à-dire la distance de la Terre au Soleil, il est facile de calculer de combien la Terre tombe vers le Soleil en une seconde en raison de l'attraction de cet astre, c'est-à-dire de sa masse. On trouve à peu près 3mm. Mais si l'attraction solaire est mesurée par ces 3mm à 23,000 rayons terrestres de distance, elle sera mesurée par 3mmX 23 000 à la distance d'un seul rayon terrestre, c'est- à-dire à la même distance où nous étudions sur terre la chute des corps. Or, comparer ces deux chutes ou ces deux attractions, produites une parla Terre, l'autre par le Soleil, c'est comparer leurs masses, c'est en obtenir le rapport. On trouve ainsi que le Soleil a une masse 324,000 fois plus grande que la terre. 1 Celle de la Terre est donc représentée par le nombre abstrait . Conclu- sion : pour déterminer la masse de la Terre, il faut mesurer sa distance au Soleil. En faisant ce calcul, il est aisé de voir si l'on commet une erreur quelconque sur la distance, l'erreur commise sur la masse sera trois fois plus grande. Nous avons vu tout à l'heure que l'erreur sur la distance du Soleil, \ acceptée il y a quelques années par tous les astronomes, était de — -. Il en résultait pour la masse de la terre une erreur de — . Qu'importe cela ? direz-vous. Voici en quoi l'erreur nous touche et prend FAYE. — LE PASSAGE DE VÉNUS SUR LE SOLEIL 1253 de l'importance. Non-seulement le Soleil attire les planètes, mais les planètes s'attirent entre elles. Malgré la masse énorme et prépondérante du Soleil, l'at- traction de cet astre ne règle pas seule leurs mouvements. Les orbites que ces planètes décrivent autour du Soleil sont sans cesse modifiées, quoique très- peu et avec lenteur, par l'attraction des autres planètes. Ces altérations peu- vent être calculées, pourvu que l'on connaisse les masses des astres qui les produisent. Ainsi la Terre étant voisine de Vénus et de Mars à certaines époques, notre globe altérera leurs mouvements de quantités d'autant plus appréciables que quelques-uns de ces effets (perturbations séculaires), très-faibles d'abord, s'ac- cumulent avec le temps et croissent indéfiniment de sièclo en siècle. Si donc on veut être en état de prédire, des années à l'avance, pour les astronomes et les marins, la position de Vénus ou de Mars à des dates données, il faut être en état de calculer ces altérations de leurs mouvements dues à la masse de la Terre. Or, quand on emploie dans ces calculs basés sur la théorie de l'attraction mutuelle des planètes une masse fausse, en erreur d'un dixième par exemple, il en résultera dans nos prédictions des erreurs très-sensibles dont l'origine nous échappera absolument, à moins que nous n'ayons l'idée de suspecter notre évaluation de la masse de la Terre. Celle-ci est assez grande pour qu'un dixième de sa valeur venant à lui manquer, il faille retrouver ce dixième quelque part. Si nous persistons dans notre fausse évaluation de la parallaxe, il faudra recourir à l'hypothèse qu'il existe quelque autre planète non aperçue jusqu'ici qui possède ce dixième manquant. Et comme nous ne voyons pas de planète probable, la science se trouve acculée dans une impasse. Elle y a été un moment et elle en est sortie en reconnaissant cette trop lon- gue erreur où nous avions été conduits par une fausse évaluations de la paral- laxe du Soleil. Toutes les discordances, toutes les contradictions qui menaçaient l'avenir et même un peu le présent de l'astronomie disparaîtront si la mesure directe de la parallaxe solaire qu'on va tenter en décembre prochain nous donne 8",9 au lieu de 8",57. Ce n'est pas tout. Il reste encore certains doutes sur l'influence possible des matériaux innombrables, sorte de poussière céleste, qui circulent en tous sens et dans tous les plans autour du Soleil, mais qui présentent dans certaines ré- gions une accumulation sensible à nos yeux. Les calculs précédents négligent leur action. Pourtant elle ne saurait être absolument nulle. On est bien forcé de négliger encore la masse des cent trente-cinq petites planètes qui circulent entre Mars et Jupiter. Quelle que soit la concordance des résultats qu'on peut dé- duire de l'étude approfondie des masses planétaires, il est donc prudent, il est nécessaire de mesurer directement cette donnée fondamentale de notre système, la distance du Soleil à la Terre, au lieu de la déduire indirectement des effets que les planètes exercent les unes sur les autres. Cette mesure directe de la parallaxe solaire est en même temps une pierre de louche, une vérification précise pour les théories de la mécanique céleste ; et c'est là le motif puissant qui a décidé les astronomes du monde entier à unir leurs efforts pour obtenir enfin une solution définitive qui sera l'honneur de notre siècle. 1î2,j4 conférences Si j'ai réussi à exposer clairement ces choses, vous aurez compris, Mes- sieurs, quel intérêt à la lois théorique et pratique s'attache à la solution de ce grand problème. Les astronomes du monde entier ont tenu à honneur de prendre part à ces difficiles et dangereuses expéditions : en France, l'Acadé- mie a voulu, comme au siècle précédent, en prendre la direction, qu'elle a con- fiée à une commission présidée par M. Dumas, un chef de la science moderne, dont le nom partout respecté est populaire ici. Maintenant je vais passer en revue toutes les stations françaises. Après celle de Saint-Paul nous rencontrons bien loin de là, sur le même parallèle, la se- conde station, l'île Campbell, entièrement déserte, dans une région éloignée de toutes les grandes lignes de navigation. La station sera commandée par M. Bou- quet de la Grje, ingénieur hydrographe du plus haut mérite et savant distin- gué. Il est parti le premier, car c'est lui qui a le plus grand chemin à faire et se prépare à passer cinq longs mois sur cette terre désolée, aux antipodes de Paris, avec ses compagnons de travail, M. Hatt, un de ses collègues du corps des ingénieurs hydrographes, M. Courrejolle, lieutenant de vaisseau, M. Filhol, naturaliste voyageur du Muséum, un médecin de la marine et dix hommes d'équipage. Lui aussi a dû emporter ses maisons toutes faites et ses provisions pour cinq mois. Nous avons encore dans ces mers, à Nouméa, une station dirigée par M. André, astronome distingué de l'Observatoire de Paris, avec l'aide de M. Angot, physicien, mais elle n'est pas pourvue de très-grands instruments, comme celle de Saint- Paul et de Campbell. Sur l'hémisphère boréal, nous trouverons d'abord M. Hérault, jeune ingénieur hydrographe de grand avenir : il est déjà campé à Saigon, dans notre colonie annamite. Puis en Chine, à Pékin même, une troisième grande station dirigée par M. Fleuriais, lieutenant de vaisseau, bien connu par ses travaux astrono- miques sur les points les plus importants du globe ; il est assisté de M. Blarer, lieutenant, et de M. Lapied, enseigne de vaisseau. Une canonnière et son équipage se tiendra à sa disposition dans le golfe du Petchely. Voici notre pre- mière grande station en pays habité et à demi civilisé. Mais nous craignons bien que nos marins et nos instruments ne soient longtemps bloqués par les glaces du Petchely, car, chose singulière, à la latitude de Naples, la petite mer intérieure qui mène à Tien-tsen, et de là par un canal à Pékin, gèle tous les hivers. Enfin la quatrième grande station est celle de M. Janssen, membre de l'Ins- titut et du Bureau des longitudes. C'est la plus avantageuse sous le rapport des facilités matérielles L'Académie a pu procurer à M. Janssen la protection spéciale du gouvernement du Japon. Il emmène avec lui un jeune Japo- nais qui a fait ses études à Paris et parle parfaitement notre langue. 11 contri- buera à l'observation du passage de Vénus et déjà il manie bien les instruments photographiques. M Janssen est accompagné de M. Tisserand, le jeune et sa- vant directeur de l'observatoire de Toulouse, de M. Picard, lieutenant de vais- seau, et d'un jeune Brésilien, M. d'Alméida, qui a reçu mission de S. M. l'em- pereur du Brésil dont les hommes de science français connaissent et appréciée t si bien la haute intelligence, le grand esprit et l'amour éclairé de tous les FAYE. — LE PASSAGE DE VÉNUS SUR LE SOLEIL 1 progrès. L'expédition va à Yokohama, mais elle ne s'y arrête pas ; M. Janssen croit avoir plus au sud des chances bien meilleures de beau temps. Un na- vire français l'attend à Yokohama pour le transporter dans les mers intérieures, à Hosaka, port militaire du Japon interdit aux étrangers, mais non pas à notre hardi missionnaire. Après quelques mois de séjour au Japon, M. Janssen ne reviendra pas encore en France ; il ira vers le mois d'avril observer en Bir- manie l'éclipsé de soleil de l'année prochaine et compléter, nous en avons l'espoir, ses belles découvertes spectroscopiques sur l'atmosphère hydrogénée qui entoure le Soleil. Quelques mots encore pour terminer. Dès 1SG9, le gouvernement impérial avait consulté l'Académie sur cette grande entreprise et lui proposait de met- tre à sa disposition les ressources nécessaires. La guerre arrêta tout. Il ne s'agis- sait plus alors de construire des lunettes ou des télescopes, ou d'envoyer au loin des expéditions scientifiques. A l'étranger on pensait, même après la paix, que la France épuisée s'abstiendrait. On le regrettait, car toutes les na- tions rendent justice à la France quand il s'agit de ces grandes entreprises scientifiques où elle a toujours tenu le premier rang. Mais le pays n'a pas voulu s'abstenir : l'Assemblée a voté les fonds nécessaires ; l'Académie a dirigé les préparatifs avec une activité telle que tout a été prêt au jour dit comme par enchantement. Ce qui caractérisera la part acceptée et résolument prise par la France dans la tâche commune, ce sera la grande supériorité optique de nos instruments. Quant au personnel, il n'a pas fait défaut: jamais la France n'a manqué d'hommes dévoués et capables de grandes choses. L'Institut, le Bureau des longitudes, la marine, le corps des ingénieurs hydrographes, les observatoires et même le corps enseignant ont fourni les observateurs. Tout le inonde sera à son poste au moment voulu. Nous serons prêts le 9 décembre prochain, comme nos rivaux ou plutôt nos émules, absolument comme si au- cune catastrophe n'avait passé sur notre pays. Vous le voyez, Messieurs, les bonnes stations ont été laissées aux civils : les marins ont choisi les dangereuses. Je ne puis penser à eux sans une vive émotion. Que de dévouement ne faut-il pas pour se condamner à de tels voyages et à stationner de longs mois dans des îles désolées, à y vivre entassés dans de misérables cahutes pour faire des observations délicates cent fois plus pénibles que celles de nos observatoires ! Mais ces hommes ont pensé à la science, surtout au pays dont il faut plus que jamais aujourd'hui soute- nir l'honneur et relever la légiLime influence ; ils sont partis pleins d'ardeur. La science a déjà enregistré leurs noms; elle les répétera de siècle en siècle tant qu'elle-même durera ici-bas, et notre pays n'oubliera pas non plus ceux qui se dévouent pour lui en ces expéditions hasardeuses où, au siècle dernier, l'abbé Chappe et ses compagnons ont laissé la vie. L'intérêt que vous avez bien voulu prendre à ce rapide exposé, les applaudissements dont vous avez couvert les noms de ces hommes dévoués, à mesure que j'avais l'honneur de les prononcer devant vous, montrent assez combien vous savez apprécier les grands cœurs et les nobles entreprises. 1256 CONFÉRENCES M. Gaston TISSÀNDIEB, LA MÉTÉOROLOGIE ET LES AÉROSTATS [Il — Conférence dit 24 août 4874. — Il y a quatre-vingt-neuf ans, presque jour pour jour, un illustre aéronaute et un de nos remarquables compatriotes, gonflait un ballon à quelques centaines de mètres du lieu où nous sommes actuellement réunis sous les auspices de l'Association française. Le 26 août 1783, Blanchard, déjà célèbre par la tra- versée de la Manche, qu'il avait exécutée du haut des airs, s'élevait dans l'es- pace, à Lille même, au milieu d'acclamations unanimes. Deux belles gravures du temps ont consacré le souvenir de cette ascension ; sur la première, on voit l'aérostat qui abandonne gracieusement la surface du sol, au centre d'une en- ceinte vivante de grenadiers aux habits blancs à la française. Sur la seconde, on aperçoit Blanchard, revenant après son voyage vers la grande cité flamande, aux portes de laquelle l'accueillent avec enthousiasme les premiers magistrats de la ville. A ce moment, les ballons venaient de faire leur apparition dans le domaine de la science; la découverte impérissable des frères Montgolfier avait captivé l'admiration du monde, et Lille, qui était alors comme aujourd'hui un des foyers de l'intelligence française, tenait à honneur de saluer aussi les nouveaux conquérants d'un nouveau monde. 11 se produisit à cette époque un mouvement indescriptible ; jamais triomphe du génie de l'homme ne s'était manifesté comme si extraordinaire, jamais victoire de la physique n'avait paru si éclatante. 11 semblait que l'homme, après avoir pris possession de ces provinces aériennes jusque-là inaccessibles, allait s'emparer des célestes domaines. Mais après la frénésie de l'enthousiasme, on vit naître bientôt l'indifférence et le découragement. 11 arrive souvent, en effet, qu'un sentiment passionné cède la place, dans l'esprit essentiellement mobile de la foule, à un autre sen- timent qui lui succède en sens inverse, comme s'il y avait aussi dans le monde moral un principe de l'action et de la réaction. On se lassa de voir les ballons, qui semblaient devoir si vite modifier la face du monde, rester bouées aériennes qu'entraînent à leur gré les caprices de l'air : on les oublia, on les dédaigna ; ils tombèrent entre les mains des coureurs de fêtes publiques. Ainsi l'histoire de l'aéronautique a eu son heure de décadence ; mais elle devait bientôt compter l'époque de sa renaissance. L'art sublime des Montgol- fier revit aujourd'hui avec vigueur, et si la gloire de ses débuts ne suffisait pas à l'immortaliser, les services incomparables qu'il a rendus à la patrie lors (1) Cotte conférence a été accompagnée d'un grand nombre de projections, représentant des vues aériennes, exécutées par M. Molteni, d'après les dessins de M. A. Tissandier. G. TISSANDIER. — LA MÉTÉOROLOGIE ET LES AÉROSTATS 1 357 de nos désastres récents lui assureraient un souvenir ineffaçable dans notre mémoire. Nos petits-fils, en lisant un jour le récit du siège de Paris, rendront certainement hommage au rôle que les ballons ont joué pendant la guerre. Ils se diront avec raison que, si jadis la ville de Syracuse a donné l'expression de son génie par l'héroïque défense qu'avait inspirée la science d'un Archimède, la ville de Paris a droit aussi à l'admiration par les ressources qu'elle a pui- sées dans la science en général et l'aérostation en particulier pour prolonger sa résistance. Ce n'est pas sous ce rapport que nous allons examiner les ballons aujour- d'hui. Nous ne sommes réunis ici que pour nous mouvoir dans le champ de la science. Envisageons donc les aérostats au point de vue de l'investigation de la nature, de la conquête de l'océan aérien qui, plus rebelle que la mer, a résisté jusqu'à ce jour aux efforts du génie scientifique. Le globe terrestre peut être considéré comme entouré de deux océans con- centriques, l'un liquide, qui ne couvre que les trois quarts de sa surface, c'est la mer; l'autre gazeux, qui l'enveloppe complètement, c'est l'atmosphère. Tandis que la science de la mer est créée, la science de l'air est encore à faire. La météorologie est à l'état d'enfance, elle ne fait que balbutier ses pre- miers mots; elle n'entrevoit que vaguement jusqu'ici les lois qui dirigent les courants atmosphériques. Cela tient à ce que l'observateur terrestre ne peut apprécier que les vents superficiels ; plongé dans les bas-fonds de l'océan at- mosphérique, il ignore ce qui se passe dans les hautes régions de l'air. La météorologie est une science de faits et d'observation; pour lui apporter les faits, il faut aller les chercher ; pour bien connaître ces fleuves de l'air, il faut se baigner dans leurs cours, il faut y monter, de même que pour étudier les fleuves de la mer il a fallu y naviguer. Si l'explorateur veut accomplir ce voyage de l'oiseau, le ballon seul s'offre à ses efforts. Le ballon, tant décrié par les partisans du plus lourd que l'air, est l'unique et admirable engin qui entraîne le physicien dans le pays des nuages. Je vais vous prouver d'ailleurs que l'aéronaute est dans les seules conditions d'étude réellement efficaces des mouvements de l'air, en ce qui concerne sur- tout leur alternance à différents niveaux. Déjà, en 1786, le docteur Potain, parti en ballon d'Irlande, emporté par les courants supérieurs sur le canal Saint-George, avait su profiter habilement de la direction opposée des vents inférieurs pour revenir sur le rivage. J'ai eu personnellement l'occasion de bien mettre en évidence l'existence fréquente de ces curieux fleuves aériens superposés, et de faire valoir les res- sources qu'ils sont susceptibles de fournira l'aéronautique. Dans les dix-huit ascensions que j'ai exécutées je me suis toujours attaché à ces observations ; permettez-moi de vous rapporter celles qui me paraissent les plus dignes de votre attention. Le 15 août 1868, M. Duruof et moi, nous nous élevions en ballon de la place de Calais, malgré le dangereux voisinage de la mer (J). Nous montons d'un H) Au moment où nous rappelions "à Lille les péripéties de notre ascension de Calais, en *868, nous ne nous doutions guère que Duruof allait exécuter ce merveilleux et dramatique voyage dont toute la presse s'est récemment occupée. Parti de Calais le 31 août 187-4, à sept heures trente 83 1258 CONFÉRENCES trait jusqu'à 1,200 mètres d'altitude ; nous traversons une mince couche de nuages et nous planons bientôt à 1,800 mètres d'altitude. A travers les intervalles qui séparent les nuages entre eux, nous apercevons dans les bas-fonds la petite ville de Calais, le rivage, les côtes ; mais nous voyons aussi qu'un courant rapide nous a saisis et nous entraîne loin du port, au cœur même de la mer du Nord. Voilà bientôt l'immense étendue des flots qui s'étend sous notre nacelle. La foule s'est pendant ce temps amoncelée sur la jetée du port, elle suit avec anxiété la marche de notre ballon, et le voit diminuer à vue d'œil, jusqu'au moment où il va se perdre dans l'horizon de la mer. Nous avons su plus tard que de vieux marins, en nous regardant à travers leurs lunettes, s'étaient écriés d'une voix émue : « Ils sont perdus ! » Nous l'étions, en effet, sans l'alternance des courants aériens superposés. Après avoir laissé flotter notre aérostat à 1,800 mètres de haut jusqu'à 28 ki- lomètres environ en pleine mer, Duruof laisse le ballon descendre à des niveaux inférieurs. Nous traversons de haut en bas la couche de nuages que nous avions gravie de bas en haut ; nous nous rapprochons de la surface de la mer, dé- cidés à y laisser flotter notre esquif dans l'espoir d'être sauvés par un navire. Mais tandis que le vent supérieur se dirigeait vers le nord-est, le courant at- mosphérique inférieur marchait vers le sud-ouest. Nous revenons littéralement sur nos pas, et la ville de Calais grossit à vue d'ceil, comme l'image de ces projections fantasmagoriques qui semblent se précipiter vers les spectateurs. Le vent soufflait avec rapidité, c'était la vraie « bonne brise » des marins ; il nous ramène au-dessus de Calais, où nous entendons avec une légitime émo- tion les acclamations de la foule. Enthousiasmés de ce succès, nous ne descendons pas encore, nous jetons du lbst et nous remontons plus loin dans le courant supérieur; nous revoyons les flots de la mer, au-dessus desquels nous contemplons, muets d'admiration, le sublime spectacle du coucher du soleil. Après cette deuxième excursion en mer, le vent superficiel où nous redescendons nous lance à la pointe même du cap Gris-Nez ; nous y atterrissons enfin, à quelques centaines de mètres du lieu où, moins heureux que nous, l'infortuné Pilâtre des Roziers avait trouvé la mort en 1783. Il m'a été donné de constater encore d'autres faits semblables, qui sont beaucoup plus fréquents qu'on ne le suppose généralement. Le & novembre 1870, au moment où Paris était assiégé, mon frère et moi, nous avons exécuté deux ascensions, dans le but de tenter un retour dans la ca- pitale investie. Malheureusement, le vent d'abord favorable a tourné brusquement dans une direction opposée à notre but; mais ceci n'a rien qui doive actuel- lement fixer notre attention. Le seul fait qui se rapporte à notre sujet est celui de notre descente à quel- minutes du soir, accompagné de sa jeune femme, Duruof a été entraîné par des courants du sud- Ouest vers la mer du Nord, rendant quatre jours, tout le monde le croyait perdu; quand on a appris, nos sans une vive joie, non sans une réelle émotion, que les voyageurs avaient été sau- tés miraculeusement par un bateau anglais qui a pu les transporter en Angleterre. N'esl-ce pas )e cas de répéter ici : Audaces forluna jurât ! G. T1SSANDIER. — LA MÉTÉOROLOGIE ET LES AÉROSTATS 1239 ques lieues de Rouen : à 300 mètres de haut, notre ballon fuyait dans la di- rection du sud-est, et les paysans couraient après le globe aérien. En se rap- prochant de terre, l'aérostat se met à rétrograder, et à s'avancer de lui-même jusque dans les bras de ceux qui tout à l'heure ne pouvaient pas l'atteindre. Tout récemment enfin, M. Bunelle a fait aux environs d'Odessa, sur la mer Noire, un voyage analogue à celui que nous avons exécuté près de Calais, sur la mer du Nord ; les vents supérieurs l'ont jeté avec son ballon au-dessus des flots, les vents inférieurs l'ont lancé en sens inverse vers le rivage. Vous voyez, messieurs, que l'observation des courants atmosphériques offre un grand intérêt météorologique, mais les ascensions dont je viens de vous présenter le récit succinct ont encore une importance particulière au point de vue de l'aéronautique. Il résulte en effet de ces voyages aériens que bien sou- vent le navigateur de l'air peut, en quelque sorte, se diriger dans l'espace, quand les circonstances atmosphériques sont favorables, et lorsqu'il sait, comme l'oiseau qui plane, chercher à différents niveaux le courant aérien qui lui est favorable . Remarquez en outre que les voyages aériens sont peu fréquents, que les aé- ronautes sont rares, et vous conviendrez que si les ascensions étaient multi- pliées et que si les marins de l'air étaient nombreux, c'est pour ainsi dire tous les jours que les faits s'accumuleraient pour fournir des documents pré- cieux à la science. Si l'alternance des courants ne peut être bien étudiée qu'à l'aide des bal- lons, il en est de même pour ce qui concerne leur température, leur état hygrométrique et leur vitesse. L'observateur terrestre, comme nous l'avons déjà dit, ne peut apprécier ces éléments importants que pour les vents super- ficiels, accidentels, locaux, et qui ne constituent pas toujours les vrais fleuves aériens, roulant leur masse au-dessus des nuages. Bien des surprises attendent encore à ce sujet le physicien qui s'élève dans l'air; je ne vous parlerai que de ce qui concerne la vitesse des vents supé- rieurs. Les voyages en ballon permettent de l'apprécier d'une façon certaine, connaissant la valeur de l'espace parcouru et le temps qu'on a employé à le parcourir. Souvent une légère brise souffle à terre, mais dans des régions élevées, l'atmosphère est calme, immobile comme l'eau d'un lac ; c'est pour l'océan aérien ce qu'est la « mer d'huile » de la Méditerranée. Le 11 avril 1869, M. de Fonvielle et moi nous avons constaté un de ces curieux états de l'air; le ballon l'Union, parti à 11 heures 35 de l'usine à gaz de la Yillette, s'éleva verticalement et, arrivé à 2,000 mètres d'altitude, il resta en place, dans un état de fixité tellement absolu qu'on le considéra de loin comme un ballon captif. A midi, noire nacelle était immédiatement au-dessus des gazomètres de l'usine ; à 2 heures, ces mêmes gazomètres apparaissaient encore au-dessous de notre ballon. Tout ce que nous pûmes faire, ce fut d'atterrir au milieu du cimelière de Glichy, seul emplacement libre de chemins de fer ou de maisons, que l'on peut considérer comme les récifs du navigateur aérien. Nous met- tions pied à terre, après avoir parcouru en deux heures et demie l'espace de quelques centaines de mètres. Gomme le lièvre de La Fontaine, nous eussions perdu la course, si nous avions hasardé une gageure avec la tortue. 