mmmétmmtmm ipMMtMWinaWM mmmmmnm ÉaMtMMMMMMlMIMMMPMBMPMMSSt ASSOCIATION FRANÇAISE POUR L'AVANCEMENT DES SCIENCE "S 21! SESSION PAU 18B2 ] ' ! J iiMiÉ>aaiii>miBiiifcrf^M<. De même le mouvement du point m' est identique à celui de la projection sur OX du point b, qui parcour- rait avec la même vitesse angulaire w la circonférence décrite du point 0 comme centre avec OB pour rayon. Et si les deux points mobiles partent simultanément des points A et B, les deux points directeurs a et 6 seront constamment situés sur un même rayon OP, animé de la vitesse w autour du centre 0. Dans ces conditions, les deux points mobiles arrivent à la fois au point 0, et le choc a lieu. Les vitesses simultanées des deux mobiles sont égales en valeur absolue au produit de m par les ordonnées am, bm' des deux points directeurs. En arrivant en 0, ces \itesses sont donc propor- tionnelles aux ordonnées Oa, 0,3, c'est-à-dire aux rayons a et 6 des deux cercles. Le centre de gravité G des deux points a un mouvement identique à celui de la projection du point g, parcourant uniformément la circon- férence de rayon OG; à l'instant oh le choc a lieu, la vitesse u du centre de gravité est donc proportionnelle à Oy. Comme le choc n'altère pas le mouvement du centre de gravité, le point directeur g continuera à par- 4 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GKODÉSIE ET MÉCANIQUE ■courir avec la même vitesse w le cercle OyC; tandis que les vitesses i-elalives des deux points par rapport à leur centre de gravité, représentées sur la ligure par les différences av, py» changent de sens, ce qui revient à relourner bout pour bout la droite afi, en la faisant pivoter autour du point lixe y. En définitive, le choc amènera le point directeur a de a en a', et le point directeur 6 de [3 en 8' ; après quoi la loi du mouvement des deux- points se retrouve la même qu'auparavant. Le mouvement de m sera réglé par celui d'un point décrivant la circonférence de rayon Ox'; la limite de l'excursion du point m vers la gauche sera donc le point A'. De même le point m' sera dirigé par un point parcourant uniformément la circonférence p'B'p", décrite de 0 comme centre avec 08' pour rayon; le point B' est la limite extrême de son excursion. On peut observer qu'on a A'B' — AB. Un second choc a lieu au point 0, quand les deux points, après leur excursion aux points A' et B', reviennent au centre avec des vitesses pro- portionnelles aux ordonnées Oa" et 0,8". Le mouvement du centre do gra- vité n'est pas altéré; mais les vitesses relatives changeant, la droite a"i3" doit être retournée bout pour bout autour du point y', ce qui ramène les points a" et ,8'" sur les circonférences de rayon OA et OB, que les points directeurs décrivaient d'abord. Les deux points m et m' reprennent donc les vitesses qu'ils avaient à leur premier passage au point 0. mais dirigées on sens inverse, de sorln quils retournent dans le même temps à leurs points de départ primitifs, A et B. Le mouvement des deux points est donc une oscillation de A en A' pour le premier, de B en B' pour le second, avec changement brusque de vitesse au passage du point 0. Si l'on pose OG = c, OA' =: a', OB' -- 6', on aura ma -4- ni'b c = -, m -\- m a' = lc— a, b' = ^\ le point m', parti de B, aura pour vitesse v' = — s/'ig >< RR- Appelons a et h les arcs OA et OB. mesurés sur la courbe. On aura V -Va' c'est-à-dire et -a 2T 2T de sorte que l'on retrouvera les conditions mêmes du problème précédent en posant o> =: ^— • Par conséquent, le point m, après le choc, remontera en un point A' de la cycloïde défini par l'arc OA' =: a'; le point m' remontera en un point B' défini par l'arc OB' — 6' ; et les deux points parviendront si- multanément aux points A' et B' à cause du tautochronisme de la courbe. 0 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Des points A' et B', où ils arrivent sans vitesse, ils retomberont simul- tanément au point 0, où ils se choqueront pour la seconde fois ; et ce second choc les fera remonter, l'un en A, l'autre en B, c'est-à-dire à leurs points primitifs de départ; de sorte que leur mouvement sera une excursion de A en A' et de A' en A pour l'un, de B en B' et de B' en E pour l'autre, avec choc mutuel des deux points à leur passage au point 0. L'arc A'B' est égal à l'arc AB. De plus, si l'on détermine les positions G et G' des centres de gravité des deux masses m et m! dans la position AB, puis dans la position A'B', ces deux points G et G' seront à la même hauteur, et la droite GG' sera horizontale. En effet, le produit {mg -\- m'g) >< GS représente le tra- vail moteur de la pesanteur sur les deux corps m et m' tombant ensemble de A et B en 0; de même {mg -\- m'g) >< G'S' est, au signe près, le travail résistant de la pesanteur lorsque les deux masses, après le choc, remontent simultanément du point 0 aux points A' et B'. Puisqu'il n'y a pas de perte de force vive par suite du choc, d'après notre hypothèse de l'élasticité parfaite, les deux travaux doivent être égaux. Donc GS = G'S'. Le cas particulier où le point m' serait primitivement placé au point le plus bas de la courbe, et sans vitesse, mérite d'être examiné séparément. On aurait alors r' r^^^ C 6 = 0, -^_, G^ ^^^ ma O 1 m -j- »' a' ='2c — a, b'= 2 c. S' D S P' Fia. 3. P X Supposons que m soit moindre que w'; { alors c sera moindre que - a, et a sera négatif; le point m rétrogradera après le choc en A', pendant que le point m' , parti du repos, remontera en B' à la distance curviligne OB' = 2c. Au second choc, les deux corps se retrouveront en présence en 0 ; mais là le corps m' perdra toute sa vitesse et restera en repos, pendant que le corps m remonte en A et en redescend, c'est-à-dire pendant une durée égale à T; de sorte que, .dans ce cas particulier, le point m. descend de A en 0, remonte de 0 en A', redescend en 0, puis remonte en A, et ainsi de suite alternativement. Pour le point m', il monte en B', puis redescend en 0, pendant KT). COLLIGNON. — PIÎOBLE.MES SIR LES f.ORPS FLOTTANTS / T deux périodes égales chacune à -; après quoi il stationne au point 0 pendant le temps T. On a encore arc OA = arc A'B' et GS = G'S'. Enfin, si l'on a m = m', les stationnements au point 0 sont alternatifs pour les deux points, et l'on retrouve l'expérience connue des cours de physique, où l'on opère sur deux boules d'ivoire égales, formant pendule circulaire. Les résultats obtenus pour lacycloïde s'étendent approximativement aux autres courbes symétriques par rapport à la verticale Ot/, et notamment à la circonférence; mais il faut alors que les arcs a, b, soient très petits, sans quoi la courbe n'est plus tautochrone, et les chocs peuvent n'avoir plus lieu au point 0. Il y a exception lorsque l'on a à la fois b = 0 et VI = m' ; car alors chaque point a à parcourir des arcs égaux de part et d'autre du point le plus bas, pendant que l'autre l'attend au point 0 ; de sorte que les chocs ont encore lieu en ce point. M. Ed. COLLI&IOI Inspecteur général des Ponts et Chaussées, à Paris. PROBLEMES SUR LES CORPS FLOTTANTS — Séance du 16 septembre 1892 — On sait que, lorsqu'un corps solide flotte à la surface d'un liquide, l'équilibre du corps exige qu'il y ait égalité entre le poids du corps et le poids du liquide déplacé, et que les centres de gravité du corps et du liquide déplacé soient sur une même verticale. D'un autre côté, la stabilité de l'équilibre est assurée si la fonction 1 — a\ est positive; V représente le déplacement, a la distance du centre de carène au centre de gravité du corps, comptée positivement en descendant à partir du centre de gravité, et I le plus petit des moments d'inertie de la section de flottaison par rapport à une droite menée dans son plan par son centre de gravité. La valeur positive de la différence I — aS mesure on quelque sorte le degré de stabilité du corps. Si l'on appelle S la section à la flottaison, h la profondeur moyenne 8 MATHÉMATIQUES. ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE de l'immersion, c'est-à-dire une hauteur telle que l'on ait V — S/«, p le rayon de giration correspondant au moment d'inertie I, on a identi- quement I — aV = Sfc^ — ah). Sous cette forme, on reconnaît qu'à égalité du volume V, c'est-à-dire à égalité du poids total du corps flottant, si l'on donne la densité du liquide, la slabililé croît en général à mesure que la section S augmente; car l'augmentation de S accroît le premier facteur; elle entraîne en outre une augmentation du rayon de giration p, en même temps qu'une di- minution de la profondeur moyenne h, et de la distance a des deux centres de gravité. Nous nous proposerons, dans cette note, de résoudre quelques problèmes sur la différence I — a\, considérée à un point de vue géométrique. Nous chercherons quelle forme il convient d'attribuer au corps flottant pour que cette différence soit constante à quelque profondeur que le corps soit immergé, soit que le corps flottant devienne plus lourd ou plus léger, soit qu'on le fasse flotter successivement à la surface de liquides de densités diff'érentes. Nous supposerons toujours que le centre de gravité du corps occupe dans ce système matériel une position connue d'avance. Rien n'exige, d'ailleurs, que le corps flottant soit homogène, et nous pouvons faire sur la distribution des densités entre ses différentes parties telle hypothèse qui sera nécessaire pour amener le centre de gra- vité dans la position que nous lui attribuons. Considérons le corps dans sa position d'équi- _^ X libre (fig. ■/). i Soit G son centre de gravité; par ce point nous f' ferons passer trois axes rectangulaires, l'un GZ ver- i iM tical, les deux autres GX, G Y horizontaux : 0 le centre de carène, ou centre de gravité du volume liquide déplacé, qui est situé sur la verti- à' cale GZ du point G, à la distance GO = s ; MN le niveau du liquide, déterminant dans le corps la section de flottaison ; V le volume immergé, compris entre le plan MN et un autre plan horizontal A A.', mené par le point le plus bas du corps flottant ; l la distance GA; z la distance GM ; S l'aire de la section faite dans le corps flottant par le plan MN, ou plus généralement l'aire de la section faite dans le corps flottant par un plan MN mené à la cote z au-dessous du point G ; ÉD. COLLin.XdN. — PliOlîl.KMKS Slli LES ColU'S FLOTTAMS 9 p le plus petit des rayons de giration de la section S par rapport aux droites menées dans son plan par son centre de gravité. Nous admettrons que le centre de gravité de cette section S soit situé sur l'axe GZ, et que la droite par rapport à laquelle le moment d'inertie est le plus petit, soit une parallèle à la droite GY, ce qui suppose : 1° que, dans toutes les sections horizontales, l'ellipse centrale d'inertie soit orientée de la même manière; 2^ que la droite GY a été menée dans le plan YGX parallèlement au pelit axe de l'ellipse centrale de toutes ces sections. L'aire S sera liée à la variable z par une équation qui dépend de la forme extérieure du corps. Le moment d'inertie I est égal à Sp\ Le produit aV représente la somme des moments par rapport au plan YGX des volumes élémen- taires Sch dans lesquels on peut décomposer le solide entre les plans MiX et AA'; on a donc rtV = / Szdz. De la condition qu'on s'impose I _ aV = H, H désignant une constante, on tire, en différentiant, (1) dl = d{a\) = — Szdz, équation qui contient la solution cherchée. Pour aller plus loin, il est nécessaire de faire quelque hypothèse sur la forme du corps flottant. L — Nous supposerons d'abord que les sections horizontales aux diffé- rentes cotes ^ soient toutes semblables et semblablement placées le long de l'axe GZ. S'il en est ainsi, il y aura un rapport constant entre l'aire S de la section et le carré f' du rayon de giration, qui joue dans les diverses sections le rôle de ligne homologue. On aura donc, en appelant À un rapport constant, S = Xp% et par suite I = Àc\ dl = iXfdp. L'équation (2j devient MpHp + l^/-.dz = 0. Elle se réduit à 4p(/p -f- zdz = 0 10 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE par la suppression du facteur }vp^ et par conséquent on a, en intégrant, 1 2p2 -f - ^2 _ constante — 2p^, en appelant p^ le rayon de giration de la section faite par le plan XGY, pour :; = 0. On a, en définitive, (2) f' = Pl-ï ^'- De cette équation, nous tirerons la valeur de la constante H := I — aV. On a en efTet 1 4 ' S = XI p,- 1 ^'■1 P; - 7 ^ --.rx^»-i-)— {^^'^'-t)^ donc enfin I — aV = H = X( p2 _ 1 (p^-ï/^M-^^' en appelant Ij le moment d'inertie et pi le rayon de giration de la section inférieure du corps, pour z = l. On trouve H = Ii, ce qui doit être, puisque la différence I — a\ se réduit à Ij à la base du corps, lorsque le volume V est égal à zéro. Lorsque le corps se termine inférieurement par un point unique, on a, par conséquent, Ij = 0 et H = 0. L'équilibre est alors indifférent, quelle que soit l'immersion, à l'égard de tout déplacement angulaire autour d'une parallèle à l'axe GY. L'équilibre est stable par rapport à tout autre déplacement. Revenons au cas général ofi H a une valeur positive quelconque. On peut démontrer que, dans ce cas, la coupe du corps par le plan XGZ est une ellipse. En effet, appelons x l'ordonnée de la surface dans le plan y = 0, correspondant à une valeur déterminée de s. A cette hauteur, nous avons pour la section horizontale un certain rayon de giration p, qui a avec la dimension x un rapport déterminé, à cause de la similitude admise. Soit donc p = [ix, p. désignant un nombre constant. Si l'on remplace p par cette valeur dans l'équation (2), on obtient pour l'équa- tion de la coupe cherchée (3) p^^^:=p2_l ^ 4 Kl). COLLIGNON. — PROBLÈMES SLU l.KS CORI'S FLOTTANTS 14 r ■ce qui représente une ellipse, dont les demi-axes sont - suivant GX, et 2sp suivant GZ. Appliquons ces considérations à l'ellipsoïde homogène dont la surface a pour équation 7.2 1/2 -2 ^2 ^ ,^2 n- ^2 La condition relative à l'homothétie des sections horizontales est satis- faite d'elle-même. L'origine est d'ailleurs le centre de gravité du corps. Nous supposerons m < », pour que le rayon de giration corresponde dans chaque section à l'axe de l'ellipse parallèle à GY. Pour une ellipse dont le demi petit axe est x, le rayon de giration par rapport à l'autre X 1 axe est égal à. - ; donc a = ^ ; et l'équation de la coupe par le plan XGZ est par suite 1 1 1 4 4 ' 0 4 ce qui représente un cercle de rayon m. Pour que ce cercle appartienne à la surface donnée, il faut et il suffit que l'on ait m = l, ou que l'ellipsoïde soit de révolution autour de l'axe GY. Il est aisé de le vérifier. On a, en effet, en faisant les opérations, T.m7i ' "■"'^'^'^ I - aV = ^- (m^ - l'^)\\ - -^ fonction indépendante de z lorsque l'on a m=l; elle se réduit alors à zéro, ce qui doit être, puisque la coupe horizontale de la surface à son point le plus bas se réduit à un point. Étant donné un corps flottant, dont le poids total soit P, et dont G soit le centre de gravité, si ce corps est dans un état d'équilibre indifférent, pour une immersion déterminée, on pourra toujours rendre l'équilibre stable, en enlevant du corps par un plan horizontal une tranche du volume immergé, sous les conditions suivantes : 1° Le plan sécant doit être tel que les centres de gravité des deux tranches du volume immergé qu'il sépare, soient tous deux situés sur la verticale GZ; 2° Le poids total P doit être diminué du poids du liquide correspondant au volume de la tranche supprimée; 3<» Enfin les poids des parties conservées pour le corps doivent être réglés de telle sorte, que le point G reste le centre de gravité de leur ensemble, comme avant la suppression. 12 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Dans ces conditions, le plan de flottaison reste le même, et I conserve sa valeur. On peut, d'ailleurs, remplacer le moment a\ par la somme a,Vi + o^V.,, en appelant Vi et V^ les deux volumes séparés par le plan sécant, et a,, a., les distances de leurs centres de gravité au plan XGY. On a alors l — a\ — \ — OiVi — a^Y, ^^ 0, par hypothèse, et par conséquent I — a,\\ flaV,, différence positive, qui assure la stabilité du corps lorsque le volume déplacé est réduit à la tranche conservée Yj . Prenons pour exemple l'ellipsoïde de révolution examiné tout à l'heure, lequel est en équilibre indifférent quel que soit son degré d'immersion. Supprimons à la partie inférieure le segment compris au-dessous du plan horizontal MM' (fm. 2); et, pour maintenir le centre de gravité au point G, enlevons aussi au corps le segment mN/n', symétrique de MCiM' par rapport au plan horizontal (W. Le solide ellipsoïdal compris entre les deux plans mm\ MM', sera en équilibre stable à quelque profon- deur qu'il s'enfonce dans le liquide, et la valeur de la constante H sera le moment d'inertie de la section inférieure MM'. Il est aisé de le vérifier par le calcul direct de la fonction I — aV. II. — Nous supposerons, en second lieu, que les sections horizontales soient, non plus semblables, mais affines, c'est-à-dire, que l'on puisse passer de l'une à l'autre en amplifiant dans un certain rapport les dimen- sions parallèles à Taxe GX, et dans un autre rapport les dimensions pa- rallèles à l'axe GY. Rapportons toutes les sections à celle qui est contenue dans le plan XGY. Soit S^ l'aire et I^ le moment d'inertie de cette sec- tion. Nous supposerons toujours que les variations des dimensions con- servent pour toutes les sections horizontales le parallélisme du grand axe de l'ellipse centrale d'inertie avec l'axe GX; que, de plus, la section S^ ait son centre de gravité au point G, ce qui fixe pour toutes les autres le centre de gravité sur l'axe GZ. Soit a le coefficient d'amplification des dimensions parallèles à GX; p le coefficient analogue applicable aux dimensions parallèles à GY. Ces nombres a et p sont des fonctions de z qui restent à déterminer. On aura S^S^Xû'P, 1 = I, X «'?, ÉD. COLLIGNON, — l'UOBLÈMES SUR LES CORPS FLOTTANTS 13 et réquation I — aV = H, devient, par la diti'érentiation, (4) I,^(a^fi) + S„ >< :Lpdz = 0. Comme nous n'avous qu'une équation pour lier ensemble les trois variables a, } et c-, nous pouvons imposer à ces variables une relation arbitraire. Dans tous les cas on doit avoir, pour z -{), x = \ et [i — i, pour qu'on retrouve l'aire S^, et le moment d'inertie I^ dans la section du plan XGY. Posons en désignant par y une fonction arbitraire. Il viendra, en substituant dans l'équation (4), ou bien, en divisant par P'j,(p) équation où les variables ;3 et - sont séparées, et qui est par conséquent toujours intégrable par quadrature, dès que l'on se donne la fonction 9. Faisons, par exemple, a = p'\ L'équation différentielle devient ou bien dont l'équation intégrale est -^^K.^ +^V - .2n ^«' en déterminant la constante arbitraire de manière que l'on ait ^ — 1 pour ^ = 0. Et comme a = ^", a sera déterminé par l'équation qui montre que les coupes du corps par des plans parallèles au plan ver- tical XGZ sont toutes des ellipses. La solution est contenue dans la double égalité (5) « = ?" = s/'-.3;rTïrf 14 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE l'' Si l'on fait n = l, cela revient à poser oc = [3, et l'on retombe sur l'hypothèse où toutes les sections horizontales sont semblables. 2° On peut se proposer de trouver comment doit varier a lorsque B est constant. 11 est facile de traiter la question directement; mais la solution est contenue dans l'équation (5). Il suffit d'observer qu'alors on a cons- tamment [3 =r 1, et que l'équation a = p", avec a variable, suppose n infini. On aura donc v/'-^i- 3" Si, au contraire, on veut que a soit constant et égal à 1, et [B va- riable, il faut faire n = 0, et alors l'équation (5) laisse p indéterminé. Mais l'équation différentielle d'où l'on tire l'équation (o) devient alors ce qui donne, en intégrant, Km + 1 s„.- = 0, en prenant la constante nulle pour que z =^ 0 donne [3 =: 1. On en déduit alors On voit ici que ,3 décroît très rapidement à mesure que z augmente. Il faudra limiter le corps à une profondeur telle, que le grand axe de l'ellipse centrale d'inertie des sections horizontales soit partout parallèle à l'axe GX. 4° Supposons enfin n =^ — 1, ce qui revient à admettre que les aires de toutes les sections horizontales soient équivalentes. Il viendra ^' a r= - =z i / \ '^ V Pi Prenons pour exemple particulier le corps qui a pour coupe, par le plan horizontal XGZ, un rectangle ABCD ; soit AB = 2m, BC = 2/<. On aura pour le rayon de giration de cette section, où l'on suppose "' T • m <, », p^ — — p. Les équations des coupes faites dans le corps par les v/3 plans XGZ et YGZ sont alors /] 3? , x = mK/ l = /m^ — 3vS V m^ ÉD. COLLIG.XO.N. — PROBLEMES SUR LES COUPS FLOTTANTS lo m équation d'une ellipse qui a pour demi-axes m suivant GX et — sui- vant GZ ; et y = nX. mn v'' 3z2 \/ m"" — 3z' m' équation d'une courbe du quatrième ordre, qui a pour axes les droites G"^' et GZ, et qui a pour asymptotes les droites s = m v/3 iv f . 7 t B ik "1 i '^i / K i i H' i i G 1 / Z G ■s X i i H Pj i "'" 'p E' 1 / / M G c.\\ : F' i C Pi iE X *■ Z F P2 FiG. 3. — ABCD, rectangle donné; — EFE'F', coupe par le plan prin- cipal XGZ; — LHK.L'H'K'. coupe par le plan principal YGZ ; — PP', QQ'> asymptotes de la section ; — ka, B6, Ce, I)d, hyperboles constituant la projection sur le plan horizontal des cylindres construits sur les deux coupes. Les deux cylindres définis par chacune de ces équations se coupent suivant des courbes qui ont pour projections sur le plan XGY les deux hyperboles équilalères représentées par la double équation xy ^± mn, et qui passent par les sommets du rectangle donné (ftg. 3). En coupant ce solide par deux plans horizontaux P^, P.^ équidistants du plan moyen, et compris entre les deux asymptotes PP', QQ', on assu- rera au corps la stabilité, quel que soit son degré d'immersion dans le liquide. 16 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MECAMQUE III. — \ous chercherons, en dernier lieu, quelle est la surface de révo- lution à axe vertical, qui assure au solide qu'elle renferme une stabilité déterminée à toute hauteur (fia- V- Soit AB le rayon r^ du parallèle inférieur de la surface, BiNC la méridienne, que nous définirons par la relation entre le rayon r du parallèle et la hauteur s mesurée sur la verticale AZ. Le centre de gravité (1 du corps est supposé connu d'avance; il est situé sur l'axe de révolution à la hauteur AG = A au-dessus du parallèle infé- rieur. Soit MN le plan de flottaison. Cherchons la hau- teur J; = AO du contre de carène 0 au-dessus du même plan. Nous aurons dz Jo et a = h — ». Le volume V du déplacement est d'ailleurs l'intégrale Jo et le moment d'inertie de la section MN est - Tir'*. Donc 4 = 4 "-•'" h — ih i 'r-dz- -f - f'r-z.dz = H, vfo Jo H désignant une quantité constante. Telle est l'équation de la méridienne. Différentions, pour faire disparaître les signes / , puis divisons par izr\ 11 viendra rdr — hds -j- zdz = 0, ce qui donne r^ — -Ihz -\- z"^ -^ constante. F. niTTKii. — fka.m;.<»is viètk, inventeur de l'algèbre modeuxe 17 On doit avoir r --= r^ lorsque ^ =r 0. La constante est donc égale à r'I, et l'équation de la méridienne est en définitive r-2 _ 2hz 4- z' = r' I ij La courbe est un cercle, qui a pour centre le point r — 0, z h. c'est-à-dire le point G. Le solide cherché est donc un segment de sphère, mais il faut que le centre de gravité de ce segment soit au centre même de la sphère com- plète, ce qui exige, ou bien que la densité du corps soit variable suivant une loi déterminée, ou bien qu'on enlève à la partie supérieure un seg- ment Cba, symétrique de celui que le plan AB retranche à la sphère à la partie inférieure. Si l'on prenait la sphère entière, en supposant le corps flottant homo- gène, la différence I — d\ serait partout nulle, et l'équilibre serait indifférent. M. Frédéric RITTER Ingénieur en clief des Ponts et Chaussées, à Pau. FRANÇOIS VIETE, INVENTEUR DE L'ALGEBRE MODERNE (esquisse biographique) — Séance du 16 septembre 189! — En 1847 François Arago s'adressait à mon ami Benjamin Fillon, l'éminent archéologue de Fontenay-le-Comte et lui demandait s'il possé- dait quelques documents sur François Yiète ; il ajoutait : « Il est honteux qu'aucun savant ne se soit attaché jusqu'à ce moment à écrire la vie de Viète. » L'intention de l'illustre secrétaire perpétuel dé l'Académie des Sciences était sans doute de consacrer au grand géomètre du Poitou une de ses remarquables notices ; mais, à ce moment, les documents faisaient défaut et quelque temps après, Arago, mêlé aux événements politiques, ne songea plus à donner suite à son projet. Il n'est pas dou- teux, s'il avait vécu dans le temps présent où l'on est si prodigué de statues, que, honteux de ne voir dressée sur une des places de la capitale 2* 18 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE du monde civilisé l'image de l'inventeur de l'Algèbre moderne, de l'homme de génie qui a eu, sans contredit, l'influence la plus décisive sur les immenses progrès accomplis d(^puis trois siècles dans les sciences mathé- matic[ues et dans leurs applications, il aurait fait payer par la France ce tribut de reconnaissance envers un de ses plus illustres enfants. C'est pour libérer de cette dette, la postérité oublieuse, que j'ai entrepris, il y a longues années, d'écrire la vie, jusqu'à ce jour ignorée, du grand géo- mètre, alors que les hasards de ma carrière administrative m'avaient appelé pendant quelque temps dans sa ville natale et que je lisais cliaquo jour son nom inscrit sur une plaque en tôle au coin d'un quai désert; c'était le seul hommage rendu par ses compatriotes inconscients, à un homme de génie dont la place est marquée entre Archimède, Descartes, Newton et autres grands inventeurs dans les sciences mathématiques. Mais pour connaître l'homme, il fallait connaître son œuvre, et c'est pour arriver à ce résultat que j'ai occupé le peu de loisirs que me laissaient mes fonctions publiques à traduire les œuvres complètes de François Viète et à recueillir les documents épars qui m'ont permis de reconstituer cette grande figure dont je vais tracer ici une légère esquisse, François Viète, sieur de la Bigotière, est né, en 1540, à Fontenay-le- Comte, alors capitale du Petit-Poitou. Son grand-père, originaire de La Rochelle, était venu s'établir marchand à Poussais, près Fontenay. Son père, Etienne Viète, était procureur au siège de cette ville et notaire du Busseau ; par sa femme, il était cousin de Barnabe Brisson, premier pré- sident du Parlement pendant la Ligue. Après de fortes études chez les Cordeliers, François Viète en lo58, se rendit à l'École de Droit de Poitiers, d'où il revint, à la fin de l'année 1539 bachelier et licencié es droit, occuper au barreau de sa ville natale une place où il fut immédiatement remarqué ; malgré ses premiers succès, la profession d'avocat, ne répondant pas aux aspirations d'un esprit de cette trempe, il acceptait en 1S64, l'offre d'Antoinette d'Aubeterre. dame de Soubise, d'entrer dans sa maison en qualité de secrétaire de son mari, Jean de Parthenay-l' Archevêque, l'un des principaux chefs du parti calviniste et l'adversaire le plus redouté de la famille de Guise ; mais avant de s'établir au manoir du Parc de Soubise, près Mouchamps, il accompagna Jean de Parthenay à Lyon pour y recueillir les éléments de son premier écrit, le récit du siège de Lyon, soutenu en 1563 par Soubise contre les armées du roi. .Vu Parc de Soubise le jeune secrétaire s'attacha à Catherine de Parthe- nay, demoiselle de Soubise alors âgée de onze ans et qui montrait pour les mathématiques une aptitude rare ; il lui enseigna les sciences et les lettres et ne contribua pas peu à en faire une des femmes les plus remar- quables de son temps, qui conserva toujours pour son maître en l'en- F. RITTER. FRANÇOIS VIÈTE, INVENTEUR DE l'aLGÈBRE MODERNE 19 coiirageant dans ses travaux mathénialiques. la plus profonde cl la plus affectueuse admiration. Il avait composé pour son élève quelques petits traités écrits en latin, qui ont péri en 1793 dans le stupide auto-da-fé des archives do la maison de Rohan-Soubise; seul, un petit traité de Géogra phie et de Cosmographie nous a été conservé par une traduction publiée en 1643. Passionné pour l'étude de l'astronomie et reconnaissant que VAlmageste de Ptolémée ne répondait plus aux besoins des astronomes, il entreprit de composer sur le même plan un traité nouveau sous le titre de : Harmonicum cœleste ; mais, avant toutes choses, s'imposait la réforme de la Trigonométrie et la construction de tables plus étendues et plus commodes que celles alors en usage. Il consacra à ce laborieux travail ses rares loisirs et une partie de ses nuits et il composa le Canon niathe- maticus, recueil de tables trigonométriques où, pour la première fois, on trouve en regard sur le même feuillet, pour un rayon égal à 100.000, la valeur des six lignes trigonométriques, de minute en minute ; et faisant suite au Canon, le Liber inspectionum, véritable aide-mémoire, qui ren- ferme, non seulement des tableaux donnant, pour la Trigonométrie sphé- rique et ivctiligne, sous forme de proportions, la valeur de l'un des éléments d'un triangle en fonction des deux autres, mais encore de nombreux résultats numériques pour la pratique de l'Arithmétique et de la Géométrie. La mort de Jean de Parthenay arrivée en 1566, n'apporta d'abord aucun changement dans la situation de François Viète; mais la dame de Soubise, dans sa hâte de perpétuer le nom de sa maison, avait marié en 1568, sa fille Catherine à peine âgée de quinze ans, à un gentilhomme breton, Charles de Quellenec, baron du Pont qui ne put s'accommoder du caractère autoritaire de sa belle-mère; d'où une rupture à la suite de laquelle la dame de Soubise se retira avec sa maison à La Rochelle au moment où Jeanne d'Albret, avec son fds Henri de Navarre, avait réuni en congrès les principaux chefs calvinistes ; c'est de cette époque que datent les relations de François Viète avec la famille d'Albret et avec le jeune roi de Navarre dont plus tard, lorsqu'il fut élevé au trône de France, il devint un des plus intimés et des plus fidèles conseillers. François Viète en 1570, avait trente ans ; conscient de sa valeur per- sonnelle, il se sentait né pour une situation autre que celle qu'il occupait dans la maison de Soubise ; son objectif était d'obtenir une charge dans la magistrature suprême et de faire imprimer son premier ouvrage. Une circonstance favorable à ses aspirations ne tarda pas à se présenter ; la dame de Soubise, trompée dans son impatience de devenir grand'mère, avait engagé sa fille dans un scandaleux procès en nullité de mariage que François Viète avec son sens droit, ne pouvait pas approuver ; dans ces conditions, il résigna ses fonctions de secrétaire et reprenant sa robe 20 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE d'avocat, il alla s'établir à Paris; là seulement, grâce à ses relations, il pouvait obtenir la charge qu'il ambitionnait et trouver un imprimeur assez hardi et assez habile pour vaincre les difficultés de l'impression du Canon matliémaliqw. Son séjour à Paris fut de quatre années, mais il n'en resta pas moins fidèle à s:i ville natale qu'il allait visiter fréquemment et où il faisait partie de l'Assemblée urbaine. A Paris, il fut promptement en relations avec les hommes qui dans le gouvernement, dans le barreau, dans les sciences et les lettres, occupaient les situations les plus élevées ; il s'y rencontrait souvent avec son élève chérie dont le triste procès allait se terminer d'une manière tragique, par la mort du baron du Pont, massacré dans la cour du Louvre pendant la Saint-Barthélcmy; avec Jeanne d'Albret, Henri de Navarre et Françoise de Rohan, dame de la Garnache, nièce de l'une et cousine de l'autre, dont il était devenu, pen- dant son séjour au Parc de Soubise, l'ami et le conseiller dans les procès (ju'elle poursuivait, déjà depuis plusieurs années, contre le duc de Ne- mours, qui, après lui avoir promis mariage en 1366 et l'avoir rendue mère, avait refusé d'exécuter ses promesses et avait épousé la séduisante Anne de Ferrare, veuve du duc de Guise. Il s'occupait de cette grave affaire et de l'impression de son livre par Jean iMettayer, imprimeur du roi, lorsqu'en 1573 il fut nommé conseiller au Parlement ^e Bretagne, où il ne fut installé qu'en lo74, quelques mois avant l'avènement du roi Henri III. Cette nomination établit que François Yiète, contrairement à l'assertion de quelques écrivains protestants, appartenait à la religion catholique dont les membres du Parlement devaient faire profession pu- bhque au moment de leur installation ; il était d'ailleurs, comme bien d'autres à cette époque si tourmentée, un sceptique en matière de religion, et cette inditierence explique- comment, ayant vécu dans un foyer calvi- niste aussi ardent que le Parc de Soubise, il n'avait pas abjuré la reli- gion dans laquelle il avait été élevé. Henri 111 que les historiens nous montrent, malgré son indolence et ses vices, si habile ù juger les hommes, avait été à même, par sa tante Jeanne d'Albret et sa cousine Françoise de Rohan, de connaître François Viète, d'apprécier sa rare capacité et sa haute intelligence pour mener à bonne fin les affaires les plus difficiles. Monté sur le trône, il le chargea immé- diatement de missions délicates et confidentielles; aussi ne paraissait-il que rarement au Parlement de Bretagne où sa présence était obligatoire pendant la session semestrielle, d'où remontrances et suspension de traite- ment, toujours annulées par la production de lettres patentes du roi auto- risant François Viète à ne pas faire son service. Ces missions étaient le plus souvent politiques, mais quelques-unes intéressaient plus particu- lièrement le roi qui avait pour Françoise de Rohan une grande affection. F. RITTER. — FRANÇOIS VIÈTR, INVENTEUR DE l'aLGÈBRE MODERNE 21 Aussi François Viète fut-il pour la dame de la Garnache un puissant auxi- liaire pour triompher en 1575, de la résistance de la dame de Soubise au mariage de Catlierine de Parthenay avec René de Rohan, frère de Françoise. Les poursuites acharnées, de juridiction en juridiction, jus- qu'en cour de Rome, de Françoise de Rohtin contre son indigne séduc- teur troublaient la quiétude d'Henri RI ; François Yiète, pour mettre un terme à une affaire aussi difficile et aussi délicate, trouva la plus habile et la plus incroyable transaction, toute à l'avantage de son amie et le roi, par lettres patentes, l'imposa aux deux parties. En récompense des services rendus et pour mettre un terme à sa situa- tion fausse au Parlement de Bretagne, Henri Hl attacha François Viète à sa personne en le nommant en 1580, Maître des requêtes de l'hôtel du roi. Depuis qu'il était entré dans la haute magistrature, chargé de missions qui le tenaient le plus souvent éloigné de Paris, il ne lui avait plus été possible de surveiller l'impression de son livre et de stimuler l'ardeur des ouvriers rebutés par un travail aussi ardu qu'insolite ; enfin, huit ans après avoir été mis sous presse, le Canon mathématique sortit, en 1579, des ateliers de Jean Mettayer. Malgré ses occupations pour le service du roi qui lui prenaient tout son temps, François Viète trouvait cependant quelques instants â donner aux mathémaliques ; il leur consacrait une partie de ses nuits. « Telle était, dit de Thou, la profondeur de ses méditations qu'on le vit souvent rester trois jours entiers, assis à sa table de travail complètement absorbé par ses recherches, sans autre sommeil que celui qu'il prenait la tète ap- puyée sur le coude et sans autre nourriture pour soutenir la nature, que celle qu'il prenait sans changer de position. » En substituant dans la Trigonométrie, aux règles énoncées en langage ordinaire et en toutes lettres, des tableaux présentant à première vue sous forme de proportions, l'élément inconnu d'un triangle et les trois élé- ments donnés, représentés d'une manière générale par les lettres toujours les mêmes, placées aux angles du triangle, François Viète l'avait dotée de véritables formules générales ; et, par une de ces inspirations dont les grands génies sont seuls capables, ou peut-être même par de longues méditations sur les ouvrages de Diophante et de Cardan, après avoir reconnu combien était défectueuse leur Algèbre dans laquelle l'inconnue seule de l'équation était représentée par un symbole alphabétique, mais oij toutes les opérations effectuées au moment même où elles se pré- sentaient ne laissaient aucune trace dans la composition de la valeur de l'inconnue, il créa l'Algèbre nouvelle, en représentant tous les éléments d'une question, connus ou inconnus, par des lettres de l'alphabet, les opérations à effectuer sur elles par des signes et enfin le résultat par une 22 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MECANIQUE formule, dans laquelle il suffisait, si la même question était posée avec des données différentes, de les substituer pour obtenir immédiatement le nouveau résultat demandé ; par cette conception féconde, il aff'ran- chissait en même temps l'Algèbre de la nécessité de faire reposer ses principes sur des considérations géométriques. Une circonstance heureuse pour la science procura à François Viète les loisirs nécessaires pour donner un corps à l'Algèbre nouvelle. En 1583 les Guise étaient tout-puissants auprès de Catherine de Médicis et peu à peu ils obtenaient de la faiblesse du roi l'éloignement de ses plus fidèles ser- viteurs ; François Viète, qui avait toujours été pour eux un adversaire re- douté, était du nombre ; en 158o, il fut relevé de ses fonctions de Maître des requêtes. Retiré tantôt à Fontenay, tantôt à Beauvoir-sur-Mer. auprès de Françoise de Rohan, il composa pendant ses quatre années de retraite son Art analytique ou Algèbre nouvelle. Quelques-unes des parties de cette œuvre magistrale étaient terminées, mais d'autres n'étaient qu'ébauchées, lorsqu'il fut en 1589, rappelé à Tours par Henri III chassé de Paris par la Ligue. Dès son arrivée le roi mit immédiatement à contribution sa rare sagacité; les ennemis de l'extérieur entretenaient avec ceux de l'inté- rieur une correspondance en chiffres qui avait mis en défaut les déchif- freurs officiels ; malgré la complication des chiffres, François Viète en trouva les clefs et, pendant plusieurs années les projets cachés dans ces dépêches étant dévoilés et déjoués, le roi fut dénoncé à Rome comme ayant eu recours à la magie et à la nécromancie. La ville de Tours devenue momentanément la capitale du royaume, renfermait dans son sein non seulement les hommes politiques, mais en- core les savants et les lettrés obligés de fuir le séjour de Paris. François Viète dont la réputation n'était plus à faire, s'y trouva immédiatement très entouré; comme son service auprès du roi ne lui permettait pas de ré- pondre à tous ceux qui demandaient à être initiés à son Algèbre nouvelle, il avait chargé de ce soin quelques élèves formés à son école ; sollicité de toutes parts de publier quelques-uns de ses ouvrages, il fit imprimer, de 1591 à 1593, ceux de ses traités qui étaient terminés; mais, sauf un seul, celui de la Résolution numérique des équations publié en 1600, les autres, dont quelques-uns incomplets, ne virent le jour qu'après sa mort; plusieurs de ses ouvrages, notamment V Harmonicum cœleste, ont été perdus. Cependant, la renommée du grand géomètre avait eu le don d'exciter la bile de Joseph Scaliger qui, s'étant arrogé le titre de Prince des érudits, prétendait au pouvoir absolu dans le domaine des sciences et des lettres; il sentait son prestige sérieusement menacé. Réfugié dans un château non loin de Tours, il résolut de frapper un grand coup en an- nonçant urbi et orbi qu'il avait trouvé la quadrature exacte du cercle et la 1', RITTER. — FRANÇOIS VIÈTE, INVENTEUR DE l'aLGÈBRE M0DE:RNE 23 construction rigoureuse de ces fameux problèmes, réputés jusqu'alors in- solubles ; il proposait en même temps à François Viète un dédit de mille écus dor au profit de celui qui démontrerait l'erreur de l'autre. Provoqué à une discussion publique à Tours, Scaliger se déroba ; le grand géomètre, dans une suite de conférences ouvertes en lo90, démontra l'absurdité des propositions du Prince des érudits et exposa un grand nombre de ques- tions difficiles, alors à l'ordre du jour. Ces conférences furent imprimées en 1,^93. Scaliger, devenu impossible en France, avait été occuper une chaire à l'Université de Leyde d'où il lança contre son adversaire, en lo94, le trait du Parthe sous la forme d'un livre dans lequel il cherchait à dé- montrer ses absurdes et ridicules élucubrations ; François Viète lui ré- pondit immédiatement en 159o, par quelques pages, oii, sans le nommer, il lui administrait ce que l'on appelle vulgairement une volée de bois vert. Au mois de mars 1594, Henri de Navarre devenu roi de France, en- trait à Paris et appelait François Viète à faire partie de son Conseil privé ; un jour qu'il avait emmené l'ambassadeur de Hollande en villégiature à Fontainebleau, celui-ci prétendit que la France n'avait pas un seul géomètre, puisqu'il n'en figurait aucun dans le défi adressé par Adrien Romain aux mathématiciens du monde entier. « Si, si, répondit Henri IV, j'en ai un, et un très excellent ; que l'on aille quérir M. Viète. » Celui-ci avait suivi le roi à Fontainebleau ; il arrive, l'ambassadeur lui présente le défi qu'il avait fait chercher, le grand géomètre se retire dans l'embra- sure d'une fenêtre et, quelques instants après, il en donne la solution au diplomate émerveillé. Le défi était présenté sous la forme d'une équation du 45" degré; mais, en réalité, c'était une énigme qu'il fallait deviner. François Viète avait immédiatement résolu la question, non en devin, mais en géomètre, au moyen de la formule générale de la division des angles dont il avait depuis longtemps pénétré le mystère. En envoyant, le lendemain, au géomètre belge non une seule solution de son problème, mais vingt-deux autres, il lui proposa à son tour le problème d'Apollo- nius, dont la solution était perdue : Mener un cercle tangent, à trois cercles donnés. Adrien Romain ne put le résoudre qu'au moyen de l'intersection de deux hyperboles; François Viète lui envoya alors la solution par la règle et le compas de tous les problèmes des contacts des droites et des cercles et ce sont ses constructions qui ont été depuis lors textuellement reproduites par tous les auteurs jusqu'à ces derniers temps, où Gergonne leur a appliqué la méthode plus élégante, mais plus difficile, du centre radical et des axes de similitude. Au reçu de cet opuscule remarquable, Adrien Romain qui occupait la chaire de mathématiques à Wurtzbourg, transporté d'admiration, laisse toutes ses occupations, monte à cheval, accourt à Paris et de là à Fon- 24 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE lenay, où il rencontre enfin François Viète ; il se jette dans ses bras et reste un long mois avec lui ; puis il retourne en Allemagne défrayé par le grand géomètre de toutes ses dépenses jusqu'à la frontière. C'était en 159.S ; François Viète dont la santé était profondément al- térée par l'excès du travail, avait été envoyé par le roi se reposer et res- pirer l'air natal, chargé d'une mission délicate et qui n'exigeait pas un grand travail. Les Suisses au service de la France demandaient de l'ar- gent ; après les avoir, suivant sa coutume, payé de belles paroles, le Béarnais dut enfin s'exécuter et à cet effet il eut recours à un de ces expédients que l'on rencontre à toutes les époques de notre histoire : une ordonnance du roi prescrivit la transformation de tous les offices de no- taires, tabellions et gardes-notes en offices de notaires royaux. Cette mesure qui frisait la spoliation, puisque les intéressés étaient obligés de racheter leurs offices, souleva de leur part une vive opposition. Pour la calmer, Henri IV envoya ses plus fidèles et ses plus habiles conseillers pour négocier avec les notaires. Enfin, après deux ans de luttes, intervint une transaction; les notaires se soumirent et les Suisses furent payés. Rentré à Paris vers la fin de l'année 1599, François Viète avait repris son service auprès du roi, mais ses derniers jours furent troublés par une aigre et violente polémique où, il faut l'avouer avec regret, il avait tort et dans la forme et dans le fond. Grégoire XIII avait soumis à l'examen de tous les princes, de toutes les Académies, de tous les savants du monde chrétien, en sollicitant leur avis, un projet de réforme du calendrier Julien, imaginé par un médecin de Vérone, Louis Lilio et rédigé, après la mort imprévue de son auteur, par Clavius, de la Compagnie de Jésus. N'ayant reçu aucune observation, le Souverain I^ontife l'avait promulgué en 1582. La réforme n'avait d'ailleurs d'autre but que de faire osciller la fête de Pâques entre l'équi- noxe du printemps et le 25 avril, alors que, d'après les règles anciennes, elle rétrogradait chaque année de plus en plus en s'éloignant du 2:2 mars. Lui reprocher de ne pas faire correspondre rigoureusement la date de la fête de Pâques à celle de la pleine lune équinoxiale, était un reproche sans portée; le nouveau calendrier donnait une solution satisfaisante: c'était ce que l'on s'était proposé dans une question qui, en définitive, était de comput ecclésiastique et non d'astronomie pure. En travaillant dans sa retraite à son Harmonicum cœleste, François Viète avait repris cette question du calendrier et il avait cru trouver une réforme plus exacte que celle adoptée, depuis plusieurs années déjà, par la plupart des nations catholiques; mais, comme depuis l'affaire des dépêches secrètes, il était fort mal vu à Rome, il attendit l'avènement au trône pontifical de Clément VIII, qu'il avait connu cardinal Aldobrandini, alors qu'il négociait avec le roi Henri IV, pour lui adresser son nouveau C.-A. LAISANT. — REMARQUES SUR LES COURBES UNICURSALES Z£) projet de réforme, convaincu que, par la seule autorité de son nom, il allait être immédiatement adopté sans examen. Il n'en fut pas ainsi; le Souverain Pontife renvoya le mémoire et le calendrier de François Yiète à une commission dont Clavius était le rapporteur. Impatienté de n'avoir pas de réponse pour ainsi dire courrier par courrier, Yiète s'en prit au laborieux jésuite de Bamberg, ô\Âi une correspondance très aigre du côté de Viète, très calme de la part de Clavius. La mort du grand géo- mètre le 26 février 4603, mit fin à cette polémique, d'où François Viète ne serait pas sorti avec les honneurs de la guerre. Épuisé par le travail et par la maladie, François Viète, en décembre 1602, avait demandé de résigner les fonctions qu'il occupait auprès du roi et Henri IV, faisant droit à sa requête, avait ordonné, en raison de ses ser- vices éminents, de lui compter « une honneste gratification. » Elle dut lui arriver m extremis, ce qui explique comment on trouva sous son chevet une somme de vingt mille écus. A ses derniers moments, il avait toujours présents les intérêts de son pays et, quelques jours avant sa mort qu'il sentait |)rochaine, il rédigea d'une main ferme une instruction sur le déchiffrement des écritures secrètes; c'est le dernier écrit de ce grand génie, de ce grand citoyen. François Viète avait été marié ; on n'en sait pas davantage. Il laissa une fille orpheline, Suzanne Viète, qui mourut en 1618, comme le constatent les registres de l'église Notre-Dame de Paris. Le nom de Viète n'est pas éteint; il s'est perpétué par la descendance de son frère, Nicolas Viète, sieur de la Mothe de Monzeuil, avocat et con- seiller en l'élection de Fonlenay. Il est porté aujourd'hui par M. Gaston Viète de la Rivagerie, officier de cavalerie, et par son frère Roger-Hya- cUithe, arrière-petits-neveux de l'illustre géomètre Monge. M. C.-A. LAISAIT Docteur es sciences, à Paris. QUELQUES REiVIARQUES SUR LES COURBES UNICURSALES — Séance du 16 septembre 1892 — 1. — Équipollence générale. — On sait qu'on désigne sous le nom d'uni- cursale une courbe dont les coordonnées rectilignes peuvent s'exprimer rationnellement en fonctions d'un paramètre variable réel t. Lorsqu'il 26 MATHÉMATIQUES, ASTKOXOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE s'agit des courbes planes, les seules dont nous voulions nous occuper dans ces remarques, il s'ensuit qu'une courbe unicursale est représentée par le système des deux équations II) X = — 1 ij ^ — — - ' en supposant que l'on donne à t toutes les valeurs réelles de — go à -j- ^ • Le calcul des équipoUences se prête d'une façon naturelle à l'étude de ces courbes. Si nous appelons, en effet, Z le point variable de la courbe, 0 l'angle des axes coordonnés, et si nous prenons l'axe des x pour origine des inclinîiisons, il s'ensuit que OZ = z = a; -j- ys", ou Dans cette relation, /"(/) représente une fonction entière, mais imaginaire en général, du paramètre variable réel t; (f{t) représente une fonction réelle entière du même paramètre. Mais si nous considérons l'équipoUence générale (3) z -. /W sans aucune restriction sur la nature des fonctions entières /'et 9, la courbe représentée par cette équipoUence n'en est pas moins unicursale. Il suffit, pour le reconnaître, de multiplier les deux termes par la fonction conjuguée de 9, ce qui donnera au dénominateur une fonction réelle, et ce qui fera, par conséquent, rentrer la forme (3) dans la forme particulière (2). Suivant les cas, nous pourrons donc supposer que le dénominateur -^(t) est une fonction réelle ou imaginaire. 11 y a lieu tout d'abord de faire une observation importante. Si dans les équations (1) nous venons à remplacer t par une fonction rationnelle quel- conque d'un nouveau paramètre t', le résultat de l'élimination de t' entre les deux équations sera le même que celui de l'élimination de /. Il semble donc que la courbe restera la même. Cela n'est pas vrai cependant d'une manière complète; en voici la preuve ^ar un exemple bien simple. Soient X =: al -\- b, ij ^= ciyt -\- b^ les équations d'une droite. Posons t = l"^. Nous avons : X = al"^ + ^> y = ^1^'" ~\- ^1 et il saute aux yeux que les points qu'on peut obtenir sont ceux d'une semi-droite, et non plus de la droite tout entière. En outre, chacun des C.-A. LAISAM. — liËMARQUES SUR LES COURBES UMCURSALES 27 points de cette semi-droite est obtenu deux fois, par les deux valeurs difîé- rentes -\- t', — /'. Bien que la première droite comprenne la semi-droite en question, il est certain qu'on ne saurait confondre sans inconvénient deux faits géomé- triques présentant une ditîérence aussi notable. En réalité, lequipollence générale (3) d'une courbe unicursale représente non seulement une courbe, mais, si nous considérons t comme un temps, le mouvement d'un point mobile sur cette courbe. Ce mouvement peut s'ac- complir, soit sur la trajectoire entière, soit sur une portion seulement de la trajectoire. Il faut donc étudier une unicursale d'après son équipollence (S) ou le système d'équations (1) correspondant, et se garder d'effectuer un changement de variable sur le paramètre arbitraire t. Il est toutefois un cas particulier où le changement de paramètre ne sau- rait introduire dans la courbe aucune modification : c'est celui où à chaque valeur de / correspond une seule valeur de t', et réciproquement. Alors, en effet, toute valeur réelle donnée une fois à t sera atteinte une fois par /', et par conséquent tout point Z obtenu par la variation de t sera obtenu éga- lement par la variation de t'. Les paramètres t et t' sont liés dans ce cas par une équation de la forme ait' -\- bt -\- et' -\- d -.= 0. 2. — Degré d'une courbe unicursale. — Toute courbe unicursale est algé- brique, et il est facile d'en déterminer le degré. Pour cela, supposons réelle la fonction o(t) dans l'équipollence (3) et représentons par m = am -|- b l'équipollence d'une droite quelconque. Un point commun à l'unicursale et à la droite sera donné par la relation :=-^ XU -\- B. Mais si nous décomposons tous les coefficients du polynôme f{t) suivant les deux directions a et b, nous pouvons donner à ce polynôme la forme Ag{t) -{- Bh{t) ; de telle sorte que nous avons Ag{t) -f Bh{t) = AU'^[t) -f B0{t), équipollence qui équivaut au système d'équations g{t) = U'fit), h(t) = -iit). Les degrés de g(t) et h{t) sont égaux, en général, à celui de f{t). Donc les deux équations seront d'un degré égal au plus grand de ceux def{t) et ..^ pour le degré du numérateur et jji, -j- t[i.^ pour celui du dénominateur. C'est le plus grand de ces deux nombres qui don- nera le degré de la courbe. Il est évident, p-i -\- [j.^ étant le degré a de 9(^j, qu'on peut dire encore que, pour avoir le degré de la courbe, il suffit d'ajouter à celui de /'(/) -\- (^(t) le nombre des racines imaginaires non conjuguées de l'équation 9(/) =: 0. 3. — Première discussion d'une courbe unicursale. — L'équipolience d'une courbe unicursale étant mise sous la forme générale (3), appelons a, b, c . . . les racines réelles, et a, b, c . . . les racines imaginaires de l'équation f{t) = 0; puis a', //, c'. . . les racines réelles, et a', b' g' . . . les racines imaginaires de l'équation (^(t) = 0. L'équipolience devient alors __ , (t — a)(t — b)...{t — \){t — b) . . . {t — a')[t — b').,.{t — A'){t — b') Le coefficient k, étant constant, na pour effet que d'imprimer à la courbe une rotation et un changement d'échelle, c'est-à-dire de la transformer en une courbe semblable par rapport à l'origine prise pour centre de similitude. On peut donc le supprimer sans rien particulariser, et l'on a l'équipolience , ^ '^ — an^ -b)...[t- x)(t — B) ... ^ fit) (t — a'){t — b'}...{l — A'){i — n')...^^{t)' C.-A. LAISA.NT. REMARQUES SUR LES COURBES UMCURSALES 29 Pour toutes les valeurs a, b, . . . données à t, z s'annule; par suite, la courbe passe par l'origine autant de fois; elle y passe en outre pour / -^ ±: 00 , si le degré du numérateur est inférieur à celui du dénominateur. L'origine est donc un point multiple dont l'ordre de multiplicité est égal au nombre des racines a, b, c, . . . ou à ce nombre augmenté d'une unité, suivant que le degré de f{t) n'est pas ou est inférieur à celui de 9(/). De même, les racines réelles a', b', c' . . . correspondent à autant de valeurs infinies pour z. Si le degré de f{t) est supérieur à celui de oil), la valeur / ^ riz oo donne en outre pour Z un point à l'infini. On a donc le nombre des branches infinies de la courbe, par la considération du nombre des racines a', b' . . . Il faut seulement remarquer que les deux valeurs ± oc donnent en général deux branches infinies, dans le sens géométrique du mot, si le degré de f{t) est plus grand que celui de o(t). Les branches infinies étant déterminées, ainsi que le rôle de l'origine au point de vue de la multiplicité, on peut construire géométriquement la courbe, point par point, d'une façon simple. Si, en effet, on désigne par Oa, 06, . . . Oa', 06' ... les racines réelles a, 6, . . . a', b' ,. . . et par OA, . . . OA'. . . les racines imaginaires a, . . . a', . . ., en appelant T un point va- riable sur l'origine des inclinaisons, depuis — x jusqu'à -|- oc , on aura flT.6T...AT.BT... a'T.6'T...A'T.BT expression dont la construction est très facile et donne un point Z pour chaque position du point ï. 4, — Tangente; poàaire. — La tangente à la courbez =r — s'obtiendra . dz nt)o{t) - fity^'d) . .',,., en formant 1 expression — - ; i • '-i ' *î^* représente la vitesse, rfz si l'on regarde t comme un temps. La courbe Zj = — , appelée hodographe du mouvement, peut être assez commode dans certains cas pour cette détermination de la tangente. L'hodographe est évidemment aussi une unicursale. La podaire relative à l'origine s'obtient, comme l'on sait, en décompo- f^z , ^ , . , , • X . dz sant le rapport z : — sous la forme m -+- u.i et en écrivant v = la — . '-^ dt dt La podaire d'une unicursale est donc aussi une unicursale. dz o. — Asijmpioles. — En examinant l'expression — et regardant vers quelle direction elle tend lorsque t tend vers une valeur qui rend z de gran- deur infinie, on a la direction asymptotique de la branche infinie corres- 30 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE pondanle. Pour dûterminer l'asymptote elle-même, le mieux est peut-être, en général, de prendre le point correspondant de la podaire. Si ce point est à distance finie, on a immédiatement l'asymptote; s'il s'éloigne à l'infini, la branche considérée est parabolique. (3. — Centre de courbure ; développée. — On sait qu'en posant d^7. dz i d'/j — '-:--= /-(-/./, le rayon de courbure ZR est ZR =7 — . L'équipollence dl' dl ^ ^ Idl ^ ^ de la développée est donc , i d'A R = et il s'ensuit que la développée d'une unicursale est aussi une unicursale. 7. — Courbes unicursales parement pat^aboliquefi. — Les unicursales les plus simples à étudier sont évidemment celles oii le dénominateur cp(/) disparaît, c'est-à-dire dont l'équipollence est de la forme z = c,r + c,r-' + ...+c„_,i + c,,. Elles ne présentent que deux branches infinies, correspondant aux valeurs ±: oc de f. Si m est pair, ces deux branches ont même direction. Si m est impair, elles ont des directions opposées. Ces deux branches sont paraboliques ; car si nous décomposons tous les coefficients, sauf les deux premiers, suivant les directions c^, Ci, nous pouvons écrire z = c„(r + .,r-' + ...) + c,(r-' + ?,r-^ +,..). La direction asymptotique des branches paraboliques est celle de c^ ; et le coefficient de Ci tendatit vers l'infini, il en résulte que les seules asymptotes possibles s'éloignent à l'infini. On remarquera, d'ailleurs, que cette démonstration s'étend au cas où plusieurs des coefficients Cj, c^, ... viendraient à s'annuler. Il suffirait de décomposer suivant c^ et c , en appelant c le premier coefficient qui ne s'annule pas. En transportant l'origine en un point de la courbe, on peut toujours supposer nul le terme c,,^. Les unicursales que nous considérons, et qu'on peut appeler purement paraboliques, peuvent alors être engendrées par la méthode cinématique que voici : Concevom, sur m droites rayonnantes, 0X1, 0X2, ... OX^, des points mobiles Xi, Xj, ... X^^^, animés de mouve- ments tels que l'espace parcouru soit projwrtionnel au temps, au carré du temps , ... à la m" puissance du temps. Le centre de gravité de ces m points décrira une unicursale purement parabolique. Il est clair que la direction asymptotique sera celle de la droite OX,,^. C.-A. LAISA.NT. — liE.MARQLKS SLK I.KS COURBES UNICURSALES 31 8. — Génération géométrique ou cinématique des unicursales quel- conques. — z =z --— étant l'équipoUence d'une unicursale quelconque, considérons les deux unicursales purement paraboliques z^ = f{t), i^ = o{t). OZ On aOZ=:OK. ~. Donc Zj, Z, étant deux points correspondants de deux unicursales purement paraboliques, et K un point fixe, on aura un point quelconque Z de i'unicursale (Z) en formant le triangle OKZ direc- tement semblable à OZ^Zi, Les points correspondants à linfîni de {Z^) (ZJ donneront un point à distance finie si le degré de (Z^) est le même que celui de (ZJ, l'origine si le degré de (Z,) est inférieur à celui de (Z^) et un point à l'infini si le degré de (Z,) est supérieur à celui de (Z^). A chaque passage à l'origiiie de la courbe (Z^) correspond un point à l'origine de I'unicursale (Z). A chaque passage à l'origine de la courbe (Z^) correspond un point à l'infini de I'unicursale (Zj. Lorsque le dénominateur ^{t) n'admet pas de facteurs multiples, l'uni- •cursale z = — — peut être engendrée d'une façon assez simple par un procédé cinématique. Si, en effet, on suppose le degré de f{t) supérieur à celui de z>(t), et si on effectue la division de f{t) par o{t), puis la décom- position de la fraction restante en fractions simples, on aura, si l'on conserve les notations du n" 3 : Le premier terme correspond à une unicursale purement parabolique ; 1' les termes > , . . . représentent, pris isolément, des mouvements rec- tilignes où l'espace est inversement proportionnel au temps écoulé à p partir d'une origine déterminée ; enfin, les termes — ' — -, .... représentent t — A des mouvements circulaires, transformés par inversion de mouvements rectilignes uniformes. Si l'on prend le centre de gravité de tous les mo- biles animés des mouvements en question, ce centre décrira I'unicursale demandée. Il est clair que les directions asymptotiques seront données : 1" Par celle de I'unicursale purement parabolique ■l>{t) ; 2° Par 1', y, ... 9. — Transformation des unicwsales. — Une unicursale peut être considérée, au point de vue géométrique, comme une transformée de la 32 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE droite origine des inclinaisons, décrite par l'extrémité du paramètre t, quand celui-ci varie de — go à -f- 20 . Au lieu de l'origine des inclinaisons, on peut prendre une autre droite quelconque, et supposer que l'extrémité du paramètre t décrit cette droite. On a alors .-M Mais l'extrémité de la variable t décrivant une droite donnée, on a aussi / - M/' -f N, en appelant / un paramètre réel. Donc ^ "~ ç(Mr + N) ^ cp,(0 ' Les degrés des fonctions entières t\, cpi seront respectivement les mêmes que ceux des fonctions f, tp. Il suit de là que lorsqu'on suppose que Tex- trémilé du paramètre t décrit une droite quelconque, au lieu de supposer ce paramètre réel, on a toujours une unicursale, en général de même degré. 11 y a plus ; s'il existe, entre les deux paramètres /, t' la relation i^lt' _|_ jj^ _|_ cf -|- b = 0, et si nous supposons que l'extrémité de la va- riable t décrive une droite, on sait que l'extrémité de /' décrit une cir- ct' + D ^ . conférence. Or, comme t = — —r-^, — , on aura encore une traction kt -\- B rationnelle en t' après la substitution, et, à moins d'exception, le degré ne sera pas altéré. Donc, une unicursale étant donnée, si l'on suppose que le paramètre, au lieu d'être réel, varie de telle sorte que son extrémité dé- crive une circonférence, on aura encore une unicursale, en général de même degî'é. Il est d'ailleurs à peu près évident que si l'extrémité du paramètre t dé- crit une courbe unicursale quelconque, l'équipollence z = représentera o{t) encore une unicursale (*). f {t') En effet, si l'on pose t = , le paramètre t' étant réel, on aura z = f\-^—-r)'- ?(— *— r K ce qui donnera toujours une fonction rationnelle en r. iO. — Courbes bicursales. — On peut définir une unicursale une courbe pour laquelle la variable z est donnée par l'équipollence uz -f- v = 0, (*) Je (lois cette intéressante remarque à M. Râteau, ingénieur des mines, qui assis/ait au Congrès de Pau. C.-A. LAISANT. — REMARQUES SUR LES COURBES UMCURSALES 33 u et V étant des fonctions entières d'un certain paramètre t, que l'on suppose réel. Si l'on considère, par extension, les courbes dont l'équipollence est de la forme uz'^ -f vz -f- w = 0, u, V, w étant des fonctions entières du paramètre réel t, elles fourniront une classe intéressante de courbes algébriques, dont la construction sera relativement facile, puisqu'on aura chaque couple de valeurs de z répon- dant à une valeur de t par une équipollencc du second degré. On peut donner à ces courbes, par analogie, le nom de bicursales. De même qu'on démontre très facilement que toutes les coniques sont des unicursales, on établira, d'une façon analogue, que toutes les cubiques sont des bicursales. Rappelons qu'il suffît, pour cela, de prendre l'origine sur la courbe, et de poser - =t, ij eix étant les coordonnées cartésiennes d'un point de la courbe. On verrait comme ci-dessus qu'en supposant que l'extrémité du para- mètre / décrive une droite ou une circonférence, au lieu de supposer ce paramètre réel, on a encore une bicursale. Un cas particulier intéressant est celui où la fonction v"' — 4u\v est le carré parfait d'une fonction entière r. L'équipollence de la courbe peut, en effet, s'écrire alors (2uz -f. V — r) (2ux + V -)- r; = 0, et Ton voit que la bicursale se décompose en ce cas en deux unicursales que l'on peut étudier séparément. H. — Le trifoliwn. — On pourrait appliquer à de nombreux exemples les considérations qui précèdent, notamment en ce qui concerne les cubiques et les quartiques. Pour nous borner, nous nous contenterons ici d'ajouter quelques brèves remarques sur une courbe très intéressante, le trifolium, qui a été étudiée par plusieurs auteurs, et surtout par MM. Bro- card et de Longchamps, dans d'intéressants mémoires. Le trifolium est une quartique unicursale à point triple, limitée de toutes parts. Cette seule définition permet d'en trouver l'équipollence générale z =: — -. H faut, en effet, que les fonctions /' et 9 ne surpassent pas le 4« degré. L'équation f{t) — 0 doit avoir trois racines réelles ; appe_ lons-les a, b, c, et soit a la racine imaginaire, en supposant que /" atteigne le 4« degré. L'équation -^(t) = 0 ne peut avoir aucune racine réelle, puis - qu'il n'y a pas de branche infinie. Soient a', b', c', d' ses quatre racines. 3* 34 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE 1 i « «,> sMrnassp ms le 4*^ degré, elles doivent être Pour que la courbe ne sjrpasse pais le t e . , ^ , , . j «'^ct à riirp niip r' — ci a', d' "- Cl B . Eii resumc, conjuguées deux a deux, c est-a-dire que c — tj a , u j f{t) = L{t- a)it -b)(t- c){t - A), parce que l'on voit facilement que, en réalité, l'exactitude dépend des opérations préparatoires l^, m^, m.^ et non des opérations de tracé; 1^ est le nombre de droites tracées, m.^ le nombre des cercles (*). Pour abréger l'écriture, au lieu d'écrire : la circonférence qui a 0 pour centre, et la longueur AB ou la longueur R pour rayon, nous écrirons : 0(ABj ou 0(Rj. Nous ferons ici une remarque importante qui s'applique toutes les fois que la notion générale de nombre intervient dans un problème de Géo- métrographie, c'est que la question sort alors du domaine de la Géomé- trographie pure et qu'il s'y mêle de l'arithmologie, comme on le verra dans la suite de ce travail. Ainsi : Diviser une droite dans le rapport de deux longueurs données est un problème de Géometrographie pure, et : Diviser une droite dans le rapport de deux nombres m et n donnés n'est point du tout dans le même cas ; il n'y a môme pas de méthode générale purement graphique pour faire le plus simplement possible cette (*> Nous n'avons pas été sans voir que la simplicité et lexuclilude d'une opération varient dans le même sens que l'inverse des nombres que nous nommons : coefficient de simplicité et coefficient d'exactitude; mais comme il n'y a aucune confusion possible et que ce ne sont que, des noms, nous avons préféré des dénominations rappelant le but à atteindre à celles de coefficient de complication et de coefficient d'inextictiliide plus logiques certainement. 38 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE division ; il faut étudier chaque cas particulier en ayant égard à la ques- tion qui a fourni ces nombres. En pratique, on la ramène au cas des longueurs en prenant sur une règle divisée des longueurs proportion- nelles aux nombres donnés, et l'on doit faire le plus souvent ainsi, mais en sachant bien que l'on sort de la Géométrogrophie pure qui n'autorise l'usage que de la règle et du compas. Pour ramener la question à la Géométrographie pure, il faudrait porter sur une ligne m -(- n fois une longueur quelconque, etc., et cela éloignerait trop de la construction que l'on fait pratiquement. Encore si porter m -{- n fois une longueur sur une droite de façon à marquer les divisions m, et m -j- n est facile, quoique long et peu pratique, il n'est nullement commode, peut-être pas possible, d'indiquer le moyen de marquer ces divisions le plus sim- plement possible par une méthode générale. La question revient au pro- blème : Étant donnée une longueur, trouver une droite m fois plus longue. Porter la longueur m fois à la suite d'elle-même sur une droite est une solution, mais non la plus simple. En étudiant le problème, on est conduit à une question d'arithmologie tout à fait analogue à la suivante, qui semble fort difTicile : Combien faut-il effectuer de multiplications, au moins, pour calculer A"", le nombre A étant donné? La question de la multiplication de la droite par un nombre aurait, du reste, à la rigueur, exigé un nouveau symbole pour représenter l'opé- ration, qui consiste à fixer sur une hgne donnée la pointe d'un compas, lorsque l'autre pointe est fixée; mais, à cause de la nature mixte des problèmes où l'on en ferait usage et surtout parce que l'on s'éloignerait trop de ce que l'on fait pratiquement, nous ne nous sommes pas arrêté à cette considération. Il est un point qui mérite aussi quelques mots d'explications, lesquelles répondront à une objection que je m'étais faite à l'origine et qui doit venir à l'esprit de ceux qui examinent notre méthode. Est-il légitime de supposer identiques les opérations Cj, Cj, C3, Ri, R^, pour composer le coefficient de simplicité et le coefficient d'exactitude? Non, évidemment, s'il s'agissait dans la Géométrograjjhie d'une mesure absolue. Mais ce n'est nullement le cas, et j'assimile ces opérations parce qu'elles sont élémentaires, c'est-à-dire indécomposables en d'autres plus simples, et que, spéculativement, elles ne sont ni plus simples ni moins simples les tines que les autres. On peut ne pas faire cette assimilation du reste, en se contentant du symbole complet. Le mot de mesure ne peut pas être exact avec le sens habituel de ce mot qui s'applique à la comparaison d'une gran- deur avec une unité de même nature; une construction n'est pas une gran- deur et elle s'exécute au moyen d'opérations élémentaires irréductibles entre elles. Si j'emploie l'expression mesure, c'est que je trouve qu'elle s'appliquç mieux au but poursuivi que le mot général de comparaison. ) É. LKMOIXE. LA GÉOMÉTROGRAPHIE 39 La rigueur absolue conduirait, dans beaucoup de cas, à rejeter toute comparaison de simplicité relative de deux constructions. En effet, com- ment apprécier rigoureusement si la construction 0C3 est plus ou moins simple que 0OR2, puisque les unités C3 et R.^ sont par essence de nature différente ; mais, en réfléchissant et aussi en pratiquant un peu la Géomé- trographie, on reconnaîtra que les assimilations sont admissibles dans l'ordre d'exactitude des tracés eux-mêmes; en effet, nous traçons des lignes et la ligne n'a pas de dimensions, nous plaçons des points et le point ne peut être marqué. En somme, notre méthode donne un critérium spéculatif qui a des applications pratiques, et avant elle il n'en existait pas. Ce que nous faisons n'est pas une mesure, c'est une comparaison avec cinq unités distinctes : Rj, Rj, C^, Cj, C3, et l'on ne peut dire d'une façon absolue que la construction A est plus simple que la construc- tion R, que lorsque les coefficients de toutes les unités sont respecti- vement plus petits dans A que dans R, cas très fréquent APPLICATIONS I. — Tracer une droite quelconque op. : (Rj). IL — Tracer une droite par un point donné op. : (Rj -j- Rj). IIL — Tracer une droite par deux points donnés. . . op. : ('2Ri -|- R^). IV. — Tracer un cercle quelconque op. : (C3). V. — Tracer un cercle quelconque dont le centime est donné, op. : (Ci-j-Cg). VI. — Prendre avec le compas une longueur donnée AR . . op. : (2Ci), car c'est mettre l'une des pointes en A, l'autre en R (*). VIL — Porter sur une ligne donnée, à partir d'un point indéterminé de cette ligne ou à partir d'un point déterminé, la longueur comprise entre les branches du compas : Op. : (C2 -f C3) ou op. : (C^ + C3). (*) Il est clair que, pour mettre la première pointe en A, l'opération n'est pas la même que œlle faite ■en maintenant cette première pointe en A, et conduisant la seconde sur B, nous les désignons cepen- dant toutes deux par G, ; nous ne croyons pas qu'il y ait un inconvénient à cela, parce que nous ne faisons qu'une théorie idéale des opérations. Ainsi nous supposons, puisque nous ne nous occupons pas de la question, que toutes les lignes de la figure se coupent dans les limites de l'épure, qu'il est indifférent que ces lignes se coupent sous un angle très aigu, etc., de sorte qu'il nous paraît fort suffisant de désigner par le symbole Ci l'opération générale qui consiste à mettre sur un point une des pointes du compas; nous reviendrons sur ce sujet dans le cours de ce travail. Du reste, le lecteur qui, après réllexion, ne partagerait pas notre avis, n'aurait qu'à désigner par C/ l'opération qui consiste à mettre en un point donné la pointe mobile du compas, l'autre étant maintenue fixe. De même, puisque nous appelons Rj l'opération qui consiste à mettre le bord de la règle en con- tact avec un point, il est évident, à la façon dont elle s'exécute, que l'opération qui consiste à mettre le bord de la règle en coïncidence avec deux points donnés, n'est pas exactement deux fois l'opération R,, et Ion pourrait aussi désigner parR, -|- R/ l'opération qui consiste à faire passer le bord; de la règle par deux points; mais si l'on pratique un peu la Géométrographie, je crois que l'on arrivera, comme moi, à reconnaître que cette distinction serait une complication inutile. Nous aurions pu peut-être aussi assimiler les opérations Ci et Cj et ne garder pour elles deux qu'un même symbole Ci, mais nous ne l'avons pas fait parce que si théoriquement R, et R/ se con- fondent effectivement. Ci et Cj sont théoriquement différents; Cj se présente du reste beaucoup plus rarement que les autres symboles et en général avec un très petit coefficient. 40 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE VllI. — Porter une longueur donnée (à prendre avec le compas) sur une ligne donnée à partir d'un point indéterminé de cette ligne ou à partir d'un point déterminé de cette ligne : Op. : (2Ci + C, 4- C3) ou op. : {SC, + C3). Remarques. — Lorsqu'on a à porter n fois une même longueur M sur une droite à la suite l'une de l'autre de A en B, de B en C, etc., la construction doit être interprétée de deux façons et l'on choisira celle qui convient au cas où l'on se trouve. 1° Les points de division intermédiaires ne doivent pas être marqués. On prendra M entre les branches du compas (qui, dans la pratique, sera alors à pointes sèches), op. : (âCJ ; on portera cette longueur de A en B; on comptera : op. : (C^ -|- CJ ou op. : (2Ci) suivant que A sera indéterminé sur la droite ou déterminé, et non: op. : (Cj-l-Cg) ou op. : (Cl -|- C3), parce que, laissant une pointe en B, on passera en C où l'on comptera : op. : (CJ ; puis laissant une pointe en C, on passera en D en comptant : op. : (Cj, etc.; on aura enfin : Op. : (« + 2)Ci + C, ou op. : (n + 3)Ci. Nous résumons donc en op. : (Cj) les deux opérations (Cg -|~ ^i), parce qu'elles se font ici d'un seul coup, mais ce n'est pas tout à fait l'opé- ration (CJ telle que nous l'avons définie, l'assimilation nous paraît justi- fiable eu égard à la question et elle évite la création d'un symbole spécial à ce cas particulier; 2° On marque tous les points de division intermédiaires en reportant chaque fois la pointe sèche au nouveau point marqué, etc. ; il n'y a rien à dire de spécial et le symbole est : Op. : [(n + 1)C, + C, + nCj ou op. : [[n + 2]C, + nC,]. IX. — Tracer un cercle quelconque passant par deux points X et B. Je décris les deux circonférences A(AC), B(AC) de même rayon quel- AB conque, mais AC étant plus grand que -^; je trace C(AC) op. : f3Ci + 3C3). X. — Placer un point C à égale distance indéterminée de deux points donnés A et B : Op. : (2Ci + 2C3). É. LEMOIXE. — LA GÉOMÉTROGRÀPHIE 41 XI. — Pa7' un point donné B sur une droite BC, tracer une seconde droite qui fasse avec la première un angle égal à un angle donné DAE (*). Je trace le cercle A(AE) de rayon quelconque qui coupe AD en D, AC en E op. : (Cl 4- C3) ; puis le cercle B(AE) qui coupe BC en F op. : (C^ -|- C3). Je prends avec le compas la longueur DE, puis je trace le cercle F(DE). op. : (3Ci + C3), qui coupe B(AE) en H. Je trace BH op. : f2Ri + R;). Symbole de l'opération totale : op. : (2Ri -|- Rg -|- 5Ci -|- SCg); sim- plicité 11; exactitude 7; 1 droite, 3 cercles (*'•';. XII. — Connaissant les angles y-ef^ (dont j'appelle aussi a. et ^ les sommets) d'un triangle, construira le tt^oisième y. Je trace une droite quelconque AB op. : (R2). Je trace d'un rayon quelconque R les trois circonférences a(Rj, p(R), 0(R), 0 étant un point quelconque de AB . . op. : (2Ci -|- C^ + 3C3); soit B le point où 0(Rj coupe AB. Je prends la longueur de la corde CD que a intercepte sur a(R) et je la porte en E à partir de B sur OfR) op. : (SC^ -(- C3). Je prends la longueur de la corde FG que p intercepte sur ri(R) et je la porte en H à partir de E (dans le sens BEj sur 0(R). op. : (BCj -|- C3). Je trace OH op. : (SRi + R^), l'angle HOA, A étant sur AB de l'autre côté de 0 que B, est l'angle cherché. Op. : (2Ri + 2R., + 8C, + 6C3); simplicité 18; exactitude 10; 2 droites, 0 cercles (***j. (*) Nous supposons toujours, dans nos conslruclions types, que la feuille sur laquelle on les exécute ne contient que les données. Ces données sont à part et Ion n'exécute pas la construction sur l'une d'elles, sauf quand cela résulte de la question. Ainsi, si je veux construire une quatrième proportionnelle à trois lignes données, je suppose que les trois longueurs sont à pnrl sur la feuille et qu'on ne fait pas la cons- truction sur l'une d'elles. Si, au contraire, on cherche le centre de gravité d'un triangle donné, il est clair que l'on opère sur le triangle, et il en est ainsi le plus souvent quand on applique notre théorie à un problème déterminé ; les constructions types employées se simplifient alors en raison des opérations qui se trouvent faites, que l'on n'a pas à compter par conséquent. (**) Quand nous n'expliquons pas les constructions, ce sont les constructions classiques données de tout temps dans les géométries; nous les avons prises alors dans le Traité de Géométrie de MM. Rouché et DE COMBEROussE, Gi= édition. (***! Je ferai remarquer ici que dans mon mémoire du Congrès d'Oran, 1S88, p. S-2, j'avais mala- droitement dirigé cette construction à laquelle j'attribuais le symbole op. : (4R, + 3R2 + IOC1 + 6C3) ; en effet, j'avais tracé inutilement la droite que j'appelle ici OE et j'avais tracé en deux fois les circonférences qui me donnaient l'angle BOE := a puis l'angle EOH = p, c'est-à-dire que j'avais fait inutilement: op. : (2R1 -|- R2 + ^Cj). Une remarque analogue s'applique à plusieurs constructions de ce même mémoire d'Oran et il n'est point étonnant qu'il en soit ainsi, car si la théorie de la simplicité était faite, je ne savais pas encore l'appliquer. C'est pour cela, ainsi que je le dis dans l'introduction, que je donne de nouveau les symboles des opérations fondamentales en les l 42 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE XIII. — Construire un triangle connaissant un côté a et les deux angles xoy, x'o'y' adjacents au côté a. Je trace une droite BC et sur cette droite, à partir d'un point quel- conque B, je prends BC = a op. : (B2 -f- 20^ + Cj + C3). Je trace o(BC) o'(BC) C(BC) op. : (3Ci + SCg). Sur o(BC) je prends la corde xij interceptée par l'angle xoy et je la transporte à partir de C en C sur B(BC) qui a été tracée pour avoir C ; je prends de même sur o'(BC) la corde x'xj' et je la transporte à partir de BenB' sur C(BC) op. : (6C1 + -2C3). Je joins CB', BC op. : (4R, + 2R,), qui se coupent en A. ABC est le triangle cherché. En tout : op. : (4Ri -\- .SR^ + HC^ + C, + 6C3) ; simplicité 2o ; exac- titude 16 ; 3 droites, 6 cercles. Il est clair que si l'on fait la construction soit sur le côté donné, soit en prenant l'un des angles donnés comme angle du triangle cherché, le symbole de la construction sera plus simple. Dans le premier cas, on n'aura pas besoin de prendre la longueur a, ni de tracer une droite, ni de reporter a sur cette droite, et les cercles tracés de 0, 0', C comme centres, le seront avec un rayon quelconque R, mais il faudra tracer en plus B(R); le symbole sera donc : Op. : (4R,-f2R, -^lOCi + eCa), et, dans le second cas : Op. : (2R, -h R. + 8C1 -f 4C3). XIV. — Constt^uire un triangle ABC, connaissant le côté AB = c, le côté AC = h et l'angle BAC = xoy. Je trace une droite quelconque op. : (R^). A partir d'un point A quelconque sur cette droite, je prends AC = 6 op. : (2Ci + C, + C3). simplifiant s'il y a lieu, et aussi parce que, étant loin de me douter alors que, à peu près toutes les constructions fondamentales données depuis Eudide dans les Géométries élémentaires étaient trop compliquées; quelquefois un peu, quelquefois de moitié; cette répétition apparente me permet de donner des constructions plus simples qui doivent devenir logiquement les constructions clas- siques. Il est étonnant que des questions didactiques aussi simples, placées au commencement de la Géométrie, étaient insuffisamment étudiées après tant de générations; aussi lorsque le hasard me conduisit à faire cette remarque, je fus très surpris, mais je me l'expliquai, parce que les géomètres, n'ayant pas de critérium à ce sujet, ne se sont occupés que de la simplicité de l'expression, de la liaison évidente d'un théorème avec une construction qu'ils indiquaient sans qu'ils aient systémati- quement porté leur attention sur la partie pratique de l'exécution, et sur les conditions raisonnées de sa simplicité. Par exemple, dans un énoncé : joindre les pôles de deux droites, est aussi rapide à dire et forme une phrase aussi simple que -.joindre un point donné au sommet d'un angle, et, le compas à la main, c'est fort différent, puisqu'il faut d'abord construire les pôles, etc. É. LEMOINE. — LA GÉOMÉTROGRAPHIE 43 Je trace o(AC) op. : (Ci + C3). Je prends xy et je trace C{xy) qui coupe A(AC) en B'. . op. : (3Ci -f C,) ; je trace AB' op. ; (2Bi-f-R»)- Je prends la longueur c que je porte en AB sur AB'. . op. : (3Ci + C3) ; je trace CB op. : (âBj + B,). Symbole : op. : (4B, + 3R, + 9C, + C. + iCs); simplicité 21; exac- titude 14; 3 droites, 4 cercles, XV. — Construire un triangle connaissant deux côtés a, et h et V angle B opposé à l'un d'eux. On trouve pour les deux solutions, quand la solution est possible : Op. : (6R, + 4R, + 9Gi + C, + 4C3) ; simplicité 24 ; exactitude 16 ; 4 droites, 4 cercles. XVI. — Construire un triangle connaissant les trois côtés. On trouve : op. : (4Ri + 3R, -f- 8C1 + C, + 3C3); simplicité 19; exac- titude 12; 3 droites et 3 cercles. XVII. — Par un point A pris hoi's d'une droite BC, mener une parallèle à cette droite. La méthode classique donne : Op. : (2Ri + Bj + oCi -j- 3C^); simplicité H; exactitude 7; 1 droite, 3 cercles (*). Mais en voici deux qui donnent des résultats plus simples et qui m'ont été indiquées par M. Tarry (Gaston) : 1° Par A je fais passer un cercle coupant BC en B et en C op. : (Cl +C3). Je prends BA et je trace le cercle CfBA) qui coupe le premier cercle en D et je joins AD op. : rSRi -f R^ + 3Ci + 3C3). Symbole : op. : (2Ri + R,, + 4Ci +2C3) ; simplicité 9 ; exactitude 6 ; 1 droite, 2 cercles. 2° Je construis un losange ABCD : Op. : (2Ri 4- 2R2 + 3Ci -f 3C3) ; simplicité 9 ; exactitude S ; 1 droite, 3 cercles. (•) Je profite de l'occasion pour faire une remarque ne se rapportant d'ailleurs pas directement à notre sujet. On sait que la construction s'opère ainsi : on décrit un cercle C(CB), un cercle B(CB), un cercle B(AC) qui coupe C(CB) en deux points D et D'; CD est parallèle à AB. .l'ai cherché le lieu de D' quand le rayon varie. On trouve immédiatement qu'il a pour équation : ? = . C étant le pôle, CD l'axe polaire, l la distance de C à AB, sm — 2 44 MATHÉMATIUUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Remarque. — Ces simplifications sont importantes à cause de la fré- quence de cette construction dans les épures. 3" Cas oii la droite BC, non tracée, est donnée par deux points B et C. Je prends BC, je trace A(BC) op. : (3Ci + C,). Je prends AB, je trace CfAB) op. : (3Ci + C,). Ces deux cercles se coupent en D, je trace AD . . . op. : (2Ri -f Rj. Symbole : op. : {tK, -\- R., + 6Ci + 2Cjj ; simplicité il ; exactitude 8; 1 droite, 2 cercles. XVIII. — Tracer une perpendiculaire en son milieu à une droite limitée par deux points ou placer le milieu d'une longueur donnée . Symbole : op. : (2R, + R, + ^Ci + 2C,) ; simplicité 7 ; exactitude 4; 1 droite, 2 cercles. XVIIF'^ — Placer le point symétrique A' d'un point A par rapport à une droite donnée BC. De deux points quelconques B, C, de BC, je décris les cercles B(BA) C(CA) qui se coupent en A' : Op. : {iC^ -\- 2C., + 2C3):, simplicité 6; exactitude 4; 2 cercles. On peut aussi décrire A(R) qui coupe BC en B et en C ; décrire B(AB), C(AB) qui se coupent en A' : Op. : (3Ci + 3C3) ; simplicité 6 ; exactitude 3; 3 cercles. Si la droite BC non tracée était donnée par deux points B et C, le sym- bole serait : Op. : (4C, + 2C3). XIX. — D'écrire un cercle sur une droite donnée AB comme diamètre. On prend le milieu 0 de AB. . . . op. : (i2Ri + R, + 20^ + 2C3). On prend la longueur OA, puis on décrit 0(0A). . op. : (2Ci + C3). Symbole : op. : (2Ri -j- Rjj + 4Ci -j- SCj) ; simplicité 10 ; exactitude 6; 1 droite, 3 cercles. XX. — Tracer par un point C une perpendiculaire à une droite AB. 1° Le point C est hors de la droite. Méthode classique. a) Symbole : op. : (2Rj + R., + SC^ -j- 3C3) ; simplicité 9; exacti- tude o; 1 droite, 3 cercles. É. LEMOINE. — LA GKOMÉTROGRAPHIE 45 Autre méthode. b) B étant un point quelconque de AB je décris B(BCj qui coupe AB en A op. : (C, + Cl +C3). Je prends AC et je décris A(AC) qui coupe B(BC) en C, je trace CC . op. : (2R, + R, + 2C, + C,). Symbole total : op. : m, + R^ + 3C, + C, +2C3;; simplicité 9; exactitude 6 ; 1 droite, 2 cercles. 2° Le point C est sur AB. Méthode classique. a) Même symbole et mêmes opérations élémentaires que si C est hors de la droite; la méthode suivante est un peu plus simple. b) Je place une pointe en un point arbitraire quelconque 0 hors de AB; je place l'autre pointe en C et je décris la circonférence 0(0C) qui coupe aussi AB en A ; je trace AO qui coupe 0(0C; qw C . op. : r-2Rj + R, 4- C, + C3). Je trace ce op. : (2R, -[- R,;. Symbole : op. : (4R, + 2R2 -{- Ci + C3); simplicité 8; exactitude o; 2 droites, 1 cercle. Remarque. — Cette méthode h que l'on donne classiquement pour le cas où la droite AB ne peut être prolongée au delà de A est plus simple que la méthode a générale classique donnée lorsque C est quelconque sur AB ; b doit donc être toujours employée et il n'y a pas à séparer le cas où C tombe en A, A étant l'extrémité de AB lorsque cette position est imposée par les dimensions de l'épure. Si l'on veut élever une perpendiculaire quelconque à AB, on a alors : Symbole : op. : (4Ri -f- 2R2 + Cj; simplicité 7; exactitude 4; 2 droites, 1 cercle. On peut aussi, par A et R, points quelconques de AB, tracer deux cercles quelconques; ils se coupent suivant une perpendiculaire à AB. Op. : (2Ri -f- R, + 2C, + 2C3) ; simplicité 7 ; exactitude 4 ; 1 droite, 2 cercles. Si l'on veut élever une pei^pendiculaire quelconque à une droite (non tracée) donnée par deux points A et B, on décrit A (Rj, B (R'i ; R et R' étant quelconques, l'intersection de ces deux cercles résout la question. Op. : (2Ri + R, + 2Ci +2C3J ; simplicité 7; exactitude 4; 1 droite, 2 cercles. Abaisser d'un point C extérieur à une droite (non tracée) donnée par deux points A et B, une perpendiculaire sur sa direction. On mène A(ACj, B(BC) l'intersection de ces deux cercles est la per- pendiculaire cherchée. 46 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Op. : (2Ri + R2 + iCi + 2C3) ; simplicité 9 ; exactitude 6 ; 1 droite,. 2 cercles. Remarque I. — Si l'on veut mener la perpendiculaire en A à une droite AR non tracée et donnée par deux points A et R, il faut faire ainsi : Tracer R(R), A(R) d'un même rayon R quelconque se coupant en C, puis C(R) passant en A et R, tracer RC qui coupe C(R) en C et tracer AC. Op. : (4R^ -|- 2R2 + 3Ci + 3C3) ; simplicité 12 ; exactitude?; 2 droites,. 3 cercles. Il est assez curieux de remarquer que lorsque la droite est donnée par deux points A et R, il est plus simple de lui mener une perpendiculaire par un point quelconque que par l'un des points donnés. Remarque IL — Lorsque, dans une construction, on aura à élever des perpendiculaires en n points A, R, C, D... donnés de droites données L, M, N, P. . . il y a avantag-e, si n > S, à opérer ainsi : Je mène une première perpendiculaire en A à M par une opération dont la simplicité est 8 (voir XX, 9." b). Je décris de tous les points donnés comme centres des circonférences de même rayon ; simplicité 2n. Je prends sur la circonférence tracée en A la corde du quadrant ; sim- plicité 2. Je la reporte sur toutes les autres circonférences et, par leur moyen, je trace les perpendiculaires; simplicité 5 (n — 1). Donc elles seront tracées par une opération de simplicité 5 + 7w, au lieu de Sn que donnerait la construction générale. 11 y aura donc avan- tage à la prendre si : 5 + 7n < 8« ou o < n. XXI. — Décrire une circonférence passant par trois points donnés. Op. : (4Ri -f 2R2 + SCi + 4C3) ; simplicité 15 ; exactitude 9; 2 droites, 4 cercles. XXII. — Diviser un angle donné en deux parties égales. Op. : (2Ri + R2 + 3Ci + 3C3); simplicité 9 ; exactitude 5 ; 4 droites, 3 cercles. Si l'angle donné RÂC est déterminé par son sommet A et par deux points R et C appartenant chacun à l'un des côtés de l'angle à diviser, le symbole de la construction se trouverait augmenté du tracé des deux droites AR, AC ; mais on peut économiser quelque chose et n'en tracer qu'une en opérant comme il suit : É. LEMOLNE. — LA GÉOMÉTROGRAPHIE 47 Je trace AB op. : (2Ri -|- R^). Je décris A(AC) qui coupe AB en C dans le sens AB. . .op. : (2Ci -f- C3). Puis je décris C(AC), C'(AC) qui se coupent en D, et je trace AD. . . op. :(2R, + R, + 2Ci + 2C3J. AD est la bissectrice de l'angle BAC. En tout : op. : (4Ri + 2R, + 40^ + 3C3) ; simplicité 13; exactitude 8; 2 droites, 3 cercles. XXIII. — Divise?- un arc donné en deux parties égales. Op. : (2Ri + R, + 2Ci + 2C3) ; simplicité 7 ; exactitude 4 ; 1 droite, 2 cercles. Quand nous donnons un cercle ou un arc de cercle, nous supposons toujours, comme dans cette construction, que le centre en est placé, s'il ne l'était pas on le placerait par la construction dont le symbole est ... . op. : (4R, + 2R, + 3C, + 3C3 ) sur la réalisation de laquelle il n'y a pas besoin d'insister. XXIV. — Tracer la bissectrice de Vangle formé par deux droites AB, CD, qu'on ne peut pas prolonger jusqu'à leur point d'intersection X (*;. D'un point A quelconque de AB, je trace (R étant quelconque) A(R) qui coupe CD en C et AB en B ; je trace C(R) qui coupe CD en D op. : fCi + C, + 2C3I. B et D étant tous deux du même côté de AC. Je trace B(R) qui coupe C(R) en J, D(R) qui coupe A(R) en I op. : (2C1+2C3) Je trace AJ, CI op. : r4Ri + 2Rj. Ces deux droites se coupent en M, point de la bissectrice cherchée. Je trace un cercle quelconque M(R'; qui coupe AB en H, CD en G. . . op. : (Cl + C3). G et H étant les points d'intersection tels que GX = HX. Je prends un point quelconque M' à égale distance de G et de H ; je trace MM' op. : (2Ri + R, + 2C, + 2C3). Op. : 6R1 + 3R, + 6Ci + C, + 7C,) ; simplicité 23; exactitude 13; 3 droites, 7 cercles. 11 y a un grand nombre de solutions simples du même problème qui peuvent être utiles; mais je ne donne que celle-ci, qui est la plus simple que j'aie trouvée, afin de ne pas développer outre mesure notre mémoire. Cette observation s'applique à beaucoup d'autres problèmes traités ici. (*) J'ai donné dans le mémoire d'Oran déjà cité, une solution de ce problème beaucoup plus compliquée graphiquement ; je n'avais pas encore l'esprit exercé a chercher les simplifications gra- phiques pour elles-mêmes, ainsi que je l'ai déjà dit. 48 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE. GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE M est soit le centre du cercle inscrit au triangle AGX, soit celui du cercle ex-inscrit au même triangle tangent au côté AG, suivant que D et B sont d'un côté ou d'un autre de AG (qu'il ne faut pas tracer). J'aurais pu continuer la construction en cherchant le centre y. de celui des deux cercles tangents qui n'est pas M; mais la construction eût été un peu plus compliquée, ainsi qu'il est facile de le voir. XXV. — Tracer par un point A pris sur une circonférence de centre 0 une tangente à la circonférence. La solution classique est un peu trop compliquée, elle donne : Op. : (6Ri -f- 3R2 -f- G, + C3); simpHcité 11; exactitude 7; 3 droites, 1 cercle. En voici une préférable : Je trace A(AO) qui coupe OiOA) en B, je trace B(BA) qui coupe A(AO) en G, je trace G(CA) qui coupe B(BAj en D, je trace AD. Op. : (2R, -f- Rj + 4G, + 3G,,); simplicité 10; exactitude 6; 1 droite, 3 cercles. XXVI. — Tracer d'un point extérieur A les deux tangentes à un cercle donné de centre 0 (*i. 1° Je trace un diamètre quelconque GOD op. : (Ri -(-f'-i*- Je prends OA et je décris G(OA), D(OA) se coupant en E, op. : (iGj -j- 2G3). Je prends EO et je décris A(EO) qui coupe la circonférence donnée en G et en H. op. : (3G, +G3). Je trace AG, AH op. : (4Ri + m^). Op. : (5Ri4-3R2 + 7Gi + 3G,5i; simplicité 18; exactitude 12; 3 droites, 3 cercles. 2° Je trace la sécante quelconque ABG (B entre A et G); je trace G(GA) op. : (R, -f- R, + ±C, + C3). Sur BC je prends BD = GA, D étant de l'autre côté de B que G; je trace D(GA) qui coupe G(GAj en K op. : (2Gi + 2C,). Il est facile de voir que AK est la moyenne [proportionnelle entre AB et AG . Je décris A(AK) qui coupe la circonférence donnée en I et I'; je trace AI, AI' op. : (4R, + 2B, + 2Gi + G,,) qui sont les tangentes cherchées. Op. : (5R, 4-3R, + 6C, +4G3) ; simplicité 18; exactitude 11; 3 droites, 4 cercles. (*) La solution claBsique qui consiste à décrire une circonfi'Tenee sur OA comme diamètre, etc., donne le symbole : op. : (8Ri r AR2 — ''•Ci t- 3C3). Dans mon mémoire d'uran, j'avais mis : op. : (6K, -'- 3R; + iCj - 3C3). Seulement, j'avais oublié de compter la droite OA qu'il faut tracer. Les deux solutions que je donne ici sont un peu plus simples que cette solution classique. É. LEMOINE. — LA GÉOMÉTROGRAPHIE 49 XX VII. — Inscrire un cercle dans un triangle donné ABC. Qu'il s'agisse d'un cercle inscrit ou d'un cercle ex-inscrit, la mé- thode classique par les bissectrices des angles du triangle conduit au symbole : Op. : (6Ri-j-3R, + IIC1 -l-lOCg); simplicité 30; exactitude 17; 3 droites, 10 cercles. Si l'on voulait tracer les trois autres cercles tangents, on aurait en plus à ajouter : op. : (12Ri -}- OR^ + l^Ci -|- I3C3). En tout, par conséquent : Op.:(18Ri-{-9R,-f-27Ci + 23C3); simplicité 77 ; exactitude 45 ; 18 droi- tes, 23 cercles. Voici une solution plus simple, mais qui ne se présenterait certes point à l'esprit si l'on ne dirigeait point l'attention vers la recherche systématique de la simplicité de la construction (fîg. 1). J'appelle P, Q, R les points de contact du cercle inscrit sur BC, CA, AB et 0 le centre de ce cercle. Sur BA, dans le sens BA, je prends AD = AC; sur B A, dans le sens BA, je prends BE == BC op. : ( 4Ci + 2C3). Je décris A(DEi qui coupe AB en R' (R' est dans le sens ABi, et AC en Q' (Q' est dans le sens AC) op. : (3Ci -f C3) ; il est évident que AR = AQ = '" ^ ~" ^ et que, par suite, R et Q sont les milieux de AR' et de AQ'; 0 est donc le centre du cercle circonscrit au triangle AQ'R'. Je trace R'(DE) qui coupe A(DE) en deux points; en joignant ces points, j'ai un lieu de 0 op. : (2Ri -f- R^ -j- ^ + C3I. Je trace Q'(DEj qui coupe A(DE) en deux points; en joignant ces points, j'ai un autre lieu de 0 op. : (2Ri -|- R^ -}- d -f- Cg). Je décris 0(0R) qui est le cercle cherché op. : (2Ci-f-C3'i. Op. : (4Ri H- 2R, + ilC^ -j- 6C3) ; simplicité 23; exactitude lo ; 2 droites, 6 cercles. En appliquant la transformation continue (voir A. F., Congrès de Mar- seille, 1891), on arrive immédiatement à la construction qu'il faudrait faire pour tracer un cercle ex-inscrit ; elle a le même symbole que celle du tracé du cercle ex-inscrit. 4* oO MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Si l'on veut tracer les quatre cercles tangents, il vaut mieux commencer par les trois cercles ex-inscrits et finir par le cercle inscrit en joignant AO^,.BO,„ etc. On a : Op.: (I8R1 -f 9R., -f 26Ci + I3C3); simplicité 66; exactitude 44; 9 droites, 13 cercles. XXYIII. — Construire sur une droite donnée AB un segment capable d'un angle donné ECD. La méthode classique, conduite sans lignes inutiles, donne : Op. : (6R1 + 3R, + lOCi + 7C3) ; simplicité 26 ; exactitude 16 ; 3 droites, 7 cercles. Voici une construction plus simple (fig. 2) : Je trace Ai ABj, B(AB) qui se coupent en P et en Q . . . op. : (3Ci + 2C3) . Je trace C(AB) qui coupe CD en D, CE en E; je prends F sur C(AB) tel que arc EF = arc ED . . . . . . . op. : aCi-f^iCg). .Je prends D sur A(AB)tel que arc BI*D = arc DEF ; je trace BD, PQ se coupant en 0; je trace 0(0A) op.: (iR^-f2R, + oCi + 2C3, et l'on a le segment cherché : Op. : (4Ri + 2R., + llCi + 6C3) ; simplicité 23; exactitude 15; 2 droites, 6 cercles. XXIX. — Construire les tangentes communes à deux circonférences données 0 et 0'. PREMIÈRE MÉTHODE Premier cas. — Les deux circonférences sont extérieures (*j, il y a quatre tangentes communes; soit 0 la plus grande des deux circonfé- rences. Fig. 2. (*) Pour éviter les erreurs et faciliter la formation du symbole d'une opération, j'écris ordinaire- ment, de la façon dont je le fais dans cette première méthode, les symboles des opérations com- posantes. É. LEMOINE. — LA GÉOMÉTROGRAPHIE 51 Je trace 00' 00' coupe la circonférence 0 en A et la circonférence 0' en A', A et A' étant entre les points 0 et 0'. Je prends A'O' que je porte de part et d'autre de A en B' et B", B' étant porté vers le sens AO Je trace 0(OB'j, 0(0B") Je prends le milieu (o de 00' Je décris (o(coO) qui coupe O(OB') en I et J et 0(OB")en Ii et J, 01 et OJ coupent 0(0A i en 1' et J' . . . . OIi etOJj coupent 0(0A) enl'i et J', . . . . Je trace les perpendiculaires à 01' et à 01,' menées respectivement par 1' et par l'i ; elles coupent 00' en V et Vj Je trace VJ', V^j; Ri R, c, c. c. 2 1 3 1 4 2 1 2 2 2 1 4 "2 \ 9 8 i 2 2 24 2 1^2 13 8 Op. : (24Ri + 12R, + 13Ci + 8C3) ; simplicité 37; exactitude 37; 12 droites, 8 cercles. Si l'on n'a à tracer que les deux tangentes communes extérieures ou les deux intérieures, on aura seulement : Op.: {12Ri + 6R2+ lOC, + 6C3) ; simplicité 34; exactitude 22; 6 droites, 6 cercles. Deuxième cas. — Los circonférences se coupent; il n'y a que les deux tangentes extérieures. On trouve : Op. : (14Ri -1- 7R2 -f lOCi + 'JCg,) ; simplicité 37; exactitude 24; 7 droites, 6 cercles. Troisième cas. — Les circonférences se touchent extérieurement. On trouve : Op. : (I6R1 -f 8R, + 12c, -f 8C3) : simplicité 44 ; exactitude 28 ; 8 droites, 8 cercles. Remarquons qu'il faut placer B" en même temps que l'on place B' parce que B' et B" serviront alors pour mener la perpendiculaire en AetOA qui est une des tangentes. Quatrième cas. — Les circonférences se touchent intérieurement. On trace 00' et l'on mène en A la perpendiculaire à OA : 52 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Op. : (6Ri + 3R, + C, -f ^'2); simplicité il ; exactitude 7 ; 3 droites, 1 cercle. DEUXIÈME MÉTHODE Premier cas. — Les deux circonférences sont extérieures l'une à l'autre (fig. 3). FiG. 3. Je trace 00' op. : (2Ri + R^). Aux notations de la première méthode, j'ajoute celles-ci : J'appelle Aj et A'^ les seconds points d'intersection de 00' avec les deux circonférences 0 et 0'. Je prends sur le cercle 0 les points a et aj tels que AO = Aa = A^a^ . op. : ("2Ci + C3). a et «j sont placés de part et d'autre de 00'; je prends sur le cercle 0' un point a' du même côté de 00' que a et tel que A',0':= A[a'; je trace aa' qui coupe 00' en V et ol^o.' qui coupe 00' en Vj op. :(4R, + 2R, + 2C, + C3). Il me suffit maintenant de mener de V et de V^ les tangentes soit à 0, soit à 0' au moyen de l'une des deux solutions indiquées par la cons- truction XXVI, et de remarquer qu'il faut en diminuer les symboles de op. : (Ri -\- Rj), puisque nous pouvons nous servir dans la première, comme diamètre quelconque du diamètre 00' déjà tracé, et dans la seconde également de 00' comme de la sécante quelconque qu'il faut mener ; en adoptant la première construction, on a : Op. : (liRi + 'îRa + I8C1 + 8C3); simplicité 48; exactitude 32; 7 droites, 8 cercles. En adoptant la seconde : Op. : (14Ri + 7R, 4- I6C1 + IOC3) ; simplicité 48; exactitude 30; 7 droites, 10 cercles. É. LEMOINE, — LA GÉOMÉTROGRAPHIE 53 Si l'on n'a à tracer que deux tangentes communes, soit extérieures, soit intérieures, on aura seulement : Op. : (8Ri + 4R, -f- llCi + SC3J ; simplicité 28; exactitude 19; 4 droites, o cercles. Deuxième cas. — Les circonférences se coupent. En employant la première construction du n° XXVI, on trouve : Op. : (8Ri + 4R2 + llCi + 5C3) ; simplicité 28 ; exactitude 19 ; 4 droites, 5 cercles. En employant la deuxième construction, on trouve : Op. : (8R1 + 4R, + lOCi H- 6C3) ; simplicité 28 ; exactitude 18 ; 4 droites, 6 cercles. Troisième cas. — Les circonférences se touchent extérieurement. En employant la première construction : Op. : (14Ri + 7R, + 13Ci + TCg) ; simplicité il ; exactitude 27 ; " droites, 7 cercles. En employant la deuxième construction : Op. : (14Ri + 7R, 4- 12Ci -f 8C3) ; simplicité 41; exactitude 26; 7 droites, 8 cercles. Quatrième cas. — Les deux circonférences se touchent intérieurement, comme dans la première méthode. XXX. — Construire une droite CD qui soit n fois une longueur donnée AB': 1° sans marquer les divisions intermédiaires; 2° en marquant les divisions. En se reportant à VIII, on trouve : i" Op. : [R, + (n + 2)C, + Cj. 2° Op. : [R, + (n + ijC, + C, -f nC,]. Pour certaines valeurs de n, on peut avoir des constructions particuUères plus simples. XXXI. — Construire une droite CD qui soit la n'"« partie d'une droite donnée AB. Je trace deux droites quelconques OH, OL op. : (2R2). Je porte AB en OH op. : (3Ci -f C3). Sur OL je prends la longueur OL égale à w fois une ouverture de compas quelconque et j'en marque les deux dernières divisions K et L . . . . op. : (2Ci + nCg). 54 MATUKMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Par K je mène une parallèle à LH (sans tracer LHj op.: (2R, 4- R, + 6C. + 2C3) qui coupe OH en G; GH est la longueur cherchée. Op. : [m, + 3R, + llCi + (n + SjCa]. Simplicité 19 +n; exactitude w -|- 10 (les C3 de OL comptent évidem- ment ici, sauf l'avant-dernier, pour estimer l'exactitude); 3 droites, (n -|- 3j cercles . Remarque. — Pour certaines valeurs de n: 2,3, 4, 2p, etc. par exemple, on peut trouver des constructions particulières plus simples. XXXII. — Divise?' une droite AR en p parties proportionnelles à des droites données Uj, n.^, ... n . Je mène par R une droite RX op. : (Rj + R^) ; Je prends sur RX, RXj = n^\ NjxN^ = n.^, . . . N ,N = w . . . op. : [^(3Ci + C3)]. Je trace AN^ op.: (2Ri + R.,). En chacun des points N ,, iN„_^, . . . Xj, je fais avec N R des angles égauxà RNpA, op.: [2(;j — 1)R, + (jo — 1)R,+ (2p-f l)C, + (2/) — IjC^J. Op. : [(ip + l)Ri + <> + 1,)R. + i5p + IjCi + (3yj - ijCj; simpli- cité lljo -f 2' exactitude 7j9 + 2; (j? + 1) droites, (3jj — Ij cercles. Remarque. — Si les parties n,, w^, ... n étaient trop petites ou trop grandes pour être employées directement, on les rendrait toutes À fois plus grandes ou 1 fois plus petites, ce que nous savons faire par les opéra- tions XXX ou XXXI, et l'on calculerait facilement le symbole, lequel serait alors plus compliqué. Si plusieurs des parties Wj, w^, ... n ^ sont égales sans qu'elles le soient toutes, et que l'on ait plusieurs compas (*), le symbole général se sim- plifie. (*) Nous supposons toujours, si Ton ne prévient du contraire, que l'on ne se sert que d'un seul compas ; mais il y a des opérations où il est avantageux d'en avoir plusieurs ; cela arrive si, ayant pris avec le compas une certaine longueur, on a encore besoin de celte même longueur dans la suite de la co nstruction après avoir été obligé de déranger l'ouverture du compas pour prendre une autre longueur; chaque fois que l'on n'est pas obligé de faire ce changement d'ouverture, on gagne : op. : (2C1) . Remarquons encore que si la construction se déduit du raisonnement géométrique, l'ordre des constructions n'a pas besoin de suivre l'ordre de ce raisonnement. Ainsi, si le raisonnement montre à diverses parties de son développement, que l'on a à construire plusieurs cercles de même rayon dont les centres sont déjà fixés lorsque l'on construit le premier, il faudra évidemment les décrire tous pendant que l'on a ce rayon dans l'ouverture du compas, etc. ; aussi est-il nécessaire, pour toute construction faite avec soin, de l'étudier à l'avance dans son ensemble, d'en faire l'étude par une sorte de croquis raisonné pour arriver le plus simplement possible au résultat cherché ; il y a un or< véritable des constructions géométriques dont on ne s'est jamais systématiquement préoc- cupé ; le géomètre, comme je l'ai di'jàfait remarquer, dit aussi simplement: « Je prends la polaire de A par rap port au cercle 0 » qu'il dit : « Je joins les deux points A et B » et la chose exécutée est bien différente. Le géomètre cherche la simplicité delà plirase, de la déduction, de l'idée , si l'énoncé de la conslruction qu'il indique est simple, il dit : « La construction est simple » ; c'est de cette sim- plicité d ont on s'est exclusivement occupé jusqu'ici. L'art de la conslruction géométrique ou Géométro- graphie se place à un tout autre point de vue. E. LEMOINE. LA GEOMETROGRAPHIE 00 XXXIII. — Construire la quatrième proportionnelle X à trois droites N . P données 31, N, P : X = -— -- > M ou : Diviser une longueur P proportionnellement à deux longueurs données M et N. Voici la construction classique : a) Je trace deux droites qui se coupent en A op.: (2Rj). Sur un des côtés et dans le même sens, je prends AB = M; AD = N; puis sur l'autre côté AC ^ P op.: (9C1 + 3C3). Puis, par D une parallèle à BC, je mène cette parallèle (sans tracer BCj par l'opération op.: (2Ri -1- Rj -)- 6C1 -f- SCjj. J'ai ainsi : Op.: (2Ri 4- 3R, + 13Ci -f- 0C3) ; simplicité 2o; exactitude 17; 3 droites, 5 cercles. Remarquons même que si j'avais tiré BC, comme l'indiquent toutes les constructions classiques, j'aurais eu le symbole un peu plus compli- qué (quoique en employant la méthode simplifiée, voir XVII, pour mener par un point D une parallèle à une droite BC) suivant : Op. : (4Ri -f- 4R5i -f l'^Ci -j- ^Cj! ; simplicité 26; exactitude 17; 4 droites, 5 cercles. Mais il y a d'autres constructions quHl faut employer de préférence parce qu'elles sont plus simples. °/ :^" b) Je trace (fig. 4) une droite quelconque . ^ op. : (R,). Je prends sur cette droite RA=:N; RB = P . . . . . .op.:(5Ci+C, + 2C3J. Je construis un cercle pas- sant par les points A et B ; je construis R(M) qui coupe en C le cercle passant par A et B op.: (6C, + 4G3). .Je trace la droite RCD (D sur le cercle passant par A et B) op.: (2Ri+R,). Op.: (2Ri -|- 2R, + IIC^ -f C, -j- 6C3); simplicité 22; exactitude 14; 2 droites, 6 cercles. c) Je trace (fig. S) une circonférence d'un rayon plus grand que la moitié de la plus grande des trois lignes M, N, P op.: (Cj). Je prends à partir d'un poiat quelconque R de cette circonférence des Fig. 4. / / / / — -— Vb -;'^" 36 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCAMQUE cordes RA , RB, RC égales respectivement à N, P, M, op . : (8Ci + C^ + SCg). A et B étant de part et d'autre de R, je trace AB . op. : (2Ri -f- R^). Je prends sur la circonférence passant par A, B, C AE = BC, E et C étant du même côté de AB. . . op. : (8Ci -|- C3). Je trace RE qui coupe AB en H . . . op. : (2R, + R,). RH est X, car les deux triangles ARH, CRB sont semblables, etc. Op. : (4Ri + 2R, + HC, + C, + 5C3); F,g g, simplicité 23; exactitude 16; 2 droites, 5 cercles. Les constructions que nous indiquons dans tout ce travail sont géné- rales, à moins que nous n'avertissions du contraire, c'est-à-dire qu'elles peuvent toujours s'appliquer avec n'importe quelles données, et cela est indispensable pour l'étude générale de la simplicité d'une question donnée, puisque ce sont des constructions fondamentales d'où l'on part pour éta- blir le symbole d'une construction à efTectuer. Ainsi, par les constructions N . V a, h, c, quels que soient M, N, P, la quatrième proportionnelle peut se construire. Il y a quelquefois des constructions plus simples que celles que nous venons de donner, mais alors elles ne sont pas générales; par N . P exemple, pour tracer la quatrième proportionnelle ? on peut opérer ainsi lorsque "S et P sont plus petits que 2M (voir Journal de Vuibert, 1881-82, p. 58). d) Je trace d'un point quelconque 0 le cercle 0(M); d'un point quel- conque R du cercle, je trace R(N) qui coupe 0(M) en A « op.: (4C, + C, + 2C3). Je trace A(P) qui coupe 0(M) en B (R, A, B étant dans le même sens); je trace B(P) qui coupe R(N) en A et en A'. AA' est la quatrième proportionnelle cherchée. . .op.: (5Ci -|- 2Cj). Op.: (8C1 -f- C2 -|- 4C3); simplicité 13; exactitude 9; 4 cercles. Il y en a beaucoup d'autres du même genre (voir, par exemple. Journal de Vuibert, 1881-82 p. 59j. Cette dernière est aussi indiquée dans Ma- thesis, 1892, p. I08, mais sans que l'on y ait fait observer son défaut de généralité. Il est, du reste, fort intéressant de connaître les principales constructions non générales des problèmes fondamentaux de la construction, parce qu'on doit les appliquer à l'occasion, et aussi de connaître les solutions générales moins simples que celles que nous donnons ici, parce que, quand certaines lignes sont déjà tracées sur la figure, elles peuvent É. LEMOINE. — LA GÉOMÉTROGRAPHIE 57 devenir les plus simples; mais avant de les accepter pour établir le symbole d'une construction, il faut : pour les premières, examiner si les conditions restrictives qu'elles exigent sont remplies; pour les secondes, si leur emploi simplifie effectivement la construction. XXXIV. — Construire la troisième proportionnelle X := M Si, dans les constructions du problème XXXIII, on suppose N = P, on aura la construction cherchée. La construction a) donnera . . . .op.: (4Ri -{- iR^ + lOCj + 4C3); b) .) . . op. : (2R, + 2R, + OC^ + C, + 6C3), par une modification facile, en remplaçant le cercle passant en A et en R par un cercle tangent çn A à RA, puisque A et R se confondent. c) donnera op : (iR^ + 2R, + oCi + C, + SC.,). Il suffira de prendre sur le cercle tracé au commencement de la cons- truction, corde RA = corde RR = N , A et R étant pris de part et d'autre de R, de prendre corde RC = M, de tracer RC qui coupera AR en H, RH est la longueur cherchée (*). d) Construction non généi^ale puisqu'elle exige 2N -< M ; on trouve . . op. : (6C, + C, + 4C3J. La plus simple construction générale que je connaisse de la troisième proportionnelle X = — , dérivée de XXXIII, se déduit donc de c par le symbole : Op.: (4R, + 2R, + oCi + C^ + SCg) ; simplicité 15 ; exactitude 10; 2 droites, 3 cercles. Si Von a .• N <; 2M, en voici encore une fort simple : Je trace R(M), R est quelconque op.: (2Ct -f C3). A étant quelconque sur R(M), je trace A(N) . .op.: (2Ci + Cjj -f C3). Je trace RD qui coupe A(N) en G . . . . . . . . op..- (2Ri -f- ^^2)^ on a CD = X. Op.: (2Ri + R2 + 4Ci -4- C, + 2C3); simplicité 10; exactitude 7; 1 droite, 2 cercles. XXXIV'"'. — Dam un triangle ARC, construire les longueurs : 6* c^ c' a' a* b^ bc ca ab — , — , —, —, — , — , — , — _ , — . aabbccabc La construction pour ciiacune d'elles est plus simple que les construc- tions générales XXXIII et XXXIV, parce qu'elle est exécutée dans un triangle tracé. {*) Cette construction donne le théorème suivant : Si dans un trkmyle ARC on mène du point A la perpendiculaire au nn/on OR du cercle circonscril à ARC, celte perpendicuUnve coupera le côU; CR en un point H el l'on aura AR2 r= RH . RC. ■ 58 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Je fais l'angle BAK = C, K étant sur BC dans le sens BC. On a : AK r^ — , BK =^^= - • a a Op.: (2Bi + R, + 5Ci + 3C3). En faisant l'angle CAH = B, H étant dans le sens CB, on aurait de hr fe* même AH = - = AK ; CH = - • a a On utilise fréquemment cette construction dans la géométrie du triangle. XXXV. — Construire la moyenne propoi'tionnelle entre deux droites données M et N, X'^ = M . N. Employons d'abord les deux solutions classiques, cependant en faisant les économies possibles de tracé que suggèrent notre méthode. La première fondée sur la proposition : Dans un triangle rectangle, la perpendiculaire abaissée du sommet de V angle droit sur V hypoténuse est moyenne proportionnelle entrée les deux segments de F hypoténuse; La seconde sur : La longueur de la tangente menée d'un point A à un cercle est moyenne 'proportionnelle entre les distances du point A aux points B e^ C oit une sécante menée par A coupe le cercle. a) Je trace une ligne AB sur laquelle je prends AB = M, BC = N. . op.:(R, +5C, + C, + 2C3), soit AB >• BC. Je décris un cercle sur AC comme diamètre en utilisant pour prendre le milieu 0 de AC la circonférence A(Mj tracée pour avoir B, ce qui fait une économie de op.: (Ci -|- C3), il reste op.: (2Ri + R, + 3Ci + 2C3). Au point B, j'élève une perpendiculaire sur AC qui coupe 0(0C) en D; je l'obtiens par le symbole . . . op.: (SRj -|- R^ -|- 2Ci -f 2C3), si j'ai eu soin, en traçant B(1N) pour placer C, de marquer le second point C où B(N) coupe AC. DB est la moyenne proportionnelle cherchée. Op. : (4Ri + 3R2 + lOCi + C2 + 6C3); simplicité 24; exactitude 15; 3 droites, 6 cercles. h) Je trace une ligne AB sur laquelle je prends AC = N, AB =: M. . . ". op.: (R, + 5Ci+C. + 2C3). Je décris sur CB comme diamètre une circonférence en utilisant pour trouver le milieu de CB la circonférence A(M) tracée pour trouver B; soit 0 le milieu de CB op.: (2Ri + R, + 3Ci + 2C3). Sur AO comme diamètre, je décris une circonférence qui coupe 0(0C) enD op.: (2Ri + R, + 4Ci + 3C3). É. LEMOIM:. — LA GÉOMÉTROGRAPHIK 59 AD, qu'on n'a pas besoin de tracer, est la moyenne proportionnelle cherchée. Op. : (4Ri + 3R, + 12C, + C, + IC,) ; simplicité 27 ; exactitude 17; 3 droites, 7 cercles. Note, — Si j'emploie deux compas, je puis économiser op.: (Ci -|- Cjj en me servant, pour trouver le milieu de AO, de la circonférence A(AB), et l'on aurait : Op. : (4Ri + 3R, + IIC^ + C, + 6C3); simplicité ±6; exactitude 16 , 3 droites, 6 cercles. Ce qui montre que, au point de vue graphique, contrairement à l'obser- vation faite généralement, les deux solutions classiques a et 6 sont bien près d'être équivalentes (voir Rouché et de Comberousse, Traité de Géo- métrie, l""*" partie, p. 152); elles sont d'ailleurs toutes deux très mauvake.s, quoique nous les ayions simplifiées par des économies de lignes. Voici la meilleure que je connaisse : c) Soit toujours M la plus grande des deux lignes M et N, je trace une droite AB quelconque op.: (R.j. Je trace A(M;, A étant un point quelconque sur AB, op.: (2Ci -f-C.^ + Cj). A(Mj coupe AB en B; je trace B(]N) qui coupe BA en C entre B et A; je trace C(N) qui coupe B(N) en P et Q op.: (4Ci + 2C3). Je trace PQ qui coupe A(M) en H op.: (2Ri + ^2)- BH est la droite cherchée. Op. : (2Ri + 2R, + fiC^ + C, + 3C3); simplicité 14 ; exactitude 9; 2 droites, 3 cercles. Cj) On peut aussi opérer ainsi : D'un point quelconque C je trace C(Mj. Je trace un rayon quelconque CR qui coupe C(Mj en B op. : (Ri + R, + 2Ci + C,). Je décris B(N) qui coupe BC en K, entre B et C ; je trace K(N) qui coupe B(N)enP et en Q op. : aC, + 2C3). Je trace PQ qui coupe C(M) en A op. : (2Ri + R^). AK ou AB est la moyenne proportionnelle cherchée, car les deux triangles isocèles ACB, BAK sont semblables et ont AR côté commun. Op. : (3Ri + 2R, + 6C1 + 3C3); simplicité 14 ; exactitude 9; 2 droites, 3 cercles. On ne peut dire que cette méthode de construire une moyenne pro- portionnelle soit foncièrement nouvelle, car, à une très légère modifica- tion graphique près, qui donne 14 au lieu de 15 comme simplicité, on la trouve (A^, A., 1857, p. 125), sous le nom de M. Edm.-Aug. Gouz-ij. de Lausanne, mais énoncée sans commentaire qui en fasse ressortir l'extrême simplicité. Son symbole, en exécutant l'opération dans l'ordre où l'énoncé de k 60 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE M. Gouzy l'indique, est : op. : (K^ -\- SCj -\- C.^ -f- SCg), ce qui est la moitié de ce que serait l'opération classique exécutée, comme on le fait ordinairement, sans les simplifications que nous avons faites, suggérées par l'idée systématique de simplification. On n'avait du reste aucun cri- térium positif de la simplicité ; depuis quelques années on a signalé cette construction dans les journaux de l'enseignement et quelques professeurs l'ont indiquée dans leurs cours, toutefois sans dire qu'elle devait rem- placer les constructions a et b. Je ne suis pas familiarisé avec les méthodes de la statique graphique, mais je crois que la théorie de la Simplicité et de l'Exactitude des cons- tructions y trouvera une large application. (C'est aussi la construction de M. Gouzy qui se trouve indiquée dans les Leçons de Statique graphique de M. ^. Favaro, traduction Terrier, deuxième partie, p. 68, 1885.) Voici deux autres solutions simples — moins simples cependant que c ou Cj — du même problème : M d) Je trace (fig. 6) un cercle quelconque d'un rayon OB tel que OB >> -;t et j'y trace la corde BC égale à M. . . op. : (2Ri + R^ + 2C, -f C, + 2C3). Sur BC je prends BK = N ; K étant \/^ entre B et C . . . op. : (3Ci -f C3). / \ De K j'abaisse une perpendiculaire . \ sur OB, sans que OB soit tracé, en '/'i I me servant du cercle B(N) déjà tracé / '' ,' pour avoir k /' ... op. : m, + R, ■■{- 2C, + Ce). c\ ^.-,r.-.-.*-''-- -/B (vette perpendiculaire coupe en A le cercle 0(0B). "■~^--.,_ _,--'''' AB est la moyenne proportionnelle ^ „ cherchée. Fig. 6. Op.:(4R, + 2R,-f7C, + C,-f4C3); simplicité 18 ; exactitude 12.; 2 droites, 4 cercles. di) On peut aussi tracer BK = N comme corde d'un cercle de rayon suffisant et de centre 0 quelconque. . op. : (2Ri -f- R^ -|- 2Ci -f- 2C3). Puis prendre BC = M ; C étant sur BK dans le sens BK op. : (3Ci + C3). Puis de C abaisser, sans tracer OB, une perpendiculaire sur OB qui coupe le cercle 0(0B) en A op. : 2Ri + R^ -(- 2C, + C3). AB est la droite cherchée parce que les deux triangles BCA, BKA sont semblables et onl le côté BA commun. d) et c?i) ont le même symbole. e) Je signalerai encore la construction élégante que vient d'indiquer M. Lém Colette (Mathesis, p. 192, 1892). É. LEMOLNE. — LA GÉOMÉTROGRAPHIE 61 Je trace (fîg. 7) un cercle quelconque 0(0A), OA étant plus grand que M. De A, point quelconque de ce cercle comme centre, je trace A(M) qui coupe 0(0 A) en B et en C, puis A(N) qui coupe 0(0A) en F et en G; les "T\" points F, B, C, G se succédant dans / \ cet ordre, F, B, C, G op. : 5C, + C, + 3C3). \V g/ Traçons AB, AC qui rencontrent P^n^ / 0 \ y-' \ A(N) en D et en E ; puis DE "^^-V-dV-" -,->É:"""r'* op. :(6R, -I-3R,) x\/ \/y qui rencontre 0(0A) en M ; AM est la ^/V-- -'^'^^^ moyenne cherchée. Op.:(6Bi + 3R, + 5C, + C, + 3C3): simplicité 18 ; exactitude 12 ; 3 droites, 3 cercles. XXXVI. — Divise?' une droite AB en moyenne et extrême raison. a) Par la méthode classique : Je prends le milieu oj de AB et j'élève en B une perpendiculaire à AB. . op. :(4R,+2R, + 4C, 4-4C3). Sur la perpendiculaire à AB menée en B, je prends Bco = BO et je trace i)(BO) op. : (3Ci + 2C3). Je trace Aw qui coupe oj(BO) en deux points l etm, l étant entre A et oj op. : {m, + Rj. Je trace A(A/) qui coupe AB en M entre A et B . . .op. : (2Ci -|- C3). AM et BM sont les segments cherchés. Op. : (6R1 -|- 3R2 + 9Ci -]- 7C3); simplicité 2o ; exactitude lo; 3 droites, 7 cercles. 6) Voici un moyen qui m'a été indiqué par le général Parmentier, mais le symbole en est un peu plus compliqué. J'élève en B une perpendiculaire à AB et je prends sur elle BC = 2AB, la bissectrice de l'angle CAB coupe BC enD; je prends sur BA, BM = BD; M est le point cherché. c) La construction suivante est la plus simple que je connaisse ; elle s'appuie sur ce théorème : Si la longueur de la tangente menée du point M à un cercle est égale à la longueur d'une corde AB de ce cercle, corde pas- sant par M, MA et MB sont les plus grands segments (additifs ou sous trac- tifs) de AB divisée en moyenne et extrême raison (M, B, A se succédant dans cet ordre). Je décris (fg. 8) A(AB), B(ABj qui se coupent en C et C ; je décris C(AB) op. : (4Ci +3C3). (O 62 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCAMQUE Je mène par A Ja tangente à C(.\lî), pour cela je décris C'(AB) qui coupe B(AB) en D et je trace AD op. : i2Ri + R, + C, +C3). ^ C'est la tangente cherchée, elle ^ — „, \ coupe A(AI{) en E. Je décris C(CEj ^ ^^,. / op. : (2C, + C,) '■ ~ ^\~-~ ■' quj coupe BA en M. Comme la ^ ,_ j^ ; / tangente menée de M à C(AB) a M^K ^>!<^ i'' '~^i-? même longueur que AE, et par /' '* / ~ suite que AB, AM est la longueur du plus grand segment de AB divisé additivement en moyenne \>.;-:'' et extrême raison. Je décris donc A(AM) qui me "^' ^' donne sur AB le point de divi- sion cherché P op. : (2C, + C3I. En tout : op. : (2Ri -|- U,^ -|- (iC, -\- (iC.,); simplicité 18 ; exactitude II : 1 droite, 6 cercles. Remarque. — Cette construction est beaucoup plus simple que la cons- truction classique, cependant il peut sembler, en regardant la figure 8, qu'elle soit plus compliquée ; cette a|)parcnce tient à ce que, dans la figure 8, nous avons tracé toiUe>i les lignes dont on se sert, tandis que, pour la figure classique, qu'on est habitué à voir, on dit simplement : je mène en B une perpendiculaire à AB, je porte sur cette perpendiculaire une longueur égale à la moitié de AB, etc., mais on ne trace sur la figure aucune des lignes auxiliaires nécessaires à ces opérations ; si on les trace toutes, la plus grande complication du procédé classique saute immédiatement à l'œil ; une remarque analogue s'appliquerait à presque toutes les questions que nous traitons dans ce mémoire. XXXVII. — Tracer par un point P une droite passant par le point de rencontre de deux droites données que l'on ne peut prolonger Jusque-là. Ce problème a reçu un très grand nombre de solutions. Voici celle dont le symbole est le plus simple parmi celles que je connais : Soient AA'A", BB'B", les deux droites données : Je mène deux droites quelconques A'B', A"B" se coupant en I, puis une autre droite lAB quelconque, mais passant en I. .op. : (Rj -|- 3R,J. Je trace PA' et PB' qui coupent AIR respectivement en E et en F; puis A"E et B"F qui se coupent en P' op. : (8R1 + 4R,). Je trace PP' qui est la droite cherchée op. : (2Ri -|-R.). Op. : (lIRi "|- 8R2) ; simplicité 19; exactitude 11 ; 8 droites. K. LEMOINE. — LA GÉOMKTROGRAPHIE 63 XXXVIII. — Placer le point A' réciproque du point donné A par rapport à un cercle donné de rayon R et de centre 0. Deux cas à examiner : 1« 0A>?. 2 Je trace A(AO) qui coupe 0(R) en B et eu C. Je trace B(Rj, C(R) qui se coupent en 0 et en A . A' est le point cherché. Op. : (oCi -f- 3C3); simplicité 8; exactitude 5; 3 cercles. 2" OA < 2R. Je irace OA ; je trace A(R) qui coupe 0(R; en H op. : r2R, + R, +3(:, + C3J. Je trace R(R) qui coupe 0(R) en D et D' ; je trace DD' qui coupe OA en A' op. : (2R, + R, + C, + il,). En tout : op. : (4Ri + 2R, + 4Ci + 2C3) ; simplicité 12 ; exacti- tude 8 ; 2 cercles, 2 droites. Ainsi, dans la recherche du symbole général d'une construction, c'est ce dernier symbole qu'il faudra adopter pour compter la recherche du réci- proque d'un point A par rapport à un cercle de rayon R, s'il ne résulte T» pas des données générales que OA >> — • là Voici une construction qui s'applique aussi quel que soit A, mais elle est un peu plus compliquée. Je trace un cercle de centre A coupant le cercle donné en B et en C. Je trace AB, AC qui coupent le cercle donné en B' et en C op. : i4Rt -f 2R, -|- Ci + C,). Je trace B'C, C'B qui se coupent en A' op. : ikW^ -\- 2R.j. Op. : (8R1 -|- 4R2 + Cl — C3;; simplicité 14 ; exactitude 9; 4 droites, 1 cercle. XXXIX. — Tracer la polaire d'un point A par rapport à une circonférence de centre 0 et de rayon R. aj Par A je mène deux droites quelconques : la première coupant la circonférence en B et B', la seconde en C et C . . . op. : ("IW^ -j- !2R.^). Je trace B'C et BC se coupant en D, et [iC, CB' se coupant en E. Je trace ED, c'est la polaire cherchée. Op. : (12R, -\- 'Riji; simplicité 19; exaclitude 12; 7 droites. 64 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE. GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE b) Je peux aussi, D étant marqué comme précédemment, abaisser une perpendiculaire de D sur OA (sans tracer OA) op. : (2R, + R, + 4C, + 2C3). En tout : op. : (8R1 +5R2 + 4C1 + 2C3); simplicité 19; exactitude 12; 5 droites, 2 cercles. Je n'ai pu trouver de construction générale de la polaire d'un point donné A par rapport à un cercle qui soit plus simple que ces deux-là. C'est par erreur que j'indique 15 comme Simplicité, dans ma note de ■D Mathesis, 1888, page 222. Je n'avais pas remarqué le cas qm 0A<;— • Il y a un grand nombre de constructions pm^ticuliéres du même problème. r> c) Construction non générale applicable dans le cas où l'on a : OA > -^ • Je décris A(OA) qui coupe le cercle donné en B et en C. Je décris B(R), C(R) qui se coupent en A' réciproque de A \ . . op. : (5Ci + 3C3). Je trace OC qui coupe C(R) en D; je trace DA'. . . op. : {iR^ -\- 2R2) ; c'est la polaire cherchée. Op. : (4Ri + 2R, + 5Ci + 3C3); simplicité 14; exactitude 9; 2 droites, 3 cercles. Si A est extérieur au cercle donné, on peut aussi tracer un cercle sur OA comme diamètre; l'intersection des deux cercles est la polaire cherchée; le symbole est alors : Op. : (6R1 + 3R2 + 4Ci + 3C3); simplicité 16 ; exactitude 10 ; 3 droites, 3 cercles. XL. — Placer le pôle L d'une droite XY par rapport à une circonférence donnée de centre 0 et de rayon R. Deux cas à considérer : 1° XY coupe le cercle 0(R) en M et en N. Je mène la tangente en M au cercle 0(Rj (voir construction XXV i. . . ^ op. : (m, + R, + 4C, + 3C3). Je trace le cercle N(R) qui coupe en 0' le cercle M(R) tracé pour avoir la tangente en M . op. : (Ci + Cg). Je trace 00' op. : (2Ri + R,) ; 00' coupe la tangente en M au pôle cherché L. Op. : (4Ri + 2R, + SC^ -j- 4C3) ; simplicité 15 ; exactitude 9; 2 droites, 4 cercles. 2° XY ne coupe pas le cercle 0(R). (Cette solution s'applique même si XY coupe le cercle 0(R) pourvu que la distance de 0 à XY soit supé- . R rieure a — 2 K. LEMOIXK, LA GKOMÉTROGRAPHIE 65 De 0 j'abaisse sur XY une perpendiculaire dont le pied sur XY est F et qui coupe 0(R) en K du même côté de 0 que F. . . . . • OP- : (2Ri + R. + 3C, + 3C3). Je décris F(FO) qui coupe OiR) en H ; je décris H(R) qui coupe OF en L op. : (4C, + 2C3). L est le pôle cherché ; car les deux triangles isocèles semblables OFH, OHL ont le côté commun OH, donc OH^ ou R^ = OL.OF. Op. : (2Ri + R, 4- 7Ci + 0C3J ; simplicité lo ; exactitude 9 ; 1 droite, S cercles. Ces deux cas constituent par leur ensemble une construction générale de simplicité lo, car si Tune n'est pas applicable, l'autre l'est. Il y a encore un grand nombre de constructions générales pour le même problème, mais je n'en connais pas d'aussi simples que les deux que je donne ici. XLI. — Tracer F axe radical de deux circonférences données 0(R), O'(R'). Je trace deux circonférences : co(c), 0/(0') qui coupent chacune les deux circonférences données, etc. Op. : (lORi + oR, + ±C,); simplicité 17; exactitude 10; 5 droites, 2 cercles. Si les circonférences se touchent, le symbole si! réduit à celui de la tan- gente au point de contact op. : (2Ri + R, -f- 4Ci -}- 3C3). Si elles se coupent, à op. : (2R 4- R ) XLII. — Placer le centre radical de trois circonférences Rj, R^, R^, a) Ri, R,, R3 sont extérieures l'une à l'autre, ou bien l'une, R3, par exemple, est tangente à l'une seulement des deux premières. On trace les deux circonférences oj(p), w'(p') du problème précédent de façon qu'elles coupent les trois circonférences données ; on trouve : Op. : (I6R1 + 8R, -f- 2C3). b) Rj et R, sont extérieures et R3 touche R^ et R,, ou elles se touchent deux à deux. Je trace cofp) seulement; au moyen de cofpj, je construis un point M, de i'axe radical de R^ et R3 ; je joins K^ au point de contact Li de Rj et de R3. Li étant placé en traçant 0^ O3. , . . op. : (SR^ + m.^ -f C3). De même, je construis un point K, de l'axe radical de R, et R3 et je joins K^ au point de contact L^ de R, et de R, . . . op.: (6R, + 3Rj. En tout : Op. : MfîR, -f- 8R, -f C3). c) Ri, Rj se coupent, R3 est extérieur. 66 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Je trace ojfpj, o/(p'); je détermine l'axe radical de R^ et de R3 ou de R., et de R3 qui coupe l'intersection de Ri et de R, au point cherché. Op.: (16Ri + 8R, + -2C3J. d) Ri, Ra se coupent, R3 touche l'une des deux premières ou toutes les deux. Je ne trace que w(p) et je détermine avec cette circonférence l'axe radical de deux circonférences se touchant : Op. : (8R1 + 4R, + C3J. e) Rj, Rj, R3 se coupent deux à deux : Op.: (4Ri + 2R,). XLIII. — Placer un point M dominé par ses coordonnées cartésiennes x, y relatives à deux axes donnés ox, oy. Je prends Ok — x sur l'axe des a^ op. : (3Ci -f C3). Je prends OB = y sur l'axe des ?/ op. : (3Ci + C3). Je décris A(y) op. : (C3 + C3). Puis, reprenant x entre les branches du compas, je décris B(ic) op.: f3C, + C3). A(?/) et B(ic) se coupent en M : Op. : (lOGi -f 4C3) ; simplicité 14 ; exactitude 10 ; 4 cercles. Si je me sers de deux compas, je n'ai pas à reprendre x, mais à me servir du premier; j'économise ainsi 2Ci et j'ai seulement: Op. : (8C1 + 4C3J (*j. XLIV. — Placer les centres de similitude V et V, de deux circonférences 0(Rj, 0'(R'j. En se reportant à la construction XXIK (deuxième méthode), on voit que ces points se déterminent par le symbole : (♦) Cette question est l'une (le celles que j'ai déjà traitées (Congrès d'Oran, 18S8, p. 92, conslruc- lion XXW, et Bulletin de la Soc. muth. de France, t. XVI, 1887-88, p. 163); mais, quelque simple qu'elle soit, j'avais donné un symbole trop compliqué, parce que j'avais adopté une autre construc- tion usuelle, aussi simple que celle-ci à exprimer ; mon attention n'étant pas alors fixée comme maintenant sur les dilférences qui existent entre les diverses constructions fondamentales, j'avais choisi et évalué la première construction classique qui m'était venue à l'esprit, la regardant, sans examen, comme équivalente aux autres ; il y a des erreurs analogues dans beaucoup des constructions que j'ai données jusqu'ici. Celles de ce mémoire senties plus simples ryue/ot/)« trouver, mais elles ne sont fixées, comme les plus simples effectivement, que tant que les géomètres n'en auront pas trouvé de préférables. C'est un petit travail expérimental qui sera fait très rapidement, parles uns el par les autres, si la question intéresse. Il y a deux ans, j'ai eu à ce sujet une assez longue corres- pondance avec M. G. Tarri/ et je saisis celte occasion de le remercier, car un grand nombre des simi)lif)cations que j'ai faites ici m'ont été indiquées par lui dans celle correspondance. K. LEMOLNE. — LA GÉOMÉTKOGRAI'HIE 67 Op. : (6Ri + 3R, + 4C, -}- 2C3) ; simplicité 15 ; exactitude 10 ; 3 droites, 2 cercles. Un seul des deux centres se déterminerait par : Op. : (4R, + 21Î, + 4C, + 2C,j. XLV. — Tracer les quatre axes de similitude de trois circonférences données 0(R), O'fR'j, 0"(R"j. a) En déterminant les centres de similitude par la construction pré- cédente, remarquant qu'il n'y a besoin que de placer les quatre centres de similitude de 0(R) et 0"(R"j, de 0'(R'j et de 0"(R"j, que O'O n'est pas utile à tracer, on a le symbole: Op.: (20Ri + lOR, + lOCi + 6C3) ; simplicité 46; exactitude 30; 10 droites, 6 cercles. 6) On peut opérer un peu plus simplement. Je trace 00', O'O", 00" op. : { — ; — j abc É. LEMOI.NE. I,A GÉOMÉTROGRAPHIE 83 LXI. — Placer le point de Nagel : , etc. a Soit al^ f^ c. Je trace \(a) qui coupe AC en p dans le sens AC et AB en y dans le s«nsAB op. : (3C, +C,). Je trace C(C8j qui coupe CB en .S, dans le sens CB et B^ B-.'j qui coupe BC en Y, dans le sens BC op. : (4C, + 2Cj). Je trace y^^ et vv^ qui se coupent en point de Nagel, op. : (4Bi -f- 2B,). Op. : (4R, + 2B, + 7C, +3C31; simplicité \Q; exactitude 11 ; 2 droites, 3 cercles. On vérifie facilement cette construction du point de Xagel, parce que les équations de }}^ et de w, sont respectivement : a-x — b'^y -f- cz\a — èi = 0, — a-x + hy(c — a) -\- ez = 0, droites qui se coupent au point de Nagel. On placerait par une construction analogue déduite de la précédente par transformation continue en A, en B et en C, les transformés continus : P P — '^ P — ^ ' — 7— • ; etc.. du point de NaqeL a 0 o "^ T vir D/ / • , ^ a^j^ + a*c^ — b^c- LMi. — Placer le point <ï> : ■ . etc. >'ous avons fréquemment rencontré ce point ivoir ./. E., 1883, pro- blème VU, p.nS; A. F., Congrès de Grenoble. 188o, § 2, p. 28; 4 F., Congrès de Toulouse, § 2, 3, 4% p. 23, etc. j ; c'est aussi, comme nous l'avons montré, le centre radical des trois cercles de Neuberg. «I» est le point où se coupent les deux brocardiennes de la droite de Lemoine par rapport à la droite de l'infini. -Nous le construirons en partant de la propriété suivante : Si A' e.Ht la symétrique de A par rapport au milieu de BC, A, le pied de la sy médiane partant de A, A'A, passe en <^. Je place A' et C comme il suit : Je prends AC; je trace la parallèle à AC menée par B en traçant un losange dont le côté ait pour longueur AC, qui s'appuie sur la droite AC, en ayant un sommet en B, les points A' et C sont ainsi placés par les intersections de cette parallèle et du cercle BiACi qui a servi à la tracer op. : <-2Rj + R, -j-oC, + 3C3I Ceci exige que j'aie choisi pour B un sommet tel que AC soit plus grand que la hauteur partant de B. Au moyen des cercles CiCC), AfAA'i, je 8i MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE prends sur les arcs qu'ils comprennent entre les côtés des angles C et A les symétriques C" et A" de C et de A', par rapport aux bissectrices des angles C et A, C" et A" sont sur les symédianes partant de C et de A. Ces syinédianes coupent AB et CB en Cl et A, op.: (4R, + 2B, + 10Ci+4C3j. Je trace C'Ci, A'Ai op.: (4R, + !2R j. Ces droites se coupent au point •!> obtenu ainsi par le symbole : Op. : (lORi + 0R2 + loCi + 7C3J; simplicité 37; exactitude 2o; 5 droites, 7 cercles. ^i b'^c^ LXIII. — Placer le pobii W : , etc. a Ce point s'est aussi très souvent présenté à nous. {N. A., 1885, § 1, n° 4, p. 204; i. F., Congrès de Limoges, 1890, p. 124; Congrès de Mar- seille. 1891, p. 15o, n° 18; voir, à propos de ce dernier refert, le renvoi indiqué à la construction b donnée plus loin, du problème qui nous occupe.) Je vais d'abord placer ce point en me servant des valeurs de ses coor- données, je donnerai ensuite une autre méthode plus simple. a) Pour réduire les coordonnées données de W à des lignes, je les divi- serai toutes trois par une même quantité qui devra être le produit de deux lignes. .Je choisis le produit bc de deux côtés du triangle, ce qui me paraît permettre les plus grandes réductions possibles dans la construc- fa' a bc\ /b^ a^ c\ tion ; ces coordonnées peuvent alors s écrire : I U ( - — T" I ) ' c* a"" 6^ a* c'^ b"^ à^ bc , _ , — , — b b c c a abréger, j'appelle respectivement /j, Z,^, /3, Z^, /j. On pourrait faire pour cela cinq fois la construction XXXIV*"*, mais il y a des économies possibles. i" Je n'ai, pour les cinq constructions, à tracer que trois cercles ayant pour centres A, B, C, en les prenant d'un même rayon; cela économisera : op. : (7C, + 7C3). a- c* 2° Pour avoir -7-5-7-» j'ai à faire les angles A et G en B; b b •' ° » — ? — » » » A et B en C ; c c » — » » l'angle C ou l'angle B en A. fSe reporter au détail de la construction citée.) Je ne prendrai donc entre les branches du compas qu'une fois la corde, Il faut donc construire d'abord les lignes —■, — > —-, — > — que, pour K. LEMOINE. — I-.V C.ÉOMÉTROGRAPHIK 85 correspondant, dans les trois cercles tracés, aux angles A, B, C, puisque ces cercles sont tracés et que je pourrai alors utiliser, pour les constructions des angles, la corde d'un angle au moment où je l'aurai dans les branches du compas; j'économiserai parla: op. : (4Ci). / a J'ai ramené ainsi la solution à construire le pomt : Ui - — U (k — ^ r) ' (^2 — ^4 - ) ' n'ayant encore fait que o[2Ri + R2 + ^Ci -\- 30^] _7C^_7C3-4Cj,ou op.: [iORi + 5R, + l^C, + 8C3]. ,, , « , c b Pour prendre les trois quatrièmes proportionnelles /i •- 5 h-f h'-' I que j'appelle >.i, )>2» ^3' j'opère ainsi : Comtruction de 1. ou\.-- : c Je porte AB en CL sur CB dans le sens CB . . . .op. : (3Ci -f C3). Je porte l^ en CL' sur CA dans le sens CA . . . . op. : (SC^ -\- C3) ; puis je mènerai par B une parallèle à LL' (sans tracer LL'}, construc- tion XVIL I .a 3° Cette parallèle coupera CA en L" et CL" sera — ou Àj op. : (2R. + R, + 6C, + 2C3). c Comtmction de X, ou\.-- : ' b Par L', je mène une parallèle à AL fsans tracer AL) .op. : r2R,+R, + 6C, +2C3), qui coupe CB en N; CX sera 1^. Construction de 1.^ ou I4 • - : Je porle l^ sur CB en CP dans la direction CB. . .op. : {3Ci 4- C3). Par P, je mène une parallèle à LA (sans tracer LA) ....'. op. : (2R, + R. + 6C1 + 2C3), qui coupe CA en P'; CP' sera X3. J'ai maintenant à construire les trois longueurs À; — 4, /g — l^, l„ — X,. Ce que je fais en portant /^ sur Xj, X,^ sur ^3, A3 sur l, dans le sens convenable par op. : ^BCi -j- 3C3), et j'ai enfin trois longueurs \k^, ;j.,^, 1x3 par le symbole op. : ( i6R, + 8R, + SOCj + 2OC3). Il ne me restera plus, pour placer W, qu'à faire la construction XLIX du point dont les coordonnées normales proportionnelles sont : ;xi, [j..,, [j-^, et je l'aurai obtenu par le symbole total : Op. : (32Hi + IGR, + OSC^ + 32C3); simplicité 148; exactitude 100; 16 droites, 32 cercles. 86 MATHÉMATIQUES, ASTROiNOMlK, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE b) Je m'appuierai, pour effectuer la seconde construction, sur le moyen de construire le point V^ : x'x.iy';:, — z'y,), etc., connaissant les points M' : x', y\ z' et M, : x„ y„ z^, moyen que j'ai donné au Congrès de Mar- seille, A. F., 1891, p. 15o, n" 13 (*). On voit que, si M' et M^ sont les points de Brocard, Yi est le point W : , etc., dont nous nous occupons. a Je place les points de Brocard W et M^ par la construction LIV. . . op. : (12R, + 6R, + 12C, + 8C3), Comme, dans cette construction, je n'ai tracé que deux des droites AM', BM', CM' et deux des droites AM^, BM^, CM^, je trace les deux autres, qui me sont nécessaires ici op. : (4Ri -f" -ï^i)- Je place le point appelé a (loco citato) op. : (4Ri -j- 2R2), et je trace la droite Aa, qui contient W et la droite B?, qui contient aussi W op- • (8R. + ■^^■2)' W se trouve alors placé au moyen du symbole : Op. : ("28Ri + 14R, + 12Ci + SC,;; simplicité 62; exactitude 40; 14 droites, 8 cercles. Et rien ne dit, naturellement, qu'en s'appuyant sur d'autres propriétés du point W, on ne trouverait pas mieux. J'ai traité cette question surtout pour donner un exemple de la façon de discuter les problèmes de construction; j'ajouterai que les constructions tirées des théorèmes de la géométrie du triangle (comme la construction b de ce point W) sont, pour ainsi dire, toujours beaucoup plus simples que celles qui sont déduites simplement de la valeur des coordonnées du point à construire, quelque soin que l'on mette d'ailleurs, comme je l'ai fait ici, à économiser les constructions en profitant de toutes les simpli- fications que la nature des données suggère. Toutes ces remarques très simples qui se font vite et facilement dès que l'on a un peu l'habitude de construire avec nos principes sont, comme l'on voit, fort longues et assez fastidieuses à détailler, à cause même de leur degré d'évidence; en suivant ce mémoire, un crayon à la main, on verra qu'il se lit sans aucun effort et que presque partout la pensée du lecteur suivra immédiatement ou même devancera notre exposition, car les connaissances nécessitées par la théorie proprement dite de Vart des constructions se bornent aux trois premiers livres de la Géométrie de Legendre. J'ai répété quelquefois diverses observations ; je ne l'ai pas fait sans intention, car le sujet traité étant nouveau, j'ai cru bon d'insister ainsi (*) A l'endroit cité, il y a quelques mots sautés à l'impression: page 153, ligne i, en remontant, il a'' — Ij'-c- faut, après points de Brocard, ajouter : V, est le pomt , etc. K. LEMOINE. LA GÉOMÉTROGRAPHIE 87 sur certains détails lorsqu'ils se présentaient à plusieurs endroits d'une façon naturelle, afin de ne pas obliger le lecteur à se souvenir de tout ce qui avait été dit précédemment. Nous n'avons pas eu pour but, dans l'étude de la Simplicité et de l'Exac- titude des constructions, de créer quelque chose qui correspondît exactement aux cas de la pratique ; nous croyons, du reste, la chose impossible pour beaucoup de raisons : par exemple, on ne peut que compter également, dans une théorie quelconque, l'intersection de deux droites, quelles qu'elles soient, l'intersection d'un cercle et d'une droite, etc., et si, dans une épure, l'une des droites est tout entière hors du papier, si le cercle a un rayon considérable, si les deux droites coïncident presque, etc., etc., les opérations sont, en réalité, quelquefois impraticables, quelquefois fort ditficiles; aussi l'appréciation de toutes les combinaisons diverses qui peuvent se présenter de cette façon échappe bien évidemment à toute mesure. De ce que nos mesures ne correspondent pas à la réalité immé- diate, on ne peut conclure à la stérilité de la méthode, pas plus que — si parva licet componere magnis — on ne peut dire de la mécanique ration- nelle qu'elle est inutile parce qu'elle ne correspond point à la pratique. Du reste, rien que ce travail, où sont simplifiées effectivement par notre méthode les constructions fondamentales, séculairement admises, de la géométrie, suffit pour établir son utilité, car il est difficile de croire que si l'attention des géomètres avait été attirée de ce côté, ils eussent mis comme à plaisir, de toute antiquité, dans les traités didactiques, des types de construction compliqués, s'ils avaient pensé qu'il en existât de plus simples. Nous avons fait les hypothèses suivantes ; Tous les cercles sont également faciles à tracer. Toutes les droites sont également faciles à tracer. C'est-à-dire que nous opérons sur une feuille infinie et que la grandeur des compas et des règles est illimitée. C'est dans le même esprit que nous avons raisonné pour donner le même symbole C^ à l'opération qui consiste à mettre la pointe d'un compas en un point A lorsqu'une des pointes est hbre et à l'opération qui consiste à mettre la seconde pointe du compas en un point A lorsque la première est maintenue en un autre point B, — opération que l'on fait pour prendre, entre les branches du compas, la distance qui sépare les deux points A et B. — Nous n'avons considéré que ceci : dans les deux cas nous faisons coïncider une pointe avec un point déterminé, ne nous occupant pas de la manœuvre à laquelle l'instrument nous oblige pour cela ; on peut remarquer, du reste, que si la manœuvre est différente effectivement, le soin à mettre pour faire les deux opérations est le même, si l'on veut obtenir la plus grande exactitude possible. Dans une pareille 88 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE théorie, l'on se trouvera toujours entre la spéculation pure et les faits, puisqu'il n'y a pas de représentation réelle du point, ce que nous consi- dérons comme tel, étant une petite surface, soit sur l'épure, soit à la pointe du compas, etc. Il pourrait encore sembler nécessaire de tenir compte du nombre de fois que la construction oblige cà changer d'instruments en quittant le compas pour reprendre la règle et réciproquement ; on emploierait pour cela un nouveau symbole, — la chose serait, du reste, facile — mais elle nous semble superflue et ne se trouve pas dans le point de vue où nous nous sommes placés; d'abord, ce changement d'instrument n'est ni une opération de pré- paration Ri, Cl, C,, ni une opération de tracé R^, C3 qui importe au résultat ; ensuite l'idée qui la ferait admettre, c'est le désir de tenir compte du temps et nous ne considérons pas directement cet élément. Nous disons que la construction A est plus simple que la construction B si A exige moins d'opérations élémentaires théoriques que la construction B, voilà tout. Les positions des données amènent en pratique des impossibilités ou des complications de tracés pour résoudre les difficultés, alors le temps serait évidemment un élément à considérer, mais nous croyons impossible de le faire théoriquement ; on peut objecter aussi que le temps employé à l'étude prélim.inaire de la construction à exécuter compense celui qu'on gagnerait à exécuter l'épure sans tant de recherches, mais d'abord un peu d'exercice rend cet examen rapide et, surtout, nous ne considérons pas le temps, mais nous avons en vue l'exactitude de l'épure qui est évidem- ment d'autant plus grande qu'il y a moins d'opérations à effectuer, puisque chacune d'elles entraîne une erreur (*). C'est toujours en suivant la même idée théorique que nous avons adopte l'hypothèse que les opérations élémentaires Rj, Rg. C,, C2, C3 étaient égales pour former le coefficient de simplicité, nous les considérons comme des éléments et une opération de simplicité n est une opération qui exige n opérations élémentaires. Il serait facile d'imaginer des moyens qui sembleraient évaluer les rapports de la durée des opérations élémentaires en faisant exécuter en même temps plusieurs constructions déterminées, par des ensembles de bons dessinateurs, lesquels répéteraient m fois la même construction, de marquer le temps et de déduire de là, en prenant les coefficients de Ri, (*) A propos de l'influence du nombre des opérations sur l'exactitude finale du résultat, noussigna- lerons une question qui nous semble fort intéressante, mais que nous n'avons pas poursuivie, parce que sa solution dépend de spéculations avec lesquelles nous ne sommes pas très familiarisés. J'appelle E l'erreur m(jyenne probable que l'on fait sur cbaque opération élémentaire, E,j l'erreur probable finale d'une construction dont la simplicité est n. Cela posé, quelle est la valeur probable E„ de — si un même résultat est recherché par deux solutions qui exigent respectivement n et n' opé- rations élémentaires, c'est-à-dire dont les coefficients de simplicil(' sont n et n'? K. LEMOl.NE. LA GÉOMÉTROGRAPHIE 89 Rj, etc. comme inconnues, des équations qui permettraient de déterminer leurs rapports de durée ; mais en y réfléchissant un peu, l'on voit que l'on n'aurait ainsi que des valeurs s'appliquant aux circonstances parti- culières des épures adoptées pour faire cette expérience, et nullement à la pratique générale ; la chose peut avoir cependant un intérêt de curiosité, quoique nous ne fassions pas intervenir directement le temps dans Vcri de la construction géométrique, et nous avons le projet de la mettre à exé- cution, si nous trouvons des circonstances favorables pour cela. J'ai déjà dit que les géomètres n'avaient jusqu'ici cherché que la sim^ plicité spéculative du raisonnement et de l'expression, qu'ils n'ont pas paru soupçonner que la simplicité de la construction réelle était tout autre. Cela vient évidemment de ce que les géomètres construisent peu en général, et Vart de la construction n'a pas eu jusqu'ici de place dans la géométrie : 1" parce que les géomètres spéculatifs ne s'en sont jamais occupé ; 2° parce que les dessinateurs de profession n'ont en général que très peu besoin de ces subtilités dans les constructions usuelles de leur métier; qu'ils doivent avoir l'esprit plus apphqué à la pratique propre- ment dite qu'à des recherches théoriques (cependant utilisables par eux et qu'ils ont adopté, sans examen et tout naturellement, les constructions indiquées de tout temps par les géomètres dans les livres didactiques qu'ils ont entre les mains. Il n'est point surprenant que la simplicité du raisonnement spéculatif ne corresponde pas très fréquemment à la simplicité de la construction : i° Parce que le lexique géométrique permet de condenser souvent en un mot des opérations très complexes ; 2° Parce que le raisonnement est libre de toute entrave, tandis que la construction est assujettie à se servir de certains instruments déterminés, la règle et le compas (-), au moyen desquels il faut que tout s'exécute. Lorsque l'idée nous est venue de nous occuper de ces questions, nous avions songé d'abord à une autre représentation des constructions, dont nous allons dire quelques mots. Avec une règle on ne peut faire autre chose, pour une construction, que : Tracer une droite quelconque op. : (oj ; Tracer une droite passant par un point donné op. : (cj ; Tracer une droite passant par deux points donnés op.: (03). Et, avec un compas, que : prendre entre les branches du compas la dis- tance de deux points op. : (y ). Reporter cette distance sur une ligne donnée : (*) Nous n'avons pas considéré ici Téquerre parce qu'on ne remploie pas dans les construction.s nul doivent être très exactes; mais, ainsi que nous l'avons montré (A. F., (1888, Congrès dOran, p. 9 et ailleurs), il est l'acile d'évaluer le symbole des opérations où Ton emploierait cet instrument. 90 MATHK.MATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Soit à partir d'un point quelconque ^ . . . op.: (y^). Soit à partir d'un point donné op.: (y','). Tracer un cercle d'un centre quelconque op.: (y.J. Tracer un cercle d'un centre donné .op.: (y'g). Tout tracé fait avec ces instruments peut donc être représenté par un symbole de la forme : A(pO + B(p,) + C(p3) + D(y,) + E(y;) + F(y;') + G(y,) + H(y;). Nous y avons renoncé assez vite : Parce que cette représentation est trop compliquée; Parce que ces diverses opérations sont trop ditférentes entre elles pour qu'on puisse les assimiler à aucun point de vue ; Parce que la plupart des symboles qu'elle admet se composent d'opé- rations irréductibles qu'il vaut mieux prendre pour points de départ; Parce qu'elle ne met pas en évidence les opérations de préparation Cl, Co, Ri et ne s'occupe que des tracés ; Parce que l'on ne peut se placer à un point de vue aussi rationnel que celui que nous avons adopté dans ce qui précède ; Parce qu'elle ne donne pas la notion de l'évaluation de l'Exactitude, et que, malgré le détail dans lequel elle semble entrer, elle vaut moins que la représentation qui se conlenterait de dire : il faut pour ce tracé tant de droites, tant de cercles. Je désire avoir bien montré par ce mémoire qu'il existe un art des constructions géométriques qui a ses règles propres, son élégance, sa grande valeur didactique d'exercice de discussion, et enfin son application pratique. Comme achèvement des idées émises dans le mémoire du Congrès d'Oran déjà cité, il resterait à refaire la géométrie en mettant toutes les propositions sous la forme classique du syllogisme. Nous croyons même que c'est la partie la plus importante du sujet, — dont ce qui précède n'est qu'une application particulière, — parce que c'est le seul moyen démettre en évidence et hors de contestation toutes les notions élémentaires irré- ductibles ou axiomes expérimentaux qui servent de fondement à la géométrie et qui sont, en somme, toujours discutés dès que l'on s'en occupe philosophiquement; nous regrettons de ne pouvoir nous mettre, au moins actuellement, à cette étude qui est d'un intérêt de premier ordre, à notre avis. J'ai dit dans le cours du travail que je viens de soumettre à votre appréciation : Les géomètres ne se sont jamais occupé des constructions jusqu'à leur exécution matérielle finale. Il est certain que, à la lecture de cette phrase, il viendra à l'esprit des géomètres une protestation contre cette assertion : mais, au contraire, c'est le but final des théorèmes et l'on E. LEMODiE. — LA GÉOMÉTROGR.\PHIE 91 s'en préoccupe toujours. Je ne doute pas quu cette réflexion ne soit faite, car elle n'a jamais manqué d'être la réponse à mon affirmation quand je la produisais en conversation. Je ne crois pas pouvoir mieux la réfuter et prouver ma thèse qu'en citant ici (avec l'assentiment des géomètres mis en cause), deux faits typiques : Au mois de novembre 1891, j'avais, à une séance de la Société mathé- matique, parlé de mes idées sur ïart des constructions géométriques, et je causais de ce sujet avec M. Mannheim, en sortant. Je suis Taxi de pouvoir citer M. Mannheim à cette occasion, car, pas un géomètre n'a mieux que lui — avec une préoccupation évidente — donné élégamment, sur les sujets qui l'ont occupé : surface de l'onde, rayons de courbure, \'is à filets triangulaires, construction des axes dune ellipse connaissant deux diamètres conjugués, mémoire d'optique géométrique, géométrie cinématique, et dans ses cours à l'École Polytechnique, etc.. des constructions finales claires et simplement exprimées. Voici des lambeaux de notre conversation se rapportant à l'objet que j'ai en vue : Moi. — « ... Le géomètre appelle simple une construction synthétisée » en quelques mots du vocabulaire géométrique ; mais, le compas à la » main, la plus simple de deux constructions n'est pas celle qui s'ex- i> plique avec le moins de mots; ainsi, pour la construction du pro- » blême d'Apollonius, dont je parlais ce soir, il faut, dans la solution de » Bobillier et Gergonne, trouver le centre radical des trois circonférences, » ce qui exige le tracé de deux axes radicaux, etc., et il est nécessaire, » pour savoir si la solution de Bobillier et Gergonne est la plus simple à » tracer, de s'occuper d'abord de chercher les tracés les plus simples » qu'elle comporte, celui de l'axe radical de deux circonférences, etc.. » i>I. 3Iannheim. — «... Il y a plusieurs moyens très simples : je citerai, y à première vue, la propriété de l'axe radical de passer par les milieux » des longueurs comprises sur les tangentes communes entre les deux » cercles... » Le Géomètre avait raison ; pour lui, dans ses spéculations, quand on donne deux cercles, les tangentes communes sont données, les milieux des segments aussi, etc. ; il s'en sert dans ses raisonnements et en tire ses énoncés de construction ; il s'arrête, sa tâche est finie dès qu'il a ramené la question à des constructions géométriques élémentaires. Mais le Constructeur ? Examinons ce qu'il aurait à faire pour tracer ainsi l'axe radical, les deux cercles tout seuls étant sur l'épure ; nous supposerons les deux cir- conférences extérieures . 1° Tracer deux des tangentes communes aux deux cercles ; 2° Placer les points de contact ; 92 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE 3° Prendre les deux milieux de la distance qui sépare les points de contact ; 4° Enfin, joindre ces deux milieux. Ce qui, en prenant la construction XIX, première méthode (la plus simple dans ce cas), et en conduisant toute la construction économique- ment, suivant nos principes, donne : Op. : (18Ri + 9R, + 19Ci -f- I2C3); simplicité 58 (soit 58 opérations élémentaires); exactitude 37 ; 9 droites, 12 cercles. Et la méthode que nous avons employée (construction XLI), pour tracer l'axe radical n'exige que : Op. : (lORi -f- ^1^2 + 2C3); simplicité 17 (soit 17 opérations élémen- taires); exactitude 10; 5 droites, 3 cercles. Elle est plus de trois fois plus simple à tracer. 11 est évident que ces considérations ne seront qu'un jeu pour les géomètres, dès que leur attention sera portée sur ce point; ainsi, ayant fait voir à M. Mmmheim, dans la suite de notre causerie, que la cons- truction qu'il avait citée, à première vue, comme simple était fort com- pliquée, je fus amené à dire : « Eh bien! quel est, à votre avis, la construc- tion la plus simple du point de Lemoine?» 11 ne répondit plus sur-le-champ comme la première fois, mais il m'envoya, dès le lendemain matin, une construction du point de Lemoine qui était la même que celle que je regar- dais comme la plus simple ot que je donne ici (construction LU). Voici le second fait que je veux citer. En rédigeant le texte relatif à la construction LV de ce mémoire, pour placer les points de Brocard, j'eus l'idée d'écrire à mon ami M. Brocard en lui demandant de m'envoyer celle des constructions de ces points qu'il croyait la plus simple, afin de la comparer avec celle que ma méthode m'avait fait choisir. Je copie le passage y relatif de sa réponse. « Pour la détermination des points oj, w', il me semble que la cons- » truction la plus rapide est la suivante, réduite au minimum de lignes. » Soit ABC le triangle; tracer le cercle circonscrit; tracer les trois tan- » gentes BC, CB', C'AB'; joindre BB', CC qui se coupent au point K >■> de Lemoine. Décrire le cercle Zqui a pour diamètre la droite OK (0 contre )) du cercle circonscrit); mener par A la droite EAD parallèle à BC; elle » coupe BC en E, CB' en D; joindre DB, EC qui se coupent en Aj sur le « cercle Z; les secondes intersections de ces droites DB, EC avec Z sont » les points w et w'. » Analysons cette construction en l'exécutant à la lettre, mais en prenant cependant les constructions réduites de ce mémoire. 1° Je trace le cercle circonscrit (voir construction XXI) op.: (4Ri + 2R,-f oC, + -iC3). !■;. LKMOINE. LA GÉOMÉTROGRAIMIIK 93 2° Je trace les trois tangentes en A, en B et en C (voir construction XXV). op. :(6Hi + 3R, + 12Ci-[-9C,). 3" Je joins BB', ce op. : (4Ri -f 2R,). 4° Je trace le cercle OK (construction XIX) op. : (2R, -f R, + 4C,-f-3C3). 5° Je mène par A une parallèle à BC (construction XVII) en me servant de la construction 1° et en remarquant que le cercle circonscrit déjà tracé me permet une économie de op. : (Ci-f-Ca). op. : 2Ri-|-2R2+ 3Ci + Cg). 6° Je joins DB, EC op. : (4R, + 2R,). En lout : op. : (22R, + ilR, + 24C, + 170,) ; simplicité 74; exac- titude 46; 11 droites, 17 cercles. Notre construction LV donne : simplicité 38; exactitude 24; 6 droites, 8 cercles. Et cependant, si M. Brocard avait eu l'attention attirée sur le point de la construction effectuée, il n'aurait pu songer qu'à la solution que nous avons développée, car elle est, en principe, de lui. (A. F., 1881, Congrès d'Alger, 10, p. 14(3.) Je dois ajouter qu'en appliquant complètement notre méthode l'on peut réduire de quelques unités le symbole de la construction qu'il nous a envoyée; en efîet, pour tracer les trois tangentes en A, en B et en C, l'on peut faire en A l'angle B'AC == B en utilisant les cercles de même rayon décrits de A, B, C dans le tracé du cercle circonscrit. On les a ainsi par op. : (GRi + 3R, -f 9Ci -f SCg). Pour mener la parallèle en A à BC, on peut se servir des mêmes cercles et gagner encore deux opérations élémentaires en faisant angle EAB = C, pendant que l'on a la longueur de la corde de l'arc correspondant à C dans le compas, pour tracer l'angle B'^^C. On a alors cette parallèle par op. : (2Ri -f R^ + Ci + C^). Les points w et o/ eussent ainsi été donnés par : Op. : (18Ri + 9R, + IQCi + IIC3); simplicité 37; exactitude 37; 9 droites, H cercles. Je n'ai pas fait ces simplifications parce qu'elles dérivent trop de l'esprit de la méthode que nous venons d'exposer pour croire qu'un géomètre, quelque habile qu'il soit, construisant une figure com7ne tout le monde le fait jusqu'ici, eût eu la pensée de les introduire; mais, même ainsi simpli- fiée, la construction reste beaucoup trop compliquée. J'ai cité deux exemples qui me paraissent caractéristiques. A duobus discete omnes. Je crois que tout ce que nous venons d'exposer présente la Géométro- graphie comme un corps de doctrine à peu près complet en ce qui concerne la géométrie de la droite et du cercle telle que l'entendaient les Grecs, mais il reste deux applications à faire en détail au point de vue moderne : 94 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE 1° L'application à la géométrie descriptive en ajoutant l'usage de l'équerre et d'un nouveau symbole d'opération élémentaire y relatif. 2° L'application à la statique graphique qui, outre l'équerre, admettra l'usage de règles divisées pour éviter les difficultés provenant des ques- tions d'arithmologie introduites par l'idée de nombre, difficultés que nous avons signalées précédemment, par exemple: au sujet de la division d'une longueur donnée en parties proportionnelles à des nombres donnés ou au sujet de la construction d'une longueur qui soit m fois une longueur donnée. Mon ami M. Maurice iVOcagne, qui a eu l'obligeance de présenter ce mémoire à la Section de Mathématiques, m'a écrit à son sujet une lettre aimable dont j'extrais les lignes suivantes : «... Je crois qu'au point de » vue de la spéculation pure, une solution pouvant se résumer dans un » langage plus bref sera toujours préférée à une autre, quand bien même » celle-ci serait plus simple au sens absolu que vous donnez à ce mort; » il faut bien remarquer, en effet, que la plupart des constructions indi- » quées en géométrie pure, sont destinées à n'être jamais réalisées effec- » tivement, telles sont les contructions de centre de courbure pour les » coYirbes autres que les courbes usuelles; il vaut mieux, dès lors, » qu'elles s'expriment sous une forme plus concise, plus élégante, plutôt » que de se traduire par une opération graphique plus expéditive. Cela » est loin, d'ailleurs, de supprimer l'intérêt qui s'attache aux ingénieuses « considérations que vous avez développées ; celles-ci trouvent, en etlet, » un vaste champ d'application dans la géométrie pratique et notamment » dans la géométrie descriptive. L'art de dresser les épures a tout à ga- » gner à s'inspirer de. vos méthodes... Je vous fais part de ces réflexions » que j'ai émises à nos collègues de la 1*'' Section, pour que vous puis- » siez y répondre... » Je remercie doublement M. d'Ocagne, et d'avoir présenté pour moi ce travail, et de m'avoir écrit ces lignes; mais je n'ai pas à répondre, en ce qui concerne son observation, car je suis tout à fait du même avis que lui et je n'ai point eu l'idée de faire ou de dire quelque chose qui en impliquât un autre ; je vais seulement profiter de l'occasion pour bien, spécifier mon but. Je ne m'étonne nullement que ce but ne soit pas res- sorti pour M. d'Ocagne d'une lecture de ce long mémoire, qui n'avait pu être approfondie puisque je le lui ai remis la veille de son départ pour Pau, et je crains surtout d'ailleurs de ne pas avoir suffisamment mis ce but en relief. Je ne m'occupe point de l'exposition de la géométrie; pour chaque question, plus elle sera concise, élégante, etc., mieux cela vaudra, c'est évident, et il n'y a rien à changer à l'idéal de perfection que le géo- mètre doit poursuivre; je vise autre chose, car, à côté de la solution K. I,I:M01>E. — I,\ GKOMÉTKOGKAPHIE 9o spéculative d'une question, il y a la construction cfTectuée de cette solu- tion, et la façon de réaliser les constructions constitue une branche par- ticulière de la connaissance, un art dont on ne s'est jamais occupé; c'est de lui seul dont il s'agit dans mon travail. Je n'y prétends même pas suivre exactement la construction réelle, puisque je prends pour hypothèse que les instruments et la feuille d'épuré ont toutes les dimensions possibles jusqu'à l'infini, que les positions rela- tives des données sont indifférentes, etc. C'est la construction rationnelle que j'analyse; on ne peut, je crois, analyser d'une façon générale la cons- truction réelle, puisque l'exécution d'une même construction est ou facile ou pratiquement impossible suivant les grandeurs ou les positions des données. Ainsi il est souvent facile de placer les intersections d'une droite et d'un cercle, il sulïït de les tracer sur l'épure; mais si !e cercle a 100 mètres de rayon, comment fera-t-on? Nous ne pouvons donc suivre la construction réellement effectuée, mais il est clair cependant que de deux constructions d'un même problème, évaluées toutes deux par notre méthode, celle pour laquelle on aura le plus petit nombre d'opérations élémentaires à exécuter, sera par essence la plus simple et que, toutes choses égales d'ailleurs, c'est elle qu'il fau- drait rationnellement mettre en pratique plutôt que celle qui exige un plus grand nombre d'opérations pour sa réalisation; dans le cas, très fré- quent, où l'on compare deux constructions et que, dans l'une d'elles, tous les coefficients de Rp R2, C^, C2, Cg sont respectivement au plus égaux aux coefficients de l'autre, la chose n'est même pas susceptible d'être discutée. Il est un seul point de la lettre de M. cVOcagne sur lequel nous ne sommes peut-être pas d'accord, c'est lorsqu'il dit que les constructions géométriques ne sont, au fond, que spéculatives, c'est-à-dire qu'on ne les exécute jamais. C'était vrai pour les Grecs ; s'ils traçaient des figures en croquis sur le sable, la chose servait simplement à aider le raisonnement, mais ce n'était pas de la construction. Cela explique qu'eux, si affinés, si ingénieux dans leurs spéculations géométriques, n'aient point eu l'idée de la Géométrographie qui n'avait pas d'objet puisqu'ils ne faisaient pas d épures (*) ; nous disons, nous, une construction faite au moyen de la règle et du compas, les Grecs disaient une solution possible avec la droite et le cercle, notre expression indique les instruments de la construction, la leur, les données spéculatives. L'idée si simple et si naturelle de la Géomé- (* I Les Grecs ne faisaient pas d'épurés même pour leurs constructions d'édifices; c'est du moins l'avis des savants qui se sont spécialement occupé de la question, de M. Choisy, par exemple, dont on connaît les beaux travaux sur l'architectuie grecque ; toutes les dimensions étaient détermini'es par le calcul; du reste, eussent-ils fait quelques croquis sur le sol, sur des parois de muraille, etc., que cel.i n'avait que peu de rapport avec nos épures et ne pouvait faire, chez eux, naître l'idée d'un art propre de la construction géométrique. 96 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE trographie n'est pas née plus tôt, précisément parce que la géométrie nous vient des Grecs, que nous avons naturellement suivi leurs traces, adopté leurs méthodes, développé leurs conceptions, etc., sans imaginer qu'à la base il se trouvait un détail auquel ils ne devaient pas avoir songé, puisque son objet : la construction géométrique etléctive, n'existait pas pour eux. Aujourd'hui, la Géométrographie s'impose, au contraire, car l'on utilise pratiquement beaucoup de constructions géométriques et des plus délicates dans les ateliers de précision, pour les machines, etc., etc. Je dois dire d'ailleurs que ce point de vue utilitaire ne m'a pas conduit, j'ai pensé simplement que, puisque l'on croit utile de donner des constructions qui puissent être effectuées avec la règle et le compas, il fallait les donner les plus simples possibles et indiquer aussi les moyens généraux de construire le plus simplement. Montrer d'une façon complète que l'on exécute réel- lement et de divers côtés, dans un but pratique, des tracés géométriques d'origine spéculative, et qu'il y a même des géomètres amenés à en exé- cuter pour leurs recherches, m'entraînerait trop loin, mais je veux cepen- dant citer quelques exemples à l'appui de mon affirmation. 1° Au courant d'une recherche, on a souvent la présomption d'un théo- rème ; la démonstration de son exactitude ou de son inexactitude peut conduire soit à de très longs calculs, soit à des études d'autant plus ennuyeuses à tenter qu'elles sont faites en pure perte si la présomp- tion n'est pas exacte ; beaucoup de géomètres trouvent donc commode d'économiser le temps en faisant d'abord une vérification pratique par le trait, c'est-à-dire une construction dont le résultat ne démontrera rien, bien évidemment, mais indiquera, ordinairement, si l'idée doit être poursuivie ou abandonnée; j'ai eu moi-même assez souvent recours à ce procédé. 2° Je citerai ensuite un petit travail de M. Laisant : Constructions gra- phiques de nombres transcendants, inséré dans le livre publié à l'occasion du centenaire de la Société philomatique, en 1888, qui obligeait à une construction délicate pour laquelle il a dû s'adresser à un habile dessi- nateur . 3° Des résultats spéculatifs importants ont même été découverts par le seul moyen de constructions graphiques et démontrés postérieurement; pourquoi les essais préalables seraient-ils impuissants entre les mains du géomètre, quand l'arithmologue en fait un moyen ordinaire d'arriver à la probabilité ou à la fausseté du théorème qu'il a en vue? Voici, du reste, un cas que je cite avec détails parce que je le crois peu connu. M. Dunesme, ancien élève de l'École des Beaux-Arts, architecte, maître de dessin graphique à l'École normale et au ci-devant Lycée Napoléon, mort il y a une vingtaine d'années, a découvert, le compas à la main de très curieuses propositions ; je signale les suivantes parmi celles qu'il K. LEMOINE. — LA GKOMÉTROGRAPHIE 97 a communiquées à l'Institut et qui sont maintenant des théorèmes courants : a) Toute courbe C est l'ombre d'une surface de révolution S (éclairée, par des rayons parallèles; sur un plan perpendiculaire à l'axe de S ; La développée de C est l'ombre d'un conoide ayant pour axe l'axe de S, pour plan directeur le plan perpendiculaire à cet axe et pour di- rectrice l'ombre propre de S. b) Si l'on fait tourner une conique autour d'un axe parallèle à un axe de figure, elle engendre une surface de révolution dont V ombre propre projetée sur un plan perpendiculaire àVaace est une conchoide de conique. c) Si l'on fait tourner une sinusoïde autour de la ligne des centres, elle engendre une surface de révolution S ; si l'on éclaire cette surface pa/r des rayons à 4o°, l'omhi'e propre de S projetée sur un plan jjerpendicu- laire à l'axe se compose de deux cercles ; l'ombre portée sur le plan per- pendiculaire à l'axe est une cycloïde. M. Dunesme faisait avec un soin méticuleux des épures admirables, déterminant les Rj et les Ci à la loupe, etc.; je tiens ces détails de mon camarade H. Laurent, examinateur d'entrée à l'École polytechnique; M. Dunesme était un proche parent de sa mère. 4° M. d'Ocagne lui-même a — très légèrement — ressenti l'influence de la Géométrographie. Vers la fin de 1891, à une séance de la Société mathématique, il nous parla d'un problème de construction géométrique inspiré par les études de son service actuel (le iSivellement général de la France), et en indiqua une solution; le même jour, j'exposai à ce propos un résumé succinct des études que je faisais pour évaluer la simplicité et l'exactitude des constructions géométriques. A une séance suivante M. Lai- sant apporta, du même problème, une solution plus simple, et M. d'Ocagne une modification de la première qui semblait, cependant, évidemment moins simple à construire que celle de M. Laisant et l'était effectivement, comme le démontrait ma méthode de comparaison. M. d'Ocagne revint ensuite sur la même question, car il fit présenter à l'Académie des Sciences, par M. Bouquet de la Grye, une nouvelle solution qu'il croyait, à tort, plus simple, sans doute parce qu'elle s'énonçait plus brièvement et qu'il n'avait point d'autre critérium. Ayant l'intention de rédiger, comme application de ma méthode, une note que je présenterai prochainement à la Société mathématique et dans laquelle je comparerai toutes ces solutions du même problème au point de vue de la simplicité et de l'exactitude de la construction, j'ai demandé à M. dOcagne quelques détails et, dans sa réponse, il m'a envoyé une der- nière solution que je viens d'examiner et qui, celle-là, est la plus simple de toutes. .Je crois bien que, sans l'idée de Géométrographie, ce problème n'eût point été traité aussi à fond, car tout géomètre qui n'aurait point eu 7* 98 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE cette préoccupation nouvelle aurait été satisfait de la première solution. Cet exemple montre de plus que, même quand on a l'attention attirée sur la simplicité des constructions, on ne peut pas, sans notre méthode, juger quelles sont les plus simples, car M. d'Ocagne avait évidemment cru que la solution présentée à l'Académie était plus simple que celle qu'il avait exposée d'abord à la Soc. Math., et c'est le contraire qui a lieu de la façon la plus absolue. Sauf cette légère restriction, je ne puis que souscrire à ce qu'a dit M. d'Ocagne, choses que j'ai, du reste, voulu indiquer en plusieurs endroits du présent mémoire. Il est un point qui mérite aussi quelques mots d'explications, lesquelles répondront à une objection que je m'étais faite à l'origine et qui doit, tout d'abord, se présenter à l'esprit de ceux qui examinent notre méthode. Est-il légitime de supposer identiques les opérations : C,, C,, Cj, Ri,R:, dans la composition des coefficients de Simplicité et d'Exactitude? Non, évidem- ment, s'il s'agissait, dans la Géométrographie, d'une sorte de métrage absolu ; mais ce n'est nullement le cas, et si j'assimile ces opérations, c'est parce qu'elles sont élémentaires, c'est-à-dire indécomposables en d'autres plus simples et que, spéculativement^ elles ne sont ni plus simples ni moins simples l'une que l'autre. Le mot mesure ne peut donc pas être rigoureusement introduit, avec le sens qu'il a habituellement, puisqu'il s'applique à la comparaison d'une grandeur avec une autre grandeur de même nature prise pour unité ; une construction n'est pas une grandeur et elle s'exécute au moyen d'opérations élémentaires irréductibles entre elles. Si j'emploie l'expression : mesures de la simplicité, etc., c'est dans un sens imagé, parce que je trouve qu'il convient mieux à mon but que le mot général : comparaison. Exiger la rigueur absolue ici est impossible et serait absurde, car elle conduirait à rejeter même toute comparaison entre les simplicités pratiques de certaines constructions ; comment, en effet,, apprécier rigoureusement si la construction 20, est plus ou moins simple que SOR;, puisque les unités Cj et R, sont différentes. En réfléchissant un peu à l'essence de la question et en pratiquant la Géométrographie, on re- connaîtra, je pense, comme nous, que nos assimilations sont admissibles dans l'ordre d'exactitude spéculative où les tracés géométriques le sont eux-mêmes, car nous disons : je trace une ligne, je place un point, et ni la ligne ni le point n'ont d'existence objective. Il y a, du reste, des cas très fréquents où même ces scrupules théoriques n'auraient point à s'appliquer; ainsi la construction dont le symbole est : op. : (4Ri -{- 2R,-j- 8 Cj -|- 3Cj est, à quelque point de vue que l'on se place, moins simple spéculative- ment que celle dont le symbole est : op. : (2Ri -[- R, -f- 5Ci -f-Cj), puisque les coefficients de toutes les opérations élémentaires, qui sont en réalité les unités indépendantes de notre évaluation, sont plus petits dans la É. LEMOINE. — L.V GKOMÉTROGRAPHIE 99 seconde que dans la première; ce cas se présente, par exemple, dans le problème de M. d'Ocagnc, problème dont nous venons de parler ; enfin notre méthode donne, en tous cas, un critérium spéculatif plus ou moins parfait dont nous avons déjà montré dans ce mémoire des résultats pra- tiques incontestables; avant elle, il n'existait aucun critérium. RÉSUMÉ ANALYTIQUE PAR ORDRE DE MATIÈRES Introduction. Exposition de la théorie de la Simplicité et de V Exactitude. Applications : 1. — Tracer une droite quelconque. II. — Tracer une droite par un point donné. III. — Tracer une droite par deux points donnés. IV. — Tracer un cercle quelconque. V. — Tracer un cercle quelconque dont le centre est donné. VI. — Prendre avec le compas une longueur donnée. VII. — Porter sur une ligne une longueur prise. VIII. — Porter sur une ligne une longueur donnée. IX. — Tracer un cercle passant par deux points A et B. X. — Placer un point à égale distance de deux points donnés. XI. — Par un point donné sur une droite, tracer une seconde droite qui fasse avec la première un angle égal à un angle donné. XII. — Connaissant deux angles d'un triangle, construire le troisième. XIII. — Construire un triangle, connaissant un côté et les deux angles adjacents. XIV. — Construire un triangle, connaissant deux côtés et Fangle compris. XV. — Construire un triangle, connaissant deux côtés et l'angle opposé à l'un d'eux. XVI. — Construire un triangle, connaissant les trois côtés. XVII. — Par un point pris hors d'une droite, mener une parallèle à cette droite. XVIII. — Tracer une perpendiculaire en son milieu, à une droite limitée par deux points, et placer le milieu d'une longueur tracée. XVIII bis. — Placer le point symétrique A' d'un point A par rapport à une droite donnée BC. XIX. — Décrire un cercle sur une droite donnée comme diamètre. XX. — Tracer par un point C une perpendiculaire à une droite AB. XXI. — Décrire une circonférence passant par trois points donnés. XXII. — Diviser un angle donné en deux parties égales. XXIII. — Diviser un arc donné en deux parties égales. XXIV. — Tracer la bissectrice de l'angle formé par deux droites qu'on ne peut prolonger jusqu'à leur intersection. XXV. — Tracer par un point A d'une circonférence une tangente à cette circon- férence. XXVI. — Tracer d'un point extérieur les deux tangentes à une circonférence de centre 0. XXVII. — Inscrire un cercle dans un triangle donné. XXVIII. — Construire sur une droite donnée un segment capable d'un angle donné. XXIX. — Construire les tangentes communes à deux cercles donnés. XXX. — Construire une droite qui soit n fois une longueur donnée. XXXI. — Construire une droite qui soit la n''"" partie d'une longueur donnée, XXXII. — Diviser une droite en p parties proportionnelles à des droites données. XXXIII. — Construire la quatrième proportionnelle à trois droites données. 100 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE N' XXXIV. — Construire la troisième proportionnelle X — — • Ij-i ,.ï p-2 f,2 f,2 If. i)ç ca ah XXXIV 5/s. — Dans un triangle ABC, construire — » -?— »— '~'~' ~'"r' — ' " aabuccaoc XXXV. — Construire la moyenne proportionnelle entre deux droites données. XXXVI. — Diviser une droite en moyenne et extrêma raison. XXXVII. — Tracer par un point donné une droite passant par le point de rencontre de deux droites données que l'on ne peut prolonger jusque-là. XXXVIII. — Placer le point réciproque d'un point donné, par rapport à un cercle donné. XXXIX. — Tracer la polaire d'un point donné, par rapport à une circonférence donnée. XL. — Placer le pûle d'une droite donnée, par rapport à une circonférence donnée. XLI. — Tracer l'axe radical de deux circonférences. XLll. — Placer le centre radical de trois circonférences. XLIII. — Placer un point donné par ses coordonnées cartésiennes relatives à deux arcs donnés. XLIV. — Placer les centres de similitude de deux circonférences données. XLV. — Tracer les axes de similitude de trois circonférences données. XLVI. — Étant donnés deux points A et B sur une droite, placer le conjugué harmonique G' d'un point donné C par rapport à A et à B. XLVII. — Les deux extrémités A et B du côté d'un carré étant placées, placer les deux autres sommets. XLVIII. — Placer les axes d'une ellipse dont on donne, placés, deux diamètres con- jugués. Principes de l'art de la construction géométrique. XLIX. — Placer un point M dont on connaît : 1° les coordonnées normales propor- tionnelles l, m, n par rapport à un triangle de référence; 2° deux coordonnées normales absolues. L. — Placer le centre de gravité d'un triangle. LI. — Placer le point de Lemoine d'un triangle. LU. — Tracer la droite de Lemoine. LUI. — Placer le centre de gravité et le point de Lemoine d'un triangle en une même construction. LIV. — Placer un point de Brocard. LV. — Placer les deux points de Brocard. LVI. — Placer le point de Steiner. LVII. — Placer le point de Tarry. S 2S LVIll. — Construire la longueur rr ou ^ dans un triangle. K n LIX. — Placer le point de Gergonne d'un des cercles tangents aux trois côtés d'un triangle. LX. — Placer le centre de gravité du périmètre. p — a LXI. — Placer le point de Nagel : etc. a a^b^ 4- a^c^ — 6V LXIl. — Placer le pomt : , etc. (I a'> b'^c- LXIII. — Placer le point VV : ■> etc. a ■Observations diverses sur Vart des eonxiriirlions (jéomélriques. Note complémentaire. É. LEMOINE. — GÉOMÉTRIE DU TRIANGLE 101 M. 1 LEMOIIE Ancien Élève de l'École Polytechnique, à Paris. RÉSULTATS ET THÉORÈMES DIVERS CONCERNANT LA GEOMETRIE DU TRIANGLE, ETC. — Héanre du 16 septembre 1892 — I. — Sur quelques groupes de trois cercles. 1. — Soient M^, M^, M^. trois cercles passant respectivement par les sommets B et C, C et A, A et B du triangle de référence. Leurs équa- tions en coordonnées normales sont : ^ayz + ^^ax = 0. Un trouve facilement que /es paramètres A, B, C sont proportionnels aux coordonnées du centre radical M des trois cercles. A un même centre radical M(a, fi, y) correspondent une infinité de groupes de cercles M^,, M,^, M^, représentés par les équations : y «y-^ +^yax = 0, y 0//3 + ^^y ax = 0, 2"^^ + ^,2""^"^^' dans lesquels À désigne un paramètre variable d'un groupe à l'autre. Pour trouver les coordonnées du centre et le rayon du cercle M^, nous passons aux coordonnées cartésiennes en prenant pour axes des X et des Y CA, CB; les formules de transformation sont : a; = X sin C, y = ^ sin C, . z = ^S — «'^— % ^ 2R sin A sin B - X sin A - Y sin B. 102 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE La nouvelle équation du cercle M,, sera : X^ 4- 2XY cos C + Y^ — x(a - ^) — "^(b - ^ " 7f "= ^• On en déduit que les coordonnées normales du centre sont propor- tionnelles à : C cos A — cos B, C cos B — cos A, 1 + C cos C, et que le rayon est donné par : '^ 1 _^ C'^ -f 2C cos C Pc R^ (2) 2. — Cela posé, si les cercles M^^, M^, M^ ont même rayon p, on a 0,^(i _ l!\ _^ 2).a cos A + X^ rir 0, P^(l - Q + "-^^ cos B + À^ = 0, T^(l — ^^ + 2ÀY cos C + À^ = 0. ] L'élimination de p et X entre ces égalités conduit à l'équation (3) a^ a cos A 1 '^^ P cos B 1 y^ Y cos C 1 0, ou : y a(p — Y^) COS A = 0. (4) (S) Donc, si trois circonférences de même rayon passent cJiacune par deux sommets différents du triangle de référence, leur centre radical décrit une cubique représentée par l'équation (o). Si l'on divise les lignes du déterminant (4) par a. S, y, il vient: 1 , a - cos A a 1 3 - cos B 1 Y - cos C Y =zO. On en déduit que la cubique (5) est le lieu des couples de points inverses situés en ligne droite avec le centre 0 du cercle circonscrit au triangle de K. LEMOINE. GKOMKTRIE DU TRIANGLE 103 référence; c'est donc le lieu des foyers des coniques inscrites au triangle ABC et dont Vaxe focal passe par 0 (*). 3. — (**) Soient M^, M^, M^ les symétriques des cercles M^, M^, M^ par rapport aux côtés BG, CA, AB; M' leur centre radical. Si leurs équa- tions sont : ^ay- + x^^'^ = ^' 2""^^ + B^2 ax 0, 2^'^^" + él ax 0, A et A' sont les deux racines de l'équation : 1 + A'^ + 2A cos A ou A-4 1 - j^ j + 2A cos A + 1 = 0, qui correspondent à une même valeur de p^. On a donc cette relation indépendante de p^ : 1 J — I = — 2 cos \ A ^ A' -«-us^-^. Semblablement 11 11 ^ + 37=^-2cosB, --f____2cosC. Si l'on introduit les coordonnées absolues des points M et M^, ces con- ditions prennent la forme : 1 1 ^ + — , = — 2 cos A, /a A a 1 1 — + —-, = — -i cos B, X3 ' X'3' 1 1 -+ — .= - 2 COS G. Éliminons entre ces relations les paramètres X et X'; il vient 1 1 (6) cos A a X 1 1 cos B i P' 1 1 f cos G Y Y 0. Cî) (•) Au sujet de cette cubique, voir J. S., 1889, p. 263, et 1890, p. 63. (**) Comparer Nieuw Archief von Wiskunde ; deel. VII, p. 78, article de M. Vanden Bertj. 104 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE De celle équation, on conclut le théorème suivant: // existe une infinité de groupes de trois cercles M,^, M^, M^ passant respec- tivement jtar B et C, C et A, k et B, et ayant un centre radical donné M (c'est-à-dire se coupant deux à deux sur les droites MA, MB, MC) : le centre radical W^de trois cercles M'^, M^, M^, symétriques jiar rapport à BC, CA, AB (le trois cercles de l'un de ces groupes, décrit une conique représentée par C équation (7). Celte conique passe par A, B, C, M; c'est une hyperbole équilatère, car l'équalion (7) admet la solution : \ \ 1 a : |3 : Y ^^ cos A cos B cos i\ de sorte que la courbe passe par l'orthocenlre H de AIC L'équalion (7) exprime que les inverses des points M, M' sont en ligne droite avec le centre 0 du cercle ABC. Par suite, si M- désigne l'inverse de M. Vhyperhole (7) est la transformée par inversion triangulaire du dia- mètre OM. (lu cercle ABC. Toutefois, si M est l'orlhocentre 11, l'équation (7) devient une identité; mais, si l'on remonte aux égalités (6j, on voit que M' coïncide aussi avec H. De là, un théorème assez curieux. 4. — Le groupe des cercles M^,, M^,, M^ qui a pour centre radical le point M comprend, comme cas particulier, les cercles BCM, CAM, ABM. Les cercles M^, M.^, M^ qui leur correspondent, j)assent aussi par un même point M , appelé \(i jumeau de M (*). Les coordonnées de M résulleut des égalités (6). A cet eiïet, cherchons d'abord la valeur de A en exprimant que les cercles {1') passent par le point (a, [3, Y), ce qui donne : X = y/'h On trouve ensuite 1111 1 1 -, : 1 : i, :^ ^ + 2 cos A : - + 2 cos B : - + 2 cos C; a p Y /.a Ap Ay donc: a' : p' : y' Val^Y — 2acosA^aa V^/^^j,, _2,3cos B Vaa V^,8y — SycdsC V^a (•) Pour une i_Hude des points jumeaux, nuus ivuvuyoïis à un article de M. Schuule, dans le bulletin de Darboiix, 1882. K. LEMOINK. — GKOMKTRIE DU TRIANGLE lOo Les deux faisceaux M(ABCj, .M^(ABC) étant inversement égaux (par suite homograpliiquesj, les intersections A, H, C des couples de rayons homologues sont sur une conique passant par M et M-, et ayant pour centre le milieu de MM (car si l'on transporte les deux faisceaux paral- lèlement de manière à intervertir les sommets M et M , les nouvelles intersections des rayons homologues appartiennent à la même conique). Autrement dit, MM est un diamètre de l'hyperbole (7). Les inverses des points jumeaux M, M sont, comme on le sait, deux points tripolairement associés, c'est-à-dire décrivant harmoniqucmcnt un diamètre de la circonférence ARC. 5. — Si nous prenons pour M le centre de gravité de ABC, son inverse sera le point de Lemoine K. Le point tripolairement associé à K, point que nous désignons par T, est à l'intersection de la droite OK avec la droite de Lemoine. Les coordonnées de T sont: a(2«- — b^ — c'), etc.. et l'on a OT : KT = - cotg'^ (o, m étant l'angle de Brocard. Le jumeau du barycentre est l'inverse de T; ses coordonnées sont donc: 1 a[%i-' — f' — C-) " ' " Le jumeau du centre 0 du cercle circonscrit a pour coordonnées: sin 2A sin 2P. sin 2C siu 3A sin 3B ' sin 3C Le jumeau de l'orthocentre H est un point quelconque du cercle cir- conscrit au triangle de référence. Le point de Aa' sont trihomologiques et triorthologiques par permutation circulaire. 2" Appelons Oi, o^, o, respectivement les centres d'homologie de ARC, L>L\; ARCMNL; ARC,ALM; ml ml, m^ les quantités a•^—2R^'+R^+R^^ o-' + Rf — 2R^ + R^, a' + Rf + R^ — 2R:^, qui sont les coordonnées de L; celles de M sont : m'I, m^, m^; celles de N : m^, m^ ml. Les coordonnées de o^, o.^, O3 sont : 111 111 111 m:/ m'i m'i ml m'i mi' ml' ///^ ' mf. "a "c "'0 "'c "'h ""a '"b Les trois centres d'homologie et les trois centres d'orthologie de ARC el de L>L\ forment deux triangles èquilatéraux inscrits à un même cercle dont le centre est le centre du cercle circonscrit à ARC; leurs côtés sont perpendiculaires deux à deux. 3° Les triangles ARC, O1O2O3 sont trihomologiques par permutation cir- culaire. Si Von appelle o\, 0^, 0'^ les centres d'homologie de ARC, o^o^o^; ARC, O2O3O1; ARC, 030,02, les coordonnées de oj, o^, 0'^ sont: m^, m^, m^; K^ '«a' '"6 5 "^6' ^c' *'^aj c'est-à-dirc que o\, o^, O3 se confondent avec L. ÎN, iM. Ce sont des points permutiens. (Poulain, Principes de la Nouvelle Géométrie du triangle, p. 2S.) 112 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE V. — Sur quelques coniques. 19. — La co)nque inscrite Vfa"^ — bc)i /'- — 0 passe par les points , (a^ — bc)- ^ de Bkocauu; son point de Gergo^ne a pour cooraoïinees , etc. 20. — La conique inscrite qui a pour point de Gergonne le point de Steiner est une parabole (puisque le point de Steiner appartient au cercle circonscrit). Elle touche la droite de Lemoine au point : a^(b^ — c^), b-^(c-^ — a'^j, c'^(a^ — b'-j. Son équation est : / v/a(b-' — c'^)x = 0 ; .son fo!/er, le poiyit : 57^.' ^^^^-^^ '^F^^ 'P°'''^ '"""^'"^ "^^ '^'''' proque du point de Steinei'); il est sur la droite 7 a^(b^ cos B — c^ cos G) = 0. 21. — La parabole inscrite tangente à l'axe antiorthique x-\-i/'}- z -^^0, a pour équation : N^y/aCb — c)x=l), 1 son point c?e Gergonne est : —-. , etc. ^ a(b — c) Le point de contact avec l'axe antiorthique est a(b — c), etc., inverse de son point de Gergonne. Le foyer de cette parabole est le point ^, etc. 22. — La conique inscrite qui touche la droite de Lemoine et l'axe antiorthique 1 1° A pour point de Gergonne : , etc. 2° Elle touche l'axe antiorthique à l'infini et celui-ci est une asymptote de la courbe. 3° Le centre (c — bj(p — a), etc. est sur le cercle circonscrit. 4° Elle touche la droite de Lemoine au point a'^(b — c). etc. 5° La seconde asymptote a pour équation : \ = 0 . 6° Cette hyperbole a pour équation: ^^\/(b — c) x = 0. 23. — Voici un théorème presque évident, mais qui sert souvent dans la géométrie du triangle pour démontrer que six droites sont tangentes à une conique ou que six points sont sur une conique. É. LEMOINE. — GÉOMÉTRIE DU TRIANGLE 113 Si les six points ^coordonnées normales ou coordonnées barycenlriques) L,. Mj, Xi; Le, Mfi, N^ sont sur une conique, les six droites : Ux-{-M,ij-[-^,z = 0; M + M«?/ + N6^=:0 sont tangentes à une conique et réciproquement. Exemple: Les quatre droites \^7 a? =::0 et leurs trois transformées continues en A, en B et en C sont tangentes à l'ellipse inscrite de Steiner (ce sont les tangentes communes à cette ellipse et au cercle des neuf points et l'on sait que, aux points de contact de ces tangentes avec le cercle des neuf points, elles sont aussi tangentes aux quatre cercles tan- gents aux trois côtés du triangle). abc On en conclut que le point : ? ^ 7 et ses trois trans- ^ b — ce — a a — b a b c formés continus en A, en B, en C : r ? 1 — » , — ; — . etc., sont c — 0 c -\- a b -f- a sur une conique circonscrite. On vérifiera que cette conique est le cercle circonscrit. 24. — On sait ivoir Xouv. Corresp. Mathém., 1877, p. ol) que si x\ y', z' ; x" . y", z" sont les coordonnées normales de deux points M', M", les droites AM', BM', CM'; AM", BM", CM" coupant les côtés aux six points : A', B', C ; A", B", C", ces six points sont sur la conique : Cela posé, cette conique est une ellipse, une hyperbole ou une parabole, sui- vant que la quantité : ^a^x'-x"-^(y'=." - z'y'r - ^'^bcy'z.y^^'iix'!/" + y'x")(x'z" + zx") + 2x'x"(y'z" + z'y")] est plus petite que zéro, plus grande que zéro, ou nulle. Si M' et M" sont le barycentre et le point de Lemoine, la conique a pour m'" -|- a^ centre le point — — , etc. déjà rencontré (voir A. F., Congrès de Mar- seille, 1891, p. 149, et J. S., 1888, p. 2o0j. Ce point est sur la droite qui joint le barycentre et le point de Lemoine. 25. • — Soient x, y, z les coordonnées normales d'un point M; X, Y, Z ses coordonnées tripolaires. On sait que les minima de ax^ -f- by'^ + cz- et de aX'^ -f- 6Y- + cZ'^ 8* I 114 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE qui sont respectivement 2.Sr et 4.RS ont lieu en même temps pour le centre du cercle inscrit. (Boutin, /. E., 1891, p. 159.) La transformation continue en A montre que les minima de — ax^ -\- hif -\- cz'^ et de — aX^ -j- bT^ -f" c7J qui sont respectivement égaux à 2Sr^ et à 4RS ont lieu en même temps pour le point o^. Le lieu des points M tels que ; ax^ + bif + cz-'^ = C" est une ellipse de centre o. » » —ax-'-\-bif-}-cz^ = 0^ — — 0^. » . » aX^-|-6Y'^-|-cZ'^ = C'^ est un cercle de centre 0. » » —aX''-{-bY^-\-cZ-' = C"^ — — o„. 26. — Si un point M appartient à la conique circonscrite qui passe par le point de Lemoine et par le centre de gravité, la droite harmoniquement associée au point M est parallèle à la droite de Lemoine. 27. — Une parabole dont le piaramètre p est donné, passe par deux points fixes A e^ B dont la distance est c. Le lieu du pôle de AB par rapport à toutes ces paraboles est la courbe représentée par l'équation : P = 2^ sin^ c, l'origine 0 étant le milieu de AB et l'axe polaire étant OB. L aire de cette courbe est ——— • lop^ Dans un triangle ABC, les paramètres des trois paraboles de Artzt sont inversement proportionnelles aux cubes des médianes. 28. — A e^ A' sont les extrémités du grand axe d'une ellipse. Sur A A' je décris une circonférence ; par A je mène la droite AK'H qui coupe l'ellipse en K', la circonférence en H. Soit K le point du cercle tel que KK' soit perpendiculaire à AA', H' — de l'ellipse — HH' — — AA', K, K', H, H' étant tous les quatre d'un même côté de AA' ; alors : 1° Les trois points A', H', K sont en ligne droite, 2° Le lieu du point I où se rencontrent AH et A'K est l'ellipse: aif -\- 6a;* = a^b. On a un théorème analogue si A et A' sont les extrémités du petit axe. 29. — Soient les cinq ellipses : (1) a'^y^ -{• b^x^ = a^b\ (2) (a^ + bHYY + ami + l^x^ = b''{i + l)Ha'' + bHy, (3) [a-' — bHyif -f a''b\l — Ifx'' = b\i — Ij^a'' — bHy, (4) 0.^6^(1 + l)Hf + {b-' + aHfx^ = a'^(l + Ifib'' + aHy, (5) a^b^i — l)Y + (6' — aHyx^ = a\[ — lf{b^ — aHy, et M un point de (1). K. LEMOINE. — GÉOMÉTRIE 1>U TRIANGLE 113 1° Si la normale en M à V ellipse (1) coupe F axe des x en K et V ellipse (2) ( ' M en (j, les points K, M, G se succédant dans cet ordre, on a : -7-r = 1. Mh. Le symétrique G' de G par rapport à M sera sur l'ellipse (3). Si \ = -, (2) et (3) seront respectivement des cercles de rayons a -j- b et a — b. 2° Si la normale en M à (1) coupe l'axe des y en Kj et l'ellipse (4) en G^, C M G, étant dans le sens K,M, on aura: -^ = 1. * ' MKi Le symétrique G'^ de G, par rapport à M sera sur l'ellipse (5). S< 1 = - (4) et (o) seront respectivement des cercles de rayons a -|- b et a. — b. 30. — On donne une conique C de centre o et une droite L; par un jioint A de L on mène une tangente à la conique, soit K le point oii le dia- mètre conjugué de oA coupe cette tangente. Le lieu de K est une conique C uya?it avec C pour diamètre commun en grandeur et en position le dia- mètre conjugué de L et pour ce diamètre même direction de cordes conjuguées. ■Si G se compose de deux droites et que l'on appelle M e/ N les points ow L coupe C, et ^ le milieu de MN, le lieu se compose des deux droites parallèles à oa menées par M et par N. Si l'équation de C est : aHf ± b^x^ q= a'^b^ = 0 et celle de L : ^ -|- ^ = 1, celle de C' est nH''[aHf ± b'-x^ i^ a'^b^] — [a'^nij ziz bHxY = 0, en prenant en môme temps tous les signes supérieurs ou tous les signes inférieurs dans les équations de C et de C Si L est une tangente à C, le lieu se compose de L et de la tangente à C parallèle à L ; comme le montrent immédiatement les considérations géométriques les plus simples. » YI. — Nouvelles remarques sur la transformation continue. 31. — On appelle première conique et deuxième conique de Simmons {Companion to the iveekly problem papei 3 , 1888, ch. viii, pp. 163-167; Mémoire sur le tétraèdre, Neuberg, pp. 44 et 5o) les coniques inscrites dont les équations sont > \/x sin (60 -f- A) = 0 et ^ \/x rAn (A — 60) ■-:— 0. Les foyers sont, pour la première, le premier centre isogone: sin (A-)-60), 1 etc., et le premier centre isodynamique: -. , etc., et, pour la seconde, le second centre isogone : sin (A — 60j, etc., et le second 116 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE. GÉODÉSIE El MÉCANIQUE centre isodynamique: - — —,- etc. Les points: sin (A -|- 60), etc., sin (A — bO) et sin (A — 60), etc., sont aussi, respectivement, le point de Gergoniie de la première et le point de Gergoime de la seconde. Cela posé, il est facile de voir que leurs centres respectifs sont les points : bc -\- aR\/3 et br — aï{\/'6, tous deux sur la droite qui joint le point de Lemoine au barycentre. Remarquons que le point : sin (A + t)0), etc., se transforme en sin (A — 00), etc., lorsque l'on fait la transformation continue, soit en A, soit en li, soit eu C; d'une façon plus générale, le point : P sin A -)- Qcos A, P' sin B -h Q' cos B, P" sin C + Q" cos C, P, P', P", Q, Q', Q" étant des constantes, se transforme eu P sin A — Q cos A, P' sin B — Q' cos B, P" sin C — Q" cos G, que l'on fasse la transformation continue soit en A, soit en B, soit en C; le fait est très curieux et nous ^ne savons point si nous avons ainsi la formule générale des coordonnées des points pour lesquelles il se produit. La transformation continue appliquée aux formules, aux théorèmes, aux équations, les divise donc en quatre catégories : 1° La transformation continue en A, en B, en C reproduit le théorème ou la formule. „ , abc Exemple : sin A sin B sin C ^" La transformation continue en A, en B, en C donne des résultats différents de la formule primitive et différents entre eux. Exemple : ■ ^ar^r^ — 2So donne : ar^^r^ + brr,^ + en;. = 2So^,, Ces deux premiers cas sont de beaucoup les plus fréquents. 3" Une des transformations reproduit la formule, les deux autres la changent, mais de même façon toutes les deux. Exemple : La formule aiy^ = S(r^ -j- r^) se reproduit par transforma- tion en A, par transformation en B ou en C; elle donne : mr^ = S(y; — /■). Je nai pas rencontré de cas où une des transformations reproduisant la formule, les deux autres la changent chacune différemment. 4° Les trois transformations en A, en B et en C donnent toutes les trois un même résultat différent de la formule ou du théorème primitif. K. LEMOl.NE. — r.KOMÉTRIE DU TRIANGLE 117 Exemple: La conique inscrite qui a pour équation / , y/a; sin (A -\-60)=^0 a l'un de ses foyers — le premier centre isogone — pour point de Gergonne: c'est la première conique de Simmom. Les trois transformations continues donnent : La conique irisante qui a pour équation ^V-^" sin (A — (JOj ^ 0 a /'un de ses foijers — le deuxième centre isogone — pour point de Gergonne: c'est la deuxième conique de Simmons. Ajoutons aux théorèmes déjà donnés ailleurs sur la transformation continue : Si un point M est le foyer ou le sommet d'une conique L, le point M. trans- formé continu en A de M sera le foyer ou le sommet de L^ transformé de L. VII. — Quelques propriétés relatives a des cercles remarquarles DU plan d'un triangle. 32. — Le centre du cercle de Brocard, qui est aussi le centre du pre- mier cercle de Le.moine, est sur la droite : ^x{b^ — c^) cos (A + 0)) = 0 qui contient le centre de gravité et le point : «^ cos A, etc. Les coordonnées normales du centre du cercle de Brocard peuvent se mettre sous la forme : a[n^ — (a^ — 6^c^)l, etc. 33. — Les droites: b cos Cx -\- c cos k . !j -\- a cos B . ^ = 0 c cos B . a; -f- a cos C . y -\- b cos A . ;; ^O sont parallèles au diamètre OK du cercle de Brocard et à égale distance de ce diamètre. La distance D de ce diamètre à chacune d'elles est donnée par : •TÎ2C2 1)2 ^^ m'* — '6n^ 34. — La droite de Simson du point de Steiner a pour équation : 2aHb' — c') — — — X =0» cos (A -f- w) 35. — Étant donné un triangle ABC, il y a trois cercles tangents entre H8 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCAMQUE eiix deux à deux qui touchent respectivement le cercle circonscrit en k, B, C et lui sont intérieurs; les points de contact de ces cercles deux à deux sont sur les cercles (/'Apollomus de ABC et ils y sont tangents à ces cercles ; si leurs centres sont respectivement lo,^, w,,, w^, les deux triangles ABC, "a'^b^c ^^^ ^^* droite de Lemoine pour axe d'ho)nologie; le rayon Am.^du 2RS cercle tangent en A au cercle circonscrit est : — — ; — ^^ • ^ a^ + 2S5 ■ Il y a aussi trois cercles tangents entre eux deux à deux qui touchent respectivement le cercle circonscrit en A, B, Cet lui sont extérieurs; les points de contact de ces cercles deux à deux sont sur les cercles A' Apol- lonius de ABC auxquels ces cercles sont tangents ; si leurs centres sont respectivement w^'^, w'^, co^, les deux triangles ABC, o/^^to^w^ ont la droite de Lemoine pour axe d'homologie ; le rayon Ao)^ du cercle tangent en A au cercle circonscrit est : tt; • a^ — 2S Cependant si la hauteur correspondant au plus petit côté, cpar exemple, est plus grande que ce côté, ces trois derniers cercles ne sont pas à l'exté- rieur du cercle circonscrit; celui qui passe par C contient le cercle circonscrit, mais les deux autres lui sont extérieurs. Si la hauteur correspondant au plus petit côté c est égale à ce côté, le cercle passant par C devient la tangente en C au cercle circonscrit. 36. — Si H est V orthocentre ; v, v.^, v,., v^, le point de Nagel et ses transformés continus en A, en B et en C, Vaxe radical des cercles décrits sur Hvj^ et Hv^ comme diamètre a pour équation : x{b — C) cos A — yb cos C -\- zc cos C = 0. Par transformation continue en B, j'aurai: Vaxe radical des cercles décrits sur Hv et Hv^ comme diamètre a pour équation : — x{b -(- c) cos A -|- yb cos B -|- c^ cos C = 0. Le cercle décrit sur Hv comme diamètre est le cercle étudié très com- plètement par M. Fuhrmann. (Voir Mathesis, 1890, p. 105.) La transformation continue donne, ainsi que je l'ai montré, les cercles décrits sur Hv^, Hv^, Hv^ comme diamètres, lesquels jouissent de propriétés analogues à celles du cercle décrit sur Hv comme diamètre. 37. — Vaxe radical du cercle de Brocard et du deuxième cercle de Lemoine a pour équation : 1 ^2 I ,.. _ 3^2 '■ a; = 0« a É. LEMOINE. — GÉOMÉTRIE DU TRIANGLE 119 38. — L'axe radical du premier cercle de Lemoine et du second cercle de Lemoi.ne (*) a pour équation : 2^^(6-2 _|_ c-^ _ 2a2) ^ 0, il passe par le point de Lemoine ; le premier cercle de Lemoine coupe donc le second cercle de Lemoine suivant un diamètre. Si y. est l'angle sous lequel ces deux cercles se coupent et m l'angle de Brocard, on a : cos a ^ '2 sin w. 39. —Le carré de la corde interceptée sur BC par le cercle de Brocard a'Ha'* — Wc'^) est : — ^ ; m* Le cercle de Brocard ne coupe jamais les trois côtés à la fois. Il en coupe deux : si, supposant a > 6 > c, on a : 6^ > 2ac, ce sont alors les côtés CA et BC qu'il coupe ; si a* > 26c et 6* > 2ac, il coupe BC seulement. En résumé, le cercle de Bi^ocard : Ou coupe le plus grand côté seul ; il peut lui être tangent ; Ou coupe les deux plus grands; il peut couper le plus grand et être tan- gent au second ; Ou ne coupe aucun côté. 40 . —La conique Aa;'- + ^if + C::^ + ^yz + Ezx + Fa;;/ — 0 inter- cepte sur le côté BC du triangle de référence un segment dont le carré est : a-b^c\J)^ — 4BC) [Bf^ + C6'- — UbcY ' cette conique touche le côté BC si l'on a D- — 4BC := 0. Si, en même temps que D'- — 4BC = 0, m a : Bc^ + C6^ — Dbc — 0, la conique est représentée par : x{kx + Es -|- ¥y) -{- ^^{hy ±: czY =: 0 et coupe BC en son milieu en un point double, c'est-à-dire qu'elle y est tangente à BC. ou bien qu'elle a BC pour asymptote. VIII. — Bemarques diverses. 41. — Le point : — , etc., est le point oit se coupent les deux bro- a Gardiennes de la droite de Lemoine (coordonnées normales) par rapport à la droite de l'infini {A.F., 1886, Congrès de Nancy, p. 85.) (*) Je rappelle les définitions de ces deux cercles : Si par le point de Lemoine on mène des parallèles aux côtés, ces parallèle? coupent les côtés en six points qui appartiennent au premier cercle de Lemoine. Si par le point de Lemoine on mène des antiparallèles aux trois côtés, chaque antiparallèle à un côté coupa les deux autres côtés en deux points ; les six points ainsi obtenus sont sur le second ■cercle de Lemoine, 120 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCAMQUE l Le point: -, etc., est le point où se coupent les deux brocar- diennes de la droite de Brocard par rapport à la droite de l'infini. Le point : , etc., est le j)oint où se coupent : cl 1° Les deux brocardiennes de la dnoite de Lemoine par rapport à l'axe antiorthique ; 2° Les deux brocardiennes de l'axe antioj^thique : x -{- y -\- z ^^ 0 par rapport à la droite de l'infini. 42. — La di^oite qui joint les points brocardiens par rapport à une droite donnée L (voir A.F., Congrès de Grenoble, 1885, p. 26), d'unpointU coupe L au même point que la polaire ttnlinéaire de M. Cas particulier : la droite de Lemoine et la droite qui joint les points de Brocard sont pa- rallèles. 1 43. — Soit M le point dont les coordonnées normales sont : 7, etc., ^ a cos A AM, BM, CM coupent BC, CA, AB en A', B', C ; si l'on fait le triangle isocèle CAj^A', A^ étant sur CA et Aj^C étant égal à A,,A' et le triangle isocèle BA^A', A^. étant sur BA et A^B étant égal à A^.A', on aura : AX = A B '-"^ '»+'■ 44. — Soient ABC un triangle, H V orthocentre : 1° La polaire trilinéaire de M est perpendiculaire à MH, n M appartient à la cubique : 2.= by{a -}- c cos B) — cz{a -\- b cos C) 0; 2° La polaire trilinéaire de M est parallèle à MH, si M appartient à la cubique: Qabcxyz =^ ^^abœg{ax -\- by) équation qu'on peut écrire : Qabcxyz = (bcyz -\- cazx -\- abxy)(ax -}- by -\- cz). 45. — Soit un triangle ABC, par un point M de son plan, je mène des parallèles à ses côtés : La parallèle à BC coupe AC en A^, AB en A^, r- f :■.-:> )) » CA « BA en B^,, BC en B,., ;) ù AB » CB en C^, CA en C,^. Cela posé '. É. LEMOINE. — GÉOMÉTRIE DU TRIANGLE 121 Si M est sur la droite oG ou : ^a(b — c)x = 0, on a : AC, + BA, + CB, = AB, + BC, + CA,. Si M est sur la droite ; VcLr(b -[- c) = 0, on a : AB, + AC, + BC, + BA, + CA, + CB, = 0. Si M est sur la droite : Va(p — a)a; = 0, on a : B.C, + C,\, + A,B, = p. Si M est sur f hyperbole équilatére : y a'^.r^(b^ — c^) = 0, qui passe par les centres des cercles tangents aux trois côtés, par le barycentre et a pour centre le point de Steiner, on a : cb; + ba; + Ac; := ca; + bc; + ab; • Si M est sur le cercle conjugué de ABC : Vaj;"^ cos A = 0, on a : ab; + AC; + BC^, + ba^ + ca; + cb; = b,c; + CA + a,b;. Nous avons vu (./. E., 1884, p. 30) que : âc:+bâ; + cb: et' âb; + bc; + câ: sont minima respectivement pour le point direct : -, etc., et pour le point rétrograde de Brocard. C&l -\- ^fil + BC,5 est minimum pour le barycentre. q}{\)'^ 4- c^) b^c"^ 46. — Le point <î> : — — — — , etc. (voir A. F., Congrès de cl Grenoble, 1885, § 2, 3, p. 28) est sur la droite : ^ii'{h' — c^jx -^-- 0, qui 1 contient le centre de gravite et le point —, etc. 47. — Si un point M est tel que la somme de ses coordonnées normales absolues égale la somme des coordonnées normales de son inverse W, M et W appartiennent à la cubique circonscrite V(b — c)x(y'' — -■'') — 0. 122 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE a^ — bc, 48. — Le point qui a pour coordonnées normales : etc. , est à V intersection des deux droites : V£ur(b + c) = O.^axfb — c) = 0. La première passe par le point a(b — cj, etc., de Vaxe antiorthique et 2Mr le point à l'infini: , etc.; la seconde passe par le centre du cercle inscrit o, par le centre de gravité du périmètre G^^ et par le point © dont les coordonnées sont : a(b -f- c), etc. On a: —^= — ^ ,„ ^ ■ • 49. — Soit ABC un triangle, A'B'C le triangle formé par les pieds des hauteurs ; le cercle inscrit à A'B'C touche B'C, C'A', A'B' en a, [i, y. Les trois droites Aa, B,3, Cy se coupent au point dont les coordonnées sont : a tg A, b tg B, c tg C. Si l'on veut placer ce point, on trouve qu'il faut placer l'orthocentre de ABC centre du cercle inscrit de A'B'C. op : {AR^ + 2R, + GC^ + 6C3) ; tracer deux des côtés du triangle A'B'C, A'B', A'C par exemple, ce qui exige qu'on trace la troisième hauteur, op : (6R1 -{- SR.^) ; déterminer les points de contact y et [B sur A'B', A'C du cercle inscrit à A'B'C, ce qui se fait en abaissant de l'orthocentre des perpendiculaires sur ces côtés, op : (4Ri 4- 2R, -j- 5Ci + SC3) ; enfin tracer Bp, Cy, op : (4Ri + 2R,) ; on a donc le symbole, op . ÇlT". + OR, + IIC^ -f- IIC3). Simplicité 49; exactitude 29 ; 9 droites. 11 cercles. (b — c)fc — a)(a — b) L'aire du triangle NXK est : — L'aire du triangle NXG est : Z6 (b — c)(c — a)(a — b) 33 K est le point de Lemoine, N est le point de Nagel, a le point de Gergonne. Les distances du point K et du centre de gravité G à la droite NX sont dans le rapport de 'S à 2. Par transformation continue en A, on déduit les aires des triangles dont les sommets sont N^, \^, K ^ et N^^, \, G„ on en déduit aussi que les dis- tances du point I\, et du point G, à la droite \X^j sont dans le rapport de 111 3 à Î2 ; K et G„ sont les transformés continus en A : — a, b, c; » t ' - abc du point de Lemoine K et du centre de gravité G. Le triangle qui a pour sommets N, X et l'orthocentre H a pour surface : ; (^ — <')('■ — a)(a — b) . É. LEMOIXE. — GÉOMÉTRIE DU TRIANGLE 123 Par transformation continue en A, on voit que le triangle N^,X^,H a pour surface : — r- {b — c){c + a){h + a). 1 1 1 Le triangle qui a pour sommets a% b"*, c''; — 'rr, • — : ^f ^^ Point de Le- cl D' C S(b-^ — c-;(c'- — a^jfa'- — b'^j Moi.NE a pour surface : — 7-7— ^ ,- . ., ;-; tttt^ • '' ' 4(p^ — ro) [(p^ — roj2 — 4S^] On en déduit immédiatement, par transformation continue en A, celle du triangle dont les sommets sont : 111 — a\b\c^\ ^'T^'-rî —a, b.c. «•' ¥ C-* 111 Le triangle qui a pour sommets les points: a\ h\ c^ ; -7 j'r^'-^' ^^ ^^ 3. L) C Sfb^ — c^j(c'^ — a"-)fa'^ — b^)( p- — rS 1 ban/centre a pour surface : Krr~^ ^r: vfcTi " "^ ^ ' 3[(p^ — ro)* — ibS^j On en déduit immédiatement, par transformation continue en A, celle du triangle qui a pour sommets : 111 111 — aKoKc^; ^Ti'l' '/ a^ ¥ c^ a b c 50. — Soit A' un poiut situé du même côté de BC que A et tel que A'IiC =^ A ; A'CB = B. )) B' » » CA .) B » B'CA = B ; B'AC = C. ,) C .) )) AB » C » C'AB = C ; C'BA =^ A. Les trois droites XX', BB', CC concourent au point V : 1 1 1 a(a^ — b"-} ' b{b' — c') ' cic"- — b^-} ' De même, soit X" un point situé, du même côté de BC que A et tel que A"CB = A ; A"BC = C ; soit B", etc., les trois droites XX", BB", CC" concourent au point \ y : 1 1 1 a(a' — 6''') ' b{b^ — C) ' de'' — a'') La droite qui joint les deux points V et Vi a pour équation : a y » 3. 0. Si A'^, B^, C^ sont les symétriques de A', B', C respectivemeut par rapporta BC, CA, AB ; a;', b;, c; » ' » a", b", c" « » » AA^, BB'^, CC^ concourent au point rétrogimde -, etc., de Brocard ; AA" BB" ce; » » direct -, etc., » 124 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Le milieu de la droite qui joint les deux points V et Vi a pour coor- données -, etc., c'est le centre de l'hyperbole de Kiepert. 51. — a). —J'ai donné au Congrès de Marseille, 1891, p. 13o, une con- struction assez simple pour placer le point I : p — a,p — b, p — c. Le théorème suivant, dû à M. Boutin (./. E., 1891, p. 223) en donne une con- truction un peu plus simple au point de vue des opérations de préparation, c'est-à-dire de l'exactitude. Si K, o, o^^, Oj,, o^, A', B', C sont le point de Lemoine, les centres des cercles tangents aux trois côtés et les milieux des côtés du triangle ABC, les droites o^A', Oj^B', o^.C', oK concourent en \. Il suffira de tracer o^^A', o^B'. Je détermine A' et B' au moyen des trois circonférences A{R), B(R), C(R), R étant quelconque, etc., op. : (4Ri -f- âR.^ -J- 3Ci -|- SCj). Au moyen de ces trois circonférences, etc., je trace les droites o^^Co^^, Ao^^ Bo^, op. : (6Ri + 3R, -\- 6Ci -j-GCa) ; puis je trace o,, A'.o^B' : op : (4Ri 4-2R j; en tout : op. : (14Ri -f- TR^ + 9Ci -j- 9C3); simplicité 38 ; exactitude 23 ; 7 droites, 9 cercles. Le symbole A(R) représente une circonférence de centre A et de rayon R. b). — Le point de Tarry est sur la droite qui joint le centre de gravité au centre du cercle de Brocard, droite dont Péquation est : yaxic' cos C — b' cos B) = 0. c). — Si un point M a pour coordonnées normales : x, y, z, les équations des côtés B'C, C'A', A'B' de son triangle podaire sont : — X(i/ -f- z cos A)(s -\- y cos A) -j- Y( ;-[-// cos X){x -\- z eus B) -j- Z(y -\~ z cos A)(a; -f" 1/ cos C) = 0, etc. d). — Si M est un point de la cubique qui a pour équation : xyz{b'' — c^)(c^ — a^){a^ — ¥) -f- abc \a^yz{by — cz) cos A = 0, et que l'on appelle M^, M^^, M^ les points où AM, BM, C.U coupent les mé- diatrices de BC, CA, AB, les points M.^, Mj^, M^ sont en ligne droite. Cette cubique passe par les sommets, les milieux des côtés, par le centre du cercle circonscrit et y est tangente aux trois médiatrices. e). La droite : Xx -|- By -|- C^ — 0, contient les quatre points : (B-Cj, fC-Aj., (A-B), (B + G), (C - A), - (A + Bj, - (B -f C), (C + A), (A - B), (B - C), - (C + A), (A + B). É. LEMOINE. GÉOMÉTRIE DU TRIANGLE 125 Cette remarque évidente sert souvent dans la géométrie du triangle. f). s/ A', B', C et A", B", C" sont respectivement les sommets du triangle pcdal du point de Tarry et du point de Steiner, B'C, B"C" se coupent en Ai et AAi passe par le point de Lemoine. (Voir Congrès de Marseille, 1891. p. 1S5, n° 13.) g). — Soit >I et W deux points d'une conique ; par M et W je mène deux faisceaux de n droites parallèles qui coupent la conique : le premier en A, B, C, D. . . . le second en A', B', C, D' . . . Les deux jtobjgones ABCD . . ., A'BT/D' ... ont même surface. h). — Si deux tangentes parallèles à une conique dont les foyers sont F et F' coupent une autre tangente quelconque à cette conique en P et Q et que le quadrilatère FF'PQ soit inscriptible à un cercle, les deux tangentes parallèles sont les tangentes aux extrémités de l'axe focal. Si les deux tangentes parallèles sont quelconques et que T soit le point oii la tangente PQ coupe l'axe focal, le produit TP . TQ est de la forme : b* . K ou K ne dépend que de la direction des tangentes et ou h' est le carré du demi-axe non focal. Si l'axe focal varie de grandeur ainsi que la direction des tangentes parallèles, l'axe focal restant fixe ainsi que la direction PQ et le produit TP.TQ, le lieu de P et de Q est une hyperbole équilatère qui a pour asymptotes les axes des coniques. i)_ — S/ A' et B' sont les points de contact du cercle inscrit sur BC et sur CA ; A" le pôle de la perpendiculaire à BC, par rapport au cercle de centre C et qui passe par A' et B', menée par le point de contact sur BC du cercle ex-inscrit o^ ; B" le pôle de la perpendiculaire à AC, par rapport au même cercle, menée par le point de contact du cercle ex-inscrit o^. 1° Les deux cercles décrits sur A'A"e^B'B" coinme diamètres se coupent, se touchent, ou ne se coupent pas suivant que l'on a : a -f 6 > 3c ; a + 6 — 3c ; a -[- 6 < 3c. 2" Ces deux cercles sont respectivement les transformés par polaires réciproques par rapport au cercle de centre C et de rayon CB' = CA' de l'hyperbole de foyers B e< C passant en A et de l'hijperbole de foyers A et C passant en B. j), _ Par un point M je mène rantiparallèlc à BC qui coupe AC et AB en A^., A,^, » ,) CA » BA et BC en B^, B„ » ■ » AB » CB et CA en C^, C^^. Le point M pour lequel on a: AA, + AA, = BB^, + BB, = CC, + CC„ 126 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE est situé sur la droite qui joint le point de Lemoine au centre du cercle circonscrit et il a pour coordonnées ; a -]- "^P cos A, etc. , , , ^r. ^b + c)(c + a)fa + b) La somme constante est : zK -n — . ^ c * k). — Soit un triangle ABC, ti^ouver un point M tel que si par M on mène des parallèles aux trois côtés, la somme des inverses des segments que M forme sur cette parallèie (segments compris entre M et les côtés) soit la même. On trouve le point dont les coordonnées normales sont : 1 ab -f- ac — oc 1). — co est l'angle de Brocard d'un triangle,

cotg ^oj — 54 tg 9 cotg to + 12 tg > + 81 < 0. m). — Si Von prend par rapport à la droite de F infini, les points brocar- diens direct et rétrogade (voir Congrès de Grenoble, 1883, p. 27, ligne 5, en remontant) de tous les points de la droite de Vinfini, ils sont sur la conique circonscrite de Steiner, n). — Soit un triangle ABC et trois circonférences de rayons 1, m, n et de centres A, B, C ; si M est un des deux points tels que les puissances de M par rapport à ces trois cercles soient respectivement proportionnelles à a*, b'*, c^ et que nous appelions X, Y, Z les côtés du triangle podaire de M, on aura : X^ — l^ sin^ A = Y^ — ni^ sin^ B = 7J — n'' s'm' C. On en conclut que les triangles podaires des centres isodynamiques sont de's triangles équilatéraux. (Sghoute, Verslagen en mededeelingen, de l'Aca- démie d'Amsterdam, série 3, tome III, p. 89.) o). — Dans un triangle ABC considérons le cercle symétrique, par rap- port à la médiatrice BC, du cercle (/'Apollonius ayant son centre sur BC, et les deux autres cercles analogues. On sait que si le t?'iangle ABC est acutangle, les trois cercles symétriques des cercles c?' Apollonius se coupent en deux points réels qu'on appelle les centres isologiques {J . E., 1892, p. 70). Soient 3 leur distance et d la distance du centre du cercle circonscrit et de Vorthocentre. On aura : . 8R'^m^ d' On sait d'ailleurs que d^ = 9R^ cos A cos B cos C É. LEMOLNE. — GÉOMÉTRIE DU TRIANGLE 127 Les centres isologiques sont sur la droite d'Euler GH. Les centres des trois cercles d'Apollonius sont sur la droite de Lemoine : ceux des trois cercles symétriques par rapport aux médiatrices sont sur la droite de Longchamps : \ a^ir := 0. Ces deux droites se coupent au point : ¥ — c-, c'^ — a^ a"~ — b^. La distance D des centres isodynamiques (points où se coupent les cercles d'Apollonius) est donnée par la formule : D^ = — ^^ —^ • Le rapprochement de cette formule avec celle du n° 33 esta noter. Si un angle du triangle égale 120", les cercles d'Apollonius ont un de leurs points communs sur le côté opposé. R, m^, n^ désignent, comme d'ordinaire, le rayon du cercle ABC: a^ _{-, fy^ -\- c\ h'-e -\- c'a'' + a'^bK p). Soit un triangle ABC ; si l'on a : b^ -|- c^ ^ a(b -\- c) (ce qui suppose A <^ 90), la droite joignant un sommet de la base BC au point de con- tact du cercle inscrit sur le côté opposé et la droite Joignant l'autre sommet de la base au point de contact du cercle ex-inscrit qui est tangent au côté opposé, se coupent sur la médiane partant de A, et si l'on joint un sommet B au point de contact sur AC du cercle ex-inscrit qui touche AB, et le sommet C au point de contact sur AB du cercle ex-inscrit qui touche AC, ces deux droites se coupent sur la symédiane partant de A. laquelle coupe^C au point de contact du cercle inscrit. q). — Étant donné un triangle isocèle, on peut toujours trisecter avec la règle et le compas l'angle que forme un des côtés égaux avec ïantipa- rallèle à ce côté. Étant donné un triangle ABC, trouver dans son plan un point o tel que si Co coupe AB en C et que Bo coupe AC en B', on ait : 1« Angle ACC = angle ABB' ; 2° Angle B'oC ou C'oB = a fois angle ACC. Le problème est résoluble avec la règle et le compas si X est de la forme : 2" — 2. IX. — De la division de la circonférence en sept parties égales. 52. — Si dans un triangle ABC on a : A =: 2B, on aura aussi : «2 — h{b -f C) (i) {J. E., 1883, quest. 116, M. Antomari.) 128 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Si on a en même temps : B = 2C, on aura donc aussi : 6^ = c{c 4-«)(2) et les angles A, B, C seront : 4 . -^ > 2.-;:r-' „ 180 ^ 480 180 7 Le problème sera résolu si l'on construit le triangle ABC. Supposons c =: 1 et éliminons alors b entre (1) et (2), le résultat est : a' — 2a^ — a + 1 = 0. Cette équation a ses trois racines réelles, l'une négative entre — 1 et 0 ne peut convenir, l'autre entre 0 et 1 ne convient pas non plus puisque a'^ c et que c = i ; l'autre entre 2 et 3. On calcule qu'elle est: a = 2,250. . . l'équation (2) devient b^ = 3,2o0. . . d'où 6 = 1,80... ; c = 1. X. — Construction des points [j. et '/ dont les coordonnées NORMALES SONT : x' t z--' x"^ II'- z-'-' -, ^, - et —, ■-^, — . X ij z œ y z 53 . — Soient M et M' les points qui ont pour cordonnées x, y, z ; x', y' , z' et ABC le triangle de référence. J'appelle E^, F^ les points où MA coupent respectivement BxM', CM' » E^, F^ » MB » » CM', AM' » E^, F,. » MC » » AM', BM' J'appelle M^^ le point où se coupent BF^, CE^, » 31^ » .) CFj, AEj » M, » « AF., BE. Les trois droites AM^, BMj^, CM^ se coupent en ^j.. Si l'on traite M' par rapport à M, comme on vient de traiter M par rapport à M' en mettant pour cette seconde construction les mêmes lettres que pour la première, mais accentuées, il est clair que : les trois droites AM^, BM'j^, CM'^ se couperont en fx'. Pour exécuter cette construction, il faut : Tracer les six droites AM, BM, CM ; AM', BM', CM' . op : {itK, + GRJ Placer M^ par deux droites partant de B et de C . . op : (4Ri -f- ^Rj) » M^ » » C » A . . op : (4Ri + 2R,) Tracer AM^, BM^ qui se coupent en p. op : (4Ri -)- 2R2) [X est donc placé par op : (24Ri -\- 12R2) Pour avoir M^ une nouvelle droite suffira op : (2Rj^ -|- Ra) Ainsi que pour avoir M^^ op : (2Ri + RJ Enfin \>.' s'obtiendra en traçant AM^, BM;; op : (4Ri -f 2R2) É. LEMOIiNE. — GÉOMÉTRIE DU TIUAN'GLE 129 [j. et a' seront donc placés par op : (32Ki + 16K.^i lorsque M et M' sont placés. L'équation de ua' est : y.rx'iy'^z'^ — zh/'^fz = 0, par conséquent [xa' se tracerait par le symbole, op : (34Ri -[- i7Rj. En prenant pour M et M' difTérents points remarquables, on a pour y. et a' et pour u.\t.' des constructions relativement simples de points et de droites qu'il serait quelquefois fort long de fixer ou de tracer autrement. Si M est le barycentre, a est le réciproque de M' ; a' est le point : ax'', bij'-, cz'\ Si M et M' sont le barycentre et le point de Lemoine. [>. et ;J^' sont les 1 points si souvent rencontrés ^, etc., et a^ etc. Si iM et M' sont le point x, y, z et son réciproque, ,u. et ,a' sont les deux points réciproques a'^x^, etc., et , etc. a^x'-' Si M est le centre de gravité M^M', 3I^M', M^M' sont respectivement paral- lèles à BC, CA, AB. 111 Si M et M' sont deux points inverses x, y, z ; -, -, ~ , kl ei 'j.' sont les X y z ' ' 1 1 1 deux points inverses x^, y-\ z'^ : — , — . — . Si M et M' sont le point de Lemoine et le centre du cercle inscrit, ix et [x sont les points a% 6% c^ et le barycentre. Si M est le point .2 , y, z et M' un des quatre points : x' , //', :;' ou l'un de ses trois associés : — x', y', z'; x', — y', z'; x', y', — z', u' sera le même point, fx donnera quatre points associés. Si l'on traite a et y.' comme on a traité M et M' on aura deux poiiUs fx , :■ ; ' y^ — c)[a + (/; — b}] = r^r^ + ;v^, — rr,^. 17. a'^r^ -f b-'i-f^ — ch'^, = 4Rp[(7j — c) — c cos A cos B], et, par transformation continue en A : aV — b-r^ + c^r,^ — 4K('p — a)[(p — b) ~ c cos A cos B]. 18. y a^ cos- A := /»" — 4K^ Je ne veux pas terminer sans remercier U.Neuberg de toute sa complai- sance, des nombreux renseignements, des multiples indications que je lui dois, qui, entre autres choses, ont transformé le n° I : Sur quelques groupes de trois cercles. 132 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE. GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Abréviations employées daîis le cours du Mémoire : A. F. = Association française pour l'avancement des sciences. .T. E. = Journal de Mathématiques élémentaires, publié sous la direction de .M. de Longcliamps. ,]. S. -= Journal de Mathématiques spéciales, publié sous la direction de M. de Longchainps. ERRATA AU MÉMOIRE DU CONGRÈS DE LIMOGES, 1890, § 3, 13, P. 127. Dans les coordonnées des quatre points communs aux deux coniques inscrites, il faut mettre L, M, N ; V, W, N' au lieu de A, B, C ; A' B' C. ERRATA Al- MÉMOIRE DU CONGRÈS DE MARSEILLE, 189J. Page 2 lignes 7, 8, 9, 17 ; remplacer a par n. 9, en remontant; au lieu de x', y', z', lire .;', //', :' . 12 ; la dernière lettre de la ligne doit être C et non B. 2 ; le dénominateur doit être élevé au carré. 11, en remontant ; au lieu de : inscrit, lisez : circonscrit. 4, en leiiiontant; au lieu de : Z, lisez : Z, et ajoutez : Z, étant le cenijc du cercle de Rrocarrl . 18 » 6 ; la première égalité de la ligne doit être : » 4 ;j » 10 S » 11 » J> 12 » s 16 a 0 g' =\ » 28 » 1) 36 0 » 38 » » 38 y a 39 » » 39 » » 39 )) (/) - ar- -r- 5/-=^ -r lGKr„ 9; au lieu de x\ y, z, lisez: x', if , z'. 8; au lieu de : A', B', C, lisez : A', B', C. 1 et 4, en remontant; au lieu de .M, lisez: JI,. 3, en remontant ; après Vi est le point, ajoutez : , etc.. ou le puinl. 1 et 5; au lieu de M, lisez: M,. 2 ; effacez le barj centre et le point de. 3 ; effacez Lemoine. M. aaston TÂURY Inspecteur des Contributions diverses, à .\Igcr. FIGURATION DES SOL'JTIONS IMAGINAIRES RENCONTRÉES EN GÉOMÉTRIE ORDINAIRE *; — Séance du 17 septembre 1892 — 192. — Ces prétendus êtres de raison qu'on qualifie d'imaginaires sont parfaitement réels, et la géométrie possède le pouvoir de [les peindre à ri.magipation sous des formes sensibles. {V Voir C. R. du Congrès de Marseille, 2" partie, page 90. G. TAURY. — SULITIONS IMAf.I.NAIHKS UN GÉOMKTRIK OHDLXAIUK 133 Le mot imaginaire devrait disparaître du langage scientifique. Mais, pour nous conformer à l'usage, nous conserverons cette appellation ; ce qui ne présente aucun inconvénient, pourvu qu'on s'entende. La Géométrie pure, telle qu'on l'a conçue jusqu'cà ce jour, est essentiel- lement restrictive, parce que son champ d'action est limité au réel. De là, dans ses investigations, une timidité qui a toujours entravé sa marche en avant. Un peu de hardiesse va lui permettre d'étendre sa puissance sur le monde de l'imaginaire. L'être primordial qui engendre tous les êtres de la Géométrie, c'est- à-dire le point, n'a pas encore reçu sa véritable définition. Cependant, on a coutume de dire que le point réel est un cas particulier du point ima- ginaire, ce qui revient à admettre qu'il existe une définition plus géné- rale du point, embrassant à la fois le point imaginaire, demeuré invi- sible jusqu'à ce jour, et le point réel, le seul qui se soit montré aux yeux des géomètres. Quand la Géométrie ordinaire, que j'appellerai restrictive par compa- raison avec la Géométrie générale, répond en langage algébrique par une solution imaginaire à la question qui lui est posée, nous sommes préve- nus, par cela même, que la demande formulée renferme une impos- sibilité. A la suite de longues études, j'ai acquis la conviction inébranlable que la cause unique de cette impossibiUté résidait dans notre exigence à vou- loir que la solution exacte satisfasse, par surcroît, à une condition parti- culière, toujours la même, et dont la nature nous échappait. Ce qui se passe dans cette circonstance extraordinaire, où l'Homme et le Sphinx de l'imaginaire se trouvent face à face, mérite de fixer au plus haut degré l'attention du penseur qui veut étudier les lois et la marche du raisonnement. Les lignes suivantes, que j'extrais de l'ouvrage de Vallès (Des fonnes imaginaires en Algèbre, tome I, page 52), en substituant seulement le mot Géométrie à celui d'Algèbre, décrivent avec la plus parfaite exacti- tude la situation, telle du moins qu'elle m'est apparue : « Il est intéressant d'étudier comment, dans ce cas, la réaction de la » Géométrie cherche à se mettre en équilibre avec l'action égarée de » notre intelligence ; comment elle se maintient dans le vrai, alors que » nous voulons l'entraîner dans le faux: comment, du moins, elle refuse » de nous suivre dans cette voie, et par quels moyens, toujours logique » et toujours utile, tout en nous disant que nous l'avons frappée d'im- ') puissance, elle nous indique en quoi consiste l'erreur que nous n'avions » pas même soupçonnée. » Après dix années de méditation consacrées à rechercher la nature de cette erreur, j'ai été amené à la conclusion suivante : 134 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE L'interprétation des solutions imaginaires en Géométrie ne peut être obtenue qu'à la condition d'admettre la définition ci-après du point, que j'ai adoptée. En Géométrie générale, on appelle point l'être produit par l'union de deux points de la Géométrie ordinaire, que Ton considère dans un ordre déterminé, afin de les distinguer l'un de l'autre comme s'ils étaient appe- lés à jouer un rôle difTérent dans cette création. Cette trinité est le dogme sur lequel repose la Géométrie générale. Les deux composantes du couple dont procède le nouvel être présentent deux états difTérents, suivant que leurs positions sont séparées ou super- posées. (juand les composantes sont séparées, on a la figuration du point dont on pressentait l'existence en le désignant sous le nom d'imaginaire. Le point imaginaire était une âme sans corps; nous lui donnons un corps pour le présenter dans le monde géométrique. Dans le cas, infiniment particulier, oii les composantes sont superpo- sées ou confondues, on a l'image du point réel. Ainsi, tout point réel est nécessairement double. Cette conclusion, si étrange qu'elle puisse paraître, est imposée par la force même des choses. Pour doter la Géométrie pure d'une puissance comparable à celle de l'Algèbre, il fallait encore découvrir les véritables définitions de la ligne droite, de la distance et de l'angle, éléments constitutifs de la science de l'étendue. Ces définitions ont été données dans mon premier Mémoire de Géo- métrie générale, présenté au Congrès de Paris en 1889 et publié dans le compte rendu de la session. De nombreuses expériences m'ont confirmé dans la croyance que j'ai eu la fortune de rencontrer la voie de la vérité. Ma Géométrie générale anéantit le fantôme de l'imaginaire. Désormais, toutes les solutions dites imaginaires pourront être représentées par des images visibles. Je serais heureux si l'exemple suivant, choisi parmi les solutions ima- ginaires qui se prêtent à une figuration simple, pouvait faire naître chez les amis de la vérité le désir de lire mes Mémoires de Géométrie gé- nérale. Dans le Journal de Mathémaliques de M. de Longchamps, j'ai proposé en 1889 le problème suivant, dont la solution a été donnée dans le nu- méro du mois de septembre 1892. Quatre trains se meuvent sur des voies rectilignes avec des vitesses uniformes. On connaît leurs positions à deux instants différents. On demande de tracer une cinquième voie rectiligne qui puisse être G. T.VrUtV. S(tLl TID.NS IMAGINAIRES £.\ GKUMÉÏKIK 0HDI.\A1UE 135 parcourue par un train d'un mouvement uniforme, de telle sorte que les quatre premiers trains paraissent immobiles aux A'oyageurs du cinquième. Ce problème est du second degré et, par conséquent, peut comporter des solutions imaginaires. En vertu des définitions nouvelles, données par la Géométrie générale, le problème doit être posé sous cette forme : Ouatre couples de trains confondus, AA, BB, CC, DD, se meuvent en ligne droite avec des vitesses uniformes. On demande de trouver deux voies rectilignes qui puissent être parcou- rues avec des vitesses uniformes par deux trains P et P', de telle sorte qu'à tout instant la ligne droite de (iéométrie générale qui passe par le point PP' et l'un quelconque AA des quatre autres points mobiles con- serve la même direction. Pour que la droite mobile PP'AA de Géométrie générale conserve une direction fixe, il faut et il suffit que le rapport des distances PA et P'A demeure constant et que la bissectrice de l'angle variable PAP' ait une direction fixe. (Voir pour la démonstration mon Mémoire de 1889. j En conséquence de ce qui précède, j'affirme sans aucune hésitation que, dans le problème primitif, la solution imaginaire présentée par la Géo- métrie restrictive doit être interprétée comme il suit : 11 existe toujours deux trains réels qui se meuvent sur des lignes droites avec des vitesses uniformes, de telle sorte qu'à tout instant du mouvement : 1" les distances de ces deux trains à chacun des quatre premiers soient respectivement dans des rapports constants ; 2° les bis- sectrices des angles sous lesquels on voit ces deux trains de chacun des quatre premiers conservent des directions fixes. Cela est évident en Géométrie générale. Quand les deux trains du couple sont constamment confondus en un seul, et alors seulement, la Géométrie restrictive donne une solution réelle. On voit par cet exemple typique que la Géométrie restrictive, en pré- sentant une solution imaginaire, nous prévient bien que la demande for- mulée renferme une impossibilité. Et cette impossibilité tient uniquement, non seulement dans le problème qui nous occupe, mais toujours, à ce que nous exigeons que les deux composantes du point demeurent superposées. C'est en cela que, suivant l'expression de Vallès, consiste l'erreur que nous n'avions pas même soupçonnée. Dans l'espace réel oîi Descartes a construit les axes de sa Géométrie analytique, toutes les places paraissent marquées d'avance pour les points réels, dont les coordonnées sont déterminées à l'aide de nombres positifs et négatifs. 136 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE On a été porté à croire qu'il n'en restait aucune pour les points ima- ginaires, et, ne sachant où mettre ces êtres dont l'existence s'afTirmait de plus en plus, on a imaginé l'hyperespace pour les y loger. Dans ces limbes, ils ont attendu la venue d'une Géométrie générale, qui leur a donné un corps pour leur permettre de pénétrer dans l'espace où nous vivons. Le spectre de l'imaginaire a disparu, et avec lui son habitation : Ihy- perespace. M. COCCOZ Commandant d'Artillerie en retraite, à Paris. DES CARRÉS DE 8 ET DE 9, MAGIQUES AUX DEUX PREMIERS DEGRES DES CARRÉS DE MÊMES BASES EN NOMBRES TRIANGULAIRES — Séance du 17 septembre 1892 — La question des figures magiques, dont les mathématiciens les plus éminents s'occupèrent avec ardeur à la fin du xvii'^ et au commencement du xviii^ siècle, s'est enrichie tout récemment de procédés au moyen desquels on a résolu des problèmes (*) de ce genre plus compliqués que celui des enceintes, qui fut, par l'intermédiaire du P. Mersenne, l'objet d'une active correspondance entre les illustres Fermât et Frenicle. La recherche des carrés de 8 et de 9 de base, magiques aux deux pre- miers degrés, a été précédée par d'autres. Toutes ont eu pour point de départ un triangle équilatéral de neuf chiffres inséré dans un volume de la Nouvelle Coj'respondance mathémathique qui nous fut communiqué par notre ami Edouard Lucas. Les quatre nombres de tel côté que l'on veut considérer 4 3 de ce triangle ont pour somme 20, et l'addition de ces 9 7 mêmes nombres élevés à la deuxième puissance donne pour ^ ^ *^ ^ total 126. On fit bientôt après, avec dix-huit, puis avec vingt-sept éléments, (*) Voir l'Appendice à lu lin du Mémoire. COCCOZ. — DES CAHUÉS MAGIQUES 13" une quanlité considérable de triangles satisfaisant à de semblables condi- tions. Le 19 novembre 1888, un mémoire sur les égalités à deux degrés fut présenté à l'Académie des Sciences par son auteur, M. le général Fro- lov, et le Journal de Mathématiques élémentaires traita le même sujet dans ses numéros d'août et de septembre 1889. Ces divers travaux firent naître l'idée de former à deux constantes : 1° Des enceintes magiques ; 2" Des cercles de même rayon se coupant deux à deux, leurs circon- férences étant divisées en parties égales avec des nombres à chaque point de division et d'intersection ; 3" Des ensembles de lignes formant des figures géométriques comme il y en a, mais sans double égalité, dans le chapitre Das magische Po- lygon, du traité d'Hermann SchetTer. Carré de 8 de base. — M. Savard a le premier arrangé soixante-quatre nombres en un carré magique au premier degré et semi-magique au second ; mais, c'est M. PfetTerniann qui, avant tout autre, a construit un carré de 8 parfaitement magique à deux degrés, et quelques mois après un de 9 réunissant les mêmes conditions. Ces carrés ont été pu- bliés par les soins de M. Feisthamel le 6 décembre 1890 et le ^ll juin 1891. On se rendra compte des difficultés que présentait la construction de tels carrés en cherchant, parmi les formules connues et les notations dues à Joseph Sauveur, celles qui pourraient aider à résoudre ce nouveau genre de problèmes, et aussi, en considérant que les combinaisons de huit nombres donnant la double égalité 260 et 11.180 dépassent 30.000 suivant une première approximation de M. Rilly, qui en a déjà cal- culé 23.136. La marche à suivre pour obtenir avec des nombres consécutifs un carré de 8 comporte trois opérations : 1° Avec les soixante-quatre nombres former huit lignes, chacune de huit éléments, dont la somme soit 260; faire les permutations de chiffres nécessaires pour, sans altérer cette première égalité, en trouver une se conde 11.180 par l'addition des nombres élevés à leur deuxième puissance. Cette opération terminée, on a ce que nous appelons un générateur. 2° Composer un second générateur ayant les mêmes qualités que le premier, et pouvant se conjuguer avec lui pour faire un semi-magique. 3° Par des changements de place des lignes entières, amener en dia- gonales les nombres qui, en dotant celles-ci de la double égalité, rendent le carré tout à fait magique. Générateur. — Pour former chaque générateur, nous procédons par couples égaux, et par leurs complémentaires, en nous réglant, pour com- mencer, sur les deux rangées supérieures d'un échiquier dont les cases seraient numérotées. 188 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Nous obtenons les cinq groupements suivants : 260 et 17 49 81 113 ^260 16 SO 82 112:^260 15 51 83 111 =3 260 13 53 85 109^^260 9 57 89 105 = 260 La première décomposition est des plus simples : il faut écrire les nombres suivant la marche que les Grecs appelaient boustrophédon. |0 17 49 81 113 - : 260 2" 18 48 80 114 - 2(30 ;-i° 19 47 79 115 ^ 260 -4" 21 45 77 117 = 260 5° 25 41 73 121 .= 260 Z*^"" groupement. A B ( A D 0 8 9 24 25 40 41 56 4 7 10 23 26 39 42 55 58 12 6 11 22 27 38 43 54 59 24 5 12 21 28 37 44 53 60 40 4 13 20 29 36 45 52 61 60 3 14 19 30 35 46 51 62 84 2 15 18 31 34 47 50 63 12 1 id 17 32 33 48 49 64 On a évidemment des horizontales égales, puisqu'elles se composent toutes des couples 17 49, 81 113 — 260. Il s'agit de leur donner la double égalité. Dans chaque colonne les premiers nombres inscrits sont consécutifs, de la forme n et w + 1 ayant pour somme de leurs carrés 2n(n -|- 1) -f- 1. Les deux suivants (/i — 1) et {il -\- 1) ont pour somme de leurs carrés 2n(M -|- 1) -|- ^» quantité qui surpasse de quatre unités le résultat précédent. En comparant ainsi chaque couple avec le premier inscrit, on trouve les différences mises en marge du tableau. En place des nombres 0, 4, 12, 24, etc., etc., marquant des différences, on aurait pu mettre plus simplemenl : 0, 1, 3, 6, 10, 15, 21, 28, c'est-à-dire les sept premiers nombres triangulaires précédés de zéro. Ces différences formant une somme 336 pour les huit couples d'une colonne, les horizontales seront égales au second degré toutes les fois que les quatre couples de chacune d'elles présenteront des différences ayant pour somme 336 4 = 168 En représentant chaque couple par la lettre placée en tête de sa COCCOZ. — DES CAItUÉS MAGIQUES 139 colonne avec Je chiffre en marge pour indice, on composera des lignes à deux constantes telles^ que les suivantes (*): Ah. Au2 As4 As, A64 B40 B,2 Beo Bc„ r.,., J)^ cVst-à-diriî (a) 1 16 20 29 38 43 55 58 i^ t:,' L),,, » (h) 1 16 20 29 39 42 54 59 '^ C40 \h « (c) 1 16 22 27 36 45 55 58 ^1 C04 D„ » fdj 2 15 18 31 40 41 56 57 [=: r.„ \\, » l'e} 2 15 19 30 37 44 56 57 1=1 C, \\, » (f) 2 15 19 30 38 43 54 59 IH 260 11180 260 11180 260 11180 260 11180 260 11180 260 11180 Ou abrège les recherches par l'emploi des termes complémentaires. Ainsi, ou déduit immédiatement des six lignes ci-dessus : fa') 7 10 22 27 36 45 49 64 (c'} 7 10 20 29 38 43 49 64 i'e') 8 9 21 28 35 46 50 63 7/J 6 11 23 26 36 45 49 64 (d') 8 9 24 25 34 47 50 63 (f) 6 11 22 27 35 46 50 63 Les autres groupements ne comportent chacun que quatre lignes. A D A' B' \y T groupement. 0 7 9 24 26 40 42 55 57 8 10 23 25 39 41 56 58 16 5 11 22 28 38 44 53 59 6 12 21 27 37 43 54 60 30 3 13 20 30 36 16 51 61 4 14 19 29 35 45 52 62 48 1 15 18 32 34 48 49 63 2 16 17 31 33 47 50 64 S'^ groupement. 0 6 9 24 27 40 43 54 57 8 11 22 25 38 41 56 59 8 5 10 23 28 39 44 53 58 7 12 21 26 37 42 55 60 56 2 13 20 31 36 47 50 61 4 15 18 29 3i 45 52 63 80 1 14 19 32 35 43 49 62 3 16 17 30 33 46 51 64 groupement . 0 4 9 24 29 40 45 52 57 8 13 20 25 36 41 56 61 12 3 10 23 30 39 46 51 58 7 14 19 26 35 42 55 62 28 2 11 22 31 38 47 50 59 6 15 18 27 34 43 54 63 48 1 12 21 32 37 48 49 60 5 16 17 28 33 44 53 64 o^ groupement. 0 4 5 28 29 44 45 52 53 12 13 20 21 36 37 60 61 4 3 6 27 30 43 46 51 54 11 14 19 22 35 38 59 62 12 2 7 26 31 42 47 50 55 10 15 18 23 34 39 58 63 24 1 8 25 32 41 48 49 56 9 16 17 24 33 40 57 64 (*) Dans les numéros précités du Journal de Mathématiques élémentaires, le signe employé pour exprimer une douljle égalité. a été 140 MATHÉMATIQUES, ASTROxNOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE A laide de deux des cinq tableaux, on trouvera les lignes de deux générateurs. Supposons les suivants d"' et 5'- groupements) : Gi'nérateur doniiaiil, les horizontales. Gént'raleiir ilomi;mt les verlirnle^. 1 16 22 27 39 42 52 61 4 13 23 26 38 43 49 64 2 15 21 28 40 41 51 62 o 14 24 25 37 44 50 63 5 12 18 31 35 46 56 57 8 9 19 30 34 47 53 60 6 11 17 32 36 45 55 58 7 10 20 29 33 48 54 59 1 10 2 9 3 12 4 11 8 15 7 16 6 13 5 14 28 19 27 20 26 17 25 18 29 22 30 21 31 24 32 23 43 36 44 35 41 34 42 33 46 37 45 38 48 39 47 40 50 57 49 58 52 59 51 60 55 64 56 63 53 62 54 61 Ces deux générateurs peuvent se conjuguer : la première horizontale et la première verticale n'ont d'autre terme commun que l'unité et, en outre, 22 et 43 sont leurs seuls termes qui se complètent pour donner 64-f-l- Il en est d'ailleurs de même des autres lignes ayant un terme conmiun, par exemple : 2, 13, 21, 28, 40, 41, 51, 62, et 2, "i, 27, 30, 44, 4o, 49, 56; le terme commun est 2 et leurs seuls complé- mentaires sont 21 et 44. Après avoir arrangé dans le générateur dont les horizontales sont exactes les nombres de manière que les verticales soient composées comme celles de l'autre générateur, on aura un semi-magique auquel on donnera une disposition telle qu'il soit formé de seize petits carrés dans chacun desquels on trouve 130 exprimé en quatre nombres par 65 et 65 (fig. 5), ou par 64 et 66, 63 et 67, 61 et 69, 57 et 73, 49 et 81. ou 33 et 97 (*) (fig. 7). (*) On peut se dispenser de faire cet arrangement par Oo 60; mais il ji'est pas inutile de l'essayer quand on désire former les diagonales avec d'autres couples, parce que, en cas de non-réussite des 16 petits carrés i)ar la décomposition de 130 que l'on a choisie, il n'y a pas de diagonales corres- pondantes. Le semi-magique figure 7 a ses carrés par 37 73. On pourrait les faire par 61 69 et aussi par .'il fiii. Dans le premier cas, on a les quadrangles dans le second et dans le troisième 53 2'. /. 33 3i 62 42 11 34 3 23 34 12 41 61 32 n 1', V> 5o .il 41 10 20 63 ^'7 6 32 2S ^2 33 ;i9 A 7 l'r 2 3.Ï 30 63 31 1S 33 /. 16 4:; 20 49 61 32 COCCdZ. — DES CARRES MAGIQUES 141 FiG. ii. — Semi-magique. A A' B B' C C D D' FiG. 7. Semi-magiquc. 1 22 27 16 52 39 42 61 43 64 49 38 26 13 4 23 -16 l.j 2 21 41 62 51 '.U 50 37 44 63 3 24 25 14 46 07 56 35 31 12 5 18 8 19 3(1 9 53 3'. 47 60 55 36 45 58 6 17 32 U 29 10 7 2(» 48 59 54 33 c c' d d' 1 58 36 27 53 14 24 47 15 53 46 21 59 4 26 33 22 45 55 16 34 25 3 (iO 28 35 57 2 48 23 13 54 40 31 5 62 20 43 49 10 42 17 II 52 30 37 63 8 51 12 18 41 7 64 38 29 61 6 32 .'.9 9 50 44 19 Diagonales. — En consultant une liste facile à établir des combinai- sons de quatre couples qui donnent la constante 11.180. on trouvera celles dont les termes disposés magiquement se prêtent aux change- ments de position des lignes qui amènent ces termes suivant l'une des diagonales. Il est évident que les colonnes du semi-magique (voir fig. 5) étant interverties suivant D, C, B, A, A', B', C, D', les nombres 3 (32, 16 49, 18 4", 29 36 de l'une de ces combinaisons seront placés en seconde diagonale, et qu'en mettant les rangées horizontales par c, h, a, d, d', a\ b', c', o 60, 10 55, 24 41, 27 38, qui forment quatre qua- drangles avec les précédents, pourront être pris pour la première diago- nale (voir fig. 6). Fig. 6. — Magique. D C B A A' B' C D' 5 31 56 46 57 35 12 18 c 51 41 2 28 15 21 62 40 b 42 52 27 1 22 16 39 61 a 32 60 45 55 36 58 17 U d 54 48 7 29 10 20 59 33 d' 4 26 49 43 64 38 13 23 b' 25 3 4'. 50 37 63 24 14 c' 47 53 30 8 19 9 34 60 d' Fig. s. — .Magique. / 16 38 52 26 41 1 23 61 27 49 39 13 64 22 4 42 2 44 62 24 37 15 25 51 21 63 41 3 50 28 14 40 58 20 6 48 29 55 33 U 45 7 17 59 10 36 54 32 56 30 12 34 19 57 47 5 35 9 31 53 8 46 60 18 Deux autres combinaisons également par 6o 6o, 3 62, 16 49, 18 4", 29 36 et 4 61, lo oO, 17 48 et 30 3o conviennent aussi ; elles se con- juguent avec oelles déjà indiquées. Il en résulte que si on les désigne 142 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE par a, [3, Y' 2: 01^ S'Ura six paires de diagonales, a[i, ay, aS, py, jio, yo, qui pourront être adaptées à ce carré. On. sait qu'un carré de 8 de base se transforme de cent quatre-vingt- douze manières quand on déplace simultanément des bandes et des colonnes également distantes du milieu. En supposant qu'il ne soit pas possible de lui donner d'autres diagonales que celles par 65 65, le carré (fuj. 6) est déjà susceptible de 6 X 19^ = l-lo2 solutions. Il en serait de même du carré (flg. 8) auquel six paires de diagonales conviennent également. Cette multiplicité des diagonales, ainsi que les transformations par échanges de groupes égaux, qu'il faut chercher pour les découvrir, s'op- pose à la détermination exacte, a prio?'i, du nombre de carrés de 8 à deux degrés que l'on peut construire par la méthode dont nous venons de faire un exposé succinct. Tout ce qu'il est permis d'alfirmer, c'est que les lignes, au nombre de trente, qui comprennent l'unité se conjuguent cent vingt fois deux à deux, d'oii 120 carrés donnant lieu chacun à 192 solutions dérivées, c'est-à-dire 23.040 carrés différents, sans compter les solutions en quantité assurément considérable dues aux changements de diagonales. CARRÉ DE 9 DE BASE MAGIQUE AUX DEUX PREMIERS DEGRÉS Carré de 9, — Le carré de 81 éléments consécutifs se fait aussij par deux générateurs qui se conjuguent pour former un semi-magique que l'on dote ensuite de bonnes diagonales. Avec la suite naturelle de 1 à 81, les constantes sont, au premier degré, 369 et, au second, 20.049. A.vec les vingt-sept nombres dont se composent les trois premières lignes d'un carré naturel, on forme une bande qui comprend trois petits carrés magiques auxquels on donne la même orientation. 2 7 6 11 16 15 20 25 24 9 5 1 18 14 10 27 23 19 4 3 8 13 12 17 4 3 8 En transportant ensuite dans chaque carré deux horizontales prises aux autres carrés, on rend égales les neuf lignes verticales. Chaque verticale est alors formée de termes dont la somme est 42, l'ensemble en comprend quatre paires qui présentent chacune une double égalité et une dans la composition de laquelle entre la moyenne de 1 à 27, c'est-à-dire 14. COCCOZ. l)i:s C.VUKKS MAGIQUES h r (I d' !■' 1/ 143 (/ /// (I 2 7 6 11 16 15 20 25 24 18 14 10 27 23 19 9 5 1 22 21 26 4 3 8 13 12 17 Dans le tableau ci-dessus, qui présente le résultat des opérations que nous venons d'énoncer, les lignes désignées par les mêmes lettres jouissent de la double égalité, leurs éléments se complétant à 27 -|- 1 — 28 (*). En agissant de même avec les nombres de 28 à 5i- des 3°. 4'' et o'' lignes, puis avec ceux de 5o à 81 des trois dernières ligîies du carré naturel, on arrive à des résultats analogues, savoir : deux bandes à ver- ticales égales, des couples de ces verticales à double égalité et une ligne où se trouve la moyenne qui pour la seconde bande est 41, et pour la troisième bande est 68. Il ne reste, pour avoir un générateur, qu'à faire avec les verticales partielles des verticales entières dont les nombres élevés au carré aient pour somme 20.049. Générateur n" i. ", m, «; fc, '■i '', < (■' 1 1 2 7 6 11 J6 15 20 25 2i 18 14 10 27 23 19 9 5 1 22 21 26 4 3 8 13 12 17 42 m.. "o "', lu c. cU u:. (/: c: 34 33 29 43 42 38 52 51 47 41 37 45 50 46 54 32 28 36 48 53 49 30 35 51 39 44 40 2.5 "o (1 1 '" ,, /^3 '-i (!, h' .1 (/; 60 56 61 69 65 70 78 74 79 64 72 68 73 81 77 55 63 59 80 76 75 62 58 57 71 67 66 204 (*) Voici une autre répartilion des tronçons d'horizontales qui doniiL' l'égalité des verticales de la |u-emière bande, et, en procédant d'une manière analogue, l'égalité dans les autres bandes. Il r b // r n' (/ m d' 2 i 6 11 15 i:; 20 2:i 21 27 r.i 19 9 o 1 18 14 1(1 13 12 17 22 21 2 G l> ■i S 144 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Ce tableau, en même temps qu'il montre une composition de générateur, fait prévoir les variations qu'on peut lui appliquer, les lettres (jui, dans une bande, ne difîèrent que par l'accent, indiquant les tiers de colonnes qu'on peut faire permuter. Pour faciliter la vérification de ce générateur auquel nous donnons le n° 1, et aussi la construction d'autres générateurs en partant des mêmes bases, voici les valeurs au second degré des différents groupes ternaires employés : «t = a\ =.812 «, — 0,;" 5.267 «3 6, =.866 6^ = b\ = 5.249 \ ^i t = 794 c, — c^ — 5.105 c. ds =^^; = 650 d.^ = d; = 5.321 ^3 m. — 686 m, ■= 5.141 61 = c„ = dl m. 14.096 13.934 14.150 14.078 13.970 Nous ne pouvons produire, dans une note qui doit être succincte, les cent quatre générateurs obtenus en orientant autrement les petits carrés ou bien en changeant de place dans une même bande les verticales qui peuvent se permuter. Nous mentionnerons seulement que, partagés en (juatre classes, ceux de la seconde se font en groupant, pour former les bandes, les lignes 1'''', 4" et 7*= du carré naturel, puis les 2% 5® et 8% et enfin les 3°, 6^ et 9^ Ce qui fait qu'une bonne ligne de générateur, au lieu d'être décomposée au premier degré en 4,2 -|- 123 -|- ^04 = 369, l'est en 96+123 = 150. La troisième classe se fait en groupant, non les horizontales, comme Générateur n° .'■. 2 7 6 11 16 15 20 25 24 27 23 19 9 5 1 18 14 10 42 13 12 17 22 21 26 4 3 8 33 29 34 42 38 43 51 47 52 46 54 50 28 36 32 37 45 41 44 40 39 53 49 48 35 31 30 123 61 60 56 70 69 65 79 78 74 77 73 81 59 55 63 68 64 72 65 71 67 75 80 76 57 62 58 COCCOZ. — DES CARRÉS MAGIQLKS 145 nous l'avons indiqué, en établissant le générateur n" 4, mais les verti- cales l'«. 2% 3^et 4% ù% 6^ 7% 8% 9% d'où résulte la décomposition de la constante 369 en 114 -f- 123 -j- 132. La quatrième classe groupe les verticales 1", 4% 7«; 2% 5% 8«; 3% 6«, 9% comme sont groupées les horizontales de la deuxième classe ; la décomposition est par 120 + 123 + 120 = 369. En supposant que nous ayons choisi pour horizontales d'un semi- magique les verticales du générateur n° 1, celui qui occupe le qua- trième rang dans le travail de M. Pfeffermann en donnerait les ver- ticales . SemiTinagique engendré par les générateurs a» i et n» 4. 1 2 18 22 34 41 48 60 64 80 27 4 11 50 30 43 73 62 69 * 13 20 9 39 52 32 71 78 55 * 33 37 53 56 72 76 7 14 21 46 35 42 81 58 65 23 3 16 44 51 28 67 74 63 12 25 5 61 68 75 6 10 26 29 45 49 77 57 70 19 8 15 54 31. 38 66 79 59 17 24 1 40 47 36 En se reportant à ce que nous avons expliqué au sujet de la cons- truction des semi-magiques de 8, on aura facilement celui de 9 produit des générateurs n° 1 et n° 4. Diagonales. — Les lignes de deux générateurs n" 6 et n° 7 faits en donnant une autre orientation aux petits carrés de 9 éléments dont se composent les bandes donneront les diagonales. Veut-on placer 41 dans la cellule centrale, l'un des générateurs a dans la ligne où se trouve ce chiffre : 6, 16, 20, 28, 54, 62, 66, 76 ; dans l'autre, 4, 12, 26, 36, 46, o6, 70, 78 sont aussi dans la ligne dont fait partie ce même chiffre 41. Et, de plus, ces nombres sont en quadrangles. 4 62 56 76 46 16 28 12 20 78 6 2G 66 36 70 54 Voici les deux générateurs 6 et 7 qui, en outre, se peuvent conjui."uer 10* 146 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE pour engendrer un semi-magique qui, lui, emprunterait ses diagonales aux générateurs n" 1 et n° 4. Générateur n» 6. 4-) 23 204 4 9 2 13 18 11 22 27 20 21 23 25 3 5 7 12 14 16 17 10 15 26 19 24 8 1 6 29 31 3<} 38 40 44 47 49 54 52 48 50 34 30 32 43 39 41 42 44 37 51 53 46 33 35 28 63 06 58 72 65 67 81 74 76 77 79 75 59 61 57 68 70 66 64 69 71 73 78 80 55 60 62 Génér;Ueur ii" 7. 42 123 204 4 9 2 13 18 11 22 27 20 12 14 16 21 23 25 3 5 7 26 19 24 8 1 () 17 10 15 36 29 31 45 38 40 54 47 49 41 43 39 50 52 48 32 34 30 46 51 53 28 33 35 37 42 44 56 58 63 65 67 72 74 76 81 70 66 68 79 75 77 61 57 59 78 80 73 60 62 55 69 71 64 Si l'on mettait tout autre nombre dans la cellule centrale, on opére- rait comme ci-dessus, de sorte que les cent quatre générateurs composés jusqu'à ce jour donnent lieu à 48 + 36 -f 36 -f 36 = lo6 carrés types, susceptibles de recevoir chacun quatre-vingt-un nombres différents au centre; ce qui fait 12.636 carrés transformables par le déplacement simultané des rangées et des colonnes également distantes du centre. Soit un total de -2.i26.il2 dans lequel ne sont pas comprises les varia- COCCOZ. — DES CARRÉS MAGIQUES 147 lions provenant d'échanges possibles, dans certains cas, entre des groupes ternaires de même valeur. A l'article suivant nous donnons un carré appartenant à la 4" classe, le dernier de la collection (n° lo6),' avec l'unité dans la cellule cen- trale. sans CARRE MAGIQUE A NOMBRES TRIANGULAIRES n{ii -1-1) n^ii, La tormuie — ^^ — _ _^ d un nombre triangulaire montre, qu'il soit nécessaire de le démontrer, qu'un carié étant fait aux deux l)remiers degrés, on en aura immédiatement un à nombres triangulaires si l'on substitue, dans chaque cellule, au chiffre qui l'occupe le trian- 2 H- 4 3 4- t» gulaire correspondant : à 1, 1; à 2, — ^ = S;h 3, —~^= 6; à 23, 23 -1- o29 ^„, = 2/6, etc., etc., etc. Par exemple, les trois lignes principales du carré suivant qui est magique aux deux degrés, seraient composées en nombres triangulaires comme nous l'indiquons plus bas (*) : 40 1-2 71 73 23 30 29 7 24 55 48 5 16 38 15 80 49 63 25 6 47 31 62 81 14 64 39 12 41 10 60 52 74 58 54 8 36 26 76 21 1 32 43 69 65 78 56 34 45 67 17 19 3 50 77 46 57 2 51 61 18 44 13 11 70 42 53 9 22 75 59 28 35 4 27 68 66 37 33 20 79 La somme des quatre-vingt-un premiers nombres triangulaires est 91.881 dont le neuvième est 10.209. C'est ce chiffre que l'on obtiendrait en faisant la somme des nombres triangulaires substitués à ceux d'une (*) M. Feisthamel, l'amateur le mieux renseigné et le plus connu de tous les polygraphistes et TMiseurs de c;irrés, a eu l'obligeance de publier dans divers journaux, notamment le Siècle et ta France, issitot qu'ils lui ont été communiqués, les carrés à deux degrés faits par les trois ou quatre per- -onnes qui réussissent à en composer de réellement magiques. 148 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE ligne quelconque du carré ci-contre qui est le dernier de la collection de M. Pfeffermann (15G). 1'^ horizonfale 820 2628 2556 2701 276 465 435 28 300: = 10.209 1'° verticale 820 1540 325 78 666 3081 3003 66 630 = 10.209 1'° diagonale 820 117G 1128 183U 1 153 171 1770 3100 - = 10.209 et ainsi des autres lignes. APPENDICE 1. — Comme exemple de ces sortes de |)roblèmes, la figure 1 représente ua triangle composé avec la suite naturelle de 1 à 18 et dont les constantes sont 69 et 871, la figure 2 un carré de 5 de base dont l'enceinte a pour constantes 65 et 1007, la figure 3 un carré de 7 dont Fcnceinte a pour constantes 175 et 5415. Les lignes de la figure 4 sont les développements d'autant de circonférences. On trouve les constantes 205 et 5537 en additionnant les nombres placés sur chaque circon- férence en des points de division ou d'intersection (ces derniers sont ceux qui sont répétés). l'iG. 1. G 1 3 8 4 9 11 16 13 17 14 12 2 5 7 10 15 18 FIG. 2. 7 21 8 17 22 11 5 14 2.3 2 16 1 13 25 10 6 15 24 3 12 20 19 18 9 4 FiG. 3. 8 15 5 28 31 37 40 26 35 4 6 47 39 29 17 9 27 34 14 41 33 30 43 12 25 38 7 20 32 48 36 16 23 2 18 49 24 21 44 :} 11 46 1 42 45 22 19 13 10 FiG. /,. I li 8 20 21 25 .32 36 M 37 I 19 8 12 22 13 28 29 33 'lU 27 30 34 12 7 13 24 2 17 39 35 38 26 4 31 10 24 5 17 15 9 18 26 6 31 16 23 36 3 37 Constantes =: 205 5537 M. IliOl.OV. — SUR LES RÉSIDUS QUADRATIQUKS 149 M, Michel EROLOV à Genève. SUR LES RÉSIDUS QUADRATIQUES — Séance du 17 septembre 1892 — i . — Dans ses Disquisitiones fuithmeticœ, Gauss appela résidus quadra- tiques du module m les restes que l'on obtient en divisant par un nombre quelconque m une suite de carrés consécutifs \ , 4, 9, 10 ... Il appela non-résidus quadratiques tous les autres nombres, inférieurs à m, qui ne se trouvent pas parmi ces restes. La considération des résidus quadratiques révèle quelques propriétés des nombres qui pourraient servir à la détermination de leurs facteurs premiers. m — 1 On sait que pour ut premier il y a — ^ — résidus et autant de non- résidus, et que tous ces nombres sont distincts les uns des autres. C'est là une des propriétés caractéristiques des nombres premiers. Dans ce cas, comme l'a fait voir Gauss, le produit d'un nombre quel- conque de résidus et de non-résidus est résidu ou non-résidu, selon que les non-résidus sont en nombre pair ou impair. On peut obtenir avec deux résidus quelconques, autres que l'unité, tous les aulres résidus d'un module, par la multiplication des résidus connus, sans recourir à la division des carrés. Par exemple, tous les six résidus du module 13 peuvent être obtenus avec deux résidus 4 et 9. En effet, leur produit 36 donne le résidu 10; le produit de 4 et de 10 donne le résidu 1 ; celui de 9 et de 10 donne 12 et celui de 10 et de 12 donne 3. Tous les autres produits donneront les mêmes résidus. Cette propriété n'appartient également qu'aux résidus des nombres premiers. 2. — Si l'on numérote les résidus en marchant à rebours, le premier résidu, correspondant au carré ( — ;^ — j sera égal, pour m de la forme 4/i -I- 1, à (m — h), et, pour m de la forme 4/i — 1 , à h, et le r/'"*^ résidu 150 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE sera égal, dans le premier cas, à (m — A + (f — q) et, dans le second, à {h-\-q-'-q). Donc la différence du {q + i)'"' et du ç"" résidu sera égale à 2g. Il en résulte une règle très simple pour déterminer rapidement tous les résidus, en commençant par le dernier : en l'augmentant de 2, on obtien l'avant-dernier résidu ; en ajoutant à celui-ci 4, on obtient le résidu sui- vant, et en continuant à ajouter 6, 8, 12, 14, etc., on obtient l'un après l'autre tous les résidus. Ces formules sont identiques à celles auxquelles Euler est parvenu , selon Legendre, par voie d'induction (art. 179 et 180 de VEssai sur la Théorie des nombres, par Legendre, 1808). Cependant les facteurs pre- miers des résidus quadratiques ne sont pas toujours résidus. Par exemple, pour m=: 13, on a parmi les résidus le nombre 10, sans avoir ses fac- teurs premiers 2 et 5; pour m — 43, on a 6, 21, 38, 35, sans avoir leurs facteurs premiers 2, 3, o, 7, 19 (*). 3. — Pour m premier ou composé de la forme ïh — 1, il existe une relation très simple entre les — y-^ premiers résidus et les — r — derniers résidus, pris dans l'ordre inverse : après avoir trouvé les premiers cl le résidu du milieu, on obtient les derniers, en renversant l'ordre des premiers et en les augmentant respectivement de 1, 2, 3, 4, o ... Par exemple, pour /« := i3, les dix premiers résidus sont : 1. 4, 9, 16, 2o, 36, 6. 21, 38, 14 et le résidu du milieu est 35. Augmentons 14 de 1, 38 de 2, 21 de 3, 6 de 4, 36 de o, 25 de 6, 16 de 7, 9 de 8, 4 de 9 et 1 de 10, et nous aurons les dix derniers résidus 15, 40, 24, 10, 41, 31. 23, 17, 13, 11. C'est facile à démontrer, car pour m = 4A — 1, le carré du milieu est (m A- 1\'^ égal à ( — j — j = h"^ et la différence de deux carrés également éloignés de /^n 4- 1 X'-* ce dernier et se trouvant à la distance 2/ l'un de l'autre, étant 1 — y f- / 1 — y- 1\ -; nd-\-l, il est évident que la différence des résidus correspondants sera égale à / ou à la demi-différence des racines de deux carrés, et que c'est la quantité dont il faudra augmenter un résidu de la (*) Voir la Table des résidus à la fin de ce Mémoire. M. FKOLOV. SUR LKS RÉSIDUS QUADRATIQUES lol première moitié de la période, pour obtenir le résidu correspondant de sa seconde moitié. Si m premier ou composé est de la forme ih -\- \, on obtient les derniers résidus en augmentant les — - — premiers résidus de i 4 quantités 2/i + 1, th + 2, 2// + H . . . 3/î— 1, 3/t. Par exemple, pour w= 41. après avoir écrit les dix premiers résidus 1, 4, 9, 16, 2o, 36, 8, 23, 40, 18, augmentons 18 de 21, [40 de 22. 23 de 23, 8 de 24, 36 de 2o, 2o de 26, 16 de 27, 9 de 28, 4 de 29, 1 de 30, et nous aurons les dix derniers résidus 39, 21, o, 32, 20, 10, 2, 37, 33, 31. En etïet, la différence de deux carrés également éloignés du milieu de la période étant égale à (4/<+ !)(/— 1) + 2// +/ = m{l — \) +2/i +/, la différence des résidus sera égale à ^h -{-l (*). //( — 1 4. — Pour m premier de la forme 4/i -|- 1 , tous les — - — résidus se m — 1 , , . , , . - - répartissent en — - — couples de résidus complémentaires, dont la somme est égale km. Il est aisé de se convaincre que deux résidus de cette espèce corres- pondent à deux carrés dont la somme est égale à m. ou à son multiple, car en nommant ces résidus r et R et les carrés correspondants a;'^ et y^, on aura a;^ = r, et i/^ = R (Mod. m.) En additionnant ces congruences, il viendra x"- -\- if ^ r -\- 'K (Mod. m) et en posant r -j- R = m, af- -\- \f 0 ( >! > 1. m . — G r.n n e tout nambre premier de la forme 4/i-|- \ est une somme de deux carrés, on peut poser m=:a^ -\-b'^, et en multipliant les deux racines a et 6 successivement par 2, 3, 4 . . . A-, on aura des sommes de deux carrés (2a)'' -j- (^Jf, (3a)'^ -\- (36)% {kaf + (46)"^ . . . {ka)'^ -\~ (kbf, toutes multiples de m, qui corres- pondront à autant de couples de résidus complémentaires. Si ka, kb dé- passent m, on aura soin de les diviser par ce module et de les remplacer (*) On obtient aussi, dans ce cas, les derniers résidus, en diminuant le I — ; — I le résidu de 1, le 1 1 de 2. le I — -; — I de 3, et ainsi de suite. 132 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE ffl \ par des restes, et si ces derniers dépassent — - — , de les remplacer par leur compléments km. 29 — 1 Par exemple, pour m ^ 29, on doit avoir — - — =r 7 couples de rési- dus complémentaires et autant de couples de carrés. On a d'abord (1) 2^ + 5^ = 29 En multipliant les racines 2 et 5 successivement par 2, 3, i, •>, on trouve les sommes suivantes, toutes multiples de 29 : (2) 4^ + 10^ (3) G^ + 15^ = Q' + (29 — lo)'^ = 6'^ + 14'^; (4) 8'^ + 20^ = 8^ + (29 — 20)'^ :r_r 8^ + 9-; (5) 12^ + 30-^ = 'l^'^ + (-'^O - -^^y =^12' + 1^ 2 et en divisant i)ar 2 les racines (i et 14 de la somme (3), on a : (6) 3^ + 7'^ Enfin, en multipliant les racines de cette somme par 6, on aura : (7) 18-^ + 42^ = (29 — 18)'^ + (42 — 29)'^ := 11^ -f 13-. Voilà tous les sept couples de carrés, chacun desquels correspond à un couple de résidus complémentaires; par exemple, les carrés 11- -{- 13-' correspondent aux résidus o et 24. Les nombres premiers de la forme ih — 1 n'étant pas des sommes de deux carrés, n'ont jamais de résidus complémentaires. Quant aux nombres composés, il en est autrement. Pour un nombre composé m de la forme 4/t + 1? 'es résidus ne se fil 'I répartissent en — - — couples complémentaires que si m ne contient que des facteurs de cette forme et est égal à une somme de deux carrés, comme 65 = 16 + ^^, 221 — 25 -|- 198, etc. Mais, si m est composé exclusivement de facteurs de la forme \h — 1, comme 21, 77, etc., il n'y a pas de résidus complémentaires. Par contre, pour les nombres composés de la forme 4/i — 1, conte- nant des facteurs premiers de la forme 4/t -j- 1 , on rencontre des résidus complémentaires : par exemple, pour ni — lo, on a le couple 0 et 9 ; pour m = 87, on a les couples 6 et 81, 9 et 78, 24 et 63, etc. 5. — Signalons encore quelques autres dissemblances entre les résidus des nombres composés et ceux des nombres premiers. III — 1 D'abord, pour tout nombre composé m, il y a toujours moins de — - — M. FKOLON . — SLR LKS IIKSIDUS QUADRATIQUKS 153 résidus distincts l'iiii de l'autre, et il existe toujours quelques résidus égaux. Cette reproduction de résidus suivant une période indique précisé- ment que le module m est un nombre composé. En efTet, posons x^ = r et ij"^ = r (Mod. m). En retranchant la dernière conyruence de la première, nous aurons j;2 — if 13:: (^x -f- II) U — 1/) = 0) (Mod. m). Chacun des nombre x et y m étant moindre que — , leur somme {x -\- y) et leur différence {x — y) sont inférieures à m. Jl en résulte que /// est nécessairement le produit des fac- teurs de ces deux quantités {x -|- y) et {x — ij), et, par conséquent, il est un nombre composé. Il s'ensuit encore que la distance {x — y), qui sépare deux résidus égaux, a toujours un diviseur commun avec le module ut. Par exemple, pour m = 77 = 7 x 11, on a les résidus suivants : 1, 4, 9, 16, 25, 36, 49, 64, 4, 23, 44, 67, 15, 42, 71, 2o, 58, 16, 53, 15, 56, 22, 67, 37, 9, 60, 36, 14, 71, 53, 37, 23, 11, 1, 70, 64, 60, 58. On remarque que la distance entre deux résidus 4 est égale à 7, que celle des résidus 23 est égale à 22, que celle des résidus 58 est égale à 21, et que tous ces nombres ont des diviseurs communs avec 77. En second lieu, les lois de Gauss, qui lient entre eux les résidus de tout nombre premier n'existent pas pour des nombres composés. Ainsi, pour ces derniers, les résidus ne sont pas toujours des produits de deux autres résidus ; par exemple, pour tu = 15 on n'obtient ni 1 ni 4 par la multipli- cation de deux autres résidus. Parfois un résidu est'le produit de lui- même par un autre résidu; tel est pour tn - 15 le résidu 10 qui, étant multiplié par 4, donne 10. Il arrive encore que le produit d'un résidu par un non-résidu est égal à zéro, ou que le produit de deux non-résidus est non-résidu. Ainsi, pour in = 15, en multipliant le résidu 10 par le non-résidu 3, on a 30=^- 0 (Mod. m); en multipliant les non-résidus 2 et 7, on obtient le non-résidu 14. 6. — Nous présenterons maintenant quelques théorèmes sur les résidus, des nombres composés, qui ont rapport à la détermination de leurs facteurs premiers. Théorème I. — Les différences des résidus d'un nombre composé N et des résidus correspondants de l'un de ses facteurs d sont divisibles par ce facteur, et, réciproquement, un nombre N sera divisible par un autre nombre d, si les différences de leurs résidus correspondants sont divisibles par ce dernier. En effet, si l'on a simultanément : x^ = K (Mod. N) et N = 0 (Mod. d), on aura aussi a;'* = R (Mod. d), 154 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE et si l'on a en même temps : x"' = r (Mod. (/), il viendra : R — r^O (Mod. d) ; c'est-à-dire que la différence des résidus correspondants de N et de d est divisible par d. Ainsi, en écrivant une suite de résidus de 77 : 1. 4, 9, 16, 2o, 36, 49, 64, 4, 23, 44, 67. 15 . . . et au-dessous celle de résidus de 7 ; 1, 4, 2, 2, 4, 1, 0, 1, 4, 2, 2, 4, 1 ... ou aura les difîérences : 7, 14, 21, 35, 49, 63, 0, 21, 42, 63, 14 . . . toutes divisibles par 7. Pour appliquer ce théorème à la recherche des facteurs premiers d'un nombre N, il suffit de trouver un seul résidu R de ce nombre, donné par la division d'un carré n'^ par ce nombre. Posons : R = n'- — N et r ^ n' — Cd où d est un facteur premier, C son coefficient et r son résidu corres- pondant au résidu R de N. Alors on aura : N = Cd — (R — r), et si (R — r) est divisible par d, X le sera aussi. Par exemple, pour déterminer les facteurs de N = 2263 =: 48- — 41, où 41 est le 48'"^ résidu de ce nombre, essayons le facteur 7. Le 48'"" ré- sidu de 7 est égal k son (49 — 48) == 1®"' résidu, qui est 1 ; on a 41 — l =: 40, nombre non divisible par 7 ; donc 7 n'est pas un facteur de 2263. Essayons 11; le 48"^*' résidu de ce facteur est le môme que son 48 — 44 = 4""^ résidu, égal à 5; on a 41 — 5 -- 36, nombre non divi- sible par 11; donc 2263 n'a pas ce facteur. Après avoir essayé, de la même manière, les facteurs 13, 17, 19, 23 et 29, nous arriverons à 31, dont le 48"'^ résidu est le même que son 48 — 31 = 17""= résidu égal à son 31 — 17 =: 14'"'' résidu qui est 10; on a 41 — 10 = 31, donc 31 divise 2263. 7. — Théorème II. — Les différences des résidus également éloignés de deux résidus égaux sont divisibles par des facteurs du module. M. FKOLOV. — SUK I.KS KKSIDUS QUADRATIQUES lo5 En effet, prenons deux résidus égaux R et r, correspondant aux carrés x'^ et y% et encore deux résidus Rj et Rj situés des deux côtés de R à la distance / de celui-ci, et deux autres résidus r, et r.^ situés de la même manière relativement à r. On aura les quatre congruences sui- vantes : {^x — lf=K,; {x + iy^K,- {ij — if = r,; iy + iy' = r, fMod. N). En retranchant les deux dernières des deux premières, il viendra : 4- 2/ fa; + y\ = R, — r, ; + ±1 [x — y) ~ R, — r, ) ^ ' En nommant d^ le facteur commun de N et de {x — /y), et d.^ celui de N et de [x -j- y), on aura quatre nouvelles congruences : Ri — r, = 0 ; R, — r, = 0 (Mod. d,), R, — r, = 0 ; R, — y.^ = 0 (Mod. d.^, qui expriment que chacune des quatre différences de résidus est divisible par un des facteurs du module. Par exemple, prenons dans la période de 77 deux résidus égaux à lo. Les deux résidus situés à deux pas du premier résidu lo sont 44 et 71, et les deux résidus situés à la même distance du deuxième résidu 13 sont 16 et 22 ; les dilférences 44 — 1(3 = 28 et 71 — 22 =; 49 sont divisibles par 7, et les différences 44 — 22 = 22 et 71 — 16 =- 55 sont divisibles par 11, 7 et 11 étant facteurs de 77. 8. — Avant d'aller plus loin, remarquons que, dans une période directe d'un nombre premier ou composé, il y a d'abord une portion formée de résidus carrés 1, 4, 9... impairs et pairs, qui se succèdent entre eux, en augmentant graduellement jusqu'à l'arrivée d'un résidu de même parité que le précédent et moindre que lui, et nous dirons qu'il y a là un saut; puis quelques résidus pairs et impairs se succèdent de nouveau jusqu'au second saut, caractérisé aussi par deux résidus contigus de même parité, et ainsi de suite. Si nous représentons un résidu R par la formule R := a-'^ — CN, dans laquelle C est le coefficient du nombre N, c'est-à-dire le quotient de la division du carré x"^ par N, il est clair qu'à chaque saut le coefiîcient C croît d'une unité. En prenant un second résidu /• ~ y^ — cN et en le retranchant du premier, on aura la diffé- rence de ces résidus \\ — r z=. x'^ — y'^ — (C — c)N, dans laquelle la différence (C — c) désignera le nombre de sauts entre les résidus R et r. Par exemple, dans la période du nombre 77 (art. 5), les sauts sont situés entre 64 et 4, 71 et 25, 58 et 16, 53 et 15, 36 et 22, 67 et 37, 37 et 9, etc., et les résidus \, 4, 9... 64 et les résidus 15, 42 et 71 sont séparés par deux sauts, les résidus 23 et 56 par quatre sauts, etc. 156 MATHÉMATIQUES, ASTROA'OMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Théorème III. — Si la différence de deux résidus, situes l'un de l'autre à la distance égale à un nombre premier l et séparés par un nombre de sauts moindre que /, mais plus grand que zéro, est divisible par /, ce der- nier est le facteur du module. En effet, en reprenant la formule que nous venons d'établir : R — r = a;^ — .?/2 — (C — c)N ^ (a; + ij){x — y) — (C — c)N, nous voyons que l = x — y, et comme nous avons supposé que R — r est divisible par ce nombre et que le nombre de sauts (C — c) est plus petit que /, il en résulte que / doit diviser le module N. Par exemple, dans la période de 17, les résidus 9 et 23, situés à la distance égale à 7, et séparés d'un saut, donnent la différence 14 divisible par 7, donc ce dernier divise 77 ; les résidus 36 et lo situés à la même distance 7, et séparés de deux sauts, donnent la différence 21 aussi divi- sible par 7, etc. 9. — Théorème IV. — Si l'on prend deux résidus consécutifs R, et R.^ d'un nombre N et si, en les divisant par un facteur premier m, on obtient les restes /\ et r.^ , qile l'on trouve, l'un à côté de l'autre parmi les résidus de ce facteur, ce dernier divisera le nombre N. En effet, soient x'^ et {x zt 1)^ deux carrés consécutifs qui, étant divisés par N, donnent les résidus Rj et Rj; ainsi on aura : Ri r= d-^ — N et R^ ~ (a? ± 1)^ — N. D'après la supposition de l'énoncé du théorème, on a aussi : Rj ^ 9\ et R2 ^ y-j (Mod. m) et en nommant y^ et (y ± ]y les carrés consécutifs qui donnent, pour le module m, les résidus ?•, et r.^ , on aura encore : y^ = Vi et y dr l)'^ = r.^ (Mod. m). On en déduit successivement : n = x^ — y- N ^ (x zh 1)'^ - (y ± Ij'^ x:iz7ji = 0 (Mod. m). (•* + !j) ou (x — y) étant ainsi multiple de m, x^ — y^ — - N le sera éga- lement, c. Q. F. D. Par exemple, prenons N = 91.471, on aura Ri = 303^ — 91.471 =338 et R2 = 301-^ — 91.471 = 945. Pour s'assurer si ce nombre 91.471 est divisible par "23, divisons par ce facteur les résidus 338 et 9io, et nous obtiendrons les restes 1(5 et ^ qui se trouvent, l'un à côté de l'autre, parmi les résidus de 23. Donc, ce dernier est facteur de 91.471. 10. — Tout nombre peut être mis sous la forme N = n^ — 7' ; il est M. KKOLO\. sri! I.KS UKSIDIS Ql'ADK ATIUIKS loT évident qu'un nombre ne peut être divisible que par des facteurs pre- miers m, qui contiennent parmi leurs résidus le nombre r, ou, si ce der- nier surpasse m, le reste de la division de r par m. Ainsi, les nombres de la forme n- — it peuvent être divisibles par il, 13, 23, 37, 47. . ., mais non par Ij, 7, 17, lU, 31 ... de sorte qu'il est inutile de les diviser par ces derniers facteurs. Il s'ensuit que la con- naissance des résidus des facteurs premiers permettra d'exclure environ la moitié de leur nombre et d'abréger d'autant les essais de la division. Nous joignons à ce Mémoire la table des résidus des nombres premiers de 3 à 97, qui peut faciliter sensiblement la décomposition des nombres en leurs facteurs premiers, car la grande majorité des nombres composés contient ces facteurs. Théorème V. — En écrivant un nombre N sous la forme N =:: n-' — r, si l'on trouve un nombre t, tel que la différence (n — /) ou la somme m -{- t) ait un diviseur commun d avec l'une des différences (/• — P) ou (/2 — r), ce diviseur commun divisera le nombre N. En effet, si (n — t) ou (n + t) est multiple de d, (n^ — r-) le sera aussi. Si, en outre, la différence (/• — f) est multiple de d, en la retranchant de (n'^ _ /"-), on aura n- — r := N aussi multiple de d. Si cest [f' — r) qui est multiple de d, en l'ajoutant à (»' — r^), on aura encore w^ — r = ^ multiple de d, c. q. f. d. Pour appliquer ce théorème à la recherche des facteurs d'un nombre N, il faut diminuer ou augmenter n successivement de 1, 2, 3, 4, 5. . ., en retranchant simultanément du résidu r les carrés de ces nombres 1, 4, 9, 16, 25. . ., jusqu'à ce que l'on tombe sur deux nombres ayant un divi- seur commun. Les exemples suivants suffiront pour expliquer cette méthode : 1. — Prenons N = 9379 = 97^ — 30, n =: 97, r = 30. n-t = m,9o, 94, 93, 92, 91, 90, 89, 88, 87, 8(3, 85, 8i, 83. n^t = 98, 99, 100, 101. 102, 103. lOi, 105. 10(i. 107, 108, 109, liO, 111. I 30 — 1 30 — 4 30 — 9 30 — 16 30 — 25 \ 29 26 21 14 5 ) 30 _ 30 49 — 30 64 — 30 81 — 30 100 — 30 ^(''-^''^\ u 19 34 51 70 121-30 144 — 30 169 — 30 196 — 30. «Il 114 139 166 Les nombres 83 et 1(36 ont le conmiun diviseur 83, par conséquent ce dernier divisera 9379. 2. — Prenons N — 12.361 — 112* -- 183, n — 112, r == 183; mais. 158 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE pour abréger, au lieu de retrancher les carrés, retranchons les nombres impairs 1, 3, 5, 7... n—t-^ IH. 110, 109, 108, 107, 106, 105, 104, 103, 102, 101, 100, 99, 98, 97, 96, 95, 94. aJrt= 11"^^ lli' 11^' 11<'>' '^1^' 11^' 11^' 1"^<^' 121' 1'^-' 1^'^' 124, 123, 126, 127, 128, 129, 130. ±,;. _r-) ^ 182. 179, 174, 167, 158, 147, 134, 119, 10^2, 83, 62, .SÇ)^ U, —13, —42, —73, —106, —141. Les nombres 94 et 141 ont le commun diviseur 47, qui divisera néces- sairement 12.361. Cette méthode paraît être plus expéditive que l'ancienne méthode d'Eratosthène. TABLE DES RÉSIDUS QUADRATIQUES. 3 1. 3 1, 4. 7 1, 4, 2. 11 1, 4, 9, 5, 3. 13 1, 4, 9, 3, 12, 10. 17 l, 4, 9, 16, 8, 2, lo, 13. 19 1, 4, 9, 16, 6, 17, 11, 7, o. Plus loin, les résidus carrés ne seront pas écrits. 23 2, 13, 3, 18, 12, 8, 6. 29 7, 20, 6, 23, 13, 5, 28, 24, 22. ^31 S, 18, 2, 19, 7, 28, 20, 14, 10, 8. 37 12, 27, 7, 26, 10, 33, 21, H, 3, 34, 30, 28. 41 8, 23, 40, 18, 39, 21, 3, 32, 20, 10, 2, 37, 33, 31. 43 6, 21, 38, 14, 35, 15, 40, 24, 10, 41, 31, 23, 17, 13, 11. 47 2, 17, 34, 6, 27, 3, 28, 8, 37, 21, 7, 42, 32, 24, 18, 14, 12. nS 11, 28, 47, 13, 38, 10, 37, 13, 44, 24, 6, 43, 29, 17, 7, 52, 46, 42, iO. 69 5, 22, 41, 3, 26, 51, 19, 48, 20, 53, 29, 7, 46, 28, 12, 57, 45, 33, 27, 21, 17, 15. 61 3, 20, 39, 60, 22, 47, 13, 42, 12, 45, 19, 56, 34, 14, 57, 41, 27, 15, 5, 58, 52, 48, 46. 67 14, 33, 54, 10, 35, 62, 24, 35, 21, 56, 26, 65, 39, 15, 60, 40, 22, 6, 39, 47, 37, 29, 23, 19, 17. 71 10, 29, 50, 2, 27, 54, 12, 43, 5, 40, 6, 45, 15, 38, 32, 8, 37, 37, 19, 3, 60, 48, 38, 30, 24, 20, 18. 73 8, 27, 48, 71, 23, 50, 6, 37, 70, 32, 69, 35, 3, 46, 18, 65, 41, 19, 72, 54, 38, 24, 12, 2, 67, 61, 37, 53. 79 2, 21, 42, 65, 11, 38, 67, 19, 52, 8, 45, 5, 46, 10, 35^ 23, 72, 44, 18, 73, 51, 31, 13, 76, 62, 30, 40, 32, 26, 22, 20. 83 17, 38, 61, 3, 30, 59, 7, 40, 75, 29, 68, 26, 69, 31, 78, 44, 12, 65, 37, 11, 70, 48, 28, 10, 77, 63, 51, 41, 33, 27, 23, 21. BIERENS DE HAAN . CORRESPONDANCK ET OEUVRES DE C. HUYGENS 159 80 11, 32, m, 80, 18, 47, 78, 22, 57, 5, 44, 85, 39, 84, 42, 2, 53, 17, 72, 40, 10, 71, 45, 21, 88, 68, 50, 34, 20, 8, 87, 79, 73, 69, 67. 97 3, 24, 47, 72, 2, 31, 62, 95, 33, 70, 12, 53, 96, 44, 91, 43, 94, 50, 8, 65, 27, 88, 54, 22, 89, 61, 35, M, 86, 66, 48, 32, 18, 6, 93, 85, 79, 75, 73. M. BIEEEIS DE HAAÎÎ Professeur à l'Univcrsitt^ de Leyde. RENSEIGNEMENTS SUR L'EDITION DE LA CORRESPONDANCE ET DES ŒUVRES DE CHR. HUYGENS (*) — Séance du 19 septembre 1892 — En octobre 1882, l'Académie royale des sciences à Amsterdam institua une Commission de dix membres pour l'édition de la correspondance et des œuvres de Christian Huygens : à D. Bierens de Haan, le président, principalement furent confiés l'arrangement et la rédaction de la corres- pondance, qui bientôt fut portée à environ 2.700 lettres, tant écrites par notre savant qu'adressées à lui, avec encore un certain nombre de lettres qui se trouvèrent auprès de ces lettres, ou qui semblèrent nécessaires pour éclaircir la correspondance proprement dite. Depuis, la Société hollandaise des sciences à Harlem a entrepris de faire imprimer à ses frais le résultat de nos recherches : il en a paru quatre tomes, le cin- quième est en cours de publication, contiendra les années 1664 et 166o et portera le nombre des lettres au delà de 1.500. Nous comptons qu'il faudra neuf tomes in-quarto pour la correspondance : puis viendront les ouvrages tant imprimés déjà qu'inédits. Dans votre Congrès de Paris, en 1889, j'ai eu l'honneur de vous donner quelques résultats pour les deux premiers volumes. Permettez-moi de les compléter maintenant pour les tomes I à IV. Le tome troisième comprend la correspondance de 1660 et 1661 et contient 245 lettres et 24 dans un supplément; le quatrième tome comprend les années 1662 et 1663, et contient 250 lettres et encore o dans le sup- plément. Par suite, ces deux tomes contiennent 495 lettres et 29 dans les suppléments, ce qui, avec les lettres des deux premiers volumes, donne le total de 1.197 lettres et 67 dans les suppléments, ensemble 1.264 lettres. Passons maintenant aux tables des personnes qui ont écrit à Huygens C) Voir Comptes rendus du Congrès de Paris (1S89), 2° partie, p. 233. 160 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ETT MÉCANIQUE OU qui ont reçu des lettres de celui-ci. Outre celles-ci, on trouve dans le tome m 63 lettres et dans le tome IV 29 lettres qui n'appartiennent pas à une de ces catégories. Elles font, avec les 110 de même nature qui se trouvent dans les deux premiers tomes, une série de 202 lettres. Elles se trouvèrent parmi la correspondance proprement dite, comme appendices, ou bien nous les avons introduites comme étant nécessaires pour la bien comprendre. Et nous savons que cette addition de lettres si intéressantes pour notre but a reçu l'approbation des personnes qui se sont intéressées à notre travail. Les tables qui suivent ici sont arrangées de la même manière qu'aupa- ravant, en 1889. La deuxième colonne donne le nom de la personne ; la troisième, le nombre de lettres que Huygens lui a écrites; la quatrième, le nombre des lettres écrites par elles à Huygens. Là, où ces colonnes portent toutes deux un chifTre, il y a eu correspondance et la première colonne en donne le nombre, somme des nombres des deux dernières colonnes. Observons que la table III, qui regarde les tomes I à IV, ne contient pas seulement dans sa première colonne les sommes des nombres que l'on trouve dans les tables I et II de ma note de 1889, et des tables I et II que l'on trouve ici; puisque parfois il y a correspondance dans cette table III, où il n'y en avait pas dans les tables I et IL Table I. Tome III. CORRESPONDANTS de H. à H. A. Boddens » 1 23 Ism. Boulliau 10 13 R. Bo,yle » 1 C. Brunetti » 4 H. Bruno » 2 J. Buot » 1 5 P. de Carcavy 3 2 A. Cellarius 1 » Chanut » 1 19 J. Chapelain 5 14 A. Colvius » 1 C. Dati 1 Ph. Doublel » 3 P. de Fermât » 2 B. de Frenicle de Bessv. . » 2 4 Du Gast ' . . 1 3 4 Gregorius à St.-Vincentio . 1 3 P. Guisony » 4 10 N. Heinsius 4 6 8 J. Hevelius 4 4 19 Constantijn Huygens frère. 9 10 Lodewijk Huygens .... 12 » G.-A. Kiiiner à Lôwenthurn » 1 10 Leopoldo de Medicis ... 5 5 21 R. Moray 6 15 Cl. Mylon « 1 M. -A. Neuraeus » 1 H. Oldenburg y> 2 Marianne Petit 1 » P. Petit "^ 2 12? 63 104 CORRESPONDANTS de H. à H. 123 ~ 63 J. Reeves » 3 D. Rembrandtsz van Nierop 2 M.-A. Ricci 1 C.-C. Rumphius 1 6 Fr. van Schooten .... ; 4 G. SchoU » R.-F. de Sluse » R. Southwell » 3 H. Stevin 1 3 A. Tacquet 2 10 M. Thèvenot 5 J. van Vliel » 3 J. Wallis 2 ? s ïsT "ST l25 104 2 1 12 Table II. Tome IV. CORRESPONDANTS de H. à H. A. Auzout » 2 Ism. Boulliau 1 7 W. Brereton » 1 \V. Brouncker » 1 A. Bruce » 3 P, de Carcavy » 1 J. Cliapelain ....... 2 2 V. Conrart » 1 Ph. Doublet « 3 P, van der Faes »_ 3 3 24 BIEUEXS DE HAAN. — CORRESPONDANCE ET OEUVRES DE C. HUYGENS 161 CORRESPONDANTS de H. à H. CORRESPONDANTS de H. à H. 3 24 » 1 » 1 4 6 1 :i 2 » 2i 16 61 1 » 1 1 1 » 3 18 19 » 1 2 8 1 3 x> 1 1 7 » 1 1 4 » 3 2 » » 1 121 1U5 12 P. de Fermât. ...... G. van Gutschhoven. . . . 