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Frémiet, se.

Œuvre

par

P. DÉT^OULÈDE

Prix : 1 Franc

PARIS

BLOUD et Cie, Bdileurs

7, Place Sainl-Sulpice

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MOUNET-SULLY SILVAIN - PAUL MOUNET

DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE

Admiratif Souvenir, Cordial J{emerciemenL

Paul DÉROULÈDE

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Paul DÉROULÈDE

CONFERENCE

SUR

CORNEILLE

ET

SON ŒUVRE

PARIS LIBRAIRIE BLOUD ET C*

7, "Place Saint-Sulpice, y

191 1

Reproduction et traduction interdites.

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nn

Corneille et son Œuvre

Mesdames, Messieurs,

Lorsque le sobre et puissant statuaire qui a dressé dans Paris une des plus vivantes effigies de Jeanne d'Arc, Emmanuel Frémiet, eut achevé son beau groupe symbolique de Corneille couronné par la Gloire, il grava sur le piédestal cette simple inscription : « Cornelio magno 1606. »

La dédicace latine nous apparut à tous aussi naturelle et aussi claire que le « Ludovico magno » de nos portes ti'iomphales, mais le 160G tout court ne laissa pas que de nous étonner. A quelqu'un qui lui en fît la remarque et lui demanda pourquoi, contrairement à l'usage, il n'avait inscrit sous ce buste que la date de la naissance, Frémiet répondit : « Parce que, contrairement à l'usage, l'immortel Corneille n'est pas mort. »

Nous serions bien tentés de nous en tenir, nous aussi, à la poétique imprécision de cette apothéose d'une éloquence si concise. Mais notre

6 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

prosaïque devoir de conférencier nous oblige à vous indiquer une autre inscription moins elliptique et plus détaillée que vous trouverez et pourrez lire sur un des piliers de Saint-Roch : c< Pierre Corneille, à Rouen le 6 juin 1606, mort àParis,rued'Argenteuil,le l^'"octobre 1684, est inhumé dans cette église. »

A cette date de naissance, à cette date de mort, je joindrai immédiatement quatre dates de gloire :

1629 : l'œuvre de début, Mélite ;

1636 : apparition du Cid ;

1640 : éclosion simultanée d'Horace, de Cinna et de Polyeucte ;

1656 : publication intégrale et définitive de la traduction en vers de V Imitation de Jésus-Christ.

Ajoutons tout de suite, crainte de méprise, que si sommaire qu'elle soit et qu'elle doive être, notre étude ne s'arrêtera pas uniquement sur ces quatre points culminants.

Mon intention est au contraire de passer en revue devant vous toutes les créations drama- tiques, poétiques et littéraires de ce tout puissant créateur; elle est aussi de vous donner au passage un résumé ou plutôt un aperçu des multiples raisons sur lesquelles est fondée et

CORNIiILLE ET SON ŒUVRE 7

s'appuie mon inébranlable admiration pour l'œuvre et pour l'ouvrier.

Corneille ayant vécu autant qu'il le pouvait loin de la Cour et aussi longtemps qu'il l'a pu hors de Paris, les détails sont rares sur la vie privée de ce laborieux sauvage.

Il n'existe en outre qu'un très petit nombre de ses lettres, et ce que son frère cadet Thomas Corneille et son neveu Fontenelle ont écrit de lui, après sa mort, a plutôt le caractère d'éloges voulus que de souvenirs sincères.

En sens inverse il ne faut pas ajouter beaucoup plus de crédit aux anecdotes apocryphes entre- mêlées par Voltaire à ses commentaires aigre- doux, et les deux seules sources authentiques auxquelles doivent puiser les fidèles du vieux maître et les curieux de vérité, sont, d'une part, la Vie de Corneille par Taschereau et, d'autre part, surtout l'édition complète de ses œuvres annotée et publiée par M. Marty-Laveaux dans la « Collection des Grands Ecrivains français ».

Inutile de dire que ce que je conseille aux autres je l'ai fait moi-même.

CHAPITRE PREMIER

MEUTE

Fils d'un maître particulier des Eaux et Forêts en la vicomte de Rouen, le jeune Pierre, qui avait fait ses études au collège des Jésuites de sa ville natale, fut tout d'abord destiné au barreau. Mais tel que nous l'a dépeint son neveu Fontenelle, qui sur ce point-là du moins ne le flatte pas, « ce personnage qui parlait peu, même sur le: matières qu'il entendait le plus parfaitement, et qui n'ornait pas ce qu'il disait, » n'était pas fait pour l'éloquence verbale. Il renonça donc et son père renonça également pour lui aux plaidoiries. Mais, dés 1628, il avait alors vingt-deux ans, il fut nanti de par la prudence paternelle de la charge, quasi-silencieuse celle-là, et beaucoup moins absorbante qu'honorifique, d'avocat géné- ral à la Table de marbre du Palais. C'était quelque chose comme les fonctions déjuge de première instance es questions fluviales. Cette demi-siné- cure, — et quand je dis demi je lui fais tort de la moitié, n'empêcha pas plus l'aspirant poète de se livrer à sa passion pour les lettres qu'elle n'entravera plus tard l'auteur dramatique dans son travail quotidien ou dans ses déplacements

CORNEILLE ET SON ŒUVRE \f

intermittents. Aussi, lorsque au milieu de cette même année une troupe de comédiens parisiens en tournée de province, (vous voyez que la tradition remonte loin), vint en représentation à Rouen, le jeune Pierre Corneille, qui s'était montré beaucoup plus assidu à sa table de travail qu'à la Table de marbre, avait déjà dans ses tiroirs une comédie en cinq actes et en vers qu'il alla bravement porter au chef de la troupe, l'acteur Mondory.

Cette comédie lui fut-elle inspirée, comme l'affirment Fontenelle et Thomas Corneille, par une aventure personnelle avec une demoiselle Milet dont Mélite serait l'anagramme, ou par une demoiselle Marie Courant devenue depuis Mme du Pont comme le prétendent d'autres biographes ? l'un et l'autre se dit ou se disent. Il est cependant bien probable que les vers suivants écrits d'une main inexpérimentée aux environs de 1027 sont à l'adresse de Mlle Milet :

Après l'œil de Mélite il n'est rien d'aJmirable ; Il n'est rien de solide après ma loyauté : Mon feu, comme son teint se rend incomparable, Et je suis en amour ce «prelle est en beauté.

Par contre, il est non moins probable que ces autres vers déjà meilleurs et publiés dix ans plus tard, s'appliquent à Mlle Marie Courant.

10 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

J'ai brûlé bien longtemps d'une amour assez grande, Que jusques au tombeau je dois bien estimer. Puisque ce fut par que j'appris à rimer. Mon bonheur commença quand mon âme fut prise : Je gagnai de la gloire en perdant ma franchise. Charmé de deux beaux yeux, mon vers charma la cour, Kt ce que j'ai de nom, je le dois à l'amour.

Le plus clair de l'éaigme, puisque énigme il y a, c'est que nous devons à une jeune et jolie Rouennaise dont nous ne saurions trop bénir la mémoire encore anonyme, l'inspiration première de Pierre Corneille.

Messieurs, ce n'est pas seulement parce que Mélite est l'œuvre de début de notre futur grand poète dramatique, que nous en avons signalé la date comme inoubliable, c'est parce qu'elle fut en réalité une brusque transformation et une absolue métamorphose de la scène française. Tout inférieure qu'elle restera aux autres pièces qui allaient la suivre, elle yCqw était pas moins déjà au-dessus de toute comparaison morale et littéraire avec toutes les productions des auteurs passés et présents.

Est-ce qu'il n'est pas déjà exquis ce bout de scène entre Mélite qui se refuse à faire un ma- riage d'argent et sa nourrice qui le lui conseille.

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 11

LA NOURRICE

Eraste n'est pas chance à laisser échapper ; Un semblable pigeon ne se peut rattraper ; Il a deux fois le bien de l'autre, et davantage.

MÉLITE

Le bien ne touche point un généreux courage.

LA NOURRICE

Tout le monde l'adore, et tâche d'en jouir.

MÉLITE

il suit un faux éclat qui ne peut m'éblouir.

LA NOURRICE

Auprès de sa splendeur toute autre est fort petite,

MÉLITE

Tu le places au rang qui n'est qu'au mérite.

LA NOURRICE

On a trop de mérite étant riche à ce point.

MÉLITE

Les biens en donnent-ils à ceux qui n'en ont point ?. . .

Le judicieux et perspicace Mondory, aussi sur- pris que ravi par la lecture d'une pièce écrite en une langue inconnue jusque-là au théâtre et mettant en action des événements vi-aisem- blables et des sentiments naturels, félicita cha- leureusement le jeune avocat à la Table de

12 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

marbre passé du coup son auteur préféré et il emporta précieusement à Paris son nouveau trésor.

L'hiver suivant, Mêlite fut jouée avec succès par les comédiens de l'hôtel du Marais qui restèrent, jusqu'au Cid, les comédiens ordinaires de S. M. Corneille.

Soit faute d'argent, soit faute du consentement paternel, ce qui revenait à peu près au même, le débutant n'eut pas l'heur d'assister â son début. Tout porte à croire que ce fut son pro- tecteur Mondory qui lui envoya sur ses recettes le viatique nécessaire à sa mise en route. Sans quoi Corneille qui dira naïvement de lui-même

Et l'on peut rarement m'écoutcr sans ennui Que quand je me produis par la bouche d'autrui,

Corneille n'eût pas eu la joie d'entendre autrui produire et faire applaudir ses premiers vers.

Par une singularité assez inexplicable ou qui ne se peut expliquer que par l'enivrement des plaisirs de Paris, cette joie littéraire qui aurait être une excitation à se remettre bien vite à la besogne eut précisément l'effet contraire.

Trois ans se passèrent avant que sa seconde comédie, Clitandre, fît son entrée sur les plan- ches du théâtre du Marais et cette pièce qui

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 13

s'était t'ait attendre si longtemps était loin de valoir la précédente.

Corneille en convient lui-même dans un de ces examens littéraires qu'il a placés à la suite de chacune de ses œuvres et qui font du père du théâtre français le véritable aïeul de notre critique théâtrale.

c( Un voyage que je fis à Paris pour voir le succès de Mélite m'apprit qu'elle n'était pas dans les règles. Pour la justifier contre cette censure par une espèce de bravade et montrer que ce genre de pièce avait les vraies beautés du théâtre, j'entrepris d'en faire une régulière mais qui ne vaudrait rien du tout : en quoi je réussis parfaitement. »

Telles sont les causes soi-disant volontaires auxquelles Corneille attribue les situations embrouillées et invraisemblables, les sentiments faux et exagérés qui fourmillent d'un bout à l'autre de Clitandre et enlèvent par cela même toute valeur scénique à des vers souvent excellents.

La pièce n'obtint naturellement que l'insuccès qu'elle méritait et que lui souhaitait l'auteur... s'il faut l'en croire. Mais faut-il l'en croire? Cette réussite à qui perd gagne dont se vantait Corneille était-elle au fond aussi voulue qu'il se l'était imaginée?

14 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

N9 s'est-il pas donné le change à lui-même et par un sage retour sur soi n'eùt-il pas faire à sa vie de Paris l'application de ce verset de Vlmitation si bien traduite un jour par lui- même :

Le monde et ses plaisirs nous troublent et nous gênent, Et lorsqu'à divaguer nos désirs nous entraînent, Ce temps qu'on aime à perdre est aussitôt passé.

Et pour prix de cette sortie

On n'a qu'une âme appesantie PJt des désirs flottants dans un cœur dispersé.

En tous cas, le recueil de vers badins qui, sous le nom de Mélanges poétiques, complète la publication de Clitandre, semble justifier mon hypothèse. Ce n'était assurément pas sur les quais de Rouen que le jeune Normand dépaysé ou déraciné, comme dirait Maurice Barrés, avait rencontré l'objet de son « Ode sur un prompt amour » ; non plus que ce n'est dans sa maison natale de la rue de la Pie que fut composée cette chanson :

Quand je vois un beau visage, Soudain je me fais de feu; Mais longtemps lui faire hommage, Ce n'est pas bien mon usage ; Mais longtemps lui faire hommage, Ce n'est pas bien mon jeu.

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 15

J'entre bien en complaisance Tant que dure une heure ou deux ; Mais en perdant sa présence Adieu toute souvenance; Mais en perdant sa présence Adieu soudain tous mes feux.

Plus inconstant que la lune, Je ne veux jamais d'arrêt : La blonde comme la brune En moins de rien m'importune; La blonde comme la brune En moins de rien me déplaît.

Dieu merci pour lui et pour nous, cette chan- son-là, Corneille ne la chantera pas souvent, il en fredonnera bien encore de temps à autre quelques couplets mais à de si grands inter- valles et pour des moments si courts que cette légère ombre au tableau ne fait que mettre en une plus vive lumière sa noble exi.stence toute de labeur, toute d'efforts et de recueillement.

La série des comédies qui vont succéder à CUtandre et les dates de leur représentation attestent combien mon éloge est mérité.

Dès 1633, un an à peine après son échec. Corneille rentrait en scène avec la jolie comédie de La Veuve.

Chaleureusement accueilli par les bravos du

16 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

public, ce troisième ouvrage fut tout aussitôt sacré chef-d'œuvre par l'unanime suffrage de ses confrères parisiens.

Le bon et fidèle Rotrou adressait à son ami une longue épître qui commence ainsi :

Pour te rendre justice autant que pour te plaire, Je veux parler, Corneille, et ne puis plus me taire. Juge de ton mérite à qui rien n'est égal, Par la confession de ton propre rival.

