j 4214 #14 À l ati T TT LL NIUE un) k th à ! (RARE LU u in d3 Hu ti Ai au 11 dhbrt ha HUE UE tt HR ee rs RTE LÉ ETe se: LE Eee RES TRES RE at En na SITE RE DES TN ES ES = RS RE pe TE ni Le ll Li Oue qui b ton si put ; 1e nee À fe HE si RH a 1 Hu (HUE an 0 F9 NE 1 PSS = er fil de \ # = = NOEL GAUE LULS je HURE RIDE ie Anne dé He À ns [ul Ÿ se ii AI Mi: vril Era H4 RECUEIL DES PRINCIPALES OEUVRES DE BH. POUCHET ES DA SALES À e # mo | RARY = me ; L 0 9 5 # ! £4 D 8) g se EN EIRE = RARE TR s ne Fee 1833 1801 À ? t0 DR D: a K 2 AS Le " = Ë CRE PUBLICATION DE LA SOCIÉTÉ DE BIOLOGIE RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET THHOUOT 24940409 PRECFDE D'UNE NOTICE BIOGRAPHIQUE Cohsutps suolih sua nb 2a054onÀ eslleuso 29h bof) ET PURLIÉ PAR LES SOINS DU De AUGUSTE PETTIT PARIS MASSON ET C'°, ÉDITEURS LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE 120, BOULEVARD SAINT-GERMAIN . 1902 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET PRÉCÉDÉ D'UNE NOTICE BIOGRAPHIQUE ET PUBLIÉ PAR LES SOINS DU Dr AUGUSTE PETTIT PARIS MASSON ET Ci, ÉDITEURS LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE 120, BOULEVARD SAINT-GERMAIN . 1902 CR Je lègue tout ce que je pos- sède à la Société de Biologie, où j'ai toujours trouvé bon accueil et sympa- thie depuis le jour où j'en ai été membre.Je crois fermement que c'est le meilleur usage social à faire du peu de biens que je laisse. » (Extrait du testament de Poucuer.) GEORGES POUCHET (1833-1894) NOTICE BIOGRAPHIQUE Charles-Henri-Georges Pouchet fut une figure curieuse et originale parmi ses contemporains. Il se distingue à la fois par son origine, par ses travaux et par l'orientation de ses recherches. Georges Pouchet est né à Rouen, le 26 février 1833, d’une famille dont les membres, depuis deux générations, devaient à des qualités intellec- tuelles peu communes d'occuper une situation sociale élevée. Louis-Ézéchias, le bisaïeul de Georges, naquit à Bolbec en 1748; il vint se fixer de bonne heure à Rouen pour y installer une manufacture, et, tout en dirigeant celle-ci, ne cessa de s'occuper de questions scienli- fiques qui furent de sa part l'objet d’une vingtaine de mémoires; ses études aboutirent à une rénovation complète de l’industrie du coton : la France lui doit l'introduction des mécaniques à filer le coton, et Rouen l’un des éléments de sa prospérité (1). L'un de ses fils, Félix-Archimède, qui occupa jusqu’à sa mort (1872) le poste de directeur du Muséum de Rouen, acquit une réputation uni- verselle dans le débat, sur la génération spontanée, qui le mil aux prises avec Pasteur. Pouchet, il est vrai, succomba dans cette lutte; néanmoins, ses travaux tiennent une place importante dans l’évolution des conceptions modernes relatives à l’origine de la vie, et son nom marque une date dans l’histoire de nos connaissances. De son union avec une jeune Anglaise, M!° Anne Christie (1813-1853), douée d'une beauté et d'une intelligence supérieures, naquirent deux fils, Georges, puis James (1835-1884), qui devint par la suite ingénieur à la Compagnie de Suez. Les deux frères trouvèrent, dans ce milieu familial, des conditions (1) G. Pennetier. Revue de la philosophie positive, 1814; Acles du Muséum de Rouen, 1818 et 1897. IT NOTICE BIOGRAPHIQUE qui ne manquèrent pas d'exercer la plus heureuse influence sur leur développement intellectuel, et il est probable que, si la mort n'était venue l'enlever prématurément ‘à l'affection des siens, James eût rempli une carrière aussi brillante que son aîné. Le caractère de la famille Pouchet, tel que mon Maître me l’a souvent dépeint, était empreint d’une austérité douce avec laquelle contrastait son exubérance, sa gaieté et son esprit d'indépendance. Dès son jeune âge, Georges Pouchet donna des preuves de cette liberté d’allures qui, en quelques circonstances, attirèrent sur son père les remontrances de l'autorité préfectorale de l'Empire ; frasques anodines de Jeune homme dont plus tard le professeur, mûri par l’âge, se plaisait à évoquer le souvenir, mais qui cependant, ajoutait Pouchet avec un sourire attendri, ne laissaient pas de mécontenter « son vieux bonhomme de père ». Jusqu'à la fin de sa vie, Pouchet conserva cette gaieté débordante, ce besoin de mouvement, cette puissante activité, qui, sur son lit de mort, l’amenaient encore à m'entretenir d’un plan de voyage scientifique dans l'Océan antarctique. Durant toute sa carrière, ces mêmes influences ne cessèrent de se manifester et en firent un des esprits les plus résolus qu'il füt possible de rencontrer, sur lequel aucun préjugé n'eut prise, et en qui toute cause juste trouva toujours un défenseur ardent, qu'aucune menace ne put jamais intimider. Successivement préparateur, puis aide-naturaliste de son père, Georges Pouchet aurait pu poursuivre paisiblement sa carrière sous la bienveillante protection de son père; mais la passion atavique des voyages, qui sommeillait dans ce descendant des vieux Normands, l’entraîna bientôt, à la suite du comte d’Escayrac de Lauture, à la recherche des sources du Nil. Après sept mois de fatigues et de déboires, Pouchet revint en France ; cet insuccès ne devait pas, d’ailleurs, abattre ce vaillant qui immé- diatement se remettait avec ardeur à la besogne. Moins de deux ans après (1858), il faisait paraître un ouvrage sur la pluralité des races humaines, concluant à l'existence de plusieurs espèces originellement distinctes, et dont les deux éditions françaises se succédèrent en moins d'un an. Ce livre, empreint d’un véritable esprit scientifique, libre de toute prévention, devait lui attirer de la part de l'administration soup- conneuse et réactionnaire de l'Empire une série de vexations odieuses : « Dénoncé aux plus hauts représentants de l’autorité universitaire dont je dépendais, je ne dus, dit-il lui-même dans la préface de la deuxième édition, qu'à l'équité d’un des savants qui honorent le plus l’Institut d'échapper aux tracas que pouvait m'attirer, il paraît, une opinion scien- tifique en désaccord avec les livres attribués au prophète Moïse. » Ce livre constituait un ouvrage d’une valeur incontestable, ainsi que l’atteste la délibération par laquelle la Société d’anthropologie de NOTICE BIOGRAPHIQUE III Londres en décidait la traduction anglaise, en même temps que celle de deux mémoires de A. de Quatrefages et de P. Gratiolet. Grâce à l'exceptionnelle puissance de travail, dont il donna des preuves jusqu à la fin de sa carrière, Pouchet pouvait mener de front et ses recherches anthropologiques et ses études médicales; nommé interne des hôpitaux de Rouen en 1860, il soutenait quatre ans plus tard, devant la Faculté de médecine de Paris, une thèse remarquée sur les colorations de l’épiderme, et allait aussitôt vivre à Paris. Dès cette époque, Pouchet Joignait à une instruction technique très poussée une originalité de vues peu commune et une éducation étendue qui faisaient de lui un causeur brillant ; les esprits les plus cultivés recherchaient son commerce; à ce propos, il est curieux de constater, dans le Journal des Goncourt, l'impression que produisit ce jeune savant sur les deux célèbres littérateurs avec lesquels il ne devait cesser d'entretenir les relations les plus cordiales, ainsi d’ailleurs qu'avec une foule d'autres artistes, Gustave Flaubert, Alphonse Karr, Maupassant, Mr Michelet, Viardot, etc. Son père, tout entier absorbé par des recherches peu lucratives de science pure, ne pouvait lui allouer que de maigres subsides ; d’où l'im- périeuse nécessité dans laquelle il fut de se créer des ressources person- nelles. Dans ce but, il sollicita l'autorisation provisoire d'ouvrir un cours d'histologie normale et pathologique, 4, rue des Poitevins; et à l'appui de cette demande, qui fut accueillie favorablement, il déposait le pre- mier traité d'histologie publié en France. Malgré ces préoccupations absorbantes, son humeur aventureuse ne l'avait cependant pas abandonné, et il fit tous ses efforts pour faire partie de l'expédition scientifique du Mexique en qualité d’anthropolo- giste et de micrographe. Mais ce fut inutilement. Heureusement, quelques mois après, il fut appelé à remplacer Gratiolet dans ses fonctions d’aide-naturaliste près la chaire d’Anatomie comparée du Muséum. $es relations, d'abord cordiales, avec le professeur Serres, ne tardèrent pas à s’altérer; elles devinrent plus tendues encore avec le nouveau titu- laire, Paul Gervais. Il serait peut-être imprudent d'affirmer que le jeune aide-naturaliste ne commit pas quelques incorrections qui furent la cause des premières difficultés; mais ce qui est indéniable, c’est que Pouchet fut, de la part de Gervais, l'objet de vexations systématiques et de mesures d'exception qui le mirent dans l'impossibilité matérielle de travailler. Pouchet, dans un moment d'abandon bien rare chez lui, a lui-même dépeint en ces termes la pénible position qui lui était faite : « Abreuvé d’ennuis dans la situation douloureuse qui m'était faite, je continuai seul quelques-unes des recherches anatomiques que j'avais com- mencées... » Celles-ci ne purent aboutir faute de sujets d’études et de matériaux IV NOTICE BIOGRAPHIQUE de travail, et il fut contraint de suspendre la publication de ses observa- tions sur l'Anatomie des Édentés (1). Sur ces entrefaites, Pouchet, à propos du nouveau programme de cours, publia, dans l'Avenir National du 18 mars 1869, une étude dans laquelle il déplorait que le Muséum cessàt d'être ce que l'avait fait le règlement du 21 frimaire an III : « une Institution nationale indépen- dante, consacrée au culte et à l’enseignement des sciences pures », pour devenir une « Faculté d'agriculture ». Il expliquait comment, suivant lui, le Muséum « abdiquait » tous les jours depuis plusieurs années, et il rejetait la faute première de cet « abaissement » non sur les honorables et illustres savants de l'Établissement, qu'il accusait seulement de « complaisance », mais sur le Gouvernement, sur le « système qui a pesé sur la France depuis 1852 (2) ». L'article parut le matin; le soir même, Pouchet apprenait sa révoca- tion par les journaux. Cette décision souleva les protestations de la presse libérale; et, sous la pression d’influences qui sont toujours restées ignorées même de ses amis les plus intimes, le ministre de l'Instruction publique, qui était alors Victor Duruy, revint en partie sur la décision injuste prise contre Pouchet et lui donna le conseil de se faire réclamer par un des biolo- gistes les plus en vue de l’époque, Claude Bernard, Brown-Séquard ou Robin; ce dernier s’empressa de s'attacher Pouchet, qui dès lors voua à son Maître une affection quasi filiale. À ce moment, Pouchet n'avait d'autres ressources que ies 1.200 francs qui lui étaient alloués annuel- lement pour le cours libre qu'il professait salle Gerson. Les sujets de ses leçons sont intéressants à citer : en 1868-1869, il traita de la substance contractile, et, en 1869-1870, de l’histologie comparée du système nerveux. À la suite de cet enseignement, il obtint une mission aux labora- toires-viviers de Concarneau afin d'y poursuivre des recherches spéciales sur l’embryologie et l'histologie du système nerveux des Poissons, par lesquelles il préluda à ses mémorables études sur les changements de colorations sous l'influence des nerfs. « Mais la guerre vint interrompre ses travaux; il offrit ses services à la Défense nationale. En septembre 1870, il fut chargé d'organiser le service de santé dans les 7%, 8° et 9° Compagnies (corps auxiliaire du génie militaire); puis le 18 novembre, M. Ferry lui confia les fonctions de secrétaire général de la Préfecture de police, en remplacement d'Antonin Dubost, envoyé en mission à Tours. Il accepta ce poste, en raison des circonstances douloureuses dans lesquelles se trouvait la (4) Celles-ci ne parurent qu'en 1874, sous le titre « Mémoires sur le grand Four- milier ». Pouchel avail en 1865 présenté comme thése de doctorat ès-sciences devant la Faculté de Paris un mémoire sur l'Encéphale des Édentés. (2) G. Pennetier, loc: cit. NOTICE BIOGRAPHIQUE V France, mais il y resta fort peu de temps, assez toutefois pour faire acte de courage civique dans la nuit qui suivit l’'émeute du 31 octobre. Pen- dant que J. Ferry et Edmond Adam, chacun à la tête d’une colonne de gardes nationaux, marchaient vers l'Hôtel de Ville pour délivrer les membres du Gouvernement cernés par l’émeute, Pouchet mit en défense la Préfecture et éloigna, avec beaucoup d’habileté et de fermeté, un groupe d'émeutiers qui s’imaginaient qu'il suffisait de se présenter avec quelques fusils pour prendre possession de la Préfecture de police. au nom de Blanqui. Dès le 22 novembre 1870, Pouchet se retirait et était nommé chirurgien aide-major du 1° bataillon de la légion du génie de la garde nationale » (1). La guerre terminée, Pouchet se trouva complètement dénué de ressources, trop pauvre même, m'a-t-il souvent raconté, pour renouveler sa garde-robe, réduit à porter du linge grossier el prêt à accepter la première situation qui lui permit de vivre. Mais rien ne pouvait abattre cet homme énergique, et, malgré les conditions défavorables dans lesquelles il se trouvait, il eut la hardiesse d'ouvrir à ses frais, rue du Jardiuet, un laboratoire d'Histologie qui fut ultérieurement (1872) rattaché au laboratoire de l'École pratique des Hautes-Études dirigé par Robin. Le professeur Tourneux, qui était alors le préparateur de Pouchet, a retracé en ces termes les débuts de cet enseignement. « Le laboratoire occupait les deuxième et troisième étages d'une maison particulière de la rue du Jardinet, n° 8 (vieux bâtiments épar- gnés au milieu des démolitions entraînées par la continuation du bou- levard Saint-Germain, qui, à cette époque, n'arrivait pas encore à ce niveau). L'installation était des plus modestes ; quelques tables et tabourets figuraient à peu près l'unique mobilier. Mais, comme l’a fort bien dit Pouchet, dans la notice biographique qu'il a consacrée à la mémoire de Robin, le laboratoire se trouvait à deux pas de l'École de médecine ; les élèves ne tardèrent pas à affluer, et le « laboratoire de « la rue du Jardinet » a presque gardé un nom. Les débutants étaient installés dans la grande salle du deuxième étage : le troisième étage était réservé aux travailleurs, c’est-à-dire aux élèves poursuivant des recherches originales. Au début, la fréquentation du laboratoire était absolument gratuite ; plus tard, un versement de 5 francs par mois fut exigé des élèves pour subvenir partiellement à l'entretien du matériel et à l'acquisition des réactifs ; les élèves n’en furent que plus nombreux et surtout plus assidus. « Dès qu un élève paraissait au courant de la technique, Pouchet lui proposait d'entreprendre un travail original et lui communiquait un des (1) Renseignements de M. Demombynes, ami intime de Pouchet, in Beauregard. Journal de l'anatomie, 1895. VI NOTICE BIOGRAPHIQUE nombreux sujets consignés au fur et à mesure sur une feuille de papier collée au mur. Étudiez un organe quelconque pendant six mois, disait-il fréquemment, et vous trouverez certainement des faits nou- veaux. L'élève qui avait accepté la proposition était élevé en dignité : il montait au troisième étage, récompense enviée de l’assiduité et du travail. | « Nombreux sont les élèves dela rue du Jardinet qui ont ainsi publié des mémoires sous l'inspiration et sous la direction de Pouchet. Qu'il me soit permis de rappeler ici par ordre d'ancienneté les noms suivants : Lange, Max André, Beauregard, Legoff, Tourneux, Hermann, Ramonat, R. Blanchard, Retterer, et M" Anna Dahms et Berladsky. Pouchet, d’ailleurs, donnait lui-même l'exemple du travail. Doué d’une santé robuste et d’une énergique volonté, il lui arrivait parfois de rester au laboratoire depuis six heures du matin jusqu’à six heures du soir, pre- nant à peine le temps de manger le déjeuner qu'on lui apportait du dehors. Dans de telles conditions, la vie scientifique du laboratoire était nécessairement intense, et elle se manifesta bientôt (1874) par la fondation, sous les auspices du Maître, d’une société dont les membres se recrutaient en majeure partie parmi les élèves de la rue du Jardinet. Cette société avait nom « Société d'Histologie » ; son existence fut éphémère, il est vrai, mais, tant qu'elle dura, on put voir, une fois par semaine, discuter avec animation les problèmes les plus ardus de l’ana- tomie et de la physiologie. Parmi les membres actifs de cette société, je relis sur le cahier de présence les noms suivants : André, Beauregard, Bouvaret, Charpentier, Couchy, Dalloz, d’Arsonval, Hariot, Hermann, Legoff, Manouvrier, Süss, Tourneux. La Société d'Histologie végéta du jour où Legoff, qui en était l’âme, tomba malade, et elle ne tarda pas à disparaître, en 1876. » Dans ce milieu laborieux et entreprenant, Pouchet vivait heureux, et c'est de la période comprise entre 1871 et 1880 environ que datent. ses œuvres les plus marquantes, ses admirables recherches sur les changements de coloration sous l'influence des nerfs qui lui valurent à l'Institut le prix Montyon, ses précieuses observations sur le sang des Vertébrés qui constituent une des bases de l’hématologie, et, enfin, en collaboration avec son élève dévoué Tourneux, un traité d’histologie rempli de descriptions originales et où sont posées les bases de la phylo- génie cellulaire. Ces travaux lui valurent la suppléance de Paul Bert dans sa chaire de physiologie de la Faculté des sciences, puis, en 1876,.la maitrise de conférences de l'École normale supérieure. Enfin, en 1879, les portes du Muséum s'ouvraient grandes devant lui, et il rentrait comme pro- fesseur dans la chaire dont il avait été chassé dix ans auparavant. Par tout son passé, par ses fonctions d’aide-naturaliste à Rouen, par ses voyages scientifiques en Allemagne et en Angleterre, Pouchet se NOTICE BIOGRAPHIQUE VII trouvait parfaitement préparé pour remplir les absorbantes fonctions qu'imposent aux professeurs du Muséum les charges de l’enseignement et le soin des importantes collections dont ils ont la garde. Pendant de longues années, il donna les preuves d'une activité peu commune; il faisait simultanément des conférences d'histologie zoolo- gique et un cours officiel d'anatomie comparée, qui ne cessèrent d’atti- rer le public studieux. C’est qu'il ne marchandait pas sa peine pour la préparation de ses leçons, et toutes ses descriptions étaient basées sur des pièces anatomiques. On conçoit, dès lors, quel attrait présentait cet enseignement véritablement unique à Paris. De même, par la clarté de ses exposés, et surtout par l'originalité de ses vues, sut-il captiver, avec un succès toujours croissant, l'attention des auditeurs de son cours de biologie à l'Hôtel de ville (Enseignement populaire supé- rieur, 1889-1894). Ses devoirs professoraux ne lui faisaient pourtant pas négliger les collections d'anatomie comparée. Si la cétologie, grâce aux efforts du professeur Gervais, constituait, dès son arrivée au Muséum, un ensemble déjà fort riche, en revanche, les préparations splanchnologiques fai- saient à peu près complètement défaut; la galerie ne renfermait, en effet, que des morceaux de chair informes ou même des Animaux entiers, tous objets mal présentés, dont quelques-uns seulement méri- taient une place dans les magasins du laboratoire. Sous la direction du professeur, qui ne dédaignait pas, à l'occasion, de mettre la main à l'ouvrage, une collection splanchnologique fut immédiatement entre- prise et exécutée par ses subordonnés, en particulier, par notre regretté collègue R. Boulart. D'ailleurs, avant d'entreprendre la réfection des collections, il avait tenu, pour ne laisser rien à l’imprévu, à visiter les principaux musées de l'étranger. L'œuvre ainsi commencée par Pouchet a d'ailleurs abouti sous la direction de son successeur, le professeur Filhol, à la constitution des splendides collections actuelles. Une fois parvenu au professorat, Pouchet se trouva en situation de satisfaire son irrésistible penchant pour les expéditions lointaines, qui, depuis son voyage en Abyssinie, n'avait fait que s’aviver. Dans une première mission aux pêcheries de Baleines de Vadsoë (Norvège septentrionale), où l'accompagnait Retterer, il réussit, au prix d'efforts et de difficultés de toute nature, à doubler la richesse de la collection cétologique, et à nouer des relations excellentes qui va- lurent, par la suite, au service de l'anatomie comparée, des pièces d'une valeur exceptionnelle (viscères divers, cerveaux, fœtus, ete...). Depuis lors, ses voyages ne cessèrent de se multiplier. De 1883 à 1889, il parcourt à diverses reprises l'Atlantique, va aux Açores recueillir des pièces de Cétacés, et, grâce à l’amitié du consul Dabney et au concours efficace du Conseil municipal de Paris, dote le Muséum des premiers VIII NOTICE BIOGRAPHIQUE squelettes de Cachalot qui aient été vus et décrits; une autre fois, il y retourne pour étudier les courants marins. En 1890, il reprend le chemin de ses pays de prédilection, de l'Ex- trème-Nord, et visite successivement les Feroë et l'Islande; enfin, en 1899, il fait partie de la mission de la Manche, qui, sous le commande- ment de l'amiral Bienaimé, explora l’ile Jan Mayen et le Spitzhberg. En 1893, l'Amérique du Nord fut son objectif, et ce voyage se tra- duisit encore par une acquisition importante pour les collections, celle d'un squelette de Rhytine. La mort le terrassa au moment où il se pré- parait à partir aux îles Kerguelen. Ce besoin perpétuel de mouvement, cette activité débordante, cette exubérance de force et de santé ne furent pas sans influencer d’une facon regrettable l'orientation de ses recherches et sont vraisemblable- ment la cause de la multiplicité exagérée des buts qu'il a poursuivis tour à tour, multiplicité qui, en maintes circonstances, l’a mis dans l'impossibilité de tirer de ses conceptions tout le profit qu'elles com- portaient ; tel est le cas, en particulier, du plankton, dont le premier il entrevit la haute importance biologique, mais auquel il ne put jamais consacrer que quelques études superficielles. Dans ses rapports avec ses collègues et ses subordonnés, Pouchet n'était pas toujours exempt'de rudesse, et il apportait dans la discussion une conviction et un emportement qui faisaient de lui un lutteur redou- table. Pour lui-même, il n’était guère moins dur, et, bien souvent, je l'ai entendu, avec cette impartialité si rare avec laquelle il se jugeait, regretter amèrement d'avoir ainsi dispersé son attention sur une foule de recherches au lieu de concentrer patiemment ses efforts sur un petit nombre. C'était là un sujet sur lequel il se plaisait à revenir, et c’est, d’ailleurs, le souvenir de ces conversations qui m'a servi de guide dans la composition du recueil de ses principales œuvres. Dans le cours de sa vie scientifique, Pouchet à touché à l'anatomie comparée, à l'histologie, à l’'embryologie, à la physiologie, à la térato- logie et à peu près à tous les groupes zoologiques; cette diversité infinie des questions dont il a abordé l'étude n’a pas été sans nuire à sa répu- tation scientifique. Mais il n’en est pas moins indéniable que, dans son œuvre, il existe une série de mémoires de premier ordre qui assurent à leur auteur une place des plus honorables parmi les savants du xix° siècle, et par ceux-ci, on voit jusqu’à quelles hauteurs pouvait s'élever cet esprit vraiment supérieur, lorsqu'il savait s'imposer une règle inflexible de travail. Pouchet a, en réalité, récolté une ample moisson de notions nouvelles NOTICE BIOGRAPHIQUE IX ses recherches laisseront une trace en protistologie, en anatomie com- parée, en histologie et en physiologie. De 1882 à 1892, il n’a guère cessé de poursuivre l’étude des Péri- diniens toutes les fois que les hasards des circonstances lui fournis- saient les matériaux nécessaires, tantôt dans la Méditerranée, tantôt dans l’Atlantique, tantôt dans l'océan Arctique. Lorsque mon Maitre aborda l’étude de ces organismes unicellulaires, leur histoire était à peine ébauchée ; il eut le mérite de fixer les caractères des espèces alors connues et fit connaître un certain nombre de formes nouvelles : il décrivit des modes de multiplication insoupçonnés jusqu'alors et étudia les phénomènes karyokinétiques tout spéciaux de ces Êtres ; puis en se fondant sur certains faits de structure (enveloppe cellulosique, diatomine ou même chlorophylle, flagelles doubles comme chez les zoospores d'Algues) il parvint à dégager les véritables affinités de ces organismes : « Malgré le peu d'avancement de nos connaissances sur ce groupe singulier, et malgré les caractères d’animalité si prononcés qu'offrent certains Péridiniens, nous inclinons à les regarder comme une forme par laquelle doivent passer, à un moment variable de leur cyele géné- tique, un certain nombre d’Êtres connus et classés comme Végétaux dans nos nomenclatures. » Enfin, après avoir indiqué la nature végé- tale, aujourd’hui universellement admise, de ces organismes, il fit une découverte que Brown-Séquard accueillit de la facon la plus flatteuse, et montra que ces Êtres étaient pourvus d’un véritable appareil oculaire, d'une complication organique très grande, et bien supérieure, en tout cas, aux taches oculiformes de certains Infusoires. Au cours de sa mission en Laponie, entreprise, comme on l’a vu pré- cédemment, dans le but de compléter les collections cétologiques du Muséum, Pouchet se passionna pour l'étude de ces créatures géantes ; d’ailleurs, les difficultés colossales, inhérentes à ce genre de recherches, en augmentaient pour lui l'attrait. Dans ce nouveau champ d'investi- gations, il glana quelques résultats intéressants; ainsi il établit que les anciennes distinctions spécifiques basées sur l'habitat ou les diffé- rences du squelette étaient vaines, et que chez ces Animaux, comme chez les Tamanoirs, qu'il avait déjà étudiés, lors de son premier passage au Muséum, les formes extérieures présentent plus de constance que les caractères ostéologiques, et, par conséquent, doivent être seules invoquées pour l'établissement des espèces de la faune actuelle. À la même série de travaux se rattachent ses recherches relatives à.l'orga- nisation des Édentés, modèles parfaits de description anatomique. Mais, convaincu que « l’étude des organes est toujours incomplète tant qu’on se borne à en décrire les caractères extérieurs, que cette étude doit être poursuivie par tous les moyens dont nous disposons Jusqu'à la détermination des parties élémentaires qui les composent », Pouchet a consacré une part notable de sa vie aux recherches histolo- X NOTICE BIOGRAPHIQUE giques; par ses traités et par son enseignement de la rue du Jardi- net, il doit être considéré comme un des initiateurs de cette science en France; par ses travaux originaux, d'autre part, il a efficacement contribué à l’avancement de nos connaissances dans cette branche spé- ciale. Je signalerai, tout d’abord, ses recherches sur l’odontologie des Mam- mifères, sur le tissu osseux des Téléostéens, sa découverte d'organes vasculaires terminaux dans la rate des Sélaciens et d’un muscle vibrant chez le Homard, etc. Plus importants sont ses travaux approfondis sur le sang des Verté- brés ; ceux-ci marquent, en effet, dans la science, et assurent à Pouchet une place parmi les fondateurs de l’hématologie. Lors de ses premières publications on ne connaissait guère que les variétés de dimension et de forme des globules rouges dans la série animale, les mouvements des globules blancs et la structure des uns et des autres ; on ignorait tout ou à peu près tout de leur genèse. Pouchet réussit à faire faire un grand pas à la question, en signalant la présence chez le Triton normal d'éléments qu'il désigna sous le nom de noyaux d'origine et dont le développement ultérieur aboutit soit à la formation des leucocytes, soit à la formation des hématies. Avec une lucidité de vues remarquable, il pressentit également la valeur morpho- logique du globule rouge, et, dès novembre 1877, il signalait, dans le sang des Sélaciens, des globules particuliers « dont le corps cellulaire était rempli de fines granulations, ou peut-être d’aiguilles, se colorant en rose par l’éosine », et qui, sous le nom d’éosinophiles, devaient devenir l’objet de recherches ininterrompues au cours des vingt der- nières années du xix° siècle. | Enfin, il couronnait ses recherches d'anatomie générale par la publi- cation d'un précis d’Histologie et d’'Histogénie (1), excellent ouvrage qui devait servir à l'instruction de toute une génération de travailleurs et dans lequel étaient jetés les premiers fondements d'une phylogénie cellulaire. Au début de sa vie, remarque Pouchet, le nouvel Être, appelé à pré- senter plus tard une constitution histologique si complexe, n'offre qu'un nombre très restreint d'espèces d'éléments anatomiques, et même tout à fait à l’origine, une espèce unique de cellules. À mesure que le déve- loppement fait des progrès, le nombre des éléments figurés, tous dérivés d'une même source, s'accroît rapidement. « Quelle est l’origine de cette variété spécifique des éléments en cours. Il s’est trouvé pour l’expli- quer, comme pour expliquer celle des diverses formes animales sur la terre, deux hypothèses en présence tout à fait comparables dans le domaine de l’anatomie générale à celle de Cuvier d’une part et à celle (1) En collaboration avec Tourneux. NOTICE BIOGRAPHIQUE XI de Lamarck ou de Darwin d'autre part, dans le domaine de la zoologie. Les uns ont voulu voir chaque espèce d'éléments apparaissant d’elle- même dans une sorte d’autogenèse, avec ses caractères propres, dans des milieux plus ou moins fluides sans structure appréciable à nos sens et qu'on a désignés sous le nom de blastèmes. — Cette théorie n’excluait point la possibilité de changements considérables dans la forme de l'élément et de, métamorphoses qui pouvaient le rendre méconnaissable, mais sans lui faire perdre son caractère individuel, absolument comme le processus évolutif qui fait succéder la Grenouille au têtard, le Papillon à la chenille. Ces métamorphoses peuvent d’ail- leurs s'offrir au cours normal de l'existence de l'élément, ou bien elles sont anormales et constituent dès lors les divers tissus pathologiques, dont la médecine cherche à arrêter l'extension et que la chirurgie supprime. Cette théorie n'exclut pas davantage la multiplication de l’élé- ment anatomique sous ses formes successives, phénomène que nous offrent également certains Animaux inférieurs, et peut-être l’Axolotl. « Le point véritablement faible de cette doctrine, c’est qu'elle n'est point corroborée par les faits. L'origine des formes histologiques ne se perd point comme celle des formes animales dans la nuit du passé : les mêmes espèces anatomiques reparaissent dans le même ordre au cours de la vie de chaque individu; elles ont de plus des dimensions qui les rendent faciles à observer. Cependant, cette apparition spontanée d’un élément anatomique ne semble guère avoir été jusqu’à ce jour direc- tement vérifiée et bien observée qu'au sein du vitellus, quand se forme le noyau vitellin, véritable début des phénomènes propres au nouvel être qui va se constituer. « Une seconde hypothèse, comparable à celle de Lamarck ou de Darwin pour les formes animales, admet que tous les éléments anato- miques sans exception dérivent les uns des autres, au moins à partir de ce premier noyau vitellin, immédiatement partagé en deux, puis en quatre, etc... en même temps que se constituent autour de ces noyaux, comme centres, les premières sphères vitellines de segmentation. « Cette origine n’est point actuellement vérifiée pour tous les éléments anatomiques; mais on peut la regarder comme démontrée pour un certain nombre, autant du moins que nous en pouvons juger par les transitions d’une forme à l’autre constatées directement sous le micros- cope aux diverses périodes de l’âge embryonnaire. » Le jour où on aurait dressé le tableau exact de la descendance des espèces cellulaires, on aurait ainsi la preuve (impossible à faire pour l'espèce zoologique) de cette influence des milieux sur les formes vivan- tes, dont l'étude fut une des préoccupations dominantes de Pouchet. En effet, c'est cette même idée qui le guide dans ses belles recherches sur les changements de coloration soumis à l'influence des nerfs, au cours desquelles il sut associer de la facon la plus fructueuse toutes les XII NOTICE BIOGRAPHIQUE ressources dont pouvait alors disposer la biologie, et combiner en un puissant faisceau les méthodes biochimique, histologique et physiolo- gique. Depuis les travaux de Darwin, la coloration des Animaux avait été regardée comme un facteur important dans la vie de l’espèce, par le rôle quelle peut jouer, soit au point de vue de la sélection sexuelle, soit à celui de la sélection naturelle. Mais c'était là une vue hypothétique, à laquelle Pouchet donna une démonstration rigoureuse, fournissant ainsi une base expérimentale aux doctrines de l’évolution, il fut ainsi assez heureux pour mettre en lumière un mode spécial de variation dans le coloris et l'apparence extérieure que présentent beaucoup d’Animaux aquatiques selon le fond sur lequel ils se trouvent momentanément placés, devenant en général plus sombres sur les fonds sombres, plus clairs sur les fonds clairs; bien plus, il réussit « à gouverner expérimen- talement » chez certaines espèces ces adaptations spontanées et tempo- raires ; et comme il montrait en même temps que la « fonction chroma- tique » diminue quand elle ne s'exerce pas, il réalisait « dans une certaine mesure les circonstances naturelles qu'on prétend faire valoir comme ayant provoqué et rendu définitive l'apparence offerte par beau- coup d’Animaux ». En établissant que les changements de coloration résultent d’une action réflexe dont les yeux sont le point de départ, et que la cécité sup- prime la fonction chromatique, en faisant ainsi connaître une nouvelle forme de réflexes dont l'appareil oculaire est le point de départ, en déter- minant enfin les voies nerveuses au moyen desquelles les impressions rétiniennes régissent les mouvements des cellules pigmentées, mouve- ments jusqu'alors jugés indépendants des centres cérébro-spinaux, Pou- chet ouvrait un chapitre nouveau dans l'histoire du système nerveux. Plus tard, avec son élève Chabry, un des fondateurs de la Biomé- canique, lui aussi un bienfaiteur de notre Société, il aborda derechef l'étude des changements que les variations du milieu peuvent imprimer à l'Être. L'Animal d'expériences fut la larve d'Oursin, qu’on força à se développer dans de l’eau de mer privée de chaux; dans ces conditions, les embryons ne forment plus de spicules, et leur forme est modifiée, la perturbation créée par l'absence de chaux « est insuffisante à faire périr la larve, à faire cesser le mouvement vital, mais celui-ci a été dévoyé, à fatalement abouti à une configuration nouvelle de l'Étre vivant ». On a ainsi fabriqué chimiquement un monstre. Constatation importante qui metlait nettement en évidence « cette relation mystérieuse qui unit la constitution chimique des Étrés à leur forme extérieure ». Par ces études de tératologie expérimentale, Pouchet s’acheminait à des spéculations de biologie générale, dont il donnait un résumé saisis- sant dans un article publié primitivement dans la Revue des Deux. Mondes, sous ce titre : « la Forme et la Vie ». NOTICE BIOGRAPHIQUE XIII Positiviste convaincu, Pouchet avait une répugnance instinclive pour les hypothèses ; il n’en usait qu'autant que la nécessité des recherches l'exigeait et bien qu’il appréciât à leur juste valeur des esprits tels que Lamarck, E. Geoffroy Saint-Hilaire et Darwin, il avait fort peu de goût pour l'anatomie philosophique, « spéculations, déclare-t-il, où s’égarent parfois les esprits les plus distingués et sur lesquelles on à écrit des volumes dont le sort est de finir oubliés sur les rayons des biblio- thèques ». Dès son jeune âge, au contraire, il prenait à tâche d’appli- quer ce mot profond de Montesquieu : « On ne fait pas les lois, on les trouve. » La vie lui apparaissait comme la résultante des forces physico- chimiques; mais il considérait son origine comme encore entourée d’obscurités impénétrables. L'organisation de la matière ne lui semblait pas au-dessus du génie humain; forcément les conditions nécessaires à la production de ce phénomène « se sont déjà trouvées réalisées sur la planète et peut-être à plusieurs reprises. Il n’est point impossible qu'au fond des océans sans doute, ou dans les eaux dormantes, des masses sarcodiques prennent aujourd'hui naissance spontanément. Nous n’en avons pas la preuve ; cependant il ne paraît point qu'un tel phénomène soulève d’objection fondamentale. Mais comment surprendre ce début de la vie? Que si un jour la science parvenait à réaliser ce grand œuvre dans ses laboratoires, elle aurait accompli le désir du premier homme de la légende mosaïque. Nous saurions ce qu'est la vie et la mort. Le rêve des hétérogénistes serait réalisé. L'homme aurait véritablement créé la vie. » Mais le doute représentait pour son esprit une condition essentielle de la science : « Savons-nous donc quelque chose, et que savons-nous? ce n’est pas science qu'il faut dire, c’est recherche; ce n’est pas savants, c'est cher- cheurs. Glorieux nom celui-ci, accessible à tous, qui rallie à son drapeau aussi bien le philosophe que l'artisan qui perfectionne son mélier, tous deux agrandissant de concert le domaine de l'esprit, fondant l'avenir et la foi profonde avec l'humanité pour base. À ceux qui ne doutent pas, le nom de savants et son idée pédantesque, à ceux dont l'esprit embrasse l'éternel et possède l'absolu, à vous tous qui ne cherchez plus. Vous croyez savoir ? Soit! À nous un rôle plus modeste, à nous le doute qui implique le progrès. » Conséquent avec ses convictions philosophiques, Pouchet ne cessa jamais de coopérer à l'évolution sociale et ses vertus civiques égalèrent ses qualités scientifiques. L'amour passionné du Bien qui fut le trait XIV NOTICE BIOGRAPHIQUE dominant de son caractère, inspira encore ses dernières volontés; par testament, il institua la Société de Biologie sa légataire universelle, estimant que. c'était là le meilleur usage social qu'il pût faire de sa fortune. Aux approches de Ja mort, à l'heure suprême des défaillances où sou- vent les plus forts eux-mêmes faiblissent, Pouchet demeura inébranlable- ment attaché aux convictions pour lesquelles il avait lutté toute sa vie, suivant sa volonté formelle, il fut incinéré, et ses cendres, réunies à celles de son frère, reposent au Père-Lachaise dans le monument élevé à sa mémoire par ses amis. Les admirables exemples de loyauté et d'amitié dont sa vie est rem- plie effacent les inimitiés qu’il a pu susciter; et, déjà, ces ombres légères disparaissent dans la traînée lumineuse de sa carrière. Dans le recul d'un passé, cependant proche encore, se dessine la gaie et spiri- tuelle figure de ce penseur ardent et fécond, dont le culte pour la vérité et la justice fut l'unique passion. Peu de rêves furent plus élevés que le sien; peu d'hommes approchèrent plus près de leur rêve. D' AUGUSTE PETTIT. Paris, avril 1902. PROTISTOLOGIE CONTRIBUTION A L'HISTOIRE DES CILIO-FLAGELLÉS (PLANCHES I et Il) M. le ministre de la marine avait bien voulu, l'été dernier, mettre à la disposition des directeurs du Laboratoire de Zoologie et de Physiologie maritimes installé à Concarneau la corvette à voiles « la Perle » com- mandée par M. le lieutenant de vaisseau Goëz. C'est grâce à ce puissant moyen d'action que nous avons pu recueillir les matériaux sur lesquels portent les points les plus importants du présent travail. Il se trouve que même dans cette étude d'êtres essentiellement microscopiques, les avantages se font grandement sentir du concours savant et généreux que prête actuellement la marine française aux sciences naturelles. Nous ne saurions, d'autre part, trop vivement remercier M. Goëz, dont le dévouement pour les intérêts scientifiques a été de tous les instants, el n'a connu en réalité de limite que celle de ses devoirs d'officier. Nous lui adressons ici ainsi qu'à ses chefs hiérarchiques tous nos remerciements. Nous ne pouvons pas oublier non plus que quelques recherches com- plémentaires de ce travail ont été faites chez notre ami M. Ph. Jourde, conseiller général des Bouches-du-Rhône, dans sa belle propriété de Carry, au bord de la Méditerranée, où nous avons trouvé en abondance extraordinaire les êtres qui font l'objet de ce travail (1), et même (1) Voy. G. Pouchet. Sur l’évolution des Péridiniens et les particularités qui les rapprochent des Noctiluques. Comptes rendus de l'Académie, 30 octobre 1882. — Un auteur dont nous complétons ici les recherches, Bergh, donne en tête d’un important mémoire que nous aurons souvent l’occasion de citer une biblio- graphie complète des Cilio-flagellés. Nous avons cru inutile de la reproduire. Les chiffres romains qu'on trouvera au cours de ce travail se rapportent à 4 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET quelques formes non décrites encore, comme par exemple : Dinophysis galea. Gymnodinium Archimedis, etc. I — HISTORIQUE Les Cilio-flagellés sont très peu connus, malgré de consciencieux travaux. F. von Stein n'a pas encore fait paraître la partie de son grand ouvrage (VI) où il doit traiter spécialement de leur histoire ; toutefois il parle de celle-ci d’une manière générale dans le fascicule intitulé : Die Naturgeschichte der Flagellaten, paru en 1878. Il fait des Cilio-flagellés une subdivision des Flagellés, les rappro- chant des Monadiens dans les mêmes vues d'ensemble, tout en discutant lon- guement les affinités de ceux-ci avec les végétaux. D'autre part, il range égale- ment les Noctiluques dans les Flagellés, les séparant des Cilio-flagellés par le seul groupe des Anisonema. Balbiani, dans une publication plus récente (X), distingue les Cilio-flagellés des Flagellés, et place les Noctiluques très loin de ces derniers. On verra que l'index suivant où nous nous bornons à signaler les travaux auxquels nous ren- voyons directement. I. Busch. Beobachtungen über Anatomie und Entwickelungsseschichle einiger wir- bellosen Seethiere. Berlin, 1851. Il. Perty. Zur Kenntniss kleinster Lebensformen mit speciel Verzeichniss der in der Schweiz beobachteten. Bern., 1852. III. Allmann. Observations on Aphazinomenon flos aquæ and a Species of Peridinæa. Quart. Journ. of. Micr. Sc., vol. LIT, 1855, p. 21-25, pl. 1x. IV. Claparède et Lachmann. Etudes sur les Infusoires el les Rhizopodes. Paris, 1858-1859, 2 vol. V. R.-V. Willemæs-Suhm. Biologische Beobachtungen über niedere Meeresthiere. — I. Zur Entwickelung eines Peridinium. Z. f. w. Z., t. XXI, 1871, p. 380. VI. Stein. Der Organismus der Infusionsthiere. — IIT Abth. Die Naturgeschichte der Flagellaten, 1878. VII. Ch. Robin. Recherches sur la reproduction gemmipare et fissipare des Noctiluques. Journ. de l'Anat., 18178, p. 563. VIII. Claus. Klein Lehrbuch der Zoologie. Marburg, 1880. IX. W. Saville Kent. À Manual of the Infusoria. Londres, 1880. X. Balbiani. Des organismes unicellulaires, — Les Protozoaires. Leçons publiées dans le Journal de Micrographie de Pelletan. 2 fév. 1881 et numéros suivants. XI. R. S. Berg. 10 Bidrag til Cilioflagellaternes Naturhistorie. Aftryk of Videns- kabelige Meddelelser fra den naturhisloriske Forening i Kjübenhavn 1881. Kjo- benhavn, 1881. 20 Der Organismus der Cilio-flagellaten. Morph. Jahrb. VIT, 1882, p. 157. 30 Ueber die systematische Stellung der Gattung Amphidinium (Clap. et Lach.). Zool. Anzeig., 25 déc. 1882. Au moment où nous envoyons ce travail à l'impression, nous recevons un mémoire manuscrit avec une planche de M. Paul Gourret intitulé : Sur les Péri- diniens du golfe de Marseille. M. Gourret indique dans ce travail quelques formes que nous donnons également comme nouvelles, ainsi Ceratium limulus et Peridi- nium polyedricum où il croit voir la forme larvaire d'une espèce munie de prolongements. Signalons encore parmi les espèces qu'il décrit un Ceratium voisin de C. furca, mais muni à la partie antérieure de deux paires de cornes. M. Gourret le dénomme C. quinquecorne; il ne faut sans doute y voir qu’une monstruosité. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS » nos observations tendent non seulement à rapprocher mais à confondre ces deux groupes d'êtres. 6 Les Cilio-flagellés et surtout les Noctiluques n'ont jamais été considérés jusqu'à ce jour comme devant être rangés parmi les végétaux (1). Cependant on a vu que Stein admettait cette hypothèse, et Claus, tout dernièrement (VIII, 1880), laisse les Cilio-flagellés et les Noctiluques, qu'il sépare toutefois par d’autres groupes, dans une sorte de caput mortuum comprenant des êtres à classer indifféremment parmi les végétaux ou les animaux. Le développement des Cilio-flagellés, qui seul pourrail nous éclairer sur leurs affinités vraies, demeure enveloppé de Îa Dites profonde obscurité. Un certain nombre d'auteurs, depuis Perty (IT, 1852) jusqu'à Stein et même Bergh (XI, 2), ont cru pouvoir rapprocher sous ce rapport les Cilio-flagellés des Flagellés. Perty admet que les Flagellés, et par suite les Cilio-flagellés, se propagent soit par le moyen de blasties, soit par scissiparie. Il appelle élasties — nous citons d’après Stein — les granules jaunes, bruns ou rouges répandus dans le corps de beau- coup de Cilio-flagellés. Perty avait observé des individus de Peridinium pulvis- culus qui n'étaient pas beaucoup plus gros que les corpuscules brunâtres con- tenus dans d’autres Péridiniens de grande taille, et qu’il trouvait aussi — sans doute par accident — à l’état d'isolement dans l’eau. La doctrine qui veut y voir des corps reproducteurs n’est pas soutenable. Quant à une multiplication par scissiparie, Stein fait observer avec raison que les exemples en sont beaucoup trop rares pour l’admettre comme mode ordi- naire de multiplication, et nous ajouterons : surtout si l’on fait la part si souvent oubliée des monstruosités doubles. Stein admet bien la scissiparie des Péridi- niens, mais seulement sur les formes nues et enkystées. Quant à un cas de scissiparie longitudinale observé par Perty chez Ceratium cornutum (2), Stein le tient pour impossible à cause de la complication du test, et d’ailleurs il ne l’a jamais observée sur des milliers d'individus passés en revue; nous en dirons autant. Stein fait de plus cette remarque importante que tous les individus d’une même espèce présentent toujours sensiblement les mêmes dimensions. Enfin il indique que certains Cilio-flagellés abandonnent leur test dans des conditions déterminées et subissent de véritables mues. Chez Peridinium labulatum, Glenod. cinctum, les phases de celle-ci seraient les suivantes : le flagellum, la couronne ciliaire disparaissent; le corps se rétracte en sphère au centre de l'enveloppe solide, d'où il sort par déhiscence de celle-ci, à l’état de forme nue (Peridinium) ou après avoir revêtu un nouveau test (Glenodinium). Pour Stein cette forme nue par laquelle passe le Péridinien aurait une grande mportance comme permettant la scissiparie. C’est chez Perid. tabulatum qu'il décrit les phases de celle-ci survenant sur la forme nue encore contenue à l’intérieur du test. La masse sphérique s’enveloppe d’une couche muqueuse (Gallerthülle), puis se divise en deux demi-sphères : chacune de celles-ci devient ovoïde et sécrète une cuticule anhiste, rudiment du test à venir; les sillons se dessinent ensuite; des mouvements d'avancement et de rotation se manifestent; cependant, les deux germes sont encore contenus dans leur enveloppe muqueuse commune qui s’est amincie, allongée et a fini par provoquer la séparation des deux moitiés du test. Stein admet que cette scissiparie se ferait dans le plan transversal, ce qui est (1) Voy. le Traité tout récent de Gœbel, Grundzuege der systematik und spe- ciellen Pflanzenmorphologie. Leipzig, 1882. APE ps (2) Sur l'individu observé par Perty, le prolongement postérieur paraît avoirÀs — À L° été double. — Nous avons signalé plus haut (voy. p. 4, note, in fine) un Our à 65 FRS tium furca à 4 prolongements ‘antérieurs, décrit par M. Gourret, 6 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET contraire à nos observations, aussi bien que l'existence de cette enveloppe muqueuse ou kystique que nous n'avons jamais trouvée autour des individus rétractés ou en scissiparie au-dessous du test. L'enkystement, pour Stein, serait la règle et se produirait de même sur les formes nues à l’état de liberté; telle serait l’origine des kystes cornus que Cla- parède et Lachmann ont fait connaître les premiers et qu’on trouve dans les eaux où vivent Peridinium tabulatum et sa forme nue. Toutefois, Stein n’est pas affirmatif sur leur nature. Il croit au contraire avoir souvent observé la scissi- parie de Glenodinium cinctum, qui ne s’enkysterait qu'après avoir abandonné son test et jamais au-dessous de celui-ci. Enfin, les Gymnodinium passeraient aussi par les mêmes phases d'immobilité et d'enkystement: Stein l'aurait constaté sur G. pulvisculus et vorticella. La multiplication sexuelle existe-t-elle chez les Cilio-flagellés? Stein interprète comme conjugaison sexuelle certains faits signalés par Ehrenberg et Perty comme cas de scissiparie chez Gymnodinium pulvisculus (1). Il aurait même observé un cas de conjugaison pareil sur une forme nue (?) et par suite indé- terminable de Ceralium marin, observé à Wismar;: il l’aurait vue en outre deux fois sur d'innombrables exemplaires de grands et beaux Gymnodinium fuscum trouvés dans les étangs de Chodau. Enfin, Stein admet encore un mode de multiplication endogène. Il l’'admet d'après les papiers de Verneck, médecin de Salzbourg, remis à l’Académie de Berlin, et qu'il ne connaît d’ailleurs que par les extraits qu'en a faits Ehrenberg (voy. Stein, VI, 1878, p. 60 et 61). [Il déclare avoir observé quelquefois dans la forme nue de Perid. tabulatum une sphère germinative (Keimkugel). Dans les nombreux exemplaires de Gymnodinium fuscum trouvés par lui à Chodau, il aurait également vu un individu qui, au lieu du noyau ordinaire ovale, présentait deux sphères germinatives l’une derrière l'autre. Nous avons tenu à donner en détail ce que dit Stein de la reproduction des Cilio-flagellés. Il est facile de voir que rien de bien clair ne s'en dégage, hors le fail de la rétraction au-dessous du test, phénomène qu'il convient d'expliquer, non probablement par une diminution de substance, mais par la disparition de la lacune aqueuse (analogue à celle des Noctiluques) que présentent un grand nombre de Cilio-flagellés où la substance vivante paraît souvent réduite à une mince couche tapissant intérieurement le test. Cette lacune se distingue toute- fois de celle des Noctiluques en ce qu’elle n’est jamais traversée de tractus sar- codiques et offre un contour toujours nettement dessiné. Nous avons souvent (1) I dit avoir observé le fait un grand nombre de fois : les individus conju- gués sont toujours presque de la même grosseur et se rapprochent de telle façon que la partie inférieure d’un individu s'attache à la partie antérieure de l’autre. L'union se fait aussitôt entre les sillons transversaux, de telle facon que la moitié gauche ventrale d'un individu correspond à la moitié droite ventrale de l’autre : en conséquence, un des deux individus dépasse légèrement l’autre en avant. Au début, l'union est très faible et a lieu seulement au moyen d'un peu de sarcode excrété (ausgeschieden), et on peut dans ce cas avoir l'impression de deux individus en cours de scissiparie longitudinale. 11 y a ensuite soudure des deux moitiés antérieures; les noyaux contenus dans la partie antérieure des deux êtres s’allongent, s'unissent et forment un corps en figure de biscuit. Les moi- tiés postérieures restent un peu écartées, les deux flagellums font tourner le couple sur son axe. Dans un stade ultérieur l'union devient totale, les deux noyaux n'en forment qu'un seul. Les deux sillons longitudinaux se confondent et finissent par ne plus faire qu'un; le flagellum et le sillon transversal d’un des individus disparaissent et on a ainsi un individu formé de deux, et tout semblable à chacun dé ceux-ci, sauf de taille plus grande. 1 RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS observé cette rétraction des Péridiniens au-dessous de leur test, et nous en don- nons plusieurs figures. Nous avons de même représenté un cas de scissiparie manifeste à l’intérieur du test (1). Mais nous n'avons jamais rien observé qui puisse conduire à admettre l'existence d'une conjugaison sexuelle chez les êtres qui nous occupent. Stein ne paraît pas avoir connu une observation et une figure très intéres- sante d'Allmann (III, 1855). Celui-ci signale une apparition d'Aphazinomenon Flos aquz dans les bassins du Phænix-Park à Dublin, où se montra en même temps en abondance un Cilio-flagellé qu'il nomme Peridinæa uberrima long de 14.000 à 1.500 de pouce avec trois sillons et une tache rougeâtre.Il décrit même une sorte d'enkystement de ces êtres suivi de régénération. Allmann note la contemporanéité d'apparition de l'Aphazinomenon et de ce Péridinien sans en tirer aucune conséquence, et sépare par un trait les figures qu'il donne de l’un et de l’autre. Mais il représente deux de ces Péridiniens en chaîne, la partie postérieure du premier en rapport avec la partie antérieure du second, le pre- mier ayant seul un flagellum. A la vérité, ils sont figurés avec des cils vibratiles sur toute leur surface, tandis que le sillon transversal en est dépourvu : mais ce n'est là probablement qu'une erreur d'observation : au reste Allmann lui- même ne paraît pas très affirmatif sur leur disposition (2). La figure d'Allmann, comme on le verra, concorde complètement avec ce que nous avons observé nous-même sur certaines formes marines qu'on peut rap- porter à Glenodinium cinclum. Un autre observateur antérieur à Stein, qu'il nous faut encore citer, est Willemæs-Suhm (V, 1871). Il signale des Cilio-flagellés ronds légèrement ter- minés en pointe par derrière avec un sillon cireulaire et dont le centre était plus clair. Il rattache au même être un Péridinien cuirassé, biconique qu'il figure à trois stades de son développement, et que nous ne pouvons identifier à aucune des formes rencontrées par nous (3). Nous arrivons enfin au travail à la fois le plus complet et le plus récent qui ait paru sur les Cilio-flagellés, celui de Bergh (XI, 2), que nous aurons souvent à citer. Quant au mode de reproduction des Péridiniens, il dit (p. 241), à propos de P. labulatum, espèce d’eau douce, que l'être peut se rétracter et se diviser à l'intérieur de son ancienne enveloppe, conformément à ce que rapporte Stein; les individus nés ainsi sont nus. Bergh aurait observé souvent l'être rétracté en sphère sous le test, s’enveloppant d'une nouvelle membrane homogène. Mais il n'a jamais vu ces formes rétractées en liberté ou en conjugaison sexuelle. Sur une autre espèce d'eau douce, Glenodinium cinctum, Bergh aurait observé (p.248) comme Stein la multiplication à l'intérieur d’une vésicule ou sorte de kyste qu'il figure (pl. XVI, fig. 67). Il admet comme Stein que cet enkystement se (1) Souvent ces corps rétractés se teignent fortement en noir par l’acide osmique, accusant ainsi une dégénérescence spéciale et peut-être cadavérique. Mais ceci ne change rien à leurs caractères morphologiques dont nous nous préoccupons ici. — Nous n'insistons pas sur la cause d'erreur facile à éviter qui consisterait à prendre pour les débuts d'une scissiparie transversale ou longitudinale l'em- preinte persistante sur ce corps rétracté, soit du sillon circulaire, soit du sillon longitudinal ou de la dépression limitant les deux prolongements antérieurs chez un grand nombre d'espèces. (2) « Wich{les cils), seem distributed over the surface, and not confined to the furrows, as maintained by Ehrenberg in the species of Peridineæ described by him. » (3) Ce Cilio flagellé devrait être classé probablement dans le genre Protoperi- dinium. 8 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET produit sur la forme nue ayant rejeté son test et qui s’envelopperait alors d’une masse muqueuse où elle subirait la scissiparie. Une observation qui nous est propre nous laisse quelques doutes sur celles de Bergh. Au commencement d'avril 1883, nous trouvons dans une eau où vivait Peridinium tabulatum des kystes paraissant en tout semblables à ceux décrits et figurés par Bergh, mesurant 160 à 180 y de diamètre avec deux corps centraux mesurant 50 & dans leur grand diamètre. Ces corps, fortement chargés de chlorophylle et avec un point rouge, présentent des formes quelquefois irrégulières, anguleuses, pouvant faire croire à l'existence d'un sillon circulaire ; mais ces corps sont certainement des Euglènes et ont pu servir de point de départ à la figure de Bergh. On remarquera de plus que ses observations portent exclusivement sur des formes d’eau douce, alors qu’il n’a pas étudié avec moins d'attention les formes marines. Or, nous n’y avons rencontré, non plus que lui, rien qui confirme une pareille évolution des Cilio-flagellés. Nous aurons fini d'indiquer tout ce qui peut avoir trait à cette évolution dans le Mémoire de Bergh, en citant le passage suivant (p.214) à propos d’une espèce d’eau douce, Ceratium cornutum : « Sehr oft traf ich Individuen die aneinander « wie werklebt schienen, in der Weise ais hielt ein : Individuum zwischen seinen « 2 hinteren (nackten) Hürnern die linke (ebenfals nackte) Seite eines anderen, das « den entgegengeselzten Theil der Membran abgeworfen hatte.» Les deux êtres nageaient avec leurs flagellums. Bergh ajoute qu'il donne cette observation pour ce qu'elle vaut, qu'on la prenne pour un cas de scissiparie ou de conjugaison. Quant à lui, il n’a jamais trouvé d’autre stade indiquant une scissiparie, et dans les cas dont il parle les noyaux n'avaient subi aucun changement. Nos observations sur les Ceratium marins ne nous ont présenté rien de sem- blable. Nous avons observé, au contraire, plusieurs faits comparables à celui qu'a signalé et figuré Allmann, dont le travail trop oublié a peut-être seul une valeur dans l’histoire de l’évolution des Cilio-flagellés. II. — LIEU ET CONDITIONS D'OBSERVATION Vers le 9 septembre 1882, la mer, dans la baie de Concarneau, se couvrit tout à coup d'une grande abondance de Noctiluques. Le mois d'avril avait été mauvais, et des pêches au filet fin répétées à diverses reprises ne nous avaient montré que fort peu d'animaux à la surface (1). Ces Noctiluques étaient évidemment jeunes, comme le montraient à la fois leur petite taille et l'absence de toute nourriture à leur intérieur. À partir de ce moment, survint une période de beau temps; la pêche au filet fin fut journellement pratiquée pendant près d’un mois, excepté deux ou trois jours, soit à Concarneau même, soit dans les parages envi- ronnants. À Concarneau, elle était faite d'ordinaire entre la tour du Cochon et la bouée de Menfall, quelquefois dans la baie de Kersoz. Nous (1) La seconde moitié de juillet avait été marquée par une apparition de Salpes (Salpa democralica). On n'avait vu d’ailleurs au courant de l'été ni Méduses, ni Béroés. La drague une seule fois avait donné quelques Béroés. Nous avions déjà constaté, il y a deux ans, que parfois celle-ci en rapporte des quantités prodi- gieuses, gisantes par conséquent sur le fond par 25 à 30 mètres, alors qu'on n’en voit que de très rares à la surface. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 9 avons toujours pêché nous-même ou avec notre assistant, M. le D' Cha- bry. Nous avons pêché par tous les temps, et il ne nous a pas paru, contre notre attente, que la pluie modifiât beaucoup la quantité d'ani- maux recueillis. Nos filets étaient de simples poches en mousseline à défaut de gaze de soie. Nous les promenions tantôt à la surface des eaux et tantôt plus profondément, à trois ou quatre mètres, la poche étant fixée à l'extrémité d’une gaffe. Il est bon dans ce cas d’en relier l’extré- mité par une corde à l'avant de la barque. Cette corde ne gêne en rien la manœuvre, et soutient l'effort destiné à surmonter la résistance de l’eau. En pêchant ainsi à diverses profondeurs, on n'observe pas de différences bien sensibles dans la faune. Le nombre des Noctiluques, en particulier, est aussi considérable à un mètre au-dessous de la surface qu’à la surface même. Nous avons pu, dans ces conditions, promener notre filet fin à marée basse dans de grands Zosters qui ne découvrent jamais et où il dispa- raissait tout entier. Cette pêche a d’ailleurs été peu fructueuse. Nous avons également plusieurs fois pratiqué la pêche au filet fin la nuit dans la baie de Concarneau, aux îles Glenans et par le travers d'Audierne. Elle a toujours été également peu fructueuse. On constate seulement ainsi que les Noctiluques ou du moins les animalcules phosphorescents peuvent être fort inégalement répandus à la surface de la mer et comme des sortes de nuées flottantes. Les étincelles produites par le choc des rames accusent parfois des différences considérables et subites dans l'abondance de ces êtres à quelques mètres de distance. Dans le jour on peut avoir à l’avance la notion que la pêche sera abondante par un aspect spécial de l’eau qui semble poudroyer. L'heure qui nous avait paru d’abord la plus avantageuse était l’après- midi, vers 3 heures; mais nous nous sommes finalement arrêtés à la pêche du matin, vers 10 heures. Nous avions choisi l'après-midi dans l'espérance que les eaux échauffées par le soleil seraient peut-être plus riches ; mais la saison déjà avancée (septembre) ne nous laissait plus ensuite qu'une partie trop courte du jour pour faire les observations immédiates. Or, quelque soin qu'on prenne, il se produit toujours une mortalité considérable dont la cause ne paraît pas très bien expliquée. Elle est certainement due en partie au traumatisme causé par l’action du filet fin. Peut-être conviendrait-il de rechercher si elle n’est pas anssi causée par la présence de quelque principe excrémentitiel. Il semble en effet qu'on invoque beaucoup trop aisément, pour expliquer la mort des animaux dans l’eau confinée, soit l'excès d'acide carbonique, soit le défaut d'oxygène. Il conviendrait, il est vrai, de rechercher avant tout si le coefficient de solubilité de l’eau pour ces gaz n'est pas modifié par la présence de mucus ou d’autres produits, soit dans l’eau même, soit à sa surface. Il nous à paru dans des recherches que nous avons faites ulté- rieurement à Carry, qu'on pouvait en partie remédier à cet inconvénient 10 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET en plaçant le produit de la pêche dans une terrine avec un fragment d'ulva verte et en écumant à plusieurs reprises la surface avec du papier, comme on écume le mercure. Une autre condition essentielle est de se débarrasser des Crustacés particulièrement voraces, qui font leur proie des autres animaux. Le premier dépôt formé au fond des vases contenant les êtres sur les- quels se portait spécialement notre attention, voici comment nous pro- cédions : Dès que le dépôt est apparu, on l’aspire au moyen d’un tube ou d’une large pipette et on le transvase dans un verre à expérience, où il se reforme plus dense. On en prélève, au moyen d'une pipette, ce qu'il faut pour une préparation microscopique, de facon que les êtres à observer soient le plus rapprochés possible sous la lamelle, sans gèner l’obser- vation. Comme la couleur avait dans nos recherches une certaine importance, nous devions toujours observer les êtres vivants. Une préparation parti- culièrement intéressante encore pouvait toujours d'ailleurs être fixée directement sous la lamelle et conservée. Quand on jugeait qu'une forme intéressante et déjà étudiée à l’état vivant devait se retrouver nombreuse dans le dépôt, on fixait le contenu du verre à expérience en y versant une goutte d'acide osmique en solution saturée. Au bout d’un temps variable et qu'on peut apprécier à la coloration rapidement foncée que prennent les Copépodes, on décante, on lave à l’eau distillée plu- sieurs fois, on traite par le picro-carmin très étendu, et finalement on remplace celui-ci par un mélange d’eau et de glvcérine très légèrement picro-carminée. On peut de la sorte conserver en tubes, avec la date, pour l'examen microscopique ultérieur, les produits de diverses pêches au filet fin. Nous avons été assez peu heureux dans quelques tentatives d'élevage des formes microscopiques rapportées par le filet fin, sans avoir toute- fois donné à ces tentatives tout le soin qu’elles pouvaient exiger. C’est ainsi que nous avons essayé l'emploi de cuvettes en papier à dialyse, mises à flotter sur un courant d’eau de mer. Peut-être serait-on plus heureux avec des vases poreux ou simplement des cages de gaze de soie. Pour ces êtres microscopiques l'agitation des eaux semble un fac- teur important de l'existence, mais ceci ne constitue pas une difficulté sérieuse et nous l’avions déjà surmontée dans l'élevage de Cirrhipèdes (Anatifa lævis) adultes. Il existe certains Péridiniens qui recherchent la lumière. Le fait avait été déjà constaté par les observateurs et nous l'avons vérifié de nouveau sur une espèce non encore décrite (Peridinium obliquum). C’est un grand avantage, parce qu'on peut alors les recueillir et les isoler en grand nombre. Malheureusement, au moment où nous le faisions pour l'espèce en question, nous avons été forcé de nous absenter, et, dans la grande fe ni RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 11 jarre de verre où nous avions laissé ces êtres en abondance, nous n'avons plus retrouvé, après cinq jours, ce qu'ils avaient pu devenir. Nous avons dit que le 9 septembre avait été marqué par une appa- rition ou montée de Noctiluques. Ce même jour l'aspect des animaux recueillis au filet fin avait vivement frappé notre attention par l’abon- dance de pigment rouge répandu, semblait-il, chez une foule d'espèces qui, habituellement, ne présentent point une coloration aussi vive. Rien n’est curieux du reste comme ces variétés — accidentelles en quelque sorte — des faunes pélagiques recueillies d’un jour à l’autre dans des circonstances en apparence identiques. Non seulement les espèces changent, mais les mêmes espèces se présentent avec des caractères nouveaux tels qu'une taille plus petite (comme cela est très fréquent pour la Sardine), ou une production momentanément abondante de pigment rouge chez certains animaux inférieurs, qui n’offriront plus deux jours après la même particularité. Ainsi, dans les premiers jours de nos pêches fructueuses, Peridinium divergens et d’autres formes voisines se présentaient avec de belles gouttes d’un carmin éclatant. P. obliquum offrait de même une gouttelette écarlate dans la partie aborale. D'autres formes encore (voisines peut-être des Dinophysis) que nous n'avons point spécialement étudiées portaient une grosse goutte rouge centrale qu’on retrouvait jusque dans des œufs (de Copé- podes?). Il est possible que cette abondance de pigment rouge fût en rapport avec une montée récente de tous ces êtres du fond à la surface. On sait que pour certains poissons l'abondance de pigment rouge semble augmenter avec la profondeur d’où proviennent les animaux. En tout cas, celle que nous observions dans les Cilio-flagellés coïncidait avec l'apparition de ces êtres et des Noctiluques à la surface. Elle nous sembla diminuer très sensiblement les jours suivants. C'est précisément en retrouvant le même pigment en gouttes de même volume dans des êtres appartenant à des groupes regardés comme distincts que nous fûmes conduit à soupconner entre eux une filiation jusqu'alors inconnue ; malheureusement, à mesure que nous nous éloignions de l’époque de cette montée, les preuves que nous cherchions diminuaient forcément. La vérification de ce qui nous avait paru d’abord évident nous échappait. Ce n’est que plus tard, en étudiant de nouveau un certain nombre de préparations datant du 13 septembre, cest-à-dire du 3° ou 4° jour de la montée, que nous avons été conduit de nouveau à regarder comme infiniment probable la filiation des Péri- diniens aux Noctiluques, qui nous avait dès le premier jour paru mani- feste. Pendant plusieurs jours le vent souffla de terre, couvrant la mer non seulement d'objets visibles tels que petits insectes, balles d'avoine, qu'on recueillait au filet fin, mais aussi d’une abondance de particules microscopiques d’origine terrestre, telles que grains de fécule, écailles 12 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET d'ailes de papillons, etc. Il n’est pas douteux qu’on pourrait à la rigueur indiquer par le seul examen des eaux au microscope si le vent souffle de terre ou du large. En même temps les Pluteus, les Radiolaires, très abondants au début, étaient devenus rares. Le 25 septembre, la mer, mauvaise depuis quelques jours, est encore un peu grosse : une faune toute nouvelle se présente, caractérisée par un nombre considérable de larves de Bryozoaires et d'Hydroméduses mêlées de Noctiluques, égale- ment abondantes, petites, sphériques, tombant au fond du vase au lieu de nager à la surface. Nous les avions déjà trouvées nombreuses l’avant- veille, mais ce qu'avait de particulièrement intéressant la pêche du 25, succédant à un gros temps, c'était de présenter de nouveau la fréquence. de pigment rouge, moindre à la vérité que lors de la première montée, mais encore notable, tandis que les mêmes êtres observés les jours pré- cédents en étaient à peu près dépourvus. C'est surtout à partir de ce moment (25 septembre) que nous pêchämes tous les jours à 10 heures du matin. Nous indiquons sommairement, et d’une manière d’ailleurs fort incomplète, le résultat de ces pêches quotidiennes : 26 septembre. — Peu de Copépodes et d'œufs de Copépodes. Les Médusaires abondants la veille ont diminué. Ceratium divergens abondant. C. tripos plus abon- dant que le précédent, comme toujours. Un d'eux est actif; la plupart contien- nent des gouttelettes rosées au niveau du sillon transversal, ce que nous n'avions point vu sur les individus observés les jours précédents. Ces gouttes, par l'acide osmique, prennent une nuance encre de Chine; il nous a paru que,sur certains individus, elles passent naturellement au bout de quelques heures à la couleur jaune chamois, celle même que donne le carmin à l’état d’extrème dilu- tion. Cette couleur chamois est celle des gouttes huileuses qu'on trouve chez lés Noctiluques. 28 septembre. — Nous quittons Concarneau pour quelques jours, et le siège de nos observations se trouve transporté aux îles Glenans, où nous pratiquons la pêche au filet fin dans « la Chambre », espace de mer peu profond situé à peu près au centre du groupe d'îles et de rochers qui composent l'archipel et abrité de tous côtés (1). Pendant notre séjour, le vent n’a pas cessé de souffler en tem- pête. Le filet fin n’a recueilli sur les eaux relativement tranquilles de la Chambre que des débris végétaux. Ces débris,absolument microscopiques, sont de toutes sortes.Ils remplacent, pour ainsi dire, la vie animale représentée seulement par quelques crustacés dans nos pêches répétées aux heures du flot et du jusant, la nuit et le jour. 3 octobre. — Nous recommençons à pêcher devant Concarneau. La mer ne présente plus les mêmes débris végétaux, bien que ses eaux n'aient pas retrouvé leur transparence, sans doute à cause de poussières extrèmement fines tenues (1) Il nous est arrivé, en 1880, de trouver sur un point du rivage de la Chambre un tel amoncellement de Noctiluques, sans doute repoussées par le vent, que la mer en était rouge brique sur plusieurs mètres superficiels, où l'eau avait une consistance rappelant celle d’un potage au tapioca. Cette coloration des Nocti- luques vues en masse a été signalée par plusieurs observateurs. Elle nous inté- resse en ce qu'elle rappelle précisément celle de Peridinium divergens. URL” RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 118 en suspension. La pêche, pratiquée à 1 mètre ou 1"50 de profondeur, est plus fructueuse qu’à la surface ; mais la vie est en somme beaucoup moins intense que dans les jours ayant précédé le mauvais temps. Les Copépodes dominent. On retrouve encore les grains de fécule. Quelques Ceratium, en particulier C. furca, sont actifs. Un certain nombre de petites Noctiluques sphériques, mesurant parfois 60 y seulement, sans lacune aqueuse à leur intérieur et sans tentacules, sont parfaitement reconnaissables ; d’autres, plus ou moins irrégu- lières, sont également sans tentacules. 4 octobre. — Il fait beau temps et la mer est calme. À deux ou trois mètres de profondeur, le filet ramène la même faune qu'à la surface. Des crustacés, mais beaucoup moins abondants que précédemment; Hydroméduses, embryons de Cténophores ; quelques Ceralium tripos. 5 octobre. — Vie animale relativement peu intense. Nous trouvons pour la ‘seconde fois un Distome parasite des Noctiluques. Comme la veille, Hydromé- duses abondantes, œufs de Cténophores ; abondance de Tintinnus denticulatus, tandis qu'un autre protozoaire cilié muni d’une coque sphérique paraissant faite de débris siliceux, et qui s'était présenté les jours précédents, ne se montre plus; quelques rares Noctiluques sphériques, petites; Peridinium obliquum assez abondant ; petite variété de P. dwergens mesurant de 20 & à 50 y. Aucune trace de pigment rouge dans le très grand nombre de préparations faites pendant la journée. L'après-midi, la pêche pratiquée dans les Zosters, comme nous l'avons indi- qué, ne donne que peu de chose. Nous ramenons toutefois quelques rares Noctiluques sphériques sans tentacules ni flagellum, et Amphidinium operculatum. 6 octobre. — La mer est calme. Nombre considérable d'animaux mêlés aux crus- tacés habituels : Appendiculaires, Hydroméduses, Siphonophores, Chétognathes, larves de Bryozoaires, d'Annélides, de Cténophores; abondance extraordinaire de jeunes Mollusques acéphales et gastéropodes. Le dépôt formé par les ani- maux morts au fond des vases est considérable, malgré une pêche peu pro- longée. Ceratium tripos peu abondant; Peridinium divergens en grand nombre et de tailles diverses, plusieurs avec gouttelettes roses, grande quantité de débris de Noctiluques; Noctiluques de toute forme et de toute dimension. 1 octobre. — Nombre considérable de petites Noctiluques sphériques ou en cours d'expansion par l'apparition de lacunes aqueuses. Ces Noctiluques tom- bent au fond du vase, comme nous l'avons indiqué; il est probable qu'avec des conditions convenables d'observation on arriverait à les voir remonter à la sur- face et y poursuivre leur évolution. Un certain nombre de ces petites Noctilu- ques présentent un tentacule de la largeur ordinaire, mais très court, et qui est probablement en développement. À côté de ces Noctiluques jeunes, très grand nombre d'adultes couvertes de gemmes, particularité qui ne s'était pas encore offerte à nous avant cette date. Ceratium tripos avec gouttelettes rouges. 8 octobre. — La faune a entièrement changé. Ceratium tripos très abondants, quelques-uns avec des gouttelettes roses. Grand nombre d'algues microscopi- ques. Noctiluques flétries, en gemmiparie comme la veille. 9 octobre. — Les animaux qui paraissent dominer sont les Appendiculaires. Grand nombre de débris organiques animaux; Ceralium tripos abondant, variétés diverses, souvent avec gouttelettes rouges; Ceratium furca abondant. Algues microscopiques moins nombreuses. 10 octobre. — Nous quittons Concarneau sur la goélette La Perle; la mer est houleuse. À deux ou trois milles par le travers de Penmarch, la pêche au filet fin pratiquée du bord du navire rapporte une moisson à la fois toute nouvelle et des plus instructives : Ceratium tripos y domine et forme avec les Radiolaires des amas inextricables. Mais le point capital est que nous trouvons dans cette 44 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET pêche des Cilio-flagellés en chaines. Quatre espèces ou variétés se présentent ainsi à nos yeux : 1° Un Glenodinium rappelant Peridinœæa uberrima d'Allmann (voy. ci-dessus, p. 7); 2° et 3° Deux variétés de Ceralium tripos; 4° Une variété de C. furca, cette dernière en chaîne de Auil individus. Dans la nuit du 10 au 11 octobre, bien que la mer soit un peu phosphorescente, la pêche ne nous fournit absolument rien. Ce fait s'était déjà présenté en baie de Concarneau, où l'essai infructueux que nous avions essuyé nous avait fait renoncer aux pêches nocturnes. 11 octobre. — Pêche dans l'anse de Camaret. Peridinium obliquum, qui s'était montré à nous précédemment, dans la baie de Concarneau, avec une seule tache rouge, nous en offre ici trois, irrégulièrement groupées dans la région aborale. Pas de Ceratium ni de Glenodinium en chaîne. Abondance de Gymnodi- nium, que nous n'avions pas encore rencontrés. La pêche du 10 octobre, pratiquée à 2 ou trois milles au large des rochers de Penmarch, fixa spécialement notre attention, à la fois par l'importance et la nouveauté des documents qu'elle nous fournissait et par la localisation curieuse de ces chaînes de Péridiniens qui avaient échappé jusque-là à tous les observateurs, si on en excepte Allmann. Nous avons dit qu'il faisait de la houle, et, dans ces parages, la déclivité sous-marine de la côte est très grande. Cette double condition explique sans doute comment les mêmes Ceratium en chaîne ne s’étaient pas pré- sentés à nous pendant tout un mois à Concarneau et ne se sont pas pré- sentés davantage aux autres observateurs, probablement parce qu'ils se trouvaient placés dans les mêmes conditions, c'est-à-dire sur des rivages peu déclives. On peut admettre que ces chaînes, qui rappellent par leur disposition certaines algues, prennent naissance dans les eaux profondes et montent de là à la surface en même temps qu’elles se désagrègent. Ainsi s’expliquerait le fait dont tous les observateurs ont été déjà frappés, que les Ceratium des diverses espèces ou variétés s'offrent tou- jours avec des dimensions constantes. Nous avons retrouvé les mêmes chaînes, mais toujours composées d’un nombre restreint d'individus dans des pêches au filet fin que M. le D' Jourdan a bien voulu nous adresser de Marseille, en tubes, d’après le procédé que nous indiquons plus haut. Ces pêches ont été faites au commencement d'avril (1883). Nous y retrouvons à peu près la même faune péridinienne qu'à Concarneau. Toutefois les individus, les va- riétés, les espèces sont plus nombreuses. Mais c’est surtout à Carry, près de Marseille, et dans des parages où la déclivité de la côte est également considérable, que nous avons retrouvé en nombre ces chaînes de Cera- tium, en même temps qu'une abondance extraordinaire de formes dont quelques-unes même nouvelles. Dans les péches que M. Jourdan nous avait adressées, existaient des Rhizosolenia en nombre considérable et paraissant appartenir à plusieurs espèces, trois tout au moins : celle qui domine est À. calcar avis. Nous avons pu croire quelque temps à une parenté génésique entre ces êtres RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 45 et les Cilio-flagellés. Nous trouvions un certain nombre de Ceratium furca, de Protoperidinium engagés dans des segments ouverts de Rhizo- solenia. On pouvait se demander si ceux-là n'étaient pas une transfor- mation du contenu des tubes de ceux-ci. Certains caractères communs dans les apparences du noyau, dans la torsion de l'être sur son axe, l'ignorance égale où nous sommes de l’évolution des uns et des autres de ces êtres, leur abondance commune dans les pêches au filet fin qui nous étaient envoyées de Marseille, pouvaient être invoqués en faveur d’une assimilation possible. Mais malgré toute notre attention, malgré les pêches pratiquées par nous-même et immédiatement observées dans ce but spécial à Carry,nous n'avons pu mettre cette relation en évidence certaine. Ajoutons que depuis (juillet 1883), nous avons constaté chez Amphidinium operculatum un mode de multiplication entièrement ana- logue à celui des diatomées. III. — DESCRIPTION DES ESPÈCES Nous donnons ici le résultat de nos observations personnelles sur les formes de Cilio-flagellés qui se sont présentées à notre étude. Si certains des êtres qui constituent ce groupe sont nettement reconnaissables comme lui appartenant, des difficultés se présentent quand on étudie les plus petites formes. Il suffit de comparer le texte et les représenta- tions des divers auteurs qui ont essayé de classer cette poussière vivante (Peridinium puluisculus et autres) pour se convaincre qu'on a établi trop souvent des catégorisations absolument vaines, parce qu’elles ne pou- vaient être basées sur des caractères convenablement tranchés ou même aisément reconnaissables. Pour plus de facilité et ne point compliquer les choses, nous suivrons la nomenclature et la classification adoptées par Bergh dans son grand travail (VI, 2°), où cependant il renverse l’ordre auquel il s'était arrêté dans une communication préalable (VI, 1°) publiée l’année précé- dente (1881). Ce n'est pas quand il s’agit d'êtres aussi incomplètement connus que les Cilo-flagellés qu'on peut espérer de baser une disposi- tion méthodique des formes sur les affinités phylogéniques qui ont pu les unir dans un passé prodigieusement lointain — puisqu'on connaît des Péridiniens fossiles. La meilleure classification sera en somme celle qui sera la plus claire, la plus facile à appliquer, la plus aisée pour se reconnaître dans le nombre — d’ailleurs assez restreint — des formes observées. Il serait même ici d'autant plus imprudent de multiplier la nomenclature qu’il n'est nullement prouvé que ces êtres, en subissant des mues dont l'existence est hors de doute, ne passent pas parfois d'une forme décrite comme spécifique à une autre. Nous ne répéterons donc ni la synonymie ni la caractéristique données par Bergh, que nous Suivons pas à pas. 16 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Bien qu'il ait accompagné son mémoire de nombreuses figures, nous les avons multipliées de notre côté. Les descriptions, en effet, surtout quand il s’agit d’être pareils, sont insuffisantes, et c'est par l'iconogra- phie seule qu’on peut espérer d'arriver à dresser un catalogue sérieux et définitif des êtres microscopiques, toujours si difficiles à décrire. Les ouvrages les plus considérables laissent parfois beaucoup à désirer sous ce rapport, et nous n’en exceptons pas celui de Stein, dont les figures d'un dessin trop lourd donnent de très grandes difficultés dans les déterminations par comparaison avec le vivant. Nous l'avons particuliè- rement éprouvé en cherchant à déterminer, à l’aide de ses figures, des Monadiens abondants au milieu de nos Péridiniens. — Nous n'avons pas représenté les formes qui l'avaient été déjà d'une manière satisfai- sante, soit par Bergh, soit par d'autres. Mais partout nous nous sommes astreint à une échelle uniforme, au grossissement de 500 diamètres, sauf dans quelques cas particuliers que nous avons bien pris soin d'indiquer. Nous nous sommes arrêté à cette échelle de 500 diamètres comme nécessaire pour les plus petites espèces, et malgré les inconvé- nients qu'elle pouvait offrir pour les grandes. Il nous a paru qu'on avait ainsi une vue d'ensemble plus exacte du groupe tout entier (1). Bergh s'est appliqué, par des mensurations rigoureuses et souvent multipliées, à donner la taille moyenne de chaque espèce. Nous croyons ce soin inutile en zoologie, et qu'il suffit toujours d'indiquer la taille approchée de l'espèce, les individus étant forcément soumis à des varia- tions infinies sous ce rapport. Dans l'étude des êtres microscopiques, tels que les infusoires (Cilio- flagellés ou autres), la coloration n’est pas à négliger; mais Bergh nous paraît en avoir beaucoup exagéré l'importance et cherché tout à fait à tort des caractères dans la coloration jaune, verdâtre, rousse ou même rouge qu'offrent les Cilio-flagellés. Stein, en maints endroits, démontre que la gamme des tons peut se modifier chez la même espèce des limites du vert-jaune (chlorophylle) au pourpre, en passant par l'orangé, dont le brun (diatomine) n’est qu'une nuance rabattue. On ne saurait donc baser sur ces colorations aucune différence spécifique (2). Il convenait, pour la clarté des descriptions, de ramener les êtres que nous allons étudier à une position uniforme. Nous avons adopté sur ce point les vues de Claparède et Lachmann, regardant comme partie anté- rieure de l'être celle où se trouve le défaut du test que présentent bon nombre de Cilio-flagellés, et qu’on peut à la rigueur assimiler à une bouche, tout au moins à celle des Noctiluques, bien que les Cilio-flagellés (1) Les conditions de publication du présent recueil ne permetlaient pas d'ob- server cette règle; les dessins ont dû être réduits. A. Perrir. (2) Voyez ce qui est dit plus haut de la présence ou de l'absence de pigment rouge. Le Ceratium cornutum d’eau douce, figuré vert par Ehrenberg, est décrit comme brun par Bergh (VI, 20) et autres. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 17 n'absorbent jamais d’aliments solides. Ce point est également celui où s'insère le flagellum chez un grand nombre d'espèces et correspond à l'extrémité du sillon longitudinal. Dans les espèces tricuspides, les cornes jumelles sont donc antérieures. Pour la même raison, nous avons donc un côté droit et un côté gauche. On ne devra pas d’ailleurs perdre de vue l’asymétrie si particulière de ces êtres, asymétrie qui se complique d’une sorte de torsion les rappro- chant à la fois des Rhizosolenia, de beaucoup d’Infusoires ciliés, et des Noctiluques. Les analogies avec ces dernières sont encore bien plus étroites. Nous y revenons plus loin. De même que chez les Noctiluques, l'existence du flagellum n'est pas constante. Le très grand nombre des êtres observés par nous à Concar- neau étaient immobiles, ne présentant ni flagellum ni cils appréciables dans le sillon transversal. Les mouvements de ces cils, aussi bien que du flagellum, ont tout le caractère d'actes volontaires. Ils présentent des temps de repos. Ceux de la ceinture ciliaire paraissent de plus pouvoir être limités à une partie de celle-ci. Contrairement à l'opinion plusieurs fois exprimée par Bergh, nous pensons que la ceinture ciliaire joue un, rôle considérable dans la progression. Nous estimons qu’elle sert d'autant moins à diriger les aliments vers la place correspondant à l'orifice buccal que les Cilio-flagellés n’absorbent que des substances dissoutes. La ceinture ciliaire nous paraît, au moins chez certains groupes, l'organe essentiel de locomotion, combinant son action avec celle du flagellum ou fonctionnant indépendamment de lui. Il résulte du double mode d'activité de ces deux appareils des procédés très divers de pro- gression. Tantôt l'être est entrainé dans un mouvement héliçoïdal, d’autres fois on le voit se déplacer simplement en avant sans tourner sur lui-même. D'une manière générale, le sens dans lequel il progresse n’est pas nécessairement indiqué par la place où s’insère le flagellum. Nous avons vu Ceratium furca s'avancer dans un sens, puis rétrograder à la rencontre d’un obstacle. S Comme subdivision des genres, nous admettons soit l'espèce, soit le groupe spécifique; Bergh s'est déjà servi d'une désignation analogue (Formenkreis). Quand une forme s’est montrée à nous nettement distincte et sans formes de passage avec d’autres, nous l’avons désignée par un nom spécifique spécial; mais le plus souvent nous avons réuni dans un groupe spécifique un nombre plus ou moins grand de variétés que nous avons désignées par une simple lettre (A, B, etc.), ou bien auxquelles nous avons donné un troisième nom, toujours emprunté à une particula- rité plus ou moins frappante. Convaincu que les classifications doivent avant tout rester un moyen de se reconnaître dans le catalogue des êtres vivants, et que nous ne saurions donner aux divers groupements que nous admettons une valeur absolue, nous n’avons pas hésité à rapprocher parfois dans le même groupe spécifique des formes assez distinctes ; pas 2 18 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET plus que nous n'avons reculé, en les dénommant d’après les principes dont nous nous sommes fait une règle fixe, devant certaines antilogies choquantes en apparence. Nous avons préféré cet inconvénient à celui de multiplier les groupes spécifiques en préparant des difficultés nou- velles pour le jour où l’on découvrirait des formes intermédiaires à ces divers groupes. On ne devra jamais perdre de vue que nos connais- sances sur les Cilio-flagellés sont absolument rudimentaires, qu’un nombre considérable de formes viendront probablement s'y ranger encore, et enfin que la connaissance complète de l’évolution de ces êtres pourra seule en permettre une nomenclature satisfaisante. Jusque-là celle que nous employons garde un caractère essentiellement provisoire, et il n ya point à s'arrêter aux défauts de logique qu'elle peut présenter. Genre Ceratium. Bergh divise le genre Ceratium en deux groupes : le premier compre- nant C. furca, lripos et fusus, caractérisé par un test percé de « pores » et portant à la surface des saillies non disposées en réseau ; le second comprenant exclusivement des formes d’eau douce (C. cornutum et hirundinella) à test non percé de pores et réticulé à sa surface. Cette division doit être rejetée. Nous signalons plus loin une forme marine, C. tripos var. reticulatum, qui offre à la fois des « pores » et des crêtes en réseau. En interprétant les points circulaires accusés par un trait très mince que l’on voit sur le test d’un grand nombre de Ceratium, comme des pores, Bergh semble suivre Baïley (1). Il déclare que les réactifs (iode et acide sulfurique) ne laissent pas de doute sur leur nature. Bien que nous n’ayons pas dirigé de ce côté nos recherches, cette opinion nous paraît hasardée. L’impression produite sur l'œil est bien plutôt celle de faibles éminences plates, ou de dépressions circu- laires nettement limitées. Groupe spéc. C. furca (voy. Bergh). Les formes appartenant à ce groupe, que nous avons rencontrées soit à Concarneau, soit sur la côte de Provence, sont extrêmement nom- breuses. Beaucoup rappellent les figures de Bergh, et il semble que chez certaines la corne postérieure, diminuant de plus en plus, ménage une sorte de transition qui les rapproche de Peridinium divergens. C'est à Carry que nous avons été surtout frappé du nombre de ces formes de passage. Nous indiquerons successivement les diverses variétés qui ont appelé notre attention. (1) Note on New Species and Localities of Microscopical Organisms. Smilhso- nian Contribution lo Knowledge, vol. ITI, 1885. du. Des cg 4 RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 49 A. C. Furca var. depressa. — Nous désignerons ainsi la forme que nous avons trouvée dans les circonstances indiquées’ plus haut (p. 14) en chaîne de 8 individus, tous de même taille (fig. 1, a et b). La longueur des individus était de 170 x environ. Les deux cornes antérieures sont légèrement divergentes, le corps est plus court d'avant en arrière que dans les formes données par Bergh. Nous indiquons plus loin, en déeri- vant une autre variété, le mode d'union des individus. Un accident survenu à la préparation renfermant cette chaîne a dis- socié le test des individus qui la composaient en plusieurs pièces, selon des lignes de suture très nettes. C’est ainsi que le prolongement posté- rieur s'est trouvé partagé longitudinalement en quatre fragments (voy. fig. 1, b), au lieu d’être d’une seule pièce comme les cornes anté- rieures. Il est d’ailleurs probable que les lignes de suture unissant les diverses pièces vont s’effaçant de plus en plus avec le temps. Le fond du sillon vibratile paraît formé, comme chez d'autres genres voisins (Peridinium, Protoperidinium, etc...), d'une pièce unique ru- banée — percée de deux rangs de pores, au dire de Bergh, par lesquels passeraient deux rangées de cils vibratiles. On a vu que l'existence de ces pores nous semblait fort douteuse. Nous inclinons à penser que cette pièce rubanée n’est soudée que par des points éloignés et dans une très faible étendue aux deux lames saillantes limitant le sillon, et que c'est à travers la fente ou les fentes laissées libres par cette union incomplète que s'engagent, soit sur un rang, soit sur deux rangs, les cils dépendant de la substance vivante du dessous du test. Le sillon vibratile est limité en effet par deux lames saillantes très minces et renforcées, comme cela est l'ordinaire, par une série de saillies extraordinairement déli- cates, plus ou moins rapprochées, qui donnent à ces lames l'aspect de collerettes plissées. Le test présente, à partir de la base de chacune des deux collerettes, des saillies ou côtes parallèles, allant vers l'avant et l'arrière en s’atté- nuant. Entre ces côtes et sur le reste du test on distingue des points espacés à contour très finement dessiné : ce sont les « pores » de Bergh. B. — Une autre variété se rapprochant aussi des formes données par Bergh (voy. sa fig. 20), mais à cornes antérieures peu écartées, exacte- ment parallèles, est celle que nous représentons fig. 2. Nous la trouvons en abondance à la fois dans l'Océan et dans la Méditerranée. Le test est plus ou moins épais, il augmente probablement avec l’âge, et prend une apparence comme guillochée. Cette disposition est surtout sensible sur la corne postérieure. Celle-ci à son extrémité est coupée obliquement, toujours ouverte, sans bourrelet qui en limite le contour. Nous n’avons pas trouvé cette variété en chaîne. Nous l’avons vue au contraire très souvent engagée la pointe postérieure la première (c’est le sens de la progression ordinaire), dans ces segments rompus par la moitié de 920 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Rhizosolenia dont le diamètre était en même temps à peu près en rapport avec celui de ces Ceratium. Généralement chez cette variété le contenu est clair, presque inco- lore. On ne distingue pas de vésicule aqueuse. Le noyau est ovoïde, volumineux. Fixé par l'acide osmique et coloré par le carmin, il paraît très finement réticulé (1), ou plutôt semble formé d’un assemblage de petites sphères ou de petits globes entre lesquels se voit le nucléole (il -y en a parfois plusieurs). Cette disposition se retrouve sur les noyaux isolés. Elle paraît très générale chez les Cilio-flagellés. Quand ces masses sphériques sont petites, punctiformes, elles peuvent se montrer irrégu- lièrement disposées comme des granulations ; mais d’autres fois elles dessinent dans le noyau, sans doute en raison d’une disposition en quinconce, des systèmes de traits ou de lignes parallèles. En arrière du noyau existent des masses plus petites que le noyau, d'aspect nacré chez le vivant, tantôt uniques, tantôt plus nombreuses. Ces corps sont probablement analogues aux « Keimkugel » de Stein, ou corps reproducteurs chez les Flagellés. Nous ne les avons pas retrouvés à l’état de liberté, et leur nature paraît incertaine. Ces corps arrondis ou ovoïides, quelquefois au nombre de trois ou quatre (surtout dans une espèce voisine, C. fusus), présentent par l’action combinée de l'acide osmique et du carmin une coloration jaunâtre qui ne paraît pas indi- quer une activité vitale énergique. Il est à noter toutefois que souvent, au milieu de ces corps ainsi traités, on découvre un point rouge, mal déli- mité, ayant exactement les dimensions des nucléoles du noyau voisin, mais de coloration moins intense. Faut-il regarder ce point comme un noyau, ou, ce qui serait également possible, comme un résidu de sub- stance encore vivante au milieu d'une masse qui subit une transforma- tion devant l'amener à l’état de produits destinés à être éliminés ou résorbés ? C. — Une autre variété nous offre un corps très court, très large, avec les deux cornes antérieures par conséquent très écartées, très déliées, parallèles. Quelques individus, surtout quand la corne postérieure vient en même temps à diminuer, rappellent beaucoup Peridinium divergens, et il ne serait pas impossible que des mues successives rapprochent en effet, jusqu'à les confondre, ces deux formes spécifiques. D. C. furca, var. conlorta. — Signalons encore une autre variété qui s’est montrée à nous sur les côtes de Provence et qui ne paraît pas avoir été jusqu'ici figurée. Nous en donnons une représentation à petite échelle (fig. A). Le corps est à la fois déprimé et fortement contourné autour de l’excavation ventrale très accusée. Les cornes antérieures sont toutes deux légèrement obliques à droite par rapport au sillon (1) Voy. sur cette apparence : Pouchet, Evolution et structure des noyaux des éléments du sang chez le Triton. Journal de l’Anatomie, 1879, janvier-février. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 91 transversal. Les individus mesurent communément 220 & de long sur 80 de large. La substance vivante est chargée de granulations foncées (après l’action de l'acide osmique) qui laissent mal voir le noyau. Chaines très nombreuses dans certaines pêches, mais de deux individus seulement. Groupe spéc. C. tripos (voy. Bergh). Les variétés que l’on peut rapporter à ce groupe spécifique sont pour le moins aussi nombreuses que celles qui rentrent dans le groupe pré- Fiac A. IAE Ne IAE (Cie cédent. Les figures de Claparède et Lachmann sont exactes, sauf en ce qui touche la ceinture de cils, dont ils placent l'insertion sur un des bords du sillon circulaire, erreur répétée par d’autres observateurs : les cils s'attachent chez tous les Cilio-flagellés au fond du sillon entre les deux collerettes. A Concarneau, les formes diverses se rattachant au groupe C. tripos se sont partout montrées à nous en nombre à peu près égal et restreint. À Carry, nous les avons trouvées extraordinairement abondantes. A Concarneau, pendant l’automne, l'existence des cils et du flagellum se laissait très rarement constater. Au printemps, à Garry, nous avons pu suivre et bien étudier les mouvements du flagellum. Les diverses variétés de C. tripos sont tantôt incolores, tantôt teintées en jaune ou en roux. Elles peuvent présenter aussi des gouttelettes rouges ou tout au moins rosées. Il semble parfois qu'on distingue une 22 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET vacuole. Le noyau, parfois nucléolé, présente la même structure que dans C. furca. Quand les cornes antérieures sont très longues, l’extré- mité en est ordinairement fracturée ; mais c’est là sans aucun doute un fait accidentel. Parmi les formes à classer dans ce groupe spécifique, les unes sont extrêmement massives, à test très épais ; d’autres, au contraire, extraor- dinairement grêles. A. — Une première variété est très voisine de celle représentée par Berg dans ses figures 24 et 25, mais toutefois avec les cornes anté- rieures plus recourbées et plus rapprochées du corps (voy: fig. B). Pêchée devant Penmarch. Sur une chaîne de deux individus, le second seul à la corne postérieure rectiligne et longue; le premier l'avait recourbée sur la gauche, et beaucoup plus courte. B. C. tripos var. megaceras. — Nous avons trouvé à Penmarch cette variété en chaînes de deux et de trois individus. C’est sur elle que nous avons pu observer le mieux le mode d'union des divers individus com- posant les chaînes (voy. fig. C). Le bout de la corne postérieure vient s'insérer sur l'extrémité gauche du sillon transversal de l'individu suivant. On trouve à ce niveau une sorte de cupule saillante en forme de console, sur le contour de laquelle s'applique le contour de l’extré- mité de la corne. Celle-ci offre de son côté, quand elle n’a souffert aucun dommage, un léger élargissement et un épaississement marginal bordant l’orifice. Celui-ci n'est pas coupé obliquement, comme dans C. furca. Ce mode d’union n’a rien de commun avec celui des Dinobryon et Poterioden- dron (voy. Stein, VI, PI. XI et XII), chez lesquels on peut trouver — à côté des formes en arborisation et par simplification de celles-ci — des séries linéaires dont l’aspect général peut rappeler celui des chaînes de Ceratium, mais indique une formation toute différente. Ces Flagellés sont enveloppés, comme beaucoup d'Infusoires, d'une coque anhiste extrinsèque, bien qu'ils gardent avec elle un point d'attache. Il y a, entre celle-ci et le test des Cilio-flagellés, autant de diffé- rence qu'entre la coquille d’un mollusque et le test sujet à la mue d'un articulé. Le Dinobryon à l'intérieur de sa coque subit une mulliplication, soit par scissi- parie, soit par gemmiparie, et le nouvel être s’attachant à l'intérieur de la coque vers la partie supérieure de celle-ci, y demeure adhérent par son extrémité. Le même fait se répétant aboutit à la formation de colonies linéaires ; ou plutôt elles ne sont qu'un accident rare, à en juger d’après les figures de Stein: la colonie est le plus souvent, sinon toujours, disposée en éventail, chaque Flagellé donnant attache par l'intérieur de sa coque à deux ou trois autres. Le principe de ces colonies est donc dans l’adhérence de la coque à un corps étranger quel- conque, et il est même probable (voy. fig. 3, pl. XIT, de Stein) que, dans certains cas, l’adhérence des individus se produit aussi bien à l'extérieur qu'à l’intérieur des coques. — Quant à la formation de colonies régulièrement disposées par un tel procédé, qui semble cependant subordonné à une infinité de hasards, c’est un phénomène fréquent, et que la biologie reste impuissante à expliquer. — Par suite, chez les Dinobryon, l'état sérial est définitif, tandis que chez les Ceralium 1 est transiloire, d’où l'extréme rareté qui l’a laissé si longtemps inconnu. Enfin, RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 93 chez les Dinobryon, les divers individus disposés en série représentent des générations successives, tandis que tous les Ceratium d’une même chaîne ne paraissent point nés là par gemmes les uns des autres. En tout cas, nous n'avons rien observé qui indique un mode quelconque du bourgeonnement se faisant au point d'attache, c’est-à-dire à l'extrémité du sillon circulaire, pas plus d’ailleurs qu’en tout autre endroit (1). C. C. tripos var. gracile. — Nous désignons, sous ce nom, une forme très grêle des côtes de Provence, offrant cette particularité que les cornes antérieures, très longues, très fines, présentent de plus une double ondulation bien accusée. F1c. D. RTC D. C.tripos var. reticulatum (fig. 3, a et b). — La pêche par le travers de Penmarch, le 9 octobre, nous a offert plusieurs exemplaires d’une variété appartenant au groupe C. tripos, de grande taille, mais à test nettement réticulé, ce qui infirme la division introduite par Bergh dans le genre Ceratium. Nous avons retrouvé cette variété dans les pêches de Marseille du commencement d'avril (1883). Sur une chaine de deux individus, le premier avait l'extrémité postérieure plus courte. Nous donnons à l'échelle ordinaire le test de cette variété d’après un indi- vidu chez lequel celui-ci était brisé par écrasement, ce qui n'en laisse que mieux voir la structure. Le test est couvert d'un réseau à mailles polygonales, formé de crêtes saillantes. Entre celles-ci, (1) On ne confondra pas avec un bourgeonnement une saillie que fait souvent la substance vivante par l’orifice ventral du test, et qui est toujours accidentelle et probablement cadavérique. 94 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET d’autres crêtes beaucoup moins apparentes dessinent un réseau secon- daire à peine distinct. On trouve, dans certaines régions; les mêmes ponctuations ou « pores » que sur les espèces à test lisse. E. C. tripos var. dispar (fig. D). — Nous désignons sous ce nom une variété trouvée en abondance à Carry, et remarquable par sa corne gauche, très fortement recourbée en dessus en même temps qu’en arrière, si bien que quand l'être repose sur la face ventrale la pointe de la corne se projette sur le corps. De plus, la corne postérieure, au lieu d’être dans l’axe du corps, est fortement déjetée à gauche. Nous avons pu sur cette variété très bien observer les mouvements du flagellum. Il est très long et oscille avec une rapidité assez grande pour produire la même impression qu'une verge d'acier fixée par un bout, et vibrant. Il est inséré à l'extrémité droite du sillon transversal, au fond d’une sorte de gouttière parallèle à l'axe du corps, et se ter- minant près du bord antérieur du test. La partie du flagellum qui reste engagée dans la gouttière quand il est étendu ne vibre point. De temps à autre, l'être rétracte son flagellum qui vient alors (tout au moins dans la première moitié de sa longueur) s’enrouler en spirale serrée au fond de la gouttière. Puis on voit cette spirale se détendre comme un ressort à boudin, et le filament redevenir rectiligne, dessiner des 8 ou se mettre à vibrer. F. C. tripos var. limulus (fig. 4). — Nous conservons à cette variété le nom que lui donne M. Gourret dans le travail manuscrit dont nous parlons plus haut (voy. p. 4, note, in fine). Elle a été observée égale- ment par nous dans les pêches de Marseille, où toutefois elle est rare. Elle se distingue nettement par la brièveté et la forme conique du pro- longement postérieur, et par la double gibbosité que présente le profil des parois du corps. Le test, très épais, est couvert de dépressions légères qui lui donnent un aspect rugueux caractéristique. Groupe spéc. C. fusus (voy. Bergh). Les formes se rattachant à ce groupe, peu communes dans les pêches de Concarneau, se sont montrées en abendance dans celles de Marseille et de Carry. Leur variété est très grande. Quelques-unes ont une longueur considérable. Comme dans C. furca, et contrairement à C. tripos, la pointe aborale est tronquée obliquement. La longue corne antérieure et la corne aborale sont toujours légèrement incurvées dans le même sens. Cette courbure s’est montrée à nous très exagérée chez certains individus observés à Carry (voy. fig. E), qui présentaient souvent en même temps une épaisseur considérable de leur test. D’autres, par le développement exagéré de la petite corne antérieure (comparez la figure 28 de Bergh), semblaient tendre à faire le passage RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 25 à C. furca. Le noyau et les prétendus corps reproducteurs présentent les mêmes caractères que dans cette dernière espèce (1). Nous n'avons jamais rencontré C. fusus en chaïne. Par contre, il nous est arrivé de trouver comme pour C. furca des individus engagés dans des segments ouverts de Æhizosolenia d'une variété plus petite et dont le diamètre était à peu près en rapport avec celui de C. fusus. Genre Dinophysis. Groupe spéc. D. acuta (voy. Bergh). Nous avons rencontré à Concarneau diverses formes (voy. fig. F) qui paraissent assez peu s'éloigner de celle que Bergh désigne sous ce nom. À Concarneau aussi bien que sur les côtes de Provence, les POP ee se sont toujours montrés rares. FN : Fic. F. de D A. D. acuta var. geminata (fig. 5). — Nous désignons ainsi une variété méditerranéenne qui a présenté une particularité morphologique tout à fait inattendue. Dans cette variété, la pointe antérieure se prolonge en une sorte de promontoire, ayant presque la longueur du reste du corps. Tantôt les individus se sont offerts à l’état d'isolement, comme ils ont toujours été décrits, et tantôt géminés, unis d’après un mode tout diflé- rent de celui qui constitue les chaînes de Ceratium et différent aussi de celui que nous allons trouver dans le genre Amphidinium. En nous repor- tant à la position que nous avons adoptée pour les Cilio-Flagellés, l'union aurait lieu dos à dos par les bords d'une sorte de membrane ou crête (4) Nous devons signaler ici une observation qui s’est présentée à nous récem- ment et que nous avons tout lieu de croire exacte, bien que nous ne l’ayons pas encore répétée (25 juillet 1883). Elle a coïncidé avec une de ces modifications subites de la faune pélagique sur laquelle nous avons appelé plus haut l’atten- tion. La mer à Concarneau, vers le 10 juillet, se montra tout à coup et pendant deux jours seulement couverte de C. fusus. Les noyaux présentaient le double aspect que nous avons signalé plus haut chez C. furca. En examinant un de ces noyaux où les granulations n'affectaient point la disposition en quinconce, nous vimes que les granules ou les globules de ce noyau se déplaçaient, comme animés d'un mouvement de révolution. Celui-ci était très net. Malheureusement nous ne pümes dans ce moment appeler personne à en contrôler l'exactitude. Il . Se faisait dans le sens du mouvement direct, l'animal étant observé par la face dorsale; 26 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET saillante, au moins chez la variété qui nous occupe. Le noyau est volu- mineux, réticulé comme dans C. furca, avec un ou deux nucléoles. Le test est épais et semble porter à sa surface de légères dépressions qui s'étendent jusque sur la base de l'aile ventrale. Les lames bordant le sillon transversal sont renforcées de très fines arêtes et s’évasent en coupe. Cette gémination paraît éloigner considérablement les Dinophysis des Ceratium et vient encore augmenter l'obscurité qui règne sur l’évolution des Cilio-Flagellés. Groupe spéc. D. lævis (voy. Bergh). D'autres Dinophysis recueillis à Concarneau (fig. 6) paraissent pouvoir être classées avec D. lævis de Bergh (voy. sa fig. 55), bien que ne présen- tant pas la même forme sphérique. Mais le corps, ovale, est nettement arrondi en avant. Il fait en arrière une légère saillie au milieu du sillon transversal. Groupe spéc. D. galea. Nous rangeons sous cette dénomination nouvelle plusieurs formes observées à Carry, et qui diffèrent des Dinophysis décrits en ce que la crête latérale s'étend jusqu’au sommet correspondant au pôle oral des Ceralium. Elle y dessine une sorte de cimier qu'une échancrure plus ou moins profonde délimite parfois du reste de la lame. Ce cimier, dans d'autres cas, est réduit à un prolongement membraneux triangulaire, rappelant une disposition qu'on trouve chez certains Protoperidinium. Les formes rentrant dans ce groupe spécifique paraissent relativement nombreuses ; nous figurons ici celles que nous avons rencontrées dans une seule pêche à Carry (fig. G). Nous n'avons pas trouvé D. galea dans l'Atlantique. Nous avons pu observer sur cette espèce la direction du flagellum, modifiée en raison de la forme de l'être. Il est dirigé obliquement en arrière, et s'enroule aussi à sa base, comme celui des Ceratium. 19 en RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS Genre Amphidinium. A. operculatum (fig. 7 et T bis). Nous avons trouvé en abondance à Concarneau une forme qui paraît identique à l’A. operculatum décrit par Clap. et Lach. et signalé par eux sur les côtes de Norvège. Nous en avons retrouvé une autre plus rare, un peu différente, sur les côtes de Provence. Bergh n'a pas observé lui-même cette espèce. Il a cru, depuis la publication de son grand mémoire, pouvoir établir (VI, 2, déc. 1882), d’après une communication manuscrite du D' Sprengel, que cette espèce n’apasdetest. Le D' Sprengel aurait observé dans le détroit de Norderney une forme semblable très abondante, nue et de coloration claire. Par suite Bergh éloigne le g. Amphidinium du g. Dinophysis près duquel il l'avait d’abord placé, pour le rapprocher du genre Gymnodinium. La forme, que nous avons longue- ment observée, a certainement un test. Non seulement, nous avons conservé À. operculatum à Paris dans de l’eau de mer rapportée de Concarneau depuis octobre 1882 jusqu’en juin, ne prenant d’autre soin que de la tenir couverte et d’y ajouter de temps en temps un peu d’eau douce pour corriger l'évaporation (1), mais en ce moment même (juillet 1883) nous avons sous les yeux une abondance d’A. operculatum qui prospèrent dans un grand cristallisoir et s’y multiplient. On a rapi- dement lavé dans ce cristallisoir des algues rapportées par la drague; on a laissé déposer, puis on a changé l'eau, ajouté une algue verte et recouvert le vase d’une lame de verre. La surface de l’eau est écumée, comme nous l'avons indiqué plus haut, à peu près tous les jours. Les Amphidinium se tiennent sur le fond et paraissent préférer le côté opposé à la fenêtre. Nous orientons le genre Amphidinium comme le genre Dinophysis. Ici le flagellum se trouverait par conséquent complètement reporté en arrière (2), mais l'être progresse le flagellum en avant. Le plus ordinairement A. operculatum repose sur une de ses faces, et se montre avec l'aspect que lui donne la figure de Claparède et Lachmann. Quand on le fait tourner sur lui-même, on voit que les deux faces sont parfois beaucoup plus écartées qu’on ne le supposait, l'épaisseur de l'être égalant à peu près les deux tiers de sa largeur. Les deux faces sont planes, à peu près parallèles ; mais l’une est plus petite et en retrait sur l’autre à la partie antérieure, opposée au flagellum. La substance vivante, avec le pigment qu’elle contient, est limilée au voisinage du (1) Tous les mêmes infusoires et les mêmes algues ont continué de s'y mon- trer. Mais il convient d'ajouter qu’elle ne contenait pas de crustacés. (2) Notre figure 7 et 7 bis devrait, en conséquence, être relournée pour se trouver dans la position correspondante à celle des autres Cilio-flagellés. 28 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET test, où elle forme une couche mince enveloppant probablement une vaste lacune. L'être est fortement coloré par la diatomine. On peut y trouver des gouttelettes rouges. Au milieu de chaque face se voit un ombilie, que Claparède et Lachmann décrivent comme « un corpuseule arrondi, plus foncé, d’où rayonnent des raies irrégulières également foncées ». La diatomine est en effet répartie en masses distinctes (1) bien que n'offrant pas toujours la disposition indiquée par ces auteurs. Quant à l’ombilic, son aspect sur chaque face est celui d’une petite cupule déprimée, à bords saillants, nettement découpés. On peut constater sur certains individus plus transparents, que cette apparence du double ombilic n’est pas due à un corps central, mais à une disposition se répé- tant sur l’une et l’autre face. Le noyau refoulé vers l'extrémité anté- rieure (opposée au flagellum) est volumineux et présente la même structure que dans le genre Ceratium. : Le test se compose de deux valves qu'on peut trouver isolées. Elles sont alors limitées par un double contour, mais ne portent aucune trace répondant à l'ombilic : elles sont complètement lisses. On découvre assez difficilement sur l’une d'elles le sillon longitudinal décrit par Cla- parède et Lachmann. Celui-ci ne dépasse pas le quart environ de la lon- gueur de l'être et vient tomber sur le sillon transversal peu profond et qui paraît également creusé aux dépens d’une seule des deux valves. Tantôt l'Amphidinium semble animé d’un simple mouvement de repta- tion, et tantôt il progresse en tournoyant comme la plupart des Cilio- flagellés. Nous avons observé à Concarneau et retrouvé à Carry une forme plus petite, mesurant environ 40 & sur 30 y et d’une coloration vert clair. Nous ignorons s’il faut y voir une variété ou simplement un état jeune (fig. 7 bis). Ainsi que nous l'indiquons plus haut, nous avons en ce moment sous les yeux une colonie abondante d’A. operculatum paraissant vivre dans d'excellentes conditions. La première question qu'on peut se poser en les observant est celle de savoir si ces êtres doivent être réellement placés parmi les Cilio-flagellés. Il est certain qu’ils présentent un fla- gellum (dirigé en arrière, d’après l'analogie avec les Dinophysis) et qu à Ja base de ce flagellum on aperçoit un mouvement ondulatoire très net; mais nous ne saurions actuellement décider si celui-ci est dü à une cou- ronne de cils ou à un second flagellum tournoyant, à la façon d'un 8, sur lui-même. Les moyens optiques dont nous disposons ne nous per- mettent pas pour le moment de trancher cette question. Quelle que soit la nature de cet appareil, l'être peut le rentrer, aussi bien que son fla- gellum, et demeurer immobile. Cest ce qui arrive quand on place des (4) Contrairement à un certain nombre de Monadiens (Chilomonas, Cryplomonas) où la diatomine est diffuse. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 29 Amphidinium sous le microscope. C'est seulement au bout d’un certain temps qu'on les voit commencer à se déplacer de plus en plus active- ment dans la préparation. Les À. operculatum vivent principalement sur le fond, où ils demeu- rent attachés aux débris organiques de toutes sortes qui s’y trouvent, par l'extrémité postérieure (où s’insère le flagellum), et obliquement placés par rapport à la surface à laquelle ils adhèrent. Nous n'avons pas pu voir comment se faisait cette adhérence qui résiste aux tractions que l’on opère en comprimant la lamelle, tout en laissant l'être osciller sur son point d'attache. Nous avons dit que l'épaisseur d'A. operculatum était souvent consi- dérable ; elle peut varier, et son accroissement est en rapport avec un mode de multiplication que nous avons suivi et qui semble rapprocher intimement les Cilio-flagellés (si À. operculatum doit être maintenu parmi eux) des Diatomées. Quand l'être a atteint une épaisseur maximum, il se partage en deux êtres juxtaposés, réunis dans une enveloppe com- mune représentée à la fois par le test dorsal de l’un des individus, le test ventral de l’autre et une portion moyenne qui se sépare suivant le plan passant entre les deux individus, et dont chacun entraîne une moitié. IL est probable que cette portion de l’anneau-cloison commune tombe bientôt, car on ne la retrouve pas sur les individus observés, mais il est très facile d'en vérifier au début la présence. D'ailleurs, le mode de multiplication que nous indiquons ici ne saurait faire doute; nous l'avons constaté et fait constater autant de fois que nous l’avons voulu, chaque préparation présentant des exemples plus ou moins avancés de cette scissiparie. Ainsi que nous l'avons dit, elle se fait de telle sorte que les deux êtres nouveaux sont superposables. Il n’en était pas de même des Dinophysis géminés, et, si l’on joint à ces deux exem- ples celui que nous offrent les chaînes de Ceratium, on verra combien nous sommes actuellement peu avancés dans l’histoire de l’évolution des Cilio-flagellés. Genre Protoperidinium. Ce genre, établi par Bergh, serait caractérisé par la présence de pro- longements du test, bordant le sillon longitudinal, et homologues par conséquent des crêtes saillantes bordant le même sillon chez les Dino- physis. Bien que nous n’ayons jamais rencontré aucun Protoperidinium non plus qu'aucun Peridinium en chaîne, il semble que les rapports de ces genres avec le genre Ceratium soient assez étroits. Ils s'en rapprochent : en tout cas par leur extrémité postérieure souvent prolongée, et toujours ouverte comme la corne postérieure des Ceratium. D'autre part nous 30 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET n'avons jamais trouvé aucun représentant de ces deux genres à l’état géminé comme les Dinophysis ou les Amphidinium. Bergh signale deux espèces, Pr. pellucidum et Pr. Michaelis. Il ne figure pas cette dernière qu'il assimile au Peridinium Michaelis d'Ehren- berg. Mais la représentation tout à fait insuffisante qu'en donne celui-ci paraît plutôt de nature à faire rentrer cette espèce dans les Peridinium de Bergh, puisque les trois prolongements du test y semblent creux et remplis de substance vivante. Groupe spéc. Pr. pellucidum (voy. Bergh). Bergh donne deux figures (46 et 47) de cette espèce qu'il représente avec une tabulation très nette du test, avec les deux extrémités du sillon transversal se rejoignant à l'extrémité du sillon longitudinal, enfin avec deux prolongements antérieurs en forme de lames renforcées par des épaississements aciculaires. Nous avons observé un grand nombre de formes dont aucune ne nous à paru complètement assimilable à l'être représenté par Bergh. D’autres en diffèrent essentiellement surtout par la configuration de la partie postérieure, tantôt infundibuliforme et tan- tôt conique, d’autres fois plus ou moins arrondie et semblant faire le passage au g. Diplopsalis de Bergh. Parfois aussi les prolongements antérieurs du test sont réduits à de fines aiguilles. A. Variété, fig. 8. — Prolongements antérieurs représentés seulement par deux pointes à base un peu élargie; lèvre droite du sillon longitu- dinal très accusée ; extrémités du sillon transversal chevauchant légè- rement l’une sur l’autre; moitié postérieure infundibuliforme. Cette variété semble établir dans une certaine mesure le passage des Proto- peridinium au Peridinium divergens. B. Variété, fig. 10 et 11. — Variété plus allongée, à pointes anté- rieures plus rapprochées, presque parallèles. Nous la trouvons en abon- dance dans des pêches provenant de Marseille, mêlée à des multitudes de filaments de Rhizosolenia. On la découvre même engagée dans les demi-segments ouverts de celui-ci, placée là obliquement et comme attachée à la paroi du segment. C. Variété, fig. 12. — Nous rangeons ici une forme rencontrée égale- ment dans les pêches de Marseille, à test très mince, lisse, à pointes antérieures très écartées, à sillon circulaire à peine marqué. La sub- stance vivante, sur cet individu, était rétractée, à l'intérieur du test, présentant en avant deux éminences, et sur le côté la trace du sillon circulaire. L'aspect général se rapproche de celui que nous signale- rons plus loin chez de nombreuses variétés se rattachant au genre Peri- dinium. D. Variété, fig. 9. — Forme très différente des précédentes. Disposi- RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 31 tion des sillons comme dans les figures 46 et 47 de Bergh, c'est-à-dire que les deux extrémités du sillon transversal se confondent et recoivent à angle droit l'extrémité postérieure du sillon longitudinal. Prolonge- ments antérieurs en forme de pointes. En arrière, profil des bords con- cave au lieu d’être, comme dans les variétés précédentes, plus ou moins concave et convexe. Les variétés À, B, C, D sont caractérisées à la fois par leurs prolon- gements en pointe et la configuration infundibuliforme de la partie posté- rieure. Les variétés suivantes, E, F, G, H, le sont par des prolongements en forme de lame soutenue par des renforcements spiculaires, et par une partie postérieure conique ou convexe. L'aspect général de ces variétés rappelle assez bien celui d'une marmite renversée avec son couvercle (moitié postérieure)et deux pieds visibles (les prolongements antérieurs). On pourrait peut-être les grouper sous le nom de var. olla. E. Variété, fig. 16. — Longueur 70 y. La partie postérieure est nette- ment conique, et échancrée à l'extrémité, qui ne se prolonge pas en bec. Test formé de larges tables. De plus, la surface en est réticulée, chaque maille étant représentée par une légère dépression. F. Variété, fig. 17. — Variété plus petite que la précédente, mesurant seulement 45 4. La configuration n'est pas non plus tout à fait pareille, toutefois c’est peut-être seulement une différence d'âge. Bergh figure de même Pr. pellucidum de deux tailles différentes. Villemoes-Suhm (V) donne trois âges de l'espèce qu'il représente (voy. ci-dessus, p. 7). Ces différences de taille sont probablement en rapport avec l'absence de chaines chez les Protoperidinium et les Peridinium. G. Variété, fig. 18. — Forme assez régulièrement ovoïde à grand axe longitudinal. Dimension, 70 y sur 35 4. Les deux pointes antérieures sont très courtes, rapprochées; la partie postérieure est brusquement sur- montée d'une petite gouttière dont les parois très minces apparaissent elles-mêmes comme deux fines aiguilles. H. Variété, fig. 19. — Forme voisine de la précédente. Les prolon- gements antérieurs sont seulement plus larges et la partie postérieure se prolonge par une courte éminence échancrée en gouttière. Pr, ovatum. Nous croyons pouvoir ranger sous une dénomination spécifique dis- tincte une forme observée dans les pêches de Marseille, caractérisée par sa configuration nettement ovoïde, à grand axe tranversal, par ses prolongements antérieurs réduits à deux fins spicules, par les deux extrémités du sillon transversal qui ne se rejoignent pas et ne rejoignent pas non plus le sillon longitudinal très court (fig. 13). 32 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET EXPLICATION DE LA PLANCHE I FiG. {. — Ceratium furca. — a. Chaîne de huit individus à un faible grossissement, pêchée par le travers de Penmarch. — b. Individu dont le test a été réduit en fragments par écrasement. F1G. 2. — C. furca, var. très abondante dans les pêches de Marseille, avec noyau vésiculeux et corps reproducteur (?). FiG. 3. — C. tripos, var. reticulatum. — a. Individu à un faible grossissement. — 6. Individu dont le test a été réduit en fragments par écrasement. F1G. 4. — C. tripos, var. limulus. F1G. 5. — Dincphysis acuta. Individus géminés. F1G. 6. — D. lævis. F1G. 7. — Amphidinium operculatum. — a. Aspect ordinaire (l'individu est représenté ici, con- trairement aux autres figures, le pôle aboral — du moins le pôle que nous regardons comme tel malgré la direction du flagellum — tourné en haut). — b. Profil. — c. Les deux valves d'un indi- vidu vides et séparées. FiG. 7 bis. — A. operculatum, var. F1G. 8, 9, 10. — Protoperidinium pellucidum, variétés. Fi. 11. — P. pellucidum dans un demi-segment de Rhisosolenia. F1. 12. — P. pellucidum, variété. FiG. 13. — P. ovatum. F1G. 14. — P. digitale. F1G. 19. — P. pyrophorum. F1G. 16, 17, 18 et 19. — Autres variétés de P. pellucidum. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 33 PLANCHE I j“100 à Contribution à l'histoire des Cilio-flagellés. Echelle 1 C ruche ad nat. cel À RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Pr. digitale. Nous donnons ce nom à une espèce dont le test est couvert d’exea- vations rappellant celles d’un dé à coudre (fig. 14). Elle s’est trouvée dans des préparations provenant de la pêche du 29 septembre à Con- carneau. La moitié postérieure est presque hémisphérique, surmontée d'un large prolongement excavé en gouttière. Le sillon transversal est très oblique ; les deux extrémités en sont réunies par un sillon double- ment incurvé en S, mais qui ne s'étend pas en avant et demeure ainsi indépendant des deux lames ou épines représentant les prolongements antérieurs. Cette disposition se retrouve quoique moins accusée dans l'espèce suivante. Pr. pyrophorum. Nous admettons provisoirement l'identité de la forme que nous clas- sons ici (fig. 15) avec Peridinium pyrophorum fossile d'Ehrenberg (voy. sa pl. XX VI, fig. VIT). Nous l'avons trouvée dans les pêches de Marseille. Elle se rapproche de la précédente par ses dimensions et la disposition du sillon transversal. Elle s’en distingue cependant par une tabulation beaucoup plus accusée et un réseau de crêtes saillantes à la surface du test, entre lesquelles sont des ponctuations. Les mêmes ponctuations se retrouvent rréqulièrement distribuées au fond de la gouttière. Les prolongements antérieurs sont représentés par de minces lames que renforcent des épaississements spiculaires. Genre Peridinium. Bergh donne à son genre Peridinium des caractères assez larges pour y comprendre à la fois P. tabulatum d’eau douce dont le test est dépourvu de prolongements d'aucune sorte, et P. divergens dont les prolongements antérieurs plus ou moins développés tiennent le milieu entre les cornes des Ceratium et les expansions cuticulaires des Protope- ridinium. I1 semble que la place naturelle du genre Peridinium soit entre les deux autres ; et, à la vérité, ces trois genres offrent un tel échelonne- ment de formes qu'il serait peut-être difficile d’en établir une carac- téristique rigoureusement distinctive. Si l'enveloppe des Ceratium ne paraît pas formée de tables distinctes, nous avons vu que chez C. furca encore en chaine on retrouvait l'indice manifeste d’une disposition tabulaire. Elle est d'autre part très nette chez plusieurs Protoperidi- nium. Bergh caractérise son genre Peridinium par l’existence d'épines (Stacheln) prolongeant le tissu longitudinal, et, au contraire, l'absence de crêtes (Leisten) longeant ce sillon comme chez les Dinophysis. Ces RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 39 caractères conviendraient, comme on l’a vu, à un certain nombre de Protoperidinium, tandis que d’autre part Per. tabulatum, qu'on peut considérer comme type du genre (voy. les fig. 37 et 38 de Bergh), ne présente aucun prolongement antérieur proprement dit. Chez les espèces qui possèdent de tels prolongements, il sont élargis, creux à la base, et perdent dès lors le caractère d’appendices propres au test. P. tabulatum (Ehr.) Clap. et Lach. (voy. Bergh). Nous n'avons trouvé aucune forme marine se rapprochant de cette espèce d’eau douce. Nous indiquerons seulement iei que nous l'avons rencontrée dans les petites mares des hauteurs de Villeneuve-Saint- Georges. Nous avons vu, comme Stein et Bergh, la substance vivante rétractée au centre du test. Groupe spéc. P. divergens (voy. Bergh). Ce sont les formes appartenant à ce groupe qui pourraient être sur- tout rapprochées des Ceratium, auxquels Clap. et Lach. les réunissent en formulant ainsi la diagnose de l'espèce : « Ceratium à trois cornes « courtes, dont deux portées par la partie antérieure, droites, pointues « et armées à leur base d’une forte dent placée du côté interne. » Rappelons que nous n'avons jamais trouvé Peridinium divergens en chaine comme les Ceratium, non plus que géminé comme les Dinophysis -ou les Amphidinium. Le test, formé de pièces nombreuses, est toujours lisse. Les trois pro- longements sont courts, larges à la base; le postérieur se termine comme chez les Protoperidinium en gouttière oblique, à concavité ven- trale. Claparède signale la corne droite comme armée à sa base d’une dent plus forte que la gauche. Ceci est exact, et il conviendrait peut-être de donner à cette dent plus marquée le nom de lèvre, par analogie avec ce qu'on trouve chez les Noctiluques où la même saillie existe à la même place et presque avec les mêmes apparences (1). Le sillon transversal est toujours bordé des deux côtés, comme chez les Ceratium, par une lame en forme de collerette, extraordinairement mince, rigide, peut-être gaufrée ou plutôt renforcée de très fines arêtes de soutien extrêmement rapprochées. Comme chez les Ceratium et certains Protoperidinium, l’extrémité droite du sillon transversal se trouve reportée beaucoup en arrière de l'extrémité gauche, elle correspond toujours à l'extrémité postérieure du sillon longitudinal. Le sillon transversal décrit donc, comme le remarque Claparède, une spire dextrogyre, si on suppose (1) Voy., sur la lèvre des Noctiluques, Ch. Robin (VII, 1878), p. 567, 30 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET l'observateur placé en arrière de l'être et la spire se continuant vers lui. Les pièces composant le test semblent présenter deux modes d'union différents. Tantôt leur suture dessine un élégant réseau de lignes droites. Cette disposition se remarque en arrière du sillon trans- versal (voy. fig. 26). En avant de celui-ci, au contraire, les plaques, plus larges, sont limitées par des contours arrondis qui semblent se superposer l’un à l’autre sur une largeur de plusieurs millièmes de millimètres (voy. fig. 27). Ces lignes de superposition dessinent ainsi des bandes finement striées. — Plusieurs formes offrent des ponctua- tions analogues à celles que nous avons déjà rencontrées chez certains Ceratium et Protoperidinium. Bergh indique à tort dans sa diagnose de P. divergens l'absence de chlorophylle et de diatomine. Ces principes peuvent exister. Toutefois, la substance vivante est, en effet, le plus souvent incolore, ou rosée comme celle des Noctiluques. Parfois aussi, on trouve des gouttes sphériques d’une belle coloration carminée, régulièrement disposée au voisinage du sillon transversal; dans d’autres cas, elles ont la teinte chamois (atténuation de la nuance carmin) des gouttelettes de même dimension qu'on trouve chez les Noctiluques. Bergh distingue dans ce groupe spécifique trois variétés, sous la dénomination de : « typique, déprimée et réniforme ». Nous en indiquons quelques autres. A. P. divergens var. typus (Berg). — Les formes que nous rangeons ici (fig. 20 et 21) semblent tout à fait voisines de celle représentée par Bergh. Toutefois, nos exemplaires n’offrent pas la réticulation que - Bergh lui attribue dans ses figures 39 et 40. Ils sont aussi de taille plus grande, mesurant 160 & environ. Le test paraît présenter en avant une ouverture ovalaire dans le fond du sillon longitudinal (fig. 28). Cette apparence, déjà représentée par Bergh dans sa figure 39, pourrait bien n'être due qu’à l'existence d’une gouttière comme celle qui existe chez les Ceratium (voy. p. 424 et fig. D), et destinée à loger le flagellum. Nos préparations nous montrent cette variété surtout en abondance dans la pêche provenant du 13 septembre. Ensuite, elle a presque complètement disparu. En même temps qu'elle, on trouve de jeunes Noctiluques sans tentacule, n'ayant pas encore subi leur expansion totale. Les Peridinium et les Noctiluques offrent les mêmes gouttelettes chamois. Nous figurons à la même échelle (fig. 21 et 22) un de ces Peridinium et une de ces Noctiluques. Le noyau de la dernière a seu- lement fixé avec plus d'énergie le carmin, mais de part et d'autre la substance vivante se comporte exactement de même avec les réactifs. Suit-il de là que certains Peridinium tout au moins représenteraient un stade de l’évolution des Noctiluques? Nous avons dit que lors de nos pêches du commencement de septembre, cette conclusion nous avait paru évidente; tel fut même le point de départ de nos recherches sur les Cilio-flagellés. Puis, à mesure que nous avions cherché la preuve de cette filiation, elle avait paru nous échapper : P. divergens devenait rare dans les pêches, aussi bien que les petites C9 =! RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS Noctiluques sphériques sans tentacule. Plus tard, en passant en revue nos pré- parations dans l'ordre inverse des jours où elles avaient été faites, c'est-à-dire en commençant par celles du 10 octobre pour finir par celles du 13 septembre, le fait qui nous avait d'abord frappé nous parut de nouveau évident. Les prépara- tions du 13 septembre présentaient seules une abondance extraordinaire et simultanée de P. divergens et de petites Noctiluques sphériques sans tentacule. En somme, le défaut même d'observations, comparables à celles du 13 dans les jours suivants devenait un argument en faveur de l'hypothèse qui nous avait d’abord attiré. Nous avions bien cru trouver une ces petites Noctiluques sphé- riques encore enveloppée par une portion de son test péridinien, mais l'observa tion n'était pas assez concluante, pas assez nette pour l’invoquer ici. Nous avons signalé plus haut les nombreuses analogies qui pouvaient porter à rapprocher les Peridinium des Noctiluques. Elles ont été, d’ailleurs, indiquées déjà par d’autres (1): mêmes caractères physico-chimiques de la substance vivante ; même présence d'une lacune aqueuse et de gouttelettes [passant du Frc. H. rouge-carmin à la nuance chamois: même asymétrie par torsion, même proémi- nence d'une lèvre, même existence d'un flagellum, mêmes propriétés phospho- rescentes (2). Mais l’analogie devient encore plus évidente si l'on considère les Noctiluques, non pas gonflées comme de petits ballons, ainsi qu'elles se présen- tent communément, mais avec la forme particulière qui avait si fort embarrassé Busch (I, 1851). Ces Noctiluques, qu'on observe surtout aussi lors des montées, ont un aspect qui se rapproche sensiblement, dans cerlains cas, de la figure (1) « Further investigation may not improbably establish a bond of affinities between Noctiluca and the correspondingly pelagie Peridiniidæ, certain of which, such as Gymnodinium are devoid of an investing cuirass, while many are notable in a like manner for their phosphorescent properties. » Sauwille Kent (IX), p. 397, 1888. (2) Nous n'avons pas parlé jusqu'ici de la phosphorescence déjà signalée par Ehrenberg et d’autres observateurs chez les Cilio-flagellés. Nous l'avons cons- tatée à notre tour, et très vive, dans des eaux recueillies à Carry et qui ne con- tenaient point de Noctiluques, mais au contraire des Cilio-flagellés et des Rhizosolenia en abondance. C'est qu'en effet la phosphorescence ne constitue pas, à proprement parler, comme l'ont cru les anciens observateurs, un carac- tère primordial : c'est une simple propriété physico-chimique qui parait, chez les êtres inférieurs, être indépendante des manifestalions vitales réciproques des individus, et ne remplir un rôle physiologique défini que chez des animaux d'une organisation supérieure comme les Insectes ou les Céphalopodes. 