1^(30 CONFÉRENCES Une autre t'ois, le 7 février 1859, nous fûmes entraînés, à 1,100 mètres de haut, par un courant aérien d'une violence extraordinaire; parti du même lieu de départ, nous rencontrâmes au-dessus des nuages un fleuve aérien brûlant ; notre thermomètre y marquait 27 degrés centésimaux, tandis que la température de l'hiver régnait à terre ; il nous emporta dans son cours avec une \itesse effroyable dont rien ne pouvait nous faire supposer l'intensité, car des nuages sombres nous masquaient la vue du sol. Après un voyage de trente-cinq minutes, montre en main, nous dûmes faire revenir à terre notre ballon. Nous étions à 90 kilomètres de Paris, à Neuilly-Saint-Front, au-delà de Château-Thierry. Le vent supérieur s'était mis à souffler à terre pendant notre voyage ; aussi à l'atterrissage, nous fûmes enlevés par une force invincible, jetés sur les bois de Neuilly-Saint-Front, où notre nacelle se heurtait de cime en cime ; notre ancre, solide cependant, fut brisée comme une tige de verre, et un traînage vraiment terrible nous fit parcourir en quelques minutes un espace de 3 kilomètres. Ce vent, d'une vio- lence exceptionnelle, était le terrible sud-ouest des marins ; il a régné d'abord ce jour-là dans les hautes régions de l'air avant de se manifester à la surface du sol. Comme exemple d'observation due aux aérostats de courants aériens rapides, je vous citerai un des plus remarquables voyages aériens connus jusqu'à ce jour. C'est celui de M. Rolier, qui a été entrepris pendant le siège de Paris. Le 24 novembre 1870, M. Rolier, accompagné d'un franc-tireur, s'élevait de la gare du Nord, à minuit, par un vent assez violent et par un ciel sombre. Les voyageurs allaient être entraînés à l'altitude de 2,000 mètres par un fleuve aérien d'une vitesse peu commune. Leur ballon allait en effet traverser en quinze heures de temps le nord de la France, la Belgique, la Hollande, la mer du Nord et une partie de la Nonvége, pour aller échouer au mont Lid, à 300 kilomètres au nord de Christiania. Je ne vous décrirai pas toutes les péripéties curieuses de cette ascension, digne d'un Edgard Poë ou d'un Jules Verne. Je me contenterai de vous dire que les aéronautes, après avoir passé la nuit au milieu des ténèbres, virent les vapeurs atmosphériques qui les enveloppaient se dissiper à l'heure du lever du soleil ! Quelle n'est pas leur stupéfaction, leur angoisse, quand ils s'aperçoivent que les vents les ont lancés à la surface de la mer. Ils n'ont pu se rendre compte ni de la vitesse de leur marche, ni de la direction qu'ils ont suivie ; tout ce qu'ils savent, c'est qu'un océan agite ses flots sous leur nacelle, et qu'ils marchent sans doute vers le plus effroyable des naufrages. — Pendant sept heures consécutives ils planent ainsi au-dessus des vagues en mouvement ; quelquefois ils aperçoivent des navires qui leur apparaissent d'abord comme l'espoir du salut. Espérances vite déçues! Ces vaisseaux ne sauraient venir en aide à l'esquif aérien qu'entraînent toujours les courants atmosphériques. Après plusieurs heures de voyage, M. Rolier a sacrifié tout le lest qui jusque-là soutenait dans l'espace l'aérostat auquel s'étaient attachées sa vie et sa fortune. Des nuées épaisses l'entourent bientôt et accélèrent la descente du navire aérien, que la pesanteur ramène fatalement vers les niveaux inférieurs. C. TISSANDIER. — LA MÉTÉOROLOGIE ET LES AÉROSTATS 1201 Son compagnon et lui se préparent à affronter la plus cruelle et la plus glo- rieuse des morts. Le ballon descend avec rapidité, il s'échappe du massif de vapeur où il était plongé... 0 miracle! ce n'est pas la mer qui s'ouvre aux regards des voyageurs, c'est une montagne couverte de neige, autour de laquelle une forêt de pins dresse les cimes de ses arbres. L'aérostat est violemment jeté dans un champ de neige ; les deux Français sautent en même temps en dehors de leur esquif, et le ballon, allégé de leur poids, disparaît seul dans la nue (1). — Ils se trouvent ainsi sans vivres, sans couvertures, dans un pays inconnu, où nuls vestiges d'habitations humaines ne s'offrent aux regards. Auraient-ils échappé au naufrage océanique pour avoir à braver le trépas qui attend l'explorateur au milieu de pays déserts et glacés ? Les aéronautes descendent la montagne escarpée, traversent la forêt qui l'environne et rencontrent une cabane abandonnée où ils passent la nuit. Le lendemain, après de nouveaux voyages, ils aperçoivent un bûcheron, qui parle une langue inconnue ; mais ils sont conduits dans un village, où un paysan qui sait le français leur explique le mot de l'énigme. Ils apprennent enfin où le vent les a jetés. Je regrette de ne pouvoir m'arrêter plus longtemps sur un drame si émou- vant dont M. Rolier a bien voulu me faire lui-même le récit. Je ne puis cependant me dispenser de vous faire connaître le magnifique et touchant, accueil que les Norwégiens réservèrent aux voyageurs du siège de Paris. Quand les aéronautes arrivèrent à Christiania, la ville entière fut soulevée par l'enthousiasme. C'étaient des dîners, des fêtes, des ovations sans cesse renou- velées. Le soir, quand ils rentraient chez eux, les deux Français voyaient défiler sous leurs fenêtres des bandes d'étudiants qui chantaient des airs nationaux. Le matin c'étaient des jeunes filles qui venaient au nom de la ville, leur offrir des bouquets tricolores. Un jour, des femmes du peuple se présentèrent au devant d'eux, tenant leurs enfants par la main : « Bénissez ces enfants, disaient-elles, pour que plus tard ils soient braves comme vous ! » Partout où passaient les aéronautes la foule les acclamait, et de toutes parts ils entendaient les cris de : « Vive Paris, vive la belle France ! » En songeant à ce voyage de M. Rolier, ce cri de « Vive la belle France î lancé au-delà des mers, par des populations sympathiques, m'est souvent revenu à la pensée. N'y a-t-il pas dans cette exclamation quelque chose de vraiment touchant, et ne doit-elle pas soulever mille échos dans nos cœurs ? Quelle consolation dans le malheur de sentir qu'il y a encore quelques coins dans le monde où l'on peut compter sur des vœux sincères et désintéressés ! Répondons, messieurs, à ces peuples amis : Vive la loyale et l'honnête Nor- wége, comme nous dirons aussij Vivent les nations qui n'ont pas craint do tendre la main à la France terrassée ! Pardonnez-moi de m'être laissé entraîner hors de notre sujet, mais je vais y rentrer pour n'en plus sortir. (1) L'aérostat de M. Rolier a été retrouvé plus tard, avec toutes les dépêches de Paris, à quarante lieues du mont Lid. 1262 CONFÉRENCES Si le6 ballons, comme vous le voyez, offrent de précieuses ressources à l'étude des courants aériens, ils ne sont pas moins utiles en ce qui concerne les températures de l'atmosphère, les expériences hygrométriques, les investi- gations relatives à l'électricité, au magnétisme, en ce qui regarde enfin l'obser- vation des nuages, de ces massifs de vapeur qui fertilisent nos campagnes en apportant dans leur sein l'eau de l'Océan, distillée par le soleil. Ces nuages, entraînés par les courants atmosphériques, nous donnent la pluie féconde ; et ils nous fournissent encore la chaleur des tropiques, qu'ils emmagasinent pendant leur formation et qu'ils distribuent dans les régions du Nord, lors- qu'ils reprennent l'état liquide. Je n'ai pas à vous exposer ici un programme d'expériences à entreprendre ; aussi vais-je aborder l'étude si attrayante des vapeurs atmosphériques. Rien n'est plus imposant que le tableau des nuages, contemplé du haut des airs dans la nacelle aérienne. Ah ! Messieurs ! quelle impression délicieuse que de se sentir mollement soulevé de terre, suspendu au-dessous de la sphère de gaz qui s'élève avec lenteur et non sans majesté, comme ces brumes du matin que paraissent aspirer les rayons du soleil. Quel charme dans le tableau de l'horizon qui s'élargit, des bruits humains qui se dissipent, de la terre qui s'éloigne et qui ne se laisse plus entrevoir que comme les bas-fonds du vaste océan aérien. On monte au milieu de ces nuages diaphanes, qui vous enveloppent d'un brouillard opalin jusqu'au moment où l'on s'échappe de leur surface supérieure, pour voir apparaître le ciel où régnent les feux d'un soleil ardent. On contemple alors un plateau circulaire de nuages arrondis qui, dans ces régions élevées, prennent un aspect tout nouveau. Ils acquièrent du relief, de la consistance; on dirait des mame- lons solides de glaciers fantastiques, où le soleil dessine par des ombres vigoureuses des vallées d'argent, comme dans les pays enchanteurs des Mille et une Nuits. Le ballon, entraîné par les courants aériens, paraît immobile dans ce monde du calme, du silence et de la contemplation. Je plaindrais celui dont l'âme ne serait pas embrasée au foyer de cette sublime poésie des spectacles naturels Tantôt les nuages forment un nappe immense, un écran opaque qui cache entièrement la vue de la terre, tantôt ils se suivent isolés, comme des géants aux formes capricieuses et changeantes. Alors on aperçoit le sol à travers les intervalles qui les séparent : les villes, les campagnes et les bois se succèdent, réduits à des dimensions lilliputiennes... Veut-on s'élever plus haut dans les régions de l'air, une poignée de sable suffit pour augmenter encore de quel- ques centaines de mètres la distance qui nous sépare des humains. Veut-on descendre, quelques mètres cubes de gaz, perdus par la soupape, nous ramènent vers la surface terrestre. Quand on passe auprès des blancs cumulus, leur masse opaque forme écran, et l'ombre du ballon s'y projette; elle s'entoure parfois de cercles irisés aux sept couleurs de l'arc-en-ciel, et produit alors un spectacle saisis- sant. On dirait un second ballon qui vous suit ; rien n'est plus curieux que de voir sur les nuages son image se mouvoir comme dans les ombres chi- noises. Ces auréoles lumineuses entourent parfois l'ombre tout entière du G. TISSANDIER. — LA MÉTÉOROLOGIE ET LES AÉROSTATS 1203 ballon, quelquefois elles n'en ceignent qu'une partie, quelquefois enfin, comme nous l'avons observé, trois arcs-en-ciel concentriques enferment l'image du ballon clans un triple cadre circulaire aux couleurs pures et légères. Les nuages où le ballon peut se plonger sont de nature très -diverses; quel- quefois ils sont si obscurs et si denses que l'aérostat disparaît entièrement comme dans un bain de vapeur; il m'est arrivé, même en août 18G8, de perdre de vue mes compagnons aériens. Parfois les nuages, au contraire, sont opalins et presque lumineux. Le 1(> février 1873, nous avons eu la bonne fortune de rencontrer, mon frère et moi, un nuage à glace semblable à celui que M. Barrai avait traversé jadis, et au sujet duquel on avait, bien à tort, émis quelques doutes. Le ballon planait à 1,800 mètres sous un ciel ardent, le thermomètre marquait 18 degrés centésimaux. En revenant vers la terre, nous arrivons dans un nuage où nous sommes saisis par un froid violent, comme à l'entrée d'une cave en été. Le thermomètre, en effet, descend subi- tement à 4 degrés au-dessous de zéro. Quelle n'est pas notre surprise en voyant des paillettes de glace qui voltigent autour de nous comme des fines lamelles de mica. Nos cordages, nos vêtements, nos barbes se hérissent immé- diatement de végétations glaeées. Un fil de cuivre que nous avions laissé pendre de la nacelle devient blanc sous une couche de givre, et donne des étincelles quand nous y approchons le doigt. Malheureusement la traversée de ce nuage se fait avec une rapidité effroyable, le ballon se refroidit brusque- ment, se charge de givre qui l'alourdit; malgré le lest jeté, il se précipite à terre avec une violence effroyable, et nous fait subir un choc si brusque, si inattendu, qu'un de nos compagnons lâche prise et est lancé dans un champ, où il atterrit, bien malgré lui. Grâce au ciel, cette mésaventure n'eut pas de suite dramatique. Je ne vous ai parlé jusqu'ici que des voyages aériens exécutés dans les régions moyennement élevées, c'est-à-dire de la surface de la terre à une hauteur de 5,000 mètres. Si de semblables explorations peuvent être fécondes et apporter à la météorologie des documents nombreux et importants, les voyages accomplis au-delà, dans les hautes régions de l'atmosphère, offrent aussi un intérêt particulier. C'est la France qui a créé l'aérostation, c'est la France qui a donné au monde les Montgolfier, les Charles et les Pilâtre. Ce sont des savants français qui ont ouvert la voie de l'exploration des hautes régions de l'air, à l'histoire de laquelle resteront attachés les noms de Gay-Lussac et des Biot, des Barrai et des Bixio. Je ne vous parlerai pas de ces ascensions aujourd'hui bien con- nues , je me contenterai de vous rappeler que depuis Gay-Lussac, un savant anglais, M. Glaisher, a exécuté trente remarquables voyages aériens, où il a pénétré dans les plus hautes régions que l'homme ait jamais atteintes. Dans sa mémorable ascension de Wolverhampton, le 5 septembre 1852, M. Glaisher a dépassé l'altitude de 8,838 mètres. Il était accompagné de l'aéronaute Cox- well, et c'est par miracle que ces hardis explorateurs furent sauvés de la mort, au milieu de ces régions où l'air est si raréfié, et où le froid se mesurait par 20 degrés au-dessous de zéro. M. Glaisher s'évanouit, M. Cox- well ne perdit pas tout à fait connaissance, mais quand il voulut monter dans i2(»{. CONFÉRENCES le cercle pour ouvrir la soupape, il fut subitement engourdi et ses mains devinrent noires comme celles d'un cholérique ; il perdit momentanément l'usage du mouvement de ses bras, et c'est, dit-il, avec ses dents qu'il tira la corde de la soupape pour revenir à des niveaux inférieurs (1) ! Depuis ces expériences mémorables de l'aéronaute anglais, deux jeunes savants français ont fait revivre en France l'exploration des hautes régions de l'air, par un magnifique voyage qu'ils ont exécuté en mettant heureusement à profit les recherches physiologiques de M. P. Bert sur les diminutions de pression. Vous avez tous nommé avec moi MM. Crocé-Spinelli et Sivel, qui, le ±2 mars 1874, se sont élevés à la hauteur de 7,800 mètres, et ont eu l'honneur d'inaugurer une ère nouvelle dans l'histoire des ascensions aérosta- tiques, par l'emploi de l'oxygène, pour éviter, d'après les recherches de M. Bert, les terribles effets du mal des hautes régions. A 4,500 mètres, les observateurs reconnurent dans l'atmosphère des cristaux de glace et observèrent au-dessus d'eux des nuages fins et blanchâtres qui semblaient planer à une altitude de 10,000 mètres. Au delà de 5,000, les forces leur manquèrent ; mais quand ils respirèrent des mélanges d'air et d'oxygène préparés par M. P. Bert, l'effet fut tout à fait magique. M. Crocé- Spinelli, notamment, se sentait revivre, et au lieu d'être accablé et inerte, il se levait et pouvait faire les observations spectroscopiques les plus délicates que lui avait recommandé d'exécuter M. Janssen. M. Crocé-Spinelli a constaté que l'aspect du ciel, à de grandes hauteurs, ('■tait bien foncé, noir, comme le rapportent les récits des aéronautes qui l'ont précédé dans les hautes régions, mais il s'aperçut que cet aspect était dû à une illusion. Il lui suliisait de respirer de l'oxygène pour que sa vue, rede- venue libre, lui montrât un ciel bleu et limpide. Il est évident que l'observateur ne peut étudier avec fruit les hautes régions de l'air que s'il à la complète faculté de son intelligence et de ses mouve- ments. C'est une gloire pour M. Paul Bert d'avoir reconnu les lois physiolo- giques du mal des montagnes, d'avoir su combattre ses inconvénients ; c'en est encore une autre pour MM. Crocé-Spinelli et Sivel d'avoir mis en pratique l'inhalation de l'oxygène, dans une ascension qui restera comme une date im- portante dans l'histoire de la météorologie aérostatique, et qui ouvre les hori- zons nouveaux à l'étude efficace des hauteurs de l'atmosphère. Je crois vous avoir suffisamment démontré que, dans l'état actuel de l'aéro- station, les ballons, tels qu'ils sont, permettent au savant d'étudier l'océan aérien dans des conditions uniques et de contrihuer puissamment au déveloji- pement de la science de l'air, comme les navires qui sillonnent nos mers ont fourni les bases de la science de l'océan. — Yuilà pour le présent. — Allons un peu plus loin et envisageons l'avenir, c'est-à-dire la direction des ballons, qui, quoi qu'en disent quelques esprits peu initiés à l'aérostalion, n'est ni un rêve, ni une utopie. Les faits et les chiffres sont là pour le démontrer. Tout à l'heure j'ai déjà fait allusion au partisans du plus lourd que Vair, qui (1) On sait qu'un an environ après cet entretien, M. <;aslon Tissanilier allait s'élever, bvci MM. Crocé-Spinelli et Sivel, à l'altitude de 8,r,'.0 mètres dans le ballon le Zénith, où le? deux derniers voyageurs allaient trouver la mort. G. TISSANDIER. — LA MÉTÉOROLOGIE ET LES AÉROSTATS 12(m ne veulent voir dans le ballon qu'une bouée impuissante. Ces savants pré- tendent que l'on ne volera qu'au moyen d'ailes ou d'hélices mises en mouve- ment par des machines plus denses que l'air ; qu'ils aient une telle opinion, libre à eux ; qu'ils s'efforcent de s'élever dans l'atmosphère avec des ailes et des hélices, rien 'de mieux. Nous ne leur répondrons qu'en disant : Jusqu'ici vous restez à terre. Mais que quelques-uns d'entre eux viennent jeter l'ana- thème sur le ballon, et dire, par exemple, comme un savant anglais : « La dé- couverte des ballons a retardé la science de l'aérostation en fourvoyant les esprits et en faisant chercher la solution dans une machine plus légère que l'air qui n'a pas d'analogue dans la nature ; » c'est ce que nous ne pourrons pas voir imprimé sans protester, — car une telle affirmation est contraire aux lois de la physique et de la mécanique, aux lois du bon sens, et, ce qui plus est, contraire aux faits mis en relief par des expériences. Un de nos plus célèbres ingénieurs français, M. Henry Gitfard, l'inventeur de l'injecteur automatique, l'habile constructeur de ce nouveau wagon que vous avez vu ici même, et qui désormais nous permettra de parcourir les voies ferrées à l'abri du mouvement de lacet aussi tranquilles que dans la nacelle aérienne, a jeté en 1852 les véritables bases de la direction des ballons. Après de longues méditations à ce sujet, M. Giffard a compris qu'il fallait, pour diri- ger un aérostat, modifier sa forme sphérique. « Que faire, dit le savant in- génieur, pour réduire au minimum la résistance du milieu, ou, en d'autres termes, pour faciliter au plus haut point le passage de cette masse à travers l'atmosphère? La réponse se fait naturellement. . . 11 faut donner au volume gazeux le plus grand allongement possible dans le sens de son mouvement, de telle sorte que l'étendue transversale qu'il offre et de laquelle dépend en grande partie la résistance, soit diminuée dans la même proportion. » Dès 1852, M. Giffard avait construit un aérostat allongé qui cubait 2,400 mètres. Le premier navire aérien avait 4 i mètres de longueur et 12 mètres de diamètre au milieu. Un filet l'entourait et servait de support à une traverse horizontale de bois qui portait à son extrémité une espèce de voile triangulaire formant gouvernail. La nacelle, attachée à la traverse de bois, consistait en un châssis où se fixait la machine à vapeur et tous ses accessoires. Celle-ci faisait mouvoir une hélice motrice qui pouvait faire cent dix tours à la mi- nute ; la force développée pour la faire tourner était de trois chevaux, ce qui représente celle de vingt-cinq à trente hommes. L'expérience s'exécuta le 26 septembre 1832. Le ballon, conduit par M. Gif- fard, s'éleva pour la première fois au sifflement aigu de la vapeur ; arrivé à une certaine hauteur, il pivota sous le jeu de son gouvernail ; il se maintint dans un état de stabilité absolue au sein de l'atmosphère ; mais malheureuse- ment il ne put que se dévier faiblement de la ligne du vent. Sa vitesse de transport en tous sens était de 2 à 3 mètres par seconde ; celle du vent, ce jour-là, était de beaucoup supérieure. A dater de ce moment, le principe de la direction des aérostats était créé. M. Giffard, avec une puissance de conception qui ne se rencontre que chez l'innovateur, avait résolu un grand nombre de difficultés. Il venait de prouver que l'emploi d'un aérostat allongé, qui est le seul dont on puisse espérer 12(36 CONFÉRENCES la direction, était aussi avantageux que possible, par sa stabilité dans l'air, par la facilité de son atterrissage. 11 a pu, pour la première fois, faire dévier le ballon de la ligne du vent. Pour la première fois enfin, il a associé ces deux forces, la machine à vapeur et l'aérostat ; grâce aux dispositions nou- velles d'un foyer à flamme renversée, le danger de cette union terrible du feu et du gaz combustible venait d'être rendu illusoire. En 1855, M. Henry Giffard avait construit un second navire aérien plus grand, plus allongé encore ; il cubait 3,200 mètres, et était muni d'une ma- chine à vapeur plus puissante. Il s'éleva de l'usine de Courcelles, et malgré la fatale violence du vent lors de cette deuxième expérience, les spectateurs virent par instants le navire aérien tenir tête au courant aérien, qui devait cepen- dant l'entraîner encore. Pourquoi de tels aérostats ne se sont-ils pas dirigés d'une manière absolue ? Parce que leur vitesse propre était de 3 à i mètres par seconde, et que celle du vent était supérieure. Mais donnez au navire aérien une vitesse propre de 10 mètres, de 15 mètres à la seconde, c'est-à-dire supérieure à celle des vents moyens, il remontera les courants d'intensité moyenne. Est-il possible de munir l'aérostat de machines à vapeur assez puissantes pour obtenir ce résul- tat ? Il suffit, à notre avis, de lui donner un volume plus considérable, car remarquez bien ce fait géométrique très-important : la surface des aérostats ne croit pas proportionnellement avec leur volume. Plus le ballon est volumineux, c'est-à-dire plus il peut enlever de poids, et plus sa surface est relativement petite. En d'autres termes, plus le navire aérien est grand et puissant, plus la résistance que lui oppose l'air est faible. Au lieu de construire un ballon al- longé de 2,000 à 3,000 mètres cubes, il en faudrait confectionner un de 20,000 à 30,000 mètres cubes. Dans ce dernier cas, il aurait une force ascen- sionnelle considérable ; en effet, s'il était gonflé d'hydrogène pur, il pourrait enlever un poids de 20,000 kilogrammes, en supposant qu'il pesât lui-même 10,000 kilogrammes environ. Le moteur puissant dont il serait muni, dans ces circonstances, lui assurerait évidemment la direction absolue. 11 n'y a ici nulle difficulté théorique, mais il s'en présente plusieurs des plus importantes, dans la pratique. 11 faut, pour un tel aérostat, un tissu solide, imperméable ; du gaz hydrogène préparé par une méthode prompte et écono- mique : en un mot, il faut pour le construire, changer de toutes pièces l'art de la confection des ballons. C'est ce que M. Giffard a compris, en s'engageant dès 1855 dans la voie de ces perfectionnements indispensables ; il a su résoudre les problèmes qui mènent au ballon dirigeable : solidité du tissu ; préparation en grand du gaz hydrogène. Pour s'exercer à ces modes de constructions aéro- statiques nouvelles, il a créé les ballons captifs à vapeur, dont le public a pu admirer les dispositions et le mécanisme à l'exposition universelle de Paris en 1867. En 180!), M. Giffard construisait à Londres un nouvel aérostat captif, qni atteignit des dimensions prodigieuses. Ce ballon, le plus grand globe aérien connu, necu- bait pas moins de 12,000 mètres. 