Un madrigal de Mairct se terminait par cette strophe :

0 Dieu! que ta Clarisse est belle, Et que de veuves à Paris Souhaiteraient d'être cumme elle Pour ne manquer pas de maris.

Entin Scudéry en personne poussa l'enthou- siasme jusqu'à l'hyperbole :

Le soleil est levé, retirez- vous étoiles!

La suite nous fera bientôt voir que" ce conseil de retraite, M. de Scudéry ne se l'appliquait pas à lui-même et que plus le soleil montera, moins volontiers le vaniteux hobereau se rangera parmi les astres qui n'avaient plus qu'à disparaître.

Sans pousser le dithyrambe ni aussi loin ni

CORNEILLE ET SON ŒUVHE 17

aussi haut que l'emphatique gouverneur de Notre-Dame de la Garde, je reconnais que la main de Corneille s'est beaucoup allégée dans cette pièce et qu'il est telle scène dont les vers mêlés à ceux do Molière s'en discerneraient mal aisément. D'autant que ce n'est pas seulement de langage mais de caractère et de nom que l'Alci- don et le Philiste de La Veuve ressemblent à s'y méprendre au futur Philinte et au futur Alceste du Misanthrope. Si vous en doutez, écoutez la réplique de Philinte-Philiste à une rebuffade d'Alceste-Alcidon.

PHILISTE

Je te vois accablé d'un chagrin si profond, Que j'excuse aisément ta réponse un peu crue. Mais que fais-tu si triste au milieu de la rue? Quelque penser fâcheux te servait d'entretien ?

A LOI DON

Je rêvais que le monde en l'âme ne vaut rien,

Du moins pour la plupart; que le siècls nous sommes

A bien dissimuler met la vertu des hommes;

Qu'à peine quatre mots se peuvent échapper,

Sans quelque double sens afin de nous tromper;

Et que souvent de bouche un dessein se propose,

Cependant que l'esprit songe à toute autre chose.

PHILISTE

Et cela t'affligeait? Laissons courir le temps. Et malgré ses abus, vivons toujours contents.

CORNEILLE ET SON ŒUVRE. 2

18 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

Le monde est un chaos, et son désordre excède Tout ce qu'on y voudrait apporter de remède. N'ayons l'œil, cher ami, que sur nos actions; Sans nous offenser tant de ses corruptions.

Ne croirait-on pas entendre causer l'hommo aux rubans verts et l'homme aux rubans roses ?

Cette fine comédie contient de très dignes encore d'être cités beaucoup de bons vers, nombre de scènes vivantes et aussi de belles stances, dans lesquelles seule avec elle-même la jeune veuve laisse parler son amour sur un rhythme spécial que lui emprunteront plus tard Rodrigue pour sa peine et Polyeucte pour sa foi.

Seulement le temps me manque pour pénétrer avec vous au fond de chaque œuvre. Force m'est de passer à tire d'aile de l'une à l'autre. C'est presque de l'aviation littéraire que je fais devant vous et le titre exact de cette conférence aurait être : « Corneille à vol d'oiseau. »

Je me bornerai donc à conseiller à ceux et à celles d'entre vous qui possèdent un Corneille complet de lire intégralement La Veuve, Ils y prendront un plaisir singulier, à condition toute- fois de ne pas perdre de vue que l'œuvre date de 1633, que c'est en 1662 que parut L'Ecole

CORNEILLE ET SON ŒUVRE J9

des femmes^ et que le Misanthrope ne vit le jour de la rampe qu'en 16G6 à peu près dans le même temps (\vl Andromaque .

Au reste, puisqu'une parenthèse est ouverte, je ne la fermerai pas sans vous conter un propos de Molière qui lui valut une chaleureuse acco- lade de son ami Boileau. « Oui, en vérité, lui disait-il, je dois beaucoup à Corneille. J'ai appris de lui comment causent les honnêtes gens et que toutes les comédies ont besoin d'un but moral. »

A dire vrai, La Galerie du Palais que Cor- neille apportait à, Mondory en 1634, en même temps que la comédie de La Suivante, n'avait guère cette fois de but moral.

« Des six comédies qui me sont échappées, écrit allègrement Corneille dans sa dédicace à Madame de Longueville, si celle-ci n'est pas la meilleure, c'est la plus heureuse. »

La vogue en fut grande en effet, mais beaucoup plus par le choix du titre et du milieu que par l'intrigue. L'auteur se contentait d'offrir aux spectateurs un intéressant tableau des mœurs de l'époque, et ses nombreux personnages s'y mou- vaient dans un décor qui allait faire courir tout Paris.

On sait que le Palais dont il s'agit était le

20 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

Palais de Justice et que la Galerie, qui existe toujours en haut do l'escalici' d'honneur, était alors occupée par toute une suite de boutiques et de magasins qui en avaient fait le rendez-vous habituel des promeneurs et des flâneurs de tout sexe et de tout état. Nous flânerons donc un ins- tant à leur exemple, si vous le voulez bien, et nous nous approcherons déjeunes amateurs délivres causant littérature devant l'étalage du libraire.

LE LIBRAIRE (s adressant à Dorimant). Monsieur, vous plaît-il voir quelques livres du temps?

DORIMANT

Montrez-m'en quelques-uns.

LE LIBRAIRE

Voici ceux de la mode.

DORIMA.NT

Otez-moi cet auteur, son nom seul incommode : C'est un impertinent ou je n'y connais rien.

LE LIBRAIRE

Ses œuvres toutefois se vendent assez bien. .

LYSANDRE

Quantité d'ignorants ne songent qu'à la rime.

LE LIBRAIRE

Monsieur, en voici deux dont on fait grande estime.

DORIMANT

Cela n'est pas tant mal pour un commencement.

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 21

Mais on ne parle plus qu'on fasse de roman ? J'ai vu que notre peuple en était idolâtre.

LE LIBRAIRE

La mode est à présent aux pièces de théâtre.

DORIMANT

De vrai chacun s'en pique ; et tel y met la main, Qui n'eut jamais l'esprit d'ajuster un quatrain.

LYSANDRE

Beaucoup font bien les vers, et peu la comédie.

DORIMANT

Ton goût, je m'en assure, est pour la Normandie ?

Pas n'est besoin, je suppose, de vous faire remarquer à qui le jeune Normand appliquait ce dernier vers.

Corneille a toujours eu et aura toujours de ces naïvetés de contentement de soi-même largement compensées, il faut le reconnaître, par la sincérité et la sévérité de ses examens littéraires qui sont de véritables examens de conscience.

Nous ne quitterons pas La Galerie du Palais sans constater que c'est que le fécond novateur aintroduitpour la première fois, aux lieu et place de l'antique personnage de nourrice toujours joué par un homme, la jeune et jolie soubrette Florice, souche incontestable de toute la joyeuse et souriante lignée des Dorino, des Marinette et

22 CORNEILLE ET SO.V ŒUVRE

des Toiiion de Molière, sans compter les Lisette et les Suzanne de Marivaux et de Beaumarchais.

Toute différente dans sa conception était l'autre comédie représentée la même année sur le même théâtre du Marais.

Sous ce vocable : La Suivante, Corneille désigne une demoiselle de bonne naissance réduite par la misère à entrer en condition.

Rivale de sa maîtresse Daphnis, Amarante, courtisée, aimée même mais non épousée par le jeune et intéressé Clarimond, maudit non sans raison son manque de fortune et son infortune.

Daphnis me le ravit non par son beau visage, Non par son bel esprit et son doux entretien. Non que sur moi sa race ait aucun avantage, Mais par le seul éclat qui sort d'un peu de bien.

A côté de cette curieuse et douloureuse figure féminine l'auteur a tracé de main de maître la silhouette haïssable d'un riche vieillard en quête d'une jeune épouse. Géraste, c'est son nom, sup- plie sa voisine Célie de parler pour lui à l'objet de sa flamme surannée.

CÉLÎE

Eh bien ! je parlerai ; mais songez qu'à votre âge Mille accidents fâcheux suivent le mariage : On aime rarement de si sages époux,

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 23

Et leur moiadre malheur, c'est d'être un peu jaloux. Convaincus au dedans de leur propre faiblesse, Une ombre leur fait peur, une mouche les blesse ; Et cet heureux hymen qui les charmait si fort, Devient souvent pour eux un fourrier de la mort.

GÉRASTE

Excuse, ou pour le moins pardonne ma folie : Le sort en est jeté : va, ma chère Célie, Va trouver la beauté qui me tient sous sa loi ; Flatte-la de ma part, promets-lui tout de moi ; Dis-lui que si l'amour d'un vieillard l'importune, Elle fait une planche à sa bonne fortune ; Que l'excès de mes biens, à force de présents. Répare la vigueur qui manque à mes vieux ans.

CÉLIE

Soit donc ! puisque votre âme est tellement éprise Que vous allez mourir si vous n'avez Florise, Il y faudra tâcher.

Et Célie y tâche en effet si bien, que le triste mariage finit par être célébré, ce qui attire au vieil époux cette virulente épithalame inspirée à l'infortunée Amarante par ce nouvel exemple des vilenies humaines.

Vieillard, qui de ton or achètes une femme Dont peut-être aussitôt tu seras mécontent. Puisse le ciel, aux soins qui te vont ronger l'âme. Dénier le repos du tombeau qui t'attend !

24 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

Puisse le noir chagrin de ton humeur jalouse Me contraindre moi-même à déplorer ton sort, Te faire un long trépas, et cette jeune épouse User toute sa vie à souhaiter ta mort !

C'est dans l'épître dédicatoire de cette comédie d'un genre presque réaliste que Corneille en appelle des jugements de plus en plus hostiles de ses envieux à l'indulgence reconnaissante du public.

« Il nous doit, dit-il, un peu de faveur, et il commet une espèce d'ingratitude, s'il ne se montre plus ingénieux à nous défendre qu'à nous condamner. »

L'année 1635 fut comme l'année 1634 une année de production jumelle. Mondory reçut et joua tour à tour une comédie et une tragédie de son ami Corneille. La comédie est intitulée : la Place Royale ou l'Amoureux extravagant. Corneille la juge ainsi : « Je ne puis dire tant de bien de celle-ci que des précédentes. Les vers en sont plus forts, mais il y a duplicité d'action. »

Cette préoccupation des règles d'Aristote, qu'il viole du reste constamment, revient et reviendra souvent sous la plume du trop modeste créa- teur. Ce sera même beaucoup plutôt pour

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 25

justifier ses pièces que pour enseigner ses théories qu'il écrira ses très inutiles et très incolores Discours sur l'Art Dramatique.

Comme il le constate lui-même en critique tou- jours sincère, les vers de la Place Royale mar- quent un progrès dans sa versification. Mais malgré le titre qui promettait et fournissait, lui aussi, un décor d'attraction, le succès de cette cinquième comédie fut bien moindre que celui de la Galerie du Palais. L'œuvre n'en donna pas moins lieu à une assez vive contestation analogue à celles que nous avons plus d'une fois vues éclater de nos jours dans les colonnes des Courriers des Spectacles.

Un sieur Claveret prétendit que Corneille lui avait volé son titre. Il le lui reprocha en une longue lettre acrimonieuse, et le somma d'avoir à substituer à cette Place Royale qui était, paraît-il, sa propriété, la Place Dauphine qui ferait tout aussi bien et qui ne demanderait pour toute la pièce que de menus changements de rimes.

Corneille ne tint aucun compte ni du reproche ni du conseil, ce qui lui vaudra un agresseur de plus quand viendra la grande mêlée du Cid.

Quant aux extravagances de l'amoureux Ali-

26 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

dor, le héros de la pièce, elles aboutissent à dé- sespérer celle qu'il aime et Angélique se résout à aller s'enfermer dans un couvent.

En vain sa sœur aînée Phylis essaye de l'en dissuader.

PHVLIS

Si tu m'aimes, ma sœur, fais-en autant que moi, Et laisse à tes parents à disposer de toi. Je crois qu^un beau dessein dans le cloître te porte : Mais un dépit d'amour n'en est pas bien la porte.

Angélique n'en persiste pas moins dans son projet de retraite religieuse dont le délaissé Alidor se console ainsi :

ALI DOR

Ravi qu'aucun n'en ait ce que j'ai pu prétendre, Puisqu'elle dit au monde un étern-el adieu. Comme je la donnais sans regret à Cléandre, Je verrai sans regret qu'elle se donne à Dieu.

Au rebours d'Angélique se donnant à Dieu, c'est aux divinités infernales que se donnera l'héroïne de la tragédie qui fut jouée quelques mois après l'ultime comédie des œuvres de jeunesse de Piei re Corneille.

Il est vrai que « Médée » princesse de Colchide, fille d'Hécate et sœur de Circé, n'est rien moins qu'une magicienne experte en l'art des poisons et des enchantements.

CORNRIIXE ET SON ŒUVRE 27

Corneille nous la montre surtout sous les traits d'une amante furieuse et ottensée. La trahison et l'ingratitude de son volage époux Jason, pour qui elle a quitté sa patrie et son père et qui la délaisse pour la fille du roi de Corinthe, lui arrachent ces supplications et ces impréca- tions qui sont déjà du ti'ès beau Corneille.