38 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET d’un Peridinium, avec leur corps gibbeux sur lequel font saillie trois prolonge- ments, dont deux plus rapprochés (fig. H). Ces trois points correspondent aux extrémités de la charpente solide intérieure qui peut être comparée, quand elle se présente isolée sous le microscope, à deux glumes réunies par une de leurs extrémités, laquelle est en même temps plus effilée. Le prolongement répondant à cette extrémité est de plus, comme le prolongement aboral des Peridinium, nettement excavé en gouttière, nouveau trait de ressemblance à ajouter à tous ceux que nous avons signalés déjà.Les deux autres prolongements n'offrent pas la même disposition et sont simplement un peu relevés. Enfin, il n’est pas rare de voir se dessiner, sur le corps gibbeux de ces Noctiluques, une sorte de cimier transversal rappelant la disposition du sillon équatorial des Peridinium dont il semble en quelque sorte l'empreinte. Nous avons pu voir récemment sous nos yeux une Noctiluque abandonnant sa cuticule et se rétractant de facon à prendre ou reprendre (?) l'apparence dont nous parlons ici. Le noyau des Noctiluques, pas plus d’ailleurs que celui des Peridinium, ne présente l'aspect caractéristique du noyau des Ceratium. En tout cas, bien qu'il nous paraisse probable que les Noctiluques passent par la forme péridinienne, bien que tout semble indiquer qu'il en est ainsi, nous ne pouvons actuellement en fournir une preuve suffisante pour écarter toute incertitude. B. Variété, fig. 23. — Dans cette variété, le corps est très large relativement à sa longueur. Prolongements antérieurs coniques comme dans la forme précédente, extrémité postérieure nettement creusée en gouttière. C. P. divergens var. reniforme (Bergh). — Nous réunissons ici une série de formes qui nous ont cependant présenté des différences de taille considérables. Elles se rapprochent généralement de la figure 45 donnée par Bergh (1). Le diamètre transversal est relativement très - grand, comme dans la variété précédente, mais de plus l'inégalité des deux prolongements antérieurs est très marquée, la dent du côté droit très accusée (fig. 24, 25, 26 et 27). Ces grandes différences de taille indiquent, ce qui paraît certain, que les Peridinium croissent à l’état d'isolement au lieu d'atteindre comme les Ceratium leur dimension définitive en état de conjugaison ; on ne découvre d’ailleurs aucune disposition en console de l’extrémité gauche du sillon transversal, rappelant ce qui existe chez les Ceratium. Cet accroissement à l’état de liberté suppose sans doute des mues précédées peut-être, comme la multiplication par scissiparie, d’un retrait au-des- sous du test. Ainsi s’expliqueraient un certain nombre d’apparences déjà reproduites par Bergh dans sa figure 40, et qui se sont offertes également à nous, soit que la substance ainsi rétractée au-dessous du test se dispose en masse plus ou moins sphérique, soit qu'elle rappelle (1) C’est probablement à cette variété qu'il convient de rapporter le petit Peri- dinium figuré par J. Müller, comme ayant été trouvé dans l'estomac d’une Gor- gone (Voy. Abh. der Berl. Akad., 1841-1843. PI. VI, fig. 4; Cfr. Ehrenberg, Monats- berichte, u. s. w., 1844, p. 16.) P RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 39 par ses contours ceux mêmes du test, comme nous l'avons vu chez les Protoperidinium, et comme nous le retrouverons chez les Glenodinium. Parfois on trouve à l'état de liberté des corps qui ont gardé la forme du test, avec la trace encore visible du sillon transversal (fig. 29). Ces corps libres, peut-être en cours de formation d’un nouveau test, sont en mème temps d’une coloration jaunâtre qui rappelle celle des Ceratium. Nous trouvons sur un autre exemplaire (fig. 25) un corps tout semblable rappelant la forme du test, mais encore contenu à l’intérieur de celui-ci avec un large noyau ovoïde muni de deux nucléoles semblant annoncer une scissiparie dont nous trouverons, pour une autre forme, un exemple plus avancé (voy. ci-dessous, p. 40). Sur les individus de cette variété munis de leur test, le contenu est le plus souvent rose. Les gouttes carminées qui existent parfois sont tantôt rangées circulairement au niveau du sillon transversal (fig. 24); d’autres fois on en trouve trois, réparties dans les deux prolongements antérieurs et postérieur. Chez d'autres individus, le pigment n’est plus en gouttes sphériques, mais accumulé à l’état diffus dans les extrémités des trois prolongements, le reste de l'être étant rosé avec quelques très petites gouttelettes de pigment éparses, plus ou moins décolorées (fig. 27). Chez les individus de grande taille, ces gouttes sont passées à la nuance chamois (fig. 26) qu'elles offrent chez les Noctiluques avant leur complet épanouissement. La progression a lieu la pointe aborale en avant, l'être tournant sur lui-même, dans le même temps que son axe décrit une surface conique dont le sommet serait en avant. Sur l'individu qui nous à offert le pigment rouge refoulé à l’état diffus vers les extrémités des prolongements (fig: 27), on distingue très bien les sutures larges et striées du test, en avant du sillon circulaire. La lèvre nettement accusée présente en dedans, latéralement, une surface plane comme la lèvre des Noctiluques. Sur un autre individu de très grande taille (fig. 26), on voit au contraire très bien les pièces nettement polygonales de la moitié postérieure. Ces pièces paraissent couvertes en plus d’un réseau de très petits polygones. D. P. divergens var. depressum (Bergh). — Nous rangeons ici des formes qui paraissent se rapprocher surtout des figures 43 et 44 de Bergh, caractérisées par des prolongements antérieurs très larges à la base, sans lèvre distincte, finissant en pointe obtuse, et par l'extrémité aborale nettement conique. Un individu observé à Concarneau mesure 45 p environ (fig. 30). C’est près de moitié moins que la dimension donnée par Bergh pour cette variété. La lacune aqueuse est quelquefois très visible, ainsi que le noyau très gros et sphérique. Dans les pèches de Marseille du commencement d'avril nous trouvons en nombreux exemplaires une forme très voisine, mais tantôt plus grande (fig. 31, 32) et d’autres fois plus petite (fig. 33). Chez celle-ci, qui semble jeune, les prolongements antérieurs sont réduits à de simples 40 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET x pointes, et semblent faire la transition à ce qu'on observe chez les Protoperidinium. Nous avons représenté (fig. 32) un exemple manifeste de scissiparie chez cette variélé, se passant à l’intérieur du test. Il paraît donc hors de doute que les Peridinium sont susceptibles de subir, soit accidentelle- ment, soit normalement, la scissiparie. Mais il est à noter que dans ce cas, pas plus que dans un autre, nous n'avons vu trace de l'enveloppe muqueuse signalée par Stein et par Bergh. Notons encore dans les pêches de Marseille des Peridinium qu’on peut ranger dans la même variété, et qui paraissent monstreux par ocelu- sion (?) accidentelle complète du test, lequel est déformé, tandis que le cytoplasme ramassé au centre de la membrane d’enveloppe n’est plus qu'un amas régulier. P. polyedricum. Nous désignons par ce nom un Peridinium que nous rencontrons dans les pêches de Marseille en assez grande abondance, et qui diffère notablement des formes décrites jusqu'ici. Il est sensiblement polyé- drique, à faces quadrangulaires ou pentagonales (fig. 34). Le sillon transversal sépare le test en deux parties sensiblement égales et presque semblables ; le sillon longitudinal est large, peu distinct; l'extrémité aborale ne présente (pas plus que P. tabulatum) aucun prolongement conique ni aucun orifice en gouttière. Le test est nettement tabulé et renforcé de crêtes saillantes. Ces crêtes limitent les surfaces polygo- nales et se continuent en épines de renforcement sur les lames bordant le sillon transversal, très développées elle-mêmes. Un des pôles du test porte juxtaposées deux pièces assez régulièrement pentagonales. Le test entier est couvert de ponctuations. Genre Diplopsalis (voy. Bergh). Bergh caractérise ainsi ce genre : «Corps en forme de lentille, avec une enveloppe faite de pièces multiples, avec un sillon longitudinal à bords peu saillants ; grande lacune centrale. » Il ne range dans ce genre qu'une seule espèce découverte par lui à Strib. Nous avons rencontré certaines formes qui nous en ont paru très voisines, mais, comme nous n'avons pu établir que le test était formé de pièces multiples, nous les avons repor- tées au genre suivant. Genre Glenodinium (Ebr.) Stein (voy. Bergh). Bergh caractérise le genre Glenodinium par la nature complètement anhiste du test et la situation à peu près médiane du sillon transversal RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 41 dont les lèvres sont peu saillantes, par des prolongements antérieurs nuls ou tout à fait rudimentaires. Ce genre établi par Ehrenberg pour des formes très diverses avait été supprimé par Clap. et Lachm. Stein l’a repris en lui donnant pour type une espèce d’eau douce, Gl. cinctum. Bergh ya ajouté G{. Warmengü que nous n'avons pas rencontré, tandis que nous avons observé diverses formes non décrites, et une tout parti- culièrement qui s’est présentée à nous en chaine et qui nous à paru devoir être rapprochée de Gl. cinctum ; malgré la différence d'habitat, nous la décrivons sous ce nom. Groupe spéc. Gl. cinctum (Müller) Er. Les formes que nous réunissons ici (fig. 36) se rapprochent à la fois de Gl. cinctum d'Ehrenberg (pl. XXID) et de son Peridinium cinctum. Nous avons indiqué plus haut (p. 404) les doutes que nous avions sur le fait indiqué par Stein et figuré par Bergh de la multiplication de ces êtres à l’intérieur de kystes de consistance muqueuse. Les formes marines observées par nous à la hauteur de Penmarch se sont présentées en chaînes de 2, de 3 et même de 4 individus dont on ne peut comparer l'apparence qu'à celle de Peridinæa uberrima d’Allmann (voy. ci-dessus, p. 403). Elles semblaient se rapporter à plusieurs variétés. Les segments sphériques qui composent ces chaînes mesurent environ 30 u. Leur coloration est celle de la diatomine, distribuée comme chez Amphidinium operculatum en masses distinctes et rayonnantes. Le sillon transversal est très visible, et le sillon longitudinal tombe perpen- diculairement sur ses extrémités qui se confondent. Il semble que les individus en chaînes abandonnent avant de devenir indépendants leur test anhiste qui se fendrait au niveau du sillon circulaire et tomberait avant que l'individu lui-même ne devint libre. Sur certains on voit s'accuser au pôle antérieur une dépression partageant celui-ci en deux éminences inégales d’après un caractère très général des Cilio-flagellés. À l'extrémité aborale existe une légère proéminence échancrée en gout- tière. Gl. lenlicula. De Concarneau (fig. 35). On pourra comparer cette forme à Diplopsalis lenticula de Bergh. Nous l’éloignons du genre Diplopsalis parce que le test nous a paru non tabulé. Cette différence n’est pas la seule. Tandis que Bergh donne pour longueur et largeur de deux D. lenticula 30 y et 40 , les dimensions de Gl. lenticula sont 50 wsur 75 à. De plus, les deux extrémités du sillon transversal ne se rejoignent pas, l'extrémité gauche seule se continuant avec le sillon longitudinal contourné en S$. Grande lacune irrégulière. Il n’existe pas de prolongements antérieurs, 49 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET ce qui distingue cette forme de Protoperidinium ovatum. La disposition du sillon longitudinal n'est pas non plus la même (voy. fig. 13), ni les rapports des deux diamètres. Prolongement aboral comme dans l'espèce précédente. GI. sphœra. Nous désignons ainsi une forme rencontrée en abondance dans les eaux de Carry : elle est parfaitement sphérique, mesurant environ 50 w de diamètre, tout à fait incolore, avec lacune aqueuse très grande, irré- gulière, ou même multiple; sillon vibratile exactement équatorial, dont les extrémités, légèrement inclinées en avant, se rejoignent de telle façon que le bord antérieur de l’une vient tomber sur le bord postérieur de l’autre ; sillon longitudinal indistinct ; prolongement aboral comme dans l'espèce précédente. Groupe spéc. G{. lurbo. Nous classons sous cette dénomination des variétés très nombreuses rappelant la forme d'une toupie, que nous avons observés à Concarneau. Elles se sont toujours présentées isolées comme les Peridinium et les Protoperidinium, dont elles se rapprochent par leur forme générale tandis que le test paraît complètement homogène, anhiste. Le sillon circulaire partage le corps à peu près par moitié. Le plus souvent, le pôle oral présente une dépression médiane le divisant en deux éminences inégales et accusant de plus la torsion ordinaire chez les Cilio-flagellés. Le pôle aboral est légèrement effilé, ordinairement plus clair par l'absence de diatomine et présentant des traces de gouttière. Il est probable que les variétés que nous réunissons ici représentent divers stades d'évolution, soit d’une seule espèce, soit même de plusieurs. A. — La plus petite de ces variétés (fig. 38 a) rappelle assez bien la figure donnée par Ehrenberg de 7rachælomonas lœvis (pl. XX VII, fig. Vil). Elle mesure 20 y. Elle a été recueillie le 5 octobre. Le pôle oral est sphé- rique, sans dépression. La diatomine est répartie en granules colorant tout l'être, sauf la pointe aborale. B. — Une autre variété plus grande (fig. 38 b), mesurant 40 pu, pré- sente à peu près les mêmes dispositions. Le sillon circulaire, comme dans la précédente, est peu profond et sans crête saillante. L’extrémité aborale, nettement infundibuliforme, se termine par une.pointe mousse incolore. La diatomine en grains volumineux est refoulée vers le test, laissant au centre un espace hyalin. C. — Nous classons comme troisième variété un certain nombre d'individus (fig. 38 c, d, e, f), mesurant 30 à 50 y, recouverts d'un test mince, homogène, plus ou moins distinct, et rappelant par leur configu- ration générale le type péridinien. Nous nous bornons à décrire etsurtout RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 43 à figurer ces formes, sans chercher, pour des êtres dont l’évolution est si complètement inconnue, à établir entre eux des liens forcément incer- tains. Le test n’est pas toujours immédiatement appliqué sur le corps, qui a conservé en se rétractant la même configuration, et qui peut se trouver déplacé à l'intérieur de son enveloppe (fig. 38 d). Le test laisse parfois voir nettement la trace du sillon équatorial très légèrement spiroïde, et, de plus, les deux éminences antérieures inégales correspondant à celles que présente le corps inclus (fig. 58 c). Celui-ci est coloré par des grains de diatomine, sauf la pointe aborale qui reste hyaline et le centre où existe peut-être une lacune. Sur des individus longs de 70 w, la pointe aborale paraît creusée en gouttière, et on retrouve également la trace d’une disposition semblable sur l'enveloppe (fig. 38bete). Il nous à paru dans certains cas voir au pôle oral les traces d’un flagellum recourbé en boucle, comme il se présente parfois chez les Monadiens. Dans un autre cas, il nous à paru qu'un flagellum immobile et rectiligne était demeuré adhérent au test, au-dessous duquel le corps du Glenodinium était rétracté (fig. 38 e). Gl. obliquum. L espèce, que nous désignons par ce nom offre le test anhiste et non tabulé des Glenodinium, mais elle s'en éloigne par la disposition du sillon vibratile qui semble couper l'être obliquement, avec ses deux extrémités au voisinage immédiat du point d'insertion du flagellum. Ces extrémités sont de plus légèrement incurvées comme dans G{. sphæra. Enfin il n’y a pas trace de prolongement ou de gouttière aborale (fig. 37). Nous avons observé Gl. obliquum en grande abondance à Concarneau, fortement coloré par la diatomine, tantôt avec un point rouge volumineux placé du côté opposé au flagellum, tantôt sans point rouge, une ou deux fois avec plusieurs points rouges (1). Nous avons trouvé à Carry une variété plus petite colorée en vert pâle. La forme de l'être est à peu près celle d’un disque ou tronc de cylindre dont la surface serait parcourue en écharpe par le sillon transversal allant ainsi du bord d’une face au bord de l’autre. Celui-là partage donc l'être en deux moitiés semblables, abstraction faite du sillon longitudinal représenté par une simple échan- crure sur le bord d’une des deux faces. Gl. obliquum s’est offert à nous en nombre considérable dans certaines eaux provenant de pêches au filet fin. L'étude en fut singulièrement facilitée par ce fait que tous allaient à la lumière et formaient une pous- sière brune dans la partie de la cuvette de verre regardant la fenêtre ; (1) En ce moment (fin de juillet), G. obliquum est très rare à Concarneau et ne nous à jamais présenté de point rouge, 44 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET ils portaient le point rouge (1). Malheureusement nos observations furent à ce moment forcément interrompues, et, quand nous voulûmes les reprendre, après plusieurs jours d'absence, tous les individus avaient disparu sans que nous en retrouvions trace. Sur cette espèce fixée par l'acide osmique, nous avons pu observer une disposition du flagellum en spire régulière (fig. 37 6, c), qui a pro- bablement donné naissance à une erreur (2) sur la structure de ces organes, les tournants de la spire ayant été pris pour l'indice d’une striation comparable à celle des fibres musculaires. Nos préparations nous ont en outre très bien montré le test partagé par écrasement en deux valves, plus une pièce rubanaire (fig. 37 e). On ne distingue pas de ponctuations sur celle-ci, et il est probable que les cils, comme nous l'avons dit, s’insèrent entre cette pièce et les valves. Nous avons vu la coloration brune persister après l’action de l'acide osmique sans passer, comme cela est fréquent, au vert, la tache rouge prenant la légère colo- ration encre de Chine que nous avons signalée. Il ne paraît point y avoir de lacune aqueuse. On voit au contraire, sur les préparations traitées par l'acide osmique puis le picro-carmin, un large noyau excentrique, avoisinant le test et par suite un peu réni- forme. Il semble offrir un nucléole, mais qui n’est pas d’un rouge vif et qui se laisse au contraire légèrement teinter par l’acide osmique. Ce noyau parait de plus tout composé de bâtonnets longs de 1 & environ, voisins les uns des autres. Cette disposition pourra être rapprochée de celle que nous avons signalée chez les Ceratium. Genre Gymnodinium. Stein a établi ce genre avec Perdinium fuscum et P. pulvisculus d'Ehrenberg. Bergh l’a adopté à son tour pour quelques formes qui paraissent n'avoir de test à aucune époque. On peut y faire rentrer un certain nombre de variétés que nous avons rencontrées dans les eaux de Penmarch et dans l’anse de Camaret en automne, puis à Concarneau en ce moment même (Juillet). Ce genre est particulièrement intéressant, : parce qu’il semble relier les Peridinium aux Infusoires. L'étude en est d'autre part assez difficile. Ils ne se sont jamais montrés à nous en grande abondance, et de plus, ils sont extraordinairement /abiles, beau- coup plus que les Infusoires. Pour les découvrir il faut procéder immé (1) On ne saurait évidemment attribuer à ce point rouge la valeur d’un organe, comme l'ont prétendu certains auteurs. Voy. Kunstler, Contribution à l'étude des Flagellates, dans Bullet. de la Soc. zoolog. de France ; mais la preuve manque également qu'il ait quelque influence sur la sensibilité des êtres qui en sont pourvus, pour les radiations lumineuses. (2) Voy. Kunstler, loc. cit. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 45 diatement à l'examen des pêches au filet fin. Nous avons plusieurs fois vu sous nos yeux des Gymnodium encore actifs, et qu'on pouvait croire susceptibles d'être observés un temps assez long, présenter tout à coup et sans cause apparente une déchirure de leur paroi, suivie d’un écoule- ment du contenu qui, au lieu de former des gouttelettes (sarcodiques de ‘ Dujardin), comme chez les Infusoires, semble granuleux. Puis en quel- ques secondes tout l'être est ainsi désagrégé, et on ne voit plus que le noyau flottant dans un nuage de granulations. Ces êtres paraissent très actifs, et Bergh signale chez eux des mouve- ments de contraction totale. Ceux-ci paraissent en effet exister, bien qu'étant assez peu étendus. Il est certain que sous l'influence de l'acide osmique, même concentré, les contours de l'être sont modifiés, les sil- lons s’effacent, il devient à peine reconnaissable. Bergh signale égale- ment l'existence d'aliments solides à l’intérieur du corps. La rareté de ces êtres et la difficulté de les observer ne nous ont pas permis de faire les expériences qui eussent pu, seules, établir la réalité de ce fait. Il est très certain que les Gymnodinium paraissent souvent présenter à leur intérieur des matières étrangères contenues dans des cavités sphériques comme chez les Infusoires (1). Les Gymnodinium se présentent souvent à l’intérieur d'une mem- brane kystique très mince, de forme assez régulièrement ovoïde, et beaucoup plus grande que l'être contenu, ce qui les distingue du reste des Glenodinium que nous venons de passer en revue. Groupe spéc. G. gracule (voy. Bergh). A. — Nous placons sous cette dénomination une première variété (fig. 39) que nous avons rencontrée en abondance dans l’anse de Camaret, et se rapprochant assez de l'espèce type décrite et figurée par Bergh. Le corps, long deux fois et demie comme il est large, est partagé en deux moitiés à peu près égales par le sillon vibratile dont la direction est ici transversale. L’extrémité antérieure, au lieu d’être arrondie comme dans la figure de Bergh, est échancrée et présente par conséquent les deux éminences ordinaires des Cilio-flagellés. La moitié postérieure est légè- rement conique. Les dimensions sont exactement celles que donne Bergh, 90 & de long. Mais on trouve en même temps un certain nombre d'individus mesurant seulement 70 u. Bergh figure G. gracile avec une coloration rosée. Les individus observés par nous étaient tout remplis (1) Le fait signalé par Bergh, s’il existe, serait intéressant et rapprocherait les Gymnodinium des Noctiluques. Il est à noter toutefois que l'introduction de matières solides étrangères pourrait facilement devenir accidentelle chez des êtres dont la substance vivante ne présente extérieurement aucune défense, et Surtout s'ils sont doués de mouvements de totalité. 46 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET de granules de diatomine foncée. Ces êtres étaient très actifs quand nous les avons observés (11 octobre). B. G. gracile var. exiquum. — Nous avons récemment trouvé cette variété assez abondante à Concarneau. Elle mesure environ 30 & de long et 15 u de large. Le sillon longitudinal est à peine distinct; le sillon transversal partage l'être en deux moitiés, mais de forme très diffé- rente : l’antérieure est arrondie, la postérieure conique; et comme le sillon est très profond, celle-ci semble coiffer celle-là. Le noyau est reporté vers la partie postérieure, et dans l’antérieure on voit des vési- cules de nature indéterminée contenant peut-être des matières alimen- taires. La couleur de l'être est pale, nulle ou de nuance chamois ou rosée. Le noyau a les même caractères que celui de Glen. obliquum. On peut trouver également des amas de pigment rouge. Nous représentons (fig. 40) un de ces Gymnodinium, trouvé exceptionnellement à l'automne et contenu dans un kyste membraneux à parois inégales. Une tache de pigment rouge foncé existait vers l'extrémité aborale, et la couronne ciliaire était en mouvement. Groupe spéc. G. spirale (voy. Bergh). Nous rangeons ici plusieurs variétés de Gymnodinium péchées tant à la hauteur de Penmarch que dans les eaux de Carry; à Concarneau ces êtres ne se sont montrés à nous qu'au mois du juillet (1883); s'ils difrè- rent un peu par leur forme générale des figures que donne Bergh (fig. 70 et 71), ils s'en rapprochent du moins par l’obliquité considérable du sillon transversal. Ils sont tous à peu près incolores ou rosés. Nous les diviserons en plusieurs variétés. A. G. spirale var. nobilis. — La première variété que nous avons à signaler correspond assez bien à la figure de Bergh. Toutefois les exem- plaires que nous avous observés étaient plus fusiformes. La couleur de ces êtres est généralement la nuance chamois ; nous en avons trouvé plusieurs exemplaires offrant de fines trainées de carmin, aboutissant d’une part au pôle aboral acuminé, et de l’autre au pôle oral légèrement arrondi. La disposition de ces lignes carminées semblait trahir l’exis- tence de stries du tégument comparables à celles que nous allons indi quer dans la variété suivante. Le sillon longitudinal est droit, peu distinct, paraissant ne s'étendre que d'une extrémité du sillon à l’autre. B. G. spirale var. striatum. — La seconde variété que nous avons à signaler est plus petite, elle mesure 60 x de long environ sur 30 y de large. Elle est incolore, mais nous en avons trouvé un exemplaire complètement jaune. Cet être est nettement caractérisé par la pré- sence de stries allant d’un pôle à l’autre, écartées de 3 à 4 y, très fines, très nettes. Tantôt la partie postérieure est légèrement conique et tantôt RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 41 arrondie comme l’antérieure, et l'être est alors à peu près cylindrique. On voit à son intérieur des vésicules tantôt plus grandes et tantôt plus petites, dues peut-être à la présence de matières alimentaires. Aucune de ces vésicules trouvées chez les Gymnodinium, ne nous a présenté de contraction. C. — Cette variété observée devant Penmarch mesure 120 uw, tandis que Bergh donne pour les dimensions de G. spirale 101 x. La forme n’est pas non plus exactement la même (fig. I). Le pôle oral, au lieu d’être acuminé, est arrondi, légèrement déprimé. L’extrémité droite du sillon circulaire répond à la moitié de la longueur du corps, l'extrémité gauche au quart. Les deux extrémités viennent tomber sur le sillon longitu- FIGE Fic. M. dinal qui est très long, droit ; la portion aborale est conique légèrement incurvée à gauche. Dans les trois variétés que nous venons de décrire, le sillon longitu- dinal est rectiligne; dans les deux suivantes, il est plus ou moins con- tourné en S. D. — Variété observée à Carry, enveloppée d’une membrane kys- tique très mince, sphérique (fig. K); les diamètres sont comme 2 et 4. Extrémité orale légèrement bilobée, extrémité aborale arrondie. Le sillon circulaire déerit plus d’un tour de spire, l'extrémité droite débor- dant notablement l'extrémité gauche. Il en résulte que le sillon longitu- dinal, pour conserver ses rapports, présente une double courbure très accusée. E. — Variété également observée à Carry, plus allongée que la pré- cédente, atténuée en forme de fuseau aux deux extrémités (fig. L). La moitié antérieure du corps est remplie d'un grand nombre de granu- lations ou vésicules claires. Même disposition onduleuse du sillon lon- gitudinal que dans la variété précédente. 48 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Gy. Archimedis. L'espèce que nous dénommons ainsi (fig. M) présente en quelque sorte l’exagération de la disposition spirale du sillon transversal, déjà marquée dans les deux dernières variétés de l'espèce précédente (1). L'organisme des CGilio-flagellés se complique ici visiblement. Le Gym. Archimedis est muni d'une sorte de tégument distinct, qui paraît avoir une épaisseur de 1 1/2 à 2 u environ et envelopper une masse plus molle au sein de laquelle on aperçoit un noyau sphérique. Le tégument parait granuleux avec de très petites vésicules plus ou moins espacées. L'’être est peu transparent, et de couleur grise ou rosée. Sa forme est allongée, plus obtuse vers l'extrémité orale. La disposition des sillons est des plus remarquables. Le sillon trans- versal décrit deux tours de spire, commencant très près de l'extrémité orale, finissant tout près de l'extrémité aborale, ce qui lui donne l'apparence d’une vis, d’où le nom que nous proposons pour cette espèce. Ce sillon est profond ; les deux crêtes qui le limitent diffèrent, la postérieure étant saillante, projetée en avant, tranchante, tandis que l'antérieure est comme émoussée. Le sillon longitudinal, pour conserver ses rapports normaux avec une telle disposition du sillon circulaire, doit de son côté descendre en spirale sur le corps de l'être et y décrire lui-même un tour entier. Il se présente donc dans une partie de sa lon- gueur comme un sillon parallèle au premier, dessinant entre les échan- crures profondes de celui-ci, sur le profil de l'être, une autre échan- crure beaucoup plus faiblement accusée. Cette disposition offre un certain intérêt quand on la rapproche de celle du genre suivant. Nous avons trouvé à Concarneau, en juillet (1883), Gym. Archimedis enveloppé d’une membrane kystique très mince, et portant de plus à l’intérieur une gouttelette de pigment rouge foncé. Genre Polykrikos. Pol. auricularia (voy. Bergh). Bergh a établi ce genre pour un Cilio-flagellé qu'il a rencontré et d’ailleurs assez bien figuré, chez lequel existent plusieurs sillons trans- versaux paraissant tous commencer et finir au même niveau sur une ligne qu'on peut appeler ventrale. Ce Cilio-flagellé est surtout remar- quable en ce qu'il présente plusieurs noyaux et fait ainsi exception dans un groupe d'être essentiellement unicellulaires. Nous avons retrouvé (1) C'est par omission du graveur que la figure M ne représente pas, vu par transparence, le sillon vibratile contournant l'être en arrière en allant de l’une à l'autre des deux portions figurées, RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 49 Pol. auricularia deux fois à Carry et une fois à Concarneau. Comme dans G. Archimedis, il existe ici un tégument de constitution histologique évidemment spéciale. L'être est transparent et sa coloration est rosée. Les noyaux sont au nombre de deux. Ils sont ovoides, volumineux. Bergh en indique quatre et les décrit comme sphériques. Sur un individu que nous avons pu observer à l’aise, les noyaux étaient certainement au nombre de deux seulement. Mais on voyait en même temps, d’une manière beaucoup plus distincte, dans la région correspondant au flagellum, deux vésicules sphériques, de la dimension des noyaux que figure Bergh, et légèrement verdâtres. Ces vésicules n'étaient certaine- ment pas des noyaux (ainsi qu'il fut facile de le constater par l'emploi du picro-carmin après l'acide osmique) et contenaient peut-être des matières alimentaires. À côté sont des vésicules plus petites que Bergh désigne, nous ne savons d’après quelles vues, comme « noyaux pri- maires », et enfin des nématocystes dans lesquels on peut distinguer le fil enroulé et sa base en forme de socle. Les sillons transversaux sont au nombre de huit. Ils se rejoignent par leurs extrémités, mais de facon que le bord postérieur de l'extrémité gauche corresponde au bord anté- rieur de la droite. C'est la disposition commune chez beaucoup de Péri- diniens. Le pôle oral est bilobé, le pôle aboral obtus. Les bords des sillons transversaux présentent les mêmes particularités que nous avons signalées dans Gym. Archimedis. Enfin, chaque espace d’un sillon à l’autre offre en son milieu une sorte d'étranglement ou de sillon qu'on pourrait prendre pour la limite d'autant de segments d’un Cilio-flagellé composé, chaque segment portant dans son milieu le sillon transversal caracté- ristique. Il resterait à rechercher dans quelle mesure ce sillon secondaire Séparant les sillons vibratiles pourrait être regardé comme correspon- dant à un sillon longitudinal disposé de la même facon que dans Gym. Archimedis. En effet le profil de celui-ci, d’un sillon vibratile à l’autre, correspond exactement au profil de Pol. auricularia d’un sillon à l'autre. Dans ce cas, le sillon longitudinal du Polykrikos décrirait un tour de spire d’un sillon transversal à l’autre, au lieu d’être simplement recti- ligne et étendu sur la face ventrale en passant successivement par la double extrémité de chacun des sillons transversaux. En admettant qu'il n’en soit pas ainsi, on pourrait se demander si ces sillons intermédiaires, véritables limites de segments, bien qu'en nombre inégal à celui des noyaux, n’annoncent pas une évolution ultérieure devant aboutir à la formation d’une chaîne d'individus conjugués comme les Ceratium et les Glenodinium. Mais la parfaite identité des individus observés par nous avec la figure de Bergh semble éloigner cette hypo- thèse. Il suffit au reste d'observer P. auricularia vivant pour se per- suader qu'on est bien en présence d’un degré d'organisation supérieur à celui des autres Cilio-flagellés. Son allure a un caractère de volition beaucoup plus accusé, et on le voit se frayer passage entre des obstacles, 4 90 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET EXPLICATION DE LA PLANCHEII F1G. 20, 21. — Peridinium divergens, var. typus. Fi. 22. — Jeune Noctiluque au moment où débute l'expansion; il n’y a pas trace de tentacules. F1G. 93. — Per. divergens, variété. Fi1G. 24, 25, 26, 27. — Perid. divergens, var. reniforme. F1G. 28. — Perid. divergens. Portion du test montrant le sillon longitudinal et l'orifice (?). F1@. 29. — Contenu d'un Per. divergens à l’état de liberté. Fi. 30, 31, 39, 33. — Per. divergens, var. depressum. F1G. 34. — Per. polyedricum, vu de face et de profil. F1G. 35. — Glenodinium lenticula. FiG. 36. — Glenodinium cinctum en chaînes. F1G. 37. — G. obliquum. — a. À l'état vivant, vu de profil. — b, c. Le même vu de face après traitement par l'acide osmique et le picro-carmin. — d. Noyau isolé. — e. Individu dont le test a été dissocié par écrasement. e F1@. 38. — Glenodinium turbo. — a, b, c, d, e, f. Aspects divers et variétés à l’état vivant. Fi. 39. — Gymnodinium gracile à l'état vivant. F1G. 40. — Gymn. gracile var. exiguum contenu dans sa membrane kystique, avec une tache irrégulière de pigment foncé. o1 2 RECHERCHES SUR LES PEÉRIDINIENS PLANCHE II À | TC 4 —— 7m [æ ) PES >SS — EA a 2! ‘SOIIOSUp-ON1) S9p © HIOJSIU,] R uornqqUuor) CTP IA TT 0 D a RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET au lieu de rétrograder, comme les êtres plus directement soumis aux seules actions réflexes. L’être continue de progresser la partie aborale en avant, mais ne semble plus faire usage de son flagellum et le garde immobile. Les mouvements de totalité paraissent encore plus accusés que chez les Gymnodinium, et, sous l’action de l'acide osmique, l’être se contracte au point que les sillons deviennent presque indistinets, en même temps qu'un certain nombre de ses nématocystes émettent leur filament. En somme, nous nous trouvons ici, selon toute probabilité, en présence d’un être polynucléaire et à système de répétition (1), dans un groupe biologique où il constitue jusqu'à présent une exception unique et par suite très intéressante. Si l'opinion, qui tend à voir dans les animaux à système de répétition des colo- nies d'êtres plus simples était autre chose qu'une hypothèse générique, il semble que le genre Polykrikos pourrait être appelé à fournir contre elle un argument d’une certaine valeur. En effet, la double spire de Gym. Archimedis peut passer pour un acheminement vers la coexistence de plusieurs sillons transversaux chez Pol. auricularia qui nous apparaitra dès lors comme un être composé. On irait donc ainsi de l'être simple vers la colonie, loin que la colonie nous conduise par concentration à l’individu. Nombre d'êtres unicellulaires pré- sentent d'ailleurs, comme les animaux supérieurs, de ces exemples de répéti- tion, dont on n’a peut-être pas assez tenu compte quand on a voulu voir dans toute répétition organique l'indice d’un agrégat colonial. Genre Prorocentrum. Groupe spéc. Pr. micans (voy. Bergh). Nous avons trouvé, mais toujours rarement, à Concarneau, une espèce identique en forme et en dimension (45 y) à celle que figure Bergh. Certes (2) en a d’ailleurs déjà signalé l'existence sur la côte francaise. Elle s’est montrée à nous active au mois de juillet (1883) et en même temps plus grosse, comme gonflée à la facon des Amphidinium opercu- latum qui vont se multiplier; nous n’avons pas constaté l'existence de la vésicule contractile signalée par Bergh et qui ferait à coup sûr une exception remarquable chez les Cilio-flagellés. Pr. micans se déplace la partie large en avant. Nous l'avons retrouvé assez abondant dans les pêches de Marseille. Signalons une variété qui s'est offerte une seule fois à nous à Con- carneau. Plus longue du double que Pr. micans et un peu plus étroite, avec un prolongement en forme de lame, elle rappelle tout à fait par son aspect celui des anciens canifs ou grattoirs à lame rentrant dans le manche. (4) Voy. sur ce sujel. Pouchet, L'Espèce et l’Individu. Rev. scient.,10 février 1883. (2) Certes, Note sur les parasites et les commensaux de l'huître. Bullet. de la Soc. zoolog. de France, t. VII, 1882. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 53 RÉSUMÉ En résumé, dans le travail qui précède, nous complétons celui de Bergh. Nous décrivons un certain nombre de formes péridiniennes nou- velles dont quelques-unes semblent mériter de constituer des espèces. Nous indiquons un grand nombre de formes marines qui n’avaient pas encore été signalées sur la côte de France, ou même paraissaient tota- lement inconnues. En ce qui touche le mode d'évolution et de reproduc- tion de ces êtres, nous n’en dissipons pas les obscurités. Les faits parti- culiers que nous indiquons (conjugaison des Ceratium, gémination des Dinophysis, segmentation des Amphidinium) ne paraissent pas cadrer tous exactement les uns avec les autres et laissent deviner dans le groupe des Cilio-flagellés, qui semble cependant si homogène et si naturel, des différences très grandes. Nous résumerons ainsi les faits que nous avons observés, et qui nous semblent les plus intéressants : Certaines espèces peuvent se présenter en chaînes nombreuses se désagrégeant pour laisser en liberté les individus arrivés à leur plein développement. L'origine de ces chaînes demeure complètement inconnue. Il semble très peu probable qu’elles se forment par épigenèse. Elles paraissent résulter plutôt du développement simultané d’un certain nombre de cellules originairement conjuguées. D'autres Cilio-flagellés (Dinophysis) se présentent par groupes de deux individus géminés et appelés à se séparer ensuite. D'autres Cilio-flagellés (Amphidinium) se partagent et se multiplient à la manière des Diatomées. Nous n'avons jamais observé le kyste muqueux au sein duquel se ferait la scissiparie, signalé et figuré par Stein et par Bergh. Mais nous avons vu, chez certains Cilio-flagellés revêtus d’un test (Pcridinium divergens), le corps rétracté au-dessous de celui-ci donner naissance par scissiparie à deux êtres nouveaux, dont nous ne connais- sons pas d’ailleurs l’évolution. Les Cilio-flagellés paraissent se relier immédiatement aux Noctiluques, et celles-ci dérivent peut-être directement de Peridinium divergens. Tout indique la plus étroite parenté entre ces êtres, et si l’enchainement évolutif, que nous signalons ici venait à être directement démontré; si d'autre part les chaînes péridiniennes provenaient, comme on a toute raison de le penser, de chaines cellulaires ayant avec les Algues une étroite parenté, de même que les Amphidiniums semblent en présenter une avec les Diatomées, ces particularités, jointes à la complication organique du genre Polykrikos muni d’un tégument et de némato- cystes, contribueraient à rendre plus indistincte encore la limite d’ail- leurs tout artificielle tracée entre les êtres vivants désignés sous la double dénomination de Végétaux et d'Animaux. NOUVELLE CONTRIBUTION L'HISTOIRE DES PÉRIDINIENS MARINS ( PLANCHES IIT, IV et V) Le travail que nous présentons aujourd'hui comme continuation de celui que nous avons fait paraître il y a deux ans (1) est loin de répon- dre par l'importance des résultats à la longueur et à la difficulté des recherches que nous avons entreprises dans l'espérance de jeter enfin quelque lumière sur l’évolution des êtres du groupe désigné jusque dans ces derniers temps par le nom impropre de Cilio-flagellés. Certains faits nouveaux que nous indiquons (comme le développement de Gymno- dium pulviseulus par exemple) ne font que compliquer encore le pro- blème de l’origine et de l’évolution de ces êtres chez lequels se confon- dent des caractères plus particulièrement propres soit aux végétaux soit aux animaux. Nous avons continué nos observations dans les mêmes circonstances et avec les mêmes moyens que par le passé. M. le ministre de la Marine avait bien voulu mettre à la disposition des Directeurs du laboratoire de Concarneau la goëlette la Perle. Grâce au concours dévoué de M. le commandant Allys, nous avons pu comme les années précédentes répéter chaque jour, par tous les temps, à un mille environ de la côte, nos pêches au filet fin. Les difficultés du travail, que nous avons entrepris et que nous déses- pérons presque de mener jamais à bonne fin sont de plusieurs ordres. Les Péridiniens marins n'étaient guère connus jusqu'ici qu’à l’état libre. (1) Les chiffres romains placés entre parenthèses répondent à l’Index bibliogra- phique placé à la fin de ce mémoire. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 99 On était donc réduit pour les rencontrer aux hasards des pèches péla- giques. Celles-ci ont trompé souvent notre attente. Aïnsi nous avons constaté à maintes reprises, et contre ce qu'on pouvait espérer, que les pêches faites à 8 ou 10 milles de la côte étaient en général moins riches que celles du littoral. Et là une infinité de causes interviennent pour modifier la faune. La marée, l'heure du jour ont leurs influences qu'il est fort difficile d'apprécier parce qu'elles se combinent toutes les vingt- quatre heures différemment et ne se représentent dans le même rapport qu'à de longs intervalles de quinzaine pendant lesquels la température et les conditions atmosphériques ont pu se modifier profondément. Deux septénaires représentent un laps de temps très long pour des espèces dont les phases d'évolution connues sont toutes très rapides : en quel- ques minutes parfois une mue nous donnera un être différent de ce qu'il était et que nous ne reconnaîtrons plus. Cette difficulté avait déjà frappé Claparède et Lachmann (VIT, p. 70). Dans les pêches pélagiques, telle forme se montre un jour, deux jours, on l'obtient en abondance; et le lendemain ou quarante-huit heures plus tard on ne la rencontre plus dans les conditions où tout semblait faire prévoir qu’on la retrou- verait. Elle a disparu comme elle était apparue ; rien n'avait annoncé sa venue et tout à coup on en perd la trace, peut-être pour ne la point revoir pendant plusieurs campagnes. Il suit de là que beaucoup de faits fournis par l'observation de ces êtres ne sont plus vérifiables de long- temps et ne le sont jamais à volonté. On doit attendre du même hasard qui les a portés à notre connaissance une première fois l’occasion qui permettra d’en contrôler l'exactitude. Presque en tout temps les Péridiniens sont innombrables à la surface de la mer. Mais l'attention des auteurs qui s’en sont occupés, tels que Bergh et Stein, s’est principalement portée sur les formes revêtues d’un test, ou sans test, mais de grande taille. Or ces Péridiniens sont de beau- coup les moinsnombreux. Il en existe un bien plus grand nombre de très petite taille, voisins de ceux qu'Ehrenberg désignait déjà par le nom spéei- fique de pulvisculus. On les trouve à certains jours par milliers. Mais ils sont, comme d’ailleurs les plus grands Péridiniens nus, d’une labilité extrême. Une pêche pélagique observée dans les premiers moments offrira un grand nombre de ces Gymnodinium de toute espèce, et quel- ques heures après on n’en retrouvera plus trace. Ils ont tous disparu. Ils sont morts et ils se sont aussitôt dissous. Chaque pêche doit donc être examinée immédiatement. Nous avons indiqué ailleurs comment nous procédons. On peut s'assurer par l'observation directe de la rapidité singulière avec laquelle ces êtres disparaissent, rapidité beaucoup plus grande que celle qui préside ordinairement à la désagrégation des infu- soires ciliés. On suit dans le champ du microscope un Gymnodinium ou même un Polykrikos dont les mouvements ne présentent rien d’anormal et qui semble dans les meilleures conditions de vie. Tout à coup, et sans 10) RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET que rien fasse prévoir ce dénouement, l'être éclate pour ainsi dire et se ré- duit en un nuage de granulations bientôt dispersées dans l’eau ambiante. Le noyau seul subsiste peut-être plus longtemps. Nos recherches n’ont pas porté sur ce point spécial, l'étude que nous poursuivions étant avant tout celle de l’évolution des Péridiniens. À ces hasards de gêche, à cette labilité extrême, à ces mues donnant des êtres différenciés au point de se ranger dans un genre différent, à toutes ces difficultés, s’en joint une plus grande encore : c’est que dans ce groupe des Péridiniens, où l'homogénéité est pourtant si grande, chaque espèce semble avoir son mode d'évolution spécial. Ce que nous connaissons de l’une ne s'applique qu’à elle. Ainsi, tandis que Ceratium tripos et furca se développent à l’état de chaînes, C. fusus, qui semble tout voisin, a probablement une évolution différente. On voit que nous n’allons pas aux extrèmes et que nous choisissons notre exemple dans un groupe générique qui pouvait passer à bon droit pour un des plus na- turels. Si on parvient, comme cela est possible, comme nous l'avons fait, à se procurer en abondance certaines espèces marines, leur élevage reste entouré de difficultés que nous avons été jusqu'ici inhabiles à sur- monter (1). On se trouve aux prises avec des influences mal déterminées qui ne paraissent pas encore avoir fixé autant qu’elles le méritent peut- être l’atlention des physiologistes. Nous voulons parler de la mort des animaux marins dans l’eau confinée, sans que cette mort puisse être attribuée au défaut d'oxygène. Dans les chambres humides ordinaires, dont on se sert pour les observations microscopiques, et en se gardant de toute évaporation, les Péridiniens périssent presque invariablement au bout d'un temps très court et quelle que soit la température. L'obseu- rité, le froid artificiel ne nous ont pas beaucoup plus réussi que la pleine lumière et les grandes chaleurs de l’année. Nous n'avons pu con- server des Péridiniens, et encore pendant quelques jours seulement, que dans un volume d’eau de mer relativement considérable. Mais alors ce sont d'autres difficultés, fort sérieuses aussi, pour retrouver dans un espace aussi grand l'être en observation, l’étudier convenablement, s'assurer de l'avoir bien isolé et d’avoir écarté toute cause d'erreur. Nous avons essayé aussi de divers modes d'emprisonnement entre deux lames de verre, dans des filaments de nature diverses; mais on retombe alors dans les inconvénients des milieux confinés, ou bien les mailles trop lâches laissent échapper les êtres en culture, et ceci d'autant plus vite que presque tous les Péridiniens sont énergiquement sollicités par la lumière. On est réduit à compter seulement sur les hasards qui en au- ront pu retenir quelques-uns. Une partie des faits que nous exposons aujourd’hui ont été déjà l'ob- (4) M. Blanc (XX) ne semble pas avoir été plus heureux avec les Ceratiums du Léman. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 51 jet de plusieurs communications de notre part (1). Depuis la publication de nos premières recherches (I) plusieurs travaux à notre connaissance ont paru sur les Péridiniens, ceux de MM. Gourret (VIII), Stein (IX), Georges Clebs (X et XXI), H. Blanc (XX) et Imhof (XXII). Le travail de M. Stein est intéressant par le nombre de formes nou- velles qu'il fait connaître. Mais le plus important de ces travaux, malgré la petite place donnée aux Péridiniens, est celui de M. G. Clebs sur les Flagellés (X). M. Stein, suivant en cela Claparède, et contrairement à l'opinion déjà ancienne de Leuckart, ne paraît point admettre (IX, p. 4) que les Péri- diniens se rapprochent des végétaux. Mais cette question n'est pas encore définitivement tranchée. M. Stein regarde comme antérieure la partie acuminée du corps des Péridiniens, parce que l'être progresse ordinairement cette région dirigée en avant. Il appelle d’ailleurs bouche la fente où se place le flagellum axial. C'est cette considération qui nous fait au contraire désigner cette partie comme antérieure: nous admettons par suite que le Péridinien progresse à reculons. Pour des êtres aussi différenciés, il est évident que l'orientation demeure absolument arbi- traire. Il n'existe pas non plus de raison décisive pour désigner par côté ventral (celui où est le sillon longitudinal) et côté dorsal les faces d’un être dont la station au repos est probablement indifférente et qui pro- gresse par un mouvement de rotation très particulier. Nous l'avons décrit ailleurs. Clebs a fait faire un pas considérable à nos connaissances sur les Péridiniens, en montrant qu'ils étaient désignés à tort sous le nom de Cilio-flagellés. Il note le premier (X, p. 341) que la couronne ciliaire regardée jusque-là comme s’insérant dans le sillon transversal n'existe pas, tout au moins chez les Péridiniens d’eau douce, et qu'ils possèdent seulement deux longs cils ou flagella: le premier — que nous nommerons flagellum axial — en rapport avec Le sillon longitudinal qu'il dépasse de beaucoup en avant (en arrière dans le sens de la progression de l'être) ; et un second flagellum en rapport avec le sillon transversal où il demeure logé et où il ondule (2). Déjà quelques doutes nous étaient venus à propos de cette couronne de cils chez certaines espèces (voy. I, p. 429) et nous nous demandions @ (1) Nouvelles observations sur les Cilio-flagellés. Association francaise. Ses- sion de Rouen, 18 août 1883. Page 559. — Sur un Péridinien parasite. Comptes rendus de l’Ac. des Sciences, 26 mai 1884. — Sur une fausse Noctiluque. Soc. de Biologie, 12 juillet 1884. — Communication verbale au Congrès de l'Association française à Blois, sep- tembre 1884. — D'un œil véritable chez les Protozoaires. Soc. de Biologie, 25 octobre 1884. (2) Pour les découvrir, Clebs conseille l'emploi de l'acide chromique à 1 p. 100 ou du chlorure de zinc. Chez Peridinium tabulatum, Clebs décrit le cil du sillon comme « ein schraubig gewundenes Rand ». D8 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET s’il ne fallait pas voir à sa place un second flagellum tournoyant à la facon d’un 8 sur lui-même. Il en est évidemment ainsi chez Exuviælla marina Cienk, que nous décrivons à tort dans notre premier travail sous le nom d’Amphidinium operculatum (voy. ci-dessous). Toutefois ce point de structure n'avait pas-alors fixé notre attention spécialement portée sur la provenance ou l’évolution des êtres classés jusque-là sous le nom de Cilio-flagellés. Nos observations récentes n'ont fait que confirmer les vues de Clebs. Chez les Dinophysis on peut voir très nettement Le flagel- lum onduler entre les deux longues collerettes qui bordent le sillon transversal. De même nous avons observé Gymnodinium pulvisculus laissant échapper le flagellum du sillon transversal. Celui-ci avait enlevé avec lui un petit globule ou fragment de cytoplasme auquel il demeurait atcaché. Il continua son mouvement pendant quelques instants et se trouva par suite entraîné à quelque distance, puis nous le vimes se pelotonner sur lui-même et s’altérer aussitôt. Il n’est pas douteux qu'il ne faille étendre à la plupart des Péridiniens marins, sinon à tous, l'observation de M. Clebs. Elle a à notre point de vue une portée consi- dérable en rejetant ces êtres parmi les Flagellates dont les affinités avec les végétaux ne peuvent faire doute. On remarquera au reste que déjà, chez certains Flagellés proprement dits, il est possible d'observer parfois une différence dans le mode d’acti- vité des deux flagella, l’un se dirigeant davantage dans le prolongement de l’axe de l’être, l’autre prenant souvent une position plus ou moins déviée (1). Nous avons pu voir également des Flagellés hyalins à deux cils qui, placés dans une chambre humide, s'étaient considérablement déformés, jusqu'à prendre l'apparence de sphères ou de disques inco- lores. Ils n’offraient plus qu'un seul flagellum encore animé de mouve- ments lents. Le cytoplasme des Péridiniens est tantôt hyalin, tantôt coloré; il peut l'être en jaune plus ou moins clair ou en rose, indépendamment de tout pigment grenu. Chez beaucoup d’espèces, surtout les espèces munies d’un test, le cytoplasme est creusé d’une ou plusieurs lacunes qui correspondent à la grande lacune aqueuse des Noctiluques. Par exception, sur les espèces qui n’en présentent qu'une habituellement, on peut en observer deux (Prorocentrum), peut-être chez des individus où la scissiparie est déjà en partie accomplie. Le plus ordinairement il en existe une seule, un peu irrégulière, mais à contours arrondis. Toutefois elle peut s'offrir aussi (1) Dans la fixation, au contraire, cette différence s’efface complètement; on peut voir alors les mêmes espèces solidement attachées par l'extrémité de leurs deux flagella légèrement divergents. En exerçant sur le verre mince de légères pressions, on voit alors l'être osciller à l'extrémité de ses deux filaments qui restent tendus, et décrire un mouvement circulaire autour de la ligne joignant leurs deux insertions sur le corps étranger. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS o9 avec des sortes de digitations rayonnantes assez régulières partant du voisinage de l’échancrure buccale (Diplopsalis lenticula). Ce cytoplasme peut contenir, comme beaucoup de corps cellulaires, des substances liquides ou solides à l’état de dépôt. Chez beaucoup d’es- pèces, il renferme de la diatomine en grains ou dissoute, par exception de la chlorophylle (Protoperidinium viride). Après la mort cette diato- mine laisse seulement, comme chez les algues brunes, des corpuseules de couleur verdâtre. On peut également trouver, dans le cytoplasme des Péridiniens, des granulations brunes ou mème complètement noires, et des gouttelettes colorées de nature diverse. Celles-ci peuvent être d’une belle nuance carminée et répandues au hasard dans la cellule, ou être alignées au niveau du sillon transversal (Peridinium typus var. reni- forme, Bergh. Voy. I, p. 38 et fig. 24). Le même pigment rouge est d’autres fois disposé en trainées (Peridinium, voy. ibid, ; Gymnodinium gracile) ou en amas irréguliers (Gymnod. Archimedis). Certains Péridiniens, au cours de leur évolution, se décolorent plus ou moins rapidement. Le cytoplasme, qui était rempli de diatomine en grains ou dissoute, devient incolore, transparent. Il peut arriver alors que la matière colorante laisse une sorte de résidu qui ne disparaît qu’à la longue ou subit des transformations spéciales. Ce résidu se présente ordinairement comme une masse sphérique homogène plus ou moins brune. D'autres fois il prend l'apparence d’un cumulus granuleux foncé. Si, en même temps qu'il s’est décoloré, l'être a subi la scissiparie, ce résidu se comporte comme un corps étranger au sein du cytoplasme en travail. Il ne se divise point, il se trouve relégué dans l’un des deux individus résultant de la scissiparie, tandis que l’autre n'offre rien de pareil. Ces résidus ont pu en imposer pour des matières ingérées. Il résulte de nos observations bien des fois répétées que jamais, sauf lexceplion des Noctiluques, les Péridiniens n’absorbent d'aliments solides. Les faits contraires qui ont pu être signalés, ou que nous avons cru nous-mèême observer dans des cas très rares, sont vraisemblablement des erreurs d'interprétation ou devaient tenir à des circonstances accidentelles. En réalité les Péridiniens n’ont point de bouche proprement dite, point de canal intestinal, point d'excavation où les particules solides puissent pénétrer, comme cela a lieu chez certains Flagellés (voy. Clebs, X). Quoi qu’en ait dit Bergh (XI), ils n’absorbent point de parti- cules solides. Il est probable cependant qu'au niveau du sillon longitu- dinal le cytoplasme, au moins chez les Péridiniens à test épais, demeure en relation avec l'extérieur. C’est la disposition même qu'on retrouve exagérée en quelque sorte chez les Noctiluques (1). (1) M. Stein indique chez Ceratium tripos une plaque mince obturant la région buccale et dont l'existence nous parait mériter d'être contrôlée. 60 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Le noyau est toujours unique, excepté dans le genre Polykrikos. Il offre chez les Péridiniens, à l'exception des Noctiluques et de Gymnodi- nium pseudonoctiluca Pouch., une uniformité remarquable dans sa cons- titution. Il est généralement ovoïde, volumineux et le plus souvent bien visible au sein du cytoplasme quand celui-ci est incolore. Nous n'avons pas vérifié spécialement l'existence d'une membrane d'enveloppe. Mais la constitution même du noyau est presque caractéristique. On voit dans beaucoup de cas, au sein de la substance fondamentale nucléaire parfai- tement hyaline, un système de filaments d’une netteté dont n’approche aucun des exemples relatés par Flemming (XII). D'autre part la disposi- tion des « filaments nucléaires » est aussi très différente de celle indiquée par Balbiani dans les glandes salivaires de Chironomus (XIII). On les voit, dans les cas les plus favorables, disposés parallèlement et très réguliè- rement, larges de À x environ; ils sont séparés les uns des autres par un espace double environ de leur diamètre. Vus dans un plan perpendicu- laire à leur direction ils se présentent comme de grosses granulations brillantes uniformément espacées. Le plus souvent ces filaments sont légèrement contournés et se eroi- sent sous des angles plus ou moins aigus. L'aspect est alors celui du guillochage de la cuvette d’une montre. La disposition même des fila- ments nucléaires rappelle un peu ces écheveaux de vermicelle que débi- tent les marchands de pâtes, avec cette différence que les filaments pucléaires sont relativement plus écartés les uns des autres. Cette apparence est fréquente sur Ceratium fusus, qu’on devra choisir pour étudier la constitution du noyau des Péridiniens, ainsi que sur les genres Gymnodinium et Polykrikos. On notera toutefois que la structure que nous décrivons est indépendante de tout processus de multipliea- tion prochaine par scissiparie (1). Elle se présente sur des espèces qui à notre connaissance ne se multiplient jamais ainsi. D'autres fois il semble que ces filaments nucléaires aient subi une sorte de sectionnement et soient réduits en bâtonnets dont l'aspect rappelle un peu celui de fines bactéries. Ces bäâtonnets sont beaucoup plus min- ces etaussi plus rapprochés que les filaments nucléaires que nous venons de décrire ; ils semblent former des paquets ou faisceaux disposés sui- vant des orientations un peu différentes dans la substance nucléaire. D’autres fois enfin le sectionnement des filaments semble s'être encore exagéré au point de les avoir réduits en granulations répandues sans ordre apparent dans la substance nucléaire, qui se trouve ainsi devenue granuleuse, mais dépourvue de toute charpente proprement dite. Le nucléole est toujours très petit et son existence est probablement constante. (1) H. Blanc (XX) aurait observé sur Ceralium hirundinella deux nucléoles comme prélude d’une scissiparie transversale. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 61 Ces particularités statiques ne sont pas les seules que nous ait offertes le noyau des Péridiniens. Déjà nous avons signalé (I p. 25, note) une observation du 95 juillet 1883 sur le noyau d’un Ceratium fusus dont la substance (finement grenue chez cet individu) était animée d’un mou- vement de rotation d’une certaine lenteur, mais très net et s’accomplis- sant dans le sens direct, l'être étant observé par la face dorsale. Le fait, au moment où nous l'avons publié, était unique, et nous exprimions le regret de n'avoir pu appeler personne à le contrôler. Depuis, le même phénomène s’est représenté à nous le 9 septembre de la même année avec une intensité remarquable sur un Ceratium tripos à test épais et de grande taille, comme était aussi le C. fusus précédemment observé. Les granulations de la substance nucléaire sont grosses, et le mouvement plus rapide que la première fois. Une de ces granulations suivie pendant vingt secondes a parcouru environ le quart de sa révo- lution au voisinage de la surface du noyau. Le sens du mouvement est le même que la première fois, c’est-à-dire direct, l'être étant vu par la face dorsale. Ce mouvement a pu être observé par MM. les professeurs Herrmann et Tourneux dont la compétence en histologie est bien connue et par plusieurs élèves présents à ce moment au laboratoire. Le noyau fixé par les vapeurs d’osmium et coloré au carmin présente un nucléole très petit comme toujours perdu au milieu des granulations et rien autre de particulier. Cette rotation de la substance nucléaire constitue certainement un phénomène rare même chez les Péridiniens, et c’est en vain que nous l’avions cherché à plusieurs reprises après notre première observation du 25 juillet. On remarquera qu'il s’est présenté sur deux formes spéci- fiques nettement distinctes et que, de plus, les deux individus qui l'ont offert avaient atteint la taille maximum à laquelle parviennent commu- nément ces espèces. Quant à la nature de ce mouvement, elle reste fort obscure : il ne S'accomplit point au sein d’un liquide, la substance du noyau semble rouler sur elle-même soit à l’intérieur d'une enveloppe propre, soit dans la cavité qu’elle occupe au milieu du cytoplasme. Ce mouvement en tout cas ne sera point confondu avec les diverses déformations ayant le caractère de mouvements métaboliques, souvent signalés dans les noyaux. Nous avons pu nous assurer et faire vérifier par les personnes qui ont suivi à loisir le phénomène que la limite du noyau demeurait nettement ovoide sur la coupe optique, et ne présentait aucune ondulation. Plusieurs Péridiniens offrent une tache dite oculaire ou même un appareil beaucoup plus compliqué rappelant comme structure les yeux les plus simples qu’on trouve chez les Métazoaires. La tache oculaire quand elle existe n’est formée que d’une gouttelette rouge transparente et qui semble de consistance oléagineuse, au lieu d'être constituée 62 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET par un amas de fines granulations comme chez certains infusoires. Cette gouttelette est alors unique, nettement limitée, sphérique (Glenod. obli- quum Pouchet), ou claviforme, un peu recourbée, comme nous le cons- tatons dans Perid. tabulatum Ehr. Elle varie de volume. Elle tranche par sa coloration sur la diatomine (Glen. obliquum Pouchet, Perid. tabulatum Ehr.) ou la chlorophylle (Protoperidinium viride Pouch.) du cytoplasme. Chez ce dernier être elle a d’ailleurs des limites moins nettes, et de plus elle est centrale. Ce n’est que par exception qu'on la rencontre double. Quand elle est unique, sa situation est invariable, elle est placée en avant, par rapport au mode de progression de l'être. Enfin dans aucune espèce l'existence de cette tache oculaire n'est constante. Parfois on peut voir à sa place une gouttelette d'un aspect très différent, comme teintée d’un léger lavis d'encre de Chine (Glenod. obliquum). D’autres fois rien n’en rappelle l'existence. Nous avons montré (I) que dans certaines années, à certaines époques, ces taches oculaires pouvaient être très rares, ou exister chez presque tous les individus de l'espèce. Nous notons l’exis- tence d’une belle tache oculaire claviforme chez un seul Perid. tabulatum au milieu d’un grand nombre d’autres qui en sont dépourvus dans une eau conservée depuis plusieurs mois. Cette tache ne paraît pas d’ailleurs avoir une influence appréciable sur l'entrainement de l'espèce à la lumière. On ne note sous ce rapport aucune différence entre les individus offrant ou non cette gouttelette rouge (1). Certaines espèces allant énergiquement à la lumière en sont toujours dépourvues (2). Néanmoins la situation constante de cette gouttelette, le fait qu'ordi- nairement elle est unique, d’autres raisons encore et jusqu’à sa couleur ne permettent guère d’en interpréter l'existence comme un simple acei- dent dans les réactions de la vie de la cellule où elle apparaît, et nous engagent, quoiqu'elle ne soit pas constante, à y voir l'équivalent ou tout au moins le représentant d'un œil rudimentaire. Une autre raison, qu'on pourrait encore invoquer pour cela, est que cet œil s'offre chez certains Péridiniens avec une complication beaucoup plus grande que chez aucun Protozoaire, comme nous l’avons constaté . Sur une espèce marine voisine de Gymn. spirale Bergh et Archimedis Pouch. Les individus se présentent à nous (août, septembre, 1883, 1884, voy. fig. 1) soit libres, soit enveloppés d’une membrane kystique très mince. Ils sont de taille variable, appartenant peut-être à deux espèces. Chez les plus grands le cytoplasme est légèrement rosé ou jaunâtre. On (4) Toutefois on n’a pas fait, à notre connaissance, d'expériences permettant d'apprécier si les individus pourvus ou non de tache oculaire étaient également sensibles. (2) Une espèce en particulier que nous ne décrivons pas dans ce mémoire, qui vit alternativement fixée ou libre et que nous désignons provisoirement, à cause de cela, sous le nom de Glenodinium amphibium. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 63 peut y trouver un globe volumineux de diatomine pâle en voie de résorption. Le noyau unique est très gros, très visible, laissant bien voir les filaments nucléaires. Enfin, vers le centre, apparaît plongée dans le cytoplasme transparent une masse pigmentaire noire, à contours plus ou moins réguliers, très nets et qui semble constituée par un groupe- ment dense de fine granulations (1). Tout contre cette tache brille un corps hyalin, claviforme, semblant engagé par une de ses extrémités dans la masse pigmentaire. Ce corps rappelle assez bien le globe réfrin- gent des yeux de certains vers ; on peut le désignez comme cristallin. Il offre même parfois une complication de structure encore plus grande. Il est alors sphérique, mesurant jusqu'à 10 & et comme porté sur un large pédicule reposant lui-même sur l’amas de pigment. On distingue autour du pédicule une sorte de bourrelet ou de collerette qui peut déjà faire soupconner l'existence d’une membrane. Le corps réfringent est en effet composé de deux parties, l’une enveloppante, l’autre enveloppée, de densité à peu près égale. En exerçant une légère pression sur l'être, il peut arriver que le contenu du corps cristallin se trouve chassé à tra- vers le pédicule et l'amas pigmentaire sous la forme d’une gouttelette hyaline très réfrangible qui va se loger dans le voisinage au milieu du cytoplasme. En même temps la membrane d’enveloppe vidée de son contenu s’est flétrie et ne laisse aucun doute sur la nature de la lésion qui vient de se produire. On pourrait donc à la rigueur considérer dans cet œil rudimentaire, mais plus complexe que ceux qui ont été décrits jusqu'ici chez les Protozoaires : 1° un corps pigmentaire ou choroïdien ; 2° une cornée et 3° un cristallin. La disposition de ces parties par rapport à l'être mérite attention. Le cristallin est constamment situé sur la face aborale de la tache pigmen- taire, c'est-à-dire tourné en arrière et par conséquent du côté où progresse l’être, en sorte que, si cet œil est un organe de vision, il esten réalité disposé le plus favorablement possible pour diriger l'individu (2). (1) Le pigment mélanique n'a été signalé jusqu'ici que chez un très petil nombre d’infusoires, Ophryoglena atra, acuminata Ehr. _ (2) Il n'est nullement certain que tous les organes que nous désignons sous le nom d'yeux, d'yeux accessoires, de taches oculaires chez les Métazoaires et les Protozoaires aient la même signification physiologique que notre œil. Nous igno- rons jusqu’à ce jour et de la façon la plus absolue si les yeur accessoires de la ligne latérale des poissons, en particulier, leur fournissent quelque sensation d’un ordre spécial, comme le prétendent certains physiologistes, ou si ces organes jouent un rôle plutôt en rapport avec la vie de l'espèce qu'avec celle de l'individu. Dans la seconde hypothèse ils seraient assimilables'jusqu’à un certain point aux taches pigmentaires en forme d'yeux que présentent un grand nombre d’ani- maux. Quel que soit le mécanisme par lequel ces taches aient pris naissance (mécanisme sur lequel a insisté Darwin), qu'elles soient le produit d’une sélec- tion sexuelle ou naturelle, la forme ou plutôt le dessin de ces taches n'en reste pas moins spécial aux animaux et on peut dire plus : spécial à l’habitus extérieur de leur corps; car les organes internes ne présentent rien de pareil même alors qu’on y trouve, comme chez les poissons, les éléments de coloris (cellules pig- mentaires et iridocytes) nécessaires pour constituer ces taches. Il faut y voir en 64 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Même en admettant que cet appareil compliqué soit un organe de vision, c'est-à-dire un organe actif servant à la perception des vibrations calorifiques sous une forme quelconque, nous n’en saurions comprendre le rôle, puisque d’autres Péridiniens, complètement dépourvus même d’une simple tache pigmentaire, se dirigent délibérément à la lumière. Le fonctionnement de cet œil ne saurait davantage être comparé à celui des Métazoaires. Que les vibrations calorifiques agissent directement sur le cytoplasme chez les Péridiniens complètement dépourvus de taches oculaires, ou indirectement par l'intermédiaire d’une lentille et d'un écran coloré, le problème reste le même. On est en face d'une physio- logie toute différente de celle des Métazoaires. Chez ceux-ci, nous conce- vons l'élément anatomique comme unité physiologique primordiale : par suite, l'œil unique, même le plus simple, devra, comme nous l'avons montré d’ailleurs, être composé d'au moins deux éléments (Nauplius, Copépodes). Les différences d'intensité lumineuse perçues dans deux directions de l’espace dirigeront l’animal. Un seul élément rétinien ne donnerait que des impressions successives résultant des mouvements de l'animal, loin de pouvoir le guider (1). Au contraire, la cellule unique qui constitue le Protozoaire fonctionne comme un organe et même comme un organe complexe, car elle est à la fois organe de sensibilité, organe de mouvement et organe délibérant ou nerveux, puisqu'elle se dirige. Sous quelque forme que les vibrations calorifiques soient per- çues par le cytoplasme d’un Péridinien, il faut admettre que leur inten- sité relative dans des directions différentes est appréciée par l'être unicellulaire, absolument comme nous apprécions nous-mêmes l’éclai- rage des différents points du champ rétinien. Il serait peut-être curieux de rechercher si les Protozoaires qui se dirigent ainsi à la lumière, possèdent toujours au moins deux eils ou flagella qui, impressionnés différemment, fourniraient au corps cellu- laire un élément de comparaison. Mais ce ne serait que reculer la diffi- définitive, croyons-nous, une image de l'œil des Vertébrés ou des Céphalopodes. C'est sur le marché de Trieste que nous avons été un jour vivement frappé de cette apparence. On y vendait principalement et en quantité de petites Raies (Raga circularis) avec deux taches oculaires sur le dos, des Squilles (Squilla mantis?) avec une tache oculaire bien nette sur les derniers anneaux de l'abdomen, et de petites Sèches dont les yeux semblaient répéter toutes ces taches ocu- laires. — Si d'autre part on pouvait démontrer que les yeux accessoires des poissons sont surtout des « semblants » d'yeux de vers ou de mollusques, il faudrait dès lors donner de l'œil comme organe une double définition, l’une en quelque sorte subjective, l’autre objective, selon que cet œil est destiné à pro- duire chez l'individu qui le porte une perception, ou à donner une sensation à d’autres êtres vivants. Ici se rangeraient, à côté des yeux de la ligne latérale des poissons, les véritables taches oculaires que d'autres présentent (Zeus faber, Lepadogaster, etc.), tout à fait semblables à celles des oiseaux (Paon, Argus, etc.), des papillons et même des mammifères (Ocelot). (1) Tout au moins faudrait-il supposer à l'animal un repère dans une situation qu'il saurait reprendre et un calcul de déplacement lui permettant de synchroniser dans l’espace les variations d'intensité successivement perçues autour de lui. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 65 culté. On pourrait encore admettre que les extrémités prodigieusement ténues de ces flagella sont directement influencées par l’état moléculaire de l’eau que traversent les vibrations calorifiques, et qu'ils dirigent dès lors passivement le corps cellulaire dont ils dépendent, dans une direction donnée. En dehors de cette hypothèse, nous sommes forcés, dans l’état actuel des connaissances, d'imaginer dans le cytoplasme d’un Péridinien ou d’une zoospore d’algue, certaines parties ou molécules déterminées jouant entre elles le rôle réciproque des éléments anatomiques des Métazoaires (1). Nous avons indiqué (I, p. 16 et 28) les caractères de l’allure si spé- ciale des Péridiniens. On peut l’étudier très bien sur les espèces de grande taille. La rotation a lieu dans le sens direct pour l'observateur placé en arrière du Péridinien et le voyant fuir devant lui. Par suite, sur les espèces où le sillon transversal est très oblique, comme Gymnodinium spirale, le sillon se comporte relativement à l’eau inversement à un pas de vis dans un milieu résistant. Cette règle, toutefois, n’est pas absolue, et nous avons indiqué déjà que les Péridiniens peuvent modifier momen- tanément leur allure. Ces mouvements de translation sont les seuls que présentent les Péridiniens nus. On n’observe jamais chez eux de mouvements métabo- liques sensibles, mais seulement parfois des déformations fort légères et fort lentes. On a décrit des kystes muqueux dont les Péridiniens s’envelopperaient pour subir une multiplication scissipare. Il semble résulter de nos observations que ces sécrétions muqueuses sont le plus souvent l'indice d'un état maladif, ou tout au moins de conditions extérieures défavo- rables. En effet, tous les Péridiniens munis d’un test émettent, comme on le verra plus loin, une substance glutineuse, muqueuse, dont nous n'avons pas d’ailleurs étudié spécialement la nature. Au lieu de l’enve- lopper, elle peut être sécrétée sous la forme d’une colonnette adhérant par sa base aux corps étrangers et à l'extrémité de laquelle le Péridinien se trouve alors suspendu dans le liquide (Diplopsalis lenticula). D’autres fois, les apparences auxquelles donne lieu cette sécrétion muqueuse sont un peu différentes. Aumomentdes grandeschaleurs (1884), nous tentons l'élevage de Peridinium typus. Le lendemain, les individus Sont en mauvais point. Ils portent attachée à eux, soit en avant, soit en arrière, une lame muqueuse ayant la largeur et l'épaisseur même du Corps cellulaire qui l’a sécrétée. Sur le milieu de cette lame, une région comme cannelée répond au sillon longitudinal. Il est évident que cette (1) Peut-être la physiologie n’a-t-elle pas assez tenu compte jusqu'ici de cette complication fonctionnelle dans une seule et même cellule. Peut-être pourrait- elle tirer quelque avantage de considérer chez les Métazoaires chaque élément anatomique comme susceptible de régler lui-même, et dans une certaine mesure, son propre fonctionnement. 66 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET lame muqueuse, dont la section correspond à celle du Péridinien, est rejetée de la même façon que la sécrétion gluante qu'une limace laisse derrière elle et sous laquelle le corps qui la produit reste engagé tout en s'éloignant. Si l'organisation des Péridiniens présente beaucoup de poinis qui appellent de nouvelles recherches, leur histoire en tant qu'espèces nous est encore plus profondément inconnue. Ceci tient en partie aux mues rapides de beaucoup de ces êtres, mues après lesquelles ils sont parfois méconnaissables, ayant revêtu des caractères qu'on attribuait à un genre tout différent; ceci tient encore au passage presque instantané qu'ils présentent parfois d’une vie sédentaire à une extrème activité. Si certains (Z'xuviælla marina), en quittant leur test, offrent déjà un nou- veau test tout semblable et n'ont pas sensiblement changé de forme, telle n’est pas la règle ordinaire. Le plus souvent le cytoplasme se rétracte d’abord — probablement par la disparition de la lacune aqueuse — en une masse sphérique au-dessous du test. Cette masse peut se segmenter sur place, ou être rejetée et poursuivre au dehors son évolu- tion. Elle n’a alors aucun des caractères des Péridiniens. C’est seulement plus tard que les sillons se dessinent, que les flagella apparaissent, qu'un nouveau test se refait semblable au premier, ou peut-être dans certains cas différent de lui. D'autres fois, le test épais (Protoperidinium digitatum, pyrophorum) laisse échapper le cytoplasme enveloppé d'une mince membrane kystique fermée de toutes parts. L'un et l’autre conservent cependant l'apparence péridinienne avec une double gibbosité à une extrémité, une pointe à l’autre, et un étranglement médian. Nous avions décrit (I, p. 42) ces formes sous le nom de Glenodinium turbo, laissant pressentir (p. 43) qu’elles n'étaient probablement que des états transitoires se rapportant peut-être à plusieurs espèces. Stein a très bien vu le même fuit et l'a figuré chez Gongaulax polyedra (IX, pl. IV, fig. 10-14). Nous ignorons si l'individu, sorti sous cette forme d’un test tabulé, reproduit ce test après une nouvelle mue. Ces mues doivent se répéter chez certaines espèces à de très courts intervalles (£xuviælla marina, Glenodinium obliquum, Peridinium tabu- latum, etc.). En même temps, le cytoplasme rétracté peut présenter une segmentation fort rapide. Les deux individus qui en résultent muent, à leur tour, avant d’avoir atteint le volume de l'individu primitif, et dans ce changement diminuent encore de volume. Nous avons pu vérifier directernent le fait sur Peridinium tabulalum. Il résulte de ce processus, d’ailleurs très général chez les Péridiniens, que lespèce parait rapetisser en même temps qu’elle se multiplie et à mesure que les individus subissent des mues nouvelles. Il est possible que ce phéno- mène soit dû parfois aux conditions où on l’observe, qui sont toujours celles d'un milieu confiné. Mais il est certain d'autre part que, pour RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS (@p] —1 plusieurs espèces, Gymnodinium pulvisculus en particulier, l’évolution normale comporte cette diminution de taille, proportionnelle au nombre des individus nés par scissiparie les uns des autres. Sous ce rapport, les Péridiniens se rapprochent des Bacillariées. Il en résulte en même temps une difficulté nouvelle dans l'étude des Péridiniens, puisque les dimen- sions de l'individu ne sont aucunement en rapport avec l’âge. Nous avions déjà signalé que tous les Ceratium qu'on rencontre ont sensible- ment la même taille, fait lié à cet autre que les individus dans cette espèce ne deviennent libres qu'après avoir atteint à l’état conjugué leur complet développement. La scissiparie n’est en réalité qu'une multiplication individuelle. Il est peu probable qu’on doive la regarder jamais comme suffisante à assurer la durée de l'espèce. Il semble rationnel d'admettre que tôt ou tard toute espèce vivante doit revenir au mode sexuel de reproduction, comme étant le plus propre à assurer la permanence de la forme par l'hérédité, celle-ci corrigeant dans une certaine mesure l'influence modificatrice du milieu sur l'individu. Malgré l'abondance extrême des Péridiniens et l’homogénéité du groupe qu'ils forment, nous ne connaissons en totalité le cycle géné- sique d'aucun d'eux, et tout indique qu'il doit être fort complexe au moins chez certaines espèces. Nous essayerons de résumer ce qui parait certain et ce qui paraît probable sur ce point. Les auteurs ont signalé des kystes muqueux à l’intérieur desquels les Péridiniens subiraient soit une métamorphose, soit la scissiparie. Nous avons déjà fait remar- quer (voy. I, p. 40 et ci-dessus) que cette production muqueuse paraît en général le signe d’un état de malaise, ou tout au moins de conditions défavorables du milieu. Dans tous les cas où nous avons vu la scissi- parie aboutir, nous n'avons jamais observé de kyste muqueux. La seule connaissance positive, que l’on avait, était celle des kystes membraneux cuticulaires en forme de croissant ou de fuseau, signalés par Claparède et Lachmann (VIT). Enfin, nous avions fait connaître (1), de notre côté, le développement des Ceratium (sauf C. fusus) en chaînes et des Dainophysis en couples. Dans un cas, les Péridiniens constituant la chaîne sont unis en nombre plus ou moins grand, bout à bout, suivant la direction de leur axe. Dans le second cas, ils sont unis dos à dos par couple, et de plus il semble que les deux individus ne soient point super- posables, présentant l’un et l’autre une légère torsion en sens inverse. Nous signalons plus loin une chaîne de deux Gymnodinium spirale unis exactement comme les Ceratium, l'extrémité aborale en pointe du pre- mier s'insérant à l'extrémité gauche du sillon transversal du second. Or, il semble résulter de nos dernières recherches que ces chaînes de Gymnodiniunm prennent naissance à l’intérieur des kystes mem- braneux (nous employons cette expression pour les distinguer des kystes muqueux) en forme de croissant, vus pour la première fois par Cla- 68 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET parède et Lachmann, et que nous avons eu l’occasion de retrouver à deux reprises différentes (voyez fig. 2 et fig. 3). Le 17 juin 1884, le premier de ces kystes qui s'offre à nous est en forme de croissant fortement recourbé à ses extrémités, légèrement renflé au milieu (voy. fig. 2). À l'intérieur, deux masses adossées résultent probablement d’une première division ou segmentation du cytoplasme. Chacune des deux moitiés, renflée du côté qui avoisine l’autre, se termine par une extrémité obtuse et hyaline. Une de ces extrémités même porte une sorte de petite échancrure qui rappelle l'aspect si constant de la pointe aborale des Peridinium, Protoperidi- nium, Diplopsalis, etc. Les parties adossées sont à peu près sphé- riques, un peu aplaties seulement au point de contact. Il existe deux noyaux, un pour chaque moitié. Le cytoplasme renferme un peu de diatomine claire en trainées; de plus, de chaque côté, une goutte orangée, mais l’une beaucoup plus grosse que l’autre : probablement des résidus de diatomine. — Nous essayons de mettre ce kyste en cul- ture. Le lendemain, le contenu est mort évidemment. Toutefois, chaque moitié, légèrement raccourcie, laisse voir une tendance à un nouveau partage transversal en deux parties, l’une en contact avec la partie cor- respondante du côté opposé, l’autre à la suite, occupant la place de l'extrémité hyaline qu’on voyait la veille. Cette observation n'est intéressante que par le rapprochement avec la suivante : quatre jours après (21 juin), le filet fin nous rapporte un autre kyste exactement de même dimension, contenant cinq Péridiniens bien reconnaissables. La disposition des sillons permet de reconnaître que trois sont orientés dans un sens et deux dans l’autre. Ils sont contigus et légèrement colorés en jaune. C'est évidemment un état plus avancé que le premier kyste. Quant au chiffre de cinq individus, il peut être regardé comme anormal. Régulièrement le kyste doit contenir un nombre pair d'individus, et chaque moitié de son contenu aurait dû donner naissance à quatre Gymnodinium disposés en deux chaînes égales se touchant par le pôle oral du premier individu de chaque série. Un des kystes trouvés par Claparède sur la côte de Norvège était dans l’état du premier observé par nous; un autre, qu'il figure également (VII, pl. XIII, fig. 20), contient huit Péridiniens, c'est-à-dire un nombre régulier résultant d’une segmentation normale du cytoplasme primitif. Mais Claparède représente ces huit Péridiniens comme isolés, et, de plus, orientés perpendiculairement à l’axe du kyste. Il est possible que les chaînes se désagrègent avant la sortie du kyste. Mais on peut admettre également qu’elles deviennent libres avant la séparation définitive des individus et que ceux-ci continuent de se déve- lopper en restant unis. Quant à la véritable signification du kyste mem- braneux, il faut sans doute y voir une cuticule cellulaire sans aucune analogie avec la sécrétion muqueuse de certains Péridiniens dans des RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 69 conditions particulières (1). Elle représente une mue au même titre que la mince enveloppe du cytoplasme de Protoperidinium digitale ou pyro- phorum abandonnant leur test. Enfin, les rapports des deux chaînes contenues dans le kyste en forme de croissant nous donnent peut-être la clef de la disposition des couples de Dinophysis, où l'adossement des individus pouvait, au premier abord, paraître irréductible à la disposition en chaine des Ceratium. Il est facile de voir que cette disposition reproduit la situation respective des deux individus placés en tête des deux chaînes. On peut donc admettre provi- soirement que les Dinophysis prennent naissance dans des kystes mem- braneux homologues du kyste en forme de croissant des Gymnodinium. Le contenu de ces kystes donnerait naissance par une seule segmen- tation à deux individus demeurant unis et conservant les rapports des deux premières masses de segmentation qui donnent naissance dans l’autre cas aux deux chaînes de Gymnodinium. Que tel soit ou non le mode de développement des Dinophysis, ce rapprochement n'en reste pas moins intéressant. Mais il existe aussi d'autre part, comme nous avons pu nous en assurer également, des kystes membraneux rappelant la forme de crois- sants, très analogues à ceux que nous venons de décrire, mais ne don- nant qu’un seul Péridinien, comme ceux d’eau douce signalés par Cla- parède (VII, p. 72). Nous avons rencontré à certaines époques très abondamment dans la mer une espèce de grande taille appartenant au même genre Gymnodinium, et provenant d’un kyste qui ne fournit qu'un seul individu (voy. fig. 4). Ce kyste est fusiforme, terminé par deux prolongements plus ou moins longs et arrondis au bout. Notre figure, très exacte, ne rend pas bien la longueur de ce kyste parce qu’une des deux extrémités est recourbée dans un plan perpendiculaire au plan de l’autre. Le corps cellulaire inclus est lui-même fusiforme, plein de pig- ment jaune. On ne distingue que le sillon transversal très oblique, et au centre le noyau ovoïde. Un autre individu avec le corps cellulaire enve- loppé d'une membrane kystique plus mince, plus étroitement appliquée sur lui, représente probablement un stade plus avancé. Le kyste semble généralement disparaître avant que le Péridinien inclus ait atteint son complet développement. Le sillon équatorial est toutefois toujours bien accusé. L’être se présente tantôt sous l'aspect d'un double eône (c'est peut-être l’état normal), tantôt sous celui d’un corps globuleux muni de deux appendices cylindriques, courts, plus ou moins contournés, cor- respondant aux cornes du kyste. La matière colorante, dans un cas (1) C'est donc, en se reportant aux idées de Blainville, un produit, mais un produit intrinsèque de l'élément, comme le test des Peridinium et dans un ordre d'êtres plus élevés, le test des Articulés. Au contraire, les kystes muqueux sont des produits extrinsèques à classer avec les tubes que sécrètent certains infu- soires, certaines annélides, et avec la coquille des mollusques. 10 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET comme dans l’autre, est toujours refoulée vers les deux extrémités. Le même Gymnodinium parvenu à l’état définitif est très allongé. Le sillon longitudinal s’accuse surtout entre les deux extrémités du sillon trans- versal. Le pôle oral est presque aussi acuminé que le pôle aboral, et l'être paraît progresser presque indifféremment dans les deux sens. Il semble se rapprocher beaucoup de Gymnodium spirale de Bergh, que nous avons au contraire, comme nous le dirons plus loin, trouvé en chaînes. C’est un nouvel exemple d’écarts considérables dans le déve- loppement d'espèces pourtant très voisines (1). En traitant des particularités ontologiques que nous présentent les diverses espèces rencontrées au cours de nos recherches, nous suivrons le même ordre taxonomique que précédemment (I), c’est-à-dire celui de Bergh (IX). Nous avons déjà fait observer que cette classification était essentiellement provisoire et ce n’est pas quand il s’agit d'êtres dont nous ne connaissons pas encore toutes les formes sous lesquelles peut se présenter chaque espèce ou par lesquelles peut même passer chaque individu, qu'on doit songer à élablir un groupement rationnel et défi- nitif; encore moins songer à dresser des tableaux phylogéniques dont on fait présentement un si étrange abus. CERATIUM FURCA Ehr. Les Ceratium ont été très rares pendant la belle saison de 1884, à. Concarneau. Ils ne nous ont présenté aucune particularité nouvelle. Ainsi notre attention n’a pas été sollicitée, comme elle n'aurait pas manqué de l'être, par des Ceratium présentant plus de deux prolongements du côté oral. Si les variétés signalées par H. Blanc (XX) sur C. hirundinella du Léman sont véritablement le signe d’une scissiparie transversale ou plutôt oblique (comparez C. quinquecorne de Gourret, VIII), et non des variétés ou des monstruosités, elles seraient en tout cas extrême- ment rares sur les espèces marines, et il ne nous semble pas probable jusqu'ici qu'il faille attribuer à un processus de ce genre la formation des chaînes que nous avons décrites. Le 7 août, nous trouvons deux C. furca en chaîne. L'espèce est très . voisine de celle que nous avons représentée I, figure 2. La conjugaison était telle que nous l'avons décrite, avec cette différence que dans la chaîne en question un des individus avait subi une légère rotation, se présentant à peu près de profil quand l’autre se présentait de face, et 1) Gourret figure (VIII, pl. I, fig. 29 el 30) des kystes qui paraissent se rap- / (e] \ » P AS) ÿ q Il procher beaucoup de ceux que nous avons observés; il en aurait, de plus, suivi le développement (Ibid., p. 70) en les attribuant toutefois au genre Peridinium. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 11 x réciproquement. Nous aurons à signaler dans Gymnodinium spirale pareille disposition. CERATIUM FUSUS Clap. Nous avons indiqué déjà (I, p. 25) qu'on ne ‘trouve point C. fusus en chaînes. Il est possible que, malgré les ressemblances qui rapprochent cette espèce de C. furca, elle doive prendre place dans un groupe à part, voisin du genre Pinophysis. Deux fois, en 1883 (22 juillet) et 1884 (commencement d'août), nous avons trouvé C. fusus en couple (voy. fig. 5). La première fois les deux individus avaient à peu près la même taille. Ils étaient orientés dans le même sens et semblaient porter encore le résidu d'une membrane d’enveloppe, attaché en avant du sillon transversal. — La seconde fois l'espèce était peu abondante dans la mer, les individus que nous avons trouvés en couple étaient de taille inégale, à cytoplasme incolore; le plus petit, moins arqué que le grand, avait son sillon transversal assez peu distinct. Les deux individus étaient orientés dans le même sens. Mais la petite corne peu développée, le sillon peu marqué rendaient difficile la détermination exacte des rapports des deux individus et, comme il s'agissait d’un cas isolé, nous n'avons pas jugé à propos de pousser nos observations plus loin qu'une simple constatation. Ce mode d'union très probablement anormal semble du moins indi- quer un processus génésique différent de celui qui donne naissance aux chaînes de C. furca ou tripos. Nous signalerons chez Prorocentrum mi- cans un autre exemple de conjugaison anormale entre deux individus, et, pas plus dans un cas que dans l’autre, il ne semble possible de la rapporter à un phénomène de scissiparité. Genre Dinophysis. Nous avions exprimé déjà quelques doutes sur l'existence d’une cou- ronne ciliaire entre les deux collerettes parfois si développées qui bor- dent le sillon transversal chez cette espèce. Nous avons pu vérifier qu'il s'agit bien, comine l’a indiqué M. Clebs, d’un second flagellum. Vers la fin de septembre (1884), les Dinophysis étaient assez abondants, du moins une espèce voisine de celle que Bergh figure sous le nom de D. acuta (XI, fig. 49 et 50) et que nous avons représentée également (I, fig. F, p. %5), différente par conséquent de D. acuta var. geminata que nous avons également figurée (I, pl. I, fig. 5). Cette espèce s’est montrée à diverses reprises en couples comme ceux que nous avons décrits. Plusieurs de ces couples étaient animés de mouvements qui les faisaient tournoyer dans le champ du microscope et permet- 1172 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET taient de mieux apprécier les rapports des deux individus. Leurs plans médians (passant par la crête dorsale, peu accusée dans cette espèce) dessinent un angle très ouvert, ou plutôt l'axe transversal des deux individus décrit une ligne courbe, prolongée de part et d'autre par les deux crêtes ventrales qui la continuent. Il en résulte que les deux individus de chaque couple ne sont pas superposables l’un à l’autre, qu'il se produit des individus dextres et des individus senestres en nombre égal. La lame unissante n’est pas non plus inscrite dans la ligne courbe qui sert de plan een à chaque couple, elle dessine en dehors une ligne courbe très accusée, à peu près comme le ressort qui unit les deux verres d’un binocle. Cette comparaison grossière donne une idée très juste de l'apparence générale du couple vu sur le prolonge- ment des axes longitudinaux des deux individus (1). | Quoique nous ayons pu conserver plusieurs jours D. lævis actif, en captivité, particulièrement du 27 septembre au 3 octobre, il ne nous a point présenté de mue. Quand l’altération cadavérique survint, le eyto- plasme se réduisit en une masse finement granuleuse d’un vert clair, sans s’épancher au dehors du test, et sans que celui-ci contractât d’adhé- rence avec les corps étrangers. A l’état actif Ÿ. lævis offre un cytoplasme vésiculeux avec peu de diatomine. Certaines places paraissent légèrement pigmentées de rouge (2). EXUVIÆLLA MARINA Cienkowsky. (Voy. fig. 6, 7 et 8.) Cienkowsky a décrit sous ce nom, en 1881 (3) le Péridinien que dans notre précédent travail nous avions désigné sous le nom d’Amphidinium operculatum et que Stein à son tour a figuré (IV, pl. I, fig. 27 et 33) sous le nom de Dinophyxis lævis. Bergh n’en avait point fait mention et d'autre part, trouvant cet être en très grande abondance et en toute saison, nous ne pensions pas qu'il eût pu échapper à un observateur aussi attentif que Claparède. Nous avions été, par suite conduit à le ranger dans l'espèce la plus voisine mentionnée par lui, c'est-à-dire Amphidinium operculatum, et qu'il figure d’ailleurs aussi d’une manière assez imparfaite. Il faut s’en tenir évidemment au nom de Cienkowsky. (1) La seule apparence que nous connaissions, rappelant celle que nous décri- vons ici, nous a été offerte par certaines Diatomées, à l'intérieur desquelles le cytoplasme avait pris une disposition à peu près analogue. (2) Il est possible que la mue produise un corps complètement dépourvu de toute trace de sillon, légèrement déprimé, à contour irrégulièrement elliptique et à grand axe transversal. (3) Rapport sur des excursions dans la mer Blanche (en russe, in Trav. de la Soc. des nat. de Saint-Pélersbourg, vol. XII, pl. IT, fig. 36-38). Nous relevons cette indication dans le dernier travail de Clebs (XXI). RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 15 M. Stein rapproche £'xuviælla marina du g. Prorocentrum et déclare n'avoir pas vu de couronne vibratile. Celle-ci, en effet, comme nous le faisions prévoir (I, 29), n'existe point. L'apparence observée est due à deux flagella animés d’un mouvement fort différent, l'un ayant tous ceux du flagellum axial ordinaire, l’autre correspondant au flagellum du sillon équatorial des autres Péridiniens et dessinant des huit à la base du précédent (fig. 7). Nous avons décrit (I, p. 29) un mode de multiplication par scissi- parie de Æxuviælla marina. Nous nous bornons à donner ici les figures qui la montrent (fig. 6). Les Z'zuviælla sont beaucoup plus résistants que le plus grand nom- bre des Péridiniens et nous en avons retrouvé au mois de juin (1884) dans des récipients où nous les observions déjà l'automne précédent et dont l’eau n'avait pas été entretenue d’une manière spéciale. Ex. marina peut revêtir un état qui fait probablement partie de son évolution normale, mais qu'on ne voit ordinairement que sur les indi- vidus les plus volumineux : le cytoplasme se remplit de grosses gout- telettes hyalines, l'ombilic disparaît (voy. I, Amphidinium operculatum), la diatomine semble refoulée au centre et s'étendre, à partir de là, comme un corps étoilé entre les globules. Ex. marina nous a encore offert une autre modification que nous avons pu observer à la fois sur un grand nombre d'individus, dans un récipient où nous avions à loisir étudié la multiplication par scissiparie. D'abord l'individu se décolore, la diatomine se réduit en gouttelettes jaunes, peu foncées, éparses dans le cytoplasme ; l'ombilic devient moins net, et semble plongé au sein de ces globules. À un degré plus avancé, le contenu du test s’est partagé en deux masses distinets. L’une est un résidu de diatomine brunâtre, formant un amas irrégulier placé sous les valves et ordinairement en arrière. La seconde masse est à peu près sphérique, elle occupe environ les deux tiers de la cavité du test, à côté du résidu de diatomine. Cette masse, limitée par un contour très net et qui semble quelquefois double, est tantôt complètement hyaline à reflet nacré, tantôt finement granuleuse, toujours incolore. Elle contient un ou deux globes sphériques très réfringents. Dans certains cas, la cuticule enveloppant la masse hyaline est manifestement double : la membrane interne est en ce cas plus épaisse et peut s'isoler partielle- ment de l’externe par suite d’une sorte de retrait de la masse hyaline. Dans certains cas, il arrive que le résidu de diatomine est placé laté- ralement, alors la masse hyaline est plus allongée. Parfois la masse hyaline se retrouve encore sous le test entr'ouvert, et d’où le résidu de diatomine à disparu. Mais beaucoup de tests contiennent seulement le résidu, et c’est la masse hyaline qui s’est échappée. Sous les valves du test elle ne se modifie pas, tout au plus semble-t-elle parfois subir une Sorte de rétraction à laquelle ne prend pas part la mince cuticule 14 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET externe. Mais elle ne perd rien de sa transparence, elle devient seule- ment plus bleuâtre. Tout ceci semble difficile à concilier avec un pro- cessus cadavérique. Ayant laissé une multitude d’£x. marina en cet état dans un grand récipient au mois d'octobre 1883, nous les avons retrouvés aussi nombreux en mai 1884; à côté sont d’autres individus normaux, actifs, avec le cytoplasme plein de grosses granulations et l’ombilic peu visible. À la vérité, dans l'état que nous décrivons, on ne voit plus de noyau. Dans certains cas, toute la masse hyaline et le globe réfringent qu'elle renferme, traités par l'acide osmique et le picro-carmin, se colorent à peu près également en rose; parfois, l'acide osmique noircit la masse hyaline. Il arrive au reste chez les Péridiniens, que les réactions du cytoplasme varient selon des circonstances que nous ignorons, et sans que les modifications moléculaires survenues (dont les réactions nou- velles sont le signe) aient changé sensiblement l'aspect de l’être pendant la vie. Nous répétons au reste, que nous n'avions pas en vue dans nos observations l’étude ontologique des êtres qui se présentaient à nous, mais surtout la détermination de leurs rapports génésiques et de leur évolution. Qu'il nous suffise de dire qu'avec le picro-carmin, la réaction la plus générale paraît être une teinte rosée pour le cytoplasme modifié, une teinte légèrement jaunâtre pour le globe réfringent qu'il contient. Rien ne révèle la présence d'un noyau, si petit qu'il soit. La modification d'Ex. marina, que nous venons de décrire, s’est aussi montrée à nous dans d’autres élevages en 1884 et pour la première fois le 3 août dans un récipient où nous observions l'espèce depuis plusieurs semaines. Seulement les individus ainsi modifiés ont été beaucoup plus rares que l’année précédente. La généralité du phénomène, ses caractères tout particuliers et très différents des modes d'altération des autres Péridiniens; la durée de l’état que nous décrivons et dont nous ignorons le terme; et d’un autre côté l'absence de noyau, car on ne saurait selon toute apparence consi- dérer la masse hyaline comme le noyau modifié, toutes ces circonstances rendent très difficile l'interprétation véritable de cette forme singulière. Représente-t-elle une phase évolutive ou simplement une altération ? Il convient aussi d'ajouter que nous n'avons jamais dans nos pêches au filet fin rencontré Zruviælla marina dans l'état que nous lui avons vu prendre d’une manière si générale dans nos cultures. AMPHIDINIUM OPERCULATUM Clap. (Voy. fig. 9.) On a vu plus haut que nous avions étendu à tort ce nom à £xumælla marina. Il doit être réservé aux Péridiniens, très nombreux et très diffé- rents de taille, qui se rapportent à la description et à la figure de Clapa- RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 19 rède et Lachmann. Stein en donne également quelques figures assez bonnes (IX, pl. XX VII, fig. 7-20). Quant à Bergh, il ne paraît point avoir observé Amphidinium opercu- _ latum qu'il classe à côté du genre Dinophysis dans ses Dinophysida. Les Amphidinium de même que le genre précédent forment un groupe bien isolé parmi les Péridiniens. Ils ne présentent jamais de mues. Le fla- gellum axial s’insère vers la partie antérieure du sillon étroit, peu pro- fond, rectiligne de la face ventrale. Le second s’agite dans le sillon pro- fondément creusé autour de l'onglet recourbé en forme de couvercle ou d’opercule qui représente seul la partie aborale de l’être. Une particu- larité importante est la très grande variété de taille que présentent les Amphidinium, correspondant probablement à un certain nombre d'es- pèces. La forme générale diffère également : on peut signaler une variété complètement discoïde. Les plus grands individus, que nous ayons observés, mesuraient 50 4 de long sur 40 y de diamètre transversal. Le cytoplasme chez certains individus peut être à peu près incolore, avec un résidu de diatomine très foncé vers le centre, rappelant par l'aspect le résidu que nous avons décrit dans £xuviælla marina en transformation. La diatomine répandue dans Amphidinium operculatum peut être d’une coloration jaune clair et offrir parfois une disposition rayonnante autour d'un ombilic plus ou moins distinct. Jamais nous n'avons vu de pigment rouge. L'onglet peut être plus ou moins marqué, soit que les différences observées tiennent à des variétés statiques, soit qu'on doive les rap- porter à un processus évolutif de formation ou de disparition de cet appendice. Stein (IX) joint à Amphidinium operculatum une espèce d'eau douce, A. lacustre, trouvée près de Prague. Il figure également les phases d’une scissiparie chez la première de ces deux espèces. Cette scissiparie diffère totalement de celle d'£ruviælla marina. Peut-être se fait-elle aux dépens d'un corps cellulaire n'offrant pas ou n'offrant plus momentanément la forme spécifique. Les deux individus qui vont en naître sont opposés comme les Dinophysis, ce qui est intéressant au point de vue du rap- prochement signalé par Bergh. Cette multiplication scissipare s'accom- plirait indépendamment de la sécrétion d'une enveloppe muqueuse ; mais on peut également trouver celle-ci. PROTOPERIDINIUM VIRIDE Pouchet. (Voy. fig. 10.) Nous distinguons, comme nous l'avons fait précédemment, le genre Protoperidinium du genre Peridinium par un test muni de cornes orales exclusivement cuticulaires. Nous désignons sous le nom de Prot. viride un très petit Péridinien 16 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET EXPLICATION DE LA PLANCHE III F1G. 1. — Peridinium voisin de Gymnodinium spirale, avec organe oculaire.Individus de diverses tailles appartenant peut-être à diverses espèces. a. Individu de grande taille, dans son kyste. Filaments du noyau très visibles. Dans le cyto- plasme, amas constitué peut-être par un résidu de diatomine et peut-être par des corps étrangers qui y auraient pénétré accidentellement : ils ont été observés à la fois sur deux individus dans la même pêche. Si l'on admettait qu'ils ont été ingérés normalement pendant un stade antérieur à la formation du kyste, ce serait une exception parmi les Péridiniens, à rapprocher de celle qu'offrent les Noctiluques. a!. Organe oculaire vidé de son contenu, c'est-à-dire du corps cristallinien, et montrant l’en- veloppe de celui-ci flétrie. b. Autre individu également enkysté, pêché en i883. Le sillon oblique est nettement visible, corps cristallinien claviforme. e. Autre individu plus petit. F1G. 2. — Kyste en forme de croissant. a. État du kyste au moment où il est pêché. b. Etat du kyste 24 heures après. Les deux masses observées la veille ont commencé à se seomenter, puis le contenu cellulaire est mort. F1G. 3. — Kyste en forme de croissant contenant cinq petits Gymnodinium orientés trois d'un côté et deux de l'autre. Fi1G. 4. — a. Kyste de forme à peu près semi-lunaire, renfermant un Gymnodinium de grande taille. Coloration jaune. Extrémités du kyste très longues; on ne peut pas toutefois apprécier exactement leurs dimensions, l’une d'elles, la supérieure, étant disposée dans un plan perpendi- culaire à la figure. b. Autre kyste plus court destiné peut-être à s’allonger, conme le croit Claparède, ou repré- sentant peut-être seulement une mue nouvelle. La coloration jaune est surtout accusée aux extrémités. c. et d. Le même Gymnodinium libre. Individus peut-être anormaux. Pigment jaune granu- leux aux deux extrémités. e. Forme définitive du même (voisin de Gymnodinium spirale Bergh). F1G. 5. — Deux exemples de Ceratium fusus réunis en couples, l’un pêché en 1883, et l'autre en 1884. Sur le plus petit on voit, au voisinage des sillons, un résidu de membrane. F1G. 6. — Exuviælla marina. Scissiparie. a. Individu ayant atteint le volume maximum, vu de profil. b. Les deux êtres résultant de la scissiparie, encore contenus dans le test commun. c. Désagrégation des deux êtres résultant de la scissiparie, vus dans la direction de l'axe lon- gitudinal. c'. Etre isolé, au moment de la désagrégation, portant encore la marge saillante formée par le bord de la valve primitive correspondante. F1G. 7. — Les deux flagella d'Exuviælla marina. F1G. 8. — Exuvixlla marina modifiée. a. Résidu de diatomine et masse hyaline granuleuse avec deux globes réfringents contenus l'un et l’autre à l’intérieur du test. b. Idem. Masse hyaline non granuleuse et-un seul globe réfringent. ce. Idem, vu de profil. Valves entr'ouvertes. Le résidu de diatomine est moins foncé, ver- dâtre. d. Idem. Le résidu de diatomine est latéral; la masse hyaline est en partie rétractée au- dessous de sa mince enveloppe externe. F1G. 9. — Amphidinium operculatum. a. Individu de grande taille. b. Autre individu. A la partie antérieure on distingue le noyau granuleux qui semble déjà divisé, annonçant une scissiparie prochaine. e. Individu discoïde. d. Idem. Diatomine disposée en masses rayonnantes, ombilic. e. Autre individu de très petite taille. f. A. operculatum en scissiparité. g. Individu muni de ses deux flagella. Décoloration du cytoplasme, au milieu duquel on voit le résidu de diatomine en grosses granulations foncées. F1G. 10. — Protoperidinium viride Pouchet. Corps complètement vert. Au centre, tache de pig- ment rouge. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS PLANCHE III 1 Iniens marins. Périd G Pouchat af rual del 18 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET que nous avons observé en grand nombre vers la seconde moitié de septembre (1884). Il se distingue par l'existence de quatre pointes sou- vent inégales, très minces, surmontant le pôle oral. Cette disposition rappelle un peu ÂÆeterocapsa quadridentata de Stein, qu'il figure (pl. VI, fig. 3) d'après un exemplaire des îles Fidji et dont il caractérise le genre par une tabulation limitée à la région aborale. Nous n'avons pas pu constater, pour notre part, nettement l'existence de cette tabulation sur l'espèce qui nous occupe. Mais elle se fait surtout remarquer par sa coloration qui est franchement verte. Ce caractère, bien qu'il soit secon- daire, comme nous l'avons montré ailleurs (I, p. 16), paraît intéressant par sa constance. Au milieu de la chlorophylle, on distingue une tache rouge peu foncée. Tantèt nous avons trouvé P. viride libre, tantôt fixé par son extré- mité aborale. Nous avons pu vérilier que les mues étaient fréquentes (1). Genre Peridinium. Saville Kent, après Claparède et Lachmann, signale (V, t. I, p. 448) ce fait que certains Péridiniens, abandonnant leur test, vivent pendant quelque temps sous la forme nue; et l’auteur anglais fait justement remarquer l'incertitude que cette particularité jette sur la classification, puisque le même individu revêt tour à tour des apparences propres à le faire classer soit dans le genre Peridinium, soit dans le genre Gym- nodinium. D'après nos observations, tantôt la mue des Peridinium fournit un seul individu de dimension moindre que l'individu primitif; d’autres fois la mue se complique de scissiparité. Le eytoplasme, se contractant au-dessous du test, se divise et donne naissance à deux individus fort différents momentanément de celui dont ils dérivent, mais qui repren- nent bientôt sa forme avec des dimensions moindres. Ceci s’est pré- senté à nous avec Peridinium divergens var. typus placé en élevage. Au bout de vingt-quatre heures on peut retrouver le test abandonné et deux Peridinium de même forme, actifs, déjà munis de leur test, mais moitié plus petits et moins colorés. Ces observations ont été faites à l'automne. — Peridinium tabulatum d’eau douce nous a présenté les mêmes particularités. Nous avons vu, à l’intérieur d’un test convenable- ment immobilisé et mesurant 64m, se produire deux individus. Ils muent sur place, laissant à l’intérieur du test primitif deux tests plus petits, longs de 40 y et dont la tabulation n’est pas distincte. Après cette seconde mue les deux individus ont encore diminué de volume, car ils ne mesurent que 35 &. Tout ce processus a demandé une dizaine (1) Peut-être ce Péridinien grandit-il en changeant un peu de forme, pendant que les quatre épines dorsales se réduisent à deux et qu'il perd sa coloration verte pour emprunter de plus en plus sa couleur au pigment rouge qu'il contient. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 19 de jours (26 oct.-4 nov.). Au bord de la mer, pendant la belle saison, sans doute en raison de conditions moins favorables créées par la grande chaleur et bien que nous ayons essayé de protéger nos élevages par divers procédés, nous avons presque toujours vu la mue des Peridi- nium s’accomplir incomplètement et s'accompagner de phénomènes que nous avons décrits plus haut (page 34). Nous avons cependant pu observer P. divergens var. reniforme. Du moins la forme que nous avions devant les yeux, se rapportait à la variété décrite par nous sous ce nom (I, p. 38). La figure 11 reproduit exactement la tabulation du test vu du côté du sillon longitudinal, c'est- à-dire par la face ventrale. Cette tabulation ne répond pas à celle d'une variété figurée par Stein sous la même dénomination spécifique, P. divergens, mais beaucoup plus allongée (IX, pl. X, fig. 7), péchée à Kiel. La variété qui nous occupe rappelle au contraire la figure 45 de Bergh. A la fin de juin 1884, nous placons ce Peridinium en élevage et nous le voyons abandonner son test sous la forme d'un Gymnodinium d'aspect très différent, et bientôt doué d’une grande activité. Un sillon transversal très accusé le divise en deux parties à peu près égales. Les deux extrémités sont arrondies et la configuration générale est celle d'un cylindre, terminé d’un côté (pôle aboral) par une surface sphérique, et de l’autre (extrémité orale) par deux éminences arrondies. Le sillon longitudinal est peu marqué. Avant la mue le cytoplasme du Peridi- nium était rosé, présentant des gouttes carminées éparses. Après la mue le pigment rouge est refoulé en grains irréguliers vers les deux extrémités. Telle est l’évolution normale, mais le plus souvent la mue ne se fait point dans des circonstances aussi favorables et on voit apparaître la sécrétion muqueuse dont nous avons parlé et qui est toujours le signe d’un état plus ou moins pathologique. Le test et le Gymnodinium qui va en sortir restent attachés au fond par cette substance muqueuse; et comme le Gymnodinium continue de la sécréter en arrière de lui-même, il se trouve bientôt comme porté à l'extrémité d'une colonnette transpa- rente, ayant à peu près son diamètre et quatre ou cinq fois sa longueur. 11 demeure à l'extrémité de cette colonnette, suspendu dans le liquide, un peu déformé et complètement arrêté dans son évolution. On peut l’'observer ainsi plusieurs jours, et il est probable que la mort survient constamment dans ce cas, mais au bout d’un certain temps. DiPLOPSALIS LENTICULA Bergh. (Voy. fig. 12.) Un autre Péridinien, chez lequel ces mues contrariées par des cir- constances défavorables nous ont offert, avec une sorte d’exagération, les phénomènes que nous venons de décrire, parait devoir être rapproché 80 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET de Diplopsalis lenticula Bergh. Cet auteur indique comme caractéris- tique du genre, outre la forme du test, sa structure tabulée. Stein de son côté figure Piplopsalis lenticula Bergh, indifféremment avec le test lisse (pl. VIIT, fig, 12) ou tabulé (pl. VIII, fig. 13 et 14 et pl: IX, fig. À à 4). Le sillon longitudinal, qui est droit, distingue d’ailleurs nettement D. lenticula de Glenodinium lenticula que nous avons décrit ailleurs (I, p. 41). Tantôt les individus qui ont mué sous nos yeux étaient tabulés (la tabulation étant alors exactement celle que figure Stein, pl. VIIL, fig. 14), tantôt ne l’étaient pas. Les tests tabulés offraient en même temps des ponctuations. Mais nous devons signaler une lame dis- posée en demi-cylindre bordant le sillon longitudinal et qui semble en même temps se prolonger à l'intérieur du test et y faire saillie. Stein ne figure pas ou du moins n'indique que très faiblement cette lame qui se présente en forme de crochet quand on observe l’être dans le prolonge- ment de son axe. C'est vers la seconde moitié de juin (1) que nous observons les mues de D. lenticula se produisant dans des conditions certainement défavo- rables. Cette mue s’accompagnait ordinairement de scissiparie. Au mo- ment où les deux corps sphériques résultant de la division du ceyto- plasme et correspondant à deux êtres nouveaux, abandonnent le test, ils contractent adhérence au moyen d’un mucus avec le fond, et, continuant de le sécréter, se trouvent au bout de quelque temps portés — comme nous l’avons vu pour l'espèce précédente — à l'extrémité d’une colonne parfaitement hyaline, régulièrement cylindrique, et d’un diamètre beau- coup plus petit qu'eux-mêmes. En outre les deux sphères, de coloration brune, paraissaient munies d’une enveloppe assez résistante, qui est aussi, probablement, un produit extrinsèque. Déjà au bout de quelques heures on peut voir le test vide, collé au fond sur lequel reposait l’étre; le mucus qui le retient s’étale sur ce fond où il dessine deux sortes de rosettes du centre de chacune desquelles s’élève la colonne cylindrique plus ou moins incurvée qui porte à son extrémité la sphère résultant de la scissiparie. Tel est l'état au bout de douze heures environ. Si on prolonge l’obser-, vation on voit la colonne muqueuse s’allonger. Mais le travail d’excré- tion qui lui donne naissance ne se fait pas d’une manière uniforme. Il y a des temps d'arrêt marqués par des renflements en bracelet qui sont à peu près tous à égale distance les uns des autres. À chacun de ces arrêts correspond ordinairement un changement de direction dans le sens où s'incurve la colonne muqueuse. La longueur des deux colonnes et le nombre de leurs bourrelets sont d’ailleurs exactement les mêmes. (1) En 1883, nous avons trouvé au commencement de septembre D. lenticula long de 40 à 50 w très faiblement rosé, avec une grande lacune et quelques gra- nulations dans le cytoplasme. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS S1 L'apparence que nous décrivons ici s'est présentée à nous sur un cer- tain nombre d'individus en observation et avec une grande uniformité, pendant plusieurs jours de suite. Malgré cela il faut n’y voir certaine- ment qu'un accident dù aux conditions défavorables où se faisait la mue. Au reste, comme dans Peridinium divergens var. reniforme, nous avons toujours vu l'évolution de Diplopsalis lenticula suspendue après la sécré- tion de ces colonnes muqueuses. On doit donc admettre que de bonne heure le processus évolutif a été gèné et que la formation de ces colonnes n'est qu'un signe, un effet du trouble survenu. GLENODINIUM OBLIQUUM Pouchet. G. obliquum s’est présenté à nous avec la même abondance que les années précédentes; seulement, tandis qu'en 1882, presque tous les individus offraient une belle tache rouge, il n'en a plus été de mème en 1883 et en 1884. Toutefois, surtout à la fin de la saison, nous avons retrouvé à diverses reprises la tache oculaire. G. obliquum jouit de la propriété de se fixer aux corps étrangers par un mode d'adhérence assez difficile à expliquer. Elle se fait par la sur- face convexe du test, sans doute au moyen de quelque substance mu- queuse; le test ainsi fixé ne se détache plus, les flagella disparaissent et la décomposition survient, ou bien une mue. G. obliquum présente en effet des mues très fréquentes, au moins autant qu'£xuviælla marina. Quand on élève en masse (7. obliquum, le fond du vase, où se fait cet éle- vage est bientôt jonché de coques vides. La mue n'est pas toujours accompagnée de scissiparie. Mais elle coïncide toujours avec une dimi- nution de volume, en sorte que bientôt on ne trouve plus que des indi- vidus présentant la moitié, et même moins, du diamètre de ceux qu'on avait mis en élevage. Ils sont aussi devenus plus foncés et d'un brun opaque sous le microscope, comme cela arrive pour d’autres espèces dans les mêmes conditions, pour Peridinium labulatum par exemple. Par suite du processus que nous décrivons, on obtient des G. obli- quum qui ne mesurent pas plus de 20 uv. Le sillon continue d’être bien marqué, mais ses bords sont moins nets; l'être a l'aspect de deux Sphères comprimées légèrement et obliquement l’une contre l’autre. Genre Gymnodinium. Tandis que certains Péridiniens munis d'un test donnent par la déhiscence de celui-ci un kyste contenant soit un seul individu (Proto- Peridinium pyrophorum), soit deux individus (Pyrophacus horologium), il en est d’autres chez lesquels, comme on l'a vu, l'être venant de muer est un véritable Gymnodinium. Il est clair, par suite, que toute cette 6 82 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET nomenclature des Péridiniens sera un jour réformée et ne doit être con- servée qu à titre essentiellement provisoire, comme nous l’avons déjà dit. GYMNODINIUM PULVISCULUS Pouchet. (Voy. fig. 14 à 26.) Si les Gymnodinium de grande taille peuvent être à la rigueur facile- ment classés d'après leurs caractères, il n’en est plus de même pour une infinité de petites formes, véritable poussière d’êtres auxquels Ehren- berg avait appliqué déjà avec juste raison la désignation spécifique de pulvisculus. Bergh a établi son genre Glenodinium avec Peridinium fuscum et P. pulvisculus Ehrenberg. Stein (pl. IT, fig. 8-18) paraît avoir suivi Bergh. Mais, comme les êtres dont nous parlons sont certainement dépourvus de test, il convient de les faire rentrer dans le genre Gymno- dinium, du moins provisoirement. Il se trouve en effet que les Péridi- niens les plus petits sont cependant ceux dont nous connaissons aujour- d'hui le mieux l’évolution, bien qu'un hiatus important reste à combler dans l’histoire de celle-ci. Sur des êtres d'aussi faible taille, les distinctions spécifiques sont à peu près impossibles. Il suffit d’avoir reconnu chez eux une forme nettement péridinienne. Bien certainement, tous ceux qui se sont pré- sentés à nous, avec des caractères presque identiques de forme et de dimension, n'appartenaient pas à la même espèce; il est probable, au contraire, que les espèces en sont fort nombreuses. Certains semblent ne pouvoir se développer ou subsister que dans les eaux vives. D’autres s’accommodent, au moins un certain temps, d'eaux offrant un degré notable d'impureté. Le 19 juin (1884), de l’eau de mer où abonde Glen. obliquum est aban- donnée dans un récipient. Le 23, une pellicule zoogléique s’est formée à la surface. Glenodinium obliquum a complètement disparu. On trouve, au contraire, en abondance au milieu des infusoires ciliés habituels, un petit Gymnodinium mesurant au plus 12 à 15 & de long, mais très recon- naissable, offrant dans son cytoplasme clair, transparent, de petites vésicules inégales à contour foncé masquant le noyau. D’autres sont encore plus petits. Il demeurera donc entendu que nous appliquons ce nom Gymnodi- nium pulvisculus à tous les Péridiniens qui nous ont offert la petite dimension et la forme générale que nous venons de décrire. En réalité, tous ces petits Péridiniens rudimentaires — en quelque sorte — se ressemblent beaucoup. Ils ne présentent jamais, réduite à une petite échelle, la complication organique qu'offrent beaucoup de grandes espèces. On y voit seulement parfois un globule hyalin, ou un petit globe jaune, probablement un résidu de diatomine. Et cependant le RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 83 groupe spécifique, en réalité si mal défini, dont nous parlons prend actuellement une importance particulière dans l’histoire des Péridi- niens, car c’est lui qui nous fournit le cyele génésique le plus complet qu'on connaisse jusqu'à ce jour. Et celui-ci, par ses conditions impré- vues, est un nouvel exemple des difficultés considérables qui ont retardé et retarderont encore sans doute nos connaissances en ce qui touche les Péridiniens. L'espèce qui nous occupe offre cette particula- rité que, sous une des formes par lesquelles elle passe, elle est fixée non à des corps inertes, mais sur des animaux relativement supérieurs, en véritable parasite. Vers le milieu de septembre 1883, les Appendiculaires étaient très nombreux, et mon attention fut attirée par des corps bruns pédiculés, qu'un très grand nombre portaient fortement attachés sur leur queue, et que les mouvements incessants de celle-ci ne parvenaient pas à détacher. Les mêmes conditions se sont présentées au milieu de mai 1884, puis ensuite se sont retrouvées à la fin de la saison. On peut probablement, à tout moment de l’année, trouver quelques Appendi- culaires portant le parasite en question; mais, aux époques dont nous parlons, ils étaient particulièrement abondants. Ce parasite semble avoir échappé aux observateurs. M. Fol, dans son mémoire sur les Appendiculaires (II), ne le signale pas, non plus qu'aucun des auteurs qu'il cite comme s'étant occupés avant lui de ces animaux (1). Depuis la publication de ce mémoire, Ray Lankester (XIV), Heller (XV), Fol (III) lui-même, Ussow (XVI), Langerhans (XVII), Hartmann (XVIII), Reichert (XIX) n’en parlent pas non plus. Au reste, ce parasite n’est pas spécial aux Appendiculaires, et nous en voyons un dans nos préparations fixé à un Siphonophore. Sur les Appendiculaires, il est toujours attaché à la queue, sans doute en raison des mues du reste du corps. Il est fréquent d’en trouver plusieurs sur le même Appendiculaire, et nous représentons un de ces animaux dont la queue portait quatre de ces parasites jeunes et récem- ment fixés. Il est facile de se rendre compte, en effet, quand on observe un grand nombre d’Appendiculaires et que les parasites sont abon- dants, qu'ils ne se présentent jamais au-dessous de certaines dimen- sions. Il est aussi de toute évidence qu'ils s’accroissent sur place. Ils peuvent acquérir des dimensions considérables, au point que l'Appen- diculaire paraît chargé d’un poids qui devient égal au sien. La forme la plus simple, la plus jeune sous laquelle ils se présentent est celle d’un corps conique ou plutôt piriforme, mesurant environ 20 y de long et 10 de large. Il est inséré par sa pointe sur le tégument (couche épithéliale) de la queue de l’Appendiculaire. Il est légèrement (1) Voyez la bibliographie à la fin du mémoire de Fol. Nous n'avons pu tou- tefois contrôler : Huxley, Phil. Trans., 1851, 1. 84 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET bilobé à son extrémité renflée et libre, rappelant un peu par là la dispo- sition du pôle oral des Péridiniens. Dès le début, l'adhérence est pro- bablement très forte. Un léger étranglement existe au point où le pédicule se continue avec le corps cellulaire. Celui-ci renferme un noyau sphérique. L'un et l’autre sont hyalins. Plus tard, le corps cellulaire prend une coloration jaune-brun très claire, qui laisse voir le noyau. Celui-ci est toujours à peu près sphérique, mais il va devenir bientôt nettement ovoïde. Quand la longueur totale est de 30 x environ, le noyau mesure environ 10 y. Le corps est légèrement aplati. Le cyto- plasme, finement granuleux, ne masque pas complètement le centre clair occupé par le noyau. L’être atteint son développement total sans que son élat unicellulaire se modifie. Quand le parasite a 40 à 45 n de long, le pédicule est resté hyalin, le corps est devenu de plus en plus granuleux, brun, opaque. Une mince cuticule enveloppe à la fois le corps et le pédicule, s’insérant au pour- tour de la partie adhérente de celui-ci. La figure 19 donne un degré de développement encore plus avancé. Le cytoplasme est devenu foncé et contient de grosses granulations brunes encore plus sombres (1). Le pédicule s'étale en forme de disque sur le tégument de l’Appendiculaire où il est fixé; il semble muni d’une enveloppe propre dont on saisit difficilement les rapports avec la cuti- cule du corps cellulaire lui-même. Cette enveloppe paraît quelquefois comme plissée. Le pédicule est devenu fibreux et semble se prolonger à l’intérieur du cytoplasme replié en bourrelet autour de lui. Les figures 19 et 20 montrent ces diverses apparences. Le corps grandit ainsi, devenant de plus en plus brun, mais laissant toujours deviner au centre la présence d’un gros noyau clair, ovoïde. Quelquefois, on peut distinguer également des gouttelettes plus ou moins volumineuses dans la région qui avoisine le pédicule. Celui-ci continue d’adhérer intimement à la queue de l’Appendiculaire dont la surface, à ce niveau, est un peu déprimée. Elle présente souvent en ce point un système de plis très réguliers ; d’autres fois, on pourrait croire, en observant l'insertion du pédicule obliquement ou de profil, à l’exis- tence de digitations, de prolongements de celui-ci comparables à des racines ou à des griffes. Mais ce n'est qu'une apparence düe aux chan- gements survenus dans l’épithélium de l’Appendiculaire. Le noyau peut de même offrir parfois des modifications qu'il faut sans doute interpréter comme des altérations. Il peut être rempli de vési- cules, etc. Nous ne nous arrêterons pas à ces particularités, notre but n'étant pas, comme nous l'avons dit, de tracer des monographies com- (1) On peut trouver sur des individus certainement altérés le cytoplasme jaune clair, n'occupant pas toute l'enveloppe et présentant à l'intérieur des gouttes hyalines. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 89 plètes, mais surtout de rechercher le mode d'évolution des Péridiniens. Dans l’état actuel de nos connaissances, c’est là le point important. Enfin, le parasite atteint les dimensions considérables de 170 à 180 pr. Alors il se détache et devient libre, il flotte dans la mer. On le trouve dans le filet fin parfois en très grande abondance, conservant sa figure piriforme. La cuticule l'enveloppe exactement par sa grosse extrémité ; du côté de la petite, au contraire, elle se prolonge en cône effilé et fermé. La figure 22 montre l'apparence dont nous parlons, d’après une préparation par l'acide osmique. L’acide a coloré en noir intense une partie du cytoplasme, tandis qu'une autre portion est restée brun-clair, avec de grosses granulations. L'être devenu libre va subir une évolution dont nous allons bientôt parler, mais qui est commune au parasite manifestement détaché de l’Appendiculaire et à d’autres corps qui ne sont sans doute qu'une variété du précédent, qu'on trouve en même temps dans la mer et qui vont passer exactement par les mêmes phases, ce qui permet d'iden- tifier les uns et les autres. Ces corps, que nous allons décrire, nous ont paru toutefois devenir beaucoup plus rares à la fin de la saison. Vers le mois de septembre(188%), on n'en trouvait presque plus. Ils sont régulièrement ovoïdes au lieu de présenter la figure piriforme et aplatie qu'ont les autres. Ils ont à peu près les mêmes dimensions, sont recouverts d’une cuticule, et pré- sentent dans leur centre un gros noyau ovoïde, clair (1); mais leur cytoplasme, quoique brun, est toujours moins foncé que celui des corps parasites. Un examen superficiel pourrait laisser croire qu’on a sous les yeux un œuf ayant subi un commencement de développement, avec une cavité germinative au centre. Cette apparence est due à un réseau très régulier de granulations répandues dans le cytoplasme, de manière à rappeler les contours des cellules d’un blastoderme. Ces corps ovoïdes qui, avons-nous dit, ont la même évolution que les corps fixés aux Appendiculaires, ont probablement la même origine; ce sont sans doute des parasites accidentellement détachés de bonne heure de l'animal quelconque sur lequel ils étaient fixés. En tout cas l’évolution des uns et des autres ne présente aucune diffé- rence. On peut la définir d’un mot: c’est une segmentation indépendante, tout à fait comparable à celle d’un vitellus, avec cette différence que les produits du partage successif ne restent point unis pour former des tissus, et, tout en prenant une taille de plus en plus petite, gardent leur complète indépendance. L’être initial sur lequel commence le processus mesure 170 à 180 u de diamètre longitudinal. Les êtres derniers auxquels (1) Nous trouvons, sur notre journal d'observations (8 octobre 1883), la mention d'un de ces corps mesurant seulement 70 4 sur 55 y, pâle, et dont la cuticule s'écartait du cytoplasme aux deux extrémités du grand axe, sans toutefois senter aucun prolongement qui rappelät un pédicule. 86 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET EXPLICATION DE LA PLANCHE IV F1G. 11. — Peridinium divergens, var. reniforme. a. Individu avec son test. Coloration rose avec gouttelettes carminées. b. Le même, immédiatement après la mue, actif. Pigment granuleux rouge. F1G. 12. — Diplopsalis lenticula, à test tabulé. On voit la lame bordant le sillon longitudinal faire saillie tout à la fois à l'extérieur et intérieurement. FiG. 13. — Diplopsalis lenticula, à test non tabulé, ayant mué dans des conditions défavorables. Le test vide est vu suivant l’axe. La lame saiïllante se présente en forme de crochet tant au dehors qu’à l'intérieur du test. Au voisinage du crochet le mucus a formé deux petites rosaces; du milieu de chacune d'elles s'élève une colonnette hyaline nettement cylindrique. On n’a repré- senté qu'une de ces colonnettes et la base de l’autre; elles sont d’ailleurs tout à fait semblables. La colonnette porte à son extrémité une des deux sphères résultant de la scissiparie du cyto- plasme. Elle présente, de distance en distance, des sortes de bracelets saillants marquant des temps d'arrêt dans sa formation. Le globe porté à l'extrémité de la colonnette est granuleux., d’un rouge vineux, et enveloppé d'une membrane (muqueuse ?) formée de plusieurs couches. F1G. 14. — Gymnodinium pulvisculus Pouchet. Cytoplasme légèrement granuleux. Le flagellum axial, très long, est dévié latéralement. F1G. 15. — Cette figure n’est pas au grossissement des autres. Elle représente un Appendiculaire portant fixés sur sa queue quatre parasites très jeunes. F1G. 16. — Le même parasite d'Appendiculaire, Gymnodinium pulvisculus, très jeune. F1G. 17. — Idem, un peu plus âgé. F1G. 18. — dem, plus âgé. On distingue le pédicule, et, de plus, une cuticule enveloppant à la fois le corps et le pédicule. F1G. 19. — Zdem. le corps a bruni, le pédicule est devenu fibreux et semble pénétrer dans une excavation du corps cellulaire, en forme de cul de bouteille. F1G. 20. — Jdem, ayant encore grandi. Structure fibreuse du pédicule très visible. Celui-ci est au centre d'une enveloppe cuticulaire plissée transversalement. F1G. 21. — Corps ovoïde flottant librement dans la mer, enveloppé d’une mince cuticule, avec un grand noyau central. Les granulations dessinent dans le cytoplasme un réticulum rappelant l'aspect d'un épithélium. FiG. 22. — Petite extrémité d’un corps parasite détaché et flottant, traitée par l’acide ogmique. Sous l'influence du réactif, le cytoplasme a noirci en présentant deux teintes nettement tran- chées. La cuticule qui l'enveloppe s’effile en pointe et paraît fermée. FiG. 93. — Corps parasite détaché venant de subir une première segmentation (stade 2) en long. Les deux masses résultant de la segmentation sont contenues dans une mince cuticule. F1G. 24. — Une des deux masses précédentes ayant subi une nouvelle segmentation (stade 4). Les sphères qui en résultent se préparent à se segmenter à leur tour (stade 8), comme le montre le dédoublement des noyaux. F1G. 25. — Progrès de la segmentation. a. Petite sphère déjà décolorée, se préparant à se segmenter de nouveau, et abandonnant une très légère cuticule. b. Sphères plus petites, un peu gênées probablement dans leur développement, se préparant à se diviser à leur tour. L'une d'elles paraît avoir sécrété successivement deux cuticules ; sa segmentation est aussi moins avancée. ce. Petites sphères de segmentation normale. F1G. 26. — Corps mamelonné résultant de segmentations anormales des sphères. F1G. 27. — Gymnodinium pulvisculus résultant de la métamorphose des dernières sphères de segmentation. a. Deux de ces Gymnodinium pulvisculus demeurés unis (probablement par monstruosité). Les deux corps sont orientés inversement, avec les deux flagella longitudinaux dans deux directions différentes. 