11 était situé au centre d'une charpente cir- culaire de 20 mètres de haut. Ce magnifique appareil enlevait dans l'espace 32 voyageurs, à 050 mètres d'altitude, retenus à terre par un câble de 4,000 LAUSSEDAT. — LA TÉLÉGHAPHIE OPTIQUE 1267 kilogrammes. La corde où était attaché ce Léviathan de l'air, s'engageait dans la gorge d'une poulie de fer, et s'enroulait autour d'un treuil de fonte que mettait en mouvement une machine à vapeur de 130 chevaux. L'étoffe du ballon de Londres, formée de feuilles de caoutchouc et de tissus de toile, su- perposés alternativement, était recouverte extérieurement d'une mousseline enduite d'un vernis imperméable. Les 12,000 métras cubes d'hydrogène pur, emprisonnés dans ce gazomètre sphérique, ont pu y séjourner plus d'un mois, sans déperdition. On voit que désormais la construction de navires aériens gigantesques n'offre plus d'obstacles insurmontables. Il suffirait d'employer ces nouveaux et puis- sants moyens de confection pour mettre au jour un aérostat allongé de grande dimension analogue à celui qui a sillonné l'espace en 1852. La solution du grand problème de la navigation aérienne ne nécessite plus aujourd'hui la décottVêrte d'un principe. C'est ce que M. Dupuy de Lôme a compris récem- ment en reprenant les expériences de M. Giffard, en construisant un vaiseau aérien dont le public s'est si vivement préoccupé. Il est à regretter que le bal- lon de l'illustre constructeur des navires cuirassés n'ait pas été plus volumineux, plus allongé, et n'ait pas été muni d'un moteur à vapeur. Espérons que quel- que Colomb apparaîtra pour recueillir le fruit de ces belles expériences, et pour prendre possession de l'empire de l'air ! J'ai terminé, messieurs, un entretien sans doute beaucoup trop long, heu- reux si j'ai su vous faire partager la foi qui m'anime à l'égard des ressources que les ballons peuvent fournir au génie scientifique. Non-seulement les aérostats nous révéleront les lois de l'atmosphère, mais ils seront, croyez-le bien, les plus sûrs éléments de sa conquête. Enfin, ces pré- cieux instruments de la science sont aussi les admirables auxiliaires de l'art de la guerre, et si la patrie devait un jour mettre ses armées en mouvement, on verrait encore planer dans le ciel, comme un messager d'expérience, le léger esquif aérien ! M. LAUSSEDAT Colonel du génie, Professeur au Conservatoire des Arts et Métiers. SUR LA TÉLÉGRAPHIE OPTIQUE CONFÉRENCE FAITE DF.VANT LES OFFICIERS DE LA GARNISON DE LILLE. — 27 août IS74. — Ce n'est pas, à proprement parler, à une conférence que je vous ai invités, mais simplement à une conversation dans laquelle je me propose de vous faire connaître un système de télégraphie qui mérite, je le crois, la sérieuse attention de l'armée. La télégraphie électrique, qui offre de si grands avantages en temps de paix, 12(>S COSFÉIIEXCES quand on la eomparc à l'ancienne télégraphie aérienne, rendra toujours aussi d'immenses services en temps de guerre, mais sous de certaines conditions auxquelles il est souvent difficile et, dans bien des cas, impossible de satisfaire. Je n'ai pas besoin d'insister, par exemple, sur la nécessité d'exercer une surveillance incessante sur tout le trajet des fils et sur le danger permanent de leur rupture momentanée ou même de la suppression complète des com- munications, dès que l'ennemi est parvenu à se rendre maître d'un seul point de la ligne. D'un autre côté, le matériel nécessaire à l'installation des télé- graphes électriques en campagne est assez encombrant, et le déploiement ou le reploiement des fils, pendant les mouvements des corps de troupe, sont bien souvent gênés par les obstacles qui couvrent le terrain. La télégraphie optique, destinée, comme son nom l'indique, à procurer une correspondance à distance, à l'aide de signaux lumineux, diffère de l'ancienne télégraphie aérienne parla nature même des signaux et aussi par leur portie, qui est beaucoup plus considérable. Elle ne présente, au point de vue militaire, aucun des inconvénients de la télégraphie électrique, car les appareils qu'elle emploie peuvent être réduits à un petit volume, ce qui les rend faciles à transporter et non moins faciles à installer; enfin, les rayons lumineux qui servent d'émissaires n'étant généralement visibles que de la station vers la- quelle ils sont dirigés, l'ennemi ignorera le plus souvent l'existence de ce moyen de correspondance, et, au surplus, les signaux fussent-ils visibles, qu'il serait aisé de les rendre inintelligibles, en employant une clé, ou ce qu'on appelle un chiffre, en terme de cryptographie. Je me garde bien, néanmoins, de prétendre que les signaux optiques dont il s'agit soient de tout point préférables aux signaux électriques. Ces derniers, on le sait, franchissent toutes les distances et par tous les temps, tandis que les premiers dépendent de l'état de l'atmosphère aussi bien que les signaux aériens. Tous ceux d'entre vous qui, comme moi, ne sont plus jeunes, se sou- viennent certainement de la formule sacramentelle qui venait si souvent sus- pendre la fin d'une dépêche plus ou moins émouvante : interrompue par le brouillard. Sous ce rapport, notre système est malheureusement dans le même cas que celui de Chappe. Je suis ainsi amené à vous dire quelques mots de l'histoire de la télégra- phie en général, c'est-à-dire des moyens de faire franchir à la pensée de grands espaces en peu de temps, moyens rêvés un peu partout, dès l'origine de la civilisation, mais réalisés avec un plein succès seulement à la fin du siècle dernier, et par un Français. C'est assurément un trait à noter et qui semble caractériser notre race expansive et curieuse à l'excès, que ce besoin de ne compter ni avec le temps, ni avec l'espace, qui se manifeste depuis l'époque où nos ancêtres, les Gaulois, d'après le témoignage de Jules César, transmettaient les nouvelles, par leurs cris, à des distances considérables (1), jusqu'à la découverte de Chappe, jusqu'à la merveilleuse invention des ballons, (1) De bcllo gallico, lib.VU, 3. César ne dit pas s'il y avait des postes ou, comme on dirait aujourd'hui, des stations permanentes de crieurs, convenablement choisies et espacées ; mais cela ne saurait, il me semble, faire l'objet d'un doute ; il devait y avoir un service organise pour la transmission des nouvelles de guerre. LAUSSEDAT. — LA TÉLÉGRAPHIE OPTIQUE 12Ô!) utilisée, presque dès son origine, comme celle du télégraphe et dans les mêmes circonstances, à la défense du territoire, invention trop négligée pen- dant les temps de prospérité apparente, et qui, tout récemment, a contribué, dans une large mesure, à entretenir l'énergie de la population parisienne, pendant le long et douloureux siège soutenu contre les armées allemandes. Il doit nous être permis, sans doute, malgré nos revers, dont les causes ne sont pas là où les Allemands se plaisent à les découvrir, de nous enorgueillir de ces ingénieuses et courageuses applications de la science, sans encourir le reproche banal de jactance, que se plaisent à nous jeter à la tête des adver- saires dont la modestie n'est pas encore passée en proverbe (1). La télégraphie aérienne, si l'on comprend sous cette dénomination les signaux visibles à des distances plus ou moins grandes, remonte, comme je le disais tout à l'heure, aux époques les plus reculées de l'histoire ; mais son rôle s'est réduit, pendant longtemps, à exprimer un petit nombre d'idées, toujours les mêmes. Le drapeau blanc parlementaire, le drapeau noir arboré sur les ambulances et remplacé de nos jours par le drapeau à la croix de Genève, le drapeau rouge de l'appel à la violence, rentrent dans la catégorie de ces signaux compris de tous, dans lesquels on peut trouver le germe de la télégraphie. A partir du xvie siècle, on voit se produire un grand nombre de tentatives, les unes peu raisonnables, d'autres, au contraire, très-ingénieuses, mais toujours imparfaites, pour étendre le domaine du langage symbolique, ou même pour expédier des dépêches en toutes lettres. L'invention du télescope ou de la lunette d'approche faisait disparaître l'un des principaux obstacles qu'avait à surmonter la télégraphie, celui de rendre distincts des signaux éloignés, d'où résultait la nécessité de multiplier les postes d'observation, et par conséquent les chances d'erreurs, pour franchir les grandes distances. C'est le physicien français Amonlons qui paraît avoir été le premier à mettre à profit les propriétés de la lunette, d'approche, pour créer un système de télégraphie que sa timidité, autant que les difficultés de détail qu'il ignorait sans doute ou dont il ne s'était probablement pas suffi- samment préoccupé, devait faire échouer. Je n'ai pas l'intention de passer en revue les essais, on peut dire innom- brables, qui ont précédé ou suivi ceux d'Amontons jusqu'à la découverte de Chappe, dont on ne saurait assez admirer la savante simplicité. Je citerai cependant un appareil qui a passé presque inaperçu, ou dont on n'a parlé que pour le tourner en dérision. C'est celui de François Kesler. « Il enferma, dit Chappe l'aîné, son télégraphe dans un tonneau couché par terre, dans le- quel il plaçait un réflecteur et une lampe suspendue à un crochet ; devant un des bouts du tonneau était une trappe qu'on levait ou baissait à volonté, par le moyen d'une verge. On laissait tomber la trappe une fois pour expri- mer la première lettre de l'alphabet, deux lois pour la deuxième lettre, et ainsi de suite (2). » (1) Ce paragraphe n'a pas été prononcé à la conférence de Lille, où, pressé par le temps, j'ai dû supprimer plusieurs passages rétablis dans cette notice. (2) Chappe l'aîné, Histoire de la Télégraphie, in 8", Paris, 1824, pages h\ et \2. 1270 CONFÉRENCES On a dit plaisamment de Kesler, à propos de cette lampe renfermée dans un tonneau, « qu'il avait mis la lumière sous le bouleau. » En y regardant de plus près et en examinant la figure gravée dans Y Histoire de la Télégraphie, de Chappe, on reconnaît cependant que l'invention n'était pas si ridicule, et qu'il y manquait bien peu de chose pour en faire un excellent télégraphe de nuit. D'abord, il n'était pas absolument indispensable de poser le tonneau à terre, et l'on pouvait certainement l'installer d'une manière plus commode, sur un support d'une hauteur convenable ; le diamètre du réflecteur, qui pou- vait atteindre celui du tonneau, centuplait plusieurs fois la flamme de la lampe qui était à peu près garantie de tous les vents; une lunette dont la direction était parallèle à l'axe du tonneau ou du réflecteur servait à orienter l'appareil sur celui de la station opposée, et au besoin, à recevoir les signaux partis de cette station ; en un mot, on trouve dans le télégraphe de Kesler les éléments essentiels du meilleur des télégraphes optiques, de celui dont nous nous occuperons tout à l'heure. L'interrupteur ou Fobscurateur, la trappe, était certainement un organe bien primitif et le pro- cédé employé pour exprimer les lettres de l'alphabet rendait à peu près impos- sible l'usage d'une pareille machine; mais en y réfléchissant un peu, il eût été facile de trouver des combinaisons plus expéditives d'apparitions de la lumière et d'éclipsés. Les modernes inventeurs qui ont suivi la même voie n'ont eu, sous ce rapport, aucun frais d'imagination à faire ; ils ont tout sim- plement pris l'alphabet Morse, en substituant aux points et aux traits de l'écriture, des éclats courts et des éclats longs, ou des éclipses courtes et longues. Les signaux du télégraphe de Chappe sont d'une nature bien différente et ne servaient pas généralement à former des lettres. Ils étaient obtenus, comme vous le savez sans doute, à l'aide de grands bras ou de grandes flèches dont la penne était remplacée par des espèces de lames de persiennes. Ces flèches, au nombre de deux, pouvaient prendre des inclinaisons variant de 45° en 45°, aux extrémités d'une barre également mobile par degrés autour d'un centre et à l'extrémité supérieure d'une tige verticale. Tout cet ensemble se détachait en noir sur le ciel, formant ce que les géodésiens appellent des signaux par vision négative. Il en résultait qu'on les voyait très-bien de jour et par des temps clairs ; mais ils disparaissaient naturellement pendant la nuit. On avait bien essayé de placer des lanternes ou des réverbères sur les flèches et sur la barre, mais ce procédé ne présentait pas des garanties suffisantes et n'a jamais été employé régulièrement. A l'exception d'un petit nombre de phrases que pouvaient échanger les sta- tionnaires et qui se rapportaient à la police de la ligne, le télégraphe de Chappe transmettait des signaux dont le sens restait secret, d'après un sy.-tème qui n'était ni alphabétique, ni phrasique, mais plutôt numérique. Je n'entn rai pas ici dans des détails désormais inutiles et je me contenterai de dire qu'après avoir défalqué des quatre-vingt-seize signaux différents que pouvait faire le télégraphe aérien, ceux qui étaient réservés à la correspondance directe entre les stationnaires, il en restait encore asseï pour permettre de faire une mul- titude de combinaisons n'exigeant chacune qu'un petit nombre de signaux, ce LALSSEDAT. — LA TÉLÉGRAPHIE OPTIQUE 1271 qui revient à dire que l'on pouvait transmettre rapidement beaucoup de mots. Le mécanisme imaginé par Claude Chappe pour la manœuvre des flèches ou des bras du télégraphe aérien était très-simple et fonctionnait sûrement, grâce à un petit appareil nommé répétiteur qui, placé dans le cabinet du station- naire reproduisait, en effet, en petit, les signaux de l'appareil extérieur. Chaque signal n'exigeait pas moins un temps assez long, si on le compare à celui qui suffit pour tracer des points et des traits ou pour produire des éclats et des éclipses au moyen d'une lumière. Le système alphabétique trop lent pour le télégraphe aérien convient donc, au contraire, parfaitement à la télé- graphie optique. Aussi est-il généralement adopté aujourd'hui partout où l'on poursuit des expériences analogues à celles dont je veux vous entretenir. On emploie d'ailleurs, comme je vous l'ai déjà dit, des conventions identiques avec celles que le célèbre américain Morse a introduites dans la télégraphie électrique et il n'échappera à personne qu'il doit être en effet avantageux de se servir de la même langue et du même organe de transmission, en un mot de manipuler de la même manière, qu'on ait sous la main un appareil électrique ou un appareil optique, sous cette réserve toutefois que, dans le second cas, il faille ralentir sensiblement la vitesse de la transmission. Le syslème alphabétique peut d'ailleurs servir, tout aussi bien que celui des signaux de Chappe, à tenir les dépêches secrètes et il existe un moyen d'accroître la rapidité de la transmission fondé sur cette remarque très-simple qu'on peut, en combinant les 23 ou 26 lettres de l'alphabet 3 à 3, composer une sorte de diction- naire qui renfermerait des milliers de mots et même des phrases entières choisies parmi celles qui reviennent le plus souvent, dan3 la correspondance officielle, par exemple. Chaque mot, chaque phrase, quel que soit le nombre des lettres néces- saires pour les écrire, se trouveront alors représentés invariablement par une de ers combinaisons ternaires, par 3 lettres. Un dictionnaire de ce genre a été composé par M. Gallian, aidé de son fils, élève à l'École polytechnique. Rien n'est plus facile que de comprendre comment tous les mots de la langue fran- çaise ont été distribués dans un dictionnaire à deux colonnes dont l'une pour les mots et l'autre pour les combinaisons de 3 lettres, destinées à les repré- senter et rangées, aussi bien que les mots, suivant l'ordre alphabétique. Soit donc que l'on veuille expédier un mot ou traduire les groupes de trois lettres reçues d'une autre station, l'usage du dictionnaire est toujours celui qui nous est familier. J'ajoute que M. Gallian avait à sa disposition un assez grand nombre de combinaisons ternaires pour avoir pu composer en outre plusieurs dictionnaires spéciaux, géographique, de nombres, etc., et un recueil de phrases employées journellement par les négociants, les marins, le militaires, les administrateurs. Enfin, l'auteur a conservé encore une cen- taine de combinaisons de 3 lettres sans signification définitive, destinées à com- poser des clés et à faire des conventions connues seulement des deux personnes qui veulent correspondre secrètement. Quand l'administration des télégraphes est autorisée par le gouvernement à recevoir des dépêches chiffrées, elle accorde habituellement cinq lettres pour chacun des mots qui composent la dépêche, ce nombre représentant la moyenne de ceux des lettres dans les mots de la langue française. Or, \i~ll CONFÉRENCES nous venons de voir que, dans le système de M. Gallian (1), trois lettres suffisent pour chaque mot; d'où il résulte que l'on réalise d'emblée une économie de »0 0/0 sur le nombre des lettres. Cette économie peut même aller jusqu'à 50, 00 et 80 0/0, quand on se sert des phrases stéréotypées si fréquentes, surtout dans le langage commercial ; mais pour ne rien exagérer et pour ne pas compromettre le sens des dépêches militaires, en cherchant à le renfermer dans des formules toutes faites, nous admettrons seulement une réduction de 50 0/0 sur le nombre des lettres à expédier. La vitesse de transmission se trouvera donc ainsi doublée, soit que l'on corresponde en langage clair ou en langage secret. Cette digression ne vous paraîtra pas iuutile, je l'espère, si vous voulez bien vous représenter que tous les moyens de gagner du temps sont précieux, surtout à la guerre, et quand la transmission d'une dépêche importante peut être exposée aux caprices des variations atmosphériques. Je reviens aux appareils de télégraphie et à leur histoire que je m'efforcerai d'abréger, mais qui mérite cependant qu'on s'y arrête un peu. parce qu'elle devrait servir d'enseignement, si le pays dans lequel nous vivons n'était pas, un peu par la faute de ceux qui prétendent le diriger, alternativement le plus enthousiaste et le plus indifférent, selon le temps et les événements. Claude Chappe, n'hésitons [pas à le dire, fit un effort de génie en découvrant de toutes pièces un système de télégraphie dans lequel les difficultés d'application étaient prévues une à une et habilement levées; mais malgré son obstination et le concours dévoué de son frère Ignace-Urbain, il est bien probable que ses premiers essais, incomplets, comme ceux de ses devanciers, eussent été abandonnés et condamnés à l'oubli, sans la gravité des circonstances. Les dan- gers que courait alors la France (on était en 4793), le besoin impérieux qu'éprou- vait, la Convention d'être promptement renseignée sur ce qui se passait aux armées, contribuèrent à coup sur à la réalisation, sur une assez grande échelle, du procédé des frères Chappe (2). Deux hommes d'une remarquable intelligence, alliée à un ardent patriotisme, dont on retrouve les noms associés à la plupart des grandes institutions de cette époque, Romme et Lakanal patronnèrent la nouvelle invention et firent décréter la création de la première ligne télégra- phique, précisément entre Paris et la ville où nous sommes réunis en ce moment. A peine installé, par un heureuse coïncidence, qui confirmait et. exaltait même les espérances dont il avait été l'objet, le télégraphe aérien transmettait de Lille à Paris la nouvelle de la reprise de Condé, et la Conven- tion expédiait par la même voie le décret portant que l'armée du Nord avait 11) M. Gallian. l'auteur du Dictionnaire de télégraphie économique et secret est mort récem- ment, en laissant sa famille dans une position très-gênée. Son livre, qui est édité avec un soin extrême, ne s'était pas vendu parce que, depuis la guerre, les dépèches chiurées n'étaient pas reçues par l'administration des télégraphes. Cette interdiction doit être prochainement levée, croyons-nous, et cela est à désirer dans l'intérêt du public et de l'administration elle-même. Le dictionnaire de M. Gallian sera sans doute appelé alors à rendre les plus grands services. (2) Les frères Chappe étaient les neveux de l'astronome Chappe d'Auteroche, mort en 1760 en Californie, où il était allé observer le passage de venus. Ils étaient quatre : L'aine Claude ou l'abbé Chappe, était le véritable inventeur ; il est mort d'une manière violente, étant encore jeune. Les trois autres, Ignace, François et Abraham l'ont plus ou moins aidé dans ses expé- riences et sont devenus tour à tour directeurs généraux de télégraphes. tNote communiquée par M. de Montzey, de la Flèche.) LAUSSEDAT. — LA TÉLÉGRAPHIE OPTIQUE 1273 bien mérité de la patrie et que la ville de Condé prendrait le nom de Nord- Libre. J'ai dit tout à l'heure que le télégraphe de Chappe se prêtait mal à la cor- respondance de nuit. Les lanternes ou réverbères attachés au bras de ce télé- graphe étaient au nombre de cinq et il devait être en effet assez difficile de les distinguer les unes des autres et de reconnaître les signaux. Mais on sait que, généralement, l'atmosphère est bien moins chargée de brume la nuit que le jour, et il était tout à fait regrettable de renoncer à la télégraphie nocturne ; aussi voit-on les inventeurs se succéder depuis la fin du siècle dernier jusqu'à l'époque actuelle et proposer des appareils dont la plupart furent abandonnés, même avant d'avoir été sérieusement éprouvés. Parmi les télégraphes de nuit qui firent un certain bruit, il convient de citer celui du capitaine de vaisseau Lecoat de Saint-H; plus méthodiquement. Une autre question capitale dont la solution avait dû être ajournée à une autre époque s'était posée dès le début. Les objectifs des lunettes astronomiques dont nous nous servions, parce que nous les trouvions tout prêts dans le commerce, présentaient l'inconvénient grave de coûter cher et de n'avoir, malgré cela, que des diamètres trop faibles et des distances focales, au contraire, trop grandes. Je me vois obligé, un peu malgré moi, à entrer encore, à ce propos, dans quelques détails sur l'organe essentiel de nos appareils. Les propriétés que j'ai attribuées aux lentilles ne sont en effet qu'approxi- mativement réalisées ; ainsi, par exemple, les rayons parallèles qui tombent sur la partie centrale d'un objectif ne s'entre-croisent pas, après avoir traversé le verre, exactement au même point que ceux qui sont entrés par les bords. De là une imperfection qualifiée d'aberration de sphéricité, parce qu'elle est due à la forme sphérique des surfaces de la lentille. Il en résulte nécessai- rement une altération plus ou moins sensible, un détaut de netteté des images qui se forment aux loyers des verres d'optique, ei quand, inversement, on place une source lumineuse au foyer d'une lentille, les rayons qui partent de ce foyer ne sortent pas dans des directions rigoureusement parallèles. Il y a dans la marche des rayons lumineux à travers les verres d'optique, et par suite dans la production des images, une autre cause d'altération qui provient de ce que la lumière solaire que nous réfléchissent, pendant le jour, les objets examinés à l'aide des lunettes et celle que fournissent la plupart des sources artificielles, sont composées d'une infinité de rayons de couleurs et de propriétés différentes. Quant à la lumière solaire, elle est analysée naturelle- ment, comme chacun le sait, par son passage à travers les gouttes d'eau d'un nuage qui se résout en pluie, dans le phénomène de l'arc-en-ciel et, sans qu'il soit nécessaire de recourir aux prismes des physiciens, cette décomposi- tion de la lumière blanche en une multitude de couleurs (car les sept couleurs que l'on désigne par des noms particuliers, dans l'arc-en-ciel, sont en réalité des groupes d'autres couleurs en nombre indéfini) se manifeste incessamment dans le passage de ses rayons à travers les objets de cristal taillé qui sont de- venus d'un usage familier. Les bords des lentilles inclinés l'un sur l'autre agissent à la manière du prisme, tant sur la lumière produite artificiellement que sur la lumière solaire, et les images, au lieu d'apparaître avec des cou- leurs nettement terminées, sont presque toujours plus ou moins irisées. On doit cependant au célèbre opticien anglais Dollond un moyen de compenser les effets du verre ordinaire un peu verdatre, connu dans son pays sous le nom de croicii, par ceux d'un verre plus lourd et plus blanc que nous appe- lons