10 N. lleinsius 4 J. Hevelius Th. Hobbes.. 40 Constantijn Huygens, frère. 62 Lodowijk Huygens . . . . ISusanna Huygens 2 Leopoldo de Medicis . . . H.-L.-H. de Monmor . . . 37 R. Moray H. Oldeuburg 10 P. Petit 4 Is. de la Peyrère M.-A. Ricci 8 R.-F. de Sluse S. de Sorbière 5 M. Thévenot J. van Vliet J. de Witt m Table Ul. Tomes I-IV. CORRESPO.NDANTS de H. à H. M. -H. van Andel 1 » A. Auzout » 1 Fr. Aynscom 1 » D. van Baerle 1 i- 3 E. Bartbolin 1 2 6 Ch. Bellair 2 4 A. de Bie 2 » 4 A. Boddens 1 3 76 Ism. Boulliau 30 46 R. Boyle » 1 W. Brereton » 4 W. Brouncker » 3 A. Bruce » 3 6 C. Brunetti 1 5 12 H. Bruno 4 8 .J. Buot » 1 J. van der Burch 1 » Calthof 1 » 23 P. de Carcavy 11 12 A. Cellarius 1 » 2 A. -G. de Chambonnière . . 1 1 Chanut » 1 55 J. Chapelain 17 38 11 A. Colvius 5 6 N. Colvius » 1 2 B. Conradus 1 1 V. Conrart » 3 L. van Coppenol 1 » S. Coster » 1 C. Dati 1 » Ph. Doublet » 6 A. Duyck 1 " J. Elsevier 1 » 2 Etats-Généraux 1 1 Etats de Hollande et de West-Frise 1 » P. van der Faes » 1 P. de Fermât s> 3 B. de Frenicle de Bessy. . » 2 7 Du Gast '. . 2 5 2Ô9" 90 163 209 90 163 Th. Gobert 1 i, J. Golius 2 B 31 Gregorius à St.-Vincentio . 15 16 P. Guisony » 4 10 G. van Gutschoven .... 6 4 22 N. Heinsius 9 13 2 G. Hesius 1 i H. van Heuraet » 2 22 J. Hevelius 10 12 Th. Hobbes 2 » 2 G.-B. Hodierna 1 1 2 J. Hudde 1 1 14 Constantijn Huygens, père. 8 6 103 Constantijn Huygens, frère. 58 45 bl Lodewijk Huygens .... 80 1 Philips Huygens » 2 Susanna Huygens » 2 S. -C. Kechelius à Hollen- stein 1 » 23 G.-A. Kinnerà Lowenthurn 10 13 D. van Leyden van Leeuwtn 1 » 5 D. Lipstorp 3 2 13 Leopoldo de Medicis ... 7 6 18 M. Mersenne 8 10 T.-B. Mocchi 2 » 4 H.-L.-H. de Monmor ... 1 3 H. du Mont 1 B 58 R. Morav 24 34 23 Cl. Mylon 8 15 M.-A. Neuraeus » 1 Lady Newcastle » 1 H. Oldenburg » 3 Chr. Otter » 1 4 R. Paget 1 3 6 Bl. Pascal 1 5 Marianne Petit 1 » 21 P. Petit 4 17 4 Is. de la Peyrère 1 3 W. Pieck 1 » J. Reeves y> 2 6 D. Rembrandtsz van Nierop 4 2 M"" van Renesse 1 » 2 M.-A. Ricci 1 1 10 G. -P. de Roberval .... 6 4 C.-C. Rumphius 1 » 3 A -A. de Sarasa 2 1 118 Fr. van Schooten 63 55 G. Schott » 1 D. Seghers 6 » 78 R.-F. de Sluse 24 54 S. de Sorbière » 1 R. Southwell » 1 J. Stampioen » 1 3 H. Stevin 1 2 12 A. Tacquet 6 6 Tassin 2 » 15 M. Thévenot 6 9 8 J. van Vliet 1 7 J. de Vogelaer 1 » J. van Vondel » 2 23 J. Wallis 11 12 J. Wiesel » 3 4 .1. de Witt 2 2 J. de "Wijck » 1 Son cousin 1 » M'" 1 » ? 4 __2 959* 503 559 11* 162 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Maintenant on peut donner une statistique des lettres qui n'ont pas eu de réponse de part et d'autre, et du nombre des personnes avec les- quelles Huygens était en correspondance. en en >— ( r— ( fOGOG^l co t^ "^ O 00 •^ "^ co en Z o o G a S o o o 00 + 00 r- 11 64 CD îi< (M r^ ^^ -rH SI CD "S GO.^ 00 r- (M 00-=* s-o ■^-TH co -aJfQ •/3 Z w o 9 .S en ^ en a S ^ =^ S "S a ï^ o s_ Œ a o ■^a G - O o f»" W 05 -O 'cd 03 z ;« M «s G (D O G O o « ■S 3 1-5 cfl io co co 3 •ta G O •o Si tn es ÎO + (34 S H 1^ «j en 'O tri CD G G o I G Ph I '^ S ce ^ CD ^ + IOh S o G CO co © en CD G en CD G G G O en O o 1 n:j u ^ tn !» ea es 1-1- CL, i n^ lo t^ ^1 l-OO CO u o O S o^ o ^3 'CS W cS Cl &^ o o <;mo ~*00 c o p- ;-, te ci 50 O + (M S4 91 3 C O co es GM 0(M -III oo s-i o +++ + oc ^ 00 +++ + ++ + <:« co 00 5-1 t^ -* ID Ç2 CtG-l S '^ ^ o =1 O! z 3 "O 'tS o O M M + CO o :!0 H 01 CD O "tH tô ^00 II 'o -'i'îO CD J s D -o ^w' C! a O , o 3- p< -p 1 ■^ h ^ co C/5 s % eu &I +++ - (>l co o C C o co G O a- /t > 0 A-<0 si si SI - + ?>! + ?- Quand on fait a = 0 ou tt, la section primitive est parabolique et A' = ^ * Alors la relation (1) devient (2) d P = cos (J> 2 sin p Si a -f 2^ > TT, la section sera une hyperbole et les valeurs du coeffi- cient k seront respectivement : \ /**) 1>A;>2 si a + p<7r i>/c>0 si a + p>7r A- = 1 si a + ;i = TT. Dans ce dernier cas, la relation (1) devient : d cos 0) sin i (3) (*) Voyez notre note sur la Transformée des seclions planes du cône de révolution, insérée dans te Journal de Longchamps. (**) si a = - et ? = -? on a k — - 2 3 2 168 MATHÉMATIQUES, ASTRO>OMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE 2. — Cela posé, proposons-nous d'obtenir des expressions représenta- tives de l'aire conique comprise entre le sommet du cône et le plan de la section. Elle est équivalente à l'aire celle qui se trouve limitée par la transformée de la section et par les génératrices extrêmes SA et SB, for- mant entre elles un angle w , et elle est représentée par l'expression très connue : 1 r ' 8 = 2/ p'^"^ w 3. — Considérons à part les trois espèces de sections : 1" Section elliptique Si, dans (4) on remplace p par sa valeur (1), et si l'on fait l'intégration, on trouvera ; 1 cP ^2(1-/.-) S=Q-1 7, <-=.arcl( 2 i-^J.k]^\- ou << ;^. R. GUIMARÂES. — SUR l'ÉVALUATION DE CERTAINES AIRES CONIQUES 169 ■JT Si a -[- ? ^ g' "^"^ ^ évidemment p = cl, et la section est circulaire. Là Remarques. I. — Si 3 = y, on a 4 1 S = Q ~^^ • V^cotang a (sin a -f- cos a). (A,) II. — Si l'on fait dans (A), î' = ;^, il vient S = 7:rf^ cos ^a . \i cos 2(3 (A,) formule qui exprime la surface comprise entre le sommet et le plan MP TT III. — Si l'on fait a -|- 23 = -, on aura S = ^d\ cos 20 cos ''p . v/cos 2,3 (A3) qui représente la surface comprise entre le sommet et le plan MN. 2" Section parabolique FiG. 2. Quand la section est parabolique, la surface comprise entre le plan sécant et le sommet est infinie. Cherchons la surface limitée par le plan sécant et un plan perpendiculaire à l'axe, ou encore celle qui est déter- minée par le plan de la section DLQ et le plan SLQ (fig. 3). Si l'on remplace p dans (4) par sa valeur (2), il vient : 2 f cko ou S = d^ d 0) co 2 sin fi Fir,. 3. suivant que co — 0/ est supérieur ou inférieur à w', angle formé, sur le 170 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE plan de la planification, par les génératrices SL et SA. En développant, on trouve, si l'on remarque que : w« 2 sin [3 / ± -— tans: , t^—. — 6 ^ \2 sin 3 TT, seC co ,2 sin p + 2 (B) Remarque, — Si l'intersection QL du plan sécant avec celui de la base passe par le centre 0 de cette base, on a : 1 X sin p M l = - -K W OU (0 — 2 2 d'Où 2 3'^ Section hyperbolique Comme ci-dessus, cherchons la surface comprise entre le plan sécant MNQ et le plan SNQ (fig. 4). On a: Wp— 0> do) (1 — k)-{-kcos O) sin p fto ('-'•)+''■ ««Kii^) FlG. A. fo^ — w Si a -f- P A-, il vient : d^ 2A--1 V/2A--1 1_/, , / l^v/2/c-l.tang(^) log' ' k sin l-v/2/.--l.lang(^^_^p w + siii 3 (l-k) +km{ - ^ - \siiip co R. GUIMARÂES. — SUR L'ÉVALUATION DE CERTAINES AIRES CONIQUES 171 Remarque. — Si rintersection du plan sécant avec celui de la base passe par le centre 0, on a : 1 Co' TC M . l = -T.R ou - — - ~ -; 2 sin'p 2' d'où : S = cl'' .+ log 2k-l]i-k ' y/2A_l v/2A- -1+1 v/2A;— 1— 1 v/2A-- 1 Si a -j- |3 > TU, ou 1 — k <^ k, il résulte une expression très sem- blable à (3). Si a -|- P = "J^» p est exprimé par la formule (3), et il vient : ce qui donne pour résultat : S = — rf' tans w sin p 7C Comme Wj (fig. 5) est toujours supérieur à -, on a tang (Oj = tang w sin i3 ) et q ont pour valeurs : — az^, — bz^. La relation (4) peut donc s'écrire : (3) b.da.dzy — a.db.dz., + {z, — z.,) da.db = 0. En écrivant que la génératrice forme un angle constant i avec la ver- ticale, on trouve : (6) a^-\-b' = tgH, d'où : "c?a -\- bdb = 0. Enfin, pour que le segment compris entre les deux traces possède une longueur constante /, on doit avoir : ou bien : (7) {z■^ - ::■.)' (a' + à' + 1) = l' d'où ' '^i ~~" '^2 '~~~ cos i 176 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE et par suite : dz^ — dz^ =: 0. L'équation (5) devient alors : (a^ -f~ f^^)dzi = al cos i da l cosi ou : «-1 = — ; — r^ ada, tg h d'où l'on tire, en appelant C une constante d'intégration : Icosi ' 2 tg H ^ On aura ensuite : / 6'' 1\ z, = z^ — lcost = lcosi \ç- ^-^. — 2 j + ^• Plaçons l'origine des coordonnées de telle façon que C devienne égal , Z cos z' , . , , a — : — . Il vient alors l cos i / a'^ _[^\ 2 Vtg H / cos i / 6^ 1 ^^~ 2~lt^i + ^. Clierchons les courbes d'intersection de la surface par les plans zox, zoy. On a : Xi=:- o(:5i — z^ = al cos i ; l cos i ( ^i , ^\ De même : y^ = h{z^ — ^i) = — bl cos i, l cos i ( y-i i\ Il suit de là que la génératrice mobile est assujettie à s'appuyer sur deux paraboles égales, situées dans les plans zox, zoy. Les paramètres de ces paraboles ont pour valeur commune : / sin i tg i. Les axes coïncident avec oz et sont dirigés en sens contraire. La distance des sommets est l cos i égale à — - — ^ c'est-à-dire à la moitié de la projection du segment cons- tant l sur l'axe des z. La projection du segment l sur le plan xoy est constante et égale à l sin i. Elle enveloppe donc l'hypocycloïde à quatre rebroussements : 2 2 2 a;^ -|- 2/^ = {l sin if. L'arête de rebroussement de la surface d'égale pente K. RITTEU. l'algèbre .NOUVELLE DE FRANÇOIS VIÈTE 177 est une hélice tracée sur le cylindre qui a pour base cette hypocycloïde. Il est à noter que les deux paraboles ne correspondent à des parties réelles de la surface que pour les arcs qui se projettent à l'intérieur de rhypoQjVcloïde. Le reste de chaque parabole joue le rôle d'une ligne isolée, intersection de deux nappes imaginaires. Il est, du reste, évident que, si l'on cherche à déterminer une surface d'égale pente par la* condition de rencontrer le plan des z-x suivant une parabole à axe vertical, la partie réelle de la surface ne saurait admettre pour trace cette parabole tout entière : dès que la tangente à la parabole forme avec l'axe des x\in angle égal ou supérieur à l'inclinaison supposée du plan tangent sur le plan horizontal, on ne peut mener par cette tangente aucun plan réel répon- dant à la question. Des circonstances analogues se produisent nécessairement, ainsi que je l'ai fait voir dans la note précitée, chaque fois que Ton étudie les sur- faces d'égale incidence relatives à une congruence de droites ou de courbes non normales à une famille de surfaces (au moins quand l'angle d'incidence difTère assez peu d'un angle droit). Dans le cas où la con- gruence admet des surfaces trajectoires orthogonales, on ne peut rien affirmer a priori. On sait toutefois que les surfaces d'égale pente, par cela même qu'elles sont développables, possèdent nécessairement des arêtes de rebroussement. M. E. EITTEE. Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, en retraite, à l'an. L'ALGÈBRE NOUVELLE DE FRANÇOIS VIÈTE — Séance du 19 septembre 1892 — L'algèbre enseignée en Europe dès le xiii® siècle par Léonard de Pise, d'après les écrits des Arabes qui avaient emprunté cette science aux Grecs, se réduisait à la résolution d'un petit nombre de questions condui- sant à des équations qui ne dépassaient pas le second degré; les principes dont on faisait usage pour découvrir les inconnues étaient fondés sur des considérations purement géométriques où les quantités étaient représentées •J2* 178 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE par des lignes droites; dans les calculs l'inconnue était seule désignée par un symbole, les données étaient toujours des nombres; la langue de cette science n'existait pas. C'est la première époque de l'algèbre, algèbre exclusivement numérique. François Viète, en introduisant dans l'algèbre l'usage des lettres pour désigner les quantités connues aussi bien que celles inconnues, fit faire à la science un pas de géant; il créait l'algèbre moderne; mais il ne faut pas croire que son oîuvre se soit bornée à cette invention ; elle comprend la création de la science tout entière; comme il a rejeté, à l'exemple des al"ébristes venus avant lui, les quantités négatives et celles imaginaires, toute son algèbre repose sur la considération des seules quantités et racines positives . Rapidement complétée et perfectionnée par l'introduction dans l'algèbre des quantités négatives et imaginaires, l'œuvre de François Viète et môme son nom sont tombés dans l'oubli, quoique à chaque page, dans nos Traités d'algèbre, se trouve la trace des procédés imaginés par le grand géomètre. Cette algèbre, presque inconnue de François Viète, je vais, dans un rapide exposé, la faire passer sous vos yeux. François Viète définit l'Art analytique ou Algèbre nouvelle « la science de bien trouver en mathématiques », et il la considère comme composée de trois parties : la Zététique ou mise en équation des problèmes; laPoris- tique ou démonstration des théorèmes ; l'Exégétique ou résolution numé- rique des équations. 11 fait reposer toute la science sur le principe des homogènes qui exige que dans toute équation, tous les termes soient de même dimension, c'est-à-dire que chaque terme soit composé par le produit du même nombre de facteurs connus ou inconnus du premier degré. Il représente les inconnues par les lettres majuscules voyelles A, E, U, et les quantités connues par les consonnes B, C, D...; les puissances de l'inconnue par la môme lettre avec un indice formé par l'addition des exposants des puissances : quad.; carré; cub. cube, il obtient ainsi la suite: A, A q, A c, A qq, A qc, A ce, etc. pour X x"" x^ x^ x^ x^ mais, pour conserver dans les équations le principe de l'homogénéité, il adopte pour les données une série avec des indices correspondant à chaque puissance, plan, solide, piano-plan, piano-solide, solido-solide. B, B pi, B sol, B pl.-pl, B pl.-sol, B sol. -sol. Les signes des opérations dont il fait usage sont : pour l'addition -j-; pour la soustraction — , lorsque le terme à soustraire est le plus petit. F. lilTTER. t/aLGÈBRE NOUVELLE DE FRANÇOIS VIÈTE 179 = , 7ninus incertum, lorsqu'il ignore lequel des deux termes est le plus petit; pour la multiplication, la particule in entre les deux facteurs; pour la division, la barre séparative des termes à diviser; pour l'extraction des racines, R ou /, suivi de l'indice de la racine à extraire. Dans les applications numériques, l'homogénéité disparaissant, l'in- connue et ses puissances sont représentées simplement par les indices lA^ \Q, IC, iQQ, \QC, iCC. Ainsi, avec ces notations, on aura pour l'équation du 3« degré exprimée en signes algébriques : A c -f- B k A q + C pi in A. œq D q in F x^ -\- px"^ -\- qx =z S Et dans les applications numériques : 16' + 10C> +14A^œql22 X' 4- lOx^ 4- 14a; = 122 Après avoir exposé les règles des quatre opérations fondamentales de l'arithmétique en algèbre, il donne les règles générales pour la réduction des équations à la forme canonique, c'est-à-dire à une équation ordonnée suivant les puissances croissantes ou décroissantes de l'inconnue, de telle sorte que la puissance la plus élevée ait pour coefficient l'unité et que le terme connu, formant le second membre de l'équation, soit positif. François Viète applique ensuite les principes poeés dans cette introduc- tion (rsagoge)àla formation d'un certain nombre de formules usuelles :les propositions énoncées sous forme géométrique dans les 2** et 9*^ Éléments d'Euclide; la loi de formation d'une suite de quantités en proportion continue et celle pour l'insertion d'un nombre quelconque de moyens proportionnels entre A™ et B'" ; la loi de formation des puissances succes- sives de la somme et de la différence de deux quantités; la formation du type (A -f B)"* -f D (A -|- B)'"'" qui lui servira plus tard pour la résolution numérique des équations ; enfin il donne les formules des trois côtés du triangle rectangle en nombres, A^ -f B% A'* — B% 4AB, et, faisant suc- cessivement l'angle à la base du triangle double, triple, etc., il obtient la formule générale de sin mx et de cos mx en fonction de sin x et de cos x, formule attribuée à Moivre et qui appartient à François Viète. A la suite de ces formules f.Voto priores), Viète donne les cinq livres des Zétetiques, recueil de problèmes généraux déterminés et indéterminés sur les nombres, les carrés, les cubes et les triangles rectangles en nombres. On y trouve résolues d'une manière générale les questions les plus diffi- ciles des Arithmétiques de Diophante et l'on peut mesurer la distance énorme qui sépare les procédés du géomètre français de ceux du géo- ■180 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE mètre grec. Ainsi, par exemple, quand Diophante propose de trouver trois nonlbres tels qu'en les multipliant deux à deux et en ajoutant 12 à chacun des produits, les sommes soient des carrés, il trouve pour ces nombres 2,1 l et -: tandis que François Vièle prenant pour nombre donné b trouve les 8 trois nombres demandés, au moyen de formules en fonction de trois indéterminées f, g, h et obtient ainsi une infinité de solutions. La Réso- lution numérique des équations fait suite aux Zététiques ; il y arrive par un procédé analogue à l'extraction de la racine d'un degré quelconque d'un nombre donné. Il l'applique à dix-sept types _d'équations trinômes jusqu'au sixième degré inclusivement. Sa méthode est générale, mais elle devient de plus en plus laborieuse à mesure que le degré de l'équation s'élève et que le nombre des termes devient plus grand. Les types sur lesquels François Viète opère n'ont généralement qu'une seule racine positive ; toutefois il donne le moyen pour l'équation du troisième degré, lorsqu'elle a deux racines positives, de les trouver l'une après l'autre. Lorsque les racines ne sont pas commensurables, François Viète les trouve par approximation ; à cet effet, il transforme l'équa- tion en une autre dont les racines sont dix fois, cent fois, mille fois plus fortes, et après avoir trouvé la racine de cette équation, il la divise par 10, par 100, par 1.000, par la séparation de la partie entière delà partie décimale. Les deux parties de son algèbre qui suivent la Résolution numérique des équations renferment la Théorie générale des équations. La première est consacrée à l'examen de la constitution intime des équations ; mais cet examen est limité, sauf dans quelque cas où il s'applique aux équa- tions d'un degré quelconque, aux équations trinômes du second et du troisième degré, ayant une ou deux racines positives, aux relations qui existent entre les racines, le coctlicient et le terme connu de l'équation. Pour le cas irréductible, il fait connaître qu'il ne peut être résolu qu'au moyen de la résolution des deux triangles isocèles dans lesquels l'angle du premier est le triple de celui du second. La majeure partie de ce traité est consacrée à la transformation des équations d'un degré quelconque par altération de la racine. Les algé- bristes venus après François Viète n'ont pas beaucoup ajouté aux règles établies par lui. Dans la seconde partie de la Théorie des équations, le grand géomètre donne les règles pour corriger les vices de forme des équations et les ra- mener à la forme canonique, en faisant disparaître un terme d'une équation, en transformant une équation dont les racines sont fraction- naires en une équation dont les racines sont entières ; en transformant une équation d'un type que l'on ne sait pas résoudre numériquement en une F. RITTEU. l'algèbre NOUVELLE DE FRANÇOIS VIÈTE 181 équation que l'on peut résoudre, en débarrassant une équation de ses coefficients fractionnaires ou irrationnels. Il passe ensuite à la résolution générale de l'équation du troisième et du quatrième degré, résolution purement algébrique, qui le conduit pour la première à la formule de Cardan, pour la seconde à la réduite du troi- sième degré ; les formules générales qu'il donne au nombre de trois, pour chaque degré, débarrassent l'algèbre des treize cas de VArs magna de Car- dan pour le troisième degré, et des quarante-trois cas de Bombelli pour le quatrième degré. Cette partie de l'Algèbre de François Viète se termine par un grand nombre de formules de la racine d'une équation du troisième degré, lors- qu'il existe entre le coefficient et le nombre connu certaines relations ; je , ne citerai que le théorème que François Viète énonce, mais seulement pour le cas oîi toutes les racines d'une équation sont positives, de la composition d ucoefficient et du terme connu, avec les racines de l'équation. A l'Algèbre de François Viète se rattachent quelques applications, qui lui ont fait attribuer l'application de l'algèbre à la géométrie. Les Arabes et les algébristes anciens de l'Europe occidentale ont ap- pliqué dès l'origine, l'algèbre à la résolution des problèmes de géométrie, lorsque l'équation finale ne dépassait pas le second degré. Après l'avoir résolue, ils construisaient la valeur de l'inconnue par le triangle rectangle. Dans un de ses traités accessoires, François Viète montre comment on peut construire directement avec la règle et le compas, les racines des équations carrées et bicarrées sans résoudre l'équation, au moyen de ses coefficients. Dans un autre traité, il montre que lorsque la résolution d'un problème conduit à une équation du troisième ou du quatrième degré, la résolution ne peut plus être obtenue avec la règle et le compas, mais par une cons- truction qui se réduit à inscrire une droite passant par un point donné et d'une longueur donnée, soit entre deux droites, soit entre une droite et un cercle, soit entre deux cercles donnés. Nous citerons, de ce traité, l'application que fait François Viète des théorèmes qu'il dé- montre, à la résolution du cas irréductible. Soit EBD un angle donné, si du point B, comme centre avec un rayon BE quelconque, on trace un cercle et si on prolonge le diamètre DBC, si, du point E, avec une règle mobile, on mène la ligne EF de manière que FG, segment extérieur, soit égal à BE, l'angle EFA sera le tiers de 182 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE l'angle EBA, et l'on aura la relation, BA étant la base du triangle isocèle BEA, FB^ — 3BC^FB = BC.BÂ^ relation qui correspond à l'équation du troisième degré du type x^ — 'èp'^x = pq"^ qui comprend le cas irré- ductible, dont on peut trouver par la trigonométrie la racine positive en faisant BD r= cos a = -f-, d'où x ^= p cos -. %p ^ 3 L'étude des différents théorèmes de ce livre qui conduisent aux diffé- rents types de l'équation du troisième degré et l'application qu'il en fait à un certain nombre de problèmes de géométrie, tels que celui des deux moyennes proportionnelles, de la duplication du cube, etc., etc., permettent l'interprétation géométrique des racines négatives, comme pour les racines de l'équation du deuxième degré ; mais ces considérations me conduiraient trop loin. Telle est dans son ensemble, l'Algèbre de François Viète; en étudiant cette œuvre considérable d'où est sortie l'algèbre moderne, on est étonné que son inventeur n'ait pas été un mathématicien de profession, mais un Maître des requêtes de l'Hôtel du roi. « Ego, écrit-il à Adrien Bomain, qui me Mathematicum non profiteor, sed quem si quando vacat, délectant mathematica studia. » « Moi, qui ne fais pas profession de mathématicien, mais qui, lorsque j'en ai le temps, fais des mathématiques mes plus chères études. » M. FONTES SUR LA DIVISION ARITHMÉTIQUE (POSSIBILITÉ DE LA SUPPRESSION DE CETTE OPÉRATION) J'ai présenté à l'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, dans sa séance du 2 juin 1892, un théorème sur la division arithmétique dont je me suis réservé de développer les conséquences. Ce sont ces conséquences que je viens exposer ici, en même temps qu'une démonstration plus simple, tirée des congruences, du théorème en question, que je scinderai en deux. FONTES. — SUR LA DIVISION ARITHMÉTIQUE 183 Théorème I. On peut toujours réduire la recherche du reste de la division d'un nombre entier quelconque N par un autre M à la même question pour un autre A, plus petit que lui, formé de ses éléments et dont le nombre des chiffres, indépendant de N, ne dépend que de M. En effet, soit iB la base du système de numération dans lequel sont écrits N et M, ce dernier étant supposé premier avec S- On peut toujours trouver, de différentes manières, deux entiers positifs y? et m (m <^ M) et un entier de signe quelconque q, plus petit que -^ en valeur absolue, tels que : J9 X M = ^0'" — q ce que je puis écrire sous forme de congruence : ^"' = q (Mod. M) Cela posé, soient a, b, c, . . . e, f,g, . . . i, j, k, . . . r, s,t,... les chiffres significatifs de N, de telle sorte que dans le système de base fB, ce nombre s'écrirait . . . tsr . . . kji . . , gfe . . . cba. Si je décompose N en tranches de m chiffres en commençant par la droite, je pourrai écrire : N = . . . + (. .tsr) X (^"*r + (. -m X M" + (. .gfe) Cela posé, je considère une fonction f{x) composée avec x comme N l'est avec 5^"*, c'est-à-dire la fonction f(x)= ... + (..ts,^)Xoc' + {..kij)Xx' + (.'9fe}Xx'+{..cba)Xx'' de telle façon que [[gf") = N. D'après un théorème connu, la congruence (1) a comme conséquence la congruence : /"(iB"') = fiq) (Mod. M) ou mieux : (2) N = f{q) (Mod. M) qui nous démontre le théorème énoncé, à savoir que le reste de la divi- sion de N par M est le même que celui de la division par M d'un nombre A composé avec q comme N l'est avec S"* de telle sorte que : A = . . .J^{.Jsr)y< q^ + (. .kji)-Xq'-{-i. .gfé)X. Q' + {• •cba)-Xq' q pouvant d'ailleurs recevoir un signe quelconque. Comme ce dernier M nombre est toujours <^— en valeur absolue on aura toujours A •< N. En 184 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE outre, si A contenait plus de m coffres, on pourrait le décomposer comme il a été fait pour N et après un nombre très limité n d'opérations le rem- placer par un autre nombre a"'~'^ jouissant de la même propriété, ce qui complète le théorème énoncé. Je ferai remarquer qu'en faisant t^ = iO et M successivement égal à 3, 9, 7, 11 et 13, on retrouve tous les critériums de divisibilité exposés dans les traités d'arithmétique (*). Théorème II. La suite des calculs nécessaires pour obtenir A permet de calculer le quotient de M par M sans effectuer d'autre division arithmétique que celle d'un nombre de m chiffres par ce nombre, m étant << M et indépendant de N. En effet, la congruence (2) nous apprend que N — A est toujours divi- sible par M. L'autre facteur peut être facilement mis en évidence. En effet, on a toujours, pour p. entier : LB' r D'où, en observant que fB"' — g = ;> X M : Dès lors, en groupant convenablement les termes de la différence fU'^)-f('j) ou N-A, qui sont tous de la forme ( . . . z-xy) X { (sfY — q^ \ o" est conduit à écrire cette différence sous la forme schématique suivante : (3) N-A=MxpX/ + (..fsr)X90 X (fB"f+ + {..kji)Xq'' + {.Jsr)Xq' X(5î") + + (gfe) :Cq'' X {srf. (*) L'observation ci-dessus est faite sans préjudice du beau travail de M. Perrin sur les caractères de divisibilité (Congrès de Paris, 1890), notre but n'étant pas ici, surtout, de fournir un caractère simple et pratique de divisibilité, mais de calculer le quotient sans division. 1» En faisant M = ii et m =2 on trouve g = + 1. De là se déduit immédiatement un critérium peut-être plus simple que le procédé classique et, dans tous les cas, dispensant de l'emploi des nombres négatifs, [)our reconnaître si un nombre est divisible paru. 2» Si on observe que 7 X 14 = 10" — 2, on est conduit pour 7 à un critérium qui, bien qu'exi- geant quelques multiplications par 2, est plus simple que le critérium classique si N n'est pas très grand. En tout cas, il est applicable au nombre 49 et permet de reconnaître immédiatement si un nombre de trois chiffres est divisible par 7. FONTES. SUR LA DIVISION ARITHMÉTIQUE 185 OÙ le second facteur différent de M est mis aussi clairement que possible en évidence. Le calcul des coefficients des puissances sruccessives de:fB"* dans la paren- thèse peut s'effectuer assez facilement si on commence par la plus élevée, c'est-à-dire par la tranche de gauche du nombre proposé, chaque coeffi- cient pouvant se déduire du précédent en le multipliant par q"" pris avec son signe et en ajoutant à ce produit la tranche suivante de m chiffres non encore employée, qu'on rencontre immédiatement en s'avançant vers la droite. A se déduit lui-même du dernier coefficient de la parenthèse par le même procédé. Gomme la multiplication par iB" se réduit à écrire [x zéros à la suite du multiplicande, on voit que les colonnes du schéma (3) sont pour ainsi dire disposées à l'avance pour les calculs, au moins quand q est positif. Ayant fait voir qu'on peut toujours ramener A à un autre nombre a'"~^' de m chiffres seulement jouissant des mêmes propriétés, la deuxième pro- position énoncée se trouve ainsi justifiée. Le procédé de division auquel conduisent, pour ainsi dire d'elles- mêmes, les considérations ci-dessus exposées est très simple quand M est module d'une congruence à ± 1 f ) ou à un nombre q très petit. Voici, en regard, deux exemples de divisions (**), l'une par 09 (99 = 10^ — 1), l'autre par 37 (37 X 2"? = 10^ - 1) : DIVISION PAR 99 DIVISION PAR 61 Dividende : 23 54 56 78 Dividende : 2 343 565 627 23 54 56 2 343 565 23 54 23 2 343 2 1 11 2 13 reste. 1 537 1 23 78 35 quotient 2 345 911 27 16 421 377 46 918 22 538 (reliquat, à diviser par 37, de trois chiffres seulement.) 63 339 597 quotient partiel. Le procédé appliqué au diviseur 37 me conduit au nombre A = 538 que le théorème qui va suivre me permettra de diviser sans effectuer de division arithmétique. (•) Je ne m'occupe plus ici que de numération décimale. (**) Je ne donne pas ici d'exemi)le de la division type, celle par 9, dont le lecteur restituera aisément le schéma sur le vu de celle par 99, le principe de la division par 9, que j'avais trouvée il y a quelques années, se trouvant, à mon insu, dans l'ouvrage de M. Lucas sur la théorie des nombres, mais sans la disposition schématique que j'indique ici. 186 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Comme exemple où q est différent de l'unité, je prendrai une division par 499. Ici, j'observe que 499 X 2 == 10^ — 2. Je disposerai mes cal- culs comme suit : 2 X2=^4.... (343+ 4)X2 = 694.. + 694) X2 = 2518. (2+ 1)X2 = 6.... Dividende 2 343 565 627 4 000 000 694 000 2 1 518 145 6 131 reste. 2 348 262 2 4 696 524 quotient. Le calcul se fait assez rapidement, car il n'est pas nécessaire d'écrire deux fois les produits 4, 694, 2318 et 6. Les calculs sont un peu plus compliqués quand 10'"^ est congru à un nombre négatif; j'en donnerai plus loin un exemple. Le problème de la suppression de la division se trouve ainsi théori- quement résolu par le théorème II, car on peut toujours trouver un nombre m < M tel que 10'" = + 1 (Mod. M). Mais l'intérêt des nos opé- rations deviendrait illusoire si m était très grand, quoique plus petit M même que -^. Il est plus commode de se contenter d'une petite valeur de q si cela est possible. Le problème de la division peut être complètement résolu sur le reli- quat de m chiffres qui provient de l'emploi de q au lieu de ±: 1, au moyen du théorème que je vais exposer ci-après et qui fournit le moyen de ramener la division du nombre de m chiffres à une autre plus facile. Théorème III Soient N, M, S, trois entiers positifs, tels que N > M et que S ■< N — M. On peut toujours obtenir le quotient et le reste de la division de N par M par une série de divisions par M -j- S. En effet, soient B et C le quotient et le reste de la division de N par M -}- S, soient B -{- ^ et y le quotient et le reste de la division de N par M; nous aurons : N = B(M + S) +C; N = (B + p)M-f y; d'où • BS + C = pM + y ; ce qui nous apprend que le reste de la division de N par M est le même que le reste de la division de BS -|- C par le même nombre. En faisant B(M +S) + C; B'(M + S) + C'; B"(!VI+S) + C"; FONTES. — SUR LA DIVISION ARITHMÉTIQUE 187 cette seconde opération, qui nous donnera un quotient plus petit que la première (car BS + C est plus petit que N de BM), puis une autre, et ainsi de suite, nous serons certains d'arriver au résultat sans avoir exécuté aucune division par M, ce qui sera très simple si nous avons su conve- nablement déterminer S, qui est arbitraire. Voici, du reste, comment on peut diriger le calcul : On fait d'abord une première opération, qui donne N : Puis une seconde B'S + C : Puis une troisième B'S-|-C' - Et ainsi de suite jusqu'à ce qu'on arrive à un nombre B"~^S + C""^ = B " (M -f- S) + C ; y< 0,000 001 < 0,001 . Par suite; nous ferons suivre le nombre proposé d'une seule tranche de quatre zéros. Le calcul pourra dès lors être disposé comme suit : 3 2745 0000 3 3 2743 0003 somme des termes positifs. 3 2743 » » négatifs. 3 2741 73 / 31 3 2741 73 .9822 ol 2291 87 4 4836 11 Nous appliquons, pour la multiplication par 137, la règle d'Oughtred. Le quotient est 448 fr. 56 c. avec les centimes exacts. La seule petite difficulté qui puisse se présenter est le placement de la virgule. Elle n'est pas insurmontable {^'). On voit, par cet exemple, le parti qu'on peut tirer de ce mode de calcul quand on a besoin, soit de calculer ou de vérifier un grand nombre de divisions par le même nombre, soit de calculer des barèmes, la divi- sion arithmétique étant par elle-même, l'opération qui offre le plus de chances d'erreurs. Je m'abstiens, pour ne pas allonger indéfiniment ce petit travail, de fournir d'autres exemples, d'autant plus volontiers que je ne prétends nullement imposer une manière plutôt qu'une autre de disposer les chiffres aux calculateurs de profession. (*) Dans l'espèce, si le nombre des chiffres du dividende eût été très grand, on aurait pu faire appel, au lieu de la congruence iO^ =— ^ (Mod. 73), à la congruence 10» = + 1 (Mod- "'3), qu'on obtient en élevant la première au carré, ce qui eut dispensé de l'emploi des nombres négatifs, mais alors on aurait eu pour multiplicateur, au lieu de 137, un nombre de 7 chiffres, le produits^ X il X101 X137. 190 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE M. E.EO]fTAII"EAÏÏ Ancien Officier de marine, à Limoges. SUR LA DÉFORMATION DES CORPS ISOTROPES EN ÉQUILIBRE D'ÉLASTICITÉ — Séance du 20 septembre i892 — 1. — Je me propose d'intégrer les équations aux dérivées partielles fxA^u + (X + 1.) ^ = 0, i.^^v + a + j.) ^ = 0, ' ' a- auxquelles doivent satisfaire les composantes de déformation u, v, iv d'un corps isotrope pour qu'il soit en équilibre d'élasticité, lorsqu'on suppose qu'il n'y a pas de forces extérieures appliquées à la masse du corps. Le problème général où cette restriction n'a pas lieu se ramène aisément, comme on le sait, au cas particulier dont il s'agit. Dans ces conditions, la question la plus simple à laquelle donnent lieu les équations (1) est de déterminer les composantes de déformation u, v, w^pour tous les points du corps élastique lorsqu'elles sont données à sa surface; c'est celle dont je vais m'occuper presque exclusivement. Soit qi = fi{x, y, z) = 0, l'équation en coordonnées rectangulaires de la surface du corps élastique ; si on passe au système de coordonnées cur- vilignes orthogonales q^, q^, q^ défini par les égalités : (2) q, = f^{x, y, z), q^ =z f^(x, y, z), q, = ^x, y, z), on déduira des égalités : _ X -f [X dp _ 1 + \>- dp ^ 2(X4-2[x)dx;' ^ i-TJ .T- ' E. FONTANEAU. — SUR LA DFFORMATION DES CORPS ISOTROPES qui satisfont généralement aux équations (1), les suivantes : 191 (4) 1 -\- a dp dx ,^ , , dv ,_ , dz. 2(x -f -2.a I dq, dq, * (/Yi ^Çi 1 -\- ^ + 1^-) + 0^ + NyQ = 0 \ du + 2(X + %J.) dx \l dq., dq., dy dx dy dx jlq^ dq, dq, dq^ dq., dQ., + ^ dq., Q, + (À + I. X dy dQ.J dx dq^ ~ dq.,\dq,^ dx f/K dx rfR dq., dq, _ dq., dq, dq.i dq.. et pour les termes tout connus de ces équations, on obtient, par une trans- formation semblable à celle dont il vient d'être question : 2a + 2a) dq, ' dq^ ' (12) hj\. 2(X -[- [xj ^20+^ iLjL, [c,u — a,w] + il + aiyQ, Cl y — h,w] — (X + ;j.)a;0. dx ^, dx ,, — N — — M dq^ dq. E. FONTANE.VU. — SUR LA DÉFORMATION DES CORPS ISOTROPES 193 Enfin, on a les relations suivantes : dy d\i + (13) + dij dK dq-i dq.^ ' dij dz jki.dq^ dx d\i dq^ dq., ' dx dz dx di dq-i dq.:^ dy dz dq., dq,\d dx dK dqz dq.^ dy dx dy dx~\dK .dq.i dq^ dq^ dq^jdx dli 1 dq.j, dq^ dq^ dq^\dz dli dy dx dÇi dq^ 1 ■ dK Cl a dli 'dz h^ha dx dy dx IdK dq^dq,]dy dK dli dy ' dz 3. — La troisième équation (6) est une conséquence des deux dernières équations (4) et ne donne pas une condition nouvelle qu'aient à vérifier les trois inconnues Q,, Q^ et K. On pourra donc prendre à volonté l'une de ces fonctions, Q^ par Q3, par exemple, et K en résultera sans difficulté par de simples quadratures. Mais si l'on peut ainsi satisfaire d'une infinité de manières aux deux dernières équations (4), il faut vérifier la première et la difficulté de la question consiste à diriger le calcul de manière qu'on puisse atteindre ce résultat. Dans ce but, je suppose qu'on ait obtenu pour Q^, Q^ et K un système de fonctions propre à vérifier les équations dont il s'agit. Comme ces équa- tions sont linéaires, il est clair que, pour avoir toutes les solutions dont elles sont susceptibles, il suffit d'ajouter au système connu la solution générale des équations homogènes que donne la suppression des termes tout connus. D'après cela, j'admets qu'en faisant usage du principe de Derichlet et de la fonction de Green, ou par tout autre procédé, on ait déterminé les fonctions potentielles d'espace qui correspondent aux fonc- tions déterminées pour la surface par le calcul indiqué et, pour simplifier, je les désigne encore par Q^, Q, et K. Prenant ensuite U, V, W pour les expressions inconnues des composantes de déformation à déterminer pour tous les points du corps élastique, je pose : U = Qi- to, X+u. d (14) l V = Q,^ + or,-^^^^-[^(Q,+ W ■^^±^^-^1^^^ et je déduis de ces formules les équations analogues à celles qui viennent dêtre considérées. Comme U, V, W doivent, par hypothèse, se changer à 13* 194 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE la surface du corps élastique, respectivement en u, v, w, on aura pour résultat du calcul, après avoir efTacé ce qui se détruit : (^ + !^) \ r ch/ dx f/o)j + dy dx dy dx' dq^ dqs dqs dq^ (15) (^ + I-) dii dx dq, doi dx diildoi. y- — X ■ dq^ dq^jdqs dy dk dji dk dq-idq^ dq^dqs_ 0, . dqa Iq,] dq + dx du C?w„ +(X+3i.) dy dx dy dx jlq^ dq.;, dqs dq.,_ '>\-{-Q^-\-i^) _ dq^ dq.,]dq., dx dk dx dk' dq^dq^ dq,dq., = 0, dx rftoj dx diû^ dy dw^ dy dw^ „ dqs dq., dq^ dq^ "^ dq^ dq^ dq^ dq^ Quant aux équations (4), si, pour simplifier on pose : X+ix 2(X+2f.) (16) \ - d^ *- _ dQ^ d\i . dx.^ \ "o n dq, dq, dq, dq. dy_ dq. dx , dq. , dz dx ^ , dy . dz ^ _^ dq, dq, dq, dq. dx dy . dz dx dy , ^^ v _ /^ dq^ dq^ ' ' dq^ dq^ dq, dq, relations d'où on déduit immédiatement, pour la détermination de ç, -/i, C: (17) dx ,2 dy , dz h\ ^ H, •/] =r li\ -^ H, X, = h\~^; dq, "' ■' "' dq, ' ' dq, elles donneront comme résultat de la même substitution : 2(X + 2jx) ddi, dw^ dk dx , dy dx . ^ , dy dz dq, dq, dq. >. + IX (18) 2(X + 2(.) X + [x dw, do) x-^-\-y 1>{l + 2;x) X dq. do\ dk dx dy ' 1 — \~ :ï — r T- ^'^1 + x" "^2 dq., dq^ dq^ dq. dx dy dq., dq, di-o, . dk . dx _ dq, ...... ^.. „„ dy dq, dq, dq^ dx dy -1— ^h + -r- «ï- dq, dq. dq, OJ, E. FO?{TANEAU. — SUR LA DÉFORMATION DES CORPS ISOTROPES 19o On voit que ces nouvelles équations correspondent à un problème qui ne diffère du problème d'abord posé que par les conditions : (19) M = 0, N = 0, auxquelles il y a lieu maintenant de satisfaire, la quantité L pouvant d'ail- leurs être quelconque. La signification géométrique de ces conditions est très simple; car, en vertu des relations (8) et (12), on voit que la compo- sante de rotation normale à la surface du corps doit être alors nulle pour tous les points de cette surface et que si l'équilibre d'élasticité venait à être rompu, le déplacement d'un quelconque de ces points se ferait suivant la normale. Réciproquement, lorsque cette dernière condition est satisfaite, il en résulte en vertu des égalités (12) ; M = 0, N = 0, et par suite dq^ dqs 0. 4. — Pour arriver à la solution complète du problème proposé, il suffit donc d'intégrer les équations (18) auxquelles on peut ajouter les suivantes qui en résultent immédiatement, ou bien encore se déduisent en vertu des relations (19) des équations (6) : dx d (O, m { ir dqi dq^ dx d(ù. dx dojj dy d Wo dy d co„ dq^ dqs dx doy, dq^ dqy dq^ dq^ dx d^i dy d(i}^ dqs dq^ dq^ dq^ dx rftoj dy doy^ ~ + XT' dq^ dq, dy dq. do)^ dq. dy ddi^ dq^ dq^ dq., dq.^ dq^ dq^ dq^ dq^ rfH dq^ d^ dq^ = 0, où H a la même signification que dans les égalités (16) et (17). De ces équations on déduit ; dy(.m_ dq^ dq-i dx rfH dqz dq^ dy dU dqs dq^ dx dH dq.^ dqs dx dy dx dy 1 d dq., dq^ dqs dqjdq^ '- + dx dy dx dy dqi dq 3J di)}^ dq. + d (û. dx dy dx dy Jqidq^ dq.idqy\dq^ ' dx dy Mi d<ïs dx dy dq-i dq^ dqi dx dy dqs dqi dx dy dqi dgs. dw^ dq., dx dy V dx dy \dqi dq^ dq^ dq^_ Iq^ ' 196 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE et en ayant égard à l'identité : (21) ' dx d]! dq^ dq, + dx dy' dq, dq^, dx dy -+ dx dji dqi dq^ dq^ dq^ dx dy dx dy' dq^ dq^ dq^ dq.^^ yz 1 dz dq^ _ dq^ "~ hjiji^ ' on aura pour déterminer les quotients difîérentiels de w^ etw^ par rapport à (22) d doi.j, dz 7 = hjijh dx (/H dy d\\ _dq^ dq^ dq^ dq^ dx dW dx c/H' dq^ dq^ dq^ dq^ D'ailleurs, les équations (18 supposent les suivantes : (23) OJ, OJ, 2(X + 2u) dx 2(X + 2.a) di X + ij. d 2(X 4- 2ix) Jz Xi» y + y «2 + f^]> et il résulte de la dernière (24) X f/Wj (/. 7 + y d (0„ :(X + Î.) dy dx' X- î/ -7— m Iq, dz dy dx y-, — ^-r- — 2(X + 2f.)!; Les formules (22) et (24) font connaître à la surface du corps élastique les quotients difîérentiels par rapport à z de o>i, w^ et k et comme il s'agit de fonctions potentielles, on pourra les déterminer pour tous les points du corps; j'admets que ce calcul ait été effectué. Parmi les équations qui doivent être vérifiées, je considère maintenant les deux premières équations (15) ; on peut, en revenant aux coordonnées rectangulaires, le mettre sous la forme suivante : (>^+I-) dz dq. dis). , dio. X- — [-y- d to, dx dy dz dx dy , dz X- — ^y-r~-\-z-— dq, dq. dz (25) -(^ + 3îx) — co, + (X + .a) dq, dz dk dq, dx doi. dz dx dk dq, dz_ 0, ,, 1 . , dz t/c d to„ d Wo x- dx dy dz dz (^ + 3!^)^^-^.! + (^ + I^) dx , dy , dz x- — \-y-r--{-z-— dq, dq, dq, ' dz dk dy dkl dq, dy dq, dzj d 0J„ dz E. FO?«TANE.VU. — SUR LA DÉFORMATION DES CORPS ISOTROPES 197 et en remplaçant d. (/(Oj rfw^ dk dz ' dz d. et — par leurs expressions (22) et (24) : «91 X do)^ dx do^i ddi^ dk + y^ + ^-^ + :{l + lK)hihJls dij d:. J'dq^ dq,. dy ' ~ dz ' dx dy dH dy dii — (X + 3ii.)(0i dq^ dqs dq^ dq^ +y dx dq. dx dH dx dM dq^ dqs dqs dq^ - ^^ + 2^) S ^. d: dqy (^ + 1-) dwj , day^ ., , C?o)2 , dk dx '^ dy ^ dz ' dy — (X + 3fx)t02 ' dx ^dz' dq^ dqi dx dE dx f/H f/^3 dq^ dq^ dq^ 2(X + 2,)^C. dv dq. dy dK dy rfH dq^dq^ dq^dq^_ Ainsi on aura à la surface du corps élastique, en fonction des données + î-) (26) do). , do). doy. dk d'où il résulte : dx disi. dy doi. , ^^., , dwn dk dx ^ "^ dy dz dy (27) (X+3[x)a)i — (X + fx) (X + 3îxK-(X+^.) do3. , dk ^~i — H7- dx dx — (X -f- 3,a)co, r=i — IIi, — (X -|- 3|x)a)2 = — lia; diù, , dot, T+y- y- dti)^ dk dy dy_ substituant ces expressions dans les formules (23), il vient d(x>y dwy ~d^'^y~dy n, + (X + ix) n, + (X -f ^) lis doi = 2(X + 2..)^ + (X + |x)y d 0J„ (/; '-+xp ; dx dx 2(X + 2^a)-o + (X + ^.)x -^ ; 198 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE par suite : (X + [^) (28) ch n, — 2(À + 2:x)^ + (X + .a doii dlÙy dx dy _ - n, + 2(x + %ij.rq - a + y.)s d: 1z X et on pourra déduire de l'une ou l'autre de ces égalités l'expression générale de ^ _^. soit donc, pour tous les points du corps élastique : dx dy (29) d (0„ do)^ dx dy On aura, par les égalités (27) et (23) : R. (X + 3{x)a)i — (X + [J; diti. . dui., , dk dx ' dx dx n^ - (X + [x) (30) dz -yR 2(X + 2îx)^, (X + 3iJ.yo, - (X + î..) doi do), , c?co„ dk x^ + y-jT + :77. = n, (X + [-) (/^ dy — xn dy dy 2(X + 2u)-ri f/wj C?( w„ Si on substitue dans ces relations les valeurs obtenues pour — et -^, on en conclura les expressions de l et de r, pour tous les points du corps et î: résultera par la même substitution de la troisième formule (23). On peut d'ailleurs observer que la quantité R résulte aussi plus simple- ment de la formule : (31) - dx do)^ dy f/ojj dz dqi dz dqy dz dq^ d 0>„ dx dy _ = 0, qui n'est autre chose que la dernière des relations (20) mise sous une autre forme. 5. _ Par ce qui précède, on voit que l'intégration des équations aux dérivées partielles de la déformation des corps isotropes en équilibre d'élas- ticité, lorsqu'on a pour données les déplacements u, v, w à la surface du corps élastique, peut être effectuée par une application de la méthode usitée pour déterminer les conditions de l'équilibre calorifique, ou de l'at- traction des corps dont l'action mutuelle s'exerce en raison inverse du E. FONTANE-Vr. — SLR I.A DÉFORMATION DES CORPS ISOTROPES 199 carré de la distance. Cette proposition n'est démontrée que si la surface du corps considéré appartient à un groupe de surfaces orthogonales; mais il est à croire qu'on pourrait aussi l'appliquer à une surface quelconque, en prenant pour système de coordonnées curvilignes une série de surfaces de niveau parmi lesquelles soit comprise la surface du corps et les deux groupes de surfaces qui coupent orthogonalement chacune de celles dont se compose la première série. (Abbé Aoust, Analyse infinitésimale des courbes dans l'espace, p. 547; Mathieu, Théorie du potentiel, i"" partie, ch. IV, p. 103.) Ce résultat ne paraît pas sans importance pour la théorie de l'équilibre dès corps élastiques ; mais, au point de vue de l'application, il est à craindre qu'on ne puisse en faire usage à raison d'une ditriculté spéciale. Il est, en général, impossible d'obtenir par l'observation les composantes de déformation u, v, iv à la surface; car, outre la difficulté de les déter- miner en rapportant à sa forme primitive les modifications subies par la surface du corps élastique, le calcul suppose infiniment petites ces quan- tités et, si on avait un moyen quelconque de les mesurer directement, il est à craindre que les erreurs d'observation ne fussent du même ordre de grandeur que les quantités elles-mêmes. C'est sans doute à cause de cette difficulté que les fondateurs de la théorie des corps élastiques ont préféré prendre pour données à la surface du corps, non plus les composantes de déformation u, v, te. mais les composantes suivant les axes des coordonnées rectangulaires de la force extérieure appliquée en chaque point de la surface d'oîi résulte la dé- formation du corps élastique et le maintien de son équilibre. On peut, au moins dans certains cas, arriver à la solution de ce problème nou- veau, par la méthode précédente en s'appuyant sur une proposition que j'ai démontrée dans les Nouvelles Annales de Mathématiques. Si on désigne par F, G, H les composantes de la pression ou traction rapportée à l'unité de surface qui agit en un point quelconque {x, y, z) d'un corps en équilibre d'élasticité sur l'élément d'aire normal au rayon vecteur p, ces composantes devront, comme on le sait, vérifier les égalités: l Fp = X6a; -f 2[xnw -f 1\>.{y?z — -=2), (32) \ Gp = mj + 2iJ.nv + 'l'jJzpi — xp,), Ho = Uz -^ 2^niv -{- 2u.{xp^— yp^). ou pi. p,, p3 désignent les composantes de la rotation élémentaire et n le degré des fonctions m, v, iv supposées homogènes. Or, il est aisé de s'assurer et c'est la proposition dont il s'agit que si, pour simplifier, on désigne les premiers membres de ces égalités par ?, /, •]/ respectivement, 200 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE ces fonctions devront, en vertu des formules (1), véritîer les trois équations aux dérivées partielles : (33) (3^ + 2a) A> + 2(X + !.)(n - 2) ^ =r. 0, (3X + 2ix)A^^ + 2(X + i.)(n _ 2) ^ = 0, m + 2i.)AV, + 2(X + a) {71 _ 2) ^ ^ 0, dz où T est une quantité définie par l'égalité (34) On a d'ailleurs : -|+| + l = <3^ + ^^)«- (34) bis dy dz d'\> dx d<]^ dz dx dy 1 3X + 2[j. X L dy dz dx -y-dz dx SI + 2;j. l dz " dx 1 dz dx_ Ix dx y n(* 3X + 2a L dx dy_ + 2[x(îi — l)p„ + Mn - l)p + 2jx(n — l)p3, 25 où, comme dans les relations précédentes on admet toujours que 9, -f , / sont des fonctions homogènes du même degré n. De là résulte cette conséquence : il suffit, pour assurer l'équilibre d'élasticité d'un corps isotrope dont les coefficients d'élasticité A et [x sont connus, des forces F, G, H définies par les égalités (32) et agissant à la surface du corps. Il en est donc de ces forces comme de celles qui seraient appliquées, comme on le suppose d'habitude, aux éléments superficiels du corps élastique pour le maintien de son équilibre inté- rieur. Ni l'un ni l'autre des systèmes de forces dont il est ici question ne peut se déduire aisément des forces effectives que l'élasticité met en jeu aux points de contact des corps. Il semble cependant que cette détermination serait moins facile pour le système sur lequel je crois devoir appeler l'attention que pour celui dont on suppose habituellement la connaissance. Pour ce motif, je me bornerai à indiquer la méthode d'intégration qui résulte du théorème énoncé pour le cas où le corps élastique est une enveloppe sphérique dont le centre est à l'origine des coordonnées rectangulaires, parce qu'alors les deux systèmes de forces extérieures dont il vient d'être question se confondent en un seul. E. FONTANEAU. — SUR LA DÉFORMATION DES CORPS ISOTROPES 201 6. — On satisfait généralement aux équations (32) en posant : 2(X + iJ.)n — X — 2fx dz ou ûi, ^2 désignent des fonctions potentielles homogènes de degré n et K une fonction potentielle homogène du degré n -\- i. Conformément à cette hypothèse, 9, '\>, y ne peuvent être que des fonctions homogènes du degré w, ce que, d'ailleurs, on ne peut constater a priori par les données. Mais, pour traiter d'abord ce cas simple, j'admettrai que l'on sait d'avance tel devoir être le résultat du calcul. Si on passe des coordon- nées rectangulaires aux coordonnées polaires en posant : (36) a? =: p sin 8 cos v ?/ r:^ p sin 8 sin u ^ = p cos S on n'aura qu'à faire l'application des formules démontrées plus haut en y remplaçant X -f ;x par 2(X -f jx) {n — 2), X + 2;ji par 2(X + [x)7z — X — 2[x, enfin X -f- Sfx par 2(X + ix)n + 2X. D'après cela, il vient par les équa- tions (4), les suivantes : (X + [x)(n— 2) dp 2(X 4- fx)n — X — 2;x J^ =1 sin 0 cos f (Qj — 9) + sin 0 sin v (û^ — •]/) — cos 5;( (X + ^)(n-2) dp (3") { 2(X -f- ix)ii — X — 2(x f/8 = p cos 8 cos v{Qi - o) -\- p cos 8 sin v (Q^ — ']>)-{-? sin ^x X -f t^) (n — 2) dp 2(X + [j.)n — X — 2[x dS z= — p sin 3 sin v{Qi — 9) + P sin û cos viQ^ — '}), et, suivant la méthode employée, il y aura d'abord à chercher une solu- tion particulière des deux dernières, auxqueUes il faut ajouter la suivante : — p sin 8 sin u -1^ p cos 8 cos v ^ p sin o cos v —— ^ do dv ^ dà ^^^^ ^ , . di\ dN f/M — p cos 8 sin V -3— = -^ -7— ' dv dà dv 41 202 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE en posant : /3gv i N = — p sin s sin Dcp -|- p sin o cos v]» ) M = p cos Vù cos 9 -[- p cos 8 sin V'\> — p sin 3/. On peut substituer à cette dernière équation celle-ci : dQ clQ^ (40) -^ i7 + yiri + ^ d d: dQ, dx X + y d'^ d/ dz dx + m, d'\i d'^ dx dy dy d'Y dont les deux membres se réduisent chacun à une fonction potentielle, et par conséquent la quantité : 1 (41) r sin 0 dû dW dv d(f) cos 0 f/cp = Sm V -ri- : r COS V V" dù sm 0 dv d, + /.•] : [2(X-1- }x)n — X — 2;j.] [sin 3 cos y (wj — ;) + sin 3 sin u(w2 — -q) — cos ZQ , (X + [x)(n — 2) - [XLO, + yo,, -f /.■] (43) = [2(X -f- |x)n — X 2a] [r cos 0 cos fcoi -j- r cos 8 sin voi^], d dv [Xi»^ + yto, + k] [2(X + ij.)n — A — 2{ji] [ — r sin 8 sin voi^ -\-r sin 8 cos via^]. E. FOXTAKEAU. — SUR L.V DÉFORMATION DES CORPS ISOTROPES On en déduit, d'après les formules (22) : (44) "rfj du)^ dz 1 7' SUl 0 — 1 r sin 0 , . f/H . , (/H cos s sin V sin ô cos v — - dv dû ... rfH , ^ dW sin 8 sin V \- cos o cos v — — ao au 203 égalités dont les seconds membres devront être dans le cas actuel des fonctions sphériques d'ordre n — 1 et il sera facile d'en déduire les valeurs des premiers membres pour tous les points du corps élastique. Ayant ainsi déterminé ces deux fonctions potentielles on en déduira -j T- en faisant usage de l'équation (31) et on pourra môme obtenir —, — r- au moyen de la formule : dx dy "^ (4oj -f dx ^ dy ~J l d^oy^ f/^o)^ rf^coj dxdy dz"^ dx'^ d'^oi^ (/'-03i d' 0), dxdy dy'^ dz"^ dx dy-V rf\Oi f/^co„ + T. dzdx dzdij dz qui suppose seulement que w^ et w^ soient des fonctions potentielles. Les trois fonctions l, r^, K doivent vérifier les équations aux dérivées partielles : (46) (3X + 2a)A^; + 2( À -f- y.) (n — 2)-—=0, dx (SX + 2îx)A-r. + 2(À + y.)(n^2) ~ = 0, (3a + 2a)A^^ + 2(X + y.) (« — 2) dz 0, où T est donné par l'égalité rf; , cZ-fj , rfC (^^) ^ = ;^ + ;7;^ + t: = 3X + 2a dx dy dz 2(1 -\- ij.)n — a — 2a da? dy Ainsi, on connaît d'une part, à la surface du corps élastique, les quan- tités ;, Tj, l et par suite des calculs qui précèdent pour tous ses points A*;, A^Y), A"^^, et la question à résoudre se trouve ainsi ramenée à un pro- blème dont la solution dépend du théorème de Green et de la fonction à laquelle on a donné le nom de cet illustre géomètre. On peut, d'ailleurs, continuer l'application de la méthode telle qu'elle est exposée dans ce qui précède et on arrivera ainsi à déterminer, pour tous les points de l'enveloppe sphérique, les quantités ;, v], Ç ; après quoi 204 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE on obtiendra les valeurs correspondantes de u, v, iv en faisant usage des formules (32), (33) et (34). Ce mode d'intégration des équations (46) se trouve en défaut dans le cas particulier oîi l'on a : 2(X + [jL)n — X — 2fx = 0, c'est-à-dire où le degré commun d'homogénéité des fonctions l, -q, Ç est égal à : W . 2(X-fix)-^ 2(X + a* Mais alors on a : (48) 3X-f2[x-[-2(X4-[jL)(n — 2) = 0 et les équations à intégrer se réduisent à : dr dr . „^ dr (49) A.Ç=^ A',=^ A'C=^. où, en vertu de l'égalité (34), t désigne encore une fonction potentielle. Par suite, on aura: (50) Ç = |'+^l . -1=1^ + ^2 ^==^^ + ^3' où Qj, ^2» ^^3 désignent trois fonctions potentielles, et comme le degré commun d'homogénéité des fonctions ç, t), l, est connu, on aura à la sur- face de la sphère : dl _ X-f 2[x l d^ __ X -f 2ix Yi cK _ X-f2p C (^*) Jç ~ 2(X + [x) p f/p ~ 2(X -f i^j p rfp ~ 2(X + [X) p ' ce qui permettra de calculer t et d'obtenir, pour tous les points du corps, d'abord cette quantité, puis les trois fonctions potentielles Q.^, Q.^, Q,^; après quoi, on aura par les égalités (oO) les expressions générales de l, -/], (^. 8. — Dans le cas où les quantités 9, «j'» X seraient quelconques, la méthode pourrait encore être appliquée conformément aux principes qui précèdent. La quantité: 1 /■ sin 8 •^_ (M do dv peut alors être développée en une série convergente de fonctions sphériques, et pour chacune de ces fonctions, on aura à déterminer les fonctions poten- E. FONTANEAU. — SUR LA DÉFORMATION DES CORPS ISOTROPES 205 tielles correspondantes et prendre ensuite, pour les expressions générales de Qi, Q^, la somme des solutions obtenues. Des deux dernières équa- tions (37), on déduira ensuite les différentes valeurs de : (l + ^) {,1 - 2) 2(A 4- ^)ii — À ~ 2[x P, et de p, ce qui permettra d'obtenir K par une somme de résultats partiels, comme on a fait pour Q^, Qa- Après cela, on pourra calculer H, conformément à son expression déduite de la première des égalités (16), en y remplaçant X -f- !-«• et X -f- 2[j(. respec- tivement par 2(X -}- [J-) (n — 2) et 2(X -f jjt.)n — X — 2(x et former les équa- tions : (S2) (X4-aXn-2,) d Lu. Clù ^ ^ 2(X -h \^)n - X sin 8 cos i)(ojj — ^) + sin 5 sin v(a)2 — •/;) — cos oS;. ^ r cos 0 cos vto^ -j- r cos ô sin vl.^^. (X + [x)(n z: [^'^i + y^'z + '^-J 2(X + ij.)n — X — 2iJ, (/y = — r sin 8 sin f Wj — r sin 8 cos î;(C2. De ces équations on déduira, comme plus haut, les expressions de — — ^ et dz dio„ . d(jy„ diOf doi, , dii)„ ^ -7— et puis celles de -^ ~ et — — H — r-^. Ces expressions se rédui- dz dx dy dx dy ront sur la surface à des séries de fonctions sphériques et, pour chacun des termes de ces séries, on pourra calculer les seconds termes des premiers nombres des équations (46), ce qui permettra de déterminer les expres- sions générales de ;, -/i, C en faisant usage du théorème de Green. On peut aussi suivre le procédé employé au n*' 4, et déterminer d'abord dix — en faisant usage de la formule (24) qui, dans le cas actuel, devient : (*3) 2à %i X-f ,a)(n — 2) dk^ 2!x d:: -2 2(X 4- ij.)n — X (X + ;..) {n '- 2 2(X + {x)/i — X — 27. -?, où on peut considérer le premier terme du second membre comme une fonction parfaitement déterminée et connue qui, sur la surface du corps 206 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉGANIQUE élastique, se décompose en une série convergente de fonctions sphériques. Après cela on obtiendra, d'une manière analogue, les expressions désignées par U^, U.^ et, en faisant usage des formules correspondantes aux égalités (30) et de la formule (53), on aura sous forme de séries les expressions générales de c, '/;, ^. D'après une observation faite plus haut, on pourrait craindre que le calcul ne fût en défaut dans le cas oîi la relation (48) aurait lieu. Mais cette objection ne peut être faite si on admet, conformément à l'usage généralement adopté, que tous les développements en séries de fonc- tions sphériques peuvent s'effectuer en fonctions sphériques d'ordres entiers. En résumé, on voit que cette méthode dépend des mêmes principes que la méthode exposée par MM. Thomson et Tait dans leur savant Traité de Philosophie naturelle ; mais on doit la considérer comme plus simple, en ce qu'elle évite l'emploi de calculs à effectuer sur des fonctions dont le degré d'homogénéité n'est jamais parfaitement défini. La proposition qui résulte de ce travail peut être généralisée d'une manière très simple. Il suffit, pour cela, d'observer que des équations : u Q, {l) {v=a,- w A-\- IJ. 2(X -1- 2,u) ^ "h [^ 2(X -1- 2p.) X -|- fX 2(X + 2,.) dp dq^ dp dq^ dp dq^ dq^ dx dq^ dx dq^ dx_ ' dp dqi dp dq^ dp dq,^ _dq^ dy dq^ dy "•" dq^ dy dp dpi dp dp 2, dp dg^ jlq^ dz dq^ dz dq^ dz ^ on conclut, pour un système quelconque, orthogonal ou non, de coor- données curvilignes, les formules : "2(X + 2;..) dp dq^ dp _ 2(X -{- 2;ji) dq, dp dq. i^) il^ = X + fx Idq^ dx X -|- [J"- idq dx , ("i 2(X + 2;.) dx , X + [/. \dq. , , dii ,^ , dz N , f^V ,. X dz 10 Si, en effet, après avoir conservé à qi, q^, q^^) hi, h^, h, leur signi- E. FOiNTAJNEAU. SUR LA DÉFORMATION DES COHl'S ISOTROPES 207 fication générale, on désigne par n^, n^, n.^ les normales respectives aux trois surfaces q et que l'on pose pour simplifier : dx ' di/ dz (3) |(a.-„) + |(a.-„;-%„ = A. è(û,-«, + :^(Q,-«)-^» = A. dx dz dz on aura par les équations (1) dp dp h\ -— -\- hji^ cos (rii, n^) \- hJi^co& (n^, n^) — - dp 2(X+2[x) dq, dp., dp .dp (4) { h.JiiCOs{n^,ni)- \-ht- \-h^hs cos {n^,n^) dqi - dq^ dp dq^ X -|- [A dq^ X + [j. Al, A21 dp , ^^dp 2(X+2^) h.Jii cos (n^, n^)- \-h^h.,cos{n^, n^)- [- A^ -7—=: dq^ dq^ ^dqs a -\- [/. Désignant ensuite par D le déterminant de ces équations et ayant égard aux égalités : dx , , , , . dx , , , , , dx dq^ ^'^ ^ + ^^''^ '^' ^^- ''^^ ^ + ''^^'^ '^' ^^'^' ^^^ ^ =^ rf^ ' ,^,, / , , , . dx . j2 dx , ^ , , . dx dq^ (3) { KK cos («„ „.) 5^ + A, _ + h,K cos („„„.)_ = _, , (/a; , , , , . dx , ^^ dx dq^ h A cos K, n,) - + M. cos K, ^,) _ + /,3 _ = —, et à celles qu'on en déduit en y substituant à x, successivement y et z. on obtient : ,^ , dp ^ 2(X + 2t.) j_ ^^ ^ d^i X + a 'D Al hji^ cos (Wi, n^ hji^ cos (n^, Wg) A., hl h^ha cos (n^, Wg) A3 /«g/îj cos (ng, n^) ^^3 d'oîi il résulte immédiatement par les propriétés connues des détermi- nants la première des formules (2) ; les autres se démontreraient de la même manière. D'après cela, il suffirait, pour déterminer les expressions générales de u, V, w, de connaître leurs quotients différentiels par rapport à q^, _ /Wœïg En prenant pour point de départ le triangle équilatéral dans lequel 1 cos A = -, il calcule pour chacun des polygones obtenus par les bissec- tions successives, par des formules, qui n'exigent qu'une seule division, une seule extraction de racine carrée, de simples additions et soustractions, les valeurs de coséc ^A et de cotang ^A pal- excès et par défaut. Après dix-sept opérations il arrive aux polygones de 393.316 côtés et il obtient pour la circonférence du cercle ayant un rayon égal à 100.000 : 314 lo9 '^'■'■> 36 Cette valeur est donnée avec cinq décimales qu'il écrit en caractères plus petits et qu'il souligne, ou, en d'autres parties de son livre, qu'il sépare par un petit trait vertical, premier exemple de la numération des fractions décimales attribuée à d'autres venus après lui et qui lui appar- tient en propre. Pour la valeur du sinus de une minute, il s'arrête au polygone de 6.144 côtés et il obtient ainsi : sin 1' = 29 0^3 819 :i9 avec sept décimales. Pour la construction de ses tables, il emploie des formules expéditives parmi lesquelles je citerai : sin (60° + A) = sin A + sin (60° — A) tang (45° -\- -\ =i 2 tang A -f tang (4o° — Ç\ séc A = I tang ^45° + ^) + ^ tang (^45° - fj 210 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE Pour la résolution des triangles, je citerai encore : 1 ''S sin A -j- sin B r~ ir ~ sin A — sin B tang^(A-B) Le Canon mathématique avec le Livre des inspections, comprenant : le premier, la table des lignes trigonométriques avec quelques tables acces- soires; le second, les formules pour la résolution des triangles plans et sphériques avec un grand nombre de résultats numériques calculés tous avec plusieurs décimales, fut publié en 1579. Pendant l'impression de son livre qui avait duré huit ans, François Viète avait jeté les bases de l'Algèbre nouvelle et en 1589, il avait cons- truit l'édifice tout entier et il avait ainsi trouvé le moyen de résoudre les équations générales du premier degré à plusieurs inconnues. Appliquant sa méthode à la seule formule de trigonométrie sphérique relative au triangle sphérique quelconque donnée par Albategni cà la fin du ix'^ siècle, qui permet de trouver les angles A, B, C, lorsque l'on connaît les côtés a, 6, c : cos a = cos b . ces c^ -|- si"^ ^ • ^^^ ^^ • ^^^ ^ il trouva la formule qui donne les côtés, en fonction des angles : cos A + cos B . cos D = sin B . sin D . cos A et toutes les autres fonnules de la trigonométrie sphérique qui permettent de résoudre un triangle quelconque sans être obligé de le décomposer en deux triangles rectangles. Par la comparaison des nouvelles formules ainsi obtenues, il fut conduit à découvrir les propriétés du triangle sphérique polaire ou supplémen- taire qu'il désigne sous le nom de triangle réciproque et à en faire usage lorsqu'il y a avantage à y recourir. Cette invention lui a été contestée par Delambre qui a été induit en erreur par une faute d'impression dans les figures du texte, erreur dans laquelle il ne serait pas tombé s'il s'était reporté au calcul qui se trouve au bas de la page. A la Trigonométrie de François Viète se rattache son traité des Sections angulaires. C'est un recueil de formules qui donnent sin nx et cos nx en fonction de sin x et de cos x, et tang nx en fonction de tang x. Les coefficients, dans ces formules, sont facilement déterminés par des additions successives des nombres figurés de diff'érents ordres. Il en est F. UITTER. — LA TRIGONOMÉTRIE DE FRANÇOIS VIÈTE 211 de même dans la formule qui donne la corde C de l'arc simple en fonction de la corde C,^ de l'arc multiple nA : „ n _., n(n — 3) ,_,. mn — 4)(n — 5j _g ^ "~ ï ^ + 1.2 ^ TO ^ + = ^-^ que nous traduisons avec nos signes modernes. François Viète a fait plusieurs applications de ses formules, entre autres celle pour trouver la somme des cordes des arcs croissant en progression arithmétique, partant de l'extrémité d'un diamètre en fonction de la première et de la dernière de ces cordes. Nous avons dit, dans l'exposé de l'Algèbre de François Viète, qu'il avait donné le moyen de résoudre numériquement les équations et de trouver la racine positive de ces équations avec un degré quelconque d'approxi- mation exprimé en fractions décimales. La corde de l'arc du cinquième et la corde du tiers d'un arc sont données par les formules : corde ^a — 5 corde ^a -f- S corde a = corde Sa 3 corde a — corde ^a =z corde 3a Il cherche, au moyen de ces relations, le sinus fondamental de une minute. Par la division du rayon en moyenne et extrême raison, il trouve la corde de l'arc de 36°, et par une quintusection au moyen de la pre- mière des équations ci-dessus, la corde de l'arc 7" 12' = 2 sin 3" 36'; au moyen de la trisection de la corde de l'arc de (30" égale au rayon, il obtient la corde de 20°. et par une nouvelle trisection, la corde de 6° A(f égale à 2 sin 3° 20'. Au moyen de ces sinus, il calcule cos 3° 36' et cos 3° 20', et il trouve le sinus de leur différence ou sin 16'; enfin, par des bissections successives, il arrive au sinus de une minute. Je m'arrête ici dans ce rapide exposé, omettant un grand nombre de faits intéressants ; mais il suffit pour montrer que si François Viète a été l'inventeur de l'algèbre moderne, il a été également le réformateur de la trigonométrie ancienne. 212 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION M. BEEIIS Ingénieur des Ponts et Chaussf'es, à Mont-dê-Marsan. RACCORDEMENT PARABOLIQUE ENTRE DEUX ARCS DE CERCLE CONTIGUS DE MÊME SENS — Séance du 20 septembre i892 — I On connaît la parabole du 3« degré étudiée par Nordling (Ann. P. et Ch., 1867) pour le raccordement d'un alignement droit et d'une courbe circulaire de chemin de fer. L'équation de cette parabole, qui s'étend moitié sur l'alignement, moitié sur la courbe, est : y 6P 1 FlG. 1. la courbure — en chaque point étant sensi- K blement proportionnelle au développement .11 de Tare, ou pratiquement à l'abscisse — =: -x. Noi'dling a remarqué que de B en A la parabole s'écarte autant de l'arc de cercle déplacé, que de 0 en F elle s'écarte de sa base OFX (ftg. /j. Il Je conclus de cette remarque qu'en négligeant l'inclinaison toujours faible des éléments de l'arc de cercle, et par suite la convergence des rayons, l'équation de la portion BC de la parabole, les abscisses étant prises le long du cercle déplacé BA, de B en A, et les ordonnées étant comptées normalement à l'arc, c'est-à-dire dans le plan vertical des profils en travers, n'est autre que y = X'' BEHNIS. — RACCOUDEMEM PARABOLIQUE ExNTRE DEUX ARCS DE CERCLE 213 L'erreur relative, nulle pour l'ordonnée maxima AC, atteint au maximum 1 0/0; c'est dire qu'elle est en valeur absolue négligeable. De là un procédé très simple de cal- culer le déplacement latéral dans la ré- gion AB. On peut remarquer qu'en vertu de la généralité de la démonstration faite par Nordling, l'équation y 6P ,./B représente FiG. 2. également l'équation de la parabole de raccordement par rapport à l'arc de cercle au delà du 'point de tangence dans la région BD (fig. 2). III Nordling a traité également le problème du raccordement parabolique doublement osculateur de deux courbes circulaires de même sens, mais la solution qu'il en donne est très com- pliquée. Voici la solution pratique très simple qui résulte des observations ci-dessus : Soient deux arcs de cercle de rayon R et R' (R' < R) tangents en F'(fig. 3). Les arcs déplacés viendraient en AB, A'B'. Pour les raccorder par une parabole osculatrice, je considère tout simplement l'arc de la parabole ci-dessus, compris entre les points où les rayons sont R et R'. En vertu de l'observation précitée et sous les réserves précédemment indi- quées, l'équation de cette parabole par rapport aux deux cercles n'est autre que Fig. 3. Dans le cas où R devient infini, on retombe, comme on devait s'y attendre, dans la parabole générale. 214 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION M. BEEÎTIS Ingénieur des Ponts et Chaussées, à Mont-de-Marsan. SUR LES FONDATIONS A AIR COMPRIMÉ AVEC CHAMBRE EN MAÇONNERIE SUR ROUET — Séance du 20 septembre 1892 — I Dans les Annales des Ponts et Chaussées (1883), M. Séjourné a rendu compte du système de fondations à air comprimé avec chambre en maçon- nerie sur rouet, qu'il a appliqué à l'important viaduc de Marmande (ligne de Marmande à Mont-de-Marsan.) Il a fait ressortir ses avantages : économie de fer, bourrage plus parfait sous le plafond, partant massif inférieur plus homogène, enfin prix de revient par mètre cube notablement moins élevé, et il a conclu en expri- mant très catégoriquement sa préférence pour ce système sur le système ordinaire avec chambre de travail en métal. Il J'ai fait exécuter sept fondations de ce type pour les grands ponts à la traversée de l'Adour, sur la ligne de Condom à Riscle, et il m'a paru que les conclusions de M. Séjourné étaient sans doute trop générales et que son assertion sur le prix de revient définitif demandait, par suite d'une équivoque, à être rectifiée. Dans le système en question : 1*" Le montage d'une chambre est une opération compliquée exigeant la présence successive des riveurs, charpentiers, calfateurs et maçons; elle demande un mois (au lieu de quinze jours) ; puis il faut laisser les maçon- neries un mois au séchage, d'où gêne possible dans certaines conditions, notamment au voisinage d'une rivière torrentielle; 2" La descente sur vérins exige un matériel plus puissant et est beau- coup plus scabreuse; 3° Le peu de hauteur du couteau est une gêne sérieuse pour l'enlève- ment des obstacles; A. LAUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 215 4° Le périmètre étant plus fort, la descente est plus difficile; d'autre part, le vide de la chambre de travail relevant le centre de gravité, la descente est moins régulière; enfin la forme elliptique du massif pro- voque des girations, autour d'un axe vertical, très gênantes pour l'implantation (observées à Riscle); 5° Le système ne se prête pas aux descentes brus- ques, parfois inévitables; 6° Le massif inférieur est sur une grande hauteur hétérogène et la répartition des pressions sur une section horizontale s'y fait d'une façon inconnue ; 7° Enfin, si le prix de revient par mètre cube est en effet de 10 francs environ moins élevé, il n'est pas la mesure de l'économie du système, en raison du cube parasite résultant pour la fondation de la forme elliptique de plus petite section entourant la base du fût, forme motivée par la néces- sité de résister aux poussées latérales du terrain. En ramenant la section des fondations de Riscle à la section des cais- sons du type ordinaire employés à Saint-Sever pour la traversée de la même rivière l'Adour, sur la ligne de Mont-de-Marsan à Saint-Sever, le prix de revient par mètre cube utile se relève de o4 fr. 74 c. à 63 fr. 91 c. L'économie apparente peut donc n'être qu'une illusion. M. le Colonel A. LATJSSELAT Directeur du Conservatoire des Arts et Métiers, à Paris. HISTORIQUE DS L'APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS — Séance du 2/ septembre 1892 — Mes chers collègues, Je vous demande pardon de vous avoir dérangés de vos travaux pour venir voir ici la lanterne magique, mais le sujet que j'ai demandé de traiter devant vos trois Sections réunies, quoiqu'il soit déjà bien ancien, n'est peut-être pas, en France, aussi populaire qu'il le mérite. J'ai donc pensé qu'il pourrait être à propos, alors qu'il nous revient de 216 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION l'étranger des symptômes multipliés de l'importance qu'on lui accorde, d'appeler l'attention des géomètres, des ingénieurs civils et militaires, des géographes et des voyageurs scientifiques, sur une méthode appelée à leur rendre les plus grands services, qui en a rendu déjà à quelques-uns d'entre eux, mais qu'il est devenu indispensable de vulgariser, dans un intérêt à la fois scientifique, pratique et patriotique. J'aurais pu inviter aussi la Section de Géologie, car vous avez vu hier, pendant la brillante conférence de M. Trutat, quel parti ont déjà su tirer de la photographie nos savants et intrépides explorateurs des Pyrénées. Je vous montrerai, dans quelques instants, que d'autres ont fait de même dans les Alpes, et je pourrais ajouter dans tous les pays pittoresques, dans toutes les parties du monde ; le terrain est donc bien préparé de ce côté. Les topographes se montrent également, en général, fort bien disposés presque partout ; seuls, nos topographes officiels, qui ont à leur disposition de bonnes vieilles méthodes (i), sont demeurés réfractaires jusqu'à pré- sent ; mais le mouvement qui se dessine et s'accentue chaque jour ne ' tardera pas à prendre des proportions qui finiront par triompher de toutes les résistances et par les entrahier comme les autres. Il y a, toutefois, lieu de craindre pour eux que, faute de s'y être pris à temps pour le diriger, ils en soient réduits à voir des gens, mal préparés à ce rôle, chercher à les remplacer et compromettre un succès qui eût été assuré entre leurs mains. Quant aux ingénieurs, il y a longtemps qu'ils ont recours à l.a photo- graphie, mais seulement pour dresser, en quelque sorte, les procès- verbaux de l'état d'avancement de leurs travaux, pour mettre en évidence les moyens de construction, les engins qu'ils emploient, pour conserver le souvenir de leurs chantiers, et quelquefois aussi, malheureusement, pour représenter les accidents qui ont compromis l'existence de leurs tra- vaux, ou même les résultats de quelque grande catastrophe. Je devrais citer, dans le môme ordre d'idées, les architectes, les météo- rologistes et même les hygiénistes que j'aurais dû également convier, car les uns ont à relever, dans certains cas, nombreux aux États-Unis où ce service fonctionne merveilleusement, les désastres produits par les tornados, et les autres auraient un grand intérêt à provoquer la construc- tion des cartes hypsométriques des grandes villes et des grandes agglo- mérations, pour y étudier les questions de drainage et d'assainissement. Puisque j'en trouve l'occasion, je dirai, à ce propos, que, dès 1851, l'année de la première Exposition universelle, pendant un voyage de deux ou trois mois en Angleterre, je fus très frappé de trouver, dans plusieurs (1) Très précieuses et qui vont sans cesse en se perfectionnant, mais qui ne doivent pas en empêcher d'autres de leur succéder en partie, ou, pour mieux dire, de les aider, de les compléter. A. L.VUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 217 des villes que je visitais, des plans recouverts de courbes de niveau entre les mains de médecins et de pharmaciens, membres des Conseils d'hygiène, qui les avaient fait exécuter, souvent à leurs frais, et les appréciaient fort. Il y a déjà bien longtemps de cela, et je ne sache pas que cet exemple ait été beaucoup suivi chez nous. Par contre, j'ai le plaisir de voir aujourd'hui, au nombre de mes auditeurs, un délégué du ministre de la Marine, et j'en suis doublement heureux, d'abord parce que la méthode dont j'ai à vous entretenir est née à la mer, sur un bâtiment français, bien avant l'invention de la photo- graphie, et ensuite parce que ce dernier art s'est plié, depuis un certain temps, aux conditions si difficiles dans lesquelles se trouvent habituelle- ment les marins et les ingénieurs hydrographes pour lever et construire leurs plans et leurs cartes, ce qui pourra singuhèrement simplifier leur besogne (1). . Avant de vous montrer les documents que j'ai préparés, voulez- vous me permettre une digression, qui sera aussi une entrée en matières. En 1846 — veuillez bien retenir cette date, — j'avais été chargé d'étudier la frontière des Pyrénées occidentales et le projet d'une forteresse des- tinée à surveiller la nouvelle route de Bayonne à Pampelune. Les recon- naissances que je fis sur toute la frontière, dans le département des Basses-Pyrénées et dans une partie du département des Hautes-Pyrénées, me donnèrent l'occasion de faire des croquis de paysage qui me furent très utiles pour me rappeler ce que j'avais vu, quand j'eus à rendre compte de ma mission. Quant au lever de la position militaire de Cambo, par les méthodes régulières les plus expéditives que je connusse, il ne me prit pas moins de deux campagnes, pour l.oOO hectares au plus, si bien que l'avant- projet d'une double tète de pont sur la Nive, présenté en septembre 1848 arriva trop tard, les événements de cette époque ayant attiré l'attention ailleurs. On jugeait, en effet, que le danger immédiat n'était pas du côté des Pyrénées et, au lieu de nous protéger nous-mêmes sur un point qui était et qui est resté l'un des plus faibles de nos frontières, on tourna les yeux du côté des Alpes, avec la généreuse pensée d'aller, au besoin, au secours de l'Italie. J'ignore si la question a été remise à l'étude, mais je souhaite vivement qu'elle ne soit pas négligée, car, je le répète, aucune frontière n'est plus mauvaise que celle de nos Pyrénées occidentales. Il faut bien croire que mes travaux topographiques avaient été appré- (1) Je n'ai pas voulu faire allusion à l'application, si simple d'ailleurs, dans des circonstances favorables, de la photographie au cadastre. Je n'aurais pu que faire observer, à propos d'une com- munication écrite, lue le matin même à la Section de Géographie (et déjà parue dans le numéro de la Reviie scientijlque du 20 août 1892), que son auteur avait omis de dire qu'il avait emprunté à des publications faites depuis longtemps le principe delà méthode dont il veut faire usage, en essayant, au contraire, de donner le change par l'introduction de raffinements graphiques matériels sans portée sérieuse et plus gênants qu'utiles. 218 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION ciés, puisque, indépendamment des lettres d'éloges qu'ils m'avaient valu de la part du ministre, je fus appelé à Paris et attaché, au Comité des fortifications, au Service des cartes et plans. Eh bien, je n'hésite pas à dire qu'aujourd'hui le lever de la position de Cambo, qui devrait être beaucoup plus étendu qu'à l'époque dont je parle, pourrait être exécuté avec une exactitude très suffisante en beaucoup moins de temps, et que l'économie porterait principalement sur celui qu'il y aurait à passer sur le terrain. J'ajoute que mes reconnaissances sur la frontière eussent été infiniment plus complètes, plus instructives et plus exactes que celles qu'il m'était permis de faire, en parcourant le pays plus lentement que ne le font aujourd'hui les touristes les moins pressés (i). Je n'aurais peut-être pas autant insisté sur ce sujet, si nous n'étions pas précisément dans les Pyrénées, où je me suis avisé, dans ma jeunesse, de songer à chercher des méthodes topographiques plus rapides que celles qui étaient en usage et qui sont encore les mêmes aujourd'hui, à quelques modifications près dans la construction des appareils. Le but à atteindre se trouvant suffisamment défini, si je ne me trompe, examinons par quelle voie on y est parvenu. J'ai, dans ma bibliothèque d'astronomie, un vieux poème latin de Manilius, qui renferme quelques excellents aphorismes, au nombre des- quels se trouve le suivant, que Montaigne n'a pas dédaigné de lui em- prunter, et que j'ai pris moi-même pour épigraphe dans deux circonstances oîi j'avais besoin de le recommander aux autres : Per varias usus artem experientia fecit, Exemplo monsirante viam. Je n'ai jamais manqué, pour ma part, de rendre justice aux inventeurs qui m'ont précédé, mais je trouve tout à fait naturel de souhaiter que ceux qui sont venus après moi en fassent autant. Or, il me serait par trop facile de prouver que plusieurs d'entre eux se sont dispensés de ce soin, mais passons. C'est à l'illustre hydrographe français Beautemps-Beaupré qu'appartient l'idée féconde d'utiliser les vues pittoresques pour lever les plans. Cette invention date exactement d'un siècle, car elle fut faite pendant la cam- pagne de d'Entrecasteaux à la recherche de La Pérouse, de 1791 à 1794. Il est bon de rappeler qu'avant Beautemps-Beaupré, les ingénieurs hydrographes employaient déjà des vues de côtes, mais uniquement pour se diriger dans les passes et entrer dans les ports. (1) Peu de jours après la date de cette conférence, je recevais une brochure de M. le comte de Saint-Saud, intitulée: Conlribulion à la carie des Pyrénées espagnoles, dans laquelle j'ai vu avec plaisir que l'auteur avait commencé à se servir de ses photographies pour évaluer des angles. Je suis bien stir qu'il continuera et ira plus loin. A. LAUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AL LEVER DES PLANS 219 L'invention du cercle à réflexion de Borda, qui permettait de mesurer successivement un grand nombre d'angles sans revenir au zéro de la graduation, comme il fallait faire auparavant avec le sextant, fît penser à Beautemps-Beaupré que ces vues de côtes, prises partout où cela serait nécessaire, pourraient servir de registres d'angles, et le succès de la méthode absolument nouvelle fondée sur cette simple remarque ne se fit pas attendre. L'ouvrage que le savant ingénieur publia en 1808, et qui fut réédité en 18H, était sans doute connu des hydrographes et des marins de tous les pays, mais il resta à peu près ignoré, pendant quarante ans, de^ topographes et des voyageurs scientifiques, et je ne crois pas m'aven- turer en disant que, même dans la marine, il y avait bien peu d'opéra- teurs qui voulussent s'astreindre à dessiner des vues de côtes pour y marquer les mesures angulaires assez multipliées que comportait le pro- cédé de Beautemps-Beaupré, qui lavait pourtant pratiqué lui-même et enseigné pendant un demi-siècle. Quoi qu'il en soit, en 184(), à propos d'un voyage effectué en Abyssinie par deux officiers d'état-major, MM. Galinier et Ferret, Beautemps-Beaupré, alors membre de l'Académie des Sciences, se plaignit, d'une manière générale, de ce que les itinéraires relevés par les voyageurs n'étaient pas accompagnés de vues développées sous forme de panoramas, qui préviendraient, disait-il avec grande raison, les erreurs si fréquentes occa- sionnées par l'ignorance des guides, et qui pourraient être consultés utile- ment dans tous les temps. Arago, chargé du rapport sur les travaux d'exploration de MM. Galinier et Ferret, mentionna cette recommandation expresse, et l'on pourrait dire prophétique, de son confrère. Ce rapport fut publié sous forme de notice dans V Annuaire du Bureau des longitudes pour 1846. Vous vous souvenez que c'était précisément à cette date que j'exécu- tais mes reconnaissances dans les Pyrénées, et vous ne serez pas surpris que la lecture de la notice d' Arago m'ait beaucoup frappé. Je commençai par me procurer le traité de Beautemps-Beaupré, et je reconnus aussitôt le parti que l'on pouvait tirer de la méthode qui s'y trouvait exposée en quelques lignes, mais de façon à ne laisser aucun doute sur son efficacité. Je ne saurais mieux faire que de vous lire le passage de cet ouvrage, qui en contient pour ainsi dire toute la philo- sophie : « Après avoir adopté, dit Beautemps-Beaupré, le cercle à réflexion pour mesurer les distances angulaires des points remarquables des côtes, et avoir reconnu la possibihté d'observer, au même instant, un très grand nombre d'angles, je jugeai qu'il fallait encore chercher le moyen le plus sûr et le plus facile de désigner les positions auxquelles appartenaient ces 220 GÉiNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION angles, soit qu'ils fussent pris d'une station à la mer ou d'une station à terre. » L'emploi des lettres de l'alphabet et des chiffres pour désigner les objets qui n'avaient point encore de noms conduisait, il est vrai, au but qu'il fallait s'efforcer d'atteindre ; mais, en se bornant à ce moyen, l'on s'exposait à commettre des erreurs d'autant plus graves qu'il n'y avait pas à espérer de vérification, » Je crois avoir trouvé la manière (Véviter ces erreurs en faisant, a chaque STATION, UNE VUE DE COTE OÙ uon Seulement on indique par des lettres ou des chiffres les objets les plus remarquables, mais où l'on écrit les mesures des angles observés, ainsi que les gisements des pointes relevées les unes par les autres, l'estime des distances, etc. » Cette manière d'opérer, que j'ai constamment suivie, m'a procuré l'avantage d'avoir toujours sous les yeux, en construisant mes cartes, les objets tels qu'ils s'étaient présentés lors des relèvements, et bien souvent elle a servi à me faire reconnaître des erreurs qui s'étaient glissées dans les observations (1) ». L'ouvrage de Beautemps-Beaupré contient un grand nombre de planches dont je me contenterai de vous montrer quelques spécimens pour les vues développées en panoramas, sur lesquelles sont inscrits les angles mesurés, mais je lui emprunterai aussi la carte de l'archipel de Santa-Cruz, levée en quelques jours, en mai 1793, comparée, sur la même feuille, par l'au- teur, avec celle qu'avait dressée le capitaine anglais Carteret, en 1768, au moyen des relèvements à la boussole. On ne saurait, en effet, donner une démonstration plus frappante de la supériorité de la nouvelle méthode et des propriétés admirables des vues pittoresques, qui sont des témoins irrécusables en même temps que des guides faciles à consulter. Je n'avais guère besoin, pour ma part, d'être convaincu, et je parvien- drais difficilement à exprimer la satisfaction que j'éprouvai en voyant réalisée une idée qui m'avait traversé l'esprit, mais à laquelle je n'avais pas encore donné toute l'attention nécessaire. J'essayai aussitôt de l'appliquer en esquissant des croquis sur lesquels j'inscrivais des angles mesurés ou évalués par un procédé analogue à celui qu'emploient les artistes pour la mise en place des objets qu'ils ont devant les yeux, et je me souviens d'avoir, en 1848, pris des vues, fort médiocrement dessinées d'ailleurs, ici même, dans cette riante vallée d'Ossau que nous devons parcourir la semaine prochaine. Découragé, tout d'abord, par mon insuffisance artistique, je cherchai à y suppléer en recourant à un instrument que j'avais heureusement eu déjà entre les mains, la chambre claire de Wollaston. Un officier supé- (1) Méthode pour la levée et la construction des caries et des plans hydrographiques. Imprimerie impériale, 1808 et 18H. A. LAUSSEDAT. APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS S'a! rieur du génie, le commandant, depuis colonel Leblanc, pratiquait, à cette éDoque, la méthode de Beautemps-Beaupré, qu'il enseigna môme à l'École polytechnique, en 1848 ; mais il éprouvait les mêmes difficultés que moi, et quand je lui montrai, en 1849 et I80O, les résultats que j'obtenais avec la chambre claire, il m'encouragea beaucoup à les pour- suivre, s'apercevant bien qu'il y avait là un puissant élément de succès et de progrès. Permettez-moi de vous dire qu'en elTet l'introduction d'un instrument de dessin susceptible de précision transformait, tout d'un coup, la méthode de Beautemps-Beaupré, en la rendant à la fois plus complète, plus sûre et plus rigoureuse, et en dispensant l'opérateur de mesurer les angles, en plus ou moins grand nombre. Laissez-moi ajouter que la méthode 'photographique se trouvait vir- tuellement créée, car il n'y a, au fond, aucune différence entre deux perspectives prises, l'une avec la chambre claire et l'autre avec une chambre obscure, dans des conditions géométriques identiques. La première est nécessairement moins détaillée, moins complète, mais tout ce qu'on y a figuré se retrouve à la même place sur l'autre. Les mesures que l'on peut prendre sur chacune d'elles sont les mêmes, pour peu que le dessi- nateur qui a employé la chambre claire ait opéré avec soin. Je dois m'arrêter sur ce mot de mesures, car la nouveauté du procédé que j'ai proposé le premier, comparé à celui de Beautemps-Beaupré, con- siste précisément en ce qu'il n'y a plus d'angles à lire, à inscrire et plus tard à rapporter sur les plans. Les angles ne se mesurent donc pas, à proprement parler ; on les trace immédiatement, comme je le montrerai tout à l'heure, et les constructions graphiques se trouvent ainsi à l'abri de toutes les erreurs de lecture et de transcription. Je devais présenter cette observation capitale, dès à présent, sauf à fournir la preuve de ce que j'avance, en vous montrant les résultats auxquels je suis parvenu depuis I80O, c'est-à-dire dès que j'eus apporté à la construction et à la disposition de la chambre claire de Wollaston les perfectionnements nécessaires pour la transformer en un instrument de précision. Les documents que j'ai réunis pour faciliter ma tâche, et qui vont être projetés par M. Molteni (1), ont été classés, aussi méthodiquement que possible, dans cinq catégories. Tout d'abord, puisqu'il s'agissait de l'historique d'un art qui vient après tant d'autres, auxquels il a recours, je devais commencer par rap- peler les définitions relatives k celui qui vient en tête, je veux dire à la perspective conique ou centrale, en me servant de figures élémentaires, (I) Les dessins et les épreuves projetés par M . Molteni étaient au nombre de 90; nous ne pourrons donner ici qu"un choix très limité des figures les plus essentielles à l'intelligence du texte. GENIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION puis VOUS montrer les premiers appareils employés depuis le xvi^ siècle l)Our mettre en perspective des personnages, des objets usuels, des monu- ments et même des paysages ; viennent ensuite des exemples de construc- tion, des perspectives de monuments à l'aide de plans et d'élévations, d'après les règles déjà anciennes du trait perspectif; et voici aussitôt, FiG. \. — Chambre claire de WoUaston perfectionnée. inversement, le moyen de restituer, suivant les mêmes règles, des plans d'édifices d'après leurs perspectives. Cet ensemble forme, en quelque sorte, un chapitre préliminaire indispensable pour ceux qui ont besoin d'être initiés, et je ne crois pas avoir abusé de leur patience en remettant ces figures et ces dessins sous les yeux de ceux de mes auditeurs qui les connaissaient déjà. La seconde série de projections comprend les spécimens des travaux A. LAUSSEDAT. APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 223 de Beaulemps-Beaupré et de quelques-uns de ses successeurs, c'est-à-dire des vues de côtes dessinées à main levée et portant l'indication des angles mesurés avec le cercle à réflexion (ou, si l'on opère à terre, avec le théo- dolite) et, de plus, la carte de l'archipel de Santa-Cruz dressée, en 1793, par Beaulemps-Beaupré, rapprochée de celle du même archipel dressée, en 1768, par le navigateur anglais Carteret, compagnon de Wallis. Vous vous souvenez de ce que j'ai déjà conclu de cette comparaison en faveur de la méthode de Beau temps-Beaupré, et vous voyez que j'avais raison (1). Dans la troisième série, après la chambre claire de Wollaston perfec- tionnée (fig. 1} (un petit niveau supprimé sur cette figure suffit pour lui FiG. 2. — Perspective d'un édifice dessinée à la chambre claire. Principe général de riconométrie. donner le caractère et les propriétés d'un instrument de précision), je vais mettre sous vos yeux quelques résultats fondamentaux sur lesquels je ne saurais trop appeler votre attention. Sur le tableau vertical de la figure 2, qui représente une vue du quar- tier Panthemont, rue de Bellechasse, vous reconnaissez la ligne d'ho- rizon LH et le point principal P de la perspective, le point de vue étant en 0. La chambre claire qui se compose d'un prisme, dont deux des faces produisent l'effet de miroirs à réflexion totale, ramène la vue sur un tableau horizontal oîi il est aisé de la dessiner. La ligne d'horizon LH (1) Nous regrettons beaucoup de ne pas pouvoir reproduire quelques vues de côtes et les deux cartes de l'archipel de Santa-Cruz ; on les trouverait, au besoin, dans l'ouvrage de Beaulemps- Beaupré. 224 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION et le point principal s'y déterminent rapidement, ainsi que la distance OP du point de vue au tableau, et l'on a alors tous les élémenl.s géométriques nécessaires pour obtenir, sur le dessin, les angles des rayons visuels réduits à l'horizon et les hauteurs apparentes de chacun des points de la perspec- tive. Pour tracer (et non mesurer) les premiers, il suffit de rabattre le point de vue 0 en 0,., de projeter les différents points que l'on veut considérer sur la ligne d'horizon, et de joindre ces projections au point 0,,. La figure 3 est une réduction redressée, à l'échelle de 1/iO du dessin exécuté avec la chambre claire dis- posée au-dessus de la planchette, avec une dislance du point de vue au ta- bleau OP de 30 centimètres, distance ordinaire de la vue distincte. En com- parant les angles réduits à l'horizon fi'O^b', rt'0,.c', etc., tracés, comme ou vient de l'expliquer, avec ceux que l'on mesurait directement au moyen d'un cercle divisé et d'une alidade (on s'est servi pour cela d'un excellent instrument de la brigade topogra- phiquej, les différences à peine sen- sibles ont été de l'ordre des erreurs de lecture. 11 en a été de même des hauteurs apparentes. Cette expérience était déjà très concluante, mais celle qui a été faite en combinant deux perspectives, et qui est représentée sur la figure 4, l'est encore davantage. On y reconnaît aisément le plan de l'un des côtés du fort deVincennes comprenant le donjon, construit au moyen de deux vues toujours des- sinées à la chambre claire. La distance AB des deux points de vue ou la base ayant été mesurée avec soin, les deux vues aa (1) et bb ont été orientées très simplement et très sûrement au moyen des angles que la direction de la base faisait alternativement avec celle d'un point remar- quable du paysage, par exemple du paratonnerre du donjon (et ces deux angles ont été eux-mêmes évalués, tracés à l'aide de la chambre claire). D'un troisième point de vue C, on a pris également une vue ce dont la ligne d'horizon seule est tracée sur la figure, et l'on a pu ainsi se pro- curer des moyens de vérification. Mais cette épreuve a été superflue, car, après avoir déterminé un grand nombre de points du plan par les inter- (1) La vue aa est relevée en a'a' sur lu figure pour éviter la confusion qui résulterait de l'entre- croisement des deux images. p-,g_ 3. _ Redressement de la figure 2. A. LAUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 225 sections des rayons visuels projetés horizonlalement et correspondant aux deux vues aa et bb, on a posé sur le dessin un calque du plan du fort de Vincenues pris à la direction des fortifications et exécuté à la ;>-^ 3 •a c o e o a c a 3 a bl, même échelle par les méthodes dites rigoureuses, et l'on a constaté la coïncidence exacte des points du calque et du dessin. Ce dernier était donc tout aussi rigoureux que l'autre, et le problème de la restitution des plans topographiques par des perspectives était défini- tivement résolu. Cette expérience a été répétée avec le même succès, en 1850, sur l'un des fronts du mont Valérien (voir le Mémorial de l'officier 13* 226 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION du génie, n° 16, année 18o4) et, en 1831, en présence du rapporteur scien- tifique du Comité des fortifications, M. le capitaine A\x génie Laurent, sur l'un des fronts du fort de Bicêtre. Je demande à tous les gens de bonne foi si j'ai le droit de croire que ces résultats ouvraient une ère nouvelle à l'art des reconnaissances et même à la topographie régulière, et j'invite ceux qui continueraient à prétendre que la méthode généralement employée aujourd'hui en métro- photographie n'a pas été inaugurée en France à apporter des preuves aussi nettes que celles que je donne ici et qui sont puisées dans des recueils imprimés dont les dates sont faciles à vérifier : Mémorial fn" 16j de l'officier du génie, 1854 ; Comptes rendus de VAcadém^ie des Sciences, 1860; Magasin pittoresque, année 1861. Tout ce que nous avons vu jusqu'à présent se rapporte à la planimé- Irie, et j'ajoute, avant d'aller plus loin, que la méthode s'applique éga- lement bien aux levers à grande ou à petite échelle. Mais je ne m'en suis pas tenu là, et j'ai voulu voir si le nivellement par courbes horizontales ne pourrait pas être effectué aussi facilement. L'expérience a été faite, dès 18d1, en Angleterre, aux environs d'une grande ville, et elle a pleinement réussi, comme on peut s'en rendre compte sur le plan nivelé déduit des trois perspectives que je vous montre. Je ne saurais trop insister, encore à ce propos, sur ce que les vues géométriquement exactes sont des documents irrécusables qui permettent de faire les vérifications que l'on désire en tout temps. Il y a quarante ans passés que ces documents ont été recueillis ; eh bien, sauf les dégra- dations des falaises par l'action des vagues et les nouveaux travaux d'art qui ont pu être exécutés sur le terrain, il est certain que les vues, qui sont la représentation fidèle de ce qui existait alors, ne s'éloignent guère de ce qui existe encore aujourd'hui (1). Beautemps-Beaupré n'avait pas eu à s'occuper du nivellement, et les résultats que vous venez de voir sont les premiers de ce genre qui aient été obtenus ; il doit donc encore m'être permis de dire qu'après avoir donné la solution complète de la restitution des plans topographiques, j'ai indiqué aussi le moyen le plus simple d'effectuer le nivellement à l'aide des vues pittoresques, et je l'ai appliqué aussitôt, joignant l'exemple au précepte, ce que négligent trop souvent ceux qui proposent des nou- veautés, avant de s'être bien assurés qu'elles peuvent passer dans la pra- tique et faire faire un véritable progrès à l'art qu'ils ont en vue. Je ne quitterai pas la chambre claire avant d'avoir mis sous vos yeux des spécimens de dessins agrandis qu'elle permet d'exécuter facilement (1) Les difTérences que l'on constaterait pourraient, d'un autre coté, servir à en contrôler la date: par exemple, la disparition de certains édifices, ]"état d'avancement de grands travaux publics ; et ce cas se présente justement sur les vues dont il s'agit. A. T.AUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 227 quand on l'associe à une lunette terrestre d'un grossissement convenable. Voici d'abord l'appareil (fig. 5) et voici le sommet du donjon de Vin- cennes dessiné en I80O (fig. 6), de l'une des stations d'où ont été prises les vues de la figure 4, la station B, En comparant les deux figures, on aura une idée des avantages que procure l'agrandissement de certains détails, dont les dimensions réelles étant souvent connues peuvent servir d'échelles ou de stadias pour évaluer les distances. Nous avons fait un très grand usage de ce procédé pendant le siège de Paris par les Allemands, et il nous a permis de relever avec beaucoup de Fig. Emploi combiné de la chambre claire et de la lunette terrestre. précision les travaux d'attaque de l'ennemi, au fur et à mesure qu'il les exécutait. J'avais omis, comme dans d'autres cas, de donner un nom à cet appa- reil, lorsqu'en 1868, il fut réinventé par une autre personne qui l'appela Téléiconographe. Ce mot ne me plaisait pas plus que le procédé de Fau- teur, et mon droit étant parfaitement établi par deux publications très antérieures, le Mémorial de l'officier du génie de 18o4 et le Magasin pit- toresque de 1861 (1) d'oîi est extraite la figure 6, je l'ai baptisé à mon (1) Je saisis cette occasion pour remercier MM. Jouvet et C'°, éditeurs du Magasin pittoresque, d'avoir bien voulu me prêter les clich^'S des figures 1, 2, i, 4 et 6 ; MM. Masson, éditeurs, et G. Tissandier, directeur de lu Nature, de m'avoir prêté celui de la figure 5* et MM. Gauthier-Villars et fils, ceux des ligures 7 et 8. 228 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION tour et il s'appelle plus justement et plus euphoniquement à la fois Télé- métrographe. Les vues dessinées au télémétrographe, par champs de lunette succes- sifs, qui vont être projetées actuellement, proviennent de la collection de celles qui ont été exécutées pendant le siège ; vous pouvez en constater le très grand intérêt. Vous savez, sans doute, qu'aujourd'hui la Tcléphotographie, d'abord appliquée à l'étude des astres qu'elle continue à rendre si attrayante et si fructueuse, a commencé à rendre des services analogurs à ceux qui sont Fio. 6. — Donjon de Vincennes agrandi au moyen du tulémdtrographe. dus au télémétrographe ; plusieurs officiers, entre autres MM. les com- mandants Fribourg et Allotte de La Fiiye, en France, M. Paul Nadar aussi, ont obtenu déjà de très remarquables résultats qui en font présager de plus importants encore (1). J'arrive à la quatrième série des projections qui se rapportent toutes à la métrophotographie. Avant de projeter les vues photographiées et les plans qu'elles ont (1) Une merveilleuse épreuve du mont Blanc vu de Genève (70 kilomètres), obtenue par M. Bois- sonaz. avec un téléobjectif de M. Dallmeyer, a éié récemment montrée et offerte par M. Janssen à la Société française de photographie. M. Boissonaz a bien voulu, à ma demande, en offrir un exem- plaire la galerie de photographie du Conservatoire des Arts et Métiers où elle est exposée depuis quelques jours (Janvier i^po). A. LAUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 229 servi à construire par la méthode si simple que vous connaissez bien à présent, je voudrais pouvoir vous montrer la première chambre obscure très modeste, acquise sur les crédits du Comité des fortifications en 1832, que j'avais munie de moyens de calage, d'un niveau et d'une petite bous- sole et qui a servi de transition entre la chambre claire et les appareils actuels beaucoup plus perfectionnés ; mais j'ignore ce qu'elle est devenue, m'en étant séparé en I806. Tout ce que j'en puis dire, c'est qu'elle nous a servi, à mon camarade, le capitaine Karth, depuis colonel, et à moi, à faire de très utiles essais de restitution de plans, d'après des vues d'un FiG. 7. — Chambre obscure photographique. champ à la vérité fort restreint. Il fallait faire mieux, en profitant des perfectionnements apportés à la construction des appareils, et surtout des objectifs, et aux procédés photographiques. C'est ce à quoi je me suis appliqué pendant plusieurs années. Je franchis la période des tâtonnements pour arriver à la date de 1858, où je pus entreprendre, chez l'excellent artiste Brunner, l'exécution du projet de ce que j'appelais une chambre obscure photographique et que les étrangers, venus beaucoup plus tard, ont appelé le théodolite photo- graphique. Chambre obscure ou théodolite, je vous montre ce premier modèle (fi g. 7). Je ne crois pas avoir besoin de faire la nomenclature des organes géo- 230 GÉME CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION désiques, très reconnaissables sur la figure, ni d'indiquer la série des opérations à faire pour la mise en station de celte chambre solide, de forme invaîiable et à foyer constant. L'analogie de l'appareil avec un théodolite m'en dispense. Je ne décrirai pas davantage les précautions prises pour que la ligne d'horizon et le point principal pussent être immédiatement tracés sur les épreuves, ni enfin le moyen très direct (retrouvé depuis par d'autres) employé pour déterminer la distance focale. Je vous rappelle que ce sont là les trois éléments essentiels qui m'ont servi, quand je faisais usage des vues dessinées à la chambre claire et qu'il fallait simple- ment retrouver sur les images photographiées, pour opérer de même. Le Mémorial (n° 17) de l'officier du génie, qui parut tardivement, en 1864 (dix ans après le n° 16), contient d'ailleurs tous les détails que l'on pour- rait désirer pour se rendre compte de ce qu'était cet appareil et du degré de précision qu'il comportait. Les premiers résultats obtenus furent sou- mis à l'Académie des Sciences en 1859, et le rapport de MM. Daussy et Laugier fut des plus favorables et des plus concluants. (Comptes rendus des séances de l'Académie des Sciences, 1860, t. L.) Je vous montre actuellement un petit plan du village de Bue, près Versailles, exécuté avec huit vues sur coUodion humide prises, en deux ou trois heures, en mai 1861, devant les officiers de la division du génie de la garde impériale. La réduction de ce plan à l'échelle de 1/2000 me demanda deux jours et parut convaincre tout le monde, à cette époque, de la simplicité et de l'efficacité de la méthode. La métrophotographie ou, comme nous nous contentions de l'appeler, l'application de la photographie au lever des plans, allait entrer dès lors dans sa phase la plus active, je pourrais dire la plus brillante, dans le corps du génie. Après de nouvelles expériences faites par les officiers de la division de la garde et dans les écoles régimentaires, peut-être même à l'École d'ap- plication de Metz, le Comité des fortifications' chargeait, en 1863, M. le capitaine Javary de poursuivre ces expériences sous son patronage et sous ma direction. Je vais faire défiler devant vous quelques spécimens des épreuves prises par cet officier distingué dans les conditions de précision que vous connaissez et rattachés à des triangulations ou à des cheminements, et, à leur suite, les plans que ces épreuves ont servi à construire, presque tous, l'échelle de 1/3000 et certaines reconnaissances à l'échelle de 10.000. autour de Paris, dans les Alpes du Dauphiné et de la Savoie, aux envi- rons de Toulon, en Alsace et dans les Vosges, enfin pendant le siège de Paris. Certains auteurs étrangers sont portés à croire que nous nous van- tons quand nous réclamons la priorité d'une invention dont l'utilité s'affirme partout aujourd'hui. Je ne puis que répéter ce que j'ai dit plus A. LAUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 231 haut : que l'on nous apporte des travaux comme ceux que nous sommes en état de montrer, avec leurs dates authentiques, comme le plan de Bue, comme celui de Grenoble qui a été présenté en 1864 à l'Académie des Sciences, comme celui de Faverges qui a figuré, pendant des mois, à l'Exposition universelle de 1867, où il a été vu et étudié par tout le monde, comme celui de Sainte-Marie-aux-^Mines, levé avant la guerre nécessairement, et qui a été publié dans le Mémorial de l'officier du génie, etc., et nous reconnaîtrons le droit de ceux qui les produiront. Mais nous sommes, dès à présent, autorisés cà penser que cette démonstration ne sera pas faite, car on ne la trouve nulle part dans les nombreuses publications allemandes, anglaises, américaines, autrichiennes et italiennes qui nous sont parvenues sur l'art nouveau dont il s'agit (1). La vérité, qu'il faut bien reconnaître, en ce qui nous concerne, c'est que le Service du génie, en dépit des expériences poursuivies avec un plein succès pen- dant huit ans, de 1863 à 1871, par le capitaine Javary, s'est désintéressé, sans qu'on en ait connu le motif, de cette méthode, fort maladroite- ment, et précisément au moment où les Allemands, et un peu plus tard les Italiens, s'en emparaient. Alors, assez naturellement du reste, ceux qui s'avisaient de l'adopter, tout en reconnaissant, pour la plupart, que nous étions pour quelque chose, et même pour beaucoup, dans l'invention, ont conclu de cet abandon de la méthode que nous n'avions pas su en tirer tout le parti dont elle était susceptible. D'autres, mal renseignés ou moins scrupuleux, nous ont tout simplement mis de côté et sont allés chercher des noms de savants et d'inventeurs qui n'ont jamais essayé de résoudre le problème ou qui en ont donné, après nous, des solutions inadmissibles dont ceux-là mêmes qui les mettaient en avant se sont bien gardés de faire usage . Aussi, quand deux de nos compatriotes, M. Gustave Le Bon et M. le commandant Legros, ont publié des articles ou des ouvrages dans lesquels ils nous rendaient justice, cela a surpris les uns et gêné les autres. Les explications sont donc devenues nécessaires de ma part et je les ai don- nées; je viens de les reproduire devant vous, et nous en sommes là. Mais si j'ai énergiquement maintenu notre droit, je n'ai pas voulu non plus méconnaître les efforts faits dans les autres pays et le mérite de ceux à qui ils sont dus. J'ai donc cherché à me procurer les nombreuses publi- cations faites à l'étranger (2), dans le but de rendre à chacun ce qui lui (1) Cetartai'lé désigné sous un si grand nombre d'appellations «lue l'on n'a que 1 embarras du choix : Photogrammelric, Bildinesskunst, photofjrapltische Messkuiist, Messhiid- Verfahren, en Allemagne et en Autriche ; fololopografîa, en Italie. Nous nous sommes encore décid(iS à le baptiser nous-mème et nous avons adopté le nom d'iconométrie, en général, et de métrophotorjmphie. quand les images sont photographiées. (2) J'ai été aidé, dans cette recherche, avec un rare dévouement, par M. le commandant Legros, à qui j'adresse ici mes vifs remerciements. Le prince Roland Bonaparte m'a signalé, de son coté, un traité publié au Canada sous le litre suivant : Photographie surveying, etc. By E. Deville, survejor 232 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION appartient, en même temps que de contribuer de nouveau, chez nous, en les signalant à l'attention publique, à la propagande qui se fait partout, en ce moment, en faveur de la photogi^aphie appliquée à l'art de lever les plans. Je vais faire projeter la série des appareils construits depuis 1865 jus- qu'en 1892 en Allemagne, en Autriche et en Italie, et qui sont désignés sous les noms de théodolites photographiques ou de photothéodolites. Je les montre dans l'ordre où ils paraissent avoir été imaginés et réalisés. Voici, en Allemagne, ceux de MM. Meydenbauer, Vogel, Jordan, Koppe; en Autriche, ceux de M. Werner et de l'ingénieur en chef des chemins de fer de l'État, M. Pollack. Enfin, en Italie, celui de M, Paganini Pio, ingénieur géographe de l'Institut géographique italien . Je n'ai pas pu me procurer encore de spécimens un peu importants des cartes ou des plans obtenus par les Allemands, soit chez eux, soit à la suite de voyages d'exploration, comme ceux qu'ont exécutés M. Jordan qui accompagnait Rohlf, en Lybie, en 1873-1874, M. Stolze, en Perse, en 1878, etc. Voici, toutefois, des photographies prises dans le Harz et quelques planches tirées de l'ouvrage de M. Koppe, publié en 1889, à Weimar, et qui démontrent que notre méthode est employée chez nos voisins exactement dans tous ses détails, en y ajoutant même un appareil scientifique dont elle peut se dispenser. Voici maintenant un fragment très intéressant de la carte des Alpes entreprise, depuis bientôt quinze ans, sous la direction du général Ferrero, par M. Paganini Pio. Ce frag- ment représente le massif le plus élevé des Alpes italiennes (// gran Para- diso, dans les Alpes graïes), dont la cime atteint 4.061 mètres d'alti- tude. La carte est exécutée à l'échelle de 1/50.000, avec des courbes de niveau équidistantes de 50 mètres. Je vous montre, d'un autre côté, des vues photographiées d'une netteté remarquable qui ont servi à la cons- truction de cette carte, et je ne saurais trop applaudir à de tels résultats, qui font beaucoup d'honneur au directeur de l'Institut géographique italien, en même temps qu'à l'habile ingénieur qui les a obtenus. Je ne peux pas vous montrer de spécimens des travaux de M. l'ingé- nieur en chef Pollack ; mais il y a, au Champ de Mars, en ce moment même, à l'Exposition universelle de photographie, des vues et des cartes très intéressantes qui représentent encore des régions alpestres dans gênerai of Canada, Ottawa, 1889, que j'ai fait récemment venir d'Amérique. M. Deville, dans sa pré- face, présente un historique très exact du sujet et reconnaît expressément que j'ai été le premier à donner, dans le Mémorial de l'officier du génie, un exposé complet de la méthode. « His work, dit-il en parlant de mon mémoire, was sa complète Ihal liltle lias been added ta il siiice. » M. E. Deville vient de m'envoyer quatorze feuilles d'uneadmirable carte à l'échelle de 1/40.000 de la région des Montagnes Rocheuses traversée par le chemin de fer Pacifique-Canadien. Cette carte, sur laquelle le relief du terrain, qui atteint 3. SOO mètres, est figuré par des sections horizontales de lOO p. en lOO p. (30°",5), est entièrement construite à l'aide de photographies. (Janvier 1893). Avis aux sceptiques A. LAUSSEDAT. APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 233 lesquelles tout autre procédé que celui du lever photographique présente- rait des difïïcultés insurmontables et entraînerait de grandes pertes de temps, sans permettre jamais d'atteindre à autant d'exactitude (l). Les comphments que j'adresse ici à nos émules étrangers et auxquels, j'en suis sûr, vous vous associerez, ne doivent pas vous faire oublier ce que nous avons fait nous-mêmes, et, en particulier, les travaux de mon excellent collaborateur M. le capitaine (aujourd'hui commandant) Javary, qui, en huit ans, n'a pas levé moins de 72.000 hectares de terrain, la plus grande partie à l'échelle de I/o. 000, avec des courbes de niveau à l'équidistance de 5 mètres. En ce qui concerne les instruments, si vous vous souvenez du premier modèle de chambre obscure photographique qui a servi aux expériences commencées en 1859 (fig. 7), et si vous pouviez le rapprocher, par la pensée, de tous ceux qui sont venus après lui et que je vous ai montrés en nommant leurs auteurs, vous reconnaîtriez la parfaite analogie qui existe entre eux, au point de vue du choix et de la disposition générale des organes qui accompagnent la chambre obscure. Assurément, il y a des détails de construction fort différents, qui tiennent autant aux habi- tudes des artistes qu'à la manière de voir des auteurs, mais il s'agit tou- jours de photographies donnant des perspectives coniques sur tableaux plans, et l'on n'y trouve ni perspectives projetées sur des surfaces sphé- riques ou cylindriques, ni perspectives rayonnantes produisant des ana- morphoses, comme celles qui ont été proposées par divers inventeurs et que la pratique a toujours fait rejeter. Vous avez sans doute remarqué plus particulièrement deux photothéodo- lites dont l'axe optique de l'objectif peut être incliné au-desssus ou au-dessous de l'horizon, celui de M. Koppe et celui de M. Paganini Pio. Le premier est construit entièrement comme un instrument géodésique universel, dans lequel la lunette centrale est remplacée par une chambre obscure, et M. Koppe applique, en effet, les méthodes géodésiques les plus élevées à toutes les mesures qu'il effectue avec les organes puissants de son appareil et même celles qu'il prend sur ses photographies. Nous n'avons eu et n'aurons jamais cette ambition de tout réunir dans le même appareil, et nous considérons celui de M. Koppe comme trop délicat pour devoir être recommandé. Le second, celui de M. Paganini Pio, est de la même famille, quoique d'une construction dilîérente. Tous les deux peuvent donner des photo- graphies sur des tableaux inclinés à l'horizon, qui doivent être traités à part, quand on en vient à construire les plans. (1) Dans son remarquable ouvrage, M. E. Deville, en annonçant que la photographie était employée au Canada, comme en Italie, à la construction de la carte des contrées accidentées, ajoutait mélanco- liquement : « Jn France, where it originated, it lias been complelely abandoned, al leat ost£nsibily . » 234 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION Je ne veux vous signaler que cette particularité, qui n'existe pas dans les autres photo théodolites, mais qui se présente, avec tous les appareils que l'on peut avoir besoin exceptionnellement d'incliner. Tel est le cas, par exemple, quand on fait de la photographie en ballon, et deux de nos jeunes compatriotes, M. Arthur Batut d'abord, à la Bruguière (Tarn), et M. Wenk, à Reims, l'ont rencontré, quand ils se sont avisés, très spiri- tuellement, d'accrocher une chambre obscure à un cerf- volant, au moyen duquel ils ont obtenu de très curieuses photographies à vol d'oiseau. J'ai donné, pour la transformation de ces vues sur tableaux plans inclinés, une solution purement géométrique, facile à appliquer et qui peut beau- FiG. 8. — Pholothéodolite. coup aider à faire concourir de telles vues h des reconnaissances rapides, notamment en campagne. Je vais vous montrer quelques belles photographies prises en ballon, et d'autres à l'aide du cerf-volant, en commençant par celle qui a été obtenue la première, en 1858, par Nadar, dont beaucoup d'autres, et son fils Paul en particulier, ont perpétué la tradition en France. Je suis bien obligé de vous faire remarquer que ce sont des Français qui, encore dans ces de-ux cas, ont été les initiateurs. Pour en finir avec les instruments, je mets sous vos yeux le dernier modèle que j'ai fait construire et qui ne diffère pas essentiellement du premier, mais dans lequel cependant j'ai mis à profit l'expérience de A. LAUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 235 M. Javary, les grands perfectionnements apportés à la construction des objectifs et les avantages qu'offre l'emploi de l'aluminium (fiy. 8). Vous pouvez remarquer que les organes géodésiques de cet appareil sont exactement les mêmes que ceux du premier que je vous ai montré par projection (fîg. 7) et qui date de trente-cinq ans. Au lieu de donner un mouvement de bascule à la chambre obscure, ce qui conduit à avoir des perspectives sur tableaux inclinés, vous voyez que j'ai adopté la glissière verticale qui permet d'élever ou d'abaisser l'axe optique de l'objectif, et de découvrir, dans un sens ou dans l'autre, le terrain qui n'était pas compris dans le champ normal. Ce dispositif, très répandu aujourd'hui, en particulier pour le cas où l'on est obligé de se rapprocher d'un édifice, a été employé depuis longtemps par M. Javary. C'est aussi cet officier qui m'a donné l'idée de séparer, au besoin, la chambre obscure des organes géodésiques pour faire servir ces derniers à la triangulation préalable, sans emporter un poids mort inutile. Enfin, l'emploi de l'aluminium, en allégeant l'appareil, m'a permis de supprimer le contrepoids que j'avais été obligé de placer sur le côté opposé de la chambre, et que vous avez remarqué sans doute aussi sur le très bel instrument de M. Pollack. J'ai pu me contenter, en effet, pour équi- librer le système, d'un déclinatoire analogue à ceux qui font partie du tachéomètre, et l'on en peut faire le même usage. Enfin, et ce point vaut la peine d'être expliqué, certains étrangers nous ont reproché d'avoir employé des objectifs d'un champ trop limité, et ont été jusqu'à se faire un mérite d'avoir adopté ceux qui en donnaient un plus considérable. J'ai déjà répondu ailleurs à cette mauvaise chicane, en faisant remarquer que, si nous n'avions pas employé tout d'abord des objectifs grands angulaires, c'était tout simplement parce qu'ils n'étaient pas inventés. Loin de nous pouvoir faire un reproche de cet inconvé- nient, on aurait dû réfléchir que c'était la meilleure preuve de l'anté- riorité de nos travaux. Quant aux si grands avantages que l'on prétend trouver à l'accrois- sement indéfini du champ de l'objectif, il faut beaucoup en rabattre dans la pratique, et il me serait facile, si nous en avions le temps, de vous montrer que les champs de 90° et de 120° sont inadmissibles et gênants. C'est aussi l'un des motifs, et non le seul, qui ont fait échouer les appareils panoramiques. Il va sans dire que nous nous sommes toujours tenus au courant des progrès de la construction des objectifs, et M. Javary a employé, au fur et à mesure de leur apparition, les meilleurs que l'on connaissait. Seulement, nous n'avons jamais voulu dépasser l'amplitude de 45° pour la facilité de nos constructions. Je ne crois pas avoir besoin d'insister sur les détails d'exécution de cet appareil facilement démontable et décomposable qui, sans présenter les 236 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION inconvénients du soufflet, peut se réduire à un assez petit volume. J'ai dit, un peu plus haut, qu'une part du mérite des appareils nouveaux désignés sous le nom général de photothéodolites revenait aux construc- teurs Braun, Reineike, Stegemann, etc., de Berhn ; Salmoiraghi, de Milan ; Lechner, R.-A, Goldmann, de Vienne, etc. Je me fais un devoir, de mon côté, après avoir rappelé que le premier modèle dont j'ai fait le projet a été exécuté par l'habile artiste Brunner, de reconnaître que celui que vous voyez, et qui joint l'élégance à la soli- dité, a été construit à Paris, chez MM. Ducretet et Lejeune, dont la col- laboration m'a été très précieuse. Tel qu'il est, notre photothéodolite peut être mis entre les mains de presque tous les opérateurs, mais nous chercherons encore à réaliser un modèle un peu moins volumineux et moins coûteux pour les explorateurs qui ne peuvent pas trop alléger leur bagage (1). Je ne saurais résister à la tentation d'exprimer le regret qu'un grand nombre de voyageurs scienti- fiques négligent de se munir, comme l'a fait si ingénieusement M. Le Bon, de quelques accessoires essentiels pour mettre leurs appareils en station, de manière à se procurer, sur leurs épreuves, indépendamment de la dis- tance focale de l'appareil, déterminée une fois pour toutes, le tracé de la ligne d'horizon et celui du point principal, enfin l'orientation de chacune de ces épreuves relativement aux lignes de cheminement que tous ceux qui prétendent à la qualification de géographes ne manquent pas de relever pour tracer leur itinéraire (2). Je m'arrête, sans avoir la prétention d'avoir entièrement atteint mon but et développé ma thèse, mais avec l'espoir de vous avoir ébranlés et peut-être convaincus. Je terminerai par la cinquième série de projections que je vous ai annoncées et qui vous dédommageront de l'aridité de la plus grande partie de cette conférence. Cette série s'adresse plus particulièrement aux ingé- nieurs et aux géologues, et elle fait suite, pour ainsi dire, à celles que M. Trutat vous a si bien expliquées hier, en vous parlant des Pyrénées. Voici d'abord un certain nombre de vues prises dans toutes les parties des Alpes, françaises, suisses, italiennes et autrichiennes, de 18o8 à 1868, par M. A. Civiale, qui est à la fois un ingénieur, un géologue et un géo- graphe, et dont l'œuvre considérable exécutée à ses frais et dans des condi- tions beaucoup moins favorables qu'aujourd'hui, est remarquable à tous (1) Nos habiles et courageux explorateurs du continent africain sont les meilleurs guides à suivre dans le choix du format a adopter. M. Marcel IVlonnier, de la mission Binger, qui a rapporté des centaines de vues saillantes, s'est servi de plaques 9-13 qui ont été amplifiées sans aucune é-formalion et sur lesquelles on opérerait alors presque aussi rigoureusement que sur des originaux de plus grand format. (2) Le nombre des photographies rapportées, depuis quelques années, par les explorateurs, est pour ainsi dire incalculable; ne voit-on pas combien il serait précieux, pour la cartographie, de donner à ces documents le caractère de registre d'angles que Beautemps-Beaupré avait si bien pressenti ? A. LAUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 237 les titres. Vous pouvez voir que les photographies qu'il obtenait sur papier ciré sec ne le cèdent en rien aux plus belles de celles qu'obtiennent actuellement les Italiens ou de celles que vous a montrées M. Trutat. Voici maintenant les magnifiques photographies exécutées en Amérique sous la direction du major Powell, dans les Montagnes Rocheuses, dans le Colorado, dans le Yellow-Stone, et qui sont destinées à accompagner la carte topographique et géologique des États-Unis. J'ai pris la liberté, en passant à Washington, en 1886, de recommander au major Powell, qui est l'un des hommes les plus dévoués à la science que je connaisse, de donner aux photographies, qu'il continue à faire exécuter, le sacrement qui les transformerait si facilement en éléments de mesure. D ne me reste plus, mes chers collègues, qu'à m'excuser de la longueur de cette communication et à vous remercier de votre patiente et bienveil- lante attention (1). Depuis que cette conférence a été publiée dans la Revue scientifique, j'ai reçu, par Tentremise de mon collègue, M. É. Levasseur, une notice extraite du Questionnaire du premier Congrès géographique italien dont l'auteur est l'ingénieur Paganini Pio. Après avoir rendu compte des travaux de photographie entrepris en Italie et des siens en parti- culier, enfin du jugement porté sur eux par les étrangers, M. Paganini Pio se plaint de ce que les Français semblent les ignorer, le commandant Laussedat excepté. Mais si mes éloges le touchent sans l'étonner, il n'en est pas de même de mes prétentions à la prio- rité et il met en doute ce que j'ai dit dans le Paris-Photographe de son compatriote Porro, qui aurait connu mes travaux avant de songer à appliquer la photographie au lever des plans. J'ai une réponse bien simple à faire à cette suspicion de ma bonne foi. Porro était à Paris en 1854, quand mon mémoire très détaillé sur la méthode générale de la transfor- mation des perspectives a été publié. Je pourrais ajouter que je le voyais fréquemment et que j'ai eu l'occasion de lui rendre un sei'vice signalé ; mais M. Paganini Pio n'est pas obligé de croire cette dernière affirmation et je ne dois invoquer que la date irrécusable de 1854. Or, c'est à celle de 1855 seulement que les panégyristes de Porro font remonter (1) Je recevais, tout récemment, d'un commissionnaire en librairie de Francfort, un nouvel ouvrage sur la photogrammétrie la) de ^f. Franz SchifTner, professeur à l'École royale de niar.ne de Pola, intitulé: Die photographische Messkuiist, et édité en 1S02 à Halle, très documenté et très intéressant, malgré quelques vieilles redites empruntées à des brochures sans consistance (dont quelques-unes avaient même le caractère de réclame) et quelques inadvertances qui disparaitront sans doute dans une nouvelle édition. Dans une sorte de posl-scriptum, l'auteur, après avoir considéré l'apparition des livres que .M. Le Bon et le commandant Legros ont publiés dans ces derniers temps, comme une sorte de renaissance de la métropholographie en France, dit qu'il ressortirait de ce qu'ils exposent, à propos de l'iovenlion de cet art, qu'elle n'appartiendrait pas à M. Meydenbauer, comme on est disposé à le croire en Allemagne (à quelques importantes exceptions près, aurait-il pu ajouter), mais à .M. Laussedat. Il rappelle aussi que j'ai établi moi-même mon droit ae priorité dans le Paris-Photo gniplie de P. Nadar, et il termine en disant qu'il appartient à M. .Meydenbauer de s'ex- pliquer à son tour. Ou je me trompe fort, ou l'habile directeur-fondateur de l'Institut photogrammétrique de Berlin, dont le mérite, indépendant de la qualité de découvreur, ne parait contesté par personne, ne cherchera pas à me contredire, pour peu qu'il prenne la peine de consulter les publications imprimées que j'ai citées et que l'on doit trouver à Berlin. (Xote postérieure à la conférence.) l'ai II e\iste déjà luute une bibliographie consacrée au uuuvtl art : en allemand, en anglais, en français et en itaben. j 238 PHYSIQUE ses premières études sur une chambre obscure sphérique dont ils ne se sont pas avisés de se servir, préférant recourir à la chambre obscure topographique dont j'ai donné le pre- mier modèle et aux photographies sur tableaux plans, comme l'ont fait tous ceux qui ont entrepris des opérations sérieuses, M. Paganini Pio comme les autres. L'habile ingénieur a terminé sa notice en rappelant qu'il a appartenu à la marine royale et que, pendant deux ans (1874-1875), il a été chargé, à bord du pyroscaphe Tripoli, des vues et descrip- tions de côtes, phares et sémaphores, destinées à la construction des cartes marines et des portulans. Il part de là, en se récriant sur la difficulté de bien dessiner les vues, pour conseiller d'utiliser la photographie qui fournira des vues exactes et servira à résoudre les problèmes qui intéressent l'hydrographie. Il me semblait impossible, en lisant ce passage, que M. Paganini Pio ne connût pas l'ouvrage de Beauteraps-Beaupré et qu'il pût hésiter à admettre les titres de notre pays à l'invention fondamentale, même alors qu'il fit des difficultés en ce qui me concerne. Je me disposais donc simplement à lui faire connaître les essais de l'amiral ]\Iiot, en 1863, pour appliquer la photographie à la reconnaissance des côtes, en le renvoyant au fac-similé de la vue photographiée de l'une des Bei-mudes que j'ai publié dans le compte rendu de ma conférence du 28 février dernier (1). Mais ma surprise a été grande, en découvrant, dans un article du même auteur, intitulé la Fototopografia in Italia, inséré dans la Bivista maritima de juin 1889 (Roma, Tipo- grafia del Senato), le passage suivant qui fait rêver : (Il vient de citer après moi beaucoup d'autres personnes qui se sont plus ou moins occupées de la question.) « Beautetnps-Beaupré ed altri aumentarono la pléiade di distinti Francesi che irat- tarono di fototopografia. » En vérité, il faut tirer l'échelle, car si l'intention est bonne, et l'on n'en saurait douter, que doit-on pensar de l'érudition de l'ingénieur hydrographe et photo topographe qui écrit ainsi l'histoire? M. Pierre LE SAGE Docteur es sciences. Préparateur à la Faculté des Sciences de Rennes. ÉVAPORATION COMPARÉE DES SOLUTIONS DE NaCl, DE KCl ET DE L'EAU PURE — Séance du il septembre 1892. — Depuis quelque temps, j'étudie l'influence, sur les plantes, de certains sels dont je cherche à connaître autant que possible les diverses propriétés. C'est ainsi que j'ai été amené à me demander comment se conduisent, au point de vue de l'évaporation, les solutions de KCl et de NaCl que j'emploie en arrosages ou dans les liqueurs qui servent de substratum (i) Annales du Comei-vatoire des Arts el Métiers (2°'^ série, tome IV. Paris, Gauthier-Villars et fils, 1892J. p. LESAGE. — ÉVAPORATIOX DES èOLUTIONS DE NaCl ET KCl 239 aux végétaux que je cultive. J'ai dû faire plusieurs expériences où je met- tais à évaporer, dans les mêmes conditions, de l'eau pure et des solutions des deux sels, prises à la même concentration, le plus souvent à 2,o 0/0. Des différences très appréciables se faisant attendre, j'ai eu recours à des solutions plus concentrées de KaCl, l'une à 10 0/0, l'autre à 20 0/0, dont j'ai suivi l'évaporation parallèlement à celle de l'eau pure dans des cristallisoirs de mêmes dimensions. Je n'ai pas tardé à observer des diffé- rences notables. J'ai donc suivi attentivement les expériences déjà instal- lées ainsi que d'autres destinées à vérifier les premières. Je désire présenter les résultats généraux qui découlent de ces nombreuses expériences. Pour cela, étudions les deux séries d'expériences qui rendent le mieux ces résultats. La première comprend trois cristallisoirs de 7o millimètres de diamètre, 3o millimètres de hauteur, bien calibrés et contenant au début 110 cen- timètres cubes d'eau pure, de solution à 10 0/0 ou à 20 0/0 de NaCl. Ces cristallisoirs ont été placés les uns à côté des autres, dans une salle fermée où je ne pénétrais que pour faire les observations, vers 6 heures du soir ; les conditions de température et d'humidité de l'air restaient les mêmes pour les trois termes de comparaison. J'ai mesuré, tous les deux jours, les hauteurs des liquides au moyen d'une bande de papier divisée en demi-millimètres et collée au préalable verticalement sur chaque cris- tallisoir ; je pouvais ainsi apprécier des différences à un quart de milli- mètre près. Je dois dire, à ce sujet, que les observations répétées, nom- breuses, suppléent suffisamment aux légères erreurs de chacune dans la suite d'un phénomène qui ne se produit que lentement et dont, en somme, je ne désire posséder que l'allure générale. En retranchant de la hauteur primitive la hauteur observée, j'avais la hauteur d'eau évaporée depuis le commencement de l'expérience jusqu'au jour de l'observation ; les nombres ainsi obtenus, multipliés par 4 pour rendre le dessin plus clair, ont fourni les ordonnées de la figure 1, les abscisses mesurant les temps avec le jour pour unité. Un thermomètre placé au voisinage me permettait de relever les températures. Pendant les vingt-trois jours que dura l'expérience, le maximum de température a été de 26 degrés et noté le dixième jour ; le minimum, de 19 degrés, a été noté le deuxième jour. La figure 1 indique ces températures; j'ai réduit le nombre de jours pour ne pas comphquer inutilement celte figure et, d'ailleurs, sans altérer l'allure générale du phénomène. On voit que l'eau pure (courbe C) s'évapore plus rapidement que les solutions salines et que, de celles-ci, la solution contenant, au début, 10 0/0 de NaCl (B), laisse évaporer, toutes conditions égales d'ailleurs, plus d'eau que celle qui renfermait 20 0/0 de NaCl (A). La tempéra- ture, en s'élevant, augmente l'évaporation ainsi que le montre surtout la 240 PHYSIQUE ligne OC qui devrait être droite, à température constante, puisqu'elle appartient k l'eau pure, et dont les inflexions correspondent assez bien aux variations de cette température. Ceci ne modifie pas suffisamment la marche de l'expérience pour masquer les différences essentielles. Par suite de l'évaporation, les solutions salines se concentrent de plus en plus ; celle qui contenait 20 0/0 de NaCl arrive bientôt à saturation et du sel se dépose. La même chose se produit vers le quinzième jour pour la dissolution contenant 10 0/0 de NaCl au commencement de l'expérience. La courbe B, à partir de cette époque, tend à devenir parai- ' ' 18' tO 'AO ?'ti Ht» ^- -4— -4- / c ^ 1- t- /, B L //; A ' -^r -H ; /// _ V./J ! ^"- 1 / / j '' "IX"' -1-//A ^rrr ■ /// --- r- -7 7/ ^ /// ^ /// /// /// V — // — /; , ■ . 1 .>,,„, 1 , . , 1 . .. .1 — 29 F.ff.l. F. 'S- lèle à A. Le sel, en grimpant le long des parois des cristallisoirs, ne me permit plus de mesurer exactement la quantité d'eau évaporée; mais le résultat obtenu était suffisamment net. Un autre point est établi par la seconde série d'expériences. J'avais pris la même disposition que précédemment et les cristallisoirs avaient reçu 100 centimètres cubes des hqueurs : eau pure, solution de KCl à 2,5 0/0, solution de NaCl à 2,5 0/0. Les observations, faites comme dans le pre- mier cas, sont traduites par les courbes représentées dans la figure 2 où l'échelle est la même que celle de la figure 1 ; ces courbes appartiennent : A. au NaCl ; B, au KCl et C, à l'eau pure. Tout en respectant l'allure générale, mais pour ne pas embrouiller la p. LESAGE. — ÉVAPORATION DES SOLUTIONS DE NaCl ET KCl 241 figure, j'ai pris seulement les observations de six en six jours. La tem- pérature a varié pendant l'expérience de 17 à 24 degrés; le minimum correspondant au huitième jour, le maximum au dix-huitième. Les nombres inscrits en haut de la figure donnent les températures. J'ai dû m'arrêter après vingt-quatre jours parce que, au voisinage du fond, le cristallisoir contenant l'eau pure ne permettait plus des observations assez rigoureuses. Après ce temps, les solutions salines avaient une concentra- tion d'environ 9 0/0 pour le NaCl et 11 0/0 pour le KCl. C'est ce qui explique sur la figure 2 les faibles déviations qui, pour l'eau pure et le NaCl, sont de l'ordre do^ celles que présente la figure 1 tout à fait au début. On reconnaît encore la prédominance de l'évaporation de l'eau pure sur celle des solutions salines. Mais, en plus, la solution du KCl s'évapore plus rapidement que celle du NaCl. Ce dernier point est encore appuyé par une autre expérience faite avec les mêmes solutions mises à évaporer, pendant quatre mois, dans des éprouvettes à pied de 2o millimètres de diamètre, loO millimètres de hau- teur et graduées comme les cristallisoirs. Après ce temps, les hauteurs d'eau évaporée diffèrent de 5 millimètres et la plus grande est celle du KCl. En résumé, toutes choses égales d'ailleurs et dans les limites de mes expériences : 1° U eau pure s'évapore plus rapidement que les .solutions de KCl et de NaCl; 4° Les dissolutions de KCl ont, à même concentration, une vitesse d'éva- poration plus grande que celles de NaCl. Ces résultats sont confirmés par l'étude des tensions de vapeur des solutions salines. En effet, d'après les expériences de Babo et de Wûllner, on sait « que la tension de la vapeur dégagée par une dissolution saline est inférieure à la tension de la vapeur d'eau, à température égale » (1). Dans les tableaux que fournit Wtillner (2) et où il donne la diminution de tension de vapeur sur celle de l'eau pure, des dissolutions de KCl et de NaCI, à la même température et pour des concentrations égales, on trouve d'une façon continue des nombres plus élevés pour le NaCl que pour le KCl. Ceci veut dire que la tension de vapeur des solutions de NaCl est plus faible que celle des solutions de KCl, à température égale et pour les mêmes concentrations. Ces données permettaient de prévoir ce que j'ai tiré de mes expériences. Cependant j'ai cru utile de faire ces expériences dont les résultats de- vaient être suffisamment vérifiés pour m'autoriser à les appliquer aux recherches que j'ai entreprises. C'est encore ce qui m'engage à les publier. (i) Cours de physique de Jamin, 4" édilion, t. II, p. 231. (2) WÙLLNER, Versuche uber die Spunnkraft des W'asserdampfes ans ivhserhjen Salzlôsungen. (Ann. de l'orjgendorjf, 1S58, l. CIII, p. 3^2 et 543.) 16* 242 PHYSIQUE M. IZAElî Professeur au Lycée de Clermoat-Ferrand. MODIFICATION DE L'APPAREIL A EXCENTRIQUES DE LISSAJOUS POUR LA COMPOSITION DE DEUX MOUVEMENTS VIBRATOIRES RECTANGULAIRES — Séance du n septembre 1892 — L" appareil classique en question ne permet que la composition des Vi- brations de même période. Par l'emploi des profils sinusoïdaux, je l'ai transformé de façon à le faire servir à la démonstration générale. A et B, disques à profil sinusoïdal du même nombre de dents, montés sur le même axe qu'une manivelle met en rotation. A est fixé sur l'axe définitivement, B peut recevoir des positions variables grâce au bouton de serrage S circulant dans la rigole circulaire R. On fait ainsi varier la phase à volonté. Les lentilles sont attachées aux extrémités des bras D et D' mobiles au- tour de G et C, la ligne ce' passant par l'axe de rotation. Ces bras por- tent chacun un galet qui appuie constamment sur le profil correspondant, IZARN. — MÉCANISME DES ONDES STATIONN AIRES 243 grâce à des caoutchoucs ou à des ressorts à boudin que l'on tend plus ou moins, au moyen des clefs F F', afin d'empêcher tout sautillement. Ces galets sont distants des points C et C d'une quantité égale au rayon des disques. Au système des disques AB on peut très rapidement substituer un autre système, dans lequel les nombres de dents soient dans les rap- ports 1/2, 1/3, 2/3, 3/4, ..., etc., et obtenir ainsi toutes les figures connues. Il suffît pour cela de retirer les deux clefs, de rabattre en dehors les deux bras et de soulever deux petits tourniquets qui appuient sur l'axe en avant et en arrière. La même manivelle sert pour tous les couples de disques. Les disques étant assez grands, on peut obtenir un déplacement suffi- sant des centres des lentilles, tout en ne donnant aux dents du profil qu'une très faible profondeur, et atténuer ainsi, autant qu'on le désire, la résistance au mouvement. M. IZAEIf Professeur au Lycée de Clermont-Ferraiid. APPAREIL DÉMONTRANT LE MÉCANISME DES ONDES STATIONNAIRES — Séance du •/? septembre 1892 — Cet appareil est destiné à rendre tangible le mécanisme des ondes statiounaires aux personnes peu familières avec l'interférence des ondes lumineuses, et à leur permettre en particulier de se rendre compte du procédé de M. Lippmann pour la photographie des couleurs. Il peut servir naturellement aussi à faciliter la compréhension du même phéno- mène en acoustique, et il montre d'une façon frappante les alternatives de condensation et de dilatation aux points nodaux. Voici le schéma du dispositif adopté : Deux règles A, B, ù profil sinusoïdal (I), peuvent se déplacer dans le sens de leur longueur, et le mouvement de l'une, A, en avant (rayon direct), entraîne, par un mécanisme quelconque facile à concevoir, celui de l'autre, B, en arrière (rayon réfléchi). 2ii PHYSIQUE Contre les profils de ces règles s'appuient constamment, grâce à des res- sorts (non figurés), des couples équidislants et aussi nombreux qu'on le voudra et que le comportent les longueurs des règles, de petites ba- guettes rr à roulettes. On a représenté seulement deux de ces couples dans la figure I. La figure Ip, qui est une coupe passant par la ligne MM', montre que o c les extrémités antérieures des deux baguettes d'un même couple servent d'attache aux deux sommets opposés d'un parallélogramme articulé, dont les deux autres sommets, munis d'anneaux a, a', laissent passer libre- ment une tige armée d'une boule P, tige qui, se recourbant en dessous, peut glisser dans une gaine g. La figure Ij„ représente le même couple lorsque les deux règles occu- pent les positions relatives qu'indiquent les lignes poinlillées, et elle rend visible que, quelles que soient ces positions relatives, la boule B doit CH. FÉRY. — SUR UN NOUVEAU RÉFRACTOMÈTUE 245 rester immobile, le mouvement n'ayant pour effet que de déformer le parallélogramme ; les baguettes s'avancent toujours en effet l'une vers l'autre ou s'écartent l'une de l'autre de la même quantité en même temps. Les figures L et I^,, se rapportent à ce qui se produit pour un couple de baguettes situé à une distance du précédent égale à un quart de lon- gueur d'ondulation, et représentent une coupe faite suivant la ligne KK'. Ici on voit que le mouvement, au lieu de déterminer la déformation du parallélogramme correspondant, se borne à le transporter latéralement à droite et à gauche alternativement, la tige de la boule Q glissant alors dans la gaine g. Ces explications sont suffisantes pour établir que, par le fait de la com- binaison des mouvements inverses des deux règles, les boules (qui repré- sentent les molécules d'éther) seront alternativement toujours en repos ou toujours en oscillation (nœuds et ventres fixes). En déplaçant originairement l'une des règles par rapport à l'autre d'une quantité quelconque, on observe l'effet produit par un changement quelconque de la phase, par exemple celui d'une demi-longueur d'onde qui accompagne le phénomène de la réflexion. Dans l'appareil réel, les règles sont remplacées par deux rubans d'acier sans fin, mis en mouvement par une manivelle et un engrenage conique, ce qui permet, au lieu d'un mouvement intermittent, d'obtenir un mou- vement continu, comme si les deux règles ci-dessus étaient indéfiniment prolongées. M. Ch. TÉRT Préparateur à l'École municipale de Physique et de Cliimie, à Paris, SUR UN NOUVEAU REFRACTOMETRE — Séance du 19 leptemln-e 1892 — I, — On a signalé depuis longtemps l'importance de la détermination des indices de réfraction des corps et en particulier des liquides; l'indice est en effet une caractéristique de la matière au môme titre que la densité, le pouvoir rotatoire, etc., etc. Dans ces dernières années, l'attention des chimistes s'est portée plus ■^46 PHYSIQUE particulièrement de ce côté, et Gladstone, Date, Landolt, Wiillner, Haagen et d'autres savants sont arrivés à des lois simples permettant de faire, au moyen des indices, une véritable analyse optique des composés organiques. A un point de vue moins élevé, mais très intéressant également, la détermination de cet élément peut, dans un grand nombre de cas, donner des indications précieuses sur la pureté des corps et déceler les falsifica- tions auxquelles un grand nombre de produits commerciaux sont soumis. Si Ton considère que, pour une même substance, les corps frauduleux sont généralement connus et peu nombreux, on peut, jusqu'à un certain point, apprécier la quantité du falsifiant. Enfin, le chimiste trouvera dans la détermination des indices, un pro- cédé rapide de dosage des solutions au moyen de tables dressées dans ce but; la détermination do l'indice est en effet plus rapide, plus exacte et demande beaucoup moins de liquide que la mesure de la densité. Diverses opérations industrielles pourront aussi être conduites sûre- ment par des mesures successives de l'indice, l'achèvement d'une réac- tion étant indiqué par une variation brusque dans la réfraction du liquide, ainsi que l'auteur a pu le constater. Il est certain que, pour ces divers emplois, il ne faut pas songer à la méthode classique du prisme à liquides et du goniomètre, trop longue et d'un maniement assez délicat. Aussi plusieurs appareils d'un emploi plus facile ont-ils été imaginés ; mais bien que la plupart reposent sur des principes très ingénieux, aucun ne remplit encore les conditions multiples exigées. Un tel appareil doit en effet être rapide, sensible, ne nécessiter l'application d'aucune formule, et surtout ne demander aucun réglage ni manipulation délicate influant sur l'exactitude du résultat; enfin ce résultat doit être exprimé en indices, sin i c'est-à-dire donner par une simple lecture le rapport - — , seul comparable aux chiffres obtenus par d'autres expérimentateurs. C'est cette lacune que j'ai cru combler en imaginant l'appareil que je vais décrire. II. — Le principe sur lequel repose mon appareil est très simple : il consiste à annuler par un prisme solide d'angle variable et d'indice cons- tant, la déviation imprimée à un rayon lumineux par un prisme creux d'angle fixe rempli du liquide dont on veut déterminer l'indice. L'angle que devra avoir le prisme solide permettra d'évaluer l'indice inconnu du corps à étudier. En effet, si nous prenons des angles prismatiques assez petits pour que la formule approchée i . . . - r=z n r 247 CII. FERY. — SUR U\ NOUVEAU REFRACTOMETRE soit applicable, quand un rayon ayant traversé l'ensemble des deux prismes sortira parallèle à sa direction d'incidence, nous pourrons écrire : [n l)a = (x-i)- (1) égalité dans laquelle n est l'indice du prisme à angle variable, -3- l'angle du prisme à liquide, ce qui permet de tirer x — i; x étant l'indice du liquide inconnu, connaissant l'angle a du prisme variable. Ce dernier prisme est constitué par une bande de verre découpée radiale- ment dans une lentille; dans une telle lame l'angle varie d'une manière conti- nue du centre optique de la lentille où il est nul, jusqu'aux bords où il a une valeur déterminée. Il serait dilTicile de mesurer en chaque point l'angle que forme le plan tangent à la surface courbe avec la face plane; il est plus facile de l'évaluer en fonction de la distance qui sépare le point con- sidéré du centre optique de la lentille. Considérons donc une lentille plan convexe (forme employée dans l'ap- pareil) (fig. 1). On voit que l'on a : FlG. I . sm a ::= K' d distance du point considéré à l'axe optique ; R rayon de courbe. Les angles ayant été supposés assez petits, on peut écrire d à ce degré d'approximation l'angle est donc proportionnel à la distance d et l'égalité (1) devient : d'où : en posant a; — 1 = K X c^ (3) 248 PHYSIQUE La simple mesure du déplacement qu'il aura fallu donner à la lentille pour compenser la déviation due au prisme liquide permettra donc d'évaluer l'indice. III. — Pour réaliser ces conditions d'une manière commode, les deux faces d'un prisme à liquides d'angle assez petit, ont été constituées par deux lames de glace identiques, planes à l'intérieur et convexes extérieurement. L'emploi des deux lames identiques évite le déplacement latéral qui se pro- duirait dans un système dissymétrique. Quand la cuve est vide, le rayon sor- tant sans déviation passe par les centres optiques 0 et 0' des deux len- tilles (fig. 2), car en ce point l'angle a est nul, devant satisfaire à la relation : FiG. # (n — 1) X 0 = (1 0-^ l'indice de l'air étant pris pour unité. Si l'on introduit un liquide dans le prisme, le rayon qui passait pri- mitivement en B est dévié en B', mais on pourra trouver un autre point de la cuve, C par exemple, où la relation soit satisfaite. La distance des deux points 0 et C donne donc {x — 1). Fig. 3. Description de l'appareil. — L'appareil a été construit par M. Pellin, à Paris. La figure 3 est une vue d'ensemble qui permet d'en saisir le fonctionnement mécanique. CH. FÉRY. — SUR UN NOUVEAU RÉFRACTOMÈTRE 249 La lumière monochromatique sodée provenant d'un brûleur D tombe sur la fente du collimateur B; cette fent(^ qui est large, porte un réticule vertical. L'ensemble de la fente et du réticule peut être légèrement dé- placé pour le réglage de l'appareil, par une vis visible sur la figure. Les rayons sortant du collimateur tombent sur la cuve et sont reçus ensuite dans une lunette ordinaire à réticules disposés en croix de Saint- André. La cuve est portée par une plate-forme en verre noir et se déplace sui- vant sa longueur, perpendiculairement à l'axe optique de l'appareil, au moyen d'un bouton moleté placé au-dessous de la lunette. Dans son mouvement rectiligne, la glissière portant la cuve entraîne un vernier V qui se déplace devant une graduation fixe E donnant direc- tement les deux premières décimales de {x — 1), le vernier au - donne les millièmes. Chaque centième d'indice est représenté par un millimètre environ sur la graduation de l'appareil de laboratoire. IV. — Réglage cle Vappareil et mesure. — La cuve étant vide, on place le vernier au zéro, puis on met au point le réticule en croix de la lunette, au moyen de l'oculaire ; le réticule vertical de la fente est mis au point à son tour par le tirage de la lunette, puis on l'amène sur le croisement des fils de l'oculaire, au moyen de la vis de réglage du collimateur et sans toucher au vernier qui doit marquer zéro quand la cuve est vide. Si le réglage de la lunette est bien fait, le réticule se trouvera dans le plan focal de la lunette et ne se déplacera pas par rapport au réticule de la fente pour de légers mouvements de l'œil à l'oculaire. De ce réglage préalable dépend beaucoup l'exactitude des mesures ; il est d'ailleurs très facile à faire et on n'aura plus à y toucher pendant toute une série de déterminations, si l'on a soin de replacer toujours bien exactement la cuve contre ses butées, ce qui est facilité par le ressort R. On met le liquide dans la cuve, l'image du réticule du collimateur dis- paraît; on agit alors sur le bouton qui déplace la cuve et, ayant retrouvé l'image du réticule, on rétablit la coïncidence; il ne reste plus qu'à lire directement sur l'échelle la valeur {x — \) du liquide employé. Il n'est pas nécessaire d'emplir la cuve complètement, il est même bon de ne pas le faire, pour se laisser la facilité de vérifier le zéro pendant la mesure. Dans ce cas, l'image du réticule du collimateur ne disparaît pas, mais s'atfaiblit seulement. La cuve peut contenir 15 centimètres cubes environ; une épaisseur de liquide de quelques millimètres représentant 2 centimètres cubes est suf- fisante pour voir le réticule de la fente et faire une bonne mesure ; d'ail- leurs, la hauteur du liquide dans la cuve n'influe nullement sur le résultat. Cette propriété de l'appareil est très précieuse dans le cas des liquides rares dont on n'a qu'un petit échantillon. 250 PHYSIQUE V. — Mesure de l'indice pour d'autres raies. — Tout ce qui précède se rapporte aux mesures d'indice par rapport à la raie sodée pour laquelle (n I) la constante K de l'appareil 2 — -rr — est faite égale à l'unité. An Si on change la radiation employée, la constante renfermant n (indice de la matière des lentilles) variera également. Il est facile de calculer la nouvelle constante, mais on peut aussi la déterminer expérimentalement au moyen d'un liquide dont l'indice est connu pour la radiation employée et à la température de l'expérience. Cette nouvelle valeur de K est d'ailleurs toujours très voisine de l'unité. La constante pour le sodium étant 1, voici quelles seraient les va- leurs de K pour d'autres radiations; ces chiffres se rapportent au crown ordinaire employé en optique et à la glace de Saint-Gobain, il sont été calculés d'après les indices de ces matières, mesurés par M. J.-B. Baille. RAIES B C D fo F G H Glace de Saint-Gobain . 0,992 0,994 1,000 1,007 1,0H 1,022 1,033 Crown de Feil 0,996 0,997 1,000 1,007 1,013 1,023 1,032 Après une réparation de la cuve, ou dans le cas de remplacement de cette partie de l'appareil, il est bon de vérifier la constante au moyen d'un liquide d'indice connu. L'eau est très convenable pour cet objet, son indice est bien déterminé et varie très peu avec la température, de sorte qu'une erreur sur ce facteur ne donne qu'une variation très faible de la constante. Dans le cas où la cuve ne renferme pas le centre optique des lentilles, ce qui donne une plus grande sensibilité pour une même longueur de cuve, il faut faire deux déterminations avec des liquides d'indice connu, dans les conditions de l'expérience. VL — L'appareil peut se prêter également à la mesure des indices des prismes solides, dont il n'est pas besoin de connaître l'angle ; la seule condition est que l'angle du prisme ne soit pas supérieur à celui de la cuve. La détermination comporte deux lectures à l'appareil : 1° Dans ce cas le prisme est supporté par une pince P à l'intérieur de la cuve (cette pince est ajoutée à l'appareil ordinaire), l'angle tourné vers le sommet de cette dernière, on mesure comme dans le cas des liquides le déplacement nécessaire pour ramener l'image du réticule vertical au croisement des réticules de l'oculaire. Soit G ce déplacement; 2" On verse dans la cuve un liquide dans lequel le cristal est insoluble et dont on connaît l'indice. Soit / la nouvelle lecture. CH. FÉRV. SUR UN NOUVEAU RÉFRACTOMÈTRE 251 Supposons, pour plus de généralité, que la constante ne soit pas l'unité et qu'on ait pour le liquide d'indice N employé une déviation K/ = (N — 1) l = nombre lu sur l'échelle de l'appareil ; soient enfin A l'angle de la cuve et a celui du cristal à mesurer (ces quantités disparaissent dans le calcul). La première lecture qui donne lieu au déplacement C doit satisfaire à l'égalité : CK = «(^) X étant l'indice inconnu du cristal. — La deuxième mesure donne :. Enfm le liquide seul a donné une déviation telle que : IK = (N — 1). En éliminant (N — 1), A, a, entre ces trois égalités, on trouve : IC X — l = t — < C + /.) et simplement : X — 1 = ,^ . ^ tt--, si la constante est 1. ^ ^ — [C + (iN — 1)J VIL — Formule exacte de Vappareil. — Il est intéressant de connaître l'erreur due à l'emploi de la formule approchée pour différentes valeurs de l'angle A de la cuve. Calculons donc le déplacement qu'il faut donner à une cuve d'angle A et constituée par une matière d'indice n, pour annuler la déviation due à un liquide d'indice x. Ce déplacement est d = R sin a, en appelant R le rayon de la face courbe. Il faut donc déterminer Tanglc a. La cuve étant symétrique de part et d'autre de la bissectrice de l'angle intérieur, il nous suffit d'étudier la marche du rayon dans une moitié de l'appareil. En remplaçant la sphère par son plan tangent au point considéré, le problème revient à trouver l'angle a d'un prisme d'indice n qui, accolé à \ un prisme d'angle -^ et d'indice x, détruit sa déviation. 232 . PHYSIQUE Le rayon FG étant normal à la bissectrice OM (fig. 4), le prisme à liquide donne : X n sin(- + a sin 9 La déviation 3 du rayon au point H devant être la même que celle produite en G, on peut écrire pour le prisme solide : \^ 1— FiG. 4. n sin (a - -^ sm I a — — — 0 En éliminant S entre ces deux équations et tirant a on trouve : A {x — 1) sin tga ^- . A A v} — «■■' sm* — — cos — qui, combinée à d = R sin a, donne le déplacement correspondant à l'indice x. Voici le résultat du calcul, dans lequel on a pris : A — 15° n = 1,52 R = 39'='"84 Erreur X — 1 d [x — 1) - d (X - 1) - d - 0,0000 0,0000 0,0000 + 0,0007 0,1000 0,0996 - 0,0004 -r 0,0003 0,2000 0,1989 — 0,0011 - 0,0004 ((,3000 0,2993 - 0,0007 0,0000 0,4000 0,3996 — 0,0004 -f- 0,0003 0,5000 0,5000 0,0000 4- 0,0007 0,6000 0,5997 — 0,0003 + 0,0004 0,7000 0,6996 - 0,0004 + 0,0003 On voit que l'erreur est toujours dans le même sens (3"^ colonne) et aussi que cette erreur est nulle pour un liquide de même indice que celui des lentilles. En effet, à ce moment l'angle a doit être égal à -^ et la cuve CH. FÉRY. — SUR LN NOUVEAU RÉFRACTOMÈTRE devient une lame homogène à faces parallèles, traversée perpendiculaire- ment par le rayon. La détermination pratique de la constante se faisant avec de l'eau dis- tillée, l'erreur est alors représentée par les chiffres de la dernière colonne du tableau, e représentant la distance séparant le centre optique de la cuve de l'axe optique de l'instrument, quand l'appareil est au zéro. Les erreurs sont dans ce cas plus faibles, étant tantôt positives, tantôt négatives, il y a comme dans la colonne (x — 1) — d deux points où l'erreur est nulle : pour un indice de 1,15 environ et pour 1,33. YllI. — Si dans la formule : O* rr — {x — 1) sm — ,g a - — i / * A A \/ n- — x^ sin^ -r- — cos — 2 2 nous faisons A très petit, nous retrouvons la formule approchée (1) indi- quée précédemment : n — 1 Si nous remarquons que, pour un angle de lo° pris comme exemple dans le calcul numérique, les erreurs (x — 1) — d -\- z sont inférieures à 0,001, nous voyons qu'on peut obtenir d aussi voisin de (x — 1) qu'on le désire. Pour une même valeur de A, la sensibilité de l'appareil ne dépend que de la longueur de la cuve, et le rayon de courbure de la sphère des len- tilles devra croître proportionnellement, car, pour de mêmes limites, la valeur de a sera la même et on aura : d d' ï^ = ï^, = sma; pour des applications particulières on peut n'augmenter que le rayon de courbure en limitant la cuve à la région utilisée. L'erreur dans ce cas sera même moins forte entre les limites considérées, et on pourra aug- menter la sensibilité en agissant sur A. M. Pellin, à qui est confiée la construction de l'appareil, exécute des cuves de toutes les sensibilités et fonctionnant entre des limites quel- conques. Dans tous les cas, la graduation est telle que les lectures donnent dii'ec- tement l'indice du liquide mesuré. 2o4 PHYSIQUE Le calcul numérique pris pour exemple se rapporte à l'appareil cou- rant de laboratoire mesurant tous les indices entre 1,33 et 1,70; le dépla- cement de la cuve est d'environ 1 millimètre pour une unité de la deuxième décimale. Le vernier au ^ permet d'apprécier ^ et, avec un peu d'habitude. 10.0000 M. A. PICÏÏE Président de la Commission météorologique des Basses-Pyrénées, à Pau. L'ÉLECTROPHORE A ROTATION — Séance du SI septembre 4892 -- Quoique, en qualité de simple amateur je sois fort indigne de prendre part à vos travaux, permettez-moi de vous montrer l'électrophore à rota- lion que j'ai inventé à Pau, en décembre I860. Cet appareil a son importance, puisqu'il a devancé la machine Bertsch, et servi de point de départ à la machine Carré, aujourd'hui répandue dans tous les cabinets de physique. Les circonstances de cette invention sont, d'ailleurs, assez singulières. Retenu l'hiver au coin du feu par la maladie, je m'amusais à sécher des feuilles de papier, à les frotter avec la main ou avec une brosse à habits, et à observer les étincelles qu'on en tire et surtout les phénomènes cu- rieux d'adhérence qu'offrent des bandes superposées, après qu'on a frotté la bande supérieure. En entrecroisant quatre bandes et laissant dépasser leurs bouts, deux à deux, je pouvais suspendre un kilogramme à l'extrémité inférieure de ces bandes, fortifiée par un petit morceau de carton collé. En tendant sur deux cerceaux des feuilles de papier bulle, en brossant le papier du cerceau le plus grand posé sur un tapis, et en plaçant à l'in- térieur le cerceau le plus petit, dont le papier portait au centre une de ces feuilles d'étain qui enveloppent les chocolats, j'avais obtenu un élec- trophore, qui me donnait étincelle négative, puis positive, quand je sou- levais obliquement le petit cerceau, ou que je l'abaissais de nouveau. Ou bien encore, je plaçais mon grand cerceau électrisé sur les bras A. PICHE. — l'ÉLECTROPHORE A ROTATION 2oO d'un fauteuil et tenant le petit cerceau à faible distance, j'avais les deux sortes d'étincelles, selon que j'approchais ou que j'éloignais ce dernier, et même quand je le déplaçais latéralement. J'en étais là de ces expériences amusantes, quand je lus dans le Cons- titutionnel un article de M. de Parville racontant les merveilles de la ma- chine de Holtz, qu'il avait vu fonctionner chez Ruhmkorfï, et qu'il don- nait comme mystérieuse et inexplicable. Mais l'explication est fort simple, me dis-je, c'est un électrophore à rotation et je puis en faire un plus simple encore, immédiatement. Au lieu de déplacer latéralement mes cerceaux par un mouvement de va-et- vient, je n'ai qu'à faire tourner un disque de papier, dont la partie su- périeure sera polarisée par une bande de papier électrisé, et à recueillir les deux électricités du disque par deux pointes placées derrière lui, l'une en haut, l'autre en bas ; si mes pointes sont reliées à des conducteurs isolés, dont les extrémités rapprochées se termineront par des boules de métal, il jaillira entre elles de petites étincelles formant ruban de feu. Aussitôt dit, aussitôt fait ; je découpe un disque de fort papier bulle, je le pique avec trois épingles, sur un bouchon percé dans son axe et enfilé au bout d'un vieux tube barométrique assez épais. Je place le tube sur les barreaux inférieurs d'une chaise, le disque de papier tourné vers le foyer et j'appuie l'extrémité libre du tube contre une grosse bûche dressée, afin d'empêcher mon tube d'osciller en long. J'avais ainsi un disque de matière non conductrice, pouvant tourner sur son axe, sous l'action de la paume de la main passée légèrement sur le tube. Je prends un autre tube de verre, je le plante verticalement dans un bouchon fixé sur une planchette formant pied. J'enroule, au milieu du tube et en haut, deux spirales de fil de fer, dont une des extrémités, ap- pointie, devait servir à recueillir les électricités contraires du disque, tandis que l'autre extrémité, recourbée, armée des petites boules de cuivre (que j'avais dévissées de mes pelle et pincette), formait les deux pôles entre lesquels j'espérais voir jaillir les étincelles. Je place ce récepteur der- rière mon disque. Puis j 'électrisé fortement une bande de papier bien desséché ; la tenant de la main gauche, je la présente en face de la moitié supérieure du disque, qui la sépare ainsi de la pointe supérieure, tandis que de la main droite je fais tourner rapidement l'axe du disque. Aussitôt je vois jaillir, entre les boules de cuivre, une série d'étin- celles de un millimètre ; j'avais trouvé l'électrophore à rotation sous sa forme la plus simple. J'ai cru devoir vous raconter cette expérience primitive, Messieurs, parce qu'elle montre comment, en matière d'invention, on peut tirer parti des premiers objets qu'on a sous la main. 236 PHYSIQUE C'est ainsi qu'en jouant avec des tubes de verre, j'ai inventé, en 1872, l'évaporomètre, si répandu aujourd'liui ; et qu'en m'amusant avec un pulvérisateur, j'ai pu faire ces curieuses expériences sur les vents plon- geants et ascendants, qui ont été présentées au Congrès de Toulouse en 1887, et reproduites dans le Cosmos. Je vous fais grâce des modifications successives apportées à ma ma- chine et me borne à vous la présenter sous sa dernière forme, encore inédite. Quoique grossièrement construite, quoique la cage en bois empêche une forte tension, je parviens à tirer d'un simple disque de papier par- chemin séché à l'aide d'un fer à repasser, ou placé devant le feu, des étincelles sinueuses de 5 centimètres, qui offrent tous les caractères lumineux et bruyants d'un petit éclair. Je suis persuadé que si la cage, le disque et la plaque à frotter, source d'électricité, étaient en ébonite ou en celluloïd, on obtiendrait 10 centi- mètres d'étincelles, avec un disque de 3o centimètres de diamètre. Dans l'état actuel, la cage est une boîte rectangulaire de 40 centimètres de hauteur, sur 32 de largeur et 15 d'épaisseur ; et le disque n'a que 2o centimètres de diamètre. L'une des grandes faces porte à l'extérieur le mécanisme de rotation, tandis que l'autre, ouverte et entourée d'une rainure, permet de placer devant le disque soit une plaque de caoutchouc durci, soit même une plaque de Holtz avec ses fenêtres et ses armatures. La face supérieure (une des deux faces les plus petites du parallôlipipède) est traversée par les conducteurs, bien isolés dans des colonnes d'ébonite, qui portent les tiges à glissement armées de boules, entre lesquelles jaillissent les étincelles, et dont on règle l'écart à volonté. Cette forme est très commode et très avantageuse, en ce que, sous un petit volume, on a tout sous la main et sous les yeux. On tourne la manivelle de la main droite, pendant qu'on bat, de temps en temps, la plaque de caoutchouc durci, avec une peau de chat ou un foulard de soie, pour lui restituer sa tension électrique ; et la face supérieure sert de petite table pour disposer les expériences qu'on peut varier à l'infini, en changeant disques, boules ou pointes, en interposant ou non des condensateurs, en faisant éclater les étincelles dans l'air ou dans des gaz plus ou moins raréfiés, sur l'eau ou dans l'eau. Les étincelles jaillissent sous les yeux, à bonne hauteur, et on peut les étudier tout à son aise. J'estime que cette machine, bien construite, serait plus démonstrative que celle de Carré et qu'elle permettrait de faire un plus grand nombre d 'expériences c Enfin, si on veut se contenter d'étincelles de 5 centimètres, on pour- L. BEDOUT. — COMPTEUR DENSI-VOLUMÉTKIQUE 257 rait la construire à si bas prix (dix francs au plus) qu'on pourrait en doter nos écoles primaires, où tend de plus en plus à s'introduire l'ensei- gnement scientifique par l'aspect. Je me ferais, du reste, un plaisir d'envoyer des dessins précis à tout constructeur qui voudrait reproduire cette machine électrique, qui est le véritable type de l'électrophore à rotation. M. Louis BEDOUT à Cazaubon (Gers). COMPTEUR DENSI-VOLUMÉTRIQUE ~ Séance du 17 septembre {892 — I. — Jusqu'à ce jour, la science française n'avait pas établi de compteur à alcool. Nous étions tributaires des constructeurs étrangers, principale- ment des Allemands ou des Autrichiens. Siemens, Dolainski, Veiser et Beschorner ont fait divers compteurs, peu variables les uns des autres, et qui tous ont, d'ailleurs, des inconvé- nients graves qui les ont fait écarter par l'industrie française. L'alcoomètre métallique de Siemens n'a pas la sensibilité suffisante pour arriver à des données mathématiquement exactes; le compteur Dolainski n'enre-^istre lui, que le volume apparent, sans se préoccuper de la densité et de la température. Ce sont les seuls usités. Le compteur à alcool que j'ai l'honneur de vous décrire a subi déjà, avec succès, des épreuves rigoureuses d'essai devant une commission déléguée par le Ministère des Finances chez mon constructeur, 3L\L Ri- chard frères, de Paris. Ce compteur a pour but de mesurer automatiquement le volume d'alcool coulant à l'éprouvette et de fournir les éléments pour déterminer la quantité d'alcool pur produit par un alambic de distillation. Pour cela, il donne les trois éléments essentiels : le volume la densité et la température moyennes de l'alcool à sa sortie du serpentin. Il s'adapte à l'origine du serpentin et se compose extérieurement d'une caisse métallique rectangulaire de dimensions variables. 17- 258 CHIMIE n. — Description. — Le compteur se compose de trois parties prin- cipales (fig. 1 et ^j : 1° Un réservoir distributeur E dans lequel l'orifice plombé du serpen- tin I déverse l'alcool ; Fig. I. — Coupe. 2" Une balance Roberval ou Déranger, dont les deux plateaux sont surmontés de deux vases A et B avec leurs accessoires ; Fig. 2. — Plan. •3* Un bassin T parfaitement isole dans l'intérieur de la boîte pour éviter les chocs qui pourraient en modifier la contenance, soigneusement déterminée à l'aide d'échelles fixes et que nous appellerons totalisateur. Le réservoir distributeur E, à fond incliné vers le tuyau de sortie, est FlG. 3 L. BEDOUT. COMPTEUR DENSI-VOLUMÉTRIQUE 259 mis en communication avec le serpentin par un tube d'amenée I muni de brides boulonnées, susceptibles d'être scellées extérieurement au plomb pour éviter l'introduction de substances étrangères aux pro- duits de la distillation. L'alcool du réservoir E sort dans le filtre D dans lequel il dépose, au moyen de tamis dis- posés à sa partie supérieure, les parcelles solides que la distillation a pu entraîner, et de là passe dans le vase A. Ce vase, soigneusement jaugé, contiendra, par exemple, dix litres. Les deux plateaux A et B, vides avec leurs ac- cessoires, devront s'équilibrer de la façon la plus exacte. Dès que le vase A est plein et que le liquide atteint l'ori- fice du tuyau t, l'excédent de ce liquide s'écoule dans le plateau-vase B. Lorsque la même quantité d'alcool est passée dans le vase B, celui-ci s'abaisse et instantanément le coup brusque et simultané du taquet e sur la partie gauche du fléau précipite le marteau M sur le taquet e' situé à droite du couteau. Entraîné par ce poids supplémentaire, le plateau B déverse précipitamment son contenu dans le récipient entomioir G qui le conduit daus le fût. Pendant que le plateau s'incline, le vase i reçoit le jet et le restitue pour la prochaine pesée au plateau B qui se redresse sous le poids du liquide resté dans le vase A toujours plein. Le plateau B, relevé, reprend à l'aide du galet g butant sur le point fixe x aidé de son contrepoids. Le marteau M, mobile sur son centre, fixé au support de la balance, rencontre chaque fois qu'il s'abaisse une tige qui actionne un mouvement d'horlogerie chargé d'enregistrer le nombre de fois que le plateau B se vide, c'est-à-dire le nombre de pesées, dans notre espèce, de dix litres chacune. Le vase B est soutenu par une tige en fourche faisant corps avec le bras droit f de la balance. Les deux bras de cette fourche sont réunis par un axe entouré d'un manchon appartenant au vase B et participant à son mouvement de renversement d'environ un angle de 4o degrés. Dans cet axe, f est pratiqué un récipient rigoureusement jaugé, appelé chambre de jauge, d'une contenance, dans notrg espèce, d'un centilitre. Cette chambre (fm. 4] est mise en com- munication avec le liquide du vase B par une ou- verture pratiquée dans le manchon ; elle est pleine au moment où le plateau bascule. En tournant de 43 degrés par rapport à l'horizon, ledit plateau B, solidaire du manchon, ferme par celui-ci sa com- munication avec la chambre qui, d'autre part, vient communiquer avec le bec d'écoulement solidaire du manchon mobile. Des trous d'air pratiqués dans le manchon permettent au liquide qui y est contenu de ir FlG. i. 260 CHIMIE s'évacuer dans l'entonnoir, d'où il s'écoule par un tube dans le totali- sateur T. Le centilitre de liquide, pris comme jauge, a la température, la densité et le degré moyens des dix litres déversés simultanément par le plateau B, dont il faisait partie intégrante. Le totalisateur est un réservoir T jaugé à l'aide d'une échelle fixe qui facilite la lecture à travers une plaque de verre placée sur la face du compteur, au-dessous du mouvement d'horlogerie. Ce réservoir, d'une contenance de vingt Utres, toujours dans notre espèce, renferme un alcoomètre et un thermomètre à maxima. Dans son tuyau d'amenée est disposé un clapet pour empêcher l'évaporation par le vide de l'alcool contenu. L'alcoomètre et le thermomètre combinés donnent le degré d'ensemble des vingt litres, ayant été empruntés par quantités constantes de un cen- tilitre à toutes les fractions de dix litres. Ce degré sera le même que celui des vingt mille litres pesés. Si nous supposons le degré à 68, l'alambic aura distillé 20.000 X 68 = 13.600 d'alcool pur. Le mouvement d'horlogerie qui enregistre par dix litres le passage du liquide devra accuser aussi vingt mille litres. On peut donc dire que ce compteur se contrôle lui-même et conserve un témoin fidèle des opéra- tions. On observera que le fonctionnement de ce compteur n'est pas lié aux quantités prises comme exemple, et que la capacité des vases A et B est essentiellement variable. Cette capacité peut être augmentée ou diminuée à volonté ; il en est de même pour la chambre de jauge. Il suffît, pour arriver à des calculs sincères, de connaître le rapport entre la capacité de la chambre de jauge et celle du plateau-vase A. Enfin, l'appareil est complété par une double enveloppe métallique parant aux chocs qui pourraient altérer les contenances ou le bon fonc- tionnement. Tout danger d'explosion à l'endroit des gaz alcooliques pro- venant de la distillation est évité par des grillages métalliques convena- blement disposés dans l'enveloppe à doubles parois de la boîte pour éviter l'introduction de substances étrangères à la distillation. Des regards sont ménagés dans l'enveloppe pour suivre l'opération, et des portes scellées donnent accès aux organes actifs dans le cas oii cela serait nécessaire. Tel est l'appareil que j'appellerai compteur à volume constant et à poids variable. Il est possible de le transformer en un compteur à poids constant el à volume variable. Pour cela, il suffira de remplacer le vase-tare A par un poids déterminé, dans notre espèce, dix kilogrammes par exemple. A la suite d'une série de pesées, à la fin de la distillation, nous aurons par le cadran le poids de l'alcool, par le totalisateur la densité moyenne. H. HFRRENS. ALMADEN. SES MINES DE MERCURE 261 Il nous sera donc facile de connaître le volume de la distillation en al- cool pur. III. — Utilité de l'appareil. — Je ne m'étendrai pas sur les utilités du compteur. Elles sont multiples. En adaptant à un rectifîcateur industriel un compteur à l'entrée de la chaudière et un second compteur à la sortie du serpentin, on arrive à calculer exactement la perte de distillation. Un industriel veut établir son prix de revient. Il prend un poids déter- miné de matière première : betteraves, grains, pommes de terre, topi- nambours, etc., etc. Le produit de sa distillation lui sera rigoureusement donné par le compteur. Enfin, son utilité la plus considérable résulterait certainement de son application par l'État à tous les alambics ambulants ou fixes. I^s agents de la Régie auraient en lui un aide sûr pour réprimer efficacement la fraude chez les bouilleurs, propriétaires ou industriels. Un exercice plus sévère, sans augmentation du personnel, serait son principal avantage. M. ïï'^ BERREIS Chimiste, à Gracia-Barcelone (Espagne). ALMADEN. — SES MINES DE MERCURE ET SES DIVERS SYSTEMES DE REDUCTION DU MINERAI — Séance du 17 septembre t892 — Les mines d'Almaden sont remarquables par leur antiquité et par la richesse et l'abondance de leurs mines. Le système d'exploitation remonte au siècle dernier, et, depuis lors les changements réalisés dans la manière de traiter le minerai de mercure sont de peu d'importance, attendu qu'on suit encore le système que Saavedra Barba imagina au Pérou en 1633, lequel fut importé en Espagne par Bustamante en 1646, et dont il existe vingt-deux exemplaires qui fonctionnent àAlmaden, sans qu'on ait trouvé le moyen de le remplacer avantageusement, bien que plusieurs essais et le bon vouloir n'aient pas fait défaut. En 1806, on établit les fours de chambres qui se communiquent entre elles comme dans l'appareil de Woolf et qui reçoivent une charge de 262 CHIMIE vingt-quatre tonnes. La disposition générale fut copiée des appareils em- ployés aux mines d'Idria (Aulriche) qui étaient et sont encore propriété de l'État. Ces fours portent le nom d'Idria à cause de leur origine ; l'opé- ration réductrice dure huit jours ; et s'ils continuent de fonctionner, ce n'est certes pas à cause de leur mérite sur les fours Bustamante. Il y a de cela une douzaine d'années, on construisit des fours à réver- bère dans le but de distiller les minerais menus dont l'encombrement était énorme, mais on dut les démolir à cause de leurs mauvaises condi- tions ; ils furent remplacés par une paire de fours Livermoore qui furent importés de Californie. Ils sont manœuvres par une quarantaine d'enfants, qui sont exposés à bien des misères par suite de cet appareil malsain, dont les pertes sont considérables. Dans ces conditions, on a décidé d'essayer un nouveau système de FIG. 1 réduction inventé parBerrens. Le ministre des Finances espagnol a ordonné qu'on fît, aux frais de l'État, des essais comparatifs, entre ce four nouveau et ceux qui sont employés en Espagne. Deux fours de Bustamante furent choisis, parmi les meilleurs, pour les essais comparatifs. Leur traitement est intermittent, le combustible est très énergique, houille et coke, l'opération dure quatre jours. — Le nettoyage est très pénible pour l'ouvrier ; il se fait sans eau, avec le balai à sec. —Les pertes sont en raison de la température, c'est elle qui est le facteur réfrigérant, et lorsqu'elle atteint 25 degrés centigrades au 15 mai, on plie bagage, on éteint les feux, qu'on rallume le 15 octobre suivant. On évite ainsi des pertes considérables qui dépassent 50 0/0, les scories sortent nettes de tout métal ; ce résultat s'obtient par l'emploi exagéré de la houille ou du coke, mais les pertes sont plus considérables, bien que les minerais traités soient plus riches qu'autrefois, parce qu'à mesure qu'on approfondit l'ex- ploitation le minerai est plus riche et plus abondant. H. nEHHKNS. ALMADE.N. SKS MINES DE MEUClJflE 263 Le système Berrens est automatique et sa marche est continue, attendu que le remplacement d'un four par un autre sur le foyer ne dure que quelques minutes. Ce four mobile F (fig. 1 et 2), placé sur deux essieux munis de quatre roues en fonte, se compose d'un cylindre en tôle garni intérieurement de briques réfractaires. II contient une tonne de minerai qui repose sur une grille en terre également réfractaire. Le foyer oiî le feu est permanent est construit entre deux rails articulés sur lesquels le véhicule susnommé vient se placer et colloquer le cylindre préalablement chargé de sa tonne de minerai. On lute le joint avec de la terre réfractaire, pendaut qu'on ajuste de la même façon un tube en tôle H au chapiteau qui couvre le cylindre. Ce tube communique avec une chambre de transmis- sion qui reçoit le premier jet des gaz et vapeurs qui proviennent du four. Elle semble être au même niveau que le four, mais le sol est plus bas et incliné, afin que le mercure qui s'y condense puisse s'écouler dans un tube placé à son extrémité. Ce tube, qui met en communication la dite chambre avec l'appareil condenseur qui se trouve à 10 ou 12 mètres plus bas, a une longueur relative et son diamètre est de 35 centimètres ; il est en ciment et établi sur une assise, en fer très solide ; il joue un rôle très important dans l'appareil condenseur, c'est par lui que le refroidissement des gaz ou vapeurs qui circulent dans son intérieur s'effectue. Il opère de la même façon que le col d'une cornue qui refroidit d'autant plus les vapeurs qui partent d'un liquide en ébullition, que celui-ci (le col) est placé plus ver- ticalement. Dans l'appareil Berrens, la chaleur, en vertu de ce principe, ne descend pas, elle se perd, d'autant plus que les vapeurs mercurielles, en sortant du four, suivent constamment une pente descendante. L'appareil condenseur (fig. 3, 4 et 5) se compose de vingt-cinq compar- timents ; la capacité de chacun d'eux est de o à 600 litres, ils sont formés de deux cônes soudés à leur base avec du ciment; le cône supérieur est en tôle et celui d'en bas est construit en ciment dans la terre, la communication entre eux se fait par les cônes inférieurs et ils se ramifient dans un quadri- latère plein d'eau qui se renouvelle et qui couvre les cônes en tôle ; la pointe ou le sommet des cônes inférieurs se confond avec des rigoles en pente pleines d'eau qui reçoivent le mercure condensé et qui le déversent dans un puits récepteur M dont l'eau qui le remplit est à niveau de celle des rigoles. On peut extraire le mercure du puits (qui se trouve clôturé Fig. 3. — Plan de l'appareil condenseur. 264 CHIMIE et fermé à clef) sans arrêter la marche des opérations ; celles-ci ne s'in- terrompent que lorsqu'on doit faire le nettoyage de l'appareil : alors on enlève les cônes en tôle, on ouvre la chambre de transmission et avec de l'eau projetée et des balais on fait écouler le métal et les suies vers le puits; ce travail se pratique sans aucune incommodité pour l'ouvrier. FiG. /.. — Coupe suivant AB. Le tirage se fait au moyen d'un piston aspirateur et refouleur 0, qui est rais en mouvement par une machine à vapeur P, la marché de ce piston n'a pas dépassé quatre-vingts oscillations par minute, et la feuille d'or qu'on a plusieurs fois présentée à la sortie des gaz qui soulèvent les cla- pets de l'aspiraieur n'a jamais été salie de la moindre tache de mer- cure; il faut dire aussi que les vapeurs, avant d'arriver à la machine FiG. 5. — Coupe suivant CD. aspirante, étaient obligées de traverser deux caisses remplies de charbon végétal. La fournée d'une tonne de minerai dure cinq heures, mais en augmen- tant la vitesse du tirage, on pourra arriver à une diminution d'une heure. Quant aux pertes, la Commission scientifique dit dans son rapport (fol. 11) qu'elles furent celles que les scories manifestèrent, et qu'on peut évaluer à i/2 0/00, et elle ajoute qu'en réalité on ne peut constater d'autres pertes. H. BERREXS. ALMADEN. — SES MINES DE MERCURE 26o Le four Berrens se recommande surtout par son coté hygiénique : toutes les opérations, charge, décharge, nettoyage etc., se font en plein air; l'ou- vrier est donc à l'abri de toute intoxication. Les essais comparatifs ont été faits de la façon la plus correcte ; pour ce qui regarde le four Berrens, au dire de la Commission technique qui fut investie, par décret royal émané du Ministère des Finances, de facultés suffisantes .pour établir et constater la marche des fours et le résultat obtenu. Elle voulut que les minerais qu'on distillerait fussent exactement ceux-là qu'on distille tous les jours, dont le litre moyen est de 11.60 0/0 (fol. 14 du Rapport), et que le rendement qu'on obtiendrait dans les fours (système Bustamente) San Carlos et San Sébastian, qui sont considérés comme les meilleurs de l'établissement, ne servirait de base comparable qu'autant qu'il concordât avec la moyenne du mercure obtenu dans les cinq années antérieures. Le four Berrens donna un rendement de 12 0/0 de mercure ; les fours San Carlos et San Sébastian donnèrent 12,33 0/0. Ce rendement en plus surprit au premier abord la Commission, parce qu'elle avait constaté que la feuille d'or placée à l'orifice de l'appareil Berrens n'avait pas présenté à la vue la moindre tache de mercure, tandis que dans les fours opposés, elle en avait été salie complètement; mais elle trouva bientôt la cause de cette différence. Elle constata que les scories pesaient 83 kilos de plus que ce qu'elles devaient peser, que le rendement en mercure était de 35 kilos de plus que celui qu'on devait obtenir, et, de plus, elle trouva 112 kilos de suies (dont le titre ordinaire est de 70 0/0) en plus de ce qu'on obtient ordinairement. La Commission, dans son rapport (fol. 16), dit avec raison « que ces données contradictoires entre elles ne peuvent s'expliquer facilement » ; et, se renfermant dans l'indication du décret royal, elle porta son attention sur les rendements de tous les fours dans les cinq années antérieures, qui sont : 1886-87 1887-88 1888-89 1889-90 1890-91 Moyenne de la production . . . 9,47 9,28 9,12 8,74 8,29 soit en moyenne 8,98 0/0 de mercure ; et si on ajoute le rendement moyen des deux fours San Carlos et San Sébastian obtenu dans les essais comparatifs, qui est de 12,33 0/0, nous aurons une moyenne de 9,54 0/0. Or, comme par le nouveau système, d'après le rapport de la Commission, on a extrait de 6,000 kilos minerai le 12 0/0 de mercure, on peut dire avec certitude qu'il y a un avantage en faveur du four Berrens de 2,46 par chaque 9,54, soit un 2o,70 0/0 sur l'ensemble, ce qui représente 266 CHIMIE le quart en plus de la production d'une campagne réglementaire de sept mois, qui est à peu près de 50.000 bouteilles contenant chacune 34 kil. 500 gr. ; soit 12.500 bouteilles en plus à 8 £. st. = 100.000 £. Telles sont les conclusions qu'on peut tirer du Rapport que MM. D. Justo Egozcue, D. Grégoire de la Régnera, inspecteurs généraux des mines, et D. Daniel de Cortâzar, ingénieur en chef des mines, ont présenté au ministre des Finances en janvier 1892, à Madrid. — Ce qui domine dans ce document, c'est l'esprit de droiture et de justice. — Ces messieurs de la Commission, en partant pour Airaaden, doutaient et ne croyaient pas à une perfection si complète du nouveau four ; — et c'est avec une profonde réserve qu'ils ont fait mention de certaines irrégularités inten- tionnelles de la part de MM. les ingénieurs d'Almaden. Ils auraient voulu trouver chez leurs collègues de meilleures dispositions pour faciliter leur mandat. Quoi qu'il en soit, en faisant la part de conditions évidemment erronées, comme ils disent, « le nouveau procédé se présente quand même avec avantage sur tout ce qu'on a obtenu jusqu'à ce jour, avec des circonstances très intéressantes « . La Commission s'est noblement conduite ; elle aurait pu prouver, par les chiffres qui lui ont été fournis par la direc- tion d'Almaden elle-même, que le rendement des fours est de plus en plus déplorable. En effet, si nous consultons le tableau du mercure obtenu pendant les cinq dernières années, on voit que le tant pour cent du rendement diminue chaque année, alors que la teneur du minerai traité s'enrichit tous les ans, à mesure que son extraction se fait plus profon- dément, comme cela est démontré dans plusieurs documents. Ce fait anormal s'explique de la sorte ; MM. les ingénieurs d'Almaden, pour faire cesser les clameurs qui se répandaient sur les pertes énormes que tout le monde constatait en examinant les scories riches encore de métal, eurent l'idée d'employer des combustibles très énergiques pour la réduction du minerai et de faire durer celle-ci vingt-quatre heures de plus qu'auparavant. Par ce moyen empirique, les pertes furent plus consi- dérables, mais les scories furent nettes de tout métal, et ces messieurs en annonçant qu'ils avaient perfectionné leurs appareils : Voyez nos scories, dirent-ils, elles sont propres. Mais cette façon d'agir, qui pro- duit à l'État trois ou quatre millions de francs de perte, pourra bien être perçue par le nouveau ministre des Finances. E. BLANC. — SUR UN MODE PARTICULIER DE CUISSON DES BRIQUES 267 M. Edouard BLAIC à Paris. SUR UN MODE PARTICULIER DE CUISSON DES BRIQUES, USITÉ DANS CERTAINES PARTIES DE L'ASIE CENTRALE Séance du 20 septembre 4892 Au cours du voyage d'exploration que nous avons fait en Asie, pendant les années 1890 et 1891, nous avons eu l'occasion d'observer un curieux procédé employé par les indigènes de certains pays pour la fabrication des Galerie d'accès du combustible FiG. 1. — Plan d'un four à briques système Tarantchi. briques. Ce procédé, très simple et peu coûteux, présente des avantages considérables au point de vue des applications, et il donne lieu en même temps à la constatation de phénomènes chimiques intéressants en eux- mêmes et dont les réactions sont encore à déterminer. Ce mode de cuisson des briques est employé dans la partie occidentale de la Mongolie, ainsi que dans la Dzoungarie, dans une partie du bassin de rili, et notamment par les peuplades qui portent les noms de Dounganes -et de Tarantchis (1). (1) On appelle Dounganes des populations de race chinoise, pratiquant la religion musulmane, parlant chinois, et qui se sont établies dans la Dzoungarie, principalement pour y former des colonies agricoles. Les Tarantchis sont des populations de race turco-mongole, habitant la même région, pratiquant la même religion, mais parlant un idiome dérivé du djaggataï, et qui ont été subjuguées parles Chinois. 268 CHIMIE Ces peuples, qui habitent la partie septentrionale et nord-ouest de l'Em- pire chinois, c'est-à-dire les frontières de Sibérie, vivent sous un climat qui est souvent très chaud en été, mais qui est surtout extrêmement froid en hiver. Par conséquent, leurs constructions doivent être faites avec des matériaux très résistants au point de vue des variations de température. Les variations atmosphériques, dans ces contrées, sont d'autant plus sen- sibles qu'elles sont extrêmement brusques et atteignent souvent une très grande amplitude dans une période de temps fort courte. L'automne et surtout le printemps présentent des alternances de gelée et de dégel plu- sieurs fois répétées, accompagnées de variations hygrométriques considé- rables. Les écarts de température à l'ombre peuvent dépasser 40 degrés FiG. 2. — Coupe verticale suivant AB. dans les vingt-quatre heures (1). En tenant compte de l'action directe du soleil sur les surfaces qu'il frappe, dans une atmosphère très peu chargée d'humidité, l'écart diurne peut être de 60 degrés (de — 15" à -|- 45°). L'écart extrême dans la température annuelle est de plus de 120 degrés (de — o0° à -f- 70°). Dans de pareilles conditions, où presque toutes les roches naturelles se désagrègent, on conçoit que bien peu de matériaux de construction soient capables de résister, et les briques cuites par le procédé ordinaire s'al- tèrent et s'effritent avec une très grande rapidité. Au contraire, les briques préparées par le procédé que nous allons indiquer, bien que faites avec la M) Au mois de février 1891, après une période de froid très rigoureux qui a duré jusqu'au a, nous avons observé, le 2o, à Merw, une température qui, en quelques heures, s'est élevée de-}- 1° à -(-26° à l'ombre. Le lendemain matin, 26 février, la température est retombée subitement à — 10°, et ce changement a été accompagné d'une tempête de neige qui a duré pendant .trois jours, et à la suite de laquelle la température est redescendue, pendant huit jours, jusqu'aux environs de — 15", pour remonter ensuite rapidement, mais non pas encore d'une façon délinitive. Ces oscilla- tions se sont répétées plusieurs fois avant l'établissement de la belle saison. BLANC. — SUR UN MODE PARTICULIER DE CUISSON DES BRIQUES 269 même argile que les autres, résistent parfaitement aux intempéries et présentent, en outre, une dureté et une cohésion tout à fait remarquables. Ce résultat est obtenu simplement par l'action de la vapeur d'eau. Le procédé dont il s'agit est intéressant à deux points de vue : 4° Avec des argiles de qualité médiocre, à peu de frais, et au moyen d'appareils d'une grande simplicité, il permet d'obtenir des matériaux présentant des qualités de résistance et de solidité tout à fait supé- rieures ; 2° Son principe repose sur des réactions chimiques nouvelles pour nous, ou du moins dont l'application n'a pas encore été faite et qu'il est intéressant d'expliquer. FiG. 3. — Coupe verticale suivant CD. Description de l'appareil. — La disposition de l'appareil est la suivante : Le four a la forme d'un cylindre vertical surmonté d'un dôme. Générale- ment, pour plus d'économie dans la construction ainsi que pour diminuer la perte de chaleur, la plus grande partie de la portion cylindrique (les deux tiers environ de la hauteur) est creusée dans la terre. Le dôme est au-dessus du sol : il est construit simplement en argile et son épaisseur à la base est aussi considérable que possible (généralement quatre archines, soit 2'",80); il s'amincit vers le sommet. Ce dôme, habituellement en plein cintre, est percé à sa partie supérieure d'un trou assez large, qui reste ouvert pendant toute la première partie de la cuisson et "qui sert à l'échappement de la fumée et des gaz. Pour fixer les idées, nous indiquerons les dimensions que l'on donne le plus fréquemment à l'un de ces fours, dont le plan et la coupe sont repré- sentés dans les figures 1, 2 et 3. On peut donner à la partie cylindrique 6 mètres de diamètre intérieur et une hauteur de 4 mètres, dont 3 mètres au-dessous du niveau du sol et 1 mètre au-dessus. Le trou ouvert au som- 270 CHIMIE met du dôme peut avoir 1™,50 de diamètre au début de l'opération. Au niveau du sol est pratiquée dans la partie latérale du dôme une galerie étroite qui sert à y introduire et à en extraire les briques : cette galerie est bouchée pendant la cuisson. Une partie de la sole horizontale qui forme le fond du trou est constituée par une grille faite de briques non juxta- posées, et sous cette grille se trouve une chambre servant de foyer et où Ton introduit le combustible par une galerie inclinée qui s'ouvre au dehors. Trois évents ou cheminées d'appel, d'environ 2o centimètres de Fia. 4. — Vue extérieure d'un fuur (d'après une photographie faite par M. Paul Nadar (i). diamètre, prennent naissance à l'intérieur du four, tout à fait au bas de sa paroi verticale, et vont s'ouvrir à l'extérieur dans le haut du dôme. Au début de l'opération, leurs orifices supérieurs sont hermétiquement bou- chés avec de l'argile. Marche de l'opération. — Les briques sont placées par séries verticales dont le plan est en éventail, de manière à rayonner autour de la partie dé la sole qui est à claire-voie, et sous laquelle est allumé le feu. Ces briques sont fort grosses : elles n'ont pas moins de O"",!! dans leur plus petite (1) Le four dont l'élévation est représentée ci-dessus d'après une photographie faite sur place, n'est pas construit tout à fait sur le plan qui vient d'être décrit. Il est non pas rond, mais quadrangu- laire. Dans ce cas, les cheminées sont au nombre de quatre au lieu de trois, et elles sont placées dans les tours qui renforcent les angles. Mais la forme ronde est la plus typique et la plus employée. C'est en même temps la plus simple et celle qui donne les meilleurs résultats au point de vue de la cuisson des briques. Le système et le mode de fonctionnement sont d'ailleurs identiques. É. ULANC. SIR UN MODE PARTICULIER DE CUISSON DES RRIQUES 271 épaisseur, ce qui leur donne 0°S225 de largeur et 0'",46 de longueur. Des briques aussi épaisses auraient peine à cuire jusqu'au centre par les procé- dés ordinaires, et il serait même impossible de leur donner un degré de cuisson homogène dans toute leur épaisseur. Un four comme celui qui vient d'être décrit peut contenir environ 7.000 briques de cette grosseur. On ne les accumule pas tout à fait jusqu'au haut du dôme, de manière à réserver une chambre au sommet de celui-ci. Les briques étant ainsi disposées, on allume le feu et on le pousse sans interruption pendant trois jours et demi ou quatre jours. La quantité de combustible dépensée pendant ce temps pour une fournée est de trente- cinq charges de chameau pesant 7.000 kilogrammes (à 200''- l'une). Le combustible employé est une plante annuelle et assez fortement lignifiée, ïalhagi camelorum, dont la valeur calorifique est assez considérable (7.000''' de cette plante séchée représentent environ 23.800.000 calories). Le troi- sième jour, on rétrécit peu à peu l'ouverture supérieure du dôme avec des mottes d'argile mouillée, jusqu'à ce qu'elle n'ait plus que 0"',80 à 1 mètre au plus de diamètre; puis après avoir laissé tomber la flamme, on bouche hermétiquement l'ouverture avec une couverture de feutre trempée dans l'eau. On charge cette couverture avec du sable, de manière à lui faire fonner une sorte de poche oîi l'on verse constamment de l'eau. En même temps, on débouche les trois évents latéraux et l'on ranime le feu que l'on entretient très activement pendant quatre jours. Le tirage qui se faisait de bas en haut se fait alors de haut en bas ; il doit donc subir un retourne- ment pendant lequel la vapeur d'eau qui s'est répandue dans le four à tra- vers la paroi de feutre, subit une surchaufl'e et atteint une pression plus forte que la pression atmosphérique. C'est sans doute cet excès de chaleur et de pression qui donne lieu aux réactions chimiques caractéristiques de cette opération. Par la disposition qui vient d'être indiquée, on donne au four une portion de paroi filtrante qui émet sans cesse vers l'intérieur de la vapeur d'eau. Cette vapeur d'eau passe de haut en bas à travers la masse des briques chauffées au rouge et leur fait subir une transformation moléculaire particulière. Par suite de cette réaction, les briques qui, à la fin du troisième jour, étaient d'un rouge clair et d'une consistance médiocre, acquièrent une couleur gris foncé uniforme; leur structure prend une apparence poreuse; elles deviennent très sonores et d'une grande dureté; leur cassure est nette et à vives arêtes, mais sans être vitreuse. Elles prennent, en somme, l'apparence de certaines roches trachytiques. Il est probable qu'en effet il se forme, sous l'action de la vapeur d'eau, une sorte de trachyte artificiel. La quantité de combustible dépensée pendant la seconde période de cuisson est, pour une fournée, de quarante-cinq charges de chameau pe- 272 CHIMIE sant 9.000 kilogrammes. Le combustible est le même qui a été indiqué ci-dessus (branches d'alhagl camelorum). Composition des matériaux employés à la fabi'ication des briques . — L'ar- gile employée pour la fabrication de ces briques est généralement du lôss ordinaire; cependant lorsqu'elles sont fabriquées dans des localités situées sur les grands cônes de déjection qui s'étalent au pied des chaînes de mon- tagnes avoisinant la frontière sibérienne, comme les Monts Tian-Chan par exemple, elles sont faites avec des argiles d'alluvion provenant de la désa- grégation des roches qui constituent la charpente de ces montagnes . Ces roches sont assez variées; cependant elles appartiennent le plus souvent à la famille des diorites ou à celle des serpentines ; ou bien encore ce sont des roches amorphes, compactes, de couleur foncée et qui paraissent être des argiles métamorphisées. Toutes ces substances, ainsi que les alluvions qui en dérivent, contiennent par conséquent des sihcates d'alumine, de magnésie, de chaux et de fer. Nous n'entreprenons pas de donner ici la formule des réactions qui se produisent dans cette fabrication. Nous ne pourrions le faire que d'une façon hypothétique, et nous espérons que cette formule pourra être déter- minée d'une façon plus certaine (lorsque le laboratoire de l'École des Ponts et Chaussées, auquel nous avons transmis un échantillon rapporté par nous, en aura fait l'analyse). Cependant on peut présumer, a priori, qu'il se produit de l'oxyde salin, c'est-à-dire qu'une partie de l'oxyde de fer contenu dans l'argile des briques se suroxyde sous l'influence de la vapeur d'eau, aux dépens de l'autre partie du même oxyde, qui devient basique, et qu'elle forme avec celle-ci, en présence de l'alumine et concurremment avec d'autres bases contenues dans l'argile, un sel qui peut être un ferrosoferrate. Applicatio7i de ce procédé aux constructions hydrauliques de Meriv. — Nous avons observé pour la première fois la fabrication qui vient d'être indiquée dans la partie septentrionale de la Kachgarie, c'est-à-dire dans la région qui avoisine Kouldja. Nous avons vu ensuite des briques qui avaient été cuites par ce procédé, dans les murailles ou dans les ruines des divers édifices de la môme contrée. Mais nous avons plus tard constaté de nou- veau l'emploi de ce procédé aux environs de Mer w, dans la Transcaspienne, où il a été récemment introduit. Les ouvriers dounganes et tarantchis, au nombre de près de deux mille, qui, après avoir quitté la Chine à la suite de persécutions politiques et religieuses, ont trouvé un refuge sur le terri- toire russe, et ont été enrôlés pour travailler aux ouvrages de barrage et d'irrigation entrepris depuis peu sur le Mourg-ab, ont apporté avec eux la connaissance de ce procédé. Celui-ci a été mis à profit avec un grand succès et avec une grande perspicacité par les ingénieurs chargés de ces travaux d'art, M. Paklewski et M. Sawitcha, dont le premier avait eu l'occasion déjà auparavant d'observer ce système dans le district de Kouldja. SIELR. MÉTÉOIIOLOGIE DU DÉPARTEMENT DES DEUX-SÊVRES 273 Dans la localité dont il s'ayit, c'est-à-dire au Yieux-Merv, l'argile em- ployée est de l'argile d'alluvion provenant du cône de déjection du xMourg-ab. qui apporte dans la plaine des matériaux empruntés aux montagnes d'Af- ghanistan, c'est-à-dire à la chaîne du Paropamise, dont la constitution géologique est à peu près la même que celle des montagnes dont il a été question ci-dessus (1 ). L'échantillon de brique que nous avons l'honneur de présenter à l'appui de la présente note est fabriqué avec cette matière. On peut voir combien l'épaisseur en est forte et la cassure tranchante. La surface est rugueuse et fait très bien prise avec le mortier. En outre, le poids de cette matière est remarquablement faible, ce qui est un avantage très notable dans les constructions. Les briques ordinaires fabriquées dans la même localité avec la même argile sont d'un rouge un peu blanchâtre; elles s'émiet- tent facilement, et lorsqu'elles ont une épaisseur aussi forte que l'échan- tillon en question, elles ont une consistance très inégale dans leurs di- verses parties. Nous pensons qu'il y aurait quelque intérêt à faire connaître cette fabri- cation, dont les résultats ont pour eux l'épreuve de l'expérience dans des conditions climatériques particulièrement rigoureuses, et nous crovons qu'elle pourrait rendre des services en France, surtout pour l'exécution des ouvrages d'art qui doivent braver les intempéries extrêmes, ainsi que dans les grands travaux publics. M. SIEÏÏE Professeur au Lvcée de Niort. MÉTÉOROLOGIE DU DÉPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES ET DE LA RÉGION DU SUD-OUEST — Séance du 16 septembre 1892 — Depuis douze ans que j'ai l'honneur de remplir les fonctions de secré- taire de la Commission des Deux-Sèvres, j'ai recueilli, sur les conditions météorologiques du département, une série d'observations résumées dans la présente communication. i\) Ce sont les terrains de transition qui domiufnl : l'axe de la chaîne est de nature granitique, sur les versants se trouvent des placages de roches métamorphiques. 18* 214 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE Je n'ai point assurément la prétention d'offrir un travail complet; néanmoins je le considère comme ayant un réel intérêt pour la science qui nous occupe. En effet, si un résumé semblable était fait dans chaque département, le Bureau central, qui reçoit toutes nos communications, pourrait peut-être en extraire des matériaux utiles pour arriver à la dé- termination des lois qui régissent les phénomènes atmosphériques. La connaissance de ces lois, encore inconnues, doit être le but de tous les météorologistes qui ont accepté la mission de créer la Science du temps. Pour donner à mon travail toute la clarté possible, j'ai laissé de côté les détails, c'est-à-dire l'étude des phénomènes irréguliers, pour ne m'oc- cuper que de ceux qui se reproduisent le plus fréquemment. Je me suis principalement inspiré de la pensée du grand promoteur des études mé- téorologiques en France, Leverrier. On sait, en effet, que l'illustre astro- nome, directeur de l'Observatoire en 1863, recommandait, dans sa cir- culaire aux Commissions météorologiques des départements, « de laisser de côté les considérations théoriques, pour s'occuper de la statistique des phénomènes ». Au point de vue météorologique, le département des Deux-Sèvres ap- partient au climat girondin, qui comprend tout le territoire situé entre la Loire, les Pyrénées et l'Atlantique. Sa constitution géologique le fait diviser en trois régions : la Gàtine, la Plaine et le Marais. La Gàtine occupe le nord et une partie du centre. La Plaine occupe une portion du centre, le sud et le sud- est. Le Marais commence à quelques kilomètres au sud-ouest de Niort, et occupe une partie assez étroite de la vallée de la Basse-Sèvre. Une chaîne de collines, dirigées du nord-est au sud-ouest, forment le pla- teau de Gàtine, de chaque côté duquel sont les bassins de la Sèvre-Nan- taise, au nord, et de la Sèvre-Niortaise, au sud. Les sommets les plus élevés de ce plateau : Saint-Martin-du-Fouilloux et l'Absie, ont une alti- tude de 272 mètres. Je ne m'arrêterai pas à l'examen des conditions météorologiques par- ticulières à chaque bassin : il me suffira de faire remarquer que le bassin de la Sèvre-Nantaise a un sous-sol granitique ou schisteux, tandis que celui de la Sèvre-Niortaise est en partie composé de terrain jurassique. La nature du sous-sol ayant une influence incontestable sur les phéno- mènes météorologiques, en particulier sur la température, on comprend qu'il existe une différence sensible entre la météorologie générale des deux bassins. On a remarqué que des brouillards locaux se montrent dans le bassin nord, tandis que la plaine jouit d'un brillant soleil, ou réciproquement. Dans l'étude qui va suivre, je ne me suis occupé que des phénomènes se rapportant à la météorologie de l'ensemble du département. SIEUR. — MÉTÉOROLOGIE DU DÉPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES 275 I. — Du RÉGIME DES VENTS. ])e\i\ courants gazeux dominent sur notre département : '1° les vents du nord-est, qui se rattachent au courant polaire ; ils sont secs et froids; 2° les vents du sud-ouest, qui dérivent du courant équatorial ; ils sont ordinairement humides et chauds. Ces deux courants, à peu près ré"-u- liers, ont pour caractère une certaine stabilité. On a pu remarquer, en effet, qu'un vent sud-ouest ou nord-est bien établi persiste pendant un long espace de temps. Ils alternent entre eux. Tous les vents ayant une direction intermédiaire sont de courte durée. Chaque saison a ses vents dominants : en été, nous avons parfois le vent chaud et même brûlant du sud-est, que quelques-uns de nos collègues, dans la Commission dé- partementale, considèrent comme la continuation du sirocco. (Il nous paraît difïïcile d'admettre que le célèbre courant africain franchisse la Méditerranée et les monts d'Espagne pour arriver jusqu'à nous.) En règle générale, le vent dominant du département est celui du sud- ouest. Les moins stables sont ceux du sud et du nord, qui ne tiennent que quelques heures, rarement un ou deux jours. Quelques-uns des vents qui nous visitent sont parfois violents et soufilent en tempête : tel est le cas pour ceux du sud-ouest et de l'ouest, quand ils forment la continuation d'une bourrasque venue de l'Atlantique. Très rarement nos vents tournent au cyclone ; cependant, le cas se pro- duit parfois, principalement dans le nord du département, aux environs de la ville d'Argenton-Château. L'observateur de cette localité nous a signalé trois trombes en dix ans. Les bourrasques venant de l'Atlantique ont toujours une action plus ou moins considérable sur la force et la direction des vents qui dominent non seulement dans notre département, mais encore sur ceux de la Vendée, de la Loire-Inférieure, du Maine-et-Loire et de la Charente- Inférieure, qui se confondent avec les courants des Deux-Sèvres. IL — De la TEMPÉRATURE. Au point de vue thermique, le département des Deux-Sèvres, ne renfer- mant point de montagnes et se trouvant près des côtes, doit avoir un climat tempéré. Le bassin nord a une moyenne thermométrique infé- rieure de 1° à celle du bassin sud. Je vais donner les températures s'ap- pliquant à la station de Niort, f[ui correspond sensiblement à la movennc générale départementale . Nous possédons les relevés thermométriques de Niort depuis 1802 ; ils sont consignés dans un livre du docteur Guillemeau. Le brave docteur a 276 MÉTÉOROLOGIE £T PHYSIQUE DU GLOBE oublié de nous dire à quelle heure il faisait ses observations, quel genre de thermomètre il employait et comment il était installé. Il nous a laissé un amalgame de chiffres disposés sans ordre et desquels je n'ai pu tirer que ces deux indications. Si l'on en croit Guillemeau, le maximum absolu de température, de 1802 à 1841, s'est produit le 22 juillet 182o; ce jour-là, le thermomètre du docteur monta à 4i'\ Le minimum ab- solu, pendant la même période, — 17°, a été noté le 27 décembre 1829. Je ne sais quel degré de confiance nous pouvons accorder à ces deux extrêmes. Dans ses études, la Commission des Deux-Sèvres a admis la division de l'année étabhe dans le bassin de la Seine, en saison chaude et saison froide. La première comprend les mois d'avril, mai, juin, juillet, août, septembre et octobre ; la seconde est fournie par les mois de novembre, décembre, janvier, février et mars. La moyenne thermométrique de la saison chaude, calculée pour la pé- riode 1878-1890, est de lfj°,5 ; la moyenne de la saison froide est de 5°,8 ; soit une moyenne générale annuelle de 10", (3, que je considère comme constituant la normale. De 1878-1892, l'été le plus chaud a eu pour moyenne 16",! : c'est le chiffre obtenu en 1878 et en 1886. L'hiver le plus rigoureux a été celui de 1887-1888, dont la moyenne a été 4°,2, c'est-à-dire inférieure de plus de 1° à la normale. Les mois de juillet et août ont pour moyennes 19°,2 et 19°, 3. Le mois de janvier est le plus froid de l'année, avec la moyenne 3", 6. L'examen des chiffres ci-dessus montre que l'écart est peu considérable entre les moyennes d'été et d'hiver. C'est là le propre d'un climat tem- péré. Nous avons remarqué que toutes les fois que la température maxima atteint ou dépasse 32", en été bien entendu, il se produit un changement de temps en quelque sorte instantané. Un orage se montre immédiate- ment. De même quand, en hiver, le thermomètre minima descend à — 12", il y a un changement de temps prochain. Ce sont là deux observations personnelles sur lesquelles j'ai eu occasion d'appeler l'attention de la Commission départementale, et qui m'ont paru bonnes à être signalées au Congrès . En dehors de la température de l'atmosphère, je me suis occupé de celle des sources qui alimentent le déparlement. Il résulte de mes re- cherches que les eaux qui jaillissent du calcaire sont plus chaudes que celles qui ont traversé le granit ou le schiste. J'ai trouvé pour moyenne de trente-cinq sources, 11°, 1 ; la plus froide ayant 8°,2 et la plus chaude 13". J'ai pu contrôler dans les Deux- Sèvres l'assertion de M. Renou, qui nous dit que la température maximum des sources se ma- nifeste k l'automne. Je ne dis rien de la composition chimique des eaux; SIEUR. — MÉTÉOROLOGIE DU DÉPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES 217 cette question est du domaine de la chimie ; elle fera l'objet d'une étude qui ne peut trouver place dans la statistique purement météorologique qui m'occupe en ce moment. III. — De i,a pluie. Les vents du sud-ouest apportent chaque année une certaine quantité de pluie qui tombe sur la plaine ; les nuages bas et pluvieux ne fran- chissent pas lahgnede faîtes dont j'ai parlé plus haut; aussi le versant sud-ouest du plateau qui essuie ces vents reçoit-il plus d'eau que le ver- sant nord-est. Le rapporteur de la Commission des pluies a remarqué que la quantité de pluie tombée sur une localité voisine de la ligne de faîtes est proportionnelle à la pente du versant. Les stations de Mazières en Gàtine et de l'Absie occupant les sommets à altitude maximum, four- nissent chaque année le maximum pluviom.étrique. Le minimum de chute se trouve aux environs de Thouars, à Belleville. La Commission départementale ne possède que depuis dix ans les relevés de cinquante-deux stations, tandis que, pour la station de Niort, les documents à ce sujet remontent à l'année 1862. Voici la moyenne pluviométrique à Mort pour chaque mois : Janvier, 71 millimètres; février, o2 millimètres; mars, o9 millimètres; avril, 60 millimètres ; mai, 63 millimètres ; juin, 60 millimètres ; juillet, 53 millimètres ; août, 49 millimètres ; septembre, 67 millimètres ; octobre, 97 millimètres ; novembre, 84 millimètres ; décembre, 7o millimètres ; soit une moyenne annuelle de 780 millimètres. L'année la plus pluvieuse de 1862-1890 a été 1883, qui a fourni 1.096 millimètres, et la plus sèche, 1869, qui n'a donné que 573 millimètres. Si nous faisons la moyenne des jours de pluie dans l'année, nous trouvons 15o à l6o. On a pu remarquer que 1881, tout en ne comptant que 141 jours de pluie, a donné 723 mil- limètres d'eau ; l'année 1872, avec 214 jours, a fourni 1.013 millimètres. En somme, on voit qu'au point de vue pluviométrique comme au point de vue thermique, notre département n'est point un climat excessif La pluie et le beau temps se succèdent assez régulièrement pour favo- riser la végétation. L'année 1892 fera époque par sa longue période sèche qui comprend le printemps et l'été. La neige ne tombe abondam- ment que dans les arrondissements de Bressuire et Parthenay. A peine fait-elle une apparition chaque année dans la plaine sur laquelle elle ne séjourne que très rarement. IV. — Des ORAGES. La Commission météorologique des Deux-Sèvres ne possède que depuis cinq ans des documents précis sur la formation et la marche des orages. 278 MÉTÉOROLOGIt: ET PHYSIQUE DU GLOBE Ces dernières années, notre honorable colir3gue Barillier-Bcaupré dresse des cartes qui sont le plus bel ornement du Bulletin départemental. L'examen de ces cartes dressées avec un soin minutieux, montre que la route suivie le plus fréquemment par nos orages est sud-ouest-nord-est. Quelques-uns, venant du Maine-et-Loire et s'arrètant sur les arrondisse- ments de Parthenay et Bressuire, nous viennent du nord-ouest et s'a- vancent dans la direction sud-est. Le voisinage de la mer fait que les orages des Deux-Sèvres sont moins nombreux et moins violents que ceux qui frappent les départements du centre. Le tableau suivant indique les journées orageuses dans la période 1887-189 L En 1887, il y a eu 65 jours d'orage; en 1888, on compte 48 jours ; 33 en 1889; 43 en 1890 et 30 en 1891 ; soit, au total, ^219 pen- dant les cinq années. I^es mois de juin, juillet et août sont ceux où se produit le maximum d'orages, mai et septembre viennent ensuite. Nous ne considérons pas comme orageuse la journée où l'on a entendu le bruit d'un coup de tonnerre dans le lointain. Ordinairement, nous appe- lons orageuse la journée qui a vu former plusieurs orages en divers points du département. On peut remarquer que, dans nos contrées de l'ouest, les orages sont multiples et simultanés ; un orage est rarement isolé ; ils ont une tendance à souffler par séries ; ils se succèdent à intervalles rap- prochés en suivant la même trajectoire ou au moins suivant des directions parallèles. J'ai pu observer qu'un grand nombre d'orages n'ont pas une trajectoire nettement déterminée : après être restés quelque temps sta- lionnaires, on les voit se diviser en deux ou trois tronçons. C'est le cas pour tous les orages locaux qui paraissent suivre les vallées. En ce qui concerne les orages à grande trajectoire, ils prennent naissance dans le golfe de Gascogne, franchissent tout le département du sud au nord et ne sont point arrêtés par les collines de la Gàtine. Cette seconde catégorie d'orages est moins fréquente que la première ; elle paraît également moins redoutable pour les récoltes, elle ne laisse tomber de la grêle que très rarement. C'est principalement aux orages locaux, croyons-nous, qu'il faut attribuer les nombreuses chutes de foudre qui causent les incendies des habitations ou des meules de foin et de paille. Dans les Deux-Sèvres on a signalé trente-trois accidents graves causés par la foudre en 1889 : incendies, arbres brisés, personnes frappées, etc. En moyenne, deux ou trois personnes sont tuées chaque année. Les périodes orageuses sont caractérisées par une baisse barométrique très accentuée et une élévation de température subite dans une atmo- sphère humide. En hiver, on a remarqué quelques orages assez violents accompagnés de grésil, ce qui semblerait justifier la théorie de Spring sur l'origine de ces phénomènes grandioses. On sait que le savant pro- I,_ j K(1N. — PROJET d'observatoire RÉGIONAL DE LA TOUR MONCADE 279 fesseur belge considère l'électricité des nuages orageux comme produite par la congélation des gouttelettes d'eau. \ _ Sur la durée de l'insolation, a Niort, pendant l'année 1891. Depuis le l^'' janvier 1891, la Commission des Deux-Sèvres possède un héliographe Campbell qu'elle a installé à Niort. Nous espérons tirer quelque conclusion pratique des indications fournies par cet instrument. Un de nos collègues attribue au grand éclairement solaire de 1892 la bonne qualité du blé. L'intluence de la lumière, dit-il, sur la végétation du blé dans nos campagnes est peut-être aussi importante que celle de la chaleur. Nous aurons à examiner ce qu'il y a de fondé dans cette assertion. En attendant, voici le relevé des indications fournies par notre héliographe pendant l'année 1891 : Du l*""' janvier au 31 décembre, nous avons eu, à Niort, 33 jours pen- dant lesquels le ciel est resté sans nuage et 62 pendant lesquels le soleil a été complètement caché. Le reste de l'année a présenté des alternances de soleil et de nuages. Le mois de juin a fourni le maximum d'insolation, 268 h. 17m., août et juillet viennent après avec 2o4 h. 10 m. et 238 h. o m. C'est le mois de février qui a fourni le déficit minimum d'insolation, 138 h. 10 m.; le déficit maximum, 289 h. lo m., a été noté en mai. Si le soleil n'eût pas été caché par les nuages, il aurait brillé à Niort pendant 4.467 h. 8 m. ; il ne s'est montré que pendant 1.988 h. 38 m., accusant ainsi un déficit total de 2.478 h. 30 m. M. Henry LÉOI Président de la Sociuté do Climatologie pyrénéenne, à Pau. PROJET D'OBSERVATOIRE RÉGIONAL DE LA TOUR MONCADE, A ORTHEZ — Séance du 16 septembre 1892 — La météorologie, bien longtemps réduite à des observations dont les déductions étaient négligées, commençait à se développer avec le concours du Bureau central météorologique de Paris, qui, dès 1864, sous la puis- sante initiative de M. Le Verrier, établissait, grâce à l'aide de l'électricité, Je grand réseau européen d'observations météorologiques, en vue des 280 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE avertissements de tempêtes pour les marins. Il se fondait alors des postes d'observations dans toutes les écoles normales du territoire et l'on insti- tuait dans chaque département des Commissions météorologiques chargées de réunir tout ce qui. dans leur rayon particulier, avait trait aux phéno- mènes de l'air. Mais, jusqu'à un moment donné, rien n'était régulier et les observations livrées à des observateurs sans méthode et sans contrôle, commencées et suspendues, ne pouvaient former un champ d'exploration utile. Elles n'en propageaient pas moins l'idée, et le goût du baromètre et du thermomètre alla en grandissant, surtout lorsque, des études et des comparaisons faites, on en vint à établir sur des bases à peu près solides la grande science de la prévision du temps, aujourd'hui à l'ordre du jour de toutes les nations civilisées préoccupées du temps à venir. Quant à la climatologie, cette autre science appliquée, découlant de la météorologie, elle n'était pas encore, pour ainsi dire, née. Elle était à l'état théorique, embrassant l'étude de toutes les causes qui caractérisent les divers climats, et par suite les diverses régions de la surface du globe; mais elle n'avait en soi rien de pratique dans ce qui avait trait aux modifications apportées dans l'organisme humain par l'influence des cli- mats et l'on n'en avait point déterminé tout ce qui devait la rattacher aux règles déjà connues de l'hygiène publique et privée. Et cependant l'influence des climats sur les êtres vivants était connue de la plus haute antiquité. Aristote et Platon l'avaient signalée. Hippocrate lui avait consacré de nombreux développements. A la tradition et aux enseignements de la- logique, Arétée, Asclépiade, Temison et Colse avaient ajouté le témoignage de Texpérience. Le philosophe avait recherché les causes des différences qui existent dans la constitution, le caractère, les mœurs, la manière d'être des peuples ; le médecin avait trouvé dans l'action des climats sur l'homme des moyens efficaces pour guérir certaines maladies. Philosophes et méde- cins constataient la puissance et la généralité de cette ressource thérapeu- tique; car telle est la liaison intime qui existe entre la vie morale et la vie physique que toute diversion opérée sur la première réagit de toute nécessité sur la seconde. Le Congrès de climatologie et d'hydrologie qui s'est tenu à Biarritz, le 1" octobre 1886, a été la consécration de la climatologie. Ces assises, qui ont emprunté une "importance presque solennelle au concours de tous les savants arrivés des divers pays d'Europe et d'Amérique, ont posé sur des bases sérieuses la science des climats à peine ébauchée quoique depuis longtemps énoncée en principe. Toutefois, afin d'arriver à la propagation des idées que le Congrès avait H. LKON. — PROJET d'oBSERVATOIUE RÉGIONAL DE LA TOUR MONCADE 281 soulevées, il fallait une société qui, grâce à une action continue, intelli- gente et contrôlée, s'imposât la mission de poursuivre l'œuvre au delà de ses débuts. C'est ainsi qu'était née, s'installant à Bayonne, comme un point plus indépendant dans la région du sud-ouest, la Société de climatologie pyré- néenne, groupant toutes les forces vives de la contrée et dirigeant sous un même drapeau les météorologistes du sud-ouest, depuis Arcachon et Biar- ritz jusqu'à Bagnères-de-Bigorre, dans le but de discuter les questions d'hygiène et de mettre en relief les stations climatériques qui pouvaient être utiles en vue du bien-être de la vie et dans la recherche de la santé, au moyen d'observations que la météorologie locale pouvait favoriser. Elle vit donc arriver successivement, à son appel, avec leurs observa- tions : Arcachon : Société scientifique, D"" Hameau. — Bayonne : Société de climatologie, E. Ragon. — Biarritz : Biarritz Association, Ch. Sébic. — BiGORRE : Société Ramond, D-" Gandy. — Cambo : Établissement thermal, D-- Juanchuto. — Dax : Société Borda, D^ Bourretère. — Pau : Observa- toire particulier, A. Piche. — Salies : Établissement thermal, Saint-Guily. Et pendant quatre ans ces observatoires ont envoyé à la Société de climatologie pyrénéenne leurs observations journalières qui sont devenues, dans le lîuUetin de cette Société, l'objet d'un tableau mensuel comparatif avec les observations parallèles de Paris pris comme terme du nord et de Nice pris comme terme de la région méditerranéenne, auquel s'ajou- taient, comme complément, des résumés trimestriels et annuels. Ces observations qui, toutefois, il faut le dire, n'avaient pas la perfection que l'on aurait voulu leur reconnaître, établissaient d'une façon suffisam- ment scientifique le climat de la région et venaient en aide aux écrivains qui se donnent pour mission de placer la chmatologie au service de la médication nouvelle, celle de l'utilisation de la nature par la vie au grand air, pour le soulagement ou la guérison des maladies nombreuses qui, sous • le nom d'états de santé, entravent trop souvent l'exercice naturel de l'existence. Et pendant que cette évolution de la météorologie se faisait, alors que naissait l'émission du principe de la climatologie comme science appliquée, un passionné de la météorologie, un vrai bénédictin, retiré à Saint-Martin- de-Hinx, dans un coin du département des Landes, avoisinant le rayon maritime du golfe de Gascogne, à 20 kilomètres de Bayonne et sur un plateau à 100 mètres d'altitude, M. Cartier, enfermé dans son champ, avait créé pour lui seul, sans aucune subvention ni assistance quelconque, sans autre but que celui d'observer et de noter, un observatoire que l'on peut qualifier de premier ordre, réunissant tous les instruments qui servaient à inscrire les phénomènes de l'air. Ses observations, qui datent 282 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE de 1864, se sont continuées jusqu'à sa mort pendant vingt-six ans, recueillies sans interruption, avec un dévouement, un soin et une exactitude remarquables, publiées d'abord dans un grand nombre de brochures, groupées ensuite régulièrement sous forme de courbes auxquelles ont été joints des résumés mensuels depuis 1878. Cette série peut être considérée comme une des meilleures qui existent, établissant avec des pièces immuables les fluctuations du climat de la région pyrénéenne. Mais M. Cartier a cessé d'exister et le travail qu'il avait commencé est interrompu et ne se poursuivra plus. Les essais d'union des météorolo- gistes de la contrée n'ont pu avoir de suites : les perfectionnements que l'on attendait dans l'installation des observatoires ne se sont pas produits, les observateurs ont mis des négligences qui empêchaient la régularité des publications ; il y avait parfois des lacunes, et souvent il aurait fallu suppléer à des chiffres non établis afin de rendre complets les résumés dont la publication avait son importance. Tout reposait sur une seule tête dont les loisirs seuls pouvaient èlre employés à une œuvre semblable qui, pour être continuée, devait atteindre une certaine perfection, afin de se montrer avec une autorité incontestable . Dans de telles conditions, il a paru convenable de réédifier sur des bases nouvelles ce qui avait été démoli par les circonstances, et un nouveau projet d'observatoire régional a surgi, relevant de ses cendres non éteintes l'observatoire scientifique de M. Carlier et poursuivant l'œuvre pratique de la Société de climatologie pyrénéenne, dont le drapeau arboré existait toujours chez son président, M. Henry Léon. Mais, pour énoncer ce projet, nous ne saurions faire mieux que de reproduire sur cette question l'extrait du rapport de M. A. Piche, sur la météorologie dans le département des Basses-Pyrénées : « A la mort de M. Carlier, dit M- Piche, sa veuve offrit à l'État l'obser- » yatoire de Saint-Martin-de-Hinx, instruments et propriété, à la condition » que la longue et belle série d'observations faite par son mari serait » continuée. ■)•> Le Bureau central étudia la question de savoir si cette proposition » devait être acceptée. » Après examen, il conclut à la négative, probablement par défaut » d'élasticité dans son budget, peut-être aussi parce que Saint-Martin- » de-Hinx, quoique près de Bayonne, est un point d'accès peu aisé et )) n'offrirait aucune ressource aux savants chargés d'y passer leur vie » (à moins d'en faire un pénitencier météorologique). » Chagriné de voir cette série interrompue et cette belle collection « d'instruments inutilisée, M. Léon, dont l'esprit est toujours en quête » d'améliorer les observations de la région, s'est dit : „_ , ,.-ox. PROJET d'OBSERVATOIUE liÉGIOXAL PK I.V TOUR MONCADE 283 » Devons-nous demander à M"'« Carlier de nous donner les instruments » de son mari, pour fonder, sous son nom, un observatoire à Bayonne, » Biarritz, Dax ou Pau? iNon, car toutes observations faites dans ces sta- » tions hivernales ou balnéaires seront toujours soupçonnées de partialité. » Mettons plutôt l'observatoire Carlier à Orthez, à la tour Moncade. » Nous établirons ainsi, de façon indiscutable, le climat du sud-ouest » et nos stations en bénéficieront, bien plus que si l'observatoire était » dans l'une des cités. » M. Léon me communiqua cette idée, que je combattis tout d'abord ; » la réflexion m'amena cependant à la partager. » Orthez est bien situé, au nord du département, à distance assez grande » de la mer et des montagnes ; la tour Moncade se dresse sur le sommet » d'un coteau à pentes douces. L'observatoire qu'on y établirait, relié » optiquement et par télégraphe et téléphone à l'observatoire du Pic du » Midi, ainsi qu'à un troisième point qui pourrait être le jardin Massy, » de Tarbes, otîrirait une triangulation météorologique merveilleuse, sur- » tout pour l'étude des nuages, si intéressante, mais si difficile. » L'observatoire du Pic n'aura toute sa valeur que quand il sera com- » piété par deux postes bien situés au pied de la chaîne, en avant de » laquelle il se dresse. » Au point de vue climatologique, l'observatoire d'Orthez nous ferait » connaître les conditions atmosphériques de cette région, si belle et si » intéressante du sud-ouest, dont le climat est vraiment spécial par sa » douceur et son absence de vent. Enfin, les chefs de la station d'Orthez 9 vivifieraient tous les postes de la région, en contrôlant les instruments, » inspectant les installations, en centralisant les documents et en les » publiant. » Cela rentrait d'ailleurs dans le plan d'organisation départementale » soumis autrefois au Bureau central par notre Commission météorolo- » gique. » En effet, tant qu'il n'y aura pas dans chaque département un minimum » de service officiel, assuré par des ^.gents rétribués, les commissions » météorologiques vogueront à l'aventure, sans direction, sans esprit de » de suite, sans concert. » Assurez ce minimum de service, elles reprendront leur activité féconde » et donneront des travaux d'une véritable valeur. » J'encourageai donc M. Léon dans son idée et l'engageai à la trans- » former en projet à soumettre à M. Planté, maire d'Orthez. » Celui-ci, archéologue distingué, esprit ouvert et accueillant, vit aussitôt » dans ce projet une occasion favorable de conserver, restaurer et utiliser » le vieux donjon de Gaston Phœbus et promit son concours ie plus » empressé. 284 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE » Le conseil municipal d'Orthez, sur la proposition de son chef, prenait, » à la date du 12 février dernier, une délibération des plus favorables ; » l'affaire est soumise au conseil général et suit son cours. Peut-être » aboutira-t-elle au moment du Congrès? » Aujourd'hui, avec la réorganisation de la Société pyrénéenne de climato- logie, la création de l'observatoire d'Orthez est décidée; le maire d'Orthez s'est mis en rapport avec le ministre pour la restauration de la tour Moncade, classée parmi les bâtiments historiques ; un plan a été fait avec tous les aménagements que comporte un observatoire. Trois étages et la terrasse renfermeront les ateliers de réparation des instruments et le loge- ment du gardien, la salle des archives et de la bibliothèque, la salle des instruments qui n'ont pas besoin d'une exposition à l'air, la terrasse pour tout ce qui constitue les observations à l'air libre. Les alentours seront disposés en jardin, et une esplanade sera formée pour placer l'abri Renou, pour les observations des instruments qu'il comporte. Nous venons donc, au nom de la Société jnjvénéenne de climatologie, au nom de M""^ veuve Carlier, au nom de la ville d'Orthez, au nom du dépar- tement des Basses-Pyrénées et de la région tout entière du sud-ouest, solliciter de V Association française pour l'avancement des sciences, réunie en Congrès à Pau, de vouloir bien appuyer de son autorité le projet de fondation de l'observatoire régional de la tour Moncade, à Orthez, reconnu comme utile et complémentaire des grands observatoires établis. M. Alfred AIGOT Docteur es sciences, Météorologiste titulaire au Bureau central météorologique de France, ^ Paris. SUR L'ÉTUDE DES NUAGES PAR LA PHOTOGRAPHIE — Séance du 16 septembre 1892 — L'étude des nuages est une des parties les plus intéressantes de la météo- rologie. Leurs mouvements et leurs formes sont en relation certaine avec les variations du temps et permettent souvent de les annoncer longtemps à l'avance. D'autre part, la détermination de la hauteur et de la vitesse ab- solue des nuages est le seul moyen que nous possédions, en dehors des A. ANGOT. — SUR l'ÉTUDE DES NUAGES PAR LA l'IIOTOGRAPHIE 285 ascensions aérostatiques, pour connaître la direction et la vitesse des cou- rants supérieurs de l'atmosphère. Mais cette étude offre les plus grandes difficultés ; il est impossible, en effet, de décrire l'aspect des nuages d'une façon assez précise pour qu'on puisse s'en faire une idée même approchée. Le dessin est également im- puissant à saisir ces apparences si complexes et si rapidement variables. L'emploi de la photographie s'impose donc d'une manière absolue pour fixer l'aspect exact du ciel à un moment donné. Cet emploi est aussi très avantageux quand on veut déterminer la posi- tion absolue des nuages dans l'espace. Pour faire cette détermination, on mesure d'ordinaire simultanément au théodolite^ de deux stations suffisam- ment éloignées, l'azimuth et la hauteur du même point d'un nuage ; on en déduit, par les méthodes ordinaires de triangulation, la hauteur de ce point au-dessus du sol et sa distance aux deux stations. En répétant la même opération quelque temps après et comparant les deux positions succes- sives occupées par ce point, on calcule aisément la direction et la vitesse du mouvement de translation dont le nuage est animé. Cette méthode, simple en théorie, présente dans l'application de grandes difficultés. Les deux stations doivent être reliées par le téléphone, pour que les observateurs puissent s'entendre sur le point exact du nuage qu'il convient d'observer; cette entente est généralement malaisée et il peut souvent subsister quel- ques doutes sur l'identité des points visés. En tous cas, l'opération est longue et ne peut pas être répétée rapidement pour plusieurs points, ce qui serait cependant indispensable; ce n'est, en effet, qu'en mesurant presque au même instant la hauteur et la vitesse de différents points d'un même nuage et comparant les résultats, qu'on peut apprécier le degré d'exactitude des mesures et obtenir une moyenne méritant quelque confiance. L'emploi de la photographie présente, dans ce cas encore, des avantages évidents. En photographiant simultanément de deux stations suffisamment éloignées la même région du ciel, on obtient d'un seul coup l'image exacte de tous les nuages que cette région comprend. On peut ensuite effectuer à loisir sur ces plaques toutes les mesures nécessaires d'azimuth et de hau- teur et pour autant de points que l'on veut, en prenant tous ceux qui peuvent être identifiés d'une manière certaine sur les deux épreuves. Toutes les fois qu'on a des nuages sombres sur un fond bleu ou blanc, la méthode photographique ne présente aucune difficulté. On opère avec des plaques quelconques au gélatino-bromure d'argent et avec un obtu- rateur permettant d'obtenir des poses très courtes, entre un dixième et un centième de seconde ou même moins. Après trois ou quatre essais, on saura immédiatement quelle vitesse convient le mieux pour l'objectif et les plaques que l'on emploie, ainsi que pour le degré de clarté du ciel. 286 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE J'estime qu'il est préférable, dans le doute, d'avoir plutôt un léger excès qu'un défaut de pose. Si, après développement et fixage l'épreuve paraît un peu trop posée, on la ramènera facilement au point voulu en la plon- geant dans un bain d'hyposulfite de soude de 0 0/0 à 10 0/0, dans le- quel on ajoute progressivement quelques gouttes d'une solution saturée de prussiate rouge de potasse, faite peu de temps avant l'emploi. L'image se ronge peu à peu dans ce bain, plus ou moins vite, selon la quantité de prussiate; on suivra la diminution d'intensité avec soin; on retirera la plaque un peu avant d'être arrivé au point voulu et on lavera ensuite abondamment. Par ce moyen, on peut toujours tirer un bon parti de plaques un peu trop posées, et l'on obtient, à mon avis, de meilleurs ré- sultats qu'avec des épreuves trop peu posées qu'on essaierait ensuite de renforcer par les procédés ordinaires. On ne rencontre de réelles difiîcultôs que pour photographier des nuages blancs, surtout légers, comme les cirrus et cirro-cumulus, se dé- tachant sur un ciel bleu clair. On sait, en eiïet, que, sur les plaques ordi- naires, le bleu agit à peu près comme le blanc, de sorte qu'on n'obtient sur le cliché qu'un ciel uniforme ou présentant des apparences de nuages trop faibles pour permettre des mesures et surtout des reproductions po- sitives. Il n'y a qu'un moyen, c'est de chercher à éteindre l'action photo- génique de la lumière du ciel, tout en conservant à celle des nuages une intensité suffisante. On peut y arriver de plusieurs manières. La plus simple consiste à interposer sur le trajet des rayons un écran coloré en jaune ; la lumière bleue du ciel contenant peu ou point de rayons de cette couleur est arrêtée presque complètement si l'écran est suffisamment foncé ; au contraire, les nuages agissent sur la plaque sen- sible parleur lumière jaune et produisent une impression. C'est ce procédé qui a été employé le premier. M. Hildebrandsson, d'Upsal, a obtenu ainsi d'assez belles épreuves : il prenait comme écran une cuve de verre à faces parallèles contenant une dissolution de gomme-gutte additionnée d'un peu de sulfate de quinine. Seulement, comme les plaques ordinaires ne sont que très peu sensibles aux rayons jaunes, il faut poser très longtemps ou employer des plaques préparées d'une façon spéciale, de manière à augmenter leur sensibilité pour les rayons moyens du spectre solaire. C'est ce moyen que paraît avoir aussi employé M. Garnier, de Boulogne-sur-Seine, qui a obtenu les plus belles photographies que j'aie vues jusqu'à ce jour. Malheureusement, M. Garnier n'a pas publié son procédé, sous le prétexte que les tours de main auxquels il a recours sont trop compliqués pour pouvoir être décrits d'une manière précise et appli- qués par d'autres que par lui. Un autre moyen, qui a permis à M. Riggenbach, professeur à l'Univer- sité de Bâle, d'obtenir de très belles épreuves, consiste à profiter de ce que A. A.NGOT. — SUR l'ÉTUDE DES NUAGES PAR LA PHOTOGRAPHIE 287 la lumière bleue du ciel est partiellemenl polarisée, surtout à 90 degrés du soleil, tandis que celle des nuages ne présente pas trace de polarisation. En regardant le ciel à travers un analyseur, que l'on tourne d'une façon convenable, on éteint donc une partie notable des rayons émis par le ciel bleu, sans diminuer proportionnellement l'intensité des nuages; le con- traste est augmenté et l'on peut obtenir des épreuves de nuages très belles. Comme analyseur on place devant l'objectif soit un prisme de Nicol, soit une glace noire inclinée sur l'axe optique de l'objectif, d'un angle égal à l'angle de polarisation totale, et portée par une monture qui lui permet de tourner autour de cet axe. L'inconvénient de cette méthode est, qu'elle n'est pas générale, le degré de polarisation de la lumière bleue du ciel variant beaucoup suivant la direction. De plus, on ne peut guère employer le JNicol, qui diminue trop le champ, et la glace noire placée devant l'objectif rend l'orientation de l'appareil assez difficile. Toutefois, ce pro- cédé peut rendre de grands services ; il a donné, entre les mains de M. Riggenbach, de très beaux résultats, surtout quand on opère, comme l'a fait ce savant, au sommet de hautes montagnes où le ciel est toujours beaucoup plus foncé, ce qui augmente déjà beaucoup la différence entre les actions photogéniques du ciel et des nuages. Un dernier procédé qui a été également employé par M. Riggenbach est le suivant : On n'emploie aucun artifice spécial et on photographie simplement le ciel, mais avec un diaphragme assez petit et une durée de pose assez courte pour que presque rien ne vienne au développement et qu'on aperçoive seulement, après tixage, une image des nuages extrême- ment faible, à peine apparente ; on emploie alors un renforcement énergique. Celui qui a donné les meilleurs résultats à l'auteur est le renforcement au mercure et au sel de Schlippe (sulfo-antimonite de sodium). Ce renforcement s'effectue de la manière suivante : la plaque, fixée et lavée comme d'ordinaire, est plongée quelques minutes dans une dissolution à 1 1/2 0/0 de bichlorure de mercure, lavée abondamment, puis immergée dans une dissolution à 2 0/0 de sel de Schlippe, où on la laisse assez longtemps pour qu'il ne reste plus aucune place blanche sur l'envers de la plaque. On termine par un bon lavage. Ce procédé, qui peut donner parfois de bons résultats, ne me paraît pas absolument recom- mandable; il est, en tous cas, très dangereux. Le sel de Schlippe est, en effet, d'une conservation difficile et l'on risque le plus souvent de gâter complètement ses clichés en les renforçant. Grâce à une subvention qu'a bien voulu m'accorder V Association fran- çaise jiour l'avancement des sciences, j'ai pu faire depuis quelques mois de nombreux essais de photographies de nuages, et je crois que le pro- cédé le plus sûr et en môme temps le plus simple est encore le premier, c'est-à-dire l'emploi décrans colorés, à condition de se servir en même 288 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE temps de plaques convenables. Le plus commode de tous les écrans est certainement un verre jaune de couleur convenable ; mais comme il faut de nombreux essais pour trouver la meilleure sorte de verre, je crois qu'il vaut mieux recourir aux écrans liquides, dont la composition peut toujours être reproduite identiquement la môme. Le liquide dont je fne sers cons- tamment est le suivant, que m'a indiqué i>L Léon Vidal, mais qui a été, je crois, employé pour la première fois par le docteur Neuhaus : Sulfate de cuivre 175 grammes. Bichromate de potasse 17 — Acide sulfurique 5 centigrammes. Eau SOO grammes. On peut, du reste, augmenter ou diminuer à volonté la quantité d'eau suivant l'intensité de la teinte que l'on veut obtenir. Ce liquide est renfermé dans une petite cuve fermée par des glaces paral- lèles et que l'on peut fabriquer soi-même ou se procurer facilement chez tous les fabricants d'instruments d'optique. On place cette cuve contre l'objectif, soit en avant, soit en arrière, suivant que cela paraît plus com- mode. Les cuves que j'emploie ont de G à 7 millimètres d'épaisseur inté- rieure. Concurremment avec ce li(|uide, il convient de se servir, comme plaques sensibles, de celles que fabrique la maison Lumière et qu'elle désigne sous le nom de plaques orthochromaliques sensibles au jaune et au vert. Ces plaques se trouvent couramment dans le commerce et sont très employées pour faire des épreuves de paysages. Les photographies que je présente, en même temps que cette note, ont été obtenues par ce procédé avec un petit objectif grand-angulaire de Prazmovvski, de 15 centimètres de foyer et de 7 millimètres d'ouverture. Avec cet objectif, ancien et peu lumineux, il suilit d'une durée de pose de 0%5 à 0%8, suivant le degré d'éclairement des nuages. Tous les procédés de développement conviennent : sulfate de fer et oxalate de potasse, hydroquinone, paramidophénol ; mais il est bon d'ajouter toujours un peu de bromure de potassium, ce qui retarde le développement, mais donne des images plus denses. D'une manière générale, il vaut mieux ne pas employer un développateur très rapide, et on se tiendra plutôt un peu en dessous qu'en dessus de la durée de pose convenable, assez près cependant de celle-ci pour n'avoir pas besoin de renforcement. Les clichés faibles se prêtent mieux, en effet, aux mesures que les clichés trop intenses, et on peut en tirer des positifs très convenables à l'ombre et sous le papier dioptrique. Je citerai, par exemple, l'épreuve de cirro- stratus obtenue le 13 août 1892, à 3 heures du soir (15'' 0'" 7'j. Bien que ce nuage fût très léger et le ciel un peu laiteux, ce qui a donné un cliché A. ANGOT. ^ — SUR l'ÉTUDE DES MAGES PAR LA PHOTOGRAPHIE 289 très faible, le positif, tiré à l'ombre sous le papier dioptrique, est très satisfaisant. Dans toutes ces épreuves, qui comprennent de préférence les nuages 'les plus difficiles à photographier, cirrus et cirro-stratus, on a poussé intentionnellement le tirage assez loin, de manière à montrer que l'on peut obtenir beaucoup de contrastes : un ciel très noir et des nuages très blancs. Il est bon d'ajouter que toutes les photographies ont été faites près de l'horizon, au Bureau central météorologique, dans l'intérieur de Paris, c'est-à-dire dans des conditions atmosphériques peu favorables. Les résultats seraient certainement bien meilleurs si l'on opérait dans de bonnes conditions, à la campagne, ou mieux encore sur les montagnes. Je me propose de continuer ces recherches et d'essayer, au moyen de la photographie, de mesurer la hauteur et la vitesse des nuages. Le but de la présente communication a été surtout de faire connaître aux ama- teurs de photographie, si nombreux aujourd'hui, qu'il existe des procédés simples et sûrs pour réussir les photographies de nuages. J'espère que cela pourra en décider quelques-uns à se lancer dans cette voie et que nous pourrons bientôt réunir en France une collection de photographies de nuages qui ne laissera rien à envier à celles que l'on réunit en ce moment dans les observatoires de l'étranger. Légende des planches î et II. •pl. I. — 31 mai 1892, à 3 h. 26 m. du soir. Cirrus et cumulus au sud. Les cirrus venaient sensiblement du sud ; ils ont pré- cédé un orage qui a éclaté le soir même à 7 heures. Pl. II. — 29 août 1892, à 3 h. 43 m. du soir. Cirrus et cumulus au nord-ouest. Les cirrus venaient sensiblement du sud-ouest; beau temps. 'Ces deux photographies ont été faites avec un objectif grand-angulaire de Prai- mowski,de 14 cenlimètres de foyer, derrière lequel était placée une cuve con- tenant la dissolution de bichromate de potasse et de sulfate de cuivre. On a «mplojé des plaques orthochromatiques Lumière ; durée de pose, 0',8. l'J' ^290 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE M. le F &AILT Bagnères-de-Bigorre. QUATRE ANNÉES D'OBSERVATIONS A BAGNERES-DE-BIGORRE — Séance du i7 septembre 1892 — La station météorologique de Bagnères-de-Bigorre, dont la création remonte au Congrès d'hydrologie et de climatologie de Biarritz (1886), a commencé à fonctionner à la suite du Congrès de V Association française de Toulouse (1887). En résumant les observations prises depuis le 1" décembre 1887 jus- qu'au 31 août 1892, on obtient les résultats suivants : Pression 6arome^/-içMe. — Moyenne générale : 715'""M0. (L'altitude de la station est de 550 mètres.) Les chifïres extrêmes observés ont été : pour le minimum, 686'"'",70, le 19 février 1892 ; pour le maximum, 730'»'",50, le 8 janvier 1888. Le minimum du 19 février est tout à fait exceptionnel. Les minima des années précédentes oscillent entre 691,2 (1888) et 697,0 (1891). Cette baisse extraordinaire a fait l'objet d'une communication à la SocieVé de Météorologie (mai 1892). Il est à remarquer que les pressions et les dépressions extrêmes se pro- duisent pendant les quatre mois de l'hiver, de décembre à mars, et que les moyennes les plus basses s'observent en mars et avril, époque de pré- dilection des bourrasques. Températwe. — Moyenne générale : 10°,5. Les moyennes déduites d'observations antérieures, prises avec moins de précision, donnaient des chiffres plus élevés. Le mois d'octobre est celui dont la moyenne se rapproche le plus de la moyenne annuelle. Le mois de janvier donne la moyenne la plus basse : 3°, 5. Les mois de juillet et d'août, les moyennes les plus hautes : 17^21 et 17°,99. La température la plus basse a été de — 15°, le 18 janvier 1891. La température la plus haute a été de 37°, le 16 août 1892. Ce maxi- ]num est absolument exceptionnel. H. LÉON. UN SANATORIUM DANS LES PYRÉNÉKS 291 Le thermomètre, déduction faite de ces deux chiffres, se tient entre — 13°,8 (1890) et 32°.06 (août 1890). Nébulosité. — Moyenne générale : 6,23. Humidité relative. — Moyenne générale : 70,4. Les moyennes les plus basses sont données par le mois de mars (notre mois le plus venteux), 6i,2, et par le mois de décembre, 65,3. Les moyennes les plus fortes sont données par les mois de juillet et d'août, 73,1 et 72,2. Les plus fortes sécheresses ont été observées de décembre à février : 14, en décembre 1888 ; 19, en décembre 1889; 16, en janvier 1890 ; 8 (!) en février 1891. Pluviométrie. — Moyenne générale annuelle : 1.360 millimètres. Les années extrêmes ont été : l'année 18!^8, qui a donné 1131 milli- mètres et l'année 1889, qui a donné 1573 millimètres. Les mois les plus secs sont les mois de décembre, février, septembre janvier (décembre étant le plus sec). Les mois les plus pluvieux sont les mois d'août, mai, juin. Comme chiffres extrêmes, nous relevons un minimum de ^°"'\i en fé- vrier 1891 ; et un maximum de 294°»'", 2 en février 1889. II tombe plus d'eau la nuit que le jour, dans la proportion de 1/5. Note. — Le principal intérêt de la station météorologique de Bagnères- de-Bigorre consiste dans sa proximité de l'observatoire du Pic du Midi,, avec une différence d'altitude de 2,327 mètres. M. Henry LE 01 Président de la Société de Climatologie pyrénéenne, à Bayonne. UN SANATORIUM DANS LES PYRÉNÉES. BAGNÈRES-DE-BIGORRE ET LA FONTAINE DES FÉES — Séarire du 17 septembre 1892 — Il y a quelques années encore, le traitement par l'air n'avait pas été élevé à l'état de principe. L'art de respirer pour le soulagement ou la guérison de certaines maladies n'était pas mis en pratique et si, dans les livres bien anciens, on en trouvait les indications, ces livres étaient METEOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GL013E trop recouverts de la poussière du temps pour qu'on aille en ouvrir les feuillets. Parfois donc, les médecins vous envoyaient, dans certains états de faiblesse anémique, au bord de la mer ou dans la montagne, mais ils ne vous traçaient pas les règles d'une vie au grand air, selon l'état morbide de votre santé. Il n'en est plus ainsi maintenant et, parmi les traitements à appliquer, le traitement par l'air occupe une grande place. Il en est découlé la science de la climatologie, nécessaire à l'appréciation et à l'application pratique de toutes les stations qui, en France comme à l'étranger, se sont suc- cessivement fondées, formant, à côté des réseaux des stations thermales, le réseau des stations climatiques. Toutefois, les médecins n'en avaient pas formulé la théorie et quand, il y a quelques années, nous avancions dans quelques articles, sous le titre : La Médication par l'air^ les avantages de la vie au grand air dans certaines des stations du sud-ouest pyrénéen, nous étions pour ainsi dire des premiers. Il a fallu qu'un médecin suédois, le docteur Detweiller, basant sur ce principe le traitement des tuberculeux à Falkenstein, près de Francfort- sur-le-Mein, tout en y joignant celui de la suralimentation, surtout par la viande et le lait, et de la gymnastique pulmonaire, vînt synthétiser, pour ainsi dire, ces éléments divers en une méthode sévère. Et cette méthode, dont il a été fait grand bruit dans ces derniers temps, est venue réveiller l'esprit de la médecine qui, et elle a eu raison, ne veut plus rester en arrière dans la propagation des traitements de la phtisie par l'air, et par analogie de tous ces états maladifs qui ont pour base la faiblesse du tempérament. De là on est donc parti, soit en France, soit à l'étranger, pour établir les différents degrés de l'aérothérapie et l'on a aifiché des stations clima- liques qui se sont divisées en maritimes et montagneuses, et ensuite créer des sanatoi'ia, construisant des établissements appelant les ma- lades et les soignant selon des règles méthodiques. C'est ainsi qu'avec de nombreuses stations climatiques se sont peu à peu établis en France les sanatoria marins de Berck-sur-Mer, Arca- chon et Cap-Breton sur l'Océan ; Banyuls sur la Méditerranée, et aussi le sanatorium de montagne du Vernet, dans les Pyrénées-Orientales, au Ganigou, placé à 650 mètres d'altitude. Mais les Pyrénées du sud-ouest n'ont pas encore admis ce dernier ordre d'idées, et cependant où pourrait- on mieux, que dans certaines situations privilégiées de ces montagnes, fonder des sanatoria qui béné- ficieraient de tout ce qu'offrent déjà de salutaire les stations qui y ont été installées. Et dans le nombre de ces stations, nous signalerons Bagnères-de-Bigorre. H. LÉON. UN SANATORIUM DANS LES PYRÉNÉES 293 Bagnères-de-Bigorre ne doit pas seulement sa renommée à la variété de ses nombreuses sources d'eaux thermales, ayant chacune son caractère spécial et particulier, dont l'application dirigée avec intelligence a fait de cette ville une des grandes stations pyrénéennes; il se dislingue encore par sa situation exceptionnelle au milieu d'une large vallée qu'en- tourent des coteaux étages, aux sites riants et pittoresques, et des mon- tagnes successives, d'altitudes diverses, se profilant . jusqu'aux: pics élev de la grande chaîne, dont les massifs principaux apparaissent au loin avec leurs cimes rocailleuses et leurs glaciers de neige. Et entre les dWers contreforts s'ouvrent des vallées plus petites, plus étroites, cul- tivées et boisées suivant la direction des pentes, d'oîi s'écoulent des eaux vives et murmurantes, descendant torrentueuses, favorisant la ver- dure et la végétation et portant partout l'air et la fraîcheur, donnant ainsi à l'atmosphère un caractère de pureté. On peut donc dire que Bagnères-de-Bigorre est aussi une station d'aérolhérapie, car on vient s'y poser pour y respirer uniquement, et la valeur de son climat va chaque jour en s'affîrmant. Mais l'impulsion qu'elle mérite dans ce sens nouveau de la médication par l'air ne lui a pas encore été donnée. On n'a pas profité de la réclame que pouvait lui faire son climat, privilégié par sa fraîcheur en été, modéré dans ses températures en hiver, pour y disposer des ins- tallations appropriées, susceptibles d'appeler les malades et les engageant à venir se soulager ou se guérir dans les maux qui les atteignent. Et cependant la médecine y trouverait un aide, car, impuissante trop sou- vent, elle ne peut modifier l'organisme sans ce grand pharmacien du monde, la nature, qui a su, dans certains lieux et surtout fi Bigorre, doser avec un soin tout particulier la véritable nourriture de nos pou- mons, apportant par là une régénération dans notre sang et renforçant nos organes atïaiblis. La routine seule s'est poursuivie à Bigorre, laissant simplement aux mœurs qui, en se modifiant, ont réclamé plus d'aise et de confort, le soin de provoquer des logements mieux compris, plus exposés aux faveurs de l'air et du soleil, au milieu de jardins ombragés et fleuris. Le moment serait aujourd'hui venu d'aller plus loin dans le progrès de l'art de vivre et de fonder des établissements qui serviraient à la mise en pratique des théories préconisées depuis quelques années, pour la recherche de la santé et la guérison des maladies oii un air léger, un air pur est nécessaire. Autour de Bigorre, une situation se présente d'elle-même pour y poser un de ces établissements, c'est celle de la Fontaine des Fées. Non loin de la ville, sur le parcours d'une des excursions les plus fréquentées par son accès facile, le Bedat, avec une route déjtà tracée au milieu d'om- 294 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE brages qui, par les fontaines ferrugineuses, contournent le Montaliouet, se trouve, dans le vallon qui sépare cette petite montagne de celle du Bedat, une déclivité en pente douce, placée pour ainsi dire tout exprès pour être le centre d'une oasis oîi s'élèverait un hôtel construit selon les règles nouvelles du confort et de l'hygiène. A 4.000 mètres de la ville, par les. sinuosités de la route, à 220 mètres à vol d'oiseau au- dessus des maisons et de l'établissement des thermes, à 770 mètres d'al- titude au-dessus de la mer, il pourrait y être favorisé un plateau dont l'exposition serait parfaitement en rapport avec les conditions réclamées pour un établissement sanitaire. Placé au sud-sud-est, par sa position naturelle, garanti du sud et du sud-ouest par le Bedat, de l'ouest et du nord par le Montaliouet, il recevrait par-devant les rayons tournants du soleil et serait abrité par derrière des vents souvent violents et désagréables qui apportent le mauvais temps ou provoquent le froid. Comme pittoresque, il n'est pas de site plus ravissant. A côté se trouve avec sa forêt naissante et conmie un paravent de verdure, le Bedat au haut duquel plane, sur le mamelon pointu, la statue de la vierge protec- trice du Bedat; en suivant à gauche, dans le bas, la route du fond de la vallée à côté de laquelle se dessine le cours du torrent de l'Adour ; sur la droite, les coteaux riants de la vallée de Campan se poursuivant jusqu'aux hautes montagnes et laissant de côté la Monné, le Mont-Aigu et le Pic du Midi, cachés par le Bedat, comme le doigt mis devant l'œil cacherait un objet cent fois plus grand que lui ; au loin et au-dessus l'Arbison avec ses cimes dentelées; plus loin encore les montagnes aux glaciers perma- nents qui sont plus immédiatement le fond de tableau de la vallée de Ludion, aperçue du col d'Aspin, indiquant les sommets élevés du lac d'Oo, du port de Vénasque et de la Maladetta. Puis devant, comme un promontoire élevé au-dessus de la vallée, le massif de Lhéris au casque de pierre, entouré de ses pics dont les verts pâturages sont entrecoupés de bosquets de sapins aux nuances noirâtres. Et descendant sur la gauche, avec leur rangée d'arbres méthodiquement espacés et se dessinant à travers les clartés du ciel, les pentes douces des Palomières dont les coteaux s'abaissent de plus en plus et vont se mêler aux vallonnements successifs de la plaine qui se perd peu à peu dans l'immensité de l'espace pour se confondre à l'iiorizon avec l'im- mensité de la voûte céleste. Pour égayer le tableau, coquettement groupés au milieu du tapis cultivé de la vallée, avec leurs maisons aux murs blancs et aux toits d'ardoise, les villages d'Asté et de Gerde; se rapprochant de Bagnères, le château de Pinse, placé comme un ornement dans le cadre riant du paysage; enfin les maisons de la ville vues de haut, dispersées avec leurs rues et leurs places, au milieu desquelles dominent les tours de l'horloge et de l'église. H. LÉON. UN SANATORIUM DANS LES PYUÉNÉES 295 C'est ce point de vue changeant suivant les clartés du jour, agrandi ou rétréci par les nébulosités de l'atmosphère, embelli par les rayons du soleil ou rembruni par les tristesses d'un ciel pleia de nuages, que l'on aurait constamment devant soi, avec de l'air se renouvelant en brise légère, matin et soir, conformément au régime des courants atmosphériques que subit la vallée, avec un espace que l'œil embrasse dans une étendue qui n'a de borne que le lointain des montagnes et celui de la plaine. Le moral, comme le physique, y trouverait ses remèdes, car la sédation y serait grande pour l'élément nerveux qui fait souvent partie de la disposition morbide de l'homme. Le corps y recevrait tout ce qui naîtrait des con- ditions favorables de respiration dans lesquelles il vivrait et s'y régénérerait par l'excitation qui serait la conséquence de la nourriture aériforme dont il serait, malgré lui, rassasié. Par un effet spécial de la configuration des vallonnements au centre desquels s'échappe le ruisseau de la Fontaine des Fées, la route, qui les contourne dans leurs divers replis, se trouverait horizontale avec un par- cours qui pourrait être de près de L500 mètres, formant ainsi une pro- menade où le malade agirait sans fatigue sous les ombrages touffus du Montaliouet et du Bedat, entre lesquels un plateau, s'ouvrant dans l'échancrure qui s'est faite à l'ouest, permettrait un terre-plein vaste et également ombragé. La végétation, qui forme les ombrages du Montaliouet et du Bedat, se compose d'arbres, partie à feuilles caduques, partie à feuillage persis- tant, offrant par cette variété les avantages de l'ombrage en été, sans en exclure, en hiver, l'influence bienfaisante des rayons du soleil. Les diverses essences qui dominent sont : d'un côté, les châtaigniers, les chênes, les hêtres, les bouleaux; de l'autre, les sapins, les pins maritimes, les pins sylvestres et les mélèzes. Ces dernières essences viennent, à certains mo- ments, mêler leur senteur résineuse à la pureté de l'air. De cette route horizontale se détachent, soit en avant, soit en arrière de la Fontaine des Fées, des sentiers bien tracés qui s'élèvent ou qui descendent, s'entrecroisent en lacets pour aboutir plus directement à Bagnères ou au sommet du Bedat. Il n'a pas été fait d'observations météorologiques sur le climat particu- llier du vallon de la Fontaine des Fées, comparativement avec celui de Bagnères-de-Bigorre; mais l'expérience de ceux qui aux diverses saisons de l'année y ont été ou y ont séjourné, fait croire qu'il pourrait être tout à l'avantage d'une station sanitaire, car son exposition au soleil, les abris naturels dont il est entouré, sa hauteur moyenne au-dessous du Bedat. semblent y avoir favorisé une température qui, pendant la journée médi- cale, serait aussi modérée et peut-être plus que celle de Bagnères. Ne participant qu'indirectement et pour en recevoir seulement les avan- 296 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE lages, du grand courant qui de la plaine va à la montagne, ce vallon béné- ficierait en hiver de la situation exceptionnelle que sa position climatérique a faite, profitant en été de l'altitude dont il jouit, et qui, avec l'espace au- dessus de la vallée, amène le calme de l'air joint au calme de la nature. Les nuages qui descendent des montagnes ne font que frôler le liant du Bedat et ils s'arrêtent même au vallon de la Fontaine des Fées, laissant l'atmosphère libre de l'humidité qu'ils apportent. La neige, quand elle tombe, se répand en couche épaisse tout autour, mais elle fond sur les pentes ensoleillées du vallon, aux premiers rayons du soleil qui succèdent vite aux intempéries, chassant avec la sécheresse de l'air l'humidité du sol. On pourrait reprocher à la Fontaine des Fées son peu d'altitude, les théories qui ont été faites jusqu'à ce jour pour l'amélioration de certaines affections morbides, et surtout pour la guérison des maladies de poitrine, portant toutes sur les grandes altitudes. Mais ne sont-ce pas des théories nouvelles et par suite sujettes à erreur? Ne reviendra-t-on pas, avec quelque raison, sur l'avantage des altitudes moyennes, parce qu'avec les facilités d'accès, on y trouvera des températures moins extrêmes et plus douces qui n'exclueront pas la pureté de l'air, élément essentiel du traitement? Et, dans ce cas, Bagnères-de-Bigorre pourrait devenir, dans le vallon de la Fontaine des Fées, l'objet d'un établissement type qui, aux avan- tages du climat et de l'air, réunirait ceux qu'il peut tirer de la médication déjà utilisée des eaux sulfureuses de Labassère et arsenicales de Salies, justement appréciées pour les maladies des voies respiratoires et la recons- titution de l'organisme affaibli. Il pourrait en être fait, en la transportant avec toutes les précautions voulues, une buvette spéciale pour les malades qui en auraient besoin. M. AVoqU PICÏÏE Président de la Commission météorologique des Basses-Pyrénées, à Pau. LE DEPERDITOMETRE Séance du i7 septembre 1892 Ce nouvel appareil de physique n'est pas, comme le thermomètre, un instrument météorologique, mais un instrument climatométrique. Le thermomètre, en effet, peut bien mesurer l'état de vibration ther- mique d'un milieu, par rapport à l'état vibratoire de l'eau distillée qui se A. PICHE. I.E nÉPEUDnOMKTlîK 297 congèle et qui bout ; mais il ne donne aucune idée, même approchée, de la sensation de chaleur ou de froid, éprouvée, dans ce milieu, par le corps de l'homme, qui, vous le savez, se maintient toujours à 37 degrés. En Sibérie, le thermomètre marque, parfois, 4o degrés au-dessous de zéro et notre long-voyageur, M. le comte Russell, vous dira que, malgré cette température extraordinairement basse, on n'éprouve pas de sensation pénible, désagréable, si l'air est en repos; bien plus, on se met aisément en nage, si on monte la moindre colline exposée aux rayons du soleil. Au contraire, que l'air soit un peu vif et humide, on se sent glacé, on a les oreilles coupées, suivant l'expression vulgaire, avec o degrés au-dessus de zéro, soit avec une température de 50 degrés plus élevée que dans le cas précédent. Le thermomètre n'indique donc, en aucune façon, la sensation calorique qu'un homme bien portant (a fortiori un malade) éprouve dans une station d'hiver ; et dire que la moyenne température hivernale, à Pau, n'est que de 6°, 33, tandis qu'elle est de 7'^,9 à Biarritz, c'est absolument comme si l'on ne disait rien, au point de vue climatologique. Cette manière de voir ne m'est nullement personnelle, et c'est avec plaisir que j'ai trouvé, dans le volume préparatoire du Congrès de Pau, cette citation du célèbre D"" Louis : « Ici se présente naturellement cette remarque vulgaire, que le même » degré du thermomètre n'est pas toujours accompagné, bien s'en faut, » du même sentiment de chaleur ou de froid ; que, dans une même jour- » née, dans un même lieu, par une même température, on peut avoir » alternativement froid et chaud, suivant qu'il y a du vent ou qu'il n'y » en a pas. — D'où la possibilité d'avoir froid à Rome et chaud à Pau, par » le même degré du thermomètre. » C'est sous l'impression de ces idées que j'ai imaginé mon nouvel appa- reil qui, mieux que le thermomètre, donnerait la valeur de la thermalité d'un climat. Comme il mesure la quantité de calories que l'air ambiant enlève, dans un temps donné, à un vase évaporant, en faisant connaître la quantité de calories qu'il faut produire pour maintenir ce vase à la température du corps humain, dans un milieu donné, je l'avais d'abord appelé un calori- soustractomètre. Le mot étant quelque peu long et désagréable à l'oreille, je vous propose, sauf meilleur avis de votre part, de l'appeler déperdito- mètre. Il donnerait, en effet, la mesure de la déperdition de chaleur que le corps humain subit dans un certain milieu, en mesurant le gaz (ou l'al- cool) brûlé, en douze ou vingt-quatre heures, pour maintenir l'équilibre thermique de l'eau contenue dans le vase poreux ; équilibre sans cesse troublé par la soustraction de calorique, que lui enlève l'air ambiant, et :â98 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE qui varie sous l'action principale de cinq facteurs : la pression de l'air, sa température, son agitation, son humidité et sa tension électrique. L'appareil pourrait être ainsi établi ; je dis : pourrait, car, hélas ! il n'existe encore que dans mon cerveau, à l'état un peu vague de projet élaboré. En voici, cependant, le dessin fait à l'intention du Congrès : Comme vous le voyez, l'appareil se compose d'un vase poreux A. (qu'il LEGENDE : A. Vase poreux rempli d'eau distillée. B. Soubassement contenant un bec de gaz. C. Tube gradué mesurant l'eau évaporée. D. Tube pour l'issue de l'air chaud. E. Tube à boule plein de mercure. F. Globule de mercure régulateur. G. Gazomètre à cloche graduée. H. Tube pour remplir le gazomètre. rr. Robinets. conviendrait peut-être de revêtir d'une membrane animale pour se rap- procher des conditions de la peau), vase fermé, plein d'eau distillée, sur- monté d'un tube gradué pour l'introduction de l'eau C, et pour mesurer la quantité d'eau évaporée d'une observation à l'autre. Ce vase monté sur un soubassement B, dans lequel brûle un petit bec de gaz, destiné à maintenir la température de l'eau à 37 degrés, est traversé par un tube droit, ou contourné en spirale D, pour la sortie du gaz comburé. Il contient enfin un thermomètre plein de mercure E, dont la tige, re- courbée à angle droit, à sa sortie du vase, plonge sa pointe effilée dans un pli, ou coude, que forme le tube amenant le gaz au brûleur. A. PICHK. — LE DÉPERDITOMÈTRE 299 Ce coude contient ainsi un globule de mercure F, qui l'obstrue partielle- ment, et qui laisse passer plus ou moins de gaz, selon que l'eau du vase, trop froide ou trop chaude, contracte ou dilate le mercure du thermo- mètre. Ce régulateur fort simple, que j'ai trouvé sans le chercher (tant il est vrai que les idées nous viennent sans y songer), pourrait être remplacé par un des régulateurs construits par M. Wiesnegg, pour étuves d'expé- riences physiologiques, régulateurs que je ne connaissais pas alors et qu'un chimiste ami m'a, depuis, fait connaître. Un petit gazomètre G, relié au tube coudé, fournirait le combustible et, par la graduation de sa cloche, donnerait la mesure du gaz brûlé. On pourrait aussi plus simplement chauffer à l'alcool et peser l'alcool dépensé. Du reste, Messieurs, je n'ai pas pris de brevet; je vous livre l'idée pour ce qu'elle vaut; M. Teisserenc de Bort, à qui je la communiquais par lettre, me répondait que, lui aussi, avait eu cette idée ; peut-être même en avions-nous causé au Congrès de Biarritz, de douce mémoire. Peu importe la priorité de l'idée; honneur et gloire à qui la réalisera le premier. Car c'est peu de concevoir une idée nouvelle ; le mérite, c'est de vaincre les difficultés qui s'opposent à sa réalisation ; c'est de la rendre pratique, utile, bienfaisante, acceptable ; c'est de la faire triompher ! Supposons-la réalisée ; vous prenez deux appareils semblables, vous les placez dans les mêmes conditions ; ils doivent marcher également. S'ils présente^t une légère différence, faites pour l'un d'eux une table de correction ; puis portez l'un h Biarritz ou à Nice, laissez l'autre à Pau, mettez-les sous l'abri Renou, et j'affirme à l'avance que, bien que, l'hiver, le thermomètre donne à Pau une moyenne inférieure de 3 degrés à celle de Biarritz ou de Nice, le déperditomètre brûlera dans ces stations plus de gaz que dans la cité paloise. C'est ce qu'il fallait démontrer ! Si je ne craignais de me faire accuser par mes concitoyens de faire une réclame indirecte pour des stations rivales, en résumant ma thèse en un mot d'apparence trop paradoxale, je dirais que le déperditomètre est un instrument qui a pour but de prouver de façon irréfutable qu'à Pau un malade a chaud, même quand il y fait froid... au thermomètre. On reprochera au nouvel instrument d'être un peu compliqué. Peut- être pourrait-on trouver mieux : suspendre, par exemple, sous les abris météorologiques des deux localités à comparer, une cage renfermant un moineau de santé robuste et égale et peser, chaque jour, ce qu'il aurait bu et mangé. Deux écureuils comparables et comparés vaudraient peut-être mieux 300 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE encore ; car on pourrait mesurer leur travail giratoire à l'aide d'un comp- teur adapté à la roue de leur cage. Le comble serait enfin — risum teneatis amici? — de trouver deux ser- gents de ville, d'égale humeur, qui consentissent à se prêter pendant trois mois à l'expérience ! ! Cherchez, Messieurs, vous trouverez; mais surtout, expérimentez ! M. E. MEÎfDEZ Membre de la Commission météorologique des Basses-Pyrénées, à Pau. SUR LES REMOUS ATMOSPHÉRIQUES Séance du 17 septeinbre 1892 FAITS D OBSERVATION Nous avons pu observer souvent de ces remous atmosphériques sou- levant des tourbillons de poussière, sable, feuilles, etc., etc. Cet effet d'ascension, comme d'aspiration, est très net; mais un examen attentif nous fît voir toujours qu'il ne s'agit là que d'un seul des côtés du phéno- mène. Si une partie des objets entraînés avait bien une direction ascendante, une autre partie de ces objets était au contraire portée vers le sol. H paraissait exister deux courants : l'un ascendant, l'autre plongeant. En réalité, et ainsi que nous avons pu le constater, les poussières et autres objets prenaient en tourbillonnant dans les spires du remous, des directions alternativement plongeantes et ascendantes, sous des angles variés, selon les cas. De là les deux effets d'ascension et de chute que nous avions observés. Le remous nous apparut alors tel qu'il est, selon nous, constitué. E. MENDEZ. SIR LES REMOUS ATMOSPHERIQUES 301 II TRAJECTOIRE DÉCRITE PAR LA VEINE d'aIR CONSTITUANT UN REMOUS. — DIVI- SION DE CES REMOUS EN SECTEURS A COURANTS OU VENTS PLONGEANTS, RASANTS ET ASCENDANTS. Dans un remous, l'air qui le forme, animé d'un mouvement tourbil- lonnaire dont le point de départ est situé à une hauteur variable selon les remous, parvient soit seulement jusqu'à une zone de moindre altitude, soit jusqu'au sol. Ce mouvement n'est pas plongeant sur toute son étendue. L'angle initial \ / \ a\ JÔ > Wk M ^ 1 \ yvvvVN v^^^^ Wê. ^\ ErV-. -i r— -^ ^R-'/'Z/i J^. S^i -4^ \ i ^v?^ à . i ; fi î k- Spire supéri Bure ) f ' 1 —2* Spire i ^3*Spire FIG. 1, Veine d'air constituant un remous : a, projection ; b, développement. Section de cette veine par un plan passant par la ligne d'axe. sous lequel s'enfonce la veine d'air constituant le remous se ferme pro- gressivement jusqu'à se réduire à zéro. A partir de ce moment la veine prend une direction ascendante. Elle rebondit pour ainsi dire, pendant quelque temps, et atteint un point supérieur au delà duquel elle rebrousse chemin vers la terre. La première spire supérieure du remous est décrite. La suivante commence pour passer par les mêmes phases que celles que nous venons d'indiquer, et ainsi de suite sur toute la hauteur du remous, qui peut être formé par un nombre indéterminé de spires. Nous avons tracé l'allure générale du phénomène en ABCDEK... (fig. 1, a), dans le cône théorique RMS, d'un remous. En développant sur un plan cette courbe, on obtient une ligne sinueuse, analogue à A'B'C'D'E'K'... (fig. 1, b). 302 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE Chacune des spires d'un remous est composée ainsi de deux parties: l'une dans laquelle le mouvement giratoire, c'est-à-dire le vent, est plongeant; l'autre dans laquelle ce mouvement est ascendant; ces deux parties étant raccordées entre elles, aux points de rebroussement supé- rieur et inférieur par deux arcs de faible étendue relative, où la trajec- toire passe par des instants pendant lesquels sa tangente est parallèle au plan de l'horizon, c'est-à-dire où il ne règne que des vents rasants ou sensiblement rasants (fig. 2 et /, b.) S.S.E FiG. 2. — Figure Ihéoriqiie d'un remous vu d'un point situé sur un plan passant par l'axe et les aires où soufflent les vents de S.-S.-E. La même disposition existe symétriquement dans toutes les spires du remous. Le conoïde qui le constitue est ainsi divisé sur toute sa hauteur, en quatre secteurs déterminés par les surfaces-limites où le mouvement giratoire prend les diverses directions plongeante, rasante et ascendante dont il est successivement animé dans chaque spire du remous, et ayant toutes un lieu commun, l'axe du tourbillon, qui est la ligne d'intersec- tion entre elles de toutes ces surfaces (fig. 2). Dans l'un de ces secteurs, et sur toute la hauteur du remous, ne régnent que des vents plongeants. Il n'existe que des vents ascendants dans un autre de ces secteurs, ces deux régions étant séparées entre elles par une troisième de faible importance relative, formée par les deux secteurs restants, et dans lest[uels on ne trouve que des vents rasants ou sensiblement rasants (fig. 2). E. MENDEZ. SIR LES REMOUS ATMOSPHÉRIQUES 303^ III DE QUELQUES EFFETS DIVERS QUE PEUT PRODUIRE UN REMOUS ATMOSPHÉRIQUE La veine d'air constituant un remous et qui est animée du mouvement dont nous venons d'indiquer les principales lignes, peut rencontrer sur son passage des matières qu'elle entraîne avec elle. Ainsi qu'il arrive pour certaines trombes par exemple, ces matières peuvent être puisées dans le nuage au milieu duquel le ou les cycles supérieurs du tourbillon évoluent quelquefois. La vapeur condensée constituant le nuage est saisie et entraînée vers le sol par le remous, dans lequel elle suit tout le parcours de la trajectoire que la veine d'air constituant ce remous décrit elle-même. Cette vapeur condensée peut rester en cet état, et demeurer visible sur toute la hauteur du phénomène, ou être résorbée, disparaître à des altitudes variées, selon les variations de température qui peuvent se produire et se produisent entre les diverses régions du tourbillon. De là, quelques-uns des aspects que pré- sentent ces météores. A l'inverse de ce que nous venons de dire au sujet des matières trans- portées par le remous des hauteurs de l'atmosphère vers la terre, ce même remous peut, lorsqu'il atteint le sol ou une nappe d'eau, y puiser par certaines régions de sa troncature inférieure des objets qu'il conduit jusques et y compris sa spire terminale supérieure, et qui rendent égale- ment visibles sa forme, ses évolutions et sa marche. Considérons un lieu situé dans le secteur des vents ascendants (fig. 2). Les objets tels que poussière, sable, eau, et tous autres beaucoup plus lourds et d'un volume considérable, selon l'énergie du mouvement gira- toire, seront entraînés et prendront une direction ascendante sous un angle variable selon le remous. Une partie de ces objets suivra avec le vent la trajectoire hélicoïdale, et après y avoir franchi le secteur des vents rasants au point de rebrousse- ment supérieur de la spire, s'engagera dans le secteur des vents ])]on- geants, pour revenir à son point de départ ou dans les environs, en ayant parcouru ainsi toute la spire inférieure du remous, et avoir atteint pendant ce trajet une hauteur plus ou moins grande dans l'atmosphère selon l'amplitude des pas de Thélice. Mais une autre partie de ces objets, portée par le mouvement dans le voisinage ou, plutôt, sur la limite elle-même de la spire immédiatement 304 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE supérieure, pourra être saisie par celle-ci et entraînée dans cette nou- velle spire, OÙ se produiront les phénomènes identiques à ceux que nous venons d'indiquer pour la spire inférieure. Les matières que le remous enlève par sa troncature inférieure pourront être portées ainsi successivement, dans toutes les spires de ce remous, et tourbillonner avec et dans ces spires, sur toute la hauteur du météore qui semblera être un phénomène d'aspiration du sol vers les hauteurs de l'atmosphère. Dans les secteurs à vents rasants, les objets qui y auront été portés, soit par les vents ascendants, soit à leur retour vers le sol par les vents plongeants, auront des routes parallèles au plan de l'horizon, situées à toutes les altitudes possibles, dans toute la hauteur du remous. Mais ces routes auront entre elles des directions diamétralement opposées, selon qu'elles appartiendront aux zones de rebroussement inférieur ou supérieur des spires de l'hélice (fig. 2). Enfin, dans le secteur des vents plongeants, l'effet constaté sera une précipitation vers le sol sous des angles variés, selon les remous. Si le remous est de faible envergure et de faible hauteur, comme, par exemple, certaines trombes ; que l'on puisse l'embrasser d'un coup d'œil ; qu'en outre ce remous se présente en situation convenable pour que la zone de séparation des deux secteurs ascendant et plongeant passe par l'œil de l'observateur, celui-ci verra simultanément dans le fût du météore, deux courants juxtaposés : l'un ascendant, l'autre plongeant. Il verra l'un des deux seulement de ces courants, si les conditions que nous venons d'indiquer ne sont pas remplies. Selon le poste d'ob- servation, la trombe sera alors, pour l'observateur, ascendante ou des- cendante. Rappelons que l'aire occupée par la troncature inférieure d'un remous est quelquefois réduite, pour ainsi dire, à un point; que l'étendue de «ette aire peut varier entre des limites très éloignées, ainsi que l'énergie giratoire de ces remous, leurs envergures supérieures, la hauteur verti- cale qu'ils occupent, et les distances qu'ils franchissent dans leur mouve- ment de translation. Un remous aérien qui est, dans son résultat final, un phénomène plongeant des hauteurs de l'atmosphère vers le sol, peut donc pro- duire tous les effets divers d'aspiration, d'arrachement, de compres- sion, d'écrasement, de torsion, de rupture, d'enlèvement jusqu'à des hauteurs plus ou moins fortes de l'atmosphère, de transport à des distances qui peuvent être considérables et dans toutes les directions possibles. E. MENDEZ. SUR LES REMOUS ATMOSPHÉRIQUES 303 IV DÉTERMINATION APPROXIMATIVE DES AIRES SUR LESQUELLES SONT TOUJOURS SITUÉS LES POINTS DE RERROUSSEMENT INFÉRIEUR ET SUPÉRIEUR DANS LES SPIRES d'un grand REMOUS ATMOSPHÉRIQUE. — CLASSEMENT DES DIVERS VENTS DE CES REMOUS, EN VENTS PLONGEANTS. ASCENDANTS ET RASANTS. Les grands remous évoluent dans des couches atmosphériques qui atteignent souvent une très grande puissance et au iniHeu desquelles la pression augmente dans de fortes proportions, à mesure qu'on se rap- proche du sol. Le mobile gazeux qui traverse ces couches et qui constitue le remous est soumis à ces diverses pressions : de là, dans ce mobile, des réductions de volume lorsque, dans son mouvement, il se dirige vers la terre; des expansions au contraire, lorsqu'il s'en éloigne. Dans la figure 1, b, nous avons tracé approximativement les variations que subit ainsi la veine d'air constituant le remous lorsque, dans son mouvement, elle s'enfonce et s'élève alternativement dans l'atmosphère en décrivant les diverses spires superposées du remous. En de sem- blables conditions, l'élévation progressive de la température dans le mobile y accompagne tout mouvement plongeant ; au contraire, la décroissance de la température y est liée à tout mouvement ascendant, et, dans les mouvements horizontaux, le thermomètre demeure à un degré sensible- ment constant. De là, les écarts dé température souvent considérables que l'on note entre les diverses aires d'un mouvement giratoire, c'est-à-dire entre les divers vents d'un même remous. Ce que nous venons de dire a pour conséquence que, dans un remous dont les spires affectent des couches suffisamment puissantes de l'atmo- sphère, les points de rebroussement de la trajectoire décrite par l'air constituant le remous sont précisément désignés par ceux où l'on constate les points de rebroussement de la colonne thermométrique. Il est d'observation courante que la température croît dans un mouve- ment giratoire, de l'aire du vent du nord à celle du vent du sud, en passant par l'aire du vent d'ouest; qu'elle décroît au contraire, de l'aire du vent du sud à celle du vent du nord, en passant par l'aire du vent d'est. Les points de rebroussement dans les spires de l'hélice se trouvent donc : celui supérieur, sur l'aire du vent du nord ou dans son voisinage ; celui inférieur, au point opposé, sur l'aire environ du vent du sud. Nous n'avons pu faire des observations assez nombreuses et assez 20* 306 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE précises pour fixer les limites exactes des zones dans lesquelles se trouvent ces points de rebroussement. S'il nous était permis d'émettre une opinion basée sur quelques constatations, nous fixerions volontiers le point de rebroussement supérieur très près de l'aire du NNE, peut-être en ce point lui-même, et le point de rebroussement inférieur très près et peut-être sur l'aire elle-même du SSE. Il résulterait de là que dans les spires d'un mouvement giratoire, les vents ascendants couvrent une aire totale moins étendue que celle cou- verte par les vents plongeants (flg. 2). Les vents évoluant dans un remous doivent donc être classés en : 1° Vents plongeants : ceux d'entre NNE et SSE, en passant par celui d'O. 2° Vents ascendants : ceux d'entre SSE et NNE, en passant par celui d'E. 3" Vents rasants : o) Vent de NNE, et quelques-uns de ses voisins immédiats: point de rebroussement supérieur de la trajectoire, dans chaque spire. b) Vent de SSE et quelques-uns de ses voisins immédiats : point de rebroussement inférieur (fig. 2 et 1, b). Il est entendu que nous nous plaçons dans le cas de remous évoluant dans l'hémisphère nord. Pcnir l'hémisphère austral, il y aurait lieu d'opérer les transpositions que l'on connaît. DES TEMPÉRATURES ET DES VITESSES RELATIVES DES VENTS, EVOLUANT A DES ALTITUDES DIVERSES, DANS UN REMOUS. Nous venons de voir les variations de température que présente la veine •d'air constituant un remous, en décrivant une quelconque des spires de ce remous. D'un autre côté, cette veine, en parcourant les diverses spires de l'hélice, s'enfonce davantage dans des couches atmosphériques de plus •en plus rapprochées du sol, au milieu desquelles la pression est de plus en plus forte et où, par conséquent, de plus en plus comprimée, elle acquiert plus de chaleur. En prenant deux points symétriques quelconques dans deux spires d'un remous, c'est-à-dire deux points où régnent des vents de direction égale dans ces spires, la température sera plus élevée au point situé sur ia spire inférieure qu'au point symétrique sur la spire supérieure (fig, 3). En d'autres termes, les vents semblables régnant dans toutes les spires d'un remous sont, entre eux, à des températures relatives d'autant E. MENDEZ. — SUR LES REMOUS ATMOSPHÉIUQUES 307 plus élevées que ces vents appartiennent à des spires de l'hélice plus rapprochées du sol, ou inversement (flg. 3). Les variations de volume et les phénomènes connexes de variation de température que nous venons d'indiquer dans la veine constituant un remous ont pour facteur principal la résistance du milieu dans lequel cette veine pénètre et évolue. Cette résistance exerce en même temps l'autre action habituelle qui a pour effet de ralentir le mouvement. La vitesse d'une molécule d'air, c'est-à-dire la vitesse du vent, décroît sur toute l'étendue de la trajectoire décrite dans un remous, depuis le N.O. < f " ^* »— » T* *-*- )e Spire inférieure > ~ Direction du .