87 2 RECHERCHES SUR LES PERIDINIENS PLANCHE IV *SULIBUL SUOTUTPI 194 PU PP 774707 9 88 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET aboutit la segmentation libre mesurent 13 à 14 w environ. On jugera par là du nombre d'individus que fournit le corps originel. Ce genre de multiplication diffère, comme on le voit, de celui que décrit M. Hæckel (1) chez les Catallactes (Wagosphæra planula), où la segmentation a lieu sous une enveloppe kystique d’une part, et d'autre part donne des indi- vidus qui vivent réunis un certain temps, avant la dispersion finale. La segmentation commence par un sillon ordinairement longitudinal qui divise le corps piriforme en deux moitiés, comme deux moitiés de poire. C’est le stade deux. On remarquera cette disposition du premier plan de segmentation, passant par le grand axe du noyau ovoïde primitif. On peut voir également cette première segmentation se faire transver- salement, mais cela est plus rare. Les deux moitiés conservent d'abord la figure piriforme du corps cellulaire ; elles sont encore réunies dans une mince enveloppe commune. Elles s’en dégagent bientôt. Chaque moitié du corps primitif prend à partir de ce moment la forme sphérique et dès lors la segmentation marche régulièrement, produisant des sphères de plus en plus petites. En même temps les granulations brunes dispa- raissent (comme la diatomine chez d’autres Péridiniens en scissiparie), le cytoplasme pâlit de plus en plus, si bien que les sphères ultimes et les Péridiniens, qui en naissent par simple métamorphose sont à peine légèrement teintés de bistre jaunâtre. Cette segmentation s'accompagne de mues, probablement à chaque stade. On peut voir dans ces mues la raison d’être de l’indépendance des produits de la segmentation. Les sphères formées rejettent incessamment des cuticules extrêmement fines qui se dissolvent avec une grande rapi- dité dans l’eau de mer. Quand la segmentation est entravée par quelque circonstance, telle qu'une eau non suffisamment pure, la même sphère peut rejeter succes- sivement trois ou quatre de ces cuticules, qui restent alors emboîtées les unes dans les autres. Il nous a paru qu'alors les sphères de segmen- tation s’enveloppaient aussi d'un mucus extrêmement ténu, dont les limites ne sont perceptibles dans l’eau que par les impuretés arrêtées contre cette sorte de barrière. Dans d’autres cas qui tiennent sans doute aussi à des circonstances défavorables, la segmentation fait place à une espèce de bourgeonnement irrégulier, dont nous figurons deux exemples. Enfin les sphères diminuant toujours ne mesurent plus que 11 & ou moins. On les voit alors s'agiter, et on s'assure facilement que le produit ultime de tout ce processus est une multitude de petits Gymnodinium pulvisculus qui se répandent bientôt dans tout le liquide. Il arrive parfois que deux de ces individus demeurent unis : on voit alors le couple avec ses deux flagella axiaux tournoyer sur lui-même. (1) Hæckel. Die Catallacten, Jen. Zeilsch., 1871. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 89 Les mouvements des petits Gymnodinium sont d’abord incertains ; puis, après quelque temps, parfois tout d'un coup, ils partent avec l'allure et la rapidité ordinaires des Péridiniens. Leur corps est hyalin, légèrement bistré; l'extrémité aborale est brillante, arrondie. Le noyau empiète sur les deux moitiés du corps séparées par le sillon transversal. Il est ovoïde. Le cytoplasme fixé par l'acide osmique devient finement granuleux. Toute cette segmentation demande environ vingt-quatre heures, comme nous avons pu nous en assurer par des élevages répétés. Ceux-ci exigent de grands soins. Même avec les plus minutieuses précautions il arrive souvent que la majorité des sphères périt avant le terme de l’évolution, surtout au moment de subir la dernière segmentation et la transformation finale en Gymnodinium pulvisculus. Nous avons insisté déjà sur l'extrême .labilité de la plupart des Gymnodinium, mème les plus grands. Nous n'avons pu davantage conserver Gymnodinium pulvisculus en observation. Le second ou le troisième jour, même des élevages les plus heureux, tous disparais- saient et se dissolvaient. Comme les cuticules rejetées dans les mues font de même, il en résulte qu'on ne retrouve plus rien au bout de trois jours, dans une eau où on avait placé en abondance ces parasites volu- mineux des Appendiculaires. Il est certain, et nous croyons inutile d'insister sur ce point, que ces petits Gymnodinium ne vont pas se fixer de nouveau sur des animaux supérieurs pour fermer le cycle dont nous venons de décrire une partie. Nous ignorons complètement par quelle transformation ces Gymnodinium se rattachent aux parasites d’où ils proviennent. Ici s'arrêtent donc nos connaissances positives et il est même assez difficile de faire à ce sujet quelque supposition plausible. GYMNODINIUM CRASSUM Pouchet. (Voy. fig. 28.) Nous désignons sous ce nom un Péridinien que nous n’avons ren- contré qu’une seule fois (3 octobre 1884), mais des plus remarquables par son aspect, la lenteur de ses mouvements et sa taille considérable. Les caractères génériques sont très nets : absence totale de tout revête- ment cuticulaire. 11 se rapproche un peu de G. spirale. Enfin il présente une apparence « animale » plus accusée peut-être que chez aucun autre Péridinien, même Polykrikos auricularia. Il est d’ailleurs nette- ment unicellulaire. L'individu que nous observions mesurait 120 y sur 60. La région orale est un peu plus large que la région aborale et un peu plus foncée. Sa coloration est brune, rappelant celle des corps ovoïdes libres qui produi- sent G. pulvisculus. Les éminences antérieures sont peu marquées, le sillon longitudinal légèrement onduleux, le sillon transversal étroit, 90. RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET peu profond, disposé en spire. Le flagellum axial est court et paraît réduit à une tige rigide dont l'extrémité seule est animée de quelques vibrations. Aussi les mouvements sont-ils très lents. Le corps semble recouvert d’une couche myophane tout à fait compa- rable à celle des Infusoires. Les stries très fines, que ce tégument laisse voir répondent sur sa face profonde à autant de sillons parallèles où pénètre le cytoplasme plus foncé. C’est du moins ce que montrent très bien les coupes optiques perpendiculaires à l'axe du corps. On aurait donc ici un «exoplasme » sous forme d'une couche hyaline, portant intérieurement de fines crêtes saillantes. La partie antérieure de G. crassum est plus foncée, paraît granuleuse. Elle est à peu près opaque. Les granulations sont moins abondantes dans la partie aborale. On y distingue, au-dessous du tégument, des vésicules pressées les unes contre les autres et dessinant par leurs contours mutuellement comprimés un réseau hexagonal fort élégant. La région centrale, plus claire, paraît loger le noyau dont il est impossible de distinguer les caractères. Conservé en élevage pendant deux jours, ce Gymnodinium s'est gonflé, puis altéré. GYMNODINIUM TEREDO Pouchet. (Voy. fig. 29.) Nous appelons ainsi ce Gymnodinium en raison de la forme que pré- sente son extrémité aborale. Rencontré le 8 octobre (1884). Il mesure 80 & de long sur 25 de large. Sa couleur est jaune pâle avec des granu- lations et des gouttes nacrées. Le noyau était peut-être double, ou tout au moins extrêmement allongé, offrant des filaments nucléaires très nets. L'intérêt de cette forme est dans la position du sillon tranversal reporté tout à l'extrémité postérieure. Par suite le segment aboral est réduit à une petite pointe comparable à celle qui termine les tarières et les vrilles GYMNODINIUM SPIRALE Bergh. oO (Voy. fig. 30 et 31.) On peut rapporter à la forme décrite pour la première fois par Bergh sous ce nom celle que nous avions désignée (I, p. 46) sous le nom de G. spirale var. striatum. Vers le milieu de juin (1884) les pêches au filet fin nous la donnent en assez grande abondance. Ses dimensions toute- fois sont un peu supérieures à celles que nous avions indiquées. Les individus mesurent 100 & de long. Le cytoplasme est jaune ou plutôt légèrement verdâtre, hyalin, avec gros noyau caractéristique assez visible et de nombreuses vacuoles irrégulières. Toutefois la forme varie, RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 91 —— + beaucoup de ces êtres étant plus ramassés sur eux-mêmes que ne Île figure Bergh ; mais tous offrent les mêmes stries et doivent être indubita- blement rapportés à la même espèce. Quoique nous signalions plus haut un Gymnodinium voisin enkysté (voy. p. 46), nous n'avons jamais vu G. spirale nettement caractérisé dans cet état. Au contraire nous avons pu observer longuement et tout à l'aise deux individus unis en chaîne, exactement comme les Ceratium, qu'on ne voit jamais non plus dans des kystes. L’adhérence avait lieu par l'extrémité antérieure ou gauche du sillon transversal (voy. I, p. 21, fig. À, B,C). Ces deux individus avaient exactement la même dimension, la même forme que les individus libres. Ils étaient seulement un peu incurvés tout à la fois et tordus sur eux-mêmes, de sorte que les faces ven- trales n'étaient pas exactement orientées de même. Nous avons indiqué même disposition exceptionnelle chez Ceratium furca. Ce défaut de parallélisme dans les plans des êtres conjugués peut donc être absolu (quand il porte sur des espèces à test rigide), tandis que dans le cas qui nous occupe, dans une espèce à corps mou, comme un Gymnodi- nium, le même effet pourrait être produit à la rigueur par une simple torsion d’un des deux individus, L’extrémité antérieure de ceux-ci était resserrée et laissait mal distinguer la double éminence. Le couple paraissait n'avoir qu'un seul flagellum et par suite se déplaçait assez peu, tout en girant autour d'un axe placé en dehors de lui-même. On a voulu fixer le couple par l’acide osmique, sans y réussir : les deux êtres ont éclaté comme font communément les Gymnodinium. Faut- 1l conclure de cette observation que G. spirale, ainsi que cela paraît probable, se développe en chaîne, peut-être à l’intérieur de quelque kyste en forme de croissant et d'après le mode que nous avons exposé plus haut? Cette analogie en tout cas avec les Ceratium est digne de remarque. Dans la profonde ignorance où nous sommes, et en face de la grande variété d'évolution des Péridiniens, toutes les hypothèses sont légitimes quand quelque fait semble les appuyer si peu que ce soit. En même temps que nous observions ces Gymnodinium spirale en chaîne, on trouvait dans la mer une autre espèce, ou tout au moins une autre forme à sillon transversal très oblique comme G. spirale ; mais avec les deux gibbosités du pôle oral dessinant des prolongements complètement hyalins, acuminés, ayant par suite l'apparence de deux petites cornes (fig. 31). On ne pêchait à cette époque (15 juin) aucun Ceratium. On peut se demander dès lors si les Ceratium ne seraient pas un stade ultérieur de développement des Gymnodinium, qui pren- draient d'abord ces deux petites cornes, puis un test, pour achever ensuite leur transformation. Elle s’accomplirait soit sur les individus devenus libres, soit sur les individus encore réunis en chaîne. Tout au moins est-il permis d'insister sur l'identité d'évolution de ces deux genres Ceratium et Gymnodinium (G. spirale). Ajoutons que la présence d'un 92 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET test comme caractère du premier, perd beaucoup de sa valeur puisque nous avons vu déjà nombre de Péridiniens se présenter alternativement avec un test, puis sans test, c'est-à-dire sous la forme Gymnodinium. Si celui dont nous parlons, avec ses deux pointes hyalines, devait réelle- ment former une espèce, on pourrait l'appeler G. cornutum ou tout au moins G. spirale var. cornutum. GYMNODINIUM GRACGILE Berg. (Voy. fig. 32 et 33.) Désireux d'éviter autant que possible les nouvelles dénominations spécifiques, nous avions rangé sous ce nom un Gymnodinium rencontré par nous dans l’anse de Camaret, plein de diatomine et dont la forme générale paraissait se rapprocher sensiblement de G. gracile figuré par Bergh (voy. I, p. 46, et fig.39). Mais la coloration de G. gracile est rose, et, tandis que nous n'avons plus revu le G. pêché précédemment dans l’anse de Camaret, nous avons eu à de nombreuses reprises l’occasion d'observer très certainement l'être visé par Bergh. C'est à G. gracile qu'il convient aussi sans doute de rapporter le Péridinien aux formes et au coloris élégants que nous avions décrit sous le nom de G. spirale var. nobilis, quoique le sillon soit beaucoup plus oblique qu'il ne l’est ordinairement chez G. gracile. G. gracile est un Péridinien de grande dimension, long de 90 à 100 y. Il est quelquefois fusiforme, allongé. D’autres fois la partie aborale conique, surbaissée, dépasse un peu en diamètre la région orale. Le sillon transversal, à partir de son extrémité gauche, descend rapidement en arrière, puis devient à peu près horizontal. Le sillon longitudinal est -rectiligne, très étroit. Il commence au pôle oral où il est un peu incliné à droite, et se termine presque aussitôt après avoir recu l'extrémité droite du sillon transverse. Le pôle oral est arrondi, non bilobé, l'ineli- naison du sillon longitudinal indiquant seule une légère asymétrie. La région aborale présente des stries rayonnantes à partir du sommet qui est légèrement arrondi. Elle rappellent G. spirale. Le flagellum est inséré vers le premier tiers du sillon longitudinal. La transparence rosée du cytoplasme laisse voir tous les détails du corps cellulaire. Le plus frappant est un amas ou cumulus central formé de granulations d'une belle couleur jaune-orangé. Les plus grosses sont au centre, les plus petites à la périphérie. Le noyau placé dans la moitié antérieure est légèrement ovoïde. La partie postérieure conique est occupée par des vacuoles incolores comme dans G. crassum. D'autres fois, au contraire, on trouve des vacuoles pareilles refoulées en avant (voy. I, p. 45, fig. 40). Signalons enfin, tout à fait en avant, deux masses un peu plus rosées que le reste du cytoplasme. On peut trouver égale- ment une gouttelette orangée, peut-être un résidu de diatomine. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 93 Nous n'avons aucune indication sur les états antérieurs de la forme qui nous occupe. Il semble difficile de la relier à l'espèce que nous avons rencontrée dans l’anse de Camaret (voy. I, p. 45 et fig. 39). D'autre part nous avons trouvé en même temps, dans nos pêches pélagiques, de petites sphères, occupées tout entières par un cumulus de granulations orangées tout à fait semblable à celui que nous venons de décrire. L'ana- logie est telle qu’elle semblerait indiquer une sorte de relation entre ces sphères et G. gracile, relation dont nous n'avons d'ailleurs aucune preuve positive (1). Signalons encore deux particularités que nous a offertes cette espèce. Nous avons rencontré un individu considérablement élargi, gonflé, jusqu'à mesurer 80 & de diamètre transversal, c'est-à-dire devenu presque sphérique. Le cytoplasme était rose comme à l'ordinaire, avec une gout- telette d’un beau jaune indien, comme on en trouve chez beaucoup d'individus (fig. 33). L'autre particularité est plus intéressante, mais nous aurons l'occasion d'y revenir et d'y insister à propos de l'espèce suivante, G. pseudonoc- tiluca. Il s’agit de la rétraction de la partie aborale, qui cesse de faire saillie. Le G. gracile, sur lequel nous avons observé cette particularité, avait conservé son flagellum axial qui était en mouvement. GYMNODINIUM PSEUDONOCTILUCA Pouchet. (Voy. fig. 34 à 37.) La forme que nous rangeons sous ce nom spécifique présente une importance particulière au point de vue des rapports des Péridiniens et des Noctiluques. Nous l’avons rencontrée dans les premiers jours de juin (1884) à une époque où la surface de la mer n'offrait à Concarneau aucune Noctiluque reconnaissable. Cette forme a d’autre part de frap- pantes analogies avec Gymnodinium gracile. Nous l'avons trouvée pendant un mois environ chaque jour dans les pêches pélagiques, puis on ne l’a plus revue le mois suivant qu'à de très rares intervalles jusqu’au 9 août. Nous décrirons successivement quatre états sous lesquels cette forme s'est montrée à nous, et qu'on peut regarder comme autant d'étapes d’une évolution peut-être anormale, mais en tout cas fort importante pour l’histoire générale des Péridiniens. Premier état. — Le premier état est celui d'un Péridinien de grande taille, mesurant 100 à 110 &, très comparable pour les dimensions, la disposition du sillon transversal, etc., à Gymnodinium gracile. L'obser- vation prouve toutefois qu'il est enveloppé d’une cuticule extrêmement _ (1) Si cette relation existait, on pourrait la comparer à celle qui relie les Noc- tiluques à des sphères de même volume à peu près, qu'on trouve à l'intérieur de en de Noctiluques et qui paraissent reproduire celles-ci (voy. plus oin, p. 97). Ù 94 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET mince, mais résistante, que l’on peut très bien comparer à celle des Noctiluques. Le segment antérieur est allongé, bilobé; le postérieur, conique, effilé. Le sillon longitudinal est peu distinet; le sillon transversal, étroit, à bords très nets, rapprochés. L’extrémité antérieure ou gauche est moins accusée que la droite, et reportée un peu en avant comme dans G. gracile. Toutefois l’écart est moins marqué, l'extrémité droite se trouvant elle- même un peu infléchie en avant. Ilen résulte que les deux extrémités du sillon transversal tendent à dessiner un angle dont le sommet tourné en avant correspond au point où ils se rencontreraient. Un très long flagellum s’insère vers l'extrémité antérieure du sillon longitudinal ; le sillon transversal loge un second flagellum. Sur les diverses formes que nous avons observées, tantôt un des flagellum existait seul et tantôt l’autre. Le corps de l'être est jaunâtre et, comme c’est la règle constante chez les Péridiniens, ne contient aucune substance étrangère. Le cytoplasme rappelle, sauf par sa coloration, celui des Noctiluques. On y distingue d’abord un noyau central, volumineux, sphérique, complètement hyalin comme celui des Noctiluques. Contrairement à ce qui est l'ordinaire chez les Péridiniens, il paraît formé d’une substance homogène, hyaline, sans trace de filaments nucléaires. Ce noyau est plus ou moins enve- loppé de granulations d’un brun verdätre foncé. En avant sont des vési- cules jaunes ou orangées. Le cyloplasme qui contient les unes et les autres forme autour du noyau une masse compacte qui envoie de [à vers la périphérie des trabécules limitant ou traversant des lacunes très visibles, surtout dans les formes qu'il nous reste à décrire, et tout à fait analogues à ce qui existe chez les Noctiluques. Le cytoplasme, jusqu'au voisinage de la cuticule, présente les mêmes granulations brunes et verdâtres qui entourent le noyau, et d’autres grains souvent allongés, fusiformes, de matière colorante verte (chlorophylle?). Deuxième état. — Qu'on imagine ce Gymnodinium que nous venons de décrire, se gonflant par absorption d’eau dans les lacunes de son cyto- plasme, on aura une sorte de petit ballon ovoïde. C’est un second état qui paraît ici dériver directement du premier. La pointe aborale s’est effacée. De même la dépression qui limitait les deux éminences anté- rieures. Quant à la constitution du cytoplasme, les mêmes granulations foncées, les mêmes grains verts, les mêmes vésicules attestent l'identité spécifique de cette forme avec la précédente aussi bien qu'avec les sui- vantes. La jonction à angle des deux extrémités du sillon transversal, déjà indiquée dans l’état précédent, se réalise ici. L’angle qu’elles forment est aigu, bien dessiné. Le sillon lui-même est nettement indiqué par deux traits parallèles très fins, rapprochés, répondant aux crêtes qui le bordent. Du côté dorsal, sur la ligne médiane, comme chez plusieurs RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 95 Péridiniens cuirassés, le sillon transversal dessine un angle très ouvert en arrière, c’est-à-dire du côté de la région aborale. L'état que nous décrivons ici est en quelque sorte l'excès de celui qu'on a vu se manifester à un degré beaucoup moindre dans G. gracile. Troisième état. — Cet état et le suivant semblent se rattacher à un état de déformation inverse de celui que nous venons de décrire et en quelque sorte « actif », tandis que le précédent était « passif ». Des rétractions locales de la surface se produisent, probablement sous l’in- fluence du cytoplasme contractile. Elles se traduisent le plus souvent en plis irréguliers longitudinaux. Mais elles peuvent également avoir pour effet chez certains individus de rétracter la région aborale. On voit cette région dessiner une saillie de moins en moins prononcée au milieu du champ limité par le sillon transversal, qui semble fonctionner ici comme un anneau solide, résistant. Nous avons signalé plus haut un exemple de rétraction pareil offert par Gymn. gracile. Quatrième état. — Celui-ci est de beaucoup le plus intéressant. C'est en même temps lui qui s'est présenté le plus souvent. L’assimila- tion spécifique aux formes précédentes ne peut faire doute. Les caractères du cytoplasme sont identiquement les mêmes, et d’ailleurs le troisième état nous indiquait déjà une sorte de passage à celui que nous décrivons maintenant, mais qui se distingue par l’exis- tence fréquente, sinon constante, d'un fentacule plus ou moins avorté. Le cône aboral est complètement rétracté en dedans. L’'être est par suite à peu près cylindrique. L’extrémité antérieure plus ou moins arrondie garde les traces de la disposition bilobée. L'extrémité posté- rieure est excavée par suite du retrait de la région aborale, avec le bord de l'excavation nettement dessiné par la double courbure du sillon transversal. Dans ce sillon on peut voir le flagellum continuer de se mou- voir et d’onduler. Ce sillon, bordé de deux traits parfaitement nets et parallèles, joue le rôle d’une sorte de charpente résistante. Elle rappelle de la manière la plus frappante l'espèce de saillie bordée également de deux traits, en forme de cimier, que nous avons signalée chez les Noctiluques, et où nous avions déjà cru reconnaître l'homologue du sil- lon équatorial des Péridiniens (voy. I, fig. 11). Parfois aussi, dans l’état que nous décrivons et même dans le précé- dent, on distingue au niveau d'une légère dépression de l'extrémité orale un repli en forme de crochet qui n’est pas non plus sans analogie avec la lèvre saillante des Noctiluques. Et il est possible que cette par- ticularité permette d'orienter les Noctiluques plus exactement qu'on ne Va fait jusqu'ici par la position réciproque de ce crochet, du sillon trans- versal et du tentacule qu'il nous reste à décrire. À la vérité nous ne l’avons observé qu'une fois avec son complet développement, mais dans des conditions spécialement favorables et qui ne pouvaient nous laisser aucun doute. Nous l'avons d’ailleurs sou- 96 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET vent revu, mais plus ou moins avorté. Dans le cas dont nous parlons, il avait les dimensions relatives de celui des Noctiluques. Il était inséré vers le milieu de la longueur de l'être, un peu en avant du point de jonction des deux extrémités du sillon équatorial. Sa base d'insertion était légè- rement élargie en forme de cône, son diamètre partout uniforme, son extrémité simplement: atténuée sans rien qui rappelle la palette termi- nale du tentacule des Noctiluques. Sa substance hyaline était remplie de petites granulations de grosseur uniforme, foncées. Enfin, 1l paraissait entièrement dénué de mouvements. Il est probable que ce tentacule dans la plupart des cas avorte et tombe. Parfois il n’est représenté que par un petit prolongement virguliforme, inséré par son extrémité effilée à la même place, plein des mêmes granulations et dont la signification nous avait d'abord fort embarrassé. L'individu, sur lequel nous avons pu observer le tentacule complètement développé et reconnaissable, offrait en même temps un flagellum en mouvement dans le sillon trans- versal. Si plus tard on était conduit à assimiler définitivement les tenta- cules des Noctiluques à un flagellum, assimilation d’ailleurs fort problé- matique, ce serait donc le flagellum axial qui en serait l’homologue. Signalons encore, sur beaucoup d'individus, au voisinage du tentacule ou de la place qu'il devrait occuper, une petite pointe saillante très oblique, tournée en avant, parfaitement hyaline, formée par la substance même du corps cellulaire. Elle correspond probablement au sommet de l'angle très aigu dessiné par les deux extrémités de la charpente du sillon transversal. Nous n'avons pu toutefois établir nettement cette homologie et on pourrait y voir peut-être aussi un rudiment de la char- pente « en glumes» des Noctiluques (voy. I, p. 38). Telles sont nos observations. Faut-il voir dans la forme que nous -rangeons provisoirement sous cette dénomination de Gymn. pseudonoc- tiluca un être intermédiaire aux véritables Péridiniens et aux Noctilu- ques ? ou plutôt convient-il d'y voir seulement une Noctiluque déviée de son évolution normale, d'après un mode en tout cas assez général et assez uniforme pour qu'on doive écarter l'hypothèse de simples mons- truosités individuelles ? La relation des Noctiluques avec les Péridiniens, bien que Klebs la conteste, est aujourd'hui généralement acceptée. La plus grande diffé- rence peut-être est dans l’état hyalin, homogène du noyau, qu'on ne rencontre pas habituellement chez les Péridiniens, mais que nous offre précisément Gymn. pseudonoctiluca. On pourrait supposer à la rigueur que les Noctiluques, en dehors des divers modes de multiplication qu'on leur connait, proviennent non pas d'un Péridinium à test tabulé, par l'effet d'une mue, comme nous l’avions supposé au début de nos recher- ches, mais qu'elles proviennent d'un Gymnodinium, G. gracile où tout autre, par métamorphose. C’est là évidemment une hypothèse, puisque nous ne pouvons fournir RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 97 la preuve qu'il en est ainsi, mais du moins elle nous donnerait l'explica- tion de cette forme aberrante G. pseudonoctiluca. L'évolution entravée par quelque circonstance très générale, du Gymnodinium qui devient nor- malement Noctiluque, aurait pour résultat la production des divers états que nous avons décrits, qu'il est impossible de ne pas réunir dans un groupe spécifique, et qui nous montrent si bien le passage entre les Gymnodinium proprement dits et les Noctiluques, surtout si, au lieu de considérer celles qui sont gonflées d’eau, on se reporte aux aspects si variés qu'elles offrent au sein de l'Océan avant de venir flotter à la surface. NOCTILUCA MILIARIS (GYMNODINIUM NOCTILUCA). Ce qui précède jusüfiera la place que nous donnons ici aux Nocti- luques immédiatement après Gymnodinium gracile et G.pseudonoctiluca. Nous leur avions d'abord (I) supposé des affinités plus grandes avec les Peridinium, en particulier P. divergens var. typus (Voy. I). Nous avions été frappé de l'identité d'aspect que nous avait présentée le cytoplasme de P. divergens var. typus avec celui des Noctiluques en état de rétrac- tion. Nous avons pu d’ailleurs, en 1884, vérifier de nouveau cette ana- logie à coup sûr remarquable. Mais les mues de P. divergens var. typus, autant que nous avons été à même de les suivre, ne nous ont rien appris de ce côté et ne nous ont montré aucun indice de passage. M. Stein rapproche des Noctiluques les deux genres Pfychodiscus et Pyrophacus. Nous n'avons point rencontré le premier; quant au second il ne nous a pas paru en somme plus voisin des Noctiluques que les autres Péridiniens. M. Stein n’a jamais vu le flagellum des Noctiluques (IX, p. 27). Nous pouvons ajouter à cet égard que nos observations poursuivies pendant trois années à Concarneau, nous ont convaincu que l’existence de ce flagellum signalé par Huxley, Cienkowsky, Robin (VI), est en effet très rare. Tous les Péridiniens d’ailleurs, au moins les Péridiniens marins, se montrent tantôt avec et tantôt sans flagella. Dût notre assertion étonner, nous déclarons que pendant trois années suc- cessives et bien que des milliers de Noctiluques de toutes formes aient passé sous nos yeux, nous n'avons vu le flagellum de A. miliaris qu'une seule fois (fin de juin 1874), sur un seul individu: C'était une petite Noctiluque en cours d'expansion, et complètement dépourvue de tenta- cule. Ce flagellum s'incline et se couche contre le corps de l'être; il ne parait pas se rétracter en forme de tire-bouchon comme celui des Cera- tium (voy. I). Il ne paraissait non plus avoir aucune influence sur les mouvements de l'être. M. Stein signale le fait intéressant de l'absence des Noctiluques dans la Baltique, alors que les Péridiniens y sont abondants. Mais il s’agit peut-être seulement des Noctiluques gonflées et flottant à la surface. Le fait en tout cas mérite confirmation. Nous avons pu constater, de notre 7 98 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET côté, sur la côte de Bretagne, la disparition presque absolue des Nocti- luques pendant des semaines entières, même à l'époque de la belle saison et dans des parages où on les rencontre ordinairement en abon- dance. L'assertion de M. Stein appelle donc de nouvelles observations et surtout des observations prolongées. Cette année même (au mois de juin 1884), les Noctiluques avaient à peu près complètement disparu de la faune pélagique de Concarneau, alors qu'on les pêchait abondam- ment dans la Manche, à Luc-sur-Mer. Malgré le nombre considérable de travaux publiés sur N. muliaris, le cycle complet des transformations de cet être demeure aussi inconnu que celui des autres Péridiniens. On ignore si c’est à juste raison que nous réunissons sous la même appellation spécifique toutes les formes avec ou sans tentacule, avec ou sans charpente intérieure, gonflées d’eau ou non, flottantes ou vivant au fond de l’eau : formes infiniment variées d'apparence, qu’on n’apprend quelquefois à reconnaître qu'après une assez longue pratique. On a décrit une multiplication des Noctiluques par scissiparie, la Noctiluque se partageant à la façon d’une cellule; on a décrit également la production de gemmes, sur laquelle a particulièrement insisté M. Robin (VI). Ces gemmes paraissent s'éloigner sensiblement de la forme péridinienne normale. À la fin de la saison (1884) nous avons pu observer quelques Noctiluques dont la moitié était entièrement cou- verte de ces gemmes. La Noctiluque elle-même était dégonflée, plissée, dépourvue de bouche et de tentacule (soit qu'elle les ait perdus, soit plutôt qu'elle ne les ait jamais eus). Nous n’avons pu réussir à con- server une de ces Noctiluques mise en élevage. Le lendemain le corps était gonflé et mort, les gemmes n'étaient point détachées. On pou- vait seulement constater leur forme, bien représentée par M. Robin (VI, fig. 22), mais toutefois plus aiguë, moins incurvée peut-être. Nous constatons également que ces gemmes sont revêlues d’une cuticule résistante, dont ie dessin rappelle quelque peu le profil lancéolé, avec un des côtés plus courbe que l’autre, de Prorocentrum micans (voy. fig. 38). Un mode de multiplication des Noctiluques, qui paraît avoir moins fixé l'attention, est le suivant : à l’intérieur de la cuticule le cytoplasme se rétracte en un amas sphérique, soit que cette rétraction se fasse sur le noyau qui continuerait de vivre, soit qu'elle se fasse indépendamment de celui-ci, peut-être sur un noyau nouveau (très petit) dérivé du noyau principal. Il est fréquent, en effet, de voir plusieurs de ces sphères cer- tainement appelées à reproduire une Noctiluque et commencant déjà leur développement, à l’intérieur d’une cuticule flétrie. Toutefois dans la majorité des cas, la sphère formée aux dépens du cytoplasme primitif est unique. Elle est mise évidemment tôt ou tard en liberté par la des- truction finale de la cuticule. Est-ce là l’origine des jeunes Noctiluques libres dépourvues de flagellum que l’on voit parfois en assez grande RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 99 abondance dans les pêches au filet fin ? ont-elles une autre origine? La question reste pour nous aussi insoluble que par le passé (voy. I, p. 38). Les faits qui nous avaient frappé au mois de septembre 1882, se sont d’ailleurs reproduits au commencement d'août 1884, à l’époque des plus fortes chaleurs. Pendant plusieurs jours la mer offre en grande abondance Peridinium divergens var. typus. Le cytoplasme est granu- leux, légèrement brunâtre, sans grosses gouttelettes. Il présente seule- ment au voisinage du noyau, qui est très peu visible, un cumulus de fines granulations brunes, presque noires. Presque tous les individus sont d'aspect et de taille très uniformes; on en rencontre seulement quelques-uns plus petits et moins foncés. Les grands mesurent 120 & environ d'une extrémité à l’autre des cornes et sont assez fortement déprimés. [ls contiennent une vaste lacune aqueuse. Mis en élevage ils meurent bientôt; on peut voir le cytoplasme se rétracter et même aban- donner le test, mais sans que rien fasse présager une transformation en Noctiluque. Comme en septembre 1882, la mer, en même temps que ce Peridinium typus s’y trouve à peu près seul, offre un très grand nombre de petites Noctiluques sphériques. Les moindres mesurent 90 à 100 et montrent déjà un commencement d'expansion. Des lacunes aqueuses commencent à se former à la périphérie. Le cytoplasme a le même aspect que celui de ?. typus. Absence totale de tentacule même rudi- mentaire et de charpente interne. Rien ne fait soupconner la place de la bouche. Il n’y a pas non plus ordinairement de flagellum (voy. fig 39). Sur des individus un peu plus grands, toujours dépourvus de tenta- cule, un mamelonnement irrégulier qui se produit sur un point de la surface, annonce la formation de la bouche; la lèvre commence à se dessiner. Celle-ci est parfois très proéminente, excavée en cuiller, comme cela est fréquent chez les Noctiluques qui ne sont pas encore entièrement ballonnées. À l’intérieur il semble en même temps qu'on aperçoive les premiers rudiments de la charpente, dans une direction très oblique par rapport au diamètre passant par la bouche. Cette posi- tion est probablement constante. Cette charpente se présente comme un faisceau conique de filaments ou de fibres déliées, rectilignes. Le sommet du cône est émoussé, très net; il avoisine la cuticule. L'extré- mité opposée du faisceau, celle où les filaments s’écartent, est beaucoup moins bien dessinée et se perd dans le cytoplasme (voy. fig. 40). Ces Noctiluques toujours dépourvues de tentacule et le plus ordinaire- ment de flagellum, ne sont pas cependant complèlement immobiles. Elles sont animées parfois de petits mouvements subits d’oscillation toujours extrêmement limités. Quelquefois ce mouvement a le carac- tère d’une rotation d'un très petit nombre de degrés. Il est assez difficile de déterminer la cause de ces mouvements dus probablement au cyto plasme en contact avec l'extérieur au nivéau de la bouche. 109 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET GYMNODINIUM ARCHIMEDIS Pouchet. (Voy. fig. 41.) Nous n'avions donné (I, p. 48) qu'une figure très imparfaite de G. Archimedis. Nous l'avons retrouvé (1884), comme nous l’avions déjà vu en 1883, muni d'une gouttelette de pigment écarlate. Nous figurons un de ces êtres encore enkysté. La disposition du sillon est exactement celle que nous avons indiquée. La partie antérieure est légèrement bilobée. La partie postérieure se termine par une masse en forme de chapiteau, à peu près comme dans Polykrikos. On ne voit pas de flagellum. Le sillon longitudinal est surtout accusé à la partie posté- rieure. La coloration du corps est d’un beau rose. À l'intérieur on remarque d'avant en arrière : 1° Un grand noyau ovoïde avec l'apparence caractéristique chez les Péridiniens. 2° Une sorte de figure circulaire radiée en forme d’auréole. En réalité c'est une sphère creuse formée de petits bâtonnets disposés comme autant de rayons, et dort la coupe optique donne par conséquent l’ap- parence d'une couronne suspendue dans le cytoplasme. Elle occupe la place de l’amas de granulations centrales de Gymnod. gracile. 3° Une masse de pigment écarlate à contours irréguliers. POLYKRIKOS AURICULARIA Bergh. Nous n'avons que peu à ajouter à la description que nous avons donnée (I, p. 48) après Bergh, de cet être si intéressant. Il ne s’est montré à nous que rarement, et toujours, comme nous l’avions indiqué, avec deux noyaux et huit segments. Une seule fois cependant (25 juin 1884) nous avons observé un individu portant quatre noyaux, conformé- ment à la description de Bergh. Ces noyaux étaient à peu près sphé- riques, et également espacés. Les nématocystes étaient abondants et à divers états de développement. Le corps présentait en plus une grosse masse rouge-orangé, un peu irrégulière, ayant à peu près deux fois le diamètre des noyaux. Elle avait plutôt le caractère d’un résidu de dia- tomine, que de matières ingérées. Pas plus dans Polykrikos que dans tout autre Péridinien, nous n’avons constaté manifestement l'existence de particules solides d’origine étrangère. Quand P.auricularia ne présente que deux noyaux, comme cela a été le cas ordinaire pour les individus observés par nous, ces noyaux sont ovoïdes. On peut admettre que le développement de l'être n’est point alors achevé, bien qu'il ait atteint à ce moment sa taille et sa configura- tion finale avec huit segments. Une observation, incomplète à la vérité, d’un kyste renfermant probablement P. auricularia jeune, nous fait sup- RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 101 poser que la duplication du noyau précède la formation des huit seg- ments, laquelle précéderait à son tour, au moins dans un certain nombre de cas, la division secondaire des deux noyaux en quatre. PROROCENTRUM MICANS Ehrenb. Prorocentrum micans a été abondant à diverses reprises, en particu- lier pendant plusieurs jours de suite à la fin de septembre (1884). Chez tous les individus à cette époque, la diatomine était d’un jaune brillant, étalée en couche très mince au-dessous du test. On distingue parfois deux vacuoles vers l'extrémité large, et d’autres fois quelques granulations foncées dans la même région. Le noyau est toujours peu visible. Nous n'avons jamais trouvé Pror. micans en cours de perdre sa diatomine, ou avec le cytoplasme rempli de globes hyalins. Quand il meurt et se désagrège, les valves se disjoignent, le cytoplasme s'étale sur place en présentant des granulations qui prennent la coloration verte. Nos essais d'élevage ont toujours échoué, ou du moins ne nous ont permis de constater chez cet être que des mues fréquentes, accompa- gnées quelquefois de légères modifications : la lame saillante peut dis- paraître, le bord convexe s’échancrer légèrement, etc. L'existence fréquente de deux vacuoles à la partie antérieure, le fait que P. micans, comme Æ'xuviælla marina, offre de grandes différences d'épaisseur, donneraient à penser que P. micans peut se multiplier par scissiparie. En tous cas, la labilité de cette espèce est des plus grandes; elle meurt très rapidement, et sans rejeter de mucus. Il nous a paru aussi que le cytoplasme était susceptible de subir sous letest un certain degré de rétraction, puis de s'étendre de nouveau pour le remplir tota- lement, sans que l'être en souffrit. On ignore tout de l’évolution de P. micans : comment il naît, quelles transformations il subit, comment il se reproduit. Nous l'avons parfois rencontré abondant et très actif au milieu des algues (fin de septembre 18824), allant énergiquement à la lumière. Nous ne rappelons que pour mémoire l’analogie de forme que nous avons déjà signalée entre P. micans et les gemmes avortées des Nocti- luques. Ces gemmes sont d’ailleurs dépourvues de diatomine, plus petites, etc. On sait que 2. micans est phosphorescent. Il doit probable- ment avoir dès l'origine sa taille définitive, et naître à plusieurs individus à la fois dans un même kyste. Ceci résulterait de l'observation que nous avons faite (29 septembre 1884) de deux Prorocentrum unis par une de leurs faces latérales, et se déplaçant de conserve, en tournoyant sur eux- mêmes avec leurs deux flagella (voy. fig. 42). Les axes des deux êtres, placés dans les plans parallèles, étaient inclinés de 30 à 40 degrés l’un sur l'autre. Cette disposition a évidemment cessé à la première mue. 102 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET EXPLICATION DE LA PLANCHE V Fi. 28. — Gymnodinium crassum Pouchet. Coloration brune. Fi@. 29. — Gymnodinium tleredo Pouchet. Coloration jaune. Fi. 30. — Gymnodinium spirale Bergh, en chaîne. Coloration légèrement jaunâtre. Les deux individus sont exactement unis comme les Ceratium en chaîne. L’individu antérieur a seulement subi une légère rotation. On le voit en conséquence par la face dorsale, au lieu de le voir, comme l'inférieur, par la face ventrale. Fi1G. 31. — Gymnodinium spirale var. cornutum (?). Le corps, légèrement granuleux, est sur- monté de deux prolongements hyalins. FiG. 32. — Gymnodinium gracile Bergh. Coloration rose. Au centre, granulations orangées. Fic. 33. — 1dem, anormal, gonflé. Coloration rose. Tache orangée au milieu du cytoplasme, Fi. 34. — Gymnodinium pseudonoctiluca Pouchet. Forme normale. Noyau central hyalin; autour, granulations brun noirâtre. Granulations verdätres dans le reste du cytoplasme. F1G. 35. — Idem. Gonflé. A l'extrémité antérieure, légère échancrure répondant peut-être à la bouche des Noctiluques. F1G. 36. — Idem. Rétraction commençante de la région aborale. Fig. 37. — Idem. Rétraction complète de la région aborale. Tentacule. Flagellum du sillon transversal en place, actif. a. Tentacule avorté d'un autre individu. F1G. 38. — Enveloppe cuticulaire solide des gemmes d'une Noctiluque. F1G. 39. — Jeune Noctiluque sphérique. Expansion très limitée. Absence de bouche et de ten- tacule. À l'intérieur du cytoplasme, charpente fibreuse. F1G. 40. — Autre Noctiluque. Bouche nettement dessinée. Absence de tentacule. A l'intérieur du cytoplasme, charpente fibreuse. Fi@. 41. — Gymnodinium Archimedis dans son kyste. Belle coloration rose. À la partie posté- rieure, tache de pigment écarlate. FiG. 42. — Prorocentrum micans. a. Deux individus unis par les faces latérales. Monstruosité. b. Les mêmes, vus suivant l'axe d'un des deux. 6 103 RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS PLANCHE V "SUI ACU LOUER 2 TU æe 793004 104 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Mais elle semble indiquer que les Prorocentrum doivent à un certain moment se trouver réunis et rapprochés les uns des autres, probable- ment dans un kyste, sans affecter toutefois la disposition régulière des Ceratium et des Gymnodinium, ou celle des Dinophysis. Au moment même où nous trouvions ce cas anormal et où P. micans était très abondant (fin septembre 188%), la pêche pélagique donnait également des kystes larges de 60 & et contenant 6 à 7 corps jaunes irré- gulièrement disposés et dont les dimensions se rapportaient à peu près à celles de P. micans. Ces kystes étaient certainement de nature péri- dinienne et les corps inclus ne présentaient aucune trace de sillon, mais d'autre part ils ne laissaient point voir qu'ils dussent se transformer certainement en P. micans. Nous n'avons pas réussi dans l'élevage de ces kystes, et nous n'avons pu vérifier une hypothèse qui paraissait d’ailleurs fondée. RÉSUMÉ En résumé, dans le présent travail nous faisons connaître un certain nombre de formes nouvelles se rattachant au groupe des Péridiniens, et nous rectinions pour d’autres la nomenclature que nous avions précé- demment adoptée (I). Le tableau que voici indique ces additions et ces rectifications : Amphidinium operculatum — Exuviælla marina Cienkowsky. Protoperidinium viride Pouchet. Glenodinium turbo (?) D EG Go Gymnodinium pulvisculus Pouchet. Gymnodinium crassum Pouchet. Gymnodinium teredo Pouchet. Gymnodinium spirale var. nobile Gymnodinium gracile Bergh. Gymnodinium gracile : —19peC- MOV Gymnod. pseudonoctiluca Pouchet. Autant de formes nouvelles, rencontrées dans une seule saison à Con- carneau, montrent que nous n'avons qu'une idée fort incomplète de celles qui peuplent la mer. Elles doivent être infiniment nombreuses. Mais pas plus que dans notre précédent travail nous n'apportons la solution des rapports biologiques des Péridiniens, de leur origine et de leur devenir. Toutefois, dès à présent et malgré leur étroite parenté avec les Nocti- luques, on peut les regarder comme se rapprochant surtout des êtres vivants classés comme végétaux, et en particulier des Bacillariées. En effet, la plupart des Péridiniens offrent les caractères communé- ment attribués aux cellules végétales : une enveloppe cellulosique, la présence de diatomine ou même de chlorophylle (Protop. viride), deux RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 105 flagella comme les zoospores d'Algues. Quelques Péridiniens, en parti- culier Amyhidinium operculalum, se rapprochent beaucoup par leur aspect de certaines de ces zoospores. Le seul mode de multiplication des Péridiniens, que nous connaissions jusqu'à ce jour, est la scissiparie; elle s'accompagne ordinairement d'une diminution de volume, comme chez les Diatomées. D'autre part, certains Péridiniens, qu'il est impossible de séparer taxonomiquement des précédents, présentent des caractères essentielle- ment animaux. Si les Noctiluques absorbent des proies vivantes, d’autres offrent des organes urticants, des organes oculaires, une couche myo- phane, etc. Le mode, d'après lequel se développent les Péridiniens, paraît offrir de grandes variétés. Après les kystes en forme de croissant signalés par Claparède, les chaines de Ceratium, les couples de Dinophysis déjà signalés par nous, nous faisons connaître un état fixé par lequel passent plusieurs Péridiniens, certains vivant en parasites sur des animaux. : Toutefois nous ne connaissons pour aucun Péridinien le cycle com- plet de ses transformations. Nous assistons à des multiplications et à des métamorphoses plus ou moins compliquées : nous ne voyons la reproduction d'aucun d'eux, bien qu'il paraisse infiniment probable que des formes aussi élevées en organisation doivent remonter à un moment donné à la formation d'un œuf, à une reproduction sexuelle. Malgré le peu d'avancement de nos connaissances sur ce groupe sin- gulier, et même malgré les caractères d’animalité si prononcés qu'offrent certains Péridiniens, nous inclinons à les regarder comme une forme par laquelle doivent passer, à un moment variable de leur cycle géné- sique, un certain nombre d'êtres déjà connus et classés comme végétaux dans nos nomenclatures. INDEX BIBLIOGRAPHIQUE I. Poucet. — Contribution à l’histoire des Cilio-flagellés. Journal de l'Anat., 1883. II. H. For. — Etudes sur les Appendiculaires du détroit de Messine. Mém. de la Soc. de Physique et d'Hist. nat. de Genève, 1871. III. H. For. — Sur une nouvelle espèce d'Appendiculaires. Arch.de z0ol. expé- rim., 1814. IV. E. Maupras. — Contribution à l'étude des Acinétiens. Arch. de 200, expéri- mentale, 1883. V. Savizze Kent. — À Manual of the Infusoria. Londres, 1880-1882. VI. Cu. Rosix. — Recherches sur la reproduction gemmipare et fissipare des Noctiluques. Journ. de l’Anat., 1878. VII. Craparëne Er Lacauann. — Etudes sur les Infusoires et les Rhizopodes. Mém. de l'Inst. nat. de Genève, 1859-1860. VIII. Gourrer. — Sur les Péridiniens du golfe de Marseille. Annales du Musée d'Histoire naturelle de Marseille. Zoologie, vol. I, 1883. 106 IX X XXII. RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET V. Sreix. Der Organismus der Infusionsthiere. IIT Abth. Der Organismus der Arthrodelen Flagellaten. Fol. 1883. G. CLess. — Ueber die Organisation einiger Flagellaten-Gruppen und ihre Beziehungen zu Algen und Infusorien. Untersuchungen aus dem Botan.Institut zu Tübingen, her. v. Pfeffer, t. I, p. 2. . BEerRGu. — Der Organismus der Cilio-Flagellaten. Morphologisches Jahrbuch, 1882. . W. FLEmmIN6. — Zellsubstanz, Kern und Zelltheilung. Leipzig, 1882. . BacBranI. — Sur la structure du noyau des cellules salivaires chez les larves de Chironomus. Zaologischer Anzeiger, 12 déc. 1881. . Ray LaAnKkESTER. — Summary of zoological Observations made at Naples. Ann. and Mag.of Nat. Hist. vol. XI, 1873. — The Vertebration of the Tail of the Appendicularia. Quart. Journ. of Microse. Science, 1882. . Herzer. — Beitrâge zur näheren Kenntniss der Tunicaten. Wiener Sit- zungsberichte. 11 Bd. . Ussow. — Beiträge zur näheren Kenntniss der Tunicaten. Traduit du russe in Ann. Nat. Hist. XV. . LANGEugANs. — Zur Anatomie der Appendicularien. Berlin. Monatsberichte. 1871. _ Ueber Madeiras Appendicularien. Zeitsch. [. wiss. Zool., 34 Bd. . Harruanxx. — Mittheilungen über Appendicularien. Sitzber. der ges. natur. Freunde zu Ber!in, 1878. . ReicuerT. — Bemerkungen über den Schwanz der Appendicularien. Sifzber. der ges. nalur. Freunde zu Berlin, 1878. . BLaxc. — Note sur le Ceratium Hirundinella (v. F. Muller), sa variabilité et ses modes de reproduction. Bull. Soc. vaud. Sc. nat., XX, 91. . G. Czess. — Ein kleiner Beitrag zur Kenntniss der Peridineen. Bof. Zeil., 1% et 21 nov. 1884. Imuor. — Studien über die pelagische Fauna kleinerer und grôüsserer Susswasserbecken der Schweiz. Zeitsch. f. wiss. Zool., 40 Bd. I. Heft 1884. TROISIÈME CONTRIBUTION L'HISTOIRE DES PÉRIDINIENS (PEANCHE. VI Les Péridiniens sont des êtres si peu et si mal connus que nous n hé- sitons pas à publier les résultats de nouvelles recherches poursuivies pendant quelques jours du commencement de septembre de cette année à Concarneau, si restreints que soient en somme ces résultats. Nos recherches ont été faites dans les mêmes conditions que les précédentes. Elles n’ont pu, comme celles-là, s'effectuer que grâce au concours de la Marine, et nous devons ici remercier tout personnellement M. de Sincay, lieutenant de vaisseau, commandant la goélette la Perle, pour l’empres- sement et le dévouement qu'il a mis à seconder nos travaux pendant cette nouvelle et d’ailleurs très courte campagne. Nous n'avons trouvé aucun fait en contradiction avec ceux que nous avions précédemment indiqués dans nos deux premiers mémoires. Il est d’autres faits relatifs à l'histoire des Péridiniens que nous avions seulement entrevus et que cette fois nous avons heureusement pu étudier avec plus d'attention. Ce sont eux surtout qui nous occuperont ici. Nous suivrons la même classification que dans les deux mémoires précédents, soit qu'il s'agisse des espèces dont nous avons déjà parlé, soit qu'il s'agisse d'espèces non encore décrites. Nous n'avons point hésité à représenter de nouveau des espèces que nous avions déjà figurées, quand nous avons cru pouvoir le faire avec plus d’exactitude, ou encore pour mettre en relief quelques particu- larités intéressantes. Il ne faut pas oublier que les Péridiniens peuvent toujours se présenter avec d'assez grands écarts de forme ou de taille, sans cesser d'appartenir évidemment à la même espèce; nous avons dit ailleurs comment certaines espèces diminuent de taille à mesure qu'elles se multiplient par scissiparie. 108 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Au moment où nous avons commencé les recherches consignées ici, au commencement de septembre, un vent assez fort régnait depuis quelques jours. La pêche au filet fin donnait surtout en abondance des crustacés, comme on le remarque ordinairement dans ces circonstances. Nous avons cependant noté : Voctiluca miliaris en assez grande abon- dance, alors que l’année dernière à la même époque elle était extrême- ment rare; — Piplopsalis lenticula Berg (voy. 2emém., p. 79 et fig. 12); — Peridinium divergens; — Prorocentrum micans, qui est resté abondant. Les corps ovoïdes détachés des Appendiculaires, donnant naissance à Gymnouinium pulvisculus Pouchet, étaient abondants également, mais de petite dimension et comme s'ils se trouvaient arrêtés dans leur déve- loppement. Par contre, la mer était très pauvre en Algues flottantes, Rhizosolenia, etc. De même, les Ceratium sont restés extrêmement rares. Nous n'avons vu non plus aucun exemplaire de Dinophysis. Ce sont là de ces variétés dans la faune pélagique sur lesquelles nous avons longuement insisté dans notre premier mémoire et qui ne per- mettent jamais d'espérer le retour certain des mêmes formes aux mêmes époques de l’année. PROTOPERIDINIUM VIRIDE Pouchet. (Voy. 2e mém. et fig. 10). Nous avons retrouvé P. viride, actif, reconnaissable à ses dimensions, aux épines qu'il porte sur sa région orale, à sa tache rouge centrale. Toutefois, les individus qui se sont présentés à nous ainsi libres (com- mencement de septembre) n'avaient pas la coloration franchement verte que nous avions si nettement observée l’année précédente sur les individus fixés. Elle était plutôt jaune, d’un jaune verdâtre, pàle, tenant le milieu entre la couleur de la chlorophylle et celle de la diatomine. PERIDINIUM TABULATUM Ehr. Cette espèce d'eau douce nous a présenté un phénomène sur lequel il nous semble bon d'insister et quine paraît pas avoir été décrit jusqu'ici. Nous avons déjà noté dans nos précédents mémoires quelques particu- larités qui lui sont relatives (voy. p. 35, 40 et 78). Celle que nous voulons signaler est la suivante. Au fond d'un vase de verre on avait observé au printemps des P. tabulatum actifs en grand nombre; nous les retrouvons (milieu de septembre) inactifs, au fond du vase, non adhé- rents aux corps étrangers et présentant tous très uniformément le même aspect. La tabulation du test a disparu, les sillons sont indistinets ; l'être est à peu près sphérique, enveloppé d'une épaisse cuticule dont on voit le double contour, celle-ci renfermée à son tour dans une cuticule plus: RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 109 mince, un peu chiffonnée et qui représente évidemment une mue anté- rieure dont l'être ne s’est point dégagé. A l’état actif, c'est seulement par exception que P. tabulatum peut montrer une belle tache rouge. Dans l’état où il se présente à nous, tous les individus ont uniformément le même aspect. Le cytoplasme est gra- nuleux etcomme formé d’une accumulation de petites sphères. IL est à peu près incolore. Le noyau, s'il existe, est indistinct. Enfin, dans chaque être se voit un amas de pigment rouge d’une belle coloration. Cet amas est le plus souvent claviforme ou en figure de gros bâtonnet; il n'occupe pas généralement le centre du cytoplasme et n’est pas davan- tage complètement rejeté à la périphérie. Quelle est la signification de cet état dans lequel P. tabulatum peut persister pendant des mois? Il est infiniment peu probable qu'il doive être interprété comme un état cadavérique. Est-il un état physiologique nécessaire dans l’évolution de l'être? Ou faut-il n’y voir qu'un état anormal résultant de circonstances particulières où les individus se sont trouvés, état susceptible ou non de se modifier, soit pour aboutir à la mort définitive de l'être, soit pour faire place à un retour d’acti- vité sous l'influence d'un changement favorable dans les circonstances ambiantes ? Nous ne sommes éclairé sur aucun de ces points. Il ne nous en a pas paru moins intéressant de faire connaître un état qui est demeuré plusieurs mois soumis à notre observation sans s'être aucunement modifié. Nous l'avons représenté dans notre figure 1. GYMNODINIUM CRASSUM Pouchet (fig. 2). (Voy. 2e mém. et fig. 28.) Nous n'avions pu observer l’année dernière qu'un seul de ces êtres, qui s'était présenté à nous le 3 octobre. Nous l'avons retrouvé cette année plusieurs jours de suite assez fréquent dans les pêches. Nous avons noté des individus longs de 150 y environ et même plus grands, nsnont presque 200 yc. Nous n'avons que peu de choses à ajouter ou à modifier à ce que nous avons dit déjà de ce Péridinien si remarquable. Sa coloration varie du brun au jaune. La coloration brune est parfois réduite à une tache diffuse coiffant le pôle antérieur du noyau. Celui-ci, très volumineux, peut être reporté un peu plus en arrière que nous ne l’avions figuré dans notre second mémoire. Mais ce sont là évidemment des variétés individuelles. G. crassum présente aussi certains écarts de forme. Il n’est pas dou- ieux que l'être soit susceptible de mouvements métaboliques, mais qui ne doivent s’accomplir qu'avec une grande lenteur. Les individus que nous observions étaient tous fort peu actifs et animés surtout de mouve- 110 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET ments légèrement saccadés, comme ceux que présentent parfois les Noctiluques dépourvues de tentacule. Sur aucun G. crassum nous n'avons pu voir nettement l’un ou l’autre des deux flagella. Nous avons noté des stries longitudinales à la surface du corps comme dans G. gracile Bergh (voy. 2% mém. fig. 32). Tout le corps paraît rempli, au-dessous de la couche myophane que nous avons antérieurement décrite, de sphères tangentes les unes aux autres, assez régulières et toutes à peu près de même diamètre. L’être, au lieu d'éclater comme font ordinairement les Gymnodiniums, gonfle, | puis se dissocie lentement en un nuage granuleux où on ne retrouve plus les sphères, mais seulement des granulations claires très réfrin- gentes mêlées à d’autres granulations brunes foncées. Il semble dès lors que l'aspect offert par l'être vivant soit dû à un réseau granuleux à mailles régulières, plutôt qu'à l'existence de sphères proprement dites, d'une substance différente de celle du cytoplasme. Sur l'être encore vivant le noyau laisse voir la structure filamenteuse commune aux noyaux des Péridiniens (voy. 2° mém.). Quand l'être se désagrège, le noyau tout d'abord montre d’une manière encore plus nette cette structure : la distinction des deux substances filamenteuses (subst. chromatique et fondamentale) est des plus nettes. Mais l'appa- rence ne dure que quelques instants; elle disparaît subitement. Le noyau, probablement au contact de l’eau ambiante, se gonfle, se déforme, puis reprend à nouveau une figure sphérique régulière; mais il ne représente plus alors qu'une vésicule claire et transparente. M. Fabre-Domergue, qui travaillait alors près de nous, a fixé très heureusement ce noyau par un mélange d'acide osmique et de vert de méthyle. Sous l'influence du réactif l’'écheveau de filaments s’est res- serré, en même temps que leur substance se colorait. Par l'effet du resserrement la masse filamenteuse a laissé un vide entre eile et la paroi du noyau. Quant à cette paroi, elle s’est montrée extrèmement épaisse, à double contour très net et pouvant avoir au moins lu d'épaisseur. La longueur du noyau dessiné par M. Fabre-Domergue était 70 y sur un individu dont la taille devait approcher de 200 x. Nous reproduisons la figure très exacte du noyau fixé dans ces conditions (fig. 2 b). GYMNODINIUM POLYPHEMUS Pouchet. Nous avons signalé dans notre second mémoire des Péridiniens munis d'un organe oculiforme et que nous avions classés provisoire- ment comme espèce voisine de Gymnodinium spirale Bergh et G. Arch- medis Pouchet; mais les plus grands étaient tous enkystés. . Nous avons rencontré cette année un individu appartenant à la variété de grande taille, à l’état de liberté, et nous avons pu l’étudier. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 111 Nous désignons définitivement ces Péridiniens nettement caractérisés par la présence d’un organe oculaire, sous le nom spécifique de Gymno- dinium Polyphemus Pouchet. Nous nous bornons ici à en donner la figure (fig. 3) et la description, renvoyant pour le reste à ce que nous avons déjà dit de ces curieux êtres unicellulaires et de leur œil, dans notre second mémoire. L'être rencontré dans nos pêches au filet fin est totalement incolore, transparent ; l'œil a la situation et la disposition que nous avons indi- quées. Près de l'œil il semble exister dans le cytoplasme une cavité aquifère, comme chez la plupart des Péridiniens. Le cytoplasme ne pré- sente d’ailleurs aucun corps étranger, mais le noyau est à peu près invi- sible. Dans le cytoplasme on distingue un réticulum granuleux irré- gulier, à larges mailles. La forme péridinienne est nettement reconnais- sable, bien que l'axe de l'être paraisse comme déjeté, incurvé, ce qui semble donner au sillon spiral une direction contraire à celle qu'il a en réalité. Il est probable que celui-ci, comme dans G. Archimedis Pouchet, fait plusieurs tours, entraînant dans sa double révolution le sillon longitu- dinal (voy. 1% mém., p. 48). On comprendra mieux la disposition du sillon spiral sur la figure que nous donnons de Gymnodinium Poly- phemus, en le comparant à la figure de G. Archimedis donnée dans notre 2 mémoire (fig. 41). La face située en arrière et vue par transparence dans ce dernier est celle qui est en avant dans notre figure de G. Poly- phemus, avec cette différence que la courbure (peut-être anormale) de l’axe de l'être donne à la dernière portion du sillon l'apparence de remonter de gauche à droite, au lieu de continuer à descendre. Mais ce n'est là qu'une apparence dont le cytoplasme obscurci par le réticulum granuleux ne permet pas de bien analyser les conditions. À l'extrémité orale, deux petites éminences coniques rapprochées rappelant la disposition ordinaire des Péridiniens. L'extrémité aborale présente comme Gymnodinium Archimedis {voy. 2° mém., fig. 41), et comme Polykrikos auricularia (voy. la fig. de Bergh) une sorte de pla- teau terminal — qui a ici à peu près la forme d’un chapeau — nettement délimité par le sillon spiral devenu beaucoup plus accusé à ce niveau qu'en avant. Cette particularité, la courbure de l'axe de l’être, la non-visibilité du noyau, permettent de supposer que l'individu observé par nous n'était pas complètement normal. Nous n'avons pas moins cru devoir le décrire dans tous ses détails. C'est le seul que nous ayons rencontré cette année. Ses mouvements étaient assez lents, ayant toutefois les caractères habituels de ceux des Péridiniens. Nous ne sommes parvenu à voir aucun des deux flagella précédemment indiqués. Nous avions dit (2° mémoire, p. 88) que les Péridiniens munis d’un «MEME 112 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET EXPLICATION DE LA PLANCHE VI Fig. 1. — Peridinium tabulatum Ehr., forme de vie latente ou anormale (?) Fig. 2. — a, Gymnodinium crassum Pouchet. — b, Le noyau traité par un mélange d'acide osmique et de vert de méthyle (préparation et dessin de M. Fabre Domergue). Fi. 3. — Gymnodinium polyphemus Pouchet. Fic. 4 — Deux G. polyphemus plus petits, probablement en cours de scissiparie à l'intérieur d'un kyste. FiG. 5. — Prorocentrum micans Ehr.; — a, individu libre, venant de muer; — b, autre avec une légère gibbosité et ses deux flagella; — c, individu gibbeux à l'intérieur de son test fixé par l'acide osmique et coloré; — d, individu double (monstrueux?) fixé de même; — e, les deux valves du test; — f, dessin des valves. : PLANCHE VI G Pouchet a nat . Péridiniens. 414 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET ® œil et que nous rangeons définitivement sous le nom spécifique de Polyphemus, se présentaient soit libres comme celui que nous décrivons ici cette année, soit enveloppés d’une membrane kystique comme ceux que nous avons précédemment figurés. Nous ajoutions qu'ils offraient aussi des dimensions très différentes et nous avions sommairement représenté (fig. 1, c) un individu de petite taille libre. Nous donnons la figure (fig. 4) d’un kyste contenant deux individus de petite taille également, résultant sans doute d’une scissiparité. L'observation remonte au 19 août 1884. Les deux individus sont « polarisés », c’est-à-dire placés en chaîne à la manière des Ceratium. Ils mesurent ensemble 45 .. L’œil est constitué par un bâtonnet hyalin dont l'extrémité anté- rieure ou orale (voy. sur ces termes chez les Péridiniens, 1 mémoire, p. 16) plonge dans une masse cylindrique de pigment noir d'apparence granuleuse. Les sillons ne sont pas distincts, mais les noyaux offrent la structure habituelle du noyau des Péridiniens. Il est à remarquer toutefois que le noyau n’occupe pas dans les deux êtres la même place. Chez le premier, il est reporté en avant, tandis que chez le second il est tout à fait relégué à la partie postérieure. PROROCENTRUM MICANS Ehr. (Voy. 17 mém. ; 2° mém. fig. 42). Nous avions déjà signalé l'abondance de Prorocentrum micans au milieu des algues marines à la fin de septembre (2° mémoire, p. 101). Nous l'avons retrouvé cette année avec la même abondance à la même époque. Nous avons pu observer ses mues. Comme tout Péridinien et en particulier Peridinium divergens (voy. 2° mémoire, fig. 11), Prorocen- trum micans, en abandonnant son test, a une forme toute différente et ne présente plus aucun des caractères ayant servi à le classer. Une circonstance s’est présentée à nous tout à fait favorable pour l'étude de ces transformations. M. Schmidt, élève au laboratoire, en étu- diant une grande espèce de Comatule du rivage, recueillie sous une pierre, nous signala les matières rejetées par l’anus de celle-ci comme remplies de Prorocentrum micans. Ces êtres y étaient en effet en très grande abondance et ne paraissaient pas d’ailleurs avoir souffert du passage dans la cavité digestive de la Comatule. Les Prorocentrum micans se présentaient dans ces excréments plus nombreux qu'il eût jamais été possible de les recueillir, et je pus aisément vérifier certains faits que j'avais signalés déjà (2° mémoire, p. 101), tels que la rétraction et la déformation du corps cellulaire à l’intérieur du test. Au moment de la mue, les deux valves, en s’ouvrant, laissent échapper un êlre qui n’a plus du tout la même figure. Il conserve à peu près sa longueur, mais il est devenu assez régulièrement piriforme, la partie RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 4115 antérieure plus arrondie, mais quelquefois en même temps gibbeuse d'un côté ; la partie postérieure plus conique (voy. fig. 5 À et B). Les individus nus présentent en avant une légère échancrure ou exca- vation qui correspond évidemment aux sillons des autres Péridiniens. C'est dans son voisinage que s’insèrent les deux flagella, dont l’un paraît avoir plus de tendance à rester rectiligne, et l'autre à prendre une position déviée (voy. 2° mémoire). Le noyau occupe l’axe de l'être; il est ovoïde, allongé et présente une sorte de guillochage peu apparent. Nous avions signalé le retrait que le cytoplasme de Prorocentrum micans peut subir à l’intérieur du test. On à observé dans ces circons- tances la formation d’une sorte de gibbosité qu'on retrouve, mais moins accusée, sur quelques individus libres venant de muer. Cette gibbosité (voy. fig. 5 c) parait affecter indifféremment soit le bord dorsal, soit le bord ventral de l'être. Est-elle le signe d’une scissiparie prochaine? Il nest pas douteux en effet que Prorocentrum micans se multiplie par scissiparie. On peut souvent à l’intérieur même du test reconnaitre les signes de la formation de deux êtres complètement constitués et que la mue met évidemment en liberté. Parmi les individus libres, nous avons rencontré deux cas où l'être était en partie double. Dans l’un de ces cas, une région antérieure unique portait deux parties postérieures coniques divergeant à angle presque droit. Nous figurons le second cas tel qu'il s’est présenté à nous après fixation par l'acide osmique (fig. 5 d). Les deux corps à peu près paral- lèles sont unis dans leur moitié antérieure. On distingue en avant deux échancrures écartées, une pour chaque corps. Enfin le noyau est double, mais un des deux noyaux se recourbe à angle droit et vient se terminer dans le corps de l'être voisin, tout en paraissant indépendant du noyau de ce dernier. Nous avons représenté cette disposition sans pouvoir dire dans l’état actuel de nos connaissances si nous sommes ici en présence d'un phénomène évolutif ou d’un cas tératologique. Nous inclinons cependant vers cette dernière hypothèse. L’être, sorti de son test sous la forme que nous décrivons, reprend probablement très vite ses caractères propres, enveloppé d’abord d’un test extrêmement mince et dont les valves s’épaississent par la suite. Les deux valves ne sont pas semblables. L'une, la gauche (si on con- sidère le bord le plus convexe comme ventral), porte en avant une échancrure que ne présente pas la valve droite. Au moment de la déhis- cence, il semble en outre que la lame saillante se détache. Dans le plus grand nombre des cas on ne la retrouve plus, et comme on ne remarque d'ailleurs jamais aucune trace de brisure, on peut regarder comme pro- bable qu'elle forme une pièce indépendante jusqu'à un certain point. Toutefois elle s’unit plus directement à la valve gauche. Quand le test a acquis toute son épaisseur, on remarque sur les deux 116 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET valves un guillochage très régulier à ponctuations pressées. On constate que ces ponctuations sont dues à des séries de petites excavations enta- mant la face profonde de la valve. Au point de vue de cette ornementation — qui est la même sur les deux valves — chacune de celles-ci se divise en deux régions inégales. A l'arrière, vers la pointe, les ponctuations sont plus fines ; le champ qu'elles occupent est limité en forme d’arc par un rang unique de ponctuations qui sont comme étirées, et qui font place aussitôt à celles plus larges qui couvrent toute la partie antérieure de la valve. Nous devons signaler ici la facilité singulière avec laquelle le test des Péridiniens disparaît soit dans l’eau de mer, soit dans l’eau douce. Des vases, où l’on a observé en masse Ceratium hirundinella et Peridinium tabulatum, malgré la résistance apparente du test de ces espèces, n’en laissent plus découvrir au bout de quelques semaines un seul vestige. Le test des Péridiniens marins ne parait pas résister davantage à cette rapide destruction. QUATRIÈME CONTRIBUTION L'HISTOIRE DES PÉRIDINIENS . (PLANCHES VII et VIII) « À Monsieur Brown-Séquard, « Cher maitre, le jour où je faisais connaître sommairement à la « Société de Biologie l'organe oculaire des Péridiniens, vous avez « apprécié cette découverte en termes d’une bienveillance trop grande « pour que je les aie oubliés. Permettez-moi de vous dédier ce travail. » Depuis notre dernière publication sur les Péridiniens (TIT), il n’a paru à notre connaissance qu'un travail important sur ce groupe d'êtres, par M. Bütschli (IV). Nous ne discuterons ni les conclusions de ce travail, ni un certain nombre de faits particuliers qu'il relate. Plusieurs de ces faits particuliers ont été déjà indiqués avec détail par nous, tels que le détachement accidentel du flagellum. D’autres sont évidemment con- traires à la réalité, telle, par exemple, une prétendue non-existence _ d’une cuticule à la surface des Noctiluques, alors que cette cuticule résiste à l'action des acides même minéraux. Quant aux conclusions générales de M. Bütschli, tant sur la place qu'il convient d’'assigner aux Péridiniens que sur les rapports qui les unissent aux Noctiluques, il ne nous paraît pas que cet auteur ait apporté des arguments nouveaux à ajouter à ceux que nous avons déjà fait valoir dans le même sens (1). Comme les années précédentes, nous nous bornerons à relater ici les observations nouvelles qu'il nous a été donné de faire sur un groupe (4) Voy. sur l'œil des Péridiniens, Soc. de Biologie, 8 mai 1886. — Sur Gymno- dinium polyphemus Pouchet, Comptes rendus, 2 novembre 1886. — Les indications en caractères romains gras se rapportent à l'index bibliographique donné à la fin du mémoire. 4118 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET d'êtres dont l'intérêt s'accroît à mesure qu'ils fixent davantage l’atten- tion des biologistes. Nous ne reviendrons pas sur les difficultés de cette étude, renvoyant à ce que nous en avons dit antérieurement. Les moyens de recherches ont été les mêmes, et, si elles ont apporté quelque notion nouvelle, il convient, comme les années précédentes, d'en faire remonter le mérite à Monsieur le Ministre de la Marine, qui, en mettant au service du Labo- ratoire de Concarneau et des recherches scientifiques qui s’y poursuivent, une partie de ces « forces sociales » dont disposent les gouvernements, nous à permis des études impossibles sans cela. Les faits biologiques que nous avons déjà constatés sur les êtres microscopiques qui nous occupent, faits dont l'importance (au moins pour quelques-uns) est évi- dente, n’ont pu être découverts que grâce à ces moyens mis à notre disposition et pour lesquels nous adressons toute notre gratitude au gouvernement de notre pays, et spécialement au Ministre de la Marine. Nous procéderons, comme nous l'avons fait dans les mémoires anté- rieurs, par espèces. Mais nous devons faire remarquer encore une fois que, profondément convaincu comme nous le sommes, que les Péridi- niens seront tôt ou tard reliés à d’autres êtres, évidemment des végé- taux, dans l’évolution desquels ils ne représentent qu'une phase aber- rante ou cyclique ; convaincu que les dénominations spécifiques qui leur sont attribuées sont essentiellement provisoires, nous avons évité autant que possible de les multiplier, sauf à ajouter, dans certains cas, aux deux noms linnéens, un troisième pour marquer d'importantes variétés. Quand nous aurons à faire valoir quelque considération générale, nous le ferons à propos des espèces qui présenteront les faits les plus saillants motivant ces considérations. L'étude des Péridiniens est en réalité toute nouvelle. On peut dire, malgré la grande publication de Stein, qu’elle date du mémoire de Bergh. Elle offre des difficultés de tout ordre. Malgré la grande homologie des êtres qui composent le groupe, ce que nous avons fait connaître de leur évolution montre déjà que celle-ci varie considérablement dans les genres en apparence les plus voisins. C’est là une première difficulté. Les eaux douces ne sont pas aussi pauvres en Péridiniens qu'on l'avait supposé jusqu'ici. On a trouvé, depuis nos premières recherches, Cera- tium hirundinella en abondance extraordinaire dans les lacs du centre de l’Europe (M. Forel); et à Paris même M. Danyz a découvert récem- ment dans les bassins du Muséum d'Histoire naturelle de Paris des Péridiniens en grand nombre, et tout au moins une forme nouvelle, Gymnodinium musæi, qui n'avait point été certainement apportée là par accident, de quelque région éloignée du globe. Le nombre des formes marines est considérable. Nous en avons déjà fait connaître plusieurs nouvelles; nous en décrivons encore dans ce RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 119 travail et cependant nous nous sommes rigoureusement tenu aux formes typiques s’éloignant sensiblement de toutes celles déjà connues. Une particularité très intéressante de l’histoire des Péridiniens est leur apparition à la surface des eaux océaniennes. Nous nous sommes expliqué ailleurs sur les conditions tout à fait spéciales résultant du mouvement des marées, qui ne permettent jamais de pratiquer deux jours de suite à la côte la pêche dans des conditions sensiblement iden- tiques. Souvent on constate dans l’espace de vingt-quatre heures un changement considérable dans l'abondance des Péridiniens à la surface de la mer. C’est ainsi que nous avons vu cette année (1886) — la pêche étant toujours faite au même lieu — la surface, extraordinairement pauvre en Péridiniens dans les journées du 26 et du 27 avril, se mon- trer subitement, à partir du 29 avril, d’une richesse extraordinaire en genres et en espèces variés. Le même phénomène s’est encore offert d'une manière plus accusée peut-être à la fin de septembre. Le temps, depuis le commencement du mois jusqu'au 22, avait été très beau, et, malgré des conditions en appa- rence favorables, la pêche au filet fin n’avait donné que des résultats à peu près négatifs. Elle ne rapportait guère que des Copépodes et de jeunes Mollusques (Lamellibranches et Gastéropodes) extrêmement nombreux. Tout à coup, le 23, un vent violent se met à souffler du N.-N.-E., c’est-à-dire de terre. La mer est forte au large; abritée sous les côtes, elle est cependant agitée. Le lendemain 24, contre notre attente, la surface se montre extrêmement riche en Péridiniens : 2. di- vergens, dans ses diverses variétés (voy. I); Noctiluques non épanouies ; abondance de Gymnodinium crassum Pouchet, que nous n'avions ren- contré jusque-là qu’en rares exemplaires ; Ceratium tripos, Ceratium furca, parfois en chaînes de deux individus ; Dinophysis, dont plusieurs exemplaires également en état de conjugaison, tel que nous l’avons décrit (I, p. 27 et 28); Pyrophacus horologqium, etc. En même temps, comme de coutume, les larves de Géphyriens, d’Annélides, de Cténo- phores sont très abondantes. On remarquera que le vent soufflant de terre, il est inadmissible que cette faune survenue subitement ait été apportée du large. Mais on peut admettre, semble-t-il, qu'une agitation modérée de l’eau l'ait fait monter du fond à la surface. L'eau ne présentait point d’ailleurs, comme après les grands vents du large, l'extrême abondance de débris végétaux, l’es- pèce de poussière végétale dont nous avons parlé ailleurs. — On pourra rapprocher ces conditions particulièrement favorables qui se sont alors offertes à nous à la fin de septembre dans la baie de Concarneau de celles où nous avions trouvé la première fois C. tripos et C. furca en chaînes par le travers de Penmarch (voy. I, p. 13), un 10 octobre. Cette faune si abondante en Péridiniens qui s’est ainsi offerte les 24 et 25 septembre, après trois semaines de beau temps, présentait de plus 120 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET une particularité intéressante. En 1882, au mois de septembre, nous avions noté l'extrême fréquence de pigment rouge dans presque toutes les espèces de Péridiniens que nous trouvions à observer, Peridinium divergens, Glen. obliquum, Dinophysis, Noctiluca, etc. (Voy. I, pp. 44, 36, 39, et IT, p. 81), Au mois de septembre 1886, les mêmes espèces retrouvées en abondance, spécialement P. divergens et Gl. obliquum, ne présentent aucune tache pigmentaire rouge. Quelques individus de P. divergens sont simplement rosés; chez d’autres légèrement bistrés, les pointes, au lieu de présenter comme nous l'avons décrit (I, p. 39) du pigment rouge diffus, offrent simplement un pigment brun. En sorte que, tandis qu’en septembre 1889, la faune péridinienne était tout à fait remarquable par l'abondance de son pigment rouge (au point que c'est l'existence et la fréquence de ce pigment qui déterminèrent nos premières recherches sur ce groupe d'êtres), au contraire, en septembre 1886, le pigment rouge fait absolument défaut chez les mêmes espèces. C’est là une preuve nouvelle des variétés que nous avons indiquées comme pou- vant être offertes par la faune pélagique d’un même lieu. — Ici inter- viennent évidemment, pour produire ces variétés (1), des conditions cosmiques d’un ordre très général et d’une analyse à peu près impos- sible dans l’état actuel des sciences. La pratique prolongée des côtes, au laboratoire de Concarneau, nous a maintes fois édifié sur leur in- fluence, et elles s'étendent même à des espèces beaucoup plus volumi- neuses que celles qui nous occupent ici. D'ailleurs ces variations, spé- cialement celles qui touchent à l'abondance de telle ou telle forme, quand on y réfléchit, n’ont rien qui nous doive étonner en fin de compte plus que l'abondance de certains fruits, la prospérité de certaines récoltes de plantes annuelles. Une répartition plus favorable de la température pour telle espèce ou plus défavorable pour telle autre, ennemie de celle- là, aura pour conséquence l'abondance exceptionnelle de tel animal sur la côte ou sa diminution et sa disparition même pendant un certain nombre d'années. Le même phénomène, avec lequel nous sommes tout (1) En même temps que la faune pélagique se modifiait, dans la journée du 23 septembre 1886, un changement était signalé dans les conditions de la pêche de la sardine. Nous marquons ce rapprochement, sans en tirer pour le moment, aucune conclusion. Pendant toute la période de beau temps que nous avons indiquée pour les trois premiers septénaires de septembre, la pêche avait donné à Concarneau des résultats tout à fait inusités et que des personnes très compé- tentes et d'un esprit très scientifique nous ont affirmé ne s’être jamais présentés à leur connaissance. On pêchait à la fois : 1° des sardines de deux moules diffé- rents, de 17 au kilo (appelées sardines de dérive et qu’on ne pêche ordinairement qu'en hiver au large avec le mâquereau) et de 50 au kilo; 2 de petits mâque- reaux; 3° des anchois; 40 des sprats. Le 23 septembre, la brise étant trop forte, les bateaux ne sont pas sortis. Le 26 et le 27, en même temps que la faune péla- gique microscopique était modifiée, le maquereau, l’anchois et la grosse sardine disparaissaient; on ne pêchait plus que la sardine ordinaire et quelques sprats, c'est-à-dire que la pêche, sans être abondante, était rentrée dans les conditions ormales de la saison. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 191 à fait familiers quand il s’agit de la maturité des ovaires des pommiers ou de la vigne de toute une région, nous frappe davantage, mais seule- ment par notre défaut d'habitude ou par sa rareté plus grande, quand il s’agit d’une espèce marine comme le Hareng ou la Sardine. On com- prend, au reste, que dans un milieu comme les eaux océaniennes, moins immédiatement subordonné que le plein air aux influences cosmiques, la périodicité des époques d'abondance ou de rareté soit de plus longue durée que pour les êtres plus directement soumis à l'effet des saisons. Mais au fond, le phénomène est le même. Et on comprend aussi qu'il prenne une intensité plus grande lorsqu'il s’agit d'espèces où les individus doués d'une vie plus courte se renouvellent plus fré- quemment. | Une conséquence de cette variabilité, dans l'abondance des espèces observées, est l'impossibilité où on se trouvera parfois de vérifier les faits antérieurement constatés. C’est là évidemment une condition défa- vorable des études que nous poursuivons et à laquelle il faut se résigner. Pour beaucoup de nos observations, l'avenir seul et le seul retour des mêmes conditions heureuses pourront en montrer l'exactitude. Nous ‘avons sous ce rapport une entière confiance en celles que nous avons faites, quelle que soit la défiance avec laquelle nous comprenons fort bien qu’on les ait admises encore tout dernièrement (voy. Berg, V). Notre seul devoir en pareil cas était — et nous n'y avons pas manqué — de multiplier les constatations quand cela a été possible, et d'en appeler quand nous l’avons pu au témoignage des travailleurs qui nous entou- raient. Toujours aussi nous nous sommes fait une loi d'écrire nos obser- vations au jour le jour sur un cahier ad hoc et d'y faire les dessins à l'appui. L'iconographie des Péridiniens elle-même a ses difficultés propres, surtout pour ceux qui sont dépourvus de test comme les Gym- nodinium. Nous avons signalé déjà l’impossibilité presque complète de fixer ceux-ci par les réactifs, d’une manière satisfaisante, et d’autre part nous avons noté leur rapide décomposition. Il est donc toujours urgent d’en prendre la figure alors qu'ils sont actifs et bien vivants ; mais alors aussi leur mouvement est une rotation perpétuelle, et, comme l'être est lui-même d’un dessin irrégulier, il arrive qu'il se présente incessamment par toutes faces dissemblables. Le sens même dans lequel il tourne est défavorable à se bien rendre compte de la configuration de l’être : il porte un sillon spiral, et il se meut sur son axe, comme nous l’avons dit ailleurs, précisément en sens inverse de celui que l’on semblerait attendre de la direction de cette spire. Les descriptions et les figures qui suivent ne sont en quelque sorte que la reproduction de notre Journal. Quand les faits se sont présentés à nous une seule fois, ou deux, nous avons pris soin de le dire, d’indi- quer les circonstances dans lesquelles l'observation a été faite, et la valeur qu’il convient de lui donner. Sous ce rapport nous pouvons 4199 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET déclarer que nous n’avons rien à reprendre à nos observations anté- rieures, tandis que des faits entrevus et signalés par nous à titre excep- tionnel les années précédentes se sont montrés cette fois avec une fré- quence qui ne laissait rien à désirer, apportant la démonstration répétée de particularités que nous n'avions fait qu’entrevoir. Genre Gymnodinium (voy. II, p. 81). Jusqu'ici nous n’avions pu observer qu’isolément quelques individus se rapportant à l'espèce que nous avons dénommée G. polyphemus. Nous les avions toutefois indiqués comme pouvant se présenter avec deux tailles très différentes, formant peut-être deux espèces; mais, d’après la règle constante que nous nous sommes imposée, nous les laissions confondus sous la même dénomination G. polyphemus. L’es- pèce ainsi dénommée par nous peut être définie : « Gymnodinium muni d'un appareil oculaire ». Nous distinguons deux variétés, G. polyphemus var. nigrum et G. polyphemus var. roseum, représentant deux types qui se sont montrés à nous à maintes reprises et que nous avons eu tout le loisir d'observer (1), en même temps qu’une forme nouvelle dépourvue d’organe oculaire et que nous croyons devoir décrire sous le nom de Gymnodinium helix Pouchet. Du 93 au 25 mars et vers le 23 et 24 avril 1886, nous rencontrons dans la baie de Concarneau G. polyphemus var. roseum. Du 25 au 28 avril nous ne le voyons plus, et la forme qui se présente principalement est G. polyphemus var. nigrum. Le 29 avril, nous trouvons Gymnodinium helix, qui ne se rapproche d’aucune des espèces décrites jusqu'ici par Bergh et par nous : la disposition toute particulière de son sillon trans- versal se retrouve d’ailleurs jusqu’à un certain point chez Gymnod. polyphemus var. roseum. Mais, comme elle est à la fois beaucoup plus accusée dans G. helir, et que nous avons pu l'y étudier beaucoup plus complètement, nous décrirons tout d’abord cette dernière espèce. GYMNODINIUM HELIX Pouchet. On peut caractériser cette espèce à la fois par l'absence d'organe ocu- laire et par le contournement du sillon transversal dont l’extrémité (1) Il est possible que les individus décrits et figurés dans notre second travail (II, p. 81 et suiv. et fig. I) et dans le troisième (III, p. 3, et fig. II) doivent être rapportés à G. polyphemus var. nigrum. Nous inclinons même à croire actuel- lement que le dernier de ces individus (III, p. 3, et fig. III) était anormal, monstrueux. Quant au Gym. polyphemus de petite taille que nous avons figuré (IL, fig. 1, c, et ITT, fig. 4), il diffère de G. polyphemus var. roseum par la coloration du pigment oculaire qui était noir. Cette forme ne s’est pas représentée à nous cette année. RÉCHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 193 antérieure dépasse la masse du corps cellulaire et dessine en avant de lui une sorte de tortillon. Rencontrée assez abondamment à partir du 29 avril jusqu’au 3 mai, époque où nos observations durent être sus- pendues, cette espèce remarquable n'avait pas antérieurement appelé notre attention. Il est probable qu'elle ne s'était jamais offerte à nous. Nous la trouvons enkystée, immobile, engagée dans les masses muqueuses qu'on voit parfois en abondance dans les pêches au filet fin (1), et dont l’origine reste incertaine. Nous croyons toutefois que ce sont le plus souvent des mues d’Appendiculaires. Ce kyste, comme tous les kystes normaux des Péridiniens, est extrêmement mince, hyalin; il est beaucoup plus grand que l'être contenu à son intérieur. Les condi- tions d'immobilité où celui-ci se trouve sont particulièrement favorables à l'étude, et nous pouvons le décrire et le représenter très exactement. Ses dimensions sont sensiblement uniformes. Il mesure 35 à 38 u de long. Sa coloration est d'un jaune serin clair. Elle est répandue égale- ment dans tout le cytoplasme. Toutefois elle peut offrir une disposition faiblement rayonnée à partir des pôles. Le noyau se voit mal. On ne distingue pas les flagella. A la place occupée par l'organe oculaire dans G. polyphemus, on découvre quelquefois deux ou trois granulations, mais dont la signification reste incertaine. D'une manière générale, le sillon longitudinal et le sillon transversal sont disposés comme dans Gym. Archimedis Pouchet. Les deux espèces se distinguent d'ailleurs nettement à la fois par l'origine et par la lon- gueur du sillon transversal. Celui-ci naît en quelque sorte au delà du corps dans G. helix et ne décrit pas les deux tours complets qu'on trouve dans Gymn. Archimedis ; il s'avance simplement beaucoup au delà du plan méridien passant par son extrémité antérieure. Le sillon longitudinal s’incurve d’après la règle que nous avons indiquée ailleurs pour garder ses relations normales. Ce qui est parti- culier ici, c’est la disposition de l'extrémité antérieure ou gauche du sillon transversal (voy. I, p. 48). Nous conservons dans notre description les désignations d’extrémités antérieure, postérieure, de faces ventrale et dorsale, telles que nous avons défini ces parties lors de nos premières recherches ; nous rappelons que l'extrémité antérieure porte communément une échancrure médiane dessinant deux éminences plus ou moins prononcées et qui est comme la terminaison du sillon longitudinal; celui-ci — ou sa partie antérieure, quand il affecte une disposition spirale — détermine le côté ventral. Cest à ce niveau également que s’insère le flagellum du sillon longitu- dinal et que le cytoplasme, chez les Péridiniens munis de test, paraît en relation plus directe avec l'extérieur. C’est la désignation de bouche (1) Nous n'avons pas revu ces masses muqueuses dans les pêches pratiquées en septembre et en octobre (1886). 494 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET donnée à ce point et correspondant d’ailleurs vraisemblablement à la bouche des Noctiluques qui nous a engagé à adopter une nomenclature qu'il n'y a d’ailleurs pour le présent aucune raison décisive d’aban- donner, bien que l'être progresse l'extrémité que nous appelons posté- rieure en avant. Dans G. helix l'extrémité antérieure ne présente point de trace d'une double éminence, mais au contraire une sorte de lame saillante con- tournée et excavée d’un côté en gouttière. Celle-ci est l’origine même du sillon transversal, qui semble de la sorte commencer sur une espèce de tortillon saillant. Le côté de ce tortillon, opposé à la gouttière, n’est autre chose que le bord gauche du sillon longitudinal, lequel descend en spirale pour venir se terminer selon la règle à gauche de l'extrémité postérieure du sillon transversal. Le sillon longitudinal est, ainsi qu'il arrive toujours, beaucoup plus étroit que le transversal et se termine brusquement à son point de con- jonction avec ce dernier. Toutes ces particularités morphologiques sont du reste nettement indiquées dans le double dessin que nous donnons de cette espèce pour suppléer à ce qu'a d’imparfait cette description par- ticulièrement difficile. GYMNODINIUM POLYPHEMUS Var. ROSEUM (fig. À). Nous l'avons trouvé le 25 mars et trouvé le 23 avril. Nous n’étions pas au bord de la mer entre ces deux dates. Il est devenu plus rare dès le 26 avril au moment où apparaissaient plus abondants (28 avril) G. poly- phemus var. nigrum et G. helix. G. pol. var. roseum présente une disposition de l'extrémité antérieure du sillon transversal assez analogue à celle de l'espèce précédente, mais les caractères de l'organe oculaire sont nettement accusés : il a une direction constante et une constitution absolument uniforme. L'être se distingue des variétés que nous avons antéricurement fait connaître (voy. IT et III) et de la suivante par la coloration rose du pigment ocu- laire. G. pol. var. roseum mesure 30 u de long. Le cytoplasme peut être en partie incolore et légèrement teint de jaune dans une autre partie; ailleurs, il est complètement hyalin, mais renferme alors une très grosse vésicule d’un liquide coloré par la diatomine. Le corps réfringent ou cristallin de l'œil (voy. III) est claviforme, sa disposition et sa direction sont constantes. Il est placé dans la moitié antérieure de l'être et en même temps tourné vers la partie aborale, c'est-à-dire dans la direction ordinaire du mouvement. La tache pigmentaire est parfaitement limitée, en forme de calotte hémisphérique enveloppant la petite extrémité du cristallin claviforme. Le pigment oculaire peut faire défaut. De même nous n'avons vu RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 195 aucun individu ayant son flagellum antérieur, dont la disposition eût été sans doute intéressante à noter en raison de la disposition même de l'extrémité antérieure du sillon longitudinal. Nous rappellerons que chez un grand nombre de Péridiniens la présence du cil antérieur est presque l’exception. Sur les individus de cette espèce que nous avons observés, les mouvements ne nous ont pas paru être exactement les mêmes que ceux des autres Gymnodinium. Le mouvement de rotation ne s’ac- compagne pas d’un mouvement rapide en avant; l'être décrit géné- ralement un cercle en même temps qu'il tourne sur son axe. GYMNODINIUM POLYPHEMUS Var. NIGRUM (fig. 2 à 5). Ce Gymnodinium est plus grand que les précédents G. helix et G. pol. var. roseum. Il s'est montré assez abondant le 98 avril et nous l'avons vu jusqu au 2 et 3 mai, mais toujours enkysté, soit seul à l’intérieur du kyste, soit double. Un kyste conservé quarante-huit heures en culture nous à montré les deux êtres tendant à se séparer. Ils n'étaient done pas en conjugaison. G. pol. var. nigrum est remarquable par l'abondance de pigment jaune (diatomine) qu’il renferme et qui s'y trouve mêlé — phénomène très particulier — à du pigment noir. Sur un kyste que nous figurons (fig. 2, B), la diatomine forme une large vésicule, indépendamment de grains répandus dans le cytoplasme autour du noyau. Pigment noir. Ce pigment est répandu en grains de grosseur inégale et irréguliers dans le cytoplasme. Ces grains semblent refoulés surtout à la périphérie et affectent quelquefois la disposition en zébrures méri- diennes d’une régularité frappante. Dans Gymnodinium spirale nous avons déjà vu le pigment rouge affecter la même disposition symétrique par rapport à l’axe de l'être (1). Il semble parfois que le pigment noir avoisine d’une façon élective les gros grains de diatomine. C'est le même pigment mélanique qui forme l’amas choroïdien. Sur la plupart des individus que nous avons observés, cet amas est irrégulier. On peut toutefois le voir figurant une sorte de calotte hémisphérique coiffant l'extrémité du cristallin, et pré- sentant alors la même disposition que le pigment rose dans Gymn. polyph. var. roseum. Notons encore l'existence dans certains cas, au voisinage du corps cristallinien et au contact du pigment mélanique, d'un grain rose que nous avons représenté (fig. 3, B) et qu'on peut considérer peut-être comme partie constituante de l'organe oculaire, ainsi qu’on le verra plus loin. Cristallin. Le cristallin peut être constitué par un seul corps réfrin- (1) Voy. Il, p. 46. Gymnodinium gracile (G. spirale var. nobile). 1926 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET gent d’une forme nettement définie comme dans G. polyph. var. roseum ; mais dans la plupart des cas on voit à la place de celui-là des amas de globes hyalins, sphériques sur leur face libre et en contact par des surfaces planes les uns avec les autres. Il semble donc que l’amas pigmen- taire aussi bien que le cristallin présentent une évolution parallèle. Ces deux organes — si tant est qu'on puisse donner le nom d'organes à des produits intra-cellulaires — semblent se former par la fusion de parti- cules de même nature, d'abord plus ou moins distantes dans le cyto- plasme, qui se rapprochent ensuite, s'unissent et prennent finalement une forme définie répondant à la notion que nous nous faisons de l'organe chez les animaux polyceliulaires. Les nombreux individus en cours de segmentation dans les kystes étaient réciproquement disposés comme nous l'avons indiqué ailleurs, l'extrémité aborale de l’un se trouvant en contact avec l'extrémité orale de l’autre. Le kyste renfermant ces couples est toujours très mince, tantôt appliqué contre les deux êtres et tantôt beaucoup plus grand (voy. fig. 4 et 5). Dans un cas (fig. 4) nous voyons ce kyste enveloppé d'un autre plus mince et comme chiffonné; cette production de kystes mem- braneux intérieurs les uns aux autres n’est pas un fait rare chez les Gymnodinium. La segmentation qui s'opère à l’intérieur de ces kystes, en admettant le générateur comme donnant naissance à deux êtres qui seront sem- blables à lui-même, soulève dans le cas de la présence d’un produit cytoplasmique spécial comme l'œil de Gymnod. polyp. une question intéressante. Comment se fait le dédoublement ou plutôt le doublement de l'organe ? Pour résoudre cette question de physiologie cellulaire fort intéressante et sur laquelle les anatomistes paraissent avoir peu insisté, - il faudrait évidemment pouvoir suivre tout le processus de la segmenta- tion. L’organe oculaire se dédouble-t-il comme fait un noyau? ou bien celui qui existait demeure-t-il affecté à un des individus et un nouvel œil se forme-t-il de toutes pièces chez l’autre? Nous représentons un individu en scissiparité (fig. 3) qui à ce point de vue présente un certain intérêt. On remarquera d’abord le volume considérable des deux noyaux où le filament nucléaire affecte une dispo- sition parallèle à l’axe des deux êtres. Cette particularité est d'autant plus visible que la diatomine a sensiblement diminué. L'être inférieur a un œil complet, mais dont le corps pigmentaire paraît en partie engagé dans le cytoplasme appelé à constituer l'être supérieur. Celui-ci à un corps cristallinien normalement constitué de plusieurs globes réfringents rapprochés et formant un amas tout à fait semblable à celui de l'être inférieur ; mais le corps pigmentaire fait défaut ou du moins n’est repré- senté que par un seul granule mélanique placé à quelque distance et dont la signification comme corps choroïdien reste par là même incer- taine. On peut supposer qu’au cours de la scissiparité la masse pigmen- RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 191 taire et la masse cristallinienne sont appelées l’une et l’autre à se par- tager, tout en augmentant de masse, pour donner deux yeux. Il est également possible que l'œil primitif disparaisse, se fonde entièrement au cours du partage et que deux yeux nouveaux se constituent ensuite de toutes pièces. Ce sont là autant d'hypothèses que justifie l'ignorance profonde où nous sommes du mécanisme intime de la segmentation cellulaire. Celui-ci n’a été en somme étudié jusqu à ce jour que sur des cellules présentant à la fois un cytoplasme sensiblement homogène et ayant de plus une configuration sensiblement géométrique. Mais le cas des êtres unicellulaires est beaucoup plus compliqué. Dès que le cyto- plasme n’est plus sensiblement homogène, surtout dès que Pindividu n'est plus symétrique autour d’un axe — et c’est le cas pour les Péridi- niens — la segmentation s'accompagne nécessairement de phénomènes morphologiques, d'une prise de forme, si on peut s'exprimer ainsi, qui résultera soit d'un complément de parties existant déjà, par un phéno- mène analogue à ce qu'on observe dans les cas de régénération, soit d'une refonte totale de l'être primitif en une masse de forme plus simple, qui se divisera elle-même en deux moitiés reprenant progressivement la figure de l'être antécédent. Les choses se passent ainsi pour Peridinium divergens et d’autres Péridiniens cuirassés. Est-ce à l’un de ces deux processus que se rattache la segmentation de Gymnod. polyphemus? Offre -t-elle un type spécial, et comment, en particulier, se fait le dédou- blement de l'œil? Nous sommes réduits ici aux conjectures. Nous savons seulement que cet œil présente selon les individus des degrés d'organi- sation très différents et il n’est guère possible de se tromper dans l’ordre chronologique qui doit les relier. Un stade, le premier en date évidem- ment, montre le corps cristallinien formé de la réunion de plusieurs globes fortement réfringents, disposés en un amas dont le contour géné- ral a cependant déjà une configuration nettement définie ; il est plus long que large, légèrement incurvé, toujours dans la même situation relati- vement à l'être. En même temps, le pigment qui coiffe cet amas de sphères réfringentes est diffus, irrégulièrement étalé ; il s'étend de tous les côtés dans le cytoplasma. Un second stade (fig. 2, C) reproduit exactement la disposition existant dans Gymnod. polyph. v. roseum. Le cristallin est claviforme, légère- ment incurvé. Il semble toutefois qu'on y distingue la trace de sa for- mation aux dépens de plusieurs globes, accusée par une sorte de limite visible entre la masse terminale arrondie et le prolongement qui s’en- fonce dans le pigment choroïdien. On ne peut douter que les sphères primitives se soient fusionnées. — Le pigment, de son côté, n’est plus en amas irrégulier, s'étendant de divers côtés : il forme une calotte hémi- Sphérique parfaitement limitée, comme le pigment rose dans l'espèce précédente. On peut encore trouver un dernier degré de perfectionnement de cet Ca 128 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET organe oculaire. Outre les parties que nous venons d'indiquer, il existe en plus autour de la base du corps cristallinien, à petite distance du bord de la calotte pigmentaire, une sorte d'anneau incomplet de pigment d’un rouge un peu rabattu. Nous avons signalé plus haut l'existence d'un granule du même pigment rouge à côté du pigment noir encore à l’état diffus. Si l’on compare les deux figures (fig. 2, B, et fig. 5) où nous avons représenté ces dispositions telles qu'elles se sont offertes à nous à plu- sieurs jours d'intervalle, on verra que le grain de pigment rouge, signalé dans l’œil encore imparfait occupe précisément la place de l'anneau pigmentaire rouge sur l'œil arrivé à ce qu’on doit considérer comme son dernier degré de perfectionnement. Nous avions antérieurement décrit et figuré (voy. IT, p. 61 et 62) un Gymnodinium appartenant évidemment à l’éspèce que nous avons dénommée plus tard Gymnodinium polyphemus (voy. IIT, p. 10), où nous montrions le corps cristallinien composé d’une partie centrale pou- vant être énucléée et chassée de la partie périphérique qui reste alors plissée sur elle-même (1). Ce Gymnodinium était en même temps complètement incolore. D’autres individus que nous avons rencontrés aussi, où la diatomine semblait en cours de disparition, permettent de supposer que Gym. polyph. finit par devenir incolore, perdant ainsi son pigment végétal, en même temps qu'il revêt ce qu'on pourrait appeler un caractère d’animalité plus accusé. On ne perdra pas de vue que tout nous est inconnu du cycle évolutif des êtres qui nous occupent, et que, par conséquent, des formes même beaucoup plus dissemblables que celles que nous comparons ici peuvent appartenir à la même espèce, et ne représenter que des âges ou des stades évolutifs différents. L'étude de ces modifications intimes (disparition de la diatomine, etc., etc.) chez des êtres essentiellement unicellulaires, l'existence chez eux, non seulement de produits intra-cellulaires, tels que nématocystes, mais de véritables appareils de tous points identiques à un œil, montrent bien en quoi et à quel point la notion anatomique diffère de la notion pure- ment histologique. La description de la cellule unique, dont le Protozoaire est constitué ne nous conduit pas plus loin que la description purement morphologique d'un Métazoaire quelconque et ne nous enseigne rien sur les conditions de fonctionnement de la matière organisée. On peut dire qu’en face de cette cellule, tous les problèmes se posent que nous croyons généralement corrélatifs du seul jeu des organes, et ils se posent avec des difficultés nouvelles, en quelque sorte plus grandes. Nous (1) Ce fait ne suppose pas nécessairement l'existence d’une membrane dis- tincte, mais simplement une densité plus grande de la surface, particularité qu'il est fréquent de rencontrer dans une foule d'éléments anatomiques et même dans des cellules, où cette couche plus dense et plus résistante du cytoplasme à la périphérie ne doit pas être confondue, comme on l’a fait souvent par erreur (pour les hématies, etc.), avec une membrane cellulaire. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 199 n'avons aujourd'hui, sur l'anatomie et sur la physiologie cellulaires, que des connaissances justement équivalentes à celles que nous donnent l'anatomie descriptive des espèces animales et la physiologie de leurs appareils ; nous ne connaissons guère des cellules que leurs propriétés purement morphologiques. Quant à leur physiologie, nous croyons à la vérité connaître le fonctionnement de tels ou tels éléments, fibres nerveuses ou fibres musculaires, parce que, pour les besoins de l'étude et par une tendance presque naturelle à la simplification, nous ne voyons dans le jeu de ces parties que la fonction exclusive que nous leur attribuons et qui n’est en somme que leur fonction dominante. Tous les éléments anatomiques, on peut le dire, présentent des phénomènes aussi nombreux et aussi complexes que l'être unicellulaire ; ils jouissent de toutes les propriétés vitales à la fois, seulement avec des intensités diverses. Chez le Protozoaire, où tout est réuni, où toutes les fonctions, que nous répartissons aux divers éléments anatomiques, sont con- densées en quelque sorte dans un seul et unique corps cellulaire, il faut bien qu'il en soit ainsi. C'est alors qu'il devient bien évident que la base même de la biologie en définitive est non pas dans la détermina- tion plus ou moins exacte de la constitution cellulaire, comme le croient trop aisément les histologistes qui ne voient rien au delà de la morpholo- gie des tissus, mais réside dans la constitution même et le fonctionnement de la matière vivante, indépendamment de toute condition morphologique dans ce que Ch. Robin appelait l’état d'organisation. — Ce qu'est l'état d'organisation, nous l'ignorons profondément, mais c'est de ce côté qu'il importe de diriger toute notre attention. Et sous ce rapport, les êtres unicellulaires semblent particulièrement propres à nous donner l'idée nette de son importance et de la manière dont il domine réellement toutes les questions biologiques. Avons-nous besoin de nous justifier d'avoir donné le nom d'organe oculaire à l'appareil complexe, très uniforme, toujours orienté de même, que nous venons de faire connaître sur les diverses variétés de G. poly- phemus, toute réserve faite sur l'emploi de cette expression « organe », appliquée à un produit intra-cellulaire ? La question est de savoir si ce produit doit être considéré comme fonctionnant à la façon d'un organe. Nous ne reviendrons pas sur les différents aspects de cette question antérieurement traitée par nous (voy. IT, p. 61 et suiv.). Nous nous bornerons à faire remarquer, une fois de plus, la similitude com- plète, absolue, de cet organe avec les appareils visuels de nombre d’Arthropodes, de Vers, en particulier de Turbellariés, similitude telle que tout anatomiste, tout micrographe ignorant l'origine de cet appareil, l’attribuerait sans hésitation à une des catégories d'animaux que nous venons d'énumérer. Le fait pourra prendre ici un certain intérêt en ce que les êtres chez lesquels nous décrivons cet appareil sont regardés aujourd'hui, par la plupart des naturalistes qui s'en occupent, comme 9 130 RECUEFIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET EXPLICATION DE LA PLANCHE VII Fi. 1. — Gymnodinium polyphemus var. roseum Pouchet. Deux individus vus par les faces opposées. F1G. 2. — Gymnodinium polyphemus var. nigrum Pouchet. — A, individu normal, œil encore non entièrement formé; — B, autre individu, même état de l'œil, enkysté; — GC, autre individu enkysté, œil complètement développé. F1G. 3. — (Gymnodinium polyphemus var. nigrum Pouchet. Deux individus en cours de scissi- parité (?) dans un kyste très étroitement appliqué sur eux. FiG. 4. — Gymnodinium polyphemus var. nigrum. Individus conjugués dans un double kyste. F1G. 5. — Œil de Gymnodinium polyphemus var. nigrum, isolé, grossi, pour en montrer les détails : le corps cristallinien, l'amas pigmentaire choroïdien, l'anneau de pigment rouge. F1G, 6. — Gymnodinium musæi Danyz. — AB, deux individus; — C, kyste contenant quatre jeunes, reconnaissables à la disposition de l'organe oculaire ; — D, individu enkysté appartenant peut-être à la même espèce; — E, disposition et forme des deux bâtonnets principaux, vus à un grossissement plus considérable. Fi@. 7. — Gymnodinium punctatum Pouchet, à différents états. — À, individus normaux, l'un avec globule de diatomine; — B, individu mal formé; — CC. individus jeunes montrant un flagellum implanté soit latéralement, soit à l'extrémité de l'axe. FiG. 8 et 9. — Gymnodinium punctatum var. grammaticum Pouchet. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 131 TT EEE CR ee PLANCHE VII GPouche} a nat det Gymnodinium polyphemus P., etc. 132 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET devant être classés parmi les végétaux, ainsi que nous l'avons annoncé dès le début de nos recherches. Ce serait seulement une raison nouvelle d'effacer la distinction arbitraire autrefois établie entre les deux préten- dus règnes. L'absence de système nerveux sensitif ne saurait être une objection puisqu'il faut considérer chaque particule du cytoplasme comme primitivement sensible, de même qu'elle est primitivement mobile. L'appareil que nous décrivons dans G. polyphemus n'a d'autre part rien de commun avec la tache pigmentaire rouge que peuvent présenter nombre de Péridiniens, et que nous avons décrite avec détail sur cer- tains Glenodiniums. Une masse sphérique de pigment rouge, dont l'existence, les dimensions, la place même au sein du cytoplasme, ne paraissent pas constantes, ne saurait être assimilée à un appareil comme celui que nous décrivons dans Gymn. polyphemus. Il est d'usage aujourd'hui de désigner ces amas de pigment rouge comme substances de réserve. Peut-être abuse-t-on quelque peu de cette dénomination. En tout cas, si on peut sans invraisemblance l'appliquer à des masses amorphes de substance se produisant au sein du eytoplasme, comme un grain d'amidon, d’aleurone ou une gouttelette d'huile, il serait contraire à toute méthode scientifique d'étendre la même dénomi- nation à un appareil formé de parties complexes (sortes d'organes pre- miers), agencés suivant des rapports nettement définis. Il y aurait juste autant de raisons pour appeler aussi les nématocystes des substances de réserve. Les Péridiniens munis d'appareil oculaire offrent-ils une sensibilité spéciale à la lumière ? Nous ne pouvons répondre à cette question. Le petit nombre des individus observés jusqu'ici ne nous a permis naturel- lement aucune expérience. D'autre part, il est bien certain que nombre de Péridiniens dépourvus de cet appareil, et même de tache oculaire, se dirigent très énergiquement à la lumière ; de même aussi on peut trouver parfois, et en grand nombre, des individus de ces espèces généralement sensibles à la lumière, sur lesquels la'‘lumière semble n’exercer aucune influence. _GYMNODINIUM MUSÆI Danyz (espèce d’eau douce) (fig. 6). Je ne m’étendrai point ici sur cette espèce d’eau douce que M. Danyz a découverte dans les bassins du Muséum de Paris et qu’il se propose de décrire en détail. Je ne signalerai que la forme de l'organe oculaire de ce Gymnodinium intéressant par son habitat, puisqu'on ne connaissait jusqu’à ce jour, vivant dans l’eau douce, que des Péridiniens munis d'un test (genres Peridinium et Ceratium). Nos observations ont été faites au commencement de juin 1886. G.musæi mesure environ 20 y de long sur 15 & de large, c'est donc un RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 133 Péridinien de petite taille. Il a la forme nettement péridinienne. On trouve en même temps des kystes ovoïdes (fig. 6, C) à mince paroi, plus grands et qui mesurent 25 à 30 w de long. Dans ces kystes on peut aper- cevoir trois ou quatre petits Péridiniens en formation et nettement reconnaissables à leur organe oculaire. G. musæi a généralement la partie antérieure du corps moins large et moins longue que la postérieure. Le sillon transversal est circulaire, ses deux extrémités se rejoignent sensiblement. Le sillon longitudinal est peu accusé. Le corps de l'être est notablement déprimé, en grande partie transparent. Le noyau se voit mal. Le cytoplasme contient des globules sphériques présentant la couleur verte de la chlorophylle, particularité que nous n'avions observée jusqu'à présent que sur Protoperidinium viride Pouchet (voy. IT, p. 78). Ce qui distingue spécifiquement G. musæi, avec sa forme et ses dimen- sions, c'est l'existence et la forme d'un organe oculaire qu'on ne peut ici non plus regarder comme une simple tache, mais qui est loin, d'autre part, de présenter la complication et l'importance de l'appareil oculaire chez G. polyphemus. Ce que nous appelons l'organe oculaire chez G. musæi est formé de deux bâtonnets rouges accolés, rappelant un peu l'œil frontal de certains Nauplius. lei, toutefois, les deux traits sont rec- tilignes et légèrement séparés. Leur diamètre est d'environ 1 et leur longueur de 2 à 3 w. La position de l'organe est constante : les deux traits rouges sont orientés suivant l’axe de l'être, ils sont au voisinage immédiat de la surface, du côté ventral, sous le sillon longitudinal. On devra, jusqu’à nouvel ordre, rapporter à la même espèce des kystes que nous avons rencontrés dans des eaux provenant des envi- rons de Paris. Ces kystes ovoïdes, à extrémités obtuses, contenaient un Péridinien, vraisemblablement un Gymnodinium, un peu plus grand à la vérité, et d'une forme un peu différente de celle des individus re- cueillis au Muséum. Le cytoplasme est jaunâtre avec quelques points de pigment orangé. Le noyau est bien visible, présentant des ponctuations fort nettes. Il y a aussi un organe oculaire composé de deux bâtonnets de pig- ment rouge ; ces bâtonnets observés avec un fort grossissement sont à extrémités arrondies, l’antérieure étant un peu plus large (fig. 6, E\. Dans un cas, nous voyons en arrière des deux traits rouges, et comme dans leur prolongement, deux autres traits beaucoup plus fins, et qui semblent le début d’un nouvel organe oculaire. Peut-être assistions- nous là aux préliminaires d’une segmentation. Nous renvoyons à ce que nous avons dit plus haut. 134 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET GYMNODINIUM PUNCTATUM Pouchet (fig. 7). Nous donnons ce nom à un très petit Gymnodinium qui pourrait par ses dimensions prendre place à côté de Gymnodinium pulviseulus (voy. IT, p. 82). C'est une espèce marine. Nous la signalons ici, parce qu’elle présente aussi une tache ou point rouge, mais que nous ne pré- tendons pas, d’ailleurs, assimiler à l'organe oculaire de G. polyphemus, ni même au double trait rouge de G. musæi. Le petit Gymnodinium qui nous occupe s'est offert à nous en très grande abondance. Il est très vivement attiré par la lumière. Il mesure 10 y de long. Sa forme rappelle à peu près G. pulvisculus. Le corps cel- lulaire est hyalin, avec quelques très rares et très petites granulations. Elles forment communément un groupe, au nombre de trois ou quatre. Parmi celles-ci il en est une rosée, à contours mal accusés, comme si le pigment rouge diffusait. Quelques individus présentent un granule brun (diatomine) beaucoup plus gros (fig. 7, A). Parfois la forme de l'être est irrégulière, une des éminences du côté oral paraissant ne s'être point développée (fig. 7, B). Le noyau est proportionné au corps cellulaire et laisse nettement voir le dessin du filament nucléaire tel qu'il apparaît ordinairement chez les Péridiniens. De petits Gymnodiniums, assez semblables pour les dimensions à celui que nous décrivons, ne sont pas rares dans les pêches pélagiques et se présentent parfois en assez grand nombre (spécialement dans les amas muqueux dont nous avons parlé plus haut et qui sont probablement des mues d'Appendiculaires), mais ils n’ont pas la tache rouge ordinaire de G. punctatum. L'intérêt de ce dernier est surtout dans ce fait qu’il s'est montré à nous accompagné de formes plus petites encore, n'ayant pas la configuration péridinienne et où il est cependant impossible de ne pas voir des représentants de l'espèce. Ces individus plus jeunes, en tout cas plus petits, mesurent 9 KL ou 8 uv. Beaucoup se présentent avec une forme simplement ovoïde plutôt que péridinienne ; on voit aussi qu'ils sont légèrement déprimés et en même temps légèrement arqués, en sorte qu'une des faces est convexe et l’autre plutôt concave, comme se creusant d’un sillon transversal. L’apparence du cytoplasme est la même, mais l'identité, indépendamment du voisinage et de toutes les formes de passage, estattestée par le groupe de fines granulations où se distingue la granulation rose avec les mêmes caractères. Plusieurs de ces petits êtres ovoïdes laissent voir un cil dont la place d'insertion semble varier sélon les individus. Peut-être est-ce tantôt l’un, tantôt l’autre des deux cils qu'ils doivent normalement posséder, qu'on voit à cette époque (fig. 7, C). Nous ne perdons pas de vue qu’en décrivant ces individus ovoïdes CT RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 13 plus petits, comme l’état jeune de Gymn. punctatum, nous supposons un mode évolutif qui diffère de tous ceux que nous avons indiqués jusqu'ici, et particulièrement de celui de G. pulvisculus, dont G. puncia- tum se rapproche par la taille. IL nous suffira de rappeler que nous avons déjà à diverses reprises et longuement insisté sur la grande variété d’évolutions aboutissant à la forme péridinienne, et nous ne devons en conséquence éprouver aucun étonnement d'avoir à en signaler une nouvelle. Devons-nous attribuer à la même espèce une autre forme (fig. 8 et 9) que nous trouvons quelques jours plus tard (24 septembre) dans les mêmes récoltes, d'une taille plus que double, et avec des caractères assez différents, mais présentant une tache rouge allongée, constante, qui rappelle un peu celle de G. musæi? Ce Gymnodinium mesure 25 à 26 & de long et 18 y environ de large. Les deux éminences antérieures sont inégales, généralement plus étroites ensemble que la postérieure. L’être est assez fortement déprimé. Le corps est rempli de diatomine en grains, il est par conséquent jau- nâtre. Le noyau n’est pas distinct. Une tache rouge en forme de point d'exclamation occupe la même place que dans G. musæi; son extrémité élargie se trouve à la hauteur du sillon transversal, puis le trait va en s'’amincissant vers l'extrémité antérieure. Quelquefois, au niveau de la grosse extrémité, on voit plu- sieurs petites granulations très fines et très réfrangibles, comme celles que nous avons décrites plus haut. Il nous à paru dans certains cas que ces petites granulations pouvaient être rouges aussi. Sur quelques indi- vidus, plus rarement, le trait est arqué, et s'étend dans la partie posté- rieure ; il se termine alors en pointe aux deux extrémités. On trouve en même temps des corps fixes sphériques, qui sont évi- demment un état de repos ou jeune du même être. Ces sphères mesu- rent 16 de diamètre. Elles présentent le même trait rouge de même forme, et on peut y voir aussi, vers son extrémité arrondie, les mêmes fines granulations foncées. L’assimilation est donc positive. Il est moins certain que les êtres, qui se sont présentés à nous sous cette double forme, représentent un stade ultérieur de Gymn. punetatum tel que nous venons de le décrire, bien que les conditions où nous les avons rencontrés puissent le faire supposer. Nous désignerons en conséquence provisoirement cette forme comme une variété de la précédente, sous le nom de Gymn. punctatum, var. grammaticum, pour rappeler la forme du trait rouge, assimilable à celle d'un signe d'écriture. 136 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET PoLykRIKOS AURICULARIA Bergh (fig. 10 à 13). L'intérêt qui s'attache à Polykrikos auricularia est d’un ordre tout particulier. Nous y avons insisté (I, p. 48) et nous n'y reviendrons pas. Toutefois il nous à paru que sur un être aussi extraordinaire — qui, avec des affinités évidentes le reliant aux Péridiniens, présente des caractères d’une animalité supérieure, — aussi rare et d’une observation aussi délicate, on ne pouvait trop multiplier les indications propres à éclairer sa véritable nature. Les conditions dans lesquelles de nouveaux individus se sont présentés à nous, quoique étant absolument nouvelles, n’apportent il est vrai aucune lumière sur le devenir de cet être problé- matique. Nous n'avons pas moins cru de notre devoir de multiplier les descriptions et les figures des individus qui s’offraient. Nous rappelle- rons seulement que les noyaux peuvent être au nombre de deux (voy. IT, pag. 100), ou de quatre (voy.I, p. 48), ainsi que l'existence, déjà signalée par nous dans le cytoplasme rose, de vésicules sphériques, ou d'une masse rouge-orangé. Le 29 avril, la pêche au filet fin présente plusieurs Polykrikos. J’en observe un dont la forme a ceci de particulier que la moitié postérieure du corps (l'antérieure dans le sens de la marche) a les dimensions habi- tuelles, tandis que l’antérieure est moins large de moitié, avec une légère courbure et une légère torsion (fig. 10). Il ÿ a quatre noyaux. La portion rétrécie a le nombre de segments et de noyaux normaux. — On pourra rapprocher l'apparence, offerte par ces individus, de l'existence que nous signalons plus loin, de Polykrikos présentant seulement quatre segments et deux noyaux. Peut-être doit-on admettre qu'il s’agit dans le cas présent d’une réparation organique succédant à une seg- mentation ; le nombre normal des segments et des noyaux peut toute- fois ici laisser quelque doute. Le 30 avril, un autre Polykrikos nous présente quatre noyaux égale- ment, mais comme conjugués deux à deux, chaque groupe étant en forme de bissac. Il est probable que nous assistons ici à la segmentation des deux noyaux que présentent un certain nombre d'individus. Nous renvoyons à la description du Polykrikos à deux noyaux très nets observé par nous le 22 juillet 1883 et qui avait servi de type à notre pre- mière description (voy. I, p. 48). Demi-Polykrikos (fig. 11).11 n'est pas très rare de trouver des individus qu'on pourrait désigner sous le nom de demi-Polykrikos, chez lesquels le nombre des segments et des noyaux offre d’ailleurs une constance remarquable. Le demi-Polykrikos n'a que quatre segments avec deux noyaux en bissac, doubles par conséquent, rarement quatre noyaux. L'extrémité antérieure et l’extérmité postérieure du corps ne présentent rien de particulier qui indique que ces demi-individus sont le produit d'une segmentation. | RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 131 On peut observer dans ces demi-Polykrikos, aussi bien d’ailleurs que dans les autres, une gouttelette jaune (de diatomine?) noircissant par l’action de l'acide osmique. Un demi-Polykrikos trouvé le 2 mai offrait, à côté des nématocystes qu'on y voit communément, une abondance extraordinaire de tricho- cystes, ou du moins de petits corps réfringents allongés, un peu recour- bés, obtus aux deux extrémités. — Un autre présenta une tache de pigment rosé. Inclusions. Une apparence beaucoup plus extraordinaire est celle que nous observons pour la première fois le même jour et que nous nous bornons à relater (fig. 12). L'individu renfermait à son inté- rieur un corps ovoïde volumineux qui avait dû se développer là à la façon d'un œuf. Ce corps présente une membrane d’enveloppe très distincte, et sa substance est rosée comme le Polykrikos lui-même. Celui-ci tout gonflé mesure 140 & de long sur 80 ÿ de large. Il se moule sur le corps ovoïde, tout en gardant ses caractères propres. Ses segments sont nette- ment reconnaissables aux sillons qui les limitent; l'antérieur et le posté- rieur ne sont nullement déformés. Les sillons donnent au contour de l'être un aspect crénelé; chaque créneau représente un sillon transver- sal. Les sillons intermédiaires sont à peine distincts. Les noyaux ne sont pas apparents ; du moins nous ne parvenons pas à les découvrir et on peut admettre qu'ils se sont atrophiés par suite du développement du corps ovoiïde inclus. Les autres parties constituantes qu'on trouve ordi- nairement dans le cytoplasme sont refoulées, mais d’un côté seulement : ce sont des nématocystes, des granules jaunes et un globe jaune analogue à celui que nous avons signalé plus haut dans les demi-Polykrikos. L'être paraît susceptible de se déplacer légèrement, ce qui indique que quelque partie de flagellum doit subsister. En faisant tourner ce Polykrikos sur lui-même, on voit que le corps central n’est pas complètement ovoïde, mais légèrement déprimé d’un côté. Son contenu, qui est rosé, granuleux, avec quelques granuliations jaunâtres, semble divisé en cellules; mais, comme on va le voir, cette apparence est propre à l'enveloppe. Notre premier soin avait été de chercher à isoler cet être si extraordi- naire. Dans le transport que nous en faisons, peut-être par suite d’un froissement de la pipette, il éclate, et le cytoplasme se disperse en nuage, comme c'est l'ordinaire pour les Gymnodiniums. Le corps ovoïde, n'étant plus abrité, subit l'influence de l'eau. Le contenu s’écarte de la paroi, d'un millième de millimètre environ. C'est alors qu'on peut nettement recon- naître que les prétendues divisions cellulaires remarquées tout d'abord sont simplement des qualités de structure de la coque. Sur la face où elle se présente à nous, des traits très fins, et cependant bien distincts, sont disposés comme l'indique notre figure 12. La symétrie est complète à droite et à gauche, mais elle ne l’est pas en avant et en arrière, c’est- LCR 138 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET EXPLICATION DE LA PLANCHE VIII F1G. 10.— Polykrikos auricularia piriforme. F1G. 11. — Demi-Polykrikos. F1G. 192. — Polykrikos auricularia contenant un corps ovoïde de grande dimension. Aspectna- IE turel. FiG. 13. — Polykrikos auricularia contenant un corps ovoïde de moindre dimension et traité par les réactifs. La substance du corps ovoïde est en partie rétractée sur‘elle-mème. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 139 PLANCHE VIII GRuchet ad nal del : Polykrikos auricularia Bergh. 140 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET à-dire selon le grand axe du corps ovoïde. On compte sept segments. Une des extrémités est occupée par un segment triangulaire dont les lignes de démarcation se réunissent et se continuent par un trait médian sépa- rant trois segments d'un côté et trois de l'autre. Ce cas d'inclusion — le plus remarquable que j'aie observé — n'est pas toutefois le seul. Un autre Polykrikos (fig. 13) s'est présenté de même avec un œuf (?) inclus, plus petit, également excavé d’un côté. On voit très bien les noyaux, au nombre de quatre, refoulés, deux en avant et deux en arrière. Dans la préparation à laquelle on procède en vue de fixer l'être, le corps inclus gonfle et fait perdre au Polykrikos sa régularité primitive. En même temps le contenu de l'œuf (?) subit un retrait considérable qui le réduit à une calotte hémisphérique. Notre figure 10 représente l’état d'altération que nous indiquons. Le contenu de l'œuf (?) a bruni par l'acide osmique et offre des grains irré- guliers plus foncés. Nous trouvons également un demi-Polykrikos considérablement gonflé et presque devenu sphérique par le fait d'une inclusion du même genre. Il mesure 80 y sur 70 p. On voit deux noyaux. Mais ici le corps inclus ne paraît plus être un œuf, mais plutôt un Crustacé ou un Rotateur. Du moins il semble qu'on ait sous les yeux une enve- loppe chitineuse plissée, assimilable à celle d'une espèce de rotifère qu'on trouve en abondance dans ce moment même sur la mer. Une partie plus jaune à l’intérieur de cette membrane pourrait être inter- prétée comme le résidu d’un foie. Nous notonsici simplement ces observations, sans dissimuler l’'embar- ras où elles nous ont plongé. Il fut d'autant plus grand, que les pêches aux filets fins apportaient en même temps un grand nombre d'œufs d’un Rotateur ayant à fort peu de chose près le même aspect que ces corps inclus, la même coloration, avec les mêmes gouttelettes jaunâtres. À la vérité ils étaient sphériques sans dépression marquée, et surtout on n’y retrouvait pas le dessin stellaire du premier corps observé. Jamais, d'autre part, nous n’avons trouvé dans Polykrikos, pas plus que dans tout autre Péridinien, aucun exemple de corps étranger morphologique- ment défini, qu'on püt supposer avoir été absorbé par lui. Le plus petit des corps inclus, que nous ayons observé, mesurait 30 & dans un Polykrikos large de 60 &. Il faudrait admettre en ce cas que le corps con- tinue de s’accroître. Mais, d'autre part, avec ces dimensions, il ne saurait plus être question d'œuf de Rotateur. Nous répétons que nous livrons les faits qui précèdent comme de simples observations, attendant de l'avenir les lumières permettant d'en RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 4141 donner une interprétation rationnelle. S'agit-il iei d’un simple accident d'absorption, ou d’un fait de parasitisme, ou sommes-nous en présence d'un phénomène évolutif? Nous ne pouvons le dire quant à présent. Concarneau, septembre 1886. BIBLIOGRAPHIE I. Poucaer. — Contribution à l'histoire des Cilio-flagellés. Journal de l’Anatomie, 1884. II. Poucaer. — Nouvelle contribution à l'histoire des Péridiniens marins. Jour- nal de l’Analomie, janv.-fév. 1885. III. Poucuer. — Troisième contribution à l'histoire des Péridiniens. Journal de l'Analomie, nov.-déc. 1885. IV. Bürscuzr. — Einige Bemerkungen über gewisse Organisationsverhältnisse der sog. Cilioflagellaten und der Nocticula. Morph. Jahrb. 1885. V. V. BerGn. — Neüe Untersuchungen über Cilioflagellaten. Kosmos, 1884, [. Bd. p. 385. CINQUIÈME CONTRIBUTION A L'HISTOIRE DES PÉRIDINIENS PERIDINIUM PSEUDONOCTILUCA POUCHET (PLANCHE IX) À Monsieur Bütschli. « Monsieur et honoré confrère, « Nous ne sommes pas d'accord (2) sur les rapports intimes existant entre les Péridiniens etles Cysto-flagellés, en particulier Noctiluca milia- ris. Permettez-moi de vous dédier ce court travail. « G. POUCHET. » C'est pendant l'été de 1884 que nous avons découvert dans les pêches au filet fin faites en baie de Concarneau le Péridinien muni d’un tenta- cule auquel nous avons donné le nom de Gymnodinium pseudonoecti- luca (3). Nous n'avions pu observer à cette époque qu'un seul individu ayant (1) Voyez Contribution à l’histoire des Cilio-flagellés, Journal de l'Anat. et de la Physiol., 1884. — Nouvelle contribution à l'histoire des Péridiniens marins, Ibid., janvier-février 1885. — Troisième contribution à l'histoire des Péridiniens, Ibid., novembre-décembre 1885. — Quatrième contribution à l’histoire des Péri- diniens, 1bid., mars-avril 1887. (2) Voyez Bütschli, Einige Bemerkungen u. s. w., Morphol. Jahrbuch, Bd. X, 1885, p. 529, el Protozoa, in Bronn's Klassen und Ordnungen des Thier-Reichs, 1883- 1887, Bd. I, p. 1081. (3) Voyez : Nouvelle contribution, etc. Journal de l’Anat. et de la Physiol., janvier- février 1885. Nos observations ont élé très bien résumées par Bütschli dans Bronn’s KI. u., Ord. Bd. TI, p. 1070. Nous ferons toutefois remarquer que Bütschli donne comme positivement successifs divers états dont nous avions simplement dit qu'on pouvait les regarder comme successifs. En réalité, admettant même que ces divers états marquent les étapes d'une évolution nécessaire de l'individu, RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 443 le tentacule analogue à celui des Noctiluques, bien développé. Et même depuis lors, malgré de très nombreux examens, chaque année, de la faune pélagique à Concarneau, nous n’avions point revu G. pseudonoc- tiluca. Le fait n'avait d'ailleurs rien d’anormal et un très grand nombre d'êtres pélagiques, non seulement microscopiques, peuvent ainsi sortir du domaine de l'observation pour un temps plus ou moins long. L'examen de pêches pélagiques pratiquées aux îles Feroë nous a remis en présence de G. pseudonoctiluca. Pendant plusieurs jours de suite, nous avons pu observer un grand nombre d'individus, dans des conditions variées, et même garder l'être en culture et le voir se multi- plier. Les pêches ont été faites à Thorshaven dans des conditions satisfai- santes, dans une eau très claire, sans cesse renouvelée par les courants d'une grande violence et de direction inverse que produit chaque marée. Cette eau est de coloration verte. Ce caractère indique déjà que les végé- taux y dominent, en particulier diverses espèces de Rhizosolenia. Les Péridiniens, au moins certaines espèces, s'y sont montrés éga- lement très abondants. Remarquons de suite que nous n'avons jamais noté la présence d’une seule Noctiluque ni de ‘Pyrocyslis noctiluca Wy. Th. — Au contraire presque chaque jour dans ces pèches, du 12 au 2% août 1890, s’est offert à nous G. pseudonoctiluca, tantôt avec et tantôt sans tentacule. Sans revenir sur la description déjà donnée par nous de G. pseudonoctiluca, nous nous bornerons à la compléter sur certains détails. Dans son apparence la plus commune l'être mesure 175 à 200 y de long sur 75 à 80 & de large. Il a la forme caractéristique des Péridi- niens. L'extrémité orale (d’après la nomenclature que nous avons adoptée pour des raisons exposées ailleurs) présente deux éminences ici assez peu asymétriques, tandis que l’asymétrie reste nettement accusée par les deux extrémités du sillon circulaire. Celui-ei est placé vers les deux tiers postérieurs du corps; les deux flagella peuvent exis- ter avec leur position et leur direction normales. Le sillon longitudinal ou ventral est fortement accusé et se prolonge très loin sur l'éminence conique qui constitue l'extrémité postérieure. La coupe transversale de l'être est nettement réniforme. Quand on l'exa- mine dans la direction de son grand axe, on voit de plus que le corps présente des cannelures longitudinales peu profondes, au nombre de 8 à 12, séparées par des arêtes très fines. notre ignorance aujourd'hui sur le devenir des Péridiniens, de tous les Péridi- niens sans exception, est telle, que nous ne pouvons pas même préjuger la succession dans un sens ou dans l’autre, des différents états sous lesquels Gymnod. pseudonoct. s'est présenté à nous, de même qu'une Noctiluque dépour- vue de tentacule peut représenter si elle ne représente toujours un état évolutif plus avancé que l'être portant cet appendice pourtant si complexe. Voy. Pouchet, Contribution à l'histoire des Noctiluques, Journal de l’Anat. et de la Physiol., mars-avril 1890. 144 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Les mouvements sont ceux des Péridiniens. La constitution interne de l'être offre les caractères que nous avons déjà signalés et qui s'éloignent notablement de ce qu'on observe chez beaucoup de Péridiniens, pour présenter au contraire une frappante analogie avec les Noctiluques d’une part et Pyrocystis (1) et les Dia-. tomées de l’autre. G. pseudonoctiluca se rapproche en effet de ces der- niers par la disposition de ses leucites fusiformes de coloration ver- dâtre, englobés dans un cytoplasme hyalin dont la masse principale avoisine le noyau et rayonne. jusqu'à la périphérie à travers un fluide cellulaire abondant. La présence et la disposition de ces leucites permet- tent toujours de reconnaître à première vue G. pseudonoctiluca. La limite externe de l'être parait constituée comme chez les Noctilu- ques par une cuticule vivante (1) très fine, doublée d'une couche de cyto- plasme granuleux (2), doublé sans doute lui-même par le eytoplasme hyalin, comme semble l'indiquer la présence cà et Ià de quelques leu- cites verdâtres et de quelques gouttes réfringentes. De la masse centrale avoisinant le noyau partent des filaments qui méritent plutôt le nom de colonnes; ils vont rejoindre le cytoplasme granuleux de la périphérie et probablement s'étendre au-dessous de lui. Ce cytoplasme hyalin contient : 1° les leucites colorés et fusiformes dont le grand axe se dispose dans la direction même des tractus; 2° des gouttelettes très réfringentes. Le centre, avoisinant le noyau, d’où partent ces tractus, a un aspect particulier et semble présenter des granulations foncées, uniformes, rap- prochées, formant là un amas d’ailleurs mal limité. Il semble qu'une des lacunes occupées par le suc cellulaire soit plus constante et généralement plus volumineuse que les autres. Elle est toujours placée vers la région aborale de l’être. Le noyau sphérique partage avec celui des Noctiluques cette particu- larité de ne présenter aucun filament nucléaire. Sur un individu traité par le picrocarmin. dont le corps s’est rompu et a laissé échapper le noyau, celui-ci offre trois nucléoles volumineux sphériques (3). En avant du noyau, vers l'extrémité orale par conséquent, se montre le plus souvent un corpuscule que nous avons déjà signalé, mesurant 4 à 5 Lu de diamètre, irrégulier, brun et paraissant dans certains cas appliqué sur un petit globe transparent d’une substance réfringente. L'existence de ce corpuscule, sans doute résiduel, est très générale. Sa (1) Voyez Contribution à l'histoire des Noctiluques. Journal de l'Anat. et de la physiol., mars-avril 1880. (2) Comparez ce qui existe chez la Noctiluque. (3) Il n'existe jamais de nucléole chez les Péridiniens, non plus que chez les Noctiluques ; ce ne peut être que par erreur que Bütschli, Protozoa, in Bronn's KI. u. Ord., t. I, p. 917, note, nous attribue l'opinion contraire. LS (SL RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 14 couleur rousse semble appartenir à la gamme de la diatomine. L'acide osmique colore en brun les leucites verdâtres et après l’action de ce réactif certaines parties du cytoplasme se colorent en rose sous l’in- fluence du picrocarmin (voy. fig. 6). On peut observer en mème temps dans le cytoplasme, à côté de ces substances colorées soit en brun soit en rose, d'autres corps définis qui restent absolument incolores. Ils ont la forme de sphères, se sectionnent facilement et sont complètement hyalins, très peu réfringents. L'exiguité des matériaux dont nous dispo- sions ne nous à pas permis de pousser plus loin l'étude de ces sub- stances très variées — comme c'est le cas pour beaucoup de Péridiniens — existant dans le cytoplasme de G. pseudonoctiluca. Les individus présentant un tentacule ont été loin de composer la majorité de ceux que nous avons observés. Toutefois ils se sont pré- sentés assez nombreux; mais leur forme, comme nous l’avions indiqué, est alors irrégulière. Ils sont en général comprimés, le côté droit plus ou moins rapproché du côté gauche (fig. 3). Comme nous l’avons dit, le cône aboral se rétracte plus ou moins et jusqu'à disparaitre; le sillon transversal persiste et dessine une crète limitant l'espèce de fente — en raison de la compression de l'être — dans laquelle l'extrémité aborale est plus ou moins enfoncée (fig. 2 et 4). Vers la face dorsale de l’être, le sillon, au point où il est comme plié en passant d’un des bords de la fente sur l’autre, dessine une sorte de bour- relet saillant. La présence du tentacule n’exclut pas celle du flagellum axial : il n’y a donc pas lieu d'envisager l'hypothèse, fort problématique en elle-même, d'une homologation de ces deux sortes d’appendices cel- lulaires. Le flagellum axial paraît prendre son insertion en arrière de l'insertion du tentacule et du prolongement dont il va être parlé plus loin (fig. 3). Nous n'avons que peu à ajouter à la description que nous avons donnée du tentacule. 