MÉDÉE

Jason me répudie 1 Oh ! qui l'aurait pu croire ? S'il a manqué d'amour, manquc-t-il de mémoire V Me peut-il bien quitter après tant de bienfaits? M'ose-t-il bien quitter après tant de forfaits?... Souverains protecteurs des lois de l'hyménée, Dieux garants de la foi que Jason m'a donnée, Vous qu'il prit à témoin d'une immortelle ardeur Quand par un faux serment il vainquit ma pudeur. Voyez de quel mépris vous traite son parjure, Et m'aidez à venger cette commune injure : S'il me peut aujourd'hui chasser impunément, Vous êtes sans pouvoir ou sans ressentiment. Et vous, troupe savante en noires barbaries. Filles de l'Achéron, pestes, larves, furies, Fières sœurs, si jamais notre commerce étroit Sur vous et vos serpents me donna quelque droit. Sortez de vos cachots avec les mêmes flammes Et les mômes tourments dont vous gênez les âme? ; Laissez- les quelque temps reposer dans leurs fers : Et pour agir pour moi faites trêve aux enfers !

28 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

C'est encore de la bouche de Médée que Cor- neille fait jaillir un cri d'audace qui ne le cède guère en énergie et en concision aux plus héroïques ripostes du Cid, des Horace ou de Don Sanche.

Voyez en quel état le sort vous a réduite,

lui dit sa confidente qui essaie de lui montrer le danger de ses projets de vengeance,

Votre pays vous hait, votre époux est sans foi ; Dans un si grand revers que vous reste-t-il if

MÉDÉE

Moi 1 Moi, dis-je, et c'est assez.

Cette tragédie de Mcdée, qui est la première tragédie de Pierre Corneille, est également la première de ses pièces qui ait trouvé grâce devant Voltaire.

Dans la fameuse édition de Kohi en 1704, publiée par lui au profit de la petite nièce de l'illustre poète dramatique, l'inexorable com- mentateur rejette dédaigneusement à la fin du dixième volume, derrière et après les œuvres de Thomas Corneille, toutes les comédies premières de son grand aîné.

Il donne pour raison de sa sévérité que « Cor- neille n'est point un grand homme pour avoir

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fait de mauvaise>^ comédies, bien moins mauvai- ses que celles de sou temps, mais pour avoir fait des tragédies infiniment supérieures ».

Eh ! non ! sans doute, Messieurs, ce n'est pas par Mélite, ce n'est pas par Clitandre, ni par La Veuve, ni par La Galerie du Palais, que Corneille est monté au rang suprême qu'il occupe dans notre littérature nationale. Mais notre littérature nationale n'a atteint les som- mets où l'ont élevée Molière, Racine et Corneille lui-même que grâce aux échelons successifs primitivement franchis par le maître incontes- table et osons le dire par le père du théâtre français. Cela méritait mieux, je crois, que cette méprisante relégation et le médiocre auteur de Nanine,

Non, il n'est rien que Nanine n'honore », )

de V Enfant prodirjue, du Dépositaire, de VI n- discret, du Comte de Boursoufle et de tant d'autres pochades encore plus oubliées, n'était peut-être pas très qualifié pour refuser aux pro- ductions initiales du glorieux précurseur la place et le rang qu'elles sont en droit d'occuper.

CHAPITRE II

CORNEILLE ET RICHELIEU

Avant de suivre Pierre Corneille dans la seconde période de sa carrière il va triom- phalement s'emparer de la scène française, il nous faudra revenir un instant sur nos pas.

Saluons toutefois au passage V Illusion Comi- que, œuvre singulière et folle qui n'en sera pas moins un indirect acheminement vers le Cid et dont la verve exubérante et fantaisiste trouva un jour, dans le remarquable comédien que fut Edmond Got, un extraordinaire interprète.

Et maintenant, si vous le voulez bien, laissant momentanément éloges et critiques, nous redescendrons pour quelques minutes sur le terrain plus modeste de la biographie.

On est assez mal renseigné, ainsi que je vous l'ai dit, sur la façon de vivre de ce bénédictin de l'art dramatique.

Confiné dans sa province et presque toujours enfermé dans son cabinet de travail, il y cachait sa vie, selon le précepte du sage. Sans les recherches et les investigations des deux érudits dont j'ai parlé, peu s'en fallait que ses admira-

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teurs ne fussent réduits à dire do lui, en dehors de son œuvre et au genre de travail près, ce que les anciens disaient de Lucrèce : « Elle resta chez elle et fila de la laine. »

Un jour vint pourtant le studieux solitaire sortit de chez lui. Mais ce ne fut pas pour long- temps.

Je veux parler, vous le devinez, de son rajude séjour au Palais Cardinal.

Les premières relations de Corneille et de Richelieu datent du mois de juin 1633. A l'oc- casion d'un voyage en Normandie du roi Louis XIII l'accompagnait, je veux dire l'emmenait son tout-puissant ministre, M. de Harlay, archevêque de Rouen, demanda à son fidèle et déjà célèbre diocésain de vouloir bien célébrer par quelques stances l'arrivée de ces augustes visiteurs. Mais le célèbre diocésain ne s'exécuta pas de très bonne grâce. Il adressa ses vers non aux augustes visiteurs, mais au prélat et qui plus est, il les lui adressa en latin.

En véritable écrivain qui avait fait toutes ses humanités comme on disait alors et comme nous finirons peut-être par le redire un jour, notre auteur savait par cœur de nombreux morceaux de Virgile, d'Ovide et de Lucain et il possédait à fond leur prosodie.

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Sous ce titre : Eœcusatio, il composa donc un élégant poème latin dans lequel il commençait en effet par décliner la tâche qui lui était pro- posée.

Parce mihi preeor^ tenuern solUeiiare chelym. N'en demandez pas tant à ma trop faible lyre.

Il donnait comme raison à cette dérobade qu'il ne vaut rien en dehors du théâtre et que encore ses succès sont dus à ses acteurs et sur- tout à son acteur Mondory qu'il chante et célèbre sous le nom de Roscius. Pour ce qui est des hymnes et des odes, des poésies de circonstance et des cantates d'occasion, il s'en déclare tout à fait incapable. Seulement, de dactyles en spon- dées et d'hexamètres en pentamètres, le versifi- cateur entraîné n'en termine pas moins son Excusatio par un panégyrique exalté. Le minis- tre y est dépeint plus sage que Nestor et le roi plus courageux qu'Achille.

Nestora Riehelias, rex cincere posset Aehillem !

en foi de quoi il signe : « Petrus Cornélius, Rothoniagensis, » Pierre Corneille de Rouen. Richelieu fit comme de juste féliciter « Pieri-e Corneille de Rouen » par son archevêque, lequel archevêque conseilla à son tour à son jeune ami de remercier directement Son Eminence.

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Très touché et très flatté par une approbation dont Mgr de Harlay fit plus que de ne pas atté- nuer les termes, Corneille se décida à. ne plus en- velopper ses louanges dans une langue morte. Il expédia sur l'heure les remerciements voulus en un sonnet dont les quatorze vers contenaient sans exagération cette fois, et forcément aussi sans longueur, une patriotique appréciation des services dus à ce grand serviteur de la France.

Sans remuer les cendres de V Iliade, le jeune latiniste redevenu français comparait plus sim- plement, trop simplement même à mon avis, le cardinal ministre de Louis XIII au cardinal ministre de Louis XII : Charles d'Amboise.

Il porta comme vous la pourpre vénérable De qui le saint éclat rend les yeux éblouis; Il veilla comme vous d'un soin infatigable Et fut ainsi que vous le cœur d'un roi Louis.

Plût à Dieu, Messieurs, que le grand homme d'Etat et le grand homme de lettres eussent borné leurs échanges de lointaines sympathies.

Le malheur voulut que Richelieu, qui aima et protégea dignement les lettres, eût le goût, que dis-je, la passion de conseiller et de diriger les littérateurs, les littérateurs dramatiques de préférence. Il avait attiré et gardait chez lui un quatuor de poètes non sans valeur Rotrou

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en était ayant pour fonction de mettre en vers les comédies ou les tragédies dont le grand stratège en guerre et en politique ne se conten- tait pas de tracer le plan, mais dont il surveillait jalousement l'exécution et jusqu'à la versifica- tion.

Un de ses scribes attitrés, de l'Estoile, raconte même que l'impérieux collaborateur leur dic- tait parfois des vers de son crû, vers plus ou moins boiteux, mais qu'il fallait bien se garder de signaler et encore plus de remettre sur pieds.

Ainsi furent composées, écrites, mises en scène et représentées sous sa direction et dans la salle de théâtre attenant à son palais, les Visionnaires, Scipion, Roxane et la tragi-comé- die de Mirame, signées de divers noms, mais que le ministre aurait très bien pu contresigner.

Au moment même lui parvenait le sonnet dont nous venons de parler, le redoutable impré- sario avait justement sur le chantier certaine comédie des Tuileries qu'il avait hâte de voir terminer.

L'auteur de Mélite lui parut tout désigné pour activer la besogne et il l'appela sur l'heure à la rescousse.

Ignorant de la vie des cours, peu fait aux sou- plesses et aux complaisances, plus qu'indépen- dant, fier. Corneille quitta sa vieille et paisible

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maison de la rue de la Pie sans se douter de l'esclavage intellectuel qui l'attendait dans le somptueux palais lesBoisrobert, lesColletet, les de l'Estoile vivaient heureux comme des coqs en pâte.

Richelieu, de son côté, ne connaissait guère l'aiglon qu'il allait essayer de mettre en cage. La désillusion fut aussi prompte que réciproque. Corneille, à qui avait été confiée l'exécution du troisième acte des Tuileries, ne se gêna pas pour en remanier le plan à sa guise, maintint ses retouches en dépit des objurgations du maître, défendit ses vers, se défendit contre les bouts-rimés du cardinal, tant et si bien que sa tâche une fois terminée, il demandait à partir et on ne lui demandait pas de rester.

C'en était fait de la bienveillance de Richelieu pour Corneille ; c'en était fait aussi, chose plus pénible selon mon cœur, de l'admiration de Corneille pour Richelieu. De plus grands effets n'ont pas eu souvent de plus grandes causes.

Les portes du Palais-Cardinal à peine refer- mées derrière lui. Corneille laisse éclater toute son aversion pour la servitude et toute sa méses- time pour ses compagnons de chaînes dans cet amer sonnet qui contraste singulièrement mais logiquement, hélas ! avec les vers latins et fran- çais de l'année précédente.

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Une troupe servile, inconstante, folâtre, Au service d'autrui passe ses plus beaux jours, Et croit avoir grand'part à la splendeur des cours, Ton voit que le luxe a doré jusqu'au plâtre.

Mais la vertu n'est que vertu de théâtre : Le vice y tient l'empire et porte le velours ; Les fourbes y sont fins ; les sages y sont lourds ; Enfin pour s'avancer il faut être idolâtre.

Pour moi, je m'en retire, instruit à mes dépens Que l'asservissement est un malheur extrême Qu'accompagnent toujours mille soucis flottants. Aux autres j'ai vécu ; je veux vivre à moi-même !

Et le poète désillusionné, désenchanté, mais désenchaîné, se remet à l'œuvre et «vit à lui- même ».

Tout n'est pas à regretter, Messieurs, dans ce court passage de Corneille par la maison de Richelieu. Même à son insu, l'auteur drama- tique avait respiré dans l'air ambiant de ce secrétariat d'État se concentrait alors toute la politique européenne, des idées et des directions nouvelles qui devaient encore élargir son esprit et élever ses vues.

Tout n'est pas à regretter non plus dans la prompte rupture qui s'ensuivit puisqu'elle ne laissa pas au noble écrivain le temps de s'accli- mater à une vie luxueuse, de s'assouplir aux

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besognes serviles et de perdre de jour en jour, usés par les concessions, les génuflexions et les mensonges, les dons de fierté, d'indépendance et de droiture qui sont l'essence même de son génie.

Si Corneille n'eût pas fréquenté Richelieu nous n'eussions pas eu Cinna ; s'il ne s'en fût pas séparé, nous n'avions pas le Cid.

CHAPITRE III

LE CID

La première représentation de ce chef-d'œuvre eut lieu en l'année 1636, au mois de novembre, selon ceux-ci, au mois de décembre selon ceux- là. Mondory qui jouait le rôle principal et qui s'intéressait au sort de la pièce en sa double qualité d'acteur et de directeur, écrit joyeuse- ment à Gûez de Balzac : « La foule a été si grande à nos portes, et notre lieu s'est trouvé si petit, que les recoins du théâtre qui servaient les autres fois comme de niches aux pages, ont été des places do faveur pour les cordons bleus, et la scène y a été parée de croix de chevaliers de l'ordre. »

Ce fut en effet toute une révélation et même toute une révolution pour l'art dramatique que l'apparition de cette tragédie qui était sans pré- cédent comme elle est restée sans pareil.

Jamais le langage français n'avait revêtu des formes plus puissantes, jamais plus ardent amour n'avait embrasé deux êtres plus généreux et plus malheureux, jamais assemblée de spec- tateurs et de spectatrices n'avait été soulevée par un souffle plus vivant et plus vivifiant de

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passion pure, de courage sublime et de sacrifice héroïque.

Je n'ai pas assez dit en appelant le Cid un chef-d'œuvre, c'est le chef-d'ceuvre !

Personne, non pas même le divin Racine, encore bien moins le verbeux Voltaire, ne retrou- vera plus de tels accents, de telles situations, de telles beautés.

Je ne parle même pas de la lamentable kyrielle des Crébillon, des Campistron, des de Jouy, des Arnaud, des Ducis, des Xépomucéne Lemercier qui ont tué à petit feu la littérature tragique en s'évertuant à la faire revivre malgré Minerve.

Cent ans et encore cent ans passeront avant qu'un aussi resplendissant génie s'allume au ciel de la France, et ce n'est qu'après le plus obscur des interrègnes qu'un second surhumain naîtra parmi les hommes, et que Corneille le Grand aura pour héritier Hugo le Magnifique.