^jnouvement detrai^slation du remous. Déueloppement- jrcr an pian, de, la trajectoire de, l 'air daru- cCeu-x. spires ca/urecutuies d'un remous atmosphérique- anim^ d'un maïuiemeniy de- iranshiUon,. , Graphique, de, l'inlensilâ' ralaUve- des- vents- £aij> divers points de- la- tryecUivre-. Or-aphique- des de — Séance du 49 septembre 189S — On sait que la couleur des eaux de la mer est tantôt verte ou tantôt bleue, en dehors de toutes conditions spéciales d'éclairage, de fond et d'agi- tation. Celles-ci peuvent modifier, dans certains cas et dans une certaine mesure, cette coloration, mais on peut toujours se mettre en dehors de leur influence. La couleur bleue ou verte de l'eau de mer est une des propriétés qui lui sont propres, aussi bien que le degré de salure, la température, etc.. Il est à peine nécessaire de rappeler qu'il ne s'agit pas ici des apparences infiniment variables de la surface de la mer, mais de la couleur de l'eau vue sous une épaisseur suffisante, dans les conditions favorables à ce genre d'observations. L'appréciation juste de la couleur de la mer, observée en route, exige évidemment une certaine habitude de l'œil, mais qu'il est aisé d'acquérir. J'en ai fait tout particulièrement l'épreuve au cours de la dernière cam- pagne de l'aviso-transport la Manche, à Jan Mayen et au Spitzberg, sous les ordres du commandant Bienaimé. Ayant appelé, sur un sujet qui me préoccupe depuis 1887 (1), l'attention de M. le lieutenant de vaisseau de Carfort, chargé à bord des observations météorologiques, entourés l'un et l'autre d'officiers qui prirent aussitôt intérêt à un genre d'observations H) Voyez La couleur des eaux de la mer et les pêches au filet fin. (Association française. Toulouse,. 1887. Compte rendu, 2« partie, p. 590.) — Les eaux vertes de l'Océan (Soc. de BioL, nov. 1887). SLR LES EAUX VERTES ET BLEUES 327 G. POUCHET. -- nouveau pour eux, nous sommes vite arrivés à une uniformité suffisante dans l'appréciation de la couleur de la mer. preuve de la base objective de nos constatations. Je dois dire, tout d'abord, que l'échelle chromatique de M. Forel, qui est peut-être d'un usage pratique pour les lacs alpestres, ne nous a été, à la mer, d'aucun secours (1). Je suis arrivé à cette conviction qu'il est indispensable de s'en tenir, dans l'observation de la couleur de la mer, à un nombre restreint de qualifications (2; et je me suis arrêté à trois seu- lement, sans plus : vert, bleu, intermédiaire. (1) Tout au moins conviendrait-il que les liquides colorés de l'échelle Forel fussent renfermés dans des fioles à parois parallèles pour empêcher les effets de réflexion extérieure et intérieure dus à la forme cylindrique. (2) Je donnerai comme exemple des confusions où l'on tombe forcément en voulant trop préciser, le tableau suivant des observations que j'avais prié un ingénieur, M. Ebelot, de recueillir au cours d'un voyage du Havre à La Plata, dans l'automne de 1888 : DATE POSITION COULEUR 11 sept. 12 sept. 13 sept. Idem. à 2 li.ap. midi. U sept. 15 sept. 16 sept. 17 sept. 18 sept. 19 sept. 21 sept. 22 sept. 23 sept. 24 sept. 25 sept. 26 sept. 27 sept. 28 sept. 29 sept. 30 sept. 1<" oct. 2 oct. 3 oct. 4 oct. 5 oct. 41° 38' -N. 37» 43' N, 33° 58'. 30° Cl'. Santa-Cruz de Ténériffe. Environ 21°. 13° 31'. 9° 59'. 6" 32'. 2° 59' N. 0° 59' S. 5» 04'. 8° 52'. 12° 51'. 16° 46'. 20° 09. 23° 38'. 26» 57'. Lat.: 29» 44'. \ JLong.: 50° ll'O.^ 1 Lat.: 33» 53'. / Long.: 59° 33'. ( Vert. Bleu cham- bord. Bleu tournesol ou bleu marin. Bleu ardoise. B'eu. Bleu. Bleu. OBSERVATIONS Les longitudes ne sont pas indiquées, sauf à par- tir du 50" degré de Long, occid. La route s'est effectuée directement du Havre à TénéritTe et de Ténériffe au largo de la province de Rio Grande da Sol. L'eau est déclarée verte, à l'unanimité. \ L'expression est choisie par M°° E. Ciel pur I sur mer moutonnée. / La nuance a été désignée ainsi par divers pas- sagers : M. E., bleu glauque ; M""» E., bleu marin ; le docteur du bord, bleu indigo ;M.L., bleu rabattu de noir ou bleu tournesol ; M"= G., bleu acier. Ciel couvert, mer plate. Vert. Bleu. Vert. Bleu. Bleu. Bleu. Bleu. Bleu. Bleu. Bleu. Bleu. Bleu. Bleu. Bleu. Bleu. Bleu. Vert. Le bleu de la mer, le long du bord, est un peu i changé, il est devenu bleu ardoise. En allant à terre on la voit passer au vert. Au retour, au moment 'du flot, l'eau, autour du navire, est franchement . verte. On retrouve le bleu en prenant le large. ( Vers le soir, bleue. On est sur de hauts fonds, à ( proximité du banc où se perdit la Méduse. Entre les îles du Cap-Vert et la côte. On noiera la couleur verte sur les bancs de allant du navire à terre dans la baie de Santa ( Dans la matinée, en vue du cap Saint-Tomé, au (nord du cap Frio, teinte verdàtre. La sonde accuse 57 mètres. \ Le navire entre dans les eaux jaunâtres de La / Plata. la Méduse et le changement de couleur sensible en ■Cruz de Ténériffe. Quant au nombie des dénomma- 328 MÉTÉOROLOGIK ET PHYSIQUE DU GLOBE M. de Carfort avait adopté quatre termes : vert, olive, ardoise, bleu ; les deux termes moyens correspondant à des nuances se rapprochant davantage soit du vert, soit du bleu. Cette distinction ne me paraît pas nécessaire et il est d'ailleurs évident qu'en passant d'une localité verte à une localité bleue, ce qui peut avoir lieu très vite (1) si la marche du navire est un peu rapide, il deviendra très difficile de reconnaître où la nuance olive fait place à la nuance ardoise et réciproquement. Je crois donc les trois termes que je propose — vert, intermédiaire, bleu — suffi- sants et c'est eux que j'ai adoptés au cours des observations attentivement poursuivies pendant le voyage de la Manche de Leith à .Tan Mayen. de Jan Mayen au Spitzberg, et du Spilzberg à Tromsue. J'ai continué les mêmes observations sur la côte de Norwège jusqu'à Drontheim. La Manche, au cours de ce voyage, a traversé cinq localités bleues nettement accusées et j'entends par là où la mer était aussi bleue que la Méditerranée. Elle a également rencontré des localités vertes et enfin a navigué, pendant la plus grande partie du temps, sur des eaux de cou- leur intermédiaire. Voici, d'ailleurs, le relevé de mes observations : . Sur la côte d'Ecosse, comme toujours dans la mer du Nord, l'eau est verte. Le 22 juillet. — 10 heures et demie du matin, l'eau est nettement bleue (2), le ciel est gris, c'est-à-dire que l'observation est faite dans les conditions les plus favorables. — Midi : Latitude, CA° 03' N. Longitude, 2° 0 (3). — A midi et demi, l'eau est plutôt verte (4). Le 23 juillet. — l*osilion à midi: Latitude, 64° 12'. Longitude, 1° IS' 0. — Vers 4 heures de raprès-midi, l'eau est verte (5). — Vers 6 heures, l'eau est lions employées par M. Ebclot, il est, en somme, des plus restreints. Au cours du voyage de la Gazelle ivoy. t. II, Berlin, 188S, p. 4), la coloratiun de la mer fut enregistn^e journellement d'après les Impressions subjectives du Captlicut. Bendemann. Or, on ne relève pas moins de vingt dénominations CTiployéi'S par lui et il suffit de les énumérer pour montrer do quel faible secours elles sont pour des comparaisons ultérieures. On remarquera que la qualification d'une belle couleur bleucj » Même en admettant que l'expression ait été exagérée et que la couleur de la mer fut simplement intermédiaire, le fait n'en était pas moins intéressant. En effet, l'année précédente, 1891, en faisant, du 5 au u juillet, la route Granton, les Feroé, Reikiavik, et du 22 au 30 août la route inverse, j'avais nettement constaté la couleur verte de la mer sur tout ce parcours. G. POUCHET. — SUR LKS EAUX VERTES ET BLEUES 333 pérafure et de la salure. Les eaux équinoxiales sont à la fois plus denses et plus chaudes que les eaux des hautes latitudes. Elles sont bleues, mais on se rond compte de suite que ni la température, ni le degré de salure, ni la profondeur ne sont les conditions immédiatement déterminantes de la couleur, puisque des eaux vertes peuvent se ren- contrer sous les tropiques (1) et que, d'autre part, les localités bleues sont fréquentes dans les mers septentrionales. Si les eaux moins profondes paraissent être généralement vertes (2), on n'oubliera pas que l'eau est verte sur toute la largeur de l'Atlantique tempéré vers le oO'^ degré de latitude (3). On n'oubliera pas, d'ailleurs, que les mêmes différences de coloration des eaux se retrouvent dans les lacs (4), ce qui suflit à faire écarter l'hypotlièse d'une intervention de la salure, à laquelle M. Spring attribue cependant un rôle important. On est ainsi conduit à rechercher, en dehors des facteurs qui viennent d'être signalés, l'origine de la couleur verte des eaux, la couleur bleue paraissant être la couleur naturelle de l'eau pure (o). Scoresby d'abord, puis Robert Brown (18G7), ont les premiers compris que la couleur des eaux de l'Océan — et nous pourrions ajouter celle de la plupart des eaux terrestres — dépend directement de certains phéno- mènes biologiques. Ils se trompèrent seulement en croyant que la pré- sence ou l'absence de certains êtres vivants, animaux ou végétaux, pro- duisait les couleurs observées. 11 est facile de s'assurer que l'eau est bleue ou verte indépendamment de tout être vivant, même microsco- pique, en suspension. (1) Rappelons l'eau verte signalée p. 327, note 2, sur les bancs de la Méduse et en rade de Sanla-Cruz de Ténéiille. Signalons encore une localité verte observée par Schlemitz, au cours du voyage d.e la Gazelle. Le 23 août, par o" de latitude S. et 9° de longitude 0. de Greenwich, l'eau devint verdàtre de bleue qu'elle était. On remarqua en même temps un abaissement delà densité. Voyez Natarforscher, t. VIII, p. 59, cité par W. Spring. (2) Fjords du Spitzberg, du Gioénland, rade de Santa-Cruz de Ténériffe, bancs sur lesquels s'est perdue la Méduse (voyez ci-dessus, p. 327, note 2), mer du Nord, Manche, etc. (3) M. 0. Krummel, au cours du voyage de la Gazelle, donne pour limite inférieure des eaux vertes de l'Atlantique tempéré le A0° degré de latitude. Voyez Geograph. Jahrbuch, 1892, p. 9 et suiv. — J'ai indiqué et ligure dans la carte que j'ai donnée pour l'été de 1887 cette limite par Ai" lati- tude N. vers la cote d'Europe et 41° 30' du côié de l'Amérique. Voyez La couleur des eaux de la mer el les pèches au filet fin (Ass. /•'jdnf ..Toulouse, 1887, t. II, p. 596, et carte.) Je faisais remarquer dès cette époque que cette limite coïncidait assez bien avec celle des eau.\ de densité i,0270. (4) M. Forel (Arch. des Sa. Phijs. et Nat., t. XXI, p. 270) indique comme ayant des eaux bleues : les lacs Léman, de Garde, de Lucel, de Kandersleg, l'Achensee et enfin le lac d'Annecy. Pour ce dernier, je doi-; dire qu'au cours d'un voyage fait à Annecy au mois d'avril, dans le but même d'ob- sener la couleur du lac, j'ai constaté que ses eaux étaient nettement vertes. (3) On trouvera un excellent résumé des travaux sur la couleur de l'eau dans l'importante étude de VV. Spring ; De la couleur des eaux [Ciel et Terre, 3" année, n» 24; 4' année, n» i. Bulletin de l'Acad. des Se. de Bruxelles, janvier 1883. Rev. scient., 1883, t. XXXI, p. 16I). — Nous ne saurions, d'ailleurs, partager les vues de M. W. Spring sur l't.rigine de la couleur jaune qui viendrait se com- biner à la couleur bleue naturelle de l'eau pour donner les eaux vertes; cette couleur jaune déri- verait, d'après M. W. Spring, d'un précipité naissant de sels incolores (carbonate de chaux, de magnésie, silice, silicate d'alumine) dû à une trop faible quantité d'acide carbonique pour la com- plète dissolution des carbonates ou à une insuilisance de chlorure de sodium pour la précipitation du silicate d'alumine. 334 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOP.E Partant de ce fait d'observation que l'eau pure est bleue (1), j'ai admis depuis 1887 (2) que la couleur verte des eaux devait être attribuée à la combinaison de cette couleur bleue avec la couleur jaune d'un principe d'origine organique qui s'y trouvait mélangé. J'admis de plus que ce principe était la phycophœine soluble dans l'eau et dont MUIardet a montré la singulière fixité (3). Depuis les observations de Robert Brovvn on est unanime à reconnaître que les végétaux monocellulaires flottants sont, d'une manière générale, répandus en beaucoup plus grande abondance dans les eaux froides, c'est-à-dire dans les eaux vertes (4). Il n'est pas douteux que cette quan- tité prodigieuse d'algues, abandonne sans cesse une notable quantité de phycophœine à l'eau de mer. J'ai insisté ailleurs (5) sur le caractère très particulier des pêches au filet fin dans les eaux des Feroë. Le même carac- tère essentiellement végétal du plankton s'est retrouvé autour de Jan May en. Dans les fjords du Spitzberg cependant, malgré l'eau verte, le plankton s'est présenté à nous comme presque exclusivement animal (6). Mais on remarquera que si les fucus ne poussent pas dans ces fjords au niveau des marées, on peut voir les bas-fonds tapissés partout de Laminaires. Les goémons fixés joueront ici, en abandonnant leur phycophœine, le même rôle que les algues pélagiques pour la haute mer. Peut-être pourrait-on expliquer la grande zone verte de l'Atlantique, tempérée par la présence des Sargasses qui flottent, il est vrai, en partie dans l'eau bleue, mais en déf)assent notablement la limite au nord et qui laisseraient écouler en se détruisant leur phycophœine dans le sens du déplacement des eaux vers le nord-est. En tous cas, une question très importante resterait à résoudre : la couleur de l'eau des parties profondes de l'Atlantique. En partant de cette hypothèse que l'eau verte résulte de la présence (1) Voyez W. Spring. (2) Voyez mes diverses communications de 1887, Assoc. française, Toulouse, et ii'oc. de Biuloyie. Cf. ci-dessus, p. 327, note 2. (3) Il sullit, pour l'obtenir, de triturer àesfucnst dans l'eau et de filtrer. M. Forel a supposé (1889, .4n'/t. des Sc.phijs. elnal.) que c'était l'eau des tourbières chargée d'acide humiquequi apportait le com- posant jaune. Si cette e.xplication, à la rigueur, peut s'appliquer à certains lacs, elle ne saurait être étendue à l'Océan pour plusieurs raisons. La couleur de ces eaux de tourbières est d'un jaune forte- ment rabattu. On navigue sur cette eau dans certains fjords de Norvvège. On peut citer en parti- culier le Kanenfjord. On retrouve les mêmes eaux au fond de certaines petites baies des Feroë. Mais ce sont là des phénomènes essentiellement limités. On ne peut songer à attribuer au Saint-Laurent l'apport du principe jaune qui donnerait naissance à la grande zone verte de l'Atlantique tempéré, plus qu'on ne saurait, d'autre part, admettre une inllueuce des rivières de Norwège et d'Europe agissant à contre-courant. Il est à noter, en effet, que les autres grands fleuves atlantiques (iMississipi, Amazone, Niger), se déversent dans des eaux bleues et n'en modifient point la coloration dès que les particules solides, qu'ils tiennent en suspension, se sont précipitées. (4)M.O. Kriiramel signale lui-même l'abondance des Diatomées dans l'eau intermédiaire (blaulich- griin.) du courant sud é(|uiLlorial (Gâe ces monta^mâiv. l'ad jm i^soiEBfliir snr ^itace urne - iffims &; JfsrrsioL .placiaJPB. JViricme des lacs de Tnesp:mm i3f) liectaF^ ismiiue te lae 'Qm^^gnniD ^i^s&s^^swa^ «iiine à :SLl^îB métrs (â'altitnde, non Ioib de jtniitt imflnniBnit de îk •dhiâne^ snr te ipeveas mm- âismal de jnamif cenferal deikAikftEltk; te tkc«teitœBiei(i«iBée d'JLrBn>, attitote 1.271» mètres — jfeut-Sfte te gih» égarai «tes PçnîaiweB, — ^fit «m vnsB\ J^âtaL dfil Sœ; ii.â(i(i mâkFis «faittlliite ^ 7f) HnÉkasis de sdf- Kx" •":v4:•^ O 1^;. liKLLOC. — COMBI-KMENT DES LACS DANS LES 1'YRI^;NÉES 361 face (I ); I»' lac Lanoux (Pyrénées-Orientales) (iiii s'étend sur une longueur (le trois kilomètres et occupe une superficie d'à peu près 1 10 hectares, à une hauteur de 2. loi métrés. Le lac Caïllaouas, moins j^rand (jue le ^ f -g hanoux, mérite encore dètre cité à cause de sa profondeur qui atteint 101 mètres, bien que son plan de surface soit à la cote 2,10o mètres ; attendu que le lac de Séculéje (Oô), placé à ()0o mètres plus bas, dépasse ;\ peine iu mètres de profondeur et 39 hectares de superficie. Parmi les lacs environnant le mas- sif de iNéouvieille, le lac d'Orédon (1.809 mètres d'altitude, cote fournie |)ar M. l'ingénieur en chef .F. Fontes) donne à nos objections un appui bien remarquable. Cette superbe nappe d'eau, qui reçoit le lidji plein des lacs d'Aumar (altitude 2.202 mètres), d'Auber (altitude 2.100 mètres), des Laqueltes (l.!>l)n mètres environ), de Lostallat (altitude 2.172 mètres), de Cap-de-F.ong (altitude 2.120 mè- tres), est moins vaste et moins pro- g, ^fe^^- ,/ 26 fond que ce dernier, qui le domine de 2.*)1 mètres ; et cependant les tra- vaux d'endiguement ont relevé son niveau de 2"'", 70 centimètres. La coupe géologique ci - contre s ^- -jf.-.-t: (^9- ^}-> passant par les lacs étages de la région d'Oô, fera ressortir plus net- tement encore la part très minime que l'eau, ;i l'état de congélation, a pu prendre au creusement de ces excavations lacustres. Celte coupe, orientée sud-nord, part de la frontière franco-espagnole (alti- UJ .■•.■•.».• •o — O 4> O u -H s 3 s « Si VI O ■S 2 S. - e« — '/ï f- • o S I ^ (ti Les liaiiles vallw< de lAran rciifennenl un noinbie considérable de lacs mentionnés pour ia pretiiit>re fois par MM. Maurice Gourdon et le D' Jeanbernat. M. F. Scbrader, dans sa belle carte du versant espagnol pyréntjen (feuille 5), en indique plus de 120, « sans compter les milliers de minus- cales nappes deau qui brillent de toutes parts au milieu des rochers » (F. Schhadbr.) 362 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE tude 3.060 mètres) pour aboutir au village d'Oô (altitude 934 mètres). La partie la plus élevée est couverte actuellement par le glacier crevassé du Ceil-de-la-Baque, dernier débris de l'ancien glacier quaternaire qui, d'après M, Piette, atteignait 860 mètres de puissance à son point de jonction avec celui de la Pique, c'est-à-dire entre Cazarilh et Bagnères- de-Luchon. Plus bas, au village de Cierp, le glacier de la Pique se soudait à celui de la Garonne, lequel, après avoir encore englobé la branche descendue de la vallée de Barousse, recevait le produit de tous les affluents glacés de la vallée d'Aure, et finalement couvrait d'une immense nappe de glace les plaines de Lannemezan, de Montréjau et de Sainl-Gaudens. L'examen géologique de cette coupe montre d'abord un puissant massif granitique, entremêlé par place de grands cristaux d'orthose et de débris de gneiss empâtés dans la masse ; il s'étend sur une longueur de quatre kilomètres, depuis le Ceil-de-la-Baque jusqu'au bord méridional du lac d'Espïnngo. Ce granité porphyroïde, étudié d'abord par Charpentier, ensuite par les professeurs Leymerie, F. Garrigou, L. Mallada et J. Caralp, n'existe pas seulement à cet endroit, je l'ai également vu en place, du moins à peu près semblable, à la Maladetta, au Maupas, au Couaïrat, à Montarqué, à Espijoles, à Clarabide, etc. Du plateau d'Espïnngo, le terrain cambrien — schistes micacés, gneiss schistoïdes, schistes maclifères et à stauro- tides, schistes satinés contenant çà et là du quartz enfumé et constituant les parois abruptes du vaste entonnoir au fond duquel se trouve le lac d'Oô — s'étend jusqu'au bas du grand escarpement qui sépare le bassin d'Oô proprement dit de celui d'Astau, où commence le terrain silurien composé d'abord de schiste argileux noirâtre, de schiste carburé, et plus bas, en se rapprochant du village d'Oô, de schistes ardoisiers, de calschistes, etc. Cette succession de terrains, dont je ne donne ici qu'une liste très incomplète, montre néanmoins que les lacs glacés du Portillon-d'Oô (altitude 2.6o0 mètres), le lac glacé d'Oô (altitude 2.670 mètres), le lac d'Era couma-era-Abeca (altitude 2.360 mètres), — aux trois quarts comblé par les avalanches, — le lac Saounzat (altitude 1.960 mètres), le lac d'Espïnngo (altitude 1.375 mètres), et le lac d'Oô ou de Séculèje (alti- tude 1.500 mètres), sont formés aux dépens des roches massives ou des roches schisteuses, dures et fissiles. En un mot, on passe graduellement du granité au cambrien, du cam- brien au silurien, et du silurien au dévonien, représenté aux environs du village d'Oô par des calschistes grisâtres et des schistes feuilletés, facilement clivables, relativement tendres et peu consistants. Ici donc, mieux que partout ailleurs, les conditions paraissaient favo- É. BELLOC. — COMBLEMENT DES LACS DANS LES PYRÉNÉES 363 rables pour confirmer les doctrines de l'érosion et de l'affouillement glaciaire. Or, les faits eux-mêmes vont nous renseigner à cet égard. En partant du vieux pont d'Oô, pour remonter le cours du torrent, nous voyons que la Neste serpente, pendant plus de trois kilomètres, au fond d'une vallée étroite qui n'acquiert une certaine largeur qu'au point de réunion des Nestes-d'Oô, de Medassoles et d'Eskierry, c'est-à-dire aux Granges-d'Astau. Cet accident orographique, insignifiant en apparence, prend ici, au contraire, une importance capitale. En effet, si l'on adoptait la théorie de Ramsay, de Tyndall et de Penck, il serait difTicile d'expliquer comment un glacier aurait été capable de creuser en plein granité, à une très faible distance de son point d'origine, des excavations lacustres comme celles du bassin supérieur, en respectant, dans la même roche, des affleurements de mille mètres d'étendue ; comment ce glacier aurait eu le pouvoir de tailler des à-pics formidables comme les parois gigan- tesques qui dominent les régions glacées du Portillon et d'Oô, de Saounzat et d'Espïnngo ; d'évider au milieu des terrains cambrions un cirque immense, en découpant une falaise de trois cents mètres de haut et creusant à sa base un abîme de plusieurs centaines de mètres de' pro- fondeur, comme a dû être celui du lac de Séculèje dans les temps anciens ; et comment ce même fleuve de glace, parvenu à onze kilomètres de son point d'origine, accru de tous les affluents rencontrés sur sa route et des précipitations météoriques recueillies à sa surface, — ce qui devait lui donner une force érosive infiniment plus considérable qu'au début de sa course, — a été impuissant à se creuser un lit suffisamment large, dans des terrains friables et délitables tels que ceux que nous voyons affleurer dans ces parages. On ne peut objecter que ce glacier ne renfermait pas dans son sein les éléments actifs de l'érosion ; car, à part le poids incalculable de la croûte glacée, il transportait une quantité prodigieuse de blocs de granité porphyroïde, de gneiss, de schistes gneissiques, etc., provenant de la démolition des montagnes qui forment le bassin supérieur, puisque, à ([uelques centaines de mètres plus loin, il a abandonné sur ses flancs des milliers de blocs erratiques. Ces blocs, minutieusement étudiés dans tous leurs détails, par le directeur du Muséum d'histoire naturelle de Tou- louse, M. le D"- E. Trutat, avec le concours de M. Maurice Gourdon, constituent, à l'heure actuelle, la célèbre moraine de Garin de Larboust. En résumé, si le creusement des bassins ouverts dans des roches dures était dû exclusivement à l'activité glaciaire, cette activité se fût aussi bien exercée sur les saillies qu'au centre des cavités ; et, en admettant des parties plus résistantes en certains points, l'érosion eût laissé sur ces proéminences des sillons profonds au lieu de les avoir simplement striées et polies. 364 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE * * * V Etude des causes actuelles en géologie, à laquelle le savant professeur Stanislas Meunier a consacré un travail spécial des plus intéressants, les récentes et très nombreuses observations faites sur les variations pério- diques des glaciers français, par le prince Roland Bonaparte, les études plus anciennes et fort instructives de M. E. Trutat sur les glaciers de la Maladetta, pour comparer leur marche à celle des glaciers des Alpes, et la plupart des recherches effectuées par les géologues et les glaciairistes, démontrent péremptoirement que, quand le terrain est mis à nu par l'effet du retrait d'un glacier, il ne présente aucune trace de creusement ; au contraire, par le dépôt de la moraine frontale, il se trouve exhaussé. L'action érosive du glacier est indéniable, et chaque fois que celui-ci rencontre un terrain meuble ou facilement affouillable, elle peut être considérable. Mais elle est forcément très bornée en présence des roches dures et compactes, et les effets d'érosion produits dans ce cas par l'eau à l'état de congélation ne sauraient être comparables au pouvoir désagré- geant de l'eau en mouvement et à l'état liquide. Pour se convaincre de cette vérité, il suffît de se transporter à l'origine de l'une quelconque des vallées pyrénéennes terminées par un glacier, tel que celui de Crabioules, par exemple. Ici le contraste est frappant. Depuis le parc d'Enfer jusqu'à l'endroit où se trouve actuellement l'hôtel- lerie de la vallée du Lys, le glacier a été incapable de creuser, dans le fond de la gorge, un passage suffisamment spacieux pour le contenir, tandis que les eaux provenant de ce même glacier ont usé et coupé à pic des masses rocheuses compactes, comme à la rue d'Enfer, ou des cascades, et des gouffres, comme ceux que les baigneurs de Ludion vont admirer en foule dans cette magnifique région. La force vive de l'eau, accrue par les débris rocheux qu'elle entraîne, est capable de donner aux cassures terrestres des proportions considérables et d'ouvrir des gorges superbes comme celles des Eaux-Chaudes, de Luz, de Gavarnie, de Cauterets ou du Pont-d'Espagne, qui mettent bien en évidence les effets irrésistibles des eaux fougueuses en présence d'obstacles solides leur barrant le chemin. Dans l'état actuel de nos connaissances, aucun phénomène glaciaire n'est capable de nous fournir des preuves irrécusables de son pouvoir érosif, comme le font journellement sous nos yeux les eaux torrentielles ; ce qui ne veut pas dire, toutefois, que les torrents soient les seuls agents auxquels on puisse attribuer la création des lacs supérieurs de montagnes. Le relief de notre globe n'a pu se modeler sans que la croûte terrestre f:. BELLOC. — COMBLEMENT DES LACS DANS LES PYRÉNÉES 363 éprouvât des contractions violentes et sans qu'il en résultât des disloca- tions, des plissements et des cassures innombrables. Et, comme le dit M. A. de Lapparent, dans son Traité de géologie, d'une si admirable clarté de style, « les fentes dont les parois se sont tapissées de matières minérales et celles à travers lesquelles a eu lieu l'injection des roches éruptives attestent que l'écorce terrestre a subi, à bien des reprises, des effets méca- niques capables d'en déterminer la rupture » . C'est le long de ces fentes ou lignes de rupture que les granits et les gneiss ont surgi, en même temps qu'à côté se produisaient des ploie- ments, des bossellements et des redressements verticaux à la base des- quels, semblables à des voûtes privées tout à coup de leurs points d'appui, le sol s'affaissait et produisait par cela même des cavités plus ou moins considérables que les eaux n'ont pas tardé à envahir. Cette « combinaison forcée des abaissements et des soulèvements de l'écorce terrestre qui se plisse pour rester toujours appuyée sur un noyau intérieur dont le volume diminue en raison du refroidissement » comme le dit en termes excellents M. le D'' F. Garrigou, dans sa Monographie de Bagnéres-de-Luchon, ne fournit-elle pas la meilleure preuve de l'origine que nous attribuons aux lacs de montagnes ? Élie de Beaumont n'assignait d'autre cause à la formation des lacs des Vosges que les écroulements produits dans les cavités, situées à l'in- térieur des montagnes. Cependant, il est fort probable que les excava- tions lacustres n'atteignirent pas du premier coup ni les dimensions, ni la profondeur qu'elles ont acquises par la suite. D'un autre côté, les remarquables expériences de sir Jams Hall, de M. Alphonse Favre, et les études synthétiques de géologie expérimen- tale, plus récentes, plus nombreuses et plus variées de notre éminent compatriote M. Daubrée, sur les cassures terrestres, nous révèlent la marche des phénomènes qui ont dû présider à la formation du relief de notre planète. « Les cassures de divers ordres de grandeur, dit M. Daubrée, depuis de simples leptoclases jusqu'aux paraclases qui s'étendent hori- zontalement sur des dizaines et même des centaines de kilomètres, et pénètrent jusqu'à des profondeurs inconnues, réduisent l'écorce terrestre en une sorte de craquelé dont les fragments sont préparés pour une dé- molition. » Préparée pour une démolition, l'écorce terrestre devait l'être en effet ; aussi est-il aisé de comprendre avec quelle puissance l'action dynamique des courants torrentiels a dû s'exercer sur d'anciens accidents orogra- phiques aussi bien disposés. Les masses rocheuses parfois tranchées comme un trait de burin, selon la comparaison pittoresque et exacte de M. F. Schrader, dont on connaît les remarquables travaux ; les failles conver- ties en ravins profonds, agrandies et déblayées, sont devenues des gorges 366 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE gigantesques que les dislocations postérieures ont encore façonnées, puis transformées en vallées admirables, telles que celles d'Ordesa, de Niscle ou d' Arasas, au pied du JVIont-Perdu, vallées comparables, d'après M. E. de Margerie, à un coin du Colorado égaré au milieu des Pyrénées. Parmi les systèmes d'investigation scientifique, l'un des plus sûrs, — bien que ce ne soit pas l'avis de tous les savants, — et le meilleur peut- être, est encore celui qui consiste à procéder du connu à l'inconnu. Partant de ce principe, en voyant la force érosive des petits cours d'eau et des cascades de l'époque actuelle, on peut se faire aisément une idée de la puissance développée par les cataractes des anciennes périodes géolo- giques. Il a sutTi qu'un petit ruisseau, tel que le Rummel, se trouvât en- présence d'un de ces fendillements terrestres pour creuser un profond ravin comme celui de Constantine. A plus forte raison, lorsque la force hydraulique se trouve centuplée. Par exemple, l'émissaire du lac Érié, le Niagara, après avoir précipité ses eaux d'une hauteur de 30 mètres, et creusé un gouffre actuellement insondable, au pied des chutes célèbres que tout le monde connaît, s'est ouvert un passage de 11 kilomètres de longueur, avec des parois de 72 mètres de hauteur, en moyenne, avant d'atteindre Queenstown et le lac Ontario. Au nombre des autres agents d'érosion, qui concouren' directement à la transformation du relief terrestre, il faut citer en première ligne l'action chimique des eaux d'infiltration. L'eau de pluie, renfermant 2,40 0/0 d'acide carbonique, selon les cal- culs de Péligot; exerce une action directe sur les éléments silicates et feldspathiques entrant dans la constitution d'un certain nombre de roches. Cette action chimique est particulièrement appréciable aux environs du Maupas, dans le massif pyrénéen qui limite le département de la Haute- Garonne, sur les crêtes de séparation du val d'Arougé et des Gours-Blancs, dans la région de Clarabide, d'Ardiden, d'Estom, de Gaube, de Penticosa, et une infinité d'autres contrées où l'on voit des blocs granitiques, ayant perdu leur dureté primitive, rongés par places et transformés en une es- pèce de matière arénacée, que les montagnards, dans leur langage imagé, désignent sous le nom caractéristique de roches pourries. * * En résumé, l'origine et la formation des bassins lacustres de mon- tagnes, ouverts dans les roches vives, sont dues à trois causes principales : 1° aux accidents orograpliiques résultant des dislocations de la croûte terrestre ; 2^ à l'action dynamique de l'élément liquide en mouvement ; É. BELLOC. COMBLEMKNT DES L.VCS DANS LES PYRÉNÉES 367 3° aux transformations produites sur les masses rocheuses par l'action chimique des eaux d'infiltration. En outre, les recherches méthodiques que j'ai entreprises depuis un certain nombre d'années, et plusieurs milliers de sondages que j'ai exé- cutés dans les principaux lacs des Pyrénées, m'ont amené à formuler les conclusions suivantes : La profondeur des lacs de montagnes, ouverts dans la roche dure en place, est en raison de la hauteur et de la verticalité des pentes qui circonscrivent leur périmètre. Les lacs de Pouchergues, de Caïllaouas, de Gregonio (Querigûena d'après l'ingénieur espagnol J. Mallada), etc., sont de véritables gouffres ouverts au fond de vastes entonnoirs ; et le plus grand, en même temps que le plus élevé des lacs en série du Port de Venasque (altitude 2.300 mè- tres environ) que nous avons tout récemment visité, avec mon ami M. Charles Bannelier, offre encore un exemple saisissant de ce phénomène. Ceci explique pourquoi, — étant donné que les pentes des montagnes se redressent dans le voisinage des sommets, — la plupart des lacs pyré- néens se rencontrent au-dessus de la zone habitable et vers la partie la plus élevée de la chaîne. * * * En dehors des accidents orographiques produits par les contractions de la couche terrestre et les forces dynamiques extérieures qui modifient sans cesse son relief, d'autres causes accidentelles ont aussi concouru à la formation de certains lacs de montagnes. Les éruptions volcaniques qui ont occasionné la formation des lacs de cratères, comme ceux de l'Auvergne, des îles Açores, etc., n'ont pas laissé, dans les Pyrénées, des traces assez nettes pour qu'on ait pu les constater, jusqu'à présent du moins. Quant aux barrages temporaires provoqués par les éboulements et les transports glaciaires ou torrentiels, qui sont capables, à un moment donné, d'accumuler sur un certain point d'énormes masses de débris rocheux, de limon et de matières arénacées, ils sont au contraire assez fréquents vers la partie basse des montagnes. Lorsque ces endiguements, qui peuvent entraver le cours des ruisseaux ou empêcher le libre écou- lement des eaux pluviales, proviennent exclusivement de l'action glaciaire, comme à Lourdes ou à Barbazan, on est convenu de les appeler des lacs morainiques. Ils sont quelque peu en dehors du thème de cette étude qui comprend surtout les lacs supérieurs de montagne. Je me réserve d'y revenir plus longuement à une autre occasion. 368 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE * * Après avoir essayé d'expliquer l'origine et la formation des lacs pyré- néens, il me reste à faire connaître le causes déterminantes de leur com- blement et de leur extinction finale; mais, auparavant, je parlerai très brièvement de la conservation des lacs par la glace. Si les opinions de Desor, d'Escher et de A. Favre, contrairement à celles de Ramsay, Dana, Tyndall, A. Penck, de Mortillet et Gastaldi, ont été adoptées par des hommes tels que Bail, Lyell, Rutimayer, Murchisson, Heim, Omboni, E. Reclus, Ch. Martins, VioUet-le-Duc, Ch. Grad, de Lap- parent, Chantre, Faisan, Credner, Mojsisovics, Jeanbernat, etc., cela tient surtout au côté séduisant de la théorie nouvelle, d'autant plus que l'hypo- thèse d'une calotte de glace préservant les dépressions naturelles du sol contre l'envahissement des dépôts détritiques n'a rien d'improbable, dans certains cas particuliers, au contraire. Mais ce serait une grave erreur de vouloir généraliser une théorie comme celle de la protection tutélaire des cuvettes lacustres par la glace, ou celle de l'affouillement glaciaire; car, malgré tout, les faits matériels observés parlent plus haut que les conceptions originales des savants géo- logues qui les ont inventées, si ingénieuses qu'elles soient. A la vérité, il faut reconnaître que ces éminents naturalistes n'avaient que des données fort restreintes sur la topographie et la géologie sous- lacustres et que les moyens d'investigation de la plupart d'entre eux ne dépassaient pas le plan de surface des eaux. A part les travaux remarquables de M. le professeur A. Forel, sur le lac Léman, le lac des Quatre-Cantons, etc., quelques sondages exécutés par Ch. Grad dans les lacs des Vosges, et un certain nombre d'autres observations isolées, peu de personnes s'étaient données d'une manière exclusive à l'étude méthodique des lois qui régissent les phénomènes sous- lacustres. Depuis quelques années, de nombreux documents hydrographiques ont été recueillis et coordonnés avec le plus grand soin. Des recherches sous- lacustres considérables et scientifiquement conduites ont été entreprises par les ingénieurs du Bureau topographique fédéral suisse, sous la haute direction de M. fingénieur Hôrnlimann. M. le professeur J. Thoulet, de la Faculté des sciences de Nancy, le savant initiateur de V Océanographie en France, nous a fait connaître les lacs des Vosges. M. l'ingénieur des Ponts et Chaussées A. Delebecque, a sondé et étudié les lacs de la Haute- Savoie, de l'Ain, de l'Isère, du Dauphiné, etc., et dressé les cartes de ces fonds submergés qui serviront à compléter la carte du nivellement de la É. BELLOC. — COMBLEMENT DES LACS DANS LES PYRÉNÉES 369 France dans ces régions. M. le D'" Ant. Magnin a recueilli de nom- breux documents sur la topographie, le caractère des eaux, la faune et surtout la flore des lacs du Jura. Enfin, en ce qui me concerne, je consacre chaque année plusieurs mois à l'étude des phénomènes la- custres, notamment dans la chaîne des Pyrénées (1). Le champ d'obser- vation est vaste et fertile; malgré l'étendue et les difficultés matérielles de la tâche entreprise, j'espère la mener à bien, si mes forces me le permettent. Ces travaux, entrepris simultanément pour ainsi dire et sur plusieurs points à la fois, ont fourni des résultats importants, dont quelques hommes spéciaux ont déjà su tirer profit pour la science. A l'aide de mes propres observations, j'ai pu contrôler la valeur de certaines doctrines glaciaires et me convaincre de la fragilité des bases sur lesquelles reposent, par exemple, les théories relatives à la conser- vation des lacs par la glace, que M. Bayssellance a déjà vivement com- battues. Un ensemble de faits très précis et soigneusement étudiés, dont je vais donner des exemples, m'a permis de reconnaître que : la force vive des anciens glaciers, loin d'avoir approfondi ou protégé les cuvettes lacustres, avait été, au contraire, un instrument actif de comblement, toutes les fois que les courants de glace s'étaient heurtés à des affleurements abrupts de roches dures en place. Le lac d'Estom (vallée de Lutour, tributaire de celle de Cauterets), dans lequel j'ai pu relever des profils en tous sens, grâce aux nombreux sondages que j'y ai pratiqués, 148 points par 10.000 mètres carrés, me servira à montrer par quels moyens ces comblements glaciaires s'accom- plissent. Si, à l'aide d'une courbe continue, on joint les différents points de sondage se trouvant sur un même plan, dans une direction déterminée, on obtient le profil du relief sous-lacustre, c'est-à-dire une section qui montre clairement les mouvements altimétriques du sol submergé. C'est ce que j'ai fait pour le lac d'Estom, dont la figure 2 ci-après représente la coupe longitudinale (2) AF, orientée sud-nord, c'est-à-dire dans le sens de la pente naturelle de l'écoulement des eaux. Cette coupe nous fait voir d'abord, entre A et B, un delta sous-lacustre (1) Pour ces études, je me sers d'un modèle réduit et facilement transportable jusqu'au som- met des plus hautes montagnes, de l'appareil à fil d'acier — sondeur É. Belloc — que j'ai eu l'honneur de présenter l'an dernier au Congrès de Marseille. Le grand modèle que S. A. S. le prince Albert l" de Monaco a fait construire pour son nouveau yacht à vapeur, la Princes % 'S/f/^.: t-t (fi f, O./wenaica, UANIEN INFERIEUR. \ , /-,. , ,- ^ i •. . , ( larva, (Jtostoma jJOnticum, Orbitotdes gensacica, etc. Le Cénomanien existe-t-il peut-être au centre de ce bombement, comme tendrait à le démontrer un exemplaire d'Holectgpus excisus, Desor, espèce du Cénomanien supérieur, trouvé à Mailloc et envoyé à l'auteur par M. Dubalen. En 1888, paraît la deuxième partie de la Statistique géologique et agro- nomique du département des Landes, presque entièrement rédigée par M. Jacquot. Cet observateur reconnaît dans la protubérance de Saint- Sever les étages cénomanien, twonien, sénonien et danien. (1) Notice géologique sur les lerrains du bassin de l'Adour, in Bull. Soc. géol. France,'!' s., t. IV, p. 712. (2) Élude géologique sur le bassin de VAdour, i"'» partie formation crétacée), in Annales des Mines, 5"= s., t. IV, p. 361. (3) Essai d'une desrription géologique du bassin de l'Adour, in Mém. Soc. Sa. phys. et nat. de Bordeaux, t. I, p. 265. (4) Voyez surtout : Recherches sur la Craie supérieure du versant septentrional des Pyrénées, in Comptes rendus .4c. Se. (1880), p. 7A4. Le terrain crétacé des Pyrénées, 2" partie (Terrain crétacé supérieur;, in Bull. Soc. géol. France, 3« s., t. IX, p. 62. 384 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE L'étage cénomanien, visible seulement dans le fond de la vallée d'Au- dignon, est composé de calcaires dolomitiques et de calcaires compacts ne renfermant que des huîtres indéterminables et le Rqdiolites triangulatns ? L'étage turonien qui lui succède est particulièrement net dans les carrières de Jouansalle, où il est caractérisé par RadioUtes lumhricalis. La dolomie de Labadie en face de l'église d'Audignon, est subordonnée à cet étage dont elle formerait le couronnement. Le Sénonien consiste en une alternance de calcaires marneux et de marnes sableuses. De nombreux silex sont répandus dans la masse et les fossiles habituels sont : Echinocorys vulgaris, Jnoceramus Goldfusianus, Janira quinquecostata. Le Danien débute par des marnes et des calcaires à Hemipneustes pyrenaicus, Leymerici, 0. pyrenaica, et se termine par. des dolomies et des marbres qui, en raison de leur position au sommet de la forma- tion crétacée, sont assimilables aux assises garumniennes de la Haute- Garonne. Quelques mois après cette publication (janvier 1889), M. Jacquot nous donne la feuille de Mont -de-Marsan (1) au bas de laquelle est la partie la plus importante du pointement crétacé de Saint-Sever. Quatre teintes indiquent les quatre étages de la formation crétacée supérieure. L'étage cénomanien y occupe une place beaucoup plus importante que ne l'avait supposé précédemment l'auteur (2). En 1890, M. L. Reyt (3) signale à Buret-Maçon (Audignon) et à La- bouyrie (Eyres) un horizon très fossilifère (0. flabellata, biauriculata, Terebratula biplicata, etc.) de l'étage cénomanien, et constate la présence de dolomies garumniennes, avec nombreuses formes tertiaires, sur le revers S. de la ride crétacée de Saint-Sever, territoire de Montsoué. Les explorations entreprises par nous en août 1891, poursuivies en novembre et aux mois d'avril et d'août de cette année, nous ont donné les résultats consignés dans le tableau ci-joint qui résume la succession des assises crétacées de la protubérance. Le Crétacé inférieur (Gaultj, méconnu jusqu'à ce jour, occupe une place importante dans la protubérance ; il se présente sous la forme de marnes avec alternances fréquentes de bancs calcaires ou siliceux, — Hamites cf. rotundus, Sow. (4), bélemnites, etc., à la base, — échinides, nombreux acéphales et gastéropodes à la partie supérieure, que sur- montent des dolomies à grandes janires, Toucasia, etc. (1) Carte géologique de la France au 1/80.000. (2) \o\r Stalisliquegéol. elmiron. du déparleme.nt des Landes, p. 318. 3} In Actes Soc. Linn. de Bordeaux, s» s., t. IV, p. 275, et Procès-verbaux des séances de la Soc. Linn. de Bordeaux, p. 77. (4) Nous avons déterminé nos espèces au Laboratoire de géologie de la Faculté des Sciences de Bordeaux, dirigé par M. le professeur Fallût, dont l'autorité est bien connue. REYT ET DUBALEN. — SUR I.V PUOTl nÉUANCE CRÉTACKK DE SAINT-SEVER 385 Les calcaires cénomaniens à Caprinella triangulmns et les marnes à 0. flabellata, biauriculata, etc., qui leur sont étroitement liées, des- sinent une bande limitant au S. le noyau formé par les marnes et les dolomies ci-dessus mentionnées. Étroite dans sa partie occidentale où l'inclinaison des couches peut atteindre 80% cette bande s'élargit consi- dérablement vers son extrémité orientale où les strates accusent un pro- longement faible, variant de 10 à 15°. L'étage turonien n'était connu qu'à .Jouansalle et Larrey ; nous l'avons retrouvé bien développé dans la vallée du Gabas, des environs du Moulin de Marrin à Pémarie, en face du bourg d'Eyres. Il présente même ici une assise que nous n'avons observée nulle part ailleurs, des Calcaires marneux avec Inocérames, Oslrea, Cardium, qui, par leur position entre les Calcaires à Badiolites himbricaliii -du Turonien supérieur et les Marnes cénomaniennes à 0. flabellata, biauriculata, Terebratula biplicata, doivent être regardés comme représentant le Turonien inférieur (Ligérien, Coq.). L'étage sénonien, d'Orb., joue un rôle important dans la protubérance. Dans sa partie inférieure et sa partie moyenne, peu exploitées, nous avons reconnu deux horizons intéressants : Marnes à Micraster coranguinum de Pémarie, — Calcaires marneux à Echinocorys Heberti il) du Caoup et de Lacoumette . L'étage garumnien qui termine la série comprend : à la base des Dolomies et brèches dolomitiques, à la partie supérieure des Calcaires compacts ou marmoréens et des brèches calcaires. Ces roches, considérées jusqu'à présent comme à peu près azoïques, peuvent, dès maintenant, grâce à de patientes et laborieuses recherches, compter parmi les plus riches en espèces de la protubérance. La plupart de ces espèces, sinon leur totalité, étant nouvelles, ce n'est que par la place qu'occupent ces assises, entre les marnes et les calcaires- à Hemipneustes p/jrenaicus et Orbitoïdes du Sénonien supérieur et les calcaires à Operculines (Operculina Heberti) de l'étage suessonien. qu'il est permis de les paralléliser aux couches garumniennes de la Haute-Garonne, dont la faune est entière- ment différente, mais qui occupent exactement la même position strati- graphique (2). Une faille principale, se maintenant constamment au N. et à une faible distance de la ligne anticlinale, court de l'E. vers l'O. du voisinage de Puzacq (au N.-E. de Fargues) aux sources de la Peyradère à Saint-Aubin, par la vallée du Pichegarie, Haut-d'Audignon, Pilo, s'incurvant légère- ment pour aboutir aux sources de Marseillon, puis reprenant son allure (1) Cet horizon avait été déjà signalé par M. HL-berl. {Comptes rendus de l'Académie des Sciences, 1880, p. T,i.) . „ (2) La série garumnienne typique d'Auzas est en effet comprise entre le Calcaire nanUin a «emi/)- neusles, sur lequel est bàli ce bourg, et l'horizon à Operculina Heberti qui succède immédiatement aux Calcaires crayeux à Micraster tercensis du Tuco. 25* 386 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE vers rO. par la source d'Haouriei, Higué et Laflou. Elle met les assises sénoniennes du revers N. en contact avec les couches albiennes, céno- maniennes, turoniennes et sénoniennes qui, après s'être voûtées suivant la ligne anticlinale, plongent vers le S. sous un angle exceptionnellement supérieur à 15° (l). A l'extrémité 0. de la protubérance, à Long, les assises garumniennes du revers N. viennent buter à la faille, qui traverse ici la vallée de la Gouaougue. contre les couches du même âge ou les premiers sédiments suessoniens. Une faille secondaire, greffée sur la précédente suivant le cours du Pichegarie, au-dessous de Baron, se dirige vers les sources d'Arcet par le four à chaux de Reguillem, le Moulin de Marseillon et Larrivière au S. de Banos (2). Elle émet à l'E. de Jouancoste une bifurcation qui chemine obliquement vers Meignos pour s'infléchir brusquement vers l'O., dans la direction de Toulouzette. C'est entre ce bras et la faille secondaire d'Arcet, prolongée vers l'O., que paraît s'être produit le plus grand affais- sement de la région. Les eaux pluviales qui tombent sur le revers N. de la protubérance sont naturellement absorbées par ces fractures qui se gorgent encore des eaux que leur abandonnent les rivières et les ruisseaux qui les traversent et dont le cours peut, en quelques points, se confondre avec leur direction. Ces failles forment ainsi un système de canaux souterrains dont les eaux jailliront dès qu'elles rencontreront sur leur route quelque obstacle s'opposant à un écoulement régulier, ou une issue insuffisante pour per- mettre à la masse d'aller plus en avant. Les remarquables sources de Marseillon, la Peyradère et Arcet n'ont pas d'autre origine (3), et on ne peut plus les regarder, avec M. Jac- quot (4), comme le résultat du jeu naturel de nappes artésiennes dans les assises supérieures du terrain crétacé. Les considérations qui précèdent nous paraissent avoir une grande importance relativement a la question des eaux jaillissantes dans la région comprise entre la protubérance de Saint-Sever au S. et l'alignement crétacé Roquefort-Saint-Julien-Colègne au J\., au centre de laquelle est bâtie la ville de Monl-de-Marsan, car elles tendraient à démontrer que, s'il existe des eaux artésiennes dans la région ci-dessus délimitée, elles ne peuvent venir de la protuljôrance crétacée de Saint-Sever sur laquelle cependant, avant un examen approfondi, le géologue pourrait être tenté de concevoir les meilleures espérances. (1) Ce n'esl, que vers l'extrémité occidentale de la protubérance qu'on remarque des inclinaisons beaucoup plus importantes (70 et 80°). (2) Celle faille doit évidemment se poursuivre vers l'O. (3) Les dépressions en face desquelles bouillonnent ces sources et l'état fragmentaire des roches d'oïl elles sortent semblent favoriser la venue au jour de ces eaux. (4) Voyez surtout Statistique géologique et agronomique du département des Liimie^, p.iT'i. REYT ET DUU.VLE.N. — SUR LA PROTLBÉRANCE CRÉTACÉE DE SAIXT-SEVER 387 > I •IH m -H » 0) !» es !» d) -Ci o •IH m m -* o .S '5 Q 1 C ■^ ç c o a; M ce M M S = O &. X X OJ P5 o Ë 2 S ë si 2 — I - 5J ^ ■r- < co co 3 h-3 ,î* X ë. s g o c; = a o « ■e y. ^ u V '^ o ■< ■e S O z es tel u z a -ï o 388 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE M. Joseph EOÏÏSSEL Professeur au Collège de Cosne. SUR LE PRIMAIRE DE CAMPAGNA-DE-SAULT Séance du 27 septembre 1892 — Dans les environs de Campagna-de-Sault existe une importante for- mation primaire disposée en plis anticlinaux (fig. 1 , 2 et 3). Ouest Sud a: \^tiiixentt de Nord \ Lamj^agiui' ■ eT Triais Granité On'y observe : 1. Schistes ardoisiers avec lentilles de calcaire et de poudingue. 2. Schistes noirs avec lentilles de calcaire à (^rthocères,du Silurien supérieur. 3. Calcaire à goniatites et schistes. 4. Dolomie, calcaire et schistes. o. Schistes avec lentilles de calcaire amygdalin et de calcaire à Orthocères. 0. Schistes et poudingues. Les schistes ardoisiers 1 représentent le, Silurien moyen, autrement dit Ordovicien ou Armoricain; car, en certains points des Pyrénées, ils en renferment la faune caractéristique. Us alternent, à l'ardoisière de Campagna, avec de puissantes lentilles de .1. ROUSSEL. — SUR LK PRIMAIRK DK CAMPAGNA-DE-SAULT 389 calcaire et de poudingue à galets de schiste, de quartz et de gneiss (le granité n'y est point représenté). L'étage 2 est fossilifère. On y trouve principalement : Orthoceras Bohemicum, Cardiola interrwpta et Scijphocrinus elegaiis. Les plus beaux fossiles sont sur le sentier qui longe la rive gauche du ruisseau de Carapagna, en amont du village, près de l'ardoisière. Le calcaire à goniatites 3 existe à ce niveau, dans les Pyrénées, en un grand nombre de points : c'est un fait nouveau. A Campagna, ce calcaire est bien caractérisé, dans le pli cl, sur le bord de l'Aude et sur le chemin de Campagna à Fontanes. A 200 mètres au sud du pic coté 1861 mètres, situé à l'ouest de celui d'Ourthizet, il est sous forme de lentilles qui alternent avec des schistes. L'étage 4 n'a pas une composition constante. Tantôt il se présente sous la forme d'une dolomie noire à l'air et rude au toucher. Tantôt cette dolo- mie passe à des schistes qu'on a de la peine à distinguer de ceux du Silurien; car, comme ceux-ci, ils renferment des lentilles de calcaire et de poudingue à galets de schiste et de quartz. Les dolomies et les calcaires sont très développés sur les bords de l'Aude; mais on les voit passer, par degrés, au schiste, lorsqu'on s'avance du côté de l'ouest; de telle sorte qu'à Campagna, sur la rive droite du ruisseau, il n'en reste, dans l'aile sud du pli d, que quelques lentilles pour servir de repère. Dans l'aile nord de la ride, la dolomie se prolonge jusqu'à la rivière de Rebenty. Les dolomies et les calcaires se remplissent de tiges d'encrines et de fénestelles, notamment sur le chemin de Fontanes, à l'ardoisière, au pic d'Ourthizet, au pic coté 1861 mètres, etc. Cet étage 4 représente pro- bablement le Dévonien supérieur. L'étage S, que j'attribue au Carbonifère, renferme de très importantes lentilles de calcaire à goniatites et quelques lentilles de calcaire à Ortho- cères. Ces derniers fossiles sont ordinairement empâtés et frustes. Cependant, il existe un point où l'on peut les reconnaître; on le trouve en suivant le sentier de la rive gauche du ruisseau de Campagna, à partir du continent de ce ruisseau et de l'Aude, quelques pas après avoir passé la vieille masure qui existe en ce point. Il renferme des poudingues par endroits, notamment à Fontanes. Les schistes 6 sont ceux qui, dans les Pyrénées, constituent la plus grande partie du Carbonifère. Ils sont, le plus souvent, accompagnés de poudingues à galets de schiste, de quartz et de gneiss. Sur les bords de l'Aude, les étages 3, 4, a et 6 sont seuls visibles dans les plis c et d. Pour trouver les étages 1 et 2, il faut aller jusqu'à Campagna. En ce lieu, les couches dévoniennes sont fortement déviées, les plis s'élargissent et le Silurien apparaît en masses puissantes sous le Dévonien. 390 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE M. M. &OÏÏIIDOI Conservateur du Musée pyrénéen de Bagnères-de-Luchon. LE MUSÉE PYRÉNÉEN DE BAGNÈRES-DE-LUCHON — Séance du 2i septembre 1892 — Notre époque a le goût des collections. On aime à voir, réunies et clas- sées scientifiquement, les productions naturelles du globe. Collections publiques ou privées, il en existe un grand nombre et partout. Luchon, cette station thermale admirablement située au milieu de la haute chaîne et privilégiée entre toutes, ne pouvait rester à l'écart du mouvement général. Aussi a-t-elle son Musée, peu important encore, il est vrai, mais qui n'en renferme pas moins déjà des choses intéressantes et uniques pour la chaîne des Pyrénées, encore si peu connue, au point de vue géo- logique principalement. Au premier étage de l'aile gauche du Casino sont réunis les collections et les plans en relief formant le Musée Lézat, ou Musée pyrénéen de Luchon. Parmi les étrangers, baigneurs ou touristes qui, tous les ans, pendant les beaux jours, affluent dans nos murs et vont rendre visite à l'œuvre du regretté ingénieur Toussaint Lézat, bien peu de personnes sans doute en connaissent l'historique et l'origine. Il y a une quarantaine d'années environ, Lézat, qui s'occupait alors de botanique, accomplissait la première ascension du grand pic Quairat (3.059 mètres) au-dessus des glaciers de la vallée du Lys. Panorama d'une beauté tellement captivante et si particulière que c'est en l'admirant, par une belle journée d'été, que Lézat conçut le projet audacieux pour l'époque, qu'il a si vaillamment exécuté depuis, de faire le plan en relief des mon- tagnes de la Haute-Garonne. Chose difïïcile alors. A l'époque en effet où il se mit à l'œuvre, les cartes de l'État-major n'étaient pas encore faites. Il dut y suppléer et relever lui-même toute la région. Malgré les diffi- cultés sans nombre qui, à chaque instant, dans une région aussi tour- mentée, surgissaient sous ses pas, il ne douta jamais de la réussite. Aussi, quels ne furent pas sa joie et son légitime orgueil, le jour où il mit la der- nière main à ce remarquable travail! Il représente une superficie de 25 kilomètres de large, sur 57 et demi de long ; il est à l'échelle de j^, et forme un rectangle de S'^jSO sur S'^jTS centimètres. M. GOrUDON. — LE MUSKE l'YRÉXÉEN DE BAGNÈRES-DE-LUCHON 391 Les hauteurs, au contraire, sont un peu plus que doublées, pour conser- ver à l'œil les illusions auxquelles nous nous laissons entraîner à l'aspect des montagnes. Huit années ont été employées à sa confection, et les dix-sept tables ou morceaux qui composent ce relief ont tour à tour été portés à dos d'homme par ses guides, et les détails modelés par Lézat sur le terrain même, après avoir fixé tous les points importants mathémati- quement, à la boussole ou au graphomètre. Il n'est pas nécessaire, je sup- pose, d'insister plus longuement sur la valeur et l'importance de l'œuvre de l'éminent ingénieur : l'exactitude et la vérité de ses plans en relief sont connues de tous ceux qui s'occupent de montagnes. Jamais on n'a mieux rendu la physionomie pittoresque de nos Pyrénées. Autour de cette œuvre capitale sont groupés les plans en relief des Pyrénées centrales au -^^j^, de l'Aran à la vallée d'Aspe, celui des galeries souterraines de l'établissement thermal, celui du cirque de Gavarnie et du vieux Luchon. D'un autre côté, il convient de faire remarquer que, par sa position unique au centre des Pyrénées de France, à proximité de celles de l'Espagne, Luchon est un centre extrêmement important, au point de vue de la litho- logie pyrénéenne : toutes les espèces de roches et de minéraux se trouvent pour ainsi dire représentées dans ses montagnes. De vastes champs d'é- tudes et de recherches y sont ouverts aux savants. Si l'exploration de ces régions alpestres présente des difficultés, parfois même des dangers, le naturaliste, quelles que soient ses études favorites, est toujours largement dédommagé de ses fatigues par d'abondantes et intéressantes récoltes. Pendant longtemps on regarda les Pyrénées centrales comme dénuées de fossiles, surtout dans les terrains anciens. Grave erreur, dont le temps et les recherches persévérantes devaient avoir raison tôt ou tard. Déjà, \L Leymerie avait indiqué quelques gîtes fossilifères dans nos montagnes. C'était un commencement. Au cours de mes excursions alpines, j'ai eu la bonne fortune de découvrir bon nombre de nouveaux gisements fort importants pour la détermination de l'âge des terrains anciens. Je signa- lerai entre autres, sur le versant français, les gisements siluriens de Mon- tauban-de Luchon, de Cazaril-Laspènes, de Montmajou et du Hont de Barbât. Ceux de Bourg-d'Oueil, de Jurvielle, de Génost, des Honts des Bicoulous, de Bern, de Cathervielle appartiennent au dévonien. Ces trois derniers nous ont fourni une abondante et très précieuse série de Trilo- bites, niveau à peu près inconnu jusqu'alors dans les Pyrénées. En Aragon, les empreintes fossiles du plan des Étangs (base de la Mala- detta) ont permis de rapporter enfin avec certitude au houiller moyen les grauw^ackes micacées, du val de l'Essera, dont l'âge était si discuté. J'en dois la détermination à M. R. Zeiller. Il fallait toute l'habileté de ce paléontologiste pour nommer exactement ces débris assez frustes pour la plupart. Non loin de là nous mettions la main sur des fossiles dévonien 392 GEOLOGIE ET MINERALOGIE au pic d'Aguas-Passas, et précédemment les orthocères de la tusse des Posets venaient fixer l'âge de cette partie du val d'Astos de Vénasque. Grâce aux encouragements et aux conseils de mes savants collègues et maîtres MM. de Lapparent, Ch. Barrois, de Saporta, j'ai continué mes re- cherches. MM. Barrois et de Saporta ont bien voulu accepter la tâche difficile d'étudier la plus grande partie de mes fossiles; et, dans ces derniers temps, j'ai eu la satisfaction de voir plusieurs de nos localités devenir classiques. Je ne saurais également passer sous silence M. G. Cotteau, le savant pa- léontologiste auquel je dois l'étude très complète de la riche faune échi- nitique de la Pobla de Roda (Aragon), absolument inconnue jusqu'alors. Tous les ans, pendant les beaux jours principalement, le pays de Luchon est visité non seulement par de nombreux savants, mais aussi par des étudiants en vacances qui s'intéressent à ces questions et demandent à voir les richesses naturelles de nos montagnes. Malheureusement, les col- lections commencées par l'ingénieur Lézat, et auxquelles nous avons ajouté une certaine quantité de spécimens, sont encore peu nombreuses et mériteraient cependant d'être augmentées. Mais les ressources budgé- taires ont fait jusqu'à présent défaut, et, malgré toute notre bonne volonté, il n'a pas encore été possible de donner aux séries déjà commencées toute l'importance qu'elles comporteraient. Rien, cependant, ne serait plus facile que de faire récolter dans chacune des localités que nous venons d'énumérer et dans bien d'autres. Mais, pour cela, il serait nécessaire que le Musée de Luchon eût à sa disposition un budget régulier. Si nous ne nous faisons pas illusion, les séries du Musée prendraient une importance telle, que tout géologue, désireux de se rendre compte de la composition des Pyrénées, serait obligé de venir de prime abord consulter les col- lections du Musée de Bagnères-de-Luchon. M. A. BiaOT chargé ilc cours ;'i la Faculté des Sciences de Caen. SUR LES TRIGCNIES JURASSIQUES DE NORMANDIE — Séance du Si septembre 1892 Le genre Trigonia est représenté dans les assises jurassiques de Nor- mandie par quarante-quatre espèces dont la plupart sont nouvelles ou mal connues. Dans un travail que nous venons de terminer, nous avons A. BIGOT. — SUR LES TRIGOMES JURASSIQUES DE .NORMANDIE 393 entrepris la revision de ces espèces, commencée par E.-E. Deslongchamps, que la mort a empêché d'achever cette étude. Nous avons laissé de côté les espèces portlandiennes du pays de Bray,' bien connues grâce aux travaux de MM. de Loriol, Munier-Chalmas et Pellat. Les Trigonies jurassiques trouvées jusqu'ici en Normandie appartien- nent à cinq sections : Costalœ, Undulatœ, Scmi-lœves, Scaplioideœ, Clavellatœ. La section des Costatœ comprend dix-neuf espèces, qui sont les sui- vantes : 1. Triqonia bella, Lycelt, des calcaires à 4. Murchisonœ (Bajocien inlerieur). 2. T. Feuguerollensis, n. sp., du même niveau. 3. T. costata, Sow., des couches à A. subfurcatus (Bajocien supérieur). Cette espèce, type de la section des Costatœ, est citée dans tout le Jurassique. Le type de Sowerby provient de l'oolithe inférieure d'Angleterre et on doit restreindre le nom de Tr. costata à l'espèce conforme aux figures données par Lycett. 4. T. lineolata, Agass., des couches à il. subfurcatus. o. T. tenuicosta, Lycett, id. 6. T. angustula, E.-E. Desl. mss.. id. 7. T. bipartita, n. sp., id. 8. T. zonatai?) Agass. 1840 (= T. interlœvigata, Quenst., 1838;, des couches à A. fuscus (Bathonien inférieur). 9. T. pullus, Sow., 182G (= T. Cassiope, d'Orb., 1849), des couches à .4. aspi- doides (Bath. supérieur). 10. T. Langrunensis, E.-E. Desl., mss., des couches à A. aspidoides (Bath. supérieur). 11. T. striatissima, E.-E. Desl., mss., des couches à A. aspidoides (Bath. supérieur). 12. T. RanvilUana, E.-E. Desl., mss., des couches à A. aspidoides (Bath. supérieur). 13. T. Castor, d'Orb. (= T. Cassiope, auct. non d'Orb.), des couches à A. aspidoides (Bath. supérieur). 14. T. crista-galli, E.-E. Desl., mss., des couches à .4. aspidoides (Batli. supérieur). 15. T. elongata, Sow., 1825 (= T. cardissa, Agass., 1840), des couches à A. macrocephalus (Callovien) et cordalus (Villersien). 16. T. Œhlrrti, n. sp. (= T. Bachelieri, auct. non d'Orb.), des couches à A. macrocephalus (Callovien). 17. T. Meriani, Agass., du Villersien. 18. T. Glosensis, n. sp., des couches à T. fironm (Argovien). 19. T. papillata, Agass., des couches à T. Bronni et du Ptérocérien. La section des G/a6/-œ, d'Agassiz, doit être subdivisée en trois sections: 1« Semi-lœves, type T. Lingonemis, Dumortier, du Lias moyen ; autres espèces: T. Beesleyam, Lyc, du Bajocien; T. Eudesi, n. sp., du Batho- nien. — Répartition : Jurassique inférieur (Lias, Bajocien, Bathonien i. 394 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE Cette section comprend des espèces à aréa étroite, assez bien délimitée, généralement lisse, quelquefois ornée de côtes obliques, sans carène interne, médiane ou marginale, à écusson bien délimité. Les flancs sont lisses, sauf dans le jeune âge; dans l'adulte, ils présentent du côté anté- rieur des côtes nombreuses, serrées, parallèles au bord palléal. 2° Gibbosœ, type T. Gibbosa, Sow., du Porllandien ; autres espèces: T. Actœon, Mun.-Ch.; T. Edmundi,Mun.-Ch.; T. Oustaleti, Mun.-Ch.; T. More H, Mun.-Ch.; T. Curmnntensis , de Loriol, du Jurassique supé- rieur; T. Otnedensis, Lyc, de l'Infra-Lias d'Espagne. — Répartition: une espèce dans l'Infra-Lias d'Espagne ; maximum dans le Jurassique supé- rieur (Kimméridien et Portlandien). Les espèces de cette section sont subarrondies, les crochets sont rapprochés de la ligne médiane ; l'aréa étroite ne présente que des stries transverses ; sa séparation en deux moitiés est généralement peu accentuée, marquée par un sillon et non par une carène ; la carène marginale est absente ou presque effacée. Les flancs sont quelquefois lisses, séparés par un sillon oblique, plus ou moins marqué, en deux parties inégales, l'antérieure très large, la posté- rieure très étroite. Les côtes qui ornent généralement les flancs sont normalement ^wôercM^ewses; elles sont limitées à la partie antérieure des flancs et s'arrêtent au sillon qui la sépare de la partie postérieure ; leur direction est tantôt parallèle, tantôt fortement oblique au bord palléal . 3" Excentricœ, type: T. excentrica, Sow., du Cénomanien (= T. afji- nis, Sow.); autres espèces: T. Boloniemis. de Loriol, du Kimméridien; T. lœviuscula, Lyc. du Cénomanien. — Répartition : Jurassique supé- rieur (Kimméridien) et Crétacé (Cénomanien). Les quelques espèces de cette section que nous connaissons se distinguent des Gibbosœ par leur forme plus allongée, leur aréa lisse, se confondant avec l'écusson, l'absence de toute séparation entre l'aréa étroite et les flancs; les côtes qui ne sont jamais tuberculeuses sont parallèles au bord palléal et traversent toute la largeur des flancs, ne disparaissant que sur l'aréa qu'elles traversent même dans le jeune âge. Une seule de ces sections, celle des Semi-lœves, est représentée dans les couches à A. aspidoides (Bathonien supérieur) de Normandie par une espèce nouvelle, T. Eudesi. Le groupe des Undulatœ est restreint aux espèces dans lesquelles les ornements des flancs, côtes ou rangées de- tubercules, présentent dans leur trajet une déviation brusque, produisant un angle dont le sommet est dirigé vers le bord palléal. Ce groupe des Undulatœ est représenté dans le Bathonien supérieur de Normandie par trois espèces : 21. T. Clytia, d'Orb. 22. T. detrita, Terq. et Jourdy. 23. T. Eugenii, n. sp. A. BIGOT. — SUR LES TRIGONIES JURASSIQUES DE NORMANDIE 395 Dans le groupe des Scaphoideœ, restreint dans les limites proposées par M. Choffat, se rangent: 24. T. Bathonica, Lycett, du Bathonien supérieur. 25. T. Bergeroni, n. sp., id. 26. T. Baijlei, Dollf., du Ptérocérien. Dans la section des Clcwellatœ nous faisons rentrer, comme l'a proposé M. Choffat, un certain nombre d'espèces, telles que la T. Painei, Lycett, T. flecta, Morr. et Lycett, que l'on classe parfois dans les Undulatœ. Ainsi comprises, les Clcwellatœ normandes fournissent dix-huit espèces qui sont : 27. T. striata, Sow., des couches à A. Miircliisonœ. 28. T. formosa, Lycett, id. 29. T. Moutierensis, Lyc, des couches à A. subfurcatus. 30. r. flecta, Morr. et Lyc, du lîathonien supérieur. Ces quatre espèces sont remarquables par leur forme subquadraugu- laire, le développement de leur aréa, leurs rangées de tubercules très serrées, des crêtes transversales situées entre les rangées de tubercules du côté antérieur : 31. T. Adeli, n. sp., du Bajocien supérieur. 32. T. Painei, Lycett, du Bathonien moyen, forme intermédiaire entre les Clavellatœ et les Undulatœ. 33. T. Scarburgensis, Lycett, du CaUovien inférieur, espèce qui existe dans le « Cornbrash » d'Angleterre. 34. T. Bizeti, n. sp., du CaUovien inférieur. 33. T. Heberti, n. sp. (=: T. davellala, Héb. non Park. Sow.), à laquelle nous donnons un nom nouveau dans l'impossibilité absolue où se sont trouvés les auteurs de savoir ù ([uelle espèce doit être attribué le nom de davellata. La T. Heberti est une espèce du Villersien. 36. T. perlata, Agassiz, du même niveau. 37. T. Woodwardi, Lycett, des couclies à Nud. scAitaius (Oxfordien sup.). 38. T. Bronni, Agass., des sables et grès coralliens et de l'Astartien. 39. T. Morieri, n. sp., des couches à N. scutatus. 40. T. Fisdieri, n. sp., id. 41. T. Jarryi, n. sp., id. 42. T. Kerfornei, n. sp., des calcaires coralliens. 43. T. Choffati, n. sp. (= T. muricata, auct. non Goldf.). Cette espèce, très commune dans le Ptérocérien, est unanimement rapportée à T. muricata, Goldf., dont le type est de Torre-Vedras (Portugal) ; M. Choffat ayant publié une nombreuse série de figures de l'espèce de Goldfuss, d'après des échantillons provenant des couches à Pholadomya Protêt du Portugal, il est facile de se con- vaincre que la Trigonie du Havre et de Criquebeuf n'a aucun rai)port avec la r. muricata ; nous assignons à l'espèce du Ptérocérien de Normandie le nom de r. Choffati. 396 BOTANIQUE Ai. T. Pellali, Miin.-Ch. Le type de cette espèce est du Portlandien moyen. M. de Loriol la cite dans le Virgulien de la Haute-Marne ; sa présence bien constatée au Havre et à Villerviile fait descendre l'époque de son apparition jusqu'au Ptérocérien. Toutes les espèces que nous venons de signaler seront figurées dans notre travail, accompagné de dix planches in-4°. M. Gaston BOIJIIER Professeur à la Sorbonne, ;i Paris LA FLORE DES PYRENEES COMPARÉE A CELLE DES ALPES FRANÇAISES — Séance du 16 septembre IS92 — Ayant fait des excursions botaniques, presque tous les ans, dans les Alpes et les Pyrénées, de 1869 à 1891, j'y ai noté en un grand nombre de points la distribution relative des espèces. Des voyages botaniques en Scandinavie, en Suisse, dans les Alpes autrichiennes et dans les Carpathes, m'ont permis de comparer cette distribution avec celle des plantes de ces autres parties montagneuses de l'Europe. La question de la comparai- son entre la flore des Pyrénées et celle des Alpes ayant été posée cette année au Congrès de Pau, je saisis cette occasion pour exposer les résul- tats principaux d'un travail que je prépare depuis longtemps sur ce sujet. Ce n'est pas en superposant deux catalogues de plantes, l'un des Alpes françaises et l'autre des Pyrénées, ni en mettant en regard le nombre des espèces de chaque famille dans les deux flores, que l'on pourra avoir des résultats complets et intéressants. Ainsi que je l'ai fait remarquer déjà dans d'autres travaux, il faut observer la distribution relative de toutes les plantes et ce sont même souvent les espèces les plus répandues qui four- nissent les résultats les plus remarquables. Il va sans dire que la nature géologique du sol, son exposition, et le climat général de la région, sont partout à considérer. Mais il n'y a pas que les observations qui puissent jouer un rôle dans cette étude comparative. Les expériences de culture que l'on peut faire, soit en semant ou plantant les végétaux des Pyrénées dans les Alpes ou réciproquement, soit en cultivant les mêmes espèces à des altitudes différentes, peuvent servir à élucider certains faits que l'ob- G. BONNIER. — FLORES DES PYRÉNÉES ET DES ALPES 39" servation seule ne permet pas de comprendre. J'ai fait quelques essais de cultures expérimentales tantôt dans de petits champs spéciaux, tantôt en difîérents points de la réj^ion alpine ou de la région subalpine. C'est le résumé des résultats que fournissent à la fois les observations comparées et les cultures expérimentales, que je présente aujourd'hui au Congrès . LES DIVERSES REGIONS BOTANIQUES DANS LES ALPES ET DANS LES PYRÉNÉES Il faut d'abord mettre à part la fraction des Alpes françaises et les parties des Pyrénées qui sont comprises dans la région méditerranéenne ou dans la région de l'Ouest. Dans les Alpes, le Pin maritime et le Pin d'Alep, ainsi que la culture de l'Olivier, caractérisent suffisamment la région méditerranéenne. Il en est de même dans les Pyrénées Orientales, où l'on peut la considérer aussi comme caractérisée par le Chêne-liège, qui s'a- vance jusqu'à Prades, Céret et même non loin de Montlouis. La région occidentale, qui s'étend depuis le golfe de Gascogne jusqu'à Tardets et Saint-Jean-Pied-de-Port, est caractérisée par le Chêne Tauzin (1) ou, plus près de la mer, par le Chêne occidental. Une Bruyère, leDaboecia poli fol ia, est aussi presque exclusive à cette région. Ces deux régions mises à part, le reste de la flore des Pyrénées et des Alpes présente des caractères communs si frappants qu'on ne saurait en déterminer les régions que par les zones d'altitude relative. Ce sont, d'une manière générale : 1° La zone inférieure des montagnes, qu'on a appelée aussi zone des vallées profondes ou zone des cultures, et qu'on pourrait nommer le plus souvent zone des chênes. Le Quercus Bobur y est, en effet, répandu d'une manière générale. Parmi les arbres, c'est aussi dans cette zone qu'on trouve l'Aulne glutineux, le Peuplier noir, le Saule Marsault, le Saule blanc et le Noisetier, arbres qui ne dépassent presque jamais la limite inférieure des forêts de sapins. On peut citer parmi les espèces très ré- pandues, limitées à cette zone à la fois dans les Alpes et dans les Pyré- nées, les plantes suivantes : Helleborus fœlidus, Prunus spinosa, Crotœgus Oxtjacantha, Amelanchier vulgaris, Carlina acaulis, Scrofularia canina, Globularia nudicaulis, Buxus sempervirens et Melica nebrodensis. 2° La zone subalpine, dont le Sapin blanc (Abies pectinata) est l'arbre commun aux Alpes et aux Pyrénées le plus caractéristique, s'étend au-des- sus de la région précédente jusqu'à la base des hauts pâturages alpins. (1) Il faut excepter le petit cantonnement de Quercus Tozza qu'on trouve aux environs de Mont- louis et dont je parlerai plus loin. 398 BOTANIQUE C'est là que dominent le Hêtre, le Bouleau et le Pin silvestre, ainsi que le Sureau à grappes, le Sorbier des oiseleurs, le Cerisier à grappes et l'Orme des montagnes. On ne trouve presque plus de cultures dans cette zone, sauf quelques rares champs de pommes de terre ou d'orge. Parfois la zone subalpine ne peut être déterminée au moyen des arbres précé- dents lorsqu'elle est occupée exclusivement par des prairies ou par des rochers qui relient, en apparence d'une manière insensible, la zone infé- rieure à la zone alpine ; c'est ce qui se produit souvent sur les versants très abrupts ou sur ceux qui sont exposés au sud. On doit alors avoir recours à d'autres espèces caractéristiques, qui se trouvent aussi dans les forêts de Sapins, et parmi lesquelles on peut citer les suivantes : Aconitum Lycoctonum, Géranium silvaticum, Epilobium spicatum, Spirœa Arun- cus Astrantia major, Prenanthes purpurea, Cirsium monspessulanum, Campanula palula et Veronica urticœfolia. 3° La zone alpine inférieure, qui comprend les hauts pâturages des Alpes et qui est ordinairement caractérisée par les Rhododendrons et la variété alpine du Genévrier. On y trouve aussi le INerprun des Alpes, le Cotoneaster et le Chèvrefeuille des Alpes. Tous ces arbustes sont peu élevés, plus ou moins rabougris et souvent aplatis sur le sol. On peut citer en outre, parmi les très nombreuses plantes caractéristiques de cette zone les espèces suivantes, communes aux Alpes et aux Pyrénées : Anémone alpina, Cardamine resedifolia. Silène acaulis, Trifolium alpinim, Dryas octopetala, Alchimilla alpina, Sdxi.fraga oppositifolia, Homogyne alpina, Vuccinium uliginosum, Primula farinosa, Pedicularis verticillala, Plantago alpina, Nigritella angusiifolia, Juncus irifidus, Carex sempervirens, Festuca Halleri, Poa alpina et Allosorus crispus. 4° La zone alpine supérieure, qu'on nomme aussi quelquefois zone gla- ciale et qui s'étend à la base de la région des neiges perpétuelles, attei- gnant parfois même jusqu'au sommet des plus hauts pics. Cette zone est souvent difficile à limiter par rapport à la précédente: aussi les réunit-on parfois toutes les deux simplement sous le nom général de zone alpine. Il n'y a plus d'arbres ni d'arbustes dans cette zone, et l'espèce qui la caractérise le mieux, à la fois dans les deux chaînes de montagnes, est le Ranunculus glacialis. On peut citer encore, parmi les plantes très ré- pandues, les espèces suivantes : Braba frigida, Cherleria sedoides, Arenaria ciliata, Artemisia nmlellina, Erige- ron uniflorus, Androsace pubescens, Gregoria vitaliana, Luzula spicata, Poa laxa et Oreochloa disticlia. G. BONNIEK. — FLORES DES PYRÉNÉES ET DES VLPES 399 II VARIATIONS DANS LA DISTRIBUTION DES PLANTES TRÈS RÉPANDUES Les plantes dominantes, formant pour ainsi dire le fond de la végéta- tion, peuvent être distribuées d'une manière différente dans les deux chaînes de monta£:;nes, ou même, très répandues dans l'une d'elles et faire complètement défaut dans l'autre. Dans la région méditerranéenne, le Pin d'Alep, qui existe dans les parties basses des Alpes-Maritimes, manque totalement dans les Pyrénées. Les plantes caractéristiques de la région occidentale, telles que le Chêne Tauzin et le Chêne occidental, si répandus dans une partie des Basses- Pyrénées, n'existent pas, au contraire, dans les Alpes. En dehors de ces deux régions, passons successivement en revue les diverses zones d'altitude relative que nous avons caractérisées précé- demment. Dans la zone inférieure des montagnes, on peut tout d'abord signaler le Charme, comme une espèce intéressante par sa distribution. II est très commun dans toute la chaîne des Alpes françaises, sauf dans le sud-est. Sa limite méridionale et occidentale passe par Saint-Gervais, Bourg-Saint-Maurice, Saint-Jean-de-Maurienne, le Bourg-d'Oisans, le sud de Vizille et le Vercors. Dans les Pyrénées, au contraire, le Charme est presque inconnu : on en trouve seulement un certain nombre de pieds localisés aux environs de Foix, de Bagnères-de-Bigorre et de Saint-Jean-Pied-de-Port. Le Buis, si répandu dans un certain nombre de vallées des Pyrénées, où il devient même parfois presque exclusif, est au contraire peu répandu dans les Alpes, où on le trouve rarement en abondance, comme cela se produit au nord de Voreppe par exemple. Le Rumex scutatwi, limité dans la région inférieure des Pyrénées, où il est extrêmement abondant, a dans les Alpes françaises une distribution toute autre. On l'y rencontre abondamment dans la région subalpine, et souvent même dans la région alpine, comme dans les Alpes de Savoie. Les différences sont encore plus grandes dans la distribution des plantes dominantes de la zone subalpine. Sauf YAbies peclinata et le Pinus silvestris, on peut dire que les forêts de Conifères caractéristiques de la région des sapins sont cons- tituées par des espèces différentes dans la chaîne des Alpes et dans celle des Pyrénées. L'Epicéa (Picea excelsa) est répandu dans toute la chaîne des Alpes et c'est cet arbre qui y forme le plus souvent les forêts de sapins. II est tel- lement disséminé dans toutes les régions des Alpes, qu'on peut dire que la carte de sa distribution, depuis les Alpes de Nice jusqu'au lac de 400 BOTANIQUE Genève, y représente l'étendue de la zone subalpine. Cette espèce si ca- ractéristique fait complètement défaut dans les Pyrénées. C'est à peine si Lapeyrouse a pu le comprendre parmi les végétaux pyrénéens, grâce aux quelques pieds qui ont été rencontrés à la base de la Maladetta. L'admi- nistration forestière a tenté, sans succès, par exemple aux environs de Guchen, d'introduire l'Epicéa dans les forêts des Pyrénées. Remarquons, à ce propos, que le fait général de l'absence de l'Epicéa dans les Pyrénées semble fort peu connu. La flore de Grenier et Godron l'indique à tort comme existant dans les Pyrénées au même titre que dans les Alpes, et cette erreur est précisée d'une manière particulière dans le récent atlas de M. Drude. Cet auteur représente en détail la limite de l'extension de l'Epicéa, limite qui englobe tout le Plateau central, où cet arbre n'existe pas, et comprend toute la région pyrénéenne, où nous avons vu qu'il fait également défaut. On ne peut s'expliquer une semblable erreur, marquant les contours dé- taillés de la distribution d'une espèce qui n'existe pas, que par une con- fusion avec une autre espèce. Ne serait-ce pas simplement la synonymie des Conifères qui en fournirait l'explication, et n'a-t-on pas pris le Sapin blanc {Abies pccf.mata DC = Pinus Picea L.) avec l'Epicéa (Abies ex- celsa DC = Pmus Picea Duroi (nonL) = Pinus Abies L = Picea excelsa) ? Le Mélèze (Larix eui-opœa), quoique moins répandu que l'Epicéa, cons- titue d'importantes forêts dans les Alpes françaises, surtout dans la partie orientale. La limite occidentale dans les Alpes passe à peu près par Saint-Jean-de-Maurienne, le Dauphin, la Mure, Veynes, Digne, Castellane et Puget-Théniers. Cet arbre manque absolument dans les Pyrénées. Le Pin silvestre, y compris le Pinus uncinata, est répandu, presque partout dans les Alpes, et si on ne tient pas compte des endroits où il a été planté, on ne le trouve dans les Pyrénées que dans la partie tout à fait orientale, dans les vallées d'Arreau et de Luchon, et dans la région située au sud de Lourdes. La lutte pour l'existence paraît s'être établie entre cet arbre et les autres d'une manière assez différente dans les deux chaînes. Tandis qu'en Dauphiné on le rencontre à l'état spontané, souv» nt très répandu dans la région inférieure des montagnes, dans les Pyrénées il grimpe, au contraire, jusque dans la région alpine, bien au-dessus des forêts de sapins, comme aux environs du lac d'Orrédon ou encore dans les parties hautes de Moudang et du Uioumayou. L'If (T'ixus baccata), cette Conifère qui semble actuellement en voie de disparition et dont on n'a guère signalé que quelques pieds isolés dans la partie méridionale des Alpes, constitue ennore quelques groupes boisés importants dans les Pyrénées, dans la foret d'Irati ou encore entre Ga- varnie et Panticosa. Le Hêtre est, avec le Sapin blanc, l'espèce qui est la plus uniforme- G. IJO.NMKll. — hL(llU:S Di;S l'VltK.NEES ET DES ALl'ES 4U 1 ment répandue dans la zone subalpine des deux chaînes de montagnes. 11 ne fait défaut dans les Alpes qu'aux environs d'Aiguilles, de Brianr-on et de Modane. Dans les Pyrénées, il ne manque qu'au sud de Montlouis, dans un cantonnement où il est exactement remplacé par le Chêne Tau- zin. C'est là un exemple très net de remplacement d'espèce. Parmi les espèces herbacées très répandues, on peut de même signaler les quelques exemples qui suivent : C'est ainsi que le Meconopsis cambrica, si répanrJu dans les endroits humides ou ombreux de la zone subalpine des Pyrénées, et Vlris xij- phioides, si fréquent dans beaucoup de prairies pyrénéennes, ou encoi'e le Ramondia, dont les rosettes violacées abondent sur les rochers, sont dos plantes inconnues dans la flore des Alpes. Inversement, on peut citer dans les Alpes les Achillca dentifera et /y/(/- croplujlla, Hieracium Jacquini. Campanula rhotiiboidalis, Gentiana asc/e- piadea et de nombreuses autres plantes subalpines qui n'existent pas dans les Pyrénées. Dans la partie inférieure de la zone alpine des Pyrénées, certaines plantes remplacent très souvent le Rhododendron. 11 suffit de voyager une seule fois dans cette chaîne de montagnes pour être frappé par l'as- pect de ces immenses étendues de Fougère-Aigle (Pteris aquilina) ou de Bruyère (CaUuna vulyaris) qui couvrent la base de la zone alpine sur de très grandes surfaces au-dessus des derniers sapins. La Fougère-Aigle, dans les Alpes, bien loin de s'étendre ainsi dans la région alpine, n'atteint même pas la base de la région subalpine. Lors- qu'elle y est représentée, ses limites sont à peu près celle du Chêne. Quant à la Bruyère, beaucoup moins fréquente dans les Alpes que dans les Py- rénées, elle ne s'y élève que rarement à de hautes altitudes. Le Rhododendron, qui se trouve ainsi lutter contre ces deux espèces dans les Pyrénées, paraît parfois rejeté à des altitudes relatives moindres, et on l'y rencontre souvent en abondance dans les forêts de sapins ; tandis que, dans les Alpes, sauf en certains points de la chaîne du mont Blanc, cet arbuste délimite ordinairement une sous-zone très nette. Parmi les espèces herbacées de la région alpine, on peut prendre comme exemple de distribution inégale le Teucrium pjjrenaicwn, rare dans les Alpes et si comnmn dans les Pyrénées, où il descend jusque dans les vallées profondes; ou encore Vllypericiim nummularium, comnmn sur tous les rochers humides de la région alpine inférieure pyrénéenne, et bien moins répandu dans les Alpes, où sa distribution en altitude est différente. Il y a des pâturages ou des rochers de la région alpine pyrénéenne qui sont couverts de très nombreuses espèces de Saxifrages inconnues dans les Alpes (Saxifraga geranioides, S. ascendens, S. capitata, S. ajugœfolia, S. longifolia, S. arctioides, etc.), tandis que, au contraire, bien des espèces -26* 402 BOTANIQUE du genre Androsace {A. helvelica, A. imbricata, A. lactea, A. obtusifolia, A. septentrionalis, A. Chaixii, etc.), couvrent de leurs rosettes toufiues beaucoup de rochers et de pâturages alpins dans les Alpes, et font défaut dans les Pyrénées. III ESPÈCES QUI SE COHUESPONDENT DANS LES ALPES ET DANS LES PYRÉNÉES Je viens de citer dans les genres Saxifraga et Androsace les espèces spéciales aux Alpes et les espèces spéciales aux Pyrénées. Certaines de ces plantes peuvent être considérées comme se remplaçant l'une l'autre dans les deux chaînes de montagnes. En comparant les végétaux voisins qui ont une distribution assez analogue, on peut mettre en regard les plantes des Alpes françaises et celles des Pyrénées qu'on peut regarder comme corres- pondantes : ALPKS Alijssmn flexicaule. A. hulimifolium. Viola calcarata. Géranium aconitifolium . G. argentemn. Vicia sdvatica. Potenlilla nitida. P. frifjida. Erynijiuin alpinum. E. Spina-alba. Galiam helvetictun . G. mcgalospcrnium, etc. Asperula longiflora. Vuleriana ttiberosa . Scnccio galliciis. ( 'irsiuin spinosissimum. Bhapunticum helenifoliuni. Genliana havurica. G. pKiKitdu. Veronica Allionii. Pedicularis incariiala. P. fasciculata. P. gyroflexa. Rumex arifoliiis. Bulbocodium vernum. Fritillaria delphinensis. Lilium croceum. Carex pauciflora . PYRENEES Alyssum Lapegrousianum. A. pyrenaicum. Viola corntda. Géranium pratense. G. cinereum. Vicia pyrenaica. PotentiUa alchimilloidcs. P. pyrenaica. Eryngiwn Bourgati. Galiam cœspilosam. G. cumeterrliizon, etc. Asperula hirta. V(dcriana globulariœfolia. Senecio adon idifulius . Carduas cariinoides. Rhaponticum cynaroides. Genliana pyrenaica. G . Buiseri . Veronica nummularin. Veronica Ponœ. Pedicularis pyrenaica. P. comosa. Rumex amplexicaulis. Merendera Bulbocodiu m . Fritillaria pyrenaica. Lilium pijrenaicuin. Carex pyrenaica. A côté de ces espèces correspondantes, on pourrait mettre en regard un très grand nombre de formes, les unes des Alpes, les autres des G. BO.NMER. — FLORES DES PYRÉNÉES ET DES ALPES 403 Pyrénées, mais qui ne sont ordinairement considérées que comme des variétés. 11 n'y a même parfois que de simples variations entre la plante de l'une et de l'autre chaîne de montagnes. C'est ainsi que VAconiluni pyrenaicum n'est qu'une forme de VA. Lijcoctonum, ou encore que V Adonis pyrenalca, récemment découvert par M. Reverchon dans les Alpes-Mari- times, se distingue de la plante pyrénéenne par quelques caractères tout à fait secondaires. On pourrait citer plusieurs centaines d'exemples ana- logues . Si l'on considère les plantes correspondantes comme ayant une ori- gine commune, ces variations prennent un intérêt très grand, et parmi les espèces citées plus haut, celles appartenant aux genres Galium, Vale- riana, Fritillaria ou Carex, sont certainement très voisines. Leurs diffé-' rences. plus grandes que celles de simples variétés, sont cependant bien moins grandes que celles qui séparent les autres espèces mises en regard. D'ailleurs, la lutte pour l'existence peut s'établir aussi entre espèces appartenant à des genres très différents. C'est ainsi que le botaniste qui vient des Alpes, habitué à trouver sur les rochers certaines espèces telles que ï Hedysarum obscurum, le Lepidium rotundifoUum, etc., est étonné, en parcourant les Pyrénées, de voir à leur place le Reseda glauca, le Pa- ronychia polygonifolia, etc. Toutefois, la liste précédente garde son inté- rêt, car elle met en regard des formes très comparables qui sont chacune exclusives à la chaîne de montagnes à laquelle elles appartiennent. IV EXPÉRIENCES DE CULTURES Le climat de la chaîne des Pyrénées n'étant pas tout à fait le même au point de vue de la distribution des pluies et de la température, on peut se demander si les conditions actuelles de milieu n'agiraient pas dune manière différente sur une même plante donnée. J'ai comparé, dans ce but, les résultats obtenus dans les cultures expérimentales éta- blies comparativement à diverses altitudes dans les Alpes et dans les Pyrénées. La plupart des plantes ainsi cultivées étaient des plantes de plaine qui tolèrent toutes les altitudes et qu'on trouve jusque dans la région alpine supérieure, telles que : Lolus corniculalus, Taraxacum Dens-leonis, Thymus Sevpyllum, Rubus idœus, Achillea Mille folium, Ranun- culus acîis^ etc., etc. (Ij. A des altitudes où la somme des températures pendant la saison est sensiblement la même, les modifications internes et externes, anato- (\) Voyez G. BCUNMER, Cultures expérimenlales dans les Alpes et ki Pyrénées {Revue générale de Botanique, 1890, p. 313). 404 BOTANIQUE iniques et physiologiques, se sont produites d'une manière très analogue. On ne saurait donc chercher dans l'influence actuelle du milieu physique la cause des difl"érences observées, différences qui d'ailleurs, il faut bien le dire, sont beaucoup moins nombreuses que les ressemblances. Dans un autre ordre d'idées, on peut se demander si des graines de plantes transportées de l'une des chaînes dans l'autre, et venant tomber au milieu de la végétation déjà établie, installeront facilement de nou- velles espèces. Autrement dit, s'il était possible d'imaginer que l'on brassât ensemble toutes les graines des plantes des Alpes avec celles des Pyrénées, et que l'on put faire tomber ce mélange sur les deux chaînes de montagnes recouvertes de leur végétation actuelle, les deux flores seraient-elles rapidement uniformisées? Les expériences suivantes semblent prouver que non. J'ai essayé, en plusieurs points des Alpes, de naturaliser par semis, sans toucher au sol, des plantes spéciales aux Pyrénées et qui y poussent dans des endroits absolument analogues. J'ai essayé réciproquement de semer, en certains points de la chaîne des Pyrénées, des plantes similaires spéciales aux Alpes. Ni dans l'un, ni dans l'autre cas, les quelques plantes qui ont germé ou même fleuri n'ont pris d'extension sérieuse. Elles paraissent toutes refoulées par la végétation déjà établie, et la naturalisation d'au- cune d'elles ne semble certaine. C'est ainsi que le Viola cornuta, semé près d'un chalet abandonné dans les Alpes vers 2.000 mètres d'altitude, s'est localisé dans un terrain où ne se trouvaient pas de plantes alpines et n'a pas pu prospérer dans les prairies alpines voisines où poussait en abondance le Viola calcaraia. J'ai échoué plus encore dans les essais de naturalisation du Vicia pyre- naica, du Carduus carlinoides, du Veronica nummularia et, à des altitudes d'environ 700 mètres, du Senecio adonidifolius. Réciproquement, les semis de graines de Galium helveticuni, de Cirsium spinosisdmum et de Lilium croceum n'ont donné dans les Pyrénées que quelques plantes germant, celles de la seconde espèce ayant seules donné des fleurs. Ces résultats négatifs s'expliquent assez bien lorsqu'on réfléchit, d'une part, que presque partout le sol est déjà préalablement occupé par les rhizomes et les racines des plantes indigènes, et, d'autre part, que ces plantes étant toutes vivaces, leur germination se fait le plus souvent dans des conditions difliciles (1). Ainsi donc, quand bien même des graines, dans le même milieu actuel, tomberaient à la fois sur les deux chaînes de montagnes, elles [il Pour meure en évidence ce dernier point, j'ai semé en différents endroits des Alpes et des Ipyrénées, à des altitudes ne dépassant pos l.SOO mètres, des plantes annuelles ou bisannuelles leUcs que : Echium vulgare, Verbctscum Thapsiis, Arenaria serpulUfolia, Poa annua, etc.; et ces plantes, depuis 188A, se sont assez bien développées en certains endroits, en se reproduisant par graines chaque année. G. BONNIER. — FLORES DES PYRÉNÉES ET DES ALPES 40à auraient à compter avec la lutte pour l'existence qui s'établirait entre elles et les espèces déjà établies. On peut prévoir que le plus grand nombre d'entre elles succomberaient dans celte lutte. CONCLUSIONS Il résulte de tout ce qui précède que la chaîne des Alpes et la chaîne des Pyrénées présentent à leurs diverses altitudes des conditions actuelles de milieu physique qu'on peut considérer comme identiques ; mais, qu a côté d'un grand nombre de plantes qui offrent les mêmes caractères, il s'en trouve beaucoup qui sont différentes; et, fait plus important encore à noter, que les espèces identiques se distribuent souvent, dans chacune des deux chaînes, d'une manière qui n'est pas la même. Isolées, dans un terrain préalablement déblayé de toute culture et convenablement sarclé chaque année, les mêmes plantes subissent dans les deux groupes de montagnes, les mêmes modifications. Mais, placées en lutte avec les espèces indigènes, elles s'y comportent différomment et sont inégalement refoulées par les espèces déjà établies. Bien que l'origine de la chaîne des Alpes soit tout autre que celle de la chaîne des Pyrénées, la géologie nous apprend qu'à l'époque gla- ciaire une communication a dû s'établir pendant longtemps entre les deux chaînes. Si donc cette jonction et les conditions actuelles du milieu peu- vent expliquer les similitudes qu'on observe entre les deux flores, ce ne serait qu'à l'histoire différente de la lutte pour l'exi'stence dans les Alpes et dans les Pyrénées qu'on pourrait attribuer la cause des différences. On comprend facilement, en effet, que les espèces qui avaient été repoussées en dehors de l'extension des glaces ont dû, en remontant peu à peu sur ces montagnes corrodées par les érosions glaciaires, se trouver placées pour la lutte, de part et d'autre, dans des conditions différentes. Si l'on consulte les documents paléontologiques, on voit d'ailleurs que les formes végétales ont bien peu varié depuis l'époque glaciaire, et que c'est surtout leur distribution qui a été profondément modifiée. D'après ce qui vient d'être dit, il ne serait donc même pas nécessaire de supposer qu'il s'est créé depuis l'époque glaciaire des espèces pyré- néennes de premier ordre, ou des espèces nouvelles spéciales aux Alpes. Tout en admettant qu'il a pu. se produire, depuis cette époque relative- ment récente, des changements dans les formes ou les variétés, les conditions dans lesquelles ont dû s'établir les deux flores suffisent pour faire comprendre comment elles ont pu se distribuer d'une manière assez différente dans deux milieux presque identiques. 406 BOTANIQUE MM. COSTAIfTIÏ et DUFOÏÏR Maître de Conférences Dirertenr-adjoint du Laboraloire de Biologie à rÉcole Normale supérieure, à Paris. de Fontainebleau (1). OBSERVATIONS SUR |,A MOLE, CHAMPIGNON PARASITE DU CHAMPIGNON DE COUCHE — Séance du 16 seplemhre IS92 — Dans les carrières des environs de Paris, où il est l'objet d'une culture en grand, le champignon de couche est fréquemment attaqué par une maladie à laquelle les champignonnistes donnent le nom de mo/Ie. Tel est le nom que nous avons employé dans une Note présentée à l'Académie des Sciences (2). M. Prillieux (3) a fait remarquer, avec juste raison, que les champignons attaqués ne sont pas mous, et il pense que l'orthographe véritable doit être mole, faisant dériver ce nom du latin mole.s, masse, les échantillons malades ayant souvent, comme nous le verrons plus loin, l'aspect d'une masse informe. Diverses recherches bibliographiques nous ont conduit à admettre comme très vraisemblable cette étymologie, mais à écrire ce mot môle, seul mot qui soit dans les dictionnaires i\). La maladie peut affecter les champignons de deux façons bien différentes. Dans un premier cas, le champignon n'est que peu altéré dans sa forme; on y distingue bien différenciés, pied, chapeau et lames. Celles-ci, cependant, au lieu d'être droites, sont irrégulièrement ondulées, et à leur surface on voit des fdaments blanchâtres qui appartiennent au parasite. Ajoutons que la déformation peut être plus grande ; par exemple, le cha- peau est plus irrégulier et parfois développé d'un côté seulement; le pied est généralement plus épais et plus court. (1) Ce travail a été fait au Laboratoire des recherches de Botanique do l'Kcole Normale supérieure et au Laboratoire de Biologie végétale de Fontainebleau. (2) CosTAMn' et DrFoi R, La Molle, maladie du chfiinpignon de couclie (Comptes rendus do l'Aca- démie des Sciences, séance du 29 février 1892). (3) Prii.ueux, Champignons ds coaclm nUaques par le Mycogone rofsea. (Bulletin de la Société Myco- logique de France, t. vJlL p. 24. Bull, de la Soc. hot. 1892, p. 1-'i6.) (4) Chacun connaît le sens que possède ce mot quand il est masculin : un môle est une jetée cons- truite à l'entrée d'un porl. Au féminin, il a plusieurs sens peu connus et tout à fait spéciaux. Un de ces sens est le suivant : sorte de masse informe que rejettent parfois les femmes. C'est ce sens qui rappelle le mieux certains échantillons malades dont nous allons parler. COSTANTIN ET DUFOUR. — OBSEUVATIOXS SUR LA MOLE -407 L'éludo microscopique de ce parasite des feuillets montre que l'on a affaire à un Verticillium. L'appareil fructifère est formé d'un filament central qui porte des séries de rameaux secondaires disposés en verticilles et formant à leur extrémité un capitule de spores. Ces spores sont inco- lores, lisses, cylindriques, arrondies aux deux extrémités. Unicellulaires quand elles sont jeunes, elles acquièrent tardivement une cloison trans- versale. Attirons l'attention sur ce fait qu'elles sont assez grandes; elles mesurent 8 à 20 \x sur 3 a à 3,5. Telle est la forme fructifère qui se produit au début de la maladie. Plus tard, à cette forme sporifère s'en vient joindre une seconde. Çà et là, à l'extrémité des ramifications se forment des spores bicellulaires sphériques, à membrane épaisse, brunâtre, hérissée de verrues. Cette forme fructifère est un Mycogone. Elle apparaît en très grande abondance sur le pied et le chapeau. La coexistence des deux sortes de spores sur des filaments en continuité les uns avec les autres ne laisse aucun doute sur l'identité spécifique de ces deux formes. Mais la maladie présente souvent un tout autre aspect. Le champignon est alors complètement déformé : le chapeau est à peine développé, le pied a l'aspect d'une masse bosselée, irrégulière, les lames existent à peine, et enfin, dans les cas extrêmes de déformation, aucune partie du champi- gnon ne peut plus être distinguée; il ne reste plus qu'une masse assez semblable extérieurement à un Scléroderme et à laquelle convient spécia- lement le nom de môle. Sur les échantillons de ce deuxième type la maladie se révèle par une teinte gris rosé dans les endroits occupés par le parasite. Si l'on soumet à l'examen microscopique la moisissure produisant ces résultats, on reconnaît encore un Verticillium. Mais celui-ci ne ressemble pas au Verli- cillmm dont il a été parlé plus haut. Ses filaments sont beaucoup plus grêles, ses ramifications plus courtes, ses spores beaucoup plus petites et toujours unicellulaires. Elles ne mesurent que 4 [j. sur 2 jx. De plus, en général, avec cette forme, pas trace de Mjjcogone. On pourrait inférer de là qu'il s'agit de deux champignons diffé- rents, produisant des déformations différentes. Disons de suite qu'il n'en est rien, (^cs deux formes sont, il est vrai, le plus souvent, entiè- rement distinctes, de sorte que quand l'on rencontre l'une, l'autre n'existe pas. Cependant, sur un échantillon extrêmement déformé, qui présentait au plus haut degré les caractères extérieurs de la seconde forme de la maladie, nous avons constaté, en continuité certaine, les filaments de la première forme et les filaments de la seconde. L'étude microscopique a précisé ces données en montrant toutes les transitions possibles entre le Verticillium à petites spores et le Verticillium à grandes spores, la coexis- 4-08 BOTANIQUE lence de ces deux formes d'arbuscules fructifères partant de filaments mycéliens communs, et en outre l'existence du Mycogone. 11 ne saurait donc y avoir de doute. Il nous est difficile de préciser dans quelles conditions se constituent les diverses formes fructifères, mais elles appartiennent à une môme espèce. La forme la plus dangereuse est le Verticillium à petites spores : il produit des déformations bien plus considérables et l'immense quantité de ses spores en rend la propagation très rapide. Quel nom donner au champignon qui produit la môle ? Les Mycogone dont il se rapproche le plus sont les M. cervina et rosea. Plus voisin de M. cervina par sa couleur fauve il en diffère par les dimensions de ses spores ; le M, cervina, d'ailleurs, n'a jamais été observé que sur des Discomycètes. D'autre part, le parasite dont nous nous occupons ne possède ni des spores de même dimension, ni la même couleur que le M. rosea. Ce champignon nous semble donc être une espèce distincte. On sait que Tulasne a induit de ses recherches que certains Mycogone doivent être des formes fructifères (chlamydospores) d'Ascom ycètes du genre Hypomyces. M. Cornu a affirmé que le Mycogone rosea appartenait à un Melanospora. M. Magnus(l), qui a observé ce parasite du PmlUota, a supposé qu'il appartenait à un Hypomyces, qu'il a appelé H. perniciosus. Nous pouvons donc le désigner sous le nom de J/j/co^o«ejoermc/osa, laissant complètement ouverte la question de savoir s'il existe ou non un Hypomyces perniciosus. Les diverses formes fructifères du M. perniciosa sont faciles à obtenir en cultures artificielles, sur fragments de pommes de terre, de carottes, de navets, de champignons de couche. En semant le Verticillium à grandes spores ou le Mycogone, on repro- duit cette forme associée au Mycogone ou bien le Mycogone seul. En semant le Verlicillium à petites spores, on n'obtient que lui. Nous ne sommes pas parvenus à trouver les conditions dans lesquelles apparaît telle ou telle forme fructifère, soit dans les carrières, soit dans les cultures sur milieux stérilisés. L'aspect des cultures est très différent suivant les spores que l'on a semées. Avec le Verticillium à petites spores, la culture est toujours blanche, elle se présente comme un gazon touffu, dense, ou bien comme une croûte mince, sèche, lisse d'abord, puis irrégulièrement plissée. Avec le Mycogone ou le Verticillium à grandes spores, la culture, blanche au début, prend une teinte fauve de plus en plus foncée, et elle est consti- tuée par un feutrage beaucoup moins serré. (1) Voir Versnininhtng deutscher Natiirforscher tit}d Aertze in Wie^hndeiu 18S7. / COSTANTIN ET DUFOl'R. — OBSERVATIONS SUR I.A MOLE 409 La môle est une cause de pertes très sérieuses, car elle existe chez tous les champignonnistes. La valeur de la production annuelle des champi- gnons dans les environs de Paris est d'une douzaine de millions. Or, la récolte est diminuée d'un dixième à un quart environ par suite de cette maladie; la perte subie est donc comprise entre un et trois millions. Et encore nous ne parlons pas de grandes épidémies; on a vu parfois dans des carrières entières, la récolte totalement perdue. La môle se montre peu ou môme pas du tout dans une carrière nou- vellement employée à la culture de champignons de couche; mais, au bout d'un petit nombre de cultures, la maladie s'étend de plus en plus et habituellement les champignonnistes finissent par abandonner pendant plusieurs aimées les carrières où la maladie acquiert une trop grande intensité. Après ce long intervalle, toutes les spores ayant sans doute péri, la carrière devient de nouveau apte à fournir des récoltes rémunératrices. Y aurait-il des moyens de combattre la maladie ? Nous avons essayé une série d'antiseptiques pour voir quel effet ils auraient sur les spores du champignon : le sulfate de cuivre, l'acide borique, le bisulfite de chaux, le lysol, l'acide sulfureux. Nous avons opéré de trois façons différentes : 1" par immersion; 2° par pulvérisation; 3" par fumigation. Méthode par immersion. — Une culture artificielle du champignon est entièrement immergée dans le liquide antiseptique. Une précaution à prendre dans ce cas est d'agiter la culture dans le liquide afin d'être bien sûr qu'elle est intégralement mouillée. Il va sans dire qu'avant l'im- mersion on a fait des semis témoins au moyen de cette culture afin de s'assurer que les spores y étaient bien vivantes. Au bout de un, deux, trois jours, on fait des semis de la culture immergée et l'on voit après com- bien de temps d'immersion les spores sont tuées. Ce procédé fournit des résultats intéressants. Voici quelques données relatives à divers antiseptiques employés. Une inmiersion de vingt-quatre heures dans l'acide borique à 2 et 3 0/0, dans le sulfate de cuivre à 2 et à 3 0/0 ne tue pas les spores, ni do Verlicillium, ni de Mi/cogone. Une immersion de six jours dans l'acide borique à 3 0/0, dans le sulfate de cuivre à 1, o 0/0 est également inefficace. Mais si l'on a employé une solution de ce dernier sel à 2 ou à 3 0/0 on n'obtient plus aucun dévelop- pement. Le lysol a été employé aux doses de 1/2, 1,2 et 4 0/0. Cet anti- septique paraît plus énergique que les précédents, car des semis faits au moyen de spores prises sur une culture immergée pendant quarante-huit heures n'ont fourni aucun développement. Une solution, même très étendue de lysol, 1/2 0/0, fait donc périr les spores. 410 BOTANIQUE Méthode par pulvérisation. — Au moyen d'un pulvérisateur, on projette, en très fines gouttelettes, le liquide expérimenté sur une culture. Le liquide s'est évaporé au bout d'un certain temps; on fait, soit à ce mo- ment, soit plus tard, des semis au moyen de la culture. Si l'on obtient un développement, c'est qu'il reste des spores vivantes, que l'effet de l'opération a été sinon nul, au moins incomplet. On refait une seconde pulvérisation, puis un second semis. On voit alors si toutes les spores ont, cette fois, été tuées. S'il n'en est pas ainsi, on refait une troisième opération et ainsi de suite. D'une façon générale, on peut dire qu'avec les liquides employés, l'effet de ces pulvérisations est fort incomplet. Il est vraisemblable que le li- quide s'évaporant assez vite, son action n'a qu'une durée trop courte pour être meurtrière ; de plus, les cultures sont beaucoup moins impré- gnées de liquide que quand on emploie la première méthode. Une pulvérisation ne mouille pas nécessairement intégralement la culture. Des spores échappent à l'antiseptique. Cependant cela ne veut pas dire qu'une telle méthode ne puisse pas être utile : un grand nombre de spores périssent et le développement du parasite est beaucoup entravé. Nous avons obtenu de très bons rési^ltats à la suite d'une seule pulvérisation au bisulfite de chaux (à l'état liquide et au degré de concentration sous lequel on le rencontre chez les fabricants de produits chimiques). L'acide borique nous a, d'ailleurs, fourni des résultats nets. Après deux pulvérisations d'acide borique à 2 et 3 0/0, on n'obtient pas de déve- loppement. Dans ce cas, l'action de l'acide se combine avec la dessiccation pour entraver le développement des spores. . L'acide borique, par sa présence, doit empêcher la germination des spores, car en semant des spores vivantes de Verticillium ou de Mi/cor/one sur une pomme de terre plongeant par sa base dans une solution bori- quée à 2 et 3 0/0, on n'obtient aucune trace de développement. En opé- rant, au contraire, d'après ce procédé avec du sulfate de cuivre, on voit les deux formes du parasite se développer très bien, au moins au sommet de la pomme de terre, sur la partie la plus éloignée du liquide. Par cette méthode, le lysol a fourni des résultats différents suivant le degré de concentration de la solution. Deux pulvérisations successives au lysol à 1 0/0 sont insullisantes pour tuer toutes les spores d'une culture. Elles suffisent à 2 et 3 0/0. Dans la pratique, il ne saurait être question d'immerger les meules; l'opération est tout simplement impossible. Mais une ou deux pulvérisations au lysol ou à l'acide borique, alors que la maladie commence à appa- raître, avant qu'elle n'ait acquis un grand développement, rendraient des services certains. COSTAMTIN ET DUFOUR. — OBSERVATIONS SUR LA MOLE 411 3° Méthode par fumigations. — Un autre antiseptique employé a été Vacirle sulfureux. L'action de cet acide est extrêmement énergique. Dans une salle hermétiquement close d'environ 90 mètres cubes, nous avons brûlé 30 grammes de soufre par mètre cube. Çà et là, dans la pièce, étaient des tubes de culture, les uns ouverts, les autres restant fermés par leurs tampons de coton. Au bout de vingt-quatre heures, la pièce a été ouverte, et des semis ont été faits au moyen des tubes mis en expé- rience. Toutes les spores avaient été tuées; aucun semis n'a fourni le cham- pignon; et cela même pour les tubes restés bouchés au coton. Le gaz- sulfureux pénètre donc avec la plus grande facilité dans ces tubes pour y exercer son effet. Ce résultat est très important, car les courants d'air qui se produisent dans une carrière à cause de l'aération habituelle, du passage des ou- vriers, etc., disséminent les spores de toutes parts, sur les parois de la car- rière, par exemple. Plus tard, un autre courant d'air les fait tomber sur la meule dont elles produisent la contamination. Les pulvérisations dont nous avons parlé plus haut ne peuvent être faites sur toutes les parois d'une carrière. Au contraire, le gaz sulfureux pénétrera avec la plus grande facilité dans les moindres interstices où peuvent être logées des spores et les détruira. Mais l'emploi de cet acide ne peut être conseillé que dans des con- ditions bien déterminées. On ne s'avisera évidemment pas de pro- duire du gaz sulfureux dans une carrière en pleine production, où la maladie commence à peine à se montrer; on obtiendrait comme ré- sultat la destruction du champignon de couche. Mais quand une épidémie est bien déclarée, que le champignonniste est dans l'intention d'abandonner sa carrière pour un temps plus ou moins long, alors qu'il emploie un remède radical, qu'il enlève tout ce qui a servi à la culture, fumier, terre à gopter, etc., et qu'il purifie complète- ment sa carrière par l'acide sulfureux. La dépense n'est pas bien grande ; une fois l'opération terminée, l'aération chasse complètement le gaz, et de suite on peut réutiliser cette carrière. Quant au gaz, on le produira en brûlant du soufre. Sur des plateaux de fonte, disposés de distance en distance, on place du soufre de façon à en avoir environ 300 à 600 grammes par 10 mètres cubes; on ajoute un peu d'alcool à ce soufre, et l'on allume d'abord, les plateaux les plus rapprochés du fond de la carrière et successivement les autres, à mesure que, pour sortir, l'on se rapproche de l'ouverture. Tout a été préparé d'avance pour que la fermeture se fasse rapidement. Au bout do vingt-quatre heures, quarante-huit au plus, l'opération est terminée. On rouvre la carrière, on procède à l'aération, et quand l'odeur a totale- ment disparu, la carrière est susceptible de servir de nouveau. 412 BOTANIQUE Ajoutons que diverses précautions devraient être prises, d'une manière constante, pour éviter les chances de dissémination des spores. L'ouvrier chargé de ramasser les môles — et il devrait y en avoir un chargé spécialement de cette fonction — devrait se laver les mains très fréquemment avec de l'eau boriquée à 2 0/0 ou 3 0/0, avec du lysol à 1 0/0 ou avec du bisulfite de chaux. Les môles devraient être enlevées immédiatement et ne jamais séjourner sur les meules ou dans les sen- tiers de la carrière. Les ouvriers qui entrent dans une carrière, que l'on commence à ex- ploiter devraient avoir par-dessus leurs habits des vêtements de toile sortant de chez le blanchisseur, des souliers ou des chaussons spéciaux pour chaque carrière; les patrons devraient exiger d'eux le lavage de leurs mains avec les solutions précédentes. A l'aide de l'acide sulfureux qui purifiera la carrière, et à l'aide des précautions précédentes qui réduiront d'une manière notable les causes de contamination nouvelle, on diminuera certainement, dans une pro- portion considérable, le nombre des champignons atteints par la maladie, et par cela même, les pertes matérielles; les frais, relativement faibles, occasionnés par l'emploi de l'acide sulfureux et des divers liquides indi- qués précédemment, seront ainsi largement compensés. M. Emile BELLOC à Paris. APERÇU GÉNÉRAL DE LA VÉGÉTATION LACUSTRE DANS LES PYRÉNÉES — Séance du 17 septembre 1892 — Malgré le noml»re relativement considérable do bassins lacustres ren- fermés dans la chaîne des Pyrénées, les plantes, surtout les algues micros- copiques, vivant au sein des eaux, ont été complètement négligées par les botanistes qui ont décrit la flore de ce beau pays. Il est vrai de dire que l'étude des lacs pyrénéens offre souvent des dif- cnltés sérieuses, et qu'elle exige, de la part des observateurs, des aptitudes physiques toutes particulières, la majeure partie des cuvettes lacustres étant reléguées entre 1 .800 et "2.700 mètres d'altitude, dans des régions inhospita- lières et par conséquent au-dessus de la zone habitée. De plus, un outillage spécial, encombrant, dispendieux et fort difficile à transporter au milieu É. BKLLUC. — LA VÉGÉTATION LACUSTRE DANS LES PYKÉNÉES 413 des vallées sauvages et désolées où ces lacs sont ouverts, est indispen- sable à quiconque désire se livrer à l'étude de ces végétations aquatiques. De nombreuses explorations personnelles, faites régulièrement chaque année à travers ces montagnes, m'ont permis d'accumuler une foule de documents précieux, dont le dépouillement a fourni les résultats que je vais exposer dans ce mémoire. Les lacs supérieurs renferment généralement un très petit nombre d'es- pèces de plantes phanérogames. Celles que l'on rencontre le plus commu- nément dans les eaux profondes des lacs granitiques appartiennent aux genres Sparcjanium, Utricidaria, ou bien à la famille des Ranunculacées. Les Muscinées semblent plus abondantes, les Characées ne s'élèvent guère au-dessus de la zone moyenne, et ce sont les Spirogyvées, les Desmidiées, et surtout les Diatomées qui fournissent l'appoint le plus considérable de la flore lacustre ou marécageuse de la haute région pyrénéenne. Parmi les phanérogames, certains groupes préfèrent la partie inférieure de la chaîne ; je citerai : les Nymphéacées, les Myriophyllacées, les Pota- mogétacées, les Juncacées, les Cyperacées ; et parmi les algues : les Con- juguées, les Conf'ervacées, les Characées et les Diatomées. Généralement un certain nombre de ces végétations émergent, en partie, au-dessus des eaux, forment, dans la portion littorale des lacs inférieurs, des zones bien délimitées, composées d'abord de Phragmites, puis ensuite le Scirpus, auxquels succèdent souvent les Nymphéa, les Potamogeton, et plus avant, en allant vers le centre de la nappe lacustre, les Myriophyl- lum, les Chara et les Nitella, sur lesquels les Desmidiées et les Diatomées vivent en abondance. Lorsque les dépressions lacustres ont une faible profondeur et que leurs pentes latérales sont peu inclinées et recouvertes d'une épaisse couche de limon, il se forme autour des bords intérieurs de ces dépressions une zone mal délimitée, périodiquement découverte ou recouverte par les eaux, selon les saisons et l'abondance plus ou moins grande des préci- pitations météoriques. Dans cette zone, les Carex croissent parfois en très grand nombre, mélangés aux Sphagnum, aux Mousses aquatiques ei à quelques autres plantes (1) que j'ai cru devoir également faire figurer dans la liste ci-dessous, en ayant soin chaque fois de signaler leur habitat. A l'inspection de ces végétations lacustres, énumérées plus loin, on est frappé de la rareté, — dans nos montagnes, — de certaines espèces telles (\) Quelques plantes phanérogames, lelles que lihamnus catharlicus |iar exemple, ne figurent ici qu'à litre de simple renseignement; je les mentionne néanmoins puisqu'elles sont citées par cer- tains auteurs, qui les ont recueillies, probablement, dans celle zone alteinativement découverte ou submergée, dont il vient d'être question, ou bien dans le voisinage immédiat des lacs. Cette expli- cation suffira, je pense, pour dégager ma responsabilité, car les botanistes les discerneront aisément des plantes exclusivement aquatiques. 414 BOTANIQUE que : Isoetes lacuslrk, hoetes Brochoni (Molelay), Isoetes echinospora, Subularia aqualica, Pohjtrichum strictum et Dicranum Schmderi, rencon- trées seulement jusqu'ici dans la partie orientale de la chaîne pyrénéenne, sauf Vhoetes lacudris, accidenlellement signalé dans la vallée d'Aran. La configuration topographique et la nature géologique du sol jouent un très grand rôle dans la distribution géographique des plantes aquatiques. La composition chimique et la transparence des eaux exercent une action directe et très importante sur leur mode de reproduction, tandis qu'elles paraissent être beaucoup moins sensibles à l'inlluence de l'al- titude. Pour fixer les idées sur l'ensemble de ces végétations, je vais énumérer successivement les Phanérogames, les Cryptogames vasculaires, les Mus- cinées et les Algues microscopiques, qui vivent au sein des lacs pyrénéens. PHANÉROGAMES RANUNCULACÉES (1) nanunculus tricophyllus, Chaix. ) Ces trois espèces se rencontrent assez — flamula, L. [ fréquemment sur les bords marécageux — lingua, L. ) des étangs. Caltha palustris, L. Commune dans les eaux peu profondes. NYMPHÉACÉES Nymphéa Alba,, L. ) ^^^^^^ j^^ j^^.^ ^^^.^ ^^^^ iuférieures. Nuphar httcum, bni. ) — pumilum, Sm. l'eu commune. CRUCU'ÈRES Subularia aquafica, L. Estany Llarch (Pyr.-Or ). Roripa nastartioides, Sp. Eaux peu profondes de la région inférieure et mojenne DROCÉRACÉES Drocera rolundifolia, L. Lac d"Oô. Lac Bleu (sur les bords). RHAMiNACÉES Rhamilus catharlicus, L. Le D'' Jeanbeniat cite cette espèce sans indicatiou d'habitat. (Voir la note l, page 413. j MYRIOPHYLLACÉES ("2) Myriophylluin spicalum, L. Très abondante dans les pièces d'eau des vallées inférieures et moyennes. HIPPUaiCACÉES Hippuris vulgaris, L. Étangs et mares des basses vallées. (1) Le nom des espèces qui n'ont pas été recueilles par moi esl toujours suivi du nom de celui qui les a sisnalées. Pour cetle étude, j'ai cru devoir suivre l'ordre inverse de la classification adoptée par M. Van Tieghem dans son Traité de Botanique, alin de rejeter à la fin de cette notice Fembranchement des THALLOPHYTES, et surtout la famille des Diatomées, de beaucoup la plus importante et la plus nombreuse parmi celles qui compusent la flore lacustre pyrénéenne. (2) M. L. Molelay a trouvé « quelques rares brins de Myrioplujllum allerniflomm », dans un « bourrelet d'Isoètes desséchés et roulés, entourant l'eau du lac » de Naguilles (Ariège). É. BELLOC. — LA VÉGÉTATION LACLSTKE DANS LES PYRÉNÉES 415 CALLITHRICHACÉES Callitliriche hamulata, Ktz. (Jeanbernat et Tiinbal-Lagrave). CÉRATOPHVLLACÉES Ceratophijllum demersum, L. Lacs et étangs de la zone intérieure. OMBELLIFÈRES OEnanlhe /'istulosa, L. Lac de Lourdes, lac de Saiut-Pé-d"Ardet, lac de Barbazau. Siuin angudifolium, L. {Berula angustifolia, Koch) (Lapeyrouse). (Voir la note 1, page 41 i.) Helosciadium nodilloruiu, K. ) „ i- j i u n ' „ , , , • , \ Eaux peu protondes des basses vallées. Hydrcoiyle viUgaris, L. ) Astrantia ininur, L. Lac d'Albe (Philippe), rare. (Voir la note 1, page 414.) MÉNVANTUACÉES Menyanthes trifoliata, L. Lacs d'Escoubous (Lapcyroitsc). UTRICULARIÉES Ulrieularia vulgaris, L. Lac marécageux d'Estagnaou. Lac de CaïUaoulas. [M. Hariot] (1). POLYGONACÉES Polggonum amphibium, L. Lac marécageux d'Estaguaou. — minus, Huds. Lac de Gaube (Philippe). (Voir la note 1, page 414.) ALISMACÉES Âlisma ranunculoides. L. Bords des étangs. — plantago, L. .Mêmes localités. TRIGLOCHLN AGEES ScheuchzerUi palustris, L. Je n'ai pas rencontré cette espèce au lac d'Espïungo, où elle a été signalée par Lapeyrouse. POTAMOGÉTACÉES Putamogelon hclcwpJnjUus, D. C. Lacs et marais 'de la région intérieure. Elle est abondante à l'Estagnaou de Saint-Béat, où Zetterstedt l'indique sous le nom de P. graniineus,L. — nalaits, L. Lacs de la région basse. — densus, L. Très abondante, de même que P. pusilus, dans les marais de Salles et de Juzet (Bagnères-de-Luchonj. — crispus, L., mêmes localités que le P. natans. — pusilus. L., mêmes localités que le P. densus. TYPHACÉEâ Typlia angustifolia, L. Marécages. Sparganiun natans, L. ( Lacs de la haute région. Lac noir de Prat-Long. Lac — minimum ( d'Espïnngo. Lac d'Estom. Lac de Zaraguela. — Bordera, Focke. — Lac de Trémouze (sic). (Récolté par Bordère). (Ex. Hariot). (1) Le nom de M. Hariot mis entre [ ] indique les espèces que cet obligeant et très distingué naturaliste a bien voulu revoir ou déterminer; je suis lieureux de lui adresser ici tous mes remer- ciements. 41(3 BOTANIQUE JUN'CACÉES Juncus effums, L., commune dans les vallées basses. — glaucus, Ehrh. Région inférieure. — arcticus, Wild. Très rare. Zelterstedt le signale « au bord d'un petit lac, entre Rencluse et les glaciers de la Maladetta » (sic). — filiformis, l. Lac de Zaraguela. Lac d'Espïnngo. Lacs d'Aygues-Cluses (Lap.). Lac d'Iîstom (J. Vallot). Cette espèce est très rare- ment abondante. — supinus, Mœnch. Lac de Gaube (Philippe). — lamprocarpus, Ehrh. Lacs d'Estom-Soubiran. Lacs du port de Vénasque (Zett.). — obtusifîorus, Ehrh. Marécages. — alpinus, Viil. Région moyenne. Lac de Gaube. Liizula spadica, D. G. Assez commune dans les lieux submergés des hautes vallées . — pediformis, U. G. Gette espèce est commune dans les prairies humides de la région moyenne; cependant M. J. Valiot l'a trouvée dans la région glacée d'Ardiden, et Picot de Lapeyrousela signale au lac d'Escoubous. CYPÉRACÉES Cypenis funcus, L. Flaques d'eau des basses vallées et marais de la plaine. — longus, L. Marécages. — badius, Desf. (Jeanbernat et Timbal-Lagrave, sans indication d'habitat.). — flavescens, L. même habitat que le C. fuscus. Cladiuin Mariscus, R. Rr. (Jeanbernat et Timbal-Lagrave). Rhynchospora fusca, R. et Sch. Partie marécageuse des nappes lacustres infé- rieures. Heleocharis paluslris, R. Rr. Lac d'Estagnaou. Lac d'Espïnngo. Lac d'Escoubous. Scirpun cœspUosus, L. Plus marécageuse que lacustre. Lac Rleu. Lac d'Es- coubous. — paucijlorus, Liglhf. Marais. Assez rare. — lacuslris, L. Très abondant dans la zone Uttorale de certains lacs, comme à celui de Lourdes. Eriophoruni anguslifolium, Rolh. Haute région, Néouvieille. i Bords — latifoliuiii, Hopp. Région inférieure et moyenne. ) marécageux — vaginuium, L. Lac d'Escoubous. ) des — capilalum, L. Lac d'Espïnngo. Lac de Zaraguela. ( naftpes lacustres. Carex leporina, L. Aux bords de quelques lacs supérieurs. Environs du lac d'Ilhéou (J. Vallot). — maxima, Scop. ( Aux bords des lacs. — vesicaria, L. ( — Lac de Zaraguela. — ampullacea, Good. Bords des lacs de la région haute et moyenne. Zel- terstedt donne cette espèce comme habitant un petit lac « entre Rencluse et le glacier de la Maladetta » (sic). — pseudo-cyperus, L. Marais. GRAMINÉES Phragmites communis, Trin. Cette espèce forme, avec le Scirpus lacuslris, une large ceinture intérieure dans la zone littorale de la plu- part des lacs de la région sous-pyrénéenne. K. BELLOC. LA VÉGÉTATION LACUSTRE DANS LES l'YUÉ.N'ÉES 41" CRYPTOGAMES VASCULAIRES ÉQUISÉTACÉES Equisetum variegatum, Schleich. Bords des lacs supérieurs. Lac des Barans. Lac Bleu. ISOETACÉES Isoetes lacustris. L. (l). ) , j.» j c . xi . ^ ,„, [ Lac d Aude. Estang-Llarch. — echmospora, Dur. (2). ) — Brochoni, Motelay (2). Lac Lanoux. Lac de Naguille. MUSCINÉES SPHAGNACÉES Spliagnuin cymbifolium, Ehr. j On les trouve plus particulièrement dans les — rigidum, Sclip. / marais tourbeux, les mouiltères, ainsi que — Girgetihsonii, Ru^sow. > dans la petite et la grande Bouillouse(Pyré- — acutifoHum, Ehr. i nées-Orientales). (D'après une note ma- — intermeiium , Haffner. ,' nuscrile du D"" .Teanbernat.) En général, les Spha'ujnes sont peu abondantes dans les lacs et les étangs marécageux de la chaîne pyrénéenne. On sait, du reste, que c'est à peine si on en compte une quinzaine d'espèces pour toute l'Europe, et même, d'après ^I. E. Husnot {Sphagnologia Europœa, 1882). « pour ceux qui ne veulent pas admettre le transformisme (quoique ce genre soit un de ceux qui prouvent le mieux cette théorie) et qui ne considèrent comme espèce que les formes qui ne se rattachent pas à d'autres plus intermédiaires, le nombre des espèces ne doit pas être plus d'une dizaine. » Les Sphaignes vivent, avec quelques mousses aquatiques (Fontinalis anti- pt/retica), sur les bords des dépressions lacustres: dans cette partie excen- trique de la zone littorale, alternativement submergée et recouverte par les eaux, mais toujours humide, dont il a déjà été question; cependant on les rencontre beaucoup plus fréquemment dans les parties tourbeuses ou marécageuses des cuvettes lacustres envahies par la végétation. Quoique les Sphaignes, comme un grand nombre d'autres Muscinées, soient pour ainsi dire en dehors du champ de cette étude, j'ai cru cepen- dant devoir les mentionner, afin de donner une idée plus complète sur la flore de certains bassins lacustres, en partie comblés par les matières alluviales ou encombrés par les plantes aquatiques. Parmi ces bassins, il faut citer le lac de Lourdes (Hautes-Pyrénées), les lacs de Barbazan, de Saint-Pé-d'Ârdet et d'Estagnaou. dans la Haute-Garonne; les lacs du désert de Carlitt et la grande Bouillouse (vaste cuvette lacustre de plus (I; VIsoeles lacustris a été récolté en grande abondance, dit M. Motelay, dans les lacs de Lanoux et de Rouzet, par M. M. Marcailhou d'Aymeric. (2) Pendant rimiiression de la présente notice, j'ai reçu, par l'obligeant intermédiaire de .M. di- Luetkens, un intéressant mémoire de M. L. Molclay sur la découverte et la Défininon de Vlsoetes Brochoni, (\m -. avait déjà été récolté, au mois dejuini8G2, au lac d'Aude ;Pyrénées-OrienUilesi par M. S. de Salve (Herb. Motelay) et confondu jusqu'à ces jours-ci avec 1"/. echinospora ». (L. Motelay. 27* 418 BOTANIQUE de 100 hectares, dont la végétation aquatique s'est emparée), dans les Pyrénées-Orientales; et enfin les nombreuses mouillères du haut bassin de l'Aude, du Capsir, du Llaurenti et de la Cerdagne. MOUSSES DICRANUM Dicranum pellucidum, Hedw. Bords du lac de Lourdes. — palustre, Lap. {D. Bonjeani, de Nol.). — Lac de Lourdes. Lacs comblés, actuellement marécageux, du Capsir et de la Cerdagne. Schraderii, Sch. Lac d'Aude. Rare dans les Pyrénées (Jeanbernat et F. Renauld.) CAMPYLOPUS Campijlopus flexuosus Bréd. ) ^^^ ^^ lourdes. — fragilis, B. E. ) FISSIDENS Fissidens adiantoides, Hedw. Lac de Lourdes. Lac de Barbazan. BARBULA Barbula fragilis. Étangs marécageux de la Cerdagne et du Capsir. Rare (Jean- bernat et Renauld). — Brebissonii, Brid. Zone littorale marécageuse du lac de Lourdes. BUYUM Bryum pseudotriquetrum, Schw. Bords marécageux des étangs de la région inférieure. MINIUM Minium affine, Schw. ) n, , , , . • u„^^„ " , [ Marécages de la région basse. — punctatum, L. ) AULACOMNIUM Aulacomnium palustre, Schw. Partie marécageuse des lacs inférieurs. POLYTRICUM Polytricum sexangulare, Sp. Lacs d'Oô (Spruce et Zetterstedt). — striclum, Menz. Marécages de la zone inférieure. FONTINALIS Fontinalis antipyretica, L. [Hariol]. Je l'ai recueillie en très grande abondance dans le lac d'Espinngo, où elle forme une couronne flottante sur le bord intérieur de la cuvette. LESKEA Leskea mutabilis. Lac d'Espïnngo. CLIMACIUM Climacium dendroides, Web. Lac de Lourdes (Renauld, in Boulay). É. BELLOC. — LA VÉGÉTATION LACUSTRE DANS LES PYRÉNÉES 419 HYPNUM Htjpnum nitens, Schreb. {Camptotlwcium nilens, de Sch.) Lac de Lourdes. — inliferum, R. Spr. Lac de Lourdes. — elodes, Schr. Même habitat que les deux espèces précédentes. — stellatum, Schr. ) , • . , o 1 Lieux marecaoeux. — polygamum, Scnp. ) ° — /luitans, L. Dans presque tous les (Hangs de la région basse et moyenne. — adunciim, Hedw. Mouillères et lacs marécageux du Capsir et de la Cerdagne. — oernicosum, Lind. J ,, , , o (Jeanbernat.) — revolvens, S\v. ) ^ ' — commutalum, Hedw. Estagnaou, Juzet. Saint-Pé-d'Ardet. Lourdes. — giganteum, Schp. Lourdes (Renauld, in Boulay). — stramineum, Dicks (Jeanbernat et Renauld), — loreuin, L. ) r i t . t^ , . , t-u [ Lac de Lourdes (Renauld, in Boulay). — breviroslrum, Ehr. ) ^ •" — arcticum. Lac Caïllaouas, sur les parois rocheuses de la rive droite, où je l'ai récolté (1). ALGUES 11 n'a encore été publié, à ma connaissance, aucune étude algologique relative aux végétations exclusivement lacustres des Pyrénées. Cela tient, évidemment, à ce que les moyens d'investigation ont fait défaut aux savants naturalistes qui ont dirigé leurs recherches vers ces montagnes. Parmi les principaux botanistes qui se sont occupé des Algues pyré- néennes, il faut citer : W. Smith (Notes of an escursion to the Pyrénées in search of Dinlomacese, 1838); Soubeiran (Essai sur la matière organisée des sources sulfureuses des Pyrénées, 1858); Ripart {Notice sur les Algues récoltées pendant la session de la Société botanique, dans les Pyrénées, 1868); E. Guinard (plusieurs mémoires très intéressants sur les Diatomées); Paul Petit, Liste des Diatomées récoltées à l'ascension de la Rhune (Bulletin de la Société botanique, 1880); H. Peragallo (Les Diatomées du midi de la France, 1884), {Liste des Diatomées françaises, dans les Diatomées, par le D'" J. Pel- letan, 1888-89); D. .José Antonio Dosset y Monzon (Datos para la sinopsis de las Diatomeas de Aragon, 1888); .1. Conière (Diatomées du bassin sous- pyrénéen, 18!t2); Fr. Gay, Algues de Bagnères-de-Bigorre (Bulletin de la Société botanique de France, 1891). En ce qui me concerne personnellement, j'ai donné une étude détaillée (avec figures) sur les Diatomées de Luchon et des Pyrénées centrales, dans le volume offert par la ville de Luchon aux membres du Congrès de Tou- louse, en 1887. Depuis, ni'étant livré plus particulièrement à l'étude des plantes lacustres, j'ai consigné les premiers résultats fournis par mes i.l) L'Hupnum arcticum n'avait pas oiicirc élô signalé dans les Pyrénées par les biiuiogues. 420 BOTAJNIQUE recherches, dans une brochure intitulée : les Diatomées des lacs du haut Larboust, région d'Oô ( Pyrénées centrales ) , Paris, 1890. Plusieurs naturalistes ont bien voulu m'envoyer des préparations mi- croscopiques ou des matériaux bruts provenant des Pyrénées ; quoique la majeure partie de ces matériaux eussent été récoltés hors des cuvettes lacustres ils m'ont néanmoins été utiles comme renseignements. Je citerai seulement, parmi ces obligeants confrères, MM. Certes, D'' F. Gar- rigou, E. Trutat, Ch. Fabre, J. Brun (de Genève), D^ Leuduger-Fortmorel, Paul Petit, J. Comère, de Coincy, Maurice Gourdon, D'' P. Racine, et enfin le D'' Dosset y Monzon, qui a joint à l'envoi de documents inté- ressants, une fort belle série de photographies microscopiques. Au cours de mes explorations, j'ai recueilli un grand nombre d'Algues filamenteuses Confervacées et Spirogi/rées ; entre autres, Spirogyra parti- calis (espèce créée par le professeur Cleve, d'Upsala); Zijgnema cru- cialum, Lynghya nigra? {LdiC Ca:il\•) 2 \ 2 » 1 1 2 1 S 1 2 1 ACHNANTES ACHNANTIDIUM ÂMPHORA Campylodiscus Ceratoneis cocco.neis Cyclotella Cymatopleura Cymbella 16 Denticula . 5 Diatoma 4 DlATOMELLA 1 Epithemia 7 EUNOTIA 1 Fragilaria 6 gompiionema , 10 m A reporter. ... 72 13 1 2 1 Espi'Cfs Tar. Report 72 13 HiMANTIDIUM 7 » Mastogloia 1 » Melosira 6 1 Meridion 1 1 Navicula 37 16 NiTZSCHIA 10 )' Odontidium 2 2 Pleurosigma 2 » Rhoicosphenia 1 » Stauroneis 8 1 surirella 10 2 Synedra 11 3 Tabellaria 2 » Tetracyclus 2 » Triblionella 2 » Total 174 39 Total général. Espèces. Variétés. 174 39 = 213. Les genres les mieux représentés dans le tableau précédent sont donc les Naviculées, les Cymbellées, les Sytiedrées, les Surirellées, les Nitz- schiées et les Gomphonemées. Le nombre des espèces différentes ne préjuge rien quant à l'abondance des individus. Les Cyclotelles, par exemple, qui fournissent seulement cinq espèces et une variété, tapissent le fond d'un grand nombre de cuvettes lacustres; à elles seules, elles entrent pour les deux tiers environ (1) M. le baron Jules de Guerne et M. Jules Richard, qui ont bien voulu examiner le produit de mes pêches pélagiques au filet fin, ont fait à la Section de Zoologie, d'après ces matériaux, une communication particulièrement intéressante sur la faune microscopique des lacs pyrénéens. É. BELLOC. — LA VÉGÉTATION LACUSTRE DANS LKS PYRÉNÉES 423 dans l'innombrable quantité de Diatomées vivant à la surface du dépôt vaseux du lac d'Oô. L'espèce la plus répandue dans ce dépôt, la Cyclo- tella Bodanica, présente cette particularité curieuse que : le professeur J. Brun, de Genève, l'ayant recueillie à la surface du lac Léman, la con- sidère naturellement comme pélagique, tandis que je l'ai trouvée pul- lulant sur la vase ramenée par la drague des profondeurs du lac d'Oô. Le type d'Oô est, à peu de chose près, semblable à celui du lac do Genève, publié par MM. Tempère et H. Peragallo dans les Diatomées de France. Parmi les lacs qui ont donné le plus grand nombre d'individus, il faut citer d'abord celui d'Oô, dans lequel j'avais déjà récolté H 5 espèces différentes de Diatomées, chiffre qui s'élève actuellement au total de 131 espèces, par suite de nouvelles recherches entreprises depuis. Le lac d'Espïnngo, tributaire de celui d'Oô, en a fourni 75; celui de Lourdes 57; Saint-Pé-d'Ardet 53, et Orédon 48. Le petit lac de Saounzat (altitude 1.962 mètresj et le bassin aux trois quarts comblé à'era-couma-et'a-Abeca (la coume de l'Évéque) (altitude 2.200 mètres) renferment aussi des Desmidiées et des Diatomées fort belles, malgré la température sibérienne qui règne en ces lieux durant plus des deux tiers de l'année. Au nombre des espèces les plus répandues, je dois signaler : Ceratoneis Arcus, abondant à Caïllaouas et dans presque tous les lacs supérieurs; Navicula nobilis, Nav. rhyncocephala, Nav. radiosa, N. vindis, Nitzschia minutissima, Nit:;. palea, Surirella hiseriala, Synedra UJna et ses nom- breuses variétés, Triblionella acuminata, etc. Les plus rares sont : Melosira grenulata, Navicula binodis, Nav. legu- men et sa variété decrescens , Nav. thermalis (que j'ai recueillie à 2.845 mètres de hauteur, non loin du lac glacé d'Oôj, et enfin, pour clore cette énumération et ne pas dépasser les limites qui me sont assignées, je mentionnerai, en terminant, le Tetracyclus Braunii, récolté par M. le D'' Leuduger-Fortmorel aux cascades d'Enfer (vallée du Lys), et retrouvé depuis, par moi, à la fontaine du lac Noir de Prat-Long. En résumé, la flore algologique des bassins lacustres pyrénéens est incomparablement plus riche en espèces que la flore phanérogamique. De nouvelles recherches pourront peut-être ajouter quelques noms de plantes à ceux déjà cités au cours de ce travail, mais j'ai la conviction que ces additions seront peu nombreuses; dans tous les cas, malgré sa brièveté, j'espère que la présente notice et le tableau détaillé de la distri- bution géographique des Diatomées qui va suivre (1), suffiront pour donner une idée générale exacte de l'état actuel de la végétation lacustre dans les Pyrénées. (I) Pour la légende explicative de ce tableau, voir page /,32. TABLEAU de la distribution géographique de! 1 2 .3 4 5 6 7 X !) ]0 11 1 AcHNANTES deliccitulum, Ktz eXlllS, Ktz :•: -|: •• ^. '. 3 — gibberula, CI "] '". '", ^^ ^.^ l ] ^ ' '''' 4 — lanceolata, Bréb , , •5 — microcephalum, Klz 6 — ininutissima, Ehr ....!.. 7 — trinode, E 8 AcHNANTiDiiM flexellum, Bréb ".'.*.""' 9 A.MPHORA ovalis, Ktz ,. • v • • . . * . itJ — — var. qracilis, Ehr 11 — pedtculus 12 Campylodiscls costatm, Ehr "' 1^ — hibcrnicus, Ehr ^ l-i Ceratoneis arcus, Ehr ] * " ' ' ^^ — — var, amphioxys, Rab c . '.. T 16 CoccoNEis pediculus, Ehr "' 17 — placent iila, Ehr . . . T " " ' ' * ■■'■ •• 18 Gyclotella bodanica, Eul * ' " 19 — comta, Ehr . ,* . .' .' .' * J. 20 — — var. afiinis \ '"[ [ 21 — — var. radiosa 22 — Kutzingiana , Ther ..... 23 — operculata, Ktz '" ] 24 Cymatopleura elliptica, Bréb. ... û)|" :■: -^ — — var. constncta, Gru. 26 — Solea, Bréb ^ [ [ '''■ 27 Cymrella affinis, K " ' '' ■"' 28 — œqualis, Sm '" ' " * ' * " "- 29 — amphicephala, Nœg , , [ ] 30 — cœspitosum, Ktz .,. ,' " "" ' 31 — — var. venlricosa ', ' ' 32 — — var. pediculus 33 Cistula •••:.:•• 34 — cuspidata, Ktz. . 35 — — var. alpestris, Brun 36 — cymbiformis, Ktz 37 — delicatula, Ktz ••••:::::: 38 — Ehrenbergii, Ktz "■ ' * 39 — gastroides, Ktz "^ [ ^0 — gracilis, Ehr '*! — — var. Lœvis 42 — lanceolata, Ehr , * [ ''' '43 — maculata, Ktz T ! . =!=•*■•::; 44 — inicrocephala, Grun 45 — turgida, Grég 46 — ventricosa, Ktz ^_ [ 47 Denticula eleqans, Ktz. * * ' 48 — fngida, Ktz , , 49 — inflata, Sm •...•• ,. . 50 — obtusa, W. Sm " .' .* .' ,'. ." .,' .' * ' '''' [ ] ] 51 — tennis, Ktz " '" •••:::* 52 DiATOMA Ehrenbergii, Ktz 53 — elongatum, Ag 54 — tenue, Ag. ... [ATOMÉES dans quelques lacs des Pyrénées. 13 14 15 Ifi 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 1 • ^ 4. • • • • • • ;!; • k • ;|; • • î-t • • ;': • • * • • 2 • :ic ;!; . - • • *.!; • :[; :i: ^.; • • :|; :K • :î: • O l'z • • • :î: • • * • • * 'J^ * • • • • •;!:• " •♦ * * 4 • ;!: • :|; • • • :!; '-'î * î': ' •': ••:!:•••* 0:••*•>!•«• •• •• • • ■ ■••• ■• • ••• • • • tTIT 0 . ;; :.....: 1 ^ '. l '. ^^ '.'.'.'.'.'. "^ • '^ '••"• "■ "• ■ "■ ^ -î: :!- *J- »■-••'' • • • • • ;'; • • • • • " • * • * * ' ' B ^ ■" ï r . r T . * • • ;•;;•...♦•••••••:;-••••••••••' • .V .'. . •:!:•:!:•;-;• • • " • • îJ; • * • • ' ' * '■> , .;, ,•- . ..■,..•..•..'-• > • • • • • • ;*; • • • • • ' ;•; .•...;;; -:. ;j. , . ;•; :;: • ■\' ,.»;•■• ;!î ;•; • • • • • • • • • • • * • * * • * * * * , .•,.!. .<..<.,.•.••••••••••*•••* • «jl, , t. , ,,.,.•••• îjî ••••■••'*•• 1 * 3 . i; ! T T . . T '. 4 . ,, 5 . ! „: 6 ..,.•;. :;: ;!; :!;•••:!::::•:;: / -.!: • • • * • • :!: -'f • Q ., L ...... 1^ 0 . . -i- :i. -'f 2 . ,, : '. « O ^ ;i. • • • - • • ;■: • • :■; * • • * " ' ' * " ^.- ' * ■426 BOTANIQUE 12 3456789 10 1 55 DiATOMA vulgare, Bory * h- • ■••*•* m: 56 DiATOMELLA Bdlfourina, Grév 57 Epithemia Argus, Ktz .,. . 58 — constricta , Bréb .,. 59 — gibba, Ehr .!::!: . . . . ,<: 60 — — var. venir icosa, Ktz 61 — granulata, Ehr ^ 62 — ocellata, Ehr .,. .^. 63 — turgida , Ktz .,. ^ 64 — zébra, Ehr ^ 65 EuNOTiA lunaris, Bréb 66 — — var. bilunaris .,.. 67 — — var. exisa, Grun 68 Fragilaria capucina, Lism . .^ . .^ ^. . ,,. .,. . 69 — — var. acuta, E. , .,. 70 — conslruens, Ehr .,. 71 — contracta, Shum .,, ... ... .;, .,. . . .,. ^. . 72 — Harrisonii (Sm.) Grun 73 — mutabilis , Grun .,. .j. . . . ^. ^ ^^ . ^ 74 — virescens, Ralfs 75 GoMPHONEMA acuminalum, Ehr 76 — capitatum, Ehr ^ 77 — constrictum, Ehr .,..,. ^. ^. 78 — dichotomum , Ktz , .^ 79 — geminatum, Ag .,. 80 — intricatum, Ktz .....,,. 81 — olivaceum, Ehr . . . 82 — subclavatum, Grun 83 — tenelluin, Ktz .,. ,, 84 — vibrio, E , 85 Hi.MANTHiDiUM arcus, Ehr '. .^ 86 — bidens, W. Sm 87 — diodon, Ehr 88 — gracile, Ehr ^^ 89 — majus, Sm 90 — pectinale, Ktz ] 91 — polf/odon, Ehr ,. 92 Mastogloia Smithii, Thw ^ .,. 93 Melosira arcnaria, Moore '. 94 — crenulata, Ktz ,. 95 — distans, Ehr 96 — — var. nivalis, Sm 97 — granulata, Ehr 98 — orichalcea, Mertens 99 — varians, Moore ,.,.,,. 100 Meridion circulare, Ag T . ! 101 Navicula acuta, Sm 102 — affims, Ehr ^. . . l . . '. '. l '. 103 — ambigua, Ehr '. 104 — amphigomphus, Ehr 105 — amphirhynchus , G ,. 106 — amphisbœna, Bor}^ 107 — appendiculata. Ktz .|. . ^. .^ 108 — — var. exilis * K. BELLOC. — LA VÉGÉTATION LACUSTRE DANS LES PYRÉNÉES 427 13 14 15 16 17 18 1!) 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 "*■'" BOTAMQUK 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 m 109 Navicula bacillum, Vhv , 110 — binodis, Sm 111 — borealis, Elir '", . * . \ * ] 112 — crassinervia, Bréb ^ 113 — cryptocephala , W. Sm ,. '". ^ 114 — cuspidata, Ktz ^ . '^^ — — var. alpeslris, Brun 116 — dkephala, Ktz 117 — eUiptica, Ktz ' .' iio — — var. mmutissima . , 119 — firma, Ktz • , ' 120 — gibba, Ehr ^ . ï '.'.'..'... , 121 — — var. brevistriata , Gruii 122 — gracilis, Ktz? 123 — iridis, Ehr . . . i 124 — legumen, Elir '[ 12o — — var. decrescens [ 126 — Hmosa, Ktz 1^^ — — var. alpina, Brun 128 — major, Ktz ..^ ^ [ . * ' ' , 129 — mesolepta, Ehr [ .,. . . . " 1^0 — — var. jiivalis, Ehr '. ^'^l — — var. nodosa, Ehr 132 — — var.? "[ "] . . . \ \ \ \ \ .] 133 — — var. alpina. Brun 134 — minutissima, Rab ' 135 — neglecta, Bréb 1 . ! ! T ! 136 — mutica, Ktz "] 137 — iwbilis, Ehr 138 — oculata, Bréb ^ " 139 — patula, Ktz [ 140 — pmilla, Klz 7 141 — radiosa, Ktz .,. . ... 'l , ^ 142 — rhyncocephala, Klz. . . \ .,. "] 1 .,. ]" .,. " 143 — seriaus, Ktz ^ . ^ . T T . T ï 144 — stauroptera, Grun ^^^ — — var. gracilis, Grun 146 — subcapitata, var. paucistriata, Grun 1^7 — _ var. acuta, Grun 148 — thermalis 149 — tumida, W. Sm 150 — viridis, Ktz ,,.. T ,,..,.! ! 1^1 — — var. acuminata, Sm 1^2 — — var. commutata, Grun ^^3 — — var. hemiptera, Brun ,. 154 — viridula, Ktz ] ,, 155 — vulgare, Heib '. . . I .,. . ] . "] '[ 156 NiTZSCHiA «c/cMterîs, Sm '".'", [ ', [ ' [ 157 — amphyoxis, W. Sm ^, 158 — Brebissonii, W. Sm , "] 159 — communis, Rab . . 160 — conslricta, Ktz g 161 — linearis, Sm. 162 — minutissima, Sm. ( l':. BELLOC. LA \ KGKTATIO.N LACUSTRE DA.NS LES PYRÉNÉES i29 ^13 14 15 16 17 18 11) 20 21 22 2:5 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 * • * 'fi ■V "^30 BOTANIQUE 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 t: 163 NiTZSCHiA pa/ea, Ktz 164 — sigmoidea, Bréb 16o — therrhalis, Auessw " '' 166 Odontidium anceps, Ktz .....'..'*' 167 — — var. ■' 7 . . 1 [ 168 — hyemalle, Lingb 169 — — var. mesodon, Brun. 170 Pleurosigma acuminatum, Grun 171 — attenuatiim, W. Sm 172 Rhoicosphenia curvata, Gr. 173 Stauroneis amphicephala, Klz 174 — anceps, Ehr 175 — — var. elliptica, Ktz. . . 176 — Cohnii, Hilse 177 — gracUis, S m 178 — legumen, Ehr 179 — phenicenteron . Ehr 180 — plalystoma, Ehr 181 — truncata, Ralfs '. 182 SuRiRELLA angusta, Klz " 183 — biseriala, Bréb ! ... I •-.:•• 184 — — var. alpestris • • i ! T . T . . ' ' 185 — — var. linearis, Bréb. . 186 — constricla, Sm . . ' 187 — gracilis, Grun . ' 188 — Norvegica, Heul -f- ' -f 189 — ovalis, Bréb 190 — ouata, Ktz 191 - robiista, Ehr .........' ^ ' 192 — spiralis, Klz 193 — splendida, Ehi- 194 Synedra acus, Ktz '" * ' ' * - • * 195 — acuta, Ehr 196 — affinis, Ktz 197 — biceps, Sm ' ' " ' ^ • 198 — capitata, Ehr 199 — gracilis, Ktz , •:.:•.;::•: 200 — lanceolata, Ktz 201 — longissima, Sm ... • • 202 — minutissima, Sm 203 — u'.na, Ehr ^ " [ .!..!..!..', i ] ' ' * * 204 — — var. amphirhyncus, Ehr " " I ] .„,!** '^ 205 — — var. œqualis, Ktz '[ . . '.' 'f ^^' '' '|' 206 — — var. splendens, Rab '"_... '. ' ' ' 207 — — undulala, Sm " 208 Tabellaria fem-stra, Klz 209 — flacculosa, Ag 210 Tetracyclus Braunii, Grun !!!!'**' 2il — lacuslris, Ralfs. . . .' 212 Triblionella acuminata, Sm 213 — angustala, Sm ^j^ .,^ „^ ']" '''. .', \ \ * ] " Les espèces énumérées dans ce tableau - qui résume I-état de la florule dialomiqne des lacs des Pvrén.' plantes aquatiques flottant au milieu des eaux ou dans la zone littorale; 3» des rochers moussus qui bord K. BELLOC. — LA VÉGÉTATION LACUSTRE DANS LES PYRÉNÉES 431 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 2_8 29 30 31^ 32 33 34 :îô 36 37 ;•: * * * vnnpnt • 10 rtos vases de fonds rapportées par la drague; 2» des récoltes faites sur les ,;?;aVet'e°n gSVd; to'srcofpsl part^e^ubmergés sur lesquels elles s'attachent. 432 BOTANIQUE Légende du tableau de la distribution géographique des Diatomées. d'ordre. Altitudes. Noms des localités. Noms des régions. 1 2105 Lac d'Aude (Pyi-éuèes-Orientales) . 2 2160 Estang Llarch id. 3 1970 Lac de Pradeilles id. 4 2005 Grande et Petite Bouilloiise id. 5 2154 Lac Lanoux id. 6 1854 Lac de Naguille . (Ariège). 7 1670 Lac du Garbet id. 8 2300 (?) Étang Blanc id. 9 1390 Étang de Lhers id. 10 420 (?) Lac de Barbazan (Haute-Garonne). 11 698 Lac de Saint-Pé-d'Ardet . .- id. 12 2325 Lac du Port-de-Venasque id. 13 1960 Lac Vert id. 14 1500 Lac d'Oô id. 15 1875 Lac d'Espïnngo id. 16 2200 Lac d'era-couma-era-Abéca (en partie comblé) id. 17 2295 Lac des Gourgouttes id. 18 2165 Lac de Caillaouas , . . . (Hautes-Pyrénées). 19 2165 Lac de Pouchergues id. 20 1869 Lac d'Orédon id. 21 2120 Lac de Cap-de-Long id. 22 2160 Lac d'Aubert id. 23 2215 Lac d'Aumar id. 2i 1782 Lac d'Estom id. 25 1743 Lac de Gaube id. 26 422 Lac de Lourdes id. 27 2238 Lac d'Oncet id. 28 1968 Lac Bleu id. 29 1964 Lac d'Artouste (Basses-Pyrénées). 30 2267 Lac de Miguelou id. 31 2120 Lac d Usious id. 32 2000 (?j Lac d'Isahe id. 33 2385 Lac des Barrancs (Espagne). 34 1671 Lac de Panticosa id. 35 2354 Lac de Brasato id. 36 2235 Lac de Zaraguela id. 37 2657 Lac Gregonio id. K. GAIN. INFLUENCE DE l'hLMIDITÉ DU SOI, SUR LA VÉGÉTATION 433 M. Edmond GAII au Laboratoire de Biologie végétale de Fontainebleau. INFLUENCE DE L'HUMIDITÉ DU SOL SUR LA VÉGÉTATION — Séuice du 17 septembre 189i — L'observation a montré, depuis longtemps déjà, que l'humidité est un puissant facteur de variations des végétaux. C'est un fait bien connu que les années humides ont une influence considérable sur les productions agri- coles, et la répartition habituelle des pluies sur une région permet de réussir certaines cultures dans des endroits où d'autres cultures ne don- neraient que des résultats très médiocres. Il est donc intéressant de rechercher expérimentalement quelle part revient à l'humidité du sol sur les difiérences nombreuses observées cou- ramment pendant les années humides. L'humidité de l'air il;, définie par l'état hygrométrique et la quantité de vapeur d'eau contenue dans l'atmosphère, accompagne presque toujours l'humidité du sol, car si le nombre de jours de pluie est considérable dans une contrée, l'air y est souvent dans des conditions de grande humidité, mais l'influence de l'air agit séparément et simultanément avec l'humidité du sol pour produire des effets qui peuvent être en sens contraire. On ne pouvait être dans de meilleures conditions, pour saisir l'influence isolée de l'humidité du sol, que cette année où l'été a été très sec. DISPOSITION EXPERIMENTALE Les cultures ont été faites soit dans des pots, soit en pleine terre. Dans le second cas, sur un sol bien homogène de sable de Fontaine- bleau, installé dans le jardin d'expériences du Laboratoire de Biologie végétale, bien nivelé d'avance pour éviter l'écoulement superficiel, der (1) BONXiEK et Flahailt, Modification des véyétaux suivant les conditions physiques du milieu. 28* 434 BOTANIQUE carrés de :2 mètres de côté ont été tracés, distants de oO centimètres. Ils ont été répartis en trois régions: I. Douze carrés dits très humides ; IF. Douze carrés dits humides ; III. Douze carrés ayant un sol très sec. L'eau reçue pendant la végétation sur chacune des régions se compose : 1" D'une constante donnée par la pluie et mesurée au pluviomètre; 2° Des différents arrosages, ordonnés de façon à obtenir dans les sols une teneur en eau déterminée. Les sols, au début, contenaient, au 20 mai, 5 0/(1 d'eau. Le sable étant par excellence sec et perméable, les carrés secs se sont trouvés rester, malgré quelques rares pluies, à 6 0/0 d'eau, descendant quelquefois à 3,o 0/0, ainsi qu'il résulte de dosages faits de temps à autre en prélevant un échantillon à un décimètre de profondeur et en le desséchant à Tétuve à 105-110 degrés. Les sols humides sont restés à 10 ou 12 0/0, et les sols très humides à 12 ou io 0/0 d'eau. Dans les sols humides, les racines des plantes avaient donc une propor- tion d'eau qui était double de celle des sols secs. La capacité du sol pour l'eau, établie d'après la méthode de Schûbler (1) était de 18 à 20 0/0. Mais, outre qu'une saturation complète n'aurait pas donné de bons résultats, cette saturation pour le cas du sable n'est pas possible à réaliser à cause de sa grande perméabilité ; des arrosages fré- quents ont pu maintenir les sols très humides à un taux qui, suivant la température et l'évaporation, variait de 12 à lo 0/0. Nous ne chercherons pas dans ce travail à expliquer le mode d'action de l'humidité. L'humidité modifie la physiologie de tous les membres de la plante (2) et agit en outre sur les propriétés physiques et sur la composition chimique des sols (3), c'est dire combien les différences d'humidité pourront retentir sur la végétation. Nous examinerons l'influence de l'humidité : 1° Sur l'évolution de la plante ; 2° Sur l'organisation de la plante adulte une fois celle-ci arrivée à ma- turité (portant des graines). Dans la première partie, nous étudierons les principaux stades de végétation. Dans la deuxième, se rangeront les modifications qui se sont produites au point de vue : 1"^ De la morphologie externe ; 2° De la morphologie interne ; 3° Des produits élaborés (le premier chapitre seul fera l'objet de ce travail). i|) Encyclopédie chimique, Chimie agricole. (o) Wolliiy, Kreiisler, Vesque, Deliérain. (3) ScHLŒSiNR, Absorption de l'ammoniaque par les sols. K. GAIN. INFLURNC.E DK I.'hLMIDITK DU SOL SUR LA VÉGKTATIO.N 43o 11 est admis dans la pratique agricole que certaines plantes réussissent mieux dans un terrain sec, tandis que d'autres bénéficient d'un sol humide. Les cultures que j'ai faites vérifient ce point et m'autorisent à diviser les plantes, en plantes adaptées naturellement à la sécheresse et souffrant d'une humidité relative, et en plantes adaptées à l'humidité et souffrant d'une sécheresse relative. Entre ces deux groupes se placent des plantes indifférentes au point de vue de l'habitat, et qui sont d'un accommodement facile avec des taux d'humidité variables. Ces plantes, soumises à l'expérience, peuvent donner des différences considérables dans leur organisation suivant qu'on les force à vivre dans un sol sec ou dans un sol humide. Pour ce qui est des plantes des deux premières catégories, si on les enlève aux sols où elles ont l'habitude de vivre, on observera des chan- gements très divers : les unes ne pourront pas supporter une variation bien grande dans le taux d'humidité, les autres résisteront au nouvel habitat en modifiant leur structure. Il existe donc, a piHori, un certain optimum d'humidité pour chaque plante ; il y a aussi un optimum pour chaque organe. L'optimum important au point de vue pratique varie suivant le résultat qu'on cherche à obtenir. Il est clair, par exemple, que pour un fourrage l'optimum à rechercher devra être celui qui donne des organes aériens les plus développés possibles, tandis que pour un tubercule, ce sera celui qui favorise le développement des organes souterrains. La question du développement maximum de l'organe utilisé subit une grave restriction par suite de ce fait que quelquefois la quantité du produit nuit à sa qualité. L'étude approfondie de l'influence de l'humidité sur les produits élaborés par la plante a donc une importance capitale au point de vue pratique. PREMIÈRE PARTIE. — ÉVOLUTIOM DU VÉGÉTAL Germination. — Les résultats signalés ici ont été obtenus dans des expériences faites sur le haricot semé en pots dans quatre sols de diffé- rentes natures et à trois degrés d'humidité, variables suivant la capa- eité de chaque sol pour l'eau. On peut en tirer les conclusions suivantes : 1" Une terre saturée d'eau (1) produit un gonflement rapide des graines, mais la germination est généralement entravée totalement. Dans un sol perméable (sable) ou léger (terre de bruyère), quelques (1) Une terre est dite satun^e quaml son hygroscopicité est satisfaite et que les intervalli"^ aii'il- laires contiennent lo plus d'eau possible. l 436 BOTANIQUE graines peuvent cependant arriver à germer, grâce à l'air qui reste adhé- rent aux particules terreuses ou organiques. La principale entrave de la germination en terre saturée résulte donc du défaut d'aération de la terre. Cette action néfaste n'en reste pas moins imputable indirectement à l'excès d'humidité. 2° Un sol à demi-saturation (I) favorise beaucoup la germination. 3° Un sol sec, où on place assez d'eau pour gonfler les graines, mais où on n'entretient pas l'humidité qui diminue à mesure de Févaporation, Onobrychis sativa 160 130 110 Papaver setigerum 250 170 8(t 2° L'influence de l'humidité sur la croissance de la tige est d'autant plus forte que la plante est plus jeune. Si nous examinons, en effet, le sarrasin dans les tableaux précédents, nous trouvons que : Au 20 juin S,„ = 3 S, S„ . | S, S,„ . |? S„. Au 2 juillet .... S,„ ==2,3S^ g^ ^ |_ Sg S,„ :^ — S„ La jeune plante a des tissus très aqueux et sa croissance bénéflcie d'une grande turgescence permanente. A mesure que les tissus sont plus âgés, l'action de l'humidité diminue d'importance. Pendant le début de la période de feuillaison, on voit que l'humidité est d'une grande importance pour la bonne venue de la plante, puisque Sarrasin,,, 2,33 Sarrasin Avoine,,, - 2.46 Avoine^^ Luzerne^,, ~ 3,2 Luzerne^^ Pavot^,, ^-3,12Pavot^, c'est-à-dire une différence de longueur variant du double au triple. 438 BOTANIQUE Aussitôt que les fleurs apparaissent, la croissance est presque nulle, ou du moins se trouve considérablement diminuée. Ainsi, à la date du lo août, les trois plants de sarrasin sont fleuris depuis trente-cinq jours. L'influence de l'humidité a été de moins en moins accentuée. S^„ a fleuri un peu avant S^ et les difl'érences de longueur se sont atténuées. Les tiges ont comme hauteur moyenne : S,„ = II0-I2O"' S„ r HO-llS*^» S = 100'='". TH H ESPECES TRÈS HUMIDE HLMIbE SE 115-120'- nO-115^"' 100' 130 125 80 75 60 55 35 30 25 Poiygonum fagopyrum fleuri. Avena saliva fleuri Brassica napus oleracca. . . Phascolus vulgaris fleuri. . . Pour les plantes ci-dessus, le sol très humide a donné des tiges plus grandes que dans le sol humide, et celui-ci des tiges plus grandes que dans le sol sec. Il n'en a pas été de même pour toutes les espèces étudiées. Ce sont celles pour lesquelles l'optimum d'humidité est inférieur à TH. Au début de leur végétation, ces plantes s'étaient développées comme les autres ; puis une fois la feuillaison bien développée, la plante du sol humide n'a pas tardé à prendre le dessus, tandis que celle du sol TH semblait souffrir de l'excès d'eau en ralentissant sa croissance en longueur au profit de sa croissance en diamètre (Papaver). Au 15 août, nous observons : ESPÈCES TH U s Papaver seligerum fleuri. . Holianthus tuberasus. . . . Solarium tuberosum fruct. Medicago saliva fl Onobrychis saliva fl. . . . Pour le sainfoin, nous le voyons profiler beaucoup du sol sec. C'est une de ces espèces plus spécialement adaptées à la sécheresse. La luzerne du sol sec s'est trouvée dans des conditions spéciales. La sécheresse a été pernicieuse à la levée des jeunes pousses et il s'est trouvé que les pieds ont été environ vingt fois moins nombreux dans le sol sec que dans chacun des deux autres. Pour une plante épuisante comme la luzerne, il n'est donc pas étonnant (devant le défaut de concurrence vitale 9b"" 110cm 80< 120 125 95 75-80 80-90 50-60 45 20 40 20 20 30 K. GAIN. lNFLUKNf:K DK 1,'hUMIDITÉ DU SOL SUH l.A VKC.ÉTATION 439 pour les racines) que les tiges soient arrivées à une taille de 40 centi- mètres, alors qu'en sol humide elles n'ont que 20 centimètres. La conclusion à tirer, c'est que la luzerne profite beaucoup de l'humi- dité, même assez forte, et que les terres perméables sont en général peu propices à cette plante. L'objection qui se pose pour la luzerne des sols secs ne s'est retrouvée dans aucune autre de mes cultures. Au début, les pousses étaient très clairsemées, en général dans les sols secs; mais c'était un simple retard dans la levée. Le 18 juin, vingt-huit jours après le semis, j'ai évalué approximative- ment le nombre de pieds dans chaque carré. J'ai obtenu : lU Avena sativa 3n 2n n (1) Polygonum fa^opyrum 4 « 2 n n Onobrycliis sativa 5n 4n 2n Medicago sativa b n 4 n n Brassica napus 9n 3n n Daucus carota 8n 4n 'in Phascolus vulgaris n n n Solarium tuberosum n n n Helianthus tuberosus « n « Dix jours après, le nombre des pieds était sensiblement le même pour chaque série de trois plants. La luzerne seule du sol sec est restée telle, tandis que celle des deux autres sols donnait de nouvelles pousses : L^„ = 20«, L^ = 20n, Lj, = n. Le tableau de la page 440 donne la comparaison des trois états de déve7 loppement du sarrasin pour deux pieds de taille moyenne pris dans ies trois carrés le 2 juillet. En examinant les résultats, on peut conclure : 1" Que, pour une longueur de tige donnée, la ramification (constituée par les pétioles des feuilles et les rameaux) est beaucoup plus grande en sol sec qu'en sol humide; 2" La forme de la plante est donc beaucoup moins élancée et plus large en sol sec; 3° Les fleurs apparaissent plus bas le long de la tige en sol humide. (1) Le nombre n est différent pour chaque plante. 440 BOTANIQUE 1 05 y R « A S Î5 o a ^ o R lO in R CO — R A i R = ' 2 R i » .o ^ — = CO « lO n R iO 'M '- R 8 R <: y a « ^ 00 3 CO ^ 5= « R S R R R a R a R R R c o s >^ H « 10 s »n fl O 'M K R O R R >0 R ^ Ci X CO / ( R A R »s R CO » 8 R R o (M - R lO G-ï -, ft R iO CO R J j c; ^ lO R Ift R — a — ._;\ ~ lO R a lO ^ ^ —, » R ..^ ' f d 'M — O O CO 'M " . L- K \ . A « R R O 00 R Ce « S? a S ^ ^ O ■' ' R co CO c 1 s — R 'T-1 F? lO a .O ^ o « ^ lO R R <-> ^ ^ ^ ^ a t^ 1 fl ^ •* CO R ift R lO 'Ci "Tl O O R I— « ~ R O R R >0 R R lO R R — 'Tl cO CO *5r CO CO ^} — 05 ac R'MRCORCD^'^Ra'^ 'M -5t kiO Jj =0 (?< 1^ t— R ift CO o cô OC' R o R 11^ R m R o R R O « '^' CO ^ fQ lO iC cô o S G, ce B eu o aj 0- 3 .1) T3 CO 6 '^ V CL 7 g^ ô i 0} C8 La O . ^ 4^ '^ 4^ 4_> ^? S s c , , ^ c ■1> c -03 a 'Oi -a - MU - » 2 juillet. e juillet. l'-- juillet. 6 juillet. 3 juillet. 7 juillet. rum Medicago saliva . Papaver setigerum Delphiniuni . . . Phaseolus vulgaris L'examen de ce tableau fait voir que: 1*> En général, les plantes des sols secs ont été les dernières à ouvrir leurs bourgeons floraux. 2° En général, elles ont été les dernières à fleurir. (1) Van TiEGHEM, Traité de Botanique, p. 914 (188*). ti) Sitit^BiER, Physiologie végékile. K. GAIN. — INFLUENCE DE l'hI'MIDITÉ DU SOL î^l'U LA VÉGÉTATION 443 H*" Le temps qui sépare l'ouverture des bourgeons de l'épanouissement est beaucoup plus long en sol sec qu'en sol humide. 4" Il y a un optimum d'humidité pour la floraison de certaines plantes. Le pavot a montré des bourgeons floraux presque en même temps dans les trois régions, mais la floraison est apparue en sol humide cinq jours avant d'apparaître en sol sec. Le 12 août, on trouvait dans les carrés d'œillette: TH — 4 capsules de pavot et 3 fleurs épanouies. Hr=:60 » 17 » 5 Tll 12 août 3 17 août 11 18 août \i 19 août 14 ■20 août 13 -23 août 10 17 5 21 8 10 9 8 17 5 li 4 7 Au 30 août, le nombre des capsules de pavot était TH = 120 environ ; H:r=130; 8 = 70; ce qui permet de conclure : o° Que le nombre des fleurs est favorisé dans de grandes proportions par l'humidité. En suivant la floraison du pavot, j'ai pu constater: 6" Les fleurs des sols secs conservent le calice à leur sommet plus long- temps qu'en sol humide. 7° Les fleurs qui se sont épanouies au lever du soleil sont, à 9 heures du matin, beaucoup plus étalées dans le sol sec que dans les sols très humide et humide. 8" Les corolles épanouies en même temps dans les sols sec et très humide subsistent un peu plus en sol très humide ; 9" Quand les corolles tombent en sol sec, les étamines sont encore et restent attachées sous l'ovaire, ce qui indique une chute prématurée de la corolle. 10" A la chute de la corolle, les fruits sont petits dans le sol sec et de volume presque double dans le sol humide. Dans le sol très humide, les fruits sont moyens entre les deux, ce qui paraît indiquer que: 11" La floraison arrive en sol humide à un stade plus opportun de la 444 BOTANIQUE végétation, alors que les réserves sont assez abondantes pour gonfler le fruit de substances nutritives. En sol sec, au contraire, la Heur apparaît plus tard, hésite à s'ouvrir et tombe avant d'avoir un fruit bien conformé. Au point de vue pratique, ce qui importe, c'est le rendement définitif de la plante. Pour le pavot, c'est l'observation de la quantité et l'analyse des graines qui me donneront le véritable optimum à rechercher. Pour la floraison, l'optimum en air sec est représenté par un sol ana- logue à mon sol humide (12 0/0 pendant toute la végétation sur sable). Il est à prévoir que l'optimum définitif, celui des graines, sera le sol très humide; car, dans ce carré, les pieds sont beaucoup plus vigoureux en épaisseur et le nombre de têtes arrive finalement à un chiffre voisin de celui de la récolte sur sol humide ; 12° J'ai pu me rendre compte, en outre, par des incisions comparées faites dans les parois des capsules, que le latex est beaucoup plus riche en substances de réserve en sol très humide. Celui de sol humide est un peu plus aqueux, et en sol sec, le latex est très aqueux. Pour terminer les quelques observations précédentes faites sur quelques espèces et qu'il ne faudrait généraliser qu'avec réserve, nous examine- rons en deux mots comment s'est comportée la racine. Racine. — C'est un fait bien connu que l'humidité développe le chevelu des racines. En sol sec (sarrasin), la racine est nettement pivotante. On observe un pivot de 18 à 20 centimètres de longueur présentant des rami- fications peu nombreuses et seulement au voisinage du collet effectif de la racine. Ces ramifications sont clairsemées et perpendiculaires au pivot; quelques-unes (quatre ou cinq), ont 1 millimètre de diamètre à leur nais- sance. En sol humide, on trouve un pivot de o centimètres se terminant par trois ou quatre radicelles assez fortes orientées suivant la pesanteur. Le long du pivot naissent de nombreuses radicelles ramiliées et enchevêtrées. En sol très humide, un pivot de 3 centimètres se terminant par une fourche, et le tout entouré par un enchevêtrement de radicelles fines et très nombreuses. CONCLUSIONS GÉNÉRALES 1° L'action de l'humidité du sol sur une plante est très variable suivant l'habitat ordinaire de cette plante. Il y a un optimum d'humidité pour chaque plante et chaque organe. 2" Une humidité relative du sol produit, dès le commencement de la germination, une accélération considérable dans la croissance. 3" L'humidité favorise l'accroissement, et cette influence est d'autant plus forte que la plante est plus jeune. L. GÉ.NEAlî liK. LAMAKLlKliK. Dl' « CO.NOPODIU.M DKMDVnM )) KKCII 4i5 4" La forme de la plante est plus élancée en sol humide qu'en sol sec ; la ramification et le développement du limbe des feuilles est très favorisée par l'humidité. 5" Le développement foliaire, qui est exagéré en sol humide, ne retarde pas sensiblement la floraison et l'humidité peut même accélérer la flo- raison. 6" Dans un air sec, la floraison et la fructification ne s'effectuent norma- lement que si la plante dispose d'un sol humide. Les observations précédentes ne font que laisser entrevoir l'influence importante de l'humidité du sol. C'est dans l'étude anatomique et physio- logique des divers membres de la plante que les résultats trouvés sont les plus curieux. Ces diverses parties seront étudiées ultérieurement (1). M. L. &EIEÂÏÏ DE LAMAELIEUE au Laboratoire de Biologie végi-lale de Fontainebleau. SUR LE DEVELOPPEMENT DU " CONOPODIUM DENUDATUM KOCH — Séance du 17 septembre 1892 — Dans une note présentée au Congrès de Marseille (2), j'ai montré que la plantule du Bunium Buihocastanum L., bien que très anormale au premier aspect, peut se rattacher par une suite d'intermédiaires au type général que présente la majorité des Ombellifères, et que son cotylédon, unique en apparence, résulte probablement de la concrescence de deux cotylédons en un seul. Ce n'est donc pas un des cotylédons qui disparaît par avortement, comme le veulent la plupart des auteurs, entre autres Th. Irmisch (3; et Hegelmaier f4). (1) Ce travail a été fait au Laboratoire de Biologie végétale de Fontainebleau, sous la direction de M. Gaston BONNIKR. (2) Sur Iti germinittion de (juelqitei Omhtlli fères, f.ls^w. française pour l'avancement des sciences. Séance du 19 sept. 1891. Marseille). (Z) Th. Irmisch, Bcilruge zur vergleiclienden Morpholoi/ie der Pflanzen : Carum Bidhocattanum und Chœrophijtlum bulbositm nach ihrer Keimung. Halle, 1862. (4) llKOELMAïKii, Ytrgleichvide Uniersuchungen ùber Enlwicklung dikolyledover Keime. Stuttgart, 1878, p. 138 et seq. 446 BflTANiyUE L'insuilisance des matériaux que j'avais à cette époque entre les mains ne m'avait pas permis d'être plus affîrmatif; de plus, l'origine du bour- geon qui donne naissance à la tige fructifère restait tout à fait obscure. Depuis lors, j'ai eu l'occasion d'étudier complètement la germination et le développement d'une autre Ombellifère, le Conopodium denudatum, Koch, qui présente les mêmes particularités que le B. Bulbocastanum et cette étude me permet aujourd'hui d'apporter de nouveaux arguments en faveur de mon opinion. Hegelmaier, qui a étudié l'embryon de plusieurs Conopodium (C. capilli- folium Boiss., C. subcarneum Boiss., C. Bourgœi Coss.) a trouvé que ces embryons, comme celui du B. Bulbocastanum, étaient munis d'un seul cotylédon bien développé, portant à sa base une petite protubérance. Il était probable dès lors que l'on devait retrouver chez le Conopodium denudatum les mêmes particularités anatomiques. C'est ce que j'ai pu observer, et le développement de cette espèce s'est montré, presque sous tous les rapports, semblable à celui du Bunium déjà décrit. Morphologie externe. — La plantule du C. denudatum présente extérieu- rement un organe foliaire, étroit, lancéolé, qui s'amincit vers le bas en un pétiole arrondi du côté correspondant à la face inférieure et plan sur la face supérieure. Cette dernière partie du pétiole est colorée en vert comme le limbe lui-même, et présente de nombreux stomates qui devien- nent rares vers le bas et disparaissent complètement dans la portion qui vient ensuite. Le limbe et le pétiole sont les seules parties qui émergent du sol. Presque au niveau de la terre, le pétiole est légèrement rougeâtre: cette coloration est due à un pigment répandu dans les cellules épider- miques, et on la retrouve souvent dans la partie inférieure de l'axe hypo- cotylé des autres Ombellifères. La région du pétiole qui est dans la terre a une forme absolument cylindrique et est décolorée; les stomates disparaissent dans cette région. Cette portion blanchâtre ne dépasse guère un centimètre en longueur : elle est nettement limitée vers le bas par une brusque diminution du diamètre. Ce cyljndre plus étroit présente tous les caractères extérieurs d'une racine : sa couleur est grise et sa surface est couverte de débris de poils absorbants flétris. Si l'on prend une plantule et qu'on la plonge pendant une demi-minute environ dans le brun Bismarck ou le vert d'iode, puis qu'on la lave dans l'eau pure, la partie mince absorbe forte- ment le réactif, tandis que la portion blanchâtre reste incolore, ce qui montre bien que la nature de l'assise externe n'est pas la même dans les deux régions. La partie amincie présente donc extérieurement tous les caractères d'une racine; de plus elle porte des ramifications latérales qui ont l'aspect de radicelles. L. GKNKAU DK LVM.VRLlKltK. DU « (ONOPODRM DEINUDATLM » KOCH 447 Après huit jours environ de végétation, la racine offre vers son tiers inférieur un léger renflement, d'abord lancéolé, puis sphérique, qui est un petit tubercule ; ce renflement ne diff'ère extérieurement du reste de la racine que par son diamètre plus fort. Sur la partie supérieure du tubercule, près du point d'insertion du filament qui sert de support au cotylédon, se montre bientôt un bourgeon qui donne naissance successivement à plusieurs feuilles, puis, l'année suivante, à une tige florifère. La position de ce bourgeon correspond à la face supérieure de l'organe cotylédonaire. Morphologie interne. — Si l'on étudie la morphologie interne de la plantule du C. denudotum. on voit que toute la région couverte de poils absorbants présente la structure primaire d'une racine, structure absolu- ment identique à celle de toutes les autres Ombellifères. On y voit, en effet, deux faisceaux du bois primaire opposés, et à vaisseaux unisériés, alternant avec les deux faisceaux du liber primaire. Le cylindre central est entouré d'un péricycle creusé de deux arcs sécréteurs, formés chacun d'un nombre impair de canaux. Viennent ensuite un endoderme à épaississements nettement subérifiés, et une écorce peu développée à l'extérieur de laquelle se voit l'assise pilifère. Quelle que soit donc la caractéristique que l'on admette pour la racine, assise pilifère ou structure pi'imaire interne, cette portion de la plantule U satisfait de tous points. Dans la partie supérieure de la racine, c'est-à-dire au point où s'effectue le changement de diamètre, une série de coupes transversales montre que les deux faisceaux libéro-ligneux passent intégralement dans le pétiole du cotylédon, en subissant assez brusquement les modifications néces- saires pour prendre la forme caractéristique de la structure de tige. Dans chaque faisceau ligneux primaire, on voit en effet les vaisseaux, d'abord unisériés, augmenter en nombre et se disposer en massif semi-circulaire; les vaisseaux les plus âgés (spirales), d'externes qu'ils étaient, deviennent internes, et sont entourés de tous les côtés par des vaisseaux plus jeunes (annelésj ; puis la masse totale du bois se scinde en deux portions égales suivant un plan qui correspond au plan médian des faisceaux du bois primaire de la racine; de sorte que les deux faisceaux primaires de la tige alternent avec les faisceaux ligneux de la racine. Chacun d'eux doit donc être considéré comme formé de deux moitiés, prise chacune à un faisceau primaire différent de la racine. Les faisceaux primaires du liber conti- nuent leur course rectiligne et se trouvent ainsi tout naturellement accolés au bois. Presque aussitôt, et un peu plus haut, les faisceaux libéro-ligneux ces- sent d'être diamétralement opposés, car ils subissent une légère dévia- tion et prennent dans leur ensemble la forme d'un V dont le liber occupe 448 BOTANIQUE l'extrémité des branches. Ainsi la si/métrie par rapport à un axe dispa- raît pour faire place à la symétrie par rapport à un plan. Cette nouvelle région est celle du pétiole proprement dit : extérieurement elle est co- lorée en vert. Vers l'extrémité inférieure du limbe cotylédonaire, les deux faisceaux libéro-ligneux se confondent en un seul. Il n'y a donc qu'un axe hypocotylé très court qui est presque réduit à la zone de passage de structure de la racine à celle de la tige, cette zone de passage se trouvant dans toutes les Ombellifères à la partie supé- rieure de l'axe hypocotylé. Jusqu'ici, il n'a pas été question de la gemmule; il est impossible d'en trouver la moindre trace dans la portion extra-radicale de la plantule, à moins qu'on ne veuille lui attribuer la légère protubérance indiquée par Hegelmaier à la base de l'unique cotylédon développé, mais que cet auteur considère comme le second cotylédon avorté. Quoi qu'il en soit, cet organe ne subit aucun développement postérieur. Le bourgeon du tubercule ne saurait être considéré comme la gemmule ; sa position sur une racine et son origine interne s'opposent à une telle interprétation. 1/ n'y a donc pas. de gemmule normalement développée. J'arrive maintenant au développement du tubercule. Au début, il ne présente pas une structure différente de celle du reste de la racine, qui est la structure primaire normale. Plus tard, toute la racine, à l'exception du tubercule, disparaît sans ofïrir de développement secondaire. Mais le tubercule persiste et s'accroît beaucoup ; son écorce s'exfolie rapidement et il reste constitué par le cylindre central, qu'une assise de liège protège. Quand le tubercule a atteint un demi-centimètre de diamètre, le bour- geon se développe beaucoup. 11 soulève et déchire la couche de liège d'origine endodermique, ce qui montre bien qu'il est endogène. Sa base forme une petite masse conique allant se réunir très obliquement au cylindre central du tubercule. Au point de jonction, sur une coupe trans- versale, on voit que le faisceau du bois primaire de la racine situé de ce côté fait défaut. 11 y a donc, d'une part, un faisceau du bois primaire de la racine, à croissance centripète, flanqué de chaque côté de deux ou trois faisceaux du bois secondaire à vaisseaux presque unisériés ; puis, à l'en- droit que devrait occuper le deuxième faisceau du bois primaire,. se trouve un demi-cercle de parenchyme médullaire entouré de trois ou quatre faisceaux appartenant au bourgeon, s'arrêtant à une zone de cambium de l'autre côté de laquelle se trouvent autant de faisceaux du liber. 11 y a ainsi, à ce niveau, situés côte à côte, un demi-cylindre central de racine el un demi-cylindre central de tige. Les deux cambiums, quoique formant des arcs égaux, ne sont pas en continuité par leurs extrémités. Ceci se passe dans la portion supérieure du tubercule ; mais dans la portion inférieure, au-dessous du point de jonclion du bourgeon, la L. GrâEAl" ItE LA>IAI!l.Il":i!i:. — DU « CONOPODIUM DENUDATUM » KOCII 449 structure de la racine persiste avec une modification singulière. Les deux faisceaux du liber primaire, au lieu d'être repoussés tout à lait à la périphérie contre le liège, comme cela arrive dans les autres Omhelli- fères, restent à mi-distance du liège et du cambium. Un peu plus bas, on voit que ce dernier ne forme plus un cercle régulier ; mais, eu lace de chaque faisceau du liber, il décrit une courbe rentrante. Ces échancrures du cambium deviennent de plus en plus profondes à mesure que l'on descend, puis elles se referment en englobant chacune un faisceau du liber primaire. Le cambium est alors scindé en trois portions : 1" un cambium général circulaire, ou plus généralement elliptique, produisant normale- ment du bois à la face interne et du liber à la face externe; 2° deux petits cercles cambiaux situés à l'intérieur du premier, produisant du liber à l'intérieur et du bois à l'extérieur. Les faisceaux ligneux produits par les deux systèmes cambiaux sont opposés dos à dos. Si l'on descend encore le long de l'axe du tubercule, on voit le cam- bium reprendre les différentes formes par lesquelles il est passé, mais en sens inverse; il recouvre finalement son aspect normal. Cette struc- ture singulière se conserve à l'état adulte. Je l'ai retrouvée dans deux autres espèces d'Ombellifères, le Conopodium variabile Miègeville, et le Bunium alpinum Waldst. et Rit. En résumé, la plan Iule c?« Conopodium denudatum^e compose : 1° d'une racine à structure primaire normale; '2° d'une zone de passage représen- tant un axe hijpocolylé réduit; 3" d'un organe coti/lédonaire formé par la concrescence de deux cotylédons en un seul, et admettant à son intérieur la totalité du système vasculaire de la racine. Il n'y a pas de gemmule normalement développée. Le bourgeon du tubercule est d'origine interne et naif sur une poî^tion radicale. Le tubercule est dû à un accroissement du cylindre central secondaire d'une portion de la racine. Dans sa partie supérieure, il présente en partie la structure d'une tige par suite du développement du bourgeon adventif. Dans sa partie inférieure, il a la structure d'une racine, mais modifiée d'une manière toute particulière (1). (1) ce travail a été fait au Laboratoire de Biologie végétale de Fontainebleau, dirigé par M. Gaston BO>NIER. 29=' 450 BOTANIQUE M. A. O&EE :i Courdemanche (Sarthe). ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DE L'INFLUENCE EXERCÉE PAR LE SOL HUMIDE SUR LA TIGE ET LES FEUILLES — Séiince du 49 xeplembre i892 — Beaucoup de faits relatifs à l'influence de l'humidité du sol sur la morphologie des plantes ont été cités depuis longtemps, mais en général on ne s'est pas attaché à déterminer exactement les conditions où se trouvaient les plantes observées. Si bien que ce qui est souvent rapporté à l'humidité seule peut aussi bien Têtre à une condition de milieu en rapport avec l'humidité, à une faible intensité lumineuse, par exemple. Pour étudier l'action de l'humidité, j'ai donc cultivé, pour chaque plante jnise en expérience, deux lots, l'un de sol sec, l'autre de sol très humide; toutes les autres conditions, intensité lumineuse, état hygrométrique, cha- leur, composition du sol, étant identiques pour les deux lots. Actuelle- ment, les résultats sont connus pour deux espèces : Lampsana communis et Sonchus asper. Je ne compare les plantes que lorsqu'elles ont atteint leur entier déve- loppement, c'est-à dire après la fructification. Un des principaux effets de l'humidité du sol est de changer la durée des différentes périodes de végétation ; il se trouve qu'ainsi, à un moment donné du développement, alors qu'un tissu a acquis toute sa croissance en sol sec, il est à peine ébauché en sol humide. Après la fructification, cette différence n'a plus lieu et les plantes sont comparables. Lampsana communis. — En sol humide, les plantes sont beaucoup plus grandes (deux à trois fois). Le nombre des entre-nœuds augmente et, par suite, celui des teuilles de la tige ; les rameaux se développent beau- coup : ils portent de m à 100 capitules de fleurs, tandis qu'en sol sec ils avortent presque complètement et la plante n'a plus que 7 ou 8 capitules de fleurs. La longueur do tige étant prise pour unité, les entre-nœuds supérieurs sont relativement plus longs en sol humide qu'en sol sec, tandis que le contraire a lieu pour les entre-nœuds inférieurs. En grandeur absolue, ils sont toujours plus grands en sol humide qu'en sol sec pour des régions correspondantes. L'absence de ramification en sol sec donne à A. OGEn. — INFLUENCE DU SOL HUMIDE SUR LA TIGE ET LIS FEUILLES 4o l la plante un aspect différent de celle de sol humide ; la plante de sol sec forme comme un épi allongé terminé par un petit corymbe; la plante de sol humide, au contraire, représente une grappe très largement déve- loppée, dont chaque rameau est lui-même une grappe de corymbes. La tige peut se diviser en deux régions : l'une, supérieure, glabre; lautre, inférieure, velue. En sol humide, la région glabre est proportion- nellement plus développée qu'en sol sec. La tige n'est pas exactement cylindrique; l'arête inférieure du pétiole de chaque feuille se prolonge sur la tige en y formant une arête longitudinale ; ces arêtes longitudinales, peu sensibles en sol sec, sont relativement beaucoup plus développées en sol humide. Feuilles. — En grandeur absolue, les feuilles sont plus grandes en sol humide qu'en sol sec, mais les feuilles ne sont pas qu'amplifiées, elles ont aussi changé de forme. Alors qu'en sol sec les feuilles diminuent constamment de longueur de la base au sommet, en sol humide la longueur reste constante pour toutes les feuilles, moyennes. La largeur change également. Sous l'influence d'une grande humidité du sol, l'accroissement en longueur est plus grand que l'accroissement en largeur pour les feuilles supérieures ; c'est le contraire qui a lieu pour les feuilles inférieures. Normalement, les feuilles inférieures sont lyrées, les feuilles moyennes pétiolées et simples, et les supérieures sessiles. En sol humide, les expansions latérales du pétiole des feuilles lyrées se développent beaucoup ; elles s'atrophient et tendent à disparaître en sol sec. Les feuilles moyennes ont leur limbe plus tronqué vers la base en sol sec qu'en sol humide. Le nombre des nervures principales ne varie pas sensiblement dans les deux cas, de même que le nombre de dents ; il en résulte qu'en sol humide, où le limbe est plus grand, le bord semble moins denté. Enfin, la feuille des plantes de sol sec est beaucoup plus résistante, plus velue ; elle se fane difficilement, tandis que celle de sol humide se flétrit dès que la plante est arrachée du sol. La couleur verte de la feuille est plus foncée en sol sec qu'en sol humide ; la feuille tend d'ailleurs beaucoup plus à se mettre perpendiculairement à la direction |)rincipale des rayons lumineux pour les plantes de sol sec que pour celles de sol humide. Morphologie interne. — Les tissus ne conservent pas le même rapport d'épaisseur dans les deux cas. En grandeur absolue^ sauf l'écorce, tous les tissus augmentent d'épaisseur en sol humide, mais l'accroissement n'est pas proportionnel. Nul pour l'écorce, il est le plus grand pour la moelle et surtout pour les formations secondaires ligneuses, et très peu accentué pour le stéréome médullaire. La cavité centrale augmente, alors qu'elle peut manquer en sol sec. Le nombre des vaisseaux est également augmenté. 452 BOTANIQUK Les éléments des tissus changent également de forme. Toutes les cel- lules, sauf celles de l'êcorce sont agrandies en sol humide, mais l'épais- seur de la paroi ne suit pas nécessairement cet agrandissement : il ne lui est proportionnel que pour les tissus de soutien; pour les autres cellules l'épaisseur est sensiblement la même dans les deux cas. Les cellules des tissus de soutien sont plus différenciées en sol humide ; elles se détachent plus facilement les unes des autres sous l'influence d'une pression sur la coupe. L'épiderme de la feuille a ses cellules beaucoup plus grandes et plus ondulées en sol humide. SoNCHus AsPER. — De même que pour les Lampsanes, les plantes de sol humide sont beaucoup plus développées que celles de sol sec (trois à quatre fois), mais ici la floraison est retardée en sol sec. La ramification est très développée en sol humide; les rameaux dépassent de beaucoup le sommet de la tige sans que cependant la plante devienne très large à cause du géotropisme oblique négatif très prononcé de ces rameaux; ils portent beaucoup de fleurs. En sol sec, la ramification est à peu près nulle, la plante est nettement pauciflore : deux ou trois fleurs au plus. L'aspect diffère : en sol sec les feuilles ont une tendance à se mettre en rosette par suite du peu de développement des entre-nœuds inférieurs, tandis que les feuilles caulinaires deviennent bractéiformes ; la tige prend ainsi l'aspect d'un pédoncule floral. En sol humide, au contraire, la ro- sette basilaire tend à disparaître par suite de l'allongement des entre- nœuds, les feuilles supérieures ne sont pas bractéiformes et, toutes pro- portions gardées, la tige semble largement feuillée depuis le sommet jusqu'à la base. La tige, glabre dans les deux cas, porte, surtout aux entre-nœuds moyens, des arêtes longitudinales qui ne sont que le prolongement de l'a- rête inférieure du pétiole. En sol très humide, ces arêtes deviennent de véritables ailes de deux à trois millimètres de largeur, tandis qu'en sol sec, ces arêtes sont très peu développées et à peine visibles. Feuilles. — L'accroissement de grandeur des feuilles en sol humide est beaucoup plus fort vers la partie supérieure que vers la partie inférieure de la tige. La forme est encore changée. Normalement les feuilles cau- linaires sont embrassantes. Les auricules deviennent considérables en sol humide et le limbe tend à s'aplanir, tandis qu'en sol sec il est toujours plus fortement ondulé sur les bords avec des auricules très réduites. Les dents sont atténuées en sol humide et la feuille est un peu moins rude, mais sous ce rapport la différence avec la feuille de sol sec n'est jamais aussi grande que celle qu'on obtiendrait par une différence dans l'éclai- rage. Enfin la couleur verte est atténuée également en sol humide. Morphologie interne. — L'accroissement du diamètre de la tige n'est pas proportionnel à l'accroissement en longueur, mais ici il y a beaucoup A. C.VRAVEX-CACHIN . — LES PLANTES NOUVELLES DU TAILN ( 187i-1891) 453 moins de différence que pour le Lampsane. Tous les tissus augmentent d'épaisseur en sol humide, mais l'accroissement n'est pas proportionnel. Peu développé pour l'écorce, il l'est davantage pour le stéréome cortical, encore plus pour le stéréome médullaire, mais surtout pour la moelle et pour les formations secondaires ligneuses de la base. La cavité centrale est également très agrandie. Les cellules de tous les tissus sont agrandies sous l'intluence de l'humi- dité du sol, mais l'agrandissement n'est pas proportionnel. A peu près nui pour les cellules de l'écorce, il atteint son maximum dans la moelle, ie parenchyme des feuilles et dans les vaisseaux (qui augmentent en nombre); l'épaisseur de la paroi n'augmente pas, sauf un peu pour les tissus de soutien. Enfin l'épiderme de la feuille a des cellules très agran- dies, à parois beaucoup plus ondulées en sol humide qu'en sol sec. M. Alfred CAEAYEN-CACHO Lauréat de l'Institut, à Salvafjnac (Tarn). LES PLANTES NOUVELLES DU TAPN ri874-l89n — Séance du 49 septembre 189i — Depuis l'année 1874, date de l'arrivée des régiments d'artillerie dans la ville de Castres, qui a coïncidé avec l'introduction des céréales étran- gères, nous avons rencontré, principalement aux environs de celte ville, à la gare, aux baraquements, au champ de tir du Causse d'Augmontel, enfin à Murât, plusieurs plantes nouvelles dont nous allons donner la liste : Année 1873, — Gare de Castres. Nasturtiastrum ruderale (G. et M.) Chrysanthemum segetum (L.). Melilotus parviflora (Desf.). Echiuin pjantagineum (L.j. Année 1876. — Gare de Castres. Rœmaria hybrida (D. C). Urtica pilulifera (L.). Glaucium corniculatum (Scop.). Verbascum sinuatum (L.). Erysimum perfoliatum (Crantz). Carthanius linctorius (L.j. 4o4 BOTANIQUE Année 1877. — Gare de Castres. Trifolium'purpureum (D. C). Ganielina sylvestris (Waltz.J Dianlhus caryophyllus (L.). Année 1877. — '■ Lautrec. Tulipa ocLilus-solis (St-Am.). Année 1878. — Gare de Castres. Phalaris canariensis (L.). Année 1879. — Castres, à la Tuilerie-Neuve. Lactuca ramossissima (Gr. et God.) Année 1880. — Augmontel et gare de Castres. Delphinium pubescens (D. C). Papaver dubium (L.). — hybridum (L.). Glaucium corniculatum (Curf,). Brassicaria erucastrum (G. et M.). Rapistrum orientale (D. C?). Reseda alba (L.). Silène muscipula (L.). — dichotoma (L.). Medicago scutellata (Ail.). — pentacycla (D. C). Trifolium resupinatum (L.). — stellatum (L.j, Meiilotus sulcata (Desf.). — parviflora (Desf.). Lathyrus ochrus (D. C). Buplerum protactum (Link et Hoff.). Galium parisiense (L.), et G.), Centaurea hybrida (AU.). — microplilon (G. — paniculata (L.). Scabiosa hybrida (AU.). Cota tinctoria (Gay.). Anacyclus Valentinus (L.). Achillea ageratum (L.). ^ tomentosa (L.). Chrysanthemum coronaiium (L Senecio Gallicus (Will.). Hedypnois cretica (Will.U Anchusa sempervirens (L.). Salvia sclarea (L.). Leonurus cardiaca (L.). Phalaris nodosa (L.). Sorghum Helepense (Pers.). Polypogon Mouspeliensis (Desf.) Briza maxima. Année 1881. — Castres, Baraquements et Augmontel. Hibiscus roseus (L.). Lavatera trimestris (L.). Malope malacoïdes (L.), Medicago scutellata (AU.). — pentacycla (D. G, Trifolium resupinatum (L. Meiilotus sulcata (Desf.). Scorpiurus subvillosa (L.). Lathyrus ochrus (D.-C.). Knautia hybrida (Coult.). Centaurea melitensis (L.). Cota tinctoria (L.). Anacyclus Valentinus (L.). AchUlea tomentosa (L.). AchiUea nobilis (L.). Chrysanthemum Myconis (L.). Hedypnois cretica (Willd.). Campanula rapunculoides (L.). Polygala comosa (Schlk.). Heliotropium supinum (L.). Marrubium supinum (L.). Andropogon halepensis (Sibth.). A. CARAVEN-CACHIN. — LKS PLANTES NOUVELLES DU TAliN (1874-1891) 4oO Année 1882. — Castres et Augmontel. Sisymbriuni columnfc (Jacq.)- Onobrychis caput-galli (Lain.). Lavatera punctata (L.)- Senecio gallicus (Chaix). Trixago apula (Stew.). Phalaris paradoxa (L.). Année 1882. — Castres à la Gare. Berteroa incana (D. C). Medicago marginata (Willd.). Camelina dentata (Pers.). Buphlalmum salicifoliuni (L.). Silène dichotuma (L.). Agroslis spica-venti (L.). Année 1883. — Castres à la Gare. Brassica asperitblia (Lam.). Anacyclus radiatus-type (Lois). Erucastrum Pollichii (G. et God.). Vulpina ligustica ^Linck). Trigonella corniculala (L.). Année 1884. — Bords du Tarn. Sisymbrium polyceratum (L.). lloubieva niultifida (M.-T.). Plante Paspalum vaginatum (Ùw.). signalée à Sorèze, depuis plus de Solidago glabra (Desf.). cinquante ans. Se trouve très com- munément sur les rives sablon- neuses du Tarn. Sporobolus arenarius (.1. Duval) (1). Année 1883. — Saint-Urcisse (Tarn). .îlnothera rosea (Ait.). Plante qui se reproduit à Saint-Urcisse depuis plus de quarante-cinq ans. Année 1885. — Murai (Tarn). Arabis muralis (Bertol.). Saponaria ocymoides (L.). Lepidiura heterophyllum (Benth.). Année 1886. — Murât. Camelina dentata (Pers.). Hutchinsia procumbens (Dest.). Année 1887. — Murât. Tritblium nigrescens (Viv.). Cotoneaster tomenlosa (Linde). Potentilla micrantha (Bam.). Année 1888. — Murât. Saxil'raga hypnoides (L.). Année 1889. — Murât. Amelanchier vulgaris (Mcench.). Année 1890. — Murât. Solidago glabra (Uesf.). Lappa intermedia (Behb.i. Valeriana hypnoides (L.). (1) CeUe plante a été signalée par M. .1. i;ei, professeur ;i Saint-Sulpicc (T;nii . 4o0 lîOTAMQUE Année 1891. — Murât. Genista cruciala (L.). Luzula Di\ea (1). C). Odontites rubra (Pers.). Equisetum sylvalicum (L.). Juncus filiformis (L.). Nous avons encore rencontré le Lychnis coronaria (D. C.) à Roque- courbe, sur les bords du Viaur et à Salvagnac ; le Colchicum longifolium (Cast.) au Sidobre, C'est le Colchicum Castrense de M. Larembergue . Le Difora radian>i (Bieb) est le Bifora tesliculata (D. C.j de M. de Martrin-Donos ; de même que la Centaiirea paniculata (L.) a été étiquetée sous le nom de Centaurea polijcephala (Jord.), par M. de Martrin-Donos. Enfin, la Fritillaria pijrenaïca (L.) a disparu du bois de Gaïx, en 1870, par suite des écobuages. Nous ne pensons pas que ces plantes, qui viennent fausser la flore indigène, s'acclimatent dans notre département, car il n'est guère possible que toutes ces espèces végétales résistent à notre climat, éminemment variable, à cause du voisinage dos montagnes. Nous savons, du reste, (juc Gouan sema aux environs de Montpellier, d'après une note inédite de De Candolle et comme ses propres listes de semis en font foi, plus de 800 plantes qui ont disparu, tant sont difficiles les naturalisations. Ajoutons à cela que nos inconscients agriculteurs tenaient peu compte de la géographie botanique et répandaient partout au hasard des graines qui provenaient de pays sans analogie avec le nôtre. Cependant, il nous a paru intéressant, pour les botanistes à venir, de signaler le résultat de nos recherches et de consigner les espèces végétales qui ont été intro- duites dans nos contrées par les avoines et les blés étrangers. M. Constant HOÏÏLBEET Professeur au Collège irKvrnu. SUR LA VALEUR SYSTÉMATIQUE DU BOIS SECONDAIRE — Séance du 19 ■ieplembre I8!)i — On sait depuis longtemps, et les recherches récentes de M. le D'' Miiller (1), en Allemagne, ont encore confirmé ce fait, que les (i) D'' J.-C. Mulleu, Erlaulcrnler Text zu dein Atlas (1er Ilolzslructur durgeatelll in Micropho- tographien. Halle, 18S8. . Ci HOCLHEItT. SUR I. V VALEUU SYSTKMATIUUK Di: UDlS SKCONDAIUK 4o7 bois d'une môme famille possèdent, en général, une structure analogue. L'ouvrage le plus complet sur ce sujet est celui de M. H. Solereder (1), public à Munich en 1883. Dans la seconde partie de cet ouvrage (Spe- cieller Teil), aussi remarquable par le nombre des faits observés que par la précision des détails anatomiques, l'auteur passe en revue les carac- tères du bois dans toutes les familles de Dicotylédones qui comprennent des représentants ligneux, mais malheureusement il se borne à la simple constatation des faits, et très rarement — ainsi que M. Van Tieghem l'a constaté lui-même dans son intéressante étude sur les Mémécylées (2j — il tire de ses observations quelques considérations générales relatives à la systématique des plantes. Cette disposition particulière d'un travail si important nous a paru regrettable, c'est pourquoi nous avons entrepris de revoir ce sujet si riche et si peu étudié jusqu'à présent. I. — D'après nous, le bois secondaire offre des caractères de premier ordre pour la classification : par sa constitution chimique, par sa posi- tion mémo à l'intérieur de la tige, il est susceptible de résister, plus que tout autre tissu, aux influences modificatrices du milieu. Certes, dans diverses circonstances, le bois peut se réduire ; il peut même disparaître à peu près complètement, ainsi qu'on l'observe dans certaines plantes aquatiques (Elodea): mais, dans les cas où il est bien développé, il se prêle mal aux exigences de l'adaptation ; il doit donc conserver dans sa structure les caractères les plus essentiels de l'espèce, ceux qui peuvent, par conséquent, être le plus fidèlement transmis par voie de descendance. Voici, à l'appui de cette manière de voir, un certain nombre de faits qui nous ont paru très concluants. Tout d'abord, nous devons dire que c'est l'agencement relatif des élé- ments du bois qui constitue le caractère fondamental de ce tissu au point de vue taxinomique ; c'est cet agencement relatif, généralement inva- riable dans chaque famille, que nous avons désigné sous le nom de plan lir/iieux. Cette expression permet de caractériser d'un mot la structure du bois dans un groupe donné, et c'est ainsi, par exemple, qu'on peut rap- procher les Mi/ricacées des Protéacées, en disant que les premières pos- sèdent le plan ligneux des Persoonia. Et, en effet, quand tous les organes extérieurs, les feuilles, la tige elle-même prise dans son ensemble, peuvent être profondément modifiés (1) D' H. SoLiiREDEiî, i'eher den syslemalischen W'erl der llolzstruclitr hci den Dicotijledonen. .■Muiichen, iSS'6. (2) Vas Tieohem, Sur lu structure et Je^ 'j/Jinilés des Mémécylées, p. 26 Ann. des Sciences nul., •' st'rie, t. XIII, 1889). 458 ■ BOTANIQUE par les conditions extérieures, le Bois secondaire se retrouve toujours avec sou plan ligneux invariable. Nous ne voulons pas dire cependant que le bois ne subira pas, dans une certaine mesure et pour une espèce donnée, l'influence du milieu; tout le monde sait que dans les stations humides sa structure est plus lâche que dans les stations sèches, mais il ne faut pas oublier que ces variations, dont l'amplitude est fort limitée, ne portent que sur les dimen- sions absolues des éléments, sur le diamètre des vaisseaux et des fibres, sur l'épaisseur de leurs parois : dans aucun cas, V agencement 7'elaiif de ces éléments ncst troublé, d'où invariabilité complète du j)lO'>i ligneux. II. — Certaines familles nous offrent des exemples fort nets de ce fait. En premier lieu, nous citerons les Protéacées, qui doivent précisément leur nom à la variété infinie de leurs formes ; pour ne pas sortir d'un même genre, n'y a-t-il pas, au point de vue du port et de l'aspect exté- rieur, une différence considérable entre le Grevillea acanthifolia et le Grevillea robusta ? Et cependant le bois secondaire de ces deux espèces n'accuse pas de différences bien appréciables ; il en est de même dans le groupe des Banksia. Chez les Chénopodiacées, n'est-il pas remarquable de rencontrer des espèces adaptées à la sécheresse du désert (Salso/a orborescens, Haloxylon ammodemlro»), possédant un bois très xérophilc, il est vrai, mais iden- tiquement construit sur le même plan que celui des espèces européennes ; l'adaptation, on le voit très clairement ici, n'a porté que sur les élé- ments ligneux, elle n'a rien changé à leur agencement relatif. Chez les Cupuliféres, ne serait-il pas, à première vue, raisonnable de supposer qu'aux difiérences extérieures qui existent, par exemple, entre notre Quercus peduncidata et le Quercus ilex, dussent aussi correspondre des différences concordantes dans la structure du bois secondaire? En réalité, on peut dire qu'il n'en est rien et que, malgré de nombreuses variations d'aspect et de port, le bois, dans la vaste série des Chênes, offre la plus remarquable uniformité de structure. Dans les Bosacées, il y a certes d'assez grandes différences extérieures entre une Spirée et un Pi^unier; ici encore cependant, le bois secondaire n'a pas suivi les variations morphologiques et, au point oîi en sont mes recherches, j'ai constaté que toute la famille possède le même plan ligneux. Enfin une remarque semblable peut être faite pour le groupe hétéro- gène de Saxifragées, puisqu'on retrouve jusque dans les Platanes (1) la structure ligneuse des Hamamélidées. A ce premier ordre de faits on peut en ajouter un second dont la valeur n'est pas moindre. (I) M. Bâillon Considère la série des Platanes « comme re|)résent;uit le type arborescent le plus réduit des Saxifragées ». (Hùt. des Piaules, III, p. 400.; C. HOULBERT. SLIÎ L.V VALEl |5 SYSTÉMATIQUE DU BOTS SKCONDAIKI-; 451) III. — On a remarqué que les végétaux fossiles, au moins dans la grande majorité des cas, nous montrent des formes très voisines des espèces vivantes, mais non absolument identiques ; on aurait pu s'attendre à trouver également, dans les débris ligneux fossiles, des variations du môme ordre ; il n'en est rien : les bois de l'époque tertiaire — et nous avons eu l'occasion d'en examiner un grand nombre — ne se distinguent en fien de ceux de l'époque actuelle. Il faut donc admettre, d'après ce qui précède, que, de tous les caractères auatomiques, c'est le bois secondaire qui présente les plus généraux et les plus fixes. IV. — Si maintenant nous descendons de ces caractères généraux, c'est-à-dire de ce plan ligneux invariable, aux variations apportées par les conditions de milieu, et qui ne portent, comme nous l'avons dit précédem- ment, que sur les éléments cellulaires, nous trouvons une seconde série de caractères génériques ou spécifiques qui, pour une valeur moindre que les premiers, n'en sont pas moins très importants au point de vue de la classiliation . .\ous arrivons ainsi, par une analyse attentive du corps ligneux, à pos- séder, avec les seuls caractères du bois, un système méthodique de classification qu'aucun autre tissu, pris isolément, n'est capable de fournir au même degré. Nous pouvons résumer ainsi qu'il suit les deux ordres de caractères fournis par le tissu ligneux en coupe transversale. PREMIER 0R1>RE. Aspect du bois pris dcais son ensemble. (Plan ligneux. 1° Aspect, l'orme et dimensions relatives des fibres et des vaisseaux . 2° Distribution des vaisseaux au milieu des fibres. '■]" Présence ou absence du parenchyme ligneux. 4° Nombre et forme des rayons médul- laires. Nota. — Ces caractères ne doivent jamais être considérés isolément ; c'est leur en- semble qui donne au bois de chaque essence ligneuse son faciès particulier. DEUXIEME OBnRE. Aspect des éléments du boit contidérés isolément. i" Épaississement de la paroi des vais- seaux et des fibres. / Absolue. 2» Dimensions \ Relative i ceux de priii- des vaisseaux : ) temps comparés à ceux \ d'automne, par exemple!. 3" Distribution relative du parenchyme ligneux. 4° Coloration des vaisseaux, des rayons médullaires du parenchyme ligneux et des fibres. 5° Dimensions absolues des rayons et des fibres. 6° Ornementation de la paroi des élé- ments ligneux. 7" Présence ou absence de cristaux dans les éléments du bois. Nota. — Ces caractères peuvent être considérés séparément ; ils sont, en général, indépendants les uns des autres. 460 BOTANIQUE Les coupes longitudinales, radiales et tangentielles. donnent aussi un certain nombre de caractères qui complètent ou précisent les observa- tions qu'on peut faire sur la coupe transversale. En résumé, parmi les caractères anatomiques qui peuvent être appliqués à la classification, les plus généraux et les plus fixes sont ceux qui .sont fournis par l'agencement relatif des éléments du iîois secondaire i plan LIGNEUX I. On tivuvc également dans le bois secondaire des caractères de second ordre qui suffisent, le plus souvent, à définir les genres et quelquefois même les espèces. Nota. — Ces considérations sont celles que nous avons appliquées à une étude complète du bois des Apétales, dont la publication aura lieu prochainement. M. Edouard ÏÏECKEL Prufesseuv ;"i lu Fnciilli' des ScieiH'L'S di' MarsuiUe. SUR UN CERATONIA SILIQUA L. A FLEURS UNIQUEMENT HERMAPHRODITES ET A ÉTAMINES SESSILES BRACHYSTÉMONES — Séance du iH septembre. IS92 — J'ai rencontré, il y a quelques jours, en pleine floraison sur les pentes de la colline du Castellet (Var), près d'une chapelle en ruine dédiée à saint Côme, et bien exposé au soleil du Midi, un pied de caroubier très ancien qui m'a présenté une condition florale très intéressante, digne d'être décrite, si elle ne l'a été déjà, ce dont je doute un peu après les recherches bibliographiques absolument vaines auxquelles je me suis livré pour en trouver trace. Ce végétal, très âgé, si l'on tient compte des marques évidentes de vétusté dont son tronc porte le témoignage, aurait été apporté là, avant la Révolution, par le prêtre qui bâtit la chapelle de Saint-Côme et planté dans le jardin du presbytère oîi il est encore plein de vie. Il n'est donc pas spontané. Son pied principal, qui a formé quatre gros rameaux de la grosseur de la cuisse d'un homme, est atteint de gangrène sèche et ne vit que par l'écorce. K. IlECIvEL. SL'Ii IN « Ci:iiAT(tM\ SlI.K.tUV !.. » 4(31 Ce caroubier me lut sij^ualé, dès mon arrivée au Caslelet, comme lleu- rissanl chaque année et mûrissant en abonrlance de gros fruits de dix centimètres de long et de trois de large, bien sucrés et agréables; les enfants du pays, auxquels les propriétaires les livrent, en font leurs délices à l'époque de la récolte. Malgré cet état llorissanl, il a gelé plusieurs fois durant les années exceptionnellement froides, mais il a repris du pied et linalement constitue aujourd'hui un fort bel arbre très touffu et d'un déve- loppement peu commun dans nos pays H). Par ses graines, il a donné quelques rejetons, disséminés dans les jardins du (iastellet, et qui, quoique âgés de quinze ans déjà, n'ont pas fleuri encore. Je serai heureux de voir ultérieurement si la singularité florale que je vais décrire s'est transmise y)ar les graines à ces rejetons : le fait méritera d'être noté, N'oici cette disposition florale si étrange et encore inconnue, je crois. On sait que, dans le caroubier, les fleurs sont polygames ou dloïques et que la fleur hermaphrodite présente cinq étamines à filels filiformes, insérées hors l'iG. I. — Floiir di' «ïirmiliicr hpi-inaplirodili iioiinal à longues éliiiiiiiies. FiG. 2. — Coupe lonj.'i(udiiialt.' de la même fleur. du disque ; que les élamiiies sont versatiles, jaunes, à anthères bilocu- laires introrses (fig. 1 et 2). Ici rien de ce genre. Le végétal tout entier (j'en ai examiné, un jour durant, les innombrables grappes une à une) porte uniquement des fleurs hermaphrodites dont les anthères, dépourvues de tout fdet, sont sessiles et affixées sur les bords du disque, encapuchonnées dans le sépale auquel elles sont opposées. Leur couleur est lie de vin, comme celle des sépales ; cette couleur est même un peu plus foncée dans les anthères que dans les sépales (fig. 3 et i). Dans ces conditions, étant donnée la distance qui sépare le stigmate des anthères, on serait porté à admettre que la fécondation est irréali- (1) Il n'existe guère, à ma connaissance, dans la riigion Est du Var (qui confine aux Bouches-du- Khône), où j'ai observé le caroubier qui fait l'objet de celte note, qu'un autre végétal semblable, au village d'Ollioules, près de Toulon. Il est moins beau et malgré l'excellente disposition de cette localité, réputée par ses primeurs en (leurs et en fruits, il a gelé à plusieurs reprises dans le cours de son existence. Tous les autres caroubiers que j'ai visités soigneusement depuis Toulon jusqu'à Marseille sont màlcs ou hermaphrodites brachystémones: c'est ce qui me porte à croire que l'état que je décris a été considéré par les descripteurs comme l'état femelle avec traces d'étamines avortées. Ces étamines sont cependant fécondes, et quoique plus petites, remplies, comme les anthères nor- males, d'un pollen normal. 462 BOTANigri-: sable, si le fait de Fapparition annuelle de nombreuse gousses mûres sucrées et bien développées ne protestait contre cette supposition. D'un autre côté, il n'y a d'arbre essentiellement mâle qu'à plus de 12 kilo- mètres en pays montagneux, ce qui exclut l'idée de fécondation par le vent. Mais, en y regardant de plus près, on remarque qu'au moment de la déhiscence des anthères, moment qu'il est facile de reconnaître à l'odeur spermatique bien connue dans d'autres plantes, que répandent les fleurs, les jeunes carpelles d'une même inflorescence, d'abord tous verticaux, se déjeltent vers le bas de la grappe, s'incurvent quelquefois latéralement (fîg. 5) et finalement rapprochent leur stigmate, devenu à ce moment FlG. 3. FiG. /,. FiG. FlG. 3. — Fli'uv hermaphrodite à étamines sessiles. FiG. i. — Coupe longitudinale de la fleur hermaphrodite à éluminos sessiles du caroubier de Saint-Côme. FiG. o. — Portion d'une grappe de fleurs du caroubier de Sainl-Côme, montrant le déjettement du pistil [lour se porter vers les étamines d'une fleur voisine (fécondation croisi'C entre les fleurs d'un même pied). propre à l'imprégnation, vers les fleurs inférieures ou latéralesdans la même grappe, de manière à être très près des anthères d'une fleur voisine. C'est donc le pollen étranger à la fleur qui en féconde l'organe femelle et cette adaptation semble être réalisée contre l'autofécondation, forme d'impré- gnation qui, dans la variété des dispositions florales particulières à cette espèce, n'est assurée que par la fleur hermaphrodite (1), puisque l'état dioïque et la condition mâle et femelle sur le même pied (polygamie) sont absolument contraires à ce processus. A part ces singularités, ni le pollen ni la structure du stigmate ne m'ont rien offert qui ne soit de l'ordre normal . Je ne vois aucune expli- cation à donner à cette anomalie, mais elle méritait certainement d'être enregistrée pour montrer la plasticité de la fleur dans l'espèce qui nous occupe et ajouter un exemple nouveau aux adaptations florales si bien (1) On remarquera que, dans un végétal, la forme hermaphrodite ordinaire ne porte aucune atteinte à la descendance par l'autofécondation qu'elle réalise, puisque les fleurs mâles et femelles voisines portées sur le même pied assurent de leur côté la fécondation croisée. SAMRUf.. UELATIOXS KNTRE LKS FORMF.S VÉGÉTALES ET LE CLIMAT 4()8 étudiées par Ch. Darwin dans son livre intitulé : Les différentes formes de fleurs, dont j'ai donné la traduction française. Il semble, en s'en rappor- tant aux cas relatés par le savant philosophe anglais, dans le livre sus- indiqué, qu'on pourrait considérer la forme de fleur à étamines sessiles du Ceratonia comme comparable à celle qu'il a appelée dolychostylée dans les Primula et qui se traduit, en somme, par une diminution très sensible de la longueur du ftlet. Ici, cette diminution est à son maximum. Dans les deux cas, l'autofécondation est impossible, et la fécondation croisée se trouve assurée chez le Primula par l'intervention des insectes ; chez les Ceratonia, une adaptation nouvelle est intervenue, c'est l'inclinaison de l'ovaire sur son pédicule. Cette adaptation existe, du reste, aussi sur la fleur hermaphrodite normale. M. SAMBÏÏC Professeur suppléante l'École de Médecine il'Alger. SUR LES RELATIONS ENTRE LES FORMES VÉGÉTALES ET LE CLIMAT — Séance du 19 septembre i892 — La question de l'influence du milieu sur les êtres vivants se pose néces- sairement quand on aborde le problème de l'origine des espèces. On sait, en eff"et, que les doctrines transformistes admettent toutes, pour expliquer l'évolution des espèces, une sorte de pression du milieu ambiant, le mot milieu étant pris ici dans son sens le plus général ; ce serait le milieu vivant qui agirait dans l'hypothèse de Darwin, le milieu inanimé et pure- ment physique dans celle de Lamarck. Aujourd'hui que cette dernière hypothèse est reprise par un certain nombre de naturalistes, il peut être utile de rechercher dans quelle mesure l'action des agents physiques peut modifier un être vivant; d'autant plus que cette étude peut être, jusqu'à un certain point, abordée à l'aide de l'expérimentation directe du laboratoire. Dans cet ordre d'idées, il nous a semblé intéressant de rapprocher 464 liOTAMULE certains faits, observés par nous au Sénégal, d'expériences récentes dues à M. Aimable Lotlielier. La flore du vSénégal est caractérisée par la fré- quence des piquants chez les espèces qui la composent : c'est là un fait que nous avions signalé incidemment dans notre thèse sur la flore et la matière médicale de la Sénégambie, et ce fait nous avait paru devoir se rattacher à la constitution climatérique de la région. Nous admettions que la transformation en piquants d'un grand nombre d'organes foliacés devait avoir pour but de diminuer la surface d'évaporation de la plante sous un ciel qui, pendant huit mois de l'année, est fréquemment balayé par mi vent sec et chaud analogue au sirocco de l'Algérie. Depuis l'apparition de notre travail, des recherches de laboratoire, effectuées par M. Aimable Lothelier, nous semblent démontrer nettement que l'abondance des piquants est sous la dépendance directe du climat de la région sénégalaise. Ce savant a démontré, en effet, que l'air sec aussi bien que la lumière vive favori- sent le développement des piquants. Or, ce sont là les conditions qui se trouvent réunies, pendant la plus grande partie de l'année, dans les plaines qui s'étendent entre le Sénégal et la Gambie. Les pluies sont entièrement concentrées dans une courte saison de trois à quatre mois, et, pendant le reste de l'année, sous un soleil ardent, l'atmosphère est à chaque instant balayée par un vent d'est, desséché et échauffé à l'excès par suite de son long parcours sur les terres brûlantes d'Afrique. Voilà bien réunies les conditions de sécheresse et d'insolation qui, d'après M. Lothelier, provoquent la formation des piquants; et nous nous expliquons ainsi l'aspect que présente la flore sénégalaise. 11 n'est donc point douteux que l'abondance des piquants dans les végétaux du Sénégal ne soit une conséquence nécessaire de la constitution climatérique. Ainsi se trouve vérifiée, dans un cas particulier, par les résultats concordants de l'observation et de l'expérimentation, l'influence du milieu physique sur les formes végétales. Mais il ne faut pas se dissimuler qu'ici les modifications qui nous occupent sont de peu d'im- portance. Que, par exemple, des feuilles ou des stipules se transforment en piquants, il n'y a là qu'une variation d'ordre tout à fait secondaire qui n'altère en rien le plan général de l'espèce. Aussi ne voulons-nous pas donner à nos observations plus de portée qu'il ne convient. Nous voulons simplement nous borner à faire remarquer comment, à la lumière des expériences de M. Lothelier, on aperçoit clairement, dans un exemple particulier, un lien qui paraît indéniable entre le climat d'un pays et cer- tains traits caractéristiques de sa flore. L. DANIEL. — SUU LA GREFFE DES PLANTES EN GERMINATION 465 M. Lucien DAÎ^IEL Professeur au Collège de Chàteau-Gontier. SUR LA GREFFE DES PLANTES EN GERMINATION H — Séance du 21 septembre iS92 — L'on sait depuis longtemps qu'une des conditions indispensables pour la réussite d'une greffe, c'est de mettre en contact des tissus vivants. II semble dès lors que plus les tissus sont jeunes, plus on a de chances d'obtenir la reprise. Je ftie suis proposé d'étudier ce qui se passerait si l'on essayait de greffer l'une sur l'autre deux plantes assez développées pour permettre l'exécution matérielle de la greffe, mais cependant aussi jeunes que pos- sible. En un mol, j'ai greffé des plantes en voie de germination. Mes essais ont porté, d'une part, sur des plantes ligneuses (Marronnier, Châtaignier, Chêne, Fiêne, Poirier, etc.)-; de l'autre, sur des plantes her- bacées (Pois, Haricot, Fève, Soleil, Tagetes, etc.). Ces greffes ont fort bien réussi, mais comme elles exigent plus de soins que les greffes or- dinaires, j'indiquerai brièvement comment je procède. Manière d'opérer. — Je greffe soit en approche, soit en fente. Ce dernier mode est préférable parce qu'il évite le sevrage, opération qui fatigue toujours les greffes quand il ne les fait pas périr. On ne doit employer le premier que quand l'exécution matérielle du second est impossible. On facilite la greffe en approche en semant les graines deux par deux; les planlules poussent alors côte à côte et il est facile de les amener en contact sans les briser. Il va de soi que les plantules hliformes se prêtent très difficilement à la greffe, même en approche. La reprise est certaine si l'on opère à l'étouffée, et la soudure des plus rapides. Ainsi j'ai semé sur couches en avril des Haricots, des Pois et des Fèves. Les graines avaient germé le troisième jour; les plantules étaient suffisamment avancées pour être greffées le cinquième ou sixième jour. Sept jours plus tard, les tissus de cicatrisation étaient déjà apparus et la (1) Mus recherches ont élé faites à Chàtcdu-GoiUier el au Luboratoiro de Biologie végétale de Fontainebleau, sous la direction de M. G. Bonnior. 30* 466 BOTANIQUE reprise assurée. Ces greffes ont, du reste, fort bien supporté la mise en pleine terre quelque temps après. Enfin, il est bon de greffer autant que possible des plantules arrivées au même degré de développement. Ce n'est évidemment pas la date du semis qu'il faut considérer, puisque les plantes germent avec des rapidités très inégales. En règle générale, j'opère avant la chute des cotylédons. Résultats obtenus. — Les plantules du Haricot, du Pois, de la Fève, du Soleil, etc., se prêtant très facilement à la greffe en fente à cause de leur taille, j'ai tout d'abord opéré sur ces plantes, qui offrent un intérêt pratique immédiat en leur qualité de plantes alimentaires ou ornementales. J ai greffé : 1° Des Haricots flageolets nains sur des Haricots flageolets à rames et sur des Haricots de Soissons blancs ; 2° Des flageolets à rames sur des flageolets nains ; 3° Le flageolet hùtif d'Étampes sur le Haricot d'Espagne ; 4° Des petits Pois très nains et des Pois ridés sur la Fève de marais ; 5° Le Carthame sur le Soleil ; 6° Le Tagetes signata pumila sur le Tageles patula. Toutes ces greffes ont bien réussi et les greffons portent actuellement, soit des fleurs, soit des fruits. Elles présentent toutes ce phénomène remarquable que les greffons sont restés au moins moitié plus petits que les témoins non greffes. L'étude du contenu des cellules fournit plusieurs résultats intéressants. Au bout de quinze jours environ après la greffe des plantules, on observe dans les cellules du greffon une grande quantité d'amidon, dont les proportions s'accroissent avec l'âge de la greffe. Les Haricots non greffés ont aussi quelques grains d'amidon, mais en petite quantité tou- jours, et il apparaît plus tard. Cette abondante production d'amidon est certainement due à la greffe, car j'ai constaté dans une plante bien éloignée des Légumineuses, le Lis blanc, des phénomènes du même genre, plus caractéristiques encore. J'avais greffé des tiges jeunes de Lis. La reprise s'était effectuée dans d'assez bonnes conditions pour que le greffon ait pu vivre six semaines sans se dessécher. La soudure était telle que l'on ne pouvait enlever le greffon sans déchirures. Malheureusement, tous mes Lis furent envahis à ce moment par VUromyces Erijlh^onii (DC) Passer., et les tiges, greffées ou non, commencèrent à perdre leurs feuilles. J'avais sept greffes sur des pieds différents. Tous les greffons, sans exception, contenaient de l'amidon en aussi grande abondance que dans les écailles du bulbe, quand les tiges non greffées n'en présentaient pas trace, non plus que les tiges- sujets. F. HEIM. — CAS DE PRÉFLORAISON ANOR-MALE CHEZ LES COQUELICOTS 467 Conclusions. — 1" La greffe des plantules est possible, soit en approche, soit en fente. Elle réussit très facilement dam les arbres et les plantes herbacées à graines de forte taille (diverses Légumineuses, Soleil, etc.). 2"* Dans les g?'effes faites ainsi dans les plantes herbacées (Composées, Légumineuses), le greffon reste toujours bien plus petit que s'il n'avait pas été greffé, que la plante soit naine ou non. 3° La greffe accélère le passage du greffon à l'état de vie latente, et pro- voque la formation plus rapide de ses réserves (amidon dans le Lis et les Légumineuses alimentaires). M. E. HEIM Docteur es sciences. Professeur agrégé à la Faculté de Médecine de Paris. SUR QUELQUES CAS DE PRÉFLORAISON ANORMALE CHEZ LES COQUELICOTS — Séance du. 21 septembre fS92 — Les végétaux, pas plus que les corps non organisés, ne peuvent se sous- traire aux lois générales de la mécanique. Nous voulons, dans cette note, montrer que des raisons, d'ordre pure- ment mécanique, suffisent parfaitement à donner l'explication du mode d'imbrication de certaines pièces périanthiques. Commençons par quelques cas, portant sur le Papaver bracteatum. La fleur normale est construite sur le type 3, et possède à la corolle deux verticilles alternes ; les pièces des trois verticilles périanthiques offrant d'ailleurs, dans la préfloraison, le mode d'imbrication habituel aux ver- ticilles Irimères : une pièce totalement recouvrante, une autre totalement recouverte, et la troisième mi-partie recouvrante et mi-partie recouverte. (Voyez fig. 'I .) Une des fleurs anormales, par nous examinées, se présentait avec un seul verticille à la corolle, l'imbrication des deux verticilles présents res- tant d'ailleurs normale. Les deux autres off'raient cinq pièces au calice et cinq à la corolle. (Fig. 1.) 468 BOTANIQUE Dire que ces fleurs, au lieu d'être construites sur le type 3, le sont sur le type 3, est une explication peu satisfaisante pour l'esprit ; d'ailleurs, fait singulier, les pièces de la corolle sont su- perposées à celles du calice. Comment ces pièces, qui naissent normalement sur le récep- tacle, en face des intervalles laissés libres par les pièces du verticille précédent, c'est-à-dire au point de pression minima, peuvent-elles échapper aux lois mécaniques, par suite abso- lues de la phyllotaxie '? En réalité, elles ne s'y soustraient point, et l'anomalie s'explique aisément. Désignons les pièces du calice par les lettres A, B, C (l'ordre alphabétique indiquant l'ordre d'apparition respectif). (Voy. fig. 2 et 3.) Si B se dédouble en deux lobes b et b', b' situé sur la spirale d'inser- tion plus près du centre de la fleur viendra insinuer l'un de ses bords sous la face interne de A, tandis que Faulre, glissant sur le bord adjacent de b, se placera au-dessous de lui. C se dédouble également en deux pièces c et c' ; c' s'insinuera au-dessous de A, de la même façon que b' au-dessous de b. Quant à c, étant, sur la spirale, plus près du centre que 6, il s'insinue au-dessous. D'où passage au type quinconcial, par raison purement mécanique; le même phénomène se reproduit sur la corolle. Les pièces de la corolle, avons-nous dit, sont superposées aux pièces du calice ; le fait s'explique de lui-même : les trois mamelons primitifs Fm 2 F,g3 de la corolle (a, [i, y,) sont bien nés, en face des intervalles des mame- lons calicinaux ; mais, par suite de la tripartition de [3, les pièces issues de fi se sont repoussées tangentiellement, et superposées à b, c et c'; a non dédouble est reste à sa place primitive, mais b' s'est tardivement F. HEIM. — CAS DE PRÉFLORAISON ANORMALE CHEZ LES COQUELICOTS 469 superposé à lui. Entîn y a été repoussé en face de A, par la pression de la pièce adjacente, issue de 8. Ce dernier fait provient de ce que, dans une grande portion de leur longueur, les pièces issues de [3, ainsi que y, sont unies ensemble ; évidemment, elles ont été soulevées, après leur naissance, par un bourrelet semi-circulaire sous-jacent ; la corolle est donc à demi gamopétale (1). Voici maintenant un cas relatif au coquelicot des champs (Papaver rhœas) :• Le nombre des pièces du périanthe est normal. 11 y a, lors de Fanthèse, une pièce externe entièrement recouvrante, et deux pièces 2 et 2', mi-partie recouvrantes, mi-partie recouvertes et une pièce 1', s'afTrontant par ses bords aux bords des pièces 2 et 2' ; en un mot, l'imbrication de 1' par rapport à ses voisines est une imbrication valvaire rédupliquée, (Voir fig. 4.) Ce cas tératologique semble, au premier abord, inexplicable. Cependant, il s'explique parfaitement, Piq l^. par des considérations purement mécaniques, comme précédemment. Dans cette fleur, le réceptacle est dissymétrique : d'un côté, il est atteint d'une hypertrophie dont la cause nous échappe, mais qui est des plus accentuées, et cette hypertrophié porte sur le côté où s'insère la pièce à préfloraison anormale. Suivons par la pensée l'évolution de cette pièce. Elle naît sur un cycle plus interne que les pièces 2 et 2' ; lors donc que ces dernières atteignent une notable lar- geur, elles devraient normalement être recouvertes par la pièce externe 1', dont le développement en largeur est plus avancé. Mais l'hypertrophie du réceptacle a eu pour résultat de surélever, au-dessus du niveau de la pièce 1, la pièce 1', et de la sorte cette pièce 1' s'insère, au point de vue mécanique, sur un cycle plus élevé, c'est-à-dire plus rapproché de l'axe que la pièce 1. Il en résulte que les pièces 2 et 2' (non gênées dans leur développement tangenliel par la pièce 1' insérée au-dessus d'elles) croissent librement en dehors. Les pièces, à leur partie inférieure, ne se gênent pas, car leur largeur est faible; mais, à la partie supérieure, elles tendent à occuper, dans le bouton, une largeur plus considérable que les bractées ne le leur permettent ; elles vont donc glisser les unes sur les autres: delà, imbrication. 1', dans son développement, vient buter, contre le bord, déployé librement en dehors, des pièces 2 et 2' ; ces pièces ayant acquis une consistance égale à la sienne, pièces externes et pièces (I) Les figures 2 et 3 sont respectivement symétriques par rapport au plan antéro-postérieur d'orientation, au moins en ce qui regarde le calice. La raison rie ce fait est simple : dans l'une de ces fleurs, le sens d'enroulement de la spirale génératrice des pièces appendiculaires implantées sur le réceptacle, est dextrorse, tandis que dans l'autre, elle est sinistrorse. Quant aux corolles, le dédou- blement des pièces initiales a porté, dans chacune des fleurs, sur des pièces d'ordre différent. 470 , BOTANIQUE internes subissent le même déplacement, et se déjettent toutes en dehors. D'où passage de la préfloraison imbriquée à la prétloraison valvaire. Ici, les faits tératologiques ne sont pas à négliger, car de leur étude ressort, d'une manière évidente, la généralité des lois phyllotaxiques : apparition des mamelons initiaux aux points de pression minima, et refou- lement ultérieur, par les parties voisines, si le libre développement de ces parties est incompatible avec l'espace dont elles disposent. Devant une explication mécanique aussi satisfaisante de cas d'imbri- cation, au premier abord fort embarrassants, ne peut-on espérer voir s'ex- pliquer aussi simplement, et par des raisons de même ordre, tous les cas variés d'imbrication des différentes pièces florales, à forme lamel- leuse ? M. r. HEIM Docteur es sciences, Professeur agrégé à la Faculté de Médecine de Paris. SUR UN TYPE NOUVEAU DE DIPTÉROCARPACÉES « RETINODENDROPSIS ASPERA » — Séance du 21 septembre 1892 — L'herbier de Kew contient une intéressante Diptérocarpacée de Bornéo (yVoods n° 24), qui avait été rapportée avec doute, il est vrai, au genre Vateria. Nous avons pu, grâce à l'obligeance de M. Baker, en faire une étude approfondie. En l'absence de la fleur et de l'embryon, il semblait assez difficile de déterminer sa place dans tel ou tel groupe. Pouvait-on même, avec sûreté, la rapporter à la famille des Diptérocarpacées ? L'étude anatomique, complétée par quelques caractères organographiques, généralement réputés insignifiants : nervation, forme et dimensions des sépales, permet cependant d'arriver à des conclusions précises. Commençons par une analyse détaillée, tant organographique qu'ana- tomique (PL IV). Caractères organographiques. — La tige est entièremeat couverte, du moins sur les plus jeunes entre-nœuds, de poils groupés en pinceaux, et rudes ; de là l'aspect rugueux de la plante, qui justifle le nom spécifique que nous lui attribuons. K. HI-IM. — SUR UN TYPE NOUVEAU DR DTPTÉROCARPACÉES 171 Le pétiole est court, également verruqueux et hispide, à face supérieure d'abord faiblement concave, puis franchement convexe, et devenant même fortement saillante, au niveau du limbe. Ce dernier est obovale, faiblement acuminé, légèrement obcordé à la base. Les nervures sont obliques sur le rachis, raccordées, sur le bord de la feuille, par un court trajet curviligne, saillantes en dessous. Dans leurs intervalles se trouve un fin réseau de nervures ténues. De chaque côté de la feuille, on voit deux stipules, ovales, allongées, coriaces et persistantes, d'assez grandes dimensions. La /leur est inconnue. Les fruits, par nous examinés, se trouvaient dépourvus d'embryon. Ils ont une forme obconique surbaissée; ils se trouvent surmontés d'un léger acumen ; le péricarpe est glabre, et parcouru par trois sillons longitudinaux méridiens, qui doivent correspondre aux futurs sillons de déhiscence. Les sépales persistants, ^t accrus autour du fruit, forment cinq ailes peu développées. Ils sont inégaux, ovales, aigus, horizoataux près de leur insertion ; puis relevés et courbés légèrement vers le fruit. On peut, dans l'intérieur du fruit, trouver les débris de trois loges ovariennes, dont deux avortées, et comprimées par le développe- ment des deux autres. Chacune de ces loges renferme deux ovules descendants, anatropes, à micropyle aigu, extérieur et supérieur. C'est bien là la forme constante des ovules des Diptérocarpacées. Ces ovules sont insérés sur un pro- longement fibreux de l'axe réceptaculaire, et qui n'est autre que l'axe placen- taire, refoulé sur un des côtés du fruit, par l'accroissement de lunique loge fertile. La chose se passe ainsi dans tous les types les plus variés de Diptéro- carpacées. Caractères anatomiques. — Tige. — Son épidémie est, presque sur toute la surface, prolongé en pinceaux de poils, unicellulaires. aigus, à cavité étroite. Sur un entre-nœud âgé de deux ans, cet épiderme n'adhère plus que par places, et se trouve exfolié par une couche subéreuse sous-jacente, comprenant un petit nombre d'assises. La zone corticale est occupée par un parenchyme assez régulier, dont les éléments conservent des parois minces, légèrement épaissies aux poinis de contact des éléments voisins; à mesure que l'on s'approche du centre, les dimensions de ces cellules parenchymateuses augmentent, et l'ensemble du tissu perd un peu de sa régularité. La zone dite péricyclique ne se distingue ici par aucun caractère, de la zone corticale, le péricycle n'existe pas, en tant qu'assise distincte, ou, si l'on veut se payer de mots, le péricycle est virtuel. Peut-être faudrait-il, d'ailleurs, étendre celte notion à l'ensemble du groupe des Diptérocarpacées, car les petits îlots fibreux, presque constants dans tous les types, à la périphérie du cylindre central, mériteraient peut-être d'être considérés comme la couche la plus externe, par suite la plus âgée, du liber stratifié et fibreux. Une étude histogénétique, capable de trancher la question, est difficile à entreprendre, sur des plantes mal représentées dans les herbiers. La question est d'ailleurs d'importance minime au point de vue systématique. Le liber est statifié, et les couches de tubes criblés, et de parenchyme libérien, alternent avec des zones fibreuses concentriques (chaque zone correspond à une année d'accroissement). Le bois est assez pauvre en vaisseaux, riche en éléments parenchymateux, sclérifiés, et en fibres scléreuses. Les rayons médullaires sont nombreux, formés de trois ou quatre assises radiales, d'éléments non sclérifiés, mais à parois épaisses. Le pourtour de la moelle est occupé par un parenchyme, à éléments beaucoup plus petits que 472 BOTANIQUE ceux du centre, et dont l'ensemble l'orme un étui médullaire, où se trouvent plongés des canaux sécréteurs, en nombre variable suivant le niveau de la coupe. 11 est facile de constater ici, comme dans nombre de Diptérocarpacées, que les canaux sont plongés en pleine moelle et n'affectent aucun rapport, quant à leur distribution, avec les faisceaux fibro-vasculaires. Trois faisceaux se rendent au pétiole, l'un médian et deux latéraux, tous trois munis d'un canal. Ils parcourent tous une longueur un peu moindre que la moitié de l'enlre-nœud. Les deux faisceaux latéraux sortent du cylindre central, à quel- ques millimètres de distance, et un peu au-dessous du faisceau médian. Cette différence de niveau, quant aux points d'émergence des faisceaux, est générale dans la famille, et réduite ici au minimum. Les stipules sont dépourvues de canaux sécréteurs, et n'empruntent que quelques vaisseaux aux faisceaux laté- raux pétiolaires correspondants. Les faisceaux stipulaires ne naissent donc pas directement, dans les Diptérocarpacées, du cylindre central, comme on l'a dit, mais sont une dépendance des faisceaux pétiolaires. Ce fait conduirait à faire considérer les stipules comme des dépendances de la feuille, comrne les deux lobes latéraux, avortés, d'un triphyllôme, si l'on se hasardait,— méthode assez dangereuse, en somme, ^ à trancher par l'étude des faisceaux, les questions d'ordre morphologique. Le pétiole montre sur une coupe : un épidémie persistant, prolongé en nom- breuses touffes de poils, identiques à ceux de la tige; au-dessous, un parenchyme quelque peu serré finit par devenir irrégulier, à mesure que l'on se rapproche du centre ; quelques-uns des éléments de ce parenchyme ont leur paroi épaissie et quelque peu lignifiée, ils jouent le rôle d'éléments de soutien. Le péricycle se compose dllots de fibres lignifiées, formant des arcs presque continus, à mesure que Ton se rapproche du limbe. Les mêmes îlots libreux se retrouvent au dos des faisceaux internes, et même dans le liber des faisceaux supérieurs. Les vaisseaux du bois sont séparés par un parenchyme, à parois épaissies, mais non lignifiées. La même structure se retrouve sur les arcs fasciculaires internes, séparés les uns des autres par un parenchyme homogène. Au dos du premier arc interne, on trouve quelques amas lenticulaires de liber mou, séparés du liber propre des faisceaux de l'arc, par les fibres péricycliques. Ces amas libé- riens sont enchâssés dans une ceinture continue de parenchyme lignifié. L'aaatomie comparée nous donne la signification de ces îlots. Dans les Retino- dendron types, tels que R. Moiuccanum Heim, le premier arc interne se replie sur lui-même, et on a deux arcs à disposition inverse, tous deux munis de faisceaux libéro-ligneux, et dont les deux assises péricycliques sont confluentes. Ici, cette disposition est atténuée, et l'arc à disposition inverse est réduit, quant au bois, à des éléments purement parenchymateux, et non vasculaires. L'initiale est obelliptique, aplatie et concave vers le haut. L'arc fasciculaire externe, béant vers le haut, se compose de neuf faisceaux, cintrés et saillants, quelque peu disjoints, chacun muni d'un canal d'un notable diamètre. Des faisceaux internes, disjoints, commencent à s'orienter suivant un arc, concen- trique au premier, et possédant un seul canal médian. Une double boucle fasciculaire couronne le tout, et comble, en partie, l'ouverture de l'arc externe. Le pétiole étant très court, la médiane diffère peu de l'initiale. La caractéristique, obquadrangulaire, est renflée en son milieu supérieur. Il faut noter, qu'à ce niveau, le parenchyme corticaL surtout dans les portions attenant au limbe, est véritablement bourré d'éléments scléreux de soutien. La courbe fasciculaire externe comprend à ce niveau douze canaux, et elle se ferme presque com- F. HKI.M. — SUR UX TYPE NOUVEAU DE DIPTÉROCARPACKES '(73 plètement vers le liaut. Il existe trois arcs internes, un peu fragmentés, com- prenant : l'inférieur trois canaux, le moyen un seul, et le supérieur, le plus irrégulier, deux. La structure est à peu près la même, au milieu de la nervure médiane, mais le nombre des canaux de la courbe externe y est réduit à onze ; l'arc moyen comprend sept canaux, et il existe deux petits arcs supérieurs, dont le plus élevé comprend quatre canaux. La feuille comprend, entre deux épidémies à parois un peu onduleuses, un parenchyme supérieur, formé d'une seule assise palissadique, et un mésophylle entièrement parenchymateux, quelque peu stratifié vers le bas, avec des màcies, et quelques cellules scléreuses. dans la portion du limbe avoisinant la nervure médiane. Les nervures sont dépourvues de canaux, même les plus grosses. Elles sont logées dans des piliers de soutien, qui s'étendent entre les deux faces de la feuille, et sont formés d'éléments, à parois épaisses et lignifiées, sauf aux deux extrémités. Les plus Unes nervures sont enchâssées dans un simple massif de cellules, à parois épaissies, mais non ligniliées, massif isolé au milieu du mésophylle. Le péricarpe est médiocrement épais. Son épiderme est exfolié presque en totalité; là où il persiste, on le voit prolongé rà et là, en bouquets de poils. L'assise subéreuse, qui le plus souvent existe, lorsque le fruit est privé de son épiderme, fait ici défaut. Ce péricarpe est entièrement formé d'un parenchyme, à parois minces, onduleuses, à éléments allongés tangentiellement sur les deux faces interne et externe. De larges poches sécrétrices sont éparses dans la por- tion interne de ce parenchyme, en dedans de nombreuses trachées. Dans la portion externe se trouvent des îlots, à éléments larges, lignifiés faiblement, et à parois relativement minces. Notons, enfin, que tous les parenchymes, tant de la tige, que du pétiole et du péricarpe, sont gorgés d'une matière tan- nique d'un brun rougeàtre. Affinités. — Avec ces données, nous sommes en mesure de discuter les affinités de la plante. Tout d'abord, c'est bien une Diptérocarpacée. Nous avons, l'an passé, au congrès de Marseille (Mémoire sur le genre Leitneria), exposé les caractères généraux, tant organographiques qu'anatomiques , de cette famille, et nous l'avons fait à nouveau, avec tous les détails possibles, dans nos « Recherches sur les Diptérocarpacées » . En comparant tous les caractères de notre plante, avec ceux attribués d'une façon générale à la famille, on voit que le moindre doute ne peut subsister à cet égard. Nous allons voir, de plus, que ce type ne rentre naturellement dans aucun des groupes jusqu'ici établis, ce qui nécessitera l'établissement d'un genre nouveau, ou du moins d'une section de genre très impor- tante. Le fruit rappelle bien par sa forme, les sillons de déhiscencc, la consis- tance des sépales, le fruit des Retinodendron. Mais chez ces derniers, le péricarpe est très épais, les sépales également, et réfléchis vers la base au lieu d'être relevés; de plus, ils sont parfaitement égaux, tandis que, dans notre type, l'inégalité est grande. L'embryon indique sûrement les 474 BOTANIQUE affinités dans tout le groupe des Diptérocarpacées; mais, en son absence, on peut faire appel à la comparaison des autres caractères. Dans les Relinodendron types, les stipules sont bien développées, mais caduques ; ici, elles sont de même forme, mais persistantes. Notre type se distingue aussi des Retinodendron par son aspect rugeux ; ceux-ci possèdent, en effet, les mêmes poils en pinceaux, distribués en abondance sur la tige et le pétiole, mais ces poils sont plus courts et presque soyeux. L'assise subéreuse, exfoliant de bonne heure l'épiderme de la tige, la moelle à section obovale, avec nombreux canaux périphériques, de dia- mètre inégal, quelques-uns larges, les trois faisceaux foliaires corticaux indivis, sont autant de caractères permettant de classer la plante dans la série des Vaticées. La forme de la feuille, et la nervation parlent dans le même sens. Une fois incorporé dans cette tribu, notre fruit se distingue immédiatement, par ses sépales charnus et relevés, de celui des Isauxis vrais, à sépales réfléchis et scarieux; aucune comparaison n'est à établir avec le fruit des Pachijnocarpus. Les Vatica Zollingeriana, Lamponga, obscura, qui constitueront pour nous des groupes distincts, s'en écartent à première vue par la forme du fruit, et même par la feuille, au moins pour ce qui est de ce dernier. La plante que nous avons, appelée provi- soirement Yatica Sarawakensis et qui, quand elle pourra être sérieusement analysée, sera probablement le type d'un groupe distinct, cette plante se rapproche de notre type, par l'aspect verruqueux du pétiole, par les stipules et la forme de la feuille; mais elle s'en écarte par ses sépales réfléchis et scarieux, et peut-être par son inflorescence si particulière (Voir Rech. sur les Dipt., p. 110); nous n'avons malheureusement pu étudier l'anatomie du pétiole de cette dernière espèce. Cette étude nous donne- rait sans doute des résultats, relativement aux affinités des deux plantes. Cette affinité encore douteuse, mise de côté, la seule affinité réelle reste avec les Retinodendron types (pour les caractères de ce genre, voir Rech. sur les Dipt., p. 104). Notre Vaticée s'en distinguera cependant, au point de vue anatomique, par l'absence d'hypoderme inférieur stratifié, dans la feuille, par le pétiole convexe dans le haut, ainsi que la nervure médiane, et par l'absence d'un double arc fasciculaire interne, à vaisseaux ligneux, bien développés vers le haut et vers le bas. Remarquons, à ce propos, que la présence des îlots lenticulaires libériens au dos de l'arc interne, que l'on peut considérer cemme une ébauche du double arc, à disposi- tion inverse des Retinodendron, est un caractère, au premier abord, de peu de valeur, il indique cependant une affinité réelle. Il est incontestable que, lorsque l'on conclut, relativement aux aflinités, d'après l'ensemble des caractères, tous les caractères, même peu importants en apparence, peuvent servir à des conclusions précises et concordantes. De plus, dans notre type, les canaux sont moins larges, il y a trois arcs internes dans F. HEIM. — SUR UN TYPE NOUVEAU DE DIPTÉROCARPACl'îES 475 la nervure médiane, et deux petits arcs nets, superposés à la caractéris- tique ; les deux arcs pétiolaires les plus internes remplacent les trois massifs fibro-vasculaires, que Ion trouve dans les Betinodendron . Le péricarpe des Vaticées est entièrement parenchymateux, parcouru en tous sens de nervures, accompagnées de canaux; le péricarpe de notre plante s'écarte de ce type, par la localisation nette des nervures et des lacunes sécrétrices, en une zone distincte, par la présence d'amas scléreux, au milieu du parenchyme homogène, et par l'absence d'une assise subéreuse externe. Ce type ne présente aucun caractère organo- graphique des vrais Vatcria, que nous avons réduits à deux espèces, types chacune d'une section distincte; il n'a plus d'aflinités avec l'impor- tante série des Stémonoporées, que nous avons distraites de ce chaos, que les auteurs appelaient du nom de Vateria. De la comparaison de tous les caractères accessibles, nous pouvons conclure. Notre plante est une Diptérocarpacée-Vaticée, ses affmités sont incontestablement avec les Retinodendron, et peut-être avec notre Vatica- Saraivokensis, mais elle ne peut rentrer naturellement dans ce genre, dont l'écarté une partie de ses caractères, tant organographiques qu'ana- lomiques. Nous devons donc la placer dans un groupe particulier, que nous distinguerons sous le nom de Retinodendropsis. Ce groupe mérite-t-il d'être élevé à la hauteur de genre, ou seulement de rentrer dans le genre Retinodendron, à titre de section fort importante? Ce n'est qu'après une étude minutieuse de toutes les espèces de ce genre peu connu, qu'il sera possible de se prononcer définitivement. D'ailleurs, genre ou section de genre, qu'importe? Le but suprême de la botanique systématique n'est-il pas de trouver tous les intermédiaires, entre les types tout d'abord les plus distincts, c'est-à-dire de détruire, en somme, les limites génériques forcément artificielles? Pour l'instant, la seule tâche d'un botaniste est de distinguer sûrement ce qui mérite de l'être; c'est de l'établissement des difTérences, c'est-à-dire de l'analyse, que résultera la connaissance parfaite des affmités, c'est-à-dire la synthèse. Explication de la planche IV. 'e"^ Figure 1. — C. transversale de la tige i entre-nœud âgé de deux ans). 2. _ Pétiole initial, figure schématique. 3. — Pétiole caractéristique id. 4. — Nervure médiane id. 5. — C. transversale du pétiole ^au niveau de la caractéristique) (coupe de a partie médiane inférieure jusqu'au premier arc interne). 6. — C. transversale de la feuille (à gauche, portion attenant au limbe). 476 BOTANIQUE Figure 7. — C. transversale du péricarpe. A droite de la planche, la coupe en série d'un entre-nœud. Les coupes où se trouvent les détails caractéristiques de la course des faisceaux sont seules représentées. Les numéros indiquent les numéros d'ordre des coupes débitées dans un entre-nœud, et, par suite, le niveau. a. Fit,'ure schématique d'un entre-nœud montrant la course des faisceaux pétiolaires. M. E. MESIARD Préparateur au Laboratoire de Botanique de la Faculté des Sciences de Paris. RECHERCHES SUR LA FALSIFICATION DE L'ESSEIMCE DE SANTAL (i; — Séance du 2i septembre IS92 — L'essence de santal, aujourd'hui universellement employée en thérapeu- tique, se falsifie fréquemment, dans le commerce, avec de l'essence de cubèbe, de copahu, de térébenthine, ou mieux encore avec de l'essence de cèdre que l'on obtient par la distillation des rognures de bois servant à fabriquer les crayons. Dans ces conditions, l'eSsence de santal perd de sa valeur curative et elle peut même devenir préjudiciable à la santé des malades. A l'aide de quelques réactions fort simples, on peut s'assurer de la pureté d'une essence de santal. L'acide sulfurique pur, employé dans des conditions déterminées, donne naissance à des phénomènes de coloration et à des phénomènes de modi- fication moléculaire qui renseignent très sûrement sur le degré de pureté du produit examiné. Les réactions se font, soit dans un verre de montre, soit à l'aide d'un dispositif fort simple, facile à se procurer, et que je décrirai plus loin. PREMIER PROCÉDÉ On met dans le verre de montre 2 à 3 centigrammes de l'essence à examiner; on y ajoute une goutte de réactif et l'on mélange intimement les deux substances. (1) Ces recherches ont été faites au Laboratoire de Botanique de la Sorbonne, sous la bienveillante direction de M. Gaston Bonnier. E. MESNARD. — SUR LA FALSIFICATION DE l'eSSENCE DE SANTAL 477 /" Action de Vacide sulfurique pur sur les essences pures. Essence de santal. — Il se produit de suite un liquide visqueux rou- geâtre qui devient brun très foncé et se transforme rapidement en une masse résineuse solidifiée, adhérant fortement au verre. Si l'on attend au plus une heure, la masse résineuse prend une coloration gris-bleu très clair; elle deviendrait grisâtre, d'aspect poussiéreux, au bout d'un temps plus long. Essence de cèdî'C. — Le liquide est jaune verdâtre et ne se soUdifie pas. Au bout de quelques minutes de repos, le liquide de plus en plus foncé en couleur se rassemble au fond du verre de montre, tandis qu'il s'entoure d'une auréole rose peu colorée. L'auréole s'affaiblit peu à peu et devient trouble. Essence de cubébe. — Le liquide est jaune rougeàtre et ne se solidifie pas. Par le repos, le liquide rassemblé devient pourpre et l'auréole qui l'entoure, d'abord purpurine, passe au violet. Essence de copahu. — Le liquide est jaune rougeàtre et ne se solidifie pas. L'auréole est purpurine; le liquide rassemblé est jaune serin. Essence de térébenthine. — Le liquide très transparent prend une teinte éosine et ne se solidifie pas. L'action de l'acide sulfurique fait dégager une odeur désagréable très caractéristique, 2'^ Aciion de l acide sulfurique ordinaire pur sur des mélanges d'essence de santal pure avec l'une quelconque des essences ci-dessus indiquées. L'essence étrangère est : Essence de cèdre. — Le liquide est jaune rougeàtre et devient plus ou moins pâteux, mais il ne se solidifie pas. Par transparence, on observe toujours sur les bords de la masse résineuse des taches huileuses trans- parentes colorées eu jaune clair. Si, avec le temps, la masse finit par adhérer au verre, elle conserve toujours une teinte ocreuse qui diffère totalement de la coloration gris-bleu prise par l'essence de santal. Essence de cubébe. — Le liquide est jaune rougeàtre et ne se solidifie pas, quoique devenant souvent très pâteux. En vieillissant, la résine con- serve toujours une coloration jaune-brun très foncée qui n'a rien de commun avec la teinte gris clair du santal. Essence de copahu. — Le mélange est boueux et blanchâtre. Il ne se solidifie pas. Essence de térébenthine. — Le liquide se colore en jaune rougeàtre. L'odeur bien caractéristique, due à l'action de l'acide sulfurique, fait faci- lement reconnaître la fraude. Ces réactions permettent de déceler un dixième d'essence étrangère dans les mélanges, ce qui est suffisant en pratique. 478 BOTANIQUE SECOND PROCÉDÉ Pour mettre en évidence l'adhérence au verre de la matière résineuse formée par l'acide sulfurique, nous proposons le dispositif suivant qui permet de faire une véritable analyse de l'essence de santal. On suspend au-dessous de l'un des plateaux d'une balance sensible une petite tige de verre dont l'extrémité a été aplatie en forme de tête de clou ; on règle l'équilibre pour que cette extrémité vienne toucher un plan de verre dépoli placé au-dessous sur la planchette de la balance. On verse 2 à 3 centigrammes de l'essence à essayer et l'on y ajoute, à l'aide d'une baguette de verre, une petite goutte d'acide sulfurique pur bouilh. On mélange très rapidement. Cela fait, on applique la tête du clou de verre sur la préparation de telle façon qu'elle soit bien verticale et l'on attend environ dix minutes. Au bout de ce temps, on mesure par des poids placés dans l'autre plateau de la balance la valeur de l'effort à produire pour obtenir l'arrachement du clou d'épreuve. Les poids obtenus, sont comme on va le voir, très différents suivant que l'essence est pure ou qu'elle est additionnée d'essence étrangère. Mais pour obtenir de bons résultats, il est nécessaire de prendre de grandes précautions contre l'humidité de l'air. L'acide sulfurique est sus- ceptible, en effet, d'absorber une très grande quantité d'eau. Ainsi par les jours de grande pluie et de complète saturation de l'air, on voit apparaître sur la préparation une quantité notable d'eau qui affaiblit considérablement l'adhérence. Pour obvier à cet inconvénient, on peut, d'une part, ajouter à l'essence avant l'action du réactif une petite pincée de poudre d'amidon très fine- ment pulvérisée qui absorbe l'excès de liquide, et, d'autre part, il est bon d'entourer la préparation et le clou d'épreuve d'une petite cloche à douille dont le bord inférieur est retroussé de manière à constituer une rigole annulaire dans laquelle on met une substance desséchante. Le clou d'épreuve passe par la douille de la cloche. En prenant ainsi les précautions nécessaires et pour un clou de surface déterminée (un cercle de 9 millimètres de diamètre dans mes expériences), on trouve les résultats suivants : SANTAL CÈDRE CUBÈBE COPAHU TÉRÉBENTHINE Essence pure 100 à 140s' 2 à 3s-- 2 à Ss' 5 à lOs' 2 à Ss-- 50 0/0 d'esseuce étrangère 10 à 12 8 à 10 20 à 25 10 à 12 30 0/0 id. 15 à 20 10 à 12 30 à 40 15 à 20 20 0/0 id, 20 à 25 15 à 20 40 à 50 20 à 30 10 0/0 id. 30 à 40 25 à 30 60 à 80 30 à 40 Ce tableau montre qu'il y a une différence énorme entre les poids nécessaires pour détruire l'adhérence dans le cas du santal pur et dans D"" D, CLOS. — LE CALICE OU LE PÉRLVNTHE SIMPLE ET l'oVAIRE LNFÈRE 479 le cas des mélanges avec les autres essences et que même il est possible d'évaluer, avec une approximation suffisante pour la pratique, la propor- tion de ce mélange. Dans cet examen de l'essence de santal, il est bon d'opérer comparati- vement avec des essences types d'une pureté certaine. Je me suis servi, dans ces essais, du santal de la maison E. Pinaud, du santal E. Petit, du santal Coudray et de quelques autres. En résumé, il est facile, par l'emploi de l'acide sulfurique ordinaire pur, de reconnaître si une essence de santal est pure ou si elle est mélangée avec une autre essence. Dans le premier cas, le réactif donne un liquide visqueux qui devieat pâteux et se transforme rapidement en une masse solide adhérant fortement au verre. Cette masse est facile à reconnaître à sa couleur gris-bleu clair ou grisâtre et à l'aspect poussié- reux qu'elle prend en vieillissant. Dans le second cas, la masse résineuse ne se solidifie pas entièrement, adhère très peu au verre, et conserve toujours une teinte foncée avec un éclat brillant très distinct. Enfin, il est possible, par l'emploi du clou d'épreuve, d'évaluer approxi- mativement avec des poids la proportion d'un mélange d'essence étrangère et d'essence de santal. M. le F D. CLOS Correspondant de l'Institut, à Toulouse. LE CALICE OU LE PERIANTHE SIMPLE ET L'OVAIRE INFERE — Séance du 2/ septembre 1892 — Que de discussions n'a pas soulevées la nature de l'ovaire infère! Sou- dure des sépales avec ses parois, telle a été la doctrine acceptée et à peu près universellement professée en morphologie et en phytographie jus- qu'au delà du milieu de notre siècle. Battue depuis lors bien des fois en brèche, elle n'en rallie pas moins encore de nombreux partisans. Aussi convient-il de mettre à profit tout ce qui peut jeter quelque jour sur la question et contribuer à dissiper les doutes. Quels sont dans le groupe 4b.O BOTANIQUE des In féro variés les genres ou les espèces caractérisés par une ressem- blance frappante, aux dimensions près, entre les feuilles ou les stipules d'une part, les sépales chez les Dipérianthés ou les pièces des périgones simples d'autre part : voilà, je crois, un des premiers résultats à constater. Les nombreux exemples de cette nature énumérés dans les quelques pages qui suivent sont un premier essai destiné à provoquer d'autres recherches dans cette voie. A. — Monopétales. Campanulacées. — Nombreuses sont les espèces du genre Campanula où les sépales reproduisent exactement la forme des feuilles supérieures ou des bractées. Telles les C.palula, cœspitosa. rotundifolia, cenisia, les C. Herminii ei erinoides [Boiss. Esp.A. 120j, obliqua (Jacq., Schœnbr., t. 336) : bractées et sépales sont linéaires dans les C. excisa (Rchb., Icon. bot., t. lo9), tenuifolia (Waldst. et Kit. fJungr., II, t. 154); également dentés chez les C. lactiflora, algida, A/phonsi, fui gens, ramidosa (Wight, Icon., IV, tt. 1177-1178;, alala (Desf., Allant., t. 50). Dans le C. Erinus les sépales ne diffèrent que par leur bord entier des bractées qui parfois se montrent aussi entières. On peut constater dans ce genre que tantôt la feuille passe par une mo- dification lente et graduée à la bractée et celle-ci au sépale {C. isophylla, Rchb. Icon. bot., t. 202), et que tantôt la feuille, conservant son carac- tère jusqu'au sommet de la tige, n'a point de rapports avec les bractées (les C. carpathica, gloinerata, foliosa, elliptica). J'ai vu une fleur de C. Médium, dont l'ovaire, surmonté de verticilles à sept parties, portait sur ses parois un sous-sépale (1), naissant d'une des nervures saillantes de ses parois, cas si fréquent chez les Specularia; et, de son côté, Weddell déclare avoir cueilli dans les serres de Londres une Campanule dont l'ovaire portait de nombreuses feuilles (in Bull. Soc. bot. de Fr., V, 209). Dans les Adenophora denticulala. marsupiifolia, coronopifolia, les sé- pales sont denticulés comme les feuilles et les bractées chez le premier, linéaires entiers comme celles-ci chez les deux autres (Rchb., Icon. pi. exot., t. II, pi. 15, 23). Le Codonopsis ovata est figuré avec les sépales et les feuilles également ovales (Royle, Illustr., t. 69, f. 3). La nature foliaire des sépales n'est pas moins évidente chez les Wahlen- bergia, ces organes étant linéaires et entiers comme les feuilles supé- rieures chez W. lobelioides (Âlph. DC. Monogr., pi, 17), ou dentelés (l)Nom que j'ai proposé jadis pour les écailles appendiculaires qui, chez certaines plantes, les Cereus par exemple, naissent sur les parois extérieures de l'ovaire, n'étant par leur position ni bractées ni sépales, mais intermédiaires entre eux. 1)1 j) ,1 os. L1-: CALICE OU LE PKlîLVNTHE SIMPLE ET l'oVAIRE INFÈHE 481 comme elles (W. foliosa. IbicL, pi. 14); la formation des sépales par les bradées se dévoile manifestement aussi chez W. agrestis ( Wight, Icon., iïTé) et W. cervicina {cervicina campanuloides, Del., FI. Egi/p., VII, t, 5, f. 2). Le Merciera brevifolia et le Microdon depî-essum ont feuilles et sépales linéaires (Deless . , Icon. sel., II, tt. 16 et 17). Le Microdon glomeratum a ses deux bractées et ses sépales linéaires comme les feuilles basilaires et terminales, les moyennes étant linéaires lancéolées (Alph. DC, Monogr. des Campan., t. 19). Et cette même res- semblance entre les feuilles supérieures, les bractées et les sépales est également frappante chez Prismatocarpus paniculatus ilbid., t. 20); mais dans Symplujandra cretica [Ibid., t. 8j, les feuilles de la tige et de la grappe sont serretées, les pédoncules portant des bractées qui reproduisent les sépales. Enfin, le Phyteuma Mlchelii a ses feuilles supérieures très petites et conformes aux sépales. (Rehb., Icon. crit., t. 348), et les bractées du P. lanceolata (CoroU. de Tourn., t. 24) ressemblent aussi beaucoup aux éléments calicinaux de cette espèce. Un des genres les plus singuliers de cette famille des Carapanulacées est bien le genre C ampanumœa qm, indépendamment de l'ovaire, infère dans une partie des espèces, semi-infère dans d'autres, offre dans le C. parvijlora, décrit et figuré par Griffith [Notulœ, pars IV, p. 277, t. 441 f. 1 ), sous le nom de Cyclocodon distans, l'ovaire surmonté de la corolle, mais surmontant le calice infère, qui lui forme comme une sorte d'involucre tétraphylle. La tribu des Cyphiées de la famille des Campanulacées, d'après Ben- tham et M. D. Hooker, comprend trois genres dont deux ont incontestable- ment leurs sépales de nature foliaire, du moins dans quelques espèces, telles le Cyphocarpus rigrescens, dont la figure donnée par Cl. Gay (Flora chiL, t. :jO) et par Schniziein (Icon.), montre la ressemblance de la feuille au sépale. Il en est ainsi du Cyphia persicifolia qui, d'après la figure que l'on doit à Harvey (T/ies. cap., t. lo9), a ses sépales lancéolés, sinués, dentés comme les feuilles, tandis que le C. corylifolia (Ibid., t. 161), dont les feuilles se modifient en bractées, offre la presque identité de celles-ci avec les sépales. LoBÉLiACÉES. — Le genre Lohelia est très intéressant cà étudier, quant aux modifications du calice, dans les nombreuses figures données par Cavanilles des espèces de Lobélie. Les bractées sont semblables aux sépales, linéaires-subulées comme eux dans le Lobe lia gruina (Icon., t. 51 1 ^; et il en est de même du L. andropogon (t. 515), où les pédoncules axil- 1 aires portent deux bractées sépaliformes très différentes des feuilles; et du L. dentala (t. 522), où les feuilles supérieures, disposées par paires 3i* 482 BOTANIQUE séparées par de longs entre-nœuds, sont linéaires comme les sépales des fleurs portées sur de longs pédoncules nés à l'aisselle de ces feuilles ; et chez le L. decurrens (t. 521), les sépales se montrent dentés comme elles; même conformité des sépales et des feuilles linéaires-subulées chez le L. divaricata (Hooker et Arn., Bot. Beech., t. 67) et dans \eL. physaloides (Hook., Icon., t. 5o6). La ressemblance des sépales et des feuilles est encore des plus évi- dentes dans le Laurentia arabidea (Deless., Icon., Y, 14) ; et le Monolepis debilisilbid., t. 8) montre les feuilles de la tige s'atténuant insensible- ment pour passer aux sépales. Les bractées du Cyanea Grimesiana (Gaudich., U?'an., t. 75) ne dif- fèrent pas non plus des sépales, lancéolées-ondulées comme eux. RuBiAGÉES. — Il est un genre où le calice offre d'espèce à espèce les variations les plus étranges (1), étant, ou à peu près, nul (les Gaillonia incana ei Bruguierii, Jaub. et Sp., ///. tt., 76 et 77), ou à petites dents (G. Oliverii, t. 74), ou à divisions foliiformes lancéolées (les G. eriantha et cruciandloides, Ibid., tt. 78 et 81), et même en large disque étoile {G. hymenostephana, i. 79). Une telle variabilité dans l'apparence du calice de ce genre ne permet pas de lui attribuer une signification déterminée, si ce n'est pour le G. eriantha aux cinq sépales conformes aux bractées qui les accom- pagnent, les stipules de celles-ci étant presque avortées. Les sépales repro- duisent exactement la forme des feuilles chez les Cruckshanksia glacialis (Pœpp . , Endl . , fig. in Weddell, Expéd. Castelnau, t. L), et Montana (Clos, in Cl. Gay, Flor. chiL). RuBiACÉEs. — Il va de soi que, comme celle des feuilles, la présence de calices stipulaires couronnant l'ovaire infère témoigne de la nature axile de ce dernier. Nombreux sont les représentants de cette famille où se manifeste une extrême ressemblance entre les stipules bractéales et les dents calicinales, tels : Posoqueria longiflora (Aubl., Guian., t. 51, et Lamk., Illustr., t. 163), Sabicea cinerea (Lamk., Illustr., t. 165), Conosiphon aureum et Exostemma maynense (Pœpp. et Hendl., Nov. Gen. et Spec, tt. 23.3-?37), Solenandra ixoroides (Hoock., f. Icon., t. 1150), et ce dernier auteur et Bentham donnent aux espèces du genre Leptactinia d'amples stipules et un calice cinq partîtes à lobes subfoliacés (Gêner., II, 86). Enfin, dans quelques représentants de ce vaste groupe (Howardia, Mussœnda, Calycophyllum, Creaghia, etc.), une ou deux dents du calice prennent seules un développement foliiforme, et l'unique dent qui soit dans ce cas chez le Macrocnemum coccineum figuré par Vahl {Symb. bot., (1) Comme chez Gcrardia. D'' D. CLOS. — LE CALICE OU LE PÉRIANTHE SIMPLE ET l'oVAIRE INFÈRE 483 t. 29), a toutes les apparences de la feuille sans préjudice du pétiole. Vaccimées. — Le Vacciniurn Grifjîthianum a ses sépales ovales dentés comme les feuilles (Wight,/co?2., t, 1192), et ceux des V. Malacca (t. 1186), affine (t. 1190) et Domanum {t. H 91) sont acuminés comme elles. B. — Polypétales. Loasées. — Les sépales diiLoasa coronata, figurés par Weddell (E.rpèd. de Casteln., Il, '^4), sont pinnatifides et les feuilles bipinnatifides ; et la ressemblance entre ces deux sortes d'organes se retrouve chez VHuido- bria chilensis (Y. CI. Gay, Flora chilena, t. 26); tandis que les sépales dentés du Caiophora laler'itia rappellent ses feuilles supérieures pinnati- fides, et que ceux du Loasa multifida paraissent représenter les lobes foliaires de l'espèce {Ibid., 1. 27). i^e fruit d'un Mentzelia est figuré par Le Maout et Decaisne {Traité gén. de Bot., p. 279), avec des sous-sépales pinnatifides sur ses parois. Mésembrianthémées. — Cette famille, notable surtout par le genre Me- sembrianthemum, offre dans les nombreuses espèces de celui-ci la plus irréfutable démonstration de cette thèse, que les prétendues divisions cab- cinales représentent à elles seules tout le calice, étant assez fréquemment, à part les dimensions, en tout semblables à la feuille. Les collections vivantes de ces plantes ne sont pas rares ; mais le botaniste qui voudra se former une opinion motivée à cet égard n'a qu'à parcourir la belle monographie de ce genre due au prince Salm-Dyck ; dans plus de la moi- tié des espèces il retrouvera, au moins dans les deux ou trois sépales exté- rieurs, quelquefois dans tous, les caractères de la feuille. Je ne citerai du long relevé que j'ai fait h cet égard qu'un petit nombre d'exemples : 1" les feuilles sont-elles planes et membreuses {M. pomeridianum, § 6o. f. 1) (1), concaves {M. concavum, § 62, f. o), spatulées (M. crystallo- phanes), les sépales sont foliacés, concaves, spatules (laciniis calycinis, spathulatis, obtusis) ; 2° les M. scalpratum, fragrans, grandiflorum (§ 8, f. 1-2-3) ont les sépales élargis comme les feuilles, mais très courts; 3° dans un troisième groupe, très riche en formes, les sépales sont caré- nés ou triquètres, du moins les extérieurs, comme les feuilles (les M. per- foliatum, § 33, f. 1 ; (vquilaterale, § 19, f. 1) ; quelquefois même ces sépales sont à la fois carénés et denticulés comme les feuilles {M. uncinel- laium, § 33, f. 4, M. murinum, § 35, f. 4) ; 4° ailleurs, ils sont ou tur- gides comme les feuilles (M. Lehmanni, § 42, f. 1), ou couverts, comme elles, de petits tubercules [M. echinatum, § 53, f. 2), ou cylindriques en boudin et terminés par une houppe de poils (les M. barbatum, bulbo- (1) Voir aussi dans Jacquin, Icon. rar. II, it. 488-489, la ressemblance des feuille.* aux sépales dans celte espèce et dans M. cuneifolium . 484 BOTANIQUE sum., stellatum, densum, § o2, ff. 1-3-5-6) ; 5^ dans les Dombreuses espèces aux feuilles longues, cylindriques ou demi-cylindriques {les M. sulcatum, umbelliflorum, flexuosum, § 44, ff. i, 6, 7j les sépales extérieurs repro- duisent ce caractère surtout chez le M. pugionifonne dont la description comprend : « calycis laciniis semicylindraceis valde elongatis suba-quali- bus » ; et Salm-Dyck écrit aussi : « laciniis duabus foliiformibus » à pro- pos des M. uncinalum, § 33, f. 3, et lacsrum, !:j 21, f. 1 ; « subfoliifor- mibus )•> à propos du M. Ecklonis, § 49, f. 5. Linné avait déjà cité le barhatum comme exemple de la formation foliaire du calice (1). PoMACÉES. — Le calice supère y est tantôt stipulaire, notamment dans Cydonia vulgaris, les Craiœgus coccinea et nigra, où, indépendamment de la conformité d'aspect, sépales et stipules sont bordés de glandes sli- pitées ; tantôt foliaire, car j'ai vu sur une fleur de néflier et M. Gravis a figuré sur des ovaires de poiriers les sépales remplacés par des feuilles (in Mém. Soc. roy. bot. de Belg., XVI, t. 5). Myrtacées. — Dans le Myrlus mucronata les sépales sont mucronés comme les feuilles et ressemblent aux feuilles basilaires (préfeuilles des rameaux), et dans le Mircia reticulala on peut suivre le passage des bractées aux sépales. Saxifragées. — Si dans nombre d'espèces de Saxifrages appartenant au groupe des Palminerves, les feuilles, conformément à ce qui a lieu pour la plupart des plantes munies d'appendices foliaires de cette forme, n'offrent aucun passage des radicales en rosette aux caulinaires minus- cules et sessiles, d'autres dévoilent manifestement les rapports des feuilles aux sépales ; les deux se montrent ou bicuspidés {Saxifraga fîagellaris Ledeb., Russ., t. 321 ; S. bicuspidata D. Hook., Flor. anlaîxl., t. 97), ou denticulés (-S. spinulosa Royl., Illustr. t., 50). linéaires-subulées et hispides comme les bractées (.S. /e/2e//a Jacq., Coll. III, t. 17.) Quant aux espèces du genre ou sous-genre Bergenia, ayant, comme les Crucifères, une inflorescence de partition, elles sont par cela même dé- pourvues, comme elles, de bractées. OExoTHÉRÉES. — Les Jiissiœa elegans et myrtifolia (in S'-Hil. Bras., tt. 131 et 132) offrent à la base de l'ovaire deux bractées semblables aux sépales. Ceux du Prieurea senegalensis (DC, Mém. fam. Onagr., t. 2) ne dif- fèrent des feuilles de l'espèce que par de moindres dimensions. Ces mêmes analogies se retrouvent dans plusieurs représentants de la tribu des Épilobiées : ainsi les sépales sont ovales, lancéolés comme les feuilles supérieures dans Boisduvalia Tocornali (Gay, ChiL, t. 24), linéaires comme elles dans Gayophyton humile et Godetia gayana {Ibid., tt. 22 (1) a Calijris foliota apice barbala, œque àc folia plantœ, demonslrant Periantbii orlum. » (Species Plant., 2' éd., 6U1.) D"" D. CLOS. — LE CALICE OÙ LE PÉRL\NTHE SIMPLE ET l"0VAIUE INFÈRE 485 et 23), linéaires comme les bractées supérieures dans C/arAm pulchella (Rchb., Icoii.exot., t. 211). Quant aux OKnothera, les sépales et les feuilles supérieures de VOE. fe- nuifo/ia sont également linéaires subulées (Cavan., Icon., t. 397), mais ou ne trouve aucune analogie entre ces deux sortes d'organes chez d'autres espèces de ce genre. Même observation pour les Epilohium, YE. vosmari- nifolinm Haenk., ayant, contrairement à beaucoup d'autres congénères, les sépales identiques aux feuilles supérieures. (Rchb. Icon. bot., 341). J'ajoute que M. M. -T. Maters a l'ait figurer une chloranthie d'Jî. hirsulum où les quatre sépales avaient pris et la forme et la nervation et les dents des feuilles de cette espèce [Ver/et. Teratol., p. 273, f. loO). CucuRBiTACÉEs. — Les Icoms Flovce Indiœ orientale de Wight montrent, tome If, tab. o07, un pied de Cucurhila maxima où l'ovaire des fleurs femelles porte pour calice cinq sépales foliacés, pétioles, obovés, dentés. Bégoniacées. — « L'hypothèse que les lobes floraux sont des stipules soudées me paraît la plus probable », a écrit M. Alph. de Candolle (in Annal. Se. nat., 4® sér., XI); et avant lui, J.-B. Agardh, concluant d'après le mode de développement, avait comparé les verticilles de la fleur des Bégonias à des bractées, c'est-à-dire à des stipules (Theor. System. Plant., 94). Ombellifères. — On constate dans ce groupe de grandes Variations en ce qui concerne le calice : nul dans un grand nombre de genres, repré- senté chez d'autres (O^/^an^^ej par des dents persistantes et alternipétales, il prend ailleurs plus de développement (Erynghim, Sanicula), repro- duisant dans le Lagoecia la forme des bractées et accusant manifeste- ment dans ce cas sa nature foliaire. Dans les Molopospermum il est aussi à trois dents foliacées. Quelques genres ont les sépales colorés et péta- loïdes, tels le Xant/wsia, où ils sont grands, ovales ou en cœur, curieux surtout dans leLeucolœna ou Xanthosia peltigera figuré par Hooker {Icon., t. 43), où l'ovaire porte tout autour cinq écailles pcltées. considérées par le botaniste anglais comme les sépales — « Lobis calycinis peltatis » — nonobstant cette restriction : « To which I know nolhing similar in lie whole order of Umbellifera' ». A citer encore Y Hermua pclaloides, où ils ont été pris par Sonders pour des pétales, et VAzorella dichopelala. où ils sont plus grands que les pétales. Dans V Holienackeria le calice est stipité, une sorte de col surmontant l'ovaire, et celui de VH. polyodon a dix dents à la lin subspinescentes. lieux genres voisins l'un de l'autre, Aircma, Bifora, se distinguent par la présence de cinq dents calycinales chez le premier et leur absence chez le second. Deux sections du genre Liguslicum ont des sépales qui man- quent dans la troisième, dont un des caractères est : « calycis margo obsolelus ». Le genre Tordyiium e9,t ainsi décrit à cet égard : « (>'alycis 486 BOTANIQUE dentés plus minus conspicui, nunc irregulariter elongati vel minimi, vel obsoleti (Benth. et Hook, Geu. L, 924)»; enfin, M. Maximowicz a nommé Pimpinella calycina une espèce différant de toutes les autres espèces asépales du genre par les dents lancéolées, rigides et persistantes du calice qui couronnent un gros fruit subdidyme {Diagn. pL, Decas, XV). En 1870, M. Sieler déclarait erronée la signification de calice primor- dial assignée à celui des Ombellifères, car on voit apparaître après sa formation d'autres verticilles en dehors et au-dessous de lui ; c'est plutôt, à son sens, un verticille staminal, premier-né sur le réceptacle (in Bot. Zeit., n°s 23 et 24, anal, in BulL Soc. bot. de Fr., XIX, Rev. bibl., 173). A la place de cette interprétation que rien ne semble justifier, ne peut-on pas voir dans les sépales de la plupart des Ombellifères, quand ils existent, des rudiments de gaines ? C. — Dicotylédones monopérianthées La nature du périantlie supère, chez un certain nombre de Dicotylé- dones monopérianthées, paraît devoir se dévoiler principalement dans les genres riches en espèces et où cet organe est le plus varié de forme. Nul ne réunit peut-être ces deux conditions au même degré que le genre Aristoloche. In 1864, M. P. Ducliartre, traitant, dans le XVP volume (l'"^ partie), du Prodromus de DeCandolle, de la famille des Aristolochiées, comptait plus de cent soixante-dix espèces d'Aristoloches au périanthe développé tantôt en long, tantôt en surface, en traçant ainsi la carac- téristique : « Calyx nunc regularis trilobus, nunc et seepius irregularis et tune forma varius, tubo sœpius super apicem ovarii iafïatus in utriculum genitalia inclu- dentem, inde plus miuusve productus, tandem expansus in limbum uni-seu bilabiatum aut periphericum, persistons vel marcescenti-deciduus (p. 421). » La comparaison des diagnoses détaillées dues à ce savant et celle d'un certain nombre de figures d'espèces reproduites dans des ouvrages de phytographie illustrés semblaient, a priori, en l'absence de grandes collections spéciales, pouvoir fournir quelques indications en dehors de toute idée préconçue. Un seul fait a parfois suffi à dévoiler la nature de tel ou tel organe. Jai pu relever dans les matériaux signalés vingl-trois espèces environ où la ressemblance entre la feuille et la languette (ou une des deux lan- guettes) du périanthe est telle qu'elle entraîne, au moins pour elles, la conséquence d'identité d'origine, comme il ressort, si je ne m'abuse, des deux sortes de documents qui suivent. Voici d'abord un assez grand nombre de cas de concordance que je D"" D. CLOS. — LE CALICE OU LE PÉRIANTHE SIMPLE ET l'oVAIRE INFÈRE 487 relève dans les diagnoses données par M. Duchartre entre la forme des feuilles et celle du périanthe. A. Sellowiana, p. 438 : Foliis deltoideis acuminatis. — Labio basi lato del- toideo ; A . Karwinskii, p. 442 : F. subreniformi-cordatis, vel deltoideo-cordatis. — L. deltoideo-cordato ; A. truncata, p. 454 : F. elongato-deltoideo-cordatis. — L. ovato subcordato ; .4. lutescens, p. 461 : F. deltoideo-cordatis, acutis. — L. lato-cordato acu- minato ; A. cordigera, p. 455 : F. ovato-cordatis. — L. magno cordato subhastato; A. pilosa, p. 434 : F. ovato-cordatis. — L. ovato; A. gibbosa, p. 439 : F. subreclangulo-cordalis acuminatis. — L. ovato- subcordato acuto ; A. grandiflora, p. 472 : F. cordatis. — L. cordato; A. fœtens, p. 472 : F. subrotundo-cordatis. — L. suborbiculari-cordato; A. auricularia, p. 483 : F. ovato-cordatis. — L. subrotundo-cordato ; A. gigantea, p. 474 : F. subrotundo-cordatis. — L. ovato... basi cordato; A. inllata, p. 43S : F. ovato-cordatis. — L. ovato-subcordato acuto; .4. fimbriata, p. io4 : F. orbiculari-cordatis. — L. orbiculari-cordato (voir la figui'e non moins démonstrative donnée par Chamisso in Linncfa, VII, table VI, f. 2). A. cynanchifolia , p. 433 : F. elongato-delt(.tideis. — L. elongato ; analogie confirmée par la figure de la table 51 du Flora brasiliensis, de Martius ; A. Chamissonis, p. 462 : F. ovato-lanceolatis acutis. — L. ovato-lanceolato acutissimo ; A. longiflom, p. 441 : F. linearibus, paucioribus oblongo-lanceolatis. — L. lanceolato acutissimo ; A. cordiflora, p. 474 : F. cordatis acuminatis. — L. cordiformi obtuso mucro- nulato. Empruntons d'autres preuves aux ouvrages de botanique illustrés : Feuille et périanthe sont figurés : Cordiformes dans VArist. glauca Desf., Flora allant., 250, et A. floribunda, in l'Horticulteur français, d'Hérincq, 1869, ad p. 200; Ovales dans A. cretica Desf., Choix des PI. de Tourn., VII; Oblongs dans A. oblongata Jacq., Horl. Schœnbr., II, 183; Lancéolés dansai, lanceolata Wight, Icon. PL Ind., V, 1858; Étroits-allongés, languette de forme intermédiaire à celles des feuilles de r^. angustifolia et de sa variété longifolia, figurés par Chumisso in Linnœa, VII, t. V. f. 2; Rémformes, A. brasiliensis, in Engler, 33" livr. du Flora brasiliensis, de Martius, p. 263 (une des deux lèvres du périanthe). 488 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE MM. DE lABIAS et SÂBEAZÈS Agrégé à la Faculté' de Médecine de Bordeaux. Interne des Hôpitaux de Bordeaux. LA PILAIRE DU SANG DES GRENOUILLES. — DECOUVERTE DU WALE — Séance du 16 septembre i892 — L'histoire des filaires parasites des animaux et de l'homme n'est pas encore entièrement faite. Le mâle reste inconnu chez la plupart des espèces décrites (1), et, lorsqu'il a été découvert, on n'a pu se rendre un compte exact du lieu où se fait l'accouplement. Le cycle biologique, établi par Manson pour la filaire du sang de l'homme et par Fedchenko pour la fi- laire de Médine, doit être recherché pour les autres filaires. Bien des points méritent également d'être élucidés relativement à l'habitat et aux condi- tions d'existence. Pénétrés de cette pensée que les mœurs de ces néma- todes ne varient sans doute pas beaucoup d'une espèce à l'autre, nous avons abordé l'étude de la filariose de la grenouille avec l'espoir d'en dégager quelques interprétations d'une portée générale pour les parasites de ce groupe. Nous avons l'honneur de communiquer le résultat de nos premières recherches au Congrès de l'Association française pour l'avan- cement des sciences. Historique. — Les embryons de la filaire du sang des grenouilles ont élé vus, comme les embryons de la filaire du sang de l'homme, avant le parasite adulte. Ils ont élé découverts, en 1841^ par Valentin qui les rencontra dans les vais- seaux de la membrane interdigitale de la grenouille commune (Rana esculenta) (1). D'après cet auteur, les parasites entraînés à une certaine distance par le torrent circulatoire, finissent par s'arrêter instinctivement dans les organes qui leur conviennent le mieux pour y établir leur domicile et de préférence dans le tube digestif (anguiUula intestinalis) ; ils y pénètrent à travers la paroi des vaisseaux. Leur bouche serait munie, en effet, d'organes propres à effectuer cette pénétration ; celle-ci serait en outre favorisée par la forme et l'élasticité de ces animaux ; d'autre part, la fragilité des parois vasculaires aiderait au passage. Ces données de Valentin sont purement hypothétiques. L'auteur attribue bien (I) MM. Railliet et Moussu viennent de découvrir le mâle dans un cas de filariose de l'àne. (Société de Biologie. Séance du 18 juin i892.) DE NABIAS ET SABRAZÈS. — LA FILAIRE DU SANG DES GRENOUILLES 489 à tort lin appareil buccal perforateur à des embryons dont la structure, comme nous le verrons, est des plus rudimenlaires. A la même époque, Cari Vogt (1). examinant au microscope la membrane nictitaute d'une grenouille qui venait d'être tuée, observe, avec étonnement dans les vaisseaux de cette membrane encore remplie de sang, puis dans tout le système circulatoire, de petits vers animés de mouvements rapides. Plus tard, il retrouve des vers semblables dans le sang de plusieurs grenouilles. Vogt admet que ces embryons de filaire circulent dans l'organisme pendant un certain temps; ils s'arrêtent finalement dans les viscères, s'y enkystent, achèvent leur développement et arrivent à maturité sexuelle. Ils tombent alors dans la cavité abdominale et donnent naissance à des embryons qui passent dans les gros vaisseaux pour recommencer le même cycle. Cette évolution ne concorde guère avec ce que l'on sait de la migration des helminthes de cet ordre, chez lesquels l'embryon passe par un hôte intermé- diaire avant de prendre la forme adulte chez l'hôte définitif. Elle a déjà été contestée par Chaussât, dès 1850, dans sa thèse sur les Hématozoaires. D'un autre côté, les kystes vermineux de Cari Vogt contenant des filaires semblables à celles du sang, n'ont pas été revus par Vulpian qui étudia la filaire de la grenouille en 1854 (2). Nos recherches dans ce sens ont été également infruc- tueuses; nous n'avons rencontré que des kystes sanguins à psorospermies appendus aux parois de l'intestin. Les observations de Vulpian nous ont appris que chez les grenouilles dont le sang renferme des hématozoaires filiformes ou anguUlules, il existe toujours dans la cavité générale, au milieu des gros vaisseaux de la base du cœur, des filaires femelles adultes, enroulées sur elles-mêmes, contenant un nombre incalculable d'embryons vivants semblables aux jeunes nématodes en circulation dans le sang. Telle est, croyons-nous, l'histoire actuelle de la filaire du sang de la grenouille. Nous pouvons montrer aujourd'hui, non seulement la femelle adulte et les embryons, mais encore le mâle que nous avons découvert. Fréquence. — C'est du mois de juin dernier que datent nos recherches. Sur cent grenouilles communes apportées au Laboratoire, nous n'en avons pas trouvé une seule qui fût dépourvue de filaires. Quelques gre- nouilles rousses (Rana Temporaria) qui avaient été prises dans le même étang que les précédentes, ne faisaient pas exception à la règle. Vulpian avait examiné au point de vue de la filariose quarante-deux grenouilles communes et il avait rencontré ces parasites sur huit d'entre elles. Cette filaire semble donc être très fréquente. Habitat. — Vulpian pensait que l'habitat de la filaire adulte était la région des gros vaisseaux au voisinage du cœur ; il l'avait trouvée une fois seulement dans les muscles sous-hyoïdicns. Après avoir minutieu- sement disséqué plus de cent grenouilles, nous pouvons dire que le véri- table habitat de ces animalcules est le tissu conjonctif sous-cutané et (l)Carl Vogt, Miiller's Ai-chiv, n"' 2 ('t 3. p, 189. 18 '.2. ^ „ c. n- i ,ilk' (2) VULPIAN, Noie sur les hëmatozoain'S liliformes de la grenouille commune. (C. H. Soc. moi. ics., p. 23.) 490 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE intermusculaire, principalement de la région sous-hyoïdienne et des cuisses. Chez une grenouille qui présente des embryons dans le sang, il suffît d'inciser la peau et de regarder attentivement la région hyoïdienne mise à découvert ; on y voit souvent par transparence, dans le tissu con- jonctif et à la surface des muscles, de petits paquets de vers blanchâtres ressemblant à un gros fil blanc enroulé ; ce sont des filaires adultes. Dès qu'on les touche, elles se meuvent et se déplacent. Si ce premier exa- men était infructueux, il suffirait d'écarter les faisceaux musculaires, et, dans leurs interstices, on aurait de grandes chances de les trouver encore. — Pareille recherche doit être faite au niveau des cuisses en séparant les divers muscles principalement près des gros vaisseaux. Dans les cas les plus favorables, il nous a été facile de retirer d'une même grenouille jusqu'à six et huit filaires (1). Généralement ce sont des femelles, mais parfois on trouve un mâle à côté d'elles ; il se distingue immédiatement par sa minceur, sa petite taille et l'enroulement en spi- rale de son extrémité postérieure. Lieu de l'accouplement. — Plusieurs fois nous avons vu le mâle adhérer à la femelle dans l'attitude de la copulation. La fécondation, saisie en quelque sorte sur le vif, se produit dans le tissu conjonctif de l'hôte et il doit en être vraisemblablement ainsi pour toutes les filaires. Le tissu conjonctif paraît être une étape de prédilection pour ces parasites (2). Ils peuvent envahir secondairement les appareils circulatoire ou lympha- tique. Une filaire trouvée par nous dans un vaisseau des organes génito-uri- naires avait, selon toute vraisemblance, habité, comme ses semblables, antérieurement à sa migration, le tissu conjonctif intermusculaire ou sous-cutané. Pénétration des embryons dans le sang. — Tant que les filaires adultes ne sont pas contenues dans les systèmes sanguin ou lymphatique, on ne sait par quel mécanisme les embryons pénétrent dans le sang. N'y sont-ils pas déversés k la faveur d'effractions vasculaires minimes pro- duites par les filaires adultes qui se nourrissent de sang, ainsi qu'en témoigne l'examen de leur tube digestif bourré de globules? Les em- bryons profiteraient d'autant plus facilement de ces solutions de conti- nuité dans la paroi des capillaires que leur orifice de sortie, la vulve, (1) Lewis et Manson ont cherché à guérir le scrotum éléphantiasique en détruisant sur place la filaire adulte. Si le nombre des filaires chez l'homme est plus considérable qu'on ne pense, il ne sera pas toujours facile de lutter par ce moyen contre l'infection filarienne. (a) Nous sommes tenté de faire un rapprochement entre la filaire du sang de la grenouille et la filaire de Médine. Le mâle de cette dernière est encore inconnu, et l'on se demande même si l'ac- couplement se fait dans le monde extérieur, dans le corps du cyclope qui sert d'hôte intermédiaire aux embryons ou dans le tube digestif de l'homme. Nous ne serions pas étonnés qu'on trouvât un jour le mâle de cette filaire dans le tissu conjonctif sous-cutané ou intermusculaire et que ce fiit là le véritable lieu de l'accouplement. Les recherches récentes de MM. Railliet et Moussu sur la (ilaire hémorragique du cheval et de l'âne viennent encore à l'appui de ces idées. DE NABIAS ET SABRAZÈS. — LA FILAIRE DU SANG DKS GRENOUILLES 491 est au voisinage immédiat de la bouche et de l'appareil perforateur dont celle-ci est armée (fig. /). C'est là un fait intéressant qui demande à être vérifié, mais qui paraît dans tous les cas extrêmement vrai- semblable. Voici maintenant une diagnose sommaire de la femelle, du mâle et des embryons de la filaire des grenouilles. Femelle. — Les dimensions des femelles sont variables ; leur longueur oscille entre vingl-cinq et trente et un millimètres. Elles ont moins d'un millimètre d'épaisseur. Leur corps est blanchâtre, cylindrique, s'effilant à peine aux deux bouts. L'extrémité céphalique représente un cône au sommet duquel s'ouvre la bouche par un petit orifice circulaire. Au voisinage de celui-ci, on voit quatre saillies chitineuses, réfringentes, qui affectent la forme dé dents minuscules acérées à l'extrémité libre comme des épines de rosier; elles mesurent 8 jx de largeur à leur base et 12 «'„ 80 \ /nais- / \ \ ^ N ^ '•i -*. — ■ 10 ^^ y *^ > 0 \. ,' -*^' ■*>^ K i---' j^... ^ •*■«. ■^ ^^ V 0 '.*, H -— « ^■^. ," H— — ' -4-.. -■.-, ^ --,.., ai <£> OO o 2 i CM co S J- r- ce r* eo 00 00 5 s oc i CM 00 co !2 2 i co 2 2 i ce 5 o Vin. I. — (Pour les soles, les nombres représentent des douzaines de [joissons). Les Rajidés et les Triglidés présentent une décrudescence tout aussi frappante; encore faut-il tenir compte ici qu'autrelbis beaucoup de ces G. ROCHE. — DÉCRUDESCEXCE DU RENDEMENT DE I.A GRANDE ri-.ClIE 499 animaux étaient rejetés à la mer aussitôt qu'ils étaient capturés, en raison de leur faible valeur marchande, tandis que, de nos jours, on conserve soigneusement tous ceux que ramène le chalut, par suite de l'impor- tance qu'a acquis le commerce du poisson frais. J'ai dressé aussi le tableau de la production du Pagel commun, de la Daurade et Pagel Zée - Forgeron — Baudroie Squatine 7 1 Ç, i i \ / \ / 1 5 1 '\ ■ \ / \ / \ 1 • / \ l \ l / l if >> \ \ A \ \ / \ 1 \ \ / 1 i / \ 1 \ \ t i i [ \ \ 1 1 1 f 3 / \ 1 ^ V / /■ < \ L 1 1 ' / \ \ 1 / ; \ Un / ^N r 1 f 1 •? • \ 1 \ \ \ \ / / i 1 \ » \ .' \ Ml \ \ / t l \ / 1 i i / -^î — N y^ V •N i f ,^ y \ \ / \ **-r^ / /■ 0 Z,/»r< Mf'f rc X ^-^ -"* 1 Ê 1 l ^ 1 s •-- *•-, ^ CJ o S i 00 00 (O r; flO o> o ^ oo eo oo 00 o« o» OO 00 00 00 co oo Fie. i Daurade, du Zée forgeron, du Carrelet. En ce qui concerne le Carrelet et la Daurade, la décrudescence est inaniftste (fig. 2). Le Zée n'a pas sensiblement diminué. Il n'en est pas de même pour le Turbot et la Barbue qui, depuis quelques années, se font beaucoup plus rares que par le passé, de même que la Sole dont la vente présente une si haute importance commerciale et qui fait en somme le fond de la pêche au grand chalut. Pour cette espèce, la décrudescence du rendement est 500 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE d'autant plus frappante qu'aujourd'hui on comprend sous le nom de sole le Microchirus variegatus qui était à peine récolté autrefois. A l'heure actuelle enfin, si le chifîre des Baudroies, des Squatines et eO CD O »- CD CP f \ \ f 1 \ 1 \ \ / \ 1 i / ?0 A ' .'-' '> '-- \ 1 1 1 \ / \ / ^':i /' •^- 10 1 1 \ •-^ Y ■^ r 0 ' 1 o a. 0 ) œ 00 2 p- ce p- 03 5 a oc « 0 es OC 2 5 ce ce ce ce f— i oc o ce ce FlG. U. beaucoup plus consolant. Nous avons, en effet, un tableau de leurs ren- dements qui nous les montre comme soumis toujours à de fort grandes irrégularités d'arrivages. Leurs décrudescences momentanées ne sauraient donc, dans l'avenir, nous inquiéter par trop, leurs montées ou leurs G. ROCHE. — DÉCRUDESCENCE DU RENDEMENT DE LA GRANDE PÈCHE 501 migrations étant soumises à des causes qui échappent jusqu'ici à notre analyse; il est regrettable, pourtant, que nos pêcheurs ne puissent être renseignés d'une façon précise sur le réfjime de ces animaux ; mais pour eux, du moins, n'avons-nous pas des raisons de craindre que leur es- pèce soit en voie d'extinction, dans nos eaux marines, comme il nous faut le constater pour certaines espèces sédentaires. Dans ces graphiques, certaines irrégularités sont assez peu explicables au premier aspect. En ce qui concerne la Barbue, par exemple, on est un peu surpris de constater des poussées de produclion — si je puis m'expri- mer ainsi — comme celles de 1881-1882 (1 1. Mais il faut se rappeler que le sol de notre plateau continental est semé de pâturages sous-marins où se localisent plus particulièrement certaines espèces comestibles de poissons. Alors que les hasards du chalutage en haute mer amènent les pêcheurs à travailler sur ces fonds, ils recueillent une plus abondante récolte d'a- nimaux du groupe spécial qui affectionne ces fonds (en raison de la na- ture des espèces zoologiques que ses représentants y peuvent pâturer) que dans les autres parties de la masse profonde des eaux. Les chalutiers exploitent donc ces terrains de pêche qu'ils ont décou- verts, ils les exploitent jusqu'à leur épuisement, pour aller plus tard à la recherche de nouveaux sols inexplorés pai le chalut et plus fertiles en poissons. Je ne veux retenir de ces faits que la conclusion suivante : « N'y au- rait-il pas intérêt à déterminer exactement ces cantonnements, de façon à en ménager l'exploitation régulière? » Une autre observation que nous fournit l'inspection des graphiques de la Barbue et du Twbot est que leur pêche est plus fructueuse en été qu'en hiver. Et ceci nous confirme un point d'histoire naturelle qui n'est pas dépourvu d'intérêt, car ce fait nous montre que ces deux pleu- ronectes affectionnent plus particulièrement les fonds situés en deçà de quarante-cinq brasses de profondeur. Durant l'été, les vapeurs arcachon- nais travaillent, en effet, plus spécialement par trente-cinq à quarante- (1) celte recrudescence du rendement du turbot et de la barbue correspond àla surproduction de la sole (voir graphique de cette espèce;. Je me demande donc si cette élévation du rendement numé- rique des animaux capturés do ces trois espèces ne tient pas à ce que, durant une période plus longue que les autres années, les chalutiers arcachonnais ont travaillé, en 1881-1882, plus près de terre qu'ils n'ont l'habitude de le faire. , . Les pleuronectes sont, je l'ai dit, plus abondants à terre qu au large, ils sont p us petits auss.. Les courbes que j'ai tracées ne nous donnent que ks valeurs numériques relatives des animaux péchés; or, il est bien évident qu'ici il faudrait pouvoir comparer aussi les poids rdatifs. Mais, étant donné que le turbot et la barbue se trouvent rarement au delà de cinquante brasses de profondeur et ass.z fréquemment en deçà de quarante brasses, je suis porté à croire que les chalutiers Q" '"'i;;;';"» la diminution relative de la sole en 1880 par rapport aux rendements antérieurs, presque touJour^ décroissants depuis 1870, se sont rapprochés de la côte (par trente brasses peut-être) ^^^^^ ■ Aujourd'hui, et depuis longtemps du reste, la Société interdit formellernent ase> P^ «"?,*;*^^". vaiUer à moins de quarante-cinq brasses, comme au début de son exploitation. - La décrudes cence de l'espèce est frappante. SOâ ZOOLOGIE. ANATOMIE, PHYSIOLOGIf) cinq brasses, tandis que, pendant l'hiver, ils vont beaucoup plus au lar^e par cinquante-cinq à soixante-dix brasses, à la recherche du merlu. Une observation attentive des graphiques des Rajides, des Squatines, du Griset, du Surmulet, du Merlu, des Trlglidés, nous amène à une con- clusion opposée; en été, ces animaux sont capturés en moindres quantités qu'en hiver, soit que, comme pour le Merlu, ils quittent nos eaux en cette saison, soit qu'ils montent alors dans la masse liquide comme le Sur- mulet et beaucoup de Trigles, soit enfin qu'ils se rapprochent tout à fait de la côte comme les Rajides, par de faibles profondeurs où la Société des Pêcheries de l'Océan interdit à ses vapeurs de travailler. A la côte encore, la Sole est beaucoup plus abondante qu'au large, mais elle est beaucoup plus jeune, plus petite. A quarante brasses, la taille la plus commune qu'elle présente est de 25 à 28 centimètres, pour un poids de 2S0 à 300 grammes. Plus à terre, sa dimension et son poids sont plus faibles, au large ils sont plus considérables. .Je ne parle, bien entendu, ici que de la partie de notre plateau continental, dévalant au large de nos côtes du sud-ouest; car dans les parties plus septentrionales du golfe de Gascogne, les animaux sont de taille relativement plus grande à de plus faibles profondeurs. Dans le procès des causes de destruction des espèces comestibles de poissons, il semble que l'on doive éliminer le chalutage pratiqué au large par les bateaux de fort tonnage. En examinant les graphiques des espèces qui se reproduisent à la côte, on voit s'infléchir nettement leur courbe de rendement, depuis vingt-cinq ans. Si nous comparons, par exemple, le graphique du Rousseau à celui du Zée forgeron (deux ani- maux qui ne sont jamais péchés en grandes quantités, il est vrai, mais qui sont de bonne vente et que l'on conserve quand on les capture), nous voyons que la production du premier a notablement diminué, alors qu'elle est restée sensiblement la même pour le second. Or, celui-ci se reproduit en haute mer et celui-là vient frayer à la côte. Il est incontestable que le chalutage pratiqué au large ou à terre est un procède de pêche fort destructeur ; mais combien sont plus graves les inconvénients de ce dernier, qui s'exerce toute l'année, avec des engins à petites mailles dans les embouchures des rivières, les baies, les herbiers où viennent pondre et se développer la majeure partie des poissons comestibles (1). Je ne saurais insister ici sur les causes présumées de la décrudescence suivie des rendements de la pêche au grand chalut, causes qui méritent une étude toute spéciale. Je ne dirai rien non plus, malgré le grand in- (1) M. le professeur Gianl ;i publié à ce sujet en collfibor:itioii avec M. Roiissin, cominissiiire de marine, un remarquable rappoil (Journal officiel, 21 mai 1889), où il a montré Jiettement l'influence lâcheuse des dragues à chevrellus au point de vue de l'avenir de l'industrie même qui les emploie. K. BORDAGi:. — MYOLOGIE DES CRUSTACÉS DÉCAPODES S03 lérêt qu'elles ollrent, des recherches de M. Guillard (de Lorienl) sur les débouchés possibles que peuvent offrir, à l'activité de nos pêcheurs, les fonds situés par plus de quatre-vingts brasses, au large du golfe de Gas- cogne. Je ne puis que me borner, en ce moment, à la constatation de l'infériorité relative actuelle des rendements de la grande pêche du poisson frais, après avoir discuté la valeur des documents qui nous amènent à cette conclusion. Ce mémoire n'avait pas d'autre but. M. Edmond BOE,DÂ(}E l'réparati'ur au IMiiséum dHistoiie naturelle, à Paris. MYOLOGIE DES CRUSTACES DECAPODES EN GÉNÉRAL ET COMPARAISON DU SYSTÈME MUSCULAIRE DES THALASSINIOÉS ET DE CELUI DES ANOMOURES — Scana- du 16 seplrnihrc 1892 — D'une façon générale, la myologie des Crustacés a été très peu étudiée. Cuvier avait cependant déjà constaté que, chez le homard, les muscles de l'abdomen ou de la queue sont très développés et leur ensemble très compliqué. 11 en avait même comparé certaines parties (les deux faisceaux de muscles extenseurs profonds situés de part et d'autre de la ligne mé- diane du corps) à une sorte de corde tordue (ces faisceaux ont absolument le même aspect chez l'écrevisse et le néphrops). Plus tard. H. Milne-Edvvards. dans son Histoire des Crustacts, ùecrixW d'une façon très complète les muscles de la queue du homard. Chez le néphrops, l'écrevisse, on trouve, comme chez le homard, ces muscles abdominaux très développés; ce qui se comprend très bien, car la locomotion s'effectue surtout grâce aux mouvements de l'abdomen et de la nageoire caudale, — mouvements exécutés à l'aide des muscles en question. Chez tous ces animaux, la masse musculaire abdominale a absolument l'aspect d'une natte ou ti^esse à structure tellement compliquée que H. Milne-Edwards lui-même en déclare l'étude extrêmement diflicile. Dans cette tresse, il y a à distinguer : 1" des muscles droits; 2" des muscles obliques; 3° des muscles centraux; 4" des muscles transverses : \q tout ^•^^^ /.()(>i.ti(;ii:, .\\ATo:\iii:. imiysioi.ocii- coiistituanl la inasso des imisclos nécliissours profonds <|ui s'ins^renl, ainsi que los nuiscKs llôchissenrs suporlicit^ls sur la partie inlVM'iourt^ ou venlralo (les annoanx abdominaux. Il (>xisteaussi dos nuisolos extenseurs divisés en '^iiperficie/s et profonds qui s'insèreni à la parlie supérieure ou dorsale des anneaux ahdoniinaux. L'ensemble de ees nmseles est lro|» eonqiliijué pour (]U(^ nous puissions songer à en donner ici une deseriplion détaillée. Ces nuiseles va- rient (lu reste d'un iienre à l'autre. c\ nous renvoyons à Touvrage de H. Milne-Kdwards sur les erustaeés. où Vow trouvera pour le homard uiu^ excellente description de Ja tresse abdo- minale. Les uuiscles qui partent île la portion anté- ri(>uiv de l'elle tresse abdominale n'avaient pas encore été étudiés, ils soni noiiibnuix cl il n'v a pas lieu non plus de les décrire dans cette t'tude sommaire'. Oisons cependant qu'ils viennent s'at- tacher en avant, en des points nondtnnix. sur des(''minences apparlenani au sipielette eéphalo- thoracique si compliqué chc/ la plupart des décapodes. Après avoir donné ees détails succincts sur les dillieulfés i^ue présente l'élude de la myo- logie des erustacé's supérieurs, nous aborderons directement le point qui nous intéresse, c'est-à- dire la eom[)araison du système musculaire des thalassinidés et de celui des anomoures. Les tlialassiiiidi's sont des décapodes ma- croures (]ui vivent dans des galeries ei'eusées (lan< \r sable de la mer. Chez tnix, les nmseles abdominaux ont beaucoup ptn-du de leur im- juirtanee: ils sont moins iionilireux, el il n'y a jilus ici, à proprement jxirler, de véritable tresse abdominale. Chez les Cal/iaiia-^scs, les muscles de l'abdomen alVeetent la tbrmc» de chevrons ou Ac V à, pointe incomplète, allant d'un anneau à l'autre (voir (ig. I Y), entre les branches de deux Y consécutifs existent des muscles intermé^diaires formés par des fibres (m, inK fig. /'. provt^nant de cha- cune des branches consécutives (6, c) du Y incomplet. En avant, deux muscles longitudinaux ayant des fibres i-ommunes avec les faisci^aux 7n/» se détachent du premier am\eau abdominal et vieiment s'attaehiT sur le squelette eôphalolhoraeique (voir /îp'. /, a,a). l'ii;. 1. — i,De.ini-sclu'inatiquc.) Syslt'ino niiisciihilri' do la Cdllianasso. E. liOliDAGK. — MV0J.O(ilE DKS CHISTACKI? DKCAPODES 30S Chez les Géhies, nous constatons une modificalioii. Ici, Il-s muscles on chevrons, allant d'un anneau à l'anneau suivant forment un V à pointe complète. Cette pointe est situéesur la ligne- médiane du corps (fig. 2, Vj. JJe plus, d(! chaque côté du corps, un muscle longitudinal d) passe sous rens(;mble des muscles en chevrons, envoie quelques fibres à chacun d'eux, ainsi que quelques fibres aux parois latérales Hi- iliaque anneau abdominal. En avant, trois paires de muscles longitudi- naux (a, V, 0, fifj. 2) se détachent de la masse muscu- laire abdominale et vieiment s'attacher au squelette céphalolhoracique. Chez les Axies, enfin, la musculature est à peu près la môme dans ses traits généraux, sauf quelques petites complications que nous exposerons dans un travail ultf'-- rieur. On peut dire que le système musculaire des Thalas- sinidés — celui des Gébies surtout — est intermédiaire entre celui des Macroures et celui des Paguriens qui sont des Anomoures; c'est-à-dire font partie d'un ordre de Crustacés décapodes intermédiaire entre celui des Macroures et celui des Brachyures. Ce groupe des Paguriens est absolument isolé dans l'ordre des Anomoures et forme une sorte de cul-de- sac. Les animaux qui le composent sont surtout remar- quables par l'asymétrie qui existe presque toujours entre les deux moitiés de leur corps (2). Ils sont, le plus souvent, logés dans des coquilles de Mollusques gastéropodes s'enroulant à droite (coquilles dextres), et alors, les pattes antérieures ou pinces du côté droit sont beaucoup plus grandes et plus grosses que celles du côté gauche; d'ailleurs, l'abdomen prend nécessai- rement la forme d'un tortillon plus ou moins allongé. Des pattes abdominales impaires témoignent encore de l'asymétrie extérieure du corps. Cette asymétrie existe encore à l'inté- rieur du corps et en particulier pour le système musculaire. Les muscles abdominaux sont encore disposés en forme de V, comme chez les Tha- lassinidés; mais ils sont ici très rapprochés et en contact les uns avec les autres. Ceux qui occupent la moitié droite du corps sont plus développés .1 y; i:z.^ ■ Ho. 2. — Deriii- sch<;matique.; Système musculaire de la Gébie les antennes sont coup^y. i) En réalité, ce muscle longitudinal n'est pas simple et il serait pios exact de considérer là une succession de plusieurs faisceaux musculaires il, li allant de Tune des branches d'une paire de muscles en V à la branche correspondante de la paire de muscles en V suivante, tout en fournissant des fibres qui viennent s'attacher aux parois du corps. (2) Les espèces enroulées dans des coquilles de Gastérop^xles sont toujours plus ou moins asymé- triques. Celles qui se creusent des cavités dans le sol ou dans le boi-, consenent leur symélne. o06 ZOOLOGIi;, ANATOMIE, PHYSIOLOGIK que ceux qui en occupent la moitié gauche. Sous Ja masse formée par l'ensemble de ces muscles en chevrons passent, comme chez les Gébies, des muscles longitudinaux de pari et d'autre de la ligne médiane abdo- minale. Ces muscles longitudinaux envoient encore des fibres aux bran- ches des muscles en chevrons et aux parois latérales des anneaux abdo- minaux ; mais, ici, ils sont complètement cachés. A la partie inférieure et antérieure de l'abdomen des Paguriens logés dans une coquille, comme le Bernard-l'Hermite, par exemple, on trouve un bourrelet transversal faisant une saillie externe assez prononcée. Il est formé par un repli du tégument dans lequel pénètrent et viennent se terminer des fibres musculaires provenant de la masse abdominale et constituant ce que l'on peut appeler le muscle columel taire, — muscle, ou plutôt bourrelet musculaire qui, en se déplaçant sur la columelle de la coquille de Gastéropode. permet au Pagure de remuer son abdomen par un mouvement de glissement. Mais si les Paguriens forment un groupe absolument à part, il est cependant d'autres Anomoures qui présentent des formes de passage des Macroures aux Brachyures : ce sont les Galathées et les Porcellanes (le système musculaire de ces derniers peut aussi se rapprocher de celui des Thalassinidés). Les Galathées et les Munida présentent encore une tresse musculaire abdominale très développée, mais la partie antérieure des muscles céphalo- thoraciques forme, de chaque côté du corps, de forts piliers inclinés déjà semblables (quoiqu'en nombre inférieur^ à ceux que l'on trouve chez un Brachyure, chez un crabe, par exemple. Chez les Porcellanes, on ne trouve plus de tresse musculaire abdomi- nale. Les muscles abdominaux se réduisent à de simples fibres rappelant beaucoup celles que l'on trouve chez les crabes. Ces fibres ne sont guère bien apparentes que chez les femelles, qui ont l'abdomen plus développé que celui des mâles. Ici, en effet, comme chez les Brachyures, l'abdo- men est très rudimentaire et replié sous le céphalothorax. Dans la présente note, nous avons eu seulement l'intention d'indiquer rapidement et superficiellement les difficultés et aussi l'intérêt que pré- sente l'étude du système musculaire des Crustacés. Nous nous proposons d'étudier à fond cette question dans une série de notes ultérieures. .1. GALBE. — DU SOI. ANIMAL. — SOL 1>E LA POII.E ItOMESTIUUE 50" M. J. &AÏÏBE (du Gers) à Paris. OU SOL ANIMAL. - SOL DE LA POULE DOMESTIQUE. — AMENDEMENTS — .Séance du 19 septembre 1892 — I Dans un mémoire présenté à l'Académie des Sciences le 9 mai de cette année, intitulé : Du Sol animal, nous avons désigné sous l'expression sol animal, par analogie avec le sol vérjétal, la réunion de toutes les dom.i- nantes minérales du corps de l'honnne et des animaux. Si. dans la définition du sol animal, nous n'avons pas fait intervenir l'azote, c'est parce que nous avons reconnu l'azote comme absolument impuissant sans le secours de la matière minérale, et qu'en outre, la fréquence de l'azote dans les aliments en général nous dispensait de le considérer comme un terme imprévu de notre définition. Nous ne voulons ni mineraliser la nutrition ni donner à la matière minérale plus d'importance qu'elle n'en a réellement, mais lui laisser l'im- portance convenable, et cette importance est considérable. Nous avons montré, à l'aide de nombreuses analyses d), <[ue l'on pouvait se renseigner sur la valeur réelle du sol humain en analysant les urines et que la rotation de la matière minérale dans le corps de la femme pendant la grossesse était instructive, intéressante, qu'il était nécessaire de la connaître. Nous avions pensé, et l'expérience a prouvé, que la connaissance du sol animal permettait d'améliorer les produits de la conception, consé- quemment tl'améliorer les races. Nous avons choisi la poule domestique « Crèvecœur » comme sujet de nos dernières recherches, parce que chez elle nous pouvions analyser sépa- rément les modes divers de son évolution : l'œuf, le poussin à terme, la poule adulte et féconde. Une poule, bonne pondeuse (Crèvecœur), âgée de dix-huit à vingt mois, (1 ) Du Sol animal (loco cUalo). 0»%0399 0/00 06',70935 0/00 0?^0.428 — 06%40322 — 1?%498 — le%5183 — l;r^8178 — le',9368 — 0-^92 Os',92 — S08 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE pesant en moyenne 2 kilogrammes, donne à l'analyse les bases suivantes : Chaux ISb'-jT.j 0/00 Magnésie 11 ^^OO — Potasse 0s%5715 — Soude Is'-jOSl — Silice Oe',296 — Fer Os',663 — Manganèse 0s'',0596 — Un œuf frais, pesant en moyenne 64 rammes, donne à l'analyse les bases suivantes : JAUNE BLANC TOTAL Magnésie ...... Oe',66945 0/00 Chaux 0s%36042 — Potasse Os',0203 — Soude 0s--,119 — Soufre Phospiiore. Fer. Nous voyons, au moyen de ces analyses, que la magnésie et la soude sont les dominantes, la chaux et la potasse les sous-dominantes minérales de l'œuf; nous voyons également que la magnésie et la chaux sont les dominantes du jaune, de la cellule mère ; que la soude et la potasse sont les dominantes du blanc, de l'aliment de l'être futur. La dichotomie des bases terreuses et alcalines est si nette, si tranchée, si générale, qu'il serait absurde de ne point admettre une relation directe entre la forme de la matière protéique et la nature de l'élément minéral qui la supporte. Les métalloïdes sont aussi catégoriquement répartis que les métaux : le phosphore dans le jaune, le soufre dans le blanc. Le spermatozoïde est magnésien (Ch. Robin, Alb. Robin et Gaube) ; la vésicule de Graaf, l'ovule sont magnésiens (Gaube) ; le pollen est magné- sien (Gaube); la graine est magnésienne; le jaune de l'œuf est magnésien; la cellule nerveuse est magnésienne (Alb. Robin et Gaube) ; le magnésium parait être le métal de l'activité vitale dans ce que la vie a de plus pré- cieux et de plus élevé: la multiplication de l'espèce et la sensation (1). Cette considération de physiologie générale se provoquait elle-même à la suite des analyses de l'œuf. A mesure que nous avançons, notre doctrine s'affirme : la matière pro- téique vivante, tributaire de la matière minérale, appuie sa modalité sur un élément minéral déterminé et sur la valeur biochimique de cet élément. H) Voir les analyses de coivfiin humiiin et île cerveau de inoiituii, in Gazette médicale de Purin, n° 26j m)i (Albuininaturie mw/iicsiennej, J. Galbe (du Gers). J. GALBE. — DU SOL AiNIMAL. — SOL DE LA POULE DOMESTIQUE o09 II Les êtres qui, en l'état, paraissent normalement constitués, ont-ils atteint l'extrême limite de leur développement? Sont-ils perfectibles dans leurs milieux actuels? Sont-ils susceptibles d'acquérir des qualités nouvelles par un amendement raisonné du sol qui leur est propre ? Le type parfait dans l'espèce n'existe pas ; du* moins nous ne le connais- sons pas; la limite du développement ne nous paraît point atteinte chez les êtres vivants et les milieux actuels ne nous semblent pas hostiles à la perfectibilité de l'être ; au contraire, la science peut ajouter aux qualités de résistance et de vitalité de l'être achevé et introduire des qualités nouvelles dans l'être en voie d'évolution. Avant de commencer les expériences sur le sol de la poule, il était indispensable de mesurer la valeur du mouvement d'assimilation chez elle. L'analyse nous ayant enseigné que la magnésie et la chaux étaient les dominantes minérales du jaune d'œuf, nous avons cherché une matière colorante fixe combinée à la chaux et à la magnésie et que nous puissions retrouver facilement dans le jaune. Nous avons pilé des carapaces de crustacés cuits que nous avons mélan- gées en grande abondance avec la nourriture de plusieurs poules pendant la ponte. Au bout de six jours les jaunes des œufs étaient complètement rouges, tandis que les blancs conservaient leur couleur ordinaire. Un aliment minéral parcourt donc en six jours, chez la poule, le cycle complet de sa destinée; après six jours il est vivant, il détient virtuellement la vie. Consécutivement, nous soumettons dans une volière aérée, spacieuse, carrelée, sablée, recouverte de paille en certains points, munie de per- choirs, de nids, cinq poules Crèvecœur, de belle venue et un coq de même variété, au régime suivant : Sarrasin et petit blé pour toute nourriture; eau. JXous mouillons complè- tement le grain avec la solution suivante : Chlorure de calcium pur. . 25 grammes. Chlorure de magnésium . . 20 — Chlorure de potassium. . . 1 — Chlorure de sodium .... 5 — Eau distillée 1000 — Chaque poule absorbe, chaque jour, en sus de la matière minérale contenue dans les aliments, 2«'-,1246 de matière minérale, soit : ls',0416o de chlorure de calcium ; 0'°',833 de chlorure de magnésium; 0s'-,04i6o de chlorure de potassium ; 0s%2083 de chlorure de sodium, sans compter le fer, car la nourriture était offerte dans des vases de fer. olO ZOOLOGIE, ANATOMIK, PHYSIOLOGIE 111 Poids moyen des œufs avant l'amendement (les poules étaient nourries avec de l'avoine, du petit blé, du sarrasin, des épluchures de ménage) : 64^% 66. Poids moyen des œufs après quinze jours d'amendement : 65^^7o. Poids moyen des diverses parties de l'œuf avant l'amendement : .(aune. . . 18e%22 lîlanc. . . 38ï%44 (;o(iuille. . Si'SOO Poids moyen des diverses parties de l'œuf aprAs l'amendement : Jaune 20e%07 Blanc 37^--,G8 Co(|uiIlo Sfc^OO Seul, le jaune de l'œuf a augmenté de poids. OElufs après amendements : lAUNE Chaux . . . . 0"%568784 0/OU Magnésie . . . 1"',494 - Potasse . . . 0sM»00579 — Soude . . . . 0«--,0056(J9 — Oain : Chaux . . . 0"',2083(i4 — Magnésie . . Oi.-'-,7ïJ45.j — Perte : Potasse . . 0«S019721 - Soude. . . . . Os',11334 - BLANC Potasse 0i^%5634 0/00 Soude 2s',52 — Gain : Soude 0s--,7022 — Perte: Potasse 0^^9346 — Matière minérale de l'œuf, non compris le soufre, le phosphore et le fer, avant l'amendement : 4g'-,5676 0/00 Matière minérale de l'œuf, non compris le soufre, le phosphore et le 1er, après l'amendement : o»', 15-2423 0/00 IV Poussins nés d'œufs tout venant, âgés de 0 jour. Poids muyen 35ï',50 Chaux 3s'-,634 0/00 Magnésie 3e%l85 — Potasse 0^', 03637 — Soude Of, 03795 — .1. GAUBE. — DU SOL ANIMAL. — SOL DE LA POULE DOMESTIQUE 511 Le poussin qui vient de naître est, comme le jaune de l'œul', riche de «baux et de magnésie ; il est même dix fois plus riche de chaux et de magnésie que le jaune de l'œuf. La coquille de l'œuf se compose d'albumino-carbonates de chaux et de magnésie fournissant à l'analyse des quantités presque égales d'albumine sèche et de matière minérale, soit 1^''',666 0/00 d'albumine précipitable par l'acide azotique et l8',993 de matière minérale, conformément à la loi que nous avons établie sur la constitution des albuminates : plus les combinaisons minérales avec lesquelles l'albumine est liée sont solubles, moins elles entraînent d'albumine : et, réciproquemenl , moins les combinai- sons minérales avec lesquelles l'albumine est liée sont solubles, plus elles entraînent d'albumine il). De l'Albuminaturie carbonatée. II, Société de Biolof/ie, ~ mai 1892). C'est donc à la coquille que le poussin emprunte le surcroît de chaux el de magnésie que l'analyse décèle ; ainsi s'explique la grande friabilité ■de la coquille de l'œuf après la naissance du poussin, par la disparition de la combinaison albumino-minérale. La résorption de la matière mi- néro-protéique de la coquille en augmente la perméabilité et facilite la respiration ooniue du poussin, phénomène constaté et démontré par ^eoffroy-Saint-Hilaire. V Poussins nés d'œufs pondus par des poules amendées depuis quatre semaines : Poids moyen dos poussins nés d'œufs amendés Aôf.SO Poids moyen des poussins nés d'œufs témoins sans amendement. 445', 70 . \) L'albuininate ili^ fer est C(im|)Osé de : l'er n.oA Albumine 0.80 Eau 0.16 1.00 Soit 0,80 0/0 (lalbuniine pour Inllmminale de fer ; o.3:j 0/0 dalbuniine pour l'albumino-phosphate •de cliau.x ; 0, 1666 0/0 d'albumine pour lalbumino-carbonate de eliaux et o,89 0/0 à peine dalbumine pour l'albiunino-carbonate de soude, ele. Nos expériences nous permettent d'ajouter, aux oliservalions précédentes, les faits suivants : y» Tous les albuminates métalliques sont di/alisables ; 2" Tous tes iilhumiiuites méliilliqucs sont des jnolo-sels ; 3" Les iilbuminules (liffusibles sont les irais nlhnmiuates ; i'> La (lifl'nsion dei albuminates mctalliques i-sl en rapport avec la valeur bio-ehimique du mélcd albu- mino-conjuijué ; 5» Les lilbuminates, en général, sont des mélanges de jiroloxijdes, de peroxi/des, de corps halogènes, etc., de synlonines, d'albumine pure, etc., mais skiii.i: i..\ lomhinaison Ai.nuMiiNn-MÉTAi.Lioui: rsT niAi.Y- SABLK. 512 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE Relation du poids des œufs avec le poids des poussins Œuf amendé. . Poussin .... Œuf témoin . . Poussin .... Poids 64 grammes. | ^g .a^^^es. — 48 — i Poids 66 grammes. / g, - 45 - \ " Poussins nés d'œufs amendés, âgés de 0 jour. Poids moyen 455', 50 Cliaux 3e',49248 0/00 Magnésie ls%80 — Potasse 08%9264 — Soude 1»"%27 — Matière minérale de l'œuf avant l'amendement, non compris le soufre, le phosphore et le fer : 4s%o6761 0/00. Matière minérale de l'œuf après l'amendement, non compris le soufre, le phosphore et le fer : 3s% 152423 0/00. Soit : 5s'-,152428 — 4s%56767 = 0°'-,58i-753 0/00. Matière minérale de poussins tout-venant : 6s%8933^2 0/00. Matière minérale de poussins amendés : 7s'-,48888 0/00. Soit : 7s'-,48888 — rr'-,89332 = 0s'-,59536 0/00. Les poussins nés des œ.ufs amendés sont plus lourds, plus vivaces, plus beaux; leur duvet est plus soyeux, plus brillant; leurs couleurs sont plus vives, La magnésie et la chaux ont été employées : en partie, à la reconsti- tution du sol de la poule toujours allégé par la ponte ; en partie, à la constitution du jaune de l'œuf. La potasse et la soude dont le sol de la poule est moins dépouillé par la ponte sont utilisées par le poussin, et la rotation qui s'établit à la fin de l'amendement entre les bases terreuses et alcalines est remarquable en ce qu'elle se rapproche de la rotation qui s'établit dans le sol de la femme et du fœtus conséquemment, pendant la grossesse. (J. Gaube, du Gers, Du Sol animal) (Comp. rend., loco cit.). Que voyons-nous dans les œufs amendés après quinze jours d'amen- J. GAUBE. — DU SOL ANIMAL. — SOL DE LA POULE DOMESTIQUE 513 •dément? La magnésie, la chaux, la soude augmentent; la potasse dimi- nue ; puis, au bout de quatre semaines, la poule étant saturée, les diffé- rentes parties de l'œuf s'équilibrent, et nous obtenons un poussin plus parfait, chez lequel la matière minérale est non seulement plus dense que chez le poussin non amendé, mais encore tout différemment distribuée. Le poussin amendé se rapproche, par sa constitution minérale, des nouveau-nés, plus élevés que lui dans la série animale, chez lesquels la soude et la potasse (Bunge, Zeitschrift fur Biologie, t. IX), tendent à se rapprocher au moment de la naissance pour diverger ensuite. La chaux, la soude, la potasse et la magnésie (je classe ces bases selon leur valeur pondérale dans l'organisme et non point selon leur impor- tance biologique, essentiellement variable), combinées avec le chlore, le phosphore, le soufre, le carbone, sont les ouvrières magistrales qui façon- nent la matière protéique sans pouvoir rompre toutefois la forme spéci- fique, du moins aucune expérience ne nous autorise à le dire, bien que nous ne soyons pas éloigné de croire que de tous les milieux, le milieu minéral soit un de ceux qui puissent concourir le plus efficacement à la sélection et à la transformation des espèces ; en effet, la matière miné- rale n'occupe pas toujours la même place dans le schème des albumi- noïdes vivantes (1). Nous n'avons rien dit du fer parce qu'il n'est pas, malgré les appa- rences, un des éléments indispensables de la vie. Les hémoglobines sont ferreuses, manganeuses, cuivreuses, etc., mais — et nous y insistons — la chaux, la soude, la potasse et la magnésie sont les éléments minéraux adéquats à toute vie normale. VI Il y a seize ans, c'est-à-dire hier, on ignorait encore le mécanisme au moyen duquel les plantes fixaient tout leur azote. Berthelot, Schlœsing et Milntz, Hellriegel et Wilfarth, Munro, Warington, Nobbe, Lawes et Gilbert, auxquels l'agronomie doit tant, Schlœsing fils et Laurent, ont successivement démontré que l'azote libre était fixé par les plantes grâce à l'action d'un micro-organisme et que ce micro-organisme (Nobbe) était particulier, au moins chez les légumineuses, à chaque espèce végétale. Nous ferons remarquer de suite que le milieu minéral est particulier aussi à chaque espèce végétale. Une cellule vivante entraînée dans un milieu minéral propre peut fixer de l'azote libre chez les plantes. Une cellule vivante, la cellule lymphoïde, peut accumuler de l'azote (K Voia- : Annales de l'JnsliliU Pmleur, 1890, Win igradsky ; Uevue scientifique, t. L; Frankland. 33* 514 ZOOLOGIE. ANATOMIE, PHYSIOLOGIE organique chez ranimai, azote que d'autres cellules utiliseront au gré de leurs besoins, selon leurs aptitudes fonctionnelles. La première condition pour que l'azote libre devienne utile, c'est qu'il soit combiné, minéralisé, assimilable. La première condition pour que l'azote organique devienne utile, c'est que la matière azotée soit soluble , dialysable, assimilable. Or, c'est ici qu'apparaît l'idée d'amendement; certaines combinaisons minérales ont la double propriété de favoriser la dissolution et la diffusion de l'azote libre et de l'azote organique, les bases terreuses, par exemple ; mais au nombre et en tête de ces combinaisons minérales se trouvent les chlorures terreux et alcalins dans la solution naturelle desquels, l'eau de mer, s'agite la vie la plus puissante et la plus variée qui existe sur notre globe Nous désignerons sous le nom d'amendement, paraphrasant la défini- tion de M. P. -P. Dehérain {Traité de Chimie afp'icole, p. 615), les subs- tances capables de rendre assimilables les principes alimentaires qui restent inutilisés dans les conditions ordinaires de l'assimilation. La solution tétra-chlorurée que nous avons fait absorber à nos poules a une réaction légèrement alcaline ; elle dissout un tiers de plus d'albu- mine que l'eau distillée ; la pepsine en solution chlorhydrique peptonise un tiers de plus d'albumine dans la solution tétra-chlorurée que dans l'eau distillée. Cette solution est donc bien un amendement dans le sens strict de la définition que nous en avons donnée ; elle est favorable à l'assimilation puisque le poids de l'œuf augmente, puisque le poussin est plus lourd, plus vigoureux, plus beau. CONCLUSIONS [, — Nous avons appelé Sol animal, la réunion de toutes les domi- nantes minérales du corps de l'homme et des animaux, considérant l'azote comme impuissant sans le secours de la matière minérale. II. — La magnésie et la soude sont les dominantes, la chaux et la potasse les sous-dominantes minérales de l'œuf de poule. in. — La magnésie est la dominante, la chaux la sous-dominante miné- rale du jaune de l'œuf. La soude est la dominante, la potasse la sous-dominante minérale du blanc de l'œuf. Le phosphore appartient exclusivement au jaune; le soufre appartient exclusivement au blanc de l'œuf. IV. — La dichotomie des métaux et des métalloïdes dans l'œuf est une J. GAUBK. DU SOL ANIMAL. SOL DE LA POULE DOMESTIQUE 515 nouvelle preuve de la relation directe qui existe entre la forme de la ma- tière protéique et la nature de l'élément minéral qui la supporte (1). V. — Un aliment minéral est intégré, vilalisé au bout de six jours chez la poule. M. — Les poules soumises à un amendement tétra-chloruré (chlorure de calcium, chlorure de magnésium, chlorure de sodium, chlorure de potassium), pondent des œufs dont le jaune est plus lourd que le jaune des œufs ordinaires ; lo poids de la magnésie et de la chaux augmente dans le jaune. VII. — Le poussin, en naissant, contient plus de chaux et de magnésie que l'œuf ; le poussin emprunte cet excès de chaux et de magnésie à la coquille, qui est en partie composée d'un albumino-carhonate de chaux (2) et de magnésie soluble. VUL — Les corps désignés sous le nom à' albuminates sont des com- posés complexes contenant en petite (juantité la combinaison albumino- métallique qui est toujours à l'état de proto-sel, qui est toujours soluble. L\. — Les œufs pondus par des poules amendées gagnent 0,584753 0/Ot» de matière minérale sur les œufs ordinaires. Les poussins nés des œufs amendés gagnent 0,59556 0/00 de matière minérale sur les poussins nés d'œufs ordinaires. X. — Les poussins nés des (eufs amendés sont plus lourds, plus vivaces, plus beaux ; leur duvet est plus soyeux, plus brillant ; leurs couleurs sont plus vives. XL — La rotation qui s'établit entre les bases terreuses et les bases alcalines chez le poussin amendé est remanjuable et rapproche le poussin, par sa constitution minérale, des nouveau-nés plus élevés que lui dans la série animale. XIL — Nous désignons sous le nom d'amendements, les substances capables de rendre assimilables les principes alimentaires qui restent inu- tilisés dans les conditions ordinaires de l'assimilation. XIII. — La solution tétra-chlorurée est un amendement dans le sens strict de notre définition : elle est favorable à l'assimilation puisque le [>oids de l'œuf augmente, puisque le poussin est plus lourd, plus vigou- reux, plus beau. 1 1 ) Nulle pari on ne rencontre d'albumine vivante sans subslratum minéral, et c'est dans cette miné- nilisatiim «le l'albiiniine que rt'/ de l'être vivant. 'J. Gaibe, du Gers), Its Sciences biologiques. p. :t6'i, 12'- livraison, . (2) Voir: Société de Biologie, anm'es IS91-U2 ; De l' Albnminalurie . 516 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE M. Emile BELLOC à Paris. UTILISATION DES CUVETTES LACUSTRES PYRÉNÉENNES POUR LA PISCICULTURE — Séance du 19 septembre 4892 — La culture méthodique des eaux est pour ainsi dire ignorée dans la région pyrénéenne. Cependant, comme toutes les questions relatives à l'alimentation publique, la mise en valeur des nombreuses cuvettes la- custres renfermées dans ces montagnes intéresse trop directement les popu- lations rurales, pour que cette question capitale reste plus longtemps dans l'oubli. La terre, parfois, est une mère ingrate dans les contrées montagneuses, et celui qui la cultive et lui prodigue ses soins sait par expérience qu'il n'est pas toujours récompensé de son pénible labeur. Mal pais, dit l'Es- pagnol habitant le revers méridional des Pyrénées ; Maoua terra, s'écrie le cultivateur du versant septentrional, lorsqu'il compare son champ enfoui sous une couche épaisse de neige, durant une grande partie de l'année, aux plaines fertiles d'où il tire la plus grande partie de sa subsistance. En négligeant ce grand problème économique de la mise en produc- tion des masses d'eau qui couvrent leurs territoires, les municipalités sont coupables à tous égards. Non seulement elles privent leurs conci- toyens d'un produit naturel et d'un aliment éminemment sain, dont les qualités nutritives leur rendraient les plus grands services ; mais encore' elles renoncent bénévolement à un profit assuré qui augmenterait le revenu communal dans de notables proportions. Au point de vue social et utilitaire, la pisciculture, ou plutôt Vaqui- culture, nom sous lequel cette science pratique devrait être exclusivement désignée, mériterait d'occuper le premier rang parmi les industries ali- mentaires, car c'est peut-être la seule dont les produits n'aient pas encore été atteints par les falsifications et les altérations si communes et si habiles à notre époque. L'art d'élever le poisson n'est pas de date récente. Lés peuples de l'an- tiquité l'ont pratiqué avec succès; et, sans remonter aussi loin, il est É. lîELLOC. — UTILISATION DES CUVETTES LACUSTRES PYRÉNÉENNES 517 avéré que la fécondation arlificiellc a été découverte au xiv'' siècle, par un moine français du nom de Pichou, vivant à l'abbaye de Rémon, dans la Cùte-d'Or. Vers le milieu du xviii'^ siècle, le naturaliste Jacobi, reprenant la méthode inventée par le moine français, l'étudia sous toutes ses formes, avec la persévérance obstinée et le soin minutieux des détails qui caractérisent les gens de sa race. Une assez longue période de tàtonuements et d'essais suivit les impor- tantes expériences de Jacobi. En Europe, comme en Amérique, on s'oc- cupa du repeuplement des eaux vives et des étangs ; mais ce ditîicile problème paraît avoir été définitivement résolu, d'une façon pratique, par un modeste pêcheur vosgien nommé Rémy, qui ignorait certainement les études savantes faites avant lui. C'est seulement à partir de ce moment qu'a commencé réellement l'application méthodique et raisonnée de la culture de l'eau (1). Depuis cette époque, l'Aquiculture a fait de grands progrès, et, parmi les nations voisines de la nôtre, la Suisse est, actuellement, une de celles où l'exploitation aquicole est le mieux comprise et donne les meilleurs résultats. De 1881 i^i 4888, le chiffre total des établissements piscicoles s'est élevé progressivement de vingt-cinq à soixante-onze, et pour la seule année 1888 le nombre d'alevins éclos dans soixante-neuf de ces établis- sements a élé de 12.201.987 (S); D'après les dernières statistiques que le gouvernement fédéral suisse a bien voulu directement me communiquer, il résulte que, sur 18.542 œufs déposés dans les bassins des divers établissements de pisciculture, en 1890, on a etfectué, sous contrôle officiel, la mise en pleine eau de 12.090.313 alevins, d'espèces différentes, parmi lesquels les truites figurent pour le chiffre considérable de 3.076.253. Durant la période de 1890-91. le nombre total des établissements de pisciculture, en Suisse, étant de 90, le canton de Berne a mis en culture, dans les vingt établissements qu'il possède, 2.089.300 œufs, qui ont pro- duit 1,588.570 alevins. Le canton le plus favorisé pendant celte même période a été celui de Lucerne qui, avec 3.654.G99 œufs cultivés dans sept établissements seu- lement, a fourni 3.058.655 alevins. Après Berne, les cantons d'Argovie et de Vaud possèdent le plus grand nombre d'établissements piscicoles ; ils en ont chacun respectivement seize et onze, dont le produit a été de 1.810.900 éclosions pour 2.451.000 œufs (1) Pour les renseifjnenienls techniques, qui ne sauraient trouver ici leur place, on pourra con- sulter les ouvrages allemands et fram.-ais pulili.'S sur ce sujet, entre autres ceux du professeur Coste, et l'élude très intéressante de M. Casimir Landes, sur V Aquiculture Imp. Douladoure-Pnvat, 1890, Toulouse^. (2) Ces chiilres mont été fournis par YI-:tuJc des Lici suisses, de M. J. Thoulet, qui les a relevés dans les documents officiels. SI 8 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE incubés, et de 741.230 alevins éclos pour 1.003.100 œufs livrés à l'in- cubation. Ces chiffres ont leur éloquence et, sans prétendre à des résultats immi'- diats aussi brillants, je suis persuadé qu'avant peu l'Aquiculture deviendra prospère dans les Pyrénées, si les établissements sont installés avec mé- thode et économie. Actuellement la vie animale est aux trois quarts anéantie dans les eaux pyrénéennes, et il est facile de prévoir l'époque prochaine où le poisson disparaîtra des lacs et des cours d'eau, si l'autorité supérieure ne prend pas, à bref délai, des mesures énergiques pour arrêter les déprédations des malfaiteurs. Les engins prohibés ne suffisent plus à la stupide fureur de destruction des braconniers qui, sûrs de l'impunité ou à peu près, et sans se préoccuper des désastres qu'ils occasionnent, ne craignent pas de mettre en œuvre les substances toxiques les plus violentes et même les matières explosives pour s'emparer du poisson. Et, chose triste à dire, c'est parfois sous l'œil extraordinairement indulgent des hommes officiel- lement chargés de faire respecter la loi, que se passent ces faits déplo- rables à tous égards. La répression énergique des délits et l'observation rigoureuse des règlements de pêche s'imposent donc avant tout. A l'époque du frai, le braconnage fluviatile ou lacustre devient un véri- table crime, puisque le pécheur détruit, en une seule fois, des milliards d'individus avant leur naissance. Du reste, son méfait est sans profit pour lui, car, à ce moment-là, les œufs utilisant pour leur formation la plus grande partie des matières grasses et de l'acide oléophosphorique qui colore la chair des poissons, surtout celle des truites saumonées, l'animal a perdu sa coloration et sa saveur, et n'a plus de valeur marchande. Quoique l'homme soit souvent cruel et impitoyable envers certaines espèces d'animaux, il n'est pas toujours leur plus redoutable ennemi, et dans la plupart des cas même, ce sont les individus de leur propre race qui leur livrent les plus rudes combats. Si nous considérons les poissons d'eau douce, par exemple, nous les voyons exposés à tous les dangers, depuis l'état embryonnaire jusqu'à la mort, sans autre arme défensive que leur agilité. Aussi les générations nouvelles sont-elles constamment exposées à de véritables hécatombes. Si l'on ajoute à cela que certaines espèces, telles que les truites, ne prennent aucun soin de leurs œufs, qu'elles déposent simplement le long des zones littorales, dans des endroits tranquilles, creux et peu profonds, on (îomprendra aisément combien il est urgent de soustraire les jeunes sal- mones à la voracité de leurs congénères, pendant l'époque la plus critique de leur existence. Au moment de l'éclosion, le corps de l'animal est tellement grêle et K. BELLOC. — ITILISATION DES CUVETTES LACUSTRES PYRÉNÉENNES ol9 6a vésicule ombilicale si fortement développée au dehors, que le malheu- reux petit être, couché sur le tlanc et incapable de se mouvoir, devient très facilement la proie de ses nombreux ennemis. Plus tard, lorsque la substance jaune de la vésicule abdominale est en partie résorbée, le jeune alevin, devenu plus agile, est mieux à même de se défendre ; cependant, en cet état moyen de développement, les espèces carnassières qui le guettent en dévorent une très grande quantité. Les pêcheurs pyrénéens n'ignorent pas ces détails ; aussi ont-ils la conviction qu'une truite de grande dimension détruit plus de poissons qu'une loutre de taille ordinaire. Quelques tentatives d'empoissonnement ont bien été faites dans certaines parties de la région pyrénéenne, mais ce sont là des faits isolés et qui sont restés sans conséquence, n'ayant rien de commun avec les méthodes perfectionnées appliquées actuellement à la production et à l'élevage raisonné du poisson comestible. L'industrie aquicole trouverait dans ce pays des ressources considérables et un champ d'exploitation absokmient neuf. Et comme ces établissements, créés à peu de frais, fonctiormeraient surtout pendant l'hiver, la main-d'ceuvre étant à très bas prix à cette ■époque de l'année dans les montagnes, le succès serait certain. La plupart des cuvettes lacustres pyrénéennes se prêteraient très bien à la culture du poisson, puisque, dans un grand nombre d'entre elles, la truite se multiplie et se développe admirablement. Leurs eaux pures et limpides renferment, non seulement les matières chimiques néces- saires à la formation du squelette de ces animaux, mais encore une innombrable quantité d'animalcules propres à leur nourriture. Ramond de Carbonnière, l'éminent explorateur, avait signal»^ trois i^spèces de truites dans les lacs des Pyrénées. La truite commune (Trutta fario, Sieb.), la truite saumonée {Trutta argentea, Val.) et la truite des Alpes ou truite noire (Salmo alpiiius, Ginel). Actuellement on n'admet plus qu'une seule espèce de ivmie {Trutta fario) avec des variétés pré- sentant divers degrés de coloration. Quoi qu'il en soit, mes observations personnelles maintes fois répétées, particulièrement au lac d'Oô, m'ayant révélé un fait physiologique très curieux, je vais le faire connaître, car il n'a encore été relaté nulle part. Les filets de pêche tendus le soir dans la partie littorale du lac et relevés chaque matin ramènent deux sortes de truites dont la manière d'être et l'aspect extérieur diffèrent complètement. Les unes, dont le corps et la tête sont allongés, ont le museau effilé. Leur peau, parsemée de 520 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE petits points rouges, est d'un blanc-gris argenté et très clair à la partie abdominale ; elle passe au gris sombre vers l'arête dorsale. Lorsqu'un de ces individus se sent pris au piège, il se débat désespérément, et la violence de ses mouvements est telle que souvent les mailles du filet qui l'en- serrent pénètrent dans sa chair. Malgré cette position critique, il est rare qu'il ne soit pas encore vivant au moment où on le retire de l'eau. — Les autres, au contraire, dont la tête est plus courte et le corps plus ramassé, sont d'une couleur gris verdâtre, et leur peau, où les points rouges sont très vifs et beaucoup plus nombreux que dans l'espèce précédente, est tachée de noir de l'extrémité du museau au bout de la queue. Rarement j'ai vu la tête de ceux-ci engagée de plus de deux ou trois centimètres dans le tramail qui le retient prisonnier, et plus rarement encore, j'ai pu recueillir l'animal vivant. Il y a là, ce me semble, un fait physiologique remarquable; et, en admettant que ces deux êtres appartiennent à la même espèce, il faut reconnaître que la force de résistance à l'asphyxie est infiniment plus- considérable chez l'un que chez l'autre (1). La truite se rencontre à peu près dans tous les lacs pyrénéens, jusqu'à une altitude voisine de 2.400 mètres, mais il est plus rare d'y trouver d'énormes anguilles à 1.764 mètres de hauteur, comme l'a remarqué le D'' Jeanbernat au lac de Balcère. La faune lacustre des Pyrénées n'est pas encore définitivement connue. Ramond, Ch. des Moulins, Philippe, D. Dupuy, N. Boubée, E. S. Fros- sard, le D^ Jeanbernat, le général de Nansouty et le D' P. Fischer (2) en ont parlé incidemment dans leurs écrits, et M. P. Fagot lui a consacré,, dans le Bulletin de la Société d'Histoire naturelle de Toulouse (p. 29, 1883), une note dont le but principal est de retracer l'histoire de la Salamandre aquatique, observée dans le lac d'Oncet par Ramond, et qu'il désigne sous le nom de Megapterna pyrenaica (Euproctus). D'après ces recherches déjà un peu anciennes, cette faune se rédui- rait à : une espèce de poisson, deux espèces de batraciens, une espèce d'insecte, trois espèces de , mollusques et une espèce de ver nématode. A cette liste très incomplète, que des recherches ultérieures modifieront certainement, il faut ajouter : 1° Un batracien non encore signalé en France, Rana Iberica, Boulenger, découvert par moi au lac d'Aubert (Hautes-Pyrénées). [Jusqu'à nouvel a) L'étude de la disposition du squelette de ces vertébrés permettra peut-être de tirer des con- clusions plus caractéristiques. Dans le but d'élucider aut.mt que possible la question, j'avais eu recours au bon vonloir de M. Sartor, maire actuel delà commune doô et fermier du lac de ce nom, pour obtenir quelques échantillons de sa pèche. L'envoi fut obligeamment fait, mais de fâcheuses circonstances l'ont empêché d'ar- river jusqu'à moi. (2) P. Fischer, Faune malacologique de la vallée de Cauterets (2« supplément) (Journal de Conchy- liologie, vol, 26. -18781. É. BELLOC. — UTILISATION DES CUVETTES LACUSTRES PYRÉNÉENNES o2l ordre ce nom est donné sous toute réserve, les échantillons soumis à l'examen de xVIM. Parâtre et RoUinat étant en mauvais état de conserva- tion lorsqu'ils sont parvenus entre leurs mains]; 2° Le Desman des Pyrénées (Myogale pyixnaica) (1) ; 3° La loutre commune (Lutra vulgaris, L.) ; 4° Une sangsue {Hœmopis sanguisur/a (Bergman, nec Moquin-Tandon;, déterminée par le D' R. Blanchard, qui prépare une grande monographie des Hirudinées. Abstraction faite des lacs de la zone sous-montagneuse — Lourdes, Saint-Pé-d'Ardet, Barbazan, etc. — renfermant la plupart des espèces de poissons, de reptiles, de batraciens et d'insectes, vivant habituellement dans les eaux de la plaine, la faune lacustre pyrénéenne se compose actuellement de : . , .,., ( Mno(iale pxirenaica (Desman des Pvrénôcs). Deux espèces de mammiteres. \ , / , . -, ( Lutra vulgaris, L. ÎRana temporaria, L., var. Cajîigonîca, Boubée. — Iberica, Boulanger. Megapterna pyrenaica, Fagot (Ewprodits, Gêné). Une espèce de poisson Trutta fario, Sieb. Une espèce d'insecte Dislicus circumflexus, Fabric. Une espèce d'hirudinées . . . Hœmopis sanguisuga, Bergman. Une espèce de ver néniatode . Gordius aquaticus, L. [ Lhmiœa limosa, var. glacialis, Dupuy. i Ancyhis fluviatilis, Miill., var. Capuloides, ] Porro . Quatre espèces de mollusques. Pisidum Cazertanurn, Poli, var. lenticularis, Norm . — — Poli, var. pulchella, Jenyns. Enfin, la faune microscopique est aussi largement représentée dans les eaux pyrénéennes comme l'ont établi tout récemment, et pour la première fois, les études de M. le baron Jules de Guerne, ancien président de la Société zoologique de France, et de M. le D' Jules Richard, qui ont bien voulu se charger d'examiner les pêches au filet fin que j'ai faites dans un assez grand nombre de lacs supérieurs. Leur travail — dont les résul- tats ont fourni la matière d'une note spéciale contenue dans le présent volume, p. 526 — a révélé des richesses microscopiques abondantes inconnues jusqu'ici dans les Pyrénées, composées d'Entomostracées, de Rotifères et de Protozoaires, dont les jeunes poissons en général et les truites en particulier sont très friands. En terminant, je dirai que" la création de l'Aquiculture s'impose falale- M) Eiifiènc TRiTAT, Essai sut f histoire naturelle du Desmandes Pyrénées. Toulouse, imp. Edouard Privât, 1891. OlZ ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE ment à l'heure actuelle, sous peine de voir se produire avant peu le dépeuplement complet des torrents et des lacs pyrénéens. Celte question primordiale, qui touche directement au bien-être de nos populations montagnardes si dignes d'intérêt, a été portée l'an dernier devant le Conseil général des Hautes-Pyrénées. Nous croyons savoir qu(î le Service hydraulique agricole, sous la direction de M. l'ingénieur eu chef J. Fontes, a déjà mis à l'étude un projet d'établissement aquicolc destiné à la région d'Orédon ; espérons que la réalisation de ce projet, utilitaire au premier chef, ne se fera pas longtemps attendre et ne sera que le prélude d'une mise en culture générale de lacs et rivières de nos montagnes. Alors nos collègues — trouvant l'aquiculture en pleine activité quand l'Association française se réunira de nouveau dans les Pyrénées — pourront dire avec Franklin : « Tout homme qui pêche tire de l'eau une pièce de monnaie, et si le filet ramené sur le rivage est gorgé de butin, il procure au pêcheur un véritable trésor. » L. BOÏÏTAIf Ooctour ('S sciences, !\lailrc de Conférences à la Facultr ries Sciences de Paris SUR LE DEVELOPPEMENT DE L'HALIOTIDE ET SUR L'UTILITÉ DU SCAPHANDRE DANS LES RECHERCHES ZOOLOGIQUES — Séance du 19 septembre iSHi — L'an dernier, pendant un voyage dans la mer Rouge, j'eus la bonne fortune de recueillir les formes jeunes du Parmophore. Je désirais com- pléter mes observations en étudiant en même temps le développement de l'Haliotide et du Troche. J'écrivis en conséquence à M. de Lacaze-Duthiers pour lui demander l'autorisation de travailler dans le beau laboratoire qu'il a fondé à Banyuls-sur-Mer. Si le mois d'aoïlt est favorable à l'étude que je voulais entreprendre, il l'est cependant beaucoup moins au point de vue de l'organisation même du laboratoire qui ne doit fonctionner, en temps normal, que le printemps et l'hiver. I,. BOUTAN. SUn LE DKVKI.OPPE.ME.M bE l/llAl.IOTlDE o28 .Mais, en raison de l'utilité du travail que j'avais en vue et malgré tous les inconvénients et toutes les dépenses qu'entraîne l'armement spécial d'un bateau à une époque inaccoutumée, M. de Lacaze-Duthiers mit libéralement à ma disposition les ressources de cette belle station mari- time; et, grâce à son intervention, je pus efîectucr dans de bonnes <-onditions le travail projeté. A l'aide du scaphandre qui appartient au laboratoire de Banyuls, j'ai eu le moyen d'explorer à mon aise le fond de la mer et d'étudier sur place les jeunes Gastéropodes aux diverses phases de leur développement. C'est sur ce jnodr d'invi'stigation assez original que je désire appeler aujourd'hui l'attention de mes collègues du Congrès. Le laboratoire Arago possède un scaphandre des mieux organisés et un patron tout à fait au courant de la manœuvre de l'appareil. Sans courir l(^ moindre danger, j'ai donc pu descendre, à plusieurs reprises, dans la rade de Port-Vendres, aux endroits qui me paraissaient permettre une abondante récolte des jeunes gastéropodes à étudier. Cette descente au fond de la mer est plus effrayante en apparence qu'en réalité. Quand on s'est habitué au vêtement un peu lourd qui vous enve- loppe de toutes parts, quand on fait abstraction du grondement de l'air mis en vibration par la pompe, on circule avec une extrême facilité, du moins dans les profondeurs moyeimes de sept à huit mètres. Le spectacle qu'on a sous les yeux est des plus captivants : si l'on se trouve dans les environs des Zostères, on aperçoit de grandes prairies submergées aux longues herbes toutes inclinées dans le même sens par le courant. Au-dessus de ces grandes herbes, circulent sans défiance des bandes de poissons qui s'arrêtent (:a et là pour pâturer. En poursuivant la promenade, on rencontre des roches coupées à pic, véritables escarpements qui rappellent les coupes rocheuses que l'on observe en certains points de nos montagnes. Un p«'u plus loin, apparaissent des amoncellements de pierres et de lochers sous lesquels grouille toute une faune d'êtres vivants. Le poulpe, avec ses longs bras garnis de ventouses, vit à l'alTùt sous quelque roche <'n surplomb et trouve, pour se nourrir, des milliers de irabes et d'autres iorm. et var. : pulchella, Jenyns (2). Ce sont des types littoraux; l'usage d'une embarcation permettant l'emploi de la drague au milieu même des lacs amènera sans doute la découverte de quelques autres formes, notamment de petits bivalves. Cela est arrivé dans un grand nombre de lacs élevés des Alpes (3). Avec ces Mollusques, la drague ramènera d'ailleurs certainement nombre d'animaux particuliers à la faune profonde, des Crustacés et des Vers entre autres. Enfin, les (1) Dans uiio noie fort intôressanto sur ïutili/talion des cuvettes lacuxlrei^ pyrénéennes pour la insc'i- rulliire (Association française pour l'avancement des sciences, Congns de I'au>, il. ICniile Belloc a résumé tout ce que l'on sait de la faune des lacs pyrénéens. (•>) Voici les localités où ces Mollusques ont été recueillis : ( Lacd'Oncel, altitude 2.238 mètres. /.imnœa i)mo.s((, Lin., var. : .'//acîV//(S, Dupuy. . . . / Lac d'Escoubous. — 2.0j(i — f Lac de Gaube. — i.7fDI' ( li D.\TES \ (1 M s DES L A 1 ; S A L T rT r n k MAXIMUM n V. s p K c H i; s raètivs inètivs ; Aubcil HaïUcs-Pvrénécs). . 2.16(1 14 i septembre IS90. Auiiiar — • • 2.2L^ li :?! août 1S90. Caïllaoïias — . . 2.165 101 81 août 1S92. Cap (le Long — 2.12(1 ■> !■'■■ .septembre 1S90. Es loin — L7S2 IS Fin août l«»l. I,ostallal — . . 2.172 s 1°' septembre IS!»0. Lourdes — 422 12 Aoiit-septcmbre IHOL 0<> iHaule-Garonaei 1 .500 67 2!»-3(l août I.S92. Orétlon Hairtes-Pyrênécs) . . . I.S6» 5i 1-- septembre IK9(). ' 19 août 1892. St-Pé-rt'Ardet (Haute-Garonne 6!»S fi S septembre 1892. 0-28 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE j/jniiVca-:i.i-is » C « R » CJ o R 'J U CJ KOQHHO L> J -* ,« »^ « « tt :— < 00 o R -j -O o saaHQOi xvnvxsfj'i ^ s « ij s KOXS'J 9N01 aa dvo a 3 •a 'J a K « svnovTnvo 'b es o es Hvwav .a " 13 ^ ^ « xaaaav S S o •0) o U o s- e ■„ ^ S •- S " s -/î z. ;^ u 9 :y ~ ■^ i .i hJ — fcL, =* C ce .-. C 60 5ï II, s 3 'S .S -2 ^ ^ o i Ë^ g- ^ s*? S I I u ■d) u o -s es s '72 := S „ tj ~ .2 tx ~ .= -S -S S =^ — ^^ -^-- G ~ ^ï » te m kl tM « 2 '^ O w - — c: s §- (5 g, a. Ose ■? S ^ o ai '^ è§ ■5= "S, a, 't; ce v u •M a o N O -P O u a s S; (3h Q O o O -< ^ 1 S: O S o I d VILLOT. — ÉTUDE d'aNATOMIE COMPARÉE SUR LES MERMIS ET LES GORDIUS 529 M, A. YILLOT à Grenoble. ÉTUDE D'ANATOMIE COMPARÉE SUR LES MERMIS ET LES GORDIUS — Séance du 21 septembre i892 — Les Mermis sont des Némathelminthes qui, en raison de leurs formes extérieures et de leur genre de vie, soit à l'élat libre, soit à l'état para- site, ressemblent beaucoup aux Gordius et ont été pendant longtemps confondus avec eux. C'est à Dujardin (1) que revient le mérite d'avoir, le premier, nettement distingué ces deux genres et montré combien ils diffèrent, en réalité, par leur organisation ; et toutes les recherches dont les Gordius ont été l'objet dans ces vingt dernières années n'ont fait que rendre de plus en plus tranchée et de plus en plus profonde la séparation de ces deux types. L'ordre des Gordiacés, dans lequel von Siebold réu- nissait les Mermis et les Gordius, a disparu de la nomenclature. Les Gordius constituent maintenant à eux seuls, dans la sous-classe des Némathelminthes, l'ordre des Gordiens. Quant aux Mermis, ils ont fait retour à l'ordre des JNématoïdes et ne forment plus dans cet ordre qu'une -simple famille. Mais il n'a pas été possible, jusqu'ici, d'établir une comparaison com- plète et détaillée entre les Mermis et les Gordius, en raison même de l'im- perfection de nos connaissances sur la structure des uns et des autres. Aussi m'a-t-il paru nécessaire, après avoir terminé mes recherches sur les Gordius C2), de reprendre l'étude des Mermis. Je me propjose, dans la présente Note, d'élucider quelques parties de l'anatomie de ces derniers, et de les comparer, à ce point de vue, avec les Gordius. I Il existe chez les Mermis, comme chez les Gordius, deux cuticules. L'externe, désignée par Dujardin et Meissner sous le nom d'épiderme, représente la cuticule primitive, celle de l'embryon. C'est une membrane {\) Mémoire sur la structure nnatomique des Garlius et d'un autre helminthe, le Mermis, qu'on a confondu avec eux {Annales des Sciences naturelles zool., 2" série, t. XVIII, p. U2), is42. (i) L'Evolution des Gordius (Ann. des Se. nat. zool., 7° série, t. XI, art. n» 7, pL XIV-XVI; <89l. 34* 530 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE très mince, normalement lisse, dans laquelle on ne peut découvrir qu'avec beaucoup de difficulté des traces de différenciation fibrillaire. L'interne représente la cuticule propre des individus adultes et se fait remarquer par sa grande épaisseur. On y distingue deux parties : l'une superficielle, qui correspond à la couche fibreuse de Du jardin et de Meissner ; l'autre profonde, qui correspond au tube cartilagineux de Dujardin et au chorion de Meissner. Ces deux parties de la cuticule interne sont en réalité de même nature et ne diffèrent que par leur degré de développement. La partie superficielle, dont la structure fibrillaire est très évidente, est la plus ancienne ; la partie profonde, dont la structure fibrillaire n'est qu'ébauchée, est constituée par les couches de formation récente. Les deux cuticules, celle de l'embryon comme celle qui caractérise l'état adulte, appartiennent au tissu élastique, et n'ont rien à voir avec les formations épidermiques. II On trouve chez les Mermis, comme chez les Gordius, sous les deux cuticules des individus adultes, une couche de structure encore aujourd'hui très controversée, à laquelle on a donné, en raison de ses connexions avec les tégumentS; le nom de couche sous-cutanée ou hypodermique. Cethypo- derme représente le feuillet ectodermique du blastoderme de ces vers, et joue dans leur évolution un rôle très important. Les cellules embryon- naires qui constituent primitivement l'hypoderme des Mermis et des Gordius ont tout d'abord pour fonction de sécréter la substance fonda- mentale des deux cuticules, et méritent par conséquent, à juste titre, le nom de cellules chilinogènes. Mais ces éléments cellulaires représentent aussi, ainsi que je le soutiens depuis longtemps, de véritables névroblastes ; car c'est à leurs dépens, et par voie de simple différenciation histolo- gique, que se forment tous les éléments du sytème nerveux de ces vers. La sécrétion qui produit les deux cuticules a son siège dans le noyau de la cellule hypodermique, qui se transforme pour cela en une vésicule, au sein de laquelle s'élabore la substance chitinogène. Quant au protoplasme de la cellule hypodermique, il passe à l'état fibrillaire et constitue les fibres nerveuses. Cette double évolution de l'hypoderme s'effectue chez les Mermis dans des conditions particulièrement favorables à l'observation, car on peut en suivre toutes les phases chez les individus adultes. L'hypoderme des Mermis est représenté par une couche périphérique, très mince, située entre la cuticule interne et le système musculaire, et par six bourrelets longitudinaux (Lângsiviilste), logés dans les intervalles des six bandes musculaires. Ces six bourrelets hypodermiques se répartissent VII.I.OT. — ÉTUDE D ANATOMIE COMPARÉE SUR LES MERMIS ET LES GORDIUS 531 de la manière suivante : un dorsal et un ventral, deux ventro-latéraux et deux dorso-latéraux. Les deux bourrelets dorso-latéraux sont les plus volumineux et en même temps ceux dont les éléments primitifs se sont le moins modifiés. Ces bourrelets hypodermiques sont constitués par des séries de grosses cellules, serrées les unes contre les autres, et qui prennent, par suite de leur com- pression réciproque, une forme polyédrique. Le nom de « Zellschlauche », que Meissner donne à ces bourrelets dorso-latéraux, dans sa description du Mermis nigrescens et du Mermis albicans, est l'expression parfaitement exacte de leur structure. Les cellules qui les constituent ne sont pas toutes d'égale grandeur. Les plus volumineuses sont celles qui se trouvent situées sur les bords de chaque bourrelet dorso-latéral. Ce sont d'énormes cellules, de forme conique, ayant 0'"'",040 de large sur 0'"'",060 de haut. Les unes et les autres ont, d'ailleurs, le même aspect, la môme structure, et se comportent de la même manière avec les réactifs colorants. Elles possèdent toutes un gros noyau vésiculeux, et un protoplasme déjà différencié en fibrilles. Meissner considère ces cellules comme des éléments de sécrétion et donne aux bourrelets qu'elles constituent le nom d'organes sécréteurs (Secretionsorgatie). Cette manière de voir est certainement l'expression de la réalité. Les gros noyaux vésiculeux de ces cellules hypodermiques sont en effet, comme nous Pavons reconnu le premier, de véritables organes sécréteurs. Nous avons déjà dit que c'est à leur intérieur que s'élabore la substance chitinogène qui forme la matrice des deux cuticules. On peut donc supposer que ces cellules des bourrelets dorso-latéraux continuent, pendant toute la vie du ver, à sécréter de la substance chitinogène et à aug- menter ainsi l'épaisseur de la cuticule interne. Meissner a signalé, chez le Mermis albicans et le Mermis nigrescens, des bourrelets longitudinaux de la cuticule interne (Seitlichen Lângswulste des Coriums), dont l'existence peut très bien s'expliquer ainsi. Ces cellules hypodermiques doivent aussi sécréter le liquide qui est éliminé par les deux vaisseaux excréteurs qui parcourent les bourrelets dorso-latéraux et viennent s'ouvrir par deux ori- fices situés dans la région céphalique. Mais si la nature glandulaire de ces grosses cellules hypodermiques nous paraît démontrée, ce serait, je crois, une grave erreur que de vouloir borner à ce rôle d'élément sécréteur leur interprétation physiologique. Je considère les éléments fibrillaires qui représentent le protoplasme de ces cellules comme des fibres nerveuses en voie de formation. Ces cellules hypodermiques sont, en réalité, des cellules embryonnaires, dont les parties constituantes se différencient et évoluent dans deux directions différentes. Tous les doutes que l'on pourrait conserver sur la nature nerveuse de ces éléments fibrillaires disparaissent lorsqu'on passe à l'examen des bourrelets ventro-latéraux, qui représentent incontestablement des cordons nerveux 532 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE (Nervenstraiige) . Ces bourrelets, en effet, sont constitués par un lacis de fibrilles, qui forment par leur ensemble trois faisceaux longitudinaux, parfaitement comparables aux trois faisceaux de fibrilles longitudinales du cordon ventral des Gordius. Le système nerveux splanchnique, décrit par Meissner (Ij et von Linstow Ci), ne représente autre chose qu'un dévelop- pement particulier des éléments fibrillaires des bourrelets ventro-latéraux. Or, si l'on admet (ce qui n'est plus contesté aujourd'hui) la nature ner- veuse des faisceaux splanchniques, on ne peut refuser d'admettre aussi la nature nerveuse des éléments fibrillaires des bourrelets hypodermiques. La couche hypodermique qui recouvre les bandes musculaires se trouve réduite à son minimum d'épaisseur (3). Elle se présente sous la forme d'une membrane extrêmement fine qui, dans les dissections, reste ordi- nairement adhérente aux fibres musculaires. Cette membrane, d'appa- rence granuleuse, se montre, lorsqu'on l'examine avec de forts gros- sissements, entièrement composée de fibrilles dont la direction coupe à angle droit celle des fibres musculaires. Or, il est facile de voir que ces éléments fibrillaires de l'hypoderme sont tous en rapport de continuité avec les fibrilles des cellules des bourrelets hypodermiques. Leurs rapports avec les fibrilles des bourrelets ventro-latéraux sont parti- culièrement évidents ; ce qui met leur nature nerveuse hors de doute. Il n'y a plus trace de la structure cellulaire des éléments embryonnaires qui constituaient primitivement cette couche hypodermique. Les noyaux, après avoir sécrété la substance fondamentale des deux cuticules, ont complètement disparu. Il n'est plus resté, pour représenter les cellules primitives, que leur protoplasme, qui s'est différencié en éléments ner- veux. Cette couche périphérique de l'hypoderme des Mermis correspond à la couche périphérique de l'hypoderme des Gordius; mais il y a cette différence que, chez les Gordius, cette partie de l'hypoderme a conservé ses noyaux chitinogènes et des traces de sa structure cellulaire primitive. III De même que les Gordius, les Mermis sont des vers qui ne peuvent arriver à l'état adulte qu'après avoir séjourné dans le corps d'autres ani- maux, qui leur fournissent les matières nutritives dont ils ont besoin (1) Beitrâge zitr Analomie und Physiologie von Mermis albicans (Zeitschr. fur Wissensch. ZooL, Bd. V, Taf. I, lig. 1 1, 1833-I8.'>4. — Bcitriige zur Analomie und Physiologie der Gordiaceen {Zeilschr. fur Wissensch. ZooL, Bd. VII, Taf. I. fig. I. u. 6), 18:i;i-185fi. (2) BemerKungen ùber Mermis {Archio fiir miliroskop. Analomie, Bd.XXXLV, p. 394-395 ; Taf. XXII, fig. A-3 U.7), IS9I. (3) Caraerano, qui a décrit et figuré cette couche hypodermique chez le Mermis albicans, la rattache à tort à la cuticule. {Osservasioni intorno alla slruUura dclt integumenlo di alcuni Nem,atelminli, p. 13, fig. 10'. -1889. TII.LOÏ. — ÉTUDE d'aNATOMIE COMPARÉE SUR LES MERMIS ET LES GORDIUS o33 pour se développer. Ils vivent à l'état parasite dans la cavité abdominale des insectes et se nourrissent de leur corps adipeux. L'amas cellulaire que l'on désigne sous ce nom n'est, en effet, qu'un dépôt de substances ali- mentaires, de diverse nature, mises en réserve pour servir au développe- ment de l'insecte. L'Helminthe les trouve toutes préparées et les utilise pour son propre développement. Mais nos vers parasites ne se bornent pas à demander à d'autres organismes l'aliment nécessaire à l'entretien de leur vie ; ils se font aussi, aux dépens de leurs hôtes, des réserves ali- mentaires, qui leur permettront d'acquérir des organes génitaux et de vivre à l'état libre, lorsque viendra le moment de leur reproduction. Les Mermis et les Gordius sont également soumis à cette double néces- sité de leur évolution ; mais ces conditions nécessaires se trouvent réa- lisées chez les uns et les autres d'une manière bien différente. Les Gordius sont des vers parenchymateux. Ils possèdent un véritable corps cellulaire (Zc/lkorper), qui se forme aux dépens des cellules méso- dermiques. Ces éléments cellulaires, qui sont fort petits chez l'embryon, prennent chez la larve un rapide accroissement. Sous l'influence de l'abondante nourriture que le ver parasite trouve chez son hôte, ces cellules grossissent beaucoup et se remplissent de graisse. Ce corps cel- lulaire, en se développant, refoule l'intestin, dont le diamètre se réduit de plus en plus, jusqu'au moment où il cesse tout à fait de fonctionner. iMais, ainsi que je l'ai montré, l'intestin qui a cessé de remplir ses fonc- tions de nutrition est suppléé par le parenchyme. Ce sont les cellules du parenchyme qui fournissent aux organes génitaux et à leurs produits, en voie de développement, les matières nutritives, riches en éléments grais- seux, qui leur sont nécessaires. Aussi voit-on le parenchyme disparaître peu à peu et finir même par tomber complètement en dégénérescence, lorsque le ver arrive à l'état de maturité sexuelle. Chez les Mermis, les choses se passent tout autrement. La partie de leur mésoderme qui ne se différencie pas en fibrilles musculaires, ne prend aucun développement chez la larve et reste à l'état de très petits élé- ments cellulaires, qui remplissent tout l'espace compris entre les bandes musculaires, le système nerveux splanchnique et l'intestin. Ce Ze/lkorper rudimenlaire a été récemment désigné par le docteur von Linstow (1) sous le nom de « hyaline fein granulirte Schicht. » Mais il est bien évident que ces très petits éléments cellulaires ne peuvent jouer chez ies Mermis aucun rôle spécial de nutrition. On ne saurait donc y voir, au point de vue physiologique, l'équivalent du parenchyme des Gordius. C'est l'in- testin qui, chez les Mermis, supplée le parenchyme, insuffisamment déve- loppé, et sert de réservoir nutritif. I*our remplir cette fonction, l'intestin (i) BemeiliiUKjen iiher Mermis lAicliiv fur nukroskop. Avutomie, Bd. XWIV, fig. 3-0, gi. 1890. S34 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE devait naturellement subir d'importantes modifications. Il était nécessaire, en effet, que les matières nutritives introduites par la bouche ne pussent, après avoir traversé l'œsophage, s'échapper au dehors, et qu'elles fussent retenues par l'intestin. Aussi n'observe-t-on, chez les Mermis, ni rectum ni orifice anal. Leur intestin a été transformé en une sorte de sac, dans lequel viennent s'emmagasiner et s'accumuler les globules graisseux que le ver parasite puise dans le corps adipeux de son hôte. L'intestin des Mermis devient ainsi, à mesure qu'il se remplit d'éléments graisseux, de plus en plus volumineux. Il en résulte en même temps un amincisse- ment très notable de sa paroi. On y distingue cependant encore une cuticule externe, une sorte de réseau protoplasmique et de gros noyaux vésiculeux, derniers restes des cellules endothéliales qui constituaient pri- mitivement la paroi de l'intestin. Ce « Feltkorperschiauch », dont nous venons d'indiquer à grands traits la structure, représente à lui seul, lors- qu'on l'examine en coupe transversale, plus des trois quarts du diamètre de la larve des Mermis. Mais il subit ensuite, comme le parenchyme des Gordius, une réduction proportionnelle au développement des organes génitaux, et fait place aux produits de la génération, qui se sont formés à ses dépens. Il n'existe entre le « Feltkorpej'schlauch » des Mermis et le ^( Zellkor- per » des Gordius qu'une simple analogie physiologique. Ce sont des parties essentiellement différentes au point de vue morphologique. Le contenu du « FettkbrperschloMch » ne représente point des cellules adipeuses, mais bien de simples globules graisseux ; et la paroi de ce sac à graisse n'est autre chose que la paroi même de l'intestin, distendue et modifiée pour remplir cette fonction spéciale. Le docteur von Liustow (1) n'est donc point dans le vrai lorsqu'il résume son opinion à ce sujet de la manière suivante : « Als Darm scheint der Zellkorper zu funktioniren. » C'est précisément l'inverse qu'il aurait dû dire. L'intestin joue, chez les Mermis, le rôle physiologique qui est attribué au parenchyme chez les Gordius. (1) Weilere Beobachtungen an Gordius lolosaniis und Mermis (Archiv jur mikroskop. Anaiumie, Bd. XXXVII, p. 248), 1891. DOLLFCS. — DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DES ISOPODES TERRESTRES o3S M. DOLLEÏÏS Directeur de la Feuille des Jeunes Xaluralistes, à Paris. SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DES ISOPODES TERRESTRES DANS LA REGION DES BASSES-PYRÉNÉES — Séance du 31 septembre 189i — Le département des Basses-Pyrénées et, en général, la région des Pyrénées occidentales n'est pas très riche en Isopodes terrestres ; mais ce pays offre certaines particularités intéressantes au point de vue de la dispersion des espèces, et notamment une division très nette en trois zones fau- niques qui ne présente nulle part, en France, des caractères aussi précis : la zone littorale ; la zone moyenne, comprenant les plaines et les hau- teurs jusque vers 1.000 ou 1.200 mètres; et la zone des hautes mon- tagnes, où les Cloportes peuvent vivre jusque vers 2.^00 mètres d'altitude. La première de ces zones, que l'on pourrait aussi appeler zone mari- time, comprend les Isopodes du bord de la mer, plages ou falaises, et ne doit pas être confondue avec les zones marines, qui comprennent des espèces aquatiques, tandis que celles qui nous occupent sont entière- ment terrestres. — Il est même très rare que ces Cloportes vivent dans des endroits susceptibles d'être recouverts par le flot. — Les espèces qui vivent dans cette zone sont, les unes purement océaniques, les autres, plus nombreuses, à la fois méditerranéennes et océaniques ; aucune d'elles n'appartient en propre à la région qui nous occupe. — Le Cloporte océanique par excellence est le Ligia oceanica, vulgairement pou de mer; il est très commun dans les endroits pierreux et rocheux de ces côtes, notamment à Saint- Jean-de-Luz, sous les pierres, à l'embouchure de la Nivelle, où les çf atteignent une très grande taille, car il y a, à ce point de vue, une différence très notable entre les deux sexes. — Le Ligia oceanica mérite bien son nom : il se trouve, en effet, tout le long des côtes de l'Océan, depuis le nord de l'Europe jusqu'à Tanger, où il est commun, — et on ne l'a jamais trouvé sur les bords de la Méditerranée, où il est remplacé, dès les côtes de l'Kspagne du sud-est. par le Ligia italica. — Ces deux espèces paraissent tout à fait exclusives l'une de l'autre. •536 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE Le Metoponoi'thrus cmgendus, espèce rare partout, vit à l'embouchure des petits cours d'eau, sous les pierres, depuis l'Irlande d'où d a été décrit par Kinahan, jusqu'à l'Espagne. — J'en ai rencontré un assez grand nombre d'exemplaires à l'embouchure du petit ruisseau d'Hendaye, localité extrêmement riche et que je recommande aux personnes qui auraient l'occasion de la visiter ; on y trouve en abondance des mollusques appar- tenant, si je ne me trompe, au G. Moitessiera, etc., et des vers parmi lesquels une planaire probablement nouvelle. Les espèces à la fois méditerranéennes et océaniques sont tout d'abord Philoscia Couchii, trouvée à l'embouchure de l'Adour, sous les pierres aux allées marines de Bayonne. C'est un bien curieux Isopode, extrême- ment commun aux bords de la Méditerranée et qui se retrouve par-ci par-là et d'une façon très irrégulière, jusqu'au Havre, à l'embouchure de la Somme, en Hollande et en Irlande. — Cette Philoscie offre, au point de vue morphologique, un phénomène bien curieux, car il semble passager, c'est un élargissement, chez certains mâles, du propodite de la deuxième paire de péréiopodes ou pattes thoraciques. La grande majorité des mâles, même adultes, ne présentent pas ce dimorphisme, et c'est tout à fait exceptionnellement que je l'ai rencontré chez certains individus. — Par contre, il paraît plus fréquent chez certaines espèces du même genre, appartenant à la faune américaine ; je viens d'en décrire un exemple chez une espèce du Venezuela recueillie par M. E. Simon, et j'en ai figuré un autre encore plus frappant chez une Pliiloscia des îles américaines du Pacifique dont l'examen m'a été confié avec celui des Isopodes terrestres du « Challenger ». Dans ce dernier cas, ce n'est plus la première, mais bien la quatrième paire de péréiopodes qui présente cet élargissement du propodite; celui-ci prend absolument la forme d'un disque; mais, de même que pour Philoscia Couchii, tous les ^ adultes ne sont pas dimor- phes. — Une autre Philoscia, celle-ci tout à fait normale, la Philoscia elongata, peut aussi être rattachée à la faune littorale, au moins dans la région du sud-ouest, où elle ne quitte pas les bords immédiats de la mer, à Saint- Jean-de-Luz (embouchure de la Nivellej et Biarritz. — Toutefois, dans la Méditerranée, elle est beaucoup moins littorale, et elle paraît même remonter le long des grands fleuves jusqu'à une grande distance, car je l'ai trouvée, d'une part, à Toulouse, aux bords de la Garonne, et, de l'autre, à Saragosse, aux bords de l'Ebre, — toujours sous les pierres. En quittant un peu les Basses-Pyrénées pour longer les dunes des Landes, on aurait quelque chance de rencontrer Tylos Lalreillei, espèce littorale de la Méditerranée, très intéressante au point de vue morpholo- gique, car elle forme le type d'une famille distincte, et qui a été signalée sur quelques points des côtes de la Gascogne et jusqu'au Croisic. — Enfin, DOLLFUS. — DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DES ISOPODES TERRESTRES 53" les dunes landaises offrent aussi une variété bien marquée du Porcellio scaber que je viens de décrire dans la Feuille des Jeunes Naluralisles, SOUS le nom de var. ai^enaria; elle a un port très particulier, des mou- vements lents, et présente une coloration jaunâtre absolument pareille à celle des Nebria et Phaleria qui vivent dans les mêmes conditions. C'est un fait de mimétisme sur lequel j'appelle votre attention. Si nous passons maintenant à la zone moyenne, qui, ainsi que je l'ai dit, comprend les plaines et les hauteurs de moins de \ .200 mètres, nous trouvons la faune habituelle de toute la France tempérée, avec prédomi- nance de certaines formes et présence d'un petit nombre d'espèces spé- ciales. Citons rapidement : Aî-maclillidium vulgare, l'espèce la plus commune dans toute la France. A. nasatuin, beaucoup plus rare ailleurs ; on la rencontre assez fré- quemment dans l'ouest de la France, et dans tout le pays basque, elle est plus répandue môme que l'^l. vulgave \ on peut la considérer comme caractéristique de cette région. Porcellio scaber. Porcellio politus, pour laquelle je fais la même observation que pour V ArmadilUdium nasatum ; elle se trouve cependant plutôt dans les en- droits un peu humides et boisés, surtout aux environs de Saint-Jean -de- Luz, d'Ascain, de Sare et dans toute la vallée de la Nive. Porcellio lœvis, — espèce ubiquiste. — J'ai déjà eu l'occasion d'insister sur la dispersion de cette espèce, évidemment méditerranéenne d'origine, car on la trouve partout dans le bassin méditerranéen, dans les lieux in- cultes aussi bien que dans le voisinage des habitations, et qui par contre ne quitte plus l'homme, dès qu'elle sort de cette région, — et pourtant elle s'est répandue dans le monde entier, ce qui lui a valu plus de vingt- quatre noms différents, car, a priori, il était difTiciie d'admettre que l'es- pèce de Naples ou de Jérusalem fût la même que celle de Zacatecas au iMexique ou de Honolulu. — Le iMetoponorthrus pruinosus que nous trou- vons aussi près des maisons dans différents points du Béarn et du pays basque, est dans le même cas que lœvi^. Philoscia muscorum, commun partout sous les mousses et les feuilles mortes. Oniscus muraiim, qui a une forme un peu particulière dans l'Ouest et le Sud-Ouest où il est plus étroit, plus petit et plus foncé que dans le reste de la France. Oniscus Simoni, espèce tout à fait spéciale aux Pyrénées occiden- tales, et d'autant plus intéressante que c'est la seule du genre qui ait été décrite en dehors de l'O. murarius que je viens de citer. — L'O. Simoni est petit, d'aspect terreux et fortement granuleux. — Nous l'avons ren- contrée, M. Eugène Simon et moi, dans les localités suivantes : Biarritz, o38 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE Saint-Jean de-Luz, Cambo, Ascain, Hendaye, Vera en .Navarre, Bigorre. Trichoniscus vividus, charmanle petite espèce de couleur pourpre trou- vée à Saint- Jean-de-Luz, Cambô, Fontarabie, Lourdes, Cauterets, Bigorre, elle vit sous la mousse et les pierres. Trichoniscus pusillus, de moitié plus petite encore ; je viens de la trou- ver sur les coteaux de Gélos, sous la mousse et précédemment je l'avais rencontrée à Tardets près de Mauléon. Il n'y a qu'une seule espèce myrmécophile, c'est le Platyarthus Hojf- mannseggi, commune dans toute la France ; nous sommes loin ici de la richesse du bassin méditerranéen en cloportes commensaux des fourmis. Les habitats spéciaux, non encore explorés dans cette région, nous offriraient certainement Porcellio dilatatus dans les caves; Trichonicus ca- vernicola, dans les grottes. — C'est un petit cloporte blanc qui a déjà été signalé par M. Simon aux grottes Brichot et Rienfoucaud et à la Cueva de Orobe, en Espagne. Il ne faudrait pas non plus négliger de rechercher les petites espèces hypogées, car, en outre des Haplophthalmus que l'on rencontre dans le Nord, ces espèces, toujours très rares, pourraient donner lieu à des dé- couvertes importantes comme en a fait mon collaborateur 31. Aubert, à Marseille. (V. Aubert et Dollfus, Cloportes de Marseille, in Bull. Soc. Et. Scient., Paris, 1890). Il ne me reste plus qu'à dire un mot de la l'aune des Hautes mon- tagnes ; je ne l'ai point encore visitée dans le département même, ce n'est donc que par analogie avec les P\ rénées centrales que je citerai les les noms suivants, car il est plus que probable que l'on rencontrera toutes ces espèces dans la région : Armadillidium piclum, abondant sur la mousse (du côté de Luchon), jusqu'à 2.000 mètres. Porcellio montanus, sous les pierres, également dans les montagnes de Luchon. Porcellio pyre- nœus de la vallée de Salanques, dans les Pyrénées espagnoles, espèce nouvelle dont la description vient de paraître dans une étude sur les Iso- podes d'Espagne. (V. Soc. Hist. Nat. Madrid, 1892.} Enfin, un Metoponor- thrus, non encore décrit et qui semble très commun, tout autour de Cau- terets, vers loOO mètres d'altitude, sous les pierres et les pièces de bois. Vous voyez que, pour la faune isopodique des Hautes-Pyrénées, il y a encore beaucoup à faire. Avis à ceux qui auront l'occasion d'y faire des récoltes. Je recommande surtout de soulever les pierres, ia mousse et les pièces de bois pourri; on y trouvera sûrement du nouveau. A. MALAQIIN. — l'aBSORPTION ET l'eXCRÉTION CHEZ LES SYLLIDIENS o39 M. A. MALAQÏÏIÎf Préparateur à la Faculté des Sciences de Lille. REMARQUES SUR L'ABSORPTION ET L'EXCRÉTION CHEZ LES SYLLIDIENS — Séance du 2t septembre 189i — La conformation de la trompe des Syllidiens permet à ces Annélides d'absorber, en même temps que leurs aliments, une certaine quantité d'eau ; on peut même dire qu'il leur est impossible de ne pas en intro- duire pendant cet acte. La région antérieure de la trompe, ou trompe phar^-ngienne, forme, en effet, un tube droit, ou contourné, qui est tapissé par une chitine épaisse, de sorte que cette portion cylindrique •est toujours largement béante. Lorsque les Syllidiens veulent avaler des aliments, soit des Bryozoaires {Vesicularia, Bugula, Gemellaria, Memhranipora, etc.), ou des Hydraires {Sertularia, Hydralmania, etc.), soit de petits animaux, soit de la vase fine, ils projettent vivement leur trompe. L'extrémité antérieure de celle-ci est terminée par un cercle de papilles où aboutissent souvent des glandes spéciales, et forme presque ventouse. En même temps, un puissant organe musculeux en forme de tonnelet, le proventricule, ou gésier, se dilate et, faisant oiTice de pompe aspirante, attire les aliments avec une certaine quantité d'eau. A la dilatation brusque de cet organe fait suite une systole progressive qui envoie les aliments dans la région faisant suite au gésier : le ventricule dans certains cas, l'intestin antérieur si le ventricule fait défaut ou est rudimentaire. Un sphincter, situé dans la région antérieure de ce gésier, empêche le retour des aliments en avant ; il en existe de même un à sou extrémité postérieure. Celte irrigation est cependant moins grande en réalité qu'en apparence, car il est fréquent de voir un mouvement inverse se produire. L'animal rejette alors l'eau qu'il a absorbée : ce phénomène est surtout très frap- pant lorsque le Syllidien rejette des bulles d'air. Les aliments arrivent donc rapidement dans l'intestin antérieur et de là dans l'intestin moyen des deux régions constituant linteslin hépatique dv Claparède. Il n'existe pourtant pas de glandes proprement dites dans celte portion du tube digestif. La structure des parois intestinales y est en S40 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOf.IE effet des plus simples : une seule couche épithéliale revêtue immédiate- ment par l'endothélium péritonéal. Ce sont les cellules épithéliales qui sont chargées, tout à la fois, de produire une sécrétion capable de transformer et d'élaborer les aliments, puis d'absorber les produits de cette élaboration. Le mécanisme de la sécrétion est le même que celui qui a été déjà reconnu chez un certain nombre d'autres animaux. Au sein même des cellules, on voit naître des- sphères liquides, hyalines, qui grossissent, distendent les cellules, les font s'ouvrir par leur surface libre; ces petites sphères ou boules de sécrétion tombent alors dans l'intestin. Il est à noter que ces cellules, au sein des- quelles se produisent ces phénomènes, sont des cellules ciliées. Dans certains cas (Aulo/ytus, Myrianida, Sijllis, etc.), la production de ces boules se fait uniformément sur toute la paroi intestinale; dans d'au- tres cas (Haplosyllis hamata), elle se fait particulièrement sur un bourrelet ou renflement ventral de la paroi. Dans le genre Ëusi/llis, la production de ces boules est d'une activité extraordinaire ; la lumière intestinale en est constamment remplie. Les coupes montrent un épithélium formé de bulles serrées les unes contre les autres sur plusieurs rangées, c'est, en un mot, un épithélium boursouflé, spumeux. Claparède signale des faits ana- logues chez Telepsavus costarum. Au moment où les boules de sécrétion arrivent dans la lumière intestinale elles sont homogènes, de couleur légèrement jaunâtre. Leurs dimensions varient chez Syllis hyalina, où je les ai surtout étudiées, de 8 à 16 p. de diamètre. Leur consistance est assez grande pour ne pas diffluer dans l'intestin, et, d'un autre côté, elle est assez liquide pour que deux boules de faibles dimensions, se rencontrant, puissent se fusionner en une seule. Ce sont, en résumé, des gouttes d'apparence huileuse ; leur nature chimique les rapproche aussi des huiles et des graisses; lorsqu'on les- traite, en effet, par l'acide osmique, elles se teignent immédiatement en noir intense. Au point de vue de leur formation, dans certains cas (Autolytus longe fet'iens, Myrianida), j'ai vu ces boules encore dans l'épi- thélium se teinter sous l'action des colorants ; dans d'autres (Eusyllis) elles paraissent être franchement des excréta de cellules. L'action de ces boules de sécrétion sur les aliments, en rendant ceux-ci absorbables, donne en même temps naissance à des produits non assimilables, qui se présentent sous l'aspect de petites concrétions ou sphérules de 1/2 ,u. à 1 y. de diamètre. Chez Eusyllis ces concrétions apparaissent sur les boules de sécrétion sur lesquelles elles se fixent superficiellement. Puis elles se rassemblent en amas qui forment des taches noirâtres si fréquentes dans l'intestin des Eusyllis et Odontosyllis. La Syllis hyalina présente des phénomènes différents. Les concrétions prennent naissance à l'intérieur même de la boule de sécrétion. Au fui: A. MALAQUIN. — l'aBSORPTION ET l'eXCRÉTION CHEZ LES SYLLIDIENS S41 et à mesure que cette dernière s'épuise, elle se remplit de concnHions, et au bout d'un certain temps, il arrive que la boule primitivement homo- gène et huileuse, est formée de petites sphérules qui lui donnent un aspect framboise ou moruliforme. Cette masse gagne peu à peu Tintestin posté- rieur grâce au mouvement des cils vibratiles de l'épithélium. Ces boules, ainsi transformées, présentent des mouvements propres. On peut y dis- tinguer deux sortes de mouvements : 1" un de rotation saccadé de la boule; 2° un mouvement interne des sphérules qui roulent sur elles- mêmes ; mouvement qui cesse quand ces sphérules sont devenues trop nombreuses. Bien avant l'arrivée de ces boules dans l'intestin postérieur, elles se dissocient et les sphérules deviennent libres : les unes isolées, les autres associées par deux ou par trois; do là elles sont rejetées par l'anus. Quant à la nature chimique de ces sphérules, elle est urinaire, comme nous allons le voir. L'intestin postérieur de S. hyalina et, en général, la région correspondante des autres Syllidiens, est d'une couleur jaune, quelquefois intense (Odontcsrjllis), ce qui lui a fait donner le nom d'intestin urinaire par Claparède. Les cellules épithéliales de cette partie de l'intestin sont fortement ciliées et ne sont pas sécrétantes. Sur les deux côtes, on constate la présence, dans l'intérieur même des parois, de concrétions sphériques ; ces concrétions sont franchement urinaires. Si on les traite, en etîet, successivement par l'ammoniaque et par l'acide acétique glacial, il se constitue des cristaux d'urates, les uns ayant la forme caractéristique, les autres allongés en aiguilles ou présentant des macles variées. Quant à l'origine de ces concrétions, elle s'explique facilement. Ce sont les sphé- rules dont il a été question plus haut; au point de vue de l'aspect, il y a entre ces productions beaucoup d'analogie. En coupe transversale, on remarque que ces sphérules sont logées dans deux sillons latéraux, non ciliés, des parois de l'intestin; ce sont les sphérules urinaires produites dans l'intestin antérieur et moyen qui s'y sont accumulées et y sont arrêtées. Profitant de la facilité avec laquelle les Syllidiens avalent de l'eau, nous avons essayé de leur faire absorber de l'eau colorée arlificiellenienl, nous inspirant en cela des recherches de Kowalesky sur les organes excré- teurs. Ces expériences ont pour but de reconnaître les points d'absorptioi du tube digestif et la voie par laquelle sont excrétés les produits non assimilables. Les colorants employés ont été: la fuchsine acide, le carmin ammo- niacal, le carmin d'indigo et le tournesol bleu broyé ; les deux premiers sont ceux qui réussissent le mieux. Les Syllidiens absorbent la fuchsine avec une très grande facilité. Fait 1 o42 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE général, ce colorant imprègne toutes les parties chitineusés avec une très- grande rapidité. C'est ainsi que la trompe pharyngienne est vivement colorée en rouge, le revêtement chitineux qui la tapisse s'imprégnant tout entier ; il en est de même de deux pièces chitineusés du proventricule. Les soies elles-mêmes se colorent rapidement jusqu'à leur extrémité interne. Les parois du proventricule et du ventricule ne se colorent pas, car l'eau n'y séjourne guère. Les parois des cœcumsdu ventricule (glandes en T), lorsqu'ils existent, sont gonflées par l'eau colorée où nagenl quelques boules de sécrétion (1) ; ces parois sont légèrement teintées en rouge. Il en est de même d'une toute petite portion de l'intestin attenant au ventricule, quand l'animal a séjourné assez longtemps dans le liquide coloré (cinq à six jours). Ni l'intestin antérieur, ni l'intestin moyen, qui sont plus particulièrement les régions sécrétantes, ne se colorent. Au contraire, l'intestin postérieur est vivement coloré, dans les points mêmes où nous avons signalé la présence des concrétions urinaires. Le carmin ammoniacal donne des résultats à peu près semblables ; il a cet avantage, en outre, de passer avec facilité dans le liquide des vais- seaux sanguins, de sorte que j'ai pu ainsi observer des détails de la cir- culation que la transparence complète du sang rendait fort difficiles à voir. Le rôle des néphridies, d'après ces expériences, est peu actif. Les organes segmentaires, chez les Syllidiens, sont en effet des plus rudimen- taires. Ils constituent, dans l'état ordinaire, un canal étroit, courbé en arc. dont l'extrémité antérieure interne est engagée dans le dissépiment et s'ouvre dans le segment précédent, tandis que l'ouverture externe, posté- rieure, vient s'ouvrir sur la face ventrale du pied dans le voisinage du cirre ventral. Les parois en sont presque toujours incolores, quelquefois légèrement jaunâtres et renferment, mais en petite quantité, des concré- tions sphériques analogues aux concrétions urinaires. Par la fuchsine, les parois néphridiennes se colorent légèrement en rouge ; le carmin ammo- niacal absorbé également par le tube digestif les colore de la même façon. Cependant dans une expérience faite sur un Aufolytus (A. longeferiens), l'excrétion du carmin avait été si considérable que l'ouverture externe de la néphridie était colorée en rouge intense. On apercevait très facilement, en examinant l'annélide par la face ventrale, deux points rouges situés sur les côtés de chaque segment dans les régions moyenne et postérieure. Le carmin d'indigo et le tournesol m'ont donné des résultats moins satisfaisants. Les cœcums, dans l'absorption du tournesol, se sont teintés légèrement en rose ; toutes les régions des téguments, où les glandes (1) A ce propos je dois dire que l'épithélium cilié de ces cœcums est identique comme structure à celui de l'intestin antérieur, et qu'il peut produire des boules de sécrétion. Si ces cœcums ne méritent pas le nom de glandes, ils ne méritent pas le nom et n'ont pas la fonction que leur a attribué Eisig (vessies natatoires, Schivimblasen) . De Saint-Joseph a déjà, d'ailleurs émis des doutes sur l'assertion d'Eisig. BIEThlX. DE LA MATIÈRE VIVANTE EXISTANT A LA SURFACE DE I.A MEIl o43 étaient en plus grande abondance, étaient colorées en rose ; la réaction du produit de ces glandes est donc légèrement acide. Que pouvons-nous conclure des faits exposés dans la première partie de cette Note et des résultats obtenus par les injections artificielles? C'est, d'abord, que si l'intestin antérieur et moyen est très sécrétant, l'intestin pos- térieur ne l'est presque pas ou pas du tout; celui-ci renferme, au contraire, dans deux replis de ses parois des produits nuisibles destinés à être rejetés. L'absorption du carmin et de la fuchsine est évidente. Les colorants passent dans l'organisme par le liquide sanguin, ce qui est peu important vu le faible développement du système vasculaire, et surtout par le liquide de la cavité générale, puisque ces produits sont repris par les néphridies et même rejetés au dehors. Or, le seul point franchement coloré du tube digestif est l'intestin postérieur. C'est là que se rencontrent les cellules les plus jeunes, c'est-à-dire les plus perméalables aux phénomènes osmotiques. L'intestin postérieur paraît donc être surtout le siège de l'absorption des matières élaborées dans l'intestin antérieur et moyen. En même temps, il serait un organe d'arrêt, un filtre en quelque sorte, pour les produits non assimilables : ce qui explique que la fuchsine et les autres colorants, de même que dans certains cas les urates (concrétions de la Syllis hyalina) y sont arrêtés et s'y condensent. Les néphridies, elles, sont surtout chargées de débarrasser le liquide de la cavité générale des produits brûlés dans l'organisme (urates, petites concrétions des parois néphridiennes) et aussi des produits inutiles (ex. : les colorants absorbés). Leur rôle est, en tout cas, peu actif à cause de leur faible développement. M. BIÉTHIX SUR UN NOUVEL ESSAI DE MESURE DE LA QUANTITÉ DE MATIERE VIVANTE EXISTANT A LA SURFACE DE LA MER — Séaiice. du 21 septembre 189S Un intérêt particulier s'est attaché, depuis les recherches récentes d'un certain nombre d'observateurs, à l'évaluation de la proportion de formes vivantes microscopiques (animales et végétales) qui existent dans les couches superficielles de la mer. Sous l'impulsion de M. le professeur 544 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE Pouchet, des études de cet ordre ont été poursuivies dès l'été de 1888 dans son laboratoire de Concarneau ; quelques résultats que j'avais obte-. nus à cette époque sur la question ont été consignés dans une note an- nexée au rapport de M. Pouchet sur le fonctionnement du laboratoire de Concarneau pour l'année 1888 (1). La technique suivie dans cette étude était défectueuse en beaucoup de points et ne permettait d'arriver qu'à des évaluations numériques très approximatives. Ayant repris cet été, sur le conseil de M. Pouchet, les mêmes recherches, je me suis efforcé de donner au mode opératoire une précision plus grande qui permît d'estimer avec plus d'exactitude que précédemment la valeur quantitative des pêches de surface. Le filet à main, par le fait de sa construction et de son maniement, laissait place à trop d'incertitudes et d'irrégularités. Celui dont je me sers actuellement est construit de la manière suivante : un bâtis en bois, rectangulaire, de 1 mètre de long sur 0^,05 de large, sert de flotteur à tout l'appareil et maintient celui-ci dans une position fixe par rapport à riG. 1. la surface de l'eau (fig. 1 et 2). Il est lesté de plomb à l'avant, de lièges à l'arrière, de manière à demeurer horizontal pendant la traction. Eu arrière et en dessous est fixé à charnières un cadre (A) carré en bois, dont les dimensions intérieures sont exactement de 0"\bO (2). Ce cadre est maintenu perpendiculaire à la surface du bâtis par deux tirants en fer (BB'j fixés à une extrémité et, de l'autre, adaptés au cadre au moyen de goupilles. Sur le pourtour du cadre est clouée une poche de toile (C) en forme de tronc de cône, de 1 mètre de long et de 0™,23 de diamètre à son sommet ouvert. Le pourtour de cette ouverture est garni d'un cercle en bois (D) avec rainure interne destinée à porter le cercle en laiton du filet de gaze (E) . Le filet-tamis est fait avec la soie à bluter ordinairement employée (maille de 80 .a de côté environ) ; il mesure 0"\4o de profondeur et 0'",20 de diamètre à son ouverture. J'ai reconnu que cette poche est suffisante pour tamiser toute l'eau qui passe, sous une faible vitesse, dans l'entonnoir en toile. En outre, pour éviter (1) Voir aussi Journal de l'Analomie el de la Phijsiol., 1S89, n" .',. (2) J'ai été amené à rendre cette partie mobile sur le bâtis pour permettre une manœuvre plus facile de l'appareil, en dehors de la pèciie. BIÉTRIX. — DE LA MATIÈRE VIVANTE EXISTANT A LA SURFACE DE LA MER que les matières recueillies ne s'arrêtent sur l'armature intérieure lU), une manche cylindrique en toile (F) est fixée sur la paroi de l'enton- noir, à une certaine distance au-devant de l'orifice du filet fin et son extrémité flottante plonge d'autre part dans celui-ci de quelques centi- mètres ; le produit de la pêche glisse ainsi sans arrêt sur la paroi de toile jusqu'au tamis. Ce dispositif a en outre l'avantage de former sou- pape et d'empêcher, dans certains cas, le reflux des matières déjà tami- sées. L'indépendance du filet fin est indispensable pour sa facile ma- nœuvre, lorsque la pèche est terminée, et pour le nettoyage nécessaire à sa conservation; pendant la pèche, il est maintenu sur le cadre au moyen de deux taquets. La pêche s'opère de la manière suivante : au point choisi pour lobser- vation, on mouille un grappin dont la corde est reliée d'autre part à une forte bouée. On fixe sur celle-ci l'extrémité d'une ligne de 200 mètres assez forte pour haler ensuite l'embarcation et le filet. La ligne est mmiie, de brasse en brasse, de flottes de liège qui la maiutien- nent étendue sur l'eau. Elle est allongée « sous le vent » et, lors- qu'elle est sulfisamment tendue, le filet est rais à la mer : on commence à haler doucement, à la main, l'embarcation, en même temps que le filet qui la suit at- taché à l'extrémité d'une gatïé ; celle-ci maintient l'appareil à une distance de l'",oO à 2 mètres du bord ; de plus, une amarre frappée sur l'arrière du filet et tenue à la main sert à rectifier sa marche et à le maintenir dans une position parallèle à l'axe de l'embarcation. La vitesse doit être très faible, suffisante seulement pour maintenir gonflée la poche de soie (avec notre appareil une vitesse de 10 à 12 mètres par minute était la plus favorable). Le halage terminé et le filet fin retiré, le reste des opérations a lieu comme je l'indiquais dans ma précédente note. Les dépôts fixés à l'acide osmique et précipités sont évalués au bout de quelques jours (quinze en- viron) par le poids d'eau distillée occupant le même volume. On conçoit que, par ce procédé, les opérations répétées chaque jour présentent une fixité assez grande. D'autre part, on peut considérer que, sous la faible vitesse utilisée, le filet a tamisé un volume d'eau égal au produit de la surface d'ouverture du cadre (soit un quart de mètre carré) par la longueur de la ligne, c'est-à-dire un volume de oO mètres cubes, volume qui donne une proportion de matières suffisante pour une facile mesure. 3o* Fie. 2. 546 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE Pour laisser à ce procédé plus de rigueur, il faut apporter aux données qu'il fournit une correction assez sensible, et variable pour chaque expé- rience, correction ayant trait aux changements que fait éprouver à la masse d'eau tamisée l'existence de courants côtiers ; ces courants n'ont rien de fixe et varient en direction et en vitesse (1) avec les phénomènes qui modifient l'état de la mer (en premier lieu le mouvement de la marée). Aussi, chaque fois, a-t-on pris aussi exactement que possible, au moyen d'un flotteur et d'un loch, observation de la direction et de la vitesse du courant. Les valeurs des pèches sont corrigées en conséquence (2). Ajoutons que, chaque jour, des observations météorologiques précises ont accompagné la pêche. 11 a été tenu surtout grand compte des varia- tions de température de l'eau. L'état de la mer est ici facteur négligeable, car la pêche avec l'appareil décrit plus haut ne peut s'effectuer que par un temps calme et sur des eaux à peine agitées. Si les causes d'erreur forcément attachées à de semblables recherches ne sont pas évitées par ce procédé, du moins il permet de les réduire sensiblement. En valeur absolue, les chiffres trouvés ne sauraient être considérés comme incontestables ; mais on obtient ainsi une assez exacte comparaison des pêches entre elles et, partant, un aperçu plus juste des variations de la richesse en matière vivante des eaux superficielles de la mer. Au point de vue des résultats, cette série d'observations me paraît concorder avec ce que j'avais noté en 1888. Les formes dominantes ne changent pas et se retrouvent vers les mêmes époques. Les grandes va- riations quantitatives constatées antérieurement d'un jour à l'autre se dessinent encore très nettement ici et la précision plus grande apportée à la pêche et aux mesures permet d'accorder à ce résultat plus d'attention. En outre on se rend mieux compte de la décroissance progressive qui s'effectue avec la marche de la saison et de la chute sensible et assez brusque que subit cette population pélagique microscopique vers la fin d'août et le commencement de septembre. (1) Vitesse que j'ai troavée varier de i^jSO à io mètres par minute, au même point. (2) N. B. — Les conditions particulières où ont été faites ces recherches exigeaient que la pèche eût lieu à faible distance du rivage. Le point choisi, qui a toujours été le même pour cette série de mesures, est à environ non mètres de la côte la plus voisine, à l'entrée de la baie de Concarneau. Si l'on pouvait opérer au large, on éviterait cette cause d'erreur provenant de l'existence des courants ou du moins elle pourrait devenir négligeable. Au début, le point choisi était l'une des balises qui marquent le chenal d'entrée, dans d€s eaux de 9 à 10 mètres de fond. Mais le mouvement incessant des nombreux bateaux qui f(int en cette saison la pêche de la sardine nous a obligés à nous nipprocher du rivage et de nous établir dans une zone oii l'existence de roches et la profondeur de l'eau (3 à 3 mètres) nous assuraient la tranquillité nécessaire. ED.-F. HONNORAT-BASTIDE. — CICI.NDÉLIDES DKS BASSES-ALPES o47 M. Ed.-E. HOINOEAT-BÂSTIBE à Di^ne. CICINDELIDES DES BASSES-ALPES — Séance du 2/ septembre 489i — Les espèces de Cicindèles qui habitent les Basses- Alpos ne sont pas nombreuses. Nous en donnons la liste en faisant connaître leur habitat, car notre sol n'est pas partout le même, nos vallées n'ont pas toutes les mêmes conditions climatériques, de même que nos montagnes sont plus ou moins élevées. \° Cicindela campestris, Linn. — Cette espèce est très commune à toutes les altitudes, dans toutes nos vallées et montagnes secondaires. On rencontre ces insectes à peu près toute l'année; ils ne disparaissent que pendant deux mois et demi, depuis la mi-novembre jusqu'à la fin janvier, et encore, durant ce laps de temps, il n'est pas rare de voir les individus qui ont pu résister au froid sortir de leur retraite et se mon- trer dans les endroits bien exposés au soleil. Mais c'est surtout en mars, avril et mai. quelquefois même en février, que ces insectes pullulent réellement, sur nos coteaux arides et ensoleillés, ainsi que dans nos champs à terrain sec et très meuble, ces dernières conditions étant in- dispensables à la larve, qui a besoin d'un sol très léger et surtout à l'abri de l'humidité pour y creuser son terrier. On peut dire que le nombre de ces Cicindèles diminue au fur et à mesure que les chaleurs augmentent; pendant l'été, elles deviennent frès rares, si ce n'est sur les hautes montagnes, où on peut espérer les ren- ■contrer, durant cette saison ; mais elles reparaissent vers le mois de sep- tembre ou d'octobre. A Digne, ainsi que dans bon nombre d'autres localités, il existe une variété de Cicindela campestris. Celte variété, de mêmes dimensions que le type, au lieu d'avoir, comme chez celui-ci, les élytres d'un bleu clair avec taches blanches, les a d'un bleu noirâtre plus ou moins Umk-î' avec 548 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE les taches grisâtres, se confondant presque dans la teinte générale de l'insecte. Le vrai type nous a toujours paru moins commun que sa variété ; nous n'avons capturé le premier que jusqu'à l'altitude de 1.000 mètres, tandis que nous avons pu prendre l'autre espèce sur des montagnes de pJus de l.oOO mètres de hauteur. Que ce soit dans les basses ou sur les hautes altitudes, il faut voir courir et voleter au soleil la Cidndela campestris qui, par la richesse de son coloris et l'élégance de ses formes, ne craint pas la comparaison avec les plus brillants spécimens d'insectes exotiques. Tout le monde connaît la légèreté et la vivacité de ce Coléoptère, qui rendent sa capture fort diffi- cile lorsqu'on n'a pas avec soi le secours d'un filet. 2° Cicindela flexuosa, F. — Cette espèce n'existe pas dans la vallée de la Bléone, mais elle n'est pas rare aux environs de Sisteron, dans la vallée de la Durance, où on la rencontre dans les sables laissés par les eaux dans le lit de cette rivière. Nous en avons reçu plusieurs exemplaires capturés dans celte localité par M. Henri Coulomb, phar- macien. 3" Cicindela riparia, Dej. — Cette variété delà Cicindela hyhrida, Linn. est fort commune à Digne, où elle parait remplacer le type, mais elle ne se trouve pas partout. On la rencontre surtout au fond des vallées, sur quelques flancs de coteau, rarement sur les grandes hauteurs, car nous ne l'avons jamais trouvée sur les montagnes d'une haute altitude. Mais dans les vallées, dans les endroits à sol uni ou peu accidenté, sablonneux, exposé aux rayons solaires les plus intenses, dépourvu de végétation ou recouvert seulement de menus herbages lui permettant de se montrer à nu çà et là, on voit cette Cicindèle se poser souvent à terre. C'est ainsi qu'à Digne on rencontre cet insecte dans les graviers de la Bléone, des- Eaux-Chaudes ou du torrent de Mouirouès, sur les routes et chemins, de même que sur la place du Tampinet, conquise il y a déjà longtemps sur le lit de la Bléone (1). Nous l'avons vue encore sur le coteau des Hautes- Sièyes, dans le vallon de Saint- Véran. A Blégiers (vallée de la Bléone),. nous avons capturé quelques exemplaires de cette Cicindèle sur la route" de Prads. Nous avons pris aussi cette espèce au-dessus du village de Draix, à 1.300 mètres d'altitude, sur le chemin muletier qui conduit de Digne à ïhorame, sur le versant nord de la montagne des Dourbes,. connue en cet endroit sous le nom de montagne de Couar. Nous l'avons enfin capturée encore sur le même chemin, tout près du col de la Cine,^ vers 1.500 mètres d'altitude, entre la montagne du Cheval -Blanc (2.323 mètres j et celle des Dourbes. C'est là le point le plus élevé où nous (1) Cette espèce est commune aussi à Sisteron où M. H. Coulomb l'a recueillie dans les sables du lit de la Durance et sur les chemins. (Note ajoutée pendant l'impi-ession.) ED. -F. HONNORAT-BASTIDE. -^ CICINDÉLIDES DES BASSES-ALPES 549 ayons rencontré la Cicindela riparia, Dej., dans nos nomlireuses chasses aux Coléoptères faites durant un grand nombre d'années sur nos hautes montagnes bas-alpines. Mais nous ajouterons que nous avons ren- contré ces deux dernières Cicindèles sur un chemin pierreux, tracé au milieu de terrains dénudés, à pente raide, et brûlé par le soleil. On voit que comme la Cicindela campestris, la Cicindela riparia s'élève assez haut en altitude dans les Basses-Alpes. Mais nous ferons remarquer que, pour que ce mot d'altitude ait une signification réellement exacte, il faut que l'on tienne compte,, non seulement de la hauteur au-dessus du niveau de la mer du lieu dont on parle, ainsi que de la latitude, mais encore de la bonne ou mauvaise exposition de ce lieu au soleil, à la pluie et aux vents. Il est donc possible que des insectes trouvent dans des lieux élevés, mais bien exposés, des conditions de climat identiques à celles de régions moins haut placées, mais moins bien abritées. Les deux Cicindela riparia provenant de Draix et du col de la Ci ne ont la teinte générale d'un beau noir terne, même les taches, qui sont très foncées, teinte qui diffère beaucoup des types des basses altitudes. Mais peut-être cette différence dans la coloration tient-elle aux individus à couleurs déjà passées. La. Cicindela riparia para.\t \ers les mois de mai, juin et juillet, alors que la campestris ne se montre plus que rarement. On n'en voit plus en août que de rares individus aux couleurs flétries, mais elle reparaît en automne vers les mois de septembre et d'octobre. La Cicindela riparia est difficile à capturer, même avec un filet. On peut, en effet, prendre avec la main les Cicindela Germamca, litterata, qui ne font guère que courir ou voleter au soleil, sur le sol, ainsi que la Cicindela campestris qui, quoique volant bien, se laisse cependant appro- cher de près. Mais il n'en est pas de même de la riparia qui se tient toujours à distance et rarement à portée du filet. Pour chasser fructueusement la Cicindela riparia, on doit avoir soin de ne sortir que par un temps tout à fait serein, car, comme les Papil- lons, les Cicindèles disparaissent comme par enchantement, surtout l'es- pèce en question, lorsque le moindre nuage voile le soleil. On prend la Cicindela riparia beaucoup plus facilement en automne qu'au printemps, car durant l'arrière-saison ces insectes sont engourdis parle froid, à moins qu'on ne les rencontre par une journée de forte chaleur, ce qui n'est, du reste, pas rare sous notre ciel méditerranéen, surtout en octobre et novembre. La Cicindela riparia a toujours sa teinte générale d'un beau noir mat ; ses taches blanches seules varient; elles sont d'un beau blanc chez les individus frais, d'un blanc terni, sale, passant au noir chez les individus défraîchis. 550 ZOOLOGIE, AXATOMIE, PHYSIOLOGIE 4° Cicindela montana, Charp. — Celte variété de la Cicindela hybrida^ Linn., a été signalée dans la vallée de Barcelonnelte par M. Bellier de la Chavignerie (1). Les exemplaires de Cicindela riparia très foncés que nous avons dit avoir capturés à Draix et à la Cine pourraient bien se rap- porter à cette variété curieuse des régions élevées. 5" Cicindela chloris. Dej. — La Cicindela chloris est une espèce des hautes altitudes. Dans les Basses-Alpes, on ne la trouve pas, des côtés sud et sud-ouest, en dessous de Digne, même sur les plus hautes montagnes. Nous n'avons jamais rencontré cette espèce à Cousson (1.511 mètres), ni à Siron (1.6o3 mètres), tout près de Digne, non plus, au sud des Basses- Alpes, sur la chaîne de Serre de Mont-Denier (1.708 mètres), près Mous- tiers, toutes montagnes que nous avons parcourues assez souvent pour l'y rencontrer si elle y existait. Nous ne l'avons pas aperçue sur la mon- tagne des Bourbes (1.751 mètres), à l'est de Digne, pas même, dans la même direction, sur les pentes des pics de Cueuyon (1.897 mètres) et de Couar (1.989 mètres). Elle doit certainement exister sur la montagne de Blayeul (2.100 mètres), au nord-est de Digne; mais néanmoins, dans une ascension que nous y avons faite le 14 juin 1891, nous ne l'y avons pas trouvée, peut-être parce que c'était un peu tôt, ou qu'il faisait du vent. L'habitat de cette espèce le plus à proximité de Digne est la montagne du Cheval-Blanc (2.323 mètres), qui forme un long soulèvement couronné de mamelons gazonnés formant dos d'âne, situés à une altitude supé- rieure à 2.300 mètres. Sur cette montagne, la Cicindela chloris est très commune, et durant les mois de juillet et d'août, si le temps est favo- rable et le vent pas trop fort sur ces hauteurs, on est toujours certain d'en prendre de nombreux exemplaires. Il est à remarquer que cette espèce ne se tient qu'au sommet de la montagne. Nous avons bien souvent parcouru les flancs de ce soulèvement en suivant le chemin de Thorame par le col de la Cine. Ni à la Cine, vers 1.510 mètres d'altitude, ni sur le reste du chemin, qui atteint cepen- dant 1.617 mètres sur le versant ouest du Cheval-Blanc, nous n'avons jamais rencontré cette belle espèce, qui ne paraît se plaire que dans les régions élevées. Ce qui nous a toujours étonné, c'est que, alors qu'elle est si commune sur cette même montagne du Cheval-Blanc, nous ne l'ayons jamais vue sur les sommets situés en face, du côté de Digne, par exemple ceux de Cluchemet (1.779 mètres) et de Cueuyon (1.897 mètres), bien que ces massifs soient très voisins du Cheval-Blanc, puisqu'ils vien- nent s'y souder et n'en sont séparés que par un col, et. qu'ils atteignent une altitude supérieure à la hauteur, où, dans la vallée de Barcelonnette, nous avons aperçu quantité de Cicindela chloris. (1) Bei.lier de la Chavignkhie, Observations sur les Lépidopllres des Basses-Alpes. (Ann. delaSoc.^ entom de France, 3'= série tome IV, 1856, p. 22-i ED. -F. HOXNORAT-BASTIDE. — CICIM»ÉL1DES DES BASSES-ALPES 351 Mais, par contre, cette magnifique espèce est très commune sur tous les sommets des hautes montagnes des Basses-Alpes situés en deçà de la montagne du Cheval-Blanc, aussi bien du côté du nord que du côté de l'est. Nous l'avons signalée sur la montagne des Vachères, vallée de la Bléone, aux près d'Achau, de 1.900 à 2.000 mètres d'altitude, en face de la belle forêt de Faillefeu (1). Au col de Chalufy, entre les sommets de Boule (2.393 mètres) et de Denjuan (2.404 mètres), vers 2.000 mètres d'altitude. M""* Honnorat a pu y chasser, le 1"' juillet 1889, de nombreux exemplaires de Cicindela chloris, qui voletaient sur le sol à chaque éclaircie du soleil, car le ciel était nuageux et l'orage grondait en face et non loin de nous, sur les sommets de la Sèche (2.823 mètres) et des Trois-Évèchés (2.828, 2.838 et 2.927 mètres). Cette espèce n'habite pas exclusivement les hauts sommets de nos montagnes. Nous l'avons vue aussi courir et voleter au soleil, en juillet 1878, au fond de la vallée du Bachelard, sur les sables et graviers du torrent, en face de Mourjuan, avant d'arriver à Villard-d'Abbas, près Fours, vers 1780 mètres d'altitude. La Cicindela chloris avait été signalée depuis longtemps dans la vallée de Barcelonnette, sans indication d'endroit précis, par M. Bellier de la Chavignerie (2). La Cicindela chloris est d'un beau vert, à taches d'un blanc jaunâtre, qui se ternissent chez les individus défraîchis. 6° Cicindela litterata, Sulz. — La Cicindela litterata est une espèce très commune dans les environs de Digne, mais son habitat se réduit aux terrains d'alluvions sablonneuses, récentes et humides, des torrents et rivières, ainsi qu'aux berges des canaux, tous endroits fréquentés égale- ment par la Cicindela Germanica, avec laquelle elle a certaines ressem- blances comme teintes et comme dimensions. Il y a déjà longtemps, on ferma, en le reconstruisant, deux arches du pont jeté sur la Bléone, à Digne ; il se forma immédiatement, en amont de ces arches, une alluvion qui, en hiver et lors des crues de la rivière, était recouverte d'eau et qui, en été, se trouvait à sec, à l'exception de quelques grandes flaques d'eaux presque stagnantes, dans lesquelles les batraciens chanteurs et les couleuvres aquatiques se réfugiaient en nombre. Un jour que nous allions en cet endroit pour y chasser la couleuvre vipé- rine, nous aperçûmes, courant sur la vase, de petites Cicindèles qui se rapportaient à l'espèce litterata, Sulz (Liujdunensis, Dej.). Tout heureux de notre trouvaille, nous nous mîmes à la recherche de ces Cicindèles, (11 En. -F. Honnorat-Bastidk, Promenade enlomoîogique dans les forets de Faillefeu et de Charges, à Prads. {Bull, de la Soc. scient, et litt. des Basses-. Vlpes, loiiic II, p. 75 j (2; Deli.ikr de la Chavignerie, ()bservations sur les Lépidoptères des Basses- Alpes . (Ami. delà Soc. cntom. de France, 3"= série, tome IV, 1S5G, p. 22.) S52 ZOOLOGIE, ANATOMIE, l'HYSIOF.OGIE dont nous pûmes capturer un grand nombre. Durant quelques années, nous fûmes obligé de cesser notre chasse au môme endroit, les eaux ayant recouvert le terrain en question ; mais une fois ce terrain presque complètement colmaté et abandonné en partie par les eaux, il nous fut permis de recommencer nos recherches, et nous nous empressions d'aller voir si ces jolies bêtes se retrouvaient au même endroit. Malheureuse- ment le sol, recouvert d'osiers, de joncs et autres plantes aquatiques qui formaient des fourrés impénétrables, n'était favorable que sur quelques points seulement aux évolutions de ces Cicindèles. Néanmoins, notre espoir ne fut pas déçu, car, quoique le terrain fût encore tout humide, imprégné comme il l'était par les eaux du canal de colmatage, dont les ramilications le parcouraient en tous sens, de nombreux exemplaires de Cicindela Utterata couraient et voletaient sur le sol, sur lequel nous avions de la peine à tenir sans enfoncer. C'est sur des espaces isolés et de quelques mètres d'étendue seulement que nous avons pu nous livrer à la recherche des Cicindèles en question, assez communes pour qu'en quelques jours nous ayons pu en capturer un très grand nombre. Mais ces insectes ayant disparu peu à peu, nous dûmes bientôt cesser nos chasses. Depuis lors, le terrain en question a été complètement livré à la culture, et les jolies Cicindèles en ont disparu. On trouve plus particulièrement et même exclusivement cette espèce à. Digne, dans laBléone et dans les torrents qui se jettent dans celle-ci, mais seulement dans les endroits humides du lit de ces cours d'eau, c'est-à-dire dans les parties de graviers recouvertes de terre ou de sables humides récemment abandonnées par les eaux. Dans les endroits pré- sentant ces conditions, qui semblent indispensables à l'existence de ces Cicindèles, nous avons pu souvent capturer des exemplaires de l'espèce en question dans des oseraies du quartier de Saint-Lazare, sur la rive gauche de la Bléone, aux environs de Digne. La Cicindela Utterata avait été désignée depuis longtemps à M. Bellier de la Chavignerie par un autre entomologiste, M. Pujade, comme habi- tant la vallée de Mouirouès, en face de la propriété Yvan, aujourd'hui Builly, à l'est de Digne. Mais nous croyons que le même Coléoptère est plus facile à prendre, surtout en plus grand nombre, dans le lit de la Bléone, et plus particulièrement aux environs du moulin des Sièyes, en amont du torrent de Saint-Véran, au quartier du They. Cette espèce a été recueillie dans la vallée de la Durance, à Sisteron, par M. Henri Coulon. La Cicindela Utterata commence à se montrer à la même époque que la Cicindela Germanica, et disparaît aussi en même temps que celle-ci ; mais quoiqu'on la rencontre toujours en compagnie de cette dernière' dans les terrains vaseux et tout récemment abandonnés par les eaux, on ED -F. HONNOHAT-BASTIDE. — CICINDÉLIDES DES BASSES-ALPES 5o3 ne la trouve jamais dans les champs, même très humides, fréquentés cependant par Ja Germanica. Nous n'avons pu, en effet, jusqu'à présent, cajjturer la Cicindela litterata en dehors des alluvions et graviers humides et vaseux, que sur la berge d'un canal et près de terrains où ne croissaient que des joncs, lesquels annonçaient que l'eau existait en abon- dance et à peu de profondeur, au quartier du They. La Cicindela litterata paraît, dans les environs de Digne, vers le mois de juin, et elle continue à se montrer jusqu'à la fin août et même jus- qu'au commencement de septembre. C'est une des plus petites espèces el est très dithcile à capturer, soit à cause de la vivacité de ses mouvements, soit parce que ses dimensions ne permettent pas, dans les déplacements rapides du bel insecte, de le suivre au vol. 11 est, par suite, très difficile de prendre des quantités de ce Coléoptère, à moins que l'on ne se soit familiarisé depuis longtemps avec la manière de se déplacer et de voleter do cette Cicindèlc. Dans les Basses-Alpes, la Cicindela litterata atteint 9 millimètres de longueur : c'est la plus petite de nos espèces. 7° Cicindela Germanica, Linn. — Dans les environs de Digne, la Cicindela Germanica est très commune, mais seulement dans le fond des vallées, jamais sur les hauteurs. Elle se tient toujours dans les terrains d'alluvion, partout où le sol est humide. On la rencontre fréquemment dans les champs de blé, dans les prés, sur les bords des chemins, sur les berges des canaux, notamment à la Sôbe, au They et aux Sièyes , etc. Ayant parlé autrefois incidemment, dans la Feuille des Jeunes Naturalistes (VII'' année, numéro du 1^'' décembre 1876, p. ^2), à propos de la Cicin- dela campeslris, de la facuHé qu'a la Cicindela Germanica de ne fréquen- ter que les terrains généralement humides, une vraie polémique eut lieu à ce sujet, à propos de l'habitat de celte espèce, que les uns assuraient habiter les endroits secs et ensoleillés, d'autres les terrains humides seu- lement (1). A Digne, la Cicindela Germanica se trouve communément, en effet, dans les champs de blé, mais seulement dans ceux qui existent au fond des vallées, car c'est vainement que nous avons essayé depuis longtemps de rencontrer la Cicindèle en question sur les hauteurs ou sur leurs ver- sants, pas même sur nos coteaux, toujours fréquentés par les Cicindela campestris et riparia. Mais les champs de blé qui se trouvent au fond de nos vallées sont généralement humides, comme, du reste, tous nos ter- rains alluviens de formation récente, jusqu'au moment de la moisson, c'est-à-dire de la fin juin au commencement de juillet, et c'est à celte (11 Voir Feuille des Jeunes Xatiiralisles .• VII' annexe, n» 83 du i<=' stplembre 1877, note de M. Baillot; VHP année, n° 86 du i<"- décembre 1877, note de M. L. Gavoy ; n° 87 du 1" janvier 1878, note de M. Baillot; n° 88 du i»"- février 1878, note de M. A. Martin. o54 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE époque, alors que le sol n'a pas été encore complètement desséché par le soleil, que ces Cicindélides se rencontrent le plus souvent. Mais quoique l'on trouve ces insectes assez abondamment dans les champs de blé, on les rencontre aussi, et en bien plus grand nombre, dans les prés, où les herbes épaisses favorisent singulièrement l'humi- dité du sol. Une année, entre autres, sur une surface de quelques mètres carrés, dans un pré fauché récemment, situé non loin de la Bléone, au quartier des Sièyes, nous avons pu, dans une heure de temps, capturer plus de quatre-vingts exemplaires de Cicindela Germanica, tandis qu'au- paravant, dans les champs de blé dont le sol était presque à sec et sur des chemins les avoisinant, dans le même espace de temps et sur une surface bien plus grande, nous prenions seulement quelques-uns de ces insectes. Or, ces Cicindèles ne s'éloignant que très peu du sol sur lequel elles ont suivi leurs diverses transformations, on ne peut dire qu'elles aient quitté les champs de blé situés beaucoup plus loin, pour venir s'établir au milieu des herbes et sur la terre humide du pré dont nous avons parlé. Au reste, bien que, dans nos alluvions mêmes, nos champs de blé soient parfois assez secs, en juillet et août, on ne saurait les comparer aux champs brûlés par le soleil qui existent sur les versants et sur les pla- teaux de nos coteaux et montagnes secondaires, fréquentés par d'autres Cicindélides, et sur lesquels, comme nous l'avons dit, la Cicindela Ger- manica ne se trouve jamais. Nous ne pouvons donc que maintenir ce que nous avions déjà avancé, c'est-à-dire que dans les environs de Digne, la Cicindela Germanica ne se rencontre généralement que dans les terrains humides. D'autres Cicindèles possèdent aussi, et à un plus haut degré que chez la Cicindela Germanica^ la faculté de vivre au milieu de terrains humides, comme on l'a vu à propos de la Cicindela litterata, Sulz. Nous avons capturé à Digne, au quartier du They, une variété de Cicindela Germanica à élytres d'un beau bleu foncé, presque noir. Cette variété est très rare dans nos environs. LE CHANOINE INCHAUSPÉ. LE PEUPLE BASQIE 5D'> M. le Chanoine lîfCHAïïSPE à Abensc-dc-Haut, par Tardi-ls fBasses-Pyrénées . LE PEUPLE BASQUE, SA LANGUE, SON ORIGINE — SéiiDce (lit 16 septembre 1892 — r On a beaucoup écrit, depuis un demi-siècle, sur le peuple Basque, sur sa langue et son origine ; et néanmoins l'Association française pour l'avan- cement des sciences a jugé utile de poser la Question Basque à discuter au Congrès qu'elle a tenu à Pau cette année 1892. C'est qu'en effet les nombreux écrits qui ont été publiés de nos jours, au lieu d'élucider cette question, n'ont fait que l'obscurcir, accumuler des nuages et jeter l'incer- titude dans les esprits. En venant répondre à l'appel qu'on a daigné faire à notre concours à ce sujets nous n'avons pas la prétention de produire des documents nou- veaux ; nous voulons seulement tâcher de dégager ceux qui sont déjà connus des nuages dont on les a enveloppés, et faire en sorte de dé- couvrir la lumière qu'ils sont susceptibles d'apporter à la solution des questions proposées. Avant d'aborder la question de Vorigine et de l'histoire des Basques, il nous semble naturel d'examiner leur langue, objet de la curiosité des savants, et qui fait des Basques un peuple à part dans le monde. § I. — La langue BASQUE. On a divisé les langues qui se parlent dans les diverses parties du globe en trois grandes familles : la famille Sémitique, la famille Aryenne et la famille Touranienne; et, parmi les langues parlées dans ces trois groupes, on distingue les langues isolantes, les agglutinantes et les flexionnelles. On trouve à la langue basque des analogies avec toutes et avec chacune des langues appartenant aux diverses familles et aux diverses catégories. Ainsi on a observé, pour la terminologie, que le sanscrit appelle comme le basque : la lumière, arghia ; le feu, sou ; le père, ata ou aita ; la 5o6 ANTHROPOLOGIE mère, ama ; — que le samoyède appelle le soleil, eguia ou el.ia ; le teu, sou; le pré, soror, en basque, sof^o ; le blanc, z-yr, en basque, ^wri; — que l'estlîonien appelle le raisin, masis, le basque, màtsa ; — le mongol, la forêt, oy, le basque oyait ; — le turc, la boue, ballsik, le basque, balsa ; la prune aril;, le basque, a?'ana ; — que le japonais appelle le maître, noushi, le basque, nausi; le seigneur, donno, le basque, jaon; seulement bakkarri, le basque, bakharik. La plupart des termes dont les linguistes ont fait le rapprochement sont loin de présenter la même identité dans le radical, et ces rappro- chements ont peu de valeur aux yeux des esprits sérieux. D'ailleurs, on trouve de ces sortes d'analogies dans les vocabulaires de toutes les langues; on en trouve entre le sanscrit et l'hébreu, entre les langues touraniennes et les langues aryennes. L'élément grammatical constitue principalement, pour les linguistes, la base qui doit servir à établir les degrés de parenté et la classification des langues ; et, sous ce rapport encore, on a signalé des analogies entre le basque et diverses langues. Ainsi la multiplicité des modes et des temps du verbe rapprocherait le basque du sanscrit, tandis qu'elle l'éloignerait beaucoup de l'hébreu qui n'a que deux temps et deux modes. Le système postpositif, suivi par le basque dans la déclinaison, donne à cette langue de l'affmité avec les langues ou rai -al laïques qui ont des suffixes çasuels comme le basque. Le nominatif pluriel est désigné par la dési- nence k en basque, et c'est aussi le signe du pluriel en lapon, en hongrois et en vogoule. Une autre analogie entre la langue basque et les langues oural-altaïques et aussi certains idiomes de l'Amérique du Nord, c'est l'existence d'une conjugaison objective, c'est-à-dire qui emlirasse dans le même mot : l'indication du sujet, du régime, du pluriel et du singulier. Mais, malgré ces analogies, la supériorité du basque, dit le prince Lucien Bonaparte, est immense sur ces divers idiomes ; non seulement quant au nombre et à la variété des formes objectives, mais aussi quant à leur clarté logique et à leur usage. — Lorsqu'on compare le basque avec les langues des aborigènes de l'Amérique, dit encore i\L Jehan de Saint-Clavier, il est impossible de ne pas apercevoir V immense différence qui existe entre ces langues. Tous les idiomes américains sont dépourvus des verbes auxiliaires être et avoir, et ils ne peuvent exprimer abstractivement les idées qui nous sont communiquées par ces deux verbes, tandis que ces deux auxiliaires sont tout dans le basque. En effet, lorsqu'on examine la merveilleuse flexibilité du verbe basque, la richesse de ses formes, les grandes proportions de son architecture; l'unité, la simplicité et la régularité qui ont présidé à son admirable char- LE CHANOINE INCHAUSPÉ. — LE PEUPLE BASQUE Oo7 pente, on ne peut s'empêcher de dire avec M. Jehan de Saint-Clavier : elle n'a pas sa pareille dans le monde (Dict. Ung.). L'identité de certains termes et les analogies que l'on découvre entre le basque et les autres langues, comme entre les idiomes des trois grandes familles, prouvent qu'ils sortent tous primitivement d'une source com- mune; en effet, l'étude approfondie de la philologie comparée conduit à l'unité du langage : c'est l'opinion de Max Muller et de tous les esprits sérieux. La création, l'unité de la race humaine, la révélation du langage et, par conséquent, son unité primitive sont des vérités intimement liées ensemble, que la saine philosophie a toujours proclamées et que les progrès des sciences humaines confirment chaque jour. L'erreur de beaucoup de libres-penseurs de notre temps est de vouloir faire du langage une invention humaine. L'homme, comme tous les autres êtres, a été créé dans l'état de perfection propre à la dignité de sa nature. Il a été créé pensant et par conséquent parlant, car l'intelligence sans la parole est un flambeau éteint dans l'àme humaine. Supposer que l'homme s'est traîné peu à peu, par l'onomatopée, par des sons inarticulés, à tous les degrés de perfectionnement du langage, c'est philosophiquement la plus absurde des hypothèses. L'homme, en communication avec son semblable au moyen de la parole, a pu inventer des termes de convention pour désigner diverses choses, des inventions de l'art et de l'industrie ; et ces termes, les diverses langues peuvent les emprunter les unes aux autres ; mais l'expression des sen- timents, de la pensée et de la volonté ; et le verbe qui indique les modes, les temps des actions extérieures et intérieures, ne viennent pas de l'homme ; ils viennent du Créateur qui a fait l'homme parfait dans son genre, comme chacun des autres êtres de la création. § [[. — Le V0CABULAn\E BASQUE. Quoique le basque, comme toutes les autres langues, par sa constitution et ses analogies, se rattache à une origine commune, néanmoins il est incontestable que le basque se distingue de toutes les langues connues par son vocabulaire et sa structure grammaticale, autant que les langues des trois grandes familles se distinguent entre elles ; et que sa termino- logie, comme sa grammaire, en font une langue à part. En eff'et, presque tous les termes usuels lui sont propres ; ainsi on dit : guizon pour homme ; emazte, femme ; haur, enfant ; semé, fils ; alhaba, fille , anaye, frère; arreba, sœur par rapport au frère ; ahizpa par rapport à la sœur ; buru, tète ; belar, froiit ; beyui, œil ; sudur, nez ; beharri, Oo8 ANTHROPOLOGIE ■oreille; aho, bouche; mihi, langue; lepho, cou; sorhalda, épaule; boulhar, poitrine; besso, bras; escu, main; sahel, ventre; guerri, reins; ister et azpi, cuisse; zankho, jambe; oin, pied; erhi, doigt; hour ou ur eau; lur, terre; /6o devaient encore subsister, et un lettré tel que Sénèque ne pouvait pas manquer de les connaître et de connaître la langue dans laquelle ils étaient écrits. Or, dans la lettre ou plutôt le livre sur la Consolation écrit par ce grand philosophe et adressé à sa mère Helvia, de l'île de Corse, où il était relégué par Néron, il dit : Les Espagnols aussi ont eu émigré en Corse, ce qui apparaît par la similitude des mœurs et des coutumes ; les Corses ont une coiffure et des chaussures semblables à celles des Cantabres, comme aussi certaines locutions, car ils ont perdu le fond de leur langage national par le contact avec les Grecs et les Ligures. « In eam (insulam Corsicam) transierunt et Hispani quod ex similitudine ri tus apparet. Ea- dem enim tegumenta capitum, idemque genus calceamenti quod Canta- 6m est, ut vevba quœdam; nam totus sermo conversatione Grœcorum Ligurumque a patrio descivit. » Les Espagnols qui allèrent s'établir dans l'île de Corse n'étaient certainement pas les Cantabres, qui vivaient au nord-ouest de l'Espagne, mais les Ibères de l'orient de la Péninsule, de la côte de la Méditerranée ; or, ils avaient conservé des mots de leur ancienne langue nationale patrii sermonis, et cette langue était celle des Cantabres (quod Cantabris est, ut verba quœdam). Ce n'était donc point la langue Celte comme quelqu'un l'a prétendu, ni la langue grecque, ni la langue phénicienne, ni la langue romaine : c'était la langue des Cantabres, autrefois la langue des Espagnols qui avaient émigré en Corse. Pausanias dit que les Ibères émigrèrent aussi en Sardaigne et fondèrent la ville de Nora, ainsi appelée du nom du chef ibérien Norax. Strabon nous apprend que les Ibères occupaient tout le sud de la Gaule depuis le Rhône : Antiquitus Iberiœ nomine intellectum fuit quiquid est extra Rhodanum ; et que, parmi eux, les Aquitains étaient tout à fait différents des Gaulois et par leur langue et par leur stature corpo- relle, ressemblant en cela plutôt aux Espagnols qu'aux Gaulois : Aquitani cœterorum Gallorum plane différentes non lingua modo sed corporibus. Il répète plus loin, dans le livre III de la Géographie, la même assertion, semblant vouloir appuyer sur ce fait : ut simpliciter dicam Aquitani reli- quiis Gallis, cum corporum constitutione, tuin lingua differunt, magisque 'sunt hispanorum similes. Cette langue des Ibères aquitains, différente tout à fait de la langue des autres Gaulois et semblable à celle des Espagnols, ne pouvait pas être la langue des Celtes, puisque les Gaels-Celtes occupaient presque toute la Gaule ; moins encore celle des Grecs, puisqu'elle ressemblait plutôt à la langue des Espagnols, magis Hispanorum : c'était donc la langue des Can- tabres, qui était aussi celle des Espagnols émigrés autrefois en Corse, selon le témoignage de Sénèque. Du reste, si la langue basque n'était pas l'antique langue des Espagnols, comment expliquerait-on son existence ? d'où pourrait-elle provenir ? 566 ANTHROPOLOGIE § VI. — Les Ibères d'Espagne Il y a des écrivains modernes qui ont contesté la légitimité du nom d'iBÈRE s donné aux anciens peuples d'Espagne ; mais, pour prouver une thèse aussi audacieuse, il faudrait détruire tous les écrits des géographes et des écrivains de l'antiquité. Nous avons vu que Strabon appelle Ibères les Turdétans, Kr^ooi, et il les qualifie les plus savants des Ibères, SocpojxaToi Ttov Ig-^p(->v. Pausanias, parlant des Espagnols, dit que les Ibères s'établirent dans la Sardaigne. Denys l'Africain, dans son livre De situ or6?>, appelle les populations de l'Espagne les races magnanimes des Ibères : Iberorum magnanimœ gentes, dederat quels nomen Iberus. Isidore de Séville, au livre II des Etym., dit : Hispani ab Ibero amne prîmum vocati Iberi. Solinus, in Polihis. Iberus amnis toti Hispani.e nomen dédit. S. Jérôme, au chapitre 27 d'Ézech. : Hispani ab Ibero /lumine Iberorlm VOCabulo NUNCUPANTUR. Diodore de Sicile, dans le livre V de sa Bibliothèque historique, parle de l'invasion des Celtes en Espagne, de leurs luttes avec les Ibères, de l'alliance définitive conclue avec eux ; et il dit que le nom de Celt ibères vient de la fusion de ces deux nations dans une partie de la Péninsule. Martial, qui était Aragonais d'origine, dit que lui et ses compatriotes étaient issus des Celtes et des Ibères : Nos Celtis genitos et ex Iberis. Nostrse nomina duriora terrœ Grato non pudeat referre versu. (L. IV. Epigr. 5S.) Lucain, au livre IV de la Pharsale, parle de l'invasion des Celtes et de leur union avec les Ibères. Profusique a gente vetusta Gallorum Celtai miscentes nomen Iberis. Le poète Prudence, Vascon, né à Calahorra au iv*^ siècle, donne une commune nationalité au Vascon et à l'Ibère. Nos Vasco Iberus dividit binis remotos Alpibus. (Hvmn. II de Coronis.) I.E CHANOINE INCHALSPÉ. — LE PEUPLE BASQUE 367 Pline, dans son Histoire naturelle, livre 111, rapporte, d'après Marcus Varron, que les Ibères vinrent d'abord en Espagne, puis les Perses, les Phéniciens, les Celtes et les Carthaginois: In universam hispaniatn Marcus Varro pervenisse Iberos, et Persas et Phœnices, Celtasque et Pœnos tradit. Hécatée de Milet (Fragm. des Hist. grecs, tom. I, Didot) mentionne plusieurs populations et villes d'Espagne, particulièrement de la Bétique, ^t il les qualifie, ou race des Ibères, ou ville des Ibères, eOvoa lêYipwv -jroXtç lêripcûv. Nous pensons que ces citations sont plus que suffisantes pour prouver que les historiens et les géographes de l'antiquité ont appelé Ibères les anciens habitants de l'Espagne. § Vil. — Les Ibères étaient Basques Les Ibères ont été les premiers habitants de l'Espagne, et les monuments historiques ainsi que les noms anciens des villes et des populations de la Péninsule prouvent que leur langue n'était autre que la langue basque. Sénèque, né dans la Bétique, à l'époque où cette province était sous la domination romaine et avait déjà adopté la langue et les mœurs des Romains, nous apprend, comme nous l'avons déjà rapporté, que les Tbères ^valent émigré en Corse et qu'ils avaient encore de son temps conservé des coutumes et des termes de leur nationalité espagnole et que ■ces locutions appartenaient à la langue des Cantabres et non plus des Turdétans, ce qui prouve qu'il considérerait cette langue des Cantabres ■comme étant la langue des Espagnols émigrés autrefois en Corse. La langue des Ibères aquitains, que Strabon nous dit être entièrement différente de celle des Gaulois, et ressemblant plutôt à celle des Espagnols, ne pouvait être que la langue basque parlée par les Ibères. Le même Strabon nous dit que les Turdétans avaient un langage diffé- rent des peuples voisins, qui étaient les Celtibères ; des monuments écrits dans leur langue et remontant à une haute antiquité. Sénèque, qui vivait au même siècle que Strabon, devait nécessairement connaître ces monu- ments primitifs de sa patrie. Jeune encore il était allé s'établir à Rome, et n'avait pu aller apprendre le basque dans la Cantabrie, mais il avait dû l'apprendre dans la lecture des antiques monuments de son pays; et lorsqu'il parle à sa mère des Espagnols qui durent autrefois émigrer eu Corse et qu'il a reconnus à leur costume et à leur langage, il a soin de spécifier que ce sont le langage et le costume conservés chez les Cantabres, quoique à ces émigrants il donne la qualification générale d'Espagnols. Ce qui prouve qu'il considérait cette langue comme étant autrefois la ■langue générale du pays, sermo patrius, comme il s'exprime lui-même. 568 ANTHROPOLOGIE Il est regrettable que la domination despotique des Romains ait fait dis- paraître les monuments littéraires de l'antique Espagne. Mais, à défaut de ces écrits, nous avons les noms anciens des peuplades et des villes, et ces dénominations, qui ont la plupart un caractère évidemment basque, ne peu- vent laisser de doute sur la langue du peuple qui les a formées et occupées. Quoique les écrivains grecs et latins aient beaucoup déformé et altéré ces noms, et que les Romains les aient changés, il y en a un nombre très considérable qui ont conservé leur physionomie basque et trouvent dans cette langue leur étymologie naturelle. Tels sont: Iliberri, Villeneuve : ili, ville, etberri, neuve. — Bilbili, deux villes réunies : bil, réuni; bi, deux; ili ville. — Ilerdi, ville du milieu: ili, ville ; erdi, milieu. — Iligor, ville haute : ili, et gora haut. — Ilidot^, ville aride: ///, et idor, sec. — Irun, bonne ville: m, ville; on et oun, bon. — Ilumberri, bonne ville neuve : ili on, berri neuf. — Ilurci, ville d'eau: urci, aqueux. — Urgel, affluent d'eau : ui', eau; ghel ou hel, arrivée, af- fluent. — Urghi, source d'eau. — Urso, lieu aqueux. — Urbieta, lieu de deux eaux. — Iluro, ville d'eau. — Urbiaca, lieu de deux eaux. — Biturri: bi, deux, et iturri, source, lieu de deux sources. — Turriaga et Iturriaga, abondance de sources; la désinence aga signifie abondance. — Aitzerrl, pays pierreux : oitz, pierre, roc; erri, pays. — Aizturi, pays rocailleux et aqueux. — Urdaitz, pays d'eau et de rocs. — Aiztighi et Aiziighieta, ville sur une cime rocailleuse. — Mendicola, demeure ou gîte de la mon- tagne, la même que Mendiculeia, dans la Tarraconaise . — Baleari ou Abalari, fronde; frondeur, habile à manier la fronde, à lancer le trait : de abala, abalari, frondeur. Baléares ateli missu ajjpellati, dit Tite-Live, les Grecs les appelaient rup.v/3T£ç, qui signifie frondeurs, comme abalari en basque. Que la langue basque ait été la langue des Ibères, premiers habitants de l'Espagne, il semble que le doute ne soit pas permis; trop de preuves appuient ce sentiment qui est celui des historiens les plus graves et des savants dont l'érudition et le jugement méritent le plus de créance. Nous ajouterons que cette thèse est confirmée par la numismatique ibérienne. La lecture des inscriptions de las medallas desconocidas, donnée par M. Roudart, parait la plus fondée, parce que son alphabet et sa lecture nous donnent les noms connus des peuplades et des villes de l'antique Espagne; et la plupart de ces noms s'expliquent parla langue basque, ainsi que leurs désinences en coen et en, qui est un génitif pluriel : Iliba- ricoKTi, celui des Ilibariens; HilibetuicoEîi,ce\m des Hilibétiens; comme on dirait EspanacoEti, celui des Espagnols; ErromacoEîi, celui des Romains; BetamezEîi, celui ou celle des Retamesens; comme nous disons BiarnesEn GascoinE^, celui des Réarnais, des Gascons. La terminaison itz de plu- sieurs de ces médailles est également commune au basque; nous avons Garriz, Ustaritz, Izturitz. Riarritz, etc. LE CHANOINE INCHAUSPÉ. — LE PEUPLE BASQUE 569 sj VIII. — Origlne des Ibères ou des premiers habitants de l'Espagne. Il nous reste à rechercher d'où provenaient les Ibères ou Basques, pre- miers habitants de l'Espagne. La croyance traditionnelle des Basques est qu'ils descendent de Tubal, fils de Japhet ; ils considèrent leur antique étendard Lauhuru "f (quatre têtes ou bouts) comme étant le souvenir de cette origine, ce signe ^ étant la première lettre du nom de ce petit-fils de Noé. Porté comme un trophée à Rome par César- Auguste, après sa campagne contre les Can- tabres {Cantabro sera domito catenà, Horat lib., IV, od. xii), il fut appelé Labarum qui est une altération de la dénomination basque Lauburu. Il devint l'étendard chrétien après l'apparition de la croix à Constantin et sa victoire contre Maxence. La plupart des historiens et annalistes d'Espagne soutiennent cette croyance que Tubal ou son fils Tarsis et leurs descendants ont été les pre- miers habitants de l'Espagne. Josèphe, au livre P'", ch. vu, des Antiquités judaïques, dit que Japhet eut sept fils et que ceux-ci occupèrent, en Asie, les pays qui s'étendent des monts Taurus et Aman jusqu'au fleuve Tanaïs, aujourd'hui appelé le Don; qu'en Europe, ils s'étendirent jusqu'à Gades (Cadix), et qu'ainsi Tobel fonda les Tobaliens que l'on appelle à présent Ibériens : KaToixiC^'- Se y.ai 0o6y)Xoç Ooê'/jXo'jç O'.Ttvcç £V TOt; vuv Iê-/ip£ç xaXouvxat. Des écrivains modernes, qui ne veulent pas reconnaître aux premiers habitants de l'Espagne ajjpelés Ibériens une si grande antiquité, prétendent que, dans ce membre de phrase, Josèphe parle des Ibères Caucasiens. Mais, pour soutenir ce sentiment, il faut faire une violence déraisonnable au texte de Josèphe. L'historien juif dit d'abord que les fils de Japhet occupèrent, en Asie, le pays qui s'étend des monts Taurus et Aman au fleuve Tanaïs; et, parlant ensuite de l'Europe, il dit qu'ils vinrent, c'est- à-dire que quelques-uns des sept fils de Japhet vinrent en Europe et s'éten- dirent jusqu'à Gades ou Cadix, et que c'est ainsi que Tobel fonda les To- baliens; x.aTC'.xt^£t os xar, fonda ainsi. Ces termes xaicxt^et os xa-. ne peu- vent se rapporter évidemment qu'aux fils de Japhet, qui passèrent en Europe, allèrent jusqu'à Cadix et fondèrent ainsi les Tobaliens appelés aujourd'hui Ibères. Cette interprétation de l'historien Josèphe est incon- testable; et, d'ailleurs, il resterait aux contradicteurs à nous apprendre quel serait le fils de Japhet, autre que Tubal, qui suivant Josèphe, aurait pénétré jusqu'à Cadix. Saint Jérôme, dans ses Traditions Hébraïques (ca.p. x, Genesis), confirme l'interprétation du texte de Josèphe. Japhet, dit-il, eut sept fils qui occu- pèrent la terre, en Asie depuis les monts Aman et Taurus jusqu'au fleuve 570 ANTHROPOLOGIE Taiiaïs, et. en Europe jusqu'à Gades. Gomer, ajoute-t-il, fut le père des Galates; Medai,des Modes; Ja van, des Ioniens, qui sont les Grecs; etTubal, des Ibères, qui sont les Espagnols. Japhet filio Noe nati sunt septem filii qui possederunt terram in Asia ab Amano et Tauro... ad jhivium Tanaïm ; in Europa vero usque ad Gadira, nomina et locis et gentibus rclinquentes. Sunt autem Gomei- Galatœ; Magog Scitœ, Medai Medi, Tubal Iberi qui et Hispani, a quibus Celtiberi, licet quidam et Italos suspicantur. Isidore de Séville, au livre XI des Étymologies, reproduit le texte de saint Jérôme. Il est très probable que Tubal ou ses enfants occupèrent aussi l'Italie en même temps ([ue l'Espagne et peut-être auparavant. Ils étaient nomades, ils recherchaient naturellement les contrées les plus favorisées de la nature, et ils purent très bien s'arrêter en Italie avant de pénétrer en Espagne. Roderic de Tolède le donne à entendre dans son livre De rébus hispaniœ (lib. I, c. ni), où il dit : Filii Tubal, diversis provinciis peragratis curiositate pervigili, occidentis ultima petierunt; qui in Hispaniam venientes, et Pyrenei juga primitus habitantes in populos excrevere et primo Cetubales sunt vocati, quasi cœtus Tubal. » Tostat d'Avila, plus connu sous le nom d'Abulensis, et sur la tombe duquel on a écrit ce vers : Hic stupor est mundi qui scibile discutit omne, attribue également à Tubal le peuplement de l'Espagne : Tubal a quo Hispani ; iste sedem posuit in descensu montis Pyrenœi apud locum qui dicitur Pompilona. Deinde cuni islise multip/icassent in multos populos, ad plana Hispaniœ se extenderunt. Tous les grands historiens de l'Espagne, Garibay, Florian, Ocampo, Mariana, Henao, Moret, Ferreras, soutiennent l'opinion que l'Espagne a été peuplée, dans le principe, par les enfants de Tubal; et les contra- dicteurs n'ont produit aucun argument qui détruise, qui affaiblisse même les preuves sur lesquelles ils fondent leur sentiment et leur récit. § IX. — Traditions populaires chez les Basques L'alphabet particulier et les légendes des médailles Ibériennes témoignent que les Ibères écrivaient et devaient avoir des monuments écrits. D'ailleurs, Strabon nous l'aflirme en disant que les Turdétans étaient les plus lettrés des Ibères et que tous avaient une grammaire. Les révolutions successives qui ont bouleversé l'Espagne, les invasions des Celtes, des Carthaginois, des Romains, des Visigoths et surtout des Sarrasins ont fait disparaître tous les monuments littéraires des Ibères. Les Basques, noble et énergique débris de ces premiers maîtres de l'Es- pagne, ont conservé, avec la pureté de leur sang, leur admirable langue, monument précieux qui, par l'ampleur et la perfection de son système grammatical, par les caractères d'antiquité de son vocabulaire particulier, LE CHANOINE INCHAUSPK. — LE PEUPLE BASQUE 571 fait l'admiration des savants. Ils ont aussi conservé la tradition qu'ils sont les descendants de Tubal, tradition rappelée par le Lauburu "f , leur ancien étendard. Les légendes et récits populaires n'ont aucun intérêt historique actuel- lement chez les Basques ; ce sont des contes que l'on récite aux enfants dans les veillées d'hiver. Ils ont été publiés en grande partie par M. Cer- quant, inspecteur de l'Académie de Bordeaux. Il existe un nombre assez considérable de chansons qui sont très remar- quables par la délicatesse des sentiments et par la beauté des airs. Un amateur, M. Bordes, en a fait une collection qui sera, nous l'espérons, prochainement publiée. Les Pastorales, jouées de temps immémorial dans la Soûle, ofîrent un certain intérêt en ce qu'elles donnent une idée des représentations théâ- trales des Mystères au moyen âge, et qu'elles rappellent les guerres contre les Sarrasins. Comme dans les Mystères français, il y a toujours la lutte du bien contre le mal ; l'intervention de Dieu, des anges et des saints d'un côté, et de l'autre celle des diables et de leurs suppôts. Mais il y a ceci de particulier dans les Pastorales basques que le parti des bons est toujours appelé celui des chrétiens et le parti des méchants celui des Turcs; quels que soient les sujets des Pastorales, qu'ils appartiennent à l'Ancien Testament ou à l'histoire moderne. Il y a toujours force combats dans lesquels le triomphe finit par rester aux chrétiens. Le rôle des diables est très actif contre les bons et en faveur des Sarrasins. Le but principal de ces Pastorales a été évidemment, dans l'origine, d'entretenir les sentiments de la foi, en même temps que la haine des Sarrasins et l'ardeur pour les combattre. § X. — Monothéisme des Basques Une des preuves de l'invariable constance de caractère des Basques et «ne de leurs gloires, c'est que jamais ils n'ont. été idolâtres et qu'ils ont toujours adoré un Dieu unique. Les Romains, ne trouvant parmi eux ni temples ni idoles, crurent d'abord qu'ils n'avaient aucune croyance dans les divinités, nihil de DUs sentire ; mais ils se détrompèrent bientôt envoyant que tous les mois, à la pleine lune, toutes les familles basques se mettaient en fête pour honorer un Dieu innomé, passant toute la nuit à chanter et à danser en son honneur: innominatum quetndam Deum, noctu in plenilimio cum totis familiis, choreas ducendo, totam noctem festam agendo, venerabantur. (Strabo, Géogr., t. III.) J'ai dit que le monothéisme des Basques est un témoignage de la cons- tance de caractère de ce peuple, parce que ce n'est point le polythéisme qui a été la première religion des peuples, comme certains esprits se 572 ANTHROPOLOGIE l'imaginent. Le polythéisme, a dit Max Muller, est une déviation du mo- nothéisme et l'étude approfondie des religions comparées conduit au monothéisme. L'illustre égyptologue de Rougé dit que les inscriptions granitiques des temples de l'Egypte établissent la croyance des Égyptiens en un seul Dieu. Mariette dit la même chose ; au sommet du Panthéon égyptien plane un Dieu unique, Créateur. M. Lenormand dit également qu'en pénétrant au delà du polythéisme grossier, qui sert de base aux superstitions populaires, on retrouve la notion de l'unité de Dieu. L'Ibère basque a la gloire de s'être préservé de la déviation universelle et d'avoir conservé, avec sa langue, la notion d'un Dieu unique, du Jaon- GoicoA, le Seigneur d'en haut, qui est ÏIAO des peuples aux écrits cunéi- formes ; le TV et nln"* qui, avec les points voyelles ainsi disposés, doit se prononcer Ihaoh, lAO, et qui est le nom ineffable de Dieu pour les Hébreux. 7A0 a été et est toujours le cri de joie et le cri de guerre des Basques, et c'est l'invocation de la Divinité. Le prince Louis-Lucien Bonaparte ayant écrit que les Basques de la vallée de Roncal appelaient la lune goicoa, un des détracteurs des gloires des Basques s'est emparé de cette révélation, en a fait le synonyme de Jaon-Goicoa et en a conclu que les Basques avaient été adorateurs de la lune ; on comprend que c'est peu sérieux ; mais le plus fâcheux pour l'auteur de cette curieuse découverte, c'est que les Roncalais n'appellent point la lune goicoa, comme le prince avait cru entendre, mais gaicoa, celle de la nuit, la lumière de la nuit : de gai, nuit, en roncalais. Quelques écrivains, se fondant sur la légende de saint Amand de Maës- tricht, qui est dit avoir apporté chez les Vascons des Pyrénées la lumière de l'Évangile, en ont conclu qu'ils étaient jusqu'alors idolâtres; c'est une opinion absolument erronée. Saint Amand vivait au vii^ siècle et les Vascons qu'il vint évangéliser étaient ceux qui, fatigués par les vexations des Visigoths, avaient franchi les Pyrénées et étaient venus s'établir sur le territoire français à la fin du vi« siècle. Or, l'histoire ecclésiastique et profane d'Espagne fait foi qu'à cette époque la religion chrétienne était établie dans toute l'étendue de l'Espagne, et que les Vascons, en lut- tant contre les Visigoths ariens, défendaient leur foi en même temps que leur indépendance. Depuis leur invasion, constamment harcelés par les armées des rois de France qui voulaient les chasser de leurs terres, ils vivaient les armes à la main, sans prêtres et sans moyens de pratiquer leur religion, jusqu'à ce qu'après de longues luttes, ils eussent détruit, dans la vallée de Soûle, l'armée française commandée par Bladaste (1)^ Ayant alors recouvré la paix, ils furent évangélisés par Saint Amand, mais point retirés des ténèbres de l'idolâtrie. (1) Greg. Tiir. Hist. Fran, 1. VI, c. 12. — Fredegarii Cliron., c. 78, anno 636. le comte de charencey. — affinités de la langue basque 573 Conclusion La langue basque a un vocabulaire particulier pour les termes usuels de la vie matérielle et pour l'expression des pensées et des sentiments. Elle a une déclinaison unique et une conjugaison unique qui, dans leurs développements, renferment toutes les complications de sa syntaxe. Sa terminologie particulière et son système grammatical font de cette langue basque une langue à part dans le monde. Elle a été la langue des premiers habitants de l'Espagne que les histo- riens et géographes de l'antiquité ont appelés les Ibères. Les Basques actuels sont les descendants et les restes de ces Ibères par le sang et par le langage. Les Ibères, appelés aussi Tobaliens et Cétubaliens, étaient les descendants de Tubal, fils de Japhet. La vérité de ces thèses est appuyée sur les faits, sur l'autorité des histo- riens les plus graves et sur les monuments de l'antiquité ; et les déné- gations sans preuves des adversaires ne suffisent pas pour l'ébranler. M. le Comte DE CÏÏAEEITCEY à Paris. DES AFFINITÉS DE LA LANGUE BASQUE AVEC DIVERS IDIOMES DES DEUX CONTINENTS — Séance du 16 sepleinbre 1892 — Les hypothèses les plus contradictoires ont été émises relativement aux origines de la langue basque. On a voulu successivement rattacher cet idiome si différent de ceux qui l'entourent, aux souches sémitique, cel- tique ou finno-ougrienne. ■ Le fait est que l'Euskarien n'a de commun avec les langues apparte- nant aux familles en question, qu'un petit nombre de mots visiblement empruntés à une époque plus ou moins récente. C'est, du reste, une question que nous n'avons point à examiner ici. En définitive, il existe trois groupes linguistiques dont l'aire géogra- phique s'étend sur les rives opposées de l'Atlantique et qui paraissent offrir entre eux de ces similitudes que n'expliquerait guère le seul ha- 374 ANTHROPOLOGIE sard : nous voulons parler de l'Euskara ou basque, des dialectes kabyles du nord de l'Afrique et des dialectes de soucbe algique parlés jadis depuis les rives du Saint-Laurent jusqu'aux Montagnes Rocheuses. Entre ces trois familles linguistiques, une ressemblance phonétique des plus étroites se manifeste spécialement pour les pronoms, et surtout les pronoms personnels, c'est-à-dire la partie du discours la plus immuable, celle qui résiste le plus à l'action du temps et des mélanges de races. On en pourra juger par le tableau suivant : .lE. MOI TU, TOI IL, LLI ai ce n H w -aï / Dialecte de Bougie. Nek. Ketch (féminin&em). Nettsa (tem. iiett- sath). Zouaoua Nekh. Ketch (féminin /ce/c). Netsa (fémiain not- sath). Chellouii (du Maroc). / Nek. Kaï. Netta, nétham. Zénaga Nika, nek. Koitk (fém. koum). Nenta{im. nenlal). Kéloui (d'Asben). Nekh {in ou im, de moi, mien). Kai. Netsa. Ghaouïa Nctch. Chek. Netsa. DIALECTES ALGIQUES / Pénobscot. . . . Nin. Kil. Nekham. Lénàpé Ni, n\ Ki, k\ Nekha, nékhama. Chippevvay . . . Nin, n\ nind (de- vant une voyelle). Ki, kin, kid (devant une voyelle). Win (o préflxe). Cri Ni, nint, n\ nt. Ki, k (devant o, kit dev. une autre voy.). Wi, 0, ot. Piéganiw (dialecte du Pied-Noir) . N', nt. A", ki, kita. A, aœ. Algonkin .... Ni, nind, n. Ki, kit. Wich (o possessif). S i Basque iVi(n//c, forme aciive). Hi,hik]ioviTki,kik. Hau, il, le, — on, OHcA-, celui-ci,— a, article final. Le k final, signe de l'actif en basque, se trouve partie intégrante du pronom dans les dialectes berbers. LE COMTE DE CHARENCEY. — AFFINITÉS QE LA LANGUE BASQUE o75 rs'y aurait-il pas une parenté à établir entre le in, « moi, mien » du Kélouï et le possessif ene du Basque qui a le même sens? Il est vrai que cette forme paraît manquer dans les autres dialectes Berbcrs. On a tout lieu de croire que le hi, hik « toi » du Basque est pour une forme primitive ki, kik, très rapprochée par suite de la forme Zenaga, laquelle est certainement archaïque. En effet, la gutturale explosive manifeste, en Euskarien, une tendance très marquée à se transformer en h lorsqu'elle est initiale. C'est ainsi que le vieux Gaulois carracoa « pierre », d'oii l'Irlandais carraig, le Gallois carrek, le Breton kat'rek, « écueil, rocher » est devenu harri chez les montagnards pyrénéens. Ainsi encore, le prince Louis-Lucien Bonaparte a signalé dans le dialecte de Roncal, si primitif au point de vue phonétique, le maintien des formes pronominales démonstratives kaur, kori, kwa, lesquelles sont devenues, dans les autres cantons du pays basque, haur, hori, hura. On remarquera que, pour la troisième personne du singulier, les dia- lectes algiques et berbers ont plus d'affinité entre eux qu'ils n'en offrent avec le Basque. Ce dernier idiome ne possède point de terme que nous puissions rapprocher du nétham des Chellouks, non plus que du nékhauia des Lénâpes. Ce fait que dans le premier des dialectes en question, le pronom a un th pour lettre médiale, tandis que dans le second, il pos- sède un kh, sans doute plus archaïque, ne saurait nous empêcher de constater son identité originelle. Ajoutons que le démonstratif a « celui-ci » du Bifféen. du Beni-Mena- cer (dialectes berbers) et de l'Hadendoa (dialecte chamitique de la vallée du Nil) ne semble pas différer substantiellement du a « il, lui » du Piéganiw. Nous hésiterions toutefois à en rapprocher le a, article final du Basque dont la forme primitive aurait, dit-on, été ar. Nous ne saurions nous empêcher de signaler en passant et sans atta- cher à ce détail plus d'importance qu'il ne convient, l'identité phonétique absolue du ivin « il » duChippeway avec le démonstratif Rifféen ouin, ivin « celui-ci ». Conviendrait-il d'en rapprocher le on (forme active onek) (i celui, celui-ci » de l'Euskara? Ainsi que l'on devait s'y attendre, les coïncidences sont moins frap- pantes entre les pronoms pluriels qu'entre ceux du singulier dans les dialectes dont nous nous occupons en ce moment. Nous sera-t-il permis, toutefois, de signaler l'emploi de la gutturale initiale aussi bien dans le pronom pluriel de la première personne en Basque, gu, guk « nous » que dans le pronom inclusif des dialectes algiques, par exemple : en Pénobscot kilou, en Lénâpé kiluna « moi et toi, nous et vous ». Dans les langues canadiennes, le signe du pluriel pronominal consiste d'ordinaire dans la nasale précédée et parfois suivie de voyelles; ainsi l'on a en lénàpé nekhamon « ils, eux » d'un singulier nekliam « il, lui ». N'est-ce o76 ANTHROPOLOGIE pas tout à fait le procédé berber, mais seulement appliqué au nom aussi bien qu'au pronom? Exemple : Kabyle duDjurdjura, irgouzoï « hommes », du singulier ergaz; — en Chellouk, idan, a. chiens », du singulier aïdi; — en Zouaoua, netheni « eux » pour netseni, du singulier 7ie/sa, « il » ; — en Mzabite, chetchouin « vous »; de chetch « tu, toi », etc., etc. Le Basque ainsi que les dialectes algiques difTère des idiomes berbers par l'absence à peu près absolue de suffixes possessifs, surtout avec le subs- tantif, mais il possède quelque chose qui s'en rapproche beaucoup : nous voulons parler des traitements verbaux. On entend par ce terme certaines désinences ajoutées au verbe et variables suivant la personne à laquelle on s'adresse. Ainsi, l'Euskara dit duzu « je t'ai » au traitement respec- tueux; dun « je t'ai », mais parlant à une personne du sexe féminin, etc. Or, le traitement de la deuxième personne du singulier se trouve, en basque, marqué par un k final, dans lequel on s'accorde à reconnaître une abréviation du Jd, kik ou hi, hik « tu, toi ». Il faudra donc employer la forme duk « j'ai » en s'adressant à une personne du sexe masculin que l'on veut traiter sur un pied de parfaite égalité. Précisément, les dialectes berbers emploieront, eux aussi, cette même finale k, tirée du pronom de la deuxième personne kik ou kek pour rendre nos possessifs ton, tu, tes. Ainsi le Zénaga dit temchkintek « ta femme » ; ougrenk « tes enfants », etc., etc. Pourra-t-on, je le demande, regarder une pareille coïncidence comme purement fortuite? Ajoutons que le savant abbé Cuoq, si expert en matière de linguistique américaine, a fait ressortir la ressemblance existante entre certaines dési- nences marquant le pronom régime dans les verbes sémitiques et les pronoms correspondants de l'Algonkin. Par exemple : dans le Syriaque sahakhtani « tu m'as abandonné », la finale ni qui marque la première personne du singulier n'est pas autre chose que le ni « je, moi » des dia- lectes indiens. Comparez de même la finale o « le, lui » du Sémitique Qetalo « occidit-eum » au o préfixe possessif marquant la troisième per- sonne du singulier en Algonkin. Toutefois, nous ne voulons pas suivre davantage le docte missionnaire sur un pareil terrain. Bornons-nous aujourd'hui à étudier les traces d'une antique parenté qui se peuvent re- trouver entre les langues des deux rives de l'Atlantique. On n'examinera point ici les affinités beaucoup plus lointaines qu'elles peuvent offrir avec le groupe sémitique et on laissera à d'autres l'honneur de trancher la question de savoir si le Kabyle, le vieil Égyptien, le Tamachek doivent ou non être considérés comme des frères plus ou moins éloignés de l'Arabe et de l'Hébreu. Sans doute, la théorie de la formation du pronom chez les peuples ber- bers offre encore bien des points obscurs. Toutefois, un fait paraît rester dorénavant acquis à la science, c'est que, sous ce rapport, les dialectes des LE COMTE DE CHARENCEY. — AFFINITÉS DE LA LANGUE BASQUE 517 aborigènes du nord de l'Afrique se rapprochent plus peut-être de ceux dont il vient d'être question plus haut que le Sanscrit ne se rapproche du Français ou le Persan de l'Anglais. Un point des plus importants à signaler nous semble être le suivant : M. l'abbé Cuoq remarque la rareté de l'adjectif en Algonkin et dans les idiomes congénères. Presque toujours il se trouve remplacé par une sorte de verbe à un état spécial de sa conjugaison. Le même phénomène reparait, mais sur une plus vaste échelle encore, dans la plupart, sinon la totalilé des langues berbères. Chez elles, l'adjectif n'existe guère et c'est une vraie forme verbale qui en tient lieu. Ainsi, lorsque le Beni-Menaccr dit sen laouâref d'izdaden, d'iziraren « deux baguettes minces, longues », le membre de phrase se devrait littéralement rendre en français par « deux baguettes étant minces, étant longues )). Etîectivement, le d prosthétique constitue un signe parlicipiel et marque plutôt l'état que la qualité. Rien, à notre avis, de plus propre à faire ressortir le génie des races dont nous nous occupons en ce moment. Chacune des principales fractions de l'espèce humaine semble avoir eu sa façon spéciale de comprendre le langage. Les peuples de l'extrême Orient, avec leur monosyllabisme, leurs radicaux invariables, se sont montrés rebelles à la conception des caté- gories grammaticales. En revanche, les dialectes agglomérants de l'Asie boréale et centrale constituent ce que l'on pourrait appeler les Imigues participielles. Leur verbe lui-même n'est autre chose qu'un véritable participe. Ainsi, en Turk, sever signifie à la fois « aimant » et « il aime »; severim « amo » se rendra littéralement par « meum amans, mea actio amandi ». Nous réserverions volontiers le nom de langues verbales ou conjugatives à l'Algonkin, au Lénâpé et autres jargons de la même famille. Effectivement, ils manifestent une tendance habituelle à donner aux diverses parties du discours des marques de temps et de modes. Il en devait, sans doute, primitivement être de même pour les dialectes kabyles et la meilleure preuve que l'on en puisse offrir, c'est qu'aujourd'hui encore, ils naient pu parvenir à se créer des adjectifs proprement dits. Sans doute, le Basque se montre, à cet égard, plus avancé. Cela ne tiendrait-il pas simplement à l'influence tant de fois séculaire exercée sur lui par les langues d'origine indo-européenne? Une autre particularité des dialecies kabyles et que l'on rencontre également en Basque et en Algonkin consiste dans la suffixation au verbe du pronom direct régime. Nous trouvons, par exemple, en Tamachek, serzck « je t'habille », de serz « habiller », et teserzek i tu t'habilles » (au masculin) ; teserzet « tu t'habilles » (au féminin); en Soussien, inman « ils dirent »; inmanas « ils leur dirent »; irrzik « il te tuera » et au sub- jonctif atlienri « afin qu'il le tue ». En Beni-Menacer, l'on a hennas, innas « il dit à lui, il lui dit »; innasen « il dit à eux, il leur dit »; thouadbitk 37* 578 ANTHROPOLOGIE « répondit à lui, lui répondit ». Citons des exemples du même phé- nomène, par exemple, dans le Basque, Yateii didak « je te les mange »; l'Algonkin, ni saldhigon « je suis aimé par cela ». l'Iroquois, waiatawenri « il me le dit ». — Remarquons, à ce propos, que l'emploi des pro- cédés en question est encore plus accusé dans ces trois derniers idiomes, puisqu'ils suffixent jusqu'à deux régimes pronominaux à la fois, ce que ne ferait guère le Kabyle ni le Tamachek. Du reste, cette suffixation du pronom régime existe également, nous l'avons vu dans les dialectes sémitiques et dans certains idiomes ougro-finnois. Citons, par exemple, le Morduin palasa « je l'embrasse »; palasamak « tu m'embrasses », etc., du radical palan « embrasser ». On en retrouverait quelques exemples jusque dans les dialectes néo-latins : ainsi, en Italien, datemelo « donnez-le-moi »; à rivederla ce à revoir »; sentirsi morir a se sentir mourir ». Aussi n'aurions-nous pas attaché beaucoup d'importance à l'existence du procédé en question au sein des dialectes berbers, s'il ne constituait un trait de similitude à ajouter à beaucoup d'autres, entre les langues faisant l'objet du présent travail. Occupons-nous maintenant d'une façon spéciale des rapports à établir entre l'Euskara et les dialectes du Nouveau-Monde. Humboldt avait déjà signalé la physionomie pour ainsi dire américaine de l'idiome basque. Il y voyait, du reste, simplement la preuve que toutes ces races qui les parlent avaient atteint un degré de culture à peu près équivalent au moment où leurs langues s'étaient constituées. Qu'il nous soit permis de ne pas partager la façon de voir de l'illustre savant. Les coutumes, les mœurs d'un peuple sont, en grande partie du moins, la résultante de son état de civilisation. La structure de son idiome n'en dépend guère plus que l'ensemble de ses traits physiques. C'est d'abord affaire de race. Le genre de vie des Australiens rappelle, à bien des égards, celui des tribus les moins avancées du Nouveau-Monde. Est-ce que leurs jargons offrent le moindre rapport, même dans leurs traits les plus généraux, avec ceux des Fuégiens ou des Indiens des Pampas? Aryas et Sémites primitifs. Turcs et Hottentots cons- tituaient tous des populations adonnées à la vie pastorale et cependant les uns parlaient des dialectes purement agglomérants, les autres des langues à flexion. Si donc l'Euskara offre des ressemblances typiques avec le Chippeway ou le Lénâpé, nous aurons quelque droit, a priori et jusqu'à preuve du contraire, d'y voir un indice de parenté ethnographique. Voici le tableau résumé de ces affinités grammaticales. 1° Procédé par élimination Son emploi semble très familier à un grand nombre de dialectes du Nouveau-Monde, spécialement à ceux des familles algique et mohawk- huronne ; il consiste dans la suppression complète ou partielle du radical LE COMTE DE CHARENCEY. — AFFINITÉS DE LA LANGUE BASQUE o79 de l'un ou plusieurs dos éléments d'un mot composé. Le Délaware, par exemple, dira : piUipe «jeune homme, enfant », de pilsitt « Castus » et Lénàpé (Rad. fen) « homo», d'où pilawetschisch o adolescent », pilaweUt « petit garçon ». Nous aurons en Mohégan, /,itagischgou/< « espèce de serpent qui ne sort que la nuit », de kitamen « craindre », gischouh « soleil » et aschgoulx « serpent », Rac. aschg : en Cri, kiséyiniiv « vieillard «, litté- ralement « homme bon, parfait », de iyiniw, « homo » et kiséw « bon, miséricordieux »; — en Algonkin, nabésiin c chien mâle », pour nabé-asim, littéralement « masculus canis >); — enfin, en Iroquois, le nom du Dieu Taroniawagon, le ciel personnifié, littéralement « celui qui embrasse le firmament de ses deux mains », apparaît formé des éléments suivants : 1° Kianaicakon « tenir avec les mains », en composition réduit à wakon ou wagon ; 2" Karonhia a ciel», auquel sa fusion avec le verbe fait perdre son k initial, et enfin : 3" Le t, signe de dualité, lequel pourrait bien n'être qu'une contraction de tékéni « deux ». De son côté, le Sioux ou Dakotah nous offrira des composés tels que le suivant, hoglianmna « sentir le poisson », de hoghan « piscis » et omna «olere». Enfin, les dialectes canadiens en arrivent jusqu'à fabriquer des membres de phrase entiers au moyen de l'élimination des radicaux. Citons, par exemple, le Délaware nadhollnen (( amenez-nous le canot », de naten, « amener, apporter », amochol « canot, bateau » et delà finale 7ieen, désinence transitive marquant le pronom de la première personne. Sans pousser les choses à. ce point, le Rasque fait, lui aussi, grand usage du procédé par élimination. On a lieu de penser qu'aux temps primitifs, il devait, à cet égard, se rapprocher bien davantage du Lénâpé et de l'Algonkin. Aujourd'hui encore, beaucoup de ses composés sont obtenus en faisant disparaître la racine ou tout au moins la voyelle initiale du deuxième composant. Citons, par exemple, egun «jour» pour ekhidun littéralement « possesseur du soleil », de ekhl « soleil » et dun « qui a, qui possède ». Hawide « petit frère, petite sœur », littéralement « enfant sem- blable», de kide «similis» et haiw « puer». Sogitea « regarder », litté- ralement « faire regard », de so «regard » et egi « faire ». Astezken « mercredi », littéralement « dernier de Vaste ou période de trois jours », de as/e et azken « ultimus », etc., etc. Inutile, sans doute, de multiplier les exemples qui seraient innombrables. Une des causes principales de l'adoption d'un pareil artifice lexicographique doit sans doute être cher- chée dans cette particularité que le Rasque et les dialectes algiques ne semblent, à l'origine, avoir possédé qu'un nombre fort restreint de radi- caux, et faisaient beaucoup plus volontiers usage de composés que de 580 ANTHROPOLOGIE dérivés. Ainsi, en Basque, l'on a ema/rume, littéralement «donné enfant» pour «femme »; hi/largi, littéralement « lumière du mois », pour «lune»; en Délaware amangamanscliquiminchi « chêne à larges feuilles », litté- ralement « arbre du fruit à coques aux grandes mains », c'est-k-dire « aux larges feuilles», deanmngi « magnus », naschk «manus», kin ou quim « fruit à coque », et enfin, achpausi « tronc d'arbre », ici réduit à nchi ou inschi. Le seul moyen de prévenir la formidable longueur de certains mots devait visiblement être de sacrifier le plus possible d'éléments radicaux. Sans doute, l'on rencontrera des cas de formations analogues dans des idiomes appartenant aux familles les plus diverses. Citons, par exemple, les mots latins malo pour via gis volo ; nolo pour non volo ; le grec zôgreô « prendre vivant» pour zôo?i agreô ; les formes allemandes, heim « chez » pour hei dem ; zum « vers » pour zur dem ; — japonaises, konata « moi », littéralement « ce côté-ci » pour kono kata ; anata « toi », littéralement « ce côté-là » pour ano kata; sonata « lui», littéralement « ce côté là-bas» pour sono kata, etc., etc. Nous n'en avons pas moins le droit déconsidérer ce mode de formation, comme caractéristique aussi bien du Basque que des dialectes du Nouveau-Monde^ parce que, chez eux, il joue un rôle infiniment plus considérable que partout ailleurs. En définitive, tous les procédés grammaticaux ou lexicographiques se retrouvent plus ou moins développés dans une foule d'idiomes en réalité très dissemblables. Ce qui constitue leur importance au point de vue de la classification linguistique, c'est la manière dont on les emploie. Nous regardons à bon droit le déplacement et la métamorphose des voyelles comme un trait essentiel des dialectes sémitiques. Citons à ce propos l'arabe kataba « scripsit» et koutiba « scriptum fuit » ; l'hébreu qatal « il a tué » ; qotel « meurtrier » et qtol « occidens ». Cependant, nous trouverions quelque chose d'un peu ana- logue à tout ceci, même dans nos langues indo-européennes. Est-ce que la voyelle ne varie pas dans les formes allemandes stehlen « voler », gestohlen « volé » et ich stahf « je volai » ? Le déplacement voyellaire n'existe-t-il pas bien accusé dans le grec eôrga, aoriste de Rezô « faire » ? Mais il y a cette différence essentielle à signaler entre les deux groupes d'idiomes, qu'en allemand ces mutations phonétiques sont en quelque sorte accidentelles et pourraient disparaître sans que la structure même de la langue en fût changée. Aussi, par exemple, la forme partiel pielle verdrehen tend-elle de plus en plus à se substituer à verdroht « menacé». Au contraire, l'arabe et l'hébreu ne sauraient cesser de les appliquer, sans que leur système grammatical n'en fût tout entier bouleversé. 2° EncapsulatioiX. C'est le procédé en vertu duquel le mot principal s'entr'ouvre,pour ainsi dire, de manière que l'on puisse lui intercaler un terme régi. C'est LE COMTE DE CHARENCEY. — AFFINITÉS DE LA LANGUE BASQUE 381 ce que nous rencontrons, par exemple, dans l'Algonkin ni sakitawakina « je te tiens par l'oreille », de ni « ego », sakina « tenere » et ntawakeng « peraurem »; — dans l'Iroquois shunquétas « un homme »,de shétas « un » et unqué, ongwe « homme »; — dans le Maya du \ ucutsin, amehenobex c vos fils », pour aex « vestri » et mehenoh « filii ». Ce mode de formation des mots, qui imprime un cachet original aux dialectes du Nouveau-Monde et semble être chez eux d'un emploi courant, n'existe plus guère en basque que pour certaines formes verbales, telles que zitzaidan « il m'était, je l'avais », au traitement respecteux. Ce terme est pour zitan zu, mais ce dernier monosyllabe, qui correspond au vous singulier du français, a fini par se trouver en quelque sorte incorporé dans le verbe précédent. Sans aucun doute, ce procédé, qui jadis a vécu, en basque, de sa vie propre, se trouve aujourd'hui cristallisé et reste comme dernier vestige d'une phase linguistique disparue. Ajoutons, par parenthèse, que l'influence euskarienne continue peut-être à se faire sentir dans certaines formes espagnoles, telles que les suivantes : honesta y gallardamente , où une seule et même désinence s'applique aux deux adverbes qui se suivent. 3° Emploi du pronom comme simple catégorie grammaticale Nous ne prétendons nullement que le pronom ne se présente par- fois, dans les dialectes du Nouveau-Monde, à l'état de partie du discours isolée. Toutefois, ce qu'il y a de remarquable, par exemple, aussi bien en Algonkin qu'en Huron, c'est que le substantif, tout comme le verbe, ne se puisse guère montrer sans être revêtu d'un affîxe ou d'un suffixe pronominal. Ainsi, en Algonkin, le mot och «père» ne sera jamais employé seul. Il en sera de même en Cri pour le mot kosis « fils » qui, pris isolément, constituerait une sorte de barbarisme, tandis que les formes mtosis « mon fils», kikosis «ton fils» sont parfaitement correctes. Ces langues peu amies de l'abstraction admettent bien que l'on puisse dire <( mon père, mon fils », mais non .pas « père, fils » d'une façon générale. Aussi, les missionnaires qui voulurent traduire en Iroquois le Gloria patri furent-ils obligés de le rendre à peu près de la façon suivante : « Gloire à notre père et à son fils et à /ewr Saint-Esprit » . Un vestige de cette façon archaïque de comprendre les choses se manifeste encore en Euskara, du moins pour la conjugaison. Le pronom régime ne saurait être détaché du verbe transitif et les expressions yaten dut ogia signifient littéralement « je le mange, le pain » et non pas « je mange le pain ». Cette dernière forme resterait absolument intraduisible en Basque. Si vous dites à un Labourdin ou à un Guipuzcoan parlant français : « As-tu fermé la porte », il vous répondra à peu près infailliblement: « J'ai fermé » et non pas « Je l'ai fermée », tant il est habitué à l'idée que le régime pronominal et le verbe demeurent indissolublement unis. 582 anthropologie 4*^ Des conjugaisons nominale et adjective. Nous avons déjà parlé de la tendance qu'ont les dialectes du Nouveau- Monde à donner des signes de temps et de mode, même aux noms, aux adjectifs et aux particules, autrement dit à les traiter comme des verbes et à les soumettre à la conjugaison. Ainsi, le Quiche fera une sorte de verbe d'état du qualificatif utz « bon » et dira oh utz oher « nous avons été bons », littéralement « nos boni olim. » Du radical apak « porteur», le Péruvien formera apasca, littéralement c porteur passé, celui qui a porté rt ; apascay « celui qui a été mon porteur, qui m'a porté » ; apanca ou apana « porteur à venir, celui qui doit porter». De même, en Guarani, térangua « village détruit, qui a cessé d'exister » et térai-ama « village à créer, qui existera plus tard ». En Lénâpé, une simple désinence suf- fira à transformer en verbe ou participe le composé kitchimanitou « Dieu», littéralement «le grand esprit», et l'on aura par exemple : kikitchima- nitouiyan, « toi étant le grand esprit, toi qui es le grand esprit ». Peut-être le Basque nous offrira-t-il quelque chose d'assez semblable, par exemple dans des formes telles que emaztegaï « fiancée » , littérale- ment « femme future », dans l'emploi de la désinence te ou tze qui s'em- ploie également pour former des noms et des verbes; exemple : sagarlze «pommier», de ^a^ar « pomme » ; lagunlze «accompagner», de lagun «compagnon, ami». Au reste, cette confusion entre les formes du nom et celles du verbe semble assez générale dans tous les idiomes demeurés à un degré inférieur de développement. 5° Du verbe et de son traitement Le système de conjugaison en Euskara, comme dans une foule de langues américaines, spécialement dans celles du groupe algique, repose sur la distinction à établir entre le traitement du verbe transitif et celui du verbe intransitif. Par exemple, l'Algonkin, le Chippeway ne conju- guent transitivement que le verbe actif suivi d'un régime direct et consi- dèrent comme intransitifs, non seulement les neutres et les passifs, mais encore les actifs eux-mêmes, toutes les fois qu'ils ne sont point accom- pagnés du régime en question. Du reste, les affixes diffèrent pour chacune des deux conjugaisons ; ainsi, l'Algonkin traite la forme ni sakidjike « j'aime » in abslracto intransitivement tout comme pikocka « c'est cassé » ou kickowe « il se tait », et cela par opposition à ni sakiha « je l'aime »; de même en Quiche, ca nulogoh « je l'aime », littéralement « nunc meum-amare » et quinlogon «j'aime », littéralement « nunc ego- amare » ou « amans ». LE COMTE DE CHARENCEY. — AFFIMTÉS DE LA LANGUE BASQUE 583 L'Euskara admet aussi cette distinction et ne s'éloigne des dialectes américains que par un point tout à fait secondaire, c'est-à-dire que, chez lui, l'actif est toujours traité transitivement, puisqu'on ne peut le séparer, nous l'avons déjà vu, du pronom régime. Nul doute, d'ailleurs, que ce dernier phénomène ne se soit produit à une époque relativement récente et, primitivement, le système de conjugaison du Basque devait être iden- tique à celui du Quiche ou de l'Algonkin. Quoi qu'il en soit, l'intransitifse trouve marqué en Basque par la préfixation du pronom personnel, si le verbe est contracté, ou par l'emploi de l'auxiliaire être, s'il est composé ; exemple : nabila « je marche », de ni « ego » et ibil « venire, ire»; ethorten naiz «je viens », littéralement « in adventu sum», du radical ethor « venire » et de niz ou r\aiz « sum ». Ajoutons, par parenthèse, que ce verbe iz « être » dont l'origine a été si diversement expliquée, pourrait bien n'être autre chose que le latin esse. Il est fort douteux qu'à l'origine, le Basque possédât un verbe substantif. Aujourd'hui encore, les dialectes canadiens en sont dépourvus et l'on ne saurait rendre textuel- lement, en Algonkin ou en Iroquois, la phrase biblique « Je suis celui qui suis » ; pour le passif, on aura maithatu naiz, traduction littérale du français « je suis aimé ». Vraisemblablement, ce procédé qui consiste à employer le participe passé avec être a été emprunté aux dialectes néo- latins, et l'on a tout lieu de penser qu'il a remplacé un autre mode de formation véritablement indigène, mais aujourd'hui tout à fait tombé en oubli. Quant au transitif, le Basque l'indiquera par l'intercalation du radical vjerbal dans l'auxiliaire « avoir» quand le verbe est contracté; exemple : dakil « je le vois », de yaki « scire » et dut « habeo ». Ce dernier mot est lui-même formé de da « est», hau « hoc » et t, signe de la première personne du singulier, littéralement « est hoc mihi, habeo». Au contraire, on juxtaposera le participe à ce même auxiliaire avoir, lorsque l'on a affaire à un transitif composé, exemple : yakiten dut «je le sais», littéra- lement « in scientiâ, in scito habeo». Ajoutons que les linguistes sont d'accord à regarder la conjugaison dite contractée comme plus ancienne que la composée. Ceci ne serait peut-être pas tout à fait exact et Ton aurait quelque lieu de les croire contemporaines ; seulement, l'emploi des verbes auxiliaires, lui, pourrait bien n'être pas primitif du tout. Vrai- semblablement, le basque l'a emprunté aux dialectes néo-latins, mais en lui donnant plus d'extension que ne l'ont fait ces derniers. Ce qui est certain, c'est que dans les dialectes algiques, nous rencon- trons le pronom préfixe employé comme sujet du verbe et marque du possessif pour le nom; au contraire, le même pronom suflixé sert, par exemple en Lénâpé, à former une sorte de conjugaison substantive. On en pourra juger par le tableau suivant : 584 ANTHROPOLOGIE / C c c i^ s o o .^ !=! ^ « 3 •4^ en '■ o H 'Ci: a. ■< hUlahid, on seigne O^ OJ lillakonk, i qui est gneur ». ihillalat, i qui est gneur ». Ulaliyenk lui qui e seigneur hillakili, lui qui e seigneur UakichtU i qui est 1 gneur ». o "3 'S < ^ en JS CD - o -SS 3 'oJ (Q / to i ^ > « j^* ^ H s R ^ N 0 b3 1 'S en -2 Dakik, Tu le sais Daki, Il le sait 3US le savo Dakiyie, ous le sav Dakie, Is le saven l « ^ y >- i-H s s G! » « XI = ^ S / "o CD 'S ch, père père ■3J ^ • — g oj s g uwa, père awall père >ElI o ^ c o H Ochi « Son Nocl Notre pt Notre p Koch a Votre 1 3 Cl. ^; b _^ ,; :,■ en S C ez ». 2 a 5U en ^ t3 <>. f^ fi r=1 •< ^ o 03 1 C 4-> lami nten Npendame « Nous enten( fi s men tend w s c S O) ■W 03 H ^ 1^ Kpen « Vou Pen « Ils 'W a « s ^ f .- • — o ^ P^ ,a> (D Cl fi « s « e o e 0) § 'l - 03 fi E-i Çj '03 \ ce 7los Ton p Ossa Son p Nossin 3tre pèr Kossi) otre pèi Kossi Votre P5 a. 0. "^ » « i:; ^ R . 0 F4 o s o en C en S 3 r^ S c ^ = R « î^ o O) o 5 S o ;3 'H t- ■M £î '^ -* î-1 — •^ ^ s-j r: — rc i1 t^ X o "M ^ le t- ~ _; c; c: X le le ce i2 !; — ?c cc^-i-ecec;ocewXi^ — » — ce t^ ce ^1 'M '"^ ^ '^ F^ ': iS a ^ i2 !- ?S X ^j* — ueceooce — i^oc t^ le T-i c o H ~ "^ — — ce Si i-- 'M -M X — s ce — X X s: ^ < -< ^5? ^= =: ':= J: _; O = â 2 ~ ■p- SI c: •— X i-e ^-* — ;S O c_ ee •— •^* X 00 -^ - OC 1- t- ^ -; — < o — - z. CD >r :i. .^ t^ ^ ^ QC O i* 1^ ÎC i:^ tz^ a: =^ ^; -M CM ^ ■U3 — ■ i* ^ QC SI o *-■ X Tl 3> £ lO I- lO 2 ^ Pu v= «1 ^ VI =^, ^ f^ (i> ;c t- t- (Q '■O o ^ = 2 ^ c^ •-* <» _■ n •^ s fl K Z o -03 l-H ;3 ^ :fl Z - ^ - ^ ? iii .^ S ;-^ - « .:= — -J* 05 ^H C5 (0 w 5 t- o g V. s »1 •^ 00 sa o o iC •r- 'Û u-î >! (M 2 -^ ^ — ^ «ff^ l- 4) a y- 0) -^ O ce r- • iH S i^ 2 —' ■-£ in 5 5 2 o 13 H 5 ^^ -^^ t- S sr. O u 5^ X u < 00 X -■♦ ^ S - :s E oc iO o g =^ 22 3 in Ift -* — le ac j -/. ï- ii le sa o -* ce s-1 i.e •s o X — . f- r- ■f. ^ le X -^ ^ Ci :£ -r- ^ ce s ce ôô • :z — -* eo — SI ■< ^ m 'A purantes. 64i ANTHROPOLOGIE Les cheveux, chez Éloïse, sont rares. La taille, le teint, la forme du crâne, ne présentent rien de particulier. On n'observe aucune tare ou disposition quelconque, le lobule de l'oreille est normal. Les ascendants d'Éloïse se composent de : 1° Sa mère, âgée aujourd'hui de soixante- quatre ans, et tout à fait normale ; 2° Son père, mort depuis quelques années, et présentant les ongles identiques à sa fille. Éloïse L... est fille unique. Mariée il y a vingt ans à V..., tout à fait normal, eile a trois enfants vivants : l** Un fils, André, âgé de dix- sept ans ; ongles déformés, cheveux rares ; 2° Une fille, Marie, âgée de seize ans, très bien conformée, tout à fait normale ; 3° Une fille, Lucie, âgée de douze ans, avec les ongles déformés ; les cheveux sont très rares. Voici, du reste, la généalogie résumée d'Éloïse L... : Pierre L,.., cagot; ongles déformés, cheveux rares, pas de barbe, Jeanne L..., normale. I Éloïse L..., cagote, fille unique, mariée à V..., homme normal; elle eut trois enfants. André, Marie, Lucie, 17 ans, 16 ans, 12 ans, cagot. normale. cagote. Quelques renseignements puisés dans cette dernière famille nous appri- rent qu'un cousin germain de Marie était cagot comme elle, et qu'il avait dix frères et sœurs, dont cinq étaient déformés comme lui, et cinq autres normaux. Si nous résumons les faits ci-dessus, nous arrivons aux résultats sui- vants : ' Sur un nombre de vingt-cinq individus, appartenant à une même famille cagote, avec intervention d'éléments normaux, par suile de deux mariages, quatorze ont présenté la disposition dite cagote àes ongles et des cheveux, et onze étaient normaux. L'altération que nous avons décrite est donc transmissible par voie d'hérédité ; elle ne l'est pas fatalement, ce qui est dû peut-être à cette circonstance que dans les familles que nous avons observées, il y avait un facteur cagot et un normal. D"" MAGITOT. — SUR UNE VARIÉTÉ DE CAGOTS DES PYRÉNÉES 64o Nous sommes, du reste, sans documents sur les résultats de l'union de deux cagots entre eux, n'ayant pas rencontré ce cas particulier. Nous n'avons pas davantage d'exemples de reproduction, par atavisme, de la disposition cagote que nous avons décrite, et par atavisme, nous entendons le fait de la naissance d'un individu cagot, porteur de la lésion, bien qu'issu de deux facteurs normaux. Quoi qu'il en soit, l'existence d'un groupe d'individus consanguins et classés sous le nom de cagots repose sur un nombre considérable d'obser- vations ; car si nous tenions compte des renseignements fournis par tel ou tel sujet sur ses parents plus ou moins éloignés, nous parviendrions aisément à un nombre de quarante à cinquante individus frappés de la déformation décrite. Maintenant, il convient d'aborder un autre problème. Qu'entend-on par cagot? La désignation de cagot, agoi, kakou, cassot, ou l'une quelconque des innombrables dénominations analogues, s'adresse, d'une manière géné- rale en France, à un groupe de population ou à une famille de parias, à une race maudite, à des réprouvés de l'humanité. Considérés dans l'histoire, les cagots ont été incontestablement affligés, soit d'une tare héréditaire, soit d'une affection transmissible et contagieuse et forcés, par suite, de vivre isolément, en hostilité permanente, au milieu de populations auxquelles il leur était interdit de se mêler, et con- damnés, en outre, aux prescriptions les plus humiliantes et les plus méprisantes. Telle peut être, ou plutôt telle pourrait être la définition de cagot jus- qu'à la fin du xvni« siècle, envisagé en particulier dans la région des Pyrénées et, détail remarquable, la seule catégorie d'individus auxquels la tradition réserve ce nom aujourd'hui est précisément celle qui présente les dispositions que nous avons décriles. Hors de là, le nom de cagot n'est attribué à personne et nulle distinction sociale ne permet aujourd'hui de le reconnaître. Nous dirons même que le groupe de famille que nous avons observé et décrit, bien que désigné communément sous le nom de cagot, n'est réellement plus l'objet d'au- cune réprobation publique. Ces pauvres gens excitent, il est vrai, une cer- taine mais très faible répulsion, qui ne s'adresse plus à la caste, mais à l'individu déformé exclusivement. Le tableau que nous donnions tout à l'heure du cagot du moyen âge est donc singulièrement atténué aujourd'hui, si atténué même que dans beaucoup de localités où l'on interroge les habitants sur l'existence actuelle de cagots, on répond par la négative : il n'y a plus de cagots. C'est ainsi que le professeur Bouchard (de Bordeaux), dans sa commu- nication sur les cagots, est arrivé à cette conclusion que, à l'époque 646 ANTHROPOLOGIE actuelle, les cagots ne se distinguent par aucun signe particulier des populations ambiantes, si ce n'est toutefois par un caractère auquel, à défaut d'autres, M. Bouchard attribue une certaine valeur : nous voulons parler de l'adhérence de l'oreille à la peau et l'absence du lobule (1). Ce n'était pas la première fois que ce signe particulier avait été invoqué pour caractériser les cagots. Le D'' Guyon, qui voyait en eux un descen- dant des Goths (caas Goth, chien de Goth), avait fait de cette disposition de l'oreille un caractère ethnique (2). Cette interprétation n'est pas soutenable, et l'absence de lobule de l'oreille est simplement une disposition qui se présente dans toutes les races et est purement accidentelle. Mais si les cagots ne présentent aucun signe distinctif, seraient-ils donc les descendants de quelques races d'invasion, les Goths ou les Sarrasins? L'hypothèse de leur origine gothique s'appuie sur leur désignation môme, mais c'est à peu près là le seul argument, et il ne résiste guère à cette considération, que, si les cagots descendaient des Goths, ils en auraient du moins gardé quelques caractères ethniques, et qu'en outre on ne s'ex- pliquerait pas la réprobation et l'ostracisme sous lesquels ils ont été main- tenus pendant des siècles (3). Il faut, en outre, tenir compte d'une remarque fort juste de M, La- gneau (4), qui observe que les Goths n'avaient point inspiré la moindre répulsion au milieu des populations envahies, puisque celles-ci leur avaient emprunté certaines de leurs lois et de leurs coutumes. D'un autre côté, l'hypothèse de l'origine sarrasine ne résiste pas aux mêmes raisonnements. Elle se trouve d'ailleurs surtout indiquée dans les poèmes et chants populaires (5). Invoquera-t-on une parenté entre les cagots et les goitreux ou avec les idiots? De telles idées ne se soutiennent pas. Ni les goitreux ni les idiots n'ont inspiré la répulsion qui frappe les cagots. Il faut chercher une autre explication, car, en définitive, si à l'époque actuelle et de l'aveu de la plupart des auteurs, on ne saurait distinguer les cagots des individus au milieu desquels ils vivent (6), il n'est pas moins évident qu'ils ont dû, aux temps écoulés, en différer singuUère- (\) Voir Comptes rendus du Congrès de Pau, ^'■^ partie, p. 2i3. (2) Comptes rendus de VAcadémie des Sciences, 12, 19 septembre 1842. Voir aussi quelques poésies locales faisant allusion à ce mémo signe. Frais'CISOue Michel, Les Baces maudites de France cl d'Espagne ; Varis, I8'i7, t. II, p. 136. (3) Palassou, Mémoire pour servir à l'histoire naturelle rfes Pyrénées et des pays adjacents ; Pa.u, 1813, p. 317-389. (A) Voyez article « Cagot », in Dictionnaire encyclopédique des Sciences médicales. (o) Voir Francisque Michel, loc. cit., t. Il, p. 139. (6) C'est ainsi que la plupart des auteurs modernes formulent des conclusions tendant à n'accor- der aucun signe physique distinctif à cette caste et cherchent vainement dans les considérations ethniques et dans les traditions historiques la raison de l'infériorité sociale des cagots, infériorité qui, il faut bien le dire, s'efface progressivement tous les jours. D"" MAGITOT. — SUR UNE VARIÉTÉ DE CAGOTS DES PYRÉNÉES 641 ment pour justifier la situation sociale qu'ils occupaient, la haine, le mépris et l'aversion qu'ils inspiraient, la crainte et l'horreur qui s'atta- chaient à leur contact et toutes les mesures sociales et légales qui les accablaient. Cherchons ces différences, et si nous reconnaissons aujourd'hui qu'elles sont singulièrement effacées, remontons, au moyen des documents histo- riques et des traditions locales, assez haut dans l'histoire du passé pour nous permettre de reconstituer l'identité complète du cagot. Il n'est pas nécessaire de poursuivre longtemps cette enquête sans ren- contrer la lumière. Pour ne parler que de la région pyrénéenne où, vers les x® et xi^ siècles, les cagots étaient très répandus, dans toute la région des Pyrénées on trouve, dans les documents historiques, que le pays, dès avant les croi- sades, était ravagé par la lèpre, et que la maladie, un peu atténuée par le temps, éprouvait à chaque retour de la Terre sainte une certaine recru- descence. Ainsi Gaston IV de Béarn avait ramené d'Orient plusieurs lépreux ; la maladie reprit alors une nouvelle intensité. C'est de cette époque que date la série des édits ou fors de la Navarre et du Béarn relatifs aux lépreux. Ces édits et prescriptions édictaient des mesures non seulement pour venir en aide aux malheureux malades, mais surtout pour réaliser leur isolement du reste de la population. C'est ainsi qu'on les obligeait à porter sur leur vêtement un signe particulier, la marque en rouge d'un pied d'oie ou de canard. D'autres édits de 1606 et 1610 leur interdisent de toucher à la farine et aux diverses substances alimentaires : ils ne pouvaient être ni meu- niers, ni boulangers, ni éleveurs de bétail ; on leur permettait seulement d'élever un cochon. Les seules professions qui leur fussent permises étaient celles de cordier, de charpentier, de menuisier. Dans la vie pu- blique ils ne pouvaient se mêler à la population dans aucune cérémonie ou fête ; ils n'entraient à l'église que par une porte spéciale, la « porte des cagots ». Ils devaient se tenir pendant les offices dans un enclos particulier, avec un bénitier exclusif. Dans les processions religieuses, ils occupaient toujours un rang à part, et si on leur tendait l'eau bé- nite, c'était au bout d'un bâton il). Telle était la destinée des cagots en Béarn. Si, d'autre part, nous mentionnons que dans le Béarn il y avait dès le xni'' siècle trois hôpitaux de lépreux et qu'en outre chaque village con- tenait deux ou trois cabanes spéciales et isolées, destinées aux individus moins malades ou seulement suspects; (1) Voyez D"- Rochas, Les Parias de France el d'Espagne. Paris, iî>7(j. 648 ANTHROPOLOGIE Enfin, si nous ajoutons à ces considérations une preuve tirée de l'étymoJogie , nous constaterons que le terme cagot est dérivé de cacou ou caguou, qui veut dire ladre, terme celto-breton désignant les descen- dants des lépreux ; Ainsi se trouvera établie l'identité absolue des deux termes cagots et lépreux, identité historique qui se prolonge du x" siècle par exemple jusque vers la fin du xvn'' siècle. A cette dernière date, un phénomène se produisit, ou pour mieux dire s'était produit depuis un certain nombre d'années : la lèpre, ne recevant plus d'aliment, abandonnée à elle-même, s'est progressivement amoin- drie, atténuée. Les préjugés attachés à la caste se sont dissipés non complètement, il est vrai, car on en retrouve quelques traces à l'heure actuelle ; les léproseries se sont fermées et passèrent à l'état de souvenirs historiques. Les descendants des anciens parias purent se mêler aux po- pulations ambiantes ; ils furent admis aux rôles et aux droits des autres habitants, et c'est ainsi que le voyageur ou le touriste qui parcourt ces régions autrefois ravagées par la lèpre, cherche vainement quels carac- tères pourraient faire discerner les descendants qu'ils ont laissés des autres peuples qui les entourent. Voilà donc ce qui explique que des savants comme le professeur Bou- chard, de Bordeaux, ne trouvaient d'autre caractère distinctif des cagots que l'absence du lobule de l'oreille (1) et que le D'' Guilbeau, de Saint-Jean- de-Luz, cherche leur origine dans l'invasion gothique (2). D'une façon générale, tous les auteurs qui depuis deux siècles environ ont cherché le lépreux d'autrefois dans le cagot actuel ne l'ont point re- trouvé et se sont par suite égarés sur l'interprétation du mot cagots dans une foule de considérations où se confondent à l'envie les hypothèses ethniques, les rapprochements avec les goitreux, les crétins, les idiots et tous les déshérités que la tradition populaire range aujourd'hui encore au rang de parias. C'est ainsi que Rochas s'écrie dans un passage de son remarquable travail : « Il n'y a plus de cagots, mais seulement des descendants de cagots. » C'est sur cette assertion que nous nous arrêterons avant de terminer cette étude : Non, il n'y a plus de cagots, c'est-à-dire qu'il n'y a plus de lépreux au sens exact du mot, mais à l'observateur attentif qui explore une ré- gion autrefois ravagée par cette maladie, se révèle l'existence de vestiges du mal ancien. (1) Association française pour l'avancement des sciences : Congrès de Pau, 1892, Section d'Anthropo- logie, séance du 17 septembre. (2) Les Agots du pays basque; Bayonne, 1S78. É. PIETTE. — PHASES SUCCESSIVES DE LA CIVILISATIOX DANS LE MIDI 649 C'est la trace de cette survivance de la lèpre en Béarn que M. Zambaco avait d'ailleurs soupçonnée (1) et que nous croyons avoir retrouvée, de même que notre collègue l'a rencontrée en Bretagne, ot comme on la ren- contrera sans doute dans tous les pays d'Europe où la tradition historique mentionne l'existence de la lèpre à l'état endémique. Conclusions. — 1° Les altérations des extrémités des doigts, des ongles et du système pileux observées dans le pays de Béarn seraient des ma- nifestations lépreuses ; 2" Elles représenteraient les lésions les plus atténuées, les plus effacées et comme les traces ultimes de la maladie ; 3" Elles établiraient la survivance de la lèpre jusqu'à l'époque actuelle dans la région pyrénéenne ; 4" Les preuves de l'exactitude de cette interprétation reposent à la fois sur l'histoire de la lèpre, ie mécanisme de ses atténuations par le temps et sur les documents historiques, étymologiques et philologiques, ainsi que sur les traditions locales. M. Edouard PIETTE '■ Juge honoraire, à Rumigny (Ardennes). PHASES SUCCESSIVES DE LA CIVILISATION PENDANT L'AGE DU RENNE, DANS LE MIDI DE LA FRANCE ET NOTAMMENT SUR LA RIVE GAUCHE DE L'ARISE GROTTE DU MAS D'AZIL . — Séance du 29 septembre 4892 — Je nomme glyptique (de yXuTr-o;, ouvrage de ciselure, de sculpture, de gravure) la succession des temps pendant lesquels l'homme, sortant de la barbarie primitive, apprit à tailler l'os avec le silex, inventa une foule (U Voyez : Voyages chez les Lépreux; Paris, 1S9I. — Les Lépreux de la Bretagne en 1892. — Bul- lelin de l'Aaidémie de Médecine, 23 août I892. (2) Il semblerait résulter du Compte rendu de l'excursion de Brassempouy publie par M. Magitot tC R. du Congrès de Pau, \" vol., p. 2oO) qu'il avait été convenu avec le propriétaire de la grotte, M. le comte de Puud^inx, que les objets de grand intérêt et d'une certaine valeur découverts pendant les fouilles de l'Association appartiendraient aux musées de la région. C'est une erreur: M. de Pou- denx, qui a une belle collectioa préliislorique, a toujours entendu, au contraire, se réserver les gra- vures et les sculptures. Il semblerait également résulter du même Compte rendu que M. Pielte avait, (juclques jours après le Congrès, ouvert une polémique dont la presse locale avait retenti pendant plusieurs semaines. C'est encore une erreur : Si M. Piette, dans des conversations particulières, a condamné des agisse- ments que M. Magitot a flétris publiquement, il n'a soulevé aucune polémique. Pendant le Congres, d'ailleurs, la presse locale s'est bornée à rendre compte très succinctement des séances des Sections et, après sa clôture, les journaux n'ont publié aucun article sur Brassempouy. 650 ANTHROPOLOGIE d'instruments ingénieux et s'adonna aux arts de la sculpture et de la gravure. Ce mot est une définition. Il est préférable à celui de magda- lénien mis en usage par M. de Mortillet : les conglomérats fouillés dans la grotte de la Madelaine ne représentent pas toutes les phases de la pé- riode glyptique. Cette période, qui embrasse toute la série des derniers temps de l'ère quaternaire primitive écoulés depuis la formation des assises de Solutré, comprend deux époques bien distinctes dans le midi de la France : celle des amoncellements équidiens, où prédominent les ossements de chevaux, et celle des amas cervidiens où les ossements de renne et de cerf com- mun (Cervus elaphus) forment la masse principale du conglomérat. Ces deux époques diffèrent à la fois par leur faune, leur climat et leur industrie. La première est celle de la sculpture ; la seconde, pendant laquelle on sculptait encore, fut surtout celle de la gravure ; c'est pen- dant sa durée que furent inventés l'aiguille et le harpon. Au début des temps équidiens, le lion et la panthère, hôtes des chaudes régions, vivaient encore dans le pays de Gaule. On en a recueilli des débris au Mas d'Azil, à Lourdes et à Brassempouy. Ces espèces paraissent s'être éteintes avant l'époque cervidienne. Il en a été probablement de même du Rhinocéros tichormus, dont on ne trouve les vestiges que dans les gisements de la plaine et des plateaux. Le mammouth a duré plus longtemps. 11 n'a disparu qu'au seuil des temps modernes. Au commencement de la période glyptique, le renne ne prospérait que dans le voisinage des montagnes. La plaine, favorable aux lourds élé- phants, était trop ensoleillée pour lui ; et dans les pays assez voisins des rivages pour que l'influence du climat maritime s'y fît sentir, il faisait parfois complètement défaut. C'est ainsi qu'à Brassempouy, dont j'ai désigné les abris à l'Association française comme assez riches pour être le but d'une intéressante excursion, l'absence ou plutôt la rareté de cet animal a forcé l'homme des premiers temps équidiens à sculpter l'ivoire au lieu du bois de renne. De là, dans ce gisement, un type particulier d'industrie : le type éburnéen. Dans cette station humaine, il y a eu trois sortes de foyers successifs qu'il ne faut pas confondre : 1° Les foyers contemporains de ceux de Solutré, avec belles pointes de sagaie, les premiers en date ; 2" Ceux du début de la période glyptique, avec silex magdaléniens et industrie éburnéenne; 3" Ceux plus récents dans lesquels on trouve des sculptures et des ins- truments en bois de renne. Il résulte de là qu'au début de l'époque équidienne, le climat du midi de la France était tempéré et même assez chaud pour que le renne n'y prospérât pas dans la plaine et la désertât. Il était alors relégué au pied É. PIETTE. — PHASES SUCCESSIVES DE LA CIVILISATION DANS LE MIDI 651 des montagnes, dans les plateaux et les hautes vallées éloignées des rivages. Peu à peu l'atmosphère se refroidit et l'aire d'habitation de cet animal s'agrandit ; il put descendre même en été dans les pays de col- lines basses et dans les vastes plaines. Le climat fut sec sans excès pendant toute la durée de l'époque équi- dienne, et le froid augmenta progressivement jusqu'à l'avènement des temps cervidiens. Mais, au début de l'époque glyptique, la température avait été assez clémente pour que l'homme ait habité souvent en dehors des cavernes. A Brassempouy, pendant les temps éburnéens, il avait adossé ses maisons de bois ou ses tentes de peaux à un petit escarpement du coteau, comme il l'avait fait en tant d'endroits à l'époque de Solutré. Pendant la dernière partie de la période quaternaire primitive, le climat a été très rigoureux dans le midi de la France, au voisinage des Pyrénées, mais nullement sec, contrairement à ce que l'on a enseigné jusqu'à pré- sent. Dès le commencement de l'époque cervidienne, l'atmosphère se chargea d'humidité froide. Il y eut des frimas, des neiges abondantes, puis des averses glaciales, des pluies continues et des inondations pen- dant une longue série d'années. Ce fut le temps où la chouette harfang, la grue primitive, l'eider et les canards des régions boréales affluèrent dans notre pays, où les chevaux firent place au renne dont les palettes savent creuser la neige pour y découvrir les lichens dont il fait sa nour- riture. L'humidité finit par triompher de la rigueur du climat ; alors les neiges se fondirent ; le renne devint plus rare, remplacé par notre cerf commun ; puis sous l'influence d'une humidité croissante et d'une tem- pérature plus douce, il souffrit et disparut. Le mammouth s'éteignit presque en même temps que lui. L'heure des temps quaternaires modernes avait sonné. La succession des assises sur la rive gauche de l'Arise, dans la grotte du Mas d'Azil, ne peut laisser aucun doute sur la réalité de cette époque neigeuse et pluvieuse ; elle raconte en traits lumineux l'histoire des der- niers temps glaciaires. J'ai constaté, dans la plus grande des tranchées que j'ai fait faire au Mas d'Azil, sur la rive gauche de la rivière, la série de bas en haut des couches superposées dont voici la description : Sur le calcaire formant l'aire de la grotte, entre des blocs anguleux qui semblent provenir de la voûte, sont des traces de foyers avec charbons, sur lesquels repose une couche de terre graveleuse, jaunâtre, à éléments grossiers et anguleux, renfermant quelques os brisés et des pierrailles éparses, assez nom- breuses, provenant de la colline. Cette couche a 0™,90 d'épaisseur. 0m^25. — Lit de pierres détachées de la voûte, faisant défaut en quelques i^'ndroits et ne couvrant le sol que par place. 11 est incliné vers le nord. ûm,3i. _ Terre graveleuse semblable à celle qui est à la base des dépôts. 652 ANTHROPOLOGIE Oi^jSS. — Couche noire archéologique, formée de terre argileuse compacte à cléments grossiers, renfermant du gravier, du sable, des pierres détachées de la voûte, des os fracturés, mais non roulés, des plaquettes de gré micacé sur lesquelles on a fait du feu, du charbon, des silex taillés, des instruments en os cassés, parmi lesquels on remarque des aiguilles et des harpons à fût cylin- drique. Cette assise paraît avoir été remaniée sur place par les eaux débordées. Ses éléments n'ont certainement pas subi un long transport. En la suivant à quelques mètres vers l'est, dans une autre tranchée, on en trouve un petit îlot qui semble intact. Les aiguilles n'y sont pas même brisées. Elle date de l'époque élaphienne, quoiqu'elle renferme des vestiges de renne assez abon- dants. 1™,50. — Limon jaune, sableux, schistoïde, plongeant vers le nord-est, se composant d'éléments très fins, semblables à ceux du loess, auquel il semble avoir pris la majeure partie de ses éléments. Il se délite en minces feuillets composés, à la base, de grains de peroxyde de fer et de calcaire, et, à la partie supérieure, de fin limon. C'est un dépôt fluviatile. 0™,30, — Lit de pierres et limon graveleux, rempli de pierrailles détachées de la voûte, d'ossements brisés, de silex taillés et d'instruments souvent entiers. C'est le reste d'une assise archéologique remaniée en cet endroit par les eaux. Lorsqu'on en suit le prolongement au sud et à l'est, on la voit affleurer intacte à quelques mètres de la plus grande tranchée. Là elle a été protégée contre le courant de la rivière débordée par une avancée de la roche à l'entrée de la grotte. En cet endroit elle a 0,75 d'épaisseur. Les outils les plus fragiles y sont restés entiers. Les gravures y sont nombreuses ; mais on n'y trouve pas de sculptures. Les ossements de renne y sont rares; les aiguilles ne sont plus faites en bois de ce ccrvidé, mais en esquilles d'os : aussi ont-elles un fût aplati au lieu d'un fût cylindrique comme celles des premiers temps de l'époque cer- vidienne. Les harpons en bois de renne sont encore en usage. On en trouve quelques-uns en bois de Cervus elaphus, mais ils sont à fût cylindrique ou à carène et n'ont pas la forme de ceux de l'époque subséquente. On ren- contre aussi quelques autres outils en bois de cerf, notamment de gros polis- soirs. Cette assise est la dernière de l'époque glyptique ; elle contient des ossements de Cervus elaphus très nombreux, de chevreuil, de bouquetin, de chamois, de bœuf primitif, de cheval, d'ours, de sanglier, de renard, de loup, de lynx, de lièvre. Parmi les instruments de forme magdalénienne, on re- marque de petits grattoirs ronds et de fins silex taillés en lame de canif, précurseurs des temps nouveaux. 0'",10. — Limon jaune, schistoïde, se délitant en minces feuillets qui ont en moyenne un demi-millimètre d'épaisseur et sont fomiiés de fins éléments à leur partie supérieure et de grains plus grossiers à leur partie inférieure. De minces lits sableux ou de fin gravier sont intercalés dans la masse. Ce limon disparaît presque complètement dans les endroits où la couche archéologique dont la description précède est intacte ; son épaisseur est plus grande là où elle est ravinée; il atteint jusqu'à l™,2i5 de puissance quand elle a été lavée, re- maniée et enlevée en partie. 0"»,65. — Assise rougeàtre, renfermant des amas de peroxyde de fer, de grosses pierres tombées de la voûte, des cendres du charbon, des ossements brisés de cerf commun, de chevreuil, de bouquetin, de chamois, de bœuf pri- mitif, de cheval, d'ours commun, de porc, de blaireau, de chat sauvage, de castor, d'oiseaux divers, de truites, de brochets, de cyprins, de grenouilles, É. PIETTE. — PHASES SUCCESSIVES DE LA CIVILISATION DANS LE MIDI 6.")3 des silex taillés, de nombreux harpons en bois de cerf, perfores et aplatis, des galets peints en grande abondance, des poinçons, des colliers en dents de cerf percées et des traces d'herbe ou de litière. Le renne n'y a laissé aucun vestige. J'y ai rencontré des sépultures de squelettes inhumés après avoir été décharm-s au silex et colorés en rouge au moyen du peroxyde de fer. Les silex sont presque tous de forme magdalénienne. On recueille parmi eux de ces pelits grattoirs ronds et de ces outils en lame de canif déjà signalés dans la dernière couche cervidienne et que Ton trouve encore dans les cendres à escargots, 0'",60. — Cendres rubanées de blanc, de rouge et de gris, contenant des lits lenticulaires d'Hélix nemoralis. On y trouve des ossements de cerf, de bœuf, de cheval, de porc, des silex travaillés, des poinçons, des spatules, des racloirs polis, des polissoirs en grès, des noyaux de cerise et de prune, des coquilles de noisette et de noix. O'^jSS. — Amas de pierrailles tombées de la voiîte contenant des haches polies et des débris de vases néolithiques. En se prolongeant au nord, il se transforme en une couche argileuse, noirâtre, contenant des os de porc, de bœuf, de chèvre, de mouton, de cerf, des silex taillés, des colliers et des amulettes en albâtre, des épingles en os, des poinçons, des spatules, des flèches barbelées en silex et des flèches en os avec douilles. En un endroit, un las de terre à poterie intercalé dans l'assise prouve qu'il y a eu là un atelier de céramique. En un autre endroit, il y avait une cachette de fondeur avec bracelets de bronze, ex- trémité de sceptre ou de bâton, culot et moule à fibules. Dans la partie supé- rieure de l'assise, il y avait quelques parcelles de bronze et des débris de vases de l'époque calceutique. 1 mètre. — Lit de pierrailles tombées de la voûte, contetiant des débris de yases gaulois et même de poterie vernissée. En se prolongeant vers le nord, il se transforme en une couche argileuse, noirâtre, séparée de la précédente par des blocailles, dans laquelle on trouve du fer et des os de cerf, de porc, de mouton. Cette coupe est pleine d'enseignements. Aux dernières assises de l'âge du renne que l'on peut décrire sans crainte de les confondre avec des amas sous-jacents, puisqu'elles sont isolées, succèdent une couche ren- fermant les plus anciennes peintures que l'on connaisse, dans laquelle il n'y a plus de débris de renne et pas encore de pierre polie, puis des cendres à escargots renfermant les premiers essais de polissage, et enfin les vestiges laissés par les civilisations modernes depuis l'époque néoli- thique jusqu'à nos jours. Mais ce qui est le plus instructif, ce qui jette un jom- nouveau sur le climat de la fin des temps quaternaires, c'est la succession des minces lits de limon schistoïde entre les dernières assises de l'âge du renne. J'ai compté plus de huit cents de ces lits ; chacun d'eux correspond à une inondation ou à une recrudescence dans une inondation ; et les crues étaient considérables, comme l'atteste l'altitude à laquelle ces limons se sont déposés. Il y a donc eu incontestablement à la fin de l'âge du renne, une époque de grande humidité, de pluies torrentielles, de fonte de neiges, de puissantes inondations. C'est à cette époque que les glaciers déjà très réduits au commencement de la période go4 ANTHROPOLOGIE glyptique ont reculé définitivement vers le sommet des montagnes jusque dans leurs limites actuelles. Les abris de Brassempouy et la grotte du Mas d'Azil éclairent d'un jour nouveau le commencement et la fin de l'époque glyptique. Ces stations se complètent l'une l'autre et retracent en traits lumineux les phases des sociétés humaines sous notre ciel pendant la dernière partie des temps quaternaires primitifs. Elles seront minutieusement décrites avec leur faune, leur outillage et leurs objets d'art dans mon ouvrage : Les Pyrénées pendant l'âge du renne. M. le F R. COLLI&lfOIf Médecin major, à Cherbourg. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE ANTHROPOLOGIQUE DES POPULATIONS FRANÇAISES (CHARENTE, CORRÈZE, CREUSE, DORDOGNE, HAUTE-VIENNE) — Séance du SI septembre 1892 — L'Association française pour l'avancement des sciences a bien voulu nous accorder une subvention en vue de poursuivre des recherches anthropologiques sur les populations françaises. Nous venons lui apporter le résumé très condensé des résultats acquis dans notre campagne de 1892. Sur notre demande, M. le médecin inspecteur Dujardin-Beaumetz, directeur du service de santé au Ministère de la Guerre, désireux de favo- riser ces études, avait consenti à nous attacher cette année au conseil de revision de la Dordogne. C'est pour nous une dette de reconnaissance de lui apporter ici publiquement nos remerciements et d'annoncer à la Section que dans la suite toutes facilités nous seront données, encore grâce à lui, pour étudier d'autres régions. Qu'il nous soit permis en même temps d'exprimer ici notre gratitude à tous ceux qui, militaires ou civils, ont à l'envi facilité notre tâche, nous aidant de leurs conseils, de leur compétence spéciale ou de leur appui moral pendant cette tournée scien- tifique. Trop nombreux pour être tous nommés, nous leur adresserons un merci collectif seulement; mais nous serions coupable de ne pas citer nominalement M. le général de Launay, commandant le XIP corps d'armée; M. Fournier, préfet de la Dordogne (1); M. Delahousse, directeur (1) Depuis que ces lignes sont écrites, M. Fournier est mort, prématurément enlevé à l'affection de tous ceux qui l'ont connu. C'est avec un profond sentiment de tristesse que nous rendons ici hom- mage à sa mémoire. D"" R. COLLIGXON. — ÉTUDE DES POPULATIOiSS FRANÇAISES G.j5 du service de santé du XIl^ corps d'armée, et enfin nos collègues, MM. les médecins-majors Montané, Renaut, Lartigue, Chrisly et Médieux pour l'aide directe qu'ils ont bien voulu nous donner. Ce travail comprendra l'étude des cinq départements qui forment le Xll" corps d'armée. Dans la Dordogne, que nous avons parcourue canton par canton, il portera sur l'ensemble du contingent. Dans les quatre autres départements, nous n'avons pu qu'aller de garnison en garnison mesurer les soldats dans les casernes. Nous y avons cependant réuni vingt observations en moyenne pour chacun des 110 cantons qui les com- posent, sans parler des mesures de taille qui ont été relevées par nos collègues cités plus haut sur l'ensemble des conscrits de la Charente, de la Corrèze et de la Haute-Vienne (classe 1891;. Les mesures recueillies sont les suivantes : l'' Pour la Dordogne : La taille, la couleur des yeux et des cheveux. la forme de la courbure du nez notées sur 3.916 sujets (tout le contingent), Sur 40 sujets par canton (1.880 au total), les facteurs de l'indice nasal, hauteur et largeur du nez. Sur 20 sujets par canton (940 au total), les trois diamètres crâniens, antéro-postérieur maximum, transversal maxi- mum et vertical, la largeur bizygomatique de la face, sa hauteur propre- ment dite (ophryon à menton) et enfin la hauteur totale de la tête du vertex au menton en projection. Il va sans dire que pour chacun des mesurés on notait à part le lieu de naissance, la taille, la couleur, la forme du nez et enfin les infirmités ou les particularités physiques qui pouvaient exister. Ajoutons qu'accessoirement nous avons relevé sur les listes de recrute- ment des dix années précédentes (classes 1881 à 1890) toutes les causes d'ajournement ou d'exemption, canton par canton, de manière à pouvoir non seulement dresser pour chacun de ceux-ci une statistique de géogra- phie médicale et par suite les comparer les uns aux autres, mais aussi rechercher si certaines infirmités sont en relation avec la race, avec le sol ou avec les facteurs sociaux et enfin créer une sorte de moyenne fixe qui permît une étude comparative du contingent de 1892 et de ceux qui l'ont précédé. Celui-ci présente, en effet, ce grand intérêt démogra- phique d'être la génération conçue en 1871, pendant et immédiatement après la guerre, et de refléter directement les modifications que la mor- talité ou les misères endurées k cette époque par les survivants ont pu imprimer à la population du département. Nous ne pouvons que signaler ici cette partie toute spéciale de nos recherches, faute d'avoir eu encore le temps de coordonner tous les docu- ments réunis qui, ne l'oublions pas, portent sur plus de 48.000 indi- vidus. 2° Pour les quatre autres départements que nous n'avons pu parcourir 6o6 ANTHROPOLOGIE en détail, nous n'aurons que les caractères suivants relevés sur 20 sujets par canton (1) (2.200 sujets environ) : les facteurs des indices céphalique et nasal, la couleur des yeux et des cheveux, la forme de la courbure du nez et la taille, enfin, sur tout le continrent la taille individuelle de tous les appelés de la classe de 1891. Les mesures adoptées dans ce travail, toutes empruntées aux méthodes françaises, font partie d'un programme plus étendu qu'avec le patronage de la Société d' Anthvpologie de Paris, nous avons cru devoir recom- mander au choix des anthropologistes de toutes nations qui voudraient entreprendre des recherches sur le vivant au cours des opérations de recrutement. Nous ne dirons donc rien ni du Manuel opératoire, ni de la mise en œuvre des matériaux, l'un et l'autre ne présentant rien de particulier, et nous passerons immédiatement à l'examen des résultats obtenus. La région étudiée présentait pour l'anthropologiste un intérêt tout spécial. D'abord, elle n'avait jamais été l'objet de recherches détaillées sérieuses. En outre, il résultait des faits acquis que trois des départements qui la composaient, Dordogne, Charente et Haute-Vienne, se distinguaient par un indice céphalique extrêmement dolichocéphale par rapport k l'ensemble de la population française (Ind. moyen de 79), alors que les régions occupées par la race blonde (Kymris de Broca, race de Hallstadt) si dolichocéphale pourtant, telles que le Nord, le Pas-de-Calais ou la Nor- mandie n'avaient que des indices de 80, 81, 82 ou 83 (Collignonj. D'autre part, ces départements étaient classés les derniers en ce qui concerne la taille, tant par le petit nombre relatif des hommes de haute stature que par la quantité considérable des exemptés pour défaut de taille (Boudin, Broca). Enfin, les cartes de répartition de la couleur (Topinard) les rangaient (sauf la Creuse) dans la région brune modérée. En raison de leur proximité de l'Auvergne on avait primitivement at- tribué cette faiblesse de taille à l'influence prépondérante de la race cel- tique (Broca), petite, brune et brachycéphale ; mais cette opinion avait reçu un coup mortel lorsqu'il avait été établi par nous que la masse de la population était dolichocéphale. Il en résultait donc une inconnue à dégager et c'est ce qui nous avait engagé à porter nos recherches de ce côté. Celles ci nous montreront que le problème est horriblement complexe et que, bien loin de n'avoir affaire qu'à une race peu croisée, nous sommes, au contraire, em^résence d'une population profondément mélangée, avec ceci de particulier que ce mélange, au lieu de porter sur deux races, (1) Militaires en activité de service. Dans la Creuse, la série de vingt n'a pu être atteinte partout et j'ai dû çà et là fusionner les cautous deux à deux. Pour ce départcmeut, la taille des conscrits nie manque. h^ U. COLLIGNON, — ÉTLDK DES POPULATIONS FRANÇAISES 6o~ comme en Bretagne ou dans le nord de la France, porte sur trois, sinon sur quatre et que nous avons à opérer sur le champ clos où sont venues se heurter toutes les races dont l'union a lait la France moderne. Leur fusion s'est effectuée très irrégulièrement suivant les caprices de l'histoire ou d'après les conditions topographiques locales. Dans telle vallée, la pré- dominance reste à l'une, dans la vallée voisine à l'autre; ailleurs, des types mixtes se sont établis ; un peu plus loin les races ataviques persis- tent sous le flot des envahisseurs et sur certains points avec une fréquence relative suffisante non seulement pour les reconnaître à l'œil chez les indi- vidus, mais même pour influencer les moyennes et pour permettre d'ar- river à déterminer leur aire de répartition par l'étude minutieuse de cer- tains caractères évalués en chiffres, tels que la série des indices faciaux ou celle des indices verticaux du crâne et de la tête. Malheureusement les limites qui nous sont assignées ici ne permettent guère d'entrer dans les détails de discussion nécessaires ; nous nous borne- rons à tracer les grandes lignes de l'ethnographie de la région en priant le lecteur que le sujet intéresserait de vouloir bien se reporter au mémoire m extenso qui sera publié ultérieurement dans les bulletins de la Société d'Anthropologie de Paris. Le premier caractère à étudier ici, car il prime tout par son importance, est l'indice céphalique. Sa répartition cantonale, reproduite plus loin (carte I, PL V) trace immédiatement une limite nette entre deux groupes chés de population : l'un manifestement brachycéphale, l'autre d'une doli- chocéphalie excessive par rapport à ce qu'on est habitué à trouver en France, même dans les départements flamands ou normands. L'écart porte sur 12 unités dans les moyennes, de Champagnac-de-Belair (Dor- dogne) qui a 76,8 d'indice céphalique, à Larche et à Sainl-Privat (Cor- rèze) dont la brachycéphalie s'élève à 87,3 et 87,4. En France, notre moyenne relevée sur 8.700 sujets est de 83, o7. Si nous traçons sur la carte du XII" corps d'armée une ligne de séparation entre les indices de 82 et ceux de 83, nous lui voyons remonter en la suivant exactement la rive méridionale de la Dordogne, puis celle de la Vézère jusqu'à rentrée de cette rivière en Corrèze. Dès lors elle suit strictement la frontière des deux départements (c'est-à-dire l'ancienne limite du Péri- gord et du bas Limousin, des Pétrocorii et des Leraovicesj, puis sépare la Haute-Yienne de la Corrè/c jusqu'à la hauteur du point où la Vienne pénètre dans ce département et remonte au nord en suivant la ligne de faite qui sépare les bassins de la Creuse et du Cher. Les brachycéphales purs sont tous au sud et à l'est de cette ligne, à l'exception d'une petite enclave de quatre cantons près de Bcllac (Haute-Vienne) et du canton voisin de Chabanais (Charente), relié d'ailleurs au centre secondaire de Beilac par l'indice 82,9 du canton intermédiaire de Coufolens. 42* (358 ANTHROPOLOGIE Les dolichocéphales (j'appelle ainsi les indices inférieurs à 80,0) forment à leur tour deux groupes compacts, comprenant: l'un, toutes les vallées des premiers atlluents de droite de la Dordogne (Isle, Dronneet leurs sous- affluents), c'est-à-dire le véritable Périgord, puis la partie sud de la Cha- rente à peu près jusqu'à la rive gauche delaTardoire ; l'autre, Limoges (1) et les sept cantons qui l'environnent. Le reste du pays forme une sorte de zone mixte, à propos de laquelle on remarquera seulement que les in- dices de 82 dominent dans l'est de la Creuse et ceux de 80 et de 81 dans la Charente, c'est-à-dire les premiers près de la région brachycéphale, les derniers près des contrées dolichocéphales . Nous avons décrit avec précision cette répartition parce qu'elle nous permet dès maintenant de nous considérer comme éclairés sur l'ethnogra- phie de toute une partie du territoire étudié, toute la zone brachycéphale. Il est incontestable que c'est la race celtique de Broca avec tous ses ca- ractères, si bien décrits par le maître, à laquelle nous avons affaire. Dire qu'elle est pure, évidemment non ; partout, et c'est dans l'Europe entière une de ses caractéristiques, elle est profondément imprégnée d'éléments blonds, au nord de la région surtout (Creuse, nord de la Corrèze), en rai- son du voisinage de populations contenant manifestement une importante proportion de sang blond ; au sud de la Dordogne, au contraire, l'adjonc- tion des dolichocéphales bruns lui imprime sur certains points un cachet spécial ; mais ce sont là des modifications de détail qui n'ôtent rien à l'évidence de cette constatation. Reste donc à rechercher si nous trouverons même unité de race chez les dolichocéphales. Il suffit d'avoir parcouru le pays pour dire: non. Deux races au moins, dolichocéphales toutes deux, sont en présence : l'une blonde et l'autre brune. L'examen des cartes de la couleur vient du reste de le prouver. L'insuffisance des documents recueillis sur cette question, sauf en Dor- dogne, nous a contraint à réunir les cantons trois par trois pour obtenir des moyennes présentant quelque stabilité. L'unité de répartition se trou- vant ainsi plus grande, certains rapports doivent fatalement être masqués et les cartes n'ofïrent pas une netteté de rapports comparable à celle de l'indice céphalique. Il en ressort pourtant au premier coup d'œil que la proportion des blonds est au maximum dans la Creuse et aux environs de Limoges ainsi que dans le nord de la Charente. En Dordogne on en peut suivre une traînée qui, partant de Limoges et de Saint-Yrieix, vient se répandre sur les plateaux boisés qui séparent la vallée de l'Isle de celle de la Dordogne et s'accuse surtout dans les cantons de Thenon, Saint-Pierre- de-Chignac, Vergt, Villamblard et Laforce. Enfin, dans la Charente, les environs de Confolens (bruns et brachycéphales) étant mis à part, les (1) Ai-je besoin de dire que j'ai éliminé tous les individus affectés de déformations crâniennes. D"" R. COLLIGNON. — ÉTUDE DES POPULATIONS FRANÇAISES 639 blonds nombreux au nord semblent décroître graduellement en allant vers le sud et le sud-ouest. Les bruns, inversement, dominent dans toute la Corrèze, dans le Sarladais et le Bergeracois (brachycéphales tous trois), dans les vallées périgourdines de l'Isle et de la Dronne (dolichocéphales bruns). Des centres secondaires se montrent aux environs de Cognac, de Confolens et de Bellac, de Guéret, de Boussac et de Bourganeuf. Enfin les cheveux noirs, très rares dans la région blonde (sauf près de Guéret), et même en Corrèze où leur total ne dépasse jamais 6,7 0/0, deviennent très fréquents en Dordogne, surtout au sud-ouest du départe- ment où ils affectent sur certains points 27 0/0 de l'ensemble du contin- gent (Saint-Aulaye, Villefranehe de Longchapt, etc.) Tous les cantons de la région pauvre et marécageuse qui porte le nom de La Double sont dans €6 cas, phénomène important, car la pauvreté de ce pays et son climat malsain en font ce que j'ai appelé un « refuge de vaincus » et par suite ont pu et même dû le préserver relativement des conquêtes et des colo- nisations. Nous aurons donc chance d'y retrouver les représentants des plus vieilles races du pays, des Périgourdins primitifs et dès maintenant il faut noter cette fréquence insolite des cheveux noirs et, ajoutons-le, des peaux brunes dans cette région . Ne pouvant multiplier à l'infini les cartes, nous donnerons comme exemple de la répartition de la couleur celle des quatorze cartes que nous avons établies qui peut être considérée comme la synthèse de toutes. Elle a été dressée en ramenant tous les nombres cantonaux à cent, puis en addi- tionnant d'une part tous les yeux et tous les cheveux foncés, noirs compris, de l'autre tous les yeux bleus et les cheveux blonds et roux réunis, en divisant ces deux totaux par deux et en calculant l'excès des uns sur les autres (carte II). Certes, elle ne remplace par les autres pour les détails; mais dans les grandes lignes c'est celle qui résume le plus exactement la -situation. Quelques chiffres aideront d'ailleurs à fixer les idées. DEPARTEMENTS Haute-Vienne . . Creuse Charente .... Corrèze Dordogne .... Hojenae des 9 départements. PROPORTION 0/0 DES Y EUX liliMisirlairs 3tj,T 34,7 33,8 29,3 3i,2 33,7 louc^s 24,6 23,3 23,6 23,3 23,6 23,7 CHEVRUX blniidstriMiiL 21,8 21,9 17,2 15,4 15.0 18,3 liriiiisi noirs 49,6 53,9 57,6 58,4 6G,3 CHEVEUX noirs seuls 5,2 6,1 5,8 3,8 12,1 6,6 DEMI-SOMME des yeux et des clieveux ctairs 29,2 28,3 25,5 22,3 24,6 26,0 foncés 37,1 38,6 40,6 40,9" 45.0 40. EXCES des foncés sur les clairs 7,9 10,3 15.1 18.6 20.4 li.4 660 ANTHROPOLOGIE On voit par le tableau ci-joint que, dans la région étudiée, les cheveux foncés dominent, même dans les départements les plus blonds, et qu'en ce qui concerne les yeux, les teintes claires, tout en étant plus fréquentes que les teintes nettement foncées, sont pourtant en minorité par rapport aux tons moyens. Faisant application de ces données au problème posé plus haut, nous pourrons conclure que nous avons affaire à deux races dolichocéphales au moins: l'une, blonde, en minorité là même où elle est la plus nom- breuse, se cantonnerait dans le Haut-Limousin et dans la Marche, ayant pour centre les environs de Limoges et s'y reliant dans l'est avec une poussée parallèle de blonds qui remonterait la vallée du Cher; l'autre, brune ou noire de cheveux et comprenant peut-être deux types spéciaux, serait propre au Périgord et au sud du département de la Charente. Des croisements multiples sont intervenus entre ces races, créant des 'types mixtes locaux, tels que les brachycéphales fréquemment blonds des environs d'Aubusson ou que les dolichocéphales mixtes du plateau de Vergt et de Savignac-les-Églises (Dordognej, etc. Notons seulement que presque toute la zone à indices céphaliques intermédiaires, dont nous parlions plus haut (hidices de 80 à 82,9), est surtout formée d'un mé- lange de blonds et de brachycéphales. Elle se rapproche ainsi, tant par la couleur que par la forme crânienne, des autres parties de la France où le même croisement s'est opéré et, pour prendre des départements analogues au point de vue du chiffre de l'indice, de nos départements réputés très hjmriques, tels que : Nord, 80,4 — Pas-de-Calais, 80,4 — Calvados, 81,6 — Manche, 83,1, etc., avec cette différence pourtant que ceux-ci sont infiniment plus riches en cheveux blonds et en yeux bleus. La taille, avons-nous dit, a été mesurée sur l'ensemble du contingent, sauf dans la Creuse, qui par suite d'un malentendu regrettable devra rester en blanc sur nos cartes jusqu'à nouvel ordre. Nous avons dressé diverses cartes de la répartition de cet important caractère : taille moyenne par canton; proportion 0/0 des hautes statures (l'",70 et plus), des petites tailles (moins de 1"%60), des ajournés pour défaut de taille (moins de l'",o4), enfin des très petites tailles (moins de 1°\50). Toutes concordent dans l'ensemble, sinon dans les détails. Aussi ne reproduirons-nous ici que la plus importante : la taille moyenne (Carte III), Sur toutes on voit s'accuser un vaste îlot de petites tailles qui, partant des hauteurs comprises dans la boucle de la Charente, entre celle-ci et la Tardoire, couvre les monts du Limousin juste à la limite de la Haute- Yienne et de la Dordogne et vient se relier à l'est aux plateaux de Gen- tioux et de Millevaches. Des îlots détachés accusent çà et là une dimi- nution de stature dans le reste de la région, notamment dans le montueux et sauvage Sarladais, ainsi que sur les plateaux qui séparent les vallées D'' R. COLLIGNON. ÉTL'DE DES POPULATIONS F HANÇAISES 661 en éventail du Périgord proprement dit, ou les bassins de la Charente et de la Dordogne. Sur certains points la diminution de la stature est excessive : Cantons de Saint-Mathieu (Haute-Vienne), d'Uzerche, de Vigeois (Corrèze), taille moyenne l™,o68 — l'",o91 — l'",o94. Tout autour de ceux-ci les moyennes n'atteignent que les chiffres fort bas de 4'",60 et l'",61. Inver- sement, sur d'autres points tels que Eygurande (Corrèze), Le Dorai (Haute- Vienne) ou Villefagnan (Charente), on obtient les chiffres très élevés de l'",667 — 1",664 — l"',6o6, etc. Nous sommes bien ici, instruits par ce qui précède, obligés d'accepter la brutalité des faits. La race n'est pas seule en jeu dans cette incroyable diminution de la stature. En effet, comparons les uns aux autres les six cantons extrêmes susdits : CANTONS INDICF. oc'phaliqiie INDICE NASAL TAILLE MOYKNNE l'RorimrioN o/u i>ks TAILLES supiTifurcs inférieures à l°',60 iiiferieiires à r',:;o S'-Matilicii cH*«-Vicnnc) 81,8 71.0 I"<5(i8 l.i 67.6 8,8 Uzerclie (Corrèze) . . . 81,2 ()9,8 1,591 3,8 54,7 1,!^ Vigeois (Corrèze) . . . 81,6 71.5 l,59i 5,7 i8,0 2,9 Eygurande (Corrèze). . 8V,4 09.9 1,607 i0,5 13,5 0 Le Dorât (H"^-Vienne) . 83,8 66,6 1,601 26,8 9,8 0 Villefagnan (Charente). 80,5 69,0 1,6.50 31.1 20,0 0 On voit que hautes et faibles statures s'associent à des indices cépha- liques sensiblement égaux, en moyenne 83,5 et 82,9, et il suffira de regarder les cartes de la couleur pour voir que, si Uzerche et Vigeois sont dans la région modérément brune, Saint-Mathieu est dans la blonde et qu'inversement, Villefagnan et Eygurande étant blonds. Le Dorât est plutôt brun. Comment expliquer ces faits insolites? J'entends bien qu'on va de suite tenter de réveiller la fameuse question des terrains granitiques et cal- caires. Laissons-lui dormir son dernier sommeil; car si notre zone de petites tailles est bien en pays granitique ou schisteux, non seulement elle déborde largement celui-ci pour envahir les terrains calcaires (juras- sique, crétacé et tertiaire), mais en outre c'est sur ces mêmes terrains schisteux ou granitiques que nous rencontrons les hautes tailles d'Eygu- rande, du Dorât et des environs de Limoges, ce qui, d'ailleurs, ne fait que confirmer les observations qu'il nous a été donné de faire tant en Bre- 662 ANTHROPOLOGIE tagne (régions de Dinan l"\65, de Lannion l'",61) qu'en Normandie^ notamment dans le Cotentin, ce bloc de schistes et de granit si fertile pourtant en beaux hommes. Nous sommes donc conduit à attribuer cet abaissement de la taille auT facteurs sociaux, c'est-à-dire à la misère, à l'insuffisance de nourriture, indéniables dans ces pays montagneux et pauvres, où les châtaignes font encore la base de l'alimentation et oîi la dégénérescence organique s'ac- cuse non seulement par le rabougrissement de la race, mais encore par le nombre considérable de tares physiques qu'elle présente. Un seul exemple suffira à le prouver; dans certains de ces cantons, les conseils de revision ont à éliminer pour infirmités le double au moins de jeunes gens que dans les cantons riches. En Dordogne (je n'ai pas, on s'en souvient, de renseignements médi- caux pour les autres départements), prenons deux des cantons de notre zone de faibles tailles, qui d'ailleurs ne sont pas les plus déshérités sous ce rapport, ceux de Jumilhac-le-Grand et de La Noaille, et comparons-les à deux cantons jouissant d'une moyenne de taille élevée : Jumilhac-le-Grand . . La Noaille TAILLE M 0 r E N N E AJOURiNÉS ET EXEMPTÉS POUU INDICE CÉPHALIQUE \ DÉFAUT de taille o/O INFIRMITÉS 0 0 l™60i 1,6K 15.4 15,6 42,6 41,3 79,9 81,4 Issigeac Sigoulès 1,611 1,653 6,4 0 27,4 29,9 84,4 82,0 Les chiffres parlent d'eux-mêmes et notre conclusion sera que, seule, la misère est en jeu dans le phénomème que nous étudions, constatation qui tranche un des problèmes les plus ardus de l'ethnographie française. Est-ce à dire que la race n'ait pas elle aussi sa part d'influence en ce cas? Évidemment si, et, en soumettant à une analyse minutieuse les chiffres obtenus, nous arriverions sans peine à la mettre en lumière; mais cette discussion nous entraînerait trop loin ici : disons uniquement que dans son ensemble la race dolichocéphale brune est, toutes conditions sociales égales d'ailleurs, plus petite que les deux autres. L'étude de la face n'a pu être faite en détail que dans la Dordogne. Parmi les recherches qui s'y rapportent, seul l'indice nasal a été pris^ pour les cinq départements. Sa répartition m'avait de prime abord fort embarrassé (carte IV). Pour l'expliquer, il faut remarquer : D'' R. COLLIGNO.X. — ÉTL'DE DKS POPULATIONS FUANÇ.USES 663 1° Que toute la région réellement brachycéphale du sud et de l'est est mésorrhinienne (indices de 69, 70 et 71), comme c'est la règle; 2" Qu'en sus, il existe une vaste bande d'indices de 70 à 72 franche- ment mésorrhiniens, qui recouvre très sensiblement toute la région que nous avons vue précédemment occupée par les petites tailles (ligne de faîte entre les bassins de la Dordogne, de la Charente et de la Vienne). Il y a là deux phénomènes connexes, dont jadis j'avais d'avance donné la loi en disant que : « Pour une même race l'indice nasal varie avec la taille : leptorrhinien chez les sujets grands, mésorrhinien chez les petits». Au- trement dit, cet indice est dans une large limite sous la dépendance des lois de croissance du corps; si celui-ci est très grand, le squelette entier participe à l'allongement et la face s'allonge, surtout dans sa région moyenne, c'est-à-dire dans la région nasale; or si l'on songe qu'un milli- mètre d'augmentation dans la longueur du nez rend l'indice plus élevé de deux unités en moyenne, on comprendra facilement que 1 énorme abaissement de la taille qui existe dans cette région doive se traduire par une exagération de la mésorrhinie. 11 y a donc U une sorte de contre- coup assez inattendu du facteur « misère », qui rend l'interprétation ethnographique de ce caractère fort ardue en ce cas. Il reste cependant certain que, celui-ci mis à part, les races dolichocéphales sont leptor- rhiniennes et la race brachycéphale mésorrhinienne; mais nous n'oserions en tirer aucune conclusion au sujet de la répartition des types. Plus intéressantes en revanche sont l'étude du visage et celle de la face proprement dite. Les mesures prises sur la tête en dehors des précédentes étaient : les hauteurs : 1° du crâne (vertex à centre du trou auditif) : 2° de la tête totale (vertex à menton) ; 3° de la face proprement dite (ophryon à menton), et enfin la largeur bizygomatique. Nous avons pu à l'aide de ces données établir divers indices ou rapports les uns déjà usités, d'autres nouveaux, mais qui tous, grâce à la méthode graphique des cartes de répartition, nous ont donné des résultats aussi imprévus qu'encourageants. C'est ainsi que nous avons étudié le crâne dans ses trois dimensions tant à l'aide de l'indice céphalique classique, que des deux indices verti- caux: hauteur (vertex à trou auditif) comparée: 1° à la longueur ; 2° à la largeur, de manière à apprécier le développement en hauteur du crâne. Ces indices, le premier surtout, ont classé d'abord nettement les cantons en deux groupes tranchés, exactement comme l'avait fait l'indice cépha- lique, puis en outre, et la région brachycéphale mise à part, ils nous ont révélé chez les dolichocéphales l'existence d'un vaste îlot très compact recouvrant toute la partie de la vallée de l'Isle située en aval de Péri- gueux, dans lequel une platycéphalie relative s'unit à la dolichocéphalie (voir cartes V et VI, PL VI). Ce fait très important vient corroborer ce que nous pouvions déjà soupçonner par suite de la fréquence relative des 664 ANTHROPOLOGIE cheveux noirs dans la région (voir plus haut) et tend à nous prouver une dualité de race parmi les populations que jusqu'ici nous avions appelées, en bloc, les dolichocéphales bruns. L'étude de l'indice antérieur total du visage • '^vg'^ma iquc x ioo ^^^ " H'' totale antérieure de la tête venue encore confirmer cette opinion en nous montrant que dans cette même vallée de l'Isle la tête était dans son ensemble plus basse et la face plus large que chez les dolichocéphales bruns également, qui l'avoisinent au nord et au sud (carie VII). L'indice facial proprement dit donne au contraire des résultats bien moins satisfaisants. C'est du reste, à mon avis, un rapport d'un intérêt médiocre sur le vivant, en raison surtout de la difficulté qu'on éprouve à déterminer l'ophryon avec une précision rigoureuse. Cependant, lui aussi, après avoir séparé nettement les brachycéphales (indices de 96 à 101) de l'ensemble des dolichocéphales, crée chez ces derniers deux groupes, l'un de faces longues (indices de 92 à9o) et l'autre de faces larges (indices de 96 à 99). La région de la Double, la vallée de la basse Isle et le Nontronais se rangent dans cette catégorie. Restent trois indices : Le pariéto-vertical total de la tête • ranb\ersa max. x too j'jj^^jçg latéral '^ h"' lotale antér. de la lete j , ,», D. antt'ro-post. max. X 100 ,1 • ., ,• D. lîizygomatiquex 100 de la tête , . . , — - — , , ... — etleparieto-zygomatique— — ^-^^ ~, ' h' totale antér. de la tête ^ "^° 1 D. transversal niax. qui tous trois modèlent leur répartition sur celle de l'indice céphalique, montrant une fois de plus, par leur coïncidence, que les caractères tirés de l'étude du crâne et de la tète, peu influençables par les facteurs sociaux et par la taille, sont les véritables bases des recherches ethnographiques. Disons en passant que l'indice pariéto-zygoma tique, qui, sous une autre forme, n'est que l'angle pariéto-zygomatique de M. de Quatrefages, se prête, lorsqu'on en fait l'étude approfondie, à d'intéressantes considérations, un peu longues à exposer cependant, sur la morphologie crânio-faciale des dolichocéphales, et que, d'autre part, l'indice latéral de la tête vient con- firmer une fois de plus l'écrasement de la face qui se rencontre dans la Double et dans la vallée de l'Isle. Aurai-je besoin d'insister sur l'importance de ces constatations ? Une race très dolichocéphale, légèrement platycéphale, très brune d'yeux, de cheveux et de peau, douée en outre d'une face large et basse, n'a pas en Périgord besoin d'aller bien loin pour retrouver à Laugerie et à Cro- Magnon ses ancêtres directs. Dans les étroites limites qui nous sont assignées ici, nous n'avons pu qu'ébaucher les grandes lignes de notre travail et nous avons dû suppri- mer tous les chiffres : les cartes suppléeront d'aiUeurs dans une large me- sure aux lacunes du texte ; toutes les moyennes y sont portées et les diffé- rences de teinte en accuseront mieux les écarts que les tableaux les plus P, DELMAS. LE SANATOUIUM TIIEUMAL DE DAX 603 criblés de chiffres et de pour cent ; d'ailleurs, comment s'y reconnaître autrement lorsqu'on se trouve en présence de loi unités anthropologiques, chefs-lieux de canton en général profondément inconnus et dont on ne peut à la lecture apprécier exactement les rapports topographiques ? Nous pensons cependant que, si abrégé qu'il soit, cet exposé aura son intérêt et démontrera celui qu'aurait une étude semblable étendue à la France entière. Ce serait un gros travail ; en attendant, désireux d'y apporter tout notre concours, nous nous efTorcerons de le poursuivre d'année en année, et dès maintenant nous pouvons annoncer à nos collègues qu'en 1893 nous espérons pouvoir porter nos recherches sur la région basque (Basses et Hautes-Pyrénées) et peut-être, si la chose est possible, sur les trois autres départements du XVIII'"^ corps d'armée : Landes, Gironde et Charente-Inférieure, de manière à relier en un tout le travail accompli dans les deux campagnes de 1892 et 1893. M. Paul DELMAS Inspecteur du service hydrolhérapique de l'hôpital Saint-André, à Bordeaux. LE SANATORIUM THER^IAL DE DAX Séance du 16 septembre IS92 I Le cri d'alarme poussé depuis quelques années sur les ravages do la Tuberculose, sous toutes ses formes, retentit à nos oreilles. Affection meurtrière entre toutes, elle attaque l'enfance dès le berceau et menace de faucher dans sa fleur la société tout entière. Le premier Congrès de la Tuberculose, dû à l'initiative d'un illustre chirurgien, M. Verneuil, a été comme une révélation de ce qu'il y avait ci, faire, mais aussi de tout ce qu'on pouvait faire d'efficace pour la combattre. Dans la préface du remarquable ouvrage du docteur Charles Leroux sur l'œuvre nationale des hôpitaux marins, M. Verneuil fait ressortir le 666 SCIENCES MÉDICALES point essentiel suivant : a. Si la Tuberculose menace tout le monde, à son début, ses formes souvent assez bénignes, superficielles, limitées, dites chirurgicales sont curables, dans la proportion inespérée de 75 0/0, par un séjour plus ou moins prolongé au bord de la mer » (1). Mais, tous les enfants atteints de Tuberculose sont-ils justiciables de cette médication, hygiénique avant tout? Tout au moins ces enfants le sont-ils toujours dans des conditions pratiques ? Nous ne le pensons pas. D'après les statistiques, il est démontré que le séjour dans les sanatoria et hôpitaux marins est en moyenne de 423 jours (2). Comme à l'heure présente l'œuvre nationale des hôpitaux marins ne dispose que de 1.800 lits environ, on voit qu'elle ne .peut soigner annuellement que 1.600 enfants, lymphatiques, scrofuleux ou rachitiques. Ce chiffre est bien infime, si on le compare aux milliers d'enfants plus ou moins voués à la Tuberculose. Dans ces conditions, nous nous sommes demandé si, à côté de l'œuvre des sanatoria et des hôpitaux marins, il n'y aurait pas lieu de pour- suivre la création àe sanatoria d'un autre ordre qui, par l' intensité rapide de leur médicalion, pourraient préparer favorablement aux sanatoria et aux hôpitaux marins la clientèle si nombreuse des petits tuberculeux gravement atteints. En France, la nature a été prodigue pour nous doter de sources mi- nérales nombreuses, comme elle nous a donné une étendue considérable de côtes aux climats variés. Bien des sources minérales peuvent à bon droit revendiquer le mérite de combattre efficacement les diverses manifestations de la Tubercu- lose. Par leur mode d'action et par leurs procédés d'application, la théra- peutique des eaux minérales, toute différente de celle des bains de mer et du climat marin, peut être qualifiée d'intensive. Par conséquent, leur usage doit être court, comme leur énergie, et soumis à la plus grande surveillance. Avec elles, possibilité d'aborder le traitement des tuberculeux graves qui seraient une très lourde charge pour les sanatoria et les hôpitaux marins; et, le faisant dans un temps relativement court, d'en soigner un grand nombre, avec des installations hospitalières restreintes. Sur ce principe repose la création et le mode de fonctionnement du Sanatoi'ium thermal de Dax fondé en 1888 dans les circonstances sui- vantes : (1) Charles Leroux, l'Assistance maritime des enfants et les hôpitaux marins. Paris, 1892, p. 6. (2) Charles Leroux, loc. cit. p. 32. p. DELMAS. — LE SANATORIUM THERMAL DE DAX 66" En 188", l'Administration des hôpitaux de Bordeaux avait envoyé à Salies-de-Béarn un groupe d'enfants lymphatiques ou scrofuleux. Ces enfants avaient été installés dans une maison particulière. Les résultats obtenus furent satisfaisants. L'année suivante l'Administration voulut envoyer une nouvelle escouade d'enfants plus nombreux. Ne pouvant y réussir, elle fit appel à notre concours . Notre idée première fut : 1° de créer aux Thermes de Dax une instal- lation spéciale pour le traitement salin de ces petits malades ; 2° de de- mander à M. le Maire de Dax de les recevoir à l'hôpital de la ville. Cette proposition n'ayant pas été agréée, le 11 juillet suivant, nous recevions de M. le secrétaire général des hospices de Bordeaux, une lettre pressante, nous demandant de recevoir les enfants soit dans les Thermes, soit dans une de leurs dépendances. Nous nous mîmes à l'œuvre aussitôt. Un des bâtiments, situé dans un jardin annexe de celui de l'établissement, fut choisi. Les murs étant en partie élevés, il fut possible en huit semaines, sur nos indications, de faire dresser les plans par M. Sanguinet, architecte, d'arrêter les devis et d'exécuter une construction légère et solide. Le o septembre suivant, met- tant à profit la présence aux Thermes de M. Proust, l'éminent inspecteur des services sanitaires, nous avions l'honneur d'inaugurer sous ses aus- pices le Sanatorium de Dax, en présence des chirurgiens et médecins de l'hôpital des enfants de Bordeaux. II TOPOGRAPHIE. — PLAN. — EXPOSITION. L'édifice est placé en bordure sur le boulevard de la Marine et dans le jardin des dépendances des Thermes, dont l'étendue est de 1.000 mètres carrés environ. Il forme un rectangle dont les deux faces principales sont orientées à l'ouest sur le boulevard, à l'est sur le jardin. . Ces deux façades sont protégées des ardeurs du soleil par les arbres environnants. Les logements sont disposés au premier étage. Au-dessous, se -trou- vent un grand chais à bois, des magasins et un vestibule-abri, où les enfants peuvent se réfugier en cas de pluie, et prendre leur repas du soir, dans les grands jours d'été. On accède aux appartements par un escalier et une galerie longeant la construction à l'est. Elle sert pour prendre l'air aux plus infirmes. Recou- G68 SCIENCES MÉDICALES verte d'une toiture en verre opaque, elle leur permet d'en jouir en tout temps, A l'intérieur, le bâtiment a une longueur de 18'",20 et une largeur de 4"\70. Cet espace a été divisé en cinq pièces d'égale largeur, soit 3'",G0 pour chacune. La hauteur du plafond est limitée à 3'",10, hauteur réduite. Elle était imposée par le genre et la rapidité de la construction, mais corrigée par les dispositions prises pour aérer énergiquement chaque pièce. En effet, le corps de bâtiment est simple. Tout en se communiquant entre elles pour faciliter la surveillance et le service, les pièces sont indé- pendantes. Chacune a accès par une porte s'ouvrant sur la galerie exté- rieure. A l'opposé de celle-ci, une fenêtre. L'une et l'autre pourvues d'impostes mobiles, allant jusqu'au -plafond. Dans ces conditions, les deux ouvertures se faisant face, la ventilation supérieure est bien assurée par les impostes, et elle se fait là, où, précisément, entraînés par la légèreté de l'air échauffé, s'établit de préférence la zone dangereuse des germes pathogènes. Sous les croisées, au niveau du plancher, se trouve une prise d'air extérieure ayant 0",30 de hauteur sur 0'",40 de largeur; son opercule, s'ouvrant de bas en haut, oblige l'air frais à raser le plancher avant de s'élever et de s'échapper par les impostes. Inutile d'ajouter que fenêtres et portes étant ouvertes, une ventilation énergique et rapide assure une aération complète des appartements. Si, fatigué pour une cause quelconque, ou trop infirme, un enfant est obligé de garder le lit dans la journée, on peut continuer la ventilation par les impostes et la prise d'air froid du plancher, portes et fenêtres res- tant fermées, car les lits, étant placés aux quatre angles des pièces, se trouvent en dehors de la colonne principale d'air animée d'une vitesse sensible. Ces lits sont en fer avec sommiers à lames, et ressort en cuivre, sans garniture, ni étoffe, du système de Viguier fils de Marseille. Un matelas de laine, une toile de protection en caoutchouc, un oreiller, une chaise au pied du lit et un lavabo, à tiroir, pour serrer les effets, complètent l'ameublement sommaire de chaque pièce. En adoptant, comme hauteur, la dimension ordinaire de nos habitations et en disséminant les malades par petites chambrées de cjuatre lits, il en résulte la possibilité de réduire d'un bon tiers les dépenses de la cons- truction. Quoi de plus logique ! l'enfant d'un sanatorium n'y réside guère que la nuit, de même que, dans un appartement privé, la chambre n'est guère occupée que pendant cette période des vingt-quatre heures. Le Sanatorium thermal de Dax, avec son mobilier et son appareil de 1>. DELMAS. — LE SANATORIUM THERMAL DE DAX G69 chaufTage et de ventilation pour l'hiver a coûté 8.000 francs, soit 500 francs par lit. Ce prix est presque inférieur de moitié à celui de l'hôpital modèle de M. Charles Leroux, dont les 280 lits reviendraient à 930 francs chacun. Il est vrai, hàtons-nous d'ajouter, que nous ne faisons pas entrer en ligne de compte ni l'installation balnéaire, ni les services généraux fournis par les Thermes eux-mêmes, ni la valeur du terrain occupé. L'impression de la Commission du Conseil de surveillance de l'Assis- tance publique de Paris, recueillie pendant son voyage en avril dernier aux diverses stations thermales ou maritimes, susceptibles de recevoir les petits malades rachitiques et scrofuleux, a été la suivante, traduite par son savant rapporteur le D'' Millard de l'hôpital Beaujon : « Dax ménageait à la Commission une surprise favorable... Disons tout de suite que la Commission tout entière a été très favorablement impressionnée par les richesses balnéaires qu'on lui a montrées et qu'elle ne soupçonnait pas, mais aussi par le petit Sanatorium bien agencé qui pourrait être mis immédiatement à sa disposition (i). » Puis le savant rapporteur rappelle l'initiative prise par Larauza père et nous dès 1874 (et même, pourrions-nous ajouter, dès 1872j pour l'emploi combiné des eaux mères de la saline de Dax, avec les eaux et les boues minérales chaudes de la station. m DISCIPLINE. — NOURRITURE. — EXERCICE. — INSTALLATION RALNÉAIRE Discipline. — Nourriture. — Annexé à un hôtel thermal de premier ordre, les petits pensionnaires du Sanatorium de Dax bénéficient de ce voisinage, surtout au point de vue de l'alimentation. Inutile d'insister sur ce point. Les enfants se lèvent de 6 heures et demie à 8 heures, et se couchent de 7 à 8 heures suivant les saisons. Aussitôt habillés, ils prennent un premier déjeuner au lait, ou au chocolat, ou une soupe. Puis, ils descen- dent au jardin et se livrent à divers jeux jusqu'à 10 heures et demie, heure des bains et douches. A midi, dîner composé d'un rôti ou d'un ragoût de viande, légume, dessert et vin pour boisson. L'après-midi est réservée pour la promenade et un deuxième traitement balnéaire prescrit à quelques-uns. Les moins U) Admiuislralion générale de l'Assistance publique de Paris. — Couseil de surveillance. —Com- mission des stations tliermales et maritimes. — Arcachon.— Cap-Bretou.— Banyuls.— Uax. — sulies- de-Béarn. — Pau. — Saiut-Jean-de-Luz. Rapport présenté, au nom de la Commission, par M. le D» Millard, 30 juin 1892, p. 9. MM. Emile Ferry, Navarre, Risler, Millard; rapporteur, D' Millard (loc. cit.), p. lo. 670 SCIENCES MÉDICALES ingambes restent dans le jardin; ceux repris d'accidents aigus reposent sur leur lit. A 6 heures, souper, avec menu analogue à celui du dîner. Le coucher a lieu peu après le repas. Installation balnéaire. — Celle-ci a été organisée dans une des salles de l'établissement thermal. Elle renferme sept baignoires spéciales dont cinq en bois; deux douches en jet et en pomme d'arrosoir. Toutes les autres salles des Thermes sont également à la disposition de ces petits malades. Ils accèdent à l'établissement par un corridor faisant suite à un tunnel traversant la rue. Pendant les trois premières années, le traitement balnéaire a eu pour base exclusive l'emploi des eaux mères des salines de Dax, combiné avec celui des eaux et des boues minérales chaudes de la station. En 1891, sous l'influence de M. Milliès-Lacroix, maire de Dax, une Com- pagnie locale, Dax-Salin-Thermal, s'est créée pour la construction d'un établissement salin et d'un casino aux proportions monumentales, afin d'exploiter à la fois les eaux mères et les eaux salées de Dax. Depuis lors, nous recevons nous-mêmes ces deux catégories d'eaux salines. Exercice. — Quelques appareils rudimentaires de gymnastique et di- vers jeux permettent aux enfants les plus ingambes de se livrer à un exercice salutaire dans le jardin des dépendances, lequel leur est exclusi- vement réservé. IV FONCTIONNEMENT. — DURÉE DU SÉJOUR. — THÉRAPEUTIQUE. Créé en 1888 et en 1890, mis à la disposition du service des Enfants assistés du département de la Gironde, le Sanatorium de Dax a pu ré- pondre jusqu'à ce jour à toutes les demandes. Il reçoit les enfants accom- pagnés d'une infirmière chargée de les surveiller, de les panser, conduire au bain et à la promenade. Le prix de journée est fixé à 2 fr. 50 cent. En 1888, la durée du séjour fut limitée à vingt jours, sauf pour une enfant, qui, venue après les autres, resta au Sanatorium pendant deux mois. Il fut aisément démontré qu'un traitement salin de vingt jours était absolument insuffisant. Les années suivantes, la durée fut portée successivement à trente, trente et un, trente-sept, quarante et quarante-trois jours. Cette dernière p. DELMAS. — LE SANATORIUM THERMAL DE DAX 071 limite de quarante-trois jours n'a pas encore été dépassée. Pour la majo- rité, la chose eût été inutile. ISéanmoins, plusieurs enfants auraient retiré un avantage certain à faire un séjour de deux mois; mais à la condition de scinder en deux ou trois séries le nombre total des séances balnéaires par des intervalies.de quatre à huit jours de repos. Les médecins des Thermes appelés à soigner ces enfants, plus particu- lièrement aujourd'hui le D"" A. Larauza, ont constaté que le traitement salin à forte dose tel qu'il est pratiqué à Dax, soit de lo à 40 0/0 d'eaux mères, ou d'eau salée, dans l'eau minérale chaude de Dax, provoque rapide- ment des effets de saturation. Dès les premiers jours, il y a augmentation d'une suppuration de meilleur aloi et retour momentané à l'état aigu. — C'est de l'action substitutive au premier chef. Quoi qu'il en soit, la saturation obtenue, l'enfant est fatigué et ne retire plus aucun bénéfice de la médication, malgré tous les ménagements pris pour retarder ce point limite. En un mot, il est saturé — salé, dirions-nous volontiers, comme notre savant confrère M. Charles Leroux. La clinique thérapeutique des trois premières années porte sur 49 ma- lades. — Elle offre un intérêt tout particulier en raison de ce que pareille expérience sur le traitement salin, avec l'emploi exclusif des eaux mères d'une saline, mélangées à une eau minérale sulfatée, mixte, hyperther- male, ne paraît pas avoir été fait. Depuis 1891 on a pu employer également l'eau salée des salines de Dax et étalilir ainsi un nouveau procédé de comparaison. STATISTIQUE MEDICALE Les résultats thérapeutiques sont fort satisfaisants, et cependant infé- rieurs à ceux du remarquable hôpital de Berck-sur-Mer, pour les raisons suivantes : l'' La clinique du Sanatorium de Dax a pour base principale des cas toujours plus ou moins graves de scrofule et de tuberculose confirmés. "l" Les traitements ont été trop courts, et chez plusieurs malades il eût fallu un deuxième traitement salin, sinon plus, pour achever la cure (1). Ces réserves faites, voici les chiffres recueillis sur 109 malades pour les cinq années écoulées : (1) Dans les Ospizii marini de l'Italie, les enfants ne font qu'une saison de quarante-cinq jours, mais ils la répètent jusqu'à sept années consécutives. — Van Merris, la Scrofule et les bains de mer, p. 66. — Paris, J.-B. Baillière et fils, 1886. 67-2 SCIENCES MEDICALES ti 0) I— I A a u (0 Pi KOUïAÏUaOï S3UIV.VK0I1Ï1S saaonaKv saaonaiïv sauonMBiv i.vaiî3iuoa S8.i0!i8tiu; i.s:3K3iaoa saai sjjooavî) n c a ■H P C/j u là •a z < ft R « « R « B (M 5>l ÎO a B (M — — -* O fO l^ 5-1 Cl O 1^ 5C CM^HiO-^— -i^^lO ^H-SO-l «(N R R^H G-1 R R R R R -* R O -*-^000(N «OCO H 00 (M O -•* O --■+ -* CO :S co en O Ci o -Jt ce -* H •^ S S lO o O ^^ 51 es _ .— — ' c c I 2 oc rt PS ûj a o 05 o . . — 00 OJ -C T3 S '^ .X) OC —I — !» — 20 i— ci ci 3 es ■£=■ O a O) o o- ■a C (Tj .a> 0) fc O 3 rt ÛO en rS Cl s ■ ' a. -J ^ d o c cS X :3 x> ?â 3 c ,^ D O r^ ■^ a ï-1 S 3 (-' bc f^ r3 ;-. 2 *-> ■d) 3 O C3 a P. o n o es ce o ■t;' ci «i = T- p. DELMAS. — LE SA.NAT0H1U.M THERMAL DE DAX 673 Dans ce tableau, les malades classés comme très fortement améliorés et fortement améliorés étaient des candidats à une guérison procliaine ou imminente, mais non encore effectuée à leur départ du Sanatorium. Ils représentent, avec les malades guéris, une proportion de 40 0/0. Ceux classés comme simplement améliorés devaient faire encore une ou deux saisons au moins pour rentrer dans les catégories précédentes. Ils sont au nombre de 30 0/0.. Ceux classés comme légèrement améliorés étaient des malades moins guérissables, et ceux n'ayant rien obtenu repré- sentent une proportion de 4 0/0. Des J09 enfants, le plus jeune, un garçon, avait trois ans, et le plus âgé, une fille, dix-huit ans et demi. Ce dernier chiffre est exceptionnel, le Sanatorium de Dax étant réservé à des enfants ayant au moins trois ans et au plus quinze. L'âge moyen de tous ces enfants a été de : En 1888 de 10 ans 2. En 1889 de il — o. En 1890 de 11 — o. En 1891 de 11 — En 1892 de 10 — 2. La moyenne des cinq années s'est élevée, pour les o3 garçons, à ilix ans ; pour les 56 filles, à onze ans deux mois, et, pour les deux sexes réunis, à dix ans et demi. Le tableau suivant donne l'accroissement du poids, la diminution, l'état stationnaire de 108 enfants. Les enfants ont été pesés à l'arrivée et au dépari; 82 sur 108 avaient gagné 0'',300 à 6 kilogrammes, et, en moyenne, l'',446 en 33 jours 06, durée moyenne du séjour. Chez 20 'enfants, le poids était le même et S enfants avaient perdu de 0'',o00 à 1 kilogramme. Les moyennes du tableau ci-dessous ont pour base : 1° Les 83 enfants dont le poids avait augmenté ; 2" En y comprenant les 2o enfants dont le poids était resté station- naire ou avait diminué. 43* 674 SCIENCES MEDICALES so oc liî — o o ce (M O o S-1 O o o o ■< H O s '■ "S ce t^ o o o O O o •M <3 O (M C5 (M X X L-ï O O re-1 -d' CO o o à'^ co CO QC co •f^ r: t_ 1^ oc co -M c^4 O t- co 'T^ Ol ff b: ■j. .:!, ^ _^ j^ ^'' j" _^ _^ -£ ^ ^ &• ÎS ^ o T-< "^ 5-1 "^ O "^ -r- ^H Z >< O S 1- CD O eo oc o (M O 05 — oc — •s ! in o P, DELMAS. — LE SANATORIUM THERMAL DE DAX 675 11 est admis que le poids d'un enfant bien portant, ayant de six à quatorze ans, s'accroît en moyenne par mois de loO grammes (1). D'après cette base, on obtient les résultats comparatifs suivants pour les 83 enfants ayant gagné en. poids et pour les 108 enfants formant le chiffre total. Troisième Tableau. ANNÉES il 7 8 8 11 5 11 12 10 11 83 » i 1 pi i ^ y. DIFFÉRENCE proportionnelle iï i 12 10 u 5 14 14 16 16 i08 » —a S < 2 Soi. DIFFÉRENCE proporlionuelle 1888, 1" convoi . 1889, 1" id. 1890, 1" id. Id. 2o id. Id. 3«> id. 1891, l- id. Id. 2= id. 1892, 1" id. Id. 2- id. 1^,755 0'-,810 1S335 l'',230 2^232 l^OU OS 783 lk,500 ik,127 OS 150 OS 150 OS 150 ■ OS 150 OS 150 OS 159 OS 150 OS 150 OS 150 + 10 lois. + 5 + 8.5 + - + U,8 + 6,7 + 5,2 + 10 + 7,5 1S.755 OS 540 1S200 OS 900 2S232 OS 795 OS 669 OS 937 OS. 700 os 150 OS 150 OS 150 OS 150 OS 150 OS 15© OS 150 OS 150 OS 150 + 10 fois. + 3,5 — 8 + 0 + ii,s + 5,1 + 4,4 + 6,2 + 4,6 5 années 1S260 » OS 150 + 8,4 OS 960 OS150 + 6,4 3 9 convois Il résulte du tableau ci-dessus que, sur 83 enfants, l'accroissement par mois a dépassé la normale au minimum cinq fois et au maximum dix fois ; et sur 108 enfants, ce minimum a été encore de trois fois et demie et le maximum dix fois; la moyenne a été de six fois 4 dixièmes. Autrement dire, les enfants du Sanatorium de Dax ont gagné en moyenne près de 1 kilogramme par mois. Le classement des malades est donné dans le tableau suivant : (1) D^ Armaing.^ud, Œuvre de l'enseignemenl de l'hygiène et des sanatoria et hospices maritimes n» 11890, p. 7. 6" 6 SCIENCES MEDICALES Quatrième tableau. Classement des 109 malades reçus au Sanatorium thermal de Dax. Pour 108 enfants — de 1888 au mois d'août 1892 (cinq années) Durée du séjour de 20 à i3 jours. En moyenne, par enfant, 33,66 (sauf un, deux mois.) DIAGNOSTIC Anémie rebelle L.vniphatisme accusé . . Rachitisme Scrofulose Tuberculose généralisée. Tuberculose pulmonaire Pleurésie chronique. . . Péritonilc tuberculeuse . ArUiropathie tuberculeuse Spina venlosa Mal de Pott Adénites et scrofulides suppur Ostéites et adénites^uppurées Résections. — Arthroxesis . Coxalgies suppurées.— Fistules Tumeur blanche du genou . Hydarthrose chron. du genou Arthrite, puis ankylose id. Ankylosetraumatique du coude Synovite rhumatismale Rhumatismeart. clir. Insuff. mitralc Id. musculaire chron Ophtalmie. — Kératite scrof Laryngite et Pharyngite chron Chorée chronique Paralysie infantile. ..... Atrophie musculaire, partielle Double pied bot opéré. . . . Incontinence d'urine .... NOMBRE 15 14 2 1 1 2 1 2 8 14 13 5 -V 2 1 1 1 1 1 1 2 2 1 1 1 1 1 109 o m H s o 11 H S -g o < ■M O ■a S 55 p. DELMAS. — LE SANATOUILM THERMAL DE DAX 677 Le Sanatorium de Dax, pourvu de 16 et bientôt de 20 lits, conserve les enfants en moyenne pendant trente-cinq à quarante jours, et peut en rece- voir ICO par an en séparant chaque envoi par sept à huit jours de repos, pour procéder à la réfection totale de la literie et à une appropriation énergique des chambres. La durée moyenne du séjour des enfants au bord de la mer est, d'après la statistique actuelle, de quatre cent vingt-trois jours (1). Par un traite- ment joréa/a6/e dans un Sanatorium thermal, nul doute que cette moyenne ne fût abaissée considérablement. Mais, en l'absence de statistique comparative à l'appui, nous n'insis- terons pas sur ce point, malgré toute son importance. Qu'on nous permette seulement de le résumer dans la formule sui- vante : _ A l'aide d'un traitement thermal intensif, ramener rapidement les petits scrofuleux et tuberculeux confirmés à de smples candidats à la tuberculose, justiciables, surtout alors, des sanatoria et hôpitaux marins. Telle est, au point de vue économique, la meilleure manière de résoudre cette question capitale, à l'ordre du jour dans tous les pays : régénération de l'espèce, en guérissant ou en protégeant l'enfant voué à la tubercu- lose, héréditaire ou acquise. CONCLUSIONS 1° Aux stations des eaux minérales, la méthode thérapeutique intensive et rapide, pour traiter opportunément les diverses manifestations de la tuberculose grave ou confirmée, surtout dans ses manifestations locales. 2° Aux sanatoria et aux hôpitaux marins, la thérapeutique progressive pour sauver les candidats à la tuberculose, pour achever les cures ther- males, et plus encore, pour prévenir les rechutes, en transformant l'orga- nisme lui-même, par un séjour prolongé, au bord de la mer. 3° 1) est à désirer que, à l'exemple de Dax, on crée dans les princi- pales stations thermales des Pyrénées et des autres régions hydrologiques de la France, des sanatoria thermaux pour seconder l'œuvre nationale de l'assistance maritime des enfants par les hôpitaux marins. (1) Ch. Leroux, toc. cit., p. 32. 678 SCIENCES MEDICALES M. A. LAEAUZA Médecin des Thermes de Dax. DE LA MÉDICATION SALINE A DAX (CLINIQUE HOSPITALIERE) — Séance du 16 septembre 1892 — Depuis cinq ans, l'Assistance publique de Bordeaux et le Service dé - parlementai de la Gironde ont adressé au Sanatorium des Thermes de Dax, pour être soumis à un traitement salin, des enfants atteints d'acci- dents divers de lymphatisme, de scrofule et de rachitisme. En effet, indépendamment de ses eaux minérales sulfatées calciques et de ses boues végéto-minérales hyper thermales auxquelles Dax doit son antique renommée, la station possède encore deux agents thérapeutiques précieux : des eaux salées et des eaux mères. Ces eaux salées et ces eaux mères, provenant de l'exploitation des vastes gisements salifères dont l'étendue en longueur et en largeur est encore ignorée, présentent une composition chimique qui a les plus grandes analogies avec les eaux salées et les eaux mères de notre remar- quable voisine, Salies-de-Béarn. Les analyses faites pour V Annuaire officiel des Eaux minérales de France, par M. Wilm, l'éminent professeur de la Faculté des Sciences de Lille, ont donné les résultats suivants : Analyses comparées des eaux de Dax et de Salies (Bayaa). Chlorures Bromures lodures Sulfates Carbonates Silice, alumine et matières organiques Total par litre. . . . EAUX SALEES DAX soos^se: Traces Traces 10s%33î » sioe^egs SALIES (I) 2478',770 Os',161 Traces 05',341 0f,945 256s'-,2Û0 EAUX MÈRES A 30» DAX 315B%774 Traces 74ê'-,408 396s'-,807 SALIES 312s%864 îOs',313 0»-,010 548\700 3778'-,887 (1) L'eau salée de Salies (Oraas) contient sois^os? de sels divers par litre. A. LARAUZA. — DE LA MÉDICATIOiN SALINE A PAX G79 A Salies, comme d'ailleurs dans la plupart des stations chlorurées sodiques fortes, les eaux salées font la base du traitement thermal, et les eaux mères, c'est-à-dire les eaux résiduaires résultant de la fabrication du sel, ne servent que d'appoint ou de complément. On ne les a employées jusqu'à ce jour que pour pallier les effets parfois trop exci- tants des eaux salées, et, dans ce cas, la dose de 30 litres par bain est rarement dépassée. Mais les eaux mères ont-elles réellement les propriétés sédatives qu'on leur attribue généralement? La chose est possible, lorsqu'on les emploie à si petites doses; mais, à des doses plus élevées, notre clinique thermale nous a démontré que leur action générale et surtout leur action topique était plutôt excitante.. Ce dernier fait, d'ailleurs, n'avait pas échappé à la sagacité de Gubler, qui, dans ses leçons sur le traitement hydrialique des maladies chroniques, s'exprimait ainsi, en parlant du traitement du lymphatisme et de la scrofule : « Au reste, l'action topique des eaux chlo- rurées sodiques fortes est encore généralement augmentée par l'addition ■des eaux mères des salines dont on met à tort les effets thérapeutiques sur le compte d'une proportion insignifiante d'iodures et de bromures alcalins ou terreux. » Dans un travail que nous avons présenté, l'an dernier, à la Société d'Hydrologie médicale de Paris, nous avons fait connaître les effets physiologiques et thérapeutiques des eaux mères de Dax, et nous avons établi par des faits chniques que leur action était excitante, en même temps que tonique et reconstituante. Nous ne reviendrons pas, aujourd'hui, •sur ce point; cela nous entraînerait trop loin et dépasserait notre but. Pour le même motif, nous ne parlerons pas non plus des effets physiolo- giques et thérapeutiques des eaux salées de Dax. Ces dernières, d'ailleurs, possèdent les mêmes propriétés que les eaux salées de Salies, ce qui n'est guère surprenant, puisque leur composition chimique est pour ainsi dire analogue. Dans cette courte communication, nous allons surtout nous attacher à faire ressortir les résultats obtenus chez les petits malades que nous avons «u à soigner pendant ces cinq dernières années, et à donner quelques indications thérapeutiques précises sur l'efficacité des eaux salées et des eaux mères de Dax, employées concurremment avec les eaux minérales, et parfois avec les boues, dans le lymphatisme et la tuberculose infantiles. Disons tout d'abord que les 109 petits malades qui nous ont été adressés n'ont pas tous suivi le même mode de traitement. Pendant trois années consécutives (1888, 1889, 1890), les enfants ont •été traités par des bains d'eau minérale additionnée d'eaux mères seules. En 1891, nous avons employé les bains d'eau minérale additionnée d'eau salée seule. 680 SCIENCES MÉDICALES Enfin, en 1892, nous avons expérimenté un traitement mixte, en employant les bains d'eau minérale additionnée tantôt d'eau salée, tantôt d'eaux mères. La durée du traitement n'a pas non plus été la même pour tous ces malades : elle a été de vingt jours seulement en 1888, de trente-sept jours en 1889, de trente et un à trente-sept jours en 1890, de trente jours en 1891 et 1892. Une seule malade est restée en traitement pendant près de deux mois. La quantité d'eaux mères ou d'eau salée mélangée à l'eau minérale a varié suivant les lésions et l'âge des malades. Mais, d'une façon générale, nous avons toujours commencé le traitement par de petites doses que nous avons ensuite augmentées progressivement. , Dans un bain d'une capacité utilisable de 200 litres, la dose minîma d'eau salée ou d'eaux mères a été de 30 litres pour 170 litres d'eau minérale, et la dose maxima de 70 litres pour 130 litres d'eau minérale, soit donc au minimum 15 0/0 et au maximum 35 0/0 d'eau salée ou d'eaux mères. Avant de parler des résultats thérapeutiques obtenus par ces divers modes de traitement, nous nous permettrons d'attirer l'attention de nos savants confrères sur les deux points suivants : 1° Les vastes gisements salifères de Dax, exploités par les Salines, ne donnent pas moins de sept à hait mille tonnes de sel par an. On peut juger par ce chiffre de la quantité d'eau salée et d'eaux mères qui peuvent être employées pour les besoins médicaux. 2° De plus, dans notre station, la haute température des eaux thermales (60° centigrades) permet d'administrer les eaux salées et les eaux mères, sans qu'on doive avoir recours à des moyens de chautfage artificiels. C'est là un précieux avantage que notre station possède sur les stations similaires, car, aux propriétés des eaux salées et des eaux mères viennent s'ajouter celles de l'eau minérale elle-même. Les cinquante petits malades auxquels nous avons prescrit des bains d'eau minérale additionnée d'eaux mères seules ont presque tous retiré un bénéfice sérieux de leur traitement, en ce sens que leur état local ou leur état général a toujours été plus ou moins amélioré. Sur ces cin- quante cas, nous avons constaté quatre guérisons, huit améliorations très fortes, quinze améliorations fortes et vingt-huit améliorations simples. La plupart de ces malades étaient atteints d'adénites chroniques, d'ostéites, de mal de Pott, d'accidents articulaires divers, de nature tuber- culeuse, comme on pourra le voir dans le tableau ci-après où nous avons mentionné, avec le diagnostic, les résultats obtenus. A. LARAUZA. — DE LA MÉDICATION SALINE A DAX 681 RÉSULTATS DIAGNOSTIC NOMBRE G. T. F. A. F. A. A. (1) » Coxalgies suppurées 3 » 2 1 Adénites scrofuleuses 7 r> 1 3 3 Mal de Pott 5 » » 1 4 Scrofulose généralisée .... 5 » » 1 4 Ostéites tuberculeuses .... 6 1 1 i 2 Ostéo-arthrites tuberculeuses .431»» Abcès froid 1 » » 1 Péritonite tuberculeuse. ... 1 » 1 » » Anémie 3 » 1 1 1 Lymphatisine 7 » » 3 4 Ankylose 2 » 1 1 » Spina ventosa 1 » » 1 » Hydarthrose chronique. ... 1 » » 1 » Paralysie infantile 1 » » 1 » Ophtalmie chronique 1 » » Rachitisme 2 » » TOtacx 50 » 1 1 1 17 21 rSous passerons sous silence les observations détaillées, mais nous tenons cependant à en résumer quelques-unes prises comme types. Dans les deux premiers cas, il s'agit de deux jeunes garçons âgés de sept et huit ans, qui avaient subi la résection du coude pour ostéo- arthrite fongueuse. A leur arrivée au sanatorium de Dax, on constatait la présence de trajets fistuleux multiples et l'abolition complète des mou- vements des deux articulations du coude. Après avoir pris trente bains minéraux additionnés d'eaux mères, ces deux petits malades partirent de Dax presque complètement guéris. Ces deux observations, remarquables au point de vue du résultat obtenu dans un espace de temps relativement court, ont été l'objet du rapport suivant, adressé, en 1890, par M. le professeur agrégé Piéchaud à M. le président de la Commission administrative des hôpitaux de Bordeaux : « Parmi les enfants de mon service envoyés en 1889 au sanatorium de Dax, deux méritent surtout d'être sérieusement examinés. Ce sont deux garçons âgés de sept et huit ans, opérés de résection du coude pour osléo-arthrite fougueuse. j> Les autres malades, très scrofuleux, porteurs de scrofulides multiples, ont été entièrement améliorés; mais les résultats ne sauraient être sufTisants après une seule saison pour qu'il en soit question dans ce rapport. » Quand les deux opérés sont partis pour Dax, ils étaient en voie de guéri- son, "mais ils portaient encore des trajets fistuleux et la persistance d'un peu de douleur et de gonflement faisait craindre un retour offensif de leur tuber- (1) G., giiérison ; T.F.A., trôs forte amélioration ; F. A., forte amélioration; A., ami^lioration simple. 682 SCIENCES MÉDICALES culose locale. Dès leur retour, je constatai que la cicatrisation était enfin obte- nue, que le gonflement et la douleur avaient disparu et que les mouvements volontaires avaient gagné en force et en amplitude. » Ces malades ont été suivis avec soin depuis cette époque et aujourd'hui nous pouvons les considérer comme définitivement guéris, car non seulement les fongosités ne se sont plus reproduites, mais la fonction du membre est restée complète. » L'observation suivante, que nous allons résumer en quelques mots, représente un type dans lequel l'emploi simultané des applications locales de boucH et des bains d'eaux mères donne le plus souvent les meilleurs résultats. — Il s'agit d'un jeune garçon, âgé de dix ans, atteint d'une ankylose presque complète du coude gauche, consécutive à une fracture du condyle de l'humérus mal consolidée ; les mouvements de flexion et d'extension du coude sont très limités, et le malade est dans l'impossibi- lité absolue de soulever avec son bras un poids même minime. Après avoir pris trente-deux bains d'eaux mères et huit applications locales de boues, suivies de douches chaudes, en pomme d'arrosoir, localisées sur l'articulation, le malade peut porter avec son bras gauche un poids de 5 kilogrammes; de plus, les mouvements de flexion et d'extension se font avec la plus grande facilité. Parmi les aff"ections plutôt médicales que chirurgicales, nous citerons le cas d'une petite malade, âgée de douze ans, atteinte de péritonite tuber- culeuse, au sujet de laquelle M. le docteur Rondot, médecin des hôpitaux, a adressé, en 1890, à M. le président de la Commission des hospices de Bordeaux, un rapport ainsi conçu : « Parmi les cas de mon service envoyés à Dax, en 1889, l'un m'a paru suf- fisamment probant pour mériter une mention spéciale et pour corroborer les remarques si judicieuses qu'avait présentées mon collègue et ami le docteur Piéchaud, sur l'efficacité du séjour à Dax dans le traitement des tuberculoses chirurgicales infantiles. » La petite .Jeanne S... est, en effet, un bel exemple des ressources que peut offrir cette cure thermale dans une des localisations les plus fréquentes du bacille tuberculeux chez les enfants. » 11 s'agissait, dans ce cas, d'une péritonite tuberculeuse nettement carac- térisée et qui s'accompagnait d'une légère pleuro-pneumonie des deux som- mets. Après deux mois de séjour à l'hôpital (du 3 avril au 6 juin 1889). les symptômes pulmonaires avaient disparw, en même temps que les phénomèiies abdominaux s'étaient amendés sous l'influence de l'absorption continue du tannin avec l'application d'une pommade iodoforniée sur le ventre. Mais l'état général laissait à désirer, les forces restaient chancelantes et les sueurs noc- turnes, bien diminuées, n'avaient pas entièrement disparu. » Le séjour à Dax me parut alors indiqué et le bénéfice qu'en retira cette jeune malade fut de tous points remarquable, car, à son retour, un examen complet corrobora tous les détails que le docteur Larauza me fit parvenir à une date ultérieure. A. LARAUZA. — DE LA MÉDICATION SALINE A DAX 683 » Je pus m'assurer, en effet, qu'avec l'amélioration de l'état général et des fonctions digestives coïncidaient la disparition des masses ganglionnaires indu- rées et une diminution du volume de l'abdomen telle qu'on pouvait le consi- dérer comme à peu près revenu à la normale. Ahx symptômes d'une anémie profonde succédait une coloration rosée des joues et des muqueuses; la marche était devenue facile et la malade courait sans l'aligne, alors que le moindre effort occasionnait, à son arrivée à Dax, une lassitude qui la rendait complè- tement apathique. Aucun symptôme insolite n'existait du côté de l'appareil cardio-pulmonaire. » Le traitement, parfaitement supporté et très habilement gradué, avait consisté dans l'emploi de trente-quatre bains minéraux additionnés de 40, puis de oO litres d'eaux mères, à 34° centigrades, et d'une durée de vingt à trente minutes. » Deux faits bien évidents, dit en terminant notre très distingué confrère, ressortent de cette observation : c'est, d'une part, la rétrocession des lésions abdominales; de l'autre, l'amélioration de l'état général qui donnerait à penser que les eaux mères de Dax possèdent une double modalité curative, s'exerçant aussi bien sur les lésions d'origine bacillaire, qu'elles enrayent, que sur l'en- semble des processus organiques de nutrition au ralentissement de laquelle ^lles semblent s'opposer dans une très large mesure. » A partir de 1891, nous avons eu à notre disposition les eaux salées de Dax et nous les avons employées concurremment avec leurs eaux mères. Les résultats de cette médication (bains minéraux additionnés d'eau ■salée seule) ont été analogues à ceux obtenus chez notre célèbre voisine Salies. Et comme cette médication a été l'objet de travaux aussi nom- breux qu'intéressants de la part de nos collègues de cette station, nous «erons brefs sur cette seconde partie de notre clinique. Nous nous bor- nerons à donner le tableau suivant, dans lequel nos lecteurs trouveront mentionnés, avec les diagnostics, les résultats obtenus chez les vingt-huit petits malades traités pendant trente jours par celte méthode. DIAGNOSTIC Rachitisme Serofulose généralisée. . Adénites tuberculeuses . Tuberculoses osseuses. . Fistules ostéopathiques . Tumeurs blanches. . . . Mal de Pott Coxalgie Paralysie infantile . . . Chorée Anémie Laryngite chronique . . Rhumatisme musculaire. Totaux . G RESULTAT; F. A XOMIÎRE T.F.A A 4 a » 1 3 6 » » 1 5 3 » » 2 1 2 » s 1 1 1 i> s 1 » 3 » » 1 2 2 » s » 2 1 » » » 1 1 » » » t 1 » » » 1 2 » » » 2 J 1 » » 1 1 28 » ]» 8 '20 684 SCIENCES MÉDICALES Avant de tirer nos conclusions sur ces deux premières parties de notre clinique, nous tenons à faire brièvement connaître les résultats obtenus,, cette année, chez les petits scrofuleux que nous avons traités, pendant un mois, par l'emploi simultané des bains d'eau salée et des bains d'eaux mères. Cette troisième partie de notre clinique comprend trente-deux cas qui se décomposent de la façon suivante : RESUL' T.F.A TATS DIAGNOSTIC NOMBRE G F. A A M.E Scrofulose 5 » » 2 3 » Adénites scrofuleuses . . . 3 » s 2 1 » Ostéites tuberculeuses . . 5 » » 3 2 » Spina ventosa 1 » » 1 » » ilal de Pott 2 » 1 » 1 » Rachitisme 9 » 1 1 7 » Kératite scrofuleuse . . . 1 » » j> 1 » Anémie 3 1 B 3 » » Tuberculose pulmonaire . 4 Pleurésie chronique . . . 1 » » 2 » 1 Pharyngite chronique . . 1 » }1 1 » )) Totaux 32 » 2 10 18 2 Comme on le voit, les résultats obtenus chez ces divers petits malades- sont un peu différents suivant que nous avons eu recours exclusivement aux bains d'eaux mères, aux bains d'eau salée, ou à l'emploi combiné de ces deux agents et, dans certains cas, aux applications locales de boues. D'après les faits cliniques observés, les eaux mères de Dax, employées exclusivement, nous semblent avoir agi de la façon la plus efficace chez les petits malades porteurs d'affections scrofuleuses ou tuberculeuses locales, ayant pour la plupart nécessité des opérations chirurgicales, sans tendance à la réparation, chez lesquels la vitalité des tissus et les échanges nutritifs avaient besoin d'être stimulés, et qui réclamaient en quelque sorte un coup de fouet thérapeutique. En effet, les eaux mères de Dax produisent surtout d'excellents résul- tats dans les caries, les ostéites, les ostéo-arthrites tubeixuleuses, à la condition cependant que la période inflammatoire soit passée et qu'il n'y ait plus de fièvre. C'est donc principalement à la période d'état ou à la période de suppu- ration, lorsque l'organisme affaibli a besoin d'être fortifié, que les eaux mères de Dax doivent être prescrites. Elles répondent, en effet, à la double indication de l'état général et de l'état local. Au fur et à mesure que, sous l'influence des bains d'eaux mères, s'améliore l'état général, A. LARAUZA. — DE LA MÉDICATION SALINE A DAX G8o les suppurations se tarissent, les trajets fistuleux s'oblitèrent, les fongo- sités disparaissent. Après les maladies des os et des articulations, les affections qui nous ont paru retirer les meilleurs effets de l'emploi des eaux mères sont les adénites chroniques et les abcès froids. Les eaux salées de Dax nous ont donné des résultats analogues à ceux signalés par nos confrères de Salies dans les diverses manifestations de la tuberculose; maij elles ne nous ont pas cependant paru avoir une action aussi bien déterminée ou tout au moins aussi rapide que les eaux mères dans les affections tuberculeuses des os. La combinaison de ces deux agents thérapeutiques ne nous a pas paru non plus augmenter la valeur intrinsèque des eaux mères dans les tuber- culoses locales, principalement dans celles qui ont eu pour siège le périoste et le tissu osseux. Les boues végéto-minérales de Dax, employées sous forme d'applica- tions partielles, nous ont rendu les plus grands services dans les ostéo- arthrites. En pareils cas, nous avons obtenu tout à la fois une action simultanée locale et générale des plus énergiques que les eaux salées et les eaux mères employées seules eussent été impuissantes ou tout au moins trop longues à nous donner. De là, la rapidité de certains résultats avec des traitements relativement courts. CONCLUSIONS Il y a lieu de distinguer soigneusement les effets des eaux mères et des eaux salées de Dax, employées seules ou simultanément, cl, dans certains cas, secondées par les applications locales de boues hyperther- males : 1" Aux premières conviendront les tuberculoses locales, principalement les tuberculoses osseuses ayant réclamé ou non une intervention chirur- gicale préalable. 2° Nous réserverons de préférence l'emploi des eaux salées au lympha- lisme, à l'anémie et à la scrofulose sans détermination localisée. 3° Les applications locales de boues végéto-minérales, employées simultanément avec les eaux salées et les eaux mères de Dax, rendront les plus grands services dans les manifestations articulaires de la tuber- culose. En procédant ainsi, on obtiendra, dans une catégorie de maladies de l'enfance caractérisées par la lenteur de leur évolution et leur tendance à la chronicité, des résultats plus certains et plus rapides : ce qui doit avant tout préoccuper le praticien. 683 bClEiNCES MÉDICALES M. A. MOULOIîaïïET Professeur à l'École de Médecine d'Amiens. FRACTURE DE JAMBE CHEZ UNE HYSTÉRIQUE— PSEUDARTHROSE — SUTURE OSSEUSE GUÉRISON Séance du 16 septembre 1892 Obs. — F. L., vingt-quatre ans, fermière, habituée aux gros travaux des cliamps, est une grande fille très forte, lourde, grasse. En tomlmnt d'une ciiarrette, elle se fracture la jambe droite et la clavicule droite. Son médecin place le bras dans une écharpe de Mayor, la jambe dans un appareil silicate. Au bout de vingt-cinq jours la clavicule est consolidée sans déformation très apparente, mais au bout de six semaines la jambe n'est pas solide et on la i-eplace pendant un mois dans un appareil silicate. Au bout de ce temps pas de consolidation. On laisse la malade couchée et la jambe libre pendant une quinzaine de jours, puis troi- sième application d'appareil sans résultat. Je vois la malade dix. mois api^ès son accident. Elle marche avec des béquilles. Pas de troubles de nutrition apparents dans la jambe malade, pas de défor- mation. La fracture siège au niveau du tiers inférieur du tibia. Il est facile de s'assurer qu'il n'y a point de consolidation ni de trace de cal osseux. La mobilité des fragments est apparente, mais assez limitée par le péroné qui est intact ou qui, s'il a été fracturé, s'est consolidé. Je fais de nouveau appliquer pendant trois mois un appareil immobilisateur et je donne tous les jours deux grammes de phosphate de chaux à la malade. Pas de modification et quatorze mois après la fracture, août 1890, je me décide à faire la suture osseuse. Longue incision sur le tibia ; les extrémités osseuses sont exactement et parfaitement en contact sans interposition de muscles ni de tendons. En ouvrant la fracture, enveloppée d'une gaine fibreuse, mon bistouri fait sourdre deux gouttes de liquide synovial. 11 s'agit d'une fracture oblique en bas et en dehors. Les extrémités fragmentaires sont fibreuses, recouvertes de synovie : c'est une véritable pseudarthrose. Le canal médullaire est rempli par un bou- chon de tissu spongieux. Je résèque les deux fragments jusqu'à l'extrémité des biseaux et fais ainsi une perte de substance de trois à quatre centimètres ; la section des deux bouts osseux eet horizontale. Je découvre le péroné par une incision externe el je le trouve incurvé à convexité en dehors. Cette convexité a été sans doute provoquée par le poids de la malade essayant de marcher sur une jambe non consolidée. Il paraît normal et n'a point dû être fracturé ; j'en résèque une longueur égale à la perte de substance faite sur le tibia pour pou- voir affronter les fragments. Je réunis les deux extrémités tibiales bien affrontées avec deux gros fils de catgut et les extrémités du péroné avec un lil de catgut. Réunion des parties molles aux crins de Florence, deux drains de sûreté : l'un A. MOULONGUET. — FRACTURE DE JAMBE CHEZ UNE HYSTERIQUE 687 sur la face externe, l'autre sur la face interne. Pansement antiseptique. Immo- bilisation dans un appareil plâtré, le tout recouvert d'ouate et placé dans une gouttière eu fil de fer. Suites opératoires des plus simples, sans fièvre ni sup- puration ; au bout de quinze jours, on enlève les crins et les drains. L'immo- bilisation est maintenue pendaHt trois mois, d'une façon consécutive, sans résultat. Puis massage, électricité, repos au lit sans appareil ; l'état général de la malade est florissant, elle prend un embonpoint considérable, mais pas de cal, pas de consolidation. En juillet 1891, c'est-à-dire onze mois plus tard, je me décide à intervenir de nouveau. Je trouve les fi-agments du tibia en contact, entourés de tissu fibreux ; les extrémités sont effilées, le canal médullaire rempli de tissu spongieux. Je débarrasse les extrémités fragmentaires de leur tissu fibreux, je les avive en perdant le moins de substance possible et je les affronte après les avoir taillées encore horizontalement. Je les suture celte fois non plus aux fils de catgut, mais avec deux gros fils d'argent perdus. Quant au péroné il n'y avait pas trace de consolidation entre les fragments. Le bout supérieur était effilé, le bout inférieur s'était aminci et résorbé en partie ; il était réduit à une partie de la malléole externe, et je ne songeai mémo pas à jeter un fil de suture sur ce petit fragment; je me bornai donc à aviver les surfaces osseuses du péroné. Kéunion immédiate des parties molles, un seul drain dans la partie déclive. Suites opératoires parfaites. L'appareil plâtré reste trois mois en place. La consolida- tion était obtenue. La malade marchait au bout de cinq mois avec un raccour- cissement de quatre centimètres, il est vrai. Sa jambe était solide et guérie, enfin elle pouvait reprendre sa vie ordinaire. Les mouvements étaient conservés dans l'articulation du genou, mais très limités dans l'articulation du cou-de- picd. Je me permets d'attirer votre attention sur les quelques points intéres- sants que présente cette observation. D'emblée, en même temps, la malade se casse la jambe et la clavicule. La clavicule se consolide nor- malement, la jambe non. Et cependant, il s'agissait d'une fracture sans déplacement avec un péroné faisant attelle; il n'y avait point d'interi)o- sition de tissus entre les fragments, pas d'esquilles, et je crois pouvoir affirmer que le premier appareil silicate avait été bien appliqué et qu'on avait obtenu une immobilisation parfaite. La malade n'était ni syphili- tique, ni diabétique, ni albuniinurique, ni phosplialurique; elle était jeune et son état général excellent. Ma première opération avait été absolument négative, et plutôt nuisible, puisque j'avais sectionné un péroné intact et que la suture des deux fragments ne s'était point faite. Enfin, ma se- conde opération a donné un excellent résultat, sans autre modification au manuel opératoire que de remplacer la suture aux fils de catgut par la suture perdue aux fils d'argent. Je tiens surtout à signaler une seconde particularité que des faits nou- veaux pourront un jour bien mettre en lumière. J'ai dit que ma malade ne présentait aucune des tares organiques qu'on s'accorde à reconnaître capables d'empêcher la consohdation des fractures : pas de syphilis, pas 688 SCIENCES MÉDICALES de diabète, pas d'albuminurie, pas de phosphaturie. Je n'avais point songé à examiner son système nerveux et j'affirme que les apparences ne pou- vaient pas me mettre sur la voie de cet examen. Le hasard seul me servit. Le soir du jour où j'avais pratiqué ma deuxième opération, la malade eut une attaque violente d'hystérie suivie d'une contracture persistante des muscles fléchisseurs de la main et de l'avant-bras gauche. L'interne de garde, inquiet, me fit demander. La suggestion à l'état de veille et quel- ques frictions sur les extenseurs rétablirent immédiatement Tintégrité des mouvements dans le membre contracture. Les jours suivants, il nous fut facile de nous assurer que la malade présentait les stigmates suivants de l'hystérie : hémianesthésie sensitive et sensorielle gauche, rétrécissement du champ visuel, abolition du réflexe pharyngien et elle avait déjà eu des attaques antérieures. Peut-on faire jouer un rôle à l'hystérie dans la non-consolidation des fractures? Le fait me parait très possible en songeant aux troubles pro- fonds et variés de nutrition qu'on observe chez ces malades. Dans l'ob- servation actuelle, il me paraît impossible d'invoquer une autre cause. On peut, il est vrai, ne voir là qu'une simple coïncidence; mais j'avoue aimer mieux établir entre ces deux faits — hystérie et pseudarthrose — une relation de cause à effet plutôt que d'avoir recours à une prétendue dis- position, à une idiosyncrasie, — à la non-consolidation. J'estime donc que, dans des cas analogues et lorsqu'il ne sera point possible de déterminer la cause de la non-consolidation, il faudra examiner avec grand soin l'état du système nerveux. M. rEREAT à Evreux. ACTION DE L'EAU DU NEUBOURG DAIMS LE TRAITEMENT DES DIABÉTIQUES — Séance du i6 septembre /892 — La petite ville du Neubourg, située dans le département de l'Eure, est bâtie sur un plateau d'une très grande étendue qui porte le nom de Campagne du Neubourg. Nous sommes là en plein terrain secondaire. FERRAY. — l'eau DU NEUBOURG DANS LE TRAlTEiMENT DES DIABÉTIQUES 689 Le puils au fond duquel jaillil la source en question est situé au point inférieur d'un pli de terrain, à environ 10 à 12 mètres en eontre-bas des altitudes voisines, soit 130 mètres au-dessus du niveau de la mer. Depuis la surface du sol où le forage a été pratiqué jusqu'à une pro- fondeur de 32 mètres, on rencontre successivement : 1° Une couche de terre arable l'",50 2° Argile rouge 4'", » 3° La même argile, mélangée de silex et de sable ocreux. . 2™, « 4° Marne blanche, prenant une teinte de plus en plus grise à mesure que la profondeur augmente ; de même la dureté de la roche va s'accroissant 18"', » 5" Même roche dure, mêlée de veine d'argiles vertes, de sables verts imperméables 4'", » Total 32"SoO L'examen de cette eau a fait l'objet d'un long et consciencieux travail présenté à l'Académie des Sciences, le 14 octobre 1861, par M. Jacquelain, préparateur de chimie à l'École centrale des Arts et Manufactures. Des analyses nombreuses ont été faites, notamment en 18o8; celles-ci ont porté sur des eaux puisées les 15-22 janvier, 12 octobre et 12 dé- cembre, s La composition en principes fixes est la suivante : Chlorure de ijotas^^iuiu Os^OOOô Phosphate de chaux 06--,0128 Alumine et oxyde de fer Os'-,(I200 Silice 0^-,0140 Sulfate de chaux 0"--,0348 Chlorure de magnésium Us^OSSS Nitrate de magnésie Os-'jOST.S Carbonate de chaux 06',721U Dans des analyses récentes que nous avons faites nous-même, nous avons trouvé que l'eau du Neubourg renferme l^%2o d'oxygène; nous devons dire dès maintenant que la présence de cette quantité d'oxygène n'est pas constante. Si nous comparons le volume d'oxygène contenu à celui que l'on rencontre ordinairement dans les diverses eaux, nous pourrons constater que l'eau du Neubourg est la plus riche. 44* 690 SCIENCES MÉDICALES En effet : 1° En ce qui concerne les eaux courantes, nous avons : Le Rhin, à Strasbourg 7'^%4 Le Rhône, à Genève 8^%» La Loire, à Orléans 7",» La Garonne, à Toulouse 7*^ ,9 Le Doubs 9'^',^ La Vesle 6^%8 2" En ce cjui concerne les eaux de source : Celles de Fontfroide a",^ Il est bien entendu que nous n'envisageons ici que les eaux les plus riches en oxygène. Dès l'abord, il a paru intéressant de rechercher la cause de la pré- sence en aussi grande quantité de l'oxygène dans l'eau du Neubourg. Je dois dire que nous ne sommes pas d'accord avec ceux qui, avant nous, ont fait la même étude. Suivant ces auteurs, l'oxygène trouvé en excès serait dégagé par les végétaux cellulaires. Nous, nous croyons purement et simplement à une action mécanique. M. Daubrée, de l'Institut, a publié récemment un ouvrage sur les Eaux souterraines à l'époque actuelle. Après la lecture de ce travail, on est étonné de voir le nombre consi- dérable de cavités existant dans la couche terrestre, immédiatement au-dessous du sol que nous foulons, constituant ici d'immenses cavernes donnant abri à des lacs considérables, constituant là des galeries, véri- tables tunnels naturels d'une longueur démesurée, livrant passage à de véritables rivières dont on n'avait pas soupçonné l'existence. Tel est, dans cet ordre d'idées, le cours souterrain de l'Iton que nous avons décou- vert et exploré. Eh bien, je suppose que le régime d'eaux qui alimente la source du Neubourg a son point de départ dans des cavernes de cette nature, mais offrant une disposition spéciale qui, sans être la même, présente une grande analogie avec le système qui donne naissance aux sources intermittentes. Il s'agirait, dans l'espèce, de cavités souterraines présentant dans leur ensemble la disposition de l'appareil autrefois appliqué dans les forges catalanes, appliqué de nos jours dans nos laboratoires et auquel on a donné le nom de trompe. L'air, par des conduits naturels, serait en- traîné avec l'eau pour être amené dans des cavernes qui, dans la plujjart FEURAY. — l'eau DU NEUBOUKG DAiNS LE TRAITEMENT DES DIABÉTIQUES 691 des cas, ne permettent pas le départ continu de l'air ainsi emmagasiné. Dans ces conditions, la pression supportée par la couche inférieure dans laquelle l'eau et l'air sont en contact, déterminerait la dissolution d'une quantité d'air plus considérable que celle que l'on rencontre ordi- nairement dans les eaux de source. Or, l'oxygène est plus soluble dans l'eau que l'azote : de là la quantité relativement considérable d'oxygène dissous. Ceci dit, et sans nous arrêter davantage sur ces considérations qui Intéressent plutôt la physique du globe, ainsi que la physique générale, nous devons dire, dès maintenant, qu'un médecin du Neubourg, le doc- teur Desormeaux, diabétique, a fait usage de cette eau, et que son affeclion a été heureusement modifiée. Depuis, cette année même, de nombreux diabétiques ont fait usage de l'eau du Neubourg, et tous en ont éprouvé d'heureux effets. Sans entrer dans le détail des observations faites à ce sujet, nous de- A^ons dire que deux malades soumis antérieurement aux traitements en usage en semblable occurrence, et qui n'avaient éprouvé que peu d'effet de ceux-ci, ont vu leur situation tout à fait modifiée. C'est ainsi que chez deux d'entre eux, dont nous avons conservé les observations, nous sommes arrivés à la disparition complète du sucre dans leurs urines. Chez les autres, le traitement probablement insuffisant comme durée, on a pu constater une amélioration considérable. C'est ainsi que nous sommes passés, chez l'un, de 76 grammes de sucre, dans les vingt-quatre heures, à 20 grammes. Chez d'autres, de lo5 grammes, dans les vingt - quatre heures, à 13 grammes, de 69s'-,7o à 47s'-,2o. INous n'avons pu recueillir toutes les observations des malades soienés notamment à Elbeuf et à Urionne ; mais nous devons dire que les certi- ficats délivrés par les médecins traitants indiquent que l'emploi de l'eau du iS'eubourg a été très favorable à leurs clients. Quoi qu'il en soit, l'action de l'oau du Neubourg est évidente. Com- ment agit-elle? nous ne le savons. C'est là un point qu'il serait intéressant d'établir. On ne peut, en effet, supposer que les il centimètres cubes d'oxygène dissous dans chaque litre d'eau soient un comburant suffisant pour brûler le sucre que nous voyons disparaître en grande quantité chez les malades. Il y a là une action physiologique spéciale. Ce ne sera qu'à la suite d'observations très exactes, très nombreuses, d'examens sérieux, que l'on pourra peut-être arriver à déterminer le mode d'action de cette nouvelle eau minérale. Cependant il nous paraît, dès maintenant, qu'il y a des faits acquis. 692 SCIENCES MEDICALES Le propriétaire de la source a fait auprès des autorités compétentes les démarches et demandes nécessaires pour obtenir l'autorisation d'exploi- tation. Ce sera peut-être, pour la Commission spéciale chargée d'examiner le liien fondé de l'intéressé, l'occasion de rechercher le mode d'action qui nous échappe aujourd'hui. M. E. DÏÏHOIJECATJ Médecin à Cauluruts. TRAITEMENT THERMAL ET CLIMATIQUE DE LA PHTISIE, COMBINE AVEC LA^ CAUTÉRISATION PONCTUÉE OU LES INJECTIONS DE LIQUIDES ORGANIQUES Séance du 16 septembre 1892 — I La réputation des eaux sulfureuses des Pyrénées contre la phtisie pulmonaire est trop bien établie, depuis des siècles, et l'action bienfaisante du climat de Pau contre ce terrible mal date de trop d'années, pour qu'il soit nécessaire d'apporter de nouvelles preuves de la valeur curative de ces eaux et de ce climat. Expliquer leur action serait plus difiîcile. Pour ma part, j'ai maintes fois cherché à mettre en relief les effets des eaux de Cauterets sur le ba- cille phtisiogène et sur le terrain qui lui sert de support. Au Congrès international d'hydrologie de Biarritz, dans la Revue médi- cale d'hijdrologie pyrénéenne, fondée et dirigée par le D"' Garrigou et moi, comme devant la Société d'hydrologie de Paris, etc., j'ai voulu montrer le rôle que jouent, entres autres, le gaz azote et la matière organique que nos eaux tiennent en dissolution, et justiher les actions spéciales des deux sources les plus réputées de Cauterets, la Raillère et Mauhourat, dans le traitement de la phtisie. A ce même Congrès de Biarritz et à celui tenu, l'an passé à Bordeaux, par V Association pyrénéenne, i'aiv rappelé les bien- faits et les indications des climats du sud-ouest français, et en particulier du climat palois, contre la tuberculose et autres maladies. E. DUHOURCAU. TRAITEMENT THKRM.VL ET CLIMATIQUE DE LA PHTISIE 693 En maintenant et affirmant, avec plus de conviction pratique aujour- d'imi, les conclusions émises à différentes époques, dans mes écrits, je veux essayer de faire voir ici que l'action curative, tant des eaux des Pyrénées que des climats du sud-ouest, peut être avantageusement aidée, augmentée et fortifiée par des moyens que tout médecin emploie dans sa pratique journalière ! II En ce qui touche aux eaux minérales, je heurterai peut-être les opi- nions de certains confrères qui veulent que, dans les cures auxquelles il €st appelé à prendre part pendant un temps toujours fort court, le mé- decin hydrologue se contente strictement de diriger l'emploi de ses eaux €t recoure le moins possible aux remèdes pharmaceutiques ou aux autres modes de traitement extra-thermaux. Pour le médecin climatologiste, on accordera plus facilement qu'il intervienne dans la cure de ses malades, ceux-ci restant des mois entiers sous sa direction ; mais j'estime, pour ma part, que quand le médecin thermal a la conviction de pouvoir aider et confirmer l'effet heureux de la cure hydrique, il ne doit pas hésiter à recourir aux autres moyens indi- qués, n'ayant en vue que l'intérêt majeur de ses malades. Ce que demande d'ailleurs le confrère qui lui adresse ses clients, c'est ([u'il les lui ren- voie guéris, ou améliorés, autant que faire se pourra : nul de ceux qui m'entendent ou me liront ne s'inscrira assurément contre ce précepte implicitement contenu dans le serment d'Hippocrate . Donc, j'estime que c'est agir convenablement et en conscience que de recourir, en plus du traitement climatique ou thermal, pour hâter l'amé- horation d'un phtisique, à une autre médication auxiliaire, telle que la cautérisation ponctuée qui dégage plus vite les poumons, ou à une mé- dication tonique et remQntante, dont les injections sous-cutanées de liquides -organiques constituent aujourd'hui un des meilleurs éléments. III Il y a quelques dix ans, la lecture d'un instructif mémoire du D'" Vi- dal, sur les effets heureux de la cautérisation ponctuée dans la cure cli- matérique de la phtisie, à Ilyères, me donna l'idée de recourir à ce même moyen pour ceux de mes malades à qui il pouvait être utile. Je ne manque pas d'en user à Pau, l'hiver, dans le même but que le distingué médecin d'Hyères, mais j'y ai eu recours, à Cauterets, dès que je pressentis les résultats encourageants qu'il promettait. 694 SCIENCES MÉDICALES En 1882, je commençai à appliquer hardiment, pendant la cure ther- male, les pointes de feu à ceux de mes malades qui en étaient justi- ciables; et l'un des premiers pour lequel je les utilisai ayant, chose rare, guéri dans des conditions qui laissaient peu d'espoir, j'ai, depuis, chaque année, et toujours encouragé par mes résultats, continué à pratiquer la cautérisation ponctuée, pendant ou à la fin de la cure, sur un certain nombre de mes clients. Le malade auquel je fais allusion était un bel exemple de la contagion de la phtisie : fils de parents indemnes de toute tare tuberculeuse, il avait vu deux de ses sœurs atteintes de ce mal que l'une d'elles avait rapporté du dehors, dont elle était morte, et dont l'autre vint, après lui, se soigner avec grand profit à Cauterets. Malgré des lésions très nettes, une fièvre assez marquée, qui semblait contre-indi- quer les eaux sulfureuses, une première cautérisation pratiquée au crayon- feu, dans le cours de la cure thermale, et une seconde quelques semaines après, ont agi si favorablement que M, l'abbé C. a pu continuer son ministère et revenir, quelques années plus tard, à Cauterets. complète- ment guéri de sa phtisie. Sa sœur, atteinte avant lui, qui partageait son. existence et de qui il avait sans doute contracté le germe du mal, — celle-ci l'ayant pris elle-même d'une première sœur restée malade à la maison, — vint se soigner à son tour à Cauterets et y gagner, par les mêmes moyens, une amélioration considérable, dont je n'ai pu malheureusement connaître les suites ultérieures. Mais j'ai la conviction si profonde d'avoir fait beaucoup plus, pour ces deux malades, par la combinaison du traitement thermal avec la cautérisation ponctuée, que j'ai largement appliqué, de- puis, ces moyens combinés à la plupart de mes phtisiques, à Cauterets. Chaque année s'accroît, par de nouveaux exemples, cette conviction dans mon esprit, si bien que je n'hésite pas à tenter de la faire partager à mes confrères, en leur recommandant ce moyen auxiliaire dans la cure thermale de la phtisie. Je pourrais citer de nombreuses observations consignées dans mes ca- hiers, où des malades, que j'ai revus plusieurs années de suite, ont tiré le plus grand profit de la cautérisation ponctuée appliquée pendant la cure sulfureuse, ou à Pau, pendant l'hiver. Plusieurs d'entre eux avaient été soignés, dans des saisons précédentes, par les eaux seules, et l'améliora- tion plus sensible, pour eux comme pour moi, obtenue par les eaux combinées aux pointes de feu, m'a donné la certitude que la réunion de ces deux moyens est assurément préférable. Aussi, chaque année, j'ap- plique fréquemment des pointes de feu à mes malades, et souvent ceux-ci, après deux ou trois applications, les réclament eux-mêmes comme un moyen excellent et plus sûr de hâter leur guérison. Ce n'est pas seulement contre la phtisie que je les utilise; je traite ainsi, et avec avantage, certains de mes pleurétiques et même des bronchi- E. DUHOLRCAU. TRAITEMENT THERMAL ET CLIMATIQUE DE LA PHTISIE G9o tiques, chez lesquels ramélioration est lente et le catarrhe trop persistant. Les pointes de feu sont, d'ailleurs, un excellent révulsif, très pratique, facile à appliquer; elles agissent plus vite et plus sûrement que les vésicatoires en usage, depuis longtemps, dans les stations thermales ou hivernales, comme ailleurs, et elles ont bien moins d'inconvénients que ces derniers. Je ne veux pas donner ici d'exemple détaillé démontrant ce que j'avance, mais j'ai cru devoir profiter de la venue du Congrès pour l'avancement des sciences, dans la région pyrénéenne, pour faire connaître à sa Section médicale, des moyens qui me réussissent, dans le traitement de la phtisie pulmonaire, à Pau et à Cauterets. IV A la suite des expériences qui ont été publiées par M. le professeur Brown-Séquard et ses adeptes, sur les effets revigorants des injections sous-cutanées de liquides organiques, j'ai voulu essayer sur mes malades les effets de la lymphe cérébrale ou testiculaire, et j'ai été amené à traiter, par cette dernière surtout et concurremment avec la cure thermale, quatre de mes malades, dont trois tuberculeux. Les résultats ont été assez nets et assez encourageants pour que je le fasse connaître aussi en cette occurrence! Devant l'impossibilité de me procurer des liquides de MM. Brown-Séquard et d'Arsonval, je me suis servi tout d'abord de liquide testiculaire préparé par le laboratoire de physiologie de M. Pourquier, de Montpellier. Ce liquide, extrait de testicules d'animaux abattus, était limpide et clair, absolument incolore, preuve qu'il prove- nait de tissus exsangues. M'étant adressé ensuite à mon estimé confrère et ami, le docteur D.-J. Ferran, le savant directeur du laboratoire microbio- logique municipal de Barcelone (celui-là même qu'ont rendu fameux les inoculations préventives contre le choléra, pratiquées sur une immense échelle eu 188d, et si étrangement jugées en France), je reçus de lui un liquide spécial, rosé et transparent, sur lequel je demande à dire quelques mots. Ce liquide, ou cette lymphe testiculaire, est le résultat de rapi)lication d'une idée originale qui me paraît fondée. C'est à des animaux vivants qu'il est emprunté, et voici comme ! Au laboratoire de microbiologie du docteur J. Ferran est adjoint le service de la fourrière municipale de Barcelone, où sont amenés, chaque semaine, plus de cinquante chiens de toute espèce, destinés aux expérimentations du médecin catalan. Partant de ce fait, que le suc testiculaire d'un animal vivant est naturellement plus aseptique et plus actif que celui d'un animal mort, pour si récemment abattu qu'il soit, pensant aussi qu'il vaut mieux choisir un animal réfractaire à la plupart des maladies de l'homme, J. Ferran prend ses chiens, fait la 696 SCIENCES MÉDICALES ligature du cordon et les châtre vivants, observant toujours l'antisepsie la plus rigoureuse. Les testicules, qui ont conservé du sang, sont hachés » et piles dans une machine stérilisée, et la pâte qui en résulte est additionnée d'un volume égal de glycérine concentrée et neutre. Après quarante -huit heures de contact, la pâte glycérinée est mise dans une essoreuse centrifuge stérilisée, afin d'en séparer la glycérine avec les albumines qu'elle a dissoutes ; à ce liquide on ajoute une petite quantité de paratoluidine et on le conserve dans un timbre, à une basse température. Ferran monte ensuite plusieurs bougies de Chamberland dans des éprouvettes pleines de cette glycérine chargée d'albumines, et, les main- tenant à une basse température, il opère la filtration au moyen d'une pompe de Kœrting, en ayant soin d'interposer entre celle-ci et la bougie filtrante un flacon de sûreté : la bougie se remplit de liquide filtré, que l'on transvase dans un flacon stérilisé. Ferran prépare ainsi toutes sortes de lymphes, car il pense, non sans raison, que suivant la maladie à traiter, on devrait employer un liquide distinct : contre les maladies des centres nerveux, la lymphe provenant du tissu nerveux ; — contre la phtisie pulmonaire, la lymphe provenant des poumons d'animaux réfractaires, naturelfement ou artificiellement, à la phtisie, etc. ! Le point le plus vulnérable par où un animal puisse contracter la phtisie est le poumon; quand celui-ci ne pourra pas la contracter, c'est que les conditions d'indemnité existeront dans cet organe d'une façon toute particulière. Par suite, les albumines retirées de ce poumon devront offrir les conditions les meilleures pour être inoculées avec succès. J'ai traité, pendant qu'ils faisaient leur cure thermale, deux de mes tuberculeux avec cette lymphe testiculaire de chiens vivants. Un premier malade fut injecté trois fois avec le liquide de Pourquier, et trois fois avec celui de Ferran : il venait d'avoir quelques hémoptysies graves, et s'il n'était pas atteint de tuberculose confirmée, il était dans un état d'imminence des plus à redouter. Du 23 juillet au 1" août, il reçut six injections d'un centimètre cube, et chaque fois il ressentit des effets to- niques nets, une augmentation de force qu'il accusa spontanément et qui lui faisaient, à la fin, demander son injection : au départ, l'état du poumon était très satisfaisant et l'état général bien meilleur. — Chez mon second malade les effets revigorants furent au moins aussi marqués, si bien qu'il demandait lui-même l'injection, bien qu'elle fût pour ses modestes ressources un surcroît de dépenses. Il reçut ainsi, du 10 au 27 août, neuf injections d'un centimètre à deux centimètres cubes du liquide Ferran : et il déclara, au départ, qu'aucune des quatre cures sulfureuses qu'il avait faites, depuis cinq ou six ans, à Cauterets, ne lui avait procuré semblable amélioration ! E. DUHOURCAU. — TRAITEMENT THERMAL ET CLIM\T1QUE DE LA PHTISIE 097 Mon troisième sujet fut tout aussi affirmatif et son -aveu est précieux à enregistrer, car c'est celui d'un médecin, qui, venu à Cautcrets en 1890 et 1891, pouvait comparer les effets de la cure sulfureuse faite seule dans ces deux années, avec celle de 1892 augmentée de quelques injections de lymphe de Ferran. Du 22 au 30 août, le docteur N., de V., reçut quatre de ces injections, contenant de ^SS à 2 centimètres cubes de lymplie testiculaire de chiens vivants. Et il accusa à chaque fois, malgré une certaine tension douloureuse qui persistait quelques heures dans le membre inférieur injecté, une force plus grande dans ce membre, un remontement général assez sensible, et surtout une augmentation notable d'appétit, coïncidant avec de la diminution de la toux. Mon confrère et client me déclara être convaincu des bons effets et de Futilité de ces in- jections de liquides testiculaires combinées avec la cure de Cauterets, et il s'est promis d'en user de nouveau, à l'occasion. Mon dernier malade a servi à me prouver l'innocuité de ces injections, même répétées et massives: c'était un paralytique, trahiant la jambe droite depuis quatre ans, et cà qui je fis seize injections de liquide Ferran, allant progressivement, entre le 18 août et le 7 septembre, de ^So à o centi- mètres cubes, sans inconvénient aucun, mais sans autre avantage qu'une légère augmentation du mouvement dans les orteils et la jambe paralysée. V En résumé, je crois pouvoir conclure que si les eaux de Cauterets sont, à juste raison, réputées, depuis des siècles, comme excellentes dans la cure de la phtisie, si elles n'ont pas à craindre sous ce rapport la comparaison avec leurs similaires des Pyrénées ou leurs émules d'Auvergne, — d est permis, il est bon même, en vue d'une amélioration plus considérable ou d'une guérison plus rapide, que le malade est en droit d'attendre toujours de son médecin, il est bon d'aider et de compléter l'effet de ces eaux par des moyens formant de puissants auxiliaires, tels, par exemple, que la •cautérisation ponctuée et les injections de liquides organiques. J'en dirai autant au sujet de la cure climatérique de Pau, pendant laquelle on utili- serait ces divers moyens, avec plus de succès, je crois, que n'en a eu, l'hiver dernier, la tubcrculine de Koch. 698 SCIENCES MÉDICALES M. Y. CÏÏALOT Professeur de clinique chirurgicale à la Faculté de Toulouse. TRAITEMENT DE L'ÉPILEPSIE ESSENTIELLE (GRAND MAL) PAR LA LIGATURE DES DEUX ARTÈRES VERTÉBRALES ET PAR LA LIGATURE INCOMPLÈTE DES DEUX CAROTIDES PRIMITIVES — Séance du 16 septembre 1892 — Le traitement de l'épilepsie essentielle commune, c'est-à-dire convul- sive, par la ligature de l'artère vertébrale n'est pas nouveau : c'est Alexan- der (de Liverpoolj qui l'a employé le premier, dès 1881, sur la proposition de Hughlings Jackson et d'autres chirurgiens. D. Spanton, Sydney Jones, Bernays, V. Baracz, Heiberg, Kïimmel, ont plus tard suivi son exemple, La ligature de la carotide a été faite elle-même une trentaine de fois dans le même but que celle de la vertébrale par Mac-Clellan, Preston, Hamil- ton, etc. Mais ni l'une ni l'autre opération n'a donné des résultats théra- peutiques satisfaisants. Alexander a définitivement abandonné depuis plusieurs années la ligature de la vertébrale, ainsi qu'il a bien voulu m'en informer le 29 août dernier, à cause, m'écrivait-il, de l'incertitude et de la nature temporaire de son action. La ligature de la carotide, d'autre part, n'est plus mentionnée depuis longtemps qu'à titre purement historique dans nos ouvrages contemporains. En somme donc, on constate que personne ne songe plus à tenter la cure de l'épilepsie en réduisant la circulation des quatre troncs artériels qui nourrissent l'encéphale. La chirurgie s'est orientée naguère vers des voies nouvelles. Ainsi, d'accord avec la théorie cérébro-corticale, qui place surtout dans l'aire motrice le siège initial de l'épilepsie vulgaire comme celui des autres épilepsies, Benedikt et V. Mosetig-Moorhof (de Vienne) ont enlevé chez quatre ôpileptiques la partie de l'écorce cérébrale qui présidait aux premières convulsions de l'attaque. Alexander, s'inspirant d'une autre manière de voir, imité encore par Ktimmel, a extirpé le ganglion cer- vical supérieur du grand sympathique de chaque côté sur vingt-quatre individus, et il aurait obtenu six guérisons. Un autre confrère, R. Jacksch, a proposé de réséquer le cordon sympathique au-dessus du ganglion cer- vical inférieur avant de lier en masse l'artère et la veine vertébrales. La V. CHALOT. TRAITEMENT DE l'ÉPILEPSIE ESSENTIELLE 699 thérapeutique gagnera-t-ello ou non quelque chose de durable à ces opé- rations ? L'avenir nous le dira. En ce qui me concerne, devant les faits actuellement connus, je fais volontiers une large part à la théorie cérébrale dans la palhogénie de l'épilepsie idiopathique et des attaques épileptiques; je pense qu'il faut aussi tenir encore grand compte du rôle du mésocéphale et surtout du bulbe, centre vaso-moteur, centre sans lequel les convulsions générales et symé- triques sont impossibles, ainsi que l'a démontré, il y a longtemps, l'expéri- mentation physiologique. Le premier et jusqu'à présent seul en France, j'ai donc repris l'opération primitive d'Alexander qui a pour but d'hypémier le bulbe et, par conséquent, de prévenir ou de réduire au minimum sa congestion active chez les épileptiques, d'annihiler ou d'abaisser son hyperexcitabilité pathologique. Mais je l'ai d'abord modifiée en ce sens que j'ai toujours fait systématiquement la ligature des deux artères verté- brales, dans une seule séance, une fois seulement à intervalle de trois jours. La ligature d'une seule artère ne peut avoir qu'un effet passager, sa circulation se rétablissant presque aussitôt par les artères spinales, par l'autre vertébrale, par l'hexagone de Willis ; le résultat est le même quand les ligatures des deux vaisseaux sont pratiquées à de trop longs intervalles. Ces deux dernières considérations m'ont même conduit à une deuxième phase d'expérimentation clinique, c'est-à-dire à la ligature complémentaire et incomplète des deux carotides primitives : addition qui transforme l'opé- ration d'Alexander et lui donne un caractère tout nouveau. En réduisant de moitié, par exemple, le calibre des deux carotides, non seulement on diminue beaucoup la pression et ra/jJux du sang dans l'écorce cérébrale, ce qui me paraît très important, mais on restreint et ralentit le rétablis- sement de la circulation dans les deux artères vertébrales déjà liées, et l'on maintient mieux l'anémie relative du mésocéphale, ainsi que sa moindre pression artérielle : le mésocéphale en devient moins excitable, moins apte soit à provoquer directement, soit à traduire l'attaque épilep- tique. Mes deux dernières opérations sont nées du raisonnement que je viens d'exposer. Je n'ai pas le temps de donner ici en détail mon manuel opératoire qui peut également servir pour le traitement de certains anévrysines cervicaux et thoraciques et autres lésions, je le ferai ailleurs. Je me contenterai de dire que je fais aujourd'hui de préférence l'incision entre les deux faisceaux du muscle sterno-cléido-mastoïdien, et que mes points de repère essen- tiels pour la ligature de la vertébrale sont : 1° Le relief arrondi du muscle scalène antérieur ; 2° Le tubercule carotidien de Chassaignac ; 3" La gouttière angulaire, reconuaissable au doigt, formée par le sca- lène antérieur et le long du cou avant leur insertion commune au tubor- 700 SCIENCES MÉDICALES cule de Chassaignac ; l'artère vertébrale gît a*u fond de cette gouttière et un peu en avant contre le plan osseux vertébral ; une seule veine ordinai- rewent à sa face externe ; 4° Donc, cette même veine, dès qu'on a déchiré la lame aponévrotique qui voile la gouttière ; 5° Souvent Vanse formée par V artère thyroïdienne inférieure et la veine satellite. Celte anse forme avec les deux côtés de la susdite gouttière un triangle, que je nomme triangle vertébral devant mes élèves, et dans lequel on est également sûr de trouver l'artère vertébrale, sans risquer de se perdre vers le bas du cou. Le chargement de l'artère vertébrale est impossible avec les aiguilles ordinaires; il faut une aiguille à courbure très étroite, comme celles que j'ai l'honneur de vous présenter et que j'ai fait faire à Toulouse. Je lie à moitié avec du gros catgut l'artère carotide correspondante, en profitant de l'incision déjà faite pour la vertébrale; on n'a ainsi qu'une cicatrice. Les vaisseaux homologues sont liés de même huit ou quinze jours après. Ma première opération a été faite dans mon service à l'Hôtel-Dieu de Toulouse, le o juillet 1892. Le nombre de mes opérés est de six jusqu'à ce jour; chez les quatre premiers (âgés de trente-huit ans, de neuf ans, de huit ans, de treize ans), j'ai lié seulement les deux vertébrales ; chez les deux derniers (âgés de vingt-six et vingt-quatre ans), j'ai lié en outre à moitié les deux carotides primitives. Les suites opératoires ont été excellentes chez tous, sauf dans mon •deuxième cas qui s'est terminé par la mort, le quatrième jour, au milieu de phénomènes méningitiques avec une température de 43 degrés; une hémorragie veineuse grave survenue au fond de la plaie pendant le char- gement de l'artère vertébrale m'avait obligé à précipiter et à lier vite au jugé les vaisseaux vertébraux et thyroïdiens inférieurs, et, à l'autopsie, j'ai constaté que le cordon du grand sympathique était serré dans une li- gature. Alexandera perdu trois opérés sur trente -six: hémorragie, embolie, pleurite. Quant aux résultats thérapeutiques, je tiens à avouer qu'il ne m'est pas encore possible de donner à leur sujet des renseignements complets et définitifs, l'épreuve du temps n'est pas suffisante. Tout ce que je puis dire, c'est que l'opération n'a aggravé l'état antérieur d'aucun malade et qu'il m'a paru y avoir une amélioration sensible chez plusieurs pour le nombre, pour l'intensité et la forme des attaques, de même que pour le développement de l'intelligence. TACHARD. — TRAITEMENT DE LA PLEURÉSIE SÉREUSE PAR LE SIPHON TOI M. TACHAED Médecin principal de deuxième classe, à Moutaubao. TRAITEMENT DE LA PLEURÉSIE SÉREUSE PAR LE SIPHON — Séance du 46 septembre 189i — Le traitement de la pleurésie séreuse est toujours l'objet de discussions. La consultation publiée par M. Baudouin, dans la Semaine médicale du 22 janvier 1892, en est la preuve. Une thèse toute récente de M. Decourt, ayant pour litre: />a Thoracentèse par le siphon, me détermine à démontrer que M. Decourt et M. Duguet, son maître, ont été devancés par moi, il y a déj-i longtemps, dans cette voie. J'ai publié, en effet, ma première Note sur l'emploi du siphon dans la pleurésie à la page 608 du Recueil des Mémoires de médecine et de chi- rurgie militaires de l'année 1874. Jusqu'à cette époque, les seules applications médicales du siphon, en France au moins, se bornaient à celles de M. Gripat dans le traitement des fistules ur in aires. Si je reviens sur ce sujet, c'est parce que l'application du siphon au traitement de la pleurésie me conduisit à formuler quelques règles, qui n'avaient guère cours alors, et qui paraissent réunir aujourd'hui les meilleurs suffrages. Pour démontrer ce que j'avance, il n'y a qu'à exposer, en suivant l'ordre chronologique, les doctrines défendues à l'Académie ou à la So- ciété médicale des Hôpitaux; à indiquer les perfectionnements de l'appareil instrumental et à faire ressortir que, sous cette double influence, la tech- nique opératoire est devenue rationnelle et clinique. Étant démontré qu'il n'est pas avantageux pour le poumon de rester longtemps sous pression, la thoracentèse n'a pas besoin d être défendue, elle n'est plus en question aujourd'hui ; mais il n'est pas sans intérêt de suivre le chemin parcouru depuis vingt-cinq ans. Je prendrai donc pour point de départ de cette étude la discussion de 1868, dans laquelle Blachez préconise son trocart capillaire. Avec ce trocart, l'évacuation totale de l'épanchement se faisait très lentement et le poumon pouvait s'adapter à sa nouvelle situation ; dès les premières quintes de toux, Blachez terminait l'opération. 702 SCIENCES MÉDICALES Hérard déclara qu'il ne trouvait aucun avantage à cet écoulement lent. Moutard-Martin se fit le défenseur de la ponction hâtive, afin d'éviter la formation d'une coque résistante, empêchant le retour du poumon à l'état normal. Cette discussion peut se résumer sous la forme de deux propositions : 1° Lenteur de l'écoulement ; 2° Nécessité de la ponction hâtive. En 1869, Dieulafoy entre en scène. Il suffit de signaler ses remarquables travaux qui vulgarisèrent immédiatement l'aspiration pneumatique. En 1872, on présente de tous côtés des appareils à vide préalable, des- tinés à opérer le plus rapidement possible. La question revient à l'ordre du jour de la Société médicale des Hôpi- taux, et Potain, qui a pris une part si active à toutes les discussions sur la pleurésie et la thoracentèse, préconise l'emploi des trocarts capillaires pour réduire le traumatisme au minimum, afin de pouvoir répéter la ponction à court intervalle. Ceci, dit-il, « me paraît devoir être tout particuUèrement utile dans les cas d'épanchement très abondant et un peu ancien, et très propre à écarter le danger de la syncope ou celui des congestions pulmonaires ». Décrivant son aspirateur fonctionnant avec une pompe à ventouse, il dit : « Cet instrument. Messieurs, j'ai cru naïvement l'avoir inventé » ; mais il a appris après coup que certaines de ses dispositions étaient de pratique courante en Angleterre et en Amérique. C'est à la séance du 14 juin que Brouardel défendit la thoracentèse hâtive, en se basant sur les indications tirées de l'état de la plèvre et du poumon. « Il faut, dit-il, vider la plèvre alors que le poumon peut reprendre son volume normal»; car, au bout de deux ou trois semaines, le poumon est enveloppé d'une véritable carapace cicatricielle qui s'oppose à sa dilatation. Il se produit une pneumonie interstitielle et un épaississe- ment de la plèvre pariétale. Le 12 juillet. Chauffard accuse la thoracentèse de transformer des épanchements séreux en épanchements purulents; Bourdon se rangea cette opinion, que combat Moutard-Martin, attribuant cet accident au mauvais entretien des instruments employés. De cette discussion ressortent deux nouvelles propositions : 1*^ Nécessité des ponctions multiples ; 2° Reproduction du liquide après les ponctions tardives par suite de l'épaississement de la plèvre. En 1873, la Société médicale des Hôpitaux rouvre encore la discussion, à propos des causes de l'expectoration dite albumineuse. L'étude de son mécanisme et la gravité de cet accident conduisent, contrairement à l'opi- nion de Béhier, à cette conclusien, qu'il ne faut pas extraire rapidement TACHARD. — TRAITEMENT DE LA PLEURÉSIE SÉREUSE PAR LE SIPHON 703 et en une seule séance un épanchement considérable comprimant depuis longtemps le poumon. En 1874, dans ses leçons cliniques, Bucquoy se fait le défenseur de la ponction capillaire avec aspiration. Pour lui, cette opération doit être hâtive pour être réellement curalive ; et si l'épancliement se reproduit, rien n'empêche « de revenir à l'opération aussi souvent qu'il sera néces- saire » . Tel était, trop brièvement résumé, l'état de la question de la thoracentèse dans le traitement de la pleurésie séreuse, lorsque, le 26 juillet 1874, entra dans mon service un militaire atteint depuis dix jours de pleurésie séreuse. Le 31 juillet, ne possédant aucun aspirateur, je lui pratiquai avec le trocart de Reybard une thoracentèse qui évacua loOO grammes de sérosité. Le jour même, je conçus l'idée de construire un siphon et le 4 août, muni de cet appareil, je pratiquai une seconde ponction ; après une quatrième ponction avec le siphon, le malade était rétabli. Cet emploi du siphon m'ayant paru pratique, j'adressai au Conseil de santé des armées une première Note qui fut publiée dans le numéro de novembre (1874) du Recueil des Mémoires de médecine et de chirurgie militaires. Un dessin représentant l'extrémité d'une aiguille creuse montée sur un tube en caoutchouc et plongeant dans la cavité pleurale, ne laisse aucun doute sur l'application que je faisais du siphon. Le siphon à branche unique ayant l'inconvénient de ne pas permettre le lavage de la plèvre, je fis construire par Galante l'aspirateur hydrau- lique que je présentai au mois de janvier 187o à la Société de Chirurgie et que je fus autorisé par Béhier à appliquer dans son service à l'Hôtel-Dieu. Béhier reprocha à cet aspirateur ce qui me semblait son principal avantage, d'évacuer trop lentement les liquides épanchés. Résumant mes opinions dans un Mémoire lu à la Société de Médecine de Toulouse et publié in extenso dans la Revue de cette Société (187o-76), je préconisai les ponctions primitives et multiples pour permettre la dilatation graduelle du poumon ; j'aflîrmai qu'avec une aiguille d'une pro- preté absolue on ne change pas la qualité du liquide renfermé dans la plèvre, qu'il ne faut évacuer que le trop-plein avec lenteur. Je résumais dans cette formule les règles de la thoracentèse : Pratiquer des jionctiotis primitives, successives et lentement évacuatrices. En 1874. personne ne revendiqua la paternité du siphon ou de l'aspira- teur hydraulique qui manquait de prestige. Revenant à la revue de la presse, nous trouvons, en 1877, Gueneau de Mussy conseiller de faire plusieurs ponctions successives pour éviter la sécrétion albumineuse. La même année, au Congrès du Havre, Potain conseille l'emploi du ma- nomètre pour juger de la tension du liquide épanché. Plus tard, en 1880, 704 SCIENCES MÉDICALES dans ses leçons cliniques (v. Ga^. Hop., p. 988), il dit qu'il essaya d'adap- ter à la canule un siphon avec un tube en caoutchouc, très long, des- cendant jusqu'à terre. C'est la première fois, en 1880, que je trouve cette mention du siphon adapté à une canule. Je n'accuserai pas M. Potain de plagiat; il a eu l'idée du siphon tout simplement; le moyen était simple et pratique, et ie ne présume pas qu'il ait le loisir de lire la Revue médicale de Toulouse^ Arrivant aux conclusions de la Clinique (p. 1084), il dit : « il faut éviter d'extraire le liquide pleural par quantités trop considérables à la fois sans nouvoir cependant fixer des limites absolues. i> La quantité de liquide épanchée étant très difficile à déterminer, dans mon Mémoire de 1875 j'adoptai une formule vague, évacuer le ti-op-plein, c'est-à-dire arrêter l'écoulement lorsque la pression iiitra-pleurale devient néo^ative, ce que l'on reconnaît sans manomètre avec l'aspirateur hydrau- lique, quand, élevant l'orifice intérieur du siphon à la hauteur de la plèvre perforée, le liquide cesse de couler. Nous ne pouvons ici pousser plus loin l'analyse des documents fran- çais et citer, comme ils le mériteraient, les travaux de Terrillon, Peyrot, Grancher, Relsch, Vaillard, etc., etc., qui ont si bien fait la lumière sur cotte question et qui sont connus de tous ; mais avant de finir il n'est pas sans intérêt de résumer l'opinion des Allemands. En 1886, le Congrès de médecine interne, tenu à Wiesbaden, mit à l'ordre du jour le traitement de la pleurésie séreuse. Frœntzel ne veut de la ponction qu'à la fin de la deuxième semaine, pas plus tard; il recommande de ne faire écouler lentement que 1300 grammes- de sérosité. Friedler ne se sert plus de pompes à aspiration; la méthode extrême- ment simple d'aspirer le hquide par abaissement d'un tube élastique lui donne de bons résultats, et lui permet d'évacuer, en une fois, deux à trois litres de sérosité. Heusner ne se sert même plus du long tube de Weber; celui dont il se sert n'a jamais plus de 60 centimètres. Voilà, à vrai dire, un perfectionnement capital, et comme nos lits d'hô- pitaux n'ont guère plus de 80 centimètres de hauteur, je suis heureux d'avoir presque fait du Heusner en l'874. Von Heuss fait valoir un droit de priorité sur l'appareil Weber, qu'il a déjà décrit en 1873. J'en sui& convaincu, mais je ne connaissais alors ni M. Heuss ni ses travaux. Il y a si peu à glaner à l'étranger, que de préférence je reviens à la presse française. ' Dans ses leçons cliniques à la Pitié (1887), Jaccoud pose les indications de la thoracentèse suivant qu'elle siège à gauche ou à droite : « Ne videz jamais entièrement la cavité pleurale... il ne faut pas faire écouler le TACHAUb. — TRAITEMEiNT DE LA PLEURÉSIE SÉREUSE PAR LE SIPHON 703 liquide trop vite » ; en n'oulîliant pas ces précautions, la ponction est une opération absolument innocente. La discussion qui a eu lieu cette année même, à l'Académie, est telle- ment récente qu'il n'y a qu'à relater à grands traits les principales opi- nions émises. Tandis que Hardy ne veut guère de la ponction qu'à la dernière extré- mité, Dieulafoy, s'élevant contre l'assertion de Verneuil, déclare que la pleurésie n'est pas une maladie cyclique; que les accidents consécutifs à la thoracentèse sont dus à ce qu'on a retiré rapidement et en une seule séance une trop grande quantité de liquide. Il fixe à un litre la quantité à évacuer ainsi qu'il l'avait déjà avancé dans son article du Dictionnaire de Jaccoud. Peter, qui est pour la méthode antiplilogistique dès le début, ne ponc- tionne jamais avant le vingt-unième jour, en une seule fois et lentement. Potain termine cette discussion en affirmant l'utilité et l'innocuité rela- tive de la thoracentèse, qui reste, comme toute application thérapeutique, affaire d'indication et d'opportunité. Arrivé au terme de cette étude analytique, que j'ai du écourter très à regret, il est temps de conclure : C'est, moins pour revendiquer un droit de priorité dans l'emploi du siphon, que pour affirmer de nouveau l'importance pratique des conclu- sions thérapeutiques auxquelles m'avait conduit le siphon en 1874, que j'ai cru utile de grouper quelques unes des opinions principales émises dans les académies et dans la presse. Mon expérience et l'étude de ces documents m'ont confirmé pleinement ■dans l'opinion rationnelle et physiologique que j'avais défendue en 187o à la Société de Médecine de Toulouse et que je résumerai ainsi : 1° La thoracentèse aseptique est curative et sans danger ; 2° Elle doit être primitive, c'est-à-dire hâtive, avant l'organisation de l 'exsudât; 3'' Elle ne doit viser qu'à retirer le trop-plein, en faisant cesser toute tension positive intra-pleurale ; 4° Il faut préférer les ponctions multiples et successives à celles qui vident d'un coup tout le sac pleural; o'' Il y a lieu d'opérer toujours avec lenteur pour ne pas changer brus- quement l'état du poumon ; 6'^ Pour ce qui est de la technique, elle est facilitée par l'emploi d'un siphon quelconque, opérant avec lenteur et régularité le transvasement de l'exsudat, ainsi (^ue je l'ai prouve d'après des faits cliniques, dont le pre- mier en date est du mois d'août 1874. 45* 106 SCIENCES MÉDICALES M. Félix EE&NAÏÏLT à Paris. MARIAGES CONSANGUINS — DIFFERENTES MANIERES DE LES ENVISAGER —EN QUELS CAS ON DOIT LES ÉVITER — Séance du i7 septembre i892 — La consanguinité peut être entendue de diverses manières : 1° D'abord deux parents proches qui se marient; 2° En second lieu, si dans une commune les habitants se marient tou- jours entre eux, même en évitant les mariages entre cousins, je crois qu'en ce cas on peut dire encore qu'ils sont consanguins ; 3° Enfin, si l'on se marie toujours dans la même caste, bien qu'évitant tout mariage entre parents proches, c'est un troisième genre de consan- guinité. Sans rechercher ici quels sont les effets de la consanguinité, il m'a semblé que, en général, plus les habitants d'une localité se mariaient enire eux, plus ils évitaient les mariages entre proches, et, d'autre part, plus ils allaient chercher femme au loin, moins ils se souciaient de cette consanguinité. Ainsi j'ai montré qu'aux Indes les habitants se mariaient hors de leur village, allaient prendre femme au loin (voir Bulletin de la Société d'Anthropologie, juillet 1891), mais se mariaient toujours dans leur caste, ce qui amène un certain degré de consanguinité. 11 me restait à faire la contre-partie de ce travail, c'est-à-dire à rechercher dans quelles proportions, en France, le villageois se marie dans son village. En effet, chez nous, les lois contre la consanguinité sont et surtout ont été rigoureuses. Il me fallait donc dépouiller les registres d'une mairie de village ; faire ceci en plusieurs points différents du territoire pour voir si les résultats concordaient, car on ne doit pas généraliser sur un seul cas, qui peut être influencé par des causes purement locales. Enfin, autant que possible, prendre des séries à des époques diverses des xvni*^ et xix^ siècles pour VÉRIFIER si, à mesure qu'on abandonnait les lois contre la consanguinité, les mariages entre habitants de localités différentes devenaient plus fré- quents. F. REGNAULT. — MARIAGES CONSANGUINS TOT Ayant eu l'occasion d'aller en Nonnandie et en Savoie, j'ai fait ces relevés, d'une part, à Offranville, canton du pays de Caux, et au Pollet, quartier bien connu de Dieppe ; et, d'autre part, à Aix-les-Bains. Mon ami iM. Lajard, ayant de plus eu l'obligeance de consulter les registres de la paroisse de Saint-Agricol, à Avignon, nous avons ainsi pu réunir un certain nombre de documents que nous comparerons à ceux déjà obtenus à Pondichéry et à Chandernagor, aux Indes. NOM DE LA C 0 a M l' X E ANNÉES NOMBBE M A m ai; Es NOMBRE DES MARIAGES OÙ les deux coiijoinls habitaiciil la même commune NOMBBE DES CONJOINTS habitant au moment du mariage la commune où ils sont nés \ 1T3") à 1750 OFFRANVILLE ( 1801 à ISIO (Arrondis' de Dieppe. y ) / 1873 à 1883 ir,i 125 130 122 ou 75,7 % 82 ou 65,6 o/o 71 ou 54,6 % p 166 ou 66,4 O/o (ij 163 ou 62,6 O/o (2; LE PULLET \ 1845 et 1847 (Quartier de Dieppe.) ) 1885 72 30 64 ou 88,8 0/0 (■') 24 ou 80 O/o {■•} ? (•■•) AIX-LES-BAINS \ 1797 et 1799 (Savoie) )l875-7(jel 1880 13i 79 95 ou 71 % 40 ou 50,7 O/o 204 ou 76,2 O/o (6) 97 ou 61,4 O/o (T) \ 1701 et 170() AVIGNON ( 1721 (ParoisscdeSt-AgricoI.)l y 1778 et 1779 55 24 61 45 ou 95,7 0^ (H) 14 ou 87,5 O/o (9) 42 ou 80,7 O/o (i«; i7 ou 94 O/o 10 ou 40 O/o 6C ou 58,4 O/o VEDÈNES (Vaucluse). 1755 à 1770 99 67 ou 71,3 O/o (II) 153 ou 80,5 O/o (1) Dans un seul mafiage les coiijoiiils ont même uom. (2) Les conjoints sont de même num clans trois- mariages. Les noms sont, du reste, très variés. (3) Dont neuf seulement entre le Pollet et Dieppe ; tous les autres entre PoUetais. (4) Dont six entre Polletais et Dieppois. (5) Le lieu de naissance n'est pas mentionné sur le registre de l'église. (6) Les conjoints ont même nom dans six mariages. (7) Synonymie dans aucun mariage. (8) Huit mariages sont sans mention d'habitation et soi.xante-dix conjoints sans mention de lieu de naissance. (9) Huit mariages sont sans mention d'habitation et vingt-trois conjoints sans mention de lieu de naissance. (10) Neuf mariages sont sans mention d'habitation et seize conjoints sans mention de lieu de naissance. (H) Cinq mariages sont sans mention d'habitation et huit conjoints sans mention de lieu de naissance. 708 SCIENCES MEDICALES Examinons chaque commune en particulier. I, — Offranville est une commune rurale sans industrie, de 1.634 habi- tants. Il n'y a pas d'étrangers et 40 habitants seulement sont nés hors de la Seine-Inférieure au recensement de 1890. C'est donc une popu- lation très peu mélangée, et, fait important, les conditions de vie n'y ont guère changé depuis un siècle. En effet, la propriété terrienne est entre les mains de cinq grands propriétaires qui l'afferment à rentes fixes; il n'y a que cinq autres petites propriétés. Le mouvement de la natalité est plus fort que dans les autres pays normands; il y a beaucoup de familles de plus de trois enfants. Pour voir dans quelles proportions le mélange s'effectue, nous avons procédé à deux ordres de recherches : 1° Quel est le nombre de mariages où les deux conjoints habitaient la même commune? 2° Mais un des deux conjoints peut être venu du dehors et ne s'être fixé que récemment dans le pays. Il fallait donc, pour donner à cette première partie toute sa valeur, chercher le nombre de conjoints habi- tant au moment du mariage la commune où ils sont nés. 3° Enfin un troisième point a été de voir si les noms des époux étaient très variés et en quelles proportions il y avait synonymie dans les noms des nouveaux mariés. En effet, il est bien difficile de connaître le nombre de mariages con- sanguins dans une commune. Bien que le Ministère de l'Intérieur le réclame pour ses statistiques, aux mairies, néanmoins bien souvent, et en particulier à Offranville, le secrétaire ne les marque pas sur le registre de la mairie. Connaissant tous les habitants, il sait le nombre des alliances consanguines, et l'envoie de mémoire au Ministère. Sans entrer dans l'examen de tous les chiffres, on voit par le tableau comment la proportion de mariages entre conjoints du même village a diminué depuis le dernier siècle. Presque tous les mariages se font entre conjoints du département, les grandes distances sont exception- nelles. Dans la période de 173o à 1750, elle était de 7o,7 0/0; de 1801 à 1810, elle est encore de Q5,Q; de 1873 à 1883, elle tombe à 54,6. Quant au nombre de conjoints habitant au moment du mariage le village où ils sont nés, je n'ai pu le prendre au siècle dernier, le registre étant tenu dans les paroisses; les curés ne se donnaient généralement pas la peine de spécifier ce point, ils mettaient simplement un tel « de cette paroisse » ou, en cas contraire, « de telle paroisse ». Les registres étaient, du reste, bien ou mal tenus suivant le curé, et les formules employées ont varié jusqu'en 173o. Pour les deux autres périodes, on voit que la proportion a peu varié : F. REGNAULT. — MARIAGES CONSANGUINS 709 de 66,4 au début du siècle, elle est encore de Q'2,iy; le paysan vit encore sur le sol qui l'a vu naître. Pour le troisième point, les noms des mariés étaient très variés et, comme partout du reste, il y en avait peu où les deux conjoints fussent homonymes : un de 1801 à 1810 sur cent vingt-cinq mariages et trois de 1873 à, 1883 sur cent trente. Donc, à mesure que nous nous rapprochons de l'époque actuelle, les mariages entre habitants de communes différentes sont devenus plus fré- quents; or, les mariages entre cousins et proches ont été de plus en plus facilités, alors qu'ils étaient prohibés avant la Révolution. II. — Le registre de paroisse du Pollet fournit quelques chiffres remar- quables. Le Follet est le quartier des pécheurs de Dieppe. On a dit qu'ils ne se mariaient qu'entre eux, conservaient un type spécial qu'ils auraient reçu d'une origine étrangère, enfin que la consanguinité y serait fréquente. Or, il est vrai, surtout autrefois, que les pécheurs poUetais ne se mariaient qu'entre eux. Sur soixante-douze mariages pris sur les registres de l'église, en 184o et 1847, cinquante-cinq se pratiquaient entre gens du même quartier, neuf seulement entre gens du Pollet et de Dieppe : ce qui donne une proportion de 88,8 0/0 de mariages entre gens de Dieppe. Dans ces soixante-douze mariages, vingt-trois marins et quinze ou- vrières en fdet; de ces dernières, treize épousèrent des pécheurs. De nos jours, les mariages entre Polletais sont encore fréquents : dix-huit entre Polletais et six entre Polletais et Dieppois, sur trente ma- riages célébrés en 188o. Mais les grands travaux des nouveaux ports ont démoli une partie du Pollet; d'autres industries que celles des pêcheurs sont venues s'y ins- taller, entre autres une manufacture de cigares. Les pécheurs préfèrent épouser des cigarières; le métier d'ouvrières en filet, moins rémunérateur, reste aux plus misérables. En 188o, sept marins et trois ouvrières en filet se marièrent, une seule épousa un marin. Du reste, les usages, les traditions et le costume ont disparu, et il ne reste du Pollet que le souvenir. Le registre des paroisses n'indiquait pas, en 18i5 et 1847, le lieu de naissance des conjoints; c'est un point que j'ai dû forcément laisser dans l'ombre. Mais déjà à cette époque, les marins évitaient la consanguinité. Je n'ai trouvé, en 184o et 1847, sur ces soixante-douze mariages, qu'une seule dispense de l'église; pas une en 188o; le curé m'a assuré qu'autrefois, comme aujourd'bui, elles étaient exceptionnelles. De plus, les noms y sont très variés ; je n'ai trouvé qu'une fois deux mariés homonymes en 1845-1847, et une en 188o, et ces noms sont si variés que, sur les 710 SCIENCES MÉDICALES soixante-douze mariages, ils se répètent très peu : ainsi, seul le nom de Gondré s'est répété cinq fois, celui de Cornu trois fois et celui de Levas- seur deux fois; les autres n'étaient inscrits qu'une fois dans tout le re- gistre de ces deux années. On peut conclure qu'il n'y a jamais eu, au Pollet, une race spéciale de pêcheurs ne se mariant qu'entre eux; tout au plus, autrefois, épou- saient-ils de préférence les pêcheuses; ce fait a disparu entièrement aujourd'hui. III. — L'exemple du Pollet, quartier de pêcheurs où la vie est si spéciale, s'écarte beaucoup de celui d'Offranville. Une commune que nous pourrons mieux lui comparer est celle d'Aix-les-Bains. Ici, la proportion du nombre des mariés habitant la même commune est à peu près égale pour la même époque : 71 0/0 en 1800 et 1802, au lieu de 65,6 0/0 pour la période comparable de 1801 à 1810, dans la commune d'Offranville; et, en 1873, 1876 et 1880, 50,7 0/0 seulement, tandis qu'Offranville donne, de 1873 à 1883, 54,6 0/0. Donc, dans les deux cas, même décroissance rapide. Quant au nombre de conjoints habitant, au moment du mariage, le village où ils sont nés, de 76,2 0/0 au commencement du siècle, il tombe à 61,4 en 1875-1880, chute un peu plus rapide qu'à Offranville, mais néanmoins bien comparable. Là encore le mélange entre habi- tants de communes voisines s'accentue de plus en plus, alors que les prescriptions contre la consanguinité ont disparu (1). IV. — Les registres de la paroisse de Saint-Agricol, à Avignon, et de Védènes, commune près d'Avignon, donnent des résultats curieux sur le siècle dernier. A Avignon, le nombre de mariages, au siècle dernier, entre habitants delà même ville, a toujours été très élevé : 95,7 0/0 en 1701 et 1706, 87,5 0/0 en 1721 et 80,7 en 1778 et 1779, quoiqu'on remarque une décroissance à rapprocher de celles signalées plus haut. Mais les proportions du nombre des conjoints habitant au moment du mariage la commune où ils sont nés donnent des résultats très différents. De 94 0/0 en 1701 et 1706, elle tombe à 40 0/0 seulement en 1721, et n'atteint que 58 0/0 en 1778 et 1779. C'est qu'ici nous avons affaire à une ville, et qu'au siècle dernier, comme de nos jours, ou mieux, plus que de nos jours, les mauvaises conditions hygiéniques et les épidémies amenaient un excédent de la mortalité sur la natalité ; d'où appel aux gens de la campagne qui trou- vaient des places vides. Cet appel a surtout été fort en 1721, après la (1) Rapprochons du Pollet Berck-sur-Mer, village de marins, dans le Pas-de-Calais. Do 1771) à 1790, sur 91 mariages, 97,8 0/0 habitaient la même commune, et 96,7 0/0 la commune où ils étaient nés. De 1880 à 1890, sur 104 mariages, 88,4 0/0 habitent la même commune, 75,4 0/0 le lieu de naissance. Chiffre encore considérable et dû, comme au Pollet, à l'isolement et à la vie spéciale des marins. (Chiffres dus à l'obligeance de M. Quertier.) F. REGNAULT. — MARIAGES CONSANGUINS "Il peste. Mais ces gens, une fois établis, se mariaient à Avignon, d'où \ient que les chiffres des conjoints habitant la même ville restaient élevés. Au contraire, Védènes, commune des environs, a eu, vers la même époque (17oJ>-1770), une proportion élevée, 80, o 0/0, de nouveaux mariés habitant le lieu de naissance, alors que la proportion entre conjoints habitant la même commune est un peu plus faible, 71,3 au lieu de 80,7 à Avignon. Ce rapprochement prouve bien que les villes, au siècle dernier, fai- saient déjà appel aux gens de la campagne. Au siècle dernier, dans le Comtat-Yenaissin, on prenait plus généra- lement qu'aujourd'hui femme dans sa commune, et, restriction faite des époques d'épidémie, on se mariait là où on était né. CONCLUSION De ces divers exemples, nous pouvons tirer une conclusion ferme, à savoir que l'on se marie de plus en plus entre personnes de counnunes différentes et que la proportion entre gens prenant femme dans la même commune, qui était d'environ deux sur trois au siècle dernier, n'est plus, dans nos campagnes, que de un sur deux. Ces faits d'observation auraient pu se déduire du seul raisonnement. A mesure que les années passent, les facilités de communication s'ac- croissent. Déjà, au siècle dernier, les routes sont de mieux en mieux soi- gnées et entretenues ; enfin les chemins de fer arrivent chaque année plus nombreux, amenant cette extrême facilité de déplacement. Si on avait pu remonter plus haut sur les registres et arriver ainsi au moyen âge, où les territoires étaient morcelés et tout voyage dangereux, on aurait trouvé que presque tous les habitants naissaient, se mariaient et mou- raient dans leur village. Or, on sait que la consanguinité, à cette époque, était soigneusement évitée et proscrite par les lois religieuses, les seules faisant autorité. Si on se déplace plus facilement pour prendre femme, néanmoins nos paysans ne quittent guère encore le village qui les a vus naître. La pro- portion a faibli sur autrefois, mais dans des proportions bien moindres. Comparons ces chiffres à ceux que j'ai obtenus aux Indes. L'Indien vit et meurt au lieu de sa naissance, au village qui l'a vu NAITRE. A Chandernagor, sur 754 conjoints, de 1852 à 1883, j'ai trouvé une proportion de 89 0/0 habitant, au moment du mariage, leur vil- lage natal. A Pondichéry, pour 6.340 conjoints, la proportion est de 96 0/0. Mais presque toujours ils prennent femme hors de leur commune. 712 SCIENCES MÉDICALES ACIiandernagor, 9,4 0/0 des conjoints habitent le même quartier (le quar- tier correspond à peu près à la commune française), et 29 0/0 des con- joints habitent tous deux le territoire français : la différence, on le voit, est énorme en comparaison des communes françaises. A Oulgate (territoire de Pondichéry), 21 0/0 des conjoints habitaient le même village, 39 0/0 la même commune. Or, le mariage entre gens de même caste est absolument rigoureux, ce qui amène une consanguinité. Si tout mariage consanguin entre cousins et personnes de même nom est rigoureusement proscrit dans le Nord, en pays Tamoul le mariage est autorisé entre enfants de frères et de sœurs (car alors ils n'ont pas vécu ensemble sous le même toit, n'étant pas de la même famille) alors qu'il est interdit entre descendants de frères ou descendants de sœurs. Aux Indes, alors qu'il y a endogamie de castes, le mariage est proscrit entre parents, et il y a exogainie topogj^aphique, c'est-à-dire mariage, entre gens n'habitant pas le môme territoire. En France, il y avait autrefois endogamie topographique, les lois empê- chaient les mariages consanguins ; aujourd'hui V endogamie topographique diminue et ces lois tombent en désuétude. De ces conclusions certains induiront que l'auteur juge que la consan- guinité est chose mauvaise en soi et que l'exogamie topographique en atténue les défauts. 11 n'en est pas ainsi. Je prends simplement deux faits sociaux : alliances consanguines, endogamie topographique, et je remarque qu'iLS sont en relations inverses chez les peuples civilisés; en d'autres termes, que les alliances consanguines sont d'autant moins défendues qu'il y a plus d^exo- gamie topographique. Quant à la question de la valeur de la consanguinité, on admet aujour- d'hui qu'elle n'est qu'un cas de l'hérédité. Si les ascendants sont bons, les produits seront bons, sinon non. Mais les ressemblances fort grandes qui existent entre parents consanguins font que leurs qualités ou défauts seront plus marqués chez le produit, d'où le danger des alliances consan- guines quand les parents ont quelque tare. Ainsi s'expliquent fort bien les faits contradictoires qu'on a jusqu'au- jourd'hui apporté pour ou contre la consanguinité. Il me semble qu'il faut pousser les recherches plus loin. D'oîi viennent les qualités ou défauts des parents comme ceux que l'en- fant prend en grandissant? Du milieu, c'est au milieu qu'il faut toujours revenir, le grand, le seul facteur agissant dans la variation des espèces comme des individus. Si dans un village existent quelques facteurs d'affaiblissement de la race qui l'habite (comme par exemple un pays où les fièvres pernicieuses F. REGXAULT. — M.VniAGES CONSANGUINS 713 sont fréquentes, où la scrofule règne), et si les gens y pratiquent l'exo- gamie topographique, l'apport d'un sang nouveau peut suffire ; encore faut-il que ces causes de déchéance ne soient que peu développées. Au contraire, en se mariant entre eux, ils s'ahâtardiront rapidement. Mais si le pays est dans de bonnes conditions hygiéniques et que les professions des habitants ne prédisposent pas à la dégénérescence, la consanguinité n'aura pas mauvaise action; exemples : Bourg de Batz, cité par Voisin; Fort-.Mardyck; étudié par Lancry, etc., etc. Tout ceci n'est pas une simple hypothèse, je citerai le fait suivant qu'a bien voulu me fournir M. le D"" Paul Reclus. A Orthez (Basses-Pyrénées), les protestants se marient entre eux. Or, les bourgeois protestants sont généralement malingres et chétifs et n'ont qu'un petit nombre de rejetons : bien que ceci lui semble dû plutôt aune restriction volontaire. Mais, fait capital, ils ont un grand nombre d'épileptiques, à tel point que, dans les maisons de protestants, il existe une chambre spéciale, à eux réservée. L'épilepsie trouve un milieu favorable chez ces bourgeois qui, de père en fils, s'adonnent à des occupations ne mettant en jeu que le cerveau; il est naturel que l'organe fonctionnant le plus soit le plus sujet aux ma- ladies. Tout ceci diminue depuis les chemins de fer; il se fait plus de mariages croisés, quoique toujours entre protestants. Ainsi s'explique comment, par la pratique d'exogamie topographique, les peuples évitent les dangers possibles de la consanguinité au cas oîi les parents auraient des tares. 11 eût été utile de recueillir un plus grand nombre d'exemples. Mais jusqu'à présent, dans ce genre de recherches, on n'a jamais tenu compte de l'influence du milieu. Rassembler de nombreux documents est une œuvre considérable. J'espère que ceux qui me liront feront des recher- ches chacun dans sa sphère, et que plus tard, en comparant leurs travaux, on pourra arriver à établir ce point d'une façon définitive. . LOIS loi 1. — La consanguinité rentre dans l'hérédité ; selon que les ascen- dants sont bons ou mauvais, les produits seront bons ou mauvais. Les qualités ou défauts des parents se transmettent aux enfants. Loi IL — La puissance héréditaire est exagérée par la consanguinité. Les consanguins ont, en effet, nombre de qualités et défauts semblables. Ces qualités et défauts sont exagérés chez leurs enfants. Loi III. — 3Iais les qualités d'un être sont acquises par lui grâce au 714 SCIENCES MÉDICALES milieu où il vit; ou, en d'autres termes, les propriétés d'un être vivant dérivent du milieu où il vit. L'hérédité transmise chez les descendants est seulement les qualités dues au miheu fixées chez les ascendants. Si deux consanguins vivent séparés l'un de l'autre en deux milieux dif- férents, ils seront moins semblables qu'habitant sous le même toit. Et les efTets, bons ou mauvais, de la consanguinité se feront moins sentir. M. EIETJZÂIDE Ancien interne des hôpitaux de Paris, à Lectoure. OBSERVATIONS D'OSTEOMYELITE — Séance du // septembre 1892 — J'ai l'honneur de présenter à la Section cinq observations d'ostéo- myélite qui offrent un certain intérêt en ce sens qu'elles ont toutes donné lieu à des erreurs de diagnostic. Deux en 1889. — La première, ostéomyélite aiguë; la deuxième, ostéo- myélite chronique. Troin en 1892. — La troisième, ostéomyélite aiguë; la quatrième, ostéo- myélite traumatique; la cinquième, ostéomyélite subaiguë. Obs. L — Ostéomyélite aiguë. — Ferdinand J., âgé de dix-huit ans, cordonnier, s'était loué pour les travaux de la moisson. Le 18 juillet, il fut obligé d'inter- rompre son travail, il éprouvait des douleurs vives dans la région tibio-tarsienne droite. Soigné à domicile pour une arthrite rhumatismale, il avait une fièvre très vive, du déUre et poussait des cris continuels nuit et jour. Le 28 juillet, il entra à l'hôpital et fut opéré le lendemain d'une ostéomyélite de la partie inférieure du tibia à la jonction de la diaphyse et de fépiphyse. Je trouvai un abcès sous le périoste et pratiquai sur la face interne du tibia, avec le trépan, deux ou- vertures qui donnèrent lieu à un écoulement de pus bien lié. Après l'opération, le pouls tomba de 120 à 80 et les douleurs disparurent complètement. Grâce à l'antisepsie, la plaie guérit assez rapidement, mais il resta une fistule qui a mis un an à se cicatriser... Depuis lors il est complète- ment guéri. DIEUZAIDE. — OBSERVATIOîtS d'oSTÉOMYKLITE llS Obs. II. — OstéomxjéUle chronique . — M"^ Marie D. fut traitée, à l'âge de qua- torze ans, en juin 1870, pour un abcès froid de la partie moyenne de la cuisse gauche, par l'incision, le drainage et les injections de teinture d'iode. Elle gué- rit très bien et fit deux saisons à Barègcs pour consolider la guérison. Treize ans après, elle entre au service d'une famille de Bordeaux, et, en octobre 1889, elle est prise de douleurs dans la partie supérieure de la cuisse gauche. Il y eut un gonflement considérable et un abcès s'ouvrit spontanément. Le médecin de la famille la renvoya à Lectoure sans soupc^onner l'ostéomyélite. Elle entre à l'hôpital en novembre, conservant une fistule qui s'ouvrait à la partie moyenne et externe de la cuisse. Le stylet pénétrait à une profondeur de huit centimètres, mais ne tombait pas sur une portion de l'os qui parut ma- lade. Je crus à l'ostéomyélite et je mo décidai à ouvrir le trajet pour aller à la recherche du point que je supposais atteint. Arrivé à la limite du trajet, je tombai sur l'os qui paraissait sain ; mais le stylet, introiuit de nouveau dans une direction différente, pénétrait le long du fémur à sept centimètres plus haut jusqu'à la l^ase du grand trochanter. Je me décidai à aller jusqu'à la limite extrême et alors je tombai sur le point malade. Il y avait à la base du grand trochanter une carie formant une ouverture circulaire de deux centimètres de diamètre. Je ruginai fortement les bords, et l'instrument pénétra sans la moindre pression dans la cavité médullaire. 11 est certain qu'il eût mieux valu tomber directement sur le foyer et épar- gner à la malade une incision d'une longueur peu ordinaire; mais aucun indice ne révélait la situation de la carie. La plaie traitée, antiseptiquement, guérit bien, mais a laissé une petite fistule qui l'a obligée à faire deux saisons de Barèges. A part cette fistule qui donne lieu de temps en temps à l'écoulement de quelques gouttes de pus, la malade vaque à ses occupations ordinaires. Les médecins de Barèges lui ont promis de la guérir sans une nouvelle intervention chirurgicale. Obs. III. — Ostéomyélite aiguë; abcès séreux aigus. — M. P. F., procureur de la République, âgé de trente-cinq ans, fut pris, le 27 mars 1892, de douleurs vives dans la partie supérieure et postéro-externe de la cuisse droite. Ces dou- leurs s'étendaient à toute la cuisse. Son beau-père, docteur en médecine, diag- nostiqua une névralgie sciatique. Appelé à le soigner, je fis le même diagnostic. Nous l'avons soigné par les injections de morphine en lui faisant prendre tous les remèdes vantés dans cette affection sans aucun résultat favorable. Il refusait toute autre médication externe. Le 2 mai il part pour Dax. Les médecins de cette station lui promirent de le guérir de .2,l. SCIENCES MEDICALES VENTS REGNANTS Vents de mer. rURECTIONS Jours Joui's Joiii-s Jours Sud-ouest 19 15 20 21 Ouest 13 13 17 14 Nord-ouest 7 12 g 9 Nord 5 14 6 9 Totaux 44 54 51 53 202 Ce chiffre 202 représente la totalité des jours de vents qui, à Biarritz, souf- flent de l'Océan (vents de mer). Vents de terre. DIRECTIONS HIVER PRINTEMPS ÉTÉ AUTOMNE Jours Jours Jours Jours Nord-est . . . 11 14 9 8 Est. . . . . . 7 9 6 5 4 8 0 Sud-est. . . . 9 Sud. . . . . . 16 10 9 16 Totaux. . . . . . 43 39 27 32 141 Ce chiffre 141 représente le chiffre des jours des vents de terre. Ainsi l'on voit que les vents dominants sont en toute saison les vents d'ouest et de sud-ouest venant du large ; ces vents, comme on sait, rafraîchissent l'air en été et le réchauffent en hiver. Les vents du sud, en outre, dominent en hiver et en automne. Au printemps, on observe quelques vents du nord et du nord-est. Les vents dest et de sud- est sont rares en toute saison. En été, les vents de terre, qui sont les vents chauds, sont moitié moins fréquents que les vents du côté de l'Océan. Il y a en moyenne trois jours de bourrasques à l'ouest au mois de janvier. Le reste de l'année les vents sont modérés. La nébulosité moyenne est de 5 pour 10. Le maximum est en novembre, décembre et janvier, ^^i le minimum, en septembre, ■^. La moyenne ozonométrique annuelle est très élevée, 16 pour 21 de l'échelle de Jame. Le maximum 18 et 19 a lieu, en octobre, 19, et novembre et dé- cembre, 18; le minimum, en septembre, 13. Ce minimum coïncide avec le mois le moins pluvieux. L'évaporomètre de Piche marque 1 "V" en hiver et 2 "V" 5 en été. L'humidité relative annuelle de la journée de 12 heures est de -^. Le maxi- mum est en juillet ■^, et le minimum en avril ^. ÉLEVY. — MÉTÉOROLOGIE MÉDICALE DE BIARRITZ T33 CLLMATOLOGIE 1° Le climat de Biarritz est rangé, dans la classification de Weber, dans les climats insulaires et côtiors d'humidité moyenne, dans la même catégorie qu'Alger, Tanger, Ajaccio, Lisbonne, Arcachon. 2° La topographie de Biarritz fait que les vents dominants du large pénètrent à tous les étages de son vaste amphithéâtre. 3° L'air de Biarritz est pur, privé de poussières et de micro-organismes, très chargé d'ozone, d'une transparence et d'une clarté remarquable, im- prégné de principes salins et véritablement antiseptiques. 4° Située entre l'Océan, les Pyrénées et les Landes, Biarritz doit à cette triple influence de la mer, de la montagne et de la foret un climat par- ticulièrement sain et fortifiant. 5° La température de l'air n'est excessive ni en été ni en hiver. La moyenne hivernale est de + 7°. 9. Pendant une année sur trois le ther- momètre n'arrive pas à zéro dans la journée d'hiver, et atteint souvent en hiver 16° à 20°. La moyenne des écarts quotidiens de température est très faible, "°,8. 11 n'y a pas de variations brusques et étendues de température. 6° L'air n'est ni trop sec ni trop humide : movenne — dans le jour. "100 "' 7° Les pluies sont abondantes aux périodes de l'année intermédiaires entre les saisons d'été et d'hiver. Elles ont lieu surtout sous forme d'a- verses nocturnes. Par sa nature poreuse et sablonneuse, le sol absorbe vite les eaux de pluie et ses pentes rapides facilitent aussi leur écoulement. 11 n'y a pas d'humidité secondaire par évaporation de l'eau tombée. 8° Les vents ne sont très violents que pendant une période assez courte de janvier ; le reste de l'année, ils sont modérés. Qualités du cHniat. — De l'ensemble des observations et de mes propres recherches, on peut conclure que : 1° Le climat de Biarritz possède la qualité sédative commune à toutes les stations de la région du sud-ouest océanien, mais à un degré moindre : son caractère distinctif et spécial est la tonicité. C'est un climat lorlihant, favorisant la nutrition organique et l'assimilation. 2" Cette ville est en même temps une résidence d'été et d'hiver : refuge d'été pour les habitants des pays chauds et tropicaux, station d'hiver pour ceux des latitudes plus élevées . 3° Le séjour de Biarritz, hiver comme été, est prolitable aux valétudi- naires, aux convalescents et aux personnes âgées, en général, qui peuvent y éviter les grandes variations thermiques et les refroidissements qui en sont la conséquence. 734 SCIENCES MÉDICALES 4" La bronchite chronique, les laryngites et pharyngites sont toujours améliorées dans ce climat, l'asthme quelquefois. Certaines formes de la phtisie pulmonaire à la période chronique sont influencées favorable- ment dans cet air pur et fortifiant. Dans la phtisie scrofuleuse, et surtout la phtisie arthritique (fibroid phtisis), les médecins anglais recomman- dent vivement le séjour de Biarritz. Ils y envoient chaque année aussi des malades atteints d'hépatites et autres maladies contractées aux Indes anglaises et dans lee pays inter- tropicaux. Nous aussi pourrions utiliser ce climat dans les affections de ce genre contractées par nos soldats dans les colonies. Les médecins anglais qui ont une grande expérience de notre climat de Biarritz le vantent comme un excellent séjour d'hiver pour les goutteux. Ainsi le D'' Burning-Yeo, le grand climatologiste, dit en propres termes que le climat de Biarritz est le climat antigoutteux par excellence. En effet, l'analyse chimique m'a prouvé également que l'acide urique diminue rapidement dans les urines et que l'urée augmente après un court séjour (Analyses de Campan, publiées dans mon livre). Ce climat est aussi utile dans le diabète, les affections du rein et de la vessie, où la constance et l'égalité thermique, l'air ozonique sont des éléments importants du traitement. Ce climat est toutefois contre-indiqué dans le rhumatisme chronique non goutteux et les affections névralgiques aiguës. A cause des hautes pressions barométriques, le bord de la mer et Biarritz sont très favorables aux malades atteints de lésions du cœur pour lesquels le séjour des montagnes est funeste. En résumé, Biarritz, réputé surtout pour ses bains de mer en été, doit en même temps à son excellent climat d'être rangé au nombre des plus impor- tantes stations hivernales, d'ailleurs très fréquentée et appréciée surtout par une nombreuse colonie étrangère, principalement anglaise. Dans cette station hivernale sont traitées avec avantage toutes les affections justiciables d'un climat maritime chaud, modérément humide, non sujet à des variations brusques de la température, climat plutôt sédatif, mais surtout tonique el rapidement reconstituant. Celte tonicité me parait due en grande partie à la richesse de son air en ozone. Aussi je propose d'en faire le type de stations sanitaires qu'on appellerait stations ozoniques. ROUVEIX. — TRAITEMENT DE LA KÉVRALGIE SClATlUUE 73d M. ROTJYEIX Médecin de l'Hospice de Sainl-Germain-Lembron (Puy-de-DGme). DE L'EMPLOI DES COURANTS CONTINUS DANS LE TRAITEMENT DE LA NEVRALGIE SCIATIQUE — Séance du 17 septembre 1893 — Nous savons, en électrothérapie, que le pôle positif est généralement admis comme calmant, décongestionnant; que le pôle négatif, au con- traire, est irritant et congestif. Le sens du courant a donc lui-même une action très grande, suivant qu'il sera ascendant (stimulantj ou descendant (sédatif). Sans entrer dans les détails techniques que l'on néglige trop souvent de se rappeler, sur la marche des différentes piles, leur entretien, leur résis- tance et celle que peut rencontrer le courant, toutes choses f)arfaite- ment indiquées dans les traités de physique, nous dirons seulement que le côté pratique parait un peu négligé dans les ouvrages; on a trop compté sur des instruments tout faits et devant marcher régulièrement. On ne lient pas assez compte des mille causes pouvant modifier l'inten- sité du courant ; l'influence de la température ambiante, l'usure plus ou moins régulière des éléments composant la pile, la résistance des élec- trodes, du sujet, qui est plus ou moins grande suivant les individus et peut même changer chez le même individu dans le cours d'une même séance. La peau n'a pas la même résistance sur tous les points. Tout cela pré- sente cependant une importance capitale, étant donnée la faible inten- sité du courant employé en électrothérapie. 11 faut donc être absolument sûr de son courant, pouvoir le modifier suivant le cas, changer la forme des électrodes suivant les circonstances, pour obtenir le maximum d'effet utile ; en être maître, en un mot, comme le chimiste l'est de ses réactifs. Pour se rendre compte d'une façon permanente de la constance et de l'intensité du courant, il n'y a que le galvanomètre. Lui seul, consulté régulièrement, pourra empêcher de compter sur un courant qui n'aurait pas passé! Pour l'étude qui nous intéresse, nous pouvons considérer à la névralgie 736 SCIENCES MÉDICALES sciatique deux phases bien distinctes. Et sans rentrer dans toute la symptomatologie de cette afîection, nous les indiquerons de la façon clinique suivante : 1° Une forme aiguë, caractérisée par une douleur extrêmement vive et sous forme de paroxysmes, siégeant sur un point c|uelconque du trajet du nerf sciatique. C'est pouf cette douleur extrêmement vive, qui ne laisse aucune trêve au patient, qu'il vient nous consulter. 2'' Une forme chronique, surtout marquée par l'absence de douleur vive, par la difficulté pour étendre le membre malade, par un peu d'atro- phie musculaire et surtout caractérisée par cette sensation de membre trop court et qu'accuse très bien le malade. Nous savons, d'autre part, qu'au début de la maladie il existe un état inflammatoire léger du nerf sciatique, état congestif, qui pourra consti- tuer à la longue une maladie même du, nerf, une névrite. En présence de ces deux phases de la maladie, nous nous sommes demandé si nous pouvions employer toujours le courant continu dans le même sens. M. Onimus, de Paris, a indiqué, dans une communication au Congrès de Grenoble, que les courants de la pile avaient une influence suivant leur direction et que c'était le courant descendant qui avait l'action la plus sédative. Pour les partisans de la méthode polaire, c'est encore le pôle positif qui est calmant. Il semble donc tout indiqué de placer le pôle positif sur le point douloureux, sous peine de déboires. C'est, en effet, ce que j'ai observé sur les malades chez lesquels j'ai appliqué les courants continus pour le traitement des névralgies sciatiques. Je procède de la façon suivante, pour les cas aigus caractérisés par une douleur intense. J'applique le pôle positif formé par un électrode de dimension moyenne sur le point douloureux ou sur le point d'émergence du nerf sciatique; mais le pôle négatif constitué par une lame de cuivre vient tremper dans une grande cuvette en porcelaine pleine d'eau salée tiède, dans laquelle trempe le pied du membre malade. Et, progressive- ment, je fais passer le courant, jusqu'à ce que le malade accuse une forte chaleur, mais n'éprouve pas de sensation pénible. D'habitude je commence par 5 milliampères, puis 10, puis lo, et, s'il est possible, 20 pendant quelques minutes. La durée de la séance est de quinze minutes en moyenne et la quantité d'électricité fournie, toujours contrôlée par un galvanomètre de Gaiffe. Après la première séance, il y a toujours une diminution notable de la douleur, le malade peut marcher sans soufi'rir, la douleur reparait moins forte le lendemain et, après une huitaine de séances, elle a généra- lement disparu. Mais il faut être prudent à ce moment, car souvent l'état ROUVEIX. — TR.VITKMENT DE LA NÉVRALGIE STATIQUE 737 aigu n'a pas complètement disparu et si on change le sens du courant, si l'on met le pôle positif dans la cuvette et le négatif au point d'émer- gence du nerf sciatique, la douleur reparaît plus forte, et le malade ne peut venir prendre sa séance. Il faut absolument pratiquer une in- jection de morphine, ce qui n'est plus de lélectrothérapie ; et ce n'est qu'après quelques jours de repos, pendant lesquels on aura fait quoti- diennement des injections de morphine, appliqué des pointes de feu, que le malade pourra sortir de nouveau, il faudra alors absolument reprendre les courants descendants. Puis, en tàtant de temps en temps la sensibilité du nerf, en retournant le sens du courant, on pourra être sûr de la fin de l'état aigu. Pour la seconde phase de la maladie, celle où il n'y a plus de dou- leur, mais seulement de la roideur et cette sensation de membre trop court, on n'obtient absolument rien des courants descendants, les ascen- dants seuls sont utiles, suppriment cette roideur du membre, donnent de la force aux muscles et assurent la guérison. Mais chaque fois que le malade sera repris d'une nouvelle crise névralgique, il faudra, avec un courant extrêmement faible, tâter la sensibilité du nerf, sous peine de déterminer soi-même une rechute. Or, dans aucun ouvrage je n'ai trouvé indiqué, d'une façon précise, cette marche à suivre dans l'emploi du sens du courant. Et cependant cela a une importance clinique capitale. AiHsi, dans un autre ordre d'idées, les courants descendants ne m'ont jamais donné de résultat dans le traitement de la cliorée, et les ascendants m'ont toujours, dès la première séance, donné une modification tangible. Il y a donc, au point de vue clinique, une différence très nette suivant le sens du courant, comme résultat final. Une condition importante dans le traitement de la névralgie sciatique par l'électricité est la nécessité absolue d'avoir un diagnostic précis, de ne jamais prendre une névralgie symplomatique pour une névralgie essentielle. Car l'électricité, non seulement ne produira pas d'effet curatif, mais pourra déterminer des complications qui pourront surprendre. Il faut être sur que la névralgie n'est pas symptomatique surtout d'une affection osseuse de nature tuberculeuse. Le courant électrique avance la marche des affections de nature suppurative et, dans certains cas, il pourrait servir de pierre de touche pour éclairer un diagnostic douteux. En résumé, nous pouvons affirmer que les courants descendants et le pôle positif étant sédatifs et calmants, auront leur application tout indiquée toutes les fois que nous nous trouverons en présence de l'élément douleur et d'un état aigu (hypermorbide, si je puis employer ce mol). Qu'au contraire, les courants ascendants et le pôle négatif étant stimu- lants et irritants, auront leur application dès que l'état aigu sera passé 47* 738 SCIENCES MÉDICALES et que nous arriverons à un état chronique (hypomorbide) manquant de stimulant pour arriver à complète guérison. Au point de vue clinique, c'est en tàtant la susceptibilité du nerf malade par des courants de faible intensité que l'on pourra trouver le moment précis où Ton devra changer le sens de ce courant, la disparition ou la non-existence du symptôme douleur ne donnant pas une indication assez précise. De plus, ne jamais oublier que la dimension des électrodes a une influence marquée pour la tolérance du courant; qu'avec de grands électrodes, un malade supportera plus facilement, par exemple, 10 milli- ampères qu'avec de petits électrodes. Enfin, qu'il ne faut jamais em- ployer de courants continus sans avoir un galvanomètre sous les yeux, instrument aussi indispensable en électricité que le thermomètre en clinique. M. X. AEÎfOZAI Professeur à la Faculté de Médecine de Bordeaux. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DU NÉVROME PLEXIFORWIE — Séance du 19 septembre 1892 — Dans l'étude des névromes plexiformes, le point qui a surtout préoccupé îes anatomo-pathologistes, c'est l'examen des cordons dont l'intrication est si remarquable. Ces longs filaments sont-ils vraiment des nerfs ? Ren- ferment-ils des tubes nerveux parfaits ou de simples fibres de Remak ? Sont-ils, suivant le terme consacré, myéliniques ou amyéliniques? Enfin, représentent-ils simplement des filets nerveux préexistants, mais hypertro- phiés,ou résultent-ils, au contraire, d'une production véritablement nouvelle de tubes nerveux? Telles sont les principales questions qui ont été agitées. Elles sont, à coup sûr, du plus haut intérêt, mais elles n'embrassent pas toute l'histoire anatomo-pathologique des névromes plexiformes. Dans ces singuliers néoplasmes, en effet, outre les cordons nerveux il existe, et par- X. ARNOZAN. CONTRIBUTION A l'ÉTUDE DU NÉVROME PLEXIFORME 739 fois en grand nombre, des ganglions nerveux de formation pathologique. C'est sur eux que je voudrais retenir quelques instants votre attention. Dans le cours de ma carrière médicale, j'ai eu occasion de rencontrer trois cas de névrome plexiforme, de cette variété de névrome plexiforme que Valentine Mott, Tilbury Fox et leurs compatriotes ont décrite sous le nom de pachydermatocéle. Le premier, je l'ai absolument méconnu, et avec notre confrère le D"" Prioleau (de Brives), alors interne de M. le professeur Pitres, nous l'avons décrit sous le nom de Dermalofibromes congénitaux et multiples {Annales de Dej'matologie, 1883j. Je n'y insiste pas davantage; je me borne à vous soumettre la photographie de la malade pour vous donner une idée de ce qu'était cette tumeur. Le second cas est relatif à une jeune femme, sœur de la précédente. Comme elle, elle portait au côté droit du cou des tumeurs en forme de larges plis cutanés, dont le développement datait presque de sa naissance. Opérées une première fois en 1868 par M. Denucé, et examinées par M. Démons qui les reconnut pour des névromes plexiformes, ces tumeurs avaient récidivé et formaient de lourdes masses pendantes au-devant de la poitrine. Ce n'est pas, d'ailleurs, à leur sujet que la malade était venue àThôpital, c'était pour des douleurs névralgiques et des crises nerveuses, qui avaient fini par déterminer une hémiplégie incomplète. Après un long séjour à l'hôpital, la femme Z... mourut d'une septicémie consécu- tive à un phlegmon gangreneux développé dans l'une de ses tumeurs. L'autopsie (janvier 1883) montre qu'un lien imprévu rattachait les néo- plasmes aux troubles nerveux présentés pendant la vie. Le poids des tumeurs avait fini par faire basculer en avant l'atlas et l'axis ; ces ver- tèbres et la troisième cervicale étaient considérablement usées et dé- formées. Les altérations osseuses sont d'ailleurs très fréquentes dans le névrome plexiforme : >L\I. Audry et Lacroix en font la remarque très juste dans un travail récent {Lyon médical, 1891). Dans le cas actuel, cette luxation spontanée de l'axis et de l'atlas avait amené un rétrécissement très prononcé du canal vertébral et une compression unilatérale de la région supérieure de la moelle : d'où l'hémiplégie (1). Quant aux tumeurs, leur structure était, à n'en pas douter, celle du névrome plexiforme. Mais en dehors des particularités habituelles à ce genre de lésion, nous trouvâmes à la base d'implantation une série de corps blanc nacré, à enveloppe lisse, gros comme de petites olives, ayant à peu près l'aspect de ganglions lymphatiques, mais ayant une consis- tance plus ferme. Ces corps étaient situés sur le trajet des nerfs dont ils constituaient des renflements fusi formes; ils se rencontraient surtout aux points d'entre-croisement et de bifurcation des cordons et consti- (1) L'observation sera publiée avec tous ses détails dans un Recueil d'études dermatologiques que je -ferai prochainement paraître. 740 SCIENCES MÉDICALES tuaient de véritables petites tumeurs d'aspect fibreux venant compliquer la structure déjà si complexe du névrome plexiforme. La structure de ces corps nodulaires nous arrêtera dans un instant. Quant à leur disposition macroscopique, à leur dispersion irrégulière dans le réseau nerveux hypertrophié, elle nous frappa tellement que ce sou- venir nous a permis de porter d'emblée le diagnostic dans notre troisième cas. Une jeune fille de quinze ans nous fut adressée par notre confrère et ami le docteur Lande. Elle portait à la région occipitale, au centre d'une large tache pigmentaire, une vaste tumeur plus grosse que le poing, formée par un large repli de la peau et qu'cà un premier examen on prenait facilement pour un molluscum fibreux. Mais en palpant la tumeur, on sentait courir sous les doigts une série de petits corps don- nant l'impression de ganglions lymphatiques mobiles. Leur volume va- riait de celui d'un pois à celui d'une petite noisette. Cette particularité nous éclaira immédiatement et nous fit reconnaître un névrome plexi- forme, bien qu'on ne sentit à travers la peau aucune espèce de cordons ou de paquets de cordons. M. Lande partagea cette opinion; quelques mois plus tard, il opéra avec succès la jeune fille. La tumeur était bien un névrome plexiforme, extrêmement riche en corps ganglionnaires. Outre ceux qui furent enlevés avec la masse principale on dut en énu- cléer une quarantaine, qui se trouvaient dispersés sous la peau saine à la limite de la tumeur. Nous n'avons pas la prétention de faire croire que nous sommes le premier à constater la présence de ces corps. Dès les premières obser- vations, Depaul la signalait; M. Cartaz, notre collègue, parle très explicite- ment des névromes disséminés sur le trajet des cordons nerveux (1), Mais la plupart des observations sont muettes à ce sujet; d'autres men- tionnent, sans y insister autrement, la présence de ganglions lympha- tiques; et nous nous demandons s'il n'y a pas eu erreur d'interprétation, car ces corps, nous allons le voir, ne sont rien moins que des ganglions lymphatiques. Quoi qu'il en soit, les auteurs ne parlent pas de l'impor- tance de ces corps au point de vue clinique ; or, nous croyons que la présence de petites masses dures, indolentes, mobiles au niveau de l'im- plantation d'une tumeur d'aspect molluscoïde et en dehors des régions normalement pourvues de ganglions lymphatiques est un élément considé- rable en faveur du diagnostic du névrome plexiforme. Leur non-constata- tion ne sera pas inversement une preuve que la tumeur ne mérite pas ce nom, car ces corps peuvent être peu nombreux et trop profondément enfouis pour être accessibles à la palpation. Intéressants au point de vue clinique, ces corps le sont davantage (1; Archives générales de Médecine, 1876. X. ARNOZAN. CONTniRLTION A l'ÉTUDE DU NÉVnOMK PLEXIFORME 741 encore au point de vue anatomo -pathologique. Sur des coupes histolo- giques, en effet, ils se présentent non pas comme des fibromes, non pas comme de simples hypertrophies des gaines conjonctives des nerfs, mais comme de vrais gangUons nerveux, réalisant d'une façon presque parfaite la structure des ganglions rachidiens. On y trouve, en effet, une enveloppe conjonctive, un stroma fibreux, des faisceaux de tubes nerveux dépendant des cordons qui se rendent dans ce renflement ou qui en émanent, enfin de grandes cellules nerveuses. Ces cellules, de dimensions énormes, sont tantôt isolées dans le stroma, tantôt agminées en groupes plus ou moins étendus. Mais, isolées ou groupées, elles présentent toujours les caractères suivants : chacune d'elles occupe dans la gangue conjonctive une petite loge destinée à elle seule, elle remplit à peu près complètement cette loge dont la paroi interne est tapissée d'une couche endothéliale des plus nettes; elle se rattache à cette paroi par plusieurs prolongements proto- plasmiques. Cette structure rappelle trait pour trait celle des ganglions intervertébraux. Ce sont de vrais ganglions pathologiques et les seules différences qui permettent à un observateur non prévenu de ne pas confondre des coupes provenant des deux espèces de ganglions, c'est que les pathologiques sont de dimensions beaucoup plus considérables et que leurs vaisseaux ont en plusieurs points une structure embryon- naire. Ces simples détails nous semblent ne pas être indifférents au point de vue de l'anatonne pathologique générale. Virchow a divisé les tumeurs en histioïdes et organoUles. Les premières sont celles dont la structure repro- duit simplement un tissu; tissu fibreux (fibrome); tissu graisseux (lipome). Les secondes sont celles dont la texture plus complexe arrive à ébaucher un organe de formation plus élevée, avec son tissu propre, son organi- sation spéciale et ses éléments de nutrition, le carcinome, par exemple, ou l'adénome. Mais nous ne croyons pas que, dans aucun néoplasme, la reproduction, la simulation pour ainsi dire d'un organe sain soit poussée aussi loin que dans ces corps ganglionnaires du névrome plexiforme. C'est à ce point de vue que la néo-formation d'un ganglion nerveux aussi parfait nous paraît mériter une place à part dans l'histoire des tumeurs. 742 SCIENCES MÉDICALES M. Mix RE&IAÏÏLT à Paris. LES RELIGIEUSES LAÏQUES DANS LES HOPITAUX DE MARSEILLE — Séance du i9 septembre 1892 — Les malades des hôpitaux doivent-ils être soignés par des religieuses ou par des laïques? Cette question brûlante a soulevé, depuis quelques années, bien des discussions entre les partisans de chaque système. Les infirmières laïques sont cupides et intéressées, disent les uns; elles cherchent à soutirer de l'argent aux malades; elles coûtent cher à l'admi- nistration; enfin, elles ne sont pas d'une moralité irréprochable. — Mais, en revanche, répondent les autres, les sœurs pensent plus à convertir qu'à guérir; elles sont pétries de préjugés et se refusent au progrès; de plus, elles ne reconnaissent d'autre autorité que celle de leur supérieure et tiennent pour non-avenues les observations des médecins et de la direc- tion. Enfin, elles ne servent qu'à commander, puisqu'elles ont toujours, sous leurs ordres, des infirmiers chargés des besognes les plus répu- gnantes. Sans prendre parti pour aucun camp, nous voulons simplement rappeler ici qu'il existe un troisième système (1), celui des « religieuses laïques ». On trouve, en effet, dans les hôpitaux de Lyon, des infirmières, et même quelques infirmiers, très pieux, très dévoués, peu payés (quarante francs par an), qui, malgré leur costume religieux, ne forment pas une congré- gation, ne prononcent pas do vœux, sont libres, sans supérieur religieux, et soumis à la seule autorité du médecin et du directeur. Ces créatures généreuses s'emploient à toutes les besognes, suivent la visite le cahier à la main, inscrivant les prescriptions. Certaines font les accouchements à la Charité et ont le brevet; d'autres ne craignent pas de soigner et panser les vénériennes. Enfin, elles fréquentent les cours et s'instruisent. Leur dévouement, sans cesse en action, n'a pas besoin pour se maintenir d'un serment donné à une congrégation puissante. (Voir Note I.) H) Ce système est connu dans les pays protestants sous le nom de « sœurs diaconesses ». Notre but fst de prouver ici qu'il peut également exister dans les pays latins. REGNAULT. — LES RELIGIEUSES LAÏQIES DANS LES HOPITAUX DK MARSEILLE 743 On pourrait croire tout d'abord que le caractère lyonnais, intelligent et positif dans la pratique, mais idéaliste et utopiste dans la pensée, est seul capable de réaliser une pareille institution. C'est encore à Lyon, en effet, qu'on la retrouve dans V Association des Dames veuves du Calvaire, fondée pour soigner les incurables. Parmi les membres de cette Société, les unes ne font que venir panser les malades, mais d'autres résident dans l'hospice. Et vêtues d'un costume religieux, mais sans vœu et sans maître, elles consacrent librement leur vie à soigner les plaies les plus hideuses. Enfin, elles trouvent même des filles de service qui ne sont pas payées. (Voir Note IL) Cette admirable institution n'existe actuellement qu'à Lyon; mais elle a autrefois prospéré à Marseille et il n'aurait tenu qu'à l'administration hospitalière de la conserver. On ne voit, à première vue, dans les hôpitaux de Marseille, que des infirmiers, sous les ordres de religieuses, dites Awjuslines. Seul le per- sonnel peut avoir connaissance de quelques vieilles sœurs, reléguées dans les coins des salles, dont le costume diffère de celui des Augustines et qui sont répudiées par elles. Ces derniers représentants des « religieuses laïques » de Marseille sont au nombre de cinq, mais toutes très âgées et ne donnant guère de renseignements. L'administration, ne s'étanl jamais officiellement occupée de leur existence, les archives et registres de délibération restent muets à leur sujet; aucun écrit sur une institution indifférente à tous, et tandis qu'ailleurs on rompt mille lances pour et contre laïques et religieuses, le silence s'est fait sur ces femmes qui ne voulaient appartenir qu'au seul camp de « la charité ». Cependant, en recueillant, à droite et à gauche, des renseignements, les rapprochant et contrôlant, nous sommes parvenus à reconstituer à peu près leur histoire. En fructidor de l'an XII, les sœurs Augustines furent installées solen- nellement, avec moult discours à l'appui, dans les hospices de Marseille. Elles devaient y assurer le service hospitalier. Néanmoins, par certains côtés, cela leur était difficile. Elles tenaient bien les comptes d'économat, la pharmacie, et leur supérieure, chargée de l'agence, présidait à la réception des malades et des parents, et avait réellement la direction (1). Mais, cloîtrées, elles avaient besoin d'aides et pour l'achat des provisions et pour mener les enfants aux enterrements. Je m'explique sur ce dernier point. Un usage barbare existe à Marseille : les convois funèbres y sont suivis par des théories d'enfants qui, cierge en main, chantent des cantiques (\) La tenue des comptes, puis la pharmacie, ont été par la suite attribuées à des laïques; mais la supérieure reste toujours à l'agence, réglant mille détails de gestion qni, partout ailleurs, reviennent à des laïques et ne sont pas dignes du caractère ecclésiastique. 744 SCIENCES MÉDICALES lugubres. Ainsi l'enfant, source de vie et de gaieté, joue le rôle de croque- mort! Jusqu'en I806, les hôpitaux s'entendaient avec les pompes funèijres pour faire servir les enfants trouvés à cette besogne. Cela leur rap- ' portait 70.000 francs par an. Aujourd'hui, une congrégation a pris la suite de cette affaire; elle ha- bille les orphelins en bleu et jaune et c'est chose ridicule et pitoyable que de voir passer ces pauvres petits serins (expression du peuple), la figure contrainte, les yeux baissés, les coins de la bouche tirés en bas, l'attitude humble et triste. Mais on reste indifférent, sauf les parents du mort qui s'enorgueillissent et paient d'autant mieux qu'il y a plus de serins à l'en- terrement. On s'étonne si vous vous indignez ! Mais trêve de digression. Les religieuses ne pouvaient accompagner ces enfants, et il eût été « inconvenant de les confier à des laïques ». Telle- ment la convenance est relative aux individus ; car, pour nous, la suprême inconvenance est justement la présence d'enfants aux cérémonies mor- tuaires. — Toutefois, cette raison fit accepter par les religieuses et approu- ver par l'évêque, l'innovation de l'abbé Féraud. L'abbé Féraud fut aumônier à la Charité de 1827 à 1862. Au dire de tous ceux qui le connurent, c'était un saint homme, dur à lui-même, et bon aux autres; toujours avec les malades, il ne sortait que tous les deux mois pour aller voir son frère, prêtre comme lui.. Il mourut en 1862, et voulant après sa mort, rester ce qu'il avait été durant sa vie, ignoré de tous, il brûla ses papiers, quand il sentit la fin venir. Ces détails m'ont été fournis par sa sœur, religieuse à la Charité. 11 ne reste sur lui, dans la Semaine liturgique de l'époque, qu'une ving- taine de lignes, exaltant son mérite comme prêtre. Il en eut pourtant un plus grand, celui d'avoir montré qu'on peut soigner les malades aussi bien que les sœurs, tout en restant laïque. Sans faire intervenir l'administration, mais avec son approbation tacite, il institua un ordre laïque, y accueillant parmi les filles abandonnées, toutes les âmes de bonne volonté. Il réussit. Les recrues, après un an de noviciat, pouvaient prendre l'habit solennellement, en messe dite par l'abbé Féraud. Mais il n'y avait pas le délégué de l'évêque qui reçoit le serment des sœurs : elles n'en prononçaient pas et aucun vœu ne leur fai- sait un crime de partir. Elles étaient chargées du cortège des enfants aux enterrements, de toutes les courses, des travaux les plus fatigants à la lin- gerie et à la cuisine. Enfin, elles servaient partout d'infirmières, même aux fous, même aux vénériennes ! Sous les ordres des religieuses, elles restaient toujours servantes. A première vue, c'étaient des religieuses, car elles portaient un costume composé d'une robe bleu foncé, d'un châle noir, venant se croiser, sur REGNAULT. — LES RELIGIEUSES LAÏQUES DANS LES HOPITAUX DE MARSEILLE 14o la poitrine à la mode d'Arles, d'une croix en cuivre et d'un bonnet en toile blanche, avec un cache-front et doux visières, descendant de chaque côté de la figure et s'unissant au-dessous du menton. Elles allaient tous les jours à la messe, communiaient fréquemment, mais ne faisaient que trois jours de retraite au lieu de huit comme les religieuses, car il fallait soigner les malades. On les appelait et on les appelle encore sœurs tourières, par analogie avec les religieuses ainsi nommées, qui dans les ordres cloîtrés, peuvent seules sortir et faire les commissions. Cependant elles sont bien laïques et il ne faut pas les confondre avec les véritables sœurs tourières (1) qui appartiennent à la communauté, mangent au couvent, y sont soignées par les sœurs en cas de maladie, et, mortes, sont enterrées dans leur concession. Celles que nous étudions, au contraire, reniées par la communauté, mangent au dortoir avec les infirmières laïques; malades, prennent un lit dans les salles ; mortes, vont à la fosse commune : les religieuses les rejettent, elles ne sont pas des leurs. Les religieuses laïques avaient procuré de grands bénéfices à l'admi- nistration qui les défrayait de tout, mais leur donnait seulement quatre francs par mois. Ne formant pas une congrégation, elles ne reconnaissaient comme autorité que celle de l'administration civile des hôpitaux. L'abbé Féraud les soutenait de son mieux dans leur tâche, les réunissant tous les mois et leur faisant une petite allocution : « Quand vous mourrez, leur disait-il, toutes ces saletés que vous ramassez se transformeront en une couronne d'or. » , Elles en vinrent à être quarante ou cinquante. Peu s'en allèrent et presque toutes moururent à leur poste. On n'avait quà se louer de leurs ser- vices; et aujourd'hui encore ce n'est qu'un concert d'éloges; religieuses et administration sont d'accord sur ce point. Le service était bien fait et à bon marché, que pouvait-on souhaiter de mieux? Et cependant cette institution admirable a aujourd'iiui disparu par la négligence des uns et probablement la sourde envie des autres. Dans ia séance du il avril I800, l'administration supprima l'assistance des enfants aux convois funèbres. Ce fut bien, mais on en tira une conséquence mauvaise. Les religieuses firent valoir qu'il n'y avait plus nécessité à con- server les tourières; elles se chargeaient désormais de pourvoir à tout. L'administration n'avait pas du reste à supprimer par décret les reli- gieuses laïques, car aucune délibération n'avait présidé à leur naissance. Elle n'eut qu'à laisser faire et c'est une chose à laquelle toutes les admi- nistrations excellent. (1) Larousse, dans son dictionnaire, assigne ce nom de sœur tourière à la portière; mais les reli- gieuses cloîtrées le donnent à toutes les sœurs qui peuvent sortir. 746 SCIENCES MÉDICALES L'abbé Féraud eut donc la douleur d'assister à la ruine de son œuvre ; quand il mourut, en 1862, il y avait plusieurs années qu'il n'avait plus consacré de sœurs tourières. Il ne réclama pas, ses supérieurs ecclésias- tiques lui commandèrent probablement le silence. Les tourières, n'étant plus renouvelées, disparurent peu à peu; elles fu- rent remplacées par des religieuses ou par des infirmières laïques. Ce qui aurait dû être leur sauvegarde, l'absence de supérieure, l'obéissance abso- lue à l'administration, fut précisément leur perte, car elles n'eurent per- sonne pour les défendre. Cette étude nous a paru intéressante, en ce qu'elle montre que non seule- ment à Lyon, mais partout, l'on pourrait constituer un personnel pieux et dévoué, mais non syndiqué en congrégation, reconnaissant la seule autorité du directeur et des médecins et facilement maniable. Ces reli- gieuses laïques feraient leur service fort bien, à bon marché, et avec une volonté toujours consentante; et, n'ayant les défauts ni des religieuses, ni des laïques, elles réuniraient leurs qualités. NOTES JUSTIFICATIVES I. — On trouvera des détails sur cet ordre dans le registre des délibérations- des hospices civils de Lyon, séance du 28 janvier 1880 dont il a été publié un extrait par les soins de la Commission. On y voit qu'il y a trois catégories de servantes des pauvres : n) Les novices prises parmi celles qui en font la demande à l'administra- teur-directeur, sur présentation de l'aumônier. Il y a, m'a dit réconome de FHôtel-Dieu, toujours beaucoup plus de demandes que d'admissioûs. On peut déjà faire un choix au double point de vue physique et moral. b) Elles deviennent prétendantes au bout d'une année révolue, et ont un costume spécial. Elles reçoivent un traitement de quatre-vingts francs par an et doivent fournir leurs vêtements. (Jn peut les renvoyer. c) Au bout de douze à quinze ans, elles deviennent sœurs croisées, elles portent alors une croix. On n'a le droit de les renvoyer que pour un motif grave, mais elles peuvent se retirer si elles le désirent, car il n'y a pas de vœu ; en tous cas, le directeur peut les changer de service sur la plainte d'un chef. Et l'on a souvent vu, m'a-t-ondit, des cheftaines (femmes chefs de salle) changées de service parce qu'elles ne savaient pas bien pratiquer l'antisepsie. II. —Cette œuvre a été étudiée par Maxime du Camp dansla Revue des Deux Mondes. Il y décrit les origines de l'œuvre et distingue deux catégories de dames veuves : les unes plus nombreuses qui consacrent simplement quelques heures dans la semaine pour venir faire les pansements ; les autres, qui se consacrent entièrement à cette œuvre et séjournent dans l'hôpital. A l'instar de Lyon, de nombreuses maisons ont été créées dans les autres villes. Il en existe ainsi une à Marseille. Les filles de service, comme à Lyon, sont prises à l'essai pendant un an en moyenne : après lequel on contracte vis-à-vis- d'elles, si on est satisfait de leurs services, l'engagement de ne les renvoyer GILS. — ÉTUDE DE l'ÉTIOLOGIE DES ANÉVRYSMES DE l'aORTE 747 que pour des motifs très graves. Elles font alors définitivement partie de la maison. Elles sont défrayées de tout, mais on ne leur donne aucun argent. Et cependant on trouve des filles généralement jeunes. A l'hospice de Marseille, la plus âgée n'a pas quarante ans. La directrice m'a avoué qu'elle avait cherché à Marseille de ces filles de service et qu'elle n'avait pu en trouver qui soient restées. Elles étaient toutes parties ou on avail été forcé de les renvoyer. Ac- tuellement, les filles de service vieiment toutes du Rhône ou de la Loire. Il faut remarcjuer qu'il n'y a pas là contradiction absolue avec la suite de notre récit. Les filles qui faisaient en effet le service des hôpitaux étaient soi- gneusement recrutées par l'aumônier, parmi les enfants trouvés ; il pou\ait mieux faire son choix dans un milieu qu'il connaissait. M. &ILS Médecin -Major de H" classe, à Pau. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'ÉTIOLOGIE DES ANEVRYSMES DE L'AORTE — Séance du 20 septembre 1892 — J'iii eu l'occasion d'observer quatre malades atteints d'anévrysmes de l'aorte. Les deux premiers ont succombé à un anévrysme de la crosse dont ils faisaient remonter l'origine à une chute de cheval. Chez les deux autres, la tumeur siégeait à la région abdominale et reconnaissait pour cause, d'après leurs dires, une fièvre typhoïde longue, dilïïcile, à convalescence pénible et dune durée indéfinie. Ces assertions sont-elles fondées et peut-on scientifiquement les ad- mettre ? L'étiologie des anévrysmes aortiques est généralement établie avec assez de vague pour qu'il m'ait paru intéressant d'étudier l'inlluence des causes invoquées par ces quatre malades. Il est des cas, en effet, où cette question, d'apparence purement doctrinale, présente un intérêt majeur : en médecine légale notamment. Une lésion organique développée à la suite d'un accident survenu dans un service commandé donne droit à des dédommagements spéciaux. 748 SCIENCES MÉDICALES Les règlements militaires et administratifs, la législation sur la respon- sabilité des patrons imposent parfois le problème. Cette considération suffit pour faire ressortir le côlé pratique de cette étude. ANÉVRYSMES DE LA CROSSE DE l'aORTE Le cœur, organe essentiellement mobile, exécute dans le médiastin antérieur trois variétés de mouvements : 1° Des mouvements spiroïdes autour de son axe ; 2° Des mouvements produisant le choc précordial dans le plan hori- zontal ; 3" Des mouvements verticaux. Les deux premiers genres résultent à la fois de la disposition de ses fibres musculaires et de ses fonctions ; les derniers sont dus aux con- r.exions du péricarde avec le diaphragme. Ces mouvements répondent à des dispositions anatomiques spéciales. La crosse aortique, à l'extrémité inférieure de laquelle le cœur, suivant la comparaison classique, est appendu comme une sonnette à un ressort, se trouve fixée à son sommet par les trois gros troncs qu'elle émet : tronc brachio-céphalique, carotide primitive et sous-clavière gauche dont les branches diverses, s étendant au loin dans les tissus, constituent pour elle de solides ligaments à distance qui la maintiennent en lui laissant une certaine mobilité. L'axe aortique, suivant lequel s'opèrent les mouvements du cœur, n'est pas tout entier dans le même plan. Ce n'est pas une spire, comme le ressort de sonnette auquel on l'a comparé. A son origine, en effet, l'aorte se dirige d'avant en arrière et de gauche à droite; de là, elle se coude et remonte verticalement. Son axe représente donc une ligne brisée, se continuant à sa partie supérieure par une courbe et, comme ces diverses parties sont dans des plans différents, cet axe décrit donc, en résumé, une hélice. Cette disposition angulaire de l'extrémité infé- rieure de l'axe aortique est capitale. Si elle n'existait pas, si le cœur se continuait directement avec la crosse suivant une ligne droite, c'est au point fixe supérieur, à la portion recourbée que se transmettraient les effets et dans les prolongements des carotides et des sous-clavières qu'ils se feraient sentir. Ce coude joue là le rôle d'une sorte de symphyse cardio-aortique ; il est le heu principal des mouvements du cœur autour de l'axe aortique. A l'extrémité, le levier aortique peut avoir à supporter des tiraillements, des impulsions, des pressions produisant des modifications du rayon de courbure de la crosse, portée soit en flexion, soit en extension, soit en torsion forcées et susceptibles de produire des lésions pouvant aller jusqu'à la déchirure, à l'arrachement des tuniques artérielles. GILS. — ÉTUDE DE l'ÉTIOLOGIE DES ANÉVRYSMES DE l'aORTE 749 L'extension forcée de l'axe aortique paraît, de prime abord, une vue purement théorique et mécaniquement irréalisable. En effet, le voisinage de la paroi thoracique contre laquelle le cœur vient battre à chaque pul- sation s'oppose normalement à toute distension en avant. Mais, dans une chute sur le dos, la compression de la région postérieure projette en avant la paroi antérieure que le cœur suit dans son mouvement. Cette impul- sion sera d'autant plus vive que la cage thoracique aura mieux conservé son élasticité, c'est-à-dire que le sujet sera plus jeune. Dans ces conditions, les tuniques artérielles présenteront, de leur côté, d'autant plus de sou- plesse et courront moins de risques de déchirures ou de ruptures. D'une façon générale, on peut donc estimer que la lésion de la crosse aorlifjue par extension forcée, due à une violence extérieure, est difficile à produire. Lorsque cette extension forcée se réalise, elle est contenue dans de si étroites limites qu'il paraît rationnel de la considérer comme ne pouvant guère déterminer une lésion sérieuse, La flexion forcée, dont le mécanisme est inverse, semblerait devoir se produire avec plus de facilité, par suite de l'oscillation du cœur à l'extré- mité du levier aortique. Dans toute chute, en effet, le cœur, en vertu de l'accélération, tend à se porter dans le sens de la chute. Dès que le corps touche terre, brusquement le mouvement s'arrête en pleine tension de l'arc aortique (flexion quand la chute se- fait en supination ou par pro- jection en arrière; distension quand la chute se fait par projection «n avant ou en pronation). Le cœur, par l'effet de la vitesse acquise, continue son mouvement et la flexion se force en proportion de la vitesse de chute, A cette action du pendule cardiaque vient encore s'ajouter celle de la compression thoracique résultant de l'aplatissement élastique des parois, sous l'influence du choc. Simple quand la compression ne porte que sur un seul plan, indirecte quand elle porte sur le plan dorsal, directe si elle agit sur le plan antérieur où le cœur peut être comprimé presque immédiatement; cette action est double, si le thorax se trouve comprimé à la fois sur ces deux plans opposés, par exemple, lorsque le cavalier sup- porte en tombant le poids de son cheval. Toutes les conditions se trouvent réunies pour obtenir, dans ce cas, la flexion maxima et réaliser de sérieuses lésions aortiques. Enlm, il est facile de se rendre compte que l'exagération du mouvement de torsion se produit par là projection du corps sur l'un des plans la- téraux. Les plus graves accidents et aussi les plus fréquents sont produits par les tiraillements de la crosse; ces tiraillements résultent de l'action du diaphragme sur le péricarde. Cette enveloppe séreuse repose, en effet, par sa base sur le centre phrénique auquel elle adhère intimement, surtout 730 SCIENCES MÉDICALES dans sa moitié antérieure. Elle revêt, par son sommet, la partie ascen- dante de l'aorte, dans sa moitié inférieure et oblique. Toute contraction du diaphragme doit donc produire sur l'aorte une traction d'autant plus énergique que le point d'application de la force est ici perpendiculaire à la surface, le péricarde se développant verticalement et la moitié infé- rieure de la crosse de l'aorte présentant une direction qui la rapproche sensiblement de l'horizontale. Cette traction diaphragmatique est puissam- ment renforcée par le poids des viscères abdominaux et notamment du foie et de la rate que les ligaments suspendent directement au diaphragme. Efforts violents, compression, tout ce qui tend à déplacer les organes abdominaux exerce sur l'aorte son action. Et, dans la chute, cette action sera d'autant plus marquée que le poids de ces organes aura fait sentir plus vivement sa traction. Minima dans les chutes sur le dos, plus accentuée dans les chutes sur le plan antérieur où les viscères sont refoulés par compression, elle atteindra naturellement son maximum dans le cas de chute sans projection où la précipitation se fera debout et selon la verti- cale. La section des tuniques, dans ces cas, peut être complète et la mort instantanée. Lésions. — Il est évident que ces deux mécanismes : modification du rayon et traction, ne sauraient être suivis des mêmes effets. Les lésions devront se produire au point mathématique influencé, c'est-à-dire à la jonction des portions horizontale et verticale, si elles résultent de la traction du péricarde; dans le segment sphérique de la crosse, si elles proviennent d'une flexion forcée. Dans la pratique, les deux mécanismes n'agissent jamais isolément: ils se combinent. L'interposition de l'artère pulmonaire entre les deux branches de la crosse auxquelles elle sert, en quelque sorte, de coussin élastique, dimi- nue notablement l'arc de flexion et, par suite, la facilité des lésions. Aussi, les lésions par traction, c'est-à-dire à l'angle aortique, sont-elles beaucoup plus fréquentes que les lésions par flexion, à la région curvi- ligne. D'ailleurs, une autre déterminante intervient dans nombre de cas : l'état d'intégrité des parois artérielles. Broca les a trouvées altérées dans vingt-six cas sur vingt-neuf et Chauvel neuf fois sur douze. Quel que soit le mode d'ébranlement de la crosse aortique, il est évident que, s'il y a un point athéromateux, c'est lui qui cédera le premier : c'est là que se déter- minera la lésion. Gaujot pense que l'aorte se rompt ordinairement sur la face concave et postérieure parce que c'est là, près des sigmoïdes, que les parties sont le plus minces; mais c'est aussi en ce point que siègent de préférence les plaques d'athérome. On a voulu les expliquer par le choc de la colonne sanguine; mais, à ce compte, on devrait trouver l'athérome à tous les coudes artériels et les collatérales se détachant de l'aorte à angle droit (rénales, intercostales GILS. — ÉTUDE BE l'ÉTIOLOGIE DES ANÉVRYS.MES DE L AORTE 7Sl notamment) seraient toutes athéromateuses à leur origine. Les tractions du péricarde, tendant incessamment à redresser la partie horizontale du levier aortique me paraissent expliquer d'une manière plus satisfaisante la cause du développement de l'athérome et la production habituelle des ruptures au coude formé par la portion horizontale et la portion verticale de l'aorte ascendante. En effet, dans un tube rigide circulaire qu'on essaie de rendre rectiligne, c'est la partie inscrite de la paroi qui se fausse tout d'abord. De môme, dans ce redressement de l'aorte, la région du conduit la plus courte est celle qui supporte la plus forte tension, la région interne. C'est donc elle qui cédera la première. Appliquons ces données au cas spécial de cette étude. D'après les expériences de Clifton Wintringham, la résistance des parois aortiques près du cœur serait de 119 livres 5 onces anglaises; soit 44\o68 grammes. Partant de ce chiffre, il est facile d'établir les formules de vitesse de chute pouvant produire la rupture de l'aorte. Si l'on ne tient compte que de l'action du cœur appendu à l'extrémité du levier aortique, on trouve que, pour produire cette rupture, il faudrait une vi- tesse de chute de 290 mètres à la seconde. Ce chiffre correspond à une chute de plus de 4.500 mètres de hauteur et à la vitesse d'un train mar- chant à 105 kilomètres à l'heure. Il suffit à prouver combien, dans une chute ordinaire, cette oscillation du cœur en torsion ou en flexion a par elle-mêjne peu d'influence sur une artère saine. Mais, comme je l'ai dit, l'effet prédominant dans la chute est la traction des viscères abdominaux sur le péricarde par l'intermédiaire du diaphragme et cette action est maxima lorsque la chute se fait sur les pieds et suivant l'axe vertical du corps. Une vitesse de 10 mètres par seconde suffît alors pour produire la rupture d'une aorte saine (1). Or, cette vitesse est souvent atteinte tout d'abord par un cheval em- ballé. La chute sur les pieds est, il est vrai, exceptionnelle, dans ces cas, le cavalier se décrochant généralement par un mouvement de projection parabolique. La traction directe est moins vive; mais, en échange, l'aorte est soumise à l'énorme compression que détermine, sur le thorax et l'ab- domen, la chute du corps lancé du haut du cheval avec une pareille accélération. Traction, flexion, compression et torsion peuvent agir, dans certains cas, simultanément sur la courbure aortique. Il est donc rationnel d'admettre que des lésions |)lus ou moins accentuées puissent en résulter, surtout si le cavalier, par son âge ou sa constitution, a perdu la souplesse vasculaire et présente des tendances, a fortiori un commencement d'athé- rôme. (I) Ces résultats sont obtenus par la formule : V = i/^^ _ .(cgr dans laqupllo V représente la vitesse de chute; g, l'actioTi de la pesanteur; y, le poids du cœur et des viscères abdominaux; e, la hauteur de chute. 752 SCIENCES MÉDICALES Symptômes. — De même que les lésions pourront varier de la simple distension des tuniques à la section artérielle, les symptômes objectifs iront de la syncope légère à la mort subite. Dans les cas à évolution fou- droyante ou rapide (anévrysme disséquant), la liaison entre la chute et la lésion s'imposera par l'instantanéité et le développement aigu des symptômes. Mais, lorsque l'évolution sera plus lente (anévrysme mixte interne), la relation sera plus délicate à établir. On aura à rechercher le début brusque des accidents, leur continuité, leur aggravation progres- sive et ininterrompue depuis la chute invoquée comme cause. ANÉVRYSMES DE l'aORTE ABDOMINALE D'après Siredey, les ganglions mésentériques qui, à l'état sain, ne sont pas plus volumineux qu'une lentille et sont éloignés les uns des autres, acquièrent, dès le premier septénaire de la fièvre typhoïde, les dimensions d'une noisette ou d'une noix. Ils se présentent sous forme de tumeurs étalant au-devant de la colonne vertébrale de véritables chaînes gan- glionnaires. Les glandes rétro -péri tonéales sont atteintes comme les glandes mésentériques. Les mésocoliques peuvent être altérées; mais elles le sont moins souvent et moins profondément que les mésentériques dont l'alté- ration est constante. Elle est presque toujours en rapport avec celle de l'intestin grêle. On découvre souvent, à l'incision, des points jaunâtres de suppuration disséminés dans leur tissu ; mais il est très rare de trouver le pus réuni en foyer. Lebert a observé que les anévrysmes de l'aorte abdominale siègent, cinquante-six fois sur cent, au voisinage du tronc cœliaque. C'est préci- sément dans cette région que siégeaient les deux anévrysmes que j'ai traités. D'un autre côté, pour Cruveilhier, les ganglions les plus volumineux sont à l'origine de l'artère mésentérique supérieure. On les distingue en trois groupes principaux : 1° Iléo-cohques ; 2° Duodénaux; 3° Mésocoliques. Les plexus lymphatiques se rendant au canal thoracique enlacent l'aorte d'un véritable réseau. Il est logique d'admettre que l'inflammalion des ganglions entourant l'aorte et spécialement de ceux qui présentent l'inflammalion la plus vive, le groupe iléo-cohque, puisse déterminer dans certains cas, par action de voisinage, celle des tuniques de l'aorte, donnant ainsi naissance à une périartérite, à la suite de laquelle la tunique moyenne disparaît. L'artère se laisse distendre sur ce point et l'anévrysme est constitué. G. THKRMES. — LE CLIMAT d'aUGELÉS-GAZOST AU POINT DE VUE MÉDICAL 7o3 Les deux cas que j'ai observés se rapportent, l'un et l'autre, à des fiè- vres typhoïdes graves, longues, à convalescence d'une lenteur indéfinie. Dans l'un et l'autre, l'évolution du processus terminé, le rétablissement des forces ne s'est pas fait, les malades sont restés débiles, malgré leur robuste constitution antérieure et peu à peu les symptômes spéciaux se sont développés, sans que les sujets aient pu, un seul jour, se réjouir d'un retour à la santé dont rien ne semblait, au début, expliquer la lenteur. Ici, entre l'anévrysme effet et la fièvre infectieuse cause déter- minante, on ne peut saisir la moindre interruption. Depuis la fièvre, les malades ne se sont jamais remis. Cet épiphénomène de la fièvre typhoïde est rare, en somme, tandis f[ue l'inflamination ganglionnaire est constante. La cause est certaine; mais il semble qu'elle n'agisse que dans des conditions spéciales et peu ordi- naires. La suppuration du ganglion serait-elle nécessaire pour produire la périaortite ? L'observation anatomique /»o.s/ wo/*^em peut seule fournir une explication satisfaisante. Elle manque et c'est une lacune regrettable, car elle serait ici dun poids décisif. L'observation clinique révèle l'existence d'anévrysmes de l'aorle qui semblent s'être développés à la suite de la fièvre typhoïde. Une logique rigoureuse, basée sur l'anatomie et la pathologie, permet d'admettre cette étiologie avec les conséquences médico-légales qui en découlent. C'est à l'anatomie pathologique qu'il appartient de rechercher et de fixer les conditions spéciales de développement de ces anévrysmes secon- daires. M. &. THERMES à Paris. LE CLIMAT D'ARGELES-GAZOST AU POINT DE VUE MEDICAL — Séance du 20 septembre 1892 — Il y a environ deux ans, nous avons publié une notice sur le climat phy- sique ou climatotechnie d'Ârgelès-Gazost ; aujourd'hui, nous esquisserons la climatothérapie, c'est-à-dire l'action médicale, les effets curatifs de ce climat, particulièrement dans les névroses, les affections des voies respira- toires et les cardiopathies. 48* 754 SCIENCES MÉDICALES Et tout d'abord, des diverses données météorologiques, hypsométriques, orograpliiques, etc., recueillies sous notre contrôle, depuis six ans, surtout de l'action physiologique du milieu ambiant, il résulte, à notre avis, que le climat d'Argelès peut être rangé au nombre des climats mixtes. Ce n'est pas. en effet, un climat excitant, comme celui franchement stimulant et tonique du littoral méditerranéen (franco-ligurien, franco-pyrénéenj ; ce n'est pas non plus un climat sédatif, comme le climat de certaines villes du sud-ouest français, c'est un climat mixte, participant à la fois des climats sédatifs et toniques, plutôt sédatif, mais légèrement tonique, se rapprochant du climat de Pau et, peut-être mieux, de celui d'Amélie-les- Bains. Ce climat toni-sédatif, Argelès le doit, en particulier, à la pureté et à la douceur de l'air, aux vicissitudes atmosphériques peu marquées, aux variations saisonnières graduelles, à la moyenne annuelle peu élevée de la température, aux oscillations limitées de la colonne barométrique dans ses mouvements diurnes mensuels. Cette caractéristique, ressortissant, en grande partie du moins, à des circonstances topographiques locales, constitue pour Argelès- Gazost une spécialisation climatérique, s'adaptant à celle de Pau, et que le médecin, en tant qu'hygiène thérapeutique, peut avantageusement utiliser en certains cas. Qu'il nous soit permis d'appeler à cet égard votre bienveil- lante attention. Nous disons donc qu'Argelès-Gazost, par son atmosphère neutre, par sa sécheresse moyenne, sans humidité libre, par sa faible ozonisation, par le calme habituel de l'air, est un climat toni-sédatif approprié aux enfants excitables, aux vieillards réagissants, aux surmenés non épuisés et ayant des indications dans quelques maladies, particulièrement les affections nerveuses, des voies respiratoires et les cardiopathies. Examinons brièvement les ressources hygiéno-thérapiques que ce milieu offre à ces diverses catégories de maladies. 1° Névroses Les névroses, principalement la neurasthénie, l'hystérie, l'hystéro- épilepsie surtout, l'épilepsie idiopathique, récente, à crises convulsives pas trop fréquentes, la chorée, la maladie de Basedow sont amendées à Argelès-Gazost. Les malades y trouvent, avec un air pur, semi-tonique, sédatif, le changement de milieu, l'isolement relatif, le repos physique et le calme de l'esprit ; enfin, s'il y a lieu, des promenades variées et gra- duées, sans compter le massage, l'électrothérapie, les pratiques liydro- thérapiques et hydro-minérales. Ici, le climat calme l'excitabilité cérébro- spinale sans la déprimer, et, aidé de la médication balnéo-électrique, il rm %y\S G. THERMES. — LE CLIMAT D ARGELES-GAZOST AU POINT DE VUE MEDICAL iOO tend à favoriser la nutrition générale et, en dernier lieu, celle de l'élément cellulaire. Les saisons préférables sont : le printemps et Vautomne. • 2° Affections des voies respiratoires a) Rronchiles. — Les bronchitiques, même à forme arthritique et goutteuse, grâce à l'état hygrométrique de l'air, aux faibles variations de température diurnes et nocturnes d'auri/ à octobre, au voisinage médiat des forêts de pin, aux nombreuses journées ensoleillées de cette période, bénéficient du climat d'Argelès. L'atmosphère sèche, pendant l'été et une partie de l'automne, facilite la fonction de sudation, élimine, chez les arthritiques ayant eu des poussées, les sels uriques, ranime la circulation périphérique, décongestionne les viscères ; elle permet, en outre, l'exercice quotidien au grand air, lequel facilite le jeu des articulations, augmente l'activité de réduction de l'oxyhémoglobine, coïncidant avec l'amplitude plus grande de la respiration, en même temps que l'air semi-balsamique stimule, modifie les sécrétions bronchiques et diminue, apparemment, dans les bronchites microbiennes, la vitalité des bacilles variées et nocives qui existent dans les bronchites, dans les broncho-pneumonies consécutives aux maladies infectieuses, b) Asthme catarrhal. — Relevant de la névrose vaso-motrice que pré- pare l'inflammation catarrhale par les nerfs vaso-dilateurs, l'asthme catarrhal, comme les bronchites bénéficient du climat d'Argelès-Gazost ; toutefois, quand il perd son caractère humide ou muqueux et tend à n'être que l'expression symptomatique de la névrose par excito-motricité bulbaire, quand il est sec, en un mot, le climat d'Argelès-Gazost n'a plus d'indication formelle; l'asthme sec se dérobe à nos prévisions; l'individualité morbide, seule, nous instruit et nous éclaire. 11 est, en effet, des susceptibilités personnelles, des idiosyncrasies qui réclament, tantôt le climat toni-sédatif cà altitude modérée, comme celui d'Argelès, tantôt le climat sédatif de Pau et parfois, enlln, le climat tonique et excitant de la mer. c) Tuberculose pulmonaire. — En l'état actuel de la science, aucun moyen thérapeutique systématisé, qu'il s'adresse directement ou indirec- tement à l'agent pathogène, infectieux, bacillaire (R. Koch), ou qu'il vise l'état général ou, à la fois, l'état local et l'état général, ne guérii radica- lement la phtisie confirmée. Le climat, à lui seul, n'a pas non plus cette prétention ; et sans vouloir dire que, par l'un de ses éléments, l'oxygène — sans compter l'ozone — il stérilise les germes, annihile les micro- organismes primitifs ou consécutifs, affaiblit, atténue ou détruit la viru- lence de leurs sécrétions, il n'en est pas moins établi que. par son unité 756 SCIENCES MÉDICALES climatérique, par son action d'ensemble, sur le terrain plus que sur la o-raine sur le malade plus que sur la maladie, le climat tend à modifier heureusement l'état général d'abord, l'état local ensuite. Oui, ce n'est pas la tuberculose qui guérit, mais bien le tuberculeux. Et n'est-ce pas, peut-être, le cas d'appliquer au climat, aidé de l'hygiène thérapeutique, ces paroles que les vitalistes répétaient à l'occasion de la nature médi- catrice : conamen naturœ, in œgrisalutem, omni ope molientis. Pour cela il convient de faire un choix judicieux du climat, d'adapter ce climat au malade tuberculeux, à la forme de sa maladie. Ici, ce sera le climat d'altitude (Davos, Samaden, Saint-Moritz) ; là, le climat mari- time (continental, insulaire, marin) ; plus loin, les climats chauds de plaine, des bords du Nil, etc. Quoi qu'il en soit, le climat d'Argelès s'adresse plus particulièrement à la tuberculose pulmonaire semi-éréthique, avec poussées congestives, lesquelles sont fréquemment suivies d'hémoptysie, au premier et au deuxième degré, à cette tuberculose mixte ou commune (Ferrandj chez les malades à système nerveux irritable, à bronches susceptibles, à épi- sodes subaigus, s'accompagnant, matin et soir, de fièvre modérée. Il s'adresse également à cette tuberculose à la troisième période, pourvu que les tuberculeux n'aient que la fièvre vespérale, ne soient pas atteints de diarrhée et que leur état général ne soit pas affaibli. Le climat d'Argelès-Gazost est particulièrement approprié à une cure de printemps, d'été et d'automne ; non cependant que, durant l'hiver, les conditions climatériques ne soient favorables aux tuberculeux de la caté- crorie désignée — le climat d'Argelès est bon en toutes saisons, — mais les essais timides, dus à l'initiative éclairée de la veuve d'un médecin, aidée d'un petit groupe de philanthropes, bien qu'heureux et encourageants, n'ont pas encore trouvé d'imitateurs généreux. Et cependant, Falkenstein, Gorsberdof, le Vernet parlent haut et témoignent de l'influence salutaire de la vie à l'air libre, de la suralimentation, du repos, de l'exercice mo- déré et gradué. 3° Cardiopathies Lès hautes pressions atmosphériques ralentissent le cœur et abaissent la tension artérielle, tandis que les basses pressions augmentent cette tension et excitent le cœur. Les malades, atteints d'affections organiques du cœur, de cardiopathies artérielles, ainsi que les tachycardiques, sans lésions matérielles, doivent donc, en général, rechercher les stations situées le moins haut possible au-dessus du niveau de la mer. L'altitude ne doit pas, d'ordinaire, dépasser 600 mètres. Mais, à côté de l'altitude, il importe de tenir compte des effets sédatifs du chmat, plutôt que de F. BOÉ. — DU TRAITEMENT DE L.V RÉTINITE SYPHILITIQUE 757 ses effets excitants. C"est ainsi que, dans les cardiopathies artérielles, le séjour au bord de la mer produit, parfois, une excitation circulatoire pouvant être très défavorable (H. Huchard). La vallée d'Argelès est à une altitude variant de 420 à oOO mètres ; elle est à l'abri du vent et des variations trop grandes et trop brusques de température ; son climat est toni-sédatif. Aussi, les cardiopathes anoxé- miques, catarrheux, les cardio-mitraux, qui sont à la période d'hypersys- tolie ou l'ont dépassée, ceux avec tendance aux congestions, aux troubles modérés de l'hématose et tendance à l'hydropisie, les cardiopathes artério- scléreux utilisent-ils l'action toni-modératrice du climat ; ils y font, au printemps et en automne, cette cure d'air déterminant le ralentissement du pouls, une respiration plus profonde et moins fréquente, un léger abaissement de la température centrale et modifiant lentement l'altération nutritive ; ils y pratiquent, parfois, quand le cœur est compensé, la cure du terrain, proportionnée à la force du muscle cardiaque : ils y font, plus souvent, cette gymnastique musculaire par les mouvMnents actifs ou passifs, par le massage, et cette gymnastique cutanée par les frictions excitantes et stimulantes, les bains, les affusions et plus rarement les douches à l'eau sulfureuse chlorurée sodique faible d'Argelès-Gazost. Et cela, sans oublier le régime alimentaire et les préceptes d'hygiène générale et locale, inhérents au climat, préceptes si essentiels et pourtant si souvent méconnus. M. r. BOE à Paris. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DU TRAITEMENT DE LA RÉTINITE SYPHILITIQUE — Séance du 20 septembre 1892 — Obs. — Le 23 juin dernier, un malade âgé de trente-huit ans, menuisier de son métier, vint à ma clinique se plaindre que, depuis trois semaines, sa vue avait baissé ; il avait un lirouillard devant les yeuv: tout dabord je cons- tate à l'œil 2;auclie, au voisinage du bord externe et inférieur de la cornée, une trace d'une ancienne perforation ; synrchie antérieure; il y a vingt-cinq ans, le malade reçut dans l'œil un éclat de porcelaine ; l'œil resta bandé une dizaine de jours, il n'en a plus soullert depuis; pas de larmoiement, pas d'injection péri- cornéenne, pas de photophobie ; pas de douleur à la pression ; l'œil droit ne 758 SCIENCES MÉDICALES présente rien non plus à noter au premier aspect. L'œil droit est emmétrope- et son acuité visuelle égale 1, l'œil gauche est également emmétrope et son acuité égale 1/3. A l'éclairage oblique, les deux pupilles réagissent bien à la lumière et se con- tractent par le fait de l'accommodation; celle de l'œil gauche néanmoins tout autant que la synéchie qui la déforme le lui permet ; aucune trace d'irite récente ou ancienne. A i'ophtalmoscope, le fond des deux yeux s'éclaire bien, celui de l'œil droit paraît d'un rouge plus sombre que celui de l'œil gauche. L'attention est de suite attirée par l'aspect que présentent les papilles, surtout celle de l'œil droit; la limite du côté interne se laisse plutôt deviner qu'apercevoir ; toute la partie qui se trouve en dedans des vaisseaux est plus rouge qu'à l'état normal, et cette rougeur se confond avec celle de la choroïde ; si l'on suit les vaisseaux avec attention en haut et en bas, ils sont toujours bieu visibles; cependant plus on s'éloigne de la papille, plus leur contour apparaît nettement, sans qu'oa puisse cependant préciser le point où ils sortiraient brusquement de dessous un voile ; cette netteté du contour s'observe plus vite pour les branches supérieures- que pour les branches inférieures ; veines et artères ont conservé leur volume normal. Ni la région de la macula ni la périphérie du fond de l'œil ne pré- sentent rien de particulier à noter. Le malade déclare avoir contracté la syphi- lis il y a huit ans : chancre, roséole, maux de gorge, pertes de cheveux par îlots; il a pris pendant longtemps des pilules de protoiodure de mercure, pas de paralysie des muscles de l'œil; depuis un an, il est devenu sourd du côté droit. Je prescris 1 gramme d'iodure de potassium à prendre quotidiennement les huit premiers jours. 7 juillet. — Le malade lit avec difficulté la dernière ligne de l'échelle de Snellen ; il a remarqué que quand il ouvre l'œil droit après l'avoir tenu un instant fermé, il voit un rond d'un gris foncé qui disparaît quelques secondes après. — 4 grammes d'iodui-e de potassium à prendre par jour. 43 juillet. — L'acuité visuelle de l'œil droit n'est plus que de 1/3 ; celle de l'œil gauche est restée la même qu'auparavant c'est-à-dire égale à 1/3. Quand le malade voit de son œil droit le ciel à travers les feuilles des arbres, il lui paraît vert aussi bien que les feuilles; cet œil distingue toujours le même cercle et cette fois, dans ce cercle se montrent de petits points lumineux qui dansent; le cercle disparaît toujours quelques secondes après que l'œil est ouvert. Frictions mercurielles tous les jours avec 1 gramme d'onguent napolitain. 23 juillet. — L acuité visuelle de l'œil droit est complètement rétablie, elle égale 1 ; le malade lit les lettres de la dernière rangée de l'échelle; il voit encore, en fermant l'œil droit et en l'ouvrant à nouveau, un rond, mais celui-ci n'est plus d'un noir foncé, il est gris au centre, blanc à la périphéi^ie ; le ciel cesse de paraître vert vu à travers les feuilles des arbres. // août. — Le malade se plaint de ressentir, depuis cinq ou six jours, une douleur sourde à la région frontale du côté droit; il l'attribue aux frictions qu'il se fait parfois en ce point. L'acuité visuelle reste bonne. i3 août. — La douleur que ressent le malade à la région frontale est cons- tante, mais elle est légère ; elle ne s'aggrave pas pendant la nuit ; le malade a la sensation de quebiu'un qui aurait reçu un coup sur l'œil quelques jours au- paravant ; pas de gêne dans les mouvements du globe, pas de douleur en le F. BÛÉ. - — DU TRAITEMENT DE LA RÉTINITE SYPHILITIQUE 7o9 refoulant en arrière : aucune injection de la conjonctive. Je note, d'autre part, que le malade marche avec assurance, qu'il n'a jamais d'embarras de la parole, qu'il n'a jamais eu de convulsions avec perle de connaissance. Bien que l'acuité visuelle soit redevenue normale, le malade remarque que la flamme d'une bougie lui paraît plutôt rouge vue avec l'œil droit, plutôt blanche vue avec l'œil gauche. 25 août. — La veille, l'œil gauche a été touché par la main d'un de ses cama- rades en jouant : il y a eu beaucoup de larmoiement; aujourd'hui aucune dou- leur; l'œil n'est pas rouge, mais le rond sombre que le malade n'apercevait plus, déjà depuis la tin du mois de juillet, quand il ouvrait l'œil droit, a reparu dans cet œil ; l'acuité visuelle a un peu baissé ; les lettres de la dernière rangée de l'échelle ne sont plus vues aussi distinctement que les jours précédents et. fait curieux, le champ visuel, dont je n'ai pas encore parlé et sur le compte duquel je vais revenir, s'est rétréci à nouveau. 27 août. — L'acuité visuelle de l'œil droit est redevenue parfaite; celle de l'œil gauche, qui a été pendant longtemps égale à 1/3. est aujourd'hui égale à 1. Ce fait nous démontre que bien que le malade ait attiré constamment notre attention sur l'tt'il droit, l'œil gauche a été également malade; l'ophtalmoscope, dès les premiers jours de l'observation nous avait montré d'ailleurs que le côté interne de la papille présentait, quoique à un degré moindre, la même rougeur, la même absence de délimitation nette que celle de l'œil droit. L'étude du champ visuel reprise cha(iue fois que le malade s'est représenté nous a montré qu'au début il était rétréci dans les deux yeux, aussi bien du côté externe que du côté interne; puis quand l'acuité visuelle est revenue, il a repris toute son étendue dans chaque œil du côté temporal; au 31 août, il ne reste qu'un léger degré de rétrécissement du côté interne, .l'insisté encore sur ce fait singulier que la feuille périmétrique du 23 août, celle qui fut prise le lendemain du jour du traumatisme à l'œil gauche, accuse pour l'œil droit un rétrécissement plus considérable du côté interne que les feuilles du 11, du 14, du 27 et du 31 août, et de plus, que du côté temporal elle accuse également pour le même œil un rétrécissement qu'on ne retrouve pas sur les autres. 31 août. — L'état présent du malade, en résumé, est le suivant : Il reste encore un peu de rétrécissement du champ visuel du côté interne. L'acuité visuelle est excellente ; cependant, si on plonge la chambre dans une demi -obscurité, elle tombe à 1/3, tandis que moi-même je peux encore voir les plus petits caractères de l'échelle. Le fond de l'œil droit est toujours d'un rouge plus sombre que celui de l'œil gauche. L'aspect de la papille est resté !e môme. Avec le miroir plan, après avoir dilaté la pupille, je cherche en vain à découvrir, principalement dans les parties inférieures du corps vitré, les opacités fines en poussière signalées dans des cas semblables par les auteurs ; dans la région de la macula, j'aperçois de petites taches d'un jaune orange, rondes ou légèrement ovales. Je me suis trouvé évidemment en présence d'un cas de neuro-rétinite syphilitique; tout le prouve; d'abord la légèreté même des altérations de la rétine, l'héméralopie et surtout le retour rapide de la vision grâce 760 SCIENCES MÉDICALES à l'emploi du traitement spécifique. Le malade n'a d'abord qu'un simple brouillard devant les yeux ; l'acuité visuelle est encore bonne; il prend 1 gramme d'iodure de potassium pendant huit jours, elle baisse légère- ment ; il en prend 4 grammes par jour la semaine suivante, elle tombe à 1/3 ; je prescris alors des frictions mercurielles avec 1 gramme d'on- guent napolitain ; sept jours plus tard, l'acuité visuelle est revenue; je n'avais pas imposé au malade le séjour dans la chambre noire. Cette amélioration rapide a été obtenue le 23 juillet et se maintient depuis ce temps-là; la vue baissera-t-elle de nouveau? il serait difficile de se prononcer dès maintenant sur ce point; à la vérité, ni la persis- tance de l'héméralopie, ni l'aspect du fond de l'œil resté le même, ni même le léger degré de rétrécissement du champ visuel du côté interne qui s'observe encore ne nous imposent particulièrement cette réserve ; mais il faut compter avec le génie même de la syphilis qui peut amener des rechutes plus graves que la première atteinte ; et j'ai pensé qu'il convenait maintenant de faire prendre au malade 6 grammes d'iodure de potassium par jour ; j'espère qu'impuissant à conjurer le début du processus, ce remède servira à maintenir les bons effets obtenus par les frictions mercurielles. Le but de la présente communication n'est pas de faire ressortir la plus grande vertu curative du mercure dans le trai- tement de la rétinite syphilitique; on pourrait objecter que si j'avais employé une plus forte dose d'iodure de potassium, 6 grammes par jour au lieu de 4, j'aurais vu l'acuité visuelle se rétablir comme après l'em- ploi des frictions; je n'ai pas eu le temps de poursuivre cette expérience, j'ai vu que l'acuité visuelle baissait et je me suis empressé de recourir au traitement que tout syphiliographe prescrit quand la syphilis menace d'une destruction prochaine des tissus ou un organe de premier ordre, au traitement" le plus énergique, à celui dont faction est la plus prompte, au traitement par les frictions mercurielles. Sous ce rapport, mon obser- vation ne fait que confirmer le fait signalé par d'autres ophtalmologistes et notamment par M. Fôrster ; le vrai traitement de la rétinite syphili- tique est le traitement par les frictions mercurielles. L'arme est dange- reuse, mais c'est celle qui porte. Je ferai seulement remarquer combien, dans mon cas, la rétinite se trouve être une manifestation tardive de la syphilis; l'infection date de huit ans. Plus on avance dans la diathèse, dit M. Mauriac, plus le mercure doit s'effacer devant la souveraineté incon- testable de l'iodure de potassium. Tel ne paraît pas être le cas pour la rétinite spécifique. Les frictions mercurielles ont pu, chez mon malade, rétablir complète- ment, dans l'espace de sept jours, la vision déjà réduite au tiers de la vision normale ; tel est le fait que je voulais surtout mettre en relief. Voici un cas d'amblyopie de nature syphilitique et pour lequel la p_ BOK. DU TRAITEMENT DE LA RKTI.NITE SYPHILITIQUE 76i médication par le mercure n'a pas tardé à manifester son action bienfai- sante ; j'avais hésité à la prescrire et j'étais décidé, si mie amélioration <}uelconque ne s'accusait pas promptement, à la faire cesser ; celle-ci s'est accusée et comme la vue devenait meilleure tous les jours, le malade a pu continuer les frictions mereurielles six semaines durant ; il les a interrompues tout aussitôt que l'acuité visuelle est redevenue normale. Depuis longtemps les vieux maîtres nous ont appris à ne faire usage du mercure dans les affections syphilitiques du fond de l'œil qu'avec la plus grande réserve. « Il n'est pas sûr, disait de Graefe, que tous les pro- cessus pathologiques qui se présentent chez un syphilitique soient de nature syphilitique et réclament la médication spécifique. » Bien mieux: y a-t-il un commencement d'atrophie consécutive à une névrite môme syphilitique, le mercure peut aussi bien en activer qu'en retarder la marche ; c'est une arme à deux tranchants ; l'on a vu parfois après les premières frictions l'acuité visuelle baisser promptement. D'autre part, si l'on n'a pas recours à ces dernières, la cécité peut surve- nir; l'embarras est grand pour le praticien. Notre premier devoir reste évidemment d'essayer d'abord le traitement par les frictions, le traitement efficace par excellence; mais le second est de les faire cesser très vite précisément si cette efficacité reste en défaut. J'ai tout lieu de me réjouir d'avoir, dans le présent cas, appliqué la première partie de cette règle ; les frictions mereurielles ont fait promp- tement revenir une vision déjà tombée au tiers de l'acuité visuelle nor- male; elles seules ont conjuré la cécité menaçante. Je voudrais, par contre, n'avoir pas fait si longtemps usage du traite- ment mercuriel chez un autre malade qui avait eu, lui aussi, plusieurs années auparavant, des accidents spécifiques et que je présentais le mois de mai dernier, à l'Académie de Médecine. A la fin de mars 1891, ce malade perdit en huit jours la vue de l'œil droit, celle de l'œil gauche ne tarda pas à baisser à son tour; ni les frictions mereurielles, ni l'iodure de potassium ne purent, pendant plus de deux mois , arrêter le rétrécisse- ment progressif du champ visuel; non seulement ce rétrécissement n'aug- menta plus, mais encore le champ visuel s'élargit un peu lorsque j'eus renoncé complètement à cette médication et que je prescrivis le lactate de zinc. Depuis un an, la cécité n'a plus progressé ; c'est là sans doute un heureux résultat, mais ne serait-il pas meilleur encore si la médication spécifique avait fait place plutôt au traitement par le lactate de zinc? J'ai pensé qu'il pourrait être intéressant, pour l'étude du traitement des affections du fond de l'œil et des amblyopies d'origine syphilitique ^Taie ou supposée, de rapprocher deux cas où j'ai été bien loin d'obtenir avec les mêmes frictions mereurielles, les mêmes effets. 762 SCIENCES MÉDICALES M. E. lîICAISE Agrégé à la Faculté de Médecine de Paris, Chirurgien de l'hôpital Laënnec. DE LA SUTURE DES SPHINCTERS DANS L'OPERATION DE LA FISTULE A L'ANUS — Séance du 20 septembre 1892 — La fistule à l'anus est une lésion fréquente, de causes variées, d'un traitement délicat et qui récidive facilement. Elle a bénéficié des progrès accomplis dans la thérapeutique chirurgicale ; on l'exécute plus métho- diquement et on cherche à obtenir une cicatrisation plus rapide. M. Quénu, entre autres, a fait à la Société de Chirurgie (1887j une communication sur la réunion primitive dans le traitement de la fistule à Vanus. L'opération doit être faite méthodiquement, sans que l'on ait à lutter contre la contraction des sphincters et du releveur ; l'anesthésie est néces- saire et aussi l'emploi d'un spéculum ani qui étale le champ opératoire et le maintient sous les yeux de l'opérateur jusqu'à la fin. J'ai présenté en 1881, à la Société de Chirurgie, un spéculum ani qui est particuliè- rement utile dans ce cas (\). Aujourd'hui, je désire appeler l'attention sur le moyen de remédier aux inconvénients de la section des sphincters ; déjà plusieurs de ceux qui ont préconisé la suture après l'incision de la fistule anale ont fait valoir les avantages que présentait la réunion immédiate, en prévenant l'incontinence; je veux y insister particulièrement et dire que si on peut discuter sur l'utilité de la suture dans certains cas, elle doit être de règle et de nécessité q-aand les sphincters ont été incisés en partie ou en totalité. A ce point de vue, on peut distinguer les fistules anales en trois classes : La première comprend les fistules sous-cutanéo-muqueuses, dont l'opé- ration n'intéresse pas les sphincters ; il n'y a jamais d'incontinence à craindre, nous ne nous en occupons pas ici. Dans la deuxième classe se trouvent les fistules qui traversent soit le sphincter externe, soit les deux sphincters ; dans l'opération, la portion (1) NicAisE. — 1874. Des fistules ano-périnéales {Gaz. Méd. de Paris, p. 134). — M»{. Spéculum ani (Bul. Soc. Chir., p. 5G8i. E. NICAISE. — l'opération DE LA. FISTULE A l'aNUS 763 des sphincters qui est au-dessous de la fistule doit être incisée. Selon que la fistule remonte plus ou moins haut, la section des sphincters sera plus ou moins grande; s'il reste au-dessus de la fistule un anneau sphinc- térien assez considérable, l'incontinence sera évitée, au moins celle des matières solides. Dans la troisième classe se trouvent les fistules qui s'ouvrent au-dessus des sphincters, soit après les avoir traversés, soit en passant en dehors d'eux. Ici l'opération est plus grave, car on est obligé de couper toute la hauteur des sphincters et si, plus tard, ils ne se réunissent pas, il y a incontinence. Comme on le voit, celle-ci peut se présenter dans les deux dernières classes de fistules, et la chirurgie, avec sa précision actuelle, doit remé- dier à cet inconvénient. Dans ces cas, la suture, du moins celle des sphincters, est une nécessité et on devra y procéder avec soin, spécia- lement par une suture profonde, perdue, à points séparés; celle-ci sera recouverte par une suture superficielle réunissant les lèvres de la mu- queuse et de la peau. Si on n'obtient pas toujours une cicatrisation immédiate totale, la suture n'en aura pas moins été avantageuse, si on s'est placé dans les conditions d'une chirurgie antiseptique rigoureuse. Depuis que l'on applique la suture au traitement de la fistule anale, plusieurs chirurgiens ont déjà cherché à rétablir la continuité des muscles coupés. M. Gérard-Marchant, chirurgien des hôpitaux, qui est mon assis- tant dans mon service de l'hôpital Laënnec, s'est aussi préoccupé de ce point et il a appliqué cette pratique sur un malade de mon service, chez lequel se trouvait une indication nette. Il a fait deux étages de suture, une suture perdue pour les sphincters et une suture superficielle pour la peau et la muqueuse ; le résultat ra été favorable, malgré un léger écartenient consécutif des lèvres superficielles. En résumé, l'opération de là fistule anale doit être faite méthodique- ment après anesthésie, la région étant étalée par un spéculum uni. Après la section du trajet et l'ablation de la surface on devra faire une suture profonde réunissant les sections musculaires et une suture super- ficielle cutauéo-muqueuse. '64 SCIENCES MÉDICALES M. ARIS a Pau. FRACTURE DU PARIÉTAL DROIT — TROUBLES TROPHIQUES ET MOTEURS TRÉPANATION NEUF ANS APRÈS L'ACCIDENT — Séance du 21 septembre 1892 — Obs. —En juillet 1890, j'ai été appelé auprès de M"« L... par mon ami le docteur Dassieu, qui avait vu la malade pour la première fois quelques jours auparavant. M'ie L..., âgée de treize ans, a fait, à l'âge de trois ans et demi, une chute d'un deuxième étage, avec fracture du pariétal droit, ayant entraîné une perte complète de connaissance de deux heures de durée, puis un état fébrile et une suppuration de la plaie contuse du cuir chevelu pendant près de deux mois, d'après les commémoratifs. Quand les accidents aigus eurent cédé, on s'aperçut que la fillette était paralysée du côté gauche : paralysie des deux membres avec paralysie flasque du membre supérieur (le bras pendait le long du thorax et l'avant-bras était balancé pendant la marche). A mesure que l'enfant avançait en âge, on remarqua une différence de lon- gueur de plus en plus notable entre le côté gauche et le côté droit : très sen- sible au membre supérieur, moins accusée au membre inférieur. La différence la plus grande existait à la main gauche, où prédominaient les troubles trophiques osseux, ainsi que le démontrent les mensurations en longueur relevées ci-après. Depuis deux ans, la main gauche, au dire des parents, reste stationnaire (la miette gante le même numéro de ce côté) et, depuis cette même époque, un élément symptomatologique nouveau, la contracture, est survenu. Pour le membre inférieur, nous avons relevé ce fait qu'on dut réapprendre la marche à l'enfant. L'état actuel est caractérisé par des troubles trophiques très pi'ononcés des systèmes osseux, musculaire, cutané et vasculaire. A. — Les troubles trophiques osseux sont exprimés par les mensurations en longueur, dont voici le tableau comparatif : Pour la main (de l'extrémité du médius au niveau de l'interligne articulaire). — Main droite, 16 centimètres; main gauche, 13 centimètres. Avant-bras. — Différence d'un centimètre et demi. Bras. — Différence de 2 centimètres et demi environ. Fémur. — Un centimètre de différence. Tibia. — Un centimètre de différence. ARIS. — FRACTURE DU PARIKTAL DROIT — TROUBLES TROPHIQUES 765 PiirimHre thoracique. — Mensuration horizontale de l'appendice xyphoide à la ligne des apophyses épineuses : Côté droit 35 centimètres. Côté gauche 33 — «. — Les mensurations circulaires suivantes (au ruban métrique) indiquent approximativement les troubles trophiques musculaires. Mensurations de la cuisse. A 10 centimètres ( Côté droit (normal). 38 centimètres, au-dessus de la rotule. | Côté gauche .... 34 — A 20 centimètres ( Côté droit 44 — au-dessus de la rotule. I Côté gauche .... 42 — • Le pli fessier est effacé à gauche. C. — Troubles trophiques cutanés. — Rougeur érythémateuse de la peau au niveau de la partie postérieure du bras (decubitus chronicus) ; la pression, en cet endroit, détermine une décoloration de la périphérie du point comprimé avec persistance d'une zone centrale colorée à la façon d'un extravasat san- guin; la partie de la peau momentanément anémiée prend une coloration rouge vineux assez durable par action vaso-dilatatrice et paralytique des vaisseaux. Mêmes phénomènes, à un degré moindre, au membre inférieur. Apparition d'engelures, au côté gauche, chaque hiver, et, en 1888, d'une ulcération de Tépiderme et du derme qui a laissé à sa suite du tissu cica- triciel. La thermométrie locale comparative n'a pas été faite, mais il existe une réfrigération appréciable du côté gauche. Les ongles sont plus courts et sti'iés. D. — Troubles trophiques vasculair es. — Lartère radiale gauche paraît rétrécie et Fondée sanguine y est diminuée. Nous avons constaté l'intégrité de la sensibihté générale dans tous ses modes et des sens spéciaux. Les troubles de la motilité sont très importants. Au membre supérieur : 1» Parésie simple des muscles de Tépaule pour les mouvements voulus ; la malade parvient, en se renversant en arrière et à droite, à amener sensiblement le bras à la position horizontale; elle communique aussi le mouvement de flexion, presque complet, à l'avant-bras sur le bras; celui d'extension est plus limité. — Les mouvements communiqués de flexion et d'extension sont pos- sibles et ne provoquent aucune douleur musculaire ni articulaire. i" Paralysie complète des mouvements d'extension des doigts, presque com- plète de leur flexion, qui n'est possible, à un léger degré, qu'en vertu d'un mouvement associé de la main droite. En résumé, degré différent de paralysie pour les divers segments du membre supérieur : parésie à la racine du membre, paralysie à son extrémité. En outre, cette paralysie prédomine sur les extenseurs, d'où le type de flexion : 766 SCIENCES MÉDICALES le bras est appliqué contre le thorax, verticalement; l'avant-bras est fléchi à peu près à angle droit, la main est ramenée vers la ligne médiane du corps et elle présente une griffe selon une courbe régulière, sans aucun angle, et facilement réductible par l'extension communiquée. Le pouce est habituel- lement fléchi dans la paume de la main et sa dernière phalange est placée entre l'index et le médius. La main est fléchie dans son ensemble, vers le bord cubital. Il n'y a pas de rétractions musculaires, môme au biceps ; pas de contrac- ture des antagonistes : le triceps brachial ne s'oppose pas à la flexion forcée et ne durcit pas. Le biceps devient rigide quand on place l'avant-bras dans l'ex- tension; mais celle-ci est possible avec un effort moyen, un peu prolongé. Le type actuel de flexion ne remonte qu'à deux ans environ, d'après les renseignements et d'après une photographie antérieure où la fillette présente son bras en résolution musculaire et en paralysie flaccide. Au membre inférieur gauche, comme au membre supérieur, mais à un degré moindre, il existe une parésie des mouvements volontaires vers la racine du membre : la flexion et l'extension de la cuisse sur le bassin sont diminuées et engourdies ; la flexion et l'extension de la jambe sur la cuisse sont encore possibles, mais moins étendues et moins actives. La flexion volontaire du pied est nulle, ainsi que la flexion communiquée par le fait de la contracture des jumeaux et du soléaire. Le pied est à angle obtus sur la jambe et en equin valgus. Donc, pour le membre inférieur, le type d'extension est réalisé par la contracture des extenseurs. Du côté du rachis, on constate une lordose dorso-lombaire, avec scoliose commençante par action musculaire de compensation, car les ti|)ophyses épi- neuses reprennent la ligne droite dès qu'on fait coucher l'enfant à plat-venlre, les bras en croix. La claudication est manifeste. Je remarque la déviation conjuguée de la fa^ce et des yeux. La fillette porte son cou fléchi sur l'épaule gauche par suite de la contracture du sleruo-iuas- toïdien et du trapèze gauches (innervation du spinal); le menton est en rota- tion à droite et les yeux et la face regardent la lésion encéphalique (strabisme externe de l'œil droit et strabisme interne de l'œil gauche). Pas de rétractions musculaires, pas de contracture douloureuse; on peut amener la tête au contact de l'une et de l'autre épaule sans trop de difficulté et sans déterminer la moindre douleur. De môme, la rotation de la tête n'est ni rigide ni douloureuse. Ces mêmes mouvements, la fillette peut les exécuter volontairement, mais ils n'ont pas toute leur étendue ni toute leur énergie. Quand je ramène artifi- ciellement la tête de la malade vers la ligne médiane ou vers le côté gauche, elle se remet instinctivement en rotation à droite, après un moment. L'enfant peut spontanément, par un effort d'attention et de volonté, amener ses yeux soit vers la ligne médiane, soit vers l'angle opposé, mais ils ne conservent pas longtemps celte position et ils reviennent en déviation conjuguée à droite. Cette déviation conjuguée de la face et des yeux est d'APPAarnoN réceiste. Le réflexe musculo-cntané abdominal est diminué, mais non aboli, à gauche. Le réflexe musculo-cutané plantaire n'existe à gauche que pour le mouvement d'extension des orteils; la plante du pied étant rayée par l'ongle d'arrière en avant, il en résulte, du côté normal, un mouAement de flexion des orteils suivi de leur extension; la même excitation, à gauche, produit l'extension seule des orteils. ARIS . — FRACTURE DU PARIÉTAL DROIT — TROURLES TROPHIQUES '67 Le réflexe tendineux rotulien est exagéré à gauche ; il n'y a pas de trépida- tion épileptoïde. Les pupilles réagissent également bien à la lumière et à l'accommodation. ■ La malade a des mouvements associés ; ainsi les mouvements de flexion volon- taire de la main droite (côté normal) déterminent, quand ils sont énergiques, un mouvement de flexion rudimentaire de la main paralysée, et quand je fais soulever par la fillette un poids de deux kilogrammes avec sa main droite, je sens la pression de ses doigts s'accentuer sur les miens placés dans la paume de sa main gauche. L'action de se gratter avec la main droite, ou le simple bâillement, amène, du côté gauche, une flexion des doigts plus forte que l'action de lever un poids de deux kilogrammes. Pour l'extension des doigts, les mouvements associés sont nuls ; nuls égale- ment pour la flexion et l'extension au membre inférieur. Pendant le sommeil de l'enfant, la mère a vu ses doigts s'étendre jusqu'à l'extension complète, tout en s'écartant simultanément ; cette persistance des mouvements réflexes doit être rapprochée de ïabolition des mouvements voulus, par lésion de la zone psycho-motrice droite. Jamais on n'a remarqué des mouvements convulsifs ou des convulsions. Les réactions électriques des nerfs et des muscles, au faradisme et au galvanisme, sont normales pour le membre supérieur, pour le membre inférieur et pour la face et le cou. L'examen comparatif avec le côté sain a été fait, et les réactions électriques ont été soigneusement notées. 11 n'y a pas de réaction de dégéné- rescence : celle-ci a été recherchée par la méthode monopolaire avec dix milli- ampères d'intensité. Il me reste à noter Vattitude des lèvres et des joues au repos et pendant la mastication. Les aUments séjournent entre les joues et les dents, et la mastica- tion est, de ce fait, longue et difficile. La malade laisse parfois s'écouler la salive par la commissure labiale gauche, qui est la plus déclive (inertie fonc- tionnelle de l'orbiculaire des lèvres). Il n'y a pas de déviation de la langue ni de la luette. Les lèvres sont comme en ectropion, surtout l'inférieure, qui semble gonflée et allongée. Les plis verticaux sont effacés (parésie des buccina- teurs) et leur effacement donne à la bouche un aspect maussade caractéristique, de même que la déviation conjuguée communique à la physionomie une expression inmiobile et presque dure. L'intelligence est celle de la moyenne des enfants du même âge ; la fillette est simplement apathique ; ses maîtresses de classe ne la trouvent inférieure qu'au point de vue de Vattention prolongée. Son aptitude à comprendre est normale. En somme, l'intégrité relative des facultés psychiques fait contraste à l'intensité des troubles de trophicité et de la motilité. Les règles ont paru à l'âge de quatorze ans — c'est-à-dire il y a un an — pour la première fois, et depuis lors la menstruation a été normale. Le 7 août 4890, trépanation pratiquée par mon distingué confrère, le docteur Devalz, avec notre aide et celle des docteurs Dassieu et Doassans. Trois couronnes de trépan sur le trait de la fracture, dans la moitié anté- rieure du pariétal : la première couronne, en arrière, représente une mince lamelle où le diploé et les deux tables interne et externe paraissent s'être en partie résorbés ; la deuxième rondelle ressemble à celle qui est extraite la troisième et n'en diffère que par ses moindres dimensions; celle-ci est consti- tuée par un tissu osseux de formation pathologique, présentant en un de ses 768 SCIENCES MEDICALES points une épaisseur de plus de dix millimèti-es et composé d'une série de couclies superposées en stratifications convergentes vers la cavité crânienne; c'est surtout aux dépens de la table externe que se sont développés ces ostéo- phytes. Du liquide céphalo-rachidien s'étant écoulé pendant l'extraction de cette rondelle partiellement adhérente à la dure-mère, celle-ci s'est affaissée, et nous avons eu sous les yeux une excavation considérable, au fond de laquelle celle enveloppe apparaissait flottante. La pulpe de l'index s'engage librement à droite et à gauche, ainsi qu'en avant, oii elle rencontre, avec des ostéophytes qui ne compriment plus rien, la dure-mère qui leur est adhérente. En arrière de la place occupée par la rondelle postérieure, le doigt sent le contact de la masse cérébrale à travers la dure-mère qui se réfléchit sur elle. Une crise de trémulation de l'avant-bras gauche a eu lieu, sous l'anesthésie chloroformique, pendant l'opération pratiquée, d'ailleurs, selon les règles d'une antisepsie et d'une asepsie rigoureuses. Huit heures après l'opération, à 6 heures du soir, la température axillaire était 38«,6; pouls à 130. A 9 heures du soir, température axillaire, 38 degrés ; pouls à 120. 8 août. —Température axillaire, 37°,2 ; pouls à 110. iO août. — Température axillaire, 37°,4 ; pouls à 106. Le pansement antiseptique est renouvelé. 12 août. — La salive ne s'écoule plus par la commissure labiale gauche, au dire des parents, et la malade qui ne savait plus se moucher à temps perce- vrait la présence des sécrétions nasales. Les résultats éloignés de l'opération ont été nuls. APPUECIATION De l'analyse de cette observation il résulte que le traumatisme a pro- duit des lésions devenues destructives sur la plus grande étendue de la partie supérieure de la zone psycho-motrice droite, comprenant le lobule paracentral, le tiers supérieur de la frontale ascendante et les deux tiers supérieurs de la pariétale ascendante. L'hémiplégie, due à ces lésions destructives, et qui s'est compliquée tardivement (après sept ans) de dé- o-énérescence secondaire de la moelle, est permanente et incurable; la con- tracture et l'exagération des réflexes tendineux sont vraisemblablement liées à de la sclérose descendante du cordon latéral. L'absence d'anesthésie prouve que la partie postérieure de la capsule interne n'est pas inté- o ressée. La déviation conjuguée, survenue après sept ans, doit être rattachée à l'extension des lésions au pli courbe. Si elle ne se modifie pas ultérieu- rement, ce fait démontrera que, dans les lésions d'un hémisphère céré- bral, quand la déviation conjuguée existe, le malade regarde sa lésion, si celle-ci est destructive, selon la loi formulée par Grasset. L'arrêt de développement du côté gauche, contemporain du traumatisme^ dénote l'origine primitivement encéphalique des troubles de nutrition. ARIS . — FRACTURE DU PARIÉTAL DROIT — TROUBLES TROPHIQUES 769 Bien qu'on ne connaisse pas encore le siège, dans les circonvolutions, ■des noyaux des centres de trophicité, il semble que la zone psycho- motrice en possède pour les membres. Cette question des désordres trophiques et des centres de trophicité est rendue complexe par ce fait que, depuis l'apparition des con/rac/wres, l'arrêt de croissance du côté gauche semble presque définitif, ce qui indi- querait une participation secondaire de la moelle, c'est-à-dire une amyolrophie spinale secondaire. L'existence d'une ébauche de mouvement du côté paralysé en vertu d'un mouvement associé du côté sain parait reposer sur le fait anatomique de la communication, par les fibres commissurales, entre les noyaux d'origine des nerfs moteurs des deux hémisphères. La suppléance fonc- tionnelle est le résultat de la communication commissurale. A côté de l'intégrité relative des facultés intellectuelles, nous avons signalé une diminution de la faculté d'attention et l'existence de la fatigue cérébrale survenant rapidement; cela nous amènerait à penser que les centres cortico-moteurs qui président aux mouvements voulus pourraient n'être pas étrangers à la production de l'effort intellectuel volontaire, qui s'appelle l'attention ; — que si cette hypothèse de localisation cérébrale est rejetée, le cerveau droit, que nous savons capable de suppléance pour la parole et pour la pensée, nous apparaît, dans le travail intellectuel, comme un organe de renfort destiné à éviter l'épuisement précoce de son congénère. Cette observation offre le tableau symptomatologique de l'atrophie cérébrale d'origine traumatique de la zone cortico-motrice droite. Nous avons eu sous les yeux, avec l'atrophie de la masse cérébrale, l'agent de la compression qui a déterminé cette nécrobiose : ce sont des ostéophytes à couches superposées en stratifications dont le nombre exprime en quelque sorte l'âge de la lésion, comme les couches concentriques d'un tronc d'arbre expriment ses années. La conclusion pratique et clinique est, qu'après un traumatisme crâ- nien, il faut, si l'on veut être utile à son malade, trépaner pour lever l'agent de la compression, dès l'apparition de l'hémiplégie et des autres symptômes de compression. Lors d'une intervention tardive, on s'exposera à trouver une table interne proéminente et développée, ayant autrefois comprime, mais ne comprimant plus rien, le processus nécrobiolique se trouvant alors réa- hsé, avec le retrait parallèle de la substance nerveuse. Dans le cas actuel, le choix de la date de l'intervention ne nous a pas appartenu, puisque nous n'avons vu la malade pour la première fois qu'un mois environ avant l'intervention. 49* 770 SCIENCES MÉDICALES M. Adolphe BLOCH Ex-Médecin de l'hôpital du Havre, ancien Interne des hôpitaux de Paris, à Paris, PATHOGÉNIE DES ÉROSIONS ET AUTRES ANOMALIES DENTAIRES — Séance du 2/ septembre 1892 — Poursuivant mes recherches sur l'étiologie de certaines anomahes orga- niques, au sujet desquelles j'ai fait une première communication, en 1889, au Congrès de l'Association, à Paris (La forme du doigt et les nodosités de Bouchard), puis une deuxième en 1890, au Congrès de Limoges (Pathogî-nie des affections cardiaques de croissance et de surme- nage), je viens étudier, aujourd'hui, la pathogénie des érosions et des autres anomalies dentaires. Je pense que ces sortes de lésions, qui sont du domaine de la patho- logie interne, n'attirent pas, suffisamment, l'attention des praticiens. On néglige l'examen clinique des dents, parce qu'on croit que ce n'est pas l'affaire du médecin, et, cependant, ces organes peuvent, au même titre et pour les mêmes raisons que les autres parties du corps, présenter des anomalies, dans leur forme, dans leur structure, dans leur direction, etc. Il importe, donc, de les connaître, d'autant plus que d'autres maladies héréditaires, distinctes de la syphilis, peuvent les occasionner, ainsi que nous nous proposons de le démontrer. I Qu'est-ce que l'érosion dentaire ? Je dirai que l'érosion est un vice de conformation, et de structure, de CM-taines dents, caractérisé par un manque de substance, sur une surface et une profondeur variables. En effet: 1° la dent est malformée, parce qu'elle ne s'est pas norma- lement développée, dès le début; 2° elle présente, en même temps, une •lésion de structure, appréciable au microscope ; 3° il n'y a que certaines dents qui peuvent être érodées ; 4" enfin, il y a, par place, manque de substance. A. BLOCH. — PATHOGÉNIE DES ÉROSIONS ET AUTRES ANOMALIES DENTAIRES ~71 En réalité, l'on ne peut pas dire qu'il y ait perte de substance, pro- prement dite, car la portion de substance, qui fait défaut sur la dent, n'a jamais existé, l'altération s'étant produite, telle quelle, avant que la dent ait paru au dehors (1). Ce sont les dents permanentes qui, généralement, se trouvent affec- tées d'érosions, et parmi elles, l'on remarque, surtout, les premières grosses molaires, puis les canines, les incisives elles petites molaires. Quant aux deuxièmes et troisièmes grosses molaires, elles en sont tou- jours exemptes. Les dents de lait présentent, plus rarement, ce genre d'altération, que j'ai cependant rencontré, au plus haut degré, chez un enfant de deux ans, qui n'était pas syphilitique, et qui n'avait jamais eu de convulsions. Voyons les caractères principaux de l'érosion : L'aspect extérieur de la dent diffère, suivant que la lésion siège sur la couronne même, ou à son extrémité. 1" Dans le premier cas, l'érosion peut être arrondie ou linéaire. a) Si elle est arrondie, elle se montre sous la forme d'excavations, plus ou moins étendues en surface et en profondeur, et dont le-j bords, nettement limités, sont ordinairement taillés à pic. Il y a de ces cavités qui ne se révèlent que par un simple pointillé, n'intéressant qu'une très petite épaisseur de l'émail ; d'autres sont plus grandes qu'une tête d'épingle, et peuvent entamer toute l'épaisseur de l'émail, jusqu'à l'ivoire (éî'osiom en cupules) ; d'autres, enfin, sont beaucoup plus larges et peuvent même envahir une partie de l'ivoire (érosions en nappe) . En somme, ce sont des espèces d'entailles creusées dans le tissu de la dent, comme par un emporte-pièce. (On peut évidemment reconnaître la pro- fondeur des érosions au moyen d'un stylet de trousse ; mais, au point de vue purement clinique, cet examen n'est pas indispensable.) Le fond de ces cavités, qui sont plus ou moins nombreuses, est presque toujours noirâtre, et quand elles siègent sur la face antérieure des incisives mé- dianes supérieures, celles-ci ont, absolument, l'aspect d'une pièce d'un jeu de dominos. Cette coloration noirâtre des anfractuosités est due à un dépôt particulier que laissent les aliments solides ou liquides, qui passent dans la bouche ; on peut facilement l'enlever, mais il se reproduit aussi très vite. Il n'a aucun rapport avec la carie dentaire. Quant au reste de la dent, il est souvent jaunâtre. Il y a encore une variété d'érosion, qui se rapproche des précédentes, mais dans laquelle l'excavation n'est pas taillée à pic ; elle va, au con- traire, en diminuant à sa circonférence, sous forme de godet. C'est l'érosion en facettes. b) Les érosions linéaires forment une raie ou un sillon transversal, (1) Il va sans dire que la carie dentaire ne rentre pas dans cette élude. 712 SCIENCES MÉDICALES entourant complètement la couronne, à peu de distance de son extrémité libre; c'est une espèce d'étranglement circulaire delà surface externe de la dent, qui, tantôt est unique, tantôt multiple. Ainsi, il peut y avoir trois sillons superposés (sillons en escaliers ou en étages), entre lesquels l'émail forme une légère saillie. Leur profondeur varie suivant les cas ; même, chez certains sujets, l'émail n'est déprimé que très superficielle- ment, de sorte que la surface de la couronne n'en est que sensiblement peu modifiée, 2" Lorsque l'érosion occupe l'extrémité de la dent, celle-ci est encore plus malformée que dans le cas précédent. Considérons d'abord une petite ou une grosse molaire. a) La lésion occupant la face triturante de la dent, les saillies naturelles de cette extrémité se trouvent modiliées, et, à leur place, l'on remarque des pointes plus ou moins aiguës, ou de petits tubercules arrondis, entre lesquels se voient des anfractuosités traversant l'émail, dans une épaisseur plus ou moins grande. Lorsque l'érosion, au lieu de rester limitée à l'extrémité même de la dent, empiète sur le corps de la couronne, on observe une démarcation très nette, entre la partie érodée et la partie saine, en sorte que la première paraît emmanchée dans l'autre, comme dans une virole, parce qu'elle est beaucoup plus étroite que le reste de la dent. b) Quand les érosions se présentent au bord hbre d'une incisive, elles affectent plusieurs formes différentes suivant les sujets. Dans les cas les plus simples, on ne remarque qu'une petite entaille en forme de V. D'autres fois, les découpures sont plus nombreuses, et l'inci- sive offre, à son bord libre, de petites aspérités dont la réunion constitue ce que l'on appelle la dent en scie. Lorsque la partie érodée s'étend sur le corps de l'incisive, celle-ci paraît atrophiée à son extrémité, où elle n'offie qu'une lame mince de tissu dentaire, extrêmement fragile; d'autres fois, l'on y remarque des petites pointes verticales, plus ou moins épaisses, qui représentent une sorte de moignon qu'on dirait enchâssé dans le reste de la dent. C'est ainsi qu'apparaît l'incisive au sortir de son alvéole; mais au bout d'un certain temps, le moignon est modifié par des actions physiques (chocs, frottements réitérés), ou par des actions chimiques (salive, ma- tières introduites), et finalement, on peut la voir s'émietter et se détacher par petites parcelles. C'est alors que l'incisive présente, à son bord libre, une échancrure semi-lunaire, limitée par un bourrelet saillant d'émail. Outre cela, elle n'a pas son volume normal; elle est beaucoup plus petite que d'ordinaire, dans son ensemble, et sa forme n'a pas non plus celle des incisives saines. Les médecins anglais l'ont comparée à un tournevis^ parce que la dent est souvent élargie à son extrémité voisine de la gen- A. BLOCH. — PATHOGÉME DES ÉROSIONS ET AUTRES ANOMALIES DENTAIRES 113 cive, et rétrécie, au contraire, à son bord libre. Cette dent ainsi altérée,' qui est souvent aussi déviée en dedans, s'appelle la dent cf Hutchinson, que ce médecin considère comme patbognomonique de la syphilis héré- ditaire. La canine peut aussi être atrophiée à son sommet ou présenter une entaille en forme de V. Enfin, l'on peut rencontrer, sur une même dent, plusieurs espèces d'érosions, et celles-ci sont parfois tellement étendues qu'elles rendent la dent méconnaissable. Un auteur anglais a dénommé cette dernière : dent en gâteau de miel. M""*" Sollier a appelé l'attention sur une variété de sillons, qu'elle a souvent remarquée chez les idiots, outre les érosions, et qu'elle appelle sillons longitudinaux, pour les distinguer des autres sillons qui sont tou- jours transversaux. Ils correspondent, dit-elle, à une encoche séparant en trois tubercules le bord libre de la dent. Mais au bout d'un certain temps, crénelures et sillons doivent disparaître par le fait du développement de la dent, et leur persistance est un arrêt de développement (1). En effet, au moment de l'éruption, dit M. Magitot (2), les incisives sont surmontées de trois saillies très nettes, très accusées. J'ai aussi observé ces sillons qui se montrent, particulièrement, sur la face antérieure des incisives médianes supérieures ; mais 1 email ne paraît pas lésé, il est simplement déprimé. Tels sont les caractères que présente l'érosion sur la face antérieure ou labiale de la dent ; mais on retrouve, également, les mêmes lésions sur la face opposée ou linguale de l'organe. Il nous reste maintenant à mentionner un caractère essentiel de l'éro- sion en général, qu'il faut connaître pour se rendre compte de la patho- génie de cette affection. Il consiste dans ce fait que la lésion n'est jamais isolée à une seule dent, comme la simple carie, mais qu'elle occupe, toujours et simultanément, les dents homologues d'une même mâchoire ou des deux mâchoires ; ainsi, lorsque l'une des incisives mé- dianes supérieures est érodée, l'autre l'est aussi. En outre, l'érosion est située à la même hauteur, et offre la même configuration sur chacune de ces dents. Dans la définition que nous avons donnée du terme érosion, nous avons parlé d'une anomalie de structure. En effet, l'émail et l'ivoire pré- sentent des altérations anatomiques que l'on constate au microscope (glo- bules dentinaires de l'ivoire). Mais il existe de ces perforations spontanées, que l'on remarque sur l'émail, et au niveau desquelles il n'y a pas né- cessairement d'altération de l'ivoire, comme l'a démontré M. Magitot; (1) A. Sollier, De l'état de la dentition chez les enfants idiots et arriérés, (thèse de Paris, 1887.) (2) Magitot Traité des anomalies du système dentaire et article Dent du Dict. encycl. 774 SCIENCES MÉDICALES nous les avons, cependant, rangées au nombre des autres érosions, car elles se montrent, aussi, avant l'éruption des dents, et leur pathogénie est celle de l'érosion. Quant aux dents érodées, elles sont non seulement malformées, mais elles sont aussi plus petites qu'à l'état normal ; il y a donc en même temps anomalie de volume. Les autres espèces d'anomalies dentaires, sont les anomalies de nombre, de forme, de nutrition, d'éruption, de volume, de direction, de siège et de coloration. Nous dirons quelques mots des principales d'entre elles, car les anomalies des dents, quelles qu'elles soient, ont la même origine que les érosions, et elles se combinent souvent avec ces dernières. Anomalies de nombre. — Le nombre des dents peut dépasser la normale, par suite de la présence de dents surnuméraires. Dans d'autres cas, au contraire, il y a moins de dents, à cause de l'absence de certaines d'entre elles, comme les incisives latérales supérieures ou les dents de sagesse. Anomalies de forme. — Les dents sont plus ou moins transformées. Ainsi les canines ne sont pas pointues et les incisives ne sont pas aplaties; d'autres fois, l'organe est tout à fait difforme, à ce point que l'on ne reconnaît plus le type primitif auquel il appartient. (Parfois, d'après Magitot, certaines dents, comme les petites molaires permanentes, se trouvent malformées, parce que les molaires temporaires, qui les avaient précédées, avaient occasionné, du côté de l'alvéole et des gencives, des lésions inflammatoires dont le follicule sous-jacent avait subi le contre- coup.) Anomalies de l'éruption. — L'éruption précoce, comme l'éruption tar- dive, a été remarquée par tous les médecins. L'une et l'autre sont dues à la même cause, c'est-à-dire à une maladie héréditaire, qui a troublé le développement régulier des organes (1). De tout temps aussi, on a signalé la présence d'une ou plusieurs dents chez le nouveau-né. J'ai, moi-même, observé un enfant qui, à sa naissance, avait une dent incisive parfai- tement visible et appréciable; 11 n'y avait eu aucun cas semblable dans la famille, mais la mère avait été atteinte de scarlatine, vers le huitième mois de la grossesse. La fièvre, et la maladie elle-même, avaient, sans doute, hâté la calcification de cette dent chez le fœtus, mais il faut ajouter que le père était atteint de nervosisme. Anomalies de volume. — Certaines dents peuvent être beaucoup plus (i) Notons que dans beaucoup d'anomalies organiques il peut y avoir tantôt excès, tantôt défaut de développement; c'est l'évolution qui s'est trouvée déviée soit dans un sens, soit dans un autre; mais les deux extrêmes, malgré leur contraste, ont la même origine. De même, dans les névroses, il y a tantôt augmentation, tantôt diminution de la sensibilité; c'est le juste milieu qui n'a pu être conservé pendant le développement du système nerveux, avant ou après la naissance. Du leste, anomalies organiques et névropathies sont sœurs, et proviennent, fréquemment, d'une seule et même cause, qui est l'hérédité morbide dissemblable. A. BLOCH. — PATHOGÉNIE DES ÉROSIONS ET AUTRES ANOMALIES DENTAIRES "75 grosses ou beaucoup plus petites que d'ordinaire. De là, deux espèces d'anomalies de volume, lorsque les extrêmes sont très prononcés : le géantisme et le nanisme. Ce sont, surtout, les incisives médianes supé- rieures que l'on voit extraordinairement développées, dans certains cas. au lieu que, dans d'autres, ce sont les incisives latérales qui présentent la diminution de volume. Anomalies de direction. — Rien de plus fréquent que de voir des indi- vidus dont les dents supérieures font saillie en avant : c'est ïanléversion de l'arcade dentaire, et seulement de la partie qui supporte les incisives et les canines. Le maxillaire supérieur conserve généralement sa direc- tion normale, mais dans quelques cas, la région incisive de cet os est également projetée. D'autres fois, l'arcade dentaire est déviée en arrière (rétroversion). Parmi les anomalies de direction, il faut citer, encore, Vinclinaison latérale, la rotation sur l'axe, les accidents occasionnés par l'éruption •de la dent de sagesse (Magitot). Anomalies de coloration. — Les dents n'ont pas toujours leur colorar tion normale, indépendamment des agents chimiques qui peuvent la modifier. Il y a des dents qui sont jaunâtres, surtout à la partie voisine de la gencive, au lieu d'être normalement d'un blanc nacré, homogène ; malgré tous les soins de propreté, cette teinte jaune persiste et elle coïn- cide fréquemment avec un dépôt de tartre qui est aussi de couleur jau- nâtre et qui se reproduit ultérieurement, si on l'enlève. Il est évident qu'il y a, là, une disposition morbide du sujet à fabriquer du tartre, et qui ■n'est pas toujours due à une altération de la salive ou à des fermenta- tions buccales. On voit quelquefois, sur la dent, certaines taches ou des zones de cou- leur différente, ou encore des sillons blanchâtres transversaux, alternant avec des zones plus transparentes. Enfin, il y a des dents dont la coloration est d'un blanc laiteux ou •d'un blanc bleuâtre, qui indique des imperfections de structure ou des modifications dans leur composition chimique, etc. La friabilité est un caractère qui se rattache à ces sortes d'anomalies. Les diverses anomalies que nous venons de passer en revue sont sou- vent associées entre elles ; elles sont, fréquemment aussi, accompagnées de •malformations des maxillaires supérieurs ou inférieurs ; quelquefois même, certaines de ces anomalies sont dues à des vices de conformation des mâchoires. Ainsi, lorsque le nombre des dents est au-dessous de la normale, l'anomalie peut être due à l'étroitesse de Tarcade correspon- dante, dont le diamètre transverse est diminué (atrésie du maxillaire), ce qui se remarque, surtout, à la mâchoire supérieure. D'autres fois, la for- anule dentaire égale bien 32; mais, en raison de l'étroitesse de l'arcade, 776 SCIEÎNCES MÉDICALES les dents sont trop serrées, et empiètent les unes sur les autres, en pre- nant toutes sortes de directions vicieuses. Par opposition, l'arcade dentaire peut être trop large, et l'on comprend que les dents, se trouvant trop écartées les unes des autres, laissent des vides considérables entre elles. Enfin, une moitié latérale d'une mâchoire peut être plus développée que celle du côté opposé, d'où l'asymétrie des maxillaires. II Les médecins, qui ont particulièrement étudié les érosions dentaires, les attribuent aux maladies suivantes : Hutchinson (1) et Parrot (2), à la syphilis héréditaire exclusivement; Magitot (3) et ses élèves, aux convulsions de l'enfance; Fournier (4), à la syphilis héréditaire principalement, mais en admet- tant que les malformations dentaires sont des lésions banales, communes, susceptibles de dériver de causes multiples et diverses. Enfin, M""^ A. Sollier (3), en 1887, a signalé et étudié, chez les idiots, des anomalies dentaires que son maître, Bourneville (6), avait déjà fait connaître, en partie, dès l'année 1862. Suphilis. — La syphilis héréditaire est certainement une cause de malformations dentaires, et les observations si précises de Fournier ne laissent aucun doute à cet égard. Du reste, une maladie si variée dans ses localisations et dans ses lésions, soit pendant la vie intra-utérine, soit après la naissance, ne pouvait pas épargner le système dentaire. Mais, à l'exemple de Fournier, j'ai rencontré des individus, porteurs d'érosions dentaires, qui, malgré cela, furent atteints de syphilis acquise, bien manifeste. Il faut donc admettre que ces érosions n'étaient sûrement pas de nature syphilitique, car elles auraient dû procurer l'immunité à ceux qui les possédaient, en les préservant d'une nouvelle syphilis. Ce fait, à lui seul, prouve déjà, que la syphilis n'est pas la seule cause d'érosions. Bien plus, on a signalé l'érosion dentaire chez certains ani- maux, comme le bœuf et le chien. Ainsi, M. iMagitot, en 1881, a présenté au Congrès de Londres une (1) Hutchinson, É cylindre de terre comprimée. Un petit disque obturateur en acier avec intercalation d'une rondelle de cuir ferme le Fig. 1. sommet du piston et reçoit l'extrémité d'une vis de pression faisant partie d'un levier de 50 centimètres et fixée à 10 cen- timètres du point d'oscillation. L'extrémité du levier reçoit un poids de 20 kilogrammes; la pression exercée sur la tête du piston est de 100 kilogrammes (fig. 2). Un réservoir d'air comprimé consistant en une cloche de verre immergée dans un bocal sous une colonne d'eau de 20 centimètres communique HOUDAILLE ET SEMICIION. — PERMÉABILITÉ ET DIVISION DES SOLS 797 par un tube de caoutchouc avec le canal intérieur du piston de com- pression. L'air, chassé sous pression constante, traverse le sol, s'échappe par l'orifice inférieur et se rend par un tube de dégagement sous une éprouvette graduée remplie d'eau servant à le mesurer. Pour éviter les fuites entre le piston et le cylindre, celui-ci est fileté à sa partie supérieure et reçoit un écrou qui comprime sur le cylindre une rondelle de cuir. La partie supérieure de cet écrou est elle-même filetée et reçoit un deuxième écrou qui applique et coince contre la tige du piston un anneau de cuir. Les deux écrous étant fortement serrés à l'aide d'une clef, on obtient un joint parfaitement étanche. On peut, du reste, remar- quer qu'une légère fuite ne saurait fausser la mesure pourvu que l'air conserve à ce niveau la pression de 20 centimètres d'eau qu'il possède dans la cloche. FiG. 2. — Appareil pour la mesure de la permc5abilité des sols. Manuel opératoire. — La terre étant séchée à l'étuve à HO degrés est broyée avec précaution, puis passée au tamis de 1 millimètre. On en prend 2 grammes que l'on dépose au fond du cylindre sur une double rondelle en toile métallique. On les tasse légèrement à la main à l'aide d'un bourroir en laiton de même diamètre que le piston; on dépose au-dessus deux rondelles, de toile métallique, puis on introduit le piston de compression. Après avoir engagé légèrement les écrous de serrage, on abaisse le levier et l'on suspend le poids de 20 kilogrammes. Après quelques minutes on serre définitivement les joints à l'aide d'une clef. A ce moment, on vérifie la pression de l'air dans la cloche et, prenant en main un chronomètre à pointage, on laisse écouler 10 à 20 centimètres cubes d'air en notant la durée de l'écoulement. On obtient ainsi le débit par minute qui définit la perméabilité. RÉSULTAT DES EXPÉRIENCES Influence de la compression du sol. — La pression du sol modifie consi- dérablement la perméabilité ainsi que le montrent les chiffres du tableau suivant donnés par une terre argilo-calcaire de médiocre perméabiUté. 798 AGRONOMIE RMÉABILITÉ PRESSION ipar centimèlre carré) PERMÉABILITÉ 54cc^2 100'^ g '1^^,83 j7cc^4 125kg 2^%11 7«,33 150kg 1<=S57 4",3S PRESSION centimètre IQkg 25kg 50kg 75kg On remarquera que la perméabilité décroît rapidement pour les faibles pressions, puis plus lentement pour les pressions élevées. Cela paraît signifier que le diamètre des canaux capillaires tend à devenir invariable pour une pression suffisante. Les particules du sol se rapprochent le plus possible en prenant une position finale d'équilibre qui réduise à un minimum la capacité des espaces intraparticulaires. Ce minimum se rédui- rait à zéro dans le seul cas où les particules du sol pourraient se briser sous une pression suffisante ou bien seraient élastiques et déformables. A la pression de 100 kilogrammes par centimètre carré, on obtient des conditions de compression assez favorables qui réalisent, pour un assez grand nombre de sols, un état plus ou moins voisin du tassement maximum. Ce résultat est d'autant mieux atteint que les particules sont plus grossières. Avec les sols argileux, la limite de compression corres- pondant au tassement maximum est certainement de beaucoup supérieure à 100 kilogrammes. Quelle que soit, du reste, la valeur de cette pression limite, la mesure du débit sous pression de 100 kilogrammes donne des indications de perméabilité parfaitement comparables pour les divers sols soumis à l'expérience. A cette pression, l'écrasement des fragments de particules agrégées obtenus par le tamisage est assez bien réalisé pour que la terre comprimée extraite du cylindre ne forme qu'un bloc et pré- sente l'aspect d'une pâte très homogène. Valeurs de la perméabilité. — Les valeurs obtenues pour la perméabi- lité des divers sols mis en expérience présentent des différences considé- rables qui témoignent de la sensibilité de la méthode. Voici l'indication de quelques-uns de nos résultats. NATURE DES TERRES PERMEABILITE Sable des dunes de Palavas Sable des dunes d'Agde Sable tertiaire de Montpellier Terre dérivant d'un tuffa basaltique Terre n" 30 (Marne sableuse) Terre à vigne (formation du diluvium alpin). . Terre à vigne (succès du sulfure de carbone). . Terre à vigne (formation du Lœss) Terre à vigne (insuccès du sulfure de carbone). Plâtre fin ordinaire Terre n" 7 franche d'alluvion de l'Orb Terre d'alluvion (embouchure de l'Hérault) . . Terre argilo-marneuse (marnes bleues tertiaii'es) 600" 550" 412" 66" 37" 25" 15" Hcc G" 0 G 0' » » 4 9 3 1 3 91 53 53 39 19 HOUDAILLE ET SEMICHON. — l'ERMÉABILITÉ ET DIVISION DES SOLS 799 La comparaison de ces résultats avec ceux donnés par l'analyse i)hy- sique révèle une certaine indépendance entre la perméabilité et la pro- portion des éléments fins et grossiers. La terre n°30est en effet composée (analyse physique, méthode Schlœsing, communiquée par M. Lagatu) de 3o6 parties sable grossier et 624 parties éléments fins ; elle devrait être moins perméable que la terre n" 7 où l'analyse indique 437 parties sable grossier et o4o parties éléments fins. Or, la mesure de la perméabilité donne : Terre n^ 30 37", » Terre ii° 7 O-'sS Cette discordance apparente provient surtout de ce que les dimensions moyennes du sable grossier et des éléments fins ne sont pas indiquées par l'analyse physique et sont probablement différentes pour les lots homologues de chacune des terres soumises à la comparaison. EVALUATION DE L'ÉTAT DE DIVISION D UN SOL L'état de division d'un sol peut se définir par divers procédés. On peut «e proposer en etTet, pour le déterminer, ou bien d'évaluer le diamètre moyen des particules constituantes, ou bien le nombre des particules comprises dans un poids ou dans un volume donné, ou bien la surface totale extérieure de ces mêmes particules. Les deux premières indications peuvent être recherchées par l'emploi du microscope ou par un comptage direct ; la troisième estimation peut ■être obtenue en s'adressant à des phénomènes qui sont liés aux actions de surface . Parmi ces phénomènes on peut citer l'adhérence superficielle des gaz aux solides, la vitesse d'écoulement des fluides dans les canaux capillaires qui est liée à la quatrième puissance de leur diamètre, d'après la loi de Poiseuille. C'est à ce dernier phénomène que nous nous sommes adressés. Application de la loi de Poiseuille. — Le volume d'air v exprimé en millimètres cubes qui s'écoule au travers d'un tube capillaire de longueur/ ■et de diamètre (/, sous une pression de h millimètres de mercure, est : , hd' V z= li l l eld étant exprimés en millimètres. k est un coefficient de débit qui dépend de la valeur du frottement «prouvé par l'air sur lui-même ou contre les parois du tube. IVous avons déterminé A- pour un tube en verre de 1 mètre de long et de i milli- 800 AGRONOMIE mètre de diamètre. A la température de 25 degrés où ont été faites nos expériences, k — 551.000. En appliquant ces données au débit des n canaux capillaires de dia- mètre d constitués par les interstices du sol, nous obtenons une première équation: r = /.■ — (1) longueur du cylindre constitué par les deux grammes de terre comprimés sous la pression de 100 kilogrammes. V = débit en millimètres cubes par seconde, se déduit de la mesure de la perméabilité. /i = 14""", 7. Les inconnues sont n et d. D'autre part, on peut déterminer par expérience la sec- tion moyenne des canaux capillaires en mesurant la valeur totale des interstices du sol et la divisant par la hauteur du cylindre de terre comprimée. Cette mesure a été obtenue en, saturant, sous pression de 100 kilogrammes, deux grammes de terre introduits dans un cylindre de bronze, dont le fond est fermé par plusieurs rondelles de papier buvard et im- mergé, pendant dix à douze heures dans un godet en laiton rempli d'eau (fiQ. S). Pendant la durée de cette imbibition, la terre sèche comprimée s'affaisse lentement, le glissement des particules devenant plus facile. On doit par suite ajouter au volume d'imbibition le volume de cet affaissement pour obtenir le volume total des interstices qui existent dans la terre sèche comprimée sous 100 kilogrammes. On obtient par cette détermination une deuxième équation : FiG. 3. 7}izd'' (2> En combinant l'équation (1) avec l'équation (2) on obtient: 16Ms^ n TZ' '■Iv et d = /4£ _ / T.vl La connaissance de n et de d permet de calculer la surface latérale des canaux capillaires, s = n%dL Cette surface, dans le cas de molécules sphériques ne se touchant que par des surfaces de contact sans dimen- sions appréciables, se confond avec la surface totale extérieure des éléments parliculaires du sol. HOUDAILLE ET SEMICHON. — PEUMÉABILITÉ ET DIVISION DES SOLS 801 ]\ous avons trouvé, par cette méthode de calcul, les résultats suivants: NATURE DES TERRES n (par cciil. carré) (pour 2 giammes) 106.000 936cq 1.526.370 3.198cq 530.333.000 6't.528cq Sable des dunes de Palavas. . . 0°"°',0201 Terre alluvion sableuse de TOrb. 0""'',0051 Terre argilo-uiarneuse 0"'"',00031 Mais il faut remarquer que nous avons fait jusqu'ici plusieurs hypo- thèses qui ne sont que partiellement vériliées par l'expérience. La pre- mière consiste à assimiler la résistance à l'écoulement des espaces intra- particulaires à celle de n canaux rectilignes présentant leur dimension moyenne. La seconde est d'admettre que le coefficient de dépense de l'air écoulé au travers des canaux capillaires irréguliers du sol est le même que celui observé dans le tube de verre rectiligne qui a servi à la déter- mination de A:. Or, la résistance éprouvée par l'air dans un tube présentant des étran- glements successifs est, on le sait, notablement supérieure à celle éprouvée par l'air dans un tube uni présentant un diamètre constant égal au •diamètre moyen du tube précédent. La valeur assignée à k est donc trop grande et les surfaces des particules calculées par les formules précé- dentes sont donc plus grandes qu'en réalité. Il y a lieu d'opérer une correction et de déterminer, si possible, la valeur de k pour des subs- tances présentant des canaux capillaires de structure analogue aux interstices des sols. Contrôle et correction des résultats précédents. — Pour opérer cette correction, nous nous sommes adressés à des substances dont les sur- faces particulaires pouvaient être directement déterminées. Nos essais ont porté sur du plomb de chasse n° 12 et sur un sable à grains réguliers. Pour le plomb n° 12 la perméabilité a été mesurée sur une colonne d'un mètre de longueur contenue dans un tube de 12 millimètres de diamètre. Le poids total du plomb employé était de 792s'',9ÛO. En divisant ce nombre par le poids d'un grain de plomb (Os%022) on obtenait le nombre des grains de plomb contenus dans une colonne d'un mètre. On en déduisait le nombre des grains par centimètre cube et la valeur de leurs surfaces •extérieures dans le même volume qui s'élevait à 23'^'J,89. D'autre part, les mesures de la perméabilité et de la section moyenne des canaux capillaires dans la masse conduisent à la valeur : s =: 09'^%9. Le rapport des valeurs données par le calcul et par la mesure directe mas, résidence du gouverneur et de la troupe ; 2° Sainte-Croix, très fer- tile, située à 40 milles marins au sud de la précédente; 3° Saint-Jean, qui n'est qu'un rocher à peu près inhabité. Saint-Thomas ne produit rien, n'a que peu de terre végétale et pas d'eau douce. Chaque maison possède sa citerne particulière, assez vaste pour, à l'époque des pluies, contenir la provision de toute l'année. A l'époque de sa prospérité, Saint-Thomas s'était plus particulièrement attaché à bien s'outiller en choses de la marine : dock flottant, paient slip, char- pentiers, forgerons, voiliers, etc., etc. Aujourd'hui, l'outillage est bien resté le même ; mais, dans les chantiers déserts, l'enclume est muette et la hache ne résonne plus. A mon passage à Saint-Thomas, j'ai entendu dire qu'il était question de céder l'île ou aux États-Unis, ou aux Allemands. Je ne sais jusqu'à quel point ce racontar est vrai ; mais si l'une de ces puissances possédait Saint-Thomas, nul doute qu'elle ne transformât bientôt son admirable rade en station navale de premier ordre. La langue officielle a beau élro le danois, personne ne le parle; aussi les arrêtés municipaux sont-ils imprimés et en anglais et en scandinavien. A Saint-Thomas, on parle surtout l'anglais, le français, l'espagnol ; à Saint-Thomas, ville libre par excellence, on ne connaît aucune de ces formalités douanières, paperas- sières, encombrantes et inutiles qui devaient nous accueillir le 4 au 808 GÉOGRAPHIE matin, à l'heure même où nous jetions l'ancre dans le beau mais vaseux port de Saint-Jean-de-Puerto-Rico. Et eux aussi, les Espagnols, ont eu un beau mouvement ! Et eux* aussi, ils ont voulu posséder leur chemin de fer ! Mais, dans ce pays-là, les fonds sont toujours en baisse et la voie ferrée se traîne languissante. C'est, du moins, ce qui m'a été dit par un conducteur des travaux, M. L..., que j'ai vu à mon passage à Saint-Jean. Il faudrait certainement un volume pour parler de Puerto-Rico dans tous ses détails. Sous une administration pratique et libérale, Puerto-Rico serait une merveille. Elle en est loin. Le 5 au matin me voyait à Puerto-PIala, le seul port important que la république Dominicaine possède dans le nord de l'Ile et point d'arrivée de la voie ferrée qui, plus tard, devra aboutir à Santo-Domingo, en tra- versant le pays. Pour le moment, il y aurait 12 kilomètres de ligne, ce qui m'a paru excessif. Et, à propos de la Dominicanie, en mars dernier, il était fortement question qu'une transaction financière, impliquant virtuellement la main- mise des États-Unis sur Saint-Domingue, venait d'être passée, par l'inter- médiaire de la maison de banque hollandaise Westerndorff. Voici les faits : Tout le monde géographique se rappelle certainement l'emprunt de 700.000 livres sterling que fit, il y a quelques années, le gouvernement dominicain, ainsi que des obligations à 5 0/0 qu'il donna, en garantie de cet emprunt, aux porteurs, en partie Hollandais, Anglais et Relges. La situation financière du pays étant fort embarrassée, les obli- gataires, craignant pour leurs capitaux, formèrent une Société dont les promoteurs furent le baron d'OIgar et M, Isaacs, fils de l'ancien lord- maire de Londres. Ces directeurs auraient, dit-on, négocié leur conces- sion et transféré leurs droits à une Compagnie américaine, derrière laquelle on retrouve MM. Blaine, Mills, Gould et d'autres notabilités américaines, tous grands partisans de la création de colonies pour les États-Unis. Saint-Domingue ayant engagé tous ses revenus pour le paiement de sa dette et n'étant pas à même de tenir ses engagements, on craint que les nouveaux porteurs d'obligations dominicaines n'occupent l'île, en vertu de droits établis et sans qu'aucune nation ait à intervenir. Je ne sais jusqu'à quel pointées bruits sont fondés; je n'ignore rien de l'emprunt, ni des conditions particulières dans lesquelles il a été souscrit; je sais que M. Isaacs y est tout particulièrement mêlé et j'ai entendu parler de l'occupation de la baie de Samana par les Américains jusqu'à parfait paiement de leur créance. Mais il y a vingt ans que j'entends parler de l'annexion dominicaine par les yankee, qui, jusqu'à ce jour, se sont bornés à de petites démonstrations sans résultats. Ils semblent tâter le terrain. CAPITAINE TrUVIKR. — VOYAGE EN HAÏTI ET COLOMBIE 809 IVéanmoins, il y a certainement quelque chose sous roche, car ce n'est pas pour rien que, tout dernièrement, ils ont tenté de s'emparer du iMôlo de Saint-Nicolas en Haïti. Jusqu'à ce jour, la grande république transatlantique n'avait jamais voulu entendre parler de colonies pour son propre compte, estimant qu'il valait mieux les exploiter que les entretenir. Maintenant, il s'est formé là-bas, sur les bords de l'IIudson, un groupe colonial qui fait rapi- dement boule de neige et qui, un beau jour, fera avalanche sur les Antilles. Inutile de vous dire ce que nous y perdrons. Bien qu'ils n'y eussent aucun droit, au mépris du droit des gens, le& Américains se sont déjà établis dans l'île de La IS'avaze pour y exploiter ses phosphates. Demain ce sera sans doute à Samana qu'ils apparaîtront, puis viendra le tour du Môle-Saint-Nicolas. Engagée par ses deux extrémités, l'île sera bientôt américaine. Quant à Cuba, c'est une question de temps. Il va de soi que ce sont mes appréciations personnelles que je vous donne ici; mais j'ajoute que, tout comme pour le Congo belge, la révolte des Arabes, l'annexion du xMatabelé et de l'Ouganda par les Anglais, je ne crois pas me tromper. Puerto-Plata n'est pas un port, tant s'en faut; c'est une échancrure qui rentre un peu plus dans les terres, et c'est tout. La côte est bordée de rochers sur lesquels se voient encore de nombreuses épaves, car le navire à l'ancre à Puerto-Plata est en perdition. Lorsque la voie ferrée pénétrera plus avant dans l'intérieur et que les produits pourront arriver à la côte, à bon marché, Puerto-Plata, malgré les dangers de ses eaux, deviendra certainement un des points les plus importants de l'île. Quelques heures après avoir quitté le port dominicain, nous passions par le travers de la Pointe Isabelle où, le 6 décembre 1492, retour de , Cuba, Christophe Colomb, premier Européen, prenait terre. Enfin, le 6 au matin, nous étions au Cap-Haïtien, cette ville où, le 2 novembre 1803, le général Leclerc, beau-frère de Bonaparte, succom- bait aux atteintes de la fièvre jaune. L'histoire d'Haïti est encore trop vivace dans tous les souvenirs pour que je me permette de la retracer ici ; mais ce qu'il m'est défendu de passer sous silence, ce que beaucoup ignorent certainement, c'est que la cause première de l'insurrection générale de 1791 a été surtout les mau- vais traitements infligés par les colons à leurs esclaves. Par son commerce d'exportation, cafés et campêches, produits qui ont surtout le Havre pour destination, le Cap Haïtien est, en importance, la seconde ville de la république. Sa rade, en dedans des cayes et dans laquelle on pénètre par un étroit goulet qui passe sous les canons 810 GÉOGRAPHIE absents du fort Picolet, est sûre et accessible à toutes les calaisons. Autrefois, le Cap Haïtien et son annexe, le fort Liberté, passaient, à juste titre, pour les premiers ports d'Haïti quant à l'exportation du cani- pêche; mais les embarquements ont été si nombreux que, pour satisfaire aux demandes européennes, il faut désormais aller bien loin, bien loin, dans l'intérieur de l'île. Or, les voies de communication manquent, non pas complètement, mais elles sont si mal entretenues qu'il est, pour ainsi dire, impossible, pendant la saison hivernale, d'y faire passer les convois ■de bois. Si Haïti possédait une voie ferrée, les richesses de son sol iné- puisable seraient centuplées, car il n'y a guère que les côtes de cet admi- rable pays qui soient cultivées. A notre départ du Cap, nous faisons route directement à l'ouest et quelques heures plus tard, nous sommes à moins d'un mille de l'île de la Tortue, cette corbeille de verdure. La Tortue, la Tortue... que de souve- nirs français ce nom-là ne réveille-t-il pas en nous ! C'est dans cette île qu'en 1630, les flibustiers chassés de Saint-Christophe s'étaient établis, sous la conduite de leur chef Enambuc. C'est de cette île qu'ils partirent pour s'emparer d'Haïti, conquête que le traité de Ryswick, en 1697, consacra. Haïti, à l'époque où Colomb la découvrit, était alors habitée par une race autochtone, dont le pays s'appelait Quisqueya, c'est-à-dire pays de montagnes. A 6 heures du soir, nous passons au large de Port-de-Paix, et, à 10 heures, nous doublons le Môle-Saint-Nicolas, admirable port naturel, dont voulurent s'emparer les Américains il y a deux ans. Absolument abritée de tous les vents, la rade du Môle est une des plus belles du monde. C'est là qu'aboutit le câble sous-marin venant de Cuba et, par suite, d'Europe. Après le Môle, nous arrivons aux Gonaïves, d'où s'expédie la première qualité de café d'Haïti ; puis nous gagnons le large pour parer les bas- fonds qui obstruent l'embouchure de l'Artibonite, cette artère haïtienne navigable sur un parcours de plus de deux cents kilomètres. Nous sommes bientôt à Saint-Marc, bien connu sur le marché du Havre par ses cafés et ses cotons, et, au jour, nous jetons l'ancre sous le fort l'Ilet, dans la rade de Port-au-Prince. Vue du large, la ville paraît immense. Elle part du bord de la mer et va, s'étageant insensiblement, jusqu'aux premiers contreforts des mon- tagnes de l'est. Les maisons, presque toutes en bois, n'ont qu'un étage ; les rues sont larges, droites, tirées au cordeau, et se coupant à angles droits. Malgré leur état de malpropreté, malgré les flaques stagnantes d'eaux verdàtres sur lesquelles, de loin en loin, on a jeté un primitif pont en planches ; malgré les détritus qui s'accumulent devant toutes les portes, le pays est sain et on n'y connaît aucune de ces épidémies qui CAPITAINE TRIVIER. — VOYAGE EX HAÏTI ET COLOMBIE 811 désolent ordinairement les pays tropicaux. La fièvre elle-même n'y fait que de bien rares apparitions. Aux mois de janvier et de février, les nuits sont très fraîches et la cou- verture se laisse facilement supporter. La grande chaleur commence en mai, mais alors il fait réellement chaud. Eli bien! malgré l'état de trans- piration continuelle où l'on est, malgré les 30 ou 3'i degrés centigrades qu'indique presque toujours le thermomètre de votre chambre, la chaleur est beaucoup plus supportable que celle que nous subissons en juillet et août en France. En Haïti, la chaleur est forte, c'est indéniable, mais elle ■est sèche ; on ruisselle de toutes parts, c'est encore vrai ; au bout d'un quart d'heure, la chemise est réduite à l'état d'épongé mouillée, je ne dis pas le contraire; mais on peut aller, venir, marcher, travailler, écrire, causer, lire, monter à cheval, sans ressentir ces lourdeurs de tête, celte indolence, ce manque d'énergie que Ton éprouve pendant notre été •européen. En France, la chaleur est humide ; elle vous pénètre, vous envahit, vous enlève toute force, toute volonté, et c'est absolument forcé et sans enthousiasme que l'on se met au travail. En Haïti, la vie est facile, à bon marché, et, grâce à ses diverses alti- tudes, on y récolte presque tous nos légumes, nourriture indispensable à TEuropéen depuis longtemps absent de son pays. En mai dernier, j'avais journellement, à ma guise, à mes repas du matin, radis, artichauts frais, choux-fleurs, choux, céleri, salades, melons, etc., etc. Il est véritablement malheureux pour nos compatriotes que le gouver- nement haïtien ne revise pas l'article 7 de sa Constitution, article qui interdit à tout blanc la possession du sol, car nos travailleurs des champs trouveraient facilement, dans ce pays qui nous est si dévoué, une porte •de sortie à la misère qui les étreint en Europe. Je sais bien que la loi haïtienne se laisse facilement tourner, puis- qu'elle accorde des concessions, pour quatre-vingt-dix-neuf ans, à qui lui en fait la demande ; mais cette disposition toute spéciale n'est pas, selon moi, suffisante. Le cultivateur qui s'expatrie, et surtout celui de nos contrées, veut, avant tout, être propriétaire de sa terre. Se sentir maître chez lui, c'est l'idéal rêvé. Il veut bien travailler, mais il désire que le fruit de son travail lui reste. Il veut surtout amasser pour lui et ses descendants, aussi l'arrière-pensée que ses petits-fils pourraient être expropriés à l'expiration du terme convenu l'arrêtera-t-elle toujours dans ses projets d'émigration. Au lendemain de la prise d'armes des noirs, en 1804, l'article 7 de la Constitution haïtienne avait certainement sa raison d'être, alors qu'on pouvait encore craindre l'invasion blanche; mais aujourd'hui, cette disposition particulière n'est plus que de la routine à mettre au rancart ; elle disparaîtra avant peu. 812 GÉOGRAPHIE Quant à la population, en général, elle est bonne, honnête, charitable,, et, ainsi que je l'ai déjà écrit dans quelques journaux, l'hospitalité haï- tienne n'a rien à envier au pays d'Ecosse. N'était la politique, Haïti serait un véritable paradis terrestre. Mais... il y a la politique. Que de pays européens ressemblent à Haïti ! Néanmoins, il est juste de dire que l'étranger qui se tient à l'écart de toute intrigue est toujours respecté. Après quarante-cinq jours passés à étudier cette population de grands enfants, je m'embarquais, le 13 mars, sur le steamer anglais Alvina, et, le 15 au soir, après avoir traversé la mer des Caraïbes, nous jetions l'ancre à Puerto-Colombia, improprement appelé Savanilla. Ce dernier nom est celui de toute la baie et non pas d'un endroit. A mon arrivée en ce port, on était en train de construire une longue jetée en fer, véritable chef-d'œuvre d'élégance et de solidité, qui, une fois terminée, permettra aux grands steamers d'y accoster pour y déchar- ger. Lorsque ce travail sera fini, le w^harf s'avancera certainement à deux kilomètres en mer. A peine à terre, nous prenons à l'assaut une misérable auberge qui s'élève, seulette, au milieu des sables brûlants, et commandons un dé- jeuner quelconque, car nous mourions littéralement de faim. Et il le fut quelconque, ce déjeuner- là! Malgré la soif inextinguible qui nous possédait, nous dûmes nous rationner, car ce pays béni n'a pas d'eau douce; aussi, chaque jour, le chemin de fer est-il obligé d'en apporter de la Magdalena aux travail- leurs du wharf. A 4 heures du soir, nous prenions enfin le train et, en deux heures^ nous franchissions gaillardement les 17 milles qui nous séparaient de Barranquilla. Quand j'écris: gaillardement, cet adverbe est certainement mis par euphémisme, car, par deux fois, pendant le trajet, nous avons dû nous, arrêter pour laisser monter la pression. De Puerto-Colombia à Barranquilla, c'est sur du sable que l'on roule,, c'est du sable qu'on respire, ce sont des plaines de sable qu'on a pour horizon. Barranquilla elle-même, grande ville de 30.000 habitants, et entrepôt de transit de toutes les marchandises de ou pour la Colombie, est ense- velie dans les sables et, malgré le temps écoulé, malgré la bonté native de ses primitifs habitants, c'est presque en frissonnant que je me rap- pelle les quinze jours que j'y ai passés. Voici, d'ailleurs, les lignes que je relève sur mes notes de voyage : N'était une volumineuse correspondance, je deviendrais certainement enragé dans ce pays où je ne connais personne, ou je suis absolument CAPITAINE TRIVIER. — VOYAGE EN HAÏTI ET COLOMBIE 813 étranger, où rien ne me parle, où je n'ouvre la bouche que pour manger ou fumer. Heureusement pour moi, j'ai ma plume et, en causant lon- guement avec les parents, les amis et le public, la journée s'écoule, len- tement, il est vrai, mais enfin elle s'écoule. Le terrible !... c'est le soir !! A Barranquilla, il n'y a pas d'endroits où l'étranger puisse aller l Ni cafés convenables, ni théâtres, ni promenades, ni journaux européens ; aussi en suis-jc réduit à rester sur mon balcon, à humer les quelques molécules d'air frais, saturées de sable, ou à me mettre à écrire. Ah bien oui, écrire!... si encore je le pouvais! A Barranquilla, en fait d'insectes, il y a de tout : des mouches, des moustiques, des marin- gouins et toute cette classe de diptères qui s'infiltrent dans les effets, vous laissant par tout le corps une démangeaison insupportable et sur le derme de grosses bouffissures blanches qui vous brûlent douloureusement ! A Barranquilla, les insectes grouilleurs, suceurs et bourdonnants se comptent par milliers dans les maisons ! A Barranquilla, et surtout dans ma chambre d'hôtel, c'est par vol compact que les gros cancrelats rouges aux longues ailes hyalines, s'abattent sur mon cou, sur ma tète et sur mon papier ! Dans de pareilles conditions, comment faire de la bonne iittérature ! El voilà pourquoi je les ai trouvées si lourdes, ces soirées colom- biennes pendant lesquelles on ne peut se distraire ni par la lecture, ni par le travail. Enfin, l'heure de la délivrance sonna et, un beau matin, je m'en- barquai sur le steamer colombien J.-B. Elbers qui devait me conduire jusqu'à Yeguas, point terminus de la navigation du bas cours de la Magdalena. Disons, en passant, que ce nom de J.-B. Elbers est celui de i' Allemand qui inaugura le service fluvial de la grande artère colombienne. La navigation de la Magdalena, fleuve que mit trois mois à remonter M. de Humboldt et que suivit le malheureux docteur Crevaux , n'a rien de bien particulier que l'horrible chaleur et les nombreux moustiques et caïmans qui agrémentent la longue traversée. Pendant les deux premiers jours, jusqu'à l'endroit dénommé El Banco, voire même jusqu'à Puerto- Nacional, tête de ligne de la route qui conduit à Ocana et à Bucaramangua, on navigue jour et nuit, ne s'arrètant qu'aux nombreux dépôts de bois accumulés sur les berges, car tous les vapeurs de la Magdalena chauffent au bois. Ces steamers sont de grands chalands en fer, calant à peine l'",2o au maximum et sur le pont desquels on a élevé une double construction. La supérieure est réservée aux passagers qui ont des ca- bines moyennant finances ou qui couchent sur le pont. Au-dessous se trouvent les marchandises, le bois à brûler, la chaudière et la machine. Ces steamers sont mus par une roue actionnée à l'arrière du navire. 814 GÉOGRAPHIE La vitesse moyenne contre le courant va jusqu'à six milles à l'heure. A l'époque de la sécheresse, il faut un pilote bien expérimenté pour pouvoir conduire son navire au milieu de ce dédale de canaux, de bancs, d'îlots. Je me hâte d'ajouter que les pilotes de la Magdalena connaissent fort bien leur affaire. Partis le 20 mars de Barranquilla nous arrivions le 27 à Yeguas, où s'arrête toute navigation; car au delà, le cours du fleuve est si tour- menté, les roches si nombreuses et si aiguës, le courant si rapide que les risques seraient trop grands. J'ajoute qu'à quelques milles de Yeguas, vis-à-vis la station du chemin de fer à Honda, le fleuve est obstrué par un banc de roches formant en aval de véritables rapides impossibles à franchir. Le 28 mars, à 11 heures du matin, j'étais à Honda. Immédiatement je m'enquis de deux mules, une pour mes colis, l'autre pour me servir de monture et, à 3 heures, j'étais en route pour Sania-Fé-de-Bogota. A un mille en avant de Honda, à Arrauca-Pluma, il me fallut traverser la rivière dans un bac parfaitement compris sur lequel les mules passent sans décharger. A 8 heures le soir, j'étais à las Cruces. Ces cinq premières heures de mules ont été assez rudes ! Tantôt il nous fallait nous glisser dans un défilé de rochers coupés à pic, sur un sol de cailloux où ma rnule ne posait le pied qu'en tremblotant et en im- primant à tout son corps un mouvement de lihration que je ressentais par contre-coup. Tantôt il nous fallait nous plonger dans une mare de boue de laquelle ma bête ne se retirait qu'à grand'peine et en m'éclaboussant de la belle manière ! Quelquefois, le défilé rocheux, qui s'élevait sous un angle de 25 degrés, était juste assez large pour nous laisser passer et, bien souvent, malgré le peu d'épaisseur de ma jambe, elle a été cruelle- ment froissée aux parois rocheuses . Parfois, la route (en admettant que l'on puisse employer ce substantif) est tellement à pic qu'on a dû y construire de larges gradins empierrés sur lesquels la mule louvoie comme un navire au plus près. Le 29, à 6 heures du matin, je reprenais la voie douloureuse et passais de nombreuses posadas visitées par les arrieros. A 11 heures, j'étais à Guaduas, grande ville de 4.000 habitants, Le soir, surpris par la pluie, je dus m'arrêter à Buena-Vista, dans une de ces auberges dont je parle plus haut. Au jour, le lendemain, j'étais en route, passant rapidement Villetta, Agua-Larga, pour arriver enfin très tard à Facotativa, où commence la ligne du chemin de fer qui aboutit à Bogota. Après Villetta, tout passe l'imagination ! On ne fait que monter et descendre ! Et quelles montées ! I quelles descentes ! ! par quels chemins 1 1 1 CAPITAINE TRIVIEU. — VOYAGE EN HAÏTI ET COLOMBIE 81o Tantôt, comme au pic du Sergent, mon baromètre accusait 2.700 mètres d'altitude au-dessus du niveau de la mer ; tantôt, comme à Villetta, nous n'étions qu'à 8o0 mètres, pour remonter bientôt au-dessus de 2.000 mètres. Et ce, pendant douze heures de temps. Pour mieux dire, il y a pas de route; c'est un éboulement du massif rocheux qui, en s 'écroulant, a nivelé le terrain sous une pente de 20 à 2o degrés et y a laissé ses pierres coupantes au milieu desquelles les mules ont à passer. Mais aussi quels paysages, quelles perspectives, quel pittoresque sur ces hauts sommets des Andes couverts de neige aux chatoiements de satin! Quelle luxuriante végétation dans ces vallées qui semblent per- dues dans la verdure! quel caractère grandiose n'ont-ils pas ces rochers rougeâtres surplombant le chemin et paraissant vouloir s'abîmer sur le voyageur ! En quelques mots, je résume mes quatre étapes de la route : De Honda à las Gruces, le chemin est mauvais ; De las Gruces à Buena-Vista, il est atroce ; De Buena-Vista à Agua-Larga, il est horrible ; D'Agua-Larga à Bogota, il est bon ; De Facotativa à Bogota, c'est la Savana. En deux heures et par 2.700 mètres d'altitude, le chemin de fer par- court les 40 kilomètres qui conduisent à la capitale. Ce n'est certes pas devant des savants tels que ceux qui se rendent au Congrès de Pau que j'irai faire l'historique de cette république qui compte à peine quatre-vingts ans d'existence et qui, malgré le temps écoulé, se ressent toujours du joug espagnol. C'est de l'inédit et du nouveau que je vous ai promis, aussi passerai-je rapidement sur Bogota. Je ne dois point oublier, néanmoins, de men- tionner la promenade que je fis au saut de Tequendama, cette admi- rable chute qui, de loO mètres de hauteur, tombe dans le rio Bogota. La vue de cette merveille, surtout avant le lever du soleil, — car après, on ne voit plus que des vapeurs — ne souffre pas de description. Après un court séjour à Bogota, je pris la route du retour. Ayant été envoyé en mission pour juger des diCTérents chemins conduisant à Bogota, je résolus de suivre un autre itinéraire. Le 6 avril, je quittais Bogota et, quelques heures plus tard, le chemin de fer de Facotativa (c'Qst d'ailleurs le seul) me jetait à Cerésuela, mieux connu sous le nom de Madrid, petit village où je pris mes mules en route pour la Mesa oîi j'arrivais à o heures du soir. Malgré les pluies torrentielles qui, chaque soir, depuis mon arrivée à Bogota s'abattaient sur le j)aya, cette route de la Mesa est de beaucoup préférable, pour la commodité du voyageur, que celle que j'avais prise à l'aller. La route par la Mesa est large, facile, presque agréable et sur ce chemin, pendant 816 GÉOGRAPHIE •cette journée du 6 avril, j'ai certainement rencontré plus de l.SOO mules chargées de produits de la province de Tolima : maïs, farines, miel, cacao, café, etc., etc., se rendant au marché de la capitale. Le 7 avril, je remontais sur ma mule et à, 11 heures, après avoir passé la Chica et Napoïa, j'étais à Junta de Apulo, confluent des deux rivières Apulo et rio Bogota et tête de ligne de la voie ferrée de 40 kilomètres qui aboutit à Girardot sur le haut cours de la Magdalena, où j'étais à 3 heures du soir. Cette route, selon moi, est bien la meilleure pour gagner Bogota, bien qu'elle demande beaucoup plus de temps. A Girardot, le vapeur qui dessert ordinairement cette station étant reparti pour Arrauca-Pluma-Honda, et ne sachant quand il me serait donné de quitter cette localité où je perdais mon temps, je fis construire — selon l'habitude du pays -^ un radeau, que l'on dénomme balsa, et le 8 avril, deux hommes ayant consenti à m'accompagner, nous nous lancions au courant descendant. Grossi outre mesure par les dernières pluies torrentielles de la saison hivernale, le rio Magdalena courait avec une vitesse de cinq ou six milles à l'heure. Après quatre heures d'une navigation assez tourmentée, nous accostions, non sans difficulté, la berge de Guataquy pour y passer la nuit. C'est en vain que nous nous présentâmes à toutes les auberges de la ville, personne ne voulut nous recevoir. En général, la population colombienne, bien que bonne et honnête, est assez arriérée ; mais ici, à Guataquy, elle est presque sauvage. Force nous fut donc de nous coucher à la belle étoile, sous la véranda d'une maison qui nous eût peut-être protégés de la pluie. Commodément installé sur la terre nue, j'envoyai mes hommes chercher des vivres et, l'eau du fleuve aidant, nous fîmes un repas qui eût peut-être fait honte à feu LucuUus, mais que nous dévorâmes. Sous la garde des étoiles, le revolver en ceinture, bien que cette précaution fût tout à fait inutile, nous nous endormîmes de ce sommeil que le voyageur de métier n'appelle jamais en vain. A 11 heures, ce fut un branle-bas général! Un troupeau de pourceaux attirés par les reliefs de notre festin fourrageaient abomina- blement parmi nos bagages et force nous fut de livrer bataille, le bâton à la main. Le reste de la nuit se passa tranquillement et le 9, à 5 heures du matin, nous quittions Y hospitalière cité colombienne. A 10 heures, nous prenions terre à Ambalema, importante ville dont le principal commerce consiste surtout dans la fabrication de ses cigares et dérivés. Après un déjeuner des plus sommaires, nous repartions et, à 1 heure, touchions terre à la Trocha-de-Cambao, tête de ligne de la troisième route qui conduit à Bogota en passant par San-Juan. Le soir, à 8 heures, j'étais à l'abri à Honda. CAPITAINE TRIVIKR. VOYAGE EN HAÏTI ET COLOMBIE 817 La descente de la Magdalena se fit sans encombre et le 17- avril me Toyait à Barranquilla, que je quittais peu après pour m'euibarquer sur le steamer anglais /1/ra/o du Royal Mail. Le 2t), j'étais à Colon. L'occasion était trop belle pour ne pas visiter les travaux du canal, aussi le surlendemain soir écrivais-je les lignes suivantes sur le voyage - que je fis à travers l'istbme : « J'arrive de Panama ! de Panama, le tombeau des milliards ! Quels souvenirs n'évoque-t-il pas ce nom de ville dans l'esprit des mallieureux actionnaires qui espèrent encore ! C'est ici surtout, sur le fronton de cette officine de M. de Lesseps, devant laquelle se dresse la statue de Colomb, -que devrait être inscrit ce vers du Dante : Lusciate ogiii speranzu, vol di enlntle. (Laissez derrière vous l'espérance, vous qui entrez.) » A partir de Colon, les travaux sont réels, importants... pendant une iringtaine de kilomètres ; puis après, plus rien, que quelques tranchées où déjà les herbes et les arbustes croissent à profusion, où les sables drainés parles pluies torrentielles delà saison d'hiver s'amoncellent en sillons superposés. Le seul résultat du canal aura été de ruiner l'épargne française et de peupler ce coin de la Colombie. Sous ce dernier rapport, il n'y a pas à dire le contraire, les progrès ont été rapides et, de Colon à Panama, les petites maisonnettes en bois sur pilotis, couvertes en zinc gondolé, se touchent presque sans solution de continuité. On n'y parle qu'an- glais dans ces maisons-là, devenues les demeures des travailleurs tirés de la Jamaïque. J'ai eu l'occasion de causer avec plusieurs de ces mal- heureux qui, comme Mignon, mais moins poétiquement, ne cessent de regretter la patrie. — Mais pourquoi donc ne partez-vous pas ? disais-je à ces exilés, la Jamaïque est très près d'ici et les communications avec votre île sont presque journalières. Pourquoi ne pas vous réclamer de votre consul? — Si près que nous soyons de notre pays, me répondaient-ils, et si peu d'argent qu'il faille pour s'y rendre, il en faut néanmoins, et nous n'en avons pas I Les travaux ayant été suspendus, beaucoup des nôtres sont sans ouvrage et ceux que l'on occupe encore gagnent de 6 à 8 réaux colombiens (environ 3 francs), au lieu des 8 ou 10 francs qui nous étaient alloués aux jours de la bombance. Ah ! c'était le bon temps, ajoutaient-ils, d'un accent de regret, l'or regorgeait partout et n'avait plus de valeur. On dépensait sans compter, certain de combler bientôt Jes vides de la bourse. Aujourd'hui, nous attendons la reprise des tra- vaux, mais seront-ils jamais achevés ! Quant à nous faire rapatrier par 818 GEOGRAPHIE notre consul, il nous est défendu d'y songer ; il n'a rien à faire avec nous, cet homme-là; nous sommes venus de nous-mêmes, de notre propre volonté, le gouvernement ne nous connaît pas et restera parfai- tement sourd à notre appel quand bien même nous implorerions sa pitié. Et il en est de même pour nos Martiniquais qui ont abandonné leur petit joyau des Antilles pour augmenter le nombre des malheureux. Parti le 26 de Savanilla, j'étais le 27 à Colon, qui de loin a, ma foi, fort bon air. Mais quelle désillusion au fur et à mesure qu'on approche ! En voyant ces maisons en bois bâties sur des pilotis rongés par la mer et verts de moisissure, il me semblait que j'allais y lire, comme dans Port-Tarascon : Pharmacie Bezuquet. Et en effet, ici comme là-bas, c'est bien la même histoire, un même duc de Mons, des mêmes capitaux français envolés, perdus et des morts à pleurer qui, le cas échéant, auraient eu leur place dans l'armée nationale. En ville, à chaque pas, on rencontre ou un café, ou un débit, ou une auberge, établissements qui aujourd'hui semblent péricliter abomina- blement. Dans les rues, les vides sont nombreux, car, à l'instar de cer- taines comètes, les incendies se reproduisent périodiquement dans ces constructions en bois surchautTées par le soleil d'été. A Colon, on parle toutes les langues, mais l'anglais a tout envahi ; il gagne toujours, toujours, et finira certainement par couvrir tout le pays. Pauvre Colon! Et lui aussi regrette le temps passé! Reviendra-t-il, ce temps où la roulette battait son plein, où les débits retentissaient jour et nuit des hurlements avinés, où les querelles dégénéraient en coups de couteaux, où l'or était partout, dans toutes les poches? Au temps de sa splendeur, Colon contenait jusqu'à 20.000 habitants ; aujourd'hui, c'est à peine si 3.000 âmes grouillent dans ses rues boueuses. Autrefois, vingt trains suffisaient à peine chaque jour au nombreux per- sonnel du canal. Hier, je suis revenu de Panama, nous étions cinq voyageurs ! Le 28, par une belle matinée (chose rare !) bien ensoleillée, je prenais le train à 7 heures et demie, et. tour à tour, bride abattue, à toute vitesse, à l'américaine en un mot, je passais Galun, Lagarto, Bugio, Buena-Vista, San-Pablo, Malachin, pour arriver, deux heures plus tard, à la Culebra, petite colline, contrefort de la Cordillère des Andes et ligne de partage des eaux du Pacifique et de l'Atlantique. Jusqu'alors nous avions vu le courant du Chagres se diriger vers l'est. A partir de la Culebra, les rivières dévalent vers le Pacifique. Do même, Dieu dit un jour à l'Océan : u Tu n'iras pas plus loin » ; de CAPITAINE TRIVIER. — VOYAGE EN HAÏTI ET COLOMBIE 819 même laCulebra clama aux ingénieurs (Ju canal : « Slop ! » et l'on stoppa. Près de la station du chemin de fer, on voit bien encore un semblant de tranchée où gisent, embourbées dans les herbes, deux machines à vapeur au ventre noir : c'est tout! Coût : un milliard et demi!! A 10 heures, j'étais à Panama. Après un déjeuner pris à la hâte au Grand Hôtel Central, vis-à-vis la cathédrale, je roulais rapidement sur la route qui mène à la Boca, à ce point précis où, libres des entraves de l'isthme, les navires de la vieille Europe devaient s'élancer sur les eaux du Pacifique. A 11 heures et demie, je descendis de voiture, la marée étant basse, complètement basse (par la date et l'heure que je donne ici, il est facile de vérifier mon dire) et je pus, à pieds secs, traverser l'embouchure du Rio Grande qui n'avait alors aucune communication avec la mer. Quant aux travaux de creusement, d'endiguement, de port, de jetées, etc., etc., je n'ai rien vu parce que rien n'a été fait. En amont, ou mieux, à ma droite, pendant que je traversais le Rio-Grande, j'ai bien remarqué deux petits vapeurs dormant à l'ancre. Trois autres chaloupes à vapeur, peintes de frais, étaient déhalées au sec sur la rive gaucho, près du patent slip, où un vapeur un peu plus grand était en réparation; c'est tout ce que j'ai vu. Du matériel, beaucoup de matériel gisait çà et là dans les chantiers déserts, attendant un nouveau bon mouvement de ce peuple français si riche et si confiant. Écœuré, je repris le chemin de la ville. Le soir, j'étais de retour à Colon. Tel a été le résultat de cette journée du 28 avril. J'ai bien encore appris que les actions du chemin de fer Panama-Colon, qui, avant la venue de M. de Lesseps, étaient au-dessous du pair (elles avaient été émises à 100 dollars), avaient été achetées pour le compte des actionnaires français à "âtiG dollars, mais personne n"a pu ou voulu me dire pourquoi cette hausse subite de plus de loO 0/0 du jour au lendemain. L'enquête ordonnée à cet effet nous l'apprendra certainement. Et c'est après une pareille leçon que nous irions follement engager nos économies dans une autre entreprise, à peu près pareille, le transsaharien ; dans cet improductif et désert Sahara aux tribus sauvages ! C'est sur les bords marécageux et malsains du Tchad, si nous en appelons aux témoi- gnages de Barth, Nachtigall et Yogel, que nous enverrions nos gros sous si péniblement amassés! Alors, oui, ce serait à désespérer du pays. Le 29, je quittais Colon, en route pour Kingston, résidence du gouver- neur de la Jamaïque, où nous arrivions le 1^'" mai. Le 4, je débarquais à Jacmel et le 6, après avoir traversé à cheval, sans autre escorte que mon guide pour m'indiquer le chemin, sans autre arme qu'un canif, le plus charmant pays du monde, je faisais de nouveau mon entrée à Port-au- 820 GÉOGRAPHIE Prince, heureux de revoir les bons amis que j'avais quittés quelques mois auparavant. Le 28 mai, je prenais de nouveau la mer et, après les nombreuses escales de la route, le steamer Saint-Laurent me débarquait à Saint- Nazaire, le 19 juin dernier. M. le D' ÏÏA&Eîf Médecin de la marine, à Cherbourg VOYAGE AUX ILES SALOMON — Séance du 16 septembre I89i — L'intérêt qui s'attache à l'archipel des îles Salomon est purement géo- graphique ; en efTet, ces îles ne sont pas soumises à l'influence française, le commerce de nos nationaux n'y est pas directement engagé et nos navires de guerre n'y font que des apparitions fort rares. Cependant, comme ce groupe d'îles est peu connu, j'ai pensé que quelques renseignements pourraient intéresser les membres du Congrès pour l'avancement dos sciences. De plus, l'annexion relativement récente d'une partie d'entre elles à l'Empire d'Allemagne, leur voisinage avec la colonie française de la Nouvelle-Calédonie, avec l'île Yanikoro où périt notre malheureux com- patriote La PeyrousC; et avec la Nouvelle-Bretagne à qui l'expédition du marquis de Rays a donné un si triste renom, toutes ces raisons donnent de l'attrait au groupe des îles Salomon et m'ont engagé à publier le résultat de mes observations. Peu de voyageurs français ont écrit de visu sur cet archipel ; il faut remonter aux voyages d'Entrecasteaux et de Dumont d'Urville pour obtenir quelques renseignements. Je pourrais aussi citer un petit opuscule qui parut en 1848 et dont l'auteur était un missionnaire, le père Verguet. C'est tout ce que nous possédons; la littérature étrangère est peu riche aussi, et ce n'est que dans ces trois dernières années que deux auteurs, Woodiord et Guppy, ont fait connaître ce pays au public anglais. D'' HAGEN. — VOYAGE AUX ÎLES SALOMON 821 11 m'a été possible de visiter ces îles; j'y ai fait un voyage qui a duré plusieurs mois et j'en ai rapporté quelques notes. Je n'ai pas la préten- tion d'être complet, mais celle d'être exact et de donner une idée géné- rale de cet archipel, dont quelques îles sont grandes, fertiles ei habitées par une population nombreuse. Ce groupe est situé en Océanie, entre le 4*^ et le l'â^ degré de latitude sud et les 152« et 161^ degrés de longitude est. 900 milles environ le séparent de la Nouvelle-Calédonie. Les îles qui le composent sont, du nord au sud, Bougainville, Chokeul, Isabel, MaJaijta, Floride, Guadalcanar et San-Cristoval. Comme îles plus petites, nous pouvons citer: Sauta-Anna, Sania-Catalina, Hougué, Savo, Shortland, Nouvelle-Géorgie. Je passe sous silence d'autres petites îles inhabitées et n'ofïrant aucun intérêt. Cet archipel resta indépendant jusqu'à l'époque actuelle. Le navigateur espagnol Mendana, qui le découvrit en 1564, ne fit qu'un acte de souve- raineté platonique en déclarant ces îles possession de Sa Majesté Catho- lique, en y élevant des croix et en y faisant des processions. Il donna, suivant l'habitude du temps, des noms de saints à quelques- unes de ces îles, et fit même sur l'île Isabel une tentative de colonisa- tion ; elle échoua piteusement. Là se borne l'essai de prise de possession espagnole au xvi« siècle. Mais, dans ces dernières années, chaque nation européenne s'est efforcée de créer des colonies dans toutes les parties du monde, et l'Allemagne, dernière venue, a manifesté maintes fois son désir de s'adjuger les terres restées indépendantes. C'est ainsi qu'elle s'est annexée une partie de la Nouvelle-Guinée. Les îles Salomon étaient voisines de ce pays ainsi que des îles Samoa, où les Allemands possèdent des établissements commerciaux importants. L'Allemagne déclara donc officiellement son intention de planter son pavillon dans ces îles. L'Angleterre fit alors valoir des prétentions identiques basées sur les visites que ses navires de guerre faisaient dans le groupe, sur les tenta- tives de catéchisation essayées par ses missionnaires et sur la présence de ses nationaux. Mais, fidèle à sa politique de concession à tout prix, quand il s'agit de l'Empire d'Allemagne, elle ne tarda point à lui reconnaître- des droits sur une partie de ces îles. C'est alors que survint, en 188o, entre les deux nations un accord en vertu duquel les îles situées au-dessus du 8'' degré latitude sud étaient recotmues possessions allemandes, tandis que l'Angleterre réservait ses- droits sur le reste de l'archipel et se promettait de les faire valoir en temps opportun. Bougainville, Shortland, Choiseul,. Isabel, Nouvelle-Géorgie furent annexées par l'Allemagne ; quelques mois après, cette dernière île 822 GÉOGRAPHIE était échangée contre la baie des Mille-Vaisseaux qui dépassait les limites du 8« degré . Le reste du groupe, Malayta, Guadalcanar, San-Cristoval, Nouvelle- Géorgie, conserva son indépendance primitive et les traitants n'y furent soumis à aucune juridiction. Je n'ai pas besoin d'ajouter que les indigènes ne furent pas consultés ; l'Allemagne n'a pas ces faiblesses gouvernementales ni de tels préjugés politiques ; elle reste, en Océanie comme en Europe, fidèle à son mépris du droit quand il n'est pas soutenu par la force. Le pavillon germanique fut hissé dans chaque île, des poteaux indica- teurs furent élevés portant la marque : « Possession de l'Empire d'Alle- magne » ; le terrain fut confisqué aux indigènes et donné à la Compagnie d'Océanie subventionnée par le gouvernement. Aucun représentant offi- ciel, consul, résident ou gouverneur, n'habite le pays; seul, un navire de guerre, détaché de la station des Samoa, vient y faire une visite an- nuelle. La superficie de cet archipel est égale à neuf fois celle de la Corse. Je donne ici, d'une façon approximative, la longueur et la largeur des îles principales : Longueur Liir^eur Bougainvillo 127 kilomèlres 40 kilomètres Choiseul 74 — 20 — Isabel 106 — 27 Malayta 91 - 25 - San-Christoval G8 — 22 — Guadalcanar 74 — 28 — Nouvelle-Géorgie ... 69 — 24 — Malgré son étendue et son importance, cet archipel n'est relié d'une façon régulière à aucun pays civilisé. La Nouvelle-Guinée, la Nouvelle- Bretagne ont des communications avec l'Australie ; il en est de même des Nouvelles-Hébrides ; les îles Salomon seules ont été délaissées et le voyageur désireux de les visiter se demande quelle voie il doit prendre pour y arriver. Cette absence de relations suivies avec les pays voisins a laissé à ces îles leur originalité primitive: l'ethnographe y observe des mœurs et des habitudes nouvelles, le naturaliste peut y faire une moisson abon- dante de plantes inconnues, d'insectes non classés. Ce groupe attira cependant l'attention du gouvernement français ; il y a quarante ans, on manifesta l'intention de faire de ces îles un lieu de déportation politique ; ceux qui devaient y être envoyés doivent se féliciter qu'on n'ait pas réalisé ee projet. La voie la plus courte pour arriver aux îles Salomon est la suivante : D"" IIAGEN. — VOYAGE AUX ÎLES S.VLOMON 823 Aller en Australie ou en Nouvelle-Calédonie par un de ces magnifiques paquebots que la Compagnie des Messageries maritimes met à la disposi- tion des voyageurs. Dès qu'on est arrivé dans un de ces deux pays, il faut profiter du départ des petites goélettes qui vont chercher du coprah ou recruter des travailleurs. Malheureusement, ces communications sont aléatoires et plusieurs mois peuvent s'écouler sans qu'aucune occasion se présente. Au point de vue géographique pur, la connaissance de ces îles est fort imparfaite; les côtes apparaissent sur les cartes en pointillé; l'excel- lence des mouillages est hypothétique, et seule l'expérience des vieux routiers du Pacifique garantit la sécurité de la navigation. Ces îles sont de formation volcanique; les plus petites, Santa-Anna, Hougué, Santa-Catalina, sont d'origine mi-volcanique, mi-corallienne. 11 n'existe plus de volcan en activité, mais on remarque des sources sulfu- reuses, notamment à Bougainville. Cette origine volcanique a donné un aspect mouvementé à la constitu- tion physique du sol. On rencontre rarement de larges vallées ; le plus souvent, ce sont de petites collines qui encaissent des vallées étroites, sinueuses, sans étendue, dans lesquelles coulent des rivières peu pro- fondes. Quelques montagnes atteignent une certaine hauteur: je citerai le mont Balbi (3.0G7 mètres) à Bougainville, et le mont Lammas (2.440 mètres) à Guadalcanar. La végétation est magnifique et florissante toute l'année ; nous avons, en effet, la chaleur et l'humidité, excellentes conditions pour permettre aux plantes de se reproduire et de se développer en toute liberté. La nature du sol est variable. Dans les îles d'origine corallienne, il est purement calcaire et, de plus, il est très bien irrigué ; au contraire, dans les îles d'origine volcanique, le sol est argileux, poreux, et on n'y voit que des ruisseaux peu importants. La botanique n'a guère été étudiée que dans ces dernières années, grâce aux colleciions rapportées en 1887 et 1888 par deux voyageurs anglais, Woodford et Guppy. Parmi les arbres d'une certaine hauteur, on peut citer le cocotier, le tamarinier, le sandalier, l'amandier, le banian, l'arekier, le corozo;ony remarque dfS lianes de toutes espèces, des rubiacées, des orchidées, etc. Quant aux plantes et aux fruits qui entrent dans l'alimentation des indi- gènes, nous avons le taro, l'igname, la patate, la banane, l'ananas, la canne à sucre. Je n'insiste pas davantage sur celte partie qui demande une compétence spéciale pour être traitée. Les animaux qu'on y rencontre peuvent se diviser en deux groupes : ceux qui vivent à l'état domestique et ceux que l'on trouve dans les forêts à l'état sauvage. 824 GÉOGRAPHIE Dans la première classe nous n'avons que le porc, le chien et la poule; il n'y a ni bœufs, ni moutons, ni chèvre?. Parmi ceux qui vivent en liberté, nous pouvons citer, l'opossum, des reptiles, des lézards, des cra- pauds, des serpents dont la piqûre n'est pas redoutée par les naturels. Les rivières renferment des crocodiles dont quelques-uns atteignent une longueur de 1 mètre à l"\oO. Ils n'attaquent pas l'homme. Dans les petites îles peu habitées, on trouve souvent une grande quan- tité d'œufs placés dans le sable et d'une certaine grosseur; ils seraient pondus par une très petite poule qui vole difllcilement, mais court assez rapidement pour qu'on l'atteigne avec peine ; on a signalé la présence de cette poule dans un seul point des Nouvelles-Hébrides, à l'île Tanna, autour du volcan. La population de l'archipel est assez dense; mais comme dans toutes les îles del'Océanie, on remarque une décroissance notable dans le nombre- d'habitants ; on l'attribue à différentes causes telles que : maladies syphi- htiques, infanticide, émigration, abus des boissons spiritueuses. Toutes ces causes, prises isolément, sont insuffisantes pour expliquer cette dimi- nution, mais elles constituent un ensemble de conditions qui permettent de comprendre pourquoi telle île, autrefois très peuplée, ne contient plus que de rares habitants. On ne saurait donner un chiffre môme approximatif concernant la population; mais il me semble que le chiffre de 200.000 habitants n'est pas très éloigné de la vérité. L'intérieur est plus peuplé que le littoral; il en est du moins ainsi à Malayta qui est l'île relativement la plus habitée. Les indigènes constituent une race saine, assez vigoureuse. Les hommes ne sont pas taillés en athlètes, mais leurs formes sont bien prises ; le type moyen est trapu, très peu sont chétifs, malingres ou affligés de dif- formités. Leur origine a été très discutée. Mais la linguistique et l'anthropologie ont permis de reconnaître que cette population est le résultat du mélange des trois races polynésienne, malaise et mélanésienne. L'indigène de l'in- térieur a surtout conservé l'aspect physique du mélanésien qui a dû pri- mitivement peupler cet archipel; l'habitant du littoral semble avoir plus de globules de sang malais ou polynésien. A quelle époque ce mélange s'est-il fait? Par quelle voie ces indigène» se sont-ils transportés d'une île à l'autre? Je renverrai le lecteur au livre des migrations océaniennes de M. de Quatrefages. Au point de vue anthropologique, je me bornerai à dire que ces natu rels sont plutôt dolichocéphales que brachycéphales, mais qu'ils son surtout mésocéphales. Leur taille moyenne est d'environ l'",6i; leurs cheveux, quelquefois crépus, sont souvent lisses et assez longs ; leur nez peu épaté; le prognathisme accentué légèrement chez quelques-uns, très D'' HAGEN. — VOVAGE AUX ÎLES SALOMON 82.> fortement chez d'autres; leur couleur se rapproche beaucoup de la cou- leur dite chocolat. Leur intelligence est un peu supérieure à celle des habitants des îles voisines : Nouvelles-Hébrides, archipel de Sanla-Cruz; leur sentiment artis- tique est plus développé, leur estime de la femme plus grande. Néanmoins ils sont encore peu civilisés et placés très bas dans l'échelle des races- humaines. Les indigènes de chaque île sont dangereux; à tout instant, des catas- trophes se produisent qui rappellent au voyageur que l'archipel qu'il visite est situé aux antipodes de la civilisation et que c'est à main armée qu'il doit assurer sa sécurité. Ainsi, l'île San-Christoval passe pour la plus avancée du groupe et on s'accorde à reconnaître qu'on peut la parcourir dans tous les sens et visiter l'intérieur sans être inquiété. Or, sans remonter jusqu'à l'année 184o, époque à laquelle furent tués et mangés trois missionnaires français, je dirai qu'il y a deux ans à peine l'agent du gouvernement d'un navire des îles Fidji y fut tué à coups de casse-tête. Moi-même, je me rappelle être débarqué dans la baie de Wannoni sur la côte nord et avoir été entouré par cent cinquante à deux cents indigènes tous armés de sagaies et de massues. A un certain moment, quelques discussions s'élevèrent au sujet du départ de Canaques engagés cependant d'une façon régulière; les naturels s'excitèrent peu à peu et nous pûmes difficilement regagner le bord sans avoir été assaillis et atteints par les sagaies qu'ils commençaient à diriger sur notre embarcation. L'île Guadalcanar a aussi la réputation d'être tranquille. Cependant l'Européen devra choisir avec prudence les points oiî il voudra débarquer: ici s'impose avec rigueur le respect des croyances et des superstitions des indigènes. Les îles Choiseul, Isabel, Bougainville ont été souvent le théâtre d'actes de piraterie commis par des blancs; les naturels savent se souvenir, et ils ont fait payer aux innocents les fautes des coupables. Mais, entre toutes ces îles, Malayta est considérée comme la plus dan- gereuse; ses habitants ont été assez audacieux pour s'emparer de vive force de bateaux de iOO à loO tonnes, tuer l'équipage, piller, puis incendier le navire. La côte de Piou est particulièrement redoutable et, à l'heure actuelle, il serait imprudent d'y débarquer. Je suis obligé de reconnaître que cette hostilité des indigènes a eu pour cause la conduite de certains Européens envers eux. Trop sou- vent des actes arbitraires ont été commis et il en est résulté, dans l'ar- chipel, une animosité à l'égard des blancs qui explique les agressions dont ils sont les victimes. 826 GÉOGRAPHIE Aussi, si l'on veut connaître d'une façon exacte le naturel de ces îles, il faut le considérer dès qu'on le transporte hors de son pays natal et qu'on l'emploie dans les plantations de maïs des îles Samoa, dans les usines à sucre de Queensland ou dans les mines de nickel de la Nouvelle- Calédonie. Il y rend de réels services, il est travailleur, obéissant, et, si on le soumet à un régime alimentaire convenable, il peut accomplir des ou- vrages pénibles et fatigants. Ces qualités le font apprécier en Queensland et aux îles Fidji; le prix d'engagement d'un indigène des îles Salomon est de cinquante à cent francs supérieur à celui d'un habitant des Nouvelles-Hébrides. Le naturel qui habile sur le littoral diffère aussi comme caractère de celui qui vit dans l'intérieur des terres. Par suite de leur contact avec les trafiquants européens, de leurs rapports avec les navires qui fréquen- tent l'archipel, les populations de la côte sont plus douces, plus affables, plus hospitalières. Ces indigènes ont fait des voyages dans les colonies anglaises, allemandes et françaises del'Océanie; ils ont contracté quelques- unes de nos habitudes et ils peuvent rendre des services comme matelots ou comme interprètes. Au contraire, le Canaque de l'intérieur, l'homme de la brousse (bush- man) n'a pas varié depuis le jour où le premier de sa race est venu construire sa hutte dans ces îles éloignées; il considère toujours l'Euro- péen d'un air défiant, il est prêt à engager le premier la lutte avec lui; les rares transactions commerciales qu'il opère sont faites avec prudence et les rapports qu'on est obligé d'avoir avec lui empreints de la plus grande méfiance. L'attrait d'un fusil et de quelques cartouches l'engage quelquefois à s'expatrier; mais dès qu'il est revenu au pays natal, il reprend vite ses habitudes primitives et redevient bientôt la brute qu'il était avant son départ. Ces naturels vivent par tribus disséminées sur le littoral et dans l'in- térieur; ils obéissent à des chefs particuliers; ce n'est que dans les îles Shortiand que quelques indigènes ont pu se créer des royaumes de sept à huit mille sujets. Dans les autres îles, chaque tribu est soumise à l'autorité d'un chef; cette dignité, souvent héréditaire, s'acquiert quelquefois par la richesse. Celle-ci s'estime par le nombre de dents de chien qu'un individu possède et par les cadeaux que tout habitant est obligé de faire les jours de fêtes publiques. C'est alors que chacun, au risque de périr de faim, à la suite de sa prodigalité, apporte le plus d'ignames, de taros, de porcs qu'il lui est possible, afin de ne pas être taxé du crime de pauvreté, le moins par- donné dans ces îles. D"" HAGEN. — VOYAGE AUX ÎLES SALOMON 827 Le chef ne reçoit aucun honneur spécial , mais il a le droit de choisir dans la tribu telle femme qui lui plaît, il est chargé de fixer et déter- miner les défenses religieuses, de tabouer tel ou tel endroit, tel ou tel objet. Au-dessous de ce premier chef, il en existe un autre qui occupe une position influente, c'est le chef de guerre. Il a gagné son rang par son Kîourage, sa force physique et ses instincts belliqueux. Ses fonctions sont loin d'être purement honorifiques; il est obligé de payer de sa personne •et doit faire preuve d'une vaillance et d'une adresse supérieures à celles des autres hommes de sa tribu. Les occasions lui manquent rarement; les indigènes des îles Salomon sont très guerriers et, pour eux, tout est prétexte à déclaration de guerre: tantôt c'est le désir d'avoir des esclaves qui travailleront sur leurs planta- tions, ou des prisonniers qu'ils sacrifieront le jour du lancement d'une nouvelle pirogue; tantôt le rapt d'une femme qui, nouvelle Hélène, sus- ■cite une autre guerre de Troie. Enfin, en troisième lieu, vient le sorcier ou chef religieux, analogue au Ta-ka-ta des tribus de la Nouvelle-Calédonie; il prédit l'avenir, guérit les maladies, et produit la pluie et le beau temps. La crédulité des indigènes dans la science de leur sorcier ne se laisse rebuter ni par les insuccès ni parles échecs. Il intervient aussi dans les cas de vol, d'assassinat : c'est Je grand justicier du pays. Inutile de dire que sa perspicacité se laisse souvent influencer par des cadeaux intéressés. Telle est la constitution politique d'une tribu; il n'y a que de légères différences d'une île à l'autre. C'est seulement dans les îles Shortland et peut-être à Malayta que l'autorité d'un indigène est reconnue à cinquante ou soixante milles du lieu de sa résidence habituelle. Le cannibalisme et l'esclavage sont les deux plaies de ces îles. Depuis longtemps, l'accusation d'anthropophagie a été portée contre les habitants -de cet archipel. L'historien du voyage de Mendaua, le pilote Gallego, avait déjà rapporté qu'ils offraient en vente des quartiers de chair humaine ; Bougainville affirme le même fait et raconte avoir vu des débris humains au fond d'une pirogue. Malgré leurs rapports plus fréquents avec les nations civilisées, malgré la répugnance que voyageurs et missionnaires se sont efforcés de leur inspirer, ils ont conservé cette coutume et continuent à la mettre en pra- tique. Les prisonniers de guerre sont réservés pour ces festins ; lors de la construction d'une nouvelle case publique, un indigène est sacrifié, son corps dépecé est distribué aux principaux de la tribu. Je n'ai pas cherché à constater ces faits de vhu, mais des témoins dignes de foi me les ont rapportés. 828 GÉOGRAPHIE Avant d'être immolés dans un sacrifice, les prisonniers de guerre sont esclaves ; leur condition ne serait pas trop mauvaise s'ils n'étaient pas^ menacés à tout instant du sort que je viens de décrire ; en effet, ils jouissent d'une certaine liberté dans la tribu, travaillent, c'est vrai, sur les plantations de leurs maîtres, mais ils reçoivent de la nourriture en abondance, ne subissent aucun mauvais traitement et ne sont pas tenus en mépris par les autres indigènes. A Guadalcanar, le père vend souvent son enfant comme esclave; c'est ainsi que nous avons rencontré, à l'île San-Christoval, un jeune garçon âgé de dix ans abandonné, sans parents. Nous avons pu le ramener à Nouméa où il travaille aujourd'hui ; il ne demande pas à revoir sa patrie qui lui est absolument inconnue ou qui ne lui a laissé que des souvenirs désagréables. *En dehors de ses expéditions de guerre et de ses chasses à l'homme et à l'esclave, le naturel vit d'une façon monotone ; il aime à se tenir sur le devant de la maison commune, il discourt, palabre et s'entretient avec les autres de choses indifférentes ; il va aussi à la pêche et, dans ses heures de loisir, fabrique ses armes, ses plats incrustés de nacre et tous les objets qui font la joie des collectionneurs. Le rôle de la femme est plus ingrat ; elle semble n'avoir en partage que les labeurs et les fatigues. Cependant, je ne serais pas éloigné de croire qu'elle occupe aux îles Salomon une situation plus élevée qu'aux Nouvelles-Hébrides et en Nouvelle-Calédonie. Il m'a paru qu'elle jouissait d'une plus grande liberté, n'était pas confinée dans un coin spécial du village, partageait la vie commune avec son mari et ses enfants. La polygamie est permise, c'est vrai, mais elle est rarement mise en pratique; s'il existe des chefs qui, aux îles Shortland et à Bougainville, possèdent quarante à cinquante femmes, le naturel n'a généralement (ju'une seule épouse. La femme s'achète et se paie en monnaie indigène, dents de chien et de roussette ; il est rare aussi qu'un père ne cède pas sa fille quand on lui apporte en cadeau une dizaine de porcs. Le type est quelquefois joli; quelques-unes ont les traits assez fins, la chevelure longue, soyeuse, les formes bien prises; malheureusement leur visage est vite déparé à cause de l'habitude qu'elles ont de cliiquer du bétel: leurs dents deviennent noires et leur bouche prend la couleur de l'écrevisse cuite, comme dit Rochas. Elles sont aussi très vite fanées; chez les chefs qui en possèdent un grand nombre, quelques-unes conservent lem* jeunesse assez longtemps; ce sont sans doute, celles que leur situation de favorites exempte des tra- vaux pénibles. L'avortement et l'infanticide sont fréquents. Peu de famiilles ont plus D'' HAGE.V. VOYAGE AUX ÎLES SALOMUN 829 ■> sert beaucoup pour la charpente et la menuiserie ; il est surtout précieux parce qu'il est inaccessible aux fourmis blanches, qui, dans ce pays, dévorent tout. Les oranges, ici, sont comme les pommes en France... L'espèce la plus grosse, qu'on appelle aussi «pam- plemousse », est enveloppée d'une écorce très épaisse et se conserve longtemps... On en voit qui sont aussi grosses que la tête. Aussi dit-on, en proverbe, que d'une main on ne peut tenir deux pamplemousses, ce qui signifie : « Qui trop embrasse mal étreint. » Les habitants se servent des cocos pour bien des usages... Aussi les cocotiers sont ici d'un grand revenu. Le pays le plus fertile en toutes sortes de fruits, c'est le Dông- Naï. On y entretient sur les arbres une espèce de fourmi qui laisse le fruit intact et dévore tous les autres insectes qui pourraient leur nuire. On les appelle « fourmis d'or », sans doute à cause de leur grande utihté. Ceux (les habitants) qui n'en ont point sont obligés d'en acheter. » Un long chapitre est consacré au riz. Dans d'autres paragraphes, notre missionuaire parle du coton, du sucre, des arbres à huile et à vernis, des bois de construction. Entre ces derniers, il cite le trac, le sao et le lim, ([ui sont réservés pour le roi et auxquels les mandarins eux-mêmes n'ose- raient toucher. « Le bois mûong a le cœur noir et est enveloppé d'une autre couche tendre et blanche. Il contient une grande quantité de pous- sière noirâtre, qui est un remède contre la gale et dont les Chinois se (1) Il faudrait le D barré de l'écriture des missionnaires pour le mot Dông. (2j Exactement « jaque », plus connu sous le nom d'à arbre à pain », J.-V. lîARBIER. — l'j.NDO-CHINE IL Y A CINQUANTE ANS 837 servent pour une teinture qui ne se ternit jamais. Les cendres de ce bois contiennent une certaine quantité de sel. Quand ils sont au dépourvu, les sauvages les lessivent pour en retirer ce sel et font ensuite bouillir l'eau jusqu'à ce qu'elle soit considérablement réduite. .Jen ai fait l'ex- périinice, mais il faut une grande quantité de cendres pour obtenir seu- lement une pinte d'eau salée... » Dans la partie nord du Dông-Naï, on trouve une vigne sauvage, dont les raisins sont petits et donnent un vin aigre qu'on ne peut con- server et boire qu'en y mêlant une grande quantité de sucre. A Siam, il y en a une autre espèce dont les grappes sont aussi grosses que celles que rapportèrent de la Terre promise les espions des Israélites. Le vin, auquel on mêle aussi du sucre, en est potable. On a demandé à Rome si on pouvait s'en servir pour la messe ; mais depuis longtemps Rome n'a encore rien décidé. » Il y a certains arbustes rampants qui deviennent très longs et flexibles, qui sont des liens naturels presque aussi solides que des cordes ; on en fait un grand usage. » J'ai vu aussi un arbre dont je ne connais pas le nom, mais dont les feuilles se métamorphosent quelquefois en animal. La tête de la feuille devient une tête entièrement organisée, le dos s'épaissit et forme le corps ou le ventre de l'animal, la feuille peu à peu se découpe et les petites ramures se changent en pattes ; enfin l'animal est organisé, vit et se promène (1)... » En observateur sincère, mais malheureusement très incompétent, notre auteur décrit ensuite les plantes médicinales : rien ne lui échappe. Cepen- dant, il fait des efforts pour donner un caractère scientifique à ses obser- vations. « Il y a encore, écrit-il à la suite d'un long paragraphe, un grand nombre d'autres plantes connues des Chinois et qu'on trouverait peut- être en partie au Tonquin, en Cochinchine ou chez les sauvages, si quelqu'un s'en donnait la peine et si on laissait les Européens libres d'y voyager. Comme il y en a plusieurs dont le « Dictionnaire de Noël » ne me donne pas la signification, je vais la mettre ici en latin... » (Suit une liste alphabétique d'environ trois cents plantes.) Le chapitre consacré aux animaux n'offre point grande originalité. L'auteur cite cependant, à propos de l'intelligence de l'éléphant, les faits suivants qui méritent peut-être confirmation : « Un certain éléphant devenait de jour en jour plus difficile et de mauvaise humeur ; on ne pouvait plus le faire obéir. On fut longtemps avant d'en deviner la causa. Enfin, on sut (?) qu'il était mécontent de voir son conducteur mal (1) Depuis longtemps nos botanistes ont donné la cause de cette illusion d'optique. 838 GÉOGRAPHIE habillé: cela lui faisait honte. On donna à celui-ci un habit neuf et, dès lors, l'éléphant fut toujours docile. Le vice-roi du Dong-Naï en avait (un) qu'il faisait combattre avec le tigre pour l'exercer à la guerre. Il faut, pour lors, couper les griffes et les dents au tigre... Le moment du combat arrivé, le vice-roi le faisait venir (l'éléphant) pour lui donner ses ordres, lui recommander d'être courageux... L'éléphant l'écoutait avec beaucoup d'attention et, à chaque proposition, répondait « da », qui est un mot dont se servent les Annamites pour marquer le respect et l'obéis- sance. La monition faite, il faisait une grande révérence au vice-roi et marchait au combat... » Une grande partie du manuscrit est consacrée aux habitants, aux us et coutumes, aux costumes et aux habitations. Après les nombreux récits des voyageurs, après surtout l'Exposition universelle de 1889, il ne semble pas qu'on ait beaucoup à apprendre, en France, sur les Anna- mites. Cependant il y a, au milieu de nombre de choses qui ne sont point nouvelles, — et qui prouvent combien les populations de l'Ex- trême-Orient sont figées dans leur manière d'être, — des observations inédites ou qui ont besoin d'être confirmées. On en jugera par les cita- tions suivantes où nous n'avons supprimé que ce qui n'est point néces- saire à l'unité du récit, laissant la plupart des expressions qui témoi- gnent à la fois de la sincérité et de la candeur du missionnaire : (' Les Annamites sont de taille moyenne ; ils ont le visage rond et leur teint, sans être basané, est cependant moins blanc et moins déhcat que celui des Européens. Quelques-uns même ont la peau assez noirâtre. Ils ont les yeux et les cheveux noirs, le nez écrasé et petit, les pieds petits (?) et les mains mal faites avec des doigts renversés. Ils ont le corps droit et les membres assez dégagés. Souvent, pour s'éviter la peine de se baisser pour ramasser quelque objet, ils le saisissent avec le pied pour le porter à la main. On ne voit chez eux que très peu d'estropiés. Ils ont la vue moins perçante que les Européens : nous pouvons encore lire lorsqu'ils n'y voient goutte. On voit des hommes très forts; mais, en général, ils le sont beaucoup moins que les peuples du Nord (?;, ce qui vient sans doute de la chaleur du climat et de leur nourriture légère... Ils n'ont point de favoris, mais seulement une barbiche au menton avec de longues moustaches qu'ils laissent croître seulement sur les coins de la lèvre. Ce n'est que vers l'âge de trente-cinq à quarante ans qu'ils laissent croître la barbe. Il siérait mal à un jeune homme d'en avoir... )> Le naturel dominant des Annamites est le flegmatique. Ils sont pai- sibles, doux, lents. Sans être paresseux, ils ne sont pas actifs; (ils) ne se pressent point... et ne se trouvent jamais mieux que quand ils sont couchés ou assis. Les enfants même n'ont ni l'ardeur ni la pétulance des Européens ; ils sont graves dès le bas âge. Ils (les Annamites) ont I J.-V. BARBIER. — l'iNDO-CHINE IL Y A CINQUANTE ANS 839 peu de soucis et ne portent pas loin leur prévoyance. Ils sont un peu indifîérents. ont peu d'afifection et de sensibilité. Aussi ne connaissent -ils guère ce que c'est que l'amitié. Ils voient mourir un père, une mère, un mari, une épouse presque d'un œil sec. Ou s'ils éprouvent, pour le moment, ([uelque douleur, ce sentiment a disparu au bout de peu de jours... Ils ont le jugement assez juste et entendent assez facilement raison. Une attention soutenue leur émousse l'esprit ; aussi ne sont-ils nullement capables de cultiver les sciences abstraites, telles que la métaphysique. Ils se pénètrent peu des vérités terribles de la religion ; aussi ne trouve-t-on que peu de personnes timorées et presque point de scrupuleuses. Ils ne sentent même la grièveté des crimes les plus énormes que parce qu'ils sont punis par les lois du royaume ou parce qu'on leur impose quelque pénitence publique et frappante. Ils ne sont pas capables de vertus héroïques et souffrent avec peine le jnug de la discipline, ce qui provient aussi beaucoup du défaut d'instruction ; car, ici, point d'écoles pour former les mœurs... Saint François-Xavier a dit, en parlant des Asiatiques, qu'ils étaient d'un si mauvais naturel qu'on ne pouvait jamais les amener à une exacte observation des vertus chrétiennes. Rome défend d'ordonner les prêtres annamites avant l'âge de trente ans, et l'expérience prouve que c'est encore trop tôt... Ils parlent le plus souvent à double sens, afin, si on les prend d'un côté, de pouvoir s'échapper de l'autre. Ils y sont exercés de très bonne heure : on voit des enfants qu'on ne saurait convaincre de faute, tant ils sont habiles à se défendre. Quand ils disent qu'un homme est très prudent, c'est qu'il est très habile à mentir et à tromper. Les grands, comme les petits..., tout le monde ment. Comme ils ne se croient guère entre eux, ils font , des serments et se parjurent à tout propos. Mais ils ne font pas de cas du serment. Eux-mêmes avouent leur faiblesse à cet égard, de manière qu'on peut dire d'eux, sans leur faire injure, ce que saint Paul disait des Cretois : Malœ besfiœ venir is pigri semper mendaces. » Ils ont encore une propension déclarée pour l'orgueil ; ils veulent être honorés coûte que coûte et ne cherchent en tout qu'à (se) préva- loir... S'ils rencontrent un inconnu et que la conversation s'engage, ils décriront leur généalogie, ils seront parents ou alliés d'un tel, homme riche, puissant, constitué en dignité ; ils auront été employés en telle afiaire, un mandarin les appellera souvent pour leur confier quelque mission ; ils auront été loués ou reçus quelque part avec beaucoup d'honneur. Et autres misères pareilles qui ne s'effacent jamais de leur mémoire et dont ils veulent que tout le monde soit instruit... Les supé- 840 GÉOGRAPHIE rieurs sont obligés d'avoir beaucoup de gravité ; ils ne peuvent point user de familiarité avec les inférieurs, car ceux-ci sont toujours à examiner le degré d'honneur et d'estime qu'on leur accorde et chercher toujours (à monter) plus haut pour pouvoir ensuite se familiariser. Après quoi, ils méprisent l'autorité qu'ils ne savent mesurer que par l'air de gran- deur et de gravité dont celle-ci s'environne. Un missionnaire, par exemple, ne mangera ni ne s'assoiera jamais, môme avec les premiers catéchistes, quand môme ceux-ci seraient de respectables vieillards ; tout le monde en serait très scandalisé... » Les Annamites sont moins hébétés, moins fainéants et moins volup- tueux que les Cambodgiens, mais ils ne sont ni si spirituels, ni si actifs, ni si industrieux que les Chinois. Et parmi les Annamites, les Cochm- chinois sont intérieurs aux Tonquinois. En Cochinchine même, les pro- vinces du midi ne valent pas celles du nord. Cependant, les Annamites sont bien plus guerriers et, je crois, moins voluptueux que les Chinois. Les Cochinchinois, sans être aussi cérémonieux que les Tonquinois, ont plus de bon sens (1) et de droiture naturelle. Les mandarins de Cochinchine, que le roi envoie au Tonquin, ne « voient quelquefois que du bleu » (sic) dans les procès, tant les Tonquinois sont retors et captieux pour « en- tortiller » une affaire. Les femmes y ont au.ssi (au Tonquin sans doute) beaucoup d'éloquence naturelle... » Dans le chapitre du costume, nous ne voyons à citer que quelques passages : « ...On laisse les garçons nus jusque vers l'âge de quatorze ans et les filles jusque vers l'âge de dix ans. quand ils sont à la maison ou qu'ils vont paître les troupeaux ; mais, quand ils sont quelque part, on a cepen- dant soin de les faire habiller. Les ouvriers, quand ils travaillent, ne gardent que leur culotte, ou même simplement le langoiiti, dont se servent principalement les Tonquinois; en Cochinchine, il n'est guère d'usage. C'est une ceinture qu'on fait passer entre les jambes et qu'on noue ensuite très proprement. Le langouti est en usage chez beaucoup d'autres peuples d'Orient. Les femmes, surtout dans leur ménage, ne gardent aussi que la culotte. Plusieurs, cependant, se couvrent le sein d'un voile ou pectoral qu'elles attachent en haut, sur le cou, par deux cordons, et en bas, ilerrière le dos, par deux autres cordons. D'autres rehaussent leur culotte, qui est très grande, pour se couvrir le sein... « Les femmes annamites ne diffèrent des hommes, pour le costume, qu'en ce que leur habit est beaucoup plus long, leur culotte un peu plus étroite, leurs boulons et leur chapeau un peu plus petits ; quoiqu'elles <1) Cette observation semble en contradiction avec celle qui précède quatre lignes plus haut; mais il nous paraît, d'après les mots qui suivent, que les mots de bon sens sont mis ici pour sim- plicité. J.-V. BARBIER. — l'iNDO-CHINE IL Y A CINQUANTE ANS 841 aient le turban (?), elles ne (se) couvrent pas la tète comme les hommes. 11 y a aussi des hommes qui ne (se) la couvrent pas. Les deux sexes peu- vent se servir et se servent quelquefois indifféremment des habits de l'un de l'autre. Des gens mariés, qui sont pauvres, n'auront peut-être, pour les deux, qu'un seul habit de soie: celui des deux qui va à la messe prend l'habit et l'autre garde la maison. Si on ne voit pas la figure, il est parfois difficile de distinguer les hommes des femmes. Pour les en- fants de dix à douze ans, j'ai été souvent fort embarrassé de savoir s'ils étaient du genre (sexe) masculin ou du genre féminin.... Les vêtements de dessous sont généralement très sales, car ils (les Annamites) ne savent pas faire la lessive. Ils les lavent cependant à l'eau claire, mais ils ne viennent pas à bout de les décrasser. Assez souvent, si le vêtement est encore bon et qu'il n'y ait plus d'autres ressources ils le teignent en cou- leur d'écorce (?) ou couleur jaune... » En ce qui concerne Fhabitation : « Leurs maisons ne sont guère que des tentes. Elles peuvent se mon- ter, se démonter, se transporter comme on veut. Aussi comptent-elles parmi les objets mobiliers. Elles n'ont, pour l'ordinaire, point de plancher supérieur ou inférieur. Sur sa tête on a le loit, et à ses pieds la terre nue. Quelques-uns cependant font une espèce de cellier pour y mettre des provisions ou des effets... Les maisons sont couvertes en paille ou en branches de cocotier. En Basse-Cochinchine, plusieurs riches particuliers ont des couverts (couvertures) en tuiles, dont on ne connaît l'usage que depuis un certain nombre d'années. Pour construire les murs, ils com- mencent par élever un échalas de lattes (lattis?) en bambous qu'ils en- duisent de terre ou de boue pétrie, de l'épaisseur de trois à quatre pouces. Les voleurs percent ces murs bien facilement avec un simple instru- ment de bois. Les mandarins et quelques personnes riches... ont des cloisons en planches avec de petits ornements sculptés. Il n'y a que les édifices publics qui soient bâtis en briques ou en tuf... » Après le logis et quelques détails sur le mobilier très sommaire dont les nattes et les phans forment la partie essentielle, viennent quelques observations sur les us et coutumes. « Ils (les Annamites) dorment peu, se couchent assez tard et se lèvent au point du jour. Si, pour quelque affaire, ils n'ont pas dormi la nuit, ils n'en sont pas beaucoup gênés; ils se jettent dans un coin où ils dorment une heure ou deux... Dans les maisons qui ont un plancher, on s'assied et mange sur le plancher. Dans les autres on se pourvoit du phans qui con- siste en quelques planches unies ensemble et élevées (au-dessus) de terre d'environ 6 à 8 pouces par le moyen de trois traverses qui servent de pieds. Ces phans sont assez larges pour tenir cinq à six personnes. On les couvre de nattes plus ou moins belles et précieuses selon la dignité des 842 GÉOGRAPHIE personnes. Quand quelqu'un de distingué entre dans la maison, le maître fait immédiatement préparer une grande natte, bordée ou à fleurs. Ils s'assiéent en croisant les jambes... Les inférieurs ne peuvent pas s'as- seoir sur une môme natte avec un supérieur, ce serait lui manquer essen- tiellement de respect. Quelquefois cependant, quand la distance n'est pas très grande, le supérieur, un mandarin par exemple, pour marquer de la considération à un homme respectable, le fera asseoir avec .lui. Les mandarins, pour l'ordinaire, sont assis sur des plateaux élevés de boi& dur et d'un poli luisant, sans y ajouter de nattes, mais seulement un accoudoir (?). Quelquefois on fait asseoir les hôtes sur des chaises que leur vendent les Chinois. On a aussi des bancs et des tabourets, mais ce n'est guère l'usage, de s'en servir. Dans un repas ou dans une grande compagnie, les plus dignes sont les plus près de la porte; chacun sait précisément le rang qu'il doit tenir à raison de son âge ou de quelque autre titre. Mais lorsqu'un supérieur est assis isolément, les plus dignes en doivent être naturellement les plus rapprochés. Assez souvent par res- pect, ils ne font que de s'abaisser sans croiser les jambes ni appuyer le derrière. S'ils ont des chaussures ils ont du les laisser à la porte. Pour l'ordinaire on salue, même les supérieurs, par une simple inclination. Le grand salut, suivant le cérémonial chinois n'est d'usage que dans certaines circonstances, comme quand ou offre des présents, quand on veut faire une pétition, ou remercier, ou demander pardon, ou même quand on se présente devant un supérieur qu'on n'a pas vu depuis longtemps ou qui part pour un long voyage. Voici comment se pratique ce salut : 11 faut d'a- bord se mettre en grand costume. Les hommes, debout, joignent les mains, les élèvent au-dessus de la tête de la longueur des bras, les rabaissent vers la poitrine, les étendent en forme de cercle à la même hauteur, puis se mettent à genoux, posent leurs mains ainsi jointes et appuient la tête dessus, comme pour frapper la terre de leur front. Puis ils se relè- vent et répètent plusieurs fois ce salut selon la dignité du supérieur. On salue le roi cinq fois. Ensuite on fait une inclination ordinaire. Les femmes, après s'être assises, non en croisant les jambes, comme les hommes mais en les repliant du côté gauche, se prennent les poignets, étendent ainsi les bras en forme de cercle à la hauteur du front et font une ou plusieurs inclinations de tête. Assez souvent, au lieu d'étendre ainsi les bras, elles se contentent de tenir les mains jointes sur leurs genoux. Ce n'est pas ici l'usage de se saluer en se souhaitant le bonjour ou le bon- soir. Si on se rencontre par les chemins, on n'ôte pas son cliapeau, à moins qu'on ne se trouve en face d'un supérieur. Alors il faut aussi abaisser les bourses qu'on porte en besace sur son épaule . Si on est à cheval ou en palanquin on descend... Ce n'est pas l'usage de se prendre par la main. Il serait indécent de s'embrasser... Un enfant, même après HENKI d'oRLÉANS. — EXCURSION EN INDO-CHINE — DE HANOÏ A BANGKOK 843 une longue absence, ne s'avisera jamais d'embrasser son père et sa mère... On ne se prend jamais par-dessous le bras et les personnes de dilTérent sexe ne doivent point s'asseoir sur une même natte (à moins) qu'elles ne soient proches parentes ou d'un âge avancé. » On voit avec quelle minutie notre missionnaire a observé les Annamites. D'assez longs chapitres sont consacrés encore aux repas, aux jeux, au calendrier annamite, aux monnaies et mesures. Mais nous ne saurions abuser plus longtemps des instants de la Section. Si les extraits que nous venons de lui communiquer lui ont paru avoir quelque intérêt et quelque originalité, nous tâcherons de lui donner la suite de ces notes à la pro- chaine session. Le Prince Henri d'ORLÉAÎfS à Paris. UNE EXCURSION EN INDO-CHINE — DE HANOI A BANGKOK — Séance du 17 septembre 1892 — A la fin de notre long voyage à travers l'Empire chinois, nous avons eu, M. Bonvalot et moi, la chance de déboucher au Tonkin; après la tra- versée du Thibet, peu peuplé, du Setchuen occidental bien misérable, du Yunnan montueux si aride, le delta du Song-Koï nous a semblé un pays enchanté, un nouvel Eden; n'étions-nous pas l'objet d'un mirage? Avions-nous bien le droit de juger avec nos précédents souvenirs comme point de comparaison? Et la richesse de la colonie française ne nous a-t-elle apparu qu'en raison de la pauvreté des régions déjà parcourues ? Autant de questions qu'il m'importe de résoudre. De prime abord admirateur du Tonkin, j'y retournerai pour avoir le droit d'en parler; il me faut en effet mieux le connaître que par le séjour d'un mois ; mes impressions doivent s'appuyer sur autre chose que des renseignements vagues, sur des faits et des chiffres; une sorte d'enquête est à faire ; c'en est le résultat que je veux vous soumettre ici. Ma conférence se divisera naturellement en trois parties : dans la pre- 844 GÉOGRAPHIE mière, je vous dirai mon séjour dans le bas Tonkin; j'essayerai de vous faire en quelques traits un tableau de ce qui a déjà été créé, vous verrez facilement à côté ce qui reste à faire et c'est beaucoup. La seconde nous conduira dans le haut pays; ici, trois directions nous sont indiquées par le cours des eaux : à l'est, la voie de. la rivière Claire; de ce côté, la pacification est loin d'être achevée ; les travaux de che- min de fer ne sont guère avancés, et, d'ailleurs, les rapports de notre consul de Lang-Tchéou, de l'agent anglais de Pakoï, des employés des douanes chinoises, nous donnent des chiffres précis, qui nous permettent d'estimer, dans l'état actuel de la question, le commerce possible du Tonkin avec le Quang-Si et le Quang-Toung. Au nord, le fleuve Rouge, l'artère principale du Tonkin, qui coule du Yunnan droit comme un i jusqu'à Hanoï. Nous avons eu la chance de le descendre dans mon précédent voyage. Reste à l'ouest, la rivière Noire, encore peu connue du public, malgré les nombreuses traversées de la mission Pavie; c'est elle que nous allons remonter. A côté des renseignements commerciaux que nous pourrons y glaner, nous trouverons d'autres avantages; les races qui peuplent ses bords, sa formation, sa faune, sa flore sont à peine étudiées; il y aura matière à nombreuses collections. Enfin, la montée du Song-Ro nous mènera auprès du Laos. Dans la troisième et dernière partie de ma conférence, je me propose de vous dire deux mots de cette région encore mal définie et dont le nom semble pourtant devoir revenir souvent dans l'histoire de l'Lido- Chine moderne. Un syndicat français cherche à mettre cette contrée en exploitation; des rivaux nous y disputent un terrain occupé par un tiers, et la poudre jetée aux yeux du public n'a souvent pour but que de lui cacher des convoitises plus grandes. On peut dire du Laos, en étendant son nom à la région que traverse le 3Iékong, de la frontière du Cambodge à celle de Chine, qu'il est actuellement la clef de la question d'Extrême-Orient; c'est derrière le masque du Laos que les Anglais cherchent à nous couper les voies de pénétration en Chine et à nous devancer sur le grand marché du Céleste- Empire... (et ils marchent à grands pas). La question est brûlante, com- plexe, difficile à résoudre diplomatiquement dans un pays où chacun peut, avec justesse, invoquer des droits, passionnante pour nous, car d'elle, peut-être, dépend l'avenir de notre empire colonial en Indo-Chine. En quelques mots. Messieurs, j'ai essayé de vous indiquer le but que j'ai poursuivi en retournant au Tonkin. Je n'ai plus qu'à aborder le récit même de l'excursion, en sacrifiant souvent, pour plus de brièveté, les détails de la route au désir de vous exposer à quelques-uns des résultats généraux qu'il me semble avoir constaté. HENRI d'oULÉANï;. — EXCURSION EN INDO-CIIINE — DE HANOÏ A BANGKOK 84o LE BAS TONKIN. — LES CHARBONNAGES. — LA PIRATERIE ET LES MOYENS DE LA COMBATTRE. Arrivé à la fin de décembre à Honi;-lvong, j'ai la chance d'y assister à des essais qu'on fait du charbon du Toiikin; ce dernier est brûlé à bord de plusieurs ferrys de la rade et dans les fourneaux de l'usine Jardine et Matheson. Le feu doit être entretenu avec soin. Mais le combustible pro- duisant, à quantité égale, plus de calorique que celui du Japon, on réalise à son emploi une économie de près d'un tiers sur le japonais. Des chiffres donnent ainsi la mesure de succès du charbon de notre colonie. Quelques jours plus tard, une chaloupe mise à ma disposition par un des capitalistes de Hong-Kong les plus convaincus de l'avenir du Tonkin. M. Cheater, me transporta de Haïphong à Hong-Hay ; de cette excursion dans les charbonnages, j'ai déjà envoyé un compte rendu détaillé à la Société de Géographie commerciale. Qu'il nous sutrise de dire ici que deux gisements principaux exploités, l'un en galerie et l'autre à ciel ouvert, comme une simple carrière, et reliés au port par une quinzaine de kilomètres de chemin de fer à voie d'un mètre, donnent actuellement cent cinquante tonnes de charbons par jour et que dans quelques mois, lorsque les derniers kilomètres de rails seront posés, on pourra compter sur un rendement journalier de trois cents tonnes. Au mois de décembre 1891, six mille tonnes ont déjà été envoyées à Hong-Kong; et lorsque j'ajouterai que la production totale d'un des cen- tres d'exploitation (il y en a trois principaux dans la concession seule de Hong-Hay) est évaluée à plus de quarante millions détonnes, je crois que j'aurai dissipé toute crainte qu'on pourrait avoir d"un rapide épuise- ment de la mine. Plus loin, Kébao, dont les travaux ont été commencés plus tard et avec un moindre capital, suit pourtant honorablement l'exemple donné par son aînée Hong-Hay; les deux exploitations sœurs sont appelées à un grand avenir. L'île de Kébao ferme la rade profonde de Tien -Yen; les vaissaux ca- lant sept mètres pourront y trouver abri et venir aux plus basses marées jusqu'au pied de la falaise. Sur les îlots semés à l'entrée de la baie, comme des sentinelles aux avant-postes, des batteries vont être établies et derrière celles-ci sera créé un port de ravitaillement pour la marine militaire : peut-être alors ceux qui ont invoqué l'abandon par la France de la clef de l'océan Lidien, le canal de Suez, comme argument contre 846 GÉOGRAPHIE l'occupation du Tonkin, comprendront-ils l'immense avantage pour la patrie d'être seul avec la Russie à posséder un grand port militaire dans l'Extrême-Orient; et qui se souvient de la position critique dans laquelle le manque de combustible avait mis notre flotte, sous le commandement de l'amiral Courbet, sentira la force qu'elle se donne en contruisant ses appontemenls sur des assises de charbon . En quittant Hong-Hay et Kébao, nous n'en avons pas fini avec la question de la houille au Tonkin : la prochaine carte géologique du pays sera marquée d'une large bande noire traversant la colonie dans sa plus grande étendue, du sud-est au nord-ouest; apparaissant dans l'île de Haïnan, le charbon est connu à Kébao, à Hong-Hay, puis dans le Dong-Trieu, à Quang-Yen et encore sur les bords du fleuve Rouge, à Yen- Bay, à Lao-Kaï, où les essais ont révélé un combustible égal au meilleur cardiff; ces charbonnages montent plus haut jusque dans le Yunnan,. formant de véritables montagnes sur lesquelles le sabot du cheval se heurte à chaque pas au combustible. Je ne vous parlerai pas des traces connues et que j'ai moi-même relevées sur la basse et haute rivière Noire; je ne vous entretiendrai pas de ce qui est encore à trouver, de ce qu'on découvre encore en ce moment; je ne vous conduirai même pas aux célèbres exploitations de l'Annam; je me bornerai à ce que je viens de vous énumérer au Tonkin même, il y a quelques instants, et je demanderai à chacun de vous, quelque opinion qu'il puisse avoir sur la question coloniale, s'il n'est pas tenté de joindre sa voix à celle d'un étran- ger, d'un Anglais, de lord Connemara, pour dire avec lui : « Le Tonkin est appelé à jouer dans l'Extrême-Orient le rôle que joue l'Angleterre en Europe; ce sera le grand producteur de charbon de l'Asie. » Puisque j'en suis à invoquer les avis de nos rivaux en matière colo- niale, il me plairait de me mettre encore ici sous le couvert d'un journa- liste anglais pour vous parler de Haïphong; je serais ainsi en garde contre l'accusation de partialité; des citations vous intéresseraient peut- être, des faits vous parleront plus éloquemment. En 1886, le Haïphong français se composait de quelques cabanes de planches et de bambous dressées au milieu des marais : la mortalité était grande dans ce centre infectieux. En 1892, des esprits facétieux (il s'en trouve partout) annoncent que pharmaciens et médecins sont sur le point de se mettre en grève. Sans croire cette âge d'or arrivé, je me contenterai de vous faire remarquer qu'en cet année bienheureuse un seul décès est constaté dans la popu- lation européenne de la ville; nous ne comprenons pas dans celle-ci, bien entendu, les soldats malades évacués du haut Tonkin. Les mares ont été comblées avec des mottes de terre apportées les unes après les autres par HENRI d'orLÉANS. — EXCURSION EN INDO-CHINE — DE HANOÏ A BANGKOK 8i7 •des coolies ; sur ces moites une ville s'est élevée : des canaux ont été creu- sés, et le voyageur qui suivrait les quais serait étonné de voir dans les <îliantiers qui bordent le fleuve Houge les carcasses de navires construits de toutes pièces à Haïphong pour la montée des rivières du Tonkin. C'est un de ces navires, appartenant à la Compagnie des Messageries fluviales, dont les bateaux sillonnent la contrée, qui nous conduira en quinze heures à Hanoï. Il me faudrait plusieurs journées pour vous pro- mener dans la ville et ses environs, vous montrer partout les résultats étonnants obtenus en peu d'années par des colons énergiques et tra- vailleurs; le parti qu'on a su tirer de quelques produits déjà utilisés, le dressage qui a été fait d'indigènes, bien dilïérents de nous, mais labo- rieux et intelligents, mis avec succès à des travaux entièrement nouveaux pour eux; le temps me presse, et pourtant vous éprouveriez, j'en suis sûr, un bien légitime sentiment d'orgueil national à visiter l'imprimerie, la typographie et la fabrique de papier de MM. Schneider, la fabrique ■d'allumettes de M. Courtois, les filatures de soie de MM. Dorel et Bour- goin-MeilTre, les broches à coton nouvellement arrivées de ce dernier, les ateliers de confection de M. Charpentier, que sais-je? Plus loin le Jar- din botanique, dirigé avec tant d'intelligence et à si peu de frais par M. Martin, jardin où chacun peut trouver à un extrême bon marché les jeunes plants nécessaires à tous les essais; et, plus loin encore, à quel- ques heures de bateau, les carrières de marbre et les cultures de café de Kécheu, dirigées par les frères Guillaume; le vaste établissement agricole créé par le regretté monseigneur Puginier, dont la figure plane dans l'his- toire de la colonisation française en Indo-Chine au-dessus des partis et des croyances ; les plantations de coton du Syndicat anglo-français et tant d'en- treprises diverses dont la mise en œuvre suffit seule à réduire à rien les dénégations de ceux qui refusent à la race gauloise le génie colonisateur. Je m'arrête ici pour essayer de répondre à une question que je sens posée sur les lèvres de chacun. — Si l'on a déjà tant fait, me direz- vous, que reste-t^il à faire? Beaucoup, tout même, et c'est là que j'arrive au revers de la médaille. Hong-Hay, Haïphong, Hanoï, et une zone environnante ne constituent pas tout le Tonkin ; à droite et à gauche s'étend le Delta, oij la popula- tion grouille, le Delta fertile avec ses rizières; et au-dessus du Delta, les plateaux encore non cultivés ; plus haut encore les collines couvertes de forêts. Dans ces régions le colon ne se fixe pas ; c'est à peine s'il les par- court de temps à autre. A part les charbonnages et quelques gisements d'antimoine, proches de ces derniers, les mines ne sont pas exploitées. Les grandes cultures ne sont guère tentées ; de vastes espaces de terre arable sont encore vierges du contact de nos charrues. S48 GÉOGRAPHIE Tandis qu'à l'ouest, nous voyons les Anglais aller chercher leurs rubis dans les districts les plus reculés de la haute Birmanie, ou faire descendre leurs radeaux de teck de forêts éloignées ; tandis qu'au sud les Néerlan- dais retirent de leurs vallées des centaines de millions sous la forme de feuilles de tabac ou de balles de sucre; tandis qu'à l'est, les Espagnols de Manille chargent des navires entiers de chanvre dit de Manille ou de jute, pour([uoi nos compatriotes du Tonkin ne produisent-ils que sur une si petite échelle encore? Pourquoi ne se hasardent-ils guère en dehors d'une bande de terrain si étroite, alors que le pays est si grand? C'est, dira-t-on, qu'il y a peu de routes; que les capitaux manquent; que beaucoup de préventions qui ont accompagné l'occupation du Tonkin subsistent encore. Tout ceci est exact; et pourtant là n'est pas encore la vraie réponse : Nous sommes en retard, parce que le pays n'est jms encore pacifié. Les pirates sont partout. Leur existence est la cause de notre faiblesse. Des travaux dans une mine ont-ils été interrompus? une récolte dé- truite? un convoi arrêté? un commerçant a-t-il disparu? Chaque malheur, chaque catastrophe, chaque désastre est l'œuvre des pirates, force invisible mystérieuse, sans cesse combattue et renaissant sans cesse de ses propres débris, semblable à ces annélides dont les tronçons sectionnés à l'infini reforment toujours des corps nouveaux. Il ne m'appartient pas de faire ici une étude de la piraterie, de vous montrer la différence entre les contrebandiers et les rebelles, d'examiner les sentiments qui les animent, les moyens d'en venir à bout; c'est 'parmi nous qu'il faut chercher la raison de leur durée et de leur force ; on ne peut la préciser et on la trouverait un peu partout : dans l'éta- blissement de la ferme d'opium, qui fait naître les contrebandes; dans le peu d'unité d'action; dans la trop longue rivalité qui s'est produite entre les pouvoirs civils et militaires; dans le trop petit nombre de troupes européennes. Dans une contrée grande comme la France, où nous ne pouvons pas opposer à douze millions d'habitants plus de trois mille soldats français, une position obtenue ne peut être gardée ; tout est sans cesse à recom- mencer; est-on parvenu à acculer Lou-Ky dans le Dong-Trieu, quil faut l'abandonner, lui laissant les moyens de se reconstituer, pour porter l'attaque dans le Yen-'ihé ; et ces opérations sur la rive gauche du tleuve Rouge permettront, à l'ouest, aux bandes du Doc Ngu de gagner du terrain et d'infliger de sérieux échecs à nos troupes, trop faibles sur ce point. Je devrais mentionner encore ici la difficulté des communications ; je sais que nous devons au gouverneur général la construction de nom- breuses routes; mais il reste sur ce point beaucoup à faire; ne serait-il HENKI d'oRLKANS.— EXCURSION EN INDO-CHINE — DE HANOÏ A BANGKOK 849 pas temps de songer à des chemins de 1er, de commencer des travaux plus sérieux que ceux du Decau ville qui doit transporter les marchan- dises de Phu-lang-Thuong à Lang-Son, et dont le spectacle est un scandu/e, il faut dire le mot, exposé à la vue de tout voyageur venant au Tonkin; je regrette d'avoir laissé écliapper ce mot, et pourtant après vous avoir montré 22 kilomètres de voie de 60 centimètres posés en deux ans, je voudrais pouvoir vous transporter en Birmanie et mettre sous vos yeux i20 kilomètres de voie d'un mètre établis en un an dans la vallée de riraouaddy, entre Rangoon et Mandalay. Les chiffres parlent; ils seraient encore plus éloquents si nous abordions le chapitre des dépenses. La recherche des causes de la piraterie vient de m'entrainer plus loin que je n'aurais voulu, et pourtant je voudrais, avant de la quitter, vous indiquer un autre aspect de la question : celui de notre situation entre la Chine et le Siam ; des deux côtés du Tonkin, la frontière est ouverte, et nos voisins ont tout intérêt à soutenir les pirates; les proteslalions de bonne amitié du Tsong-li-Yamen ou de la cour du Siam sont fré- quentes; je veux bien que Pékin et Bangkok ne soient pour rien dans les agissements de leurs provinces frontières des nôtres; mais est-ce une raison pour nous de laisser passer des faits graves sans rien dire? Xe pouvons-nous demander ce que sont devenus les assassins de M. Haitce? ne nous dounera-t-on pas des explications sur la présence en Chine, près de Mong-Kay, au printemps de cette année, de deux Euro- péens, trafiquant avec Lou-Ky de nos fusils Lebel ? et pourquoi laisser Tuyet, à Canton, toucher une pension de 300 piastres par mois, du Tonkin, alors que nous venons de céder à la Chine, sur sa prière, un mandarin fuyard du Céleste Empire, qui s'était rendu à nous avec ses armes, se fiant à notre parole? Et à Bangkok, pourquoi ne pas redemander les chefs annamites faits prisonniers, en 1891, sur notre propre territoire? Pourquoi ne pas élever la voix lorsque les Siamois insultent notre drapeau et nos représentants, ou font venir chez eux, pour leur prêter secrètement serment, des chefs nniongs, dépendant de nous directement? Pour les Orientaux, comme pour d'autres, d'ailleurs, le silence équivaut souvent à l'aveu d'impuissance. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas ici le lieu d'étudier des sujets aussi com- plexes sur lesquels j'avais voulu simplement attirer votre attention. Mon désir de rester impartial, qui me les a fait aborder, m'oblige, après ces mots de critiques, d'indiquer certaines considérations qui dégagent singulièrement notre responsabilité. Nous ne devons pas oublier que la piraterie a été la plaie endémique du Tonkin avant notre venue, que nous sommes dans un pays montueux, coupé, broussailleux, rocheux, difficile, en présence de douze millions 54* 850 GÉOGRAPHIE d'hommes, et que nous n'y sommes que depuis six ans. Si nous nous repor- tons aux efforts que nous avons dû faire, aux soldats que nous avons sacritiés, à l'argent qu'il nous a fallu employer, et pendant de longues années, en Algérie, nous reconnaîtrons que nous ne sommes pas au Tonkin dans une position anormale. Loin de désespérer de l'état de choses, nous saurons nous imposer de nouveaux sacrifices et les supporter avec patience, en raison de la grandeur du but à atteindre : donner à la patrie dans l'Extrême-Orient ce qu'elle a déjà de l'autre côté de la Méditerranée; faire une seconde France aux portes de la Chine ; créer à côté de l'empire anglais, sur les bords du Pacifique, un empire français solide, durable, riche; tel est le résultat que nous voulons atteindre, et l'édifice sera impérissable, parce que ses pierres de taille sont faites des os, et son ciment du sang des Français! LA RIVIERE NOIRE. — LES CULTURES ET LES HABITANTS. — LES VOIES COMMERCIALES. Nous venons de faire peut-être un trop long séjour dans le bas Tonkin. Le temps me manque, et pourtant je désirerais vous faire entrevoir un coin du haut pays. Pour être bref, et vous épargner les ennuis d'un voyage souvent fatigant, marqué de peu d'incidents saillants, laissez-moi vous transporter à Laïchau, le poste français le plus reculé sur la rivière Noire, à six journées de marche de la frontière de Chine. Nous sommes à la fin de février, le thermomètre marque 11 à 15 degrés la nuit, et de ''lo à 45 degrés dans l'après-midi, suivant qu'on est à l'ombre ou en plein soleil. La montée de la rivière Noire m'a pris dix-huit jours : on fait route en pirogues poussées à la perche, ou halées à la cordelle ; en comptant les arrêts dans les postes et les excursions à droite et à gauche, j'ai par- couru pendant trente-cinq jours la vallée du Song-Bo. Les eaux sont basses et les rapides nombreux; c'est par douze ou quinze que je les ai parfois comptés dans la même journée ; les rives sont montueuses, généralement couvertes de forêts épaisses ou de bambous ; les schistes qui forment ces collines, rarement interrompus par des granits, font plus souvent place à de hautes falaises calcaires, à pic, qui encaissent le courant et le dominent parfois de plusieurs centaines de mètres. Les crêtes sont souvent si rapprochées que c'est à peine si elles laissent passer un mince filet de jour qui vienne au fond de la gorge, tout en bas, montrer au batelier la direction à prendre au milieu des bouillons écumants du torrent. Rien de plus beau et en même temps de plus terrible que ces longs et profonds couloirs d'érosion dont les deux HENRI d'ORLÉANS. — KXCURSIOîS E.\ INDO-CHINE — DE HANOÏ A BANGKOK 851 parois, portant encore l'empreinte l'un de l'autre, semblent avoir été violemment séparés dans des temps relativement récents. Nous sommes en présence de cette formation de calcaire carbonifère, unique en son genre, je crois, qui. donnant naissance aux îlots bizarres et à la fois grandioses des baies de Fitz-Along et d'Along, s'étend à travers le Tonkin et vient former ici, au milieu des plateaux, des cirques naturels, véritables atolls, rappelant les récifs polynésiens : c'est au fond de ces cuvettes qu'on rencontre les alluvions aurifères, peut-être produites par la décomposition des schistes. Tel semble du moins être le cas des sables de Molou, à quelques journées de Sonia, sur la rive droite de la rivière. Le rendement ne m'a pas paru ici très grand; quelques lavages que j'ai fait faire m'ont donné une moyenne de un gramme un dixième d'or à la tonne; il est vrai que les travaux exécutés à la main, sans l'emploi du mercure, sont grossiers, mais je ne m'explique pourtant les bénéfices obtenus jadis par les patrons chinois à la tête de près de huit cents ouvriers, avant l'arrivée des Pavillons-Noirs, que par le bon marché de la main-d'œuvre; les travailleurs étaient payés avec de l'opium. Si l'or donne peu, ici les gisements de cuivre semblent devoir être plus productifs; j'ai vu des échantillons de cuivre presque pur d'un poids de près de douze kilos, provenant du plateau de Tafine; des chefs m'ont dit qu'on y trouve des blocs de près d'un mètre cube; d'autres minerais de cuivre fort riches ont été récoltés sur la rive droite de la rivière Noire, presque en face du confluent du Nam-Ma; dans cette région on trouve également de nombreuses mines de plomb argentifère. Comme dans la basse rivière Noire, j'ai constaté des traces de charbon, sans avoir de données sur la richesse possible du gisement, ou la qualité du combustible des couches inférieures. Des mines étaient jadis exploitées dans les pays de Deo Van Tri autour de Laichau; on y cherchait du cuivre et du plomb pour la consommation locale; plus tard, les pirates y prirent la matière de leurs balles, et maintenant abandonnées, ces exploitations attendent pour être reprises par l'élément français que les voies de communication, devenues plus praticables, rendent le transport moins coûteux. Ce n'est pas seulement des mines que les provinces du pays muong sont appelées à tirer leurs richesses : les hauts plateaux élevés sur des assises calcaires, exposés à une température plus constante que dans le Delta, conviendront à des cultures diverses. Déjà le coton y pousse partout, sans aucun soin, comme une mauvaise herbe. Après un incendie préalable, il est semé par les indigènes qui, dès lors, ne s'en occupent plus que pour la récolte; les arbustes atteignent un mètre cinquante. La pro- duction poursuivie est limitée aux simples besoins de consommation de l'habitant. Mais le colon qui se fixerait dans ces régions ne devrait pas 852 GKOGRAFHIE oublier que les Chinois du Yunnan s'en viennent chercher le colon jusque dans les Étals chans de la Birmanie, en faisant vingt-cinq et trente étapes de caravane pour rapporter leurs balles à la capitale. Ils payent ainsi, si l'on accepte les chiffres donnés par Halelt, plus d'un franc de transport par livre. De Yen-Bay, sur le fleuve Rouge, ou de Van-Bou, sur la rivière Noire, à Yunnan-Sen, le prix serait près de moitié du précédent. Pour ne rien omettre ici, je devrais mentionner la concurrence que nos filés pourraient faire à ceux qui viennent de Shanghaï jusqu'à iVlong-Tzé, ville située à douze jours de Laïchau et à cinq de Lao-Kaï. A côté des plantes indigènes, que de cultures nouvelles à introduire ! Un simple coup d'œil sur les Indes néerlandaises suffirait à nous montrer les résultats qu'a su atteindre un travail persévérant et opiniâtre; je n'en veux qu'un chiffre pour exemple : une seule compagnie de tabac, à Bornéo, produit par an pour plus de 80 millions de francs. Le terrain est bon, les herbages hauts; des bestiaux pourront égale- ment trouver leur nourriture sur les plateaux du haut Tonkin. Plantation ou herbage, quoi qu'y tente le colon, il ne sera pas restreint à une zone étroite; son entreprise pourra être développée à loisir, car les mêmes conditions de terrain, d'altitude et de climat se répètent sur un vaste espace, des deux côtés de la rivière Noire, depuis le Bavi jusqu'à Laïchau, pour ne parler que de l'ouest du Tonkin; près de ce dernier poste, le plateau atteint 1.600 mètres. J'y ai vu la température descendre à — 4 degrés la nuit; le froment, le maïs, les arbres fruitiers y donnent d'excellents résultats. C'est peut-être le plateau Tafine, ainsi nomme-t-on ces hauteurs, qu'on donnera un jour comme sanatorium à nos troupes et aux colons anémiés; ils y trouveront un climat européen. Au-dessous des rochers calcaires se développent généralement les grandes forêts vierges au milieu desquelles domine le gigantesque ficus, aux racines étalées comme les tentacules d'un poulpe démesuré; de nom- breuses essences pourraient être exploitées. Près de Laïchau, se rencontre, m'a assuré un chef du pays, le teck, ce bois si précieux, qui est appelé à disparaître d'ici à quelques années des forêts de Siam. Les arbres, et du reste toute la flore de la région avoisinant le Song-Bo, se rapprochent des espèces de Cochinchine et de Malaisie; il n'en est pas de même de la faune qui parait tenir de près à celle de l'Hymalaya. Il semble qu'une même zone de vie animale commençant aux monts du nord de l'Inde, s'étend à travers l'Assam, les États laotiens, pour aboutir sur la rivière Noire et le fleuve Rouge, se laissant à peine entamer par les faunes de Chine au nord et de la péninsule au sud. Champ d'études particulièrement intéressant pour les naturalistes, la partie du Tonkin comprise entre le Delta et le Yunnan a encore plus d'attraits pour l'ethnographe et l'historien. Dans la péninsule indo- HENRI d'orLÉANS. — EXCURSION EN INDO-CHINE — DE HANOÏ A BANGKOK 853 chinoise, en eftet, peut-être plus que dans l'Inde, ils trouveront la solution des grands problèmes qu'ont fait naître les migrations des peuples d'Extrême-Orient ; ils y verront l'aborigène coudoyant le conquérant, souvent sans se mêler à lui ; ils feront sortir de la foule où ils se trou- vent ensevelis et questionneront encore les débris des anciens empires que, peu à peu, a démembrés ou détruits l'invasion chinoise; ils sauront, au milieu des éléments les plus divers, démêler la langue et l'histoire propre de chacun; travail lourd et difficile, que le savant peut entreprendre dès maintenant, et pour lequel il est du devoir de chacun de porter sa somme de renseignements. Bien que la classification soit loin d'être faite, on s'accorde générale- ment à reconnaître, en partant du bas pays, les éléments suivants : D'abord, à la limite du Delta, le Moi, peut-être autochtone du Tonkin, refoulé par le Giao-Chi. Plus loin le Thaï, rameau de la branche laotienne et siamoise, encore vierge des traditions bouddhistes et adonné aux croyances primitives des esprits; sur les hauteurs, les sauvages yunna- nais, les Méos au large turban, portant chez les femmes, comme parmi les Lolos, la petite jiipe plissée ; avec les Yaos, dont les manuscrits hiéro- glyphiques préoccupent l'ethnographe à un si haut point, ils paraissent d'origine quangtoungnaise ; les Khas, au teint foncé, population inférieure et de petite taille, apparentés aux Penombs et aux Stiengs du Cambodge et du bas Laos, frères des Négritos d'Australie, semblent former l'élément le plus ancien, aborigène peut-être de l'Indo-Chine. La question des races de la péninsule est trop complexe, trop peu connue, et moi-même suis trop ignorant en la matière pour vous en entretenir plus longtemps. Avant d'aborder le Laos, il importe d'examiner ce que la rivière Noire peut promettre comme voie de communication; à mon avis, un grand mouvement commercial ne pourra s'y créer d'ici bien longtemps ; à un développement dans ce sens s'opposent le trop grand nombre de rapides, la lenteur de la montée qui ne peut pas même être tentée pendant plusieurs mois de l'année, les dangers de la navigation (nos postes en savent quelque chose), le prix des transports. Le Laos, ainsi que je me propose de vous le dire ultérieurement, peut d'ailleurs être atteint par un chemin plus court et à moins de frais. Le Song-Bo n'est qu'un fort torrent comparé au fleuve Rouge et vous savez déjà toutes les difficultés que la Compagnie des Messageries fluviales a trouvées à envoyer ses bateaux jusqu'à Lao-Kaï, en dépit du courage et de l'opiniâtreté qu'elle a apportés dans cette entreprise. En dehors du ravitaillement de nos postes, la voie de la rivière Noire peut être utilisée pour la mise en communication du district chinois de Ibang avec le Tonkin; les rapports sont déjà établis ; M. Bourgoin-Meifîre, 834 GÉOGRAPHIE que sa hardiesse et sa persévérance peuvent placer au premier rang des pionniers de la colonisation française au Tonkin, a conclu un traité avec l'intelligent chef de Laï, Deo Van Tri, pour la descente du thé, appelé de Puehr; plus de 150 piculs ont déjà pris la route de Hanoï. Les deux parties contractantes sont également satisfaites de leur marché; et un courant tend à s'établir pour emmener le commerce de cette partie du Yunnan vers le Tonkin. Je suis heureux de vous signaler ce résultat qui, espérons-le, n'est que le point de départ d'un commerce plus important; reste à charger les pirogues qui ont descendu le thé jusqu'à Cho-Bo, d'articles français pour Ibang, et ainsi sera créé un mouvement d'échanges entre la Chine et Hanoï par la rivière Noire. LE LAOS. — LA FORMATION d'uN PEUPLE. — LE COMMERCE UE LA CONTREE De Laïchau, deux routes principales peuvent mener au Mékong : l'une au nord, pénible, montueuse, longue, traverse durant vingt-huit jours les Sibsompanas et finit par atteindre Xien-Houng. Cet itinéraire me semble bien tentant avec les mulets que m'offre Deo Van Tri, et peut-être aurais-je- le moyen de pousser à l'ouest du grand fleuve jusqu'au passage de Kunlon sur le Salouen et gagner la route de Theinni à Bhamo. C'est bien à regret que je me vois forcé, par des circonstances indépendantes de ma volonté (la saison trop avancée, le manque de temps et surtout le défaut d'un bon interprète), de renoncer à ce projet. Dix-huit jours, dont trois d'arrêt au poste français de Dieu-Bien- fou, me conduisent par la route du sud à Luang-Prabang ; plus courte que la voie du nord, cette dernière ne lui cède en rien pour les difficultés qu'elle oppose au trafic: étroite, accidentée, mal débroussaillée sur terre, sur l'eau, elle est coupée de plus nombreux et de plus dangereux rapides que ceux de la rivière Noire ; les membres de la mission Pavie ne sont pas sans se souvenir du courant du Nam-Ou, et, encore maintenant, M. Massie, qui me précède de huit jours, y fait-il deux fois naufrage, perdant, sauf une, toutes ses caisses. Passé de deux jours le poste de Dien-Bien-fou, on se trouve déjà en territoire siamois, ou du moins effectivement occupé par des postes sia- mois. Ici commencement des difficultés d'un nouvel ordre pour le voyageur qui n'est muni que d'un simple passeport, rempli à Hanoï, papier comportant toute la série des peines que le gouvernement siamois est en mesure de lui infliger ; il n'y a pas de tracasseries qui ne soient imaginées contre lui, et, pour pouvoir continuer, force lui sera de passer sous les fourches caudines de l'arbitraire en se résignant à donner les HENRI d'oRLÉANS. — EXCURSION EN INDO-CHINE — DE HANOÏ A BANGKOK 855 prix les plus déraisonnables aux coolies, sous peine d'être laissé en place. Je n'avance ici, Messieurs, que des faits. Nos commerçants n'ont pas même la ressource d'invoquer les traités. Celui de 1867, qui nous assure la libre navigation du Mékong, semble être lettre morte. De quelque côté que nous cherchions à aborder le fleuve, il nous faut un passeport, c'est-à-dire un permis du Siam. Ceci dit, revenons au Nam-Ou. Quatre heures au-dessous de son confluent avec le Mékong, sur les bords de ce fleuve, s'étale la petite ville de Luang-Prabang, capitale de l'État laotien de ce nom. Luang-Prabang est le centre le plus important, sur le Mékong depuis Pnom-Penh jusqu'à Xien-Houng et même au delà ; on y compte de douze à quatorze mille âmes : nous sommes loin des soixante-iiix mille dont nous parlait M'"' PallegoiK. Malgré le petit chitfre de la population, quinze jours et même plus passés' au milieu d'elle ne sont pas perdus pour le voyageur. Nous sommes en effet, ici, en présence d'une race intelligente, formant un tout autonome, vivant de ses propres lois, ayant son esprit et ses mœurs à elle ; les Lao- tiens ne sont pas encore en contact direct avec notre civilisation euro- péenne, qui, qualifiée de bienfaisante, ne fait que démorahser et détruire lorsqu'elle s'attaque à des races inférieures. A qui veut bien regarder, les voyages n'enseignent pas seulement la géographie, ils montrent comment l'histoire s'est faite. Les peuples passent par une série de phases analogues qui sont comme les âges de leur vie. On retrouvera chez ceux qui sont moins avancés que nous les périodes correspondant à celles qu'ont traversées nos ancêtres. Si l'un de vous a suivi mon ami M . Bonvalot dans son récit au Lob- Nor, il aura certes songé malgré lui à la fondation de Rome ou de telle autre cité, en voyant dans l'oasis, auprès d'anciens pâturages transformés en champs, une ville s'élever, construite par des nomades devenus sédentaires. Ici", ce n'est pas une ville que nous verrons bâtir, c'est un peuple qui se formera d'éléments divers, isolés jadis les uns des autres, groupés maintenant par les mêmes intérêts et une défense commune. Il semble que nous soyons à l'âge des petites républiques grecques. Ne reconnaissons- nous pas un citoyen d'Athènes, dans ce Laotien indépendant d'humeur, instruit, brillant causeur, paresseux, qui passe son temps à faire passer sa chique de bétel d'une joue à l'autre tout en chantant ou en récitant des vers aux jeunes filles, tandis que ses esclaves les Khas, moins mal- heureux que les Ilotes de Sparte, travaillent la terre pour lui? S'il n'est pas bon, le Laotien, il n'est pas méchant non plus ; ni bien riche, ni bien pauvre; les fortunes ne sont guère tranchées dans cette contrée singulière, dont les lois n'ont pour but que d'assurer la libre pratique de l'amour et où, il y a quelques années encore, un règlement interdisait 856 GÉOGRAPHIE d'enrôler un jeune homme parce que la meilleure partie de sa vie devait être consacrée à rendre les jeunes filles heureuses. Assurément, vous penserez que cet amour, ce culte de la femme engendreront, comme chez les Grecs, le sentiment du beau. Il n'en est rien; pourquoi? Problème grave, dont la solution est peut-être si in- timement jointe à la caractéristique de la race jaune, qu'on ne peut l'isoler. Les sémites connaissent-ils l'art proprement dit dans ce qu'il a de plus élevé hors de l'industrie? Je ne le crois pas. Comme le Chinois, le Lao- tien ne se sent pas le besoin d'idéal qui nous agite ; il ne tend pas vers l'au-delà. C'est par le matérialisme pratique qu'il se rapproche donc de r « enfant de Han » ; mais là est peut>être le seul point commun. Une paresse innée d'un côté, l'esprit de travail de l'autre ; ici l'indifférence en matière d'argent, pourvu que le nécessaire soit assuré; là le désir cons- tant du lucre, le sacrifice de tout le reste à l'ambition de s'enrichir sont autant de traits qui séparent nettement les deux frères . Avoir de quoi vivre suffît au Laotien; la richesse, à ses yeux, ne compense pas l'effort à donner pour l'obtenir. Cette tendance d'esprit, chez les habitants, fera forcément du Laos un mauvais débouché pour nos produits, surtout pour les articles français qui, supérieurs aux camelotes anglaises ou allemandes, ne peuvent riva- liser de bon marché avec celles-ci. A Luang-Prabang, c'est à peine si quelques Chinois, débitant les articles européens, arrivent à réaliser de minces bénéfices. Leurs marchandises viennent de Bangkok, par voie de Korat et Non-Kay, ou d'Outaradit et Paklay, et, dans leurs stocks, je ne vois la marque française que sur quelques boutons, et sur des bouteilles d'encre, provenant de la mission Macey. Encore se plaignent- ils de les vendre difficilement; pour pouvoir lutter avec avantage contre les Alle- mands et les Anglais, il nous faudrait produire et fabriquer en vue de l'Extrême-Orient l'article d'exportation; c"est ce que nous n'avons pas encore fait. Bien que n'admirant pas les Chinois, je leur crois pourtant une compétence commerciale de premier ordre et je m'en rapporterais assez volontiers aux réponses à mes questions, invariablement les mêmes depuis Luang-Prabang jusqu'à Bangkok. « Pourquoi ne vendez-vous pas des articles français ? — Trop beau et trop cher. » Pauvres acheteurs, les Laotiens n'ont eux-mêmes, maintenant, que peu de produits indigènes à écouler: le benjoin, dont l'importance diminue avec la baisse du prix; des racines et des peaux pour médecines chinoises, des teintures, de la cardamome, de l'ivoire, des bois de cerf et des cornes de buffle. Les chiffres fournis par quatre commerçants chinois établis à Paklay HENRI d'orLÉANS. — EXCURSION EN INDO -CHINE — DE HANOÏ A BANGKOK 857 nindiqueraient, tout compris, qu'un envoi annuel à Bangkoiv de sept à huit tonnes de ces produits. L'or n'est guère acheté, étant vendu par les indigènes plus de trente fois son poids d'argent. Le teck n'est pas encore exploité ; un essai de transport de ses troncs par voie du Mékong va être tenté par les deux Français résidant à Luang-Prabang. En somme, si l'on songe que cette principauté est considérée comme une des parties les plus peuplées du Laos, on sera amené à conclure que le commerce dans la contrée ne peut actuellement donner de grands résultats. Cette opinion que je me suis faite sur place demande à être appuyée sur quelques chiffres; je serais heureux de livrer ceux que j'ai pu noter à la connaissance des intéressés ; mais un travail en ce sens me semble devoir prendre place ailleurs qu'ici. LE SIAM ET SES PROGRÈS. — NOS FRONTIÈRES ET NOS DROITS Ayant terminé ce que je me proposais de vous dire du Laos propre- ment dit, il ne me reste plus qu'à gagner Bangkok par le plus court chemin; quatre jours par eau, dix étapes à éléphant et dix journées sur le Meïnam et nous arriverons à la capitale de Siam. Combien cette route du retour me semble différente de celle que je viens de prendre à la montée! Le Mékong est descendu jusqu'à Paklay sur de grands et confortables radeaux où l'on peut se promener et se tenir debout; à éléphant, la fatigue n'est due qu'à la monture elle-même; mais la route est bonne, droite, courant à travers des futaies aux arbres -espacés ; durant le trajet entre les deux grands fleuves, mon baromètre ne marque pas de différences de niveau de plus de deux cents mètres ; enfin «ur le Meïnam, la descente se fait tranquille, sans aucun rapide ; elle est si aisée qu'aux hautes eaux les vapeurs remontent sans obstacle jusqu'à Pitchaï. Avec la facilité des moyens de communication diminuent les frais de transport; en comparant les frais à la montée, ceux au retour, et ceux qui me sont fournis sur les autres routes, je puis formuler l'assertion suivante : La voie la plus économique pour l'envoi d'une tonne de marchandises européennes à Luang-Prabang est actuellement celle de Bangkok, et elle restera telle, jusqu'à ce que des vapeurs français, franchissant les rapides de Khôn. viennent porter notre pavillon à côté de celui qu'arborent actuellement les canonnières de Siam, ou qu'un chemin de fer de Vint à Houten mette en communication directe le golfe du Tonkin et les rives de Mékong ; il en est malheureusement des chemins de fer comme des vapeurs, des vapeurs comme des cartes ; tandis que nous faisons des pro- 858 GÉOGRAPHIE jets, ou que nous tirons des plans sur le papier, le Siam parle moins,. mais agit, et, à cette heure, les premiers travaux sont déjà entrepris pour la voie ferrée de Bangkok à Korat, Si nous restons inactifs et laissons les Anglais prendre, au nom de la fraternité, les intérêts du Siam, poser avec désintéressement sans doute ses rails jusqu'à Korat, puis pousser plus loin jusqu'à Non-Kay, sans opposer, de notre côté, une entreprise semblable sur notre territoire, ce sera fait de l'avenir de la France sur le Mékong ; nous n'aurons plus qu'à replier bagage et nous> contenter de quelques ports sur la côte d'Annam. En fait, nous en sommes bien un peu là, et je voudrais à ce sujet pouvoir vous mettre sous les yeux deux cartes que j'ai devant moi en écrivant ces lignes : l'une est de M. Macey, du syndicat du haut Laos ; elle a paru dans le premier numéro du Bulletin de la Société de géographie commerciale de 1892 ; ici l'Indo-Chine française, marquée d'une teinte rose, maculée de rondelles et de drapeaux tricolores, non seulement s'étend jusqu'à la rive gauche du Mékong, aux Sibsompanas, mais plus bas, passe sur la rive droite, comprend les principautés de Luang-Pra- bang, de Nan, puis rejoint la limite du Cambodge en englobant Korat. Il est très facile de marquer des possessions sur un atlas. Tant qu'à faire, j'aurais voulu étendre notre influence jusqu'au golfe du Bengale... sur le- papier. Je qualifie ce genre de carte d'imaginaire. Déployons, à côté de ces dernières, cdle du Siam, par le topographe anglais Mac Carthy, nous trouverons la frontière du Siam suivant la ligne de faîte des eaux du Mékong et du golfe du Tonkin, enserrant ainsi, à partir du Cambodge, tout le bassin du grand fleuve, dont non seulement la rive, mais les affluents de gauche ne seraient pas sous notre pouvoir ; il ne nous resterait qu'une bande d'à peine une trentaine de kilomètres de large sur la côte d'Annam . En dépit des paroles prononcées le 26 octobre 1891 à la tribune, la carte anglo- siamoise est exacte ; elle indique simplement ce qui est. Si nous pouvons y relever une erreur, en ce qui concerne le poste de Theng, en revanche, elle est au-dessous de la vérité du côté du Cambodge, puis- qu'elle n'englobe pas la pointe du Samit, où un poste siamois a été établi en plein territoire français. Strung-Treng, sur la rive gauche du Mékong, a son commissaire siamois et le pouvoir de Siam s'étend sur Attopeu, sur le plateau des Pou'on, des Boloven, etc. Nos rivaux font même sentir sur ces régions leur autorité d'une manière effective et à nos dépens. Le département des affaires étrangères en est certainement informé. Reprenons la même carte et jetons les yeux à l'ouest, du côté de la haute Birmanie : pas une ligne de délimitation, pas de frontière marquée; les Anglais se gardent un champ libre sur le haut Mékong. N'ont-ils pas HENRI d'oRLÉANS. — EXCURSION EN INDO-CHINE — DE HANOÏ A BANGKOK 8o9* déjà obtenu soumission de l'État indépendant de Xien-Tong; et le lieute- nant Ehlers, qui vient de passer à Xien-Tong, ne nous dit-il pas que cette principauté paye tribut à Ja Chine et à l'Angleterre? Les visées de lord Lamington, si nous n'y prenons garde, seraient près de se réaliser. Un Français, qui venait de descendre le Mékong à Luang-Prabang, m'a raconté avoir déjà trouvé l'influence anglaise s'établissant à Mong-Yu, État à cheval sur le Mékong, entre Xiangsen à Xianghoung. Il est vrai que M. Archers et lord Lamington y ont séjourné un mois. .Nos voisins d'outre- Manche seraient donc sur le point, si ce n'est déjà un fait accompli, de franchir cette rive du Mékong, à laquelle nous avons des droits incontes- tables, mais non défendus par nous et dont nous sommes encore loin ! 11 est enfin une troisième carte qu'il nous faudrait consulter ici, celle de l'Annam, en 1838, par M'"" Taberd, rééditée dans Y Empire d'Annam de Sylvestre : nous y retrouverions les droits de l'État dont nous nous sommes engagés à défendre la politique extérieure ; il serait intéressant d'examiner au profit de qui nous avons laissé ainsi s'amoindrir, sans protester, l'empire de Già-Long qui avait confié ses intérêts à la France. Le Laos est pauvre, je le sais ; à mon avis, le commerce a plus à gagner en cherchant à pénétrer en Chine par les belles voies naturelles qui s'ouvrent à son expansion à travers le Tonkin ; mais à côté de la ques- tion commerciale se dresse la question politique. Sans négUger le présent, il faut songer à l'avenir, et que penser d'une armée qui chercherait à engager la bataille sans garder ses derrières? Protecteurs des droits de l'Annam, nous devons les faire valoir et montrer à nos ambitieux voisins que la possession de la rive gauche du Mékong, indiquée par un de nos ex-ministres à ses agents comme le minimum de nos prétentions, n'est pas une simple déclaration, mais que telle est la volonté du peuple français. Avant, Messieurs, de vous remercier de l'attention que vous avez bien voulu me prêter, je veux vous dire quelques mots du résultat personnel de mon excursion : parti avec le désir de voir et de regarder le plus possible, d'amasser le plus de documents, de renseignements, de maté- riaux, d'informations que je trouverais, j'ai pu rapporter une série de huit cent cinquante photographies contenant des types de face et de profil des différentes peuplades que j'ai rencontrées; quelques itinéraires parti- culiers encore imparfaitement relevés ; des collections d'histoire naturelle comprenant une vingtaine de mammifères, deux cent cinquante oiseaux, quelques poissons ; de nombreux lépidoptères ; cent cinquante espèces de plantes; une série de roches et de minerais; une collection ethnographique de costumes, d'instruments divers ; quelques manuscrits ; enfin, j'ai réuni des échantillons accompagnés des prix de vente des articles européens que j'ai trouvés sur les marchés; et j'ai joint à ceux-ci des spécimens 860 . GÉOGRAPHIE des différents produits indigènes dont il me semble que nous puissions tirer un profit. Je me permets d'énumérer ces quelques résultats, si minimes qu'ils soient, de mon voyage, parce que je compte les réunir bientôt en une petite exposition à Paris, et que je serais très heureux de les tenir à la dispo- sition de qui voudrait les consulter. Mon but est avant tout de contribuer pour ma part à répandre parmi nous la connaissance de nos colonies d'Extrême-d'Orient et de vulgariser l'idée du grand avenir de l'Indo-Chine française qui nous est offerte, si nous voulons en profiter. M. E. SCHEÂDER Directeur des Services cartographiques de la Maison Hachette, à Paris, LES LEVÉS DES PYRÉNÉES- — TRANSFORMATION DE L'OROGRAPHE EN TACHÉOGRAPHE — Séance du 17 septembre 1892 — M. Schrader présente l'ensemble des levés qu'il a effectués dans les Pyrénées espagnoles depuis vingt ans environ. Il rappelle que, depuis 1881 , année où il présenta à la session d'Alger son orographe, il a per- fectionné cet instrument et quadruplé à peu près l'étendue de son tra- vail. La bande de tracés au g^^, que M. Schrader déploie devant la réu- nion, mesure environ 4'", 50 de longueur sur un mètre en moyenne de hauteur ; c'est l'équivalent de la moitié de la Suisse ou des trois quarts de la Belgique . En réponse aux questions des membres présents, M. Schrader analyse la partie de la chaîne pyrénéenne qui figure sur ses levés. 11 fait ressortir les traits les plus saillants de Torographie pyrénéenne et les rapproche de la contexture géologique de la chaîne, en même temps qu'il dépose sur le bureau une brochure extraite de Y Annuaire du club alpin français intitulée : Aperçu de la géologie des Pyrénées, et pour laquelle il a col- laboré avec M. Emm. de Margerie. Sur la demande du Président, M. Schrader donne quelques détails sur le nouvel instrument qu'il vient de faire construire et auquel il donne le nom de tachéographe. Le tachéographe est, pour ainsi dire, une trans- formation de l'orographe; mais, tandis que l'orographe est destiné au F. SCHRADER. — LES LEVÉS DES PYRÉNÉES 8()1 lové des régions peu accessibles par l'intersection graphique de rayons menés de points différents, le lachéographe aborde le problème par un tout autre côté et inscrit graphiquement l'emplacement de tout point visé, pourvu que ce point soit accessible au porteur d'une mire de dimension connue. Par la création du tachéographe, M. Schrader a cherché à obtenir le tracé direct des directions et des distances, c'est-à- dire, en dernière analyse, le tracé direct du plan et du nivellement. 11 supprime ainsi toutes les opérations du levé et passe directement de la visée au résultat. Pour y arriver, M. Schrader s'est borné à matérialiser les trois éléments de toute visée dirigée vers un point quelconque : l'élément vertical, qui correspond à la différence de niveau; l'élément horizontal, qui correspond à la distance planimétriqae ; enfin l'hypoté- nuse de ce triangle rectangle, qui correspond à la direction du rayon visuel. Trois organes glissant à frottement doux et susceptibles de prendre toutes les positions amenées par la direction du rayon visuel correspondent aux trois côtés du triangle tracé à chaque instant dans l'espace par la ligne de visée et les deux autres côtés vertical et hori- zontal. Pour déterminer l'échelle du plan, c'est-à-dire le rapport du triangle matérialisé avec le triangle réel, il suffît que chaque longueur développée de l'hypoténuse corresponde, par un artifice très simple, avec un écartement proportionnel des deux fils d'un micromètre mobile situé dans l'axe de la lunette. L'écartement des fils pour chaque longueur de l'hypoténuse est proportionnel à la dimension apparente d'un objet connu situé à l'extrémité du rayon visuel; la longueur du côté hori- zontal sera proportionnelle à la distance planimétrique de cet objet, la longueur du côté vertical à la différence de niveau entre le point de station et l'objet. La distance s'inscrira automatiquement sur le plateau circulaire de l'appareil, la différence de niveau se lira directement sur une échelle verticale à l'aide d'un vernier. L'opération du levé sera donc instantanée; quant à la vérification, les trois règles étant graduées, elle se fera instantanément, chaque fois qu'on le désirera, par la lecture simultanée du carré de la longueur développée sur l'hypoténuse et de la somme des carrés du développement des deux autres côtés du triangle. En somme, l'instrument nouveau de M. Schrader ne renferme pas autre chose que la réalisation directe des théorèmes très simples et universelle- ment connus qui ont servi de tout temps à la mesure du triangle rectangle et au calcul géométrique de la surface du terrain. Il est remarquable que, pour obtenir un résultat aussi complet, l'inventeur du nouvel appareil n'ait eu qu'à revenir pour ainsi dire au point de départ de la topographie et à donner une existence matérielle aux lignes et aux proportions qui" n'étaient prises avant lui que comme éléments géométriques. 862 GÉOGRAPHIE M. J. &AÏÏLTIER Éditeur géographe, à Paris. LES LEVERS TOPOGRAPHIQUES PAR LA MÉTHODE PHOTOGRAPHIQUE — Séance du 17 septembre i892 — Les méthodes employées pour lever les plans topograpliiques sont peu nombreuses; elles relèvent toutes des mêmes principes : la mesure directe des distances et l'observation des angles. Les opérations effectuées sur le terrain sont délicates, l'installation des instruments nécessite de grandes précautions, les lectures des résultats, les croquis demandent une attention soutenue que les variations du temps rendent souvent difficiles. Une méthode qui réduirait ces inconvénients, qui simplifierait les opé- rations du terrain, offrirait de grands avantages, puisqu'elle éliminerait des chances d'erreurs. La photographie remplit ce but. Étant donnée une image des contrées à lever, est-il possible d'en déduire un plan topographique ? Tel est le problème à résoudre. De multiples expériences ont été entreprises en France et à l'étranger; les travaux de M. le colonel Laussedal sur cette question, l'historique qu'il en fait dans ses ouvrages montrent que cette application de la pho- tographie au lever des plans a son berceau en France et que les premières tentatives datent d'une trentaine d'années environ. La question de la réfection du cadastre ayant été posée, le problème présentait un nouvel intérêt. Il fallait, étant données des exigences tech- niques nouvelles, établir une méthode offrant toute garantie de précision, dune application facile et présentant des résultats économiques satis- faisants , Ce sont les moyens employés pour satisfaire à ces conditions qui sont exposés dans cette note et que nous allons décrire sommairement : Tout d'abord, cette méthode ne peut être assimilée à ce qui existe; elle dérive de principes ayant la photographie pour base. Comme elle ne s'applique qu'aux levers de grande étendue, le terri- toire de la commune servira d'unité et de champ d'expérience. J. GAULTIER. — LES LEVERS TOPOGRAPHIQUES 863 Supposant un territoire communal de 10 kilomètres carrés, on divi- sera ce territoire en sections mesurant environ 100 hectares. Les sections, leur configuration sont déterminées suivant la structure topographique du terrain, en rapport avec les exigences photographiques. Ainsi, en vue des opérations d'ensemble, on s'assurera que trois ou quatre stations choisies sont bien en vue les unes des autres et se relient avec les sta- tions des sections voisines. Aux stations photographiques, des signaux sont installés; ils sont constitués par un mât blanc et noir de 4 mètres environ de hauteur, soutenant une voile blanche, triangulaire, portant une grande lettre noire. D'autres signaux formés par des jalons de l'^jSO de hauteur, portant un voyant blanc sur lequel un numéro noir est inscrit, sont posés aux angles des parcelles, aux changements de direction des voies de commu- nication, des cours d'eau; aux angles des maisons, entin,ils indiquent tous les lieux utiles à la construction du plan. Le terrain est ainsi géométriquement analysé. L'instrument de photographie employé est composé d'une chambre noire, métallique, munie d'un objectif aplanétique embrassant un grand angle, 4o degrés. A la face opposée est installé, à poste fixe. Tunique châssis destiné à contenir les glaces. La partie photographique de l'instrument est placée sur un plateau tournant sur un socle circulaire, muni de vis calantes. Le tout est sup- porté par un pied à pompe, à translation. L'instrument est muni de niveaux qui en assurent l'horizontalité et de pièces accessoires servant au réglage de l'appareil. Après la mesure d'une base située entre deux stations, opération effec- tuée avec toute garantie d'exactitude, les travaux photographiques sont entrepris. On commence par l'un des termes de la base. L'instrument, mis en station, est placé, à l'aide de niveaux et de vis calantes, dans un plan horizontal. Chaque glace placée dans le châssis embrasse un angle de oO grades ; huit glaces forment donc un tour d'horizon. Le cercle fixe, portant une vis d'arrêt, divise en huit parties égales le cercle supérieur; chaque glace trouve, par conséquent, sa place vraie dans le tour d'horizon. A l'autre terme de la base, on opère de même. On poursuit ainsi, à chacune des stations, l'opération photographique; chacune d'elles comportant, soit un tour d'horizon complet, soit une partie seulement. C'est ainsi qu'on désigne par points de premier ordre ceux qui com- prennent un tour entier ou huit glaces ; points de second ordre, les _ points ne comportant qu'une portion de tour, et enfin points de troi- 864 GÉOGRAPHIE sième ordre ceux qui, n'étant pas stations, acquièrent une position par- faitement déterminée par plusieurs recoupements successifs. Lorsque la disposition du terrain exige de petites opérations partielles, on choisit des points auxiliaires marqués par des jalons placés convena- blement ; on distingue ces nouveaux points en ajoutant au signal un disque blanc et noir. Plusieurs sections sont préparées à l'avance, afm de permettre à l'opé- ration photographique de se poursuivre sans interruption. Otant les jalons dans les sections terminées, on laissera les signaux des stations ainsi que les jalons-limites de sections ; ceux-ci portent à leur partie supérieure un triangle blanc et noir. L'opération sur le terrain est terminée, le travail de cabinet commence. On procédera au développement des glaces en employant l'hydro- quinone. Très peu développées, les images présenteront une finesse extrême, une clarté excessive dans les détails et des horizons très purs. Une machine spéciale permet de développer un grand nombre de plaques dans un court espace de temps. Les clichés sont ensuite classés. Un tableau indicateur portant le nom de la commune, le numéro de la section, la lettre de la station, le numéro du cliché et enfin la date de l'opération, a été posé devant l'instrument de photographie à chaque partie de tour d'horizon ; le cliché porte donc toutes les désignations utiles à son classement. On mettra à part les clichés de chaque section, les divisant par sta- tions et enfin par numéros d'ordre. On pourra ensuite construire le plan. Le détail de la construction nécessitant de longs développements, il suffira d'en énoncer le principe. Les traces des plans, vertical et horizontal, passant par l'axe optique de l'instrument, sont marquées sur la feuillure du châssis sur laquelle s'applique la glace photographique ; ces traces sont donc indiquées sur chaque cliché. Les lignes qui en dérivent ont, par conséquent, une même origine. Telle est la raison pour laquelle un seul châssis est utilisé ; elle rend nécessaire l'emploi d'une tente-laboratoire dans laquelle on change les plaques photographiques : elle suit l'instrument pendant les opérations. Étant données la ligne horizontale marquée sur le cliché et la ligne d'intersection des deux plans, horizontal et vertical, qui se confond avec l'axe optique de l'objectif, on considère la première comme étant la tangente d'un cercle dont la seconde est le rayon; plus tard, on déter- minera la valeur de ce rayon. Si, de tous les points signalés sur le terrain et qui figurent sur les clichés, on abaisse sur la ligne horizontale du cliché des lignes perpendi- J. GAULTIER. — LES LEVERS TOPOGRAPHIQUES 865 culaires à cette dernière, on obtiendra la projection horizontale de chacun des points signalés. Ce sont ces points, ou plutôt leurs traces, qui servi- ront à la construction du plan. Dans cette méthode, le plus grand obstacle résidait dans la construc- tion, non par les difficultés qu'elle offre, mais parce qu'il est nécessaire, pour obtenir une grande exactitude, de faire concorder la précision pho- tographique avec les procédés graphiques. On peut donc dire sûrement, et les faits le prouvent, que si d'intéres- santes tentatives ont été faites, tant en France qu'à l'étranger, si elles n'ont fourni que des résultats incomplets, cela tient à ce que la rnéthode graphique n'a pas été assez étudiée, que les données photographiques précises ont toujours été mal reportées. De là la défaveur dans laquelle le principe même est demeuré et l'oubli auquel il était voué. Ce sont ces procédés graphiques qui ont été scrupuleusement étudiés, ils ont été portés au plus haut degré de perfection et mis en rapport avec la précision photographique. 11 a fallu écarter les instruments de dessin en usage, le crayon, le tire-ligne, et n'employer que la pointe très finement aiguisée. Le dessin se grave sur une substance qui se laisse peu influencer par les varia- tions atmosphériques, la toile cirée. Les plus grands écarts hygromé- triques ne font guère varier de plus de 0"^000l une ligne d'un mètre. Tracée à la pointe sur une toile cirée blanche, la ligne apparaît fine et précise, lorsqu'elle a été frottée légèrement avec un tampon imprégné d'une poudre colorante. Toute ligne tracée, soit sur le cliché, soit sur la toile cirée, ne mesure guère plus d'un vingtième à un vingt-cin- quième de millimètre. Ceci établi, le travail devient facile. Reprenant le principe même de la méthode, on imagine aisément comment sont constitués les tours d'horizon. Ceux-ci sont formés par huit tangentes de longueurs difTérentes, limitées par des sécantes cor- respondant chacune à des points communs de raccords. Ces raccords sont pris sur des détails des clichés, représentés par des points précis, jalons, clochers, cheminées, pignons de maisons, etc. l^e rayon du cercle, fonction de la tangente, connu approximativement, est détermmé avec la dernière exactitude au moyen de trois opérations de tâtonnement. Lorsque le rayon du cercle est connu, les tangentes sont tracées ainsi que la projection des points signalés. Par chacun de ces points et par le centre du cercle, on fait passer des lignes droites qui représentent les directions vraies des points utiles. Il est de toute nécessité que la règle employée soit en acier et qu'elle soit constamment vérifiée. 55* 866 GÉOGRAPHIE Il n'y a dans cette méthode aucune lecture à faire, rien à apprécier; un point toujours vérifiable est donné, il détermine une direction. Il est à remarquer que ce point est placé sur la tangente d'un cercle de 0'°,3014 de rayon, lequel rayon représente à l'échelle cadastrale d'un millième, une longueur de 301'°, 4. La station voisine est l'objet d'un travail semblable. Les mêmes points signalés et de nou^-eaux points ont leur direction déterminée. Le point de rencontre de deux directions appartenant au même signal donne la position de ce signal. D'une autre station, la direction de ce même signal est donnée et ce nouveau recoupement de vérification tombe au même point; il en est ainsi pour un troisième, un quatrième recoupement. Que les points soient rapprochés des stations ou qu'ils soient éloignés ou même situés à de grandes distances, les résultats restent identiques. Mais, d'une méthode quelconque, on ne peut en apprécier la précision que si on compare les mesures prises sur le plan aux longueurs cor- respondantes mesurées sur le terrain entre des points fixes. Si, à l'échelle d'un millième, on fait cette vérification dans toutes les directions du plan, on constate une précision rigoureuse. La différence flotte entre 4 et S centimètres sur des longueurs quelconques; c'est-à-dire que cette erreur s'applique aussi bien à une distance de 10 mètres qu'à des dis- tances de 100. 500 et 1.000 mètres. En outre, cette erreur ne se trans- met pas, elle ne se propage pas, elle ne s'additionne pas. Si, par suite d'une erreur, un point offre une position indécise, il ne porte aucun préjudice aux autres points, lui seul est moins bon, car il ne peut y avoir de point irrémédiablement mauvais. Ces appréciations sont le fruit d'expériences et d'essais souvent répé- tés ; c'est par la suite non interrompue de résultats concluants qu'on a été conduit à propager cette méthode qui est appelée à rendre d'impor- tants services. Facilité d'opérer sur le terrain, travail de bureau peu pénible, réduc- tion du temps dans l'ensemble des opérations, par conséquent économie dans les dépenses, telles sont les qualités fondamentales de la méthode photographique, indépendantes de la précision qui atteint un haut degré. Si. au point de vue scientifique, la méthode photographique appliquée à la topographie est intéressante et destinée à rendre de grands services aux sciences géographiques, quelle importance n'acquiert-elle pas quand on considère l'œuvre qui se prépare, la réfection du cadastre français! Là, tous les facteurs acquièrent une importance considérable, la moindre erreur dans les fondements de l'opération compromet l'œuvre elle-même. 11 est de toute nécessité d'envisager nettement la grandeur de l'opération et de lui opposer des moyens suffisants. Dans les grandes CH. LALLEMAND. DÉTERMINATION DU NIVEAU .MOYEN DE LA MER 867 choses, il ne faut mettre à profit que de grandes idées, sinon, nul résultat. C'est ainsi que la méthode photographique doit être la base du cadastre nouveau; elle doit, dans un laps de temps relativement restreint, doter la France d'une carte aussi précise dans les détails que dans l'ensemble; elle doit encore donner ces résultats en absorbant la moindre dépense. Malgré les obstacles qu'on érigera de tous côtés, malgré la funeste routine, quoi qu'il advienne enfin, ces résultats seront acquis et ce sera une gloire nouvelle pour notre pays d'avoir montré, une fois encore, le chemin du progrès scientifique. M. CL LALLEMÂÎfl) Ingénieur en chef du Service du Nivellement général de la France, à Paris. LA DÉTERMINATION DU NIVEAU MOYEN DE LA MER PAR LE MÉDIMARÉMÈTRE Séance du 77 septembre 1892 — Onde On sait l'intérêt qu'il y a pour la géodésie, la navigation et la géologie à connaître le niveau moyen de la mer le long des côtes. Les comptes rendus de la session de Marseille, en 1891, con- tiennent l'intéressante description d'un observatoire spécial créé dans ce port, depuis quelques années, pour l'étude des mouvements de la mer, et dans le- quel un ingénieux appareil, appelé warégraphe totalUaleur, fait automati- quement le calcul du niveau moyen. Mais cet instrument, par lui-même et par l'installation qu'il exige, est très ., •- A. ^ KiG. 1. — Appareil démonstratif du principe coûteux et, par suite, ne pouvait être fondamental du médimarémètre. multiplié autant qu'il était nécessaire. Nous avons gimainéun nouvel appareil, appelé médimarémètre (mesure 8G8 de la mer moyenne) ÎMédiinai'émrtre. Erhflle 1 li;gende : S, Tube en cuivre (diamètre intérieur fi™,02:i), d'une longueur suffisante pour que la base D étant placée à 0"",.'rO en- viron au-dessous du niveau moyen pré- sumé de la nier, le sommet éincrgc au-dessus des plus hautes eaux. C, Couvercle servant à fermer l'ori- fice supérieur, pour empêcher l'iniio- duction intempestive d'eau ou la chute de cnrps étrangers dans le tube. P, P'. P", Colliers à griffes scellées dans la maçonnerie. Le collier P', sup- portant lépaulement E du tube, est mis en place seulement lorsque la position à donner au diaphragme est complète- ment arrêtée. Q, Plongeur divisé en deux parties par une cloison poreuse V en porce- laine dégourdie. B,Tuyau reliant le plongeur au tube S. R, Kivct en bronze, fixé sur la mar- gelle du puits ou sur le couronnement du mur pour permettre de contrôler la fixité du tube. r,ÉOGR.\PHIE qui échappe à cet inconvénient et qui permet d'obtenir, sans le secours d'aucun méca- nisme et avec une dépense insignifiante (1 ) , le niveau moyen de la mer en un point donné. Cet instrument est basé sur le f;iit sui- vant: une onde liquide se transmettant par un canal capillaire, ou mieux à tra- vers une paroi poreuse, diminue d'am- plitude et se trouve retardée dans ses phases, sans que le niveau moyen de (a nappe éprouve de changement. Ce fait, que la théorie explique, est facilement mis en évidence à l'aide d'un appareil composé de deux tubes, A cl H (fig. /j, communiquant ensemble par un canal capillaire C. Par un mécanisme convenable, le niveau du liquide, dans le tube de gauche, est animé d'une oscilla- tion régulière de 30 centimètres d'ampli- tude (amplitude moyenne de la marée à Marseille) ; dans l'autre tube, on voit l'eau se déplacer de 10 à 1-5 millimètres seulement de part et d'autre du niveau moyen (2), avecjun retard de près d'un quart de période dans les phases. Le médimarémètre se compose d'un tube étanche S (fig. 2) que l'on fixe ver- ticalement, au moyen de colliers à griffes P, P', P", dans un puits communiquant avec la mer ou contre un mur de quai. Ce tube est en relation, par un tuyau B. avec un plongeur Q immergé au-dessous du niveau des plus basses mers. Ce plon- geur est divisé en deux parties par une cloison poreuse V en porcelaine dégour- die. Le compartiment extérieur est rempli de sable et son enveloppe percée latéra- (1) L'installation de l'observatoiie marégraphique de .Alarseille n'a pas coûté moins d'une quaran- taine de mille francs, landisqu'un médimarémètre, mis en place, revient rarementà plus de 20n francs avec les accessoires. (2) Une réduction |ilus forte de l'amplitude pourrait être obtenue facilement, mais elle aurait l'inconvénient de masquer la relation existant entre les mouvements de l'eau dans les deux tubes. vr 6 ■a o a. :3 aa c -a ■•^ C es > 3 O O ai c O. O ■a a; a ai r,H. LALLEMAND. DÉ TEKiVIINATION DU NIVEAU MOYEN DE l,A MER 869 lement de trous pour l'accès de l'eau. La surface poreuse est réglée de manière que, dans le tube, la marée journalière soit réduite à une oscil- lation insignifiante. Une observation par jour suilit, dès lors, pour déterminer la variation lente du niveau intérieur avec le temps. La mesure de la hauteur de l'eau s'effectue au moyen dune sonde divisée (fig. 3), sur laquelle on fixe latéralement, au moyen de bagues mobiles BB', une bande de papier sensibilisé au sulfate de fer et à la noix de galle. On descend à fond cette sonde dans le tube jusqu'à ce qu'elle vienne buter contre la base D (fi;j. 2) ; une ou deux secondes après, on la remonte ; la partie mouillée du papier est devenue noire, ce qui permet de lire facilement la cote de l'eau. En rapprochant les bandes et en alignant, comme le montre la figure 4, les points de repère marqués dans le papier par le poinçon c de la sonde, on constitue un diagramme qu'il suffit de réduire au dixième, par exemple, et de planimétrer ensuite, pour en déduire la hauteur du rectangle équivalent, de même base, c'est-à-dire la cote cherchée du niveau moyen. Le premier médimarémètre a été installé en 1885, à Marseille, dans le puits même du marégraphe totalisateur. Ifei^JjB' Le diagramme ci-après (fig. o), relatif à une période de trois années et demie d'observa- tions, du 1"' juillet 188o au l*^-" janvier 1889, montre que le niveau moyen depuis l'origine (moyenne de toutes les hauteurs relevées de- puis la mise en fonction de l'appareil), calculé à la fin de chaque mois d'après les indica- tions du médimarémètre, concorde parfaite- ment avec celui donné par le marégraphe totalisateur. La même concordance s'est main- tenue depuis, sans que l'appareil ait jamais subi aucun nettoyage. Ce fait prouve que l'envahissement de la cloison poreuse par les végétaux et les animalcules marins n'est pas aussi rapide qu'on pouvait le craindre a priori. Le remplacement du filtre, auquel on 30 ^ &X) »M « a" o « T3 C ^ O) «J H — X a. c 3 ■M '5 Si ■OJ -îS a 3 5 a,' H-. a3 O S t/î -3 c ■a 5 ■s c C O o en m C ca 13 1 '^ ■a -a "Ci .-9 ix> Ol TZi o a> A ■a T' S a 2 É. S -^ 1 -, :5 42 en c; ^ ïïî -5 3 ^ ^ a W3 c o; ^ "Sd c S c S • te ?! £: c 1- "3 = - 3 •- a.^ c " 3 m 23 ÛC oj •5 ^ oT ^ 3 = — -Q O) c^ o ^ » 5 ■? £ s o -o.) O O) G i 1^ § J t 3 O) M) c -? <" te „ 3 o iJ cy tS 22 o 0« •- 13 aa ^— ç < _ * C S ut'--. 870 GEOGRAPHIE aurait eu recours s'il avait été nécessaire, constitue, d'ailleurs, une opéra- tion prévue, rendue très simple et U-ès rapide par la construction même de l'appareil et n'entraînant qu'une dépense insignifiante. Ligne des repères Profondeur (en (enliiii.). 50-'îà Janvier iîî.<^7 FiG. i. — Variation du niveau diurne. — Diagramme oljtenu par juxtaposition des bandes journalières impiessionnéss et réduction du tout à l'iVlielle de i/io. Les bons résultats obtenus à Marseille ont déterminé la Commission du Nivellement général de la France à faire installer des médimarémètres en de nombreux points du littoral, notamment à Nice, Marseille, Cette, 12 m a 6 k 2 0 2 I* 6 8 10 12 +1'* ^ ~ n iV-"s 1 1 ^ i a u ^^ _J ^ -A /\ /i m oj ■e n ■ni >n SI le f ^t: ■â •y* .1'.' ^ /"^ :•* i/ — i\^ c '^ i ^e c ^■ •■■ ^ ^ ■ — 1 f-s . , f' or à (f «*w n& ;:?? 1 r ^ - - ■*fc. fî? -.... ... (^ _^ ™ .^ -^ 1 ■'^ i •^\ 1 — U % -^ \j\j ^\ E ô| 5 D j|F|iyi|A|lVl| J j â|s|o|n|d|j|f|m|a|m|j|j|a|s|o|n|d j|f|mja|ivi!j|j|a|s|o|n1d 1865 1886 ^ 1887 1888 FiG. ;•>. — Résultats donnés par le médimarémèlre de Marseille. Niveau moven I D'après le médimarémèlre (trait plein). ^ ( — marégraphe totalisateur (trait discontinu). Port-Vendres et Oran dans la Méditerranée; à Saint-Jean-de-Luz, Biar- ritz, La Palice, les Sables-d'Olonne, Quiberon et le Camaret (goulet de Brest) dans l'Atlantique ; à Cherbourg et à Boulogne dans la Manche. p. DE COUBERTIN. — l'eNSEIGNEMEN T DE LA GÉOGRAPHIE 871 De son côté, le Service géographique de l'armée en a fait établir d.-iix autres à la Goulette (Tunisie) et à Bône (Algérie). Enlin, la Belgique en a installé un à Ostende ; le Danemark a fait (le même sur les rives du Jutland et l'Italie en a placé six sur les côtes de l'Adriatique et de la Méditerranée. D'intéressants résultats ont déjà été obtenus en France avec ces appa- reils. Ils ont notamment permis de constater que la .Méditerranée, l'Océan et la Manche sont de niveau, à très peu près, contrairement à ce qu'on croyait jusque-là. Cette constatation s'est trouvée contîrmée par des observations ana- logues faites à l'étranger sur d'autres mers, telles que la Baltique, la mer du Nord et l'Adriatique, dont les niveaux coïncideraient aussi, à quelques centimètres près ; de sorte qu'aujourd'hui on se trouve, semble-t-il, en présence d'une loi générale, les variations constatées dans la densité de l'eau des mers apparaissent comnie purement superficielles, et l'ancienne liN^othèse de l'uniformité du niveau des océans se trouve réhabilitée. M. Pierre DE COÏÏBEETO secrétaire général de l'Union des Sociélés de sports athlétiques, ;i Paris. L'ENSEIGNEMENT DE LA GEOGRAPHIE — Séance du 49 septembre I89Î — La question de l'enseignement de la géographie est à l'ordre du jour. C'est une de celles qui ont provoqué au récent Congrès de Lille, les dis- cussions les plus nourries et les plus intéressantes. Deux courants contraires se sont dessinés parmi ceux qui y ont pris part. L'on a vu en pré- sence les partisans de la « science pure » et les défenseurs de « l'idée commerciale ?.. Les premiers ont ceci de particulier qu'ils sont, en géné- ral, satisfaits de la manière dont on enseigne la géographie aux jeunes gens et qu'ils n'aperçoivent ni la nécessité ni le moyen d'en tirer de meilleurs résultats pédagogiques. Les seconds semblent avoir constaté le caractère étrangement fictif de cet enseignement, dont les procé- dés sont restés à peu près stationnaires alors que la science qui en est 872 GÉOGRAPHIE l'objet progressait d'une manière ininterrompue. Mais j'avoue ne pas avoir foi dans l'efficacité des remèdes qu'ils proposent, et c'est pourquoi, m'écartant ici des positions occupées par les troupes des deux écoles, scientifique et commerciale, — je voudrais faire une courte reconnaissance aux environs, persuadé qu'il ne sera pas difficile d'y trouver pour la ba- taille finale un terrain plus avantageux et mieux préparé. On lit dans tous les manuels que la géographie a pour objet la des- cription de la terre. C'est là cfuelque chose de très vaste puisque cette toute petite planète qui roule parmi les mondes renferme de quoi nous occuper et nous intéresser depuis des milliers d'années et que nous n'avons pas achevé de la conquérir, ni même de la découvrir. La géographie est donc une science d'ensemble ; son domaine comprend les glaces polaires et les forêts tropicales, le régime des eaux et des vents, Tinventaire des richesses du sol, les établissements et les œuvres des hommes. IVaturelle et sociale à la fois, pratique et philosophique, elle a son martyrologe, l'un des plus beaux et des plus purs de l'humanité; en elle on trouve tout ce qui peut actionner les intelligences, forger les caractères et élever les âmes. Contemplez-la maintenant dans les programmes de l'instruction publique, dans les manuels d'examens. Dépouillée de toute vue d'en- semble, de toute idée générale, scindée, découpée et fractionnée à l'infini, elle n'est plus qu'une sèche nomenclature que l'élève s'assimile au moyen du procédé le plus misérable, le procédé mnémotechnique. Interrogez-le. Il vous dessinera sur le tableau noir des lignes de partage des eaux tout à fait étonnantes et n'ayant jamais existé que dans l'esprit des géographes élémentaires. Il se croirait perdu s'il oubliait quelque chaîne de col- lines qui portent sur la carte un nom souvent inconnu dans le pays où d'ailleurs elles ne forment qu'une suite de hauteurs insignifiantes. Mais ne faut-il pas une ligne départage? Périsse la géographie plutôt qu'un prin- cipe ! Quant aux caps ils défilent en bataillons serrés, suivis d'un régiment de golfes et l'image de ces sinuosités des côtes se grave dans la mémoire de l'écolier au détriment de leur configuration réelle. Le cap de Bonne- Espérance, après tout, ne constitue pas plus 1' « extrémité » de l'Afrique que le cap Horn, l'extrémité de l'Amérique, et le golfe du Mexique est une mer intérieure, tandis que le golfe de Gascogne n'est rien du tout. Que sera-ce si vous posez à votre candidat bachelier, que je choisis à des- sein parmi les « forts » de sa classe, des questions d'un autre ordre? — Pourquoi les États-Unis n'ont-ils pas de colonies? Quels sont les établisse- p. DE COUBERTIN. — l'enSEIGNEMENT DE LA GÉ05KAPH1E 873 ments européens que l'on rencontre sur la route de Marseille à Melbourne? De quel intérêt peuvent être pour les puissances européennes la construc- tion du Transsaharien et celle du Transsibérien? Quelles sont les rivalités en présence dans le bassin de la Méditerranée? De quoi se compose l'Em- pire britannique? Quelles sont les proportions comparées de la Hollande et de ses colonies, de la France et du Tonkin, de la Russie et de la Chine? Quelle était, il y a cent ans, et quelle est aujourd'hui la popula- tion des principales nations d'Europe et d'Amérique ? Certains me feront peut-être observer que ce n'est pas là de la géo- graphie « selon les programmes ». Mais cette objection se condamne elle-même par son étroitesse et sa futilité. Les programmes d'ailleurs sont plus élastiques qu'on veut bien le dire et vous n'avez qu'à suivre une session de baccalauréat à la Sorbonne pour vous en rendre compte. Les examinateurs ne demanderaient pas mieux que- de suivre les élèves sur le terrain des vues intelligentes, des idées personnelles, de Va initia- tive intellectuelle » . Mais ce plaisir est bien rare pour eux et c'est pour- quoi ils doivent se contenter le plus souvent de demander la longueur kilométrique des grands fleuves ou l'altitude exacte des montagnes, choses inutiles par excellence. C'est l'opinion qui le veut ainsi. Elle par- donne au petit Français d'ignorer jusqu'aux noms de Dunedin. d'Hobart, de Brisbane, de Vancouver, de Kimberley, mais s'il ne sait pas dire dans quels départements se trouvent PugeL-Théniers, Baume-les-I)ames, Can- nât, Boussac, Marvejols, Espalion, Sarlat, elle le classera d'emblée parmi les ignorants. Or, de toutes ces cités, lesquelles, je vous prie, méritent d'attirer l'attention de nos enfants? Les unes ne seront-elles pas demain des centres importants, les capitales de puissantes républiques qui feroiit grande figure dans le monde alors que les autres n'auront pas cessé d'être de petites sous -préfectures françaises, à moins pourtant quelles n'aient perdu leur unique originalité qui est d'avoir des sous-préfets. L'enseignement de la géographie est basé — comme beaucoup d autres — sur cette idée qu'il y a une proportion à établir entre les « horizons »; que l'on doit connaître très exactement son pays, à peu près ceux qui l'entourent et que, pour le reste du monde, un rapide coup d'oeil suffit. Si mesquine qu'elle soit en elle-même, cette manière de concevoir l'élude de la planète avait, jadis, sa raison d'être. L'homme vivait à l'ombre de son clocher et s'il s'en écartait par hasard, c'était pour y revenir bien- tôt. Il n'éprouvait pas le besoin de placer son amitié non plus que ses capitaux hors des frontières de son pays. Les nouvelles du dehors lui arri- vaient rarement et lentement. 11 ne vivait que de la vie nationale et l'in- ternationalisme ou, si vous voulez, le cosmopolitisme n'existait pas pour lui, parce qu'il ne pouvait pas exister. Bien entendu, on peut citer des exceptions sans lesquelles du reste la géographie n'aurait pu se former. 874 GÉOGRAPHIE Mais les exceptions ne servent qu'à confirmer la règle générale et telle était alors la règle générale. Or, la vapeur et l'électricité ont modifié tout cela d'une manière radi cale. La chronique d'un grand journal du commencement du siècle, com- parée à celle d'un grand journal de notre époque indique très nettement l'abîme qui s'est creusé, la révolution formidable qui s'est opérée et sur laquelle on ne saurait assez méditer, car ici les leçons de l'expérience ne servent plus, le passé ne contenant rien d'analogue au chemin de fer et au télégraphe. La chronique d'hier était faite des nouvelles de l'intérieur; dans celle d'aujourd'hui les nouvelles de l'extérieur tiennent la première place. Les oscillations de ce grand pendule qu'on appelle la Bourse s'ins- crivent simultanément à Stockholm et à Yokohama, et lorsqu'un Russe fait deux kilomètres sur le plateau de Pamir, le fait est commenté le lendemain à Paris et à Chicago. Alors laborieusement, devant tous ces noms exotiques, devant toutes ces civilisations qui se lèvent, en présence de ces merveilles dont il s'étonne et dont parfois il a peur, le Français de cinquante ou de soixante ans refait son éducation géographique. Il cherche dans les dictionnaires, s'égare dans les atlas et constate que tous ces pays nouveaux n'ont point apparu soudainement comme si une trappe leur eût donné passage. Ils existaient au temps de sa jeunesse, mais jamais son regard n'avait appris à se diriger vers eux et il en est encore à voir en pensée des troupes de chevaux sauvages galoper dans les plaines de la République Argentine et des chercheurs d'or établir leurs misérables huttes sur le sol d'Australie. Pourtant on lui a demandé son argent pour des entreprises lointaines. Les mines de l'Uruguay, les défri- chements du Manitoba, le chemin de fer des Andes l'ont successivement séduit grâce à l'éloquence d'un ami lui vantant ces « affaires magnifi- ques ». — Mais, voilà, qu'est-ce que c'est au juste que l'Uruguay? Pousse- t-il quelque chose dans le xManitoba ? Le chemin de fer des Andes sera-t-il productif? Il est bien incapable de se faire une opinion là-dessus et s'en rapporte aux prospectus trompeurs et aux bulletins de journalistes inté- ressés. On se mettra peut-être très facilement d'accord sur l'utilité de ces connaissances, mais il sera moins aisé de s'entendre pour leur faire une place. Ce n'est pas tout de décider qu'une matière doit figurer dans un programme lorsque ce programme est déjà bien rempli. C'est vouloir mettre du lait dans une tasse déjà pleine de chocolat. Enlevez au préa- lable du chocolat et l'opération deviendra possible. Il faut donc, non point allonger le programme, mais le remanier, et pour cela quelques sacri- fices sont nécessaires. Ils devront porter, bien évidemment, sur la France elle-même, étudiée par nos enfants avec un luxe de détails très exagéré. Je ne songe pas seulement, en disant cela, à ces sous-préfectures dont p. DE COUBERTI.N. LENSEIGNEME.NT DE l.A CÉOGRAPHIE 875 la liste peut s'apprendre — tout comme la table de multiplication — pendant la première enfance, mais à ces réseaux de chemins de fer, à cette litanie de petits canaux, à toutes ces industries locales, nourriture indigeste pour l'esprit et incapable de produire la moindre vue générale, d'engendrer la moindre impression d'ensemble. Se font-ils une idée du transit de ces chemins de fer, du mouvement de navigation sur ces canaux, de la puissance industrielle de la France, les pauvres collégiens qui récitent ce chapelet géographique? Quelle trace peut laisser en eux un passage comme celui-ci, que j'emprunte au manuel d'un maître estimé et regretté : « Le chef-lieu est Evreux, sur l'Iton. affluent de l'Eure, siège d'un èvêché et l'une des succursales de Rouen pour la fabri- cation des cotonnades. Les quatre sous-préfectures sont : Les Andelys, patrie du peintre Nicolas Poussin ; Bernay, important par ses filatures et son commerce de grains, de lins et de chevaux ; Louviers, sur l'Eure, l'une dps métropoles de l'industrie des draps, des lainages et de la construction des machines, et Pont- Aude mer, sur la Rille (tanneries et papeteries). » Il y a évidemment un malentendu dans le but que l'on se propose. .l'ai souvent ouï dire qu'il était bon de faire son droit, même lorsque cette étude ne devait pas avoir d'utilité immédiate, parce que cela donnait une idée d'ensemble et qu'ensuite « on savait où aller chercher les renseigne- ments dont on peut avoir besoin o. Ne serait-ce pas un résultat ana- logue qu'il conviendrait d'atteindre en ce qui concerne la géographie ? N'y a-t-il pas une " idée géographique » qu'il importe avant tout de faire saisir à l'élève? Des noms et des chiffres, il les oublie, mais il lui est facile de les retrouver quand il le veut ; en comprend-il la valeur ? Toute la question est là. S'il possède ce qu'on pourrait appeler la « table des matières » de la géographie, s'il a la juste notion de ce que sont dans chaque pays la nature et l'homme, s'il connaît la c proportion » des pays entre eux, s'il a saisi une seule fois Vharmonie, Véquilibre du globe, toute statistique placée sous ses yeux deviendra vivante, toute découverte qui lui sera signalée prendra pour lui sa portée véritable, le moindre renseignement d'ordre technique l'intéressera. C'est en cela que consiste la géographie et iTon pas en une série de nomenclatures arides. Elle doit être une culture pour l'esprit et ne point aspirer à remplacer V Indicateur . Mais il y a toujours devant nous cette objection que la patrie a droit à une place plus grande que celle des autres pays. C'est une objection de sentiment. Elle n'a plus de raison d'être, ainsi que je l'ai indiqué plus haut, parce que les circonstances ont changé et qu'aujourd'hui le meil- leur moyen de bien servir sa patrie est de connaître à fond celle du voisin. Il y a, du reste, un ordre de connaissances qui ne s'acquièrent 876 GKOGRAPHIE pas dans les livres, mais bien par la vie de chaque jour, et celui qui réside en France peut toujours en savoir plus long sur la France que sur l'Angleterre ou l'Alieniagne. Raison de plus pour que, pendant son éducation, ses regards aient été dirigés le plus souvent possible hors des frontières. Nous vivons en un temps d'invasion, et s'il importe que l'officier connaisse les rivières et les montagnes, les cols et les gués du pays dont il médite la conquête, il importe plus encore que le financier, l'industriel, le commerçant soient à même de juger spontanément de la portée d'une entreprise et ne se disent pas, en hésitant, devant quelque afTaireà tenter: L'Australie !... c'est bien loin !... qui sait ce qui s'y passe?... 11 importe encore que, familiarisés avec la distance, les Français de demain fassent fructifier ce troisième Empire colonial, que la Hépubliquc est en train d'édifier sur les ruines des deux autres. Il importe qu'ils puissent suivre dans leurs audacieuses campagnes les Binger, les Mizon? les Bonvalot. 11 importe qu'ils connaissent tous les points du monde où un groupe quelconque d"étres humains parle notre langue. C'est ainsi qu'ils serviront le mieux cette patrie dont le génie a fécondé l'Europe et qui, à diverses reprises, a empli le monde du bruit de ses victoires. II .l'ai tenté d'établir que les jeunes Français apprenaient en géographie bon nombre de choses inutiles et, par contre, n'apprenaient point beau- coup de choses fort utiles : voilà pour les programmes. Demandons-nous maintenant quel est le procédé d'enseignement qui fixera le mieux dans leur mémoire ce qu'ils apprendront. En nous donnant, dans son Roman d'un Enfant, une page de péda- gogie imprévue et charmante, Pierre Loti a attiré notre attention sur le rôle du « suggestif » en matière d'éducation et d'enseignement. Le « sug- gestif )), c'est là un mot fait pour inquiéter les savants, lesquels estiment que rien ne vaut la science avec ses renseignements précis, ses classifica- tions bien ordonnées, ses procédés logiques et ses déductions positives. Ils veulent qu'on lui mène les enfants sans retard et ne s'effrayent pas pour eux de sa mine parfois rébarbative et de son visage un peu sévère. Elle seule, disent-ils, pourra les civiliser; il faut qu'ils s'habituent à recourir à elle en toute circonstance, à lui demander l'explication de toutes choses, à la considérer comme l'astre polaire de leur firmament. Le suggestif ! mais c'est le culte de l'imagination, de cette faculté endia- blée, cause de tant d'illusions et d'erreurs, à laquelle sont imputables tant de chutes et d'accidents et sans laquelle le monde marcherait sans secousses, comme une machine bien graissée. A y regarder de près, voilà le champ de bataille de la pédagogie roc- I p. DE COUBERTIN. l'eNSEIGNEMENT DE [,.V OÉOGliAPHIE 817 derne. Sur ce terrain s'est engagé le combat mené par les états-majors scientifiques allemands contre les vieilles « humanités » de nos pères. L'attaque a lieu sur tous les points. Ce ne sont pas seulement les sciences positives que l'on donne comme susceptibles de former l'esprit, voire même de « l'orner », comme disait le bon Rollin ; on prétend encore appliquer la même méthode aux chefs-d'œuvre de la pensée antique, et, sous prétexte d'en tirer des beautés cachées, on dessèche systémati- quement, par une analyse impitoyable, cette terre si riche et si fertile. La vérité est qu'il y a des procédés positifs et des procédés suggestifs, et que ces si derniers ne sont pas susceptibles d'être employés lorsqu'il s'agit de certains cerveaux, ce n'est pas une raison pour les exclure là où ils peuvent produire de bons résultats. .Je ne prétends pas ici établir un parallèle entre le génie français et le génie allemand. La science alle- mande est, par les œuvres admirables qu'elle a produites, au-dessus de toutes les attaques, et son influence sur la science française a été de tous points salutaire. Mais je crois que l'on pousse trop loin l'admiration en voulant appliquer ses procédés à l'éducation de la jeunesse. D'un esprit français vous ne ferez jamais un esprit germanique. Ils sont aux anti- podes l'un de l'autre et les méthodes qui conviennent au second ne sau- raient convenir au premier. Le « suggestif » n'a pas de prise sur l'Alle- mand. Le Français, au contraire, est sous son empire. L'Allemand sait, raisonne, s'assimile ; le Français vibre, imagine, invente. Ces procédés, que j'appelle « suggestifs », conviennent à la géographie lorsqu'il s'agit d'écoliers français, et il est regrettable qu'ils n'aient pas été encore employés. La géographie est peut-être une science exacte ; son caractère philosophique et artistique est. néanmoins, très facilement saisissable. Elle englobe tant d'autres sciences et son domaine est si vaste ! Expliquez à l'enfant la formation de la terre selon les données nou- velles qui en reculent l'origine dans un lointain si grandiose. Exposez- lui l'harmonie du monde sidéral, les immensités peuplées d'astres, les phénomènes si mystérieusement simples de la succession des jours et des nuits, de l'hiver et de l'été, toute cette « vie des choses » qui l'envi- ronne si bien, qu'il oublie de la remarquer par lui-même. Puis décrivez- lui cette planète qu'il habite. Énumérez-lui ses étrangetés et ses richesses ; qu'avant de posséder une seule dor)née technique, d'avoir appris par cœur une seule de vos nomenclatures, il ait la notion des t;randes éten- dues terrestres et marines, des solitudes glacées, des déserts brûlants, des monts et des forêts. Montrez-lui, en passant, ces ponts jetés sur des al)îmes, ces câbles immergés dans les profondeurs des océans, ces villes immenses qui peuplent les continents, et ces postes avancés construits au milieu de tous les périls par les pionniers de la civilisation. Sans 878 GÉOGRAl'HIE en connaître encore la longue histoire, l'enfant sentira derrière lui le poids de l'humanité dont il est l'héritier et le continuateur. Racontez alors la lente et sublime conquête, les premières audaces des^ anciens et celles de nos compatriotes, les Cousin, les Arago, les Jacques Cartier; le cercle polaire franchi en 1497 par Sébastien Cabot; Barentz, en 1596, entrevoyant le Spitzberg; James Ross apercevant, il y a cin- quante ans, les hautes cimes volcaniques du pôle Sud. Insistez surtout sur l'épopée de Christophe Colomb faisant apparaître soudain un continent gigantesque, et aussi sur cette Afrique, hier encore ignorée de tous, aujourd'hui percée à jour. Quel poème admirable, susceptible de trans- porter de jeunes esprits, d'ouvrir les intelUgences des petits Français et même de déposer en eux le germe nécessaire entre tous à l'époque où nous sommes, le germe de l'action ! Il va sans dire que cet exposé, ce « tableau » géographique ne peut constituer que la base d'un enseignement sérieux. Cet enseignement,, quelle forme lui donner? J'ai vu fréquemment, à l'étranger, employer une forme originale qui me paraît des plus recommandables ; elle per- met de varier les sujets à l'infmi, de ne jamais lasser l'attention et peut, en outre, exciter au plus haut degré l'émulation. Le professeur voyage avec ses élèves; il s'entoure de tout ce qui peut donner à ceux-ci l'il- lusion d'un voyage véritable : guides, indicateurs, vues photographiques (projetées parfois au gaz oxyhydrique), renseignements de tous genres. Cela rappelle l'organisation de l'enseignement commercial dans les Busi- w'ss Collèges des États-Unis (1), et il faut s'efforcer de ne pas tomber dans l'exagération qu'ont atteinte certains de ces établissements. Mais le principe est bon. Je suppose que le premier voyage soit consacré à l'Empire britannique. C'est là une locution jusqu'ici inconnue du petit Français. Il ignore abso- lument ce qu'est l'Empire britannique ; mais par contre il s'est déljattu dans les noms des comtés d'Angleterre, que les Anglais eux-mêmes ne savent pas et qui ne sont d'aucune utilité. Le Cap n'est pour lui qu'une montagne en forme de table recelant des diamants jaunes. Les odyssées des Boërs. la formation des républiques de l'Orange et du Transvaal, les efforts des Allemands pour se rejoindre au nord des possessions anglaises, tout cela est de l'hébreu pour lui. Pourtant, à la lueur de ces faits, combien la géographie de ces contrées devient intéressante ; le relief du sol, le cours des fleuves, la nature des terrains prennent aussitôt une raison d'être. La carte se transforme en un échiquier. Le massif étrange de l'Australie avec son désert central et sa ceinture d'États se présente sous un aspect très différent. Nulle pari, peut-être. (1) Voir Universités tiansaUanliqties . — Hacliell^ et C'«. F. DE COUBERTIN. LENSEIGNEMENT DK LA GÉOGHAPIUE 87'J riiomme n'est destiné à être à ce point l'esclave de la nature. L'Hin- doustan a d'autres caractères, mais l'œuvre accomplie là n'est pas moins étonnante. Au Canada, les questions de race, de climat, de débouchés s'entremêlent de la façon la plus curieuse, et tous ces problèmes épais ont presque toujours une cause géographique. La géographie permet d'en retrouver l'origine el parfois d'en pressentir la solution. N'ayez garde d'oublier, en passant, Hong-Kong, Singapour, Maurice, Aden, Chypre, Malle, Gibraltar, ces stations qui jalonnent la route des paquebots an- glais. Et quand vous serez de retour à Marseille, embarquez-vous à Bor- deaux pour visiter les républiques espagnoles. Les États-Unis viendront ensuite, puis la Chine trop longtemps dédaignée par nous et qui n'évoque, pour la plupart de nos enfants, que l'image de mandarins en satin jaune assis dans des tours de porcelaine. Que de choses vous leur apprendrez encore en leur faisant faire le tour de la Méditerranée, où se concentrent, avec l'éternelle question d'Orient, un nombre infini d'autres questions d'ordre européen ! Le tour des puissances continentales viendra enfin et, lors({u'ils auront ainsi parcouru le monde, ils seront à même de visiter les colonies françaises en se rendant compte de leurs avantages et de leurs désavantages géographiques. On va m'objecter qu'en tout ceci j'entremêle l'histoire et la géogra- phie. IN'e sont-elles pas sœurs? Ce qui est le plus surprenant, c'est qu'on ait eu la pensée de les séparer, et malgré tout elles arrivent à se rejoindre en maintes circonstances. Tout ce que je viens de dire de la géographie, je le dirais de l'histoire, car il me paraît tout à fait étrange que cer- tains peuples et certaines époques soient étudiés avec un soin minutieux, tandis que d'autres peuples et d'autres époques sont laissés dans l'ombre, lien est des siècles comme des terres ; la proportion est absolument faussée. Au lieu d'avoir des connaissances générales sur le passé de Ihumanité et sur la constitution du globe, notre mémoire ne contient le plus souvent que des chronologies, des dates de bataille, des noms de caps et de golfes. S'il m'est permis d'évoquer un souvenir personnel, je mentionnerai trois cartes historiques dressées par M. Albert Sorel pour le cours d'his- toire diplomatique qu'il professe à l'École des sciences politiques. L'Eu- rope de 1789, celle de iSlo et celle de ISSo, ainsi représentées, ont gravé profondément dans mon esprit l'histoire générale du siècle. Comment n'en pas saisir les grandes lignes lorsqu'on voit, unifiées en ISSo, cette Italie et cette Allemagne qui apparaissaient en 1789 et même en ISlo, subdi- visées en une multitude de petits États, et d'autre part la péninsule des Balkans suivre une marche inverse et se désagréger rapidement! Quel- ques années avant, à l'examen oral de Saint-Cyr, on m'avait interrogé sur les crises ministérielles du règne de Louis-Philippe, sur les principaux som- 880 GÉOGRAPHIE mets du département des Hautes-Alpes. Voilà les deux écoles en présence : l'école des « grands courants » et celle des « petites minuties ». Qu'entre les deux nos cœurs ne balancent pas. Mettons des idées à la place des mots, rétablissons l'équilibre entre l'étude dès différentes parties du globe et la géographie scolaire deviendra réellement ce qu'elle n'a été jusqu'ici que par étymologic : la description de la terre. M. Georges PAROISSE Professeor de l'Université, chargé de Missions scientifiques, à Paris. LA RIVIÈRE COMPOIMY (GUINÉE FRANÇAISE) — Séance du 7.9 septembre IS02 — Bien que son embouchure ait été découverte dès le milieu du xv" siècle par les navigateurs portugais, le Compony est resté, jusqu'à une époque toute récente, le plus mal connu de ces cours d'eau que l'on «içlésigne ha- bituellement sous le nom de Rivières du Sud. Les premières connaissances précises que nous possédions sur ce fleuve datent du passage de la mission qui, en 1888, procéda, sous la direction du capitaine Brosselard-Faidherbe, à la délimitation des territoires de la Guinée française et de la Guinée portugaise. En 1891, j'ai eu l'occasion de visiter le cours inférieur du Compony et de le remonter jusqu'à Kandiafara, point qui jusqu'ici n'a été dépassé par aucun Européen, sur le fleuve; c'est le résumé de mes observations que je présente ici. Le Compony est le premier cours d'eau de la Guinée française que l'on rencontre en venant du nord. La frontière qui sépare notre colonie de la Guinée portugaise est ici une ligne idéale tracée entre le Cassini et le Com- pony, à égale distance des deux fleuves. A son embouchure, le Compony présente comme un vaste estuaire, large de six à sept kilomètres, ouvert entre des rives basses, couvertes d'épais fourrés de palétuviers. Des bras secondaires, détachés de la rive droite, entourent les îles Tristao, terres d'alluvion qui représentent une sorte de delta latéral du fleuve. Orienté d'abord du nord au sud, l'estuaire, à quelques kilomètres de la mer, s'infléchit à l'est en diminuant rapidement de largeur et fmit par se 0. PAROISSE. — LA RIVIÈRE COMPONY (GULNÉE FRANÇAISE) 881 resserrer dans un élranglement de 600 mètres de large que des amas de roches entassées le long des rives rétrécissent encore. Un peu avant d'arriver à cet étranglement, on aperçoit de nombreuses tètes de roche disséminées dans le lit même du fleuve où elles consli- luent de dangereux écueils. Les roches paraissent faire partie d'un grand banc qui s'étend obliquement d'une rive à l'autre; disloqué par l'action des courants, ce banc laisse ouvertes de nombreuses passes ; néanmoins, en l'absence de tout balisage, un navire un peu gros ne se risquerait pas sans danger à le franchir. En amont de l'étranglement, le Compony reprend, à quelques détours près, la direction générale du nord; sa largeur est de un à deux kilomètres, jusqu'à la hauteur du village de Bassia, où il s'épanouit en un vaste bas- . sin circulaire, semé de quelques ilôts. Jusqu'à Hassia, le Compony traverse des plaines basses, marécageuses, couvertes d'une brousse épaisse, dans les parties les plus sèches, et de palétuviers partout où pénètrent les eaux saumàtres refoulées par la ma- rée. Des palmiers assez nombreux émergent du sein de ces brousses, les autres arbres sont rares. A partir de Bassia, le relief du sol commence à s'accuser, des coteaux se profilent dans le lointain et envoient, de distance en distance, des con- treforts jusque sur les rives du fleuve qui, pour les contourner, décrit de vastes méandres. La végétation change aussi de caractère : les grands arbres sont plus nombreux, sans toutefois arriver à former de véritables forêts; les palmiers, en revanche, sont plus clairsemés. Peu serrée au voisinage de Bassia, la brousse, à mesure qu'on s'enfonce vers le nord, devient de plus en plus épaisse et impénétrable ; les bambous couvrent de vastes étendues. »En amont de Bassia, la largeur du Compony diminue assez rapidement; à une vingtaine de kilomètres de ce point elle n'est plus que de 400 mè- tres, mais ensuite elle ne subit plus que de faibles variations. La profon- deur reste supérieure à quatre mètres ; elle varie d'ailleurs suivant l'heure de la marée, qui pénètre fort loin dans le fleuve. A Kandiafara, à 7o kilo- mètres de l'embouchure, la différence est de plus de deux mètres, entre les niveaux correspondant à la haute et à la basse mer. Cependant l'eau est douce pendant toute l'année devant Kandiafara; la limite extrême atteinte par les eaux saumàtres, au fort de la saison sèche, alors que l'apport des eaux douces de la rivière atteint son mini- mum, est le confluent de la rivière de Babali, à quelques kilomètres au- dessous de Kandiafara. Avant môme d'arriver à ce point, on voit peu à peu disparaître les palétuviers qui, plus l)as, formaient sur les rives d'épaisses bordures. Les pandanus les remplacent sur les terrains marécageux. 882 GÉOGRAPHIE Entre Bassia et Kandiafara le Compony ne reçoit que des affluents peu importants, le principal est la rivière de Tomboïa, ailluent de gauche qui vient du nord-est. Cette rivière est, au dire des noirs, navigable, au moins pour des chaloupes, sur un assez long parcours. Au-dessous de Bassia, le Compony ne reçoit pas d'affluents ; il envoie au contraire, à droite et à gauche, des marigots plus ou moins importants qui reviennent dans le lit majeur ou vont s anamostoser avec ceux qui se détachent du Rio-Nunez et du Cassini, les deux estuaires entre lesquels se trouve celui du Compony. J'ai pu, en utilisant l'un de ces marigots, faire passer mon canot du Compony au Nuiiez, sans sortir en mer. POPULATIONS Les rives du Compony, du Kandiafara à la mer, sont peu peuplées ; mais parmi les indigènes on rencontre des représentants de plusieurs races fort différentes. Dans les plaines marécageuses du littoral, on trouve quelques villages peuplés de Bagas. C'est là, je crois, l'extrême limite atteinte, vers le nord, par cette race dont on rencontre de petites colonies dispersées le long de la côte jusqu'à la Dubréka. Les Bagas du Compony me paraissent être les plus arriérés des représen- tants de cette race qui, autrefois maîtresse du pays, a été refoulée dans les marais voisins de la mer par les envahisseurs de race Sou-sou. Les Bagas ne se rencontrent pas aux îles Tristao dont la population est composée en majeure partie de Nalous venus de la rive droite du Rio- Nunez. Le nombre de ces réfugiés s'est beaucoup accru pendant ces der- nières années, à la suite des guerres suscitées par Dinah-Salifou, le chef Nalou que l'on a vu en France lors de l'Exposition de 1889. Le gros bourg de Capken, sur l'île Robert, est le plus important des centres habités des îles ïristao. Sur l'île Aube, on ne trouve pas de véri- tables villages, chaque famille groupant ses cases à part. A l'extrémité nord-ouest de cette île se trouve l'établissement commercial et agricole de Franceville, fondé en 1890 par la Compagnie française des îles Tristao. En remontant le Compony, on trouve sur la rive gauche le village de Bassia dont nous avons déjà cité le nom. Bassia se compose de plusieurs groupes de cases, au bord du fleuve ; il n'y en a que quelques-unes habi- tées par des traitants, sénégalais ou sierra-léonais, placés là par les mai- sons de commerce françaises et anglaises du Rio-Nuiîez. En s'éloignant du rivage, on rencontre un autre hameau peuplé par des captifs chargés de cultiver les terrains environnants et enfin, à deux kilomètres du fleuve, G. PAROISSE. — L.\ UIVIKRF COMPONY (GLINKE FRANÇAISE) 883 on arrive au village proprement dit, celui qu'habite le chef M'Fàli. Ce village est entouré d'une double palissade, renforcée à la base par un parapet en terre, percé de meurtrières. Il a repoussé victorieusement l'attaque des bandes de Dinah-Salifou : les crânes des guerriers Nalous restés sur le terrain ornaient encore, lors de mon passage, les palissades, de chaque côté de la porte. Les habitants de Bassia et des environs se disent Djolas et parents des Mandingues. En amont de Bassia, le pays traversé par le Compony est inhabité, jusqu'à Kandiafara. Le village de Boufira. fondé par une colonie de Sou- sous sur un promontoire de la rive gauche, non loin de Bassia, a été ré- cemment abandonné par ses habitants. Plus haut, sur la rive droite, on voit l'emplacement de Caxham, village Nalou détruit par les gens du Fo- réah, dont les incursions ont fait un désert de toute cette fertile région. Kandiafara même n'est qu'un comptoir commercial, habité par trois ou quatre traitants sénégalais qui trafiquent, pour le compte des factoreries du Nunez, avec les habitants du Foréah. J^es premiers villages du Foréah ne se rencontrent qu'à une certaine distance de la rive droite du Compony ; leurs habitants sont des Foulahs noirs, c'est-à-dire que, chez la plupart d'entre eux, le sang de la race Foulah est fortement mêlé à celui des peuplades ambiantes. En remontant la rivière de Tomboïa, que nous avons signalée comme alïluent de gauche du Compony, après avoir traversé une zone déserte d'une quinzaine de kilomètres de largeur, on arrive chez les Tandas, petite peuplade dont le chef réside à Tomboïa. Ce chef est vassal du roi des iS'alous du Nunez, mais ce vasselage est aujourd'hui purement nominal. COURS SUPÉRIEUR DU COMPONY En amont de Kandiafara, aucun Européen n'a remonté le Compony, qui cependant est encore facilement navigable jusqu'à une distance probable- ment très grande. En 1880, M. Olivier de Sandervale traversa, directement à l'est des sources du Rio-Nunez, à plus de deux cents kilomètres, à vol d'oiseau, de Kandiafara, une série de ruisseaux qui, après un court trajet vers le nord, se réunissaient dans un lit commun, courant à l'ouest. C'étaient les sources du Cogon, la branche maîtresse du Compony. En 1860, Lambert avait déjà traversé le Cogon à quatre-vingts kilomètres plus bas, près de Kitala. Là il coule vers le nord-ouest, direction qu'il conserve probablement pendant une centaine de kilomètres. Pendant ce 884 GEOGRAPHIE trajet il reçoit un important aflluent, le Teliri, qui a été entrevu par Hec- quard et Olivier de Sanderval. Arrivé à une faible distance du Kroubal, le grand fleuve de la Guinée portugaise qui alimente l'estuaire do Géba, le Compony tourne encore brusquement à angle droit, ainsi que l'a reconnu le capitaine Brosselard- Faidherbe, et se dirige, au sud-ouest, vers Kandiafara, d'où il coule au Sud, vers la mer. La longueur totale du Compony, sans tenir compte des petits méandres du lit, paraît être d'environ trois cent cinquante kilomètres, mais, par suite de l'énorme détour qu'il fait vers le nord, la distance en ligne droite, des sources à l'embouchure, n'est guère que de deux cent trente kilomètres. Par la longueur de son cours, la richesse et la fertilité de la vallée qu'il arrose, ce fleuve est certainement appelé à jouer un grand rôle. Lorsqu'il sera mieux connu, il deviendra bientôt une des artères les plus impor- tantes de la Guinée française. M. II. COTJDItEATJ Cliargé du Missions si'iuiilHiiiiics, à Paris. ETUDE DE LA CHAINE DES MONTS TUMUC-HUMAC Smticc du ly sepleiiibve IS92 — Les Tumuc-Humac m'ont coûté beaucoup de mal. On pense bien que ce n'est pas avec mes seuls itinéraires que j'ai pu établir ma carte de ces moiïtagnes. Les itinéraires ne laissent qu'une ligne étroite sur la carte et ne donnent aucune idée de l'ensemble. C'est par les hauts points de vue, les panoramas que l'on peut juger de la configuration générale d'un système orographique, et des renseignements qu'il faut constater et discuter viennent brocher sur le tout. Les panoramas sont rares dans les Tumuc-Humac. II. COL'DUEAL'. ÉTUDE DE LA CIIAIN'E DES MONTS TUMUC-llI MAC 88o Il m'est arrivé souvent, tant au Maroni qu'à l'Oyapock, de faire deux ou trois jours de marche pour arriver à quelque haut sommet dont m'avaient parlé les Indiens. En route, je n'avais qu'un maigre itinéraire : les petits aflluents de quelque crique dont nous suivions la vallée à mi-côte. Arrivé au sommet, rien, pas une éclaircie dans la forêt serrée ; je faisais alors abattre des arbres, ce qui dégageait le paysage, mais des collines prochaines me cachaient le lointain, et je n'apercevais autour de moi que de vagues masses bleues entre les branchages des éminences voi- sines, ou bien encore deux ou trois petites montagnes peu éloignées qui me cachaient tout l'horizon, En hiver, c'est pis encore; d'épais brouil- lards pèsent sur les hauteurs : il faut souvent attendre deux ou trois jours qu'une éclaircie se fasse dans ce ciel de grisaille. Pour jouir d'un panorama d'ensemble, il faudrait trouver de hautes montagnes au sommet dénudé ; mais dans cette région sans savanes et aux faibles altitudes, ces montagnes sont très rares, je n'en ai découvert que trois sur plus de deux cents que j'ai escaladées ou vues : Mitaraca, dans les hauts de Marouini ; Tayaouaou, aux sources de l'Oyapock, ei Témomairem, aux sources de Coulécoulé et de .Mapahony. Encore, la pre- mière et la dernière seules donnent-elles un point de vue parfait, per- mettant de prendre un excellent tour d'horizon. Mitaraca est terminée par une énorme roche granitique en forme de cône, roche si complètement dénudée qu'on n'y trouve même pas une touffe d'herbe pour s'aider à grimper. Le sommet de la roche est à o80 mètres d'altitude. L'ascension est difficile et périlleuse ; la roche, étant presque à pic et nue, donne le plus beau panorama que j'aie vu pendant ces deux ans ; celui des Ïumuc-Humac, de Maroni, à près de vingt lieues à la ronde. Mitaraca est un des géants de Tumuc-Humac et la seule montagne de la chaîne qui présente, je crois, un aussi beau bel- védère. De son sommet, le système orograplhque de la contrée se dé- couvre tout à coup dans son ensemble, comme à un brusque lever de rideau. Tayaouaou, élevée seulement de 450 mètres, est terminée, au cou- chant, par une muraille granitique perpendiculaire, de 100 mètres d'élé- vation. Tayaouaou donnerait un aussi beau point de vue que Mitaraca si elle était déboisée à son sommet. Mais on est obligé de profiter de diffé- rentes éclaircies qui existent sur le pourtour pour embrasser successive- ment les différents points de l'horizon. Toutefois, moins élevée que Mitaraca, son champ visuel ne s'étend qu'à douze ou quinze lieues alentour, jusqu'à la chaîne d'Eureupoucigne au nord ; aux montagnes des sources de l'Oyapock au sud, et à la petite chaîne d'Agamiouare au sud-est, Témomairem donne un point de vue presque aussi beau que celui I 886 GÉOGRAPHIE dont on jouit du sommet de Milaraca. Pour arriver à Témomaïrem, sur le sentier de Mapahony-ltany, on rencontre une série d'éminences en gradins successifs, éminences que domine la roche de Témomaïrem. Au pied de la roche s'étendent des terrains granitiques sur lesquels aucun arbre n'a poussé. C'est une petite savane, belvédère naturel, d'où l'œil embrasse distinctement, par un ciel clair, l'horizon de Timo- takem et de son groupe, et celui des montagnes du chemin du Parou. Gravit-on la roche élevée d'une cinquantaine de mètres au-dessus du dernier gradin du plateau, on découvre (si on ne s'est pas rompu le cou en faisant l'ascension des rochers à pic) un horizon splendidement élargi. Par delà les vagues verdoyantes de la mer des forêts vierges, on embrasse les piliers de l'immense arène circulaire; de grosses masses aux sommets blancs de quartz servent de soubassement à l'azur. A l'ouest, on voit jusqu'à Teïrokem sur le chemin du Parou ; à l'est, on saisit nettement les groupes de Mitaraca, de Timotakem et de la chahie de Chimichimi. Témomaïrem et Mitaraca valent à elles seules le voyage de Paris en Guyane centrale . Tayaouaou, Mitaraca et Témomaïrem m'ont suffi pour jeter les bases d'une première triangulation des Tumuc-Humac. De chacun de ces trois sommets, je prenais, au théodolite, les angles des sommets visibles et je mesurais ensuite, au podomètre, le plus de bases que je pouvais. Tout cela est approximatif et grossier, sans doute, mais encore cela est-il fait. Je puis aujourd'hui donner, sans crainte de me tromper, une des- cription géographique sommaire de l'ensemble de la chaîne des Tumuc- Humac (planche VU). L'ensemble de la chaîne fait est-sud-est environ ; par conséquent, elle est à peu près parallèle à la côte. Il n'y a pas de chaîne de sépa- ration des eaux. Les Tumuc-Humac se composent de chaînons brisés, jetés sur les plateaux comme au hasard et sans logique apparente. Les Tumuc-Humac occidentales, ou du Maroni, se composent de deux chaînes sans parallélisme, distantes l'une de l'autre de quarante kilomètres environ, et ayant chacune plusieurs contreforts. La chaîne du nord commence aux montagnes de la Haute-Itany, passe par le piton Apoiké, Palourouimènepeu, Mitaraca et le pic d'Amana, et compte une vingtaine de sommets principaux . La chaîne du sud commence aux montagnes du Parou et passe par Timotakem ; elle compte une douzaine de sommets. Mitaraca est le pic le plus élevé de la chaîne nord, et Timotakem est le plus élevé de la chaîne sud. Timotakem peut avoir 800 mètres d'altitude absolue. L'altitude maximum des Tumuc-Humac françaises est donc à Timotakem. La chaîne nord envoie entre Itany et Marouini un im- portant chaînon qui a quinze ou vingt sommets principaux et qui s'em- branche à Mitaraca. Elle envoie de là, entre Itan^ et Mapahony, un H. COUDREAU. — ÉTUDE DE LA CHAINE DES MONTS TUMUC-HUMAC 887 chaînon de sept sommets qui s'embranche à Tenének-Patare, par où passe le sentier de Mapahony. A l'est, les deux chaînes sont reliées en- semble par plusieurs chaînons faisant nord-est, chaînons que j'ai vus se prolonger jusque non loin de Paritou, sur les rives de l'Araoua, et qui >ont l'amorce de la grande chaîne, haute comme les Tumuc-Humac, qui, par les chaînons du Haut-Sinnamary et de la Montagne de Plomb, court du sud au nord de la Guyane française, des Tumuc-Humac à l'Atlan- tique. Au delà des chaînons latéraux nord-est, où s'embranche la grande chaîne sud-nord de la Guyane, les Tumuc-Humac ne donnent plus leurs eaux aux affluents du Maroni, mais à ceux de l'Oyapock ; ce sont les Tumuc-Humac de l'Oyapock ou les Tumuc-Humac orientales. Les Tumuc-Humac orientales se composent de trois chaînes disposées en éventail, plus écartées les unes des autres que les chaînes des Tumuc- Humac occidentales, et s'écartant de plus en plus à mesure qu'elles avancent vers le levant, La chaîne nord semble s'embrancher aux pro- longements orientaux de Timotakem et passer par Tapiirangnannawe et Eureupoucigne-Iouitire ; elle paraît élevée de plus de 5.000 mètres. J'en ai vu cinq grands pics au nord de la rivière d'Eureupoucigne. La chaîne centrale s'embranche à Tapiirangnannawe et, par de petites collines, arrive aux montagnes de Tacouaudewe et de Tayaouaou et se poursuit par les collines de Moutaquouère pour finir aux montagnes du bas Ourouaïtou, J'y ai compté plus de cinquante sommets principaux. Les plus grandes altitudes paraissent être de oOO mètres. La chaîne sud passe pour être la plus élevée ; elle s'embranche à Timotakem et, coupant les hauts de Couyary et de Kouc, elle se poursuit par les montagnes de la tête d'Ourouaïtou, de Mapari, de Caroni et d'Araguary. Je lui connais une quinzaine de sommets principaux. Elle envoie un chaînon nord-est rejoindre la chaîne du centre. C'est à ce chaînon que l'Oyapock prend sa source, beaucoup plus au sud que ne l'avait supposé Crevaux. La chaîne sud se continue est-sud-est jusque dans le bas Araguary, où je la vis, en 1883. lors de mes premiers voyages dans les régions de l'Amérique équinoxiale . Pour ce qui est des sources des plus grands cours d'eau, je me bornerai aux certitudes que j'ai acquises. L'itany prend sa source beaucoup plus à l'ouest qu'on ne l'avait supposé, à quinze lieues au moins du village d'Apoiké. Marouini vient de fort loin dans le sud, probablement de Timotakem qui donne aussi la source de Pilili. Ouanapi, grand affluent de droite de Marouini, Camopi,Yaroupi, Kerindioutou, Kouc et Couyary viennent du massif de Tapiirangnannawe. Le régime des sources de l'Oyapock est singulier. Changeant trois fois de nom, s'appelant d'abord Kerindioutou, Ouaatéou, puis Souanre, le 888 GKOGRAPHIE haut Oyapock avance entre Koiiapir et Piraruuiri, atïluents du Yary, qui prennent leurs sources à quatre ou cinq jours de marche plus au nord que lui. L'Oyapock, sous le nom de Souanre, descend du mont Ouata- guampa, au sud du point oi^i Crevaux s'embarqua dans Ourouari (en oyampi : Ourouareu), branche de Rouapir qu'il prit pour cette grande rivière et qui lui coûta les difficultés que l'on sait. Un des affluents de gauche de Souanre, Teïtétou-Iioyâwe, communique, l'hiver, par un marais avec Ourouari, sous-affluent du Yary, unissant ainsi les eaux de rOyapock à celles de l'Amazone, Au sud de Ouataguampa, qui se trouve sur le chaînon reliant la chaîne centrale à la chaîne du sud, le fleuve Cachipour, sous le nom d'Ourouaïtou, reçoit ses premières eaux. Deux grands affluents de droite, Mapari et Caroni, et un affluent de gauche, Agamiouare, prennent également leurs sources dans les grandes montagnes de la chaîne du sud. En continuant au levant, on traverse deux affluents du Yary, Inipocko et Moucourou. Enfin, un peu plus loin, à une forte montagne de la môme chaîne du sud, auwmont Icawe. l'Araguary prend sa source dans le versant nord du pic, tandis que le versant sud donne naissance h, l'Iratapourou, grand affluent de gauche du bas Yary. L'Araguary coule d'abord nord-est, parallèlement à l'Ourouaitou, puis ce dernier fleuve, à un grand saut qui se trouve à environ deux jours en aval du confluent de rOarouaïtou et du Mapari, envoie, dit-on, un bras rejoindre l'Araguary qui ne coule qu'à un jour de là. A partir de ce point, l'Ourouaitou (ou Cachipour) coule dans sa direction première, c'est-à-dire parallèlement à l'Oyapock; mais l'Araguary tourne brusquement à l'est pour couler est-sud-est, lon- geant ou coupant la chaîne des Tumuc-Humac. C'est le haut Araguary que j'ai donné pour frontière orientale à mes investigations. Des lacs, dont j'avais entendu parler par de vieux auteurs, point. Seu- lement des pripris, marécages de très petite étendue, pouvant à peine figurer sur une carte à grande échelle et qui se dessèchent presque com- plètement pendant l'été; marais, pripris d'ailleurs jamais particuliers à la région, et que l'on trouve assez fréquemment, à peu pré'- parlout dans les Guyanes, de l'Atlantique à l'Amazone. Je n'ai découveu qu'un seul lac permanent, celui de Tacouandewe, qui a tout au plus trois kilomètres de long sur cinq cents mètres de large. A côté de cette esquisse oro-hydrographique des chaînes et des chaînons des Tumuc-Humac, je ne donnerais point une description de paysagiste qui ne pourrait être que fastidieuse. Je me proposais d'en rapporter des photographies; j'avais appris de mon mieux mon métier de photographe et j'avais obtenu à Cayenne des résultats satisfaisants. Je pris, dans les Tumuc-Humac, quatre-vingts paysages et types. Pour ne pas m'encom- H. COUDREAU. — ÉTUDE HE L.V CHAINE DES MONTS TUMUC-HLMAC 889 brer, je n'avais pas emporté les produits nécessaires pour tirer les positifs, je conservais mes clichés en plaques impressionnées, soigneusement enfermées dans des boîtes à l'abri de l'humidité. Mais rien n'est à l'abri de l'humidité dans ces hivernages aux Ïumuc-Kumac, et lorsque je voulus révéler, la gélatine avait coulé et je n'obtins aucun résultat pré- sentable. Heureusement que j'avais dessiné les doubles de tout ce que j'avais pris. Les papiers pour les positifs se gâtent au bout de trois ou quatre mois de séjour en Guyane, Les photographes amateurs de Cayenne le savent bien. Pour opérer aux Tumuc-Humac, il faudrait une série de ravitaillements rapides et bien organisés. Les paysages des Tumuc-Humac ne sont point, d'ailleurs, mouve- mentés, pour la plupart du moins. Qu'on se représente des vallées pro- fondes entre des pentes abruptes, des marécages au fond des ravins. Sur les montagnes, une haute futaie, rembourrée d'épais taillis ; sous ces taillis, des petits palmiers, des plantes grasses, des feuilles mortes. C'est un dédale de plusieurs centaines de sommets hauts de 400 à 800 mètres, ne dessinant des chaînes que par à peu près, avec des criques au fond des brèches, beaucoup de chutes d'eau dans ces criques, beaucoup de marais de ruisseau à ruisseau, un labyrinthe où il faut la moitié du temps patauger dans la boue ou escalader des montagnes, et, par-dessus la tête du voyageur, une épaisse masse de verdure sans une éclaircie, pas de soleil pendant le jour et pas d'étoiles pendant la nuit. La vie se manifeste dans ces déserts par des grouillements d'insectes, des ren- contres de reptiles de toute nuance et de toute taille, des gambades de macaques, de couatas et de singes rouges qui causent à leur manière dans les hautes branches, à quarante mètres de hauteur ; de rares défilés de lioccos, d'agamis, de cochons marrons, animaux sociables qui vont par bandes; de rares tête-à-tête avec des solitaires, tels que le tigre ou le caïman. Et parfois on marche deux ou trois jours sans trouver rien à mettre au bout du fusil: pas un agami, pas un petit oiseau. Telles apparaissent actuellement les Tumuc-Humac et telles elles se montreront jusqu'à l'heure lointaine où on les aura déboisées. 890 GÉOGRAPHIE M. ÏÏOÏÏEST Lieutenant de vaisseau, à Toulon. PROJET D'EXPLORATION DU COURS MOYEN DU NIGER — Séance du 19 septembre i892 HISTORIQUE Sous l'appellation « neilos » qui devait plus tard prêter aux confusions géographiques les plus extraordinaires, le Niger a été évidemment connu des anciens au moins par les récits des indigènes avec lesquels les Égyptiens, les Carthaginois et plus tard les Romains se trouvèrent en rapport. Ibn-Batouta le suivit dans une partie de son cours et parle du fameux Malli ou Melle, empire indigène sur la position duquel on est assez mal fixé. Mais il faut arriver jusqu'à Mungo-Park pour avoir, sur le grand fleuve africain, des détails précis et non des racontars semi-légendaires où le fantastique se mêle au réel de façon à l'obscurcir parfois. Dans un premier voyage qu'il dut interrompre à Silla, le voyageur écossais fît connaître à l'Europe le cours du Niger entre Bamako et ce point. Dans un deuxième séjour, l'intrépide explorateur entreprit de com- pléter son étude. 11 sut se concilier le fama Mansong qui régnait à Ségou sur les Bambaras et partit de Sansanding sur une pirogue qu'il avait gréée et voilée en goélette. Les dernières nouvelles qu'on ait reçu de sa main datent de ce point. A partir de ce moment c'est aux dires de son guide Amadi Fatouma qu'il faut se fier. D'après cet indigène, Park aurait atteint Boussa, où, assailli par les indigènes, pris dans les rapides qui existent en ce point il aurait p éri noyé après avoir vu ses compagnons succomber sous les coups des noirs. L'enquête à laquelle s'est livré Barth, les récits des frères Lander ont confirmé dans ses parties les plus saillantes les récits du guide de Park HOURST. — PROJET D EXPLORATION DU COURS MOYEN DU NIGER 891 et il paraît constant que la pirogue de l'explorateur a pu suivre jusqu'à Boussa le cours du Niger. Depuis, et jusqu'à nos jours, un seul voyageur a aperçu le fleuve au delà de Tombouctou et jusqu'à Say. Dans son magnifique voyage, alors que, après un séjour à Tombouctou, Barth redescendait vers le Haoussa avec le sauf conduit et l'escorte qui lui avaient été donnés par Sidi-Beckay, cheik de Tombouctou, sa route lui a fait côtoyer à peu de distance la rive gauche du Niger. Il faut remarquer que Barth voyageait au mois de juin lorsqu'il s'en- quit des conditions de navigabilité du Niger. Même à ce moment, d'après lui, un seul passage était impraticable, celui d'Ikeriziden, mais le fait du passage de Park, avec une embarca- tion aussi rudimentaire que celle qu'il possédait prouve bien que la crue couvre les roches d'une hauteur d'eau assez grande pour ouvrir passage à un bâtiment de faible calage. L'époque de la plus grande crue doit être vers la fin de décembre. Partout ailleurs, et jusqu'à Say, des rapides, des roches, mais rien qui rende absolument impraticable la descente. Entre Say et l'embouchure du N'guilbi Sokoto, on n'a aucun rensei- gnement sur la navigabilité du fleuve si ce n'est le fait du passage de Park. Enfin, plus bas, les cartes anglaises n'indiquent aucune chute. Le véritable, le seul obstacle reste donc Boussa, encore que d'après tous les renseignements il n'y existe pas aux hautes eaux de chute à proprement parler, mais bien des rapides, très difficiles il est vrai mais peut-être possibles à redescendre avec quelque adresse s'ils ne peuvent être remontés. ENTREPRISES CONTEMPORAINES Dans les instructions données à Mage par le général Faidherbe, il lui recommandait s'il était possible de redescendre le cours du Niger et de l'explorer. Mage avait même emporté à cet effet une embarcation. On sait que ce canot dut être laissé à Bafoulabé et que les événements politiques ne permirent pas à Mage de dépasser le Ségou . Depuis, l'idée de l'illustre général fut reprise dès les débuts du Soudan et, en 1883, une canonnière le Niger, fut transportée par morceaux et montée à Bamako par l'enseigne de vaisseau Froger. Les moyens de transport, fort rudimentaires encore maintenant, n'exis- taient pour ainsi dire pas en 1883 et malgré toute l'énergie de son com- mandant Je Niger ne put dépasser Koulikoro, à 70 kilomètres en aval de Bamako, son chantier de construction. Le lieutenant de vaisseau Davoust, qui succéda à Froger, atteignit Nou- hou dans le Massina au delà du marigot de Diakha. 892 GÉOGRAPHIE Mais ce ne fut qu'en 1887 que le lieutenant de vaisseau Caron put atteindre Korioumé, port de Tombouctou sur le Niger. En 1888, M. Davoust, accompagné de l'auteur de cette communication, amenaient à Manambougou une deuxième canonnière, le Mage, construit sur les mêmes plans que le Niger. Davoust avait pu apprécier par expérience tous les inconvénients du Niger ; il essaya de les atténuer sur le Mage en construisant autour de sa coque en fer une deuxième coque en bois destinée à augmenter la stabilité de la canonnière, à donner du logement à l'équipage et à per- mettre l'embarquement d'une plus grande quantité de vivres et de com- bustible. Mais un pareil travail au milieu des marais de Manambougou et en plein hivernage ne put être fait qu'au prix d'un retard considérable qui fit manquer l'exploration de cette année. Treize Européens sur dix-huit que comptaient les équipages des deux canonnières périrent de fièvre ou de dysenterie. Davoust lui-même en fut une victime. En 1889 M. Jaime renouvela le voyage de Caron, il atteignit Korioumé mais ne dépassa pas ce point. Les résultats de ce voyage furent nuls, nuisibles même, car il jugea devoir ouvrir le feu sur les Touaregs de N'Gouna, un des plus puissants chefs des tribus auxquelles est soumis Tom- bouctou, lui tua un homme, et changea en haine profonde les sentiments de N'gouna qui jusque-là nous avait été moins hostile que ses compa- triotes . Depuis ce dernier échec plus rien n'a été tenté et les canonnières ont été exclusivement employées par l'autorité supérieure du Soudan à des besognes politiques ou militaires toutes locales sans qu'elles aient dépassé la limite des pays directement soumis à notre protectorat et à notre au- torité, limite qui se trouve à une soixantaine de kilomètres à l'ouest de Diafarabé. De toute nécessité, d'ailleurs, il fallait donner aux canonnières un abri sûr, construire des logements à terre pour leur équipage, édifier un ate- lier pour les réparations, en un mot leur donner un port, ce que l'on avait négligé de faire jusque-là devant les considérations d'exploration qui avaient tout primé d'abord. INCONVENIENTS DES CANONNIERES C'est en partie ;\ ce trop d'empressement qu'il faut attribuer les minces résultats qu'a donnés la flottille du Niger eu égard aux sommes considé- rables qu'elle a coûté et coûte encore. Neuf ans de travail, plusieurs millions dépensés, un nombre considé- HOURST. — PROJET d'eXPLORATIOïV DU COURS MOYEN DU NIGEIl 893 rable de vies humaines perdues, et en regard une seule exploration, celle de 1887 donnant des résultats sérieux du moins au point de vue géogra- phique, car les résultats politiques furent nuls, vraiment c'est trop. Aussi doit-il forcément exister d'autres vices fondamentaux dans l'or- ganisation des expéditions fluviales sur le Niger, et il est facile de les trouver dans les canonnières elles-mêmes, qui par leur construction sem- blent être la négation des qu.ilités à attendre de bâtiments d'explo- ration. Les deux grands dangers qu'ont à redouter les canonnières sont les tor- nades et le manque de bois de chaufïage. Qu'on se représente sur un fleuve qui atteint plusieurs kilomètres de large des lames de plus d'un mètre soulevées par un A'ent qui atteint la force de nos ouragans les plus violents. Pour leur résister une embarca- tion de 18 mètres de long, manquant de stabilité et qui, sous la double impulsion du vent et du courant qui la prennent en sens contraires, présente aux vagues déferlantes sa hanche dont la hauteur de franc bord au-dessus de l'eau n'est guère que de O'",2o. On aura une idée de ce que peut être Le Niger, mouillé en plein fleuve au milieu d'une tor- nade. Il n'est point besoin d'être marin pour voir à quel terrible danger la canonnière et son équipage se trouvent exposés. Aussi n'est-il dans une pareille occurrence qu'une chance de salut, c'est d'aller chercher à terre dans une crique, dans l'embouchure d'un marigot, ou simplement au pied de la berge du côté d'où vient le vent, un abri. Encore faut-il avoir soin de s'amarrer solidement à terre, la tenue des ancres étant souvent insuffisante pour résister à la violence du vent. Fort heureusement l'aspect du ciel permet environ une demi-heure à l'avance de se préparer à recevoir l'orage et de faire la manœuvre que je viens d'indiquer, car ce serait folie d'attendre la tornade au mouillage en plein fleuve et encore plus sans vapeur. En pays ami ou désert il n'y a aucune difliculté et il suffit d'un peu de prudence. Mais qu'en veuille bien considérer ce qui pourrait arriver en pays hostile si les naturels vous empêchaient par leur feu d'accoster la rive. Que serait-ce donc si on avait en même temps à se prémunir contre la tempête prochaine et à repousser une attaque contre laquelle la dou- zaine d'hommes qui constitue l'équipage d'une canonnière et même les canons-revolvers placés au ras du pont et dominés par les berges se- raient (le bien faibles moyens de défense. On peut supposer, il est vrai, que les riverains ne se livreraient pas contre nous à ces actes d'hostilité, qu'on saurait s'en faire des amis, ou 894 GÉOGRAPHIE que dans .es pays où la chose est impossible, la crainte presque supersti- tieuse des bateaux à vapeur saurait les retenir. Mais reste la question du combustible. Le Niger peut prendre tout au plus trois ou quatre heures de bois de chauffage, il est forcé de remorquer des chalands qui augmentent le danger couru pendant les tornades ; Le Mage, il est vrai, grâce à sa coque en bois en prend une dizaine, mais cela ne donne pourtant à ces canonnières qu'un rayon d'action de 100 à 120 kilomètres plus ou moins le courant. En certains points les rives du Niger, basses, inondées sont peu ou point boisées. On voit dans la relation du voyage de Caron à quel point le manque de combustible fut son grand souci et quel immense danger il peut faire courir au bâtiment. Il n'a été trouvé d'autre remède à cet éfat de choses que d'emporter une petite réserve de charbon en briquettes, mais cette réserve est forcément bien minime, à peine sufTisante pour franchir la distance de Safay à Tombouctou, oîi le bois manque absolu- ment. Qu'arriverait-il si le même fait se reproduisait au delà? On voit donc qu'un bâtiment à vapeur, s'il présente bien des avantages comme commodité et célérité, offre le grand inconvénient s'il ne possède un rayon d'action étendu, d'être à la merci d'un déboisement des rives ou même de l'hostilité des indigènes qui peuvent l'empêcher dç se ravi- tailler de combustible. J'ajouterai que les canonnières Mage et Niger calent environ un mètre. Ce tirant d'eau beaucoup trop fort, limite leur navigation entre le 15 juillet et le 15 décembre, année moyenne dans les parages du Niger avoisinant Ségou. En outre, la crue du fleuve subit un retard à mesure que l'on des- cend son cours, retard qui est de trois mois entre Tombouctou et Ségou. Ce n'est donc que pendant cinq mois que les canonnières pourraient naviguer , En admettant qu'en un si court laps de temps elles puissent aller à Say et en revenir, ce qui n'est point impossible, à condition d'être parti- culièrement favorisé par le hasard, ce n'est plus, à proprement parler, un voyage d'exploration que l'on ferait, mais une sorte de course au clocher où l'on ne pourrait pas recueillir grands renseignements et pendant la- quelle il serait, en tous cas, absolument impossible d'établir de bonnes relations, sûres et de durée avec les chefs riverains. Ce n'est qu'à force de patience qu'on peut espérer obtenir des résultats durables avec les noirs, gens pour lesquels le temps n'existe pour ainsi dire pas, et qui ne comprennent pas ce que c'est que d'être pressé. J'avais proposé à la fin de 1888 d'entreprendre l'exploration du Niger avec une des canonnières, Le Mage, sacrifiée d'avance, soit qu'on fût I HOURST. — PROJET D EXPLORATION DU COURS MOYEN DU NIGER 89o obligé de l'abandonner en route à Boussa, soit qu'on put franchir ce point et atteindre l'embouchure du Niger. L'autorité supérieure n'a pas cru devoir faire l'abandon d'un bâtiment qui avait coûté fort cher et pouvait rendre maints services dans la partie du Niger qui coule dans nos possessions. L'expérience que j'ai acquise depuis fait que je ne puis regretter celte détermination . Je pense pouvoir démontrer tout à l'heure qu'à bien moins de frais et dans de bien plus grandes conditions de sécurité on peut explorer le Niger jusqu'cà Say. NECESSITE DE L EXPLORATION DU NIGER Cette exploration est bien souhaitable; par la convention du 5 août 1890, la France et l'Angleterre, seules en présence dans cette partie de l'Afrique ont, d'un commun accord, pris pour bmite entre leurs possessions pré- sentes ou à venir, Say sur le Niger. Les Anglais, remontant le fleuve ne sont pas loin de leurs frontières, mais nous, nous n'en sommes militai- rement parlant, encore qu'à la frontière du Massina, et commercialement à peine à Kita. Notre espoir déçu par les explorations des canonnières, mais toujours vivant, d'atteindre et d'explorer les limites de notre port du continent africain, ont fait prendre à nos explorateurs d'autres voies. C'est Mizon pénétrant dans l'Adamaoua, Monteil atteignant Say en tra- versant la boucle du Niger par sa corde. Tous deux ont prouvé une chose, c'est que, dans ces parages éloignés, on nous voyait venir sans défiance et même avec quelque sympathie. Reste maintenant à explorer l'intérieur de ce territoire qu'ils ont enve- loppé et la voie la plus sûre et la plus commode est sans contredit cette belle artère fluviale du Niger qui semble un chemin ouvert à la civili- sation pour pénétrer au cœur du Soudan occidental. Est-ce à dire que le fait pour un bateau et pour un explorateur fran- çais d'avoir redescendu le Niger, suffirait à ouvrir à notre commerce les pays arrosés par ce fleuve? Non certes, et de bien plus grands efforts de tous genres sont nécessaires pour arriver à ce but. Mais de même qu'une armée ne s'avance pas au hasard sans explorer le terrain devant elle, de même notre civilisation, notre commerce, sous peine d'éprouver des échecs inattendus ne doivent pas se porter en avant sans détacher devant eux quelques enfants perdus pour reconnaître la situation et permettre de mar- cher à coup sûr. C'est dire implicitement qu'une mission pareille doit avant tout songer à être pacifique. 896 GÉOGRAPHIE Lever une carie du Niger moyen en dessous de Tombouctou et de ses affluents navigables, étudier scientifiquement et commercialement le pays, engager partout où cela sera possible de bonnes relations avec les riverains, en ne passant de traités que là où la proximité de rivaux les rend nécessaires, rester sourd aux provocations tant qu'elles ne mettent pas la mission en péril, séjourner partout où bon accueil vous sera fait et en profiter pour étendre latéralement son champ d'explorations et rap- porter en France un faisceau de documents, de cartes, de collections de tout ordre, en laissant à l'initiative gouvernementale ou privée le soin d'en tirer parti : voilà, il me semble dans ses grandes lignes la conduite à suivre. DESCRIPTION D L'iN CHALAND D EXPLORATION La première chose à chercher c'est l'outil, je veux dire l'embarcation, le moyen de transport qui réalise le maximum de commodité, de sécurité et de bon marché compatible avec les ressources sur lesquelles on peut raisonnablement compter. Par ce que j'ai dit plus haut on a pu voir que je repoussais en principe l'embarcation à vapeur. Certes, si on pouvait monter sur le Niger une canonnière vaste, commode, bien armée, sûre ayant un rayon d'action étendu, ce serait l'idéal souhaitable, mais, avec le transport, un pareil bâtiment reviendrait au moins à 200 ou 250.000 francs et, comme nous l'avons vu il serait peut-être nécessaire de l'abandonner si l'on rencontrait un obstacle infran- chissable. Dans ces conditions on doit estimer que la somme dépensée serait en désaccord avec le résultat à obtenir. Je pense du moins que tel serait l'avis du Parlement si on lui deman- dait de si forts crédits et je crois qu'il est préférable d'être plus modeste pour être plus facilement écouté. On peut ajouter d'ailleurs que l'entretien, la conduite des machines nécessitent absolument un personnel européen et qu'il faut réduire au minimum le nombre d'existences exposées. Les plans ci-joints donnent l'avant-projet d'un chaland canonnière en bois dont les éléments principaux sont les suivants : Longueur de perpendiculaire en perpendiculaire 15 mètres. Largeur hors bordé 4 — L.-irgeur du tableau à hauteur du [loiit 2 — Creux sur quille au maître 1 — IIOURST. PUOJET d'exploration DU COURS MOYEN DU NIGER 897 Comme on le voit, le système de construction est des plus simples, analogue à celui des chalands que tous les ouvriers noirs de Saint-Louis savent construire. C'est en effet exclusivement par des noirs que la cons- truction devrait s'effectuer sur place. La membrure serait en bois du pays (vène ou cailcedrat), que l'on trouve abondamment sur les bords du Niger, le pont, le bordé en pitchpin apporté de France, ainsi que la toiture des roofs, qui serait en outre re- couverte d'une toile peinte pour assurer rétanchéité . Les volumes, les poids de toutes les pièces constitutives du bâtiment ont été calculés séparément. Il serait évidemment oiseux de transcrire ici l'ensemble de ces calculs et je me bornerai à on donner les résultats dans le tableau ci-joint : Devis des poids. Poids de coque {serrage et calfatage comiiris) 7.600 kilogrammes. Équipage (dix hommes et, leurs sacs) 1.000 État-ma.joi- (deux officiers, leurs effets, iiislrunients, etc.) . . 1.000 — Vivres (dix mois) innn ~ Mâture (voiles, agrès, etc.) oln ~~ Tente ^0« - Armes et munitions -(u\ Rechanges ^^ Chaînes et ancres ^"|^ ~ Divers • • ■ 3U0 — Total .... 17.000 kilogrammes. V — -i» 5/' 898 GÉOGRAPHIE Les calculs de déplacement montrent que le poids de dix-sept tonneaux correspond approximativement à la ligne d'eau de 80 centimètres. En pleine charge, le chaland proposé calera donc 80 centimètres. Voici la distribution des locaux en allant de l'avant à l'arrière : Coqueron de 2'^,ë0 contenant le puits à chaîne ; Logement de l'équipage de S"", 50 ; Cale centrale de 3 mètres ; Logement des officiers de 4 mètres ; Coqueron arrière de 2 mètres. Les planchers des logements seront surélevés de 50 centimètres au-dessus du plan supérieur des varangues des couples, l'espace ainsi délimité cons- titue de petites cales supplémentaires, enfin sous les passavants par le tra- vers des roofs on établira des armoires ou des étagères pour arrimer les objets d'usage courant. A part leur couverture en pitchpin, les roofs seront construits en doundoul, bois du pays très léger, ainsi que tous les objets d'aménagement intérieur. Deux mâts, élevés de cinq mètres au-dessus du pont, permettront d'é- tablir des voiles goélettes et porteront à leur partie supérieure dans des hunes, deux canons à tir rapide de 37 millimètres. Tout le long de la lisse régnera un pavois en tôle d'acier de 40 centimètres de haut destiné à servir de pare-balles et augmentant Ja hauteur des œuvres mortes dont la partie supérieure se trouvera ainsi à un mètre au-dessus de la flottaison, hauteur suffisante pour s'opposer à l'entrée des lames déferlantes. Quand le vent sera favorable le chaland se servira pour avancer de ses voiles ; dans le cas contraire, d'avirons, pour lesquels huit tolets sont ménagés ou de la perche si le fond le peut permettre. Le courant seul, dont la vitesse moyenne peut être évaluée en hiver- nage, moment de l'exploration, à 4 kilomètres environ à l'heure, suffirait à lui faire parcourir une quarantaine de kilomètres par jour. HOUKST. — PROJiri" d'exploration du cours moyen du NIGER 899 PERSONNEL. — ARMEMENT Il y a tout intérêt, et nul de ceux qui ont quelque connaissance du Soudan ne me contredira, à diminuer le nombre des Européens à emme- ner dans un voyage d'exploration. A part l'état-major, composé d'un oilicier de marine et d'un médecin, l'équipage serait entièrement indigène. On trouvera facilement, parmi les laptots et les charpentiers de Saint- Louis, des gens intelligents, dévoués et audacieux pour composer l'équi- page. Nous avons vu que les mâts permettaient de surélever à cinq mètres au-dessus du pont deux canons à tir rapide. Quatre emplacements leur seraient en outre réservés, à l'avant et à l'arrière et des deux bords par le travers. Outre l'artillerie, on emporterait dix carabines Lebel et dix revolvers. Cet armement paraît peut-être d'abord un peu exagéré ; mais il faut songer que, suivant le cas, on peut être appelé à faire usage de l'une ou l'autre de ces armes. EXECUTION DE LA MISSION C'est vers le mois de janvier qu'il faudrait partir de Kayes pour atteindre le point du Niger où serait construite l'embarcation. Ségou, à cause de l'arsenal des canonnières qui peut fournir d'utiles secours, me semble indiqué. Le bois, il est vrai, y est rare, mais on peut facilement le faire venir ù pied d'œuvre par le fleuve. La mission apporterait de France l'outillage, les ferrures, les boulons, clous, etc., les voiles, le gréement et les tentes tout préparés, les mâts et leurs hunes, les avirons et perches, les rechanges nécessaires, les instru- ments, les cadeaux et objets d'échange, l'armement et les munitions, les chaînes et les ancres. Elle engagerait à Saint-Louis ou à Kayes son personnel indigène, neuf matelots ou gradés laptots et momentanément quatre charpentiers. A Kayes elle prendrait les planches de pitchpin (environ 50), ainsi que les vivres si le poste de Ségou n'était pas suffisament ravitaillé pour les lui fournir. Je compte qu'il faudrait quatre mois environ pour faire exécuter par quatre charpentiers indigènes un peu habiles et coutumiers des cons- tructions de chalands l'embarcation projetée. 900 GÉOGRAPHIE Les «iipires protégés de Ségoii et de Sansaiiding pourraient sans effort fournir les manœuvres nécessaires à la coupe des bois et à leur transport. On trouverait même sans peine parmi les charpentiers et forgerons indi- gènes d'utiles auxiliaires. Tout étant prêt vers le lo juillet, au commencement de la crue on se mettrait en route. Jusqu'à Diafarabé, il n'y aurait aucune difficulté, de là et jusqu'à peu de distance de Safay, on est dans les eaux du .Massina. C"est là le point dangereux. Caron, on le sait, fut reçu assez mal par Tidiani, chef du Massina, mais enfln fut reçu. En 1889, les Massinankés ne voulurent avoir aucun rapport avec les canonnières, mais s'abstinrent de faire franche- ment acte d'hostilité. Depuis, la situation a empiré; chassé de Nioro par nous, Amadou Cheikou a trouvé, parmi les anciens compagnons de guerre de son père El Hadj un refuge et un royaume. Il est inutile de compter nous ramener les Toucouleurs fanatiques et rancuniers nos enne- mis déclarés. Iront- ils jusqu'à attaquer l'expédition? Le cas est trop possible pour ne pas le prévoir. Je crois pouvoir allirmer qu'à condition de se garder sévèrement une agression serait facilement repoussée. Mais le fait de tirer un seul coup de fusil complique la situation et crée fatalement des difficultés à la mission pour plus tard. Aussi devra-t-on tout faire pour éviter un combat. Le marigot de Diakha désert permettra peut-être d'atteindre sans encombre le lac Debol : mais au delà les rapides de Toundoufarma rendant l'issa Ber à peu près impraticable, il faudra passer par le Bara Issa. Amadou a-t-il sur ses riverains une autorité suffisante pour leur ordonner d'attaquer l'em- barcation? Il est permis d'en douter. A tout hasard et si la chose est possible, il serait peut-être bon de faire convoyer jusqu'à Safay le cha- land par les canonnières Mage et Niger. L'ensemble constituera une force assez imposante pour que j'estime les Toucouleurs incapables de l'attaquer. A Safay on se trouve en contact avec les Touaregs avoisinant Tom- bouctou. Là non plus, je ne pense pas qu'il y ait rien à tenter pour entrer en relations. Les Touaregs qui vivent des impôts arbitraires prélevés sur les cara- vanes ne nous verront jamais d'un bon œil nous approcher d'eux. Les ' marchands marocains entre les mains desquels est le commerce de transit de Tombouctou, seront toujours aussi nos ennemis. Mais là du moins la sécurité est complète à condition de se prémunir contre la trahison et de ne descendre à terre que si on est sur des intentions des riverains. Les Touaregs, en efîet, ne se servent point d'armes à feu et quelques mètres d'eau constituent entre le bâtiment et eux une sûre barrière der- rière laquelle on peut à soa aise rire de leurs insultes. \ HOURST. — PROJET d'eM'LORATION DU COURS MOYEN DC NIGER 001 liien à faire donc avec Toiubouctou. Deux missions précédentes ont apijris qu'il n'y avait rien à attendre de ses habitants nos enïiemis ou, comme les Armas, trop faibles pour pouvoir intluersurles décisions prises. Nous n'avons d'ailleurs aucun intérêt à entrer en relations directes avec Tombouctou. C'est en ce moment un point de transit par où le ÎSiger rcoit les produits d'Europe pour les déverser dans les pays riverain.. Notre politique doit, pour être logique, tendre plutôt à le remplacer et c'est ce qui arrivera le jour où le cours du Heuve sera ouvert à la navi- iîation commerciale et où un chemin de fer le reliant au Sénégal viendra le rejoindre en quelque point. Au delà de Tombouctou on rentre dans l'inconnu. Je dis l'inconnu, car les renseignements de Barth sont trop anciens pour pouvoir être logiquement encore tenus comme exacts. .jai résumé précédemment la façon dont il faudra agir. D'après ce qu'on peut inférer des voyages de Monteil et de Mizon, nombre de chefs, sinon tous, nous accueilleront bien parce qu'ils n'ont aucun intérêt à mal rece- voir un étranger qui arrive avec des cadeaux et des paroles de paix. On pourra donc se livrer à l'étude paisible et suivie des questions inté- ressant notre politique coloniale future dans cette partie du Soudan. Les explorations latérales dans l'intérieur des terres pourront s'effectuer sous la protection des amis qu'on aura su se créer et le chaland servira de base de ravitaillement, mais de base mobile se transportant à volonté et enjambant les obstacles s'il s'en trouve de la part de la nature ou des hommes . En mettant tout au pis, si le chaland ne pouvait continuer, s'il se per- dait, on se trouverait dans les conditions d'un explorateur quelconque, mais avec cette différence qu'on aurait ainsi atteint sans perte de temps ni de moyens d'action le centre de la contrée qu'on se propose d'étudier. A Say,^ lexploration est terminée. On entre dans les eaux anglaises. Il appartient au gouvernement de la Heine de donner aide et protection à un bâtiment d'une nation amie naviguant sur un Qeuve ouvert par l'acte de Berlin, à toutes les puissances. Je ne doute pas que la diplomatie française sache faire respecter les traités et assurer la protection d'une mission toute pacilique, qui ne ferait que suivre le cours du bas Niger pour retourner dans sa patrie. CONt.LISIOXS Avec une dépense qui n'excéderait pas, je crois, une cinquantaine de mille francs, du moins si les divers départements voulaient bien concourir à l'équipement en matériel et personnel de la mission, il semble possible 902 GÉOGRAPHIE d'explorer des territoires sur lesquels une convention européenne nous donne des droits virtuels, mais qui sont encore à peu près inconnus. Je crois que ce n'est pas trop pour éviter l'inconvénient de se lancer à l'aveuglette sans renseignements précis dans des aventures qui peuvent causer des pertes sérieuses à notre commerce et amener le décourage- ment ou bien laisser improductifs des territoires susceptibles peut-être de donner un nouvel essor à notre prospérité commerciale. Le moment, d'ailleurs, me semble bien choisi ; un élan général porte les Français, qui avaient d'abord paru suivre d'assez loin d'autres peuples européens, vers le commerce colonial. Que le Soudan actuel tienne ce qu'il promet de toute évidence à ceux qui ne sont aveugles ni involontairement ni volontairement et l'élan sera donné. Avec une ligne ferrée reliant le Sénégal au Niger, on verrait nos produits s'écouler en abondance vers le cœur du continent africain, qui nous renverrait en retour les siens subvenir aux besoins sans cesse crois- sants de l'industrie européenne. On est fixé ou à peu près sur ce qu'on peut retirer du Soudan français : le caoutchouc, la gutta, l'or, la cire, le coton, les peaux, le karité, pour ne parler que des objets d'exportation les plus importants, constituent des produits assez riches pour justifier les sacrifices consentis pour les amener jusqu'à nous. Mais au delà, dans ces contrées presque inconnues de l'Europe, qu'y a-t-il? Faut-il faire au hasard de grands sacrifices d'hommes et de ca- pitaux pour aboutir peut-être à une déception? Faut-il, au contraire, consi- dérer systématiquement ces vastes contrées comme improductives et s'en tenir éloigné? Les partisans de l'une comme de l'autre opinion ne peuvent qu'être satisfaits de pouvoir raisonner sur des faits et non sur des appréciations en l'air qui se trouvent souvent inexactes le jour où on les contrôle expéri- mentalement. Quand les produits du Soudan central seront déterminés exactement dans leur espèce et leur abondance, quand la connaissance suffisamment exacte de la géographie et de l'hydrographie permettra de tracer leurs voies d'exportation et que des considérations sur la densité des peuples afri- cains et leur état politique feront ressortir la plus ou moins grande facilité de leur extraction sur place, la question pourra être résolue mathémati- quement et la simple logique nous dira s'il y a ou non avantage à tenter leur exploitation. L'obtention de ces données premières du problème de la colonisation dans le cas particulier des pays riverains du Niger moyen est précisé- ment le but de la mission dont je viens d'esquisser le projet. A. MINE, — LE TRAFIC DU PORT DE DUNKERQUE 903 M. Albert MnE Consul de la République Argentine, à Dunkerque. LE TRAFIC DU PORT DE DUNKERQUE (1) — Séance du 19 septembre 1892 — II DUNKERQUE EN 1892 RENSEIGNEMENTS GÉOGRAPHIQUES ET HYDROGRAPHIQUES — APPROCHES DES BANCS DE FLANDRE — BALISAGE ET ÉCLAIRAGE e Après le passage du Pas-de-Calais, pour attaquer l'entrée occidentale de la rade de Dunkerque, les navigateurs trouvent, aux approches des bancs de Flandre , sept grandes bouées en tôle qui en signalent la limite extérieure; ces bancs sont : le banc de Bergues, le banc d'Out-Ruijtingen et \e petit banc cl' Out-Ruytingen (fig. 4). Un ponton de 150 tonneaux de jauge, peint en rouge et portant le nom Ruytingen, inscrit sur ses flancs et une sphère rouge en tête de mât, est mouillé à l'entrée de la passe comprise entre les deux bancs d'Ow/ et dlfi-Ruylingen. Pendant la nuit, un feu rouge à éclipses, se succédant de trente en trente secondes, est hissé sur le mât de ce ponton; sa portée lumineuse est de 41 milles marins ou 18 kilomètres et demi. RADE — BALISAGE ET ÉCLAIRAGE Trois autres lignes de bancs protègent la rade contre les plus violents effets de la tempête. Cette rade est l'espace compris entre les bancs appelés Snouiv, Brack- Bank, HiVs Bank, Traepeger, et le plateau attenant à la terre. Elle s'étend (I) La première partie du travail de M. Albert Mine comprend un Aperçu historique très détaillé du port de Dunkerque, depuis l'an 6/i6 jusqu'à nos jours. 904 r.KOGHAPHIE depuis la frontière de Belgique jusque par le travers de Gravelines, paral- lèlement à la côte; sa longueur est de 20 kilomètres et sa largeur de plus d'un kilomètre. Son brassiage est entre 40 et oO pieds, sur un fond de sal)le vaseux, dans lequel la tenue est bonne. Quatorze bouées en tôle, espacées l'une de l'autre d'environ un mille, servent de balisage à la rade : elles sont disposées sur deux lignes indi- quant : l'une, les bancs (bouées noires) ; l'autre, l'approplie des estraus (bouées rouges j. Deux passes la rendent accessible aux navires : l'une dite de V Ouest. qui est la plus fréquentée, l'autre dite de VEst ou de Zuydcoote. Cette FiG. 1. — Rade de Dunkerf|ue et détroit du Pas-de-Calais. dernière est balisée par cinq bouées portant les noms de Traepeger (n° 1). Hil's Bank (n°^ 2 et 4) et Brack Bank (n°^ 6 et 8). Ce balisage est complété par deux pontons peints en bandes noires et rouges Le premier, mouillé à l'entrée et au milieu de la largeur de la passe de VOuest, est un ponton de 150 tonneaux de jauge, portant le nom de Snouw inscrit sur ses flancs et une sphère rouge en tête de mât; pen- dant la nuit, un feu fixe rouge, de la portée de sept milles, est hissé siu' le mât de ce ponton ; Le second, ancré à six milles dans l'Ouest du précédent, est un pon- ton de 200 tonneaux de jauge qui porte le nom Dyck inscrit sur ses flancs et une sphère rouge en tête de ses deux mâts ; deux feux blancs, visibles à onze milles, sont hissés pendant la nuit sur les mâts de ce A. MIM:. LE TIIAFIC 1)1' POIiT DE IH NKKRQL'K 90o poiilon; pris l'un par lautre, ces deux pontons indiquent le gisement de la rade de Dunkerque, depuis son entrée à l'Ouest jusqu'à l'Est du port. L'installation de ce service de balisage et d'éclairage de la rade assure aujourd'hui la navigation maritime de ces parages dans les meilleures con- dilions possibles. Dunkerque est le seul port, depuis Cherbourg jusqu'à la frontière belge, doté par la nature d'une rade où les navires peuvent rester mouillés en toute sécurité par les plus mauvais temps. Ce port a rendu de précieux services à la France pendant et après la guerre de 1870 par les nombreux transports de vivres de toute espèce, de munitions, darmes. etc.. correspondant aux mouvements et aux besoins de l'armée du Nord, et par des embarquements de troupes des différents corps qui se sont opérés sans accident sur sa rade pendant l'hiver; puis, après l'armistice, c'est à Dunkerque qu'est venue s'embarquer toute l'armée du Nord, avec son artillerie et tout son matériel, envoyée à Cherbourg pour former le noyau primitif de l'armée de Versailles destinée à opérer contre la Commune insurrectionnelle de Paris; enfin, des services de voyageurs furent établis par vapeurs entre Dunkerque, Cherbourg, Brest et Bordeaux pour parer à l'interruption absolue des communications par terre entre le Nord et le reste de la France, à la suite de la bataille d'Amiens et de l'occupation de Rouen. Dans l'espace de douze jours, savoir : du 18 au 26 février 1871 inclu- sivement et du l""' au 4 mars inclusivement, il a été embarqué en rade, à bord des vaisseaux, frégates et corvettes de la marine militaire et de rjuatre transatlantiques envoyés de Saint-Nazaire : 20.249 hommes, officiers, sous-officiers et soldats; 1.784 chevaux de cavalerie et d'artillerie; 60 pièces de canon, 10 batteries au complet ; 226 voitures d'artillerie et d'ambulance, non compris les voitures de bagages des différents corps de troupes. COURANTS Deux principaux courants se succèdent de six heures en six heures dans la rade de Dunkerque, ce sont : celui de flot qili porte vers l'Est, et celui de jusant qui porte vers l'Ouest. Il en résulte des courants secondaires qui offrent peu d'intérêt au point de vue de la navigation. C'est surtout aux époques de vives eaux, correspondant aux syzygies. 906 GEOGRAPHIE que ces courants sont le plus sensibles : leur vitesse atteint alors de trois à quatre nœuds ; les mortes eaux correspondent aux quadratures. La durée de l'étalé varie de quinze à trente minutes. FiG. 2. — Tableau graphique des hauteurs d'eau de pleine mer par rapport au point le moins profond du chenal pendant l'année IROI (^). VENTS Les vents qui dominent à Dunkerque sont les vents d'Ouest; mais, sous leur influence, la mer n'est jamais très grosse dans la rade. Ce sont les vents de N.-O. au N.-E, qui sont les plus dangereux au point de vue de l'accès du port. La hauteur du baromètre se maintient entre 710 et 780 millimètres. Pendant l'hiver, les tempêtes sont assez nombreuses; elles sévissent surtout avec intensité aux périodes des équinoxes. L'observation attentive des variations barométriques, combinées avec celles du thermomètre, permet de les prévoir; ces perturbations atmosphériques sont d'ailleurs annoncées régulièrement, au moyen du télégraphe, par l'Observatoire de Paris. CLIMAT Le cUmat y est généralement frais, l'air sain et vif; cependant, dans certaines journées d'été, le thermomètre s'est quelquefois élevé jusqu'à 48 degrés centigrades. La température y est, de plus, très variable, et il arrive souvent d'avoir, dans la même journée, des changements brusques (I) Les profondeurs d'eau étant indiquées en mètres à la cote — 2"',50, qui correspond aux points les plus élevés du chenal, ou obtiendra les hauteurs d'eau sur le radier de l'écluse des bassins Freycinet •en déduisant o^jOS des nombres mentionnés sur le tableau. A. MINE, LE TRAFIC DU PORT DE DLNKERQUE 907 et tout à t'ait imprévus; les épidémies y sont fort rares et n'y ont jamais sévi d'une manière redoutable, ce qui tient à la situation parti- culière de la ville. Placée à l'entrée de la mer du Nord, elle reçoit l'intluence bienfaisante des vents qui, en y renouvelant l'air, font qu'il y règne souvent une grande fraîcheur. PORT Le port de Dunkerque, situé à environ 14 kilomètres à l'Ouest de la frontière de Belgique, se compose, dans son état actuel, de : Un chenal, limité par deux jetées en charpente et maçonnerie ; un fanal se trouve à l'extrémité de chacune de ces jetées : celui de l'Ouest, dont la tourelle en fer a été dressée le !22 mars 1878, indique la hau- teur de la marée ; il est placé à lo mètres de l'extrémité de la jetée, à 8'", 22 au-dessus de son tillac et à 10'",10 au-dessus du niveau des plus hautes mers; sa portée est de neuf milles. Celui de la jetée Est, dont la hauteur au-dessus du niveau des plus hautes mers est de 8 mètres, est un feu fixe vert dont la portée est de trois milles. La longueur du chenal est d'environ 9o0 mètres, il aboutit vers le milieu de la rade ; sa largeur est de 70 mètres ; des écluses placées à l'Ouest et à l'Est servent pour les dessèchements des eaux du pays et pour les chasses; l'ouverture de celle construite au Nord du phare, qui fonc- tionne depuis l'hiver 4887-1888, a activé l'évacuation des eaux douces, qui s'est effectuée, pendant ces dernières années, sans difficulté. A la fin de l'année 1880, la passe d'entrée du port de Dunkerque était à l'",oO au-dessous du niveau des basses mers de vives eaux ; cette profondeur donnait de 6™,9o à 7'",50 de hauteur d'eau à l'entrée au moment des pleines mers de vives eaux, et 5'",9o en mortes eaux, c'est- à-dire que des navires calant de ^"'jôS à 7"°, 20 pouvaient déjcà y entrer. Depuis 1884, des dragages sont opérés dans l'avant- port et sur la passe d'entrée à l'aide de trois dragues-suceuses qui ont extrait, en 1891, un cube de 441.000 mètres, ce qui permet d'entretenir, sur la passe, des profondeurs qui, dans presque toute la longueur du chenal, se rapprochent de la cote — 3 mètres et ne se relèvent plus que rarement au-dessus de la cote — 2'",o0. Les navires peuvent donc pénétrer actuellement dans le port de Dun- kerque avec des tirants d'eau d'au moins 6"", 50 en morte eau et 7'", 50 en vive eau, situation relativement très satisfaisante que l'on espère pouvoir encore améliorer dès que le travail de reconstruction de la jetée de l'Est sera terminé. Un avant port garni d'estacades en charpente avec terre-pleins bordés 908 GÉOGRAPHIE de talus perreyés; sa longueur esl d'environ 650 mètres; la superficie d'eau affectée au séjour des navires est de trois hectares. Des travaux, devant comprendre le dégagement de l'entn'e de l'écluse des bassins de l'Est, sur la rive droite de l'avant-port, sont provisoirement ajournés. Un port d'échouage de 670 mètres de longueur, dont 600 mètres sont garnis de quais en ])ierre et 300 mètres de quais en bois; il est séparé de l'avant-port par l'ancien débouché de l'écluse du fort Revers, qui a cessé d'être en service depuis le 10 octobre 1884, et par celui de l'écluse de la Cunette. Quatre hectares de superficie d'eau y sont affectés au séjour des navires. Dans le fond du port d'échouage débouchent deux écluses de navi- gation maritime (l'une simple de 21 mètres, l'autre à sas de 50 mètres de longueur sur 13 mètres de largeur), qui établissent les communications entre le port et les anciens bassins à flot du Commerce, de la Marine et de l'Arrière-Port ; leur buse est à 0"'.45 au-dessous du zéro des cartes marines. Un fjrand phare, situé à 800 mètres S.-E. 1/4 S. de la tète des jetées, dont le feu de premier ordre, éclairé à la lumière électrique depuis le \" octobre 1883, est placé à 5" mètres an-dessus du niveau du sol et à 59 mètres au-dessus du niveau des hautes mers, éclaire les parages de Dunkerque dans un rayon de plus de 40 kilomèfres; les appareils four- nissent une lumière très belle, très régulière, dont les caractères sont par- faitement tranchés jusqu'aux limites de la portée. Un sémaphore facilite aux navires la connnunicallon télégraphique avec la terre, aussitôt leur arrivée sur rade ; en outre, un fil spécial, relié avec Gra vélines, permet aux capitaines de signaler leur passage et de demander soit im remorqueur, soit la visite sanitaire, soit du secours. Une tour des Pilotes, dite du Leughenaer, est placée à 2.200 mètres au S. 30° E. de l'extrémité des jetées ; pendant toute la durée des nuits, un feu fixe blanc, dont la portée est de deux milles, est allumé à son sommet, qui se trouve à 24 mètres au-dessus du sol. Étant spécialement destiné à éclairer le chenal, ce feu projette sa plus vive lumière dans la direction des jetées. BASSINS Dunkerque possède sept bassins à flot, non compris deux bassins d'évo- lutions, ce sont : Le bassin du Commerce, qui présente une superficie de cinq hectares et demi ; il est bordé d'une ceinture complète de 9o0 mètres de quais verti- caux en pierres, comportant environ deux hectares de surface de quais atîectée à la manutention des marchandises. La hauteur d'eau, sur le seuil de ses écluses, est de ô'^jSo en haute mer de vive eau ordinaire ; les tra- vaux d'achèvement de ce bassin, approuvés par décision ministérielle du 3 mai 1888, ont été terminés dans le courant de l'année 1889. A. MLNE. IJ-: TKAFK. DL' PORT hE Kl WKEUQUE 909 Lt' bassin de la Marine, duiil Ja supfifKie d'eau t-sl du Irois hectares; le Ijoiiilour entier de ce bassin est Lordé de 700 mètres de quais en pierre; il C()nnnuni([ue avec le liassin du Commerce par une écluse de 16 mètres de largeur, et avec le bassin de lOuest par un pertuis de 21 mètres, dont la première pierre a été posée le 8 juillet 1878 et (|ui a été terminé en 1890. iSon ipiai Ouest est bordé de hangars et de magasins publics. Le pertuis. qui réunit le bassin de !a ^hiriiie à la darse n" 1 du bassin Freycinet. nest pas écluse; mais im bateau-porte permet d'isoler ces deux bassins. Ce bateau-porte, en l'orme de trapèze renversé, mesure 24 mètres sur son pont et 21 "".70 sous sa (piille : sa hauteur est de 9 mètres et sa largeur, au maître-bau, de 3"", 50. Construit tout en fer, il pèse 90.000 kilo- grammes, et il n'a pas fallu inoins de 7o.000 rivets pour l'assemblage des jnèces de charpente. Une vaste caisse à eau, se remplissant par l'ouverture de robinets, sert à le couler, et une caisse à air, se vidant au moyen d'une pompe, permet de le mettre à Ilot. Le bassin de l' Arriére-Port, qui présente une superficie de deux hectares et demi ; il est bordé de 390 mètres de quais en pierres, dont 220 mètres ont été terminés en 188G. et de 123 mètres de quais en bois ; le reste de ses rives est réservé à l'industrie de la construction et de la réparation des navires. Il conmmnique avec le bassin du Commerce par un pertuis de 16 mètres de largeur. La construction, sur la rive droite de ce bassin, de magasins qui ont été remis à la marine militaire en échange des magasins ([u'elle possédait autour du bassin de la Marine, a été achevée en 1887. Il reste à compléter les quais de l'Arrière-Port et à reconstruire le pont tournant entre ce bassin et celui du Commerce, mais l'exécution de ces travaux est provisoirement ajournée. Ces trois bassins à flot sont mis en communication directe avec les i-anaux de navigation intérieure par une écluse à sas, située au fond de l'Arrière-Port. dite Écluse de Bergues; ils sont entretenus à la cote — 0"',oO au-dessous du zéro des cartes marines. Des dragages sont effectués dans l'intérieur des bassins et dans le chenal à l'aide d'une drague à godets et d'une drague à cuiller qui ont extrait, en 1891, un cube de 162.000 mètres. Les bassins de Freycinet sont composés de quatre darses : La darse n° I (précédemment dénommée bassin de l'Ouest) est bordée de 1.450 mètres de quais affectés au commerce; elle s'ouvre dans le port d'échouage par un sas de 21 mètres de largeur et de 117 mètres de longueur utile, qui présente une hauteur d'eau de 7'",4o en vive eau ordi- naire; la cote du radier est à — l'",55 relativement au zéro des cartes; les manœuvres des portes d'écluse, à l'entrée de ce bassin, se font avec une grande rapidité, grâce à l'application de moteurs hydrauliques. La superficie de cette darse est de huit hectares et demi; elle est en 9i 0 GÉOGRAPHIE communication avec le canal de l'Ile Jeanty par une écluse à sas de 33 mètres de longueur sur S'",!^ de largeur, qui a été mise en service le 16 mai 1884. C'est le 30 août 1880 qu'a eu lieu l'ouverture du bâtardeau à l'abri duquel a été construite l'écluse à sas d'entrée du nouveau bassin de l'Ouest, et le lendemain 31, que les eaux y ont été introduites. L'inau- guration solennelle de ce bassin, auquel la reconnaissance publique a donné le nom de Freycinet, a eu lieu le 31 octobre de la même année ; ^ JtTjutl ti poste BAfonrfij. SO Légende 1 Sau^-Préfcctiuv ■ 2 /rdtel-dn-nUe . 3 BantfUG de Fnciiic£- ^ Fhlca^deJujtux-. 5 7%éâtre . Mètres FiG. 3. — la ville et le nouveau port de Dunkerqui, cette cérémonie fut présidée par M. Sadi Carnot, alors ministre des Travaux publics. Une flottille, composée de trois navires de l'État : le Coligny, la Mouette, la Lionne, du vapeur baliseur des Ponts et Chaussées, des remorqueurs et d'un certain nombre de vapeurs et voiliers français et étrangers, franchit l'écluse vers 9 heures et demie du matin et fut sa- luée à son passage par l'artillerie de la place. Ce fut une ère nouvelle de prospérité qui s'ouvrait pour Dunkerque, quoique ce bassin ne dût être que d'un faible soulagement pour le trafic chaque jour croissant de son port; mais la perspective que les bassins suivants allaient être entrepris avec énergie donnait du courage A. MLNE. — LE TRAFIC DU PORT DE DLNKERQLE 91t à ses habitants doués d'autant de patience que de fermeté, de pereévé- rance que de patriotisme. La darse n" 2, y compris le bassin d'évolution des darses 1 et 2, a une superficie de dix hectares trente ares et une longueur de 1.628 mètres de quais; elle est, ainsi que la darse n" 1 , approfondie à la cote — 2",S0, et en communication, depuis le 3 août 1890, avec le canal de l'Ile Jeanty par une écluse à sas de 6 mètres de largeur sur 38'", 50 de lon- gueur pour le service de la navigation fluviale. La.darse n° 3 présente une superficie de trois hectares vingt ares; un pertuis non écluse de 16 mètres de largeur met en communication les darses 2 et 3. La superficie de la darse n° 4, y compris le bassin d'évolution des darses n"* 3 et 4, est de neuf hectares ; ces deux darses, de même que leur bassin d'évolution, sont descendues à la cote — 4'",50, et la lon- gueur totale de leurs quais est de 2.018 mètres. A différentes époques, ces grandes nappes d'eau ont disparu sous les ponts des navires qui les encombraient, et les quais sous la masse de marchandises, richesses mouvantes, qui les encombraient. Ces quatre bassins, ou darses, dont la superficie totale est de quarante- deux hectares, sont munis de quais verticaux en pierre sur tout leur pourtour, à l'exception d'une partie de la rive Ouest d'amont des darses 3 et 4 qui ne présente qu'un talus perreyé. Six vastes hangars publics ont été construits en bordure des quais, tout en laissant libre à la circulation et aux wagons de chemin de fer le terre-plein de ces quais; ils sont terminés et en exploitation . On a commencé à introduire l'eau dans les nouveaux bassins à la fin de l'année 1889; les navires ont pénétré dans les darses 2 et 3 le 1" août 1890. La longueur totale des quais du port et des bassins de Dunkerque, sus- ceptible d'être affectée au stationnement des navires, est aujourd'hui de 8.166 mètres, et la superficie totale des terre-pleins des quais pouvant recevoir des marchandises est de cinquante-quatre hectares soixante-dix ares; tous ces quais sont en pleine exploitation et ont été, à diverses re- prises, occupés sur toute leur longueur. Deux autres bassins, prévus par la loi du 31 juillet 1879, devant être affectés aux navires chargés de pétrole et aux constructions navales, ont vu leur construction ajournée par la décision du 9 août 1887 qui a approuvé le projet de l'écluse du Nord; ces bassins devaient être creusés à l'Est, sur l'emplacement des anciennes fortifications. 912 GÉOGRAPHIE CANAUX Trois canaux, qui présentent une condition avantageuse très impor- tante pour le port de Dunkerque, en le mettant en communication facile et continue avec les voies navigables de l'intérieur de la France et de la Belgique, sont : Le canal de Bourbourg, amenant à Dunkerque toute la batellerie de l'intérieur de la France ; c'est la tète de ligne de la navigation fluviale vers Lille, Paris et l'Est de la France. Il communique avec le canal de jonction par l'écluse à sas du Jeu-de-Mail; son mouillage y permet la circulation des bélandres ayant l'",80 de tirant d'eau. Il existe, sur la rive gauche de ce canal, des chantiers de construction et de réparation de bélandres. Le canal de Bergues dessert une navigation plus restreinte entre Dun- kerque et divers points de l'arrondissement; il communique directement avec les bassins par l'écluse à sas située au fond de l' Arrière-Port, Ces deux premiers canaux sont des canaux de l'État à grande section. Le canal de Fumes relie le port de Dunkerque aux voies navigables de la Belgique; c'est un canal concédé. Lorsque les bateaux de canal ont pénétré dans les bassins maritimes, le transbordement s'opère directement dans les ou hors des bélandres, bord à bord avec les navires de mer, ce qui constitue, en quelque sorte, une ligne de quais flottants, ressource puissante du mouvement com- mercial du port de Dunkerque. 11 y a en outre cinq autres canaux, qui sont : Le canal de l'Ile Jeanly, mettant en communication, par deux écluses à sas situées au fond des darses n°' 1 et 2, les bassins Freycinet avec les canaux de l'intérieur; c'est un véritable bassin de navigation fluviale, de la longueur de 800 mètres sur 40 mètres de largeur, avec un terre- plein de 30 mètres et une longueur de 1.250 mètres de quais. Le canal de Jonclion ou de ceinture, réunissant entre eux, dans l'inté- rieur de la ville, les canaux précités et ceux des Moëres et de Mardyck ; il a une longueur de 1.100 mètres, dont 900 mètres sont garnis de quais ou talus utilisables. Ce canal porte, dans son parcours, des noms différents : la portion comprise entre le pont Saint-Martin et la passerelle de bois qui conduit en basse ville se nomme Port-au-Bois ; c'est une espèce de port de navi- gation intérieure, garni d'un quai sur la rive septentrionale, qui sert de stationnement aux bélandres et de déchargement à celles chargées de charbon ; la partie de ce canal comprise entre l'écluse du Pont-Rouge et t A. MINE. — LE TRAFIC DU PORT DE DUiNKERQUE <.H3 l'écluse du Jeu-de-Mail se nomme Reck-à-Voleurs et sert de stationne- ment aux bateaux vides. Le canal de Mardyck, qui sert de dessèchement et de réservoir de chasse, a une longueur de 3.600 mètres et est en partie envasé ; les eaux de dessèchement du pays sont envoyées dans ce canal par les fossés des fronts Sud de la place, en passant par un siphon sous le canal de Bour- bourg. Sur sa rive Nord, existent des chantiers de construction et de répa- ration de bèlandres. Le canal des Moëres, qui sert de canal de dessèchement ; ses eaux pas- sent en siphon sous le canal de Furnes et coulent dans les fossés de l'Est qui les conduisent directement dans l'avant-port. Le canal de la Cunette, qui sert à déverser les eaux des Moëres dans le chenal. Un sas octogonal à quatre écluses met en communication les canaux de Jonction, de la Cunette, de Furnes et des Moëres. En 1890, les buses du grand passage de l'écluse du Pont-Rouge, ainsi que le radier du pont du chemin de fer sur le canal de Jonction, ont été abaissés de 32 centimètres afin de faciliter l'écoulement des crues. Ces travaux ont eu, en outre, pour effet de faire du canal de Bergues un auxiliaire du canal de Bourbourg et une branche de la grande ligne de navigation sur l'Est et sur Paris. Des dragages ont été opérés à la même époque pour approfondir les parties du canal de Jonction les plus fré- quentées, ce qui a permis d'abaisser le plan d'eau. Il reste à compléter, par des dragages, l'approfondissement des canaux maritimes situés dans l'intérieur des fortifications; ces travaux ont fait l'objet d'un projet spécial qui a été approuvé par décision du o août 1891 et sont en cours d'exécution. Dunkerque sert ainsi de trait d'union entre la navigation maritime et la circulation intérieure, celle-ci étant utilisée pour les marchandises lourdes, encombrantes et de peu de valeur. CHEMINS DE FER Ce port, dont la situation est exceptionnelle, a derrière lui un réseau de voies ferrées qui le relie aux départements du Nord et de l'Est, c'est- à-dire avec les provinces les plus riches, les plus fertiles et les plus industrieuses de tout le territoire français. Les quatre lignes de voies ferrées qui y prennent naissance sont : Ligne de Dunkerque à Paris, par Hazebrouck, Arras et Amiens; — ligne de Dunkerque à Lille, par Hazebrouck; — ligne de Dunkerque à Calais ; — ligne de Dunkerque à Furnes. 58* 914 GÉOGRAPHIE Voici la comparaison des distances de Dunkerque et d'Anvers aux prin- cipaux centres manufacturiers et de consommation de la région : ^_^_^ DISTANCES LOCALITÉS A DUNKERQUE A AKVERS kilomètres kilomètres Lille 85 130 Roubaix 90 120 Tourcoing 93 118 Valenciennes 133 140 Cambrai 148 202 Saint-Quentin 201 203 Laon 251 255 Reims 303 307 OUTILLAGE Il existe à Dunkerque quatre formes de radoub qui ont les dimensions suivantes : No 2 No 3 No 4 Ijo 1 ouverte depuis ouverte depuis inaugurée lin avril 1801 fin avril 18'dl en août 1891 Longueui' franche . Largeur aux seuils. Cote des seuils . . lOQ- lOQ- 84-»,40 190- 14™ 14m 14"' 21°" — 0",55 — 2", 05 - 0°',55 — 2'",10 La forme n° 1, quoique complètement terminée, ne pourra recevoir des bâtiments de grande longueur qu'après l'enlèvement du bâtardeau qui protège l'écluse du Nord; cette forme servira aux réparations du matériel de l'État. Toutes les industries locales commencent déjà à retirer un grand prolit du séjour prolongé dans le port des navires qui s'y font réparer et qui, précédemment, se trouvaient dans la nécessité de se rendre à Anvers ou €n Angleterre pour y efîectuer leurs réparations. Une cale de halage (slip way) pour le hissage hors de l'eau des navires mesurant jusqu'à 75 mètres de quille et dont le poids n'excède pas 1.000 tonnes; la hauteur d'eau, au bas de la cale, est de 7 mètres. Un ginl de carénage pour les navires ne dépassant pas 400 tonneaux de jauge et 47 mètres de longueur est situé sur la rive gauche de l'avant- port; il sera prochainement reconstruit et reculé pour permettre l'élar- gissement de l'avant-port en cet endroit. Deux pontons d'abattage ou de carénage exploités par des particuliers qui en sont propriétaires. Des g?^ues à vapeur mobiles, placées sur différents quais des bassins et sur des pontons flottants, appartiennent à l'industrie privée et sont employées aux opérations de chargement et transbordement des mar- chandises de toute nature. Dunkerque est l'un des ports où les opérations s'effectuent avec le plus de rapidité. A. MINE. — LE TRAFIC DU PORT DE DUNKERQUE 915 La Compagnie du chemin de fer du Nord possède, en outre, deux grues fixes tournantes de la force de 10.000 et de 30.000 kilogrammes, ainsi qu'un certain nombre de grues mobiles de l.oOO, 2.000 et 5.000 kilo- grammes, qui sont mues à bras d'homme. Une grue flottante, de la force de 40.000 kilogrammes, est exploitée par la Chambre de Commerce depuis sept ans ; elle est destinée à la manu- tention des lourds colis dans les différents bassins et peut servir de ma- chine à mater. La Chambre de Commerce exploite un service de remorquage. (Voir aux renseignements statistiques.) Un élévateur flottant à grains, érigé sur un ponton d'environ 400 ton- neaux de jauge, sert au déchargement, au nettoyage et au pesage auto- matique des cargaisons de grains ; il appartient à un particulier. Dunkerque possède un entrepôt réel des douanes, trois Sociétés de magasins généraux agréés par l'État et un grand nombre de magasins particuliers, dont la plupart sont situés à proximité des quais. LIGNES DE NAVIGATION Voici quels sont les services réguliers de bateaux à vapeur qui des- servent le port de Dunkerque : DESTINATIONS Alger et par connaissement direct tous les ^ ports d"Algérieet de Tunisie, Tripoli, Malte, Ajaccio, Gibraltar, Tanger, Alicanle, Carthagène Bayonne Belfast • Bilbao Bordeaux, et par transbordement pour les principales villes de la Gironde, du Gers, de la Garonne, des Clia- rentes, de la Dordogne, du Lot et du Tarn, ainsi que pour New- York, le Sénégal, les Antilles, Je Mexique, Colon Brésil DATES DES DÉPARTS Trois départs par mois, les 10, 20, 30 Deux ou trois départs par mois. Deux départs par mois. Trois à quatre départs par mois. Cinq départs par mois, les 6, 12, 18, 24 et fin de mois. Un départ par mois. \ 916 GÉOGRAPHIE Brest Buenos-Ayres. Cadix Cette. Dublin Glasgow, Greenock Goole HaïphoDg Hambourg Havre avec connaissement direct pour les principales villes de la Seine-In- férieure, de la Manche, du Calvados, du Finistère, etc Hong-Kong Hull, en correspondance avec toutes les villes du nord de l'Europe et de l'Amérique La Rochelle Leith en correspondance pour Dundee, Aberdeen, Taisley, Glasgow, Gree- nock, Belfast, Dublin, toute l'Ecosse, l'Irlande et le nord de l'Angleterre. . Lisbonne Liverpoul Londres en correspondance avec toutes les villes de l'Angleterre et de l'Ecosse Malaga Marseille, et par transbordement pour tous les ports de la Méditerranée et de la mer Noire, ainsi que pour la Réunion, Mahé, Maurice, Adélaïde, Melbourne, Sydney, Nouméa, Pondi- chéry, Tonkin et Yokohama .... Montevideo Nantes Oran Penang Philippeville Port-Vendres Un départ par semaine. Trois ou quatre départs par mois Un départ par mois. Tous les six jours. Deux départs par mois. Deux départs par mois. Un départ par semaine. Un départ par mois. Un ou deux départs par mois. Un départ par semaine. Un départ par mois. Le mercredi et le samedi. Un départ par semaine. Un départ par semaine. Un départ par mois. Deux ou trois départs par mois. Deux ou trois départs par semaine. Un départ par mois. Un départ tous les six jours. Trois à quatre départs par mois Un départ par semaine , Troisdépartsparmois, leslO, 20, 30 Un départ par mois. Troisdépartsparmois, les 10, 20, 30 Tous les six jours. A. MIXE. LE TRAFIC DU PORT DE DUNKERQUE 917 DESTINATIONS DATES DES DÉPARTS Rochetbrf Rosario et tous les ports du Parana . . Rotterdam en correspondance avec l'Al- lemagne Saigon, Shang-Haï, Singapore .... Saint-Nazaire Un départ par semaine. Deux à trois départs par mois. Un départ par semaine. Un départ par mois. Troisdéparts par mois, les 1 0, 20, 30 Un 00 deux départs par mois, esceptc en hiver. Saint-Pétersbourc: INDUSTRIE MANUFACTURIERE Il reste à dire quelques mots de l'industrie dunkerquoise, car à côté de ce Dunkerque commercial, dont la réputation n'est plus à faire, grandit un Dunkerque industriel dont les principaux établissements consistent en ■des : Filatures de lin, chanvre, étoupes, jute et coton; tissages mécaniques, manufacture de toiles à voiles et d'emballage, et de bâches imperméables ; fabrique de filets dépêche; tonnelleries où se confectionnent annuellement, avec une grande perfection, les !20.000 à 2o.000 tonnes nécessaires aux navires qui font la pèche de la morue à Islande; fabriques d'huiles de graines et épurations d'huiles de foies de morues; raffineries de sel et de pétrole; scieries mécaniques de bois; corderies mécaniques pour la marine; forges et chantiers de construction de navires ; savonneries, corroiries, brasseries, malteries, fabrique d'hameçons, distilleries de grains et de mélasses, etc. La facilité, que rencontrent certaines de ces industries, de recevoir par le port de Dunkerque les matières premières qui leur sont nécessairet et de réexporter par la même voie leurs produits manufacturés, jointe aux conditions particulièrement avantageuses des transports par eau vers l'intérieur; enfin, le bon marché relatif de la houille, amenée tant de nos charbonnages du Nord et du Pas-de-Calais que d'Angleterre et de Belgique, permet d'espérer une extension de ces diverses industries. TRAVAUX EN COURS d'eXÉCUTION Toute la grande navigation s'effectue actuellement par l'Écluse de la darse n° \ ; mais, par suite de la longueur et des tirants d'eau de plus en 918 GÉOGRAPHIE plus considérables des navires qui fréquentent le port, cette écluse est devenue insuffisante. Une nouvelle écluse, dite Écluse du Nord, non comprise dans le prin- cipe dans le vaste plan des ouvrages autorisés par la loi du 31 juillet 1879, dont les travaux de terrassements et de maçonnerie ont été commencés en 1888, et la première pierre posée le 1" septembre 1889, par M. Yves GuYOT, alors ministre des Travaux publics, est actuellement en construc- tion à proximité du phare, sur l'emplacement de l'ancienne écluse et du bassin des chasses; elle débouchera dans le chenal, à la limite de l'avant- port, en amont des écluses de dessèchement des bastions 27 et 28. Les dimensions de cette écluse, dont le projet a été approuvé par déci- sion ministérielle du 9 août 1887, permettront de recevoir les plus grands navires en tout état de marée; sa longueur utile sera de 170 mètres, sa largeur de 2o mètres; son buse, descendu à la cote — 5 mètres, donnera 9 mètres d'eau dans les marées de mortes eaux extraordinaires, environ 10 mètres dans les mortes eaux ordinaires, et près de 11 mètres dans les vives eaux ordinaires. Cette écluse sera fermée par trois portes, ce qui permettra de consti- tuer soit un sas unique, soit deux sas moyens ayant : l'un 106 mètres, l'autre 70 mètres. Les portes, vannes et ponts seront mus par des mo- teurs hydrauliques; la vidange et le remplissage du sas s'effectueront rapidement au moyen de grands aqueducs longitudinaux et transversaux ménagés dans les bajoyers. Le chenal étant beaucoup trop étroit pour permettre aux grands navires d'entrer avec sécurité dans le port, une nouvelle jetée de l'Est, destinée à porter sa largeur à 120 mètres à l'aval et à 200 mètres en face du phare, est en cours de construction, suivant décret d'autorisation du 26 août 1890. Cette nouvelle jetée aura une longueur de 800 mètres; ses fondations sont exécutées au moyen de caissons foncés à l'air comprimé. Le fond du chenal sera d'abord approfondi à la cote — 3 mètres au-dessous du zéro, et sera descendu ultérieurement, s'il y a lieu, à la cote — 3 mètres. III RENSEIGNEMENTS STATISTIQUES — ANNÉE 1891 POPULATION La population de Dunkerque est de 39.498 habitants suivant le recensement de 1891; mais, avec les villages voisins de Rosendaël, Malo-les-Bains, Coudeker- que-Bi-anche, Petite Synthe et Saint-Pol-sur-Mer, ragglomération dunkerquoise atteint le chiffre de 60.000 habitants. A. MINE. — LE TRAFIC DU PORT DE DUNKERQUE 919 DROITS DE DOUANE ET DE NAVIGATION La perception des droits de douane, pendant les deux dernières années, a donné les résultats ci-après : 1890 1091 Droits de douane Fr. 10.608.729 18.932.373 Droits de navigation 838.416 985.041 Droits sur les sels 3.339 94.739 Droits de statistique 429.358 414.178 Droits accessoires 20.398 22.228 Total Fr. 11.900.2'i0 20.448.559 soit une augmentation de 8.548.319 francs en faveur de 1891, ou 72 0/0. Lois et décrets autorisant la perception des droits de navigation. DROIT DE TONNAGE PORTANT SUR LES NAVIRES FRANÇAIS ET ÉTRANGERS /" Affecté aux travaux d'amélioration et d'extension du port. U juillet 1861. — Décret ordonnant l'exécution des travaux nécessaires pour l'amélioration du port de Dunkerque. 20 iiuii IS6S. — Loi autorisant l'offre faite par la ville d'avancer à l'État une somme de 1-2 millions pour être affectée à l'exécution de ces travaux. 4 juillet IS6S. — Décret établissant, à dater du l^i- janvier 1869, un droit de tonnage de 12 centimes par tonneau de jauge sur les navires français et étran- gers entrant chargés dans le port et venant du long cours ou des pays étrangers. fî décembre 1815. — Loi qui autorise la ville de Dunkerque à avancer à l'État, et à emprunter dans ce but, une nouvelle somme de 12.600.000 francs pour la continuation des travaux d'amélioration du port. Cette loi a substitué, à partir du l^"" janvier 1876, au droit de tonnage de 12 centimes établi par le décret du 4 juillet 1868 précité, un droit de .30 centimes par tonneau de jauge sur tout navire français ou étranger entrant chargé ou venant prendre charge dans le port, à l'exception des navires français se livrant au petit cabotage entre les ports français ou à la navigation fluviale, les bâti- ments armés à la grande et à la petite pêche, ainsi que le matériel naval de l'État. La perception du droit de 30 centimes est concédée à la ville de Dunkerque ; les produits en seront exclusivement affectés au paiement de la différence entre le taux d'intérêt payé par l'État à la ville (4 0/0) et celui qu'elle aura elle-même pajé aux souscripteurs de l'emprunt de 12.600.000 francs que la dite loi du 14 décembre 187o l'a autorisée à contracter à un taux qui n'excède pas 6 0/0. La perception de cette taxe a cessé le 18 février 1882. H décembre 1875. — Loi qui autorise le département du Nord et la Chambre de Commerce de Dunkerque à avancer à l'État, et à emprunter dans ce but, la somme de 5.900.000 francs pour être affectée à des travaux de réparations au port de Dunkerque jusqu'à concurrence de 5.495.000 francs, et à celui de Gra- velines pour 405.000 francs. La loi précitée accorde en outre à la Chambre de Commerce la perception d'un droit de 10 centimes par tonneau de jauge sur les navires français et étrangers, à l'exception des bateaux pilotes et remorqueurs, de ceux employés à la pêche côtière, et de tout le matériel naval de l'État. Le produit de cette perception doit être exclusivement affecté à couvrir la 920 GÉOGRAPHIE différence entre le taux d'intérêt payé par l'État (4 0/0) et celui que le départe- ment du Nord et la Chambre de Commerce de Dunkerque auront payé aux souscripteurs de l'emprunt qu'ils ont été autorisés à contracter par ladite loi à un taux d'intérêt qui n'excède pas 6 0/0. La perception de cette taxe a cessé le 18 février 1882, par suite du rembourse- ment anticipé des avances faites à l'État par la Chambre de Commerce. 5 février 1882. — Décret maintenant, au profit de la Chambre de Commerce de Dunkerque, la perception de la taxe de tonnage de 10 centimes précédem- ment établie au profit de ladite Chambre par la loi du 14 décembre 1875. La perception de cette taxe a commencé le 19 février 1882 et a cessé le G sep- tembre 1884. /«■• septembre l8Si. — Loi autorisant le ministre des Travaux publics à accep- ter, au nom de l'État, une somme de 31 millions de francs offerte par la Ville et la Chambre de Commerce de Dunkerque pour l'achèvement des travaux du port de Dunkerque, autorisés par la loi du 31 juillet 1879. Akï. 4. — Le produit du droit de tonnage perçu au port de Dunkerque en vertu du décret du 5 février 1882, sera porté de 40 à 70 cantimes par tonneau de jauge, à partir de la promulgation de la présente loi, et sera exclusivement affecté au remboursement, en capital et intérêts, de l'emprunt contracté par la Ville de Dunkerque, en vertu de la loi du 7 avril 1880, et de celui à- conclure, en vertu de la présente loi, pour la continuation et l'achèvement des travaux d'amélioration et d'extension du port de Dunkerque. La perception du droit de tonnage cessera immédiatement après l'entier accomplissement des obligations contractées solidairement par la Ville et la Chambre de Commerce. La perception de cette taxe a commencé le 7 septembre 1884. 2° Affecté à la reconstruction de la jetée de l'Est. 26 août 1890. — Décret autorisant le reconstruction de la jetée de l'Est au port de Dunkerque. Art. ù. — Le droit de tonnage de 70 centimes par tonneau de jauge, actuelle- ment perçu au port de Dunkerque, en vertu de la loi du l*""" septembre 1884 et du décret du 22 septembre 1885, sera, à partir de la promulgation du présent décret, réduit à 54 centimes par tonneau de jauge. La perception de cette taxe a commencé le 30 août 1890. 26 août 1890. —Décret autorisant la Chambre de Commerce à fournir à l'État un subside de 4.500.000 francs pour l'exécution des travaux de recons- truction de la jetée de l'Est au port de Dunkerque et établissant, au profit de la dite Chambre, un droit de iQ centimes par tonneau de jauge sur tout navire français ou étranger entrant chargé ou venant prendre charge dans le port de Dunkerque. La perception de ce droit cessera immédiatement après l'entier accomplisse- ment des obligations contractées par la Chambre de Commerce en vertu du présent décret. La perception de cette. taxe a commencé le 30 août 1890. DROIT d'outillage AFFECTÉ A L'ÉTABLISSEMENT d'uN OUTILLAGE PUBLIC AU PORT 6 septembre hS88. — Décret autorisant la Chambre de Commerce à percevoir, sur les navires français et étrangers entrant au port de Dunkerque, un droit I A. MINE. — LE TRAFIC DU PORT DE DUiNKERQUE 921 (le 10 centimes par tonneau de jauge jusqu'à concurrence de la somme de 1.800.000 francs qu'elle a été autorisée à contracter par le même décret pour l'établissement d'un outillage public. La perception de cette taxe a commencé le 10 septembre 1888. MOUVEMENT DU PORT Le mouvement du port de Dunkerque se chiffre comme il suit pour 1891: Nombre de navires entrés 3.024 navires, — — sortis 2.996 — Total . . . 6.020 navires. Tonnage de jauge à l'entrée 1.592.768 tonnes. — — à la sortie 1.574.341 — ToTAT 3.167.109 tonnes. Tonnage de marchandises à l'entrée 2.015.639 tonnes. — — à la sortit 549.805 — Total .... 2.565.444 tonnes. L'année précédente, le nombre total des navires, à l'entrée et à la sortie, s'était élevé à 6.433, soit une diminution, par rapport à 1890, de 413 navires. Le nombre total des tonnes de jauge correspondant aux navires entrés et sortis a été de 2.982. "203 tonnes, ce qui donne une augmentation en faveur de 1891 de ISi.Oue tonnes. Le nombre total des tonnes de marchandises entrées et sorties a été de 2.301.833, soit pour 1891 une augmentation de 63.611 tonnes. Le port de Dunkerque n'avait jamais reçu autant de marchandises et la Douane n'avait jamais encaissé autant d'argent qu'en 1891. NAVIRES APPARTENANT AU PORT Le port de Dunkerque possédait, au 31 décembre 1891, 228 navires d"une jauge totale de 48.999 tonneaux, dont 49 bateaux à vapeur jaugeant 13.072 ton- neaux et d'une force totale de 8.577 chevaux. N.WIRES ENTRÉS AVEC UN TIRANT d'eAU ÉGAL OU SUPÉRIEUR A SI.\ MÈTRES Pendant l'année 1891, 299 navires, jaugeant ensemble 477.267 tonneaux et ayant un tirant d'eau égal ou supérieur à 6 mètres, sont entrés au port de Dunkerque, savoir : 125 navires calant de 6'", » à 6", 25, soit 19.8 à 20 pieds 6 pouces anglais 61 — 6>",25 à 6'",50, — 20.6 à 21 — 4 — 104 — 6'",50 à 7>n, X. — 21.4 à 23 — 9 — plus de 7"\ » — plus de 23 — La part proportionnelle du mouvement des navires, dont le tirant d'eau est égal ou supérieur à 6 mètres, dans le mouvement total de l'entrée, s'est élevé, pour la dite année, à : 10 0/0 du nombre des navires entrés. 30 0/0 du tonnage — 922 GÉOGRAPHIE DEVELOPPEMENT PAR PAVILLONS Le pavillon français figure dans le total général du mouvement du port de Dunkerque en 1891 (entrées et sorties réunies) pour 2.344 navires d'un tonnage de jauge de 958.335 tonnes ayant transporté 768.453 tonnes de marchandises. Les pavillons étrangers correspondent aux chiffres suivants : 3.676 navires entrés et sortis, jaugeant ensemble 2.208.774 tonneaux et ayant transporté 1.796.991 tonnes de marchandises. TONNEAUX 200. 000 1889 1890 FiG. i. — Diagramme du mouvement commercial et maritime de Dunkerque pendant les dix dernières années. De sorte que le commerce par pavillon français représente, dans la fréquen- tation du port de Dunkerque : 39 0/0 du nombre total des navires entrés et sortis; 30 0/0 du tonnage de jauge à l'entrée et à la sortie; 30 0/0 du tonnage de marchandises, à l'entrée et à la sortie. TONNAGE MOYEN Le tonnage moyen des navires français qui fréquentent le port de Dunkerque est de 408 tonneaux ; celui des bâtiments étrangers est de 601 tonneaux, et le tonnage moyen de la fréquentation du port est de 326 tonneaux, soit une aug- mentation de 8 0/0 par rapport à 1890. P G? P P O 0] v •4) fl A en 4) u •o •o (A -o 0) 0 ■iH 4-3 ■ iH U «5 a S o o !5 a o (S A a o o rs 0) ^Upre, _ LE TRAFIC DU PORT DE I.l NKERQUE 923 o Z -ri; ■r. 5 ce 00 CCI 00 o o S-1 as ai co 00 os C5 03 O CO O co C!0 co ^T ^ (?i ,-. r- o» C5 o — o in s 00 th 00 co .r-i 00 os o os 00 -* ^ «t in irt C. 01 00 C "^ os o c^ ^ os iD i-o co -0 00 -a- 00 co co os co co 1^ s 00 os co co ■5f os ■M 00 t- lO 00 co os os os co es CD co CD co lO os o (5-1 '^< = ï Ob CD o 91 00 1— 00 (M OS e-i co — ■r^ (M s-1 co CD ©1 CO lO -a- (?1 15-1 t— CO CO OS ^ os o <=> .^ o O-l -^ -H ISA OS t- 5-1 00 os e4 CD co ^-^ os OS ^^ CO o co ■tH -«■ lO — < r— CD O lO àÔ CD 00 co G-l uO CD O G-1 Vi El] z z »»j 00 s ^ 2& S£ 00 00 se >o CD -/'. -X, -J- 00 r— ■Xi oc 00 X ns o — ^ -/■ os C-. X X UO 924 GEOGRAPHIE Le port de Dunkerque, dont le trafic s'est considérablement accru pendant ces dernières années, occupe aujourd'tiui le troisième rang parmi les ports français ; il vient immédiatement après Marseille et le Havre. Le tableau ci-dessus donne, pendant la dernière période décennale, les ren- seignements relatifs au nombre et au tonnage des navires de mer et des bateaux de canal qui le fréquentent, ainsi que la quantité totale des marchandises transportées par mer, par canaux et par chemins de fer, ce qui permet de suivre les conditions dans lesquelles s'est opéré son développement. Par une conséquence forcée, le courant d'exportation suivra la loi du courant d'importation, et le mouvement ascensionnel ci-dessus constaté se continuera avec l'achèvement des travaux en cours d'exécution et lorsque les installations de l'outillage, qui font partie intégrante de tout établissement maritime, seront complétées. IMPORTATIONS Parmi les principales marchandises importées, en 1891, au port de Dun- kerque, il faut citer : Le froment, dont il est entré 421.786 tonnes contre 81.459, en 1890, soil une augmentation considérable de 340.327 tonnes; ces froments viennent prin- cipalement des États-Unis d'Amérique, des Indes Anglaises, d'Australie, de Roumanie, de Russie, de la République Argentine; Les minerais, dont l'importation n"a atteint que 213.050 tonnes au lieu de 274.076 tonnes en 1890; les provenances sont l'Espagne et l'Algérie; La houille crue ne figure dans les importations de 1891 que pour 189.929 tonnes contre 229.188 tonnes en 1890 ; c'est l'Angleterre qui introduit la plus grande partie de ce combustible dont la Compagnie Parisienne d'éclairage au gaz s'ap- provisionne par le port de Dunkerque ; Le nitrate de soude, dont il a été importé 170.073 tonnes, en 1891, au lieu de 199.597 tonnes en 1890, et qui vient du Pérou; Les graities oléagineuses, dont l'importation s'est élevée à 161.069 tonnes contre 169.075 tonnes en 1890; leurs principales provenances sont : les Indes Anglaises pour la majeure partie, la Russie, la Roumanie, l'Egypte et la République Ar- gentine ; Les orges pour brasseries et malteries ; leur importation s'est élevée à 102.005 tonnes en 1891 au lieu de 111.800 tonnes en 1890; elle viennent pour les huit dixièmes d'Algérie, puisdeRoumanie,Tunisie,Ég3'pte, Russie, Turquie, Danemark ; Les bois du Nord, dont il a été importé 82.541 tonnes contre 54.309 tonnes en 1890, et qui viennent principalement de Suède, Russie, Norwège et Dane- mark ; Les laines en masse, dont Timportation toujours croissante qui alimente les villes manufacturières de Roubaix, Tourcoing, Fourmies, Saint-Quentin et Reims, s'est élevée à 80.228 tonnes contre 66.932 tonnes en 1890; les prove- nances principales sont : la République Argentine pour les cinq huitièmes, l'Australie, l'Angleterre, l'Uruguay, l'Algérie, le Maroc, la Russie, les Indes An- glaises, l'Espagne; le tableau ci-après montre, par provenances, comment s'est développée, depuis 1881, l'importation des laines au port de Dunkerque: 3 a ce iij g H i 30 — ; eo L'ï ^ -* ïr 2J .n oo ?; 1-- .^ C5 ^ ci O œ 5C » •:: R 25 t:^ 00 >— ' c; rs 5-1 <= 2 -* ri ~* ~^ ao = -M — O _c ÎC — l-'î 1-'' — ^ TT -i; i^J '^■^ :r :_ -^ V) ^ — »i k 3C — -* w 'N -t >-; ' . — m.1 , — , 1^ Ci C5 si ^ îc f- S S i 1 i* 00 o 00 o ifî ~5 s-i •?' ^ t- t- ^M in o ci — 00 (M g Vl 1~ ^ î^ ;S 5 OC :o S ^^ '^. (M 5C =: ï^ s r- o 1:3 "-' ^ kC R ^ ^ s y^ ^ iO -^ 0 — 1.0 o oc 05 30 00 o --. ^ 00 'Sb ^ 00 ^ en . (B • i— £3 bC I O p ce -— 00 »-? s? ^ "^ - g I " -Z s! 56 ^^ ift 00 o r-^ «f« oj ;o 00 - ^ ^ — ao ^-4 «^ lO ï^ c; — i^ -N ao 00 îe = o — çg 5 _ s o 00 co «>î o o Ï-C «o -* =^ fe4 ii œ 00 00 o o es 3 o 00 00 in es 00 sç 00 oc 00 oc oc 00 o oc OD o ôo ^ g . o ^ ■ .1 = « ^ .5" — ^ CQ ,^ » r o 6D o o 00 o ë «3 o "« .** s se ra s «5 -~ co •31 s r o JS 00 c s; u_ I ^ a> o I» ET o ■ s e fi o eo -«• ^ .2- « "3 Ç8 926 GÉOGRAPHIE Viennent ensuite : le moh dont riniportation a considérablement diminué depuis l'application des nouveaux droits de douane, le lin, la mélasse, le jute, le coton, la fonte, les huiles de pétrole, les huiles lourdes, les grains el graines de toute espèce, les résines, etc., etc. Dunkerque peut et doit devenir, dans un avenir prochain, un port d'expor- tation des produits de ragriculture et de l'industrie nationale, un entrepôt où ces produits, acheminés vers la mer par la batellerie fluviale, viendront s'échan- ger contre les productions étrangères apportées en France par la navigation ma- ritime. Lorsqu'un fret de sortie sera assuré aux navires se rendant à Dun- kerque pour y décharger leur cargaisons, ils y viendront plus nombreux, et ce sera une nouvelle source de prolits pour tous, car un port ne se soutient qu'à la condition de progresser sans cesse. EXPORTATIONS Les principales marchandises exportées en 1801 par le port de Dunkerque ont été : Les sucres de toute espèce, qui ont atteint 87.667 tonnes contre 112.808 tonnes en 1890, et qui ont été principalement dirigés sur l'Angleterre pour la majeure partie, les États-Unis et l'Italie ; La houille crue, dont il a été exporté 33.345 tonnes en 1891, au lieu de 42.004 tonnes en 1890 ; les principaux pays de consommation sont l'Angleterre, l'Espagne, le Sénégal, l'Algérie, la Russie, l'Allemagne, les États-Unis, la Tuni- sie, la Grande-Pêche, la Guyane française ; Les fourrages (foin et paille comprimés), dont l'exportation s'est élevée à 14.116 tonnes contre 19.802 tonnes en 1890 ; c'est l'Angleterre qui consomme tous ces fourrages ; Les rails en fer et en acier, qui ont atteint 15.804 tonnes, en 1891, contre 17.218 tonnes en 1890, et qui ont été dirigés principalement sur la République Argentine pour les cinq huitièmes, le Rrésil, l'Algérie; Les tourteaux, dont il a été exporté 9.765 tonnes au lieu de 5.449 tonnes en 1890 ; les principaux pays de consommation sont : l'Allemagne, l'Angleterre, le Danemark, la Suède et la INorwège ; Les 'phosphates, dont l'exportation a atteint 13.328 tonnes en 1891 contre 22.580 tonnes en 1890, et dont les principaux pays consommateurs sont : l'An- gleterre, l'Italie, l'Allemagne, la Suède, la Norwège; Viennent ensuite les saindoux pour la Hollande et l'Angleterre, les farines pour l'Angleterre et le Portugal, les pommes de terre et les légumes secs et verts pour l'Angleterre, les huiles de graines principalement pour l'Angleterre et la Hollande, les bois de construction pour l'Algérie, l'Angleterre et la Côte occidentale d'Afrique, le son pour le Danemark et l'Angleterre, les fers de toute espèce pour de multiples destinations, la potasse et le carbonate de potasse pour l'Angleterre, les alcools pour l'Algérie et l'Angleterre, les verres à vitres et en bouteilles principalement pour l'Angleterre et l'Algérie, les fils de jute, de lin et de chanvre pour l'Angleterre, les sacs vides pour l'Angleterre, l'Al- gérie et la Belgique, les machines et mécaniques pour la République Argentine, l'Algérie et l'Espagne, les futailles vides pour l'Allemagne, l'Angleterre, les États-Unis, etc., etc., etc. A. MIiNE. — LE TRAFIC DU PORT DE DUiNKERQUE 927 PORT DE DUNKERQUE IM:i>0RT.A.TI01SrS DE L'J^NNÉE 1880 1 2 3 4 5 6 i 8 9 10 fl 12 13 11 Ih iC 17 18 19 20 21 22 25 26 27 28 29 30 31 32 33 Si PROVENANCES Angleterre. Russie États-Unis. Espagne. . Algérie . . Suède . . . Baltique . Mer Koire- MATIERES ANIMALES Allemagne Indes anglaises IN'orwège Pérou Chili Italie Australie Islande Portugal Indes (Colonies anglaises) Égvpte République Argentine . . Belgique Roumanie Sénégal États Barbaresques . . . . Turquie Côte occidentale d'Afrique. Possessions anglaises d'itrique . . . . Pays-Bas Autriche Haïti rolouies anglaises (Amérique du ^ord). . Grèce Uruguay Danemark Épaves Divers Etranger Cabotage Totaux. MATIERES VÉGÉTALES KILUG. 13.013.50' 6.Î.150 3.719.214 15.273 » 2.135.358 9 20.333 100.030 3.443 12.592.000 8.285.379 6.574 » 4.000 5.924.600 474.970 45.237 Q/. QQJ 388.875 560.000 1.213.966 82.294 174.427 6.811 3.857 35.523 35.015 28.789 5.835 2 11.334 9.846 9.702 » 3.707 7.471 7.568 MATIERES MINERALES KILUU. 617.840 56.420 » 10.978 49.209.910 4.215.40(1 53.425.310 .241 .773 .665 .524 .823 .338 .232 .108 .617 .33 .000 .600 .701 .000 161. 3. 5. 82. 32 1 FABRI- CATIONS .100 .342 20 2.526. 3.713. 3.491. 2.805. 2.373. 3.010, 2.841 1.228 2.378 1.888 1.408 » 3 240 000 252 400 269 150 ,539 .534 .540 .500 .200 .500 .000 12.244 .589.678.794 42.204.200 631.942.94 216.140 143.812 870.235 ,811.767 .009.639 .404.309 316.000 17 122.958 917.970 701.693 25.333 52.386 713.994 306.306.236 6.442.600 312.748.836 TOTAIX KILOO. 14.155.405 45.665 2.300 12.498 522.79 » 223.81 421.839 » 6.619 8.191.000 730.000 422.808 » 992.800 4.801.146 302.100 231.334 170.068 173.753 72.632 15.836 31.494.474 18.127.500 49.621.97 233.621.293 97.589.400 86.016.179 180.325.530 90.146.38 38.002.335 37.151.338 35.773.280 28.889.647 22.968.334 20.785.000 12.064.600 11.187.539 9.702.000 9.278.179 8.514.820 7.773.442 7.572.20 5.924.600 3.934.061 3.713.000 3.491.252 3.194.275 3.128.670 3.010.150 2.841.539 2.668.639 2.378.540 1.888.. 500 1.408.200 713.99* 621.340 296.420 72 632 39.058 976.689.41* 71.049.700 1.047.739.114 928 GÉOGRAPHIE PORT DE DUNKERQUE EXrOUT^^TIOlSrS de L'^^ISTISTEE 1880 9 10 11 12 13 u 15 16 17 18 19 ■20 21 22 23 2i 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 PROVENANCES Angleterre Islande Belgique Danemark Russie (Baltique^ .... Espagne Pays-Bas Algérie Allemagne France Italie Roumanie Suisse États-Unis Norwège Côte occidentale d'Afrique Sénégal Japon Portugal Egypte Pérou Brésil Indes anglaises Autres pays d'Afrique . . Suède Ile de Réunion Grèce Mexique Guadeloupe États Barbaresqnes ... Haïti Ciilonics anglaise» (Am(5riquc du Nord). Possessions espagnoles. . Cocliinchine Guyane Étranger Cabotage Totaux MATIERES ANIMALES KILOC;. 3.702.806 36.029 870.585 2.770 1.21 602.786 » 1.718 8.439 1.100 1.940 5.229.417 12.856.026 18.085.443 MATIERES VÉGÉTALES h lu 11.. 26.231.530 767.436 3.481.431 3.605.200 39.863 111.662 1.0S9.954 208.394 981.404 » 13.. 528 » 40.968 50.394 3.945 18.600 16.000 » 9.600 5.550 36.675.519 6.739.174 43.414.693 MATIERES MINÉRALES KILUG. 6.779.602 63.800 1.196.503 » 1.895.300 2.076.473 157.232 1.073 467 280.873 1.292.400 267.860 500.000 249.868 97.200 172.100 128.100 83.000 19.00Û 2.000 6.240 6.365 2.000 3.000 16.352.389 23.843.760 40.196.149 FABRI- CATIONS 12.801.134 6.713.220 662.463 » 897.513 376.525 193.702 519.909 356.111 480.014 8.332 180 652 42.804 13.026 13.062 » . 57.458 13.331 27.792 18.629 17.207 15.000 11.728 1.626 1.080 » 6.200 5.959 5.539 2.116 2.503 1.746 1.270 23.447.651 15.656.563 39.104.214 TOTAU.\ 49.515.072 7.580.485 6.210.982 3.605.200 2.835.446 2.565.904 2.043.674 1.801.770 1.620.106 1.292.400 761.408 508.332 471.488 198.83' 190.171 159.822 99.000 57.458 41.931 27.792 18.629 17.207 15.000 11.728 11.116 7.320 6.365 6.200 5.959 5.539 4.116 3.000 2.503 1.746 1.270 81.704.976 59.095.523 140.800.499 A. MINE. — LE TRAFIC DU POIIT DE DUiNKERQUE 929 PORT DE DUNKERQUE IlVXFOItT^i^TIOlSrS DE L ' ^!^ N IST É E 1891 ^ < S !) 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 29 30 31 32 33 34 35 36 PROVTENANCES ÀQgleterre Espagne Indes anglaises . . . . États-Unis Bas-Pérou l Baltique. . Russie. . < ,, -, . ( >!er Noire. Algérie République Argentine . Suède Australie Roumanie Allemagni' Egypte Tunisie Norwège Indo-Chine Française . Turquie Uruguay Islande Portugal Sénégal Danemark Chili Pays-Bas Possessions auglaiscs en Afrique . . Possessions angliiisps on Aaioriquc . Aulriclie Maroc Haut-Péroi: Mexique Haïti Autres pays d'Afrique. Italie Belgique Diverses Épaves Étranger Cabotage Totaux. . MATIERES ANIMALES KILUli. I1.025.' 263. 961. 4, » 3.585. 519, 2.593, 52.737, 765 84(; 443 231 184 667 962 171 10.864.369 195, 6 38 1.474 7.822. 6.388. 29, 889 .500 880 340 300 514 821 803 » 149 » 2.123 123. 9. 928 977 509 250 323 524 101.722.462 3.926.000 105.648.46: MATIERES VÉGÉTALES KILUG. 31.023.926 1.646.965 260.692.241 236.088.308 6.200 62.321.050 40.483.428 88.137.367 19.856.610 59.488.163 24.830.831 35.642.864 34.105.144 34.4i0.870 12.712.495 7.903.420 11.509.450 8.520.835 1.6-54.763 5.. 558. 666 5.232.946 » 2.710.291 3.535.966 2.635.131 2.262.028 92 1.029.544 962.343 30.433 31.158 995.0.53.528 62. 9 iO. 300 1.057.993.828 MATIERES MINÉRALES KlLU.i. 267.597.103 263.023.7.59 3.300 11.858.682 » 338.157 6.486.147 1.952.209 185.000 » 3.700 127.135 n 2.250.100 110.000 13.497 1.682.299 198.319 64.900 720 555.895.02 7. 997.. 500 FABRI- CATIONS KILUU. 15.401.273 725. 7 i6 1.296 47.403 164.079.831 2.008.994 1.515 3.273.284 53 94. 130 1.198 » 1.067.008 1.599 1.183.. 39 4.i:23.616 4.172.378 162.255 18.000 13 1.830.961 3.000 27.076 34.394 198.758.221 19.017.400 563.892.52"; TOTAUX klLOCi. 325.048.067 265.660.316 261.658.280 247.998.624 164.086.031 (i8. 253. 385 47. 490. 707 95.956.822 72.779.318j 59.582.293 35.700.098 35.642.864 35.495.176 34.447.370 12.752.974 11.627.866 11.509.467 8.630.835 7.822.300 7.. 571. 911 6.308.203 5.558.666 .5.232.946 4.172.678 3.688.971 3.. 535. 966 2.785.108 2.280.028 2.123.674 1.830.961 1.682.299 1.029.544 962.593 228.752 191.223 68.478 34.394 1.851.429.238 93.881.200l 217.775.621 1.945.310.438 59* 930 GEOGRAPHIE PORT DE DUNKERQUE t:xi>oiîT7\.tions de i.'^nn:ée issi PROVENANCES 1 Angleterre 2 Alsérie 3 République Arp;cntine. . . 4 Allemagne 5 Italie a États-Unis 7 Espagne 8 Islande 9 Pays-Bas 10 Brésil. 11 Danemark 12 Sénégal 13 Rade 14 Indo-Chine française. . . . ( Baltique. . . . 15 Russie. . i ,, ., . ( Mer Noire. . . 16 Belgique 17 Norvvège 18 Portugal 10 Suède 20 Tunisie 21 Autres pays d'Afrique . . . 22 Uruguay 23 Guyane française 24 Australie 25 Mexique 26 Maroc 27 Bas-Pérou 28 Élablissi'mcnts franc, dn golfe de Kiiini!p 29 lïoumanie 30 Turquie 31 Possessions espagnoles en iraériTue . 32 Philippines 33 Chili 34 Diverses Étranger Cabotage Totaux. . MATlIiRES ANIMALES KILOO. 3.581.695 158.386 451 517.579 6.700 3.012 1.178 46.835 1.963.246 4.777 1.707 1.100 9.132 306.850 » » » 10.000 16.134 6.628.782 MATIERES VKGÉTALKS KILOG. 117.716.605 1.288.892 111.665 6.759.913 1.456.300 4.643.983 53.166 721.725 2.682.272 » 4.139.442 796.061 » 2.997 15.344 » 966.266 410.237 655.000 886.000 » 257.000 26.316 I.OOO 1.042 31.226 143.622.452 MATIERES MINÉRALES KILOG. 24.696.275 8.433.401 12.329.527 4.121.306 5.443.816 3.096.778 5.408.587 5.297.650 243.382 4.260.130 157.285 3.095.647 3.530.800 1.410.797 1.027.500 251.000 20.000 620.309 378.000 158.500 754.454 55.388 297.527 603.000 406.000 39.819 100.000 74.000 5.000 1.001 3.459 86.320.338 FABRI- CATIONS 18.945.760 6.680.925 2.101.743 892.388 1.441.534 524.492 1.382.21 475.450 185.028 611.351 » 116.087 » 1.783.018 311.848 » 155.488 73.564 24.10 » 121.796 370.146 334.8 18.218 150 117.336 » 9.250 29.234 20.000 13.367 10.134 1.400 2.608 70.27.1 36.823.781 TOTAUX 164.940.335 16.561.60 14.543.386 12.291.186 8.348.350 8.268.265 6.845.148 6.541.660 5.073.928 4.876.258 4.298.43 4.008.895 3.530.800 3.196.812 1.363.824 251.000 1.448.604 1.104.110 1.057.104 1.044.500 886.250 682.53 658.71 622.218 406.150 1.57.155 100.000 83.250 29.234 20.000 13.36 10.13 6.400 4.651 121.093 273.395.353 276.922.769 550.318.122 A. MINE. — LK TRAFIC DU PORT DE DL.NKERUUE 931 IMPORTATIONS ET EXPORTATIONS — STATISTIQUE GENERALE Il est intéressani de compléter ces renseignements en indiquant les pays qui viennent en premier rang dans les relations commerciales delà France, par le port de Dunkerque, pendant l'année 1891 : Les importations d'Angleterre se sont élevées à 325,048 tonnes et nos expor- tations dans ce pays à 164.940 tonnes ; Les imi>ortations d'Espagne ont atteint 2G5.660 tonnes et nos exportations dans ce pays 6.845 tonnes ; Les Indes anglaises nous ont envoyé 261.658 tonnes et notre exportation dans ce pays est nulle. Les importations des États-Unis se sont élevées à 247.998 tonnes et nos ex- portations à 8.268 tonnes ; Les importations du Pérou ont atteint 164.086 tonnes et nos exportations 83 tonnes. La Russie a importé chez nous, tant de la Baltique que de la mer Noire, 115.744 tonnes, et nous lui avons envoyé 1.615 tonnes; Les importations de la République Argentine se sont élevées à 72.779 tonnes et nos exportations à 14.543 tonnes ; La Suède a importé 59.582 tonnes et nous y avons exporté 1.044 tonnes. Viennent ensuite l'Australie, la Roumanie, l'Allemagne, l'Egypte, la Tunisie, la Norvvège, llndo-Chine française, la Turquie, l'Uruguay, l'Islande, le Portugal, le Sénégal, le Danemark, le Chili, les Pays-Bas, les Possessions anglaises en Afrique, les Possessions anglaises en Amérique, l'Autriche, le Maroc, le Haut Pérou, le Mexique, Haïti, d'autres pays d'Afrique, l'Italie, la Belgique, etc. Les tableaux qui précèdent montrent, pour chacune des années 1880 et 1891? comment se sont développées ces relations commerciales. PECHE A ISLANDE Les armements pour la pêche de la morue ont une réelle importance. Quatre-vingt-deux navires (goélettes, lougres, dogres, etc.,) jaugeant en- semble 8.551 tonneaux, montés par 1.358 hommes d'équipage, ont fait, en 1891, la pèche de la morue sur les côtes d'Islande; leur départ a eu lieu vers le le'- mars et leur retour dans les premiers jours de septembre; ils ont rapporté 5.981.088 kilogrammes de morues vertes et 345.160 kilogrammes d'huile de morue, d'une valeur totale d'environ 3.500.000 francs. PECHE COTIERE. Cent deux bâtiments, d'une jauge totale de 902 tonneaux, montés par 428 hommes d'équipage, se sont livrés à la pèche côtière qui a produit 830.918 ki- logrammes de poisson représentant une valeur de 664.728 francs. Il y a, dans les parages de Dunkerque, deux saisons de pèche côtière : la première, celle du hareng, en septembre et octobre; la seconde, celle du ma- quereau, en mai et juin. 93? GÉOGRAPHIE Les marins se livrent, en outre, en toutes saisons, à la pêche au chalut et à la pêche à cordes; la première produit des turbots, des soles, des raies, des barbues, des limandes, des merlans, des rougets, des anguilles, etc. ; la seconde, des raies, des morues, des anguilles, etc. Des marsouins, appartenant à l'espèce dite des souffleurs, apparaissent quel- quefois en rade et sur la côte. CHAMIERS DE CONSTRUCTION Il a été mis en chantier dans l'Arrière-Port, en 1891, quatre navires jaugeant ensemble 376 tonneaux. NAVIGATION INTERIEURE Le mouvement des bateaux de la navigation intérieure, sur les canaux com- muniquant avec le port de Dunkerque, a été le suivant : Nombre Tonnage de bateaux. absolu. Canal de Bourbourg (longueur 20S929) H. 662 1.140.617 Canal de Bergues ( - 8VJ9]) 4.316 242.259 Canal de Furnes ( - 13^,210) '-"Q^ 56.915 20.683 1.439.791 Les relations du port avec les canaux sont relevées dans le tableau ci-après, pour l'année 1891 : ÉCLUSES z .a De l'Arrière Port. De la darse n' 1 . De la darse n°"2. Totaux de 1891 Totaux de 1890 Différence «q laTcur de 1891.. . . 1.402 2.T8.J 3.257 5.310 2.134 ENTREE c i a 224.092 640.571 453.633 1.318.296 1.115.338 202.958 3~£ 23.925 1.583 223. 3U6 43.661 290.892 284.516 6.376 2.69 3.218 7.495 4.859 2. 636 SORTIE 251.725 609.510 470.770 TOTAUX S 1.332.005 967.422 364.583 78.210 341.070 286.463 705.734 610.306 95.437 Z JS 2.985 5.479 6.475 14.939 10.169 4.770 475.817 1.250.081 924.403 2.0.50.301 2.082.7611 567.541 102.135 564.376 330.124 9116.635 894.822 101.813 A. MINE, LE TRAFIC DI" PORT DE IUNKERQUE 933 La comparaison des résultats de la navigation fluviale en 1890 et en 1S91, entrées et sorties réunies, donne, pour cette dernière année, une augmentation de 48 0/0 du nombre des bateaux, 27 0/0 du tonnage de jauge, 11 0/0 du tonnage de marchandises. PILOTAGE (Décret du 30 juin 1883.) 1890 1891 Droits de pilotage et de conduite perçus.' Fr. 457.038 04 499. G80 60 L'actif de la caisse des pensions du pilotage s'élevait, au 31 décembre 1891, à " 547.621 85 Celui de la caisse de renouvellement et d'assurance à. . . » 111.264 67 REMORQUAGE (Décret du 28 août et décision ministérielle du 7 décembre t88S.) 1890 1891 Total des recettes Fr. 197.681 48 184.969 47 - des dépenses 216.301 90 202.687 80 Excédent de dépenses .... Fr. 18.620 42 17.7!8 33 Le service du remorquage, parfaitement dirigé et muni d'un excellent outil- lage, possède sept remorqueurs d'une puissance totale de 1.261 chevaux-vapeur. Il se prête avec une précieuse vigilance aux diverses opérations d'entrée et de sortie des navires, de visite sanitaire en rade, du service de l'artillerie pour les écoles de tir à la mer et d'assistance des canots de la Société centrale de Sau- vetage des naufragés. Un remorqueur, de la force de 1.000 chevaux, est actuellement en construc- tion aux ateliers de la Société des Forges et Chantiers de la Méditerranée. IIALAGE (Arrêtés préfectoraux des 28 novembre tSoi et 29 juin 4883). 1890 1891 Produit net annuel Fr. 85.507 90 94.006 20 ^RX. 9. — io Trois centimes par tonneau de jauge légale pour tout navire passant aux écluses, soit pour entrer dans le bassin du Commerce ou dans celui de Freycinet, soit pour en sortir. Celte taxe comprend les communications entre les bassins pendant la durée réglementaire du séjour journalier des haleurs sur les écluses. En dehors de cette durée, et à défaut de stipulations entre les haleurs et les capitaines, il sera ^34 GÉOGRAPHIE payé un franc par navire ayant passé d'un bassin dans un autre et par homme ayant contribué au halage. 2° Vingt-cinq centimes pour toute bélandre ou bateau plat qui franchit les écluses d'entrée du bassin du Commerce ou de celui de Freycinet, dans l'un ou iautre sens, de jour ou de nuit. Art. 13. — 2° Les haleurs doivent être munis de huit ballons de garde pour les flancs des navires et de six pièces de cordages de 2S mètres de longueur, dont quatre de 0'",16 de diamètre et deux de 0'",025 pour le service du halage. POSTE AUX LETTRES 11 y a en France 7.171 bureaux; celui de Dunkerque occupe le n° 61. Le produit net de la taxe des lettres s'est élevé à 318.639 francs et le droit de 1 0/0 sur les articles d'argent à 9.475 francs ; celui de 25 centimes par 25 francs sur les mandats internationaux a produit 1.829 francs, et le droit sur les bons de poste de sommes fixes 295 francs. Le nombre des timbres-poste vendus a été de 2.518.940 qui ont produit 292.795 francs. 11 a été encaissé, par le service des postes de Dunkerque : 12.152 effets de commerce intérieur d'une valeur totale de 213.410 francs, et 326 — — internationaux — — 14.420 — 11 est arrivé à Dunkerque, en 1891, 39.606 lettres chargées, et il en a été ex- pédié 38.695 dont 31.879 sans déclaration de valeur et 6.816 contenant des va- leurs déclarées. Il a été payé : 28.811 mandats intérieurs représentant ensemble 735.479 francs, et 1.729 — internationaux — — 79.022 — «et reçu : 36.507 mandats intérieurs d'une valeur totale de 918.172 francs, et 3.407 — internationaux — — 136.412 — Le nombre des bons de poste de sommes fixes émis s'est élevé à 3.461 pour une somme de 27.831 francs et celui des bons payés à 1.924 s'élevant ensemble à 18.761 francs. Le fonctionnement de la Caisse nationale d'épargne a été le suivant : NOMBRE VALEUR Premiers versements . . . . . 289 62.092 francs Versements ultérieurs . . . . . 1.693 182.477 - Remboursements . . 780 182.973 - A. MINE. — LE TRAFIC. DU PORT DE DUNKERQUE 935 TELEGRAPHE 11 y a en France 10.319 bureaux ouverts à la tclégrapliie privée ; celui de Dunkerque occupe le cinquante et unième rang d'après les produits et le soixante et onzième d'après le nombre des télégrammes déposés. Le bureau de la ville a expédié : Pour la France 77.934 dépêches qui ont produit 57.624 fr. 10 c. Pour l'étranger 33.160 dépêches qui ont produit 48.782 fr. 47 c. Et le bureau de la gare a expédié 7.791 dépêches qui ont produit 6.923 fr. 05 c. TELEPHONES La ville de Dunkerque compte 149 abonnés et a encaissé en 1891 : 26.401 fr. 59 c. pour le produit des abonnements, 4.874 fr. 25 c. pour le produit des conversations , messages et cabines publiques. CHEMINS DE FER La gare de Dunkerque a conservé le troisième rang d'importance parmi les stations de la ligne du Nord ; elle a encaissé 8.326.613 francs dont 7.604.947 francs proviennent de la petite vitesse; 119.370 francs de la grande vitesse et 002.296 francs des voyageurs, dont le nombre, tant au départ qu'à l'arrivée, s'est élevé à 275.998. La gare commerciale de Dunkerque, réunie à la gare des voyageurs, étant devenue tout à fait insuffisante par suite de l'accroissement du trafic, il fut décidé de créer à Coudekerque-Branche, é 3 kilomètres environ de Dunkerque, une gare de triage qui fonctionne depuis le l'^'' novembre 1887. La gare de Dunkerque est seule affectée au service commercial proprement dit, avec les voies du port comme annexes, lesquelles constituent la gare mari- time ; c'est à Dunkerque que se fait, indépendamment du service des voya- geurs, la réception et la livraison des marchandises produites par l'industrie locale ou spécialement destinées à la consommation. La gare de Coudekerque est une gare de manœuvres où a lieu le triage des wagons de marchandises et la formation des trains ; elle occupe une super- ficie de cinquante-deux hectares et pn-sente un développement de voies d'en- viron 10 kilomètres; en laissant libres les voies principales, on peut y garer 1 .800 wagons. Chaque jour, il arrive à Dunkerque vingt-six trains de marchandises, et vingt-sept trains en partent pour toutes les directions. Le mouvement total, pendant l'année 1891, a été de 415.122 wagons chargés, soit 1.137 wagons en moyenne par vingt-quatre heures ; en 1880, le mouvement journalier était de 691 wagons à peine. La gare du chemin de fer est réunie à tous les quais du port et des bassins par des voies ferrées qui les desservent directement par aiguilles, et sur les- quelles les trains sont manœuvres par des locomotives. 936 GÉOGRAPHIE La longueur des rails installés sur les quais du port de Dunkerque est de 32 kilomètres 200 mètres, plus 3 kilomètres 230 mètres de voies de la gare maritime en arrière des darses. L'organisation de la gare de Dunkerque comprend, en réalité : une gare lo- cale, une gare maritime et une gare de triage de manœuvres. C'est pendant le mois d'avril 1892, époque à laquelle régnait à Dunkerque une fiévreuse activité commerciale, qu'ont eu lieu les plus importants mouve- ments de wagons sur les voies ferrées du port ; voici le relevé de sept journées : DATES NOMBRE DE \VAGO>!S TOTAUX ENT chargés RÉS vides SORTIS charp(% IS92 Avril 6 122 781 788 1.691 — 8 79 822 816 1.717 — 12 110 673 750 1.433 — 13 70 748 727 1.545 — 20 87 732 738 1.557 — 22 94 725 739 1.558 23 95 780 792 1.667 Anvers fait une concurrence terrible au port de Dunkerque; le trafic énorme des marchandises destinées aux centres manufacturiers de l'arrondissement de Lille et en provenant emprunte la voie d'Anvers et partant les chemins de fer belges; la Compagnie du chemin de fer du Nord en est donc la première victime. Nous le lui avons écrit le 16 juillet 1889 et lui avons rendu visite le 9 mars 1892, pour l'engager à remédier à cet état de choses par l'abaissement de ses tarifs d'exportation. En consentant, en 1874, à contribuer pour deux millions aux fiais de réparations du port de Dunkerque, cette Compagnie a montré qu'elle comprenait bien ses intérêts, mais il reste plus encore à faire. Il faut que les exportateurs trouvent un intéi'êt à se servir du port de Dun- kerque pour déroger à leurs vieilles habitudes; Dunkerque étant aujourd'hui mis en état de recevoir les navires du plus fort tonnage, qui prennent une place toujours plus large dans la navigation maritime, aucun moyen d'assurer son avenir ne doit être négligé. BANQUE DE FRANCE La succursale de Dunkerque occupe le dixième rang dans le classement des quatre-vingt-quatorze succursales suivant l'importance des bénéfices, et le vingt-sixième rang d'après l'importance des opérations. A. MINE. — LE TRAFIC DU PORT DE DUNKERQUE 937 Effets escomptés sur : Paris Fr. 6.280.565 Place 31.761.033 Succursales 15.021.859 Total. . . . Fr. 53.063. '.57 Avances sur ; Effets publics, chemins de fer et obligations du Crédit Foncier Fr. 12.269.174 PORT DE DUNKERQUE Exportation des laines de la province de Buenos- Ayres et des rivières, du 1^^ octobre à fin septembre de chaque année, et part proportionnelle du porl de Dunkerque dans l'importation en France et V exportation de la Plata. l'ORTS DE DESTINATION ■a S ANNÉES FR.4ACE ë?1 3 ~z EXPORTATION TOTALE S 5 5 o 2 .^ D — >'. ' MARSEILLE BORDEAUX HAVRE DUNKERQUE — '^ — » ë balles. balles. balles. balles. balles. 0/0 balles. 0,0 1879-1880 724 2.640 76.216 7.341 86.291 8 1/2 221.178 3 Yy 1880- 18S1 851 1.290 82.096 1.617 85.854 2 206.011 Vlx 1881-1882 798 2.614 67.044 27.544 98.000 28 255.342 11 1882-1883 1.196 2.743 51.3.55 58.046 113.340 51 248.775 23 188:3-1884 601 1.804 46.912 104.080 153.397 68 295.131 35 1884-188.5 2.. 528 2.173 37.108 138.866 180.675 77 342.000 40 188.5-1886 2.037 2.117 24.365 1.38.038 166.557 78 337.000 41 1886-1887 124 1.916 17.597 118.629 138.266 86 307.867 39 1887-1888 90 1.333 27.223 128.512 157.158 82 318.124 40 1888-1889 5.30 639 15.661 1.59.678 176.508 90 311.924 51 1889-1890 2.9<»4 1.282 17.9.50 125.910 148.136 85 2.35.942 53 1890-1891 421 1.172 23.310 122.080 146.983 83 281.000 44 Le total génôral du commerce franco-argentin par le port de Dunkerque (importations et exportations réunies), qui n'était que de 2.032.511 kilo- grammes en 1881, a atteint, en 1890, la quantité de 146.9o0.149 kilogrammes, soit une progression de 7.230 0/0 dans l'espace de dix ans. Pour ce qui est relatif à ce développement extraordinaire des relations com- merciales entre la République Argentine et le Nord de la France par le port de Dunkerque, depuis 1881 qu'elles ont pris naissance, nous prions de vouloir bien consulter notre Album statistique dédié, le 9 mars 1892, à M. Jules Roche, alors ministre du Commerce et de l'Industrie, et à M. José C. Paz, ministre plé- nipotentiaire de la République Argentine en France. 938 GEOGRAPHIE MOUVEMENT DE LA NAVIGATION DES PRINCIPAUX PORTS DE FRANCE Navires chargés venant du long cours, des colonies et de la Grande Pêche. 1° Pendant l'année 1891 . 1 2 3 i 5 6 7 8 9 10 11 DESIGNATION des PORTS Marseille . . Le Havre. . Dimkerque. Bordeaux. . Rouen . . . Boulogne. . Saint-^azairc Calais . . . Cette. . . . Dieppe . . . Nantes . . . PAVILLON FIUNCAIS NAVIRES 2.4.i0 479 422 683 115 581 317 158 203 537 184 2.054.054 579.938 210.746 387.631 77.230 18G 760 194.401 12.. 584 93.759 86.5i5 33.862 PAVILLONS KTliANGERS NAVIRES 2.309 2.089 1.629 983 1.703 1.792 584 1.402 1.080 1.018 150 TONNAGE 1.886.603 1.779.839 1.008.519 646.904 919.477 485.788 465.723 644.590 483.776 410.325 44.977 MOCVEMEM TOTAL NAVIRES 4.749 2.. 568 2.051 1.660 I.SI8 2.373 901 1.560 1.283 1.555 334 3.940 2.359 1.329 1.034 996 672 660 657 577 496 78 .657 .777 .265 .535 .707 .548 .127 .174 ..535 .870 .839 Mouvement total du port d'Anvers pendant les onze premiers mois de 1891 : Entrée: 4.075 navires jaugeant 4.367.965 tonneaux. 2° Pendant le i" semestre 1892. DESIGNATION des PORTS Marseille. Le Havre Dunkerquc Bordeaux. Rouen . . ENTREE 2.075 1.257 1.005 683 686 TONNAGE 1.692.257 1.205.186 704.648 463. 6G0 377.097 SORTIE NAVIRES 1.966 732 584 664 335 TONNAGE 1.617.542 737.139 254.988 460.610 121.697 MOUVEMENT TOTAL TO.NNAGE 4.041 1.989 1.589 1.3i7 1 .021 3.309.799 1.942.325 959.636 924.270 498.794 Dunkerque, sentinelle avancée sur la mer du Nord, tandis qu'Anvers en est à plus de cent kilomètres, est merveilleusement située pour servir d'entrepôt à toute l'Europe septentrionale et devenir le grand grenier des arrivages de tous les ports russes de la Baltique ; c'est le port le mieux placé pour lutter contre la prépondérance que tend à prendre Anvers dans le mouvement maritime de la zone nord-ouest du continent euro- péen. Dunkerque est le port de France le plus rapproché de Londres, et A. MINE. — LE TRAFIC DU PORT DE DUNKERQUE 939 Londres est le plus grand entrepôt du globe : toutes les marchandises de 1 univers sont entassées dans ses docks. Dunkerque est, en outre, le point naturellement désigné comme devant servir de centre d'importation pour alimenter les provinces de l'Est et l'Alsace-Lorraine, et son importance est évidente, non seulement au point de vue du commerce général, mais aussi parce qu'il touche à la région du Nord, la plus riche, la plus industrielle et la plus productive de toute la France, ce qui le place dans les meilleures conditions pour accroître son courant d'afïaires, qui se com- pose principalement du trafic de transit. La Chambre de Commerce de Dunkerque et le Conseil général du Nord se sont de tout temps préoccupés de la situation du port de Dunkerque, dont le mouvement maritime s'est considérablement développé depuis vingt ans, car ces deux corps constitués savent très bien qu'il existe un lien étroit entre la prospérité commerciale de ce port et la prospérité industrielle du département à laquelle il faut un port spacieux et rap- proché; cette union si nécessaire de l'industrie et de la marine existe aujourd'hui et permet à l'industrie de cette région d'entrer avec des armes égales dans les luttes commerciales avec l'étranger. Il s'agit donc de mettre Dunkerque en mesure de suffire aux besoins du commerce et aux exigences de la navigation, afin d'éviter que le port d'Anvers continue à détourner à son profit tout un monde de marchan- dises qui trouveraient, dans notre grand port du Nord, des avantages d'atterrissement, de déchargement, d'écoulement et de communications incomparables. En considération du passé glorieux de cette ville et des désastres en- durés par elle pendant le siècle dernier, la France a le devoir d'en faire un des premiers ports de France, le rival d'Anvers qui, ne le perdons pas de vue, a largement empiété sur le territoire naturel du port de Dun- kerque et fait de plus en plus le commerce de notre pays ; car Anvers n'est pas seulement le port de la Belgique, de l'Allemagne, de la Suisse, il est aussi celui de nos provinces de l'Est et de notre département du Nord, ce Lancashire français. Si le fret est plus facile à Anvers qu'à Dun- kerque, c'est que Lille, Roubaix, Tourcoing, etc., etc., vont y chercher les intermédiaires pour l'exportation de leurs produits ; mais que le cou- rant commercial rentre dans son lit naturel, et le fret reviendra aussi- tôt à Dunkerque. Il y a là une véritable question d'intérêt national, car c'est une cause essentiellement française que de nous efforcer d'empêcher les ports étran- gers de profiter de notre situation commerciale, qui, constatons-le avec bonheur, grandit chaque jour. Le port de Dunkerque, dont le mouvement s'accuse déjà dans des pro- portions ascendantes considérables, deviendra, dans un temps peu éloi- 940 GÉOGRAPHIE gné, si les pouvoirs publics l'y aident par des sacrifices suffisants et féconds permettant de donner une impulsion vigoureuse aux travaux qui restent à exécuter, un des agents les plus actifs de notre prospérité natio- nale; mais, pour lutter avantageusement avec Anvers, pour reprendre le trafic intérieur qui appartient à la France et reconquérir une bonne partie du transit que le port belge nous a ravi, il est indispensable qu'on abaisse résolument les tarifs de chemins de fer et qu'on atténue, dans la plus large mesure possible, les frais de port. Sachons donc préparer l'avenir maritime du port de Dunkerque en rompant avec les vieilles habitudes, en répudiant ce que la routine a consacré, et en leur opposant les voies efficaces de la volonté, de la science et du désintéressement : tels sont l'espoir et l'ambition légitimes de tous les Français qui ne prennent conseil que de leur patriotisme. Lorsque tous les travaux en cours d'exécution seront terminés, et si les mesures économiques reconnues indispensables sont prises, Dunkerque verra certainement sa population s'accroître et deviendra une grande ville comme elle est déjà un grand port; bientôt, celui-ci passera au second rang des ports français et sera, au Nord, ce que Marseille est au Midi; le grand entrepôt, la principale place maritime de la France. C'est ainsi que notre chère patrie se développe et se relève par le travaii de ses enfants. M. C. DELAYAUD Ancien Président de la Société de Géographie de Rochefort, à Pari UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE MORTE — Séance du 20 septembre 1892 — Les villes mortes reçoivent aujourd'hui si souvent des visiteurs, savants ou lettrés, que l'on ne peut guère y glaner des faits encore inaperçus, y ressentir des impressions nouvelles. Leur étude offre l'avantage sur celle des villes vivantes, considérées aux mêmes époques, qu'elles n'ont pas été transformées, modernisées, et rendues méconnaissables, comme C. DELAVAUU. — UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE MORTE 9il ces dernières. L'abandon les protège contre l'homme, sinon contre la destruction par les éléments et par la végétation. Ces réflexions générales peuvent s'appliquer à la ville de Brouage. Celle-ci présente cette particu- larité qu'elle n'est pas fort ancienne, et que, morte déjà depuis assez longtemps, elle a été, pour ainsi dire, éphémère : bien différente de ces villes du golfe du Lion dont l'origine se perd dans la nuit des temps, et sur l'emplacement desquelles, parfois, d'autres cités ont été bâties, mortes à leur tour. Il serait intéressant de dresser une liste des villes mortes selon les genres de mort auxquels elles ont succombé : soit des- truction plus ou moins brusque par la mer, les volcans, les tremblements de terre, les dunes, la guerre; soit abandon, en raison de l'insalubrité, du changement des courants commerciaux ou des intérêts défensifs du pays. La contrée où se trouve Brouage est des plus remarquables au point de vue des modifications qu'elle a éprouvées même dans les temps histo- riques. Sur ce littoral de l'Aunis et de la Saintonge, des vihes se sont effondrées dans les flots (Monmeillan, Chàtel-Aillon), d'autres ont été en- terrées sous les sables (Anchoine, l'ancien Saint-Trojan) ; un grand nombre ont eu leurs ports envasés et atterris : tel est Brouage. D'ailleurs, la main de l'homme a contribué à ce dernier résultat. Voici, pour Brouage, en quelque sorte les phases de la maladie. Durant les guerres de religion, obstruction du chenal par des navires coulés ; puis, par suite de la concurrence des sels de Bretagne, cessation de l'exploitation d'une grande partie des salines et de l'entretien des ca- naux, d'où insalubrité et détérioration du port. Selon la classification do M. Lenthéric, la période marine, ou salubre (en y comprenant les ma- rais salants), a fait place à la période paludéenne ou insalubre (marais gâts), et, actuellement, on entre dans une troisième période, salubre, dite agricole. Mais, en admettant que, grâce à l'agriculture, la salubrité et la richesse reviennent au pays, Brouage, comme centre d'agglomération, n'a plus de raison d'être et ne recouvrera pas sa prospérité passagère; c'est une ville qui est bien morte. Au centre de ses remparts (monument historique) qui restent debout, elle est vouée à la végétation, qui accom- plit son œuvre. Brouage est situé aux deux tiers de la distance de Rochefort à Marennes, en ligne droite, à U kilomètres et demi de la première ville et à 6'', 8 de la seconde, La route, qui fait peu de circuits (19.763 mètres au total), passe successivement par Soubise, Moëze, Brouage et Hiers. Brouage com- munique par canaux avec la Charente (17'',240) et la Seudre, avec la mer (2'',700j et les marais. Cette ville a perdu jusqu'à sa qualité dechef-heu de commune. Les com- munes de Brouage et de Hiers, village distant, sur la route, de 2 kilo- 944 ■ GÉOGRAPHIE en plus lent, grâce à l'oscillation séculaire descendante. Ce léger abaisse- ment, en effet, submergeant la digue naturelle qui protégeait le golfe contre l'invasion des limons sortis de la Gironde, une dénivellation de quelques centimètres a suffi pour donner passage à la mer qui a trans- formé en une rivière d'eaux salées et vaseuses la région nommée aujour- d'hui les coMreawa; d'Oléron. Ainsi un abaissement de peu d'importance, graduel ou subit, aura suffi à relever de plusieurs mètres le fond d'une baie. Quoi d'étonnant dès lors à ce qu'on ait dit que le niveau du sol s'élevait? (M. Polouy). La main de l'homme, avons-nous dit, concourt à l'exhaussement du sol par les atterrissements de la mer. C'est ce qui a lieu dans l'opération du valangage, alors que, les vannes étant soulevées, le flot entre dans les bas-fonds des anciens marais salants, et y dépose son limon avant de se retirer avec le reflux. 11 faut avoir soin, par le jeu des écluses, que l'eau ne se répande pas par-dessus les digues dans les endroits cultivés, qui deviendraient improductifs pour plusieurs années. Par cet exhaussement, l'océan fournissant son limon là où il avait donné ses matières salines, on obtiendra plus tard un sol pour les prairies. On rejette aussi dans ces parties déclives la vase des fossés. A l'occasion de ces changements de niveau, nous avons entendu émettre par les anciens du bourg de Brouage une opinion qui ne nous paraît pas admissible, à savoir que les remparts se sont affaissés, opinion fondée sur des observations peu précises. Ces remparts, bien qu'ils reposent sur un terrain marécageux (comme les autres édifices de Brouage d'ailleurs) présentent encore leurs longues lignes selon une horizontalité parfaite. Quoique ces préliminaires nous semblent utiles en nous préparant à bien voir la ville étrange de Brouage, il est temps d'aller la visiter et de la décrire. Le trajet pourrait se faire à pied, à partir de Marennes, sta- tion principale de l'embranchement du Chapus. Il va sans dire qu'il est plus commode de louer une voiture (prix modique) lorsqu'on ne dispose que d'un temps limité. La route est belle et bien entretenue. Ce sont d'abord, à droite et à gauche, des prés, des vignes, des bois de chênes. Puis on entre dans le marais. Quelques fossés dégagent bien des exha- laisons fétides, mais ils sont en petit nombre. On aperçoit des monticules coniques blancs et brillants de sel, encore à découvert ( 1"' septembre) ; la récolte a été faite il y a quelques jours ; d'autres sont couverts de paillassons pour les mettre à l'abri des pluies d'automne. On ne peut résister au désir de visiter, en passant, une de ces salines : c'était près du chenal de Mérignac, qui était en ce moment presque à sec, et dont les bords, de même que ceux du marais salant, sont recouverts d'une végé- tation grasse et verte de salsolées. On ajoute ici à un bouquet, déjà cueilli dans un champ, et consistant en de belles fleurs roses de la gesse C. DELAVAUD. — • UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE MORTE 945 à larges feuilles (LatJu/rus latifolius), de nombreux corymbes du Statice Limoniuiu, aux petites fleurs violettes scarieuses. On monte pour entrer à Hiers, dans la petite île d'Hiero d'autrefois, couverte de forêts au xi** siècle, et que les Normands avaient ravagée en 867. On y voit des bois et des vignes. Son aspect est encore celui d'une île, sa base se détache nettement des marais alluvionnaires qui l'environnent. Il était intéressant de prendre tout d'abord une idée d'ensem ble de Brouage, ce qui est aisé en côtoyant le bord de l'île d'Hiers qui regarde de son côté. On voit bien de là l'ancienne ville, avec ses remparts et ses grands arbres, assise au milieu du marais et à son niveau, en même temps que la vue se reporte au loin sur la grande mer, ses îles et le fort Boyard. Les impressions personnelles sont variables ; en outre, les circonstances, soit que l'on se trouve seul ou avec d'autres personnes, la saison et le temps exercent leur influence. Mais le sentiment général d'étonnement doit être le même toujours, quand on se dit qu'il y a eu là, à nos pieds, dans cette vaste plaine triste et nue, une cité qui fut riche et puissante, et que maintenant «'est son tombeau ! On songe à ceux qui l'ont habitée, aux guerriers illustres qui se sont disputé ce qui n'est plus qu'une ruine, et l'on a la compréhen- sion intense du néant et de la courte durée de l'homme et des générations. De ce lieu d'observation, on pourrait presque en tracer le plan, car ses remparts la limitent rigoureusement, et pas une habitation n'existe •en dehors, il n'y a nul risque qu'elle s'épande en faubourgs dans la •campagne, le mausolée est bien isolé. On a voulu les détruire ces rem- parts, les vendre par l'entremise des Domaines, ou plutôt vendre leurs matériaux. C'était en 1884, et il en était question depuis une vingtaine d'années. Heureusement, on a renoncé à ce projet devant les protestations ^u'il a soulevées. Ils ont été déclarés monument historique, et confiés pour leur conservation, sinon pour les réparations, à la municipalité de la commune. Le plan actuel de Brouage, ville, havre et port (deux planches dont une ici reproduite), se trouve dans la notice de M. Crahay de Fran- chimont {Ports maritimes de France, VI, I880). Les remparts ont un contour hexagonal très ouvert, formant presque un carré de 400 mètres de côté; ils sont flanqués de sept bastions, dont les principaux ont à leur angle saillant de petites tourelles suspendues en encorbellement, polygo- nales et élégantes. Les rues, larges et tirées au cordeau, se coupent à angle droit. 11 en est deux, situées dans la partie médiane, qui sont dirigées parallèlement selon l'axe de la ville du sud 17° ouest au nord 17° est. Les rues transversales, de même longueur, sont au nombre de huit. On compte une vingtaine d'îlettes, y compris l'église et en dehors des magasins ei casernes de l'État. La route départementale de Rochefort k Marennes emprunte l'une des deux rues longitudinales, en passant par des brèches pratiquées dans le rempart à côté des portes nord et sud. 60* 944 ■ GÉOGRAPHIE en plus lent, grâce à l'oscillation séculaire descendante. Ce léger abaisse- ment, en effet, submergeant la digue naturelle qui protégeait le golfe contre l'invasion des limons sortis de la Gironde, une dénivellation de quelques centimètres a suffi pour donner passage à la mer qui a trans- formé en une rivière d'eaux salées et vaseuses la région nommée aujour- d'hui les coureaux d'Oléron. Ainsi un abaissement de peu d'importance, graduel ou subit, aura suffi à relever de plusieurs mètres le fond d'une baie. Quoi d'étonnant dès lors à ce qu'on ait dit que le niveau du sol s'élevait? (M. Polony). La main de l'homme, avons-nous dit, concourt à l'exhaussement du sol par les atterrissements de la mer. C'est ce qui a lieu dans l'opération du valangage, alors que, les vannes étant soulevées, le flot entre dans les bas-fonds des anciens marais salants, et y dépose son limon avant de se retirer avec le reflux. Il faut avoir soin, par le jeu des écluses, que l'eau ne se répande pas par-dessus les digues dans les endroits cultivés, qui deviendraient improductifs pour plusieurs années. Par cet exhaussement, l'océan fournissant son limon là où il avait donné ses matières saUnes, on obtiendra plus tard un sol pour les prairies. On rejette aussi dans ces parties déclives la vase des fossés. A l'occasion de ces changements de niveau, nous avons entendu émettre par les anciens du bourg de Brouage une opinion qui ne nous paraît pas admissible, à savoir que les remparts se sont affaissés, opinion fondée sur des observations peu précises. Ces remparts, bien qu'ils reposent sur un terrain marécageux (comme les autres édifices de Brouage d'ailleurs) présentent encore leurs longues lignes selon une horizontalité parfaite. Quoique ces préliminaires nous semblent utiles en nous préparant à bien voir la ville étrange de Brouage, il est temps d'aller la visiter et de la décrire. Le trajet pourrait se faire à pied, à partir de Marennes, sta- tion principale de l'embranchement du Cliapus. Il va sans dire qu'il est plus commode de louer une voiture (prix modique) lorsqu'on ne dispose que d'un temps limité. La route est belle et bien entretenue. Ce sont d'abord, à droite et à gauche, des prés, des vignes, des bois de chênes. Puis on entre dans le marais. Quelques fossés dégagent bien des exha- laisons fétides, mais ils sont en petit nombre. On aperçoit des monticules coniques blancs et brillants de sel, encore à découvert ( 1*^'' septembre) ; la récolte a été faite il y a quelques jours ; d'autres sont couverts de paillassons pour les mettre à l'abri des pluies d'automne. On ne peut résister au désir de visiter, en passant, une de ces salines : c'était près du chenal de Mérignac, qui était en ce moment presque à sec, et dont les bords, de même que ceux du marais salant, sont recouverts d'une végé- tation grasse et verte de salsolées. On ajoute ici à un bouquet, déjà cueilli dans un champ, et consistant en de belles fleurs roses de la gesse C. DELAVAUD. — ■ UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE MORTE 945 à larges feuilles (Lathyrus latifolius), de nombreux corymbes du Statice Limonium, aux petites fleurs violettes scarieuses. On monte pour entrer à Hiers, dans la petite île d'Hiero d'autrefois, couverte de forêts au xi^ siècle, et que les Normands avaient ravagée en 867. On y voit des bois et des vignes. Son aspect est encore celui d'une île, sa base se détache nettement des marais alluvionnaires qui l'environnent. Il était intéressant de prendre tout d'abord une idée d'ensem ble de Brouage, ce qui est aisé en côtoyant le bord de l'île d'Hiers qui regarde de son côté. On voit bien de là l'ancienne ville, avec ses remparts et ses grands arbres, assise au milieu du marais et à son niveau, en môme temps que la vue se reporte au loin sur la grande mer, ses îles et le fort Boyard. Les impressions personnelles sont variables ; en outre, les circonstances, soit que l'on se trouve seul ou avec d'autres personnes, la saison et le temps exercent leur influence. Mais le sentiment général d'étonnement doit être le même toujours, quand on se dit qu'il y a eu là, à nos pieds, dans cette vaste plaine triste et nue, une cité qui fut riche et puissante, et que maintenant «'est son tombeau ! On songe à ceux qui l'ont habitée, aux guerriers illustres qui se sont disputé ce qui n'est plus qu'une ruine, et l'on a la compréhen- sion intense du néant et de la courte durée de l'homme et des générations. De ce lieu d'observation, on pourrait presque en tracer le plan, car ses remparts la limitent rigoureusement, et pas une habitation n'existe •en dehors, il n'y a nul risque qu'elle s'épande en faubourgs dans la ■campagne, le mausolée est bien isolé. On a voulu les détruire ces rem- parts, les vendre par l'entremise des Domaines, ou plutôt vendre leurs ■matériaux. C'était en 1884, et il en était question depuis une vingtaine d'années. Heureusement, on a renoncé à ce projet devant les protestations ^u'il a soulevées. Ils ont été déclarés monument historique, et confiés pour leur conservation, sinon pour les réparations, à la municipalité de la commune. Le plan actuel de Brouage, ville, havre et port (deux planches dont une ici reproduite), se trouve dans la notice de M. Crahay de Fran- chimont {Ports maritimes de France, VI, I880). Les remparts ont un ■contour hexagonal très ouvert, formant presque un carré de 400 mètres de côté; ils sont flanqués de sept bastions, dont les principaux ont à leur angle saillant de petites tourelles suspendues en encorbellement, polygo- nales et élégantes. Les rues, larges et tirées au cordeau, se coupent à angle •droit. Il en est deux, situées dans la partie médiane, qui sont dirigées parallèlement selon l'axe de la ville du sud 17° ouest au nord 17° est. Les rues transversales, de même longueur, sont au nombre de huit. On compte aine vingtaine d'îlettes, y compris l'église et en dehors des magasins ei casernes de l'État. La route départementale de Rochefort à Marennes • emprunte l'une des deux rues longitudinales, en passant par des brèches pratiquées dans le rempart à côté des portes nord et sud. GO* 946 GÉOGRAPHIE C'est dans le havre de Brouage, au nord de la ville, que se trouve compris le port. Ce havre, à mi-distance des embouchures de la Charente et de la Seudre, coule, à partir de l'écluse de Beaugeay, de l'est à l'ouest un peu nord. Son cours, à peine sinueux, comprend, de cette écluse au pont, sur lequel passe la route, 3.440 mètres, avec une profondeur moyenne de 3™, 40 en vives eaux, et porte des navires de 60 tonneaux ; en aval du pont jusqu'à la mer, son parcours est de 2.700 mètres, sa profondeur moyenne de 3"',9o près de Brouage et de 5°^,!^ à son embou- chure; les navires qu'il porte peuvent jauger 230 tonneaux; dans le platin submersible, sa longueur est de 5.000 mètres et il y a vingt balises sur sa rive droite. Ce havre reçoit plusieurs chenaux qui, depuis longtemps, sont y/ifajtggr^Jb" impropres à la navigation; le plus important est celui de Grand-Garçon, abandonné vers 1875. A l'écluse de Beaugeay se trouvent deux branches divergentes est et sud-est, se reliant avec le canal de la Charente à la Seudre, dont la portion nord-est porte aussi les noms de canal de Brouage ou de Saint-Agnant; la branche sud-est se continue dans cette direction avec le canal de Broue, parallèlement au vieux havre, bras de mer atterri, de Brouage. Le port actuel proprement dit ne date que de 1842 ; il occupe un peu plus que la largeur de la ville, vis-à-vis le côté nord, à une dis- tance d'environ 150 mètres, avec chaussée empierrée, embarcadère sur la rive gauche, appontement, terre-plein et passerelles nombreuses sur les divers chenaux. C'est à ce port très médiocre que s'est réduit celui qui, au xvi^ siècle, était un des plus célèbres de l'Europe. Mais alors le havre était large et C. DELAVAUD. — UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE MORTE 947 profond et les salines étaient nombreuses et prospères. Celles-ci, qui sont mentionnées dès le vii^ siècle, se développèrent durant près de dix siècles encore avant d'entrer dans une période de décadence. Dès les viii« et ix« siè- cles, il se faisait une immense exportation de sel des marais de Brouage. Telle était, dès le xii« siècle, la quantité de bâtiments étrangers que le commerce des sels attirait en ce point, que l'ancien historien de Rochefort, le P. Théodore, attribue la fondation de la ville de Brouage à l'affer- missement de cette portion du marais, par suite de leurs délestages. Dans le xv% Charles Le Bouvier, héraut de Charles VU, parle de ce commerce comme enrichissant moult fort le pays ; selon une lettre de L. de la Tré- moille à Charles VIII, il apparut, en 1488, aux Sables -d'Olonne, jus- qu'à 80 à 100 navires qui allaient chercher des sels à Brouage et île de Bé. Dès 1493, ce roi forma le projet d'entretenir quelques vaisseaux dans le havre de Brouage, projet utile pour la protection de la côte depuis la Bretagne jusqu'à l'Adour, mais qui échoua par les remontrances des Rochelais, pour des raisons commerciales. Brouage tire son nom (chemin de Broue, d'après Lesson) du voisinage de Broue, où se rendait l'ancien havre permettant des communications faciles entre ces deux localités. Quant au nom de Broue, il serait cel- tique, signifiant bom. Il est fait mention, dès 1047, de Broue « comme forteresse du gouvernement de l'île de Marennes et Hiers ». La tradition assure que c'était une ancienne ville et que ce sont les Anglais qui, iors de leur domination dans la Saintonge, ont ajouté la tour au château ([ui existait déjà. Brouage, à son origine, n'était sans doute qu'un hameau (ju une ferme sur le bord du chenal où remontaient les bâtiments de la ineret bien au delà. Le commerce attira dans ce lieu un certain nombre d'habitants. Le terrain appartenant aux comtes de Marennes de la mai- son "de Pons, un des membres de cette famille, Jacques de Pons, baron de Mirambeau, voulut agrandir le village, l'assujettir à un plan régulier, et donna à ce qui fut plutôt une notable impulsion qu'une véritable fondation une date précise (1550 à 1535) et un nouveau nom, celui de Jacopolis, qui ne prévalut pas sur l'ancien. INous venons de parler de l'affermissement du sol marécageux en cet endroit par les délestages. En effet, ces dépôts sont importants et composés de cailloux et pierres d'es- pèces aussi variées qu'étrangères à ce pays (Le Terme). La population s'accrut rapidement, le port fut très fréquenté pendant les xvi^ et xvii« siècles par les marins qui y venaient charger le sel : on y entend parler toutes les langues, écrivait Nicolas Alain en 1593, et ces langues étaient fami- lières aux habitants; on y faisait des armements pour le Brésil et le Canada. C'est, disait La Popelinière dès 1572, le port le plus assuré et le plus commode qui soit en Europe. Montluc, Belleforét en parlent dans le même sens. 948 GÉOGRAPHIE A sa prospérité commerciale, Brouage ajouta, ou plutôt fit succéder une importance militaire considérable. Malheureusement, il s'agit ici des guerres civiles de religion. Sous le règne de Charles IX, on résolut de fortifier Brouage et de le mettre hors d'insulte. Plusieurs ingénieurs italiens présidèrent aux travaux. On traça la ville et on l'entoura d'un grand fossé formant un carré long, puis on éleva des remparts, qui dans la suite furent augmentés de quatre bastions ; une partie des ouvrages fut construit de pierres dures. Puy taillé en ayant reçu le gouvernement, ne put conserver la place, qui fut prise peu après par les calvinistes que commandait le duc de La Rochefoucauld (lo70). Cette môme année, elle passa successivement aux catholiques, Puy taillé et Ant. de Pons l'ayant reprise, puis aux protestants sous les ordres de Pontivy, à qui Jeanne d'Albret avait confié le commandement. Le gouverneur Coconas, succes- seur de Puytaillé, qui était mort, fut obligé de capituler. Mais, en 1577, Mayenne, général de la Ligue, s'en empara et y laissa une forte garnison. Henri III, en 1578, l'acquit de François de Pons, à qui il donna en échange Mortagne ; sa possession fut d'autant plus utile à la couronne qu'il y avait dans la région un grand nombre de protestants. En 158o, le prince de Condé, avec l'aide de d'Aubigné, vint faire le siège de Brouage, qui sut résister, grâce à l'énergie de son gouverneur, François d'Espinay-Saint- Luc, dit le bî^ave Saint-Luc. Mais celui-ci ne put empêcher, en 1586, les Rochelais de combler le port, en coulant vingt bâtiments chargés de pierres à l'entrée du havre, par l'ordre de Condé. En 1587, un siège d'amirauté et un siège royal y furent établis. En 1597, nouvelle attaque contre sa prospérité de la part des protestants, dont l'assemblée réunie à la Rochelle demanda, mais en vain, le démantèlement de la ville de Brouage. Sous les règnes d'Henri IV et de Louis XIII et sous le gouvernement de Mazarin, ce fut encore un de nos ports de commerce principaux, et l'on y fit la plupart des armements pour le Canada. En 16!2l, la guerre civile ayant recommencé, les Rochelais voulurent renouveler leur tentative de com- blement du chenal, qui était en partie désobstrué, mais cette fois ils n'y purent réussir, le gouverneur, Timoléon Saint-Luc, fils de François, ayant pris ses mesures pour les repousser. Après la prise de la Rochelle, Richelieu se fit nommer gouverneur de Brouage (1629), et fit élever par l'ingénieur d'Argencourt (1630-1640) les remparts de l'enceinte actuelle, sur lesquels on voit encore ses armes sculptées. D'ailleurs, le système de la fortification ne fut complété que quelques années plus tard, pendant les troubles de la Fronde, par le comte du Daugnion. Celui-ci, vice-ami- ral du Ponant et gouverneur de Brouage, révolté contre l'autorité royale, en fit le centre de ses opérations militaires et de ses expéditions mari- times (1649-1653). En 1652, eut lieu un combat naval en face de Brouage, où la flotte française l'emporta sur la flotte espagnole. Du Daugnion se ren- C. DELAVAUD. — UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE MORTE 949 dit assez redoutable pour que Mazarin achetât sa soumission d'une grosse somme d'argent et du bâton de maréchal, en même temps qu'il prenait pour lui-même le gouvernement de Brouage. Il y installa comme intendant de la marine Colbert du Terron (IGoo). En 1638, il exila en Aunis sa nièce Marie Mancini, qui choisit le séjour de Brouage, forteresse triste et soli- taire, dit-elle, mais conforme à sa tristesse. Colbert pensa d'abord à Brouage quand il voulut établir dans la région un grand port militaire ; la crainte de l'envasement du chenal l'en dé- tourna ; on sait que Rochefort ne fut choisi définitivement qu'après maints autres projets (I660). On cura.inutilement, en 1687, 171o et 1716, le port de Brouage ; le chenal se combla de plus en plus par les atter- rissements, d'autant que l'on cessa d'entretenir les chenaux secondaires à mesure que la concurrence des autres marais salants de France devenait plus grande. La décadence de la saline avait commencé dès les guerres civiles du xvi*' siècle, qui troublaient les transactions commerciales. Déjà l'insalubrité se fît sentir, et la dépopulation devint marquée. On y fit encore cependant quelques armements dans le cours du xvii*^ siècle et on y laissa un gouverneur particulier, bien qu'on eût rasé en 1688 tous les dehors de la place. Les protestants de Brouage se convertirent après une longue résistance lors de la révocation de l'édit de Nantes. En 1702, le siège d'amirauté et le bureau des fermes furent transférés à Marennes. La décadence de Brouage fut surtout rapide durant ce xviii^ siècle, la ville se dépeuplait, par suite de l'atterrissement et des circonstances poli- tiques, rendant son port moins propre au commerce et moins utile pour les opérations militaires. En même temps, le pays devenait insalubre par les miasmes des marais salants abandonnés, et la fièvre faisait mou- rir et chassait ses habitants. En 1793, on emprisonna dans Broruage plu- sieurs centaines de victimes de la Révolution, suspects et prêtres non assermentés, qui, pour la plupart, y succombèrent. Des tentatives de dessèchement eurent lieu dès 1635, mais surtout en 1782, sous l'intendant de Reverseaux, époque à laquelle fut commencé le canal de Brouage, artère centrale de dérivation. Elles furent continuées à partir de I8O0, sous l'Empire et la Restauration, par l'ingénieur Masquelez. Le sous-préfet de Marennes, Le Terme, fit paraître, en 1818, d'utiles règlements et provoqua des syndicats. Le pays s'est grandement assaini. JNéanmoins la population n'augmente pas, peut être y a-t-il lieu de se féliciter qu'au moins elle soit stationnaire. Son ancienne industrie a disparu à peu près : les 8.000 hectares de marais salants qui existaient au xvi^ siècle sont réduits à oOO à peine. Une industrie, d'ailleurs peu éten- due ici, c'est la culture des moules sur les pieux des bouchots, dans les chenaux, dont ils gênent la navigation, mais que l'on tolère, et qui repré- sentent, pour une récolte annuelle de 1.27o.000 kilogrammes, un revenu 9S0 GÉOGRAPHIE de 115.000 francs. On cultive aussi les huîtres portugaises. Il y a une vingtaine de marins inscrits. Le mouvement commercial du port est presque nul. C'est ainsi que le nombre de tonnes de jauge a été, en 1867, de 4.800 pour l'entrée et de 4.860 pour la sortie, et, en 1876, de 4.062 pour l'entrée, de 4. 