11 nous à paru dans un cas, outre les granulations noires que nous avons signalées, renfermer des leucites analogues à ceux du cytoplasme (fig. 1). Il ne présente jamais aucun mouvement ; il est tantôt rectiligne, tantôt plus ou moins contourné (fig. 4) et recourbé contre un des côtés de l'être, lui-même comprimé comme nous l'avons indiqué. » Une particularité constante est la présence, en arrière du tentacule, d’un autre prolongement très court inséré également dans le sillon ven- tral, mais non rigoureusement sur le même plan. Tantôt son extrémité est arrondie et plus large que la base (fig. 3,4, 6). Tantôt au contraire il est conique (fig. 2), terminé en pointe (1), comme nous l’avions trouvé sur le seul individu observé par nous en 1886. (1) Ce prolongement peut faire penser à la dent de la lèvre gauche de Nocti- luca miliaris ; son insertion sur un plan différent de celui du tentacule semble- rait même être un argument en faveur de cette homologie. Mais d'autre part on 10 146 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET EXPLICATION DE LA PLANCHE IX Fi. 1. — Gymnodinium pseudonoctiluca sans tentacule. F1G. 2. — Individu tentaculé, présentant de plus l’appendice post-tentaculaire en forme de pointe. F1G. 3. — Individu tentaculé, muni de son flagellum axial, vu de profil et de dos. F1G. 4. — Deux autres individus à tentacule contourné. F1G. 5. — Individu réduit à l'état ovoïde. F1G. 6. — Individu fixé par l’acide osmique et coloré par le picrocarmin. F1G. 7. — Individu accru de volume, se préparant peut-être à la segmentation. F1G. 8. — Début de la segmentation. F1G. 9, 10, 11, 19, 13. — Progrès de la segmentation donnant des individus de plus en plus petits, observés dans les cultures. Fi. 14, — Deux individus en segmentation, observés dans une pêche au filet fin. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 147 PLANCHE IX Guchet ad nat del Gymnodinium pseudonoctiluca. 148 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Le tentacule et cet autre prolongement sont l’un et l’autre réintégrables comme le tentacule des Noctiluques : des G. pseudonoctiluca munis de leurs tentacules et mis en culture ne les portent plus au bout de douze heures et ont subi la segmentation qui, d’après nos observations, sup- poserait toujours le retour à la forme péridinienne régulière. Le corps de l'être peut d’ailleurs, sous des influences qui restent à déterminer, subir certaines déformations rapides et considérables (1). Nous devons enfin signaler une forme de G. pseudonoctiluca intéres- sante par la disparition totale du sillon transversal et le gonflement de l'être qui prend une forme ovoïde presque régulière (voy. fig. 5). À l'intérieur les caractères sont les mêmes que d'ordinaire, à cette différence près que la lacune aborale présente des dimensions exagérées. G. pseudonoctiluca mis en culture se multiplie rapidement par seg- mentation. Celle-ci nous à paru débuter par un accroissement notable des dimensions transversales de l’être, puis la division commence par l'extrémité orale (fig. 7 et 8) (2). Les conditions d'une culture pour un être pélagique sont toujours considérablement différentes de celles où il vit et les résultats oblenus par ce procédé de laboratoire sont toujours entachés d'une cause d'erreur probable. Il est de plus à remarquer que, dans beaucoup de cas, cette influence du milieu confiné se manifeste par une tendance exagérée à la segmentation. Nous avons eu maintes fois l'occasion de noter cette particularité sur diverses espèces de Péridiniens. On doit sans doute attribuer également à l'influence du milieu confiné ce fait que nos G. pseudonoctiluca, mis en culture dans une eau de mer cependant très pure, demeurent en général fixés au fond par leur extré- mité aborale, en sorte qu'ils oscillent sur leur pointe quand on agite l’eau. On peut constater de plus, autre signe d'altération, que, dans cet remarquera que la dent chez la Noctiluque se trouve en avant du tentacule par rapport à l'extrémité orale et que le prolongement que nous décrivons ici chez G. pseudonoctiluca est en arrière par rapport à la mème extrémité. (1) Observant un jour plusieurs G. pseudonoctiluca en culture dans un verre de montre, nous les vimes tous nous présenter simultanément une même alté- ration. Le corps s'élail raccourci avec un plissement prononcé du tégument, tandis que tout le cytoplasme hyalin semblait s'être rétracté vers le noyau, entraînant avec lui les leucites colorés et les gouttelettes réfringentes. On eût pu croire que toute connexion avait cessé d'exister entre le tégument et la masse cellulaire, et je pensais qu'en effet quelque cause venait de provoquer chez les individus en observation un accident mortel, quand, à mon vif étonne ment, quelque temps après je vis les mêmes individus reprendre l'apparence normaie. La cause de l'accident m'a échappé : la lentille avec laquelle j’obser- vais avait plongé dans le liquide ; peut-être y avait-elle porté quelque substance dont l’action se manifestait de la sorte. (2) Nous trouvons cependant dans une culture un individu sur lequel la seg- mentation paraît avoir suivi la marche inverse : les deux individus sont unis par l'extrémité orale, les extrémités aborales divergeant. RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS 149 état d'immobilité, ils sont entourés d’une atmosphère muqueuse quil est impossible de distinguer sans employer le procédé des poudres en suspension. On a d’ailleurs la notion de l'existence de cette atmosphère par la présence d'un certain nombre d'êtres microscopiques qui viennent trouver là un milieu plus favorable à leur propre existence. J'ai pu m'assurer que G. pseudonoctiluca rejetait, sans doute avant de subir la segmentation, un corpuscule de substance probablement (1) rési- duelle, paraissant analogue à la substance dont j'ai signalé l'existence presque constante en avant du noyau. Près des groupes résultant des divisions successives d’un même individu, on trouve constamment ce granule brun. Quand la segmentation se fait en captivité, l’adhérence finale des deux individus résultant du processus de multiplication se présente comme si l’un d'eux avait son cône aboral couché plus ou moins obliquement sur celui de l’autre individu. Nous avons figuré plusieurs exemples de cette disposition probablement tératologique (fig. 9, 10, 11, 12). Comme cela est ordinairement le cas pour les Péridiniens, les bipartitions succes- sives produisent des êtres de moins en moins volumineux. Il se produit en même temps une modification et une raréfaction rapide des leucites colorés. Les individus ne mesurent plus bientôt que 75 à 60 & de long. Nous avons trouvé à la mer deux de ces individus encore unis, mesurant 75 p et portant chacun un long flagellum axial (fig. 14). Ils étaient coniques allongés, avec de rares leucites offrant la couleur de la diato- mine, et unis vers leurs extrémités aborales par un fin ligament de cytoplasme. En culture, les individus ayant atteint la taille que nous venons d'in- diquer, toujours adhérents au fond du vase par leur extrémité aborale, continuent à se segmenter en devenant de moins en moins pigmentés. Nous observons des groupes de 5 à 9 (fig. 13).Rendus libres en secouant fortement le vase, ils se présentent comme des êtres très clairs, à extré- mité orale uniformément arrondie, à sillon longitudinal à peine visible; mais on est là, nous l'avons déjà dit, en face d'individus anormaux. Nos observations ne s'étendent pas plus loin; elles sont suffisantes, croyons-nous, pour montrer que nous sommes en présence d'un être dont l’étroite relation avec la Noctiluque ne saurait être contestée. Il s’en faut toutefois que la lumière soit faite complètement sur G. pseudonoctiluca, autant d’ailleurs que sur tous les Péridiniens sans exception. On remarquera en effet que si l’on a pu observer depuis long- temps la multiplication par scissiparité d’un certain nombre de ces êtres, nous avons d'autre part fait connaître les transformations inat- (1) Ce fait suffirait à la rigueur à démontrer combien est impropre l'expression, souvent employée aujourd'hui, de « substances de réserve » pour les matériaux figurés qu'on voit se former dans le cytoplasme d'un grand nombre de cellules. 150 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET tendues de Peridinium pulvisceulus. Pour aucun Péridinien, de même que pour Noctiluca miliaris ou Pyrocystis noctiluca W. Th., il ne nous a été donné jusqu’à ce jour d'établir dans une seule de ces formes vi- vantes si nombreuses, le cycle complet de l'espèce, nous faisant assister non pas à la multiplication, mais à la reproduction, de l'être : deux pro- cessus qu'il importe de ne pas confondre et dont le second suppose probablement, d’après tout ce que nous connaissons en Biologie, la dualité nécessaire qui constitue les sexes. Depuis longtemps nous avons dit et nous persistons à croire que les Péridiniens et les Noctiluques par conséquent, aussi bien que Pyrocystis noctiluca, ne sont que des formes évolutives ou peut-être terminales de végétaux probablement connus sous une autre forme. En ce qui concerne G. pseudonoctiluca, il semble difficile de le consi- dérer comme une sorte d’anomalie rapprochant un Péridinien des Cys- toflagellés. Ne doit-on pas considérer l'existence de ce tentacule comme normale, les individus de l'espèce qui ne le présentent pas étant à mettre au même rang que les Noctiluques parfois en quantité innom- brable dans la mer qui se montrent aussi sans tentacule? G. pseudonoc- tiluca est évidemment un Péridinien ; mais d’autre part il semble bien difficile de le séparer des Noctiluques avec lesquelles il a de commun la tendance à la forme globulaire, le tentacule réintégrable, le flagellum axial, le noyau sphérique, le cytoplasme en tractus rayonnants au milieu d'un liquide cellulaire abondant. HISTOLOGIE 4 ALTO rt 4 ; t L ï , | 0 4 M fl ! NOTE SUR LES LEUCOCYTES DE SEMMER ET LES ‘‘ CELLULES ÉOSINOPHILES ’’ D'EHRLICH Sans connaître à cette époque le travail de Semmer (1), j'avais, dès novembre 1877, signalé dans le sang des Sélaciens des leucocytes parti- culiers à noyaux presque toujours géminés, nucléolés, refoulés vers la surface de l'élément, et dont le corps cellulaire était rempli de fines gra- nulations ou peut-être d’aiguilles se colorant en rose intense par l’éosine (2). Plus tard j'ai rapproché ces éléments de ceux que Semmer avait décrits dans le sang du cheval, et je proposai de les désigner sous le nom de Leucocytes de Semmer. J'admettais avec ce dernier que ces granulations . ou ces fines aiguilles étaient bien réellement formées de substance hémo- globique, c’est-à-dire avaient — du moins autant que nous en pouvons juger par les moyens d'analyse indirects avec lesquels nous les étudions — une constitution moléculaire sensiblement analogue à celle de la substance qui compose en majeure partie les hématies. Des voies diffé- rentes nous avaient tous deux conduits à cette conclusion identique. Semmer s’appuyait sur l'aspect de ces granulations et de leurs réactions à l’état frais. Nous invoquions de notre côté la réaction du picrocarmi- (1) Ueber die Faserstofibildung im Amphibien- und Vügelblut und die Entstehung der rother Blutkôürperchen der Säugethiere. Dorpat, 1874. (2) «29 Des leucocytes moins volumineux, sphériques, mesurant communément « 15 à 20 y, peu diffluents, enveloppés dans la plus grande partie de leur étendue « par des grains et peut-être par de très petits cristaux d’hémoglobine, qui, après « l’action de l’acide osmique, fixent énergiquement l’éosine et se colorent en « jaune par le picrocarminate ; ils ne fixent pas l'hématoxyline. » (Société de Bio- logie, 6 novembre 18711. Gazette médicale, 10 novembre 1871.) 154 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET nate après fixation par l'acide osmique, et surtout la réaction de l’éosine, que l’on regardait généralement à cette époque, après le travail de Wis- sozky (1), comme un réactif caractéristique de l'hémoglobine. Une communication plus récente de M. Ehrlich, présentée le 16 mai 1879 à la Sociélé physiologique de Berlin, mais publiée seulement à la suite de la séance du 20 juin, dans le numéro des Archiv für Ana- tomie und Physiologie (Physiolog. Abth.) paru le 12 novembre 1879, est venue jeter quelque doute sur l'assimilation faite par nous entre la nature des granulations des leucocytes de Semmer et celle des héma- ties (2). Nous avons donc cru devoir reprendre, au point de vue de leur affinité pour les matières colorantes, l'étude de ces granulations, tant dans les leucocytes de Semmer que dans d’autres éléments où nous en avions également indiqué la présence. Il n’est pas douteux que si l’on peut, comme nous l’avons fait avec Semmer, invoquer des raisons fort plausibles de rapprocher ces granu- lations de la substance hémoglobique, il est certaines réactions, d'autre part, ou au moins une réaction indiquée par Ehrlich, qui tendraient dans une certaine mesure à les en faire distinguer. Sans prétendre à trancher la question, à coup sûr fort délicate, de la distinction spécifique des deux substances qui nous occupent, celle des granulations et celle des hématies, en dehors de tout caractère morpho- logique défini et à défaut de toute analyse immédiate possible, il nous à paru utile, après que M. Ebhrlich avait insisté sur les caractères différentiels des deux substances, de mettre en regard les caractères communs qu'elles présentent et qui invitent à les rappro- cher. Et à notre avis, ce n'est pas quand il s’agit de substances organi- ques à constitution moléculaire extrêmement complexe, et qui subissent de plus, probablement, une évolution continue, à la manière des albu- mines-peptones (3), qu'on peut invoquer comme caractère spécifique une affinité plus ou moins énergique pour telle ou telle matière colorante. Semmer à retrouvé les leucocytes auxquels nous proposons de donner son nom à peu près chez tous les vertébrés ; et, le premier, avons-nous dit, il à rapproché les granulations qui les remplissent de la substance des hématies ; il constate nettement (4) la coloration jaune de ces granu- lations. Le travail de Semmer fait sous l'œil d'Alexandre Schmidt est un travail sérieux. L'auteur nous dit avoir pris soin de se mettre en garde contre les illusions dues aux qualités optiques des microscopes ; il a 1) Ueber das Eosin als Reagent, u. s. w. in Arch. f. Mik. Anal. t. XIII, 1871. (2) Ehrlich rapproche de la nôtre une opinion de Hayem exprimée à la Société de Biologie dans la séance du 22 mars 1871 (voy. Gazelle médicale du 12 avril qu'il ne connaît d’ailleurs que très incomplètement par une analyse du Progrès médical, 29 mars 1879. (3) Voy. Henninger. De la nature des peptones. Thèse, Paris, 1878. (4) Loc. cit., p. 42. NOTE SUR LES LEUCOCYTES DE SEMMER 1595 essayé les instruments de divers fabricants et il prétend avoir nette- ment vérifié la constance de cette coloration jaune. Il est fort possible, il est probable qu'elle est plus ou moins accusée suivant les individus et les espèces animales. Nous croyons avoir constaté également une coloration légèrement jaunâtre des granulations des leucocytes de Semmer d’un chien. Sur une poule (4) où ces leucocytes étaient extraor- dinairement abondants, leurs granulations sont franchement jaunes. Par contre, elles nous ont paru sensiblement incolores dans les leuco- cytes d’un cheval dont le sang avait été battu et où les leucocytes de toutes sortes étaient rassemblés en flocons blancs dans un sérum rou- geâtre, à la surface du précipité formé par les hématies. Nous les avons trouvées également pâles, incolores, tant sur le sang frais que sur le sang desséché de la grenouille d'hiver, où ces granula- tions — qui ont un très gros volume — ont été souvent prises pour des « vacuoles du protoplasma en mouvement », alors qu’elles sont seule- ment entrainées d'une manière passive par les contractions et les expan- sions de la substance sarcodique absolument hyaline (2) du corps cellu- laire. Cette observation bien des fois répétée, en particulier avec les leucocytes de Semmer du Triton, prouve au moins que l'indice de réfraction de la substance constituant les granvulations qui nous occu- pent est assez faible; il paraît moindre que celui du corps des hématies normalement chargées d’hémoglobine. Nous avions constaté pour notre part, qu’en traitant les leucocytes de Semmer par l'acide osmique saturé d’après une méthode depuis long- temps indiquée par nous (3), ces granulations avaient toutes les mêmes réactions que la substance hémoglobique. Une des plus nettes est de fixer électivement l'acide picrique du picro-carminate : les granulations deviennent jaunes, comme les hématies (4), tandis que le carmin se fixe de son côté sur les noyaux. De même, après l'acide osmique saturé, l’éosine se fixe à la fois sur les granulations et sur les hématies, mais certainement avec plus d'intensité sur les granulations et en particulier sur les fines aiguilles qui semblent en tenir la place chez les Sélaciens. (1) Cette poule avait subi une injection de sang de chien, mais les leucocytes de Semmer lui appartenaient en propre. (2) Voy. Pouchet et Tourneux. Précis d'Histologie humaine et d’'Histogénie, Paris, 1818, p. 24. (3) Voy. Journal de l'anatomie et de la physiologie, Sseptembre-octobre 1876. (4) Il arrive toutefois dans certains cas, sans doute quand la solution saturée n’est pas en excès, que les hématies deviennent susceptibles de fixer le carmin et prennent par le picro-carminate une teinte rose très nette. Dans nos recher- ches longtemps poursuivies sur le sang, nous avons bien des fois constaté cette réaction — au moins sur le sang des mammifères — sans pouvoir en déterminer les conditions précises. C’est évidemment un accident de préparation dans la technique. De son côté, Ehrlich constate (p. 573) que, sur des préparations expo- sées aux vapeurs d’une solution d'acide osmique à 1 p. 100, les caractères des granulations, qui nous occupent ne se laissent plus réconnaître. 156 RECUÉIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Tels sont les points de ressemblance ; arrivons aux dissemblances signalées par Ehrlich. Elles ne paraissent pas avoir un poids beaucoup plus grand; elles reposent uniquement sur des différences d’affinité pour les matières colorantes, et comme ces granulations, contenues dans un corps cellulaire, ne se trouvent pas dans un milieu identique au sérum où flottent les hématies, il en résulte que les conditions mêmes où se font ces réactions déjà peu caractéristiques ne sont pas absolument identiques et peuvent expliquer certaines différences légères. En général, voici comment procède Ehrlich: il étale en couche mince sur une lame de verre le liquide organique contenant les éléments gra- nuleux qu'il veut observer ; il laisse la préparation se dessécher à la cha- leur de la chambre; il la traite alors par un mélange de glycérine 20, acide phénique 1, qui a la propriété d’imbiber les globules desséchés sans les détruire, mélange auquel il ajoute soit une, soit plusieurs matières colorantes telles que éosine, induline, nigrosine, jaune d’or (1), etc. Sans nous écarter essentiellement du mode de préparation d’Ehrlich, il nous a semblé avantageux de faire agir individuellement les substan- ces colorantes dont il recommande en général l'emploi simultané, afin d'arriver à l'analyse exacte des effets complexes observés par lui. Nous avons donc, tout en nous servant des mélanges indiqués par Ehrlich, recherché l’action individuelle de chacune des matières colo- rantes qu'il emploie : de l’éosine, du jaune d'or et d’un mélange d'indu- line et de nigrosine dont nous n'avons pas jugé à propos de séparer l’action. Ces matières ont toutes été dissoutes dans le mélange de gly- cérine 20, acide phénique 1, et nous avons prolongé en général vingt- quatre heures le contact de l'élément désséché avec le mélange colorant. Or il résulte des indications mêmes données par Ehrlich dans son travail que la seule différence entre les granulations des cellules qu'il appelle cependant « éosinophiles » et les hématies, consiste en ceci : que les premières ne se colorent point par le jaune d’or, tandis que les hématies se colorent vivement par ce réactif. Telle est la base essentielle sur laquelle Ehrlich assied sa distinction. Nous ajouterons que l’indu- line et la nigrosine nous ont paru colorer beaucoup plus vivement les granulations que le corps des hématies, au point que cette réaction semble bien plus nette que la précédente. Si Ehrlich ne l’invoque pas, c'est qu'elle manque aussi parfois, c’est qu’elle n’a pas non plus un caractère de généralité absolu. Il est bien entendu que pour apprécier les colorations dont nous allons parler, nous avons toujours observé l'élément en dehors du liquide colorant, et après l'avoir transporté de celui-ci dans un véhicule incolore, soit la glycérine phéniquée au 1/20, soit la glycérine formique (1) Jaune de naphtylamine, binitronaphtol. —1 NOTE SUR LES LEUCOCYTES DE SEMMER 45 dont on se sert habituellement pour conserver les préparations d’élé- ments anatomiques. On concoit combien il est difficile de fixer par des mots des différences de nuances comme celles dont il va être question; il le serait plus encore d'essayer de les reproduire. Supposons une préparation de sang de grenouille séchée et traitée par une solution de glycérine phéniquée au 4/20, tenant en dissolution à la fois de l’éosine, de l'induline et du jaune d'or, telle que l'emploie Ehrlich. Au bout de vingt-quatre heures, la préparation est lavée à la glycérine formique et observée. Les noyaux des hématies sont légèrement teintés par l'induline; le corps des héma- ties est orangé; les leucocytes, les jeunes hématies (hématoblastes de Hayem) et les granulations des leucocytes de Semmer sont colorés en rose pâle. La nuance des hématies appartient à la gamme de l’orangé, celle des granulations à la gamme du pourpre dont le rose n’est qu'une atténuation. Nous employons ces expressions de gamme de pourpre, gamme d'orangé de préférence à d’autres qui risqueraient d'être moins précises en devenant plus subjectives. Mais déjà, avec le mélange dont nous parlons et dont les proportions n'avaient pas d’ailleurs été déter- minées, nous serons frappés, à l'examen de certaines préparations, par un phénomène sur lequel il faut appeler l'attention. Si les hématies, dans tout le centre de la préparation, sont nettement orangées, celles qui avoisinent les bords sont au contraire colorées dans la même gamme du rose. Nous signalons ce fait pour montrer combien sont délicates et par suite peu décisives ces réactions colorées auxquelles nous sommes contraints de recourir, par l'impossibilité de procéder à une étude chi- mique directe des substances en question. Cette différence entre la colo- ration du bord et du centre d’une préparation ne s’est pas offerte à nous dans cette seule circonstance. Nous l'avions déjà observée sur des préparations de sang extrait du corps des Sangsues. À quelle cause con- vient-il de faire remonter cette différence? à un dessèchement plus rapide? ou à toute autre cause? Nous ne le saurions dire. Après ces remarques générales, passons aux faits particuliers observés en employant la glycérine phéniquée au 1/20, additionnée soit d’éosine, soit de jaune d’or, soit d'induline et de nigrosine. Sang de Grenouille. — La grenouille observée (fin février) était /. tem- poraria, ayant passé l'hiver dans le laboratoire. Peut-être à cause de cette circonstance, et malgré l’époque de l’année, son sang était presque absolument dépourvu de jeunes hématies, aussi bien que de leucocytes de Semmer. Avec la glycérine phéniquée et l'éosine, le corps des hématies se colore en rose vif. On sait déjà que les granulations des leucocytes de Semmer (cel. éosinoph.) se comportent de méme. 158 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Avec la glycérine phéniquée et le jaune d’or, le corps des hématies se colore en jaune vif. Sur un leucocyte de Semmer type, les granulations, sans être aussi intensivement colorées que le corps des hématies, fixent cependant du jaune et se détachent en cette nuance sur le corps cellulaire. La différence de ton entre la couleur des hématies et celle des granulations peut tenir sans doute à un degré d’affinité différent pour la matière colorante ; mais ne peut-elle pas s'expliquer déjà par la colora- tion propre de l'hématie qui contribuerait à renforcer le jaune, tandis que la couleur plus pure des granulations, à peu près incolores par elles- mêmes, donnerait l'impression d’un ton plus faible (1)? Nous nous sommes d’ailleurs assuré de la réalité de cette coloration jaune des gra- nulations ainsi traitées en employant divers éclairages, divers grossis- sements, etc. Avec la glycérine phéniquée additionnée de nigrosine et d'induline les hématies prennent une teinte jaune sale, virant au vert comme tout jaune rabattu; les noyaux sont violets. Les granulations des leucocytes de Semmer sont colorées en violet foncé. Ces diverses préparations de sang de grenouille nous ont en outre présenté, sur les hématies à gros noyaux que nous avons décrites (2) comme stade intermédiaire entre l’hématie jeune (hématoblaste de Hayem) et l’hématie adulte, des particularités en rapport avec l’âge relatif de ces éléments. L’éosine et le jaune d’or teignent leur corps cel- lulaire beaucoup moins que celui des hématies adultes. Avec la nigro- sine et l’induline, en même temps que le corps cellulaire se teint davan- tage, le noyau se colore moins, de sorte qu'il s'établit une espèce d'égalité entre la nuance du corps cellulaire et celle du noyau. Säng de Chien. — Le chien dont il s’agit (chien XX de mon journal) avait été fortement saigné quelques jours auparavant. Le sang présente une grande abondance de globulins. Il a d’ailleurs été traité comme le sang de grenouille par dessiccation. L'aspect des éléments dans ces cir- constances diffère beaucoup de celui qu'ils ont après fixation par l’acide osmique. Les hématies sont toutes à peu près parfaitement circulaires, au lieu que dans les préparations à l'acide osmique on en découvre un grand nombre qui sont ovoïdes, allongées, forme qu’elles ont d’ailleurs, comme nous l'avons vérifié, dans le sang en circulation. On doit ad- mettre que les hématies subissent par la dessiccation une sorte de retrait : on en voit sur lesquelles il s’est fait au dehors un épanchement (1) Comp. sur certaines anomalies de la gamme du jaune : Chevreul, Exposé d'un moyen de définir et de nommer les couleurs, Mémoires de l'Institut, 1861, p. 31. (2) Évolution et structure des noyaux des éléments du sang chez le Triton. Voy. Journal de l'anatomie el de la physiologie, 1879, p. 9. NOTE SUR LES LEUCOCYTES DE SEMMER 159 de la substance intérieure de l'élément, sans doute moins dense (1). Les leucocytes dans ces préparations se sont au contraire agrandis en s’éta- lant sur le verre, leur contour restant d'ailleurs parfaitement circu- laire. Les préparations traitées par la glycérine phéniquée chargée de jaune d'or se comportent comme celles de sang de grenouille. Les hématies sont intensivement colorées en jaune. Les leucocytes de Semmer, assez rares, présentent une coloration faible, mais manifeste, des granulations. La différence est même assez peu accusée, si, au lieu de prendre comme point de comparaison une pile d'hématies, laquelle donne une grande épaisseur colorée, on considère un de ces éléments isolé, et mieux encore si l’on prend comme point de comparaison une hématie très peu chargée d'hémoglobine comme il y en a toujours beaucoup dans les animaux dont le sang est en régénération. Avec l’éosine, les hématies sont roses ; la nuance est toutefois un peu modifiée par la coloration propre de l'élément, tandis que les leucocytes et les globulins sont d’un rose tendre beaucoup plus pur et tout à fait caractéristique. Si un peu de jaune d’or est ajouté à l’éosine, les héma- ties prennent une très riche nuance orangée. Celle-ci sera légèrement rabattue, si l’on a ajouté de l’induline. Avec l’induline et la nigrosine, les hématies sont d’un jaune sale, comme celles de la grenouille ; le corps des leucocytes est légèrement violet, les noyaux sont plus coiorés. Les granulations des leucocytes de Semmer sont d’un violet foncé. Cette réaction est très nette, Cristaux. — Il était intéressant de traiter les cristaux du sang par les réactifs indiqués comme ayant une action élective, soit sur les hématies, soit sur les granulations des leucocytes de Semmer. Nous avons déjà signalé (2) cette particularité qu'offrent les cristaux du sang d’être fixés exactement à la manière des substances albuminoïdes par certains agents, entre autres l'acide osmique, l'acide picrique, et de jouir alors de la propriété de se combiner aux matières colorantes, tout à fait comme les hématies elles-mêmes. Il convient d’ajouter, à la liste des corps qui fixent ainsi les cristaux du sang, la glycérine phéniquée (1) Comp. les apparences signalées par W. Addison (Voy. Pouchet et Tour- neux. Loc. cit., p. 219.) Il ne nous paraît pas toutefois que ces diverses appa- rences apportent une démonstration suffisante à l'existence souvent admise d'une enveloppe propre, distincte du corps cellulaire. Que la périphérie de l'élé- ment, au contact du milieu ambiant, présente des qualités physiques un peu dif- férentes, ceci est probable ; mais il y a loin, d’une différence graduelle de cette sorte, à l'existence d’une membrane nettement définie par deux surfaces paral- lèles, nettement isolable, en un mot à l'existence d’une véritable enveloppe histologiquement distincte. (2) Voy. Société de Biologie, 14 décembre 1878; Gazelte médicale, 4 janvier 1879. 160 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET au 4/20 (1). En employant cette glycérine phéniquée chargée de matière colorante, on colore les cristaux en même temps qu'on les fixe. Nous avons choisi pour ces essais les cristaux du sang de cobaye comme offrant une forme cristalline plus nette que ceux en aiguille du chien ou de l’homme. Cette fixation des eristaux d’hémoglobine par la glycérine phéniquée semble résulter d’une imbibition progressive, comme l'indique le fait suivant qui s’est plusieurs fois présenté à notre observation. Après avoir traité les cristaux par la glycérine phéniquée additionnée d’une sub- stance tinctoriale, mais sans laisser le réactif un temps suffisant au contact des cristaux, et que l’on vienne ensuite à substituer au liquide fixateur la glycérine formique ordinaire, celle-ci dissout la partie cen- trale des cristaux. Il n’en reste que la surface réduite à une pellicule colorée, plus ou moins épaisse, plus ou moins brisée, offrant çà et là ses angles primitifs encore visibles. On remarque dans ce cas que les cristaux de petit volume ne subissent pour leur part aucune altération, sans doute parce que le liquide les a pénétrés dans toute leur épaisseur. Avec l’éosine, les cristaux de cobaye prennent une belle coloration rose, dans laquelle semble avoir disparu toute trace de leur couleur primitive. Observés indépendamment de toute réaction, ils sont jaunes par transparence, quand ils sont petits ; ils sont jaunes également au voisinage des arêtes quand ils sont gros; ils sont rouges quand ils se présentent sous une épaisseur plus grande. Cette espèce de dichroïsme disparaît entièrement sur les cristaux teints par l’éosine. La coloration par le jaune d’or est moins nette que celle des hématies par ce réactif. Elle est surtout sensible sur des cristaux de petite dimension. Pour la nigrosine et l'induline, au contraire, les cristaux semblent avoir plus d’affinité que les hématies ; les petits deviennent jaune sale, les gros présentent sur leurs arêtes des teintes violetées tout à fait caractéristiques. Résumé. — Si maintenant nous cherchons à résumer dans un tableau les réactions colorées des hématies, des cristaux du sang (du cobaye) et des granulations des leucocytes de Semmer, tant celles que nous venons d'indiquer que celles que nous avons signalées antérieurement, voici (4) Quand on fait chauffer des cristaux du cochon d'Inde dans la glycérine phéniquée, ils ne se dissolvent pas, mais ils subissent une sorte de fusion : les amas cristallins se transforment en groupes de gouttelettes pressées les unes contre les autres. Ces gouttelettes sont parfaitement hyalines, elles sont jau- nâtres, comme si la substance du cristal s'était en partie décolorée. Elles res- tent groupées ainsi sans s'unir les unes aux autres pour former des gouttes plus grosses. NOTE SUR LES LEUCOCYTES DE SEMMER 161 comment se présentent les différences et les ressemblances entre ces diverses substances : HÉMATIES CRISTAUX GRANULATIONS Acide osmique saturé, PRE RE carminate , . o Jaune. Jaune. Jaune. Glycérine Édmbee au 1 + éo- SINCREN EE Rose. Rose. Rose. Glycérine phéniquée au 1/20 “ jaune d’or . . . . tre OR Jaune. Jaune. Jaune faible. Glycérine dHéniqée à au | 1/20 + ni- grosine et induline. . . . . . . Jaune sale Jaune avec Violet. (verdâtre). reflets violets. Ce qui frappera tout d’abord, dans ce tableau, c’est qu'on ne voit plus bien pourquoi Ehrlich a choisi le nom de « cellules éosinophiles », puis- que la fixation de l’éosine par leurs granulations est loin d'être pour celles-ci un caractère distinctif. Quand on traite une préparation de sang desséché par de la glycérine phéniquée additionnée à la fois d’éosine et d’induline, on obtient en général une coloration vineuse des granulations, résultat de la coexis- tence des deux matières colorantes qu'elles ont fixées (1j. Ehrlich remarque lui-même (p.577) que dans ce cas certaines granulations ont plus d’affinité pour l’éosine et deviennent rouges, tandis que d’autres fixent l’induline au point d’être noires. Mais comme on observe toutes les nuances entre ces deux extrêmes, Ehrlich n’est pas moins d’avis de regarder ces deux sortes de granulations comme des modifications d’une même substance ; absolument comme on observe, dans les cellules adipeuses en voie de développement de la moelle des os, des granula- tons qui n’ont pas encore nettement toutes les réactions de la goutte- lette huileuse finale, et qui sont, à n’en pas douter, les matières grasses de celle-ci en cours de formation. On accordera bien dès lors que les différences constatées au moyen des réactifs colorants entre les granu- lations et les hématies d’une part, les granulations et les cristaux du sang d’autre part, n'ayant rien d’absolument tranché et n'étant aussi en définitive que des différences de degré, ne doivent pas davantage nous empêcher de considérer les granulations qui nous occupent, sinon comme formées identiquement de la même substance, au moins comme formées de substances ayant une constitution très voisine et marquant les différents états d’une transformation moléculaire. (1) Nous avons surtout observé ceci sur les leucocytes de Semmer de cheval, recueillis dans le sang défibriné à la surface du caillot, où les leucocytes vien- nent former des grumeaux irréguliers, tandis que chez d’autres animaux (Squales) ils s’étalent à la mème place en couche uniforme. La proportion des leucocytes de Semmer diffère beaucoup selon les chevaux. 11 162 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Ebrlich admet par hypothèse que les différences de réaction des gra- nulations sont dues à la quantité d’eau de combinaison entrant dans leur constitution : plus riches en eau, elles fixent de préférence l’indu- line ; moins riches, l’éosine. Cette règle pourrait tout aussi bien s'éten- dre aux hématies comparées aux granulations des leucocytes de Semmer: dans ceux-ci, la substance hémoglobique plus riche en eau sera moins colorée pendant la vie que celle des hématies (au point que ‘la coloration jaune indiquée par Semmer a pu y être méconnue), et elle aura une affinité plus grande pour les substances comme l’induline et la nigro- sine. Plus colorée dans les hématies et moins riche en eau, la même substance aura par contre plus d’affinité pour l’éosine. Rappelons encore à ce propos que dans les hématies à gros noyaux des batraciens, où l'hémoglobine est évidemment en cours de dépôt ou de formation, celle-ci se colore nettement par l’induline. ÉVOLUTION ET STRUCTURE DES NOYAUX DES ÉLÉMENTS DU SANG CHEZ LE TRITON (T. CRISTATUS et ALPESTRIS) Depuis quelque temps un grand nombre de travaux ont été publiés sur la structure intime des noyaux des cellules. Nous ne pouvons les signaler tous ici; on les trouvera d’ailleurs énumérés et analysés dans les Jahresbericht de Hofmann et Schwalbe (années 1876 et 1877). M. Stricker, entre autres, a publié dans le courant de l’année dernière une étude sur ce sujet. (Beobachtungen über die Entstehung des Zell- kernes, in Sitz. Akad. d. Wiss., Vienne, juin 1877). Bien que les idées qui y sont émises paraissent soulever les plus graves objections, comme les observations de l’histologiste viennois portent sur les éléments du sang du Triton, nous saisissons cette occasion de faire connaître, de notre côté, les résultats auxquels nous ont conduit des études pour- suivies depuis quelque temps déjà sur les mêmes éléments. Il est fâcheux que M. Stricker, dont le travail n’est d'ailleurs qu’un exposé de conclusions, n’ait pas donné les dimensions exactes dont il parle; à côté des leucocytes uninucléés et polynucléés, il paraît avoir observé également les jeunes hématies incolores, mais bien reconnaissables, malgré leur volume moindre, à leur forme ovoïde régulière (1). La méthode de M. Stricker consiste simplement dans l'examen direct des éléments extraits des vaisseaux et placés avec leur sérum entre deux lames de verre. Cette méthode, par elle-même, peut déjà soulever (1) Ces éléments sont les hématoblastes de Hayem. M. Stricker en attribue la découverte à Recklinghausen. Ce sont ces éléments dont M. Vulpian parait avoir le premier signalé la grande abondance chez les Batraciens dont le sang est en régénération (voyez Comptes rendus, 4 juin 1871). 164 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET certaines objections. Il convient de toujours tenir grand compte de la rapidité extraordinaire avec laquelle sont influencés les éléments du sang dès qu'ils ne circulent plus dans les conditions normales, et à plus forte raison quand ils sont extraits des vaisseaux et immobilisés, fût-ce avec leur sérum. On peut avoir une idée de cette labililé des leucocytes en particulier quand on observe la circulation dans le poumon d’un Triton, après avoir convenablement attiré l'organe au dehors du corps de l'animal. Le plus souvent, on ne tarde pas à voir les leucocytes, qui à l’état normal circulent toujours individuellement, se réunir, s’agglutiner par groupes de deux ou trois, et parcourir ainsi le réseau capillaire, ou rester adhé- rents aux parois des vaisseaux : double preuve qu’un changement notable est déjà survenu dans ces éléments (bien qu'ils continuent d’être baignés par le sérum et que celui-ci continue de circuler) par le seul fait des conditions nouvelles où se trouve le poumon exposé à l’air. Ce sont ces conditions nouvelles qui favorisent (si elles ne les pro- voquent pas) les mouvements amiboïdes que les leucocytes et les jeunes hématies ne présentent jamais tant qu'ils restent suspendus et plus ou moins ballottés dans le sérum sous l'impulsion du cœur. Les leucocytes observés dans les conditions que nous indiquons, et qu’on peut appeler normales, sont toujours sphériques ; les jeunes hématies incolores sont toujours fusiformes, tandis que la configuration de ces éléments, des seconds aussi bien que des premiers, se modifie très rapidement aussitôt qu'ils sont hors des vaisseaux (1). En observant les leucocytes et les hématies par son procédé, M. Stricker arrive à cette conclusion, qui paraît être le résultat général de ses recherches : que les noyaux, dans ces éléments, ne sont pas des formes permanentes; dans les leucocytes finement granuleux en parti- culier (2), le noyau disparaîtrait et reparaitrait, se reformant parfois dans le corps cellulaire à une autre place que celle qu'il occupait précédemment. Si nous comprenons bien la théorie de M. Stricker, le noyau dans ces éléments ne serait pas autre chose qu’une portion du corps cellulaire se modifiant momentanément, en même temps qu’elle s’enveloppe d’une sorte de membrane à travers laquelle, par déhiscence ou autrement, le corps cellulaire reste en continuité de substance avec le noyau, mem- brane sous laquelle Le corps cellulaire, s’il est peu considérable, peut pénétrer tout entier et s'unir à la substance déjà distincte comme substance nucléaire (il y aurait, en ce sens, des noyaux nus); de même (1) Il convient d'ajouter sans doute : ou bien aussitôt qu'ils sont fixés aux parois de ceux-ci. (2) « Kurz es wird ganz deutlich, die Kerne sind keine constanten Gebilde, sie entstehen und schwinden und bilden sich wieder in dem Zellleiber aus Bes- tandtheilen des Zellleiber » (p. 11 du tirage à part). ÉVOLUTION DES NOYAUX DES ÉLÉMENTS DU SANG CHEZ LE TRITON 169 que, par des influences inverses, la substance du noyau pourra de nouveau faire hernie sous forme de substance cellulaire à travers la membrane nucléaire et envelopper de nouveau celle-ci. M. Stricker croit pouvoir appuyer sa doctrine sur l'observation directe des éléments à l’état vivant; il remarque qu'on voit parfois disparaître sous ses yeux les limites du noyau dont la substance se montre par suite en continuité avec celle du corps cellulaire. Cette disparition serait surtout marquée dans les grands leucocytes finement granuleux qu’il observe au printemps sur les Batraciens des environs de Vienne. Il est regrettable que ces éléments estivaux ne soient pas désignés d’une facon plus précise par leurs caractères morpholo- giques. D’après.cette désignation de « finement granuleux (1) » nous supposons que les éléments dont il est question ici doivent être les leu- cocytes arrivés à ce qu'on peut appeler leur élat adulle,avec des noyaux multiples disposés dans le corps cellulaire en groupe compact et souvent en couronne. Or, quand par des procédés convenables on étudie ces élé- ments, soit après les avoir fixés en état de contraction dans le sang sortant des vaisseaux, soit après les avoir fixés en état d'expansion dans le sang recueilli depuis quelques moments sur une lame de verre, les noyaux se présentent toujours avec un volume qui est sensiblement le même pour tous les éléments; de plus, leur substance conserve toujours des caractères physico-chimiques qui la distinguent nettement du corps cellulaire ambiant par des limites bien accusées et sans passage de l’une à l’autre : autant de raisons qui conduisent directement à rejeter l’hypo- thèse de M. Stricker. On pourra comprendre qu'elle ait été formulée, en se rappelant qu'à l’état vivant la substance nucléaire se distingue à peine du corps cellu- laire des éléments du sang. Ceci est vrai même des hématies. Il suffit d'observer le sang en circulation, soit chez les Batraciens, soit chez les poissons, pour se convaincre que le noyau des hématies elles-mêmes est à peine visible dans la substance hémoglobique qui l'enveloppe (2). De (1) Au contraire, les leucocytes moins nombreux à grosses granulations (grob granulirt) doivent être les leucocytes sur lesquels A. Schmidt et Semmer ont appelé l'attention, et que nous avons proposé de désigner par le nom de ce der- nier. Leurs grosses granulations de substance hémoglobique paraissent avoir été quelquefois prises pour des vacuoles, en raison du peu de différence existant à l’état vivant entre la réfrangibilité du corps cellulaire, celle du noyau et celle de la substance hémoglobique (Voy.la note suivante). En effet, quand on observe ces éléments dans des conditions favorables à leur expansion sarcodique, le corps de l'élément semble rempli de vésicules entraînées par ses propres mou- vements;,le noyau lui-même n’est souvent visible que par l'écart que laissent entre elles ces « vacuoles » déplacées autour de lui. (2) Nous désignons par ce nom la substance totale du corps de l'hématie, in- dépendamment des variétés de compositions immédiates qu'elle paraît offrir parfois d’une hématie à l’autre, et qu'elle offre à coup sûr dans l’hématie d’une époque à l’autre de son développement. Dans l'impossibilité de fixer les diffé- 166 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET même pour les leucocytes : leur substance nucléaire ne se limite nette- ment que quand elle forme une surface plus ou moins sphérique, tan- gente à la ligne du regard; autrement, si la substance nucléaire s’amincit dans le champ du microscope, elle tend à devenir indistincte. Mais la question demeure de savoir si ces apparences, dont la réalité n’est pas d’ailleurs en discussion, suffisent à faire admettre l'hypothèse de M. Stricker ? Evidemment non, dès que des procédés de fixation instantanée permettent de démontrer l'existence constante d’un noyau au moins (sauf les cas d’avortement, comme dans toute espèce cellu- laire), et la netteté constante de ses contours au sein du corps cellulaire, sans transition ni passage aucun des propriétés physico-chimiques de l’un à celles de l’autre. fei se présente la question des déformations des noyaux, très accusées dans beaucoup de circonstances, spécialement sur les leucocytes extraits des vaisseaux, mais qui se retrouvent tout aussi manifestes sur les noyaux d’un certain nombre d'éléments anatomiques, entre autres des cellules fibroplastiques jeunes, telles qu'on peut les observer, et que nous les avons figurées ailleurs (1) dans les parties les plus minces de la queue des tétards. Mais on peut trouver également que, même alors qu'il prend les confi- gurations les plus découpées, le noyau demeure toujours, dans tous les points de sa périphérie, nettement distinct du corps cellulaire par ses propriétés. Il suffit pour cela de recourir à l'emploi de la solution d’acide osmique, d'après la méthode précédemment indiquée par nous (Voyez Journal d'Anatomie et de Physiologie, 1876, p. 5%). C'est précisément en faisant agir l'acide osmique saturé sur diverses substances sarcodiques (leucocytes, myxomycètes, etc.), qu'on peut démontrer qu'il fixe en situation et en forme ces substances, auxquelles il laisse de plus leur transparence vilreuse caractéristique. Par ce pro- cédé, la substance contractile, sarcode de Dujardin, véritable proto- plasma de H.-V. Mohl, est instantanément immobilisée dans le champ du microscope, avec la forme même qu'on lui voit vivante à l'instant du contact du réactif, soit qu’elle présente des prolongements arrondis et montueux, soit qu'elle s’étende au loin en minces filaments. Cette ins- rences d'une manière positive, nous avons adoplé un terme commun qui S'ap- plique à toutes ces variétés. Les seules différences sensibles, et dont nous pou- vions tenir compte dans l'étude morphologique des hématies, étaient leur colo- ration et leur réfrangibilité. Ces deux propriétés augmentent et diminuent simultanément; elles paraissent se rapporter directement à la proportion plus ou moins grande d'hémoglobine entrant dans la composition immédiate de l'élément, mais probablement sans que la capacité respiratoire de celui-ci aug- mente et diminue dans la même mesure. Celle-là dépendrait en ce cas d'un certain état d'équilibre des principes im- médiats composant l’'hématie. (1) Voy. Pouchet et Tourneux : Précis d'histologie humaine et d'histogénie, 2e édit., p. 105. ÉVOLUTION DES NOYAUX DES ÉLÉMENTS DU SANG CHEZ LE TRITON 167 tantanéité d'action sur des corps cellulaires libres, dont le contour est visible jusque dans ses plus fins détails, s'étend évidemment à tout leur intérieur, en raison de leur petit volume. S'il n’en était point ainsi, on verrait sans aucun doute des mouvements se produire qui réagiraient sur les parties déjà saisies, et déformeraient l’ensemble : or, on ne cons- tate rien de semblable. L'action instantanée de l'acide osmique saturé sur des masses plus considérables de substance amiboïde ne permet pas de douter que cette action doive être considérée comme absolument instantanée dans toute l'épaisseur d’un leucocyte ou d’une hématie, même de Batraciens. Et nous admettons (c'est ia seule hypothèse néces- saire dans l'exposé que nous présentons ici) que le noyau, aussi bien que le corps cellulaire autour de lui, est fixé en état. Après la réaction que nous indiquons, et à laquelle nous supposerons toujours, dans toutes nos descriptions, les éléments du sang soumis au sortir des vaisseaux, le noyau n’est pas beaucoup plus visible au sein du corps cellulaire qu'il ne l'était pendant la vie. Mais ses caractères chi- miques vont nous permettre de le délimiter avec une précision absolue; sa substance offre, au plus haut point, l’affinité élective pour le carmin, qu'on peut d'autant mieux regarder comme un caractère général de la substance des noyaux, qu'on la voit diminuer et même disparaitre à mesure que ceux-ci entrent en régression. À ce caractère très net vient s’en joindre un autre, qui ne nous sera pas moins précieux. Sur les éléments du sang fixés comme nous venons de le dire, laissés vingt-quatre ou quarante-huit heures au contact soit de l’eau distillée, soit d'une solution faible de picro-carminate, le noyau se gonfle sans que sa forme s’altère sensiblement (1). Si le corps cellulaire ne jouit pas de la même propriété, comme cela est le cas pour les héma- ties adultes, il se déforme par suite du changement de volume du noyau, il se déchire, etc. Dans les mêmes circonstances, le corps cellulaire des leucocytes paraît tendre à se dissocier en laissant libres les noyaux qu’il contenait. On verra plus loin quel parti on peut tirer de la réaction que nous indiquons. Ces diverses particularités nous ont permis une étude plus précise, croyons-nous, qu'on n'avait pu le faire jusqu’à ce jour, des caractères morphologiques des noyaux des éléments figurés du sang. Nous ne nous occuperons ici que du sang du Triton, et on verra que les conclusions auxquelles nous avons été conduit diffèrent essentielle- ment de celles auxquelles M. Stricker croit être arrivé. Mais une remarque importante doit être faite tout d’abord : c'est que les éléments du sang du Triton peuvent varier notablement d'un indi- vidu à l’autre, même alors que les animaux sont placés, et depuis plu- (1) Nous n'avons pas toutefois étudié dans tous ses détails cette action, qui se produit d’ailleurs toujours dans les conditions indiquées. 168 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET sieurs mois, dans des conditions identiques en apparence. Il est donc toujours nécessaire d'observer comparativement un certain nombre d'individus, aussi bien qu'il est avantageux, dans les recherches de ce genre, de s’en tenir à l’étude d’une seule et même espèce. Ces sortes de monographies, selon nous, sont toujours plus instructives et plus profi- tables à l'avènement des connaissances positives, que des observations moins patientes réparties sur un grand nombre d'objets, ces objets fus- sent-ils aussi voisins par leur nature, que les hématies des diverses espèces de Batraciens. En nous bornant à l'étude du sang d’un grand nombre de Tritons, nous avons pu constater déjà que, sur des animaux qui semblaient vivre de la même vie, tels éléments normaux ou anormaux peuvent se montrer en plus ou moins grande abondance relative (nous ne parlons pas de l'abondance absolue, qui varie aussi considérablement). Telstade de développement des hématies sera plus reconnaissable chez un indi- vidu; telle particularité se verra mieux chez celui-ci, tel détail chez celui-là; ici les nucléoles des leucocytes seront particulièrement bien visibles, et là le « réticulum » du noyau des hématies. Nous ne voulons que signaler ces variétés dans l’état statique des élé- ments du sang; elles se montrent après que ceux-ci ont été soumis au traitement uniforme par l'acide osmique : elles correspondent à d'autres qui n'étaient pas moins accusées dans le sang vivant. On pourra voir, par exemple, qu'en laissant le sang abandonné sur la lame de verre dans une chambre humide pendant quelques minutes, les déformations qu'offrent les éléments de même sorte seront très différentes, selon l’in- dividu observé; nous aurons à revenir sur ce point. Ces variétés dans l’état statique et dynamique des éléments du sang, que viennent encore exagérer les réactifs (surtout alors que ceux-ci n'ont pas été rigoureusement dosés), expliquent la remarquable incohé- rence des descriptions des anatomistes, dont chacun énumère à sa façon les variétés d’hématies et de leucocytes qu'il a observées dans le sang. C'est au point que si l'on tente de superposer toutes ces descrip- tions de manière à grouper celles qui se rapportent aux mêmes objets, on éprouve un embarras qu'on ne retrouve pour aucun tissu de l’éco- nomie (1). (1) Sans remonter plus loin dans le passé, il suffit de comparer deux travaux sur les éléments du sang des Batraciens, parus dans le cours de l’année 1871, c’aui de M. Stricker, signalé en tête de ce travail, et celui de E. Fuchs, Beitrag zur Kenntniss des Froschblutes und der Froschlymph (Wirchow's Areh., 1871, . LXXI) On remarquera que ni l’un ni l’autre ne donnent les dimensions des variétés de leucocytes qu'ils décrivent, et on peut se demander en particulier quel élément le second de ces auteurs entend désigner sous le nom de Proto- plasma-Klumpen, plus petit que les leucocytes et manquant de noyau. Il semble qu'il faille y voir au contraire les éléments que nous décrivons plus loin comme noyaux, d'après des caractères certains et qui sont plus ou moins dépourvus de corps cellulaire. À ÉVOLUTION DES NOYAUX DES ÉLÉMENTS DU SANG CHEZ LE TRITON 169 Nous croyons obvier à une partie des inconvénients qui se présentent ici, en adoptant pour le sang un réactif invariable : l'acide osmique saturé, et en choisissant pour objet de nos recherches une seule espèce animale. Cette voie nous a paru la meilleure pour arriver à déméler les formes normales au milieu des formes accidentelles, très nombreuses dans le sang comme dans toute population cellulaire, plus nombreuses là peut- être que partout ailleurs, en raison du déplacement constant des élé- ments (1), et auxquelles on a porté, en tout cas, une attention d’autant plus grande que la structure véritable et l’évolution normale de ces élé- ments nous étaient moins connues. Nous nous sommes proposé, dans le présent travail, de suivre simple- ment l’évolution des noyaux des éléments du sang, dans le but d’en éclairer la structure, et nous admettrons, comme nous croyons l'avoir démontré ailleurs (2) que les leucocytes et les hématies des vertébrés ovipares procèdent d'un seul et même élément anatomique, que nous désignerons sous le nom de noyau d'origine, sans nous occuper ici spé- cialement des éléments dont lui-même dérive. Ce noyau d’origine (fig. 1) est de petite dimension, sphérique, nucléolé, environné d’un corps cellulaire à peine distinct ou même indistinct, et dont l’existence constante n’est peut-être pas bien démontrée. Nous ajouterons que, si les leucocytes et les hématies paraissent dériver d’un même élément initial, nous ne savons rien des conditions qui font de très bonne heure dévier cet élément initial vers la forme leucocyte ou vers la forme hématie. NOYAUX D'ORIGINE Chez le Triton, ces noyaux d'origine mesurent de 10 à 12u environ (3); ils ont les caractères que nous venons d'indiquer. (1) Voici comment on peut comprendre cette influence du déplacement : étant admis que le lieu a une influence qui se traduit par des variétés sensibles dans : l'espèce anatomique, si l'élément ne change point de place, la variété restera localisée sur un point déterminé du corps : on la retrouvera toujours et elle sera vite reconnue. Le sang est dans des conditions toutes différentes ; il arrive que, parfois, un nombre plus ou moins grand de ses éléments restent localisés tem- porairement en des points déterminés du système vasculaire où on conçoit qu'il puisse prendre des caractères spéciaux : dès lors, s'ils rentrent ensuite dans le courant sanguin, ils y apporteront autant de variétés individuelles mêlées aux autres éléments, et qui fixeront d'autant plus l'attention que les causes qui les auront produites nous demeureront inconnues. (2) Note sur l’évolution des éléments du sang des Ovipares. Soc. de Biologie, 8 juin 1878. (3) Le grossissement de tous les éléments figurés dans la planche que nous donnons est uniformément de 1.000 diamètres, ce qui nous dispensera de donner pour chaque élément des mesures qui pourront toujours être comptées en milli- mètres sur nos figures. 1:0 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET EXPLICATION DE LA PLANCHE Eléments du sang de Triton cristatus et alpestris (sauf la fig. 10). Tous ces éléments ont été traités uniformément par l'acide osmique saturé. On suppose les noyaux fortement teintés par le carmin. Les flèches indiquent les phases successives du développement des leucocytes et des hématies. Fr@. 1. — Noyau d'origine, point de départ commun des hématies et des leucocytes. Fi. 2. — Jeune hématie (hématoblaste de Hayem). Fic. 3 et 4. — Hématies plus âgées; sillons d'apparence granuleuse. F1G. 5. — Hématie plus âgée, « réticulum », nucléoles multiples; le corps cellulaire commence à paraître teinté d'hémoglobine. Fi. 6. — Hématie parvenue à la période de développement où le noyau atteint son volume maximum. Il cesse en même temps de se colorer aussi bien par le carmin. Le corps cellulaire est plus foncé. Fig. 7 et 8. — Hématies arrivées à leur période d'état fonctionnel. Diminution de volume du noyau, qui ne fixe plus le carmin (dans le temps et les conditions où les autres noyaux se colo- rent). Corps cellulaire plus foncé. F1G. 9. — Hématie plus âgée. Diminution de volume du corps cellulaire et du noyau. Coloration plus foncée. x F1G. 10. — Hématies (réduites à l’état de microcytes) en cours de dissolution dans le sérum. — Cette figure est empruntée au sang du Spinax Acanthias. F1G. 11. — Premiers développements du leucocyte. Corps cellulaire encore indistinct, nucléoles multiples, segmentation manifeste. Fi. 11 bis. — Leucocytes du même âge que le précédent, fixés en état d'expansion; formes paraissant aberrantes. Fi1G. 12. — Leucocyte plus âgé, présentant un noyau nettement partagé en quatre segments. F1G. 12 bis. — Noyaux de leucocytes du même âge que le précédent, isolés, légèrement gonflés par l’eau. F1G. 13. — Loucocyte adulte. Fig. 44. — Masse nucléaire du même, à deux états différents de dissociation par le séjour dans l'eau. F1G. 15. — Hématies anormales à noyau profondément modifié (voir le texte). ÉVOLUTION DES NOYAUX DES ÉLÉMENTS DU SANG CHEZ LE TRITON 171 ouchat ncl no4 .elel.. 6 CPR 172 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Leur corps cellulaire est indistinct, au moins quand ils sont fixés à l’état sphérique, c’est-à-dire tels qu'ils se présentent toujours dans le sang en circulation. Ce doivent être les « noyaux nus » de M. Stricker et d’autres auteurs. On peut les regarder comme provenant, au moins pour une partie d'entre eux, d’une dissociation des leucocytes polynu- cléés (gros leucocytes finement granuleux de M. Stricker?) dont il sera parlé plus loin : le corps cellulaire de ceux-ci, en se détruisant à un moment donné, laisserait ses noyaux devenus libres recommencer le cycle d'une évolution nouvelle. On remarquera, en effet, qu’on ne découvre jamais sur ces gros leuco- cytes aucun signe de dégénération régressive ; d'autre part, on ne sau- rait guère admettre qu'ils passent par diapédèse dans les tissus, où leurs dimensions et leurs noyaux multiples les laisseraient aisément retrouver et où, à notre connaissance du moins, on ne les a pas encore signalés avec ce caractère. On est donc conduit à croire que‘ces élé- ments disparaissent à un moment donné de leur existence, par disso- ciation rapide de leur corps cellulaire, laissant en liberté leurs noyaux, qui deviendraient par cela même l'élément que nous désignons sous le nom de noyaux d'origine. Il n’est pas impossible, d'autre part, que ces noyaux d'origine naissent aussi en partie par épigenèse, sur des points déterminés des cavités où circule et séjourne la Iymphe. Les noyaux d'origine sont parfois très abondants. Nous avons cons- taté leur présence en grand nombre sur des Tritons mal nourris pen- dant plusieurs mois (7°. cristatus et T. alpestris), et même sur des indi- vidus de la première de ces deux espèces, déralés depuis six mois, opération qui, à la longue, mais peut-être indirectement, provoque chez les Batraciens et les Poissons téléostéens une augmentation propor- tionnelle considérable des leucocytes du sang (1). Sur le sang en circulation ou fixé au sortir même des vaisseaux, les noyaux, toujours sphériques de forme, nement être parfaitement homo- gènes avec un nucléole unique bien distinct, à peu près concentrique. (Nous désignons exclusivement par le nom de Nucléole le point ou les points offrant, au sein de la substance nucléaire, une affinité élective plus grande que celle-ci pour le carmin.) La substance nucléaire est absolu- ment dépourvue de granulations. Elle est à cette époque toujours hyaline, sans apparence de « réticulum ». Sur les plus petits noyaux, le nucléole n’est pas toujours visible; il semble le résultat d'une évolu- tion qui, dans certains cas, serait postérieure à l’époque où l'élément devient libre. Ce point est important à noter. (1) Des expériences poursuivies un temps suffisant sur les animaux de ces deux groupes ne nous laissent aucun doute à cet égard. Le résultat contraire, que nous avions précédemment indiqué (Soc. de Biologie, 8 juin 1818), après Mossler et d’autres nombreux observateurs, tenait vraisemblablement au trop peu de temps écoulé entre l'ablation de la rate et l'examen du sang. ÉVOLUTION DES NOYAUX DES ÉLÉMENTS DU SANG CHEZ LE TRITON 113 L'existence d'une membrane enveloppant le noyau d'origine parait probable; toutefois, nous n'avons pu démontrer objectivement la pré- sence d’une telle enveloppe que sur les gros leucocytes polynueléés dont il sera question plus loin. Ce noyau d'origine va croître; en même temps l'existence d'un corps cellulaire autour de lui deviendra manifeste. Le noyau lui-même prendra des caractères morphologiques nouveaux, mais qui différeront selon que l'élément va continuer de se développer en leucocyte, ou bien qu'il va éprouver une sorte d'avortement normal pour devenir hématie. En tout cas, dans l’une ou l’autre alternative, la phase originelle ne diffère pas essentiellement : elle consiste dans l’apparition, à la surface du noyau, de sillons plus ou moins profonds, en même temps que le nucléole unique fait place à des nucléoles plus petits, épais, et dont la disposition ne paraît pas nettement corrélative de celle des sillons. Cette tendance à se fractionner de manière à donner plusieurs segments, mais qui demeureront reliés les uns aux autres, est la clef de l'apparence « réticulaire » que nous présentera le noyau des hématies. D'ailleurs cette tendance se révèle déjà d’une manière très manifeste sur le sang vivant, dans des cas particuliers dont il sera question plus loin, où la membrane nucléaire est peut-être rompue. NoyAU DES LEUCOCYTES. Nous nous occuperons d’abord des transformations des noyaux d'origine,’ au cours de l'évolution qui les conduit à l’état de leu- cocytes normaux. De très bonne heure, ils paraissent offrir déjà, suivant l'individu dont on observe le sang, d'assez grandes variétés. Le noyau, tout en grossissant, reste concentrique au corps cellulaire dont il est enveloppé. Cette règle ne souffre pas d'exception, et nous avons montré ailleurs (Soc. de Biologie, 8 juin, 1878) que, sur les leucocytes à grosses granulations de substance hémoglobique ou « leu- cocytes de Semmer », le noyau est toujours tangent à la surface du corps cellulaire (4). Ces noyaux présentent à leur surface des incisures qui deviennent surtout apparentes sur ceux qui ont été gonflés par l’eau après traitement par l’acide osmique, comme nous l’avons indiqué. Ces (1) Nous le retrouvons occupant la même situation dans un élément unique sur nos très nombreuses préparations de sang de Triton, où les globes de sub- stance hémoglobique font place à des globules (graisseux?) devenus noirs sous l'influence de l’acide osmique. — Il est beaucoup moins rare de voir en circula- tion des leucocytes chargés de pigment mélanique; mais leur présence con- stitue encore une variété toujours individuelle : ils sont abondants sur certains Tritons, et très rares sur d’autres. 474 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET incisures sont plus ou moins régulières, en général peu profondes dans le sang en circulation et instantanément fixé (fig. 11). Enfin le nucléole unique a fait place à des nucléoles multiples, sans que ceux-ci paraissent affecter une disposition nécessairement en rapport avec celle des lobes séparés par des sillons. Nous avons dit que cette tendance à la segmentation en masses dis- Linctes, quoique demeurant unies les unes aux autres, pouvait dans certains cas se montrer d’une manière très accusée sur le sang vivant. Le sang d'un Triton avait été abandonné quelques minutes à lui-même, afin de permettre aux éléments sarcodiques de diffluer, puis il avait été instantanément fixé par l’acide osmique. Les leucocytes parvenus au stade qui nous occupe présentèrent des déformations considérables. La figure 11 bis montre quelques-uns des aspects qu'ils offraient. Le noyau, originairement sphérique, comme il l’est toujours dans le sang circulant, était transformé en un agrégat de masses arrondies hyalines, dans lesquelles, d’ailleurs, on ne distingue pas de nucléole. Autour de ces masses, se voient des expansions extrêmement ténues et qui doivent probablement être rapportées au corps cellulaire, devenu visible en s’étalant sur la lame de verre. Dans certains cas, on distingue, entre ces masses de substance nucléaire, une sorte de gros corpuscule un peu granuleux, à bords mal limités, peu réfringent, ne se colorant pas par le carmin, et dont la signification reste incertaine pour nous. On peut se demander s'il ne faut pas y voir le résidu d’une enveloppe nucléaire déchirée, recroquevil- lée sur elle-même ; on aurait alors l'explication de cette dislocation plus complète du corps nucléaire observée dans le cas dont nous"parlons et qui ne paraît pas d’ailleurs habituelle. Revenons à ce qui semble être la marche ordinaire de l’évolution des éléments qui nous occupent. On voit, en même temps que le noyau s'enveloppe d’un corps cellulaire de plus en plus abondant, les sillons qui se produisent à la surface affecter une disposition régulière (fig. 12 et 12 bis). Tandis qu'un des hémisphères du noyau n’est pas modifié, l'hémisphère opposé se creuse de deux sillons perpendiculaires l'un à l’autre, comparables à des sillons de segmentation, qui tendent à diviser le noyau en quatre quartiers. Ils se présentent chez certains individus avec une remarquable régu- larité. Dans chaque quartier on peut découvrir un nucléole (1). Toute- fois la segmentation en quatre ne paraît pas être ici le terme du phéno- (1) Les leucocytes arrivés à ce point de leur évolution avortent parfois en grand nombre chez le même animal. Alors les noyaux cessent de fixer le carmin, et leur réaction (après fixation par l'acide osmique saturé) ne se distingue plus de celle du corps cellulaire, devenu lui-même moins granuleux, plus hyalin, plus réfrangible : le corps cellulaire et le noyau prennent dans le picro-carmi- nate une coloration spéciale légèrement verdâtre, et qui leur est commune. ÉVOLUTION DES NOYAUX DES ÉLÉMENTS DU SANG CHEZ LE TRITON 119 mène, contrairement à ce qu'on observe d'une manière très générale dans les leucocytes des mammifères. Le résultat final du processus évolutif semble au contraire être constamment, chez le Triton, un amas nucléaire central « noyau en boudin » de Ranvier (1) et de Hayem (2). En laissant opérer l'eau dans les conditions que nous avons indiquées, on peut observer aisément cet amas nucléaire isolé du corps de la cel- lule. Il se présente alors sous les aspects représentés figure 14 (3). Les petits noyaux, plus ou moins irréguliers, larges de 5 w en moyenne, hyalins, munis ou non d’un nucléole apparent, sont le plus souvent dis- posés en couronne. Dans les cas où la dissociation par l’eau est plus avancée encore, on peut voir ces noyaux écartés les uns des autres rester cependant attachés par une gaine commune s'étendant entre eux. Cette gaine, solide, résistante, hyaline, d’ailleurs extrêmement mince, ne se colore pas sensiblement par le carmin; elle n’est pas granuleuse comme le corps cellulaire. L'existence d’une enveloppe commune sur les noyaux des leucocytes arrivés au point de leur évolution qui nous occupe, semble indiquer que cette gaine doit également exister, comme nous l'avons dit, sur des noyaux plus jeunes. Il est certain, d'autre part, qu'il n'y a aucune enveloppe du même genre autour du corps cellulaire, dont l'expansion est libre, et qui peut, par suite, émettre des prolongements filiformes, tandis que les mouvements des noyaux restent toujours limités à des formations gibbeuses, tout à fait en rapport avec l'existence d’une membrane s'opposant à une grande extension. On a vu plus haut que cette membrane paraissait quelquefois s'être rompue. Quand on laisse les leucocytes polynucléés dont nous parlons s'étendre et se déformer sur la bande de verre, on voit la masse nucléaire se diviser, et deux ou trois noyaux entraînés vers une extrémité de l’élé- ment se séparer entièrement des autres. On doit se demander si ce phénomène n’a pas laissé croire parfois aux observateurs qu'ils assis- taient à une véritable segmentation des leucocytes, alors qu'ils auraient eu simplement sous les yeux un partage mécanique de parties déjà indi- vidualisées par une segmentation antérieure. On ne perdra pas de vue que jamais en aucun cas dans le sang circulant, les leucocytes n'offrent d'autres formes que la forme sphérique avec amas nucléaire central. La Scissiparie des leucocytes, telle que l’ont décrite certains auteurs, Suppose donc à la fois : 1° l'unité du noyau, 2 l'arrêt de l'élément. De plus, si la segmentation s’accomplit avec une rapidité notable sur le (1) Recherches sur les éléments du sang, in Arch. de Physiologie, 1815. (2) Voy. Revue internationale des sciences, mars 1878, et Recherches sur l'anatomie normale et pathologique du sang. Paris, 1878, p. 198. (3) Nos observations concordent sur ce point avec celles de Bütschli (Séudien uber die ersten Entwicklungsvorgænge der Eïiselle, u. s. w., Francfort, 1876, p. 45), qui compte jusqu'à sept noyaux dans les leucocytes du Triton. 176 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET vitellus, nous manquons en réalité de renseignements positifs sur le partage des noyaux des éléments anatomiques, qui semblent demander un temps beaucoup plus long. Il est d’ailleurs bien clair que la division en deux, d'une masse nucléaire formée déjà de parties distinctes, ne saurait être mise en parallèle rigoureux avec une segmentation propre- ment dite, ou, en d’autres termes, avec le partage d’une masse unique en deux individualités. Il faut sans doute admettre qu'après que la seg- mentation a transformé le noyau d’origine en amas nucléaire, les parties de celui-ci, complètement individualisées, n’attendent plus que les cir- constances occasionnelles propres à les séparer. NoYAU DES HÉMATIES. Tandis que les amas nucléaires des leucocytes ne nous montrent aucune trace de sénilité, et semblent appelés, en se désagrégeant après la destruction du corps cellulaire, à reproduire des noyaux d'origine qui pourront redevenir d'autres leucocytes, les hématies suivent une évo- lution différente : ce sont, contrairement aux leucocytes, des formes définitives, ultimes, terminales. L’hématie tend à redevenir et redevient en réalité partie constituante du sérum, où elle se dissout finalement. Ceci ne doit jamais être perdu de vue dans l'étude de l’évolution des hématies. C’est ainsi qu’on voit leur noyau présenter de moins en moins les caractères habituels de la substance nucléaire, et cela au point que la réaction du picro-carminate va pouvoir nous servir à mesurer, par une sorte de procédé colorimétrique, l’âge relatif des noyaux d'un même sang. Les hématies des Batraciens dérivent, comme les leucocytes, des noyaux d’origine, sans que nous connaissions, comme nous l'avons fait remarquer plus haut, les causes qui jettent l'élément dans cette direc- tion spéciale. Il ne saurait être question ici d’hérédité directe, comme dans le cas des leucocytes, l'hématie étant d’une forme élémentaire finale. Nous contestons donc absolument les prétendues observations des hématies en segmentation relevées par certains anatomistes. On peut rencontrer, quoique assez rarement, chez les Oiseaux, les Reptiles, les Batraciens, des hématies avec deux noyaux. Mais ce sont là vraisem- blablement des exceptions tératologiques. L'étude du développement des hématies des ovipares montre qu'un partage, s'il s'effectue, ne pourrait en tous cas se produire que tout au début de l'existence de l'hématie comme élément distinct, peut-être avant l’époque où la jeune hématie est reconnaissable comme telle (1). (4) Nous n'exceptons pas les Batraciens tels que Rana esculenta, où l’on trouve en assez grand nombre des hématies nucléolées (Voy. ci-dessous, p.180, note 2), mais où toutefois le corps cellulaire, fortement chargé d'hémoglobine, ne semble plus apte à se segmenter. ÉVOLUTION DES NOYAUX DES ÉLÉMENTS DU SANG CHEZ LE TRITON 111 En effet, chez le Triton, l’hématie, presque dès l’origine, se distingue nettement (fig. 2); son noyau, très souvent nucléolé, prend la forme ovoïde; en même temps apparait un corps cellulaire absolument hyalin (1), dépassant le corps nucléaire, aux deux extrémités sous forme de deux prolongements un peu aplatis, limités par un trait fin mais nettement accentué. La substance de ces prolongements paraît incolore. Il est difficile de décider si elle renferme dès cette époque des traces d'hémoglobine (2). Il est certain, en tout cas, que l’hématie peut continuer de grandir dans ces conditions de constitution de son corps cellulaire. Dans certaines circonstances, et en particulier chez les animaux soumis à l’'émaciation, on peut observer un grand nombre d’hématies qui se montrent ainsi complètement dépourvues d'hémoglobine, en apparence. Fuchs (3), qui les signale dans la lymphe aussi bien que dans le sang, les désigne sous le nom de « farblose Blasen ». Ce sont simplement des hématies ayant subi un développement irrégulier. Au début, alors que le corps cellulaire de la jeune hématie est encore incolore, il paraît offrir des mouvements sarcodiques dans le sang sorti des vaisseaux. Nous n’en parlons point, traitant exclusivement ici du noyau. Ce dernier, quand on en suit le développement, présente bientôt la même multiplication de nucléoles et les mêmes sillons de segmentation que le noyau des leucocytes, mais avec moins de régularité. Les sillons se produisent comme pour les noyaux des leucocytes, au moins au début, sur un seul hémisphère, en supposant le noyau, qui est ovoïde, partagé suivant son grand axe. Le point de départ de cette segmentation par- telle est ordinairement un grand sillon longitudinal (fig. 3), dont on retrouve la trace chez les hématies plus avancées, et sur lequel viennent se greffer de chaque côté d’autres sillons, si bien que le noyau finit par paraître en quelque sorte chiffonné. Les nucléoles sont très petits, ou du moins indistincets; ils peuvent avoir disparu à ce moment, mais ils peuvent aussi, dans certains cas, demeurer assez apparents à un âge plus avancé de l’élément. Les sillons, dès cette époque, peuvent paraître finement granuleux (1) Les granulations rares, et situées dans l'axe de l’élément, que certains au- teurs décrivent, paraissent accidentelles, ou du moins ne sont pas constantes. (2) Dans cet état, en effet, l'hématie n’a pas la forme géométrique régulière qu'elle présentera plus tard. On pourrait à la rigueur se demander jusqu'à quel point celle-ci est liée à l'existence dans le corps cellulaire d'un principe immé- diat cristallisable. Sans donner à une semblable hypothèse plus d'importance qu'il ne convient dans l’état présent de la science, on pourra aussi se demander si les deux formes d'hématies discoïdes el ovoïdes ne se relient pas aux états particu- liers sous lesquels l'hémoglobine extraite du sang se présente à nous. Sur un poisson à hématies nettement discoïdes, le Syngnathe, nous avons trouvé un grand nombre de ces éléments contenant des cristaux en tables hexagonales. (3) Loc. cit., voy. ci-dessus p. 168, note 1. 178 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHÉT (fig. 4); ils sont bien incontestablement la cause première de l’appa- rence désignée sous le nom de reticulum, et qui va s’accentuer de plus en plus. Le réliculum des noyaux a beaucoup attiré depuis quelque temps l'attention des anatomistes. Il paraît certain qu'on peut observer sur de très gros noyaux, à l’état vivant, un réticulum protoplasmique analogue à celui de nombre de cellules végétalés, à celui des Noctiluques (Voy. Journal d'anatomie, sept. oct. 1878), etc. Un réticulum semblable a été figuré par O. Hertwig dans la vésicule germinative de Toxopneustes lividus (Morphol. Jahrbuch, 1875, page 352 et fig. 1), signalé par Giard dans les mêmes circonstances chez Salmacina Dysteri (Comptes rendus, 17 janvier 1876). Ce réseau protoplasmique nucléaire ne serait que la répétition en petit de ce qui existe dans les cellules végétales : comme chez ces dernières, il plongerait dans un liquide que Hertwig désigne sous le nom, très légi- time en ce cas, de Æernsaft, par opposition à la substance nucléaire dite Kernsubstanz, représentée dans les exemples dont il s’agit par des fila- ments rayonnant autour du nucléole, etallant rejoindre la paroi nucléaire. Mais nous devons ajouter immédiatement que ces désignations, que semble vouloir reprendre M. Stricker, n’ont plus aucune valeur appli- quées aux noyaux des éléments du sang et à leur « réticulum ». Aucune partie de ce noyau n’est liquide, et même celle qui mérite ici exelusive- ment le nom de substance nucléaire est précisément, « comme on le verra plus loin, » celle qui paraît divisée par le « réticulum ». | O. Hertwig a recherché le même réticulum protoplasmique, et eroit l'avoir retrouvé dans la vésicule germinative de l’œuf ovarien de la souris (Loc. cil., p. 350, fig. 9). Mais il faut noter qu’il observait après vingt-quatre heures de séjour dans l’iodsérum, c’est-à-dire dans un liquide qui n’est nullement indifférent pour un très grand nombre d’élé- ments anatomiques ; aussi croyons-nous devoir faire ici les réserves les plus expresses. Nous ferons la même remarque pour l'observation de T. Eimer (Weitere Nachrichten über den Bau des Zellkerns, in Arch. für mikr. Anat., 1877, pl. VID), qui figure un réticulum tout semblable dans les cellules vibratiles des parois buccales de Salamandra maculata, sans dire toutefois si ces éléments n’ont pas été traités eux aussi par l’iodsérum. Loin d'offrir cet aspect d’un réseau formé de filaments protoplasmiques, le « réticulum » du noyau des hématies se rapproche beaucoup plus par son aspect de l’'apparénce que figure le même observateur (T. Eimer, loc. cil., fig. 7) dans le noyau des cellules vibratiles des branchies de Sire- don pisciformis, après action d’une solution faible de bichromate de potasse. Cet aspect semble aussi se rapprocher de l'apparence décrite comme altération cadavérique par E. Langhans (Zur Lehre von der Z'usammengesetzung des Kernes, in Centrbl., 9 déc. 1876) sur les cellules ÉVOLUTION DES NOYAUX DES ÉLÉMENTS DU SANG CHEZ LE TRITON 119 de la,caduque, réticulum résultant de gouttes qui se sont formées par dialyse de la substance nucléaire, augmentent de volume, confluent et donnent à la substance plus résistante qui les sépare l'aspect réticulé (4). Dans les hématies du Triton, le « réticulum », quoique invisible pen- dant la vie, n’est pas une formation cadavérique. Il résulte directement de cette segmentation du noyau dont nous avons indiqué les premières phases. Il représente l'apparence due aux limites de séparation des seg- ments de substance nucléaire appliqués les uns contre les autres, sépa- rés, mais en tout cas réunis par une substance qui est peut-être quel- quefois granuleuse (fig. 4), et qui dessine dans la substance nucléaire des cloisons plus ou moins complètes partageant cette substance en seg- ments à peu près sphériques au début, et plus tard polyédriques (fig. 5 à 9). e La nature de cette substance, qui se produit ainsi au-dessous de l'enveloppe propre du noyau, est difficile à déterminer. Son aspect gra- nuleux n’est certainement, dans beaucoup de cas, qu’une apparence ; les points obscurs qu'on y distingue sont dus pour la plupart à des jeux de lumière produits par les intersections des cloisons les unes sur les autres (Voy. plus loin). Cette substance, en tout cas, ne paraît pas non plus se colorer par le carmin. Il est possible qu’elle prenne à la longue une teinte un peu bistrée, après avoir été traitée par l'acide osmique (2). (1) R. Arndt (Ueber den Zellkern, in Siéz. des med. Vereins zu Greifswald, 4 novem. 1876), qui insiste sur l'aspect mosaïque des noyaux, regarde aussi la substance du « réticulum » comme fondamentale (Grundsubstanz), contenant dans ses mailles des globules élémentaires (Elementärkugelchen). (2) Cette teinte s’est présentée à nous dans d’autres noyaux remarquables par leurs dimensions, et très favorables à l'observation d’un réticulum entièrement analogue à celui du noyau des hématies. Nous voulons parler des noyaux des cellules des grandes veines du Triton. Ils sont difficiles à observer en place, mais ils peuvent se présenter dans des conditions qui paraissent tout à fait satisfaisantes pour l'étude. Quand on recueille le sang d'animaux émaciés, par section de la queue, on trouve fréquemment dans celui-là un certain nombre de ces gros noyaux; et comme ils n'ont été en contact qu'avec le sang, et qu'ils ont élé aussitôt fixés par l'acide osmique, on peut les regarder comme se présen- tant dans leur état normal. Ce sont des sphères volumineuses, mesurant de 45 à 60 millièmes de millimètre de diamètre, limitées par un trait fin nettement accusé. Elles fixent énergiquement le carmin, comme tous les noyaux en vie active. Elles présentent des nucléoles volumineux, de forme irrégulière, mesu- rant jusqu'à 3 p,et se colorant par le carmin d’une manière intense. Ces nucléoles sont communément en nombre pair, 2, 4, 6,et paraissent affecter une disposition géminée : sur quatre, par exemple, 2 seront plus gros et 2 plus petits; les gros occuperont un côté de la sphère, les petits un autre côté; enfin, les nucléoles de chaque groupe seront plus rapprochés entre eux qu'ils ne le sont de l’autre groupe. Toute la masse sphérique est divisée en un nombre relativement restreint de segments à peu près polyédriques, par des cloisons à peine granuleuses qu'on pourrait plutôt décrire comme simplement obscures; elles sont vagues dans leurs limites et assez semblables à un réseau de vapeur en suspension dans un milieu transparent. Elles nous ont paru indépendantes de la disposition des nucléoles plongés dans la substance nucléaire hyaline. 180 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Le noyau grandit en même temps que le corps cellulaire. Celui-ci, qui était d’abord fusiforme et tangent au noyau, prend une forme ovoïde aplatie ; ses bords sont maintenant à peu près parallèles à ceux du noyau ; en même temps le corps cellulaire se teinte de plus en plus d’hémoglobine (fig. 5). Le « réticulum » s’accuse ; les segments nucléaires augmentent de nombre sans paraître jusqu'à cette époque diminuer de dimension. Nous avons déjà signalé (1) que, dans l’hématie arrivée à ce stade de son évolution, le noyau atteint un volume maximum, après quoi il diminue pour prendre les dimensions qu'il à sur l'élément arrivé à ce qu'on peut appeler sa période d'état. Ces hématies à noyau volumi- neux, à forme ellipsoïde moins allongée qu’elle ne le sera plus tard, à bords parallèles à ceux du noyau, ne se rencontrent pas avec la même abondance sur tous les sujets. Il nous paraît hors de doute, cependant, que la plupart des hématies doivent passer par cette phase avant d'atteindre leur aspect définitif; elle est d’ailleurs marquée par un caractère important et qui lui assigne sa place dans l’évolution de l'élément. Ce noyau volumineux fixe déjà moins le carmin que celui des hématies plus jeunes ; il Le fixe mieux que les hématies adultes. De plus, toute trace de nucléoles à ordinairement disparu dans ces gros noyaux. Toutefois, il n'en est pas nécessairement ainsi; nous les y trouvons très distincts, multiples dans le sang d'un Triton émacié par un séjour prolongé dans l’eau distillée fréquemment renouvelée. Mais ceci parait exceptionnel, du moins chez le Triton, qui est seul en cause ici. La comparaison avec ce que nous avons pu observer sur le sang d’autres Batraciens, traités par les mêmes procédés, nous permet, en effet, d'affirmer que, dans cette espèce, la disparition des nucléoles est la règle constante : on n’en retrouve point alors que les mêmes réac- tions mettent ces nucléoles en parfaite évidence quand ils existent (2). Tout ce qui précède montre suffisamment que les nucléoles ne sauraient être en aucune façon rattachés au « réticulum ». À une période plus avancée du développement de l'hématie, que l’on peut considérer comme sa période d'état fonctionnel (fig. 7 et 8), le corps cellulaire a pris sa coloration et sa forme caractéristiques. Il est plus foncé qu'il n’était, il est devenu allongé, ses bords ne sont plus (1) Sociélé de Biologie, 8 juin 1878. (2) Nous trouvons dans nos préparations de sang de Protée, sur une hématie parvenue au point de développement qui nous occupe, un gros nucléode unique, occupant un des foyers du corps nucléaire ovoide. De même, chez une grenouille (R. esculenta) très émaciée, nous trouvons un nombre relativement grand d'hé- maties ayant presque atteint les dimensions normales, offrant un noyau sphé rique muni en général de deux nucléoles placés excentriquement; sur les pré- parations traitées par l'acide osmique et le carmin, ces nucléoles se présentent avec leur coloration caractéristique (Comp. Ranvier, Recherches sur les éléments du sang, in Arch. de Physiologie, 1875, p. 1). ÉVOLUTION DES NOYAUX DES ÉLÉMENTS DU SANG CHEZ LE TRITON 181 parallèles à ceux du noyau. Celui-ci a notablement diminué de volume ; il ne fixe plus, ou du moins ne fixe que très faiblement le carmin. Sa constitution, en même temps, devient plus confuse, son aspect simplement nuageux, ou même grossièrement granuleux. Mais cette apparence, bien souvent décrite, n’est, en somme, que l’effet de la structure indiquée plus haut, se perpétuant dans un corps de plus petit volume. Ceci est facile à démontrer sur les hématies préalablement fixées par l'acide osmique, et qu'on laisse plusieurs jours séjourner dans le picrocarminate étendu. Nous avons indiqué plus haut que, dans ces conditions, le noyau se gonfle, tandis que le corps cellulaire, devenu friable, ne subit pas la _ même modification ; il en résulte que le noyau fait éclater le corps cellulaire et se présente dès lors directement à l'observateur. Il est facile de s'assurer dans ces circonstances que sa structure intime est toujours la même, qu'il est toujours formé d’une substance nucléaire, se gonflant par l’eau, hyaline, difficilement colorée par le carmin, sans traces de granulations ni de nucléoles. Cette substance est divisée en segments un peu sphériques par leur face libre ; le contour de celle-ci ne se délimite distinctement dans le véhicule que grâce à la coloration rosée que lui donne le carmin. Ces segments sont séparés par des cloisons qui semblent granuleuses ; mais, en faisant jouer la vis du microscope, on s’apercoit facilement que leurs prétendues granulations, au lieu de paraître et de disparaître sans changer de place, semblent se rapprocher et s'éloigner, selon le mouve- ment imprimé à l'objectif. On en conclut qu'on a sous les yeux, non des granulations, mais des sections d’arêtes {plus ou moins régulières résultant de l'incidence l'une sur l’autre de deux ou de plusieurs eloisons séparant les segments nucléaires. La période d'état fonctionnel de l’hématie correspond donc, en réalité, à un premier stade de régression dans lequel l'élément paraît demeurer un temps assez long; puis cette régression s’accentue, pour aboutir finalement à la disparition totale de l'élément par dissolution complète dans le sérum. Les figures 9 et 10 représentent cette évolution finale. Le noyau et le corps cellulaire diminuent simultanément; le corps cellulaire devient de plus en plus foncé; le noyau, qui n’est plus susceptible d’être coloré par le picrocarminate d’ammoniaque, tend à se confondre de plus en plus avec la substance du corps cellulaire, profondément modifiée elle-même. Les phases ultimes de cette disparition semblent s'effectuer rapide- ment. La substance hémoglobique, devenue de plus en plus foncée et réfringente, est bientôt réduite en une masse irrégulièrement ovoïde qui diminue progressivement par dissolution. Il nous est arrivé de ren- contrer en grand nombre, dans le sang d'un 7”. alpestris, ces hématies 182 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET parvenues au terme de leur régression (1). On les trouve toujours en abondance dans le tissu splénique de certains Sélaciens, où elles sont probablement retenues en raison de leur moindre élasticité. C’estchez ces animaux que nous les avons représentées lfig. 10). Cette évolution des hématies, que nous venons de suivre pas à pas, aide à comprendre certaines formes anormales de ces éléments, que l’on peut rencontrer, et qui à leur tour confirment la réalité de nos indica- tions. Nous avons ici surtout en vue une forme aberrante, qui s’est offerte à nous en quantité sur un 7”. cristatus. L'animal (nous n'avons pas pu nous en assurer en temps utile) avait probablement subi l’abla- tion au moins partielle de la rate dix semaines auparavant (milieu de mars, fin mai) : ceci est d'ailleurs sans importance pour l'objet qui nous occupe. Nous répétons qu'il ne s’agit pas ici d’une forme unique ren- contrée accidentellement au milieu d'une population cellulaire, mais que cette forme était abondante dans le sang de notre animal, et qu’elle a été attentivement étudiée, dessinée, et ses caractères contrôlés de nou- veau après un certain temps. Il s'agissait bien d’hématies, reconnais- sables (au moins pour plusieurs) à la coloration de leur corps cellulaire. Celui-ci, qui semble flétri, enveloppe un noyau de configuration spéciale (fig. 15), mais dont la substance a conservé son affinité pour le carmin. Ce singulier noyau semble résulter du groupement d’un certain nombre de prolongements obtus (30 ou 40), en forme de larmes, larges de2à 3, paraissant réunis par leurs sommets, tandis que leurs bases, qui ne se se touchent pas, dessinent une surface à peu près ovoïde ou plutôt réni- forme. Ces prolongements, contrairement à ce qui existe chez l'hématie normale, semblent séparés par la substance hémoglobique du corps cellu- laire pénétrant entre eux. Eux-mêmes sont parfaitement hyalins, sans trace de nucléoles. Leur point de convergence correspond à peu près au centre de la masse commune ; il est parfois reporté vers la surface, de là la configuration réniforme de l’ensemble. Certains de ces éléments paraissent formés de deux petites parties renflées, séparées par un étranglement médian; on peut voir aussi les prolongements de sub- stance nucléaire s’avançant vers les pôles, y dessiner par leurs extré- mités une sorte de figure étoilée, rappelant grossièrement les taches rayonnées polaires des œufs de Clepsine (voy. Ch. Robin, Mém. sur le développement embryogénique des Hirudinées, pl. XIV, pages 232-235, in Mém. de l’'Acad. des Sciences, t. XL). Il est assez difficile d'expliquer l’origine de la forme aberrante que nous venons de décrire. Peut-être pourrait-on la regarder comme due à la rupture ou à l'avortement de la membrane d’enveloppe du noyau, qui aurait dès lors permis l’extension des masses résultant de la segmenta- tion du corps cellulaire. En ce cas, le point de convergence de ces seg- (1) Homologues des Microcytes de Vanlair et Masius ? ÉVOLUTION DES NOYAUX DES ÉLÉMENTS DU SANG CHEZ LE TRITON 183 ments correspondrait à la face du noyau de la jeune hématie opposée à celle où apparaît, comme on l’a vu, le premier grand sillon sur lequel les autres viennent se greffer. Cette explication est forcément hypothé- tique ; mais on ne saurait du moins méconnaitre que l'espèce tératolo- gique dont il est ici question, en offrant pour ainsi dire l’exagération même de la structure que nous avons indiquée comme normale, apporte une confirmation nouvelle à l'interprétation que nous essayons de donner du prétendu « réticulum » du noyau des éléments du sang chez le Triton. Conclusions. Les conclusions générales suivantes nous paraissent ressortir du travail qui précède : 1° Les hématies et les leucocytes chez les ovipares Eten d'un seul et même élément anatomique. 2 Le noyau des leucocytes subit une segmentation complète l’ame- nant à l'état d’amas nucléaire. Celui-ci est toujours concentrique à l’élé- ment. 3° La segmentation des leucocytes n’a jamais lieu tant qu'ils sont en suspension et en mouvement dans le sérum. ° Les prétendus faits de segmentation observés sur les leucocytes adultes en dehors des vaisseaux ne sont que le partage (se produisant sous l'influence des mouvements du corps cellulaire) d’un amas de noyaux préalablement individualisés. 5° Les hématies sont des formes élémentaires ultimes. 6° Dans les hématies du Triton, le prétendu « rétieulum » n’est qu’une apparence résultant du seetionnement partiel de la substance nucléaire. 1° Le noyau de l’hématie atteint au cours de son développement un volume maximum, puis diminue jusqu'à la période d'état de l'élément. 8° Les hématies disparaissent par dissolution dans le sérum ambiant. 9 Il n’y à jamais chez le Triton de multiplication des hématies par scissiparie, dès que le corps de celles-ci a commencé de renfermer de l’'hémoglobine. Enfin il existe peut-être une relation entre l’état moléculaire de l’hémo- globine existant dans les hématies (mais non telle que nous l’extrayons) et les deux formes régulières, ovoïdes ou discoïdes, sous une celles-ci se présentent suivant les espèces animales. LA FORMATION DU SANG MON CHER ALGLAVE, Voilà quelque temps déjà (depuis novembre 1877) que je m'occupe de l'étude des éléments figurés du sang et de leur origine. La question était, comme il arrive souvent, dans l'air, et voilà que nous sommes plusieurs, tant en France qu'à l'étranger, poursuivant le même but. Je voudrais essayer de résumer dans votre estimable journal ce qui me semble l’état actuel de nos connaissances sur un sujet aussi important pour la physiologie et pour la médecine. Une part assez grande, dans ces études poursuivies avec ardeur de divers côtés, a été faite à l’his- toire du phénomène si particulier de la coagulation du sang; je le lais- serai toutefois de côté, ne voulant m'occuper ici que des éléments figurés du sang à l’état vivant, de leur origine et des phases de leur existence en tant que parties constituantes de l'organisme. La coagula- tion est déjà un phénomène cadavérique. Je parlerai, si vous le voulez bien, à la première personne, essayant toutefois de faire aux autres autant qu'à moi-même la juste part qui doit revenir à chacun. Il est assez singulier que les éléments figurés du sang, connus depuis si longtemps, le soient en réalité aussi peu. Encore aujourd’hui nous pouvons dire que nous ne savons pas — de facon certaine — d'où ils viennent (au moins chez l'adulte), le temps qu'ils vivent, comment ils finissent, car il est certain que leur existence est relativement courte. Tous les jours on voit dans les hôpitaux des blessés ou des malades éprouver des pertes considérables de sang, et il semble que personne ne se’soit demandé, ou du moins n'ait sérieusement cherché à découvrir, par quel procédé, au bout de quelques semaines, le sang perdu est entièrement refait. G.-E. Rindfleisch, calculant la réparation sanguine qui a lieu chez la femme pendant la période intermenstruelle, estime qu'elle se fait à raison de un demi-centigramme par minute, soit LA FORMATION DU SANG 185 175 millions de globules rouges qui se produiraient dans le corps en une minute. Comment se fait cette prolifération considérable ? Il est un peu dur de confesser que nous en sommes encore réduits à des hypothèses. C’est le désir de jeter quelque lumière sur cet obscur problème qui m’engagea, il y aura tout à l’heure deux ans, à reprendre l'étude morphologique du sang (1) et celle des principaux organes où l’on a tour à tour prétendu que se formaient les globules blanes et rouges. Les théories, les hypo- thèses n’ont pas manqué : les glandes lymphatiques, la rate, la moelle des os, d’autres organes encore ont été signalés comme le siège de la genèse des éléments figurés du sang, et même désignés à cause de cela sous le nom d'organes hématopoiéliques. Ajoutez que la question de l’'hématogenèse est loin d’être simple et que, selon les animaux, elle se présente sous des aspects très divers. Ceux-ci se divisent d’abord en deux grandes catégories : 1° les animaux ovipares, à température cons- tante ou à température variable, chez lesquels les hématies (globules rouges) ont un noyau; 2° les mammifères, chez lesquels les hématies, d’abord semblables à celles des ovipares, font place de très bonne heure à des hématies absolument dépourvues de noyau. Si l’on considère tous ces animaux au point de vue des organes héma- topoiétiques, on voit que certains n'ont ni moelle osseuse ni glandes lymphatiques, comme les poissons ; parmi les poissons, il en est même chez lesquels la rate est tout à fait rudimentaire (Syngnathes) ou fait même totalement défaut (Lamproies). Même parmi les mammifères, les Rongeurs, chez lesquels l’aire vasculaire persiste et forme encore très tard des hématies (Voy. plus loin), les Didelphes, au contraire, chez lesquels la vésicule ombilicale a disparu bien avant qu'aucune partie du squelette primordial soit devenue vasculaire, offrent autant de cas par- ticuliers qui appellent une attention spéciale. Enfin, pour résoudre le problème de l'hématogenèse, nous manquons même d’une foule de données qui nous seraient utiles. À quels carac- tères certains reconnaitre les éléments de nouvelle formation et ceux qui sont sur leur déclin? Quel temps vivent-ils? Car il est impossible d'admettre la pérennité d'éléments dont la régénération est aussi facile après les traumatismes, et même tout à fait normale chez la femme depuis la puberté jusqu'à l’âge critique. Ce sont les réponses plus ou moins satisfaisantes faites par la recherche moderne à toutes ces questions que je veux essayer de pré- senter ici dans l'ordre, sinon le plus logique, du moins le plus favorable à un exposé rapide. (1) Voyez : Gazelte médicale, 10 novembre 1877; 19 janvier, 2 février, 16 mars, 21 avril 1878; 25 janvier, 15 mars, 19 avril 1819, et Journal de l'Anatomie, jan- vier 1879: 186 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CHM.-H.-G. POUCHET Le plus curieux est que la plupart de ceux qui se sont occupés d'hématogenèse ont été conduits à reconnaitre dès l’abord l'inexacti- tude et l'insuffisance des descriptions données jusqu'à ce jour des éléments figurés du sang. On pourrait croire que des objets d’une observation relativement aussi aisée étaient bien connus : il n’en était rien. Certains éléments d’une importance peut-être capitale avaient été complètement négligés ; d'autres étaient mal décrits ; sur l'évolution de tous on était réduit aux suppositions les plus vagues. En sorte que notre premier soin va être, dans cet exposé, de compléter, aussi bien pour les vertébrés ovipares que pour les mammifères, les descriptions du sang de l’adulte, telles qu’on les trouve dans tous les traités classiques et même dans une foule de mémoires spéciaux antérieurs à ces dernières années. Sang des ovipares. — Chez tous les ovipares, aussi bien ceux à tempé- rature constante, comme les oiseaux, que ceux à température variable, comme les reptiles, les batraciens et les poissons, l’hématogenèse chez l'adulte paraît se faire suivant un mode identique. Chez l'embryon, elle diffère évidemment selon que les animaux ont ou n’ont pas de vésicule ombilicale. Chez l'adulte, la question de l’évolution des divers éléments du sang paraît actuellement résolue. Le volume de ces éléments chez les batraciens devait naturellement engager les anatomistes à étudier tout d'abord sur ces animaux le phénomène en question. Je prendrai pour type le triton, chez lequel j’ai poursuivi de mon côté cette recherche. On trouve dans le sang du triton des éléments particuliers, confondus jusqu'ici avec tout ce qui n’est point hématie, sous la dénomination de leucocytes, et que j'appellerai, pour fixer les idées : noyaux d’origine, ne tenant d’ailleurs nullement à cette désignation plutôt qu'à toute autre. Ces noyaux d’origine sont sphériques, mesurant 10 à 12 millièmes de _ millimètre de diamètre, enveloppés dans un très mince corps cellulaire partout d’égale épaisseur autour du noyau. Je reviendrai plus loin sur l’origine de ces éléments ; ce qui importe pour le présent, c’est leur développement ultérieur. Or j'admets qu'il peut se faire selon deux directions différentes : a. Ou bien le noyau d’origine grandit et se segmente, tandis que le corps cellulaire augmente de volume proportionnel. En un mot, le noyau d'origine devient leucocyle à noyaux multiples. L'élément, après avoir atteint cet état qu'on peut appeler adulte, doit nécessairement dispa- raître : le corps cellulaire se désagrège dans le sérum, laissant en liberté ses noyaux qui ne sont rien autre chose que des noyaux d'ori- gine, par lesquels va recommencer un cycle nouveau. — Cette évolu- tion serait l’évolution normale de l'élément. b. Ou bien le noyau d’origine est destiné à devenir hématie en subis- sant une sorte d’avortement ou plutôt de dégénérescence. Le corps cel- lulaire commence à fixer de l’hémoglobine; la présence de celle-ci LA FORMATION DU SANG 187 semble attestée dès le début par la figure que prend le corps cellulaire et qui a déjà un caractère un peu géométrique. Le noyau ne prolifère pas : l'élément ainsi atieint de dégénérescence hémoglobique est devenu par cela même une forme ultime, destinée à disparaître plus ou moins tard sans laisser de descendance. Le noyau, en même temps qu'il prend une figure ovoïde, en rapport avec la figure allongée du corps cellu- laire, semble épuiser sur lui-même, en se bosselant et se creusant des sillons, la puissance de sectionnement et de multiplication qu'il portait en lui. Le corps cellulaire grandit et commence à jaunir d'une manière visible au microscope par l'accumulation progressive d’hémoglobine qui se fait en lui. De bonne heure, il a totalement perdu ses propriétés essentiellement vitales, la sensibilité et la motricité. Il devient avec son noyau une sorte de corps inerte à la manière des éléments de la couche cornée de l’épiderme, continuant à fonctionner d’après ses affinités chi- miques, mais s'usant à ce fonctionnement... La substance hémoglobique domine de plus en plus dans le corps cellulaire, qui devient par suite de plus en plus dense et coloré. Le noyau perd ses caractères chimiques et constitue bientôt, avec Le corps cellulaire déformé, une masse homogène qui est finalement dissoute dans le plasma sanguin, soit en continuant de circuler, soit après s'être trouvée arrêtée, à cause de son élasticité diminuée, dans le parenchyme spongieux de la rate. Je crois avoir le premier nettement fixé les phases successives de cette évolution, ainsi qu'un certain nombre de points secondaires qui s’y rattachent, mais sur lesquels il est inutile d’insister dans ce rapide exposé. M. Hayem donne le nom d'hématoblastes à ces jeunes hématies dont le corps cellulaire déjà aplati, ovoïde, se montre cependant encore incolore au microscope, peut-être seulement à cause du grossissement. Il paraît du moins certain que ces jeunes hématies sont susceptibles de se déformer dans le sang en repos, comme font les noyaux d'origine et les leucocytes adultes. M. Hayem admet la transformation de ses « hématoblastes » en hématies. Mais c'est à M. Vulpian (Comptes rendus, 4 juin 1877) que revient certainement le mérite d'avoir démontré cette évolution; il a fait voir par des expériences précises que chez les grenouilles saignées on voyait toujours les hématoblastes, dont il donne une description très exacte, apparaître en grand nombre, et progressivement se transformer en hématies. L'expérience répétée sur les oiseaux m'a fourni exactement les mêmes résultats. MM. Vulpian et Hayem n'ont d'ailleurs formulé aucune opinion sur l'origine des hématoblastes. J'ai dit plus haut qu'ils dérivaient des noyaux d'origine. Mais d'où viennent ceux-ci ? Tous proviennent-ils des noyaux dissociés et dispersés de leucocytes ayant achevé leur existence ? Les poissons ne possèdent pas de glandes lymphatiques ; chez quelques- 188 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET uns la rate fait défaut; doit-on admettre dans ce cas que des noyaux d'origine naissent des cellules tapissant les parois des cavités lympha- tiques, et que chez les autres ovipares la rate est pour eux un lieu important, sinon exclusif, de production ? J'ai montré en effet que chez les sélaciens cet organe est en partie formé d'éléments identiques à ces noyaux d’origine, et qui, se détachant progressivement, tombent dans le réticulum formant le tissu de l'organe et sont entraînés par le sang. On peut admettre que la rate joue, chez les ovipares, un rôle qu'elle a peut- être chez les mammifères, et qui correspondrait en tout cas à celui des glandes lymphatiques chez ces derniers animaux. Entin il résulte d'expériences instituées par moi et suivies un temps assez long sur des oiseaux, des batraciens et des poissons, que l’ablation de la rate n'empêche nullement la réparation du sang après les saignées, soit que des noyaux d’origine naissent incessamment sur les parois lym- phatiques, soit que les leucocytes du sang suffisent à cette multiplica- tion. Leucocytes de Semmer. — Quand on examine le sang d’un ovipare, aussi bien d’ailleurs que celui d’un mammifère, on découvre des élé- ments dont la nature avait été longtemps méconnue, J'avais cru les décrire le premier dans le sang des sélaciens (Soc. de biologie, novem- bre 1877). J'ai reconnu depuis que l'attention avait été appelée déjà d'une manière spéciale sur eux, chez les mammifères, par un élève d'Alexandre Schmidt, dans une thèse soutenue à Dorpat; j'ai proposé de les désigner par le nom de l’auteur de cette thèse et de les appeler leu- cocytes de Semmer. Si on les connaissait de vue, la particularité fonda- mentale de leur constitution avait échappé aux observateurs : on peut les regarder comme des leucocytes (dont ils ont le volume, les pro- priétés sarcodiques, etc.) dans le corps desquels s’est formée de l’hémo- _globine. Celle-ci est en grosses granulations mesurant généralement 1 à 1 1/2 millième de millimètre. Elles ont tous les caractères physico- chimiques de la substance des hématies. On comprend toute l'importance de cette découverte, importance qui a peut-être échappé en partie à M. Semmer. Elle nous montre la sub- stance hémoglobique comme pouvant occuper d’autres éléments anato- miques que les globules rouges du sang. M. Kühne avait autrefois pensé que la matière colorante des muscles rouges des vertébrés pourrait bien être également de l'hémoglobine, mais il n'avait pu en donner la preuve. On s'assure au contraire aisément, par tous les réactifs appropriés, que les granulations des leucocytes de Semmer sont bien constituées par de la substance hémoglobique. Si MM. Alexandre Schmidt et Semmer les ont décrits comme une forme intermédiaire aux leucocytes et aux hématies, cela ne doit pas être entendu dans le sens d’un stade évolutif par lequel passerait le leucocyte pour devenir hématie : les leucocytes de Semmer sont intermédiaires aux leucocytes et aux hématies seule- Nov LA FORMATION DU SANG 189 ment en ce sens qu'ils participent dans une certaine mesure de la con- stitution des uns et des autres. Il est probable que les leucocytes de Semmer subissent une désagré- gation terminale et que leurs grosses granulations dispersées dans le plasma sanguin s’y dissolvent. Leurs noyaux, toujours ou presque tou- jours tangents à la surface de l'élément (ce qui a peut-être une impor- tance au point de vue de son évolution spéciale), ne présentent jamais — pas plus que ceux des autres leucocytes — aucun signe de cadueité et redeviennent probablement noyaux d'origine. Rien ne prouve jusqu'ici que ces noyaux, provenant du corps cellulaire où s’est déjà formée de l’'hémoglobine, soient spécialement appelés à devenir des hématoblastes. Premières hématies de l'embryon. — La formation des premières héma- ties dans l'aire vasculaire des oiseaux à été étudiée par beaucoup d’em- bryogénistes et soulève encore un certain nombre de questions graves sur lesquelles ils restent partagés en deux camps. — Chez les ovipares holoblastes, les batraciens, il paraît hors de doute que les cellules embryonnaires se transforment directement en hématies, comme le prouvent les grains vitellins et les granulations pigmentaires fines que les hématies présentent au début de la vie et qui ne disparaissent que progressivement. Sang des mammifères. — Malgré les très nombreux travaux auxquels a donné lieu, dans ces dernières années, la numération des globules du sang (Manassein, Malassez, Hayem, Périer, etc.), il s’est trouvé que les descriptions partout données des éléments figurés du sang étaient incomplètes ou même inexactes : les caractères des leucocytes étaient mal définis, la forme des hématies insuffisamment décrite, d’autres éléments tout à fait négligés. Il nous faut done avant tout revenir sur ces divers points. Leucocytes. — J'ai montré le premier, je crois, que les leucocytes de l'homme et des autres mammifères avaient toujours — quand ils sont arrivés à leur complet développement — quatre noyaux régulièrement disposés, groupés au centre du corps cellulaire, dépourvus de nucléole. Cette forme représente l’état adulte. À côté d'elle on trouve toujours, en petit nombre dans le sang, en grande abondance dans la lymphe, d’autres leucocytes plus petits, formés d’un seul noyau muni d’un nucléole et enveloppé d’un corps cellulaire extrêmement réduit. Ces leucocytes, véritables noyaux d'origine, représentent l'état jeune des leucocytes quadrinucléés. Ils tirent leur origine des glandes lympha- tiques, peut-être aussi en partie de la rate (voy. ci-dessus). Que deviennent les leucocytes quadrinucléés ? La production inces- sante de leucocytes dans les voies lymphatiques, l'absence ou au moins l'invisibilité de tout nucléole dans les quatre noyaux du leucocyte adulte, laissent peu de place à l'hypothèse que ces noyaux, survivant au corps cellulaire, reconstituent, en redevenant libres, des noyaux d’ori- 190 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH,-H.-G. POUCHET gine. Il semble également peu probable que ces leucocytes adultes, quadrinucléés, sortent des vaisseaux comme on l’a supposé pour deve- nir les éléments différenciés d’un nombre plus ou moins grand de tissus. En tout cas, la première preuve à faire pour appuyer cette hypo- thèse serait de retrouver dans les tissus en formation ces leucocytes, toujours reconnaissables à leurs quatre noyaux régulièrement disposés. Il existe chez les mammifères comme chez les ovipares des leuco- cytes de Semmer. Ils sont particulièrement abondants chez le cheval, où M. Semmer les à principalement étudiés. Hématies. — J'ai montré le premier qu'il s’en fallait que toutes les hématies du sang des mammifères, indépendamment des déformations accidentelles, aient la figure discoïde communément décrite et figurée. À côté de ces hématies classiques, on en trouve toujours, en abondance, d'autres de figure ovoïde ou même fusiforme. Leur grand diamètre est très supérieur au grand diamètre des hématies normales, leurs bords sont peu relevés. Quelquefois ces hématies se montrent encore plus allongées, terminées presque en pointe aux deux extrémités, comme chez le rat (1). On notera qu'il ne s’agit point ici d'un étirement acciden- tel : j'ai constaté directement l'existence de ces hématies dans le sang en circulation chez les mammifères. On verra plus loin l'importance, pour l'hématogenèse, de cette forme d'hématie qui n'avait pas encore été signalée, en dehors du groupe des caméliens (genres Camelus, Aucheria), où, au contraire, elle paraît être générale. Globulins. — Il existe dans le sang des mammifères une troisième espèce d'éléments que les anatomistes, aussi bien que les médecins, avaient presque complètement négligée, et sur laquelle M. Hayem, - dans ces derniers temps, a tout à coup rappelé l'attention. Ces éléments ont été découverts par Donné en 1838, et il semble que ce soit une sorte de devoir que de leur conserver le nom du micrographe français qui les a découverts. En 1846, un médecin allemand, Zimmermann, blâme ses compatriotes d'oublier dans la description du sang les globulins de Donné qu'il propose d'appeler Corpuscules élémentaires (elementäre Kürperchen). Signalés de nouveau en France par M. Robin, ils n’en res- (1) A quelle particularité biologique se relie la forme des hématies chez ces animaux ? Le problème paraît insoluble dans l’état actuel des sciences. On peut remarquer toutefois que les espèces souches de ce groupe de mammifères paraissent originaires des régions du globe, les Andes et le Plateau central de l'Asie, où la dépression du baromètre est le plus considérable. Cette forme des hématies nous semble en tout cas indiquer une constitution spéciale de la sub- stance hémoglobique. — Parmi les poissons, les Syngnathes ont des hématies nucléées régulièrement discoïdes comme celles des mammifères, tandis que d'autres lophobranches les ont extrêmement allongées, fusiformes. — G.-E. Rindfleisch a récemment émis l'opinion que la forme des hématies n'était que la conséquence de leurs frottements réciproques dans le sérum. Ce qui pré- cède suffit à réduire cette singulière hypothèse à sa juste valeur. LA FORMATION DU SANG 191 tèrent pas moins à peu près ignorés ou plutôt confondus avec les gra- nulations amorphes de diverse nature que le sang charrie parfois avec lui. M. Hayem, qui applique également à ces corps le nom d'hématoblastes, les a d’abord décrits d’une manière un peu sommaire, omettant cer- taines particularités qui semblent fort importantes. Je crois en avoir donné le premier une description exacte. Ces corps sont en effet, avant tout, remarquables par des caractères morphologiques précis, qui empêchent de les confondre avec de simples granulations. Zimmermann au reste ne s’y était pas plus trompé que Donné, et c'est pour cela qu'il les avait appelés corpuscules. Ils sont allongés, offrent, surtout les plus petits, une très grande prédominance d'un des diamètres sur l’autre. Ils sont peu réfringents ; ils paraissent homogènes; ils sont dépourvus de noyau, et n'ont aucun des caractères que présentent ceux-ci au contact des matières colorantes. Ils se rapprochent au contraire, par leurs propriétés physico-chimiques, très sensiblement de la substance du corps des leucocytes. Cette analogie et des plus frappantes (1). Ils possèdent en outre une tendance extrêmement prononcée à s'agglutiner les uns avec les autres ou avec les leucocytes et les hématies, même dans le sang en circulation dès que celle-ci se fait dans les conditions anormales. Le nombre proportionnel des globulins varie considérablement selon les circonstances. Ils sont d’une étude particulièrement facile chez les très jeunes chats, et en général, comme on le verra plus loin, chez tous les animaux dont le sang est en réparation. Durée et fin des hématies. — Il est bien clair que des parties de notre organisme exposées, autant que le sont les éléments du sang, aux pertes accidentelles qu’amènent les hasards de la vie, ou même aux pertes périodiques qui accompagnent certaines fonctions, doivent être soumis à une régénération constante, laquelle devient seulement plus ou moins active selon les circonstances. Une conséquence de cette régénération constante est qu'on ne saurait considérer les hématies ni les leucocytes comme jouissant de cette pérennité, que la physiologie accorde volontiers à certains éléments du corps, en particulier aux cel- lules nerveuses. Les éléments du sang n’ont donc qu'une existence limitée, et nous ignorons la durée de celle-ci. Certaines indications donnent à supposer qu'elle n'excède pas plusieurs semaines et au maximum plusieurs mois. On observe encore les hématies des mammi- fères intactes, quinze ou vingt jours après quelles ont été transportées dans le sang des oiseaux. Ceci résulte d'anciennes expériences de (1) Cette analogie pourrait faire supposer que les globulins sont des émana- lions du corps des leucocytes. On pourrait invoquer, pour défendre cette hypo- thèse, une analogie plus ou moins lointaine avec le phénomène de l'émission des globules polaires ; un rapprochement entre la segmentation régulière du noyau du leucocyte en quatre et la segmentation régulière de vitellus, ete., ele. 192 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET M. Brown-Séquard que j'ai répétées (chien-pigeon), tandis que les hématies d'oiseaux transportées chez les mammifères (pigeon-cobaye) ne sont plus retrouvées au bout de quelques heures, sans que cette disparition semble attribuable seulement au diamètre plus grand des hématies de l'oiseau. Celles-ci semblent presque immédiatement tuées et détruites dans la nouvelle condition de milieu qui leur est faite. S'il nous est difficile d'établir l’âge absolu d’une hématie, il semble beaucoup plus aisé de reconnaître leur âge relatif. On peut établir cette règle que les hématies des mammifères, comme celles des ovipares, sont d'autant plus voisines de leur période de déclin et de leur dispari- tion, que la substance en est plus colorée, plus réfringente. On ne saurait douter que les hématies finissent par se dissoudre dans le sérum. Elles diminuent de volume et prennent finalement une forme plus ou moins régulièrement sphérique. Elles répondent dans cet état à la description d'éléments trouvés en abondance par MM. Vanlair et Masius dans le sang de certains malades, et qu'ils ont fait connaître sous le nom de microcyles. Ces hématies séniles offrent les mêmes caractères généraux que chez les ovipares; elles ont perdu en grande partie leur élasticité, et semblent avoir, par suite de cette circonstance, une grande propension à rester retenues dans le tissu spongieux de la rate, où le sang sortant par les extrémités artérielles tombe dans un réticulum ouvert d'autre part dans les larges racines veineuses. Rien n'autorise à admettre qu'une des- truction active de globules sanguins se fasse dans aucun organe spécial. Première genèse du sang des mammifères. — Chez les mammifères aussi bien que chez l'oiseau, l'aire vasculaire est le point où se forment les premières hématies. J'ai pu suivre cette formation chez le lapin et constater que des hématies naissent encore sur les anciennes parois de la vésicule ombilicale, quand l'embryon mesure déjà 22 millimètres de long. Dans la région de la surface de l'œuf dépourvue de chorion, on trouve le feuillet vasculaire composé d'une couche de cellules presque sur le même rang. J'ai pu m'assurer que les cellules originelles ou blas- todermiques s'y différencient selon deux directions, donnant à la fois : 1° les cellules dites endothéliales des parois vasculaires ; 2° les hématies embryonnaires. Celles-là enveloppent celles-ci qui, groupées dans des sortes de culs-de-sac ouverts sur les espaces déjà parcourus par le sang, subissent une évolution plus ou moins complète avant d’être entrainées à leur tour. Zci donc la formation des premières hématies n’est certaine- ment pas endogène. Les cellules blastodermiques destinées à devenir des hématies se multiplient ordinairement plus ou moins par scissiparie avant de subir la régression hémoglobique; et plus l'embryon avance en âge, plus cette segmentation paraît donner lieu à des cellules de moindre diamètre, et plus la régression de ces cellules paraît se faire rapide- ment. LA FORMATION DU SANG 193 Au début, les cellules qui doivent former les hématies sont volumi- neuses ; elles tombent dans la circulation avant que le noyau ait disparu, ou même ait cessé de présenter nettement les caractères chimiques habituels de la substance nucléaire ; ces cellules deviennent les grandes hématies embryonnaires. — Plus tard, la segmentation paraît s’activer, les cellules qui en proviennent sont beaucoup plus petites, et le noyau y subit une atrophie rapide. Celle-ci peut se faire de deux manières : ou bien le noyau en diminuant de volume perd progressivement ses carae- tères chimiques pour prendre graduellement ceux du corps cellulaire environnant (processus terminal des hématies des ovipares, signalé plus haut); ou bien le noyau subit une sorte d'éclatement, et sa sub- stance se disperse dans celle du corps cellulaire où elle disparait bientôt. Ce mode, tout singulier qu'il puisse paraître, à été nettement constaté par moi. Telle est certainement l'origine des premières hématies défini- tives, semblables à celles de l'adulte, qui succèdent aux hématies nucléées. Quant à la transformation ou plutôt à la dégénérescence hémoglo- bique du corps cellulaire lui-même, elle se présente partout avec les mêmes caractères : le corps cellulaire devient de plus en plus homogène, plus hyalin, plus réfringent. Tant que l'hématie naissante est immo- bile, sa forme demeure masquée par le contact et la pression des élé- ments voisins : l'hématie n’est réellement biconcave et discoïde qu’à partir du moment où elle entre en circulation. À peu près vers le temps où l'embryon du lapin dépasse les dimen- sions indiquées plus haut (22 millimètres), l'aire vasculaire cesse d’être le lieu de genèse des hématies. Enfin nous noterons comme remarque intéressante que dans toute la première période de la vie intra-utérine on ne trouve point de globulins dans le sang. Ils n'apparaissent que plus tard et en abondance chez certains animaux. L'hématogenèse chez l'adulte. — En quel lieu, chez l'adulte, se forment les hématies? Telle est la question capitale qui préoccupe en ce moment nombre d’observateurs, et. qui à déjà recu une foule de solutions. En général, on a toujours cherché à relier cette fonction, dite hémato- poiétique, à certains organes où à certains tissus, dont j'ai dù nécessai- rement, pour l'objet que je poursuivais, reprendre l'étude attentive. On a successivement attribué cette fonction chez les mammifères aux glandes lymphatiques, à la rate, à la moelle des os, aux plaques laiteuses du mésentère du lapin. Peut-être les capsules surrénales, le thymus mériteront-ils d'être étudiés au même point de vue. Glandes lymphatiques. — La lymphe ne charrie pas d’hématies. Celles qu'on y peut voir circuler par exception (chez les poissons) doivent être accidentellement tombées dans le courant lymphatique. La lymphe extraite du canal thoracique d’un chien, avec les précautions conve- nables, ne présente jamais d'hématies ; au contraire, en opérant sans les 13 194 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET précautions nécessaires sur le cheval, on peut y voir le contenu d’un vaisseau lymphatique devenir rosé par l'abondance d'hématies qu'y introduit le traumatisme. Dans les glandes Ilymphatiques le système sanguin est clos. J'ai montré, au contraire, qu'il n'en était pas de même des espaces (tissu lacunaire) faisant communiquer les vaisseaux afférents et efférents. Si sur certains points ces conduits sont nettement limités, ils s'ouvrent ailleurs directement dans la substance folliculaire, en sorte qu'il n'ya réellement aucune distinction à établir entre les deux tissus décrits comme constituant les ganglions, sous les noms de tissu lacunaire et de tissu folliculaire. En conséquence, l’idée schématique qu'il faut se faire d’un ganglion est à peu près celle-ci : sur les voies Ilymphatiques pro- prement dites (tissu lacunaire) sont greffés des sortes de culs-de-sac (tissu folliculaire) clos à la périphérie seulement, mais s'ouvrant au con- traire dans ces voies au point où ils se continuent avec elles, par des lacunes d’abord larges et qui deviennent de plus en plus étroites à mesure qu'on s'avance vers le fond du cul-de-sac. En dehors de son point d'insertion sur les voies lymphatiques, ce cul- de-sac est nettement limité, et délimite lui-même des voies lympha- tiques ou, en d’autres termes, des régions de tissu lacunaire. Dans ces culs-de-sac, aussi bien d'ailleurs que sur les parois des travées de la substance dite lacunaire, certaines cellules prolifèrent, et l’on voit se développer sur elles des amas d’éléments en tout semblables aux noyaux d'origine des leucocytes, et qui sont évidemment appelés à tomber dans le courant lymphatique pour former ceux-ci. Mais parfois aussi ces mêmes cellules, surtout dans la substance lacu- naire, subissent une évolution différente. Le corps cellulaire devient gibbeux et présente, avec d’autres granulations de nature indéterminée, quatre, cinq ou six gros grains, quelquefois un peu polyédriques, de substance ayant tous les caractères de la substance hémoglobique. On a pris ces grains tour à tour pour des hématies en formation, ou pour des hématies englobées par des cellules auxquelles on prêétait pour cela des propriétés amiboïdes que jamais personne n'a constatées, sans compter qu'il resterait encore à expliquer la venue des hématies ainsi absorbées au contact des cellules en question. L'interprétation du phénomène paraît beaucoup plus simple, On a vu que l’hémoglobine n'était pas un produit spécial aux hématies et se rencontrait aussi dans les leucocytes de Semmer. Les gros grains hémo- globiques des cellules des glandes lymphatiques n’ont pas certainement d'autre origine et ne sont pas plus des hématies absorbées par les cel- lules ganglionnaires, qu'ils ne sont des hématies en formation. Toutefois la présence de ces grains hémoglobiques a pour effet, quand ils sont abondants, de rendre le tissu du ganglion rosé; il peut même devenir d'un rouge plus foncé, si beaucoup de cellules en sont gorgées. Nous LA FORMATION DU SANG 495 verrons à quelles erreurs a donné lieu cette modification du tissu gan- glionnaire, qui n’a en tout cas rien à faire avec l'hématogenèse. Rate. — D'anciens observateurs, par des expériences que j'ai répétées, ont mis hors de doute que la rate n’était pas nécessaire à la réfection du sang après les grandes hémorragies. J'ai indiqué déjà d'une manière sommaire la constitution du tissu splénique. Il est probable, comme je l'ai dit, qu'un certain nombre d'hématies s'y arrêtent normalement quand elles ont perdu leur élasticité en vieillissant, apparemment par la condensation de la substance hémoglobique. Ces vieilles hématies, retenues dans les mailles du tissu splénique, contribuent certainement à lui donner la coloration qu'il garde, même alors qu'il est le moins gorgé de sang (1). Le fait que le sérum de la veine splénique serait plus jaune que celui des autres vaisseaux (G. E. Rindfleisch) doit s'expliquer peut-être par cette dissolution des vieilles hématies retenues dans le parenchyme splénique. Ceux qui ont attribué à la rate un rôle décisif dans l’hématogenèse, contraints de reconnaître en même temps que l'hématogenèse n'est pas moins active chez les mammifères dératés, ont supposé que la rate était alors suppléée par les glandes mésentériques, voire mème par le tissu lamineux sous-péritonéal! Au moins fallait-il démontrer dans ce cas que les glandes et le tissu cellulaire avaient pris la constitution histologique (très différente) du parenchyme splénique et indiquer les phases, à coup sûr fort curieuses pour l'anatomie générale, d’une pareille transfor- mation! Car ce serait, d'autre part, un non-sens physiologique que d'admettre que deux organes de structure et de texture essentiellement différentes vont fonctionner de même. On s'étonne, en vérité, que des biologistes aient pu un instant s'arrèter à cette singulière idée d'une action vicariante (c'est le nom qu'on lui a donné) de certains organes à l'égard d’autres organes n'ayant pas la même constitution anatomique! Moelle des os. — Parmi toutes les questions qui touchent à l'hémato- genèse, il n'en est pas de plus délicate, et ajoutons de suite de plus dif- ficile à résoudre, que celle du rôle de la moelle des os. C'est elle qui semble hériter aujourd'hui du privilège de cette fonction hématopoié- tique successivement attribuée à tant d'organes, et il faut convenir que les présomptions sont ici assez grandes. D'abord tous les mammifères (1) Il est probable que les corpuscules de Malpighi ne doivent pas être regardés comme des formations spéciales, mais sont simplement des points où le tissu splénique, par quelque circonstance plus ou moins accidentelle, est devenu imperméable au sang qui traverse l'organe. Chez les poissons téléostéens ces parties imperméables ne sont pas isolées et forment une épaisse charpente dans l'organe. — Notons encore, chez les batraciens, une évolution de certaines cel- lules de la rate, qui fait rappeler (autant que nous en pouvons juger sans l'avoir étudiée) l’évolution qui sera décrite plus loin dans la moelle des os des mam- mifères. 196 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET sans exception ont de la moelle osseuse, gardant les caractères qu'elle a chez le fœtus, c'est-à-dire de la moelle rouge, en particulier dans les corps vertébraux (1). Mème chez les mammifères où la graisse est en excès, comme les cétacés, je me suis assuré que la moelle des vertèbres et la substance spongieuse des gros os des membres est rouge. Enfin on ne peut pas supprimer la moelle rouge sur un animal et juger de son rôle dans l'hématogenèse comme on juge de celui de la rate. MM. Neumann et Bizzozero se sont disputé, en 1868, l'honneur d'avoir découvert dans la moelle rouge des animaux des éléments anatomiques dont le corps cellulaire avait tous les mêmes caractères que la sub- stance des hématies, et qui présentaient en même temps un noyau. Dans ces termes, le fait indiqué par MM. Neumann et Bizzozero est parfaite- ment exact. Mais aussitôt MM. Bizzozero et Neumann, chacun de leur côté, en conclurent que la moelle rouge était essentiellement hémato- poiètique, et que les éléments signalés par eux n'étaient autres que de jeunes hématies en cours d'évolution. Cette interprétation peut être juste. On remarquera seulement que la preuve n'en a pas encore été faite. On admet — dans l'hypothèse en question — que les hématies se forment par atrophie ou régression hémogloblique des cellules propres de la moelle (ou médullocelles), et qu'elles tombent, après que leur noyau a complètement disparu, dans le torrent sanguin, comme les noyaux d'origine tombent (on l’a vu plus haut) dans le courant lymphatique. Dès lors une première question se posait : les capillaires de la moelle rouge ont-ils une paroi? MM. Hoyer, Slavinsky, et tout récemment M. G.-E. Rindfleisch, ont contesté que les capillaires médullaires eussent: une paroi. Au contraire, M. Rustizky, en 1872, l'avait décrite, et j'ai pu démontrer, après lui, que les capillaires médullaires avaient certaine- ment un revêtement de cellules endothéliales; on arrive à le rendre manifeste et même à en dissocier les éléments par des procédés tech- niques convenables. Ce premier point, à savoir : que les capillaires mé- dullaires ont une paroi, est donc bien établi. Il est également incontestable qu'un grand nombre de cellules de la moelle subissent sur place une dégénérescence hémogoblique de tous points comparable à celle que subissent les hématies en circulation dans le sang des ovipares. Le corps cellulaire, incolore et finement grenu à l'origine, devient hyalin, coloré, réfringent. Pendant ce temps le noyau perd progressivement ses caractères chimiques et finit par disparaître. C'est l'abondance de ces éléments qui donne à la moelle rouge sa cou- leur particulière. La question souvent débattue de l'unité spécifique des éléments de (1) Excepté les dernières vertèbres caudales, où elle est au contraire extrême- ment grasse. LA FORMATION DU ANG 497 la moelle (médullocelles de M. Ch. Robin) et des leucocytes est ici hors de cause. L'identité est;peu probable, et en tout cas les médullocelles ne présentent jamais les quatre noyaux caractéristiques des lymphatiques. C'est Le lieu de rappeler cette réflexion assez juste de l’auteur allemand d'un des derniers travaux sur le sujet : « Que la désignation de globule « blanc à fini par devenir une sorte d’omnibus où tout entre. » La dégénérescence hémoglobique des éléments propres de la moelle avec disparition du noyau est aujourd'hui un fait acquis. On découvre au milieu d'éléments moins transformés des masses indépendantes de substance hémoglobique ayant à peu près le volume d’une hématie déformée par le contact et la pression des éléments voisins. On constate qu avant-d’atteimdre ce degré de dégénérescence, ces masses hémoglo- biques ont contenu un noyau qui s’est évanoui par assimilation progres- sive avec le corps cellulaire, comme dans l’aire vasculaire des rongeurs, et non par sortie de la cellule, comme on l’a prétendu encore tout récemment (G. E. Rindfleisch). Mais la question est de savoir si ces masses hémoglobiques, qu'on appellerait d’un nom assez juste « hématies médullaires », d'ailleurs tout à fait comparables aux hématies des oiseaux, achèvent sur place leur évolution régressive, en se dissolvant à la longue, ou bien si elles tombent dans le courant sanguin ? Il faut renoncer à admettre que ces éléments jouissent de mouvements spontanés leur permettant de se déplacer, de se rapprocher de la paroi capillaire, et enfin de traverser les cellules endothéliales ou de s’insinuer entre elles par une sorte de diapédèse inverse. Un des caractères pro- pres de la dégénérescence hémoglobique est précisément d'amener très vite la cessation de tout mouvement amiboïde du corps cellulaire. Pouvons-nous compter, d'autre part, sur des forces extérieures, pour faire accomplir à l'hématie médullaire cette migration? — Pas davan- tage, puisque la moelle est au contraire immobilisée d’une manière : toute particulière dans la substance solide de l'os. On peut encore se demander si cette dégénérescence des cellules médullaires ne porte pas à la fois sur un certain nombre d'éléments avoisinant un capillaire dont la paroi — formée uniquement, comme on l'a vu, de cellules endothéliales — disparaîtrait à un certain moment, laissant dès lors le courant sanguin entrainer ces nouvelles hématies encore informes, pendant qu'une nouvelle paroi endothéliale se refor- merait sur elles pour tapisser l’espace que va laisser libre leur chute. En d’autres termes, les capillaires osseux seraient-ils donc en voie con- tinue de développement, ou du moins de déplacement, au milieu du tissu médullaire? — Rien dans les observations relatées, ou que j'ai pu faire moi-même de mon côté, ne fournit aucun indice que les choses se passent ainsi, et que les médullocelles en dégénérescence avoisinent Spécialement les capillaires. 