Ce qui complète encore la ressemblance entre les deux poètes, c'est qu'//er/m/?? aura sa bataille tout comme le Cid, sans avoir toutefois un redoutable ministre comme chef d'attaque. M. Népomucène Lemercier déjà cité s'écriera bien du fond de sa sottise :

Avec impunité des Hugo font des vers !

une demi-douzaine de Viennet en furie d'im-

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puissance lui feront bien chorus, mais le hardi lutteur de 1831 n'eut pas comme son victorieux ancêtre de 1G36 l'invraisemblable lionneur de l'emporter sur le plus grand personnage de l'Etat.

Car il faut bien le dire, hélas ! l'odieuse cam- pagne contre le Cid fut entreprise sous l'inspi- ration de Richelieu. Par rancune personnelle disent les uns, d'autres disent par envie. Pour moi, le seul mobile que je puisse attribuer aux indignes menées de ce grand conducteur de peuples, c'est le besoin, aussi, d'écraser un rebelle.

Quoi ! Corneille n'avait pas craint de lui tenir tête ! Corneille avait eu l'ingratitude de se sous- traire à son influence, à sa protection, à ses bienfaits! Il avait poussé l'audace jusqu'à s'en aller écrire un chef-d'œuvre loin de lui, en dehors de lui, sans lui ! Allons, Scudéry, Cla- veret, Mairet ! Allons, Chapelain ! Allons, l'Aca- démie Française ! à vos plumes ! fourbissez vos arguments ! Aiguisez vos pointes ! Et videz s'il le faut, vos écritoires et vos cervelles, mais jetez-moi bas cette renommée qui s'est permis de venir au monde sans m'avoir pris pour par- rain !

Toute la bande des écrivains subalternes ne se le fit pas dire deux fois.

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Pamphlet de Scudéry ! pamphlet du Claveret de la Place Royale, du Mairet de Chryséide, du Colletet de Cyminde, du Chapelain de la Pu- celle ! pamphlet de l'Académie elle-même ! Toutes les impuissances, toutes les jalousies, toutes les vanités s'élancèrent en un tournoie- ment d'oiseaux de nuit vers l'aigle planant déjà dans les hauteurs de l'empyrée.

Le sage Boileau, ce commissaire de police des lettres, a consigné la tentavive d'égorgement et sa non-réussite dans ces quatre vers précis comme un procès-verbal de constat :

En vain contre le Cid un ministre se ligue Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue. L'Académie en corps a beau le censurer, Le public révolté s'obstine à l'admirer.

Et comment le public d'alors, le public d'hier, le public d'aujourd'hui ne s'obstinerait-il pas à admirer cette suite ininterrompue de vers sublimes, qui commencent à résonner dès le début de l'œuvre pour ne cesser leur fanfare qu'au dénouement.

Ah! Messieurs, comme je comprends, comme vous comprenez tous et toutes la blessure pro- fonde et disons le mot trivial qui dit la chose vraie, « le crève-cœur » que fut pour le grand Corneille le déchaînement des injures, des

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calomnies et des sottises qui essayèrent d'étouf- fer les acclamations de la foule sous l'insolent et odieux fracas des vociférations intéressées !

Comme on comprend son brusque départ pour Rouen il allait rester comme enseveli dans un silence qui dura quatre années, ce qui fit dire à l'indigne Chapelain : « Corneille ne fait plus rien, et Scudéry a du moins gagné cela en le querellant qu'il l'a rebuté du métier et lui a tari sa veine. »

L'auteur de La Pacelie se réjouissant du silence de l'auteur du Cid ! Quel scandale et quel blasphème ! Cette dédaigneuse façon de parler de Corneille suffirait à placer ce faiseur de vers à son rang de bassesse, si tant est qu'il n'y fût pas déjà tombé par sa piteuse façon de célébrer Jeanne d'Arc.

Cependant avant de quitter Paris, le triom- phateur persécuté avait laissé pour adieu à ses détracteurs une pièce de vers connue sous le nom d'Excuse à Ariste.

Cette hautaine plaidoirie pro domo... pro templo ! Q. été souvent qualifiée d'orgueilleuse par ceux qui la considèrent en la détachant de l'heure et des circonstances elle fut conçue. Écoutez-la en vous rappelant qu'elle est écrite non pas seulement au lendemain de la victoire du Cid, mais au milieu et au travers de la nuée

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de libelles sous lesquels l'envie essayait d'obs- curcir ce soleil levant.

Je sais ce que je vaux, et crois ce qu'on m'en dit.

Mon travail sans appui monte sur le théâtre :

Chacun en liberté l'y blâme ou l'idolâtre ;

Là, sans que mes amis prêchent leurs sentiments,

J'arrache quelquefois les applaudissements ;

Là, content du succès que le mérite donne,

Par d'illustres avis je n'éblouis personne :

Je satisfais ensemble et peuple et courtisans,

Et mes vers en tous lieux sont mes seuls partisans.

Par leur seule beauté ma plume est estimée :

Je ne dois qu'à moi seul toute ma renommée,

Et pense toutefois n'avoir point de rival.

A qui je fasse tort en le traitant d'égal...

Ces deux derniers vers faillirent rallumer toute la querelle. L'auteur des malveillantes Observations sur le Ciel, M. de Scudéry repro- cha à. Corneille « de se déifier de son autorité privée et de sembler croire qu'il faisait beau- coup d'honneur aux plus grands esprits de son siècle de leur présenter la main gauche ».

A ce médiocre écrivain qui se plaçait ainsi d'emblée parmi les plus grands esprits de son siècle, à ce gentillâtre qui se vantait, quelques lignes plus loin, d'être d'une famille l'on avait coutume de porter la plume au chapeau plus volontiers qu'à la main, Corneille déjà

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rentré à Rouen eut la faiblesse de riposter par une lettre que ne méritait guère l'orgueilleux capitan.

Relevant tout d'abord le passage Scudéry se targuait de son antique noblesse et raillait le récent ennoblissement de la famille de Cor- neille — son père venait en effet d'être créé écuyer, l'avocat général du roi répond au gou- verneur de Notre-Dame de la Garde que la ques- tion n'est pas de savoir ce qu'ils sont l'un et l'autre, ni de combien les Scudéry sont plus nobles que les Corneille, mais de combien le Ciel est meilleur que V Amant libéral.

Rappelant ensuite que son œuvre à lui a été représentée trois fois au Louvre et deux fois à l'hôtel de Richelieu, il conclut que c la pauvre Chimène ne pouvait être traitée ni d'impudique, ni de parricide, ni de monstre alors que la reine, les princesses et les vertueuses dames de la cour et de Paris l'avaient reçue et cajolée en fille d'honneur ».

Enfin en ce qui concerne l'éternelle accusa- tion de plagiat qu'avait lancée Mairet et que reprenait Scudéry, affirmant tous deux que leur trop heureux rival n'avait fait que transporter de l'espagnol en français Las Mocedades del Cid de Guillen de Castro, le glorieux prévenu continue ainsi son plaidoyer : « Vous espérez

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me faire passer pour un simple traducteur sous ombre de soixante et douze vers que vous mar- quez dans un ouvrage do deux mille et que ceux qui s'y connaissent n'appelleront jamais de simples traductions... »

Il termine enfin sa défense par ces trois atta- ques : « Vous avez tort de vous plaindre d'une Excuse à Ariste je ne vous ai pas fait tort en vous traitant d'égal, puisqu'en vous montrant mon envieux vous vous confessez mon inférieur. Traitez-moi dorénavant en inconnu comme je vous laisse pour tel... et résistez aux tentations de ces gaillardises qui font rire le public à vos dépens. »

CHAPITRE IV

HORACE, CINNA, POLYEUCTE

Ceci dit ou plutôt ceci écrit, Corneille se fit sourd au bruit du monde, tira sur lui les lourds verrous de sa vieille maison et se renferma trois ans durant dans ce mutisme qui réjouis- sait tant M. Chapelain. Seulement le mutisme n'était qu'apparent ; loin d'être tarie, sa veine avait coulé à flots pressés dans l'ombre il avait vécu et, quand il en sortit, il avait conçu et enfanté trois œuvres éclatantes qui font de l'année 1640 une de ces dates mémorables que nous avons signalées au début : C'était Horace ! c'était Ciiina ! c'était Polyeucte !

Je ne ferai pas l'injure à l'auditoire de lettrés qui me prête une si bienveillante attention d'expliquer ce que sont et ce que valent ces trois pièces; non plus que ce que rappellent et signifient leurs trois titres. Il n'est pas de Fran- çais ayant appris à lire, pas d'écoliers de nos écoles, de nos écoles d'autrefois surtout, qui ne sache de quel esprit patriotique, de quel esprit politique, de quel esprit religieux sont enflammées et rayonnent ces incomparables tragédies.

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Avec quelle passion profonde et sans borne le vieil Horace aime sa Patrie ! avec quelle joie superbe il lui sacrifie son propre sang et quelle splendide oraison funèbre pour des soldats morts au champ d'honneur que ces deux vers :

Que des plus nobles fleurs leur tombe soit couverte. La gloire de leur mort m'a payé de leur perte !

Et l'empereur Auguste ? avec quelle hauteur de vue et en quel ferme langage il parle de l'Etat et combien sage, généreuse et politique est sa clémence envers Cinna !

Quant à Polyeucte, si justement intitulé tra- gédie chrétienne, qu'est-ce autre chose que le plus sublime et le plus entraînant des actes de foi? Après l'avoir entendu, quel est le croyant qui ne sente se ranimer sa ferveur? Quel est l'incrédule qui ne regrette pas de ne pas croire ?

Ce sont assurément ces trois œuvres hors de pair qui faisaient dire à Napoléon : « La tragédie échauffe l'âme, élève les cœurs, peut et doit créer des héros. La France doit peut-être à Corneille une partie de ses plus belles actions. « Et il ajoutait : « S'il eût vécu de mon temps, je l'aurais fait prince. »

Cette admirable trilogie est en effet de la plus haute portée morale. Aussi est-ce dans Po- lyeucte, dans Cinna, dans Horace, que nous

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avons choisi les principales scènes que trois artistes cornéliens, eux aussi, Mounet-Sully, Silvain et Paul Mounet vont tout à l'heure faii-o revivre devant vou.^.

Ils en mettront en relief toutes les splendeurs, ils en animeront toutes les idées, ils en magni- fieront encore la magnificence. Car tous trois sont de ces acteurs qui mettent réellement leurs rôîes en action, étant tous trois, chacun selon son tempérament et avec des dons très différents, des évocateurs d'âmes, des créateurs d'êtres, de véritables collaborateurs du génie !

Lorsque, dans les derniers jours de l'année 1639, Corneille revint à Paris avec son triple bagage de gloire, l'excellent comédien Mondory, l'ami fidèle, l'artiste clairvoyant et lettré qui avait rapporté Mêlite de Rouen et qui y était allé chercher le Cid, était devenu impotent et avait renoncer au théâtre. Les comédiens de l'hôtel de Bourgogne, héritiers de sa troupe, héritèrent aussi de son auteur.

Ce furent eux qui, selon la belle expression exclusivement adoptée pour les œuvres drama- tiques, ce furent eux qui « donnèrent » au public les nouveaux chefs-d'œuvre que Corneille venait de « donner » à la France. Le succès en fut immense et incontesté.

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On raconte que prévenu par un ami qu'une conjuration d'envieux se formait encore contre les Horace, Corneille avait tranquillement répondu : « Horace condamné par les duumvirs fut acquitté par le peuple. »

Mais l'enthousiasme du peuple ne laissa pas aux coalisés de l'envie le temps de se concerter. Aucune clameur discordante ne se mêla cette fois aux unanimes acclamations.

Au cours de cette triomphale année de 1640, deux événements de nature très différente et d'ordre tout intime traversèrent la vie du poète. Il eut la douleur de perdre son père, il eut la joie de rencontrer une compagne digne de lui. Fontenelle affirme à propos de ce mariage qu'il fut surtout à l'intervention du Cardinal. Plein d'un orgueil à la Scudéry, M. Mathieu de Lampérière, lieutenant général des Andelys, avait, paraît-il, commencé par refuser sa noble fille au jeune anobli.

Mis au courant de la situation par l'amoureux éconduit, le Cardinal, raconte Fontenelle, manda à Paris ce père si difficile. M. de Lampérière y arriva tout tremblant d'un ordre si imprévu et s'en retourna, bien content d'en être quitte pour donner sa fille à un protégé du maître de la France.

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Cette anecdote n'a pour garant que la mémoire plus ou moins fidèle du neveu de Corneille. Ce qui est historique, c'est que Corneille tomba malade d'une dangereuse pneumonie au lende- main de ses noces, que le bruit de sa mort courut jusqu'à Paris et que son émule en poésie latine. Ménage, lui composa aussitôt la plus élogieuse des épitaphes :

Vita fugit, sed fama manet tua, maxime vaium .'... Ta vie s'en est allée, mais ta gloire reste, 6 le plus grand des poètes !

Pour ce qui en est ou peut en être de la démarche faite par Richelieu en faveur du mariage de Corneille, vraie ou non, elle n'a du moins rien d'invraisemblable.

La guerre entre l'homme d'Etat et l'homme de lettres s'était depuis longtemps apaisée, en apparence tout au moins.

Dès les premiers jours de l'année 1637, soit qu'il eût cédé à quelque amicale prière, soit qu'il trouvât la leçon suffisante, soit encore qu'il jugeât trop vilainement menée la campagne lancée par lui, le cardinal avait fait imposer silence à ses condottieri.