cristal et les Anglais flint. La combinaison de ces deux verres ou plutôt leur emploi simultané dans la fabrication des objectifs, permet, quand elle est faite habilement, de désiriser les bords des images ou, comme on dit, d'achro- matiser les lunettes. Pendant que je suis en train de définir les expressions «souvent employées en optique et dont je dois vous donner la signification exacte pour la complète intelligence de ce que j'ai encore à vous dire, j'ajouterai que le phénomène de la décomposition de la lumière, c'est-à-dire de l'inégale déviation ou ré- 1286 CONFÉRENCES fraction éprouvée par les rayons de couleurs différentes, dans leur passage de l'air dans le verre et du verre dans l'air, ou, en général, d'un milieu trans- parent dans un autre, est désigné sous le nom de dispersion. Quant à l'imper- fection qui en résulte dans la formation des images, on la désigne sous le nom d'aberration de réfrangibilité^ ou d'aberration chromatique. On remédie en grande partie au défaut de netteté résultant de la forme sphérique des sur- faces des lentilles, en ne donnant qu'une faible courbure à ces surfaces, c'est- à-dire en les prenant dans des sphères de grands rayons, d'où résulte, comme on le voit facilement par la géométrie la plus élémentaire, que les distances focales de ces lentilles sont elles-mêmes très-grandes par rapport à leurs dia- mètres ou à ce que nous avons appelé leurs ouvertures. Or il est évident, d'après ce que je vous ai dit de l'influence de ces ouvertures, que nous devons chercher à les agrandir le plus possible, pour rendre nos signaux visibles à de grandes distances, et d'un autre côté nous avons intérêt, pour ne pas encombrer le local souvent très-restreint des stations , à éviter d'augmen- ter démesurément la longueur de nos appareils qui ne saurait être infé- rieure à la distance focale de l'objectif et qui la dépasse même nécessaire- ment. D'ailleurs, les objectifs achromatiques de grandes dimensions sont, non seulement d'un prix excessif, mais même difficiles à se procurer, parce qu'ils exigent des matières d'une grande pureté que les ouvriers ont beaucoup de peine à obtenir et que les opticiens ne réussissent pas toujours à tailler con- venablement. Si donc la télégraphie optique devait faire nécessairement usage des objec- tifs dits astronomiques, il faudrait désespérer de lui faire atteindre de grandes portées et même jour les distances moyennes de 25 à 30 kilomètres, les ins- truments dont on aurait besoin atteindraient un prix déjà élevé. Heureusement, il n'en est rien et nous n'avons pas tardé à reconnaître, peu de temps après avoir commencé nos essais, qu'il devait y avoir des objec- tifs télégraphiques, comme il va des objectifs photographiques, comme il y a des lentilles spéciales pour les phares. Je dois vous dire quelques mots de ces dernières, ne fût-ce que pour vous rappeler que c'est encore à une de nos illustrations françaises, à Fresnel qu'est dû le système d'éclairage des côtes à peu près universellement adopté aujourd'hui (1). L'espace dans lequel il faut installer les appareils d'éclairage sur les côtes est naturellement très-restreint, car, en général, c'est la plate-forme d'une tour élevée qui ne pourrait pas, sans inconvénients, avoir un grand diamètre. Les lentilles destinées à recueillir tous ou presque tous les rayons qui divergent d'une lampe centrale et à les ramener dans des directions sensiblement horizon- tales sont agencées de manière à former une véritable lanterne autour de cette lampe; cette lanterne est cylindrique ou prismatique avec un sommet conique ou pyramidal; ces deux formes s'adaptent à des destinations un peu différentes, (1) Je ne crains pas de voir mal interpréter mes sentiments, même dans la situation oh nous sommes, en avouant que j'éprouve une profonde satisfaction à la pensée que les lentilles de 1-ïeMiel ont certainement contiibué à sauvegarder plus d'existences que les canons d'acier se chargeant par la culasse ne sont encore parvenus à faire de victimes. LAUSSEDAT. — LA TÉLÉGRAPHIE OPTIQUE 1287 mais dans les deux cas, la forme fondamentale des verres lenticulaires dérive de celle de la lentille dite à échelons. La distance focale de ces verres devant être égale au rayon de la lanterne et par conséquent très-petite, il s'agissait de ramener au parallélisme des rayons très-divergents. Or c'est ce qu'on ne pouvait pas faire avec des lentilles ordi- naires, dont la grosseur se serait accrue avec l'ouverture, tandis que les bords recevant des rayons très-obliques ne les auraient pas rendus parallèles et les auraient beaucoup trop dispersés. De là la nécessité de donner aux bords à la partie centrale des courbures différentes, ce que l'on obtient en compo- sant chacune des faces des lanternes prismatiques d'une première lentille ana- logue aux lentilles ordinaires et d'anneaux successifs disposés en échelons les uns autour des autres et dont les surfaces réfringentes appartiennent à des sphères de rayons différents convenablement calculés. La lentille que vous voyez dans les appareils que j'ai apportés ici est de cette espèce; vous pourrez remarquer, en l'examinant de près tout à l'heure, que sa surface intérieure, celle qui est tournée vers la lampe, est" plane et que les sur- faces extérieures seules du disque central et des deux anneaux qui l'envelop- pent sont courbes. Pour travailler plus facilement le verre de ces lentilles, on fabrique séparément le disque central et les anneaux divisés en fragments qui sont ensuite collés ensemble au moyen d'une substance transparente, mais qui ne laisse pas d'absorber beaucoup de lumière. 11 en résulte que la surface utile se trouve notablement réduite. D'ailleurs, les courbures des anneaux de ces verres qui sont pris dans le commerce et destinés aux phares de troisième grandeur, ne sont pas celles qui conviendraient le mieux à notre objet ; c'est faute de temps et un peu par économie, les essais de ce genre étant toujours assez dispendieux, que j'ai du m'en contenter (1); mais je tenais à vous montrer les appareils très-portatifs que je propose comme télégraphes de campagne (2) et dans la construction desquels je me suis attaché à remplir deux conditions essentielles : réduire autant que possible leur volume et leur poids et garantir la flamme de la lampe, qui doit brûler en plein air et par tous les temps, contre l'action du vent qui, tout comme le brouillard et même plus fréquem- ment, pourrait interrompre les dépêches, si toutes les précautions pour lui ré- sister n'étaient pas bien prises. Ce dernier problème est heureusement depuis (1) Deux ou trois mois après celte conférence, je me suis adressé à notre habile verrier, M. Feil. qui m'a promis d'exécuter, quand je le lui demanderai, des lentilles à échelons d'une seule pièce (ce qui supprimerai! la déperdition de lumière occasionnée par le collage des an- neaux), dont j'aurai modifié convenablement le profil, ou même des lentilles unies à surface de révolution non plus sphérique, mais présentant la forme la mieux appropriée pour faire dispa- raître l'aberration sphérique. Ce moyen dont le principe est bien connu n'a pas pu être employé jusqu'ici à cause de la difficulté de donner aux surfaces des verres d'optique d'auties formes que celles de la sphère ou du plan ; mais comme il s'agit, dans les télégraphes optiques, de trans- mettre seulement de la lumière et non plus d'obtenir des images, je pense que c'est le cas de l'appliquer. Je n'ignore pas d'ailleurs, qu'en étendant la méthode des retouches locales ou à l'aide de certains tours de main pratiques par de très-habiles opticiens (notamment par feu M. Bertaud jeune), on a déjà combattu avantageusement l'aberration sphérique ; seulement ce procédé est trop long et trop coûteux, et j'espère, avec le concours éclairé de M. Feil, parvenir à des résultats suffisants par des moyens plus simples. (2) Ces appareils sont aussi ceux que je conseille d'adopter pour les applications géodésiques. J'ai exposé ailleurs comment on pourrait les utiliser : 1» comme signaux fixes substitués aux anciens réverbères, et 2° comme signaux lumineux instantanés pouvant servir à la détermination des longitudes, aussi bien que les signaux de télégraphie électrique. 1288 CONFERENCES longtemps résolu dans les lanternes des voitures et des réverbères ; aussi, les appareils que je vous présente ont-ils l'apparence de lanternes montées sur des trépieds solides comme ceux de nos instruments de géodésie. BADCUREAU. Fig. 79. — Appareil disposé pour la correspondance de jour. La longueur de la lanterne n'est augmentée que de la distance focale de la lentille de Fresnel qui est aussi courte que possible (à très -peu près égale au diamètre de l'ouverture), ce qui m'a déterminé à choisir cette lentille, malgré ses imperfections auxquelles on peut obvier en grande partie. Maintenant, Messieurs, je vais tâcher de vous donner une idée de la simplicité de la méthode de transmission et de la manœuvre des appareils, en recevant devant vous quelques phrases ou seulement quelques mots que mon collègue, M. Deprez, essaiera de me transmettre. Nous ne pourrions pas nous livrer à une expérience de vitesse, car M. Deprez ne connaît l'alphabet Morse que depuis quelques instants et je ne saurais trop le remercier de l'obligeance qu'il met à m'assister dans de telles conditions. Pendant que le colonel Laussedat se rend auprès du second appareil placé à 30™ environ, au bout d'une suite de pièces en enfilade, M. le général Clim liant, qui avait bien voulu accepter l'invitation d'assister à cette conférence, dicte à M. Deprez un certain nombre de mots que celui-ci transmet sans trop d'hésitation; ils sont reçus par M. Laussedat qui signale seulement une légère incorrection dans l'expédi- tion de la lettre 0 mise à la place de la lettre S dans le mot Lens. L'expérience n'est pas moins convaincante, et M. le général Clinchant le reconnaît tout le premier. LAUSSEDAT. — LA TÉLÉGRAPHIE OPTIQUE 1489 Tout ce que je disais, il y a un instant, se rapportait surtout aux télégraphes de campagne, qui ne tarderont pas, j'en ai le ferme espoir, à être mis en expérience dans nos corps d'armée, et c'est surtout pour contribuer à provoquer I-'ig. Appareil disposé pour la correspondance de nuit. cette mesure, que je suis venu vous entretenir si longuement de ce sujet. Permettez-moi d'ajouter que, pour ce qui est des appareils appropriés aux stations fixes, la question est beaucoup plus avancée. 11 est vrai de dire que leurs conditions d'installation sont bien différentes, car d'abord on peut beau- coup mieux les abriter et, d'un autre côté, bien qu'il soit nécessaire de réduire les distances focales, on n'est pas obligé de tant se préoccuper du poids et du volume qu'on ne doit le faire quand il s'agit d'instruments qu'il faut déplacer et transporter continuellement. La commission de télégraphie optique, constituée pendant le siège, était composée, je vous le rappelle, de professeurs qui durent, après la guerre, reprendre leurs occupations habituelles. Sur un ordre de M. le général de Chabaud-Latour, les appareils de nos stations parisiennes avaient été remis, par mes soins, au dépôt des fortifications. Le service du génie, comprenant l'importance du nouveau moyen de correspondance pour les places assiégées, voulut en faire compléter l'étude, et un officier très-distingué, qui s'occupait depuis longtemps d'optique, M. le commandant Mangin, fut appelé à Paris dès le commencement de l'année 1872, pour prendre la tradition des travaux de la commission et pour continuer les expériences qui n'avaient pas pu être entre- 85 1290 CONFÉRENCES prises pendant la guerre. J'étais moi-même chargé d'un autre service qui ne me laissait pas le temps de me livrer à des recherches scientifiques et à la sur- veillance des essais à faire entreprendre par des opticiens. Je donnai donc à M. le commandant Mangin tous les renseignements qui pouvaient l'aider dans l'accomplissement de sa tâche, et je lui signalai notamment le point le plus urgent à traiter, celui des objectifs télégraphiques. Cet officier supérieur ne tarda pas à trouver une solution et même plusieurs solutions de cet important problème, qui consistait, comme vous le savez, à construire des objectifs à larges ouvertures et à distances focales réduites, en même temps qu'à bon marché. Après avoir fait exécuter un appareil dont la forme était encore celle d'une lunette et dont la portée atteignait de nuit GO kilomètres, il pensa à employer des réflecteurs (1). Afin d'éviter les incon- vénients du métal, M. le commandant Mangin choisit le verre; seulement pour réaliser de très-grands miroirs avec économie, il dut renoncer à la forme parabolique qui procure le moyen le plus exact de ramener les rayons qui divergent d'un point lumineux au parallélisme, et au lieu de métalliser la surface antérieure du miroir, il lit exécuter cette opération sur la surface postérieure, comme pour nos glaces d'appartement, et il combina habilement les courbures sphériques des deux surfaces pour combattre les aberrations. La surface métallisée (argentée) se trouve de cette façon à l'abri des altérations qu'éprouvent, par exemple, les miroirs argentés de Foucault. M. le commandant Mangin a d'ailleurs conservé les principes essentiels des premiers appareils, qui dérivent des propriétés de la lunette astronomique, en ne plaçant pas la flamme de la lampe immédiatement au foyer du réflecteur et en adoptant alors naturellement, soit la disposition du télescope de Newton, soit celle du télescope de Cassegrain. Je ne m'arrêterai pas à vous indiquer comment, au moyen de miroirs plans, on peut projeter les rayons solaires dans la direction de l'appareil d'émission et obtenir ainsi de jour, quand le ciel est découvert, des signaux lumineux d'un éclat incomparable et d'une portée qui n'a de limites que celles imposées par la courbure de la terre. Rien n'est plus facile à concevoir; nous avons d'abord employé simplement deux miroirs dont l'un était fixe et l'autre manœuvré à la main pour suivre le mouvement du soleil (fig. 73). Il était néanmoins plus commode de recourir à un mouvement d'horlogerie, c'est-à-dire de revenir à la disposition adoptée par M. Lesseure, mais en la simplifiant. L'héliostat de Fahrenheit, déjà proposé par M. le capitaine Beaux pour les opérations géodésiques, a été adopté par M. le commandant Mangin qui l'a fait construire d'une manière à la fois élégante et économique (2). \\) J'ai omis de dire que, pour recueillir la lumière de nos lampes qui étail rayonner du Cote opposé a celui vers lequel devaient être dirigés nos signaux, nous avions de petits miroirs sphériques en métal placés en arrière et dont le centre coïncidait avec la llamme de la l>mpe. Mais ce n'était là qu'un objet accessoire dont l'effet ''tait en définitive assez peu considérable, l.e réflecteur dont il s'agit maintenant est, au contraire, l'organe principal de l'appareil. (2) N'ayant pas pu citer, dans le cours de la conférence, les noms r?es personnes qui ont prêté leur concours le plus empressé et le plus efficace ',< l'œuvre de la télégraphie optique; je vais tâcher de réparer cette omission. Malgré leurs occupations, les anciens membres de la commission nommée pendant le siège ont presque tous continué, depuis trois ans, a prendre part aux expériences qui se faisaient les soirs et les jours de congé; deux instituteurs des environs de LAUSSEDAT. — LA TÉLÉGRAPHIE OPTIQUE 1291 Je m'arrête, Messieurs, et je pourrais craindre d'avoir abusé de votre atten- tion, si je n'étais pas persuadé que vous m'avez déjà excusé en faveur du motif qui m'a conduit ici. L'importance de la télégraphie optique a été heureusement reconnue, je vous l'ai dit, par le service du génie, et je n'ai pas à vous rendre compte de l'usage qu'il se propose d'en faire; mais, je ne saurais trop répéter qu'à mon humble avis, vous avez tous le plus grand intérêt, vous, officiers des autres armes, à voir les nouveaux appareils relier vos divisions et vos corps d'armée. Je serais heureux de vous avoir convaincus de l'opportunité de la mesure que je sollicite ainsi publiquement au milieu de vous, avec l'espoir qu'elle sera prise en sérieuse considération par nos chefs. Paris, MM. Gingréau et Gandin , nous ont également consacré un grand nombre de soirées, et grâce à leur bonne volonté, nous avons pu constater qu'il serait facile de former des opérateurs habiles en assez peu de temps. Parmi les officiers qui ont assisté à nos expériences et qui y ont pris part, je citerai encore MM. le commandant Deïambre et les capitaines Bussières, ÏHor- tagne et Bitard. Enfin, après MM. Duboscq frères, MM. Bardou père et fils, opticiens à Paris, ont mis leur expérience et leurs ateliers à la disposition de M. le commandant Mangin. EXCURSIONS EXCURSION GÉNÉRALE A ROULOGNE ET A WIMEREUX Comme les années précédentes, les excursions, dont les programmes avaient été fort bien combinés par le comité local de Lille, semblent une great attraction de la session ; aussi, le nombre des membres qui se trouvent réunis à la gare le dimanche matin, 23 août, est-il assez considérable. Le train spécial qui a été préparé pour les excursionnistes est bientôt rempli et le départ s'effectue sans encombre. Les pays que l'on traverse n'offrent pas un grand intérêt, ni au point de vue pittoresque, ni au point de vue des travaux qu'il a fallu exécuter pour la construction de la ligne du chemin de fer; le terrain est plat et presque horizontal, aussi loin à peu près que le regard peut s'étendre. Mais si l'on n'est pas distrait par le paysage, le voyage n'en semble pas moins intéressant, car les conversations s'engagent promptement et font paraître le temps court. On est arrivé à Calais sans s'être aperçu de la durée du trajet. Le train n'entre pas en gare, du reste, et après un arrêt de quelques minutes, il repart et nous conduit bientôt à Boulogne. A la sortie de la gare, nous trouvons des omnibus et des voitures qui ont été préparés par les soins de la municipalité et qui emportent tous les excur- sionnistes jusqu'au Casino, où, dans la belle et grande salle, le Congrès est reçu, aux accords harmonieux d'un orchestre, par M. le maire de Boulogne, assisté de ses adjoints qui ont tenu à offrir le vin d'honneur. Une table règne dans toute la longueur de la salle et les excursionnistes se pressent alentour; aux accents de l'orchestre se mêlent le bruit des bouchons qui sautent et le brouhaha des conversations particulières. Mais, un instant, le silence s'établit : M. le maire de la ville de Boulogne souhaite en excellents termes la bienvenue aux excursionnistes et notre Président lui répond en quelques paroles chaleureuses et le remercie au nom de tous de l'accueil qui nous est fait si gracieusement. Le bruit général recommence, mais pour peu de temps : il faut en effet se séparer pour aller s'assurer d'un déjeuner et les hôtels sont, paraît-il, absolu- ment pleins; on se divise donc en groupes en se donnant rendez-vous, les uns 1 294 EXCURSIONS pour aller visiter la fabrique de plumes de 1er de Blanzy, Pourc et C,e; les autres pour se rendre au laboratoire zoologique de Wimereux. Nous ne parlerons pas de ce laboratoire, M. Giard ayant déjà (1) fait connaître l'importance de cet établissement qu'il a créé et au développement duquel il s'est voué et ayant exposé les travaux qui y ont été entrepris ou terminés. Nous donnerons au contraire quelques détails sur la fabrique de plumes. Bien que ce fût un dimanche et que la fabrication fût interrompue, le directeur avait bien voulu s'arranger pour qu'un modèle de chacun des nom- breux instruments qui sont employé» dans l'usine put fonctionner : quelques ouvriers, quelques ouvrières surtout, se trouvaient seuls dans les salles qui sont ordinairement remplies. Les excursionnistes prirent le plus grand intérêt aux opérations multiples et variées qui leur furent exposées et ne savaient ce qu'il fallait le plus remarquer de l'ingéniosité des machines ou de l'habileté extrême , de la dextérité des ouvrières chargées particulièrement de la fabri- cation des plumes de fer. Quelques personnes, des dames même, dont l'adresse ne peut être niée, s'assurèrent de la difficulté qu'il y a pour quelqu'un qui n'a pas fait un apprentissage spécial à faire, même lentement, des travaux qui semblent fort simples lorsqu'on les voit exécuter par des personnes expéri- mentées. Nous avons reçu les renseignements suivants, qui nous paraissent ntéressants à divers égards, sur l'usine de Blanzy, Poure et Cie. L'usine a été fondée en 1846 et fonctionne depuis cette époque. La production a toujours été en augmentant, et l'on fabrique annuellement aujourd'hui 2,i00,000 grosses de plumes et 120,000 grosses de porte-plume. L'on emploie pour cette production un personnel de: 720 ouvrières, 180 ouvriers. Ensemble 900 personnes dont les salaires varient entre 2 fr. 75 et 15 francs pour les hommes et 1 franc à 5 francs pour les femmes. Toutes les plumes sont fabriquées avec les meilleurs aciers de Sheffield. Les prix nets de vente varient entre 23 centimes et 7 fr. 80 c, la moyenne ne dépassant pas un prix net de 0 fr. 03 c. la grosse. Quant aux porte-plume, les prix varient entre 1 fr. 25 c. et 55 francs la grosse; on en fabrique de toutes espèces, soit en tôle de fer, en acier, en cuivre, en maillechort, emmanchés, et même quelques-uns entièrement en bois. Les aciers sont tous laminés à l'usine, et, à cet effet, ainsi que pour les besoins de la fabrication, l'on emploie une force motrice de 150 chevaux environ. La consommation annuelle d'acier dépasse 200,000 kilogrammes. On fabrique également tous les accessoires nécessaires, tels que manches de porte-plume, boîtes en carton pour loger les plumes et les porle-plume, soit environ par année 3,000,000 de cartons de grandeurs très-variables. I I';igC 68. EXCURSION GÉNÉRALE A BOULOGNE ET A WIMEREUX 129S Tout le personnel travaille aux pièces et les salaires payés annuellement aux ouvriers et aux ouvrières dépassent la somme de 000,000 francs. La visite à l'usine étant terminée, les excursionnistes profitèrent des quelques instants qui leur restaient avant le départ du train pour visiter la ville et se promener au bord de la mer : le temps était splendide du reste, et tout Le monde regretta que le séjour ne pût se prolonger quelque peu. En sortant du laboratoire de M. Giard, les botanistes faisaient, sur la côte et à l'embouchure même du cours d'eau douce qui traverse le pays, des observations pleines d'intérêt sur la flore exceptionnelle de cette localité. Les végétaux des ma- rais voisins y croissent non loin des plantes spéciales aux dunes, et un peu [lus haut, la flore spéciale des falaises leur offrait quelques-uns de ses plus remar- quables représentants. Du sable sortaient de nombreuses touffes de YEwphorbia Paralias, avec les mêmes caractères qu'avaient constatés les membres de l'As- sociation, il y a deux ans, sur les bords du bassin d'Arcachon. Au nord de la localité de Wimereux, la plante disparaît peu à peu et n'est plus représentée que par de très-rares individus au delà du cap Griz-Nez. Dans les bas-fonds, abondent les Triglochin et, dans les restes même du bassin creusé pour la flottille de Napoléon, une remarquable Primulacée apétale, le Glaux mariiiuia, qui disparaît aussi vers Calais pour reparaître à Dunkerque. Les hauteurs des dunes sont tapissées, dans toute la région, des Graminées si connues qui main- tiennent le sable et que, dans le pays, on désigne sous le nom commun d'Oyats. Tels sont les Elymus arenarius, Phlcum arcnarium, Aira multicaulîs, divers Agropyrwn, etc., etc., avec eux, la Cypéracée qui donne la Salsepareille d'Allemagne (Carex arenaria). A partir du bord de la mer, les Soudes et les Arroches se montrent, entremêlées de nombreux pieds d'Honckneya peploides ; les pelouses gazonnantes sont garnies de Spergules, de Sagina, de rosettes à'Erodium et de Hieracium, et surtout des feuilles piquantes du Panicaut ma- ritime, près duquel se retrouvent encore des tiges desséchées d'une Orobanche parasite assez commune. Cette végétation est la même que celle qui se retrouve plus au nord, dans les dunes du Calaisis, et là sans doute on