198 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Certains anatomistes ont cru trouver la moelle des os modifiée après les grandes saignées et alors que le sang est en régénération. Les expé- riences, peu nombreuses, toutefois, que j'ai faites dans ce sens, ne m'ont pas montré qu'il en fût ainsi. Il faudrait donc admettre — et telle est la conclusion à laquelle on doit, je pense, s'arrêter — que les médullocelles subissent sur place une dégénérescence hémoglobique de tous points comparable à celle des hématies des oiseaux, et qu'on retrouve d’ailleurs également dans les éléments de la moelle osseuse de ces derniers, avant qu’elle n’ait disparu pour faire place à des cavités aériennes. Il est à remarquer, en effet, que les reptiles et les batraciens, aussi bien que les jeunes oiseaux, ont de la moelle osseuse, sans qu'on ait songé à lui faire jouer aucun rôle héma- topoiétique. Les poissons en sont dépourvus. En résumé, l’évolution des hématies des ovipares et celle des médul- locelles seraient deux processus tout à fait comparables ; de même que la production de grains hémoglobiques dans les cellules des glandes lymphatiques rappellerait davantage ce qui se passe dans les leucocytes de Semmer. On a cru trouver un argument en faveur de la fonction hématopoie- tique de la moelle dans l'existence quelquefois constatée dans le sang de cellules avec noyau et corps formé de substance hémogloblique, cellules analogues par conséquent aux hématies des oiseaux, sans en avoir toutefois la forme régulière. Il suffira de noter que ces éléments sont extraordinairement rares et que c’est à peine si l'on en trouve par- fois un sur des centaines de préparations. Ils ne sont pas d’ailleurs plus abondants dans le sang en réfection que dans le sang normal. On peut y voir à coup sûr des médullocelles tombées accidentellement dans le courant sanguin; mais il est peut-être encore plus logique de les considérer comme des leucocytes ayant accidentellement subi la dégé- nérescence hémoglobique, à la manière des médullocelles ou des héma- ties des ovipares. En tout cas, l'extrême rareté de ces éléments Ôte à leur présence toute valeur pour la solution du problème de l’hémato- genèse. Plaques laiteuses du lapin. — MM. Ranvier et Hayem ont soutenu tout récemment que les hématies étant dépourvues de noyau devaient néces- sairement être des productions cellulaires endogènes. M. Ranvier a rap- pelé à cesujet ses observations sur les plaques laiteuses du mésentère du lapin, où il a cru voir et où il a figuré des hématies naissant au sein même des cellules angioplastiques appelées à former les parois vaseu- laires. Même en admettant la parfaite exactitude des observations d’un anatomiste aussi habile, il serait bien difficile, on en conviendra, de les étendre et de leur donner un caractère de généralité qu’elles ne com- portent pas. Il faudrait admettre, dans ce cas, que la réparation con- stante du sang est forcément liée à la production constante de nouveaux LA FORMATION DU SANG 199 capillaires et que la réfection du sang, après les grandes hémorragies, s'accompagne par suite d’une poussée considérable du système capil- laire! On n’a pas encore démontré qu'il en fût ainsi (1). Sang en réparation. — Il nous reste à examiner les conditions où se présente le sang en réparation chez les mammifères après les saignées copieuses. Quand on l'observe dans ces conditions, on est frappé de l'abondance extraordinaire de globulins qu'il offre, et surtout de l'abon- dance des formes de passage entre les globulins proprement dits et les hématies allongées, ovoïdes, que j'ai décrites plus haut; on ne saurait douter qu'il s'agisse d'un seul et même corps passant d’une de ces formes à l’autre. Elles sont au reste toujours d’une observation facile chez le chien. Je l’ai répétée également chez le rat. Il suffit de soumettre les animaux à des saignées abondantes et rapprochées. Les globulins de Donné (hématoblastes de M. Hayem) sont donc pour moi, comme l'avait soupconné ‘Zimmermann, comme l'admet également M. Hayem, l’origine véritable des hématies des mammifères. Ils en représentent l’état jeune, comme les microcytes de MM. Vanlair et Masius en représentant l’état caduque. Le globulin, nettement allongé dès son apparition dans le sérum, grandit dans tous les sens; sa substance, qui paraissait peut-être très finement granuleuse, devient nettement hyaline, réfringente. L'élément passe à l'état d’hématie ovoïde, allongée, à grand diamètre dépas- sant de beaucoup le diamètre des hématies discoïdes, à bourrelet mar- ginal peu prononcé. La forme discoïde normale de l'hématie représen- terait ainsi une étape plus avancée du développement de l'élément et répondrait à son état adulte auquel succéderait la période de régression dans laquelle l’hématie deviendrait irrégulièrement sphérique, plus foncée, avant de disparaître complètement. Origine des globulins. — Quelle origine assigner aux globulins ? Sont- ils, comme le voudrait M. Hayem, une production endogène de certaines cellules qu'il resterait d’ailleurs à faire connaître? Faut-il voir, au con- traire, dans ces éléments, des productions directes, des concrétions orga- niques, d’un ordre particulier, nées au sein de plasma sanguin? — En effet leurs caractères morphologiques nettement accusés ne permettent pas d’y voir un dépôt amorphe de matière albuminoïde. Ils ont évidem- ment une constitution définie et à ce titre méritent le nom d'’élément anatomique aussi bien que les cristaux de l’otoconie ou les fibres lami- neuses, si l’on admet que celles-ci se forment indépendamment du corps des cellules fibro-plastiques. Le globulin, une fois apparu dans le sérum, jouirait de la propriété, commune à plusieurs corps cellulaires, (1) Un objet, que de très rares circonstances permettent seules d’étudiér, serait Sous ce rapport d’un intérêt considérable : nous voulons parler de la muqueuse utérine de la femme, en réparation pendant la période intermens- truelle, È 200 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET de fixer ou d'élaborer de l’hémoglobine. Le dépôt progressif de celle-ci expliquerait la croissance de l'élément. La proportion, la qualité de cette hémoglobine régleraient la forme d’abord ovoïde, puis discoïde, de l’élément. La limite de son accroissement répondrait à l'époque où la substance hémoglobique est devenue tout à fait dominante. Cette limite serait d'autre part en relation directe avec le diamètre minimum des vaisseaux où doit cireuler l’'hématie. Je ne me dissimule pas combien l’évolution des hématies, si elle est telle que je l'indique ici, s'éloigne des faits connus d'anatomie générale. Ce n’est pas toutefois une raison suffisante pour la rejeter, et, si elle était telle, on aurait au contraire l'explication qu'elle soit si longtemps restée méconnue. Dans l'hypothèse que j'admets, — c'est le nom qui lui convient encore, — les hématies des mammifères adultes ne seraient donc point des cellules et ne dériveraient point des cellules. Je ferai remarquer à ce propos que la substance hémoglobique doit être regardée comme un produit de l'organisme cellulaire et non comme partie intégrante de celui-ci. Sous ce rapport, l’'hémoglobine se comporte comme les corps gras, la substance des granules vitellins, l’amidon, ete. On pourrait comparer peut-être plus exactement encore l’'hémoglobine à la chloro- phylle, qui tantôt se montre en grains déposés au sein de la substance cellulaire et tantôt est en dissolution dans le corps cellulaire lui- même (1). Tantôt, en effet, l’'hémoglobine se montre à l’état de dépôt dans la cellule (leucocytes de Semmer, cellules des glandes lymphatiques), et tantôt à l’état combiné dans toute l'étendue du corps cellulaire ; seule- ment, à mesure que la substitution se fait plus complète, ce corps cel- lulaire perd de plus en plus ses propriétés vitales proprement dites : il devient inerte, et provoque ainsi à son tour la mort du noyau. Bientôt le tout n'est plus qu’un résidu de cellule. Mais en même temps il semble que la disparition de la matière vivante où s’est formée l’hémoglobine ait pour conséquence de ne pas laisser subsister celle-ci : en consé- quence la cellule, réduite à l’'hémoglobine qui s’y est déposée, va dispa- raître par dissolution. Tout ceci nous montre en somme l'hémoglobine comme un produit très secondaire de l'organisme, et on ne sera plus étonné que ce corps, résultat des actions chimiques extraordinairement complexes qui se passent dans le plasma sanguin, se forme ou se dépose ailleurs que dans des cellules proprement dites. Quant à l'apparition première des globulins au sein du plasma (1) I arrive parfois (chez les algues) que la masse protoplasmique tout entière de la cellule, sauf sa couche la plus interne, sa couche membraneuse, sauf aussi quelques places isolées, possède une couleur verte homogène (beaucoup de zoospores, palmellacées, gonidies des lichens). Sachs, trad. franç., p. 6. LA FORMATION DU SANG 201 sanguin, elle n’est pas en définitive pour nous surprendre plus que celle des fibres qui apparaîtront dans ce même plasma tiré des vaisseaux, fibres auxquelles il faut bien reconnaître un certain carac- tère morphologique. L'augmentation de volume du globulin constitué ainsi d'une substance albuminoïde (globuline) à laquelle viendrait aussitôt se joindre une substance cristallisable ou au moins ayant certains caractères des substances cristallisables (hémoglobine), cette augmentation de volume, disons-nous, ne serait pas un phénomène de développement proprement dit, mais un simple phénomène d’accrois- sement comparable à celui d'une foule de corps également constitués par l'union de composés albuminoïdes et de composés cristallins, dont M. Harting et d’autres ont fait une si belle étude. En résumé, on doit convenir que l’origine des hématies chez les mam- mifères adultes n’est pas encore complètement élucidée. Sur ce point, les anatomistes sont partagés entre deux théories principales. Les uns, avec MM. Neumann et Bizzozero, attribuent nettement à la moelle rouge ce rôle dans l’économie, de produire les hématies et de subvenir au renouvellement normal ou aux pertes accidentelles des éléments du sang. Je pense, au contraire, avec M. Hayem, que les hématies dérivent des globulins de Donné. Seulement nous différons sur l'origine de ces globulins : tandis que M. Hayem y voit des productions endogènes de cellules qu'il ne désigne pas autrement, tout me semble prouver qu'ils se forment directement dans le plasma sanguin en circulation, par un phénomène qu'on peut rapprocher de la formation des filaments de fibrine dans le sang extrait des vaisseaux. Aeréez EC: ni à : PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE © = un CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERES SOMMAIRE INTRODUCTION. I. Préambule. Historique, 205. — II. Causes de coloration. Exposé des faits, 208. PARTIE ANATOMIQUE. I. Pigments. Gouttelettes. Pigment rouge et sa variété bleue. Pigment jaune. Pigment violet. Modification des pigments sous les influences extérieures, 210. — II. Chromo- blastes. Distribution des chromoblastes. Chromoblastes dans l’épithélium. Développement chez les poissons. Chromoblastes des articulés. Développement chez les crustacés. Chromoblastes rouges. Chromoblastes jaunes et violets. Nerfs des chromoblastes. Influence de l'électricité. Mort des chromoblastes, 218. — III. Chromatophores des Céphalopodes, 231. — IV. Pigments diffus. 233. — V. Cérulescence. Zridocytes. Mollusques acéphales. Céphalopodes. Turbots. Labres. Vive. Grondin. Callionyme lyre. Couleur verte et dorée des batraciens. Lézard vert. Mécanisme des changements de couleur du Caméléon, 235. . PARTIE PHYSIOLOGIQUE. I. La fonction chromatique en général chez les poissons, 260. — IT. Znfluence du système nerveux. Ablation des yeux. Ablation d'un seul œil. Rôle de la moelle. Influence du trijumeau. Influence des nerfs rachidiens. Influence du grand sympathique. Réseau nerveux cutané, 273. — III. Znfluences horaires, 295. — IV. La fonction chromatique ches les crustacés. Palémon. Influence des nerfs. Crangon, 297. — V. Influence de l'obscurité sur la fonction chro- malique, 315. — VI. Rapport entre l'existence des chromoblastes et celle des yeux ches les arti- culés, 316. — VII. Znfluence des agents chimiques. Action de l'oxygène. Curare. Morphine. Qui- nine. Strychnine. Santonine, 317. CoNcLUSIONS, 322. INTRODUCTION ÎJ. — PRÉAMBULE — HISTORIQUE Le travail que nous publions aujourd’hui est. achevé depuis long- temps. C'est par suite de circonstances particulières qu'il n’a point paru plus tôt. Il résume une longue série de recherches consignées dans des communications et des notes dont nous donnons plus loin la liste (p. 206 et 207). Ce travail a obtenu à l'Académie des sciences le prix de physiologie expérimentale pour 1874. Il avait été déposé, sous le titre que nous lui conservons, dans la séance du 13 janvier 1873. Nous le faisons paraître sans autre changement que quelques additions que nous aurons soin de signaler quand elles se présenteront. Cest pour nous un devoir de reconnaissance de rappeler ici le nom 206 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET vénéré de Coste, dont les conseils, les encouragements ne nous ont jamais fait défaut. Non seulement nous avons trouvé dans le laboratoire national installé par lui à Concarneau les matériaux de nos recherches, mais c’est grâce à son appui que nous avons pu les mettre en œuvre (1). C'est un fait bien connu depuis longtemps que certains animaux chan- gent rapidement de couleur sous certaines influences. Mais le nombre des espèces qui présentent cette particularité semblait assez restreint. Et sauf en ce qui concerne le caméléon, célèbre depuis Aristote, l’histo- rique de la question qui nous a occupé ne prête point à de longs déve- loppements. J. Stark (2), en 1830, fit un certain nombre d'expériences sur des espèces de poissons fluviatiles, Leuciscus phoxinus, Gasterosteus aculeatus, Cobitis barbatula, Perca fluviatilis. Stark placa alternativement ces ani- maux sur fond noir et sur fond blanc, et il les vit changer de couleur. Il rapprocha ce phénomène de celui que présente le caméléon. Mais il ne fit aucune expérience et ne hasarda aucune explication sur son méca- nisme, non plus que sur sa cause ; il dit seulement : « The final reason « for this may be traced to the protection which they thus secure from « the attacks of their enemies. » C'est déjà la présomption de l'existence d'un mimétisme volontaire. Stark remarque, en effet, que sur les rivages sablonneux les poissons plats (flounders) et le congre (eel) sont plus pâles que sur les côtes rocheuses. C’est ce fait bien connu que les pêcheurs traduisent en disant que les poissons « prennent la couleur du fond de la mer ». Le naluraliste anglais toutefois ne répéla point son expérience sur les espèces marines. Nous avons, de notre côté, répété les siennes avec succès sur un certain nombre de poissons du Danube, dans le laboratoire de M. Stricker à Vienne pendant l'été de 1873. En 1848, F.-A. Pouchet publia une note (3) sur les changements de coloration très accusés que présente parfois en captivité la rainette (Hiyjla arborea) ; iles explique par l'expansion des cellules pigmentaires profondes qu'avait déjà signalée M. Milne Edwards chez le caméléon. Le mémoire de M. Milne Edwards (4) est de 183%; la première commu- nication de M. Brücke à l’Académie de Vienne sur le même animal est de 1851 (5) et son grand travail parut l’année suivante (6). On verra plus loin que le célèbre physiologiste allemand ne s’est peut-être pas toujours (1) Voy. Rapport sur une mission scientifique aux viviers-laboraloires de Con- carneau. Archives des missions scientifiques, 1875. (2) On Changes observed in the Colour of Fishes, dans ÆEdinb. Philosoph. Journal., t. IX, 1830, p. 32. 3) Note sur la mutabilité de la coloration des rainettes et sur la structure mi- croscopique de la peau. Comples rendus de l'Acad. des Sc, 29 mai 1848. (4) Sur les changements de coloration chez le caméléon. Ann. des sc. nat. (5) Ucher den Farbenwechsel der Chamäleone. Sifzungsber. der K. K. Akadenue zu Wien, Bd VII. (6) Untersuchungen über dem Farbenwechsel des Afric. Chamäleons, Denh- schriften d.K. K. Akad. zu Wien, vol. IV, 1858, DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 201 rendu bien compte de toutes les conditions physiques qui produisent les couleurs observées sur le caméléon et sur certains batraciens comme la grenouille et la rainette ; mais il met en évidence dès cette époque, par des expériences décisives, l’action du système nerveux sur l'état d’ex- pansion ou de retrait des cellules pigmentaires. Plus de quinze ans après les mêmes expériences sont reprises sur la grenouille par Th. Hering (1) qui tombe dans les mêmes erreurs anatomiques, et arrive aux mêmes conclusions physiologiques que Brücke. Hering paraît incliner à penser que les nerfs agissent indirectement sur les cellules pigmentaires, en modifiant la circulation : les cellules pigmentaires se trouveraient donc sous la dépendance médiate des nerfs dits vaso-moteurs. M. Goltz, au congrès des naturalistes allemands à Rostock en 1871 (2), et M. Vulpian dans ses Leçons sur l'appareil vaso- moteur (3) parues en 1875, confirment les faits signalés par Hering. Dès 1871, nous présentions de notre côté sur le même sujet, à l’Acadé- mie des sciences, deux notes, dont la seconde fixe les points importants que le présent travail ne fait que développer (4). Cette question, depuis lors, n'a pas cessé de nous occuper, et nous avons publié sur elle un certain nombre de mémoires, de communications et de notes (5), aux- (4) Voy. Hoyer, Ueber die Bewegungen der sternformigen Pigmentzellen und die dadurch Veränderungen in der Hautfarbe der Frôsche, nach Untersuchungen von. Th. Hering. Centralblalt, 16 janvier 1869. (2) Voy. Revue scientifique, 30 mars, 1872, p. 498. (3)ND MT; p. 31Mtet suiv. (4) Sur les rapides changements de coloration provoqués expérimentalement chez les poissons. Séance du 26 juin 1871. Du rôle des nerfs dans les change- ments de coloration des poissons, note lue à l'Académie des sciences dans la séance du 16 octobre 1871, publiée par le journal L'Institut et reproduite dans le Journal de Anatomie, numéro de janvier 1872. (5) En voici la liste : On the Connection of Nerves and Chromoblasts, dans The Monthly Microse. Journal, déc. 1871. Sur les rapides changements de coloration provoqués expérimentalement chez les crustacés. Séance de l'Académie des sciences, 11 mars 1572. Sur les colorations bleues chez les poissons. Séance du 20 mai 1872. Note sur le changement de coloration que présentent certains poissons el cer- lains crustacés. Soc. de biologie, séance du 2 mars 1873. Note sur les cristaux bleus existant dans les tissus d'un branchipe. Soc. de biologie, séance du 15 mars 1873. Note sur les changements de coloration chez la crevette grise. 1bid., séance du 23 mars 18173. Note sur les pigments. 1bid., séance du 23 avril 1875. ote sur les changements de couleur présentés par les grenouilles el plus spécialement par la rainette. 1bid., séance du 20 juillet 1873. Ueber die Wechselbeziehungen zwischen der Netzhaut und der Hautfarbe eini- ser Thiere, dans Med. Jahrbächer, red. von Stricker, 1874, I Heft. Trad. dans le Journal de l’Anatomie, numéro de septembre-octobre, 1874. ote sur la coloration bleue des oiseaux et des mammifères. Soc. de biologie, séance du 17 janvier 1875. Note sur le mécanisme des changements de coloration chez le caméléon. Ibid. séance du 24 janvier 1875. DZ A Z 9208 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET quels nous renverrons le lecteur sans insister de nouveau, dans les pages suivantes, sur les faits que nous aurons signalés ailleurs. IT: — CAUSES DE COLORATION —/"ExXPOSÉ DES FANS Les différences de coloration qu'offrent les animaux sont dues ordi- nairement à des causes multiples qui s'ajoutent et se combinent pour produire sur notre rétine une impression complexe, mais d’où ne peut résulter qu'une perception simple de couleur. Il faut distinguer : 1° Les colorations inhérentes aux substances organiques elles-mêmes, telles que la coloration rouge des muscles du bœuf ou de l’homme, que Bichat montrait déjà comme propre à leur substance (1). 2° Les effets résultant de certaines propriétés optiques comparables à l’épipolisme, ou de certaines dispositions produisant les phénomènes des réseaux et des lames minces. 3° Enfin, les éléments anatomiques empruntent souvent leur couleur à des matières colorantes, solides ou dissoutes, distinctes de la sub- stance de l'élément lui-même et qu'on en peut extraire par l'analyse immédiate. Ces substances colorantes méritent seules le nom de pig- ments. Elles sont de nuances diverses; elles sont tantôt à l’état granu- leux, et tantôt à l’état de dissolution réciproque dans la substance vivante. Les éléments musculaires proprement dits ne paraissent jamais ren- fermer de pigments ; les pigments sont, au contraire, très répandus dans d’autres éléments anatomiques doués de mouvements sarcodiques, et qui peuvent, en conséquence, présenter des changements de forme très accusés sous certaines influences, telles que celle de l'électricité, de la lumière, etc. Nous leur donnons le nom de chromoblastes. Ils s'étalent en nappes, ou se resserrent en masses arrondies. Ces changements ne modifient pas la quantité de matière colorante contenue dans l’élément, et par suite dans le tissu, mais ils modifient beaucoup l'impression rétinienne. Dans le premier cas, la nappe étalée, masquant les couleurs plus profondes, impressionne seule la rétine. Dans le second, l'élément resserré en sphère ne mesurant pas plus de 15 à 20 m fait sur la rétine une image plus petite que « l'élément rétinien », et dès lors devient invisible, tandis que les radiations émanant des parties profondes vont librement impressionner l'œil. Si l’on ajoute que dans le même tissu on peut trouver des chromoblastes de différentes couleurs, (4) I se trompait seulement en la croyant extractive, en y voyant ce que nous ) [ : NUE appelons un pigment;ce mot ne paraît avoir été introduit que beaucoup plus tard en anatomie; vers 1832, Blainville et Heusinger l’'emploient simultanément. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS?L'INFLUENCE DES NERFS 209 et qu'ils peuvent être les uns ou les autres à divers états de contraction, on comprendra qu'il suffise de deux « jeux chromatiques » de cette espèce pour amener par leur état de contraction ou de dilatalion relatives un nombre considérable de nuances. Les changements de coloration qui ont cette origine avaient été depuis longtemps remarqués, mais la cause en avait été généralement méconnue ou mal interprétée. Ils sont tantôt rapides, instantanés, comme dans la sèche, et tantôt plus lents, mais cependant faciles à constater; parfois ils sont périodiques, en rapport avec les fonctions de reproduction, comme chez l'épinoche male. On a cité, à côté du caméléon, les poissons changeants de Chine qui modifient, dit-on, leur couleur dès qu’on les irrite (1). Les anciens aimaie nt, à ce qu'on raconte, à voir les changements de couleurs qui se produisent sur certains pois- sons tirés de l’eau ; et Gæthe (2) relève un passage de Forster, le com- pagnon de Cook, qui dit avoir vu à Taïti des poissons dont la peau cha- toyait (sehr schün spielle) au moment de la mort. Parmi les poissons de nos côtes, le turbot, le gobie (G. niger, var.), offrent pendant la vie des changements de couleur extrêmement mar- qués; ils se passent seulement dans des gammes moins voyantes. Ils sont éclatants chez le Callionyme lyre. C’est une croyance commune, avons-nous dit, parmi nos pêcheurs, que les poissons prennent la cou- leur du fond où ils vivent. Les physiologistes et les zoologistes n'avaient pas paru attacher jusqu’à ce jour beaucoup d'importance à ces modifica- tions de coloris, dont l'étendue était d’ailleurs singulièrement exagérée par ceux qui en parlent. Il est constant toutefois, comme nous le mon- trerons, que certains poissons et certains crustacés changent rapide- ment de couleur sous l'influence des sensations visuelles dues au milieu ambiant. Il résulte de là qu'on peut provoquer ces changements en por- tant alternativement les animaux sur un fond éclairé ou sombre. Le cer- veau, recevant l'impression propagée de l'œil, réagit à son tour sur l’état de dilatation ou de contraction des chromoblastes. Chez les poissons au moins, les nerfs règlent manifestement cette action, en tirant du grand sympathique leur influence. C’est done en physiologie une propriété nouvelle des nerfs qui se trou- vent agir de la sorte sur les éléments sarcodiques aussi bien que sur les éléments musculaires proprement dits. D'autre part, en zoologie, cette relation, démontrée entre la couleur de certains animaux et le fond sur lequel ils vivent, se relie directement aux faits de mimétisme qui ont soulevé, dans ces dernières années, des dis- Cussions si vives jusque dans le pays de M. Darwin. Les pêcheurs vous (1) Carbonnier, Rapport et observation sur l'accouplement d'une espèce de poisson de Chine. Bull. de la Soc. d'acclimatation, juillet 1869. (2) Zur Farbenlehre, éd. 1840, t. XXXVII, p. 299. 9210 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET font très bien remarquer que les poissons plats pris sur les fonds vaseux, ceux de la baie d'Audierne, par exemple, sont moins foncés que ceux qui vivent au milieu des roches de la côte méridionale du Finistère : il pou- vait être permis de voir là un effet des causes multiples signalées par M. Darwin comme contribuant à modifier l'extérieur des animaux, les poissons plus clairs étant mieux protégés sur un fond clair ou mieux à même d'y surprendre leur proie, de sorte qu'à la longue une race plus päle en serait résultée, avec des caractères qu'entretiendrait l'hérédité. Le phénomène paraît plus simple encore que cela. Il est constant, ainsi que nous l’établirons plus loin, qu'un grand nombre de poissons peuvent rapidement modifier leur couleur, et d'eux-mêmes s’harmoniser avec celle du fond sur lequel ïls se trouvent momentanément placés. En d’autres termes, on peut, chez certaines espèces, observer ou provoquer par l'expérience un véritable mimétisme passager. Nous signalons ce point en passant. Nous éviterons de revenir sur un sujet qui touche spécialement à la zoologie. Notre travail se divisera naturellement en deux parties. Dans la pre- mière, tout anatomique, nous étudierons les pigments, les éléments anatomiques qui les renferment ou ceux qui, par des propriétés optiques spéciales, contribuent à donner aux animaux les couleurs que nous leur connaissons. Nous n’avons pas toutefois la prétention d’épuiser le sujet et de l’embrasser dans toute son étendue. Nous nous bornerons à signaler les faits que nous regardons comme nouveaux. Dans la seconde partie, toute physiologique, nous rapporterons, en les discutant, les expériences que nous avons pu faire sur la mécanique des changements de coloration d'un certain nombre d'espèces animales et sur les causes extérieures qui provoquent ces changements. PARTIE ANATOMIQUE TRSPITGMENLTSS Nous nous proposons de passer ici en revue les pigments contenus dans la substance sarcodique des éléments que nous désignons sous le nom de chromoblastes, soit à l’état de grains solides dits granulations, soit à l’état de dissolution réciproque dans la substance de l’élément. Ces pigments appartiennent en général à la série xanthique des bota- nistes, c’est-à-dire que leurs nuances s'étendent du rouge au jaune plus ou moins rabattus. Ils peuvent être tantôt d’un noir absolu et tantôt d'un jaune et d’un rouge extrêmement purs. Ce dernier cas est ordinaire quand le pigment est dissous; les mêmes nuances rabattues de manière à former des bruns, ainsi que le noir, sont généralement dues à la pré- DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 211 sence de pigments grenus. Ces derniers, ordinairement foncés, et les pigments dissous, presque toujours clairs, offrent des caractères chi- miques non moins tranchés que leurs caractères optiques. Le pigment noir, mélanique ou mélaïnique (Ch. Robin), qu'il soit d'ailleurs en granulations ou à l’état diffus, est insoluble dans l'acide sulfurique concentré (1). Le même acide offre avec le pigment rouge dissous dans la substance des cellules une intéressante réaction : il le fait passer successivement par les teintes verte, bleue et violette, c'est- à-dire qu'il lui fait parcourir l'échelle des couleurs les plus réfrangibles du spectre. La même réaction de l'acide sulfurique concentré sur le pigment rouge se retrouve avec la matière colorante du sang, mais sans que les anatomistes qui ont signalé les nuances diverses que prend celle-ci aient paru remarquer l’ordre important dans lequel elles se succèdent (2). On observe toujours cette réaction avec le pigment orange ou rouge qu'on trouve en abondance chez les poissons et les crustacés. Elle per- siste après l'action de la chaleur sur la matière colorante: on l’obtient facilement sur des palémons (Palæmon serratus) cuits. Nous l'avons encore retrouvée sur de grosses granulations rouges qui donnent la coloration rose à certaines espèces d’£olis et de T'ubularia. Les spicules rouges de l’Alcyonium palmatum se comportent de même avec l'acide sulfurique dont l’action générale peut être considérée comme déplaçant constamment le ton des différents pigments de l'extrémité la moins réfrangible vers l'extrémité la plus réfrangible du spectre. Les deux réactions que nous venons de signaler permettent de dresser le tableau suivant, qui n’est pas sans offrir un certain intérêt par le lien inconnu qui rattache la constitution chimique des pigments aux phénomènes optiques : PIGMENTS DISSOUS PIGMENTS GRENUS NOIR. ROUGE MAS MATE RES À ORANGE Les mêmes SRE rt Se Se 0) ge JAUNE. . ; ) rabattus : Par l’action de l'acide sulfurique, Vert ne sont pas modifiés. deviennent. . 4 Bleu se dissolvent. (1) Ce pigment, toutefois, est complètement digéré dans l'estomac des poissons et des céphalopodes (sèche), tandis que le pigment rouge des crustacés donne en général aux excréments de ces animaux une coloration rouge intense qui montre qu'il n’a pas complètement disparu dans le travail de la digestion. (2) « L'action de l'acide sulfurique, après quinze à trente minutes de contact « ou plus avec les grains d'hématosine anciennement ou récemment formés, les 2 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Il ne faudrait pas croire toutefois que l’état physique des pigments et leurs caractères chimiques soient partout aussi nettement définis que nous l’indiquons ici. C’est ainsi qu'on trouve dans la crevette grise (Crangon vulgaris) un pigment violet qui est grenu et qui a des réactions spéciales. En réalité l'histoire des pigments devrait être étudiée par une série de monographies dans chaque espèce animale. Gouttelettes. — Quand on observe un tissu riche en chromoblastes contenant du pigment jaune-rouge dissous, on trouve le plus ordinaire- ment au voisinage de ces éléments un certain nombre de gouttelettes colorées d’une manière intense dans la même gamme. Elles sont plus ou moins volumineuses ; les plus grosses mesurent 4 à 5 u; elles sont réunies ordinairement en petits groupes. La substance de ces goutte- lettes est très réfrangible, évidemment analogue à celle qui colore les chromoblastes. Il est peu probable toutefois que ce soit du pigment pur et en quelque sorte à l’état d'isolement. Mais ces gouttelettes ont tou- jours un éclat plus grand et un ton plus riche que les éléments sarcodi- ques environnants de même couleur. Pigment rouge et sa variété bleue. — Le homard se prête particulière- ment bien à l'étude du pigment rouge et des diverses modifications qu'il parait subir. Il est, dans les éléments qui le contiennent, tantôt à l’état dissous, et il offre alors une complète transparence avec une belle teinte rouge, tantôt à l’état de très fines granulations, ayant un diamètre juste suffisant pour être observées au microscope, beaucoup moindre par conséquent que celui des granulations mélaniques ordinaires. A l’état frais, si l’on malaxe dans l’eau avec les doigts le tissu rouge hypodermique du homard, on met ces granulations en liberté, et on peut ensuite les recueillir par décantation. En même temps les doigts s'imprègnent d’une couleur vermillon ou rouge brique. Le linge, le papier sont tachés de même. Ce pigment offre par l'acide sulfurique concentré la réaction commune. Celui-ci le fait passer successivement au vert, au bleu, au violet, et fina- lement le dissout sans laisser aucune trace de coloration. Nous parlerons plus loin de l'extraction de la matière colorante rouge par le moyen de l’éther et de l'alcool. La créosote dissout en totalité le pigment rouge en prenant une belle couleur groseille. Le pigment rouge paraît soluble en toute proportion dans ce réactif. Si l’on ajoute dans la solution une certaine quantité d’éther sulfurique, le mélange offre une couleur qui rappelle celle du vin « dissout en colorant en rouge jaunälre, soit le réactif, soil en même temps le « tissu qu'il gonfle quand on opère sur des grains d'hématosine encore con- « Lenus dans les fragments de ce dernier. Au bout de quelques heures la colo «ration disparait, en passant au violel bleuâlre, puis au verdätre plus ou moins « foncé. » Ch. Robin, Sur les colorations noires hématiques et mélaniques des tissus morbides. Journ. de l'Anat., 1811, p. 80. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 9143 de Madère, et qui est celle de la dissolution du pigment rouge dans l’éther. À mesure que l'éther s’évapore, le mélange reprend sa couleur groseille primitive. Si l’on ajoute de l'acide sulfurique à la solution dans la créosote, il y a un précipité, et le liquide est d’un ton verdâtre sale. Ces solutions du pigment rouge dans l’éther ou dans la créosote ont une fixité remarquable. Après deux années pleines, elles ne paraissent pas avoir subi d’altération sous l'influence de la lumière, tandis que la couleur disparait vite sur les animaux desséchés ou conservés dans l'alcool. Quand on monte dans la glycérine des préparations d’un tissu riche en chromoblastes rouges qui a d’abord macéré dans la liqueur de Müller ou dans l'acide chromique, on voit chaque chromoblaste environné d’une zône sur laquelle il semble avoir en partie déteint, comme si une portion de la matière colorante était soluble dans la glycérine, et non une autre portion. Les seules préparations qui nous aient montré les chromoblastes rouges du palémon sans trace de dissolution de la matière colorante sont celles qui ont été traitées par l'acide osmique faible avant d'être plongées dans la glycérine. On peut extraire du pigment rouge et de ses variétés dont il sera ques- tion plus loin de très beaux cristaux rouges. Il suffit pour cela, après avoir fixé les matières albuminoïdes par la cuisson ou par l’alun, de malaxer le tissu chargé de pigment rouge, tel que l'hypoderme du homard par exemple, dans un mélange bouillant fait à parties égales d'éther sulfurique et d'alcool. Le mélange prend la teinte jaunâtre que nous avons comparée à celle du madère. Si on le laisse en repos on voit se déposer à la longue sur les parois et le fond du tube de petits cristaux qui sont d’un beau rouge par transparence. _ Extraits, lavés dans l'alcool où ils sont insolubles, et desséchés, ces cristaux ont un reflet métallique violet qu'on peut rapprocher de celui de l'aile du Morpho Setchenowïüt. Il ne se voit que sous certaines incidences. Observés au microscope, ces cristaux paraissent appartenir au sixième système (1). Ils sont, par transparence, d’un beau rouge franc, différents en cela des cristaux du sang, qui ont une nuance tirant sur l'orangé. Ils sont insolubles dans l'alcool, dans la glycérine. Ils sont solubles dans l’éther et lui donnent la nuance madère. Si l’on ajoute une goutte de créosote, on obtient, quand l’éther est volatilisé, la coloration groseille caractéristique. Mais redissous dans l’éther, nous n'avons pu les faire cristalliser de nouveau. Is se brisent avec une grande. facilité en fragments régulièrement (1) Les angles aigus opposés d'une des faces larges, mesurés au microscope avec un goniomètre oculaire, nous ont donné les chiffres suivants : d'une part 38059" (douteux), 4201! et 4307; d'autre part 5504. — Observé à la lumière pola- risée, le cristal est obscur quand le plan de polarisation passe par ce grand dia- mètre. Ces caractères sont d’ailleurs communs aux cristaux du sang. 214 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET clivés. Quand on observe leurs bords minces, on voit la coloration rouge qu'ils présentent sous une certaine épaisseur passer par l’orangé à une teinte un peu verdâtre. Si on laisse évaporer à siccité le mélange d’alcool et d’éther dans lequel se sont déposés les cristaux, on obtient deux substances dis- tinctes : 1° Une huile orangée dont la couleur appartient à la même gamme que celle de la solution; 2 Du pigment rouge amorphe probablement à l’état de pureté, mais que ses caractères de solubilité communs avec ceux du corps précédent rendent difficilement isolable (4). On peut suivre aisément sous le microscope la séparation de ces prin- cipes immédiats. Il suffit, en prenant un grossissement assez faible, de laisser évaporer sur une bande de verre une goutte de la solution éthérée : on voit celle-ci s'étendre sur la bande et se partager rapi- dement en gouttelettes. Avant que ces dernières aient atteint leur plus petite dimension, ou en d’autres termes avant que le dissolvant soit complètement évaporé, on apercoit dans chacune d’elles une ou deux granulations rouges extrêmement fines, formées par le dépôt du pigment rouge probablement à l’état de pureté. Nous avons montré ailleurs (voy. Journal de l’Anatomie, 1873, p. 290 : Recherches anatomiques sur la coloration bleue des crustacés) la relation qui existe entre les pigments bleus soit à l’état solide, soit à l’état dis- sous, et les chromoblastes rouges chez les crustacés. Nous avons eu deux fois, depuis cette époque, l’occasion d’observer dans les viviers de Concarneau des homards atteints d’albinisme partiel, c'est-à-dire dont la carapace, dans certaines régions, est d'un blanc jaunâtre sale. En enlevant le test, on découvre qu'à ce niveau l’hypoderme est absolument dépourvu de chromoblastes rouges (2). Nous rappellerons à cette occa- sion l'éclat bleu des cristaux rouges signalé plus haut, et cet autre fait : qu'on peut obtenir par l’intermédiaire de l’éther et de la benzine une solution de pigment rouge qui offre un dichroïsme remarquable : le (1) Tout récemment (octobre 1875) nous avons obtenu des cristaux entièrement semblables, en traitant de la même manière un coléoptère (Timarcha maritima, Perris) dont le sang a une teinte brune. On obtient par le mélange d'alcool et d'éther bouillants un liquide ayant la couleur madère caractéristique, au sein duquel se forment les cristaux. L’évaporation complète laisse en même temps déposer deux substances distinctes, l'une huileuse jaune-orangé, l’autre plus solide, d’un beau jaune serin, polarisant la lumière et probablement formée par une agglomération d’aiguilles cristallines extraordinairement déliées. Ces deux substances s’altèrent d'ailleurs rapidement, et l’on ne trouve plus au bout de quelques jours qu'un liquide verdätre dans lequel les cristaux rouges subsistent sans être modifiés. (2) L'animal, dans ce cas, peut être considéré comme atteint d’un véritable albinisme, différent de l’état (que nous avons désigné sous le nom d’acyanisme) des écrevisses rouges du lac Léman, dans lequel la modification bleue du pig- ment rouge fail seule défaut. Voy. Journal de l'Analomie, année 1873, p. 307. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 9219 liquide observé par transparence est d’une couleur bleue très nette; observé à la lumière incidente, il est au contraire d’une couleur rouge non moins nette. Tout semble donc concourir à faire regarder le pigment bleu répandu soit sous la forme de corps solides (cærulins des écrevisses et des bran- chipes), soit à l’état dissous (dans les carapaces de l’écrevisse, du homard, etc.), comme une modification oxygénée (?) ou même simple- ment moléculaire du pigment rouge, et susceptible d'être ramenée par certains réactifs (créosote, cuisson) à la nuance de celui-ci. On peut faire la même remarque pour la matière qui colore les œufs du homard en vert, soit après la ponte, soit dans l'ovaire lui-même. Le tissu de l'ovaire en particulier, broyé avec de l’éther, donne une bouillie de couleur abricot. L’acide sulfurique la fait passer au rouge vif, puis la ramène au jaune, et de là, s’il est concentré, lui fait descendre l'échelle du spectre. Cette dernière réaction est peu accusée, mais cepen- dant très nette. — L'acide azotique donne au tissu de l'ovaire une belle coloration rouge qui disparaît ensuite en passant par le jaune. — L'acide chlorhydrique lui donne une couleurrouge-orangé elair, diffluente en rose dans le réactif. L’ammoniaque ajoutée après l’action de ces acides ne fait point reparaiître la coloration verte, et est sans action directe sur celle-ci, aussi bien que sur le pigment rouge. Enfin le mélange bouillant d'alcool et d'éther donne les mêmes réactions et fina- lement les mêmes cristaux rouges qu'avec le pigment : ils sont même, dans ce cas particulier, très abondants. Pigment jaune. — Le pigment jaune est fréquent chez les reptiles, les poissons et les crustacés. — Tantôt il se présente à l’état dissous, et tantôt à l’état grenu comme le pigment rouge; mais, au contraire de celui-ci, il paraît offrir sous ces deux formes des propriétés chimiques un peu différentes. Chez les poissons on trouve souvent un beau pigment jaune franc, à l'état dissous. Nous citerons, comme exemple, celui qu'offrent les bandes jaunes alternant avec des bandes bleues sur les nageoires du Callionyme lyre. Au niveau de ces bandes le tissu est tellement rempli de pigment jaune, qu’on ne discerne pas quels éléments le contiennent. Ce pigment parait être, en très faible proportion, soluble dans l'alcool : si l’on y met un de ces animaux, la liqueur jaunit tout d’abord, mais la colora- tion ne persiste pas. La créosote dissout ce pigment en jaune, et lui donne seulement une teinte un peu plus rousse de jaune indien; cette coloration ne parait pas persister non plus. L’acide sulfurique produit sa réaction habituelle, qui se fait seulement ici avec une certaine lenteur. On voit dans le champ du microscope le pigment jaune perdre sa teinte franche, et se réduire d’abord en goutte- 946 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET lettes d’un jaune verdâtre; peu à peu cependant le pourtour de la pré- paration prend une teinte verte, puis bleue bien accusée. Chez les crustacés le pigment jaune n'est pas moins abondant, mais il parait exister surtout à l’état grenu. On le trouve sous cette apparence dans des chromoblastes de grande taille et d’un beau jaune serin, mesu- rant plus d’un millimètre quand ils sont étalés, qui existent sur le bord latéral des anneaux des gros palémons. Au centre de l'élément ramifié en broussaille on aperçoit parfois un point plus foncé, mais qui est dü, ainsi qu'on peut s’en assurer par le microscope, à la présence d'un autre chromoblaste de couleur différente, accolé au premier, et contracté. Nous insistons sur ce point parce qu'il exisle, ainsi qu'on le verra plus loin, des cellules colorées en jaune chez certains poissons, et dont le noyau offre une belle couleur orange paraissant due à une sorte de con- densation de la matière jaune. Le même pigment jaune grenu se trouve dans l’Æippolyte, dans la Squille, chez le Pagure, où il contribue à donner la couleur blanche à certaines régions des appendices qui avoisinent la bouche. Le volume des granulations jaunes qui forment ce pigment varie considérablement : chez le crangon (C. vulgaris) elles peuvent atteindre 4 de diamètre. On le trouve même dans le corps de l’animal, sous la forme de masses éparses, irrégulières, à surface hérissée d'éminences mousses qui ne paraissent pas toutefois de nature cristalline. Bien qu'une série de transitions semble relier, par l’orangé, ce pigment jaune grenu au pigment rouge, l'acide sulfurique concentré ne paraît point agir sur lui comme sur le pigment jaune dissous. Il n’est pas non plus soluble dans la créosote, ni même attaqué par elle après un contact de vingt-quatre heures. Il convient de rapprocher de ce pigment le pigment jaune, également grenu, qu'on trouve répandu au milieu des éléments du tissu lamineux de l’anatife (Analtifa lævis). Ce pigment est entièrement soluble dans le chlorure d'or légèrement acidifié. Pigment violet. — On trouve chez le crangon un beau pigment violet assez exactement de la nuance du violet du spectre. Ce pigment observé sur des individus sortant de l'œuf, est à l’état de granulations extrème- ment fines, offrant tout au pius 0,1 w de diamètre. On peut très bien étudier ces granulations chez les jeunes individus dont nous parlons, en les recherchant sur les plus fins prolongements des chromoblastes, alors que ceux-ci s'étendent ou se rétractent. On voit ces granulations souvent isolées ou réunies à deux ou trois, peu distantes les unes des autres, se mouvoir lentement, entrainées par un filament de substance sarcodique, dont on ne devine la présence qu'au mouvement de ces granulations. Ce pigment a des réactions spéciales. La créosote le fait disparaître, mais sans prendre aucune coloration rouge ou violette. Sous l'influence DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 217 de l'acide sulfurique concentré, on voit ce pigment se réduire en gouttes aussi opaques d’abord que le pigment lui-même, et qui flottent dans l'acide, Si on les suit, on les voit peu à peu devenir plus pâles, toujours avec la coloration violette, et enfin disparaître par l’affaiblissement successif de celle-ci, sans passer par aucune nuance de moindre réfran- gibilité, de sorte qu'en définitive cette réaction rentre dans la loi com- mune (4). Modification des pigments sous les influences extérieures. — Les pig- ments contenus dans les chromoblastes sont-ils susceptibles d’être directement modifiés sous l'influence des conditions extérieures ? D'après une assertion de Jurine, les lotes pêchées à de grandes pro- fondeurs dans le lac Léman seraient toujours plus pâles que celles de la surface (2). Divers exemples semblent indiquer, selon les cas, une action variable des radiations solaires. Tantôt, en effet, elles provoquent l’appa- rition d’un pigment, comme dans le hâle (3); tantôt elles semblent avoir sur les pigments, au moins sur les pigments dissous, la même influence que sur les couleurs qu'on dit brülées par le soleil. Des éleveurs de cyprins dorés prétendent que ceux-ci se décolorent quand on les tient au grand soleil dans des vases de porcelaine blanche, et que pour avoir des animaux d’un beau coloris il faut au contraire les tenir à l'ombre. Parmi les pêcheurs c'est une opinion commune que les poissons de mer d'une même espèce, pêchés sur les fonds, ont en général un coloris plus éclatant que les individus habitant la côte, ce qui serait contraire au fait signalé par Jurine. Les scorpènes pêchées à Concarneau, près du rivage, sont d’un brun jaunâtre, tandis que celles qu’on drague à trente brasses ont une belle couleur lie de vin. Il semble même que, plus pro- fondément, on en trouve qui sont d’un rouge écarlate franc, tout en (1) Cet exemple n’est pas le moins remarquable de ceux que nous avons signalés. On peut se demander si l'action de l'acide sulfurique s'arrête ainsi à la limite du spectre visible, ou si, continuant, elle ne donne pas naissance à des radiations encore plus réfrangibles, ullra-violettes. — C'est également peut-être ici le lieu de faire remarquer qu'un des résultats fréquents du grossissement des objets par le microscope est de modifier leurs couleurs précisément dans le même sens que l'acide sulfurique concentré modifie les couleurs des pigments solu- bles. Le sang rouge devient jaune, et nous pouvons ajouter comme autre exemple frappant celui du pigment de la dendrophyllie (D. arborea) qui est jaune indien foncé el qui devient vert dans le champ du microscope. Chez les Serpules un pigment pourpre (rouge-violet) à l'œil devient franchement violet sous le microscope. (2) Histoire abrégée des poissons du lac Léman. Mémoires de la Soc. de Phys. de Genève, t. ITE, 1825. (3) Voy. G. Pouchet, Sur les colorations de l’'épiderme. Thèse, Paris, 1860. Des protées que nous avons rapportés d’Adelsberg et que nous avons pu suivre pen- dant plus d'une année chez M. Carbonnier avaient manifestement pris une cou- leur brune tout à fait distincte de l'apparence immalure des individus qui viennent d’être pêchés dans les grottes. Les zoologistes avaient indiqué une espèce noire vivant dans les marais de Zirknitz, et qui semble n'être formée que d'individus rejetés à l'extérieur par quelque accident et qui ont pris la même nuance foncée sous l'influence de la lumière du jour. 9218 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CHæH.-G. POUCHET conservant dans cette nuance la même livrée que les individus de cou- leur terne. Ces influences mal définies n’agissent pas seulement sur les pigments, pour modifier l’éclat du coloris des animaux. Il suffit de constater la différence entre un Labrus bergylta bleu et rouge qu'on vient de pêcher, et un autre vivant depuis longtemps dans un aquarium où il est par- faitement acclimaté. La comparaison est d'autant plus frappante, que la modification porte à la fois sur la coloration rouge due directement à la présence d'un pigment, et sur la coloration bleue due à un effet physique dont nous parlerons plus loin, mais dont l'intensité dépend elle-même de l'abondance de pigment mélanique mêlé aux éléments anatomiques qui donnent ces radiations bleues (1). II. — CuROMOBLASTES. Nous avons proposé d'appliquer ce nom à des éléments anatomiques qu'on retrouve avec une grande uniformité de caractères chez les ver- tébrés, les articulés et les mollusques. On peut les définir : des éléments anatomiques appartenant au groupe des éléments du tissu lamineux, cons- tilués par une substance plus ou moins contractile (sarcode), ayant ordi- nairement un noyau et renfermant un pigment, soit à l’état de granu- lations, soit à l'état de dissolution réciproque. Nous réservons le nom de chromatophores aux mêmes éléments devenus, par suite d'un dévelop- pement spécial, de véritables organes qu'on trouve chez les céphalopodes, et sur lesquels nous reviendrons plus loin. Cette distinction est plus que justifiée par les différences profondes que présentent les chromatophores et les chromoblastes à l’état adulte, après avoir été identiques pendant les premiers temps de leur existence. Des éléments anatomiques tout semblables à ceux que nous désignons sous le nom de chromoblastes, peuvent très vraisemblablement exister sans contenir de pigment. Mais comme la présence de ce pigment, tout accidentelle et toute secondaire qu'elle puisse être, constitue en réalité pour l'élément une propriété nouvelle d’où résulte une fonction nouvelle intimement liée à la présence de ce pigment, nous avons pensé que l’in- troduction de ce terme nouveau : « chromoblaste », avait sa raison d’être dans l’ensemble de particularités anatomiques et physiologiques inti- mement unies, que ne paraissent point posséder les mêmes éléments exempts de pigment. Ces éléments semblent, par divers caractères, devoir être rapprochés (4) Voy. pour d'autres exemples : La Blanchère, Sur les changements de colo- ration produits chez les poissons par les conditions d'habitat. Comptes rendus, 28 oct. 1872. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 219 des corps fibroplastiques (1). Dans la pie-mère des individus très bruns, chez les poules atteintes de mélanisme, ou « poules nègres », le pigment est très nettement localisé dans les cellules du tissu lamineux (2). Et il semble qu'entre ces dernières non contractiles (3) et les chromoblastes, on puisse établir une série de transitions, comme si tous ces éléments appartenant à une même famille étaient formés de la réunion de deux substances, l’une passive, l’autre contractile, unies en proportions variables. On s’est demandé quel était l’état actif et par suite l’état de repos de ces éléments. Brücke, dans son mémoire sur le caméléon, attribue l’état de repos à la forme sphérique des chromoblastes. Goltz, cité par M. Vul- pian (4), adopterait la même interprétation; tandis que M. Vulpian appelle du nom de paralysie l’état dilaté ou rameux des éléments. On verra plus loin qu’un rapprochement sous ce rapport entre les chromo- blastes et les chromatophores des céphalopodes n’est nullement justifié. Pour les éléments sarcodiques, il semble simplement plausible — comme pour tous les corps nettement contractiles que nous connaissons — de rapporter l’état actif à la forme sous laquelle le corps présente la moindre surface, la mort pouvant d’ailleurs le surprendre dans un état aussi bien que dans l’autre, de même qu'elle immobilise les différents muscles ou même les différentes parties d’une même fibrille musculaire, soit en état de contraction, soit en état d'extension (5). Il suffit, au reste, en pareil cas, de fixer la valeur des termes : nous appellerons contractés les élé- ments sarcodiques réduits à l’état sphérique, et dilatés ceux qui s’écarte- ront de cette forme. — En réalité, l'expansion d'un chromoblaste est un phénomène de contraction aussi bien que l’acte de se ramasser en sphère : la seule différence c’est que, dans le premier cas, les lignes à l'extrémité desquelles s'appliquent les forces en jeu sont éparses et de direction diverse ; dans le second cas, toutes ces lignes convergent vers un centre commun, à la manière des rayons d'une sphère. Distribution des chromoblastes. — La loi formulée par Heusinger sur l’antagonisme du pigment et de la graisse est de toute rigueur pour la (1) Voy. Ch. Robin, Sur les colorations noires, etc. Journal de l'Analomie, 1872, D 0e (2) Carl Bruch (Untersuch. zur Kenntniss des kôrnigen Pigments der Wirbel- thiere, Zurich, 1844) signale des cellules pigmentaires dans les tendons et les muscles d’un Skink (?) de la Nouvelle-Hollande. (3) On peut observer, en particulier sur les corps fibroplastiques suspendus dans la matière amorphe de la queue des têtards de grenouille, certains défor- mations qui deviennent très accusées si l'on suit le même élément pendant plu- sieurs jours; mais ces changements de forme sont très limités, très distincts en particulier des mouvements que l’on constate en même temps sur les leuco- cytes errants dans la matière fondamentale, mouvements de même ordre que ceux des cellules pigmentaires. (4) Loc. cit. (5) Ceci peut se voir en particulier sur les fibres musculaires traitées directe- ment par l’hydrate de chloral. 220 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET distribution des chromoblastes : on les trouve partout répandus à la périphérie des organes dépourvus de graisse, œil, nerfs, vaisseaux, etc. ; chez le Gobius niger var. on peut voir, dès le premier âge, un chromo- blaste énorme (plus grand que tous ceux qui sont déjà apparus en diffé- rents points) accolé contre la face interne de l'oreille. De même, des chromoblastes de dimension exceptionnelle se montrent chez certains embryons de poissons, à la face supérieure de la vessie natatoire, d’où leurs prolongements s'étendent de chaque côté de l'organe comme des coulées d'huile. Il existe aussi chez la plupart des vertébrés des cellules pigmentaires au voisinage des centres nerveux. On les trouve déjà à cette place, et à cette place seulement chez l’'Amphioxus (1); nous ne les avons pas vues en état d'expansion, n'ayant pas eu l’occasion d'observer l’animal vivant. Chez les anguilles longues de 8 à 10 centimètres, on trouve ces chro- moblastes régulièrement répartis de chaque côté de la moelle; un grand chromoblaste répond à chaque vertèbre; ils peuvent servir à les compter. C'est probablement une disposition analogue ou correspondante qui existe chez l’Amphioxus. Chez de jeunes gymnètres longs de 12 à 13 cen- timètres, et dont le corps est absolument transparent, on découvre au voisinage de l’anus un grand chromoblaste unique. Les vaisseaux des batraciens sont recouverts d’une sorte de membrane adventice formée de chromoblastes offrant parfois un développement considérable; ce sont les vasa nigro-maculata de Mayer (2). Les vais- seaux des poissons présentent souvent la même particularité. Les chro-, moblastes y.sont mêlés d'iridocytes, dont nous parlerons plus loin, et l'effet combiné de ces deux sortes d'éléments anatomiques est un éclat argentin bien connu. Ceci existe d’une manière très nette chez le turbot. Les chromoblastes répandus sur les parois des vaisseaux paraissent ne jamais renfermer que du pigment noir. On trouve des chromoblastes jaunes jusque sur le milieu de la cornée de certains poissons. Chromoblastes dans l'épithélium. — Les chromoblastes sont rares dans l’épithélium des poissons; ils sont au contraire abondants dans l’épithé- lium des batraciens. Chez le têtard la seule région où l’on n’en trouve point est la couche épithéliale qui passe au-devant de l'œil. Dans l’épi- thélium de la queue, ils sont justement situés à égale distance de la face libre et de la face profonde, entre les cellules polyédriques, dont leur forme étoilée les distingue aussitôt. Ils sont isolés les uns des autres et s’enfoncent dans la membrane à mesure que les cellules de celle-ci se rapprochent de la surface pour tomber en larges lambeaux. (1) Le chromoblaste médian fixé à l'extrémité antérieure de l'axe nerveux ne semble, au moins sur nos préparations, différer en rien de ceux qu’on trouve un peu plus en arrière de chaque côté de la moelle. Cf. Hasse, Zur Anat. des A. Lan- ceolatus. Gegenbaur's Morph. Jahrbuch, 1875. (2)MMVoOyY IC Bruch No nc AD 26: DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 991 Chez les poissons, on ne trouve pas ordinairement de cellules pigmen- taires dans l’épithélium. Il y a toutefois des exceptions. Quand on observe la bordure ou les taches bleues de la nageoire du grondin, on remarque de petites éminences visibles à la loupe, formant un point noir saillant. Elles sont constituées par des amas d'éléments anato- miques dépendant de l’épithélium et qui tombent avec lui sur les pièces macérées dans les acides acétique ou chlorhydrique faibles. Les cellules qui forment ces amas sont remplies de pigment grenu noir; nous ne les avons pas vues avec des prolongements, et il est possible qu'elles ne soient point sarcodiques. On peut aussi trouver des chromoblastes dans l’épithélium des jeunes turbots : ils ont des ramifications extrèmement fines. Nous devons signaler à cette place des éléments anatomiques chargés de pigment, et qui méritent à ce titre le nom de chromoblastes, mais qui paraissent absolument dépourvus de mouvements sarcodiques. On les rencontre chez les poissons, soit dans la cornée de diverses espèces, soit au milieu du tissu lamineux (chez l’'épinoche). Ces cellules sont tou- jours pigmentées en jaune, le noyau est d’une belle couleur orange, le corps de la cellule finement granuleux, sans paroi propre. La forme de l'élément est en général ovoïde, à contours assez réguliers, et ne rap- pelle en rien la figure rameuse habituelle des chromoblastes. Ces parti- cularités, jointes surtout à l'accumulation de pigment dans le corps même du noyau, peuvent laisser supposer que les éléments qui offrent ces caractères ont dépassé la période active de leur existence et repré- sentent des cellules allant entrer ou déjà entrées en état de régression pl Il; fig. 5, 6 et 7). La dimension de ces cellules varie : elles mesurent en général 20 sur 40 & de diamètre. Elles peuvent toutefois avoir des dimensions plus considérables. Le noyau est petit, comme dans la plupart des éléments anatomiques des poissons; il est ovoïde, et mesure environ 3 sur 4 y. Ces éléments sont quelquefois groupés plusieurs ensemble; d’autres fois isolés. On les trouve au milieu du tissu lamineux, dans la queue de l’épinoche, par exemple, et entre les rayons accolés qui soutiennent celle-ci, comme nous le figurons. Développement chez les poissons. — Les chromoblastes apparaissent de très bonne heure chez les poissons. Ils précèdent l’éclosion, même chez les espèces où celle-ci est hâtive (Wacropodius); sur le labre, au premier ou au second jour après l’éclosion, ils sont déjà de deux couleurs, les uns jaunes et les autres noirs. Chromoblastes des articulés. — Les articulés présentent des chromo-. blastes qui ont la plus grande analogie avec ceux des vertébrés (1). (1) Voy. Développement du système trachéen de l’anophèle. Archives de zoologie expérimentale, 1812, n° 2. 999 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Toutefois ils sont rares chez les insectes : on peut signaler, comme fait exceptionnel, leur présence dans les larves d’anophèle. Parmi les crustacés inférieurs, les Caprella offrent de petits chromo- blastes très régulièrement ramitfiés et de teinte sombre, brunâtre (1). Chez le Bopyrus palæmonis, le pigment est d’un noir intense. Chez les crustacés supérieurs, la gamme de couleurs que présentent les chromoblastes est en général la même que chez les vertébrés, oscil- lant du jaune-rouge au noir par le brun. Nous avons cependant signalé la présence du violet chez le Crangon vulgaris. On trouve des chromoblastes rouges de dimension considérable chez le homard. Quand on soulève le test, on voit le tissu sous-jacent com- plètement écarlate par leur fait. Ils ont un noyau volumineux. En même temps on observe le même pigment qui les colore, répandu entre les éléments, soit en grains, soit en petites gouttelettes foncées comme nous l'avons marqué plus haut. On peut voir directement du dehors un certain nombre de ces chromoblastes rouges dans le voisinage de l'anus, où l'enveloppe chitineuse est considérablement amincie et trans- parente. Il peut arriver qu'on croie découvrir avec le microscope un chromo- blaste dans lequel existent simultanément deux pigments, ou même trois. Plus fréquemment il n'y a que deux couleurs. On voit, par exemple, des ramifications jaunes qui semblent partir d’une masse rouge centrale (chez les palémons); d’autres fois ce sont des prolonge- ments violets et jaunes qui s’irradient autour d'un point rouge (chez les crangons). Ces différents aspects sont dus à la juxtaposition de deux ou même de trois éléments qui restent toujours absolument distincts et même se contractent ou se dilatent par des influences inverses. Développement chez les crustacés. — On peut facilement suivre la formation des chromoblastes chez le homard. Des chromoblastes rouges bien développés existent déjà quand la masse vitelline occupe encore la moitié du volume de l'œuf. La plupart présentent un noyau de petite dimension mesurant 5-6 uw, non granuleux, à contour net. L'élément est très contractile. | À la même époque on découvre également des chromoblastes jaunes avec un noyau pareil, et enfin des gouttelettes isolées dont la coloration tire sur l'orangé (2). Ces chromoblastes jaunes et rouges se distinguent aisément à travers les tissus transparents, et l’on peut suivre leurs changements de forme. Ïls sont répandus dans toutes les parties du corps, les branchies (1) Les Caprella offrent en plus, sur le corps et les appendices du tronc, des taches d'un rose tendre très pur, dont la coloration réside, au moins en partie, dans le test et probablement aussi dans l’hypoderme au-dessous de lui. (2) Les cônes pigmentés de l'œil sont entourés à cette époque de petites gout- teleites larges de 2-2 y, de la mème nuance que les chromoblastes jaunes. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 993 exceptées; ils sont accolés, soit à la face profonde de l’hypoderme, soit à la surface des muscles. Il est aisé en même temps de se rendre compte que le pigment rouge, au moins à cette époque, n’est pas répandu dans tout l'élément et qu'il est nettement limité au milieu de la substance sarcodique. Le sarcode con- tient de fines granulations claires, ses contours sont extrêmement pâles ; le noyau n'y est pas toujours apparent. La masse de pigment, nette- ment limitée dans le corps cellulaire, paraît fluide, complètement homogène, transparente, d'un beau rougée-carlate ; elle est peu réfran- gible et se distingue par là des goutteleites rondes qu'on trouvera plus tard éparses dans le tissu. Il est diflicile de décider si cette matière rouge est contenue comme un corps insoluble dans le sar- code, ou si celui-ci reste — mélangé en proportion moindre — à ce pigment. Quand le pigment commence à apparaître dans le sarcode préexistant, il semble que le noyau de la cellule devienne moins granu- leux. L'apparition des chromoblastes est encore plus facile à observer chez la langouste, sur les œufs arrivés à la même phase, c’est-à-dire quand la masse vitelline occupe encore tout le céphalothorax et le rend gib- beux. Dans la crevette grise (C. vulgaris) le développement des chromo- blastes offre un intérêt spécial en raison de la diversité des pigments violet, jaune et orange. L'étude de l'embryon montre que, loin de repré- senter des états successifs, ces trois pigments, dès l'instant de leur apparition, ont une sorte d’individualité propre, et se produisent dans des éléments distincts quoique ordinairement ou peut-être même tou- jours rapprochés. En prenant au mois de février (sur la côte de Bretagne) des crangons chargés d'œufs, on arrive sans peine à trouver des embryons parvenus à la période de leur développement où la couleur apparaît. C'est à peu près quand le vitellus n’occupe plus environ que le tiers du contenu de l’œuf. Les appendices céphaliques repliés sur la face ventrale, les membres couchés le long de l'abdomen et dans la même direction, com- mencent à être visibles ; le pigment oculaire existe profondément. C’est à cette époque qu'on voit les cellules pigmentaires se manifester par groupes de trois éléments : 1° un pour le pigment rouge; 2° un pour le pigment jaune; 3° un pour le pigment violet (pl. V, fig. 1). Le premier groupe qui se montre se trouve au voisinage des appen- dices céphaliques, de chaque côté du sillon qui divise en dessus les deux masses nerveuses en rapport avec les yeux. Ce double groupe con- serve pendant longtemps un développement plus avancé que les autres. IL présente des ramifications qui s'étendent au loin en dedans et en avant, remontant par dessus la masse céphalique, si bien que les ramifi- cations des deux groupes opposés arrivent à se toucher, et semblent 224 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DECH.-H.-G. POUCHET parfois se confondre dans le sillon médian. Mais tandis que les chromo- blastes jaunes et violets présentent déjà ces ramifications étendues, le pigment rouge reste réduit à de beaucoup plus petites dimensions. Après le groupe dont nous venons de parler et qui est le plus impor- tant, on en voit d’autres se montrer sur les appendices céphaliques et à l’origine des membres. Sur chacun des appendices céphaliques il en existe d'abord un près de la base, puis un autre plus loin, puis un troi- sième au voisinage de l'extrémité. Ces groupes apparus les uns après les autres ont des dimensions proportionnelles à leur âge. Plus anciens probablement sont deux autres groupes qui se montrent à l’origine des deux dernières paires de membres. De très bonne heure ces groupes, comme les céphaliques, envoient des prolongements considérables qui s'étendent dans le membre. Enfin d’autres groupes se montrent peu de temps après sur la ligne médiane, avoisinant le cordon nerveux, mais ils sont beaucoup plus petits. Il ne paraît point y avoir de disposition constante des chromoblastes qui forment chaque groupe. La tache rouge que l’on aperçoit est tou- jours moindre que la tache jaune et la tache violette, mais elle est d’un coloris plus intense; elle est quelquefois double. Elle est tantôt plus rapprochée de l'élément jaune et tantôt de l’élément violet; d’autres fois elle est en rapport seulement avec un de tes deux éléments. Quant aux chromoblastes jaunes et violets, ils sont toujours en contact l’un avec l’autre. Pour démontrer la coexistence de ces trois éléments diversement pigmentés, nous avons employé une solution étendue d'acide chlorhy- drique du commerce (une goutte pour 10 grammes). Nous y plongeons des œufs pendant vingt-quatre heures. Après ce temps, la dissociation des éléments est complète et les couleurs ne sont nullement altérées. On retrouve le jaune, le violet et le rouge avec le ton qu’ils avaient sur le vivant (1). Au moyen de ce réactif on peut en quelque sorte égrener l'animal entier en ses éléments constituants. Il est fréquent de retrouver dans ces sortes de préparations les trois éléments d’un même groupe, ayant gardé à peu près leurs rapports normaux. Ainsi qu'on peut s’en assurer tout d’abord, ces trois variétés de chro- moblastes semblent appartenir à deux catégories d'éléments distincts que nous avons représentées (pl. V. fig. 2-5) : 1° L'une comprenant les éléments à pigment rouge; 2° L'autre comprenant les éléments à pigment jaune et violet. (1) On ne confondra pas ces éléments, dont la nuance est d’ailleurs parfaile- ment reconnaissable, avec ceux qu'imprègne le pigment oculaire. Celui-ci réside dans des éléments qui ont déjà la forme pyramidale, et leur donne une couleur rousse ou terre de Sienne qu'il est impossible de confondre avec les tons francs des chromoblastes. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 225 Chromoblastes rouges. — L'apparition du pigment rouge, dans les éléments qui le contiennent, rappelle exactement ce qu’on observe chez le homard. Le pigment forme une tache généralement bien limitée; quelquefois le même élément en contient deux : elles sont alors tou- jours plus petites et plus pâles. Leur dimension moyenne est d'environ 4-5 p. Le pigment rouge a d’abord une teinte moins franchement car- minée que plus tard, et tirant légèrement sur le vermillon. Il se déli- mite parfaitement entre le noyau et le contour de l'élément. Ce dernier a aussi des caractères bien définis, non qu’il se distingue d’autres éléments dépourvus de pigment, qu’on trouve avec lui dans la préparation; mais il diffère des éléments qui contiennent le pigment violet et jaune. Les cellules à pigment rouge sont fusiformes, composées d’une substance transparente, non granuleuse, avec un noyau très net- tement ovoïde, dont la longueur égale environ deux fois la largeur. Ge noyau est muni d’un nucléole; après l'action de l'acide chlorhydrique faible, il a des contours nets qui semblent parfois doublés ; il n'offre point de granulations. Chromoblastes jaunes et violets. — Les éléments qui renferment Île pigment jaune et le pigment violet appartiennent à une même espèce, différente de l'espèce précédente. Ce sont des cellules beaucoup plus volumineuses, de forme irrégulière, avec des prolongements déjà bien accusés. Ces cellules sont transparentes, mais leur masse traitée par l'acide chlorhydrique faible est finement granuleuse. Leur noyau est gros, complètement sphérique, avec un et souvent deux nucléoles. Le diamètre de ces noyaux sphériques égale le grand diamètre des noyaux ovoïdes des chromoblastes rouges ; il peut mesurer 10 L; les nucléoles sont volumineux. Le pigment jaune ou violet ne colore que faiblement la cellule, et parfois en partie seulement. Il forme alors au milieu d’elle une tache dont la délimitation n’est jamais aussi nette que pour le rouge. Les faits que nous venons d'exposer montrent que les trois variétés de chromoblastes rouges, jaunes et violets, forment, au moins à l'origine, deux variétés d'éléments qu'il est impossible de confondre et qui se dis- tinguent par des caractères nettement tranchés. Les uns, ceux du pigment rouge, offrent un noyau ovoïde dans un élément dont la confi- guration et la substance hyaline rappellent les éléments constitutifs du üssu conjonctif ; les deux autres semblent appartenir à un groupe ana- tomique différent, à noyau volumineux, sphérique. Et cependant ces éléments vont bientôt, sinon dès cette époque, offrir ce caractère commun de présenter des mouvements sarcodiques : ceux-ci existeront toutefois dans les cellules jaunes et violettes avant de se montrer dans les rouges. Les premières offrent déjà des expansions considérables, alors que la cellule du rouge, toujours beaucoup plus petite, parait à peine modifiée. 15 296 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Il résulte de là que si tous ces éléments arrivés à l’élat adulte méritent d’être confondus sous une seule dénomination, celle de chromoblastes par exemple, ils offrent néanmoins, à cette période de leur existence qui répond à l'apparition du pigment dans leur intérieur, une différence vraiment spécifique. En sorte que ce nom de chromoblastes, employé à désigner des éléments doués de propriétés communes (contractilité, pigmentation), n'implique en aucune manière l'identité, pendant tout le cours de leur existence, des éléments auxquels nous l’appliquons, remarque déjà faite pour les chromatophores. L'ordre d'apparition des trois pigments est peut-être variable. Il nous a paru que le jaune se montrait le premier. Le rouge serait celui qui apparaîtrait le plus tard. Le pigment jaune, à cette époque, résiste assez difficilement dans les préparations, même en employant le sucre pour conserver les éléments dissociés par l'acide chlorhydrique. Le pigment violet est, comme nous l'avons dit, à l’état de granula- tions extrêmement fines, incluses dans une masse absolument hyaline et qu'on ne distingue souvent que grâce à leur présence. Il est facile, après que l'animal est sorti de l'œuf, de suivre, sur de minces ramifica- tions des chromoblastes, les mouvements de ces granulations et même de mesurer directement la vitesse de leur déplacement. On peut les observer s’approchant ou s’éloignant les unes des autres, entraînées par la substance sarcodique absolument vitreuse. Nerfs des chromoblastes. — Nous avons décrit ailleurs les rapports des nerfs et des chromoblastes dans la membrane des nageoires du turbot pendant le premier âge (1). Influence de l'électricité ; mort des chromoblastes. — Les chromoblastes, étant contractiles, sont éminemment aptes à offrir des modifications de forme sous l'influence de l'électricité. Toutefois comme ces éléments sont également, pour une certaine mesure, sous l'influence des nerfs, il est impossible dans l’état actuel de la science de déterminer la part exacte (1) On the Connection between Nerves and Chromoblasts, dans le Month. Micr. Journal, décembre 1871 : — M. Lyonel Beale, dans un article : On the Relation of Nerves to Pigment and others Cells or Elementary Parts (Jbid., février, 1872), qui paraît avoir été publié comme une sorte de réponse aux faits exposés dans cette note, produit l'observation, à un grossissement considérable (2,800 diamè- tres) d'un fragment de cellule pigmentaire du tissu conjonctif de la base du cœur de la rainette et des fibres nerveuses avoisinantes, entre lesquelles il ne voit pas de connexions. Ceci ne saurait infirmer ce que nous avons dit, et nous ne faisons nulle difficulté de reconnaître que beaucoup de chromoblastes, et sur- tout ceux des parties profondes, ne reçoivent pas de fibrilles nerveuses; nous avons seulement voulu montrer que dans certains cas la connexion anatomique existe, de même qu'elle existe sous le rapport physiologique. M. Lyonel Beale conteste à un point de vue plus général la continuité des éléments nerveux et des éléments contractiles et semble presque disposé à admettre avec le D Klein un réseau de fibrilles nerveuses à la surface du protoplasma (bioplasme) des cor puscules du Lissu conjonctif de la cornée. Il faudrait s'entendre sur ce mot de DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 2917 qui revient soit à ceux-ci, soit aux chromoblastes eux-mêmes quand ils changent de forme par l’action d'un courant. Les expériences que nous avons faites pour modifier par l'électricité la coloration des poissons (1) en provoquant le retrait ou l'extension des chromoblastes, ne nous ont pas toujours donné des résultats bien nets. Tandis que dans certains cas l’action du courant électrique était évidente, dans d’autres elle ne s’est point montrée; dans d’autres enfin, nous n'avons pu constater que des perturbations mal définies. Une difficulté particulière de ces expériences, qu'il convient de signaler, est celle d'obtenir dans l’eau de mer la tétanisalion des ani- maux. Nous avons dû parfois mettre ceux-ci, pour modifier les chromo- blastes, dans l'eau douce ; et, comme l'approche de la mort, dans beaucoup de cas, amène le retrait de ces éléments, effet que semble donner aussi parfois l'électricité, nous n’avons pas toujours pu faire la part des deux influences. L'appareil dont nous nous sommes servi était le petit appareil de Gaiffe. On négligera d’ailleurs dans les expériences relatées ci-dessous de signaler les effets de l'électricité autres que ceux ayant trait directement à la couleur. 1ro Experience. — Le 10 juin 1870, on me remet deux jeunes trigles long de 35 millimètres environ. Ils sont complètement noirs, d'un noir bleuâtre intense et opaque. Le premier est électrisé dans l’eau douce. La tétanisation se fait difficilement. Les rayons libres se rangent entre les deux nageoires; les ouïes, les mâchoires se dilatent. En même temps l'animal entier se décolore. La dis- parition graduelle de la teinte noire rend apparentes les taches rouges qui sont sur la tête, et le liséré bleu du bord des nageoires. Bientôt le corps entier est décoloré et piqueté seulement de points noirs presque imperceptibles, la déco- loration des nageoires elles-mêmes commence. La mort semble prochaine. Le second trigle, exactement semblable au premier, el noir comme lui avant : l'expérience, est placé dans l'eau douce. Après 3 minutes 1/2, le contact de celle-ci n’a produit aucun effet sensible sur la coloration de l'animal. Il est alors électrisé. J’arrête le courant aussitôt que les flancs, vers la queue, se tachent conlinuilé; dira-t-on par exemple que la substance nerveuse est continue dans les muscles avec la substance contractile? Oui, puisqu'elle est inséparable dans l’état actuel de nos connaissances; non, puisqu'il y a changement manifeste de constitution chimique. En parlant de la continuité des fibres nerveuses et des chromoblastes, et sans dissimuler les difficultés particulières de cette étude, inhérentes à la présence du pigment, nous nous sommes borné, en dehors de toute visée théorique, à décrire certaines apparences qui nous ont frappé dans des tissus dont les éléments n'avaient subi aucun déplacement. Il nous a paru, il nous parait encore qu'on voit à certaines places le filament nerveux s’enfoncer au milieu de la substance pigmentée, et qu’on peut en quelque sorte prouver que celle-ci est en contact absolument intime avec la substance nerveuse, puis- qu’elle laisse sur elle, en se retirant, des granules de pigment. (1) Il suffit de rappeler ici les expériences faites par M. Brücke, dans le même but, sur le caméléon, et par d’autres sur la grenouille. Quant à une modification . par l'électricité, de la couleur des ailes des papillons, il ne peut s'agir évidem- ment que d'une destruction de tissu. Cf. N. Wagner, Influence de l'électricité sur la formation des pigments. Comples rendus de l'Acad., 24 juillet 1865. 998 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET manifestement de blanc et deviennent irisés. L'animal est aussitôt placé dans de l’eau de mer, dans les meilleures conditions; il reste immobile; au bout de quelque temps le corps tout entier, à l'exception des nageoires, est devenu blanc. Les mâchoires, qui étaient simplement entr'ouvertes pendant la tétanisa- tion, sont complètement dilatées, comme si les effets de l'électricité se prolon- geaient. Un peu plus tard il y a retour à la coloration noire : celle-ci s'accentue principalement en avant de l'insertion de la pectorale, vers l'insertion de la seconde dorsale de chaque côté et enfin au niveau des os labiaux. Le soir du même jour la mort devient imminente. Quand on plonge de petits trigles de cette taille dans des liqueurs où ils doivent mourir, par exemple la liqueur de Müller, elle provoque, comme l'électricité, le retrait des chromoblastes, et, au lieu d’une teinte noire généralisée, on n'a plus qu'un piqueté de gros points noirs sur la masse transparente du corps. Une expérience faite sur de jeunes loches a donne des résultats à peu près semblables. La tétanisation a été pratiquée dans l’eau de mer; elle a, comme dans le cas précédent, amené la mort. 2e Expérience. — On place dans deux cuvettes de verre de petite dimension deux loches A et B ayant environ 6 à 7 centimètres de long. A offre une couleur uniforme, foncée, passant dans le voisinage de la tête au bleu noirâtre. B a une livrée très apparente, quoique mal délimitée : ce sont des bandes alternative- ment noires et grises. À est électrisé près d’une demi-heure. La raideur et l’immobilité ne sont pas complètes, malgré l'intensité du courant. Les pectorales s'étendent jusqu’à se reployer en avant. Après une demi-heure le changement de coloration est mani- feste, l'animal à pâli légèrement en arrière. En avant la livrée est peu définie, mais cependant on la distingue, elle est pareille à celle de B. On réunit les deux animaux; À meurt après deux ou trois heures. Nous rapportons plus loin une expérience où deux Gobius niger var. longs de 5 centimètres environ, exactement de même nuance, sont placés séparément dans deux petites cuvettes de verre de même dimen- sion. Un des animaux est électrisé et se trouve être, après 20 minutes, beaucoup plus jaune et plus pâle que l’autre. Nous avons été moins heureux avec d’autres espèces : sur un jeune turbot long de 40 centi- mètres environ et de couleur gris de sable, l'électricité appliquée plu- sieurs minutes n’a paru produire aucun changement. Nous avons échoué de même avec de petites anguilles longues de 8 à 10 centimètres, avec une petite plie tétanisée comme les grondins dans l’eau douce, enfin avec de tout jeunes syngnathes longs de 4 centimètres et nés seulement depuis quelques jours. Chez de jeunes blennies (longues de moins de 2 centimètres et bien transparentes), nous avons pu observer directement l'effet de l'électricité sur de grands chromoblastes qui existent au-dessus de la vessie nata- toire et qui laissent tomber de chaque côté, sur ses parois, leurs prolon- DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 999 gements comme des franges ou comme des coulées d'huile. Ces éléments paraissent particulièrement sensibles à l'électricité. Une série de secousses d’induction les fait se rétracter. Mais si, quand ils se sont ensuite dilatés, on applique de nouveau l'électricité, ils ne se rétractent plus. Le même fait s'est offert à nous chez les articulés. L'action de l'électricité sur les chromoblastes de ces derniers animaux offre les mêmes irrégularités que chez les poissons. Chez de tout jeunes Mégalopes à chromoblastes pleins de granulations absolument noires, la faradisation pratiquée pendant le temps ordinairement suffisant n’a amené aucun changement. Sur de jeunes homards, ayant seulement subi la première mue, la faradisation n'a pas produit non plus d'effets constants. Les individus en expériences mesuraient 10 millimètres de long (1). La coloration de l'animal à cette époque varie considérablement du vert au rouge et au bleu. La coloration bleuâtre est la moins fréquente et en général la moins accusée. L'animal ordinairement tient le milieu entre le vert et le rouge : la coloration totale résulte de la juxtaposition d’espaces colorés de l’une et de l’autre de ces nuances. Quand le rouge est peu abondant, on le trouve d'ordinaire à la queue, à la face inférieure de l'abdomen. Quelques individus sont entièrement d’un bleu pâle. D'autres au contraire sont tout entiers d’un rouge vif. Cette couleur rouge est due à des chromoblastes écarlates : quand ils sont étalés, l'animal est rouge; quand ils se rétractent, ils ne jouent plus que le rôle d’imperceptibles points bruns, qui aident encore, d'après un artifice connu des graveurs, à faire ressortir la nuance bleue ou verte des tissus ambiants. Voici quelques expériences tentées sur ces animaux : 3e Expérience. — Jeune homard offrant une prédominance marquée du rouge. Sous l'influence du courant d'induction, l'animal verdit. Il est alors placé dans une grande quantité d’eau de mer où la diminution du rouge parait encore di- minuer quelque temps. — Moins de deux heures après, l'abdomen est redevenu complètement rouge et le dos seul offre quelques nuances vertes. 4e Expérience. — Individu complètement rouge, sans trace de nuance verte. On procède comme dans l'expérience précédente, lentement. Au bout d'un quart d'heure environ, l'animal a très sensiblement pâli; il a perdu sa nuance écarlate foncée, il est devenu clair et comme déteint. On le place alors dans une grande quantité d’eau. Après une heure environ il est redevenu plus foncé; mais il est mourant. 5e Expérience. — Une expérience est disposée pour suivre les modifications de forme d'un chromoblaste. L'électrisation est pratiquée sous le microscope. Un (1) À cet âge la station normale pour le homard est de rester étendu au fond de l’eau sur le dos. Il nage au contraire le dos en l'air, et pour se placer au repos il culbute en avant sur son rostre que les grosses pinces encore peu déve- loppées dépassent à peine : il heurte le sol avec l'extrémité du rostre, et le mouvement de translation imprimé à tout son corps le fait basculer. 930 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET chromoblaste rouge, peu rameux, est choisi. Pour éviter toute erreur, on en dé- termine la place exacte dans l’appendice de la deuxième patte. Le chromoblaste peu à peu laisse voir ses ramificalions diminuer, il devient une masse irrégulière formée par la juxtaposition de prolongement obtus. La tétanisation est continuée pour faire arriver l'élément jusqu'à la forme sphérique. Mais bientôt la rétraction, loin de persister, fait place à une expansion rapide, plus rapide peut-être que n'avait été la rétraction d'abord observée. Le courant renforcé n'arrête pas cette expansion, tandis que le vaisseau dorsal cesse de battre, et que l'animal meurt. Cette expansion des chromoblastes au moment de la mort des jeunes homards semble la règle. On l’observe même dans des membres séparés du tronc, où certains éléments paraissent déjà morts. Il est probable que la vie persiste relativement longtemps dans les chromoblastes. L'observation suivante est très semblable aux précédentes. On y voit l'électricité, après avoir pr voqué manifestement la rétraction, ne plus continuer à la provoquer, pendant que la mort ne tarde pas à survenir. 6e Expérience. — (21 juillet 1870). Un petit homard entre rouge et vert, placé sous le microscope, est soumis à l’électrisation. La rétraction des chromoblastes est manifeste après quelque temps, elle est complète dans les deux palpes. L'animal est alors abandonné à lui-même et la plupart des chromoblastes se dilatent de nouveau. Une nouvelle électrisation très prolongée ne donne plus rien. Au contraire, tous les chromoblastes du corps se mettent à se dilater consi- dérablement (sans doute par l'approche de la mort). 1e Expérience. — Une autre expérience est encore faite sur deux œufs conte- nant des embryons de homard à peu près également rouges. Ces œufs sont placés dans une même quantité d’eau de mer. L'un est soumis à l’électrisation ; après onze minutes il est d’un rouge intense, l’autre d’un rose pâle à peine marqué. On vient de voir chez le homard les chromoblastes rouges se dilater à l'approche de la mort de l'animal. Le phénomène n’est probablement pas constant. En tout cas, il est fréquent d'observer l'inverse sur les chro- moblastes noirs des poissons. Chez beaucoup d’espèces de cette classe d'animaux, en effet, l’état morbide grave s'annonce tantôt par une déco- loration ou pâleur généralisée, tantôt par la production de larges taches livides. Nous avons à maintes reprises vérifié ce phénomène sur les torpilles, les raies, les mulets, le turbot, etc. Chez ce dernier animal les marbrures dues à une inégale dilatation des chromoblastes sont comme estompées, les espaces clairs et foncés se fondant les uns dans les autres. Chez la sole il se forme au contraire des zones claires et noires nettement délimitées et toujours de grande dimension; elles sont irrégulières sans jamais présenter un bord indécis; elles couvrent quelquefois toute une extrémité du corps (1). 1) Ces observations ont été faites aux mois de janvier et de février 1872, sur le marché de Concarneau. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 291 Cette perturbation fonctionnelle peut être rendue sensible avant l'instant où elle se serait spontanément produite par l'approche de la mort. Certains turbots changent de couleur, comme le caméléon (voy. le mémoire de Brücke), quand on les tourmente : or, si l'on irrite un turbot auquel on vient de pratiquer une opération grave, on n’observe plus le même changement de coloration uniforme qu'à l’état sain ; il se couvre de marbrures comparables à celles de l'agonie. Nous avons encore pu constater la lividité morbide des poissons sur de tout jeunes syngnathes sortis depuis quelques jours de la poche incubatrice et longs tout au plus de 4 centimètres. Au moment de la parturition ils sont entièrement noirs, puis on voit se dessiner sur la région dorsale de minces raies blanches comme autant de segments d'anneaux. 1° Un des animaux en observation montre, par son allure, qu'il est déjà malade. Il est entièrement pâle et transparent, de couleur jaunûtre. L'observation microscopique prouve que les chromoblastes n'ont con- servé leur forme étoilée qu'à la région ventrale, en arrière du rectum. 2° Le second est à peu près régulièrement partagé en deux. Toute la moitié antérieure du corps est foncée, opaque, tandis que la päleur a déjà envahi la queue. 3° Sur le troisième la queue présente seulement des cercles pâles. On distingue en outre d’autres taches blanches sur les flancs, entre la dorsale et le milieu de l’espace qui la sépare de la tête. Par les exemples qui précèdent aussi bien que par tous ceux que nous avons pu observer sur d’autres espèces, principalement dans le tout jeune âge, on voit combien il est difficile de préciser la relation exacte qui existe entre la mort de l'individu et celle des chromoblastes. On conçoit les divergences des physiologistes sur ce point. Tantôt la mort semble avoir pour effet ultime d'amener la rétraction des chromoblastes, et d’autres fois leur état d'expansion, sans qu'on sache la raison de ces différences. III. — CHROMATOPHORES DES CÉPHALOPODES. Un fait important d'anatomie générale, sur lequel il ne paraît pas qu'on ait insisté, est celui-ci : que certains éléments anatomiques, bien recon- naissables comme tels, se transforment, par suite des progrès du déve- loppement, en véritables organes. Chez les larves de cirrhipèdes, par exemple, l'œil médian primitif est formé de deux cellules légèrement pigmentées. Dans le cours des métamorphoses ultérieures, ces deux cellules, en se séparant, deviennent chacune un œil, c’est-à-dire un organe complexe. Quelque chose d’analogue se passe pour les chromatophores des LO 19 3 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET céphalopodes. Il semble que ces appareils méritent plutôt chez l'adulte le nom d'organes que celui d'éléments, et cependant ce sont à l’origine de simples chromoblastes analogues à ceux qu’on trouve chez les mol- lusques et dans les autres classes d'animaux. Puis, après s’ètre montrés tels dans le premier âge, ils offrent ensuite un développement extraor- dinaire, ils fonctionnent par un mécanisme supérieur à celui des manifestations habituelles de la substance sarcodique; grâce à eux, le céphalopode n'offre plus ces lents changements de coloris des autres animaux, il se modifie instantanément, il revêt coup sur coup les livrées les plus diverses; la fonction chromatique est poussée chez lui à une sorte de paroxysme. Et il n’est pas hors de propos de remarquer iei que ces animaux sont en même temps ceux chez lesquels l’appareil de la vue offre le poids le plus considérable, rapporté au poids total du corps. Les chromatophores des céphalopodes se montrent tout d’abord sous la forme de cellules étoilées, légèrement pigmentées en rose, et munies, dans leur centre, d'un noyau incolore. À cette époque, nous n'avons point constaté de mouvement dans ces cellules. Au moment où elles se montrent chez l'embryon de calmar, le pigment oculaire est déjà apparu depuis longtemps. Les premières se développent sur le manteau vers le milieu de la nuque. Le pigment rosé qui remplit la cellule paraît en partie grenu et en partie dissous. Plus tard, le pigment rosé fait place à un autre, bru- nâtre, et qui est alors grenu. Chez la Sepia, au moment de l’éclosion, les éléments colorés sont les uns gros et déjà bruns, les autres plus petits et rosés, à peu près également entremêlés. Chez le calmar les chromatophores, encore à l’état de chromoblastes, sont situés dans l’espace lacunaire qui existe au-dessous de la couche la plus superficielle de la peau. Is sont appliqués contre la paroi pro- fonde, envoyant de rares prolongements verticaux à la paroi externe, comme on peut s’en assurer sur des coupes convenablement faites (DIE) Un peu plus tard, l'élément vu par la surface de la peau apparait comme une masse arrondie, envoyant tout autour d'elle un grand nombre de rayons ou des prolongements extrêmement fins (pl. I, fig. 3 et 4). On peut s'assurer sur le profil que la partie pigmentée est ovoïde, à peu près globuleuse, et qu’elle occupe toute la largeur de la lacune sous-dermique. Enfin sur les chromatophores qui ont atteint tout leur développement, ces fibres paraissent moins nombreuses, mais elles sont nettement distinctes et l’on peut facilement les étudier. Le centre du chromatophore est composé d’une substance très proba- blement élastique et non contractile. C’est elle qui renferme le pigment granuleux, brun. Toutefois, à sa superficie, une mince couche n'en con- tient point, ou n’en contient que quelques grains. Ces granulations, quand l'élément est tiraillé par les fibres attachées à sa périphérie, de DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 233 manière à figurer une plaque polygonale, forment une sorte de couche intermédiaire aux deux faces. Cette couche, par suite de la présence même des granulations, est beaucoup plus friable : aussi le chroma- tophore, sous l'influence des réactifs, se partage-t-il souvent en deux lames séparées par un espace plus ou moins grand. Cet effet de prépa- ration se présente même avec l'acide osmique. Les granulations, toujours très fines, restent dans l’espace central, tantôt réunies en un point, et tantôt formant des trainées irrégulières. De la périphérie de la partie centrale élastique du chromatophore naissent des filaments plus ou moins longs, qui s’entrecroisent plus ou moins avec ceux des chromatophores voisins. Ils offrent à leur point d'attache avec la masse centrale une sorte d’épanouissement, et, d'autre part, à leur extrémité, une dilatation conique insérée sur l’une ou l’autre face de l’espace lacunaire (pl. I, fig. 5). On croit parfois découvrir que chacun de ces filaments est formé d’un faisceau de fibrilles extrêmement déliées. Ils paraissent aussi parfois irrégulièrement striés à leur surface. À l'endroit où ces filaments se détachent du centre pigmenté, ils présentent des noyaux disposés irré- gulièrement autour de celui-ci, sans correspondre directement à chaque fibre. Ces noyaux sont ronds, très différents de ceux des fibres muscu- laires, qui sont ovoïdes, très allongés, mesurant au moins, suivant leur grand axe, quatre fois le diamètre des noyaux sphériques du chromato- phore. On arrive facilement à isoler les chromatophores avec une partie de leurs filaments contractiles, par la macération prolongée jusqu’à trois jours dans l'acide chlorhydrique faible (pl. I, fig. 6). Les effets bien connus de l'électricité sur les chromatophores montrent que ces fibres insérées au loin sont le véritable élément contractile, et que celles-ci forment un système moteur en antagonisme avec un autre système représenté par la partie centrale de l’élément, soit qu'on regarde celle-ci comme contractile, soit qu'on la considère, ainsi que nous le faisons, comme simplement élastique. IV. — PIGMENTS. On a vu que les pigments contenus dans les chromoblastes, auxquels on peut joindre ici les chromatophores, offraient en général, et à de rares exceptions près (comme chez le crangon), des nuances appartenant à la moitié la moins réfrangible du spectre, le jaune, l’orangé, le rouge. Ces pigments forment un groupe naturel correspondant à la série xan- thique (1) des botanistes. On peut imaginer de même une série cyanique, (4) C’est à cette série qu'appartiennent en grande majorité les gouttes colo- rées de la rétine des oiseaux (pigeons, perruches, etc.), dont la nuance varie le 234 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET mais il est remarquable que ces colorations, appartenant à la moitié la plus réfrangible du spectre, reconnaissent une origine différente. Elles ae sont plus dues, en général, à des pigments localisés dans des chro- moblastes. Ces colorations, au moins chez les animaux où nous les avons étudiées, ont donc une histoire physique et anatomique absolument différente de celle des pigments dont nous nous sommes occupé jusqu'ici. Tantôt ces colorations sont dues à de véritables teintures qui imprègnent plusieurs systèmes d'organes, et tantôt à des propriétés optiques spéciales offertes par certains tissus. Au premier rang de ces feinlures généralisées, il faut placer la colora- tion bleue permanente ou transitoire qu'on peut observer sur les crus- tacés au voisinage des chromoblastes rouges. Nous l’avons décrite ailleurs (1) et nous aurons l’occasion d’y revenir à propos des change- ments de couleur des palémons Il convient sans doute de rattacher au même groupe la matière colo- rante bleuâtre ou verte qui imprègne les muscles et les viscères de cer- tains poissons. Un des plus remarquables sous ce rapport est sans con- tredit la scorpène (Cottus scorpio), chez laquelle la nuance des organes profonds est au moins aussi accusée que celle du squelette de l’£sox Belone, tout en étant plus générale. L’intensité toutefois varie selon les individus. Ceux où nous avons trouvé cette coloration le plus marquée avaient été péchés à la drague devant Concarneau, vers le 20 janvier. Ces indications de provenance sont toujours nécessaires dans les études de coloris des animaux ; les poissons des côtes rocheuses, abritées de grandes algues, offrent toujours des nuances plus vives que ceux des mers à fond plat, vaseux ou sablonneux comme la Manche. Les scor- pènes dont nous parlons ont la peau en dessus d'un brun-rouge foncé, et en dessous d’une belle couleur jaune mordorée avec taches bleuûtres. Les nageoires abdominales et la région avoisinant la gorge sont égale- ment bleuâtres. Tout l’intérieur de la cavité buccale est d’un bleu ver- dâtre très intense qui rappelle celui de l’ÆZ. Belone. Enfin on peut s’as- surer que tous les organes, os, muscles, etc. (excepté ceux que nous signalons plus loin), et la plupart des humeurs, présentent la même nuance. L’estomac en particulier est d'un beau vert, la vésicule biliaire est pleine d’un liquide bleuâtre transparent; les vaisseaux biliaires du foie offrent la même teinte légèrement bleuâtre. Seuls les cæcums sont jaunes, ainsi que la partie du tube digestif qui vient immédiatement après eux ; le foie a aussi sa coloration habituelle. Le liquide abdominal, plus souvent du rouge à l’orangé et au jaune. On n’en trouve que quelques-unes passant légèrement au vert, et point de bleues. Voy. Max Schultze, Zur Anat. u. He der Retina, dans Arch. für mikr. Anat., 1866. (1) Voy. Journal de l’Analomie, maïi-juin 1873, Recherches analomiques sur la colo- ralion bleue des crustacés. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 239 qui est abondant, a une couleur bleue manifeste; recueilli immédiate- ment dans un tube bouché à la lampe, il conserve plusieurs mois sa nuance. S'il est mélangé d’une faible proportion de glycérine et qu’on le laisse à l'air, on y voit apparaître des bactéries, des faisceaux d’aiguilles cristallines ; il s'y forme un précipité blanc, mais la couleur primitive n'est pas altérée. — On sait que la teinte verte de l'Z. Belone résiste à la cuisson ; elle se conserve pendant deux et trois ans au contact de la glycérine ; celle-ci paraît même, au début, la rendre plus intense. Chez l'Zsox Belone cette coloration occupe non pas un système anato- mique spécial, mais bien toute une région du corps : elle imprègne en réalité la plupart des organes situés vers la face dorsale de l'animal ; les os sont d'autant plus verts qu'ils avoisinent le dos. Il y a donc harmonie entre la coloration du squelette et celle du tégument, dont la région supérieure seule est colorée. Cette coloration par imprégnation s'étend même à la substance des muscles, vers la tête. Les os du crâne et le maxillaire supérieur sont vivement colorés, tandis que le dentaire supérieur est à peine teinté. L'appareil maxillo- palatin est également teinté en vert, tandis que la mâchoire inférieure offre à peine trace de coloration. La sclérotique osseuse n'est pas co- lorée, non plus que l'appareil operculaire. Aux vertèbres, l'arc et l’épine supérieurs sont d’un beau vert qui diminue déjà à la partie supérieure du corps de la vertèbre et disparaît entièrement à mesure qu'on se rap- proche de l’épine inférieure. Celle-ci est absolument incolore. Les pièces qui supportent les rayons de la dorsale sont d'un vert franc, et les rayons également verts à leur origine. Les pièces qui supportent la nageoire pectorale sont seulement colorées à l’origine des premiers rayons comme ces rayons eux-mêmes. Les pièces du bassin sont à peine imprégnées d'une légère coloration verdâtre. Les pièces de support aussi bien que les rayons de la nageoïire anale sont incolores, sauf une teinte très légère au point où chaque rayon s articule avec la pièce qui lui correspond. À la queue, les apophyses transverses, les arcs supérieurs, les pièces terminales du rachis sont verts, les deux hypuraux incolores. Les rayons sont colorés vers leur origine, mais de moins en moins, à mesure qu'ils deviennent plus inférieurs. Cette coloration s'éteint assez vite vers le point où commence le sectionnement transversal des rayons. V. — CÉRULESCENCE. — ÎRIDOCYTES. Les colorations dont il nous reste à parler ont une cause entièrement différente de celles qui nous ont occupé jusqu'ici. Ces couleurs, en effet, ne sont pas extractives, isolables par l'analyse immédiate, ce ne sont pas 936 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET EXPLICATION DE LA PLANCHE I F1G. 1. — Iridocytes de la Venus. — A, Forme et disposition des iridocytes, vus d'ensemble sur un lambeau de peau irisée. — B, Les mêmes, ayant macéré, offrant un clivage grossier et montrant un noyau à leur extrémité. Deux sont isolés, quatre autres sont dans leur situation nor- male par rapport à l’épithélium. F1G. 9, 3, 4, 5. — Fragments de la peau de jeunes céphalopodes, montrant de face et par le travers la disposition des chromatophores. — Fig. 2. État jeune : le chromatophore, étalé sur la paroi profonde de la lacune, et envoyant des prolongements à la paroi externe. (Comparez, fig. 2 bis, l'aspect du chromatophore encore à l’état de chromoblaste, et un peu plus tard prenant l'apparence sphérique avec des fibres rayonnantes.) — Fig. 3. Chromatophore plus âgé en état de contraction. — Fig. 4. Chromatophore encore plus âgé, vu normalement à la surface de la peau. — Fig. 5. Chromatophore à l'état adulte, montrant la masse centrale élastique pleine de pigment, attachée par des fibres contractiles aux parois externes et profondes de la lacune. F1G. 6. — Chromatophore détaché par le brisement de ses fibres contractiles périphériques. On voit, vers l'insertion de celles-ci à la masse pigmentée, des noyaux ovoïdes irréguliers. On a représenté dans le voisinage des fibres musculaires, pour montrer la différence dans la forme et le volume des noyaux. F1G. 7.— Peau de jeune Turbot. Les iridocytes sont espacés, de figure polygonale, remplis de très petits corps irisants. Au milieu d'eux sont des chromoblastes noirs, les uns rétractés, les autres en. état extrême d'expansion. On distingue aussi des chromoblastes orangés représentés par des trainées irrégulières moins distinctes. F1G. 8. — Extrémité des rayons de la nageoire d'un jeune Turbot montrant la forme irrégu- lière des iridocytes dans cette région. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 937 PLANCHE I # 1 à æ É a La # ED > EE Pouchet ad. LE del. IRIDOGYTES DE LA VENUS. CHROMATOPHORES DES CÉPHALOPODES. PEAU pu Turgor. 238 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET des pigments. Ce ne sont pas, d'autre part, des couleurs d'absorption. Elles résultent de propriétés physiques spéciales inhérentes à certains éléments et à certains tissus animaux, ou même seulement de l'état de surface et des dimensions des corps qui en sont doués. Nous n'avons pas plus l'intention de passer en revue l'histoire complète de ces colora- tions que celle des pigments. Nous nous bornerons à signaler des faits qui nous ont paru jusqu’à ce jour interprétés d'une manière inexacte ou incomplète, particulièrement en ce qui touche les poissons, les batra- ciens et les reptiles. Parmi ces couleurs d’origine exclusivement physique, il en est une remarquable entre toutes par sa fréquence chez l'homme et chez une foule d'animaux, et qui semble cependant n’avoir que peu frappé l’atten- tion des anatomistes jusqu'à ce jour. Nous voulons parler de la couleur bleue qu'offrent l'iris chez certaines personnes, les veines vues à travers la peau, les cartilages mis à nu, les ongles après la mort, les tatouages faits à l'encre de Chine, etc., et, chez les animaux, le museau du mandril, la peau du scrotum de certaines espèces de singes, les places dénudées du cou de beaucoup d'oiseaux, etc. (4). M. Brücke, dans son mémoire sur le caméléon, remarque avec raison que l’examen d’un iris bleu offre simplement un tissu transparent repo- sant sur une couche pigmentaire, et il admet que ce tissu transparent, comme une foule de corps, jouit de la propriété de laisser passer les radia- tions d’une grande longueur d'onde, en même temps qu'il réfléchit les radiations de plus courte longueur d'onde (2). Est-ce là l’origine réelle du phénomène? ou bien se rapproche-t-il davantage des faits dits de fluo- rescence, et doit-on l'expliquer comme ceux-ci par les radiations obscures ultra-violettes réfléchies, ralenties et devenues visibles? Nous ne faisons qu'indiquer ce point, sans toucher une question pour l'étude de laquelle il fallait un matériel expérimental dont nous ne disposions pas. Quoi qu'il en soit, il reste acquis que dans l'application l’illustre phy- siologiste de Vienne a très bien pressenti dès 1852 le rôle de la propriété physique qui nous occupe, dans la belle teinte qu'offrent beaucoup de reptiles et de batraciens, sans indiquer toutefois, à l’époque déjà reculée où il faisait ses recherches, le siège anatomique exact des recherches. Ceci explique peut-être qu'il n’ait pas été suivi dans la voie qu'il indi- quait si bien, et que tous ceux qui se sont occupés après lui de la colo- ration des mêmes animaux (Hering, Goltz, Bedriaga, ete.) n'aient invo- qué que des phénomènes d’interférence auxquels M. Brücke fait jouer un rôle trop général, spécialement en ce qui touche le caméléon. M. Brücke ne signale que comme en passant l'espèce de fluorescence dont nous 4) Voyez Comptes rendus de la Société de biologie du 17 janvier 1874. — Journal de l'anatomie, année 1874, p, 428. (2) Brücke, Unlersuch. u, s. w., p. 199, DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 299 venons de parler, tandis qu'il revient à plusieurs reprises et toujours avec insistance sur les anneaux de Newton pour produire les colorations des batraciens, des reptiles et surtout du caméléon. Nous avons proposé, en raison même de la fréquence de cette colora- tion bleue dans les tissus animaux et en raison de son indépendance de toute structure anatomique définie, d'appliquer aux tissus et aux élé- ments qui la possèdent l'épithète de cérulescents. Nous la désignons elle- même sous le nom de cérulescence. Elle rappelle beaucoup par ses effets la coloration épipolique d’une solution de sulfate de quinine (4), et mieux encore celle de l'huile de pétrole. Comme cette dernière, en effet, les parties cérulescentes animales ont, à la lumière transmise, à peu près constamment, sinon toujours, une coloration jaune nettement appré- ciable au microscope, même avec de forts grossissements. Si on les observe au contraire à la lumière incidente, en ayant soin de les placer sur un fond qui absorbe les radiations lumineuses qu'elles laissent passer et n'en émette pas lui-même, elles prennent aussitôt une coloration bleue très intense. Ce mécanisme explique comment les veines pleines de sang brun-rouge sont bleues vues à travers la peau, parce que leurs parois d'une part, le derme de l’autre, sont cérulescents. De même la rouille, dont la couleur appartient aussi à la gamme du rouge, et l'encre de Chine franchement notre, déposées sous le derme, donnent des cicatrices et des tatouages dont la nuance bleue est identique, parce que celle-ci est pure- ment épipolique et ne dépend pas de la couleur de la substance qui absorbe les radiations au-dessous du derme. Il ne saurait entrer dans notre plan d’énumérer ici les différents tissus animaux qui jouissent de cette propriété. On la retrouve dans le règne végétal chez certaines algues. Un autre exemple très net est celui des expansions que le contact de l'humidité développe immédiatement à la surface des graines de basilie (Ocymum basilicum). Nulle part la pro- priété dont nous parlons n’est plus manifeste, s'appliquant ici à une substance hyaline et absolument incolore comme une solution de sulfate de quinine. Parmi les matières animales amorphes qui sont cérulescentes on peut citer la substance fondamentale du cartilage. Dans d'autres cas très nombreux les parties cérulescentes offrent une structure qui peut intervenir de son côté pour produire un phénomène physique nouveau, tel que celui des réseaux ou des lames minces, lequel s'ajoute au premier et le complique. Le tissu fibreux de la sclérotique est cérulescent comme la paroi des veines, de là la couleur bleue de la scléro- tique chez les personnes très brunes dont les cellules pigmentaires de la lamina fusca s’avancent loin en dehors. Dans le tapis des ruminants, (1) Cette apparence est, au reste, générale pour toutes les substances fluo- rescentes : le bleu qu’elles émettent est partout sensiblement identique. Cf. H. Morton, Observations on the Color of fluorescent Solutions. The Amer. Journal, sept. 1871. 19 ra 0 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET cette cérulescence du tissu sclérotical est modifiée et comme dominée par un phénomène de réseaux dû à la structure fibreuse du tissu. Chez les poissons, les reptiles et les batraciens, les apparences des lames minces intervenant de même et se combinant à la cérulescence rendent parfois très difficile la part à faire à chacun des deux ordres de phénomènes dans la sensation qui en résulte. Il peut arriver que la coloration subsiste, ou bien qu'elle disparaisse pour faire place à des tons exactement métalliques comme le doré de l'œil des crapauds. Le meilleur exemple que l’on puisse signaler de lames minces réunies en masses cérulescentes est la brillante livrée des épinoches mâles pen- dant la saison des amours. L'animal est rouge par places; cette couleur est due à des chromoblastes. D’autres régions de son corps sont d'un bleu éclatant, en particulier l'iris. L'examen anatomique montre que cette membrane est composée d’une couche cérulescente recouvrant une nappe de pigment brun foncé, et que cette couche cérulescente, épaisse de 45 à 20 , est formée de lames minces analogues à celles de l’argenture appliquées les unes contre les autres (1). Les mêmes lames minces, étalées à plat au lieu d'être disposées de champ comme chez l’épinoche, donnent l’argenture brillante si connue des poissons ; les mêmes lames, confusément répandues dans un tissu, agissent à la manière des corps transparents réduits en poudre fine et produisent une sorte d’argenture mate complètement opaque. Chez les mollusques, on trouve des éléments à structure lamelleuse qui donnent une irisation comparable à celle de l'opale. La seiche en offre un exemple. Chez les poissons, la même structure lamelleuse se retrouve égale- ment dans des corps particuliers qui donnent le plus souvent une belle coloration bleue tantôt mate et tantôt à reflet brillant. Malgré cela il nous parait bien difficile d’ attribuer à de simples phénomènes d'interférence la coloration bleue très pure, très intense, très homogène parfois que produisent ces corps. Si, en effet, les phénomènes d'interférence étaient seuls en jeu, il semblerait qu’on dût obtenir nécessairement une certaine variété. M. Brücke assigne lui-même aux colorations qu'il veut expliquer de la sorte la riche variété de nuances du troisième système d’anneaux, s'étendant du violet au rouge (2). Au lieu de cela, en réalité, c’est le bleu qui reparait presque toujours, avec une fréquence que l’on peut apprécier en se rappelant que ce bleu est la base de la couleur verte qu'offrent un si grand nombre de reptiles. Sans prétendre à éclaircir ces délicates questions de physique anato- mique, nous dirons qu'en ce qui touche les reptiles, les batraciens et les poissons, les divers phénomènes optiques en question nous ont paru (1) Voyez Comptes rendus de la Société de biologie du 11 juillet 1874. (2) M. Jamin les énumère ainsi : pourpre, bleu, vert, jaune et rouge. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 241 devoir être rapportés tous ou à peu près tous à une propriété générale (la cérulescence) et à des variétés de disposition d’une même substance organique, celle-là même qui forme les lamelles de l’argenture des pois- sons, déjà si bien étudiée par Réaumur. Cette substance, dans les nombreuses variétés morphologiques qu'elle offre, paraît être toujours d'origine cellulaire, soit que les cellules où elle s’est d'abord formée continuent de la contenir ou qu'elles dispa- raissent. Ces cellules ont recu en Allemagne différents noms, /nterferenzzellen (Brücke, .Witty), Glanzzellen (1). Le dernier est préférable parce qu'il spécifie moins l'essence du phénomène. Le nom français de cellules chaloyantes y répond assez bien. Pour la clarté et la brièveté des des- criptions on peut adopter le nom d’iridocytes. Les iridocytes, dans ce cas, seront définis : « Des cellules appartenant à la famille des éléments du tissu lamineux et dans le corps desquelles apparaissent des parties solides plus ou moins analogues aux lames minces de l’argenture des poissons et produisant tantôt une irisation véritable avec ou sans reflets métalliques, tantôt une coloration bleue uniforme. » Aussi désignerons-nous indifféremment ces productions cellulaires par les noms de corps irisants ou cérulescents, selon leurs propriétés optiques dominantes. On trouve des éléments de ce genre chez les vertébrés appartenant aux classes des reptiles, des batraciens et des poissons (2); on en voit également chez les mollusques céphalopodes et les acéphales. Au lieu d'essayer d'en donner une description générale complète, nous passerons successivement en revue un certain nombre des animaux où on les rencontre, en notant pour chaque cas particulier l'aspect spécial de ces éléments et le rôle qu'ils jouent. Mollusques acéphales. — Les Venus offrent des teintes irisées très nettes dans le voisinage des siphons, à la face interne du manteau et sur un mince repli de celui-ci, étalé d’une branchie à l’autre. Ces nuances d'opale sont dues à des iridocytes placés au-dessous de la couche super- ficielle du tégument, sur un seul rang. Quand on les examine normale- ment à la surface, ils paraissent sphériques et larges de 9-12 &, mais leur forme est en réalité ovoïde et leur grand axe mesure 15-20 y. Vus par l'extrémité de celui-ci, ils offrent, à la lumière transmise, les colora- tions les plus variées; observés perpendiculairement à cet axe, ils sont incolores. Ils paraissent formés d’une substance hyaline, brillante, for- tement réfringente, surtout lorsqu'on les regarde par l'extrémité du grand axe (pl. I, fig. 1, A). (1) Voy. Müller's Archiv, 185%, p. 44, 247, 265. (2) Il est toutefois probable que les cellules décrites par Max Schultze à la surface du tapis des carnassiers, appartiennent à la même famille d'éléments et sont de véritables iridocytes. 16 249 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Quand on comprime ces corps, ils deviennent granuleux et dans cer- tains cas se partagent en disques superposés, d’une épaisseur de 1 1/2 à 2 & environ. Ce sectionnement ne se fait pas régulièrement, et n'isole pas, sauf peut-être dans des cas très rares, les disques les uns des autres. Ceux-ci rappellent un peu par leur aspect ceux que l’on obtient en fai- sant convenablement macérer les segments externes des bàätonnets de la grenouille. Toutefois ils ne noircissent pas par l'acide osmique comme ces derniers, qui ne présentent pas non plus d'ailleurs les mêmes pro- priétés optiques; sur les préparations qui ont macéré plusieurs jours dans l’acide osmique faible, on retrouve les iridocytes de la Venus se détachant avec un reflet verdâtre sur le fond noir du tissu. La glycérine, l'acide acétique, la soude, altèrent ces éléments. La glycérine les gonfle légèrement et abolit leurs propriétés analysantes ; après vingt-quatre heures, elle les dissocie en disques minces et irrégu- liers. L’acide acétique après vingt-quatre heures abolit en partie leurs propriétés optiques, et amène en même temps un commencement de cli- vage. La soude les altère ainsi que le tissu environnant, et leur donne l'apparence de vésicules claires, à contours nettement accusés. La liqueur de Müller ne les modifie point. Enfin le chlorure d'or décèle dans ces éléments la présence d’un noyau. Des fragments du tissu irisé, après avoir été traités par le réactif, sont mis à macérer pendant plusieurs jours dans l’eau. Les iri- docytes n’ont pas pris de teinte violette, mais ils ont perdu leur pro- priété analysante ; ils se laissent alors très facilement dissocier et leur clivage est net. Mais, de plus, on distingue à une des extrémités de l’élé- ment une masse de substance granuleuse avec un petit noyau rond de 4-5 p.. Il a un contour irrégulier et présente trois ou quatre granulations fines très foncées. Quand on recherche à quelle extrémité de l’iridocyte est placé ce noyau, on voit qu'il est superficiel par rapport au centre de l'élément, c'est-à-dire voisin de l’épithélium pavimenteux qui recouvre la région (pl. I, fig. 1, B). Céphalopodes. — Quand les chromatophores de la seiche sont en état de rétraction, toute la surface du manteau de l'animal apparaît comme irisée. Cet aspect est dû à la présence d'éléments anatomiques spéciaux, découverts par M. Brücke et auxquels il assigna le nom d’/nterferensz- zellen. Ces cellules paraissent offrir avec les iridocytes de la Venus de grandes analogies, à cette différence près toutefois que le noyau est cen- tral et que les lamelles environnent celui-ci de toutes parts, en sorte que de tous côtés on retrouve l'aspect irisé. À la lumière transmise, dans le champ du microscope, ces éléments apparaissent avec les cou- leurs variées des anneaux de Newton. T'urbots. — Il existe chez le Turbot, sous la peau et dans les parties profondes, des iridocytes d’une espèce particulière et qu’on retrouve d’ailleurs avec les mêmes caractères chez une foule de poissons, chez DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 9243 les batraciens et jusque chez les reptiles. Ces iridocytes ne donnent ni couleurs chatoyantes ni coloration bleue; mêlés chez le Turbot en pro- portion variable à des chromoblastes bruns, orangés ou jaunes, ils don- nent la nuance grise propre à ces animaux quand les cellules mélaniques sont rétractées. Ces iridocytes ont une figure polygonale assez régulière à un petit nombre de côtés; leur diamètre est de 15-20 uw environ. Exa- minés à la lumière transmise avec un faible grossissement ils présen- tent les nuances variées habituelles. Avec un plus fort grossissement on découvre que cette propriété appartient à des corps particuliers, oblongs, mesurant À sur 2 4 environ, paraissant quelquefois renflés à leurs extré- mités, placés les uns contre les autres et affectant par groupes une dis- position parallèle dans l’intérieur de la cellule. L'individualité de l'élé- ment tout entier est attestée d'autre part par la présence d’un petit noyau sphérique ayant 4-5 s, qui, alors qu'il n'est pas masqué par les corps irisants, figure une perforation dans la substance de l'élément (PAGE) Ces iridocytes sont disposés au-dessous du derme du Turbot sur un seul rang, mêlés à des chromoblastes et noirs et jaunes ou orangés. Même alors qu'ils sont le plus abondants, ils ne sont jamais rapprochés jusqu’à se toucher, et gardent entre eux une distance à peu près égale à la moitié de leur diamètre. Quand on cherche à déterminer leurs rap- ports de situation avec les chromoblastes, on voit qu’ils sont superficiels par rapport à ceux-ci. Sur les nageoires ils sont moins rapprochés qu’à la peau du tronc. Tantôt ils sont disposés en files de trois, cinq au plus, sans qu'on découvre la cause de cet alignement dans le trajet d’un vaisseau ou d’un nerf voisin. Vers l'extrémité des rayons ils redeviennent plus abon- dants, mais présentent là aussi une modification nouvelle. Leur forme polygonale fait place à une figure étoilée : la cellule présente de larges prolongements en contact avec les prolongements d'autres cellules voisines, de manière à dessiner ainsi un réseau d'autant plus accentué qu'on approche davantage du bord libre de la nageoire (pl. I, fig. 8). Nous sommes donc ramené à envisager les iridocytes sous la forme qui leur paraît la plus ordinaire, celle d'éléments ramifiés, dont la parenté avec les éléments du tissu conjonctif devient évidente. D'autre part leur ressemblance avec certaines formes de chromoblastes n’est pas moins frappante. C’est ainsi qu'on trouve chez l'Hippocampe des irido- cytes encore plus dénués de brillant que ceux de la peau du Turbot, qui constituent les points blancs dont toute la surface de l’animal est semée. La bordure jaune de la nageoire chez cet animal est due à des chromo- blastes jaunes ; la teinte foncée du reste du corps, à des chromoblastes noirs, de petite dimension, peu ramifiés; au niveau des taches blan- ches on ne découvre que des iridocytes extrêmement rameux, dont 244 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET les prolongements s’entre-croisent de manière à former un amas à la fois compact et parfaitement limité. On peut observer, chez certaines espèces, des chromoblastes à pig- ment brun et des iridocytes rapprochés au point de paraître ne former qu’un seul élément, comme si les granulations mélaniques d’une part, et les corps irisants de l’autre, étaient des dépendances d'un seul et même corps cellulaire. Mais ce sont là de simples apparences ou tout au plus un nouvel exemple de gémination cellulaire comme celui que nous avons signalé chez le Crangon pour les chromoblastes jaunes et violets. Il est fréquent de trouver des iridocytes et des chromoblastes ainsi rap- prochés jusqu’à paraître se confondre, sur les nageoires abdominales de la Scorpène. Labrus. — Dans la variété de Labre bleue (lapis) et rouge (vermillon), connue sous le nom vulgaire de vieille (L. bergylta), la limite d’une couleur à l’autre est nettement tranchée. Le tégument est d'ailleurs d'une étude très facile, même sur les individus mesurant 15 centimètres de long. Dès qu'on l’a dépouillé de l’épithélium par une macération convenable dans l'acide chlorhydrique étendu, il est d'une grande transparence. En disposant ensuite une préparation qui porte sur les deux couleurs, on peut aussitôt se rendre compte des modifications qui les provoquent. Dans la portion vermillon, les chromoblastes sont rouges : l'effet de coloris est direct et ne mérite aucune observation particulière. Dans la portion bleue les chromoblastes sont bruns ou noirs, assez rares, fine- ment ramifiés. Au-dessus d’eux, immédiatement en contact avec la couche superficielle du derme, ou derme proprement dit, on voit s'étendre une couche d'iridocytes rameux, espacés, pleins de corps irisants sphériques mesurant 2 « environ. Ces corps, jaunes quand on les observe à la lumière transmise, paraissent agir surtout en raison de leur propriété cérulescente : étalés sur la couche de pigment sous- jacente, ils donnent l'impression du bleu (pl. IL, fig. 1). Vive. — La vive (Zrachynus draco) porte sur le flanc de longues bandes d’un bleu violacé brillant assez analogue à celui des élytres de l’Hoplia cærulea. La même nuance est encore plus accusée sur la mächoire presque tout entière. Quand on examine celle-ci de près (nous supposons l’épithélium enlevé par l'acide chlorhydrique), on aperçoit d'espace en espace de petits points brillant d’un vif éclat argenté sur le fond, qui est d’un ton bleuâtre extrêmement doux. On découvre tout d'abord par le microscope que chacun de ces points éclatants répond à un grand chromoblaste noir, mais celui-ci ne peut pas évidemment engendrer la coloration qui nous occupe. Chez la vive, comme chez le labre, la coloration violette générale est due à la présence d’iridocytes de forme irrégulière, polygonale, en rap- ports mutuels par de larges contacts, formant au-dessous du derme une DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 249 couche continue. Les corps irisants qui remplissent ces cellules sont extrêmement petits, mais ils ont toujours les mêmes caractères : ils sont jaunes par transparence ; ils ne prennent point le carmin ; les acides énergiques les font immédiatement disparaître ; la soude, même en solution faible, à 1/100, les détruit également ; de même le sulfate de soude ; la macération dans l’eau les désagrège. Au niveau des grands chromoblastes noirs qui répondent à chaque point brillant, on trouve un iridocyte modifié, ou plutôt (la structure cellulaire n’est pas reconnaissable ici) un amas de corps irisants serrés les uns contre les autres. Ils sont ovoïdes ou irrégulièrement polyé- driques, à contours fortement accentués et mesurent 4 sur 1 1/2 uw. Ces amas sont circulaires. On peut voir à différentes places des groupes pareils non accompagnés de chromoblastes, et réciproquement des chromoblastes isolés, mais c’est toujours leur union qui forme les points brillants sur la mâchoire du poisson (pl. Il, fig. 2). Grondin. — La teinte bleue mate du bord des nageoires du grondin est beaucoup plus foncée que les précédentes. C’est une nuance diffé- rente, un bleu plus pur. Nous parlons des animaux sortant de la mer et non vivant depuis quelque temps dans les aquariums, où ces teintes, soit du grondin, soit du labre, deviennent à la longue plus pâles et prennent la nuance cendrée qu’elles ont toujours quand l’animal vit sur un fond sablonneux comme celui de la Manche. Le mécanisme de cette coloration bleue est encore ici le même que dans les exemples précédents. Elle est due à la présence de corps cérulescents disposés sur un fond absorbant pour la lumière. Seulement ici les éléments anatomiques sont extrème- ment rapprochés et presque confondus les uns avec les autres, en sorte que l’analyse histologique devient beaucoup plus difficile. Quand on examine les préparations normalement à la surface de la peau, on voit que les chromoblastes sont petits, à larges prolongements bientôt ren- contrés par les prolongements des cellules voisines, ne laissant entre . eux que d’étroits espaces transparents. Presque tous ces chromoblastes sont noirs, avec quelques rouges. Les coupes renseignent davantage ; on voit d’abord que la couche bleue est toute superficielle ; qu’au-dessous d'elle s'étend un tissu blan- châtre opaque, ne devenant même que difficilement transparent par l’action de la glycérine. Vers la face inférieure le tissu de la nageoire prend l'aspect ordinaire du tissu lamineux. Etudiées de plus près, ces couches offrent la structure suivante : La couche bleue est formée de corps cérulescents et de chromoblastes noirs. Les corps cérulescents sont plus petits que chez le labre, ovoïdes ou doublement renflés aux extrémités, mesurant 1 1/3 y sur une largeur moitié moindre. Ils s’entremélent aux prolongements supérieurs des chromoblastes noirs. On ne peut pas distinguer si ces corps sont ou non contenus dans des cellules spéciales. Les chromoblastes sont en couche 246 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET dense immédiatement au-dessous d’eux. Quand on parvient cependant, par une macération convenable. à séparer les deux couches, la première apparaît jaune à la lumière transmise, et bleue à la lumière réfléchie si le fond est absorbant. La couche de chromoblastes présente inférieurement une limite assez bien accusée par une mince zône de tissu lamineux où l’on voit des vais- seaux. Au-dessous de cette dernière, bien moins délimitée d’autre part, on trouve une couche opaque d'iridocytes mêlés seulement à un petit nombre de chromoblastes rouges. Ces iridocytes ne sont pas disposés ici en un seul rang, mais confusément groupés sur une certaine épais- seur. Ces éléments, même après un contact de vingt-quatre heures dans la glycérine, restent opaques, gardant la même teinte grise que nous avons signalée déjà chez le turbot. C’est cette couche qui donne à la face inférieure de la nageoire du grondin son aspect. On peut artificiel- lement la détacher, tant de la couche à chromoblastes noirs qui est au-dessus d'elle, que du tissu lamineux qui la limite en dessous, la séparant du derme proprement dit qui porte l’épithélium inférieur de la nageoire. Gobius niger. — Nous avons eu l’occasion, au mois de janvier 1872, d'observer un G. niger dont la seconde dorsale offrait une belle tache ocellée, bordée de noir, avec le centre d’un bleu pur. Cette tache nous a présenté, comme on s'y pouvait attendre, des corps cérulescents accompagnés de chromoblastes bruns ; on remarquait quelques chromo- blastes rouges (1). La peau des gobies offre sur toute son étendue des iridocytes assez semblables à ceux du turbot : à mesure qu'on se rapprochait de la tache ocellée, il semblait que les corps irisants, confusément répandus dans les cellules environnantes, prissent une disposition plus régulière. Au niveau même de la tache on trouve sur l’une et l’autre face de la nageoire une couche épaisse de corps cérulescents, pressés les uns contre les autres sans qu'il soit aisé de déterminer s'ils sont ou non répartis dans des cellules. Ces corps sont ovoïdes, ils ont des dimensions considé- rables, mesurant environ 2 1/2 u de large sur 4 1/2 y de long. Ils offrent à la lumière transmise les colorations brillantes des lames minces. Nous avons noté le rouge, le jaune, le violet. Leur aspect dans ces conditions (1) Nous avons rencontré chez d'autres individus les traces d'une tache pa- reille, mais qui ne devenait visible que quand une couche de chromoblastes su- perficiels par rapport à elle était en état de contraction. Si l'on se rappelle que les corps cérulescents, qui jouent ici le rôle important, ne diffèrent pas essen- tiellement, c’est-à-dire ne diffèrent que par leur dimension des productions ordi- nairement contenues dans les iridocytes, et peuvent être en conséquence regar- dés comme un stade d'évolution plus avancé de celles-là, on concevra que chez les animaux qui présentent habituellement des iridocytes, on puisse trouver accidentellement des taches bleues : il n'y aurait rien de surprenant qu'on pêchât quelque jour un turbot ou une sole offrant une semblable tache. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 241 rappelle celui des iridocytes de la Vénus, quoiqu'ils soient beaucoup plus petits. Ces corps forment deux couches de chaque côté de la nageoiïre. Entre elles est une couche unique de chromoblastes noirs. Le mécanisme de la coloration bleue se retrouve donc ici toujours le même. Une autre variété de G. niger s’est encore offerte à nous, non plus avec une tache ocellée, mais avec la seconde dorsale bordée d'une frange bleu pâle un peu verdâtre et comme déteinte ; en arrière seule- ment cette frange devenait plus foncée et d’un bleu aussi franc que chez le grondin. La structure est d’ailleurs la même que celle de la tache ocellée; en arrière, où le bleu est plus pur, on constate que les chromo- blastes noirs sont plus abondants. Ils disparaissent au contraire vers le bord de la nageoiïire, en même temps que les corps cérulescents devien- nent plus rares ; aussi la teinte bleue a disparu à ce niveau. On constate de plus que ces corps cérulescents ne sont pas épars dans le tissu sous- dermique, mais réunis par petits groupes de formes diverses et irré- gulières dont la disposition rappelle complètement les contours des iridocytes remplis de corps irisants du bord de la nageoire des très jeunes turbots. Il est donc hors de doute que ces gros corps cérulescents des gobies procèdent d'éléments analogues, avec cette différence qu'ici les produits de formation, au lieu de s’accumuler entre le noyau et la paroi comme dans les autres iridocytes, prennent un développement plus grand qui à pour phénomène corrélatif l’atrophie du noyau et du corps de la cellule. Tel est du moins ce qui semble résulter des faits qui pré- cèdent, à défaut de recherches directes et suivies sur l'embryogénie de ces éléments. Callionyme lyre. — La partie de la peau, que nous avons étudiée sur cette espèce (C. lyra) est l'extrémité de la seconde nageoire dorsale, sillonnée de bandes alternativement jaunes et bleues. Les bords de ces dernières, par lesquels elles confinent aux bandes jaunes, ne sont pas nettement tranchés, mais la couleur bleue prend peu à peu vers le milieu de la bande une intensité qui ne le cède ni à la coloration du grondin, ni à celle de la tache ocellée des gobies. La région jaune est d’un ton franc, intense. En regardant avec une loupe on apercoit sur ce jaune un fin sablé noir dû à des amas de cel- lules pigmentées dans l’épithélium, comme ceux que nous avons signalés déjà chez le grondin, et qui contribuent certainement à rendre le ton plus vif. Au microscope le tissu se montre rempli de pigment jaune, sans qu'on distingue les éléments où il est distribué. On aperçoit aussi des iridocytes irréguliers, petits, espacés, et plus superficiellement des chromoblastes noirs à pigment grenu. Dans la partie bleue, on trouve de part et d'autre de la nageoïre, au- dessous du derme, une couche de corps cérulescents. Elle est toutefois moins épaisse que dans la tache bleue des gobies, mais ils ont des dimen- 948 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET EXPLICATION DE LA PLANCHE II FiG. 1. — Iridocytes et chromoblaste de la peau de la Vieille (Zabrus bergylta.) Les iridocytes sont pleins de corps cérulescents arrondis. On voit un chromoblaste très distendu avec peu de granulations pigmentaires espacées dans le corps de la cellule. Fi&. 2. — Portion de la peau de la lèvre de la Vive (Trachynus draco). On distingue des chro- moblastes noirs en partie rétractés et en contact avec des amas de gros corps cérulescents. L'espace entre ces éléments est occupé par des iridocytes de forme très irrégulière, remplis de très petites lames irisantes. F1G. 3. — Peau de la région jugulaire de l'Épinoche mâle montrant des chromoblastes et des iridocytes à peu près également espacés. Les chromoblastes sont orangés et les iridocytes sont formés de plaques de lames irisantes extrêmement petites, disposées en partie parallèlement les unes aux autres, ce qui donne à l’ensemble une apparence cristalline spéciale. F1G. 4. — A, Coupe pratiquée à travers une bande bleue de la nageoire d’un Callionyme lyre. L'épithélium a été enlevé. De chaque côté le derme très mince limite le tissu. Au-dessous du derme on remarque de chaque côté une accumulation de corps cérulescents d’un volume considé- rable, et entre les deux couches qu'ils forment, des chromoblastes noirs, ici en partie rétractés. — B, Les mêmes corps cérulescents, réduits en piles de disques par la macération. F1G. 5. — Intervalle de deux rayons de la queue de l'Épinoche. On distingue au milieu du tissu les chromoblastes jaunes à corps granuleux, sans prolongements, et à noyaux d’une belle couleur orangée. Une de ces cellules a un volume exceptionnel considérable. F1G. 6. — Coupe d'un rayon de la nageoiïre caudale du même, pour montrer la place des chro- moblastes noirs et jaunes. F1G. 7. —" Chromoblastes jaunes du même, isolés. ro RS V + DDC œ Po] L El # Pouchet ad nat. del ÉLÉMENTS COLORÉS DE LA PEAU DES Porssons. 950 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET sions plus considérables. Ils ne paraissent pas contenus dans des cel- lules. Ils sont rapprochés les uns des autres sans se comprimer mutuel- lement, ovoides, un peu irréguliers, et mesurent environ 3 y sur5 y; c'est, on le voit, la plus grande dimension que nous ayons observée. Ils offrent par transparence une coloration jaune très nette. La liqueur de Müller n'altère point leurs propriétés optiques par transparence, qui se montrent avec un grand éclat quand on les observe dans l’eau. La gly- cérine leur fait perdre en partie ces propriétés, mais on retrouve dans les préparations quelques-uns de ces corps complètement dissociés et réduits en piles de lamelles rapprochées comme des pièces de monnaie. Chaque corps cérulescent est donc ici formé de lames, et parfois on peut en voir une isolée, se présentant de champ et oscillant d’un mouvement brownien très prononcé (pl. IL, fig. 4, A et B). Ainsi qu'on le voit, nous avons, en trouvant des corps irisants de plus en plus gros chez le labre, le grondin, le gobie, et enfin le callio- nyme, décrit une sorte de cycle qui nous ramène à une structure rappe- lant directement ce qu'on observe dans les corps irisants de la Vénus, quoique l'effet chromatique, en raison de propriétés physiques diffé- rentes, ne soit plus le même, donnant dans un cas des nuances irisées, et dans l’autre une belle coloration bleue. Il ne nous paraît pas probable que cette dernière doive être rattachée au phénomène des anneaux colorés de Newton; elle ne saurait s’expli- quer d'autre part par le phénomène des réseaux, ainsi qu'on l’a fait pour le violet métallique des plumes des oiseaux ou des ailes des papillons. Cette coloration bleue par cérulescence ne se manifeste pas seulement sous certains azimuths comme celle des papillons, elle est égale pour toutes les incidences. Nous ajouterons à ce que nous avons dit, qu’elle persiste à la lumière artificielle de l'huile et à la lumière du magnésium (comme au reste la coloration des Morpho); elle disparaît à la lumière monochromatique jaune. L'observation microscopique des corps iri- sants à travers un prisme de Nichol ne nous a donné aucun résultat, et un examen sommaire fait avec un prisme de verre n'a pas laissé sup- poser que la spectroscopie puisse nous éclairer davantage. Nous regardons, disons-nous, cette coloration bleue comme due à un phénomène analogue à celui de la fluorescence. Ceci explique certaines particularités qu’elle offre. Ainsi son intensité dépendra de l'énergie avec laquelle la lumière sera absorbée par les chromoblastes qu'on trouve toujours au-dessous des corps cérulescents. Il suit de là que la coloration bleue pourra être modifiée indirectement par les conditions de milieu qui provoqueront la dilatation ou le retrait des chromoblastes. Et comme la nourriture, la captivité, indépendamment des actions que nous avons signalées plus haut, influe sur eux, les circonstances les plus diverses pourront done modifier la coloration bleue elle-même. Il peut arriver également que les corps cérulescents, au lieu d’être super- DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 91 ficiels, soient séparés du derme par des chromoblastes : quand ceux-ci se dilatent, ils cachent la nuance bleue, qui reparaît dès qu'ils se con- tractent, comme nous l'avons observé sur la nageoire de jeunes gron- dins et sur la tache ocellée des gobies. Couleur verte et dorée des batraciens. — La coloration verte qu'on trouve si fréquemment chez les batraciens et les reptiles, résulte de l'impression complexe produite sur la rétine par un pigment jaune extractif et une couche cérulescente reposant sur un fond de pigment noir. Le jaune et le bleu, quoique dérivant de propriétés physiques différentes des substances en présence, se combinent pour donner à la rétine l'impression de la couleur résultante, c'est-à-dire le vert. Le pigment jaune est contenu dans des chromoblastes, il parait géné- ralement de nature huileuse, et forme souvent des gouttes qui peuvent être très grosses, dans le champ de la préparation ; on les trouve après le traitement du tissu par l’iodsérum, par l'acide acétique ou l'acide chlorhydrique dilués. Ce pigment est soluble dans l'alcool, dans l’éther, surtout dans le mélange de ces deux liquides, auquel il communique sa couleur. Les cellules qui le contiennent sont très difficiles à observer isolément, au moins chez l’animal adulte. Dès qu’il a disparu, la cérulescence demeure seule; les parties vertes de l’animal apparaissent en bleu. Nous avons montré (1) que si alors on colore ce tissu en jaune, par l'acide picrique par exemple, on se retrouve sensiblement dans les conditions premières, et l’on restaure la colo- ration verte initiale. Le pigment jaune peut disparaître sur l'animal vivant, et alors sa peau devient bleue. Ce phénomène s’observe fréquemment chez la rai- nette. M. le professeur Vulpian voulut bien nous faire remettre des gre- nouilles conservées depuis un certain temps dans un bassin, à l'École pratique de Paris, et qui étaient également devenues bleues (2). Je pus constater chez elles une disparition presque complète du pigment jaune. À ces chromoblastes jaunes sont mêélés des iridocytes. Ceux-ci pro- duisent tantôt la cérulescence d'où résulte la coloration verte, et tantôt le doré, c'est-à-dire un reflet métallique absolument comparable à celui qu'on obtient en frottant de l’or métallique sur la pierre de touche. Dans l’un ou l’autre cas ces cellules offrent à la lumière transmise des carac- tères optiques différents qui permettent de distinguer, même avec cet éclairage, les places cérulescentes, des parties dorées de la peau. (1) Soc. de biologie, 20 juillet 1873. (2) En cherchant à rassortir dans le monde minéral la nuance de ces gre- nouilles, on trouvait qu'elle se rapprochait sensiblement de celle des turquoises dites calaïtes, ou de celle de la nikelaire ou annabergite (arséniate de soude); tandis que la nuance verte commune des grenouilles peut être assez exacte- ment comparée à la couleur franchement verte du nickel hydrocarboné. 2592 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Au point de vue morphologique, les caractères des iridocytes sont les mêmes dans les deux cas. Ce sont des cellules tantôt rameuses et d’autres fois ramassées sur elles-mêmes, presque sphériques. On dis- tingue au milieu d’elles, sur les préparations ayant longtemps séjourné dans la glycérine, un noyau ovoïde. Mais le plus souvent celui-ci est invisible. Autour du noyau, l'élément est rempli de corps irisants sphé- riques relativement petits puisqu'ils mesurent à peine plus de y; ils sont rapprochés les uns des autres (1). Tout démontre que ces corps irisants, malgré leur forme sphérique, ont une structure lamelleuse; mais il est difficile de fixer l'épaisseur des lames, laquelle paraît d’ailleurs variable. Il est vraisemblable que ces lames se rapprochent par leur nature et leurs réactions des lames cristal- lines qui constituent l’argenture. Comme ces dernières, elles résistent aux acides minéraux faibles, mieux que les éléments figurés du tissu conjonctif. Elles disparaissent dans l'acide acétique non dilué et dans la soude. Elles ne prennent pas le carmin. Elles ne sont pas sensiblement modifiées par la dessiccation. Un fragment de peau de grenouille, dé- pouillé de son pigment jaune, étalé et desséché sur une plaque de verre, reste cérulescent. Au contraire, après une action prolongée de l'alcool et de l’éther, les corps cérulescents paraissent perdre leurs propriétés optiques et ne les retrouvent plus, même si on les laisse macérer vingt- quatre heures dans l’eau. Parfois, en observant à la lumière réfléchie une préparation faite avec ces iridocytes convenablement macérés, on voit à certaines places, sur le fond noir, de très petits points brillants scintiller, qui ne sont autres que les lamelles en question animées d'un mouvement brownien qui change incessamment l'incidence de leurs faces par rapport à l'axe du microscope. Quand l’iridocyte est cérulescent, les corps irisants de la cellule sont loujours jaunes par transparence; ils ont d’autres nuances sur les places à reflet d’or. Le doré qu'on remarque fréquemment chez les batraciens n'offre en effet aucun élément anatomique nouveau; les iridocytes y présentent seulement des propriétés nouvelles. Il n’a d’ailleurs rien de commun avec le mordoré de beaucoup de poissons, autrefois étudié par Réaumur, et qui est dû à la combinaison de chromoblastes à cou- leurs franches avec des lamelles d'argenture, comme cela se voit faci- lement sur la carpe et sur le cyprin de la Chine. Nous avons trouvé le doré abondant sur les pattes antérieures des grenouilles bleues dont nous avons parlé plus haut. Il se rencontre chez toutes les grenouilles, au niveau des lignes de grosses glandes qui sil- (1) C’est M. Brucke qui a reconnu le premier que le contenu de ces cellules n'était point un pigment. Comp. Harless, Einige physiologische ueber die Chro- matophoren des Frosches. Zeitschr. f. wiss. Zoologie, 1854. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L’INFLUENDE DÉS NERFS 9293 lonnent le dos, et enfin sur la membrane du tympan. Celle-ci est un excellent objet d'étude. Constamment ces diverses régions offrent des iridocytes en tout semblables à ceux des parties vertes, à cette différence près que les corps irisants qu'ils contiennent cessent de se manifester par leur cérulescence. Les cellules sont tantôt rameuses, à fins prolon- gements mélés à ceux des chromoblastes noirs ; tantôt elles sont irrégu- lièrement polyédriques. Elles peuvent être rapprochées ou écartées les unes des autres, ou même complètement isolées, comme à la paupière, en dehors de son bord brillant, constitué anatomiquement comme le reste de la peau. À la lumière transmise, les corps irisants qui répondent au doré se reconnaissent aussitôt dans le champ du microscope. Ils ne sont plus simplement jaunes comme ceux des parties cérulescentes, 1ls offrent des nuances variées avoisinant les deux extrémités du spectre : rouge, bleu, violet, pourpre. Nous avons cru remarquer que le bleu et le violet se montraient surtout dans les points où les corps irisants paraissent entassés sur une épaisseur notable, et le rouge au contraire quand les corps irisants semblent étalés en couche unique sur le bord extrême des cellules, etc. Nous aurons à noter plus loin, à propos du lézard vert, une apparence inverse. Souvent, chez les batraciens, on peut observer le rouge sur le bord d’une cellule dont le centre, au voisinage du noyau, est bleu ou tirant au vert, car il semble qu'on trouve aussi, quoique exception- nellement, des iridocytes qui offrent à la lumière transmise une colo- ration verte. Nous signalerons ce fait assez général, que les iridocytes paraissant rouges à la lumière transmise donnent le reflet métallique doré ; ceux qui sont bleus ou violets à la lumière transmise offrent très souvent par eux-mêmes, et en dehors de toute combinaison de pigment, un reflet nettement vert. À la lumière polarisée les couleurs par transmission des iridocytes s'éteignent quand les nichols sont croisés; on ne voit plus que quelques points brillants, généralement sur le bord des cellules, tenant sans doute à l'orientation spéciale de certaines lamelles composantes des corps irisants. Un phénomène analogue s’observe sur les corps irisants plus gros des poissons. Nous l'avons noté chez le labre. Ces corps en général restent obscurs entre les nichols croisés, tandis que dès qu'ils sont réduits en lames on voit aussitôt quelques-unes d’entre elles s’illuminer et offrir alors les nuances rouges, verdâtres, Jaunes, etc. Toutes ces colorations que prennent à la lumière transmise les irido- cytes ne varient point d’ailleurs quelle que soit l'incidence du rayon éclairant. Elles ne perdent presque rien de leur intensité quand on 254 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET augmente les grossissements (1). Enfin la glycérine parait en général les aviver (2). Lézard vert. — La coloration du lézard vert est, comme celle des rai- nettes et des grenouilles, la combinaison d’un jaune dû à.un pigment et d’un bleu produit par cérulescence. La disposition anatomique est d’ail- leurs facile à observer. Nous noterons en passant la présence de petits chromoblastes noirs dans les couches profondes de l’épiderme. Au-dessous du derme on trouve d’abord une couche épaisse de pig- ment jaune contenu évidemment dans des cellules, mais il est difficile de les observer isolément, de même que celles des grenouilles. Quand ce pigment a disparu, soit qu'on l’ait enlevé au moyen de l'alcool et de l’éther, soit qu'on ait détruit les cellules qui le contiennent par une macération prolongée dans l'acide acétique faible (3 pour 100), toutes les parties vertes de la peau de l’animal deviennent bleues. Il est peu probable que ces cellules chargées de pigment jaune soient douées de mouvements sarcodiques. Au-dessous de cette première couche de chromoblastes se trouvent des iridocytes disposés en nappes ou en groupes ayant une grande épaisseur. On en rencontre surtout des amas considérables à l’extré- mité des tubercules de la peau. Ces iridocytes offrent un aspect très différent de ceux des grenouilles. Ils ont le plus souvent une forme rameuse. On n’y distingue point de noyau, au moins chez l'adulte. Tout l'élément paraît constitué d’une substance homogène, relative- ment plus dense que les tissus environnants, fortement réfringente, formant une masse mamelonnée avec des prolongements toujours arrondis (pl. IV, fig. 1). Cette substance a tous les mêmes caractères que celle des corps céru- lescents qui remplissent les iridocytes des grenouilles et des rainettes. Elle est fortement cérulescente. Quand on l’observe à la lumière trans- mise, elle est jaune ou rouge. Elle n'offre pas d’autres couleurs de dif- fraction. Contrairement à la remarque faite plus haut pour les iridocytes de la grenouille, la coloration rouge parait se montrer seulement dans les endroits où la substance présente une certaine épaisseur. Le centre des plus grosses masses que l’on puisse observer est toujours rouge, (4) Contrairement aux colorations bien connues offertes par les diatomées, qui disparaissent dès qu'on cesse de se servir de lentilles faibles. (2) Nous relevons dans nos notes l'observation suivante : Un tympan de gre- nouille bleue avait été mis macérer dans l'iodsérum. A la lumière incidente, dans le champ du microscope, il se pique de points jaunes sur fond noir, chan- geants avec l’azimuth. En substituant la glycérine à l'iodsérut, et sans que rien autre chose soit modifié aux conditions d'observation, ces piqüreg deviennent vert bleuätre : le changement a lieu instantanément. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 259 tandis que leurs bords et toutes les petites masses sont constamment Jaunes. On étudiera bien ces corps en dissociant la partie superficielle du derme, séparée de l’épaisse aponévrose sous-cutanée, sur des fragments de peau ayant séjourné plusieurs jours dans l'acide acétique faible. On peut aussi, quand on emploie de forts grossissements, constater que ces masses de substance cérulescente laissent voir la trace de lignes parallèles écartées de 1 à 1 1/2 x environ, et qui semblent indiquer une structure lamelleuse. Mais nous n'avons pu parvenir jusqu'ici par aucun procédé à dissocier nettement cette substance en lames isolées, comme les corps cérulescents des poissons. Au-dessous de ces iridocytes disposés en couche ou en amas considé- rables, s'étend une nappe de chromoblastes noirs qui forment le fond absorbant grâce auquel les iridocytes émettent des radiations bleues. Les prolongements de ces cellules peuvent pénétrer plus ou moins au milieu des iridocytes placés au-dessus d'elles et modifier en consé- quence plus ou moins le coloris de l'animal, par un mécanisme analogue à celui que nous allons décrire chez le caméléon. Mécanisme des changements de couleur du caméléon (1).— Nous n'insis- terons pas ici sur les divergences qui nous séparent de M. Brücke. Celui-ci, dans son mémoire sur le caméléon, remarquable à tant de titres, attribue un rôle spécial à des cellules interférentes qu'il décrit comme occupant la région profonde de l’épiderme. Les cellules aux- quelles il fait allusion sont en réalité situées au-dessous du derme et la description de M. Brücke doit s'appliquer à la couche d'iridocytes dont il sera parlé plus loin. La constitution anatomique de la peau du caméléon se rapproche beau- coup de celle du lézard, qui n’en est en quelque sorte qu'une expression plus simple. Nous en voulons donner seulement ici une description générale ; elle offre en effet par places des variétés dont il serait impor- tant de tenir compte dans une étude complète, parce que de ces variétés dépend celle des nuances que l’on peut observer sur chaque point de la peau pris isolément, et qui diffèrent parfois beaucoup d'un point à un autre, précisément en raison de ces différences anatomiques. Une coupe totale du tégument de caméléon (voy. pl. VI) présente de dehors en dedans : 1" L’épiderme, composé de deux couches, l’une cornée, l’autre formée de cellules polyédriques. Ces cellules ne jouent aucun rôle direct dans la coloration de l'animal ; tout au plus peuvent-elles l’influencer par leur coloration grisâtre quand la couche cornée devient épaisse et va tomber. (1) Voyez : Note sur le mécanisme des changements de colofrätion chez les caméléons. Comptes rendus de la Soc. de biol., 24 janvier 1815. Les animaux qui ont servi à nos recherches nous avaient été adr essés d'Afrique par M. le Dr jee, médecin-major à Biskra. 256 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET De même, il est possible que la couche cornée neuve, immédiatement après la mue, produise un phénomème d'irisation analogue à celui . qu'on observe sur la peau de certains serpents dans les mêmes circon- stances ; 2° Le derme proprement dit, très mince, comme chez la plupart des reptiles, des poissons et des batraciens; 3° Une couche de chromoblastes jaunes et d'iridocytes. Cette couche est la plus importante; c’est elle dont les caractères physiques, en partie méconnus, n’ont point permis jusqu à ce jour de donner une théorie complètement exacte des changements de couleur de l’animal. Cette couche mesure 30 à 50 & environ de diamètre. a. Les chromoblastes jaunes paraissent semblables à ceux des batra- ciens. Le pigment peut être extrait de même; il est soluble dans un mélange d'alcool et d’éther. Il se présente en gouttelettes dans la plu- part des préparations macérées, mais on ne peut pas toujours se rendre aisément compte du siège précis qu'occupent les cellules qui le contien- nent. Si, après avoir fait tomber l’épiderme et éclairei le tissu au moyen de la soude, on observe normalement à sa surface l'extrémité d’un gros tubercule enlevée avec le rasoir, on découvre ce pigment en forme de grains jaunes, larges de plus de 2 1/2 y, dont la distribution indique la place des cellules qui les contenaient, et montre que le corps de celles-e1 détruit par le réactif devait s’étaler à la face profonde du derme propre- ment dit. L’abondance de ces chromoblastes jaunes varie selon les individus et selon les places de la peau. Nous les avons vus, sur nos préparations, distants l’un de l’autre de leur propre diamètre environ. Parfois la dis- tribution des grains jaunes laisse deviner l'emplacement d’un noyau. Il est possible que ces chromoblastes soient contractiles : la difficulté de . les observer sur le vivant ne permet point de l’affirmer, mais on pour- rait évidemment déduire l'existence de leurs mouvements des appa- rences successives que présente un même tubercule : si par exemple, ainsi qu'a cru le remarquer M. Bert (1), le même tubercule pouvait passer du jaune vrai au blanc mat, il faudrait admettre dans ce cas que les chromoblastes jaunes, d'abord étalés, se sont ensuite rétractés de manière à cesser de faire sur la rétine, grâce à leur diamètre moindre, une impression sensible ; et que par conséquent ils jouissent de mouve- ments sarcodiques. b. Les iridocytes examinés normalement à la surface de la peau dessi- nent un réseau qui semble formé de gros grains cérulescents juxtaposés. Les mailles de ce réseau sont dues à la présence de colonnes de matière amorphe hyaline, qui s'étendent du derme proprement dit aux couches sous-dermiques plus profondes. Sur le profil, les iridocytes tassés et (1) Notes communiquées. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 291 enchevêtrés entr2 ces colonnes semblent former eux-mèmes des colonnes séparées par des espaces clairs répondant à ces tractus de substance amorphe. Soit qu'on regarde ce réseau normalement à la surface du derme, soit qu'on l’observe sur des coupes perpendiculaires à celle-ci, on ne distingue point les cellules les unes des autres, et c’est seulement par analogie que nous en indiquons l'existence ; en ne voit qu'un lacis ou des colonnes, formés en apparence de corps ovoïdes entassés les uns contre les autres et qui offrent d’ailleurs exactement les mêmes caractères physiques que les iridocytes décrits chez les lacertiens. La couche entière sera donc jaune par ses chromoblastes et par ses iridocytes si au-dessous d'elle existe un fond clair; elle sera verte par la combinaison du jaune et du bleu si le fond est absorbant. On constate aisément les caractères physiques de cette couche en observant au microscope une coupe mince de peau de caméléon, à la lumière incidente, avec un faible grossissement. On voit dans ce cas l’'épiderme et la couche profonde de l’aponévrose sous-dermique prendre une coloration brune due à leur demi-transparence sur fond noir. La couche cérulescente que nous décrivons en ce moment est d'un beau bleu si le pigment jaune a été enlevé ; enfin, au-dessous d'elle, la zône avoisinant l’aponévrose sous-dermique est d'un beau blanc mat argenté, par suite d’une structure que nous allons indiquer. 4° Nous désignons cette région sous le nom d'écran, en raison du rôle même qu'elle joue dans la fonction chromatique. Toutefois les particu- larités anatomiques, qui la distinguent ne sont pas propres au caméléon, cette couche offre seulement chez lui des rapports spéciaux avec les chromoblastes noirs. On retrouve cette couche à la face interne de la peau des grenouilles avec le mème aspect. Le tissu est absolument opaque, analogue en cela à la couche profonde de la nageoire du grondin et à l’argenture mate d'un grand nombre de poissons (taches blanches des yeux du callionyme, points blancs des hippocampes, ete...). Il est constitué de même par des particules extrêmement petites, ressemblant aux lames de l’argenture polie, mais confusément disposées dans des cellules et agissant par réfraction multiple (pigment blanc de M. Milne Edwards). Les cellules qui contiennent cette poussière blanche sont elles-mêmes enclavées dans la trame d’un tissu lamineux dense dépendant de l’aponévrose sous- dermique. On retrouve dans la peau du chabot de rivière (Cottus bubalis) une disposition identique, avec cette différence que les cellules pleines de ces particules incolores sont beaucoup plus rares. On en distingue cà et là d’isolées, comme cela arrive d’ailleurs aussi-sur certains points de la peau du caméléon, en particulier au niveau des sillons qui séparent les tubercules. On voit alors ces éléments, dessinés par leur contenu même, présenter les formes les plus irrégulières, s'enfonçant en lames minces entre les faisceaux fibreux au milieu desquels ils sont placés, 17 298 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET se roulant dans les seuls espaces libres qu’ils trouvent autour d’eux (1). Dans la profondeur de l'écran sont logés des chromoblastes de deux espèces. Les uns, grands, chargés de pigment mélanique grenu ordi- naire; les autres, petits, plus voisins de la surface et chargés d’un pig- ment coloré dans la gamme du rouge. Les chromoblastes noirs sont à la limite profonde de l'écran. On les y trouve espacés en général d’une fois et demie à deux fois leur diamètre. Ils ont un volume considérable avec un noyau ovoïde gros en propor- tion. Ces chromoblastes, aussi bien que ceux de la seconde espèce qui les accompagnent, offrent cette particularité de ne pas étendre, comme c'est le cas ordinaire, indifféremment leurs prolongements dans toutes les directions autour d'eux, bien que les tissus ambiants soient sans doute également pénétrables à la substance sarcodique. Tous les prolon- gements, quand ils s’étalent, marchent vers le derme à travers l'écran et la couche cérulescente, se divisant de plus en plus et formant une élégante arborisation. Cette particularité avait été au reste bien vue par M. Brücke. Quand on cherche à se rendre compte, sur des coupes parallèles à la surface de la peau, de la place où se logent ces prolongements sarco- diques, on voit qu'ils avoisinent en général les cloisons du réseau que forment les iridocytes et qu'ils ne pénètrent point ordinairement dans les colonnes de matière amorphe que nous avons signalées plus haut et qui dessinent à travers la couche cérulescente autant d’orifices clairs. Il n’est pas nécessaire de supposer des canaux spéciaux où s'étendent ces prolongements. Leur état d'activité suffit à ÉL quer qu'ils pénè- trent les substances passives environnantes; de même qu’on voit, dans la queue des batraciens vivants et en particulier des jeunes axolotls, les cellules migratrices se frayer un passage à travers la matière amorphe dense qui sépare les éléments du tissu conjonetif (2). La seconde espèce de chromoblastes que nous avons signalée est d'une étude plus difficile. On ne les distingue pas nettement, même sur les coupes éclaircies par la créosote, et pour les bien voir il faut recourir à une réaction spéciale. Quand on fait agir la soude sur des lambeaux de peau préalablement traités par un acide faible, on reconnaît immé- diatement les chromoblastes dont nous parlons : ils présentent une cou- leur rouge ou rosée plus ou moins accusée, laquelle tend à se répandre par imprégnation dans les parties environnantes. Il est assez difficile de dire quelle est exactement, pendant la vie, la (4) Le nom de cellules plates, assigné parfois aux éléments anatomiques ainsi wêénés dans leur évolution régulière, ne désigne en réalité qu'une condition d'existence, et nullement une qualité spécifique des cellules auxquelles on a cru devoir appliquer cette dénomination. (2) La cohésion de cette matière amorphe, en dehors même de ses caractères chimiques, suffit à écarter l’idée de tout rapprochement entre elle et la lymphe. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 259 couleur de ces chromoblastes toujours cachés dans l'écran. Ce sont eux évidemment qui expliquent certains tons de la peau du caméléon où il entre du rouge, en particulier au niveau des taches latérales du tronc. Sur le reste du corps ces chromoblastes paraissent plus rares. Ils ne peu- vent en tout cas jouer un rôle dominant dans la couleur de l'animal que quand les grands chromoblastes noirs sont rétractés. On s'assure sur les préparations qu'ils s'épandent exactement comme ces derniers, en envoyant toutes leurs ramifications vers l'extérieur. Les particularités que nous venons d'indiquer montrent combien est compliqué le mécanisme des changements de couleur du caméléon et en même temps quelle variété ces changements peuvent offrir. Le blane, le jaune, le noir, le roux, le bleu, s’y combinent ou du moins peuvent s'y combiner, car on ne doit pas perdre de vue que chaque point de la peau de l'animal n'est pas susceptible de prendre toutes les nuances que nous énumérons ici. Celles-ci dépendent en chaque lieu de la consti- tution anatomique de la peau à ce niveau, et de la présence ou du nombre des différentes sortes d'éléments anatomiques que nous avons passées en revue. Supposons par exemple que les chromoblastes noirs (Ne parlons que d'eux tout d’abord), qui sont à peu près uniformément répandus, entrent en contraction : ils seront alors complètement dissimulés dans la profondeur de l'écran. L'animal paraîtra Jaune partout où il y aura au-dessous du derme des chromoblastes jaunes; il sera jaunätre partout où n'existeront au-dessus de l’écran que des iridocytes, qui donneront simplement sur fond blanc une nuance jaunâtre un peu sale. Enfin, si l'écran n'est séparé du derme ni par des chromoblastes jaunes, ni par des iridocytes, la peau à ce niveau sera d’un blane éclatant. Si le$ chromoblastes noirs se dilatant envoient leurs prolongements à travers l’écran jusque dans la couche des iridocytes, ceux-ci aussitôt, se trouvant sur un fond absorbant représenté par ce pigment, émettront des radiations bleues. La peau sera verte là où elle était jaune il y a un instant, par l'effet combiné de ces radiations bleues et du pigment jaune. De même elle sera bleue partout où il n’y a que des iridocytes sans chromoblastes jaunes. Elle sera grise aux places qui étaient blanches, Si les expansions des chromoblastes, s’avancant davantage, attei- gnent la face profonde du derme, et masquent tous les autres éléments, on aura le vert, le bleu, le gris rabattus d’autant et passant au brun ou même au noir. On remarquera que ces effets déjà si différents nous sont donnés par un seul des éléments contractiles de la peau alors qu’on en compte deux et peut-être trois. Les petits chromoblastes roux constituent un second jeu chromatique qui peut alterner ou se combiner avec celui des cellules noires. Enfin, nous avons vu qu'il n’était pas impossible que les chro- 260 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET moblastes jaunes de la superficie fussent eux-mêmes contractiles, ce qui constituerait un troisième jeu chromatique venant alterner ou se com- biner avec les deux précédents. En dehors de tous ces changements qu'on peut appeler normaux et fonctionnels, on concoit enfin que des conditions spéciales influent à leur tour pour modifier l'étendue de la fonction chromatique chez les divers individus ou chez un même individu à divers moments. Il peut arriver par exemple que le pigment jaune disparaisse des chromo- blastes qui le contiennent habituellement (comme cela se voit aussi chez les grenouilles et les rainettes); alors les changements de couleur de l'animal se passeront dans la gamme du blanc, du bleu et du brun, plus ou moins modifiée par le jeu des chromoblastes roux. La substance cérulescente des iridocytes, à son tour, peut l'être plus ou moins, de même qu’on voit certains poissons, ainsi que nous en avons fait la remarque plus haut, perdre dans les aquariums l'éclat qu'ils ont à la mer. Enfin le pigment des petits chromoblastes paraît lui-même suscep- tible d'offrir des nuances un peu différentes dans la gamme du rouge. De là autant de variétés individuelles ou momentanées dont l’expli- cation est facile du moment que l’on connaît les conditions anatomiques exactes du phénomène. Les physiologistes qui ont étudié les changements de couleur du caméléon, MM. Milne Edwards, Brücke et Bert ont pris soin de noter la succession des nuances observées sur une même localité de la peau, telle qu’un tubercule par exemple. Or on se convaincra sans peine que les changements qu'ils ont enregistrés ainsi se renferment toujours, pour une même localité, dans des limites en rapport avec les variétés de constitution anatomique que nous avons indiquées. PARTIE PHYSIOLOGIQUE ÏI. — LA FONCTION CHROMATIQUE EN GÉNÉRAL CHEZ LES POISSONS. Nous nous proposons, dans cette seconde partie, d'étudier au point de vue fonctionnel les changements de couleur résultant de la contrac- tilité des chromoblastes. Ils existent à la fois chez les poissons et les crustacés. Nous nous occuperons d’abord des poissons. Cette étude offre des difficultés d’un ordre spécial, et les travaux des physiologistes jusqu'à ce jour ne donnaient que peu de renseignements pour les surmonter. C'est surtout dans des appréciations subjectives comme celles qui touchent aux couleurs et aux nuances qu'il est urgent de s'exercer longuement à la constatation aussi exacte que possible des DES CHANGÉMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 261 phénomènes étudiés. Il n’y a pas en effet de vérification instrumentale ici véritablement pratique : l'observation est par conséquent essentiel- lement susceptible d'erreurs. Les chances d'erreur augmentent encore quand la comparaison doit porter sur des impressions successives, séparées par un temps même très court. Chaque fois que nous l'avons pu, nous avons fait la comparaison simultanée des nuances et des tons. I est ainsi plus aisé d'apprécier la valeur relative qu'ils peuvent avoir. Chaque fois que cela a été possible, nous avons toujours placé d’abord les animaux dans des conditions identiques, puis, après leur avoir fait subir des influences diverses, nous les réunissions sur le même fond pour comparer les nuances qu ils avaient prises séparément. Nous nous sommes servi en général, dans nos expériences sur les poissons, de cuvettes de verre posées sur des papiers ou des étoffes de couleur. Nous avions d’abord songé à employer des cuvettes dont le fond seul était transparent; nous n’avons pas tardé à nous apercevoir que dans ces conditions les animaux semblaient parfois être influencés en sens contraire par les parois et par le fond du vase; leur sensibilité diminuait beaucoup. Nous avons donc renoncé à ce système, pour nous en tenir aux vases de verre placés sur des étoffes un peu relevées le long de leurs parois ; dans une série d'expériences nous avons simplement fait usage de plats de faïence blancs, ou peints au vernis noir. Dans des expériences entreprises plus en grand, les turbots sur les- quels nous opérions étaient mis alternativement dans des vasques à fond brun et à fond clair. Les premières étaient à plancher de bois recouvert d’une épaisse végétation de diatomées, où le rouge et le vert se mêlaient à peu près également dans une teinte très sombre et très absorbante pour la lumière. Les vasques claires étaient sablées avec du sable de la côte bien net et bien blanc. Son éclat parait impressionner vivement les animaux marins qui ne trouvent d’ailleurs jamais, au moins dans nos parages, de fond plus clair et plus lumineux. Nous avions songé à traduire d'une manière permanente les chan- gements de coloration que présentent les poissons et en particulier les turbots qui nous ont principalement occupé. Comme ces changements ne se passent pas en général dans une gamme uniforme, la photographie n'eût pu donner que des résultats forcément inexacts, à cause des diffé- rences dans la qualité photogénique des divers tons clairs, sans parler de la difficulté d'opérer à travers une couche d’eau. Nous avons donc eu simplement recours aux moyens ordinaires de représentation M. Alfred Guillou voulut bien nous aider à fixer, par des reproductions exécutées directement sous nos yeux, les différences observées (1). Elles (1) La peinture à l'huile avait été employée de préférence à l’aquarelle pour des raisons que nous avons indiquées ailleurs. Voyez : Des colorations de l'épi- derme. Thèse, 1864. 262 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET sont d’ailleurs si sensibles et si faciles à provoquer chez les animaux vivants, que nous n'avons pas cru nécessaire de les figurer. La plupart de nos expériences ont été faites sur le turbot. Quand celui-ci n’a que six centimètres de long environ, il se distingue à peine par sa couleur du sable sur lequel il se tient de préférence à cet âge. Il s’en couvre volontiers et le projette sur lui d’arrière en avant, avec la portion de ses nageoires dorsales et ventrales qui avoisinent la queue. Quand il se déplace, il en entraine sur son dos. C'est une cause d'erreur contre laquelle, toute grossière qu'elle soit, il importe d’être en garde. Quelquefois il s’en couvre complètement, ne laissant passer que les yeux. Et même certains individus (nous l'avons observé) se précipitent et s’enfoncent d’un seul coup dans le sable où ils disparaissent tout entiers comme les équilles. L’agilité du turbot diminue à mesure qu'il grandit. Quand il est jeune, ses mouvements sont vifs, saccadés : il progresse dans l’eau par bonds, un peu comme un lépidoptère. Peu à peu il prend une allure plus reposée, et quand il est adulte il ne se remue qu'avec lenteur ; il échappe mal aux poursuites, et se laisse facilement prendre. Il est doué d’une vitalité qui résiste aux plus graves atteintes. Un turbot tombé de sa vasque sur des dalles humides y peut vivre plusieurs heures et ne paraît point avoir souffert quand on le remet à l’eau. Cette particularité favorable à l'expérimentation n’est pas la seule. On peut impunément lui faire de grandes plaies et des lésions profondes sans qu'il en semble très affecté; il guérit dans la plupart des cas. Nous avons vu un jeune turbot déjà aveuglé, dont une seiche avait mangé près d’un quart de la nageoire ventrale et qui se remit : la nageoire se régénéra en partie sous nos yeux. Le turbot se prête par sa forme aplatie, mieux que tout autre poisson osseux, aux vivisections. Les organes profonds, la moelle, les nerfs, sont facilement accessibles à cause du peu d'épaisseur des masses muscu- luires latérales. Voici le mode opératoire qui nous a paru le meilleur. On prend une planche de liège ayant à peu près la largeur de l'animal. On y place le turbot sur une serviette pliée en plusieurs doubles et mouillée d’eau de mer. L'animal est fixé sur celle-ci par un filet ou par des tours de bande, ou par des lanières sanglées. Si cela est nécessaire on pratique dans la bande une fenêtre au niveau de la région où doit se faire l’opération. On est alors maître de disposer la planche qui porte l'animal comme on veut, de la tourner ou de l’incliner pour se mettre dans les meilleures conditions possibles. On peut généralement se passer du secours d’un aide. Le turbot adulte, et même déjà quand il mesure seulement 10 centi- mètres de long, présente un double mode de coloration, sans que nous ayons pu nous assurer si ces différences dans la livrée sontindividuelles, ou si elles appartiennent à deux races ou variétés de l'espèce. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 263 Nous désignerons l’une d’une manière générale par l’épithète de ma- culée, l'autre par celle de granitée. Chez cette dernière, la coloration est due à l’égale répartition de taches noires ou brunes sensiblement de même dimension et de même écartement, sur toute l’étendue du côté gauche (dorsal). La livrée de l'animal, en ce cas, est unie, comme la coloration qui résulte de la combinaison des nuances des cristaux d'un granit. Parfois des taches plus grandes sont séparées par de plus petites, mais l'aspect n’est pas modifié pour cela : la coloration reste uniforme. Nous avons observé cette dernière disposition chez un turbot où les changements étaient extrèmement rapides. Dans l’autre variété ou maculée, les taches forment des groupes dis- tincts qui ont une place déterminée et symétrique sur la face gauche (dorsale) de l’animal. Chacun de ces groupes est composé d’une tache très large environnée d’autres moindres qui semblent ses satellites. Les deux principaux groupes sont à peu près vers le milieu du ‘corps, au- dessus et au-dessous de la colonne vertébrale ; deux autres tout pareils, symétriques, existent en arrière de la tête, et deux autres vers la queue. Dans les changements de couleur, ces groupes, en raison de l’accumu- lation plus grande de pigment noir à leur niveau, paraissent brunir plus rapidement que les parties voisines. En général il nous a paru que les turbots maculés étaient plus sensi- bles et modifiaient plus facilement le ton de leur peau que les autres. On peut noter en outre que ces deux variétés ne se distinguent pas seu- lement par un agencement spécial des taches, mais par le ton général du tégument : tandis que le fond de la couleur des gr'anités est verdätre, il est pour les maculés plutôt rougeûtre, et quand on les met sur un fond clair ils arrivent à la valeur de celui-ci, les premiers dans une nuance olive, les seconds dans une nuance rosée. Il importe, quand on se propose de faire des expériences sur les chan- gements de coloration, de choisir avec soin les animaux sur lesquels on veut opérer. Tous ne sont pas également propres aux expériences, et, dans celles qu'on institue, ne sont pas également comparables. On se rend facilement compte, soit en tourmentant les animaux, soit en les mettant quelques minutes d’un fond sur un autre, de la facilité plus ou moins grande avec laquelle ils changent. Les petits turbots dont la taille ne dépasse pas 6 à 7 centimètres paraissent assez peu aptes à ces modi- fications qui deviennent aussi, probablement, moins sensibles sur les individus de grande dimension. La plupart de nos expériences ont été faites avec des animaux qui avaient de 10 à 20 centimètres de long; ils sont alors dans d'excellentes conditions. On peut au reste augmenter leur sensibilité en les plaçant dans des circonstances telles qu'ils se trouvent d'eux-mêmes alternativement sur fond clair et sur fond brun. Ces conditions se sont trouvées réalisées par hasard sous nos yeux. Une cinquantaine de petits turbots avaient 264 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET été parqués dans une vasque flottante à fond de bois, où l’on avait jeté quelques pelletées de sable. Celui-ci peu à peu s'était accumulé dans un des angles de la vasque où les turbots de leur côté se pressaient les uns sur les autres. Le reste du fond de la caisse, couvert d'algues, avait une teinte verte foncée. Chaque fois qu'un turbot venait s’y poser, il tran- chait d'abord vivement par son ton clair, puis il devenait brun; on mesurait directement le changement opéré en lui dès qu'il retournait avec les autres restés sur le sable et dont il ne tardait pas à reprendre la päleur. Ces animaux changeant ainsi de temps à autre de couleur, presqué chaque fois qu'ils changeaient de place, se trouvèrent être dans les meilleures conditions pour la recherche physiologique. C'est sur eux que nous avons fait la plupart de nos expériences. Nous avons dit déjà, et nous n'insisterons pas de nouveau sur ce point, que les différences extrêmes que l'on peut en pareille circonstance observer entre la couleur des animaux changeants sont considérables. On peut, pour le turbot, la comparer sans exagération à celle qui sépare la couleur du bois de sapin de celle du bois d’acajou; à celle qui sépare le ton de la peau légèrement jaunâtre d'une femme algérienne, du ton de peau d’un Indou, ete. En général nous avons donné à ces mots {on, nuance, couleur la signification un peu vague qu'ils ont dans les arts, où on les emploie assez confusément pour désigner diverses QUALITÉS chromatiques ou lumineuses d’un corps donné. Ici ce n’est pas la nature des radiations qu'émet ce corps, déterminée par leur place dans le spectre, qui doit nous intéresser, non plus que leur intensité : nous aurons à les envi- sager surtout comme étant plus ou moins rabattues, c’est-à-dire, dans le langage employé aux Gobelins, plus ou moins mélangées de brun. La qualité dont nous parlons est celle que M. Chevreul désigne par le nom de TON. Deux localités de même couleur peuvent être d'un « ton différent » si dans l’une la couleur est rabattue par du brun; pareillement, deux localités de couleur différentes peuvent être « de même ton » si les deux couleurs sont également rabattues, c’est-à-dire nous paraissent égale- ment lumineuses. Le ton dans ce cas répond, non à la qualité chroma- tique mesurée par la réfrangibilité ou la longueur d'onde, mais à la qualité éclairante des radiations envisagées. Cette faculté qu'ont les animaux de changer de couleur peut être, ainsi qu'on l'a vu plus haut, entretenue par l'exercice : comme toute fonction, elle est, faute d'exercice, bientôt plus ou moins abolie. L'expé- rience suivante le prouve : il s’agit d’un turbot que nous avons un jour trouvé à notre arrivée à l'établissement de Concarneau vivant là depuis longtemps avec d'autres turbots dans une vasque à fond de sable. Tous étaient, en conséquence, à l'unisson avec la couleur de ce fond clair. I fut choisi entre eux comme le plus pâle, et placé sur fond brun où il mit cinq jours à devenir foncé. Replacé sur le sable, il avait repris au bout DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 965 de deux jours sa pâleur primitive. Remis alors de nouveau sur fond brun, il acquit en deux heures la teinte qu'il avait mis la première fois cinq jours à gagner. Voici du reste l'observation complète : 8e Expérience. — Le 24 août 1871, je choisis, parmi des turbots placés depuis longtemps sur fond clair, formé par du sable, le turbot le plus clair, long de 94 centimètres environ. Il est porté dans une autre vasque à fond brun où étaient trois turbots très foncés. Il est de couleur cendrée et tranche fortement sur ses compagnons. Le 25 août on peut déjà remarquer un changement, mais assez faible. Le 26, on devine que le turbot sera granité. La couleur blanchâtre a fait place à un ton gris sale. On distingue encore très bien ce turbot au milieu des autres, à plusieurs mètres de distance, mais il ne franche plus aussi vivement que le premier jour. Le 27 août, le ton de sa peau se rapproche de plus en plus de celui des autres turbots ; on le distingue cependant encore de loin. Le 98, il continue de brunir. Il a une nuance olivâtre foncée, tandis que les autres sont plutôt roussâtres. Rien n'indique maintenant qu'il ait vécu précé- demment sur un fond clair. Le 29, c'est-à-dire le cinquième jour, il a enfin complètement atteint le fon donné aux autres par le fond commun sur lequel tous sont placés. Il est même plus foncé (brun noirâtre) qu'eux, toujours dans une nuance verdâtre. Le 31, l'animal est peint par M. A. Guillou. Il est ensuite reporté sur fond de sable où il perd en partie, presque instanlanément, sa couleur foncée. Le 1er septembre, il a exactement la même valeur de ton que des turbots vivant depuis longtemps sur le sable, avec une nuance seulement un peu rosée. — Il est alors remis de nouveau sur fond brun. Le 2 septembre, il est absolument à l'unisson avec les turbots qui s'y trouvent. C'est-à-dire qu'il a mis vingt-quatre heures à présenter la même modification qu'il n'avait offerte la première fois qu’au bout de cinq jours. Le 4 septembre, l'animal est un peu moins foncé que ses compagnons par suite de quelque influence étrangère (voyez plus loin). On le reporte de nouveau dans la vasque à fond de sable. Le 5, il est à la valeur du fond clair. — Remis de nouveau sur fond brun. Le 6 au matin, il a de nouveau bruni à l'unisson de ce fond. L'animal est opéré de la section du trijumeau. (Voy. 19° Expérience.) La fonction chromatique est donc influencée par l'habitude, et l’est même rapidement, puisque le turbot en question n’était pas depuis plus de trois mois au maximum sur le fond clair où nous l'avons trouvé. Au point de vue anatomique il est assez difficile d'expliquer cette habitude. Est-ce les nerfs commandant le retrait et la dilatation des chromoblastes qui subissent une sorte de paralysie par défaut d'exercice, laquelle exige un certain temps pour disparaître ? Est-ce la substance contractile qui à cessé de subsister en proportion suffisante dans le corps cellu- laire? Ou bien faut-il chercher la cause de cette immobilité du chromo- blaste au dehors, dans la résistance devenue plus grande des tissus environnants à son expansion ? Ce sont autant de questions auxquelles il est actuellement impossible de répondre. 266 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G, POUCHET Mais on conçoit que cette influence si rapide de l'habitude ait une cer- taine importance en zoologie. Si l’on démontre en effet que la fonction est entravée après un aussi court espace de temps que dans l'expérience relatée ci-dessus, on admettra facilement qu'elle puisse être abolie dans certaines circonstances : par exemple si l'espèce n’a pas eu pendant plusieurs générations l’occasion de l'exercer. Dès lors la même souche d'animaux se trouvera avoir donné naissance à deux races différentes : l’une :très pigmentée, l’autre très peu pigmentée, suivant les fonds où elles auront été éantonnées, et qui auront loutes deux perdu, faute d'avoir l’occasion de l’exercer, cette faculté qu'avait l’ancêtre commun de modifier le coloris de sa peau. On expliquerait de la sorte par la seule influence de l'habitude certaines variétés reconnues des zoologistes. Il est même probable qu'il y aurait à faire à ce point de vue la revision de beaucoup d'espèces qui n’ont été établies que sur des différences de l’ordre de celles que nous signalons. Si l’on peut donner comme formule générale de la fonction chroma- tique qu'elle consiste en ceci : que les animaux — les poissons dans le cas particulier qui nous occupe en ce moment — prennent une cou- leur plus ou moins foncée selon la qualité absorbante pour les rayons lumineux du fond sur lequel ils sont placés, il s’en faut de beaucoup que la fonction chromatique se présente partout et toujours avec un carac- tère aussi simple. Ce n’est pas seulement le milieu, le fond, qui influe sur la coloration des animaux, ainsi que les pêcheurs le disent et que Stark l’a démontré le premier. Une autre cause signalée par M. Brücke chez le caméléon intervient, dont il faut tenir grand compte. Le caméléon brunit quand on le tourmente, par suite de la dilatation de ses chromoblastes noirs. Nous avons observé de même qu'en excitant vivement un lézard vert ou ou en lui faisant une opération grave, on pouvait voir passer la couleur jaune de son ventre au bleu, par suite également de la dilatation de chromoblastes noirs profonds qui viennent mettre en jeu la cérulescence d'une couche superficielle d'iridocytes (voy. ci-dessus). On observe également chez les poissons, et en particulier chez le turbot, des changements de cet ordre. A la vérité, dans cette dernière espèce, une extrème sensibilité paraît exceptionnelle; on peut cependant la rencontrer, et, dans le cas particulier que nous allons rapporter, elle a été vérifiée par un certain nombre de personnes s’occupant de sciences. 9e Expérience. — Le 31 août 1871, un turbot clair, à l'unisson du fond sablé sur lequel il vit, est placé sur fond brun. 1 septembre. L'animal est déjà devenu un peu gris (Comparez l'expérience 8). 2 septembre. L'animal continue de devenir plus gris. 1 septembre. L'animal est très foncé, DES CHANGÉMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 2617 = —————" ——— — = RE 8 septembre. Il tombe dans une vasque voisine à fond clair, où il se trouve en compagnie d'une torpille et d’une sèche; Le 11 septembre, il est complètement à l'unisson du fond clair de cette vasque, par le ton général de sa peau sur laquelle se dessinent de temps à autre des taches tantôt brunâtres à peine accusées et tantôt complètement noires. Ces intermittences me frappent, et dès le 12 je remarque que ces taches deviennent foncées, en même temps qu'il en apparaît de plus petites entre elles, aussitôt que l'animal est inquiété. Ces changements sont constatés par plusieurs per- sonnes (MM. Dareste, Gavarret, etc...). Le 12 et le 13, j'institue des expériences qui montrent : 19 Que dès qu'on force l'animal à changer de place, il se couvre de taches brunes, puis noires. 20 Si l'on met un objet foncé au-dessus de lui ou simplement la main, les taches se montrent aussitôt, puis disparaissent avec la même rapidité dès que l’objet a été écarté. 30 Des coups secs, donnés sans que l’animal puisse en voir la cause, sur le fond de la vasque, font aussitôt apparaître les taches. 49 J'envoie avec une glace un rayon de soleil dans les yeux de l’animal sans observer aucun changement. J’approche de lui un disque blanc sans faire paraître les taches. Pour ces différentes expériences, voici comment on procède. L'animal étant immobile dans la vasque, l'observateur se place à 2 ou 3 mètres, de manière à être invisible pour l'animal, et à ne voir lui-même qu'une portion de la peau de son dos; ilentrevoit à cette distance, avec assez de peine, l'emplacement grisâtre des plus grandes taches. Une autre personne, également cachée, avance alors au-dessus des yeux de l’animal le corps qui doit l’impressionner et l'observateur suit sur la portion de peau où portent ses regards l'apparition de petites taches qui deviennent visibles entre les grosses, en même temps que celles-ci devien- nent elles-mêmes très foncées. Ces observations sont répétées jusqu'à la fin du mois de septembre, et don- nent constamment le même résultat. De pareils changements sont dus manifestement à une modification dans l'état cérébral. Ils sont rares chez le turbot qui passe au reste pour un animal stupide et se laisse prendre sans difficulté. Ils sont au con- traire très fréquents et très accusés chez d’autres espèces, mieux douées sans doute sous le rapport de la spontanéité intellectuelle. Parmi celles- ci on peut signaler en premier lieu le Gobius niger. C'est avec le Callio- nyme lyre l'espèce de nos côtes qui après le turbot nous a offert les chan- gements les plus accusés etles plus rapides. La coloration du Gobius niger varie du bleu noirâtre foncé, analogue à celui des petits grondins (voy. p. 228), au jaune pâle : l'animal semble alors complètement décoloré avec une transparence caractéristique que ne présente point le turbot, à cause de la couche d’iridocytes de sa peau, qui forme écran. L’expé- rience suivante montre un exemple de ces changements qui ne sem- blent point reconnaître d'autre cause que des impressions intimes de l'intelligence. 10e Expérience. — Le 21 février 1871 par un très beau temps exceptionnelle ment chaud, deux petits Gobius niger A et B, pêchés dans le même trou de roche, 268 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET entièrement pareils, sont séparés dans deux cuvettes de verre. L'un d'eux est électrisé pendant la journée, et devient plus pâle. — Tous deux sont alors réunis et placés sur fond rouge. Le lendemain 28 février, au matin, les deux animaux sur ce fond sont exacte- ment de même nuance. | — 8 heures. A est placé sur fond blanc, et B sur fond noir; — 9h. 30 min. A sur fond blanc est beaucoup plus pâle. Les deux animaux sont changés, A est mis sur fond noir, et B sur fond blanc. ler mars. — 7 h. 30 min. A sur fond noir est très foncé et B sur fond blanc extrêmement pâle. À est porlé sur le même fond blanc que B et pâlit aussitôt : il est en moins de dix minutes à l'unisson avec B par toute la surface de son corps, excepté la tête qui reste un peu plus longtemps foncée. Cette différence elle-même disparait bientôt. — 8 h. 35. Quoique les deux animaux soient sur le même fond, A prend tout à coup une coloration plus foncée que B, mais elle ne persiste pas et il revient à l'unisson. — 9 h. 45 min. Les deux animaux sont mis dans la même cuvette sur fond rouge : en ce moment À devient encore une fois tout à coup plus foncé que B. — 11 h. 37 min. Les deux animaux restés sur fond rouge sont exactement de même nuance. Cette expérience montre à la fois l'influence du milieu et la rapidité singulière avec laquelle se font les changements du Gobius niger. Mais nous y relevons surtout cette velléité de se foncer que présente par deux fois l'animal A (la seconde fois on venait de le prendre à la main pour le transvaser d’une cuvette à l’autre), qu'il faut attribuer sans aucun doute à des actes cérébraux intimes, venant compliquer les changements qui chez d’autres individus ou d’autres espèces dépendent uniquement de la nature des milieux. D'une manière générale on peut dire que l’animal est d'autant plus * favorable pour expérimenter, qu’à sensibilité égale aux influences exté- rieures il est moins doué de spontanéité cérébrale. C'est ainsi qu'il faut tenir grand compte en particulier du trouble que peut apporter dans la fonction chromatique d'un individu le voisinage d’un autre individu de même espèce. Telle est sans doute l'explication de certains faits que l’on observe parfois. Ainsi, en réunissant dans une vasque un certain nombre de Gobius niger pêchés sur la côte, on voit que quoiqu'ils soient sur le même fond, ils n'arrivent pas après plusieurs jours à se mettre tous complètement à l'unisson : les uns restent extrèmement foncés, les autres sont pâles et transparents. Au contraire, en observant les ani- maux de cette espèce qui habitent les bassins du vivier de Concarneau, alors que par un jour un peu froid ils sont tous alignés au bord de l’eau contre la muraille pour prendre le soleil, on constate qu'ils ont tous exactement la même livrée. La raison principale de cette uniformité est sans doute qu'ils vivent là dans les mêmes conditions physiques, mais il est probable qu'ils ont en plus une suffisante habitude les uns des autres résultant du voisinage, qui les empèche de s'inquiéter mutuel- DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS. 269 lement, comme ils font sans doute quand on en met plusieurs, pêchés sur différents points de la côte, vivre ensemble dans la même vasque. Quand on veut faire des expériences sur ces animaux, il importe qu'ils aient été pris le plus possible dans les mêmes conditions, et en quelque sorte dans le même trou de roche, c’est-à-dire qu'ils aient eu autant que possible la même existence. Les jeunes, qui ne se sont pas encore éloignés de leur lieu de naissance, offrent sous ce rapport un incontestable avantage. Au reste on peut toujours s'assurer, en modi- fiant à plusieurs reprises et par des causes diverses la couleur de deux animaux, qu'ils sont bien réellement comparables; et il suffit d'être prévenu de l'existence de ces influences cérébrales intimes dont nous venons de parler, pour n'être point induit par elles en erreur (1). Le nombre des espèces chez lesquelles la couleur se modifie à l'unisson du fond sur lequel vit l'animal est sans doute considérable. Parmi les poissons d’eau douce nous l’avons retrouvée chez un certain nombre d'espèces du Danube (2). Le chabot commun (Cottus gobic) pêché dans la Seine n'est pas moins sensible (3). Les petites anguilles de montée nous ont offert la même particularité. Enfin, parmi les poissons de nos côtes, nous citerons encore les Blennies (P. fasciatus). Alors qu’elles sont longues seulement de 30-35 cent., elles sont déjà très sensibles au contraste successif des couleurs des fonds où on les place. Elles changent du brun foncé au vert le plus clair mêlé d'un peu: : d’orangé. L'adulte, au reste, présente le même phénomène. 11e Expérience. — Le 29 septembre 1871 on me remet deux blennies. Elles sont adultes, et de même coloration. Une d'elles, À, porte toutefois une tache noire au voisinage de l'œil, qui semble indiquer une propension à changer facilement de couleur; on la laisse sur fond blanc. L'autre, B, est placée sur fond noir en compagnie d'un Gobius niger. Après 40 minutes environ le fond noir est enlevé, les animaux sont comparés sur fond blanc : ils présentent une différence considérable. Les bandes qui for- ment la livrée ordinaire de l'animal sont à peine accusées sur la peau claire dé À, et, quoique foncées sur B, on les distingue à peine, tant la coloration de celui-ci est partout intense. 00 e e Û (] , Jusqu'ici nous n'avons envisagé la fonction chromatique que comme À. Cette influence de l'activité cérébrale doit jouer un grand rôle dans es changements de couleur du caméléon. Nous avons pu observer autrefois ces animaux dans les régions chaudes de l'Afrique; nous avons eu sous les yeux, vivant dans les mêmes conditions, deux caméléons tout pareils qui étaient laissés en liberté, attachés seulement l’un à l’autre par un bout de ficelle long de 25 centimètres environ. Tout le jour les deux animaux étaient de nuance diffé- ‘rente, et différemment tachetés. Dans le sommeil, au contraire, ils étaient cons- tamment à l’unisson et d'une couleur invariable, et d’un beau vert d’eau clair, persistant ainsi tant que l’encéphale n’était point en état d'activité vigile. 2. Voyez Med. Jahrbücher, red. v. Stricier. 1874, I Heft. 3. « La coloration de l’animal, dit M. Blanchard, est très sujette à varier; elle varie avec l’âge, etc. » (Les poissons d’eau douce de la France, 1866). 2710 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET produisant le phénomène relativement simple de rendre l'animal plus foncé ou plus clair, en d’autres termes telle qu’elle serait si les chromo- blastes chargés de pigments brun ou noir étaient seuls susceptibles de contraction et de dilatation. Mais chez le caméléon déjà on a remarqué l'existence de deux sortes de cellules contractiles noires et rouges, aux- quelles il convient peut-être d'ajouter les jaunes : beaucoup de poissons présentent une pareille complication de jeux chromatiques et changent non seulement du clair au brun dans une nuance déterminée, mais d’une couleur à une autre par suite de la contraction et du retrait alter- natifs de deux ou plusieurs sortes de chromoblastes. Nos registres d'expériences nous fournissent les preuves qu'il y a encore des recherches à faire de ce côté, d’ailleurs difficiles en raison de la nature même du phénomène qu'il s'agit d'apprécier, surtout si ces changements se font avec une certaine lenteur. De tels changements s'observent certainement chez les très jeunes turbots. Les jeunes Blennies en présentent également; chez elles la fonction chromatique peut offrir des écarts considérables : les individus qu'on a le plus de raisons de croire à l'unisson et qui s’y montrent même pendant un certain temps, affectent subitement des contrastes de couleur inat- tendus. Enfin la fonction chromatique peut encore présenter chez les poissons un autre mode que nous retrouverons chez les crustacés, où l’étude en sera plus aisée. Tels chromoblastes se dilatent sur le fond clair ou obseur, tandis que tels autres se contractent dans le même temps. L'har- monisation avec le fond ne consiste plus dès lors pour l'animal à être brun ou clair. Sans doute, c’est le cas le plus fréquent; mais la formule exacte du phénomène est plutôt celle-ci : Un grand nombre de poissons, . parmi ceux qui se posent habituellement sur le fond, prennent une livrée VARIABLE avec la qualité plus ou moins absorbante de ce fond pour les radialions lumineuses. Telle est l'expression générale qu'il convient de donner à la fonction chromatique. Quand nous en avons poursuivi l’étude sur d’autres ani- maux que ceux qui avaient d’abord servi à nos recherches, nous n’avons pas tardé en effet à reconnaître qu'on pouvait trouver telle espèce qui sur fond clair ou sur fond brun prenait des livrées spéciales faites par- fois des couleurs les plus voyantes et les plus propres à trancher sur ce fond. Les phénomènes complexes de coloration que l’on observe alors laissent entrevoir dans la fonction chromatique une variété beaucoup plus grande que nous-mêmes ne l’avions tout d'abord soupconné (1). Son histoire, comme celle de beaucoup d’autres fonctions (progression, nidi- fication, incubation, ete.,), devrait donc être faite en quelque sorte pour 4) Les observations dont il est ici question sont postérieures au dépôt de rotre mémoire à l'Académie des sciences, DUe]aL Por INS. 99. AOU PUOT UNS MPTATOUT SUIS UT CI SON NE INIOMMRINTAe Le UNITÉ WS LIOJOURIHM A9 Q IOUTOM DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 211 chaque espèce, parce qu’elle offre dans chaque espèce des particularités qu'on ne retrouve point ailleurs. De tous les faits de ce genre que nous avons pu noter, le plus remar- quable est sans contredit celui que présente le Callionyme lyre. Les changements de couleur qu'il offre quand il est en bon état de santé sont des plus accusés et des plus singuliers. Nous les avons observés à Con- carneau au mois d'avril 1873 sur des animaux qui venaient d'être pêchés, car la fonction chromatique perd vite de son activité chez cette espèce dans les aquariums. L'expérience était faite en plaçant les Cal- lionymes dans de grands plats blancs ou noirs plongés dans un courant d’eau de mer. Les animaux restent volontiers immobiles sur le fond de ces plats. Pour les y garder si l’on s'absente, on peut les recouvrir d’une vitre qui ne modifie pas les conditions lumineuses où ils se trouvent placés, et qui n'empêche pas le renouvellement de l’eau si l’on a soin de la maintenir plus haut que les bords du plat. Voici dans ces circonstances le double aspect sous lequel se pré- sentent les animaux que l’on peut d’ailleurs faire rapidement passer d’un de ces états à l’autre, en les transvasant du plat blanc dans le noir, et réciproquement (voy. la planche en couleurs hors texte, n° VII). Sur fond noir le Callionyme (les individus en expérience étaient des mâles) présente une livrée des mieux dessinées et à couleurs vives. Le dessus des yeux forme deux taches d’un blanc mat éclatant au milieu du ton généralement brun de la peau. Ça et là, sur le museau et sur les côtés de la tête, des lignes bleues dessinent des arabesques au milieu de taches rousses, passant par places à des tons rouges. Les iris sont rou- ges. Le dos est coupé de bandes foncées de couleur sépia, alternant avec des bandes d’un blanc presque aussi vif que celui du dessus des yeux. Les nageoires sont constellées de taches brunes ; elles présentent aussi, par place, des tons bleuâtres évidemment dus à la présence d'iridocytes entre lesquels des chromoblastes noirs ont étendu leurs prolonge- ments. Sur fond blanc toutes ces couleurs, tous ces contrastes s’éteignent ; l'animal prend une nuance rousse à peu près uniforme. Le dessus des yeux, les bandes blanches du dos, ont perdu leur argenture mate, en même temps que les bandes brunes se sont aussi effacées et comme fondues avec les précédentes dans une teinte indécise. Les taches des nageoires, les tons d'un bleu vif, ont également disparu ; enfin l'iris est devenu bleu. à Si l'interprétation de ces changements singuliers est aisée au point de vue anatomique, elle est beaucoup plus difficile au point de vue zoolo- gique. Il est difficile en effet de voir, surtout dans cette livrée à tons vifs que l’animal prend sur fond noir, un cas de mimétisme vrai. Si l’on peut admettre que ces changements, comme le mimétisme lui-même, tendent à la protection et à la préservation de l'espèce, du moins dans le D RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET cas présent sommes-nous incapables de deviner comment ce but est atteint. Au point de vue anatomiqne, il est facile de se rendre compte de ce qui se passe. Les localités qui deviennent bleues ou brunes sont celles où les chromoblastes noirs se dilatent soit immédiatement au-dessous du derme, soit au-dessous d’une couche de corps cérulescents. Les loca- lités qui deviennent au contraire d'un blanc mat, comme le dessus des yeux, sont celles où les chromoblastes (noirs et jaunes probablement) se rétractent et disparaissent peut-être au-dessous d’une couche d'’irido- cytes disposée en écran. Les localités rouges sont celles où les chromo- blastes rouges se dilatent; les mêmes, en se contractant lui restituent sa couleur bleue résultant sans doute de quelque particularité de structure analogue à celle de l’épinoche (voy. p. 240). L’explication de chaque couleur prise isolément rentre ainsi dans la loi commune, mais le fait important ici, c'est que la contraction ou le retrait des chromo- blastes de même espèce, noirs par exemple, n’est pas simultanée sur tout le corps à la fois, tandis qu'ils se dilatent davantage sur un autre, de manière à substituer dans certains cas à une livrée grise uniforme une livrée à nuances tranchées, blanche, noire, pour ne parler que des tons extrêmes. Il faut done admettre que chaque chromoblaste possède en chaque point du corps une véritable autonomie fonctionnelle. Dans la plupart des cas tous les chromoblastes se dilatent ou se rétractent ensemble comme toutes les fibres d’un musele. Mais il peut arriver aussi que cette somme d'actions soit décomposée et que chaque élément contractile recoive, par l'intermédiaire de l'élément nerveux spécial qui l'anime, une incitation indépendante de celle de ses voisins. Telle est l’unique explication possible, non seulement des livrées constantes que pren- nent certains animaux comme le Callionyme dans des circonstances données, mais très vraisemblablement aussi celle des livrées variables à chaque instant que présente le Caméléon en état de veille. On conçoit d’ailleurs qu'il est très difficile ici d'apprécier la part que prend la volonté à ces changements, sur lesquels le système nerveux à une influence immédiate incontestable. Est-ce par un acte involontaire que le Caméléon, par exemple, contracte ou dilate les chromoblastes des divers points de sa peau, ou bien leur état en chaque point n'est-il que la résultante d'une série d'actions réflexes involontaires, aussi compli- quées qu’on les voudra imaginer ? Cette question restera probablement longtemps encore sans réponse. Le fait sur lequel nous avons seulement voulu insister est cet individuaz lisme fonctionnel possible des chromoblastes, qu'on peut tout à fait rapprocher de celui des chromatophores des Céphalopodes, malgré la différence qui sépare ces deux organismes, l’un doué seulement de mou- vements sarcodiques et l’autre de mouvements musculaires proprement DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS LINFLUENCE DES NERFS 213 dits. À ce point de vue l’observation suivante d’une Sèche nous à paru intéressante à rapporter en cet endroit. 19e Expérience. — Le 2% août 1871, nous trouvons dans une des vasques de l'aquarium de Concarneau une Sèche qui paraît parfaitement bien portante. La vasque où elle vit est à fond clair et généralement l'animal garde une teinte très claire qui ne paraît point changer dans les conditions habituelles de sa vie. La vue de la proie, la chasse qu'il lui fait, ne modifient point sa coloration, qui ne s'altère que par la présence d’un objet étranger. Celui-ci, quand il est approché doucement, provoque l’apparilion sur le milieu du dos de deux taches foncées, très bien délimitées, rondes, larges de 10 à 12 millimètres. Il est facile de voir que l'apparition de ces taches est réglée par la situation mème du corps dont la présence inquiète l'animal. La première qui se dessine se montre toujours du côté où est le corps élranger, et si on fait passer celui-ci par derrière l'animal d'un côté à l’autre, la première tache dispa- raît et celle du côté opposé apparait aussitôt. Le 28 août, la réaction est modifiée. Quand on approche un objet, l'animal se colore de tout le côté, la tache étant à peine distincte sur le reste de la colora- ton brune. On me dit à ce moment que quelques jours auparavant l'animal, récemment pris, montrait quand on le tourmentait « un beau carré sur le dos ». — Cepen- dant, après avoir mangé, il présente de nouveau la réaction habituelle des deux taches foncées sur le fond clair de sa peau. — Les expériences sur l'apparition des deux taches sont répétées un grand nombre de fois. Le 31, l'animal offre une livrée qui parait se rapporter au récit qui m'a été fait. Il présente sur le milieu du corps une large bande pâle transversale nette- ment limitée, entre la partie antérieure et la partie postérieure du manteau qui sont plus foncées. La tèle est aussi divisée par une ligne transversale allant d’un œil à l’autre. Quand on tourmente l'animal, il devient pâle et montre les deux taches noires sur le dos. Le 1% septembre, l'animal est visité la nuit avec une lampe à alcool. La lumière ne paraît point le troubler. Mais aussitôt que le doigt est mis dans l'eau près de lui, il se sauve avec des mouvements rapides comme on ne lui en voit faire dans le jour que quand l’objet qui l'inquiète est tout à fait proche. Le 18 septembre, l'animal, qui est devenu malade, meurt. ÎÏ. — INFLUENCE DU SYSTÈME NERVEUX. Ablation des yeux. — Une étude quelque peu attentive de la fonction chromatique devait rapidement conduire à penser qu'elle dépend au moins en partie des sensations que l’animal reçoit par les yeux, puisque la qualité plus ou moins absorbante pour les rayons lumineux du fond sur lequel il est placé provoque un changement de couleur de sa peau. Le moyen de mettre en évidence ce rôle des impressions rétiniennes était de supprimer la rétine. Si les chromoblastes étaient directement influencés par les propriétés actiniques du milieu, la suppression de la rétine n'aurait aucune conséquence; si, au contraire, la rétine gouverne Ja fonction chromatique, on observerait aussitôt dans celle-ci une per- turbation sensible. 18 274 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Il fallait, dans les expériences à entreprendre, éviter une cause d’er- reur possible. Les influences cérébrales directes sur la fonction dont nous avons déjà parlé n'ayant aucune raison de disparaître par l’ablation de la rétine, on aurait des résultats d'autant plus nets qu'on expéri- menterait avec des animaux chez lesquels la spontanéité intellectuelle est moins vive. Le Turbot était donc éminemment propre à ces expé- riences. Le meilleur moyen de supprimer l’action rétinienne était l’ablation des yeux. La cautérisation de la cornée, la sortie du cristallin, la fonte de l'œil, pouvaient laisser quelques doutes ; il pouvait rester quelques éléments rétiniens, susceptibles d’être affectés directement par les radiations lumineuses. Je préférai le moyen qui prévenait toute objec- tion. 13e Expérience. — En juillet 1870, un Turbot long de 12 à 15 centimètres fut aveuglé par ablation des globes oculaires, et après l'opération successivement transporté dans une vasque à fond brun au milieu de Turbots foncés, et dans une vasque à fond clair au milieu de Turbots pâles. Il se maintint plus clair que les premiers, plus foncé que les seconds, dans une teinte roussâtre intermédiaire. 14e Expérience. — En août 1871, on prend, dans la vasque flottante dont il a été parlé plus haut, dix Turbots qui sont divisés en deux groupes. Les uns sont mis sur fond de sable, et les autres sur fond sombre. Ils étaient longs de 10 à 12 cen- timètres. Quand les uns et les autres furent à l'unisson du fond, c’est-à-dire dès le lendemain 24 août, j'enlevai les yeux à un des Turbots de chaque groupe. Le 25, les deux aveugles étaient, l'un plus foncé que ses compagnons sur fond clair, et l’autre plus clair que ses compagnons sur fond sombre. Les deux aveugles comparés de temps en temps restèrent à peu près à l’unisson et l’étaient encore le 29 septembre, sans avoir cessé de présenter le même ton dans des conditions qui n'avaient pas cessé d’être différentes. Les comparaisons entre les deux aveugles ont toujours été faites en les mettant sur le même fond. Cette nuance roussâtre intermédiaire, que présentent, quand on les aveugle, les Turbots de la taille de ceux qui nous ont servi, n’est pas toutefois absolument fixe. Elle peut encore varier sous certaines influences, à certains jours. Mais les écarts sont en tout cas trop faibles pour qu'il en soit tenu compte, et pour infirmer en quoi que ce soit les résultats constants d'une expérience que nous avons renouvelée sous toutes les formes. Je me bornerai en conséquence à signaler simplement ici certaines particularités observées tant sur les Turbots aveugles que sur les Gobies, chez qui la même expérience ne donne pas, pour les raisons que nous avons dites, des résultats aussi nets. Les Turbots aveuglés paraissent assez peu aptes à trouver eux-mêmes leur nourriture. Il est certain que leur odorat les sert fort mal. Nous ne les avons jamais vus prendre un fragment de Sardine salée, dont ces animaux sont très friands, quoiqu'on le placât à leur portée. Ils paraissent se nourrir à peu DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 279 près exclusivement avec les débris qui pénètrent dans la bouche par les mouvements respiratoires. Après cinq semaines, du 24 août au 29 sep- tembre, les deux aveugles en expérience avaient peu grossi, mais ils n'avaient pas non plus l'abdomen flasque. Les aveugles nagent ou restent indifféremment sur le fond, mais nous ne les avons point vus se couvrir de sable comme les autres ou du moins autant que les autres. On les trouve parfois, surtout le matin, avec un peu de sable sur le dos, mais qu ils ont recu de leurs voisins. 15° Expérience. — Après avoir choisi deux G. niger de même taille, paraissant propres à une expérience comparative, après les avoir observés pendant plu- sieurs jours et avoir vérifié qu'ils étaient en effet comparables, c’est-à-dire qu'ils restaient à l'unisson, soit sur fond blanc, soit sur fond noir, l’ablation des yeux est praliquée sur celui des deux animaux qui paraît le plus vigoureux. Celui-ci aussitôt devient foncé, avec la tête complètement noire et le reste du corps très brun ; tandis que son compagnon est blanc jaunâtre, presque transparent; tous deux étant sur fond d'étamine blanche. La différence persiste, et j'observe seulement que par moments la teinte foncée, presque noire, de l'animal aveuglé s’éclaircit un peu; mais je dus, après trois jours, séparer les deux animaux, l’aveugle ne cessant de se jeter sur son compagnon (1). Bien au contraire du Turbot, le Gobius niger aveuglé se sert merveil- leusement du sens de l’odorat et du sens du toucher. Il suffit de lui pré- senter une proie avec une pince, à peu de distance de lui, pour le voir aussitôt venir droit à elle et l’avaler avec une précision qui n’est point ici favorisée par cette faculté d’aspirer que possèdent certains poissons, tels que le Turbot, le Labre, etc. De même, si un fragment de viande tombe sur le dos de l'animal ou frôle seulement ses nageoires, il sait se retourner aussitôt et le prendre avec la même précision que s'il y voyait. Ablation d’un seul œil. — Les expériences relatées plus haut sur une Sèche nous engagèrent à rechercher si l’ablation d'un seul œil n'aurait pas une influence plus marquée sur le changement de coloration d'un côté que de l’autre. On sait que ces changements unilatéraux sont fré- quents chez le Caméléon où ils sont peut-être en relation avec l’indé- pendance si complète des mouvements des deux yeux. Chez les poissons nous avons vu toujours ces changements s'étendre à toute la peau. Ils ne nous ont point paru susceptibles de se localiser d’un seul côté. Un Gobius niger éborgné ne montra aucune localisation unilatérale des changements qu’amenèrent les fonds où on le mit vivre. (4) On pourra rapprocher de cette observation celle que nous avons eu l'occa- sion de faire dans l’aquarium de Vienne, d’une Sole qui se distinguait des autres par sa couleur foncée et qui présentait des caractères doubles. (Voy. « Ueber die Wechselbeziehungen, u. s. w. », dans Stricker's Med. Jahrbücher. 1874, I Heft; — et Note sur l'influence de l’ablation des yeux, Journal de l'Anatomie, 1874, p. 558.) 9216 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Chez le Turbot, la question se compliquait de cette particularité que le côté gauche (dorsal) est en rapport avec les deux yeux. Le résultat fut comme pour les Gobies absolument négatif. Un Turbot éborgné de l'œil droit, un autre de l'œil gauche, parurent à peu près aussi sensibles que ceux qui n'avaient point subi de mutilation. Voici toutefois le résumé de deux expériences faites comparativement avec des Turbots placés sur fond brun et des Turbots placés sur fond de sable. 16e Expérience. — Le 26 août 1871, un Turbot long de 12 centimètres environ est éborgné de l’œil droit par l'ablation du globe oculaire. Le 27 août, il n'offre rien de particulier et continue d'être à l'unisson des ani- maux avec lesquels il vit sur fond de sable. Aussitôt qu'on le touche ou qu'on l'empêche de se sabler, les taches deviennent immédiatement foncées, bien tranchées, tandis qu’elles sont, quand il n’est pas tourmenté, fondues dans la teinte générale de la peau. Le 31 août, l'animal est placé dans une vasque à fond brun.Il est près de deux jours à atteindre l'unisson des Turbots qui s'y trouvent déjà. Remis le 4 septembre dans la vasque sablée, il redevient instantanément très pâle. Aucune particularité nouvelle jusqu'au 7 septembre, 17e Expérience. — Le 26 août 1871, un Turbot de même taille que le précédent, foncé, vivant sur fond brun, est éborgné de l'œil gauche. Le 31 août et le 4 septembre, il semble, à deux reprises, que l'animal soit un peu plus pâle que les Turbots vivant avec lui sur fond brun. Le 9 septembre au matin, par un temps sombre (1), l'animal est transporté, du fond brun où il était, dans une vasque sablée. A la fin de la journée, la couleur de l'animal n’a atteint que la nuance moyenne d'un Turbot aveugle vivant dans la même vasque. ; Le 10, l'animal est devenu clair, d'une nuance verdâtre très tendre. Le 12, il est à peu près à l'unisson avec le fond de sable ; on le reporte dans une vasque à fond brun. Le 29 septembre, l'animal sur fond brun est à peine plus foncé que les aveugles et dans leur nuance. Il devient plus brun dès qu'on le tourmente. Le 31, même observation ; l'animal est plus clair que les autres Turbots vivant avec lui sur le même fond brun. Cette dernière observation offre un certain intérêt. Il semble en effet qu'il y ait là une sorte de tendance à la pâleur, et l'on remarquera que l'animal était éborgné précisément du côté gauche, c'est-à-dire de l'œil correspondant à ce qu’on appelle le dos de l’animal. Il ne serait pas im- possible, quoique les faits ne nous l’aient point démontré péremptoire- ment, que la fonction chromatique, quand elle est en quelque sorte unilatérale, comme chez le Turbot, dépendit plus d’un des deux yeux (celui qui correspond au côté pigmenté) que de l’autre. — Il serait éga- lement intéressant de faire à ce sujet des recherches sur des individus qu'on rencontre assez fréquemment et qui présentent sur le ventre 4) Voyez plus loin Influences horaires, DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 271 (côté droit) une coloration partielle ou généralisée semblable à celle du côté gauche ou dorsal. Rôle de la moelle. — Après avoir constaté que la fonction chromatique avait son point de départ soit dans les impressions rétiniennes trans- mises au cerveau, soit dans l’activité propre de celui-ci, il semblait naturel d'attribuer aux nerfs le rôle de conducteurs reliant les chromo- blastes de la périphérie aux centres perceptifs ou du moins à des parties de l’encéphale dépendant de ceux-ei. Les sections étaient le mode naturel indiqué pour s'assurer de l’exis- tence réelle de cette nouvelle fonction des nerfs. Nous les avons succes- sivement pratiquées sur la moelle, le trijumeau, les nerfs rachidiens, le nerf latéral, le sympathique, le réseau nerveux sous-cutané. Nous allons passer successivement en revue les effets produits par ces diverses opérations. | Voici quel a été d’une manière générale le procédé suivi. Dans la vasque flottante dont il a été parlé plus haut, et où la fonction chroma- tique se trouvait, par les circonstances mêmes, entretenue en pleine activité, nous avons pris un certain nombre de Turbots longs en général de 12 à 17 centimètres, et nous les avons mis vivre dans une vasque à fond brun. C'est là qu’on les prenait pour les opérer. Après la section faite, on les jetait dans une vasque à fond recouvert de sable blanc. Si la conductibilité nerveuse était réelle, l'animal devait immédiatement pälir de toute la région qui restait soumise à l’encéphale, tandis que, l'influence n'étant plus transmise aux chromoblastes de la région dépendant du nerf sectionné, ceux-ci devaient rester étalés et la région garder sur fond clair la couleur foncée qu'avait l'animal sur fond brun. C'est ce qui arrive en effet. On verra dans les observations suivantes que selon certaines condi- tions et sous certaines influences ces régions paralysées peuvent se montrer tantôt plus foncées, tantôt plus pâles que le reste de l'animal. Mais ceci n'infirme en rien le résultat général que nous indiquons, à savoir : la paralysie des chromoblastes rigoureusement localisée dans la région à laquelle se distribuent les nerfs sectionnés. La voie de transmission qui paraissait tout naturellement indiquée était la moelle. Je pratiquai à plusieurs reprises la section de la moelle sans aucun résultat. L'animal paralysé de la partie postérieure du corps continue de se mouvoir avec une grande facilité. Il faut même l’observer avec soin pour découvrir que la paralysie existe en effet. Elle s’accuse par l'immobilité des rayons de la dorsale et de la ventrale en arrière de la lésion. Les rayons de la caudale se tiennent d’abord rapprochés, mais au bout de deux jours ils ont repris l’écartement habituel. L'animal, avec la partie antérieure de ses nageoires, imprime à sa tête des ondu- lations que suit la région paralysée, et il nage ainsi sans grand trouble apparent dans ses mouvements. 9718 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET 17e bis Expérience. — Après plusieurs tentatives qui n'avaient donné aucun résultat bien net, la section de la moelle est pratiquée sur un Turbot (11 sep- tembre 1871) avec des précautions très grandes. On fait à la face gauche de l'animal, vers le tiers postérieur du corps, une incision parallèle à la colonne vertébrale. Un instrument tranchant est introduit entre deux arcs vertébraux, et l’on sectionne complètement la moelle. En arrière, celle-ci est de plus détruite dans une étendue de 1 à 2 millimètres au moyen d'un instrument courbe. L’'opé- ration n’amène aucune perte de sang et l'on peut vérifier que la paralysie est complète. L'animal avait été choisi foncé ; il est mis sur le sable et pâlit avec rapidité, mais irrégulièrement. Certaines parties deviennent plus pâles et plus rapide- ment pâles que d’autres. La partie postérieure de l'animal semble rester plus foncée, mais sans limite tranchée entre elle et la région moins foncée. L'aspect que présente l'animal est celui qu'offrent ordinairement les Turbots malades ou mourants ; on distingue, en particulier, une mince bande plus foncée au niveau de la plaie, qui s'étend d’une nageoire à l’autre, comme si deux ou trois paires rachidiennes avaient été lésées (voy. la note de la p. 295). L'animal est alors placé sur fond brun où il brunit à l'unisson; il est remis ensuite sur le sable où il s’éclaircit rapidement et régulièrement. Chez les Turbots, surtout dans le jeune âge, la section de la moelle vers le milieu de la colonne vertébrale paraît être une opération presque inoffensive, au moins pour un certain temps. Seul, un individu sur lequel nous avions pratiqué cette section à deux reprises, d’abord vers le milieu du corps, puis plus tard au niveau des premières vertèbres, succomba, sans avoir d’ailleurs plus que les autres offert aucun trouble permanent de la fonction chromatique. La seconde section ayant laissé intacts les premiers rayons des nageoires, l'animal pouvait encore nager et même se couvrir de sable. Il résultait donc de ces expériences que la moelle n’est pas le con- ducteur nerveux entre le cerveau et les chromoblastes de la périphérie. Les seuls troubles observés dans la fonction étaient ceux que nous avons déjà signalés chez le Turbot à l'approche de la mort, et quon retrouve à la suite de toutes les opérations graves faites sur cet animal (Voy. p. 230 et 231). Influence du trijumeau. — La section du trijumeau sur le Turbot donne, au contraire, les résultats les plus décisifs. Mon attention avait été attirée de ce côté par un cas fortuit qui se présenta. On m'avait fait remarquer dans le vivier un Turbot de taille moyenne, c’est-à-dire pou- vant mesurer de 35 à 40 centimètres, dont la tête était toute pâle, tandis que le reste du corps offrait les mêmes mouchetures que les autres Turbots du bassin. La figure 4 de la planche III montre l'étendue de la région claire. Dans les figures de cette planche ainsi que de la suivante, la teinte plate foncée indique simplement la région dans laquelle la fonction chromatique était modifiée, quel que fût d’ailleurs le sens de cette modification. A la vérité, la plupart de nos expériences tendaient à rendre cette région plus foncée, plus noire; mais telles circonstances DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 92719 peuvent aussi se présenter, comme on le verra par la suite, où les régions paralysées se détachent en pâle. C'était le cas de l'animal dont nous parlons. Il convenait, dès lors, de rechercher ce qui se passerait après la section du trijumeau au sortir du crâne, du côté gauche. On peut le sectionner directement en ce point; il se produit parfois une hémor- ragie, mais on l’arrête avec une boulette de papier buvard. La branche sous-maxillaire, de son côté, offre des commodités toutes spéciales; il suffit de faire une incision partant de l’angle postérieur de la mâchoire supérieure, pour la rencontrer sûrement sous la peau (1). 18e Expérience. — L'animal qui a fait le sujet de la 8° expérience est opéré le 6 septembre 1871 de la section du trijumeau et placé dans une vasque à fond brun. On n'observe, comme phénomène sensible, qu'une nuance un peu plus foncée à la lèvre supérieure et à la mâchoire inférieure, paraissant peut-être s'étendre jusque sur la pectorale. Vers la fin de la journée, à cinq heures et demie, le Turbot est placé dans une vasque sablée. La délimitation devient aussitôt parfaitement nette. La tache noire n'occupe que la mâchoire inférieure et remonte un peu derrière l'angle de la supérieure, jusque vers l'œil gauche. (PI. II, fig. 2.) En arrière de l'œil droit, on distingue également des traces de pigmentation éparse et qui semblent disposées suivant des lignes se coupant à angle droit; elles sont dues certaine- ment à quelque éraflure. Le 7, c’est-à-dire le lendemain, le Turbot, toujours placé dans la vasque sablée, offre le même aspect : pâle, rosé et plus clair que le fond ; le masque, au con- traire, est brun-roux, finement tacheté. Les lignes à angle droit, en arrière de l'œil, sont également très marquées ; elles sont toutefois d'une autre nuance et tirent plutôt sur la couleur de l’encre de Chine. A la fin du jour, vers six heures, l'aspect général est le même, la mâchoire inférieure semble avoir légèrement pâli. La partie du masque siluée en arrière de l'angle de la mâchoire supérieure a pris la teinte encre de Chine. Le 9, l'animal est toujours clair; il est replacé dans une vasque à fond brun, où il redevient presque instantanément foncé, plus foncé que le masque qui se détache alors en clair. Le masque persiste, tantôt plus visible, tantôt moins, jusqu’au 29 septembre, époque où cesse l'observation. 19e Erpérience. -- Parmi de petits Turbots, longs de 13 centimètres environ, placés le 24 et le 25 août dans un bassin à fond brun, on en prend un, le 6 sep- tembre 1871, et, après avoir mis le trijumeau à découvert par une plaie perpen- diculaire à son trajet, on le coupe. L'opération est faite à neuf heures et demie du matin; l'animal est replacé sur le fond sombre où il est depuis onze jours. Vers midi, malgré la teinte générale (1) MM. Siebold et Stannius décrivent (Anat. comp., trad. franc., p. 73) dans les poissons osseux une branche spéciale du trijumeau indépendante du nerf maxillaire inférieur, « destinée à la peau qui recouvre la mâchoire inférieure et « l'os intermaxillaire ». Chez le Turbot, telle ne paraît pas être la disposition. La peau de la mâchoire inférieure est certainement desservie par le nerf maxillaire inférieur à l'exclusion ordinaire de la peau qui recouvre l'os intermaxillaire. 280 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET pe foncée de la peau, on voit la zône du maxillaire inférieur et la mâchoire supé- rieure prendre une teinte encore plus foncée. Plusieurs personnes le constatent. La peau,au-dessous de la plaie, présente aussi une nuance un peu plus foncée, mais qui se fond avec le reste de la couleur de l'animal, tandis que la tache noire qui entoure la bouche est nettement limilée par un trait onduleux repro- duisant exactement la disposition du Turbot précédent. Cette tache noire monte jusqu'en arrière de l'œil, passe en dessous de lui, et en avant occupe la mâchoire supérieure qui est prise ici comme l'inférieure (PI. III, fig. 4). L'animal est alors porté sur fond de sable où il pâlit rapidement de tout le corps, excepté de la région foncée qui ne change pas et se détache de plus en plus sur la pâleur croissante de l'animal. Les lèvres de la plaie, à ce moment, sont aussi entourées d'une petite auréole foncée. Le 7 septembre, l'animal est d'une teinte rosée ; le masque est toujours aussi apparent ; il est peut-être moins foncé, mais l'animal étant devenu extrêmement pâle, il fait encore contraste. Le 10, le ton de la peau est absolument à l'unisson avec le fond; le masque se détache très bien, quoiqu'il ait päli de son côté. Le 29 septembre, moment où finit l'observation, l'animal est toujours dans le même état. Le nerf latéral étant regardé comme un conducteur de sensibilité, on pouvait supposer, après les expériences que nous venons de rapporter, qu'il était peut-être aussi le conducteur de l’action nerveuse des centres aux chromoblastes de la surface du corps. Quelques expériences nous assurèrent immédiatement qu'il n’en est pas ainsi. Dans une première tentative (8 septembre 1871), nous avons essayé de couper le nerf latéral à son origine, sans le mettre à découvert. A la suite de l’opération, qui n'eut aucun effet sur la couleur du corps, l'animal présenta seulement une tache pâle vers la partie supérieure du bord de l’opercule. D'autres fois nous nous sommes bornés à couper le nerf latéral à peu près vers le milieu de la longueur du corps, en pra- tiquant à ce niveau une profonde incision intéressant toute l'épaisseur de la masse musculaire, dirigée transversalement au rachis et le dépas- sant de près d'un centimètre vers la région dorsale et la région ventrale. Le nerf latéral était bien évidemment intéressé, et cependant les bords seuls de la plaie, comme cela est fréquent, accusèrent en arrière un liséré noirâtre : l'influence cérébrale sur les chromoblastes de la partie postérieure du corps ne fut point suspendue. Nous citerons encore les expériences suivantes, où le trijumeau semble avoir été lésé plutôt que coupé, et où l'opération paraît avoir été l’ori- gine de désordres qui ne se sont manifestés que tardivement, quelques jours après. L'expérience n’est point concluante, puisqu'on n'a pas eu la preuve que le trijumeau avait été coupé, mais elle offre néanmoins un certain intérêt. 19e bis Erpérience. — Le 2 septembre 1871, une tentative est faite pour couper le trijumeau dans la profondeur des tissus sans le mettre à découvert. L'animal, placé sur fond brun, est foncé. Nous ne le revoyons que deux jours après, le 4 sep- DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 9281 tembre ; il offre à ce moment une pâleur très marquée de la mâchoire inférieure, délimitée par une ligne décrivant à partir du bord ventral de l'animal trois ondulations successives pour remonter jusqu'à l'œil gauche (PI. III, fig. 3). La démarcation n’est pas aussi nette que dans d’autres cas ; elle est cependant très sensible. La mâchoire supérieure n’est pas atteinte et conserve le ton du reste du corps. Vers la fin de la journée, la pâleur relative de la mâchoire supérieure d’abord, puis de la mâchoire inférieure, a disparu. Le 7 septembre, l'animal, qui a continué de vivre sur fond brun, n'offre rien de particulier. Le 9, on pratique sur ce Turbot la section du nerf latéral vers les deux tiers de sa longueur, et on le place sur fond de sable. L'animal pâlit légèrement ; seul, le bord postérieur de la plaie transversale porte une marge noire très accusée mesurant de 2 à 5 millimètres. Le 10, l'animal est d’une couleur intermédiaire ; le bord postérieur de la plaie est plus foncé que la veille, quoique sur une étendue moindre. Mais l'animal présente en même temps, un masque foncé, dù évidemment à l'opération prati- quée huit jours auparavant. Le 11, le Turbot n’est pas tout à fait à l'unisson du fond, ce qu'il faut attribuer sans doute à des circonstances particulières dont il sera parlé plus loin (influences horaires). Le 21, l'animal est reporté sur fond brun. Le 95, il n'offre rien de spécial. Le 29, la mâchoire inférieure est pâle; la plaie transversale présente égale- ment, en arrière, une bordure pâle. Nous avons, postérieurement à ces expériences, pratiqué en mars 1873 la section -du trijumeau ou de la branche sus-orbitaire sur des Callio- nymes. Les résultats ont été les mêmes. On obtient une paralysie des chromoblastes noirs de la région correspondante de la face. Nous en avons figuré l'étendue dans trois cas différents (PI. IL, fig. 5, 6, 7). Le phénomène est ici beaucoup moins accusé que chez le Turbot, en raison du mécanisme plus compliqué de la fonction chromatique sur lequel nous avons insisté (Voy. p. 270). Les faits, toutefois, viennent confirmer pleinement ce qu'on observe d’une manière plus nette chez le Turbot. La conclusion de ces diverses expériences, c'est que le trijumeau peut être considéré comme ayant une véritable action motrice. Son rôle chez certains animaux n’est pas uniquement sensitif (nous parlons des branches qui se rendent à la peau), et l’influx nerveux le parcourt dans les deux sens. Nous terminerons ce qui a trait au trijumeau en donnant quelques détails sur le cas pathologique qui avait attiré au début notre attention de ce côté. Moins expérimenté à cette époque, nous avions remis à plus tard à sortir l'animal des bassins pour l’examiner de près; des pluies survenant à la morte-eau firent périr dans les viviers un certain nombre de Turbots et entre autres celui-là. Quand il fut retiré du bassin, le 7 sep- tembre, la teinte livide de la tête était encore parfaitement visible. Elle s'étendait sur toute la tête au-dessous de l'œil droit jusqu’à l’ouie, excepté en bas où le bord de l'opervule était de la couleur du reste de la 989 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET peau avec deux prolongements dont la direction semble indiquer que l’opercule sur son bord recoit des nerfs de la région ventrale (PI. IH, fig. 1). On constata en même temps, en arrière de l'œil gauche, l’exis- tence d’une cicatrice déprimée, déjà ancienne, répondant exactement à la place où le trijumeau émerge du cràne, c'est-à-dire au lieu même d'élection où il est convenable de pratiquer et où nous avions, depuis, pratiqué la section du nerf. Il est probable que le nerf avait dü être détruit très près de son origine, toute la région qu'il anime étant atteinte. Influence des nerfs rachidiens. — La section des nerfs rachidiens du côté gauche nous a donné des résultats non moins nets que la section du trijumeau. Elle offre toutefois une particularité intéressante en rap- port d’ailleurs avec ce qui a été dit plus haut du rôle négatif de la moelle. Les nerfs rachidiens au sortir de la colonne vertébrale se partagent en deux branches, l’une pour la région dorsale, l’autre pour la région ventrale. Or, l'expérience montre que, pour agir sur les chromoblastes de la région ventrale, il ne suffit pas de couper la branche ventrale contre les vertèbres, au moment où elle vient de se séparer de la dor- sale. Il faut que la section porte un peu plus bas, au-dessous du point où la branche ventrale recoit le rameau du grand sympathique. Les expé- riences que nous avons faites montrent ce qu'on pouvait au reste pré- voir : que ce rameau sympathique partage ses fibres entre les deux branches du nerf rachidien. Les unes descendent dans la branche ventrale, les autres remontent par la branche ventrale jusque dans la dorsale. La conséquence de ce fait, c'est qu’en coupant la branche ven- trale entre le point où elle se sépare de la dorsale et celui où elle reçoit le sympathique, on agit, au point de vue de ce dernier nerf, sur la région dépendante non de la branche ventrale, mais de la branche dorsale : on paralyse les chromoblastes influencés par celle-ci, quoique la section ait porté sur celle-là. 20e Expérience. — Le 6 septembre 1871, sur un Turbot de couleur rousse et long de 25 centimètres, une plaie est faite sur le côté gauche à l’effel d'aller couper les branches ventrales des nerfs rachidiens contre les vertèbres. L'animal est mis après l'opération dans une vasque sablée. A cinq heures, il a pâli déjà sensiblement. La paralysie s'étend en forme de bande sur la région dorsale (PI. IV, fig. 1). Cette bande semble plus foncée que n'était l'animal sur le fond brun où il vivait. Le 7 septembre, la bande dorsale est moins nettement marquée, principale- ment vers le milieu. Le bord dorsal de la plaie présente une zone pâle très accentuée, se détachant elle-mème en clair sur le ton plus clair de la peau. Le 8, la teinte générale de l'animal est rosée. La zone pâle persiste au bord de la plaie ; la région paralysée se présente toute la journée comme une tache très nette, très foncée, s'étendant jusqu'au bord d'insertion de la nageoire, où elle finit brusquement. Le 9, l'animal est placé sur fond brun; il brunit presque instantanément, lais- DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 283 sant se délacher en clair la région paralysée qui paraît moins large, mais qui s'étend manifestement jusqu'au bord libre de la nageoire. Le 11, même état. Quand la région paralysée est peu apparente, il suffit d’exciter l'animal pour que le reste de la peau devienne aussitôt plus foncé autour d'elle. Le 29 septembre, le même état persiste encore Dans les deux expériences suivantes, la section des intercostaux a été pratiquée parallèlement ou postérieurement à celle du trijumeau. 91e Expérience. — Le 13 septembre, je fais une tentative pour couper entière- ment le trijumeau sur un petit Turbot long de 13 centimètres, vivant sur fond brun. L'animal, placé sur le sable, pâlit rapidement, en gardant un masque noir montant jusqu'à l'œil droit. Le 14, l'animal n’est pas encore complètement à l'unisson du fond de sable; il est remis sur fond brun. Déjà au bout de quelques instants le masque, qui ne paraît pas changer, se détache en pâle sur la peau devenue plus sombre. Le 15, même aspect. Le 22, une incision parallèle à la colonne vertébrale est pratiquée au-dessous d'elle, vers la région moyenne du corps, de manière à intéresser les branches ventrales au-dessous du point où elles reçoivent le filet du grand sympathique. Cette incision est faite à la hâte, sans aucune précaution opératoire. Le résultat cependant est sensible dès que l'animal est porté sur fond clair : une bande foncée s'étend sur la région ventrale. Le 23, la bande due à la paralysie des chromoblastes est irrégulière, mais de teinte bien foncée: on distingue aussi le masque produit par l'opération anté- rieure. 24 septembre. L'animal est très sensible aux excitations extérieures. D'une couleur grise légèrement nuancée de vert quand il est en repos, il prend, dès qu'on l’irrite, de larges et nombreuses taches noires. La bande paralysée pré- sente toujours le même dessin irrégulier. Le 28 septembre, l'animal n'a pas changé; on constate de nouveau la facilité avec laquelle il brunit dès qu'il est tourmenté. 22e Expérience. — Le 11 septembre, un Turbot long de 17 centimètres est pris dans une vasque à fond brun. Une plaie est pratiquée derrière l’angle de la mâchoire supérieure. Le nerf sous-maxillaire est mis à nu et enlevé sur une étendue de plusieurs millimètres. De plus, la section des nerfs intercostaux ven- traux est pratiquée. Une première plaie transversale, longue de 12 millimètres environ, est faite vers le milieu de la longueur de l’animal, du côté gauche. Une autre incision longitudinale, partant du milieu de celle-ci, est dirigée en arrière parallèlement à la colonne vertébrale et au-dessous d'elle. L'animal est mis ensuite sur fond de sable. Il présente immédiatement le masque et une bande partant de la plaie et descendant sur tout le côté ventral jusqu'au bord libre des nageoires (PI. IV, fig. 2). Trois intercostaux ont été probablement coupés; les bords de la bande sont nettement limités. Le 12 septembre, le masque persiste ; la bande ventrale n’est visible qu’au voi- sinage de la nageoire. L'animal est remis sur fond brun. Le 13, le masque et la bande ventrale se détachent encore en brun sur le ton foncé de la peau. Cette action des nerfs rachidiens sur les chromoblastes parait exclusi- vement réservée aux nerfs du côté gauche. On pouvait supposer que 284 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET dans les nageoires dorsale et ventrale, où les nerfs des deux côtés du corps semblent se confondre, on agirait peut-être sur les chromoblastes en sectionnant les intercostaux du côté droit. Une expérience faite dans cette direction n'a point montré qu'il en fût ainsi. 23e Expérience. — Le 9 septembre, sur un Turbot long de 25 centimètres environ, on pratique par la face droite (ventrale), vers les deux tiers de la longueur du corps, une incision longitudinale répondant à Ia colonne vertébrale. On coupe plusieurs nerfs intercostaux; il se produit une hémorragie abondante. L'animal, qui avait été pris sur fond brun, est placé après l'opération sur fond de sable. Dès la fin du jour il a pâli, mais assez peu, en raison d'influences spéciales (horaires) dont il sera parlé plus loin, ou de la perte de sang. Le lendemain 10 septembre, l'animal a pâli, mais pas autant que l’on pouvait s’y attendre. Le 11, l'animal n’est pas encore à l'unisson. Toutefois on ne note rien de parti- culier dans la distribution de la couleur sur la nageoire. L'animal est plus tard reporté sur fond brun, pour voir si l'influence de la sec- tion ne se fera pas mieux sentir par la pâleur. On n'observe rien. Le 14, l'animal est trouvé mort, depuis peu d'heures, sans doute par suite de la perte de sang qu'il a faite. Il est marbré de taches livides, et quelque temps après, exposé à l'air, il prend une couleur foncée uniforme. Il semblerait, d’après ce qui précède, que les nerfs du côté gauche dussent être plus gros que ceux du côté droit. Mais cette différence, en admettant qu’elle existe, pourrait s'expliquer également par d’autres causes, en particulier par la prédominance de la masse musculaire gauche sur la droite, de sorte qu'on n'en saurait rien inférer quant à la présence de fibres spéciales pour chaque cellule pigmentaire. Influence du grand sympathique. — Le grand sympathique se place chez le Turbot au-dessous du glosso-pharyngien et du pneumogastrique aux- quels il s’unit, et va finalement s'engager avec l'aorte et la veine cave dans le canal vertébral inférieur, formant autour de ces vaisseaux un véritable plexus avec des ganglions non symétriques de place en place. La coexistence de ces trois organes dans le canal vertébral (et l’impossi- bilité de les isoler de manière à agir séparément sur l’un d’eux) était pour les expériences à faire une cause de complications à peu près insur- montables. On devait craindre d'interrompre totalement la circulation et de rendre la partie postérieure du corps exsangue. Cet inconvénient, en effet, se présenta dans un cas, mais dans d’autres ce fut le contraire, quoique le mode opératoire eût été le même. Voici le procédé suivi : on pratique une incision longitudinale ou transversale au côté droit (ventral) de l’animal, au niveau des arcades hématiques, en arrière de la cavité abdominale. Un tampon de papier de soie imbibé d’un caustique est alors introduit à l’aide d’une pointe dans le conduit osseux, en sorte qu'on obtient à la fois la destruction du grand sympathique, l’occlusion de l'aorte et de la veine cave. L'opération est faite, comme à l'ordinaire, sur des animaux foncés qui sont alors portés DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 289 sur le sable. Le résultat ne se fait point attendre, et après moins d’une heure le Turbot est exactement partagé au niveau de la plaie en deux parties de couleur tranchée. La région postérieure, en arrière du point où a porté la destruction du grand sympathique, garde sa coloration foncée; toute la partie antérieure de l'animal pâlit (PL. IV, fig. 5.). Il survit environ deux jours à l'opération. Si du côté de la fonction chromatique nous avons toujours obtenu ce même résultat, nous avons relevé d’autre part des différences remar- quables, dépendant peut-être de la nature des caustiques employés. Dans deux cas ce fut de l'acide chromique et, dans un troisième cas, de la créosote. Les deux premiers Turbots montrèrent de très bonne heure après l'opération une stase sanguine très accusée dans les vaisseaux de la partie postérieure du corps. Le sang se répandit dans les tissus, dans les muscles en particulier. Le côté gauche (ventral) laissait voir de petits vaisseaux congestionnés dans l'épaisseur de l’aponévrose dermique ou immédiatement au-dessus d'elle, et que l’on n’aperçoit pas d'habitude. Enfin des hémorragies partielles se produisirent à la surface de la peau et de la nageoire. Dans le Turbot opéré avec la créosote, au contraire, la circulation parut complètement interrompue dans la partie postérieure du corps. Celle-ci semblait exsangue, et, quand la mort survint, les rayons de la caudale et des nageoires ventrale ou dorsale en arrière de la lésion étaient mis à nu par la nécrose des parties molles. Voici le détail de deux de ces expériences : 24e Expérience. — Le 13 septembre 1871, un Turbot de 22 à 25 centimètres est choisi sur fond brun. On pratique une incision longitudinale au niveau de la colonne vertébrale, vers les deux tiers de l'animal. Une perte abondante de sang est arrêtée avec l'acide chromique. Un peu plus en arrière, vers les trois quarts de la longueur de l'animal, on fait une nouvelle incision en T et l'on introduit dans l’arcade hématique un tampon de papier de soie trempé dans l'acide chro- mique concentré. Il y a encore perte de sang dans le courant de l'opération. L'animal est alors placé sur fond de sable. Déjà, une demi-heure après, il offre une tendance manifeste à pâlir de la partie antérieure, tandis qu’en arrière de la seconde plaie la peau reste foncée. Tout d’abord il semble que la tache occupera du côté ventral plus d'étendue que du côté dorsal, effet dû peut-être à la pré- sence du caustique placé dans la première plaie au niveau des nerfs rachidiens ventraux. Mais, trois heures après, la couleur foncée est parfaitement limitée à la région desservie par les nerfs qui naissent en arrière de la deuxième plaie. La peau y est restée brune, tandis que toute la partie antérieure du corps de l'animal est à l'unisson avec le fond de sable. Le 14, un changement notable s'est produit. La moitié postérieure du corps n’est plus également foncée partout. Le bord de la région foncée et l'extrémité de la queue seuls ont conservé leur couleur, la couleur intermédiaire a pàli et revêtu une teinte livide mêlée de tons rosés dûs à une congestion des vaisseaux, et probablement à une extravasation du sang dans les muscles. Celle-ci se devine surtout à travers la peau incolore du côté droit. Les vaisseaux sont gorgés de sang; on constate çà et là sous la peau quelques petites hémorragies partielles. 286 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET EXPLICATION DE LA PLANCHE TITI Dans cette planche et dans la suivante, la nuance foncée indique les parties atteintes par la paralysie des chromoblastes, soit que ces parties se détachassent en clair ou en sombre sur la couleur générale de l'animal, ces différences apparentes tenant, ainsi que nous en avons fait la remarque, à ce que les chromoblastes des régions paralysées prennent à la longue un état moyen de contraction, n'étant ni complètement rétractés, ni en état d'expansion extrême. F1G. 1. — Turbot paralysé par suite d'accident, observé dans le vivier. FiG. 2, 3, 4. — Paralysies consécutives à la section des branches du trijumeau. F1G. 5, 6, 7. — Paralysies produites sur le Callionyme lyre à la suite de sections des branches du trijumeau. 281 3 DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L INFLUENCE DES NERFS PLANCHE Ill un el un =) El > cA E LA un A © = A e] el u1 un [2] ° A un [1 > el = =) e] ‘a un A Q [e] un [e2] el un pe 5 Sa ce a en" 9288 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET EXPLICATION DE LA PLANCHE IV FiG. 1. — Région paralysée sur un Turbot auquel on a pratiqué la section des branches ven- trales des nerfs rachidiens au-dessus du point où elles reçoivent le filet sympathique. FiG. 2. — Région paralysée sur un Turbot auquel on a pratiqué la section des branches ven- trales des nerfs rachidiens au-dessous du point où elles reçoivent le filet sympathique, et la branche maxillaire inférieure du trijumeau. F1G. 3. — Région paralysée sur un Turbot auquel on a pratiqué la destruction des organes grand sympathique, aorte, veine cave) contenus dans le canal vertébral inférieur. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 289 PLANCHE IV Pouchet ad nat del PARALYSIES CONSÉCUTIVES DES SECTIONS NERVEUSES. 19 290 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Quand on tourmente l'animal, il se fonce inégalement et présente des marbrures livides. Le 15, l'animal est trouvé le matin couché sur le dos (flanc gauche). Tous les phénomènes signalés la veille ont pris un caractère plus accusé. L'animal est évidemment paralysé de toute la partie postérieure du corps. On le jette dans une vasque flottante, où il est trouvé mort le lendemain. 25e Expérience. — Le 11 septembre, vers 9 heures, un Turbot long de 15 centi- mètres, pris sur fond noir, est opéré comme le précédent, mais par une plaie perpendiculaire à la colonne vertébrale; la créosote est employée comme caus- tique au lieu de l'acide chromique. L'opération a été faite un peu en arrière de la moitié de la longueur de l'animal qui est alors placé sur fond de sable. La différence s'accuse presque instantanément. À 3 heures et demie, toute la moitié antérieure du corps est à l'unisson avec le fond, offrant seulement une légère teinte verdâtre propre à l'individu. La partie postérieure est très foncée. «La queue semble paralysée, ou du moins les muscles du côté gauche (dorsal) paraissent contractés; la queue de l'animal se relève un peu, au lieu de s'étendre sur le sable. Il n'y a aucune trace de congestion vasculaire. Le 18, au matin, la différence de la coloration est beaucoup moins accusée entre les deux moitiés du corps. L'animal est alors transporté (vers 9 heures) de la vasque à fond de sable dans une autre à fond brun. A 2 heures et demie, la partie antérieure du corps est devenue plus foncée que la postérieure, mais sans que la limite entre les deux soit aussi nettement tranchée que la veille. On ne remarque aucune trace de congestion ou de réplétion vasculaire. La paralysie de toute la région caudale paraît complète. Le 19, la nageoire dorsale dans la partie paralysée et la caudale commencent à s'effilocher par la nécrose de la membrane qui réunit les rayons. Les deux teintes de la partie antérieure et de la partie postérieure du corps (celle-ci plus pâle, l'animal étant sur fond brun) sont nettement accusées. Le 20, l'animal est trouvé mort dans la même vasque à fond brun. La partie postérieure du corps se montre la plus foncée. Depuis l'époque où nous faisions ces expériences, le hasard a mis sous nos yeux un cas pathologique intéressant où l'effet direct de la section du grand sympathique a pu être observé sur un animal qui a longtemps survécu, le nerf ayant été atteint par une lésion purement organique (1). Le 20 septembre 1874, M. Alfred Guillou signala à notre attention un Turbot qui se trouvait dans le bassin commun, et dont le côté gauche (dos) était nettement partagé en deux régions de teinte différente. La partie antérieure était de la couleur commune à tous les autres Turbots du bassin; la partie postérieure, au contraire, était toute noire. On avait la reproduction exacte du résultat auquel nous étions précédemment arrivé expérimentalement. Nous diagnostiquons à coup sûr une lésion du grand sympathique au niveau de la limite des deux teintes de la peau. Le Turbot, tiré de l'eau, est examiné sommairement parce qu'il paraît (1) Voy. Soc. de biologie, Séance du 14 novembre 1874. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 291 en mauvais état de santé. On ne découvre aucune trace de plaie ni du côté gauche (dos), ni du côté droit (ventre). On me dit qu’on l’a vu ainsi depuis trois ou quatre jours. Sorti de l’eau, il brunit (par la partie antérieure) comme cela arrive ordinairement, en sorte que la différence devient moins sensible. Le 21, l'animal est dans le même état. On le place dans un panier flottant, pour pouvoir mieux l’observer. Le 4 octobre, il est sorti du panier; on constate qu'il n’y a point para- lysie de la région postérieure. Le 13, le même état persiste. Il semble que la région foncée augmente d’étendue. Le 3 novembre, l'animal est trouvé mort, probablement de la veille. Il n’y a point d'apparence de stase ni d’extravasation sanguine. On procède immédiatement à l'examen anatomique. Les masses musculaires sont enlevées, les épines vertébrales supérieures et infé- rieures sont coupées, et le rachis avec la partie avoisinante est plengé dans un mélange d'acide azotique 4, d’eau 100, en vue d'un examen ultérieur. Celui-ci montra, au niveau même où la lésion avait été diagnos- tiquée, une dégénérescence des tissus enveloppant l'aorte et la chaine sympathique. Un développement considérable de l'artère vertébrale pré- cédant la lésion démontrait qu'il s'était établi une circulation collaté- rale. Le tissu pathologique est d'aspect blanchâtre ; il s'étend dans l'ovaire et jusque dans les parties musculaires avoisinantes. Au-dessous de la lésion, le grand sympathique paraît beaucoup plus grêle. Il ne semble pas toutefois que les ganglions aient subi une diminution correspon- dante. Les cellules nerveuses y sont encore apparentes, et les filets qui s'en détachent sont blancs, tandis que les cordons mêmes de la chaîne sont plus pâles. Il semblerait résulter de là que le nerf sympathique — au moins pour un certain nombre de ses fonctions — se comporte comme un nerf crânien, son rôle sur les chromoblastes étant tout à fait analogue à celui du trijumeau ; tandis que pour d’autres actions où interviennent les ganglions il puiserait son influence, en quelque sorte, sur place dans la moelle. Il n’est pas inutile de rappeler iei que chez l'embryon (des mammifères) on suit aisément les fibres du nerf sympathique dans leur continuité, d’une extrémité à l’autre de la chaîne ganglionnaire. Les dispositions anatomiques établissant l'impossibilité d’agir isolé- ment sur le sympathique dans le canal vertébral, où l'arrêt de la circu- lation dans l'aorte et la veine cave amène nécessairement une grave complication, il restait à essayer de pratiquer la section du grand sympa- thique au voisinage de ses origines. Ce nerf passe chez le Turbot un peu au-dessous de l'articulation tympanique, en suivant une direction horizontale. Il est recouvert à la vérité par les condyles de l’épitympa- nique (Owen), dont il faut pratiquer la section ; mais plus en avant il est 999 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET encore plus difficile de l’atteindre sans intéresser les réservoirs lympha- tiques, d’où résulte une grande gêne; en arrière, on court le risque de léser quelque nerf du groupe du pneumogastrique ou de perforer la cavité abdominale. Au niveau que nous indiquons, l'opération n’offre pas en somme de très grandes difficultés; on arrive facilement à mettre le sympathique à découvert et à le couper dans une certaine étendue. Voici d’ailleurs le détail complet de l'expérience, avec le mode opéra- toire suivi : 26e Expérience. — Le 24 septembre, un Turbot long de 16 centimètres, pris dans un bassin à fond brun, est opéré de la section du sympathique, au niveau de l'articulation du tympanique. L'opération n’entraîne qu'une faible perte de sang par la partie postérieure de la plaie; celle-ci consiste en une incision longitudi- nale pratiquée à 2 millimètres environ au-dessous des condyles de l’épitympa- nique d’un bord à l’autre de l’os. On engage sous celui-ci, d’arrière en avant, la branche mousse d'une paire de ciseaux. On sectionne l'os et l’on fait basculer le fragment supérieur, qu'on enlève pour plus de commodité. On découvre alors, au fond de la plaie, le sympathique qui suit une direction horizontale. Il est sec- tionné sans que l’animal paraisse ressentir aucune douleur, sur une longueur de 2 millimètres environ. Le fragment examiné au microscope présente de larges tubes à myéline, comme l'indique d’ailleurs sa coloration blanche. L'animal est ensuite placé sur fond de sable où il pâlit lentement de toute sa surface. L'opération a été faile à 9 heures; à 3 heures on ne découvre pas de différence entre les diverses régions du côté gauche (dorsal). Peut-être reste-t-il une légère teinte brunâtre sur le bord de l’opercule, sur la moitié antérieure de la région abdominale et sur les premiers rayons de la ventrale, mais en tout cas cette apparence est fugitive. Le 25, l'animal est devenu uniformément pâle. Il est transporté dans une vasque à fond brun, et il fonce tout d’abord uniformément. Déjà, la veille, la respiration paraissait difficile en raison de la lésion de l'articulation temporale. Il y a en plus, au-dessous de la plaie, un soulèvement partiel de la peau de l’opercule. Le 26, l'animal offre des marbrures, indices d’une perturbation de la fonction chromatique ; il est grisätre plutôt que brun, avec des places plus ou moins foncées. La respiration paraît plus facile. Le 27, le sympathique droit est coupé par le même procédé que l'avait été le gauche. L'animal est mis, après l'opération, sur fond de sable où il pâlit irrégu- lièrement, comme cela a été déjà indiqué. Deux heures après environ, il est replacé sur fond brun, où il brunit peu et irrégulièrement. Le 29, persistance de l'inégalité dans la coloration. La plaie du côté gauche s'est agrandie; l’'opercule est écarté, mais le gonflement a disparu. La même expérience repétée des deux côtés sur un autre individu nous a donné des résultats identiques : le sympathique peut donc être coupé des deux côtés au cou, et tout au moins du côté gauche, sans amener dans la coloration d’autre phénomène que celui que nous avons signalé en parlant de la section de la moelle : une sorte de trouble général qui enlève à la fonction chromatique l’uniformité qu’elle a habi- tuellement. Ce fait n’a rien de contradictoire avec les résultats que donne la section DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 993 du grand sympathique et de ses branches plus loin en arrière. D'autres phénomènes, comme ceux de la congestion de la face chez les vertébrés supérieurs, dépendent de la hauteur à laquelle on coupe ce nerf. Le seul fait que la section des nerfs rachidiens amène la paralysie des chromo- blastes à la région dorsale ou ventrale du côté gauche, suivant qu’elle est pratiquée au-dessus ou au-dessous du point où ces nerfs recoivent le grand sympathique, suffit à mettre l’action de celui-ci hors de toute contestation. Quant à cette opinion, défendue surtout par M. Goltz, que ce seraient les nerfs vaso-moteurs qui agiraient indirectement sur les chromoblastes en modifiant la circulation dans leur voisinage, nous ne pensons pas qu’elle soit encore soutenable après tout ce qui précède. Mais on peut s'assurer directement chez le Turbot que l’action sur les chromoblastes n'appartient qu'aux troncs nerveux, et non aux nerfs des parois vascu- laires. Il suffit d'opérer par comparaison sur le nerf et l'artère sous- maxillaires. L’un et l’autre vers l’angle de la mâchoire supérieure traversent obliquement les fibres du muscle qui s'attache à l’apophyse coronoïde et viennent se placer sous la peau, où il est facile de les atteindre. Ils sont à côté l’un de l’autre, mais à une distance suffisante pour qu'il soit loisible d’agir isolément sur l'artère ou sur le nerf. Des expériences comparatives faites en détruisant l’un ou l’autre des deux organes nous ont permis de constater que la suppression de l'artère était sans influence sur la coloration de la peau du maxillaire inférieur. La section du nerf est seule immédiatement suivie de la paralysie des chromoblastes de la région correspondante, région parfaitement limitée et qu’on retrouve la même dans tous les cas. Réseau nerveux cutané. — On peut rapporter à des lésions du réseau nerveux cutané certaines modifications de couleur très limitées qu'on observe presque constamment sur le bord des plaies faites par l'instru- ment tranchant et dont on a vu des exemples dans ‘les expériences relatées ci-dessus. Quand on incise la peau d'un Turbot long de 12 à 45 centimètres, on est d’abord surpris de ne provoquer chez l'animal presque aucune réac- tion accusant la douleur. On observe seulement des contractions des muscles sous-jacents. Mais les chromoblastes sont et demeurent affectés. Les bords de la plaie, à une distance de 2 ou 3 millimètres, deviennent plus foncés ou plus pâles. Il semble naturel de rapporter cet effet à la section des nerfs de la région. Il est remarquable toutefois que l’incision n’a jamais pour résultat de produire au loin la paralysie, comme si les nerfs qui influen- cent les chromoblastes émergeaient sur chaque point de filets profondé- ment situés. Un espace limité par quatre incisions intéressant la peau n'est pas paralysé; les chromoblastes des bords de la plaie sont seuls atteints, comme le montre l'expérience suivante où sont notées en même 294 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET temps quelques particularités propres à la cicatrisation des plaies chez le Turbot. 27e Expérience. — Le 26 août 1871, au matin, on pratique sur un Turbot, long de 12 centimètres, quatre plaies intéressant toute l'épaisseur de la peau. Elles dessinent sur le milieu du côté gauche (dorsal) un rectangle mesurant 30 milli- mètres sur 15. L'individu appartient à la variété maculée. Les deux grandes taches médianes sont partiellement intéressées. L'animal avait été pris sur fond brun; il est mis sur fond de sable. A 3 heures, on remarque une teinte plus foncée des taches au voisinage des quatre plaies, en sorte que l’animal ayant pâli sur le sable, on distingue très bien de loin la figure du rectangle, accusée par quatre larges traits foncés. Le lendemain 27, l'animal ne présente plus rien de spécial, la teinte plus foncée au voisinage des incisions a disparu. L'animal, tourmenté, ne présente aucun changement. Le 6 septembre, l'animal, resté sur fond de sable, est très pâle; les deux plaies transversales ont leurs bords rapprochés, tandis que les deux longitudinales ne sont pas fermées et paraissent devoir se cicatriser par un tissu de nouvelle formation. Quand on prend ou qu’on tourmente l'animal, il devient plus foncé; on remarque en dehors des plaies latérales deux espaces demi-circulaires qui se détachent en clair. Le 29, l'animal, replacé la veille sur fond de sable, est devenu complètement pâle. La cicatrisalion des plaies longitudinales est avancée. On a pu remarquer, dans les expériences que nous avons rapportées jusqu'ici, que tantôt la région isolée de l'influence centrale par une section nerveuse se détache en pâle sur le ton général de l'animal, et tantôt en brun. Nous n'avons pas insisté sur cette particularité, nous bornant à indiquer la perturbation survenue. Ces différences apparentes dans le résultat tiennent à ce qu'après un temps assez court la région de la peau paralysée prend une teinte moyenne, comme celle qu’elle revêt en totalité chez les Turbots aveuglés. Les chromoblastes sont dans un état moyen de contraction, n'étant ni complètement rétractés en sphère, ni en état d'expansion extrême (1). Il importe au reste de remarquer que quand nous parlons de paralysie des chromoblastes, ce mot ne doit être entendu que comme exprimant un état d'immobilité relatif. Il ne s’agit point d’une modification intime de l'élément, comparable à celle qui atteint un muscle soustrait à l'influence des centres nerveux. Les chromoblastes gardent après les sections nerveuses, pendant un temps très long, la faculté de s'étendre ou de se rétracter ; peut-être ne la perdent-ils jamais absolument. Il est facile de s'assurer que des Turbots aveuglés sont encore, après plusieurs (1) Cet état pourrait être comparé à celui des muscles en repos, qui ne sont ni contractés ni en état d'expansion extrême (comme quand leurs antagonistes se contractent), et qui offrent dans cet état moyen des apparences optiques spé- ciales. Voy. Fredericq, Généralion et struclure du tissu musculaire, Bruxelles, 1875. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NEREFS 299 semaines, capables de modifier leur couleur si on les tourmente, ou si on leur fait quelque opération grave. Cet état moyen de contraction, dans lequel les chromoblastes se trou- vent après la section des nerfs, ne doit jamais être perdu de vue. De là vient que selon que l'animal est placé sur un fond brun ou lumineux, selon qu'il est pâle ou foncé par le reste de sa peau, la région paralysée se détache en clair ou en sombre. III. — INFLUENCES HORAIRES Il nous reste à parler, pour terminer ce qui a trait à la fonction chro- matique chez les poissons, de certaines perturbations qu'elle éprouve, dont la cause nous a échappé. Tout ce que nous en pouvons dire, c'est qu’elle est extérieure à l'animal, ce genre de perturbation s’observant ordinairement en même temps sur tous les individus en expérience. La paralysie des chromoblastes consécutive aux sections nerveuses persiste, ainsi qu'on l'a vu, un temps très long, que nous n'avons pu déterminer (1); c'est toujours en quittant le bord de la mer que nous avons cessé de suivre les animaux en expérience. Or, en observant ainsi pendant des semaines les mêmes individus, nous avons pu nous assurer de l’action bien réelle de causes spéciales, temporaires, tenant au milieu, qui viennent parfois, dans la même vasque à fond brun ou clair, modifier la valeur de l'écart entre le ton de la partie paralysée et du reste de la peau sur tous les animaux en même temps. Cette influence est très-nettement accusée dans l'observation suivante : 28° Expérience. — Le 9 septembre, deux Turbots longs de 12 à 15 centimètres, l'un granité, l’autre maculé, sont opérés le matin à 9 heures. Tous deux étaient dans d'excellentes conditions pour changer rapidement de couleur. Ils avaient été pris sur fond brun et devaient pâlir rapidement quand on les porterait sur (1) Nous extrayons de notre journal l'observation suivante : « J'avais remarqué, aux mois de janvier et de février 1872, un grand Turbot avec une bande claire, s'étendant sur toute la face gauche (dorsale) de l'animal, large de 2 à 3 centi- mètres, à peu près au niveau du tiers moyen de la longueur du corps. J'avais essayé de le prendre, sans y réussir, et diagnostiqué une lésion soit de la moelle, soit du grand sympathique à ce niveau. Il n'est pas impossible, mais je n’en eus pas la preuve, que ce Turbot fût celui de l'Expérience 11 (voy. p. 278) opéré en septembre 1871. — L'année suivante, je reparlai de ce Turbot, désigné comme ayant « une cravate ». On me dit qu'on ne l'avait point pêché, et d'autre part on ne le distinguait plus dans le bassin. A celte époque (avril 1873), un Turbot fut pris au hasard, pour être expédié à la vente. J'étais présent. L'animal tiré sur les dalles devint, comme cela est l'ordinaire, très foncé ; il était de nuance verte. Mais on vit, en même temps, se dessiner une bande parfaitement limitée, presque absolument noire, occupant l'ancienne place de « la cravate » pâle alors. Il était impossible de douter que ce Turbot ne füt le même. Je ne pus distinguer aucune cicatrice ni d'un côté ni de l’autre. L'examen anatomique interne ne fut pas fait ». 296 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET le sable. Les opérations n'étaient point graves et ne pouvaient créer un état morbide capable d'influencer la fonction chromatique. Le soir, à 5 heures et demie, quoiqu'ils aient été opérés et placés sur le sable depuis le matin, ils ont fort peu changé et sont encore foncés plutôt que pâles. En même temps que ces deux Turbots, j'en avais mis dans la même vasque. sablée un autre long de ?2 centimètres, éborgné plusieurs jours avant, et resté sur fond brun (voy. 17e Expérience). On devait également s'attendre à le voir changer rapidement de couleur : il n’en fut rien. Après sept heures écoulées ce Turbot est exactement de la teinte moyenne d’un aveugle placé sur le même fond de sable. Ce triple résultat presque négatif me surprit. Le temps, ce jour-là, était exceptionnellement sombre et froid, la température avait baissé, et la pluie ne cessa pas de tomber. Si la différence entre la quantité de lumière de chaque jour est peu remarquée par nous, ou du moins ne nous frappe que quand nous avons un emploi quelconque à faire de cette lumière qui manque, on peut admettre que cette différence affecte plus sensiblement certains animaux; on peut admettre que la rétraction habi- tuelle des chromoblastes n'avait pas eu lieu ce jour-là complètement chez les Turbots, par suite du peu d'intensité des radiations lumineuses émises par le sable. Nous devons ajouter que ce même jour d’autres Turbots tout pareils, portés à la place des précédents, d’un fond de sable sur un fond sombre, prirent rapidement la valeur de celui-ci, presque à vue d'œil. Mais c'est surtout en observant concurremment un certain nombre d'animaux opérés de sections nerveuses, placés ensemble dans une vas- que à fond brun, qu'on peut constater ces écarts dans la valeur relative des parties paralysées et non paralysées, sous les influences encore mal déterminées dont nous parlons. Les circonstances n’ont pas cessé d’être les mêmes ; tout au plus pourrait-on admettre qu’à certains jours, à cer- taines heures, l’eau coulait plus abondante, ou plus fraiche, ou plus aérée dans les vasques. Les animaux étaient, en général, gorgés de nourriture, et tous en fort bon point. Comme ils étaient sur fond brun, ils étaient tous très foncés, quoique dans des nuances différentes, les uns tirant au vert et les autres au roux; la taille n’était pas la même pour tous et non plus la disposition des taches, les uns appartenant à la variété granitée, les autres à la maculée; tous enfin avaient été opérés de sections nerveuses et offraient des paralysies locales plus ou moins étendues. Or, à certains jours, sans aucun changement apparent dans les con- ditions où vivaient les animaux, la région paralysée se détachait nette- ment en clair sur la teinte générale du corps; et d’autres jours, ou seule- ment quelques heures plus tard, cette région était à peine distincte ou même ne l'était plus. Il suffira ici de relever les notes extraites de notre journal, qui feront, mieux que toute indication générale, apprécier la réalité des changements dont nous parlons DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 297 Le 10 septembre 1871, vers midi, les parties paralysées des Turbots vivant sur le fond sombre, qui devraient se détacher en clair, sont à peine visibles. Elles l’étaient davantage dans la matinée, où le temps était plus clair. Elles deviennent très visibles cependant dès qu'on tourmente les animaux. Vers deux ou trois heures elles redeviennent parfaitement nettes. Le 18, le contraste entre la couleur de la peau et les parties pâles est beaucoup plus marqué le matin que dans le milieu du jour. Le 93, le temps est couvert; les taches sont très visibles en pâle. Le 26, quoique le temps soit sombre sur les cinq heures du soir, les taches des Turbots opérés sont à peine sensibles, contrairement à ce qu'on observait la veille. Le 27, il fait très sombre; les différences de coloration sont très peu accusées. On constate, une fois de plus, que l'influence est bien générale. Le 98 au matin, les taches sont à peine marquées ; elles sont, le soir, extrêmement apparentes. Malgré une seule exception qui se produisit le 27, sur un seul des animaux en expérience, et qu’il faut évidemment attribuer à une cause individuelle, la généralité du phénomène et l’extériorité de la cause dont il dépend ne sauraient être mises en doute. Quant à attribuer comme cause immédiate à ces changements l’état lumineux de l’atmo- sphère, c’est une hypothèse qu'il reste à vérifier. D’autres expé- riences poursuivies depuis cette époque dans un but différent ne ren- draient point invraisemblable que la pression barométrique y ait une part, sans doute en modifiant la tension des gaz contenus dans l’eau de mer (1). IV. — LA FONCTION CHROMATIQUE CHEZ LES CRUSTACÉS Les changements de couleur qu’on observe chez les poissons existent d’une manière tout aussi manifeste et se produisent d’après des lois identiques chez les articulés. Souvent ils présentent la complication que nous avons signalée chez le Callionyme. Nos observations ont porté principalement sur le Palémon (2. serratus) et sur le Crangon (C. vul- garis). Elles ont été faites, comme les précédentes, à Concarneau, dans (1) Pour le 10 septembre, en particulier, jour où débute la série d'observations en question, nous trouvons que la pression moyenne rapportée à zéro et au niveau de la mer pour Brest était seulement de 752,3 (renseignements commu- niqués par M. de Kermarec). Nous n'avons point la courbe des pressions jus- qu'au 28 septembre, mais il est probable que celles-ci n'ont pas cessé d’être très basses; on remarquera, au reste, que nous avions, dès l'origine, attribué les perturbations signalées au peu d'intensité de la lumière émise par le ciel, et que, dans le N.-O. de la France, ce peu d'intensité coïncide généralement avec les dépressions de la colonne mercurielle. 298 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET les mois de janvier et de février 1872, alors que la pêche à la Crevette est dans toute son activité. Les procédés employés ont été généralement les mêmes. Nous devons sixnaler toutefois un avantage particulier qu'offre chez ces animaux la multiplicité des membres. On peut toujours, en enlevant un de ceux-ei que l’on conserve par des procédés convenables, comparer l’animal à lui-même à deux moments successifs. Il suffit de comparer le membre coupé quand l'animal était pâle, par exemple, au membre correspondant observé sur l'animal quand il est devenu foncé. Palémon. — Les changements de couleur des Palémons, bien connus des pêcheurs, ont échappé à R. Warrington, qui a cependant publié sur cet animal des observations très précises (4). Les individus retenus en captivité pendant quelque temps dans les viviers de Concarneau se montrent, quand on les ramène avec le filet, teintés de différentes nuances, les uns plus rouges, les autres bruns ou bleuätres ou marqués de jaune. Les animaux, en cet état, ne peuvent servir d’une manière efficace à des études qui doivent toujours être faites sur un certain nombre de sujets à la fois et sur des sujets essen- tiellement comparables. Il est donc nécessaire de prendre des individus pêchés en mer, provenant autant que possible du même casier ou du même coup de drague. C’est, on le voit, des conditions analogues à celles que nous avons indiquées pour les poissons et en particulier pour les Gobies. On doit ensuite chercher à simplifier le problème en restreignant le nombre des combinaisons chromatiques possible, et pour cela il con- vient de rejeter les individus de grande taille, chez lequels on commence à découvrir à l'œil nu de larges chromoblastes jaunes étalés, soit de chaque côté des anneaux du corps, soit au voisinage des articulations des membres. Les individus sur lesquels nous avons fait nos expériences mesuraient, en général, de 3 à 4 centimètres de long. Sur les animaux de cette taille, on peut réduire à {rois les conditions de coloration qu'ils offrent (voy. PIN Te un2%8) 1° Un premier état est celui où les chromoblastes rouges sont à leur maximum de rétraction, et où il n'existe point de pigment bleu (2). Alors l’animal est d’un jaune sale, apparence due surtout à l'épaisseur de la couche chitineuse. Il est transparent. On ne devine nulle part l'existence de pigment rouge, excepté sur et entre les pédicules des veux où les chromoblastes rouges paraissent rester à peu près constam- ment dilatés. Nous désignerons cet état sous le nom d’éfat négatif, (1) Observ. on the Nat. Hist. and Habits of the Common Prawn (P. serratus). Dans Ann. and. Mag. of Nat. Hist., 1855, &. XV, p. 241. (2) Voy. Journal de l'Analomie, mai-juin 1873 : « Recherches anatomiques sur la coloration bleue des crustacés ». DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 299 comme étant celui où la couleur propre des tissus de l'animal est le moins modifiée. Nous désignerons de même tout crustacé offrant la couleur la moins foncée possible. 2% Un second état pour le Palémon est celui dans lequel les chromo- blastes sont comme précédemment au maximum de rétraction, mais dans lequel on trouve autour d’eux les tissus imprégnés de pigment bleu qui donne à l'animal une coloration bleuâtre transparente, ayant parfois une certaine intensité. C’est ce que nous appellerons l’état bleu. 3° Un troisième état enfin est celui dans lequel les chromoblastes rouges du Palémon sont plus ou moins dilatés ; alors ils dessinent sur les anneaux et le céphalothorax des lignes de points bruns; ils sont, en général, plus rouges au voisinage des articulations. Cette teinte rouge ou brune dépend de la quantité de pigment bleu déposée au voi- sinage des ramifications de l'élément contractile. L’intervalle entre les lignes de points dont nous parlons est ponctué à son tour de chromo- blastes moins volumineux et moins rapprochés, offrant également la teinte brune résultant de l’adjonction du pigment bleu. On conçoit, au surplus, que les chromoblastes rouges, se montrant plus ou moins dila- tés, cet état que nous appelons état positif puisse offrir de grandes variétés, depuis un coloris légèrement rosé jusqu'au rouge vif, par absence ou rareté de pigment bleu, que l’on constate souvent sur les plaques caudales. Le procédé expérimental, auquel nous nous sommes finalement arrêté pour étudier l'influence actinique du milieu est des plus simples. Dans un appartement tranquille, où l’on n’entrait point, nous avons disposé devant une fenêtre un certain nombre de plats creux, les uns de faïence vernie, représentant les fonds blancs, les autres exactement pareils, mais dont le fond était peint en noir. A la vérité, on distingue mal l’état positif ou négatif d’un Palémon dans un plat ainsi peint en noir. Mais ces fonds unis et sans réflexions multiples nous ont paru en somme avoir de grands avantages sur les vases de verre enveloppés d'étoffes de couleur. Ce dernier procédé ne doit être employé que quand on veut pouvoir instantanément placer les animaux à comparer sur le même fond, sans les troubler, afin d'apprécier des différences de coloration peu considérables ou très fugitives. Mais ce n'était pas le cas dans les recherches que nous entreprenions sur les Palémons. Pour comparer un individu placé sur fond noir à un autre, on peut verser simplement celui-là avec l’eau, dans le vase où est celui-ci, ou bien l'y porter en le prenant par les antennes. Les Palémons vivent très bien dans ces condi- tions, pourvu qu'on ait soin de renouveler l’eau deux fois par jour environ en hiver et de les bien nourrir. Il faut seulement recouvrir d’une plaque de verre les plats où sont des animaux que l’on tient à conserver. Sans cela, il peuvent sauter en dehors. Un premier fait constant pour le Palémon, c'est que la qualité plus 300 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET ou moins éclairante du fond réagit sur l'état de dilatation des chromo- blastes, en sorte que sur un fond obscur les animaux sont en état positif et retombent vite à l'état bleu, puis négatif si on les remet sur fond clair. Des Palémons gardés dans un plat blane y restent indéfiniment à l’état négatif, sans que rien chez eux amène la dilatation des chromo- blastes, sauf la présence ou le voisinage d’un corps peu éclairé : ce dernier peut être un autre individu en état actif. Nous empruntons à une de nos expériences l'exemple d'un Palémon resté ainsi en état négatif pendant plusieurs semaines. 29e Expérience. — Le 22 janvier 1872, six Palémons sont apportés dans un panier ils sont en état positif, comme c’est le cas ordinaire dans ces conditions. Mis sur du sable dans une cuvette de verre, ils deviennent négatifs. Trois d’entre eux, placés dans une seconde cuvette de verre enveloppée de papier noir, sont trouvés tous les trois, à 5 heures du soir, en état positif. Le lendemain 23, à 1 heures, ces trois Palémons remis sur fond blanc changent rapidement; à 11 heures et demie ils sont négatifs. — Ils sont placés de nouveau sur fond noir et couverts d'une étoffe noire : une heure après ils sont redevenus positifs. A partir de ce moment, 23 janvier, un de ces Palémons est laissé sur fond blanc et reste absolument négatif jusqu'au 12 février, c’est-à-dire 18 jours. Le 12 février il change de peau et paraît avoir une certaine tendance à devenir positif. Il est mis sur fond noir; au bout de deux heures il est en état positif, violacé. Les grandes antennes sont légèrement bleuâtres et les articles des membres sont d’un bleu franc. Il est alors replacé sur fond blanc. Le lendemain il est absolu- ment incolore, sans trace de bleu, et reste ainsi négatif jusqu’au 29 février, moment où finit l'observation. Nous avons cité cet exemple, parce qu'il offre une durée relativement longue sans changements de coloration, et nous entendons ici sans le moindre changement. Tous les crustacés qui subissent l'influence acti- nique comme les Palémons ne la subissent pas d’une manière aussi régulière, aussi nette. On peut comparer ces derniers sous ce rapport aux Turbots, de même que d’autres crustacés, tels que la Crevette grise (Crangon vulgaris), semblent parfois, ainsi que nous le verrons, obéir à des influences intérieures comparables à celles que nous avons signalées comme venant compliquer la fonction chromatique chez les Gobies. Les qualités actiniques du fond ont donc une incontestable influence sur l’état de dilatation ou de retrait des chromoblastes. Il resterait, à la vérité, à rechercher — comme d’ailleurs pour les poissons — quelle valeur exacte il convient de donner à ce mot fond que nous employons dans son acception vulgaire. Il paraît certain toutefois que le fond proprement dit ou le sol sur lequel repose l’animal a la plus grande part d'influence. En disposant, au-dessus d’un plat blanc dans lequel vivent des Palémons complètement négatifs, un écran noir qui recouvre un quadrant complet} on les voit affecter de se tenir au-dessous de celui-ci, DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 901 et cependant ne rien perdre en même temps de leur état négatif. L'écran était disposé du côté opposé à celui d’où venait la lumière. Nous n'avons pu constater chez les crustacés que l'habitude ait ici l'influence signalée plus haut chez le Turbot. Après dix-huit jours, la dilatation des chromoblastes s’est faite avec autant d’aisance que si elle venait d’avoir lieu. Toutefois il convient de signaler une différence anatomique qui peut expliquer cela. Les chromoblastes des crustacés ne sont pas pas ordinairement, comme chez les vertébrés, inclus dans un tissu plus ou moins dense formé d'éléments entre lesquels le sarcode doit se frayer un passage plus ou moins facilement. Les chromoblastes des articulés tapissent, la plupart du temps, des cavités pleines d'humeurs, et sur les parois desquelles ils s'étalent sans avoir les mêmes résistances à surmonter. Nous parlerons plus loin des changements de coloration du Crangon, qui sont plus complexes. Mais nous avons rencontré des faits exacte- ments comparables à ceux qu'offre le Palémon, sur un autre crustacé tout voisin (Pasiphæa?). 30e Expérience. — On nous apporte un individu de cette espèce pêché avec des Palémons. L'animal est d’un jaune pâle et sale, se rapprochant de la couleur indécise qu'ont les larves de libellule, moins la transparence. Les Palémons, au milieu desquels l'animal est apporté, sont tous plus ou moins positifs, ce qui pouvail porter à croire que cette coloration jaunâtre n'était point un état négatif. Toutefois, au microscope, on découvre sur les pattes de petits chromoblastes rouges rétractés. L'animal fut aussitôt mis sur fond noir où il devint le jour même d’un beau rose. Replacé sur fond blanc, il fallut deux jours pour que les chromoblastes reprissent leur état de rétraclion maximum, et pour que l'animal revint à l’état où on l'avait apporté, c'est-à-dire complètement négatif. Il est alors remis sur fond noir, et le lendemain il est rose, mais la teinte est moins générale ; l'animal a d’ailleurs subi plusieurs ablations de membres et paraît affaibli. Néanmoins on le replace encore sur fond blanc, où il revient encore en vingt- quatre heures à l’état négatif, sans avoir passé cette fois ni les autres par l’état bleu. Le Palémon, au contraire, présente constamment l'état bleu en pas- sant de l’état actif à l’état négatif. Le pigment bleu, qui apparaît dans les tissus, autour des ramifications des chromoblastes rouges dilatés, ne disparaît pas aussitôt qu'ils se rétractent; il persiste un certain temps dans les éléments qu'il imprégnait, puis peu à peu on n’en découvre plus. Jamais il ne se montre quand l'animal passe de l’état clair à l’état foncé. Nous avons signalé ailleurs (1) les points principaux de l’histoire de ce pigment. On trouve chez le Palémon un certain nombre de chromoblastes ‘aunes associés aux chromoblastes rouges dès l’œuf, et alors que le (1) Voy. Journal de l'Analomie, mai-juin 1875. 302 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET a vitellus fait encore environ les deux tiers de la masse de celui-ci. Chez le Palémon arrivé à une certaine taille, la coloration des chromoblastes varie du jaune pur au rouge pur. Le pigment mélanique grenu paraît rare, combiné avec le sarcode : on trouve seulement vers le bord externe des lames céphaliques ; en dessus, des granulations qui appar- tiennent peut-être à cette variété, mais qui ne paraissent reliées à l’exis- tence d'aucun élément anatomique spécial; elles sont éparses dans tout l'hypoderme et doivent être les analogues des granulations qui donnent aux balanes et aux anatifes la coloration brune qu’offrent ces animaux au-dessous du test, dans les parties où le tégument est mince. Les chromoblastes jaunes du Palémon ne suivent point les mouve- ments des chromoblastes rouges. Ils ont, en quelque sorte, une physio- logie spéciale. Nous retrouverons chez le Crangon un exemple de compli- cation de la fonction chromatique tout semblable à celui que nous avons signalé chez le Callionyme. Ces chromoblastes jaunes du Palémon peuvent atteindre de très grandes dimensions, et devenir nettement visibles à l'œil nu. Quand on les examine au microscope binoculaire, leurs prolongements partant d’un centre commun se montrent ramifiés de tous côtés comme une broussaille. On distingue souvent au centre de celle-ci, au point de départ même des branches, un chromoblaste rouge rétracté, mais qui peut aussi, sous certaines influences, mêler ses expansions à celles du chromoblaste jaune, de manière à rendre l’ana- lyse de l’ensemble assez difficile. Nous avons signalé chez le Crangon (voy. p. 223) un cas plus complexe encore de cette gémination cellu- laire. Entre les chromoblastes Jaunes et les chromoblastes rouges du Palé- mon, on peut observer des éléments dont la couleur orangée est intermé- diaire à celle des deux variétés extrêmes. On trouve enfin, dans les tissus du Palémon, des gouttelettes à bords foncés, brillantes au centre, tantôt rouges et tantôt jaunes, souvent les deux nuances associées l’une près de l'autre; ces gouttes jaunes, rouges ou de teinte intermédiaire ont toujours plus d'éclat, ainsi que nous l'avons dit, que la matière colo- rante combinée avec le sarcode des chromoblastes. On peut également découvrir dans le tissu hypodermique des gouttelettes bleues, mais qui n’ont rien de commun, indépendamment de la couleur, avec les précé- dentes, soit par leur distribution, soit par leurs qualités physiques de réfringence, etc. Le même rapport de voisinage entre un pigment diffus appartenant au groupe cyanique et les chromoblastes rouges se retrouve chez un certain nombre d’autres crustacés. Nous l'avons signalé chez les jeunes Homards qui sont bleus ou verts (bleu et jaune) quand leurs chromoblastes rouges sont rétractés. Seulement ici cette coloration nous a paru fixe. Elle n’a pas le caractère passager que présente l’état bleu des Palémons. La DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 303 nuance verte, dans ce cas, semble simplement due à la combinaison de la couleur jaune du test quand approche la mue, avec la couleur bleue généralisée dans les tissus profonds. On trouve parfois la même couleur verte chez le Palémon, due à la même cause, surtout au dos où le test est épais et très jaune. L'Hippolyte présente à ce point de vue une particularité non moins remarquable. La coloration bleue ou verte des tissus profonds est per- manente comme chez le jeune Homard ; comme les chromoblastes sont petits, peu nombreux et assez peu expansibles, ils n'arrivent qu'à modifier faiblement la couleur : l'animal n'apparait jamais rouge; il passe seulement du bleu ou du vert au brun rougeâtre. Un dernier fait non moins significatif dans l'histoire de cette relation des pigments rouge et bleu est encore offert par ce crustacé : la large raie blanche qu'il porte le long du dos est due à la présence de chromoblastes jaunes et à l'absence au même niveau de toute coloration bleue, tandis que celle-ci se montre de chaque côté, aussitôt que les chromoblastes rouges reparaissent nombreux. Influence des nerfs. — Ce point établi, que le fond exerce une influence sur l’état de contraction ou de dilatation des chromoblastes des crustacés, nous devions rechercher si les yeux composés de ces ani- maux allaient être, comme l'œil simple des poissons, les régulateurs de la fonction. Le Palémon auquel on a pratiqué l’ablation des yeux ({) passe et reste en état positif, comme s'il était sur fond noir. L'animal résiste assez bien à l'opération. Il nous a paru la supporter d'autant mieux qu'il est de plus grande taille. En opérant des Palémons de petite dimension, tels que ceux que nous avons indiqués comme étant surtout favorables aux expériences sur les modifications de couleur, on voit la mort survenir assez souvent. Nous avons pu cependant conserver trois petits Palémons ainsi aveuglés, depuis le 7 jusqu’au 27 février, époque où nous avons dû les perdre de vue. Nous en avions opéré six sur lesquels trois étaient morts dès la seconde heure. (4) Les Palémons usent peu de la mobilité assez grande des pédicules qui portent leurs yeux. Ils peuvent très facilement (et ils le font à chaque contrac- tion de leur queue quand ils fuient en arrière) ramener leurs yeux contre le rostre. C’est encore ainsi que l'animal les place quand on le tient et qu'on fait mine de s'attaquer à ces organes. Le plus ordinairement, les yeux restent diver- gents. Quand un Palémon en marche se dispose à changer de direction en incli- nant à droite ou à gauche, son premier acte est de tourner simultanément les deux yeux dans la direction nouvelle qu'il se propose de suivre, en leur faisant décrire un mouvement angulaire rapide et d’ailleurs très court, car l'œil du côté où se tourne l'animal, déjà divergent, est presque aussitôt arrêté par une saillie du test, et l’autre œil ne vient en dedans, où il a cependant toute fatitude, que d’une quantité égale. C'est là encore un argument en faveur de cette opinion que les yeux mosaïques des insectes ne sont point des appareils dioptriques et que chacun d'eux est comparable à un seul élément rétinien, jouant de part et d'autre le rôle des points correspondants de nos deux rélines. 304 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET 31° Expérience. — Le 7 février 18172, sur six Palémons de petite laille pêchés la veille et maintenus dans un courant d’eau, on pratique l’ablation des yeux avec le plus de soin possible, en veillant à couper nettement la base du pédicule. L'opération est faite à deux heures : à quatre heures cinquante, trois des Palé- mons sont morts. Les trois qui survivent sont en état positif. Le 8, ils sont complètement positifs et offrent la posture habituelle aux aveu- gles (Voy. ci-dessous). Le 9, ils mangent Le 12, le 14, le 21, rien de nouveau. Le 25, un des Palémons semble plus rouge, et les deux autres plus pâles. Un de ces derniers est placé sur fond noir pour vingt-quatre heures : au bout de ce temps, il ne présente aucune modification appréciable. Le 26, un nouvel écart de couleur est signalé entre deux Palémons, comme si l'un avait plus de pigment bleu que l’autre. Le 27, l'écart est plus accusé. Celui qui était et qui continue d’être plus rouge est tué. Les membres et les plaques internes de la queue sont examinés. Celles-ci en particulier offrent des chromoblastes rouges à l’état d'extrême dilatation; mais, au centre de l'organe, l'expansion est loin d’être aussi marquée. On voit des chromoblastes rouges et d’autres jaunes conjugués les uns et les autres, presque complètement rétractés. Malgré quelques écarts individuels, l’état constant des chromoblastes sur les Palémons aveuglés est l'extrême dilatation. Sur un Palémon aveuglé et mort par accident vingt-sept jours après, les chromoblastes rouges des plaques caudales sont en quelque sorte émiettés. Plusieurs ramifications sont terminées en massue, comme si le prolongement sarcodique arrêté dans sa marche par quelque obstacle avait continué de couler sur lui-même. La plupart des prolongements sont extrêmement rameux et enlacent leurs branches. Dans certains cas, il semble même que le centre commun ait disparu pour faire place à un enchevêtrement mutuel, sur lequel on aperçoit un certain nombre de noyaux, mais sans que nous puissions dire si cette multiplication réelle ou apparente des noyaux est, dans ce cas particulier, une conséquence de l’ablation des yeux et de la dilatation prolongée de l'élément. Ce Palémon aveuglé avait été maintenu sur fond blanc pendant les vingt-sept jours qu'il vécut; il n’a pas cessé un instant d’être en état positif des plus caractérisés. Il en fut de même d’un autre un peu plus grand que nous conservàämes du 24 janvier au 27 février, soit trente- quatre jours, après quoi on le tua. Ce dernier avait changé de peau le 12 février, treize jours par consé- quent après l'opération (1). La mue mit à découvert des bourgeons d'yeux qui se seraient probablement complétés avec rapidité aux mues 4) R. Warrington, Loc. cit., estime que les mues se succèdent, même en capti- vité, à trente jours de distance au plus. La moyenne du temps qui les sépare est probablement moindre. On a un signe certain de leur approche dans la forma- tion d'une marge rousse sur le bord des plaques caudales, due aux étuis dans lesquels se développent les plumules du nouveau test. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 309 suivantes. L'animal avait antérieurement subi des sévices et portait, quand nous l'avons aveuglé, les premiers rudiments de membres de remplacement; la mue dont nous parlons les montra beaucoup plus développés, avec tous les articles nettement visibles. Toutefois ils restè- rent encore immobiles, au moins dans les premiers jours. Ils étaient complètement négatifs, mais on y vit peu à peu se développer des chro- moblastes rouges. Le premier apparut à la base des deux pièces de la grosse pince terminale. Le 27 février, au moment où cessa l’expérience, il y en avait sur tous les articles de ces pattes en régénération. Ces chro- moblastes de nouvelle formation étaient à l’état d'expansion extrème, très pâles, avec des ramifications très grêles s'étendant à une grande distance, et présentant aussi des anastomoses entre elles. Les yeux res- tèrent jusqu à la fin de l'expérience sans trace de pigment. On peut observer sur les Palémons aveuglés, comme sur les Turbots, de légers écarts de coloration, qu'il est assez difficile de mesurer, parce que les points de comparaison font défaut. C'est ainsi qu'il nous a paru, pendant un certain temps, que le gros Palémon aveuglé dont nous venons de parler était devenu progressivement de plus en plus pâle, puis qu il avait repris, quelque temps après la mue, et quand déjà exis- taient des bourgeons oculaires, toute l'intensité primitive de sa couleur. Tandis que le Crangon ne survit que très difficilement à l’ablation des yeux, celle-ci, moins dangereuse pour le Palémon, semble également le gêner fort peu. Il continue de vivre comme par le passé, trouvant la nourriture qu'on lui jette avec une grande aisance et bataillant parfois pour elle contre ses compagnons aveugles ou voyants. La cicatrisation des plaies se fait vite. Enfin, outre la couleur foncée, l’animal aveuglé offre un changement d'attitude tout particulier. A l'état normal, le Palémon, surtout quand il est jeune, affecte une posture invariable, soit qu'il repose sur le fond horizontal du bassin où il vit, soit qu'il se tienne accroché aux parois, et de quelque côté que vienne la lumière. Il porte le céphalothorax relevé; le plan des lames céphaliques prolongé en arrière va rejoindre le sol au voisinage de la queue; l'abdomen est cambré à partir du premier anneau, et les plaques caudales étalées reposent par leurs extrémités sur le même plan que les pattes. Dès que l’ablation des yeux a été pratiquée, le Palémon prend une attitude nouvelle. Nous l'avons observée constamment et vue persister tout le temps chez les individus que nous avons gardés aveugles plus de cinq semaines. Nous n’avons noté qu'un seul cas où elle ne se soit pas pré- sentée : c'était sur un individu qui, antérieurement à l’ablation des yeux, avait subi la section de la moelle abdominale. Dans cette attitude nou- velle des Palémons aveugles, la tête n’est plus relevée : le céphalothorax est plutôt incliné en avant; l'abdomen continue la direction du céphalo- thorax ; il décrit le même arc de cercle que d'habitude, mais celui-ci : n’aboutit plus au plan sur lequel repose l’animal. Les plaques caudales 20 306 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET sont tenues distantes du sol presque autant que la tête. L'animal semble s'être relevé sur ses membres postérieurs tandis que les antérieurs ont fléchi. Quant à la raison qui détermine cette posture, il nous est impos- sible de l'indiquer. Un point important à propos du procédé pour pratiquer l’ablation des yeux du Palémon est d'avoir soin de couper le pédicule avec des ciseaux bien tranchants, le plus près possible de son insertion, là où il est le plus étroit. Faute d'opérer ainsi, on éprouve des contre-temps. Nous avions d'abord songé à pratiquer l’écrasement du bulbe nerveux qui sert de soutien aux éléments de l’œil-mosaïque, mais nous pûmes constater que l’on provoque ainsi, toujours, des accidents nerveux spéciaux : on fait perdre à l'animal la coordination de ses mouvements ; il devient ataxique. Pour arriver sûrement à ce résultat, il ne faut pas écraser violemment les bulbes, ce qui équivaut à une véritable destruc- tion ; il faut faire avec les mors d’une pince des compressions d’abord ménagées, puis plus énergiques, qui désorganisent l’intérieur du pédicule et de l’œil sans entamer le tégument. Si l’on jette alors l’animal dans l’eau, on s'aperçoit aussitôt qu'il ne se dirige plus et qu'il n’a plus son équilibre. Il va au hasard, nageant sur le dos ou sur le côté indiffé- remment. Il tourne sur lui-même et prend dans l’eau un mouvement de manège parfois à rayon très court, tout en gardant une position telle que l'axe du corps est presque vertical. Un Palémon ainsi opéré de l’écrasement des bulbes le 7 février a vécu en montrant toujours les mêmes accidents jusqu’au 13, et aurait sans doute pu vivre encore ; il a sauté du plat où il était en observation. Faut-il attribuer à la lésion du bulbe oculaire lui-même ces troubles de locomotion ? Nous avons pu nous assurer qu'on ne les faisait pas cesser en coupant ensuite le pédicule de l'œil. L’explication probable est qu'en comprimant le bulbe et l'œil renfermées dans l'enveloppe inextensible où ils sont placés, on en refoule la substance de proche en proche par le nerf optique jusqu'aux ganglions cérébraux qui sont ainsi lésés dans une certaine mesure, et par suite donnent naissance aux phéno- mènes ataxiques signalés. L'ablation des yeux chez les crustacés ou du moins chez le Palémon, comme chez le Turbot, amène donc une paralysie relative des chromo- blastes. Il restait à rechercher, comme chez le Turbot, quel chemin suit l'inuence partie des ganglions cérébroïdes. Mais nos tentatives pour éclaircir ce point sont restées complètement infructueuses. Nous avons d'abord essayé de sectionner le cordon abdominal à différentes hau- teurs, entre deux anneaux. Les animaux, quand l'opération est bien faite, résistent facilement ; la plaie se cicatrise. Les muscles situés en arrière de la section sont visiblement paralysés, mais ne deviennent pas opaques et ne prennent point l’aspectlaiteux qu'ils offrent après d'autres lésions. Les chromoblastes continuent de se dilater et de se rétracter par DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 301 les influences habituelles, au-dessous comme au-dessus de la section. Il n’y a donc aucun changement. Nous avons cherché si on pourrait amener un trouble unilatéral de la fonction, soit par l’ablation d’un seul œil, soit par la section d’un des connectifs, que l’on pratique aisément dans le sillon qui limite l’émi- nence triangulaire surmontant la lèvre... Toutes ces tentatives ne nous ont donné aucun résultat. Nous avons voulu essayer alors de couper les fibres nerveuses décrites comme descendant sur les parois du vaisseau dorsal. On peut constater tout d’abord que la section de celui-ci abolit la fonction chromatique ; mais en même temps que les chromoblastes sont certainement immobi- lisés, on voit survenir un état laiteux de toutes les parties situées en arrière de la lésion. Les museles offrent cet aspect en même temps qu'ils deviennent incapables d'aucune contraction ; puis, au bout d’un certain temps, l'animal meurt. Après la section du vaisseau dorsal entre les anneaux de la queue, on observe parfois sur le premier qui suit la lésion une paralysie unilaté- rale. C'est-à-dire que d'un côté les chromoblastes s'y comportent comme au céphalothorax et aux anneaux au-dessus de la section, et de l’autre côté du même anneau comme sur le reste de l'abdomen en arrière. Il semble d’ailleurs qu'il y ait à la suite de cette opération véritable névrose plutôt que paralysie de la région postérieure à la lésion, car parfois elle prend la coloration rouge caractéristique (analogue à celle de la cuisson) que développe la mort. Quoique ces expériences ne nous aient fourni aucun résultat important pour le but que nous avions en vue, nous croyons devoir rapporter la suivante : 32e Expérience, — Le 26 janvier 1872, un certain nombre de Palémons adultes, pêchés dans le vivier, sont opérés, entre les anneaux, de la section du vaisseau dorsal, Le 27 janvier, deux seulement survivent. Un d'eux se tient sur ses pattes, se déplace, il peut même imprimer encore de faibles secousses à son abdomen. Sur tout le céphalothorax les chromoblastes sont dilatés; ils le sont également sur tout le premier anneau, mais seulement sur la moilié droite du second. Ils sont également dilatés sur une faible étendue du troisième anneau, également à droite. Au contraire les chromoblastes des autres portions de ces anneaux et des suivants sont rétractés, et la masse musculaire correspondante offre un aspect laileux opaque. Les 28 et 29 janvier, le contraste persiste. Le 30 janvier, la délimitation entre la partie en état positif et le reste est abso- lument nette. Le premier anneau est positif comme le céphalothorax, la moitié droite du second, et une partie du troisième du même côté. En dehors de ces régions les tissus sont laiteux, peut-être déjà morts, Le 2 février, l'animal paraît très faible, l'extrémité du corps offre la teinte rose de la crevette cuite, peu foncée. Le 3 février, l'animal est trouvé mort, 308 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Crangon. — Nous avons dit plus haut que chez le Crangon les influences actiniques du milieu produisaient un effet aussi sensible que chez le Palémon ; elles sont seulement d’une étude plus délicate, pro- bablement en raison d’une activité cérébrale plus grande. Il semble qu'on puisse, sous ce rapport, rapprocher le Palémon du Turbot, et le Crangon du Gobius niger. Les écarts qui se produisent dans les expé- riences ne peuvent toutefois en modifier le caractère général. Mais, de plus, la fonction chromatique chez le Crangon offre une com- plication spéciale de même ordre que celle que nous avons signalée chez le Callionyme lyre. Nous sommes en présence de deux ordres de chro- moblastes de couleur différente, se contractant ou se dilatant sous des influences inverses. Nous ne retrouvons pas ici d'état négatif proprement ‘dit, dans lequel tous les chromoblastes de l'animal soient contractés à la fois. - On à vu plus haut, dans la Partie anatomique, qu'il existait chez le Crangon trois sortes de chromoblastes: des rouges (qui comptent à peine), des jaunes et des violets. Il n’y a pas formation de pigment bleu, ce qui semble en rapport avec le petit nombre et le peu d'importance des chromoblastes rouges. Si maintenant l'on examine ce qui se passe dans les chromoblastes d’un Crangon mis alternativement sur fond clair et sur fond obseur, ce que l’on observe ne concorde plus du tout avec ce que nous avons vu chez le Palémon. Les différentes phases des changements peuvent d’ailleurs être facilement suivies avec une loupe et presque à l’œil nu, tant les éléments, dont la dilatation ou le retrait réciproques causent ces chängements, sont volumineux. Il faut distinguer chez le Crangon certaines régions où les phénomènes qui modifient la couleur, et par suite les différences qu'offre celle-ci, ne sont pas les mêmes; ainsi d’une part les plaques caudales, et de l’autre les pattes, etc. Nous commencerons par les plaques caudales. Celles-ei peuvent passer d’une sorte de transparence avec un fin piqueté noir à une teinte violette foncée, étendue sur toute la plaque comme un lavis. Si l’on recherche avec le microscope la raison de ce double aspect, on trouve que dans le premier les chromoblastes jaunes sont à un cer- tain état de dilatation qui n’arrive point à masquer complètement la transparence des tissus profonds, tandis que les chromoblastes violets sont en état complet de rétraction. On les voit appliqués comme des points noirs sur l’origine des gros troncs des chromoblastes jaunes. Quand les plaques caudales présentent la seconde apparence (violet foncé), on trouve au contraire les chromoblastes violets dilatés extraor- dinairement et formant tous ensemble un réseau inextricable dont les mailles mesurent à peu près le diamètre des cellules hypodermiques. Il est évident que la substance sarcodique s’est répandue dans les sillons qui séparent ces cellules, et l’on peut s'assurer qu'elle se confond et qu'il y a continuité d’un chromoblaste à l’autre. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 309 La distinction anatomique entre ces deux états de plaques caudales est des plus nettes et des plus aisées à constater. Toutefois, quand on veut conserver dans le sucre incristallisable des préparations qui la mon- trent, on voit que ni l’une ni l’autre des deux dispositions opposées ne restent entièrement ce qu’elles étaient. La lame caudale transparente devient plus foncée, surtout vers les bords, par la dilatation des chro- moblastes de cette région ; tandis que la lame violette au contraire perd un peu de sa nuance par suite du retrait partiel des mêmes chromo- blastes. Aux fausses pattes, aux antennes, aux pattes et, d'une manière géné- rale, sur tous les appendices du corps, sauf les plaques caudales, les apparences extrêmes observées ne sont pas les mêmes, en raison d’une structure anatomique un peu différente. Quand l'animal est sur fond clair, ces parties, au lieu d’être transparentes comme les lames cau- dales, ont une couleur blanchâtre et mate avec de petites taches noires mal circonscrites. A la loupe, il n’est pas difficile de reconnaitre que ces taches, fondues sur les bords, ne sont rien autre chose que des chromo- blastes violets en état d'expansion. Quant au fond blanc et mat, le microscope montre que sa coloration est due à une expansion extrême des chromoblastes jaunes, dont les ramifications forment au-dessous de l'hypoderme un réseau continu, d’où provient cette apparence, et sur lequel se détachent les chromoblastes violets en état d'expansion moins prononcée. ms Au contraire, quand l'animal devient foncé, pour se mettre en har- monie avec un fond obscur, les membres, les antennes, les fausses pattes en particulier, ont une couleur générale brunâtre avec des points d'un blanc éclatant, parfaitement limités, qui ressortent. Ces points blancs, symétriquement agencés, se voient très bien à l'œil nu. Avec le microscope, on s'assure que la teinte générale foncée est due à l’expan- sion des chromoblastes violets, accompagnée de la rétraction maximum des chromoblastes jaunes, dont les plus gros forment ces points blancs qui tranchent sur le fond obscur du tissu. Il est très facile, en comparant les appendices symétriques d'un même individu, successivement enlevés quand il est clair et quand il est foncé, de se rendre compte et de démontrer qu'il en est bien ainsi que nous venons de le dire. La comparaison est surtout commode sur les grandes antennes, où l'éloignement, l'isolement des éléments permettent de donner plus de précision à l'observation: les chromoblastes, espacés les uns des autres dans ces organes, sont violets, jaunes et rouges. Mais les rouges, peu nombreux, à peine ramifiés, n’entrent point en compte et n'influent pas sensiblement sur la coloration. L'antagonisme que l’on remarque ainsi chez le Crangon, entre les chromoblastes jaunes et les violets, n’est pas général; il ne s'étend pas uniformément à tous les éléments contractiles de même espèce. 310 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET EXPLICATION DE LA PLANCHE V F1G. 1. — Crangon près d’éclore, dans son œuf, montrant la place des premiers groupes de chromoblastes. F1@. 2. — Chromoblastes de Crangon peu après l’éclosion. A et B. Chromoblastes violets et jaunes. C. Chromoblastes rouges. Fic. 3 et 4 . — Deux groupes de chromoblastes du même dissociés en partie seulement. F1G. 5. — Chromoblaste du même offrant de très longs prolongements. FiG. 6. — Région abdominale de jeunes Crangons éclos depuis vingt-quatre heures environ montrant l'état d'expansion et de retrait relatif des chromoblastes jaunes et violets qui accom- pagnent chaque ganglion nerveux. A. Animal demeuré sur found clair. B. Animal transporté depuis quelques instants seulement sur fond clair après avoir séjourné sur fond noir. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 311 PLANCHE V Pouchet ad nai del CRANGON, CHROMOBLASTES EMBRYONNAIRES. de RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET EXPLICATION DE LA PLANCHE VI Fi. 1, — Iridocytes du Lézard vert, vus par transparence. C’est par erreur que ces éléments ont été indiqués, page 254, comme n'offrant pas de noyau. Celui-ci, difficile à distinguer quand les éléments sont rapprochés et entremêlent leurs prolongements au voisinage du derme, est nette- ment visible sur les cellules isolées que l'on trouve çà et là plus profondément. FiG. 2. — Iridocytes du doré de la grenouille, vus par transparence (voy. p. 251). F1G. 3. — Coupe schématique de la peau du caméléon (voy. p. 255 et suiv.). a. Couche cornée de l’épiderme. b. Couche muqueuse de l'épiderme. c. Derme au-dessous duquel est appliquée une couche de chromoblastes jaunes. d. Couche cérulescente formée d'iridocytes bleus à la lumière réfléchie, confondus et dis- posés en colonnes. e. Portion de l'aponévrose sous-cutanée remplie d'iridocytes blancs à la lumière réfléchie, formant écran, et dans laquelle sont plongés des chromoblastes rouges ; immédiatement au- dessous d'elle, on voit les chromoblastes noirs envoyant, quand ils sont étalés, tous leurs prolongements vers l'extérieur. f. Couche profonde de l'aponévrose sous-cutanée montrant, à l'état d'isolement, des irido- cytes semblables à ceux qui, plus abondants, forment l'écran. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 913 CJO Je RC] ce JUSAINe | Pouchet ad natdel IRibocytTEs pu LÉZARD VERT. — IRIDOCYTES PU DORÉ DE LA (GRENOUILLE COUPE SCHÉMATIQUE DE LA PEAU DU CAMÉLÉON. 314 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Comme le Callionyme, le Crangon prend, selon le fond sur lequel il est placé une livrée spéciale. Sur fond clair, par exemple, il arrive que tels chromoblastes jaunes se rétractent et tels autres se dilatent plus ou moins; de même pour les violets. Il se passe là une action élective dont nous ne pouvons, dans l’état actuel des sciences biologiques, comprendre ni la portée ni le mécanisme, et qu'il faut se borner à constater en invoquant ces exemples multiples. En étudiant le développement des groupes de chromoblastes que présente le Crangon dans l'œuf et que nous avons décrit plus haut, nous avions été frappé d’une particularité offerte par ceux de ces groupes qui se trouvent à la naissance des membres. Tandis que les ramifications du chromoblaste violet étaient fort peu étendues et à peu près également en tous sens, celles du chromoblaste jaune s’avancaient constamment fort loin, presque jusqu'à l'extrémité du membre. Nous crûmes d’abord que cette expansion plus grande était une particularité spécifique des chro- moblastes jaunes ; mais plus tard, alors que nous eûmes constaté l’anta- gonisme des deux ordres de chromoblastes, notre attention se reporta sur ce point. Tous les œufs examinés par nous étaient ceux de Crangons qui avaient séjourné dans des plats blancs, c’est-à-dire dans des condi- tions favorables à l'expansion des chromoblastes jaunes et au retrait des violets : il n'était pas impossible que cette simple circonstance expliquât la différence observée dans l’aspect des chromoblastes jaunes et violets de l'embryon. La plupart des œufs étaient alors éclos et nous ne pûmes, à ce moment, recommencer l'étude comparative du développement de l'embryon sur fond clair et sur fond sombre, pour rechercher si les propriétés actiniques différentes des deux milieux avaient une influence sur le développement des deux ordres d'éléments. Quelques expériences faites, à défaut d'œufs, sur les Crangons qui venaient de naître, nous portèrent à penser qu’une telle recherche aurait pu donner d'importants résultats. Dès la naissance, en effet, les jeunes Crangons sont sensi- bles à la qualité de l'éclairage du fond. Toutefois, l'observation est un peu délicate, parce qu'il faut porter sous le microscope ies animaux pour les étudier, et que ce changement suffit à altérer l’état de dilata- tion relative qu'offraient entre eux, quelques instants auparavant, les éléments contractiles. Les groupes de chromoblastes qui paraissent à cette époque le plus propres à ce genre de recherche sont ceux qui accompagnent chacun des ganglions du cordon abdominal. Plusieurs expériences répétées sur des Crangons au premier et au deuxième jour de l’éclosion nous ont démon- tré que, dès cette époque, selon que le jeune individu se trouve sur fond noir ou sur fond clair, c’est le chromoblaste violet ou le jaune qui se dilate. Ces faits bien constatés, rapprochés de l’aspect offert par les groupes de chromoblastes des membres dans l'œuf, ne permettent guère DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 9319 de douter qu’on puisse établir même sur l'embryon non éclos l'influence actinique du milieu (voy. PLV, fig. 6). Enfin, en rapprochant la constitution de l’œil-mosaïque pendant la période embryonnaire de celle qu'offrirait l'œil régénéré des Palémons aveuglés quand ils recommencent à être sensibles aux influences du dehors, on pourrait arriver peut-être à déterminer les conditions anato- miques nécessaires à ce genre d'impressionnabilité de l'œil, chez les articulés. V.— INFLUENCE DE L'OBSCURITÉ SUR LA FONCTION CHROMATIQUE Un fait dont on est immédiatement frappé dans l'étude de la fonction chromatique, c’est que l’obseurité de la nuit n’a aucune influence sur les changements que présentent les animaux, tandis que l'obscurité artificielle provoque, au contraire, des modifications qui, pour n'être pas constantes ni toujours bien définies, n’en sont pas moins sensibles. Ceci doit être sans doute attribué à une distinction instinctive que fait l'animal entre l'obscurité périodique et nécessaire de toutes les vingt- quatre heures, et les conditions accidentelles et variables au milieu des- quelles il se trouve placé. Reste à savoir s'il ne serait pas possible d’ar- river à tromper et à dévoyer l'instinct, en substituant la périodicité d’une lumière artificielle à celle du jour et de la nuit. Nous n'avons point fait d'expérience dans cette direction. Et même les seules que nous ayons instituées sur l'influence de l'obscurité ont porté sur des ani- maux tels que les Gobies et les Crangons, extrêmement peu favorables à ce genre de recherches, en raison des perturbations habituelles de la fonction chromatique chez ces animaux. Nous nous bornerons à relater les faits suivants. C4 33e Expérience. — Le 2 septembre 1871, je place dans un vase suffisamment gran d plein d’eau fraîche, un Gobius niger très sensible. Le vase est placé dans une boîte de bois, tapissée avec autant de soin que possible de papier noir ciré. La boîte fermée est de nouveau enveloppée extérieurement par du papier noir ciré. L’obscurité doit être, sinon absolue, au moins très profonde. Le 4, le vase est vivement retiré de la boite. L'animal offre des marbrures noires qui répondent aux zônes foncées de beaucoup d'individus quand on les tire de la mer. Les autres parties du corps sont pâles. L'animal mis sur fond blanc devient en quelques minutes complètement pâle. L'influence de l'obscurité nous a paru mieux accusée chez les crus- tacés, où les expériences relatées dans notre journal, quoiqu'il s’en trouve aussi de contradictoires, semblent indiquer nettement la réalité de cette influence. 316 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET 34e Expérience. — Deux jeunes Homards, un rouge et un bleu, mis dans l’obscu- rité (20 juillet 1870) deviennent bleus tous deux. Mis au soleil ils redeviennent rapidement rouges. La même expérience répétée le 24 juillet donne le même résultat. L'obscurité parait agir de même sur le Crangon. 35e Expérience. — Le 21 février 1871, cinq Crangons pêchés sur un fond couvert de zostères m'avaient frappé par leur ton noir foncé. Ils furent mis à passer la nuit dans une cruche de terre. Le lendemain ils étaient complètement blancs, au point de frapper, par le contraste de leur coloration avec celle de la veille, des personnes étrangères aux recherches que je poursuivais. Ils sont remis dans la même cruche, d’où ils ne sont tirés que le lendemain matin. Ils présentent encore la même coloration pâle mate généralisée, sauf de légères différences d’un animal à l’autre, à peine sensibles. Il paraîtrait résulter de ces deux dernières éxpériences que l'obscurité provoquerait, chez le Homard et le Crangon, la rétraction des chromo- blastes rouges et violets. Nous ne donnons cependant cette indication que sous toute réserve. VI. — RAPPORT ENTRE L'EXISTENCE DES CIHROMOBLASTES ET CELLE DES YEUX CHEZ LES ARTICULÉS Du moment que les chromoblastes chez les articulés sont placés plus ou moins directement sous la dépendance des impressions reçues par les yeux-mosaïques, il devenait intéressant de rechercher quel rapport existait entre la présence des yeux et l'existence des chromoblastes. -Cette enquête pourrait, à la rigueur, être étendue à d’autres animaux encore. Nous avons voulu seulement ici rechercher quels sont les arti- culés munis d’yeux où les chromoblastes n'existent point, et si ces éléments anatomiques existent chez les articulés réputés aveugles. 1° Articulés munis d'yeux où les chromoblastes semblent faire défaut. — Il conviendrait de placer ici, dans le cas où l’on étendrait la recherche à l’'embranchement tout entier, la plupart des insectes. Parmi les crus- tacés, nous signalerons les particularités suivantes : Il ne paraît point y avoir de chromoblastes dans le Cannes Il a parfois une teinte très foncée, qui peut aller jusqu'au brun-noir. Mais alors celle-ci est uniquement due à des granulations foncées grosses de 1 y environ, qui se trouvent mêlées aux éléments de l’hypo- derme. Ce n’est pas un fait isolé chez les crustacés : nous avons signalé les mêmes granulations sur certains points du Palémon ; on les retrouve chez les Balanes et les Anatifes. Les Daphnies paraissent n’avoir point de chromoblastes. Parmi les articulés inférieurs, beaucoup qui ont un seul œil ou deux e DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 911 yeux formés d’un seul élément chacun paraissent n'avoir pas de chromo- blastes : ainsi certains Cyclopes et beaucoup de ZLernéens, entre autres les MNicothoë. Signalons enfin les Vymphons, où l'on ne trouve pas de chromoblastes, et où il y a cependant deux yeux doués d'un éclat particulier, comme métallique. 2° Existe-t-il des chromoblastes dans les articulés qui sont réputés aveugles? — Nous n'avons point trouvé de chromoblastes chez différents lernéens, tels que les Prachielles, les Lernéonèmes, non plus que dans la Sacculine. Nous pouvons ajouter qu’on ne trouve pas davantage d'éléments comparables aux chromoblastes chez la plupart des Helminthes privés d'yeux. Et si l'on rapproche de ces faits la remarque déjà signalée plus haut, que la fonction chromatique et la structure des chromoblastes offrent leur maximum de complication chez les animaux comme les céphalopodes, où l'œil atteint le plus grand volume, on ne peut se refuser à recounaître qu'une certaine relation de causalité ou de coexis- tence relie les organes de la vue au système anatomique représenté par les chromoblastes et les chromatophores. VII. — INFLUENCE DES AGENTS CHIMIQUES. Nous terminerons ce travail en passant rapidement en revue l'action de certains agents chimiques sur les chromoblastes. Nous n'avons point fait, en général, d'expériences suivies dans cette direction. Nous nous bornerons à réunir ici quelques observations, sans chercher à les relier dans un ensemble commun. Il suffisait que cette action se présentât semblable à elle-même dans un certain nombre de cas pour mériter l'attention et servir de point de départ à des recherches ultérieures. Action de l'oxygène. — M. P. Bert communiqua un jour à la Société de biologie cette remarque que, quand on suspend une Epinoche mâle dans l'oxygène, on voit la partie antérieure du corps de l’animal se couvrir de la belle couleur rouge intense qui caractérise le mâle en amours. Celle-ci ne peut être attribuée qu’à la dilatation des chromo- blastes. Doit-on la regarder, dans ce cas, comme un effet direct de l'oxygène? Peut-être est-ce là également l'explication d’un autre fait que nous avons observé. De jeunes Blennies, longues de 3 centimètres environ, alors qu’elles sortent de l’eau en se fixant contre les parois du vase de verre où on les tient, prennent toujours dans ces circonstances une teinte verdâtre extrêmement foncée (vert rabattu), qu’elles perdent aussitôt qu'elles se replongent à l’eau. L’oxygène ne nous a pas paru toutefois avoir la même influencesur les crustacés. Elle semble plutôt contraire : dans la plupart des cas, sinon 318 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET dans tous, la privation d'oxygène provoque manifestement la dilatation des chromoblastes. C’est ainsi qu'un jeune Homard de nuance bleu ver- dâtre (par rétraction des chromoblastes rouges), qu'on met asphyxier dans 10 centimètres cubes d’eau, devient rouge au bout de deux heures, tandis qu'un individu rouge placé en même temps dans la même eau ne pré- sente aucune modification. Cette expérience, plusieurs fois répétée, nous a toujours donné un résultat identique. Pour activer l’'asphyxie, nous isolions l’eau par une couche d'huile. On remarquera toutefois combien il est difficile, dans les expériences comme celles-ci, de spécifier exactement la part qui revient à l'absence même d'oxygène et celle qui est due à l'approche de la mort qui amène, ainsi qu'on l’a vu, dans un certain nombre de cas, la dilatation des chro- moblastes. L'asphyxie ne produit pas d'ailleurs le même résultat sur tous les crustacés. Un Palémon en état négatif, c'est-à-dire dont tous les chromoblastes sont rétractés, est mis le 28 février 1871, à 8 heures et demie, dans une faible quantité d’eau de mer recouverte d’une couche d'huile. À 8 heures 40 minutes, la dilatation des chromoblastes com- mence sur le bord latéral des anneaux et au premier article des membres. Mais, dès 9 heures, le mouvement d'expansion des chromoblastes s'arrête, et la mort, qui survient dans la journée, laisse l'animal à peu près en état négatif comme au début de l'expérience. Quant à la dilata- tion d’abord observée, elle parait bien réellement liée d’une manière générale à un état de souffrance de l'animal et, en particulier, à la priva- tion de l'oxygène. C'est à cette circonstance qu'il faut, sans doute, rapporter également la couleur rosée des Palémons dans les paniers des pêcheurs, couleur qu'ils n'ont pas au moment où on les tire du filet. Diverses substances toxiques essayées tant sur les poissons que sur les crustacés ne nous ont pas laissé, en thèse générale, deviner qu'elles aient la propriété d'influencer d’une manière bien définie la fonction chromatique. Curare. — Après avoir renoncé à faire prendre le curare par la voie des branchies à de petits Turbots, nous l'avons introduit en fragments solides sous la peau. De deux animaux chez lesquels l'administration du -curare à été faite de la sorte, un seul a succombé. 36e Expérience, — Le 30 août 1871, deux petits Turbots À et B, longs de 10 cen- timètres environ, sont curarisés par l'introduction sous la peau de la face ven- trale (droite) d’un fragment de curare gros comme la tête d’une petite épingle, À est sur fond clair. — A midi et demi, le curare a agi, l'animal ne fait plus de mouvements; il n’a pas changé de couleur. Il est placé sur fond brun où tout d’abord il ne présente aucun changement. — Toutefois, à 5 heures il est devenu plus foncé qu'un Turbot aveugle placé près de lui. Il meurt en présentant les taches livides habituelles. B est sur fond brun. — A midi et demi, le curare a agi, moins toutefois que sur DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 919 sur À. Le soir, cependant, la paralysie est complète. La couleur foncée de l'ani- mal n’a pas varié. Le lendemain 31, réapparition des mouvements. L'animal est toujours foncé, et il reste à l'unisson des autres Turbots placés dans la même vasque. Il ne paraît pas, en conséquence, que le curare ait d'action pour modifier sensiblement la fonction chromatique. Il ne provoque point la rétraction des chromoblastes et ne s'oppose point à leur dilatation; s’il apporte quelque trouble à la fonction chromatique, celui-ci est en tout cas peu sensible (1). Des Gobies et même des Palémons, mis à vivre dans de l’eau tenant du curare en dissolution, ne nous ont pas offert les symptômes du plus léger empoisonnement. Morphine. — La morphine ne nous a pas donné de résultats plus con- cluants. 31e Expérience. — Le 22 septembre 1871, une forte dose de chlorhydrate de morphine est administrée avec un morceau de chair de moule à un Gobius niger, qui n’en paraît pas tout d’abord affecté. Le 23, l’action de la morphine ne s’est pas fait sentir. L'animal reste à l'unisson d'un autre Gobie sur les différents fonds où on le place. 38e Expérience. — Du chlorhydrate de morphine, administré le 8 février 1872 à un petit Palémon en état négatif qu'on maintient sur fond blanc, n’amène pas de changement. — Le 10 février, l'animal meurt sans avoir offert aucune dilatation des chromoblastes. Quinine. — La quinine ne nous à pas paru avoir non plus d'action appréciable sur la fonction chromatique. Nous devons noter toutefois qu'en Afrique nous avons vu des Caméléons, auxquels nous avions administré cette subtance, mourir en offrant une teinte brune extrême- ment foncée de toute la peau. Strychnine. — La strychnine parait avoir pour action marquée d’ac- tiver les changements de coloration. Administrée à un Palémon (8 fév. 1872), nous notons que celui-ci change très rapidement quand on le porte d’un fond sur un autre. L'expérience suivante, faite sur le Gobius niger, nous a offert la même particularité. 39e Erpérience. — Le 18 septembre 1871, on met en expérience deux Gobius niger, pour s'assurer qu'ils sont bien comparables. Le 20, à9 heures, on donne à l’un d’eux, désigné par une section de la nageoire, un fragment de chair de moule sur lequel on a écrasé un cristal de sulfate de strychnine. Vers le milieu du jour l'animal montre une hyperesthésie manifeste. Il suffit de choquer très légèrement le vase où il est renfermé, pour qu’il tres- saute. Les deux animaux restés sur fond noir sont à l’unisson, On les met sur (1) Voy. Journal de l'anatomie, 1874, p. 560. 3920 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET fond blanc, vers 5 heures; il semble que l’animal strychniné pâlisse plus rapi- dement. Le 21,les deux animaux laissés depuis la veille sur fond blanc sont à l'unisson. L'intoxication de celui qui a été strychniné ne paraît point avoir fait de progrès, ni diminué; il tressaute comme la veille. Les deux animaux sont portés du fond blanc où ils étaient sur fond rouge, où il semble encore que l'animal intoxiqué fonce plus rapidement que l’autre. Le 22, les deux animaux, qui ont été replacés sur fond blanc, restent à l'unisson. Pendant un moment seulement le strychniné est beaucoup plus foncé que l’autre. Le 23, les deux animaux, portés alternativement sur fond blanc et sur fond rouge, changent à l'unisson. Toute trace d'intoxication a disparu. Santonine. — Des substances toxiques dont nous avons examiné l’ac- tion, la seule qui nous ait paru avoir une influence directe sur la fonc- tion chromatique est la santonine, du moins chez les crustacés, car nous n'avons point vu qu'elle agit de même sur le Turbot ou le Gobie. Nous avons opéré sur le Palémon, le Crangon et l'Hiyrpolyte. Les phénomènes d'agitation qui se manifestent chez les crustacés, en même temps que le changement de couleur, semblent indiquer que les chromoblastes sont atteints, quand on administre la santonine, uniquement par l’intermé- diaire du système nerveux. La santonine provoque la dilatation des chromoblastes. Quant au mode d'administration, il est des plus simples. Il suffit d'écraser des cristaux de santonine (1) en poudre fine, et de jeter celle-ci dans le plat blanc où l’on tient les animaux en état négatif. Les Palémons prennent directement les cristaux (2). Les Crangons ne les prennent que quand ils sont écrasés en poudre fine et peut-être mêlés à la matière alimentaire. Dès qu'on apercoit les premiers symptômes d’empoisonnement, on change les animaux d’eau, en ayant soin de les maintenir sur fond clair. Malgré cela, les chromoblastes se dilatent manifestement. Si l'animal n'a pas absorbé une trop grande quantité de santonine, il revient à son état naturel : l'agitation cesse; les chromoblastes, après s’être dilatés, se rétractent; le Palémon retombe en état négatif. Si l’'empoisonnement a été trop considérable, l'animal meurt en état positif, et l’on trouve la cavité buccale remplie de cristaux. Nous avons observé ce double symptôme d’agitation et de dilatation des chromoblastes chez l'Hippolyte aussi bien que chez le Palémon. Les animaux s’agitent sur place ; ils semblent animés d'une danse incessante et présentent en plus, quelquefois, des contractions énergiques de l'abdomen. (1) Ceux dont nous avons fait usage avaient jauni à la lumière. (2) Quand les cristaux sont gros, on entend les Palémons les saisir avec les mandibules et essayer de les broyer. DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 321 Nous ajouterons cette dernière expérience : 40e Expérience. — Le 19 février 1872, deux Crangons de coloration pâle et mate sont mis toute la journée dans un plat blanc, avec de gros cristaux de santonine comme ceux qu'avalent les Palémons. Le 20, aucun signe d'intoxication. La santonine est alors broyée dans un mor- tier avec de la chair de Palémon. Après une demi-heure les deux Crangons sont foncés. L'un a de violentes contractions de l'abdomen. On les change d’eau afin d'empêcher une absorption plus considérable. Au bout d’une heure la coloration foncée persiste sur les deux animaux. L’agitation est peu marquée. Le 21, les deux animaux sont revenus à l’état pâle et mat. Ils sont sur fond blanc. On les sépare alors, et l'on donne à l’un, A, de la santonine pétrie avec les doigts dans un peu de viande de poisson; el à l’autre, B, la même viande sans santonine. Les deux animaux ne présentent aucun changement, ce qu'il faut attribuer sans doute à ce qu'ayant mangé la veille ils n’ont point pris la viande broyée. Le 22, les deux animaux sont toujours blancs et mats. On donne à A de la santonine écrasée dans un mortier avec de la chair musculaire de chevrette. Vers le milieu du jour il devient foncé et s’agite par moments (beaucoup moins que ne font les Palémons). — On donne à B la même chair écrasée sans santonine; il ne change pas. Le 23, À est mort foncé; B n’a pas cessé d’être pâle sur le même fond blanc. Nous retrouvons là encore un exemple de ces corrélations qu'il faut aujourd'hui se borner à indiquer entre l’organe de la vue et le système anatomique représenté par les chromoblastes. Le seul agent toxique qui se soit montré à nous comme agissant sur celui-là est précisément la santonine qui a sur les fonctions du nerf optique une action bien connue. Nous nous bornons à faire ce rapprochement sans chercher à en appro- fondir la cause. Il n’est pas sans intérêt de le signaler, parce qu'il montre mieux que tout autre l'importance de la fonction chromatique dans ses rapports avec l'appareil de la vision chez les animaux des divers embranchements. Nous n'avons point d’ailleurs administré la santonine aux Crangons ou aux Palémons après une section des pédicules oculaires. L'expérience aurait sans doute un certain intérêt, surtout si l’on pouvait établir que la substance n’agit sur les chromoblastes qu'en modifiant la fonction visuelle. On tirerait de là peut-être quelque éclaireissement touchant l’action de la santonine sur la rétine. 21 AA RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET CONCLUSIONS — RÉSUMÉ Le résultat des recherches consignées dans le travail qui précède peut être résumé dans les propositions suivantes : Partie anatomique. — 1° Les pigments proprement dits — purs ou plus ou moins raballus — appartiennent, en général, à la moitié la moins réfrangible du spectre, du rouge au jaune. On ne trouve qu'excep- tionnellement des pigments appartenant à la moitié la plus réfrangible du spectre (pigment violet des Crangons). 2° Le pigment rouge est entièrement soluble dans la créosote. Traité par un mélange bouillant d'alcool et d’éther, il donne des cristaux rouges par transparence, bleus à lumière réfléchie, qui paraissent ana- logues aux cristaux du sang. La matière colorante verte des œufs ovari- ques du Homard, la matière colorante bleue de sa carapace donnent les mêmes réactions et les mêmes cristaux. 3° Les pigments de différentes couleurs ne coexistent. jamais dans le même élément (chromoblaste). Mais des cellules chargées de pigments différents peuvent former des groupes définis (pigment violet, jaune et rouge des embryons de Crangon). 4° Les éléments chargés de pigment forment une variété parmi ceux du tissu lamineux ; ils sont plus ou moins doués de mouvements sarco- diques. L’électricité, le système nerveux, l’état de malaise, l'approche de la mort, etc., influencent ces mouvements. 5° Les chromatophores des céphalopodes se montrent chez l'embryon (Calmar) sous la forme et l'apparence des chromoblastes. Les chroma- tophores sont des éléments anatomiques élevés en quelque sorte, par le développement, à la dignité d'organes. 6° Un grand nombre de tissus, normaux, transparents, jouissent d'une propriété particulière (cérulescence) qui les fait paraître bleus quand ils sont placés sur un fond absorbant pour les radiations lumineuses. Cette propriété appartient en particulier à des corps contenus dans des cellules spéciales (iridocytes), et qui tantôt agissent en raison de cette propriété et tantôt en raison de leur structure lamelleuse, pour produire les colo- rations observées sur un grand nombre de poissons et de reptiles. 7° Il existe enfin des colorations diffuses (Zsox Belone, Scorpène, etc.) qui imprègnent certaines régions du corps, sans distinction de système anatomique. Partie physiologique. — 8° Le changement de coloration des poissons et des crustacés, suivant le fond où on les met vivre, vaguement connu des pêcheurs, existe en réalité chez un grand nombre d’espèces animales. 9° Chez beaucoup de poissons et de crustacés, ces changements DES CHANGEMENTS DE COLORATION SOUS L'INFLUENCE DES NERFS 323 paraissent, comme chez le Caméléon, dépendre d’influences complexes difficiles à analyser. Chez d’autres espèces, au contraire (Turbot, Palé- mon, etc.), on est absolument maître de les gouverner et d'instituer par conséquent des expériences décisives. 10° En général, ces changements ont pour résultat d'harmoniser le ton de l'animal avec celui du fond. Toutefois, chez certains animaux, il se produit un véritable changement de livrée, l'animal pouvant devenir à la fois plus clair et plus nee par certaines parties de son corps, sur un fond déterminé (Callionyme lyre, Crangon, etc.). 11° Dans tous les cas, les changements observés résultent de l’état d'expansion ou de retrait des diverses sortes de chromoblastes existant à la périphérie de l’animal. 12° La fonction chromatique, comme toute autre, est influencée par l'habitude. 13° La fonction chromatique, chez les espèces où elle se gouverne facilement, est immédiatement supprimée par l’ablation des yeux ou la section des nerfs optiques. Les chromoblastes, dans ce cas, restent en général dans un état moyen de dilatation. 1% Les cas pathologiques confirment la donnée expérimentale. 15° La fonction chromatique doit être définie : un ensemble d'actions réflexes sur les chromoblastes, dont le point de départ peut être l'im- pression visuelle résultant des propriétés actiniques du milieu ambiant. 16° Les nerfs sont les conducteurs de cette action réflexe : ils peuvent donc provoquer l’expansion ou le retrait des chromoblastes. 17° Quand on sectionne la moelle, la fonction chromatique n'est pas suspendue en arrière de la section (Turbot). 18° Quand, au contraire, on coupe un nerf rachidien, la fonction est suspendue dans la région où se distribue le nerf, chaque fois que la section a porté au-dessous du point où ce nerf recoit le filet du grand sympathique. 19° La destruction du grand sympathique dans le ‘canal rachidien inférieur suspend également la fonction chromatique en arrière du point où elle est pratiquée; mais il convient d'ajouter que l’aorte et la veine cave étant forcément oblitérées dans cette opération, l'expérience perd de sa valeur. 20° Toutefois des faits pathologiques viennent confirmer ce ROUE du grand sympathique. 21° La section du grand sympathique gauche au niveau de la tête, chez le Turbot, ne supprime pas la fonction chromatique en arrière de ce point, particularité qui se retrouve dans l’histoire des autres fonctions de ce nerf. 22° La section du trijumeau supprime la fonction chromatique dans la région de la face à laquelle il se distribue. 23° La paralysie des chromoblastes à la suite des sections nerveuses 324 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET n'est pas, comme pour les muscles, accompagnée d’une dégénérescence de l'élément ; il reste sensible à d’autres influences, électricité, etc. 24° Les crustacés présentent des changements de couleur de même ordre que les poissons. Un Palémon, en particulier, placé sur fond noir devient brun (état positif) par la dilatation de ses chromoblastes rouges, rabattus eux-mêmes par un pigment bleu diffus qui se produit autour d'eux. Transporté sur fond blanc, l'animal devient momentanément bleu (état bleu) par suite du retrait des chromoblastes rouges et de la per- sistance du pigment bleu formé. Cette teinte disparait à son tour après quelques heures, et l'animal reste jaunâtre, incolore (état négatif). 25° Ces changements résultent, chez les crustacés comme chez les vertébrés, d’une action réflexe dont les yeux composés de ceux-là sont le point de départ, comme les yeux dioptriques de ceux-ci. En suppri- mant les yeux composés, on supprime la fonction chromatique. 26° Comme pour les poissons, l’ablation d’un seul œil ne modifie pas la fonction. 27° La section du cordon ventral ou des connectifs — pas plus que la. section de la moelle chez les poissons — ne supprime la fonction au- dessous du point où ils ont été coupés. — La gravité des accidents sur- venus en voulant intercepter les communications nerveuses par les parois du vaisseau dorsal ou du canal alimentaire n’a pas permis de déterminer la route des actions réflexes allant des yeux composés aux chromoblastes. 28° L'attitude des Palémons au repos est modifiée par le seul fait de l’ablation des yeux. 29° L'obscurité périodique de la nuit est sans influence sur la fonction chromatique. 30° Les crustacés inférieurs dépourvus d’yeux n'offrent point de chromoblastes (Brachielles, Lernéens, Sacculines). Toutefois, la propo- sition inverse n’est point vraie : beaucoup de crustacés ayant des yeux (Nymphons, etc...) ne présentent point de chromoblastes. 31° Le curare, la morphine, ne paraissent pas modifier la fonction chromatique. 32° La santonine provoque chez certains crustacés (Palémons, Cran- gons, etc...), en même temps qu'une agitation incessante des membres, la dilatation des chromoblastes. 33° Il y a donc un rapport entre les poisons de la rétine (santonine) et le système anatomique des chromoblastes, de même qu'il y à un rapport entre l’état de perfection de ces éléments transformés en chromaz tophores chez les céphalopodes, et le volume de l'appareil de la vision chez les mémes animaux. FRS TÉRATOLOGIE L'EAU DE MER ARTIFICIELLE COMME AGENT TÉRATOGÉNIQUE AVEC LA COLLABORATION DE L. CHABRY (1) Les recherches qui font l’objet de ce mémoire ont été faites dans le but de connaître l'influence que peut exercer sur la forme et la constitu- tion anatomique des animaux marins une modification rapide et forte de la composition chimique du milieu dans lequel ils sont habitués de vivre. Sachant les difficultés qui s’attachent à toute culture d'animaux, même dans les conditions les plus normales, il était à craindre que l'élevage des sujets dans des eaux artificielles fût plus difficile encore et de plus courte durée ; il importait donc de prendre pour sujets d'expé- riences des larves à la fois vigoureuses et d’un développement rapide permettant de juger, même après un temps très court, l’effet obtenu. Les larves Pluteus des oursins nous ont paru présenter les meilleures condi- tions. Une circonstance toute naturelle, l'existence d’un squelette, déter- mina le choix de l’altération à faire subir à l’eau de mer, en attirant notre attention sur la chaux. Ce squelette présente, en effet, à l'expérience, une commodité mani- feste, et il serait difficile de rencontrer un animal dont la charpente solide eût un développement plus hâtif que celle de l’oursin, qui se cons- titue vers la fin du second jour de l’évolution. Si la chaux qui sert à l'édification du squelette de ces animaux ne se trouve pas déjà en réserve dans le vitellus de l'œuf, mais est effective- ment empruntée à l’eau de mer, si d’ailleurs la suppression de la chaux dans celle-ci n’entraine pas l'arrêt de développement des animaux, il devient manifeste a priori que des modifications importantes dans la (1) Travail du Laboratoire de Concarneau. — Voy. Sur le développement des larves d’oursins dans l’eau de mer privée de chaux, Societé de Biologie, 12 jan- vier 18 89. 328 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET forme des larves doivent être apportées par un changement relativement simple de la composition du milieu ambiant. La rapidité même avec laquelle se forme le squelette rendait impro- bable que tous les éléments en fussent fournis par le vitellus ; toutefois une analyse préalable pouvait seule en donner la certitude. Par la dila- cération des ovaires, on recueille aisém2nt des œufs d’oursins en telle quantité qu’on le désire, et, par le passage au travers d’un fin tamis (la gaze de soie des filets fins est très convenable à cet usage), on les débar- rasse de toute substance étrangère ; on obtient ainsi une bouillie d'œufs très claire qu'il faut, avant toute analyse, débarrasser de l’eau de mer qui lui sert d’excipient et qui renferme elle-même de la chaux. Dans ce but, les œufs sont lavés soigneusement et plusieurs fois, par décantation, avec une eau de mer fabriquée-par synthèse et exempte de chaux. Après ce lavage, quelques œufs sont prélevés et placés dans de l’eau ordinaire où ils se développent parfaitement, ce qui démontre qu'ils n’ont nulle- ment été altérés. La masse des œufs lavés est soumise à l’incinération et la recherche de la chaux est faite dans les cendres par les procédés ordinaires. En opérant de la sorte sur les œufs extraits de quinze ovaires, c'est-à-dire de trois oursins, nous n'avons pas trouvé de chaux en quantité appréciable. On n’en trouve pas davantage en faisant l’ana- lyse en bloc de toute la substance ovarique, tandis qu'on en trouve, au contraire, aisément en appliquant le même traitement à un nombre même très restreint de pluteus. Sans nous arrêter davantage à l'analyse du vitellus, nous signalons en passant l'existence du fer en quantité notable; ce métal concourt sans doute à la constitution du pigment. Puisque le vitellus de l'œuf d’oursin ne renferme pas de chaux, la qualité de l’eau de mer doit influer d’une manière rapidement appré- _ciable sur les spicules et par là sur la forme même de l'animal ; mais avant d'aborder l'expérience, il convient d'envisager d’abord la composi- tion de l’eau de mer. Les analyses qui ont été données par les auteurs pour les différentes mers présentent entre elles des différences assez grandes, el on peut, à notre point de vue, les ranger en trois groupes. L’Atlantique, la Manche, la mer du Nord et la Méditerranée renferment une quantité de chaux qui, évaluée en sulfate, s'élève de 1 gr. 11 à 1 gr. 4: une analyse de l'eau recueillie dans les bassins de l'aquarium de Concarneau nous à donné le chiffre un peu plus fort de 1 gr. 5. Un second groupe de mers comprend la Caspienne, la mer d’Azow et la mer Noire, mers dont la densité, comme on le sait, est faible et qui ne ren- ferment que 0,1 à 0,4 de sulfate de chaux. Enfin nous placons dans un troisième groupe deux analyses de l'Océan et de la Méditerranée, rap- portées dans le Traité de chimie de Malaguti et d’après lesquelles la quantité de sulfate de chaux serait seulement de 0,15 par litre pour ces deux mers, plus une quantité très faible de carbonate. La différence entre ces deux dernières analyses et celles du premier groupe qui se L'EAU DE MER ARTIFICIELLE COMME AGENT TÉRATOGÉNIQUE 329 ne AE TR NN QE EE RE RE ee EE rapportent cependant aux mêmes eaux devrait, si elle est réelle, être prise en grande considération, car elle est, comme nous le verrons plus loin, de l'ordre de celles qui peuvent exercer une influence notable sur le développement des animaux que nous étudions. Nos premiers essais de culture ont été faits avec une eau entièrement artificielle, faite d’après la formule donnée par Malaguti pour l'Océan en supprimant seulement les sels de chaux. Bien que cette eau eût la densilé de 1,0286, qui est la moyenne de l'Atlantique et qui est précisé- ment la densité de l’eau de la baie de Concarneau, elle ne nous a permis de faire aucun élevage convenable ; le plus souvent, la segmentation de l'œuf n'a même pas eu lieu. Sans nous arrêter à chercher les causes de ce singulier phénomène, nous avons, pressés par le temps, tenté une autre méthode consistant à précipiter par des réactifs convenables la chaux contenue dans l’eau de mer naturelle. Cette méthode, commode à beaucoup d’égards et qui a immédiatement permis l'élevage des œufs, n’est cependant pas sans présenter quelques désavantages qu'il importe de signaler dès le début. Les précipitations sont, comme on sait, le résultat d’une décomposition par double échange suivant les lois de Berthollet; supposons, par exemple, que l’eau de mer soit additionnée d’oxalate de potasse, celui-ci forme avec le sulfate ou les autres sels solubles de la chaux un oxalate de chaux qui se précipite et du sulfate de potasse qui reste dissous; on ne peut donc éliminer la chaux qu'au prix de son remplacement par une petite quantité correspondante de potasse. En faisant usage d’autres oxalates, on pourra au lieu de la potasse substituer la soude, l’ammoniaque, etc. Nous ne rapporterons ici que les essais faits avec ces trois derniers corps, c’est-à-dire avec les oxalates neutres de soude ou d’ammoniaque. Pour ce qui est de la petite quantité d’autres sels qui pourraient être entraînés mécanique- ment par le précipité, elle est assurément négligeable. Voici la marche qui a été suivie pour instituer chaque essai. Des expériences préalables, ayant montré que l'addition d’eau douce en quantité même considérable, par exemple un quart ou même un tiers du volume de l’eau de mer, n'apporte, dans le début, aucune entrave au développement des pluteus, nous ne nous sommes pas préoccupés de compenser par évaporation la petite quantité d’eau distillée qui servait de dissolvant aux réactifs. L'eau de mer après l’addition de la substance étrangère a été laissée en repos pendant vingt-quatre heures, puis décantée ou filtrée. Même après ce long temps, la précipitation n’est pas encore complète et il se dépose à la surface de l'enveloppe muqueuse de l’œuf des petits cristaux qui ren- dent très apparent son contour pâle difficile à saisir sans cette circons- tance. Ces cristaux, du reste, fort petits et en nombre restreint, ne paraissent, comme corps étrangers, apporter aucun obstacle au déve- loppement. La ponte et la fécondation étaient effectuées dans l’eau de mer ordinaire ; les œufs et les spermatozoïdes étaient recueillis à l’extré- 330 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET mité même de l’oviducte et du spermiducte sur des parents en pleine maturité sexuelle, pendant le mois d'octobre. Un cinquième de centi- mètre cube de la bouillie claire d'œufs fécondés était jeté successive- ment dans différents vases de culture contenant chacun 50 centimètres cubes du liquide essayé. La bouillie était agitée avec soin avant chaque prise d'œufs, de telle sorte que non seulement les œufs étaient parfaite- ment mélangés, mais encore ils étaient portés sensiblement en même nombre dans chaque vase de culture. Parmi ceux-ci, l’un contenait tou- jours de l’eau de mer ordinaire et servait de témoin. Oxalate neutre d'ammoniaque. — Ce corps étant le plus habituellement usité pour la précipitation de la chaux dans les recherches d'analyse, parce qu'il détermine une réaction plus parfaite, il était naturel d’en faire l'essai en premier lieu. Une solution renfermant 32 grammes de sel anhydre par litre a été employée à la dose de 2à 8 centimètres cubes, soit 0 gr. 064 à 0 gr. 256 de sel pour un litre d’eau de mer. Même avec la plus faible de ces doses, les œufs ont été frappés d’un fort arrêt de déve- loppement. La plupart sont demeurés à des stades inférieurs à celui de 32 cellules, et un seul, si encore il ne s’agit pas de quelque erreur, est arrivé au stade gastrula. L'enveloppe muqueuse de l'œuf et la vitelline sous-jacente ont, en général, persisté et étaient couverts de petits cris- taux comme il a été dit plus haut. La quantité de chaux enlevée à l’eau de mer dans cette première série d’essais est bien inférieure à la totalité et n'atteint pas celle que nous avons pu enlever par d’autres moyens sans nuire de la même manière au développement des œufs. Il n’y a donc pas de doute que l'effet observé ne soit dû avant tout à l’action des sels ammoniacaux formés par double échange pendant la précipitation et non à l'absence d’une partie de la chaux. Oxalate neutre de potasse. — La potasse comptant parmi les bases qui se trouvent à l’état salin dans l’eau de mer, on pouvait prévoir que son introduction en plus grande quantité par suite du double échange n’au- rait pas les mêmes inconvénients que l'introduction de l’ammoniaque. Cependant la quantité de potasse ainsi apportée n’est nullement négli- geable par rapport à celle qui existe déjà, car, pour précipiter toute la chaux, il faudrait théoriquement plus que doubler la proportion natu- relle des sels potassiques de l’eau de mer; mais nous allons voir qu'on obtient des effets sensibles par l’action de quantités relativement faibles du réactif. La solution employée contenait par litre 18 gr. 5 de sel anhydre et il en a été fait usage aux doses de 15 à 30 centimètres cubes, soit 0 gr. 347 à 1 gr. 85 pour un litre d’eau de mer. La quantité de potassium correspondant à la plus faible de ces doses est de 0 gr. 257, chiffre inférieur à la normale de l'Océan, qui, d'après Malaguti, serait 0 gr. 261 ; il est vrai que d’autres analyses de la même mer ne signalent pas la présence du potassium. Quoi qu'il en soit, les élevages dans l’eau ainsi préparée ont donné : 1° de nombreux monstres de formes variées, L'EAU DE MER ARTIFICIELLE COMME AGENT TÉRATOGÉNIQUE 391 mais qu'on peut également rencontrer dans les élevages, dans l’eau naturelle ou modifiée de manières très diverses ; nous ne les décrirons donc pas puisqu'ils n’ont aucun rapport nécessaire avec l'expérience ; 2 des individus assez bien conformés qui représentent le meilleur développement possible et ce qu’on peut appeler l’état normal des larves correspondant au milieu proposé ; ce sont évidemment ces individus qui caractérisent l'expérience et nous en donnerons brièvement l'histoire. Le début de l’évolution est normal; à la fin du second jour, les sujets sont à l’état de gastrula régulière sans spicules, alors que les témoins sont déjà pourvus latéralement et de chaque côté d’une petite étoile calcaire à trois branches. L'apparition des spicules est retardée jusqu’au quatrième ou cinquième jour et ils ontalors à peu près la dimension des spicules normaux des larves de quarante-huit heures. Pendant ces cinq jours, le développement des autres organes ne subit pas un arrêt pro- portionnel et, vers la quatrième journée, le proctodæum ou rectum larvaire se forme et l'intestin se trouve différencié en trois régions dont la forme et la structure sont sensiblement normales. Le mésoderme, le tégument et le reste se développent à la manière ordinaire, mais la forme générale (fig. 2 et 3) est profondément altérée ; l'absence de spicules, au début, entraine celle des bras, et la seule indication de ceux- ci consiste en un ruban épithélial épaissi qui borde le contour de la face buccale. La forme générale de l’animal est à peu près hémisphérique, la bouche étant située sur la face aplatie près du bord antérieur. Les vues de face et de profil des figures 2 et 3 dispensent d'une plus longue des- cription. Ces dessins ont été faits à la chambre claire d’après un individu âgé de 5 jours ; il suffit de les rapprocher de la figure 1, qui représente un individu normal âgé également de cinq jours, pour être frappé de la différence. Les jours suivants, les spicules se développent un peu plus, mais toujours avec lenteur et irrégularité, et ils demeurent finalement très grêles. Tous les individus ne se ressemblent pas du reste exactement et il en est quelques-uns dont le bord antérieur de la face buccale (qui normalement porte un bras à chaque extrémité) se développe en un pro- _longement probosciforme qui représente, pour ainsi dire, les deux bras antérieurs soudés. Ce prolongement qui n'est soutenu par aucun sque- lette est remarquable par l'épaisseur de la couche ectodermique qui en forme le revêtement et en constitue même la plus grosse part. Un pareil individu muni de deux spicules simples, en bâtonnets, est représenté figure 4 ; il est âgé de dix jours. Tel est l’état des cultures dans l’eau additionnée de 30 centimètres cubes de la solution oxalique ; avec 50 centimètres cubes, le retard du évenement est encore plus marqué, car le stade gastrula n’est atteint qu'au troisième jour et n’est pas dépassé. Dans la suite l° ARR 7 7 paraît s'atrophier ou se résorber et les sujets meurent à l’état de gite vésicules arrondies et flétries. DZ RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Nous n'avons donc pu obtenir, par l'emploi de l’oxalate de potasse, de vrais pluteus exempts de spicules, car la dose du réactif qui serait nécessaire pour obtenir ce résultat est déjà capable d'arrêter tout déve- loppement au delà du stade gastrula et d'entraîner la mort. Cependant comme la résistance ou la vitalité propre des œufs joue ici un grand rôle, il est possible qu'en ménageant convenablement l’action du réactif SSSSSÈSSSSS SSSR , ' 6 u ‘ ” RER RTE UNE ER INN ER LEEEES ES SR NV UEE) b a F16. 1 Fie. 2 et 3. Fig. 1. — Pluteus à peu près normal âgé de cinq jours, vu par la face opposée à celle qui porte l'anus. — Fig. 2. Pluteus âgé de cinq jours élevé dans l’eau de mer traitée par l'oxalate de potasse, vu par la face qui porte la bouche. — Fig. 3. Le même, vu de profil. Les spicules sont teintés d'une manière uniforme, l’ectoderme et l’endoderme sont indiqués par un double contour. Toutes les figures sont dessinées à la chambre claire et au même grossis- sement. a. Anus; — b. Bouche; — s. Estomac. et surtout en faisant usage de pontes en parfait état on puisse obtenir des résultats plus complets que les nôtres. À ce sujet, nous noterons que les meilleures pontes sont fournies par les oursins tout récemment cueillis, car la captivité n’est pas moins nuisible pour ainsi dire à la ponte qu'aux parents eux-mêmes, qui ne la supportaient guère plus de vingt à trente jours dans nos bassins. PTE Le. CARTONS TN ne L'EAU DE MER ARTIFICIELLE COMME AGENT TÉRATOGÉNIQUE 390 Oxalate neutre de soude. — Par l’action de ce réactif la chaux est remplacée par une quantité équivalente de soude. Ce corps est donc a priori le plus inoffensif de tous, car la soude à l’état salin se trouvant déjà en grande quantité dans l’eau de mer, on conçoit que l'apport d'une quantité nouvelle et faible doive être négligé. Pas plus que les autres oxalates celui-ci ne permet du reste une précipitation complète de la chaux ; et même après l'addition d’un excès, on trouve toujours des traces de chaux en la cherchant dans le liquide après concentration. Le pré- cipité formé par l'addition directe du réactif est exempt de magnésie. La solution employée contenait par litre 27 gr. 6 de sel supposé anhydre et elle a été employée aux doses de 4 à 100 centimètres cubes pour un litre d’eau de mer, soit de 0 gr. 11 à 2 gr. 76. Cette dernière quantité est théoriquement plus que suffisante pour précipiter toute la chaux, mais cependant on en trouvait encore après évaporation, comme nous l'avons dit. Les élevages faits dans l’eau de mer additionnée de la dose déjà forte de 60 centimètres cubes, soit 1 gr. 65 d’oxalate de soude par litre, c’est-à-dire les” élevages faits dans une eau qui, théoriquement, ne contenait plus que 0 gr. 1496 de sulfate de chaux, au lieu de 1 gr. 5 (un dosage immédiat n’a pu être fait faute de temps), ont donné des larves très actives et très vivantes, mais d’une forme toute différente de la normale et tou- ta o AE : Pluteus âgé de dix jours, jours caractérisées par l'absence de spicules. montrant un bras unique dé- L'histoire de ces larves ne diffère pas dans’les D ee premières heures de celle des témoins élevés (Mêmes lettres que ci-dessus.) dans l’eau naturelle, mais tandis que ceux-ci arrivés au stade gastrula commencent depuis la 42° heure à former leurs spicules, les sujets de l'expérience traversent cette phase sans modifi- cation. À la 66° heure les pluteus témoins ont un squelette ramifié et un intestin différencié en trois régions et les sujets sont encore de simples gastrula; ils présentent donc indépendamment de l'absence de spicules un notable retard dans le développement. Ce n’est qu'un jour plus tard, c’est-à-dire vers la 92° heure, qu'ils entrent à leur tour dans la phase Pluteus carac- térisée pour eux par la différenciation des trois régions de l'intestin. {ls n'ont pas de bras, et le seul indice qui en reste consiste en l’épaississe- ment de l’ectoderme de la face buccale, principalement en avant et sur les côtés de la bouche à quelque distance de celle-ci. La forme générale est arrondie plutôt qu'hémisphérique et ils s’éloignent par là des larves chez lesquelles les spicules sont simplement petits et grèles. Après quel- ques jours de vie en cet état, les individus entrent en régression et FIG. 4. 334 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET meurent; pour ne pas attribuer cet effet à la seule absence de la chaux, il faut se rappeler qu’il en est de même des témoins qu’on peut, ilest vrai, conserver plus longtemps, mais dont nous n'avons pas réussi à obtenir la métamorphose. Dans des eaux encore plus dépouillées de chaux, l’évolution subit de nouvelles entraves et les individus sont incapables de s'élever au delà du stade gastrula, mais alors même qu'ilne reste plus de chaux ou qu'il n'en reste que des traces, le stade gastrula peut toujours être atteint, bien qu’à la vérité par un nombre toujours moindre d'individus, c’est-à- dire seulement par ce qu’on peut appeler les plus vigoureux ou mieux les plus résistants de chaque ponte. 4 Lorsqu’au contraire la précipitation de la chaux n’a pas été poussée assez loin pour empêcher totalement la formation des spicules, on observe un simple retard dans l'apparition de ceux-ci et leur développe- ment peut être entravé aux degrés les plus divers. Les spicules demeu- rent mème irréguliers et mal ramifiés. La formation des bras est subor- donnée à celle des spicules, car il ne se forme pas en général de bras qui ne soit soutenu par un squelette calcaire, et les choses se passent comme si la pointe squelettique repoussait devant elle l’ectoderme qui la coiffe en doigt de gant. Lorsque les bras existent, soutenus par des spicules fragiles, ils sont souvent courts, tordus, irréguliers, inégaux, et parfois seulement il s’en forme un situé au-dessus et en avant de la bouche et dépourvu de spicule. Ce bras, dont nous avons déjà parlé à propos des expériences avec l’oxalate de potasse, remplace les deux bras antérieurs et semble le seul qui soit capable de se développer sans soutien. L'existence de ce bras unique donne aux individus qui en sont munis la forme générale d’une petite poire. Le développement de - pigment est en général entravé d’une manière très visible. Dans toutes ces expériences on remarque que la différence entre les individus sains qui servent de témoin et les sujets élevés dans des con- ditions anormales va toujours en augmentant, après avoir été nulle au début pendant un assez grand nombre d'heures. Il est donc fort pro- bable que si les individus élevés dans l’eau privée de chaux jusqu'à la 40° heure étaient à ce moment transportés dans l’eau normale, ils y for- meraient leur squelette d'une manière régulière, mais le temps nous a manqué pour nous en assurer. Les effets observés dans l’eau précipitée par l’oxalate de soude ont toujours paru se rattacher de la manière la plus directe au simple manque de chaux. En résumé, on voit par cette dernière série d'expériences que l'eau de mer privée environ des 9/10 de sa chaux est impuisante à fournir aux jeunes larves d’oursins un squelette même rudimentaire. Par Les essais avec de faibles doses du réactif précipitant on voit également que, bien avant que la chaux ait atteint cet état de raréfaction, son absence se fait sentir de la manière la plus nuisible. Alors même qu'un dixième seule- L'EAU DE MER ARTIFICIELLE COMME AGENT TÉRATOGÉNIQUE 339 ment de la chaux totale a été précipitée, les larves, bien que pourvues d'un squelette, sont incapables de développer leurs quatre longs bras si caractéristiques. Ce dernier résultat paraît d'autant plus singulier que, si nous nous reportons aux analyses d’eau de mer signalées plus haut, on voit que les différences naturelles de la teneur en chaux des différentes mers dépassent celles qui sont déjà suffisantes pour obtenir expérimen- talement des effets très marqués; il y aurait donc lieu de rechercher directement si toutes les eaux de mer sont également propres à l'élevage des larves d’une espèce donnée ou du moins des individus de cette espèce cantonnés dans une région marine déterminée. Il est inutile d'insister sur l'importance de questions que nous n'avons pas encore été à même d'étudier directement; nous avons voulu seulement, en publiant cette partie de nos recherches, attirer l'attention sur un ordre de faits nouveau et sans doute intéressant pour la physiologie générale, BIOLOGIE GÉNÉRALE LA PHYLOGÉNIE CELLULAIRE Les zoologistes se préoccupent beaucoup, depuis les travaux de M. Darwin, de la descendance des diverses espèces animales et de leurs rapports mutuels dans le temps. !1 s’est même établi, sous le nom de phylogénie, une sorte de branche de la zoologie qui étudie spécialement ces rapports, essayant de reconstruire l'arbre généalogique des espèces actuellement existantes. Ce n’est pas d'aujourd'hui que les anatomistes ont comparé le corps des animaux — ceux du moins qui sont formés d'éléments anatomiques — à des ensembles d'êtres cellulaires distincts, unis dans une même destinée, mais conservant jusqu'à un certain point leur individualité propre. Cette idée a été largement développée et envisagée sous toutes ses faces, sauf peut-être celle des rapports généalogiques qui relient les uns aux autres ces éléments anatomiques différents à la fois par la place qu’ils occupent, la fonction qu'ils remplissent, etc. Au début de l’activité qui se manifeste dans l’œuf fécondé, le nouvel être, appelé à présenter plus tard une constitution histologique si com- plexe, n'offre qu'un nombre très restreint d'espèces d'éléments anato- miques, et même, tout à fait à l'origine, une espèce unique de cellules. A mesure que le développement fait des progrès, le nombre des élé- ments figurés reconnaissables comme espèces anatomiques s'accroît d’abord rapidement, puis avec plus de lenteur, jusqu’à l'époque de la puberté. Il diminue dans la vieillesse. Quelle est l’origine de cette variété spécifique des éléments du corps? Il s'est trouvé pour l'expliquer, comme pour expliquer celle des diverses formes animales sur la terre, deux hypothèses en présence, tout à fait comparables dans le domaine de l'anatomie générale à celle de Cuvier d’une part et à celle de Lamarck ou de Darwin d'autre part, dans le domaine de la zoologie. Les uns ont voulu voir chaque espèce d’élé- ments apparaissant d'elle-même par une sorte d'autogenèse, avec ses 340 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET caractères propres dans des milieux plus ou moins fluides sans struc- ture appréciable à nos sens et qu'on a désignés sous le nom de blas- tèmes. — Cette théorie n’excluait point la possibilité de changements considérables dans la forme de l'élément et de métamorphoses qui pou- vaient le rendre méconnaissable, mais sans lui faire perdre son caractère individuel, absolument comme le processus évolutif qui fait succéder la grenouille au têtard, le papillon à la chenille. Ces métamorphoses peu- vent d’ailleurs s'offrir au cours normal de l'existence de l'élément, ou bien elles sont anormales et constituent dès lors les divers tissus pathologiques, dont la médecine cherche à arrêter l’extension et que la chirurgie supprime. Cette théorie n'exclut pas davantage la multiplica- tion de l'élément anatomique sous ses formes successives, phénomène que nous offrent également certains animaux inférieurs, et peut-être l'axolotl. Le point véritablement faible de cette doctrine, c’est qu’elle n’est point corroborée par les faits. L'origine des formes histologiques ne se perd point comme celle des formes animales dans la nuit du passé : les mêmes espèces anatomiques reparaissent dans le même ordre au cours de la vie de chaque individu; elles ont de plus des dimensions qui les rendent faciles à observer. Cependant, cette apparition spontanée d'un élément anatomique ne semble guère avoir été jusqu'à ce jour directement vérifiée et bien observée qu'au sein du vitellus, quand se forme le noyau vitellin, véritable début des phénomènes propres au nouvel être qui va se constituer. Une seconde hypothèse, comparable à celle de Lamarck ou de Darwin pour les formes animales, admet que tous les éléments anato- miques sans exception dérivent les uns des autres, au moins à partir de ce premier noyau vitellin, immédiatement partagé en deux, puis en quatre, etc., en même temps que se constituent autour de ces noyaux, comme centres, les premières sphères vitellines de segmentation. Cette origine n’est point actuellement vérifiée pour tous les éléments anatomiques; mais on peut la regarder comme démontrée pour un certain nombre, autant du moins que nous en pouvons juger par les transitions d'une forme à l’autre constatées directement sous le micro- scope aux diverses périodes de l’âge embryonnaire. Il ne semble pas cependant que les anatomistes jusqu'à ce jour se soient appliqués à dresser l’arbre généalogique des diverses espèces d'élé- ments anatomiques du corps des animaux avec autant d'empressement et même de frais d'imagination qu'en ont mis certains zoologistes et paléontologistes à tracer la descendance des diverses espèces animales fossiles à travers les âges, jusqu'à celles qui vivent aujourd'hui. Les anatomistes ont ici l'avantage d'avoir un champ de recherches aussi bien limité dans le temps par la vie de l'individu, que dans l’espace par l'étendue de son corps. La succession des faits qu'il s’agit de se repré- É ; K Ë à ” ee L 1! ; LA PHYLOGÉNIE CELLULAIRE 341 senter est directement accessible à la recherche. Rien n’est fatalement subordonné au hasard des conjectures. On peut mème imaginer telles circonstances, chez certains animaux transparents, où l'on serait à même, avec un dispositif convenable, de suivre sans interruption le passage d'une espèce anatomique à une autre. Ceci toutefois n'est pas le cas ordinaire. Mais nous pouvons toujours, en multipliant convena- blement les observations, atteindre un degré de certitude aussi grand que si la descendance de telle ou telle cellule de l'embryon avait été observée directement et incessamment. Un exemple très net de passage d’une espèce anatomique à l’autre est offert dans la formation du cristallin. On voit, à la place où sera l'œil, les cellules épithéliales constituant le revêtement du corps de l'embryon s'enfoncer peu à peu dans les tissus sous-jacents et se diviser là en deux couches. Les éléments de la couche la plus externe devien- nent les cellules épithéliales de la cristalloïde antérieure. Ceux de la seconde couche, tout à fait semblables dans l'origine aux premiers, s'allongent considérablement et finalement se transforment en prismes du cristallin. Voilà donc trois espèces d'éléments anatomiques bien distincts chez l'adulte : 1° Cellules de l’épiderme, 2 Cellules de la cristalloïde, 3° Prismes du cristallin, qui dérivent directement d'une espèce primitive représentée par les cel- lules épithéliales recouvrant le corps de l'embryon dans les premiers temps de la vie (vers la vingtième heure chez le poulet). Tous ces élé- ments ont done entre eux une véritable relation de famille, une parenté ascendante lointaine comme celle qui unit, aux yeux des phylogénistes, certaines espèces animales voisines. Mais le tableau est loin d’être complet ainsi. Ces mêmes cellules de l'épithélium embryonnaire donnent naissance à bien d’autres éléments qui seront aussi chez l'adulte autant d'espèces distinctes. Elles vont devenir : 4° les cellules qui tapissent les glandes de la sueur et sécrètent celle-ci; 2° les cellules du bulbe pileux, métamorphosées à leur tour pour former la substance des poils; 3° les cellules des glandes sébacées élaborant une matière huileuse abondante à la surface de la peau chez certains individus, etc., ete. Voilà donc autant d'espèces anatomiques — et l'on en pourrait multiplier le nombre — bien caractérisées comme telles et qui remontent chez l'embryon à une seule et même espèce dont elles se sont peu à peu différenciées. Quand deux espèces anatomiques, quoique nettement tranchées, sont immédiatement voisines, quand elles occupent dans le corps ou à sa surface des régions anatomiques contiguës, on trouve à la lisière qui les sépare des éléments d'un caractère mal défini, hybrides en quelque (tv) re 19 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET sorte, véritables espèces de passage comme celles que signalent les zoologistes dans les mêmes conditions géographiques. Mais il peut également y avoir discontinuité, ainsi que cela est le cas pour les éléments du cristallin et de sa capsule, isolé$ de leur souche, à la manière de certaines espèces animales persistant sur les sommets d’un continent autrefois submergé; avec cette différence que l’origine de ces animaux se perd sous les ténèbres d’un passé insondable, tandis que celle des éléments anatomiques dans le même cas ne peut tout au plus remonter qu'à quelques années. Que d’ailleurs la continuité entre les espèces de cellules différentes persiste ou qu’elle soit aussitôt rompue, le lien de parenté n’en subsiste pas moins, il est dans l’un et l’autre cas tout aussi réel. On peut le figurer dans un tableau généalogique comme celui-ci : Cellules épithéliales embryonnaires. 2 A RS NE AA UND PEU EN RER Cellules Prismes Cellules de l'épiderme, de la crislalloïde: du cristallin. des glandes sébacées el sudoripares, du bulbe des poils, etc. Nous pouvons aussi bien prendre un exemple dans lequel l'espèce souche n’a qu'une existence temporaire et disparaît de bonne heure, laissant après elle au moins deux espèces permanentes dont l’une n'est à son tour qu'une différenciation ultérieure de l’autre. L'espèce souche, que nous allons envisager n’est pas d’ailleurs l'espèce primitive; elle- même représente une des descendances déjà nombreuses à cette époque d’une espèce antérieure déjà disparue et par conséquent primitive par rapport à elle. Il y a un moment (la quarantième heure chez le poulet) où le système nerveux central, ainsi que d’autres organes tels que la rétine, etc., sont uniquement constitués par une agglomération d'élé- ments cellulaires tous semblables les uns aux autres, de petite dimen- sion, fusiformes, rapprochés, formant une couche ou lame continue, limitée de part et d'autre par deux surfaces nettes, perpendiculaires à la direction du grand axe des éléments. Nous désignerons ceux-ci par le nom de cellules nerveuses embryonnaires. Elles disparaissent ensuite plus ou moins vite. Les unes deviennent les cellules hexagonales, rem- plies de pigment , disposées en mosaïque, qui tapissent le fond de l'œil, cellules superficielles de la choroïde. Les autres offrent une évolution dif- férente; elles deviennent les éléments connus sous le nom de noyaux à queue dans la rétine et de noyaux de la névroglie dans les centres ner- veux, formant une seule espèce anatomique, les myélocytes (Robin). Ces myélocytes se multiplient; mais tandis qu'un certain nombre d'entre eux continueront d'offrir pendant toute la vie de l'animal les mêmes caractères, d’autres se modifient rapidement, revêtent un aspect tout LA PHYLOGÉNIE CELLULAIRE 343 nouveau et deviennent cellules nerveuses. Nous pouvons donc tracer l'arbre généalogique suivant : Cellules nerveuses embryonnaires (temporaires.) 0 Cellules choroïdiennes. Myéolocyltes permanents ; transformés. Cellules nerveuses. Ce tableau, pas plus que le premier, n’est probablement complet. Mais l’un et l’autre suffisent à montrer comment on peut figurer graphique- ment la descendance commune des divers éléments anatomiques, consi- dérée à la fois dans le temps et dans l’espace, double relation qu'on qualifierait de « géologique » et de « géographique », s'il s'agissait d'espèces animales. Sur le tableau complet de cette descendance, on verrait que les deux éléments qué nous venons d'envisager comme souches : les cellules épithé- liales embryonnaires et les cellules nerveuses embryonnaires, dérivent elles-mêmes d'une souche plus ancienne. En remontant toujours, on arriverait de la sorte jusqu'aux premières sphères de segmentation, origine commune d'où dérive certainement le plus grand nombre sinon la totalité des éléments anatomiques qui constituent le corps de l'adulte. IT lei se pose la même question qui préoccupe les zoologistes et qui est au fond de toute recherche phylogénique : dans quelle mesure les cir- constances ambiantes influent-elles sur ces modifications successives des éléments anatomiques et se combinent-elles avec le fait d’hérédité? Sans doute celui-ci conserve son action presque exclusivement domi- nante, mais on conçoit que le milieu puisse également intervenir pour modifier dans une mesure — si faible qu'on la veuille supposer — l'évo- lution des espèces cellulaires. La difficulté est de déterminer cette mesure. Et d’abord que faut-il entendre par milieu quand il s’agit de cellules? Pour les animaux, cette notion est très claire. On admet qu'il agit len- tement sur une série de générations à travers des siècles; et, sans doute, certains éléments peuvent être de même transformés à la longue; il existe telles modifications des tissus d’un animal à l’autre, telle appari- tion d'organes nouveaux (fanons des baleines, piquants du porc-épic, ete.) qui ne peuvent s'expliquer autrement. Ce n'est point la question que nous nous sommes posée. Il s’agit de rechercher si le milieu n'aurait pas aussi une influence sur l'évolution des diverses espèces d'éléments anatomiques d'un même être pendant le cours de sa vie. 344 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET = Le milieu que nous avons à considérer est celui dans lequel est plongée, auquel est soumise jusqu'à un certain point la cellule pendant la durée de son existence. Ce milieu n’est autre que l’ensemble des éléments voisins et des humeurs environnantes. Un bon exemple de cette influence du milieu sur l’évolution phylogénique d’un élément anato- mique paraît être fourni par le développement de la couche à noyaux internes de la rétine. Cette couche est essentiellement constituée chez l'adulte par des myélocytes qui ont succédé à des cellules nerveuses embryonnaires. Dès qu'elle est devenue distincte chez le fœtus, cette couche se montre limitée de part et d’autre par deux couches de matière amorphe dite névrogle, ayant chacune une épaisseur différente et des rapports différents avec les autres tissus de l’œil et les vaisseaux. Or, si l'on cherche à observer la transition entre les cellules embryonnaires qui forment d’abord et les myélocytes qui formeront plus tard cette couche (au moins en grande partie), on voit, sur le fœtus de six mois par exemple, que les cellules embryonnaires ne se modifient point simultanément dans toute l'épaisseur de la couche, mais que leur trans- formation est déjà complète vers les deux faces, au contact de la névroglie, alors que le milieu est encore uniquement constitué par des cellules nerveuses embryonnaires. Il semble en conséquence qu'on doive attribuer au contact de la névroglie une influence sur l'évolution spé- cifique dont nous parlons. Le meilleur moyen d'arriver à déterminer l’action des milieux orga- niques sur les éléments anatomiques serait évidemment de faire subir à ceux-là, pendant la période embryonnaire (alors que se produisent les passages d'une espèce à l’autre), des altérations déterminées, et d'en étudier ensuite l'effet. Mais la biologie est encore loin de pouvoir entrer . dans cette voie qui suppose des connaissances sur la constitution intime des éléments et des humeurs beaucoup plus étendues que celles que nous possédons actuellement. L'expérience, toutefois, pourrait recher- cher les modifications que la greffe animale apporte aux éléments ana- tomiques précisément en modifiant, par rapport à eux, le milieu. M. Mantegazza a signalé la coutume qu'ont les bouviers dans certaines régions de l'Amérique du Sud, de greffer des ergots de coq sur les oreilles de leurs bœufs. Ces ergots prennent alors des dimensions tout à fait inusitées : ils peuvent atteindre, si nous avons bien présente à l'esprit la figure qu'en donne le savant italien, 12 à 15 centimètres de long et 3 à 4 de large. On pourrait rechercher, par le microscope, si les éléments qui constituent ces productions cornées ont seulement augmenté de nombre, ou s'ils ont pris, individuellement, des dimen- sions plus grandes (comme cela est probable) dans ce milieu nouveau représenté par les tissus du volumineux animal sur lequel l’ergot à été transplanté. De même, en portant les éléments libres du sang, hématies, leuco- eee ol 2 A OS Déesse S ET LA PHYLOGÉNIE CELLULAIRE 349 cytes, des veines d'un animal dans celles d’un autre, on a pu suivre les modifications subies'par ces éléments jetés ainsi d’un milieu dans un autre. Il est possible que l’atrophie et la mort des cellules du sang soient la suite ordinaire d’une telle pratique, mais il se peut tout aussi bien faire qu'on rencontre un cas opposé où les éléments grossiront, se mul- tiplieront, etc. À côté des expériences directes, difficilement réalisables surtout chez l'embryon, il reste l'observation de certains cas tératologiques qui pourront nous éclairer quand on les étudiera avec la préoccupation d'élucider le point d'anatomie générale qui nous occupe. Il se fait pendant la période embryonnaire des arrêts de développe- ment partiel ou des doublements d'organes assez nombreux, assez fré- quents, pour qu'une science tout entière se soit formée de leur étude. Mais les monstres n'ont été guère examinés, jusqu'à ce jour, qu'au point de vue descriptif ou à celui des idées qu'on s’est faites de leur produc- tion. Il est certain que l'anatomie générale en pourra de son côté tirer parti pour apprendre à connaître précisément cette influence des milieux organiques sur l'évolution des différentes espèces cellulaires. En effet, on doit admettre que pour chacune cette évolution est réglée à la fois par toutes les circonstances qui ont précédé (condition antérieure) et par toutes les circonstances actuelles (condition ambiante) pouvant avoir eu ou avoir présentement une influence sur le phénomène envisagé. La condition ambiante, dans le cas qui nous occupe, c’est la nature des éléments voisins, l’état des humeurs au milieu desquels va s’'accomplir le passage d'une forme cellulaire à une autre. On comprend que si l’un de ces éléments vient à manquer, si une de ces humeurs se trouve modifiée, la condition ambiante cesse d'être la même, et que par suite l’évolution soit troublée dans un sens ou dans l'autre : elle sera accélérée, retardée, suspendue, modifiée, ete. Dès lors, l'espèce anato- mique, au lieu d'offrir ses caractères habituels, en présentera d'autres, résultant des effets de ce milieu où elle plonge, différent de celui où elle était appelée à poursuivre son évolution normale. Quelques exemples feront mieux saisir la direction à donner à ces recherches dont l'importance parait avoir été jusqu'à ce jour entière- ment méconnue. Il existe une malformation connue sous le nom de spina bifida, dans laquelle les deux premières crêtes dorsales parallèles du blastoderme ne se sont pas réunies sur la ligne médiane. Ces deux crêtes sont appelées, en se joignant, à former entre elles le canal central de la moelle. Les cellules, qui tapissent celui-ci et dont le développement est d’ailleurs assez bien connu, font donc à l'origine partie des éléments superficiels de l’embryon; ils sont en continuité immédiate avec les cellules qui constitueront l'épiderme. Mais c’est seulement plus tard, après que le canal qu'elles tapissent s’est fermé, qu’elles révèlent leurs 346 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET caractères propres, ne permettant de les confondre avec aucune autre espèce d’élément anatomique. Il s'agit de rechercher, dans le cas de spina bifida, alors que le canal de la moelle est resté béant, ce que deviennent ces cellules, quand au lieu de tapisser une cavité sans analogue dans l’économie, remplie d’une humeur spéciale (liquide céphalo-rachidien), elles sont demeurées en contact avec les eaux de l’amnios où plonge le reste du corps de l'embryon revêtu de son épithélium. On pourrait beaucoup multiplier ces exemples. Parfois la vessie, au lieu que ses parois soient uniquement en contact avec le liquide sécrété par les reins, est, par suite d’une malformation, largement ouverte à l'extérieur. Or, l’épithélium vésical offre, à l’état normal, des caractères spéciaux, nettement tranchés ; conserve-t-il ces caractères quand la muqueuse vésicale se trouve en contact avec le liquide amniotique diffé- rent de l'urine ? Si les propriétés chimiques ou morphologiques de cet épithélium sont alors modifiées, il semblera naturel d'en conclure que la nature du liquide qui le baigne a une influence sur elles ; si au con- traire cet épithélium n’est à aucun point transformé, il faudra attribuer au tissu sous-jacent seul la différenciation des cellules de l’épithélium vésical en espèce anatomique distincte. On conçoit que du calcul de tous ces faits, provoqués par l'expérience ou recueillis par l'observation, les uns et les autres convenablement dis- cutés, pourront sortir des notions précieuses sur l'influence de la condi- tion ambiante pour modifier l'évolution spécifique des éléments histolo- giques du corps. On n'aura pas seulement dressé le tableau exact de la descendance des espèces cellulaires, on aura la preuve expérimentale {impossible à faire pour l'espèce zoologique) de cette influence des - milieux sur les formes vivantes, dont l'étude directe ou indirecte semble être la préoccupation dominante de la biologie contemporaine. L’'ESPÉCE ET L'INDIVIDU Avant d'aborder l'étude de l’organisation du règne animal, permettez- moi de consacrer cette première lecon, selon un usage que je crois bon, à quelques considérations générales. Je voudrais essayer de déterminer avec vous la valeur qu'il convient aujourd'hui de donner aux mots espèce, individu, en zoologie. Aride problème, disent les uns; notions très claires, dirons-nous à notre tour, sinon très précises, comme tant d’autres en usage dans les sciences. De quoi s'agit-il en effet? De montrer simplement quelle signification il convient de donner dans la biologie moderne à ces deux termes « espèce, individu », que nous n'avons pas créés, qui sont venus du langage commun et qui n'ont plus de sens rigoureux avec l’état présent des connaissances humaines. Ces mots, le premier surtout, ont pu jadis provoquer d’interminables discussions. Chercher à dégager ce qu'ils doivent désormais représenter à notre esprit n'est pas d’ailleurs nous détourner de l’objet de ce cours. Tandis que le zoologiste envisage la collection des êtres vivants appartenant à une forme déterminée pour l'étudier dans le temps et dans l’espace, l’anatomiste procède autrement : il n’a pas à se préoccuper des condi- tions extérieures, il observe, il décrit l'être en lui-même, indépendam- ment de son milieu. Les études du zoologiste portent sur ce que nous appelons l'espèce; celles de l’anatomiste, plus exclusivement sur l'individu. Voyons donc quelle portée il convient de donner à ces termes « espèce, individu », que l'usage a consacrés et que la biologie ne peut pas songer à remplacer. À propos du premier de ces deux mots, plus particulière- ment, on à écrit des volumes, depuis le commencement du siècle, sans arriver à s'entendre. On prétendait appliquer cette dénomination d'espèce à un groupe défini d'êtres vivants, distincts par des caractères à la fois communs à tous les individus du groupe et spéciaux à ce groupe. En faisant ainsi du mot espèce le signe d’une réalité objective, on tom- bait dans d’inextricables difficultés : le problème demeurait insoluble, et de fait toute la science et toute la pénétration philosophique d’un Aris- 348 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET tote n’eussent pas suffi à le résoudre. Aussi bien on nous a reproché d'avoir appelé sur tout cela l'attention des jeunes gens au seuil de leurs études supérieures, comme s'il s'agissait de renouveler devant eux ces interminables et stériles querelles, finies du jour où on a compris que ces mots espèce, individu, n'avaient, en somme, qu'une valeur essentiel- lement subjective. C’est ce qu'il est facile d'établir. Pour Cuvier et pour les partisans de la fixité des formes animales, le nom d'espèce désignait un groupe d'êtres ayant vécu ou vivants, tous parfaitement semblables et descendant tous d’un couple unique ou de couples identiques sortis à une heure donnée des mains d’un divin ouvrier. On à discuté sans fin sur ce thème. Puis une révolution s'est faite dont notre Lamarck fut le précurseur et dont le génie de Darwin a finalement assuré le triomphe. L'ancienne doctrine de la fixité des formes animales a fait place à celle de la variabilité illimitée. Il n’y a plus qu’une seule descendance embrassant à la fois tous les êtres vivants. Et les dieux savent si l'on peine assez pour refaire aujourd'hui l'arbre généalogique des représentants actuels de l’animalité en comblant par la pensée les vides immenses survenus dans la grande famille organique depuis son apparition à la surface de la planète. D'après cette conception nouvelle, les formes animales n’ont plus la stabilité qui caractérisait précisément le groupe spécifique dans l’ancienne doctrine, et M. Milne-Edwards a eu raison de dire, aux dernières pages de ses belles Leçons (t. XIV, p. 32), que « l'acceptation définitive des idées transformistes nécessiterait probablement une réforme dans notre système de nomenclature zoologique ». En effet, l'espèce ne représente plus un groupe défini et distinct d'êtres vivants, du moment que nous rétablissons toutes les transitions surve- nues au cours des âges dans le monde organique, puisque tous les êtres passés et présents nous apparaissent désormais comme une lignée inin- terrompue de formes passant toutes de l’une à l’autre. C'est donc nous qui divisons mentalement cette lignée en zônes et qui donnons à chacune le nom d'espèce. L'espèce biologique devient quelque chose comme cha- cune des sept couleurs que Newton a inscrites dans le spectre solaire. Il avait choisi ce nombre par des considérations tirées de la musique, mais il aurait pu tout aussi bien se décider par d’autres motifs et spé- cifier dans le spectre trois couleurs ou dix ou davantage. Ainsi fait le zoologiste : dans la succession continue des formes vivantes, il établit des divisions arbitraires et procède, en définitive, comme a fait M. Che- vreul pour la nomenclature des couleurs. Prenons un spectre et divi- sons-le en tranches : la nuance de chacune de ces tranches ou zônes n'est pas la même dans toute son étendue, puisqu'elle passe insensible- ment du ton de la tranche précédente à celui de la tranche suivante; mais nous l’uniformisons par l'esprit, pour arriver à la distinguer spéei- fiquement. En zoologie, le groupe spécifique ne peut représenter de L'ESPÈCE ET L'INDIVIDU 349 même qu'une zone dans la descendance continue et indéfiniment modifiée des êtres; forcément, et quelque soin qu'on mette à le res- treindre, il ne sera point homogène, puisque d’une part il incline vers la forme d’où il provient, et d'autre part vers les formes qui en sont sorties ou qui en sortent actuellement. Il est clair, dès lors, que chacun reste libre d’instituer autant d'espèces qu'il le juge bon, sans que nous ayons aucun moyen d'arrêter ni aucune raison décisive de condamner les zoologistes trop enclins à créer de nouvelles espèces. Le triomphe des doctrines évolutionnistes a retiré à l'espèce toute valeur objective; on peut la conserver comme un instrument utile pour s'y reconnaitre approximativement dans le catalogue des formes vivantes : en réalité, il n’y a point d'espèces dans la nature, il n’y a que des individus plus ou moins identiques. Mais ici s'élèvent des embarras d'un autre genre, et l'entente sur l'individu n’est pas plus aisée que l'entente sur l'espèce. Pourtant, au premier abord, il semble que rien ne soit plus clair : un homme, un chien, un escargot, un papillon, un ver de terre sont des individus; ceci paraît très simple et ne l’est qu’en apparence. Le mot individu appartient essentiellement au langage moderne. Les Latins ne paraissent pas l'avoir employé autrement que comme déterminatif et dans le sens d'indivis. Les substantifs individu, individuation, reviennent, au contraire, sou- vent dans le langage scolastique. On les trouve dans Thomas d'Aquin, et la théologie définit l'individu à peu près comme pourrait le faire l'histoire naturelle : un composé de parties dépendantes et intimement unies dont on ne saurait opérer la séparation sans anéantir l'individu lui-même (1), sorte d’atome à sa façon, siège et substance d’une person- nalité unique; en d'autres termes, un tout sentant, voulant, agissant par lui-même dans une harmonie parfaite des parties étroitement liées qui le composent. Et même nous ne comprenons bien l'individu que dans un isolement en quelque sorte nécessaire à sa liberté d'action et de sentiment. Nous oublions volontiers qu'au début il a fait partie d’un autre être dont il est sorti; nous ne réfléchissons pas que cette notion en apparence si claire de l’individualité se trouble déjà quand nous considérons la mère et le fruit pendant la période de la gestation. Et combien ne s’obseurcit-elle pas davantage en présence de certains êtres monstrueux, comme cet enfant, aujourd'hui âgé de cinq ans, qu'on exhibe depuis plusieurs années à Genève, et qui possède deux têtes et deux poitrines, surmon- tant un seul tronc, une seule paire de jambe et un seul sexe? Il a deux (1) « … Quod constat ex proprietatibus quarum collectio nunquam in aliquo alio eadem esse potest. Proprietates autem quæ simul sumptæ constituunt indi- viduum hoc verbo comprehendi solent : forma, figura, locus, stirps, nomen, patria, tempus. » (Thomæ ex Charmes. Theologia universa, 2e editio, 1864, Lexicon.) 390 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET noms : la loi civile, d'accord en cela avec la tradition constante de l'Église, a donc reconnu en lui deux personnes. Qu'en pense le biolo- giste? Doit-il y voir deux individus, ou bien un seul? Au point de vue embryogénique, les êtres monstrueux de cette catégorie représentent un seul germe, par conséquent un seul individu, comme nous croyons l'avoir démontré ailleurs (1), et cependant voilà, semble-t-il, deux per- sonnes distinctes. Pour l’anatomiste, l'enfant est évidemment double par la partie supérieure de son corps. Et nous ne manquerons pas d'exemples à rapprocher de ces êtres monstrueux, si nous descendons vers les animaux inférieurs. Prenons une Hydre d’eau douce, une Pla- naire : nous coupons celle-ci en travers, celle-là en long. Chaque moitié en reconstilue une autre, et nous avons deux individus, dont chacun à gardé la moitié de l'individu primitif. Ce que nous faisons ici par vio- lence s’accomplit naturellement chez les animaux, où s’observe ce qu'on appelle la scissiparie. L’individu né par scissiparie n’est plus du tout l'équivalent de l'individu sorti d’un ovule. Voici par exemple le Déro, petit ver sur lequel M. Perrier a publié une intéressante étude : il se divise spontanément en deux parties qui se complètent ensuite. Si l’on admet, ce qui est probable, que le même procédé génésique se reproduit plusieurs fois, voilà donc une tête qui a été successivement celle de plu- sieurs individus, la même queue a obéi tour à tour à plusieurs têtes, passant ainsi d'un individu à l’autre. Dès lors, quelle définition rigou- reuse donner de l'individu, qui nous apparaissait naguère comme un être ayant sa forme propre, avec toutes ses parties dans une étroite dépendance physique et psychique? L'embarras ne sera pas moindre si de ces animaux où l'individu et la personnalité sont susceptibles d’une sorte de fractionnement, nous pas- -sons à d’autres qui se présentent comme des groupes indissolubles d'êtres, dont chacun semble d'autant mieux un individu qu’il a la plus entière analogie avec des formes ne vivant point dans le même état d'agrégation. Voici done une nouvelle catégorie d'êtres qu’on peut dési- gner sous le nom d'animaux composés. C’est une société, si l’on veut, mais qui offre dans le groupement de ses composants des caractères morphologiques absolument définis et devient ainsi un véritable indi- vidu à son tour. Ce sera si l’on veut une individualité de second degré, un individu social, par opposition à l'individu personnel. À ces êtres complexes, on a pu assez justement appliquer le nom de colonies, tandis qu'il ne saurait, selon nous, convenir à d’autres grou- pements temporaires d'individus nés les uns des autres, mais pour se séparer ensuite et vivre d’une vie indépendante. L'Hydre d’eau douce, (1) En faisant des expériences dans lesquelles nous ouvrions des œufs dans un but spécial, avant de les soumettre à l'incubation, nous avons relevé sur nos registres un cas où la cicatricule était normale et fournit cependant un monstre double. L'ESPÈCE ET L'INDIVIDU 901 avec les individus bourgeonnant sur ses flancs, le Cœnure avec ses scolex multiples, parmi les végétaux le Fraisier avec ses stolons, le Marchantia surtout, avec ses conceptacles remplis de propagules, sont d'excellents exemples de cette sorte d'individus composés, formés de représentants de deux générations au moins, et où nous ne saurions voir des colonies véritables. Le plus ordinairement, ces groupements d'êtres ont une configuration irrégulière; mais d’autres fois les indi- vidus de la seconde génération, nés successivement de celui qui repré- sente la première, restent en série linéaire, comme dans le strobila des Polypes à méduses, etc. Nous ignorons malheureusement toutes les par- ticularités d'existence de ces assemblages d'individus bourgeonnant simultanément ou successivement sur un autre. Nous ignorons à quel moment ceux de seconde génération commencent de pouvoir vivre par eux-mêmes, dans quelle mesure les phénomènes biologiques qui se passent en eux retentissent sur l'individu souche. Sans doute, il existe sous ce rapport de trèsgrandes variétés. Des expériences délicates, mais qu'on pourrait certainement instituer, permettront seules de préciser les rapports des êtres unis dans les groupements temporaires et fami- liaux dont nous parlons, aussi bien que dans ceux qui demeurent indis- solubles et dont il nous reste à dire un mot. Ces derniers seuls méritent, à la rigueur, le nom de colonies, quand tous les êtres qui les constituent, nés successivement (ou, dans certains cas très particuliers, simultanément), arrivent à former tous ensemble une individualité de second degré, un individu social dont les carac- tères morphologiques sont nettement définis et se reproduisent par hé- rédité avec la même précision que ceux de l'individu personnel. L'agré- gat répète non seulement la forme des êtres groupés, mais les traits mêmes de leur agencement plus ou moins régulier et parfois d’une déli- cate élégance. Les caractères propres de l’agrégat deviennent même tellement accusés, qu'ils se substituent à ceux de l'individu dans la classification zoologique ; aussi, le physiologiste, l’embryogéniste se demandent à leur tour s'ils sont bien en face de colonies véritables et d'individus sociaux, ou en face d’un individu personnel chez lequel se serait accomplie une multiplication des organes les plus essentiels. Les deux opinions, particulièrement en ce qui touche les Siphonophores, ont été soutenues, l’une par MM. Vogt et Leuckart suivis en France par M. Perrier, l’autre par M. Metschnikoff, dont les arguments sont bien loin d'être sans valeur. Dans l’une de ces deux théories, c’est l'individu groupé en colonie qui perd peu à peu ses caractères personnels et pro- gressivement se réduit au rôle d'organe. Dans l’autre, c’est l'individu personnel issu de l'œuf, dont les organes, se répétant, s'élèvent peu à peu en dignité, au point de donner l'illusion d'une colonie. Nous ne voulons pas trancher le débat; nous reconnaissons volontiers que les arguments décisifs manquent de part et d'autre. Ce qui manque 302 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET surtout, ce sont des données précises sur le lien physiologique entre tous ces individus plus ou moins modifiés, ou, si on le préfère, entre tous ces organes plus ou moins indépendants. Dans quelle mesure la sensibilité et les lésions se propagent-elles de l’un à l’autre, dans quelle dépendance sont-ils réciproquement au point de vue de la nutrition? Il y a là tout un vaste champ ouvert aux recherches à venir. Nous pourrions nous arrêter ici. Ce qui précède suffit à démontrer qu'en voulant donner au mot individu une valeur absolue on se per- drait, au moins aujourd'hui, dans des difficultés presque aussi inextri- cables que celles où on s’est débattu tant qu'on a cherché à définir objectivement l'espèce. Nous avons vu que ce dernier mot répondait seulement à une conception de l'esprit et n'avait qu'une valeur exelusi- vement subjective. De même, le terme individu, très clair, très précis dans le langage courant, n’a en biologie qu’une valeur forcément con- ventionnelle, puisque nous sommes conduits à l’étendre à des êtres qui ont toute l'apparence d’un agrégat social, offrant cependant des carac- tères morphologiques parfois aussi nettement tranchés et définis que ceux d'un individu personnel. Il ne saurait être question évidemment de rejeter de la biologie ces mots consacrés, ou d'en modifier l'usage : il s’agit d'en connaître la juste valeur. L'espèce continuera d’être étendue ou restreinte au gré de chacun. Nous continuerons de désigner et d'étudier comme individus, non seulement les Siphonophores, les Pennatules, certains Bryozoaires, les Tænia, où le caractère colonial est des plus discutables ; mais d’autres agrégats, tels que les Dendrophyllia, où les caractères morphologiques de l’ensemble sont beaucoup moins accusés et où les individus constituant colonie sont à la fois tout sem- blables entre eux et très voisins d’autres formes vivant à l’état d'isole- ment: Comment ces colonies, en nous tenant aux dernières, ont-elles pris naissance ? Avons-nous quelque raison de croire a priori que les formes d'un même groupe vivant à l’état d'isolement dérivent de colonies, ou que le contraire ait eu lieu ? Quoi qu'on fasse et malgré les plus nobles efforts d'imagination, le passé organique de la Terre nous est aussi pro- fondément inconnu que l’autre côté de son satellite. On a remarqué avec raison que les plus anciens fossiles rencontrés dans les couches du sol nous montrent le règne animal sous les mêmes traits généraux qu'il offre encore aujourd’hui : les grandes transformations de l’animalité, dont on trace l’historique d’une main si assurée, se sont donc passées tout au moins en un temps dont le souvenir est absolument effacé du monde, sur lequel nous n’avons aucun document authentique, et dont l'imagination ne suffit pas à déchirer les voiles. Tout au plus pouvons-nous, à la rigueur, considérer les individus co- loniaux les mieux caractérisés, comme représentant un degré dlunion plus intime et permanent — mais de même ordre — que celle qui unit L'ESPÈCE ET L'INDIVIDU 30 les bourgeons nés sur le Polype à celui-ci ou les stolons au Fraisier. La permanence de la colonie résulterait ainsi d’une sorte d’avortement dans la multiplication par gemmes. On remarquera que la colonie naît toujours (ou au moins dans l'immense majorité des cas) d’un ovule unique et de tous points comparable à celui qui donne, pour une forme voisine, l'individu isolé. Mais une conception extraordinaire par sa hardiesse même est celle qui prétend retrouver, dans des individus aussi nettement caractérisés que l’homme, l'oiseau, l'insecte, l’écrevisse, des espèces de colonies ar- rivées à un maximum de condensation. On a donné dans ces derniers temps quelque relief à cette doctrine, défendue avec une ardeur et une habileté qui malheureusement ne peuvent pas nous fermer les yeux sur l'absence de toute preuve à l'appui. L'idée, d’ailleurs, n’est pas nouvelle. Déjà le botaniste La Hire, mort en 1727, soutenait ce qu’or à appelé la « théorie des Phytons », quand elle fut reprise il y a quelques années par À. Dupetit-Thouars et Gaudichaud. Cette théorie consistait à regar- der chaque bourgeon comme un individu primaire et l'arbre comme une colonie d'un immense polypier, comme un individu social en un mot, offrant, à la facon de la Pennatule, des caractères d'ensemble par- faitement définis (1). Pour les animaux, Dugès, en 1832 (2), avait désigné sous le nom de zoonites, soit les segments visibles à l'extérieur des articulés, soit les zones du corps des vertébrés correspondant aux divisions de leur moelle épinière et de leur colonne vertébrale. Mais il ne songeait point à re- trouver dans chaque zoonite le résidu d'autant d'’individualités dis- tinctes, dans leur ensemble, celui d’une colonie ancestrale linéaire. Il s'agissait seulement de désigner sous un nom spécial des parties d'un individu unique, se répétant un plus ou moins grand nombre de fois, et plus ou moins modifiées d'une extrémité à l’autre du corps de cet individu. Il est certain, en effet, que l'organisme animal est soumis dans la plus large mesure à une loi de répétition (Dugès) dont les manifesta- tions s’accusent déjà nettement chez bon nombre d'êtres unicellulaires. L'organisme se répète en deux moitiés de chaque côté du plan sagittal chez la très grande majorité des animaux. Il se répète circulairement chez les Cœlentérés et les Échinodermes; longitudinalement chez les Annélides, les Articulés et les Vertébrés. Mais en même temps, tout au moins pour ces derniers, il est trop certain que jusqu'à l'heure présente aucune découverte paléontologique, aucune présomption même, ne plai- dent en faveur d’une origine coloniale des êtres qui personnifient préci- (4) Voy. Analyse des recherches sur l'organographie de Gaudichaud, par Poiteau (Ann. de la Soc. d'horticulture de Paris, t. XXVIIT). (2) Mémoire sur la conformité organique dans l'échelle animale. 