293 pour la sortie. — Sans doute, on se livre à l'élève des chevaux et des bœufs dans les prairies, mais les propriétaires ne résident point à Brouage, ils se contentent d'envoyer dans le marais des gardiens de bestiaux, et l'endroit n'en tire guère de protit, la population n'en est point accrue. Le lait, le beurre y sont de très bonne qualité; il n'y a pas d'établissement de beurrerie. Une visite de quelques heures dans une localité, quelque peu étendue qu'elle soit, ne peut que laisser des regrets d'avoir omis beaucoup de points intéressants et nous engager à ouvrir un chapitre des desiderata. Toutefois nous avons eu la bonne fortune d'être accompagné dans Brouage par un homme érudit d'une obligeance parfaite, M. Antoine (Clément), instituteur et secrétaire de la mairie de Hiers, habitant le pays depuis dix-sept ans. Nous voici bientôt dans cette ville déserte, où nous entrons par une brèche, près de la porte sud, le tout offrant l'aspect de ruines, les pierres du rempart entaillé ont été rejetées et sont amoncelées sans ordre. A droite, une petite place herbeuse avec des arbres, à gauche, des magasins, une poudrière, dite de Saint-Luc, qui vont disparaître, ayant été vendus. On suit la rue principale, l'unique rue habitée, c'est la route, peu fréquentée depuis l'ouverture de la ligne du Chapus et la suppression de la poudrière; nous y avons vu passer une charrette et... une bicyclette! C'était la seule route (il y a toujours un service de voitures) que l'on suivait auparavant pour les relations de l'île d'Oléron avec Rochefort. Les poudres de guerre des magasins de Brouage ne se transportaient que par cette communication, lorsqu'elles étaient destinées pour le nord de la France ; elle servait aussi au transport d'une partie des sels récoltés dans les vastes salines de l'arrondissement de Marennes. Les maisons qui bordent cette rue n'offrent rien de particulier dans leur architecture : il ne faut pas oublier que cette ville morte est une ville moderne. Elles sont peu élf^vées et à un seul étage. A notre droite, voici l'église; elle est dédiée à saint Pierre et dans le style du xvi^ siècle, elle n'a rien de remarquable ; au-dessus du portail, un fronton brisé et orné de trois écussons, en des- sous duquel on lit le millésime de 1608. Elle est assez spacieuse et pauvre, non entretenue, délabrée, les fidèles y sont rares, une population dix fois plus nombreuse y serait à l'aise. Dans des fouilles faites à cette église en 183o, on a trouvé plusieurs tombeaux assez curieux, et qui sont bien conservés. Les dalles se trouvent disposées sur le pavé et dans l'allée principale, ainsi que sur les côtés. Nous pouvons lire l'inscription du tombeau du marquis de Carnavalet, gouverneur des villes et pays de C. DELAVAIT». — UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE MORTE 951 Brouage, l'espace de dix-huit ans, et qui y est mort le 10 septembre 1686, âgé de soixante-cinq ans. Ces tombes sont toutes vertes de moisissure, et il faudrait les frotter longtemps avec précaution pour lire ce qui s'y trouve. C'est ce qui a lieu pour un deuxième tombeau dont nous n'avons pu déchiffrer l'épitaplie, fort curieuse :« Ci-gît Joseph de Gay..., ancien lieutenant-colonel du régiment de Noailles-infanterie, lieutenant... de la ville et gouvernement de Brouage, a servi le roy... pendant près de quatre-vingts ans et est mort le 17 septembre 1762, âgé de environ cent ans... » Il en est un troisième. Nous renvoyons pour ces détails, entre autres ouvrages, à la statistique de la Charente-Inférieure, par Gautier (1839). On avait découvert aussi, dans les combles, un autel des marins et un autre de la Vierge, où sont déposés quelques restes d'ex-voto des marins. Le clocher et l'horloge, d'après Le Terme, avaient été réparés vers 1823. En sortant, nous remarquons, au-dessus et à l'intérieur du portail, un beau bouquet de fleurs artificielles encore frais : c'est une couronne que les membres du congrès de géographie à Rochefort ont déposée, en 1891, sur le monument de Champlain. Il est placé devant l'église, et consiste modestement en une petite colonne élevée en 1878 par le conseil général du département à la mémoire du fondateur de Québec {1608). On y a ajouté : Relation de voyage, 1632; mort en 1635. Ce monument moderne est surmonté d'une sphère, bien préférable ici à un buste fantaisiste, car on ignore même la date précise de la naissance de Samuel Champlain, vers 1570, et l'on a mis en doute son lieu de nais- sance. En tout cas, où était et qu'est devenue la maison qu'il a habitée à Brouage ? Une douzaine d'enfants jouaient sur une petite place plantée d'arbres devant l'église. Ils paraissent bien portants. Jadis les enfants avaient le foie hypertrophié, le ventre proéminent, le lourtâ ; il n'en est plus de même aujourd'hui, l'état sanitaire s'est bien amélioré depuis une tren- taine d'années, comme me l'a assuré mon ami et ancien collègue de la marine, le docteur Battandier, de Marennes. Telle est aussi l'opinion de M. Antoine et des personnes avec qui nous nous sommes entretenus à Brouage, notamment un pêcheur d'une cinquantaine d'années, au teint vigoureux, à la barbe bien fournie. L'aubergiste chez qui nous nous sommes reposés ('non loin de l'auberge est un débit de tabac) nous a dit qu'il existait dans l'endroit une femme de quatre-vingt-huit ans, et plus de vingt vieillards ayant dépassé soixante-dix ans et dont la plupart y sont nés. Je ne possède pas encore les chiffres de la statistique relativement à la natalité et à la mortalité, et que j'ai demandés à la mairie d'Hiers. De 1817 à 1832, la population moyenne des seize années étant 68o, le rapport des décès avec la population était 1 sur 17, et celui des naissances 1 sur 20, les décès dans la première année sur 100 naissances, 41. Le 952 GÉOGRAPHIE canton tout entier de Saint-Agnant présentait un contraste frappant avec celui de la Tremblade où la mortalité était moitié moindre. Remarquons que les miasmes se localisent et qu'il faut, en outre, établir une distinc- tion entre Brouage et Hiers. Ayant demandé dans cette dernière localité à un habitant s'il avait la fièvre, il me fît une réponse positive, contre mon- attente; lui et sa femme en étaient atteints, cependant leur fille parais- sait forte et jouissant de belles couleurs et elle était plus développée que- son âge, quatorze ans, ne le comportait. Ces gens, à vrai dire, habitaient sur la lisière du marais. On prétend ici qu'il n'y a jamais d'épidémies, et l'on a en vue le choléra. Peut-être ne doit-on pas trop se lier à cet anta- gonisme des fièvres palustres. A une certaine époque, le marais de Niort a été ravagé par l'épidémie cholérique. En 1652, une grande épidémie dévasta toute la contrée, notamment Niort et Brouage. A côté de l'église se trouve une fontaine, ou plutôt une pompe, installée récemment; ce n'est qu'un puits comme les autres, dont l'eau, dit-on, est meilleure, c'est-à-dire moins mauvaise. L'eau de Brouage, en effet, a une saveur fade que savent discerner les personnes qui ne boivent que de l'eau. Elle provient d'une profondeur de trois mètres seulement, des alluvions, non des roches. J'en ai remis un échantillon à M. Lapey- rêre, pharmacien principal et professeur à l'hôpital de Rochefort, qui n'a pu encore faire qu'un premier essai, vu la quantité insuffisante pour une analyse complète. Le degré hydrotimétrique a été 44", il y a des car- bonates et sulfates de chaux et de magnésie; on a trouvé, pour un litre, 0,347 de chlorure de sodium et 0,03 de matières organiques. Ce serait une eau à peine potable. Pour celle du grès vert de Hiers, le même chi- miste a trouvé un degré hydrotimétrique moindre, mais fort élevé encore, 38°. Ces analyses seront reprises dans de meilleures conditions, notamment au point de vue de la nature des matières organiques, des microbes. Jadis, les eaux d'Hiers étaient amenées à ia forteresse, aisément d'ailleurs en raison de la différence de niveau, par des aqueducs, qui furent enlevés du temps de l'Empire. « Les dalles mêmes, disait Le Terme, en 1826, qui servaient à recevoir et à diriger les eaux pluviales dans les citernes ont eu le même sort, de sorte que, dans l'été, cette localité est absolu- ment privée d'eau potable. » A l'extrémité de la rue, où ne se trouve, sauf le bureau de tabac, aucune boutique de marchand, est pratiquée une seconde brèche dans le rempart, à gauche de la porte nord, pour donner passage à la route. Nous y passons, afin de visiter la partie extérieure des remparts. Des crampons de fer destinés à relier les pierres de taille dont ils sont bâtis ont causé leur ruine par leur oxydation, concurremment avec le sal- pêtre; des éclats s'en détachent, que nous recueillons. Ces pierres pro- viennent, ainsi que la plupart de celles qui ont servi à bâtir la ville, des C, DELAVAUD. — UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE MORTE 953 anciennes carrières de Sainl-Sornin, terrain crétacé, étage cénomanien. Les remparts, hauts de quarante pieds, sont vraiment imposants, remar- quables par leur épaisseur et leur solidité. On y voit les armes de Riche- lieu, que traverse une ancre de marine. En divers points, ils tombent en ruines. Près du bastion royal se trouve la porte du côté de Rochefort : c'est par les portes que la route passait il y a une trentaine d'années, avant qu'on eût ouvert les tranchées. Celle-ci, dont le fronton, avec écus- son, a de l'élégance, est basse, massive et profonde ; nous ne comptons pas moins de vingt-cinq pas en la traversant pour rentrer de nouveau en ville. J'ai omis de m'inlormer des fameux anneaux auxquels on amarrait les navires, preuve, a-t-on dit, que la mer venait battre ces murailles. La mer s'était déjà retirée à l'époque de leur construction, comme pour les anneaux d'Aigues-Mortes . C'est le chenal, ce sont les fossés qui se sont comblés en partie. La rue qui longe les remparts à l'ouest de la porte s'appelait la rue des Orfèvres ; elle n'avait de maisons que d'un seul côté ; il n'en reste plus que la partie inférieure des murs de façade, servant de clôture à des jardins. Ces murs montrent des portes larges et cintrées bouchées par des pierres sèches. Nous entrons dans le jardin du- commandant de place, près des ruines de l'ancien gouvernement, et qui a été vendu à un particulier. Au fond se voit l'ouverture bouchée d'une excavation oii les prêtres emprisonnés en l'OS disaient clandesti- nement la messe; ils avaient orné leur chapelle de coquillages : nous recueillons tout auprès une de ces reliques . 954 GÉOGRAPHIE ' Les remparts, sur lesquels nous gravissons, sont plantés d'ormeaux séculaires. Du côté où nous sommes, exposé en plein aux vents de la mer, ils sont penchés, la cime et le tronc, dans le sens opposé. Jl n'en est pas de même pour ceux qui, situés ailleurs, sont plus ou moins abrités. En voyant ces beaux arbres, on songe que c'est dans les plan- tations que doit être l'avenir de ce pays. Le Terme insistait avec raison sur les plantations d'arbres. Un marais boisé a acquis à la fois salubrité et prospérité. Cependant, du haut de ces remparts, nous n'apercevons qu'une plaine nue aussi loin que la vue peut s'étendre, et, en atten- dant, cette même végétation exerce, en disjoignant leurs pierres cimen- tées, une action destructive. Des souches énormes les pénètrent ; la com- mune, qui n'a pas les moyens de réparer ce monument historique dont elle a la garde, se contente d'en faire couper les branches pour ses pauvres. Après avoir examiné à l'intérieur les élégantes tourelles des bastions et jeté un coup d'œil sur les canaux et sur le havre, nous visitons un grand égout, qui déversait en dehors les eaux des déjections de la ville; il a cinq mètres de large. La rue transversale où nous descendons ensuite est à peu près inha- bitée, et les anciennes maisons, sauf leur mur antérieur, sont remplacées par des jardins potagers et fruitiers, qui ne paraissent pas bien régu- liers, et par des enclos mal fermés où paissent des moutons. L'herbe croît sans obstacle, avec des mauves, des chardons, de l'absinthe. Au dessus d'une ancienne porte, cintrée et en pierres de taille, nous lisons en lettres gravées : « A la croix de Malte. Ici, bon vin. » 11 existe de semblables inscriptions au-dessus d'autres portes, mais le plus souvent illisibles. En suivant cette rue transversale, nous allons voir les poudrières, situées en face, tout en côtoyant des enclos abandonnés aux arbustes qui les ont envahis. Les Domaines ont vendu ces poudrières, de même que celle de Saint-Luc, déjà mentionnée, à l'angle sud-ouest, et aussi les ruines du couvent des Récollets de Brouage, qui date de 1(311, le bastion ouest, la maison du commandant et sept parcelles de terre, aux enchères publiques, en janvier 1890. Les prix ont été nécessairement très modiques. Quel particulier aurait le courage de venir chercher ici un séjour d'agrément, même en l'embellissant ! Cette pensée seule donne le frisson. Il y a pourtant de belles bâtisses et de vastes enceintes, entourées de murs solides, toutes les constructions en pierres de taille. La petite poudrière, surmontée de deux paratonnerres et à côté un corps de garde, ont été achetés, avec un jardin, pour la somme de 300 francs. On a payé envi- ron 7.000 francs la grande poudrière, immense bâtiment dans une double enceinte, protégé par quatre paratonnerres. Ces locaux sont remar- quables par leur état de sécheresse, permettant une bonne conservation C. DELAVAID. — UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE iMOUTE 955 de la poudre. Il y a une vingtaine d'années, il s'en trouvait encore une grande quantité ainsi que de cartouches. C'est par suite de la suppres- sion de la poudrière de Saint- Jean-d'Angély que ce bâtiment est devenu un dépôt de poudres, c'était auparavant un magasin aux vivres. Il pou- vait contenir plus d'un million de kilogrammes de poudre. Son absence d'humidité, dans un terrain aussi marécageux, ne peut être attribuée qu'aux dépôts de délestage sur lesquels la ville est bâtie. A côté, nous entrons dans une casemate, remarquable aussi par sa solidité, et nous visitons aussi quelques poternes. Toutes ces fortifica- tions sont vraiment formidables pour l'époque. Nous quittons la nécropole où dort à l'aise le pauvre village. De retour à Hiers, nous avons remarqué, sur la façade d'une maison, un bas-relief sculpté représentant sur une mer agitée un trois-mâts toutes voiles dé- ployées. A gauche et plus haut, du côté de la proue, un bras et une main tenant un drapeau, vers lequel vogue le navire, et au-dessous les initiales H B et I G. Sans doute un fait moderne, soit un ex-voto, soit mieux une action héroïque, ou simplement un emblème. M. Antoine nous montra, à la mairie, le registre (de Brouage) conte- nant l'acte de baptême où furent parrain et marraine Charles Colbert du Terron et Marie Mancini. La signature « Marie de Mancini » est formée d'une écriture longue et droite, très lisible. Elle avait alors vingt ans. Nous avons vu aussi la maison qu'elle habita, dit-on, dans ce bourg, maison fort ordinaire, qui ne se distingue que par deux longues gar- gouilles hexagones à chaque angle et, au-dessus de la porte cintrée, par une sculpture en relief représentant les armes de la dame : un canon sur son affût, au-dessus deux MM (une devise !), au-dessous le millésime de sa naissance, 1639. La nouvelle église d'Hiers ne date que de 1862. L'avenir de Brouage, sans rivières ni ruisseaux, est nul, du moment que la mer lui fait défaut. Quant à l'avenir du pays brouageais, il est certain, et se trouvera dans le boisement et dans l'agriculture ; seule- ment il est lointain, à moins que la main de l'homme ne le rapproche. 956 GÉOGRAPHIE M. L. DEAPEYEOI Directeur de la Revue de Géographie, Secrétaire gi^néral de la Société de Topographie de France, à Paris. CALCUL CHRONOLOGIQUE ET GEOGRAPHIQUE DES PERIODES DE L'HISTOIRE DE RUSSIE (862-1892) — Séanrc du 20 sepleinhre 1892 — Avant 862, c'est-à-dire avant les Yarègues et leur chef Rurik, il ne peut être question de la Russie ni des Russes. Certes, les Slaves, auxquels les Russes se réfèrent, avaient déjà joué un certain rôle dans l'histoire générale de l'Europe barbare. Peut-être faut-il les assimiler à ces Sarmates{l) (parmi lesquels figuraient les Roxolans), dont il est souvent question dans les auteurs contemporains de l'Empire romain. On connaît la chanson militaire du milieu du ni« siècle où apparaît pour la première fois, le nom des Francs, associé à celui des Sarmates : Mille Franros, mille Sarmatas semel occidimiis; Mille, mille, mille Persas pelimus. Ce n'est que cinq cents ans plus tard que les Slaves, demeurés si long- temps les souffre-douleur des Germains et encore plus des Mongols, d'oii l'acception usuelle du mot esclaves, conduits à coups de fouet, par Attila, jusque sous les murs d'Orléans, repoussés avec lui, pour leur plus grand bien, à la journée des Champs Catalauniques, formèrent un État, le premier État slave que l'on connaisse, celui des Wendes, dans les Alpes Carniques, qui eut pour roi, par voie d'élection, le Franc Samo, et dont notre Dagobert ne put triompher, par suite de la débandade préméditée de ses troupes austrasiennes. Presque au même moment, l'empereur byzantin Héraclius appelait, sur la rive droite ou méridionale du Danube, avec mission de la défendre contre les Mongols, deux peuples slaves, aussitôt convertis au christianisme, les Serbes et les Croates ; ils avaient été depuis longtemps (1) Pour nous, les Sarmates étaient des Slaves et les Scythes des Mongols. L. DRAPEYRON. — CALCUL DES PÉRIODES DE l'iIISTÛIKE DE RUSSIE 957 précédés dans le diocèse d'Illyrie par les Slovaques, leurs congénères. Après eux, les Bulgares, population finnoise venue du Volga, comme le témoigne leur nom, franchirent à leur tour, mais en ennemis, le Da- nube. Convertis et civilisés, après de longues luttes, ils sont aujourd'hui, pour la langue, assimilés aux Slaves. Serbes, Bulgares et surtout Slo- vaques, divisés moins par leurs dialectes que par leurs aspirations, con- stituent la grande majorité des habitants de la Macédoine actuelle. La puissance des Serbes et des Bulgares a été parfois grande au moyen âge : les premiers, parmi les Slaves, ils eurent, à l'instar de Byzance, des tsars (Césars) ou empereurs. Il y eut un instant où presque toute la péninsule des Balkans, y compris la Grèce, put être considérée comme slavisée. C'est actuellemeni dans l'eyalet de Salonique, dans cette Macédoine que nous venons de nommer, que peut être tracée la courbe limitative de l'élément ethnographique slave. Les invasions germaniques avaient eu pour conséquence de permettre aux Slaves de s'étendre à l'est jusqu'à l'Elbe et jusqu'à la March. C'est sur les bords de la March que se fixèrent les Moraves, convertis, sous l'action de Constantinople et de l'Athos, par les soins de saint Cyrille et de saint Méthode. Dans la Bohème, demeure tour à tour des Celtes Boiens et des Germains Marcomans, prépondérèrent les Tchèques, et aux abords de la Bohème, les Lusaciens et les Silésiens, autres populations slaves englobées ultérieurement dans les biens de la couronne de saint Wen- ceslas, mais qui ont fini par être germanisées, de même que les Obotrites du Mecklembourg, les Wiltzes de la Poméranie et les Prussiens eux- mêmes. Plus à l'orient, les Leckhes furent la souche des Polonais : ils apparaissent à la lumière historique peu d'années avant les Russes. On remarquera que, parmi tous ces peuples slaves, méthodiquement énumérés, les uns durent leur conversion à Rome et à ses papes, les autres à Constantinople et à ses autocrates. De là l'antithèse caractéris- tique, religieuse et politique, des Russes et des Polonais. - Qu'est-ce donc que les Russes? L'excédent des Slaves désignés nominati- vement plus haut, restés, si j'ose dire, sans emploi et inorganiques, aux avant-postes de l'Europe chrétienne. Ils embrassaient, du sud au nord, une bande très longue et très étroite, enroulée autour du trentième degré de longitude est. On était loin alors, on le voit, de cette immense Russie d'Europe actuelle, qui se prolonge au delà du cinquante-cinquième degré. Ce sont ces Slaves, restés presque à l'état sauvage, qui se trouvèrent à la disposition des Varègues ou conquérants northmans, apparentés aux rois de mer qui allaient se fixer dans notre Normandie, et aspirant eux- mêmes à devenir les rois des grands fleuves de l'Europe orientale. Leur but immédiat était de faire, à travers le vaste continent, si accessible à leurs barques, grâce aux cours d'eau interposés, une percée jusqu'à 9S8 GÉOGRAPHIE Constantinople, tsaregrad. Cette percée, ils l'accomplirent méthodiquement. En 862, ils étaient à Novogorod la Grande sur le Wolkoff (versant de la mer Baltique) ; en 879, ils étaient à Kiev, sur le Dnieper (versant de la mer Noire). La cité de Constantin ne tarda pas à subir leurs attaques répé- tées (depuis l'an 907) ; mais leur princesse Olga y vint bientôt recevoir le baptême. De Rurik à la mort de saint Wladimir, le premier « grand prince » chrétien de Russie (862-1015), il s'est écoulé un siècle et demi. C'est avec laroslav le Grand, venu immédiatement après, que, sous l'hégémonie de Kiev, sa cité sainte, la Russie primitive se pourvut d'une législation; elle entra dans le concert dynastique chrétien, se rattachant ainsi à l'Empire grec, au saint Empire romain-germanique, et même à la France, l'aîné des royaumes chrétiens (1) . Dans le moine Nestor, auteur d'une célèbre chro- nique, elle eut son Grégoire de Tours. Cette période kiévienne, toute byzantine, se prolongea elle-même cent cinquante ans. Elle se termina par la ruine de Kiev (1169). Cette disparition ou plutôt cette déchéance politique de Kiev amena le fractionnement de l'État russe en petites principautés, circonstance très favorable aux invasions mongoles sous Gengis-Khan et ses fils. Les Mongols opérèrent au midi un mouvement tournant, dont le but évident était l'occupation des fameuses « terres noires », tchernozième. Il en résulta un effet imprévu, qui décida des grandes destinées de la Russie, du moins en ce qui concerne son développement dans l'espace : les petits Russes, déjà nombreux, mais très tassés, durent, limités qu'ils étaient du côté de l'occident et de l'Europe, se projeter vers l'orient, et par conséquent vers l'Asie (2), englobant, après Wladimir, Nijni-Novogorod, Kazan, Permet pre- nant, comme on le voit, en écharpe, la Russie actuelle. Coupés de la mer Noire, c'est-à-dire du sud, les grands Russes, postérité, quelque peu mêlée, des petits Russes, gagnaient ainsi, par étapes successives, la mer Blanche, c'est-à-dire le nord. Après une nouvelle période d'un peu moins d'un siècle et demi (1169- 1303), Moscou, située par trente-cinq degrés longitude est, apparut comme le réduit à la fois de l'expansion ethnographique et de la défense natio- nale : aussi fut-elle élevée à la dignité de capitale. Elle compta parmi ses héros nationaux, après Alexandre Newski, contemporain de saint Louis, (1) Anne, l'une des filles d'Iaroslav, épousa notre roi Henri \" et fut la mère de Philippe l"'. (2) Au premier Congrès italien de géographie, tenu à Gênes en septembre 1892, M. de Séménoff, sénateur de l'empire de Russie, président de la Société impériale de géographie de Saint-Péters- bourg, a traité cette importante question. « Au moyen âge, dit M. Levasseur, de l'Institut, dans le compte rendu de ce Congrès, le Tanais (Don) était la limite que les géographes assignaient d'ordi- naire à l'Europe; ils avaient raison, car à l'Orient il n'y avait plus que des hordes asiatiques. Ce sont les Russes qui les ont refoulées, qui ont laijouré le sol et aujourd'hui les trente millions d'habitants qui peuplent le pays entre ce fleuve et la Caspienne doivent être considérés, aussi bien que les colons d'Amérique, comme un résultat de l'expansion de la race européenne dans les temps modernes. L. DRAPEYRON. — CALCUL DES PÉRIODES DE l'hISTOIRE DE RUSSIE 959 Dinitri Donskoï, contemporain de Charles V le Sage. Toujours menacés et môme opprimés par la Horde d'Or, les Russes virent se prolonger, durant une autre période d'un siècle et demi, cette situation, pleine à la fois de périls et de promesses (1 303-1 4G2). A cette dernière date apparaît Ivan III, le Grand, le « rassembleur de la terre russe », contemporain de Louis XI. Il secoua la servitude mon- gole. Au xvi^ siècle, la Russie chrétienne atteint Arkhangel sur la mer Blanche; elle déborde sur l'Asie par la Sibérie. Ivan IV le Terrible prend le titre de tsar (1547) ; il réunit des États généraux. Le servage fixa au sol les paysans (chrestianin) restés jusqu'alors presque nomades comme les Mongols (1598). Quand, après une longue anarchie, les Romanofï rempla- cèrent la maison de Rurik, dont ils descendaient en ligne féminine, c'est une autre période de cent cinquante ans qui prit fin. Le Volga était dé- sormais le grand fleuve russe. De lt313 à 1762, date de l'avènement des Holstein-Gottorp, actuelle- ment régnants comme issus des Romanoff, il s'est écoulé un laps de temps égal : cent cinquante ans. Le point culminant de cette époque est marqué par l'action prodigieusement énergique et féconde de Pierre le Grand. On assiste aux efforts de la Russie pour atteindre successivement toutes les mers par lesquelles cette région confine à l'Europe et à l'Asie. Au milieu de sa fameuse lutte contre la Suède, Pierre s'installa audacieusement à Saint-Pétersbourg et à Cronstadt, en face de Stockholm ; c'est la question de la Baltique qu'il tranchait héroïquement, malgré sa défaite de Aarva. Il fut moins heureux en ce qui concerne la mer Noire, ayant dû, en dépit de sa victoire de Pultava, — après sa déconvenue du Pruth, — aban- donner Azov aux Ottomans, ces héritiers des Mongols dans la Russie méridionale. Mais l'occupation de Derbent lui assura, avec la domination de la Caspienne, une prise sur la Perse. Parmi tout cela, et sous l'action de Pierre le Grand, on constate la germanisation militaire, administrative et même dynastique de la Russie. Fixés à Saint-Pétersbourg, loin des grands et des petits Russes, les tsars se germanisèrent en effet, avant de s'européaniser d'une façon plus large. Mais, par Moscou, leur seconde capitale, où ils furent toujours couronnés et qu'ils visitaient sans cesse, ils gardaient le contact de la sainte Russie. A la période ultérieure, la période en cours, qui ne compte encore que cent trente ans révolus (17G2-1892), était réservée la participation de la Russie à la politique et à la vie européenne. Tout d'abord, elle a conclu, avec deux puissances européennes, la Prusse et l'Autriche, les partages de la Pologne, sous le règne de Catherine IL Le même règne a réa- lisé le desideratum de Pierre le Grand, rangé sous le sceptre russe tout le versant septentrional de la mer Noire, fondé le grand arsenal maritime de Sébastopol. La Russie a pris virtuellement part à la première coalition 960 • GÉOGRAPHIE contre la France, effectivement à la seconde, pénétré jusqu'en Italie avec Souvaroff ItalinsU, atteint Andrinople sous Nicolas P'', et les fau- bourgs de Constantinople sous Alexandre II. Vaincue par la France à Austerlitz et à Friedland, alliée à cette même puissance à Tilsitt et à Erfurth, envahie par Napoléon jusqu'à Moscou, il lui a été donné d'atteindre à son tour Paris. L'une des six grandes puissances européennes, mais la première de toutes sur le continent, si l'on considère son étendue, sa population, le nombre de soldats dont elle dispose, les circonstances ont fait d'elle, au lieu d'un épouvantait comme naguère, le contrepoids de cette énorme domination germanique édifiée sur les défaites successives du Danemark, de l'Autriche et de la France, Puissance à la fois européenne et asiatique, c'est en Europe qu'est concentrée la masse de sa population, mais c'est du côté de l'Asie que se poursuivent son extension territo- riale et son œuvre civilisatrice. Sept périodes de cent cinquante ans chacune environ : voilà, peut-on •dire, les grandes articulations de l'histoire de Russie, depuis ses origines jusqu'à ce jour. La correspondance du temps et de l'espace, au cours de ces périodes, apparaît nettement dans le tableau synoptique qui suit : 862-1019. — De Rurik à laroslav. Percée du nord au sud, faite, suivant le 30« degré longitude est, par les Northmans Yarègues, associés aux Russes. 1019-1109. — Dlaroslav à la ruine de Kiev. La petite Russie se convertit et se police; elle se concentre autour de Kiev. Elle devient l'État slave ori/iorfoa;e opposé à l'État slave catholique, ou Pologne. 1169-1303. — De la ruine de h'iev à Moscou capitale. La Russie, envahie par les Mongols, se restreint au sud et à l'ouest ; elle se développe au centre et au nord, tendant vers l'Oural et la mer Blanche. La grande Russie se prépare. 11^03-1462. — De Moscou capitale à l'avènement d'Ivan III. De leur observa- toire et de leur forteresse centrale, Moscou, les grands princes luttent avec des alternatives diverses, mais avec constance, contre la Horde d'Or. 1462-1613. — D'Ivan III aux Romanoff. Grande expansion territoriale dans le sens indiqué plus haut. La Russie, harmonieusement distribuée sur le Volga, en tient les grands affluents. 1613-1762. — Les Romanoff. Marche vers les quatre mers européennes et asiatiques. Pierre le Grand. 1762-1892. — Les Holstein-Gottorp . Hégémonie slave et orthodoxe de la Russie. Double aspect, européen et asiatique, de son action. On sera certainement frappé de Visochronisme presque constant des grandes « pulsations » de l'histoire russe. Faut-il l'attribuer à une loi de l'évolution historique, loi régissant l'histoire de toutes les nations, parce qu'elle résulte de la répartition naturelle et nécessaire entre des généra tiens successives de questions inéluctables, d'une importance et d'une -complexité à peu près égales, questions qui s'engendrent et s'entretiennent les unes les autres? ROUSSON ET WILLEMS. — LA TERRE DE FEU ET SES HABITANTS 961 Faut-il, dans le cas particulier de la Russie, l'imputer à l'homogénéité topographique (1), sans analogue peut-être, de cette immense région, presque indéfiniment extensible, dont le M. le général Tillo a fixé nette- ment les traits dans une carte à bon droit très remarquée? Ces deux explications, qui ne s'excluent pas, mais qui se corroborent naturellement, doivent être, suivant nous, admises. MM. EOÏÏSSOI et WILLEMS Chargés de Missions scientifiques, à Paris. LA TERRE DE FEU ET SES HABITANTS — Séaiicz du 20 septembre I89i — La Terre de Feu, cette grande île qui termine au sud l'Amérique, n'avait été jusqu'ici explorée que dans quelques endroits où des navigateurs comme Cook, Fitz-Roy, Dumont-d'Urville, etc., avaient atterri. Dans ces dernières années, un navire français, la Romanche, envoyé pour observer le passage de Vénus, aux environs du cap Horn, a fait de nombreuses et intéressantes études dans les îles situées au sud de la Terre de Feu ; mais aucune expédition ne s'était aventurée à l'intérieur de la grande île fuégienne, sur laquelle on ne possédait que peu de renseignements. Selon les uns, la Terre de Feu présentait des forêts impénétrables et était habitée par une race d'Indiens très petits et rachitiques ; selon les autres, les Indiens étaient d'une stature gigantesque. D'autres affirmaient qu'ils n'avaient pas vu d'arbres, que le sol était stérile et dépourvu de toute espèce de végétation, alors que certains voyageurs vantaient la fertilité des terres et parlaient de l'aspect pittoresque des vallées et des montagnes. Toutes ces versions, si contradictoires, formant une sorte d'affirmations et de négations, nous ont obligés à conclure que la Terre de Feu présentait un climat, une végétation et des habitants d'un caractère extrêmement varié, selon l'endroit oîi l'on avait abordé. (\) c'est à l'homogéûéité lopograpliique, non moins qu'à la tradition historique, qu'est due cette institution culminante de la Russie, \e grand prince, devenu ensuite le tsar. Gi * 962 GÉOGRAPHIE En 1890 et 1891, nous étions chargés d'une mission par M. le ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, pour explorer la Terre de Feu, et voici les observations que nous avons recueillies pendant notre expédition. La grande île fuégienne est située par 71 degrés de longitude ouest et 34 degrés de latitude sud. Elle est bornée : au nord et à l'ouest par le détroit de Magellan ; à l'est par l'Océan Atlantique et au sud par le canal de Beagle. Dans la partie nord de l'île, les principales baies sont : la baie Saint- _._._. Itinéraire suivi par la mission Rousson etWillems , 1890-91 EJKoffft/,St Sébastien à l'est; les baies Lomas, Felippe et Gente Grande, au nord; et à l'ouest, les baies Porvenir et Inutile. Dans la partie sud de l'île, les baies Policarpe, Thétis, Bon-Succès, Yalentin, Aguirre, au sud-est, et les baies d'Ushuaïa et Deniste-Baie au sud. Trois grandes chaînes de montagnes se dirigent parallèlement de l'ouest à l'est. La première part du cap Bouqueron et vient mourir au cap Spiritu- Santo. Elle atteint oOO mètres d'altitude; à droite et à gauche se détachent de nombreuses ramifications. La seconde chaîne, dont le Pic Nose est le point de départ, s'étend entre la pointe sud de la baie Saint-Sébastien et le cap Penas. ROUSSON ET WILLEMS. — LA TERRE DE FEU ET SES HABITANTS ^3 La troisième chaîne couirnence à la presqu'île Brecknock et se termine au cap San-Diego. Deux monts très élevés se distinguent, ce sont : le mont Darwin, qui a plus de 1.800 mètres d'altitude, et le mont Sar- miento, qui atteint 2,073 mètres, sur lesquels séjournent les neiges éternelles. Entre les chaînes de montagnes, il existe d'immenses plaines, sur lesquelles se trouvent de grands lacs d'où sortent de petites rivières. Mais plusieurs d'entre elles se tarissent en été et nous n'indiquerons que les principales. Au nord, la rivière de l'Or, qui se jette dans la baie Felipe ; à l'est, la rivière CuUen, qui se jette dans l'Océan Atlantique, ainsi que les rivières Petite (Rio Chico), et Grande (Rio Grande). Le climat de la Terre de Feu est très variable, suivant les endroits où on l'observe. Cependant le climat n'est pas aussi rigoureux qu'on pourrait le supposer ; la température la plus basse que nous ayons eue à enregistrer a été — 6 degrés au-dessous de zéro et la température maxima 23 degrés; mais les nuits sont toujours froides, car dès que le soleil disparaît de l'horizon, la température baisse beaucoup, pour atteindre son minimum vers 11 heures du soir. Le baromètre ne donne aucune indication précise : il tombe brusque- ment et sans cause apparente de 160 à 730 millimètres ; cela doit provenir ■de ce que les couches atmosphériques supérieures, chassées par les vents du sud et de l'ouest passant sur les cîmes neigeuses, sont très froides, tandis que les couches inférieures, s'échautfant au contact du sol, montent et produisent de grandes oscillations barométriques en rencontrant des couches de densité supérieure. Les vents sont très fréquents ; les plus violents sont ceux de l'ouest, qui atteignent une vitesse de trente mètres par seconde ; ces vents cessent presque toujours au coucher du soleil, mais on les voit reparaître le matin avec lui. Dans notre expédition du nord, nous n'avons eu à enregistrer que six jours de pluie et deux jours de neige ; au contraire, dans le sud de la Terre de Feu, il y a eu peu de jours sans pluie : aussi, partout, le sol est mouvant et spongieux. Trois tribus habitent l'île fuégienne : Les « Onas », le nord et le nord-est; les « Alacalufes », l'ouest et les « Yaghans », le sud. Nous ne parlerons que des « Onas », qui, jusqu'ici, étaient restés inconnus. Les Onas sont très grands, ils atteignent quelquefois deux mètres ; leur teint est cuivré, leur peau est onctueuse au toucher; la figure ovale, le front étroit et peu découvert, les cheveux noirs et longs, tombant en mèches sur les épaules, souvent mêlés de terre argileuse ; ils ont de petits 964 GÉOGRAPHIE yeux avec des cils assez forts, les pommettes saillantes; le nez convexe, un peu aquilin, une bouche assez grande, de grosses lèvres laissant entrevoir de petites dents jaunâtres. Ils sont très musclés et très forts, vont complètement nus, ne portant sur leurs épaules que de mauvaises capes de guanaco ou de renard attachées ensemble à l'aide de nerfs d'animaux ; les hommes portent sur le front un morceau de cuir triangu- laire, ce qui les distingue des femmes, qui ont comme ornement des bracelets et des colliers faits de coquillages calcaires ou de nerfs tressés. Tout le travail des Onas consiste à se procurer des aliments ; pendant que les hommes chassent les guanacos et les renards, les femmes vont à la plage chercher des mollusques ou harponner les poissons que la mer a abandonnés entre les rochers en se retirant. Leurs armes et leurs ustensiles sont des plus primitifs : l'arc est en bois de roble avec une corde en nerfs de guanacos ; les flèches sont d'un bois plus dur avec une pointe en silex travaillée par éclats ; un carquois en peau de loup de mer contenant une vingtaine de flèches et une fronde complète leur armement; les femmes sont toujours munies d'un petit harpon en os et d'un panier en jonc. Elles portent les charges, préparent les campements, entretiennent le feu, soignent les enfants. Les campements se composent de trous circu- laires de 1 mètre 50 de diamètre et 40 centimètres environ de profondeur, creusés au moyen d'omoplates de guanacos ; ces trous-abris sont ordinai- rement adossés à une montagne d'où l'on domine les environs ; autour de ces roues sont placés verticalement de petits bâtons sur lesquels ils attachent de mauvaises peaux d'animaux et ayant pour plafond la croix du sud ; au centre, un feu brûle continuellement. Une famille composée de trois ou quatre personnes s'y abrite; elles, dorment, serrées les unes contre les autres, avec de nombreux chiens. Les femmes attachent parfois leurs enfants sur des morceaux de bois dont l'un des montants verticaux est plus long que l'autre, ce qui leur permet, en le piquant en terre, de faire tenir l'enfant debout devant le feu et de le déplacer selon la nécessité. Les Onas sont nomades. Ils se déplacent fréquemment, surtout lorsque la chasse devient plus rare aux environs de leurs campements; aussi, dans la partie nord de la Terre de Feu, trouve-t-on de nombreuses traces d'anciens campements. Craintifs devant l'homme civilisé s'ils sont trop faibles pour l'attaquer, ils deviennent féroces lorsqu'ils sont en nombre. Ils sont courageux, braves et d'une nature guerrière. Aussi sont-ils continuellement en lutte avec les tribus du sud et de l'ouest. Plusieurs voyageurs croient qu'ils sont anthropophages; d'autres certifient qu'ils brûlent les cadavres ; mais ce sont des erreurs. Nous avons, en effet, ROUSSON ET WILLEMS. — LA TERRE DE FEU ET SES HABITANTS 96o trouvé plusieurs endroits où les Fuégiens avaient enterré leurs morts, et quant à l'incinération, nous avons toujours remarqué des débris d'osse- ments calcinés près des anciens campements, mais ils provenaient tous d'animaux dont ces sauvages ont l'habitude de brûler les déchets pour entretenir leur feu. Les Onas croient à un esprit, comme leurs frères les Patagons, qu'ils nomment « Wolitche » et auquel ils attribuent les biens et les maux. Ils communiquent entre eux au moyen de grands feux, qu'ils allument avec de la pyrite de fer et des champignons séchés ; ils étendent ces feux sur une grande surface par l'intermédiaire de torches faites avec des racines de plantes. C'est à cause de ces feux, qui brûlent quelquefois sur une longueur de plusieurs kilomètres, par suite des vents violents et qui, le soir, se voient à plusieurs milles, que les premiers navigateurs franchissant ces côtes, don- nèrent à cette île le nom de Terre des Feux, et par extension on a fait « Terre de Feu ». Nous ne croyons pas que la population indigène de la Terre de Feu et de l'archipel fuégien soit supérieure à « 1 ,200 » habitants. La faune est pauvre. Les quadrupèdes sont peu variés; le guanaco, le renard, le chien sauvage, la loutre, le rat, la souris et le tuco-tuco, rongeur qui mine le terrain, se trouvent en grand nombre; les oiseaux de toutes sortes y abondent : vanneau, bécassine, flamont. perroquet, oie, canard, chouette, grive, merle, cygne, etc. La flore est peu riche : deux espèces de robles (fagus betuloides) et (fagus antarctica) ; une espèce de magnolia (Drimys Wlnteri) ; un petit arbuste du genre caceolaria et les broussailles, composées en grande partie de Berberidœ, d'Empetrum et de Myrtus nummularia. Les plantes qui poussent dans le vaste territoire que nous venons de parcourir sont assez semblables à celles de la Patagonie méridionale. Le fer se trouve partout en très grande quantité. L'or est aussi en plusieurs points de l'île ; mais le manteau aurifère se présente à des profondeurs souvent trop grandes. Aussi les mineurs ne cherchent-ils ce précieux métal que dans les falaises de la plage ou dans le lit des rivières. Du lignite de mauvaise qualité présente quelques affleure- ments sur la côte de l'Océan Atlantique, à dix milles environ au sud du cap Spiritu-Santo. L'Avenir de la Terre de Feu. — Cette île est appelée à devenir, dans très peu d'années, une immense ferme ; l'exemple est déjà donné par les Anglais qui s'y installent. 966 GÉOGRAPHIE M. EONTES à Toulouse. SUR UNE ILLUSION D'OPTIQUE — Séance du 20 septembre 189i — Les personnes qui m'ont entendu dire que le Canigou, comme cela doit être, paraît grandir quand on s'élève du pied des Albères vers leurs sommets, m'ont souvent demandé la raison de cette illusion et ont quel- quefois fait des objections à ma réponse. Il ne sera donc peut-être pas inutile que je donne ici une explication mathématique de ce fait, qui n'est pas isolé. Je ne saurais affirmer être le premier à l'avoir trouvée, car elle est si naturelle qu'on doi* y avoir pensé longtemps avant moi ; mais je la vois si peu répandue pour ne pas dire inconnue), que je tiens à la fournir rigoureusement exacte. Quand une même personne regarde des montagnes assez éloignées pour qu'elle n'ait aucune donnée sur leur distance, elle apprécie inconsciem- ment leurs hauteurs en les rapportant, faute de points de comparaison, à la distance de sa vision distincte, c'est-à-dire qu'elle compare les di- verses hauteurs qu'elle observe comme si un écran transparent était placé devant elle à cette distance de vision distincte et comme si son cône visuel laissait une trace sur ce tableau (1). En outre, comme son œil est mobile dans son orbite, au moment où il apprécie une hauteur au moyen, de l'angle des deux rayons visuels qui comprennent le haut et le bas de l'objet considéré, le tableau idéal se transporte avec l'œil toujours normalement à la bissectrice de cet angle, à une distance invariable pour chaque individu, comme s'il était, en fait, tangent à une sphère qui aurait cette distance pour rayon. On peut énoncer brièvement le fait, en langage mathématique, en disant que lorsque l'œil manque d'éléments d'appréciation de la distance d'un objet, il le projette perspectivement sur un tableau à la distance de sa vision distincte. C'est pour cette raison que M. le commandant Prudent (2_) recommande (1) On a tiré parti de cela, à une certaine époque, pour un procédé de dessin. (2) Annuaire du Club alpin français, 1884, p. 468 à /,73. FONTES. — SUR UiNE ILLUSION d'oPTIQUE 967 d'exécuter les dessins à ce qu'il appelle V échelle naturelle, lorsqu'ils ne doivent pas être vus à une distance différente de celle de la vision dis- tincte, et, en ce qui concerne les photographies, si on veut obtenir une reproduction saisissante de la nature, de les tirer, ou tout au moins de les reproduire avec des objectifs d'une distance focale de 0"',2oà 0'",30{1). Il résulte de ce que je viens de dire que, pour l'œil qui n'a pas un point déterminé de comparaison, la mesure de la hauteur AB (voir la fii^ure 1), d'un objet éloigné est, toutes choses égales d'ailleurs, la lon- gueur de la petite hgne ab, comptée sur une normale à la bissectrice de l'angle AOB, et qu'on aurait menée à une distance op de l'œil, égale à celle de la vision distincte. Si on prend cette distance pour unité linéaire, ab n'est autre chose que le double de la tangente trigonomé- trique de la moitié de l'angle AOB, ce que les physiciens appellent le diamèlre apparent de l'objet. J'ai ainsi la donnée mathématique qui me permettra de résoudre la question que je me propose, c'est-à-dire de savoir comment paraît varier la hauteur d'une montagne éloignée quand on s'élève sans faire varier sa distance en plan. Il me suffira d'étudier les variations de la tangente tri- gonométrique de l'angle sous lequel celte hauteur est vue à une distance constiinte et à des hauteurs différentes. Un calcul très simple démontre que cette tangente atteint un maximum quand on se place à mi-hauteur de l'objet considéré, supposé vertical. Soit, en effet, AB = H la hauteur à mesurer, D sa distance horizontale à l'œil, X la hauteur de celui-ci au-dessus du point A, pied de la hauteur, AOB = 2a l'angle des rayons visuels extrêmes. Si je mène OP perpen- diculaire à AB, j'aurai 2x = AOB = AOP"+ POB, d'où : tg 2a =: tg (AOP -^ POB) tg AOP tgPOB 1 — tgAOPtgPOB (1) Je crois nécessaire d'insister sur ce point, qui est la base physiologique du calcul qui va suivre. Un dessinateur muni d'une feuille de papier sufDsamment grande pour ne pas être gêné et qui na pas de raisoQ de se servir dune échelle donnée, ne reproduit pas un objet très éloigné à une échelle arbitraire. Il emploie à son insu l'échelle naturelle, qui est personnelle et varie d'un individu à un autre. 968 GÉOGRAPHIE Or, les deux triangles AOP, BOP me donnent : X . -<^rr H — X tgAOF = f-, tgAOP -= ° D' ° D donc : X H — X tS 2a = - "^ "" a; (H — .g) D^ — x (H — a;)' Le maximum de tg a (1) dans les conditions concrètes habituelles du problème, où 2a est toujours très petit, coïncidera toujours avec celai de tg 2a, dont l'expression, à dénominateur seul variable, nous montre que le maximum aura lieu quand l'expression (supposée ici positive), de a? (H — x), atteindra elle-même son maximum. Or, celle-ci, qui est le produit de deux termes de somme constante H, prendra sa plus grande valeur quand ses deux termes seront égaux entre eux, c'est-à-dire quand on aura : a; = H — x, d'où : a? = — • 2 Nous voyons dès lors comment nous paraîtra varier la hauteur d'une montagne, au fur et à mesure que nous nous élèverons sans nous en éloigner ni nous en rapprocher. Elle nous semblera grandir en même temps que nous monterons, jusqu'à ce que nous ayons atteint la moitié de sa hauteur. C'est de là qu'elle nous paraîtra le plus élevée, et cette sen- sation d'augmentation de hauteur sera d'autant plus sensible qu'elle se mesurera par une tangente trigonométrique, qui croît plus rapidement que l'angle lui-même. A partir de ce point, si nous pouvons continuer notre ascension, notre illusion ne peut que tendre à se dissiper, et une fois à la même hauteur que le sommet B, la montagne devra nous apparaître avec la même hauteur que lorsque nous la considérions de la plaine. Gardons- nous alors de nous diriger vers un sommet plus élevé quelle (2). C'en serait fait de son prestige. C'est ainsi que, du haut du Campbieil (3.17o), le Néouvielle (3.092) si imposant vu du Montpelat (2.500), (d'où l'on aperçoit les abords du lac d'Aumar (2.215) et du lac d'Orédon (1.870), ne nous apparaissait plus que comme une petite saillie dans une longue crête. On s'explique par ce qui précède comment, du haut des sommets qui dominent toute une région, on n'éprouve pas toujours les sensations (1) Dont il serait facile de voir que l'expression peut s'écrire: HD tga = ' D2 — ir (H — X) -i- y/H2u2 — [D2 — a; (H — a;;]^' (2) Voir plus bas l'expérience du chapeau. FONTES. — SUR UNE ILLUSION d'oPTIQUE 969 qu'on se promettait, et comment, si la vue ne domine pas une étendue de plaine considérable, on subit une sorte de déception, tandis que la vue prise du haut de certains pics intermédiaires, convenablement placés, laisse une impression ineffaçable. Pour en revenir à l'exemple concret que je citais au début de cette étude, le Canigou (2.78o), déjà si beau vu de la plaine du Roussillon, à ,des altitudes qui ne dépassent pas 100 mètres, prend des proportions grandioses et semble un géant quand on le contemple du haut des crêtes des Albères, à des altitudes variant de 1.000 à 1.2.^7 mètres. Les monts Maudits, dont le point culminant est le Néthou (3.404), offrent un panorama splendide du haut du port de Vénasque, où la xue peut s'abaisser à des altitudes rapprochées de 1.700 à 2.000 mètres, et tout le monde est d'accord pour s'extasier sur leurs beautés quand on monte au pic de Sauvegarde (2.787) qui se rapproche, plus que le port de Vénasque, de la condition de vue prise à moitié de la hauteur visible. Je n'aurais que le choix des exemples comme vérification de mon petit calcul, qu'il faut avoir soin de ne prendre que comme une grossière approximation, le brutal absolu mathématique ne se montrant que par exception dans la nature, et différant en général autant de la réalité qu'il nous est donné d'observer, que mon aride schéma coté D, H, x, diffère d'un croquis de Yiollet-le-Duc ou d'une des belles photographies de notre collègue Trutat. -&' Expérience du chapeau (1). — On a contesté que l'illusion d'optique qu'entraîne la vision des monuments élevés ait son explication dans des considérations géométriques analogues à celles que je viens d'exposer. Si des objections du même genre m'étaient faites, je répondrais Ijue ma théorie explique complètement le jeu du chapeau, ainsi défini par M. A. Rémy dans le numéro de la Revue scientifique du 2o mai 1889 (2) : « Il consiste à demander à une personne d'indiquer le long d'un mur ou des parois d'une chambre la hauteur, le niveau qu'atteindra un cha- peau à haute forme, lorsqu'il sera placé à terre tout près de ce mur. On peut affirmer que plus de neuf fois sur dix, on estimera cette hauteur double de ce qu'elle est en réalité. » La physiologie serait peut-être quelque peu embarrassée pour trouver un moyen de calculer ou, tout ou moins, de justifier ce rapport constant de 2 à 1. Mon calcul va pourtant me le fournir très approximativement. J'ai été victime moi-même de la mystification du chapeau et voici comment je l'explique : (1) (2) Voir, au sujet de la vision des monuments ôlevés, la lievue scientifique de 1889 : l'usera.: p, 668 et suiv., A. Rémy; p. 763, E. Bourdon. — 2°sem. : p. 26, E. Rogier; p. 237, A. Rémy; p. 633, F. Rozier ; p. 743, V. Egger. 970 Mon GEOGRAPHIE chapeau a 16 centimètres de hauteur. Mes yeux sont approxima- tivement à 1^,60 du sol. Si je cherche à quelle distance je dois m'approcher du mur, quand on m'a montré à la hau- teur de mes yeux mon chapeau haut de forme (dont j'applique la hauteur à ce niveau sur le mur) pour qu'une hau- teur double, comptée du pied du mur, me paraisse double de celle-là à mon échelle naturelle, je suis conduit au cal- cul suivant, trop simple pour que j'entre dans des explications spéciales. Or ^ Tv" " °j= s 1 . i^ . î'r^JS .. . y _Jt . FIG. 2. tgcc f 0,16 0,08 X tg2a' X tg2a 2 X 0,08 X X x-" — (0,08/^ ' tg (AOA) =r tg (BÔB — XÔH). Or d'où : tg AOB = 1.60 X tg'AOH = 1,60 — 0,32 1,28 X X tg 2a' = (1,60 — 1,28) X a; 0,32a; X'' 1,60X1,28 x^ — 2,048 L'illusion se produira si a = a', ou si tg 2a = tg 2a'; c'est-à-dire si : 2 X 0,08 y o;i: xi3 IIuîT.vaiu ouri; — PROCOPE.) (2) Annuaire du Club Mpiri Français, année 18"7, p. 41" à 422. 996 GÉOGRAPHIE Les documents absolument exacts, surtout dans le détail, sont encore très peu nombreux en ce qui concerne les Pyrénées. Mais ils sont indis- pensables à consulter. Comme cartographie, notre État-major défie encore la critique, au moins dans ses grandes lignes, pour le versant français. Pour le versant espagnol, MM. Wallon et Schrader ont rectifié bien des erreurs et même l'esquisse topographique des Albères de ce dernier, déjà citée, n'est pas, comme on l'a vu, à négliger. Quand on peut se les pro- curer, il est bon de consulter les belles cartes de M. le colonel Coëllo. Enfin, dans les annuaires du Club Alpin Français, bien des travaux d'alpi- nistes, dont il serait trop long de citer les noms, sont plus que dignes d'attention, comme texte et comme cartes. Parmi les documents écrits, je citerai les ouvrages de M. le comte Russell et la carte descriptive de M. Packe, assimilable à un itinéraire. Enfin, le Guide Joanne, qui autrefois contenait beaucoup d'erreurs, est devenu, grâce aux patientes rectifications apportées à ses éditions succes- sives, un monument géographique respectable et qu'on ne saurait néghger. Enfin, une fois ces précautions prises, je conseillerai à ceux qui, étran- gers à la région pyrénéenne, tenteraient de reproduire sur carte ou de décrire tout ou partie de cette région, de soumettre après coup leur travail, avant de le publier, à la critique de personnes connaissant quelque peu (le visu le terrain. C'est, je crois, en l'absence d'un Institut géographique pyrénéen, le seul moyen d'éviter de commettre de grosses erreurs, comme celles que je viens de signaler, erreurs cependant aussi difficiles à éviter a distance que faciles à critiquer sur les lieux, comme je le fais en ce moment . Je le fais cependant, croyez-le bien, sans arrière-pensée malveillante, en n'ayant en vue que le désir de procurer à nos belles montagnes, qu'on ne saurait fréquenter sans les aimer, la « pourtraicture » fidèle à laquelle elles ont droit, et non sans m'étre dit qu'une fois que j'aurai terminé mon réqui- sitoire contre les erreurs, on pourra fort bien me poser telle question qui me force à répondre, comme l'oiseau de la fable : Messieurs, je sifiïe bien, mais je ne chante pas. H. DUPONT. — LE BASSIN COMMERCIAL DE LA SEINE 997 M. ïï. DÏÏPOIfT Vice-Président de la Section de Géologie de la Société de Topographie de France, à Paris. LE BASSIN COMMERCIAL DE LA SEINE — Séance du 2/ septembre 4892 — Le bassin parisien est une vaste enceinte presque circulaire, dont le contour est marqué par une série de collines interrompue par la Manche et appartenant, pour la plupart, au terrain jurassique. Leurs plus hauts sommets, le grand Montarnu (847 mètres) et le haut Folin (900 mètres) se trouvent dans le Morvan, bastion avancé du massif central. Cette enceinte en renferme elle-même deux autres, crétacée et tertiaire, à peu près concentriques. Ces bandes de terrain sont comme les gradins d'un amphithéâtre que traversent successivement la Seine et ses affluents. Si cette région n'est pas la plus grande, puisqu'elle ne mesure que 7.800 kilomètres carrés, c'est du moins la plus régulièrement disposée et la plus importante. Comparativement aux autres, elle est peu accidentée, hormis entre Reims et Provins, espace qui fut le théâtre des principales batailles de la campagne de France, et entre Troyes et Joigny, où se trouve la forêt d'Othe; mais les plaines si remarquables par leur perméa- bilité, les vallées, les forêts, les coteaux, les montagnes forment un en- semble admirable qui se marie agréablement sous un climat dont la température moyenne est de 10°,9. Au nord, il rappelle les brumes, mais aussi l'humidité féconde de la Hollande et des Iles- Britanniques ; au sud, la tiède température de la Touraine ; à l'est, les froids de l'Alle- magne ; à l'ouest, l'égalité des climats maritimes maintenue par le Gulf- Stream. A part la Champagne pouilleuse, le paysage, malgré la sobriété de ses lignes, varie à l'infini et revêt je ne sais quelle grâce qui se reflète sur les habitants. Les alentours de la capitale sont charmants. Où trouver, en effet, des sites plus enchanteurs qu'à Fontainebleau, Versailles, Saint- Germain, Compiègne, Montmorency, etc. ? Les tableaux des paysagistes Corot, Rousseau, Millet nous donnent bien la note de cette nature élégante, discrète et pleine d'une intime poésie. La Normandie, si bien dépeinte par Flaubert, a aussi ses attraits dans ses pâturages, ses forêts et ses plages. 998 GKOGRAPHIE Dites, Messieurs, de tels sites ne sont-ils pas faits pour y fixer une popu- lation laborieuse? Nulle part, l'agriculture n'y a reçu un plus grand développement, aussi les céréales, les légumes, les fruits, les fourrages y viennent en quantité et favorisent en partie l'élevage des bestiaux; l'industrie s'y manifeste sous mille formes : elle produit des articles comme les tissus, les meubles, les tapis, les porcelaines, les bijoux, les instruments de précision, les fleurs artificielles, etc., dont le fini rend jaloux tous les États de l'Europe ; le commerce, soutenu par des institutions de crédit de premier ordre, éclairé par les Chambres de commerce et la Société de Géographie commerciale, fonctionne avec une activité fiévreuse et se déploie selon les règles de l'équité et de l'honneur, qui inspirent à l'uni- vers entier une confiance absolue, comme l'attestent tous nos emprunts. Aussi, lorsque te marché parisien éprouve une secousse, tous les autres- en ressentent le contre-coup. Paris, qu'on le veuille ou non, est, autant que Londres, un marché régulateur. Ses transactions influent énormé- ment sur la richesse de tout le bassin. Son appoint de quatre milliards lui donne de ce chef une prédominance sur les autres. Paris doit tout à sa position. « Ce n'est, dit Élie de Beaumont, ni au hasard, ni à un caprice de la fortune que Paris doit sa splendeur, mais à son assise géo- logique, et ceux qui sont étonnés de ne pas trouver la capitale de la France à Bourges ont montré qu'ils n'avaient étudié que d'une manière imparfaite la structure de leur pays. » Cette région réunirait toutes les conditions si elle possédait quelques mines et un plus grand nombre de sources minérales; mais elle présente des ressources si variées, des plaisirs si divers et si répétés qu'on oublie vite ce qui lui manque. L'importance de ce bassin ne saurait échapper à personne. Il est situ.é sur la Manche, arrosé par quatre-vingts cours d'eau, dont douze seulement de navigables. Cette insufTisance est rachetée par vingt canaux, secondés eux-mêmes par cinq réseaux de chemins de fer qui étendent leurs nom- breuses lignes secondaires sur toutes les parties de son territoire, par quarante-cinq routes qui sont autant d'artères qui portent la vie là où elles passent, ayant pour auxiliaires la poste et le télégraphe. Il est. en outre, desservi par dix-huit ports, dont le principal est le Havre, qui communique avec six cents autres disséminés dans tous les pays du monde. Ceux-ci, avec les différentes voies fluviales et terrestres, con- courent à lui donner des débouchés faciles. Leurs chiffres d'affaires dépassent deux milliards. Ce n'est pas sans raison que J.-B. Say dit : « Les moyens de communication favorisent le commerce précisément de la même manière que les machines qui multiplient les produits de nos manufactures et en abrègent la production. Ils procurent le même produit à moins de frais. Ce calcul, appliqué à l'immense quantité de marchan- H. DUPONT. LE BASSI.N COMMERCIAL DE LA i^EINE 999 (lises qui couvrent les routes d'un État populeux et riche, depuis les légumes qu'on porte au marché jusqu'aux produits de toutes les parties du globe, qui, après avoir été débarqués dans les ports, se répandent ensuite sur toute la surface d'un continent; ce calcul, dis- je, s'il pouvait se faire, donnerait pour résultat une économie presque inappréciable dans les frais de production, La facilité des communications ('-quivaut à la richesse naturelle et gratuite qui se trouve en un produit lorsque, sans la facilité des communications, cette richesse naturelle serait perdue. » Comme on le voit, notre bassin jouit d'immenses avantages. Que sera-ce, si le projet de Paris port de mer et celui du canal du Nord reçoivent leur exécution? C'est à nous qu'il convient de préparer les pouvoirs publics à les entreprendre, puisque leurs soucis sont moindres depuis l'ouverture des canaux de l'Est, du Havre à Tancarville et de l'Oise à l'Aisne. Permettez-moi de laisser ces considérations générales pour entrer dans des détails plus précis, afin de faire valoir toute l'importance de la vraie région de la Seine. Grâce à son immense population et à la facilité des transports, Paris en est le plus grand marché : 1° Pour les denrées alimentaires qui viennent, de tous les points du territoire et des circon voisins, s'entasser soit dans les Halles Centrales, la Halle au Blé, les Entrepôts de Bercy, soit au marché de la Villette et les marchés secondaires (viandes, 67 millions de kilogrammes ; pois- sons, 40 millions de kilogrammes ; fruits et légumes, 16 millions de kilo- graumies ; beurre, œufs, fromages, 34 millions de kilogrammes ; grains et farines, 12.000 quintaux ; introduction de près de 3 millions de têtes à la Villette ; de plus, 4 millions d'hectolitres de vinj. Les denrées coloniales sont également fort prisées sur cette place. 2" Pour les matières premières (alcools, huiles, raisins secs, combus- tibles, matériaux de construction, suifs, asphalte, bitume, cuirs). 3° Pour son industrie parisienne Cmeubles, joaillerie, bijouterie, orfè- vrerie, bronzes, quincaillerie, porcelaine, papiers peints, carrosserie, librairie, fleurs artificielles, produits chimiques, modes, parfumerie, tissus, vêtements, lingerie, passementerie, chapellerie, cuirs ouvrés, objets d'ameublements). Pour l'ensemble des divers produits susceptibles de taxe, l'octroi perçoit • 137 millions. En résumé, on peut dire que Paris est le centre et le foyer de la grande et de la petite industrie française et qu'il exerce toutes les pro- fessions, sans en excepter une seule. La banlieue, les départements de la Seine, de Seine-et-Oise et de Seine-et-Marne se rattachent si étroitement par leur commerce au sien qu'il nous est impossible de les en séparer : 1000 GÉOGIlAl'HIE ils ne travaillent que pour lui, de sorte que, réunis, leur mouvement représente le liuitième de notre commerce intérieur. C'est de Paris que nous devons nous placer pour embrasser d'un coup d'œil l'ensemble des principaux marchés de ce bassin. Au nord, nous avons Beauvais, sur le Thérain (18.441 habitants), ville desservie par cinq lignes et remarquable par ses manufactures de tapis, de couvertures, de draps, de mérinos, de boutons de nacre, de brosserie fine, ses papeteries (1.443.000 francs), par son marché de céréales, de bestiaux, de laines et de poteries, etc. Amiens, sur la Somme (80.288 habitants), centre traversé par huit lignes, important pour ses articles particuliers : anacoste, escots, cache- mires, reps, popelines, qui lui procurent un bénéfice de 12 millions, velours de coton et d'Utrecht. A ces cinquante filatures, occupant 125.000 broches, se joignent d'autres établissements renommés de bonne- terie (!2o.000 ouvriers), de produits chimiques, de papeteries, etc. Saint-Quentin, sur la Somme (47.3o3 habitants), traversé par trois lignes et par le canal de la Somme à l'Escaut, dont la production en tissus de toutes sortes, en produits chimiques et en sucres indigènes, atteint 90 millions de francs. A l'est, Chalons-sur-Marne (23.648 habitants), pour ses vins et ses lames, ses papiers peints (GOO. 000 rouleaux par an). Reims, sur la Vesle et le canal de l'Aisne à la Marne (97.903 habitants), desservie par cinq lignes, qui doit sa fortune à ses tissus de flanelles, de mérinos (valeur 80 millions), pour lesquels on emploie 30 à 36 millions de matières premières, ses vins de Champagne (60 millions), à sa mer- cerie, son épicerie en gros, ses massepains et biscuits, etc. Au sud, Troyes, sur la Seine (46.972 habitants), desservi par trois lignes, estimé pour sa bonneterie (40 millions), sa charcuterie et son commerce de laines, céréales, vins et blanc de Troyes, exportant la phi- part de ses produits en Suisse et en Amérique. CiiAUMONT, sur la Marne (12.852 habitants), renommé par sa ganterie (100.000 douzaines, 3 millions), ses tanneries, qui partage avec Saint- Dizier, un des marchés régulateurs de la métallurgie française, et Langres, le commerce des grains, des cuirs, des toiles, des fers et surtout de la coutellerie (10.000 ouvriers, 3 millions). . Auxerre, sur l'Yonne (17.456 habitants), qui, avec Avallon (6.335 habi- tants), servent d'entrepôts aux bois flottés, aux vins, céréales, chanvres, briques de Bourgogne septentrionale. Chartres, sur l'Eure (21.903 habitants), desservi par six lignes, centre du commerce des grains et des laines de la Beauce, remarquable par ses manufactures de vitraux peints, ses mégisseries et ses fonderies de fer. II. DUPONT. LK BASSIN COMMEHC.l.VL DE LA SEINE 1001 EvREux, sur l'Iton (16.^05 habitants), qui centralise avec Bernay le commerce des grains, des bestiaux, des laines et des chevaux. A l'ouest, Rouen, sur la Seine (107.163 habitants), le plus grand marché de la Normandie, grâce aux sept lignes qui le traversent. Cette ville a remplacé Mulhouse pour les colonnades, dont le produit atteint 80 millions. Autour d'elle se groupent : Yvetot et Bolbec, pour les céréales ; Neufchàtel, pour les fromages et la volaille; Caudebec, pour les fruits et les légumes; Elbeuf (90 millions d'affaires) et Louviers, pour leurs draps. Les villages qui entourent Rouen sont des centres industriels très importants qui lui fournissent un gros contingent dans la fabrication. Ce faible aperçu peut déjà donner une idée de la puissance de ces différents facteurs, si nous voulons tenir compte de ce qui se passe dans leur rayon. Mais si on désire la résumer d'une manière à la fois simple et précise, on peut dire que la Normandie envoie à Paris ses bestiaux et le pi'oduit de ses basses-cours, le Nord ses étoffes et son charbon, l'Ile- de-France ses pierres de construction et ses légumes, la Champagne et la Bourgogne leurs vins, le Morvan son bois, la Beauce le blé qui doit le nourrir. Maintenant, nous allons passer brièvement en revue ce que sont dans ce bassin l'agriculture, l'industrie et le commerce. L'agriculture, avons-nous dit, fournissait un grand contingent à sa richesse. En effet, nous pouvons estimer à 4 milliards ses productions tant animales que végétales, en y comprenant la main-d'œuvre qui est relativement bon marché. Les céréales entrent dans ce chiffre pour 713 millions et demi ; c'est surtout l'Eure-et Loir, l'Aisne et l'Oise qui en fournissent le plus. Viennent ensuite les pommes de terre pour 91 mil- lions, avec Seine-et-Oise au premier rang. Les animaux de ferme y figurent pour un milliard et demi, les vignes pour 143 millions, les bette- raves pour 60 millions, cultivées en grand dans les départements de Seine-et-Marne, de Seii^e-et-Oise, de l'Aisne et de l'Oise. Dans cette sta- tistique manque le produit des forêts, des fruits de table et des fleurs. Notons que treize départements produisent pour 7o millions de cidre. Malgré la création de nombreuses fermes modèles, d'écoles d'agriculture, de comices et de sociétés agricoles, l'établissement des Concours régionaux et des Expositions agricoles, notre région est loin d'être aussi productive que l'Angleterre et certaines contrées de l'Amérique du Nord, dont le sol est plus neuf, il est vrai ; mais il faut espérer que, dans un avenir pro- chain, elle arrivera à de meilleurs résultats si elle fait un plus grand usage des machines, des engrais, et surtout si ses enfants, attirés trop souvent par le gain facile qu'offrent les grandes villes, restent attachés au sol qui les a vus naître. L'industrie, réputée 16 milliards dans toute la France, occupe une 1002 GÉOGRAPHIE place considérable dans ce l)assin. Domergue l'estime à près de 5 mil- liards. D'après lui, ce sont .les départements de la Seine, de la Seine- Inférieure, de l'Eure, de l'Aisne, des Ardennes et de la Marne qui l'em- porteraient comme production industrielle; mais nous croyons qu'il est très difficile d'en donner une évaluation bien précise, vu les données qui nous manquent pour certaines industries. Ainsi, pour les matières textiles si utilisées dans la Seine-Inférieure, l'Eure, l'Aube, l'Aisne et la Marne, on ne peut donner que le nombre de broches et d'ouvriers, soit 2.7oo.933 et 103.349. ou le tiers de toutes les broches françaises en activité ; pour les appareils à vapeur, nous ne pouvons accuser que celui des machines et de leur force en chevaux-vapeur, soit 18.457 et ^22.0.78, ou le tiers de toutes les machines à vapeur, surtout très nombreuses dans la Seine et les départements avoisinants. L'Annuaire statistique est moins discret pour les suivants : les combustibles minéraux donnent 224 millions, le gaz 83 millions, les minerais 400.000 francs, la produc- tion métallurgique près de 60 millions, les industries du logement (céra- mique, verrerie, glaces) 6i millions, les industries chimiques (bougie, savon, alcool) 94 millions, les raffineries 245 millions, le papier et le carton près de 22 millions. Le tabac rapporte au fisc lOo millions. Avec les produits minéraux, on pourrait arriver à un milliard, chiffre encore inférieur à la production réelle. Peut-être les différentes chambres de commerce de la région pourraient-elles nous aider à combler cette diffé- rence ! Lors de notre dernière Exposition universelle, nous avons pu nous convaincre de notre force industrielle et constater avec un légitime orgueil que la plupart de nos articles pouvaient rivaliser avec ceux des autres nations, quand ils ne les dépassaient pas. Le commerce, pour effectuer ses échanges, a besoin d'intermédiaires, comme les monnaies, les poids et mesures, les routes, les chemins de fer, les canaux, auxquels il faut ajouter le télégraphe, la poste et le téléphone pour les grandes villes. Le commerce qui s'exerce sur les produits naturels du sol, sur ceux de nos usines, fabriques et ateliers, et sur toutes les marchandises impor- tées de l'étranger, s'élève pour la France, selon H. Mager, à plus de 80 milliards. Pour notre commerce général de 1888, l'Annuaire accuse 10 milliards et pour notre commerce spécial 8 milliards. Nous ne chercherons pas à évaluer le trafic opéré par les messageries sur les routes qui sillonnent notre bassin. Il est toujours relativement considérable aux environs des grands centres. Nous nous occuperons sur- tout des chemins de fer, dont le tonnage atteint près de 8 millions de tonnes et dont les recettes s'élèvent à 121 millions de francs, ce qui représente le huitième du trafic de toutes les lignes françaises ; des H. DUPONT. LE 15.VSS1N COMMEllClAL DE LA SELNE 1003 tramways, qui par 334 kilomètres perçoivent 23 millions comme produit brut sur 35 millions résultant de l'exploitation totale; des bateaux pari- siens, qui ont transporté en 1887 plus de 16 millions de voyageurs et rapporté plus de 2 millions à la Compagnie; des canaux qui transportent : combustibles minéraux, matériaux de construction, engrais et amende- ments, bois à brûler et bois de service, machines, industrie métallique, produits industriels, agricoles, denrées alimentaires, divers, bois llotlés de toute espèce; soit un total, pour 1889, de 24.059.182 tonnes, nombre qui excède de 739.482 tonnes celui de l'exercice précédent. Examinons la répartition des transports par lignes de navigation. 1° Vers la frontière belge, une des plus grandes voies : L'Oise canalisée, le canal latéral à l'Oise, le canal de Manicamp, le canal de Saint-Quentin ont transporté.. Tonnes. 605.304 2" Vers la Meuse : L'Aisne canalisée, le canal latéral à l'Aisne, le canal des Ardennes 267.490 3° Vers la frontière de l'est : La Marne, de Charenton à Dizy, le canal latéral à la Marne 274.455 4° Vers l'Océan et le sud : La Seine, du Havre à Rouen. . Tonnes. 54.826 — de Rouen à l'Oise 935.669 — de l'Oise à la Rriche 69.748 — de la Rriche à Paris 90.965 — Traversée de Paris. . . . -. 1.017.483 — de Paris à Corbeil 1.166.902 — de Corbeil à Montereau. . . . 174.889 — de Montereau à Laroche ... 48.016 , §0 Yçj.g ]j^ Loire : Canal du Loing Tonnes. 198.896 3.758.498 Soit, pour la région, un total de plus de 5 millions de tonnes; ce qui fait un peu plus du quart de notre navigation intérieure. En estimant à 40 centimes par tonne et par kilogramme le prix du transport, on 1004 GÉOGRAl'HIE arrive à un chiffre respectable, mais pourtant assez difficile à calculer, vu les prix divers sur chaque tronçon, l'époque de l'année et la con- currence. Nous mentionnerons pour mémoire le tonnage des canaux qui nous a voisinent : Canal de l'Ourcq Tonnes. 450.285 — Saint-Denis. 1.718.239 — Saint-Martin 712.413 Notons que la part du trafic revenant à la navigation à vapeur est très faible (325 tonnes) : c'est un peu plus que la moitié du transport total par bateaux à vapeur. Les routes, les chemins de fer, les cours d'eau desservent et approvi- sionnent les places ou les marchés des grandes villes; mais l'excédent des denrées ou des marchandises est réservé aux contrées qui en man- quent et dirigé à cet effet vers les ports qui se chargent, au moyen de leurs vapeurs et de leurs voiliers, de les faire parvenir à destination. Le principal débouché de la région est le Havre, qui offre une sur- face d'eau de 64 hectares et près de 10 kilomètres de quais. Les docks s'étendent sur 28 hectares et peuvent contenir 150.000 tonnes de mar- chandises. 14.000 navires entrent et sortent chaque année de ce deuxième port de France. Le chiffre de ses exportations est de 927.677.575 francs. En première ligne viennent : Les tissus, passementerie, rubans de soie, bourre de soie Fr. 145.487.520 Les tissus, passementerie et rubans de laine 90.806.259 Les tissus, passementerie et rubans de coton 86.575.199 Le café 84.364.872 Les peaux préparées 69.941.171 Les vêtements 30.253.877 Enfin, citons la tabletterie, les éventails, la brosserie, les peaux et les pelleteries brutes, la soie et la bourre, les outils, le coton, l'horlogerie, les extraits de bois de teinture, la bijouterie fausse, les vins, le beurre qui figurent pour une valeur comprise entre 20 et 10 millions; Le papier-carton, les tissus de lin et de chanvre, les médicaments, les machines, la plume de parures, les poteries, les produits chimiques, les modes, les meubles, les fromages, le sucre, la parfumerie, les cha- peaux, pour une valeur comprise entre 10 et 3 millions. H. DUPOiNT. LE TUAFIC COMMERCIAL DE LA SEINE iOOo Le cliifîrc de ses importations est de 8o9.903.289 francs ; elles con- sistent en coton, café, laines, tissus divers, huiles, graisses, cuivre, soie et bourre, indigo, tabac, horlogerie, houille, bois commun, fromages, viandes fraîches, eau-de-vie, dont la valeur est comprise entre 13(3 et 4 millions. Valeur de la pêche : 230.071 francs. Autour de ce satellite gravitent : 1° Rouen, port de mer au môme titre que Bordeaux et Nantes. 11 exporte pour 37.833.791 francs de marchandises; ce sont : sucres, drilles, meubles, outils, peaux brutes, produits chimiques, bimbeloterie, semences, bitume, coton ou laine, cuivre pur (de 4 à 1 million), blé, fruits, vins, alcool, suif, huiles, etc.; il importe pour 159.53G.9I5 francs de coton, houille, fers d'Angleterre, marbres, plomb et laine d'Espagne, zinc, etc. Valeur de la pèche : 29.053 francs. 2° Dieppe (23.0o0 habitants), dont le port est excellent. Ses exporta- tions montent à 156. 075.486 francs, ses importations à 80.370.713 francs. Les premières consistent en peaux (19 millions), tissus de soie, plumes, œufs (6 millions), fruits, Heurs, fils, bimbeloterie, beurre, horlogerie, fromage, outils, céréales, articles de Paris, vins, poteries, papier, légumes verts, etc. Les secondes, en bois Scandinaves, fers de Suède, chanvre de Russie, laines, houilles, fontes anglaises, etc. Valeur de la pêche : 1.288.585 francs. 3° Fécamp (13.000 habitants), le port le plus profond de la Manche (19'°,30 à la hauteur mer de vive eau) et le plus important pour les arme- ments de la pêche à la morue, du maquereau et du hareng. 11 reçoit de la Baltique les bois de construction, les charbons, les grains; il expédie le galet noir et la marne pour les usines anglaises, la liqueur dite Béné- dictine, Son mouvement maritime comprend 500 navires et 60 bâtiments destinés à la pêche de la morue. Valeur de la pêche : 6.376.755 francs. 4° Saint- Valéry -en-Caux (5.000 habitants), qui fait les mêmes arme- ments, exporte les produits de l'arrondissement d'Yvetot, le galet noir pour la fabrication de la porcelaine anglaise, et importe les charbons, les bois du Nord, les grains. Valeur de la pèche : 631.870 francs. 5° Le Tréport (4.000 habitants) exporte la farine, le froment, les tour- teaux, les biscuits de mer: importe la houille, les bois du Nord, le lin de Russie, les ardoises et les grains. Valeur de la pèche : 857.268 francs. 6° Eu (4.500 habitants) exporte les farines provenant des minoteries de la localité et importe les charbons et bois du Nord. 1° Etretat (1.650 habitants), petit port de |>êche. lOOG GÉOGRAPHIE 8° Veilles et Yport (1.700 habitants), ports d'échouage. 9" Harfleur. Tancarvillc, Villequier, Caudebec, Duclair, la Meilleraye, qui ont peu d'importance ; Quillebeuf, dont le tonnage n'est que de o.OOO tonnes par an. 10° Pont-Audemer flj.lGS habitants), qui exporte du cidre, des toiles et des bestiaux. 11° Honfleur (10.000 habitants) complète cette série de ports; il exporte 10 millions de kilogrammes d'œufs, 4 millions de beurre, 2 millions de fruits de table, des chevaux, des animaux de boucherie, des céréales, des huiles de graine, des papiers, de la verrerie, de !a porcelaine, du cuir, des fromages; il importe des bois du ,Nord, les charbons anglais, les fontes et fers de Suède. Valeur de la pêche : 397.470 francs. Tous les produits de la région ne s'écoulent pas tous par les ports précités, d'autres partent par Dunkerque, Boulogne et Calais. Aussi croyons-nous utile de les faire participer pour un tiers dans le trafic total . Pour ce qui concerne la poste, le télégraphe et le téléphone, nous nous contenterons d'en accuser les produits nets (64 millions 145.000 francs). Quant aux douanes, elles dépassent de moitié la perception totale, qui monte à 337 millions et demi. Nous pourrions montrer les relations de ces différents ports avec tous les pays du monde, mais nous ne voulons pas abuser de votre extrême bienveillance. Tel est l'exposé succinct de ce bassin, exposé que nous aurions désiré rendre plus complet, si nous n'avions été arrêté par des difficultés de toutes sortes. Les chiffres que nous avons donnés sont de la plus rigou- reuse exactitude, grâce aux documents que notre collègue M. Turquan a daigné nous signaler. Si nous ne craignions d'être désapprouvé par les membres du Congrès, nous oserions bien donner 15 milliards comme chiffre d'affaires de la région de la Seine, mais nous craignons d'être en deçà ou au delà de la vérité. Nous serions heureux pourtant de voir ce travail pris en considération et étudié dans ses grandes lignes par ceux qui s'occupent de géographie économique ; car, avant de songer à notre expansion coloniale à laquelle nous ne sommes pas opposé, il faut songer aux besoins de la France, afin de lui permettre de lutter avec succès contre les nations rivales sur le champ de bataille commercial. E. ROSTAND. DES CAISSES d'ÉPARGNE FRANÇAISES 1007 M. Eugène EOSTAID Lauréat de l'Institut, Président de la Caisse d'épargne de Marseille. DE LA REFORME DE LA LEGISLATION SUR LE RÉGIME D'EMPLOI DES CAISSES D'ÉPARGNE FRANÇAISES — Séance du 16 septembre 1892 — Si j'ai tenu à présenter au Congrès la question de la réforme du ré- gime légal d'emploi des caisses d'épargne françaises, c'est qu'elle est une des grandes actualités économiques du moment, qu'elle touche à des intérêts immenses, un capital de trois milliards et demi, la destinée de plus de o40 institutions, et qu'il y a dans notre économie sociale à ce point de vue une déviation, un arriéré qui appellent lin avancement nécessaire — l'objet propre de votre Association. — Cet exposé me sera plus facile sous l'autorité des idées générales que viennent d'indiquer une fois de plus, à propos du rôle de l'action privée et des limites de l'inter- vention de l'État, MM. Léon Say et Frédéric Passy. En quels termes se pose, pour la science économique, pour une éco- nomie publique saine, le problème de l'emploi des capitaux maniés par ces institutions qu'on appelle des caisses d'épargne ? Elles tiennent de leur nature même et de leur but deux fonctions : recueillir les épargnes populaires pour les préserver, employer ces épargnes à l'avantage des déposants et du pays. On est d'accord sur cette notion. On l'est aussi, théoriquement au moins, sur les conditions auxquelles les emplois doivent satisfaire pour que l'objectif soit atteint. Les emplois devront : 1° Offrir le plus de sécurité possible; 2° Permettre une disponibilité suffisante pour pourvoir aux retraits ; 3° Par une fructification prudente, produire assez pour ne pas décou- rager l'économie populaire, pour faciliter la marche et le perfectionnement des institutions, pour leur procurer des réserves ; 1008 ÉCONOMIE POLITIQUE 4" Échapper aux stagnations, aux emplois passifs, faire concourir les épargnes du peuple à la circulation économique, à l'activité locale, au mieux-être des laborieux qui les ont formées. Comment le problème a-t-il été résolu, en fait, expérimentalement? D'après deux conceptions : L'une, qu'on peut qualifier d'universelle, puisque c'est celle qu'ont admise à peu près toutes les nations dans les deux mondes ; L'autre, qui n'existe absolue que dans notre pays. La conception universelle peut se formuler ainsi : a. Pour les dépôts, régime de libre emploi sur place par les insti- tutions, réglementé plus ou moins largement, avec les variantes nationales, par la loi ou les statuts, en vue de répondre le mieux possible aux conditions que j'ai énoncées ; b. Pour les bénéfices de la gestion de ces dépôts, emploi d'une partie, suivant les mêmes règles, à la constitution de solides réserves, et restitution du surplus au peuple créateur de ces bénéfices en contribution sous mille formes à l'amélioration de la condition morale ou matérielle de ce peuple . En a-t-il été de même en France ? En aucune façon. La conception française, — encore le mot n'est-il pas assez exact, car M, Léon Say soutient (et c'est une idée qui lui est chère) que telle ne fut point la conception originelle, qu'elle s'est altérée avec le temps, — nous pouvons la définir comme voici : a. Pour les dépôts, adduction intégrale à une caisse d'État, la Caisse des Dépôts et Consignations, et emploi par cette Caisse seule exclusivement en titres de la Dette d'État ou en compte courant au Trésor d'État ; b. Pour les bénéfices de la gestion de ces dépôts, même absorption, même emploi, sans que rien en profite aux déposants. J'ai démontré ailleurs comment cette solution répond aux conditions dont nous avons parlé. Il suffit d'indiquer : Pour la sécurité, que les crises générales de nos caisses d'épargne en 1848 et en 1870 confirment les données du sens commun, que l'accrois- sement du risque suit parallèlement celui du stock, qu'il s'aggrave encore dans l'hypothèse d'un État tombant en des mains téméraires ; Pour la disponibilité à vue, que l'atermoiement légalisé aux époques où cette disponibilité est la plus nécessaire est la base môme du système; Pour la productivité, qu'elle diminue constamment à mesure que l'emploi s'opère en rentes achetées plus cher, et que même à une fixité factice, arbitraire, du taux d'intérêt, il faudrait préférer (je vais ici un peu plus lom que M. Dumond, dont l'excellente communication a précédé la mienne) le revenu normal que se fait chaque institution; E. ROSTAND. — DES CAISSES d'ÉPAUGNE FRANÇAISES 1009 Pour Vutilité, que le système en est la négation, noyant des milliards d'épargne dans le passif de l'État. En préférant à un semblable régime celui qu'elles ont choisi, les autres nations ont été, au fond, dans la vérité économique et morale. Dès 1S83 dans l'admirable petit livre si suggestif que vous connaissez, M. Léon Say, racontant ce qu'il venait de voir dans les caisses d'épargne italiennes, et comparant leur méthode d'emploi à la nôtre, n'hésitait pas à écrire : « Il n'est pas un économiste qui ne doive déclarer la méthode italienne très supérieure. » Soixante-dix années do fonctionnement du système français ont produit des efïets qui commencèrent d'apparaître, sous l'aspect surtout du danger pour l'État, à mesure que le mouvement ascensionnel normal de l'épargne populaire a porté le total des dépôts aux environs de trois milHards. Je me borne ici à résumer, en quelques traits principaux, ces effets du régime. i" Pour le pays : il a détourné un peu partout, dans plus de 1.500 loca- lités, la masse des petites épargnes de l'agriculture, de l'industrie, du commerce, des travaux publics départementaux et communaux, de toutes les formes de la production et de l'activité régionales ; — il a fait affluer toutes les épargnes, même de nos colonies, en un centre encombré, créant l'apoplexie pour le cerveau et la paralysie pour les membres ; — il a rendu le plus mauvais service au crédit public, sous couleur de le servir, en le surmenant par des achats forcés sans terme, sauf à l'écraser en cas de crises par des ventes en baisse ; enfin, à un point de vue sur lequel je voudrais appeler l'attention des membres présents du Parlement, il crée en cas de guerre, par la nécessité d'énormes remboursements, une infériorité redoutable sur les pays de libre emploi comme l'Allemagne, ■où lÉtat n'est pas le banquier responsable des caisses d'épargne et dispo- serait de ses ressources sans complication de ce côté. 2° Pour les classes populaires : il a empêché leur éducation économique que la gestion sur place aurait facilitée, il les a habituées à un taux arbitraire de loyer de leurs épargnes, il a tué en elles toute confiance en autre chose que l'État; il ne leur a rien restitué des bénéfices de la gestion, et a ainsi contribué à un prodigieux arriéré pour les progrès sociaux pratiques, coopération, habitations améliorées, crédit populaire, crédit agricole, etc.. Pour les classes aisées : il leur a inspiré les mêmes fétichismes étatistes: il les a isolées ; il les a acoquinées à l'égoïste besogne de commis drainant pour l'État sans songer à rien de plus, et épouvantés de toute initiative libre. 3° Pour les institutions : il a abouti ;V des caisses d'épargne médiocres, simples agences d'encaissement pour l'État, pauvres tout en n'ayant jamais 64* 1010 ÉCONOMIE POLITIQUE rien donné, et à réserves vraiment nulles par rapport aux réserves des caisses à libre emploi qui ont pourtant répandu les bienfaits dans leurs régions. 4*^ Pour l'État lui-même : il lui a imposé, par l'obligation profondément fausse de placer toutes les épargnes des citoyens et de les rembourser en numéraire, une responsabilité colossale, et dont on n'aperçoit pas le point terminus; il a transformé une énorme part de sa dette perpétuelle en dette exigible ; il l'a poussé et le pousse par l'absorption assurée d'em- prunts nouveaux au moyen des caisses d'épargne, à des émissions qui faci- litent l'excès de dépenses et qui alourdissent sans cesse une Dette déjà arrivée à trente-deux milliards. D'un régime dont les vices sont si complexes, si nombreux et si graves, que devrait, théoriquement, être la réforme? Le libre emploi restitué aux caisses d'épargne ordinaires, sous des régle- mentations légales, et le placement en rentes avec garantie d'Etat con- servé par la Caisse d'épargne postale à ceux qui y tiendraient: d'un côté la Caisse postale offrant la signature de l'État, mais la faisant payer par un taux très abaissé d'intérêt, et, de l'autre, les caisses ordinaires pour les déposants qui préféreraient l'utilisalion locale avec une productivité supérieure. A'oilà la solution intégrale, qui remettrait les choses en leur place et referait de la vé-rité complète. Mais tout s'oppose à une réforme aussi radicale : la résistance de l'Etat, la résistance des institutions, la résistance des habitudes générales, 11 faut faire un premier pas en comptant avec le passé, avec les faits acquis. On pourra avancer moins craintivement ensuite, lorsqu'on aura pu juger des résultats, vers la transformation graduelle du régime. Comment avons-nous procédé pour introduire et acclimater l'idée, ainsi circonscrite, de la réforme ? Par quatre moyens : l'enquête à l'étranger, une formule de solution adaptée et acceptable, des brèches ouvertes dans le système en vigueur, la propagande. 1° Noire enquête. — Non seulement il n'existait en France aucun ouvrage qui permît de se rendre compte du régime d'emploi des caisses d'épargne étrangères, mais les documents publiés par ces établissements ne se trouvaient dans aucune bibliothèque publique. Nous résolûmes de rassembler ces documents. M. Say avait tourné nos yeux vers l'Italie. Notre enquête a porté, outre ce pays, sur l'Angleterre, l'Allemagne, l'Australie, l'Autriche-Hongrie, la Belgique, le Canada, le Danemark, l'Espagne, les États-Unis, la Hollande, la Norvège, le Pérou, le Portugal, la Russie, la Suède, la Suisse. Nous avons recueilli les statuts, les comptes rendus d'un grand nombre E. UOSTAXD. — DES CAISSES d'ÉI'ARGiNE FRANÇAISES 1011 de caisses d'épargne de ces nations si dissemblables, et créé, dans la bibliothèque technique de la Caisse d'épargne de Marseille, un fonds étranger, qui est d'un intérêt extrême, tel que ne le soupçonnent pas les admirateurs entêtés de notre statu quo. 11 s'en est dégagé des conclu- sions décisives. Elles ont fait l'objet, avec la démonstration de doctrine que je viens de résumer, d'un ouvrage en deux volumes que j'ai publié sous le titre la Réforme des caisses d'épargne françaises, et que connais- sent quelques-uns de mes bienveillants auditeurs. En somme, le régime de libre emploi n'est pas du tout, comme on a prétendu le faire croire, un régime italien: c'est un régime à peu près universel. 2° Solution adaptée. — Puisqu'on ne pouvait songer à offrir cette liberté à un pays qui depuis si longtemps livre à l'Etat toutes ses épargnes populaires et ne croit qu'en la rente, nous présentâmes une formule de solution très circonspecte: un libre emploi facultatif, réglementé, limité à une fraction des dépôts. Nous pûmes, au prix de grands efforts, la faire admettre à la délégation des caisses d'épargne à la fin de mai 1888; traçant la réglementation, elle proposa de borner l'emploi libre au quart des fonds reçus au 31 décembre du dernier exercice, conservant pour les trois quarts le compte courant à la Caisse d'État, puis de limiter l'emploi du quart disponible à certains placements, valeurs garanties par l'État, obligations négociables des départements, des communes, des chambres de commerce, prêts sur première hypothèque, opérations de crédit agricole, industriel ou populaire dans la région, ces deux derniers modes ne pou- vant excéder le quart du quart disponible. Depuis j'ai précisé davantage, j'ai proposé pour les emplois du quart disponible une liste limitative. La délégation des caisses, qui avait échappé un moment au joug des obstinés Étatistes, émit en 1890 un vote contraire au premier. Mais le groupe réformiste a continué de soutenir la solution moyenne qui a été la base de toute notre action. 3° Brèches ouvertes. — Une doctrine d'innovation, pour devenir intel- ligible à l'esprit public, pour prouver sa praticabilité, a besoin de se traduire en réalités vivantes. Il importait de montrer par des faits à quoi le libre emploi, même à l'état d'exception autorisée et d'embryon, peut servir : les conclusions se dégageraient d'elles-mêmes. La caisse d'épargne de Lyon, avait en 1886, sans tirer d'ailleurs de son acte d'induction générale, placé une part de sa réserve dans la Société des logements éco- nomiques, s'estimant libre sur ce point en vertu de ses statuts. La caisse de Marseille conçut un autre dessein : ouvrir une brèche dans le système au seul point où le permettait la tutelle de l'État, c'est-à-dire l'emploi soit de la fortune personnelle, soit des bonis annuels ; et tout en reven- diquant pour la généralité des caisses une législation moins étroite, concilier la législation existante sur ce point où la chose était possible 1012 ÉCONOMIE POLITIQUE avec quelques essais rendus acceptables aux plus timorés par les garanties de la tutelle administrative et le fiat de TÉtat. Ces essais ont été de deux sortes : emploi autorisé par les trois décrets successifs des 13 août 1888, 4 février 1889, 30 juillet 1892, d'une partie de la réserve ou fortune personnelle en interventions pour l'amélioration des logements ouvriers, disponibilité autorisée par le ministre du Commerce d'un dixième des bo- nis annuels en œuvres utiles au développement de l'épargne. Je n'entre dans aucun détail sur les résultats favorables de ces essais, n'en parlant ici qu'au point de vue de la méthode suivie pour introduire l'idée de la réforme. 40 Propagande. — Enfin, par la publication des deux volumes que j'ai rappelés tout à l'heure, pleins de documents connus pour la première fois du public français, et par une série de conférences à Paris, à Bourges, à Bordeaux, à Lyon, nous avons répandu autant que possible dans le pays les faits qui ressortaient de l'enquête à l'étranger, des types de lois et de statuts des caisses à libre emploi, les résultats de notre propre essai si timide, si restreint, et nous avons analysé les idées fausses qui ont cours sur le sujet, entretenues beaucoup plus par l'ignorance ou l'esprit de routine que par des convictions raisonnées. Dans cet exposé, que j'ai voulu très sommaire, je ne crois pas devoir aborder la discussion de ces idées fausses et l'examen des objections opposées à la réforme : mieux vaut, il me semble, me réserver de le faire si quelqu'un, dans ce compétent auditoire, m'invitait à répondre à telle ou "telle de ces objections. Le mouvement a abouti au projet de loi qui a fait l'objet, cette année, du 21 mai au 9 juin, d'un long débat à la Chambre des députés : pour marquer les vues dont ce projet de loi s'est inspiré, il suffit de rappeler que M. Léon Say faisait partie de la commission qui l'a préparé, et qu'il l'a soutenu à la tribune avec l'éminent rapporteur, M, Aynard, député de Lyon et M. J.-Ch. Houx, le dévoué député de Marseille, tandis que MlVI. Hubbard et Lockroy, par une intervention où se voit quelle sorte de rôle utile pourrait jouer la politique radicale dans un Parlement, les secondaient en présentant la thèse de la réforme intégrale. De ce premier débat, qu'est-il sorti ? Un texte légal sur lequel la presse s'est un peu méprise, semble-t-il, en le critiquant comme mauvais et en y dénonçant un échec des idées de réforme. C'est pourquoi je tiens à préciser en terminant. Il reste de la première délibération plusieurs points acquis pour le mouvement réformiste : a. L'élargissement de la charte d'emplois de la Caisse des dépôts et consignations ; h. La règle que cette Caisse allouera aux institutions d'épargne le i:. ROSTAND. — Dr:s CAISSES d'épargne françaises 1013 revenu effectif de son portefeuille, au lieu d'un intérêt arbitraire dont on avait tenté de faire un bénéfice pour ie budget, c'est-à-dire le triomphe de ce principe : ni r/ain ni perte sur fa gestion des épargnes populaires par VÉLat ; c. La création définitive d'une réserve générale; d. La répartition facultative des rentes du portefeuille de la Caisse centralisante ; c. Le libre emploi réglé des réserves ou fortunes personnelles des- caisses d'épargne ; /". La disponibilité généralisée et légalisée du dixième des bonis annuels en œuvres locales de bien social. Ce sont là des résultats dont l'importance a échappé à la presse, mais est considérable. Il reste à conquérir un point plus important encore : le libre emploi d'une partie des fonds de dépôts, facultatif, limité au quart de ces fonds, restreint aux caisses autonomes par un véritable excès de prudence (car à l'étranger les caisses municipales ne sont pas soumises à un autre régime), réglementé avec une circonspection extrême. Même sur cette partie décisive de la réforme, l'adoption n'en a été empêchée que par des erreurs de scrutin le lendemain rectifiées, mais irrévocables. Aussi la commission renouvelle-t-elle sa proposition en vue de la deuxième lecture. Entre temps, un fait caractéristique s'est produit, qui donne raison une- fois de plus à l'école réformiste. La rente 3 0/0 a atteint, a dépassé le pair, en sorte que, dans l'emploi des fonds des caisses d'épargne, l'État achète ses propres valeurs au-dessus du pair, ce qui, en vérité, ne serait pas licite à une société commerciale, el ce qui abaisse chaque jour da- vantage la productivité des emplois. Ainsi les faits corroborent, ils corroboreront de plus en plus, comme on peut dire, vous l'avez constaté, que l'expérience universelle confirme^ les vues de la science économique sur la grande question dont je viens de tracer les lignes essentielles. J'attache infiniment de prix à ce que votre Association scientifique apporte l'autorité doctrinale de son assen- timent aux efforts de ceux qui poursuivent en ce sens une réforme né- cessaire, et notamment de l'illustre président d'honneur de cette Section, M. Léon Sav. 1014 ECONOMIE rOLITIQUE M. É. CHEYSSOIî Inspecteur géne'ral des Ponts et Chaussées, Vice -Président de la Société française des Habitations à l3on marché. Président delà Société des Habitations économiques d'Aiiteuil, à Paris. LES HABITATIONS A BON MARCHÉ — Séance du 16 septembre 1892 ■ — Parmi les questions qui rentrent dans le domaine du quatrième groupe de ce Congrès, le groupe des Sciences économiques, il n'en est peut-être pas de plus importante que celle de l'habitation populaire et de plus digne de fixer l'attention de l'Association française. Je ne reviendrai pas sur les dangers de toute sorte que présente l'insa- lubrité du logement, sur l'hygiène domestique, sur la santé publique, sur la moralité des familles, sur la paix sociale : aveugle qui ne les verrait pas. Je ne dirai rien non plus des admirables tentatives qui ont été faites de divers côtés, parles classes aisées, par les patrons, pour amélio- rer le logement du peuple, depuis les Sociétés de Mulhouse jusqu'à celles du Havre, de Rouen, de Lyon, de Marseille et de Paris. De nombreuses descriptions (1) nous ont familiarisés avec ces combinaisons philanthro- piques : il s'agit plutôt aujourd'hui de les pratiquer que de les faire con- naître. Mais il existe pour lutter contre le taudis, deux autres facteurs très puissants, dont le rôle est encore resté en France sans application, tandis qu'il se montre ailleurs très efficace. Ces deux facteurs sont l'État et l'intéressé lui-même. Le mal à combattre est si profond et si grave qu'il faut faire appel à l'action concourante de toutes les forces, sans en négliger aucune. Que les théoriciens à système discutent la préférence à donner à l'une ou à l'autre de ces forces, — grammatici certent, — les hommes de bon vouloir, ceux qui tendent surtout au résultat pratique, écartent toute exclusion dogmatique et prennent leur bien où ils le trouvent. Je voudrais dire en quelques mots ce qu'ont fait, dans ces derniers (I) Voir, entre autres, la Qucslion de l' lui bi ta lion ouvrière en France et à l'étranger, par M. É. Cheysson. (Masson.) É. CHEYSSON. LKS IIAIUTITIONS A liO.N MAliCllK lOlo temps, des pays voisins, en mettant en jeu l'initiative de l'État et celle des ouvriers, et en dégager un enseignement pour nous-mêmes. Tel sera l'objet de cette rapide communication. I. — L'Etat. Qu'on s'en applaudisse ou qu'on s'en afTlige, l'État tient une place énorme dans nos sociétés contemporaines : on le rencontre à chaque pas ; il faut compter avec lui. Aussi bien dans la question des ha- bitations ouvrières que dans toutes les autres, on a besoin de ne pas l'avoir contre soi, et l'on peut même faire appel à son concours, pourvu qu'on ne l'attire pas hors de sa sphère et qu'on n'empiète pas sur celle de l'effort personnel. L'État exerce une action légitime et nécessaire, tant qu'il la limite aux intérêts généraux qui ne seraient pas assurés sans lui, ou tant qu'il se borne à suppléer soit à l'impuissance, soit aux défaillances, soit au mau- vais vouloir de l'initiative privée, en prenant momentanément sa place ; mais à la condition qu'il cherche avec sincérité à s'effacer graduellement devant elle, à s'abstenir et à se rendre inutile. C'est cette disposition intime qui sépare, comme par un abîme , ie socialisme d'État et ce qu'on pourrait appeler « le libéralisme d'État » : le premier, tendant sans cesse à accroître ses attributions et s'irritant de toute velléité d'indépendance comme d'une atteinte à ses prérogatives ; le second s'applaudissant, au contraire, des progrès de tout mouvement saiutau-e. même s'il y a été étranger, ou s'il n'y est intervenu au début que par quelque encouragement ou par «une chiquenaude initiale ». Ces deux politiques de l'État : Tune malfaisante, l'autre souhaitable, se retrouvent très nettement aux prises sur le terrain des habitations ouvrières. Tout d'abord, on comprend que l'État ne se désintéresse pas de cette question. Il a le devoir et le droit de ne rester ni indifférent ni inactif devant ces logements oii sont violées les régies les plus élémentaires de l'hygiène et qui sont à la fois privés d'eau, d'air et de lumière. Dans de pareils milieux, les corps s'atrophient et contractent le germe de mala- dies qui abâtardissent et déciment la race, sans parler des dangers qu'y courent les âmes et les cœurs. Ce n'est pas seulement la santé et la moralité individuelles des ouvriers qui sont menacées par de tels logements : c'est aussi la santé et la mo- ralité publiques. Le taudis se venge et exerce sur les quartiers riches de terribles représailles par ses menaces d'épidémie et d'agitations popu- laires. « Ce n'est pas seulement de la vertu, a dit avec force M. le D' Du 1016 ÉCO'OMIE POLITIQUE Mesnil, c'est encore de l'héroïsme qu'il faudrait à tout ce monde pour ne pas contracter dans ces bouges la haine de la société.» Il est donc nécessaire, à tous ces points de vue, que l'État se préoccupe d'améliorer une telle situation. En premier lieu, il est tenu de faire la môme guerre aux logements insalubres qu'aux aliments malsains. Un propriétaire ne doit pas pouvoir plus impunément porter atteinte à la santé de ses locataires qu'un épicier à celle de ses clients. Malheureusement, combien ne restet-il pas ;"i faire pour que l'État, dans la plupart des pays et en particulier dans le nôtre, s'acquitte pleinement de ce devoir! L'Étal peut encore, sans se heurter à aucune objection de principe, ni à aucune susceptibilité doctrinale, contribuer efïicacement à l'amélioration du logement ouvrier, en procédant à des enquêtes qu'il est seul en mesure de mener à bien, tant par l'ampleur de ses ressources que par celle de son autorité. C'est le procédé qu'ont suivi nos voisins, notamment en Angleterre et en Belgique, chaque fois qu'il s'est agi d'un mal à guérir, d'une réforme à opérer. Il a surtout montré son efficacité précisément en matière de loge- ments ouvriers, où rien ne vaut l'observation directe des faits. Quand on les a vus par soi-même, on en rapporte une impression ineffaçable. Il est de ces choses — disons le mot : de ces horreurs — qui ne subsistent que parce qu'on les ignore; le jour où l'on se décide à les regarder bien en face, elles sont plus d'à moitié guéries. Des enquêtes de ce genre secouent la torpeur publique par les révélations qui les accompagnent. C'est comme un examen de conscience qui précède les résolutions généreuses. L'État nous rendra donc un signalé service, le jour où il voudra bien entreprendre celte œuvre d'enquête qui dépasse nos forces et qui serait une admirable préface à une campagne décisive contre les mauvais loge- ments. Il peut encore la seconder : par la création d'un musée d'économie sociale, qui mette sous les yeux du public des plans et des modèles et qui- fasse ainsi son éducation; par l'établissement de métropolitains qui assurent des relations économiques et rapides entre le centre des villes et leur ban- lieue et permettent ainsi à la population ouvrière d'aller chercher au loin, après sa journée de travail, des maisons édifiées sur de^s terrains à bas prix, de l'espace et de l'air. Enfin, en tant que patron, — et il est le plus grand de tous les patrons, — l'État peut et doit donner le bon exemple en se préoccupant d'amé- liorer le logement du personnel de ses manufactures et de ses ateliers. Venant de haut, un tel exemple serait contagieux dans les pays où tous les regards sont tournés vers l'État, et où chacun semble attendre de lui l'impulsion. É. C.IIEYSSON. LES IIAUITATIONS A BON MARCHÉ 1011 Est-ce là tout ce que nous avons ù demander à l'État? lN"a-t-il pas plus et mieux à faire? Si nous consultons l'exemple des pays étrangers qui nous ont devancés dans cette voie, nous voyons que, mis en présence de la question des habi- tations ouvrières et sommé par la nécessité de la résoudre, l'État n'a pas hésité ù recourir à des mesures d'intervention plus directes et moins discrètes. La première idée qui se présente naturellement à l'esprit est celle de faire construire des maisons par l'État. Éloignant tout calcul de spécu- lation, ne s'inspirant que de l'intérêt du peuple, il réalisera, dit-on, des prodiges d'économie par la masse même des constructions du même type, par la bonne entente des détails, par la concentration de l'œuvre, par la suppression des intermédiaires; il assurera à ses locataires des logements salubres et à très bas prix; en même temps et par voie de répercussion bienfaisante, il condamnera à la modération les propriétaires de droit commun, aujourd'hui si âpres à la curée. Voilà, pris sur le vif, le socialisme d'État, l'État providence. l'État père de famille. C'est cette fausse conception du rôle et des devoirs de l'État qui a engendré tant de systèmes, dont 1 histoire nous a démontré les dangers, et entre autres ce fameux « pacte de famine », erreur économique bien plus qu'odieuse spéculation sur la misère du peuple. C'est cette même conception qu'on retrouve encore dans une loi anglaise toute récente (18 août 1890), où nos voisins ont essayé de refondre et de codilier leur législation si toutfue et par endroits si incohérente sur les logements insalubres. La première partie de cette loi se réfère aux îlots insalubres (un- healthy areas); la seconde, aux habitations insalubres (unhealthy chvellin;/ houses); la troisième, aux habitations ouvrières (ivorking class lodging houses). Au milieu de dispositions excellentes, cette troisième partie en con- tient de beaucoup plus contestables, nettement empreintes de socialisme d'État , ou plutôt — ce qui ne vaut guère mieux — de socialisme mu- nicipal . « L'autorité locale, dit l'article 59, peut, sur tout terrain acheté ou aménagé par elle à ses frais, construire des maisons propres à recevoir des ménages ouvriers ou transformer à cet effet des maisons existantes; elle peut également modifier, élargir, réparer ou améliorer les mêmes locaux, ainsi que les disposer, les meubler, les garnir de tout le mobilier, des acces- soires et des commodités désirables. » Voilà du coup la ville transformée en constructeur de maisons, bien mieux encore, en logeur en garnis, étape importante vers cet idéal caressé par plusieurs écoles en iste. où la commune, en excellente mère, aima mater, 1018 ÉCONOMIE POLITIQUE voudra bien, après « le bon gîle », nous procurer aussi « le bon souper et le resle ». Malheureusement, l'insupportable logique des choses vient se mettre en travers de tous ces beaux plans. S'ils devaient se réaliser, l'on verrait encore une fois « se recommencer l'histoire ». Découragés par cette ingérence officielle qui s'alimente dans les coffres inépuisables du Trésor public, les entrepreneurs libres et les simples particuliers se garderaient d'entamer une lutte inégale et s'abstiendraient. On sait que « quand le bâtiment va, tout va ». Or, le bâtiment n'irait plus : tout mouvement s'arrêterait en dehors des chantiers municipaux. Il faudrait donc s'enfoncer de plus en plus dans cette voie de l'intervention à outrance, pour répondre aux besoins d'une clientèle toujours plus nombreuse et plus exigeante. Sous cette poussée irrésistible, on serait fatalement conduit à baisser le taux des loyers, à améliorer « le mobilier et les accessoires », à mul- tiplier « les commodités désirables » suivant les expressions de la loi anglaise, pour plaire au plus grand nombre, c'est-à-dire à mettre à mal les finances municipales, à encourager le gaspillage et à étouffer l'industrie libre sous Tétreinte de l'État, qui fait mal et chèrement la besogne du commerce et de la liberté. * Tout autre est l'esprit d'oîi procèdent d'autres lois récemment inter- venues sur le même sujet et aux mêmes fins, en Autriche et en Bel- gique, c'est-à-dire, la loi du 9 février 1892, pour le premier de ces deux pays, la loi du 9 août 1889, pour le second. Ces lois, animées par le libéralisme d'Klat, mettent, il est vrai, la puissance publique au service de la grande cause des habitations ouvrières, mais sans la faire sortir de ses attributions légitimes. Bien loin de tarir les initiatives privées, elles s'efforcent de les provoquer, de les encourager et de les guider. Autant une loi d'intervention directe est per- nicieuse en faisant le vide autour d'elle, autant ces lois belge et autri- chienne sont bienfaisantes, en donnant libre essor à ces forces confuses et latentes, à « ce potentiel » qui n'attend, pour jaillir, qu'une étincelle excitatrice. Pour imprimer un grand élan aux habitations ouvrières, il faut, d'abord, des hommes de bien qui prennent la tête du mouvement, qui soient à la fois des moniteurs et des remorqueurs; il faut, en second lieu, de l'argent à bas prix. La loi belge a donné une heureuse solution à chacun de ces deux pro- blèmes. Les hommes de bien ne manquent pas : ce qui les stérilise, c'est leur isolement et leur inexpérience; ce qui leur fait défaut, c'est une pro- vocation qui les révèle à eux-mêmes et aux autres; c'est une direction K. THEYSSON. I.KS HABITATIONS A BON MAKCHK 1019 qui les groupe et les mette en œuvre. Que de germes ainsi étouffés! que d'activités en puissance, que de bons vouloirs qui se rouillent, surtout en province, comme des épées au fourreau! Pour tirer parti de toutes ces forces qui sommeillent, la Belgique a eu l'idée de se couvrir d'un réseau de comités de patronage, institués dans chaque arrondissement administratif et chargés précisément d'être les initiateurs et les guides du mouvement local. Ces comités doivent être des foyers de propagande pour l'idée des habitations ouvrières et concourir à sa réalisation pratique. Ils forment une sorte de trait d'union entre l'État, qui est trop grand, et l'individu, qui est trop petit; ils font parvenir à l'Etat les demandes individuelles et canalisent ses faveurs, pour qu'elles arrivent sûrement et utilement à leur destination. Ils répandent partout l'expérience chèrement acquise çà et là ; ils épargnent les erreurs et les tâtonnements qu'on a subis ailleurs et permettent ainsi d'appliquer du premier coup les solutions éprouvées. Ils donnent un aliment à tous ces bons vouloirs qui s'atrophient dans l'inaction et contribuent à recréer une vie locale, en ranimant dans l'organisme social les membres plus ou moins engourdis et en diminuant la congestion du cerveau. Après avoir ainsi pourvu à l'organisation de ce patronage, la loi belge a su également renverser le second obstacle que rencontrent les entreprises de maisons ouvrières : celle d'obtenir de l'argent à bon marché. En général, les capitalistes ne se sentent guère attirés de ce côté par l'étiquette de l'œuvre, et les Sociétés qui s'y dévouent ont peine à réaliser les res- sources nécessaires à leur action. En même temps, à côté de cette diffi- culté de se procurer des capitaux pour ce genre de placements, se dresse celle de trouver des emplois fructueux aux milliards de l'épargne, qui s'entassent stérilement dans les coffres du Trésor. Il semble donc naturel de résoudre la première difficuité par la seconde, c'est-à-dire de mettre les fonds de l'épargne à la disposition des entreprises d'habitations à bon marché. C'est précisément ce qu'a fait la loi belge du 9 août 1889, qui a autorisé la Caisse générale d'épargne et de retraite à employer ainsi une partie de ses fonds disponibles, après avoir pris l'avis du comité de patronage. Un règlement du 31 mars 18yl fixe à 3 0/0 le taux des prêts et avances aux Sociétés anonymes ou coopératives de constructions et le réduit à 2 1/20/0 pour les Sociétés de crédit, qui, sans construire elles-mêmes, font des avances aux ouvriers. Avec de l'argent à 2 1/2 0 '0, il en coûte moins cher pour s'assurer en vingt ans la propriété d'une maison saine et confortable que pour acquitter le loyer annuel d'un taudis infect. Peut-on imaginer un circuit plus bienfaisant que celui de cette épargne du peuple, qui retourne au peuple pour améliorer son logement? Et quel 1020 ÉCONOMIE POLITIQUK contraste avec notre système de l'adduction forcée dans les caisses de l'État, avec tous ses embarras et ses dangers à la fois politiques, économiques et sociaux! Aussi ne saurait -on souhaiter trop vivement que les caisses d'épargne soient enfin dotées d'une autonomie sagement réglementée, qui leur permette, à l'instar de leurs sœurs des autres pays , de consacrer une partie de leurs ressources à cette salutaire destination. Outre cet avantage de l'argent à bas prix, les lois récemment intervenues en Belgique, en Angleterre et en Autriche, accordent aux opérations dont il s'agit des immunités fiscales, en entourant ces faveurs de précautions destinées à empêcher qu'elles soient détournées de leur objet et que des spéculateurs puissent se glisser à travers les mailles de la loi. Enfin, pour dissiper l'hésitation naturelle qui pourrait arrêter un père de famille prudent, au moment d'entamer une campagne qui doit se cou- ronner seulement au bout de vingt ans et plus par la propriété de la maison, la loi belge comporte, au profit de cet acquéreur, une combi- naison très économique d'assurance sur la vie qui décharge la famille de tout paiement et la rend immédiatement propriétaire dès la mort du père, si cette mort survenait avant sa libération, serait-ce même le len- demain de la signature du contrat. Telles sont les principales dispositions de celte loi belge, qui répond à toutes les données essentielles du problème, qui laisse l'État dans les bornes de son domaine légitime et respecte les droits de l'initiative privée^ à laquelle il donne un vigoureux appui. II. — L'association coopérative à l'étranger. En dehors de l'État et du patron, les ouvriers peuvent beaucoup pour améliorer leur logement, et ils l'ont bien prouvé dans divers pays où ils ont obtenu, par leurs propres efforts, des résultats qu'on peut, sans exagération, qualifier de merveilleux. C'est surtout en Angleterre que ce groupement des ouvriers s'est montré le plus fécond, en prenant la forme de Sociétés de construction (Building Socielies), qui constituent leur capital par les cotisations men- suelles ou hebdomadaires de leurs membres. Le dernier compte rendu du Registrar Office constate que, au 1"' jan- vier 1893, le total des Sociéiés, dans le Royaume-Uni, était de 2.7(57, avec 587.856 membres (1). Le montant des versements effectués en 1892 (1) Bon nombre de Sociétés n'ont pas envoyé leurs comptes rendus et ne sont pas comprises à ce total. É. CHEYSS©N. — LES HABITATIONS A BON MARCHÉ 1021 s'est élevé à un demi-milliard; l'actif, y compris les créances hypothé- caires, atteignait 1.300 millions de francs. C'est par milliers que surgissent les maisons ouvrières sous la puis- sante impulsion de ces Sociétés. Elles en avaient, dès 1863, construit 8.000 à Birmingham, 18.000 à Leeds. Aux États-Unis, mêmes résultats. En 1888, le nombre des coopérative building and loan Associations était évalué à 3.500; leur capital, à un milliard et demi de francs; leurs épargnes, fixées en immeubles, à deux milliards et demi. En Belgique, la loi du 9 août 1889, dont j'ai analysé plus haut les dispositions principales, s'est attachée à susciter ces Sociétés coopératives par des faveurs fiscales et des facilités de crédit, et elle y a réussi ample- ment. Un dixième du capital souscrit sullU pour la constitution régulière d'une de ces Sociétés. Les actions étant nominatives, l'engagement pris par des souscripteurs sérieux constitue un gage solide sur lequel la Caisse générale d'épargne et de retraite prête moitié du capital souscrit et non versé. Elle avance, en outre, la moitié ou les trois cinquièmes de la valeur des immeubles, suivant qu'il s'agit d'une Société de constructions ou de crédit. Il résulte de ces dispositions que, moyennant le versement de 10.000 fr. sur un capital souscrit de 100.000 francs, une Société anonyme de cons- tructions obtiendra une avance égale à ce capital (1). S'il s'agit d'une Société anonyme de crédit, le même versement de 100.000 francs sur un capital souscrit de 100.000 francs leur donnera droit à un prêt de loo.OGO francs. Ainsi, avec un simple déboursé de 10.000 francs, les actionnaires pourront disposer de 183.300 francs et procurer une maison de 3. 000 francs à 61 ouvriers, sous la condition que chacun de ces derniers dispose dune épargne de 300 francs pour cette acquisition. Il est bien entendu que la loi prend des précautions pour n'accorder ses faveurs et ses facilités qu'aux Sociétés anonymes faisant œuvre de philanthropie et non de spéculation, et, par exemple, limitant à 3 0/0 du capital versé le dividende à distrilxier à leurs actionnaires. Bit-n (jue la loi soit récente, on compte déjà en Belgique trente-huit Sociétés de ce genre, dont trente-deux anonymes et six coopératives. Un grand nombre de Sociétés nouvelles sont en voie de formation, non seulement dans les grandes villes, mais même dans de modestes localités rurales. Au 26 novembre 1892, la Caisse générale d'épargne avait prêté, (1) Soit N le capital sousei-it. La formule qui donne le prêt P en fonclion de N est la suivante : P - 1 -L 5 ■ II N/ 1 1 _ l.\-y 10 ' 2 "'" 10 "^ 2V2 ^ » ' ■■■ 2"/ 1022 ÉCONOMIE POLITIQUE pour la construction d'habitations ouvrières, 1.914.000 francs à 2 1/2 0/0 et 276.000 à 3 0/0. Le prix de revient de ces maisons est plus bas en Belgique qu'en France, à cause du bon marché relatif, dans le premier de ces deux pays, de la main-d'œuvre, des matériaux et de la vie eu général, bon marché qui s'explique en partie par l'absence de droits de douane. J'ai vu à Bruxelles même un type de maison, construit par mon ami M. Lagasse. directeur au Ministère de l'Agriculture et du Commerce, et qui ne dépas- sait pas 1.400 francs. A Alost, une maison, y compris un grand jardin, n'atteignait pas "2.000 francs. Avec de l'argent à 2 1/2 0/0, la propriété d'une telle maison devient aisément accessible à un ouvrier économe. Elle est dégrevée, d'ailleurs, de toutes ces charges fiscales qui, en France, pèsent si lourdement sur ces combinaisons et stérilisent tant de bons vouloirs. Enfin, l'assurance mixte est mise par la Caisse d'épargne à la disposition du ménage ouvrier et le garantit, ainsi que je l'ai dit plus haut, contre le danger résultant de la mort prématurée du père de famille. Afin d'assurer à lui-même le paiement d'une somme de 1.000 francs, à la fin du contrat, ou à sa famille ce même paiement s'il meurt avant ce terme, un ouvrier de trente ans doit payer comme prime annuelle : Pour une durée du contrat égale à lo ans ... o9 fr. 99 c. — 20 ans ... 44 fr. lo c. — • 2o ans . . , 3o fr. 13 c. Si on y ajoute l'intérêt à 3 0/0. soit 30 francs, on trouve , suivant la durée du contrat, des sommes respectivement égales à 89 fr. 99 c, 74 fr. lo c, 6o fr. 13c.; de sorte quejîour une maison de 3.000 francs, dont un dixième a été acquitté comptant, les charges pour les 2.700 francs restant à payer seront les suivantes : Durée du contrat: lo ans 242 fr. 97 c, — 20 ans 200 fr. 20 c. — 2o ans 17o fr. 8o c. Moyennant cette annuité, la famille est assurée d'obtenir la propriété de la maison qu'elle occupe, alors même qu'elle aurait le malheur de perdre son chef avant qu'il n'ait eu le temps de parachever l'œuvre de cette acquisition. Dès le lendemain de la mort du père, la maison, quitte de tout paiement ultérieur, appartient à ses héritiers. É. CHKYSSON. — LES HATîITATION> \ liON MA»U;h1^ 1023 III. — La Pierre du foyer à Meu-seille. Pendant que les SociéUjs coopfîrativfô de construction prenaient tane telle extension dans les autres pa\s et y réalisaient de si grands bienfaits, il y avait lieu de s'étonner et rnème de s'affliger que nos ouvriers fran- çais n'eussent pas su, jusqu'ici, imiter cet exemple. Ils ont tout laissé à faire aux initiatives patronales et bourgeoises et se sont abstenus de les seconder, encore moins de les suppléer. Leur abstf;ntion dans cett<* matière a d'autant p>lus lieu de surprendre qu'elle contraste avec le sen- timent d'indépendance jalouse et p?irfois ombrageuse qui les anime, même \is-a-vis du patron le mieux disposé et le plus bienveillant. C'est ainsi qu'ils préfèrent les Sociétés cof>pératives de consr>mmation gérées par eux-mêmes aux économats administrés par k« chefs d'indus- trie. .\vec de telles dispositions, comment s'expliquer que, pour une question primordiale comme a;lle de rhabilAtion, qui touche aux fibres les plus profondes et les plus intimes de leur pcrsonnalitc; et de leur famille, ils aient pris le parti de s'en désintéresser et desennipporteraux t>ourger)is du soin de la résoudre, sans y intf;r\enir par leurs propres efïort.s ? Hf'ureusement, nous n'en sommr» plus aujourd'hui réduits aux regrets stérik^. Une fjremière Société coof>éralive de conslniclion, la Pkrre du ffryer, s'est constituée à Marseille le 18 décembre 1891, grâce à l'ini- tiative de M. Eugène Rostand , le dévoué ]jromoleur de nombreuses et excellentes mesures dans l'intérêt des ouvriers. Le capital social a été fixé à ao..35() francs, divisé en 1.107 ai::tions d< 50 francs, reparties entre 88 actionnaires. C'est la SofriéU- qui construit elle-même, mais f>our le cf^rnpte du futur locataire. Supfiosons que la maison doive coûter o.OOO francs. H devra souscrire KXJ actions de 5f) francs, libérées d'un dixième et s'engager à verser au moins 10 centim<ïs par mois et par action, c'est- à-dire \^) francs f>ar an pendant une p«''riode suffisante pr^ur l'amortis-se- inent de sa délie. La durée de cette périrxle sera, par conséquent, variable avec le versement mensuel et le rendement des aclions (1), et pouna être sensiblement abrégée, si le locataire affecte à sa lifiération des ver- semeats supplémentaires, provenant de successions, de gratifications, de bcAÎs coofiéralifs, en un mot d'aubaines. Les charges annuelles du locataire s'établissent comme il suit : (*) Si 1 intérêt acîm itix acuoiii tëSi àt % h/b, ct-Ut pénuae a iaif/rUiweifiWi! icra : Di- 2S aiis avec un veatmeui meustHi ât: ib cetiUau* tft: il Mtë — 1S — Dt 13 aa» — fê ^ 1024 ÉCONOMIE POLITIQUE Loyer proprement dit — 4 0/0 sur o.OOO francs. . Fr. 200 Frais généraux (1) — 2 0/0 — .... 100 Loyer Fr. 300 Amortissement 120 Annuité Fr. 420 Quand l'amortissement est complet, les actions sont « mures », d'après l'expression américaine; le locataire les transfère à la Société, qui les annule et qui lui transfère en échange la propriété de sa maison (2). Par suite des anticipations consenties par certains actionnaires, les ver- sements sur les actions s'élèvent actuellement à 22.2S0 francs et ont permis d'entreprendre la construction de trois maisons sur des types diiïé- rents et concertés avec les acquéreurs. Ces trois maisons, dont les plans sont parfaitement combinés et font grand honneur à l'architecte (3), sont en voie d'achèvement et vont être incessamment inaugurées (4). Des négociations sont ouvertes pour une quatrième maison, qui serait construite par le locataire lui-même, la Société jouant vis-à-vis de lui le rôle de banquier à la façon des Sociétés belges et des building Socielies anglo-saxonnes. Les promoteurs et les directeurs de la « Pierre du foyer », en nous envoyant ces détails, nous expriment leur foi dans l'avenir de cette institution, qui répond, disent-ils, à un véritable besoin et qui est accueillie avec sympathie par l'opinion publique. Avec eux, nous croyons que cette initiative sera féconde et nous lui souhaitons de grand cœur tout le succès qu'elle mérite. IV. — Projet de loi sur les habitations ouvrières. Pour assurer la réalisation de ce vœu et pour secouer l'engourdissement des initiatives ouvrières dans cette direction, nous croyons nécessaire de faire appel, comme en Belgique, aux incitations et aux encouragements de la loi. En présence du mal si grave et si général auquel il s'agit de porter remède, on ne peut, comme nous l'avons dit, se passer du concours de l'État, à la condition qu'il se renferme dans sa sphère légitime d'action. C'est en s'inspirant de cette idée et des modèles fournis par les légis- (1) Ces frais généraux comprennent les frais d'entretien, redevances annuelles... Si le montani n'atteint pas 2 0/0, l'excédent est inscrit au crédit du compte courant du locataire pour hâter sa libération. (2) Voir, pour de plus amples détails sur ce mécanisme et sur la constitution de la Société, la Pierre du foyer, par É. Cheysson. (.Masson.) (3) Ces plans ont été primés dans le concours ouvert par la Société française des Habitations à bon marché. (4) L'inauguration en a eu lieu le 27 septembre 1892. É. CIIEYSSON. LES HABITATIONS A BON MARCHÉ 1025 lations étrangères que la Société française des Habitations à bon marché (i) a élaboré une proposition de loi déposée, le o mars 1892 à la Chambre par son président, M. Jules Siegfried, et signée avec lui par soixante- quatorze de ses collègues. Comme la loi belge, cette proposition constitue des comités locaux de patronage; elle autorise les caisses d'épargne et diverses autres caisses publiques à faire, dans des limites prudentes, des prêts aux Sociétés ano- nymes ou coopératives de construction de maisons ouvrières; elle facilite et subventionne les combinaisons d'assurance mixte en cas de vie et de décès au profit du locataire ; elle accorde certaines immunités fiscales; enfin elle apporte à notre droit successoral un tempérament en faveur de la maisonnette pour l'empêcher de sortir de la famille à la mort du père. La Chambre a voté en seconde lecture ce projet de loi, qui est aujour- d'hui devant le Sénat. Elle a également voté le projet de loi sur les Sociétés coopératives, qui comprend les Sociétés coopératives de construc- tion, et les fait bénéficier des encouragements attribués aux autres formes de la coopération. L'idée fait donc son chemin à la fois dans la loi et dans les mœurs. Le 2:2 juin dernier, la Société d'hygiène et de médecine publique, qui a compté parmi ses présidents notre cher et éminent secrétaire général, M. Gariel, votait la résolution suivante : « Considérant l'intérêt que présente pour la santé publique l'hygiène de l'habitation et en particulier celle du logement du pauvre; » Considérant les efforts législatifs qui viennent de se produire en Bel- gique, en^ Angleterre, en Autriche pour combattre l'insalubrité des petits logements et développer la construction de maisons salubres et à bon marché, » Émet le vœu que la France entre sans tarder dans la même voie et appuie le principe du projet de loi actuellement déposé devant la Chambre des députés en vue d'obtenir l'amélioration des petits logements. » Sans ralentir les méritoires efforts du patronage et des Sociétés philan- throphiques, ce qui importe surtout aujourd'hui, c'est d'associer les ou- vriers à l'œuvre qui s'adresse aux profondeurs mêmes de leur vie domes- tique et à l'intimité de leur famille; c'est d'importer chez nous la Société coopérative de construction avec les merveilles qu'elle a faites ailleurs; c'est aussi de développer ce mouvement, au moins au début et pour vaincre le frottement initial, par des dégrèvements et des facilités de crédit, qui exigent l'intervention de la loi. (1) Celle Sociéltî, reconnue dutililé publique, s'esl donné pour lâche de provoquer et de guider les initiatives locales eu faveur du logement ouvrier. Elle met à leur disposition des modèles de statuts, des plans, des conseils et son appui moral. Elle publie un bulletin très documenté, institue des con- cours, ouvre des enquêtes et tient la tète du mouvement qui s'accentue de ce côté. (Son siège social est 15, rue de la Ville-l'Evèque.j 6o* 1026 ÉCONOMIE POLITIQUE Attirer les ouvriers de ce côté, en dépit des meneurs qui veulent les entraîner ailleurs, — j'entends les mauvais meneurs, puisque, paraît-il, on a découvert qu'il y en avait de bons (1), — obtenir du Parlement des mesures analogues à celles que viennent d'édicter l'Autriche, l'Angleterre et la Belgique, tel est le double vœu que je prends la liberté de recom- mander aux sympathies de l'Association française (2). Sa voix a dans le pays un retentissement si grand et si légitime qu'elle sera certainement écoutée si elle veut s'élever en faveur de cette noble cause : l'amélioration du logement populaire. M. Erédéric PASSY Membre de l'Académie des Sciences morales et politiques, à Neuilly-sur-Seine. LE CONGRES ET LA CONFERENCE DE BERNE — Séance du 16 septembre iS92 — J'ai parlé plus d'une fois, dans les réunions de notre Association comme ailleui's, de la guerre et des procédés recommandés pour remplacer, par des solution amiables ou juridiques, les solutions coûteuses et précaires de la force. Je ne voudrais pas reprendre la question à ce point de vue et je n'essaierai ni de faire une fois de plus le procès à la guerre, ni de démontrer que les nations, comme les individus, sont tenus de respecter dans leurs relations la justice et la morale. Je voudrais seulement, sur l'invitation de notre Président, marquer où en est aujourd'hui en fait la question et enregistrer, comme autant de points acquis au débat, les principaux résultats des réunions qui se sont tenues, il y a quelques semaines, à Berne. (1) Voir in Journal des Economistes (numéro d'août 1892) la discussion qui a eu lieu, les août dernier, devant la Société d'Économie politique sur ï utilité des meneurs dans les ateliers de la grande industrie. (2) Ce vœu est en bonne voie de réalisation. Le projet de loi Siegfried a été voté par la Chambre des députés, en première lecture, le is mars |.S03, et en seconde lecture, huit jours après, le 23 mars. (Noie du Secrétariat de l'Association.) F. l'ASSY. — LE CONGRÈS ET LA CONFÉUENCE DE BERNE 1027 Je dirai peu de chose de la première de ces réunions : Le Congrès universel des Sociétés de la paix. Non que je considère comme de médiocre importance les efforts de ces sociétés et l'habitude qu'elles ont prise depuis 1889 de tenir chaque année, dans une des principales villes du monde civilisé, une session extraordinaire. Ce sont elles, à vrai dire, qui ont donné le signal de la croisade entreprise aujourd'hui, sur toute la surface du globe, contre la guerre et contre cette dangereuse paix armée qui n'est, en quelque sorte, qu'une guerre dissimulée. Elles ont poussé les premiers cris, d'abord au milieu de l'indifférence et des railleries, puis en face d'une opinion qui commençait à s'émouvoir et, peu à peu, elles ont fait monter leurs voix jusqu'à l'enceinte des parlements et jusqu'aux oreilles des gouvernements. La plus grande gratitude leur est due pour ces services et le moment n'est pas encore venu, il s'en faut, de cesser leur généreuse propagande. Mais, pour nombreuses qu'elles soient, pour rapide que soit le développement de leur influence, ce ne sont que des voix qui formulent des vœux, et ces vœux ne peuvent devenir efllcaces quà la condition d'être entendus et accueillis par les gouvernements ou par les parlements. Les conférences interparlementaires qui, elles aussi, sont annuelles depuis quatre ans, ont un autre caractère. Si elles ne sont pas, à propre- ment parler, un parlement international ; si l'on ne saurait, sans exagéra- tion, les qualifier, comme l'ont fait d'autres personnes, d'« États généraux de l'humanité », elles sont tout au moins des réunions d'hommes investis d'une influence réelle et directe sur la conduite des affaires publiques puisqu'ils ont, par leur situation même, le pouvoir de transformer en proposition de loi et en appel à l'action des gouvernements les vœux relativement platoniques des Congrès. Aussi, me bornant à mentionner, parmi les résolutions du Congrès, un appel au peuple en faveur d'un pétitionnement général contre le système actuel d'armement universel; un appel au Parlement en faveur de l'exten- sion de l'arbitrage et un appel aux jeunes gens pour les encourager à relier entre eux, par des relations amicales, les grands centres universitaires des divers pays, je passerai tout de suite aux votes principaux de la conférence interparlementaire. Il y en a trois qui sont, à ce qu'il me semble, d'une importance •capitale : Parle premier, la conférence prie ses membres d'engager les parlements à faire reconnaître, par une conférence internationale, comme principe du droit des gens, l'inviolabilité de la propriété privée sur mer en temps de guerre. On peut dire que ce vote n'est pas précisément dirigé contre la guerre, puisqu'il la suppose; et que ce serait plutôt un article de ce code de la civilisation de la guerre dont se préoccupait le vénérable Charles Lucas. 1028 ÉCONOMIE POLITIQUE On ne peut méconnaître cependant que la proclamation de ce principe ne fût déjà une amélioration considérable, puisque, en mettant à l'abri des conséquences de la guerre les personnes et les choses qui n'y prennent point part, elle en circonscrirait le terrain et peut-être réduirait d'autant les tentations qui y portent et les malheurs qu'elle entraîne. Par un second vote qu'il m'a été donné de faire étendre et compléter, l'assemblée a invité tous les gouvernements civilisés à introduire la clause d'arbitrage dans les traités de commerce de navigation et de protection de la propriété industrielle, littéraire et artistique. Ce n'est pas seulement, comme on l'a maintes fois remarqué, réduire les occasions de conflit en déférant d'avance à l'arbitrage une partie notable des questions à propos desquelles ils peuvent surgir. C'est aussi, et cela n'est pas moins digne d'attention, préparer le moment où d'autres causes de conflit plus sérieuses pourront être de même soustraites à la brutale juridiction du canon. D'une part, ce n'est pas à l'importance du litige initial que se mesure l'importance lîuale des querelles. Des moines grecs et des moines latins se sont disputé l'honneur ou le privilège de réparer la coupole d'un temple de Jérusalem. Le fait en lui-même devait sembler peu de chose. Et c'est pour cette ridicule question, a pu dire en plein Parlement l'illustre Henri Richard, que. grâce à l'incroyable sottise des gouvernements, la Grande- Bretagne, la France, la Turquie et la Russie en sont venues aux mains ; que des milliards ont été dépensés; que des centaines de mille hommes ont été massacrés; et que des germes de division, d'oîi sont sortis de nouveaux conflits, ont été semés dans le champ de la politique européenne. D'autre part, il y a, en matière d'arbitrage, comme en d'autres matières, un apprentissage à faire et des habitudes à prendre. On commence par régler pacifiquement une petite difTiculté, on apprend ainsi à en régler une moins petite et, de proche en proche, on arrive à constater la possibilité de résoudre honorablement, sans recours aux armes, des conflits qui, à d'autres époques, auraient paru absolument insolubles, comme l'affaire de l'Alabama ou celle des Carolines. Et ainsi se forme — comme me l'écri- vait, après la sentence de Genève, l'éininent comte Sclopis, — un esprit général de raison et de justice. Ainsi l'on s'enhardit à faire monter jusqu'aux oreilles de ceux qui décident du sort des nations, le cri de la conscience humaine, avec assez de force pour vaincre — comme le disait encore le comte Sclopis — jusqu'aux surdités volontaires. Le troisième vote est plus significatif encore et il a presque le caractère d'une décision internationale. Le mot même, comme on va le voir, se trouve dans le texte. En voici les termes : « La quatrième conférence interparlementaire, considérant que les États- Unis d'Amérique ont proposé la conclusion de conventions d'arbitrage, aux divers gouvernements des pays civilisés qui voudraient les accepter; F. PASSY. — LE COIN'GRÈS ET LA CONFÉRENCE DE BERNE 1029 « Que les conventions d'arbitpage paraissent un des moyens les plus efTicaces d'assurer la paix entre les États du monde ; » Décide : 7> Les membres de chacun des parlements représentés à la Conférence ■sont invités à saisir les assemblées dont ils font partie d'une demande tendant à faire accepter par leurs gouvernements respectifs la proposition des États-Unis relative k la conclusion entre eux et les pays qui voudraient y adhérer, des contrats généraux d'arbitrage. » Je crois inutile d'afîaiblir par aucun commentaire la portée de ces résolutions. Mais il ne l'est peut-être pas de rappeler dans quelles condi- tions se sont tenues les deux réunions dont je viens de parler et à quelle déclaration de la part des hommes d'Etat de ce pays par excellence neutre et libre, elles ont tour à tour donné lieu : « Ici, dit à l'ouverture du Congrès, son président, M. Ruchonnet, ancien Président de la Confédéra- tion, vivent en paix des peuplades de races, de langues et de religions différentes. Leurs mœurs ne sont pas les mêmes, leurs intérêts ne sont pas toujours semblables et cependant ils forment une même nation et c'est avec la même énergie qu'ils défendraient au besoin leur patrie commune. » M. Droz, ancien Président de la Confédération, lui aussi, et ministre des Affaires étrangères, n'a pas craint, en souhaitant la bienvenue à la Conférence, de rappeler que ce n'est jamais impunément qu'un gouverne- ment ou un peuple préfère aux solutions juridiques le recours à la violence et qu'une fatalité s'attache aux œuvres qui sont uniquement dues au triomphe de la force sur le droit. « Ce sont, a-t-il dit, comme des échardes envenimées qui entretiennent dans le corps social un état de fièvre et ■et de suppuration. Le peuple suisse en a eu, de ces échardes, et il ne s'est guéri qu'en s'en débarrassant par de sages et judicieux compromis. » Non moins net a été le langage du docteur Gobât, qui présidait la conférence : « Maintenir la paix par la peur, a-t-il dit, c'est un moyen, mais ce n'est pas le bon. Les alliances contiennent toujours en elles- mêmes le germe de la guerre, parce qu'elles appellent inévitablement des contre-alliances. Dailleurs, elles imposent aux nations des charges ruineuses, absolument incompatibles avec la prospérité publique. Et le grand mal, c'est que les nations pacifiques sont aussi forcées, de leur côté, d'assumer ces charges. La Suisse neutre, solennellement reconnue neutre par l'Europe, obligée de dépenser pour le militarisme proportionnellement plus que l'Italie, est une preuve vivante que la paix par l'intimidation est un mal. 11 s'agit donc de trouver une autre formule : le repos de l'Europe, la prospérité pul»lique, la confiance dans l'avenir, si profondé- ment, ébranlée, sont à ce prix. » iOol) ÉCONOMIi: l'OLlTlULlE Dans un autre passage, le même personnage, insislanl sur la nécessité de maintenir, dans l'intervalle des sessions, un lien entre les membres des difîé- rentes nations, a exprimé la pensée que la Conférence interparlementaire, pour devenir une institution solidement assise, un rouage du mécanisme qui dirige l'action des gouvernements, devait être représenté par un comité permanent. Et la Conférence, faisant droit à cette proposition, a constitué en effet, sous la dénomination de « Bureau intcrparlementaire pour l'arbi- trage international », un comité permanent dont la résidence est à Berne, comme celle du bureau central des Sociétés de la paix. Ce comité est chargé de pourvoir à l'exécution des résolutions de la . Conférence et de prendre, comme organes communs des groupes parlemen- taires, toutes les mesures propres à favoriser l'avancement de l'œuvre commune. Les frais doivent être supportés proportionnellement par les diiTérents groupes. On voit, sans que j'y insiste, quel pas important a été accompli par cette dernière décision. Je ne mentionnerai plus, parce que je tiens à abréger, que les paroles prononcées, à la fin du banquet d'adieu, à Intcrlaken,par le vice-président en exercice de la Confédération. M. Schenck. après avoir exprimé sa satis- faction de voir réunis, au centre de son pays, tant d'hommes distingués et tant d'amis de l'humanité : « Je serais plus heureux encore, a-t-il dit, le jour oîi, dans cette même Suisse, je verrais réuni un congrès de diplomates de toutes les nations pour régler définitivement et pacifiquement toutes les questions qui troublent la tranquillité de l'Europe. J'espère que ce jour viendra et que la Suisse, après avoir vu prononcer le célèbre arbitrage de l'Alabama, deviendra le siège du tribunal permanent d'arbitrage auquel seront déférés tous les différends de l'avenir. » Telle a été, dans ses traits essentiels, cette Conférence de Berne. C'était, on le sait, la quatrième depuis celle de 1889 et il n'y a pas quatre ans, à l'heure qu'il est, que l'idée de cette réunion annuelle avait été sérieusement introduite dans le monde. C'est à la fin de 1888, le 31 octobre, que sur un appel, dont l'initiative revient à M. Cremer, et dont j'avais pris avec lui la responsabilité, une douzaine de membres du Parlement anglais et une trentaine de députés français, auxquels s'était joint un sénateur, M. Jules Simon, réunis pour la première fois dans une salle du Grand-Hôtel, à Paris, ont décidé de convoquer en session internationale pour l'année suivante, 1889, tous les membres des diiTérents parlements qui seraient disposés à s'associer à leurs efforts. C'est à Paris encore qu'a eu lieu, dans une salle de l'Hôtel Continental, la première conférence interparle- mentaire proprement dite. La seconde s'est tenue à Londres, où elle a été ouverte par un ancien lord chancelier, rappelé depuis à ce poste, lord Herschell. La troisième a siégé au Capitole, où elle était reçue solennelle- ment par le syndic de la Ville Éternelle et ses débats ont été dirigés par le D.-.V. CASALONG.V. — SLR LES BREVETS d'iNVENTION 1031 président de la Chambre des députés d'Italie, M, Biancheri. La quatrième a été ce que je viens de dire et la cinquième, celle de l'année prochaine, est attendue à Christiania, où elle a été invitée ofllciellement par le gouver- nement de la Norvège et par le président du Stortliing, M. Ulmann, présent à Berne et membre du comité permanent. Voilà ce que peut devenir, en moins de quatre années, une idée traitée par les soi-disant sages et soi-disant politiques pratiques, d'irréalisable et de chimérique. Voilà comment, avec un peu de persévérance, on peut transformer en réahté du lendemain une utopie de la veille. N'est-ce pas le cas de rappeler le mot d'un soldat, ennemi de la guerre comme beau- coup d'autres, le général Turr : « Nous avons planté l'arbitrage dans le monde, il faut qu'il devienne un grand arbre, à l'ombre duquel toutes les nations pourront enfin reposer en paix. » M. D.-A. CASALOIdA Ingénieur-Conseil, à Paris. OE QUELQUES PRINCIPES GÉNÉRAUX DES LOIS FRANÇAISE ET ÉTRANGÈRES SUR LES BREVETS D'INVENTION — Séance du 16 septembre 1892 — La société contemporaine est, plus qu'aucune de ses devancières, fon- dée sur le travail industriel, dans lequel est compris le travail agricole. Aussi la propriété industrielle, branche de la propriété intellectuelle, surtout celle garantie par brevet d'invention, a-t-elle pris, de nos jours, et tend-elle à prendre davantage encore, une importance considérable, basée non seulement sur les appareils et organes actuels de l'industrie, mais surtout sur les perfectionnements que l'on apporte sans cesse à ces divers engins pour fomenter de nouveaux progrès. L'esprit humain, dans quelque direction qu'il se dirige, ne peut rester dans la simple station contemplative. Il lui faut mettre au jour des moyens tangibles pour favoriser ses recherches, réaliser ses hypothèses ou ses conceptions : de là la naissance de ces appareils, machines ou 1032 ÉCONOMIE POLITIQUE instruments, dès l'abord plus ou moins parfaits, qui ont tant contribué à ses conquêtes. On ne peut nier que ces appareils divers, s'ils sont nouveaux, ou si même étant connus sont rendus meilleurs, ou aptes à certaines applica- tions pour lesquelles on ne les appliquait pas précédemment, sont et doivent être la propriété de leurs auteurs. Cette propriété, de tout temps vaguement reconnue, n'a été cependant réglementée suivant certains principes de droit, que depuis environ un siècle. Et tout au début de cette réglementation se sont posées les ques- .tions de principe suivantes : 1° L'invention, d'un appareil ou d'un procédé nouveau, constitue-t-elle une propriété? 2° Si oui, celte propriété peut-elle être assimilée à la propriété foncière ou mobilière? Sur le premier point, certains économistes, au nombre desquels Micbel Chevalier, ont prétendu que l'invention émanait d'un état actuel de l'in- dustrie, laquelle, après lui avoir donné naissance, lui permettait seule d'être utilisée ; et que, faire de cette invention une propriété, c'était enlever au domaine public industriel une partie de lui-même, en s'en servant pour l'entraver. L'inventeur avait tout au plus droit à une récompense nationale. Cette doctrine, après avoir été sérieusement examinée et finalement re- poussée par les juristes et les auteurs les plus compétents, ne se discute plus. Non seulement on a reconnu l'impossibilité de pouvoir, pratique- ment et équitablement, récompenser, par la nation. Fauteur d'une in- vention ou d'une découverte, mais encore on a reconnu que l'inventeur avait droit à la propriété de- son invention, propriété sacrée entre toutes, étant celle de son intelligence et lui étant essentiellement personnelle. Sur le second point, d'aucuns ont trouvé que cette propriété, justement en raison de ce qu'elle est une émanation de l'esprit humain, était aussi respectable, si ce n'est plus, que la propriété foncière, et devait lui être assimilée, en tous points, notamment au point de vue de la perpétuité. D'autres, au contraire, ont pensé qu'en raison des circonstances qui l'ont fait naître, cette propriété devait être temporaire et établie sur la base d'un contrat, à durée limitée, entre l'inventeur, qui a conçu ou com- biné des moyens nouveaux, et l'industrie du domaine public, qui, non seulement lui en fournit toujours les éléments, mais qui seule permet l'utilisation de l'invention, laquelle, sans cela, resterait stérile. C'est, dans tous les pays, le principe de la propriété temporaire qui a prévalu; et malgré que bien des esprits, d'ailleurs très distingués, l'aient combattu énergiquement et se préparent à lui donner un nouvel assaut, il est peu probable, je crois, que le principe de la pérennité de l'invention soit jamais accueilli. 1».-A. CASALONC.A. SUH LES BKKVKTS d'i.NVKMION 1033 Je me garderai bien de discuter à fond ici, les motifs que font valoir les deux écoles opposées pour faire valoir leur doctrine. Je viens déjà d'esquisser ceux qu'invoquent les partisans de la propriété temporaire, et qui sont un peu ceux-là nu^'ines, bien qu'appliqués différem- ment, des partisans hostiles à toute propriété. On ajoute, par ailleurs, que tout progrès serait paralysé par un tel système do perpétuité. Quant aux partisans de la propriété perpétuelle, ils font valoir, outre l'argument de principe, inhérent à l'essence même de la propriété de Tin- venlion. cette double considération que la propriété industrielle n'est pas moins méritante que la propriété artistique et littéraire, traitée pourtant différemment et avec plus de faveur; qu'elle n'est pas, non plus, ni moins méritante, ni moins utile que le bien foncier ou l'objet mobilier. Je me permettrai de dire en passant, que l'assimilation de l'invention à la propriété foncière paraît être, pour le moins, l'exagération d'une pensée généreuse. Non seulement il faut reconnaître :— que l'invention est suggérée, fomen- tée, par l'industrie appartenant au domaine public, et représentant la communauté sociale; — que cette industrie seule, après lui avoir donné naissance en fournissant la plupart de ses moyens, peut seule l'utiliser et lui faire produire ses effets ; — mais encore : — que ce qui fait l'objet d'une invention ne représente pas un corps unique et nécessairement défini pour toujours ; — que l'objet même résultant de l'invention, destiné à s'user, si ce n'est à se transformer, est susceptible d'être reproduit presque toujours à un nombre d'exemplaires quelquefois considérable ; — qu'il emprunte ses éléments constitutifs au domaine public, et que l'invention ne réside que dans la combinaison de ces éléments; — que ces mêmes éléments peuvent, à un moment donné, être combinés différemment et donner des résultats différents, assez supérieurs aux premiers pour rendre la pre- mière combinaison si inutile qu'on puisse la considérer, dès ce moment, €omme inexklante;— qu'au surplus, l'objet même résultant de l'invention, tout en conservant à l'inventeur, à perpétuité, sa part de mérite, puis- que son nom y est incorporé, devient un objet mobilier constituant, par lui-même, une propriété qui possède tous les attributs de la propriété fon- cière et mobilière, puisqu'il peut être cédé plusieurs fois successivement, ou rester à perpétuité la propriété tangible soit de l'inventeur, soit de tout acquéreur l'ayant régulièrement acquis. L'invention, avec son double aspect, n'a donc pas le caractère unique de la propriété tangible; et si l'on tient compte : des deux parts, antérieure et ultérieure, que le domaine social possède; de la nécessité où ce domaine se trouve, tout en tenant compte de la part revenant à l'inventeur, de réserver sa liberté pour permettre à d'autres membres de la communauté d'utiliser à nouveau, la variété infinie de ses moyens, on reconnaîtra 1034 ÉCONOMIE POLITIQUE que le principe de la pérennité ne peut pas être appliqué à la partie juste- ment intellectuelle de l'invention; et cela encore même qu'on pût l'ad- mettre pour la propriété artistique et littéraire ; car, bien qu'une certaine similitude se présente à l'esprit, de prime abord, on ne peut pas assimiler une invention à un livre, surtout à une statue, à un iliodèle, à une marque, objets caractérisés intellectuellement par un aspect ou une forme bien définis et ne varie tur. Le principe de la limitation de la durée étant admis, quelle devra être cette durée? Pour la déterminer aussi équitablement que possible, il faut recourir à l'expérience, laquelle résulte justement des conditions, de la manière d'être et d'évoluer, de l'industrie. On a pu tout d'abord en déduire, jus- qu'ici, qu'une durée, qui est actuellement de quinze ans, en moyenne, serait suffisante pour dédommager ou récompenser l'inventeur. Mais des cas nombreux ont montré que ai cette durée est sufTi santé pour certaines catégories d'objets menus, et de menue importance, par contre elle est insuffisante pour la plupart des inventions d'appareils ou machines qui exigent des efforts considérables, des essais longs et coûteux, surtout si, à leurs débuts, elles rencontrent des difficultés d'un ordre particulier. Certains pays, comme l'Amérique du Nord, l'ont portée à dix-sept ans; d'autres tels que la Belgique, l'Espagne, l'ont portée à vingt ans; c'est aussi la durée adoptée et conseillée par le Syndicat des ingénieurs-conseils français en matière de propriété industrielle. Quant à moi, si je n'ai pu me rallier encore au principe de la « pérennité» par contre je serais assez disposé à conseiller la concession d'une durée plus longue encore: celle de vingt-cinq ans ne me paraîtrait nullement exagérée, et je ne verrais aucun inconvénient bien sérieux à aller même jusqu'à trente ans. Peu d'inventions, du reste, étant donné que le principe d'une taxe progressive serait admis, atteindraient cette limite; et si elles en profitaient, c'est qu'elles auraient un mérite et une importance tels qu'ils justifieraient cette durée. DE LA MATIÈRE BREVETABLE Les nouveaux produits industriels, les nouveaux moyens, ou l'applica- tion nouvelle de moyens connus, pour obtenir un résultat industriel meil- leur ou nouveau, sont brevetables en France ; sont, au contraire, exclus, et véritablement sans raison, les produits pharmaceutiques. Cette définition de la matière brevetable est claire. Et si on y admettait les produits pharmaceutiques, on pourrait l'adopter comme une des meilleures. On peut seulement dire que le principe de la nouveauté y est posé et compris d'une manière trop absolue. n.-A. CASALONGA. — SrR LKS BREVETS d'i.NVENTION i03o L'invention étant un bienfait, il ne faudrait pas être trop rigoureux pour celui qui l'apporte, tout en réservant les droits des tiers. A ce point de vue celui qui mettrait au jour, à un moment opportun, une invention oubliée, ou tombée en désuétude, rend également à l'industrie un service qui, s'il n'est aussi méritoire, est au moins aussi grand que si l'invention était nouvelle. C'est dans cet ordre d'idées, bien que fort mitigé, que les États-Unis d'Améiique garantissent le droit de l'inventeur, et l'on en retrouve comme un vif reflet plus dans la législation autrichienne-hongroise, et dans la récente loi allemande. DE LA TAXE Est-il dû une taxe? — devrait-elle être unique, ou graduelle, ou pério- tlique? — Tous ces systèmes sont aujourd'hui appliqués tantôt dans un pays, tantôt dans un autre. Le système de la taxe unique, adopté notamment par les États-Unis, ne fait peser sur le brevet, une fois délivré, l'obligation d'aucune taxe. L'inventeur n'a aucun intérêt à renoncer à un brevet qui ne supporte aucune charge, même s'il n'en peut tirer aucun profit. Il existe ainsi une masse de brevets jouissant d'une existence légale et n'ayant aucune valeur, même aux yeux de leurs auteurs. Il en résulte, pour le domaine public, un véri- table encombrement. Le système des taxes périodiques, surtout celui des taxes annuellement progressives, est certainement préférable; il se lie intimement à la valeur de l'invention et au profit qu'elle procure, à la fois, à l'inventeur et à l'industrie. 11 désencombre le stock de patentes virtuellement abandonnées par leurs auteurs. DE L EXAMEN PRÉALABLE La thèse de l'examen préalable est susceptible d'un grand développe- ment qu'elle ne peut prendre ici. Pratiqué depuis longtemps aux États- Unis, ce système a été adopté en 1877 en Allemagne et depuis en Suède. La Russie, l'Autriche-Hongrie le pratiquent aussi dans une certaine mesure, et le Danemark semble aussi vouloir l'adopter dans la nouvelle, loi en préparation. L'examen préalable est un véritable attentat à la liberté de l'invention; il est le fléau de l'inventeur, qu'il prétend cependant protéger et qu'il ré- gente sans rien lui garantir. C'est un attirail aussi coûteux qu'inutile, dépensant un temps et des efforts considérables à examiner des inventions qui, délivrées sous forme de patente, après un rigoureux examen, des 1036 ÉCONOMIE POLITIQUE discussions fréquentes, et de grands retards, sont abandonnées, de suite après, par Ja moitié environ des demandeurs. DE L OBLIGATION D EXPLOITER La plupart des lois obligent l'inventeur à exploiter son invention dans un temps dotmé, qui varie de 1 à 3 ans, sous peine de déchéance. Cette obligation est aussi rigoureuse qu'injuste. L'inventeur est le premier inté- ressé à exploiter son invention, laquelle, d'ailleurs, ne fait de mal à per- sonne. S'il ne l'exploite pas, c'est qu'il ne le peut pas. Pourquoi le punir d'une telle inaction et chercher à le dépouiller, étant donné qu'il est as- treint à payer une taxe qui devient tous les ans plus onéreuse si elle est progressive ? Qu'on l'incite à exploiter, et mieux encore qu'on l'y aide, c'est plutôt ce que l'on devrait chercher à faire; mais sans même songer à frapper son titre d'une déchéance imméritée. DE L OBLIGATION DE NE PAS INTRODUIRE La défense d'introduire, dans le pays, l'objet breveté fabriqué eu pays étrangers, n'est pas plus juste que l'obligation d'exploiter; et, même, -contrairement à une opinion accréditée, elle favorise le progrès industriel régnicole au lieu de lui nuire. La faculté d'introduire fait connaître, mieux et plus rapidement, l'existence, la nature, les avantages de l'objet breveté. Celui-ci procure des produits meilleurs et obtenus plus écono- miquement; et il est de l'intérêt même de la construction que cet objet breveté ne tombe pas dans le domaine public; car, personne ne recherche un objet qui est à tout le monde. DE L OBLIGATION DE CONCEDER DES LICENCES D EXPLOITATION Cette obligation est de même ordre que les deux précédentes; du moins elle procède des mêmes principes. L'inventeur, je le répète, est le premier intéressé à exploiter ; mais il doit agir et traiter en toute li- berté, sans aucune contrainte. On a adopté, dans certaines législations, le principe de la licence obli- gatoire ; jusqu'ici l'application de ce principe est restée purement plato- nique, et il ne saurait en être autrement, excepté dans des cas très fares. Ceux qui l'invoquent s'en servent comme d'une machine de guerre, pour battre en brèche le droit fondamental, au brevet, qu'a l'inventeur. D.-A. CASALONGA. — SUK LES BREVETS d'iNVENTION 1037 Toutes les entraves créées à l'invention et à l'inventeur, ont leur source dans une pensée primordiale hostile à l'invention, et qui n'ayant pu parvenir à empêcher celle-ci d'exister à l'état légal, s'évertue à la faire déchoir ou à l'annuler. DE l'obligation DE CONCENTRER l'iNVENTION DANS DES REVENDICATIONS Cette obligation, sans avoir le caractère coercitif des précédentes, n'est pas non plus cependant bien recommandable. Qu'il soit bon et utile de concentrer l'invention, en des revendications restreintes, venant à la suite de la description, d'accord. Mais que l'on fasse, comme on le fait, consister exclusivement l'invention dans les revendications, sans tenir aucun compte, à ce point de vue, de la description, c'est évidemment excessif. Le système des revendications obligatoires, appliqué, d'ailleurs,, très différemment, suivant les pays, a déjà donné lieu à bien des difficultés d'interprétation. DE LA date réelle DU BREVET La date réelle du brevet doit être celle du dépôt de la demande^ excepté à l'égard de la contrefaçon de bonne foi, contre laquelle la date de délivrance doit seule être véritable. Une telle manière de voir ne s'accorde pas avec le principe de l'examen préalable; mais aucune pensée libérale ne saurait s'accorder avec ce principe déplorable. DES CERTIFICATS D ADDITION Il existe des pays, tels que la Russie, l'Angleterre, les États-Unis, qui n'admettent pas les certificats d'addition, et qui exigent, pour tous les per- fectionnements apportés à une première invention, des demandes de bre- vets distincts. Ce système est moins avantageux pour l'inventeur : c'est déjà dire qu'il est moins libéral, moins juste que le système des certi- ficats d'addition, surtout lorsque les taxes du brevet, ou les dépenses inhérentes, sont élevées. Bien d'autres points seraient encore à signaler et à examiner, si je n'étais obligé de restreindre l'étendue de cette communication. — Je mentionnerai seulement : la Complexité; — la Transmissibilité ; — la Procédure; — la Compétence et la composition des tribunaux. 1038 ÉCONOMIE POLITIQUE DE LA COMPLEXITE La complexité résulte de ce que, dans une môme demande, existeraient deux inventions distinctes, ou plus, ce qui blesse le principe de la fiscalité appliqué aux inventions. Elle est actuellement, dans la plupart des législations, un sujet de rejet, à la fois dangereux et onéreux pour l'inventeur. Lorsque les droits de la demande sont réservés par la con- servation de la date d'origine, le danger est moindre, et l'inventeur peut, moyennant une aggravation dans la dépense, conserver sa propriété; mais il est des cas oîi le rejet entraîne la perte de cette date d'origine, ce qui peut avoir de bien fâcheuses conséquences. Cette date devrait être conservée dans tous les cas, que l'inventeur restreigne sa première demande, ou qu'il la divise en autant de demandes qu'il convient. J'ajouterai que, dans certains pays, comme en Autriche-Hongrie et aux États-Unis, on fait de la « complexité » un abus quelquefois excessif. DE LA TRANSMISSIBILITÉ La transmissibilité du titre du brevet, et des droits qui s'y rattachent, facile en certains pays, l'est peu dans d'autres. C'est en France où elle est la plus onéreuse à effectuer, par suite de l'obligation d'acquitter, au moment du contrat régulier, la totalité des annuités restant à payer, du brevet qui fait l'objet d'une cession. Un simple droit fixe d'enregistre- ment suffit en beaucoup de pays, et devrait de même suffire au législateur français qui a trop exagéré les précautions qu il a voulu prendre pour sauvegarder les droits des cessionnaires. DE LA PROCÉDURE La procédure, telle qu'elle est pratiquée en France et en divers autres pays, non pas par voie de plainte au parquet, mais par voie de saisie pratiquée discrètement par huissier, assisté d'un expert et au besoin du commissaire de police, ensuite d'une autorisation du président du tribunal civil, offre toutes garanties à l'inventeur, et peu d'inconvénients pour le prétendu contrefacteur. DE LA COMPÉTENCE OU JURIDICTION La plupart des questions de contrefaçon réelle ou présumée pourraient être conciliées. Un préliminaire de conciliation n'est inscrit actuellement dans aucune législation sur la matière. C'est un préambule utile qui J. ARNALLT. — DE l'ÉTAT CIVIL DES PERSONNES ET DES PROPRIÉTÉS 1039 manque aux contestations naissantes en matière de propriété industrielle. Les chambres syndicales des divers métiers pourraient apporter un con- tingent utile à rinstitution d'un préliminaire de conciliation. DE LA COMPÉTENCE ET DE LA COMPOSITION DES TRIBUNAUX La contrefaçon, en matière de brevets d'invention, tant que la fraude OU la mauvaise foi n'est pas établie, ne saurait être assimilée à un délit et être déférée à la juridiction correctionnelle. Seuls les tribunaux civils doivent en connaître. Que si on prétend, par la correctionnalité, mieux défendre les intérêts de l'inventeur, il est préférable de le faire par le texte de la loi et par une amélioration du fonctionnement des tribunaux civils. Ceux-ci pourraient encore recourir à l'expertise; mais il serait dési- rable que les juges de droit commun fussent assistés de juges auxiliaires techniques, avec voix consultative. Dans ces conditions, les expertises seraient plus rares, ou plus rapides et plus précises, les jugements et arrêts seraient mieux éclairés, sans que l'indépendance des experts et des juges fût entravée en aucune manière. Telles sont les considérations générales ([ue j'ai cru devoir soumettre à la Section d'Économie politique, en y attachant d'autant plus d'importance qu'il se fait autour et en faveur de la propriété industrielle, un travail considérable, notamment à l'étranger, où l'on paraît en comprendre, mieux qu'en France, toute l'utilité et l'etlicacité. Et j'ose espérer que le temps est proche où la revision de la loi française du o juillet 1844 sera heu- reusement revisée. M. Jules ARMÏÏLT iDspeclt'ur (II' l'EiiiuKislreiiieiil et des Domaines, à Oran. L'ORGANISATION DE L'ÉTAT CIVIL DES PERSONNES ET DES PROPRIÉTÉS — Séance du 17 septembre 1892 La conservation des hypothèques, au point de vue économique, est une industrie dont l'État a le monopole, mais dont il aurait pu, dans chaque circonscription administrative, concéder l'exploitation à des com- pagnies ou à des particuliers différents. 1040 ÉCONOMIE POLITIQUE En supposant que cette idée eût été mise à exécution on eût pu varier l'unité territoriale formant la circonscription adminislrative. Chaque conservation d'hypothèques aurait pu comprendre tantôt une seule ville, tantôt un ou plusieurs cantons ou communes, tantôt un arrondissement ou même tout un département. On eût pu, également, décider que l'en- treprise des conservations d'hypothèques serait donnée à l'adjudication ou au concours, et que chaque entrepreneur, en se conformant à un pro- gramme établi à l'avance, aurait eu la faculté d'organiser sa conservation au mieux de ses intérêts et de ceux du public. Au moment où le gouvernement et l'opinion se préoccupent, à si juste titre, de préparer la réforme de notre régime hypothécaire, il n'(3st peut-être pas indifférent de se placer, pendant quelques instants, dans rhypothèse que nous venons d'indiquer et de nous demander quel serait, en cas de concours ou d'adjudication au rabais, le système de conservation d'hypothèques qui aurait le plus de chances d'être favorablement accueilli. Mais, d'abord, demandons-nous quel devrait être le programme à imposer aux concurrents? 11 est évident que, plus ce programme sera simple, tout en restant complot, plus les concurrents auront les coudées franches pour présen- ter des systèmes variés parmi lesquels le gouvernement aurait à choisir celui qui lui paraîtrait le plus parfait ou le plus approprié aux besoins territoriaux de chaque circonscription. Or, si l'organisation d'une conservation des hypothèques est chose compliquée et dilTuile, du moins en apparence, on peut formuler le but à atteindre en quelques lignes. 11 n'y a qu'à considérer le conservateur des hypothèques pour ce qu'il est et pour ce qu'il doit être : liour un marchand de renseignements, tenant boutique ouverte dos indications utiles aux personnes qui veulent faire des transactions immobilières, en achetant, en vendant, en hypothéquant, etc., des propriétés qui leur appartiennent ou qui ne leur appartiennent pas. Si chaque concurrent se pénétrait bien de cette idée, il en arriverait à rechercher, pour chaque nature de contrat, quels sont les renseigne- ments dont les parties lui feraient la demande afin de se mettre en mesure de se les procurer. La définition même du droit de propriété nous fera, d'ailleurs, connaître immédiatement que ces renseignements peuvent tous être classés en trois catégories distinctes. Le code (article 544) définit la propriété « le droit » — pour les per- sonnes — « de jouir et de disposer des choses ». MM. Aubry etKau « le J. ARNAULT. — DE l'ÉTAT CIVIL DES PERSONNES ET DES PROPRIÉTÉS 1041 droit en vertu duquel une chose se trouve soumise d'une manière exclu- sive et absolue, à la volonté et à l'action d'une personne », T. II, § 190, p. 169, et Merlin « le droit par lequel une chose appartient en propre à quelqu'un ». {Répertoire, T. X, p. 2t)0.) L'idée de propriété comprend donc trois termes : Le sujet, qui est le propriétaire ; L'objet, qui est la propriété, Et la relation du sujet à l'objet, du propriétaire à la chose possédée, qui est le droit de propriété. Nous en concluons nécessairement que tout régime de publicité, en matière de constitution et de transmission de droits réels immobiliers, doit se proposer pour but et avoir pour efîet de révéler aux tiers : 1° Le véritable propriétaire de l'immeuble ainsi que sa capacité de contracter et, spécialement, son état civil et son droit de vendre et d'hy- pothéquer des immeubles ; 2° La consistance de l'immeuble, c'est-à-dire sa détermination phy- sique ; 3° La nature et l'étendue du droit du propriétaire sur l'immeuble, €'est-à-dire la détermination juridique de chaque héritage. II Le problème ainsi posé — et il l'est, semble-t-il, d'une manière aussi -complète que possible, — une première question vient à l'esprit : Est-il désirable et possible de classer tous ces renseignements sur un livre unique, qui sera le livre foncier idéal ? L'atlirmative n'a pas paru douteuse à nombre de bons esprits qui, voyant plutôt le but à atteindre que les moyens d'y parvenir, ont pro- posé de condenser sur le livre foncier tous les renseignements nécessaires pour assurer la sécurité des transmissions immobilières. C'est là, suivant nous, une erreur, et comme les conséquences peuvent aller jusqu'à entraîner l'insuccès de la réforme projetée nous demandons la permission de donner, avec quelques développements, les motifs de notre opinion. Avant tout, il s'agit d'une question de comptabilité. Or, il est de l'essence de toute comptabilité de reposer non sur un seul livre, mais sur un ensemble d'écritures qui se complètent et se contrôlent les unes les autres et permettent de faire toutes les recherches nécessaires sous quelque point de vue que l'on envisage chaque affaire. 11 est matériellement impossible, dans la pratique, sous peine d'une inex- tricable confusion, de n'avoir qu'un livre. GG* 1042 ÉCONOMIE POLITIQUE Écoutons ce que nous dit à ce sujet J.-B. Say (1) : « Les livres de compte des négociants (et tous les entrepreneurs d'in- dustrie peuvent passer pour des négociants), leurs livres, dis-je, se tiennent suivant deux méthodes qu'on nomme parties simples et parties doubles. » Un néo-ociant qui tient ses livres en parties simples, couche sur un registre qui se nomme journal, toutes les opérations de son commerce, à mesure qu'elles se présentent. » C'est là le fondement de tous ses comptes. En tenant note ainsi de toutes les affaires qu'il fait, à mesure qu'elles se font, le négociant est sûr de ne pas en omettre. Mais comme une liste de beaucoup d'affaires successives ne lui donnerait aucune idée de ce qu'il doit à chacun de ses correspondants, ni de ce qui lui est dû par eux, il relève chaque article en particulier et le porte sur son grand-livre, au compte du correspondant que cette affaire rend son créancier ou son débiteur. Le grand-livre peut passer, comme on voit, pour le classement ou le répertoire du journal. » Tel est le fond de toutes les écritures d'un négociant ; mais pour mettre un plus grand ordre dans les détails de son affaire, il a plusieurs autres registres au moyen desquels il peut se rendre compte en détail de chaque partie : il a un livre de caisse..., il a un livre d'entrée et de sortie des marchandises..., les négociants ont encore un registre où sont copiées toutes les lettres qu'ils écrivent, etc. » Toutefois, vous concevez que si, par oubli d'un commis ou une erreur de plume, tel article est omis ou s'il a été mal couché, on n'est pas nécessairement averti de l'erreur. Dans la tenue des livres en parties doubles, chaque article est contrôlé par un autre article correspondant^ tellement qu'il faudrait commettre deux erreurs précisément de la même somme, et qui se balançassent l'une par l'autre, pour qu'on n'en fût pas averti. La même méthode permet, en outre, qu'on se rende compte beau- coup plus exactement du résultat de chaque opération, ou de chaque nature d'opérations, parce qu'on les personnifie pour ainsi dire, on leur demande compte de ce qu'elles doivent, et on leur tient compte de ce qu'on leur doit. » III Remarquez cette idée admise sans conteste, en matière de comptabilité commerciale et qui consiste à ^jer-sonni^^e/- chaque opération ou chaque nature d'opération. C'est l'idée que l'on a eue en voulant immatriculer chaque immeuble. Cette idée est excellente, mais de même que chaque commerçant a (\) Cours d'économie poUllque, \>.'i'iO. J. ARNAULT. — DE l'ÉTAT CIVIL DES PERSONNES ET DES PROPRIÉTÉS 1043 une comptabilité en parties doubles dont chacune se contrôle récipro- quement par l'autre, de même nous estimons que la comptabilité foncière devrait être en parties doubles. Tout système législatif, en effet, doit être le développement d'un prin- cipe. « Lorsque, a dit M, Laromiguière, nous pouvons observer une suite de phénomènes ordonnés les uns par rapport aux autres, et tous par rapport à un premier, alors, d'un même regard, nous voyons un principe et un système : le principe dans le premier des phénomènes, le système dans leur ensemble. Le système, lorsqu'il est porté à sa perfection, est le plus haut degré de l'intelligence de l'homme. En nous montrant réunis une multitude d'objets que la nature semblait avoir séparés, en les ra- menant à l'unité, il enferme une science entière dans une seule idée, dans un seul mot. Mais combien les bons systèmes sont rares et com- bien d'illusions peut faire naître l'attrait de la simplicité. » {Leçons de philosophie, I, 61.) Cette règle générale des connaissances humaines peut trouver son appli- cation dans le droit et, en particulier, dans la matière des hypothèques, où il y a un réel danger à vouloir trop de simplicité. Dans le système allemand, une règle domine toutes les autres : c'est qu'à chaque mutation le nouveau possesseur demande à l'État une sorte d'investiture qui forme le titre de la propriété. Le droit dérive de l'inta- bulation, c'est-à-dire « de l'inscription du propriétaire et du créancier sur un registre public où chaque fonds a un compte ouvert auquel son portés tous les droits réels qui viennent soit le grever, soit l'augmenter. (V. Accolas, III, p. 643, qui cite en note : Bluntschli, Deutsches Privât Recht, § 100, « Neueres ht/ pothekars y s tem »,) L'hypothèque y est spéciale parce que le législateur a envisagé la terre, le fonds plutôt que l'homme. Le droit actuel découle encore du régime féodal qui était fondé sur la hiérarchie des terres. (V. Rondel, La Mobilisation du sol en France, p. 31.) Ce système ne saurait être importé en France, où un principe profondé- ment enraciné dans les mœurs est que la propriété se transmet par le simple consentement des parties et où l'État n'intervient pas pour sanc- tionner le droit de l'acquéreur. Le principe du système français est un principe de publicité. Je me hâte d'ajouter que j'entends ce mot lato sensu, car ce que l'on reproche, à juste titre, au système français, c'est l'organisation insuffisante de la publicité, ce sont les hypothèques occultes, les clauses résolutoires in- connues des tiers. Mais de ce que le législateur n'a pas su tirer toutes les conséquences de son principe, de ce qu'il en a fait de maladroites et d'incomplètes applications, il ne s'ensuit pas qu'il n'ait pas eu une règle générale de conduite. Cette règle est de ne pas faire intervenir un agent de l'État pour faire valider le droit dans la personne du nouveau posses- 1044 ÉCONOMIE POLITIQUE seur, mais de révéler aux tiers, soit par une inscription aux registres des hypothèques, soit par une disposition législative, tous les droits réels qui grèvent les propriétés. Si les hypothèques légales sont occultes, ce n'est pas que le code ait voulu les dissimuler aux tiers. « C'est à regret, dit M. Baudry-Lacanti- nerie, que le législateur s'est décidé à admettre, en faveur de l'hypo- thèque légale des mineurs, interdits et femmes mariées, une exception au grand principe de la publicité, exception qui a été considérée comme indis- pensable pour que ces incapables fussent protégés d'une manière efficace. » (Précis, m, n" 13o0.) Les articles 2136 et suivants du code civil témoi- gnent de l'intention du législateur de concilier le principe de la publicité avec la protection due aux incapables. Il n'a pas réussi : personne ne le conteste et on peut dire qu'il ne s'est pas fait illusion à lui-même sur le succès de ses efforts. La question, dit M. Troplong, se posa ainsi : « Faut-il que les prêteurs qui peuvent dicter la loi du contrat soient traités plus favorablement que les femmes et les mineurs qui ne peuvent pas se défendre? Ramenée sans cesse à ces termes par la vigoureuse dialectique du premier consul, la solution du problème ne pouvait être douteuse et il fut décidé que la sûreté de la femme et du mineur devait être préférée à celle des acquéreurs et des prêteurs ; rien ne saurait ébranler ce résultat, si conforme aux règles de la Justice. » {Hijp., Préface, p. xiv.) C'est une question de comptabilité, une difficulté d'écritures, qui a arrêté le législateur dans l'application du principe de publicité, lequel domine néanmoins tout notre droit, comme celui de la force probante de l'intabulation domine le droit allemand. Et voici qu'au lieu d'essayer de résoudre la difficulté qui a arrêté les auteurs de nos codes, au lieu de corriger et de compléter les articles 2136 et 2145 du code civil, on propose la suppression pure et simple des hypothèques légales. On veut soumettre toutes les hypothèques au prin- cipe de la publicité et de la spécialité, confondant ainsi, dans une unique formule, deux questions bien distinctes, car il semble très possible de donner une publicité suffisante aux hypothèques légales sans les sou- mettre à la règle de la spécialité. Si je sais que mon voisin Pierre est marié sous le régime dotal et que la dot et les reprises de sa femme sont de 50.000 francs, je suis suffisam- ment renseigné pour traiter en toute sécurité avec lui et prendre mes précautions : purger, exiger des remplois, ne pas prêter ou ne pas acheter. Point ne sera besoin que chaque propriété de Pierre soit grevée d'une hy- pothèque spéciale. Si l'hypothèque, quoique par sa nature ne frappant que les immeubles, est inscrite contre la personne, il n'est pas nécessaire de rijiscrire contre chaque immeuble. J. ARNALLT. — DE l'kTAT CIVIL DES PERSONNES ET DES PROPRIÉTÉS 1045 Les auteurs du code ont jugé inutile de faire cette inscription, « Si l'on no veut, a dit Troplong, une inscription que pour faire savoir au public que tels immeubles appartiennent à un homme marié ou à un tuteur, il faut avouer qu'on se donne bien du mal et qu'on met en péril bien des intérêts, pour constater un fait qui, le plus souvent, n'est pas ignoré de ceux qui veulent acheter ou prêter, et qu'au surplus ils ont toujours le moyen de vérifier, » {Hyp., Préface, p. xix ij.) Cette dernière assertion n'a jamais été rigoureusement exacte et elle le devient tous les jours d'autant moins que les familles tendent, de plus en plus, à se diviser et à se disperser sur tout le territoire, et môme à l'étranger, l.e remède à cette insuffisance de la notoriété publique et de l'organisation de l'état civil, pour assurer la publicité des hypothèques légales, consiste à perfectionner notre système par l'adoption de quelques règles. Pour conclure, je propose d'adopter les principes suivants : 1° La publicité n'est efTicace qu'à la condition d'être permanente. 2"* Il n'est pas possible d'assurer la publicité des droits réels sans avoir organisé celle des incapacités des personnes. 3° L'organisation la plus pratique paraît consister à immatriculer chaque personne et chaque héritage et à leur ouvrir un compte et un dossier. 4" Par une fiction de la loi, l'immatriculation de la personne ou de l'héritage sera la repré^ntation de la personne ou de l'héritage. 5° La règle absolue, sans aucune restriction ou exception, sera que les incapacités ou les droits réels ne seront opposables aux tiers que s'ils ont été mentionnés sur l'immatriculation de la personne ou (1) de l'héritage ; — en sorte que les inscriptions faites sur le livre des personnes (grand- livre des droits civils) ou sur le livre des héritages (livre foncier) seront comme des écriteaux placés sur les personnes ou les héritages et révélant aux tiers tout ce qu'ils ont intérêt à connaître. IV Voici maintenant dans la pratique comment fonctionnerait ce système: Il y aurait une table alphabétique par nom de propriétaire. Cette table renverrait au compte de chaque personne. Ce compte renverrait au livre foncier. Le livre foncier renverrait à l'état des sections où chaque par- celle serait classée par ordre numérique. Chaque fraction de parcelle sérail numérotée et placée à son rang. Par exemple, si la parcelle 540 de la sec- (I) Toute l'innovation est résumée dans ce mot ou qui indique les facilités qui seront données de révéler aux tiers la situation d'une personne ou d'un immeuble. 1016 ÉCONOMIE POLITIQUE tien B n'était pas divisée et que la parcelle 541 de la même section le fût, on lirait sur l'état de section : Section B, N° 540 - B, N° 541 - - 1 - B, N° 541 - _ -7 - B, N« 541 - - 3 etc. - B, N° 542 - B, N» 543 etc. En marge de chaque numéro de parcelle ou de fraction de parcelle, on lirait le numéro de la consignation en bloc de rhéritage ou des folios correspondants au livre foncier et à la matière cadastrale. Ces deux documents, quoique en concordance, seraient indépendants l'un et l'autre, ce qui permettrait d'effectuer la réforme hypothécaire sans attendre la réfection complète du plan cadastral. L'un donnerait la déter- mination juridique, l'autre la détermination physique, dont on peut à la rigueur se passer pour réaliser la réforme hypothécaire. 11 va d'ailleurs sans dire qu'un livre-journal, ou*registre de dépôts^ assu- rerait la date certaine aux formalités et que ce livre serait en concordance avec les grands-livres d'immatriculation des personnes et des héritages. En sens inverse, l'examen du terrain renverrait au plan, le plan à l'état de section, à la matrice cadastrale et au livre foncier, celui-ci au grand livre des droits civils au casier civil et celui-ci à la table. On aurait une chaîne ininterrompue de renseignements se complétant les uns les autres et il sufiîrait par le rappel d'un simple numéro ou d'un nom de tenir un anneau de cette chaîne pour reconstituer l'état civil d'une personne ou d'un héritage quelconque. Provisoirement, on se contenterait des renseignements que l'on aurait, mais au fur et à mesure que l'on en recueillerait de nouveaux on com- pléterait ceux que l'on aurait déjà et tandis que le cadastre, seul, va toujours en vieillissant, la comptabilité en partie double, constamment rajeunie par des reconnaissances sur le terrain après chaque mutation, irait en s'améliorant avec le temps, jusqu'à ce que son fonctionnement prolongé l'eût amené à l'état de perfection absolue. Avec cette organisation on pourrait indifféremment trouver l'immeuble quand on connaîtrait la personne, ou, réciproquement, trouver la per- sonne quand on connaîtrait l'immeuble. La publicité serait complète et absolue et on pourrait greffer sur cette comptabilité tous les progrès : force probante, mobilisation des titres, réfection du plan cadastral, spé- Y. GUYOT. — « L ACT TORUEMS » EN FRANCE ET DANS LES COLONIES 1047 cialité des hypothèques, abornemeats généraux, etc., que l'on a l'inten- tion d'apporter au régime de la propriété en France. On s'en convaincrait facilement en faisant l'expérience de ce système d'écritures. Il ne faudrait que quelques semaines et quelques centaines de francs pour l'organiser dans une commune quelconque et en rendre le mécanisme évident. M. Yves GÏÏYOT Député, à Paris. LES APPLICATIONS DE « L'ACT TORRENS » EN FRANCE, EN TUNISIE ET DANS LES COLONIES — Séance du 17 septembre 1892 — Depuis longtemps les jurisconsultes sont frappés, en France, des inconvénients que présente notre régime de constitution et de trans- mission de la propriété foncière et des hypothèques et que M. Dupin résumait ainsi en 1836 : « Celui qui achète n'est pas sûr d'être proprié- taire, celui qui paye de n'être pas obligé de payer deux fois et celui qui prête d'être remboursé. » Convaincu que la sécurité du titre de la pro- priété et sa facilité de transmission sont les meilleurs moyens d'améliorer les conditions du crédit de la propriété et d'en augmenter la plus-value, j'étais préoccupé des méthodes employées dans les pays étrangers, de la loi prussienne de 18~2 qu'avait fait connaître M. Paul Gide, de la réforme hypothécaire que la Belgique nous avait empruntée en 1851, mais que nous n'avions pas eu le courage de réaliser, nous bornant à la loi sur la transcription de I800, quand, en 1877, comme rédacteur en chef de la Réforme Economique, je reçus et publiai une étude sur VAct Torrem en Australie qui me frappa vivement. Je me procurai, grâce à des amis an- glais qui eux-mêmes l'ignoraient, les documents concernant le système de Tî'ansfer of land, appliqué d'abord à Adélaïde en I808, depuis s'étant étendu à toute l'Australasie, puis à la Colombie britannique, à l'Étal d'Howa (États-Unis) et devenu si populaire qu'il a pris le nom de son auteur ; je fus mis en rapport avec Sir Robert Torrens, qui est mort en 1883, et, ainsi préparé, en 188:2, au Congrès de la Rochelle, j'en saisis 1048 ÉCOiNOMIE POLITIQUE l'opinion publique. L'année suivante,' en 1883, voyageant en Tunisie, j'en parlai à M. Cambon, à qui je soumis les documents australiens. M. Cambon, dans un avant-projet, plus simple et meilleur que le projet qui est devenu la loi de I880, l'adopta. En 1884, M. Charles Gide ex- posa le système australien dans une importante communication à la Société de Législation comparée; en I880, M, Dain, professeur à l'École de droit d'Alger, en fit une étude très complète, en vue de son applica- tion à l'Algérie; M. Daniel, avocat général à Bourges, le prit pour sujet de son discours de rentrée ; M. Defrance de Tersant, le premier conser- vateur de la propriété foncière en Tunisie sous le nouveau régime, publiait une traduction du rapport que M. Maxwell avait fait après une enquête en Australie. De nombreux ouvrages venaient compléter les travaux qui avaient déjà paru sur cette importante question. Nous citerons parmi les livres antérieurs, celui de M. Challamel, en 1878, Su?- les Hypothèques, puis en 1888, nous trouvons de M. E. ^^'o^ms, La Propriété consolidée; de M. Flour de Saint-Genis, une Élude sur les H!/potltéques;de M. Georges Rondel, La Mobilisation du sol en France. La Faculté de droit de Paris mettait au concours le sujet de prix suivant : « Du meilleur régime de publicité en matière de constitution et de transmission de droits réels immobiliers. » Les concurrents devront, à cet effet, exposer et apprécier les systèmes adoptés en France et a l'étranger, notamment le système alle- mand et celui de VAct Torrens. Le prix fut donné au travail de M. Besson, sous-chef à la direction de l'enregistrement, intitulé : les Livides fonciers et la Réforme hypothécaire, qui est devenu le vade-mecum indispensable de toutes les personnes qui s'occupent de ces questions. On y trouve l'ex- posé et la critique des doctrines aussi bien que tous les faits concernant le régime de la propriété dans tous les pays. La même année, il fut décidé que parmi les congrès de l'Exposition de 1889, aurait lieu un Congrès ayant pour objet l'étude de la Transmission de la Propriété Foncière. Son président, M. Duverger, professeur hono- raire de la Faculté de droit de Paris, en dirigea les travaux avec la conviction de la nécessité de transformer le régime de la propriété fon- cière existant. Dans sa séance d'ouverture, il disait : « Le propriétaire a droit à la certitude de ne pouvoir être évincé quand, de bonne foi, il s'est conformé aux dispositions de la loi pour acquérir; il a le droit de ne pas être gêné ni pour aliéner ni pour hypo- théquer ; il a le droit de ne pas être exclu, par le vice de la loi, du prêt à long terme, remboursable par annuités. La société, d'autre part, est fondée à réclamer une circulation des immeubles telle que la propriété foncière arrive le plus tôt possible aux mains de ceux qui sauront le mieux en tirer parti. » Y. GUYOT. (' l'aCT TORRENS » EX FRANCE ET DANS LES COLONIES 1049 Ce premier Congrès ne pouvait donner une solution définitive aux ques- tions si nombreuses et si vastes soulevées par ce programme ; mais les principes qu'il a établis sont des jalons qui tracent nettement la route que doivent suivre tous ceux qui voudront s'occuper de cette question, en se dégageant des préjugés et des intérêts qui peuvent l'obscurcir. Établissement d'un livre foncier, réel et non personnel, avec le prin- cipe de la force probante ou principe de la légalité ; l'inscription au titre foncier constituant le titre irrévocable du droit, manifesté par l'inscrip- tion à l'égard de toute personne intéressée ; publicité et spécialité de toutes les hypothèques et privilèges ; publicité étendue aux actes décla- ratifs et aux mutations par décès ; constatation de l'immatriculatiou par un certificat de titre remis au propriétaire, et de la cession de sa propriété à un tiers par un acte authentique de transfert ; toutes les inscriptions du registre foncier portées sur le certificat du titre : tel est le résumé des résolutions du Congrès de 1889, Il a examiné également la réfection du cadastre, et, à ce sujet, il a envisagé deux hypothèses : celle où, pouvant être effectué à bref délai aux frais de l'État, le cadastre entraînerait simultanément la confection des livres fonciers et la réforme hypothécaire avec immatriculation obli- gatoire pour les immeubles ; celle où il serait ajourné, et, dans ce cas, la réforme hypothécaire et l'établissement de livres fonciers devraient être faits immédiatement après une triangulation opérée par l'État: ici l'im- matriculation serait facultative. Les conclusions auxquelles a abouti le Congrès de 1889 prouvent qu'il a senti vivement la nécessité de la réforme de notre svstème immobilier. Avant de se séparer, il nomma une commission permanente chargée de préparer des rapports sur plusieurs des questions soulevées et de con- A'oquer un nouveau Congrès. M. Duverger étant mort, la commission per- manente a bien voulu me choisir comme président, et j'ai l'honneur de vous annoncer que la prochaine session du Congrès international de la Propriété Fonciètx se tiendra à Paris du 17 au 22 octobre prochain. Je puis annoncer que le rapport sur l'Immatriculation des immeubles, de M. Emile Dansaert, président du Crédit foncier de Belgique, et de M. Hubert Brunart. commissaire du Crédit foncier de Belgiqlie, tous les deux délégués par le gouvernement belge ; que le rapport sur les Opéra- tions cadastrales, de M. Charles Piat, chef du service topographique en Tunisie ; que le rapport de M. Jules Challamel sur les Privilèges et hypo- thèques, et celui de M. Flour de Saint-Genis sur l'Organisation des bu- reaux d' hypothèques, sont prêts. J'ajoute que, par décret du 30 avril 1891, M. le ministre des Finances a nommé une commission extraparlementaire du cadastre. Le rapport qui précède le décret détermine qu'elle n'a pas seulement un intérêt fiscal. lOoO ÉCONOMIK POLITIQUE mais une étude « de la réforme du mode de transmission de la propriété immobilière et de constatation des hypothèques et droits réels ». a La création de livres fonciers analogues à ceux en usage dans plu- sieurs pays étrangers, continue le Rapport, a été préconisée par de nom- breux économistes et des jurisconsultes autorisés; elle a été réclamée, d'une manière formelle, par la commission d'étude instituée au Ministère de l'Agriculture en vertu de l'arrêté du 11 juin 1889 et par le Congrès international de la propriété foncière tenu à Paris en 1889. Enfin, le Parlement, lors de l'examen et de la discussion du budget de l'année 1891, a nettement indiqué, conformément à la proposition du gouvernement, sa volonté de voir mettre à l'étude l'organisation des livres fonciers. » Dans ces conditions, il n'est pas douteux que les études du gouver- nement doivent comprendre non pas seulement la réforme de notre sys- tème hypothécaire, mais l'ensemble de la question immobilière. » Déterminer la propriété, conserver les effets de cette détermination : voilà le problème. Les effets de la détermination physique et juridique de l'immeuble doivent être constatés dans un document public et authen- tique. Quelle sera la valeur de ce titre de propriété ? Aura-t-il le caractère d'un acte ordinaire susceptible d'être annulé ou rescindé conformément au droit commun ? Ou bien sera-t-il inattaquable et aura-t-il pour effet de conférer à son détenteur un droit à l'abri de toute contestation ? Voilà la question bien posée. Par qui ? par le ministre des Finances, par M. Boutin, le directeur des Contributions directes, et par d'autres émi- nents fonctionnaires. Mais, du moment que cette question est posée, c'est celle de l'application du principe de VAct Torrens dont on peut résumer l'économie générale en quelques mots. Tout propriétaire, en Australie, qui veut mettre sa propriété sous le régime de VAct Torrejis en fait la déclaration au bureau de l'Enregis- trement. Après une purge plus ou moins longue, s'il n'y a pas d'opposi- tion, on inscrit son titre de propriété, avec plan à l'appui, sur un registre. On lui en délivre le double. Ce titre a force probante. Il a la valeur d'un titre nominatif de Rente. Il est inattaquable, sauf le cas de dol évident. Si quelque réclamalion justifiée se produit après sa délivrance, le récla- mant est indemnisé en espèces sur un fonds d'assurance dont la consti- tution est d'autant moins onéreuse qu'on n'y a presque jamais recours. Le propriétaire peut transmettre sa propriété par voie d'endossement, sans se déplacer, sous la seule condition d'envoyer son titre au bureau d'Enregistrement pour que la transmission soit enregistrée. Dans ce sys- tème, il n'y a pas d'hypothèques occultes ni indéterminées : toutes les hypothèques sont spécialisées et publiques. Le propriétaire veut-il emprunter sur nantissement? rien de plus facile. Il dépose son titre dans une banque, et comme il ne peut rien faire UE CASSANO. ADOPTION d'lNK HEURE UNIQUE lOol de sa propriété sans son titre, on lui avance la somme dont il a besoin pour attendre une récolte ou des cours plus avantageux pour la vente de sa récolte ou de son bétail. Si la propriété est démembrée, le titre primitif est annulé, et il est constitué autant de titres qu'il y a de parts de propriétés. Voilà, Messieurs, l'économie générale de VAct Tojrem, du système à livres fonciers avec titres ayant force probante. Cet exposé suffit pour montrer les avantages qui résulteraient de son adoption en France. Comme je viens de le rappeler, depuis l'époque où, au Congrès de la Ro- chelle, j'en ai exposé le mécanisme, des études très importantes ont été faites : la Faculté de droit de Paris s'en est occupée et dans le sens de la réforme indiquée. La Chambre des députés l'a réclamée; M. Noël Pardon, le gouverneur de la Nouvelle-Calédonie, en a fait un projet d'application complet pour cette colonie; une Commission extraparlementaire dont la section juridique a, à sa tête, notre honorable collègue, M. Léon Say, poursuit ses travaux avec le désir d'aboutir à une réforme aussi complète qu'étudiée, et déjà elle a voté les principes fondamentaux de la réforme : la constitution de livres fonciers réels avec force probante pour les titres établis et la publicité de tous les droits réels. Je tenais. Messieurs, à venir au Congrès de V Association Française à Pau, dix ans après ma communication du Congrès de la Rochelle, montrer que les paroles dites dans sa Section d'Éonomie politique ont de l'écho et qu'elles peuvent être le point de départ d'importants mouve- ments d'opinion publique et de réformes de premier ordre. M. le Prince DE CASSAIO i\ Paris. ADOPTION D'UNE HEURE UNIQUE DANS L'INTÉRÊT DU COMMERCE ET DES RELATIONS INTERNATIONALES — Séance du 19 septembre 1892 — Je ne vous ferai pas la théorie de l'heure universelle et encore moins l'histoire de cette question qui a été agitée en maints congrès et en maintes réunions savantes, commerciales et politiques. M. Romannet du Caillaud 4052 ÉCONOMIE POLITIQUE Ta d'ailleurs exposée d'une façon lumineuse au dix-neuvième Congrès de votre Association tenu à Limoges en 1890, et vous avez émis un vœu concluant à ce que la transaction proposée par l'Académie de Bologne « soit bientôt adoptée par toutes les puissances civilisées et qu'on arrive, enfin, à l'unification dans la mesure du temps ». Je me bornerai à traiter le sujet au point de vue pratique et à montrer le danger qu'il y a pour la France de se tenir dans une réserve voulue, pendant que de tous côtés on marche vers une solution qui, loin d'apla- nir les difTicuités du passé, menace d'en créer de nouvelles et de plus graves. Lorsque le gouvernement italien, prenant en main les propositions de l'Académie de Bologne, invitait les puissances à une conférence pour l'uni- fication de l'heure, il y eut un mouvement peu sympathique dans la presse française qui gagna peu à peu les sphères administratives. Si le gouver- nement, par politesse, avait accepté l'invitation, les bureaux n'étaient pas fâchés des objections qui s'élevaient contre le projet de Bologne à cause du choix du méridien et du pays qui le patronnait. On oubliait de la sorte que le méridien de Jérusalem avait été proposé pour la première fois en France au Congrès international de géographie de Paris, tenu en 187o, et que l'Académie de Bologne l'avait indiqué, non pas choisi, comme celui qui offrait le plus d'avantages. Malheureusement la guerre au projet de l'Académie de Bologne n'était pas faite seulement hors d'Italie, mais aussi dans la Péninsule des savants et des publicistes attaquaient avec la dernière violence ce qu'on appelait l'invention religieuse d'un prêtre italo-français. Le Saint-Sépulcre et la robe du P.Tondini di Quarenghi, le véritable apôtre de l'heure universelle, remplissaient de crainte le cœur de certains « irrédentistes » d'un nouveau genre qui voyaient déjà dans l'adoption du méridien de Jérusalem, une sorte de rétablissement du pouvoir temporel. Dès lors, les polémiques allaient leur train, les accusations les plus absurdes étaient lancées contre le modeste savant que plusieurs d'entre vous connaissent, et l'Académie de Bologne, aussi bien que le gouvernement italien, étaient représentés comme hypnotisés par un moine retors qui cachait sous le couvert d'une question scientifique les plus noirs desseins contre l'indépendance de la patrie et la liberté de la pensée. Je n'ai pas à prendre ici la défense du méridien de Jérusalem et à mon- trer les avantages qu'il offre à cause de sa situation politique, climatolo- gique et géographique; je ne rappellerai pas non plus que l'accord de la mesure du temps avec les dates de l'histoire n'est pas chose négligeable. Tout ayant été dit et prouvé d'une façon irréfutable, je n'ai vraiment pas besoin d'y revenir encore une fois. Personnellement, d'ailleurs, je n'ai aucune préférence et j'accepterai aussi bien la Mecque ou Behring que DE CASSANO. — ADOl'TION d'uNE HKLRE UNIQUE 1033 Jérusalem pourvu que l'on tombe d'accord sur un méridien initial et que l'on adopte une heure unique pour les chemins de fer, les télégraphes, les téléphones et le droit international privé. Le système des fuseaux, qu'on a voulu donner comme une transac- tion, est un compromis n'ayant aucune portée pratique, car les inconvé- nients qui résultent de la différence des heures ne sont {»as évités. La mesure du temps n'est pas un fait, mais une convention, donc il faut l'unifier afin que cette convention soit facile à retenir étant la même pour tous. Aujourd'hui nous savons que les Bourses de presque tous les pays ouvrent à midi et ferment à trois heures, mais cela ne nous dit pas si la Bourse de Londres commence ses opérations avant ou après celle d'Odessa. C'est parce que nous n'ignorons pas que l'heure d'Odessa est en avance de 2 h. 3' :26" sur Londres que nous pourrions donner encore des ordres à Londres à la fermeture de la Bourse d'Odessa et que, par contre, nous ne pourrions faire aucune opération avec cette ville après la clôture de Londres. Le jour où Londres et Odessa auraient la même heure, nous au- rions un tableau de toutes les Bourses nous indiquant le fait que Londres ouvre à X heures et Odessa à (X — 2) heures. En regardant notre montre nous saurions immédiatement, sans aucun calcul, s'il est temps ou non de donner des ordres de l'une à l'autre Bourse. Supposons un oncle fantaisiste qui meure en laissant deux neveux: l'un établi à Naples et l'autre à Constantinople. Il lègue sa fortune par testa- ment à celui qui se sera mis le premier à table le jour de sa mort. Celui de Naples s'y asseoit à six heures et demie, l'autre à sept heures. Qui a commencé le premier? Avec les heures locales, et même avec les fuseaux, on peut ergoter à l'infini, avec une heure universelle il n'y a pas d'erreur possible, l'héritier de Naples est en retard de 28'o3" sur celui de Constan- tinople. Il me reste encore à répondre à une objection qui est souvent faite par les adversaires d'une heure unique. Ils disent : « Vous ne pouvez pas pré- tendre qu'il soit midi à Lisbonne et à Vienne en môme temps, d C'est leur plus fort argument et la remarque m'a été faite par des personnes ayant de l'érudition. J'avoue qu'elle m'a étonné. — Est ce que midi a jamais marqué quelque chose dans la vie civile des peuples ? Tout le monde sait que les Romains divisaient le jour en quatre parties égales appelées prime, tierce, sexte et none. Chacune de ces parties était d'environ trois heures, plus ou moins longues suivantla saison. Ils faisaient de même pour la nuit. Les heures du jour s'appelaient hoîxe, du sanscrit ra qui veut dire « clair »; celles de nuit s'appelaient viyHiœ (veillées) et indiquaient les changements des sentinelles. Il n'est jamais question de midi ni de minuit dans leur histoire. •10o4 ÉCONOMIE POLITIQUE Les juifs qui comptaient les heures d'après les prières, avaient adopté le même système après la conquête de Pompée. Lors de la mort du Christ qui a .eu lieu à l'heure sexte, on ne connaissait pas le midi. Plus tard, on a pu établir que cette mort étant arrivée à l'équinoxe du printemps, l'heure sexte correspondait à notre midi; mais si le fait se fût produit au solstice d'été, il aurait été onze heures, et une heure au solstice d'hiver. En Italie, dans les campagnes, j'ai vu pendant mon enfance compter les heures de 1 à 24 à partir de la fin du crépuscule. Le midi tombait à 16, 17, 18 ou 19 heures, suivant la saison et il ne servait qu'à marquer l'heure de YAiigelus. Lorsque les paysans entendaient les cloches de l'é- glise sonner midi, ils indiquaient, sans jamais se tromper, l'heure corres- pondante suivant la mode dite « itaUenne ». Depuis qu'on a multiplié les chemins de fer, on a adopté partout l'heure moyenne de Rome, même pour les usages civils. Le changement n'a offert aucune difficulté, tout le monde s'étant mis à compter les heures de la même façon. L'église elle-même, qui est en général lente à accepter les changements, a tout de suite réformé les heures et aujourd'hui les cloches de la cathédrale de Palerme sonnent V Angélus en même temps que celles du dôme de Milan, malgré la différence de seize minutes qu'il y a entre les méridiens de ces deux villes. Les Turcs comptent les heures d'un coucher de soleil à l'autre et appellent heures à la franque celles qui sont comptées d'après le système ordinaire. En somme, l'importance du midi n'est due qu'à l'église et à l'usage des horloges solaires, mais depuis l'adoption de l'heure moyenne il n'existe plus qu'à l'état de fiction. Le jour où l'on comptera les heures de 1 à 24 en se basant sur un méridien initial et que l'on appliquera la méthode aux chemins de fer, elle passera plus vite qu'on ne pense dans les mœurs. Je ne puis pas comprendre que l'urgence de cette réforme ait échappé à la Commission chargée par M. le ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts de préparer les résolutions à porter au nom de la France devant la Conférence internationale de Washington. Le rapport dit dans ses conclusions : « A l'égard de l'unification de l'heure, la Commission, après s'être éclairée de Tavis des personnages les plus autorisés dans la marine, le commerce, les télégraphes, les chemins de fer, pense que l'intérêt réel de cette réforme est pratiquement très faible ». Je ne mets pas en doute la compétence des personnages qu'on avait consultés, mais je déplore que, dans l'enquête, on ait oublié le public qui a lui aussi quelque autorité et quelques droits. Ceux qui voyagent, ceux qui envoient et reçoivent des dépêches ont des intérêts fort respectables et, si l'on s'était donné la peine de les interroger, ils auraient peut-être ouvert à la Commission des horizons nouveaux. DE CASSANO. — ADOPTION d'uNE HEURK UNIQUE lOoO Si l'on avait compris alors l'utilité de la mesure, on aurait insisté pour faire voter tout d'abord le principe de l'heure universelle avant toute dis- cussion sur le clioix du méridien initial. On aurait ainsi évité l'apparente contradiction qui se rencontre dans les votes de Washington, par lesquels vingt-deux États sur vingt-cinq se prononcent pour l'adoption du méridien de Grecn.wich lorsqu'il s'agit de l'unification des longitudes, et quatorze seulement l'acceptent pour fixer l'heure universelle. Je viens de dire que la contradiction est plus apparente que réelle et, en effet, elle s'explique par le fait que le premier vote était plutôt la consécration d'une habitude déjà suivie, tandis que le second* aurait donné à Greenwich une nouvelle suprématie que rien ne justifie. Mais il ne suffisait pas de voter contre Greenwich. Il fallait insister pour le choix d'un méridien neutre et l'on aurait ainsi évité l'absurde système des fuseaux qui est bien la chose la moins scientifique et la moins pratique qu'on ait jamais imaginée. Il maintient tous les inconvénients des heures multiples et il en ajoute de nouveaux. Malheureusement on a cru, en France, que le meilleur moyen de com- battre les prétentions de l'Angleterre était de retarder la solution de la question. Or, il est arrivé juste le contraire et, à l'heure qu'il est, les deux tiers des chemins de fer de l'Europe sont réglés sur le temps de Greenwich. En effet, que voyons-nous maintenant? La Belgique, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas ont adopté l'heure de Greenwich qu'on appelle l'heure de l'Europe occidentale. L'Alsace-Lorraine, le Luxembourg, le grand-duché de Bade, le Pala- tinat, le Wurtemberg, la Bavière, l'Autriche, la Serbie et Salonique ont l'heure de l'Europe centrale qui avance d'une heure sur la première. La Roumanie, la Bulgarie et la Turquie ont l'heure de l'Europe orientale qui avance d'une heure sur la seconde. Or, si l'on songe que, depuis la Crimée jusqu'au cap de laRoca, àl'extré- mité occidentale du Portugal, il n'y a pas plus de 4o degrés, il faut recon- naître que le partage de l'Europe, au point de vue horaire, a été fait d'une manière indiscutablement adroite à l'aide des trois sections que je viens de rappeler. Et il ne faut pas oublier que tous ces arrangements ont eu lieu à la suite des paroles prononcées par le maréchal de Moltke, quelques jours avant sa mort, au Bcichstag le 16 mars 1891, soit vingt-quatre heures après publication à l'Officiel de la loi sur l'heure nationale française. Le ■< grand silencieux » disait : « Or, le méridien qui nous conviendrait davantage est celui du quin- zième degré Est de Greenwich ; ce méridien coupe la Norvège, la Suède, l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie ; peut-être pourrait-il, éventuellement, 1056 ÉCONOMIE POLITIQUE servir aussi pour l'adoplion d'une heure unique dans toute l'Europe du milieu, » Autrement dit: l'heure de la Triple -Alliance. Deux mois et demi après, l'heure de l'Europe centrale était un fait accompli. La Belgique adoptait à son tour l'heure de Greenvvich et, pour bien marquer que c'était la création d'un second fuseau, on l'appelait : heure de l'Europe occidentale. Mais, il n'y a pas à s'y tromper, sous toutes ces appellations euphé- miques, un fait reste acquis, c'est que le régulateur de toutes les heures du système américain sera l'horloge de Greenwich ; car le fuseau initial, fixé à l'antiméridien de Greenwich, ne rencontre en tait de terres que l'extrémité orientale de l'Asie, où, pour le moment, il n'y a pas d'obser- vatoire et peut-être pas même d'horloge. Que fera donc la France en présence d'un pareil fait accompli ? Conti- nuera-t-elle à se désintéresser de la question ? Mais alors l'Italie, qui n'a pas encore adhéré à la convention de Dresde dans l'espoir de voir ses ouvertures prises en considération, cédera aux instances pressantes qui lui sont faites en ce moment par l'Europe du centre. La Suisse, qui n'a pas d'araour-propre à garder, fera de même et la France restera toute seule avec son heure nationale. Pensez donc. Messieurs, aux conséquences d'un tel isolement. Vous savez bien que la concurrence profite de tout, que le protectionnisme a atteint les dernières limites du permis, s'il ne les a pas déjà dépassées, que des services internationaux pourraient être détournés de votre territoire sous le fallacieux prétexte des horaires de vos chemins de fer. Lorsque les intérêts sont en jeu, tout sophisme devient un argument, et qui sait si la malle des Indes, qu'on avait déjà tenté d'enlever à Brindisi, ne sera pas donnée à Salonique via Ostende à la suite des menées de l'Angleterre. Pour moi, toute vanité patriotique à part, je suis heureux de constater que mon pays offre en ce moment le moyen de tout remédier et je con- jure les législateurs qui sont ici à penser à l'importance que pourrait avoir la réunion de la Conférence dont le cabinet de Rome a pris l'ini- tiative. Convaincu, pour ma part, que l'union évite la guerre, tandis que les alliances y conduisent tôt ou tard, je rejette le système des fuseaux comme un élément nouveau de coalition et je propose à votre approbation le vœu suivant : c< Le Congrès émet le vœu qu'on arrive le plus tôt possible à l'adoption d'une heure unique dans l'intérêt du commerce et des relations interna- tionales, tout en garantissant à chaque État le libre usage de son méridien national dans la marine, l'astronomie et les travaux topographiques. » V. TURQUAN. DÉNOMBREMENT DES ÉTRANGERS EN FRANCE 1037 M. V. TÏÏRQUAI Chef du Bureau de la Statistique au Ministère du Commerce, à Paris DENOMBREMENT DIS ÉTRANGERS EN FRANCE — Séance du 19 septembre i892 — M. TuRQUAN fait connaître les résultats du dernier dénombrement de la population au point de vue de la répartition des étrangers en France. Il présente, à l'appui de cette étude, une série de cartogrammes manus- crits, établis par ses soins, qui font ressortir les groupements les plus intéressants par nationalité, ainsi que l'allure générale de l'immigration étrangère en France. En I80I, l'on avait compté 380.831 étrangers de toute nationalité; en 1891, il en a été recensé 1.130.211, Leur effectif a donc triplé. Voici, d'ailleurs, les chiffres qui ont été trouvés à chacun des dénom- brements : ETRANGERS PROPORTION' ETRANGERS PROPORTION Chiffres absolus !>. 100 habitants Chiffres absolus p. 100 habitants 1X51 . . . . 380.831 1,06 1876 . . 801.754 2,17 1861 . . . . 497.091 1,33 1881 . . 1.001.090 2,67 1866 . . . . 635.495 1,67 1886 . . . 1.126.531 2,97 1872 . . . . 740.668 2,03 1891 . . . 1.130.211 2,97 Pour le dernier dénombrement la répartition des étrangers par nationa- lités a été la suivante : Anglais, Écossais, Irlandais. Américains du Nord . . . du Sud. Allemands . . . Autrichiens. . . Hongrois .... Belges Hollandais . . . Luxembourgeois Italiens Espagnols . . . Portugais. . . . Suisses Russes 39.687 7.024 4.828 333 648 ,2(>1 860 ,078 248 ,042 ,736 331 117 ,357 83 9 2 465 9 31 286 77 1 83 14 A reporter 1.115.550 Report. . . 1.115.550 Suédois. Norvégiens Danois Grecs Roumains, Serbes, Bulgares . . Turcs Africains Chinois, Japonais et autres Asia- tiques Antres nationalités Nationalités inconnues Total dds étrangers de toute n.xtionai.ité 1.155 915 741 2.035 1.677 1.851 813 343 1.908 3.223 1.130.211 67* 1058 ÉCONOMIE POLITIQUE Les étrangers qui ont le plus augmenté par rapport à leur effectif initial, en 1851, sont les Italiens ; ils ont presque quintuplé. Les Italiens se tiennent surtout dans les départements du sud-est, des Alpes-Maritimes à l'Hérault, et remontent le cours du Rhône pour aller former un noyau très considérable dans le département de la Seine. Les Belges ont passé, depuis quarante ans, de 128.000 à 465.000 ; c'est de la Belgique que vient le plus gros contingent d'étrangers. Les Beiges, qui sont près de 300.000 dans le seul département du Nord, semblent s'arrêter, dans le flot de leur immigration, à la Seine. Néanmoins, un certain nombre d'entre eux s'établissent entre la Seine et la Loire. Le reste de la France en compte fort peu. Les Allemands avaient dépassé le chiffre de 100.000 avant la guerre de 1810, et en 1886, mais par l'effet de la naturalisation, leur nombre a sensiblement diminué. L'on en rencontre surtout dans les départements de la Meurthe-et-Moselle, des Vosges, de Belfort, de la Meuse, de la Marne, et dans le nord-est de Paris. Les Anglais — que l'on a recensé surtout dans les départements du nord-ouest baignés par la Manche, et dans les grandes villes, surtout dans les villes d'eaux ou de plaisir — ont doublé depuis quarante ans : ^20.000 en 1851, 40.000 en 1891. C'est le Pas-de-Calais et la Seine qui en comptent le plus. La presque totalité des Luxembourgeois se trouve dans les Ardennes, la Meurthe-et-Moselle, la Marne, la Meuse; l'on en compte 31.000, ce qui semble énorme lorsqu'on pense que le Luxembourg compte 211.000 habi- tants seulement. Les Espagnols ont plus que doublé, mais depuis quelques années restent en nombre à peu près stationnaire. Ils se trouvent surtout dans les Basses et les Hautes-Pyrénées, le Lot-et-Garonne, le Gers, la Gironde, et du côté de la Méditerranée, dans les Pyrénées-Orientales et l'Aude. En dehors de cette région, il y en a fort peu, sauf à Paris, et dans la Marne. Les Suisses, qui ont passé de 25.000, en 1851, à 83.000, en 1891, se sont répandus dans la moitié de la France et sont entrés chez nous par l'Alsace, par le Jura et par le Rhône. — Ils se sont établis tout le long de la vallée de la Seine jusqu'au Havre, et, en descendant vers le Midi, ils occupent le cours du Doubs, de la Saône et du Rhône. Des cartes présentées par M. Turquan, il résulte que les étrangers ont envahi pacifiquement le pourtour de la France, en laissant à peu près désert le centre et l'ouest. Ils se concentrent surtout le long des fleuves où ils trouvent les grandes villes. Mais il est à remarquer que le nombre d'étrangers nés en France et ayant demandé la naturalisation devient tous les jours de plus en plus considérable, et que ce nombre devient plus con- sidérable proportionnellement au fur et à mesure que l'on s'éloigne de la frontière et que l'on se rapproche du cœur du pays. V. TIRQUAN. — UK.NO.MBKEMENT DES ÉTIiA.NGEltS Ei\ FRANCE 1059 II. — Français a l^ étranger. M. Turquaii expose les principaux résultats du dénombremeut dos Français à l'étranger. 11 commence par examiner comment a varié, et comment s'est développée, pendant ces dernières années, l'émigration française et signale vers quels pays les Français tendent à se diriger, et quels sont les départements qui fournissent le plus gros contingent à l'émigration. C'est, bien entendu, le pays basque, les Basses et les Hautes-Pyrénées ([ui ont envoyé le plus grand nombre d'émigrés ; mais les Alpes, la Corse, le Massif central et surtout la Franche-Comté et l'Alsace ont fourni, d'autre part, une grosse part à l'émigration. Cette émigration s'est dirigée en partie vers les pays voisins, Belgique, Espagne, Algérie, Suisse; mais on compte beaucoup de Français aux États-Unis et à la République Argentine. Au contraire d'une idée généralement répandue, il y a peu ou même point d'émigration aux colonies ; les quelques milliers de Français qui s'y trouvent sont des militaires, marins et fonctionnaires, fort peu sont des colons. Ce n'est donc pas du coté des colonies, lesquelles offrent d'ailleurs fort peu de ressources économiques et possèdent un climat contraire au peuplement et à l'établissement de familles européennes et surtout françaises, qu'il convient de songer à diriger nos émigrants : c'est plutôt vers l'Algérie et la Tunisie qu'il faut penser à le faire. Voici les résultats sommaires du dénombrement des Français à l'étranger : 'D^ En Europe 200.000 Français environ. — Afrique 30.000 (non compris l'Algérie). — Asie 15.000 — Amérique du Nord 120.000 — — du Sud. 40.000 — Océanie 3.000 Total . ." 408.000 La Suisse et la Belgique sont les pays qui comptent le plus de Français, (oO.OOO à oo.OOO). Les États-Unis en comptent 106.000. Mais on sait que le nombre de Français indiqué par le recensement ne saurait être considéré que comme un aperçu, beaucoup de Français, en Amérique surtout, évitant ou négligeant de se faire connaître au Consulat. 1060 ÉCONOMIE POLITIQUE M. Turquan estime que le nombre de Français établis à l'étranger ne dépasse guère un demi-million d'individus. il considère les différentes causes de cette émigration qui, chez nous, n'est pas toujours provoquée par la misère, comme cela est constaté en Italie, en Allemagne et en Irlande, et se félicite de ce qu'un nombre de plus en plus considérable de Français aillent porter ailleurs leur activité, car ils établissent certainement un courant de commerce entre la mère patrie et leur lieu d'élection. Néanmoins, il convient de faire quelques réserves et de n'encourager l'émigration que de gens capables de coloniser et de prospérer. Le gouvernement ne saurait empêcher l'émigration, mais il peut la réglementer et surtout la protéger contre les abus des compa- gnies qui se sont fondées pour exploiter les émigrants. M. Arsène DÏÏMOIT à Caen. DE L'UTILITÉ DES LISTES NOMINATIVES ET DE LA NÉCESSITÉ DE PRÉVENIR LEUR DESTRUCTION — Séance du 49 septembre 1892 — En prenant la parole devant la Section de Statistique, je la prie de me pardonner d'improviser une communication que je n'avais pas en- core, il y a quelques jours, l'intention de lui adresser. Mon excuse sera la gravité du fait que je désire signaler. Lundi dernier, aux archives de Bordeaux, voulant étudier la natalité dans le riche canton de Paulliac et constater les phénomènes démogra- phiques concomitants qui sont susceptibles d'en rendre compte, je deman- dai les deux séries de documents indispensables pour ce travail : d'une part, les recensements quinquennaux devant fournir le chiffre de la popu- lation, et, d'autre part, les tables décennales sur lesquelles j'ai coutume de compter le nombre des mariages, des naissances et des décès. Les tables décennales me furent aussitôt communiquées; quant aux recensements, ce fut impossible, ils n'existaient plus. Une circulaire ministérielle avait A. DUMONT. — DE l'uTILITÉ DES LISTES NOMINATIVES 1061 autorisé à les détruire comme encombrants et ils avaient été anéantis (I). Je connaissais l'existence de cette circulaire ; mais je croyais tous les archivistes résolus, comme certains d'entre eux, à ne pas proliter de la liberté qu'elle leur donnait. C'était une erreur, la Gironde n'a déjà plus de listes nominatives pour les recensements antérieurs à celui de 1891 et ce grand département n'est pas le seul dans ce cas. J'en sais d'autres où ■ces pièces sont dès à présent, ou détruites, ou mises au rebut pour être Hvrées au pilon. Avant peu d'années, l'œuvre de destruction aura gagné Ja plus grande partie du pays (2). Or, ce serait se tromper que de compter sur les listes nominatives qui doivent être conservées en double dans les communes. Depuis douze ans que je poursuis dans les campagnes mes études sur la dépopulation, j'ai pu constater que ces documents sont généralement égarés ou détruits quinze ou vingt ans tout au plus après leur confection, et, quant aux tableaux récapitulatifs des recensements que Ton pourrait au moins con- server, ils sont presque invariablement encartés dans les listes nomina- tives et partagent leur sort. Ce n'est pas devant la Section de Statistique qu'il faut insister sur les désastreuses conséquences de cette perte. Désormais, pour calculer la nuptialité, la natalité et la mortalité des communes, le démographe aura bien les tables décennales qui lui donnent les mariages, les naissances et les décès ; mais il n'aura plus les recensements qui lui auraient fourni le •chiffre exact de la population. Il aura un dividende sûr ; il n'aura plus qu'un diviseur incertain. Ce diviseur ne manquera pas absolument, car on peut le trouver dans les annuaires départementaux qui partout — du moins je le présume — contiennent le chiffre de la population commune par commune. .Mais il sera incertain, d'abord parce que ces annuaires contiennent de fréquentes erreurs, ensuite parce qu'on ne sait jamais ce que comprend le chiffre de population qu'ils indiquent. Embrasse-t-il la population à part, les résidents absents ou seulement les résidents pré- •sents ? C'est une question à laquelle l'annuaire ne répond pas. De sorte que pour calculer l'émigration, par exemple, on se trouve très empêché. Le rédacteur de l'annuaire a-t-il, il y a trente-cinq ans, compté les élèves de telle pension, de tel séminaire, la garnison de telle caserne, les ma- lades de tel hôpital actuellement supprimé ? On ne sait, et cette ignorance s'oppose à tout raisonnement valable. Et combien étaient ces élèves, «es soldats ou ces malades? On voit, sans qu'on y insiste, les incon- (I) Circulaire du minisire de l'Instruclion publique (signc% Spuller) relative à la suppression, dans les archives des préfectures et sous-préfectures, des papiers inutiles. 12 août 1887. In Bullelin des Bibliothèques et des Archives, année 1887, page 222. (2; Les tableau.x du mouvement de la po|)ulation, indispensables pour le calcul de la natalité illé- 4,'itime, de la natalité et de la mortalité par mois, de la mortalité par âge et par état civil, etc., sont le plus souvent traités comme les listes nominatives et condamnés, eux aussi, à disparaître. 1062 ÉCONOMIE POLITIQUE vénients, lorsqu'il s'agit du calcul des mouvements de la population. Mais il est deux autres informations que seules peuvent rendre possibles les listes nominatives ; elles peuvent servir : 1° à faire l'onomatologie de la France ; 2° à faire la distinction de la population fixe et de la popu- lation instal)lo. Dans la population d'une commune rurale, le nombre de ses membres n'est pas la seule chose intéressante. La répartition de cette population en familles l'est au moins autant. Il y a des familles stables existant sur le sol depuis des siècles et des familles qui sont venues s'y fixer depuis une ou deux générations seulement. Or, telles communes ont une majo- rité de familles de la premi("'re sorte. On voit dans certaines com- munes cinq ou six noms propres former à eux seuls la majorité des habi- tants. D'autres communes, au contraire, sont formées d'une population d'alluvion récemment immigrée et qui émigrera comme elle est venue. Selon qu'une population comprend beaucoup de familles stables ou n'en comprend aucune, son intérêt pour le démographe, qui recherche non seulement les faits, mais leur cause, est extrêmement variable. Or, il ne suffit pas, pour s'en rendre compte, de compter sur les tableaux récapitula- tifs des recensements le nombre des habitants nés dans la commune, car le fils d'un fonctionnaire, d'un ouvrier de passage peut fort bien être né dans la commune et n'appartient pas pour cela au noyau de familles per- manentes. Pour connaître celles-ci, il faut absolument comparer les listes nominatives les plus anciennes avec les plus récentes que l'on possède. Il est intéressant, d'autre part, de connaître les noms mêmes des habi- tants. On travaille en ce moment au dictionnaire topographique de la France, département par département, c'est-à-dire au relevé de tous les noms de lieu du pays, avec leur forme contemporaine et les diverses formes qu'ils ont eues dans le passé. Un jour viendra certainement où l'on sentira l'intérêt de faire, commune par commune, le relevé des noms d"hommes. Ces noms, par leur aspect seul, sont une révélation. Si l'on trouve en Normandie des Héribel, des Le Planquois, des Le Herquois et des Lecauf, on est sûr qu'ils sont les descendants d'immigrés bas-bretons. Si l'on rencontre dans une population d'alluvion (comme Deauville), des Anchartechahar et des Choutchourrou, on est sûr qu'ils sont venus du pays basque. 11 n'est nullement indifîérent pour le linguiste, l'anthropo- logiste, le démographe, l'ethnographe, qu'une population soit composée d'autochtones ou d'étrangers. Aujourd'hui, par exemple, le canton basque de Baïgorry ne contient guère que des noms basques, les quelques noms français qui s'y ren- contrent ne sont qu'une infime minorité. Or, si, dans un siècle ou deux, les Iturbide et les Etchegoyen actuels étaient remplacés par des Leloutre et des Lecrosnier, par des Yaldès et des Hernandez, ce serait l'indice d'un A. DUMONT. — DE l'cTILITK T>ES TJSTES NOMINATIVES 1063 fait social suffisamment grave pour qu'on en doive tenir compte dans tous les ordres de recherches concernant l'homme, sa race, sa langue, ses mœurs, ses idées, ses aspirations esthétiques. Pour tous ces objets la conservation des listes nominatives s'impose. Les registres de l'état civil ne suffisent pas : 1'' Parce qu'ils ne contiennent pas tous les noms, un individu pou- vant fort bien avoir passé une longue vie dans une commune sans y être né et sans y mourir ; "2'^ Parce que les noms n'y figurent pas dans leur proportion réelle, telles familles ayant proportionnellement beaucoup plus de naissances, de mariages et de décès que telles autres cependant plus nombreuses ; 3° Enfin, parce que les listes nominatives sont plus faciles à consulter rapidement. Il est d'ailleurs exagéré de les prétendre très encombrantes. L'ensemble des listes d'un recensement, pour un département entier, forme environ un quart de mètre cube de papier, soit cinq mètres cubes en tout un siècle, trois mètres cubes seulement depuis 1831 jusqu'aujourd'hui, ce qui n'a rien d'excessif. On conserve avec soin une grande quantité de documents moins impor- tants. Les archivistes se donnent souvent la plus grande peine pour recons- tituer l'histoire de quelques familles ou de quelques administrateurs qui ont jadis rendu des services à quelque localité de leur département. Ce- pendant ce n'est là que de l'histoire locale ou plutôt encore de la chro- nique qui reste forcément sans conclusion. 11 n'y a point là matière à science. « Pas de science de l'individuel », disait déjà Aristote et ce mot de bon sens restera éternellement vrai. Il y a donc le plus grand incon- vénient à ce que les archivistes paléographes ne soient pas doublés d'archivistes démographes, chargés de conserver les archives modernes, de faire la démographie des départements, de surveiller les opérations des secrétaires de mairies relatives aux mouvements de la population et aux recensements. Ce ne serait certes pas une sinécure. Leurs études sur la démographie formeraient en outre les bases inébranlables de la socio- logie scientifique. Mais ce sont les matériaux mêmes de ces études que l'on détruit aujourd'hui en livrant au pilon les listes nominatives. Tous les membres de cette Section voudront, j'en suis sûr, user de toute leur influence près du ministère compétent pour l'amener à revenir sur une décision aussi déplorable. Dans un milieu comme celui où je parle, je plaide une cause gagnée (1). (1) Ce vœu a été, en effet, adopté par l'Association française pour ravaiK\'meiU des sciences dans son assemblée générale. 1064 • ÉCONOMIE POLITIQUE M. Daniel BELLET à Paris. LES PROGRÈS DE LA VAPEUR EN FRANCE DE 1840 A 1890 — Séance du 20 septembre t89î — Il me semble que, parmi les nombreux sujets qui peuvent rentrer sous le titre de notre Section, celui que j'ai choisi est d'un réel intérêt. Depuis que la machine à vapeur a été créée dans son principe, on ne saurait s'empêcher de rester émerveillé devant les services sans nombre qu'elle sait rendre, les usages si variés auxquels elle s'applique; c'est un auxiliaire tout-puissant que l'homme a trouvé moyen d'asservir et de plier à la satisfaction de ses besoins. Aujourd'hui, et depuis nombre d'an- nées déjà, la machine à vapeur est devenue le facteur non seulement du progrès industriel, mais du progrès sous toutes ses formes. C'est elle qui a permis aux manufactures de se développer comme elles l'ont fait, et c'est grâce à elle que les prix de la plupart des objets de consom- mation ont pu baisser dans une énorme proportion : c'est donc grâce à elle que les classes peu aisées ont pu et peuvent se procurer quantité de jouissances qui étaient auparavant hors de leur portée. C'est à elle que nous devons les chemins de fer et l'établissement de ces communications rapides entre les différentes parties d'une même nation (1) et entre les différents peuples ; c'est elle encore qui permet de franchir les océans avec une rapidité et une sécurité qu'on n'aurait jamais espérées au siècle dernier. Si elle venait à disparaître, il nous semblerait retomber en pleine barbarie. Aussi suivre les progrès de son emploi dans une contrée déterminée, c'est suivre en réalité le progrès économique de cette contrée; et c'est pour cela que nous voudrions montrer comment la France est dotée à ce point de vue, en faisant surtout une statistique comparative, c'est-à-dire en montrant comment la machine à vapeur a su acquérir peu à peu droit de cité dans nos industries, sur nos chemins de fer et pour l'établis- sement de nos lignes de navigation. (1) Voir les si remarquables planches de ÏÂlbum de statistique graphique de notre éminent collègue M. Cheysson. D. BELLÉT. — LES PROGRÈS DE LA VAPEUR EN FRANCE DE 1840 A 1890 1065 Nous allons prendre les appareils à vapeur au moment même où ils commençaient à s'introduire en France et nous suivrons pas à pas la généralisation de leur emploi. La besogne nous est, du reste, rendue facile par les excellentes statistiques (1) que publie le Ministère des Tra- vaux publics depuis plus d'un demi-siècle; elles constituent une mine de renseignements présentés sous la forme la plus claire, surtout depuis que M. Keller est à la tête de ce service. Des statistiques de cette valeur permettent de faire avec profit des enquêtes portant sur une très longue période et basées sur des données auxquelles on peut se fier. Bien entendu, pour rendre plus claire cette étude un peu longue, nous n'envisagerons pas de prime abord d'une façon générale l'emploi de la vapeur dans l'ensemble de ses applications, et nous recourrons auparavant à une distinction toute naturelle : nous verrons quel rôle joue la vapeur dans les diverses industries, puis nous examinerons la puissance qu'elle représente dans la navigation, et enfin dans les chemins de fer. Il ne nous restera plus ensuite qu'cà faire la totalisation des chiffres que nous aurons produits. Nous n'avons guère besoin d'expliquer pourquoi nous commençons par la vapeur dans l'industrie : c'est qu'en 1840, année où nous faisons re- monter notre étude rétrospective, chemin de fer et bateau à vapeur n'ont qu'une importance fort secondaire. En outre, nous n'avons pas cru devoir remonter avant l'année 1840, parce qu'auparavant la vapeur joue un rôle encore par trop effacé. Du reste, les chiffres mêmes de 1840 nous semblent presque enfantins : à ce moment, toutes les industries de la France entière possèdent ensemble 2.591 appareils, représentant une force de 34.3o0 chevaux-vapeur (et cependant, comme nous le verrons quand nous entamerons la quatrième partie de cette étude, ce total de 34.350 chevaux formait à peu près les deux tiers de la force de toutes les machines qui étaient en service en France). Mais il ne devait pas falloir longtemps à nos industriels pour comprendre le parti qu'ils pourraient tirer du nouveau moteur qui s'offrait à eux. Un coup d'oeil sur un tableau d'ensemble va bien nous le prouver, en laissant au lecteur le soin de déduire toutes conclusions de ces données numériques. (1) Statistique annuelle de l'industrie minèmle et des appareils à vapeur. Imprimerie nationale. 1066 ÉCONOMIE POLITIQUE lNNÉES APPAREILS CHEVAUX-VAPEUR 1840 2.591 34.350 1845. . . . 4.114 50.187 1850 5.322 66.642 1855 . . ■ 8.879 112.278 1860 14.513 177.652 1865 20.947 255.673 1870 27.958 341.443 1875 32.008 400.756 1880 41.772 544.152 1885 50.979 718.000 1890 58.749 863.007 Nous ne pouvons nous allonger en fournissant des chiffres sur le nombre des chaudières. Nous ajouterons qu'en 1860 nos industries employaient INDUSTRIE Echelle 1mm pour 2 000 app Imm pour 20000chev CHEV.VAP. APPAR 18W 1850 1860 1870 1880 1890 ANNEES FiG. 1. 17.181 chaudières calorifères, et qu'aujourd'hui on compte 26.695 réci- pients de vapeur de plus de 100 litres, sans parler de ceux qui ne sont point sujets à déclaration. Nous n'insisterons pas sur les pertes résultant de la guerre de 1870, que nous avons su rapidement réparer. Disons encore qu'en 187S l'industrie algérienne ne possédait que 170 appareils représentant en tout 1.456 chevaux. Notre petit graphique (fig. 1) mel tous ces faits en lumière : on en tirera aussi la conclusion que la force des machines augmente plus vite que leur nombre, ce qui correspond à un accroissement de la force unitaire. Le dernier chiffre que nous avons fourni est celui du 31 décembre 1890; au 31 décembre 1891 on compte 58.967 machines et 916.086 chevaux. |-; Il nous semble utile de compléter ces renseignements en indiquant comment la force totale que représentent les machines existant en France se répartit entre les diverses branches d'industries, en dressant un tableau comparatif pour 1890 et 1879. r». BELLET. — LES PROGRÈS DE LA VAPEUR EN FliANCE DE 1840 A 1890 1067 EN 1879 EN 1890 INDUSTRIES — — — Chevaux-vapeur Chevaux-vapour Tissus et vêtements 101.542 172.999 Usines métallurgiques 103.720 167.584 Mines et carrières 84.572 130.273 Industries alimentaires 80.947 106.167 Entreprises de travaux 27.236 91.416 Agriculture (1) 33.596 88.932 Industries chimiques et tanneries . 28.278 42.323 Papeterie, objets mobiliers .... 32.700 37.632 Services publics de l'État 13.851 25.681 Remarquons, en le déplorant, l'importance de plus en plus grande que prennent les services de l'État. On voit immédiatement que le classement de 1890 n'est plus le même que celui de 1879 et que certaines industries ont recouru plus que d'autres à l'emploi de la vapeur. Une autre comparaison sera peut-être instructive entre les années 1860 et 1890. Voici quelle était la force en chevaux-vapeur de certaines indus- tries spéciales (nous donnons ces indications sous forme de tableau pour qu'elles soient plus résumées) : 1860 1890 Chevaux-vapeur Clievaux-vapeur Mines de combustible 28.170 87.711 Exploitation des mioerais métalliques. . . . 1.711 3.638 Exploitation des carrières, ardoisières, etc.. 998 3.590 Hauts fourneaux, forges, aciéries 28.570 105.975 Battage des grains 4.381 73.344 Teintureries, apprêts 2.909 17.831 Papeteries 2.582 13.997 Tanneries 1.2.38 10.558 Manufactures de drap? 1.932 3.568 Verreries, etc 1.784 5.310 Filatures et tissages 36.133 127.266 Enfin, il est bon que nous ajoutions à toutes ces données l'indication de la répartition des appareils à vapeur dans les différents départements français en 1860 et en 1890 ; et, pour cela, nous indiquerons combien de chevaux- vapeur représentaient les différentes machines en activité à ces deux époques dans les départements les plus intéressants à étudier. En l'an- née 1860, c'est le département du Nord qui dispose de la plus grande force motrice, 30.936 chevaux, ce qui est énorme pour cette époque. La Loire, qui vient en deuxième ligne, n'en compte que la moitié, exactement lo.298. Nous citerons ensuite la Seine, avec 13.653 ; puis le Haut-Rhin, avec 8.8o9 ; la Seine-Inférieure en compte 8.718 ; le Pas-de-Calais, 7.684; la Saône-et-Loire, 6.117. On relève ensuite 5.934 chevaux dans le Rhône, 5.697 dans la Moselle, 4.207 dans l'Aisne, 3.925 dans le Gard. Nous ne prolongeons point cette énuméralion, qui nous entraînerait trop (0 Voir, à ce sujet, une élude publiée par nous dans le Journal de l'Agriculture. 1068 ÉCONOMIE POLITIQUE loin ; mais nous indiquerons les départements où l'emploi de la vapeur t'tait presque inconnu en 18G0 : nous voulons dire le Gers, où l'on trouvait un total de 21 chevaux-vapeur, et les Hautes-Pyrénées, où la statistique n'en pouvait relever que 8. Aujourd'hui (nous entendons par là le commencement de 1891), c'est encore le Nord qui tient la tête, avec 115.700 chevaux : nous sommes loin du chifTre de 4860. Au deuxième rang, cette fois, se trouve la Seine, avec 71.000; puis nous voyons le Pas-de-Calais avec 55.214, lui qui n'en comptait que 7.700, en 1860 ; la Seine-Inférieure avec 39.000, et la Loire avec 40.000. Nombreux sont aujourd'hui les départements qui comptent de 20.000 à 30.000 chevaux ; nous ne citerons donc que ceux qui sont re- marquablement arriérés au point de vue qui nous occupe : tels seront, par exemple, les Hautes-Pyrénées, où l'on ne compte que .j42 chevaux, et la Corse, où il n'y en a que 184, Enfin, n'oublions pas de faire remarquer qu'actuellement le département d'Alger en possède 3.540. On peut légitimement penser qu'au moment présent, à l'instant où nous exposons ces résultats, l'industrie française possède un ensemble de plus de 62.000 appareils et de plus de 920.000 chevaux, si la proportion d'ac- croissement est demeurée sensiblement égale à ce qu'elle était dans les périodes précédentes. Nous sommes loin des 2.591 appareils et des 34.350 chevaux de 1840; mais il faut bien être persuadé que l'industrie française pourrait suivre le progrès de plus près qu'elle ne l'a fait, et qu'elle n'est pas arrivée à employer la vapeur partout où ce puissant auxihaire devrait être eu usage. II Nous abordons la deuxième partie de l'étude que nous avons entreprise, l'examen de l'emploi de la vapeur, autrefois et aujourd'hui, dans la navi- gation soit maritime, soit fluviale. Nous serons forcément assez bref dans cet examen, parce que, malheureusement, comme on peut immédiatement s'en convaincre en jetant un coup d'oeil sur le deuxième de nos gra- phiques (fig. 2), la navigation à vapeur ne s'est que bien faiblement accrue en France : sur nos fleuves et canaux, parce que notre système de navigation intérieure laisse beaucoup à désirer ; sur mer, parce que, en dépit des primes de toutes sortes dont on espérait merveille, notre flotte marchande ne se développe nullement. Une seconde remarque que sug- gère ce graphique, c'est que l'emploi de la vapeur dans cette branche de l'activité nationale a été très variable, ce qu'indique une série d'oscilla- tions dans la courbe de ce graphique : rien n'y est régulier, bien loin de là. Si nous remontions plus haut que 1840, nous verrions que, en 1833 D. BELLET. — LES PROGRÈS DE LA VAPEUR EN FRANCE DE 1840 A 1890 1069 (première année pour laquelle les statistiques fournissent des renseigne- ments), la France ne possédait que 7o navires à vapeur d'une force globale de 2.635 chevaux-vapeur. Si Ion passe tout de suite à 1840, on est porté à croire que l'emploi de la navigation à vapeur va vite .se généraliser. car on peut compter déjà 211 bateaux et une force de 11.42"2 chevaux; cinq années plus tard, les totaux correspondants sont respectivement de 2o9 et de 18.050. Mais on n'avait jusque-là osé installer des machines motrices à vapeur que sur des bateaux d'un assez faible tonnage, et voici qu'en 1850 on se hasarde à en agir autrement, puisque le nombre absolu des bateaux tombe à 252 et que cependant la force totale dont ils dis- B ATE AUX CHtV. VAP. BAT 18W 1850 1860 1870 1880 1890 ANNEES FiG. 2. posent monte à 22.023, la force unitaire augmentant, par conséquent. dans une assez notable proportion. Nous ne pouvons qu'exposer brièvement un tableau général de la situa- tion de la marine à vapeur française : ANNÉES BATEAUX CHEVAUX-VAPEUR 1855 370 40.932 18G0 377 36.690 1865 487 50.504 1870 572 60.000 1875 736 90.774 1880 954 286.000 1885 1.172 493.000 1890 1.240 590.000 1891 l.:533 636.784 En 1860, les chemins de fer sont venus faire une rude concurrence aux bateaux ; enlin, de 1875 à 1880, il s'est produit une rapide progression 1U70 KCONOMIE l'OLIÏIQUE qui n'est guère explicable. En tout état de cause, on ne peut qu'être péni- blement affecté en songeant aux 6.000 navires que possède la Grande- Bretagne (1). m Il nous faut maintenant examiner l'emploi de la vapeur sur les chemins de fer. Comme le chemin de fer, au moins jusqu'à présent, ne peut pas CHEMINS DE FER Echelle: 1mm pour 200 locom lm.m pour ¥0000 chev- CHEV. VAP. LOCOM 18M) laSO 1860 1870 1880 1890 ANNEES FiG. 3. exister sans le secours de l'appareil à vapeur sous forme de locomotive, c'est un peu étudier le développement des chemins de fer. Mais c'est autre chose aussi, car le nombre des locomotives en service sur une ligne dépend de l'intensité de trafic sur cette ligne. Disons tout de suite que nous laissons absolument de côté les appareils à vapeur fixes installés dans l'enceinte des chemins de fer [fig. S). Au commencement de la période que nous avons voulu étudier devant vous, en 1840, la France ne possédait que 430 kilomètres de chemins de 1) Nous renverrons à une étude de nous dans le Journal dus Economistes de 1892. D. lîELI.KT.^ — LKS PROGRÈS DE L.V VAPEUR EN FRANCE DE 1840 A 1890 1071 ter, et, pour ce réseau modeste, il suffit de 14'2 locomotives, représentant une force de 14.200 chevaux. Cinq années plus tard, le réseau a doublé à peu près, atteignant 881 kilomètres, et l'effectif des locomotives est de 310, d'une force de 31.000 chevaux ; en I8o0, les chiffres correspondants sont de 973 et de 97.300. On peut le remarquer tout de suite, on prend uniformément dans ces statistiques la force unitaire d'une locomotive à 100 chevaux : c'est ce dont on peut se convaincre en regardant le tableau suivant, qui n'est, en somme, que le résumé des statistiques officielles jus- qu'en 1875 : ANNÉES LOCOMOTIVES CHEVAUX- VAPEUR 1855 1.855 1857500 1860 3.101 310.100 1865 3.963 396.300 1870 4.835 483.500 1875 5.916 591.600 Cela pouvait être vrai en 1840 ou même en 1850, mais cela n'est point demeuré exact par la suite ; c'était un errement toujours suivi par l'Admi- nistration de ne point demander la force exacte pour chaque locomotive, et de prendre la base de convention de 100 chevaux. Cet errement nous a semblé une erreur : nous nous sommes donc permis de la rectifier en sup- posant, ce qui est fort vraisemblable si l'on tient compte des modifications subies par la locomotive depuis 1855, qu'en 1855 la force unitaire des ma- chines dépassait un peu 100 chevaux, qu'elle atteignait 150 chevaux en 1860, 200 en 1865, 250 en 1870 et 300 en 1875. Nous obtenons ainsi la statistique très vraisemblable suivante, qui se traduit dans notre graphique par une courbe ascendante rapide, mais qui ne laisse pas subsister le res- saut énorme que produirait, en 1880, un graphique dressé servilement sui- vant les tableaux officiels tels qu'on les a imprimés : 0 ANNÉES LOCOMOTIVES CHEVAUX-VAPEUR 1850 973 97.300 1855 1.855 200.000 1860 3.101 460.000 1>^65 3.963 790.000 1870 4.835 1.200.000 1875 5.916 1.770.000 1880 7.289 2.495.251 1885 9.155 3.2H9.623 1890 9.909 3.6.56.577 1891 10.226 3.738.529 En Algérie, on compte 267 locomotives et 92.885 chevaux-vapeur. Enfin , dans notre dernier total, la part des chemins de fer d'intérêt local est de 335 machines et 34.498 chevaux ; les chiffres correspondants sont de 361 et 20.724 pour les chemins industriels; de 248 et 13.296 pour les tramways. Il ne nous reste plus maintenant qu'à totaliser les chiffres divers que nous avons fournis, et nous allons le faire rapidement, mais de façon du 1072 ÉCONOMIE POLITIQUE moins à permettre une vue d'ensemble sur les progrès de l'emploi de la vapeur dans toutes ses applications depuis cinquante années (1). IV Pour dresser cette totalisation, dont notre dernier graphique (fig. 4) donne un résumé, nous nous reportons aux chiffres que fournissent les statistiques ofTicielles ; mais nous les corrigeons suivant l'indication don- EFFECTIF TOTAL Eche Ile: l/nm pour 2.000 app 1mm pour 80000 chev CHEV.VAP. APPAR. 18W I8if5 1850 18S5 1860 1865 1870 1875 1880 1885 1890 ANNEES Fifi. 4. née tout à l'heure, en tenant compte de la majoration justifiée de la puis- sance en chevaux-vapeur des locomotives de nos chemins de fer. Nous obtenons le tableau suivant, qui peut se passer de tout com- mentaire : ANNÉES . APPAREILS CHEVAUX-VAPEUR 1840 2787.3 56.422 1845 4.873 91.533 1850 6.832 186. .363 1855 11.620 354.500 1860 18.726 673.900 1865 26. .376 1.103.000 1870 33.761 1.580.000 1875 40.052 2.280.000 1880 52.543 3.341.971 1885 6B.517 4.528.979 1890 75.749 5.17.^.996 1891 76.549 5.362.725 (I) Ceux qu'intéresseront les questions techniques de la provenance ou du mode de conslruclioi» des locomolives, pourront se reportera un article que nous avons publié sur ce sujet, en I8'J2, dans les Annales industrielles. A. PICHE. — DE LA SOCIOLOGIE J073 Aujourd'hui il est légitime de penser que la vapeur fait marcher en France à peu près 79.000 appareils représentant une armée de 5 millions 400.000 chevaux-vapeur. Et il est bien certain que la vapeur n'est pas près de perdre l'importance considérable qu'elle a su acquérir dans toutes les branches de l'activité humaine. Sans doute l'électricilé parait être la reine du jour ; mais il ne faut pas oublier, comme le faisait remarquer Edison dans une récente conversation, que la vapeur est encore le meil- leur auxiliaire pour la production de l'électricité, et que, sans doute, vapeur et électricité vivront toujours côte à côte. M. A. PICHE Président de la Société d'Éducation populaire des Basses-Pyrénées, à Pau. DE LA PLACE DE LA SOCIOLOGIE DANS L'ENSEMBLE DES CONNAISSANCES HUMAINES DES MUSÉES SOCIOLOGIQUES ET DE CELUI DE PAU EN PARTICULIER — Séance du 20 seplembre 1892 — Bien que j'aie fait hier une communication-conférence à la Section de Pédagogie, je ne suis pas un pédagogue; président de la Société d'Édu- cation populaire départementale, ex-adjoint de la ville de Pau, je serais plutôt un anthrop-agogue, un démagogue, dans le bon sens étymolo- gique du mot. J'offre de conduire les gens sur le chemin de la vérité politique et sur la route du progrès social. Avocat sans causes, je loue gratuitement mon fiacre à l'heure ou à la course, trop heureux de trouver des voyageurs. Les congressistes étant gens pressés, vous surtout. Messieurs les écono- mistes, qui devez épargner le temps, dont vous savez tout le prix, je vous parlerai à la course, m'efforçant de vous dire beaucoup de choses utiles en peu de mots. Je tâcherai surtout d'être clair et pas trop ennuyeux. Je m'étais proposé de vous entretenir principalement des Musées ethno- graphiques et sociologiques départementaux, qu'il est nécessaire de fonder aujourd'hui en corrélation avec le Musée d'Économie sociale de France, qui s'organise à Paris en ce moment; de ces Musées en général, dis-je, et de celui que nous formons à Pau en particulier. Accessoirement, je vous aurais entretenu de quelques miennes idées sur la sociologie ; mais, en route, j'ai retourné mon sac et changé mon fusil d'épaule. Ce Musée embryonnaire, je pourrai vous le montrer tantôt, si vous le désirez . G8* 1074 ÉCONOMIE POLITIQUE Ne serait-il pas plus piquant, ce matin, que je vous fisse la brève contre-partie scientifique de la belle conférence littéraire qui vous est annoncée pour ce soir? Ce serait, pour ainsi dire, l'anatomie du sque- lette que M. Léon Say vous présentera sous les contours les plus sédui- sants, ornés des plus fines couleurs. DIEU ( Idéede Cause 1 ^f'' ) Théologie ou doxie. c Anges ou Esprits ? \o Science ou GnOSie: Cosmo- Pneumalo doxie ? ^Aètap^Tyslque . Ames des morts. 007 Il a choisi pour sujet : De l'Économie politique dans ses rapports avec les autres sciences; je prendrais volontiers pour titre de ma causerie : Delà place des sciences sociales dans l'ensemble des connaissances humaines. Ceci est, tout simplement, une petite ruse de guerre pour vous pré- senter mon enfant chéri, mon dernier-né, le . cercle des connaissances HUMAINES », qui vous plaira, je l'espère, par sa simplicité. _ Ici le conférencier dessine au tableau noir , sa classification des A. PICHE. — DE LA SOCIOLOOIE 1073 sciences en zones concentriques coupées par de nombreux secteurs, et poursuit ainsi : Vous le voyez, ce système de représentation est fort simple : il place « le moi » au centre de l'Univers, ou non moi, et lui fait examiner succes- sivement toutes les classes d'êtres qui l'entourent et toutes les classes de phénomènes que présentent ces classes d'êtres, prises deux à deux. De là, ces douze secteurs blancs figurant les sciences naturelles ou ontologiques, entrecoupés de ces douze secteurs gris, qui représentent les sciences ration- nelles ou phénoménales. Et les huit zones concentriques, embrassant tous ces secteurs et les subdivisant, expriment les méthodes d'investigation, qui s'étendent au fur et à mesure du développement de l'esprit humain. Ce tableau vous permet d'embrasser d'un seul coup d'œil la répartition des sciences, leurs noms actuels, la nouvelle nomenclature que j'en pro- pose, la distribution intérieure et les rapports de voisinage de ces sciences. Laissant de côté, pour ne pas vous fatiguer, les sciences mathématiques, physico-chimiques et l'histoire naturelle, je ne veux examiner avec vous que les sciences vitales, historiques, sociales, morales et humaines qui vous préoccupent; voici, selon moi, leur ordre : O N T 0 L 0 G 10 t E s SCIENCES PHENOMENALES BOTANIQUE (Plantes; ZOOLOGIE (Animaux; ANTHROPOLOGIE (Uouimts) ETHNOGRAPHIE ll'L'Uplmi) Etres. BIOLOGIE Pli. vitaux; PSYCHOLOGIE Ph. psychiques; SOCIOLOGIE ^Pli. sociaux; DICEOLOGIE t^Ph. moraux; Phénomènes. ONTOLOGIQUES SCIENCES f suite P H É X 0 M É .\ A L E s ECCLÉSIOGNOSIE (Églises; SOPHIGNOSIE (Écoles; H U M A N I T 0 G N 0 S I E (Humanité; COSMOGNOSIE • lUiiiveiS; Etres. THAUMATOLOGIE (Ph. crus surnaturels; CALLISTOGNOSIE (Les chefs-d'œuvre) lOEOGNOSIE (Ph. idéaux; Phénomènes. Si cette classification est vraie, ou tout au moins se rapproche de la vérité, comme je le crois, vous pouvez constater combien les Sections de notre Association pour l'avancement des sciences sont incomplètes. mal nommées et mal réparties. Les scieîices médicales devraient s'appeler : biologie et comprendre comme sciences appliquées, l'hygiène et la médecine publiques. La Section de Pédagogie devrait s'appeler Psychologie et c'est avec 1076 ÉCO.XOMIK POLITIUUK raison que, hier, ses membres protestaient contre le titre qu'elle porte actuellement. Seules l'anthropologie et la zoologie sont bien nommées. Vous, Messieurs, vous devriez constituer la Section de Sociologie; car l'Économie politique, votre titre actuel, n'est qu'une faible partie de la science si vaste des phénomènes sociaux. La géographie pohtiqac, ren- voyant la géographie physique avec la géologie, devrait former l'Ethno- graphie et s'adjoindre sa sœur, l'Histoire, aujourd'hui non représentée. Hemarquez enfm, Messieurs, que notre Association n'a aucune Section pour l'étude de ces grandes personnalités sociales, qui s'appellent les Églises, les Écoles philosophiques, l'Humanité (1), ni pour l'étude des phénomènes communs si importants cependant que présentent les Peuples et les Églises: (droit et devoir, jurisprudence et morale); les Églises et les Philosophies ; (croyances dogmatiques ou doctrinales explicatives de l'Univers, phénomènes merveilleux crus surnaturels); les Philosophies et l'Humanité (merveilleux humain, chefs-d'œuvre artistiques des hommes de génie) ; enfin, l'Humanité et l'Univers (les idées qui mènent le monde). Pourquoi les hommes de droit et de loi, législateurs, magistrats, avocats, non plus que les moralistes, leurs frères du devoir, n'ont-ils pas place, parmi nous, à légal des médecins et des ingénieurs ? Et tous ces tra- vailleurs de province, qui se livrent à de savantes recherches sur l'his- toire locale, pourquoi n'ont-ils aucune section qui leur soit ouverte ? En sommes-nous encore à croire qu'il n'y ait pas une science du droit et de la morale, et que l'histoire ne soit pas une science? 11 y a là, Messieurs, d'énormes lacunes que les intéressés ni ont chargé de vous signaler, en attendant que nous en saisissions le Conseil d'admi- nistration et au besoin la Société elle-même. Et encore je laisse volontairement de côté ce monde supérieur des âmes des morts, des esprits incorporels, et de la divinité, être suprême, qui sont, non plus objet de science, mais de croyances, bien que ces croyances aient joué, jouent et doivent jouer encore un si grand rôle dans la marche de l'humanité. En effet, bon nombre de gens sérieux prétendent qu'il y a encore là deux sciences ontologiques, en rapport avec celle de l'Univers : la Pneu- matologie et la Théologie; mais je les appellerais plus volontiers des doxies que des sciences. Redescendons, si vous le voulez bien, sur la terre, dans le domaine de la connaissance positive, et entrons un peu plus avant dans le royaume des sciences sociales. Bien que je ne les aie pas étudiées spécialement. Mes- sieurs, j'y ai beaucoup réfléchi; laissez-moi vous communiquer certaines (1) L'Humanité, cet être synthétique supérieur, n'est-il pas en train de s'organiser, d'établir son système circulato'ire (chemins de fer et bateaux à vapeur) , son système nerveux (télégraphes et téléphones), et de prendre conscience de lui-même dans les Expositions et Congrès internationaux? A. PICHR. DE LA SOCIOLnr.IE 1077 idées personnelles; peut-èlre y trouverez-voiis quelque grain de vérité. J'estime que l'homme animal, dernier terme de la série zoologique, doit être étudié dans la Zoologie. Les facultés psychiques qui so manifestent dans les animaux et qui s'élargissent dans l'homme, seront la matière delà Psychologie tout au moius objective. L'homme, être social, remplit le cadre de I'Amhuopologie; c'est dans cette science que j'examinerais les rapports naturels nécessaires des indi- vidus : leurs ébats (jeux du hasard et de l'amour), leurs débats d'intérêts, leurs combats, leurs échanges de marchandises et de bons procédés, leurs commerces de tous genres, leur industrie, leurs collaborations, leurs coopérations, leurs alliances. Dans I'Ethnographie, je ferais l'histoire naturelle de tous les peuples qui existent ou ont existé; leur histoire et leur géographie ; leur classifi- cation chronologico-logique. Je les analyserais au moyen de ces instruments scientifiques qu'on appelle l'archéologie et la linguistique, examinant leur épigraphie, leur numismatique, sigillographie, iconographie, bibliographie, leurs costumes, leurs mœurs, leurs institutions, leurs lois, leur gouvernement, leur admi- nistration, leurs cultes, leurs écoles philosophiques, littéraires, artistiques, scientifiques; puis avec ces éléments, je ferais la synthèse de leur organi- sation agissante. J'établirais la théorie ou les diverses théories possibles de leur évolu- tion et chercherais à reconstituer, par l'art de la conjecture, la vie des peuples disparus sans laisser de documents historiques; vous savez qu'on y parvient à Taide des seuls vestiges préhistoriques. J'expérimenterais sur les sociétés animales et sur les groupes humains qui consentiraient à mes expériences. Et j'arriverais ainsi peu à peu à la découverte des lois qui régissent la marche des peuples. Il en résulterait de nombreuses et importantes applications, et au fur et à" mesure du progrès et de la science, une philosophie plus com- préhensive de l'histoire. J'appliquerais les mêmes procédés d'investigation aux Églises de croyants, de fidèles, ou communions d'àmes organisées en religions, avec culte et hiérarchie, êtres sociaux dun ordre plus étendu, plus général, plus élevé que les peuples, puisqu'ils comprennent souvent plusieurs peuples et tendent à l'universalité. J'étudierais de même les Écoles philosophiques dont les doctrines, mo- numents orgueilleux de la raison humaine, cherchent à expliquer l'uni- vers, doctrines contradictoires, parce qu'en cet immense sujet elles n'em- brassent qu'une face des choses. 1078 ÉCONOMIE POLITIQUE Enfin, l'Humanité, cet être synthétique, qui prend peu à peu conscience de lui-même et du globe, son domaine, en la personne des hommes de génie et qui, selon la belle parole du Père Gratry, semble avoir pour mis- sion de disposer ce globe dans l'équité et la justice. Passons aux sciences sociales qui étudient, non plus les êtres, mais les phénomènes que ces êtres manifestent : J'ai dit qu'entre l'Anthropognosie et l'Ethnognosie, il y avait une science rationnelle, abstraite, des phénomènes de vie sociale qu'offrent à la fois les animaux, les hommes groupés en familles et les peuples, ces gigantesques polypiers formés de familles, qui comprennent dans leur sein tant de groupements artificiels secondaires, et tant d'individus qui constituent ces immenses communions de foi ou d'idées dont je par- lais tout à l'heure, ainsi que ces innombrables associations de tout genre (1). Cette science est la Sociologie (ou mieux Cœnognosie, pour ne pas allier deux racines de langues différentes). Voici comment, en la comparant à la Biologie, je suis arrivé à dresser son vaste plan, son programme et pour ainsi dire sa table de matières : Graphie. — Énumération par ordre alphabétique de tous les mots de la langue française (pour nous autres Français, bien entendu) représen- tant un phénomène social. Description sommaire ou définition de ces phénomènes. LoGiE. — Histoire et géographie de ces phénomènes, c'est-à-dire leur distribution dans le temps et dans l'espace. Classifications possibles, classification chronologico-logique. Questions et problèmes, réponses a priori, dissertations, méthodes d'ob- servation scientifique. ScopiE. — Application de la méthode d'observation aux phénomènes sociaux à l'aide de cet instrument intellectuel qu'on appelle la Statistique. 1° Analyse des phénomènes de vie normale et pathologique qu'offrent l'ensemble des êtres sociaux : familles de minéraux, de plantes, d'animaux, d'hommes. Cités, États, Églises, Écoles philosophiques, artistiques ou scientifiques : a. Au point de vue statique; b. Au point de vue dynamique; c. Au point de vue embryogénique. 2° Synthèse de ces phénomènes biosociologiques. Théorie. — Vues de l'esprit, explicatives des phénomènes de vie sociale. (1) La clarté du discours gagnant beaucoup à la précision du langage, je voudrais que les" groupe- ments naturels qui se forment spontanément, sans statuts délibérés, portassent le nom de Sociétés, tandis qu'on réserverait le mot Associations pour les groupements artificiels, volontaires. A. PICHE. — DE LA SOCIOLOGIE 1079 1 ° Doctrines ou systèmes logiques possibles : a. Gouvernementales: b. Administratives: c. Économiques : d. Sociales : Autoritarisme. Centralisation. Protection. Socialisme. Libéralisme. Décentralisation. Libre-échange. Individualisme. 2" Évolution historique de l'autorité et de ses formes : Théocratie. Patriarchie. Royauté. Aristocratie. Oligarchie. République aristocratique. Autocratie. Monarchie. Empire. Démocratie. Anarchie. République démocratique. 3° Critiques et controverses des théories. — Méthodes pour les dépar- tager, plans d'expériences. PiRiE. — Seule la méthode expérimentale tranchera entre les diverses théories, en cette science comme dans toutes les autres. Mais peut-on expérimenter en sociologie, comme on le fait en biologie, en physique ou en chimie? Évidemment cela est plus difficile, car les phénomènes sont plus com- pliqués; les expériences seraient plus coûteuses, plus longues, et de même •qu'on ne peut faire de la vivisection humaine, il serait non moins incon- venant de faire de la \dvisection de sociétés humaines. Mais de même qu'en biologie et en médecine on se livre à des expé- riences sur des animaux avant d'expérimenter sur l'homme, de même eu sociologie, nous pouvons faire des expériences sur les sociétés animales et en tirer des conclusions extensibles à toutes les sociétés, y compris celles humaines. Toute une mine d'expériences nous est d'ailleurs ouverte par les légis- lateurs, les politiciens, les hommes de guerre, qui expérimentent sans y penser sur les phénomènes sociaux; nous n'avons qu'à observer, au point de vue scientifique, les conséquences de leurs entreprises. Enfin, je ne verrais aucun inconvénient (je verrais de grands avan- tages, au contraire) à suivre la méthode proposée par M. Donnât dans sa Politique expérimentale, et j'aimerais que nos hommes d'État expérimen- tassent, dans de bonnes conditions et sur une échelle restreinte, leurs réformes avant de les généraliser et de les étendre à tout un pays. NoMiE. — Sans doute, le bon sens populaire et quelques hommes de génie ont déjà trouvé des lois sociologiques formulées en proverbes ou en préceptes. Le peuple vous dira : Charbonnier doit être maître chez lui, et point de société sans chef. IVous trouvons dans la Bible la loi du travail et dans l'Évangile cette règle sociale : « Toute société divisée périra. » 1080 ÉCONOMIE POLITIQUE On parle» enfin tous les jours de la loi du progrès. La science a constaté des influences réciproques, des relations, des rapports nécessaires; mais ils n'ont pas encore été mesurés et condensés dans une formule scientifique. Les économistes, dans leur petit domaine de la richesse, disent bien avoir trouvé des lois, bien que je sois plus porté à croire qu'ils les cherchent encore. Auguste Comte, l'inventeur de la sociologie, tout au moins de son nom, avait foi dans sa loi des trois états (théologique, métaphysique, po- sitif), loi si controversable et si controversée. Enfin, je retrouve dans mes notes une loi formulée par un auteur peu connu (1) : « Le bien-être général, ou bonheur (social), est en raison directe de la vertu^'des individus et en raison inverse de leurs vices. » J'estime que nous ne sommes encore qu'au seuil de la Sociopirie, d'oîi nous pouvons seulement entrevoir la terre promise' de la Socionomie en vertu de la loi : Cherchez, vous trouverez. Technie. — Ce sera une bien belle chose que la découverte des lois qui régissent les phénomènes; quand on les aura trouvées, on sera maître de changer l'ordre de la nature, dont on tiendra la clef en sa main. Il n'y aura plus qu'à les appliquer aux besoins des hommes et des sociétés. Nos descendants verront un jour le règne des ingénieurs sociaux se substituer à la domination des hommes d'État empiristes et surtout des charlatans politiques, auxquels nous accordons encore trop souvent créance. Il y aura alors des sciences sociales appliquées, une hygiène et une médication sociales vraiment scientifiques. Sophie. — Il existe enfin, et surtout il existera de plus en plus une phi- losophie des phénomènes sociaux, qui consistera à faire la saine critique de ces phénomènes et à envisager leurs rapports harmoniques avec les phénomènes relevés par les autres sciences; k considérer leur beauté et leur moralité, enfin les devoirs positifs que nous impose la connaissance de la vérité totale ou science. — Vous voyez, Messieurs, quel vaste cadre offre la Sociologie ainsi comprise; à vous de juger si je suis dans le vrai ou si je m'abuse. Je pourrais appliquer également ma méthode de subdivision intérieure d'une science ontologique ou phénoménale à ces autres êtres, les Églises, les Écoles doctrinales, l'Humanité, ou aux phénomènes qui leur sont com- muns. (1) A. Bellaigue, La Science morale, é\,v\dQ piiilosophique et sociale. A. PICHE. DE L.V SOCIOLOGIE 1081 Maintenant que vous connaissez ma méthode, vous l'appliquerez si cela vous intéresse; pour ne pas abuser de votre patience, je finis avec la théorie et j'aborde la pratique. Je n'ai pas besoin de vous dire que les études socioloi;iques plus encore que celles météorologiques ou biologiques, dépassent les forces d'un homme; ce sont des monuments auxquels nous ne pouvons apporter qu'une pierre taillée; mais déjà nos architectes sociaux pourraient en exposer le plan général et nous donner les détails d'exécution, ouvrant ainsi le chantier du travail collectif. Dans notre petite Société d'éducation populaire des Basses-Pyrénées, nous avons résolu, tout en essayant de nous tenir au courant de la science générale des sociétés, de n'étudier que les êtres sociaux et les phé- nomènes que nous avons sous la main ou qui se passent sous nos yeux, ceux du département. Voici comment nous y avons été amenés; j'insiste un peu sur ce point, car il nous donne l'histoire de l'introduction des études sociologiques dans notre sud-ouest. Il y a vingt-deux ans, un Parisien, M. Tourasse, vint se fixer dans notre cité, apportant, comme Bias, tout avec lui : sa haute intelligence, sa volonté ferme et persévérante, et ses biens réalisés, deux millions. Incapable de conférer avec ses semblables à raison d'une extrême sur- dité, il résolut d'employer ses moyens à faire des expériences sur les plantes et sur les hommes. Il acheta aux portes de Pau un terrain de dix-huit hectares, l'entoura de hauts murs, s'y fit construire une maison simple, mais confortable, et des laboratoires horticoles pour ses expé- riences d'acclimatation, de mise à fruit hâtive par la taille des racines, de surgreffe et d'obtention de variétés nouvelles par sélection et semis multipliés. Il mit le reste de sa fortune en viager, se faisant ainsi cent cinquante mille francs de rente pour ses expériences d'arboriculture et de viriculture intensives. En matière sociopirique, il voulait développer les idées d'association et d'éducation populaires, substituer peu à peu l'esprit de prévoyance à la charité et se rendre compte de l'action qu'on pouvait avoir sur ses con- citoyens par des encouragements pécuniaires bien conçus. Il y travailla dix ans, jusqu'à sa mort, sans obtenir des résultats bien sensibles; car ce n'est guère qu'aujourd'hui que commence à se faire sentir l'influence heureuse de ses efforts. Pour moi, satellite obscur, entraîné peu à peu dans l'orbite de cet astre supérieur en puissance attractive, je devins son collaborateur, puis son ami, et trop tôt, hélas! le successeur et le continuateur de ses œuvres. Pour perpétuer sa mémoire et son action bienfaisante, d'accord avec nos amis conununs, je créai et dotai de cent mille francs la Société d'édu- 1082 KCONOMIE POLITIQUE cation populaire, dont les revenus, grossis de nos cotisations, servent à encourager les Associations libérales du d(''partement, qui font preuve d'initiative, de bon fonctionnement ou de progrès. Mais, pour les bien récompenser il faut les connaître, et pour les con- naître il faut les étudier avec soin. Ainsi avons-nous été conduits à faire l'histoire naturelle de toutes les associations du département qui poursuivent un but d'amélioration ci- vique, et à présenter ce travail à l'Exposition d'Économie sociale de 1889. Au premier examen, nous avons trouvé un tel nombre et une telle variété d'associations, que nous avons été fort embarrassé pour les coor- donner. Aucun traité ne nous fournissant de classification sur la matière, nous avons cherché h, faire, dans un tableau synoptique, la synthèse de tous . les groupements sociaux possibles. Voici ce tableau, dont nous mettons des exemplaires à votre disposition. De haut en bas, vous trouvez les genres de groupements rangés par ordre d'apparition et de complexité croissante : 1° Les rencontres ou groupements fortuits, dus au hasard (passants, voisins) ; 2° Les unions sympathiques dues à l'amour (familles, amis); 3" Les ententes professionnelles qui ont pour mobile l'intérêt (syndi- cats, corporations) ; 4° Les communions spirituelles (sectes religieuses, philosophiques); 5° Les sociétés politiques naturelles ou artificielles (cités, états); 6° Les compagnies scientifico-industrielles, qui, tout en cherchant à ga- gner de l'argent, poursuivent un but d'amélioration matérielle ; 7° Enfin les associations libres, philanthropiques, désintéressées, qui se subdivisent en paternelles ou patronales, et fraternelles ou mutuelles. Et tous ces genres de groupements peuvent s'appliquer (suivez mainte- nant la ligne d'en tète horizontale du tableau) : 1° Aux phénomènes économiques (consommation, production, circu- lation); 2° Aux phénomènes sportifs (délassement, exercice, agrément); (on se délasse après le travail) ; 3° Aux phénomènes progressifs (beaux-arts, lettres et sciences) ; il faut loisir d'occupations matérielles pour se livrer aux travaux de l'intelligence; 4° Aux phénomènes du mal, agressifs, perturbateurs; 5" A ceux de défense corporelle, intellectuelle ou morale ; 6^ A ceux d'assistance des malades et blessés dans le combat de la vie ; 7° A ceux de médication o.u réparation; 8° A ceux de prévoyance; 9° A ceux de libération ou de salut, quand la prévoyance a échoué. A. PICHE. — DE LA SOCIOLOGIE 1083 Bon ou mauvais, j'avais trouvé un ordre qui me permettait de ranger dans ses cases tous les groupes sociaux. Ainsi, dans celte table de Pylha- gore d'un nouveau genre, le corps des sapeurs-pompiers doit se trouver lia oîi se croisent la colonne horizontale « Groupements politiques, d'ordre civique ou communal » et la colonne « phénomènes de défense matérielle». Le groupe Compagnie de Jésus se trouvera au croisement de la colonne horizontale «Communions spirituelles ou Églises, ligne des congrégations o et de la colonne verticale des phénomènes de « défense intellectuelle », les Jésuites ayant été institués pour défendre l'Église contre les agressions de la réforme. Ce tahleau me servit de fil conducteur, de préface pour l'Atlas de Sodé- tologie départementale que je voulais faire ; mais n'ayant pas le temps d'embrasser l'étude de tous ces groupements, je me bornai à la représen- tation et à la statistique graphique des associations libres, philanthropiques et laïques, celles qui forment la dernière colonne horizontale de ce tableau. Voici, du reste. Messieurs, l'allas que nous exposâmes et qui, joint aux OEuvres Tourasse, nous valut une des plus hautes récompenses. Il renferme autant de cartes départementales qu'il y a dégroupes d'asso- ciations, dont il montre la répartition géographique et, entre les cartes, sont des tableaux gTai)hiques, de notre invention, qui retracent les condi- tions d'existence et l'évolution des principales sociétés. Je puis mettre à votre disposition des modèles lithographies de ces cadres pour études sociétologiques. Enfin, nous avions pensé, depuis quelque temps déjà, que ces êtres et ces phénomènes sociaux pouvaient être exposés utilement dans un Musée d'histoire naturelle, à la suite des collections de pierres, de plantes et d'ani- maux; et, dès 1882, nous proposions à la Société des Sciences de Pau d'adjoindre au Musée des salles d'Ethnographie béarnaise et de Sociologie départementale. Ce n'est pas sans peine que nous parvînmes à faire ac- cepter ces vues par la Société et par la Municipalité. Trois salles furent mises à notre disposition, au-dessus du Musée, et nous fîmes faire des vitrines qui commencent à se remplir. Si nous les avions eues quelques années plus tôt, bien des objets préhistoriques, résultat des fouilles de MM. de Nadaillac et Paul Raymond, n'auraient pas été dispersés. La première salle, consacrée à l'Ethnographie, contient douze vitrines rangées par ordre chronologique et qui renferment les monuments du peuple béarnais et les reliques des peuplades qui l'ont précédé. Elle embrassera donc l'archéologie locale : (épigraphie, iconographie. sphragistique, numismatique, etc., toutes sciences de détail) et la néologie même y sera représentée; cardans les dernières vitrines, nous plaçons des objets qu'on fabrique encore dans le pays, mais qui sont sur le point de disparaître. C'est la salle du Passé. 1084 ÉCONOMIE POLITIQUE La deuxième salle contient quatre bureaux à pupitre incliné, au pied de quatre grands panneaux. Les bureaux renfermeront les documents de la statistique otïicielle municipale et départementale; les pupitres porteront nos atlas, les panneaux développeront le graphique des principaux phéno- mènes. C'est la salle du Présent. La troisième salle exposera la préparation de l'Avenir par le travail des sociétés libres; elle aura autant darmoires qu'il existe de groupes d'asso- ciations. Voici, IVfessieurs, le plan de ce Musée et des notices sur ce nouveau genre d'institution dont nous avons été, paraît-il, les précurseurs (1). Vous savez, d'autre part, qu'en ce moment MM. Léon Say, Ch. Robert, Cheysson et GofTinon fondent à Paris un Musée d'Économie sociale avec les documents précieusement conservés de l'Exposition de 1889. Il nous semble qu'ils ne pourront arriver à constituer un Musée national complet et tenu au courant (et plus tard un Musée international ou humain) que si les Musées départementaux se généralisent et se tiennent en cor- respondance avec le Musée de Paris. Pour que nos maîtres de la capitale fassent la synthèse, il faut que nous, les ouvriers obscurs, nous fassions l'analyse. Et qu'ils me permettent res- pectueusement de le leur dire, leur cadre de Musée d'Économie sociale est trop étroit, il faut qu'il embrasse l'étude de tous les êtres sociaux et de tous les phénomènes qu'ils ofïrent à nos regards. Déjà, en 1889, j'avais été amené, malgré moi, à critiquer l'étroitesse de cette Section économique qui laissait de côté tant d'autres phénomènes sociaux plus importants. J'ai vu avec plaisir qu'à Chicago on avait élargi les programmes et fait place aux phénomènes juridiques, moraux, religieux et scientifiques. Je ne vois plus guère de lacune que pour les écoles philosophiques, artistiques, littéraires et scientihques, ainsi que pour leurs doctrines. Mais je m'aperçois que j'abuse de vous; j'occupe indûment la place de confrères qui ont à faire des communications plus intéressantes que celle-ci. Aussi je coupe court, d'autant que mon esprit se fatigue et voit moins clair dans ce dédale des phénomènes sociaux où il est si' facile de se perdre. Je me tiendrai, cette après-midi, au Musée, à la disposition de ceux qui voudraient le visiter. Ils y verront le buste en marbre de Pierre Tourasse, qui, je puis le dire, a été le promoteur des études sociologiques dans ce département; je conduirai ensuite à la propriété Tourasse ceux qui voudraient visiter ses pépinières et ses jardins. (1) L'éminent sociologiste et philanthrope, M. Ch. Robert, a bien voulu nous donner ce titre dans une Conférence faite, en 1889, à l'occasion de l'Exposition d'Économie sociale. Il avait bien voulu, également, exposer les Œuvres de Tourasse et les travaux de la Société d'éducation dans le beau pavil- lon de la Société pour l'élude de la Participation aux bénéfices. A. DE FOVILLE. — LE MORCELLEMENT DEPUIS DIX ANS 1085 M. A. LE rOYILLE Professeur au Conservatoire des Arts et Métiers, Délègue du Ministre des Finances au Congrès de Pau, à Paris. LE MORCELLEMENT DEPUIS DIX ANS — Séance du 20 septembre 1892 — Notre Président m'a invité à venir traiter ici un sujet tout à la fois très spécial et très complexe... Je me ferai une loi d'être fort court, parce que, sans cela, je risquerais d'être beaucoup trop long, la question du morcelle- ment étant de celles qui peuvent, chemin faisant, en soulever cent autres. J'ai voulu, il y a huit ou dix ans, lui consacrer une brochure et la brochure a pris les proportions d'un volume; j'aurai soin que ma commu- nication d'aujourd'hui ne prenne pas les proportions d'une conférence. Voilà bientôt trois quarts de siècle que le morcellement, en France, préoccupe les jurisconsultes, les économistes, les moralistes même, et les hommes d'État. Le sol français était déjà très divisé sous l'ancien régime ; il l'était davantage après la Révolution ; il l'est plus encore à l'heure qu'il est. Les uns disent : c'est un mal; les autres disent : c'est un bien. A mes yeux, c'est plutôt un bien qu'un mal, quoiqu'il puisse évidemment y avoir excès en cela comme en toute chose. Mais je veux aujourd'hui laisser de côté tout ce qui est système ou théorie pour ne m'occuper que des faits. Les faits eux-mêmes, malheureusement, ont été longtemps déna- turés, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre; et, tout en le regrettant, il n'y a pas à s'en étonner, parce que la question du morcellement est pleine de pièges, pleine de trompe-l'œil, et qu'il faut vraiment être du mélier pour ne point se laisser égarer, en cette matière, par les petites perfidies du langage administratif et de la statistique officielle. Je vais vous donner tout de suite un exemple des mauvais tours que la statistique, quand elle n'est pas sûre d'elle-même, peut jouer à ceux qui l'interrogent. Vous savez tous ce que c'est qu'une cote foncière. C'est la part, la quote- part d'impôt foncier incombant, dans une commune, à quiconque y pos- sède un ou plusieurs immeubles. Le premier recensement dont les cotes foncières aient été l'objet, au cours de ce siècle, date d'une époque fort troublée. C'est en 1816, au 1086 ÉCONOMIE POLITIQUE lendemain de Waterloo, au milieu de l'invasion, que le comte Corvetto avait prescrit l'opération, et nous savons maintenant qu'elle fut très mal faite. Dans toute une série de départements, par suite d'un vrai quiproquo, les propriétés bâties furent comptées deux fois, le sol d'abord, la propriété ensuite, et le nombre total des cotes foncières de la France se trouva ainsi majoré de près de 10 0/0. Cette grosse bévue a fini par être dénoncée et reconnue ; mais, pendant longtemps, on avait tenu pour bon ce chiffre qui ne valait rien et quand on le compara aux constatations beaucoup plus correctes de 1826 et de 183S, on crut pouvoir admettre que le nombre des propriétés n'avait, pour ainsi dire, pas augmenté sous la Restauration : c'est une méprise qui a fait faire fausse route à des esprits d'ordinaire clairvoyants, comme Hippolyte Passy, Rossi, Michelet, Léonce deLavergne, Wolowski, Cochut, etc Puis, par cela même que les progrès du morcellement avaient d'abord été masqués, ils ont paru doublement rapides quand on a pu suivre, d'une manière à peu près exacte, le mouvement des cotes foncières. Pendant le second et le troisième quart de ce siècle, elles progressaient à raison d'en- viron 100.000 par an, un million en dix ans. C'était marcher vite et les inquiétudes n'ont pas tardé à se manifester. Dès 1836, Léon Faucher, passant d'un extrême à l'autre, montrait la terre de France réduite en miettes : « La propriété tombe en poussière», s'écriait-il d'un ton presque tragique; et ce cri d'alarme a trouvé, vous le savez, beaucoup d'écho. Nous avons tous lu vingt fois — et nos pères l'avaient lu avant nous, — que la grande propriété était morte, que Ja moyenne propriété était mourante et qu'il n'y aurait bientôt plus, de l'Atlantique aux Vosges et de la Manche aux Pyrénées, que des lambeaux de terre impropres à toute culture, à toute exploitation sérieuse. On allait jusqu'à comparer la France de l'avenir à un grand cimetière découpé en petites concessions d'un mètre sur deux ou de deux mètres sur quatre. Si vous voulez voir jus- qu'oîi peut aller, en cette matière, l'exagération, relisez le roman de Balzac intitulé les Paysans, lequel date de 184o. Balzac y traite les éco- nomistes d'imbéciles, ce qui est déjà une exagération; mais il y en a bien d'autres : ainsi il prédit, de la manière la plus affirmative, que la France, faute d'espace, n'aura bientôt plus ni chevaux, ni bétail, en sorte que « non seulement le peuple, mais encore la bourgeoisie, devront, avant la fin du siècle, renoncer à l'usage de la viande » , Sans se laisser entraîner à de pareilles énormités, la plupart des adversaires de notre régime successoral — et ils sont nombreux — étaient unanime» à parler à la France du morcellement comme d'une maladie mortelle, et l'école de Le Play — où je m'honore, d'ailleurs, de compter d'excellents amis — n'avait pas peu contribué à généraliser cette manière de voir. Lorsque je me suis mis à creuser la question, en toute liberté d'esprit,. A. DE rOVILLE. I.E MOKCELLEMENT DEPUIS DIX ANS 1087 j'ai été stupéfait de voir sur combien d'équivoques, et sur combien d'erreurs matérielles reposait le prt^ugé qui veut que la France, à bref délai, périsse ou du moins dépérisse par le morcellement. En relisant les discussions parlementaires et autres des soixante dernières années, vous verriez que, même en haut lieu, on a souvent commis, sans que personne soit venu crier gare, les plus fâcheuses confusions. On confondait couramment les cotes foncières avec les parcdies cadastrales, qui sont dix fois plus nom- breuses. On prenait couramment le nombre des cotes foncières comme représentant le nombre des propriétaires fonciers, qui sont moitié moins nombreux. Le mot de morcellement était lui-même à double sens : en parlant de morcellement, les uns avaient en vue la multiplication des pro- priétaires ; les autres la discontinuité et l'enchevêtrement des biens ruraux, ce qui est tout autre chose. On aurait pu se croire à la tour de Babel. La lumière qui s'est faite autour de ce problème est due en piartie aux patientes analyses d'un savant spécialiste, M. Ch. Gimel ; en partie aussi à l'enquête que M. lîoutin, directeur général des contributions directes, a bien voulu prescrire, en 1884, à la demande de la Société de Statistique de Paris. J'ai essayé, à mon tour, en 1885, d'éclaircir ce qui restait obscur, de préciser ce qui avait cessé d'être douteux, et je vais vous dire très briève- ment quelles étaient alors, en ce qui concerne les faits, mes principales conclusions et mes principales prévisions. Je montrais et je crois pouvoir dire que je démontrais l'importance considérable conservée par la grande propriété. En faisant commencer la grande propriété à cinquante hectares, je trouvais qu'elle avait encore à elle, sous une forme ou sous une autre, près de la moitié du territoire national. La petite propriété, limitée à six hectares, ne représentait encore que le quart du sol français. Enfin, la toute petite propriété, au-dessous de deux hectares, bien que fournissant plus de dix millions de cotes, n'absorbait cependant, à raison de son exiguïté même, qu'un dixième environ de la superficie totale du pays. Quant au nombre des propriétaires fonciers, aux diverses époques, voici quelles étaient mes indications : Avant la Révolution, un peu plus de 4 millions de propriétaires. Vers 18;2o, un peu plus de 6 millions de propriétaires. Vers 18o0, environ 7 millions de propriétaires. Actuellement, environ 7 millions et demi de propriétaires. A ce compte, le nombre des propriétaires n'aurait pas doublé depuis cent ans, mais il ne s'en faudrait guère. Les trois derniers chiffres sont peu contestables et peu contestés. Le premier des trois, quand j'ai cru pouvoir le mettre en circulation, avait contre lui la plupart des historiens ou des économistes qui s'étaient prononcés sur ce point capital. Mais il a reçu, depuis le jour où je l'avais produit, une précieuse confirmation. 1088 ÉCONOMIE POLITIQUE M. Gimel, dans les derniers temps de sa laborieuse existence, s'était essayé à reconstituer, avec le secours des archives départementales, les rôles de l'ancien impôt des vingtièmes, dont Necker a dit avec raison que « c'était le plus territorial de tous ceux de l'ancien régime». Si l'on avait le dossier complet de cette contribution, on arriverait à une évaluation très approximative du nombre des propriétaires fonciers sous Louis XVI. Les recherches de M. Gimel n'ont abouti que dans vingt-cinq ou trente départements ; mais ces départements appartiennent à des régions très différentes : Pas-de-Calais et Hautes-Pyrénées, Finistère et Meuse, Orne et Drôme» etc.; de sorte que les proportions obtenues ont une valeur réelle. Or, dans le mémoire qu'il a lu à l'histitut international de statistique, réuni à Paris en 1889, M. Gimel fixe à 4.250.000 le nombre probable des propriétaires fonciers à la fin de l'ancien régime. Vous voyez que, sans le vouloir, notre regretté confrère venait exactement confirmer, en 1889, mon chiffre de 188o ; et, comme nous étions loin d'avoir suivi la même méthode, il y a bien des chances pour que notre commune évaluation s'éloigne peu de la vérité. Voici un second point sur lequel j'ai aussi obtenu gain de cause. Il s'agit du fractionnement parcellaire, autrement dit du nombre des parcelles cadastrales. Mais, d'abord, qu'est-ce qu'une parcelle cadastrale ? Pour bien des gens, ce qui distingue nécessairement une parcelle de la parcelle voisine, c'est que le propriétaire n'est pas le même. Et cette interprétation, qui est fausse, est du moins excusable, car elle a pour elle, entre autres autorités, le Dictionnaire de l'Académie française et le Dictionnaire de Littré. Mais le cadastre lui-même nous impose une autre définition. Le Recueil méthodique des lois, décrets et règlements sur le cadastre appelle parcelle « une portion de terrain, plus ou moins grande, située dans un même canton, triage ou lieudit, présentant une même nature de culture et appartenant à un même propriétaire ». Si donc j'ai fait de mon carré de terre quatre emplois diffé- rents, labour et prairie, vigne et bois, j'aurai quatre parcelles contiguës. Et ce n'est pas tout : un champ ou un pré divisé en deux parties par un cliemin public, un ruisseau, un mur, un fossé, une haie..., représente deux parcelles, bien que le propriétaire soit le môme et le mode de culture aussi. Enfin, la superficie des maisons et bâtiments forme encore parcelle. De sorte qu'une ferme d'un seul tenant peut fournir cent parcelles cadas- trales, alors que l'Académie française et Littré n'en compteraient qu'une. Les parcelles ainsi définies étaient , lors de la confection du cadastre, au nombre de 126 millions (I24,o pour le territoire actuel de la France) et l'on admettait, de confiance, que ce genre de fractionnement avait dû faire, depuis cinquante ans, d'énormes progrès. Mes recherches de 1885 m'avaient amené à une conviction contraire. Je disais : « S'il y a aujour- d'hui 140 millions de parcelles, c'est tout le bout du monde. » Or, trois A. DE FOMLLi:. LE AIOUCEIJ.K.MKNT DKI'Ils |)i\ ANS 1089 ans après mon livre, en 1888, paraissait la grande enquête du Ministère de l'Agriculture, dite enquête décennale, et elle accuse 13omillionsde parcelles seulement, dont 123 millions de parcelles culturales. A ce compte, loin de rester au-dessous de la vérité, je me serais encore montré trop Géné- reux. I.e noml)re des parcelles n'aurait même pas augmenté de 10 0/0, ce qui paraît bien peu de chose, quand on sait combien se sont multipliés les constructions, les chemins, les clôtures et même les cultures spéciales vignes, prairies artificielles, etc.. C'est à croire que l'enchevêtrement et la discontinuité des domaines ruraux, loin de s'aggraver, ont, au con- traire, diminué très sensiblement depuis le cadastre, car sans cela il de- vrait y avoir trente, quarante, cinquante millions peut-être de parcelles nouvelles, résultant non de la désagrégation des propriétés, mais du tra- vail de l'homme et des progrès de l'agriculture. Quant au nombre même des propriétaires fonciers, qui donne la vraie mesure de la division de la propriété, je disais, il y a dix ans : « Il n'au^-- mente plus guère et il se peut que bientôt il n'augmente plus du tout. » Cette opinion, comme les précédentes, paraissait paradoxale : mais elle se trouve, elle aussi, pleinement justifiée par les faits. Suivons la marche des cotes foncières depuis 1820, en réduisant les chiffres à leur plus simple expression, millions et dixièmes de millions : NXÉES MILLIONS DE COTES AXXÉES MILLIONS DE 1826 lu,:J 1858 13,1 1835 10,9 1861 13,7 1842 11,5 1865 14,0 1848 12,1 1871 13,8 1851 12,4 1875 14,1 avec Nice et la Savoie. déduclion faite de rAlsace-Loiraine. Ainsi, en un demi-siècle, la population de la France n'ayant augmenté que de lo 0/0, soit moins d'un sixième, le nombre des cotes s'était accru de 30 à 37 0/0, soit plus d'un tiers. Mais, depuis une quinzaine d'années, l'allure est tout autre, ainsi qu'on en va juger : ANNÉES MILLIONS UE COTES ANNÉES MILLIONS DE COTES 1876 14.117.000 1884 14.221.000 1878 14.204.0U0 1886 14.259.000 1880 14. 