observera aussi YEpilobium spicatum, qui prend un si beau développement, dans les garennes sablonneuses qui séparent Gravelines de Calais. Avec les falaises, la végétation change d'une façon surprenante. Sur les sommets herbeux croissent, non loin des petds buissons de Genévriers, couverts de fruits verts, de ravissantes touffes violettes du Gentiana germanica, à la corolle doublée d'une élégante collerette frangée; on retrouve, non sans peine, une foule de hampes desséchées, mais très-courtes des Ophrydées qui, dans ces conditions, sont souvent uni- ou bi- flores et rappellent, par leur port singulier, un certain nombre de types aus- traliens appartenant à des genres bien éloignés de la famille des Orchidacées. En haut de la falaise, les bruyères naines et les Ajoncs rabougris sont, constellés des fleurs rosées de la Petite-Centaurée. Dans les dépressions de la dune, souvent submergées l'hiver, abonde le Cochlcaria anglica, aux feuilles ordinairement charnues et cassantes. Les collines de sable qui séparent ces petites prairies de la plage sont couvertes tfHippophae rhamnàides entre lesquels fleurissent le'Liseron Soldanelle et tout un monde de Pensées sauvages, d'un violet terne {Viola sabulom). Le Cakile maritima sort du sable, non loin du Glaucium, dans 4290 EXCURSIONS des endroits même que le flot recouvre souvent à marée haute. Dans les an- fractuosités des tissures de la l'alaise qui descendent vers la mer, en formant ce que dans le pays on appelle des Crans, les sources d'eau douce qui filtrent au travers de la roche inondent çà et là des touffes de cresson de fontaine (Nasturtium officinale) que les habitants viennent quelquefois recueillir pour leur nourriture, et sur les déchirures même de la falaise s'implantent les Pyrethrum herbacés des champs voisins, devenus ici charnus et succulents, et de nombreuses touffes de Brassica en apparence sauvages et qui sont peut-être échappés des cultures, quoique plusieurs auteurs autorisés aient cru y voir la souche probable de la plupart de nos choux cultivés. Le départ s'effectuait de Boulogne à 5 h. 1/2; le train s'arrêtait quelques mi- nutes après à Wimereux pour prendre les membres qui avaient visité le labo- ratoire zoologique et les botanistes; puis, presque sans arrêt, il nous ramenait à Lille, où nous étions arrivés à 9 heures. EXCURSION A ROUBAIX ET TOURCOING — .' ; août 187 ',. — Il était difficile que, le Congrès étant réuni à Lille, les villes industrielles de Roubaix et de Tourcoing ne fussent pas un but d'excursion ; leur proxi- mité permettait d'ailleurs que la visite ne durât pas toute la journée et que les membres qui y prendraient part pussent participer aux travaux des sections ou à la séance générale qui avait lieu dans la journée. Un assez grand nombre de membres se trouvèrent réunis à la gare le 24 août, à 8 heures du malin, et prirent place dans des wagons qui avaient été réser- vés dans le train réglementaire. Après un court trajet, nous descendîmes à Roubaix, où le maire de la ville de Roubaix, M. Descat, accompagné de plusieurs membres de la municipalité, nous reçut en nous adressant quelques paroles de bienvenue. Des voitures nous attendaient à la gare pour nous conduire à l'hôtel de ville; le temps était très-favorable d'ailleurs et beaucoup de membres préférèrent faire le trajet à pied, ce qui permettait de se mieux rendre compte de la physionomie de la ville. Lorsque tout le monde fut réuni à l'hôtel de ville, M. le maire, après avoir indiqué en quelques mots le programme des visites qu'il y avait à faire, fit servir le vin d'honneur. Rien qu'on n'eût quitté Lille que depuis peu de temps, on n'en fit pas moins bon accueil aux rafraîchissements, vins et gâteaux, qui furent présentés, tout en se hâtant d'ailleurs, car on savait l'intérêt des visites que l'on allait faire. La municipalité de Roubaix, pensant qu'il était difficile que les excursion- EXCURSION A ROUBAIX ET TOURCOING 1207 nistes pussent fructueusement visiter lous ensemble les fabriques diverses, avait établi des itinéraires distincts qui devaient être suivis par autant de groupes différents et qui étaient choisis de telle sorte que, pour chacun des groupes, la visite comprît des établissements permettant de suivre en entier la fabrication, depuis le peignage et le filage jusqu'à la teinture. Cette dispo- sition avantageuse à tous égards et ce groupement fort bien fait donnèrent d'excellents résultats. Yoici quelques renseignements sur les itinéraires suivis et quelques indi- cations statistiques que l'on a bien voulu nous fournir sur certains établisse- ments qui ont été visités. Le premier groupe commença sa visite par l'établissement de peignage de laines de MM. Morel et Cie; nous ne pouvons donner ici les indications con- cernant cet établissement, les notes prises pendant le cours de l'excursion ayant été brûlées ; le groupe visita ensuite la filature de coton de M. Masurel fils, qui produit par semaine de 12 à 15,000 kilogrammes de coton fdé simple et retors 2 bouts, selon la plus ou moins grande finesse du fil dont le nu- méro moyen est 28, soit 28,000 mètres à la livre. Ces fils sont employés presque exclusivement par l'industrie française; un essai des marchés étrangers fait pendant la guerre n'a pas donné des résultats avantageux. La filature a 37,600 broches à filer et 13,000 broches à retordre ; toutes viennent de Manchester, ainsi que les batteurs, cardes, etc. La force motrice est composée de 2 machines de 2 cylindres chacune, donnant une force totale de 840 chevaux effectifs pris dans le cylindre. M. Masurel possède encore une autre filature à Dunkerque dont les broches ne sont pas comprises dans les chiffres donnés plus haut. 276 ouvriers sont employés dans la filature et se décomposent ainsi : hommes, 110; femmes, 115; enfants de 12 à 16 ans, 50. Les excursionnistes se rendirent ensuite chez MM. Philippe Scamps et Cie. Cette vaste usine, créée en 1804, était destinée, dans l'origine, à employer toute sa force productive à la fabrication à façon, c'est-à-dire pour le compte d'autres industriels. Mais le ralentissement subit qui frappa alors le commerce français, enlevant toute chance d'alimenter tous les métiers, donna lieu à une autre combinaison; deux honorables industriels, MM. Auguste Florin et L. Scrépel et fils, louèrent les deux tiers de l'établissement, qui est donc de fait divisé en trois parties, dont l'une, s'occupant du tissage à façon, est exploitée par MM. Philippe Scamps et Cie. Nous comprendrons donc dans les renseignements ci-dessous la totalité de l'établissement. La fabrication annuelle est de 7 à 8,000,000 de mètres de tissus dont moitié en lainage tant chaîne simple que retorse, l'autre moitié en étoffes dites de fantaisie. C'est seulement depuis quelques années que, grâce à des efforts persévérants, l'on est parvenu à tisser mécaniquement les lainages en chaîne simple et à donner à ces étoffes une grande supériorité sur les produits simi- laires tissés à la main. 12<)8 EXCURSIONS Les produits des trois fabrications sont très-recherchés et écoulés à l'intérieur et à l'étranger. L'établissement couvre une superficie de 12,000 mètres carrés et renferme 000 métiers à tisser et un grand nombre d'autres machines pour bobiner, ourdir, encoller, dresser, etc.; le mouvement est donné par une machine à vapeur de 80 chevaux pratiques, soit 201 chevaux. Diamètre du grand cylindre "70 mm — du petit cylindre 450 — Course du grand pistou 1.860 — — du petit — 1-370 — Diamètre du volant 7.100 — Nombre de tours 20 La consommation de charbon annuelle est de 1,000,000 de kilogrammes, soit 1 k., 380 par cheval et par heure, la consommation d'eau également par année est de 30,000 mètres cubes, soit 0,041 par cheval et par heure. Cette machine sort des ateliers de M. Paulus. 1,200 ouvriers sont employés journellement, 900 travaillent aux métiers à tisser, 300 aux préparations. Le deuxième groupe a commencé sa visite par le peignage de laine de .MM. Amédée Prouvost et Cie. Un des premiers en 1851, M. Prouvost posait à Roubaix les bases de ses immenses et grandioses ateliers, qui donnent aujourd'hui du travail à 1,^00 ouvriers, dont les salaires réunis s'élèvent au cbiffre important de 38,000 francs par semaine ; mais aussi, par semaine, la fabrique livre à la consommation 130,000 kilogrammes de laines peignées. Le matériel de ce vaste établissement est évalué au chiffre imposant de six millions de francs. Indépendamment des peigneuses Noble — système Donisthorpe —, c'est à M. Prouvost qu'on doit l'introduction en France de la peigneuse Rawson. Non-seulement celte peigneuse fonctionne dans les ateliers de Roubaix, mais la maison en a aelielé le brevet français, et elle s'est faite constructeur de l'instrument, comme M. Schlumberger s'est fait constructeur de la peigneuse Heilmann. Par suite, M. Prouvost livre à l'industrie des laines peignées, aussi bien en France qu'à l'étranger, des quantités importantes de machines pei- gneuses qui participent au développement de l'industrie du peignage en Europe. On compte dans l'établissement de M. Prouvost 130 peigneuses qui fonction- nent continuellement. Ces peigneuses s'appliquent indifféremment. I" A la laine mérinos: Australie, Russie, France, Allemagne; 2° A la laine demi-fine : Bucnos-Ayres, Espagne, Chili, etc.; 3° A la laine commune : Perse, Smyrne, Andrinople, Afrique ; 4° A la laine longue, dite anglaise, hollandaise, flamande, etc.; 5° A l'alpaga : poils de cbèvre purs ou mélanges. Le matériel de ce grand établissement fonctionne au moyen d'une force motrice de 400 chevaux-vapeur : soit quatre madones de 100 chevaux chacune. Seize générateurs donnent ensemble 1,000 à 1,300 chevaux-vapeur. EXCURSION A ROURAIX ET TOURCOING 1299 À Paris, en 1855, M. Prouvost recevait, à titre d'encouragement, une médaille de deuxième classe ; A Londres, en 1802, une première médaille; A Paris, en 1867, la grande médaille d'argent,' récompense la plus élevée accordée au peignage; A Lyon, en 1872, la grande médaille d'or; Et enfin, à Vienne (Autriche), en 1873, la médaille de mérite. La filature de laines de MM. Lefébvre-Ducatteau frères termine les visites du deuxième groupe. Le peignage de laines de MM. Pinchon et O et la filature et le tissage de MM. H. Delattre père et fils furent successivement visités par le troisième groupe. Le quatrième et dernier groupe se rendit d'abord à la condition publique des soies, laines et cotons dirigée depuis sa fondation par M. Musin, à l'obli- geance duquel nous devons les intéressants détails qui suivent sur cet établis- sement municipal. La soie, la laine, le coton, et toutes les matières filamenteuses contiennent toujours une quantité d'eau plus ou moins considérable qui varie selon la ma- nière dont les fibres ont été travaillées et suivant la température de l'air froid ou chaud, sec ou humide où elles ont été déposées. Le conditionnement a pour but de constater l'état hygrométrique de ces tex- tiles et d'en déterminer le poids. On comprend toute l'importance de cette constatation pour les transactions loyales, afin de ne point faire payer au prix de la laine, de la soie, etc., un excès d'eau. Le principe fondamental du conditionnement repose sur la dessiccation abso- lue qui est obtenue à l'aide d'appareils dessiccateurs à air chaud ad hoc. Mais le poids absolu ainsi déterminé n'est qu'une base, et il y a lieu d'y ajouter, par les calculs, le taux d'humidité relatif pour 100 jugé convenable pour ramener la marchandise à un état réputé loyal et marchand. La loi de 13-20 juin 1866, sur les usages commerciaux, règle de la manière suivante les taux de reprise d'humidité qui doivent être ajoutés au poids des soies et des laines séchées à l'absolu par les bureaux de conditionnement : Soie : 11 0/0 à ajouter sur le poids absolu ; Laines : 17 0/0 à ajouter sur le poids absolu. Cependant toute liberté est laissée aux intéressés qui veulent déroger à la loi, les dispositions de cette loi n'étant applicables quen l'absence de conventions con- traires librement consenties entre les parties. L'usage est aussi assez généralement répandu de conditionner les laines peignées au taux de 18 1/4 0/0. Quant au coton, le gouvernement n'a fixé aucun taux de reprise d'humidité. Depuis douze ans, le taux de 7 1/2 0/0 a été admis dans les transactions de notre rayon commercial. En résumé, l'institution du conditionnement des matières textiles est toute moralisatrice : le négociant vend au fabricant, et au lieu d'attendre, comme précédemment, six mois ou un an avant de savoir à quoi s'en tenir sur le rendement, il peut régler immédiatement d'après le résultat du conditionnement indiqué dans le bulletin officiel qui lui est adressé par la Condition publique. 1300 EXCURSIONS Renseignements statistiques sur le mouvement du conditionnement hygrométrique de lioubaix LAMES MOUVEMENT NOMBRE ANNEES SOIES BRUTES L v\ 1 !>. peignées LAINES FILÉES COTONS ANNUEL d'opérations kilog. kilog. kilog. kilog. kilog. 1838 5 79.268 1 .517 » 84.268 5) 1859 538 589.490 21.'J0G 7> 611 .93'. 2.146 1860 992 1.948.997 48.170 * I .998.159 5.713 1861 1 .085 3.101 .307 48. 453 7> 3.150-845 8. 7 '.s 1862 872 '..729.675 78.878 68. 718 4.878.143 11.1 54 1863 1.835 6.052-525 113.344 246 . 391 6.414.095 14.085 186'. 5.731 5.'. 15. 643 122.742 333 015 5.907- 131 13.219 1865 1-5.421) 5. 94 '..657 109. 180 270.603 6.338.920 14.419 1866 6.8011 6. 213- 787 163. 140 193.546 6.877.282 15.110 1867 3.600 5.387.596 197.771 804.139 6.893.106 16.054 186S 1 • 396 8 297.527 359.06a 2.199.797 10.857.785 24 . 929 1869 '.72 8.703.263 354. 0*0 2.595.341 11.653. I56 27.985 1870 2 . 1 39 7.484.409 212.387 1 .404.705 9.103.640 20. 835 1*71 2.358 11 .113.44'. 402. 25S 2.515.807 14.093.867 33.196 1872 440 9.300.132 4 ',0.028 3 0*7.972 13.028.572 30. 940 1873 979 10.602.370 636.219 3.625.470 14.955. 038 36.040 1874 417 12.126.980 888.268 3.914 590 16-930.255 41.743 Bureau de titrage des fils (Décret du 15 janvier 18(5:2). A la Condition publique se trouve annexé un bureau pour le titrage et le numérotage métrique des fils. On sait que les fils sont classés dans le commerce par des numéros qui in- diquent leur délié ou degré de finesse. Il y a une cause qui peut affecter d'erreur sensible les numéros qui sont indiqués dans le commerce, c'est l'irrégularité de l'état hygrométrique du fil . Deux échevettes du même fil peuvent, dans une composition hygrométrique différente, présenter un écart, à égale longueur et à égale finesse. 11 fuit donc ramener à la même base les échevettes considérées pour établir la comparai- son du poids normal à la longueur légale, et cette base est évidemment la dessiccation absolue, augmentée de la reprise d'humidité tolérée. Renseignements statistiques sur le nombre de titrages de fils LAINES NOMBRE ANNÉES SOIES FILÉES COTONS d'opérations OliSF.HVATIONS 1883 18 369 129 31« 1864 38 565 226 829 1*65 124 289 109 522 1 866 109 587 379 1.075 1867 54 579 1.420 2.035 1 868 24 474 6.1 41 6 . 639 1869 31 793 8.613 7.437 1870 17 557 3.865 4.439 1*71 48 os:i 6 . 959 7.992 1872 18 1.311 S. 52* 9.857 1873 22 2.352 9. 739 12.113 1874 31 2.239 10.6'.0 12.910 EXCURSION A ROUBAIX ET TOURCOING 1301 Décreusage des soies, dégraissage et lavage des laines suints, cardées, gras, etc. Le bureau de décreusage, de dégraissage et de lavage des échantillons à conditionner organisé à la Condition publique de Roubaix est encore une insti- tution bien utile et bien moralisatrice qui recevra, dans un temps plus ou moins rapproché, la sanction officielle; pour le moment, elle ne fonctionne qu'officieusement à la demande des intéressés. Renseignements statistiques sur le nombre de décreusage, (te. 14 opérations laines suints. Année 1873 ] o6 laines peignées. ! 14 ..-..! 06 ( 10 laines filées. Total 60 opérations. 2 opérations de décreusage sur les soies. \ 274 — de dégraissage laines suints. Année 1874 , 7? _ _ laines peignées< [ 15 laines filées. Total 3G8 opérations. L'établissement de la Condition publique est placé sous la surveillance d'un Comité de cinq membres composé de trois délégués du Conseil municipal et de deux de la Chambre de commerce, sous la présidence du maireAde Roubaix. Le personnel se compose de quarante personnes. La Condition publique appartient à la ville de Roubaix ; elle est installée dans une propriété communale spacieuse, mais qui ne suffit pas encore aux besoins du service, qui prend de plus en plus d'extension. Cette intéressante visite terminée, le groupe se rendit à la filature de laine et de coton et de tissage de MM. Dillies frères, puis à la filature de laines de MM. Motte et Legrand, filature de laines courtes, principalement laines d'Aus- tralie produisant de fins numéros en chaîne simple du n° 25 au n° 45 et en trame du n° 30 au n° 70. 8,000 kilogrammes de laines peignées sont transformés chaque semaine en fils, chaîne ou trame, employés le plus souvent à la fabrication des tissus de laines dits lainages de Roubaix. La filature compte 16,000 broches. Ces broches et leurs machines de prépa- rations occupent six chambrées de 800 mètres carrés chacune. Cent soixante ouvriers reçoivent 3,000 francs par semaine, quatre-vingts femmes environ sont employées dans l'établissement. • Ce qui distingue la filature de MM. Motte et Legrand des filatures installées précédemment, c'est que toutes les broches sont mues par engrenage (brevet de M. Yilleminot de Reims). C'est la première installation complète de ce système qui ait été faite dans le Nord. Avant 1872, Roubaix ne possédait que quelques métiers dont les broches fussent mues par pignons. Les visites partielles des groupes étant terminées, tous les excursionnistes J302 EXCURSIONS réunis visitèrent les établissement de teinture et apprêts de laines de MM. Motte et Meillassoux frères. Le chiffre des pièces de tissus de laines pures teintes chaque année varie de 90,000 à 110,000. Ces pièces mesurent en moyenne 90 mètres et leur prix moyen de teinture est de 17 francs. L'outillage multiple est réparti dans quatre départements. 1° Le dégorgea ge ; 2° La teinture ; 3° Le lavage et les tondeuses ; 4° Les apprêts. Les ouvriers employés sont généralement des jeunes gens au-dessous de dix- huit ans, ils reçoivent 4,000 francs par semaine. Une dizaine d'employés payés au mois reçoivent des traitements divers sui- vant l'importance de leurs fonctions. La teinturerie Motte et Meillassoux frères est le premier établissement de ce genre fondé à Roubaix. Antérieurement, les teintureries en pièces étaient instal- lées sur le cours de la Marque, petite rivière distante de Roubaix de 5 kilomètres environ. C'est à l'aide de puits forés jusqu'au calcaire bleu, que la teinturerie a été fon- dée à Roubaix ; depuis, deux autres maisons se sont fixées dans la ville, et une autre à Tourcoing. L'établissement d'apprêts de tissus fantaisie de MM. Motte et Delescluse fut enfin visité et termina l'intéressante série des visites effectuées par les membres de l'Association venus à Roubaix. Il était décidé que, à la suite de ces visites, tout le monde se réunirait à l'hôtel de ville : là, après l'arrivée des groupes, et nonobstant l'absence de quelques retardataires, on ouvrit les portes des grands salons, dans lesquels un fort beau déjeuner froid était servi ; le repas fut charmant et plein d'anima- tion et de gaieté ; il régnait entre tous les excursionnistes une véritable cordia- lité qui est l'un des résultats les plus constants et les plus intéressants de ces excursions générales, et la présence de quelques-unes des charmantes et ai- mables dames qui suivent courageusement et assidûment les congrès et les excursions est incontestablement un élément de succès de plus : elles savent à merveille se plier aux circonstances avec une bonne grâce qui dénote leur esprit, en même temps que l'attention qu'elles apportent à l'explication qui leur est donnée du but et des détails de l'excursion est une preuve de leur intelli- gence. Le repas terminé, après que des remerciements sincères eurent été adressés à la municipalité de Roubaix pour la réception cbarmante qui nous avait été faite, on se dirigea vers la gare, d'où certains membres repartaient pour aller assister à Lille aux travaux de la journée, tandis que quelques autres se ren- daient à Tourcoing pour visiter principalement les fabriques de tapis de M. Chocquéel. M. le maire de Tourcoing, qui avait pris part aux visites faites à Roubaix, accompagnait les excursionnistes. Le trajet en chemin de fer de Roubaix à Tourcoing ne dure que quelques minutes; à l'arrivée, nous trouvâmes des voitures qui avaient été obligeam- EXCURSION A ROUBAIX ET TOURCOING 1303 ment mises à notre disposition par leurs propriétaires et qui nous transpor- tèrent à la fabrique de M. Chocquéel. Nous fûmes reçus par M. le directeur de l'usine dans une salle où l'on avait exposé les modèles, les types les plus intéressants à tous les égards de la fabrication de l'usine : cette exposition était réellement très-réussie et l'on était forcé d'admirer, en même temps que le bon goût qui avait présidé tant à la création des dessins qu'à l'arrange- ment de ces modèles, la pureté et la vivacité des teintes; les dames qui faisaient partie de l'excursion et qui sont les meilleurs juges dans de sem- blables questions étaient vivement intéressées. Une légère collation, inutile d'ailleurs après le déjeuner de Roubaix, nous fut offerte et le Champagne circula dans les coupes : M. le directeur de l'usine adressa la bienvenue aux membres de l'Association et, après avoir exprimé en termes excellents la pensée que nos congrès doivent avoir une grande influence dans les régions que nous parcourons, il but à la prospérité de l'Association française pour l'avancement des sciences. M. H. Bâillon, professeur à la Faculté de médecine, président de section, lui répondit en ces termes : « Au nom de l'Association française, nous répondons avec reconnaissance au toast qui vient d'être poné, et nous remercions avec effusion la municipalité de Tourcoing et les représentants de sa haute industrie de l'accueil chaleureux qui nous est fait dans ce sanctuaire artistique. Entourés ici des plus magni- fiques produits de votre charmante et puissante fabrication, nous admirons, comme les admire depuis longtemps le monde entier, ces œuvres du plus haut mérite qui font tant d'honneur au pays et dont il a le droit de se mon- trer fier. Mous sommes, par-dessus tout, émus de la réception brillante que vous faites ici à la science, et c'est en son nom que nous buvons à la pros- périté de la ville de Tourcoing et au succès toujours croissant de sa célèbre industrie. » On procéda ensuite à la visite de l'établissement, dans lequel on peut voir toutes les préparations que subit la laine depuis l'état où on l'obtient par la tonte jusqu'au moment où, filée, teinte et tissée, elle donne les tapis que nous avions remarqués précédemment. Nous ne pouvons malheureusement entrer dans les intéressants détails de la fabrication et nous le regrettons; nous regrettons aussi de n'avoir pas été mis à même de fournir quelques ren- seignements statistiques sur l'usine et ses produits. On se fût volontiers arrêté longtemps à regarder les métiers ingénieux qui exécutent mécaniquement des opérations qui sembleraient exiger la dextérité des doigts les plus agiles unie à l'intelligence humaine; mais le temps avan- çait : il fallait quitter à la hâte cet intéressant établissement, en remerciant le directeur qui nous avait reçus si gracieusement, pour prendre le train qui nous ramenait à Lille pour l'heure du dîner. 