394 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET sément le mieux l’individualisme organique. I1 a fallu dès lors, pour nous faire entrevoir la possibilité de cette coalescence hypothétique d'individus plus simples pour former une individualité nouvelle et com- plexe; il a fallu, disons-nous, aller chercher ses exemples — et encore ne sont-ils pas du tout probants — au bas de l'échelle animale, dans un groupe d'animaux encore assez mal connus du fond des océans. L'argument est emprunté à certains Polypes hydraires que M. Moseley, l’un des naturalistes du Challenger, nous montre, dans le passé, se grou- pant et se soudant pour donner naissance, après un nombre de trans- formations demeurées d’ailleurs inconnues, à l'animal des polypiers et à l’anémone de mer ou Actinie. On nous dit bien que chaque tentacule de celle-ci dérive d’un Polype hydraire, représente dans la combinaison ancestrale un Polype hydraire imparfait (dit dactylozcide); mais on oublie de nous dire en même temps si le Polype hydraire lui-même, avec ses tentacules exactement constitués comme ceux de l’Actimie, n’est pas à son tour un être colonial dont l’origine pourrait prêter tout aussi bien au même genre de raisonnement. Un seul point manque à la démonstration de M. Moseley et à toutes les autres du même genre : la preuve ou tout simplement une présomp- tion quelconque que les choses se sont passées de la sorte dans la na- ture et non autrement. On fait valoir, il est vrai, certains détails, cer- taines particularités d'organisation qui semblent établir un lien entre les formes que l’on cherche ainsi à rapprocher; mais le soin même, qu'il faut apporter à découvrir ces détails et ces particularités nous semble la meilleure mesure de leur peu d'importance. On trouvera toujours, quand on le voudra, entre les groupes d'animaux les plus dissemblables, un certain nombre de points de ressemblance. On a prétendu montrer chez les Tuniciers un semblant de corde dorsale, et on a fait descendre les Vertébrés des Tuniciers. D’autres ont cru reconnaître une analogie entre les organes segmentaires des Annélides et la disposition primitive de l'organe de Wolff, et voilà les Annélides substitués aux Tuniciers dans l'arbre généalogique des Vertébrés et de l’homme ! Nous pensons, pour notre part, qu'on ne saurait trop se tenir en garde contre ces pré- tendues analogies morphologiques qui ne sont peut-être pas toujours bien démontrées par l'anatomie et paraissent reposer parfois sur de simples analogies fonctionnelles. Pour en revenir aux Hydres et aux Actinies, va-t-on prétendre que le nombre de tentacules propres à chaque espèce, chez celles-ci, répond au groupement de ce même nombre déterminé de Polypes primitifs pour former l’Actinie? Ou ne vaut-il pas mieux y voir, comme dans le grand nombre des vertèbres caudales de certains mammifères, simple- ment un signe de cette tendance dont nous avons parlé et qu'a l'orga- nisme à se répéter? Que cette répétition des zoonites soit linéaire, il est évident que l'animal ainsi constitué se présentera aussitôt à nous sous L'ESPÈCE ET L'INDIVIDU 399 une apparence rappelant ces groupements familiaux dont le strobila des Méduses et plusieurs Annélides se reproduisant par scissiparie nous fournissent des exemples. Mais, au fond, la différence reste considérable entre la simple répétition des mêmes organes offerte par le Vertébré ou l'Articulé et ces chaînes épigéniques d'individus nettement distincts et susceptibles d’une vie propre que nous trouvons chez certains animaux inférieurs. Ajoutons que la paléontologie jusqu'ici ne confirme point ces vues et ne nous laisse pas même deviner dans le passé de notre planète l’exis- tence d'un animal — ancêtre des Articulés ou des Vertébrés actuels — dont les zoonites aient présenté un caractère individuel plus accusé qu'aujourd'hui, avec une répétition des organes des sens, par exemple, ou d'un anneau œsophagien. Et la tératologie non plus ne nous a jamais montré de retour à un tel état ancestral. Donc les preuves font absolu- ment défaut, au moins jusqu'ici, pour admettre l'origine coloniale des Articulés ou celle des Vertébrés, sans parler de celle des Cœlentérés. Ce que l’on peut dire, c'est que dans certaines catégories d'animaux, cette tendance à la répétition des parties se manifeste plus énergique- ment que chez d’autres. Il existe des groupes zoologiques entiers où la répétition est radiaire (Cœlentérés, Échinodermes), d'autres où elle est linéaire (Annélides, Articulés, Vertébrés); par contre, d'autres groupes, même comprenant des animaux aussi élevés en organisation que les Céphalopodes, ne présentent plus le même phénomène et ne laissent apercevoir que de vagues indices d'une répétition organique toujours très limitée (Nématoïdes, Brachiopodes, Tuniciers, Mollusques). Nous ne parlons que de l'organisme envisagé dans son ensemble et dans ses traits fondamentaux. Les Chitons, par leur test, rappellent les segments des Articulés; le siphon de certains Lamellibranches nous offre de même une structure annelée manifeste ; les Poulpes, par la disposition de leurs tentacules en couronne, les Doris, par celle de leurs branchies rayon- nantes, reportent l'esprit vers la répétition radiaire des Polypes. Le groupement des formes animales que nous proposons ici, d'après l'exis- tence ou l'absence d'un système de répétition des organes et les carac- tères de ce système, repose, en somme, sur des considérations anato- miques dont l'exactitude est à coup sûr indiscutable, mais sans que nous en puissions fixer la valeur relative dans l’ensemble des propriétés morphologiques ou fonctionnelles qui constituent l'organisme. Le mal n'est pas d’édifier des théories. Le droit en appartient à chacun et l'on rend souvent ainsi service aux sciences. Le seul tort est d’attri- buer aux hypothèses qu'on fait une valeur qu'elles n'ont pas, et de les regarder avec trop de complaisance comme correspondant à la réalité des choses. On nous paraît tomber actuellement dans un étrange abus des vues phylogéniques. Sans doute, à force d'heureuses trouvailles, le paléontologiste peut espérer tirer de la terre — cela s'est déjà présenté 3006 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET pour les Équidés — tous les anneaux de la chaîne reliant quelqu'une de nos formes contemporaines à une autre dont elle semble bien dériver. Mais ce seront là forcément des cas toujours exceptionnels, et auxquels il sera prudent de se tenir, sans dresser à tout propos ces généalogies imaginaires des formes animales, qui encombrent aujourd'hui bon nombre de traités et de mémoires de zoologie. Il y a un demi-siècle environ, la vogue était à une grave question d'anatomie comparée. Il s'agissait de retrouver dans la composition osseuse du crâne un certain nombre de vertèbres condensées pour for- mer l'enveloppe solide du cerveau et la charpente squelettique de la bouche. La « théorie vertébrale du crâne » avait préoccupé tour à tour Gæthe et Oken en Allemagne, Geoffroy Saint-Hilaire en France, M. R. Owen en Angleterre : c’est dire que l'Europe savante entière était sus- pendue à ce problème. Combien tout cela est-il tombé dans l'oubli! Combien ces vues de l'esprit reposant pourtant, elles aussi, sur un cer- tain nombre de faits positifs, ont-elles perdu de leur importance avec le progrès de nos connaissances en anatomie générale et en embryogénie ! On peut se demander s'il n’en sera pas de même de cette fièvre qui nous fait imaginer de vingt facons diverses, au gré de chacun et selon l'im- portance qu il attribue à tel ou tel organe, la descendance des êtres peu- plant aujourd’hui le globe. Certes, nous croyons fermement à cette des- cendance, à la variabilité indéfinie des formes animales, à leur origine par des êtres plus simples qu'une simple cellule : toutes ces conceptions n’ont rien pour nous effrayer ou seulement nous étonner. Mais il faut bien reconnaître qu'elles demeurent, faute d'aucune preuve encore, à l’état d'articles de foi. Elles sont infiniment probables, mais elles ne sont nullement démontrées. Spéculer sur elles est sans utilité immé- diate, et toutes les idées phylogéniques du monde ne vaudront pas, pour l'avancement définitif de nos connaissances, l'étude attentive et longue- ment suivie d’une seule des formes animales, füt-ce la plus commune; raisonnons moins sur l'inconnu et tenons-nous davantage sur le domaine des lois et des faits directement vérifables. REMARQUES ANATOMIQUES A L'OCCASION DE LA NATURE DE LA PENSÉE Je voudrais, en me plaçant au point de vue anatomique, présenter quelques observations sur le très intéressant débat soulevé par M. Gau- tier, et auquel ont pris part MM. Richet et Herzen. Et, tout d'abord, il me semble indispensable de bien fixer le point en discussion, spécia- lement ce qu'il faut entendre par « la pensée ». Il s’agit évidemment ici de l’activité consciente de certaines parties de l'encéphale. Il y a, en effet, deux choses très distinctes. D'abord l’acti- vité cérébrale, laquelle est permanente, jamais suspendue, qui com- ménce de très bonne heure chez l'embryon, et qui, chez l'adulte, est fonction de toute impression visuelle, auditive, olfactive, gustative, tactile, calorifique, en un mot de toute modalité nouvelle imprimée aux parties superficielles ou même profondes de l'organisme. À côté de cette activité cérébrale le plus souvent inconsciente, il en est une autre infiniment limitée relativement à elle, et qui représente ce qu'on appe- lait autrefois en philosophie « le mor conscient ». Ces mots ont leur signification connue sans qu'il soit possible de les expliquer. Nous sommes ici au bout de la connaissance, et tout ce que nous pourrions dire, c’est que les milliers de volumes, écrits sur ce sujet par les philo- sophes des écoles les plus diverses, n'ont pas jeté un atome de lumière sur le sujet. Le phénomène « conscience » est un résultat primordial, inexplicable et incompréhensible de l’état de vie, qu'il faut accepter comme un axi0me. La pensée sera donc pour nous l’activité consciente de certaines cel- lules cérébrales. Pour reprendre une image ingénieuse de M. Gautier, la pensée sera l'heure marquée par la distance angulaire des deux aiguilles d'un montre, à la condition qu'un rouage quelconque ou un pignon quelconque de la montre soit conscient : l'heure sera une pensée de ce rouage. 308 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Ceci établi, essayons d'envisager quelques-uns des phénomènes con- scients les plus simples. Me promenant sur une route parfaitement unie, au milieu d’un paysage parfaitement uniforme, le corps animé de mouvements automatiques qui me laissent toute liberté d'esprit, je fais un calcul mental: moins encore, je décompte de 100 à 1, je pense « 99, 98, 97, etc. ». Une partie de mon cerveau, de mes cellules cérébrales, si l'on veut, fonctionne. J'en ai conscience. Mais il y a quelque chose de plus, je dirige leur fonc- tionnement. Voilà le phénomène intellectuel par excellence, et le plus inexplicable de tous, s’il y avait des degrés dans l'inexplicable. C’est l’ATTENTION, c'est la volonté s’exerçant non plus pour produire une suc- cession d'actes extérieurs plus ou moins immédiats, mais la volonté s'appliquant au fonctionnement même des éléments nerveux qui pensent. Dire que l'attention n’est qu'une forme de la volonté, c’est résoudre la question par la question (1). C'est là, par excellence, l'acte psychique qu'il conviendrait d'analyser anatomiquement, mais nous n’en avons aucun moyen. Le problème posé par M. Gautier est celui-ci. Les phénomènes intel- lectuels conscients (et le phénomène attention qui en est inséparable) sont-ils, ou non, une tranformation de l'énergie? La pensée est-elle une forme de l'énergie à ajouter aux formes déjà connues, mouvement, cha- leur, électricité, travail chimique? M. Gautier conclutque non; MM. Richet et Herzen pensent que oui. En réalité, ni d'un côté, ni de l’autre, on ne peut fournir de preuves, et on ne le pourra sans doute de longtemps. MM. Richet et Herzen ont pour eux la probabilité; M. Gautier a certai- nement pour lui les apparences. L'expérience de M. Schiff, diversement interprétée et invoquée à l'appui des deux camps, est sans valeur pour la solution de la question; nous le montrerons plus loin. Prenons un autre exemple de pensée consciente. Je suis étendu, je veux lever la jambe. La pathologie nous enseigne, ou plutôt nous con- firme, dans cette opinion qu'on pouvait avoir a priori (2), que la région de l’encéphale d’où partent nos volontés motrices est fort exiguë. Ici, ül faut nécessairement admettre au point de départ de la volition une dépense manifeste d'énergie, un travail chimique déterminé dans les cellules nerveuses qui sont le siège d'une volonté. C'est ce travail chimique, imprimant une modification au nerf, qui va provoquer dans le muscle d’autres modifications chimiques dont la contraction sera le résultat. C’est en chargeant l'équilibre moléculaire de la substance du (1) En relation avec les phénomènes sensitifs, l'attention ne nous apparait plus comme directrice, mais plutôt, pour parler le langage de la physiologie moderne, comme inhibant une partie plus ou moins étendue du système ner- veux au bénéfice d’une portion de celui-ci plus restreinte, qui semble par suite jouir d’une sorte d'hyperesthésie. (2) Descartes l'avait déjà soupçonné. REMARQUES A L'OCCASION DE LA NATURE DE LA PENSÉE 399 muscle que le nerf agit. On pourrait même dire, à ce point de vue, qu'il n'y a, en réalité, dans l’économie, ni nerfs sensitifs ni nerfs moteurs, et seulement des nerfs trophiques. Au premier abord, dans le cas particulier que nous envisageons (la volonté de lever la jambe), l'effet dynamique finalement produit semble absolument disproportionné à la cause qui l’a produit. Quelque change- ment chimique que l'on admette dans la cellule nerveuse comme cor- rélatif de l'acte de volition, on ne peut manifestement lui donner pour équivalent l’action trophique que va produire la volonté dans la masse des muscles de la hanche et de la cuisse qui vont se contracter. C’est ici que nous entrevoyons le rôle des grosses cellules nerveuses généra- lement interposées sur le trajet des nerfs moteurs. Il faut comprendre l’acte de volition devant provoquer une contraction musculaire sim- plement comme une sorte de mise en train d’autres portions beaucoup plus considérables, mais inconscientes, des centres nerveux, absolument comme le tiroir met en train le piston de la machine à vapeur. C'est évi- demment dans cette masse de substance cérébrale inconsciente que nous devons rechercher la somme d'activité nerveuse dont l'activité chimique du muscle, et par suite le mouvement et la chaleur qu'il développe, sont l'équivalent. Que cette activité nerveuse latente, inconsciente, accumulée ici ou là dans les centres nerveux, ait sa source tout entière dans le mondé extérieur, cela ne peut faire doute ; qu'ils la recoivent sous forme d’ali- ment par l'intermédiaire du sang, du dehors sous forme de chaleur, ou des autres parties du système nerveux sous forme de travail chimique intérieur, peu importe. Le système nerveux central, les ganglions peuvent être considérés, sous ce rapport, comme autant d’accumulateurs constamment mis en charge à la fois par l'alimentation et par toutes les impressions transmises de tous les points de l'économie. Et, cons- tamment aussi, cette énergie se dépense en actions trophiques dont l'équivalent final sera pour une grande part la multitude des mouve- ments volontaires et de ces réflexes profonds qui nous demeurent inconnus et que révèlent seuls les instruments du physiologiste. Aussi, quand nous prétendons retrouver dans les résidus de l’orga- nisme le résidu pondérable de l’activité musculaire, ne faut-il pas perdre de vue que les éléments nerveux ont contribué pour une part proportionnelle à la formation de ce résidu, et que nous n'avons actuel- lement aucun moyen de distinguer ce qui provient du muscle et ce qui provient de la substance nerveuse. Même alors que nous pourrions faire cette distinction, encore faudrait-il se rappeler que la part de substance nerveuse où l’activité s'exerce sous la forme propre de volition est infime, comparée à celles où doit s'exercer l’activité motrice incon- sciente mise en jeu consécutivement, et que nous devons supposer adé- quate à la modification moléculaire survenant dans les muscles. La] 300 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET De ce côté donc, aucun moyen de retrouver l'équivalent chimique de la pensée. Voyons si nous pouvons espérer d'en retrouver l'équivalent thermique. M. Herzen a fait valoir, avec beaucoup de raison, qu'il fau- drait ici des constatations calorimétriques absolument irréalisables. Ce qu'il n’a pas dit, c’est que, püt-on isoler la partie pensante du cer- veau d’un animal, celle-ci serait réduite à un volume tellement minime de matière qu'il serait impossible à nos meilleurs instruments d'y déceler un changement thermique quelconque et de le mesurer. Essayons encore ici d'envisager une pensée aussi élémentaire que possible, telle qu'elle peut résulter d'une perception visuelle. Un homme que nous supposerons borgne de naissance, pour simplifier les choses, est plongé dans l’obscurité. Il aperçoit devant lui deux traits d’une grande finesse, faiblement lumineux, dessinant un V ou un X, comme on voudra. Etant borgne, il n’a aucun moyen d'apprécier et par conséquent ne cherche à apprécier ni les dimensions ni la distance de l'apparition. Nous admettons simplement qu'il voit les branches de ce V ou de cet X comme ayant juste la dimension du diamètre du soleil, c'est-à-dire qu'il les voit sous un angle de trente-deux minutes. En fin de compte, ces deux traits lumineux vont fournir à l'esprit de notre borgne la notion très simple de la figure d’un V ou d’un X, rien de plus. Voyons ce qui se passe. Les deux traits lumineux impressionnent sur la rétine un nombre d'éléments de la fovea qu'il est aisé de calculer. J'ai montré ailleurs (1) qu’il suffisait qu'un trait produisit sur la fovea une image de 4,5 ou 15 dix-millièmes de millimètre de diamètre, abstraction faite des cercles de diffusions qu’on peut négliger (Helmholtz), pour être très nettement perçu dans les conditions atmosphériques ordi- naires, à plus forte raison dans les conditions où nous supposons notre borgne. Si l’image rétinierne des deux traits lumineux a cette dimen- sion, elle n'impressionnera qu’un seul rang d'éléments rétiniens sen- sibles, en supposant ceux-ci disposés dans la direction voulue. En effet, le diamètre transversal des cônes de la fovea est de 3 u,3 (2). En admet- tant qu'ils soient tangents les uns aux autres, ce qui n’est pas le cas (3), et qu'ils soient dans l'alignement même des deux traits de l’image lumineuse, on trouvera (4) que chacun — sous-tendant un angle de (1) Note sur les moindres images réliniennes. (Soc. de biologie, 12 juillet 1879). (2) Ce chiffre résulte de mensurations très rigoureuses que je dois à l'obli- geance de M. le Dr Desfosses. Krause donne un chiffre un peu plus faible, 34 seulement; et même dans les derniers temps ce chiffre a encore été abaissé à 2 y, 5 et 2u. (Voy. Vecker et Landolt, Traité complet d'ophlalmologie.) Ces écarts dans l'appréciation des dimensions des cônes n'influencent pas sensiblement le résultat des calculs que nous présentons ici. (3) Certains auteurs admettent qu'ils sont distants d’une longueur égale à leur diamètre, ce qui est certainement exagéré. (4) La distance moyenne des points nodaux à la fovea étant prise égale à 45 millimètres, un angle de 32 minutes sous-tend une corde qui mesure sensible- ment 0nm,43. REMARQUES A L'OCCASION DE LA NATURE DE LA PENSÉE 361 trente-deux minutes — impressionne environ 40 cônes. Triplons ce chiffre pour tout mettre à notre désavantage, et nous voyons que l’image totale impressionnera 2 X 40 X 3 — 240 cônes de la fovea. Personne, sans doute, ne contestera que l’action exercée par les radiations lumineuses sur la rétine ne soit de nature chimique. L'état moléculaire des éléments sensibles frappés par la lumière va se trouver modifié, et modifié, selon toute vraisemblance, proportionnellement à l'intensité lumineuse. Cette modification ne doit pas être interprétée comme le passage d’un état statique à un autre, ou d’un état statique à un état de mouvement. Elle doit être comprise comme une modification dans l’activité moléculaire, dans le travail de combinaison et de décom- binaison incessant dont l'élément rétinien est le siège, et qui lui est propre. Cette déviation nutritive a nécessairement sa formule chimique et représente un certain travail positif ou négatif dont on pourrait se proposer de rechercher l'équivalent. La modification ainsi survenue va, par le seul fait qu’elle esf, en pro- voquer une autre corrélative dans des éléments nerveux placés à dis- tance et auxquels les cônes rétiniens sont, selon toute apparence, 2ndi- viduellement reliés par autant de conducteurs spéciaux. Ces conducteurs, nous les connaissons. Ce sont les fibrilles nerveuses élémentaires, d’une ténuité telle que les procédés les plus délicats ne sont pas encore par- venus à les isoler dans les faisceaux qu'ils forment (cylindraxes). Dire que leur diamètre n’a qu'un dix-millième de millimètre serait probable- ment leur attribuer des dimensions fort exagérées. Dans le cerveau de l’homme et des animaux supérieurs, la matière interposée aux éléments cellulaires et connue sous le nom de « névro- glie » n’est qu'une intrication formidable de ces conducteurs infiniment ténus, mettant en communication toutes les cellules sensitives, volitives, motrices, trophiques, etc., les unes avec les autres, on pourrait presque dire chacune avec toutes les autres. C’est par eux que les diverses portions du système nerveux s'influencent à distance, en suivant des voies sur lesquelles nous avons bien quelques données, mais très confuses. Par eux, l'élément rétinien, modifié sous l'influence des radiations lumi- neuses, Va provoquer à son tour une modification trophique corrélative (mais non forcément de même nature) dans un certain nombre de cellules du cerveau, spécialement dans un certain nombre de cellules conscientes. Remarquons ici que c’est se faire une idée très fausse du siège des facultés intellectuelles ou psychiques proprement dites que de le placer dans les éléments anatomiques désignés habituellement sous le nom de cellules nerveuses. Celles-ci, toujours d'un volume notable, toujours reliées à un grand nombre de conducteurs élémentaires, ne jouent, selon toute apparence, qu'un rôle accessoire comme collecteurs, accu- mulateurs, diffuseurs d'énergie nerveuse. Tout porte à penser qu'elles 362 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET ne sont jamais le siège d'actes psychiques proprement dits, d'actes conscients, tels qu'une perception, une volition, etc. Certains animaux ne présentent que de très rares cellules nerveuses répondant à la des- cription qu'on en donne généralement, ou n'en présentent point; nous trouvons toujours les plus grosses, dans l'encéphale ou la moelle des Vertébrés, au point de départ des activités trophiques périphériques qui vont précisément se traduire par un travail extérieur considérable, ainsi les cellules antérieures motrices de la moelle, les cellules élec- triques des poissons. Tout indique, au contraire, que le véritable siège des facultés con- scientes est dansles petits éléments nerveux déterminés pour la première fois comme tels par Ch. Robin et qu'il a nommés myélocytes. Les dimen- sions des myélocytes sont bien connues. Ils mesurent 5 à 6 x de dia- mètre, rarement 8. Comme ils sont à peu près sphériques, il est facile d'en établir le volume. Supposant chaque myélocyte sphérique et mesu- rant 7 de diamètre, on a son volume = 11 wÿ. Il est logique d'admettre que chacun des éléments sensibles de la fovea est en communication directe dans l’'encéphale avec un seul myélocyte : cela apparaît comme la condition même de l'extériorisation des points rétiniens. Il n’est pas d'ailleurs nécessaire que ces éléments soient disposés dans le cerveau sur un plan comme ceux qui recoivent l’image, mais ils doivent être sans doute en nombre égal. Et si la périphérie de la rétine ne nous fournit pas des perceptions aussi nettes que la fovea, c'est sans doute que les cônes et les bâtonnets n'ont plus là la même individualité pro- longée en quelque sorte jusqu'au centre conscient. En définitive, et telle est la conclusion à laquelle nous voulions arriver, on peut envisager la modification moléculaire produite par notre V ou notre X lumineux dans les 240 cônes de la fovea comme suscitant une modification trophique corrélative dans 240 myélocytes conscients. Nous ne prétendons nullement que l'impression rétinienne limitée que nous Supposons ne provoque pas la mise en jeu d'un nombre de cellules céré- brales beaucoup plus considérable. Mais nous n'avons non plus aucune raison de supposer que ce nombre soit insuffisant pour une perception consciente, telle qu'elle se produit, par exemple, dans le rêve. Or, 240 myélocytes représentent en masse totale seulement 660 y”, pas même un centième de millimètre cube de substance organique ! On verra dans un instant que ce chiffre est probablement beaucoup trop fort. Admettons qu'il soit exact. Quel est le calorimètre assez sen- sible pour accuser l'échauffement ou le refroidissement d’une masse aussi petite et y retrouver en fraction de calorie l'équivalent d'un travail intime quelconque ? Selon M. Gautier, c'est la modalité chimique actuelle de l'élément nerveux, en tant que perçue, qui constitue la pensée ; d'après MM. Richet et Herzen, la pensée (perception) serait l'équivalent même — partiel ou REMARQUES A L'OCCASION DE LA NATURE DE LA PENSÉE 363 total — de cette modalité chimique. Peut-être pourrait-on faire ici valoir un argument en faveur de l'opinion de M. Gautier. Si la perception est une équivalence, même partielle, du travail chimique survenu dans l'élément nerveux conscient, nous sommes arrivés au terme des transformations possibles des forces extérieures à l'organisme. L'énergie ainsi dépensée ne se retrouve jamais, comme le calorique perdu dans les espaces célestes. Or, dans les conditions ordi- naires de la vie, avec l'infinité d'images qui se peignent tout le long du jour sur notre rétine, il faut bien convenir que les perceptions conscientes sont l’exception. Revenons à notre promeneur du début, qui.va décomp- tant toujours « — 9 — 8 — 7... ». Malgré l’uniformité du chemin et du paysage, il n'en est pas moins vrai que chaque caillou, chaque brin d'herbe, chaque nuage au ciel se sont dessinés sur sa rétine avec la rigoureuse exactitude d'une photographie ; chaque élément rétinien, mille fois impressionné, a mille fois mis en branle chaque myélocyte en communication avec lui, mais demeuré inconscient par absence d'atten- tion. On peut très bien admettre qu'au bout d’un certain temps cette succession incessante de modifications moléculaires survenues dans les éléments rétiniens, et propagées dans ce cas aux éléments nerveux non conscients, finisse par représenter une somme notable de travail chi- mique, qui deviendra lui-même, avec les autres modifications de même ordre dérivant des autres sens, ce potentiel disponible dans les centres nerveux, qui peut seul nous rendre compte des grands phénomènes trophiques, tels que la contraction musculaire ou la secousse électrique. Mais on remarquera que si les impressions inconscientes du dehors peuvent être considérées comme retrouvant ainsi leur équivalence totale dans les activités extérieures de l'organisme, la perception consciente au contraire — dans l'hypothèse de MM. Richet et Herzen — par le fait même qu'elle est déjà, sous forme de pensée, l'équivalent au moins partiel des impressions du dehors, ne va plus pouvoir agir aussi forte- ment sur ce domaine de l’encéphale où s'accumule l'énergie des sensa- tions non perçues. Or, c'est précisément le contraire qui semble avoir lieu. Si les impressions inconscientes de la rétine, plus nombreuses que les étoiles au ciel, peuvent être considérées comme la source d’un cer- tain nombre de manifestations intellectuelles à venir, imagination, rève, déterminations en apparence spontanées, etc., il est très certain, d'autre part, que le très petit nombre de nos perceptions conscientes journalières a une action bien autrement directe (dans le cas des réflexes) et durable (dans le cas de la mémoire) sur notre substance nerveuse. En sorte que c’est précisément quand une partie du travail moléculaire intime des éléments cérébraux serait consommée sous forme de pensée que le reste de ce travail provoquerait les modifications les plus pro- fondes dans les parties inconscientes du cerveau. Ce sont là des condi- tions qui ne semblent pas très conciliables avec l'idée que nous nous 304 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET faisons aujourd'hui de la conservation de l'énergie. On pourrait à la rigueur les invoquer comme un argument — si l'on peut appeler de ce nom tous les raisonnements sans beaucoup de base que chacun est en droit de faire en un pareil sujet — en faveur de l'hypothèse de M. Gau- tier, à savoir : que la pensée n’est pas une transformation de l'énergie, mais simplement la notion du travail chimique s’accomplissant au sein de certains éléments anatomiques d'ailleurs fort limités en nombre. Nous n'avons pas, pour notre part, la prétention de résoudre les graves problèmes soulevés ici; nous avons voulu seulement montrer, en se plaçant au point de vue anatomique, les difficultés du sujet, l'incertitude des moyens proposés pour trancher la question de la nature de la pensée. Surtout nous avons voulu montrer quelle petite proportion de substance vivante entrait en jeu dans les actes purement psychiques. Le chiffre de 660 u*, que nous donnons plus haut comme exprimant à la rigueur le volume de substance vivante active dans le cas d’une perception très simple, est probablement beaucoup trop élevé. En effet, la plus grande partie du myélocyte conscient est occupée par un noyau; or tout ce que nous savons en anatomie générale autorise à penser que ce noyau, quoique nécessaire peut-être au maintien de la substance cel- lulaire, ne partage point les qualités fonctionnelles propres. Il faudrait réduire en ce cas des 9/10 tout au moins la quantité de substance cérébrale pensante dans les conditions que nous avons supposées, c'est- à-dire nous donnant la notion élémentaire d'un V ou d’un X. Il suffit, au reste, de réfléchir aux conditions où se présente à nous le système nerveux, même chez les animaux qui paraissent le mieux doués sous le rapport du volume du cerveau, pour comprendre combien doit y “être réduite la masse de substance pensante. Le cerveau d’une fourmi est certainement le siège de concepts assez compliqués; il saisit des rapports de durée, détendue, sur lesquels nous ont éclairés les zoolo- gistes qui ont étudié ces insectes. Cependant les dimensions du cerveau de la petite fourmi rousse, par exemple, sont des plus minimes. Il est inutile d’insister. On peut admettre que les facultés propres qui font l’homme de génie sont toujours immanentes à un poids très faible de substance cellulaire nerveuse; les Principes de Newton, l'Enfer du. Dante n'ont peut-être pas été élaborés dans plus d'un millimètre cube de substance vivante. TT LA PRÉTENDUE ÉVOLUTION DU SENS DES COULEURS On a soutenu, il y a quelques années, que la faculté de percevoir les couleurs avait subi chez l'homme une évolution récente qu’on ne devait pas faire remonter beaucoup au delà des âges préhistoriques et qui aurait même passé par ses dernières phases depuis l’origine des plus anciens monuments littéraires qui nous sont parvenus, en d'autres termes depuis trente ou quarante siècles tout au plus, ce qui peut être considéré comme un laps de temps insignifiant par rapport au temps qui s'est écoulé depuis que l’homme existe sous sa forme actuelle. D'après cette singulière doctrine, défendue par MM. Geiger, Hugo Magnus, et à laquelle M. Soury semblait un moment s'être rallié, la rétine humaine aurait progressivement distingué les diverses couleurs à partir du rouge, dans l'ordre de leur réfrangibilité croissante; et, le même processus continuant, elle distinguerait par la suite d’autres couleurs à nous inconnues dans la région ultra-violette du spectre. Notre intention n'est point ici d'entreprendre une réfutation en forme de cette doctrine, étayée uniquement sur les noms de couleurs relevés dans les anciennes littératures indo-européennes. Il nous à seulement paru curieux, en un jour de vacances et de loisirs, d'appliquer le même procédé à une série de lectures choisies dans ce but, en notant toutes les indications de couleurs qu'on y trouverait. Ces lectures, au nombre de cinq, ont été les suivantes : 1° Une œuvre très courte et toute récente de M. Guy de Maupassant : Sur l’eau ; 2% Paul et Virginie, choisi comme ouvrage descriptif du commence- ment du siècle ; 3° Les livres I‘ et VII® de T'élémaque, choisis dans la même pensée; 4° Les chapitres xiv à xx11 du Il° livre de Pantagruel, pris au hasard en ouvrant un Rabelais ; 5° Le petit roman de l'Ane attribué quelquefois à Lucien. 366 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Sur l'eau nous a offert le dénombrement suivant des noms ou des qualificatifs de couleurs : blanc, 21 fois ; noir, 14; gris, 3 ; brun, 4; rouges divers (rouge, roux, rose, écarlate, pourpre), 23, dans lesquels le rouge à lui seul est nommé 15 fois. Relevons ici un mot nouveau, « roseur », non donné par Littré. Le jaune revient 5 fois; vert, 6; variétés de bleu (bleuâtre, bleu, bleu tendre, bleuté, ardoisé), 17, dans lesquels le bleu seul, 12 fois ; enfin le violet, 3 fois. En tout, 96 désigna- tions de couleurs. Laissant de côté le noir et le blanc, le gris et même le brun, bien qu'il düt rentrer dans les rouges, l’ordre de fréquence des désignations chromatiques dans ce petit volume Sur l’eau est le suivant : rouge, 26; bleu, 17 ; vert, 6; jaune, 5; violet, 3. Nous n'avons pas fait entrer en compte les mots comme « arme blanche, tapis vert », où le qualificatif chromatique n’a plus sa valeur indépendante. Paul et Virginie est une œuvre plus étendue que Sur l'eau. Le mème relevé donne 58 désignations de couleur : blanc, 43 ; noir, 45 ; gris, 1 ; variétés de rouge (brun, rouge, écarlate, safrané, cuivré, couleur de l'aurore), 11; variétés de bleu (bleu, bleu mourant, azur, gris de lin), 7; variétés de vert (vert, verdâtre, olivâtre), 8; blond, 2; jaune, 1. En résumé, pour les désignations colorées proprement dites : rouge, 11; vert, 8; bleu, 7; jaune, 1. Nous ne comptons pas les mots « noir, blanc », pris pour « nègre, Européen »; non plus que les noms compo- sés «Rivière noire, etc. »; ni les métaphores, « noire mélancolie, etc. ». Le let le VIT livres de Z'élémaque nous donnent: noir, 2 fois; blane, 2; variétés de rouge (rouge, pourpre), 4; vert, 2. On peut ajouter le mot « doré » (2 fois) qui représente un jaune, et le verbe « rougir » (2 fois). Dans ce cas, nous aurions en tout pour les qualifications vraiment chro- matiques : rouge, 6; jaune, 2; vert, 2. Nous n'avons pas compté les . métaphores « noire tempête, noirs soucis » et même « noir Cocyte », etc. Les chapitres x1v à xxir du Il° livre de Pantagruel donnent : noir, 1 fois ; blanc, 3 ; variétés de rouge (rouge, écarlate, violet-cramoisi, incarnat, vermeil, eramoisi), 7; vert, 2; bleu, 1. Nous ne comptons pas « blanc » signifiant pièce de monnaie, ni les composés « perdrix grise, perdrix rouge ». Dans l’Ane on ne trouve qu'un seul nom de couleur et une seule fois, c'est le rouge, œovxos (1). (4) I s’agit d'une étoffe teinte. Pawvxos est probablement un pourpre plutôt qu'un rouge. Signalons à ce propos le grand intérêt qu'il y aurait à relever dans les auteurs anciens les qualificatifs de coloration appliqués à des objets nette- ment déterminés et dont la couleur n’a pu varier. A la vérité, les cas seraient peu nombreux; on en trouverait peu, cependant quelques-uns. Ainsi Soln applique le qualificatif puniceus au collier de la seule perruche qu'on connüt sans doute à Rome de son temps (Palæornis eupatrius L.). Ce collier est d'un rose virant légèrement au violet; c'est donc un pourpre, mais difficile à définir. Apulée, avant Solin, avait qualifié la couleur de ce collier mineus; Pline lui avait appliqué l'épithète minialus que Cicéron, de son côté, paraît employer pour désigner la 6 7 lite LA PRÉTENDUE ÉVOLUTION DU SENS DES COULEURS 361 Le résultat, comme on le voit, est des plus nets. On peut le formuler ainsi : il y a chez les écrivains une prédominance marquée à exprimer le rouge, et cette prédominance a été de tous les temps. D'où vient-elle? Peut-on l'expliquer ? Pouvait-on la prévoir ? Pour cela, passons en revue les diverses impressions de notre rétine, mais en ayant soin de bien distinguer la qualité éclairante ou lumineuse des objets extérieurs de leur qualité chromatique proprement dite (1). On peut admettre que la notion spéciale de couleur à impliqué au début l'excès de la sensation chromatique sur la sensation lumineuse. Les cou- leurs claires, quand l'esprit ne s'attache pas à les analyser avec préci- sion, tendent à se confondre dans la notion générale de blanc, de clarté, de lumière. C'est ainsi que pour nous-mêmes le bleu du ciel, les teintes rosées des couchants et des levants, les blancs et les gris des nuages se mélent dans une sorte d'impression commune et sont exprimés d'un seul mot, le « jour ». On trouverait une foule d’autres exemples du même genre (2). Nous devons donc nous préoccuper seulement des couleurs franches non mêélées de blanc ; considérons tour à tour le violet spectral, le bleu, le vert, le jaune et le rouge. Le violet spectral est extrêmement rare dans la nature. La plupart des couleurs désignées comme violets sont des pourpres où entre une notable quantité de rouge mêlée de bleu ou de violet spectral. Nous pou- vons laisser de côté le violet. Le bleu franc est de même fort peu répandu dans la nature. Cest, comme le violet, une couleur peu éclairante, on pourrait dire, dans un langage presque physiologique, peu frappante pour l'œil et par suite pour l'esprit. Le jaune vif est plus répandu, surtout par les fleurs des synanthérées ; mais, s’il est très lumineux, il perd très vite son individualité dès qu'il se mélange de blanc, au point d’avoir quelque peu gêné jadis M. Che- vreul dans l'établissement de ses tableaux chromatiques (3). Restent le vert et le rouge ; comment se fait-il qu'entre ces deux cou- leurs le rouge, beaucoup moins répandu que le vert, ait exercé sur cire jaune (ir Forcellini). Get exemple suffit à montrer les difficultés de l'ordre de recherches dont nous parlons. Quant au plumage de P. eupatrius, sur lequel il n'y a pas d’ailleurs à hésiter, Pline, Apulée et Solin s'accordent et l’appellent viridis. (1) Voir en dernier lieu les nombreuses recherches de M. Charpentier sur cette distinction fondamentale. (2) Citons le mot celtique glas qu'un paysan breton applique à la fois à une étoffe teinte en bleu pâle, à l'herbe verte d'un pré, à la robe d'un cheval gris pommelé. — C'est d’ailleurs à peu près le sens où les Grecs employaient le mot Lwcos, de même que xv2v6: se confondait pour eux avec « noir », comme l'indique neltement le mot xvavéBpté, qui a les cheveux noirs. (3) Voy. Exposé d'un moyen de définir el de nommer les couleurs (Mém. de l'Acad., 1861). 308 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET l'esprit des hommes cette attraction spéciale dont semblent témoigner les œuvres littéraires de tous les temps ? La raison en est peut-être dans les choses elles-mêmes ; peut-être est-elle simplement morale. Si le vert est répandu en masses compactes par le feuillage des forêts, il faut bien remarquer que ce vert est toujours fortement rabattu, par conséquent peu lumineux, et que toute localité rouge se détachera sur ce fond avec une intensité qui éveille d'autant plus vite la sensation spécifique cor- respondante qu’elle est encore sollicitée par le contraste entre deux couleurs complémentaires (1). On peut assez raisonnablement admettre que l'attention de l'homme des zônes tempérées a été d'autant moins attirée à l’origine par le vert de la végétation qu'elle a dû lui apparaître comme l'expression univer- selle de lanature ambiante et des ressources de la terre. Tandis que le rouge à eu certainement et dès le début une bien autre importance. Le rouge, en effet, c’est le sang, c'est la vie même qu'on voit clairement s'échapper avec lui par les plaies que fait le chasseur ou le guerrier. C'est là à coup sûr une opinion aussi vieille que la pensée humaine et qui survit d'ailleurs encore aujourd'hui dans notre langage et dans nos mœurs (2). Le rouge, c'est encore l’incarnation du feu, autre essence supérieure. Voilà pour les origines. Plus tard, le rouge semble avoir été également la première teinture appliquée sur les étoffes, et c'est encore un motif qui a dü porter tout spécialement sur cette couleur l'attention des premières civilisations auxquelles se rattache notre monde occidental. Il serait à coup sûr intéressant d'étudier au même point de vue les plus anciennes littératures de l'Extrème-Orient. Pour nos races, on peut dire que le rouge a été et demeure en quelque sorte la couleur par excel- lence (3). Il est possible qu'elle ait été dénommée la première. En tout (1) Tout dernièrement, nous nous trouvions par une belle journée en rade du Havre, ayant la vue des falaises jusqu'au cap d’Antifer, de la ville et de tout l'estuaire de la Seine bordé de collines couvertes de verdure (11 septembre). Le seul objet autour de nous qui frappât par sa couleur était, au milieu de la ville, la double cheminée d'un paquebot transatlantique, peinte d'un rouge vermillon. — Il est d’ailleurs fort possible que dans les régions dépourvues de végétation la sen- sation du vert soit éveillée avec une intensité beaucoup plus grande que sous les latitudes tempérées. Dans nos souvenirs, la notion du vert foncé est restée insépa- rable de celle des plantations de palmiers aperçues au loin en Afrique; nous avons gardé et noté l'impression de vert clair éprouvée dans les fjords de Laponie, à la vue d’un coin de terre cultivé, au retour de la saison. (2) Voy. Pouchet. La physiologie du système nerveux jusqu'au xix° siècle. Revue scientifique, 1er mai 1875. (3) On a dit, et non sans qu'il y ait à cela une apparence de justesse, que le rouge était une couleur d’un ordre particulier et dont l'impression ne pouvait être rigoureusement mise en parallèle avec aucune autre impression chromatique. La sensation toute spéciale, presque blessante à l'œil, que font éprouver cer- taines nuances d’aniline, et même — quoique à un moindre degré — la couleur de certaines fleurs (variétés de géraniums, de véroniques), semblerait encore justi- fier celte distinction. Faut-il, d'autre part, en rapprocher ce fait que le pigment rétinien, partout où il existe, est rouge? LA PRÉTENDUE ÉVOLUTION DU SENS DES COULEURS 369 cas, l'homme occidental semble encore aujourd'hui attribuer plus d'im- portance à l'impression colorée rouge qu'à toute autre. Quant à tirer de ce fait, que le rouge est plus souvent cité dans les monuments écrits qui nous sont parvenus, la preuve d'une évolution du sens des couleurs, c'est un simple paralogisme. C'est confondre une fonction organique sensi- blement invariable dans le temps (1) avec les habitudes d'esprit et le goût littéraire changeants selon les époques. On remarquera qu'admettre que l’homme, à l’origine, ne distinguait point les couleurs, entraîne cette conséquence que les mammifères d’où nous dérivons ne les perçoivent point. Il paraît assez difficile, dans l’état actuel de nos connaissances, d’instituer des expériences qui puissent apporter quelque lumière à cette question. Un point toutefois est digne de remarque : la très grande conformité de coloris (dans la gamme des roux) que présentent les mammifères, de même que les oiseaux de proie. À la vérité, les autres oiseaux, les reptiles, les poissons, ainsi que semble l'indiquer leur livrée éclatante, doivent vraisemblablement jouir de sensations colorées de même ordre que les nôtres. S'il en est ainsi — ce dont nous n'avons toutefois aucune démonstration rigoureuse — on ne voit pas trop pourquoi les mammifères seraient dépourvus d'un sens aussi répandu chez les autres vertébrés, et par suite ne l’auraient point transmis à l’homme. Si la simple réflexion devait suffire à écarter la pensée qu’une modiu- cation fonctionnelle de l’ordre de celle que supposent les partisans d’une évolution du sens des couleurs n’a pu prendre place en quelques siècles, il est bien certain, d'autre part, qu'une évolution a dû nécessairement se produire en tant qu'appropriation progressive de l'œil, soit à perce- voir, soit à distinguer les couleurs (2). L'œil des vertébrés ne s’est pas fait en un jour. Son organisation, qui n’a pas varié depuis le dépôt des plus anciens terrains palæozoïques, suppose une longue élaboration chez les ancêtres inconnus du type vertébré. Son développement fonc- tionnel a suivi nécessairement des étapes correspondantes. Nous n'avons aucune raison de croire qu'il ne se perfectionnera pas dans la suite incalculable des temps. Mais ce sont là des changements qui sont en dehors du domaine légitime de nos investigations et dont nous n'avons _pas plus à tenir compte que, dans les mouvements intérieurs du système (1) S'il en était besoin, la meilleure réfutation à donner d'une évolution du sens chromatique depuis l'antiquité serait dans l'attribution, assurément fort ancienne, de la planète Mars au Dieu qui fait couler le sang. La nuance de cette planète, pour être distinguée, suppose déjà une sensibilité rétinienne assez grande. (2) M. Soury nous écrit très justement : « Quant à l'évolution, ou au dévelop- pement, ou à la différenciation (peu importe le mot) du sens chromatique, comme de tout autre mode de la sensibilité, dans le passé comme dans l'avenir. c'est là un postulatum physiologique, partant anatomique, sinon un fait non encore scientifiquement démontré. » 24 310 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET solaire, les astronomes ne tiennent compte de la translation totale du système à travers l’espace. C'est qu'en effet toute modification fonctionnelle suppose un substra- tum organique modifié. Les partisans de l’évolution rapide du sens des couleurs n’ont pas réfléchi que la perception chromatique d’une radia- tion lumineuse déterminée dépend forcément d’une particularité de constitution de l'élément nerveux qui la reçoit. L'exercice peut déve- lopper des modalités actuelles de l'organisme, mais n’en peut créer de nouvelles. Pour que la rétine — ou plutôt le cerveau — d’une humanité future percoive sous forme d’impressions chromatiques nouvelles les radiations infra-rouges ou ultra-violettes, il faudra une constitution moléculaire nouvelle des éléments nerveux appropriés à ces perceptions. Et cela ne se pourrait faire que par une modification insensible et mille fois séculaire, de l’ordre de celles qui ont produit la variété des êtres vivants. LA FORME ET LA VIE Quand nous jetons les yeux sur le monde au milieu duquel l'homme s’agite, il semble bien au premier abord que tout ce qui vit, la plante, l'animal, même toute partie de ce qui vit, une feuille, un os, a une forme définie dans ses contours, si bien que nous sommes naturellement con- duits à voir dans la forme des êtres organisés un attribut essentiel de la vie. Au contraire, les gaz qui s’épandent à l'infini, les liquides moulés sur les parois du vase qui en arrêtent l'écoulement, les roches, taillées de mille facons sans cesser d’être la même roche, nous montrent le monde inorganique affranchi presque tout entier de la fatalité de la forme. Les cristaux, à la vérité, semblent ici faire exception. Eux aussi ont des formes arrêtées, aux contours encore beaucoup mieux définis que ceux de la vie et quelquefois d’une grande élégance. Mais qu’on les broie dans un mortier, ce sera toujours le même corps, ce sera la même espèce chimique, si ce n’est plus le cristal. Un être vivant, la canne à sucre, la betterave râpée, réduites en pulpe, n'ont plus rien d’elles- mêmes. Elles ont cessé d’être, elles ont disparu irrémédiablement ; toute la puissance de la nature, aidée de tout le savoir humain, ne saurait avec cette pulpe les réédifier dans leur forme, tandis que nous pouvons refaire le cristal et le tirer à nouveau de sa poussière. L’être vivant considéré en lui-même, indépendamment de ceux dont il dérive et de ceux qui dériveront de lui, est à sa façon, — dans la plu- part des cas, car il y a des exceptions, — une sorte d’atome, un tout indivisible. De là cette dénomination très juste d’individu, passée de la philosophie grecque dans la scolastique et par elle dans le langage cou- rant pour désigner l'être doué de vie. Ce que nous appelons espèce en parlant des plantes ou des animaux n’est, en définitive, que le groupement fait par notre esprit de tous les STE RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET individus vivants offrant sensiblement la même forme et que nous som- mes fondés par empirisme à croire tous unis dans une parenté com- nmune. Mais si la forme nous apparaît comme un attribut essentiel de la vie, elle ne peut cependant servir à la caractériser, puisqu'il existe aussi des corps qui sont des individus, dans le monde inorganique, en dehors des cristaux. Les planètes, les anneaux de Saturne sont des exemples qui viennent aussitôt à l'esprit. On pourra ranger dans la même catégorie les comèles et les tores de fumée qui sont aussi des individus, qui ces- sent d’être par le fait même de leur division ou de leur dissociation. La forme ne suffit donc pas à caractériser l'individu vivant : voyons si les traits généraux et l'aspect extérieur des êtres organisés, plantes ou animaux, ne vont pas nous offrir des signes qui les distinguent des corps purement minéraux. On a opposé les contours plans ou sphériques, les arêtes vives, les angles définis des cristaux et des corps célestes aux surfaces onduleuses, à la silhouette moins géométrique, plus mollement accusée des plantes et des animaux. Certes, ce caractère n’est pas absolument dépourvu de valeur, de sorte que l’esprit le moins préparé s’y trompe rarement. Par- fois le lapidaire, en taillant l’agate, met à découvert de délicates arbori- sations dans la transparence de la gemme. On les recueille précieuse- ment, les musées en sont pleins, et l'illusion est parfois très vive : vous croiriez avoir sous les yeux une mousse pétrifiée. Il suffit de la loupe, et, au besoin, du microscope, pour s'assurer qu'il ne s'agit point là d’un vé- gétal fossile, et découvrir tout un assemblage d’aiguilles cristallines qui n'ont rien de commun avec les délicates articulations et les contours onduleusement dessinés d’une mousse véritable, pas plus que l'arbre de Saturne des alchimistes n’est un buisson vert. Eux-mêmes ne s'y trom- paient pas, et c'est seulement au figuré qu'ils nommèrent ainsi l’élégante frondaison de métal qu'ils savaient par un artifice faire naître et grandir sous leurs yeux. Ce cachet particulier se présente si nettement imprimé sur chaque être vivant et sur chacune de ses parties, il est tellement reconnaissable qu'il guide le naturaliste avec sûreté, même pour affirmer, d'après le moindre débris ou la plus faible empreinte, l'existence certaine à la surface du globe, par delà des temps prodigieusement lointains, d'êtres qui ont vécu alors et qu'il ne connaît pas. Il en est qui n ont laissé que leurs traces, et nous affirmons que la vie a passé là, sans savoir souvent si l'être était plante ou animal. Il n’y a pas deux ans que des terrasse- ments exécutés à Paris même, rue Lhomond, mettaient au jour une pétrification étrange, telle qu'on n’en connaissait point de pareille, et dont la nature reste encore mystérieuse. On l’a rapprochée des algues, mais on peut y voir également la dépouille d’un être bien supérieur en organisation. LA FORME ET LA VIE DS Les anciens eux-mêmes, s'ils n'avaient point notre savoir pour inter- préter la véritable nature des fossiles, n’hésitaient pas du moins à recon- naître cette marque de fabrique que la vie imprime partout et toujours à ses œuvres. La science d'alors ne donnait aucun moyen de discerner dans les ammonites la coquille d’un animal voisin des seiches et des calmars. Mais on eut du moins le sentiment très net que cela avait vécu, et par analogie on croyait y voir des cornes d'animaux conservées par la terre. I1 La forme cependant n’est pas un attribut essentiel de la vie. Il existe des êtres vivants dépourvus de forme définie, comme il existe des subs- tances chimiques qui ne cristallisent point. Le microscope nous révèle, dans certaines eaux stagnantes, la présence de petites masses comme gélatineuses qui se déforment sans cesse et se meuvent. On voit une partie de la masse s’allonger comme un pied qui s’avance. Puis l'être tout entier semble passer dans ce prolongement gonflé en proportion. Une autre expansion naît sur un autre point, et la goutte visqueuse, sans cesse déformée, semble s’écouler lentement. Si parfois elle ren- contre quelque débris végétal, elle l'enveloppe, et celui-ci bientôt subit une véritable digestion. Le résidu est rejeté par un point quelconque de la surface, comme il avait été absorbé. La découverte de ces êtres au siècle dernier, — alors que la biologie était encore trop peu avancée, — n'eut pas tout le retentissement qu'elle méritait, peut-être parce qu’elle n’est point due à un naturaliste de pro- fession, mais à un amateur, à un peintre qui avait pris goût à l'étude des animaux en les dessinant. Il s'appelait Rœsel de Rosenhof. Il a publié un livre dont le titre pourrait se traduire : Récréations entomolo- giques. Rœsel a, d’ailleurs, bien observé l'être qu'il appelle le Petit- Protée ; il l’a vu changer de forme et même se segmenter pour donner deux individus indépendants semblables au premier. Il en a fait aussi d'excellents dessins qu'il grava lui-même. Le dernier volume des Æécréa- tions avait paru en 1755. Cinq ans plus tard, Linnæus, dans la 10° édition de son Système de lanature, renchérit sur Rœsel et désigne l'être étrange « plus inconstant que Protée lui-même », Proteo inconstantior, sous le nom de Volvoxz Chaos; mais, dans une édition suivante, il revient au premier nom et, le combinant à ses propres idées, s'arrête à la désigna- tion pompeuse de Chaos Protée. Nous appelons aujourd'hui ces êtres des amibes. Quant à cette multiplication si simple par division, qu'avait observée Ræsel, on peut la provoquer et sectionner l’amibe en deux, chaque portion d'elle-même étant apte à se faire indifféremment surface ou profondeur, partie trainante ou partie entraînée, mobile et sensible tout à la fois. Car l'amibe choisit sa direction et saura trouver ou plus 314 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET de lumière ou plus d'obscurité selon ce que nous pouvons appeler ses aspirations, puisqu'il s’agit, en définitive, d’un être vivant. Il y a quelques annés, un savant allemand aux conceptions toujours larges, mais trop souvent téméraires, crut découvrir que sur le fond entier des océans s'étale une sorte d'amibe immense, couvrant ainsi de sa substance sensible et vivante une portion de la planète. Les zoolo- gistes ontsouvent ce travers de commencer par nommer avant d'étudier, et M. Hæckel appela cette gelée, où il croyait avoir retrouvé en quelque sorte la première ébauche de la vie, du nom de Bathybius, l'être de l'abîme. Tout, malheureusement, dans cette révélation si intéressante, n’était qu'erreur : quelques traînées de mucus accrochées aux dragues avaient enflammé l'imagination du professeur d’[éna. Si le bathybius n’existe point, il n’est pas besoin cependant de micro- scope pour assister au spectacle d’un être vivant volumineux qui va, vient, se meut et se déplace, bien que dépourvu comme le protée micro- scopique de toute forme définie. Quand les tanneurs retirent des cuves les peaux mises en préparation, ils font, avec le tan qui a servi, de grands amas où une foule d’insectes et d'êtres de toute sorte viennent chercher leur existence. Si on éventre au printemps une de ces buttes de tannée, on découvre aussitôt çà et là des filaments irréguliers d’un beau jaune d’or, mais qui sont mous, muqueux. Regardez-les et vous verrez qu'ils se déplacent, s’écoulent à la manière des amibes. Ils sem- blent dans la masse du tan se chercher les uns les autres, car l'été, après quelque pluie d'orage, nous les verrons se réunir, puis surgir au dehors sous la forme d’une sorte de gâteau jaune, large et épais comme les deux mains, que les botanistes ont appelé du nom grec de myxo- mycèle, c'est-à-dire champignon muqueux. Détachez une partie de cette masse, placez-la sur un tesson, vous la verrez comme l’amibe étendre devant elle des expansions rameuses, y passer tout entière; vous la verrez s'étaler ou revenir sur elle-même en bosselures changeantes auxquelles succéderont bientôt de nouveaux étalements. Nous voilà donc en présence d'êtres vivants sans forme, sans organes, composés uniquement d’une substance opaque, fortement colorée chez les myxomycètes, mais transparente comme le eristal chez l’amibe, un peu plus dense que l’eau, avec laquelle elle ne se mélange pas, substance qui se meut, qui sent, c'est-à-dire qui partage avec nous-mêmes les attri- buts supérieurs de la vie. III La découverte des amibes ne fut guère au début qu'une curiosité, jus- qu'au jour où deux naturalistes, Dujardin et Hugo Mohl, presque en même temps, Dujardin toutefois le premier, appelèrent l'attention sur (x LA FORME ET LA VIE OI une substance entrant dans la constitution des infusoires et des cellules des plantes, qui avait tous les caractères de la substance des amibes. Dujardin la dénomma sarcode; Hugo Mohl s'arrêta quelques mois après au nom de protoplasma qui a prévalu. Dujardin est certes un des biolo- gistes dont la France peut s’honorer à plus juste titre, bien qu’il soit demeuré sa vie durant à peu près méconnu, repoussé du cénacle pari- sien, relégué en province. C’est seulement après sa mort qu'on a rendu quelque justice à ses travaux. Le nom de sarcode introduit par lui dans le langage scientifique n’a pas été adopté, tandis que la dénomination de protoplasma imposée par le savant allemand à une des parties consti- tuantes de la cellule végétale eut cette singulière fortune de devenir presque synonyme de matière vivante ou même ayant vécu. C'est ainsi que certains anatomistes l’emploient pour désigner la substance de la corne ou la masse des cellules superficielles de l’épiderme qui ont accompli le cycle de leur existence et ne sont plus que des cadavres de cellules. Mais cette substance amorphe, sarcode ou protoplasma, comme on voudra l'appeler, n’en est pas moins à nos yeux la base même de l’orga- nisme. Chez les végétaux, c’est elle qui édifie en quelque sorte chaque cellule, comme le ver ou le mollusque produisent la coquille et Le tube qui les protègent, comme la chenille s’enveloppe du cocon qu'elle a tiré de ses glandes. De même le protoplasma modèle autour de lui les parois de la cellule où il reste enfermé. Mais il en est toujours la partie vivante par excellence, et, quand il disparait, cette paroi cellulaire n’est plus qu'un corps inerte. De même, chez les animaux, l’œuf ou tout au moins sa partie essen- tielle, le vitellus, nous montre dans sa forme sphérique à peu près uni- verselle le protoplasma façonné d’abord par les seules lois des attrac- tions et des résistances communes à toute matière. Mais dès que cet œuf s’anime, les premiers signes qu'il donne de son activité propre sont pré- cisément des mouvements comparables à ceux de l’amibe. C’est donc sans effort que nous retrouvons autour de nous et de différents côtés la vie affranchie de la forme. Nous comprenons qu’elle n’est pas essentielle- ment et fatalement liée à cette forme. Un corps peut être vivant et n'avoir pas de configuration définie. Et dès lors un problème se pose : un liquide, une humeur du corps, peuvent-ils être vivants? Le sang est- il vivant comme la substance des nerfs ou la chair des muscles? Ques- tion profonde et qui n’est pas encore résolue. Voilà longtemps en tout cas que la science a été conduite à chercher ailleurs que dans la forme la caractéristique de la vie. Les aristotéliciens voyaient, dans ce que nous appelons la vie, un mouvement ; ils donnent d’ailleurs ce nom à toute altération ou change- ment d'état des corps naturels aussi bien qu'à leur translation propre- .ment dite dans l’espace. Le traité aristotélique de l’Ame caractérise la 310 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET vie par ces trois faits: « Se nourrir par soi-même, se développer et périr ». La croissance et le dépérissement sont des altérations, par con- séquent des mouvements; et comme on les voit toujours intimement unis à l'alimentation de la plante aussi bien que de l'animal, c’est l'acte de se nourrir qu'on retrouve en définitive à la base du mouvement qui est la vie. De la philosophie grecque les mêmes idées passent dans la Somme de Thomas d'Aquin, qui voit aussi dans la vie ce même « mou- vement » spécial auquel ne participent point les corps inertes. D'ailleurs, pendant la croissance, appelée d'un nom si juste « développement » quand il s’agit des êtres vivants, ne voyons-nous pas les parties dont ils sont composés se déplacer les unes par rapport aux autres ? N'avons- nous pas là une distinction nette, absolue, avec l'accroissement des corps minéraux? La formule célèbre de Linné dans sa caractéristique des trois règnes : « Les minéraux grandissent, les végétaux grandissent et vivent. », est ici en arrière sur la Somme de saint Thomas, puisqu'elle semble consacrer une assimilation fausse dans le mode de croissance des végétaux et des minéraux. , Il est, à la vérité, certaines parties chez les animaux qui grandissent ainsi par une simple accession constante de parties nouvelles sura- joutées : telle la coquille des mollusques, même alors qu'elle est enfermée sous les chairs comme l'os de la seiche. Mais précisément ces formations, bien que dérivées de l'organisme, ne sont pas elles-mêmes vivantes. Elles portent, si l'on peut dire, l'empreinte et le cachet de la vie au point qu'on les reconnait pour en être un produit, mais rien de plus. Et si elles grandissent, c’est justement à la facon des cristaux. Thomas d'Aquin, en suivant Aristote, avait donné de la vie la défi- nition la plus exacte qu'on pût invoquer dans l’état des connaissances de son temps. Elle est encore presque satisfaisante pour le nôtre. Nous aussi nous définissons la vie dans les mêmes termes. La vie est un mouvement, mais non pas toutefois un de ces mouvements apparents, bien qu'intimes, auxquels fait allusion l’encyclopédiste chrétien. C’est un mouvement moléculaire qui échappe à nos yeux dans la profondeur de l'être et ne se traduit à nos sens que par ses résultats. Déjà on peut saisir quelque chose comme la première ébauche de cette notion positive chez un autre écrivain religieux, Fénelon, qui a ici tout l'avantage sur Bossuet. Les pages de biologie que ce dernier intro- duit dans son 7raité de la connaissance de Dieu et de soi-même (1675-1680) à l'usage du Dauphin sont un assez piètre morceau. Au contraire, le chapitre où son rival aborde les mêmes sujets dans le Traité de l’exis- tence de Dieu, écrit, il est vrai, trente ans plus tard, suffirait presque à placer Fénelon au rang des- précurseurs de la physiologie moderne. « Qu'y a-t-il de plus beau qu'une machine qui se répare et se renouvelle sans cesse elle-même? L'animal met au dedans de son corps une substance qui devient la sienne par une espèce de métamorphose. LA FORME ET LA VIE 311 L’aliment, qui était un corps inanimé, entretient la vie de l'animal et devient l'animal même. Les parties qui le composaient autrefois se sont exhalées par une insensible et continuelle transpiration. Ce qui était il y a quatre ans un tel cheval n’est plus que de l'air ou du fumier. Ce qui était alors du foin ou de l’avoine sera devenu ce même cheval si fier et si vigoureux; du moins il passe pour le même cheval, malgré ce change- ment insensible de sa substance. » On ne saurait plus nettement exposer le phénomène de la nutrition qui est la base même et le fondement de la vie. Nous ignorons à la fré- quentation de quels savants, de quels médecins, l'archevêque de Cambrai avait puisé ses notions si précises du mouvement vital. Peut-être dans des entretiens avec Fagon (1). Le mouvement qui constitue la vie est un mouvement intime, pro- fond, invisible, incessant, tout à la fois de combinaison et de décompo- sition. La matière vivante naît sans cesse et meurt sans cesse, se forme et se détruit tout en même temps. C’est en ce sens que Claude Bernard avait pu dire que la vie n’est qu'une mort constante. Tous les corps liquides ou gazeux, portés au contact de la substance vivante et qu'elle peut dissoudre, la pénètrent, se mêlent à elle, puis, entraînés dans le tourbillon, cessent pour la plupart d’être eux-mêmes, se transforment, entrent dans des combinaisons nouvelles qui n’exis- taient pas en dehors de l'être, mais qui à leur tour se détruisent et passent en d’autres états, impropres ceux-là à la vie, états sous lesquels ils sont rejetés pour rentrer dans le monde inorganique, enrichi par eux d'ammoniaque, d'acide carbonique et d'oxygène. Ge mouvement, nous n'en connaissons pas la nature, nous savons seulement qu'il existe par la comparaison de l'apport et du rejet et de ceux-ci avec le terme intermédiaire, la substance vivante elle-même. Nous savons qu'il se propage à la fois dans tous les tissus et tous les organes de l'être, offrant dans chacun une modalité spéciale, tout en conservant partout le même caractère fondamental, comme l'onde sonore qui, elle aussi, présente un caractère universel, celui d'être pen- dulaire, avec des modes infiniment variés d'où dépendent le timbre et toutes les qualités secondaires du son. Ce mouvement est partout au fond des tissus de l'être vivant, depuis les plus simples, comme la substance de l'os, jusqu'aux plus complexes, (1) Dans son exil de Cambrai, Fénelon connaissait un médecin, Aimé Bour- don, et le tenait même en haute Ce, Il soignait Mme de Montbron, et Fénelon recommande constamment à celle-ci de suivre ses conseils. Bourdon avait publié un petit traité d'anatomie, ouvrage sans valeur et qui ne nous donne pas une bien haute idée de l'homme. Mais on voit, d'autre part, par une lettre de Fénelon au marquis (Fanfan), du 20 août 1704, qu'il avait conservé de bons rapports avec Fagon : « Je voudrais, écrit-il au marquis, que vous puissiez faire dire mille choses | pour moi à M. Fagon et lui faire demander conseil sur Barèges, où il a été autrefois avec M, le due du Maine. » 318 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET comme celle des muscles ou du cerveau. Il est partout dans l'être vivant, que celui-ci s'accroisse ou fleurisse, ou s'incline vers la mort, ou qu'il soit atteint des divers états passionnels, morbides qui peuvent l’affecter; il est partout dans l'infinie variété des actes physiologiques dont est faite notre vie et qui tous se ramènent fatalement à une modification moléculaire survenant : la sensation de la rétine ébranlée par un rayon lumineux, aussi bien que la contraction d’un muscle et la pensée même. On a essayé pour cette dernière d'arriver par des voies détournées à découvrir la nature des réactions chimiques qui forcément accompagnent tout travail cérébral. Qu'on y soit ou non parvenu, il est impossible de se représenter la mise en activité des éléments nerveux autrement que comme un phénomène de nutrition, c'est-à-dire une modification se produisant dans le mouvement moléculaire. Mais nous restons impuissants à pénétrer, à connaitre la véritable nature de ce mouvement moléculaire intime qui fait des corps animés un monde à part dans le grand cosmos. Quelle est l’origine et la nature de cette énergie nouvelle communiquée à la matière inerte, lui donnant des propriétés ou plutôt des facultés qu'elle n'avait pas jusque-là et qui viennent s'ajouter à toutes celles dont connaissent le chimiste et le physicien? Disons encore qu'elles s’y ajoutent sans les contrarier, comme on l'a cru longtemps, quand on supposait une sorte d’antagonisme entre la vie et les forces physico-chimiques. La vie n’est en aucune facon un triomphe sur celles-là, et toujours elles gardent leur prépotence. Si nous voyons certains parasites résister aux liquides corrosifs de l'estomac, ce n’est point que la vie entrave ici une réaction chimique qui se produirait partout ailleurs ; c'est simplement que la peau dont sont couverts ces parasites n'est point soluble dans les sucs intestinaux “et n’est pas plus attaquée sur eux vivants qu'elle ne le serait après leur mort. Le mouvement vital n’est, après tout, qu'une modalité épisodique de la faculté universelle qu'ont les corps simples et les composés chimiques de réagir les uns sur les autres. Il exige pour se manifester, comme toute autre réaction, des circonstances définies et même comprises entre d'étroites limites de pression, de température, de lumière qui le res- treignent singulièrement et le localisent dans un poids de matière à peine appréciable si on le compare à celle du globe terrestre, sur lequel elle est répandue. Mais ce que nous ignorons et de la facon la plus absolue, c'est l'essence propre de ces réactions intimes dont nous ne pouvons dans beaucoup de cas donner la formule rigoureuse et encore moins établir l'équivalent thermique ; c'est en quelque sorte la qualité générique de ces mouvements à la fois particuliers et infiniment variés qui se passent incessamment dans toutes ou presque toutes les parties des corps vivants. Nous savons que le mouvement vital chez chaque individu LA FORME ET LA VIE 319 doit prendre fin à un moment donné: c’est la mort. Nous avons mille moyens de provoquer l'arrêt du mouvement vital. Nous n'en avons aucun de le faire naître. Nous pouvons seulement le propager en quelque sorte, quand nous lui fournissons par les aliments, par la génération, le substratum matériel nécessaire à son existence et à son développement. Nous pouvons de même le dévoyer et lui faire produire des monstres. Nous sommes impuissants à le faire apparaître où il n'existe pas. Et alors nous sommes conduits à cette autre considération que le mouvement vital est continu. On avait cru autrefois pouvoir le sus- pendre. On pensait que des graines, des êtres vivants pouvaient mourir momentanément, et celles-là garder intacte leur faculté de germer, ceux-ci revenir à une existence nouvelle quand on les placait dans les conditions voulues. Les animaux reviviscents ont beaucoup excité l'attention; mais on ne s’en était guère préoccupé jusqu'alors que pour y étudier la prétendue suspension de la vie. L'intérêt est autre. En réalité, ces êtres continuent de vivre, mais extrêmement peu. Le mou- vement vital n’est pas suspendu, mais considérablement amoindri plutôt que ralenti comme la vibration d’une corde sonore qui perd de son intensité jusqu'à n'être plus entendue, alors que le doigt la sent frémir encore. L'esprit d'Edmond About avait créé sur cette donnée des animaux ressuscitants un conte fort amusant, un homme qu'on rappelle à la vie au bout d’un demi-siècle et qui se retrouve tel qu'on l'avait endormi. Avec nos idées, l'Homme à l'oreille cassée a dû vieillir un peu, si peu que ce soit, pendant son demi-siècle vécu à la facon des rotifères ou des anguillules privées d’eau. Il est irrationnel et con- traire à toute mécanique de supposer un instant que la vie puisse réellement être suspendue, que le mouvement moléculaire qui en est la base puisse devenir nul et recommencer ensuite. On a cru que des graines conservaient indéfiniment la propriété de germer. Il y a quelque quarante ans, des exploiteurs de la crédulité publique répandirent dans toute l'Europe, le vendant fort cher, un blé qu'ils disaient avoir été retiré d'une momie d'Egypte et qui planté donnait de merveilleux épis. C'était une simple escroquerie. Cependant, nous savons des graines qui conservent un temps assez long la faculté de germer : c’est en réalité qu'elles continuent de vivre, de porter en elles ce mouvement intime, plus ralenti chaque jour et qui finit par s'éteindre. Fatalement la graine mourra ; si ce nest pas dans quelques années, ce sera après un siècle ou deux, peu importe : elle mourra. Le mouvement vital est donc continu, mais avec d’incessants renou- vellements, et c’est encore un caractère très particulier qu'il a. Il se propage indéfiniment, mais en rejetant sans cesse une partie des matériaux qu'il animait naguère. Ce blé jauni que le faucheur va tran- cher, dont le chaume ira couvrir quelque masure, dont le grain semble 380 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET destiné tout entier à faire vivre les hommes, cet épi dont la durée à nos yeux n'a pas même atteint une année entière, cet épi est éternel, il a vécu toute l'éternité passée, il vivra toute une éternité future. Il a séché, mais ce n’est qu'une apparence. La vie ne s’est pas retirée de lui. Elle est là, toute dans le grain comme en une citadelle. Elle est là, ayant fait le sacrifice du reste de la plante abandonnée à la désorganisation. Mais le germe enfermé dans le grain est vivant. Planté l’année prochaine, il rejettera encore un nouvel épi, et ainsi sans fin pendant des milliers d'années. Il nous convient de regarder comme un être ayant une sorte de com- mencement et de fin l’épi sorti du grain au printemps et que l’automne va mûrir. Conception tout arbitraire. En réalité, nous ne lui con- naissons, à cet épi, ni commencement ni fin. Son commencement se perd dans les lointains d’un passé que la science humaine ignore. Sa tin? Mais il vivra peut-être des millions de siècles. Cet épi qui frappe mes sens et que je regarde comme une unité organique n’est pas même un individu au sens philosophique du mot; car il se rattache par une continuité à tous les épis qui l’ont précédé, à tous ceux qui le suivront. L'important, c'est le grain ou plutôtle germe qu'ilrenferme se continuant par une tige, par une fleur ou un autre grain tout semblable. La racine, le chaume, les balles, c’est l'accessoire, tout cela est abandonné chaque année par le grain renaissant sans cesse de lui-même et qui incarne véritablement l'espèce blé. IV Si le mouvement moléculaire vital est la base même de la vie, dans quelle mesure va-t-il en régler les manifestations? Va-t-il faire sentir son influence seulement pour le maintien de la forme extérieure, ou la commander dans une certaine mesure? Il la commande, en effet, et tous les caractères extérieurs de l'espèce et de l'individu nous apparaissent en définitive comme subordonnés aux conditions de leur chimie intime. C'est à Chevreul que le mérite revient d’avoir le premier formulé ce principe de la dépendance absolue, où est la vie, des lois physico- chimiques de la matière inerte. Il n'est pas impossible qu'il ait puisé dans ses relations avec de Blainville cette netteté de vue sur la subs- tance vivante, Charles Robin, l'élève et le continuateur de ce dernier, ne cessa, dans son enseignement à l'École de Médecine, dans toutes ses œuvres, de proclamer les mêmes principes, sans avoir rien fait, il est vrai, pour en assurer la démonstration expérimentale. Mais elle n’était pas même nécessaire à ses yeux pour déclarer hautement que tout dans le monde organique proclame cette subordination des phénomènes vitaux aux lois de la matière inerte. Quand nous croyons apercevoir une con- tradiclion, c'est que nous ne connaissons pas suffisamment ces lois. La LA FORME ET LA VIE 381 subordination de la forme elle-même ressort des faits les plus vulgai- rement connus et qu'il suffisait de savoir interpréter. La démonstration en est déjà dans la fumure et les engrais par lesquels nous arrivons à modifier d’une manière si prodigieuse l'apparence exté- rieure d’une plante, au point de la rendre presque méconnaissable. Celle-ci pousse dans un terrain sec, aride, elle est rabougrie, coriace, velue. Cette autre sortie d'une graine toute semblable, mais à l'ombre, sur un sol toujours humide, est grande et comme tuméfiée d’eau, molle et glabre. Et sans plus on y verrait deux espèces distinctes, si tous les termes intermédiaires ne se rencontraient cà et là sur les terrains demi- secs ou demi-abrités, qui montrent qu’on avait simplement affaire à deux individus de la même espèce dont la constitution moléculaire n’est pas absolument identique, en raison des conditions où chacun a vécu. On a cru longtemps que la plante savait choisir par ses racines les substances de la terre utiles à son entretien et à sa croissance. Ceci n’est point juste. La racine, au contact des corps extrêmement complexes qui se font et se défont sans cesse dans le sol autour d'elle’ prend tous ceux que peut dissoudre le tissu spongieux terminal de chaque radicelle. La plante n’est ici qu'un réactif comme un autre, elle est passive et se lais- sera pénétrer par toute substance utile ou nuisible dans la quantité où cette substance est susceptible de se méler el se combiner avec ses tissus superficiels. De même, dans l’air que nous respirons, le poumon ne choisit pas les gaz indispensables à la vie et ne rejette pas les autres. S'il n’absorbe pas l’acide carbonique, s’il absorbe à peine l'azote, c’est que le sang, comme tout autre liquide, a pour chacun de ces gaz une puissance de dissolution définie en vertu de laquelle il laisse échapper l’acide carbonique qu'il contient, prend au contraire à l'air des bronches une partie de son oxygène, et laisse l’azote à peu près intact. C'est également en raison de la constitution moléculaire des parois de la racine, et surtout des cellules extrêmes de leur chevelu, que les plantes absorbent tels ou tels principes minéraux, et que ces principes à leur tour, entraînés dans le mouvement moléculaire vital, le favorisent, l’en- travent ou le modifient de certaine façon, et finalement provoquent un changement sensible dans l’aspect de la plante. Il semble que cette influence directe, immédiate de la constitution moléculaire sur la forme des êtres vivants s’accuse mieux dans les végétaux ; mais c'est peut-être pour ne pas l’avoir recherchée chez les animaux avec autant de soin. Certaines pratiques bien connues des hor- ticulteurs nous montrent avec une évidence singulière cette subordi- nation des caractères extérieurs à la composition chimique de la matière vivante. Voici des pétunias dont on veut faire varier le coloris. On coupe une partie des fleurs avant que le pollen soit tout à fait mûr, on les place sous une bâche au soleil; puis seulement alors on féconde arti- ficiellement, avec le pollen müri dans ces conditions spécialés, d'autres 382 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET fleurs laissées sur leur tige et dont on recueillera la graine. Le mou- vement nutritif dans les organes de ces fleurs cueillies, ensoleillées, ne s’est plus accompli dans les conditions normales; la vie s’est maintenue puisque le pollen arrive à maturité; mais ce pollen n’est plus le même, il a contracté des vertus particulières dont l'effet sera d'imprimer aux fleurs sorties de cette fécondation anormale un coloris inconnu jusque-là. Sans même recourir à des artifices comme celui qui impose au pollen des pétunias une chimie nouvelle, celle-ci va d'elle-même se manifester dans une foule de cas. On à planté toutes les graines venues sur la même plante, en ayant soin de choisir une espèce apte à varier, cyclamen, chrysanthème, primevère, dahlia, ete. ; si l’on prend soin de noter les individus qui dès le premier temps après la germination présentent une apparence spéciale dans leur port, dans leur feuillage plus hâtif ou plus retardé, on verra la fleur de ces individus anormaux se colorer d’une autre teinte que celle de la généralité du semis obtenu. Que si la fleur d’un d'eux a cependant la couleur commune, il suffira de la laisser grainer, et d'en semer les graines l’année suivante : la variation du coloris apparaîtra, et on la verra cette fois s’accentuer sur un grand nombre de pieds, issus de l'individu remarqué l'année précédente comme un peu dévié de la forme normale. Il portait donc en lui déjà la puissance latente de ces réactions nouvelles qui dans les plantes sorties de lui vont donner naissance à des matières colorantes, c’est-à-dire des espèces chimiques inconnues jusque-là. Il appartenait à M. le professeur Armand Gautier d’aller au fond de ces variations que l’homme sait par artifice imposer aux êtres vivants. S'aidant de l’analyse et de la balance, le chimiste nous montre ces appa- rences nouvelles de végétaux en rapport avec la formation en eux de composés chimiques nouveaux. Et cela dans de telles conditions, qu’on peut dire de tout hybride animal ou végétal qu'il ne représente pas sim- plement le mélange ou la combinaison des deux formes dont il dérive, mais qu'il est plutôt encore l’expression de combinaisons moléculaires nouvelles donnant naissance à des composés chimiques intermédiaires. Nous sommes en droit dès maintenant d'affirmer que le sang du mulet, par sa composition intime, diffère autant du sang du cheval que du sang de l’âne : c’est une troisième espèce de sang. Et l'expérience serait certes curieuse à faire, de pratiquer‘la transfusion du mulet soit au cheval, soit à l'âne; les probabilités sont pour l’insuccès. Le sang du mulet tuerait sans doute le cheval et l'âne, comme ferait le sang de toute autre espèce, parce que ce sang doit avoir sa constitution moléculaire spéciale, harmo- nique aux formes extérieures du mulet et qui ne doit convenir qu'à lui. Tout au moins, les belles études de M. Gautier sur la matière colorante de trois cépages du Midi nous autorisent à penser ainsi. On s'accorde à regarder les divers cépages de la vigne européenne comme des variétés d'une même espèce végétale lentement modifiée LA FORME ET LA VIE 383 sous l'influence de l’homme. Or, cette variation presque indéfinie n'a pas eu seulement pour résultat d'avancer ou de retarder la floraison et la maturation, de faire varier les quantités de sucre, de tannin, de ma- tière colorante dans le fruit et les autres parties de la plante. Chacun de ces changements extérieurs en quelque sorte n’est que la traduction au dehors de certains changements chimiques. Pour ce qui est de la matière colorante des grains, il y en a, semble-t-il, autant que d'espèces de raisins, et tellement différentes que celles-ci seront solubles dans l’eau et d’autres point; les unes cristallisent, d’autres restent amorphes; en voilà qui précipitent en bleu les sels de plomb, d'autres en vert. D'une manière générale, on peut affirmer, d'après les expériences de M. Gau- tier, que chaque variété de vigne a vu naître en elle une espèce chimique nouvelle qui n’existerait pas dans la nature plus que la forme à laquelle elle est liée, si l'homme n'avait passé par là. Le pelit-Bouschet est un cépage du Midi, qui a été créé de 1840 à 1850, par M. Bouschet-Bernard, habile viticulteur de Montpellier. Il résulte du semis de graines obtenues en faisant agir le pollen de l’aramon sur les ovules du teinturier, dont les fleurs ont été préalablement privées de leurs étamines. Le petit-Bouschet se trouve ainsi descendre par filiation régulière des deux cépages méridionaux les plus dissemblables au point de vue de leurs formes végétales, de l’époque de leur floraison, de la qualité de leurs fruits, de la nature de leurs vins respectifs. La coloration des grains du petit-Bouschet est à peu près intermédiaire à celles du teinturier et de l'aramon, mais M. Gautier a démontré par de minutieuses recherches que cet effet ne tenait en aucune façon à une sorte de mélange qui se serait effectué chez le cépage hybride des deux matières colo- rantes provenant de l’une et l’autre souches. Il n’en est point ainsi. Le principe colorant du petit-Bouschet est en réalité une espèce chimique nouvelle, intermédiaire par sa composition moléculaire aux matières colorantes de l’aramon et du teinturier, mais aussi différente d'elles chimiquement que celles-ci sont elles-mêmes distinctes. L'homme ne fait donc pas seulement des formes nouvelles en créant les hybrides : il jette dans la nature des principes chimiques qui ny avaient point leur place. V On ne peut guère douter qu'il soit possible de réaliser chez certaines espèces animales les merveilleux changements que la pratique a su imprimer aux végétaux de nos champs et de nos jardins. Et, sans doute, en privant un animal de quelqu'un des principes minéraux qui entrent dans la composition de ses tissus, on modifierait profondément ses formes extérieures. Il ne paraît pas que beaucoup d'expériences aient été tentées dans cette direction. En général, celui qui veut modifier une 384 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET race de bétail s'applique surtout à combiner en vue du but qu'il se pro- pose les accidents survenus dans le troupeau. Il mariera les béliers et les brebis qui ont la plus belle laine pour obtenir, en vertu des lois de l'hérédité, la qualité qu'il recherche. Mais on peut admettre qu'il doit exister des moyens, — à la vérité encore inconnus, — qui conduiraient directement au même résultat, simplement en modifiant la qualité ou la proportion de certains composés chimiques qui entrent dans la constitu- tion du corps de l'animal. C’est un changement survenu dans la compo- sition chimique intime de l'être qui seul a pu produire l’accident dont se sert ensuite l’éleveur pour arriver à le généraliser, à constituer une race nouvelle. | Il n’est guère à notre connaissance qu’une tentative, — des plus inté- ressantes, — faite dans cette voie par M. Chabry, au laboratoire maritime de Concarneau. Il arrêta son choix, comme animal d'expérience, sur la larve de l’oursin vulgaire. Quelques heures après sa sortie de l’œuf, on la voit comme un point se déplaçant assez vite dans l’eau de mer. Observée au microscope, cette larve a d’abord la forme d’une cloche ; elle prendra plus tard une configuration bizarre qu'on a comparée non sans justesse à un lutrin. On désigne même la larve à ce moment sous le nom latin de pluteus, qui veut dire pupitre. Vers le temps où va se faire ce changement de forme, on voit apparaître dans les tissus de la jeune larve des sortes d’aiguilles calcaires, dites spicules, dont le dessin et la dispo- sition sont identiques chez tous les individus d’une même espèce. Ces spicules sont constituées par du carbonate de chaux que la larve de l’oursin trouve dans l’eau de mer, qu’elle absorbe comme font les racines d'une plante de la potasse contenue dans le sol. Cette chaux traverse les tissus de la larve et s’unit pour un temps à eux avant de se déposer sous la figure demi-cristalline de ces spicules. Il faut remarquer que ceux-ci, bien que présentant un agencement régulier dans la larve, n’ont aucun rapport, tout au moins au début, avec sa forme extérieure et le dessin de ses organes. M. Chabry se demanda ce qu'il adviendrait si l'on empéchait la forma- tion de ces spicules en essayant d'élever les larves d'oursin dans de l’eau de mer privée de chaux. Comment va se trouver déviée cette forme si singulière de pluteus? L'entreprise n’était pas sans difficulté. Pour avoir une eau de mer exempte de chaux, il semblait d'abord naturel de la fabriquer. Or, malgré tous les soins apportés à la préparer, en se gui- dant sur les meilleures analyses des chimistes les plus recommandables, M. Chabry n’arriva qu'à créer une eau de mer artificielle où ses larves d'oursin périssaient à peine écloses. Il fallait tenter autre chose : dimi- nuer par des procédés convenables la chaux contenue dans l’eau de mer naturelle. Mais cette chaux est à l’état de sulfate de chaux. Il s'agissait, pour ne pas dénaturer complètement l’eau, de substituer au calcium une autre base. On n'avait guère le choix. I] fallait s'arrêter au sodium LA FORME ET LA VIE 389 qui est en abondance considérable dans la mer : l’infime proportion qui allait s'y trouver en plus, à la place de la chaux, ne pouvait avoir d'influence quelconque. Les résultats furent très nets. Sans traces de chaux mélée à l’eau, les larves à peine écloses s'arrêtent dans leur développement et meurent au bout de quelques heures. Si l'élimination du calcium n'est pas tout à fait poussée jusqu'à ses dernières limites et qu’il y reste seulement la quin- zième partie de la quantité déjà bien faible que contient l’eau de mer, les larves pendant quarante heures ne se distinguent en rien de celles qui se développent dans l’eau normale. C’est au bout de ce temps que vont apparaître les spicules pendant que la larve prendra la forme plu- teus. Or, dans l’eau ne contenant qu’un quinzième du calcium normal, ce changement ne s'effectue pas. Vingt heures plus tard, à la soixan- tième heure de leur vie, les larves sont encore au même état, tandis que dans l'eau normale elles présentent à ce moment des spicules déjà rameuses; de plus elles ont pris la forme pluteus accusée à la fois par leur configuration et la division de leur intestin en régions distinctes. C'est seulement vers la quatre-vingt-dixième heure que nos larves pri- vées de chaux vont nous montrer la même modification de l'intestin, mais elles n'ont pas de spicules et ne sont pas devenues des pluteus. Leur forme extérieure a donc été profondément atteinte en raison du changement apporté à la composition intime des tissus et des humeurs par l'absence d’un de leurs constituants nécessaires. La perturbation était insuffisante à faire périr la larve, à faire cesser le mouvement vital, mais celui-ci a été dévoyé, a fatalement abouti à une configuration nou- velle de l'être vivant. Nous avons fait chimiquement un monstre. Il n’est pas douteux qu'un certain nombre de monstruosités en dehors de celles qui résultent. d'accidents véritables survenus au cours du développe- ment seront un jour rangées dans une catégorie d’altérations spéciales de l’ordre de celles qu’a su provoquer M. Chabry. Une découverte récente, d’ailleurs, a montré sous un jour bien frap- pant cette relation mystérieuse qui unit la constitution chimique des êtres à leur forme extérieure. En dehors des serpents, on ne connaît guère d'animaux vertébrés qui distillent des venins. D'autre part, malgré les différences organiques profondes qui éloignent les poissons des reptiles, nous retrouvons chez quelques-uns de ceux-là : le congre, l’anguille, surtout la murène, l'apparence et presque la forme si caracté- ristique des serpents. Or, le professeur Mosso a montré dernièrement que le sang de ces poissons à facies de serpent est venimeux, très veni- meux même. Il suffit de la moitié d’un dé à coudre de sang d’anguille injecté dans les veines d'un chien pour que celui-ci meure foudroyé comme s'il avait été piqué par un serpent à sonnettes. Quel lien caché relie donc la présence de ce venin dans le sang de l’anguille à la forme de son corps? C’est là un de ces mystères de la vie sur lesquels on vou- 29 386 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET drait presque fermer les yeux comme par un sentiment de l'impuissance où nous sommes de savoir seulement par quel côté essayer d’en aborder l'étude. VAI Dans un langage rigoureusement scientifique, nous résumerons donc ce qui précède en disant, après Chevreul et Charles Robin, que la forme des êtres vivants est fonction de leur constitution moléculaire. C’est un point auquel n'ont peut-être pas assez fait attention Darwin et les parti- sans de l’école transformiste. Tout le monde, aujourd'hui, accepte dans ses grands traits la doctrine qu'ils ont faite leur, après un célèbre natu- raliste français. Mais, pas plus que Lamark, ils n’ont posé comme il convenait, ou du moins complètement, les termes du problème de l'influence des milieux. Ils ont négligé cette nécessité chimique qui s'impose avec tout changement de forme ou simplement de coloration. Nous saurons, comme l’a fait pressentir M. Gautier, les limites des varia- tions possibles d’une espèce animale, quand nous connaïitrons jusqu'où elle se prête à la création de composés organiques nouveaux. Même alors qu'il y à simplement exagération d'un groupe d'organes déterminés, il faut admettre une modification déterminante dans la chimie de l'indi- vidu. Si les milieux ont pu agir, comme tout l'indique, c'est seulement par modification lente et progressive de la constitution moléculaire des êtres, entraînant fatalement à son tour les changements de configuration extérieure qui déterminent chaque espèce animale ou végétale. Les transformistes nous montrent avec une parfaite assurance les ani- maux pourvus de vertèbres descendant de quelque animal inférieur, ver ou mollusque. Lequel? C’est ici qu'on cesse de s'entendre, chacun réglant ses préférences d’après telle ou telle vague ressemblance dans la dispo- sition des organes intérieurs. Mais celle-ci fût-elle plus grande encore, qu'il reste quelque chose à expliquer, et quelque chose d'importance. Ce vertébré a des muscles, des organes, des sens, des viscères comme les animaux variés dont on le fait sortir. Mais il a de plus, en lui, des substances vivantes d’un ordre tout particulier, il a du cartilage et de l'os qui sont de véritables espèces chimiques. Quand, comment, quel Jour, par quelles circonstances sont apparues ces substances qu'on retrouve identiques à elles-mêmes chez tous les vertébrés, que ne pos- sède aucun des autres animaux existants? Il ne suffit plus de nous mon- trer tel type animal provenant de tel autre, tel organe se développant ou disparaissant ou changeant de place et de rapports. Qu'on nous dise donc par quelles réactions chimiques intérieures sont apparus ces com- posés organiques, ces substances nettement définies dont la présence établit une distinction absolue entre les animaux à vertèbres et les vers ou les mollusques dont on prétend les faire descendre. LA FORME ET LA VIE 381 : De même que l’apparition de nouveaux composés chimiques jusque-là inconnus sur le globe a été la condition nécessaire de la formation de types organiques nouveaux, de même il semble naturel d'admettre qu'au début la vie, sur notre planète, n’a été en partage qu à des masses amor- phes auxquelles, dans la succession prodigieuse des siècles, après des temps incommensurables, par suite d’un travail intime dans leur sub- stance, ont succédé des êtres dont les contours et les dimensions se sont peu à peu et progressivement définis. Le sentiment de cette nécessité hantait sans doute l'imagination de M. Hæckel quand il croyait recon- naître dans son Bathybius la gelée primordiale d'où étaient sortis tous les êtres vivants. En revanche, cette notion d’un commencement simple de la vie a trop été perdue de vue par F.-A. Pouchet et les derniers champions de la doctrine des générations spontanées. Cette question de l’hétérogénie, pour laquelle on s’est passionné il y a quelque trente ans, ne relève peut-être pas seulement de l’histoire de la science. Il n’est pas démontré qu’elle soit à jamais résolue. En tout cas, elle ne saurait renaitre sous la forme que lui ont donnée ses derniers défenseurs. Leur erreur capitale, dont toutes les autres ont découlé, fut de vouloir dépasser le but en cherchant à créer au fond de leurs matras, non pas de la substance ayant vie, — une parcelle de sarcode ou de protoplasma, — mais un être pos- sédant une forme définie. Dans l'idée moderne qu'il faut se faire de la vie, la forme nous apparaît comme un épiphénomène résultant de cir- constances infiniment nombreuses et infiniment prolongées. Pour tout dire, la forme est par excellence un caractère héréditaire. Elle ne peut exister, nous ne pouvons la comprendre que comme lentement acquise par un modelage mille et mille fois séculaire. Et c'était cette forme, cette figure, cette « psyché » des choses vivantes, comme eût dit Aristote, que les partisans de la génération spontanée prétendaient faire naître dans leurs appareils! L’objection que nous soulevons ici, — chose assez curieuse, — on ne la leur a jamais faite, et c'est par le détail qu'on a ruiné leur théorie, par la production de faits sapant leurs expériences, mais sans toucher au fond même de la doctrine. Jamais on ne fera appa- raitre dans une fiole, en combinant tous les éléments imaginables, un animal ou une plante microscopique si simples qu'on voudra, du moment qu'ils ont une configuration définie, parce que celle-ci suppose derrière elle des durées d’existence. Le problème à résoudre n’est pas là : il faudrait créer ce mouvement moléculaire inconnu qui seul constitue la vie et qui entraîne tout le reste. IL semble qu'à l'heure présente les chimistes soient sur le point de réaliser par synthèse des substances analogues à celles dont sont faites certaines parties importantes du corps des animaux et des plantes; mais ne nous berçons pas trop vite d’un espoir chimérique. Il y a un abime entre le but presque atteint par M. Schützenberg, par d'autres encore, 388 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET et la création de la plus petite parcelle de matière vivante. On pourra faire de l’albumine comme celle de l’œuf, de la fibrine comme celle du sang, on n'aura que des matières inertes, comme elles le sont elles- mêmes. Le blanc de l'œuf ne vit pas, quoique émané d’un être vivant, pas plus que la coquille de l'œuf et la plus grande partie du jaune. C'est simplement une sécrétion, un rejet des chairs vivantes de la poule, et qui n’emporte d'elles qu'une composition à peu près identique à la leur, en tout cas extrêmement complexe. De là la difficulté de reproduire artificiellement un corps semblable par la synthèse des très nombreux éléments chimiques qui en composent l'édifice délicat. Il faut que chaque molécule soit là et soit à sa place. Mais quand cette synthèse difficile se sera accomplie dans ses cornues, le chimiste aura-t-il créé la vie? Nulle- ment! Il sera comme Prométhée en face de sa statue d'argile, le feu du ciel manquera, le feu vivant. Cette albumine, cette fibrine, sorties de la combinaison du nombre voulu des éléments divers qui doivent les com- poser, restent des corps inertes. C'est beaucoup d’avoir réussi à les édifier. Mais cette matière semblable à celle des corps vivants ne vit pas, elle est inerte, le seul mouvement qui peut la saisir sera comme celui du cadavre, un acheminement vers la décomposition finale et le retour de ses atomes dissociés au monde inorganique. Il restera toujours à obtenir cette goutte, cette parcelle de substance vivante qu'on verrait s’épandre et revenir sur elle-même, envelopper d’autres corps, les altérer et les rejeter, s’accroitre un peu. Est-ce possible? Est-ce trop attendre du génie humain? Il ne le semble pas. Forcément ces conditions se sont déjà trouvées réalisées sur la planète et peut-être à plusieurs reprises. Il n’est point impossible qu'au fond des océans sans doute, ou dans les eaux dormantes, des masses sarcodiques prennent aujourd'hui naissance spontanément. Nous n'en avons pas la preuve, cependant il ne parait point qu'un tel phéno- mène soulève d'objection fondamentale. Mais comment surprendre ce début de la vie ? Que si un jour la science parvenait à réaliser ce grand œuvre dans ses laboratoires, elle aurait accompli le désir du premier homme de la légende mosaïque. Nous saurions ce qu'est la vie et la mort. Le rêve des hétérogénistes serait réalisé. L'homme aurait vérita- blement créé la vie. LISTE DES PUBLICATIONS LISTE DES PUBLICATIONS PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE 1855 Réclamation de priorité à l’occasion d'organes non décrits des feuilles du Cal- litriche verna. Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 1855 1858 De la pluralité des races humaines, 1 vol. in-8. Paris, Germer-Baillière, 1858. 1859 Note sur un instrument de silex trouvé à Saint-Acheul. Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 1859. Programme d’une géographie nosologique. Annales des voyages, mai 1859. 1860 Observations concernant l’'épiderme de la peau d'un nègre. Comptes rendus de l'Académie des Sciences, 1860. Excursion aux carrières de Saint-Acheul. Actes du Muséum de Rouen, 1860. 1862 Mémoire sur une altération particulière du sang dans l'alcoolisme (en colla- boration avec M. le Dr Duménil). Gazette hebdomadaire, 1862. 1864 Des colorations de l’épiderme, Thèse in-4. Delahaye, 1864. . Sur une cicatrice de dent d’éléphant. Comptes rendus de la Société de Biologie, 1864, p. 139. , Précis d'histologie humaine, d’après les travaux de l'École française. 1 vol. in-8. Paris, Masson, 1864. Arrêt de développement de l'embryon humain. Comptes rendus de la Société de Biologie, 1864, p. 94. De la pluralité des races humaines, 2e édition. 1 vol. in-8. Paris, Masson, 1864. The plurality of the human Race, traduction anglaise par J.-C. Beavan. 1 vol. in-8. London, 1864. 399 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Observation de Daclylum oogenum. Comptes rendus de la Société de Biologie, 1864. Sur une variété A LA du Lepthothrix buccalis. Comptes rendus de la Société de Biologie, 1864, p. Les parasites des animaux domestiques. Revue des cours LR dns, juillet 1864. 1865 Mémoire sur les enduits de la langue (en collaboration avec M. le Dr Gui- chard). Union médicale de la Seine-Inférieure, 1865. 1866 Contribution à l'anatomie des Édentés (premier mémoire). Journal de l’Ana- lomie, 1866. Contribution à l'anatomie des Édentés (deuxième mémoire). Journal de l'Ana- tomie, 1866. Des rapports du grand sympathique avec le système capillaire (Lecon d’ana- tomie comparée au Muséum). Revue des cours scientifiques, t. II, 1865-1866. 1867 Sur l'anatomie des Édentés. Remarques à propos d'une lettre de M. R. Owen, Journal de l’Anatomie, 1867. Note sur le membre antérieur du Grand Fourmilier. Comptes rendus de l’Aca- démie des Sciences, 1861. Anatomie des glandes et du globe de l'œil chez le Tamanoir (en collaboration avec M. Th. Leber). Journal de l'Analomie, juillet-août 1867. Note sur la vascularité des faisceaux primitifs des nerfs périphériques. Journal de l’Anatomie, juillet-août 1867. Des études anthropologiques. La Philosophie positive, T octobre 1867. 1868 Les collections d'anatomie comparée de Munich. Actes du Muséum de Rouen, t. II, 1868. 1869 Mémoire sur l’encéphale des Édentés. Thèse in-4. Paris, Germer-Baillière, 1869 ; Journal de l' Anatomie, 1868-1869. Sur l'anatomie des Alcyonaires. Comptes rendus de l'Académie des Sciences, 22 novembre 1869. 1870 Remarques sur le développement des leucocytes et des hématies chez l'embryon d’Axolotl. Comptes rendus de la Société de Biologie, 2 avril 1870. Contribution à l'anatomie des Alcyonaires (en collaboration avec M. Mièvre). Journal de l'Analomie, mai-juin 1870. 1871 Sur les rapides changements de coloration provoqués expérimentalement chez les Poissons. Comptes rendus de l'Académie des Sciences, 26 juin 1871. Du rôle des nerfs dans les changements de coloration des Poissons (lu à l'Académie des Sciences, le 16 octobre 1871). Journal de l’Analomie, janvier- février 1872. LISTE DES PUBLICATIONS PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE 393 Sur des Cyprins monstrueux (C. auralus) venant de Chine. Journal de l'Ana- tomie, janvier-février 1871. On the Connection of Nerves and Chromoblasts. The Monthly Microscopical Journal, décembre 1871. L'enseignement supérieur des sciences. La Philosophie positive, 1871. 1872 Note sur les changements de coloration que présentent certains Poissons et certains Crustacés. Comptes rendus de la Société de Biologie, 2 mars 1872. Sur les rapides changements de coloration provoqués expérimentalement chez les Crustacés. Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 11 mars 1872; L'Institut, 20 mai 1872. Note sur les changements de coloration chez la Crevette grise. Comptes rendus de la Société de Biologie, 23 mars 1872; Gazette médicale, 5 septembre 1873. Note sur un corps défini cristallisé extrait des œufs de Homard. Comptes rendus de læ Société de Biologie, 15 avril 1872. Note sur les pigments. Comptes rendus de la Société de Biologie, avril 1872; Gazette médicale, 4 octobre 18173. Sur les colorations bleues chez les Poissons. Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 28 mai 1872; L'Institut, 29 mai 1872. Reproduction de la note précédente et de celle sur les rapides changements de coloration provoqués chez les Crustacés. Journal de l’Anatomie, juillet-août 1872. Note sur les changements de couleur présentés par la Grenouille et plus spécialement par la Rainette. Comptes rendus de la Société de Biologie, 20 juin 1872. De l'influence de la lumière sur les larves de Diptères privées d'organes exté- rieurs de la vision (Mémoire présenté à l'Académie des Sciences, le 6 juin 1870 et le 12 août 1871); Revue et Magasin de Zoologie, 1872. Note sur les variations dans le nombre des vertèbres du Tamanoir. Journal de l'Anatomie, septembre-octobre 1872. Note sur les Coléoptères aveugles (Anophtalmes). Comptes rendus de la Socielé de Biologie, 19 octobre 1872. Observations sur le développement d'un Poisson du genre Macropode. Revue et Magasin de Zoologie, 1872. Développement du système trachéen de l'Anophèle (Corethra plumicornis). Archives de zoologie expérimentale, t. I, p. 216, 1872. 1873 Recherches sur le développement de la tête osseuse des Poissons. Comptes rendus de la Société de Biologie, 1er février 1873. Note sur les cristaux bleus existant dans les tissus d’un Branchipe. Comptes rendus de la Société de Biologie, 15 mars 18173; Gazette médicale, 29 mars 18173. Recherches anatomiques sur la coloration bleue des Crustacés. Journal de l’Anatomie, mai-juin 1873, 1 pl. Rapport sur une mission scientifique aux viviers-laboratoires de Concarneau. Recueil des Missions, 25 mai 1873. Remarque à propos de la distinction des muscles, proposée par M. Ranvier, en muscles rouges et en muscles pâles. Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 5 juillet 1873. Note sur les changements de coloration que présentent certains Poissons et certains Crustacés. Gazetle médicale, 23 août 1873. 394 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET De l'existence d’un muscle vibrant chez le Homard et des muscles de la queue du Crotale. Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 13 novembre 1813; Mouve- ment médical. 1874 Remarque sur la différence d'évolution embryogénique que présentent le sillon antérieur et le sillon postérieur de la moelle. Comptes rendus de la Société de Biologie, 11 janvier 1874. Remarques sur la barégine. Comptes rendus de la Société de Biologie, avril 18174. Note sur la coloration bleue des Épinoches. Comptes rendus de la Société de Biologie, 11 juillet 1874; Gazetle médicale, 25 juillet 1874. Note sur le développement des organes respiratoires. Comptes rendus de la Société de Biologie, 11 juillet 1874; Gazelte médicale, 25 juillet 1874. Lésion du grand sympathique chez le Turbot. Comptes rendus de la Sociéte de Biologie, 14 novembre 1874; Gazette médicale, 5 décembre 1874. Ueber die Wechselbeziehungen zwischen der Netzhaut und der Hautfarbe einiger Thiere. Slricker's medicinische Jahrbücher, 1874, 1 H. Note sur l'influence de l’ablation des yeux sur la coloration de certaines espèces animales (Traduction française du précédent travail). Journal de l’Ana- tomie, septembre et octobre 1874. Note sur l'ascite chez les Batraciens. Comples rendus de la Société de Biologie, 71 novembre 1874. Expériences sur les canaux muqueux des Poissons. Comples rendus de la Société de Biologie, 28 novembre 1874. Mémoires sur le Grand Fourmilier (Myrmecophaga jubata X..). 1 vol. in-4. Mas- son, 1874, Ce volume renferme 6 mémoires. 1875 Note sur la coloration bleue des Oiseaux et des Mammifères. Comptes rendus de la Société de Biologie, 11 janvier 1875. Note sur le mécanisme des changements de coloration chez le Caméléon. Comples rendus de la Sociélé de Biologie, 24 janvier 1875. La Phylogénie cellulaire, Revue scientifique, 20 mars 1875. Sur la vision chez les Cirrhipèdes (en collaboration avec M. Jobert). Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 12 juin 1875 ; Gazette médicale, 16 juin 1875. Du développement du squelette des Poissons osseux ({re part.). Journal de l'Anatomie, mai-juin 1875. Remarque sur le rôle de la spontanéité cérébrale dans les changements de coloration des Poissons. Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 11 juillet 1875. La physiologie du système nerveux jusqu’au xix° siècle, Revue Scientifique, 4e année, 2e série, 1875, 1er semestre. Note sur la substitution monoculaire. Comptes rendus de la Société de Biologie, 94 juillet 1875. Sur un moyen d'observer directement les embryons de Poulet dans l'œuf. Comptes rendus de la Société de Biologie, 24 juillet 1875. Fixation du carmin par les éléments anatomiques vivants (en collaboration avec M, Legoff). Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 11 décembre 18%; Gazelle médicale, 25 décembre 1875. 1876 Des changements de coloration sous l'influence des nerfs. (A part, 1 vol. in-8, avec planches en couleur. Paris, Germer-Baillière, 1873). Journal de l'Anatomie, janvier-février, mars-avril 1876. LISTE DES PUBLICATIONS PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE 395 Sur le développement d'œufs à l’albumen desquels on a ajouté 50 centi- grammes de sucre cristallisé (en collaboration avec M. Beauregard). Comptes rendus de la Société de Biologie, 14 juillet 1876; Gazette médicale, 28 juillet 1877. Sur un cas de survie de l'aire vasculaire, môle omphalo-mésentérique. Comptes rendus de la Société de Biologie, 29 juillet 1876; Gazelte médicale, 16 sep tembre 1876. De l'emploi des solutions concentrées d'acide osmique. Journal de l'Anatomie, septembre-octobre 1876. Contribution à l’histoire de la vision chez les Cirrhipèdes (en collaboration avec E. Jobert). Journal de l'Anatomie, novembre-décembre 1876. Note sur un changement unilatéral de couleur produit par l’ablation d'un œil chez la Truite. Comptes rendus de la Société de Biologie, 2 décembre 1876. Remarques critiques sur une expérience de M. Bert. Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 11 décembre 1876. Sur le développement des organes génilo-urinaires (Conférences faites au laboratoire d'histologie zoologique de l'Ecole des Hautes-Études). Annales de Gynécologie, 1816. 1877 Sur la genèse des hématies chez l'adulte. Comptes rendus de la Société de Bio- logie, 8 novembre 1871; Gazette médicale, 10 novembre 18171. Contribution à l'histologie du développement des nerfs périphériques (en colla- boration avec M. Tourneux). Comptes rendus de la Société de Biologie, 23 décembre 1877. 1878 Sur les leucocytes et la régénération des hématies. Comptes rendus de la Société de Biologie, 5 janvier 1878; Gazette médicale, 19 janvier 1878. Note sur la régénération des hématies des Mammifères. Comptes rendus de la Société de Biologie, 2 février 1818. Extirpation de la rate chez un Turbot. Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 2 février 1818. ° Claude Bernard (en collaboration avec Robin). Journal de l’Anatomie, 1878, p. 334. De l'origine des hématies. Comptes rendus de la Société de Biologie, 2 mars 1878; Ga:elle médicale, 16 mars 1878. Note sur la circulation choriale des Rongeurs. Comples rendus de la Société de Biologie, 6 avril 1878; Gazette médicale, 21 avril 1878. Du développement du squelette des Poissons osseux. Journal de l’Anatomie, janvier-février, mars-avril 18178. Note sur l'évolution du sang chez les Ovipares. Comptes rendus de la Société de Biologie, 8 juin 1878; Gazette médicale, 29 juin 1878. Note sur la constitution du sang après l'ablation de la rate. Comptes rendus de la Société de Biologie, 8 juin 1878; Gazette médicale, 29 juin 1878. Note sur l'aire vasculaire des Rongeurs. Comptes rendus de la Sociélé de Bio- logie, 20 juillet 1878. Note sur la structure des glandes lymphatiques. Comptes rendus de la Sociéte de Biologie, août 1878; Gazette médicale, 25 janvier 1879. Note sur le sens musculaire et sur la machine à écrire. Comples rendus de la Société de Biologie, août 1878; Revue philosophique, novembre 18178; Gazette médi- cale, 21 janvier 1879. 396 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Sur le muscle vibrant du Homard. Association française pour l’avancement des sciences, 1818, p. 756. Nouvelle note sur le changement unilatéral de couleur, produit par l'ablation d'un œil chez la Truite. Comples rendus de la Société de Biologie, 23 novembre 1818. Note pour servir à l’histoire des cristaux du sang. Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 14 décembre 1878; Gazette médicale, 4 janvier 4879. Précis d'histologie humaine et d'histogénie, par G. Pouchet et Tourneux 2€ édition, 1 vol., Paris, 18178. 1879 Sur un cas de mimétisme passager et réciproque chez la Seiche (en collabora tion avec M. J. Barrois). Comptes rendus de la Société de Biologie, 1819. Evolution et structure des noyaux des éléments du sang chez le Triton. (T. cristatus et alpestris). Journal de l’Anatomie, janvier-février 1879. Remarque sur la différence morphologique du lait et du chyle laiteux. Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 1er février 1879; Gazette médicale, 22 février 4879. De la dégénérescence hémoglobique de la moelle des os. Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 15 mars 1879. De l’histoire de la sensation électrique. Comptes rendus de la Société de Bivlogie, ÿ avril 1879; Gazette médicale, 26 avril 1879. Notes sur les moindres images rétiniennes. Comptes rendus de la Société de Biologie, 12 février 1879. La formation du sang. Revue scientifique, 20 septembre 1879. Sur la moelle des os. Comptes rendus de la Société de Biologie, décembre 1879. 1880 Les collections allemandes et la galerie d'anatomie comparée du Muséum. Revue scientifique, 24 janvier 1880. Note sur les granulations hémoglobiques contenues dans certains leucocytes. Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 10 avril 1880; Gazette médicale, 15 mai 1880; Journal de l'Anatomie, novembre-décembre 1880. - . La chaire d'anatomie comparée. Lecon d'ouverture. Revue scientifique, 11 avril 1880, p. 982. Note sur la rétine du Pigeon.Comptes rendus de la Société de Biologie, 11 avril 1880 ; Gazette médicale, 22 mars 1880. Tumeur graisseuse chez un Pigeon. Comptes rendus de la Société de Biologie, 15 mai 1880. Sur le système des canaux et sur la corde de l’'Amphioxus. Comptes rendus de la Société de Biologie, 1er mai 1880; Gazette médicale, 22 mai 1880. Observations et expériences sur la circulation lymphatique chez les Poissons pleuronectes. Comptes rendus de la Société de Biologie, 22 juin 1880. The Origin of the Red Blood Corpuscules (Traduction de l’article : La forma- tion du sang). The Quarterly Journal of Microse. Science, juillet 1880. On the laminar Tissue of Amphioxus. The Quarlerlery Journ. of Microscopical Science, octobre 1880. Une expérience sur l'instinct des Chenilles processionnaires (Bombyx pithyo- campa)." Comples rendus de la Société de Biologie, 1880. Sur la formation du pigment mélanique. Comptes rendus de la Société de Bio-- logie, 23 octobre 1880; Gazette médicale, 30 octobre 1880. Note sur le développement de l'organe adamantin (En collaboration avec M. Chabry). Comptes rendus de la Société de Biologie, 4 décembre 1880; Gazette médi- cale, 11 décembre. LISTE DES PUBLICATIONS PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE 397 Note sur les leucocytes de Semmer et les cellules éosinophiles d'Ehrlich. Journal de l'Analomie, novembre-décembre 1880. 1881 Sur le sang des Crustacés. Comptes rendus de la Société de Biologie, mars 1881; Journal de l’Analomie, mars-avril 1882. Deuxième note sur le développement de l'organe adamantin (en collaboration avec M. Chabry). Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 20 février 1881 ; Gazette médicale, 12 mars 1881. Sur un prochain voyage scientifique [à la pêcherie de baleines de Vadsæ. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 2 mai 1881. Mission de Laponie. Photographies. Atlas in-folio. Paris, Masson, 1881. Des deux sangs et leur distribution d'après Galien. Leçon d'ouverture. Revue scientifique, 21 mai 1881. Rapport sur une mission en Allemagne pour étudier les collections d'anatomie comparée. Archives des Missions scientifiques et littéraires, 3° série, t. VIT, 1881. Reproduit en partie dans Revue scientifique et Revue internationale de l'enseigne- ment, 15 mai 1881. Troisième note sur le développement de l'organe adamantin (en collaboration avec M. Chabry). Comptes rendus de la Société de Biologie, 12 novembre 1881. 1882 Note sur les températures de la mer observées pendant la mission de Laponie. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 2 janvier 1882. Sur l’évolution des dents des Balénides (en collaboration avec M. Chabry). Comptes rendus de l'Académie des Sciences, 28 février 1882. Quatrième note sur l'organe adamantin des Balénides (en collaboration avec M. Chabry). Comptes rendus de la Société de Biologie, 18 mars 1682. Note sur une explication plausible des phénomènes observés sur lé malade de M. Dumontpallier (précédée d’un procès-verbal sur ces expériences). Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 4 mars 1882. Le lac Enara et le cours du Pasvich. Bullelin de la Sociélé de géographie, 1% avril 1882. Sur certaines formes concrètes des albuminoïdes du sang. Comples rendus de la Société de Biologie, 22 avril 1882. sur quelques particularités offertes par le plasma du sang de cheval. Journal de l’Analomie, mai-juin 1882. Veau monstrueux biniodyme (en collaboration avec M. Beauregard). Comptes rendus de la Société de Biologie, 8 juillet 1882, Des terminaisons vasculaires de la rate des Sélaciens. Journal de l'Analomie. septembre-octobre 1882. Sur l’évolution des Péridiniens et les particularités d'organisation qui les rap- prochent des Noctiluques. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 30 octobre 1882. Sur la faune malacologique du Varangerfjord (en collaboration avec M. de Guerne). Comptes rendus de l’Académie des sciences, 11 décembre 1882. Fait de pyoémie chez le Pigeon (Observation de G. Pouchet rapportée par Variot dans : « Rôle pathogénique des lésions viscérales. » Journal de l’Ana- tomie, mai-juin 1882, p. 312. 1883 Note préliminaire sur le fonctionnement des nématocystes (en collaboration avec M. Bergé). Compies rendus de la Société de Biologie, 13 janvier 1883. 398 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Observations sur la température de la mer pendant le cours de la mission de Laponie. Annales météorologiques, 1883. L'espèce et l'individu. Leçon d'ouverture. Revue scientifique, 10 février 1883. Note sur un rouleau japonais d'anatomie humaine. Comptes rendus de la Sociéle de Biologie, 24 novembre 1883. La loi du 29 frimaire. Paris, 1883. Brochure comprenant une série d'articles insérés dans le Siècle. Nouvelles observations sur les Cilio-flagellés. Association pour l'avancement des sciences, Congrès de Rouen, 1883. 1884 Nouvelle contribution à l'histoire du sang des Crustacés. Comples rendus de la Société de Biologie, 15 mars 1884. Contribution à l'odontologie des Mammifères (en collaboration avec M. Chabry). Journal de l’Anatomie, mai-juin 1884. Note sur des figures d'anatomie remontant à la fin du xive siècle. Comples rendus de lu Sociélé de Biologie, 10 mai 1884. Sur un Péridinien parasite. Comptes rendus de l'Académie des sciences, mai 1884. Sur une fausse Noctiluque. Comptes rendus de la Société de Biologie, 25 octobre 1884. ù Sur la boîte à spermaceti (en collaboration avec M. Beauregard). Comptes rendus de l’Académie des sciences, 25 octobre 1884. D'un œil véritable chez les Protozoaires. Comptes rendus de la Société de Biologie, 25 octobre 1884. Contribution à l'histoire des Cilio-flagellés. Journal de l'Anatomie, 1884. 1885 Nouvelle contribution à l’histoire des Péridiniens marins. Journal de l'Ana- tomie, janvier-février 1885. Des récents échouements de Cétacés sur la côte française. Comples rendus de l'Académie des sciences, 12 février 1885. Sur la faune pélagique de la mer Baltique et du golfe de Finlande (en collabo- ration avec M. de Guerne). Comples rendus de l’Académie des sciences, 30 mars 1885. Note sur les effets du venin d’Abeille sur les Lissus végétaux (en collaboration avec M. Bovier-Lapierre). Comptes rendus de la Société de Biologie, 21 juin 1885, publiée le 11 juillet. Dissection d’un fœtus de Cachalot. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 18 mai 1885. Journal de l’ Anatomie, juillet-août 1885. Note sur le développement des fanons (En collaboration avec M. Beauregard). Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 18 juillet 1885. Note sur un échouement d'Hyperoodon à Rosendaël (en collaboration avec M. Beauregard). Comptes rendus de l'Académie des sciences, 3 août 1885. De l’asymétrie des Cétodontes. Congrès pour l'avancement des sciences, 11 sep- tembre 1883. Développement des dents du Cachalot. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 19 octobre 1885. La Biologie aristotélique. 1 vol. à part, Alcan, 1885; Revue philosophique, octobre-novembre 1884, janvier 1885. Troisième contribution à l'histoire des Péridiniens, Journal de l'Anatomie, novembre-décembre 1885. LISTE DES PUBLICATIONS PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE 399 1886 Une expérience sur les courants de l'Atlantique. Génie civil, 23 janvier 1886. Observations relatives à la note récente de M. Kæhler sur une nouvelle espèce de Balanoglossus. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1er février 1886. Sur les photographies stellaires et les animaux aveugles des eaux pro- fondes. Comptes rendus de la Société de Biologie, 13 mars 1886. Les produits en Anatomie générale, dans : « Hommage à Chevreul », 1886, in-4. Alcan. Instruction pour la récolte des objets d'histoire naturelle à la mer. Archives de médecine navale, mars 1886. Sur l'alimentation des Tortues marines (en collaboration avec M. de Guerne). Comptes rendus de l’Académie des sciences, 12 avril 1886. De l’'asymétrie de la face chez les Cétodontes. In-#, Paris, Masson, 1886. Sur l'œil des Péridiniens. Comptes rendus de la Société de Biologie, 8 mai 1886, Note sur les kystes fusiformes des Péridiniens. Comptes rendus de la Société de Biologie, 28 mai 1886. La question de la Sardine. Phare de la Loire, 11 septembre 1886. Ch. Robin, sa vie et son œuvre. In-8, à part, Alcan, 1887; Journal de l’Ana- tomie, juillet-août, septembre-octobre, novembre-décembre 1886. Sur Gymnodinium polyphemus, Pouch. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 2 novembre 1886. 1887 Remarques anatomiques à l’occasion de la nature de la Pensée. Revue scienti- fique, 5 février 1881. Sur la nourriture de la Sardine (en collaboration avec M. de Guerne). Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1 mars 1887. Sur la formation du pigment mélanique. Comptes rendus de la Société de Biologie, 19 mars 1887. Sur la Sardine et le laboratoire de Concarneau. Revue scientifique, 23 avril 1887. L'emploi des seines à Sardine. Brochure in-12, Nantes, 1881. Quatrième contribution à l'histoire des Péridiniens. Journal de l’Analomie, avril-mars 1887. La question de la Sardine. Revue scientifique, 11 juin 1887. Communication à propos de l'anatomie du Cachalot. Comples rendus de la Sociélé de Biologie, 16 juillet 1887. Sur la prétendue obscurité du fond de l'Océan. Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 24 octobre 1887. De Lorient à Terre-Neuve. Notes de Voyage. Revue scientifique, 15 octobre 1887, p. 492. La couleur des eaux de la mer et la pêche au filet fin. Associalion francaise pour l'avancement des sciences, Congrès de Toulouse, septembre 1881; Comptes rendus de l'Association, 2e parte, p. 596. Sur un filet fin de profondeur (en collaboration avec M. Chabry). Comptes rendus de la Société de Biologie, 29 octobre 1887. Les eaux vertes de l'Océan. Comptes rendus de la Société de Biologie, novembre 1887. Discours prononcé à l'inauguration de la statue de Pierre Belon, Journal de l’Anatomie, novembre-décembre 1887; Journal de la Sarthe. 1888 Conférence sur un voyage aux Açores et à Terre-Neuve. Bulletin du Cercle Saint-Simon, 21 janvier 1888. 400 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Contre-projet pour l'aménagement de la grande salle des nouvelles galeries du Muséum, présenté par le Professeur d’Anatomie. In-4. Sur les glandes cutanées chez l'Écrevisse (en collaboration avec M. Wert- heimer). Comples rendus de la Société de Biologie, 18 février 1888. Le régime de la Sardine sur la côte océanique de France en 1887. Extrait à part, in-4; Comptes rendus de l'Académie des sciences, 20 février 1888. De l'affectation de la grande salle centrale des nouvelles galeries du Muséum. Revue scientifique, 11 mars 1888. La Sardine. Revue des Deux Mondes, 1er avril 1888. Remarque sur la dissémination des espèces d’eau douce, à propos d’une com- munication de M. de Guerne. Comples rendus de la Société de Biologie, T avril 1888. Note accompagnant la présentation de photographies de Cachalot. Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 16 juin 1888. Échouement d'une Baleine à Alger (en collaboration avec M. Beauregard). Con- grès de l'Association française à Alger, 1"e partie, p. 197, 1888. De la multiplication provoquée et de la forme des Noctiluques. Comptes rendus de la Société de Biologie, 23 juin 1888. Sur les test des Arthropodes. Comptes rendus de la Société de Biologie, 13 octobre 1888. La prétendueévolution du sens des couleurs. Revue scientifique, 13 octobre 1888. Sur un nouveau Cyamus parasite du Cachalot. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 29 novembre 1888. Note sur les parasites du Cachalot (en collaboration avec M. Beauregard). Comples rendus de la Société de Biologie, 16 novembre 1888. Rapport sur le fonctionnement du Laboratoire de Concarneau en 1887, et sur la Sardine. Enquête et documents relutifs à l'enseignement supérieur, t. XXV, in-8, 1888. Le Cachalot. Revue des Deux Mondes, 1er décembre 1888. 1889 Sur le développement des larves d'Oursins dans l’eau de mer privée de chaux (en collaboration avec M. Chabry). Comptes rendus de la Société de Biologie, p. 17, 12 janvier 1889. De la production de larves monstrueuses d'Oursins par privation de chaux (en collaboration avec M. Chabry). Comptes rendus de l'Académie des sciences, 28 jan- vier 1889. Les dernières expériences de M. Chauveau. Journal de l'Anatomie, janvier- février 1889, p. 111. Sur l'estomac du Cachalot (en collaboration avec M. Beauregard). Comples rendus de la Société de Biologie, 9 février 1889, p. 92. Développement de l’évent du Cachalot. Comptes rendus de la Société de Bio- logie, 23 février 1889, p. 149. Recherches sur le Cachalot (en collaboration avec M. Beauregard). Nouvelles Archives du Muséum, 1889, 3e série, t. I. | Chevreul. Journal de l'Anatomie, mars-avril 1889, p. 225. Traité d’ostéologie comparée (en collaboration avec M. Beauregard), 1- vol. in-8, Masson, 1889. À propos de l'odeur des fleurs. Journal de l’Anatomie, mai-juin 1889, p. 307. La maladie pyocyanique de Charrin, analyse. Journal de l'Anatomie, août 1889, p. #49. Squelette de Cachalot femelle (en collaboration avec M. Beauregard). Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 9 mars 1889, p. 201. LISTE DES PUBLICATIONS PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE . A0 L'eau de mer artificielle comme agent tératogénique (en collaboration avec M. Chabry). Journal de l'Anatomie, mai-juin 1889. Sur la conservation des viandes par le froid. Comples rendus de la Société de Biologie, 15 juin 1889, p. 425. Le régime de la Sardine, en 1888, sur la côte bretonne. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 11 juillet 1889. Sur l'œuf de la Sardine. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 15 juillet 1889. Sur la croissance de la Sardine océanique. Comples rendus de l’Académie des sciences, 29 juillet 1889. Sur des graphiques représentant le régime de la Sardine. Comples rendus de la Société de Biologie, 20 juillet 1889, p. 509. Rapport au ministère de l'Instruction publique sur le fonctionnement du labo- ratoire de Concarneau en 1888 et sur la Sardine. Journal de l’Anatomie, juillet- août 1889. Le régime de la Sardine. Revue scientifique, 31 août 1889, p. 239. Recherches de Dareste sur les conditions physiques de l'évolution. Journal de l’Anatomie, juillet-août 1889, p. 453. Sur les conditions de la vie dans les grands fonds. Comptes rendus des séances du Congrès international de zoologie, Paris, 1889. Courants de l'Atlantique nord. Imprimerie Municipale (Hôtel de Ville), Paris, in-4, 1889. Du cytoplasme et du noyau des Noctiluques. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 4 novembre 1889. : Note sur une tête de jeune Cachalot (en collaboration avec M. Beauregard). Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 1889, p. 553. De la structure et des phénomènes nucléaires chez les Noctiluques. Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 9 novembre 1889, p. 642. Sur l'œuf et les premiers développements de l’Alose (en collaboration avec M. Biétrix). Comptes rendus de l’Académie des sciences, 16 décembre 1889. Sur le développement de l’Alose et de la Fleinte (en collaboration avec M. Bié- trix). Journal de l’Analomie, novembre-décembre 1889. 1890 Échouement d'un Cachalot à l'ile de Ré (en collaboration avec M. Beauregard). Comptes rendus de la Société de Biologie, 3 février 1890. Sur un échouement de Cachalot à l'ile de Ré. Comples rendus de l'Académie des sciences, 31 mars 1890. Contribution à l'histoire des Noctiluques. Journal de lAnalomie, mars-avril 1890. La Sardine de la Méditerranée. Revue scientifique, 10 mai 1890. Sur un Flagellé parasite viscéral des Copépodes. Comples rendus de la Societé de Biologie, 31 mai 1890. Les formes extérieures du Cachalot (en collaboration avec M. Chaves). Journal de l’'Analomie, mai-juin 1890. Sur Pyrocystis noctiluca Murray, Comples rendus de la Société de Biologie, 31 octobre 1890. Rapport sur le fonclionnement du Laboratoire de Concarneau, en 1889, et sur la Sardine. Journal de l’Analomie, novembre-décembre 1890. Deux échouages de grands Cétacés au vire et au ixt siècles. Comples rendus de la Société de Biologie, 12 décembre 1890. À propos de deux photographies de Baleines franches, Comples rendus de la . Sociélé de Biolonie, 19 décembre 1890. 26 402 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET 1891 Sur la moelle épinière du Cachalot. Comptes rendus de la Société de Biologie, 16 janvier 1891. Des variations du bassin du Cachalot (en collaboration avec M. Beauregard). Comptes rendus de l'Académie des sciences, 19 janvier 1891. Sur un Cachalot échoué à l'ile de Ré (en collaboration avec M. Beauregard), Journal de l'Analomie, mars-avril 1891. Nouvelles observations sur la Sardine océanique. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 6 avril 1891. Remarques sur la bouche des Crustacés. Journal de l'Anatomie, mars-avril 1891. Sur la formation du pigment mélanique (3° note). Comptes rendus de la Société de Biologie, 11 avril 1891. Imprimée en tête de la séance du 18 avril. Sur une mélanine artificielle. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 20 avril 1891. A propos de la ménagerie du Muséum. Revue scientifique, 20 juin 1891. A propos de la réorganisation du Muséum. Revue scientifique, 1 novembre 1891. En Islande. Revue de famille, 15 novembre 1891 et suivants. Nouvelle liste d'échouements de grands Cétacés sur la côte française (en col- laboration avec M. Beauregard). Comptes rendus de l'Académie des sciences, T dé- cembre 1891 Rapport au ministre sur le fonctionnement du Laboratoire de Concarneau en 1890, et sur la Sardine. Journal de l'Anatomie, novembre-décembre 1891. Le régime de la Sardine en 1890. Comples rendus de l’Académie des sciences, 28 décembre 1891. 1892 Sur la flore pélagique du Naalsæfjord. Comples rendus de l'Académie des sciences, 11 janvier 1892. Sur une algue pélagique nouvelle. Comptes rendus de la Société de Biologie, 18 janvier 1892. Les larves de Muscidés comme facteurs géologiques. Comptes rendus de la Société de Biologie, 18 janvier 1892. * Sur la faune pélagique du Dyrefjord. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 25 janvier 1892. Contribution à l'histoire des Cyames. Journal de l'Analomie, janvier-février 1892. Remarque sur deux Turbots à face nadirale pigmentée. Comples rendus de la Société de Biologie, 5 mars 1892. Voyage en Islande (Conférence). Sociélé normande de géographie, mars-avril 1892. Cinquième contribution à l'histoire des Péridiniens. Journal de l'Anatomie, mars-avril 1892. : Sur un échouement de Cétacé de la 113e Olympiade. Comptes rendus de l’Aca- démie des sciences, 9 mai 1892. Note sur la Baleine observée par Néarque. Comples rendus de la Sociélé de Biologie, 14 mai 1892. Sur des Sardines présentant des œufs à maturité (en collaboration avec M. Biétrix). Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 14 mai 1892. La forme et la vie. Revue des Deux Mondes, 15 mai 1892. De la couleur des préparations anatomiques conservées dans l'alcool. Comptes rendus de la Société de Biologie, 11 juin 1892. Note sur l'ambre gris (en collaboration avec M. Beauregard): Comples rendus de la Socielé de Biologie, 24 juin 1892. LISTE DES PUBLICATIONS PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE 403 Note sur les calculs intestinaux du Cachalot (ambre gris). Comptes rendus de l'Académie des sciences, 20 juin 1892. Sur la formation du pigment mélanique (4 note). Comptes rendus de la Société de Biologie, 25 juin 1892. Sur la récente campagne de la Manche. Association française pour l'avancement des sciences, Congrès de Pau, Procès-verbaur, p. 218, 1892. Le régime de la Sardine. Revue scientifique, 21 août 1892. 1893 Anciens échouages de Cétacés du xne au xvie siècle. Mémoires de la Société de Biologie, 15 avril 1893. Sur l'ambre gris, in-4. Imprimerie Nationale, 1893, avec 2 planches en couleur. Sur le Plankton de la lagune nord de Jan-Mayen. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 23 mai 1893. Conférence d'anatomie, enseignement spécial aux voyageurs. Revue scien- lifique, 3 juin 1893. Sur le Plankton de l'océan Glacial. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 5 juin 1893. Observations sur la glace faites au cours du voyage de la Manche. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 26 juin 1893. L (Ces trois communications ont été réunies en un tirage à part sous le titre : « Observations faites au cours du voyage de la Manche ».) Sur un halo observé à Créteil, le 22 octobre 1893. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 23 octobre 1893. Sur le polymorphisme de Peridinium acuminatum Ehr. Comptes rendus de l'Académie des sciences, 20 novembre 1893. Décès de Chabry. Comples rendus de la Société de Biologie, 25 novembre 1893. Poudre de viande de Baleine. Comptes rendus de la Sociélé de Biologie, 25 no- vembre 1893. Laurent Chabry. Journal de l'Anatomie, novembre-décembre 1893. 1894 Histoire naturelle de Jan-Mayen et du Spitzherg, dans voyage de la Manche à l’île de Jan-Mayen et au Spitzherg, juillet-août 1892. Nouvelles Archives des missions scientifiques et littéraires, t. V, 1894, p. 155. 1895 Contribution à l’histoire du Spermaceti, à propos du trésor de la reine Blanche de Namur (1365). Bergens Museums Aarbog, 1895, n° 1. (Ce mémoire posthume a été publié par le Dr Brunchorst.) Sur Pyrophacus horologium. Journal de l’Anatomie, 1895. (Ce mémoire pos- thume a été publié par le Dr A. Pettit.) TABLE DES MATIÈRES Pages. Notice biographique, par le D' Auguste PETTIT. . . L PROTISTOLOGIE RECHERCHES SUR LES PÉRIDINIENS. Contribution à l’histoire des CGilio-flagellés. . . . . . . . . . . . . . . . . 3 Nouvelle contribution à l'histoire des Péridiniens marins . . 55 Troisième contribution à l'histoire des Péridiniens. . . . . 107 Quatrième contribution à l’histoire des Péridiniens. 117 Cinquième contribution à l'histoire des Péridiniens . 142 HISTOLOGIE Note sur les leucocytes de Semmer et les «cellules éosinophiles » d'Ehrlich. Evolution et structure des noyaux des éléments du sang chez le Triton . PaOrMatIONEQUSS An NAPPES MES AR ES LEA EEE RAS ER ENS PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE Des changements de coloration sous l'influence des nerfs. .: . . . . . TÉRATOLOGIE BIOLOGIE GÉNÉRALE Paipaylosémentcellulairestmaenren nan ner nee ce EN ENS RP Étespèceletilindividu. MANN EME ON Lo] 2 OT 406 RECUEIL DES PRINCIPALES ŒUVRES DE CH.-H.-G. POUCHET Remarques anatomiques à l'occasion de la nature de la pensée. . . . . . 337 La prétendue évolution du sens des couleurs . . . . . . . . Ru . do La forme et la vie! 24000 OUR MN EE Ta RE NIRNE PA REENNERREERE 311 LISTE DES PUBLICATIONS Liste par ordre chronologique . . - . . . . . - . - - - Ro 0 391 Paris. — L. MARETHEUX, imprimeur, 1, rue Cassette. — 22083. BL WHOI Library - Serials WW H SE 039 16 — var FE 2e Faseure 26 ALT set TRE Se re. FE 4 ROUE RAA UOTE DE 4 HRAUE ME h fi el . He ! j ji VON FUE Le | ‘ #1 NU tou . ie . . | Et : AE te ee SE += - ES ee ie Hi do pe pi L ne MTARARE qu es 1 ae . _ . pi j tu mue } dy ? ANNEE