26 't. 000 18»8 14.238.000 1882 14. 33». 000 1890 14.141.000 (maximum) 1891 14.122.000 Ainsi, à partir de 1876, nous ne montons plus guère et, à dater de 1882, non seulement nous ne montons plus du tout, mais nous descendons un peu. Le chiffre actuel reste, en somme, inférieur de plus de 200.000 cotes au maximum d'il y a dix ans. G9* 1090 ÉCONOMIE POIJTIQUE A vrai dire, il y a encore là un certain mirage et il ne faudrait pas prendre au pied de la lettre les indications de ce tableau. Théoriquement, la cote foncière doit comprendre tous les immeubles dont une même personne ou un même ménage est propriétaire dans le périmètre d'une commune : si donc j'achète le bien de mon voisin ou si j'épouse ma voisine, les deux cotes d'hier n'en devront plus faire qu'une aujourd'hui. Mais, dans la pratique, ce principe de la cote unique était souvent méconnu. Pourquoi ? D'abord parce que, sur un territoire très divisé, dont les plans cadastraux ne donnent plus qu'une image infidèle, les mutations deviennent labo- rieuses et que l'identité des propriétés, comme aussi l'identité des proprié- taires, y est parfois fort difficile à saisir. Puis, il faut bien le dire, le percepteur est loin d'avoir intérêt à éviter les doubles emplois, attendu que le nombre des cotes à recouvrer est un des éléments dont son salaire tient compte : chaque article de rôle lui vaut vingt-deux centimes; ce n'est pas énorme, mais c'est assez pour qu'il n'éprouve aucune répugnance à rencontrer plusieurs fois le même nom sur son registre. Lorsqu'en 1884, on classa les cotes foncières par catégories de contenances, le minutieux dépouillement auquel il fallut se livrer pour cela fit déjà tomber plus de 100.000 cotes indûment dédoublées, et il en subsistait encore beaucoup. L'Administration supérieure, dans un double intérêt d'économie et de sincérité, s'est mise à faire la chasse à ce gibier d'un nouveau genre. L'instruction générale du 2 mars 1886 (art. 49), puis les circulaires des 10 novembre 188" et 18 mai 1888 ont intéressé à la réunion des cotes multiples la vigilance des contrôleurs, des inspecteurs, des directeurs; et de là vient surtout la réduction continue du nombre officiel des cotes foncières depuis 1886. Il y aurait donc quelque témérité à affirmer que le nombre des propriétés ou des propriétaires français est effectivement moindre en 1892 qu'en 1882. Disons seulement, pour être sûr de ne rien dire de trop, qu'aux progressions rapides d'autrefois a succédé un état de stagnation, absolue ou relative. C'est là une constatation dont il me semble que les amis et les adver- saires du morcellement doivent également reconnaître l'importance. Maintenant, il est bien entendu que quand nous parlons de stagnation, c'est en considérant l'ensemble du territoire national et en faisant un bloc... C'est un résultat moyen. Si l'on interroge les départements un à un, on en trouve où le morcelle- ment se poursuit d'une manière très appréciable et d'autres où s'accuse, au contraire, une tendance manifeste à la concentration de la propriété. La carte que vous avez devant les yeux distingue les parties de la France qui, depuis 1883, perdent des cotes de celles qui en gagnent encore, et la guerre que l'Administration fait aux doubles emplois n'empêche pas cette image de donner une assez juste idée de la marche des choses. A. DE KOVILLE. — LE MORCELLEMEM DEI'LIS DIX ANS 1091 Elle montre que les contrées où la terre continue à se subdiviser sont généralement celles où il restait beaucoup à faire à cet «'gard. Dans un dt'partement où la grande propriété régnait presque partout, comme le Cher, on ne peut que la féliciter de laisser venir à elle, çàet là, les petits propriétaires : elle y gagne plus comme valeur qu'elle n'y perd comme étendue. De même dans l'Allier, dans l'Indre, dans Loir-et-Cher, et dans presque toute cette région du Centre, où le progrès, pour bien des raisons, a été lent à s'éveiller. De même encore dans les Bouches-du-Rhône, dans le Var, dans les Alpes-Maritimes, et de l'autre côté du golfe méditerranéen, dans les Pyrénées-Orientales et dans rAriège. Ailleurs, la persistance du morcellement s'explique par l'accroissement de la population, comme autour des grandes villes ou dans les provinces dont la natalité se soutient, Bretagne et Flandre, par exemple. Le résultat contraire s'observe dans celles de nos campagnes qui vont ou se dépeuplant, ou s'appauvrissant, notamment dans la basse Normandie, dans les Hautes-Alpes et les Basses-Alpes, sur les deux rives du Rhône, en aval de Lyon, et plus encore dans le bassin de la Garonne. L'influence de la crise phylloxérique est très sensible dans le Midi. La vigne y avait activement contribué à la diffusion de la propriété et les cotes foncières pullulaient d'une mer à l'autre. Le phylloxéra les a mangées par cen- taines, par milliers, et là même où s'opère maintenant la reconstitution des vignobles, l'opération étant coûteuse, c'est plutôt la grande propriété qui s'en charge que la petite. En somme, les faits accomplis depuis une dizaine d'années ne font que confirmer les vues de ceux qui, dans la discussion d'un phénomène com- plexe, avaient su se défendre à la fois contre les pièges de la statistique et contre les entraînements du parti pris. Que le morcellement ait été poussé à l'excès sur certains points du sol français, je ne l'ai jamais contesté ; mais, quand on affirmait que la France entière allait, tôt ou tard, se trouver réduite à l'état moléculaire, ceux qui restaient incrédules n'avaient pas tort. La réaction que l'on jugeait impossible est déjà venue et telle commune où l'émieltement des héritages ne connaissait plus de bornes il y a vingt ans, a su y mettre bon ordre elle-même. A ce point de vue, comme à tant d'autres, il s'en faut que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes ; mais tout ne va pas non plus si mal que les pessimistes le disent. J'estime qu'en ce qui concerne le sort de la propriété française, Léon Faucher et Balzac étaient plus loin de la vérité que Benjamin Constant lorsque, dès 182(), il disait à la tribune de la Chambre des députés : « Le morcellement des terres s'arrêtera toujours au point au delà duquel il deviendrait funeste. » 1092 ÉCONOMIE POLITIQUE M. ETCHEYEEET Député, à Paris, L'ÉMIGRATION DAIMS LES BASSES-PYRENEES PENDANT SOIXANTE ANS — Sckince du SI septembre 4892 — Le Congrès qui nous réunit siège dans le déparlement de France qui émigré le plus depuis soixante ans. Il a paru intéressant de rechercher quel a été approximativement le chiffre de cette émigration, quelles ont été ses causes et ses conséquences. C'est vers 1832 que l'émigration a commencé. 11 y a eu des émigrants auparavant, se dirigeant vers l'Espagne ou vers les colonies espagnoles ; il y en a eu de temps immémorial ; mais c'est à partir de cette date qu'un courant important s'est dessiné vers l'Amérique du Sud. Les premiers départs eurent lieu à l'instigation de la maison anglaise Lafone and Wil- son qui cherchait à peupler une colonie agricole à Montevideo. Voici le tableau des départs constatés officiellement de 1832 à 1891, à l'aide des passeports délivrés, des renseignements préfectoraux ou des relevés des commissaires spéciaux créés par le décret du 13 janvier 18oo: DÉPARTS MOYENNE ANNUELLE 1832-1835 ( 4 ans) 828 ^08 1836-1845 (10 ans) 10.162 1.016 1846-1855 (10 ans) 16.111 1.614 1856-1864 ( 9 ans) 12.833 1.425 1865-1874 (10 ans). ..... 17.7.50 1.775 1875-1883 ( 9 ans) 5.157 573 1884-1891 ( 8 ans) 16.421 2.052 Total en 60 ans 79.262 1..321 Tel est le bilan officiel de l'émigration dans notre département, mais il n'est pas complet. Tous ces chiffres doivent être majorés, sauf ceux de la dernière période. En premier lieu, à l'émigration constatée au moyen des passeports délivrés il faut ajouter une émigration clandestine qui s'est effectuée par les ports d'Espagne. Elle comprenait des jeunes gens auxquels l'Administration refusait des passeports parce qu'ils étaient entrés dans leur dix-neuvième année. Des armateurs de Bayonne ont ETCHEVERRY. l'ÉMIGRATIO-N DANS LES liASSES-l'YRÉNÉES 1093 aussi donné rendez-vous au port de Passajès à une partie de leurs pas- sagers que les règlements édictés en 1855 et 1860 ne leur permettaient pas dembarquer en France sur leurs bateaux encombrés. Depuis que Tobligation du passeport est supprimée, les seuls moyens de contrôle de l'émigration sont les relevés opérés dans les ports d'eml)arquement par des commissaires spéciaux. Mais la Compagnie des Messageries mari- times était affranchie de la surveillance des commissaires. Les nombreux émigrants qu'elle a transportés à la Plata n'ont donc pas figuré dans les relevés olficiels. Ce n'est qu'en 1884 que la Compagnie elle-même a classé des passagers d'entrepont. Aussi la moyenne annuelle de notre départe- ment a passé de 513 à 2.052. C'est l'effet des constatations nouvelles plus que d'un redoublement d'émigration. Si on veut prendre une idée plus complète de l'importance de l'émigra- tion, il n'y a qu'à considérer le vide survenu dans la population de notre département depuis 1832, en tenant compte des excédents des naissances sur les décès qui se sont produits durant cet intervalle de soixante ans. Le département avait, en 1831, 428.401 habitants; le dernier recense- ment de 1891 relève 423.662 habitants. C'est une perte nette de 4.739 ha- bitants seulement. Comment a été couverte notre formidable émigra- tion ? Elle l'a été d'abord par les excédents des naissances sur les décès qui ne représentent pas moins de 88.131 unités, chiffre supérieur à celui des départs officiellement relevés. La moyenne annuelle des départs a été de 1.321 pendant les soixante années : la moyenne des excédents a été de 1.468 (1). En second lieu, deux communes des Landes, Saint-Esprit et Le Bou- can, ont été rattachées au département en 1861, apportant 8.314 habi- tants. En troisième lieu, depuis le recensement de 1861, qui indique I)our la première fois le lieu de naissance, jusqu'en 1891, on constate que 22.369 individus, nés hors du département, sont venus s'y fixer pen- dant ces trente années (2). *Au total, ces nouveau-nés, ces annexés, ces immigrants ont pris la place de 118.804 émigrants. Et en ajoutant la perte de 4.739 habitants, le déplacement de nos compatriotes représente plus de 123.000 unités. {^ne portion notable a émigré vers les villes, Bordeaux et Paris, en par- ticulier, mais il faut en rattacher une bonne part encore aux 79,000 émi- (1) Excf'dent mnypn de 1831 à I8.'r0 2.211 — — do 18AI à 18d0 l.fiOO — — de -1851 à 1860 561 — — de 1861 à 1870. . . . '. 1.369 — — de 1871 à 1880 I.;i3l — — de 1881 à 1890 1.309 (2j En 1801. . . . U.360 habitants ni^s hors dn di'parlomcnt ; En 1891. . . . 37.719 — — — 1094 ÉCONOMIE POUTTQUK grants d'outre mer, constatés ofTiciellement ; ce sera la part de l'inconnu, la part de lémigration clandestine et des embarquements des Messageries maritimes jusqu'en 1884. L'émigration n'a pas suivi un cours uniforme durant ces soixante ans. De 1831 à 1845, dans les quinze premières années, le courant s'est établi lentement ; il n'empêche pas la population de s'accroître considérable- ment et d'atteindre son maximum en 1846. Le mouvement se précipite singulièrement de 1846 à '18oS, avec la disette de 1847, la révolution de 1848, la crise viticole provoquée par l'oïdium. Buenos-Ayres commence à ouvrir aussi aux émigrants d'immenses perspectives. Le département perd 19.000 habitants pendant ces dix années, sans compter 6.000 excé- dents de naissances qui sont absorbés. Entre 1858 et 1864, l'émigration extérieure se ralentit, si l'émigration vers les villes se développe. Ces deux émigrations réunies absorbent les excédents de naissances et l'augmen- tation provenant de l'annexion de deux communes des Landes; elles laissent la population à peu près stalionnaire. De 1865 à 1874, recrudes cence de l'émigration sous l'influence de la guerre, du perfectionnement des moyens de transport et de l'abaissement des prix. La population perd encore 4.000 habitants; 9,665 naissances en excédent et 19.000 immi- grants venus du dehors comblent à peine les vides d'autant d'émigrés. De 1875 à 1886, le département reste à peu près stationnaire ; les départs sont compensés par 19.000 excédents de naissances ; mais pendant les cinq dernières années, de 1886 à 1891, il perd 6 à 7.000 habitants; 5 à 6.000 excédents de naissances sont également absorbés. Les cinq arrondissements du département n'ont pas contribué égale- ment à l'émigration. Le département renferme deux populations distinctes : les Béarnais peuplent les arrondissements de Pau, Oloron et Orthez ; les Basques occupent presque seuls l'arrondissement de Mauléon et forment la majorité de l'arrondissement de Bayonne, où un certain nombre de Gascons habitent les bords de l'Adour. Les Basques constituent à peu près le quart de la population du département. Ils ont fourni environ les deux tiers des émigrants. Cette proportion est absolument établie pour les années antérieures à 1858 ; l'arrondissement de Bayonne a fourni 22 émigrants sur 100 ; celui de Mauléon 45. Elle serait supérieure, si on pouvait classer l'émigration clan- destine, car les deux arrondissements basques sont les plus rapprochés du littoral espagnol, par suite, le plus à portée d'en user. A partir de 1858, l'arrondissement d'origine des émigrants ne nous est pas connu; maison peut maintenir les proportions précédentes comme minima. 11 est incon- testable que le pays basque a continué à alimenter les départs, beaucoup plus que les autres parties du département. Les Gascons du bord de l'Adour ont été retenus par la prospérité de Bayonne et de Biarritz. Les ETCHEVERRV. — l'ÉMIGIîATION DANS LES BASSES-PYRÉNÉES 1095 Béarnais ont été principalement attirés vers Pau, vers Bordeaux et Paris, à l'exception d'une faible portion des arrondissements d'Oloron et d'Ortliez qui a suivi les Basques à l'extérieur. Dans les pays basques, les habi- tants du littoral ont vu leurs stations balnéaires se développer et ont peu émigré. Ce sont les cantons montagneux de l'arrondissement de Bayonne et surtout ce sont les cantons de l'arrondissement de Mauléon qui ont envoyé la grande majorité des émigrants. Résultat : L'arrondissement de Mauléon a perdu 12.000 habitants entre 1831 et 1891, sans compter les excédents de naissances que nous ne pouvons chiffrer, mais qui ont été considérables ; l'arrondissement de Mauléon est celui où la natalité est le plus développée. Revenons aux statistiques officielles pour les analyser rapidement au point de vue de la destination, du sexe, de l'âge et de la profession des émigrants. Malheureusement les statistiques ne nous permettent d'analyser ces caractères de l'émigration par département que jusqu'en 1877 environ. Quelle a été d'abord la destination des émigrants? Avant 1856, sur 100 départs, 72 avaient lieu pour les rives de la Plata. Montevideo était le port de débarquement exclusif jusqu'en 1849, où on commença à débar- quer à Buenos-Ayres également. Une vingtaine de mille individus ont cette destination, dont les quatre cinquièmes sont Basques. Un millier se dirige vers les autres parties de l'Amérique du Sud. L'Amérique du Nord (le Mexique, la Californie, la Louisiane), en reçoit autant. Des Béarnais et quelques rares Basques vont coloniser l'Algérie, au nombre d'environ 2.000. Les autres colonies françaises glanent quelques centaines de colons. Le reste demeure sur le continent européen , en Espagne de préférence. Entre 1836 et 1891, l'Algérie attire peu d'émigrants. Buenos-Ayres de- vient le but de l'immense majorité. Montevideo vient en seconde ligne, mais très loin derrière ; puis le Chili, la Californie, le Mexique, le Brésil, Je Pérou, la Bolivie, etc. Les deux républiques de la Plata et la Cali- fornie attirent surtout les agriculteurs, les pasteurs ; les autres pays ne reçoivent guère que les commerçants et quelques artisans. Comme dans toute période de tâtonnement, les femmes figurèrent en petit nombre parmi les émigrants des premières années, à peine 16 sur 100 émigrants de 1832 à 1840. En 18o4 et 18oo, elles représentent 24 0/0 de l'émigration générale, 30 0/0 de l'émigration basque considérée à part. Dans les années qui suivent, leur proportion monte à 38 sur 100 émi- grants adultes. De 186o à 1874, on ne relève que 24 femmes sur 100 émi- grants majeurs. De 1875 à 1877, 30 femmes partent pour 70 hommes. Ce doit être la proportion actuelle que les états administratifs ne nous permettent plus de constater par département. Presque toutes les femmes se dirigent vers les rives de la Plata, siège de notre colonie la plus an- cienne et la mieux assise. 1096 ÉCONOMIE POLITIQUE Les statistiques renferment peu de renseignements sur l'âge de nos émi- grants. Nous savons seulement par les recensements qu'un grand nombre de ménages emmenant des enfants quittent le département entre 1846 et 4861. Les rapports sur l'émigration de 1865 à 1874 et de 1875 à 1877 nous donnent un classement détaillé à l'aide duquel nous pouvons com- parer le caractère que l'émigration a possédé à cette époque dans notre dé- partement avec celui qu'elle revêtait dans le reste de la France. Les dé- parts de zéro à dix ans sont moins nombreux dans notre département que dans le reste de la France ; comme cette catégorie ne peut émigrer qu'en famille, il faut en conclure que l'émigration a pris chez nous un caractère plus individuel qu'en France, et ce caractère tend à s'accentuer. En second lieu, la catégorie de dix à vingt ans fournit 40 0/0 d'émi- grants chez nous, quand elle ne fournit en France que 17 à 18 0/0. Le recensement de 1870 accusait pourtant un accroissement d'enfants au-des- sous de l'âge nubile par rapport à 1866. C'est donc entre quinze et vingt ans que beaucoup de jeunes gens et de jeunes filles sont partis seuls. C'est l'émigration de la jeunesse, chose presque inconnue dans le reste de la France. Le service militaire n'arrête pas les garçons chez nous comme ail- leurs. Ils commencent ainsi la vie de colons d'aussi bonne heure que les Anglais. L'émigration dans les Hautes-PyrénfJes et dans la Haute-Garonne présente un aspect semblable à la nôtre. Pendant les vingt-cinq ou trente premières années, la majorité des émi- grants paraît s'être recrutée parmi les artisans. A défaut des statistiques de l'Administration, muettes sur ce point, nous trouvons ce fait indiqué par les recensements. Entre 1846 et 1856, la population urbaine perd 11 0/0 de ses habitants tandis que la population rurale ne perd qu'un peu plus de 3 0/0. La proportion de la population agglomérée, à laquelle appartiennent d'ordinaire les artisans, baisse dans le département pendant que celle de la population éparse s'accroît. A partir de 1856 ou 1861, c'est la classe rurale qui fournit le plus d'émigrants. De 1865 à 1874, les professions in- dustrielles comptent 15 départs sur 100; dans le reste de la France, elles en comptent 30. Sur 100 émigrants, il y a 53 agriculteurs, quand en France il y en a 30 seulement. De 1875 à 1877, la France envoie la même proportion d'émigrants agriculteurs ; notre département en envoie encore 44 sur 100. CAUSES DE l'émigration Les directeurs de la Sûreté publique, chargés de présenter périodique- ment un rapport au ministre de l'Intérieur sur le Mouvement de rémigration en France ne se lassent de s'étonner de la part prépondérante des Basses- Pyrénées dans les départs. « Ce département, lisait-on dans le dernier rap- ETCHEVERRY. — l'ÉMIGRATION DANS LES BASSES-PYRÉNÉES 1097 port {Jou7'nal officiel du 31 août 1 880), ne figure ni au dernier rang sur les tableaux de la richesse publique, ni au premier pour la densité de la population. L'émigration n'y est donc pas provoquée par les causes qui la produisent ordinairement dans les pays pauvres et populeux. 11 faut l'at- tribuer à l'entraînement auquel se livrent les agents recruteurs et à la con- tagion de l'exemple. Les montagnards des deux versants des Pyrénées sont très recherchés comme colons par les États de l'Amérique du Sud, qui mettent tous les moyens en œuvre pour les attirer. Les premiers émigrants séduisent leurs compatriotes restés sur le sol natal, par le récit des succès obtenus de l'autre côté de l'Oct-an. » Les agents d'émigration placés à Bayonne et à Bordeaux, assistés de nom- breux sous-agents disséminés dans tous les cantons du pays basque, ont eu en effet une influence décisive pour amorcer le courant de l'émigration. Ils ont contribué à le précipiter à certaines époques par des facilités de crédit exceptionnelles, par leurs ardentes excitations, quelquefois, dit-on, par des procédés blâmables. Encore aujourd'hui ils rendent les départs plus aisés. Mais, à quelque époque qu'on se place, leur action aurait été bornée, s'ils n'avaient trouvé dans le pays des causes intrinsèques poussant à l'émi- gration. La contagion de l'exemple signalée dans le rapport, les appels des émigrés à leurs parents, à leurs amis, sont déjà une première cause qui a secondé très vite leur propagande. La pauvreté de certaines régions, accrue par les transformations économiques ou par des crises, a mis dans leurs mains des catégories entières de familles, chassées du pays natal par la mi- sère. Comme transformations économiques il faut citer la fermeture de quelques forges qui occupaient, non seulement des ouvriers, mais des mu- letiers pour le transport des bois et du minerai, des charbonniers pour la confection du charbon de bois. Citons aussi la disparition de la contre- bande qui était une véritable industrie pour des milliers d'individus. Les crises ont été l'anéantissement momentané des vignes par l'oïdium, cer- taines vexations forestières nuisibles au régime pastoral, le renchérisse- ment des grains, en 1847 notamment. Ces causes ont agi particulièrement sur les familles qui n'étaient pas rattachées au soi par un lien solide ; elles ont souvent amené le départ, non seulement d'individus isolés, mais de familles entières d'ouvriers, d'artisans, de métayers, de petits propriétaires. La moyenne propriété, de six à cinquante hectares, très répandue dans le département, a été plus résistante. Elle a fourni à l'émigration son élé- ment le plus régulier et en même temps celui qui se renfermait dans les bornes les plus raisonnables, grâce à nos mœurs successorales. Dans l'état actuel de ces mœurs, reste des vieilles coutumes, un seul enfant, l'aîné d'ordinaire, est fait héritier exclusif ou héritière du bien, avec disposition en sa faveur de la quotité disponible que le code a malheureusement trop réduite. Cet enfant est retenu sur le domaine ; il n'émigre pas à moins de 1098 ÉCONOMIE POLITIQUE vicissitudes extraordinaires. Un on deux autres enfants demeurent pour Paider ou pour épouser un héritier ou une héritière du voisinage. Le sur- plus des enfants, des cadets, pour les appeler par leur nom, est libre pour l'émigration avec une petite avance en argent sur ses droits successifs. Or, le département compte 30 familles sur 100 ayant quatre enfants et au- dessus, quand la France en compte à peine 19. L'arrondissement de Mau- léon en compte môme 50 sur 100. Supposez que sur les 30.000 familles ayant quatre enfants et au-dessus, il y en ait 10.000 de moyens proprié- taires, elles auraient 20 ou 30.000 enfants disponibles pour l'émigration à chaque génération. Voilà la cause permanente et éminemment honorable d'une partie de l'émigration. Deux exemples vont faire toucher du doigt les causes de l'émigration et son intensité : Voici un village où existait un haut fourneau en 1856. Le recensement de cette année-là relève 146 ménages ; le haut fourneau est fermé, et celui de 1^<81 n'en relève que 104, soit 42 de moins. Là-dessus, grand émoi des pessimistes! Mais, si on regarde de près, que voit-on ? La fermeture du haut fourneau a amené fatalement la disparition de vingt-quatre ménages d'ouvriers et de muletiers qui étaient employés dans cette industrie. Que vouliez-vous que fissent ces ménages, sinon disparaître, puisqu'aucune autre industrie ne remplaçait celle qui les faisait vivre? Ce n'est pas tout. La contrebande a disparu aussi dans ce village et l'Administration des douanes a restreint son personnel ; d'où la disparition encore forcée de neuf ménages de douaniers. On peut regretter ces braves douaniers, mais il faut bien se résigner à leur départ. Restent treize ménages dont il faut expliquer la disparition. Il y a cinq ménages de tisserands. Leur dispari- tion n'étonne pas au moment où la toile des grandes fabriques vient prendre partout la place de la toile fabriquée sur place. Il y a un ménage de meunier. Un meunier de moins! Cela s'explique par l'envahisse- ment naissant des grandes minoteries. Deux ménages de charpentiers de moins ! Cela peut être encore attribué à la fermeture du haut fourneau. Les cinq ménages encore disparus sont des ménages de petits métayers ; ce sont les seuls qui sont probablement victimes de la misère. Veut-on savoir ce que sont devenus, pendant ce temps, les paysans moyens pro- priétaires de ce village? Il y en avait 44 ménages, comprenant 268 per- sonnes en 1856; il en reste, en 1881, 43 comprenant 261 personnes. Un seul est parti, remplacé par des métayers. La moyenne d'individus par ménage restant est égale et même supérieure à celle de 1856. Voilà l'émigration des familles entières prise sur le vif. Elle enlève les petits ménages, dont le travail dépend des circonstances économiques et qui ne tiennent pas à la terre ; elle respecte les ménages importants qui reposent sur la traditionnelle possession du sol. ETCHEVERUY. — l'ÉMIGRATIOK DANS LES BASSES-PYRÉNÉES 1099 Voici rémigration individuelle comparée dans ces deux mêmes catégo- ries de familles. J'ai analysé, d'une part, dix familles prises au hasard de petits propriétaires, métayers, journaliers, artisans ; d'autre part, dix fa- milles paysannes de moyens propriétaires. Le premier groupe comptai! 35 enfants émigrés sur 53, ayant dépassé l'âge adulte ; le second groupe, 27 émigrés sur 57. Il restait chez les moyens propriétaires trois enfants en moyenne par famille; chez les autres 1,70. Ce rapprochement montre exactement dans quelle proportion les deux catégories de famille ont con- tribué à l'émigration individuelle. CONSÉQUENCES DE l'ÉMIGRATION Nos 80.000 ou 100.000 émigrants ont créé en Amérique spécialement sur les bords de la Plata, une colonie naguère florissante. Ils ont con- tribué, comme commerçants, industriels, propriétaires ruraux, surtout comme travailleurs, au développement de ces États naissants. Pour citer leur œuvre capitale, ce sont nos pasteurs qui ont introduit dans la pampa l'élevage du bétail, source d'une étonnante richesse. En travaillant pour le Nouveau-Monde, nos compatriotes ont travaillé pour l'humanité, dont le bien-être général profite de tout progrès accompli sur un point de la surface terrestre ; mais ils ont travaillé aussi pour la France. On peut leur attribuer, en partie, l'accroissement si remarquable du commerce fran- çais avec la République Argentine, avec l'Uruguay, avec la plupart des États de l'Amérique du Sud. Les commerçants en rapport avec ces contrées, les économistes, les patriotes ont souvent proclamé leur bien- faisante influence. Parmi les populations françaises, celles qui ne trouvent pas sur le sol l'emploi de toute leur activité tournent le surplus vers l'industrie, vers le commerce intérieur; presque seuls, les Basques et Béarnais se sont consacrés à la colonisation, au commerce extérieur. Tâche essentiellement méritoire dans ce siècle, oi^i les nations euro- péennes, par leur expansion admirable qui contraste tant avec celle de la France, menacent de ravir à cette dernière les profits que procure la mise en exploitation des pays neufs. Ces résultats ont-ils été obtenus au détriment du déparlement ? A-t-il épuisé sa vitalité, compromis sa prospérité dans cet effort colonisateur? C'est ce qu'il nous reste à examiner. Trois prédictions ont été faites à notre département au sujet de l'émi- gration. On a dit et répété : « Les terres vont rester en friche. » Puis : « Il n'y aura plus de soldats ; il n'y aura que des insoumis. » Enfin, on a dit : « Les villages vont devenir des déserts, où erreront seulement les vieillards trop âgés pour partir. » 1100 ÉCONOMIE POLITIUUK Voyons ce qui est advenu de ces trois sombres prédictions. L'agriculture, d'abord, a-t-elle dépéri? Nous trouverons la réponse dans la comparaison des statistiques agricoles de 1840 et de 1882. La superficie du territoire non cultivé atteignait 338.596 hectares en 1840; elle est tombée à 281.667 hectares en 1882. La culture a donc gagné près de 57.000 hectares. La culture, si elle a gagné en étendue, est-elle moins soignée, moins productive? Deux chiffres suffiront pour répondre : les chiffres de la récolte de blé et de la récolte de maïs, les deux principales récoltes du pays. Le rendement par hectare était évalué, en 1840, à 10 hectolitres et demi de blé et à 16'^', 36 de maïs ; les chiffres correspondants sont de 14,36 de blé et 20,32 de maïs, soit quatre hectolitres de plus par hec- tare pour les deux céréales. Le département récolte 174.631 hectolitres de plus de froment et 157.543 hectolitres de plus de maïs. Et l'élevage, la principale branche de l'économie rurale du département, a-t-elle souf- fert davantage de l'émigration? Non. On a pu craindre que le départ des pasteurs de nos montagnes nuirait à l'élevage de la race ovine, et nos effectifs de cette catégorie ont, en effet, diminué ; mais cette diminution est insignifiante si on la compare à la diminution de la race ovine en France. L'ensemble de tous nos animaux était de 698.480 têtes en 1840 ; il est de 821.505 en 1882, soit 123.025 têtes de plus. L'émigration n'a donc fait de tort ni à notre agriculture ni à notre élevage. On serait plutôt autorisé à dire qu'elle les a servis. En regard des départs, il y a eu, en effet, des retours d'Amérique. Les retours, sans doute, ont été beaucoup moins nombreux que les départs, mais ils ont apporté dans le pays un élément qui lui manquait plus peut-être que les bras, à savoir des capitaux. Qui dira la part de ces capitaux d'Amérique dans le relèvement des maisons paysannes moyennes obérées, dans les défrichements, dans les mises en culture, dans les progrès de l'agriculture et dans les perfectionnements de l'élevage? Si nous abordons le second grief invoqué contre l'émigration, celui tiré de l'insoumission, la réponse sera moins aisée. Il faut reconnaître que l'insoumission a fait des ravages parmi nous ; elle en a fait à des époques particulièrement douloureuses. Depuis que le service militaire est réduit, depuis qu'il se fait dans des garnisons moins lointaines qu'autrefois, depuis que la langue française pénètre par les écoles dans les villages basques, la plaie de l'insoumission se rétrécit et se cicatrise. On attend plus facilement, du moment qu'il faut attendre moins longtemps et dans des conditions moins dures qu'autrefois, d'avoir fait son service pour émigrer. L'article 50 de la nouvelle loi militaire permet aussi, à ceux qui sont plus pressés, de s'établir avant dix-neuf ans en Amérique, sans s'exposer ETCHEVERUY. — l'ÉMIGRATION DANS LES BASSES-PYRÉXÉES 1101 à être considérés comme insoumis. Quand cet article sera bien connu des, émigrants et, s'il nous est permis d'ajouter, bien connu des agents consu- laires, linsoumission deviendra un fait très rare, au moins tant que l'état de paix durera. En attendant ce jour béni où l'insoumission ne viendra plus assombrir l'émigration, jetons un coup d'oeil sur le passé et voyons s'il n'y aurait pas des circonstances atténuantes à plaider. On a dit, autrefois, que le département ne fournirait plus un soldat. Eh bien! il se trouve que les contingents du département comptent parmi les plus beaux de France. Si on examine les classes de 1881 et 1882, on voit que le département figure au quatorzième rang pour le chitTre des inscrits et au quinzième pour le chiffre des jeunes gens reconnus propres au service, quoique le chiffre de sa population française ne le mette qu'au vingt-neuvième rang dans la liste de tous les départe- ments. La moyenne des inscrits représente 11,21 sur 1.000 habitants français, quand la moyenne en France est de 8,38 ; la moyenne des maintenus est de 9,51 dans le département, de 7,91 en France. Je n'ai pu avoir le chiffre des insoumis de ces deux années ; mais en prenant le chiffre le plus fort des années précédentes, il reste une proportion de jeunes soldats supérieure de 0,50 à 1 0/0 à celle du reste de la France. Loin de moi la pensée d'excuser les défaillances individuelles ; mais, enfin, malgré ces défaillances, le département a fourni au pays un chiffre de soldats qui sauve son honneur et rassure un peu notre pa- triotisme. Ce que je viens de dire du contingent militaire montre que l'émigra- tion n'a pas épuisé les forces vives du pays, qu'elle n'a pas tari les sources de sa vitalité. C'était la troisième prédiction ; c'est la troisième erreur qu'un coup d'œil sur la composition et le mouvement de la population permettra de réfuter. On a dit qu'il n'y aurait plus que des vieillards dans nos villages. En effet, nous avons plus de vieillards qu'en France: 14i individus au- dessus de soixante ans sur 1.000 habitants contre 110 en France. Mais c'est peut-être que noire air est très bon et notre eau très pure. On vient se soigner chez nous ; on y trouve des fontaines de Jouvence. Nos vieillards respectables ne nous empêchent pas d'avoir un lot d'adultes de vingt à soixante ans très convenable ; nous en avons un peu moins qu'en France, 478 sur 1.000 habitants, contie 520; mais nous eu avons plus qu'en Angleterre (462) ; cela nous suffit, il me semble. Nous n'avons pas la prétention de rivaliser avec le commerce et l'industrie anglais. Et nous avons plus d'enfants et de jeunes gens de zéro à vingt ans qu'en France : 377 contre 3o2. Cela, c'est l'avenir assuré. 1102 ÉCONOMIE l'OLITlQLE Si nous continuons l'examen des recensements, que voyons-nous encore? Sous l'influence de l'émigration, nous avons une population de femmes supérieure à celle de la France. Tandis qu'il y a 502 femmes sur 1.000 ha- bitants en France, nous en avons ol4 dans les Basses-Pyrénées. Nous ne nous plaignons pas de la surabondance de ces dames. C'est à peu près la proportion de l'Angleterre (ol5). 11 y a eu un moment où nous en avons eu peut-être un peu trop: 522 sur 1.000 habitants en 18(36. A cette époque, sur 1.000 habitants, pour 121 célibataires adultes du sexe masculin, il y avait 170 célibataires adultes du sexe féminin. A'os jeunes hlles manquaient d'épouseurs. Elles ont pris le parti d'aller les chercher en Amérique ou dans les grandes villes. Aujourd'hui, l'écart entre les célibataires adultes des deux sexes est tombé de 49 à 30 unités : 107 hommes contre 137 femmes sur 1.000 habitants. Passons au mouvement de la population. On se marie chez nous plus qu'avant l'émigration. Près de la moitié de la population passe par le mariage : 45 0/0 en 1886 au lieu de 39,50 0/0 en 1831. C'est l'eff'et de l'émigration qui a enlevé beaucoup de célibataires ; c'est aussi l'effet de l'accroissement de la population urbaine où on se marie plus que dans la population rurale. Si nous comparons la période quinquennale qui a suivi les débuts de l'émigration (1831-1835) à celle qui a précédé le recensement de 1886 (1881-1885), il y a eu plus de mariages dans la dernière période que dans la première. Le chiffre moyen de la population a été sensiblement le même à ces deux époques, avec ten - dance à monter dans la première période et tendance à baisser dans la seconde. Et la natalité a-t-elle faibli? Oui, mais beaucoup moins qu'en France. Il y a eu 426 naissances de moins en moyenne par an. Mais sur ce chiffre, il n'y a que 150 naissances légitimes de moins ; cela tient ;'i l'accroissement de la population urbaine ; si on s'y marie davantage, les mariages ont moins d'enfants. Ce qui a faibli le plus, c'est la natalité naturelle. On sent là l'influence de la disparition de nombreux céliba- taires adultes que l'émigration a entraînés. Sur 100 naissances, il y en avait 8,43 naturelles en 1831-1835; il n'y en a plus que 6,11 en 1881- 1885. Au total, la natalité n'a baissé que de 1 0/00 habitants dans le département, quand il a baissé de 5 0/00 dans la France entre 1831 et 1886. Les excédents de naissance ont atteint 4,3 0/00 de 1881 à 1885, quand ils ont été en France de moitié environ. L'arrondissement de Mauléon, où on a émigré le plus, avait eu, en 1883-1884, un excédent de 6 0/00; il a eu, ces trois dernières années, malgré l'influenza, un excédent de 5,40 0/00. Il me semble que la France se trouverait bien d'avoir beaucoup de départements comme les Basses-Pyrénées et beaucoup d'arrondissements comme celui de Mauléon. Ce maintien satisfaisant de la natalité confirme ETCIIEVERRY. LÉMIGRAÏIOX DANS LES BASSES-PVRÉNKES 1103 ce mot d'un historien sagace de fémigration an xix" siècle, M. Jules Duval, quand il disait : « Je vois le peuple qui émigré redoubler d'edorts pour remplir les vides. » Il justifie aussi la préoccupation de Paul Bert qui voulait développer la politique coloniale pour développer la natalité française. S'il entendait par là qu'il fallait créer des colonies de peuplement habitables aux émigrants, il y a longtemps que notre département s'est créé sa colonie, une colonie libre qui n'a rien coûté à la mère patrie. Et c'est par cela même qu'il a sa colonie déjà bien établie qu'il en abandonnera diiricilemeni le chemin, quoi qu'on fasse, pour aller dans d'autres pays qui ne peuvent lui olfrir les mêmes conditions de climat sain et de chances heureuses. On ne peut contester que l'existence de cette colonie a encouragé nos robustes monta- gnards à avoir des familles nombreuses. Si nos propriétaires moyens (honneur et force du pays) sont rassurés sur l'avenir de leurs enfants par l'existence d'un débouché, il faut aussi qu'ils soient rassurés sur l'avenir de leurs beaux domaines ; qu'ils ne craignent pas de les voir partagés, disséqués entre des cohéritiers avides et égoïstes. Tant que nos mœurs successorales subsisteront, ils n'auront pas cette crainte. Souhaitons qu'elles se maintiennent contre les tendances contraires du reste de la France. Souhaitons que nos cadets respectent l'intérêt général, assurent le maintien du domaine familial par la modération de leurs exigences, qu'ils ménagent leur aîné et qu'ils trouvent au dehors la compensation de leur désintéressement. Messieurs, je me résume. Notre département a envoyé 19.000 émigrants outre mer en soixante ans. Il a été soumis aux excitations les plus violentes des agents d'émigration, aux tentations les plus fortes par le spectacle de pays où, pendant long- temps, on s'enrichissait facilement. Cependant, il n'a perdu que 4. 729 habi- tants et sa vitalité est restée intacte. Prenons, au contraire, un riche département de Normandie, l'Orne, par exemple. Ce département a perdu, en soixante ans, 87.000 habitants. Il avait 13.000 habitants de plus que nous en 1831 ; il en a 69.000 de moins aujourd'hui. Et il n'a pas la con- solation de penser que tous ces habitants perdus représentent autant d'émigrés qui fécondent les terres vierges des pays neufs, développent le commerce de la France et accroissent le patrimoine de l'humanité. Si notre département a résisté à une émigration aussi intense, il le doit à la forte constitution de la famille et de la propriété. La diffusion de la propriété, surtout de la propriété moyenne, sa transmission inté- grale ont retenu sur le sol natal un noyau de familles résistantes et pro- lifiques. L'existence de ces familles, que Le Play appelait les familles- souches, a été, dans le passé, notre seule barrière contre les excès de rémigration ; leur maintien nous en préservera encore. Et cependant ces 1104 ÉCONOMIK POLITIQUE familles continueront à fournir à la civilisation de précieux renforts, dans le trop-plein de leurs rejetons, partout ou la civilisation aura besoin de bras robusles, de l'esprit avisé des Béarnais et du cœur vaillant des Basques . M. Paul TISSEEAITD à Saint-Dié. LES INDUSTRIES DE SAINT-DIE — Séance du 2i septembre 1892 — Les recherches et les études qui ont été faites sur Saint-Dié et sur l'ar- rondissement dont il est le chef-lieu, par MM. les membres de la Société philomalique sont aussi complètes que possible. On a discuté sur les ori- gines ethnographiques et préhistoriques, on a rétabli son histoire d'après des documents authentiques, éclairci un grand nombre de points longtemps restés obscurs, en sorte qu'il suffit, pour les résumer, de puiser dans ce recueil, de désigner les auteurs de ces travaux, d'indiquer leurs dates, leurs titres pour les trouver dans les numéros des Bulletins que cette Société publie depuis une quinzaine d'années pour se renseigner, car ces travaux sont toujours intéressants et très étudiés. Saint-Dié est une jolie petite ville bâtie sur les deux rives de la Meurthe, dans une vallée assez large à laquelle on a donné le surnom de val de Galilée, en souvenir de celle qui, en Palestine, porte ce nom. Aujourd'hui cette ville n'est plus ignorée comme elle l'a été pendant des siècles ; depuis l'annexion et le traité de Francfort, elle est tout à fait rapprochée de la frontière allemande et le nombre de ses habitants, qui ne dépassait pas lechiffrede 8.000 en 1868, a plus que doublé depuis cette malheureuse guerre de 1870 (il est de 18.450, recensement 1891). Cette augmentation s'explique par le grand nombre d'industriels qui se sont établis sur le versant occidental des Vosges, après avoir quitté leur pays, et qui ont emmené avec eux les ouvriers qui vivaient de leur industrie. Ils se sont ainsi installés dans notre belle vallée. Belle! elle l'a toujours été, car l'aspect que présentent nos montagnes boisées n'a pas changé depuis des siècles et les superbes sapins qui les p. TISSERAND. — LES INDUSTRIES DE SAINT-DIÉ 11 Oo couvrent, de la base au sommet, nous en cachent les nudités abruptes; — belle ! mais riche aussi, parce qu'on a tiré de ce milieu charmant tout le parti que le travail de l'homme peut en tirer; c'est pourquoi, du haut des promenades qui l'environnent, on aperçoit aujourd'hui, disséminées le long de la rivière et sur ses deux rives, une cinquantaine de cheminées qui projettent dans les airs leurs immenses panaches de fumée. Des usines et des ateliers se sont élevés de tous les côtés, et les ouvriers, au nombre de 8 ou 9.000 environ, sont enfermés dans ces vastes établisse- ments où ils travaillent pendant toute la journée et quelquefois pendant la nuit. Les matières premières telles que le fer, la fonte, les bois, les peaux, les tissus de toute sorte et de toute qualité, y sont transformés en objets de consommation pour être livrés au commerce sous les formes les plus variées. Si nous remontons à l'origine de ces industries, nous sommes obligés de constater qu'elles n'existaient pas avant la Révolution et que, sous le premier Empire, elles n'avaient pas fait leur apparition en ce pays. C'est à partir de la Restauration seulement, de 1820 à 1830, qu'elles commencent à se montrer. Avant la Révolution, il y avait bien quelques moulins sur les cours d'eau, des tanneries sans importance et une tuilerie qui consommait ses produits dans la localité même; tout cela appartenait au Chapitre, qui était le seul grand propriétaire et le maître du pays. — La vente des biens du clefgé fit passer la propriété de ces biens entre les mains des anciens fermiers qui cherchèrent à en tirer les meilleurs avantages. La plus ancienne de toutes est aujourd'hui située près d'un joli petit ruisseau qu'on appelle le Robache, à cause de ses eaux rougeâtres. C'est une vaste tuilerie qui fonctionnait déjà avant la Révolution, sous la direction' du Chapitre, mais elle était bâtie un peu plus au nord, dans le fond de la vallée. — Elle appartient aujourd'hui à la famille Ferry, qui l'exploite depuis un siècle. La terre rouge, argileuse, que l'on pétrit comme de la pâte, se trouve dans les terrains environnants ; des moules en plâtre lui donnent des formes diverses, et quand elle a été cuite dans des fours spéciaux, cette terre acquiert une solidité à toute épreuve. On pourrait en tirer parti pour la fabrication des tuyaux de drainage et pour l'aménagement des eaux de fontaine ; mais on ne s'en occupe plus guère en ce moment, parce qu'ils sont remplacés par des tuyaux en grès, beaucoup plus résistants. On y fabrique aussi des ouvrages artistiques confectionnés à la main par des ouvrières habiles, qui donnent à cette terre malléable des formes diverses de fleurs et d'animaux. Les tanneries, assez nombreuses, étaient échelonnées le long de la rive 70* 1106 ÉCONOMIE POLITIQUE gauche de la Meurthe, en face du quai du parc; celle de M. Gustave Chré- tien, qui est devenue une des plus importantes de la région de l'Est, les a fait disparaître peu à peu, parce qu'elles ne pouvaient lutter contre une maison qui avait perfectionné son outillage. Les produits qui en sortent font prime sur les premiers marchés de cuir. On y emploie pour la confection de ces marchandises une force hydraulique de vingt-cinq chevaux et une force mécanique de cinquante chevaux- vapeur. Cette immense tannerie est alimentée par un canal dérivé de la Meurthe dont les eaux, ingénieusement aménagées, vien- nent se réunir dans des réservoirs préparés pour recevoir les peaux. Sa fabrication est d'environ 40.000 peaux par année, de provenance fran- çaise, allemande, belge, hollandaise, danoise, suédoise et norvégienne. Le tannage des peaux qu'elle reçoit est d'environ trois millions de kilo- grammes, provenant de l'intérieur de la France, de l'Espagne et de l'Al- o-érie. Les seize ou dix-huit tanneries qui existaient ont peu à peu disparu et ont laissé la place à celle qui existe actuellement; elle avait déjà une certaine importance lorsque le père vivait, mais son fils lui a donné la vita- lité, la richesse, et le renom dont elle jouit. Le premier atelier de construction qui a été créé dans ce centre date de 1850 ; c'était une usine d'abord peu importante, qui a pris tout à coup des proportions considérables. On y fabriquait des ouvrages en cuivre, des robinets, des tuyaux de chauffage, des appareils à colle, des pompes à incendie, le nombre des ouvriers augmentait à mesure que l'écoulement de ces produits se répandait au loin, il atteignait le chiffre de 1-20 lorsque le patron et le créateur de ce grand établissement mourut laissant à ses héritiers une fortune évaluée à plusieurs millions. Sa mort a laissé un o-rand vide, car personne n'a voulu ou su reprendre la suite de ses affaires. D'autres ateliers se sont créés depuis, et ont remplacé celui-là ; des fon- deurs d'abord, puis des constructeurs-mécaniciens, se sont établis et ont peu à peu perfectionné l'outillage qu'il faut avoir pour manipuler le fer et la fonte, en sorte qu'aujourd'hui on peut compter quatre établissements de ce genre : ceux de MM. Werner, Burlin, Goly, et du mécanicien Beyer. Il serait difficile aujourd'hui d'énumérer le nombre de filatures, tissages, apprêts, bonneteries qui se sont multipliés à l'infini depuis trente ans et qui sont mus, les uns par la force hydraulique, que l'on utilise le plus possible, les autres par la force de vapeur seulement, et quelques-uns par les deux forces réunies se suppléant selon le cours des saisons et l'abon- dance des eaux. Mais l'industrie la plus ancienne, celle qui a fait le plus de progrès depuis le commencement du siècle, c'est la fabrication des tissus en laine, fil et coton. Des fabricants sont venus s'établir dans ces parages, il y a quelque soixante-dix ans, sous la Restauration et sous le règne de Louis-Philippe. Celui p. TISSEKA.ND. LES I.NDUSÏRIES DE SAINT-DIÉ 1107 qui a débuté est M. Lehr ; il s'était installé sur l'emplacement où se trou- vait le grand séminaire. Lorsque le gouvernement vendit cet établissement ecclésiastique pour bâtir celui qui existe actuellement, et qui est placé à un kilomètre de la ville, ce fabricant profita de l'occasion pour monter une manufacture; elle était sur la place Stanislas. A partir de 1830, d'autres industriels encore peu nombreux essayèrent de l'imiter, ils réussirent, puisque la plupart d'entre eux se sont enrichis. On ne se servait à cette époque que de métiers à bras mus par des hommes et par des femmes, tis- seurs, dévideurs. Chacun de ces fabricants confectionnait des étoffes pour robes, pour pantalons, des toiles de couleurs et de dessins variés et nou- veaux toujours en rapport avec les goûts et la mode de la saison ou de l'armée. Les cotons, les laines, les fds de chanvre ou de lin entrent dans la composition de ces étoffes diverses dans une proportion en rapport avec la valeur des tissus dont les prix étaient à la portée de toutes les bourses, et cependant assez rémunérateurs ; ils pouvaient ainsi fournir à toutes les classes de la société des vêtements chauds ou légers à des prix peu élevés. Ces usages anciens se sont conservés dans quelques maisons, mais maintenant on remplace peu à peu l'outillage par des tissages mé- caniques qui font vite et mieux. Aussi en consomme-t-on des quantités énormes qui chaque jour sont livrées au commerce. Ces tissages à vapeur ou à eau sont plus nombreux que les anciens et ils forceront de plus en plus dans leur derniers retranchements, les retar- dataires qui croient pouvoir soutenir la concurrence sans transformer leur ancienne méthode, qui avait toutefois ceci de bon, c'est qu'elle donnait du travail aux gens de la campagne pendant la morte-saison et leur permet- tait d'amasser un petit pécule pendant l'hiver au lieu de passer leur temps inutilement au coin du foyer familial. Maintenant, les ouvriers sont nombreux ; ils entrent dans les fabriques à o heures du matin et en sortent à 7 heures du soir, avec une heure de repos pendant le courant la journée; c'est la vie ordinaire de l'ouvrier. Citons aussi les bonneteries, auxquelles il faut attacher une grande im- portance. 11 y en a au moins douze. On y confectionne les caleçons, les gilets à bon marché, les jerseys et autres ouvrages de laine excellents pour préserver la poitrine contre les froids humides ; je dirais presque remède préventif contre les bronchites. La consommation de ces objets est immense et elle se répand dans les pays les plus éloignés. Aussi les fabricants bonnetiers, malgré leur grand nombre et la forte concurrence, s'enri- chissent par un labeur qui leur procure de beaux bénéfices. Ces différentes industries ont fait naître celle de la teinturerie ; il y en a dans la ville au moins quatre qui fonctionnent pour les fabricants, et plusieurs autres, moins importantes, au service des particuliers. Ajoutons à cette nomenclature, des brasseries, des distilleries, des HÛ8 ÉCd.NOMIK l'OLlTIQUE scieries à vapeur ou à eau, dos menuiseries pour la préparation des bois de construction. Les deux grands établissements de ce genre sont ceux dirigés par les frères Frientz et par les frères Rielle;les magnifiques sapins et bois d'autres essences fournissent surabondamment la matière première, que l'on trouve partout dans les environs, et qui suffit pour alimenler les grands chantiers de bois qui remplissent les abords de la gare. Nous trouvons aussi, en amont et en aval de la Meurthe, un certain nombre de féculeries qui donnent i!i la pomme de terre une valeur plus élevée. N'oublions pas non plus la remarquable manufacture de toiles métal- liques de M. Rose, ni les grands ateliers qui servent d'apprêts pour les étoffes sorties des mains de l'ouvrier, et nous aurons donné toutes les no- tions qui concernent l'industrie locale. Car ce travail se fait dans l'intérieur de la ville; mais si nous traversons les bourgs et les villages des environs, le nombre de ces manuf^ictures augmente. En amont de la Meurthe, sur le cours de la Fave (flava),. nous rencontrons les tissages mécaniques de Provenchères, ceux de la Croix-aux-Mines, où l'on fabrique des étotfes dans lesquelles entre la peluche de soie; et sur le cours de la Meurthe, les vastes établissements de Plainfaing, de Habaurupt, de Fraize, la papeterie très importante d'Anould, et en aval celles d'Étival et de Raon-l'Étape; puis, en remontant le cours du Rabodeau, les filatures et les tissages de Moycn- moutier, de Senones, de Moussey et de la Petite-Raon. En vérité, ce sont de riches vallées dans lesquelles on trouve, en outre, des pâturages abondants qui nourrissent un grand nombre de bestiaux ; ils produisent du lait en quantité et d'une qualité supérieure, aussi fabrique-t-on du beurre excellent et ces fromages succulents dits de Gérardmer, dont la renommée s'étend jusque dans les pays les plus éloignés. Telles sont les industries qui enrichissent cette partie des hautes Vosges, la plus montagneuse et dont Saint-Dié est le chef-lieu d'arrondissement et le centre principal ; aussi tout y est prospère, et si, pendant l'hiver, le froid y est rigoureux, en été on y jouit d'une température à la fois douce et fraîche, entretenue par de nombreuses sources qui jaillissent du milieu des rochers; l'odeur des sapins, qu'on respire avec le grand air des montagnes, dilate les poumons et guérit les malades affectés de toux et de bronchites chroniques, on y trouve même une fontaine d'eau minérale. Quant au coup d'œil, il est admirable ; le paysage est aussi pittoresque, aussi varié, aussi gai que les plus beaux sites de la Suisse. Maintenant le pays est découvert; des lignes ferrées le sillonnent dans tous les sens, en sorte qu'il est devenu d'un facile accès pour les commer- çants comme pour les touristes ; aussi la valeur des terrains à bâtir aug- mente chaque jour dans les environs de la ville, à mesure que le chiffre de A. GUILBAULT. — LA COMPTABILITÉ d'uN ARSENAL 1109 la population s'élève. L'annexion de l'Alsace-Lorraine à l'Allemagne y con- tribue pour beaucoup, mais la facilité des communications, les progrès de l'industrie y sont aussi pour quelque chose. Les ouvriers sont très nom- breux, car il en faut une grande quantité pour remplir ces vastes ateliers. Aussi a-t-on construit pour eux des cités ouvrières dans le genre de celles de Mulhouse et d'autres grands centres industriels. Cette Société alsacienne enrichit le pays au point de vue de la production et de la consommation, mais elle est aussi une charge assez lourde pour le Bureau de bienfaisance qui donne ses secours à bien des familles malheureuses. ÎNous voudrions y voir un plus grand nombre d'amateurs, des artistes, des poètes, des touristes de toute sorte ; ils seraient enchantés, nous en sommes certains, de visiter nos vertes vallées, nos rochers légendaires : la Pierre des Fées, la Roche des Chevaus, Saint-Martin, la Bure, le Sapin-Sec, les Molières, etc., de boire du lait dans les chaumières rustiques que l'on aperçoit sur les flancs de nos collines, dans le fond des ravins, au milieu des gorges. Mais il y faudrait construire quelques hôtels sur le sommet très accessible de nos montagnes, au milieu desquelles les promenades et les sentiers bordés de mousse et de verdure se multiplient et se croisent à l'infini. Peu à peu, la municipalité acceptera cette idée et alors notre jolie cité pourra rivaliser avec Gérardmer, Plombières et autres stations hygiéniques que les amateurs recherchent pendant la belle saison. M. A. &ÏÏILBAÏÏLT Membre du Conseil de direction de la Caisse d'i^pargne des Bouches-du-Rhône, à Marseille. LA COMPTABILITÉ D'UN ARSENAL — Séance du 2/ septembre 1892 — J'ai eu l'honneur de faire partie de deux Commissions mixtes chargées d'étudier la comptabilité matières et le service administratif des arsenaux. On avait trouvé bon d'adjoindre au personnel de l'Etat, un spécialiste pour représenter l'industrie privée dans les Commissions choisies dans le Ministère de la Marine et parmi les députés et les sénateurs. J'avais organisé les services administratifs et la comptabilité de la 1110 ÉCONOMIE POLITIQUE Société des Forges et Chantiers de la Méditerranée, qui a des rapports directs avec un arsenal; car on y fait le navire armé pour la guerre ou pour le commerce et on le répare ; c'est à ce titre que je dus de pou- voir étudier les arsenaux et leur fonctionnement, reconnaître combien les méthodes de la marine diffèrent de celles de l'industrie, et proposer des modifications pour utiliser les éléments précieux réunis dans ces grands ateliers d'État et dont on ne tire pas, selon moi, tout le parti possible. Les deux Commissions dont j'ai fait partie n'ont pas abouti parce que les ministres ne peuvent consacrer le temps nécessaire à leurs travaux. Un ancien ministre de la Marine, membre de la Commission de 1 878, a fait un livre sur le sujet qui nous occupe et l'a publié en 1882. Comme toutes les études antérieures, cette œuvre remarquable a été oubliée. Enfin, dans ces derniers temps, on y est revenu à propos du budget, et au mois de juillet 1892, on a fait prendre une décision regrettable sur la comptabilité des matières. Économiquement parlant, ces études ont une réelle importance, et je trouve que dans le public et dans le monde gouvernemental on n'y attache pas l'importance qu'elles méritent. Certes, la grandeur et la dé- fense de la France ne dépendent pas de l'organisation plus ou moins parfaite de services secondaires ; mais la question des économies n'est pas à dédaigner et elle se lie intimement à celle des responsabilités. Le ministre est responsable vis-à-vis du pays, mais ceux qu'il dirige sont responsables vis-à-vis de lui, et il doit endosser la responsabilité de l'ensemble, sans pouvoir suivre convenablement les résultats de l'utilisation de l'instrument qu'il a dans les mains. Si les détails sont assez bien coor- donnés pour que chaque agent, dans la sphère des opérations qu'il est chargé de diriger, ne puisse donner lieu aux critiques, en est-il de même pour les agents supérieurs dont les impulsions ne peuvent être con- trôlées, puisque les résultats en sont insuffisamment comptabilisés, coor- donnés et connus? Toute opération se résume en mouvements détaillés de valeurs ; mais dans les affaires gouvernementales, la division qui y est non seulement de principe mais encore nécessaire, n'est pas suffi- samment reconstituée par des ensembles précis et scientifiques. La comp- tabilité publique est celle du Ministère des finances, c'est celle, du vote et de la réalisation du budget ; est-ce suffisant? Un budget représente des mouvements annuels. Il indique seulement les sommes votées et mises pendant l'exercice à la disposition des ministres. Le ministre doit con- naître l'emploi qu'on a fait de ces fonds. Mais cet emploi se lie au passé et doit se relier au budget futur si l'on veut suivre des opérations dont l'enchaînement est la loi. On met des années à construire un vais- seau et le compte des dépenses doit rester ouvert pendant le même laps de temps, si l'on désire suivre le travail avec fruit. Le rôle de la A. GUILBAULT. — LA COMPTABILITÉ d'uN ARSENAL IHl comptabilité, comme l^ase des études, n'a pas été assez reconnu par les créateurs de la science de l'économie politique. En industrie la question d'organisation est claire: travailler, produire et obtenir un bénéfice de l'activité déployée. Dans celle des constructions navales, dont nous nous occupons, on procède en conséquence pour arriver au résultat. Lorsque l'armateur ou l'État a indiqué ce qu'il désire obtenir du navire à construire : le tonnage, la vitesse, etc., l'ingénieur fait ses calculs, éta- blit ses plans et ses devis, puis le constructeur les étudie, en y ajoutant la part qui doit lui revenir comme rémunération de son œuvre. Une fois d'accord, on fait un traité qui engage les deux parties, et le construc- teur se met au travail, réunit les matériaux qui lui permettront d'édifier le navire et les ouvriers qui doivent les utiliser. Mais il organise, en même temps, la surveillance de l'action par ses contremaîtres, l'ordre et la comp- tabilité par ses employés. Il faut qu'il puisse suivre les dépenses depuis la mise en place du premier morceau de la quille jusqu'à la sortie du navire de son chantier. Il doit à tout instant savoir où il en est pour la bonne économie de la construction. Quand l'armateur a pris possession du bâtiment terminé, le constructeur met en regard du prix de revient le prix de vente du navire d'où doit ressortir le résultat bénéficiaire. Eh bien, ces opérations, simples au premier abord, sont assez compli- quées pour demander la plus grande attention. La construction du vaisseau nécessite trois genres d'opérations qu'il faut nettement déterminer : a. — Réunion des matériaux , leur prix à pied d'œuvre et leur emploi ; b. — Surveillance de la main-d'œuvre, et notation précise du travail; c. — Connaissance et imputation des frais généraux, capital et di- rection. a. — Le règlement général de la comptabilité publique de 1862, œuvre de M. d'Audifîret-Pasquier, est remarquable ; il a prévu les moyens d'acquérir et de recevoir les matériaux que doivent utiliser les arsenaux, ainsi que la manière de régulariser leur emploi sous le titre de compta- bilité des matières. Tous les mouvements originaires sont réglés avec le plus grand soin et il n'y aurait rien à innover si on en tirait convena- blement parti. Mais par suite d'habitudes prises, ce qui se fait facilement et simplement en industrie, est devenu difficile et compliqué dans l'ar- senal. On a d'abord comptabilisé les mouvements des matières, seule- ment en quantité (règlement de 1844), puis on s'est aperçu des difficultés qui résultaient du calcul, après coup, des valeurs appliquées aux quan- tités mouvementées quand on voulait savoir le prix des navires construits. En 18o2, on a décidé de tenir les comptes de matières en quantité et en 1112 ÉCONOMIE POLITIQUE valeur, et on a fixé des prix devant s'appliquer uniformément aux mêmes matières, quel que soit leur prix coûtant. 11 en est résulté qu'il a fallu tenir compte des différences qui se produisaient dans les écritures, entre le prix réel des matières utilisées et leur prix fictif; c'est ce que l'on a appelé le compte de corrélation dans la comptabilité centralisée du Minis- tère de la Marine à Paris. Enfin, ce compte de corrélations devenant diffi- cile à débrouiller, on a décidé tout récemment de l'annuler en revenant à la formule de 1844, comptabilisation des seules quantités : c'était reculer de cinquante ans. Pourquoi la Marine ne se servirait-elle pas des méthodes de l'industrie, dont le prix réel sert à la comptabilisation des mouvements? Voici comment on procède pour obtenir le prix d'utilisation pour les matières d'usage commun et courant: Existant à une date quelconque Ke 1.000 pour 500 francs Acheté et entré à 45 0/0 10.000 — 4.500 — Total Ks 11.000 — 5.000 francs Employé à 45,45 0/0 ... . (Prix moyen) 4.000 — 1.818 — Reste à 45,45 . , .Ke 7.000 — 3.682 francs Acheté et entré à 45,70 . . . (Prix moyen i G. 000 — 2.742 — Total à 49,38 . . . K- 13.000 — 6.424 francs En prenant un mois comptable comme base de calcul, on reste tou- jours dans des moyennes vraies ne donnant lieu en comptabilité à aucune erreur, ni à corrélation. S'il s'agit d'une matière pour emploi spécial, c'est le prix réel de l'achat qui doit entrer en compte d'emploi; et quand la matière a toute été utilisée, le compte est soldé et il n'y a plus besoin d'établir des corrélations difTiciles, sinon impossibles. Quant aux formalités d'achat et à celles de demandes pour l'emploi, elles sont admirablement réglementées et le personnel d'élite qui agit ne laisse rien à désirer. Cependant, une difficulté surgit qui provient précisément du règlement de la comptabilité publique de 18(52: c'est qu'une fourniture acceptée, reçue, ne peut être passée en compte qu'après ordonnancement et paye- ment. Or, entre les deux moments, un temps souvent assez long se passe; il s'ensuit que la matière est consommée avant d'être passée en compte de dépenses, d'oii une impossibilité de suivre la marche de la construc- tion, comme on le fait en industrie, parce que le magasin d'industrie prend en charge, quantité et valeur, par un crédit au fournisseur, lequel permet d'attendre l'ordonnancement sans fausser l'avancement du revient des travaux. On comprend, jusqu'à un certain point, que la comptabilité A. r.LlLBAULT. LA COMPTABILITÉ d'uN ARSENAL 1113 publique refuse d'ouvrir des comptes courants aux fournisseurs ; mais, ceci admis, il y aurait des moyens de comptabilité très simples pour régulariser les opérations des magasins des arsenaux. Les comptes d'ordre des grandes comptabilités modernes ont été inventés pour cela. Enfin, il serait possible de spécifier les dépenses et de faire disparaître notamment le compte unique de réparations qu'on a dû tenir, dans l'im- possibilité où l'on se trouve de faire connaître leurs dépenses distinctes, ce qui constitue une erreur économique considérable, qui ne permet pas de savoir si un vaisseau nécessite des réparations et un entretien plus considérables qu'un autre de môme type. II. — Pour la main-d'œuvre, la difficulté pour l'arsenal de compta- biliser régulièrement l'emploi est d'une autre nature. Le contrôle du nombre d'ouvriers entrés au travail se fait au moyen de jetons de pré- sence pris à l'entrée de l'arsenal. Mais l'ouvrier, une fois entré à l'atelier, est mis à l'œuvre par le contremaître qui tient une note du nombre des ouvriers qu'il est chargé de diriger et qui, la journée finie, indique combien de journées ont été employées à telle partie ou à telle autre de la construc- tion et dont le nombre reproduit le total des hommes entrés à l'atelier. Certes, la note du contremaître a une valeur, mais ne peut-il faire une erreur de détail, ne peut-il instinctivement favoriser un travail au détri- ment d'un autre? L'impartialité, quand un intérêt est en jeu, est difficile à garder. Ce n'est pas le seul point faible de cette manière de procéder ; il est une marche bien plus irréguliére suivie dans le calcul de la main-d'œuvre, c'est dans le prix de la journée de l'ouvrier, et voici comment on procède à l'arsenal : on réunit, chaque quinzaine, le nombre des journées et l'on met en regard la somme totale payée pour en tirer un prix moyen, c'est sur ce prix moyen qu'on calcule le nombre de journées indiquées par les maîtres à chaque travail effectué. La conséquence, c'est que l'ouvrier spécialiste, payé cher, fournit une dépense inférieure à la réalité, puisqu'on fait entrer dans le calcul le prix de l'ouvrier manœuvre payé beaucoup moins et que Ion fausse ainsi les prix de revient du travail. En industrie, on note le travail heure par heure et on le calcule le lendemain au prix vrai pour chaque ouvrier. A la fin de la huitaine, les sonmies imputées ainsi au travail sont réunies et le total reproduit celui de la feuill(3 de paye. Les formules diffèrent donc très réellement et l'on comprend de suite les différences économiques qui en résultent. e. — Enfin, les frais généraux sont calculés d'une manière différente. On y fait entrer en industrie les intérêts et l'amortissement du capital, ce qui n'a point lieu dans les travaux de l'arsenal. On va plus loin, l'État- major du service a un état personnel en dehors de celui des autres agents et est, par ce fait, distrait de la dépense. 1114 ÉCONOMIE POLITIQUE On voit donc combien les constructions de l'État peuvent différer de prix avec celles de l'industrie. L'un ne peut fournir des revients réels et ne peut donner que des approximations à de longs intervalles, puisque les comptabilisations ne sont que trimestrielles quant à l'arrêt des calculs, semestrielles quant à l'apurement définitif, et annuelles quant au budget des dépenses. Mais la plus grande difficulté de la comptabilité des arsenaux n'est pas encore là, elle se trouve dans le morcellement des écritures de l'arsenal qui compte : 1° La comptabilité finances tenue au commissariat général ; 2° La comptabilité matières, tenue par les magasins et centralisée à Paris au Ministère de la Marine ; 3° La comptabilité des travaux, tenue dans les bureaux dépendant du service de l'ingénieur en chef. Je laisse de côté les vivres et l'armement, sans compter l'artillerie, les constructions hydrauliques, etc. Il y a de plus la complication qui résulle de la division des magasins divers réunis fictivement sous le titre de ma- gasin général ; les mouvements intérieurs donnent lieu à des écritures non pas compliquées, mais longues et coûteuses. Il nous semble, cependant, qu'en appliquant aux arsenaux les méthodes scientifiques actuellement en usage dans les grandes industries, ou dans les chemins de fer, on simplifierait le travail et qu'on mettrait entre les mains du ministre des situations à intervalles réguliers, le renseignant sur tout ce qui l'intéresse. On rendrait ainsi un véritable service au pays. Ce n'est pas par des états dressés à grand renfort de chiffres et à un point de vue souvent loin des besoins, que se trouve la vérité, c'est dans des ensembles réguliers, se contrôlant les uns les autres et logique- ment classifiés comme les balances synthétiques des grandes compta- bilités actuelles, qu'on peut trouver des éléments d'amélioration. Comparons l'arsenal à une grande direction d'ateliers se reliant à leur centre d'administration qui serait le Ministère, et voyons sans parti pris d'attributions de grades et de prépondérance, ce qui arriverait. L'arsenal serait financièrement représenté par le Commissaire général de la division maritime, condensant dans ses livres toutes les comptabilités éparses et reproduisant, par un compte ouvert au Ministère, tous les mou- vements de valeurs qui intéressent la Préfecture maritime : argent, ma- tières, virements et autres. Sur son grand livre on trouverait le détail et le montant des matières de toute nature mises par l'État à la disposition de la division, celui des valeurs argent dont il a le dépôt, tant dans sa caisse que dans les délégations qu'il pourrait faire. Chaque magasin, chaque atelier aurait son compte ouvert, débité des remises matières et argent qui lui seraient confiées et crédité des tra- A. GUILBAULT. — LA COMPTABILITK d'uN AUSENAL 1115 Taux exécutés, soit comme travaux neufs en augmentation du matériel, soit comme entretien ou réparation de ce' matériel au titre de dépenses d'État dans le compte du Ministère. Supposons une balance mensuelle de ce grand livre, adressée au bureau de la comptabilité du Ministère et réunie, par un artifice connu, aux comptabilités identiques des autres commissaires généraux, et chaque mois, le ministre saurait ce qui se passe dans tous les services. Aurait-il besoin d'un détail sur un point à élucider? sur une demande par télé- graphe ? il aurait tous les documents qui peuvent l'éclairer sur une question quelle qu'elle soit. Alors les bureaux de Paris n'auraient plus besoin de refaire en dupli- cata, souvent en triplicata, des écritures parfaitement faites et vérifiées dans les arsenaux. La tenue détaillée des comptes à Paris est une erreur économique, dans laquelle ne tombent pas les directeurs des grandes associations industrielles de l'époque. On tient écriture des détails là où ils se produisent; on les synthétise au centre. Est-ce que ces compagnies ■ont besoin de discuter les attributions dévolues aux personnes? 11 faut laisser les responsabilités agir. L'ingénieur fait le devis d'un vaisseau, il est lié par son devis et les écritures de l'exécution doivent lui montrer à chaque moment, s'il ne s'est pas trompé. Quand un vaisseau, au retour d'une mission, entre en désarmement, il faut savoir ce que cette mission a coûté à l'État. Quand les magasins demandent des approvisionnements, il faut savoir si la demande est bien légitimée. Le Préfet maritime qui doit accepter la responsabilité de tout ce qui se passe dans sa division, doit viser lui-même la situation du grand- livre du Commissaire général, qui comprend toutes les opérations de détail comptabilisées dans ses écritures. Mais là nous tombons dans le domaine de la haute administration, ce qui n'est pas l'objet de cette étude. C'est en économiste que je parle et non en politicien. En résumé, nous pouvons affirmer que de grandes simplifications sont possibles dans la comptabilité du Ministère de la Marine et que des éco- nomies en résulteraient, ne fût-ce que par la détermination précise des responsabilités; — les responsabilités des ordonnateurs des mouvements descendant aux services de détail et remontant, par la comptabilisation des faits, au ministre responsable. 111(j PÉDAGOGIE M. Adrien PAUADIS Artiste peintre. Professeur à l'Association polytechnique, à Paris. LE DESSIN PRÉCURSEUR ET COMPLÉWENTAIRE DE L'ÉCRITURE — Séance du 16 septembre 1S9i — Œil simple et qui vois les objets tels qu'ils sont, à qui rien n'écliappe, et qui n'y ajoute rien, combien je t'aime î lu es la sagesse même/ (Lavater.) Comme professeur de dessin à l'Association polytechnique, j'ai eu, tant dans ma pratique personnelle que dans les cours publics où j'ai professé, l'occasion d'étudier l'évolution suivant laquelle s'acquièrent les notions relatives à la représentation figurative des objets. J'ai cru pouvoir condenser en quelques lignes le fruit de mes observa- tions pour vous les soumettre. — Le sujet, d'ailleurs, n'est pas absolument neuf; MM. Taine et Pèrez ont étudié la représentation des objets chez les enfants, et distingué l'apport des sens et celui de l'intelligence dans la perception. Plus récemment M. J. Passy {Revue philosophique, 1891) s'est occupé de la même question. Je ne parlerai pas du dessin d'après le modèle déjà dessiné, j'estime que c'est là un procédé d'enseignement insuffisant et défectueux auquel on doit substituer le dessin d'après la bosse et d'après nature d'emblée, quitte à ne faire copier que des objets d'une grande simplicité au début, c'est du moins ce que je me suis toujours attaché à faire dans mes cours. Avec ceux qui ont observé dans ces conditions, j'ai pu constater que l'élève, enfant ou adulte, réalise un dessin plus ou moins satisfaisant sui- vant les positions données au modèle. — C'est ainsi que l'image est d'autant plus exacte que les lignes essentielles correspondent plus parti- culièrement aux deux coordonnées de l'espace, hauteur-largeur, c'est-à- dire aux deux dimensions dont la rétine nous donne la vision brute, la perception primitive. Quant aux lignes de fuite correspondant à la troisième dimension, profondeur, elles sont généralement rendues par les commençants, non plus conformément à ce qu'ils voient, mais bien aux perceptions acquises PARADIS. — LE DESSIN PnÉCURSElU ET COMPLÉMENTAIRE DE l'ÉCRITURE 1H7 par association avec le contact et le déplacement. Ces notions paralysent le travail à l'aide duquel l'œil seul arriverait à la représentation correcte perspective. La suppléance et la combinaison des données des autres sens font que l'élève tend à faire non ce qu'il voit, mais ce qu'il se figure d'après ses expériences antérieures. — De là l'oubli de certaines parties de l'objet représenté, ou, au contraire, l'adjonction de détails non existants, mais qui ont frappé l'esprit dans d'autres figures analogues. C'est ainsi que les enfants copiant une tête de profil, tendent à y placer les deux yeux. En dehors de ces transpositions naïves, on peut citer la difficulté pour établir les détails par rapport à l'ensemble. On l'a dit, il semble que ces dessins soient le résultat d'une collection d'impressions disparates (J. Passy) où chaque partie est dessinée en elle-même en vraie grandeur sans souci des relations de positions qui l'unis- sent aux autres. C'est que, au lieu de faire concorder ce qu'on dessine avec ce qu'on voit, on tend à négliger la nature de l'impression visuelle et sans plus l'analyser on généralise, conformément aux données antérieu- rement acquises. Aussi le dessin n'est-il correct qu'autant que l'impression visuelle est en harmonie avec l'idée que l'on su faisait d'abord de l'objet. Ce phénomène n'est pas spécial aux commençants. Que de dessina- teurs et de peintres de profession qui se stéréotypent et schématisent leurs impressions suivant un procédé invariable, toujours le même, quelle que soit la variété des sujets traités. Ils en arrivent à ne plus peindre ce qu'ils voient. La nature ne leur est qu'un prétexte à l'application de tel procédé. L'art du dessin devrait, au contraire, consister essentielle- ment dans l'opération inverse, c'est-à-dire, l'oubli de la notion abstraite de l'objet pour l'analyse stricte de l'impression visuelle en elle-même. Cette recherche sincère développe l'esprit d'observation sans préju- dice pour le côté abstrait et synthétique, c'est môme le plus sûr moyen d'atteindre l'élément émotionnel inhérent à l'impression vraie, simple et franche. Pour en revenir au côté pratique de la question, les tendances actuelles de la pédagogie vers le développement de l'enseignement par les yeux et les leçons de choses paraissent impliquer comme complément logique l'extension correspondante de l'enseignement du dessin d'après nature. Ce qu'on fait depuis longtemps pour la géographie, on peut le faire pour tout autre ordre de connaissance. — Un pas a été fait par les leçons de choses, il s'agit de le compléter par le dessin de ces mêmes choses vues; en d'autres termes, c'est la vulgarisation du dessin, non plus comme art d'agrément superflu, mais comme moyen de développer l'esprit d'ob- servation positive et comme mise en œuvre d'un élément mnémonique fondamental. 1118 PÉDAGOGIE En effet, l'aptitude à dessiner prime la faculté d'expression par l'écri- ture puisqu'elle lui est historiquement antérieure et que cette dernière n'en est qu'un dérivé immédiat. Nous n'en voulons pour preuve que les dessins des primitifs et les premières manifestations artistiques da- tant d'une époque préhistorique où l'on chercherait vainement en re- vanche la moindre trace d'un langage écrit. Que l'on considère attentivement les magnifiques échantillons des collec- tions Piette, Marty, Cartailhac, etc., on n'aura pas de peine à se convaincre de l'esprit d'observation rigoureuse qui a dû présider à la confection de ces premières pages de l'histoire de l'humanité. Le burin de silex a pu ainsi graver sur l'os du renne les premières éniotions artistiques éprouvées par l'homme en face de la nature, émotions dont l'intensité et la sincérité ont dû faire naître le besoin de perpétuer ces sentiments pour les transmettre à ses semblables. Plus tard, nous voyons les premières tentatives d'écriture emprunter à la pictographie pure ses modes d'expressions. C'est ainsi que les figures hiéroglyphiques du canon égyptien primitif nous montrent la transition du dessin à l'écriture proprement dite. M. PAYOT Médecin principal de V.i Marine en retraite, à Lorient. ÉTYMOLOGIE FRANCO-LATINE. — DE LA TRANSFORMATION DES CONSONNES DANS LEUR PASSAGE DU LATIN AU FRANÇAIS. — LE FAIT ET LA THÉORIE — Séance du 16 septembre 189^ — Lorsque, prenant comme radical le mot Cadentia, j'en obtiens Cadence, Chance et Chevance, je note, tout d'abord, que la voyelle a (celle de la syllabe initiale) se retrouve dans le premier dérivé français ; n'existe plus dans le suivant ; et s'est modifiée dans le troisième. Puis, si je considère la consonne d, je vois qu'elle donne lieu aux mêmes remarques. La coïncidence de ces divers états n'est que curieuse, et, par ailleurs, on sait que, passant d'une langue à une autre, une lettre quelconque du thème donné peut : ou se maintenir, ou disparaître, ou se transformer. Mais ce PAVOT. — ÉTYMOLOGIE FRANCO-LATINE 1119 qui est à peu près inconnu, ce qui n'est point enseigné, c'est avec quelle grande latitude s'opèrent les transformations ; et, par ce terme, j'entends les échanges — seuls rationnels — entre signes alphabétiques de même nature. Je ne saurais trop répéter que les métamorphoses, tant prônées sous les rubriques : Consonnification et Vocalisation, n'existent point, sauf comme Irompe-l'œil. Au sujet des Voyelles, j'ai établi déjà, lors du Congrès de Limoges, que la question devrait se résumer ainsi : N'importe quelle voyelle latine donne toutes les voyelles françaises. Pour les Consonnes, lesquelles sont spécialement à étudier ici, le pro- téisme ne jouit pas d'autant de liberté. Néanmoins, son domaine est très étendu et, surtout, il dépasse en maintes directions les limites tracées par nos étymologistes. C'est là ce que je me propose de mettre en lumière ; mais, avant, il est bon de rappeler quelques généralités. * * : Ainsi que le nom l'indique, la consonne n'est pas un son. Pour qu'elle soit perçue, il lui faut toujours l'aide d'une voyelle, et ce fait si simple à constater permet aussitôt de conclure qu'elle est foncièrement inapte à se vocaliser. Et non seulement elle ne deviendra pas une voix, mais encore il est douteux qu'on puisse l'appeler un bruit. Dans la diction, elle me paraît être seulement comparable à quelqu'un de ces mécanismes qui mettent les corps en vibration. Je m'explique. Quel que soit, en musique, l'artifice employé, l'auditeur sentira : 1" que la note est attaquée plus ou moins fort, et 2° qu'elle tient, par exemple, d'un archet, un caractère que tout autre moyen ne lui donnerait pas. De même, la consonne heurte la voyelle avec une intensité variable, — et imprime son propre cachet de gutturale, de dentale, etc., à la syllabe qu'elle commande. * Suivant qu'on les a estimées naître de tel ou tel point de l'appareil de la phonation, les consonnes ont été réparties en groupes qui, naturellement, ne concordaient pas toujours d'un observateur à l'autre. Pour l'Étymologie, la division adoptée en quatre Classes ou Ordres est la suivante : 1° Labiales P_F — B — V 2» Dentales T — S(a;) — D — Z 3° Gutturales C{k,q) — ti{ch) — i 4" Liquides ]\_L— R — M H20 PEDAGOGIE Les Liquides étant écartées, les Ordres ont été, chacun, sectionnés en deux Familles: une forte, et une douce, et, dans chaque famille, on a établi deux De!?rés, la lettre étant, ou simple, ou aspirée. Ces divisions et subdivisions furent autant de motifs pour légiférer, mais les édits sont si étrangement formulés, absolus tout d'abord, mitigés peu après ; la règle posée d'emblée comme inflexible admet bientôt si facile- ment l'exception, que tous ces préceptes sont plus fâcheux qu'utiles. « Jamais — dit-on — une douce latine ne devient une forte en français. » Puis, on ajoute : « C'est de la forte à la douce que s'opère habituellement le passage des consonnes latines en consonnes françaises. » Est-ce que hahilueUement ne laisse pas entendre que l'échange peut se faire en sens opposé? Alors pourquoi débuter par Jamais? Je ne reproduirai pas toutes les déclarations contradictoires; ce serait un peu long, et il y a mieux à faire : c'est de montrer que le principal article de la loi de transition, immuable en théorie, est infirmé dans la pratique. I Occupons-nous des Labiales qui sont : P — F — B — V. Cet ordre com- prend deux familles: une forte (P — F), et une douce (B — V). Enfin, chaque famille a deux degrés: le simple (P ou B), et Vaspiré (F ou V). On saisira mieux la marche des mutations à intervenir en disposant les consonnes de celte manière : L A H I A L E s SIMPLES ASPIRÉES fortes P F douces B V Maintenant, voici le code : « Les transformations s'effectuent de la forte à la douce; de la simple à Vaspirée. » Ainsi, P passe à B ou F, et, de là seulement, il peut aller à V. L'intervalle de P à V ne doit pas être franchi d'un seul coup. « Une consonne ne change pas, à la fois, de famille et de degré. » Telle est l'ordonnance, et, pour l'appuyer, on cite saPonem ayant, dans un texte mérovingien, cette orthographe : saBonem qui conduit nor- malement au français sa Von. Je ne mets pas en doute l'existence de rinlermédiaire B ; je supposerai même, si l'on veut, que lui ou F s'est toujours rencontré sur le chemin l'AVOT. — KTYMOLOGIE FHANCo-L A UNE n'ai de P à V. Mais (el voici raciioppoiut'iil) la conclilion si capitale de la loi de transition, que devient-elle quand F, dans Con/luentes, donne le B de Cobientz, et lorsque, réciproquement, le B de sihilare est F dans Siffler? Ces labiales ont, cette fois, permuté suivant la diagonale: elles ont bien, dans un seul temps, changé de famille et de degré. En présence d'un phé- nomène qui s'affirme, opter pour la règle qui lui défend d'exister me parait impossible. Comme atténuation, les théoriciens chercheront-ils, entre B el F, des mots auxiliaires offrant P ou V ? Mais comment suivre ce trajet anguleux sans rebrousser de Vaspirée à la simple, ou de la douce à la fo?'te — allure prétendue extraordinaire, déviation que les maîtres ont condamnée? Eh ! qu'importe le nom d'un savant ! « Dans la science, il n'y a pas d'autre autorité que celle des faits. » (V. Meumek.j Or, elle est si peu insolite, cette marche dite à rebours qu'elle a mêmes raisons d'être que l'autre. Toutes les deux sont également inévitables et, pour s'en convaincre, il suffit d'un coup d'oeil jeté sur le tableau des Labiales. En voie de transformation (aventure commune à toutes les consonnes latines), le P descendra toujours d'une certaine quantité. C'est forcé, puisque, situé au point culminant, il ne peut pas s'élever. Donc, aussi, il est obligatoire que V, son antipode, remonte constamment quand il se métamorphose. Dès lors, la loi de transition est sans utilité, pouvant être lue à l'envers comme à l'endroit; car, si P se change en B ou en F (duplus, double; stupa, éteuf),le Va des avatars identiques [Suevia, Souabe; vapidus, fade). Voici, du reste, en tant que labiales françaises, ce que nous ont donné les consonnes latines du m.ême Ordre : P latin = P, B, F, \ français B .) = P, B, F. V « F » = . B, F, V » V » = . B, F, V » Je n'ai pas trouvé les mutations de F et de V, eu P; mais ce n'est pas une preuve qu'elles n'existent point. Il y a ces deux lacunes seulement à combler. C'est tout ce que la mémoire d'un chercheur aurait à retenir au sujet des relations entre Labiales, puisque, par ailleurs, les échanges se font librement, de l'une à l'autre, dans un sens quelconque. Comme les Dentales et les Gutturales se prêteni à des considérations analogues, je me borne à les répartir eu sections, puis, à noter leur ren- dement en consonnes françaises de même ordre. 74- 1122 PEDAGOGIE Il ENTA LES T S i-r) D Z GUTTURALES C (k,q) j H (ch) G J T latin S .) D » Z )) C la lin H .) G » J » D, Z, T, S D, Z, T, S D, Z, T, S D, Z, . S G, J, C, U{ch) . J, C, H G, J, C, Ch . J, C, H Présenter ces tableaux m'a paru nécessaire, mais uniquement par ce motif qu'on aurait pu croire les Labiales prises cà dessein comme le plus maniable des groupes. Autrement, en effet, ces spécimens ne serviraient qu'à des répétitions; car il reste entendu, sans eux — la raison le dit, et la vue, le plus intellectuel de nos sens, en a déjà témoigné — que les deux consonnes casées aux extrémités dune seule diagonale ne se dé- placent jamais dans le même sens. Je n'ai donc pas à modifier mes appréciations svu' la loi des échanges. La direction du mouvement pourra être quelconque, de proche en proche; et souvent aussi de pointe en pointe, malgré l'arrêt qui ne veut pas de cette évidence. A son veto précédemment invalidé chez les Labiales, j'oppose : 1° Parmi les Dentales; T = Z : Bœterrœ, Béziers; et S = D : consuere, coudre. 2° Dans les Gutturales; C = J : camitem (ou canthum) jante ; et G = Ch: Pergamena, parchemin. * * * il ne reste plus à voir que les Liquides latines, et je n'ai que quelques mots à en dire. On n'a pas établi pour elles de catégories; on pourrait, par là, supposer qu'elles évoluent en toute liberté; on se tromperait. Elles nous ont donné en consonnes de même Ordre les égalités suivantes ; i\ latin = N, L, R, M français. L » = N, L, R, . » R » = N, L, R, . » M » = N, . . M » Elles offrent donc plus de lacunes que les Classes régentées par des prohibitions. Mais tous ces vides, n'importe où, ne sont probablement que temporaires, car bien d'autres qui, pensait-on, devaient persister toujours ont cessé d'exister... pour moi, du moins. PAVOT. — ÉTYMOLOGIE FRANCO-LATINE 1123 II Après avoir imaginé d'entraver les relations entre individus de la même famille, entres familles de la même classe, on ne pouvait pas, entre les différents Ordres, ne pas élever des barrières. Ici encore, la mesure n'est pas très justifiée. Certes, les consonnes pareillement nommées ont licence de permuter ensemble, et il est regrettable que cette vérité n'ait pas été, tout d'abord, admise aussi largement qu'il convenait. Mais, puisque l'on reconnaissait, bien à contre-cœur, que leur code très rigide pouvait cependant avoir quelques points faibles, il eût été prudent de continuer à parler ainsi. Il est, en effet, de notoriété publique en philologie, que tous les Ordres ont des transfuges. Je dirai plus, entre clans divers, il y a des chasses-croisés, et j'en citerai un assez grand nombre pour qu'on s'étonne de rencontrer encore, dans les livres classiques, la déclaration que voici : « C'est entre les consonnes de même organe que s'opèrent habituelle- ment les permutations. Étant donnés les trois Ordres des Labiales, des Dentales, des Gutturales, jamais une Labiale latine ne deviendra, en fran- çais, une Dentale ou une Gutturale ; b latin deviendra en français b ou v, mais ne deviendra jamais s ou g, par exemple. De là cette règle générale Les ordres de lettres ne permulent point entre eux. » La première phrase contient un habituellement qui semble comporter quelques vagues réserves, mais la deuxième dissipe cette apparence. Elle est très claire : « Jamais », dit-elle par deux fois, afin qu'il soit bien com- pris que la règle, entièrement soulignée, est générale à toutes les classes. Si l'on prétendait qu'elle n'est pas aussi fermée qu'elle en a l'air, qu'elle permet de supposer des exceptions, cène serait toujours là qu'une conces- sion très insuffisante. La réalité exige bien davantage. Entre consonnes dissemblables, l'échange est mieux que possible, c'est un fait qu'il est aisé de constater dans toutes les classes; il a donc trop de fréquence pour être considéré comme une anomalie simplement acceptée par tolérance. Lauiales Au congrès de Limoges, à propos de ce tour de main, la Consonnifica- tion, j'ai soutenu que c'était toujours à des consonnes latines, et non à la voyelle i, que revenait, de droit, la genèse des Gutturales françaises. Pour cela, j'opérais sur les Labiales tout particulièrement signalées inaptes à cette transformation. Et l'on a pu juger ce qu'il en est de leur impuis- sance, quand lui-même, le Dictionnaire étymologique à l'usage des lycées ne 1124 PÉDAGOGIE cache pas — pour F, B, V — que : Hors vient de foris; Guimauve, de bismalva : et Guêpe, de vespa. A ces trois exemples non réousables, je n'ai qu'à ajouter — pour P — les mots : Roche, de rupes, Proche, de prope, et je puis dire alors : Toutes les labiales latines peuvent se changer en gutlwales. Elles ont d'autres métamorphoses plus ou moins connues : F = la dentale D : r/onfus, gond. B = la liquide M : sahbati dies, samedi. V = la dentale D : pulverem, poudre. Les Labiales ne restent donc pas constamment dans leur milieu, et elles fréquentent dans toutes les classes. Gutturales Les Gutturales ont aussi des mutations hors de chez elles. G = les dentales D, T, S : ruga, ride; surgere, sortir; fraga, fraise. De plus, G devient labiale V : liguslicum, livèche; gijrare, virer. G = toutes les dentales D, T, S, X,Z : cicera, cidre ; carcerem, chartre ; cingula, sangle; decem, dix; lacertus, lézard. Déplus, C devient labiale V : Bacacum Bavay (Belgique) ; cilo. vite. Ch = la dentale S : brachin, brasse ; pat-ochia, paroisse. (Si l'on pré- fère que nos deux mots viennent de parœcia, et du fictif bracia, on aura toujours changement d'une gutturale en dentale, de C en S). Q -^ dentale S : coquina, cuisine. (Même observation, si l'on fait choix de cocina.) Dentales Les Dentales, de même que les Labiales, ont commerce partout : D -- les Gutturales C, G : aspidem, aspic ; sedere, siéger. De plus, D devient F ou V (labiales; : pvdus, fief; gladium, glaive, — et encore L (liquide) : cicada, cigale. T =.- les gutturales C, G : Iremere, craindre; localum, louage. Il égale aussi la labiale F : sitis, soif, et la liquide L : ovatus, ovale. Z = les gutturales J, G : zelosas, jaloux; zingiber, gingembre. S := les gutturales C, G, Ch : sorbum, corme; Athesis, Adige ; torsa, torche. Il égale aussi la liquide R : Massilia, Marseille. Liquides Les Liquides ont, à l'extérieur, les relations que voici ; L = les dentales ï, D : nucella, noisette; amt/lum, amidon. iM = les labiales B, V : marmorem, inarbre ; dumetum, duvet. R := la dentale S : rorem, rosée. PAVOT. — ETYMOLOGIE FRANCO-LATINK H25 Ces quatre exposés pourraient être plus complets; ils suffisent, néan- moins, à prouver que, d'un Ordre à l'autre, les permutations sont loin d'être rares. Ces rapports s'établissent en vertu d'aflinités secrètes qui déjouent l'étroitesse des réglementations actuelles, et s'afTirmen*^^ expres- sément par rechange réciproque entre deux lettres prétendues inconci- liables, soient : B, M et M, B— G, S et S, G — C, T et T, C — T, L. etL, T— B. S et S, B, etc., etc. III Je reprendrai quelques-unes de ces équivalences afm que l'on voie combien il fat injuste de les reléguer dans l'ombre, et combien un tel os- tracisme est préjudiciable aux recherches philologiques. Maintes fois, nos étymologistes ont dû accepter comme origine de mots français un radical réfractaire à leurs décrets. Alors, soucieux de laisser, quand même, force à la loi, ils ont sauvegardé celle-ci n'importe comment. Tantôt, la dérogation fut attribuée à l'influence d'un idiome étranger; tantôt, elle fut qualifiée d'insolite, donc dénuée d'intérêt. Enfin, comme l'insolite avait chance de foisonner, on coupa court aux récidives par un abusif emploi de l'Intercalation. Voici des exemples : 1° On dit : « V initial devient aussi G. vagina (gaine) probablement sous l'influence du W germanique ». L'allégation n'est pas ferme, c'est plutôt une insinuation; mais, émanée de haut, elle a obtenu tout crédit, et l'on y a vu comme une confirmation de l'arrêt : « Une labiale latine ne deviendra jamais une gutturale française. » Erreur ! De lui-même, ou par suggestion, V latin nous doniie-t-il un G? Oui ! Vasconia, Gascogne; et oui ! encore, s'il n'est pas initial : n'wosus, neigeux. 2" Noter que la forme d'un dérivé est insolite ne supprime pas son droit d'exister; c'est, plus ou moins, l'aveu qu'elle n'avait pas été prévue. Même seule de son genre, elle aurait certain prix ; sa valeur augmente si on lui trouve des pareilles. Alors, Chartre, qui est carcrem (carcerem), présentant une transformation de gutturale en dentale, ne devrait pas être négligé, malgré cette note : « changement, tout à fait isolé, en fran- çais moderne, de c en t. » Ce Changement, il faudrait en tenir compte pour l'avenir, l'apostille fût-elle exacte présentement. Or, elle ne l'est pas, car l'auteur même, qui déclare unique la susdite mutation, en donne un second exemple avec Cloporte, de clausus porcus. 3' Cet accident, C= T, menaçait de contrarier si souvent la règle, qu'on inventa de le masquer à tout jamais, et l'on abusa de l'Intercalation, qui n'est pas à confondre avec la Substitution. On sait que tenera, perdant le second e, devient ten'ra qui ofîre un vide où se loge le d de tendre. On. sait également que, faute d'une brèche à 1126 PÉDAGOGIE remplir, le parasite ne chôme pas. Il se fait une place, témoin N dans Langouste, de locusta. Des deux parts, il est visible que le français compte toujours une consonne de plus que le latin. Être en surcroît sur le point envahi, c'est là ce qui dénonce V intercalaire; le dérivé n'en contient donc pas s'il a même chiffre de consonnes que le radical. Dans ce dernier cas, les changements observés, du latin au français, entre lettres correspondantes, sont par Transformation... ou par Substitu- tion, et sera de celte espèce toute mutation que ne consacre pas au moins l'épithète d'insolite. Ainsi, de d à n, l'égalité n'est, ni peu ni prou, reconnue officiellement. En conséquence, I'n du verbe Rendre est dite consonne substituée au premier d de reddere: tandis que, de carcerem à Ghartre il y a transfor- mation d'un G en T. Cette vérité, on a bien voulu l'admettre, mais pour une fois seulement, parce que le moyen était inventé qui menait au but sans violer la règle : Parmi les infinitifs latins passés chez nous avec leur finale ainsi mo- difiée : t?'e, et tous pareillement traités, je prends, tel qu'il est donné en compagnie du vieux français, le verbe cresc're, Groistre. (V. Ancêtre, au Dictionnaire d'Éti/mologie.) Decrescre, on supprime tout d'abord la lettre gênante G ; le thème n'est plus que cres're. On dit alors que le groupe s'r devient str, « grâce à Tintercalation euphonique d'un t », et l'on a crestre, d'où le primitif Groistre, aujourd'hui Groître. Le procédé est fort commode ; on retranche, on ajoute où l'on veut. A cette manœuvre, cependant, les dérivés ne gagnent rien; ils ont tou- jours même nombre de consonnes que le radical : str pour scr. Donc, il n'y a pas intercalation. Y aurait-il plutôt Substitution? Pas davantage. Les conditions précé- dentes ont été faites communes à crescere et à essere, Etre, ce qui au- torise à conclure de celui-ci à celui-là. On nous montre ess're perdant le second s, devenant es're, puis estre (vieux français), par addition d'un t. Or, S dentale commerce naturellement avec T, autre dentale. Par là, t, qui déjà n'est pas intercalaire, n'est pas substitué non plus, il est par métamorphose d'un S de essere, — comme aussi d'un G de crescere. En conséquence, n'eût-on à mettre en avant que carcerem, Ghartre, G égale T ; c'est chose acquise. lY La classe des dentales me paraît plus que toute autre commander l'at- tention, et seule désormais, elle va m'occuper jusqu'à la fin de cette étude. On a pu voir que les Dentales sont en relation avec les trois autres PAVOT — ÉTVMOLOGIE FRANCO-LATINE 127 classes. Encore n'ai-je pas montionrir certaines mutations, notamment celles de S et de D en liquide .\, dont je vais dire quelques mots parce qu3 la question intéresse un de nos sociétaires. L'an dernier, M. Charrier-Fillon (de Fontenay-le-Comte) me fit l'hon- neur et le plaisir très inattendus de me demander si le latin Portus Sicor pouvait nous avoir donné ce nom de localité :Pornic; eu résum3, si la dentale S avait pu transiter en liquide N. Après réflexion, je répondis par l'afTirmative. Toutefois, je spécifiais que je n'avais pas d'exemple topique à l'appui de mon opinion et que j'étais guidé seulem3nt par l'a- nalogie. J'avais en notes : Ordière (de orhitaria) devenu Ornière; puis Borde (petite métairie à l'extrémité d'un village) qu'on assimilait à Borne, limite. Depuis, j'ai, par deux fois nouvelles, rencontré D, et même une fois Z, aboutissant à N. Quant à S, il se dérobe encore, mais j'espère que ce n'est pas pour toujours, car se changer en Liquides est un fait dont les Dentales sont plus coutumières qu'on ne veut l'avouer. C'est un point qu'il faut mettre en évidence. 1° Mutations de Dentales en Liquides, de S en R ; de D et de T en L Tout singulier qu.'on l'estime, le changement de S en R se trouve inscrit partout, et Massilia, Marseille, a des acolytes. " Quant au passage de D et de T en L, on l'a évité par un de ces détours que j'ai signalés à propos de I'Accent Latin (Congrès de 1891). Avec cicada qui est Cigale directement, on a fait le diminutif cicadu/a doté de la consonne voulue l, ce qui permet d'éluder la lettre malencontreuse d. — De ovatus (ovum, OEuf) à ovale, même embarras à cause du t. Ici, le choix d'un trompe-l'œil n'a exigé que le sacrifice du sens vrai ; on a pris l'adjectif de ovis, brebis, et ovalis fait toujours florès. Que penser de tant d'ingéniosité lorsque, en même temps, on reconnaît que le grec Odusseus était en latin Ulysses ; el que dingua, cadamitas, dacrymœ avaient précédé lingua, calamitas, lacrymœ'î... Mais, pour la règle, ce ne sont là que des corruptions. En somme, on ne veut pas îa permutation de d en l, pas plus que celle de t en l ; or, temonem, qui est timon, donne aussi limon. Il y a enfin, pour légitimer ces changements, la considération qu'ils ont des réciproques ; L = D et L — T: amylum, amidon; aureol (us), Oriot (Loriot). Et même, entre T et L, l'alternance est visible si l'on com- pare simplement crotal (um) à son dérivé Grelot. Par tous ces motifs, la métamorphose entre Dentale et Li((uide est indéniable et j'ai bon espoir d'ajouter quelque jour à mes relevés le chan- gement de S en N (Portus Sicoî\ Pornic;. 1128 pédagogie 2" Mutations de Dentales en Gutturales Une modalilé dans le protéisine des Dentales, très importante à mes yeux, aussi certaine que la précédente et, non moins qu'elle, négligée ou mal traitée, c'est leur conversion en Gutturales. T, D, S deviennent C. T. Si l'on a taxé d'insolite la mutation de C en T {carcerem, Chartre), ce n'était pas pour qualifier mieux celle de T en C. Un auteur classique, parfois moins intransigeant que les autres, dit ceci : « La permutation de deux lettres d'un caractère différent est toujours assez difficile à admettre. Cependant le seul exemple connu de cette transformation n'est pas douteux ; Craindre vient bien, en effet, de tremere. Il est probable que le voisinage de r a facilité ce changement. On remarque, du reste, chez les paysans des environs de Paris, une certaine propension à prononcer K pour T ; ils disent amikié pour amitié, etc., etc.... Dans le Médecin malg?'é lui, Molière n'a pas manqué de noter cette habitude... » Cet alinéa méritait d'être copié parce qu'il précise l'état de la question. Il est acquis, avec tremere, Craindre, que le T est devenu C. Mais pourquoi de semblables mutations sont-elles toujours d'acceptation malaisée ? Est-ce que, pour se former, les mots sont tenus d'obéir aux couventions des lettrés? Connaît-on vraiment toutes les lois qui régissent le phénomène? Non ! et ce n'est pas avec difficultés, mais avec faveur que, bien constaté, le fait imprévu devrait être accueilli, car il ouvre une voie de plus vers l'inexploré. Au seul exemple connu, je crois qu'on peut ajouter juventam et neptem, donnant Jouvence et Nièce — sans aucune intervention de la consonne r. Enfin, le peuple, dont le langage est un modèle toujours proposé, rem- place T par K (qui est l'articulation du C latin). Je noterai, de plus, que l'inverse est aussi dans ses habitudes. Au lieu de cinquième (étage), il pro- nonce cintième. Nous avons encore Czar et Tzar, et les Romains disaient marculus et martulus pour Marteau. Ainsi T égale C, et, comme il y a réciproque il ne m'étonne point que par permutations directes — et non par transposition dans le corps du mot — Scintilla ait fait Étincelle, en dépit de la règle qui aurait voulu Échintelle . D. Cette dentale â, même fortune que la précédente. Elle nous donne la gutturale C de fundare à Foncer ; deaspidem à Aspic, et je n'hésite pas à voir une alternance, C == D, en comparant le latin sicra au français Cidre. PAVOT. — ÉTYMOLOGIE FRANXO-LATINE 1129 S. Cette dentale devient gutturale C. de versare à Bercer; de sorbum à Corme. Je dois avertir que ces étymologies ne se trouvent pas partout, et que, d'ordinaire, les deux mots français ont la mention : orUjine inconnue ; mais versare a l'assentiment de Littré ; et sorbus domestica est, en histoire naturelle, le nom du Cormier. Dès lors, S = C est tout aussi évident, à mon avis, que l'inverse Cr=S: cingula, Sangle; racemus. Raisin. T, D, S deviennent G. Ce changement n'est pas plus difficile à constater que la mutation en C. Je commencerai par S et linirai par T, non pour quelque profit de la démonstration, mais parce que T m'occupera plus longtemps que ?es similaires. Et puis, il doit m'amener à l'examen critique du suffixe «/îcitm; il vaut donc mieux, avant le débat, en avoir terminé avec S et D. S. L'opinion des linguistes étant que les noms propres sont d'un secours précieux en étymologie, le changement de S en G n'est pas douteux avec Athesi.s, Adige. Cette équivalence conduira sans doute à tirer de l'ombre plus d'un mot français de provenance toujours dite inconnue. Tel est Morgue. Il y a deux ans que, dans un livre où je consignais le résultat de quelques recherches, je fis voir que Morgue est le latin morsus, radical qui a servi, d'ailleurs, à la création de Amorce (pour Rabelais, Esmorche) — et de Remorque ; trois formes à désinence gutturale. L'égalité de S et de G, bien claire dans un sens, ne l'est pas moins dans l'autre ; de gigerla on a Gésier. Mais cette conclusion G = S, je ne m'attendais pas à l'obtenir du Dictionnaire classique. Une gutturale passée à dentale ! On renvoyait au mot Fraise, j'y courus ; mais au lieu de fraga, jy rencontrai le fictif f ragea suivi d'un nouveau renvoi au verbe Agencer, en bas-latin agentiare. Je compris alors que, derechef, j'étais en présence d'un expédient pour sauver la régie. Nos étymologistes. je le répète, ont été, plus d'une fois, dans l'obligation d'admettre un radical non taillable à merci, mais, après cette concession forcée, ils sont revenus de suite à leur système avec des sujets rendus maniables à volonté. Il en est ainsi de Fraise qu'on semble, tout d'abord, donner comme appoint à Gésier, et qui est résolument dépossédé de ce rôle. Le thème latin est fragum ou fraga ; on y substitue fragea, puis fragia qui permet d'avoir fracia. — Cela obtenu, comme les Chartes franques (V. Agencer) faisaient égales en prononciation, cia et lia, de fracia, on a fratia qui devient Fraise « par changement de ti en s », prétendent les auteurs, car ils sont unanimes à douter que, tout seul, T puisse parvenir à la sifflante en français. Je citerai donc Tabernœ, Saverne. Ainsi, pour aller du vrai radical à son dérivé, on a établi ces jalons : 1130 PÉDAGOGIE Fraga, fragea, fragia, fracia — fratia. Fraise, parce quoQ ne voulait pas dire que G = S. Or, il est un point où, de toute nécessité, Ton passe de gutturale à dentale, c'est de C à T. Voici qui est plus curieux encore : cette mutation, dont on use fort bien ici, on l'avait tarée comme insolite, à l'occasion de carcerem, Chartre. D. Cette dentale devient G, de hordeum à Orge; de sedere à Siéger. Cela n'est pas admis; on en est toujours, sur la foi des auteurs, à s'expliquer la présence du G par l'illogisme décoré du titre de consonnification, ou métamorphose d'une voyelle en consonne. J'ai dit, en d'autre temps, ces que je pense d'une telle conception . , Ici, hordeum et sedere sont arbitrairement remplacés par hordium et sediare qu'on écrit hordjum et sedjare; on élimine la dentale importune, et alors horjum et sejare font Orge et Siéger. Ces manipulations ne sont vraiment pas acceptables, et je me demande comment on peut, encore aujourd'hui, colporter ce modèle du genre : diurnalis, djurnalis, journal. Pour voir d'où provient notre gutturale J, il suffit, sous le latin dimmus, de mettre l'italien giorno. En transition, D a donc fait G, ou J, mais, entre le latin et le français, on n'a jamais cité ce giorno qui nous avait donné le vieux mot jorne. Et pourtant, on ne manque point d'en appeler souvent aux vocabulaires des peuples, plus directement que nous, héritiers de la langue mère. L'ancien provençal est un de ces témoins très invoqués. Eh bien ! à l'article Fâcher du Dictionnaire étymologique, on peut lire que, de fas- tid(ium) le provençal avait eu fastig (ennui), encore une mutation de D en G. Enfm de podium, qui est Puy, il a tiré deux autres formes : puig et puecli . Par là, chez nous aussi, l'accident est plus que probable; je le tiens pour réel, et il a, comme pendant, le cas inverse G =: D : ruga, Ride; sur- gere, Sourdre. T. Cette dentale devient G; soient : natare. Nager, et œtatem., Age. J'ai l'alternance G =: T, avec surgere qui, en plus de Sourdre, donne Sortir, un doublet de Surgir. Les étymologies que je présente en ce moment sont trop contraires aux idées courantes pour avoir été reconnues. Personne, que je sache, ne les a patronnées, tant se recommandent, en apparence, les deux autres thèmes intronisés : navigare et œtaticum. Mais il faut convenir que navigare est simplement une expression poé- tique. Dans Ovide, le mot fait image, assimilant au navire en marche l'homme qui se meut à fleur d'eau. Ce n'est pas à coup sûr, un tel motif qui a guidé les théoriciens du langage quand ils ont, à leur tour, préféré ce verbe à nalare, c'est parce que sa finale était de forme réglementaire, contenant une gutturale qu'il n'y avait même pas à modifier. PAVOT. — ÉTYMOLOGIE FRANCO-LATINE 1131 Cette raison est encore plus visible avec œtaticum, bas-latin douteux^ chargé de supplanter œtatem, de représenter le substantif Age et par suite, de monopoliser la genèse de notre désinence âge. Sur œtaticum devenu âge. Je reproduirai fidèlement le plaidoyer mis au service de cette finale aticum, mais je ne le ferai pas d'une seule tenue. Il y aura plus de clarté, je crois, si j'expose les arguments l'un après l'autre en faisant suivre cha- cun des réflexions qu'il comporte. l*» « Le suffixe aticum que le latin classique employait assez souvent : — silvaticus (Varron), aquaticus (Pline), fanaticus (Juvénal), umbraticus et volaticus (Cicéron), viaticus (Plante), apostaticus (TertuUien), — devint d'un usage commun dans le latin populaire, vers les derniers temps de l'Empire et les premiers siècles des Mérovingiens... De ces nombreux dé- rivés en aticum sont venus les correspondants en âge... On voit comment volaticus, par exemple, qu'employait Cicéron, au sens de léger, d'inconstant, est devenu volage, huit siècles plus tard : l'i bref, pénultième, a disparu, suivant la règle, et volaticus a donné volatge, par changement de c en g, puis volage. » — L'an dernier, lors du Congrès de Marseille, dans un mémoire sur 1' Accent latin, j'ai montré que laquantité prosodique est sans influence sur le mamtien ou la disparition des pénultièmes. Ainsi placé, i bref nous a donné les toniques de Catane, de Modène, de Sycomore, de Peluche, et j'ajoute qu'il s'est maintenu dans Aride, de aridus. Donc, sans nier que «a'cw.s- puisse devenir âge [silvaticus, sauvage), je prétends que la réduction a t'eus n'est pas, à tout propos, obligatoire. De fanaticus, on eut fanatique, rien de plus. C'est, dira-t-on, une forme sa- vante. Qu'importe l'estampille ? N'est-il pas prouvé, avec aridus, que brève et pénultième la voyelle i peut — comme les autres — passer intacte du latin au français? Viatique aussi est une forme normale, bien que sa- vante, el c'est la seule, je pense, qui nous soit venue de viaticum, à moins de confondre toujours le viatique, la provision du voyageur, avec le voyage lui-même. 2° (' Le provençal qui transforme aticum en atge (comme le plus ancien français) et qui dit carnatge, messatge, ramatge, pour Carnage, Message, Ramage, confirme cette règle de permutation. » — Ce parler du Midi n'est pas une preuve péremptoire. J'ai reconnu que âge pouvait dériver de aticum, mais on ne saurait attribuer à cette forme latine qu'une part dans la production de notre désinence, même eût-elle le cachet méridional atge. En blendes cas, en efl'et. le Provençal, ainsi que l'Anglais, fait entendre, devant les gutturales, un t ou un d que 1132 PÉDAGOGIE den ne justilîo. CesL qu'il a uniformisé son langage, sans aucun souci des radicaux; alors, au lieu de Mage, Page, Image, il dit ma^^e, patge, imatgc. issus pourtant du \2X\n1nagus, pagina, imago. Le dies Jovis (jeudi) est, dans la langue dOc : di... djaous, et dies rfomm/ca (dimanche) ou dominica tout seul, est dimendje. On le voit donc, la Dentale ne mérite pas toujours confiance. 3'^ « Vers la fin duxi« siècle, quand on eut perdu le sentiment de l'accen- tuation latine et que la langue française fut formée, les formes en alicum disparurent, et nous ne trouvons plus que des formes en agium, calque de la terminaison française. Ainsi, au xni« siècle, au lieu de missaticum et fonnaticum, on a messagium et from.agium qui ne sont que du français affublé de latin par les clercs, alors que personne ne connaissait plus l'origine de ces mots, ni le sultixe formateur. » — Je ne m'arrêterai pas à chercher si le sentiment de l'accentuation latine ne s'est perdu que vers la (in du x[« siècle; ce qui me frappe, dans cet alinéa, c'est la netteté avec laquelle se résume la Théorie : Il doit être entendu que aticum nous a donné âge, et que, avec âge, on a fabriqué agiiun. Tout d'abord, il est au moins singulier que l'on présente comme systé- matique l'emploi de agium, quand l'abus que l'on a fait de aticum, pour créer des fictifs, est passible du même reproche, et surtout quand, de nos jours encore (je l'ai montré ailleurs) on « calque » du français, on « affuble » des mots de notre langue avec un latin chargé ensuite de les expliquer. Puis, les clercs incriminés n'ont pas inventé agium, forme qui existait en latin, aussi vieille que aticum. Ce n'est pas de Présage, Naufrage, Adage... que sont i\és pi^œsagium, naufragium, adagium.... c'est tout le contraire. Que, à deux siècles de distance, on ait usé, jusqu'à l'excès, de aticum, en première date, puis de agium, c'est, il me semble, toute la morale à tirer de l'historique. Et je considère comme fâcheuse l'actuelle restau- ration d'une finale dont l'omnipotence ne fut jamais réelle. A ses côtés, et mieux qu'elle, agium menait à la désinence voulue. J'ai cité, y conduisant aussi : imago, pagina, magus. L'on sait enfin que, pour étayer laconsonnilication, on a fait venir de i lagutturale g. Plus d'une preuve existe donc qui s'élève contre l'universalité d'action dévolue au suffixe aticum. Son domaine déjà rétréci, je vais le diminuer encore; mais avant, je dois faire un nouvel emprunt au Dictionnaire classique. 4° « Age. L'accent circonflexe de âge montre qu'une lettre a été suppri- mée. Le mot est, en effet éage au xvi« siècle ainsi qu'au xu'^; édage au xi°; et vient du latin vulgaire œtaticum,, forme dérivée de uHatem. » — Au texte, œtaticum porte un astérisque, habituel indice que le PAVOT. — ÉTYMOLOGIE IRANCO-LA UNE 1133 mot n'est pas classique, ou encore que sa forme est hypolhéti({ue. Ancien ou moderne, c'est un fictif composé d'aj^vs le type volalkus. Cette condition m'engageait à l'écarter, et je fis retour vers œtatem médisant : Pourquoi, puisque D devient G, cette autre dentale, presque pareille, T, n'aurait-elle pas même latitude? Malgré nombre d'enquêtes stériles, je continuais à croire possible cette permutation, et longtemps j'en restai là, ne trouvant rien qui put confirmer mon pressentimt^nt. Le hasard de mes lectures m'offrit enfin ce que je ne cherchais plus guère. Dans son livre des Divinités génératrices (p. 271), Dulaure parle d'une pénitence publique, accomplie pendant une procession ; Une femme qu'une autre avait insultée, suivait la délinquante, et lui piquait, à loisir, certaines parties charnues. Le fait est relaté dans le glossaire de Carpentier, à l'ar- ticle Naticœ qui se termine ainsi : et celé la poindra en la nage (fesse) d'un aiguillon. Tiré d'un cartulaire de Champagne, ce mot Nage est le latin natem. J'avais donc, très authentique, l'équivalence de T et de G, et l'immédiate conséquence de cette trouvaille fut que je restituai Nager à natare. Par natare, j'obtenais tout ce qu'on peut tirer de navigare, plus na tat us, ^a.ge; natatorium Nageoire; ou natge et uatgeoire, à la provençale, en conser- vant le premier T. Ainsi, aticum perd encore du terrain. Déjà, il n'était pas toujours in- dispensable à la production de âge, et voilà que dans ce rôle atwn peut souvent le remplacer aussi. Tous les vocabulaires latins disent sans pré- méditation : locatuni, Louage; obsidatum Otage; viduatum, Veuvage... Simples traductions qui, maintenant sont, pour moi, de véritables étymo- logies. On m'objectera, peut-être, que les finales atus, ata doivent se résoudre. en français, par É ou ée {amata, aimée). C'est l'habitude seulement, ce n'est pas constant ; rien n'empêche que ata devienne ade et, comme D égale G, on pourrait avoir, en définitive, âge. Mais il n'est pas besoin de cette filière. Le générateur est le même pour âge et pour ée, car nous di- sons indifféremment : Pesage et pesée; Passage el passée; Ramage et ra?rtee; Arrivage et arrivée ; etc. etc. Quant à œtatem, latin non douteux, s'il est confronté avec les variantes de notre substantif Age, il supporte, fort bien cette épreuve décisive. Lettre pour lettre, œtatem est Édage ; la chute du premier t donnerait Eage, par contraction Age. En suppriuiant la voyelle médiale a de notre accusatif, on arriverait à la leçon écrite ou parlée Atge; donc, œtaticum est tout au moins une superfétation. Je me résume. Le suffixe en cause a pu nous donner âge, puisqu'il y a plausibles relations de sens et de forme entre le volaticus de Cicéron et 1134 PÉDAGOGIE notre adjectif volaye. Mais la faveur excessive dont il a joui jusqu'à la fin du XI* siècle ne doit pas faire méconnaître qu'il ne régnait pas seul. Au- jourd'hui surtout, sa plénière souveraineté est inadmissible, vu les multiples provenances de la Gutturale française. Longtemps il m'a manqué la mu- tation de T en G ; cette lacune est, je crois, comblée désormais. En tout cas, j'ai montré quel grand profit on aurait en préférant toujours l'autorité du fait à la vogue d'une tradition; en sacrifiant au respect de l'évidence des théories ingénieuses seulement, des expédients qui passent pour des méthodes, des artifices imaginés pour soutenir la moins libérale des réglementations . M. Albert PICÏÏE Vice-Président de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Pau. LE CERCLE DES CONNAISSANCES HUMAINES — Séance du 19 septembre 1892 — Audax Japeti genus ! Graphie. — Ne faut-il pas toute l'audace présompteuse d'un ignorant pour oser présenter, dans une réunion savante telle que la vôtre, un travail aussi ambitieux en apparence qu'est cet atlas, en réalité fort modeste. N'a-t-il pas la prétention : de vous offrir la classification naturelle de toutes les connaissances humaines : conscience, sciences, croyances, et d'indiquer qu'au delà de la Connaissance, il y a encore deux autres mondes intelligibles, celui de l'Amour et celui de la Vertu bienfaisante ; De présenter dans ses tableaux, à leur place logique et chronologique, êtres et phénomènes qui constituent l'univers : personnes et choses, hommes et œuvres, faits et gestes, toutes les idées humaines représentées, à leur date d'éclosion, par le nom des grands hommes qui les ont émises, et de pouvoir donner, rangés en ordre, par famille et par genre, tous les mots de la langue française qui expriment ces idées et ces hommes ; Enfin, de montrer la subdivision et la filiation des arts, des professions et des sciences, dans le cours de l'humanité et, par conséquent, l'évolution du travail et de la civilisation sur la terre ! A. PICHE. — LK CERCLE DES CON?iAlSSANCES HUMAINES 1135 Évidemment, si j'étais mi savant véritable et surtout un savant ofriciel, je me garderais bien de me compromettre dans une entreprise aussi téméraire ; mais je ne suis qu'un amateur, un simpliste, un chercheur. un songeur; je puis me montrer fils audacieux de Japhet; Carnute, qui ne craint pas même que le ciel lui tombe sur la tête (tout au plus vos applaudissements) ; Béarnais indépendant, Basque indomptable (je deviens tel en ce pays d'adoption) ; je puis donc risquer cette communication en toute assurance. Audacem fortuna juvet ! Protégez-moi de votre bienveillance, en échange de laquelle je vous promets trois choses : de parler clair; de ne pas être ennuyeux (revêtant ces idées sérieuses d'une forme légère) et de me taire au premier signe de M. le Président. LoGiE. — Je vous ai exposé sommairement l'objet de ce travail ; voici maintenant comment j'ai été conduit à le faire, en deux mots : son histoire; je voudrais ajouter : son histoire en deux mots ; hélas ! il me faudra les multiplier par quelques autres; je m'efforcerai, cependant, de réduire le multiplicateur au strict minimum nécessaire. Je ne remonterai pas au déluge, ni même avant ma naissance, rassurez- vous ; mais seulement au temps du collège, ce bon temps, dont on aime à se souvenir en raison directe du carré des distances; et je ne le fais que parce que, parlant devant des éducateurs, je leur dois l'évolution psycho- logique de mon travail. Élève très ordinaire, mais sérieux et curieux, j'avais une foi absolue dans la parole de mes parents et dans la science de mes maîtres, dont les enseignements étaient pour moi plus que parole d'évangile. Sans doute, ils m'apprirent beaucoup de choses (ce dont je leur suis infiniment reconnaissant), et surtout ils me placèrent dans un excellent milieu ma- tériel, intellectuel et moral, condition sine qua non d'une évolution régu- lière; mais ils m'apprirent tout cela, sans le coordonner dans mon cerveau; et, parfois, leurs contradictions partielles déroutaient bien, un peu, ma confiance dans leur infaillible doctrine. Au sortir du collège de Chartres, puis du lycée Louis-le-Grand, j'avais dans la tête un véritable chaos de notions confuses : on m'avait appris à parler, à lire, écrire et compter, sciences préliminaires et instrumentaires; on m'avait enseigné langues mortes et vivantes, histoire et géographie, rhétorique et logique, sciences mathématiques, mécaniques, physiques et chimiques, histoire naturelle et physiologie, philosophie, morale et reli- gion ; on m'avait même inculqué la métaphysique, ce qui n'éclaircissait nullement mon ciel brumeux ; car vous savez le mot de Voltaire : « Quand l'auteur ne se comprend plus lui-même, c'est de la métaphysique ! » JPontiemlais ^varier, ea o«m\ de ivnt autres sacieiices : mM(i'>cine et juris- pnideiuv. anaïomie et biologie. amlm>pt>KT«gie et ethnc^rraphie, ivk^ie : Ije peu de grec qu'on m"a\-îiit appris me servait bien à soïqxvniKT ce »jiril Y avait sous ces noms «étranges; mais quel lien y avait-il entre toutes ces scien»»st étaient-elles de même natune. de raéme sanire, de même onire? ax^ùent-elles les mêmes mètlKxles? ôtaienl-ee même dft^ sdeiKies? d'aucuns les appelaient dt>*i arts, dc^s scienct^ appUquix^! Et dans uiïe même science, on ik> rnavait pas enseigtu^ à distinguer net- tement les faits, des opinions; les ol>ser\-ations, des théories: les expé- riences, des lais; les applicïitions. des coosidérations philosophiques. En un mot, j'étais vraiment fort emv>étrê. jx»ur jwler le lan^gn^ nouvivaxi qiH^ nvaitn^ Zola doit intrvxluîre à TAcadémie frîm^aise î On ma>-ait. notamment donné pour argent ci>mptant, en gt\>lcwïie. la théorie du feu central : aussi fus-je alxsohunent dénu>ntê, le jour où j'appris que des s:ivants tK»s sérieux niaient s>i>n existence el prétendaient prvMiver mathémaliquement son impossibiUté, J'en fus tmit IxHilev^^rsé : ma foi dans la scieiHV en fut éhraixltv ; en même temps sombrait égale- ment ma foi leligieiise; j'étais triste, m;ilheureux. dtVsesjvrê, d'autant qu'alors nK»n ix>ri^ était atTaibli par une maladie grave et prx^longtv. Je devenais irritable, insociable, miscmlhrv^pe. sauvage! Heureusement, j'étais alors en Italie, ce paj-s des ry^naiss;u\ivs : cet admirable milieu climatolc^ique et v>sYchoK^que me sauva la vie, Tin- telligeiuv, la sociabilité, l'humanité; et me rendit TidiNid. ce jxvin del'ilme plus nécessaire au K^iheur que le pain quotidien, ne l'est à !a vie. Vu jour, à Venise, dans un café de la Pi;uetta. la AVcmc des iVM.r Moinit^ me tombe sous la main; elle œntenait des articles de Claude Bernani swr !a méth€n1<^ ^jrperim^lah : ce fut une révélation: alor^ je cvMumencai à distinguer nettement robserN-;\tiou de l'expérimentation . les faits de la théorie. j'entr^\is ce qu'était la loi. ses applications aux besoins de l'homme, en un mot l'enchainement gtniéral des piirties de l'Univers. Cela me n monta le cvvur. je repris vie. et goût à la vie et je me mis à recommencer mes études, à ma façon cette fois: non plus au mode litté- raire des humanités, mais au nKxie scieutitique des rvnvlités. Je lus beauciHip. j'olvserx^ii le plus |^>ossible. jexp»riment;ù quelque peu, aborvlant successi\-ement toutes les scienin?s, rt^nuîuit d aU^rti mes acqui- sitions sur des cahiers, piiis les notant sur des feuilles \x)lantes, afin de grouper tout ce qui comvn\ait un même sujet. Bientôt il fallut classer des ivnlaines de livres et dt^ milliers de notes pour les retrouver au besoin. Cela amena mon esprit naturellement logique, méthodique et encyclopédique à rechercher ce lien secrtn dt^ choses qu'on a'avail piis su mVniiHMtïtiur el qui cijpuuilaiit cousi.iJui» hi .wnmiw. (Le» luitk a dit. >Coute!H^ai«fu. ^H.uJt les nipports tti?cusvsurt»s »jui ii>cv>uii#ul d»# lu tjuiluiv des clit^s*^sJ i^ tninslormai. ali^rs» uui? di' rutfs bibliu(tuh)Ui;i> (MI ujit^cistri die ttoU^ o«>orti»uiaiHî!4 «t ds fain? uul« cyiitairit* du carlablytk t»u foruiL» dt? vyluttti??*» où je scrnù udUjs e! coupurws d'iui; rim»'s. I« tjnut chissu dmis^ k» tui?'ttj«; onin* ((ui» lus id«vs darus tnmi ciTvuau, aiusi objuctivé. Grjiud avauia^f^» pour uu liotumi? d«?piMirvu du m«'moin?. U y avajt «lauf? cuttu annoiru trui* itraudus divtsjgn:< : l. — Trisfiiài (lu trîidilioM) : eu quu ui'avaiutU UMt>u«(£t;u» sur choqtiKi' sciuueu, pari?ats ut uuiîtn^s; puis lus aotiout* qui s'yUuuni! oJîi^rtJW à tmi dans mus voya^çus ut surtA,mi au cours du eu stroiul voy a^u quott appuUt? lu viu. It. — Pt^rrt'phi (rùujotiori) : eu quu | a,v;ns oprouvu u« nfluelnjssuuliaax trtuliiii... mus itïiprussions du v\iyajiu. lU. — Ht'(n:ia (lurù'auLum* r lu travail int,ull<'iMm«l d'ibonf puis u membru actif, autattt «.i^ doRjet quelcoimue ou un iiroujK" d'objets ;\ exammer à tous les ^H.>ints de vue. lus clu'mis<'s étaient cUisséus il après révolution des méthtxlus d'iuvestiiration du l'esprit humain, théorie quu ju crois avoir invenlv'u ut que j'ex^Kis^'rai sommairement tout à l'heur^'. Kn avant du ces cent cartons, il y avait, dans ma bibliothèque, sept ou huit boites lon;:.ues. pluiues du Uchus de la taïUu d'uuu carte à jouer. 1138 PÉDAGOGIE sur lesquelles je me bornais à noter une idée, une citation, avec renvoi au volume et à la page du livre, ou au numéro de la revue. Des fiches plus hautes, et de diverses couleurs, permettaient de grouper et de sous- grouper les notes et de les déplacer au besoin par paquets, au fur et à mesure du changement d'ordre de mes idées, sans cesse en évolution sous l'action de mes lectures, conversations ou réflexions personnelles. Ces tâtonnements m'amenèrent à étudier de çlus près les classifications des sciences et des arts; je pris connaissance de celles d'Auguste Comte, Herbert Spencer, Ampère, Bain, Charma, etc. ; je consultai les dictionnaires encyclopédiques, ainsi que les programmes de sections des Expositions uni- verselles. Dans chaque système, je trouvais du bon et du mauvais (selon moi) du clair et de l'obscur, du clair-obscur surtout, et je me remettais à tâtonner et à remanier fiches et cartons . Comme j'avais, d'autre part, la passion (mes amis diraient la manie) des tableaux synoptiques, des cartes teintées, des graphiques et des courbes, que j'employais pour mes études météorologiques (autre passion inoffen- sive), à certain jour le mot cercle des connaissances humaines me frappa et me fit imaginer une classification circulaire et essayer d'inscrire le nom de toutes les sciences connues, dans des cercles concentriques, divisés en secteurs par des rayons (1). Au centre, le moi conscient (moi individuel ou humanitaire), conscience sans laquelle il n'y aurait pas de connaissance ; le moi, seule personna- lité réelle pour chacun de nous, le reste étant le non-moi, autrui, l'uni- vers ; moi conscient, dis-je, qui d'abord voit, considère les êtres maté- riels qui l'entourent, perçoit les phénomènes manifestés par les êtres et qui l'amènent à concevoir l'intervention d'êtres invisibles qu'il appelle esprits et d'un être suprême ou cause première qu'il nomme Dieu. Le moi est objet de conscience, Dieu est objet de croyance, seul l'univers est objet de science. Que voit, dans FUnivers dont il est centre, le m®i tournant dans sa pensée? — des Corps matériels parmi lesquels il distingue les Astres et la Terre; et sur celle-ci, des pierres ou minéraux, des plantes, des ani- maux, des hommes (ses semblables), isolés ou groupés en corps sociaux : Nations, Églises, Écoles philosophiques et qui constituent cet être supé- rieur, l'HuMANiTÉ : Et ces êtres, ces individus, parties du grand tout, offrent à sa vue Aqs phénomènes ù& qualité, de quantité, de mouvement, de trans- formation, de combinaison, de vie, d'iNTELUGENCE, de sociabilité, de mora- lité, de religiosité, de beauté, de vérité, d'idées en un mot qui consti- tuent la vaste scène du monde, où il est, à la fois, spectateur ému et acteur passionné. 1) Voir le tableau circulaire à la Section d'Économie politique, page 1074. A. PICHE. — LE CERCLE DES CONNAISSANCES HUMAINES li39 Ces êtres, ces phénomènes, au milieu desquels il faut s'ébattre, se débattre et parfois, hélas! combattre, l'œil les voit, la bouche les nomme, l'esprit les qualifie, la raison les lie, par le verbe, en propositions qui sont déjà des lois; et tout cela s'opère de façon spontanée, inconsciente. Par une transition insensible, et sous la pression naturelle de la curio- sité, naît peu à peu la science de plus en plus consciente, et voici quelle est, selon moi, l'évolution des facultés ou méthodes investigatrices de l'es- prit humain. (C'est ma théorie de l'évolution de la science dont je vous parlais tout à l'heure.) Tandis que le poète, ému par le spectacle des choses, vibre et chante les sentiments qui l'animent, ouvrant ainsi aux hommes d'imagination la vaste carrière des beaux-arts, l'esprit curieux, le chercheur, examine attentivement êtres et phénomènes; miroir fidèle, il commence par les décrire, employant la méthode descriptive: c'est la période de la Graphie. Puis il réfléchit, sa raison dénombre les objets décrits, les compare, les mesure, les suit dans le temps et dans l'espace (histoire et géographie) ; elle se pose mille questions auxquelles elle fait des réponses a priori plus nombreuses encore; on disserte à perte de vue, on argumente, on cherche des méthodes rationnelles pour arriver au vrai: c'est la période de laLoGiE. Bientôt, on observe plus attentivement le dedans des choses et leurs moindres détails, d'abord à l'aide des sens, puis avec des instruments qui en accroissent la puissance; on en fait l'analyse, puis la synthèse, tant au point de vue statique qu'au point de vue dynamique: c'est la méthode d'observation, le temps de la Sgopie. Avec ces faits bien observés, on échafaude des Théories; on bâtit des hypothèses, on se livre à de savantes conjectures; on reconstitue le passé, on entrevoit (ou croit entrevoir) l'avenir. Hélas ! les théories, même scientifiques, sont trop souvent divergentes, parfois même opposées; on bataille, on polémique; on ne peut sortir de ces éternelles controverses qu'en faisant appel à l'expérience, dont il faut auparavant dresser les plans et préparer le matériel. L'expérience bien conduite, ou Pirie, nous montre les conditions d'exis- tence des êtres et des phénomènes et nous conduit aux lois, à la Nomie, point culminant de la science pure, pour chaque science spéciale. Comme l'a si bien dit Claude Bernard, la méthode expérimentale nous rend maîtres de la nature. Nous n'avons plus qu'à appliquer les lois à nos besoins : c'est le temps des sciences appliquées, le règne de l'ingé- nieur, la période de la Technie. Finalement, on philosophe sur la science spéciale, en la rapprochant des autres sciences; on l'envisage au triple point de vue du vrai, du beau, du bien, c'est la méthode harmonique, la Sophie, ou conclusion de la science. 1140 pf:dagogie Chaque méthode d'investigation peut donc être représentée par un cercle concentrique, tandis que chaque espèce à' êtres peut être -figurée par un secteur (ou part de gâteau), formant ainsi les sciences ontologiques ; et ces secteurs doivent nécessairement être entrecoupés par d'autres secteurs (ceux teintés en gris), relatifs aux phénomènes communs manifestés par les êtres appartenant à deux classes voisines : ce sont les sciences phéno- ménales. Ainsi, tout se lie dans mon tableau, comme dans la nature, où les choses passent de l'une à l'autre par des transitions insensibles. (Natura non facit saltus.) Maintenant, traduisez en grec le nom des êtres et celui des phénomènes, dans l'ordre indiqué plus haut : cosmo, somato, astro, géo, métallo, phyto, zoo, anthropo, ecclesio, sophio, humanito, — pour les êtres ; — et poio (la qualité) ; poso (la quantité) ; cinési (le mouvement) ; dynamo (la force) ; ATOMO (l'afTinité de l'atome) ; bio (la vie) ; psvcho (l'intelligence ou ùme) . socio, ou mieux coeno (la sociabilité) ; diceo (le juste) ; thaumaïo (le mer> veiileux) ; callisto (le beau); ideo (l'idée), — pour les phénomènes ; — ajoutez successivement, à chacun de ces mots, le nom grec des méthodes d'investigation : graphie, logie, scopic, théorie, pi?-ie. nomie, technie et Sophie, le tout groupé sous le nom générique de gnosie et vous aurez une classification naturelle de toutes les sciences de premier ordre, tant onto- logiques que phénoménales, en même temps qu'une nomenclature très simple et absolument régulière : géo-graphie, géo-logie, géo-scopie, géo- théorie, géo-pirie, etc., etc., qu'on peut disposer soit en cercle comme dans le tableau précédent, soit en forme de table de Pythagore, La forme circulaire est plus suggestive et plus représentative du bloc des connaissances humaines, qui n'ont ni commencement ni fin; la forme rectangulaire est plus commode à lire et à étudier. Dans son discours d'ouverture, notre président, M. Collignon, criti- quait, avec esprit, l'abus des noms nouveaux ; vous remarquerez que je me suis efforcé d'en introduire le moins possible, me souvenant du re- proche adressé à la classification d'Ampère ; je me borne au nécessaire et surtout à régulariser ce que la tradition nous enseigne. Presque tous les mots que j'emploie existent déjà dans la langue française. La plupart des sciences se terminent en graphie ou logie; nous avons la spectro^co^fe ; nous disons théorie de la terre, a.sironomie, zootechnie, philosophie; je n'ajoute donc que le mot pirie pour éviter la périphrase de science expé- rimenlale. Pourquoi les noms actuels des sciences se terminent-ils diversement, en graphie, logie, nomie? Laissez-moi vous donner, en passant, cette explication conjecturale : c'est qu'ils ont été créés spontanément par les savants, au moment oii la science était à cette période de son évolution. A. PICHE. LE CERCLE DES CONNAISSANCES HUMAINES 1141 Seule la science des astres, qui est la plus avancée, parce (]ue ses lois sont les plus simples, porte le nom de nomie, après s'être autrefois ap- pelée astrologie ; la plupart des sciences en sont toujours à la logie ; et d'autres ne méritent encore que de i)orter le nom de graphie, telles l'eth- nographie, et ses sous-sciences : l'épigraphie, la sigillographie, etc. C'est ce tableau circulaire qu'un ami, un bon conseiller, M. le doc- teur Meunier, vit affiché sur le mur de ma chambre, il y a vingt ans ; mais alors à l'état embryonnaire. Car vous le pensez bien, je ne suis pas arrivé, du premier jet, au tableau que je vous présente aujourd'hui. Boileau l'a dit : « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ! » J'ai suivi et même dépassé son précepte; à ce compte, mon travail de- vrait être parfait. Tantôt, je le sortais de son carton, plein d'enthousiasme, croyant avoir trouvé une idée géniale. Tantôt, je le rentrais avec dépit, l'esprit harassé, écrasé. Quelles retouches ! quelles peines ! Plusieurs fois, je crus mon travail assez avancé pour le soumettre au public, soit en con- férence, soit en congrès. J'avais même demandé un emplacement pour l'Exposition universelle de 1889... je ne l'ai pas occupé; en examinant mon soleil, j'y trouvais toujours d'énormes taches. J'aurais même renoncé à ce labeur dépassant mes forces, si l'ouvrage, malgré ses imperfections, ne m'avait successivement fourni des applications qui prouvaient son utilité. J'employai ses données pour la classification du Musée anthropolo- gique et sociologique des Basses- Pyrénées, dont je vous entretiendrai à la Section d'Économie politique, et que je pourrai vous faire visiter. Au Congrès climatologique de Biarritz, j'osai développer mes cercles concentriques, sous ce titre : Évolution des méthodes d'investigation appli- quées à la climatognosie en général et au climat de Pau en particulier. Cela me fit imaginer d'ouvrir, à la Commission météorologique dépar- tementale, deux dossiers toujours extensibles de travail collectif: l'un des- tiné à renfermer tout ce qui a été fait, tout ce qui se fait et qui se fera sur le climat de Pau ; l'autre, tout ce qui concerne les météorologistes et la météorologie des Basses-Pyrénées. Pour l'Exposition de 1889, je pus achever le tableau de l'évolution des groupements sociaux et présenter l'atlas de toutes les associations libres philanthropiques du dépattement, avec cartes des genres d'associations et graphiques du fonctionnement des principales sociétés. Bientôt, je fus amené à concevoir un atlas de la langue française et, par consé(jucnt, des idées françaises (analogue à l'atlas de géographie gé- nérale de Foncin) ; dans ce nouveau dictionnaire, les mots seraient rangés par familles (1) au-dessous de l'idée qu'ils représentent, et les idées d'ob- (1) Pendant que je rédigeais ma communication pour l'impression, on m'a procurt' le Dictionnaire iynoptique d'élymotogie française, de Stappers, qui remplit le premier de mes trois desiderata. 1142 PÉDAGOGIE jets ou de phénomènes seraient traduites en dessins et en mots, rangés chronologiquement dans des cercles concentriques, dont l'extension repré- senterait le cours du temps et le développement de l'esprit humain, tandis que leur ordre logique serait développé autour des cercles. Il y aurait autant de pages et de tableaux qu'il existe d'arts et de sciences, dont l'évo- lution a introduit les mots techniques dans la langue, au fur et à mesure de la marche des idées et du progrès. Car, avec ma manie classificatoire, vous pensez bien que mon esprit ne peut être satisfait de l'ordre alphabétique des dictionnaires ; je déplore, non moins, de ne pas trouver sous un nom générique la liste coordon- née de tous les mots et idées qu'il renferme. Cherchez dans une encyclopédie le mot veiHu, vous n'y trouverez pas rénumération complète de tous les mots qui, dans notre idiome, repré- sentent les vertus et leurs nuances si nombreuses. Et, cependant, Des- cartes, dans sa « Méthode », recommande les dénombrements qui épuisent la matière. — Enfin, le Congrès vient et nous force à conclure! — Je le note, en passant, c'est là un des principaux avantages produits par les congrès, de contraindre les provinciaux, toujours lambins au travail, à achever les œuvres en projet, ou en cours. — Le désir me reprend de mettre au jour mes petits chefs-d'œuvre. Plein de zèle, je dresse la liste des communi- cations joossiô/es; je trie les moins mauvaises, et, me défiant de moi-même, je cours consulter mes conseils. — Victoire ! ils m'autorisent à présenter ma classification des sciences ; je reviens enchanté d'eux et de moi et je me mets au travail définitif; car, il faut sortir des ébauches et tailler enfin la statue. Fixé, depuis longtemps, sur mes cercles concentriques, j'hésitais encore sur l'ordre de mes secteurs, quand une idée nouvelle vient me tirer d'em- barras. 11 est évident, me dis-je, que les premiers hommes devaient pour- voir, en famille, au nécessaire de l'existence ; il n'y avait pas alors de professions distinctes, tandis qu'aujourd'hui nous en avons deux mille, peut-être, pour satisfaire à des besoins toujours croissants. Il faut donc retrouver l'origine, la division, la filiation de ces professions, au cours de l'évolution civilisatrice. Il est non moins certain que l'art inconscient a précédé la science consciente et que c'est, parmi les artisans s 'occupant de la plante, par exemple, que se sont trouvés des esprits descripteurs et observateurs qui ont créé peu à peu la science des végétaux, ou bota- nique. De même, il n'y aurait point de zoologistes, s'il n'y avait eu d'abord chasseurs et pêcheurs ; point de biologistes, sans vétérinaires et médecins antérieurs. Faisons donc autant de tableaux qu'il existe de classes d'êtres et de phé- nomènes, avec lesquels nous avons affaire ; inscrivons, dans ces tableaux. A. PICHE. — LE CERCLE DES CONNAISSANCES HUMAINES 1143 à leur place logique, dans le sens horizontal, et chronologique, dans le sens vertical, les noms des hommes (artisans, artistes ou savants), qui se sont occupés de ces divers sujets ; peut-être trouverons-nous mieux l'ordre de nos secteurs. Ainsi fut fait ! Tranquillement installé à Eaux-Bonnes, en un mois je dressai une vingtaine de tableaux coordonnés. L'ordre chronologique était facile cà observer ; je n'avais qu'à chercher les noms d'hommes célèbres dans un dictionnaire d'histoire. Pour l'ordre logique, je tâtonnais, plaçant le nom à droite ou à gauche du tableau, là où il cadrait le mieux avec les noms voisins. Ces tableaux de détail éclairaient mon cercle d'ensemble, dont la clarté augmentée rejaillissait sur eux, à son tour. Mais il passait encore bien des nuages sombres sur mon ciel bleu. Hier encore, je subissais les hésitations de la dernière heure. Ce matin, me rappelant le proverbe que « le mieux, pour nager, c'est de se jeter à l'eau », je me précipite tète baissée : Aléa jacta est! Et j'ai fini, Messieurs, cette trop longue histoire. ScopiE. — Le voici donc ce travail, cet atlas de la connaissance humaine, de la classification, de la nomenclature des sciences, de l'évolution du travail matériel et intellectuel de l'homme. Permettez-moi de le faire pas- ser sous vos yeux pendant que je l'analyserai brièvement, en retraçant au tableau noir le Cercle d'ensemble, et l'un des vingt-quatre tableaux qui en forment le détail. Comme vous le voyez, le tableau circulaire se compose de neuf cercles concentriques, coupés en vingt-quatre secteurs, alternativement gris et blancs : blancs pour les sciences ontologiques, gris pour les sciences phéno- ménales. Dans ces secteurs, j'ai inscrit, à l'encre noire, le nom de tous les cours professés en France dans nos établissements d'enseignement supé- rieur. (J'en ai relevé la liste dans VAImanach national.) Les nouveaux noms que je propose y sont inscrits à l'encre rouge; on voit donc, d'un seul coup d'œil, sur ce tableau graphique, d'une part, le nom et la place des sciences, telles qu'elles sont actuellement dénommées et enseignées, en même temps que mon projet de nomenclature nouvelle et de classification. Cette deuxième partie du tableau fût-elle erronée, la première serait en- core curieuse et suggestive. Puis viennent vingt-quatre tableaux de détail, un pour chaque science principale ; ils sont tous construits sur le modèle ci-contre : 1144 PÉDAGOGIE Cadre d'un des 24 tableaux de l'évolution des Arts et Sciences. Origine de la connaissance : actes spontanés sous l'empire du besoin, travail instinatif devenant insensiblement art, puis science consciente. ^ , >^ a •a 3 •a o •m 3 D" '5) o o a 2 o a o 3 •a 3 cr ni en Premier besoin : Vivre. N» 9. Pierres. LA FAMILLE et LES PLANTES N" H. Animaux. N» 13. CA a 2 H E (S ARBKES HERBES Racines, Tronc, Branches, Feuilles. Fleurs, Fruits, Graines, Tiges, etc. Tressage. Cueillette. Bùchage. Tissage. Culture. Labourage. Élevage. EVOLUTION CIIKO.N'OLOGIQUE : a S o H CA B •M S B. tn s c H cd a> M) P C Cl V Eve (et la pomme). Noé. Isis. Osiris. Bacchus. Jardins de Babylone. etc., etc. Pierres pour écraser le grain. Fi'els des citt^-s lacustres.) 384, Aristote, 322. 23, Pline, 79. Vigne en Bourgogne. c Usage du linge. V O a 1543, premier Jardin botanique à Pise. 1530, Olivier de Serres, 1 61 î a: 1707, Linné, 1778, etc., etc. G. Ville. Engrais chimiques X Vin VI IV II 0 II IV VI VIII X XII XIV XVI XVIII XX KLEVAGB I — ARTS DE LA PLANTE : TRAVAIL DU BOIS TISSAGE CULTURE Eaux et Forêts. Sylvi. Arbori. Vili. Horti. Agri. II. — PIIOFESSIONS ET FONCTIONS 3 C B O X) -a B es cfl o c3 J= •3 J= U CQ O a E > o o 3 cr 3 a o ai E 6D 3 O ea 3 o 3 ait, en revanche, ici, beaucoup moindre. Quoiqu'il y ait, à l'ori- gine de cette impasse, une détermination volontaire de ceux qui se ré- solvent à y entrer, quoiqu'ils semblent avoir, d'après des considérations diverses consenti par avance à un arrêt de développement, et renoncé à suivre la grande route des hauts sommets, il se pourrait que des aptitudes ignorées se révélassent en chemin. Aussi, tout en se préoccupant au premier chef des outils pratiques à fournir, il conviendrait de ne pas négliger entiè- rement ce qui pourrait préparer une élite à s'élever plus haut. Mais, si, pour l'enseignement primaire supérieur, la nécessité pratique de sa création peut être plaidée, celle de l'enseignement secondaire mo- derne paraît plus difficile à justifier. On peut se demander si tout cet appareil spécial était bien nécessaire, si une nouvelle bifurcation s'imposait et si la solution du problème n'était pas plutôt dans un remaniement de l'enseignement secondaire classique consistant, en lui infusant à plus haute dose le sens pratique qui y fait défaut, à lui demander, sans rien retrancher de l'enseignement méthodique qui fait sa force, de fournir lui-môme les outils pratiques en vue desquels le nouvel enseignement secondaire a été institué. Et ne suffisait-il pas pour cela de se rappeler que tout enseignement abstrait a pour couronnement logique et, peut-on ajouter, pour auxiliaire des plus utiles, les applications concrètes qui en forment la confirmation pratique? Prenons un exemple unique, celui des langues étrangères. L'appren- tissage routinier de celles-ci dans la première enfance n'a qu'une valeur limitée. C'est de ce point de vue que nous nous sommes prononcé pour le maintien de l'enseignement syntaxique du latin et du grec, et nous jugerions puéril, avec beaucoup de bons esprits, de pousser au delà l'étude des langues mortes et d'introduire, dans les lycées classiques, le charabia latin dont on fait encore usage en certains pays. Mais, s'il est vrai que cette étude bien dirigée soit pour l'esprit la meilleure des gymnastiques, ce n'est qu'une légère surcharge — qui d'ailleurs lui est imposée déjà aujourd'hui, — que d'y adjoindre l'étude d'une ou de plu- sieurs langues vivantes. Seulement, pour ces dernières, à l'enseignement syntaxique devrait s'ajouter, ou plutôt marcher parallèlement avec lui, la pratique de la langue non pas à l'aide de thèmes écrits, mais parlée VAUTHIER. — PROGRAMME DE L ENSEIGNEMENT PUBLIC EN DÈMOCKATIE 1161 et appliquée par intermittences, pendant certaines périodes déterminées, à l'ensemble des fonctions de la vie scolaire, ainsi que cela se pratique dans quelques institutions étrangères. Loin d'être une surcharge pour le tra- vail syntaxique, ce lui serait plutôt un allégement. Si nous ne devions nous borner, nous en dirions autant de l'étude des sciences. Les applications concrètes sont bientôt saisies, quand la théorie méthodique est bien comprise. Devons-nous aller plus loin? Au-dessus de l'enseignement secondaire, ce qui reste à gravir de Té- chelle est fait pour une élite restreinte. Ce qui imprime à la mentalité de celte élite sa direction parait devoir moins intéresser la masse que ce qui se passe dans les échelons inférieurs. Il n'en est rien, car c'est dans cette élite que se recrute, et devrait se recruter plus largement encore, pour le bien du pays, le personnel dirigeant de la société. C'est la seule aristo- cratie admissible en pays démocratique. Mais elle est utile et bonne. Dans cette sphère élevée, les idées ci dessus développées paraissent applicables. La routine n'a plus ici que faire. Il est pourvu aux applica- tions pratiques par des écoles spéciales. Le seul défaut serait peut-être, dans les hautes écoles théoriques, l'École polytechnique ou l'École nor- male supérieure; les seules que nous visions, qu'on n'imprime pas à l'en- seignement un vol assez élevé et tout à fait encyclopédique. Loin de nuire à la préparation de praticiens éminents, ce qui est le but, cela ne pourrait qu'en former de meilleurs. Ces praticiens oublient, parce qu'ils le délaissent, — et peut-être font-ils bien, — le maniement spéculatif des hautes théories qu'ils ont apprises et comprises, mais sans cette intense gymnastique cérébrale, ils n'auraient pas acquis la puissance de coordi- nation des idées qui fait leur valeur. En résumé, on ne peut guère, croyons-nous, beaucoup différer sur le but que nous avons assigné à l'enseignement public en démocratie : celui de porter, par la culture qu'il donne, au plus haut degré de valeur possible le capital intellectuel du pays. . Quant au meilleur moyen à employer, est-il de constituer cet enseigne- ment à l'image d'une échelle continue que tous puissent gravir dans la mesure de leur force, tout en établissant dans cette échelle sans lin. pour obéir au.K nécessités de la pratique, des paliers de repos, et, dans chaque étape successive, d'organiser l'enseignement de façon à prépareras intelli- gences à parcourir si elles le peuvent l'étape suivante, tout en leur four- nissant, si elles ne vont pas plus haut, des outils immédiatement appli- cables aux besoins de la vie pratique? Telle est notre thèse. Elle est livrée à la discussion. On a beaucoup parlé d'enseignement intégral, sans qu'il ait jamais été 1162 PÉDAGOGIE nettement indiqué ce qu'on entendait par là. La société atteindra peut- être un état qui permette de n'être arrêté, dans la constitution de l'ensei- gnement public, par aucune nécessité pratique étrangère à la force propre de chaque intelligence, et de donner à toutes le maximum de culture qu'elles puissent comporter, ce qui ne veut pas dire que ce degré de culture sera le même pour toutes. Si c'est là ce qu'on entend par le mot intégral, il corresponde un idéal auquel nous ne répugnons pas; mais, si cet idéal peut être la vérité de demain, il n'est certainement pas celle d'aujourd'hui. Dans tous les cas d'ailleurs, notre thèse n'y contredit pas. Quelles que soient les considérations qui déterminent la situation des paliers de repos, il en faudra toujours. Ce que notre thèse exclut et combat, c'est le système des arrêts méthodiques de développement, c'est la conception, prétendue pratique, qui consiste, afin de ne pas produire de déclassés, à détacher de la grande voie de l'enseignement des branchements qui deviennent autant d'impasses pour ceux qui s'y engagent. Loin de tendre à amoin- drir les inégalités sociales, cette conception ne fait que les aggraver et accentuer encore la division en classes qui résulte de la diversité des con- ditions économiques de chacun . Les considérations qui président à la position du problème que nous avons abordé sont donc dignes des méditations les plus approfondies. L'université française s'est-elle placée en face de ce problème? Malgré la haute et incontestable valeur de ceux qui par leurs conseils ou leurs décisions dirigent sa marche, est-elle apte à le résoudre ? Il est permis d'en douter. Il y a là de difficiles recherches à faire. Elles exigent de la compétence, mais aussi une complète indépendance d'esprit. Les pouvoirs officiels paraissent plus faits pour l'application d'idées faites et contrôlées que pour les investigations, toujours hasardeuses, d'idées nouvelles. Mais si la tâche n'incombe pas nécessairement à l'université, elle est parfaitement, au contraire, du domaine naturel des grandes institutions libres qui existent en France telles que V Association polytechnique, V Asao- cialion philotechnique et enfin la grande Association qui accueille cette note. Puisse-t-elle, nonobstant ses lacunes et l'incompétence de son auteur, appeler l'attention sur un sujet d'une si haute importanee pour l'avenir du pays ! D"" JEANNEL. — LA DÉPOPULATION DES DÉPARTEMENTS MONTAGNEUX 1163 M. le F J. JEAlfIEL à Villcfranche-sur-Mer (Alpes-Mavitimes). LA DEPOPULATION DES DEPARTEMENTS MONTAGNEUX Séance du 16 septembre 1892 — L'année dernière, j'ai présenté au Congrès de Marseille un Mémoire mli- tulé : Du déboisement considéré comme cause de dépopulation et des m,oyens d'y remédier. — Arbor day américain. — Société des amis des arbres. Après avoir démontré que toutes les régions déboisées sont inhabitables et qu'un grand nombre de contrées autrefois peuplées et civilisées sont devenues stériles et inhabitées lorsque les forêts y ont été détruites, j'énu- mérais les preuves de la dépopulation dans nos départements ravagés par le déboisement. La population spécifique de la France est de 73 habitants par kilomètre carré; elle se réduit : Dans les Alpes-Maritimes, à 64 Dans les Hautes-Alpes, à 22 Dans les Basses-Alpes, à 19 Dans l'arrondissement de Puget-Théniers, à. . lo Dans l'arrondissement de Barcelonnette, à. . . 13 D'après le recensement de 1891 : 82 communes des Alpes-Maritimes ont perdu 7 0/0 depuis le recense- ment de 1886; 24 cantons des Hautes-Alpes ont perdu 6 0/0 ; 30 cantons des Basses- Alpes ont perdu o,8 0/0; 72 communes des Bouches-du-Rhône ont perdu 4,7 0/0. M. Rochard, rapporteur de la discussion sur la dépopulation, présentant à l'Académie de Médecine, le 14 avril 1891, un mémoire manuscrit, s'exprimait ainsi : 1164 HYGIÈNE ET MÉDECfiNE PUBLIQUE « Je disais, dans mon rapport, que le problème de la dépopulation avait été envisagé sous toutes ses faces, au cours de la discussion qui vient de se terminer, et je me trompais. Il en est une qui nous a échappé. C'est là le sujet du Mémoire que j'ai l'honneur de présenter à l'Académie. Il a pour titre : Du déboisement considétx comme came de dépopulation. » Ces faits n'ont pas suffi pour convaincre l'administration supérieure ni pour éclairer l'opinion publique. Dans son rapport sur le recensement de 1891, le ministre de l'Intérieur (1*=' janvier 1892), énumérant les causes présumées du ralentissement du mouvement ascensionnel de la population française ne mentionne pas le déboisement des pays montagneux. Tout récemment, le 18 juin dernier, un groupe de quinze députés a présenté à la Chambre une proposition de loi sur la restauration des terrains en montagnes ; la dépopulation causée par le déboisement n'est pas mentionnée dans l'exposé des motifs (1). Les avertissements, les prédictions des agronomes, des économistes et des ingénieurs les plus célèbres sont complètement oubliés. On ferme les yeux à cet enchaînement fatal de causes et d'effets, signalé par Surell en 1842, qui commence -par la destruction des forêts et se termine par la misère des populations, condamnant thomme à jjartager la ruine du sol qu'il a dévasté. Je me crois donc autorisé à revenir sur la question. Du reste, j'apporte des arguments nouveaux, des preuves numériques fournies par le dépouil- lement méthodique des statistiques publiées officiellement à la suite des recensements de 1886 et de I89I. Le sujet du présent Mémoire est la dépopulation qui se produit dans les trente départements les plus déboisés auxquels s'appliquent les prescrip- tions de la loi du 4 avril 1882 sur la restauration des terrains en mon- tagne. I. _ D'après le recensement de 1891, la population française a augmenté de 124.289 habitants depuis le recensement de 1886. Quelle est la part des trente départements ravagés par le déboisement dans ce résultat ? Le tableau suivant n" 1 comporte la liste de ces trente départements, et en regard les augmentations ou les diminutions de population qui y ont été constatées, en raison du rapport des naissances aux décès. (1) Voyez Examen de la proposilion de lui relative à la restaurai ion des terrains en montagne, (Bulletin-Journal de la Société d'Agriculture et de la Société des Amis des arbres; 1892; Nice; p. 210.) D"" JEANNEL. — LA DÉPOPCLATION DES DÉPARTEMENTS MONTAGNEUX. II60 TABLEAU NI. Tableau des trente départements montagneux ravagés par le dé- boisement, offrant en regard les augmentations et les diminutions de population qui y ont été constatées par le recensenxent de 1891. ^Extrait des stutisliqucs olJiciflles.) (1; l'UPLLATIOX bÉI'AUTEMENTS En Alpes (Basses- 1 124 Alpes (Hautes- 1 115 Alpes-Maritimes 2i8 Ardècbe 371 Ariège 227. Aude 317 Aveyi'ou 400, Houches-du-Rhône 630 Cantal 239 Creuse 284 Corrèzc 328 Drùtne 306 Gard 419 Garonne (Haute-) 472 Gers 261 Hérault 461 Isère 572 Loire 616 Loire (Haute-; 316 Lot 253 Lozère 135 Fuy-Je-Dôme 564. Pyrénées (Basses- 1 425 l*y rénées i Hautes- j 225 Pyrénées-Orientale* 210. -Savoie 263. Savoie (Hautes- 1 268 Tarn 346 Var 288 Vaucluse 235 TOTAU.X . Diminution proportionnelle à la population. . 0,89 0/0 Je joins à ce tableau celui dos grandes villes des départements mon- ta^neu.x où la population a augmenté depuis le recensement de 1886. isai. En 1880. ilCMEXTATIONS DIÏINCTIOXS .285 129.494 » 5.209 .522 122.924 s 7.402 ..571 238.057 20.514 1, .269 375.472 s 4.203 .491 237.619 a 10.128 .372 332.080 B 14.708 .467 415.826 » 15.359 .622 604.857 25 . 765 » .601 241.742 j> 2.141 .660 284.942 » 282 .119 326.494 1.625 a .419 314.615 }> 8.196 .388 417.099 2.289 » .383 481.169 a 8.786 .084 274.391 i> 13.307 .651 439.044 22.608 » .145 581.680 » 9.535 .227 603.384 12.843 » .735 320.063 » 3.328 .885 271.514 » 17.629 .527 141.264 » 5.7.37 .266 570.964 » 6.698 .027 4.32.999 û 7.972 .861 234.825 a 8.964 .125 211.187 » 1.062 .297 267.428 1} 4.131 .267 275.018 » 6.751 .739 358.737 » 12.018 .330 283.689 4.047 j> .411 241.787 9 6.376 9.940.752 10.030.384 90.290 179.922 90.290 Dl.MIMiTION ABSOLUE 89.632 (1) \oyez Dénombrement de la population, 1891. Imprimerie nalionalp, in-8», 1892. 1166 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE TABLEAU N" 2. CHIFFRE NOiMS de des villes l'augmentaliOii Nice 10.795 Marseille 27.606 Nîmes 1.725 Toulouse 2.174 Montpellier .... 12.493 Grenoble 7.955 Saint-Étienne ... 15.568 Clermont-FerramI. . 3.401 Pau 2.485 Toulon 7.625 Avignon 2.446 Total. . . . 94.273 CAUSES PRÉSUMÉES de l'augmentation Immigration des étrangers. Développement du commerce et de l'industrie. Commerce des vins, industrie. Commerce, établissements scientifiques. Commerce des vins, établissements scientifiques. Prospérité industrielle. Prospérité industrielle. Industrie. Station hivernale renommée. Progrès des établissements maritimes. Progrès industriels. Ce tableau démontre que les augmentations de population constatées dans les grandes villes des trente départements dévastés par le déboise- ment masquent en partie les diminutions survenues dans les communes rurales. Discussion. — L'augmentation totale de la population française de 1886 à 1891 a été seulement de 124.289, d'après les tableaux officiels du recensement. Ce chiffre repré.sente pour les quatre-vingt-sept départements une augmentation moyenne de 1.428 habitants : 124.289 87~ 1.428. Si les trente départements en question ne se trouvaient pas dans des conditions exceptionnellement défavorables, ils auraient contribué à l'aug- mentation de la population pour 1.428X30, soit pour 42.828. Or, le recensement démontre, bien au contraire, que dans ces trente départe- ments la population a diminué dans une proportion considérable. La diminution totale dans ces trente départements s'élève à 89.632, com- pensation faite des augmentations uniquement dues aux grandes villes de quelques-uns d'entre eux. En effet, le chiffre total des diminutions s'élevant à. . . . 179.922 et celui des augmentations à 9Q • ^90 la différence 89.632 exprime la perte absolue qu'ils ont subie. Cette perte est en moyenne pour chacun d'eux, de 2.988 : 89.632 30 2.988. D"^ JEANNEL. — LA DÉPOPULATION' DES DÉPARTEMENTS MONTAGNEUX 116" On voit par là que si les quatre-vingt-sept départements avaient pré- senté le même résultat que les trente départements déboisés, une dimi- nution de 239. 9oG eût remplacé l'augmentation de 124.289 indiquée par le recensement : 2.988 X 87 = 2o9.9o6. L'écart entre ces trente départements et les cinquante-sept autres est donc exprimé par le chiffre moyen 1 .428 qu'ils auraient dû gagner, plus le chiffre moyen 2.988 qu'ils ont perdu : 1 . 428 -|- 2 . 988 =^ 4.41G; soit au total 4.416 X 30 = 132.480. Mais ce n'est pas tout : lorsque l'on se borne à inscrire en bloc les résultats du dénombrement par département, les augmentations de popu- lation qui se sont manifestées dans les grandes villes, et qui s'élèvent au chiffre de 94.273, masquent les diminutions qui se sont produites dans les communes rurales. La diminution dans les communes rurales se trouve donc tout simple- ment exprimée par le total formé sans opérer la soustraction des augmen- tations constatées dans les grandes villes. La diminution a donc été réellement, dans les communes rurales des trente départements en question, de 179.922 habitants, selon le total figurant au tableau ci-dessus n" 1, soit en moyenne 5.998 : '-^ == .5.988. En résumé, la population totale de ces trente départements était, en 1886, de 10.030.384; la diminution ab.solue, c'est-à-dire malgré l'aug- mentation dans les grandes villes, a été de 89.622, soit de 0,89 0/0; Et la diminution, calculée sans tenir compte des augmentations dans les grandes villes, a été de 179.922, soit de 1,79 0/0. La population totale des cinquante-sept départements où le reboisement n'est pas considéré comme urgent est de 28.188.519 habitants. Ces cinquante-sept départements ont fourni la totalité de l'augmentation de la population française constatée par le recensement de 1891, soit 124.289, et, de plus, ils ont comblé le déficit constaté dans les trente départements déboisés, soit 89.632. Le total 124.289 + 89.632 ::-- 213.921 exprime donc l'augmentation de population dans les cinquante-sept départements où le reboisement n'est pas considéré comme urgent, et, proportionnellement à la population de ces cinquante-sept départements, l'augmentation a été de 0,75 0/0. Ainsi, d'une part, diminution 0,89 0/0; Et, d'autre part, augmentation 0,75 0/0. De même qu'il est facile de constater l'existence des épidémies, d'en mesurer l'intensité et d'en découvrir les causes par la statistique, de même HG8 HYGIÈNE ET MEDECINE PUBLIQUE il est facile de découvrir et de mesurer par les recensements de la popula- tion la désastreuse influence du déboisement. Dix-sept départements sont sifinalés comme réclamant des travaux de reboisement d'utilité publique obligatoires, fet treize départements des tra- vaux facultatifs subventionnés, en exécution de la loi précitée du 4 avril 1882. C'est là précisément que la dépopulation se prononce avec la plus déplorable intensité. Certes, le déboisement n'est pas l'unique facteur, mais il est assurément l'un des facteurs les plus évidents de la dépopu- lation. Nous pouvons même en mesurer à peu près exactement l'influence par le classement des trente départements les plus déboisés. C'est ce que réalise le tableau suivant n° 3 : TABLEAU N° 3. Tableau des trente départements les plus déboisés, classés selon les diminutions ou les augmentations de population qu'ils ont présen- tées, d'après le recensement de 1891, depuis le recensement de 1868. POPULATION DÉPARTEMENTS m 18*5 Lot ~ 271.514 Aveyroii 415.826 Aude 332.080 Gers 274.391 Tarn 358.757 Ariège 237.619 Isère 581.680 Hautes Pyrénées 234.825 Haule-Garonne 481.169 Drome 314.615 Basses-Pyrénées 432.999 Hautes-Alpes 132.924 Haute-Savoie 275.018 Puy-de-Dôme 570.964 Vaucluse 241.787 Lozère 141.264 Basses-Alpes 129.494 Ardéche 375.472 Savoie 267.428 Haute- Loire 320.063 Cantal • 241.742 Pyrénées-Orientales 211.187 Creuse 284.660 Corrèzc 326. 49i Gard 417.099 Var 283.689 Loire 603.384 Alpes-Maritimes . 238.057 Hérault 439.044 Bouches-du-Rhùnc 604.857 Totaux 10. 030 .384 Report des augmentations. . . . Diminution absolue DIMINUTIONS CONSTATEES on 1891 Absolues Pour 100 AUGMENT.iTIONS 17.629 6,4 » 15.352 3,6 0 14.708 4,4 •' 14.307 4,9 i> 12.038 3,3 » 10.128 4,2 » 9.5.35 1,6 tf 8.964 1,1 à 8.786 1,8 l» 8.196 2,6 » 7.972 1,8 » 7.402 6,2 » 6.751 2,4 » 6.698 1,1 » 6. .376 2,6 J) 5.737 4,0 >l 5.209 4,0 u 4.203 1,1 tt 4.131 1,5 » 3.328 1,0 »• 2.141 0,89 » 1.062 0,3 » 282 0.09 i) » i> 1.625 » » 2.289 » » 4.647 » » 12.843 il » 20.514 » a 22.607 a » 25.765 179.922 y> 90.290 90.290 89.632 U' JEANNEL. — LA DÉPOPULATION DES DÉPARTEMENTS MONTAGNEUX 1169 II. — Le recensement de 4886 concorde avec celui de 1891 et confirme pleinement les conclusions qu'on peut tirer quant à l'influence du dé- boisement sur la dépopulation. Le tableau suivant n" 4 offre comparativement les augmentations et les diminutions de population dans les trente départements où le reboise- ment est officiellement considéré comme urgent. TABLEAU N" 4. Tableau des augmentations et des diminutions de population'consta- tées dans les trente départements ravagés par le déboisement, d'après le recensement de 1886. (Exirail des statistiqties ofjicielles.) DÉPARTEMENTS AUGMENTATIONS DIMINLITON? Alpes (Basses-) » 2.42't Alpes (Hautes-) 1.137 » Alpes-Maritimes. 11.436 » Ardèclie » 1.395 Ariège » 2.982 Aude. 4.138 Aveyion 751 » Bouches-du-RliOne 15.839 » Cantal 5.552 » Corrèze 9.'r28 » Creuse 6.160 » Drôme 852 » Gard 1.470 » Garonne (Haute-) 3.160 » Gers » 7.141 Hérault « 2.483 Isère 1.409 » Loire 3.548 » Loire (Haute-) 3.602 » Lot » 8.755 Lozère » 2.301 Puy-de-Dôme 4.900 « Pyrénées (Basses-^ » 1.367 Pyrénées (Hautes-) » 1.649 Pyrénées-Orientales 2.339 « Savoie 990 » Savoie (Haute-) 931 •> Tarn » 436 Var » 4.888 Vaucluse » 2.302 Total des augmentations. . . 77.635 Total des diminutions . . . . 38.183 Augmentation absolue. . . . 39.452 défalcation faite des diminutions. == Totaux 77.635 38.183 74* 1170 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE Discussion. — Le dénombrement de 1886 a constaté une augmentation totale de la population française s'élevant au chiffre de 546. 800. Cette augmentation, répartie entre les quatre-vingt-sept départements, donne une moyenne de 6.283 : ^«■«^^ = 6.283. 87 Si les trente départements en question ne se trouvaient pas dans des conditions exceptionnellement défavorables, ils auraient contribué à l'aug- mentation de la population pour 6.283 >< 30, soit pour 188.490. Or, le recencement démontre qu'ils n'ont apporté à l'augmentation que le chiffre de 39.452, soit chacun d'eux en moyenne 1.315 : 39 «2 ^ 1.313. 30 On voit par là que si les quatre-vingt-sept départements avaient pré- senté le même résultat que les trente départements déboisés, l'augmenta- tion de la population n'eût été que de 114.405. Les cinquante-sept autres départements ont contribué à l'augmentation pour 546.855 — 39.452, soit pour 507.403, et en moyenne pour 8.901. L'écart moyen entre les deux catégories de départements est donc de 8 901 _ 1.315 = 7.586, et l'écart total est représenté par 7.586 X 30 = 227.580. En résumé, les trente départements qui auraient dû contribuer à l'aug- mentation proportionnelle à leur nombre (30 : 87) pour 34,45 0/0 n'y ont contribué que pour 7,3 0/0, et les cinquante-sept qui n'auraient dû contribuer à l'augmentation proportionnelle à leur nombre que pour 6o,55 0/0 (57 : 87) y ont contribué pour 92,7 0/0. Proportionnellement à la population l'augmentation dans les trente départements n'a été que de 0,38 0/0 ; dans les cinquante-sept l'augmen- tation a été de 1,8 0/0. L'augmentation a donc été cinq fois plus forte dans les cinquante-sept départements non déboisés que dans les trente départements déboisés. Il est donc évident que le mouvement ascensionnel de la population a été beaucoup moindre dans les trente départements déboisés que dans ceux où le reboisement n'est pas considéré comme urgent. Il est encore légitime de faire observer que l'écart entre les uns et les autres serait bien plus grand si l'on défalquait l'accroissement des grandes villes pour ne considérer que le mouvement de la population dans les communes rurales. |-. lilTTEU. — DE LA .MYOPIE PLUS FRÉQUENTE AUJOUHd'iIUF 1171 CONCLUSIONS 1° Le déboisement est une cause puissante de dépopulation, dont il est possible de mesurer l'effet par la statistique démographique. 2" Les recensements de 1886 et de 18!)1 donnent le moyen de démon- trer que les crédits affectés au reboisement sont insuffisants, et que la loi du 4 avril 1882 sur la restauration et la conservation des terrains en montagne, telle qu'elle est appliquée, ne suffît pas à prévenir la dépopu- lation causée par le déboisement. S** En présence d'un danger qui menace la puissance même et la vita- lité de la France, il y a lieu de recommander la Société des Amis des arbres, institution analogue à VArbor day américain, qui intéresse tous les citoyens à la protection et à la multiplication des arbres fl). M. F. EITTEE, Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées en retraite, à Pau. DE LA MYOPIE PLUS FRÉJUENTE AUJOURD'HUI — Séance du 17 septembre I89i — Depuis une quarantaine d'années, le nombre des myopes a sensible- ment augmenté en France et ce fait a été signalé plus d'une fois, aux Facultés de médecine, invitées à en chercher la cause et à indiquer les moyens d'y porter remède; mais, jusqu'à ce jour on n'est arrivé à aucun résultat décisif, si j'en juge par quelques communications tombées par hasard sous mes yeux. Je ne suis pas médecin, mais je suis myope, et ce défaut de la vue a eu pour moi, comme pour beaucoup d'autres, assez d'inconvénients pour attirer mon attention et exciter ma curiosité. Ma place est dans une autre Section du Congrès, et j'ai longtemps hésité à vous demander ([uelques moments d'attention; mais je suis myope et ma (\) chaque sociétaire s'engage à payer une cotisation annuelle de 2 francs, à planter ou à faire planter chaque année au moins un arbre et à protéger les plantations d'arbres fruitiers uu fores- tiers partout où elles existent Le siège de la Société est à Nice, place Garibuldi, n° ii. ^1-^2 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE mvopie doit excuser ma témérité. Loin de moi la pensée de faire une excursion dans le domaine de la physiologie ; je resterai dans celui des faits dont l'observation m'a conduit à attribuer la cause de la plus grande fréauence de la myopie principalement à un surmenage particulier de l'œil, pendant les études dans les écoles des différents degrés. La vision est le résultat de phénomènes complexes ayant pour effet de disposer à chaque instant la rétine au fond de Toeil, de manière à recevoir à sa surface l'impression distincte des images lumineuses des objets dans un rayon plus ou moins étendu. Si le sommet des faisceaux lumineux émanés de ces objets toinbe en avant de la rétine, le dc'faut de netteté des images constitue la myopie. Cependant l'œil n'est pas un organe ^ rigide • il est disposé k ramener instantanément et continuellement le sommet des faisceaux lumineux sur la rétine par la propriété qu'il possède de s'accommoder de manière à rendre la vue distincte. Comment s'opère ce phénomène ? Il est plus que probable que les nerfs et les muscles qui commandent l'œil concourent tous à le produire : la dilatation et la con- traction de la pupille, celles de l'enveloppe du cristallin en augmentant ou diminuant la densité de l'humeur aqueuse et la courbure de la cornée. Les modifications de la densité et de la courbure du cristallin, delà densité de l'humeur vitrée, de la courbure de son enveloppe, telles sont les opé- ration» complexes du phénomène de l'accommodation de l'œil à la vision distincte . Des dispositions, apportées en naissant , de quelques parties de l'organe visuel qui empêchent ou gênent l'une ou quelques-unes de ces opérations constituent la myopie congénitale ou les prédispositions à la myopie, et la multiplicité de ces causes explique pourquoi la médecine a, jusqu'à ce jour, et sera probablement toujours impuissante à la combattre et à la guérir. L'œil, chez chaque individu, a une forme et une constitution normales; après s'être accommodé pour voir un objet hors de sa portée normale, il revient, en vertu de son admirable élasticité, à son état normal. Mais, comme tout organe naturel ou artificiel doué d'un état normal d'équilibre auquel il revient en vertu de son élasticité, s'il est dérangé au delà des limites de cette élasticité, ou s'il est maintenu trop longtemps et trop fré- quemment en dehors de son état d'équilibre normal, il perd son élasticité et reste accommodé à l'état anormal qu'on lui impose; c'est ainsi que, par diverses causes, l'œil perd son équilibre normal et reste accommodé à l'état anormal qui constitue la myopie. Ces causes sont assez nombreuses, mais la première que je vais signaler est pour moi la cause prépondérante de la myopie plus fréquente de nos jours, et pour me servir d'une expression devenue à la mode, cette cause est le surmenage de l'organe visuel. Les personnes qui, comme moi , peuvent reporter leurs observations à F. RITTER. — DE L\ MYOPIE PLUS FRÉQUENTE AUJOURD'HUI 11 "3 plus de cinqiiaate ans en arrière peuvent se rappeler que, du temps de leur jeunesse, on remarquait parmi les jeunes gens ceux qui portaient lunettes : c'étaient les élèves de l'École polytechnique et ceux qui se pré- paraient à cette école. On s'occupait alors de phrénologie et quelques-uns prétendaient que les facultés m.athématiques étaient localisées dans le globe de l'œil et caractérisées par son bombement ; mais je n'ai jamais constaté que, ni moi ni mes camarades, nous avions le globe de l'œil plus bombé que les autres jeunes gens de notre âge. Le bombement exagéré de l'œil est une cause de myopie, mais on peut l'observer sur des personnes n'ayant pas les moindres aptitudes pour les mathématiques. Par la spécialisation de leurs études, la partie de la jeunesse dont je parle recevait et reçoit encore la partie la plus importante de son enseigne- ment au moyen du tableau noir; les élèves éloignés du tableau, pour suivre la démonstration, étaient et sont encore constamment obligés d'ac- commoder leur œil à la vision au delà de la distance normale de la vue distincte; cette nécessité, presque habituelle dans des conditions anormales de vision, détruit son élasticité et modifie les conditions normales de l'or- gane visuel. Plus tard, on voit un plus grand nombre déjeunes gens porter lunettes; la mode même s'en mêle, et l'on voit les jeunes gandins garnir leur œil d'un verre souvent parfaitement plan et s'astreindre à une contraction grimaçante qui, pour quelques-uns, conduit à la dégradation de l'organe et à la myopie. Enfin aujourd'hui ce ne sont plus seulement les élèves des lycées et les étudiants en plus grand nombre qui portent lunettes, mais les jeunes filles revenant des cours ou élèves des lycées qui sont obligées de porter lunettes, et plus tard, pour ne pas conserver sur le nez cet appen- dice disgracieux, de le remplacer par le binocle qui souvent prend place à côté de l'éventail. Si maintenant on se reporte aux progrès apportés à l'art de l'enseigne- ment, on reconnaît que peu à peu l'usage du tableau noir, réservé jadis au seul enseignement des mathématiques, s'est successivement étendu aux autres branches de l'enseignement: grammaire, géographie, musique, etc., et, peu à peu, et parallèlement a pénétré ce que j'appellerai renseignement mural au moyen de tableaux de toutes sortes et notamment de cartes de géographie murales. Dans ces conditions, est-il étonnant que l'œil, dès l'enfance, constamment obligé de s'accommoder en dehors des limites de la vision normale, perde son élasticité, et, persistant dans des conditions anormales , devienne myope? L'emploi du tableau noir étendu à toutes les branches de l'enseigne- ment primaire et secondaire et l'usage des cartes murales et tableaux analogues: c'est, à mes yeux, la principale cause qui rend myopes un cer- 1 174 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE tain nombre d'élèves, chez lesquels la myopie n'était pas congénitale. A cette cause i>répondérante j'en ajouterai quelques autres secondaires. Lorsque, à l'entrée de la soirée, les élèves sont à Tétude, ou s'ils travail- lent chez eux, si l'on n'a pas soin de supprimer par un éclairage conve- nable cette demi-obscurité, leur œil, pour lire et écrire dans ces condi- tions, est obligé, de s'accommoder à cette demi-obscurité comme il était obligé de le faire pour s'accommoder à la distance trop grande. Sans m'arrêter à des causes plus secondaires encore, comme par exemple la mauvaise impression de certains ouvrages en usage dans les écoles, j'ajouterai que la myopie est encore aggravée et souvent produite par l'usage de lunettes ou de lorgnons fabriqués avec des verres de mauvaise qualité, mal calibrés, n'ayant pas une courbure régulière, vendus à bas prix dans les bazars, les étalages ambulants, par les colporteurs, alors que les conseils d'un opticien ne sont pas de trop pour le choix judicieux de verres convenables et ne présentant aucun danger pour la conser- vation de la vue. Comment remédier aux funestes effets des causes que je viens de signaler? Supprimer l'emploi trop fréquent du tableau dans l'enseignement, il ne faut pas y songer ; mais on pourrait donner, dans les classes, des places plus ou moins rapprochées du tableau aux élèves, suivant la portée de leur vue, établie par un classement rationnel. Il suffirait, pour cela, de faire approcher graduellement chaque élève d'un carton portant, im- primée en caractères de huit à dix millimètres de hauteur, une phrase, et de mesurer avec une roulette à quelle distance il peut la lire distinc- tement. Veiller rigoureusement à ce que, dans les classes et les études, l'éclairage artificiel prévienne la demi-obscurité, de manière que les élèves ne soient pas obligés de lire et d'écrire dans un espace insuffi- samment éclairé. Diriger et conseiller les élèves dans le choix des lunettes et des lorgnons en s'adressant à un opticien et non à des marchands d'objets quelconques dont les lorgnons et les lunettes sont aussi funestes à la vue que les liqueurs malfaisantes des cabarets à la santé des consommateurs; car, réglementer la vente des lunettes, il ne faut pas y songer. IV 11. HENROT, — SUR LES VIANDES LIVRÉES A LA CONSOMMATION iiTio M. le L' H. HEIROT Maire de Reims. DE LA NÉCESSITÉ D'ÉTABLIR UNE SURVEILLANCE ADMINISTRATIVE SUR LES VIANDES LIVRÉES A LA CONSOMMATION — Séance du il septembre iS92 — , Depuis quelques années, on attache avec beaucoup de raison, une grande importance à la destruction des microbes ou des bacilles dans les eaux de boisson et dans les déjections ; les nombreux faits de transmission de fièvre typhoïde ou de choléra par ces agents justifient ces précautions. Pour les aliments, et particulièrement pour le lait et pour les viandes, la question est beaucoup moins avancée, et cependant il est certain que le lait et les viandes peuvent transmettre des maladies bacillaires. .Nous avons présent à la mémoire le fait d'un enfant parfaitement bien portant, appartenant à une nombreuse famille où les ascendants, les frères et les sœurs étaient dans les meilleures conditions de santé, qui fut placé à la campai;ne où il prenait le lait d'une vache. Au bout de quelques se- maines cet enfant mourut tuberculeux, peu de temps après on constatait que la vache qui l'avait nourri était tuberculeuse ; il y aurait donc lieu d'exercer une surveillance spéciale sur les vacheries. Pour les viandes les faits de contagion sont plus difficiles à démontrer parce fju'un même individu ne se nourrit pas indéfiniment de la viande du même animal, mais il est évident et le fait a été démontré expérimenta- lement que la tuberculose peut se transmettre des animaux à l'homme. En présence de ces faits on peut se demander si l'augmentation continue de la mortalité par la tuberculose dans les grandes villes, lient seulement à la transmission de l'homme à l'homme, ou si, dans une mesure, il ne faudrait pas faire entrer la transmission des animaux à l'homme par des viandes altérées. Sans pouvoir apporter une démonstration certaine, il semble que cette transmission est tellement vraisemblable, qu'en présence de la plus effrayante maladie des temps moderne?, de celle qui fait incontes- 'tablement le plus de victimes, il y ait lieu d'étudier tous les moyens d'en arrêter la propagation. Dans les abattoirs placés sous la surveillance d'un vétérinaire directeur, tous les animaux sont examinés vivants lors de leur entré, toutes les viandes 11 '6 HYG1È>E ET MÉDECINE PUBLIQUE qui en proviennent sont ensuite soumises à une nouvelle inspection, la garantie semble donc aussi complète que possible. Les viandes foraines qui pénètrent en ville par morceaux sont sou- mises à une inspection spéciale et estampillées ; dans ce cas il manque un élément de diagnostic important, l'examen de l'animal vivant; il y a cependant encore un contrôle. Pour les tueries particulières, au contraire, aucune surveillance n'est exer- cée, tous les animaux, dont la réception à un abattoir serait douteuse sont dirigés vers ces tueries; il doit y avoir par conséquent des quantités consi- dérables de viandes provenant d'animaux malades, qui sont livrées dans de mauvaises conditions à la consommation des campagnes ou à celle des 'villes sous le titre de viandes foraines. Étant donné l'intérêt considérable que les bouchers ont à tirer parti des animaux qu'ils achètent, et la perte complète qu'ils subissent quand un animal est saisi, il est de toute évidence qu'à moins que la bète ne soit absolument malade, ces industriels feront tous leurs efforts pour ne pas éprouver la perte complète de leurs animaux. Ces manœuvres sont si développées que non seulement il faut s'efforcer de saisir les viandes altérées, mais que l'administration doit encore sur- veiller leur destruction, pour éviter toutes ces transformations suspectes en saucissons ou en fromages d'Italie. Dans une précédente communication, M. Hcnrot s'est efforcé de dé- montrer quil y avait lieu d'exercer une surveillance administrative jus- qu'à destruction complète des viandes saisies. Tout dernièrement encore on se contentait de les dénaturer en y jetant quelques gouttes de pétrole et en les mettant au fumier, mais certains morceaux pouvaient être retirés et après une ébuUition spéciale être transformés en aliment de qualité inférieure pour les pauvres. M. Henrot avait songé à détruire ces viandes dans une sorte d'appareil crématoire, mais l'installation en était excessivement coûteuse; l'acide sulfurique pur avait aussi ses inconvénients. Le procédé employé aux abattoirs de Reims est simple, rapide et économique, il consiste dans l'emploi simultané de la vapeur d'eau et de l'eau acidulée avec l'acide sulfurique; en une heure un bœuf peut être détruit et réduit après qu'on a séparé la graisse en une sorte de pulpe qui constitue un excellent engrais. On le voit, malgré la surveillance exercée sur les bêtes vivantes, sur les viandes et sur les matières saisies, la sécurité est illusoire pour les habi- tants des campagnes, elle n'est pas absolument certaine pour les habitants des villes. Comment pourrait-on remédier à ces dangers ? c'est le dernier point que M. Henrot voudrait toucher. Il y aurait lieu tout d'abord de multiplier les abattoirs municipaux L.-L. VAiriHIER. — COUP d'oEIL RAPIDE SUR l'aSSAIMSSEME.NT DE PARIS H77 et de les imposer aux villes ayant par exemple plus de 2.000 habitants; il faudrait aussi encourager le groupement de plusieurs petites com- munes voisines pour organiser un abattoir commun, qui serait surveillé par un vétérinaire. E y aurait lieu d'interdire l'établissement de tueries particulières dans un rayon à déterminer des abattoirs municipaux, car on sait par expé- rience que la plupart des tueries installées dans le voisinage des abat- toirs sont destinées, le plus souvent, à recevoir les bêtes malades ou d'une maigreur excessive qui eussent été saisies à l'établissement muni- cipal. Il serait entendu que les viandes sortant de l'abattoir et destinées à être consommées en dehors de la ville ne payeraient pas de droit d'octroi, et qu'elles ne supporteraient qu'une simple taxe d'abatage et un droit d'ins- pection . Enfin toutes les tueries particulières installées loin des centres d'habi- tation devraient être l'objet d'une surveillance exercée par un vétt'-rinaire rétribué pour ce service spécial par l'administration. M. Henrot pense qu'une réglementation générale de tous ces services s'impose, pour assurer à chaque citoyen l'usage de viandes saines; il est convaincu qu'un certain nombre de maladies dites de misère , et de maladies bacillaires pourraient être évitées par une surveillance effi- cace et attentive de tous les aliments d'origine animale. M. L.-L. VATJTHIEE Ancien Ingénieur des Ponts et Chaussées, ;i Paris. COUP D'ŒIL RAPIDE SUR L'ASSAINISSEMENT DE PARIS — Séance du 19 septembre iS9i — La masse énorme de déjections et détritus de toutes natures (pi'en- o-endre incessamment la nutrition de Paris se partage, quant à l'opéra- tion- générale de l'assainissement ayant pour but de l'en débarrasser, en trois catégories distinctes, que différencie surtout le mode d'enlevage qui y est appliqué. 1178 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE Lu première comprend les ordures ménagères qui, réglementairement, se déposent, le soir, sur la voie publique, dans des récipients dont le contenu est enlevé, le matin, par des tombereaux. La seconde se rapporte aux matières excrémenlllielles, presque exclu- sivement reçues, jusqu'à une époque rapprochée, dans des fosses fixes vidées périodiquement. La troisième enfin embrasse une série de déjections diverses, dont les eaux ménagères, provenant de l'habitation, forment l'élément principal, auqu(4 s'ajoutent les eaux résiduaires produites par les industries exercées dans l'enceinte de Paris, et les souillures de toutes sortes que déposent ou rejettent sur la voie publique l'homme et les animaux à son service ou a son usage. C'est particulièrement, pour l'entraînement hors la ville, avec l'eau pour véhicule, des déjections de cette dernière catégorie, qu'ont été originai- rement créés les égouts; et les trois catégories contiennent, en proportion plus ou moins forte, des produits organiques, aussi nombreux que variés, hygiéniquement nuisibles dès les premiers moments, ou qui le deviennent après un certain temps de repos et de fermentation. Nous ne nous occuperons pas ici, néanmoins, de ceux de ces produits que peuvent contenir les ordures ménagères qui, envisagées au point de vue de leur utilisation agricole, ont reçu, dans l'argot maraîcher de la banlieue de Paris, hi nom de gadoue. Quoique le transport de ces gadoues ait récemment soulevé dans certaines communes suburbaines des incidents qui, s'ils se renouvelaient, complique- raient singulièrement le problème de l'assainissement parisien, et quoique le mode d'enlèvement suivi ne manque pas — il faut l'avouer — d'une certaine couleur de barbarie quasi mérovingienne, peu en rapport avec ce qu'on appelle les progrès de la science, nous laisserons entièrement de côté les ordures ménagères, pour ne nous occuper que des deux autres catégories de déjections. Avec celles-ci seules, la tâche de l'assainissement est déjà fort lourde. Parmi les éléments insalubres contenus dans les déjections excrémen- titielles et dans la catégorie comprenant les enux ménagères, ce qui domine, (,'n général, quantitativement et appelle, plus fortement, l'atten- tion, c'est l'azote engagé dans des produits organiques, soit qu'il y préexiste ou s'y développe par la fermentation. D'après cela, obligé dans cet exposé rapide, de nous borner aux points essentiels, c'est par le dosage en azote — ainsi qu'on le fait d'ailleurs d'ordinaire — que nous cai'actériserons le degré de souillure des matières dont les opérations de l'assainissement ont pour objet de débarrasser Paris. Faisons à ce point de vue le bilan de la situation. . L.-L. VALTHIER. — COLP d'oKIL RAPIDE SUR (.ASSAINISSEMENT DE PARIS 1 I 79 Quant aux matières excivmentitielles, on admet, d'après les observa- tions et recherches considérées aujourd'hui comme les plus certaines, qu'elles contiennent, en moyenne, par individu et par jour, une quantilé d'azote de lls-'Sl, disons 12 grammes, dont près de 89 0/0 engagés dans les li(iuides, et un peu plus de 11 0/0 dans les solides. D'autre part, d'observations pratiques remontant à un grand nombre d'années, sur le dosage des eaux d'égout de Paris, on déduit, en élimi- nant des résultats récents la part d'azote excrémentitiel provenant des appareils diviseurs de diverses sortes, et du tout à l'égout naissant, (jue la totalité d'azote provenant des eaux ménagères, des eaux industrielles et des souillures de la voie publique, rapporté au chiffre de la population, correspond à une production moyenne de 5 grammes par tête et par jour. Paris est donc, avec sa population de 2.400.000 habitants — les ordures ménagères laissées de côté — un colossal producteur d'azote, pour un chiffre total de 40.800 kilogrammes par jour, dont 28.800 kilogrammes contenus dans les matières de vidange, et 12.000 kilogrammes dans l'en- semble de toutes les eaux-vannes étrangères aux excréments. Voilà ce dont il faut, quotidiennement, débarrasser Paris, dans le» conditions les plus favorables à la santé de ses habitants, sans nuire à celle de ses voisins. L'opération est vaste et difllcile. Le passé ne s'en occupait guère, et surtout était bien loin de se poser le problème dans sa généralité synthétique. Sans remonter bien haut, il y avait la voirie de Montfaucon. Quelques égouts, la plupart découverts, drainaient la ville. La Seine les recevait. C'était elle le grand exutoire. Mais Paris était moins peuplé. La banlieue surtout l'était beaucoup moins. Puis, l'hygiène n'était pas née, la presse non plus. Tout allait, tant bien que mal, cahin-caha, avec, de temps en temps, quelques petites épidémies à la clef. Montfaucon a disparu. Bondy l'a remplacé vers la vingtième année de ce siècle. Les progrès de la chimie avaient montré que l'exploitation des vidanges pouvait être une industrie lucrative. Des voiries particulières se formèrent, et bientôt, dans ces établissements, comme à Bondy, qui n'était là que comme en cas, se fabriquèrent pour les besoins de l'agriculture, le sulfate d'ammoniaque, la poudrette et autres engrais artifu-iels de com- positions diverses. Telle était la situation, reprochable par beaucoup de côtés, quand, il y a une quarantaire d'années, fut commencée la vaste opération consistant à débarrasser la Seine, dans la traversée de Paris, de la souillure des égouts. Par les collecteurs de Clichy d'une part, de Saint-Denis de l'autre, on créa de nouveaux émissaires aux eaux polluées. Paris lui-môme béné- H80 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLigiE fîciait du changement, non la Seine. En concentrant Jes eaux polluées sur deux points rapprochés, si l'on n'augmentait pas la souillure du fleuve, on ne la diminuait pas non plus. Le mal n'était que déplacé et deve- nait même plus apparent. Rien n'était obtenu en somme pour l'assainisse- ment envisagé dans son ensemble. C'est alors que, sous l'influence des études faites et à l'image des travaux réalisés à l'étranger, notamment eu Angleterre, la ville de Paris engagea la tentative de Gennevilliers. Les faits avaient montré ailleurs, des études locales, méthodiquement instituées ici, sur échelle réduite, confirmèrent les deux points suivants : le premier, que, par la filtration à travers une couche suffisamment épaisse de terrain perméable, avec le concours de drainages au besoin, on pouvait épurer ù haute dose — l'azote organique se minéralisant dans le trajet à travers le sol — les eaux polluées des égouts de Paris, de façon à les rendre parfaitement limpides et dégagées de principes insalubres; le second, que ces mêmes eaux d'égout, répandues par irrigation sur le sol cultivé, avaient en outre la propriété d'activer puissamment la végétation, surtout celle de certaines plantes, sans nuire, mém(^ à très haute dose, ;i l'i'tat sanitaire des territoires irrigués. Avec le concours spontané de la culture privée, à laquelle était livrée gratuitement l'eau fertilisante, la tentative de Gennevilliers prit de l'as- siette, et put être bientôt considérée comme le point de départ et le modèle d'une opération édilitaire pouvant jouer, dans l'assainissement de Paris, un rôle des plus importants et des plus utiles. Le problème semblait en principe résolu, et la seule difficulté paraissait être de trouver, avec ou sans l'aide de la propriété agricole, des surfaces de terrain assez étendues pour l'utilisation ou, du moins la purification de la totalité des eaux, sans dépasser, pour le répandage, de sages limites que l'expérience avait déjà permis de fixer approximativement. Entre temps, où en était la question de l'assainissement urbain en ce qui se rapporte aux matières excrémentitielles? Avec quelques défauts plus graves, tenant à l'absence de perfectionnements récemment réalisés et qui ont été longs à introduire, la question en était au point dont on peut juger par ce qui se passe aujourd'hui ; car, nonobstant les clameurs poussées contre le tout à Végout, celui-ci n"a pris encore qu'un dévelop- pement extrêmement faible. C'était et c'est encore, avec coulage clandestin d'une partie des liquides à l'égout, le vidage nocturne des fosses, encombrant la rue et empuantissant l'air d'engins sordides, sauf cette différence qu'au lieu d'appareils méca- niques attirant rapidement les matières dans les tonnes de transport, c'est au moyen de mauvaises pompes à bras qu'on les y refoulait alors lente- ment et bruyamment. C'était et c'est encore le transport de ces matières au dehors, soit par L.-L. VAUTHIKK. ■ — COUP DUEIL U.VPIDE SUll l'aSSAIMSSEME.NÏ DE PAIUS 1181 les lourds tombereaux mêmes portant les tonnes, soit par la Seine et les canaux, après transbordement en bateau sur les ports, le surplus allant se vider, pour être reibulù vers Bondy, au dépotoir municipal de la Vil- lette. C étaient et ce sont encore les voiries suburbaines versant, dans l'atmos- phère, par leurs hautes cheminées, des torrents de fumée acre, dans la Seine, par leurs aqueducs, des eaux résiduaires toujours trop chargées, malgré toutes les surveillances, et, autour d'elles, de nuit comme de jour, par toutes leurs ouvertures, des effluves nauséabondes. C'était enfin, avec ses immenses bassins de réception à l'air libre, la dé- plorable voirie de Bondy, usine municipale, où l'on espérait, comme d'une ferme, tirer des millions de l'exploitation de cette matière plus précieuse, disent les Chinois, que l'or jaune, et qui, sous ce rapport, n'a été qu'une source de déconvenues et d'échecs. Soit dans la main d'adjudicataires qui, quelques-uns, y ont fait des profits, oii les autres se sont ruinés, soit sous le régime d'exploitation directe par la Ville, la voirie de Bondy, en tant qu'organe d'assainissement, n'a jamais été qu'un immense cloaque, insuffisant encore à recevoir toutes les eaux-vannes qui y étaient destinées, et dont une fraction, quelquefois considérable, s'écoulait aussi clandesti- nement que forcément à la Seine. Dans cette situation, en s'appuyant d'autre part sur les faits acquis, il est tout naturel qu'on ait conçu, comme méthode rationnelle d'assai- nissement urbain, un système comprenant méthodiquement les trois opé- rations échelonnées suivantes : projection totale, sans exception, des matières excrémentitielles à l'égout, qui reçoit forcément déjà les autres déjections dont nous avons parlé ; entraînement immédiat du tout hors la ville, à l'aide d'un volume d'eau suffisant; enfin purification, également immé- diate, de cette masse d'eau souillée par filtrage à travers le sol, avec ou sans utilisation agricole, suivant les cas et les possibilités. Nous dirons plus loin quelles objections peuvent soulever, à Paris, certains termes de cette conception. Ce qui n'est pas contestable, c'est que le pro- blème soit ainsi dessiné avec une rigueur logique tout à fait élémentaire. L'habitation, sans arrêt ni retard, débarrassée de toutes souillures ; la ville jouissant du même bienfait, et le courant impur enfin, n'ayant de stagnation nulle part, livrant au sol et à la végétation qu'il active les ma- tières qui le polluent, pour ne porter aux thalvegs naturels que des eaux limpides complètement assainies. C'est là une évolution complète, aussi simple que satisfaisante . Le problème ainsi posé, quelles sont les conditions pratiques nécessaires pour en assurer la solution ? De quels moyens dispose-t-on ? Que faut-il pour les compléter ? Tels sont les points qu'il importe d'examiner. Occupons-nous des eaux tout d'abord. 1 182 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE Pour nettoyer les étables d'Augias, Hercule avait sous sa main légendaire le fleuve Alphée. Où est le fleuve que la ville de Paris peut faire passer à travers les mille conduits souterrains qui la drainent, pour se débar- rasser de ses immondices? Paris dispose actuellement, par jour, pour ses besoins tant publics que privés, d'un volume d'eau total pouvant s'élever à 500.000 mètres cubes environ. La consommation dépasse parfois ce chiffre. Le Bulletin municipal du 22 août, que nous avons sous les yeux, nous montre que, le jeudi 18 août, la distribution s'est élevée à près de 593.000 mètres cubes. Mais, en hiver, la dépense est moindre, et, tout compte fait, en moyenne annuelle, on peut compter aujourd'hui sur une livraison quoti- dienne de 500.000 mètres, à laquelle les eaux pluviales viennent apporter un contingent supplémentaire dépassant un peu 100.000 mètres ; ce à quoi il faut ajouter qu'on travaille en ce moment à augmenter le volume disponible de 100 à 150.000 mètres cubes; que la distribution croîtra en conséquence, et qu'on ne s"en tiendra pas là. Cela représente-t-il le volume du cours d'eau polluée que, par leurs col- lecteurs, les égouls portent à cette heure ou porteront plus tard hors Paris? Ça l'excède un peu. Du volume total des eaux distribuées et des eaux météo- riques, il faut déduire une fraction d'un quart ou d'un cinquième qui, pour des causes diverses, échappe à l'égout. Cela réduit, pour l'état actuel des choses, le débit annuel moyen des eaux polluées au chiffre de 450 à 480.000 mètres par jour (5"',200 à 5'",700 par seconde), et, pour un avenir prochain, à un chiffre quotidien variant, comme moyenne, de 525 à 600.000 mètres (6'", 100 à 7 mètres par seconde), le tout avec des oscillations pouvant, en été, porter le débit à 50 0/0 au-dessus de la moyenne annuelle, et le faire descendre, au printemps et en automne, à 20 0/0 au-dessous . Telle est la puissance actuelle et prochaine de l'agent hydraulique dont Paris dispose et disposera pour son assainissement. Quel est l'état actuel de pollution de ce courant, et que sera cette pollution dans l'avenir, une fois le tout à l'égout réalisé? Voilà ce qu'il est essentiel de savoir. C'est ce que nous allons examiner, en nous rapportant seulement au dosage en azote, ainsi que nous en avons averti. Il y a vingt ans, alors que les égouts n'évacuaient moyennement, tout compris, que 255.000 mètres cubes environ d'eau par jour, et que la population de Paris n'atteignait pas tout à fait deux millions d'habitants, chaque mètre cube d'eau expulsée contenait 43 grammes d'azote, soit en totalité, par jour, 10.965 kilogrammes. Rapporté à une population de 1.900.000 habitants, ce chiffre dépasse un peu (de i^',6 à peu près), par tête, la proportion de 5 grammes donnée ci-dessus pour l'azote extra-excré- mentitiel, ce qui indique, conformément d'ailleurs à la réalité, qu'aux L.-L. VALTHIEH. COUl' d'oEIL U.VPIUE SUR I- ASSAI.MSSEMEM UE l'AlUS 1183 égouts arrivait déjà, dès lors, une certaine proportion de matières de vidanges . La population a cru, la projection à l'égout des dites matières a aussi augmenté, mais le volume d'eau distribué a marché plus vite; de telle sorte que, dans la période décennale suivante, allant jusqu'en 1884, avec un volume d'eau évacué s'élevant à 3io.000 mètres, le dosage en azote est descendu à iO grammes par mètre cube ; soit, en tout, 13.800 kilo- grammes, ce qui, pour une population de 2.200.000 habitants, signale, par tète, un arrivage à l'égout d'un peu moins de 3 grammes (exactement â^^Sj d'azote excrémentitiel. Portons-nous à quelques années en avant. Supposons la population parvenue au chifTre de '^.oOO.OOO habitants, et le tout à l'égout universa- lisé, quel sera le dosage en azote des ooO.OOO mètres cubes d'eau expulsée,- sur lequel on peut compter d'après les indications précédentes ? ■ Quoi qu'on fasse, il échappera toujours à l'égout une certaine propor- tion de l'azote excrémentitiel. Près des neuf dixièmes de cet azote figurent dans les urines. Sans suivre indiscrètement celles-ci dans les incidents de leur évacuation, il sera toujours vrai, nonobstant les progrè* de Ja décence publique, (|u'une fraction ne se canalisera pas. On évalue généralement la proportion d'azote réfractaire à un dixième, ce qui réduit à 10''', ._./ / 2eso3. r--r ^^eo^' ^-^ -^ >" -.A î TS^ r'' 'C' "•■■'• <^ l-, < 2^^" ; -'-.y 21S& j \ : f]-..--- -r— ; \ ,-^ \ 352* •-. ^"^f V -\ / \ .,.,^ \ ; '"'•-. / 8920 \ / .--' /'32t9) / 6597- . v^ Y'^ \ 196*5 ; ,™, --••• .. .. .\ / ,' S»^ ****. .^. '■'-... /, W3--.! 7 /66*8; X^ / • 32533 'V-^' \ im ; ,n6*S-—""l.A V'""'""! / / '38*.\...^;' .--\ 17985-.. W ■■- "'\ / ■< S 'î>]-..;--'"''"-i "''; -■'., .--^ '■>, 352* \ \ "• ; '"'•- ; 8920 '■ \ 16S25 I ; \; ° '. ^^ •--,-" '. •-, S89S J- ■"-. ■ ; ; 2010,' ^^^\ \)/ 5108 ;, „„„ ,-'8079'-^ J •; ^882-, .'N , / C ,;-' ♦îOOi'., ;;----! 6*59 \"6* ; >--\ ; ----^ -s / \1"~\ '•-.--' ; 3*21 /■-< •-- — xi-i. ,aT>"' y 2158 ■"! /'">-■ V ,-, /---.,,—' / "; .-'■ \ /-' ■ -v'',s63 >--' V \ '*"i ^«"^ V'^^n ,e. ■^■-•-..-.-208* r--'---- ■<:--■■ ,009 '< '"-•>'' '°=»°* V ''"■^ :• V— ' ■•.3062'-s..- \ /■■.... ; ,-■'-'-•. >~ 20*8 ..-■■— --V208*;. , ^ :..._....4as7i;r-\-"V-;;; Fil.. 2. des chiens par rapport à celui des habitants. On voit, par exemple, que la Seine- et-Oise possède 10 chiens pour 100 habitants, que la Seine ne renferme que 4 chiens pour 100 habitants. La Ogure '1 indique le rapport entre le nombre des personnes mordues dans l'année moyenne et le nombre des chiens du département. On a ainsi la proportion des animaux qui causent des accidents. Comme le nombre de chiens et le nombre d'habitants sont assez variables, cette carte présente un assez grand intérêt. On voit, par exemple, que dans le département de l'Eure il n'y a qu'un accident sur 3;i.000 chiens, que dans la Seine il y en a un sur 460 chiens ; cela donne, dans une certaine mesure, une idée de la répartition des cas de rage canine. 1204 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE M. le D' CHOPIIET Médeciii-majcir de ^'^<' classe, à Lérouville (Meuse). DE L'ÉTIOLOGIE DU GOITRE ET DU CRÉTINISME DANS LES PYRENEES CENTRALES — Séance du 20 septembre 1892 — Lorsqu'on parcourt la bibliographie du goitre, et du crétinisme, il est impossible de ne pas être frappé du nombre et de l'importance des travaux qu'a suscités l'étude de cette question dans les Alpes centrales, et en même temps de la pénurie de documents scientifiques analogues se rap- portant à la région des Pyrénées. Et cependant les vallées pyrénéennes sont loin d'être épargnées par ces tristes infirmités et elles offrent un champ d'étude d'autant plus intéressant à explorer, à ce point de vue, qu'il est presque vierge. Aussi croyons-nous devoir faire connaître le fruit de nos observations, poursuivies pendant près de dix ans, sur l'endémie du goitre et du crétinisme dans les Pyrénées centrales, et les conclusions auxquelles nous avons été conduit sur l'étiologie de ces deux maladies, qui sont évidemment l'expression d'une cause commune. Pour étudier cette question si controversée, nous avons puisé à plusieurs sources d'informations : 1° Visite minutieuse de toutes les localités réputées pour être des foyers de l'endémie; 2° Renseignements fournis par les personnes les plus compétentes habi- tant la région, médecins, instituteurs, prêtres, etc. ; 3*> Documents statistiques empruntés aux archives des bureaux de re- crutement et faisant ressortir le nombre des exemptions du service mili- taire actif prononcées, de 1850 à 1865 et de 1873 à 1891. En résumant ces diverses données, nous avons pu nous rendre un compte exact de la situation actuelle de l'endémie et déterminer, en outre, ses variations d'intensité pendant ces quarante dernières années. Nous ne reproduirons pas ici les tableaux statistiques qui résument les résultats de nos investigations ; nous nous contenterons de faire passer sous vos yeux les deux cartes que nous avons dressées en vue de représenter la distribution géographique de l'endémie dans la région où nous avons fait nos observations. Cette région correspond exactement aux Pyrénées D'' CHOPINET. — ÉTIOLOGIK DU GOITRE ET DC CRÉTIMSME DANS LES PYRÉNÉES 120o centrales et comprend les onze cantons de l'arrondissement de Saint- Gaudens, six cantons de l'arrondissement de Muret et cinq du Saint-Gi- ronais; ses limites se confondent avec celles de la subdivision militaire de Saint-Gaudens (PI. VIII). La première carte a été établie en prenant pour base, dans chaque can- ton, la proportion des goitreux exemptés du service militaire actif pour 1000 conscrits examinés. L'intensité croissante des teintes est l'expression graphique de l'augmentation du nombre des exemptions. Dans la deuxième carte, nous avons représenté par des cercles noirs les localités où règne l'endémie; la largeur du cercle est en rapport avec le degré de sévérité du mal. L'examen de ces deux cartes permet de constater tout d'abord ([ue l'en- démie présente son maximum dans les cantons montagneux les plus voi- sins de la ligne de faîte des Pyrénées. Elle va en décroissant régulièrement à mesure qu'on se rapproche de la plaine. Le canton le plus gravement affecté est celui de Castillon, où la pro- portion des exemptions pour goitre atteint 40,2 sur 1.000 examinés. Mais il est à remarquer que l'endémie ne frappe pas également les cinq vallées dont ce canton est composé; quatre sont presque épargnées, tandis que la cinquième, la Bellongue, est cruellement éprouvée. Le village d'Au- dressein, silué à la partie la plus basse de cette vallée, au confluent de deux rivières, est le. foyer le plus important de l'endémie. Les com- munes qu'on rencontre en amont, Argein, Aucazein, lUartein, Augirein et Orgibet, se signalent également par la fréquence du goitre et un aspect tout spécial de la population qui offre les signes d'une dégénérescence manifeste. Les villages situés sur les flancs de la montagne ont beaucoup moins à souffrir de l'endémie que les précédents. Celle-ci perd de son intensité dans la partie supérieure de la Bellongue; elle est très bénigne dans les communes de Saint- Lary et Portet, situées presque à l'origine de la vallée. Le canton de Saint-Béat (33,5 exemptés pour 1.000 examinés) vient assez loin dans l'échelle de gravité de l'endémie, après celui de Castillon. Le foyer principal était naguère la commune d'Arlos. La plupart des habitants étaient affectés de goitre et presque aucune femme n'échappait à cette affection. Les crétins étaient également fort nombreux dans cette popu- lation profondément dégradée. Arlos était alors le village le plus misérable de toute la contrée. Ses habitants vivaient dans des masures couvertes en chaume, dépourvues de fenêtres et de cheminées. Une seule pièce ser- vait au logement de toute la famille et abritait souvent les animaux domestiques eux-mêmes. Les maisons étaient très humides et plusieurs parcourues par des ruisseaux. La nourriture était grossière et la viande n'entrait que pour une part infime dans l'alimentation. 1206 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE Telle était encore la situation de cette malheureuse population vers 1850. Depuis, le tableau a bien changé. Le village d'Arlos a eu la bonne fortune d'être détruit à plusieurs reprises par de violents incendies. Se- courus largement par la charité publique, les habitants ont pu construire de belles maisons qui ont été percées de nombreuses fenêtres et couvertes en ardoises. Beaucoup ont émigré vers l'intérieur de la France, pour exercer des professions pénibles mais lucratives, et ont ainsi réalisé des économies qui leur ont permis d'adoucir le sort de leurs parents restés au pays. Peu à peu une certaine aisance s'est substituée à la misère horrible qui régnait dans cette commune et, en même temps, on a vu la santé publique s'améliorer et le goitre et le crétinisme diminuer rapide- ment de fréquence. Les communes de Fos, Cierp, Marignac, toutes situées dans des bas- fonds ou à proximité des cours d'eau, étaient également très éprouvées, il y a trente ans à peine. On y a observé une atténuation manifeste de l'endémie en même temps que l'aisance augmentait dans toutes les classes de la population et que les conditions d'hygiène s'amélioraient. Le canton de Luchon occupe le troisième rang, après Castillon et Saint- Béat, avec 27,5 exemptés pour goitre sur 1.000 examinés. L'endémie présente son maximum d'intensité dans la vallée de Luchon et affecte principalement les villages voisins de la rive droite de la Pique, Juzet- de-Luchon, Montauban, Salles et Pratviel. Dans les vallées d'Oueil et de Larboust, le goitre et le crétinisme ont toujours été rares, probablement en raison de la situation élevée de la plupart des villages. On ne voit plus guère aujourd'hui de goitreux que dans le village d'Oô construit dans un bas-fond à l'extrémité inférieure du val d'Astau. Le canton de Barbazan (14,0 exemptés pour 1.000 examinés) comptait autrefois un très grand nombre de goitreux et de crétins, surtout dans les deux villages presque contigus d'Huos etPointis-de-Rivière, situés dans la belle plaine de Rivière, sur la rive droite, très escarpée, de la Garonne, et dans la commune de Valcabrère, qui s'étend le long de la rive gauche de la Garonne, au pied de Saint-Bertrand-de-Comminges. L'endémie s'est beaucoup atténuée dans tout le canton et surtout dans les deux communes d'Huos et Pointis-de-Rivière, les plus éprouvées. La population de ces villages s'affranchit rapidement des infirmités qui la rendaient jadis triste- ment célèbre, la santé rayonne sur le visage des enfants et des jeunes gens et l'on ne peut invoquer que les progrès de l'aisance et de l'hygiène générale pour expliquer cette heureuse transformation. Le canton de Saint-Girons ne donne que 13,8 goitreux exemptés pour 1 .000 examinés. Il ne présente pas de foyer bien localisé. La commune la plus fortement atteinte est celle de Moulis, située sur les bords du Lez et où l'hygiène laisse beaucoup à désirer. D'" CHOPINET. — ÉTIOLOGIE DU GOITRE ET DU CRÉTINISME DANS LES PYRÉNÉES 1207 Dans le canton de Saint-Lizier (13, 7 exemples pour 1.000 examinés), il existe un foyer très net constitué par les trois villages de Bonrepaux, Lacavc et Labastide, construits tous les trois sur la rive droite du Salât et où l'atmosphère et le sol paraissent être constamment saturés d'humidité. Les goitres sont si nombreux à Bonrepaux, au témoignage de M. le D'' Foch, « que l'on a pu dire que c'était une population de goitreux. Les habi- tants de ce village ne paraissent pas, sous le rapport de l'intelligence, être au niveau des populations voisines non sujettes au goitre. 11 en est de même des gens de Labastide et de Lacave qui ont une manière de parler à eux, des réflexions naïves qui leur sont propres, un langage particulier, des idées enfin qui révèlent une intelligence peu développée. » Bonrepaux, le plus affecté de ces trois villages, est situé au pied d'un massif d'ophite, lequel n'est peut-être pas étranger à la gravité particu- lière que l'endémie revêt dans cette commune. Le goitre et le crétinisme sont exceptionnels dans les communes de ce canton qui sont éloignées des rives du Salât. Dans le canton de Salies-du- Salat, la proportion des goitreux exemptés sur 1.000 examinés est de 12,09. L'endémie frappe particulièrement les communes situées dans la vallée du Salai et k proximité de la rivière, telles que Salies, Mazères et Bo- quefort. Au contraire, elle épargne complètement les villages situés sur .les hauteurs, comme Montespan, Touille, Montsaunès et Figarol. Le canton de Sainte-Croix (11, o exemptés pour 1.000 examinés) n'offre pas de foyers distincts, probablement en raison de ses conditions topogra- phiques qui sont à peu près identiques pour toutes les communes; celles-ci sont réparties à la surface d'un territoire très accidenté, mais sans cours d'eau important, ni vallée large et profonde. Le canton d'Oust (10,9 exemptés) ne présente qu'un petit nombre de communes gravement atteintes, et notamment celles de Soueix, Vie et Gouflens sur les bords du Salât. L'endémie est, au contraire, bien localisée dans le canton d'Aspet (8,0 exemptés pour 1.000); elle sévit particulièrement à Soueich, à Arbaset dans le hameau de Fontagnères, section de la commune d'Aspet. Ces trois foyers ont pour caractère commun une situation basse et humide et l'état misérable de la population. C'est là, d'ailleurs, que toutes les épidémies (peste, choléra...) ont fait, de temps immémorial, le plus de ravages. Le crétinisme est plus fréquenta Arbas qu'à Soueich, mais c'est à Soueich qu'on rencontre le plus de goitres; les deux tiers des femmes environ en sont atteintes. Le canton de Saint-Martory (6,3 exemptés) ne présente plus aujourd'hui qu'un foyer éteint. L'endémie était jadis localisée presque exclusivement dans la portion du chef-lieu de canton qui est située sur la rive droite de la Garonne. Les crétins étaient nombreux dans ce faubourg, habité par 1208 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE une population ouvrière qui a longtemps vécu dans les conditions d'hy- giène les plus défectueuses. Le canton de Saint-Gaudens (5,4 exemptés) n'est éprouvé par l'endémie que sur une faible étendue de son territoire et principalement dan? les trois communes de Valentine, Miramont et Pointis-lnard situées sur la rive droite de la Garonne. Dans le canton de Montréjeau (4,1 exemptés), le foyer principal de l'endémie correspond aux quatre villages de Bordes, Clarac, Taillebourg et Ausson, situés dans la plaine de Rivière immédiatement sur la rive gauche de la Garonne, en face des deux communes de Pointis et Huos, oii l'endémie était autrefois, nous l'avons vu, très sévère. Ces six villages, groupés sur un espace restreint, au milieu de la plaine de Rivière, sur les deux rives de la Garonne, constituent un foyer qui a été jadis le plus important de l'arrondissement de Saint-Gaudens. Dans le canton de Cazères (2,0 exemptés), le crétinisme a toujours été rare; mais on comptait jadis beaucoup de goitres dans les communes de Palaminy, Mauran, Bousseus et le Fourc, qui sont toutes soumises à l'influence d'une situation basse et d'une exposition humide, au voisinage de la Garonne. L'endémie n'est plus guère qu'un souvenir dans les cantons de Carbonne, Boulogne, Rieux, Aurignac et l'Isle-en-Dodon. On y observait cependant, il y a quelque trente ans, un certain nombre de petits foyers, notamment dans les quartiers bas de Rieux, Carbonne et l'Isle-en-Dodon. L'endémie est d'ailleurs en décroissance dans tous les cantons; ce fait est attesté par tous les observateurs de la région et nous l'avons nous- même constaté très nettement. Il suflît, pour le mettre en évidence, de consulter les statistiques du recrutement; celles-ci démontrent que, dans toute la contrée, les exemptions pour goitre et crétinisme sont beaucoup moins nombreuses qu'autrefois. C'est ainsi que, dans les cantons de Cas- tillon, Saint-Béat et Saint-Lizier,.la proportion des exemptés pour goitre sur 1.000 examinés, qui était en moyenne de 59,6 — 47,7 — 30,0 pendant la période 18o0-1865, est tombée à 40,2 — 33,5 — 13,7 pour la période 1873-1891. L'atténuation du crétinisme est encore plus manifeste; car, dans cette dernière période, le nombre absolu des crétins exemptés a été de 27 seulement. Le tableau succinct que nous venons de présenter de la situation de l'endémie du goitre et du crétinisme dans les Pyrénées centrales était nécessaire pour nous permettre d^aborder la question que nous avons principalement en vue, c'est-à-dire l'étude de l'étiologie de ces deux maladies. Il nous suffira de laisser parler les faits pour que les conclusions s'en dégagent d'elles-mêmes. Si nous jetons les yeux sur la carte qui indique la distribution géographique de l'endémie, nous observons une ÉTIOLOGII:: DU GOITRE ET DU CRÉTIMSMK DANS LES l'YRÉXÉES 1209 particularité constante, c'est que tous les villages atteints sont situés dans des bas-fonds, au voisinage immédiat d'un cours d'eau, ou au confluent de deux rivières, habités par une population pauvre et vivant dans les plus mauvaises conditions d'hygiène, etc. C'est dans ces milieux que semble se plaire l'endémie et il est rare de la voir envahir les localités éloignées des cours d'eau, jouissant d'une altitude élevée sur les pentes de la montagne ou au sommet des collines. Parmi les villages affectés, les plus éprouvés sont ceux qui présentent au maximum les conditions d'insalubrité résultant de la situation basse, de l'humidité et de la malpro- preté des maisons, d'une alimentation grossière, etc.. Pendant ces trente dernières années, l'aisance a pénétré jusque dans les plus misérables de ces localités, les habitations ont été améliorées, mieux aérées, mieux préservées de l'humidité, l'alimentation est devenue plus substantielle... et en même temps, comme si une baguette magique était venue toucher ces populations disgraciées, on les a vues se transformer rapidement; les anciennes générations de goitreux plus ou moins dégé- nérées ont fait place à de nouvelles couches, saines et vigoureuses, chez lesquelles on cherche en vain la tare paternelle et maternelle. Et cette transformation s'est produite sans modification de la constitution du sol et de l'exposition des villages, sans changement notable au régime des eaux de boisson qui sont restées partout les mêmes, sans travaux d'assai- nissement ou de drainage dans les communes atteintes... Que deviennent, en présence de ces faits, les théories exclusives qui ont été émises pour expliquer la genèse du crétin isme et du goitre endémiques? La seule qui mérite d'être discutée est celle qui a été proposée par xMac-Clelland, Grange, Saint-Lager et Garrigou. Elle fait jouer le rôle principal à la constitution géologique du sol qui agirait sur les popula- tions par l'intermédiaire de l'eau issue de terrains spécifiés. C'est ainsi que, d'après les recherches de Saint-Lager et de Longuel. dans le département de l'Isère, l'endémie goitreuse est très exactement cantonnée aux formations de molasse miocène, de lias schisteux et acces- soirement du keuper liasiijue et des marnes néocomiennes inférieures. Il en est de même dans la Haute-Savoie où le trias jjaraît jouer, en outre, un rôle important comme cause du goitie. Il est donc nécessaire d'examiner les relations qui peuvent exister, dans les Pyrénées centrales, entre la distribution géographique de l'endémie et la structure géologique du sol. Cette question présente un intérêt d'autant plus marqué que nous trouvons ici quelques-uns des terrains dont la nocuité serait le plus manifeste, à savoir : le lias schisteux dans lequel est creusée la vallée de la Bellongue, les calcaires dolomitiques qui occupent la partie supérieure de cette vallée, l'ophite qui forme un îlot éruptif à Bonrepaux et un autre à Salies. le trias enfin qui règne à Salies. l'aie HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE La prédominance toute particulière de l'endémie dans la Bellongue con- firme certainement l'opinion qui attribue aux schistes liasiques une action goitrigène ; elle vient à l'appui de la loi posée par Grange et qu'il avait ainsi formulée : « L'intensité maximum du goitre et du crétinisme s'observe toujours au-dessous des grandes formations dolomitiques. » La gravité de l'endémie à Bonrepaux et autrefois à Salies-du-Salat fournit également une nouvelle preuve aux auteurs qui ont accusé le trias et l'ophite de produire le goitre. Mais si l'on poursuit cette enquête dans les autres cantons, on rencontre à chaque pas des faits peu favorables à la doctrine hydro-tell urique, ou qui la mettent en défaut. C'est ainsi que, à Saint-Martory, on ne peut invoquer la structure géologique du sol comme une des causes de l'endémie qui éprouvait jadis un des quartiers de la ville. Cette commune repose, en effet, sur des alluvions modernes. Or, ces alluvions sont ici formées par des débris de roches granitiques ou de terrains de transition. Ces terrains ont été jusqu'à ce jour considérés comme parfaitement salubres et nous ne connaissons qu'un seul auteur, Kratter, qui ait attribué une influence goitrigène aux terrains granitiques. Ces mêmes alluvions régnent dans les communes de Pointis-Inard, Les- piteau, Miramont, Pointis-de-Rivière, Huos, Clarac, Bordes, Ausson, Taillebourg, Valcabrère, toutes localités célèbres dans les annales du goitre et du crétinisme. Sur ces mêmes terrains sont construits les vil- lages de Boussens, Roquefort, Mazères, Labastide, etc., qui ont été autre- fois des foyers de l'endémie. Si l'on pénètre dans les cantons montagneux de la Haute-Garonne pour soumettre au contrôle des faits la valeur de la doctrine hydro-tellurique, on voit que, dans le canton de Luchon, le foyer le plus important, com- prenant les communes de Saint-Mamet, Montaubsn, Juzet, Salles et Prat- viel, s'étend sur les terrains de transition, cambrien et silurien, qui n'ont jamais été tenus pour suspects. Dans le canton de Saint-Béat, la commune d'Arlos, qui fut longtemps le foyer principal, appartient au terrain cam- brien. Dans le canton d'Aspet, les deux foyers d'Arbas et de Soueich reposent, le premier sur le terrain quaternaire, le second sur le jurassique. En résumé, si nous rapprochons ces faits de ceux qui ont été observés par Auzouy dans les vallées d'Aspe et dOssau (1) nous voyons que, dans les Pyrénées centrales, l'endémie forme des foyers sur les terrains de transition, dévonien, silurien, cambrien, sur le lias schisteux, sur le juras- sique, à la base des formations dolomitiques et des gisements dophite, et qu'elle sévit avec le plus de rigueur sur les alluvions modernes ou terrains quaternaires. Devons-nous en tirer la conclusion que tous ces terrains sont (1) Arzouv, Du goitre el du crétinisme dans les vallées d'Aspe et d'Ossau. Congrès de Pau, 1873. D'' r.HOPINET. — KTIOLOGIE DU GOITRE ET DU CRÉTLMSME DANS LES PYRÉNÉES 1211 goitrigènes et que les derniers sont les plus dangereux? Mais avant de l'adopter, il faudrait expliquer pourquoi l'endémie épargne la plupart des communes comprises dans la sphère des terrains que nous venons d'énu- mérer et frappe seulement celles de ces localités qui sont situées au voi- sinage des cours d'eau. Pour citer un exemple, n'est-il pas évident que, dans la plaine de Rivière, constituée entièrement par les matériaux de comblement des vallées, c'est-à-dire par le terrain ([uaternaire, le goitre et le crétinisme devraient régner également dans tous les villages de ce magnifique bassin, s'il existait entre l'endémie et la structure géologique du sol un lien aussi étroit que l'affirment les partisans de la doctrine hydro-tellurique? Or, nous avons vu que les seuls villages éprouvés sont ceux qui occupent les rives de la Garonne et dans lesquels les lois de l'hygiène sont le plus méconnues. Cette répartition singulière des sévices de l'endémie est donc bien indépendante de la nature du terrain et il est nécessaire d'invoquer d'autres causes pour établir une étiologie rationnelle et conforme à la réalité. Nous sommes ainsi amené à examiner la doctrine des causes multiples qui attribue la genèse du goitre et du crétinisme à des influences diverses, telles que : l'air humide et vicié, la situation défectueuse du pays, la malpropreté des maisons, le défaut d'aération et de lumière solaire, la mauvaise qualité des eaux, 1 insuffisance de l'alimentation, etc.. Cette doctrine, nous l'avons déjà laissé entrevoir, est celle à laquelle nous nous rallions. Le concours de plusieurs conditions nous paraît indis- pensable pour provoquer la manifestation de l'endémie. Parmi les plus puissantes, nous devons citer l'humidité des maisons et la mauvaise hvsiène. Si à ces causes d'insalubrité vient s'ajouter l'action tellurique, t. O la population est vouée presque fatalement au goitre et au crétinisme. ' L'influence du sol joue un rôle important dans certaines localités que leur belle situation sur un plateau bien ensoleillé met à l'abri de l'humidité, par exemple Buzan dans la Bellongue; mais ici nous retrou- vons comme facteur essentiel une misère profonde ayant pour conséquence une hygiène déplorable. Si la doctrine des causes multiples est fondée, nous devons constater une atténuation de l'endémie, partout où l'aisance de la population a augmenté et où, par suite, l'hygiène s'est améliorée. C'est en efl"et ce qu'on observe d'une manière absolue, dans toute la région des Pyrénées centrales, même sur les terrains nettement goitri- gènes. Dans beaucoup de localités, l'endémie a disparu, sans qu'il soit possible d'attribuer cet heureux résultat à autre chose qu'aux progrès du bien-être et de l'hygiène générale. C'est donc par l'hygiène qu'on doit combattre l'endémie, en faisant comprendre aux populations l'importance d'une eau de boisson parfaite- 1212 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE ment pure, d'une habitation proprement tenue, bien éclairée, bien aérée, pourvue d'une cave et d'une bonne cheminée, suffisamment éloignée de l'étable, de la porcherie et du dépôt de fumier. La réalisation de ce pro- gramme n'entraînerait cerlainemenl pas de bien grosses dépenses et, on peut l'affirmer, serait bientôt suivie d'une amélioration très sensible de la santé publique et d'une extinction plus ou moins rapide de l'endémie crétino-goitreuse. Nous terminerons par les conclusions suivantes qui résument les ré- sultats de nos observations : 1° Dans les Pyrénées centrales, le goitre et le crétinisme s'observent presque exclusivement dans les localités situées au fond des vallées, au voisinage des ruisseaux. 2° L'intensité de l'endémie va en croissant depuis l'origine des vallées jusqu'aux derniers contreforts nie la chaîne; elle atteint son maximum dans les bassins ou les portions les plus larges des vallées. Elle décroît graduellement à mesure que le cours d'eau s'éloigne de la région monta- gneuse. 3° L'endémie s'atténue dans toute la contrée et elle a disparu de plu- sieurs localités jadis très affectées. Ce mouvement de recul d'un mal séculaire ne peut être attribué à des changements apportés dans la na- ture des eaux de boisson. Il est évidemment la conséquence des progrès de l'aisance et de l'hygiène générale dans les populations autrefois atteintes. 4° La constitution géologique du sol n'exerce, en général, aucune in- fluence sur la genèse du goitre et du crétinisme. Le seul terrain dont l'ac- tion nocive ne peut être contestée est le lias schisteux; au contraire, le pouvoir goitrigène des terrains magnésiens, ophitiques et triasiques est très contestable. 5° Les causes du goitre et du crétinisme, dans les Pyrénées centrales, sont nombreuses. Les principales sont l'humidité et la malpropreté de& maisons, le défaut d'aération et de lumière solaire, la mauvaise alimen- tation, etc.. 6'^ La doctrine des causes multiples est la seule qui, dans les Pyrénées, ne soit pas démentie par les faits, la seule qui en donne une explicatioi* rationnelle. ERKA TA Pages. Lignes. .1" lieu de : lire : 9 8 au petit axe au grand axe. 12 32 GX GY. 13 20 (3n + l)ljr"-'a?- . . . (3v + l)!/""' +. 14 21 GX GY. 138 23 H — l)et(n + l) (n — 1) et (n + 2). 139 19 36.16 36.46. 139 25 35.43 35.48. 141 itig. 6. 4 60 6. lil. 6 b' a'. Id. 7 C b'. Id. 8 d' c'. 142 31 4 3 8 I 13 12 17 I 4 3 8 . . 4 3 8 | 13 12 17 | 22 21 26. 146 11 (en marge) . . 23 123. 315 Fig. 5 Les lettres C, E', M', N', D', K', L', P' se trouvent répé- tées deux fois; elles ne devraient figurer qu'aux som- mets situés sur les lignes O'B', O'A'. 786 17 Paris Para. Compte rendu du Congrès de Pau, i'' partie, pages 243 et 244. Par suite' d'une erreur de mise en pages, il y a eu interversion dans la discussion entre les observations présen- tées par M. Magitot et celles présentées par M. J. Lajard; c'est 31. Lajard qui a pris la parole immédiatement après la communication de M. Abel Bouchard (de Bordeaux). TABLE ANALYTIQUE Dans cette table, les nombres qui sont placés après la lettre p. se rapportent aux pages de la première partie, ceux placés après l'astérisque * se rapportent à celles de la deuxième partie. Accouchvment provoqué, p. 275. Acide propantijlique, p. 189. jjhosphori(jue dans le sol des Basses- Pyrénées, p. 326. Acides bromacritiqucs stéréochimiques , p. 181. Acter (Industrie de l'i, p. 112. « Act Torrens », ses applications, p. 352, * 1047. Acuité visuelle, p. 295. A/feclions des voies respiratoires (Traite- ment), p. 309. A/finités de la langue basque, p. 238, * 573. Afrique australe (Diamants de 1'), p. 5. Age de la pierre en Egypte, p. 267. du Renne, pp. 248, 266, *649. Aylot (.\ppareU de dosage), p. 187. Ayronoinie, p. 320, * 784. Air chaud cri'osoti' (Insulllateur à), p. 283. comprimé (Fondations à), p. 168, * 214. .lires coniques (Évaluation des;, p. 156, * 166. Alcool nuHhylique. p. 182. Alexis Perrey < Listes seismiques de M.), p. 204. Algèbre modei-ne (Son inventeur), |). 154, * 17. — ^ de Mète, p. 157, * 177. Algérie (Applications de IV Act Torrens »), p. 352, * 1047. Alglave. — Discussion sur la journée de huit lieures, p. 348. Discussion sur la réforme du cadastre, p. 353. AlglaTc. — Discussion sur l'acquisition de la propriété, p. 356. Discussion sur un vœu au sujet de l'émigration, p. 360. Almaden iSes mines), p. 184, * 261. Alpes (Flore desi, p. 214, * 391). Alpes-Maritimes (.Tuiuuli de Saint-Césaire), p 264. .4/?. 313. Amortissement pour faciliter l'acquisition de la propriété, p. 354. Amortisseur cinématique, p. ICO. Amulettes, p. 263, * 619. Analyse chimique des ossements, p. 208, * 377. organographique et anatomi(|ue, p. 221, * 470. de l'essence de santal, p. 221, * 476. médicale des urines, p. 318. — . — , ^. . „^, Anamorphose mécanii|ue, p. 160. Anatomie, p. 225, * 488. Andalousie ^Culture des dunes), p. 327, * 792. Aiidral. — Discussion sur l'auscultation du cœur, p. 294. 1216 TABLE ANALYTIQUE Anémone indigène, p. 328. Aneslhésie pharyngienne et êpiglotti(iue, p. 305. Anévrismes de l'aorte, p. 293, * 747. Aur/iàmes ( l'>lectrolyse des), p. 288. Augot (A.). — Photographie des nuages, p. 193, * 284. Anhydride camphorique, p. 187. Anomalies dentaires, p. 314, * 770. Anomoures, p. 227, 2 ^03. Anthoine. — Discussion sur le dénom- brement des Français à l'étranger, p. 357. Anthropologie, p. 236, * 555. criminelle, p. 249. de la France, p. 267. (Sa place dans les connaissances huTuaines), p. 362, * 1073. Aorte (Anévrismes de F), p. 293, * 747. (Valvules sigmoïdes), p. 316. Apophyse post auditive des Chéiroptères, p. 229. Appareil pour décrire la droite, p. 160. de sûreté, p. 162. Appareils à roulettes, p. 157. Appendicite (Cas d'), p. 301. Arbitrage en matière industrielle, ]), 363. Ardennes (Tumulus des), p. 262, * 617. Argelès-Gazost (Excursion à), p. 505. (Son climat médical), p. 309, £ ''53. Arièqe (Civilisations de la rive gauche de l'Àrize), p. 266, * 649. Aris. — Fracture du pariétal droit, p. 311, * 764. Plaie par balle de revolver, p. 289. Arithmétique (Suppression de la division), p. 158, * 182. Arize (Assises sur la rive gauche de V), p. 205. (Civilisations de la rive gauche de F), p. 266, * 649. Armagnac (Préhistorique de l"i, p. 263. Arniaingaud. — Discussion sur la mé- dication saline, p. 273. Arnault (J.). — État civil des personnes et des propriétés, p. 352, * 1039. Ariiozan. — Xévrome plexiforme, p. 291, *738. Arsenal (Comptabilité d'un), p. 364, * 1109. Art de l'Ingénieur, p. 134. des constructions . géométriques , 155, * 36. didactique, p. 367. Artère carotide des ruminants, p. 228. Artères vertébrales (.Ligature), p. 277, * 698. Asie (Plateau central), p. 39. antérieure, pp. 72, 79. centrale (Fabrication des briques), p. 188, * 267. " (Levés topographiques eni, p. 341,* 984. Assainissement de Paris, p. 382, * 1177. Assemblée générale, p. 115. Association française en 1891-1892, p. 142. (Ses hnances), p. 148. Astronomie, p. 153, * 1. Atlantique- Xord (.Coloration des eaux), p. 198, z 326. Audollent. — Traitement par les eaux de Cauterets, p. 281. Audoyuaud. — Discussion sur le rôle de l'iiumus dans la végétation, p. 325. Répartition de l'acide phosphorique dans le sol des Basses-Pyrénées, p. 326. Auscultation du cœur chez l'enfant, p. 293. Aveyron (,\ travers F), p. 332. Azonlay. — Auscultation du cœur, p. 293. Étiologie de la lèpre, p. 307. Bactéridie charbonneuse, p. 296. Baqnères-de-Bigorre (Observations), p. 194, * 290. (Sanatorium), p. 195, * 291. Bagnères-de-Luchon (Musée de), p. 212, * 390. Buigorry (Basques de), p. 242, * 597. Balandreau. — Droit de fabriquer un pain diiTérent du pain taxé, p. 350. Balnéation chez les enfants, p. 269. Bangkok (De Hanoi à), p. 331, * 843. Barbier (J.-V.) — L'Indo-Chine il y a cinquante ans, p. 331, * 834. Baromètre enregistreur, p. 196, * 317. /Jases insolubles ( Déplacements réci- proques), p. 185. Basques de Baïgorry, p. 242, * 597. (Démographie des), p. 242, * 597. liasses-Alpes (Cicindélides), p. 232, * 547. Bassin commercial de la Seine, p. 342, * 997. Bassins lactislres pyrénéens, p. 228, * 516. Bayssellauce. — Discussion sur les lacs des Pyrénées, p. 337. Beaucaire port de mer, p. 365. Beauregai'd. Artère carotide interne des ruminants, p. 228. Canal curotidien des Chéiroptères, p. 229. Apophyse post- auditive des Chéi- roptères et des ruminants, p. 229. Discussion sur le ténia noir, p. 229. Bedous (Chemin de fer de), pp. 162, 163. Bedout (L.j. — Compteur densi-volumé- trique, 1». 183, * 257. Bellet (D.). — Progrès de la vapeur en France, p. 361, * 1064. Belloc (É.i. — Lacs pyrénéens, p. 206, 1 358. Discussion sur les champignons , p. 215. Végétation des lacs des Pyrénées, p. 216, * 412. Bassins lacustres pour la piscicul- ture, p. 228, * 516. ■ Montagne de FEspiaup, p. 247. TABLE ANALYTIQUE Belloe ^É.). — Géograpliie des lacs des l'vrénées, p. 336. Bcnoist ( F. ) , Coastructeur de nouA eaux verres de contact, p. 299. Berg^eon. — Traitement des affections des voies respiratoires, p. 309. Berg'onié. — Électrolvse des angiomes. p. 288. Discussion sur l'auscultation du cfrur, p. 294. Discussion sur un optomètre, p. 295. Rhéostat continu, p. 299. Berne (^Congrès et conférences de la paix). W, 1026. p. 169, p. Wt, Bernis (P.). — Raccordement parabo- li.iue, p. 168, * 212. Fondations à air comprimé, * 214. Berreus. — Mines d'Almaden, * 261. Berthiot (L.). Constructeur de verres de contact, p. 299. Biarritz (Météorologie médicale de), p. 289, -. 728. ' Bier«'n8 de Haan. — Correspondance de Huygens, p. 1.^6, * 159. Biôtrix. — Matière vivante à la surface de la mer, p. 232, * 543. Bigot (.\.). — Trigoniosjurassiiiues,p. 213, ^:392. Bilhères (Knceintes de blocs de), p. 248. Biographie de Viéte, p. 154, * 17. Biraben. — L'électricité appliquée aux chemins de fer, p. 162. Chemin de fer de Bedous, p. 162. Souterrain de Sumport, p. 162. Bize. — Discussion sur les courants ma- rins, p. 168. Blanc (Éd.i. — Plateau central de l'Asie, p. 39. Fabrication des briques, p. 188, *267. Levés topographiques en montagnes, p. 341, *984. Bladé (J.-F.). — Les Ibères, p. 237. Bloch IX.). — Pathogénie des anomalies dentaires, p. 314, ± 770. Blocs erratiques de l'Espiaup, p. 247. Boé. — .\mblyopie d'origine syphilitique, p. 306, * 757. Boinet (K.i. — Cirrhose atrophique du foie, p. 317. Bois secondaire, p. 219, * 456. Bolomètre, p. 178. Bonaparte iP" R.). — Variations pério- diques des glaciers, pp. 206, 330. Bonniei- (G.). — Flores des Pyrénées et des Alpes, p. 214, * 396. Bordage (Ê. . — Myologie des crustacés décapodes, p. 227, fsOS. Bordeaux (Épidémie de variole h\ pp. 278, 381. Bore 'Fluorure de), p. 182. 1217 -Tombe à char, Bosfeaiiv-Paris (Cii. p. 249, 2 6i;{. Tuiiiulus de Cauroy-les-MachauIt, p. 262, * 617. Botanique, p. 214, * .396. Bouchard (A. .—Discussion sur le peuple basque, p. 237. Discussion sur le pays basque, p. 241. Sur les Cagots, p. 243. Discussion sur les squelettes de Men- ton, p. 247. Bouchard ((].).— Deux cas de mixœdème, p. 292. Boudin. — Enseignements classique et moderne, p. 368. Dernières réformes de l'Université, p. .371. Discussion sur l'enseignement de l'histoire, p. 372. Discussion sur Tliypnotisme en pé- dagogie, p. 374. Bourquelot. — Production de la tréha- lose, p. 180. La Volémite, p. 183. Tréhalose dans les champignons, p. 217. Empoisonnement par les champignons, . pp. 223, 387. Bourses de session, p. 129. Boutan (L.). — Discussion sur les bas- sins lacustres, p. 228. Développement de l'Haliotide, p. 229, * 522. Bouvet. — Discussion sur les progrès de la vapeur, p. 362. Bozouls iTrou de), p. 332. Brachystémones, p. 220, * 460. Brassempoity (Excursion à), pp. 208, 250. (Grotte du Pape à), pp. 254, 257. Breil. — Discussion sur les plantes four- ragères, p. 326. Discussion sur la fertilité du sol, p. 328. Brevets d' invention , p. 351, * 1031. Briques (Fabrication des), p.~188, * 267. Broaage (La ville moi-te), p. 338, * 940. Bureau de l'Association, p. 120. des 1"^^ et 2° sections, p. 153. des 3" et 4" sections, p. 162. de la 5' section, p. 171. — 6« section, p. 180. — 7= section, p. 191. — 8' section, p. 204. - • — 9" section, p. 214. — 10° section, p. 225. — 11» section, p. 236. — 11' section, p. 269. _ 13.^ seclion, p. 320. — 14« section, p. 329. — 15° section, p. 345. — 16" section, p. 367. — 17' section, p. 376. 77* 1218 TABLE ANALYTIQUE Buzy (Dolmen dei, p. 248. Cabadé. — Discussion sur la phtisie, p. 273. Discussion sur la variole, p. 281 . Suffusion sanguine dans Tépilepsie, p. 305. Discussion sur l'amnésie rétrograde, p. 314. Cadastre (Réfection du), p. 332, * 862. (Réforme du), p. 353. Cagots des Pyrénées, pp. 243, 266, * 639. Caisses d'épargne françaises, p. 346, * 1007. Calcul chronologique et géographique, p. 339, * 956. Calderou. — Falsification des vins, p. 186. Étude des ptomaïnes, p. 186. ■ Liquides pathologiques, p. 189. Analyse médicale des urines, p. 318. Composition de liquides patholo- giques, p. 319. Calice ou périanthe simple, p. 222, * 479. Campaqna-de-Sault i Primaire de), p. 210, * 388. Canada écotwmicjue, p. 342. Canal carotidien des Chéiroptères, p. 229. Caoutchouc (Exploitation dui, p. 321, * 784. Caprines du crétacé des Pyrénées, p. 211. Caraveii-Cachiii (A.). — Plantes nou- velles du Tarn, p. 219. * 453. Carbonate de gaïacol et carbonate de créosote dans la phtisie, p. 296'. Cardesse (Le Liodon de'i, p. 231. Carotides primitives (Ligature des deuxi, p. 277, * 698. Carrés magiques de 8 et de 9, p. 155, * 136. (Historique), p. 158. Carfailhac (É.). — Discussion sur le pays hasque, p. 241. Discussion sur les squelettes de Men- ton, p. 246. Les enceintes de blocs à Bilhères, p. 248. Age de la pierre en Egypte, p. 267. Vertèbre lombaire percée par une flèche de silex. ]>. 310. A travers l'Aveyron, p. 332. Carte antipodale, p. 204. des silex moustériens de Salies, p. 249. ■ du grand-duché de Luxembourg, p. 333. Cauroy-les-Machault (Tumulus de), p. 262, * 617. Cauterets (Traitement par les eaux dei, p. 281. (Excursion à), p. 505. Cautérisation ponctuée, p. 276, * 692. Casalonga (D.-A.). — Locomotive Francq et Ménard, p. 163. Discussion sur l'augmentation de la puissance des locomotives, p. 166. Thermodynamique, p. 172. C'asaloiïg-a (D.-A.). — Brevets d'invention, p. 351, * 1031. Cassaiio i P" dej. — Adoption d'une heure unique, pp. 335, 358, * 1051. Discussion sur la journée de huit heures, p. 348. Discussion sur le dénombrement des Français à l'étranger, p. 357. Castonnet des Fosses. — Question du Soudan, p. 343. Catillon. — Discussion sur la phtisie, p. 274. Cavalier aux échecs, p. 156. Cavités dans la masse des glaciers, p. 208. Cazaux iD"' M.). — Climat des Eaux- Bonnes, p. 197. Discussion sur la médication saline, p. 272. Indications thérapeutiques des Eaux- Bonnes et des Eaux-Chaudes, p. 295. Cépages américains, p. 323. de Jurançon, p. 322. Céphalées (Traitement des), p. 285, * 718. Ceratonia siliqua L., p. 220, * 460. Certes. — Vitalité des germes, p. 225. Proposition de vœu, p. 322. Cerveau de C Hélix usperu, p. 234. d'un Tahitien, p. 265, * 629. Cézérac. — Nouveau stéthoscope, p. 297. Chaleur agent de désinfection, p. 391. Chalot (V.i. — Traitement de Tépilepsie essentielle, p. 277, * 698. Raccoui'cisiement des ligaments ronds de l'utérus, p. 282. Chalut (Pèche au), p. 226. t 494. Champignon (Matière sucrée dui, p. 183. de couche, p. 214, * 406. Champignons (Trélialose dans lesi, p. 217. Empoisonnement par les), pp. 223,387. Chaper. — Les mines de diamant, p. 5. Char (Tombe à), p. 249, * 613. Charaiicey (de). — Afîinités de la langue . basque, p. 238, * 573. Charente (Démographie de la), p. 266. lÉtude de la population), p. 267, * 654. — — Inférieure (Tumulus de laj, p. 262. Charles (Son mémoire), p. 352. Chauinier. — Discussion sur le sanato- rium de Dax, p. 270. Traitement de la phtisie, p. 296. Pseudo-paralysie syphilitique, p. 316, ■± 782. Chéiroptères (Canal carotidien des), p. 229, (Apophyse post-auditive), p. 229. Chemin de fer de Bedous, pp. 162, 163. transsibérien, p. 340, * 971. Chemins de fer, p. 40. (Électricité appliquée auxi, p. 162. (Vitesse des), p. 170. Cheyssoii (É.). — Habitations à bon mar- ché, p. 3'.6, * 1014. TABLE ANALYTIQUE 1219 Chiaïs D'). — Climatologie, p. 200. Maladies de la nutrition générale, p. 300. Chimie, pp. 180, 392, 2 ^ÔT. organique (Nomenclature), pp. 189, 392. Chlorure de })otassium et de sodium dans la cresson nette, pp. 2H, 325, ± 790. de zinc (Traitement de l'ozène) . p. 286. Chlorures (Influence sur la fertilité), p. 328, * 803. Choc des corps élastiques, p. 153, * 1. Chopiiiet iD'). — Étiulogie du goitre et du ( Titinisme. p. .389, * 1204. Christian. — Discussion sur une fracture de jambe, p. 275. Christianisme en Basse-Ethiopie, p. 343. Cicindé/ides des Basses- Alpes , p. 232, * 5i7. Cidaridées de ri''po(iuc l'ocène, p. 205, * 343. Cimetières gaulois île la Marne, \)'. 249, Z 616. Cinrniomètre, p. 157. Cirrhose atro|ihiiiue du l'oie, p. 317. Civilisation de la vive gauche de TArize, p. 266, * 649. Climat médical d"Argelès-Gazost, p. 753, li: :^I9. des Kaux-Bonnes, p. 197. Climatologie, p. 2U0. Climats et formes végétales, p. 220, * 463. Clinique hospitalière, p. 271, * 678. Cloche flottante (Manomètre ài, p. 160. Clos D'' P.). — Calice et oAaire infère, p. 222, * 479. Cofcoz I, C'). — Carrés de 8 et de 9, p. 155, * 136. Cœur Auscultation dui, p. 293. Collignoa (Éd.). — La science et l'art de l'ingénieur, p. 134. Choc de deux corps élastiques, p. 1.53, * 1. Prohlénio des corps flottants, p. 153, * 7. C'ollls'uon D' 1{... — Ktude anthropolo- gique des poi)u!atioiis françaises, p. 267, * 6.54. Colombie (Voyage en i, p. 330. Cobmies tropicales i Implantation du caout- chouc dans nos), p. .321, * 784. scolaires de vacances, p. 367. Coloration des eaux de la mer, p. 198, * 326. du ténia noir, p. 229. Colorimètre, p. 233. Combes Ch.). — Anli.vdridecamphoriijue, p 187. Comité local de Pau, p. 126. Commission cxlraparlemcntaire sur la ré- forme du cadastre, p. 353. Commission internationale de la nomen- clature ciiiiiiiipie, p, 456. Commissions permanentes, p. 125. Comptabilité d'un arsenal, p. 364, * 1109. Compte rendu financier, p. 148. Compteur densi- volumétrique, p. 183, * 257. Concentrations (Mesureur de), p. 233. Conférences faites à Pau, pp. 465, 488. faites à Paris, pp. 1, 5, 17, 25, .39, 40, 72, 79, 94, 112. et congrès de Berne, p. 347, * 1026. Congrès de Pau, p. 115. — — - des américanistes, p. .358. ■ ■ chiiui([ue en 1889, p. 392. Connaissances humaines (Cercle des), p. 369, * 1134. oc Conopodium denudatum » Koch, p. 217, * 445. Conseil d'administration, p. 120. Consonnes (Transformation des), p. 369, * 1118. Construclions . 210, t 382. des Pyrénées, p. 211. Crétinisme lÉtiologie dm, p. 389, * 1204. Creuse (Étude des populations', p. 267, * 654. Crova iA.i. — L'Associati.)n française eu 1891-1892, p. 142. Photographie et méthodes photomé- trifjues, p. 171. Bolomètre, p. 178. Crustacés décapodes, p. 227, iH 503. Cultures tropicales, p. 340. Cumulus isole (Éclairs lians un, p. 199. Cyphotiques (Accouchement provoqué), p. 275. Daignestou!«. — Préhistorique du Gers, p. 263. Daniel L. . — Greffe dos ])lantes en ger- uiination, p. 220, * 465. Darbas L... — Station de Montcomfort, p. 267. Dax (Sanatorium thermal i, p. 270, * 665. (Médication salinei, p. 271, * 678. Déclinaison (Influence de la lune en), p. 201 . Décret, p. I. Déformation des corps isotropes, p. 159, 2 190. Dekterew iD"- de). — Hypnotisme et pédagogie, p. 373. Épidémie cholérique en Russie, p. 387. nelacre. — Tetraphényléthanone,p. 181. Uelavaud (C). — Brouage, la ville morte, p. 338, * 940. Délégués de l'Association, p. 121. des sections, p. 121. officiels, p. 129. Délétie. — Mesure des volumes, p. 157. Delmas. — Sanatorium thermal à Dax, p. 270, * 665. . Discussion sur les courants élec- triques, p. 291. Deltbil (D"'). — Traitement de la phtisie pulmonaire, p. 273. Accouchement provo(iué, p. 275, Adduction des eaux potables à Paris, p. 376. Delvaille (D'j. — Colonies scolaires de vacances, p. .367. Mission en Espagne, p. 382. Démocratie (Enseignement public^ p. 375, * 1155. Démographie des Basques, p. 242, * 597. de la Charente, p. 266. Démons. — Gangrène de l'épiploon, p. 312. Dénombrement des étrangers en France, pp. 335, 361, * 1057. Dénombrement des Français à l'étranger, p. .357, * 1057. Départements montagneux, p. 379, * 1163. Déperdilomètre, p. 195, * 296. Dépupulaliun des départements monta- gneux, ]). .379, z 1163. Oeppez (M.i. — Appareils à rovdeltt-s, p. 1.57. Fonction logarithmique, p. 157. Cinémomètre à vis différentielli-. p. 157. Appareil ]>our dé'crirc la riroite. p. 160. Amortisseur cinématique, p. 160. Pantographe, p. 160. Augmentation de la puissance des locomotives, p. 16'*. Transmission de la force, pp. 169. 177. Marche des moteurs à vapeur, p. 174. Transmission électrique de l'énergie, p. 177. Désinfection publique, p. .390. (Chaleur agent de), p. 391. Dessin précurseur linani-es de l'Asso- ciaticjii, p. l'»8. Ciiandy J»" . — Observations à Bagnères- de-Bigurre, p. 194, * 290. Gangrène del'épiploun, \). 312. Gurgas (Grotte supt-rieurci, p. 249. Ciarrig;oa-Cag range (P.i. — Pression barométrique ea hiver, p. 201. Mouvements tourbillonnaires dans les fluides, p. 2(i2. Gascogne (Dunes de la côte de, p. 209. Ciasselin. — Action du fluorure de bore, p. 182. Cîassend. — Rapport sur la question pro- posée à la 13" Section, p. 324. «auhe f.J. . — Sol animal, p. 227, *507. . 247. Glaciers français (Variations périodiques), pp. 206, 330. (Cavités dans la masse des), p. 208. des Pyrénées, p. 338. Globe producteur de courants, pp. 37, 167, 193, 338, 382. Gobin. — Discussion sur les courants marins, pj). 167, 168. Discussion sur le ) rem-en, p. 212, * 3911. Gradient vertical, p. 198. Graisse de l'organisme, p. 189. Grand central sibérien, p. 340, *971. Greffe des plantes en germination, p. 220, * 465. Grenouille (Sang de la), p. 226, * ^88. Grimai (M.) Son mémoire), p. 352. Grotte supérieure de Gargas, p. 249. de Brassempouy, pp. 208, 250,254,257. du Ciel ouvert, p. 264, * 623. du Mas-d'Azil, pp. 205^ 266, ± 649. Grottes des fiaoussé-Roussé, dites de Menton, pp. 205, 246, * 347. Groupe l", p. 153, * 1. 2% p. 171, *238. 3% p. 204, * 343. 4' , ]). 320, * 784. Guébharil (T)' A.). — Optomètre à lec- ture directe, p. 178. Fouilles de tumuli à Saint-Césaire, p. 264. Guerne (J. de>. — Faune pélagique, p. 230, * 526. GuilbauFt (A.. — Comptabilité d'un arsenal, p. 364, * 1109. Guilbean (D^.— L'Eskal-Herria, p. 239, *589. Discussion sur les cagots, p. 244. Guimaraes R.i. — Aires coniques, p. 156, * 166. Guinée française, p. 334, * 880. Guiraut. — Discussion sur le dénom- brement des Française l'étranger, p. 357. Guyot (Y.). — Discussion sur le droit de, fabriquer un pain différent du pain taxé, p. .3.50. Rapport sur les mémoires de MM. M. Grimai, É. Worms, Flour de Saint Genis, Charles, etc., p. 352. Application de V « Acl Torrens », p. 352, 2 1047. Gynécologie (Eaux chlorurées sodiques en), p. 312. Habitations à Ijon marché, p. 246, * 1014. Hachette tonkinoise en grès vert, p. 261. lla:;en i D'). — Voyage aux îles Salomon, p. 330, * 820. Haïti (Voyage en), p. 330, * 806. Haliotide (Développement dei, p. 229. *522. Hanoi (De; à Bangkok, p. 331, *843. Uanriot. — Isoxazols, p. 180. Gaz de la respiration, |). 189. 1224 TABLE ANALYTIQUE Hani'iot. — Graisse de Torganisme, p. 189. Séparation du fer et de l'alumine, p. 189. Hansen (J.). — Carte du grand-duché de Luxembourg, p. 333. Hmife-Garonne (Montagne de TEspiaup), p. 247. (Station de Monteomfort), p. 267. (Vallée de la Rouje), p. 338. Haute-Vienne (Éiude des populations), p. 267, *654. Heckel. — Sexualité du « Ceratonia ^. 379, * 1163. Journalisme (Fondateur du), p. 25. Journaux repi'ésentés, p. 131. Journée de huit heures, p. 347. Jura (Végétation des lacs), p. 215. Jurançon (Empoisonnement par les cham- pignons), pp. 223, 387. (Vin et cépages), p. "322. (M""'). — Discussion sui- Kergomard l'enseignement français, p. 370. — Discussion sur l'enseignement l'histoire, p. 372. — — Discussion sui' renseignement des langues modernes, p. 373. Lincaze-Dutliicrs (de). — Discussion sur l'Hélix aspera, p. 234. Lacs de Yan et d'Ounniali, ]>. 72. pyrénéens (Formation), p. 206, * 358. du Juia, p. 215. des l'yrénées, ]>p. 216, 336, * 412. des Hautes-Pyrénées, p. 230, z 526. ■faisant (C.-A.). — Courbes unicuisales, |.. 154, * 25. Liajard ?^.). — Discussion sur les cagots, pp. 244, 245. Silex moustériens de Salies, p. 249. Lialanze (E.). — Beaucaire port de mei-, p. 365. I^allemand (Ch.). — Niveau moyen de la niei-, [>. 333, * 867. I.iaiiabère. — Reconstitution des vigno- bles dans les Landes, p. 323. TABLE ANALYTIQUE 122o Landes (Excursiun à Brasscmpoii\ i, p. 250. (Reconslitutiuii des vii^'iiublesi, p. 323. Liinrjtie basque, p. 236, * 555. (ses atlinités), p. 238, ± 573. Langues modernes (Knseignement), p. 372. I^antier (D'). — Économie sociale et santé publique, p. 364. Laparotomies pratiquées à l'hôpital de Pau, (de) — La grotte du Pape, de). — Origine de la Ijaporterie p. 257. I^apparent ( A. liouille, p. 94. Liarat. — Progrès de PéJectrothérapie, p. 287. L.avauza. — .Médication saline, p. 271, * 678. La Rochelle (Fouilles de Virson), p. 262. Ijarrieu. — Discussion sur le pays basque, p. 240. fMruns (Excursion à), p. 505. I^auj^a {\)'). — Épidémie de variole à Bordeaux, p. 278. Discussion sur la surveillance ad- ministrative des denrées, p. 380. Épidémie de variole à Bordeaux, |). 381. ■..aussedat (CoP' A.i. — Piiotographic et le\er des plans, pp. 169, 333, ± 215. Lavements gazeux (Traitement par les), |.. 309. E,aTer5:ne. — Discussion sur la médica- tion saline, p. 272. Eivon (D"-). — Action du pnciimogas- triiiue, 1). 299. Discussion sur la surveillance des denrées, p. 380. Discussion sur la variole à Bordeaux, . p. 381. • Discussion sur le lysol, p. 381. Avantages du « tout à l'égout », p. 383. LIaurado (A. de). — Culture des dîmes d'Andalousie, p. 327, * 792. Locomotives Francq et Ménard, p. 163. (Puissance des), p. 164. I^ofilalot-Bachoué ide). — Valeur thé- i-.ilieuliquedes eaux chlorurées sodiques, p. 312. Liouge. — Préhistorique de l'Armagnac, 1). 263. Lourdes (Excursion à), p. 505. Loyer de l'argent, p. 345. E^uetkens (de). — Discussion sur les champignons, p. 215. Discussion sur les lacs des Pyrénées, p. 216. Lune (Son influence en déclinaison , p. 201. Luxembourg (Carte du grand-duché de^, p. 333. Luz-Saint-Saureur (Excursion à, p. 50.». Lysol. (ses applications médicalesi, pp. 308, 381. Mabyre (M.). .Album des sersices maritimes jiostaux), p. 336. Maçonnei-ie sur rouet, p. 169, t 214. 1226 TABLE ANALYTIQUE Discussion sur les cagots, llagitot. p. 243. Kxcursioa à Brassempouy, p. 250. Cagots des Pyrénées, p. 266, * 639. Discussion sur les anomalies den- taires, p. 314. Hagnin (D' A.). — Discussion sur les llores des Pyrénées et des Alpes, p. 214. Végétation des lacs du Jura, p. 215. Discussion sur les lacs des Pyrénées, p. 216. Discussion sur les formes végétales, p. 220. Végétation des recM/ëes, p. 224. llalaquiii (A.). — Absorption et excré- tion chez les Syllidieiis, p. 232, * 5.39. « Manche » (Voyage de la), pp. 198, 341, *326. Manomètres à cloche flottante, p. 160. llanouvrier (L.i. — Cerveau d'un Tahi- tien, p. 265, * 629. lia reliai. — Observations thermométri- ques, p. 202. Mariages consanguins, p. 283, * 706. Marne (Cimetières gaulois), p. 249, *616. Marseille (Température àj, p. 199. (Hôpitaux), p. 291, * 742. llartia (.1.). — Les chemins de fer, p. 40. Grandes vitesses des chemins de fer, p. 170. Mas-d\izil (Grotte du), pp. 205,266, * 649. Alasséiiat. — Fouilles de la Vézère, p. 261. Mathéinuliques, p. 153, * 1- Matière vivante à la surface de la mer, p. 232, * 543. Mauléon (Kxcursion à), p. 499. llaurel. — Bactéridie charbonneuse, p. 296. Mécanique, p. 153, * 1. Médecine^ p. 269, * 665. publique, p. 376, * 1163. Médication saline, p. 271, ^678. Médimarémètre, p. 333, * 867. saendez(E.). — Remous atmosphériques, p. 196, * 300. Éclairs dans un cumulus isolé, p. 199. Menton (Grottes dites de), pp. 205, 246, * 347. (Squelettes dei, p. 246. Mer (Coloration des eaux), pp. 198, 341, *326. (Matière vivante à la surface), p. 232, * 543. (Niveau moyen), p. 333, * 867. Uléraii. — Discussion sur la variole, p. 280. Discussion sur la reconstitution des vignes, p. 321. Discussion sur le « tout à l'égout », p. 385. • Discussion sur l'étiologie du goitre, p. 389. Mercure (Traitement du), p. 184, *261. IMergfier. — Unités en photométrie, p. 172. Focomètre. p. 174. Nouvel optomèlre, pp. 175, 295. Discussion sur l'emploi des courants continus, pp. 290, 291. Discussion sur l'auscultation du cœur. p. 293. Mermis, p. 230, * 529. Mesnard (Locomotive Léon Francq et), p. 163. Mesnard (E.). — Analyse de l'essence de santal, p. 221, * 476. Mesure des indices, p. 177. Métaux nit.rés, p. 182. Météorologie, p. 191, * 273, des Deux-Sèvres, p. 191, * 273. dynamique, p. 199. médicale de Biarritz, p. 289, * 728. Méiropolitain de Paris, p. 166. Meunier. — Discussion sur le traitement des diabétiques, p. 276. Discussion sur la variole, p. 280. M iehou (D--). — Reconstitution des vignes, p. 320. Microbisme dû à une alïection générale, p. 278. Migraine (Traitement de la), p. 285, * 718. .1/// chandelle, p. 326. Mine (A.). — Trafic du port de Dun- kerque, pp. 335, 361, * 903. Minerai de mercure (sa réduction), p. 184, * 261. Minéralogie et géologie, p. 204, * 343. Mines de diamant, p. 5. d'Almaden, p. 18i, * 261. Slireur. — Désinfection publique, p. 390. Mission en Espagne, p. 382. Myxœdéme (Deux cas de), p. 292. Moisissure cultivée, p. 180. Môle du champignon de couche, p. 214, * 406. Monod. — Amnésie rétrograde, p. 313. Montagne (Sanatoria de), p. 304. Montagnes (Réfraction atmosphérique), p. 199. (Levés topographiques en), p. 341, * 98 't. Montcomfort (Station de), p. 267. Monts Tumuc-Humac, p. 334, * 884. Monuments mégalithiques de l'Espiaup, p. 247. Morcellement de la France, p. 363, * 1085. llortillet (G. de). — Anthropologie de la France, p. 267. ■lossé. — Anesthésie pharyngienne et épiglottique, p. 305. Moteurs à vapeur à grande vitesse, p. 174. Moti^tte' (Troubles de la), p. 315. lloulouguet. — Fracture de jambe chez une hystérique, p. 274, * 686. TAIJLK A.NALYTIULE \m lloure (É.-J.i. — Traitement de l'ozènc, p. 286. Moiioements tourbillonnaires, pp. 202, 203, * 3.36. vibratoires rectangulaires, p. 202. Musée pyrrnren, p. 212, * 390. Musées sociologiques, p. 362, ± 1073. lluNg-rave-Clay. — Discussion sur la médication saline, p. 273. Myoloi/ie des crustacés décapodes, p. 227, * 503. IVabias (lî. de). — Pilaire du sang de la grenouille, p. 226, f 488. — ■ Ténia noir cliez riiomnie, p. 229. Cerveau de THéli.x aspera, p. 234. Navigation, p. 162, * 212. Xéoplasmes des organes génitaux, p. 298. IV'epveu. — Lésions du foie, p. 310. Xeubourg iKau du), p. 276, * 688. Neuriisihénie (Troubles de la niotilité), p. 315. Xévralgie sciatique (Traitement par cou- rant continu), p. 290, * 735. Névrome plexi forme, p. 291, * 738. Névroses vermineuses, p. 286, * 722. IVicaise (E.). — Suture des sphincters dans l'opération de la fistule à l'anus, p. 310. * 762. Niger (Exploration du), pp. 335,361, ^890. Nimbus^ p. 203. Nitrate d'argent (Traitement de l'ozènei. p. 286. Niveau moyen de la mer. p. 333, * 867. Nombres triangtitaires, p. 155, * 136. Nomenclature chimique, pp. 189, 392. des résidus, p. 411. des composés à fonctions complexes. p. 414. des dérivés substitués du benzène, p. 419. des corps à chaînes fermées, p. 428. énoncialive des composés de la série grasse, p. 445. Nomographie, p. 170. I\'oruiand (C). — La Troie d'Homère, p. 1. iVor/HO«t/ie (Trigonies jurassiquesl, p. 213, * 392. Nuages (Photographie des;, p. 193, * 284. Numératioii (Enseignement de la), p. 369. A\utrilion générale (.Maladies de la), p. 300. Objectifs de photographie, p. 174. Observations à travers les Pyrénées, p. 175. thermomélriqiies, p. 202. météorologiques, p. 202. Observatoire à Orlhez, pp. 191, 197, * 279. Ocagne (d'). — Transformation quadra- tique birationneile, p. 156. La nomograiihie, p. 170. Oddo. — Anomalies des valvules sig- moides de l'aorte, p. 316. Œdème pulmonaire, p. 28». Œil (.4métropio), p. 295. Oger. — Humidité du sol et structuie des plantes, p. 219, £ 450. Ollier. — Résection typique du genou, p. 301. Oloron -Sainte -Marie (Excursion à), p. 505. Ondes stationnaires, p. 173, *243. 06 (Glacier quaternaire d'), p. 247. Opérations sur le terrain, p. 162. économiques, ç.'i^i. Ophite de Puuzac, p. 210. Optique (Méthode) de dosage, p. 187. Optomètre, p. 175. à lecture directe, p. 178. portatif, p. 295. Oran (Grotte du Ciel ouvert), p. 264, * 623. Orbitolines du crétacé des Pyrénées, p. 211. CReilly. — Listes seismiques de M. Alexis Perrey, p. 204. Éruptions volcaniques, p. 331. Organes génitaux iXéoplasmes des), p. 298. Organisme (La graisse dans 1'), p. 189. Organismes microscopiques, p. 225. Orléans iP'^" Henri d'). — Excursion en Indo-Chine, p. 331, * 843. Orographe transformé en tachéographe, p. 332, * 860. Orlhez (Observatoire projeté), pp. 191,197, *279. Brassempouy près) , - (Excursion 208. (Excursion à), p. 499. 248. Ossou (Vallée d'i, p. Ossements (Contemporanéité des), p. 208, * 377. OsJéomyélite, p. 284, * 714. Ovaire infère, p. 222, f 479. Ovariolomies pratiquées à l'hôpital de Pau, p. 304. Ozéne (Traitement de 1'), p. 286. Pain (Taxe du), p. 348. différent du pain taxé, p. 350. l*aniard. — Discussion sur la résection du genou, p. 303. I*autet. — Appareils pour l'enseignement de la numération, p. 369. Pantographe, p. 160. Papaver rhœas et Papaver Bracteatuni, p. 221, * 467. Pape rCrotte du), p. 257. Paradis. — Le dessin précurseur de l'écriture, p. 368, * 1116. Parasite du champignon, p. 214, * 406. Paris (Métropolitain de), p. 166. (Eaux potables de), p. 376. (Conférences faites à), pp. 1, 5, 17, 25, 39, 40, 72, 79, 94, 112. Parinentier (G''). — Le cavalier aux échecs, ]>. 156. Paroisse i,G.). — La rivière (!omiii)ii\, p. 334, *880^ Passy (F.). — Discussion sur les sociétés de secours mutuels, p. 345. 1228 TABLE ANALYTIQUE Passy F.}. — Congrès de la paix eu 1892, p. 347, 1 1026. Discussion sur la journée de luiit heures, p. 348. Discussion sur racquisition de la propriété, p. 355. ■ Discussion sur un mpu au sujet de l'émigration, p. 360. Discussion sur les progrès de la va- peur, p. 362. Arbitrage en matière industrielle, p. 363. ■ Discussion sur renseignement des langues modernes, p. 373. Éducation physique, p. 373, 2 1152. Pathogi'nie des anomalies dentaires.~p. 314 2 770. ' ' Pau I Congrès de), p. 115. (Comité local de), p. 126. iÉlectrophoro inventé à .p. 179. £254. 'Empoisonnement à Jurançon près), p. 22.J. " ^ ' (Laparotomies prati.iuées à , p. 304. (Musée sociologique), p. 362. ■> 1073. — (Conférences faites à), pp. 465. 488. Pavot. — Etj inologie franco-latine, p. 369 2 1118. Pays basque, p. 239. £ 589. -.Émigration). p~335. Pi-che au grand chalut, p. 226. =:= 494 Pédagogie, p. 367,2. HIH. [Hypnotisme 1, p. 373. Pellin. — Réfractomètre Férv, p. 176. 2- 245. Pendeloques et amulettes, p. 263. - 619. Penkillaria spicata. p. 326. Pérès (G.I. _ Le Grand C^ntj-al sibérien p. 340, 2 971. PmoH//je (Préfloraison dm. p. 221. «467. simple, p. 222, * 479. Périloiiite traumalique7p. 289 Perret ,M.). - Rôle de Thumus dan< la végétation, p. 325, 2 788. Petit (E.). — Discussion sur les bassins lacustres pyrénéens, p. 228. Exploitation du caoutchouc, n. 3-»l 2 784. ' ~ ' Piésentalion de la trigonelle bleue p. 326. Pevple basque, p. 236, 2 ôôô- Peyrusson. — Discussion sur les pto- maines, p. 186. Pliéinjlhi/drazine (Son action'i. p. 187. Phonot/'lémèlre du capitaine Thouvenin p. 339. Phosphorescence du sidfure do zinc. p. 176. Photograpliie appliquée au levé dt pp. 169. 333, 2 215. 862. et photométrie. p. 171. (Objectifs . p. 174. des nuages, p. 193. 2 284. des Pyrénées, p. 338." plans. Photomètre (faibles édairagesl, p. 176. Photométrie -Application de la photogra- phie), p. 171. (Détermination des unités), p. 172. Phtisie pulmonaire, pp. 273. 283. -Traitement thermal i, p. 276, * 692. (Tiaitement intensif), p. 296. Physiologie, p. 225. 2 ^88. Physique, p. 171, * 238. du globe, p." 191. 2 273. Pic (lu Mid:. p. 33G. Pîche lA.i. — Êlectrophore à rotation. P 179, zo'i. Discussion sur l'observatoire d'Or- thez. p. 192. Le dèperditomètre, p. 195. 2 296. Discussion sur le globe producteur de courants, p. 194. Place de la sociologie dans les con- naissances humaines, p. 362, 2 1073. Discus-ion sur l'enseignement clas- sique et moderne, p. 369. Cercle des connaissances humaines, p. 369.21134. Pierre/itte (Rxcursion à), p. 505. Piett»". — Grotte du Mas-d'Azil. p. 205. Discussion sur les squelettes de Men- ton, p. 246. Discussion sur la montagne de l'Es- piaup. p. 247. Ci\ilisation de la rive gauche de TArize. p. 266. 2 649. Pineau. — Hachetle tonkinoise en grès vert. p. 261. Tupiulus de Yirson, p. 262. Pisricalture, p. 228. 2 51t>- Pisson (G.'. — Races des vallées du Tigre et de TEuphrale, p. 79. 5*îtres. — Troubles de la molilité dans la neurasthénie, p. 315. Plaie par balle de revolver, p. 289. Plantations des pays chauds, p. 340. Planté. (A.). — Discussion sur l'observa- toire d'Orthez, p. 192. Émigration des pays basques, p. 335. Discussion sur le dénombrement des Français à l'étranger, p. 357. Le Congrès des Américanistes, p. 358. Présentation d'un vœu au sujet de rémigration, p. 359. Plantes nouvelles du Tarn. p. 219, *• ^^3. — fourragères, p. 326. Plcuré&ie séreuse (Traitement de la), p. 277, *701. Pneumogastriipie -Action du), p. 299. Poisson frais (Pêche du), p. 226, 2 -494. Poissons osseux, p. 233. Po/i (Influence du I. p. 177. Poœier (D'i. — Discussion sur lescagots, p. 245. Discussion sur l'œdème pulmonaire. 1). 285. TABLE AN.VLYTliJLK 12i2y Poiiiier(L)'i. — Discussion sur la résection du ficnou, p. 303. L.iparutuniies à Pau, p. 304. Poiunierol. — Discussion sur les siiue- leltes de Menton, p. 24G. Discussion sur letumulus de Virzon, p. 262. Pendeloques et amulettes, p. 263. :^619. Discussion sur l'âge de pierre, p. 267. Populations fraiiçaiseï (Étude des^ p. 267, *654. Porte d'Enfer et vallée de la Rouye, p. 338. Poiichet iD"' G.). — Coloration des eaux de la mer, pp. 198, 341, 2 326. Histoire des diatomées, p. 218. Discussion sur les bassins lacusties pyrénéens, p. 22K. Poule domestique, p. 227, £507. Pouzuc (Opiute de), p. 210. Préfloraison des coquelicots, p. 221, * 467. Préliistorique ^aint-lllartin. — Météorologie dyna- mique, )). 199. Saint-Pierre (R. dei. — Discussion sur l'auscultation du cœur, p. 294. Saint-Saud (C" de). — Pyrénées espa- gnoles, p. 340. Saint-Césaire (Fouilles à;, p. 264. Christau (Excursion à), p. 505. Dié (Industries de), p. 364, * 1104. Ma/'im-sur-0»anne (Observations à), p. 202. Martory (Station de Montcomfort), p. 267. Palais (Excursion à), p. 499. Sever (Crétacé de), p. 210, * 382. Salies-de- Béarii (Silex moustériens), p. 249. (Excursion à), p. 499. Sallenare. — Discussion sur le vin de Jurançon, p. 323. Discussion sur le rôle de l'humus dans la végétation, p. 325. Discussion sur les chlorures de so- diurti et de potassium dans le radis et la cressonnette, p. 325. Influence des sulfates, superphos- phates et chlorures sur la fertilité du sol, p. 328, * 803. fiambuc. — Formes végétales et climats, p. 220, z 463. Sanatorium dans les Pyrénées, p. 195, * 291. TABLE ANALYTIQUE 1231 Sanaloriitm thermal à l»a\, p. 270, :^ 665. (le montagne, p. 304. Sang de la grenouille, p. 226, ^ 488. Saporomètre, p. 233. Sauveterre (Excursion à), p. 499. Savants étrangers, p. 129. Say (L.). — Discussion sur les sociétés (le secours mutuels, p. 345. Discussion sur la taxe du pain, p. 345. Réforme du cadastre, p. 353. ■ Discussion sur l'acquisition de la propriété, p. 355. Rapports de l'économie politique avec les autres sciences, p. 488. Scaphandre (Son utilité dans les recherches zoologiques), p. 229, f 522. Schrader iF.). — Projets d'observations, p. 175. Réfraction atmosphérique, p. 199. Levés des Pyrénées, p. 332, ^ 860. Réfraction entre le Pic du Midi et un sommet espagnol, [>. 336. Sciences économiques, p. 320, * 784. mathématiques, p. 153, *. 1. médicales, p. 269, * 665. - naturelles, p. 204, * 343. Séance générale d'ouverture, p. 133. Secrétaires des sections, p. 121. Sections, l" et 2' , p. 153, * 1. 3- et 4% p. 162, ± 212. Section 5% p. 171, * 238. 6% p. 180, 392, * 257. 7% p. 191, ± 273". 8% p. 204, * 343. 9», p. 214, * 396. 10% p. 225, * 488. 11-, |). 236. * 555. 12% p. 269, =i= G65. 13-, p. 320, * 784. 14-, p. 329, * 806. 15-, p. 345, * 1007. - 16% |.. 367, i 1116. 17-, p. 376, * 11 03. Sécurité des cl)emins de fer, p. 40. SéjSfuler (B°°). — Observations météoro- logiques, i>. 202. Seine (Rassin commercial), p. 342, * 997. Semirhon. — Perméabilité des sols, p. 327, :i;795. Serres. — Discussion sur l'ostéomyélite, p. 284. Discussion sur l'œdème pulmonaire, p. 285. Services maritimes postaux, p. 336. S?6ene iGrand-Cenlral), p. 340, * 971. Sieur. — .Météorologie des Deux-Sèvres, p. l'.il, *273. SUex moustérietis de Salies, p. 249. Silicates sidfurifi'res, p. 185. Sirodot.-- Squelette des poissons, p. 2.33. Société électrique des Pyrénées (Visite in- dustrielle), p. 517. Sociétés sarantes représentées au Congrès p. 130. de secours mutuels, p. 345. , Sociologie (.Sa place dans les connaissances humaines, p. 362, -^ 1037. Sol (Humidité du'i, pp. 216, 219 * 433 450). animal, p. 227, jj; 507. Sols (Perméabilité et division des), p. 327, *795. (Fertilité), p. 328, £ 803. Solutions imaginaires en géométrie, p. 155, * 132. de KCl et XaCl, p. 172, * 238. Soudan (Question du), p. 343. Souterrain de Suraport, p. 163. Spécialisation thérapeutique des Eaux- Chaudes, p. 296. Squelette des poissons, p. 233. Squelettes des groites des Baoussé-Roussé, p. 205, 246, * 347. Statuts, p. III. Station de Montcomfort, p. 267. Statistique, p. 345, * 1007. Stéthoscope, p. 297. Structure des plantes, p. 219, * 450. Substances'intra-ossruses (Pertes de), p. 284, *714. Suc thyroïdien (Injections de), p. 292. Suffusion sanguine dans l'épilepsie, p. 305. Sulfates (Influence sur la fertilité), p. 328, * 803. Sulfure de zinc 'Phosphorescence du), p. 176. Sulser (Verres de contact du DO, pj). 171, 299. Sumport (Souterrain dei, p. 163. Superphosphates ^Influence sur la fertilité), p. 328, * 803. Surfaces d'égale incidence, p. 156, * 166. Surveillance administrative sur les denrées, p. 380, * 1175. Suture osseuse, p. 274, * 686. des sphincters, p. 310, * 762. Syllidiens, p. 232, * 539. Syphilis (.A.mblyopie causée par la), p. 306, * 757. Pseudo-paralysie, |i. 316, * 782. Table des matières de la première partie, p. 52. de la deuxième partie, ± 1234. analytique, * 1215. Taehard. — Traitement de la pleurésie séreuse, p. 2/ /, * 701. Cas d'appendicite, p. 301. Tachéographe (Orographe transformé en), p. 332, * 860. Taliilicti (Cerveau dunj, p. 265, * 629. Tardy. — In cas de tératologie, ]>. 266. Tarn Plantes nouvelles dui, p. 219. 2 453. Tarry G.). — Solutions imaginaires en géométrie, p. 155, * 132. 1232 TABLE ANALYTIQUE TaTcrui. — Études d'anthropologie cri- j minelle, p. 249. Expositions d'art didactique, p. 367. Discussion sur l'enseignement clas- sique et moderne, p. 369. Enseignement de l'histoire à rebours, p. 371. Taxe du pain, p. 348. Teisserenc de Bort (L.). — Gradient vertical, p. 198. Discussion sur la ^ climatologie , p. 2U0. . Discussion sur les nimbus, p. 203. Mouvements tourbillonnaires, p. 203, ■± 336. . Discussion sur les dunes, p. 210. ■ Moyens de combattre la rage, p. 388, * 1198.' Ténia noir chez l'homme, p. 229. Tératologie (Un cas de,i, p. 266. Terre de Feu, p. 339, * 961. Tétraphényléthanone (Synthèsej, p. 181. Thalassinidés, p. 227, * 503. Théophrasle Renaudot, p. 25. Thérapeutique des Eaux- Bonnes et des Eaux- Chaudes, p. 295. chirurgicale (progrès), p.'298. Thermes. — Discussion sur le sanatorium thermal à Dax, pp. 270, 271. Discussion sur une fracture de la jambe, p. 275. . Discussion sur le traitement des eaux de Cauterets, p. 282. Discussion sur la douche statique. 286, p. 286. Des névroses vermineuses, p. *722. Injections hypodermiques, 306. Discussion sur l'étiologie de la lèpre. p. 307. Climat médical d'Argelès - Gazost , p. 309, * 753. Thermodynamïque, p. 172. Thermomètre enreijistreur, p. 196, * 317. Thomas. — Acides bromacri tiques, p. 181. Acide propamylique, p. 189. Thouvenin ^ Fhonotélémètre du capitaine), p. 339. Tigre (Vallées duj, p. 79. Tison fD' Éd.). — Discussion sur la va- riole, pp. 280, 281. Le lysol, pp. 308, 381. Discussion sur les eaux de Paris, p. 378. Discussion sur la surveillance admi- nistrative des denrées, p. 380. Discussion sur la variole à Bordeaux, p. 381. ■ Discussion sur le « tout à l'égout », p. 384. Discussion sur l'épidémie cholé- Tison(D'^Éd.). — Discussion sur les moyens de combattre la rage, p. 388. Discussion sur l'étiologie du goitre, p. .389. Discussion sur la désinfection pu- rique en Russie, p. 388. blique, ji. 390. Tisserand (P. i. — Industries de Saint- Dié, p. 364, z 1104. Tombe à char, p. 249, * 613. Tomelle Saint-Pierre, p. 262, * 617. Tonkin (Hachette du Hà-Giam. p. 261. Topographie au point de vue colonial, p. 339. Tour Moncade i Observatoire), pp. 191, 197, * 279. Tout à Végoul et tout à la mer, p. 383. Trabaud. — Discussion sur l'enseigne- ment classique et moderne, p. 369. Critique de l'enseignement français, p. .370. Traction mécanique des tramways, ]>. 170. Trafic du port de Dunkerqiie, p. 335, * 903. Tramways (Traction mécanique des;, p. 170. Transformation quadratique birationnelle, p. 1.j6. Transmission de la force, p. 169. électrique de l'énergie, p. 177. Transsibérien, p. 340, *971. Trarzas (Campagne dans les^ p. 329. Traumatisme cérébral grave terminé par la guérison, p. 313. Travail interne et travail externe, p. 172. Travaux imprimés présentés aux 1" et 2= sec- tions, p. 161. présentés à la 5= section, p. 179. — à la 7» — p. 203. — à la 8" — p. 213. — à la 10° — p. 235. — à la 11= — p. 268. — à la 14= — p. 344. — à la \h' — p. 365. — à la le-^ — p. 375. Tréhalose (Production de la), p. 180. dans quelques champignons, p. 217. Trépanation, p. 311, * 764. Triangle (Géométrie du), p. 155, * 101. Trigonelle bleue, p. 326. Trigonies jurassiques, p. 213, * 392. Trigonométrie de Viète, p. 160, * 208. Trivier (Cap"") . — Voyage on Haïti et en Colombie, p. 330, * 806. Troie (La) d'Homère, p. 1. Troubles trophiques et moteurs, p. 311, * 764. Trutat (E.). — Cavités dans la masse des glaciers, p. 208. Les Pyrénées (Conférence), p. 465. Tuberculeux à hémoptysies, p. 281 . Tumuli de Saint-Césaire, p. 264. Tumulus de Virson, p. 262. Tunisie (Applications de l'a Act Torrens»), p. 352, * 1047. TABLE ANALYTIQUE 1233 étrangers en Tuque-Rouye (Excursion à), p. 338. Turkeslan russe et chinois, p. 39. Tarquaa (V.). — Dénombrement des Français à l'étranger, p. JJT, 210^7. Dénombrement des France, pp. 335, 361, * 1057 Université (Dernières réformes), p. 371. Urémie éclamptique, p. 317. Urines (Analyse médicale), p. 318. Utérus (Ligaments ronds de 1'), p. 282. Vacances (Colonies scolaires), p. 367. Vallée d'Ossau, p. 248. de la Vézère, 261. Valvules sigmoides de l'aorte, p. 316. Vapeur itccumulce (Locomotive à), p. 163. en France ( Progrès ) , p . 362 , * 1064. sous pression (Désinfection par), p. 391. Variations périodiques des glaciers, pp. 206, 330. Variole (Épidémie de), pp. 278, 381. Vauthier (L.-L.). — Programme de l'en- seignement public en démocratie, p. 375, z 1155. Assainissement de Paris, p. 382, *1177. Végétation des lacs du Jura, p. 215. — des Pj renées, p. 216, Z 412. et humidité du sul, p. 216, 2 433. des reculées, p. 224. (Rôle de l'humus), p. 325, 2 788. Verdeiial. — Spécialisation thérapeu- tique des Eaux-Chaudes, p. 296. Verres de contact, p. 171, 299. Vertèbre lombaire pénétrée par une flèche de silex, p. 310. Vézère (Fouilles de la), p. 261. Viandes (Surveillance administrative sur les), p. 380,* 1175. l'ibert (P.), — La topographie au point de vue colonial, p. 339. Vibrations (Courbes de), p. 173, * 242. Viète (Biographie), p. 154, * 17. (Algèbrei, p. 157, ± 177. (Trigonométrie), p. 160, * 208. Vignes (Reconstitution des), pp. 320, 323. Ville morte (Brouage), p. 338,^940. Villes maritimes (Tout à la mer), p. 383. Villot (A.). — Étude comparée des .Mer- mis et Gordius, p. 230, * 529. Via (Levures du), p. 322. de Jurançon, p. 322. Vins (Falsification des), p. 186. ViiiBon. — Discussion sur le peuple Lasque, p. 237. — — Discussion sur le pays hascfue , pp. 2iO, 2'»l. Discussion sur les cagots, p. 2'»i. Discussion sur l'enseignement fran- çais, p. 370. Virson (Tumulus de), p. 262, Vis différentielle (Cinémomètre i\\ p. 157. Visite industrielle, p. 517. Vitalité des germes, p. 225. Vitesses des chemins de fer, p. 170. Vœux présentés par les 1" et 2* sections, p. 161. présenté par la '"section, p. 203. — par la 10= — p. 235. — 'par la 12° — p. 319. — par les 14» et 15" sections, pp. 343, 365. — parla 17= section, p. 391. — au sujet de l'émigration, p. 359. (Proposition de), p. 322. Voies respiratoires (Affections des), p. 283. Volé mite, p. 183. Vci/if^mes (Àlesure des), p. 157. Voyage en Haïti et Colombie, p. 330, 2 806. aux lies Salomon, 330, 2 820. Willems. — La Terre de Feu, p. 339, 2 961. Worms (É.). (Son mémoire), p. 352. Aambeu. — Discussion sur la reconstitu- tion des vignes, p. 321. Levures du vin, p. 322. ■ Discussion sur le vin de Jurançon, p. 323. Discussion sur les vignobles des Landes, p. 323. Discussion sur l'enseignement clas- sique et moiierne, p. 369. Zéolitltes des Pyrénées, p. 210. Zinc (Phosphorescence du sulfure de p. 170. Zoologie, p. 225, * 488. 78-= TABLE DES MATIÈRES SECONDE PARTIE NOTES ET EXTRAITS CoLLiGNON (Éd.)- — Remarque sur le choc direct de deux corps élastiques .... 1 — — Problèmes sur les corps flottants 7 RiTTER (F.). — François Viète, inventeur de l'algèbre moderne 17 Laisant (C.-A.). — Quelques remarques sur les courbes unicursales 25 Lemoine (É.). — La Géométrographie ou l'Art des constructions géométriques . . 36 — — Résultats et théorèmes divers concernant la géométrie du triangle lUl Tarrv (G.). — Figuration des solutions imaginaires rencontrées en géométrie ordinaire 132 Coccoz. — Des carrés de 8 et de 9, magiques aux deux premiers degrés, des carrés de mêmes bases en nombres triangulaires 136 Fkolov (M.). — Sur les résidus quadratiques 149 BiERENS DE Haan. — Renseignements sur l'édition de la correspondance et des œuvres de Chr. Huygens 159 GuiMARAES (R.). — Sur l'évaluation de certaines aires coniques 166 Lecornu (L.). — Sur les surfaces d'égales incidences 172 RrfTER (F.). — L'algèbre nouvelle de François Viète 177 Fontes. — Sur la division arithmétique, possibilité de la suppression de cette opération 182 FoNTANEAU (E.)- — Sur la déformation des corps isotropes en équilibre d'élasticité. 190 Ritter (F.). — La Trigonométrie de François Viète 208 Berms. — Raccordement parabolique entre deux arcs de cercle contigus de même sens 212 — — Sur les fondations à air comprimé avec chambre en maçonnerie sur rouet 214 Laussedat (Le Col"' A.). — Historique de l'application de la photographie au lever des plans 215 Lesage (P.). — Évaporation comparée des solutions de NaCl, de KCl et de l'eau pure 238 IzARN. — Modification de l'appareil à excentriques de Lissajous pour la composi- tion de deux mouvements vibratoires rectangulaires 242 — — Appareil démontrant le mécanisme des ondes stationnaires 243 FÉRY (Ch.). — Sur un nouveau réfractomètre 245 PiCHK (A.). — L'électrophore à rotation 254 Bedout (L.). — Compteur densi-volumétrique 257 TABLE DES MATIÈRES 1235 Berrens (H.). — AInuulcii. — Ses mines de mercure et ses divers systèmes de réduction du minerai <,>gi Blanc (Ed.i. — Sur un mode particulier de cuisson des briques, usité dans cer- taines parties de l'Asie centrale 267 Sieur. — Météorologie du département des Deux-Sèvres et de la région du sud- ouest 273 LÉON (H.). — Projet d'observatoire régional de la Tour Moncade à Orthez .... 279 AiNGOT L4..). — Sur l'étude des nuages par la piiotographie 284 r.ANDY (Le D'). — Quatre années d'observations à Bagnères-de-Bigorre 2'JO LÉON (H.). — Un sanatorium dans les Pyrénées. — Bagnères-de-Bigorre et la Fontaine-des-Fées 291 PiCHE (A.). — Le déperditomètre 296 Mendez (E.). — Sur les remous atmosphériques 300 Richard (J.i. — .\ouveau.K appareils enregistreurs 317 PoucHET (G.I. — Sur les eaux vertes et bleues observées au cours du voyage de la Manche 326 Teisserenc de Bout (L.). — Sur la théorie des mouvements tourbillonnaires. . . 336 C.OTTE.iu (<;.). — La famille des cidaridées à ré[)0(iue éocène 343 Rivière (É.). — Sur l'âge des squelettes humains des grottes des Bnouss';- Housse, en Italie, dites grottes de Menton 347 Belloc (É.K — Étude sur l'origine, la formation et le comblement des lacs dans les Pyrénées 358 Rivière (E.). — Détermination par l'analyse chimique de la contemporanéité ou de la non-contemporanéité des ossements humains et des ossements d'animaux trouvés dans un même gisement 377 Reyt et DuB.VLEN. — Sur la protubérance crétacée de Saint-Sever 382 Roussel (J.i. — Sur le primaire de Campagna-de-Sault 388 GouRDON 'M.i. — Le Musée pyrénéen de Bagnères-de-Luchon 390 Bigot (A.). — Sur les trigonies jurassiques de Normandie 392 BoN.NiER (G.). — La flore des Pyrénées comparée à celle des Alpes françaises . . 396 CosT.^NTiN et DuFOUR. — Obscrvations sur la môle, champignon parasite du cham- pignon de couche 406 Belloc(É.). — Aperçu général de la végétation lacustre dans les Pyrénées. . . . 412 Gain (Ed.). — Influence de l'humidité du sol sur la végétation 43;; GÉNEAU de Laxi.vrliére (L.). — Sur le développement du Conopodiutn denudalum Koch 445 Oger (A.). — Étude expérimentale de l'influence exercée par le sol humide sur la tige et les feuilles '»50 Caraven-Cachin (A.). — Les plantes nouvelles du Tarn (1874-1891) 453 HouLBERT (C). — Sur la valeur systématique du bois secondaire 456 Heckel (E.). — Sur un Ceratonia siliqua L. à fleurs uniquement hermaphrodites et à étamines sessiles (Brachystémones) 460 Sambuc. — Sur les relations entre les formes végétales et le climat. . .^ . . . . 463 Daniel (L.). — Sur la greffe des plantes en germination 465 Heim (F.). — Sur quelques cas de pn'floraison anormale chez les coquelicots. . . 467 — — Sur un type nouveau de diptérocarpacées, re D o P. "V^(^^: 80,! Indices moyens : -(T ^J-ii$^°: J 8^A-.86,6 •::^'*'^ 85,5 \ Charente - Corrèxe' — freutte' 8i ,93 82 ,16 _;-^°;a 8'*,f--86,6 ■r^<^ 'r. 87,fS / ^ ^ Limite entre les indices céphaliques: V S2,g ft S3,o - I ■ /?ordoffne- 80,70 a¥ Vîeime. 80 ,93 ^7-- C/lRo^i"'"'^'"'^•<^ph-"<^'•« ''^ """^ ■"" isESaoCO sC 82r.I3 83LII] 8«Z3 asEl TAILLE MOYENNE DES CONSCRITS DE LA CLASSE 1891 CHER. ^^ '% I N(.D R E \V) .,-/ v/„^v'-^ ^^C-^ /BoussacV, <. /■ 1,659 <, . o^V Terrains .,.. - Xssii! uîsP^RieuEUX 1,620 i63s ^^1,620 1,623^ '/*./ 1,610- :m v»!V5: '^v/'c'/fc'-j:». 1,621 ■ ,'.63p W Brive , ;1,63«> 1,611.1.' 1632 K prx■^,63^■.^ •j■^^^^t..,- -/iieW.- ^Saliniutf^' ^ rfi":\i,6i5'-. •f 1,621 1,609 \ Jêrrains :t aplal Terrains "primitifs Bei;^er?c Luntlt' t/fj- Irrt'nin.y calatirei' et cie,r V •"^^^m': ■■ 1 B"»!' CA'i 1-632' 1 616'" terixiin.rjmniilif.:y.ifraniJ,rei.iThtsl':rri-i.y{(ilUn.T. .''' ^ s". ^. J-^^'^inf^A' ' -■' ' .-,. ' .'V- .mm^^^^ Jailli itcrtlu urouDC rrnirul des tràs oelUde CARTE III JAinîtd'iiu i/roupc fi_-/Urul des tràr peiîhir tnilles' ( teiche- notre àti Lty/UJi/^-in J. 1T56HS l,Siim I^SSElSU l,59l' • nll l,60lilUilll 1,61LllJ r62[IIII 1,63!VviJ l,6l|IlîniD 1,65IS1I l,66J _A'. S^forictc- . -se D" CO.LLI&NON_ ETUDE ANTHKOPOLO T. XXI _ PI V. EXCÈS DE U DEMI SOMME DES YEUX ET DES CHEVEUX FONCÉS RÉUNIS UR CELLE DES YEUX ET DES CHEVEUX CLAIRS CARTE II ^0 r. 9 ,377^ '0( 16 ] ---'^ 15 >'^(25r V en majorité Uiliil J,e jT^nc mm LTKlùfue- cfue Ic^' blonds- l 'emportent kTut les hrurur rfe- ■» 7t . Excès des bruns de 0 à 10 de 10 à 20 I GARONNE ,-' deZOàSOCZ] de30à40llii plusdeW, RÉPARTITION DE L'INDICE NASAL ^-^RONNE /indicesdeSSl tailles f tachet 7t r^ ul 1 C9 < eo o (tl >S > ■^ =J ><; •s H Q Q) a -1 &- S ^ o -S O i' 1- 1 ■a oc •S =ï UJ -D o C o I- cc < o •s <: oc o o o Z2 \ s O S ^ QC UJ 1 1 3 ^ c O o 3r _J H H -,_ UJ o 1 5J _J ^ î:^ ^ o 3; \ (— oc li UJ > -D UJ C o - < L < < o < p tu Q o o o 2-. O ci < p O o Associ&uon rrsn^aise £, . .^lor'ze-i^ ,^ HENRI COUDREAU — TU: T xxT - Pi,"^/n Ô6° O.dcParls ' /J//Â ^ -S^ ,;vw^TapiiragQnannawe Ko\ '„. M'Ouataqnampa Yc- [ouiSil. i^iâ ■o/uouinc^ iimoupu Carapa^^f^,^--' Echelle : 1 i5o 000. C^iSy- fil' ■i -01 -^ fi-, < w S H LU o 3 O