1 30 i EXCURSIONS EXCURSION D'ANZIN ET DENAIN. — 26 août IS71. L'importance exceptionnelle des grands établissements dont l'excursion du dl> août comportait la visite avait attiré un grand nombre de membres du Congrès à participer à cette excursion. La Compagnie des chemins de fer du Nord-Est avait préparé un train spécial composé presque exclusivement de wagons salons permettant la communication d'une extrémité du train à l'autre; les excursionnistes furent charmés de cette attention et goûtèrent fort cette disposition des véhicules. Le wagon à suspension perfectionnée de M. Giffard était également attelé au train et soumis ainsi à une épreuve intéressante. Le départ eut lieu à 9 heures du matin environ ; à 10 h. 1/4, on était arrivé à Bruai, où les membres du Congrès furent reçus par M. de Marsilly, direc- teur général des mines d'Anzin ; à partir de cet instant jusqu'au retour à la même station, le trajet se fit sur le chemin de fer spécial de la Compagnie d'Anzin et la traction était faite par une locomotive de la même compagnie. A Saint-Vast et Haveluy, près Condé, où le train s'arrêta d'abord, on visita l'intéressante fabrication de briquettes : le poussier de charbon, soigneusement lavé, est comprimé dans des moules où il est mélangé avec du brai par de puis- santes presses hydrauliques ; les détails des machines, le moulage et le démou- lage arrêtèrent longtemps les excursionnistes ; il fallait cependant ne pas s'arrêter trop longuement, car le programme de la journée était chargé. On se dirigea ensuite vers les fours à coke rangés à la suite sur une très- grande longueur; le détournement attira spécialement l'attention des visiteurs: la cornue ayant été ouverte aux deux extrémités, un piston, porté par une tige de fer que pousse avec force une machine à vapeur locomobile qui vient successivement se placer devant chaque fourneau, est introduit dans la cornue et fait sortir le coke incandescent à l'autre extrémité; des masses d'eau sont projetées sur le coke rouge et ne parviennent qu'à la longue à le refroidir suf- fisamment. Non sans peine, car beaucoup de membres s'étaient arrêtés à examiner divers détails, on parvint à réunir tous les excursionnistes, et le train put repartir pour Denain. A peine arrivés dans cette localité, nous fûmes conduits dans une salle dans laquelle devait avoir lieu le déjeuner offert par la Compagnie des mines d'Anzin : cette salle avait été décorée avec goût à l'aide de feuillages et de drapeaux ; des tables comportant environ 300 couverts régnent dans toute la longueur ; à l'une des extrémités, une table d'honneur réunissait les membres du bureau de l'Association, les principaux invités étrangers et les directeur et ingénieurs de l'établissement. Derrière cette table s'élevait un trophée conte- nant, avec des blocs de houille, les instruments et outils des mineurs surmontés de drapeaux, le tout produisant un aspect très-pittoresque. EXCURSION DANZIN ET DENAIX 130") Le déjeuner arrivait à point, car les appétits s'étaient ouverts dans cette première partie de l'excursion, et l'on fit honneur au repas magnifique qui nous était offert. Au dessert, M. de Commines de Marsilly, directeur général des mines d'Anzin, se leva et, le silence étant aussitôt établi, prononça les paroles suivantes : « Messieurs, » Au nom de la Régie de la Compagnie des Mines d'Anzin et de son illustre Président, j'ai l'honneur de porter un toast à Monsieur le Président et à Mes- sieurs les membres de l'Association française pour l'avancement des sciences qui ont bien voulu venir visiter aujourd'hui nos établissements ; je suis heu- reux de leur souhaiter une cordiale bienvenue. » S'il est vrai, Messieurs, de dire d'une manière générale que la science est le flambeau qui éclaire les pas de l'industrie et languide dans la voie du pro- grès, au milieu des obstacles sans nombre qu'elle doit surmonter, nulle part cette vérité ne se fait mieux sentir que dans l'art si difficile et si dangereux de l'exploitation des mines; il suffit de jeter un coup d'œil rapide en arrière sur l'histoire de notre Compagnie d'Anzin pour s'en convaincre et pour apprécier les immenses services qu'a rendus la science à notre industrie. «C'est en 1716 que Jacques Désandrouin, notre énergique fondateur, proprié- taire des Mines de Lodelinsart près Charleroi, résolut d'entreprendre des recher- ches dans le Hainaut français: Jacques Désandrouin n'était point ingénieur, mais, dit la chronique, il avait le rare talent de se faire aider par les ingé- nieurs les plus habiles de son temps: au nombre de ces derniers, se signalait Jacques Mathieu qui le seconda puissamment dans tous ses travaux. Les recher- ches, commencées en 1716, aboutirent en 1720, au bout de quatre années, à la découverte de la houille maigre à Fresnes, à l'Knclos-Colard, fosse Jeanne-Colard. » De nouveaux puits furent entrepris; mais l'eau était un grave obstacle; on n'avait pour la vaincre que des pompes à bras et des manèges mus par des chevaux ; c'est alors que Pierre Mathieu, fils de Jacques Mathieu, élevé à l'é- cole de son père, et ingénieur non moins distingué que lui, inventa le cuvelage carré avec picotage, pour rendre les puits étanches; il introduisit aussi en France la première machine à vapeur qui y ait été montée ; l'installation de celle-ci, commencée en 1731, fut achevée en 1732 et coûta 73,000 livres; voilà le premier emprunt que l'art des mines fit à la science; il lui demanda la force dont il avait besoin; la machine à vapeur la donna et, de jour en jour, cette force s'accrut; les mines réclamèrent, à mesure qu'elles se développèrent, des moyens plus puissants, tant pour l'extraction du charbon que pour dompter les eaux; la puissance des machines d'extraction, qui était de 40 à 50 chevaux, il y a 30 ans, dépasse 300 chevaux aujourd'hui;' la machine à vapeur est employée pour traîner le charbon au fond de la mine, et l'air comprimé, à l'aide de ma- chines à vapeur puissantes, sert à mettre en mouvement les fleurets qui per- cent les trous de mines et préparent le'creusement des galeries. A l'origine, l'homme seul traînait péniblement au fond le charbon jusqu'au puits; depuis, les chevaux lui sont venus en aide et, en dernier lieu, la traction mécanique a réalisé un nouveau progrès. m J 3ÔG EXCURSIONS y 11 en est un autre que nous attendons et qui ne peut tarder à être réalisé; .'(-! la substitution des machines à abattre et couper le charbon, au pic et au marteau maniés par les bras de l'homme ; la science de la mécanique doit ré- soudre ce difficile et important problème. » Mais, dans certaines mines, il est un danger redoutable que rencontre le mi- neur et contre lequel il eût été impuissant à lutter si la science ne lut venue à son secours : c'est le grisou. La houille renferme dans ses pores, enfermé de- puis l'origine des temps, du gaz hydrogène carboné qui se dégage quand on découvre le gisement, et qui, s'enflammant au contact de la flamme de la lampe, donne lieu, en se combinant avec l'oxygène de l'air, à des explosions terribles; l'invention de la lampe Davy permet de résister au fléau. Néan- moins le remède est incomplet; il est nécessaire que l'aérage soit puissant; les grands ventilateurs perfectionnés par un savant professeur, M. Guibal, repré- sentent aujourd'hui le dernier progrès dans cette voie. y> Ce n'est point seulement à la mécanique que l'art des mines a fait appel; la géologie fait connaître et apprécier au mineur les diverses natures de terrain qu'il doit traverser et prévoir les accidents et les obstacles qu'il doit vaincre ; à chaque instant le mineur a recours à ses lumières. » Enfin, les hommes éminents qui ont la haute direction des établissements considérables dont l'exploitation des mines amène la création, empruntent aux sciences économiques la connaissance des lois qui président aux mesures que les compagnies prennent vis-à-vis de leur nombreux ouvriers. Dans aucune in- dustrie on ne trouve autant de sollicitude paternelle pour l'ouvrier; la Compa- gnie le prend à sa naissance et le suit jusqu'à son dernier jour, aidant sa fa- mille à l'élever si celle-ci est dans le besoin ; bâtissant des écoles et des égli- ses, elle lui donne gratuitement l'instruction primaire, si nécessaire à l'homme, en même temps que l'éducation morale; de plus, elle veille à ce qu'il soit ins- truit dans son métier ; elle le loge quand il vient à se marier et, plus tard, quand l'âge a glacé le sang dans ses veines, elle assure son existence dans ses vieux jours. Aussi existe-t-il entre la Compagnie et ses ouvriers un lien d'affection semblable à celui qui existe entre une bonne mère et ses enfants. Ce sont de vieilles et bonnes traditions, Messieurs, dont notre vieille Compa- gnie, qui compte déjà 117 ans d'existence, s'honore non moins que du soin qu'elle apporte à se tenir, en tant qu'il dépend d'elle, à la hauteur des progrès que la science lui révèle. •>■> Nous sommes heureux de recevoir ici ses représentants les plus illustres et les plus vénérés, et nous remercions tout particulièrement le savant président du comité local de Lille, M. Kuhlmann, d'avoir bien voulu désigner nos établis- sements à leur attention. •» Au nom de la Compagnie d'Anzin, Messieurs, au nom de la Régie de la Compagnie des mines d'Anzin et de son illustre Président, je porte un toast à messieurs les Membres de l'Association française pour l'avancement des scien- ces et à M. Wurtz, leur savant président, qui ont bien voulu nous honorer au- jourd'hui de leur visite.» Des applaudissements vifs et prolongés s'élevèrent après cette allocution de EXCURSION D'ANZIN ET DENAIN 1307 M. le directeur général des mines d'Anzin, à laquelle M. Wurtz, président de l'Association française, répondit en quelques paroles chaleureuses : il dit d'abord l'intérêt que l'on avait pris à la visite des établissements qu'on avait parcourus le matin,, regrettant qu'il ne fût pas possible d'y consacrer un plus long temps ; il exprima la reconnaissance de l'Association pour l'accueil char- mant fait aux excursionnistes, pour l'organisation de la partie scientifique et industrielle du programme, de la journée, et aussi pour l'hospitalité cordiale qui nous était offerte : « 11 me paraîtrait superflu, ajouta-t-il en terminant, de boire à la prospérité de la Compagnie d'Anzin, mais je crois être l'inter- prète d'un sentiment unanime en vous proposant de porter un toast à la santé de l'illustre président de la Régie des Mines d'Anzin (M. Thiers). » (Accla- mations enthousiastes.) Après le déjeuner, on alla d'abord visiter les maisons des ouvriers, regret- tant de ne pouvoir s'occuper également en détail de l'organisation des écoles et de l'assistance pour les malades, points qui avaient été signalés par M. de Marsilly comme étant l'objet d'une sollicitude spéciale de la part de l'admi- nistration. L'exploitation houillère ne pouvait être étudiée et l'on ne pouvait songer à descendre dans les galeries de mine ; on dut se borner à examiner l'ouverture de l'un des puits et d'assister à l'arrivée du charbon et même à la sortie d'ouvriers qui montaient dans des chariots spécialement construits dans ce but. Les excursionnistes se dirigèrent alors vers les forges de Denain ; nous insé- rons ici une note qui nous a été fournie sur cet important établissement. La société connue sous le nom de Société anonyme des hauts fourneaux et torges de Denain et d'Anzin, et dont le centre principal se trouve à Denain, fut fondée en 1834 par MM. Serret et Dumont, et s'associa quelques années après MM. Serret, Lelièvre et Cie ; c'est sous cette désignation qu'elle fut connue jusqu'en 1849, époque à laquelle elle fut transformée en société anonyme. L'établissement de Denain ne se composait en 1834 que d'un seul haut fourneau et d'une forge dont la production totale ne dépassait pas 2,000 tonnes par an. La forge de Denain s'agrandit successivement par l'addition de deux nou- veaux fourneaux et l'extension des fours et laminoirs, lorsqu'elle commença à travailler pour les chemins de fer, vers 1841 et 1842. Plus tard, en 1847, la Société fit. l'acquisition des forges d'Anzin, qu'elle développa considérablement, ce qui lui permit de porter à près de 20,000 ton- nes par an la production des deux établissements réunis. La crise de 1848, qui fut si fatale à toute l'industrie, arrêta l'essor de la marche, et ce ne fut que vers 1852 qu'elle put continuer son développement et atteindre successivement le chiffre de production de 40,000 tonnes annuel- lement. Comme tous les grands établissements métallurgiques français, la Société des forges de Denain n'aborda que successivement la fabrication de tous les échantillons de commerce, et c'est ainsi qu'elle fabrique les fers marchands, les rails, les fers de construction et spéciaux, les tôles, etc. 1308 EXCURSIONS Placée au centre de grands ateliers de construction, dans la région qui con- somme la plus grande quantité de fers, la Société de Denain s'est surtout attachée à donner à ses produits la diversité et la qualité en rapport avec les besoins qui en assuraient l'écoulement. Pouvant par sa situation se procurer facilement les minerais spéciaux qui assurent la qualité aux produits fabriqués, elle sut conquérir sa place et sa marque parmi les consommateurs. Entraînée irrésistiblement par les résultats obtenus et les conséquences de sa situation et de ses relations commerciales, la Société de Denain vient de créer à Denain même un vaste établissement de production d'acier Bessemer, capable d'un tonnage d'au moins 20,000 tonnes par an. Cet établissement, composé en ce moment de deux grands hauts fourneaux, d'appareils gigantesques de fabrication de l'acier et d'un laminoir à rails en acier Bessemer, avec tous les ateliers accessoires, assure à la région du Nord, qui n'en possédait pas jusqu'à ce jour, une fabrication devenue aujourd'hui le complément indispensable de l'établissement des chemins de fer. Comme toutes les industries s'attirent l'une l'autre sur le terrain où les facilités de se procurer les matières premières ont pris du développement, la présence de la houille, le réseau des voies de communications tant par fer que par eau, tout en assurant à la Société de Denain des conditions économi- ques pour ses consommations de combustibles qui dépassent 200,000 tonnes, et la consommation de minerais qui atteint presque 200,000 tonnes par an, et en favorisant ainsi autour d'elle la création de beaucoup d'industries consom- mateurs de produits métallurgiques, tels que les ateliers de construction, de transformation et tous leurs dérivés, lui garantissent un débouché certain de tous ses produits. Sa population ouvrière, qui comporte un personnel d'environ 2,300 ouvriers et représente au moins G à 7,000 personnes, lui crée certaines difficultés par la rareté des bras et le manque de logements. Pour améliorer cette situation et procurer à ses ouvriers de meilleures conditions d'existence, la Société de Denain a décidé la construction d'un nombre assez considérable d'habitations autour de ses établissements, et comme depuis longtemps déjà elle avait organisé des écoles, des asiles, des ouvroirs, des magasins d'objets de consommation, elle vient de compléter ces créations par une installation en rapport avec le personnel de ces œuvres accessoires qui comporte pour les établissements le concours de vingt-six reli- gieuses de Saint-Vincent de Paul ; la population de 1,200 enfants, et une nota- ble partie des familles venant s'approvisionner dans les magasins créés par la Société, des principaux objets nécessaires à la vie. Pour faire face à la fabrication de 60,000 tonnes de produits finis, la Société de Denain possède dans ses établissements : 69 fours à puddler, 39 fours à réchauffer, 13 trains de laminoirs, 107 machines diverses, EXCURSION A ANZIN ET DENAIN l'3()<) Tous les appareils nécessaires à la production de la vapeur sont chauffés par l'emploi des flammes perdues. C'est au moyen de sept grands hauts fourneaux dont la production peut atteindre 80,000 tonnes par an, qu'elle est en mesure d'alimenter tous ses instruments de travail et de fournir au commerce toutes les variétés de qua- lités que comporte l'emploi du fer. Bien des transformations sont encore réservées à l'avenir de la métallurgie, et toutes celles qu'a déjà traversées la Société de Denain ne sont probable- ment que le prélude de celles qu'elle est exposée à devoir subir encore. Ce qu'il faut à l'industrie pour atteindre le but qui lui est indiqué, c'est d'abord la sécurité, l'opiniâtreté du travail, la persévérance des efforts, l'intel- ligence des collaborateurs, la facilité des communications et des relations commerciales. Les visiteurs parcoururent avec un vif intérêt les diverses parties de l'usine: ils s'arrêtèrent spécialement aux laminoirs qui fournissent des lames de tôle ou des rails; l'effet pittoresque produit par ces masses de fer rougies à blanc dont la forme se modifie sans difficulté, à ce qu'il semble, attirent ceux mêmes qui ne sont pas intéressés et émerveillés par la puissance de ces engins et l'habileté de leur disposition. Les excursionnistes visitèrent ensuite une installation presque terminée et propre à la fabrication de l'acier Bessemer. Bien que rien ne fonctionnât, il n'y avait pas moins un intérêt réel à examiner les fours, cornues et autres appareils qui ont introduit dans le travail des métaux des changements si importants. Le programme de l'excursion comprenait une visite à l'exploitation agricole de M. Crespin-Delinsel : tous les membres ne purent y prendre part, le temps manquait. Mais la section d'agronomie, laissant de côté le spectacle si intéres- sant des mines métallurgiques, se dirigea vers la ferme, qu'elle visita en détail. M. Crespin-Delinsel est un des agriculteurs les plus distingués du dépar- tement du Nord ; comme son émule M. Fiévée, il a su joindre l'industrie à l'agriculture. Le domaine qu'a visité l'Association à Anzin présente, outre une ferme de première importance, une fabrique de sucre, une distillerie de mélasse et des fours destinés à l'incinération des résidus pour la confection des salins. Le domaine visité par la Société à Anzin est lié par l'Escaut à un autre domaine situé à Denain : les transports sont faciles de l'un à l'autre; aussi M. Crespin-Delinsel, secondé par un de ses fils, peut-il faire valoir ces deux propriétés et faire profiter l'une et l'autre de cette alliance féconde l'industrie et l'agriculture qui a tant contribué à la prospérité de la belle région que par- courait la Scciété. Le départ eut lieu à cinq heures: une demi-heure après, on arrivait à Bruai, où l'on prenait congé du directeur général des mines d'Anzin et le chemin de fer du Nord-Est nous ramenait à Lille, où nous arrivions vers six heures trois- quarts. Le débarquement eut lieu à la hâte, car le plus grand nombre des excursionnistes comptaient assister à une représentation donnée au théâtre et à laquelle la municipalité de Lille nous avait réservé des places. EXPLICATION DES PLANCHES DU Dr POZZI 13H M. le I1 Samuel POZZI Aille 4'anatomie à la Faculté de médecine de Taris. ANOMALIES MUSCULAIRES EXPLICATION DES PLANCHES (1) Planche VII. Fig. 1. — Sternalis brulorum (femme de 28 ans). a. Chef sternal du sterno-cléido-mastoïdien. b. Grand pectoral recouvert de son aponévrose. Il s'attache directement à la sixième côte et n'a pas d'insertion à r'apo- névrose abdominale. c. Sternalis brutorum ou droit thoracique. Les tendons des faisceaux sternaux des muscles sterno-cléido-masto»- diens passent en avant du sternum et se soudent l'un à l'autre en pre- nant des adhérences au sternum à la hauteur de la deuxième côte. Ce tendon commun se bifurque de nouveau, et chacifh des tendons ainsi formés est suivi d'un ventre charnu large d'environ Ga,03 à droite, om,02 à gauche. Une insertion supplémentaire est prise sur le sternum par le faisceau droit. Les deux petits muscles anormaux se dirigent de haut eu bas et de dedans en dehors pour aller s'insérer par un court tendon aplati au sixième cartilage costal. Fis. 2. — Troisième pectoral (homme de 25 ans). a. a. a. à Grand pectoral disséqué et relevé par des érignes. b. petit pectoral. c. deltoïde. d. Troisième pectoral, inséré intérieurement aux cinquième, sixième, septième et huitième côtes, supérieurement au tendon du grand pectoral. Planche VIII. Fig. 1. — Continuation anormale de l'angulaire de l'omoplate et du grand dentelé (homme de 50 ans). a. a. a. Angulaire de l'omoplate. b. Faisceau de ce muscle, qui va se joindre au grand dentelé et s'insérer avec lui à la première côte. c. Grand dentelé, visible sous l'omoplate relevée par des érignes. d. Splénius. Fig. 2. — Anomalies multiples de l'angulaire de l'omoplate. a. Faisceau supérieur qui s'attache à l'apophyse transverse de l'atlas. b. Première portion de ce faisceau, soulevée par une érigne, qui va se jeter dans le splénius. c. Deuxième portion de ce faisceau, allant s'insérer aux apophyses épineuses des deux dernières vertèbres cervicales, en entre-croisant ses fibres tendineuses avec celles du petit dentelé supérieur. (i) Cette légende a été remise trop tard pour figurer à la suite du Mémoire auquel elle se rapporte. 1312 EXPLICATION DES PLANCHES DU Dr POZZl d. Troisième portion du faisceau supérieur de l'angulaire, qui s'insère au bord spinal de l'omoplate, au-dessus de l'épine, après avoir donné quelques fibres au faisceau inférieur. e. e. Faisceau inférieur^ du muscle angulaire, inséré en haut aux tubercules postérieurs des apophyses transverses des deuxième, troisième, quatrième et cinquième vertèbres cervicales. En bas, ce faisceau se bifurque ; le premier chef de bifurcation, va se jeter dans le transversaire du cou ; le second chef, qui est le plus volu- mineux, va s'insérer à l'angle supérieur de l'omoplate, après avoir reçu un trousseau de fibres musculaires qui le relie au faisceau supé- rieur du muscle. Fie. 3. — Cléido-occipital. a. Chef sternal du sterno-cléido-mastoïdien (maintenu en place par une épingle). b.[b. Chef claviculaire de ce muscle, représenté par deux faisceaux de fibres qui naissent en arrière de l'apophyse mastoïde (fortement bi-tuberculée) et se réunissent au chef précédent à des hauteurs différentes, c. Troisième chef de ce muscle ou cléido-occipital, dont l'insertion supérieure se fait très en arrière sur la ligne courbe de l'occipital, et l'insertion inférieure sur la clavicule. Fig. 4. — Troisième faisceau du biceps brachial (femme de 25 ans). a. Tendon du grand pectoral, soulevé par une érigne. b. Courte portion du biceps, confondue avec le coraco-brachial et insérée à l'apophyse coracoïde. c. Longue portion du biceps coupée au point où elle s'engage dans la gout- tière bicipitale de l'humérus. d. Faisceau anormal du biceps coupé au-dessus du tendon du grand pectoral, qu'il a traversé en se soudant à lui sans cesser d'en être distinct. Ce faisceau, réduit à des fibres tendineuses, va s'insérer supérieurement sur la capsule de l'articulation scapulo-humérale, et, par son intermé- diaire, au grand trochanter. h. Artère humérale. in. Nerf médian. r. Nerf radial. TABLE ANALYTIQUE Abcès urinevtx, 811. Ablations des os du pied, 776. Abri sous roche à Rinxent, 521 Accouchements. V. Statistique, 846. Acélonilrate d'éthyle, 307. Acide carbonique chez les animaux et les plantes, 423. Acide chromique (Préparation de 1'), 289. Acide pyruvique, 301. Acier Bessemer. V. Denain, 1308. Aconitine (Emploi de 1'), 729. Acoustique. V. Appareil, etc., 279; Batte- ments, 220; Cordes du violon, 192; Elec- tro-diapason, Vibroscope, etc., 272. Acroléine, 306. Aérostation (L') et la Géographie, 1029. Aérostats (Les) et la Météorologie, 1256. Age de la pierre dans l'arrondissement de Douai, 684. Ages préhistoriques (Les) du Pas-de-Calais, 521. Agrandissement de Lille, 161. Afrique centrale (Les Explorations de 1'), 1009. Air comprimé. V. Radeau de sauvetage, 143. Akkas, 551. Alcalinité (L') dans l'industrie sucrière, 335. Alcoolisme dans la classe aisée, 719. Alglave. — Histoire de l'industrie houillère, du bassin du Nord, 118. Les Chemins de fer, 1079. Alluard (E). — Observatoire météorolo- gique du Puy-de-Dôme, 273. Allylamine, 310. Altération des farines, 424. Amputation. V. Conservation des membres, 758; Fractures, 737, 758; Résections, 750, 776. Amputations sous-périostée, 764. Anatomie. V. Modèles en cire, 813. Angiomes douloureux, 855. Angles occipitaux et basikiire, 566. Aniline, 349. Anomalies musculaires (Valeur des) au point de vue de l'anthropologie zoologique, 581. Anthropophagie (De 1'), 648. Anzin (Excursion d), 1304. Appareil à percer le verre par l'étincelle électrique, 256. pour la démonstration de la propa- gation des ondes, 279. à distillation fractionnée, 330. Arïoins' et L. Tripier. — Sensibilité ré- currente. 