De son côté, Corneille, qui avait déjà dédié le Cid à la bienveillante et charmante nièce du cardinal, M"'^ de Comballet, venait d'avoir la

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sagesse d'écouter ses gracieux conseils et de consenti!- à dédier à l'oncle lui-même la tragé- die des Horace.

Mais sous quelque influence qu'il se fût pro- duit et de quelque côté qu'eussent été faits les premiers pas, le rapprochement ne fut pas, en fait, une réconciliation.

Désormais, le dispensateur de pensions gra- tifiera bien Corneille plus ou moins généreuse- ment, selon la coutume du temps, il ne lui rendra plus jamais ses bonnes grâces ; désor- mais aussi le dispensateur de gloire s'incli- nera plus ou moins devant Richelieu, il ne lui rendra plus jamais justice.

Lorsque ce grand ministre, véritable prépara- teur, véritable fondateur de l'unité nationale et de la suprématie française, mourut à la tache, le 4 décembre 1G42, Corneille sollicité par son ami Claude Sarrau, conseiller au Parlement, de faire à l'illustre mort l'hommage d'une élégie, répondit par ce quatrain resté célèbre :

Qu'on parle mal ou bien du fameux cardinal, Ma prose ni mes vers n'en diront jamais rien, Il m'a fait trop de bien pour en dire du mal, Il m'a fait trop de mal pour en dire du bien.

Et ce fut tout. Il faut avouer que ce n'était guère. Il paraît que c'était encore trop.

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La neutralité déjà peu bienveillante de la pre mière heure ne devait pas tarder à faire place à une malveillance déclarée.

Les grands hommes eux-mêmes sont des hommes et le nôtre n'échappa point lui non plus à la loi commune qui veut que la rancune ait plus de poids et plus de durée que la reconnais- sance.

Très peu de mois après la mort de son minis- tre, Louis XIII mourut à son tour. Frappé de cet événement, et faisant sans doute un rappro- chement involontaire entre l'état de sujétion auquel ce prince avait été réduit et la tyrannique subordination qui avait failli l'écraser lui-même, Corneille composa ce sonnet tout à la fois juste et injuste, cruel et compatissant.

Sous ce marbre repose un monarque sans vice, Dont la seule bonté fit tort aux bons François, Et qui pour tout péché ne fit qu'un mauvais choix, Dont il fut à la fois et victime et complice.

L'ambition, l'urgueil, l'intérêt, l'avarice, Saisis de son pouvoir, nous donnèrent des lois ; Et bien qu'il fût en soi le plus juste des rois, Son règne fut pourtant celui de l'injustice.

Craint de tout l'univers, esclave dans sa cour,

Son tyran et le nôtre à peine sort du jour,

Que jusque dans sa tombe il le force à le suivre.

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Jamais pareils malheurs furent-ils entendus ? Après trente-trois ans sur le trône perdus, Commençant à régner, il a cess<^ de vivre.

Pour n'interrompre pas renchaînement des faits, enchaînement nécessaire pour comprendre et faire comprendre la mésintelligence survenue entre deux génies qui n'auraient eu qu'à ne pas se connaître pour s'admirer, nous n'avons rien dit, littérairement parlant, des trois années 1641, 1(J42 et 1043. Elles ne furent pourtant pas per- dues pour l'auteur dramatique dont les comé- diens de l'Hôtel de Bourgogne représentèrent tour à tour la Mort de Pompée, le Menteur et la Suite du Menteur. La première de ces deux pièces est une superbe mise en dialogue et en action d'un des plus beaux chants de la Phar- sale de Lucain ; les deux autres sont une imita- tion à la Corneille de comédies espagnoles.

C'est à propos du Menteur que Giiez de Bal- zac écrivait à leur auteur : « Vous serez Aris- tophane quand il vous plaira, vous êtes déjà Sophocle. »

J'emprunte à la Suite du Menteur qui est peu connue, ces quelques vers d'une fine psychologie et d'une jolie forme :

Quand les ordres du ciel nous ont faits l'un pour l'autre, Lyse, c'est un accord bientôt fait que le nôtre :

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Sa main entre les cœurs par un secret pouvoir, Sème l'intelligence avant que de se voir ;

On s'estime, on se cherche, on s'aime en un moment : Tout ce qu'on s'entredit persuade aisément ; Et sans s'inquiéter d'aucunes peurs frivoles La foi semble courir au-devant des paroles.

Des trois nouvelles œuvres dont nous venons de parler, la plus fêtée par le public fut le Men- teur. Il en est resté nombre de vers sentences. Il en est resté trop pour que nous en citions aucun.

Mais le succès fut plus vif encore l'année sui- vante, pour une œuvre étrangement puissante dont Corneille disait : » C'est ma fille préférée, tout y est de moi. » Rodogune est, en effet, un drame habilement inventé, vigoureusement conduit, mieux conduit peut-être que bien écrit, mais les situations poignantes y abondent et elle a pour dénouement le plus merveilleux des coups de théâtre. Je parle de la scène la reine Cléopâtre s'empoisonne elle-même pour empoisonner plus sûrement ceux dont elle veut se venger.

Il me serait malheureusement difficile de rien dire d'aussi élogieux de l'infortunée Théodore

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vierge et martyre, ainsi qu'elle est qualifiée dans l'édition originale.

Tout est pur aux purs, dit VEcclésiaste, et la piété de Corneille n'avait vu aucune matière à, scandale dans la singulière aventure puisée par lui dans les livres de saint Ambroise. C'est par le même aveuglement qu'il n'avait pas davan- tage vu matière à moquerie dans la traduction juxta-linéaire d'un propos prêté par le pieux hagiographe à la jeune martyre :

Oui, je saurai garder d'une âme résolue

A l'époux sans macule une épouse impollue.

Passons ! il y aurait irrévérence à prolonger nos critiques sur la naïve erreur d'un maître vénéré.

Si complet qu'eût été l'insuccès de cette œuvre malencontreuse, et sans qu'aucun autre succès fût venu lui faire contrepoids, ce n'en est pas moins au lendemain de cette chute, c'est-à-dire dix-huit ans après Mélite, onze ans après le Cid, sept ans après Horace, Cinna et Polyeucte, que Pierre Corneille fut reçu membre de l'Aca- démie française.

Encore dut-il son élection à la retraite volon- taire d'un protégé de M. le chancelier Séguier, un certain M. Jean de Balesdens, dont l'œuvre la

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plus connue est sa « lettre à Messieurs de l'Aca- démie française pour les prier de lui préférer M. Corneille >y.

L'Académie exauça cette prière et c'est ainsi que le 22 janvier 1647, après deux candidatures malheureuses contre deux concurrents moins modestes, mais non moins inconnus, M. Cor- neille occupa ce même neuvième fauteuil dont devaitprendreàson tour possession le ojuin 1841, celui qui fut encore son seul et unique succes- seur : M. Victor Hugo.

Il faut reconnaître à la décharge de l'illustre compagnie qu'elle avait établi en principe qu'entre deux candidats, la préférence serait toujours accordée à celui qui aurait sa résidence à Paris.

Tel était le motif pour lequel le poète du Ryer avait été préféré quelques mois auparavant au poète Corneille.

Pellisson, l'historien de l'Académie, nous a conservé les considérants de cet arrêt de pros- cription : c( M. Corneille faisant son séjour à Rouen ne pourrait presque jamais se trouver aux assemblées et faire sa fonction d'acadé- micien. »

Ledit M. Corneille se résigna donc à venir séjourner à Paris, mais il n'en fit pas plus pour

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 57

cela sa fonction d'académicien, sa fonction d'écrivain lui paraissant de beaucoup plus importante.

En outre, les conversations et les causeiies n'étant pas du tout son fait, les jetons de pré- sence distribués à la fin de chaque séance ne lui paraissaient pas être une suffisante compen- sation au dérangement causé et au temps perdu. On rapporte même qu'au reproche que lui faisait un de ses collègues d'être trop casa- nier, il avait assez rudement répondu : « Casa- nier vaut mieux que jetonnier. »

Le plus heureux résultat qu'ait eu pour nous l'élection de Pierre Corneille à l'Académie fran- çaise fut sa rencontre avec le fondateur de l'Académie de peinture, Charles Lebrun. Le célèbre peintre du roi fit et offrit à son non moins célèbre ami le beau portrait qui a servi depuis de renseignement et d'unique modèle au sculpteur Caffieri pour le beau buste qui figure encore aujourd'hui au foyer de la Comé- die-Française.

Le poète remercia le peintre en lui consacrant un poème intitulé : La Poésie à la Peinture. Le remerciement était loin de valoir l'offrande. Le genre didactique ne convenait pas plus au génie de Corneille qu'il ne conviendra au génie

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de Molière le jour celui-ci consacrera à l'architecte Mansard son long et traînant poème, traînant et long comme son titre : La gloire du dôme du Val de Grâce.

Bien qu'il y ait eu longue contestation sur la date exacte de la première représentation d'Héraclius, il semble établi qu'elle fut donnée dans les premiers jours de février 1647, quelques semaines après la réception académique du recommandé de M. de Balesdens.

Corneille parle comme toujours avec sa sin- cérité imperturbable et de la réussite de son œuvre et des chances qu'elle avait de ne pas réussir. « Le poème en est si embarrassé qu'il demande une merveilleuse attention. Cependant la pièce n'a pas laissé de plaire, mais je crois qu'il a fallu la voir plus d'une fois pour en rapporter une entière intelligence. »

Le fait est que jusqu'au dénouement les spec- tateurs restent aussi perplexes que le tyran Phocas sur le double mystère de la naissance d'Héraclius et de Martian et que c'est aussi bien au public qu'à lui-même que s'adresse le clas- sique défi de la gouvernante Léontine.

Devine si tu peux et choisis si tu l'oses.

CORNEILLE ET SON ŒUVliE 59

PHOCAS

Quelle reconnaissance, ingrate, tu me rends Des bienfaits répandus sur toi, sur tes parents, De t^avoir confié ce fils que tu me caches, D'avoir mis en tes mains ce cœur que lu m'arraches^ D'avoir mis à tes pieds ma cour qui t'adorait ! Rends-moi mon fils, ingrate.

LÉONTl.N'E

Il m'en désavouerait ; Et ce fils, quel qu'il soit, que tu ne peux connaître, A le coo'ir assez bon pour ne vouloir pas l'être. C'est assez dignement répondre à tes bienfaits Que d'avoir dégagé ton fils de tes forfaits. Séduit par ton exemple et par ta complaisance, Il t'aurait ressemblé, s'il eût su sa naissance : Il serait lâche, impie, inhumain comme toi, Et tu me dois ainsi plus que je ne te doi.

Depuis la tragédie des Horace, c'est-à-dire de 1640 à 1647, toutes les pièces que nous avons citées s'étaient succédé sans interruption. Une halte de trois ans se produisit tout à coup dans cette extraordinaire fécondité.

Mais cette fois, il n'y avait en rien ni de la faute ni de la volonté de Pierre Corneille. Les troubles de la Fronde désolaient la France et divisaient le royaume. La nation attristée vivait au jour le jour dans cet état d'angoisse perpé- tuelle et d'incertitude du lendemain qui sont

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le contrecoup fatal des guerres civiles. Per- sonne, ni auteurs, ni lecteurs, ni spectateurs, ne songeaient ni aux livres, ni aux théâtres. C'était sur la scène politique que se jouait le drame.

Corneille, retiré tantôt dans sa maison de campagne des environs de Rouen, tantôt aux environs de Nemours chez un docteur de ses amis, attendait tristement la fin de la lutte.

De quel côté allaient ses vœux? Il n'eût guère été facile de le savoir, n'était la découverte récemment faite d'un édit du roi en date du 15 février 1650, édit par lequel « Sa Majesté des- titue le sieur Baudry, procureur syndic des États de Normandie, et investit temporairement, de sa charge, comme étant personne de toute confiance et fidélité, le sieur Pierre de Corneille, et ce jusqu'à nouvelle convocation des États. »

Donc l'auteur de Cinna n'était pas frondeur. Et de fait pourquoi l'eût-il été? En quoi la révolte des Conseillers du Parlement provoquée surtout par une question d'intérêt personnel, la suppression de quatre annuités de leurs gages ; en quoi l'insurrection des grands sei- gneurs qui n'était qu'une ruée d'ambition, eût- elle intéressé le vieux romain? Ce n'était pas de la liberté qu'on discutait mais d'une diminution de traitement ou d'un changement de maître.

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 61

Le procureur syndic intérimaire n'eut d'ail- leurs aucune occasion de requérir contre qui que ce soit et il n'en chercha aucune. 11 occupa la place d'un violent partisan des princes en paisible partisan du roi. Et si Mazarin n'eut pas à se louer outre mesure de son zèle, du moins aucun de ses concitoyens n'eut à se plaindre de ses rigueurs.

La seule querelle publique, je dis publique et non politique, la seule querelle publique à laquelle notre poète prit part fut celle qui est restée célèbre dans nos fastes littéraires sous le nom de la guerre des Jobelins et des Uranins. Les uns étaient de fanatiques admirateurs du sonnet sur Job par Voiture, les autres d'intran- sigeants défenseurs du sonnet de Benserade à Uranie. Corneille consulté fit cette première réponse sur le mode ironique :

Deux sonnets partagent la ville, Deux sonnets partagent la cour, Et semblent vouloir à leur tour Rallumer la guerre civile.

Le plus sot et le plus habile En mettent leur avis au jour, Et ce qu'on a pour eux d'amour A plus d'un échauffe la bile.

G2 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

Chacun en parle hautement, Suivant son petit jugement ; Et s'il y faut mêler le nôtre,

L'un est sans doute mieux rèvi^. Mieux conduit et mieux achevé ; Mais je voudrais avoir fait l'autre.

L'ambiguïté voulue du jugement lui attira de la part des deux camps de nouvelles questions et de nouveaux questionneurs. Il leur répondra cette fois par un autre sonnet non moins iro- nique, mais empreint d'une amertume patrio- tique assez justifiée.

Demeurez en repos, Frondeurs et Mazarins, Vous ne méritez pas de partager la France : Laissez-en tout Thonneur aux partis d'importance Qui mettent sur les rangs de plus nobles mutins.

Nos Uranins ligués contre nos Jobelins Portent bien au combat une autre véhémence ; Et s'il doit s'achever de même qu'il commence. Ce sont Guelfes nouveaux et nouveaux Gibelins.

Vaine démangeaison de la guerre civile. Qui partagiez naguère et la cour et la ville. Et dont la paix éteint les cuisantes ardeurs,

Que vous avez de peine à demeurer oisive,

Puisqu'au même moment qu'on voit bas les Frondeurs,

Pour deux méchants sonnets, on demande : « Qui viveV »

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 63

Cependant en dépit et peut-être même en rai- son des troubles de la Fronde, Mazarin cherche à distraire le jeune roi. Louis XIV, qui vient d'avoir douze ans, est tout assombri parla longue période d'alarmes et d'alertes qui le font aller et venir dans une suite de départs et de retours humiliés. Le premier ministre fait appeler Cor- neille. Mais cette fois pas de tragédies, pas de drames, n'est-ce pas? Rien qui fatigue l'atten- tion même en la captivant.

Voilà qui est convenu ! Corneille se met à l'œuvre et dans les premiers jours du carnaval de l'année 1650, entre deux voyages, j'allais dire entre deux fuites, le théâtre du Petit-Bourbon donnait la première représentation cV Andro- mède, pièce à grand spectacle en vers libres mis en musique par M. d'Assoucy et représentée avec les machines et les décors del signor Jacopo Torelli, surnommé le Grand Sorcier.

En réalité, cette Andromède sera notre pre- mière féerie en vers comme la Toison d'Or notre premier opéra.

Cette nouveauté réussit au delà de toute attente. Dans la critique qu'il fait de sa pièce, Corneille s'excuse de la diversité de mesure et de croisure des vers qu'il y a mêlés. Il recon- naît que l'usage en France n^ souffre que les alexandrins. Mais il justifie sa licence par

64 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

l'exemple des auteurs dramatiques espagnols et même par celui deSénèque, espagnol d'ailleurs lui aussi.

N'oublions pas que ces rimes croisées et éloi- gnées les unes des autres dont il fait l'éloge comme plus proche du langage commun servi- ront un jour de modèle à Molière dans V Amphi- tryon, car en cela aussi Corneille fut un précur- seur.

Malgré d'heui-eux couplets jetés çà et là, la pièce rapporta plus d'argent que d'honneur. Le véritable auteur du succès fut le machiniste.

Elle est pourtant à retenir et à remarquer cette prédiction qu'Apollon adresse à Louis XIV enfant par-dessus la tête de Melpomène :

Calliope, ta sœur, déjà d'un œil avide Cherche dans l'avenir les faits de ce grand roi, Dont les hautes vertus lui donneront emploi Pour plus d'une Iliade et plus d'une Enéide.

Signalons aussi comme renseignement cu- rieux que ce fut Molière lui-même qui joua le rôle de Persée et que le personnage d'Andro- mède était tenu par M"^ Béjart.

Ce fut à peu de temps de et dans le courant de la même année que, rendu à sa vie de travail, Corneille donna sa comédie héroïque de Don

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 65

Sanche d'Aragon. Il reconnaît honnêtement que si ladite pièce est toute d'invention, l'inven- tion n'est pourtant pas toute sienne. « Ce qu'a de fastueux le premier acte est tiré, dit-il, d'une comédie espagnole intitulée « El Palacio confuso » et la double reconnaissance qui finit le cinquième acte est prise du roman de Don Pelage. »

Mais ce qui est à lui, bien à lui et à lui seul, c'est le prestige d'un dialogue étincelant, ce sont des mots de situation aussi frappants que ceux du Cid, c'est une fureur de bravoure et de chevalerie qui entraîne et qui séduit.

Tout le romantisme est contenu en germe dans deux scènes qu'il faut que je vous cite presque intégralement.

On est dans le palais de Doua Isabel reine de Castille. Un grand conseil royal y a été convoqué afin de décider du choix d'un époux pour la jeune reine. Sont réunis autour d'elle les trois prétendants à sa main : don Lope, don Manrique, don Alvar, toute la noblesse de Castille et d'Aragon et un capitaine d'aventure nommé Carlos dont personne ne connaît l'ori- gine mais dont l'admission à ce grand conseil est plus que justifiée par les services qu'il a rendus à l'Etat lors des dernières guerres.

A droite et à gauche du trône sont disposés

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 5

66 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

les bancs destinés aux grands d'Espagne. Au début de la scène tout le monde est debout.

DONA ISABEL

Avant que de choisir, je demande un serment, Comtes, qu'on agréera mon choix aveuglément.

DON LOPE

C'est une autorité qui vous demeure entière ; Votre état avec nous n'agit que par prière. Voilà mon sentiment.

DONA ISABEL

Parlez, vous, don Manrique.

DON >LANRIQ'JE

Madame, puisqu'il faut qu'à vos yeux je m'explique. Et par un tel serment dussé-je me trahir. Puisque vous le voulez, je jure d'obéir.

DONA ISABEL

C'est comme il faut m'aimer. Et don Alvar de Lune ?

DON ALVAR

Je ne vous ferai point de harangue importune. Choisissez hors des trois, tranchez absolument : Je jure d'obéir, Madame, aveuglément.

DONA ISABEL

C'est bien et maintenant que chacun prenne place.

(Dona Isabel s'assied sur le trône et après que les grands seigneurs présents se sont assis sur les bancs préparés pour eux, Carlos s'y veut aussi placer, don Manrique l'en empêche.)

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 67

DON MANRIQUE

Tout beau, tout beau, Carlos ! d'où vous vient cette audace Et quel titre en ce rang a pu vous établir?

CARLOS

J'ai vu la place vide et cru la bien remplir.

DON MANRIQUE

Un soldat bien remplir une place de comte !

CARLOS

Seigneur, ce que je suis ne me fait point de honte. Depuis plus de six ans il ne s'est fait combat Qui ne m'ait bien acquis ce grand nom de soldat :

(S'adressant à la reine)

J'en avais pour témoin le feu roi votre frère, Madame ; et par trois fois...

DON MANRIQUE

Nous vous avons vu faire, Et savons mieux que vous ce que peut votre bras.

DONA ISABEL

Vous en êtes instruits et je ne la suis pas. Laissez-le me l'apprendre...

DON MANRIQUE

Je ne me croyais pas être ici pour l'entendre

DONA ISABEL

Comte, encore une fois, laissez-le me l'apprendre. Nous aurons temps pour tout. Et vous, parlez, Carlos

68 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

CARLOS

Je dirai qui je suis, Madame, en peu de mots.

On m'appelle soldat ; je fais gloire de l'être ;

Au feu roi par trois fois je le fis bien paraître,

Quand tout percé de coups, sur un monceau de morts,

Je lui fis si longtemps bouclier de mon corps,

Qu'enfin autour de lui ses troupes ralliées,

Celles qui l'enfermaient furent sacrifiées ;

Et le même escadron qui vint le secourir

Le ramena vainqueur et moi prêt à mourir.

Je montai le premier sur les murs de Séville,

Et tins la brèche ouverte aux troupes de Castille.

Je ne vous parle point d'assez d'autres exploits,

Qui n'ont pas pour témoins eu les yeux de mes rois.

Tel me voit et m'entend, et me méprise encore,

Qui gémirait sans moi dans les prisons du Maure.

DON MANRIQUE

Nous parlez-vous, Carlos, pour don Lope et pour moi ?

CARLOS

Je parle seulement de ce qu'a vu le roi. Seigneur ; et qui voudra parle à sa conscience. Voilà dont le feu roi me promit récompense ; Mais la mort le surprit comme il la résolvait.

DONA ISABEL

Il se fut acquitté de ce qu'il vous devait ; Et moi comme héritant son sceptre et sa couronne, Je prends sur moi la dette, et je vous la fais bonne. Se3'ez-vous et quittons ces petits différends.

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 69

DON LOPE

Souffrez qu'auparavant il nomme ses parents. Car enfin la valeur, sans l'éclat de la race, N'eut jamais aucun droit d'occuper cette place.

CARLOS

Se pare qui voudra du nom de ses aïeux : Moi, je ne veux porter que moi-même en tous lieux ; Je ne veux rien devoir à ceux qui m'ont fait naître, Et suis assez connu sans les faire connaître.

DON LOPE

Vous le voyez. Madame, et la preuve en est claire : Sans doute il n'est pas noble.

do55a isabel

Eh bien ! je l''anoblis, Q uelle que soit sa race et de qui qu'il soit fils. Qu'on ne conteste plus.

DON MANRIQUE

Encore un mot de grâce.

DON A ISABEL

Don Manrique, à la fin, c'est prendre trop d'audace. Ne puis-je l'anoblir si vous n'y consentez?

DON manrique

Oui, mais ce rang n'est qu'aux hautes dignités ; Tout autre qu'un marquis ou comte le profane.

70 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

DONA isABEL Carlos.)

Eh bien ! seyez-vous donc, marquis de Santillane,

Comte de Penafiel, gouverneur de Burgos.

Don Manrique, est-ce assez pour faire seoir Carlos?

Carlos prend place alors parmi, les grands et la délibération commence.

Il s'agit, nous l'avons vu, de décider qui, de don Manrique, de don Alvaret de don Lope doit être choisi pour époux de la reine. Pour couper court à ce débat de difficile solution, la reine déclare prendre pour arbitre le nouveau mar- quis et s'en fier à lui du soin de faire un roi.

(A Carlos.)

Marquis, prenez ma bague, et la donnez pour marque Au plus digne des trois que j'en fasse un monarque. Je vous laisse y penser tout le reste du jour. Rivaux ambitieux, faites-lui votre cour !

(La reine sort suivie de tous les seigneurs hormis DonManrique, Don Lope, Don Aloar et Don Carlos.J

DON LOPE

Eh bien ! Seigneur marquis, nous direz- vous de grâce, Ce que pour vous gagner il est besoin qu'on fasse ? Vous êtes notre juge, il faut vous adoucir.

CARLOS

Vous y pourriez peut-être assez mal réussir. Quittez ces contretemps de froide raillerie.

CORNEILLE ET SON ŒUVRE .'1

DON MANRIQUE

Il n'en est pas saison quand il faut qu'on vous prie.

CARLOS

Ne raillons, ni prions, et demeurons amis, Je sais ce que la reine en mes mains a remis ; J'en userai fort bien ; vous n'avez rien à craindre, Et pas un de vous trois n'aura lieu de se plaindre. ... Et je vous veux donner Un juge, que sans honte, on ne peut soupçonner ; Ce sera votre épée et votre bras lui-même. Comtes, de cet anneau dépend le diadème : Il vaut bien un combat ; vous avez tous du cœur. Et je le garde...

DON LOPE

A qui, Carlos ?

CARLOS

A mon vainqueur.

Connaissez-vous déclaration d'amour tout à la fois plus délicate et plus hardie ? Connaissez- vous beaucoup de situations nouées avec plus d'habileté et dénouées avec plus d'éclat?

Vous vous étonnerez sans doute, les unes et les autres, qu'une œuvre qui contient de ces envolées passe et frémit l'âme du grand Cor- neille se soit heurtée, dès sa première représen- tation, à une telle hostilité, qu'elle ait être retirée de l'affiche au bout de quelques jours.

72

CORNEILLE ET SON ŒUVRE

Il lui manqua, nous dit Corneille, un illustre suffrage. Peut-être, dit-on, celui du prince de Condé ; plus vraisemblablement celui de Maza- rin. Mais ce qui lui manqua le plus, ce fut l'approbation de toute la cour. Ce fils de pêcheur devenu, par ses seuls mérites, arbitre d'un royaume, ces déclarations quasi républicaines sur l'inutilité d'une naissance illustre, cet aven- turier qui s'aventurait jusqu'à braver de grands seigneurs, ce roturier qui ne voulait rien devoir à ceux qui l'avaient fait naître et se disait assez connu sans les faire connaître, toutes ces paroles, tous ces défis, toutes ces fiertés son- naient mal aux oreilles des gentilshommes et des amis des princes exilés qui ne pouvaient pas oublier que, de l'autre côté de la mer, il y avait un vulgaire fils de brasseur nommé Cromwell qui, à l'exemple de don Carlos

Apparaissait plus grand à qui comprenait bien Qu'à l'exemple du Ciel il fit beaucoup de rien.

Corneille avait-il voulu cette allusion politi- tique? Je ne sais, mais elle s'imposait d'elle- même aux moins ombrageux courtisans.

Au reste, son ordinaire public patricien ne lui garda pas rancune de ses idées plébéiennes.

Qui sait même s'il n'y eut pas comme un remords dans l'éclatant succès que la cour fit

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 73

l'année suivante à une autre comédie héroïque intitulée Nicomède.

L'œuvre était assurément de premier ordre et de forme et de fond, mais le sujet qui consistait dans une rivalité d'ambition entre une marâtre et son beau-fils aurait pu laisser froids ceux que n'avaient pas touchés les fières rivalités d'amour de la hidalguia espagnole.

Il est vrai de dire que Condé, à supposer qu'il ait été des adversaires de don Sanche, reconnais- sait davantage sa façon de parler dans la bouche de Nicomède que dans celle de don Carlos. La haute ironie de celui-ci était assez coutumière au vainqueur de Rocroy. N'est-ce pas lui qui, entendant le fielleux abbé d'Aubignac, tout à la fois critique et auteur comme certains écrivains de nos jours, reprocher à Corneille de ne pas se conformer ainsi que lui aux règles d'Aristote, lui répliquait si joliment : « Eh bien ! Monsieur d'Aubignac, je vous félicite donc de respecter Aristote, mais je ne félicite pas Aristote de vous inspirer de si mauvaises pièces. »

Les citations qu'il me faudrait emprunter à Nicomède sont toutes trop longues et les minu- tes sont trop courtes pour que je puisse faire autre chose que de vous signaler la grande et admirable scène III de l'acte II entre Nicomède,

74 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

Prusias et Flaminius et la scène II de l'acte IV entre Arsinoé et Nicomède.

Le triomphe de cette œuvre, car ce fut un triomphe, ne rendit que plus profonde la chute lamentable de Pertliarite.

Passant d'un extrême à l'autre et cherchant peut-être à montrer la souplesse et la variété de son talent, Corneille avait mis cette fois en scène l'histoire d'une royauté bourgeoise. Il abaissa le diapason de ses vers au ton familier et l'on y trouve maint passage dans ce style :

Mais quelquefois, Madame, avec facilité, On croit des maris morts qui sont pleins de santé ; Et lorsqu'on se prépare aux seconds hyménées. On voit par leur retour des veuves étonnées.

Et un peu plus loin ce roi des Lombards, qui semble être un vulgaire aïeul du colonel Cha- bert, s'exprime ainsi :

Je suis mort, si tu veux, je suis mort, si tu l'oses, Si toute ta vertu peut demeurer d'accord, Que le droit de régner me rend digne de mort.

Vous voyez, Messieurs, que si le drame de Nicomède méritait bien le titre de comédie héroïque, on aurait pu encore mieux qualifier Pertharite de tragédie comique. La pièce n'eut en tout et pour tout qu'une seule représentation, le 8 mars 1653.

CORNEILLE ET SON ŒUVRE

Au lendemain même de cet échec, le pauvre Corneille faisait aux lecteurs de touchants adieux. « Il vaut mieux que je prenne congé de moi- même que d'attendre qu'on me le donne tout à fait ; et il est juste qu'après vingt années de tra- vail je commence à devenir trop vieux pour être encore à la mode. J'en rapporte cette satis- faction que je laisse le théâtre français en meil- leur état que je ne l'ai trouvé, et du côté de l'art et du côté des mœurs. » Et il ajoutait comme s'il prévoyait Racine qui ne débutera pourtant que douze ans plus tard : « Il en viendra de plus heureux après nous qui mettront le théâtre à sa perfection et achèveront de l'épurer. Je le souhaite de tout mon cœur. Je n'affirme pas, concluait-il, pris de scrupule, que ma résolu- tion soit si forte qu'elle ne puisse se rompre, mais il y a grande apparence que j'en demeu- rerai là. »

Nous verrons tout à l'heure par suite de quelles circonstances et à la suite de quelles sollicitations le retraité volontaire n'en est pas demeuré là.

CHAPITRE V

POESIES MELEES

Entre temps et à une date difficile à préciser- mais qui semble osciller entre la quarante- huitième et la cinquante-deuxième année de son âge, le poète tragique redevint momentanément le poète badin des mauvais jours de Clitaiidre.

Dans le premier cas c'avait été le succès de Mêlite qui l'avait dévoyé, dans le second ce fut peut-être au contraire l'insuccès de Pertharlie, sa retraite et son oisiveté. Quelle qu'en ait été la cause, l'accès fut de courte durée.

Il n'en a pas moins laissé des traces littéraires dans l'œuvre du maître, et c'est à ce titre que j'en dois parler.

Il est intéressant de remarquer d'abord que tout comme les Mélanges poétiques de 1629 les Poésies mêlées de cette seconde époque ne sont rien moins que des élégies. Il y est beaucoup plus question d'amourettes que d'amour et il apparaît nettement que le poète y mettait beau- coup plus de son esprit que de son cœur.

Témoin cette amusante pièce de vers sur une jeune et méchante coquette qu'il appelle cavalièrement : « La Peste. »

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 77

J'ai vu la peste en raccourci : Et s'il faut en parler sans feindre, Puisque la peste est faite ainsi, Peste ! que la peste est à craindre !

De cœurs qui n'en voudraient guérir Elle est partout accompagnée , Et dùt-on cent fois en mourir, Mille voudraient l'avoir gagnée.

L'ardeur dont ils sont emportés, En ce péril leur persuade Qu'avoir la peste à ses côtés, Ce n'est pas être trop malade.

La mort serait douce à ce prix, Mais c'est un malheur à se pendre, Qu'on ne meurt pas de l'avoir pris, Mais faute de la pouvoir prendre.

Aussi chacun y perd son temps ; L'un en gémit, l^autre en déteste ; Et ce que font les plus contents. C'est de pester contre la peste.

A quelque autre beauté moins rebelle ou plus provocante il adresse cette chanson qui est un point de repère chronologique.

Ici ce n'est pas lui qui demande, c'est lui qui refuse.

Vos beaux yeux sur ma franchise N'adressent pas bien leurs coups : Tète chauve et barbe grise

78 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

Ne sont pas morceaux pour vous. Quand j'aurais l'heur de vous plaire, Ce serait perdre du temps ; Iris, que pourriez-vous faire D'un galant de cinquante ans ?

Ce qui vous rend adorable, N'est propre qu'àm'alarmer. Je vous trouve trop aimable, Et crains de vous trop aimer : Mon cœur à prendre est facile, Mes vœux sont des plus constants ; Mais c'est un meuble inutile Qu'un galant de cinquante ans.

Plus loin, voici encore des stances pour une inconnue très différente des deux premières et d'une situation évidemment plus relevée.

Caliste, lorsque je vous voi, Dirai-je que je vous admire ? C'est vous dire bien peu pour moi, Et peut-être c'est trop vous dire.

Je m'expliquerais un peu mieux Pour un moindre rang que le vôtre : Vous êtes belle, j'ai des yeux. Et je suis homme comme un autre.

Que n'êtes- vous, à votre tour, Caliste, comme une autre femme ! J'aurais pour vous si grand amour. Si vous n'étiez pas si grand'dame.

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 79

Je citerai enfin pour clore et pour rehausser un peu ce chapitre des poésies légères, une pièce de vers plus connue celle-là et plus digne de l'être. Bien qu'il s'agisse uniquement de la déconvenue plus ou moins juste d'un amoureux déjà sur le retour, elle n'en est pas moins de haute allure et d'un accent tout à fait cornélien.

Marquise, si mon visage

A quelques traits un peu vieux,

Souvenez-vous qu'à mon âge, Vous ne vaudrez guère mieux.

Le temps aux plus belles choses Se plaît à faire un affront, Et saura faner vos roses, Comme il a ridé mon front.

Cependant j'ai quelques charmes Qui sont assez éclatants Pour n'avoir pas trop d'alarmes De ces ravages du temps.

Vous en avez qu'on adore, Mais ceux que vous méprisez Pourraient bien durer encore. Quand ceux-là seraient usés.

Ils pourront sauver la gloire Des yeux qui me semblent doux, Et dans mille ans faire croire Ce qu'il me plaira de vous.

80 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

Chez cette race nouvelle j'aurai quelque crédit, Vous ne passerez pour belle Qu'autant que je l'aurai dit.

Pensez-y, belle marquise : Bien qu'un grison fasse effroi, Il vaut bien qu'on le courtise, Quand il est fait comme moi.

Et le poète ne s'est pas trompé, et la race nou- velle chez qui il en a effet quelque crédit sait aujourd'hui que cette belle impertinente n'était autre que ]\Ille Daparc, née Marquise deGorla, jeune première et première danseuse de la troupe de M. de Molière.

Constatons du reste que contrairement à ce qui avait eu lieu pour les autres poésies mêlées imprimées à la suite de Clitandre, ces derniers mélanges ne furent ni recueillis ni publiés du vivant de l'auteur.

Quant à la Guirlande de Julie à laquelle il n'a attaché qu'une ou deux fleurs sans grande couleur et sans grand parfum, nous n'en parlons que pour mémoire.

CHAPITRE VI

L'IMITATION DE JÉSUS-CHRIST

J'ai, vous le voyez, Messieurs, tenu fidèlement la promesse que je vous ai faite de vous montrer Corneille sous tous ses aspects, mais avec quelle joie je reviens maintenant à sa figure de gloire, la seule ressemblante, la seule vraie, la seule qui soit la sienne.

Nous voici arrivés en effet à ce quatrième sommet dont je vous ai parlé au commencement de cette conférence.

C'est en mars 1656 que parut dans son ensemble, après quelques publications partielles, V Imitation de Jésus-Christ traduite en vers français par Pierre Corneille.

Que ce fût là, comme on l'a prétendu, une œuvre de pénitence imposée à l'auteur drama- tique par son directeur de conscience, cela est p ossible, mais j'y vois plutôt une soif de prière et un besoin de piété qui possédèrent de tout temps l'âme catholique du grand Corneille.

Car si ses plus zélés biographes n'ont encore découvert aucun papier ayant trait aux réqui- sitoires ou aux jugements prononcés par lui dans l'exercice de ses fonctions d'avocat général

CORNEILLE ET SON ŒUVRE. 6

82 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

OU dans sa charge intérimaire de procureur syndic, l'édition de M. Marty-Laveaux nous met sous les yeux : « le compte et état de la recette et dépense que Pierre Corneille, trésorier en charge de la paroisse de Saint-Sauveur, a fait des rentes, revenus et deniers appartenant à ladite église. »

Ici, Messieurs, qu'il me soit permis de faire un curieux rapprochement sur la double origine intellectuelle et morale des deux grands tragi- ques du xvn^ siècle. Le rude Corneille se trouve être l'élève de ces Pères Jésuites si impitoyable- ment raillés par Pascal pour leurs principes faciles et leur indulgence accommodante, tandis que le tendre Racine est élevé, lui, à Port-Royal par ces austères jansénistes que devait pour- suivre un jour Louis XIV en raison de leur intransigeante austérité.

Il est cependant avéré qu'en dehors de quel- ques rares entraînements que je ne vous ai pas cachés et qui sont, il faut bien l'avouer, les risques professionnels des auteurs dramatiques, celui des deux qui eut la vie la plus réglée, qui fut beaucoup plus un homme de famille qu'un homme de théâtre, qui fuyait la cour et ses distractions, qui confinait le plus ordinairement sa vie toute de travail entre sa femme et ses

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 83

enfants, ce ne fut pas précisément le Janséniste. Cette constatation qui nous a paru curieuse à noter ne tend en rien à exalter l'un ou à rabais- ser l'autre. La seule conclusion qu'on en pour- rait tirer au besoin nous a été donnée par La Bruyère : «C'est une erreur de n'attendre rien de l'éducation, c'est un excès de confiance d'en espérer tout. »

Revenons à la traduction et au traducteur de V Imitation. Toutes les raisons ou prétextes que ses divers biographes, y compris son neveu Foi^tenelle, attribuent à cette pieuse entreprise sont de bien peu de poids à côté des motifs que le sincère chrétien en donne lui-même dans sa dédicace au pape Alexandre VIL

Après avoir loué comme il convenait ce pon- tife ami des muses pour son volume de poésies latines que lui avait communiqué l'archevêque de Rouen, Corneille parle de la forte impression que firent sur son âme les pensées sur la mort que le Saint-Père y avait très abondamment semées. « Elles me plongèrent, dit-il, dans une réflexion sérieuse qu'il fallait comparaître devant Dieu et lui rendre compte du talent dont il m'avait favorisé. Je considérai que ce n'était pas assez d'avoir purgé notre théâtre des ordures que les premiers siècles y avaient comme incor-

84 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

porées et des licences que les derniers y avaient souffertes et qu'il fallait appliquer toute mon ardeur à quelque essai de mes forces qui n'eût d'autre but que le service de Dieu et l'utilité du prochain. »

Nous n'avons pas à en demander plus, ni à porter notre enquête plus loin ni plus haut. Oui ! C'est avant tout une œuvre de foi que cette tra- duction et Dieu permit que ce fût encore une œuvre de génie. Il semble de toute impos- sibilité à quiconque a lu le texte latin de pou- voir jamais rendre même en prose et encore moins en vers, la simplicité naïve et forte, l'élé- vation naturelle et sans recherche, du mystique adorateur de Jésus-Christ.

Cette impossibilité, Pierre Corneille l'a mira- culeusement réalisée. Il n'a altéré en rien ni la clarté ni la pureté du saint Livre. Si ce n'était pas abuser de votre attention, si ce n'était sur- tout pas dépasser et outrepasser l'ordinaire durée d'une conférence, je serais vivement tenté de vous en lire quelques vers, voire quel- ques versets. Permettez-le-moi, je vous prie, et vous verrez que vous me le pardonnerez. Voici deux versets du chapitre ii :

Le désir de savoir est naturel aux hommes :

Il naît dans leur berceau sans mourir qu'avec eux

CORNEILLE ET SOX ŒUVRE 85

Mais, ô Dieu, dont la main nousfait ce que nous sommes, Que peut-il sans ta crainte avoir de fructueux.

Un paysan stupide et sans expérience, Qui ne sait que t'aimer et n'a que de la foi, Vaut mieux qu'un philosophe, enflé de sa science, Qui pénètre les cieux sans réfléchir sur soi.

Les stances suivantes sont du chapitre xvi.

Aucun n'est sans défaut, aucun n'est sans faiblesse.

Aucun n'est sans besoin d'appui, Aucun n'est sage assez de sa propre sagesse, Aucun n'est assez fort pour se passer d'autrui. Il faut donc s'entr'aimer, il faut donc s'entr'instruire,

Il faut donc s'entre-secourir. Il faut s'entre-préter des yeux à se conduire. Il faut s'entre-donner une aide à se guérir.

Et c'est au chapitre premier que je puise ces sublimes conseils :

Porte toute la Bible en ta mémoire empreinte. Sache tout ce qu'ont dit les sages des vieux temps. Joins-y, si tu le peux, tous les traits éclatants De l'histoire profane et de l'histoire sainte : De tant d'enseignements l'impuissante langueur Sous leur poids inutile accablera ton cœur, Si Dieu n'y verse encor son amour et sa grâce ; Et l'unique science tu dois prendre appui, C'est que tout n'est ici que vanité qui passe. Hormis d'aimer sa gloire, et ne servir que lui.

86 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

Vanité d'entasser richesses sur richesses !

Vanité de languir dans la soif des honneurs !

Vanité de choisir pour souverains bonheurs

De la chair et des sens les damnables caresses !

Vanité d'aspirer à voir durer nos jours,

Sans nous mettre en souci d'en mieux régler le cours,

D'aimer la longue vie et négliger la bonne,

D'embrasser le présent sans soin de l'avenir,

Et de plus estimer un moment qu'il nous donne

Que l'attente des biens qui ne sauraient finir.

Citons encore ces trois vers d'une grâce si triste et d'un sentiment si profond :

Pourquoi pour subsister sur ce lourd élément Faut-il d'autres repas que les repas de l'àme ? Pourquoi les goùtons-nous ceux-là si rarement ?

Les vers de Lamartine sur « l'Homme à la Providence », les vers d'Alfred de Musset dans « l'Espoir en Dieu », les soupirs repentants de Verlaine n'auront pas plus d'élévation dans la forme, pas plus de souplesse dans le rythme, pas plus de grâce, plus de force et plus de jus- tesse dans l'accent et dans l'expression.

CHAPITRE VII

DERNIÈRES TRAGÉDIES

ET POÉSIES OFFICIELS

^Messieurs, la longue tâche que j'avais entre- prise est presque achevée, elle n'est pourtant pas tout à fait terminée, et je dois vous deman- der encore quelques instants de bienveillante attention. J'en aurai d'autant plus besoin qu'à partir de maintenant l'intérêt décroît avec le génie.

Nous allons voir en effet Corneille revenir au théâtre en 1659 avec un Œdipe demandé ou plutôt commandé par le surintendant Fouquet. Il rencontrera bien encore de beaux passages tels que son puissant plaidoyer en faveur du libre arbitre.

Il composera bien en 1G60 une seconde féerie ou plutôt son premier opéra la Toison d'Or à qui nous devons la formation de notre première troupe lyrique et la fondation de notre Académie Nationale de musique ; il redeviendra bien par instant lui-même dans Sertorius dont vous connaissez tous la fameuse réplique :

Rome n'est plus dans Rome, elle est toute je suis 1

88 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

Mais Sophonisbe, mais Othon, mais Agésilas, Attila, Tite et Bérénice, Pulchérie et Suréna ne sont plus guère autre chose que les derniers rayons d'un soleil au déclin traversant des nuages empourprés.

Car ils sont encore superbes ces quatre vers d'Othon :

On les voyait tous trois se hâter sous un maître Qui chargé par les ans a peu de temps à l'être, Et tous trois à l'envi s'empresser ardemment A qui dévorerait ce règne d'un moment.

Et quel saisissant tableau d'histoire que les reproches d'Agésilas, cet autre Louis XIII, à son ministre Lysander, cet autre Richelieu :

Mon palais près du vôtre est un heu désolé. On s'empresse à vous voir, on s'efforce à vous plaire, On croit lire en vos yeux ce qu'il faut qu'on espère, On pense avoir tout fait quand on vous a parlé. Et le généralat comme le diadème M'érige sous votre ordre en fantôme éclatant, En colosse d'Etat qui de vous seul attend L'âme qu'il n'a pas par lui-même.

Le début à' Attila est également d'une belle allure :

Allez trouver ces rois, Ottocar, qu'on leur die Qu'Attila les attend et qu'Attila s'ennuie.

CORNEILLE ET SON ŒUVRE

89

Et n'est-elle pas très belle et très juste de forme et de fond cette pensée de Suréna dont Racine s'inspirera un jour presque textuel- lement :

Un bienfait au-dessus de toute récompense,

En nous obligeant trop tient parfois lieu d'offense.

Oui, çà et des éclairs, des rayons, des lueurs ! Mais c'en est fini des œuvres le lutin dont parle Molière dictait au poète les plus beaux vers et lui inspirait les plus belles situa- tions qui se soient jamais fait applaudir sur la scène française.

Et puisque nous avons parlé de Molière par- lons aussi de l'heureuse collaboration du vieux Corneille à sa Psyché.

Elle est de lui cette exquise réponse faite par l'Amour à sa bien-aimée s'étonnant qu'il pût être jaloux de sa famille :

Je le suis, ma Psyché, de toute la nature,

Les rayons du soleil vous baisent trop souvent ;

Vos cheveux souffrent trop les caresses du vent :

Dès qu'il les flatte, j'en murmure :

L'air même que vous respirez. Avec trop de plaisir passe par votre bouche ;

Votre habit de trop près vous touche ;

Et sitôt que vous soupirez,

Je ne sais quoi qui m'effarouche Craint parmi vos soupirs des soupirs égarés.

90 CORNEILLE ET SON œUVRE

Que dites-vous, Mesdames, de cette i)oésie d'un poète de soixante-cinq ans?

Comme Racine, comme Boileau, comme Molière lui-même, autant et plus qu'eux, Cor- neille fut astreinte la pénible corvée des poèmes officiels.

Louanges au roi, épithalame pour le Dau- phin, remerciements au Cardinal de Mazarin, stances pour la paix, stances pour les victoires, stances pour les départs, pour les retours, pour les fêtes, stances même pour l'assassinat de l'ambassadeur de France à Rome et pour l'ouverture du canal du Languedoc 1 tous ces titres que vous trouverez à la table des matières des poésies dites historiques n'ont pas besoin de commentaires pour que vous deviniez qu'elles respirent et inspirent l'ennui. Il en est deux pourtant qui font exception à la règle. La première est une épître au roi sur son retour de Flandre, en 1667.

Le poète explique que tout ce qu'il peut faire quant à lui, c'est de prendre le grand roi pour modèle de ses héros.

Je forme tous leurs traits sur les moindres des tiens, J'emprunte, pour en faire une pompeuse image, Un peu de ta conduite, un peu de ton courage,

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 91

Et j'étudie en toi ce grand art de régner, Qu'à la postérité je leur fais enseigner.

Il regrette que son âge le force à borner sa tâche et ses services, mais, ajoute-t-il en un accès de fierté paternelle et d'élan patriotique digne du vieil Horace :

Mais j'ai d'autres moi-même à servir en ma place : Deux fils dans ton armée et dont l'unique emploi Est d'y porter du sang à répandre pour toi.

Vers d'autant plus beaux, d'autant plus liéroïques, qu'au moment même il les écrit, un de ces deux fils vient d'être blessé grièvement au siège de Douai et que sept ans plus tard, sous les murs de Graves le hardi capitaine était encore allé porter du sang à répandre pour la France, il le répandit jusqu'à la mort.

L'autre épître est presque exclusivement littéraire.

Publiée dans Le Mercure du G janvier 1677, elle est adressée à Louis XIV à l'occasion d'une série de spectacles donnés à Versailles et presque uniquement composée du répertoire cornélien.

Est-il vrai, grand monarque, et puis-je me vanter

Que tu prennes plaisir à me ressusciter ?

Le peuple, je l'avoue, et la cour me dégradent ;

92 CORNEILI.E ET SON ŒUVRE

Je faiblis, ou du moins ils se le persuadent ;

Pour bien écrire encor j'ai trop longtemps écrit.

Et les rides du front passent jusqu'à l'esprit ;

Mais contre cet abus que j'aurais de suffrages,

Si tu donnais les tiens à mes derniers ouvrages !

Que de tant de bontés l'impérieuse loi

Ramènerait bientôt et peuple et cour vers moi !

« Tel Sophocle à cent ans charmait encore Athènes,

Tel bouillonnait encor son vieux sang dans ses veines,

Diraient-ils à l'envi, lorsqu'Œdipe aux abois

De ses juges pour lui gagna toutes les voix. »

Je n'irai pas si loin ; et si mes quinze lustres

Font encor quelque peine aux modernes illustres.

S'il en est de fâcheux jusqu'à s'en chagriner.

Je n'aurai pas longtemps à les importuner.

Quoique je m'en promette, ils n^en ont rien à craindre :

C'est le dernier éclat d'un feu prêt à s'éteindre ;

Sur le point d'expirer, il tâche d'éblouir ;

Et ne frappe les yeux que pour s'évanouir.

Combien il est poignant ce cri de détresse et que de force encore dans ce suprême rugisse- ment poussé par le vieux lion î

Ce furent ses derniers beaux vers .

Peud'annéesaprèSjPierreCorneille s'éteignait tristement, isolé, abandonné dans sa petite maison de la rue d'Argenteuil, et M. le marquis de Dangeau qui venait d'hériter, on ne sait pourquoi, du fauteuil de Vaugelas, inscrivait

CORNEILLE ET SON ŒUVRE 93

dédaigneusement ces mots dans son aristocra- tique journal : « Aujourd'hui 5 octobre 1684 on a appris à Chambord la mort du bonhomme Corneille. II laisse une place vacante à l'Aca- démie. »

La place que le bonhomme laissait vacante à l'Académie, la place qu'il laissait vacante en France, personne ne l'a prise, personne ne devait ni ne pouvait la prendre.

Heureusement pour l'honneur du siècle de

Louis XIV un autre, un tout autre académicien

que le marquis de Dangeau allait, toutautrement

aussi, parler de la mort et de l'œuvre du Titan.

Le 5 janvier 1685, l'illustre compagnie réunie en corps écoutait avec un recueillement mêlé d'admiration un discours dont les principaux passages seront certainement la meilleure et la plus intéressante conclusion qui puisse être donnée à cette longue, trop longue étude. Nous n'en citerons que l'exorde et la péro- raison.

« L'x\cadémie a regardé la mort de M. Cor- neille comme un des plus rudes coups qui l'a pu frapper.

«Car bien que depuis un an une longue maladie nous eût privés de sa présence et que nous eussions perdu en quelque sorte l'espoir de le

94 CORNEILLE ET SON ŒUVRE

revoir jamais, toutefois il vivait, et l'Académie dont il était le doyen avait au moins la consola- tion de voir dans la liste sont les noms de ceux qui la composent le fameux nom de Corneille...

« A dire le vrai trouvera-t-on un poète qui ait possédé à la fois tant de grands talents, tant d'excellentes parties : l'art, la force, le juge- ment, l'esprit?...

« L'ignorance peut tant qu'elle voudra rabais- ser l'éloquence et la poésie et traiter les habiles écrivains de gens inutiles dans les Etats, nous ne craindrons pas de dire que du moment que les esprits sublimes passent de bien loin les bornes communes, se distinguent et s'immortalisent par des chefs-d'œuvre, quelqu'étrange inégalité que durant leur vie la fortune mette entre eux et les plus grands héros, après leur mort cette diffé- rence cesse.

« Ainsi lorsque, dans les âges suivants, on par- lera avec étonnement des victoires prodigieuses et de toutes les grandes choses qui rendront notre siècle l'admiration de tous les siècles à venir, Corneille, n'en doutons pas, Corneille tiendra sa place parmi toutes ces merveilles.

« La France se souviendra que sous le règne du plus grand de ses rois a fleuri le plus grand de ses poètes. »

CORNEILLE ET SON ŒUVRE

95

Nobles et belles paroles n'est-ce pas? Et ren- dues plus nobles et plus belles encore par la bouche qui les })ronon(;ait

Le sceptique Voltaire, dans un de ses accès d'admiration intermittente pour celui qu'il traita plus souvent en écolier qu'en maître, a écrit que « le grand Corneille faisant pleurer le grand Condé était une époque bien célèbre dans l'his- toire de l'esprit humain ». N'aurait-il pas ajouter, lui qui avait certainement lu ce que je viens de vous lire, que c'était une époque plus mémorable encore dans l'histoire des lettres que le grand Racine pleurant ainsi le grand Corneille.

TABLE DES MATIÈRES

Pages.

Dédicace 1

Avant-propos 5

Chapitre I. Mélite 8

Chapitre II. Corneille et Richelieu 30

Chapitre III. Le Cid 38

Chapitre IV. Horace, Cinna, Polyeucte 46

Chapitre V. Poésies mêlées 76

Chapitre VI. L'Imitation de Jésus-Christ 81

Chapitre VII. Dernières tragédies et poèmes 87

Impr. F. Blétit

40, rue La Fontaine.

Paris.

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