844. Artois, 377. Ascidies (Embryogénie des), 432. Assézat (J.), Recherches sur les propor- tions du squelette de la face, 551. Atlas des missions catholiques françaises, 1023. Atomes (La Théorie des) dans la conception générale du monde, 7. Augïer et Julien. — Sur les angles occi- pitaux et basilaire, 566. Azote (Action de 1') atmosphérique dans la culture, 978. Bactéries (Coloration des), 414. Haillon (H.). — Les gousses chinoises et les gymnocladus, 418. — PI. iv. Organogénie florale du cytinus hy- pocistis, 424. — PI. v. Bains de mer (Les) et la Scrofule, 959. Barrai (J.-A.). — ' Rendement du blé en 1874, 965. Le Guano, 977. Barrois (Ch.), 56-57. Byssacanthus Gosseleti, 381. Basque. V. Langue, 539. Bassin. V. Proportions, 562. Battements (Théorie des), 220. Bayan. — Espèces fossiles de la famille des Trochidae, 359. - Deux espèces peu communes de Bra- chiopodes, 380. 1314 TABLE AKALYTIQL'E Beau idéal (Le), chez les différents peuples, 1019. Belgique Y. Chemins de fer, 1070. — (Terrains siluriens de la), 374. Berg-eroii (Ch.). — Tunnel sous-marin entre la France et l'Angleterre, 135. Nouveau système de voie ferrée, 156. - Désensablement des ports de mer, 169. Bertaut, 56. ' lt<-r< illon Dr). — Démographie du dé- partement du Nord, 638. Betterave. V. Plantes saccharifères, 979; Sucre, 357. Birmanie (La) au point de vue du com- merce, 995. BlaTet. — Influence de la lumière colo- rée sur la végétation, 423. Blé (Rendement du) en 1874, 965. Blépkarophimosis (Opération du), 808. Bohémiens (Les) de l'âge du bronze, 537. Boixe, 595. Itou li > (V.). — Production et consomma- tion de la houille, 1084. Boulogne (Excursion de), 1293. ltoiissiii.su et Terquem. — Théorie des battements, 220. Bouteiller (Dr J.). — Statistique obstétri- cale, 846. Boutet . — Révision du cadastre. — Hygiène des ouvriers agricoles, 973. Bouvines (Excursion), 372. Brachytrema, 364. Brèche osseuse de l'époque quaternaire, 587. Brésil (Orographie du), 998. Breton, 56. Brenl (Ch.). — Propagation des études économiques, 1119. Briquettes (V.) Anzin, 1304. en aggloméré perforé, 158. Broca (P.). — Répartition de la langue basque, 539. — Sur l'indice orbitaire, 686. Broch (0.-J.). — Représentation graphique des nombres complexes, 11 74.-P1.xii et xm. Bromure d'acr oléine, 306. Broyeur mécanique, 160. Bruits de souffles artériels multiples, 912. Bucephalus Haimeaneus, 466. Byssacanthus Gosseleti (Le), 381. Cafres (Bustes de), 678. Caisses de secours en faveur des mères nour- rices, 1132. Caisses de secours militaires, 1136, Canariens (Origines des), 501. Cannizaio. — Sur la santonine, 292. Capillarité, 237. Carbone des plankv, son origine, 974. Carotte. V. Plantes saccharifères , 979. Canin. — Excursion, 372. Cassel. — Excursion, 383. Catalan [E.). — Sur les surfaces orthogo- nales.—Méthode des moindres carrés. — Lieu géométrique, 1165. - — Hélice tracée sur un cylindre droit dont la base est une chaînette, 1174. Cataractes du San Francisco brésilien, 1024. C'atel-Beghiu, maire de Lille. — Allo- cution prononcée à la séance d'inaugura- tion de la session, 23. Caucase (Météorologie du), 278. Caventoa (E.). — Produits.de condensa- tion du gaz de l'éclairage soumis à une haute pression, 298. Cazin (Dr). — Tumeur fibreuse sous-péri- tonéale, dystocie, opération césarienne, 941. Centre des médianes autiparallèles dans un triangle, 1165. Cerveau. V. Hippocampe, 458. Channel-Tunnel, 135. Chaplain-Diiparc. — La grotte de Sordes, p. 678. Charente-Inférieure. V. Préhistorique, 590. i hatin (D' J.) — Études helmintholo- giques, 463. Chaubard. Résillage des enrochements, 1236. Chauffage au gaz au point de vue de l'hy- giène, 302. Chauveau. — Contagion de la tubercu- lose, 943. Chauvet. — Tumulus dolmen de la forêt de Boixe, 595. Chelloneix, 57. Chemins de fer. Y. Voie ferrée, 156; Wagons, 126. (Régime général des), 1050. - — ■ Rapports financiers des grandes Com- pagnies avec l'Etat, 1062. (Les) en Belgique, 1070. Chevelure (De la] , comme caractéristique des races humaines, 51 1. Chll-y-Maranjo (Dr). — Origine des pre- miers Canariens, 501. Chimie de l'industrie sucrière, 321. Chlore, conditions de sa préparation, 349. Choléra, mode de propagation , prophy- laxie, 797. Chronographe, 250. Chromique (Acide), 289. Circonvolutions de l'hippocampe, 458. Climatologie comparée, 877. TABLE ANALYTIQfE 1M5 Cœur. V. Valvules, 918. Coke. V. Ansin, 1304. Collignoii (Ed). — Méthode géométrique d'évaluation de certaines intégrales dou- bles, 1193. Coloration des Bactéries, 414. Colrat (Dr) et Toussaint. — Bruits de souffles artériels multiples, 912. Combustibles. V. Briquettes, 158, 1304. Condition des laines. V. Ruubaix, 1297. Conférence Hossi, 1119. Congrès de sauvetage, 797. Conservation des membres blessés par pro- jectiles de guerre, 758. Contagion de la tuberculose, 943. Contractures pathologiques, 827. Coopération. V. Sociétés, 1141. Coqueluche : Anatomie pathologique, nature et traitement, 915. Cordes (Les) du violon, 192. Corenwinder, 55, Origine du carbone des plantes, 974. Cornu (A.). — Levier à réflexion, 262. - — - Appareil à enregistrer les dixièmes de seconde, 272. Courty (Dr). — Rétroflexion de l'utérus, 856. Coxalgies suppurées : Immobilisation et ré- section de la hanche, 821. Craie (Inocérames de la) du Nord, 366. Crâne. V. Déformations, 534. Crânes perforés et rondelles crâniennes de l'époque néolithique, 597. Crotonylène, 298. Cuignet (DF). — Kératoscopie par éclai- rage direct, 946. Suites des fractures des membres par projectiles de guerre, 737. Cuiller (Histoire de la), 679. Cytinus hypocistis. 424. Daleau (F.). — Grotte des Fées, 508. — Taille du silex à l'époque préhistorique, 509. Daily (Dr E.). — De la chevelure comme caractéristique des races humaines, 511. Contractures et contractions patholo- giques, 827. Daltonisme : Recherches cliniques, 952. Darlet et Toussaint. — Brèche osseuse de l'époque quaternaire, 587. Daubresse, 57. Deacon, 349. Debray, 60. Décocq (C). — Inocérames de la craie du Nord, 366. De Coster, 94. Défécation (Réactions chimiques de la), 347. Déformations du crâne, 534. Dcliérniii (P.-P.). — Recherches sur la germination, 966. La respiration des végétaux, 975. Action de l'azote atmosphérique dans la culture, 978. Démographie du département du Nord, 638. Dcmongeot (A.). — Rapports financiers Hip.). — Education de la première enfance, 1099. Mines. V. Anzin. Miocène (Mers du) moyen, 373. Modèles anatnmiques en cire, 813. Mollusques, 77. Mons-en-Pévèle, Excursion, 372. if oritz. — Observations météorologiques du Caucas-, 278. Mortier (Fabrication du), 158. Mortillet (G. de). — Les Mers du mio- cène moyen, 373. Non-existence d'un peuple des dol- mens, 530. Les Rohémiens de l'âge du bronze, 537. Mort subite dans l'extirpation des polypes naso-pharyngiens, 833. II oser (D). — Médication thermo-rési- neuse, 957. Moule, 467. llourlon (M.). — Terrains de la basse Belgique, 402. Mouvement des glaciers, 279. Muscles. V. A nomalies, 581. Nerfs. V. Sensibilité récurrente, 844. Névralgies traumatiques secondaires préco- ces, 924. Nielle. V. Altération des farines, 424. Nivellement général de la France, 125. Nombres complexes : leur représentation graphique, 1174. Norguet (de), 53. Nottelle. — Le Phylloxéra, 976. - — Importance de l'économie politique dans les conditions modernes, 1052. Nord. V. Démographie, 638. Observation médicale. V. Unification, 813. Observatoire météorologi(/iie du Puy-de- Dôme, 273. Obstétrique. V. Statistique, 846. Occipital (Étude de), 575 Otulistique. X. Blépharophimosis, 808; Kéra- toscopie, 946. ©Hier (Dr). — Résections et Ablations des os du pied, 776. Onde (Surface de 1), 1168. Opération césarienne, 941. Optique. V. Diffusion, 259; Photomètre, 278; Schémas, 244. Organogénie florale du Cytinus hypocis- tis, 424. Orographie du Brésil, 998. Ortlieb, 55, 57, 59. Os longs provenant des dolmens de la Lo- zère, 507. Oiistalet. — Briquettes en aggloméré per- foré, 158. Oxygène chez les animaux et les plantes, 423. l'aquet (Dr A.). — Emploi de l'aconitine contre les accidents graves consécutifs au traumalisme, 729. Parallélogramme de Watt. V. Losange Peau- cellier, 122. Parasitisme animal, 459. Paratonnerre (Application du), de Masson , 270. Parise (Dr) . — Désarticulation de l'épaule, 942. Pas-de-Calais. V. Ages préhisloriqxies, 521. Passage de Vénus, 1239. Pathogénie des tumeurs et abcès urineux, 811. Paulo Affonso. V. Cataractes, 1024. Paupérisme (Le) à Lille.— Statistique, 1122. Peaucellier (colonel). — Losange articulé, 122, 1156. Pédagogie. V. Éducation, 1099. Pellarisi (DrCh.).— Mode de propagation et prophylaxie du choléra épidémique . 797. Perforateur du tympan, 693. Périosiite (Traitement de la) phlegmoneuse diliuse, 912. Perroiul (D').-Phthisie des mariniers du Rhône, 950. Pésier (Ed.). — La Chimie de l'industrie sucrière, 321. Pessaire annulaire, 693. Petersia, 362. Peuple des dolmens, 530. Phénylhydroxylacétamide, 301 . 13-20 TABLE ANALYTIQUE Phosphates fossiles : Détermination de leur valeur, 967. Phosphorescence de la mer, 72. Photomètre, 278. Phlhisie des mariniers du Rhône, 950. Phylloxéra, 976. Physiologie de la glande mammaire et de la lactation, 815. Picquet (H.).— Centre de médianes anti- parallèles, 1202. Des invariants communs à deux fonctions quadratiques, homogènes, à deux, trois ou quatre variables, 1205. Pied. V. Ablations, Résections, 776. Piette (Ed.) .— Lignes défensives de la France, 189. Genres nouveaux de Gastéropodes, 361 . — PI. m. Histoire de la cuiller, 679. — PI, ix, x, et xi. Piles (Résistance des), 228. Plaies artérielles des membres. — Applica- tion de la méthode d'Esmarch, 820. Plans. V. Faisceaux, 1176. Planté — 270. Plantes saccharifères : Expériences agricoles et Essais chimiques, 979. Plassiard.— Des cordes du violon, 192. — PI. il. Plectropomes, 432. Plumes de volailles (Utilisation des), 976. Plumes de fer. V. Boulogne, 1293. Poignet. Y. Résection, 750. Poissons du groupe des Sébastes, 468. Pôle (Le) austral, 1020. Polypes naso-pharyngiens .- mort subite, 833. Ports de mer. V. Désensablement., 169. Potier (A.). — Sur le terrain de transport, 376. - Failles de l'Artois, 377. Transgressivité du terrain houiller, sur le calcaire carbonifère, 378. Pozzi (Dr S.). — Valeur des anomalies musculaires au point de vue de l'anthropo- logie zoologique, 581 . — PI. vu et vin. Causes de la mort subite dans l'extir- pation des pol.) pes naso-pharyngiens, 833. ]>i (historique dans la Charente-Inférieure, 590. Pression (Régulateur de) pour la vapeur, 120. Principes sulfures des eaux minérales, 312. Produits de condensation du gaz de l'éclai- rage, 298. Progrès de l'industrie des lins, 80. Projectiles. V. Fractures, 737. Propagation des ondes, 279. Propagation des études économiques, 1119. — du choléra épidémique, 797. Propargyle, 309. Prophylaxie du choléra, 797. Proportions du bassin chez l'homme et les mammifères, 562. ■ du squelette de la face, 551. Protoplasma végétal, 408. Protozoaires, 72. Prunières (Dr), — Os longs provenant des dolmens de la Lozère, 507. Crânes perforés et rondelles crâniennes de l'époque néolithique, 597. Pulsomètre (Le), 188. Pulvérisation (La), en agriculture, 974. Purpurine (Synthèse de la), 331. Puy-de-Dôme (Observation du), 273. Rachitisme (Production du), 761. Radeau de sauvetage, 143. Raillant (Dr), — Climatologie comparée, 877. Récoltes, V. Blé, 965. Redressements articulaires, 957. Régulateur de pression par la vapeur, 120. Réjection dans la rumination, 467. Renaud (G.). — Régime général des che- mins de fer, 1050. Renouard (Fils). — Des Progrès de l'in- dustrie des lins, 80. Répartition de la langue basque, 539. Résection de la hanche et immobilisation dans les coxalgies suppurées,821. du poignet, 750. Résections et Ablations des os des pieds, 776. Résidus laineux : leur utilisation, 969. Résine V. Médication, 957. Résistance intérieure des piles, 228. Respiration. Y. Dissociation, 842. des végétaux, 975. Rétroflexion de l'utérus, 856. Rhône. V. Phthisie, 950. Ricci (M,s .1.). — La Géodésie en Italie, 1180. — PI. xiv. Richesse (Développement de la) parla science, 111. Rigaux, 61 . Rinccent. Y. Abri, 521. Rizocéphales, 472. Roches éruptives, 391 . Rondelles crâniennes et Crânes perforés de l'époque néolithique, 597. Rossi (Conférence), 1119. Roubaix (Excursion à), 1291. RousHille (V.). — Détermination de la va- leur agricole des phosphates fossiles, 967. Rumination, 467. TABLE ANALYTIQUE 1321 Sabatier. — Circonvolutions de l'hippo- campe chez les mammifères, 458. Anatomie et Physiologie de la moule, 467. Venin du Scorpio Occitanus, 471. Saint-Paul (Ile), 1239. Sang. V. Dissociation. 842 Santonine, 292. Sauvage (H.-E.) — Poissons du groupe des Sébastes, 468. Sauvetage (Congrès de), 797. ■ — (Radeau de), 143. Savoye, 58. Scandinavie (Recherches anthropologiques en), 528. Schémas d'optique élémentaire, 244. Science (Développement de la richesse par la), 111. Scorpion, 471. Sert «;•, 92. Scrofule (La) aux bains de mer, 959. Sébastes, 468. Secours. Y. Caisses, 1132, 1136. - — publics à Lille : statistique, 1122. Siée (Dr Marc1. — Fonctionnement des valvules auriculo-ventriculaires du cœur, 918. Seguin (Dr Ed.) . — Etablissement de l'unité dans les instruments, échelles et tableaux d'observation médicale, 813. Sensibilité récurrente, 844. Session (La) de Lyon, 25. Seynes (De). — Phénomènes de coloration chez les Bactéries, 414. Silex. V. Taille, 509. Silva (R. D.). — Recherches sur le diiso- propyle, 288. Sinety (Dr de). — Physiologie de la glande mammaire et de la lactation, 815. Sociétés (Les) coopératives, 1141. Soleil. V. Passage de Vénus, 1239. Sonde urélhrale, 693. Sonnette à vapeur, 160. Sordes (Grotte de), 528. Sorgho. V. Plantes saccharifères, 979. Souffle. V. Bruits, 912. Souillart. — Déplacements séculaires des orbites dans le système solaire, 1174. Sphéromètre à réflexion, 262. Spongiaires, 72. Squelette de la face ; ses proportions, 551 . Stations hivernales, 877. Statistique obstétricale, 846. — du paupérisme et des secours publiée à Lille, 1122. Sucrate de chlorure de potassium, 287. Sucre. V. Alcalinité, 335; Chimie, 321; Défécation, 347. - (Distribution du), 357. dans les urines, 815. Sulfate d'alumine (Actiondu) sur le fluorure de calcium, 301 . Surface de l'onde, 1168. Sylvester. — Systèmes articulés. Instru- ment réciprocateur Peaucellier, 1156. Systèmes articulés, 1156. Taille du silex à l'époque préhistorique, 509. Tachomètre à air, 154. Talrich (J.). — Présentation de bustes de Cafres, 678. - — Modèles anatomiques en cire, 813. Tapis, V. Tourcoing. Teinture balsamique, 758. Télégraphie, V. Paratonnerre, 270. - optique, 1267. Tension (La) superficielle des liquides, 237. Terquem. — Transformation du vibros- copo, en tonomètre, 272. Appareil pour la démonstration de la propagation des ondes, 279. et Boussinesq. — Théorie des batte- ments, 220. et Traiinin. — Appareil à percer le verre par l'étincelle électrique, 256. Terrains. V. Géologie, 52. Terrain simrien, 374. de transport, 376. de la basse Belgique, 402. houiller (Transgressivité du) sur le cal- caire carbonifère, 378. Thibaut. — Sur l'Hyosciamine, 293. Thomas (A.). — Tachomètre à air, 154. Tissandier (G.). — La Météorologie et les Aérostats, 1256. Tomasi (Donato). — Phénylhydroxylacé- tamide, 301. Tonomètre, 250. V. Vibroscope, 272. Topinard (Dr P.). — Proportions gé- nérales du bassin chez l'homme et lei mammifères 562. Tourbières. V. Géologie, 52. Tourcoing (Excursion à), 1302. Toussaint. — Altération des farines, 424. Réjection dans la rumination, 467. et Colrat. — Bruits de souffle artériel» multiples, 912. et Darlet. — Brèche osseuse de l'épo- que quaternaire, 587. Trannia. — Nouveau photomètre, 278. et Terquem. — Appareil à percer le verre par l'étincelle électrique, 256. 87 1322 TABLE ANALYTIQUE Y. Losange Transformation de mouvement articulé, 122, 1156. Travail de l'homme et des animaux, 1157. Trélat (Dr U.). — Angiomes douloureux, 855. Trépanation. V. Crânes perforés, 597. Triangle. Y. Centre, 1165. Tripier (Dr L.). — Production du rachi- tisme, 761. et Arloing. — Sensibilité récurrente, 844. Trochidœ (Espèces fossiles de la famille des), 359. Tuberculose (Contagion de la), 943. Tumeur fibreuse sous-péritonéale, Dystocie. Opération césarienne, 941. Tumeurs (Pathogénie des) et Abcès uri- neux, 811. Tumulus dolmen de la forêt de Boixe, 595. Tunnel sous-marin entre la France et l'An- terre, 135. Turbellariées rhabdocœles, 465. Tympan. Y. Perforateur, 693. Unification des instruments, échelles et ta- bleaux d'observation médicale, 813. V réides de l'acide pyruvigue, 301. Utérus. Y. Rétro flexion, 856. Vaginomètre, 693. Vaillant L.). — Les Écailles chez les plectropomes, 432. Valencienncs (Distribution d'eau de), 174. Valvules (Fonctionnement des) du cœur, 918. Van «1er llensbrugg-he. — La Tension superficielle des liquides et les Théories capillaires, 237. Van Rysselberghe* — Météorographe enregistreur, 236. Des Observations de marée au point de vue météorologique, 229. Vapeur (Régulateur de pression pour la), 120. Végétation (Influence de la lumière colorée sur la), 420. Venin du Scorpio occitanus, 471. Venus. V. Passage, 1239. Verneuil (Dr). — Névralgies traumatiques secondaires précoces, 924. Vibroscope (Transformation du) en tono- mètre, 272. Viennois (Drj. — Supériorité de l'immo- bilisation sur la résection de la hanche dans les coxalgies suppurées, 821. Viollette. — Sucrate de chlorure.de potas- sium, 287. — Distribution du sucre et des principes minéraux dans la betterave, 357. Violon (Les Cordes du), 192. Vojçt (Cari). — Parasitisme animal, 459. Voie ferrée (Nouveau Système de), 156. Von llanmliiiHcr — Météorographe uni- versel, 236. Wagon à suspension perfectionnée, 126. Wannebroucq (Dr) . — De l'Entérite interstitielle, 694. - Anatomie pathologique, nature et trai- tement de la coqueluche, 915. Wimereux (Laboratoire zoologique de), 68. ■ (Excursion à), 1295. Woussen. — Réactions chimiques de la défécation, 347. Wurtz (Ad.). — La Théorie des atomes dans la conception générale du monde, 7. — Le Glyoxal, 306. Yambeu. — Application du paratonnerre de Masson, 270. Zoologie maritime, 68. Zoophytes, 73. TABLE DES MATIERES Statuts et règlement Rapport du Conseil d'administration sur les statuts et le règlement xuu LISTES DES MEMBRES Membres fondateurs xv — à vie xxxi — annuels xxxm Liste des Savants étrangers ayant assisté au Congrès Lvr ASSEMBLÉES GÉNÉRALES Assemblée générale (Lille, 27 août 1874) L Désignation de la ville (Nantes) où se tiendra la 4° session en 1875 2 Bureau pour la 4° session 2 Conseil d'administration 3 CONGRÈS DE LILLE Programme de la session „ . 5 Comité local de Lille 5 SÉANCES GÉNÉRALES Séance d'ouverture (20 août 1 8 *S4L). Présidence de M. Wurtz 7 Wurtz, Président. — Discours. — La théorie des atomes dansjla conception gé- nérale du monde 7 Catel-Beghin, Maire de Lille. — Discours 23 Laussedat, Secrétaire général. — La session de Lyon 25 G. Masson, Trésorier. — Les finances de l'Association 50 Séance générale du 21 août 18Ï4:. — Présidence de M. Wurtz 52 Gosselet. — Les progrès de la géologie dans le Nord depuis dix ans 52 Masquelez. — L'Institut industriel, agronomique et commercial du Nord de la France 62 Dubar. — Histoire de l'industrie de Roubaix 67 Giard. — Laboratoire de zoologie maritime de Wimereux (Pas-de-Calais). ... 68 Alk. Renouard. — Des progrès de l'industrie des lins 80 Séance générale du 24: août 1874. — Présidence de M. Wurtz 111 Ménier. — Du développement de la richesse parla science 111 Alglaye. — Histoire de l'industrie houillère du bassin du Nord 118 SÉANCES DE SECTION PREMIER GROUPE. — SCIENCES MATHÉMATIQUES lre et 2e sections. — Mathématiques, Astronomie, Géodésie et Mé- canique. Renvoi de l'impression des travaux à la fin du volume 119 1324 TABLE DES MATIÈRES 3e et 4:' sections. — Navigation, Génie civil et militaire. Bureau 120 E. Lemoine. — Régulateur de pression pour la vapeur, système H. Giroud.. . 120 — Losange articulé du colonel Peaucellier 122 Lekrançois. — Relevé du nivellement général de la France par le personnel des Conducteurs des ponts et chaussées et des agents-voyers 125 Giffard. — Wagon à suspension perfectionnée 126 E. Du Rieux. — Gaz aux hydrocarbures 127 Ch. Bergeron. — Tunnel sous-marin entre la France et l'Angleterre 135 Dr Fontaine. — Description d'un nouveau radeau de sauvetage 143 A. Thomas. — Tachomètre à air 154 Ch. Bergeron. — Nouveau système de voie ferrée 156 Oustalet. — Présentation de briques en aggloméré perforé 158 Excursion à Dunkerque 158 Masquelez. — Historique de l'agrandissement de Lille 161 Ch. Bergeron. — Nouveau procédé de désensablement des ports de mer 169 Menche de Loisne. — Régime des eaux souterraines dans le Nord de la France . 171 Masquelez. — Les distributions d'eau dans le Nord 173 E. Du Rieux. — Le pulsomètre 188 Ed. Piette. — Seconde note sur les lignes défensives de la France 189 DEUXIÈME GROUPE. — SCIENCES PHYSIQUES ET CHIMIQUES 5e et 7 sections.^ — Physique, Météorologie et physique du globe. Bureau 192 Plassiard. — Des cordes du violon 192 Terquem et Boussinesq. — Sur la théorie des battements '. . 220 H. Gay. — Mesure de la résistance intérieure des piles 228 Van Rtsselberghe. — Sur l'importance des observations de marée au point de vue de la météorologie 229 — Météorographe enregistreur 236 Von Baumhauer. — Météorographe universel , . . 236 Lallemand. — Expériences d'illumination des liquides 236 Van der Mensbrugghe. — Remarques concernant la tension superficielle des li- quides considérée dans ses rapports avec les théories de Laplace et de Gauss sur les actions capillaires 237 C.-M. Gariel. — Appareils schémas pour l'exposition des lois et phénomènes de l'optique élémentaire 244 E. Mercadier. — Electro-diapason à période variable : son emploi comme chro- nographe tonomètre et interrupteur 250 Terquem et Trannin. — Appareil destiné à percer les lames de verre à l'aide de l'étincelle électrique 256 A. Lallemand. — Sur la diffusion lumineuse 259 A. Cornu. — Sur le levier à réflexion 262 Marcel Deprez. — Théorème sur l'espace nuisible des machines à vapeur . . . 269 — Sur l'étincelle d'induction et les électro-aimants 269 Xambeu. — Sur une application de paratonnerre de Masson 270 A. Cornu. — Appareil à enregistrer les dixièmes de secondes 272 Terquem.— Transformation du vibroscope en tonomètre 272 E. Alluard. — Observatoire météorologique du Puy-de-Dôme 273 Moritz. — Observations météorologiques du Caucase 278 H. Trannin. — Mesure de l'intensité relative des éléments constitutifs des sources lumineuses 278 Terquem. — Appareil pour la démonstration de la propagation des ondes . . . 279 Charles Grad. — Théorie du mouvement des glaciers 279 TABLE DES MATIÈRES 1325 6e section. — Chimie. Bureau 287 Viollette. — Sur le sucrate de chlorure de potassium 287 R.-D. Silva. — Recherches sur le diisopropyle 288 E. Dcyillier. — Note sur la préparation de l'acide chromique 289 Cannizaro. — Sur la santonine 292 Thibaut. — Sur l'hyosciamine 293 E. Caventou. — Des produits de condensation du gaz de l'éclairage soumis à une haute pression 298 C. Friedel. — Action du sulfate d'alumine sur le fluorure de calcium 301 Ed. Grimaux. — Sur les uréides de l'acide pyruvique 301 Donato Tomasi. — Action de l'ammoniaque sur les dérivés chlorés de la phényl et de la crésylacétamine 301 Fred. Kuhlmann. — De l'éclairage et du chauffage par le gaz au point de vue de l'hygiène 302 Ad. Wurtz. — Sur le glyoxal 306 Louis Henry. — Sur le bromure d'acroléine 306 — Sur l'acéto-nitrate d'éthyle 307 — Sur les composés propargyliques 308 — Sur les produits d'addition de l'allylamine (C3Hj)H2As 310 D' Garrigou. — Sur la nature et sur le dosage des principes sulfurés dans les sources minérales 312 Edmond Pésier. — La chimie de l'industrie sucrière 321 A. Henninger. — Sur quelques appareils à distillation fractionnée 330 F. de Lalande. — Synthèse de la purpurine 331 Lagrange. — Influence du principe de l'alcalinité sur les progrès de l'industrie sucrière 335 Pesier. — Discussion sur l'influence de l'alcalinité 347 Woussen. — Des réactions chimiques de la défécation 347 Pesier. — Discussion sur les réactions chimiques de la défécation 348 A. Lamy. — Sur les conditions de la production du chlore 349 Ch. Lauth. — Sur quelques matières colorantes dérivées de l'aniline 349 Georges Lemoine. — Equilibre chimique des systèmes gazeux : l'iode et l'hydro- gène 355 Viollette. [ — Sur la distribution du sucre et des principes minéraux dans la betterave 357 TROISIÈME GROUPE. — SCIENCES NATURELLES. 8e section. — CJéologie et minéralogie. Bureau 359 Bayan. — Sur quelques espèces fossiles rapportées à la famille des Trochidœ. . 359 Ed. Piette. — Sur plusieurs genres nouveaux et peu connus de Gastéropodes.. 360 C. Décocq. — Sur les inocérames de la craie du Nord 366 Excursion de Lézennes, Bovines, Carvin et Mons-en-Pévèle 372 G. de Mortillet. — Les mers du miocène moyen 373 C. Malaise. — Sur le terrain silurien de la Belgique 374 Potier. — Sur le terrain de transport 376 — Failles de l'Artois 377 — Transgressivité du terrain houiller sur le calcaire carbonifère .... 378 Bayan. — Sur deux espèces peu connues de Brachiopodes 380 Ch. Barrois. — Sur le Byssacanthus Gosseleti, Plagiostome du dévonien de l'Ar- denne 381 Excursion à Cassel 383 Des Cloizeaux. — Sur la l'orme cristalline et sur les propriétés optiques de la Durangite -„.... 388 1326 TABLE DES MATIÈRES C. Friedel. — Sur certaines altérations des agates et des silex. , 391 A. Guterdet. — Étude microscopique de roches éruptives 391 Michel Mourlon. — Sur les terrains de la basse Belgique 402 9e section. — Botanique. Bureau 403 Landron. — Le madia du Chili ou essai de culture d'une plante oléifère dans les terres sablonneuses de la Flandre maritime 403 L. Garreau. — Nouvelles recherches sur le protoplasma végétal 408 De Setnes. — De quelques phénomènes de coloration des Bactéries 414 H. Bâillon. — Sur les gousses chinoises de Shang-Haï et sur les gymnocladus . 418 L. Garreau. — De la rotation de l'oxygène et de l'acide carbonique chez les ani- maux intérieurs et les plantes 423 Blavet. — Sur l'influence de la lumière colorée sur la végétal ion 423 Toussaint. — Altération des farines par la présence de la graine de nielle . . 424 H. Bâillon. — Organogénie florale du cytinus bypocistis 424 10e section. — Zoologie et Zootechnie. Bureau 432 L. Vaillant. — Les écailles de la ligne latérale chez les plectropomes au point de vue de la classification 432 A. Giard. — Note sur quelques points de l'embryogénie des ascidies 432 L. Vaillant. — Discussion sur l'embryogénie des ascidies 458 Carl Vogt. — — — 458 Sabatier. — Sur les circonvolutions de lbippoeampe chez les mammifères. . . . 458 Carl Vogt. — Quelques observations sur le parasitisme animal 459 A. Giard. — Discussion sur le parasitisme animal 463 Joannes Chatin. — Études helminthologiques 463 Carl Vogt. — Bemarque sur la communication précédente 465 P. Hallez. — Sur l'organisation des Turbellariées Bhabdocœles 465 Sabatier. — Discussion sur l'organisation des Turbellariées Bhabdocœles. . . . 466 A. Giard. — — — — ... 466 Vaillant. — — — — — ... 466 Hallez. — — — — — ... 466 A. Giard. — Sur l'enkystement du Bucephalus haimeanus 466 Sabatier. — Études anatomiques et physiologiques sur la moule 46T Toussaint. — Détermination du phénomène de la réjection dans la rumination. 467 H.-E. Sauvage. — De la classification et de la distribution géographique des poissons du groupe des Sébastes 468 Sabatier. — Sur le venin du scorpio occitanus 471 A. Giard. — Sur les Bizocéphales 472 11e Section. — Anthropologie. Bureau 473 G. Lagneau. — Ethnogénie des populations du Nord de la France 473 Dally. — Discussion sur l'ethnogénie des populations du Nord de la France . . 495 Hovelacque. — — — — . • 496 De Quatrefages. — — — — . . 499 Carl Vogt. — — — — . . 496 Lecoq. — — — — • • 496 Lagneau. — — — — . . 497 Pruméres. — — — — . • 499 Girard de Bialle. — — — — . . 500 Dr Chil-y-Naranjo. — Origine des premiers Canariens 501 Dally — Discussion sur l'origine des premiers Canariens 506 Chil. — — — - 506 C Vogt. — — — — 506 TABLE DES MATIÈRES 1827 Broca. — — — 506 Lagneau. — — — — 506 Prunières. — Présentation d'os longs provenant des dolmens de la Lozère. . . 507 F. Daleau. — Grotte des Fées 508 — — Aote sur la taille du silex à l'époque préhistorique 509 £. Dally. — De la chevelure comme caractéristique des races humaines. ... 511 Bertillon — Discussion sur la chevelure comme caractéristique des races . . . 519 De Quatrefages — — — ... 519 Dally. — — — ... 519 Lagneau. — — — — . . . 520 E. Lejeune. — Abri sous roche del'àgedu renne, situé à Riment; les différents âges préhistoriques dans le département du Pas-de-Calais 521 Hamy. — Discussion sur la communication précédente 527 S. Pozzi. — De la valeur des anomalies musculaires au point de vue de l'anthro- pologie zoologique. . . - 581 Darlet et Toussaint. — Note sur une brèche osseuse de l'époque quater- naire 587 Maufras. — Du préhistorique dans la Charente-Inférieure 590 Lejeune — — 527 E. Hamy. — Recherches anthropologiques en Scandinavie. — La grotte de Sor- des et le dolmen des Vignettes ; permanence de l'un des types paléolithiques de l'époque néolithique 528 G. de Mortillet. — Discussion sur la communication précédente 529 E. Hamy. — — — 529 De Mortillet. — Sur la non-existence d'un peuple des dolmens 530 Prunières. — Discussion sur la non-existence d'un peuple de dolmens 533 De Quatrefages. — — — — 533 De Mortillet. — — — — 533 Broca. — — — 533 Ludovic Martinet. — Sur les déformations artificielles du crâne 534 De Mortillet. — Les Bohémiens de l'âge du bronze 537 Broca. — Répartition de la langue basque 539 Hovelacque. — Discussion sur la répartition de la langue basque 544 Girard de Rialle. — — — — 545 G. Lagneau. — — — — 545 De Quatrefages. — — — — 548 Prunières. — — — 548 Broca. — — — — 548 Hyde Clark. — Note préliminaire sur la classification de la langue des Akkas et des Pygmées de l'Afrique 551 E. Dally. — Présentation de photographies 551 J. Assezat. — Recherches sur les proportions du squelette de la face 551 Hovelacque. — Discussion sur les proportions du squelette de la face 551 Broca. — — — — 559 Dupont. — Sur l'époque quaternaire 559 De Mortillet. — Discussion sur l'époque quaternaire 560 Dupont. — — — 568 Paul Topinard. — Des proportions générales du bassin chez l'homme et dans la série des mammifères 562 Augier et Julien. — Sur les angles occipitaux et basilaire 566 Abel Hovelacque. — Contribution à l'étude de l'occipital 577 Bertillon. — Discussion sur l'étude de l'occipital 581 Lagneau. — — — 581 Chauvet. — Sur un tumulus dolmen de la forêt de Boixe (Charente) 595 Broca. — Remarques à propos de la communication précédente 596 Dr Prunières. — Sur les crânes perforés et les rondelles crâniennes de l'époque néolithique 597 1328 TABLE DES MATIÈRES Broca. — Discussion sur les crânes perforés 635 Vogt. — — — 637 Chil. — — — 637 Girard de Rialle. — Discussion sur les crânes perforés 637 Ollier. — — 637 Prunières. — — 637 Bf.rtillon. — La démographie du département du Nord 638 G. Lagneau. — Discussion sur la démographie du département du Nord. . . . 647 G. de Rialle. — De l'anthropophagie ; étude d'ethnologie comparée 648 Vogt. — Discussion sur l'anthropophagie 674 G. Lagneau. — — — 674 Broca. — — — 676 Girard de Rialle. — Discussion sur l'anthropophagie 675 Bertillon. — — 675 Gosselet. — Présentation de crânes 677 Broca. — Remarque à propos des crânes présentés 677 G. Lagneau. — — 677 Jules Talrich. — Présentation de bustes de Cafres . 678 Chaplain-Duparc. — La grotte de Sordes 678 Prunières. — Remarque sur la grotte de Sordes 678 Edouard Piette. — Histoire de la cuiller 679 Broca. — Discussion sur l'histoire de la cuiller 683 De Guerne. — Sur l'âge de la pierre dans l'arrondissement de Douai 685 P. Broca. — Sur l'indice orbitaire 686 Hoyelacque. — Discussion sur l'indice orbitaire 692 Broca. — — — 692 12e Section. — Sciences médicales. Bureau 693 Dr Gayral, père. — Présentation d'instruments 693 Dr Wannebboucq. — De l'entérite interstitielle (entérite pseudo-membraneuse) et particulièrement du siège et de la nature de cette affection 694 Dr E. Leudet. — Des symptômes et de la marche de l'alcoolisme dans la classe aisée 719 Dr A. Paquet. — De l'emploi de l'aconitine contre les accidents graves consé- cutifs au traumatisme 729 Dr Cuignet. — Des suites de fractures des membres par projectiles de guerre.. 737 Dr Ollier. — Discussion sur les suites de fractures par projectiles de guerre. . 746 Dr Laussedat. — — — . . 747 Dr Giraldès. — — — . . 747 Dr Testelin. — — — . . 747 Dr Verneuil. — — — . . 747 Dr Trélat. — — . . 748 D' Cuignet. — — — 749 Dr H. Foi.et. - Contribution à l'étude de la résection du poignet 750 D' Ollier. — Discussion sur la résection du poignet 757 Dr E. Lantier. — Conservation des membres blessés par armes à feu perfection- nées pendant le siège de Paris et dans les grands traumatismes en tout temps. 758 Dr Tripier. — Expériences sur la production du rachitisme 761 Dr Verneuil. — Discussion sur la production du rachitisme 763 Dp HouzÉ de l'Aulnoit. — Amputation sous-périostées 764 Dr Ollier. — Discussion sur les amputations sous-périostées 775 Dr Giraldès. — — — 775 Dr HouzÉ de l'Aulnoit. — — — 775 Dr Ollier. — Des résections et ablations des os du pied 776 Dr Giraldès. — Discussion sur les résections et ablations des os du pied . . . 796 Dr Ollier. - — - 796 TABLE DES MATIÈRES 1329 D" Courty. — — — 7!)g Dr Laussedat — Présentation d'un programme de congrès de sauvetage 797 Dr Ch. Pellarin. — Sur le mode de propagation et la prophylaxie du choléra épidémique. — Examen des apports respectifs à la solution de cette question. 797 D' H.-N. Dransart. — Opérations du blépharophimosis, procédé spécial. . . . 808 — Pathogénie des tumeurs et abcès urineux, théorie hémorrhagique* 811 Jules ïalrich. — Présentation d'une série de modèles anatomiques en cire, faits pour l'École de médecine de Lille 813 Dr E. Seguin. — Sur l'établissement de l'unité dans les instruments, échelles et tableaux d'observations médicales 813 D' Marey. — Discussions sur la communication précédente 815 Dr Warlomont. — — — 815 D* Séguin. — — — 815 Dr Verneuil. — — — 815 Dr de Sinéty. — Sur quelques points de la physiologie de la glande mammaire et de la lactation 815 Dr Gayet. — Application de la méthode d'Esmarch à des plaies artérielles des membres 820 Dr Viennois. — De la supériorité de l'immobilisation sur la résection de la han- che dans les coxalgies supputées; inconvénients de la résection, rareté de ses indications 821 Dr Verneuil. — Discussion sur la communication précédente 826 Dr Giraldés. — — — 826 Dr Ollier. — — — 823 Dr Laussedat. — — — 827 Dr E. Dally. — Les contractures et les contractions pathologiques 827 Dr S. Pozzi. — Sur les causes de la mort subite dans l'extirpation des polypes naso-pharyngiens et sur le pronostic de cette opération 835 Dr Donders. — Dissociation dans le sang et dans les tissus 842 Drs àrloing et Tripier. — Recherches sur la sensibilité récurrente 846 Dr J. Bouteiller. — Ma pratique obstétricale 856 Dr V. Trélat. — Sur les angiomes douloureux 855 Dr Courty. — De la rétroflexion de l'utérus 857 Dr Raillard. — Climatologie comparée 877 Dr Landowski. — Du koumys et de son rôle thérapeutique 885 Dr Colrat et Toussaint. — Bruits de souffles artériels multiples 912 Dr J. Giraldés. — Sur un point du traitement de la périostite phlegmoneuse diffuse 913 Dr Wannebroucq. — Note sur l'anatomie pathologique, la nature et le traite- ment de la coqueluche 915 D' Marc Sée. — Sur le fonctionnement des valvules auriculo-ventriculaires du cœur 918 Dr Chauveau. — Discussion sur le fonctionnement du cœur 923 Dr Marc Sée. — — 921 D' Verneuil. — Des névralgies traumatiques secondaires précoces 922 Dr Cazin. — Tumeur fibreuse sous-péritonéale, dystocie, opération césarienne. 943 Dr Parise. — Désarticulation de l'épaule 944 D' Chauveau. — Contagion de la tuberculose 943 D' Pellarin. — Discussion sur la contagion de la tuberculose 944 Dr Chauveau. — — 945 Dr Cazeneuve, — — 945 Dr Cuignet. — Kéraloscopie par éclairage direct 946 Dr Parise. — Présentation d'un crâne 950 Dr Perroud. — De la phlhisie des mariniers dans le département du Rhône, et spécialement à Lyon 950 D'A. Favre. — Recherches cliniques sur le daltonisme . 952 1330 TABLE DES MATIÈRES Dr Laroïenne. — Présentation d'appareils 957 Dr Moser. — Quelques mots sur la médication thermo-résineuse 957 Dr Duriau. — La scrofule aux bains de mer du Nord 959 4e GROUPE. — SCIENCES ÉCONOMIQUES. 13e section. — Astronomie. Bureau 965 Barral. — Rendement du blé en 1874 965 P.-P. Dehérain. — Recherches sur la germination 966 Barral. — Discussion sur la germination 967 A. Roussille. — Détermination de la valeur agricole des phosphates fossiles. . 967 Barral. — Discussion de la valeur agricole des phosphates fossiles 969 Roussille. — — 969 Corenwinder. — — 969 Dehérain. — — 969 A. Ladureau. — Sur l'utilisation des résidus laineux des fabriques de Roubaix et de Tourcoing 969 Boutet. — Observations sur la révision du cadastre. — Améliorations de la santé des travailleurs agricoles par l'emploi des machines à battre 973 Corenwinder. — Expériences sur l'origine du carbone des plantes 974 Mémer. — La pulvérisation au point de vue agricole 974 P. P. Dehérain. — Recherches sur la respiration des végétaux 975 Wartelle. — Discussion — — 975 Nottklle. — Sur le phylloxéra 976 de la Blanchère. — Utilisation des plumes de volailles 976 Barral. — Sur le guano 977 Corenwinder. — Discussion sur le guano 978 P.-P. Dehérain. — Action de l'azote atmosphérique dans la culture 978 J. Landron. — Expériences agricoles et essais chimiques sur les plantes saccha- nfères 979 Corenwinder. — Discussion sur les plantes saccharifèrcs 987 Houssaine. — — 987 Péligot. — Sur la composition de la betterave 988 Corenwinder. — Discussion sur la composition de la betterave 989 Pésier. — — 989 A. Baudrimont. — Expériences sur la vigne mise en présence de divers agents. 991 Corenwinder. — Présentation d'échantillons de phosphates fossiles 995 14=e section. — Géographie. Bureau 994 Commandeur Negri. — La Birmanie 994 Dr Hureau de Villeneuve. — La Birmanie au point de vue du commerce. . . 995 Levasseur. — Discussion sur la Birmanie 997 Abbé Durand. — — 997 Dr Hureau de Villeneuve. — Discussion sur la Birmanie 997 Bacmevielle. — — Levasseur. — La carte de France du ministère de l'instruction publique . . . 997 Abbé Durand. — Essai sur l'orographie du Brésil 998 Laussedat. — La nouvelle carte de France d'Erhard 100"> Abbé Durand. — Présentation d'une carte géographique 1006 Général Ibanez. — Carte de la triangulation de l'Espagne. — Première carte géodésiquc d'Espagne 1006 Laussedat. — Sur la nécessité de connaître les étymologies et significations des noms géographiques 1008 Abbé Durand. — Les explorateurs du centre de l'Afrique 1009 TABLE DES MATIÈRES 1331 Hureau de Villeneuve (Mmc). — Le beau idéal chez les différents peuples. . . 1019 Ludovic Martinet. — Le pôle austral - 1021 Abbé Durand. — Présentation d'un atlas 1023 Levasseur. — Sur l'enseignement de la géographie 1024 Abbé Durand. — Les cataractes du San Francisco brésilien : Paulo Affonso . . 1024 Dr Hureau de Villeneuve. — Application des appareils aériens à la géographie. 1029 15e section. — Economie politique et statistique. 1030 Bureau 1030 Nottelle. — Importance de l'économie politique dans les conditions modernes. 1031 Ch. Limousin. — Discussion sur la communication précédente 1034 Nottelle. — — 1034 d'Eichthal. — — 1034 G. Renaud. — — 1035 Ménier. — Du rôle de l'impôt dans la production de la richesse 1035 HouzÉ de l'Aulnoit. — Discussion sur le rôle de l'impôt 1046 Ménier. — — 1046 Demongeot. — — 1046 G. Renaud. — — 1046 Le Hardy de Beaulieu. — — 1047 d'Eichthal. — 1048 Ch. Limousin. — — 1048 G. Renaud. — Régime général des chemins de fer 1050 A. Demongeot. — Rapports linanciers de l'Etat avec les grandes compagnies de chemins de fer 1062 Le Hardy de Beaulieu. — Discussion sur les chemins de fer 1070 d'Eichthal. — — 1079 A. Demongeot. — — 1079 Alglave. — — 1079 Levasseur. — — 1082 Dubar. — — 1082 V. Bouhy. — Production et consommation de la houille 1084 Hippolyte Meunier (Mmc). — Notes sur l'éducation de l'enfance 1099 Nottelle. — Discussion sur l'éducation de l'enfance 1109 J. Lefort. — Des rapports de l'économie politique avec le droit civil .... 1109 Nottelle. — Discussion sur l'économie politique et le droit 1118 J. Lefort. — — — 1119 Ch. Breul. — Note sur la propagation des études économiques 1119 A. HouzÉ de l'Aulnoit. — Statistique du paupérisme et des secours publies à Lille 1122 Levasseur. — Discussion sur le paupérisme à Lille 1131 A. HouzÉ de l'Aulnoit. — Discussion sur le paupérisme à Lille 1131 Ch. Limousin. — — — 1132 J. Lefort. — — — 1132 Nottelle. — — — 1132 Dr HouzÉ de l'Aulnoit. — Des caisses de secours en faveur des mères nour- rices travaillant dans la grande industrie 1132 Dr HouzÉ de L'Aulnoit. — Le passé et l'avenir des caisses de secours militaires et les avantages de leur fonctionnement dans les bataillons de l'armée territoriale 1136 Ch.-M. Limousin. — Les sociétés coopératives 1141 Nottelle. — Discussion sur les sociétés coopératives 1155 133^ TABLE DES MATIÈRES PREMIER GROUPE. — SCIENCES MATHÉMATIQUES. 1" et 3e Sections. — Mathématiques, astronomie, géodésie, mécanique Bureau H^> Sïlyester. — Des systèmes articulés. — Instrument réciproeateur du colonel Peaucellier. — Description des courbes et surfaces algébriques par le moyen des lignes articulées Il**" Dp Marey. — Du moyen d'économiser le travail moteur de l'homme et des ani- maux 115' E. Catalan. — Sur les surfaces orthogonales. — Sur la méthode des moindres carrés. — Sur un lieu géométrique 1165 Em. Lemoine. — Notes sur les propriétés du centre des médianes antiparallèles dans un triangle (suite) H65 A. Mannheim. — Sur la surface de l'onde ' H68 Souillart. — Déplacements séculaires des plans des orbites et des équateurs dans le système solaire I H74 Marcel Deprez. — Théorèmes relatif à l'influence de l'espace nuisible des ma- chines à vapeur, moyens de supprimer cette influenee 1174 E. Catalan. — Sur l'hélice tracée sur un cylindre droit dont la base est une chaînette 117* O.-J. Broch. — Sur la représentation graphique des nombres complexes . . . 1174 A. Mannheim. — Propriétés relatives à un faisceau de plan qui est mobile. . . 1176 Laussedat. — Sur la télégraphie optique H79 Général Ibanez. — Travaux géodésiques et topographiques de la carte d'Es- pagne Marquis J. Ricci. — Sur les opérations géodésiques effectuées en Italie. . . . 1180 Ed. Colligno.v — Méthode géométrique d'évaluation de certaines intégrales doubles 11^3 Marcel Deprez. — Sur un instrument intégrateur 1:202 H. Picquet. — Sur le centre des médianes antiparallèles 1203 Des invariants communs à deux fonctions quadratiques, homo- gènes à deux, trois ou quatre variables 1205 Laporte. — Sur les méthodes probables de Fermât 1236 Liste des travaux imprimés envoyés au Congrès 1237 CONFÉRENCES. pAYE. — Le prochain passage de Vénus sur le soleil. . . 1239 G.Tissandier. — La météorologie et les aérostats 1256 Laussedat. — Sur la télégraphie optique 1267 EXCURSIONS. Excursion à Boulogne 1293 — — Roubaix et Tourcoing 1296 — — Anzin et Denain 1304 Explication des planches du docteur Pozzi, anomalies musculaires. ...... 1311 Table analytique 1313 LILLB. — IMPRIMERIE DANBL Association Française PL I. E.DU R1EUX_0AZ AUX HYDROCARBURES. Association Française [II . PI. II Fi5, 1. Valeurs simultanées du poid3 par cni d'une corde.de sa tension et du son qu'elle rend Fi§ 2. Sol a L trait de cuivre q. .g 1 5> V' / T ;; / * i ::: x&ax-X. _,..,,--, --,0.1.- 1/ t ./...-L./.-l ... il. lî. 0 , â a , Poids dr i'" de boyau en grammes- 3 Col â 2 ou 3 ' O Poids de im de boyau en prammej- H-ïfeaï î i,S-,ijt.-.!l/ -,4^-L ! ,E' •■' ^ ^ ,'^ t ' ' - /t>\ a. yxxxix.jix --#------- .^,±: ^'i..:.... * ' /..X....L a. H. Fiô. 4*. Sol a 1 trait darôent ù ù Fi§. 5 . Sol a 2 ou 3 traits d'aroent u 0 Poids de jm de ooi/att en grntnmes Fiô. 6. Re a 2 traits de fer t. -S "■ ■ /. x vï s! >" "' _ ■ -y-y j \Vi~:x:/\ s / i :::::; !;]»;l;î:i tj.I ,'., z * ,4' V -, -^ --<- ' ./- <7-4>..„-—~- .'../.../...s. _/__/___/- i /___/_ A./...,. . ... -*,ztt- '¥2 tX' ■* :::::::::! \\y:,i£t . ;' $ Ut 1 ! -, ....,, L $'»> u\t i ttt,?-Zi*y~t- il ... /i 1. Èî»a. J. , ?, ' 4 j .... ^ A.t.tl'ï.\i ^ \/.;''i.t'i........ N lJX'X. 'i't '.,........ 4- -i — ... — I- »iXi...........i. Poids de / "' de boyau en or . Poids de jm de bot/au en i/r. Fhonoscope Poids de /"' de boyau en or. y tgj y ^t-, i <-1K ! j 20 j 1 _„ ] 33 . J 7 Elévation Fiû.8. Coupe suivant XY ff U CT Fio. 9, Plan ù PLASS1ARD _ TABLEAUX GRAPHIQUES POUR LE VIOLON prament eçal _ Diapason officiel _ Distance ,: i m chevalet - om33 AsS' icial . i T. 111 PL. III. '"^V. 10 Imp .B ecouet, Paris . E . PIETTE . _ NOUVEAUX GENRES DE GASTÉROPODES . l_3. Enstoma tubcrculosa 4 _ 6 . Ditretus rostellaria. 7_9. Petersia cjracilis . P qmrandi . 10 h, Petersia clathrata. 12. P elonqata. 13_14. BracPiV tréma turbmiformis I5_i7. B. Cotteaui V <6 C o o o en i — t w I — I O 00 1=) P < O 2 O o _q ià\m?k Mesnel M D!' SAMUEL PÛZZI J5 c /'■, m/ y> c". De la valeur des anomalies ■M. i l ùê T. III PL .VIL ^.. :■■-.•■ .[-.:;^:^'.-,,.. H i Imp^ÈecijueC. Pins p iculaires au point de vue de l'Anthropologie Zoologique Association I1; aise m Fig.i Mesnel Lit h Fig.2 Dr SAMUEL POZZI De la valeur des anomalies I VI Fig.3 Imp Brrt/ui! /'*;..• p i» usculaires. au point de vue de l'Anthropologie .l'ooloCMoue. ' : social ise . C Imp .B ecauetPari s . E.PIETTE.__ HISTOIRE DE LA CUILLER. Cuillers néolithiques eu Icvre . Association Française ] III P] ' 1 . ■:■■ ■■ ■>; -£dd .B ecauet, Paris . E . PIETTE . __ HISTOIRE DE LA CUILLER . Acre du Renne . Lise i 2 m m >?■>,/. 5 ! ' 1 '- [i'\ ■ J,,».'i : ■ Ni ¥ Imp.Becquet, Paris . E . PIETTE._ HISTOIRE DE LA CUILLER. Cuillers en os ( âge du Renne. ) Association Française. N?l Nombres premiers complexes w\ 351 201 0123*58789 10 N°* Module 1 .+ 1 ■ ■ ; I DL i ■ « m m m ««■MSI i m ; ■ ■ m. m N?5 Module 2+ 1 i N?6 Module 3+ Oi ■ : ■ ■ ■ e*x ... - p . ^ - .- m NVll Module 6+ li N°12 Module 6+ 5i N°13 Module Gra.vé par L Sonnet O.J. BROCH.R T. III. J\ XI! ^?2Nombres premiers complexes de M'.ThiMrdel openhague N?3 Restes quadratiques Module 17+ Ri de MTThièle de Copenhague fcrhn m »°" Module 3+ 2i N?8 Module *+ H N?9 Module 5+ 2 i lit h i; .t. 1 H m a w N?10 Module 5 + 4- rT~TT * i 'j '■*■ > T La u..pri-i ^ I. !.. r -Oi N°l* Module 7 + 2i N°15 Module 8+ 3i HX] 1 fi-';t T~,;. i l^i-JH -i i H: N°16 Module 8 + 5 i ni Paris Irnp Becquet ésentaticm graphique des nombres complexes /ASSO *oi 201 101 9i 81 ii ei si *i 31 21 c ■. ■ ',- t N°4- NV 11 3 Grave j A s s o ciati o n Fr an ç ai se . N?17 Modale 8 + 7i -U ! J ... ; pi ■ OÉJ \:MaM :~î:t -H- ..'..„. . .:. .S...S,..|;.,.:; . — V-T - r- > | - pJ-^4—, CII ±M m H n TKM S±E±i':t-\S± N" 18 Module 9 + + i •'TTTT~T -tag—r-*-" ■ - — H * r : M l r+-f; J j. ' Sf i±...}ïfJ t_i. ■±ti£- • x: N°21 Module 10 + 7i a^rq^x HH- Tir HH- fttt ; ' ' nt"'"f'i-; : "^l", , : «g 4t -j — : ■■■î ■■ ■*■■"*■ -'^ j ^-,,,j r..j,...?...j.'.j -;■■,;, ,1, -i f— Î-4- -, •'- ; -'-- ; - 1J 4 N9-25 Module 11 +6i i su i — wyffl i~7!fà — i — ri — ; — naaij^a m N°26 Module 12 + 7i 1 -V- -*-***' U. L,: : ... fc r i !.. i_.r , t--'-* ■• É~i Lî.:i Gravé pdr I. Sonnet 0. J. BROC H, Représentation X" 19 Module KM I <~\^>:~- M 3 'iT 'Ift'H pn : ;.:.;i; I Tl j_^ t.n,.|.. LX N° 23 Module 11 rrr^™ 4 d LJ3 ; ..-, t. ! " i 1H L.VZkl. ,.'... i. i .;. H ; !, .i !.. zox: T. III. P XMI. N°20 Mo.lul- 10+ .S : r r-fl N«?2* Module 11 + 4-i Ci- I.1J N°27 Module 13+2i I '"'■ \"'~l '~Wf~l t/A 1 — I — T~T~Wi — I — I — WZZ\ — i — WH •4 -I...;-: îfei •4— T iJB- . .... . T'i"Ti'J' " ^ ■*~r~f~i-- -—H -:. *±r tilit *n ■~!'~: L.: T et m t.j Lî: brf; hique des -nombres complexes N°28 Module 13 + 8i -i_i— i- »- -■-' • l ! I.J • ■ [,' j L2 L ~ ■ T ? T' ■ î ■ i ■ : î t i r ! ■ ■{■ c n ■ t , - i i i '•f"t '"T"J ™"r~î*^~fT"7 -H *-*-- ^-f-t- .'■ vi''\'H H ' ■'•'■ ,^^'1"5*t~t'. ' U-*J4,4 -i— yf-f- j"';....] i— 4-4- •-I ~î-! eh }— t : t ±i L14J «■Kl/4viv.')H ' ■ ' H'4 l": H fTT%r o ; KÉÉ3 i : trtrï m ' ' 1-4-1 -i J'-i I11") -i 4 -i- Vf"! ^ } ,1""! Tt~^ ' \ ~ f4 ; - +~h i-44:-1 4 LJ. E. -- hr d r.-1 f-..y-«l 1 Paris Imp Bectjuet Association Français? ITALIE Réseau Géodésique delTOpdpe > Provinces Méridionales Ephelle: