l. 1267 CONGRÈS DE FRANCE. Le Mans, Imprimerie de CH. RICHELET. CONGRÈS - SCIENTIFIQUE DE FRANCE. sy ie — SEPTIÈME SESSION , TFenuc au Mans , en Jflembre 1839. 022 + — TOME PREMIER. A PARIS, CHEZ DERACHE, LIBRAIRE, RUE DU BOULOY, 7. AU MANS, CHEZ CH. RICHELET , LIBRAIRE , RUE DE LA PAILLE, N° 10, PRÉFACE. —2> © —— L'existence des Congrès nous parait aujour- d’hui solidement assurée, et, s’il nous était resté quelques doutes à cet égard, la septième Ses- sion, tenue au Mans, les aurait fait disparaitre. De toutes parts, nous avons reçu de nombreuses preuves de sympathie ; de toutes parts , on s’est empressé de satisfaire à notre appel. Malgré les circonstances fàcheuses où s’est trouvée notre ville, pendant la tenue de la Session, la mar- che des travaux n’a pas été un instant interrom- pue. Le zèle des membres les a conduits à toutes les séances, pour ainsi dire en face de l'é- meute. Toutefois, nous ne cherchons pas à nous le dissimuler , il existe contre les Congrès une op- position assez forte, mais à laquelle il est facile de répondre, car elle s'attaque moins à l'insti- VJ titution en elle-même, qu'aux résultats obtenus jusqu’à ce jour par ces assemblées annuelles. C’est , selon nous , en mal comprendre le but que d’espérer les voir faire progresser la science pendant la tenue de leurs Sessions. Com- posées le plus souvent d'hommes tout-à-faitétran- gersles uns aux autres,ces réunions ne peuvent, au premier abord,offrir l'unité qu'on aurait droit d'attendre dans des conditions différentes. Mais l'intimité s’établit promptement entre ceux que l'étude d’une spécialité rapproche et auxquels un petit nombre de jours est accordé pour se connaitre. Alors s'échangent des observations locales d'un haut intérêt, alors naissent des re- lations dont on peut espérer plus tard les plus grands avantages ; ainsi Ce contact momentané finira sans nul doute par tourner au profit de la science. Il existe dans les provinces un nombre assez consiérable d’honmes qui,mus par un sentiment de modestie, redoutent de se faire connaitre et tiennent cachés au fond de leurs cartons Le pro- duit de leurs consciencieuses recherches. Gui- dés par le seul désir de s'instruire , ils ne crai- gnent pas de consacrer , aux investigations les plus minimes, un temps dont les réputations vij acquises ne pourraient disposer de la même manière. Dès-lors, les Congrès n’auraient-ils pas déjà rendu un immense service, si, chaque année, dans leur déplacement périodique, ils appe- laient l'attention sur quelques-uns de ces labo- rieux travailleurs. Mais là re se bornent pas les avantages qu’on peut en espérer ; chaque année aussi, ils portent, dans un coin de la France, le goût de l'étude, ils excitent l’'émulation , ils font naître parmi les hommes les plus distin- gués de la localité le désir de ne pas rester étrangers aux questions discutées dans les séances , et leur passage éphémère laisse toujours après eux de longs et d’utiles sou- venirs. Nous parlons ici des Congrès dans l’état où ils se trouvent aujourd'hui, après quelques années seulement d'existence; mais si, par la suite, mieux généralement compris, ils parve- naïent à réunir les hautes capacités de la science; si, dans leur marche encore incertaine, on les bornait aux travaux d'observation , aux investi- gations de l’histoire locale, aux statistiques particulières, et leur champ serait encore assez viij vaste; alors, nous n’en doutons pas, ils devien- draient l'institution la plus favorable pour pro- pager le goût des études sérieuses; ils offri- raient un moyen assuré de réunir les matériaux épars, nécessaires aux élucubrations historiques et scientifiques, et la critique la plus malveil- lante ne pourrait plus même leur susciter de détracteurs. Toutefois, nous le répéterons de nouveau, sans nous préoccuper de l'avenir , les Congrès ont déjà produit et produisent encore chaque année d’heureux résultats, et dussent-ils ne pas avancer dans une voie d'amélioration, il serait avantageux. de les maintenir et de les encou- rager , ne fût-ce, comme nous l'avons dit, que pour nous révéler les noms des hommes qui, dans chaque contrée, s'occupent de l’histoire de leur pays. Pour nous, notre tâche est terminée et nous publions le Compte-rendu des travaux de la septième Session. Certes les matériaux ne nous ont pas manqué, car bien que nous nous soyons décidés à diviser cet ouvrage en deux parties, d’'a- : bord pour éviter les inconvénients d'un énorme volume, et, d’un autre côté, pour donner plus ix d'extension à ce Compte-rendu, nous avons encore été obligés de passer sous silence un assez grand nombre de Mémoires, soit à cause de leur étendue, soit parce qu'ils se rattachaient d'une manière moins directe aux questions du Programme. Nous aurions pu, il est vrai, abré- ger quelques points de discussion dans les Pro- cès-verbaux,mais comme ils avaient été approu- vés par le Congrès, on eût été en droit de nous adresser de justes réclamations ; nous aurions pu aussi peut-être faire quelques coupures dans les Mémoires , mais c'eût été exciter la suscep- tibilité des auteurs sans en retirer un véritable avantage. Nous donnons donc, aujourd’hui, ce Compte-rendu , sans nous dissimuler tous les inconvénients inséparables d’une semblable publication. Au Mans, le 31 décembre 1839. Ve TOC u MON AE: - 1e Enr Are: IX ge ARRETE “ PRIS PAR LE CONGRÈS RRRRIRRRRRRRRIIIIIRIRLLLILRRR LIRE LILI À LA SÉANCE GÉNÉRALE DU 13 SEPTEMBRE 1838, ( A CLERMONT-FERRAND ). 4 ç 0 ——— ARTICLE PREMIER. La septième Session du Congrès scientifique de France s'ouvrira au Mans (Sarthe) , dans la première quinzaine de septembre 1839. ART. 2. Le Congrès sera divisé en six Sections qui porteront, comme à la Session précédente, les dénominations sui- yvantes : 1° Sciences Naturelles. 2° Agriculture, Industrie et Commerce. 3° Sciences Médicales. k° Archéologie et Histoire. 5° Littérature et Beaux-Arts. 6° Sciences physiques et Mathématiques. ART. 9. Sous aucun prétexte , il ne pourra être apporté de changements à ces divisions. ART. 4. M. Cauvin est chargé de remplir les fonctions de Secrétaire-Général de la 7° Session , en s’adjoignant 1 * M. Richelet, ancien Bibliothécaire , et M. Anjubault, Bibliothécaire actuel. ART CH: La convocation, pour le prochain Congrès, sera faite au moyen d’une circulaire écrite par M. le Secrétaire- Général de la 7° Session. Cette Circulaire sera adressée directement par M. Cauvin, aux Savants de la France et de l'étranger. MM. les Secrétaires- Généraux des Congrès précédents sont priés d'aider M. Cauvin dans cette distribution pour les contrées qui les avoisinent. ART. 6. Nul ne sera admis à se faire inscrire au nombre des Membres du Congrès s’il n’est porteur d'une lettre de convocation. ART. 7. Les Secrétaires-Généraux de la 6° Session s’occu- peront immédiatement de la publication du Compte- rendu du Congrès, de concert avec MM les Présidents et Secrétaires des Sections en résidence à Clermont , qui formeront avec eux le comité de publication ; le volume sera tiré à 500 exemplaires. ART. 8. Cette Commission est chargée de revoir les mémoires lus dans les séances ; elle choisira ceux qui lui paraîtront les plus importants et pourra n'imprimer que par extrait, ou supprimer tout à fait, si elle le juge convenable , les mémoires présentés pendant la Session , lors même que l'impression en aurait été demandée par une Section , ou que la lecture en aurait été faite en Séance générale. ART. 9. Ea même Commission présidera à la distribution du Compte-rendu, dont 100 exemplaires, au moins, et 150 x} exemplaires, au plus, seront adressés au nom du Congrès aux Académies et Sociétés savantes de la France ; la Com- mission prononcera sur toutes les difficultés qui pour- raient s'élever ultérieurement ; elle donnera au Secré- taire-Général , chargé des préparatifs de la 7° Session , ious les renseignements qu’il pourra réclamer ; en un mot, elle sera investie des mêmes attributions que le Congrès qu’elle représentera jusqu’à la publication du Compte-rendu de la 6° Session. Fait e& arrêté en Séance générale, le treize sep- tembre 1838. Signé : DE CAUMONT, H. LECOQ, Président Secrétaire-général. Pour copie conforme , LE SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL DU CONGRÈS, H. LECOQ. xij Le Se se se se Se Se Se Se Se Se Se Se Se Se de Se je Se se Se se Se Se Se Se Se Se Se se Se Se Se fee CIRCULAIRE DE MM. LES SECRÉTAIRES DE LA 7° SESSION DU CONGRÈS SUBUMMIQUE DE FRANGE, #00 Monsi£ur, C’est par les qualités du cœur, c’est par le développe- ment et la culture de l'esprit, c’est par le génie que l'homme vaut aujourd'hui quelque chose! c’est par la liberté de penser et d'agir dans la sphère illimitée de la plus noble philanthropie qu'il est dignement récompensé de ses qualités natives et des utiles perfectionnements dont il a su les fortifier et les embellir. Ce résultat si né- cessaire à l'indépendance , au bonheur des individus , à la puissance, à la gloire des nations, à qui le devons- nous ? A notre siècle ; à celte phase des temps, où la mo- rale est en voie de réparation , où la science est honorée par les hommes de vérité, de progrès et d'avenir! Désormais en majorité, ces derniers se trouvaient na- turellement portés les uns vers les autres par une sympa- thie fraternelle ; il ne manquait, à leur concours , si dé- sirable et si fructueux , que l’occasion et les moyens de se réunir ; Ces moyens, celte occasion ont pris naissance dans l’une des plus belles institutions,dans celle des Con- grès scientifiques. Honneur à l'esprit judicieux qui, le premier , comprit l'importance de ce besoin, et fit ac- cueillir l'heureuse pensée d'y répondre. Xiij Les savants, quelle que soit la diversité de leurs pays, de leurs mœurs , de leurs langages , ne sont pas seule- ment des frères, ce sont des amis étroitement unis par le plus sacré des liens, par l'amour de la vérité ! dire tout ce que l'institution des Congrès peut leur donner d’in- fluence , de considération ; leur procurer de jouissances intellectuelles, c’est exprimer tout ce que l'esprit et le cœur peuvent gagner dans les mutuels échanges d’un aussi noble concours. Déjà favorisée, en 1837, par la réunion générale de la Société Française pour la conservation des Monu- ments, aujourd'hui choisie comme siége du Congrès scientifique de France pour la Septième Session , la ville du Mans a compris tous les avantages de cette préférence honorable , toutes les obligations qui lui sont imposées ; mais elle sent en même temps le pouvoir et la ferme vo- lonté de les remplir. Situé entre la Bretagne , la Touraine et la Normandie, le Mans devient un point central au milieu de plusieurs villes d’une assez grande importance. Le Maine réunit à peu près tous les genres de culture et d'industrie. L'histoire y place le berceau de celte co- lonie qui passa les Alpes au deuxième siècle de l'Ere Ro- maine. La Géologie trouve des sujets d’études variées dans la diversité remarquable de ses terrains où l’on dé- couvre chaque jour de nouveaux corps organiques. On vient d’y rencontrer une roche de dolomie , source pré- cieuse du Sulfate de Magnésie que nous dirigeons aujour- d’hui sur divers points de Ja France. L’intérèt tout par- ticulier que présente le canton de Fresnay , sous le rap- port de l'Histoire naturelle , fut l’une des raisons princi- pales qui déterminèrent la Société géologique à choisir Alençon pour sa Session de 1857. L’Archéologue observe encore aujourd'hui , dans le Maine , des souvenirs de tous les âges , des monuments XIV Druidiques, Romains , telle que l'enceinte de la ville, en partie conservée ; à quelque distance , dans la commune d'Alonnes , des ruines importantes, considérées par les uns comme des vestiges de l'antique Subdinnum ; par d’autres, comme les restes d’une simple station romaine; des monuments du moyen âge, depuis le onzième siècle, parmi lesquels on doit citer l'Église de St. Julien, placée au nombre des plus belles cathédrales de France; des monuments de la renaissance , et notamment , dans V'É- glise de Solesmes , ces groupes admirables, dont les au- teurs sont encore le sujet de contestations qui peuvent devenir l’objet d’une question intéressante pour le Congrès. Notre ville renferme plusieurs établissements publics d’un grand intérêt : nous citerons la Bibliothèque, l’une des plus considérables du royaume; elle se compose d’en- viron cinquante mille volumes et de cinq cents manus- crisis, qui proviennent en grande partie de la savante Abbaye de Saint-Vincent, à laquelle nous devons les neuf premiers volumes de l'Histoire litteraire de la France. Le Musée , remarquable par ses collections de Géologie, de Minéralogie, et par les Poteries Romaines, trouvées dans le sol même de la cité. Outre ces dépôts publics, des collections particulières de Tableaux, de Pierres gravées, de Numismatique, de Botanique, d’En- tomologie , de Conchyliologie, d'Ornithologie seront mi- ses à la disposition des savants. Le Mans compte plusieurs Sociétés Académiques : la Société d'Agriculture Sciences et Arts ; la Société de Mé- decine ; une division de la Société Française pour la con- servalion des monuments historiques ; la Commission nommée par la Préfecture pour le même objet ; les Co- mices agricoles ; la Société Philharmonique. Parmi les hommes distingués que le Maine a produits, nous pouvons citer, avec honneur, Pierre Belon , Am- XV broise Paré, le père Mersenne, Germain Pilon, la Croix du Maine , Robert Garnier , de Tressan , etc. Nous le pensons, Monsieur , ces avantages réunis lé- gitimeront à vos yeux le choix que l’on à fait de la ville du Mans pour y tenir la septième Session du Congrès scientifique de France, et vous paraîtront sans doute un puissant motif d'unir votre collaboration à la nôtre dans l'intérêt de la science et de la bonne confraternité. Le Congrès, comme pour les années précédentes, se divise en six Sections : ORDRE DES SECTIONS. SECRÉTAIRES DES SECTIONS. 1° Sciences naturelles. . M. ne MARSEUL,, profes- seur à l'établissement de St-Joseph , membre de la Société Entomologique de France. 2° Agriculture, Industrie M. SÉVIN , membre du et Commerce. . . . .. Conseil général du dépar- tement de la Sarthe. 3° Sciences médicales. . M. LEPELLETIER , doc- teur-médecin , membre de plusieurs académies. & Histoireet Archéologie. M. CHEVEREAU, direc- teur au séminaire du Mans. 5° Littérature et Beaux- M. HOUDPBERT , fils, Juge 2 ENCORE au tribunal du Mans. 6° Sciences Physiques et M. VERDIER, officier d’A- Mathématiques. . . . . cadémie , professeur de physique et de mathéma- tiques au coliége, mem- bre de plusieurs Sociétés savantes. XV) Nous avons l'espoir, Monsieur, d'obtenir votre adhé- sion au Congrès. Cette adhésion ne fait contracter au- eune obligation ultérieure; elle engage seulement à sous- crire au Compte-rendu, publié par le Congrès, en un volume in-8°,dont le prix est de 10 fr. Nous accueillerons avecempressement les sujets de questions, jusqu'alors in- décises, qu’il vous paraîtra convenable de nous adresser, au plus tard le 30 mars prochain ; ces questions seront alors examinées par le comité chargé de les insérer au Programme, dont vous recevrez un exemplaire avant l'ouverture de la Session. s Nous vous prions, Monsieur , de vouloir bien donner communication de cette lettre aux personnes qu'elle pourrait intéresser , afin de les mettre à même de répon- dre à notre appel. Agréez, Monsieur , l'assurance de nos sentiments les plus distingués , CAUVIN, RICHELET, ANJUBAULIT. XVij RRRRRRRRIRRR LILI IRILIR PI LIRRIR TR LILILIR IRL II L LL LIRE LA LL RSR LILI CIRCULAIRE DE MM. LES SECRÉTAIRES-GÉNÉRAUX DU CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE, A MM. LES PRÉSIDENTS DES SOCIÉTÉS SAVANTES. > Ç QQ MOoxsIEUR LE PRÉSIDENT, Nous avons l'honneur de vous adresser la circulaire de convocation au Congrès scientifique de France, qui tiendra sa 7° Session au Mans, dans la 1° quinzaine de septembre. Nous vous prions, Monsieur le Président, de vouloir bien communiquer cette circulaire aux membres de votre Société, et nous avons l'espérance de les voir répondre à notre prou en nous adressant les noms de plusieurs délèqués , comme un témoignage réel de l'intérêt qu’ils prennent à l’etablissement des Congrès. Les Congrès sont un moyen heureux de propager la science et d'établir des rapports directs entre les hommes instruits de nos provinces; aussi ce moyen a-t-il obtenu déjà les plus favorables résultats. Mais pour subvenir à des réunions de ce genre, il est nécessaire de s’assurer un certain nombre de souscriptions au volume destiné a rendre compte des travaux de la Session ;dans une œuvre de progrès, nous ne saurions en douter, le concours des Compagnies savantes ne nous manquera pas ; nous sommes certains d'avance de les voir toutes figurer sur la liste des membres qui voudront bien concourir à nos travaux ou les encourager. Xviij Nous sérions aussi très-satisfaits, Monsieur le Prési- dent, si votre Société voulait bien nous adresser des questions propres à être soumises au discussions du Con- grès el nous vous prierions alors de nous les faire parve- nir au plus tard le 30 mars; le programme où elles se- ront insérées devant être arrêté le 1° avril prochain. Agréez, Monsieur le Président, l'assurance de nos sentiments les plus distingués, CAUVIN, RICHELET, ANJUBAULT. Membres de la Société Royale d'Agriculture, Sciences et Arts du Mans, et de plusieurs autres Académies. RRRRRRRRIRIRIRIIIL ITR LI LILLLILIRILARI LR ILILIILIIRRLLLLLOLILILLILLLILAS, LB, CIRCULAIRE DE MM. LES SECRÉTAIRES-GÉNÉRAUX DU CONGRÉS SCIENTIFIQUE DE FRANCE, AUX HABITANTS DES DÉPARTEMENTS DE LA SARTHE ET DE LA MAYENNE. Monsieur , Déjà six Congrès, composés d’un grand nombre de savants, ont eu lieu dans diverses villes de France; par- tout ces réunions furent accueillies avec le plus vif empressement. La ville du Mans vient d’être choisie pour la tenue de la 7° Session ; ce choix ne peut manquer d’honorer les habitants de notre province ; tous les amis du progrès et des lumières voudront sans doute concourir à cette solennité scientifique , tous voudront voir figurer leurs XIX noms sur la liste des membres, imprimée dans le compte rendu des travaux de la Session, tous seront fiers de prouver que leur pays sait comprendre les institutions utiles et les encourager. Si vous voulez bien, Monsieur, donner votre adhé- sion, il suffira de détacher le bulletin ci-joint (1),de rem- plir les blancs et de le renvoyer par la poste à l'adresse indiquée. Nous serions également satisfaits, Monsieur, si vous jugiez convenable de nous adresser une ou plusieurs Questions d'intérêt général, qui pussent être soumises à l'examen des diverses sections , rappelées dans la cir- culaire ci-incluse. Ces questions, pour être insérées au Programme, devront nous parvenir avant la fin de mars. Enfin, Monsieur , si vous trouviez dans vos relations des personnes auxquelles cette lettre n’eût pas été adres- sée , nous comptons sur vous pour leur en donner com- munication el les mettre en mesure de répondre à l'appel que nous adressons indistinctement à tous les hommes amis de leur pays et désireux de voir se propager la science. Agréez, Monsieur , l'assurance de nos sentiments les plus distingués , CAUVIN , RICHELET, ANJUBAULT. (1) A chacune des lettres , se trouvait joint un bulletin d'adhésion que l’on était prié de retourner au Secrétaire-Général. XX PROGRAMME ‘ARRÈTÉ PAR LE COMITÉ D'ORGANISATION DE LA 7° SESSION, QUI S'OUVRIRA AU MANS , LE 12 SEPTEMBRE 1839. —"2 (25 53 0e— DISPOSITIONS RÉGLEMENTAIRES. Ao La 7e Session du Congrès scientifique de France s'ouvrira au Mans , le jeudi 12 septembre , à midi, dans la salle de Ja Cour d’Assises. 20 La durée de la Session sera de dix jours. 50 Les travaux du Congrès seront répartis en six Sections : re, Sciences naturelles; 2e Agriculture , Industrie et Commerce ; 5e Sciences médicales ; 4 Histoire et Archéologie; 5e Littérature, Beaux-Arts, Philosophie, Philologie et Enseignement ; 6e Sciences Physiques et Mathématiques. Sous aucun prétexte il ne pourra être apporté de changement à ces divisions. 49 A l'ouverture de la première séance , on nommera le Prési- dent et les deux Vice-Présidents du Congrès , qui, avec les Secré- taires-Généraux , composeront le bureau central. Chaque Sécrétaire inscrira dans sa Section {ous ceux qui désire- ront en faire partie. On pourra se faire inscrire dans plusieurs Sections à la fois. 50 Le Trésorier-Archiviste est chargé de la comptabilité de la 7e Session et du dépôt des ouvrages dont il sera fait hommage à l’Assemblée. 60 Chaque Section, le lendemain de l'ouverture du Congrès, nommera son Président, son Vice-Président, et, si elle le juge convenable, un Secrétaire-Adijoint. XX} 7o Les Sections s’assembleront tous les matins ; elles fixeront à la première réunion la durée de leurs séances. L'ordre d'ouverture des séances sera indiqué sur une earte particulière, qui sera re- mise à chaque membre du Congrès. 8o Chaque jour, à trois heures précises après midi, il y aura assemblée de toutes les Sections. Le Secrétaire-Général lira le procès-verbal de la séance de la veille ; les Secrétaires des Sec- tions donneront lecture des procès-verbaux des séances particu— lières tenues dans la matinée. L'Assemblée sera consultée sur les conclusions adoptées par les Sections. On pourra ensuite entendre des lectures d'ouvrages manuscrits et recevoir des communications verbales. 90 Nul ne pourra prendre la parole , à une séance, sans l’au- torisation du Président. 100 Aucune délibération ne sera prise, soit dans les Sections, soit dans les réunions générales, si le quart des membres inscrits n’est pas présent. 41o Toute discussion sur des matières politiques ou religieuses est interdite. 4920 Aucun travail ne sera entendu, en séance générale, sans avoir été approuvé par la Section dont il dépend. 450 Les Membres ont le droit de présenter des questions autres que celles du Programme ; mais elles devront être formulées par écrit et déposées sur le bureau , en séance générale. Elles seront examinées le soir même par une Commission permanente, qui jugera si elles peuvent être admises. Le résultat de la déli- bération sera communiqué le lendemain aux Sections compé- tentes. 440 La Commission permanente est composée des Membres du bureau central, du Trésorier-Archiviste, du Président et du Se- crétaire de chaque Section. 150 Des excursions scientifiques pourront avoir lieu pendant et après la tenue du Congrès. 460 Nul ne sera admis à faire partie du Congrès, s’il ne verse, entre les mains du Trésorier, une somme de dix francs, qui lui donne droit au volume renfermant les travaux de la Session. 470 Ce volume sera publié par les soins des Secrétaires-Généraux et du Secrétaire de chaque Section. Xxi] 180 Les personnes qui ne pourraient pas se rendre au Congrès sont invitées à présenter des mémoires sur les diverses questions contenues au Programme, ou sur tout autre sujet relatif aux tra- vaux de l’une des Sections. 490 Sont spécialement invités à faire partie du Congrès, les membres des Sociétés savantes , ceux du corps universitaire, les fonctionnaires supérieurs dans les ordres ecclésiastique, civil et militaire, et toutes les personnes qui ont adhéré aux Sessions pré- cédentes. Cette invitation s'adresse aux étrangers placés dans les mêmes conditions (1). 200 Avant de se séparer, le Congrès fixera la date et le lieu de la huitième Session, et nommera le Secrétaire-Général. 910 Toute difficulté, non prévue par les présentes dispositions , sera soumise à la Commission permanente. 220 Chaque Membre du Congrès signera le présent Réglement, en retirant sa carte d'entrée chez le Trésorier. Le Secrétaire-Général : CAUVIN, les Secrétaires-Généraux- Adjoints : RICHELET , ANJUBAULT. Les Secrétaires des Sections : pe MARSEUL , SÉVIN, LEPEL- LETIER , CHEVEREAU , HOUDBERT , VERDIER. ‘ QUESTIONS PROPOSÉES POUR CHAQUE SECTION. PREMIÈRE SECTION. SCIENCES NATURELLES. 40 Quel serait le meilleur mode d’exécution d’un Ouvrage com- prenant l’histoire et l’iconographie des animaux, des végétaux et des minéraux de la France ? Ouvrage dont le gouvernement pourrait favoriser la publication au moyen des fonds destinés aux travaux scientifiques. (1) Le Comité désire que ce programme soit communiqué aux personnes qui ne lauraient pas reçu, el qui auraient l'intention d’adhérer au Congrès. Xxiij 19 ZOOLOGIE. 20 Quels sont les faits d’après lesquels on pourrait comparer les animaux vertébrés aux animaux invertébrés, sous le rapport des facultés qui déterminent leurs actes ? 30 Constater, chez tous les animaux articulés , les sens du tact, de l’ouie, du goût et de l’odorat et faire connaître quels sont les appareils de ces mêmes sens. 4° A quelle cause peut-on rapporter les migrations accidentelles de certains oiseaux ? Ces migrations peuvent-elles devenir pério- diques ? 5o Les différences de conformations observées dans le bec de certains individus du Loxia Curvirostra, L., suffisent-elles pour accuser deux espèces ? 6o Quelles sont les causes et les résultats de l'agrégation acci- dentelle de certains insectes vivant naturellement isolés, et que l’on voit quelquefois voler par troupes innombrables, à la manière des Acridium ? 7° D'où provient la matière graisseuse qui se répand, après un certain temps, sur les insectes de nos collections, de manière à les altérer ? Quels sont les moyens de prévenir cet inconvénient ? 80 Sur quelle base et par quels moyens peut-on établir une bonne géographie des insectes ? 20 GÉOLOGIE. MINÉRALOGIE. 90 Les débris organiques , rencontrés dans l'écorce du globe, doivent-ils être considérés comme appartenant aux types et aux principes des espèces qui peuplent actuellement ce globe , ou comme les vestiges d’une création différente ? 100 De quelle valeur est la considération des végétaux vivants pour déterminer à quelle formation géologique appartient le sol qui les produit ? A1o Quelles sont les causes qui ont déterminé la consolidation des sables tertiaires à leur partie supérieure , de manière à former des grès en couches plus ou moins continues , tandis que les parties inférieures de ces dépôts conservent l’état de sables incohérents ? 420 À quel étage du terrain jurassique doit-on rapporter les marnes bleues généralement employées dans les arts ? Peut-on les assimiler aux argiles de Dives, aux marnes d'Oxford ? XXiV 159 Quels ont été les variations et les mouvements de niveau opérés dans le sol du département de la Sarthe, depuis la formation des terrains primordiaux jusqu’à celle des dépôts tertiaires les plus récents ? 1% Le terrain qui constitue le département de la Sarthe est-il resté constamment submergé pendant toute la période relative à la formation des dépôts secondaires ? 150 Peut-on déterminer l’époque relative du retrait définitf des eaux de la mer de la surface occupée par le département de la Sar- the? Ce retrait, à l’époque tertiaire , s'est-il effectué brusquement ou d’une manière lente et graduée ? 160 Les terrains anthracifères de la Sarthe et de la Mayenne diffèrent-ils d’une manière bien tranchée des terrains houillers pro- prement dits? Ces divers terrains sont-ils d’époques différentes ? 170 À quelle époque géologique appartiennent les minerais de fer de la Sarthe et de la Mayenne ? Quelle différence la formation géologique de ces minerais apporte-t-elle dans leurs produits ? 480 Quel est le niveau géologique du grès ferrifère ou roussard dans le département de la Sarthe ? Indiquer ce niveau de la manière la plus rigoureuse. 190 À quel étage appartiennent les grès tertiaires de la Sarthe ? Sont-ils inférieurs aux dépôts d’eau douce de la même localité ? Doit-on les rapporter aux grès de Fontainebleau ? 200 Les empreintes végétales que l’on trouve constamment dans les grès tertiaires de la Sarthe , sont-elles produites par des plantes développées sur place , on par celles que des courants peuvent avoir amenées de lieux plus ou moins éloignés ? 210 À quel étage des terrains tertiaires faut-il définitivement rapporter les terrains d’eau douce disséminés dans le Maine et dans PAnjou ? 220 Les sables que l’on rencontre dans les terrains crétacés des environs du Mans appartiennent-ils au grès vert proprement dit , et les couches qu'ils constituent sont-elles bien la continuité de celles où l’on trouve les eaux jaillissantes , aux environs de Tours ? 250 Est-il possible de faire des puits artésiens dans la ville du Mans ? Les essais tentés dans cette ville prouvent-ils que le terrain ne présente pas les conditions nécessaires pour fournir des sour- ces jaillissantes ? XXY 50 BOTANIQUE. 240 De quelle manière se propagent l’Uredo Caries, D. C. et les champignons du même ordre quise développent sur les céréales ? DEUXIÈME SECTION. AGRICULTURE , INDUSTRIE ET COMMERCE. 19 AGRICULTURE. 40 Le système de culture alterne, développé dans les ouvrages de messieurs Mathieu de Dombasle , Thaer, Bella, et autres agro- nomes modernes, étant donné comme le meilleur connu , quels sont les moyens d’en amener la prompte et fructueuse application ? Quelle est, à cet égard, la tâche du gouvernement, quelle est celle des particuliers ? 20 Quelle serait la meilleure organisation d’un bon enseigne- ment agricole ? 3 Quelles sont les conditions géographiques , géologiques et agronomiques de la culture du lin ? 40 Quels seraient les avantages de la culture du mûrier , dans les départements du centre de la France, et notamment dans celui de la Sarthe, sous le double rapport de l'Agriculture et de l'Industrie ? 5o À quelle cause faut-il attribuer le chancre des pommiers ? Quel remède pourrait-on apporter à cette maladie ? 20 INDUSTRIE. 6o Ne serait-il pas utile d'étendre aux domestiques de ville et de campagne l’obligation légale, imposée aux ouvriers des fabriques , de se munir de livrets ? 70 Quelle est l'importance et l'utilité des chemins de fer, sous le triple rapport de l’agriculture, de l’industrie et du commerce ? 80 Quel mode d'exécution doit-on préférer pour l'établissement des chemins de fer, et particulièrement pour les quatre lignes législativement autorisées ? 2 XXY] 9o Quelle influence présenterait, sur la circulation des capitaux et sur le taux de l'intérêt de l'argent , l'exécution successive ou simultanée de ces quatre lignes de chemins de fer ? 100 Quels avantages peut offrir l'emploi de l’armée aux grands t'avaux d'utilité publique ? 11o Les argiles tertiaires sont-elles les seules que l’on puisse employer , dans la Sarthe , à la fabrication de la poterie fine ? Celles des autres terrains propres à la confection de la tuile sont-elles susceptibles d’être utilisées pour le mème usage ? 12 Quelle serait, sur les intérêts de l’agriculture et de l’industrie dans les provinces, l'influence des mesures proposées récemment pour modifier la constitution de la dette publique ? Quelles modifi- cations serait-il possible et convenable d'introduire dans l’organisa- tion du crédit public en France ? k 50 COMMERCE. 450 Quelle serait le degré d'importance du département de la Sarthe et des départements voisins dans un bon système de canali- sation de l’ouest de la France? Quels avantages présenterait un système de ce genre, relativement à l’agriculture , à l’industrie , au commerce de ces diverses régions ? TROISIÈME SECTION. SCIENCES MÉDICALES. 10 ANATOMIE. 1o Quelle influence l’Anatomie pathologique a-t-elle exercée dans ces derniers temps sur les progrès de la Physiologie positive et de la Médecine pratique ? 20 PHYSIOLOGIE. 20 Quel degré d'utilité présente la Physiologie raisonnée sous le rapport de la Médecine pratique ? 3° Quel degré de confiance et d'utilité devons-nous accorder à la Physiognomonie, qui consiste à déterminer les caractères mo- raux par l'examen des caractères physiques de l’homme ? XXVij 4o La nature du sol exerce-t-elle une influence notable sur le développement des individus ? 5o Quels sont les caractères physiologiques des populations du Maine et de l’Anjou , et en général de la France occidentale à par- tir de la Loire ? Quelles sont les différences appréciables entre les animaux domestiques de ces régions et ceux des autres localités ? 3° MÉDECINE. 6o Est-il possible d'admettre, dans les organismes vivants, une nature médicatrice tendant, par un travail et par des crises favora- bles, au rétablissement de l’état normal plus ou moins altéré par les maladies ? 7° Existe-t-il un genre d’ophthalmie rébelle aux antiphlogisti- ques et aux dérivatifs les plus puissants ? Dans l’affirmative, indiquer la nature et le traitement de cette ophthalmie. So L'action préservatrice du virus vaccin, chez l’homme, est- elle permanente ou temporaire ? Dans la dernière hypothèse, quelle est la durée moyenne de cette action, quelle est l’époque où la révaccination doit être effectuée ? 40 CHIRURGIE. 90 À quelle opinion doit-on s’arrêter aujourd'hui relativement à la nature et au traitement du tétanos traumatique ? 100 Quels sont les avantages et les inconvénients de la taille et de la lithotritie envisagées d’une manière absolue et relative dans leurs applications ? 41o Dans quels tissus et jusqu’à quel point l’art doit-il admettre aujourd'hui la possibilité de réunir, par une véritable cicatrisa- tion , les parties entièrement séparées de l'organisme ? 12%0 Quelle est la véritable nature de l’altération produite par le diastasis des tissus ligamenteux ? Quelle est la marche la plus ordi- naire des graves accidents qu’il peut occasionner ? Quel est le meil- leur traitement à mettre en usage dans les différentes phases de cette maladie ? 50 MATIÈRE MÉDICALE. 43° L'Homéopathie , comme théorie médicale , offre-t-elle des bases établies sur l'expérience ? 440 Est-il possible d'admettre, d’après l'observation, et même sur quelques inductions positives , la réalité de ce principe fonda- XXViij mental d'Homéopathie : Que les médicaments ont une action d’au- tant plus puissante , sur lorganisme vivant, qu'ils sont adminis- trés à plus faible dose ? 450 La Pharmacie homéopathique offre-t-elle, comme le préten- dent les partisans de cette doctrine , des procédés particuliers pour extraire la partie essentiellement active des médicaments ? 160 Quelle part doit-on attribuer , dans la guérison des affec- tions typhoïdes, à l'emploi des émissions sanguines et des purgalifs ? 60 PHARMACIE. 470 Quels sont les avantages et les inconvénients relatifs à la perfection des agents thérapeutiques préparés d’après la méthode de déplacement ? 180 La loi qui prescrit l'application exclusive du syStème dé- cimal aux formules pharmaceutiques magistrales, pourra-t-elle être mise en vigueur , dans les petites localités, sans présenter de graves inconvénients ? 199 Le Codex de 1837, comparé à celui de 1818, offre-t-il des avantages où des inconvénients relatifs à la médecine pratique ? 70 HYGIÈNE. 200 Quel est aujourd’hui, dans le département de la Sarthe, l'état de l'hygiène publique et de la statistique médicale ? Quelles sont les améliorations possibles, surtout dans les établissements sanitaires ? | 910 Quels sont les meilleurs principes d’après lesquels on doit construire les établissements publics destinés au traitement des aliénés ? 290 Les progrès de Ja civilisation ont-ils exercé une heureuse influence relativement à la longévité, au nombre , à la gravité des maladies épidémiques et sporadiques ? 230 Quelle influence peut avoir la réclusion solitaire et con— tinue sur l’homme en général , et sur les prisonniers soumis au régime pénitentiaire en particulier ? 240 La chair des animaux frappés d’altération morbides , et sur- tout de maladies charbonneuses , peut-elle sans danger être prise pour aliment ? 80 MÉDECINE LÉGALE. 250 Rechercher les moyens efficaces de rendre exécutoires les dispositions de l’article du Code civil qui prescrit de constater les décès avant le permis d'inhumation. XXI 90 PHYSIQUE MÉDICALE. 260 Le magnétisme minéral, le magnétisme animal, l'électricité, le galvanisme , l’électroponcture, l’acuponcture , etc., envisagés dans leurs applications à l'organisme vivant, offrent-ils des rapports d'identité ou seulement d’analogie dans leur nature et leurs actions ? Quel usage utile peut-on faire de ces moyens dans le traitement des maladies ? 100 ART VÉTÉRINAIRE. 270 Quelles sont les influences capables de produire également des épidémies et des épizooties ? Quelles sont les causes les plus spéciales de ces dernières et les moyens d’en neutraliser l'influence? 280 Quelles sont les maladies contagieuses transmissibles des animaux à l’homme et de l’homme aux animaux ? Quelles sont les modifications relatives aux caractères, au traitement de ces mala- dies, suivant qu’elles affectent l’homme ou les animaux ? QUATRIÈME SECTION. HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE. 19 HISTOIRE. 40 A l’époque de l'invasion de la Gaule , par Jules César , quelles étaient les limites des provinces armoricames ? Ces limites ont- elles reçu plus d’étendue dans le cours des quatre premiers siè- cles de l'ère chrétienne ? 20 Quelle était l'administration intérieure des cités de France sous les rois de la première race ? Etait-elle uniforme pour toutes ces cités? Quelles traces conservait-elle de l’ancienne nationalité gauloise ? Quelle part avait le clergé dans cette administration ? 30 Quel était l’état politique du Maine et de l’Anjou, sous les rois Plantagenets , comparé à cet état dans l’Aquitaine sous les mêmes rois ? 40 Signaler les avantages et les inconvénients de ce que l’on nomme Philosophie de l'Histoire. Doiït-elle toujours accompagner l'exposition des faits ou s’en trouver séparée ? XXX 5o Quelle est l'origine des romans historiques ? Ces romans peuvent-ils nuire à l’histoire par le mélange des erreurs qu'ils propagent ? Go Suivant l'histoire, un incendie détruisit la Cathédrale de Chartres le 7 septembre 1020 , sous l’épiscopat de Fulbert qui en commença la reconstruction. Est-il également démontré qu'un second incendie, arrivé en 1194, ait de nouveau détruit cet édifice ? 7o Quelle est l’origine de l'esclavage ? Le servage peut-il en être considéré comme une modification ? 20 ARCHÉOLOGIE. 8o Rechercher les types les plus habituels des médailles gau- loises ? 90 Quelles étaient la position sociale et les attributions des Monétaires de la première race ? 100 Rechercher les origines des types des monnaies baronnales dans les provinces centrales de la France. 410 A quelle époque doit-on rapporter la fondation des ancien- nes cités dont les murs d’enceinte , bâtis suivant le système ro- main, reposent sur des blocs de pierres sculptées, vestiges de constructions antérieures ? La présence de ruines imposantes , et de caractère romain , dans le voisinage de ces cités , ne pourrait elle pas faire considérer les localités qui les renferment , comme le siége des premiers établissements fondés par les conquérants de la Gaule ? 12% Déterminer le synchronisme des différents genres d’archi- tecture dans les provinces de France ? 130 A quelle époque vit-on paraître l’ogive dans les monu- ments du Maine et de l’Anjou ? Quels sont, dans les mêmes con- trées, les monuments qui présentent les caractères de transition de la période romane à la période ogivale ? 440 Déterminer avec précision les caractères architectoniques qui distinguent, au XIe et au XIe siècles , les monuments reli- gieux du Maine et de l’Anjou ? Le style ogival était-il, au XHELe siè— cle, généralement adopté dans ces contrées ? 150 Dans plusieurs provinces, et notamment dans le Maine, l'Anjou, la Normandie, etc., les monuments religieux d’un certain nombre de communes de la même contrée sont d’une ressemblance remarquable pour le style, l’appareil et la disposition générale ; re- chercher l’origine et l'explication de ce fait. XXXJ 160 Quels sont les caractères architectoniques de la Cathédrale de Chartres ? A quels temps appartiennent-ils ? 470 Quel est le véritable type des autels correspondants aux différents genres d'architecture ? Quelle est la place de ces autels dans les églises ? 480 Quelle nuance convient-il de donner aux murs intérieurs des anciennes églises après les restaurations ? Indiquer les moyens qui donneraient le plus de fixité aux couleurs. Convient-il de laisser les voûtes en moëllons couvertes d’un enduit, et de blanchir les voûtes en pierre de taille ; n’est-il pas plus convenable de laisser la pierre à découvert? 490 Quels étaient les procédés ordinaires de manutention du fer dans les Magnæ ferrariæ des Gaulois et des Romains , d’après les débris trouvés sur plusieurs points de la France ? CINQUIÈME SECTION. LITTÉRATURE , BEAUX-ARTS , PHILOSOPHIE , PHILOLOGIE, ENSEIGNEMENT. 19 LITTÉRATURE. 10 La littérature romantique peut-elle être considérée comme le moyen de transition vers une littérature nouvelle, ou simplement comme l'expression des idées du jour ? 20 En admettant la décadence de la littérature actuelle, quelle en est la cause et quels sont les moyens d’y remédier ? 30 Quelle part, en France, les provinces ont-elles prise depuis vingt ans aux progrès des études historiques et littéraires, au per- fectionnement des arts ? 4° Quelle direction les provinces doivent-elles donner aujour- d’hui à leurs travaux scientifiques ? 5o Quel est l’état actuel des sociétés savantes des provinces de France ? Les ressources dont elles jouissent sont-elles suffisantes ? Leur avenir est-il assuré ? 60 Ne conviendrait-il pas d'établir, en France, un Institut géné- ral pour les départements, destiné à leur servir de centre commun, en favorisant entre eux des rapports scientifiques et littéraires ? XXXi] 20 BEAUX-ARTS. 70 Les œuvres sublimes et si différentes par le style de Léonard de Vinci, de Michel Ange, d'Albert Durer, de Raphaël, de Titien, du Corrège et de leurs contemporains, émanent-elles du même principe , et les savantes théories de ces artistes reposent-elles sur la même base ? 80 A quelle cause attribuer la décadence des arts en général, ct de la peinture en particulier , vers la fin du 16e siècle ? 90 Les ouvrages des artistes qui se trouvaient autrefois dirigés par un seul maître, étant regardés comme supérieurs à ceux des élèves de nos académies, où plusieurs professeurs concourent à l'enseignement, faut-il en inférer que ces nouveaux établissements ont eu sur les arts une fâcheuse influence ? 100 Si le mode d'enseignement suivi à notre école des beaux- arts est propre à former des sujets distingués, comment apprécier aujourd’hui les motifs des reproches adressés aux concours annuels? Si ce mode est vicieux, en exposer les raisons et présenter les meil- leurs moyens de le réformer, 30 PHILOSOPHIE ET MORALE. 110 Quelles ont été les tentatives effectuées, dans nos départe- ments de l’ouest, pour amener l'extinction de la mendicité ? Quels sont les résultats obtenus ? Quels sont les moyens d'accomplir cette œuvre philantropique ? 120 Quelles mesures conviendrait-il d'adopter dans les dépar- tements, dans celui de la Sarthe en particulier, pour donner aux sourds-muets une éducation proportionnée à leurs besoins ? 150 Quels ont été, dans l’ouest de la France , les résultats obte- nus par la création des Salles d'asile? Quels sont les moyens de multiplier et de perfectionner ces établissements ? 49 ENSEIGNEMENT. 140 La liberté laissée à chaque professeur, dans le choix d’une méthode d'enseignement, est-elle plus favorable aux progrès des connaissances humaines qu'une méthode uniforme, réglementée par le corps enseignant ? 150 L'étude des langues vivantes est-elle d'une assez grande utilité aux professions qui exigent le titre de bachelier ès-lettres pour en faire un article du programme d'examen , et la rendre obligatoire, depuis la cinquième jusqu'à la rhétorique inclusivement”? XxXii} 160 Quelle est celle des trois méthodes suivantes qui paraît le plus propre à populariser le goût de la musique : 1° L'enseignement par le solfége ; 2 l’enseignement par le méloplaste sur des tableaux avec des chiffres au lieu de notes; 5° l’enseignement simultané, suivant la méthode de Wilhem ? SIXIÈME SECTION. SCIENCES PHYSIQUES ET MATHÉMATIQUES. 10 Déterminer, dans les phénomènes météréologiques, quelle est l'influence du calorique dégagé par la compression et la condensa- tion es gaz et des vapeurs. 90 Recueillir des observations sur les étoiles filantes relativement au jour , aux lieux , à la quantité , à l’espace de temps, à la direc- tion, aux circonstances de mouvement, de couleur, de grosseur ap- parente , et mème à l’état de l'atmosphère. 50 Le bois devenant de plus en plus rare en France, et le mode ordinaire de chauffage , dans l’économie domestique, faisant perdre plus des cinq sixièmes de la chaleur produite par la combustion , quels seraient les moyens d'utiliser cette chaleur et de faire passer, dans l’usage commun, les inventions et les perfectionnements déjà connus ? 4o Les engrais, en favorisant la végétation , agissent-ils par des gaz formés pendant leur décomposition, ou bien en favorisant la so- lution des matières salines du sol ? 5° Le vin pur contient-il quelquefois de l'acide malique ? La pré- sence de cet acide prouve-t-elle que le vin a été frelaté par addi- tion de cidre ou de poiré ? Go L’addition du sucre au jus du raisin qui n’en contenait pas une proportion suffisante, doit-elle faire considérer le vin qui en résulte comme frelaté ? Dans l'hypothèse où tout le sucre ajouté aurait subi la fermation vineuse, est-il encore possible de reconnaitre cette addition ? 7e Peut-on reconnaître, dans le vin, la présence de l'alcool ajouté pour le rendre plus généreux ? 8o Quelles sont les parties scientifiques des nombreux ouvrages du Père Mersenne qui ont le plus contribué à sa réputation ? XXXIV EXCURSIONS. ÉTABLISSEMENTS PUBLICS. LE mans : Les Bibliothèques, les Musées. ANTIQUITÉS. Le mans : Les murs romains, les aqueducs, la cathédrale , les églises de la Couture, du Pré, de St.-Pavin. ALONNES (1 /. du Mans) : Ruines de constructions romaines. BEAUX-ARTS , SOLESMES (9 lieues du Mans) : Les magnifiques groupes de statues conservées dans l’église de l'abbaye. GÉOLOGIE. Le canton de FRESNAY , (8 lieues du Mans), visité en 1857 par la société géologique de France. Le canton de SABLÉ , (9 lieues du Mans), pour son calcaire à am- plexus et ses mines d’anthracite. Les communes de St.-AUBIN, ROUILLON, PRUILLÉ, (1 à 2 lieues du Mans) pour examiner la superposition des diverses formations tertiaires analogues à celles des environs de Paris. Les communes de ste.-crorx, d’YVRÉ (1/2 et 1 lieue du Mans) pour les formations de grès vert, riches en fossiles. BOTANIQUE. Les environs de l’ancienne abbaye de l’Epau (1/2 lieue du Mans) ; souvent cités dans les Flores. Nora. Les personnes disposées à adhérer au Congrès sont priées de faire connaître leur intention le plus promptement possible pour que leur nom puisse figurer sur la liste des membres qui sera pu- bliée avant l'ouverture de la Session. Conformément à la décision prise à Metz, en 1837, les Académies et Sociétés Savantes des départements sont invitées à communiquer aux Congrès la statistique de leurs travaux , et à s’y faire représen- ter par un ou plusieurs de leurs membres. Pour tous les renseignements qui ont rapport à la septième Ses- sion du Congrès scientifique, on peut s'adresser, franc de port, à M. CAUVIN, Secrétaire-Général, rue des Arènes. MM. les Membres du Congrès voudront bien se rendre chez M.J. BLISSON, Trésorier-Archiviste, rue de Tascher, n° 21, pour y déposer leur cotisation , si elle n’a pas été réclamée à leur domicile, signer le réglement, et retirer une ou plusieurs cartes, d’après le désir qu’ils auront exprimé d’être membres d’une ou de plusieurs sections. XXXV 229909 0 0000 99 19 09 09099 LA AA AY 0G 00 A +00 09 DQ IN LADA 09 II NE M 0ONININI AIG _ SÉANCE D'OUVERTURE DE LA 7° SESSION DU CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE, TENUE AU MANS, CHEF-LIEU DU DÉPARTEMENT DE LA SARTHE. —— © © Ce — Le jeudi, 12 septembre 1839 , à midi, un grand nombre de Membres , disposés à prendre part aux tra- vaux de la 7° Session du Congrès, se trouvent réunis dans la Salle de la Cour d’Assises. M. Harpouin-Duprarc, président du tribunal civil, est prié de présider la Séance pendant les opérations préparatoires. Monseigneur l’'Evêque du Mans, M. Buisson, tréso- rier-archiviste, MM. Eroc-Demazy , père, et de St- Reuy, appelés pour remplir les fonctions de Scrutateurs, M. Cauvix , secrétaire-général, MM. RicueLer et AN- JUBAULT, secrétaires-généraux-adjoints, sont au bureau. M. RicueLer donne lecture de Farrêté pris par le Congrès, dans sa 6° Session , relativement à la tenue et à l'organisation de la présente Session. M. Cauvix obtient ensuite la parole et prononce le discours suivant : MESSIEURS, A deux époques assez rapprochées, le Mans jouit de l'avantage de réunir dans son enceinte un grand nombre de savants, de litté- rateurs et d'amis des Arts, venus de points éloignés pour former une espèce de lien entre les provinces, faciliter les moyens de publier leurs travaux et contribuer au progrès de la Science. XXXV] En 1857, la Société Française pour la conservation des Monu- ments à tenu dans cette ville sa première Session générale ; aujour- d'huile Congrès scientifique de France, assemblé pour la septième fois, y commence ses travaux. La Session actuelle ne sera pas moins avantageuse que les précédentes. Nous savons , Messieurs, apprécier cet honneur. Les habitants de la Sarthe se plairont à consigner dans leurs annales ces réunions solennelles, à publier l’heureuse influence qu’elles auront exercée ; et le pays en conservera un éternel souvenir. Ces distinctions honorables semblent être un hommage rendu à la mémoire des hommes qui ont illustré notre province ; à ces hommes dont les travaux et les écrits ont puissamment contribué à la civilisation de la France. En effet, le Maine n’est pas resté en arrière des autres contrées. Si nous jetons un coup-d’œil sur le passé, nous le verrons à toutes les époques cultiver les diverses branches des connaissances. À peine la Religion eut-elle élevé chez nous des Monastères , que ces maisons, peuplées de pieux et savants Anachorètes, ouvri- rent des écoles, dont la célébrité attirait une jeunesse avide d’ins- truction. Les abbayes de Saint Calais et de Saint Pavin réunirent une multitude prodigieuse d'élèves , accourus souvent de fort loin. Après plusieurs années consacrées à la retraite et à l’étude , ces jeunes gens reportaient, au sein des familles, la science, l'esprit d'ordre et l'amour des vertus, doux fruits de leurs travaux ; et répandant autour d'eux la lumière, ils dissipaient les ténèbres de l'ignorance. Les maîtres, chargés de la direction des écoles placées près de la cathédrale, ne le cédaient en rien, sous le rapport des talents, aux professeurs de leur époque. Arnauld et Hildebert de Lavardin, que leur mérite éleva sur le siége épiscopal du Mans , avaient an- térieurement reçu des Ghanoïnes la mission d'instruire les clercs du diocèse et de les préparer aux fonctions du Sacerdoce. Ces établissements continuèrent de fleurir jusqu’au moment où furent créés ces grands corps académiques appelés Universités , dans lesquels l’enseignement embrassant les diverses branches de l'instruction, formait un cours d’études complet. Fondées par les Souverains , mises sous la protection des évêques et confiées à leur surveillance , ces nouvelles institutions parvinrent bientôt à un baut degré de splendeur. Plusieurs prélats les honorèrent d’une bienveillance marquée , en facilitant, par des fondations vraiment XXXVij libérales , aux sujets de leurs diocèses, les moyens d'y faire leurs études et d'obtenir des titres honorifiques constatant et leur appli- cation et leurs succès. Un grand nombre de personnages de notre province doivent aux bienfaits que nous signalons ici l’avantage d’avoir exercé avec distinction les emplois dont ils furent chargés. L'enseignement n’était pas la seule carrière ouverte à l’activité de nos concitoyens : si les professeurs n’ont pas manqué, les his- toriens, les littérateurs , les savants , les artistes même, n’ont pas fait défaut. Au milieu des cloîtres, les pieux cénobites pensèrent à écrire la vie de leurs fondateurs, à produire au grand jour les actions des saints personnages sous lesquels ils avaient eu le bonheur de vivre, à proposer au monde l’exemple de leurs vertus. Bomer, Pavin, etc., eurent leurs panégyristes ; Siviard , né dans le pays des Diablintes, entreprit l’histoire de saint Calais, descendu des montagnes de l'Auvergne aux bords de l’Anille. Ces légendes, regardées souvent d’un œil dédaigneux, renferment les premiers éléments de l’histoire du Maine. Les écrivains, qui se sont occupés de l'Histoire de France, sont réduits à puiser aux sources de cette nature, pour les premiers siècles de la monarchie. A la voix de saint Aldric , un clerc du diocèse rassemble tous les faits relatifs aux évêques, ses prédécesseurs ; il en forme un corps d'ouvrage , qui, plus tard, se continue jusqu’au treizième siècle , sous le titre de Gesta Pontificum Cenomanensium. Ce précieux monument de l'antiquité fait partie des Analecta de Mabillon. Un autre membre du clergé écrivit l’histoire de cet illustre prélat, dont la prévoyance et la sagacité nous ont conservé la mémoire des événements survenus dans le cours de plusieurs siècles. Son ou- vrage est plein de détails intéressants : nous y voyons les efforts du saint Évêque pour améliorer la position des peuples confiés à sa tendre sollicitude ; ses nombreux établissements agricoles, formés pour subvenir aux besoins de l'Eglise et des pauvres ; les monu- ments qu’il éleva à la gloire de la religion et de la patrie ; plusieurs faits mémorables, tel qu’une assemblée des Grands du royaume tenue à Bannes, près de Château-du-Loir. L'auteur accompagne son récit, de chartes infiniment précieuses sous le rapport géo- graphique. Cette pièce est insérée dans les Miscellanea de Baluze. Les cartulaires manuscrits de la cathédrale , ceux des abbayes de Saint Vincent et de la Couture, peuvent fournir d’autres maté riaux pour l’histoire ecclésiastique et civile de la province. XXXVii) Je pourrais, Messieurs, vous présenter une longue suite de noms recommandables ; mais je m'arrête; un de nos collègues se propose de lire au Congrès un mémoire sur ce sujet. Cette tendance vers les progrès dut civiliser de bonne heure la province du Maine et lui attirer de la considération. Aussi fut-elle, à des époques déjà bien éloignées, choisie pour le siége de déli- bérations importantes. Sous l’épiscopat de saint Aldric , il y eut à Coulaines, près du Mans , un Concile dans lequel se réglèrent certains points de dis- cipline. Les Canons de cette assemblée sont imprimés dans la collection générale des Conciles. Les Moines de Saint Calais s'étant soustraits à la juridiction épis- copale, le Pontife revendiqua ses droits. Les grands du Royaume se réunirent à Bannes, et, présidés par l’empereur Louis Jer, ils prononcèrent en faveur de l’évêque. Aux douzième et treizième siècles , l’archevèque de Tours con- voque à Laval deux assemblées du Clergé : dans la première , le comte Guy, sixième du nom, supprime le droit de main-morte, établi par son père. Henri IT, roi d'Angleterre et comte du Maine, se plut à donner à sa ville natale des témoignages éclatants de son affection. Deux fois il assemble au Mans les États-Généraux , composés des grands de ses provinces de France et d'Angleterre, il préside lui-même ces as- semblées, dont le but est de s'occuper sérieusement des besoins de la Terre-Sainte, de pourvoir aux frais de l’armée des chrétiens , d'assurer enfin le triomphe de la civilisation sur la barbarie. Dans Ja première, tenue en 1166, le monarque ordonne une contribution destinée à secourir l'Église d'Orient, et joignant l'exemple au pré- cepte,il se soumet lui-même à cette taxeextraordinaire.Celle de 4188 arrête que tous ceux qui ne se croiseront pas, seront tenus de payer la dixième partie de leurs meubles et de leurs revenus, afin de fournir aux frais de la guerre contre les infidèles. Son objet fit nommer cette imposition, la dime saladine. Les rois de France et d'Angleterre, Philippe-Auguste et Henri Plantagenet, désignèrent la ville de la Ferté-Bernard , pour le lieu des conférences qui devaient amener la paix entre ces monarques. Les plénipotentiaires n'ayant alors pu s'entendre, de nouvelles con- férences ouvertes à Montmirail mirent fin aux hostilités. L'assemblée réunie aujourd'hui dans la capitale du Maine ne sera pas moins flatteuse pour cette ville. Oui, Messieurs, des hommes XXXiX n'ayant d’autre autorité que celle des talents; d'autre appui que le désir ardent de contribuer au bonheur de la patrie, en propageant le goût de la science et l'amour de l’ordre, ne peuvent manquer d'obte- nir un résultat heureux , dont les effets auront une longue durée. Chargés, Messieurs, par le Congrès de Clermont de préparer la septième Session, vos Secrétaires-Généraux n’ont rien négligé pour justifier ce choix honorable, ils ont fait un appel aux hommes capa= bles de les seconder, et leur voix a été entendue ; à notre invitation les sociétés académiques de cette ville se sont empressées de nom- mer des délégués pour compléter la commission préparatoire. Nous avons reçu des Académies des provinces des adhésions et une série de questions intéressantes , sur lesquelles vous aurez à prononcer. C’est avec de tels secours qu’il nous a été facile de marcher. Nous prions ces compagnies et toutes les personnes mentionnées ici, d’a— gréer nos remerciments. Nous ne sommes pas moins redevables aux administrations de la ville : M. le Président du Tribunal a mis à notre disposition le Pa- lais de Justice pour la tenue de vos Séances; M. le Maire a bien voulu nous accorder une des salles de l’Hôtel-de-Ville, où les mem— bres du Congrès pourront se réunir le soir et conférer ensemble : il nous est infiniment agréable de signaler la bienveillance des fonc tionnaires publics et de nous acquitter à leur égard de la dette de la reconnaissance. À Nous avons lieu de croire, Messieurs, que vous voudrez bien sanctionner ce que vos Secrétaires-Généraux ont fait pour l'organi- sation de la Session actuelle; votre approbation sera la plus douce récompense de leurs efforts, celles qu'ils ambitionnent davantage. Après ce discours, l’assemblée décide qu’il sera élu un Président et deux Vice-Présidents pour composer le bu- reau général ; que cette nomination aura lieu au scrutin secret, par bulletin de liste, à la majorité absolue des vo- tants , et que des deux canditats désignés pour la Vice- Présidence, celui qui aura réuni le plus de suffrages sera le premier Vice-Président , quelque soit le rang in- diqué sur les bulletins. L'appel nominal, fait par M. Richelet constate la pré- sence de 129 membres ; la majorité absolue est, par con- séquent, de 65. xl Tous les membres viennent successivement déposer leur vote. Au premier tour de scrutin,M. Lair, conseiller de Pré- fecture à Caen , obtient 104 voix et est proclamé Prési- dent, M. de Caumont, ayant réuni 80 suffrages, est nommé 1° Vice-Président. Aucun des autres candidats n'ayant la majorité suffi- sante, on procède à un nouveau tour de scrutin pour l’é- lection du second Vice-Président. Le nombre des vo- tants est de 111 : majorité absolue 56. M. Trolley, professeur à la faculté de droit, à Caen, obtient 76 voix ; il est proclamé second Vice-Président. M. Harpoun invite MM. Lair, de Caumont et Trolley à venir prendre place au bureau. M. Larr exprime sa re- connaissance envers l'assemblée, se félicite des collègues choisis pour le seconder , et propose de voter des remer- ciments à M. Hardouin et à MM. les Scrutateurs. Cette proposition est adoptée à l’unanimité. Le Congrès décide que les Sections se réuniront au Palais de Justice et s'occupe de fixer les heures des réunions. Plusieurs membres font observer que de cette fixation dépend la possibilité de participer chaque jour aux tra- vaux de plusieurs Sections,et demandent qu'il soit adopté des mesures propres à répondre au désir, généralement manifesté , d'assister au plus grand nombre de séances que le temps le permettra. Ils proposent en conséquence de réunir simultanément, dans Le même local, la Section des Sciences naturelles et celle des Sciences physiques et mathématiques, dont les travaux , quoique distincts , of- frent entr'eux beaucoup d’analogie ; et de convoquer, pendant les mêmes heures, mais dans des salles sépa- rées, les 3° et 4° Sections (Médecine et Histoire) à l'égard desquelles ce mode exclusif présente le moins d’incon- vénients. xij L'assemblée prend en considération les observations précédentes et détermine la durée des séances ainsi qu'il suit : Première Section. Sciences Naturelles, et Sixième Section , Sciences Physiques et Mathématiques, de 7 à ; ySiq ques , 9 heures du matin, dans la Salle des Jurés ; Deuxième Section. Agriculture, Industrie et Com- merce, de 11 heures du matin à 1 heure, dans la Salle du Conseil ; Troisième Section, Sciences Médicales, de 9 à 11 heures du matin, dans la Salle des Jurés ; Quatrième Section. Mistoire et Archéologie, aux mêmes heures que la précédente , dans la Salle du Con- seil ; Cinquième Section. Littérature, Beaux-Arts, etc, de 1 à 3 heures, dans la Salle des Jurés. Enfin la Séance Générale aura lieu, l'après midi, à 3 heures précises. Les Membres du Congrès sont invités par le Secré- taire général à se réunir tous les soirs dans une Salle de l’Hôtel-de-Ville, obligeamment offerte par M. le Maire. M. Houdbert fait remarquer que le Secrétaire chargé du procès-verbal de la 5" Section , trouvera difficilement le temps de le rédiger pour la Séance Générale du même jour. On convient que ce procès-verbal, s’il est im- possible d'agir autrement, pourra n'être lu qu’à la Séance du lendemain. Sur la proposition de M. de Caumont, l'assemblée décide qu’elle commencera, demain, à entendre les rap- ports relatifs aux travaux des Sociétés Savantes, par l'organe de leurs délégués respectifs , autant que B) xlij MM. les Rapporteurs se trouveront préparés et que lor- dre du jour le permettra. La Séance est levée à 4 heures. Avant de quitter la Salle, MM. les Secrétaires des Sections inscrivent les noms et forment la liste des mem- bres qui doivent appartenir à chaque Section. PROCÉS-VERBAUX DES SECTIONS. LA PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS RÉUNIES. HISTOIRE NATURELLE , SCIENCES PHYSIQUES ET MATHÉMATIQUES. SÉANCE DU 13 SEPTEMBRE 1839. La 1” et la 6° sections réunies,composées de 60 mem- bres, ont ouvert leur première séance aujourd’hui , 13 septembre 1839 , dans la salle des Jurés. M. le Te de GUITON-VILLEBERGE, membre de la société des Antiquaires de Normandie est prié de pré- sider pendant la formation du bureau. M. de Marseuz , Secrétaire provisoire de la 4° Sec- tion , fait l'appel nominal des membres inscrits, et l’on procède immédiatement au choix d’un Président et de deux Vice-Présidents.Un premier tour de scrutin donne les résultats suivants : Président : M. Biner, professeur d’Astronomie au Collége de France. MM. Dumas, Ingénieur en chef du département de la Sarthe. BLAVIER, Ingénieur des Mi- nes. Vice-Présidents : Les Secrétaires provisoires, MM. de Marseu et VER- DIER, désignés par MM. les Secrétaires-Généraux , 44 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. chargés de l’organisation du Congrès, sont confirmés dans leurs fonctions. Sur la proposition de M. Cauvin, M. Casrez, membre de la Société Géologique de France, est nommé Secrétaire-Adjoint. M. le Vicomte de GuiTonN-viLLEBERGE invite M. BLa- viER , en l'absence du Président, à siéger au fauteuil. Le bureau étant ainsi constitué , il est donné lecture d'une lettre de M. N. Bouge, professeur de Géologie à Paris, qui appelle l'attention sur une théorie de la for- mation des terrains et une nouvelle classification des Ro- ches. Cette lettre est accompagnée d’un Tableau fiqu- ratif de la structure minérale du globe, que l’auteur vient de publier. Une commission , composée de MM. Opozanr-Desnos et CasreL , est chargée d'examiner ce travail et d’en faire un rapport à l’une des prochaines Séances. . M. le Président consulte l'assemblée sur la marche à suivre , afin de donner une bonne direction aux travaux de la Section. Après diverses observations présentées par MM. Trozcey, de la SicorTièrE et de CAUMONT, il est décidé qu'on lira les questions posées au programme. Pendant cette lecture , les membres font part des com- munications , soit orales , soit écrites, qu'ils ont l’inten- tion de faire. MM. BoursoT-St-HrLarre et OnocanT-Dssxos, font observer que , la plupart des questions de Géologie étant relatives à la constitution particulière du pays, il est presqu'impossible aux étrangers de prendre part à la discussion de ces questions; qu'il serait bon qu’el- les ne fussent traitées, qu'après avoir exploré les lieux sous la conduite des Géologues du pays. Quelques autres membres manifestent le désir de ne voir inscrites au programme que des questions d’un intérêt plus géné- ral ; mais M. RicneLer fait observer que le but principal du Congrès, est d'appeler l'attention des savants sur les richesses de chaque pays où il tiendra ses séances , afin PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 43 que la science puisse mettre à profit les faits que four- niront leurs observations. Communications. Mme Cauvin communique à la Sec- tion une liste des plantes qu’elle a observées en Bretagne, auxquelles elle ajoute celles qui ont échappé à ses re- cherches et qui sont mentionnées dans les ouvrages de MM. Bonnemaison et Devaux. Cette liste est accompa- gnée d'observations propres à faire connaître l'influence du sol sur la végétation. M. Boursor-St-HizaiRE fait hommage, 1° d’un extrait du Memoire sur le mécanisme de la respiration nasale chez les cétaces souffieurs qu'il a présenté à l'académie des Sciences; 2° d’une Synopse de la famille des Psit- tacides , faisant partie de l'Histoire naturelle des Per- roquets qu'il a composée pour faire suite à l'Histoire de Le Vailant sur les espèces de ce genre. M. Euvanuez Pary offre un ouvrage, dont il est l’au- teur, intitulé : Phytotymie, ou Étymologies des noms formes du grec, usités en Botanique. La Séance est levée à 9 heures. SÉANCE DU 14 SEPTEMBRE 1839. La Séance est ouverte à 7 heures du matin, sous la Présidence de M. Biner. Le procès verbal de la 1° Séance est lu et adopté. Communications. M. Micnez ZackREwWskI se pro- pose de traiter la question suivante, qu'il dépose sur le bureau : Quelles sont les améliorations à faire dans l’Arithmé- tique , pour que les élèves, quelle que soit leur desti- nation , sachant bien les quatre règles principales , puis- seiéäpyrendre, sans le secours d’un maître, toutes les opérations arithmétiques, logarithmes cdpris ven 46 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. changeant de système de raisonnement et de manière d'opérer. Madame Cauvix présente un fascicule de plantes très- bien desséchées qui fait partie d'un ouvrage sur les Hydrophytes du Morbihan, publié par livraisons, par M. Lelièvre de la Morinière. M. Gurer , Juge de Paix à Montfort, adresse à la Sec- tion une Carte de son canton avec des considérations re- latives à la 23° question du Programme sur les puits artésiens. Ouvrages offerts. Extrait du Mémoire , présenté à l'Académie des Sciences par M. Biner, professeur au Collége de France, sur les intégrales Eulériennes et sur leur application à la theorie des suites et à l'éva- luation des Fonctions de grands nombres. Extrait du Mémoire, présenté à l’Académie des Scien- ces, par le même , sur l'expression du logarithme de l'intégrale EulerienneT. Essai Statistique , Minéralogique et Géologique de la Mayenne, par M. Bravier, Ingénieur des Mines. Notice Statistique et Geologique sur les Mines et de terrain anthracifère du Maine, par le même. L'ordre du jour est la discussion de la 1° question du Programme ainsi conçue : » Quel serait le meilleur mode d'exécution d’un ou- » vrage, Comprenant l'histoire et l’iconographie des » animaux , des végétaux et des minéraux de la France? » Ouvrage dont le gouvernement pourrait favoriser la » publication, au moyen des fonds destinés aux travaux » scientifiques. » M. Le Gaz, inscrit sur cette question, a la parole :il la regarde comme très-importante, mais impossible à résoudre actuellement à cause du manque de matériaux. Ce travail ne peut être entrepris, qu'avec le secours de PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. AT bonnes Statistiques départementales d'Histoire Natu- relle ; or il n’y a que fort peu de Flores et de Faunes lo- cales bien faites : les hommes, capables de faire connaî- tre les productions de leur pays, sont arrêtés par les frais qu'entrainerait la publication de leurs recherches. Cependant les hommes instruits et laborieux des pro- vinces, sont seuls en état de fournir des faits bien établis. Paris, il est vrai, possède de magnifiques collections et des savants d’un grand mérite, mais les études ne s’y font que sur la nature morte ; et il faut, pour de pareils travaux , les observations cent fois répétées d’un Natu- raliste actif qui parcoure les localités, et surprenne la nature en fonction. Il serait donc à désirer que le Con- grès encourageàt les Naturalistes des provinces à dres- ser des catalogues raisonnés des productions de leur pays, et sollicitàt du Gouvernement et des Conseils-Géné- raux, des secours pour la publication des travaux utiles en ce genre. Par là,onarriverait à rassembler des matériaux suflisants pour faire un ouvrage général des productions naturelles de la France. M. Bourjot-St-Hiraire signale la Faune Générale de France, entreprise depuis peu par MM. de Blain- ville et Gervais , tout en avouant que ce ne peut être qu'un ouvrage encore bien imparfait. Il partage les opi- nions de M. Le Gall, mais il pense , que le Congrès, au lieu de s'adresser directement au gouvernement qui pourrait ne pas entendre son appel, ferait bien de sol- liciter par lintermède de l’Académie des Sciences. Il ajoute qu'il ne suffit pas de s'occuper de Statistiques Na- turelles, qu’il faut encore recueillir les productions du pays dans des musées départementaux ; et il fait ob- server à ce sujet qu'il serait beaucoup plus avantageux de s'occuper de l’histoire naturelle du département , que de collectionner à grands frais les productions exotiques, comme on le fait souvent; que l'intention des adminis- trateurs du Musée de Paris est de faire une collection 18 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. particulière pour la France , où les musées départemen- taux pourraient déposer leurs doubles,etoù l'on trouverait un répertoire complet, et des matériaux pour la confec- tion d’un ouvrage général des productions nationales. M. HunauLT DELA PELTERIE prétend qu'on peut s’adres- ser aux Conseils-Généraux ; que , dans plusieurs dépar- tements et notamment dans celui de Maine-et-Loire , ils ont répondu à un pareil appel; que d’ailleurs on peut s'adresser directement au gouvernement , sans avoir be- soin de recourir au haut patronage de l’Académie des Sciences ; que le gouvernement est disposé à favoriser de tout son pouvoir l'élan de la province vers la science. Il s'engage une longue discussion, à laquelle pren- nent part divers membres : les uns demandent qu’on émette le vœu de voir le gouvernement et les conseils- généraux favoriser la publication des Statistiques Natu- relles ; les autres , qu'on fasse un appel aux hommes instruits de toutes les provinces, les engageant à commu- niquer au Congrès le résultat de leurs recherches ; d’au- tres enfin veulent qu’il soit établi une commission per- manente, chargée de recevoir les travaux qui lui seront adressés , et pour la publication desquels le Congrès sol- licitera lui-même des fonds. M. Ricuezer, ainsi que quelques autres membres, pense que cette question doit être discutée en séance générale, comme intéressant également plusieurs au- tres Sections. M. Hunault de la Pelterie dit qu’il n’en est pas moins nécessaire que la Section formule son vœu et le soumette au Congrès. Enfiu la résolution suivante est adoptée à l’unanimité : » Le Congrès émet le vœu de voir le Gouvernement, » les Conseils-Généraux et les Sociétés savantes favo- » riser de tout leur pouvoir la publication de Statistiques » et Catalogues d'Histoire Naturelle dans les départe- » ments, pour parvenir à la formation d’une Statistique » Générale. » PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 49 M. Casrez , membre de la commission chargée d’exa- miner le Tableau figuratif de la Structure Mincrale du Globe de M. Boubée et la lettre qui l'accompagne, lit,en son nom et en celui de M. Odolant-Desnos, un rap- port sur ce travail. Il en repousse les conclusions , les- quelles renversent la plupart des notions admises jusqu'à cejouren Géognosie et constatées par des faits nombreux; les observations sur lesquelles l’auteur appuie sa théorie, pe lui semblent nullement concluantes. Néanmoins, tout en combattant les opinions de M. Boubée, M.Castel rend pleine justice à son zèle et à son talent, et propose à la Section de voter desremerciments à l’auteur du Tableau figuratif de la Structure Minérale du Globe, pour la communication qu'il a bien voulu lui faire. M. Drousr, ancien maitre de Forges et membre du Conseil-Général de la Sarthe,lit un mémoire sur l'Æphe- mère diptère. W raconte que, le 30 août dernier vers le soir , par une température de 23° à 24°, on a observé à Pontlieue une grande quantité de ces insectes, qui sor- tirent de la rivière de l’'Huisne en formant une nuée considérable , et s’abattirent dans la cour de M. Vétil- lart. Leur nombre était si prodigieux, qu’ils formèrent comme une couche de neige épaisse de trois ou quatre pouces. Il ajoute que souvent, vers le coucher du soleil, il sort des bords de la Sarthe et de l'Huisne des essaims d'Éphémères de diverses espèces. Comme l'espèce dont il s’agit n’a pas encore été signa- lée dans le pays, M. Drouet croit devoir en donner une description succincte que voici : L'Éphémère diptère (Ephemera diptera, Lin. Fab.), seule de toutes les espèces du genre, n’a que deux ailes, transparentes et d’un beau blanc avec une bordure ex- térieure brune ; les anneaux de l'abdomen sont bordés de rougeûtre, et les filets de la queue,au nombre de deux seulement, sont marqués de quelques petits points noirs. 50 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. M. Boursor-St-Hiaire a la parole sur la question du Programme ainsi conçue : « À quelle cause peut- » on rapporter les migrations accidentelles de certains » oiseaux ? Ces migrations peuvent-elles devenir pério- » diques ? » Sur cette question M. Bourjot-Saint-Hilaire donne les développements qui suivent, à peu près dans ces termes, ets’en tenant aux propositions principales. Il commence par établir que le type des oiseaux , bien que le plus identique en lui-même dans toute la série animale, n’en offre pas moins une variété infinie de formes relativement aux instruments de préhention ou du bec, et de locomotion, les pattes et les ailes : que la loi de finalité , ou d'harmonie nécessaire entre un besoin préfixe de telle ou telle nourriture , et les moyens de se la procurer, domine la création orni- thologique comme toute autre , de telle sorte qu'un oiseau étant donné , il sera facile à un naturaliste même de cabinet , de préjuger à l’avance qu’elles seront les mœurs et les habitudes de l'espèce soumise à son examen. Il est certain que cela ne sera pas pour tous les types aussi nettement tranché que pour quel- ques-uns , et que les passages intermédiaires dans la forme indiqueront une sorte d’hésitation dans les habitudes. A ce sujet, l’orateur présente un assez grand nom- bre d'oiseaux empaillés qu’il dit tenir de l’obligeance de M. Guéranger , naturaliste habile, exerçant la pharmacie au Mans. Il les passe en revue, et montre combien il est facile , en prenant presqu’au hasard, de tomber juste sur les habitudes observables, par la simple inspection du bec, des pattes, des ailes. Bientôt pre- nant une Bécasse , il fait sur cet oiseau une disgression dont les éléments lui sont propres. » La Bécasse , la Bécassine , ont le bec droit et subulé PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 51e ou en alène ou plutôt en forme de sonde de chirur- gien. Une particularité anatomique toute singulière , c’est qu’au contraire du bec des autres oiseaux , qu'une corne solide revêt à l'extérieur , couvrant dans son épais- seur des rameaux nerveux , organe d’un sens tactile dé- licat , le bec de la Bécasse est mou à l'extérieur et les rameaux nerveux viennent s’y terminer en sortes de papilles. Voyons quel rapport de finalité nous allons trouver entre ce bec tactile au plus haut degré et les be- soins de l'animal , ou sa proie habituelle. » Il convient d’abord de dire que la Bécasse se nour- rit de lombrics, ou de vers de terre : eh bien , quel moyen emploie un jeune pêcheur qui veut se procurer des vers de terre pour amorcer sa ligne ? Il enfonce en terre un bâtonnet , et faisant le moulinet , il communi- que au sol frais et perméable un ébranlement qui est ressenti dans toute la masse du terrain par les lombrics qui l’habitent , et qui s’échappent au dehors pour éviter un ennemi souterrain bien plus terrible , la taupe, ce mineur insectivore , dont les appétits gloutons sont la désolation des Annélides , et des larves d’insectes vivant sous terre. Alors le pêcheur prend les lombrics et en fait provision d’amorces. » Mais la Bécasse fait, de temps immémorial , et depuis qu’il y a eu une première Bécasse mâle et femelle, qui n’en avaient rien appris de personne , pour se procurer des vers , ce que devra accomplir le pêcheur instruit par l'exemple des autres. Elle enfonce en terre son bec long de trois pouces, ça et là , partout où le sol frais eL meuble peut lui indiquer une chasse abondante. Par ce sondage , elle effraye les vers , les fait sortir de leur trou, en même temps qu’elle même, par un sens d’une délicatesse excessive, elle comprend que le sol est habité. Ainsi l'instinct d’abord lui indique le genre de proie qu’elle doit chercher, mais en même temps elle se trouve pourvue d’une sonde exploratrice pour juger 52 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. les lieux, et, dans son bec efilé, de l'instrument le plus propre , bien que peu gracieux sans doute , pour porter à une certaine profondeur l’effroi et une crainte d’au- tant plus fàcheuse qu'ici, comme bien souvent, la crainte d'un mal nous conduit dans un pire. » C'est de son long bec et aussi de l'attitude assez niaise que lui fait prendre son habitude de sonder le sol, opération qui demande du tems, que la Bécasse a pris eta donné à des gens plus niais qu'elle, son nom français , véritable sobriquet que lon s’octroie assez facilement dans le cercle de l'intimité. » Que ne pourrais-je pas dire, continue l’orateur, si je vous montrais une analogie fondamentale entre les fa- nons des baleines et les dentelures crénelées des ca- nards et des harles : ici le besoin est de £amiser l'eau de la mer, ou des mares pour arrêter à la fois, comme dans une vaste nasse (la bouche immense de la baleine), une masse considérable de Glaucus et de Clio ; tan- dis que notre canard domestique au fond de notre basse- cour , barbotant dans la fange , sait encore retenir pour contenter son appetit grossier, des myriades d'Infu- soires , des particules de matière animale, que ces cré- nelures animées par des nerfs tactiles délicats , arrêtent facilement. » Ce serait à n’en pas finir, s’il fallait passer en re- vue les appétits et les moyens de vivre même de chaque groupe déjà considérable d'oiseaux , depuis l'oiseau de proie chasseur de tout vol, et se saisissant en plein jour en brigand hardi, d’une proie vivante et qui résiste. Celui-là aura le bec crochuet acéré, les pattes robustes. Ce sont elles qui tiennent captif le passereau pauvret, pendant que le farouche Gerfaut , l'Emouchet, terreur de nos poulaillers, le déchire à coups de bec, et l’engloutit pay lambeaux. — Chez d’autres 2gnobles rapaces , tels que les J’autours , au bec peu crochu , PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 55 à la tête chauve jusqu’au milieu du col, au regard lâche et craintif joint à une grande puissance de vol, les- quels répandent encore l’odeur des cadavres, quelles se- ront les habitudes? la police de la terre, pour dévorer les chairs mortes et en putréfaction. » Enfin , quelques-uns voués à un service très-actif et très-lugubre de nuit, Choueites, Hiboux, Scops, ete., n'ont qu'un vol léger ; leur plumage duveteux les rend en tout semblables à une balle de coton qui tombe sans bruit. Ces rôdeurs de nuit , véritables préposés à em- pêcher la maraude, font la guerre à ces rats, à ces mulots, qui.dévoreraient nos subsistances , à ces hon- teux crapauds qui souilleraient nos demeures de leurs générations Coassantes. » Mais nous avons a parler des émigrations des oi- seaux : ces oiseaux de proie émigrent-ils, quittent- ils, pour un tems,une contrée pour en envahir une autre? Non , car qui ferait leur service de haute salubrité pu- blique , et le braconnage utile en ce sens qu'ils tiennent en de justes bornes , les générations de petits animaux qui, d'après la loi signalée par Buffon, pullulent dans une effroyable proportion. Puis nous posons un fait, continue l’orateur , c’est que l’émigration n’est impo- sée qu'aux espèces qui vivent en troupes, el qui vOya- gent par bandes. Les ménages à part n’épuisent pas une contrée, ce ne sont pas d’isolés voyageurs qui ravagent une province, mais une masse d'individus comme une armée ; les oiseaux de proie ne pourront donc pas vivre en troupes , pour eux la vie commune n’était pas possi- ble : il n’est pas facile de se procurer une proie qui fuit ou se dérobe par la ruse , la chasse et la pêche ne sont pas toujours bonnes ; aussi ces espèces forcées au combat, à la guerre, au brigandage à main ar- mée , vivent isolées par couple, chassent hors de la cir- conscription qu'ils habitent , parents , amis , enfants même... ils n’ont pas trop peu, mais aussi , ils ont 54 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. toujours assez... en se donnant un certain mal... ainsi le veut la loi de la nature. » Si nous passons aux oiseaux qui vivent de baies, de fruits , de graines, et ils forment ce groupe confus et mal défini des Omnivores , Baccivores , Granivores, Insectivores même, nous allons voir l’émigration forcée pour un grand nombre , dans nos climats tempérés , où certainement six mois de longue torpeur diminuent d'une manière, que nous ne pouvons comprendre en ses dé- tails , toute apparence de vie et de végétation autour de nous. Les oiseaux qui vivent de baies, Grèves , Merles, Litornes, etc., nous quitteront avec l'automne. Il en sera de même des Frugivores , tels que le beau Loriot à livrée verte et jaune , et bien d’autres. Les Granivores conirostres trouveront dans nos guérets, en se fesant les parasites de nos fermes et de nos greniers , de quoi subsister et ne nous quitteront pas tous. Mais pour les Insectivores vivant ou de larves, qu’ils dénichent sous l'écorce à l’aide de leur langue montée sur ressort (lhyoide) comme les ?ces et les Torcols, ou happant en l'air, à l’aide d’un large bec entaillé jusqu’au trou de l’o- reille, d'ou ils prennent le nom de fissirostres : les Hi- rondelles, les Martinets les Engoulvents (ceux-ci plus paresseux et plus nocturnes , poursuivent les insectes s’élevant et s’abaissant dans les airs en bataillons épais,ou se cachant sous le poil de nos troupeaux de moutons et de chèvres), oh! pour ceux-là émigrer est nécessaire, est forcé. Pour rester dans nos climats pendant les six mois d'hiver , il faut pour des /nsectivores, s'engourdir dans l'hibernation ou... mourir; el ce parti ils l'évitent en fuyant dans des climats moins rigoureux. » Si nous passons en revue tout un ordre entier de granivores , les Gallinaces, aux pattes et au bec ro- bustes, nous en verrons beaucoup qui n’émigreront pas, surtout s'ils vivent isolés, ou en petites bandes, tels PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 55 que nos Outardes , nos Lagopèdes, nos Perdrix; peu nombreux en individus, tous ces oiseaux trouvent en- core à glaner dans nos sillons en friche , nouvellement ensemencés. Je ne parle pas du Coq et de la Poule et de tout le genre Faisan, des Dindons et des Pintades , véri- tables Ilotes de notre domesticité,engraissés par noS soins tout artificiels pour les délices de notre table. Si au Con- traire, ils ont un instinct d'association et de voyage par agglomération d'individus, l'instinct d’émigration en sera la conséquence : ce sont une idée innée et un instinct Ccor- rélatif. Si l'on est beaucoup ensemble en route , il faut trouver beaucoup à manger; mais dans nos climats du milieu de l'Europe, où pourrait-on rassassier pendant l'hiver, une grande bande ( telle que le ciel en puisse être obscurcei ) de Cailles voyageuses ? IL faut donc que cette espèce voyage,émigre, quitte le Nord pour le Midi, et le Midi pour le Nord : en raison inverse pour cha- que saison. En été, nos plaines sont couvertes de cé- réales, elles sont neigeuses en hiver.Mais pendant notre été, les latitudes tropicales sont brûlées, la végétation y languit. Force est donc aux Cailles d'entreprendre un voyage de printemps et un voyage d'automne. » Que l’on examine la vie des oiseaux de rivage. Com- bien d'espèces, parmi les Echassiers , se nourrissent de Batraciens,de Sauriens, de Reptiles même ? Quelle chétive pâture donneront en hiver aux Cigognes, aux Grues, aux Hérons, aux Spatules, les marais de la Hollande, lorsque le peuple des Batraciens languit sous les eaux et la glace ? Toutes les espèces Piseivores seront dans le même cas : Elles descendront vers le midi suivant les latitudes à mesure que l'hiver gagne de proche en proche. Il en sera de même des oiseaux d'eau, tous Ceux qui sont rapaces et qui vivent dans les latitudes intertropicales , ne les quittent jamais ; c’est que les habitants sous-ma- rins , les Poissons , les Mollusques, ne cessent de leur y offrir une proie abondante. Ceux qui vivent, vers les r'é- 36 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. gions polaires, de Poissons ou de Mollusques qui voya- gent ou disparaissent eux-mêmes avec l’abaissement de la température vers les solitudes élevées, sont bien obli- gés de les suivre comme à la piste. Aussi voyons-nous arriver alors un grand nombre d'oiseaux d’eau ou de rivage , en d'autant plus grand nombre , que le froid a été plus rigoureux vers le Nord. — Ces oiseaux ne savent pas prévoir l'hiver , ni deviner qu'il sera rude. Les Poissons , les Mollusques le sentent, et agissent en conséquence ; et les oiseaux de les accompagner pour ainsi dire par convoi, les uns faisant l'étape par eau, les autres par air, et tous vivant aux dépens les uns des autres. En résumé et sans entrer dans de plus mi- nulieux détails, l’émigration des oiseaux, doit-on con- clure , est due non à une prévision de la saison qui va venir, mais à un besoin , à une disette déjà commençant. Quant à la rapidité du voyage, à la direction constante, que prennent tels ou tels oiseaux, à leurs moyens de revenir au point de depart, comme nous le voyons pour les pigeons voyageurs, il y a là une impossibilité réelle à jamais le comprendre ; la nature, qui nous a donné l'intelligence pour construire la boussole , et calculer ses déviations , et qui nous fait connaître notre route dans le désert ou sur la mer à l’aide de l’étoile polaire, de la hauteur des astres, a donné aux oiseaux des moyens astronomiques dont la justesse doit-être parfaite, bien que nous ne puissions nous en faire une idée. Ce serait si l'on pouvait dire une faculté dont nous n'avons nul moyen comparatif d'apprécier la valeur. » Se résumant , l’orateur (car ces considérations ont étéémises de vive voix et improvisées) pense que la raison de l’émigration des oiseaux est due aux besoins nés du changement de climat, peut-être à une sorted'habitude qui est la conséquence d’une idée innée ; que lorsque des troupes d'oiseaux inconnus à un canton, à un pays (sans erreur toutefois delasaison,ce quiserait une anomalie plus PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 57 étrange) se fourvoient dans ce pays; c'est qu'ils y sont at- tirés par disette de denrées habituelles au lieu de la station ordinaire, par suite de changements opérés dans la culture d’un pays, l'aménagement de ses forêts. C’est ainsi que depuis quelques années le Bec croisé Loxia curvi- rostra Se montre en troupes nombreuses et étourdies (ils sont faciles à prendre), dans le massif d’arbres de la colline, dite du labyrinthe, dans l’enclos du Jardin des Plantes de Paris. — On comprend, que l'instinct n’est en défaut, ni quant aux arbres, ri quant à la saison ; — Ce n’est tout au plus qu’une erreur ou changement de roule par motif plausible de quelque Pinetier détruit là où cette bande allait naguères s’abattre. M. le Président, au nom de la Section, adresse des re- merciments à M. Bourjot-St-Hilaire , pour son intéres- sante communicalion. M. HuNAULT DE LA PELTERIE fait quelques remarques sur la conformation des organes de la vue, de la diges- tion et de la respiration d’un grand nombre d'oiseaux de passage qu'il a disséqués ; lesquelles confirment les idées émises par M. Bourjot-St-Hilaire. Il communique une liste des espèces qu'il a observées en Anjou dans l'hiver de 1837 à 1838. La Séance est levée à neuf heures et demie. SÉANCE DU 15 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Bixer. Le procès verbal de la 2° Séance est lu et adopté, après quelques légères rectifications. Communications. M. de LasicoriÈère dépose, sur le bureau , des ossements fossiles trouvés dans la caverne de l’'Erve , et des fragments de mur vitrifiés, pris dans n 58 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. l'ancien mur d'enceinte de la ville de Ste-Suzanne , et de- mande qu’une commission soit nommée pour les exami- ner. M. le Président désigne MM. Blavier et Bourjot-St- Hilaire. Sur Ia demande de madame Cauvin , une commission , composée de MM. Legall, Pollet et de Cussy,est chargée de faire un rapport à la Section sur le Catalogue manus- crit des plantes de Bretagne,qu’elle avait offert dans l’une des Séances précédentes. L'ordre du jour est la discussion de la 5° question du Programme : « Les différences de conformation obser- » vées dans le bec de certains individus du Loxia eur- » virostra Lin. suffisent-elles pour accuser deux es- » pèces ? » M.Boursor-St-HrLaire regarde la question comme peu importante;il cite néanmoins l'opinion de M.Guéranger, pharmacien de la ville, qui a observé un grand nombre de ces oiseaux avec beaucoup de soin, et croit y recon- naître deux espèces distinctes. Il revient sur les émigra- tions du Loæia curvirostra , qui arrive parfois en grand nombre dans ce pays ; il pense qu'elles sont dues à quel- que disette locale; que ceLoiseau,ne trouvant plus en assez grande abondance les fruits de pin dont il se nourrit, comme le prouve la conformation de son bec, se jette sur les pommes au centre desquelles il va chercher le pépin , qui a quelque ressemblance avec le fruit des co- nifères. M. HuNAULT DE LA PELTERIE ne partage pas l'opinion de M. Bourjot, il dit qu'il élève depuis long-temps en cage plusieurs de ces oiseaux, qu’au lieu de faire du fruit des conifères leur nourriture ordinaire, ils semblent le repousser; qu'ils mangent des pépins de pomme, du mil- let, etc.; mais que le chènevis est leur mets de prédilec- tion. Selon lui le Loxia curvirostra est doué d’une grande intelligence. Attentif au chant des autres oiseaux, PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 59 aux airs qu’on lui apprend, il les imite facilement ; mais son chant diffère de celui des aulres oiseaux : il est tout engastrimythe, si l’on peut se servir de cette expression, les sons qu'il fait entendre partent de l'abdomen. Il communique une note précise des diverses époques d'apparition de cet oiseau en Anjou. Il présente ensuite un certain nombre d'individus » Où il fait remarquer la différence de conformation du bec , et les nuances di- verses de leur plumage. Sur vingt-cinq qu'il a observés ; dix-huit avaient le bec croisé de droite à gauche , et sept, de gauche à droite. Ceux de la première série étaient tous de couleur ronge ; ceux de la Seconde au contraire étaient gris, excepté deux » de plus petite taille > Mais plus vigoureux , plus hardis » €t Se défendaient avec plus d’acharnement que les premiers. M. Le GALL présente quelques réflexions philoso- phiques sur le mot espèce. Il pense que les différences signalées dans la forme du bec » Quoique ce soit un des organes les plus importans chez les oiseaux , ne sont pas Suflisantes pour établir deux espèces distinctes > qu'a- peine le sont-elles pour dénoter une variété ; il dit, qu'on en retrouve ailleurs de beaucoup plus grandes, et il cite à cet égard le Fréne Mmonophylle parmi les végé- taux , dont on avait à tort voulu faire une espèce ; que, pour résoudre la question , il faudrait examiner si, dans la même couvée , on retrouve des individus à bec croisé de gauche à droite, et d’autres à bec croisé de droite à gauche, ou bien si tous ontle bec Contourné de la même façon. Une discussion s'engage sur l’ordre du jour : M. de Lasicotière demande qu'on passe aux questions de Ia sixième section dont on ne s’est Pas encore occupé jus- qu'à présent ; M. le Président propose d'achever aupa- l'avant tout le paragraphe relatif à Ia Zoologie, qui est bientôt terminé; sa Proposition étant adoptée sans ré- + 60 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. elamation , il donne lecture de la sixième question ainsi posée : « Quelles sont les causes etles résultats de l’aggréga- » tion accidentelle de certains insectes vivant naturelle- » ment isolés et que lon voit quelquefois voler per » troupes innombrables à la manière des Æeridium ? » Cette question soulève une longue discussion sur les générations spontanées , à laquelle prennent part MM. Le Gall, Bourjot-St.-Hilaire et de Lasicotière. M. Le GazL dit, qu’en l'absence de données propres à faire connaître les causes de l’aggrégation accidentelle de certains insectes, de leur réunion par myriades , on est presque disposé à croire qu'ils n'ont point été engen- drés par des êtres semblables , qu’ils ont été spontané- ment produits par la combinaison d’une substance vi- vante répandue dans l'univers. Mais le fait des généra- tions spontanées , vivement combattu par Linné, vai- nement reproduit par Lamarck , semble aujourd’hui entièrement repoussé , malgré les découvertes récentes qui sont dues à l’usage du microscope. Il serait bon peut- être de s’en occuper de nouveau, et d'examiner au moins si l'embryon , l'œuf , la graine sont les seuls moyens que la nature emploie pour perpétuer les individus et con- server les espèces. On peut raisonnablement croire , en s'appuyant sur quelques faits connus , que certains êtres vivans doivent leur origine à des globules invisibles ou presque invisibles provenant d'êtres semblables. Si ce point était bien vérifié , on aurait l'avantage de pouvoir expliquer beaucoup de faits , qui jusqu'à présent parais- sent inexplicables. M. Bouryor établit qu'il est bien difficile de prendre un parli entre les deux systèmes de philosophie qui se par. tagent les naturalistes, 1° L'évolution par des semences, et des germe issus d'espèces antérieurement et primi- livement constituées et avec un arrêt définitif de toute PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 61 création , 2% L’Epigenèse , qui tend à faire admettre dans la génération actuelle des êtres même apparais- sant à l'état de gemmules ou d'œufs , une création de toutes pièces , ce qui implique la possibilité actuelle de générations spoutanées d'êtres nouveaux par organisa- tion nouvelle de la matière ; que ces questions pa- raissent infranchissables à l’esprit humain , et sont sinon insurmontables , au moins fatiguantes pour la raison qui y trébuche bientôt. « En effet , dit-il, d’un côté la théorie de l'emboite- ment des germes et le système de l’évolution formulés ensemble par Ch. Bonnet, dans une vue fort respec- table de philosophie religieuse , arrive bientôt aux infi- niment petits , el finit par n'être plus qu'une pure abs- traction de la pensée. » De l’autre côté , le système de l’épigénèse ou de la création spontanée ou de toute pièce, au moyen des matériaux fournis par les parents des deux sexes, ou an- - drogynes , dans les cas d’hermaphrodisme , suffisant ou insuffisant , n’est pas plus difficile à concevoir. » Quant aux personnes qui reculeraient devant l’idée des créations spontanées , (disons mieux de toute pièce ) à l’époque actuelle de la vie du globe, elles seront forcément acculées à les admettre au moins pour les âges antérieurs à notre époque géologique , et dans ce cas pour les animaux les plus complets, les plus puissants en volume , et ce, depuis la monade jusqu’à la baleine et au mastodonte , et même jusqu’au premier couple hu- main. De sorte que les créations successives , ainsi que l'ordre géobiologique nous les a révélées, n’auraient été que des générations successives , graduelles et spon- tanées, ou disons-le, de toute pièce, pour le premier cou- ple, ou individu androgyne ou scissipare de chaque es- pèce. On pourra donc croire sans blesser en rien l’ortho- doxie génésique et disons le avec elle , que si l’effort principal de la création a paru s’épuiser au moment où 62 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. elle établit l'homme sur la terre, comme son chef d'œuvre , la nature ne s’est pas interdit cet effort con- tinu dans les infiniment petits et ce à chaque instant, et dans toute espèce de production et de fécondation ; puisque toute fécondation commence par l'infini en peti- tesse : que ce qui se passe dans l'intimité des organes des végélaux et des animaux pour produire le globule , la cellule , le germe , l'ovule , l'œuf et l'animal parfait , peut aussi se passer à l'extérieur , dans une infusion pour produire un animalcule , dans l’intérieur de nos tissus pour créer de toute pièce une hydatide, une douve du foie. » Si l’on rejette les créations spontanées (dans le pre- mier effort des productions primitives), on se verra forcé d'accepter une autre évolution tout aussi difficile , tout aussi incompréhensible , j'allais dire ridicule , celle de Lamarck qui attribue à des transformations succes- sives , la formation des espèces animales et végétales , ainsi de la Monade point à la baleine ou au chêne, il n'y aura eu qu'une question de manœuvres et de temps. » Mais qu’on y fasse attention,ce système plus que celui des générations spontanées , et faites ex abrupto , dans le passé comme dans le présent , éloigne davantage l’in- tervention particulière de l'intelligence architectonique suprême , il investit la matière une fois animée , d’une force aveugle élective pour toutes les formes subsidi- aires , il donne de l’esprit et de l'intellect à la matière ; il est matérialiste dans le fond et dans la forme. » Dans le système de l’épigénèse ou des créations suc- cessives , de toute pièce ou spontanées , l'Esprit est toujours présent , soit en créant à nouveau , soil en per- petuant les espèces par la voie de la fécondation par des infiniment petits ; tout ce système s’écrie avec Job , cet ancien qui à vu si grandement la création : Plasmave- runt me manus tuæ , dans le temps et dans l'espace, dans le passé, dans te present, dans l'avenir. PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 65 » Dans une époque de concessions et de rapprochement, nous sommes heureux de dire à toutes les opinions comme à toutes les consciences : Que l’on choisisse l’idée de Bonnet ou de l’évolution , ou celle de l’épigénèse ou des créations spontanées , la puissance du créateur tou- jours attentive à ses œuvres est et demeure intacte ; tandis que dans le système de Eamarck en laissant la matière une fois animée choisir ses formes , formuler sa vie et ses organes , on rentre dans un vague énorme, et tout autant vaudrait admettre les atomes crochus d'Épicure. M. de Lasrcorière s'élève contre la possibilité des générations spontanées. | « Je ne suis pas naturaliste, dit-il, mais je ne saurais me rendre ». à l'opinion admise, hypothétiquement au moins par MM. Le » Gall et Bourjot-Saint-Hilaire. » Que doit-on entendre par générations spontanées : non pas le » développement extraordinaire, sous l'influence de circonstances » physiques également extraordinaires d’un germe créé ,-identique » aux germes des animaux de même espèce ; à ce point de vue, » tout le monde se trouverait d'accord : Nul doute que les agens » physiques extérieurs ne puissent exercer sur le développement » hâtif de certains germes une influence parfois prodigieuse. Mais » qu'il existe au sein de la nature une force vivante, cachée , qui, » dans des circonstances données vienne créer l'œuf ou le germe; » que cette force se substitue à la plante, pour donner la vie à une » plante de même espèce ; à l'animal, pour former un animal sem— » blable, je ne saurais l’admettre. Je comprends la nature mo- » difiant des germes créés ; je ne la comprends pas créant des » germes. à » Quels faits a-t-on allégués dans l'intérêt des générations » spontanées possibles? La réunion d’un nombre incroyable de cer- » tains insectes dans des circonstances données ; des plantes, sans analogues connus, qui couvrent quelques îles volcaniques, et quelques autres faits du même genre. » Une première réflexion se présente, comment s'expliquer une » force vivante , capable de produire spontanément des êtres quel » conques , et qui ne produirait que des êtres connus, des in- > Y 64 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. » sectes, des laitues? Encore si ces êtres étaient des plus rudimen— taires, si ces êtres étaient des types dont la modification pût » ensuite nous expliquer la présence de quelques uns des ani-— » maux qui entourent l’homme ou de l’homme lui-même sur la » terre. Mais quels types que des laitues, des éphémères où même » des crapauds ! * » Pour les plantes, les laitues gigantesques, par exemple, qui » couvrent l’île de Juan Fernandès, deux explications possibles : » ou ces plantes , ces laitues existent quelque part dans un lieu » inconnu, et les graines auront été apportées par les oiseaux , » charriées par les courants , balayées par les vents ; ou ces » graines provenant d'espèces perdues à une époque plus ou moins » reculée, se seront retrouvées, lorsque l'ile sortit du sein des » flots. N'y a-t-il pas dans le département de la Sarthe même , » des graines de plantes antédiluviennes , découvertes à des centaines de pieds sous terre (notamment de Chara), et tel- » lement bien conservées qu’elles pourraient, ce semble , germer et prendre racine , souvenir de l’ancien monde qui fleurirait sur Je nouveau. > y» » Les insectes qui seraient le produit de générations spontanées, » sont, comme on le sait, fort répandus sur la terre. On peut s’ex- » pliquer leur multiplication prodigieuse , par des réunions for- » tuites de ces petits animaux , plus facilement peut-être que par » l'absence de ces mêmes animaux. » La plupart des faits de générations spontanées ne doivent être admis qu'avec une extrème réserve. Ne connaît-on pas le triste sort des Acarus qui auraient été le produit de je ne » sais quelle opération électrique sur une pierre frottée de vinaigre , et dont l'académie des sciences a fait si complète » justice ? L4 Ë C4 » Je le répète en finissant , je n’ai pas l'honneur d’être na- turaliste , j’ai seulement voulu exposer les motifs qui, entre » plusieurs autres d’un ordre plus élevé, m’empêchent d'admettre les générations spontanées , mème réduites aux minimes pro- portions où mes savants adversaires en ont loyalement réduit la possibilité. » C2 3 > 2 M. de Lasicorière cite ensuite les émigrations de papillons remarqueés à différentes époques , près de Tu- rin et en Suisse. Quelques colonnes , d’un volume consi- dérable , avaient près de deux lieues détendue, €’étaient PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 65 des vanesses du chardon, qui, dans l'état ordinaire, vi- vent isolés. M. le Président donne lecture de la septième et de la huitième question du Programme. Personne ne deman- dant la parole, l’ordre du jour, pour demain, est fixé comme il suit : 1° Communication de M. Zackrewski sur les amélio- rations à introduire dans la manière de traiter larith- métique. 2° Discussion des questions du Programme relatives à la sixième Section. La Séance est levée à neuf heures. SÉANCE DU 16 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Pier. Le procès-verbal de la troisième séance est lu et adopté. M. de Caumonr met, à la disposition de la section,une médaille d'argent, pour être décernée au savant qui aura rendu le plus de services dans le pays aux sciences soit naturelles , soit physiques et mathématiques. Sur les ob- servations de M. de Lasicotière , on décide que le choix sera fait dans le département de la Sarthe et dans les dé- partements limitrophes. Une commission composée de MM. Anjubault , Hunault dela Pelterie et Odolant-Des- nos , est chargée de faire à la section un rapport sur les personnes qu'elle jugera les plus dignes de recevoir cette médaille et des mentions honorables. Communications. M. de MarseuL dépose sur le bu- reau un mémoire sur l’nflorescence des graminées , 66 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. accompagné d’une planche gravée, de la part de M. le docteur Bravais , médecin de l'Hôtel-Dieu d’Annonay et membre de la société philomathique, qui en est l’au- teur. M. Lecazz communique un mémoire sur la Bota- nique. Ouvrages offerts. Flore de la Sarthe et de la Mayenne, pèr M. N. Desportes conservateur du musée el membre de la société géologique de France , etc. L'ordre du jour appelle la communication de M. Zac- krewski sur les améliorations à introduire dans l’ensei- gnement de l’arithmétique ; il présente avec lucidité un tableau succinet de l’ensemble des opérations, insiste sur l'ordre rationnel et progressif qu'on doit suivre , si l’on veut obtenir quelques succès dans cet enseignement , et sur quelques observations qu’il croit avoir échappé aux auteurs qui ont traité cette matière. M. le Président remercie M. Zackrewski de sa commu- nication , tout en lui faisant observer que ce sujet eut été tout aussi convenablement exposé dans la cinquième section , qui s'occupe d’une manière spéciale de l’ensei- gnement et des améliorations à y apporter. M. Verpier, secrétaire de la sixième section et pro- fesseur de mathématiques et de physique au collége du Mans , lit sur la première question du programme : « Déterminer dans ies phénomènes météorologiques , » quelle est l'influence du calorique dégagé par la com- » pression et la condensation des gaz et des vapeurs », le mémoire suivant dont la section à voté l'impression : Newton , pour exprimer la vitesse du son, a donné une formule que Lagrange a vérifiée depuis; mais la vitesse observée diffère d’environ un cinquième de la vitesse calculée. La formule suppose la petitesse des vibrations de l’air et la pro— portionnalité de son élasticité à sa densité. Lagrange a démontré que la grandeur des vibrations n’influe point sur la vitesse du son ; PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 67 mais il a supposé que l’élasticité croît dans un plus grand rapport que la densité , et il n’a pu donner aucune raison de cet accrois- sement. Laplace , en attribue la cause au dégagement de chaleur produit par la compression de l’air. Dans cette hypothèse en effet, l’élasti- cité du gaz doit varier , non seulement d’après la loi de Mariotte , c’est-à-dire, en raison de la variation de densité , mais encore en raison de l’augmentation de température. On à cru démontrer qu'il y a dégagement de chaleur dans les petits mouvements des gaz et les vibrations que produit le son, par la raison que celui-cise produit et se transmet dans les vapeurs comme dans les gaz permanents, ce qui ne pourrait avoir lieu si, dans les condensations produites par les vibrations sonores , il n’y avait, dit Monsieur Biot, une élévation de température capable d'empêcher la réduction de ces vapeurs en liquide , vapeurs qui dèslors ne pourraient plus propager l’ébranlement à d’autres parti cules plus éloignées et arrèteraient la transmission. « D'un autre côté,M. Gay-Lussac,dit M.Pouillet dans sa Physique, » à observé sur la chaleur du gaz, deux phénomènes qui sont diffi- » ciles à expliquer : 10 L'air qui s'échappe d’un vase en soufflant » par une ouverture sous une pression quelconque , ne change pas » de température, quoiqu'il se dilate en sortant. 2 Le vide étant » fait dans un ballon ou l’air étant seulement raréfié , la rentrée de » l’air extérieur produit une élévation de température de plusieurs » degrés. Le premier de ces faits mérite toute l’attention des phy- » siciens , il semble indiquer qu’il y a de la chaleur produite dans » le souffle de l’air et que cette chaleur est d’autant plus considé- » rable que la différence de pression qui produit le souffle est plus » grande , de telle manière que le réchauffement compense exac- » tement le froid produit, par l'expansion ; ainsi le second fait s’ex- » pliquerait par le premier. » A l'appui de ces diverses observations et calculs, qui tendent à démontrer ce dégagement de chaleur par le souffle de l’air et les faibles compressions du gaz, nous avons fait aussi quelques expé- riences directes et nouvelles, que les thermoscopes sensibles, inven- tés depuis peu de temps pour la théorie du calorique rayonnant, nous ont rendues d’une exécution facile. Elles sont consignées dans un mémoire présenté , il y à quelques années, à une société sa- vante. De ces expériences, qui ont été répétées un grand nombre de fois, dans les diverses saisons et par des moyens différents, nous 68 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. pouvons donc conclure que l'air atmosphérique, semblable à une éponge remplie de liquide, dégage de la chaleur avec la plus grande facilité par les moindres compressions ou ondulations. On sait d’ailleurs que la vapeur en repassant à l’état liquide abandonne toute la chaleur qu’elle avait absorbée en passant de l'état liquide à l'état gazeux. Ces considérations semblent , il est vrai, prouver une chose en apparence bien contraire à l'observation journalière, savoir, qu'il y a toujours de la chaleur dégagée dans le souffle des vents. Aïnsi l'air agité ne refroidit point les autres corps, il les échauffe au contraire, il élève lui-même sa propre température et par suite, celle des corps avec lesquels il vient se mettre en contact. Le ther- moscope le démontre : aussi, ordinairement remarque-t-on que , lorsque le vent s'élève, le baromètre baisse et le thermomètre monte. Il n’est peut-être pas inutile d'expliquer, d’après cette théorie, pourquoi alors un courant d'air produit sur nous la sensation de froid. La température de notre corps est ordinairement supérieure à celle de l'air ambiant, qui est d’ailleurs mauvais conducteur. La couche d'air en contact avec nous se renouvelle sans cesse , ce qui favorise l’'évaporation de notre matière transpirable et enlève une partie de notre colorique. L'expérience du briquet pneumatique démontre bien la grande quantité de chaleur et de lumière qui se dégage par une forte et su- bite compression de l'air renfermé dans le cylindre. Ne faudrait-il point attribuer à la même cause cette lumière qu’on aperçoit tou- jours au bout du fusil à vent, lors de la décharge, et que M. Pouillet dit être produite par de petites poussières que l'air rencontre ou emporte avec lui. Les trainées de lumière qu'on aperçoit, de temps àautre, dans les airs, pourraient encore être l'effet de la chaleur et de la lumière dégagées par le rapide trajet de ces corps appelés Bolides, Aéro- lithes. Il nous semble que jusqu'ici on n’a point fait entrer en considéra- tion , dans les explications de plusieurs phénomènes météorolo- giques , le principe de la chaleur dégagée. Ainsi l’on sait que la rosée ne se forme pas lorsqu'il fait du vent , ce phénomène ne tiendrait-il point , au moins en partie , à ce que l'air agité qui se renouvelle souvent à la surface des corps leur rend une portion de la chaleur qu'ils ont perdue par le rayonne- ment, d’après la belle théorie du docteur Wells. PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 69 Quand il se forme un nuage au-dessus d’un thermomètre exposé la nuit à l’air , il y a élevation de température et la rosée cesse d’a- voir lieu. Ne pourrait-on pas dire encore que c’est la chaleur aban— donnée par la vapeur qui se forme en vésicules ? Cette chaleur rayonne vers la terre avec celle qu’elle-même envoie vers les es- paces célestes ; car, dit M. Biot, les nuages, comme les autres corps diaphanes , doivent arrêter le calorique qui n’émane pas d’un corps très-chaud , tel est l'effet du verre. Quant à ces vésicules elles-mêmes, n’admettraient-elles point pour cause de leur suspension et de leur légèreté , la chaleur dé- gagée au moment de leur formation et la propriété d'arrêter le ca- lorique dans leur enveloppe, où existe une petite masse d’air satu— rée et déjà échauffée par la formation de la vapeur et le rayonne- ment terrestre ? On dit quelquefois vulgairement petite pluie abat grand vent , il faut entendre qu'au grand vent succède la pluie, parce que l'air cessant d’être agité se refroidit et donne lieu à la condensation de la vapeur. Les vésicules d’eau se sont d’ailleurs réunies en assez grand nombre pour vaincre la résistance de l'air. L'eau tombe plutôtquand le vent s'est calmé ou a changé ; car il est rare que dans nos climats il pleuve sans changement de vent. M. Leslie pense que le frottement de deux masses d’air saturé et à des tempé- ratures différentes suffit pour la production de la pluie. Si le vent du midi est chaud, ce n’est pas seulement parce qu'il vient de contrées fortement échauffées , c’est encore parce qu'il est saturé de vapeur d’eau qui repasse à l’état liquide en venant dans nos climats plus froids. La chaleur latente redevient libre et augmente beaucoup la température ; et c’est ce qui arrive en géné- ral toutes les fois que. des nuages se forment. Le vent de l’est est plus froid que le vent de l’ouest, parce que le premier est chargé de vapeurs humides et que le dernier ne l’est pas, n'ayant point ren— contré de grandes étendues d’eau sur son passage. Quant au vent du nord , il est froid et sec ; il y a cependant cha- leur dégagée, il nous arrive moins froid qu’à son origine , il n’y a aucune vapeur qui, en se condensant , abandonne son calorique latent, il est aussi plus propre à absorber l'humidité produite par notre transpiration , il nous refroidit plus qu’un air saturé. Aussi les vents du nord et de l’est nous apportent rarement la pluie , et, si lorsqu'ils soufflent de ce côté, il en tombe quelquefois, c’est qu'il existe des masses d'air, chargées d'humidité, qui soufflent en sens con- 70 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. traire, au-dessus les unes des autres, ce qui est d’ailleurs indiqué par les girouettes placées à différentes hauteurs. M. le Président, au nom de la Section , remercie M. Verdier de son intéressant travail. Personne ne s'étant fait inscrire sur la deuxième ques- tion du programme : « Recueillir des observations sur » les étoiles filantes , relativement au jour , aux lieux , à » Ja quantité, à l’espace de temps , à la direction , aux » cisconstances de mouvement , de couleur , de gros- » seur apparente et même à l’état de l'atmosphère », M. Biwer , à la sollicitation de plusieurs membres , en- tretient la Section sur ces corps dont la nature est encore ignorée , et sur lesquels les astronomes s'efforcent de recueillir de nombreuses observations. Ces astres éphémères, que tout le monde a pu obser- ver, puisqu'on en voit souvent sillonner le ciel étoilé, surtout à certaines époques de l’année , ne peuvent être connus qu'autant qu'on en aura d'abord déterminé la hauteur. Au moyen de deux observations bien précises , faites à la fois dans des lieux éloignés de 60 à 80 lieues au moins , on pourrait fixer deux limites entre lesquelles ces astres seraient nécessairement Compris. M. le président expose ensuite d’une manière fort in- téressante , le système de ce docteur Anglo-Américain , qui explique la périodicité des étoiles filantes par des courants de matières astrales , qu'il conçoit établis en différents points de l'orbite de la terre. M. Huxauzr de la PezteRiE dit que depuis 15 ans, il a consigné avec soin diverses observations météorologiques qu'il a faites sur ce sujet ; il a vu , pendant une éclipse de lune, une de ces étoiles sortir du disque même de la lune ; il ajoute qu’il pourrait préciser l'instant exact de son apparition; il offre de communiquer dans la pro- chaine séance ses observations météorologiques , pro- position que l’assemblée accepte avec reconnaissance. PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 71 M. de Marseuz fait observer que MM. Castel , Bla- vier , et quelques autres géologues , doivent quitter pro- chainement le congrès ; et demande en conséquence que l'on passe de suite aux questions de géologie du pro- gramme; toute la section étant de cet avis, ces ques- tions sont mises à l’ordre du jour. Le travail de la séance est terminé par une discussion qui s'engage au sujet de la lecture faite en séance géné- rale des procès-verbaux des secrétaires des sections , qui absorbent une bonne partie de la séance et privent le congrès de communications plus intéressantes ; on adopte, comme conclusion, que le secrétaire de la pre- mière Section ne lira plus à la séance générale qu’un ex- trait de son procès-verbal. La séance est levée à neuf heures. SÉANCE DU 17 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Biner. Le procès verbal de la 4° Séance est lu et adopté. M. de Marseus fait hommage à la Section, d’un ou- vrage dont il est l’auteur , portant pour titre : Éléments d’'Arithmétique raisonnece. L'ordre du jour appelle la lecture d’un rapport de M. Bouriot-St-HiLaïrE, sur des ossements fossiles trou- vés dans les cavernes de l’Erve par M. DE LASsICOTIÈRE , et présentés par lui à l'examen de la Section. D'après M. pE LAsICOTIÈRE, dit le rapporteur, ces ca- vernes seraient dans un calcaire-marbre , et enduites au fond d’un dépôt limoneux ; elles ont peu de profondeur, et ne sont pas à ciel ouvert. Quant au gisement de ces os, leur présence au milieu du marbre , ne prouve pas 72 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. qu'ils remontent plus haut que le dépôt des alluvions modernes. Ils ont été charriés par les eaux dans les ca- vernes , ou ils y ont été apportés par des animaux car- nassiers. M. Bourior donne quelques détails sur les cavernes à ossements en général , et passe à la description de piè- ces qui ont été soumises à son examen. La plupart sont des dents de mammifères. Les deux premières sont des dents molaires qui lui semblent, par la nature de leur couronne plate à rubans multiples et par les cannelures dont la surface cubique est creusée, appartenir à l’'es- pèce du cheval. La troisième lui paraît avoir appartenu à une espèce qui opérait la mastication par diduection latérale, à un bœuf ou à une vache , et peut-être aussi à un individu du genre élan ou cerf, mais alors de la plus grande taille. La quatrième, plus petite que la précédente, est aussi une dent deruminant ; la preuves’en trouve dans ses collines bisaiguës , coupées par un sillon d’engre- nage. Enfin la cinquième, par le cube très-large que présente la base de la couronne et par sa taille, appartient à une espèce perdue; malheureusement c’est une dent très-jeune, dont la couronne émailleuse a été séparée, et dont le centre n’a pas été usé, de sorte que l’on ne pourrait y trouver les usures en trèfle des hippopotames. Tout me porte à croire, continue M. Bourjot, en res- taurant ce morceau fruste , que la couronne était mam- melonnée , sinueuse en son contour , Ce qui indiquerait que le mammelon central était défendu par les contre- forts latéraux , et n’a pu être usé ; que c'était donc une dent de Mastodonte à dents étroites , plutôt que toute autre. Toutes ces dents, sans être complètement aga- thisées , m'ont paru déjà plus lourdes que leur volume, comme os,ne comporte. Aussi sont-elles déjà spathiques, et par le fait fossilisées. Les os longs, soumis à mon examen , sont trop frus- ies pour pouvoir déterminer à quel animal ils ont ap- PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. DT ©. partenu ; ils ne me paraissent humains , ni par les cour- bures, ni par les arêtes, et je pense qu’ils ne peuvent être que des os du bras et de la cuisse d’une espèce assez grande mais faible d'animal coureur, de la taille et probablement de la forme du daim ou d’un autre petit cerf. Je termine ce rapport, dit M. Bourjot, en proposant à la Section de voter des remerciments à M. de Lasico- üère , et de l’'engager , lui si habile à rechercher les âges de notre monde historique, à ne pas négliger de recueillir les restés qu’on a ingénieusement appelés les médailles des créations antérieures à la nôtre. La Section adopte avec empressement les conclusions de M. BourJor. - M. Bravier prend la parole pour rendre compte à la Section de l'examen qu'il a fait des fragments vitrifiés, rapportés de Ste-Suzanne par M. de Lasicotière, et détachés des murs d'enceinte de cette ville. Mais avant de s'occuper de la partie du rapport qui lui a été confiée, M. Blavier, qui connaît la caverne des Erves , dans laquelle ont été trouvés les ossements fos- siles dont M. Bourjot-St-Hilaire vient d'entretenir la Sec- tion, et qui a visité et fouillé quelques autres grottes semblables à celle des Erves, existant dans la même con- trée , donne des explications sur la position de ces grot- tes. Il dit que la caverne dont il s’agit, est ouverte dans le calcaire-marbre ; qu’à l’époque où il la visita, la cavité ou grotte dans laquelle M. de Lasicotière a recueilli ces ossements , n’était point une cave complètement décou- verte; qu'on apercevait seulement une fissure assez étendue en longueur, mais d’une faible largeur ; que les ouvriers lui avaient assuré que c’était dans les por- tions rétrécies de cette fissure que les ossements, dont il recueillait des fragments dans les déblais, avaient été trouvés; et qu'il avait été conduit à considérer eelte fissure comme la cheminée ou l’ouverture de 6) 74 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. de la grotte qui à depuis été mise à découvert, et où M. de Lasicotière à trouvé des ossements. M. BLavier dit avoir trouvé des ossements fossiles dans une grotte existant aussi au milieu des couches de calcaire-marbre , qu’on exploite à la carrière de Saint- Pierre-La-Cour, dans le sol de laquelle il a fait faire une fouille. Il annonce que, comme celle des Erves, cette grotte communique avec le jour par une fissure assez étroite , par où les animaux, auxquels les ossements ont appartenu, n’ont certainement pas pu pénétrer; en sorte qu'il considère comme hors de doute que ces ossements ont été entraînés dans les grottes par des courants. M. Blavier continue sa communication et dit qu'il a aussi fait faire des fouilles dans le sol d’une grotte fort curieuse par son étendue et par la tradition populaire qui s’y rattache. Cette grotte, appelée Caves à Margot, est située près du village de Saulges. Il n’a trouvé aucun ossement fossile dans la grotte, qui présente une série de cavités ou chambres plus ou moins vastes, et commu- niquant entre elles par des espèces de couloirs. Aprés avoir terminé cette communication qui a été écoutée avec intérêt, M. Blavier s'occupe des fragments de mur qui ont été particulièrement soumis à son exa- men. Îl n’y voit autre chose qu'une matière quartzeuse vi- trifiée,empâtant des fragments de calcaire dénaturé par l’action du feu, mais dans lequel on peut encore recon- naître la texture oolithique. Il annonce avoir lui-même examiné , il y a quelques années, ce bloc vitrifié, qui offre dans le parement de la muraille de Ste-Suzanne une surface de quatre à cinq mètres carrés, et, de la situa- tion de ce bloc , avoir conclu, 1° Que la vitrification n’a- vait pu se faire sur place, c’est-à-dire dans la muraille même ; 2° que cette masse ainsi vitrifiée en très-grande partie devait provenir, suivant toute apparence, de la dissolution , soit d’un four à chaux, soit d’un fourneau à fer, si dans l'emplacement même où la muraille a été PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 7 faite, le fourneau n'avait lui-même existé, et si, par conséquent, es débris de cette ruine n'avaient été mis à contribution , dans leur position primilive, à l'époque de l'édification des murs d'enceinte de la ville. M.de Lasicorière demande l'autorisation de lire quel- ques fragments d’un mémoire de M. de la Pylaie, inséré dansles Mémoires de la Société des antiquaires de France,relatif aux murs vitrifiés de Ste-Suzanne et de la Courbe (Orne),que l’auteur prétend avoir été vitrifiés sur place ; M. de Lasicotière contredit plusieurs des asser- uüons de M. de la Pylaie, et lit également une note sur l'opinion émise par MM.Battier, Williams et Joseph Bleck sur les forts vitrifiés de l'Écosse. M. de Caumonr, dont le témoignage a été invoqué, donne {es renseignements qui suivent sur les remparts de la Courbe : Le rempart de la Courbe a la forme du vallum d'un camp retranché : mais au lieu d’être formé de terres amoncelées , il se compose de fragments d’un schiste argileux phylladifère,entassés les uns sur les autres d’une manière confuse, et soudés au moyen d’un commence- ment de fusion qui, faute d’un fondant,ne s’est opérée que d’une manière fort incomplète. Ainsi , l’on peut très-fa- cilement, à l’aide d’un marteau, détacher les uns des autres les fragments qui entrent dans la composition de ce rempart , dont l’intérieur n'a subi aucune fusion, mais qui a été plus ou moins fortement chauffé ou altéré. Ainsi le mur ou le rempart de la Courbe, dit M. de Caumont , n’est pas un mur vitrifié : il présente des ca- ractères qui le distinguent tout à fait de ceux que vient de décrire M. de Lasicotière , et qui se trouvent à-Sainte- Suzanne. Quant à l’objet du rempart, il sert à isoler, des terres ou d’un plateau voisin, un cap facile à défendre. Un second rempart, élevé à quelques pas du premier, est formé de fragments de pierres amoncelées, qui n’ont 76 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. pas été chauffées , ou qui n’ont pas subi de commence- ment de fusion, M. le Docteur TerzLzeux fait observer que les murs de Ste-Suzanne n'étaient point, il y a 30 ans, tels qu’ils sont aujourd'hui. Les fragments de matières vitrifiées qu'on trouve dans ces murs lui paraissent provenir d’un four à chaux ou d’un fourneau à fer. L'ordre du jour est la discussion des articles du pro- gramme relatifs à la géologie. M. le Président donne lecture de l’article 9 , ainsi conçu : « Les débris organiques , rencontrés dans l'écorce du » globe , doivent-ils être considérés comme appartenant » aux types et aux principes des espèces qui peuplent ac- » tuellement le globe oucommeles vestiges d’une création » différente ? » M. Bouriot-St.-HiLaiRE , inscrit le premier pour parler sur la question , obtient la parole et s'exprime à peu près en ces Lermes : » Cette question est une des plus immenses qui soient » posées au programme , elle embrasse à la fois la palæ- » ontologie toute entière , et la Géologie dans les parties » les plus ardues de cette science. II faudrait ici tout le » savoir des Buckland , des Cuvier, des Blainville, des » Deshayes, pour repasser devant vous, Messieurs, tous » lés terrains, et couche par couche, étage par étage, » montrer que les espèces animales ou végétales, ren- » contrées dans la masse terrestre , ont été particulières » à chaque création, ou plutôt disons que pour chaque » continent à mesure qu’il sortait de l'immersion géné- » rale, pour une première , pour une seconde, pour une » troisième fois , (Car ces empiétements de l’eau sur la » terre, ces retraites fréquentes, sont constatées et no- » tariées pour ainsi dire par des dépôts marins , fluvia- » tilesoulacustres,se supperposant à plusieurs reprises ); » Il y avait une création végétale et animale,locale,nou- PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 717 velle, indépendante quelquefois de tout rapport avec celle des continents voisins ou éloignés. La création zoologique de la Nouvelle Hollande n’en n'est-elle pas preuve en sa particularité? » Trois systèmes genésiques se combattent : celui de la dissiménation de certains germes qui, une fois lan- cés dans la voie de la vie, ont pu, à différentes époques géologiques , revêtir des formes nouvelles ; celui des créations successives que nous soutenons, et enfin celui de Lamarck , que quelques philosophes vou- draient encore étayer , c’est-à-dire, des créations métamorphiques par l'influence de nouve:les cir- constances atmosphériques et telluriques ; de sorte que , en prenant les choses de prime abord par lab- surde, nous aurions à faire avec le temps de la Ao- nade point, un bel éléphant ou un mastodonte. Il faudrait, dans cette hypothèse , admettre alors que certaines monades non encore métamorphosées, et tous les infiniment petits de la série zoologique , seraient des espèces bien paresseuses , bien peu désireuses de s’évertuer à changer de formes, à progresser en un mot : Car ce mot progrès, dont on fait un si coupable abus, devrait aussi bien s’appli- quer à l’animalité qu’à la sublime humanité. Quel est le but des auteurs de ce système? c’est d’éloigner, pour la rencontrer pourtant toujours au fond de la question, la cause première créatrice, à moins de donner à la matière même le premier mouvement vital a se et per se. Et pour cela, il faudra faire passer les espèces par des métamorphoses inouies , que rien ne prouve, que rien ne démontre, que a constant retour de Ia variété à l'espèce dément , que per- sonne n’a vues , ni observées depuis l’état définitif de notre globe. » Onpeut donc,dans l'étatactuel des sciences non plus seulement par le sentiment religieux qui veut voir le 78 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. » sublime architecte , produisant sponté su , avec la » même matière et les mêmes éléments , mais sous di- » verses formes, dans les différents temps et dans les » différentes circonstances du globe , l'espèce végétale » et animale, mais encore par toutes les preuves tirées » desétudes zoologiques et palæontologiques proclamer » cette vérité : que, dans le temps et dans l’espace » l'espèce végétale et animale fut un ex abrupto de » Ja puissance divine ». M. Le Gazz est à peu près du même avis que le préopinant. Il est impossible , selon lui, d'admettre des transformations d’un être pour en former un autre; il cite des faits qui tendent à prouver la permanence des espèces , même des variétés dans l'homme. M. le Président interrompt la discussion pour exposer que M. Guiet, qui a envoyé un travail sur les puits artésiens , désirerait connaître le jour où s'ouvrira la discussion sur les articles du programme relatifs à celte matière, afin de pouvoir assister à la séance, et prendre part à une discussion qui intéresse si vivement la ville du Mans. M. Binet propose en conséquence de fixer cette discussion à vendredi. Cette proposition est adoptée après quelques observations de MM. Odolant- Desnos , Blavier et Cauvin. M. BoursoT-Sr.-Hizaire formule ainsi une réponse la 9%° question du programme : g « Le sentiment de la Section consultée se déclare » pour cette opinion : Que la nature a procédé par » créations successives eb par grandes époques géo- » logiques, dans la production des êtres organisés, » plutôt que par voie de transformation et de procédé » métamorphique. » Cette réponse est adoptée par la Section, après une légère discussion qui s'élève au sujet du mot sentiment , PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 79 employé par M. Boursor, auquel on voudrait substi- tuer une autre expression. M. LE Gaz demande l’autorisation de lire une notice sur la botanique. M. le Président fait observer que les questions re- latives à la géologie étant à l’ordre du jour , il lui semble préférable de continuer l'examen de ces questions , et de remettre la lecture du mémoire de M. Le Gall au jour où l’on s’occupera de la partie du programme qui traite de Ia botanique. L'opinion de M. le Président est partagée par la section. Il est donné lecture de la dixième question ainsi conçue : « De quelle valeurestla considération des végétaux vi- »vants pour déterminer à quelle formation géologique » appartient le sol qui les produit. » M. Le GaLz , inscrit le premier pour traiter la ques- tion , a la parole. Ii pense qu'il y a, dans plusieurs cas , des rapports entre la végétation,et la nature chimique du sol, et soutient que la Flore d’un terrain calcaire n’est point celle d’un terrain granitique ou schisteux , quand les deux terrains ne sont pas fort éloignés, et qu'ils n’ont pas des expositions très-diverses ; après avoir cité les observations faites en Normandie par M. de Brébisson, il expose celles qu'il a faites lui- même dans quelques autres parties de la France , no- tamment en Bretagne. Le département de l’Ille-et-Vi- laine offre , près de Rennes , un bassin calcaire d’une médiocre étendue , et pourtant on trouve dans ce ter- rain , outre un grand nombre de plantes rares dans le département , quinze plantes qu'on chercherait vaine- ment dans les terrains primitifs, et dont on retrouve seulement quelques-unes sur le littoral ou dans les îles du Morbihan , ou encore dans la partie méridionale de la Loire-Inférieure. Des faits établis , M. Le Gall ire la 80 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. conséquence que le sol exerce une influence sur Ja vé- gétation , mais que celte influence n’est point absolue ; qu’elle est seulement relative ; il croit cette influence nulle pour la végétation des hautes montagnes. L'heure avancée obligeant de lever la séance , la dis- cussion est continuée à demain. SÉANCE DU 18 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M: Biner. La séance est ouverte à 7 heures du matin. Communications : M. Caorin, curé de St.-Victeur (Sarthe ) , présente à la Section la Carte géologique de celte commune , dont il est l’auteur. M. l'abbé GizBertr communique la ttaäduction ma- puscrite d'un ouvrage anglais sur la Concordance des cpoques géologiques avec celles de la Bible, faite par M. Lozivy,naturaliste et demande,au nom du traducteur que la Section veuille bien l’examiner , et émettre son avis sur le mérite de l'ouvrage et de la traduction tout à la fois. M. Triger est chargé de faire un rapport sur ce travail, ainsi que sur la Carte géologique de la commune de St.-Victeur. M. CasTez , l’un des secrétaires , ayant besoin de quelques renseignements pour terminer le procès-ver- bal de la cinquième séance, dont il s’est chargé ; on passe de suite à l’ordre du jour. M. Le GaLz continue d'entretenir l'assemblée sur la dixième question du programme relative à la détermi- pation des formations géologiques du sol par l'inspection des plantes qu'il produit. Il formule ainsi son opinion sur ce sujet : PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. S1 « Sous une température semblable où qui n’est pas » très-différente , les terrains calcaires offrent plusieurs » plantes qui ne se trouvent pas dans les terrains gra- » nitiques ou schisteux , et ces derniers possèdent aussi » quelques plantes qui leur sont propres. Le voisinage » de la mer procure souvent aux terrains primitifs des » plantes , qui , dans l’intérieur de la contrée , appar- » tiennent au sol calcaire ; et l'influence du sol paraît » nulle dans les pays rapprochés des pôles et dans les » parties de montagnes qui restent couvertes de neige » pendant une grande partie de l’année. » La considération des végétaux vivants peut donc » être utile pour déterminer à quelle formation géolo- » gique appartient le sol qui les produit, mais cette uti- » lité est fort restreinte. » Madame Cauvix se félicite de ce que les observations de M. Le Gall confirment celles qu’elle a faites elle-même sur les plantes de Bretagne , et qu’elle a consignées dans le catalogue présenté par elle au Congrès. Elle observe qu'elle a remarqué, dans les terrains primitifs, moins de phanérogames et plus de cryptogames que dans les ter- rains calcaires ; ainsi nos bois forestiers sont remplis de phanérogames , tandis que notre immense forêt de pins maritimes ne produit guère que des champignons et des bruyères. M. Bravier prend la parole sur la question : I dit que,dans son opinion, la constitution du sol arable a des relations positives avec la nature de la couche immédia- tement inférieure ou sous-sol ; il admet également que la composition de ce sol doît avoir une influence plus ou moins grande sur la nature des végétaux qui y croissent; mais,en même temps,ilne peut admettre que la formation géologique du sous-sol , c’est-à-dire la place occupée par lui dans l'échelle géognostique des terrains, puisse avoir des relations avec la végétation ; pour préciser d’avan- 82 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. tage son opinion , il dit qu’il considère , comme à-peu- près, si ce n’est même comme complètement indifférent à la nature des végétaux qui croissent par exemple sur un sol argileux , que cette terre argileuse provienne de la décomposition de schistes appartenant aux terrains de la transition inférieure ou de la transition supérieure, ou même aux schistes du terrain houiller. Ce qui importe c’est que ce soient des schistes. Il cite à l'appui de cette opinion , ce qu’il a observé , dans le département de l'Orne, dans les massifs occupés par les forêts d'Ecouve et d’Andaine dont le centre est, formé par des masses de grès quartzeux de transition ou quartz-grenu , tandis que les bordures sont en schiste argileux ; le chêne et le bouleau sont les seules espèces ou du moins les espèces fort dominantes , tandis que le hêtre et le tremble occupent la bande schisteuse qui forme la lisière. Dans les forêts de Goufern , du Perche et de Reno, plantées sur des terrains tertiaires , les points culmi- nants , lesquels correspondent à une couche formée de débris de silex , où par conséquent la silice est l'élément prédominant , sont occupés principalement aussi par le chêne et le bouleau;il ajoute qu'il lui a paru que les lisières où le sol est argileux , présentent de préférence les es- pèces hêtre et tremble. En résumé, M.Blavier pense qu'il y a desrelationsentre la nature minéralogique du sous-sol et les végétaux ;mais non pas entre les végétaux et l’époque de formation de ce même sous-sol. Il proposerait en conséquence de formuler la réponse à la question autrement que ne le propose M. Le Gall. Voici sa rédaction : » La Section pense qu'’ilexiste une relation intime entre la nature constitutive du sol et celle des plantes qui y végétent; elle admet également, comme à peu-près prou- vée , l'existence de rapports entre la nature du sol et celle des roches constituant le sous-sol ou sol géolo- PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 835 oique. Mais elle pense que la relation qui pourrait exister entre la nature des végétaux et l'époque de for- mation géologique, à laquelle ce sous-sol appartient, n’est pas démontrée jusqu’à présent ». M. Le Gaus insiste sur l'influence des formations géologiques ; il pense que le sol arable a bien une cer- taine influence sur les végétaux, puisqu'ils en tirent les principes nutritifs ; mais l'influence qu'il attribue à la nature du sol géologique, est due à la température plutôt qu'aux aliments qu'il fournit; c’est ainsi que le terrain calcaire , qui développe beaucoup de chaleur , produitune végétation qui se rapproche de celle dumidi. M. Tricer s'élève contre cette action du sol par la chaleur qu'il produit ; il allègue pour preuve que les trèfles naissent à la fois et dans les terrains calcaires , et dans les terrains argileux , dont la température doit être bien inférieure à celle des premiers. Enfin après quelques autres observations , présentées par MM. Cauvin , Odolant-Desnos , etc , M. le Prési- dent propose à la Section de voter une réponse à la question du programme. Le premier paragraphe de la rédaction de M. Le Gall est adopté à l'unanimité ; M. Blavier, d’abord opposé au second , se rend bientôt , après quelques explications et concessions faites par M. Le Gall, et ainsi rédigé, ce pa- ragraphe est adopté : « La considération des végétaux vivants est donc » d’une très faible importance et même presqu'inutile , » pour déterminer à quelle formation géologique ap- » partient le sol qui les produit, bien qu'il y ait des » rapports certains entre quelques plantes et la nature » du sol minéralogique. » M. Cauvin secrétaire-général , propose de nommer un vice-président pour remplacer M. Blavier qui doit partir; sur sa demande, M. Triger est nommé par ac- 83% PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. clamation. À la suite de celte nomination , M. Castel donne lecture du procès-verbal de la veille qui est adopté. M. Cauvin représente que la première Section , com- prenant à la fois toutes les branches des sciences natu- relles (zoologie, géologie, botanique) , et le temps de la session s’écoulant rapidement , il serait bon de faire marcher de front toutes ces matières , afin que l'une d’elles ne fût pas sacrifiée à l’autre. La Section se rend aux raisons de M. le secrétaire-général, et met à l'ordre du jour, pour la prochaine séance , les lectures suivantes : 1° Mémoire de M. Blisson sur les larves de lépidop- tères. 2° Mémoire de M. le docteur Bravais sur linflores- cence des graminées. M. le Président donne lecture de la onzième question du programme , ainsi posée : « Quelles sont les causes qui ont déterminé la consoli- » dation des sables tertiaires à leur partie supérieure, de » manière à former des grès en couches plus ou moins » continues , tandis que les parties inférieures de ces dé- » pôts conservent l’état de sables incohérents. » M. Tricer prend la parole’, et après avoir développé le résultat de ses observations sur les terrains sablon- neux de la partie supérieure du terrain tertiaire,ilconclut en disant qu'il a remarqué la plus grande analogie entre ces dépôts et ceux qui se forment encore aujourd'hui sur les bords de la mer dans la partie occidentale , de la France. Reconnaissant donc dans ces terrains de vastes dépôts de sables formés sur le rivage de la mer à l’époque tertiaire , il pense que vu le peu de profondeur des eaux et l'élévation de la température à cette époque, de la silice en dissolution s’est précipitée par suite de sa con- centration,, et à cimenté la partie supérieure du terrain PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 85 tertiaire,de manière à former des grès à grains fins dans certaines localités , et dans d’autres de véritables pou- dingues. Ce précipité n’ayant pénétré qu’à très-peu de profondeur , il en est résulté une couche assez mince et même souvent interrompue , surtout dans la partie la plus sablonneuse, c’est-à-dire sur le rivage. M. Triger re- connaît,dans les masses isolées de ce terrain,les sommets d’une foule de petites dunes de l’époque tertiaire,et pense que leur aspect mamelonné est dû à l'affinité de la silice pour elle-même,secondée au moment de la cristallisation par l’action galvanique,quinelaisse pas de jouer un certain rôle dans la consolidation de toutes les roches. Il attri- bue à la même cause la forme bizarre des nodules de silex et même celle de certaines géodes , que l’on re- marque principalement dans les minerais de fer du ter- rain secondaire. M. Tricer propose en finissant de conduire, à St.-Pa- vin, ceux des membres de la section qui le désireraient, et de leur faire voir la disposition desterrains dont il vient de parler.Cette offre est acceptée avec plaisir,et la course est fixé à une heure. La séance est levée à neuf heures. 86 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS, SÉANCE DU 19 SEPTEMBRE 1859. Présidence de M. TriGEer. La Séance est ouverte à 7 heures un quart du matin. M. de Marseuz donne lecture du procès-verbal de la sixième Séance , qui est adopté sans réclamation. M. Tricer , chargé d'examiner la traduction manus- crite de M. Lozivy, naturaliste, se recuse en alléguant ses occupations, qui ne lui laissent pas le temps de faire l'examen long et sérieux que comporte un travail de ce genre. [1 nomme une nouvelle commission,composée de MM. Gilbert , Mautouchet et Chévereau. M. Le GaLz, au nom de la commission , nommée pour l'examen du Catalogue des Plantes de Bretagne , offert par madame Cauvin dans la première séance, fait le rapport suivant, dont la section vote, sur sa demande, l'insertion au procès-verbal de la séance, comme étant propre à donner une idée du travail intéressant de ma- dame Cauvin : La commission à examiné avec beaucoup d'attention le manus- crit, intitulé Chloris armorica , déposé par madame Cauvin , le 15 de ce mois, sur le bureau de la première Section. Cet ouvrage pré- sente, pour les plantes phanérogames , le résultat de nombreuses herborisations faites en Bretagne , et la réunion de divers rensei- gnements, fournis par des botanistes, dont les noms sont chers à la science. L'ordre suivi est celui des familles naturelles , tel qu’il est établi dans le Botanicon gallicum de M. Duby. Mme Cauvin, qui a re connu, depuis long-temps, l'influence de la nature du sol sur la vé- gétation, a jugé convenable de rapprocher des plantes que produit le sol presque tout primitif de la Bretagne , certaines espèces plus ou moins communes dans les terrains calcaires de l’ancienne pro- vince du Maine. En retranchant du catalogue ces dernières plantes et celles qui sont cultivées, on le réduit à 946 espèces bretonnes, dont 200 environ ne vivent que près de la mer, dans un sol encore primitif, mais altéré ou amélioré , suivant l’auteur , par le mé- PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 87 lange de substances calcaires. Les 946 espèces se distribuant en 581 genres, le rapport moyen des genres aux espèces est à peine comme 1 est à 2 1/2 , ce qui suffirait seul pour dénoter une Flore assez pauvre. Il est probable que plusieurs genres et 150 espèces au moins viendront s'ajouter aux genres et espèces que mentionne le catalogue ; mais, dans ce casmèême , la Bretagne ne posséderait pas une Flore riche et variée. Sa position géographique est pourtant fort bonne , et son vaste territoire , bien arrosé , très-accidenté , offre beaucoup de prairies, de terres incultes , de marécages , quelques dunes étendues et d’assez belles forêts. Mais , comme le fait observer madame Cauvin , le calcaire ne s’y trouve qu’en pe- tite quantité. Le catalogue en question autorise aussi à penser que la division de la France en quatre régions botaniques , suivant les quatre aires de vents , est bien loin d’avoir quelque exactitude. En effet, on s'aperçoit, en étudiant l'ouvrage, que la Bretagne , pro- vince éminemment occidentale, ne produit guère dans son inté- rieur que des plantes communes à presque toute la France , et que celles de son littoral se retrouvent sur les plages de la Manche et de la Méditerrannée , ou du moins dans les provinces méridion- nales. Les quatre ou cinq espèces rares , qui paraissent propres à la Bretagne , ne suffisent pas pour donner à sa Flore un caractère particulier. Madame Cauvix , dont le nom est cité avec éloge par le savant auteur de la Flore de la Sarthe et de la Mayenne , a le grand mé- rite d'indiquer avec exactitude les lieux où elle a recueilli ses plantes et la nature du sol qui les nourrissait. Elle entre quelque- fois dans des détails très-intéressants : nous avons remarqué sa note sur la marche où la dissémination du diplotaxis tenuifolia en France, ses observations sur les Primevères et sur quelques va- riétés de la Violette tricolore. C'est avec doute, que madame Cauvin mentionne , auprès de V'Ajonc d'Europe , si utile aux cultivateurs bretons, l’Ajonc de Provence , Ulex provincialis, Lois. Nous pouvons dire qu’il existe en Bretagne, surtout près des côtes, un Ajonc auquel la description donnée par M. Loiseleur semble assez convenir. Il se place entre l'Ajonc d'Europe et l’Ajonc nain, non seulement par ses caractères organiques , mais encore par l’époque de sa floraison. C’est un arbrisseau dé deux à trois pieds à rameaux, un peu diffus, à feuilles lancéolées-linéaires, légèrement velues, à écailles calicinales exac- tement appliquées. Le calice est presque glabre , à divisions infé- rieurestridentées. Les fleurs sont d’un jaune assez pâle ; les ailes 88 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. sont plus longues que la carène et l'étendard échancré est presque plane. En résumé, l'ouvrage de madame Gauvin ne peut manquer d'être utile aux botanistes qui s'occupent de la géographie des plantes, et sera très-utile au botaniste breton qui voudra composer une Flore de son pays. La lecture que nous en avons faite , n’a pas été pour nous sans profit. Le reste de la séance est occupé en entier par deux lectures, l'une d’un Mémoire de M. le docteur Bravais, médecin de l'Hôtel-Dieu d'Annonay, sur l'{nflorescence des Graminées. Ce travail est accompagné d'une plan- che explicative, que l’auteur a fait graver exprès. C'est un traité complet sur la matière : plein de vues élevées et d'observations importantes pour la science, il est dans le même genre et d’un mérite égal à celui du même savantsur la Disposition géométrique des feuilles dans Les végétaux, qui fut entendu avec tant d'intérêt au Congrès de Clermont et imprimé en entier dans le compte-rendu de ses travaux. Sur la proposition de M. le Président, la Section vote des remerciments à M. Bravais, et prie M. de Marseul de les lui transmet- tre. Son Mémoire est renvoyé à la commission de pu- blication. L'autre , d'un Mémoire de M. Buisson , trésorier-ar- chiviste du Congrès et entomologiste distingué de notre ville, intitulé : Æssai sur une méthode pouvant faci- liter la recherche et l'étude des larves des Lépidop- tères. Ce travail plein de faits intéressants sur les mœurs des chenilles , leur genre de nourriture , de rap- prochements neufs entre leurs formes , leurs couleurs et les plantes au dépens desquelles elles vivent, de considérations sur les moyens dont la nature les à douées pour échapper à leurs ennemis , a été entendu avec le plus grand plaisir par la Section, qui, sur la de- mande de M. le Président et de quelques autres mem- bres, en a voté l'impression. PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 89 Nora. Ces deux mémoires étant imprimés à la suite des procès-verbaux de la première section DOUS nous dispensons d'en donner ici l'analyse. M. HunauLr DE LA PeLTERIE regrette que la course géologique, proposée par M. Triger dans la séance d'hier, n’ait pas eu lieu. Il attendait le résultat de l’exa- men qui devait en être l’objet, pour soumettre à la Section des observations sur la consolidation des sables tertiaires , question qui a été débattue dans la séance précédente. M. Triger répond qu'il s’est rendu à l'heure fixée, malgré le mauvais temps , lequel sans doute avait arrêlé tous ceux qui s'étaient proposé de l’ac- compagner , el que n'ayant trouvé personne , la course n’a pas pu se faire ; il renouvelle sa proposilion. L'ordre du jour de la prochaine séance est 1° la lec- ture du mémoire de M. Le Gall sur la Botanique ; 2° Ia discussion de la 21° question du programme sur les puits artésiens. La séance est levée à neuf heures. SÉANCE DU 20 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Duwas. Le procès-verbal de la 7° Séance est lu et adopté. M. HunaAULT DE LA PELTERIE , au nom de la commis- sion chargée de faire une enquête sur les personnes les plus dignes , par leurs travaux scientifiques, de la mé- daille mise à la disposition de la Section, fait un rap- port verbal à ce sujet. Il propose de la décerner à M. Triger, qui a bien mérité du pays pour les ser- vices rendus par lui aux études géologiques , et en par- ticulier pour la Carte Géologique du département de 6 90 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. la Sarthe, qu'il publie en ce moment ; il propose en outre d'accorder deux mentions honorables, l’une à M. Despor- tes, consérvateur du Musée , pour sa Flore du Maine , si remarquable pour sa synonymie et l'indication précise des localités , et l’autre à Mme Cauvin , pour ses travaux et ses recherches sur la botanique. La Section adhère aux conclusions de M. le Rapporteur. M. Le GaLL lit la notice suivante, sur une Fume- terre dont quelques fleurs ont les deux pétales exté- rieurs éperonnés : | « On trouve en abondance aux environs de Rennes, et dans plu- sieurs parties dela Bretagne, une Fumeterre qui diffère de la Fume- terre officinale { Fumaria ofjicinalis. L.), par sa tige plus flexible, longue de 2-3 pieds ; par ses pétioles accrochants , faisant l'office de vrilles ; par ses feuilles moins décomposées , à folioles ou seg- ments ovales cunéiformes ; par ses fleurs plus grandes , et par ses pédicelles généralement courbés vers la terre après la flo- raison. Les parties de la fleur offrent aussi des caractères qui n’appar— tiennent pas à la Fumeterre officinale : les sépales se touchent par leurs bords inférieurs ; le pétale éperonné est un peu redressé vers le haut ; l’autre pétale externe , assez étroit et linéaire , ne reste pas connivent avec les pétales internes ou latéraux, mais retombe en formant un arc. Enfin le style, au lieu d’être coudé près du sommet , se trouve courbé dans sa moitié supérieure. Les fleurs sont ordinairement carnées, rarement rougeâtres, plus rare- ment encore d’un blanc tirant sur le jaune ; une tache d’un pour— pre noir se fait remarquer au sommet des pétales. La saveur de la plante est âcre, tandis que la saveur de la Fumeterre officinale est seulement amère. Notre plante croît parmi les moissons , dans les haies et contre les vieux murs. . S'il existe dans les provinces méridionnales de la France une Fumeterre principalement caractérisée par des sépales à bords en- tiers , par des fleurs jaunâtres, par des fruits parfaitement lisses, et si la dénomination de Fumeterre grimpante, Fumaria capreolata Lin. ne convient qu’à cette plante, la nôtre doit être rapportée à la Fumeterre intermédiaire , Fumaria media. Lois. ; mais, si l'espèce méridionale n'existe pas en réalité , si elle ne se trouve que dans les livres, notre plante doit être alors regardée comme la véritable Fumeterre grimpante du botaniste Suédois. PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 91 En cueillant quelques échantillons de cette Fumeterre , au prin- temps de l’année 1838, dans un champ dépendant de la Prévalaie près de Rennes, j’en pris un dont le premier épi, bien‘ développé, présentait sept fleurs conformes au type ordinaire et sept autres qui s’éloignaient de ce type par une corolle à double éperon. Dans quatre de ces dernières fleurs, les deux pétales éperonnés étaient semblables ; dans trois, ces pétales différaient , parceque l’un des éperons se trouvait moins développé. On distinguait à la base de quelques uns des sépales, à leur point d’attache , un mamelon ou petite corne de couleur verte, et ces mêmes sépales avaient deux nervures rapprochées qui devenaient divergentes vers le sommet et se prolongeaient chacune en une petite pointe blanche. Les deux pétales éperonnés, droits dans leur partie supérieure , couvraient presqu’entièrement les deux pétales internes, avec lesquels ils res- taient connivents. Le style n’était plus courbé. La position des pétales par rapport à l’axe de l’épi se trouvait aussi changée : les pétales externes n'étaient plus , l’un supérieur, l'autre inférieur ; ils étaient latéraux , et, par conséquent , l’un des pétales internes se trouvait placé en haut , l’autre en bas. L’obser- vation de ce fait confirme une opinion émise par M. Moquin-Tan— don, dans son excellent. Mémoire sur les irrégularités des corolles dans les dicotylédones. Ce botaniste pensait que le pétale’ éperonné des fumeterres ne devenait supérieur que par suite d’un défaut d'équilibre, occasionné par l'avortement de l’un des éperons. Comme dans le genre Diclytra, qui appartient à la famille des Fumariacées, les deux pétales extérieurs sont éperonnés , M. Moquin priait les botanistes d'examiner , à l’occasion , dans les espèces comprises sous ce genre , la position relative de la corolle. L’examñen de cette position sur une Fumeterre, offrant à la fois des fleurs ordinaires et des fleurs à double éperon , lui semblera sans doute on ne peut plus satisfaisant. En terminant cette notice , je fais observer qu'il n'existe aucune différence sensible entre les fruits produits par les fleurs à simple ou à double éperon , et que les androphores et les anthères sont tout-à-fait semblables dans ces deux sortes de fleurs. » M. Le GALL à commnniqué aux membres de la Sec- tion l'échantillon de Fumeterre, objet de Ja notice ci- dessus. Malgré la dessication , la différence des fleurs est très-remarquable. L'ordre du jour est la discussion de la vingt-troisième question du programme : « Est-il possible de faire des 92 PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. » puits artésiens dans la ville du Mans? Les essais tentés » dans cette ville prouvent-ils que le terrain ne présente » pas les conditions nécessaires pour fournir des sources » jaillissantes ? » M. Tricer prend la parole , après avoir exposé le ré- sultat de ses observations sur les conditions indispen- sables dans la disposition des couches d’un terrain pour obtenir des eaux jaillissantes , conclut en disant que les terrains qui entourent la ville du Mans, ne présentent aucune de ces conditions, et persiste dans l’idée, qu'il a déjà émise depuis long-temps, qu'il n’y a pas probabilité d’y obtenir des eaux jaillissantes. Après avoir entendu successivement la lecture d’une lettre de M. Guiet , juge de paix à Montfort , qui semble déduire , de diverses observations sur la nature du sol dans ce canton , la possibilité d’y faire des puits arté- siens ; celle d’une note de M. Hunault de la Pelterie , relative aux forages entrepris aux environs de Tours ; et les observations de MM. Chevereaux et de Boisthi- bault; la Section admet la réponse à la vingt-roi- sième question du programme, ainsi formulée par M. Triger : Il n’y a pas probabilité qu'on puisse obtenir des eaux jaillissantes dans la ville du Mans. La séance est levée à neuf heures un quart. SÉANCE DU 21 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Bixer. La Séance est ouverte à 7 heures du matin. Le procès-verbal de la 8° séance est lu et adopté. Communications. M. Zackrewki dépose sur le bu- reau un mémoire sur l’origine des mathématiques et sur le degré d'utilité qu’elles présentent. PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 95 M. de Caumonr fait hommage d’un ouvrage dont il est l’auteur , intitulé : Æssai sur la distribution geo- graphique des roches dans le département de la Manche ; il est accompagné de la Carte géologique de ce département. M. Tricer fait un rapport assez étendu sur la Carte géologique de M. Chorin , curé de St-Victeur ; il re- gretle d’avoir à y signaler quelques erreurs et des-omis- sions importantes. Il rappelle en même temps le zèle de son auteur pour les études géologiques, les précieux échantillons de fossiles qu’il a trouvés et conclut en lui votant des remerciments pour sa communication. Après ce rapport, M. le Président donne lecture des questions du programme de géologie qui n’ont pas en- core élé soumises à l'examen de la Section. Elles sont trai- tées , pour la plupart, par M. Triger, avec la briéveté qu'exigent la quantité des matières et le peu de temps qui reste, mais avec beaucoup de talentet d’une manière fort intéressante. Plusieurs réponses sont formulées et admises successivement par la Section. Enfin M. Le Gall entretient l'assemblée sur la 24° question , et la seule posée au programme sur la Bota- nique : » De quelle manière se propagent l Uredo caries De » Cand. et les Champignons du même ordre qui se dé- » veloppent sur les céréales ? » Il dit que ces espèces de Champignons sont probable- ment le résultat de l’état humide du sol ou de l’atmos- phère ; qu’on les voit se développer , lorsque les céréa- les sont transportées d’un lieu sec dans un lieu très- humide , ou bien encore quand la terre a été chargée de trop d'engrais ; que du reste il n’y à pas assez de faits pour en déterminer la cause d’une manière positive. Il émet , en finissant , quelques doutes sur la nature de ces moisissures qui pourraient bien n’être pas des plan- 9% PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. tes , comme on le tient généralement, mais plutôt des altérations morbides des végétaux sur lesquels elles sont produites. M. Le Gaz formule la réponse suivante , qui est admise par la Section : « Il n'y a pas assez de faits pour déterminer la cause » del Uredo caries e! des champignons da même ordre » qui se développent sur les céréales. Mais on peut » dire, en général , qu’une trop grande humidité soit du » sol, soit de l'atmosphère, ou bien encore une trop » forte quantité d'engrais donnée à la terre , en favo- » risent le développement. » M. le Président exprime ses regrêts de ne pouvoir entendre le mémoire de M. Zackrewski ainsi que celui de M. Le Gail sur la botanique , à cause de l'heure avancée de la séance. Il remercie les membres de Ia Section pour leur zèle et la bienveillance qu'ils lui ont témoignée. Sur la proposition de M. Odoltant-Desnos , l'assemblée,à son tour,lui vote des remerciements, ainsi qu'aux autres membres du bureau , pour la bonne direc- tion qu'ont reçue les travaux de la Section. La Séance est levée à neuf heures. Le President : BINET. Les Vice-Presidents : DUMAS, BLAVIER , TRIGER. Les Secrétaires : DE MARSEUL , VERDIER, ‘TEL. 2222 29.58 19 02 0 9 09 9 9 09 2009 06 DR 0G DA + 2909 29 AG ADN AVAL DE V9 DA AR QG UN D IE EXAMEN DE L'INFLORESCENCE DES GRAMINÉES. MÉMOIRE PRÉSENTÉ AU CONGRÈS SCIENTIFIQUE DU MANS, (12 SEPTEMBRE 1839.) PAR L. F. BRAVAIS, DOCTEUR EN MÉDECINE, MÉDECIN DE L'HOTEL-DIEU D'ANNONAY { Ardèche ), MEMBRE CORRESPONDANT DE LA SOCIÉTÉ PHILOMATIQUE. Le désir de m’associer aux travaux du Congrès scientifique m'a engagé à lui adresser un Mémoire snx l'inflorescence des Graminces. IL-est aujourd’hui téméraire -de vouloir présenter des apperçus nouveaux sur une famille de plantes étudiées à fond par les plus célèbres botanistes du dix-neuvième siècle. Sans compter les ouvrages spéciaux de Lamarck, Schrader, Palisot de Beauvois ; Host, Gaudin, de MM. Trinius, Robert Brown , Link, Nées, et surtout Ch. Kunth, combien ne trouve-t-on pas de mémoires particuliers de MM. Richard , de Mirbel, Turpin ? Cependant les fleurs de graminées , que nos pieds foulent partout , n’ont pas été examinées dans leur symétrie générale. Des publications nom-— breuses ont fait connaitre la structure des fruits , des fleurs, dans 96 MÉMOIRES. : leurs plus grands détails ; la distinction des genres et des espèces laisse peu à désirer. Cette année même , M. de Mirbel vient d’op- poser ses recherches sur l'embryogénie de ces plantes à celle de M. Schleiden. Mais la position des pédoncules sur l’axe florifère , l’arrangement des rameaux et des valves successives, la symétrie enfin d’une réunion de fleurs en panicule n’a pas été étudiée avec toute l'importance que mérite le sujet; le brin d'herbe renferme des merveilles que les ouvrages modernes ne racontent pas. On s'accorde en général à dire que l’inflorescence des grami- nées est en panicule ou en épi. Mais où finit l’épi? Où commence la panicule ? Comment les rameaux nés, en apparence, du même point d’un axe central sont-ils groupés ensemble? En quoi leur position est-elle différente de celle des rameaux qui naissent soli— taires sur chaque nœud ? Voilà des problèmes que les plus habiles observateurs ont souvent négligé de résoudre. La cause de cette omission provient sans doute de ce que les botanistes , pour distinguer des genres et des espèces, sont obligés de faire plutôt attention aux différences qu'aux ressemblances , aux variétés de formes , qu'à celles d'organisation. Mais ils pensent tous que l'inflorescence des graminées est fondée sur un type unique , que des nuances insensibles unissent les panicules aux épis, qu'il existe des panicules spiciformes et des épis paniculi- formes. Notre travail est destiné à rendre cette doctrine encore plus évidente. Le Seigle, l'Orge, le Froment, le Nard, le Cynosure sont classés parmi les épis; mais ces genres différent entr’eux par leur organi— sation. Les panicules des Avena, Agrostis, Poa, Bromus, Festuca , se ressemblent davantage, si on compare leur structure au lieu de s’en rapporter aux apparences extérieures. L'étude que nous allons entreprendre, nous permettra de ré— soudre plusieurs de ces difficultés, et d’établir ensuite quelques points d’analogie entre l’inflorescence des graminées et celle des autres plantes phanérogames. Nous arriverons à ce résultat géné- ral que, quelle que soit la structure de l’axe primaire des grami- nées, les axes secondaires, tertiaires, se ressemblent par leur état distique et se ramifent d’après une même loi ; que l’inflorescence souvent centripète dans chaque épillet, est centrifuge dans l’en-— semble des glumes , qu’elle forme des cimes distiques et scor- pioïdes , cimes terminées et fermées de toutes parts, mais ana— logues à celles des Cypéracées et des Composées, etc. La première question qui se présente à l'esprit est celle-ci : quelle est la structure des épillets ? Tous sont-ils organisés de la PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 97 même manière? Les glumes uniflores ont-elles leur fleur latérale ou terminale au pédoncule? Les épillets multiflores ont-ils toujours leurs fleurs placées sur les côtés d’un axe indéfini ? Supposons, pour un instant, que toutes les fleurs soient latérales, alors l’inflorescence aura un type unique, centripète dans la spicule isolée , centrifuge dans l’ensemble des spicules. Mais s’il existe des genres à fleurs terminales , pour eux l’inflorescence sera centrifuge sous tous les rapports. L'examen de cette dernière question nous obligerait à passer en revue tous les genres de Graminées , et autant que possible à l’état frais. Ce travail est trop au-dessus de nos forces pour que nous osions l’entreprendre. Heureusement la solution de ce problème n’influe en rien sur la connaissance de la succession des rameaux. D’après nos recherches , quelle que soit la structure d’un épillet , uniflore ou multiflore , les valves extérieures ont toujours la même position symétrique sur l’axe du pédoncule. La panicule des Agros- tis, Anthoxanthum, Alopecurus, ne diffère pas de celle des Avena, Poa, Bromus. Aïnsi, sans savoir comment se terminent les axes, nous pourrions encore étudier la manière dont ils se ramifient. Ne nous flattons pas d'arriver à des résultats applicables à toute la famille des Graminées , quoi qu’elle soit très-naturelle. Nous avons examiné moins de 200 espèces soit vivantes, soit desséchées, l'éloignement des bibliothèques publiques et des grandes collec- tions nous interdit une étude complète. Privés des Graminées exotiques, nous avons redoublé de patience pour observer les plus vulgaires et pour généraliser ce qu’elles offrent de commun entr’elles. La route que nous suivons est à la vérité semée d’écueils , mais le brin d'herbe qui se trouve partout, est évidemment symétrique dans ses rapports d'ensemble. Chaque rameau est organisé comme sa tige , le ramuscule comme une sommité.de rameäu ; l’épi le plus simple en se combinant avec d’autres épis , constitue les pa- nicules les plus composées. Ainsi l’unité d'organisation se retrouve dans les détails de l’ensemble , et tous les fragments d’une tige sont homogènes entr'eux. La partie inférieure du chaume toujours distique perd quelquefois ce caractère dans l’axe central del’inflo-— rescence ; mais le caractère distique est tellement fixe , qu'après avoir varié un instant , il ne tarde pas à reparaître dans les rameaux latéraux. Notre Mémoire sera divisé en deux parties : dans la première, nous donnerons les preuves dé l’existence des fleurs terminales parmi les Graminées ; dans la seconde , nous étudierons l’inflores- 98 MÉMOIRES. cence de toutes les espèces que nous avons pu analyser. Exprimons ici nos regrets de ne pouvoir citer toujours l'opinion des savants botanistes qui ont examiné , avant nous, plusieurs de ces questions. Il nous serait agréable de fonder notre opinion sur leurs dé- couvertes, en rendant à leurs travaux toute la justice qu'ils mé- ritent. PREMIÈRE PARTIE. DISTINCTION DES FLEURS TERMINALES ET DES FLEURS LATÉRALES. Une fleur est terminale toutes les fois que l’axe de ses parties foliacées est la continuation de celui de la tige ; elle est latérale au contraire , lorsque l’axe du pédicelle provient d’un nœud de la tige. Le premier cas est-il avéré dans la vaste famille des Gra- minées ? Quoique cette question ait été, je crois, peu étudiée , l'opinion des botanistes est plutôt affirmative que négative.M. de Candolle,en classant l’inflorescence de ces plantes parmi les épis ( Org. Vig. 1. p. 404), semblerait reconnaître que les fleurs sont toujours la térales à l’axe de leurs épillets ; mais il n’est pas probable qu'il ait étendu sa manière de voir à toutes les spicules uniflores. Un botaniste qui a prétendu réformer l’Agrostographie admet l'existence des fleurs terminales. On doit du moins tirer cette con- séquence du travail de M. Raspail, dans l'examen des dix genres placés en tête de sa classification. Chez eux, la paillette supérieure des fleurs serait imparinerviée, ce qui prouve, dans son système, que l'axe de l’inflorescence ne peut ni se détacher de la fleur, ni se prolonger au-delà. Mais les idées qu’il cherche à démontrer sont, en général, tellement éloignées des opinions reçues , qu’elles ont eu jusqu'à ce jour peu de partisans. ( Voyez Ann. des Sc. Nat. t.1vet v.) Commençons par examiner ce qu'on sait de positif sur l’orga- nisation d’un épillet dont les fleurs sont latérales, de l’aveu de tous les botanistes. PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 99 &. L ORGANISATION DE L'ÉPILLET POURVU DE FLEURS LATÉRALES. Les botanistes s'accordent à donner un nom particulier aux deux valves stériles de chaque épillet, et un autre nom à celles qui en- tourent immédiatement la fleur. Toutes les bractées étant des feuilles modifiées , doivent se distinguer, avant toute autre consi- dération, par l’axe qui les porte. Ainsi on en remarquera de trois supports différents : 10 Celles qui existent sur l’axe primaire de l’in- florescence sont visibles aux nœuds inférieurs des Anthoxanthum odoratum, Bromus mollis ; le plus souvent leur place est marquée par une callosité ou bien elles avortent complètement. La feuille turbinée qui entoure la fleur fémelle du Coix lacryma n’est pas un involucre , mais un pétiole endurci que termine un limbe plus ou moins long. 20 Les bractées qui naissent de l'axe des épillets sont les unes situées au-dessous, comme la glume externe ou lépicène ; comme la valve inférieure de la corolle (Linné) qui porte le pé- dicelle floral à son aisselle. Les autres sont au sommet de l’épillet, et forment les bractées stériles ou abortives qui terminent les glumes multiflores des Bromus , Festuca. Quelques—unes ont à leur aisselle une bractée membraneuse , ‘une fleur unipaléacée ( Panicum alissimum) ; ou bien des fleurs mâles , ( Holcus, Pen- nisetum typhoideum). 3° La valve la plus intérieure , ordinaire— ment bicarénée , adossée à l’axe de l'épillet , mériterait d’être distinguée par un nom particulier, parce qu’elle appartient au pé— dicelle de la fleur et non à l’axe de l’épillet. L’enveloppe, appelée corolle par Linné , calice par de Jussieu , valvules (Gaudin), glume interne, glumelle, périgone ( Duby), n’est pas homogène ; elle provient de feuilles fournies par deux axes différents. M. de Candolle penche en faveur de l'opinion des auteurs qui regardent les lodicules comme les rudimens du périgone des Gra- minées. Il regarde avec M. R. Brown la valvule interne comme formée de deux pièces , est celle qui précède, comme complétant le nombre ternaire. ( Org. 1. p. 447 ). Les lodicules sont au nom- bre de trois dans les genres Bambusa, Glyceria ; quelquefois la troisième est plus petite et son absence, dans plusieurs cas, peut tenir à un avortement ou à une soudure intime. (id. p: 504). Voici les réflexions que je me permettrai d’opposer à cette manière de voir. Si la valve bicarénée était formée de deux pièces soudées, on devrait avoir la même opinion sur la première feuille des bourgeons distiques, nés à l’aisselle des feuilles inférieures des Panicum, Digi- 100 MÉMOIRES. taria , Festuca , Brachypodium. Cette première feuille adossée à l'axe de la tige est en effet bicarénée ; les suivantes perdent ce caractère. Or l'admission d’un verticille ternaire dans ce point n’est d’aucune utilité à la science et ne présente aucune probabilité en sa faveur. Pourquoi la valvule supérieure d’une fleur de Graminée, qui est aussi la première feuille d’un axe nouveau, serait-elle considérée d'une manière différente ? L'analogie avec quelques graminées à trois lodicules ne nous pa- raît pas suffisante pour faire admettre une soudure ou un avorte- ment dans les deux lodicules ordinaires. D’après toutes nosobser- vations , lorsque le système ternaire succède au distique , la der- nière feuille distique est placée à 600 de deux feuilles du verticille terné. Rappelons-nous que, dans toute fleur latérale des graminées, les deux lodicules sont en avant avec une étamine entr’elles, et deux étamines sont en arrière. La troisième lodicule, si elle était nécessaire, devrait donc se placer en arrière , afin d’alterner avec les trois étamines dont la place est déjà fixée. Mais la valvule su périeure occupe ce même lieu et remplace une lodicule. Supposons maintenant que cettepremière valvule ne soit pas partie intégrante du premier verticille terné , elle sera sans contredit la bractée unique d’un pédicelle floral appartenant à l'ordre distique. Dans cette hypothèse, pour conserver l'alternance de deux systèmes diffé- rents, les deux lodicules devraient être en arrière et la troisième abortive en avant ; puis les étamines seraient deux en avant, une en arrière. Or l'observation est contraire à cette hypothèse. Dans un ris, par exemple, la bractée sous-florale répond toujours à l'écartement de deux des trois pétales extérieurs. La position des étamines étant fixe dans les Graminées , nous sommes donc obligés d’adopter l'opinion dans laquelle la valvule supérieure occupe la place et remplit les fonctions d’une troisième lodicule. Pour expliquer cette symétrie nous n’avons besoin d’ad- mettre ni soudure, ni avortement quelconque : réservons cette supposition pour les cas où elle est nécessaire. Ainsi dans le Bromus madritensis , l’étamine antérieure manque évidemment ; dans le Nardus stricta au contraire , les deux lodicules manquent, mais leur présence dans cette espèce , comme dans les graminées ordi naires n’est pas indispensable à la conservation des lois de l’al- ternance. Leur soustraction ne changerait pas la symétrie accou- tumée. Nous en avons un exemple dans la fleur femelle du Coix : au- dedans des quatre valvules du pédicelle floral est une cinquième valvule qui alterne avec deux étamines abortives, latroisième éta- PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 401 mine restant opposée. Cette valve intérieure située en avant est , ou bien une cinquième valve de la glume, les lodicules avortant complètement, ou bien une lodicule unique , dont la position fixe celle des trois étamines. Observons que,dans la fleur mâle,on trouve deux lodicules à l'ordinaire. Le Sorgho a été décrit par M. Persoon comme ayant à sa corolle une troisième valve plus intérieure , embrassant les nectaires vil- leux (lodicules ) ; cette troisième partie forme un verticille avec les deux lodicules , qui alterne avec les trois étamines : on peut la con- sidérer indifféremment comme une troisième lodicule, ou comme une cinquième valve de la glume. (Synopsis PI. p. 101). Si j'ai bien compris les observations de M. de Laharpe ( Ann. des sc. ant. t. V. p. 339)dansle Bambusa arundinacea, la paillette su périeure est placée dans l’écartement de deux lodicules, et la troi- sième lodicule lui est opposée. Ensuite viennent trois étamines alternes, puis trois étamines correspondantes aux lodicules. Ici la valve supérieure ne fait pas partie du premier verticille ternaire ; c’est une feuille inférieure à ce système et appartenant à l’ordre distique. Mais dans les graminées ordinaires , les lodicules sont autrement placées et doivent appartenir au mème verticille que la valvule supérieure. (1) J'ai trouvé deux lodicules seulement sur les fleurs des Sripa tena- cissima, Arundo festucoides, où divers auteurs ont cru en aperce- voir trois. Nous n’hésitons pas à croire que, dans les faits bien constatés de trois lodicules, leur position est entièrement changée par rapport à la valve supérieure, adossée à l’axe de l’épillet. Dans les autres cas,nous trouvons toujours les pédicelles des fleurs laté— rales, munis d’une valve bicarénée en arrière, de deux lodicules en avant, une étamine en avant et deux en arrière, un ovaire médian dont le sillon regarde en arrière. Si d’ailleurs la valve bicarénée était formée de deux pièces, où serait la troisième partie du ver- (1) L'auteur qui désire perfectionner l’étude des Graminées, ne doit pas détourner le sens d’un mot technique de celui adopté par son inventeur. M. de Candolle ayant donné une signification précise au mot Périgone en Vappliquant aux Lodicules des Graminées, il n’est pas permis de dire : « Singulo flori perigonium | Glumella ) glumæ analogum , plerumque » bivalve. » Bot. Gall. 1. page 499. La Valve inférieure de la Glumelle ne peut, dans aucune supposilion, appartenir à un Périgone. L’inexacti- tude qui s’est glissée dans l’ouvrage d’ailleurs si précis de M. Duby, est corrigée par ce que dit le même auteur en parlant des Cypéracées, pag. 485: « Gluma aut squama univalvis , perigonium nullum. » 5 %n 102 MÉMOIRES. ticille? Ce ne peut pas être la valve située au-dessous, puisqu'elle ap partient à l'axe de l'épillet. On serait donc obligé d’avoir recours à une seconde hypothèse pour appuyer la première , en admettant l'avortement d'une nouvelle bractée. Certains épillets uniflores montrent, d'une manière évidente, que leurs fleurs sont latérales et leur axe indéfini. Ainsi dansles Hordeum vulgare , distichum , heæastichum , mavwinum , secalinum , on trouve dans la rainure postérieure de toutes les fleurs sans exception , le prolongement de l’axe souvent égal à trois ou quatre millimètres. Nous avons fait la même remarque sur les glumes uniflores des Arundo mauritanica Desf. et Calamogrostis arenaria Roth. Si l'axe n'é— tait plus apparent au-dessus de l'insertion de la fleur unique , ne serait-on pas exposé à méconnaitre sa position latérale ? Dans les épillets multiflores , l'épanouissement des fleurs com— mence par la plus inférieure de toutes et monte assez régulière- ment vers les supérieures. ( Lolium, Bromus, Festuca.) Nous regar- dons les épillets biflores comme pourvus de fleurs latérales , toutes les fois que linférieure épanouit en premier lieu, quoique l'axe ne présente aucune trace de son prolongement au-dessus de l'in sertion des fleurs supérieures. Telle nous a paru souvent être la floraison des Aira , Holcus, Avena, Melica ; l’analogie est la seule manière de décider les questions douteuses sur l'existence d’un axe indéfini dans les glumes pauciflores. $. IT. DE L’EXISTENCE DES FLEURS TERMINALES DANS CERTAINES GRAMINÉES. C’est un fait d'observation généralement admis, que dans un groupe de fleurs, celle qui est terminale épanouit avant celles qui sont latérales. Lorsque nous voyons une fleur supérieure se dé= velopper avant celles situées au-dessous , nous en concluons que la première est réellement terminale. En appliquant ces principes, quoique peut-être contestables, à l’étude des Graminées , nous en türerons cette conséquence que plusieurs épillets multiflores ont une fleur terminale. Le Maïs est la première espèce à laquelle on doit appliquer cette loi. Il est d'abord impossible de trouver la moindre trace d’axe au-dessus de la fleur supérieure. Chaque ramuscule des fleurs mâles étant formé de deux glumes biflores, on voit constamment la glume supérieure plus précoce que l’inférieure ; dans la pre- mière , la plus élevée des deux fleurs épanouit toujours, verse son pollen avant la fleur supérieure de l'épillet sessile. Cette observa- PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 105 üon a été répétée souvent et sur des pieds différents. J’airencontré, sept fois, des glumes triflores , et dans ce cas encore la fleur supé- rieure épanouissait avant la seconde et celle-ci, avant l’inférieure. Ainsi la floraison marche de haut en bas comme dans une cime. Nous noterons encore que la valvule supérieure de la fleur infé- rieure est quelquefois bicarénée , tandis que la correspondante de l’autre fleur ne l’est pas. Enfin dans la glume femelle du Maïs , il existe aussi deux fleurs, mais l’inférieure reste stérile ou bornée à une membrane ; c’est un motif de plus pour croire que la fleur fer- tile est réellement terminale. = La Larmille, Coix lacryma, ressemble au Maïs sous plusieurs rapports : sur vingt glumes biflores, nous avons trouvé la fleur su— périeure épanouie avant l’inférieure ; sur cinq, c'était l'inverse. Au reste, on ne voyait aucune trace d’axe au-dessus de l'insertion de la fleur supérieure. La même remarque a été faite dans l’intérieur des fleurs femelles, que leur volume rend propres à l'examen le plus minutieux de la terminaison des pédoncules. On ne trouve au— cun vestige d’une deuxième fleur, cachée sous les enveloppes de la glume, mais deux pédoncules abortifs, nés à la base du pédoncule commun. La fleur ovariée de la Larmille est donc unique et terminale à un axe qui porte les rudimens de deux autres glumes situées plus bas qu’elle. x Les Pennisetum typhoideum et dichotomum ont été figurés par M. Delille (Descript. de l’Egypt. atl. pl. 8). Dans ce genre à glume biflore , on reconnait que la fleur supérieure complète est plus précoce dans son développement , que la fleur inférieure pourvue seulement d’étamines. Examinons maintenant le genre Panicum. Dans le même atlas, planche 4, nous trouvons le Panicum obtusifolium ; la fleur inférieure est mâle, elle est représentée à peine épanouie , tandis que la fleur supérieure hermaphrodite est complètement développée. Les es- pèces de Panics que j'ai pu analyser m'ont toujours montré une fleur supérieure complète et fertile, la première reste rudimen- taire. Dans les espèces les plus grandes , Panicum italicum , aluissi- mum, je n’ai pu découvrir aucun prolongement du pédoncule au— delà de la base de la fleur fertile ; la valvule n’est pas bicarénée , la graine n’est pas marquée d’un sillon en arrière. La prédomi- nance de cette fleur sur l’autre étant habituelle aux plantes à inflo- rescence définie , pourquoi ne pas admettre dans les Panicum une fleur terminale ? Nous en dirons autant du Digitaria sanquinalis ; 40% MÉMOIRES. l'examen de la floraison de plusieurs espèces à glumes biflores con- duira probablement aux mêmes conséquences. Etudions maintenant les épillets uniflores ; ici nous manquons des données fournies par la floraison, mais nous rencontrons bien rare— ment des vestiges du pédoncule au-delà de l'implantation de la fleur. Nous avouerons franchement qu’on peut soutenir, avec des raisons presque égales, l'existence ou l'absence des fleurs latérales ; mais dans ce dernier €eas , on a l’avantage de nier le prolongement d’un axe invisible. Voici les espèces où l'existence des fleurs terminales nous pa- raît moins douteuse ; nous regrettons de n'avoir pu en analyser un plus grand nombre. Athoxanthum odoratum , Nardus stricta, Chama- grostis minima, Rotboella incurvata , Oryza sativa , Milium effusum, pa- radoxum , Leersia oryzoides , Alopecurus pratensis , articulatus , agrestis , Stipa tenacissima , Phleum pratense , Achnadonton tenue , Agrostis vulgaris , rubra, stolonifera, arundinacea , Saccharum Ra- vennæ. Nous indiquerons avec quelque doute les espèces sui- vantes : Phalaris arundinacea , aquatica , canariensis , Lygeum Spartum , Paspalum stoloniferum , Lagurus ovatus , cylindricus , Sorghum vulgare. Mais combien d’autres genres, à glumes uniflores, n'offrent aucune marque du prolongement de l’axe ou n’ont ja- mais été figurés ni décrits avec ce prolongement ? Ainsi les Aristida , Asprella , Crypsis, Polypogon, Oryzopsis.……… Entrons ici dans quelques explications sur les faits que nous avons vérifiés. M. R. Brown, le premier, a soupçonné que les valves aristées de la Flouve odorante appartenaient à deux fleurs abortives. M. Ch. Kunth a vu, sur des échantillons venus du Cap de Bonne-Espérance, un floscule à la place d’une écaille aristée. Mais l'existence d’une glume, primitivement triflore , ne nous empêche pas de regarder la fleur supérieure comme terminale. Dira-t-on que l'axe se continue dans l’arète supérieure ? Mais pourquoi l’in- férieure ne jouirait-elle pas du même privilége ? D'ailleurs cette arête est au-dessous des valves ; celles-ci ne seraient pas suivies de fleurs latérales ordinaires. Les arêtes de la Flouve ne sont pas différentes de celles des Avena , Bromus , qui n’indiquent pas un prolongement de l'axe central. Nous en dirons autant de celle des Alopecurus qui, placée en dehors de la valve la plus interne , serait suivie d’une fleur latérale extraordinaire. L'examen des Nardus stricta, Rotboella incurvata ;, répété mainte- fois, surtout à leurs fleurs terminales, ne nous a jamais présenté les moindres vestiges d’un pédoncule prolongé au-delà de l'insertion des valves supérieures : nous avons éprouvé le même insuecès sur PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 105 les fleurs les plus grandes de Süpa tenacissima , Orysa sativa , Saccharum Ravennæ , Milium paradoæum | Leersia oryzoides , Alope- curus. Les Agrostis, Phleum, Achnadonton, ont à la vérité des fleurs petites , mais elles s'ouvrent si nettement dans le premier de ces genres, qu'on devrait à l’aide d’une forte loupe apercevoirle pro- longement de l'axe , s’il existait réellement. Le Phleum arenarium présente une pointe au-delà de la valvule supérieure ; elle est due ou à une soie particulière ou à l'allongement du pédoncule. Dans les Phalaris canariensis , aquatica , au lieu correspondant se montre un prolongement couvert d’une houppe de poils. Mais ce prolon- gement existe en dehors des deux valves supérieures du Phalaris arundinacea. Si, dans ces trois espèces, on veut admettre que les fleurs soient latérales , le double prolongement de la dernière ne prouve rien et diminue l'importance attribuée à celui des pre- mières. Nous avons observé les particularités suivantes sur le Sorgho à balais ( S. vulgare ) et sur une espèce provenant de l'Algérie , qui se distingue par une panicule ovoïde, très-resserrée , penchée vers la terre dès avant sa floraison , par la torsion du chaume , et par des glumes très-velues. Dans ces deux espèces les épillets sont uniflores ; la fleur ovariée est sessile , les fleurs mâles ou neutres sont pédicellées et situées sur l’un de ses côtés ou sur tous les deux. Le rapport des trois glumes entr’elles ne nous est pas connu ; mais la fleur hermaphrodite épanouit avant la fleur mâle , que cette dernière soit terminale ou non. Au reste on ne trouve dans la fleur aucun prolongement de l'axe du rameau. La prédominance de l’é- pillet hermaphrodite , quoique probablement latéral à l'axe , nous semble éloigner ces plantes de l’état ordinaire. C'est le cas des Andropogon annulatum et faveolatum , figurés planche 7 et 8 par M. Delile ( Desc. de l'Egypte. ), c’est le cas de l’Andropogon Ischæmum. Les Graminées auxquelles nous attribuons des fleurs terminales, sont reparties dans les dix tribus admises par M. Kunth pour la subdivision de cette vaste famille. Les analogies naturelles n'étant pas rompues par l’état terminal ou latéral des fleurs , ce fait di- minue l'importance qu'on doit attribuer à la solution de ce pro- blème. I] serait cependant à désirer que les agrostographes détermi- nassent, par des observations précises, dans quelles espèces l’axe ne se prolonge pas au-dessus de l'insertion de la dernière fleur des épillets. Notre travail présente beaucoup de lacunes à combler et d’incertitudes ; la difficulté et la nouveauté du sujet- méritent quelque indulgence de la part du lecteur. Mais ces considérations 7 106 MÉMOIRES. ne changent en rien l'exposition que nous allons entreprendre de l'inflorescence des Graminées. DEUXIÈME PARTIE. DE L'INFLORESCENCE GÉNÉRALE DES GRAMINÉES. Pour parvenir à débrouiller la panicule la plus compliquée, nous avons besoin d'analyser les cas les plus simples que présentent les épis. Nous avons divisé l’inflorescence en plusieurs degrés, d’après le nombre des pédoncules ou des axes qui naissent l’un de lPautre. Dans cette deuxième partie , nous ferons toujours abstraction des pédicelles des fleurs latérales d'un épillet. Une graminée à fleur terminale unique , a réellement un axe de moins qu’une graminée à fleurs latérales , organisée au mème degré d'inflorescence. Étu- dions chacun de ces degrés en allant du connu à l'inconnu et du simple au composé. S. [. PREMIER DEGRÉ DE L'INFLORESCENCE. EPI UNIQUE ; EPIL- LETS TERMINAUX. Le nom de cime uniflore, déjà adopté dans la sience, devra servir à désigner un cas d’inflorescence que nous n'avons jamais ren- contré , celui dans lequel un chaume présentera une seule fleur terminale. Peut-être se trouvera-t-il sur Lygeum Spartum , ou Chamagrostis minima, puisque nous avons vu cette dernière espèce réduite à deux fleurs latérales. Lorsque le chaume est terminé par un épillet unique à fleurs la- térales, alors l’inflorescence doit conserver le nom d’épi ; elle est centripète de l’aveu de tous les botanistes. Ce cas s'est présenté à nous dans les espèces suivantes! Aira præcox , Bromus mollis , Triticum tenellum , Brachypodium macrostachyum. C'est sur des ro- chers que nous avons trouvé les trois premières, réduites à l'exi- guité d’un épillet pauciflore , mais pour le reste parfaitement organisées. Ainsi l'inflorescence des 4ira præcox et Bromus mollis , qui s'élève souvent au quatrième et cinquième degré, peut des- cendre au premier , la nature de l'espèce n'étant pas changée, PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 107 Toutes les Graminées ont leurs axes primaire , secondaire , ter- tiaire…. terminés par un épillet : nous citerons au $. VII les cas exceptionnels. Une observation superficielle à fait penser que leur inflorescence est centripète , que les rameaux se développent de bas en haut à l'époque de la floraison, que toutes les glumes sont latérales'et les axes indéfinis. Dans les Graminées à fleurs latérales, les axes ne sont indéfinis que par le prolongement possible des épillets, mais les rameaux sont presque toujours terminés par un épillet. Il est aisé de s’en convaincre en suivant l’ordre des nœuds distiques. On arrive ainsi à la valve inférieure de la glume termi- nale , située à 1800 de la dernière feuille de la tige examinée. Aüïnsi dans les Bromus, Poa , Lolium , Triticum, la glume externe souvent placée d’une manière transversale dans les épillets laté— raux , reprend dans Île terminal la direction ordinaire des feuilles distiques. Il résulte encore de cette disposition, que l’inflorescence est terminée à sa partie supérieure , et qu’il n'existe aucune place vacante au-dessous pour l'insertion d’un nouvel épillet. On conçoit que le terminal puisse s’allonger d’une manière indéfinie. Mais au dessous de lui , il n’y a point de nœud stérile qu'une végétation plus vigoureuse soit capable de développer. Quelques espèces offrent des particularités vers l’épillet termi- nal. Ainsi dansle Digitaria sanguinalis, soit que ce dernier ait éprouvé une torsion légère , soit pour toute autre cause , la continuité des valves n'offre pas une exactitude parfaite. Il parait qu'une petite valve extérieure est souvent abortive. Dans le Nard , il existe une valve étroite de plus qu'aux épillets latéraux , et elle alterne avec la fleur inférieure. On pourrait regarder cette valve comme occu- pant un nœud stérile. Le dernier nœud offre à l’ordinaire un rebord membraneux très-marqué , et dans son excavation, se développe la dernière glume. Si on admet l'existence d’un seul nœud à l’extré- mité de l’axe du Nard , la glume uniflore sera ici placée autrement que dans la continuité de l’axe. Quoiqu'il en soit, la présence d’un épillet terminal à tous les axes, l'alternance de la valve externe avec le nœud vital inférieur, sont des faits réguliers et constants dans la famille des Graminées. La loi du premier degré de l'inflorescence peut se résumer ainsi : « La valve inférieure d’un épillet terminal succède sans interruption » aux nœuds distiques inférieurs. » 108 MÉMOIRES. &. IL, SECOND DEGRÉ DE L'INFÉORESCENCE. CIME MULTINODALE. Epr coMPOSÉ. EPILLETS LATÉRAUX. Au premier degré,nous n'avions qu’un épillet terminal à examiner etun seul pédoncule ; au second degré, nous aurons un ou plusieurs épillets latéraux au-dessous du précédent. Si la graminée est à glumes uniflores et à fleur terminale , l'inflorescence s’appellera cime uni où multinodale : si les épillets portent des fleurs latérales dépourvues d’une terminale , nous aurons un épi composé. Au pre mier cas appartiennent les Nardus stricta, Rotboella incurvata, Chama- grostis minima , Lygeum Spartum , etc. Au second, les Lolium, Tri- ticum, Ægilops, Festuca myurus, Sesleria cœrulæa, ete. Enfin presque toutes les graminées au sommet de leurs axes , au-dessous des épillets terminaux , présentent des glumes latérales solitaires. Ces glumes sont implantées de deux manières différentes sur les tiges distiques. Ou bien leurs valves sont dans le même plan que les feuilles distiques (Lolium , Nardus) ; ou bien ces valves sont transversalement situées ; c’est le cas le plus fréquent de tous. Fesons remarquer ici que les Lolium sont décrits d’une manière inexacte dans les ouvrages de Botanique. La valve externe, allongée qu'on appelle inférieure , appartient réellement au second nœud de l’épillet latéral. La première valve, souvent abortive, est adossée au rachis. Sur les nœuds inférieurs du Lolium temulentum , où nous avons pu l’observer, nous l’avons trouvée inférieure à la valve ex- terne. La troisième valve supporte la fleur qui épanouit la première dans chaque épillet et qui se trouve adossée au rachis. La première est mince , scarieuse , comme formée de deux moitiés, bicarénée enfin. Les Lolium perenne , tenue , privés de cette valve inférieure , ont toujours leur première fleur tournée du côté de l’axe. Les lois de l’alternance des nœuds distiques prouvent aussi bien que l’ob- servation du Lolium temulentum , que lorsqu'une valve avorte dans les Loliunm c’est la première de toutes, celle adossée à l’axe. Ainsi la valve externe n’est pas une bractée du chaume ; une callosité indique la place que devrait occuper celle-ci. S'il est facile de ramener les Ivraies aux règles générales , la dif- ficulté est plus grande pour le Nardus stricta. La glume bivalve est enchassée dans une cavité du rachis dont le rebord membraneux annonce les limites. Existe-t-il une première bractée abortive qui serait adossée à l’axe ? Ou bien la glume par une torsion plus que latérale est-elle venue s'implanter au-dessus du rebord membra- PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 109 neux ? Mais dans la première supposition , nous trouverions cette valve autour de la fleur terminale , ce qui n’arrive que très-rare- ment. Après avoir réfléchi sur ce fait plus long-temps qu'il ne mérite sous le rapport de son importance , je présume qu’il faut re- garder la fleur terminale comme régulière , la valve externe étant munie en avant d’un rebord scarieux circulaire , dans les fleurs la- térales cette bractée reste rudimentaire et abortive , ou bien la glume a éprouvé une demi-rotation sur son pédicule. La position des épillets situés transversalement à l’axe distique donne lieu à des remarques plus importantes. Et d’abord, le rachis conserve rarement la forme applatie et équilatérale propre aux Froments, Seigles, Ægilops. Souvent il devient triangulaire et les épillets s’implantent sur deux faces adjacentes du prisme. Ainsi sont conformées les sommités de Dactylis, Bromus, Sorghum.…. Nous appelerons face dorsale ou côté dorsal , la face du prisme privée de l'implantation des glumes , et arète, la ligne droite vers la- quelle les deux rangées d’épillets convergent. Les épillets latéraux d’uné même rangée sont également conformés. Toutes les pre- mières valves convergent vers l’arète ; toutes les deuxièmes di- vergent vers la face dorsale. Voilà les faits généraux que nous avons constatés , un grand nombre de fois, sur toutes sortes de graminées , surtout à fleurs plus grandes et nettement conformées. Si l’axe n’est pas triangulaire, on n’observe pas un rapprochement aussi grand des premières valves les unes vers les autres, ni un éloignement aussi grand des secondes entr’elles dans chaque rang opposé. Ainsi dans un chaume de Triticum tenellum , junceum ,.… nous trouverons toutes les valves externes placées à droite dans une rangée et à gauche dans l’autre ; elles convergent un peu d’une rangée à l’autre, tandis que les deuxièmes valves sont divergentes. La convergence est encore plus forte dans les sommités triangu- laires des Dactylis, Bromus, etc. Dorénavant dans nos observations, nous Supposerons toujours le chaume vu du côté de l’arête. Cette ligne de convergence étant placée en avant, nous appelerons rangée de droite, celle dont la première valve correspondra au côté gauche de l'observateur , et rangée de gauche, celle dont la *alve externe paraîtra à sa droite , ou bien sera placée dans le rang droit des valves de l'épillet. Nous avons trouvé un petit nombre d'exceptions à ces règles ; un épillet était mal placé sur une tige de Triticum tenellum qui en pré- . Sentait dix-huit. Un épi de froment offrait une exception dans cha- cune de ses rangées , ce qui établissait une sorte de compensation. 110 MÉMOIRES. Une tige de Festuca fluitans , sur quinze nœuds avait deux positions exceptionnelles ; ce même nombre existait dans un axe florifère de Ceratochloa exaltata à huit nœuds. La feuille-mère étant en général le point de départ de la pre- mière divergence d’un rameau distique , les glumes ne devraient pas être placées transversalement. Mais une cause inconnue agit sur elles et tend à les écarter du plan de la tige ; elle agit en sens inverse sur les deux rangées et dévie l’une à droite, l’autre à gauche ; elle influe aussi sur la forme de l’axe, en le rendant plusot moins triquètre. Nous sommes obligés de reconnaitre cette dévia- tion comme un fait accompli, sans pouvoir en expliquer la cause. Quoiqu'il en soit, nous réduirons à trois les règles observées par l’inflorescence à son deuxième degré. 10 « Dans la même rangée d’un axe distique , les valves infé- » rieures des épillets ou les premiers nœuds des rameaux sont tou- » jours tournés du même côté ou homodromes entr’eux. » » 20 Dans le même axe distique , les premières valves des épil- »lets ou les premiers nœuds des rameaux sont antidromes par » rapport à ceux de la rangée opposée. » » 50 Enfin dans l’une et l’autre rangée , tous les premiers nœuds » couvergent plus ou moins vers une ligne que nous nommons l’a- » rête de l’inflorescence. » $. IIT. TROISIÈME DEGRÉ DE L’INFLORESCENCE. Si l'inflorescence se complique davantage au-dessous des glumes latérales , nous trouverons des rameaux uni ou multinodaux et formés eux-même d’une glume terminale et de glumes latérales. Ce sont des petites cimes ou des épis composés selon la nature des épillets. L’axe florifère acquiert ainsi des pédoncules de troisième ordre, nés de ceux du second. Ce cas se rencontre fréquemment sur les Festuca fluitans , rubra , bromoides , Briza media , Bromus mollis ; sur les rameaux digités des Panicum , Digitaria , Maïs, Pas- palum , Andropogon ; sur les sommités des axes principaux des pa- nicules les plus composées. Nous l'avons figuré sur les rameaux a fig. 2, c fig. 1, fig. 5, fig. 7Tet8, d fig. 4. Les épis composés latéraux sont soumis aux trois règles du $. précédent. 1° Dans la même rangée distique , toutes les valves du même numéro d'insertion sont tournées du même côté , ou homo- dromes. 2 Elles sont tournées en sens inverse dans les deux ran- gées opposées. 3° Enfin tous les premiers épillets latéraux de chaque rameau couvergent vers l’arête, et occupent ainsi la place PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 111 assignée à la valve externe de chaque glume latérale solitaire. Par une conséquence inévitable , si l’épillet latéral est unique sur chaque rameau ( Digitaria, Maïs), alors celui qui est terminal a sa valve externe tournée vers la face dorsale du rachis. Mais s’il existe deux épillets au-dessous de la glume terminale , comme en dete fig 3, alors les seconds épillets occupent la place assignée à la deuxième valve de b, fig. 4. La glume terminale étant soumise à l'alternance des nœuds placés au-dessous d’elle , sa valve inférieure varie sans cesse de place par l'addition de nouvelles glumes ; mais le premier épillet du rameau est toujours dirigé vers l’arète de l'axe primaire. Cette fixité est un des faits les plus constants; elle est surtout remarquable dans les fleurs des rameaux digités des es- pèces citées précédemment, nous supposons ici que l’axe de la digitation est un axe primaire. Nous venons de dire que le premier nœud du rameau est tourné vers l’arête de l'axe central. Mais quelle est la position de l'axe secondaire ? D’après toutes nos ob- servations elle est déterminée par cette règle : « Tout rameau laté- » ral distique présente sa face dorsale vers la partie de l’axe sur la- » quelle il s'implante , et par conséquent son arête se présente » au-devant de l'observateur. » Il est aisé de reconnaître que le côté dorsal d’un rameau triquètre de Dactylis , Digüaria , Panicum altissimum , correspond face sur face , avec le côté de l’axe d’où il provient. Les épillets du rameau ne sont pas placés indifféremment autour de son axe ; non seulement l’inférieur converge par l’inclinaison de son pédoncule vers l’arète de l’axe primaire , mais sa valve externe converge en même temps vers l’arète du rameau. Ainsi toutes les valves inférieures de même ordre seront placées à droite dans la rangée de gauche, et à gauche dans la rangée de droite du rameau. Nous avons figuré cette position dans les valves d, 9, h,fig,5 , d fig. 8. Les valves d et k, fig. 5, appartiennent à une rangée de droite et g à une rangée de gauche. Cette position des valves inférieures est importante à noter, parce qu'elle est le point de départ des ra- muscules de troisième ordre. Nous sommes déjà assez avancés dans l'étude des Graminées pour comprendre que l'inflorescence est centrifuge , puisque nous avons trois axes nés l’un de l’autre. L'ordre de la floraison est aussi ana- logue à celui des fleurs en cime. Ainsi dans le Rotboella incurvata, Va fleur terminale, épanouit toujours avant les autres , et celles-ci se succèdent régulièrement de haut en bas ; la fleur terminale des ra- meaux de Digitaria sanguinalis est aussi plus précoce que les autres : même remarque pour le Lolium perenne. Cependant l'ordre des- 142 MÉMOIRES. cendant n’est ni rigoureux , ni constant dans la famille des Grami- nées ; beaucoup de causes font varier irrégulièrement la floraison ; le Maïs épanouit d’abord vers le tiers supérieur de la panicule des fleurs mâles ; la floraison marche ensuite,et de haut en bas, et de bas en haut. Si le cas de la floraison descendante est assez fréquent , nous n’avons pas observé l’ordre inverse. L'analyse des pédoncules de deuxième et troisième ordre nous fait penser que la cime des Graminées n’est pas indéfinie comme les eimes scorpioïdes ordinaires ; mais qu’elle est terminée et fermée de toutes parts, et d’abord aux sommets des panicules et des axes principaux. Les épillets latéraux solitaires ne sont-ils pas évi- demment énodaux , puisque, dès l'instant qu'un second épillet se forme à leur base, la valve externe du premier change de place ? D'un autre côté, il n'existe pas d'interruption entre les nœuds qui précèdent l’épillet terminal. Dans les rameaux , même observation à faire ; tous les épillets latéraux ayant leur valve externe tournée vers l’arête des premiers , sont aussi éno‘daux. Mais là où n'existe aucun nœud , il n’y a pas avortement possible de ramuscule. Tous les épillets dont la valve inférieure sera tournée vers l’arète de leur axe générateur, devront être regardés comme ayant acquis tout le développement dont ils sont susceptibles. Les rameaux portent des glumes à tous leurs nœuds ; un rameau uninodal n’est pas binodal avec avortement , sans que la valve de l'épillet terminal change de direction. Dans quelques cas, on aperçoit des places vacantes , mais alors l'épillet supérieur est mo- difié. Ainsi dans la fig. 8, le prolongement o occupe la place d'une glume. Les nœuds supérieurs du seigle , de l'orge, les inférieurs del’Anthoxanthum montrent des places vacantes ; maislors qu’une tige a acquis tout son développement, on ne trouve plus de nœuds abortifs. (Voir les fig. 3, 4 et 8.) Ainsi cette organisation diffère de celle des cimes uni ou binodales des autres phanérogames, dans lesquelles les nœuds des dernières fleurs, ou l’un des deux reste toujours abortif. Nous discuterons encore plus tard cette opi- nion. $. IV. QUATRIÈME ET CINQUIÈME DEGRÉ DE L'INFLORESCENCE. I1 est maintenant facile de concevoir en quoi consistent les quatrième et cinquième degré de l'inflorescence. Au-dessous des épis composés latéraux de l’axe primaire ,nous aurons des rameaux qui porteront eux-mèmes des épis composés à leur base ; et pour le cinquième degré, les ramuscules seront encore munis d'épis composés. PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 113 » La panicule se présente à nous sous trois aspects différents. Tantôt le premier mérithalle est très-allongé, et les épillets oc— cupent surtout les extrémités des rameaux : Riz, Sorgho , Dactyle. Souvent un ramuscule est implanté à la base du rameau et déjeté vers l’arête de l’axe de chaque côté avec une grande partie de l’in- florescence ; le second ramuscule naït d’un point plus élevé : Poa annua. Enfin les épis composés naissent quelquefois des deux côtés de la base du rameau ; l’inférieur est plus compliqué que le deuxième ; les pédicelles suivants naîtront aussi à la base les uns des autres, et nous aurons le commencement d’une sorte de cime scorpioïde aphylle et rentrée sur elle-même. Dans le cas d’une in- florescence au quatrième degré , le nœud de l’axe flcrifère portera cinq rameaux nés l’un de l’autre , et sept rameaux , si l’inflores- cence atteint le cinquième degré. Voyez pour le quatrième degré, les rameaux e, f,g, fig. 1, b fig. 2,c,d,e fig. 7,g,hfig. 8. Pour le cinquième degré , nous avons les quatre nœuds inférieurs de fig. 1 , le rameau c fig. 2, e fig. 8 , les Bromus de fig. 5 et 4. Examinons avec plus de soin une tige d’Agrostis vulgaire , telle que nous l’avons représentée fig. 1. Au premier coup d’œil,nous ad- mirons comment l’organisation se complique depuis le haut de l’axe primaire jusqu’à sa base, de Pextrémité des rameaux et ramuscules vers leur point d’origine ; et réciproquement comment elle se sim- plifie des bases aux sommets. Ainsi au-dessous de la fleur termi- nale , existe une fleur latérale , puis en c, c, deux fleurs ayant à leur base un pédicelle tertiaire. Le nœud d porte déjà un pédoncule de quatrième ordre. Le nœud j offre seulement un épillet latéral de plus. Le nœud g a deux épillets de quatrième ordre ; le nœud k en a quatre du même ordre. Le ramuscule # porte un épillet r de cinquième ordre ; là commence le cinquième degré de l’inflores- cence. Le rameau m a seulement un épillet tertiaire de plus que le rameau i. Le rameau » a de plus que m, un épillet tertiaire et deux du cinquième ordre. Enfin le rameau o nousoffre quatre pédoncules du cinquième ordre r , æ, y, z. Nous y trouvons aussi un commen- cement de cime scorpioïde double, née de la disposition alternative à droite et à gauche des rameaux o et p, getr, et de ceux du côté gauche de la cime. Le pédoncule r est sorti de la base du pédon- cule q ; le ramuscule correspondant dans le rameau » est resté im-— planté à une certaine hauteur. Les deux cas se rencontrent indiffé- remment parmi les graminées ; les apparences changent , mais l’organisation est la même. Ainsi la panicule du Dactylis glomerata , dont les entre-nœuds sont d'autant plus longs qu’on les examine plus près des bases insertionnelles , diffère seulement par l'aspect de 114 MÉMOIRES. ceHe des Agrostis , Bromus. Là un rameau né à la droite d'un axe secondaire fournit son ramuscule à gauche ; ce dernier présentera à sa droite son ramuscule inférieur ; le suivant naîtra à gauche, et ainsi de suite. La panicule spiciforme du Cynosurus eristatus est organisée sui— vant le troisième ou quatrième degré. Dans le premier cas , deux bractées pinnatifides occupent les deux nœuds qui précèdent l'é- pillet terminal. Dans la rangée de droite, la braetée à gauche fournit seule un épillet latéral qui n’est suivi, ni par une troisième bractée, ni par un troisième épillet. (Voy. fig. 6.) L'observation ap— prend que l’épillet d a sa valve inférieure e située à gauche , tandis que d’après la règle générale, cette dernière devrait se trouver à droite. La glume d n’est donc pas énodale ; il faut admettre que son nœud inférieur à droite a manqué complètement , en laissant une place vacante. Lorsque le Cynosure a quatre glumes et trois bractées , alors Ja troisième appartient au nœud abortif dont nous venons de parler ; elle se soude un peu plus haut sur l'axe central. Les glumes portées par le troisième et quatrième axe d’inflorescence, n’ont plus à leur base de nœuds abortifs. Dans la même rangée , quel que soit le nombre des épillets du Cynosure à chaque nœud , on observera que les valves inférieures seront toujours tournées du mème côté , savoir , dans la rangée de droite toutes à gauche, et dans celle de gauche toutes à droite. Dans une cime de Bromus mollis fig. 4, nous voyons les valves j et 4 déplacées de leur position naturelle par les rameaux F et G qui occupent les premiers nœuds des rameaux de troisième ordre D , E. Les valves f et : sont au contraire dirigées vers l’arête de l'axe. qui les porte. Si un pédoncule de sixième ordre naissait de F et G, alors les valves f et k occuperaient une position inverse. Dans la fig. 5, nous voyons que le rameau E, de mème ordre que D, a sa première valve g, placée à droite et non déplacée parce que ce rameau est stérile et énodal. Le rameau correspondant D a sa valve inférieure e , déplacée par l'insertion du rameau F. Nombre de fois nous avons constaté que dans les Bromus , Festuca, Poa , le dernier épillet d'une cime composée regarde l'arête du ramuscule qui le porte , comme les glumes latérales du sommet de l'axe pri- maire, et qu'il est aussi énodal qu’elles , qu'ainsi la cime est termi- née à cause de cette position des glumes. Nous ferons les mêmes observations sur la fig. 8 du Ceratochloa exaltata. La position des valves est partout la même que dans les Bromus ; un rameau né à droite fournit toujours le premier ramus- PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 115 cule à gauche ; ce dernier le fournit ensuite à droite. L'épillet » a sa valve externe déplacée par un prolongement o , qui est un pé— doneule abortif. La plante étant représentée du côté de son arête , les nœuds qui couvergent vers cette ligne sont prédominants sur les seconds ; ceux-ci regardent vers la face dorsale de la tige. Partout enfin, nous observons la mème liaison entre toutes les par- ties de l’inflorescence. $S. V. DEs 6me , Tme,.,., 10me DEGRÉS DE L'INFLORESCENCE L'inflorescence est encore plus compliquée dans certaines es- pèces de Graminées dont les nœuds sont surchargés de rameaux et ramuscules : ainsi se présentent les Agrostis capillaris , canina , stolonifera , Spica venti , les Süipa tenacissima , capillata, Avena sativa. Mais, dans ce cas, la dichotomie des rameaux latéraux se manifeste aussi sur ceux de troisième et quatrième ordre. Pour reconnaître l'harmonie du système entier , il faut prendre devant soi le grouppe de fleurs, examiner de quel côté se trouve le rameau le plus développé après celui du centre. Vérifiez alors si le troisième nœud de l’axe central alterne avec le second et celui-— ci, avec le premier de tous. Vous saurez ainsi si le groupe appar— tient à une rangée de droite ou de gauche. Observez ensuite tous les ramuscules par rang de taille et par degré de complication. Avez-vous rencontré des ramuscules placés à droite et à gauche d’un axe de troisième ordre ? Vous êtes certain de l’existence d’une seconde dichotomie. Quelquefois la même disposition se répétera de nouveau et vous aurez une troisième dichotomie. À la termi- naison de chacune d’elles , vous observerez plusieurs pédoncules binodaux , ou uninodaux , nés les uns des autres et offrant de pe- tites cimes scorpioïdes rentrées sur elles-mêmes à tel point que les pédoncules semblent verticillaires. Enfin les derniers d’entr’eux sont probablement énodaux.et la cime finit comme elle a commencé par une glume terminale. Dans l’Agrostis stolonifera souvent les cimes sont terminées par des axes abortifs ; l’analogie nous porte à croire que l’organisation n’est pas différente de celle des espèces parfaitement conformées. L'exiguité et l’état vacillant des axes empêche de vérifier la position des valves sur les Agrostis , mais la longueur des pédicelles et leur position alternative est aussi aisée à constater que sur les espèces à grandes fleurs. Le plus long né à droite , par exemple, fournit un pédoncule un peu plus court à sa gauche 4 celui-ci en fournit un 116 MÉMOIRES. moindre à sa droite ; le dernier est toujours placé entre les deux précédents. Des observations présentées dans les $ EV et V, nous tirons les conclusions suivantes : « Dans l’inflorescence des Graminées , la prédominance du premier nœud d’un rameau est plus où moins » marquée sur celle du second. » Les rameaux fournissent par leur premier nœud un ramuscule à gauche, s'ils sont nés eux-mêmes à la droite d’un axe central, et vice versa , le ramuscule fournit le suivant à sa droite, celui- » ci le sien à sa gauche, et ainsi de suite. Les axes d’abord pourvus » d'épillets énodaux, uninodaux , multinodaux , dichotomes , etc. , » descendent à l’état uninodal, puis énodal et enfin la cime finit par un épillet terminal de la même manière qu'elle avait com= mencé. » A l'aide de toutes les données précédentes , nous déterminerons avec facilité certaines inflorescences plus compliquées que les autres. Prenons pour exemple le Vulpin des prés ; soit un gros épi desséché , nous en ferons tomber soigneusement toutes les fleurs. Le squelette de la plante , le pseudothalle de la cime est repré- senté fig. 3, étalé sur une surface plane , tandis que dans l’état na- turel tous les pédicelles sont soudés contre l’axe central. Les huit premiers nœuds, à partir du sommet , ne diffèrent pas de ceux des autres Graminées. Ainsi le quatrième nœud est conforme au ra- meau c fig. 5; le cinquième ressemble au rameau d fig. 1; le sixième et septième au rameau 6 fig. 1 ; le dernier enfin ressemble au rameau x fig. 4 moins un seul épillet du quatrième ordre. Ainsi les rameaux 5, 6,7 et 8 du Vulpin appartiennent au quatrième de- gré de l’inflorescence. Les rameaux inférieurs sont déterminables de la mème manière. Le Ph'eum pratense est plus facile à analyser parce que les ra- meaux sont seulement appliqués contre l'axe central sans être soudés avec lui. Nous avons représenté fig. 2, une réunion de pédoncules d’A- voine cultivée , situées à la base d’un chaume ; elle appartient à la rangée de droite , car le rameau né à gauche est très-prédominant sur l’autre. Il existe là trois dichotomies consécutives et quatre pe- tites cimes terminales contractées, dont on peut suivre aisément l’ordre et la succession par l’examen attentif de la figure. Le genre Setaria Beauv. nous paraît organisé d'après les mêmes règles : voici la structure du Sefaria ialica où Pan. italicum , etc. L’axe primaire est presque toujours dépourvu de fleur terminale , les axes secondaires et tertiaires en manquent souvent. Au-dessous > 4 LA # PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 117 de la pointe de l’axe se trouvent de une à trois fleurs latérales ; dans les rameaux de second et troisième ordre , si l'axe privé de fleur terminale a une seule fleur à sa base, celle-ci est dirigée, dans chaque rangée, vers l’arête du rameau. Le premier nœud étant porté vers l’arête , nous en concluons que le pédoncule abortif a donné naissance à une fleur qui n’avorte pas. Quelque fois enfin on trouve des axes fourchus et abortifs ; alors la fleur énodale dans les autres espèces de Graminées , avorte même dans le genre Se- saria. X est inutile de multiplier davantage les exemples ; les Pha- laris , Anthoxanthum , Arundo , se débrouillent à l’aide des principes précédents. $. VI. VARIÉTÉS QUE PRÉSENTE L’AXE PRIMAIRE DE L'INFLO- RESCENCE. L'axe primaire n’est pas toujours distique ; il peut offrir la plu- part des systèmes connus. Les rameaux secondaires n'observent pas alors, à leur origine, les règles indiquées dans le deuxième S$. Leurs premiers nœuds se montrent indifféremment à droite ou à gauche. Dans toutes les epèces que nous avons pu examiner ou voir figu- rées , les rameaux de second ordre étaient distiques. Là commence la régularité indiquée dans notre Mémoire. Tous ces rameaux sont d’abord implantés de telle sorte que la face dorsale regarde l'axe central, et l’arête est placée en dehors de la tige, en avant de l'ob- servateur. Ainsi sont placés les rameaux des Arundo , Maïs, Pani- cum, Sorghum.Les rameaux digités ont leurs premiers nœuds conver- geant vers l’arête : si ces nœuds sont solitaires , la régularité est parfaite. S'ils sont eux-mêmes composés , le ramuscule à droite provient toujours d’un rameau né à gauche, et réciproquement le ramuseule placé à gauche est fourni par un rameau implanté à droite de son axe central ; etle reste est organisé d’après les règles géné- rales. Le système distique est sans contrédit le plus fréquent de tous ceux qu’aflectent les axes primaires ; mais la plupart des systèmes connus peuvent se rencontrer sur ces axes. Ledistique existe quel- quefois dans la partie inférieure , puis se change en un autre sys- ième , et reprend enfin son caractère primitif. Cette disposition à été vue dans les panicules des fleurs mâles du Maïs. Quelquefois l'ordre distique succède au quinconce ; ce cas est fréquent sur les tiges quinconciales de Panicum allissimum, qui sont terminées par six 118 MÉMOIRES. ou huit ramuscules, arrangés d'une manière distique au-dessous de l'épillet placé à leur extrémité. Voici l’'énumération des systèmes que j'ai trouvés sur l'axe pri- maire des Graminées ; je pense que plusieurs autres existent encore dans la nature : . 10 Système décussé ; vu sur la panicule des fleurs mâles du Maïs. 20 Système terné ; fréquent sur les Panicum viride , verticillatum , aliissimum , rare sur le Maïs. 30 Système quaterné ; Panicum verticillatum , italicum, Arundo phragmites , Maïs. 4o Système à dix et douze verticales ; Panricum italicum. 50 Quinconce ; Digitaria sanguinalis ; Panicum altissimum ; Arundo phragmites, Maïs : Il existe probablement sur les tiges des Holcus saccharatus , Halepensis L. 6° Système à sept , neuf et onze verticales ; Panicum ita- licum. 70. Enfin le système curvisérié m'a paru exister sur quelques pieds d’Arundo phragmites ; mais c’est avec doute que je l'indique ici, à cause du grand écartement des rameaux dans l’ordre spiral et de la fréquence du quinconce dans cette espèce. D'autres Graminées ont la disposition de l’axe primaire difficile à débrouiller ; il est plusieurs pieds d’Arundo phragmites, que je n’ai pu analyser ; les deux espèces de Sorghum que je soupçonne verticil- laires à douze ou quatorze verticales m'ont toujours présenté une confusion de rameaux désespérante. En terminant , nous ferons mention d’un pied extraordinaire de Maïs, recueilli durant l'automne de 1835 , que nous avons conservé dans l'alcool. Boccone a figuré un épi rameux des fleurs femelles du Maïs (rar. Plant. t. 16 ); le même cas s’est présenté à nous. L’axe de l’inflorescence mâle était disposé en quinconce à spirale sinistrorse ; partout mélange de fleurs mâles et de fleurs femelles. Au sommet de la panicule et à la pointe des rameaux latéraux, pré- dominance des fleurs mâles ; à la base des rameaux et de la pani- eule , les fleurs femelles sont plus nombreuses , la glume pédoncu- lée est mâle , la glume sessile est femelle ; celle-ci est biflore , la fleur supérieure se développe seule ; l’inférieure est neutre ou pa- léacée , rarement mâle , toujours stérile. Au-dessous la panicule terminale est un épi femelle à quinze ra- meaux divergents ; l’axe primaire estterné en bas, desséché dans le haut. Tous ces rameaux portent quatre rangs d’ovaires , deux de chaque côté, et chaque rang est formé par l'une des deux glumes des PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 119 ramuscules. Au sommet sont huit rangs d’ovaires qui proviennent sans contredit de l’adossement des deux derniers rameaux, soudés ensemble par leur face dorsale. Ainsi la panicule soudée des fleurs femelles du Maïs offre la même disposition que la panicule à ra- meaux divergents des fleurs mâles. S. VII. DES GRAMINÉES DÉPOURVUES D'ÉPILLETS À LA TERMI- NAISON DE LEURS AXES PRINCIPAUX. Toutesles Graminées ne sont pas pourvues d'un épillet à l’extré- mité de leur axe primaire. Ainsi dans le seigle et les diverses es- pèces d'orge, nous n’en avons jamais rencontré. Bien plus, les fleurs de tous les nœuds supérieurs de l’axe restent à l’état rudimentaire. Les premiers épillets sont alors supportés par les axes secon- daires. Nous avons très-rarement rencontré l'axe primaire des Panicum viride , verticillatum , terminé par une fleur longuement pédicellée. Comme nous l’avons dit plus haut, ces deux espèces et le Panicum üalicum sont souvent dépourvues de fleurs terminales jusques dans leurs axes tertiaires inclusivement. L'existence de-ces épillets est ici un cas exceptionnel. Il est aussi rare d’en rencontrer sur le Digitaria sanquinalis, mais tous les axes secondaires ont une glume terminale. Dans cette es— pèce , les avortements n'ont lieu qu’au sommet de la tige cen- trale. Le Cynosurus cristatus nous a présenté, vingt-deux fois, l'absence d'épillet terminal ; dix fois cet épillet existait, cinq fois il était uniflore , deux fois biflore , deux fois triflore , une fois quadriflore. Ces dix dernières tiges avaient été receuillies dans une localité om- bragée. Le Maïs présente un avortement constant de la sommité des ra- meaux femelles, soudés ensemble. Dans la panicule mâle, la glume terminale manque très-souvent, et sur la tige centrale, et sur les ra meaux secondaires. La Larmille est tantôt privée de glume termi- nale dans son axe principal, tantôt dans sesramuscules secondaires des fleurs mâles , toujours biflores ou triflores. Quelquefois cette glume est plus ou moins rudimentaire ; quelquefois enfin elle manque totalement. Au reste , cette imperfection d'organisation n’affaiblit pas l'importance qu'on doit attacher aux caractères gé- péraux de Ja famille des Graminées. 120 MÉMOIRES. $. VIII. AUTRE MODE D'INFLORESCENCE. L'inflorescence des Graminées forme un ensemble dont toutes les parties sont liées entr’elles par des rapports étroits ; c’est une cime finie et pour ainsi dire circulaire ; c’est un tout continu, auquel on ne peut ajouter aucune nouvelle fleur. Chaque groupe est terminal à une tige feuillée ; mais il peut arriver que les feuilles les plus voisines du commencement de la cime , donnent naissance à plusieurs nouvelles tiges, terminées aussi par une inflorescence ; cette seconde tige en portera une troisième avec sa cime terminale; cette dernière une quatrième, et ainsi de suite dans un ordre indé- fini. Alors l’inflorescence s'étend par un procédé analogue à celui qu'emploient les tiges ramifiées par leur base. On sait en effet que les feuilles radicales fournissent un rameau à leur aisselle ; la feuille inférieure de ce dernier donne naissance à un axe tertiaire ; celui-ci produit un axe de quatrième ordre, et ainsi de suite. Rien n’est plus commun que de voir les nœuds inférieurs d’une tige de Panicum viride, par exemple, fournir chacun un chaume ter- miné par une inflorescence. Dans le Rotboella incurvata, nous avons trouvé, au bas d’une tige , deux feuilles stériles ; le troisième et le quatrième nœud avaient chacun une tige munie de deux feuilles et d’un épi de fleurs. La première feuille était stérile , la seconde portait un axe tertiaire , mais avec une seule feuille stérile à la base de l’inflorescence. Les cinquième et sixième feuilles situées au— dessous de la cime terminale , donnaient naissance à un rameau florifère , mais uninodal à sa base. Dans le Coix Lacrhkyma L. l'inflorescence est encore plus compli- quée. La cime est organisée d’après le troisième degré de l’inflo- rescence. Toutes les feuilles de la tige centrale portent des ra- meaux , ordinairement pourvus à leur base de trois feuilles. Celles- ci fournissent des ramuscules à deux feuilles seulement. Tous les rameaux consécutifs de quatrième, cinquième, sixième , et sep- tième ordre n’ont plus qu'une seule bractée à leur base pour pro- duire des axes nouveaux. Arrivés au seplième axe, nous n'avons pu rien apercevoir de distinct à cause de l’exiguité des parties. Il est probable que cette série d'axes, nés les uns des autres à l’aisselle d’une seule feuille est indéfinie : elle offre la plus grande analogie avec la succession des fleurs uninodales de Marica cœrulæa. Le mode d’inflorescence de la Larmille n’est pas en contradiction avec Jes règles des autres Graminées : les particularités qu'il présente appartiennent à la végétation de la partie caulinaire et non à l'axe PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 121 de l’inflorescence et s'expliquent par le mode de ramification des tiges. La même disposition s'observe dans le Cornucopiæ cucullatum.Les rameaux nés les uns des autres sont nombreux ; multinodaux d’a- bord, ils deviennent ensuite binodaux , enfin uninodaux et chacun d'eux porte un petit groupe de fleurs au-dessus des feuilles de chaque axe. Voici les cas analogues que nous avons trouvés figurés. On trouve, dans les Iustrations de Lamarck tab. 839 , le Manisuris granularis, qui est probablement organisé comme le Coix avec deux ou trois feuilles sous chaque épi. Les Amhistiria ciliata , les Apluda mutica et aristata, figurés tab. 841, s’y rapportent également. L'Anthistiria glauca , figurée par Desfontaines ( F1. atl. t. 254 )a son inflorescence disposée comme celle du Cornucopice. Peut-être les Bambos arundinacea et verticillata représentés dans lesIllust. Gen.1.264 et le Spinifex squarrosus t. 840, dans lesquels les épis sortent d’un faisceau de feuilles, appartiennent à une modi- fication nouvelle, s'ils ne ressemblent pas à celle dont nous parlons. S$- IX. COMPARAISON DE L'INFLORESCENCE DES GRAMINÉES AVEC CELLE DES AUTRES PLANTES PHANÉROGAMES. DE L’AGROSTIDE. Coxczusrons. Il est aisé de comprendre maintenant que l’inflorescence cen- tripète existe seulement dans les épillets isolés, mais qu’elle est centrifuge dans l’ensemble de tousles rameaux ou ramuscules. Lors- que les graminées ont des fleurs solitaires et terminales , l'inflores- cence est centrifuge autant que possible. I. Nous avons déjà parlé de la cime uniflore possible , de la cime multinodale distique des Rotboella , Nardus » Chamagrostis. Dans les Iris, Moræa, Tigridia , on trouve des cas parfaitement sem- blables. Supposons maintenant le dévelopement du troisième degré d’or- ganisation, tel qu'il existe au sommet des Anhoxanthum, Alopecurus, Phleum , Agrosiis , alors nous pourrons comparer l’état de la grami- née à celui des Iris rameux. (I. Germanica ) Si le quatrième, le cinquième degré se présentent , alors nous aurons une ressem— blance éloignée avec les cimes distiques uninodales des Jris pseudo- acorus , sibirica, et surtout de Marica cœærulæa. II. L’inflorescence des Graminées à épillets multifloresressemble beaucoup à celle des Cypéracées. Soit un Cyperus longus ; fesons 8 122 MÉMOIRES. abstraction, pour un moment, de l’état curvisérié des axes princi- paux , nous trouverons le quatrième degré d’inflorescence que nous avons décrit surles Graminées. Les rameaux sont d'autant plus compliqués qu’on les examine plus inférieurement ; un épillet ter- mine tous les axes, dans leur partie supérieure. Ceux situés au- dessous sont énodaux d’abord , puis uninodaux , binodaux , multi- nodaux. Ainsi la cime est terminée comme dans les Graminées ; mais la belle famille des Cypéracées mériterait un examen ap- profondi, afin de pouvoir établir, d'une manière précise, les ressemblances et les différences d'organisation entre les deux fa- milles. La comparaison avec les Composées n’est pas moins importante à noter ici.Centripète dans chaque épillet, comme dans une çalathide, l'inflorescence est centrifuge dans l’ensemble des épis. Les ra- meaux des Composées sont aussi d'autant plus compliqués qu’on les examine plus inférieurement. Pour établir une ressemblance encore plus grande, je dirai que les calathides les plus voisines de la termi- nale sont énodales dans certaines espèces, ou privées de bractées capables de produire de nouvelles têtes de fleurs. Ainsi ce cas s’ob- serve dans les Achillæa, Erigeron canadense , Sonchus oleraceus , Ca- calia sonchifolia, Ssagittata , Amobium alatum , Stenactis Sspeciosa , Matricaria Parthenium, Ximenesia encelioides, et beaucoup d’autres espèces. Les suivantes sont uninodales, ou binodales seulement; elles deviennent ensuite multinodales, et les axes se ramifient à leur tour par leurs nœuds inférieurs.L’organisation du corymbe (De Candolle) est donc bien voisine de celle des panicules; mais l'étude de la dernière nous a fait connaître plus exactement l’inflorescence des Cypéracées et des Composées. Il serait trop long de développer ici cette idée féconde. Nous la réservons pour un autre travail du même genre, qui servira de complément à ce que nous avons écrit sur les Sarmentides. On regarde généralement l’inflorescence centrifuge comme in- définie dans la prolongation successive de ses axes. Le fait est vrai pour beaucoup de cimes scorpioïdes, hélicoïdes,bipares ou uni- pares, qui sont indefinies par leur nature. Mais l’inflorescence des Graminées n'est-elle pas au moins finie? N’avons-nous pas mis ce fait hors de doute? En attendant que nous soyons en état de donner des preuves aussi évidentes pour d’autres familles, nous croyons que le pseudo-thalle d'une panicule de Graminée,quelque ramifié qu'il soit, est en général limité dans toutes ses parties comme un cerele, puisque ce pseudo=thalle ne peut fournir aucune ramification nou- PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 123 velle, ni au sommet de ses axes principaux, ni sur leurs parties la— térales. Nulle part vous ne placerez un nouvel épillet sans être obligé de déranger la symétrie de tous ceux du même axe. Ce mode d’inflorescence devrait être appelé circulaire ou concentrique; pour le moment, nous nous bornons à dire que c’est une cime finie.Mais comme ce genre que nous avons confondu avec les cimes indéfinies présentera lui-même plusieurs espèces provenant surtout de la na— ture du système des pseudo-thalles, nous proposons le terme agrostide pour désigner l’inflorescence des graminées. Nous la dé- finirons ainsi : « L’agrostide est une cime finie, dont l’axe primaire » est variable, mais dont les axes suivants, nés les uns des autres, » sont toujours distiques et terminés par des glumes. » Dans les Cypéracées, les axes secondaires sont curvisériés,et diffèrent en cela de ceux des Graminées. Résumons en peu de mots les faits contenus dans ce mémoire : 40 La manière dont se termine l’axe des épillets des Graminées est encore peu connue ; il est probable que, dans beaucoup d’es- pèces, l’axe finit par une fleur terminale. 20 Quelle que soit l'opinion adoptée, la succession des pédicelles floraux , ou l’inflorescence est toujours la même. 30 La glume terminale manque rarement à l'axe primaire, plus rarement aux axes secondaires , tertiaires; mais ces avortements ne changent rien aux autres parties florifères de la tige. 4° L'inflorescence se complique dans deux sens inverses l’un de l’autre : d’abord, en descendant du sommet vers la base de chaque axe, ensuite en remontant de la base des rameaux secondaires vers leur extrémité. 5o La disposition des parties est telle que tous les nœuds de cha- que axe sont fertiles; il ne reste de place vacante pour aucune nouvelle ramification; la cime est organisée, à chacune de ses extré- mités, comme au sommet de son axe primaire. 6° Dans les axes distiques quelconques, la succession des nœuds vitaux et des paillettes des fleurs n’est jamais interrompue. 70 L'axe primaire peut appartenir à tous les systèmes connus et peut-être même au curvisérié ; les axes secondaires, tertiaires... sont toujours distiques. So Dans la même rangée d’un axe distique , les premiers nœuds sont toujours tournés du même côté ; ils sont tournés en sens in- verse dans l’autre rangée. Jo Nous appelons arète, la ligne vers laquelle couvergent tous les premiers nœuds et, face dorsale le plan vers lequel divergent les seconds nœuds quelconques. 124 MÉMOIRES. 110 Tout rameau latéral distique présente sa face dorsale vers la partie de l’axe sur laquelle il s'implante. 110 Tout rameau distique, né à la droite de celui qui précède, fournira son premier ramuscule à sa gauche et réciproquement , celui né à gauche portera son premier nœud à sa droite. 490 La connaissance de l’inflorescence des Graminées, éclaire la structure des Cypéracées et des Composées, et en général de toutes les familles où existent des cimes terminées. Il serait à désirer, dans l'intérêt de l’organographie végétale, que chacune des grandes familles naturelles devint l’objet d’études spé- ciales sous le rapport de l’harmonie,du nombre et de la position des parties qui entourent les axes florifères. EXPLICATION DES FIGURES. Fic. 1. Panicule d’Agrostis vulgaris, vue du côté de la conver- gence des premiers nœuds. “a , fleur terminale. b, fleur latérale. c, c, deux pédoncules uni- nodaux portant en avant une fleur plus courtement pédicellée. d , pédoncule binodal , dont le premier nœud. e, est placé à sa gau— che ; le pédoncule. e, est unidodal et porte sa fleur à droite. f, pé- doncule trinodal ; le pédoncule né du premier nœud et à sa droite fournit par son côté gauche un pédicelle floral. g , k, complication de plus en plus grande du 4e degré de l’inflorescence. À, rameau à quatre nœuds , dans lequel les deux inférieurs sont placés à sa base ; le ramuscule. #, est inférieur au ramuscule /, son nœud inférieur n’est pas à sa base ; en Z au contraire le premier pédi- celle part de la base de ce dernier et à sa gauche. m, rameau qua- drinodal dans lequel les ramuscules inférieurs ont leurs premiers nœuds à leur base. Delà 5 pédoncules partent du même point de la tige, mais réellement les uns des autres. », rameau à 5 nœuds, les deux inférieurs nés de la base portent à leur pied des pédoncules uninodaux. 0, axe à quatre nœuds, les deux inférieurs fournis sent à leur base des pédoncules uninodaux. Le rameau p , trino- dal a pour premimer nœud le ramuscule g, qui est uninodal et fournit à sa droite la fleur r, à, par son côté gauche ou tournés vers l’arête ; vu par son côté droit, » et o, dans leurs deux côtés montrent le 5e degré d’'inflorescence. s , premier épillet du 5e or— dre ; », æ, y, =, pédoncule du 5e ordre. FiG. 2, Rameaux nés au nœud inférieur d'une panicule d’Avoine cultivée. PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 14925 A , rameau central quadrinodal ; a ramuscule au 5e degré d'in florescence. b , ramuscule au 4e degré d’inflorescence. B , premier rameau né à gauche et à la base de À , et quadrinodal. C, second rameau trinodal seulement. D , rameau trinodal né du premier nœud et à la base à droite de B. E , rameau binodal né à la base et à gauche de C. F, rameau binodal né à gauche et du second nœud du rameau B. G , rameau binodal né à gauche du nœud in- férieur de D ; c , ramuscle né à droite et à la base du rameau E ; d, ramuscule né de c ; e , pédoncule né de d, et terminal d'une petite cime scorpioïdes formée par lesrameauxC,E,c,d,e;f, rameau né à droite et à la base de F ,g, ramuscule né def ;h, ramuscule né de & , leur réunion forme une autre cime scorpioïde. i, raméau binodal , né à la base ‘et à la gauche de D ; g , ramean uninodal né à droite de D. K , ramuscule né à droite dei; 2, ra- muscule né de #;m, ramuscule né del; n, ramuscule né de g; 0, pédoncule né de n, 4, L, m d’une part et g,n,0 de l'autre forment deux cimes scorpioïdes ; et o, deux épillets ter- minaux des axes. À Fi. 3. Réunion de pédoncules du Bromus mollis ,| dessiné après la chuté des valves florifères, pris dans la rangée de droite. A , rameau central quadrinodal , dessiné dans sa position natu- relle. B , rameau inférieur né à gauche. C, rameau né du second nœud de A. D , ramuscule né à droite de B. E, ramuscule né à gauche de C. F, ramuscule né de D. a, valve inférieur de l'épillet terminal qui alterne avec le nœud au-dessous. b, épillet sans nœud à la base , ayant sa valve inférieure en avant et à gau- che. c, épillet ayant sa valve inférieure à gauche et en arrière, déplacée par le pédoncule qu’il porte à sa base. d, valve inférieure placée à gauche parce que le pédicelle est énodal ; e, valve ex- terne de l’épillet D , située à droite parce que le rameau F, naît à gauche du rameau D. f, valve externe de l’épillet énodal F.39, valve externe de l’épillet énodal E , située à droite dans le lieu correspondant à la place du rameau F. 4, valve externe de l’épil- let énodal O. FiG. 4. Pédoncule du Bromus moflis pris dans une rangée de gauche de l’axe primaire et au-dessous du groupe de la figure 3. Les mêmes lettres représentent les rameaux et les valves qui se correspondent en sens inverse. Les ramuscules D et F sont orga- nisés de même dans les deux figures : le ramuscule E de la fig. 4, A sa valve externe g placée à droite, parce que le ramuscule G oc- cupe la place du premier nœud. Dans la fig. 3, si le ramuscule E avait à la base un nœud abortif, la valve 9 serait tournée en sens 126 MÉMOIRES. opposé. Par la même raison , le ramuscule G a sa première valve h, placée du côté où existerait un nouvel axe, si ce ramuscule n’é- tait pas énodal. F1. 5. Panicule d’Alopecurus pratensis dont toutes les fleurs des- sechées ont été enlevées. Lesrameaux et pédicelles ont été dessinés avec leurs divisions naturelles jusqu’au 8e nœud inclusivement. Ils sont représentés écartés de la tige et pour ainsi dire étalés sur un même plan. Leur position et leur nombre sont tels que l'observation les a fait reconnaitre. F1G. 6. À, rameau latéral pris dans la rangée de droite d'une pa- nicule contractée de Cynosurus cristatus. a, épillet terminal dont la valve inférieure est à gauche. b, bractée pinnatifide du premier nœud. c , bractée du second nœud qui est stérile. d, épillet né dans l’aisselle d. e, valve inférieure de cet épillet , placée à gau- che, parce qu'il existe réellement un premier nœud abortif à sa base et à droite. Ici la cime n'est pas terminée comme dans les fig. 2,3 ,4. Fic. 7. Extrémité supérieure d’une tige de Sclerochloa dichotoma Link , vue du côté de l’arête. a, épillet terminal dont la valve inférieure placée à droite continue l’ordre distique de la tige. b, b , b, fleurs latérales portées sur.le second axe de l’inflorescence, ayant toutes leurs première valves portées vers l’arête. c,c,c, épis composés. d ,d, d, épillets inférieurs des rameaux latéraux , ils naissent tous du côté de l’arête de la tige centrale, et leurs pre- mières valves sont dirigées vers l’arête des rameaux respectifs aux- quels ils appartiennent. e , e, deuxièmes épillets latéraux. F1G. 8. Sommité de panicule de Ceratochloa exaltata, vue du côté de l’arête. On remarque, sur cette figure, la succession des nœuds dis- tiques de l’axe central avec les valves de l’épillet terminal b. En b,b,on voit la position des premières valves tournées vers l’arête, parce que ces épillets sont énodaux. c , rameau uninodal dont l'épillet a sa première valve d , à droite et inclinée vers l’axe du rameau. e , rameau binodal ; le nœud inférieur toujours en de- dans et en avant du rameaue. La valve f, occupe la place cor- respondante à celle de la valve à, et la glume g , celle de la valve d. La valve » est à droite de l’épillet g , dans le lieu qu'occuperait un axe nouveau , si l'épillet g , en avait de latéraux à son axe. Le rameau # , porte un ramuscule Z , dont l'épillet inférieur ap- partient à un axe de quatrième ordre. La valve m, est placée comme la valve 2. La valve n, a été déplacée à cause du pédi- celle rudimentaire o , dont l’épillet a avorté. d | lyroslis vudyars. 2. Avorne cullivee: 3 el 4. Brornus molles. À AMopecurus pratensis. | “Lynosurus crstalus. 7. Selerochla dichotaria: d. Cratochloa exaliata. £ | 722 fix leu {mprèmerre 7 Zanchon & CC Arrrorary A 1 127 ESSAI SUR UNE MÉTHODE PROPRE À FACILITER LA RECHERCHE ET L'ÉTUDE DES LARVES DES LÉPIDOPTÈRES, PAR M. J.-F.-I. BLISSON, MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ ENTOMOLOGIQUE DE FRANCE, DE JA SOCIÉTÉ D’A- GRICULTURE, SCIENCES ET ARTS DU MANS ET DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE POUR LA CONSERVATION DES MONUMENTS. on —— à 22 Jusqu'à ce jour les Entomologistes se sont peu occupés de re- chercher les lois qui veillent à la conservation des insectes. Cepen- dant ces lois, nécessairement invariables dès lors qu'elles repro- duisent constamment les mêmes effets , peuvent être étudiées méthodiquement et fournir les premiers éléments de l’histoire si importante des mœurs. Des observations que j'ai recueillies sur les larves des Lépidop- ières , relativement aux moyens par lesquels la nature garantit la perpétuation des espèces, m'ont paru propres à établir quelques règles générales pour les découvrir et rendre compte de leurs habitudes. Je viens les soumettre aux naturalistes que l'amour de la science réunit dans cette enceinte. Les chenilles (1) déposées, à l’état d'œuf, sur des végétaux , sur des objets qui doivent leur offrir une nourriture surabondante , n'ayant pas besoin, comme beaucoup d’autres larves, d’aller à la (1) Ees noms de Zarve ou de chenille sont employés pour désigner le second état, par lequel les Lépidoptères doivent passer avant d'arriver à celui d’insecte parfait. 128 MÉMOIRES. chasse , de tendre des piéges et de pourvoir par la ruse à leur sub- sistance , ni par conséquent d’un instinct développé dans ce sens, tout se borne pour elles au soin d'éviter leurs ennemis et de veiller à leur conservation,afin d'arriver à l’état parfait. Sans forces pour ré- sister et cependant entourées de dangers , elles ont reçu dans leur organisation des moyens qui leur permettent d'atteindre la fin pour laquelle elles ont été créées ; la plupart ont une ressemblance plus ou moins parfaite, quant aux formes et aux couleurs , avec les Né=. gétaux dont elles se nourrissent ou plutôt avec les lieux: qui leur servent de retraite ; plusieurs sont armées de poils ou d’épines, ou possèdent divers appareils paraissant destinés à repousser leurs ennemis ; d’autres savent se fabriquer un abri fixe ou portatif ; toutes en outre ont un instinct en rapport avec leur extérieur , leur Jacies. Ces moyens présentent naturellement deux divisions : PREMIÈRE DIVISION. Elle comprend les moyens passifs, indépendants de l'instinct , résultant : 40 Des formes extérieures ; 20 Des couleurs ; 50 Des dessins ; 4 Des poils et des épines ; DEUXIÈME DIVISION. Elle comprend les moyens appartenant à l'instinct , résultant : de se cramponner ou de se laisser 40 De l’action { tomber ; de se cacher. 90 De la construction d’un abri quelconque. 30 De l'état immobile dans lequel se tient plus ou moins long-temps le corps d’une larve et de son attitude. PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 12 ee) PREMIÈRE DIVISION. DES FORMES EXTÉRIEURES. Les larves des Lépidoptères ont des formes extrêmement va- riées : leur corps est court ou très alongé ; subovale, ellip- tique ou atténué aux extrémités ; cylindrique où arrondi seulement en dessus et aplati en dessous ; plus ou moins tuberculeux ; garni d’un ou plusieurs appendices.; lisse, chagriné, glabre ou velu ; en- fin quelquefois très-moniliforme, ou , au contraire , composé d’an- neaux à peine distincts. Néanmoïns ces différences peu ou très- tranchées selon les espèces , ont un point de réunion ou plutôt de départ commun, un but pour lequel elles ont évidemment été don- nées et vers lequel elles tendent toutes , savoir , celui de s’har- moniser avec les végétaux, en simulant, les unes , des tubérosités , des renflements , des nodosités , des excroissances ou de petites branches; les autres, des feuilles , des fleurs ou des graines , des écorces , des lichens ou des mousses : ressemblances trompeuses qui , comme autant de voiles, dérobent un grand nombre de ces faibles animaux aux continuelles poursuites de leurs ennemis. Aussi voit-on toujours les chenilles se tenir de préférence sur les parties des arbres et des plantes avec lesquelles leurs formes et leurs couleurs peuvent le plus s'identifier et se fondre. Ceci ex- plique pourquoi l’on rencontre plutôt sur les troncs et les branches des chênes, des peupliers , des saules et au milieu des lichens les larves de beaucoup de Bombyx, celles du genre Catocala et une multitude d’Arpenteuses ; sur les feuilles celles des Polyommates,et au milieu des fleurs et des graines, celles du genre Cucullie. Je me bornerai à ce peu d’exemples,un simple mémoirene permettant pas de trop nombreuses citations. Ces différentes formes ont donc pour cause première, on pour- rait presque dire pour seul motif, la conservation des espèces. Voudrait-on les considérer seulement comme de simples orne- ments diversifiant la nature ? Mais alors à quoi bon ces similitudes avec certaines parties des végétaux ? N’aperçoit-on pas que celles- ci loin, de contribuer à varier le tableau , donnent un résultat con- traire. L'on est donc forcé d'admettre que les conformations dont nous venons de parler, ont été créées plutôt d'après un 1350 MÉMOIRES. système conservateur que dans l'intention de charmer la vue par leur singularité. DES COULEURS. Si les formes produisent un grand nombre d'illusions tutelaires , sauve-garde de la majeure partie des chenilles , elles tirent princi- palement cet avantage du concours des couleurs , distribuées sui- vant le même système. Ainsi sous le rapport de la variété des nuances, il existe , entre les larves des Lépidoptères et les végé- taux, un nouvel ordre d’analogies, que l’on pourra facilement saisir au moyen des divisions suivantes : ou cherchant un abri Monophages } vivant à découvert ou sont { | Polyphages quelconque. des parties ligneuses des végétaux ou de leurs racines ; des feuilles ; vivent des fleurs ; des graines ; (lesruits) ; des péricarpes charnus (les fruits) ; Les Chenilles ou de substances animales. dans l’intérieur des végétaux ; sur le tronc des arbres ; sur les feuilles ; au milieu des fleurs, des graines ; setiennent dans les péricarpes , les capsules ; dans les étoffes, les fourrures, etc.; ou cachées pendant le jour dans la terre, sous les pierres , les feuilles , les écorces, etc. Toute larve de l’une de ces divisions peut-être unicolore ou di- versement colorée. Dans le premier cas sa couleur , et dans le second sa teinte générale sera presque toujours en harmonie avec les couleurs , soit de la partie du végétal , soit du lieu où elle se tient habituellement. D’après ce principe posé comme point de dé- part, les larves monophages, qui vivent à découvert sans quitter les plantes dont elles se nourrissent, devront offrir des ressemblances plus parfaites avec ces mêmes plantes, tandis que les polyphages et les lucifuges auront au contraire besoin de nuances incertaines, pouvant s’accorder et en quelque sorte se fondre avec celles des divers endroits où le plus souvent on les rencontre. PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 131 L'observation démontre qu'en effet les couleurs sont départies suivant un tel mode. Chenilles monophages vivant à découvert. — On les distingue gé- néralement à leur livrée brillante et variée, ornée de couleurs exactement les mêmes que celles des feuilles , des fleurs ou de la partie du végétal qu’elles affectionnent le plus ; ensuite , à leurs desseins également en rapport , que l’on reconnaît facilement ne pouvoir s’accorder indifféremment avec des plantes de diverses fa-— milles. Telles sont les larves des Sphinx Pinastri, des Xylina Lina- riæ, Amphipyra Spectrum, d’un grand nombre d'espèces vivant sur les Bruyères , etc. Ici, je ferai observer que je ne prends point le mot monophage dans toute la rigueur de son acceptioh; mais seulement par oppo- sition à celui de polyphage. Je rapporte au premier les chenilles qui vivent presque exclusivement sur la même plante, et qui ne se rencontrent que rarement sur d’autres espèces voisines et du même genre, et au second celles qui vivent indistinctement sur des végétaux de familles ou de genres éloignés les uns des autres. Chenilles polyphages ne se cachant pas. — Celles-ci , plus nom- breuses que les premières , sont souvent unicolores, vertes , jau- nâtres ou de différents gris plus ou moins mélangés , couleurs qui précisément sont les plus susceptibles de se fondre avec celles de tous les végétaux. Leurs dessinssont peu saillants. Comme exemple je citerai les larves des Plusia Gamma, Phlogophora meticulosa , Tri- phœæna orbona. Chenilles monophages et polyphages se cachant. — Les larves qui ont pour habitude de se cacher, ne mangent ordinairement que la nuit. Le jour, les unes s’enfoncent légèrement dans la terre et y demeurent en repos, leurs couleurs sont mattes et terreuses ; les autres vivant communément de racines, pénétrent plus avant, y creusent des cavités, des galeries, celles-ci sont pâles et livides , leur peau est luisante et lisse, disposition qui facilite leur passage dans les lieux qu’elles habitent ; d’autres enfin, et c’est la plus grande partie, se mettent simplement à couvert sous les feuilles , les écorces , les mousses , les pierres , etc., leurs couleurs sont plus vives quoique très-rembrunies, leur peau est ordinairement velouée (1). Telles sont plusieurs espèces des genres Noctua, Xylina, Mania. (1) À peu-près comme celles des chenilles qui vivent à découvert , dont elles ne différent que par des couleurs plus sombres. 432 MÉMOIRES. Chenilles ( endophytes ) vivant des parties ligneuses des végétaux et se tenant renfermées dans leur intérieur. — Elles n’offrent que des cou- leurs fades , blanc-sale ou jaune-terne , analogues à l’intérieur du végétal qu'elles rongent. À quoi eut servi un brillant coloris ? I eut été sans but, tout-à-fait inutile. Pour cette raison, il ne leur a point été donné , et son absence n’est pas la conséquence d’un étiolement semblable à celui des plantes privées de la lumière , comme l’ont pensé quelques auteurs. Autrement , comment expliquerait-on le rouge-doré qué prend , sans sortir de sa profonde et ténébreuse demeure , la chenille du Cossus ligniperda , surtout vers la fin de sa croissance ; les magnifiques parures dont les Sternoxes et les Longicornes se revêtissent dans l'ombre , au fond de la cavité ou s'opéra leur double métamorphose (1). Des insectes dans le travail de leurs transformations , se colorant dans les mêmes conditions d’obseurité dont ils ne sont jamais sortis, prouvent contre l’étiole- ment. Si Dorthès , cité par M. Lacordaire (2), a vu des larves blan- ches exposées à la lumière sous des verres, devenir d’un brun foncé (5), cela indiquait non un étiolement antérieur, mais bien alors un changement forcé, un état anormal produit par la souf- france , ces larves ayant été élevées dans des circonstances diamé- tralement opposées à leur manière d'être (4) : d’ailleurs , Pétiole- ment ne suppose-t-il pas nécessairement un état primitif différent de l’état étiolé , qui est une altération ? Or, quel était done état primitif des larves blanches ? Le lieu qui leur avait été assigné ? (1) J'ai trouvé aux environs d'Hyères (Montagnes des Maures quartier du Verger) dans l’intérieur de gros troncs de Pin maritime, dont une portion était encore restée debout, des Chalcophora mariana présentant tous les passages de coloration depuis les premiers états de la nymphe, parfaite- ment blancs , jusqu’à l’état d’insecte parfait très-éclatant. Voici l’ordre des passages , autant que mes souvenirs peuvent me le rappeler : Quelques nymphes n'avaient que le dessous du corps doré , les unes le dessous du corps et le dessus du corselet ; d’autres ces deux parties plus la tête ; enfin plusieurs avaient opéré leur métamorphose et étaient devenues insectes par— faits. Mais leurs élytres très-molles témoignaient qu’ils n'étaient pas encore sortis. (2) Introduction à l'Enlomologie , tome 1e- page 122. (3) Annales de Chimie , tome 2, page 99. (4) Dorthès a oublié de dire si les larves soumises aux expériences étaient arrivées à leur état parfait, cela cependant eut été bon à savoir. PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 153 Chenilles vivant de feuilles. — Parmi celles--ci, les unes restent sur la feuille dont elles se nourrissent , ou s’en écartent peu ; les autres, aussitôt après avoir mangé , vont au contraire chercher sur les troncs des arbres ou sur les branches, un endroit dont la couleur soit pareille à la livrée qu’elles portent ; d’autres enfin après avoir satisfait au même besoin, s’éloignent de la plante pour chercher un abri souvent à une assez grande distance. Les premières ont ordinairement des teintes générales plus ou moins vertes où jaunâtres , peu ou point de dessins , telles sont les larves des Cosmia trapezina, Halias quercana, etc. Les couleurs des secondes ressemblent tellement aux nuances grises des écorces et des lichens , que l'observateur le plus exercé est souvent trompé par cet accord parfait ; aussi, faut-il la plus grande attention aidée d’une longue expérience pour apercevoir et discerner les chenilles des Lasiocampa Betulifolia , Populifolia , Quer-— cifolia, Pini, lineosa ; Liparis monacha ; Catephia alchymista ; Ophiusa lunaris; Metrocampe margarilaria , et de tant d’autres espèces li- chénicolores. Enfin les dernières se rapportent aux larves qui ont pour habitude de se cacher, et offrent les mêmes caractères. Chenilles vivant des pétales des fleurs ou des graines au milieu ou près desquelles elles se tiennent. — Elles sont ordinairement mono- phages (1). Leurs couleurs sont vives, et semblables à celles des feuilles, des fleurs ou des graines du végétal qui les nourrit,et quel- quefois à tel point que l’œil qui ne connaît pas, croit encore voir une fleur restée à sa tige long-temps après que celle-ci est dégarnie de sa parure. Comme exemple, je citerai les chenilles des Xylina Del- phinü; Cucullia Asteris, Verbasci, Blattariæ, Chamomillæ , Absinthii , Tanaceti. Je ferai remarquer,en passant,que,si l’on avait cherché à désigner cette dernière , d’après quelque analogie propre à la faire recon— naître facilement , on ne lui aurait point donné la dénomination vi- (1) Presque toutes les chenilles qui ne vivent que de fleurs ou de graines encore tendres , ne se trouvent qu’une seule fois par an, passent l'hiver à état de chrysalide, et le Lépidoptère apparaît quelque temps avant la floraison : tandis qu’au contraire un grand nombre de celles qui se nour— rissent de feuilles , sont polyphages, paraissent deux fois chaque année et passent l'hiver à l’état de larve ou n’éclosent qu'après cette saison. 134 MÉMOIRES. cieuse de GC. Tanaceli ; car on lui a positivement imposé , de même qu’à tant d'autres , le nom de la plante sur laquelle on la rencontre le moins souvent, et parconséquent dont elle s'éloigne le plus quant aux couleurs. On la trouve communément sur l’Absinthe , l'Artemisia Abrotanum, l’Anthemis cotula et rarement sur le Tanacetum vulgare. Chenilles granivores restant cachées dans les capsules. — 1] est facile de juger qu'une capsule dont l’organisation intérieure est continuel- lement détruite par une larve qu’elle recelle,doit dépérir prompte- ment, et, de verte qu'elle était, devenir bientôt d’un gris brun ou jaunâtre, couleur particulière aux végétaux desséchés ; c’est aussi précisément la teinte de la plupart des espèces qui habitent et croissent dans cette partie de la plante. Telles sont les Hadena capsincola, carpophaga ; Polia albimacula, etc. Une couleur brillante les eût trahies au fond des capsules aux- quelles , vers la fin de leur croissance , elles ont été obligées de faire un assez grand trou pour entrer ; tandis qu'au contraire, leurs nuances brunes , confondues avec celles de leurs demeures presque desséchées , leur assurent une existence tranquille dans les habi- tations qu’elles se sont choisies. Chenilles qui vivent dans les péricarpes charnus (les fruits). — Elles ne comptent que de petites espèces vermiformes , à couleurs fades , différant peu de celles des fruits qu’elles rongent. La nature ne s’est pas mise en frais pour orner leur robe ; cela eût été inutile, ces larves étant destinées à vivre cachées (1). Chenilles qui vivent de substances animales. — Celles-ci exploitent les étoffes, les fourrures, etc., font leurs ravages dans l'ombre où trop souvent leurs couleurs obscures et livides, et plus encore les fourreaux qu’elles ont l'instinct de se construire , les laissent ina- perçues. (2). M. Lacordaire (3), en traitant des larves dit , qu’en thèse géné- rale , les couleurs d’une chenille ne peuvent faire préjuger en rien (1) Les chenilles qui vivent dans les fruits charnus ne se métamorphosent point dans ces mêmes fruits ; en cela,elles sont contraires à beaucoup d’au- tres chenilles endophytes , et pour une bonne raison, car elles eussent été exposées à périr lors de la maturité de leurs demeures. (2) Les Teignes. (3) Introduction à l'Enlomologie, Lome 1er page 124. PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 435 celles de l’insecte parfait , et, d’après De Geer, il ne cite que deux exceptions contraires , de telle sorte que l’on pourrait consi- dérer comme une règle , la non ressemblance de la larve avec le Lépidoptère. Cette observation prouve que les analogies antérieurement si gnalées sont des moyens de conservation, que là où elles ne pré— sentent aucun but utile , là aussi elles cessent d’avoir lieu. En ef- fet, à quoi bon des ressemblances entre des êtres qui ne peuvent se rencontrer et dont les mœurs n'ont rien de semblable ? N’eussent- elles pas été des anomalies dans un plan tel que celui présenté par la nature ? toutefois , l'insecte à son état parfait quoique très-dif- férent de sa larve , offre la continuation du même système (1) et lui est comparable à cet égard ; car l’on trouve constamment le dessous des ailes d’un diurne , et Le dessus de celles d’un nocturne exacte- ment de même couleur que le lieu où ils se tiennent en repos. Telle larve était verte, parce qu’elle devait vivre sur des feuilles jeunes et vives, tandis que le Lépidoptère sera couleur feuille morte , parce qu'il se cachera sous des feuilles desséchées (2). Le choix, souvent opposé mais cependant parfaitement convenable, que fait l’insecte dans ses différents états, pour se mettre à couvert , est dans son instinct ; il se porte sans raisonnement vers les divers endroits qui peuvent assurer sa conservation, de même que l’animal tombé dans l’eau nage pour se sauver sans savoir ce qu'il fait. Pour démontrer cette continuation d’analogies conservatrices , quelques exemples sufiront. Je citerai des familles, des genres entiers. Les Piérides sont blanches ou jaunes à l'exception du dessous des secondes ailes qui est marbré de vert, seule partie apparente au moment du repos. Les Polyommates ont le dessus de leurs ailes noir, jaune ou d’un bleu très-éclatant, et le dessous vert, brun ou parsemé de points colorés sur un fond blanc , selon que l’insecte se pose sur des feuilles ou sur des fleurs. Le dessous des ailes des Satyres ressemble parfaitement soit aux roches grisâtres , soit aux écorces des arbres sur lesquelles ils se reposent. (1) Également appliqué aux chrysalides. (2) Triphœna pronuba, crbona. OS 136 MÉMOIRES. L'on sait que les chenilles de ces différents Lépidoptères portent des couleurs et des dessins qui n’ont rien de commun avec ceux de l’insecte parfait. Dans les Nocturnes, combien de Noctuelles , de Phalènes vien- draient témoigner d’une manière encore plus concluante. Enfin si l'on descendait aux espèces, on trouverait là des rapports d'autant plus frappants que la comparaison serait plus spéciale. Les variétés constantes que l’on remarque chez un grand nombre d'individus de mème espèce, dont les teintes générales diffèrent en raison des plantes qui les nourrissent ; l’organisation qui se modifie chez certaines larves , suivant les lieux qu’elles choïsissent pour leur retraite , sont une nouvelle preuve que les couleurs et les diverses conformations n’ont point été données au hasard , mais bien d’après un plan conservateur qu'il est impossible de mécon- naître. Voici deux exemples de ces divers changements. Le premier est extrait de Godart (1). Il s’agit de la chenille du Bombyx quercifolia (2) qui compte trois variétés distinctes. Voici textuellement ce que dit l’auteur : « Elle se tient tellement collée contre les branches qu’on ne se » douterait pas de sa présence sans les excréments qui la trahissent. » Les jardins fruitiers sont les localités qu'elle aime le mieux. Des » observations suivies pendant une quinzaine d'années , et toujours » faites d’après beaucoup de sujets , m'ont appris que les individus » qui habitent le poirier , le prunier, le cerisier , et l’alaterne sont or- » dinairement d’un gris-brun ou noirâtre ; que ceux qui mangent les » feuilles de l’épine et du pommier sont d’un gris-blanchâtre ou rou- » geûtre ; que ceux enfin qui ont le dos jaspé se rencontrent presque » toujours sur le saule et sur l’osier. Ces différences, dans la cou- » leur de la chenille, n’influent point sur la couleur de l’insecte » parfait, » Le second exemple est offert par les chenilles de la Triphæna pronuba chez lesquelles on rencontre deux variétés très-tran— chées : l’une se cachant dans la terre, l’autre se mettant à couvert sous les feuilles. Les individus de la première, parvenus au terme de leur crois sance, en mars , se trouvent aux pieds des arbres, dans le sol à (1) Histoire des Lépidoptères ,tome IV, page 78. (2) Lasiocampa quercifolia Boisd. Catal. PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 4357 environ un pouce de profondeur ; ils sont d’une couleur vert-sale, rembrunie et livide , leur peau est lisse et comme polie. Ceux de la seconde,paraissant à la même époque, mais se developpant plus ra- pidement à l'approche du temps fixé pour la métamorphose, ont au contraire des couleurs assez vives et la peau veloutée (1). La différence qui existe entre ces. deux variétés est si grande que, les ayant dessinées sans les connaître , je ne pouvais croire de la même espèce, les Lépidoptères qui en étaient sortis , quoiqu'ils ne présentassent aucune dissemblance. Les taches oblongues , moitié noires, moitié jaune-paille, que l’on voit de chaque côté dans la région dorsale , très-oblitérées chez les individus qui s’enfoncent dans la terre , et les deux petites lignes brunâtres marquées sur la tête , sont les seuls indices qu’elles aient conservés de leur commune origine. A ces deux exemples, il serait facile d’en ajouter beaucoup d’autres, si, comme il a été dit plus haut, les limites d’un mé- moire n’excluaient pas de trop nombreuses citations. DES DESSINS. On peut considérer les dessins qui ornent les chenilles, comme le complément des deux moyens de conservation dont on vient de parler. Composés tantôt de lignes droites , obliques , courbes ou brisées ; tantôt de cercles, de demi-cercles , de taches , de points ; toujours ils sont distribués de manière à offrir des rapports avec quelque partie des tiges, des feuilles, des fleurs ou des graines. Et de même que l’on treuve dans les robes des chenilles la couleur verte plus généralement répandue , attendu qu'elle est plus com- mune chez les végétaux , de même aussi existe-t-il une disposi- tion de dessin plus souvent reproduite , savoir, celle des lignes droites, par la raison que les parties linéaires sont plus nombreuses dans la composition des plantes. La plupart des chenilles portent des lignes ou bandes longitudi- nales qui varient ordinairement de deux à cinq ; néanmoins , plu- sieurs espèces en ont un plus grand nombre : mais il faut observer, (1) En général , les chenilles qui passent lhiver ou qui vivent dans la terre, croissent plus lentement que les espèces qui paraissent à la belle saison ou qui vivent à la surface du sol ; elles peuvent aussi rester privées de nourriture beaucoup plus long-temps , sans être aucunement indisposées d’un long jeûne. 9 138 MÉMOIRES. et ceci est très-remarquable , que ces bandes sont généralement très-peu marquées ou plutôt manquent presque constamment dans les régions dorsales et latérales (1) Lichénicolores ; chargées de protubérances , de nodosités ; (principalement les Arpenteuses. ) de graines , sur les ombellifères ; la terre, l’intérieur des végétaux , qui habitent dans € lesfruits, les capsules, des fourreaux. des larves qui vivent { Les chenilles qui ont de nombreuses bandes longitudinales fili- formes , Se rencontrent sur les plantes herbacées présentant des lignes analogues dans les nervures ou les stries rapprochées des feuilles ou des tiges (2) ; ainsi les Chenilles du genre si nombreux des Satyres vivent exclusivement sur la famille si étendue des Grami- nées ; celles de la Plusia festucæ se trouvent sur le Sparganium simplex, l'Jris pseudoacorus , les Carex et sur la Fetuque flottante ( Festuca Jluitans ). Les lignes obliques ou chevronnées décorent particulièrement les espèces qui vivent sur les végétaux dont les feuilles sont pé- tiolées ou à nervures divergentes. Cette disposition de dessin, s'accordant parfaitement avec les obliquités souvent innombrables des pétioles et des autres parties à angles plus ou moins ou- verts , devient naturellement un excellent moyen d'illusion. On peut citer pour exemple, les chenilles des Apatura àris, ilia; Smerinthus tiliæ , ocellata , populi , remulæ, quercus; Aglia tau ; Endromis versicolora. Les taches et les points très-apparents sont en quelque sorte la propriété des larves qui vivent sur les plantes en ombelles , sur celles dont les fleurs et les graines sont en épi ou en pyramide. Un grand nombre d’espècés viennent témoigner en faveur de cette (4) Ce qui comprend toute la partie supérieure entre les deux rangs de sligmates. (2) Elles sont ordinairement atténuées aux extrémités; celte forme com- plète Pillusion en simulant un renflement et surtout en faisant disparaître toute saillie brusque. PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 139 observation , entre autres, les Chenilles des Papilio machaon , qui vivent sur le fenouil , la carotte ; Sphinx euphorbiæ , nicæa , sur les Euphorbes; Sphinx vespertilio, Pterogon œnotheræ , sur les Epi- lobes; Xylina delphini , sur le Delphinium consolida | vulg. Pied- d’Alouette , celles de presque toutes les Cucullies , etc. DES POILS ET DES ÉPINES. Les chenilles épineuses et velues , étant à l'abri des attaques d'un grand nombre d'insectes et à couvert de la voracité des oi- seaux au moyen de l’armure qui les environne , avantage qui manque aux chenilles glabres , sont d’un autre côté généralement moins bien partagées sous le rapport de l'harmonie des formes, des couleurs et des dessins. Mais avant d’essayer quelques divisions à l'égard de celles-ci, je rapporterai plusieurs observations qui pourront donner une idée de la prodigieuse quantité d’insectes dé- truits par les oiseaux , et établir qu’en effet les poils contribuent puissamment à préserver et à défendre les espèces qui en sont revêtues. Ainsi , d’un côté l’on voit dans Temminck que là majeure partie des oiseaux vivent d'insectes et particulièrement de larves de Lé— pidoptères , et Bradley, professeur de Botanique à l’Université de Cambridge, cité par Réaumur , tome II page 408 (1), nous apprend que deux moineaux , à l’époque de leur couvée, peuvent dé- truire 3,360 chenilles dans une semaine. D'un autre côté M. Lacordaire s’éxprime en ces termes à la page 471, du tome IT, de son introduction à l’Entomologie : « Il » n’est guère d'oiseaux qui pourraient avaler impunément une » chenille de Chelonia où de Bombyx processionnea. Le coucou paraît » même être le seul qui le fasse ; et, pendant long-temps la plu- » part des anatomistes ont pris pour des villosités particulières à » cet oiseau les poils des chenilles qui s’implantent dans son estomac » pendant la digestion. » Enfin Temminck, dans son Manuel d’Ornitologie , en indiquant legenre de nourriture des oiseaux, ne signale également que le coucou qui paraisse s’accommoder des chenilles velues ; tandis qu'au contraire , il désigne souvent les chenilles rases comme (1) Mémoire sur les différentes espèces d’'ennemis des chenilles, 140 MÉMOIRES. servant à l'alimentation d’un grand nombre d'espèces de divers ordres (1). Il est à remarquer que l’action des poils sur la peau est d'autant plus cuisante et insupportable qu’ils tombent sur une partie où la transpiration est plus abondante ; ainsi l'estomac des oiseaux , et principalement le gosier , tapissé de membranes délicates , offrant toujours un certain état d'humidité , doivent repousser une nour- riture dont la présence se ferait immédiatement sentir par des dou- leurs aigues. Ce que dit M. Lacordaire des chenilles de Chelonia et du Bom-— byx processionnea s'applique également aux autres larves velues ou épineuses , plus ou moins selon le nombre, la longueur , la force ou la fragilité de leurs poils ou de leurs épines. Ces armures remplacent donc avec un grand avantage les ana— logies trompeuses dont il a été parlé, et, là où ces dernières cessent d'exister, là elles sont suppléées par d’autres moyens de conservation ; comme aussi , elles semblent reparaître en raison de la diminution des poils ou des épines ; c’est du moins ce que l’on voit chez beau- coup d'espèces. Les chenilles épineuses ou velues présentent des différences très-marquées : les unes ordinairement cylindriques , sont entière ment couvertes de poils ou d’épines , ont des couleurs très-va- riées ; les autres (2) hémi-cylindriques ou déprimées en dessous , sont seulement pourvues d’une frange latérale de longs poils , et ressemblent parfaitement par leurs nuances aux écorces et aux li- chens des arbres. CHENILLES ENTIÈREMENT COUVERTES DE POILS ET D'ÉPINES. Elles offrent deux coupes très-distinctes, fondées sur des mœurs diamétralement opposées : la première comprend les espèces qui vivent sur les arbres , les arbrisseaux , ayant pour habitude , à l’ap- proche du danger , de se cramponner aux branches sur lesquelles elles se trouvent ; la seconde se compose des espèces qui vivent sur les arbustes, les plantes basses , ayant au contraire pour habitude de se laisser aussitôt tomber. (1} Tome I , pages 208 , 225 , 288, 291 , 295, 299, 551, 555, 584, tome III , page 271 ,etc. (2) Appelées demi-velues par Réaumur. PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 141 Ces diverses façons de se comporter appartenant à l'instinct , les larves dont il est question sont renvoyées au chapitre de l’action de se cramponner ou de se laisser tomber. CHENILLES VELUES SEULEMENT SUR LES COTÉS. Bien que celles-ci portent de longs poils,et se rapportent à la pre- mière des deux coupes dont on vient de parler , une différence no - table les sépare des chenilles comprises sous le titre qui précède. Cette différence résulte de la position et de la direction des poils , situés le long de la bande stigmatale , s’abaissant de manière que leurs extrémités vont se coller sur les branches des arbres , lais- sent à nu toute la région dorsale , partie la plus exposée ; de sorte que ces poils semblent donnés , non comme un moyen de dé- fense , maïs pour ajouter un nouveau degré d’illusion en faisant disparaître la petite saillie, que pourrait encore présenter le corps déjà sous-abaissé des epèces dont il s’agit. Si ces larves ne trouvent pas dans leurs poils une protection suf- fisante , la ressemblance parfaite qui existe entre leurs couleurs et celles.des écorces et des lichens, y supplée si avantageusement que l'œil le plus exercé peut à peine les découvrir. Pendant le jour, immobiles et appliquées aux branches , elles ne les quittent que la nuit pour chercher leur nourriture, allant au retour de la lumière y reprendre leur immobilité. Naturellement ces chenilles vont donc se joindre aux espèces qui doivent leur conservation aux analogies de formes et de couleurs. DE LA FÉCONDITÉ. Il serait oiseux de chercher à démontrer que , de toutes les garanties contre la destruction d’une espèce , la meilleure est celle qui résulte d’une grande fécondité : ceci est par trop évident pour avoir besoin d’explication. A l'égard des chenilles dont les ravages, révélent suffisamment l'habitat, il est également inu- tile d’entrer dans des détails tendant à faciliter leur décou- verte : des dégats souvent immenses signalent assez leur pré- sence ou leur passage, et, si ce n'était pas s’écarter du but désigné par le titre de ce mémoire, il serait plus nécessaire, quant à celles-ci , d'enseigner à les détruire. Je ne signale donc la fécondité que comme étant un moyen de conservation , sans re- 142 MÉMOIRES. monter aux causes qui l’amenent ou la favorisent, ce qui m’entrai- nerait trop loin. SECONDE DIVISION. \ MOYENS DE CONSERVATION APPARTENANT A L'INSTINCT. DE L'ACTION DE SE CRAMPONNER OU DE SE LAISSER TOMBER. On observe chez les chenilles phytophages qui vivent à décou- vert ou qui s’abritent simplement sous les feuilles, les mousses, etc., lorsqu'elles sont inquiétées, deux manières d’agir tout-à-fait op posées selon qu’elles habitent des végétaux élevés ou des plantes basses. Lesunes , celles qui habitent les végétaux élevés , si l’on vient à les toucher ou bien à agiter l'arbre ou l’arbrisseau sur lequel elles se trouvent , se cramponnent fortement à la branche qui les porte. Et le Lépidoptériste expérimenté sait qu'en voulant les enlever de force on s'expose à déchirer les pattes membraneuses et même à les arracher , plusieurs espèces se laissant plutôt mettre en pièces que de lacher prise (1). Aussi, pour avoir la possibilité d'employer ce moyen conservateur , voit-on les espèces qui se tiennent sur les feuilles lisses prendre la précaution de les tapisser d’une toile avec le secours de laquelle elles puissent se fixer ; telles sont les che- nilles des Apatura jasius , Dicranura vinula , etc. Les autres au contraire , si l’on vient à froisser les plantes ou les arbustes sur lesquels elles reposent, se laissent aussitôt tomber en se contractant en forme de boule , pour glisser plus facilement entre les branches souvent touffues et serrées , ou bien s’agitent vivement en sens contraire , afin d’arriver plus promptement en un lieu de sûreté. Dispositions admirables , qui permettent aux premières , desti-— nées à vivre dans une agitation presque continuelle , de résister (4) On coupe la branche, ou l’on détache la feuille. PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 145 même aux ébranlements et aux vents les plus violents , et aux se- condes , exposées à être dévorées par les animaux herbivores ou à devenir victimes de la culture, d'éviter ces différents dangers. DE L'ACTION DE SE CACHER. Quelles sont les raisons qui portent une partie des chenilles phy- tophages à quitter les plantes dont elles se nourrissent , pour se cacher dans la terre , sous les feuilles, etc. Elles ont évidemment pour but la conservation, et on peut les considérer comme fondées sur une espèce d’aversion que ces larves éprouvent pour la lumière, qui peut-être les incommode , ou sur une timidité ins- tinctive qui s'empare d'elles à son apparition, ou enfin sur une loi de la nature qui les conduit à chercher pour retraite des lieux dont l'aspect, les couleurs soient analogues à leur extérienr. La manière dont se comporte l’insecte dans ses différents états prouve en faveur de la dernière de ces trois raisons. L'observation suivante vient encore l’appuyer. Si l’on examine avec attention les chenilles glabres ou presque rases qui vivent sur les plantes basses , on remarque dans leurs ha- bitudes des modifications correspondantes aux diverses phases de leur développement et aux changements qui s’opèrent dans leurs parures , surtout lors des dernières mues ; ainsi les larves dans les premiers âges , vertes et presque imperceptibles , se tiennent sur les feuilles ou à l'extrémité des branches , tandis que vers le terme de leur croissance , époque où elles se sont rembrunies , elles se retirent sur les tiges ordinairement d’une couleur plus foncée ou au milieu des feuilles desséchées : de même celles qui se nour- rissent de plantes à tiges grêles , à feuilles rares et étroites (les Graminées , le Dianthus prolifer ) se rapprochent également du sol, ou même s’y enfoncent vers le temps où le volume de leur corps pourrait les trahir. D'où il résulterait que les chenilles ne descendraient d’une plante ou de sa partie supérieure que, lorsqu'il y aurait contraste dans leurs couleurs avec celles de cette même plante , ou quand, devenues trop apparentes , elles seraient conséquemment trop ex- posées. Cette observation est de tous les jours : car en traînant le filet sur les plantes basses, l’on ramasse fréquemment des larves jeunes ayant encore leurs couleurs vertes , et rarement les individus de la même espèce qui approchent de leur métamorphose. 144 MÉMOIRES. Enfin le soin tout particulier que certaines chenilles apportent à se cacher, quoique bien partagées sous le rapport des couleurs , suppose qu'elles y sont forcées par quelque cause puissante. L'é- tude simultanée et comparée des mœurs des Hyménoptères , des Diptères et des Lépidoptères apprendrait peut-être, à l'égard des larves de ces derniers , qu’il existe certainés espèces plus exposées que leurs congénères aux poursuites d’ennemis plus actifs et plus nombreux ; elle ferait connaitre s’il existe aussi dans les deux pre- mièrs ordres des larves polyphages ou si chaque espèce a sa vic— time particulière ; elle enseignerait à découvrir les unes par les autres ; elle instruirait enfin de beaucoup choses qui seraient le complément de leur histoire. CHENILLES QUI SE CONSTRUISENT UN ABRI COMMUN ET QUI VIVENT EN FAMILLE. On rencontre principalement parmi celles-ci les espèces qui de- viennent un véritable fléau. La plupart, doublement protégées par les poils dont elles sont armées et par le toit commun qu’elles savent se construire , se multiplient rapidement , et leur nombre s’augmentant de plus en plus , elles finissent bientôt par ravager les lieux qu’elles ont envahis. Ces larves étant on ne peut plus faciles à découvrir , par là même à observer, il serait superflu d’en parler plus longuement. CHENILLES QUI SE FABRIQUENT DES FOURREAUX. Elles sont généralement petites, et , à l'exception de quel- ques espèces, leurs couleurs sont insignifiantes. On peut les classer ainsi: qui réunissent simplement deux ou trois feuilles avec quelques fils de soie ; qui tordent les feuilles et en forment des esp èces de tubes ou cornets ; qui se composent des fourreaux avec de petits débris de corps organiques ; qui se creusent des galeries qu'elles revêtent ou non de soie. Chenilles Les premières,ornées de couleurs qui pourraient assez facilement les dévoiler, et vivant ordinairement sur les arbres ou sur les arbris- seaux(les genres Cymatophora, Cosmia), se retirent entre deux outrois feuilles réunies avec quelques fils de soie , précaution sage, sans PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 445 laquelle leur frèle existence serait à chaque instant compromise étant environnées d'insectes et d'oiseaux de toutes espèces. Ces larves sont atténuées antérieurement ou postérieurement , et aplaties en dessous, conformation qui leur permet un libre pas- sage entre les surfaces des feuilles qu’elles ont approchées les unes des autres pour se mettre à couvert. Les secondes , connues sous le nom de Tordeuses , dénomination qu’elles tiennent de leurs habitudes , roulent les feuilles de diffé- rentes façons pour s’y renfermer (1) ; les unes leur donnent la forme d’un tube offrant de petites issues aux extrémités ; les autres les plient de manière à leur faire prendre la figure d’un petit cornet hermétiquement fermé aux deux bouts. Celles-là , au moindre danger, s’élancent hors de leurs cellules tubuliformes et se laissent tomber sur le sol ; celles-ci au contraire , croissent tranquillement sans sortir de leurs habitations closes, trouvant dans le parenchyme de la feuille , qu’elles se gardent bien de perforer, une nourriture abondante plus un lieu sûr pour leur métamorphose. Les troisièmes , à peu-près également habiles dans l’art de se fabriquer le singulier vêtement qu’elles ne quittent jamais, dif- fèrent entr’elles quant au choix de leurs aliments. Plusieurs es- pèces (2) vivent sur les végétaux et se composent des fourreaux cylindriques en réunissant des fragments de feuilles , de lichens, de petits bouts de tiges de gramen, etc , transportent leur de- meure partout où il leur faut aller chercher leur nourriture , enfin la fixent , avant de se transformer , soit-à la branche d’un arbuste , soit à un brin d'herbe , et se retournent ensuite en sens opposé afin de pouvoir sortir lors de l’éclosion. D’autres (3) rongent les subs- tances animales et végétales desséchées , et trouvent dans les four— rures , les lainages , les amas de blé, etc. un double avantage, une pâture abondante et des matériaux pour composer leurs four- reaux , tantôt fixes , tantôt portatifs. Les quatrièmes et dernières , vivent dans les tiges des plantes , les feuilles (4) , les fruits , les gousses des légumineuses , les cham- ? (4) L'Encyclopédie méthodique au mot Chenille , tome 5, page 601, donne une explication détaillée des moyens qu’employent les chenilles pour rouler les feuilles. (2) Le genre Psyche, plusieurs espèces de la tribu des Tinéites. (3) Les Teignes. (4) Les taches ou les espèces d'ampoules que l’on voit sur les surfaces de certaines feuilles et que le desséchement de l’épiderme soulevé ou privé du 146 MÉMOIRES. pignons, sous les écorces , et révélent leur présence dans ces ob- jets par le dépérissement qu’y occasionnent les galeries qu'elles y creusent, ou les sécrétions qui S'échappent de leur corps. Presque toutes ces larves depuis et y compris les Tordeuses, ressemblent plus à des vers qu’à des chenilles, et ne sont intéres- santes qu'à raison de l'adresse qu’elles déployent dans la cons- truction de leurs habitations. DE L'ÉTAT IMMOBILE DANS LEQUEL SE TIENT PLUS OU MOINS LONGTEMPS LE CORPS DE CERTAINES CHENILLES , ET DE SON ATTITUDE. Sans doute les chenilles, de même que tous les autres animaux, sont soumises à la loi du repos : mais chez un grand nombre d’es- pèces,l’accomplissement de ce besoin commun est accompagné d’une manière d’être toute particulière semblant se proposer quelque chose de plus que le sommeil , d’une certaine pose affectée en rap- port avec les formes parfois bizarres du corps, et toujours parfai-— tement convenable pour produire l'impression que ces mêmes formes peuvent faire naître. Ainsi la position roïde et plus ou moins oblique des Arpenteuses n'indique-t-elle pas l'intention ( instinctive) d’imiter, soit une petite branche sèche , soit le long pétiole d’une feuille ? Inten— tion parfaitement révélée chez quelques espèces qui, menacées d'un danger , se durcissent aussitôt afin de mieux simuler encore un être inanimé. L’attitude de plusieurs chenilles , telles que celles des Sphinx ligustri , elpenor , celerio, des Smérinthes, des Notodonta ziczac , des Harpya , fagi, milhauseri, elc, n’a-t-elle pas quelque chose qui paraît vouloir effrayer ? Cette dernière apparaît si menaçante qu'elle fut d’abord nommée Terrifica par Wiennergegend, et en- suite le Dragon par Engramelle , enfin on lui imposa le nom de Milhauseri, Milhauser étant celui qui le premier la fit connaître. Or , comme rien n’est indifférent ni sans but dans la nature , ne doit-on pas voir, dans ces façons de se poser , différents moyens tendant à la même fin , la conservation des espèces (1). D’un autre parenchyme rend très-apparentes, décèlent facilement les petites larves dites mineuses , renfermées dans leur intérieur. (1) I serait à désirer que les auteurs dans leurs ouvrages s’altachassent à figurer tous les individus à létat de repos. Cette position se reprodui- PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 147 côté examinant ensuite certaines grandes taches très-apparentes , contrastant fortement avec le reste des couleurs(1), certains ap- pendices très-saillants dont l’anatomie ne connaît pas encore les usages (2) , et l'effet que produisent ces appareils , dans telle posi- tion , pendant le repos ou bien au moindre mouvement , peut-on se refuser à croire qu'ils n’aient , eux aussi, un motif quelconque ? Non assurément ; car , dèslors qu'une multitude d'insectes, pour se dérober à un danger imminent , possédent des organes qui n’ont de défensif que l'expansion d’une forte odeur , il est tout naturel d'admettre que , par la même raison qu’ila été donné aux uns de se délivrer d’un ennemi en affectant désagréablement son odorat 5 il a été également donné à d’autres de le repousser par l’aspect d’une attitude , d’une couleur, d’une forme de dessin , d’un ap- pendice que repousse l'instinct de cet ennemi. Pourquoi enfin la vue ne serait-elle pas susceptible d’être impressionnée dans le même but que l’odorat ? L’Araignée qui s'élance sur l'abeille et qui fuit à l'approche de l’Ichneumon , le charançon qui se laisse tomber à l'apparition d’un corps qui lui fait ombrage , n’ont-ils pas évi- demment été avertis par leurs sens : et comme, à l'égard de ces deux espèces d’articulés , le sentiment olfactif n’est révélé par au— cun acte distinct , que le sens de l’ouie n’a rien qui prouve sa su- périorité sur la vue , n'est-il pas présumable qu'ils ont été pré- venus par ce dernier organe ? Et comment alors l’araignée a-t-elle pu distinguer un ennemi d’avec une victime , si ce n’est par la dif- férence des formes et des couleurs ? Non qu’il faille penser qu’elle sait apprécier celles-ci à leur juste valeur ; une appréciation rela— tive, bornée peut-être à la connaissance d’un ensemble de formes et de couleurs suffisant , il n’est pas nécessaire de lui accorder une science qui lui serait inutile. D'ailleurs conçoit-on un instinct mis en jeu sans le secours d’aucun sens extérieur , des sens qui ne savent rien discerner et par là même sans but ? D’ou il faut conclure que les insectes ont besoin de formes et de couleurs variées pour se reconnaître , que celles-ci agissent sur leur instinct , qu’elles sont l'expression d’habitudes particulières et qu'elles sont consé- quemment soumises à un plan conservateur dont l'étude est indis- pensable. sant toujours de la même manière dans les mêmes espèces , donnerait lieu à des comparaisons , à des rapprochements utiles. (1) Les espèces du genre Lasiocampa , les Sphinx elpenor , porcellus , etc, (2) Apatura jasius , iris, ilia, les Sphinx , etc. 148 MÉMOIRES. RÉSUMÉ DES OBSERVATIONS QUI PRÉCÉDENT. Premièrement , n'est-il pas évident que les espèces destinées à vivre de la même manière, ayant les mêmes mœurs, suppo— sent une organisation analogue , devant amener les mêmes ré- sultats ? Que des organes ayant été donnés aux insectes pour fonctionner toujours dans le mème sens et dans un petit cercle d’habitudes invariables, il résulte que des parties semblables qu’un facies pareil chez des larves différentes indiquent , quant à ces parties , une même destination, ainsi : 10 sachant qu'il existe des rapports entre les larves des Lépidoptères et les végétaux, 20 con— naissant d’une part, un grand nombre de chenilles à l'égard desquelles ces mêmes rapports sont parfaitement caractérisés , d'autre part , l’organisation extérieure ou le facies de beaucoup d'espèces et les habitudes qui en sont la conséquence , ne doit-on pas en déduire la possibilité de reconnaître , à la première vue, d’après l’ensemble des caractères extérieurs et par analogie : Si une chenille est monophage ou polyphage ; Si elle habite les arbres , les arbrisseaux, ou si au contraire elle vit sur les plantes basses ; Si elle se retire sur le tronc d’un arbre ou si elle se tient sur les feuilles ; Si elle habite dans les tiges des plantes , ou dans les péri carpes , ou si elle vit au milieu des fleurs et des graines ; Si elle se cache dans la terre , ou si elle se retire seulement sous les feuilles , les pierres , les mousses, etc ; L'époque de son apparition ; A quelle famille peut appartenir la plante dont elle se nourrit; Enfin qu'elles sont ses différentes manières d'agir dans les di- verses phases de son développement ? Deuxièmement , ne trouverait-on pas, dans l'étude du plan de conservation , dont nous n'avons tracé qu'une rapide exquisse , de nombreux renseignements pour l'établissement d’une classsifica— tion ayant pour base la plus grahde somme de rapports entre dif- férentes espèces prises dans tous leurs états ? Troisièmement , la recherche méthodique et raisonnée des insectes n’en faciliterait-elle pas singulièrement la découverte en PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. 149 même temps qu’elle utiliserait , par l'étude des mœurs , de nom- breuses journées,employées simplement à ajouter quelques espèces nouvelles à d’autres déjà recueillies ? Quatrièmement enfin , la manière de découvrir les larves des Lépidoptères ne se trouverait-elle pas naturellement indiquée par la connaissance de leurs mœurs ? Les généralités que je présente ne sont qu’une ébauche , un simple essai sur une méthode devenue nécessaire pour aplanir les premières difficultés de l’étude si amusante des Lépidoptères. Un grand nombre de personnes séduites par l'attrait qu'offre l’Ento— mologie, s’en dégoûtent bientôt, parce qu’elles ne savent pas ali- menter leur curiosité par de nouvelles découvertes. Souvent envi- ronnées des objets qu’elles désirent avec ardeur , elles les foulent aux pieds sans les apercevoir , ne se doutant pas du léger voile qui les dérobe à leurs yeux , alors elles finissent par s’ennuyer d’une science qui ne leur fournit que des mécomptes au lieu d’agréables et continuelles surprises , et renoncent ainsi à de paisibles jouis- sances. En exposant avec ordre les principales causes qui tendent à la conservation des espèces et en facilitant par là les recherches, la connaissance des mœurs et celle des rapports qui existent entre les larves des Lépidoptères et les végétaux, j'ai pensé que c'était le meilleur moyen d’intéresser les jeunes amis de la nature, DEUXIÈME SECTION. AGRICULTURE, INDUSTRIE ET COMMERCE. SÉANCE DU 13 SEPTEMBRE 1839. La deuxième Section du Congrès scientifique s’est réunie dans l’une des salles du Palais de Justice au Mans , sous la présidence provisoire de M. Lair, qui a appelé M.Chevereanx d'Evreux, à remplir les fonctions de scrutateur. Le bureau provisoire a invité l'assemblée à composer le bureau définitif : il a été procédé , au scrutin secret , et à la majorité absolue des suffrages , à la nomination d’un Président , et de deux Vice-Présidents. M. Le GazL , de Rennes , a été nommé Président. M. Dacoxeau, premier Vice-Président. M. TROTTÉ-DELAROCHE , deuxième Vice-Président. La section nomme ensuite pour Secrétaires-Adjoints, MM. Cheveraux d’Evreux , et Lecomte. M. Le GaLz , président définitif , et M. Sévin secré- taire de la Section , prennent place au bureau. La section arrête ainsi qu'il suit l’ordre de ses tra- vaux : les questions posées dans le programme du Con- grès vont être lues successivement , et les membres qui ont l'intention de prendre la parole sur ces questions , se feront inscrire , ou annonceront les travaux qu'ils se proposent de soumettre au Congrès. DEUXIÈME SECTION. 151 Sur la première question posée ( Agriculture ). M. Vié se fait inscrire. Sur la deuxième question (Enseignement agricole }, M. Vié , M. Julien de Paris. Sur la troisième question (Culture du lin), M. de Cau- mont. M. Larr , annonce en ouire qu’il lira un mémoire sur la culture de l’oxalis crenata ; qu'il présentera des ob- servations verbales sur la culture de la Rabette, du Colza, de la Beuterave , sur l'amélioration de la race chevaline. Sur la sixième question (Livrets pour les domes- tiques) , M. Trolley et M. Richelet se font inscrire. Sur les septième , huitième , neuvième questions, ( Chemins de fer ) , M. Julien (de Paris) et M. Quentin. Sur la dixième question ( Emploi de l’armée aux tra- vaux publics ) MM. Trolley , Quentin, de Lasico- tière. Sur la onzième question ( Poteries fines , argiles ter- tiaires ), M. de Caumont , M. Blavier. Sur la treizième question , ( Canalisation de l'Ouest }, M. Dumas, M. de Lasicotière. Un mémoire sur le commerce , présenté au nom de M. Deschamps (de Caen) , est renvoyé à l'examen de MM. Bottin et Niqueu , avant que la section n’en auto- rise la lecture. M. Julien propose de nommer , soit une commission de cinq membres, soit trois commissions de trois membres, à l'effet de recueillir des renseignemens sur l'état de l’agriculture , de l’industrie et du commerce dans le département dela Sartheet dans les départements voisins. Cette proposition , appuyée par M. de Caumont , est adoptée par la Section , qui décide que le travail dont il s'agit sera confié à trois commissions de trois membres chacune ; que ces trois commissions pourront se réunir 152 DEUXIÈME SECTION. et se concerter pour un rapport général , et s’adjoindre tels autres membres de la Section que bon leur sem- blera ; qu'enfin M. le Secrétaire général du Congrès , M. le Président et M. le Secrétaire de la Section feront , de droit, partie de ces com missions. Les trois commissions sont composées ainsi qu'il Suit : Agriculture. MM. Daconeau, Eroc-Démazy, père, BacneLrer, de Sillé. Industrie. MM. TroTTÉ DE LarocHE, LEGUICHEUX, LECOMTE. Commerce. MM. Borrin , Ca. Tnoré, DrouErT. SÉANCE DU 14 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Le GaLr. M. Sévis , Secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance de la veille , lequel est adopté sans réclama- tion. Après cette lecture, M. Sévin déclare l'impossibilité où il est d'assister plus long-temps à la séance. M. Cuzvereaux, Secrétaire-Adjoint, donne sa démis- sion. M. Leconre, autre Secrétaire-Adjoint , est absent. M. Vié , membre de la Section , est nommé en rem- placement de M. Chevraux. Il prend place au bureau en cette qualité. M. le Président met à l’ordre du jour la première ques- tion posée au programme , laquelle est conçue en ces termes : DEUXIÈME SECTION. 455 « Le système de culture alterne, développé dans les » ouvrages de MM. Mathieu de Dombasle, Thaër , Bella » et autres agronomes , étant admis comme le meilleur » connu , quels sont les moyens d’en amener la prompte » et fructueuse application ?» M. Vié , seul membre inscrit sur la question , prend la parole. Il définit la culture atterne : un système de culture par suite duquel les plantes de même nature ne se succèdent jamais immédiatement , mais reviennent à des interval- les plus ou moins longs, soit déterminés , soit indétermi- nés. Ce système est fondé sur deux principes essentiels : Eviter la succession immédiate de plantes dont la nu- trition s'opère par le même mode et consomme les mé- mes sels ; Faire succéder une culture sarclée à une culture non sarclée. Le but définitif de ce système est la suppression de la jachère , sous la condition d'améliorer le sol. Il n’entreprend point de démontrer sa supériorité sur les autres méthodes. C’est un des termes donnés par la question. Ïl attendra que quelqu'un la conteste. Il se contente d’attester l'expérience séculaire, qui en a été faite par les contrées de l’Europe où la science pra- tique de l’agriculture est le plus avancée, par les Pays- Bas où elle a pris naissance, par les petits états de l'AI- lemagne qui se la sont appropriée presque immédiate- ment, par l'Angleterre où, depuis 50 ans, elle a opéré une véritable révolution agricole. M. Quenrix demande et obtient la parole : Il appuie les considérations présentées par le préopi- nant, sur la part qui revient au gouvernement et aux parti- culiers dans l'obligation de répandre la méthode alterne. Il attribue son origine au Hanovre et sa première im- portation à un lord anglais qui reçut de ses concitoyens, en témoignage de reconnaissance, le nom de lord Vavet. 10 454 DEUXIÈME SECTION. M. BacnezrERr prétend que les Comices,s’ils recevaient du département et de l’état, des sommes plus importan- tes, sufliraient pour la propagation des bonnes méthodes. Il cite son expérience personnelle. La mise en valeur de 15 journaux de landes à excité plusieurs de ses voi- sins à limiter. M.CneverEAUx pense que dansles encouragements dis- tribués par les Comices , il faudrait distinguer entre la classe des propriétaires et celle des fermiers proprement dits , et que les primes en argent devraient être exclusi- vement attribuées à ces derniers. Ii cite quelques Sociétés et Comices de Normandie qui ont suivi cette voie. M. Vié fait observer que la distinction recommandée par le préopinant, a été insérée textuellement dans le réglement d'un Comice qu'il a l'honneur de présider. Plusieurs autres membres font de nouvelles observa: tions sur les règles que devraient s'imposer les Comices pour la distribution des primes. Sur la proposition de son Président, la Section émet le vœu que la méthode alterne soit propagée de préfé- rence à toute autre , que cette propagation soit surtout faite par les exemples donnés par les propriétaires ru- raux et que le gouvernement se borne à l’encourager. La discussion est ouverte sur cette question : « Ne serait-il pas utile d'étendre aux domestiques de » ville et de campagne l'obligation légale imposée aux » ouvriers des fabriques, de se munir de livrets? » M.nE Caumonr pense que la mesure des livrets aurait, pour les domestiques , la même utilité que l'expérience a démontré qu’elle avait , appliquée aux ouvriers. M. Lair entre dans de longs détails sur la démoralisa- tion des domestiques ruraux. Il prétend qu'en Norman- die , rien n’est plus commun que de voir des garçons de = DEUXIÈME SECTION: p* 155 fermes abandonner leurs maîtres.à l’époque de la récolte ou des semailles. Il en conclut l’urgente nécessité d'imposer à cette classe de domestiques , l'obligation des livrets. M. HuNaAULT DELA PELTERIE SOutient que la mesure des livrets serait inefficace. Les certificats délivrés jusqu’à ce jour sont tombés en discrédit. Les livrets n’auraient pas plus d'autorité. Ceux délivrés aux ouvriers ne présentent aucune garantie pour la moralité. Dailleurs il n’y a pas similitude entre la position essentiellement nomade de l'ouvrier et celle ordinairement sédentaire du domes- lique. , M. le Président prend à son tour la parole sur la ques- tion. Il insiste sur l'inutilité des livrets qui seraient délivrés aux domestiques et ne voit plus dans l'obligation qui leur en serait imposée, qu'une atteinte réelle, quoique légère, portée à la liberté individuelle. M. Bravier cite, à l'appui de l'opinion qu’il émet sur l'utilité des livrets appliqués aux domestiques, l’expé- rience qui en a été faite sur les ouvriers employés dans les mines de charbon de terre,exploitées dans les dépar- tements de la Vendée et de la Loire-[nférieure. Depuis 20 ans , dit-il, qu'on a substitué dans ces usines, l'usage des livrets à celui des simples congés , il a été constaté une amélioration notable dans la discipline de cette sorte d'ouvriers. [1 pense que la mesure étendue aux domes- tiques procurerait également de bons effets. M. Vié déclare qu'il n’élève aucun doute sur le droit qu'a la société de gêner la liberté des domestiques , soit pour améliorer leur moralité , soit pour garantir la tran- quillité des maitres , mais il soutient que la mesure des livrets n’accomplirail aucune de ces conditions. Appli- qués aux ouvriers, les livrets ne présentent, selon lui, aucune garantie de moralité on de capacité. Il n’est que 456 DEUXIÈME SECTION. deux cas où le certificat du maître soit refusé à l’ouvrier : l'opposition de la police et celle d’un créancier. Sous le rapport de la moralité, le livret signifie donc tout au plus que l’ouvrier ne laisse point, à son départ, la jus- tice ou des créances en souffrance. Quant à la capacité professionnelle , le livret constate seulement le temps employé pour l’acquérir, mais ne fait rien présumer sur l'aptitude. M. Vié ajoute plusieurs observations et pense que le moment d’astreindre les domestiques à l'usage deslivrets n’est pas encore arrivé. M. HuxAULT DE LA PELTERIE demande que la Section émette le vœu que les Sociétés de bienfaisance où les Comices décernent des récompenses aux domestiques des villes et des campagnes pour de longs et bons services. Plusieurs membres, tout en appuyant ce vœu, font observer que déjà il a été rempli par plusieurs Comices de la Sarthe et d’autres départements. La Section , consultée sur la question des livrets, émet le vœu que l'obligation des livrets soit imposée aux do- mestiques des villes et des campagnes. M. le Président déclare qu'aux termes du réglement, toute proposition nouvelle doit être soumise au Bureau central avant d'être mise à l’ordre du jour d’une Section. La séance est levée à une heure précise après midi. DEUXIÈME SECTION. 157 SÉANCE DU 15 SEPTEMBRE 1839. La séance est ouverte à onze heures du matin. M. Vré , Secrétaire-adjoint , donne lecture du pro- cès-verbal de la séance de la veille. Le procès-verbal est adopté après deux rectifications qui y sont insérées im- médiatement. M. le Président donne ensuite lecture de la première question à l’ordre du jour , laquelle porte le numéro deux sur le programme. Elle est ainsi conçue : « Quelle serait la meïleure organisation d’un bon en- » seignement agricole ?» M. Vié , le seul membre inscrit sur cette question, prend la parole. « Selon lui, la grande question de la réforme de notre agriculture est toute entière dans celle de l’enseignement agricole. Mais pour produire le résultat qu’il en attend , il veut que l’enseignement s’étende non-seulement aux classes le plus directement intéressées |, mais encore aux personnes appelées à exercer une simple in- fluence. » Les classes auxquelles il attribue l'intérêt le plus di- rect dans une question dont la solution importe à la so- ciété entière , sont les propriétaires du sol et les exploi- tans de ce même sol ou les cultivateurs. » IL fait sentir que, dans notre pays, ces deux classes sont essentiellement distinctes et qu'il serait téméraire autant qu'impossible deles déplacer. Quant àla classe des propriétaires , il y conçoit , il y voit déjà deux missions à remplir. La première consiste à fournir à la classe des cultivateurs les moyens dont elle manque pour se mettre à l'œuvre de sa propre réforme. Cette mission à laquelle devra sebornerle plus grand nombre de nos propriétaires, pour qu’elle soit accomplie , il faut qu’elle soit comprise. 158 DEUXIÈME SECTION. Quelques-uns en ont un sentiment vague , mais pour la prendre au sérieux , pour qu'elle pénètre comme prin- cipe dans la conviction et devienne une règle d’action , il lui faut, comme à toutes les croyances , le secours d'instruction spéciale reçue dans la jeunesse. C’est donc un motif de plus et , selon lui , le plus pressant de tous, d'introduire dans les colléges , l'instruction spéciale qui n’est pas encore l'instruction professionnelle, mais qui y conduit et l’appelle. En ce qui touche l’enseignement agricole , sa théorie solidement appuyée sur les sciences physiques et naturelles et sur l’histoire raisonnée de ses progrès les plus incontestés , suffirait à préparer le jeune propriétaire à sa mission. » Quant à cette classe de propriétaires très-limitée , quoi qu’on fasse, qui se dévouent à la rude tâche de ré- formateur praticien , encourageons-la. Mais avant de lui ouvrir une carrière périlleuse, donnons lui un grave enseignement qui l’éloigne de toute théorie qui ne serait pas confirmée par une pratique vérifiée sous ses yeux. » Cet enseignement professionnel de l’agriculture est , depuis dix ans , donné dans des établissements sur les services réels desquels l'opinion est partagée , mais dont les fondateurs ont le mérite impérissable d’une grande initiative. Roville ét Grignon ont assez vécu pour avoir fait une première épreuve de leur belle institution. Si celte épreuve a révélé des imperfections, loin de condam- ner l'institution, que les capacités compétentes se hâtent de la perfectionner. » En ce qui touche ces fractions de la société que M. Vié invite à exercer leur autorité morale sur la question de la réforme agricole , il est besoin aussi , qu'elles puisent le sentiment de leur mission à sa véri- table source , dans les études de leur jeunesse. M. Vié, place à la tête de ces influences, celles du prêtre et del’ins- tituteur rural et du chef de l'administration locale. Ge DEUXIÈME SECTION. 159 dernier rentre dans la classe des propriétaires ou des intéressés. Mais l'instituteur ! mais le curé de vil- age ! » Le problème de la réforme agricole n’atteindra son dernier terme qu'à l'époque où une école pratique d’a- griculture sera l'annexe de l’école communale. » Dans l'attente de cette époque encore éloignée de nous , imposons à l'instituteur de notre temps , le devoir de la préparer. » Inspirons au prêtre le désir de la rapprocher, dès leur séjour dans les maisons d'éducation , où ils con- tractent tous les engagements de leur avenir. » L'enseignement agricole devrait figurer comme élément essentiel dans les écoles normales. » [1 devrait être admis comme un accessoire intéres- sant jusques dans les séminaires. » Les théories prudentes , professées dans toutes les maisons d'éducation, devraient s'appuyer sur les expé- riences faites dans une grande exploitation rurale placée près des chefs-lieux de département. » M. Vi indique encore devant la Section, les bases d’un établissement dont il demande pour lui la direction gratuite. » Dix enfants trouvés âgés de 8 ans seraient re- çus dans une première Section où ils resteraient jus- qu’à 12 ans. À cet âge , un certain nombre serait choisi par le directeur pour entrer dans la Section agricole. » M. Vié termine en donnant quelques détails d’or- ganisation. » M. Anrray donne son adhésion entière à la pensée fondamentale de M. Vié , seulement il exprime l’inquié- tude que les travaux manuels qui seraient imposés aux enfants de 8 à 12 ans , ne nuisissent à leur développe- ment physique. é 160 DEUXIÈME SECTION. Dans l'intérêt de ces enfants et dans celui de l’établis- sement , il voudrait que celui-ci se bornât à recevoir les enfants âgés d'au moins 12 ans. M. Vié répond que les enfants de 8 à 12 ans ne se- raient astreints à aucun travail manuel , autre que celui nécessaire pour l'entretien et le développement de leurs forces physiques ; que la plus grande partie de leur temps serait exclusivement consacrée à leur instruction lettrée et religieuse. M. Le GaLL cite un établissement agricole de l’Alle- magne , où les enfants adultes des cultivateurs se pré- sentent volontiers. M. Vié fait observer que l’Instruction Primaire est bien plus avancée en Allemagne qu’en France. Il reproduit l'exemple de l’école de Maine-et-Loire. IL appelle surtout l’attention sur ce point, que les en- fants de l’hospice , ne sont qu'un moyen d'arriver à la classe des cultivateurs ; ilespère néanmoinsles conserver toujours , mais dès l’origine , l’établissement sera ou- vert à la classe principale qui en a inspiré la fondation. La Section décide que la discussion sur la question de l'enseignement agricole sera continuée à demain. La séance est levée à une heure après midi. SÉANCE DU Î6 SEPTEMBRE 1839. Le séance est ouverte à 11 heures précises sous la présidence de M. LE Gaz. Ïl est déposé sur le bureau, au nom de M. de Magne- ville, membre du Congrès, un Mémoire sur l'écor- cement des Chênes. M. le Président annonce que le Comité central a autorisé l'addition au programme de la Section , de la question suivante : DEUXIÈME SECTION. 161 « Doit-on engager le gouvernement à vouloir bien disposer gratuitement des étalons des haras pour les re- montes départementales , sauf aux agents du gouverne- ment ou autres commissaires spéciaux à ne faire saillir les juments que par les étalons qui, suivant eux , seraient le plus en rapport avec elles? » M. le Président proclame ensuite l’ordre du jour dont le premier objet est la continuation de la discussion sur cette question : quelle serait la meilleure organisation de l'enseignement agricole ? M. Girarp rend compte d’une visite qu'il a faite dans l'établissement agricole de Roville. Il a admiré les ate- liers de construction des instruments, mais il n’a point été satisfait de la tenue des bâtiments consacrés à l’ex- ploitation rurale. Au reste son exploration ne s’est point étendue à la-culture des champs. M. Borrin rend également compte d’une visite faite par lui dans le même établissement. M. de Dombasle l'a accompagné lui-même dans l'exploration des bâti- ments et des terres d'exploitation. Le tout lui à paru dans un état satisfaisant. M. Juzcrex dit qu’il a eu aussi l’occasion de faire la même visite. Elle lui a laissé la même impression qu’au préopinant. Il ajoute qu’il a été touché de l’empresse- ment et de l'intelligence que les élèves de l'institut ap- portaient dans les études classiques et dans les travaux champêtres. Il loue surtout le talent de direction de M. de Dombasle, et il exprime la crainte qu’il ne trouve pas de successeur digne de lui. L'honorable membre donne des détails intéressants sur les établissements si connus de M. de Fellemberg , à Hovfil en Suisse. Il termine par une description détaillée d'une colonie agricole fondée près de Brigton; elle a été établie dans une lande composant quelques centaines d’ar- pents. 162 DEUXIÈME SECTION. Il y a deux ans, époque à laquelle M. Jullien la visitait, elle présentait déjà une quarantaine d'habitations rurales disposées pour recevoir tous les membres d’une famille de cultivateurs et les bestiaux nécessaires à l’exploita- tion de 6 à 8 ares de terre. Dans toutes , un petit appar- tement a reçu un rayon de bibliothèque où figurent 4 vo- lumes , dont l’un est la bible et les autres sont des traités d'agriculture pour toute la colonie ; il y a une sorte de salon liltéraire où l’on a réuni quelques journaux et traités d'agriculture. L’érection d’un temple a terminé la création de cette colonie. Le pasteur y exerce en même temps les fonctions de juge de paix, de médecin et de directeur des travaux. La paix, le travail et les mœurs y respi- rent à côté de l'abondance. M. le Président invite les membres présents à formu- ler en proposition leurs idées sur le meilleur mede d’or- ganiser l’enseignement de l’agriculture. M.CouroNNE qui n’avait pointassisté à la séance d'hier ni au commencement de celle-ci, reproduit sur la né- cessité de l’enseignement agricole dans les écoles nor- males les considérations déjà présentées en son absence. M. Cuevereaux fait observer que déjà le gouverne- ment a invité les départements à pourvoir les écoles normales d’un cours spécial sur cette branche d’ensei- gnement. M. Le Gaz, Président , dit que pour l’école normale établie à Rennes, on a ajouté à l’enseignement théorique, l'établissement d’une ferme qui renferme des élèves, fils de cultivateurs , et qui est ouverte aux élèves de l’école normale. La Section, à l'unanimité des membres présents, formule ainsi sa réponse à la question du programme : Il est utile 1° de maintenir et d'encourager quelques grands établissements agricoles destinés à former des propriétaires cultivateurs et des professeurs d’agricul- ture ; DEUXIÈME SECTION. 165 2° Qu'il soit établi dans chaque département , une ou plusieurs écoles pratiques d'agriculture où seraient admis des élèves tant internes qu’externes qui y rece- vraient l'instruction propre à en faire soit de bons fer- miers , soit de bons valets de ferme ; 3° Que dans les départements où il existe une école normale , l’école d'agriculture soit placée de manière à pouvoir être fréquentée par les élèves de l’école nor- male. L° Que dans tout collége royal, dans les maisons se- condaires , dans les séminaires, on donne des notions générales sur l’agriculture. 5° Que le projet communiqué à la Section par M. Vié, l'un de ses membres, de créer dans le département de la Sarthe , sur sa propriété et sous sa direction gratuite, une école d'agriculture où seraient admis également les enfants trouvés et les enfants des cultivateurs , soit adopté et imité dans les départements à titre d’institu- tion privée ou comme soutenue par une Société de bien- faisance. M. le Président proclame l’ordre du jour de la séance de demain , il est relatif aux différentes questions posées au programme sur les chemins de fer. La séance est levée à 1 heure précise. SÉANCE DU 17 SEPTEMBRE 1839. La séance est ouverte à onze heures, sous la prési- dence de M. LE Gazz. M. Vié remplit les fonctions de Secrétaire. L'ordre du jour est la discussion sur toutes les ques- tions posées au programme relativement aux chemins de fer. (Voir au Programme , 2"° Section , les n°®7 à 12.) 16% DEUXIÈME SECTION. M. Quenrix fait observer que les questions posées au programme ne sont que la substance d’un exposé des diflicultés que présente l'exécution des chemins de fer, qu'il avait communiqué à la commission du Congrès et dont il donne lecture à la Section. 4. Ilaété démontré qu'une erreur de huit millions à été faite dans le devis de la ligne de gauche de Paris à Versailles : il l’a été éga- lement qu'un contre-devis dressé par les ingénieurs de la compa- gnie du chemin de Paris au Hävre , a porté à cent-soixante millions la dépense de ce chemin qui dans le devis du gouvernement , n’est que de quatre-vingt millions 185,914 fr. D’après cela , n’est-on pas fondé à penser que les évaluations des quatre lignes sont infé— rieures de moitié à ce qu’elles devraient être , et qu’elles peuvent arriver à huit cent millions environ ? Or l'application d’une telle somme à la confection simultanée des quatre lignes qui est conclue par les traités avec les quatre compagnies , ne peut-elle pas occa— sionner dans l’intérêt de l'argent une hausse incompatible avec là conversion de la rente 5 p.0/0, et produire même dans les capitaux une rentrée dont les conséquences seraient préjudiciables à l’agri- culture , au commerce et à l’industrie ? 2. Dans l’état actuel de célérité où sont les communications sur les quatre lignes , l'accroissement de cette célérité par les chemins de fer, offre-t-il des avantages qui puissent compenser les dé— penses qu'aura coutées l'établissement de ces chemins ? Aïnsi, par exemple , quelques heures de gagnées dans le tranport des voya- geurs et des marchandises de la ligne du Hâvre , produiront-elles les huit millions annuellement nécessaires pour payer l'intérêt du capital dépensé pour la eonfeetion de cette ligne ? 5. La défiance générale qui s’est tout-à-coup prononcée sur le sort de l’entreprise des quatre lignes , est-elle fondée sur les deux questions ci-dessus , et une enquête ne serait-elle pas nécessaire pour vérifier s’il y a réellement lieu de craindre une disproportion entre la masse des transports destinés à passer par les quatre lignes, et la valeur des sommes qu’elles devront couter ? 4. Ne pourrait-on pas s'éclairer sur cette disproportion par des calculs statistiques sur le nombre des voyageurs et la somme des transports arrivés et partis de Paris par les quatre lignes pendant le cours d’une année , en ajoutant à cette statistique l'augmentation probable qu’elle recevrait de la célérité des chemins de fer ? Les éléments de cette statistique ne doivent-ils pas se trouver dans les mains du gouvernement ? DEUXA4ÈME SECTION. 165 5. Dans l'impuissance où sont aujourd’hui les quatre compagnies d'exécuter leurs traités , convient-il que le gouvernement se charge de la construction de ces lignes, conformément à son projet primitif ? Ne s’exposerait-il pas à épuiser ses moyens pécuniaires et à subir, dans son crédit, une atteinte qui pourrait avoir de dange- reuses conséquences ? 6. Est-il vrai, comme l’affirment quelques publicistes, que l'état soit appelé à retirer les premiers fruits de l'établissement des chemins de fer , et qu'il doive par cette raison participer à la dé- pense de leur construction ? 7. Y a-t-il chez les nations qui ont des chemins de fer , quelque exemple à suivre qui, sans être trop onéreux à nos finances, puisse mettre le gouvernement à même de tirer les quatre compagnies de la crise où elles se trouvent ? Serait-il judicieux d'admettre au nombre de ces exemples, celui des États-Unis qui se sont cotisés pour leurs chemins de fer ? L'immensité des distances en Amérique donnant à la célérité un tout autre prix qu'en Europe, justifie la dépense faite par les Etats de l’Union ; mais la facilité des com- munications qui existe en France, diminuant nécessairement de beaucoup le prix d’une augmentation de célérité, la dépense que le gouvernement ferait pour obtenir cette augmentation , se trouve- rait-elle justifiée ? 8. L'Europe seule peut donc fournir à la France des exemples analogues à sa situation. Si l’on jette un coup d’œil sur les chemins de fer de l'Angleterre , on verra qu'ils ont tous été établis par des compagnies , et que l'unique subvention qu'elles ayent reçue du gouvernement , se borne à des avances de fonds remboursables à certaines époques. Or de tous les nombreux chemins de fer de l'Angleterre, un seul , ( celui de Liverpool , si je ne me trompe ) rapporte un intérêt d'environ 8 p. 0/0; pour tous les autres, l’intérêt est au plus de trois, et cependant les conditions de succès pa- raissent favorables en Angleterre ; attendu que d’une part le fer et le combustible étant à bon marché, l'entretien des chemins est moins couteux , et que de l’autre la population industrielle étant plus nombreuse que la population agricole , le mouvement des af- faires est très-considérable. | En Belgique , les conditions de succès sont encore plus avanta- geuses. Le pays étant bas, une lieue de chemin de fer ne coûte que cinq cent mille francs. C’est le tiers ou le quart de ce qu’elle coûte en France et en Angleterre. Le fer etle combustible sont à bas prix, et le voisinage de la mer, de la Hollande , de la Prusse et dela France donne au commerce helge une grande activité, 166 DEUXIÈME SECTION. En France, où le prix du combustible et du fer est beaucoup plus élevé qu'en Angleterre , qu’en Belgique , qu'en Allemagne et que dans tout le nord , l'entretien des chemins de fer sera nécessaire— ment le plus couteux de l’Europe entière ; le mouvement des af- faires sera aussi relativement moindre qu'en Angleterre, attendu que notre population agricole est plus nombreuse que notre popu- lation industrielle. D’après ces faits, quel sera donc l'avenir des quatre lignes de chemins de fer ? 9. Dans les doutes aussi fondés qu'importants dont se complique la question des chemins de fer, convient-il d'entreprendre les quatre lignes à la fois , comme il a été décidé , ou de commencer par une seule , celle, par exemple, qui d’après les calculs statis- tiques proposés dans la quatrième question , présenterait les chances les plus avantageuses ? Cette épreuve qui diminuerait des trois quarts les chances défavorables et donnerait à toutes les ques- tions une solution , est-elle susceptible d’objection ? 40. Si comme on peut l’espérer , les chemins de fer doivent fa- ciliter le nivellement du prix du blé dans l'intérieur de la France , et mettre ainsi la classe pauvre à l’abri des souffrances auxquelles elle est condamnée , lors que le pain est à haut prix , n’est-ce pas une puissante considération pour déterminer le gouvernement à venir au secours des quatre compagnies des chemins de fer ? 41. Dans cette hypothèse , l'emploi des troupes aux travaux de la première ligne et successivement à ceux des trois autres, ne se- rait-il par un secours très-eflicace de la part du gouvernement ? Pour faire travailler le soldat , il sufirait de doubler sa paye. Lors même que cette haute paye serait à la charge de l’entreprise , elle n’en serait pas moins pour elle une économie de moitié à peuprès dans le prix ordinaire de la journée de travail. Ne serait-ce done pas là une subvention importante qui ne serait point onéreuse pour le gouvernement, et qui aurait encore cet avantage de prévenir, dans la classe ouvrière , un déclassement qui peut enlever à l’agri- culture des bras dont elle a besoin ? M. Hervé expose que pendant huit années, qu’il a visité ou habité les Etats-Unis et l'Angleterre , il a pu vérifier les avantages que l'établissement des chemins de fer avait produit dans ces deux pays, et pour toutes les classes de la société , en général, et pour les entrepre- neurs et actionnaires , en particulier. DEUXIÈME SECTION. 167 Sous ce dernier rapport, il cite le chemin de Liver- pool à Manchester. Aux Etats-Unis , les bénéfices des compagnies ont été plus grands. Il cite un chemin d’un parcours de A4 lieues, établi pour l'exploitation de mines de fer, dont les actions ont produit un bénéfice de 30 p. 010. Îlen a été de même des grandes communications entre New-York et Philadelphie, entre Philadelphie et Balti- more. Au reste , la plupart de ces lignes qui étonnent aujour- d’hui, par leur immense développement , ont été le ré- sultat de lignes partielles, exécutées successivement soit par les compagnies seules, soit par l’action simultanée des états et des compagnies. Il voudrait voir la France entrer , avec la même har- diesse, dans cette vaste carrière de prospérité nationale. Irdépendamment des avantages incalculables qu'en retireraient l’agriculture, l’industrie et le commerce, l’opinant verrait, dans la rapidité et l'économie du trans- port des personnes, une source d'instruction et de plai- sir pour l’homme riche ou simplement aisé, et des moyens nouveaux d'existence pour l’ouvrier, le nivelle- ment des denrées de première nécessité. Il répond, à ceux qui se plaindraient de la diminution que les rails ameneraient dans la consommation des chevaux , que la compensation s’établirait par l'augmentation des ani- maux dont la chair sert de nourriture à l’homme et qu'il resterait l'avantage d’un wravail moins pénible pour l’es- pèce chevaline. Il ne croit pas que les frais d'exécution s’éleveraient beaucoup plus haut en France qu'aux Etats-Unis. Dans ce dernier pays, la main-d'œuvre est trois fois aussi chère qu’en France. Les difficultés naturelles que présente le terrain sont les mêmes dans les deux con- trées. Quant à la valeur du sol, si elle est moindre dans 168 DEUXIÈME SECTION. les parties incultes de l'Amérique , elle y est au moins égale près des villes. A New-York, 40 pieds carrés ont été vendus 40,000 fr. Il cite l'autorité de Michel Chevalier qui fixe , à 500 mille francs pour les Etats-Unis, et à 800 mille francs pour la France, la moyenne du prix d’une lieue de che- min de fer. Plusieurs membres interrompent ici l’opinant pour lui faire observer qu'il est aujourd'hui reconnu que cette moyenne, en France, est d'au moins 1 million 500 mille francs. M. HERYÉ, reprenant son exposé , déclare que, selon lui , la principale cause de la différence du prix d’exécu- tion, dans les deux pays, se trouve dans la cherté du prix des fers en France. Sur cette question : convient-il d'exécuter simultané- ment les quatre lignes principales signalées par le gou- vernément à la session de 1837, l'opinant déclare que la solution est subordonnée aux ressources financières dont le gouvernement et les compagnies pourraient disposer. Sur cette autre question : Est-ce à l’état ou aux com- pagnies qu'il convient d'abandonner l'exécution des quatre lignes principales ? M. Hervé est porté à demander la préférence au gou- vernement. Selon lui, celui-ci moins lié à l'intérêt du présent, confectionne dans des vues d'avenir; moins touché du résultat pécuniaire , il accordera de meilleures conditions à l'ouvrier qu'il emploiera. Il voudrait done que les compagnies ne fussent ad- mises que subsidiairement el concurremment. M. Quenrix exprime l'opinion que le gouvernement exposerait son crédit en se chargeant exclusivement des quatre lignes principales, lors même qu'il ne les exécu- terait pas simultanément. li préfère les compagnies livrées à leurs seules res- sources ou avec le concours de l'Etat. DEUXIÈME SECTION. 169 liprétend que la grande différence entre les Etats- Unis et les contrées de l’Europe existera en tout temps, parce qu'elle tient d’un point au sol généralement plat aux Etats-Unis , et à une simplicité dans le mode de construction dont on ne se contenterait pas en Europe, attendu que trop souvent elle n’a été obtenue qu'aux dé- pens de la sûreté des voyageurs. Comme spéculation , ce genre d'entreprise est moins bon en Europe qu’en Amérique. 1] cite les banqueroutes faites par plusieurs compagnies anglaises. Il prétend que le chemin de St-Etienne à Lyon a donné lieu à une liqui- dation. M. HUNAULT DE LA PELTERIE pense qu'il ne faut agir qu'avec la plus grande réserve dans l'exécution des che- mins de fer en France, dont on s’est exagéré l'utilité pour l'industrie et le commerce. — I1 affirme tenir de M. Perey, ingénieur de la Compagnie du chemin de Lyon à St-Etienne, que celle-ci était sur Je point d’être actionnée par le commerce pour n'avoir pas rempli ses promesses envers lui. M. Biner fait observer que le fait de liquidation, cité par les préopinants, ne s'applique pas au chemin. de St-Etienne à Lyon qui est en pleine prospérité, mais à la ligne d’Andrecieux à Roanne. M. Dougcer de Boisraisauzr veut en principe la libre concurrence entre les compagnies et l'Etat. Il n’admet le monopole de ce dernier que dans le cas où une ligne essentiellement stratégique n'offre pas d'avantages suffi Sants pour la spéculation privée. Il proteste contre la manie d’imiter les étrangers. Restons Français, s’écrie-t-il >» €n NOUS Corrigeant de cette furia-francese aussi dangereuse dans les Spécula - tions privées qu'elle est heureuse à Ia guerre. Aux Etats-Unis, les chemins de fer étaient une néces- Sité pour rapprocher d'énormes distances. L’exécution 11 170 DEUXIÈME SECTION. eu était facile en raison du nivellement naturel du sol et de son peu de valeur. L’Angleterre a fait trop peu pour que nous éprouvions quelque honte d’être restés derrière elle. Il ne conteste pas lutilité des chemins de fer ; mais il craint que l'opinion publique ne l'ait exagérée. D'ailleurs en se bornant à des essais on se met en mesure de profi- ter des améliorations qu'un prochain avenir promet d’ap- porter à ce mode encore nouveau de transport. Il cite M. Arago à l'appui de ce système de temporisation. Il fait surtout des vœux pour que la classe si intéres- sante des petits rentiers se préserve de l'engoûment pour ces sortes d'entreprises. Il voudrait que , dans les concessions faites par l'Etat aux compagnies , on examinât avec le soin le plus scru- puleux la moralité de l’entreprise. M. Brner indique l’étendue approximative des lignes d’Arlington à Stornton-de-Lontz, de Liverpool à Man- chester, et de son prolongement jusqu'à Birmingham, de Dublin à Kingston. M. Vié retrace les différentes phases qu’a parcourues dans nos assemblées législatives , la grande question des chemins de fer. Il regrette que les termes tés plus importants de cette question , laissés indécis par la dernière législature et soumis au travail de l'opinion publique, n’aient reçu, au Congrès , aucune lumière nouvelle. M. Juzxre, de Paris, prend ensuite la parole et s’ex- prime en ces termes : MESSIEURS , La question posée dans votre programme , qui comprend l'in- fluence , l'avenir et l'importance morale des chemins de fer , est, parmi plusieurs autres questions non moins dignes de vos méditations et de votre intérêt , celle qui me paraît saisir le plus vivement les imaginations , embrasser plus complètement dans ses développe- BEUXIÈME SECTION: 171 ments naturels et légitimes , notre civilisation tout entière, signaler enfin par un caractère distinctif notre époque de transition et de progrès , comme une ère nouvelle qui doit laisser une trace pro- fonde dans la vie de l'humanité. Plus cette question est grave et se lie à tous les intérêts moraux et matériels des nations, plus elle exigerait une réunion et une étendue de connaissances dont j’invoquerais vainementle concours, et dont l'absence me fait sentir avec une douloureuse énergie , combien je suis incapable de la traiter convenablement devant vous , et de vous bien présenter toutes les hautes considérations qui s’y rattachent ; plus aussi, malgré le sentiment de mon impuis- sance personnelle dont je suis pénétré , mais en osant compter sur votre bienveillante sympatie et sur votre indulgence, je suis poussé par une sorte d’instinct , par un élan de l’âme, à soulever au moins une partie du voile qui nous cache encore cet immense avenir d'améliorations en tout genre promis à notre postérité. Messieurs , la civilisation comprend , si je ne me trompe , le libre et entier développement des facultés humaines , appliquées au perfectionnement de notre espèce et à l'amélioration de sa condi- tion sur la terre. Les vrais philosophes , les économistes , les pu- blicistes, les législateurs et tous les hommes qui sont appelés à éclairer , à diriger ou à représenter les peuples , devraient , je crois , rapporter toutes leurs pensées , tous leurs actes à ce grand but : Perfectionner l'espèce humaine ; adoucir et améliorer sa condition. Les véritables hommes d'état seraient donc essentiellement , selon moi , des hommes de conscience et d'expérience , de bien public et d’avenir , de conservation et de progrès , de haute intelligence et de haute moralité. La véritable politique ne serait plus une science de décep- tions , d’intrigues et de mensonges ; elle ne serait plus l’art de tromper et de corrompre : elle deviendrait , ce qu’elle aurait dû toujours être , la science de l'avancement social , qui s’occuperait de rechercher et d'appliquer les moyens les plus sûrs et les plus effi- caces de moralisation et de félicité des individus et des grandes fa- milles , appellées nations. La vive et bienfaisante lumière du christianisme est venue , il y a dix-huit siècles , dissiper les ténèbres de la barbarie , et révéler aux hommes leurs devoirs , leurs droits, leur destination , leurs vrais intérêts , leur dignité , ce qu’ils se doivent les uns aux autres et la mission élevée qu’ils ont à remplir ici bas. Mais, trop sou- vent , dans l’état d'isolement et de division où se trouvaient , pour ainsi dire , parquées et emprisonnées les fractions éparses de la grande famille humaine , ces divins préceptes de l’évangile ont été. 172 DEUXIÈME SECTION. entièrement dénaturés, ou faussement interprétés par des hommes qui n'avaient d'autre vue que d'exploiter à leur profit les enfants de la terre , leur ignorance , leurs passions , leurs faiblesses et les vices qu’elles produisent. La découverte de l’Imprimerie, en fournissant de nouveaux et immenses moyens de donner une durée indéfinie , une sorte d'im- mortalité aux productions intellectuelles et de leur faire franchir les espaces des lieux et des temps, a opéré ce magnifique résultat ; que l'expérience et l’intelligence de chaque homme puissant par la pensée , et de chaque nation éclairée , sont devenues le trésor commun de l'humanité , et que chaque génération a pu et doit de- venir, par le bienfait de la transmission et de la propagation de plus en plus étendues des lumières, une continuation perfectionnée des générations qui ont précédé. La puissance de la Mécanique qui a opéré tant de prodiges , de- puis l’admirable instrument , à la fois si simple et si compliqué , qui nous fait apprécier exactement toutes les divisions du temps et de la marche des heures, jusqu'à ces constructions gigantesques qui, bravant les fureurs des vents et des flots, conduites par la boussole , indicateur sûr et guide fidèle , vont explorer au loin des continents nouveaux, des îles , des terres et des mers inconnues , et reculer les bornes de notre globe terrestre ; la mécanique qui , dans ses audacieuses tentatives , a su pénétrer jusqu'aux célestes régions , en mesurer les étendues et les distances repectives , cal- culer et déterminer les lois du mouvement et de l’action réciproque des innombrables sphères qui se balancent dans l’immensité : Cette science , long-temps solitaire , et qui semblait ignorer elle- même ses rapports nécessaires et intimes avec les sciences mo- rales et sociales , et l’importance de ses inventions et de ses pro- cédés pour l'avenir de la civilisation, a contribué et doit contribuer plus que jamais à étendre l'empire de l’homme sur la nature, à mo- raliser l'humanité par des moyens purement matériels qui donne- ront une nouvelle force expansive aux doctrines les plus sublimes du christianisme et aux conquêtes les plus précieuses de l'esprit humain , constatées et propagées par l’art typographique. La féligion chrétienne avait réveillé dans le cœur de l’homme l'amour de ses semblables et le noble besoin de se dévouer au ser- vice de l'humanité. L’Imprimerie , en multipliant à l'infini les canaux de circulation de la pensée , est venue semer au loin sur la terre , féconder et développer les germes de progrès et de vertus qui formaient l’es- sence vivifiante du christianisme. DEUXIÈME SECTION. 175 La Mécanique , la Chimie et les autres sciences, mères de l’indus- trie, ont applani les obstacles qui séparaient les hommes et les peuples , et ont agrandi la sphère dans laquelle l'intelligence et la moralité humaines exercent leur.action. Car , tout se tient dans le monde. Cette loi de la chaîne universelle se manifeste dans les grands phénomènes de la nature et dans les grandes vicissitudes sociales dont nos annales nous font parcourir les singulières ; variations , comme dans les moindres détails de notre fugitive exis- tence. Oui, Messieurs , tout se tient dans l’univers ; et , de même que le christianisme , l'imprimerie et les principales découvertes de la mécanique , de la chimie et des autres sciences ont puissamment influé sur notre état moral et social , sur notre civilisation , et ont enfin amené l'invention toute récente des chemins de fer ; de même aussi , cette voie de communication si nouvelle et si rapide, à mesure qu'elle sera généralisée et perfectionnée , produira elle- même , comme d’inévitables conséquences, des résultats impor- tants d'amélioration. L’Agriculture , cette science éminement civilisatrice qui présida à la première formation des sociétés , qui fit naître les premières idées de propriété , qui , en attachant l’homme au sol et aux pro- ductions qu’il en obtenait par son travail , lui inspira les premiers sentiments de l'amour de la patrie et d’une affection prévoyante pour sa famille , lui fit entrevoir , avec le charme de l’espérance , des améliorations progressives au profit de ceux qui seraient des- tinés à lui succéder , et vint l’animer d’une généreuse et sainte ardeur pour ménager , même au-delà de sa vie , des ressources et des moyens de bien-être à ses enfants. L’Agriculture , aujourd’hui encore si peu avancée, même dans la plupart des contrées de l'Europe où l’on voit à regret tant de portions de territoire in- cultes , et que l’on n’a pas encore voulu ou pu défricher, ou très— imparfaitement cultivées , et qui manquent de débouchés pour l'écoulement de leurs produits , va recevoir , par les chemins de fer , sur tous les points où ils seront établis, une extension et uns activité nouvelles. Les terres , mieux cultivées dès qu’elles se- ront plus accessibles , acquerront une valeur plus élevée : avec la valeur des terres, augmenteront simultanément , d’un côté , les denrés qui servent à la nourriture et aux besoins de l’homme , de l’autre , la population elle-même dont l'accroissement, en don- nant lieu à une plus grande consommation , excitera de plus en plus la production et deviendra la source de nouvelles richesses. 174 DEUXIÈME SECTION. L'augmentation de la population, jointe à l'amélioration des procédés de l’agriculture , entraîne avec elle une extension tou- jours croissante d’une industrie de plus en plus perfectionnée , d'un échange de plus en plus actif des objets matériels , des ri- chesses , des lumières et des idées eréatrices et conservatrices de religion , d'ordre , de liberté , de justice , de morale sociale et pratique. Les chemins de fer sont destinés à répandre la vie et la fécon- dité dans des lieux déserts et sauvages , dans des landes stériles , sur des points reculés , quelquefois dans des forêts vierges où la cognée doit précéder la charrue. Les chemins de fer , en permettant de franchir rapidement les distances , de faire promptement communiquer entre elles les po- pulations les plus éloignées , feront évanouir peu à peu les pré- jugés étroits de localité , les préventions haïineuses qui séparent les peuples , les habitudes routinières qui les asservissent ; ils au ront bientôt fait disparaître les barrières des douanes, ces en- traves fiscales apportées à la liberté du commerce , et ils mettront fin aux spéculations immorales de la contrebande ; ils détruiront enfin , peu-à-peu , les derniers restes de barbarie, et plus tard , les sujets de divisions et de guerres. Car, les nations, en apprenant à se connaître, à s'apprécier , à s’estimer, à s'instruire et à s’aider les unes les autres , sentiront de plus en plus combien les guerres, même en apparence les plus raisonnables et les plus légitimes, sont, en réalité, absurdes , injustes , ruineuses. L’instruction mutuelle des populations , la paix plus solidement établie , plus facilement conservée , deviendront à la longue les résultats naturels de com- munications plus promptes , moins dispendieuses , plus fréquentes entre les hommes d'un même pays et entre les peuples. Dans les contrées que les chemins de fer sillonneront dans tous les sens , les trois fléaux du despotisme, de l'anarchie et de la bar- barie seront rendus presque impossibles. Car chacun sera , plus que jamais , fort de la force de tous , et se trouvera protégé par cette égide puissante dont il contribuera lui-même à faire éprouver les effets bienfaisants autour de lui. Chaque homme , écrasé par le sentiment de sa faiblesse comme individu , se relève et peut juste- ment s’énorgueillir de sa puissance comme partie du grand tout , R où l’organisation sociale , par la promptitude et la régularité de son action , devient une sorte de compagnie d'assurance mutuelle pour la sûreté , la liberté , le respect des droits de chacun et de tous. DEUXIÈME SECTION. 175 Les rois eux-mêmes , à l'abri d’un ordre public fortement ga xanti, qui permettra l’entier développement d’une sage liberté, désormais exempts de craintes et d’inquiétudes personnelles , au— ront une autorité plus réelle, mieux affermie , d'autant plus révérée qu’elle s’appuiera sur les lois, et que les lois, librement consenties, seront l’expression de l'opinion éclairée, du bon sens national et de la conscience publique de chaque peuple. Une sorte de fédération universelle des peuples remplacera l’état informe et les rapports incohérents , précaires, variables, qui ca- ractérisent aujourd’hui leurs situations respectives. La diplomatie large , franche , publique , avouée des intérêts nationaux et des intérêts généraux de l’humanité , remplacera la diplomatie étroite , hypocrite , mystérieure , embarrassée des intérêts purement dy- nastiques. Les budgets de chaque pays, appliqués en grande partie, non plus à des guerres dévastatrices et à des conquêtes ruineuses, mais à des inventions , à des découvertes utiles qui étendront la puissance-de l’homme sur la nature et augmenteront les moyens de bien-être pour les individus et les sociétés , permettront de mettre en pratique ce grand principe de bonne administration intérieure et d'économie sociale : Avoir les mains ouvertes pour les dépenses de bien public et de véritable utilité , strictement fermées pour les dépenses improductives et abusives. Telles seront , dans le monde social et politique , quelques- unes des conséquences plus ou moins éloignées de l'adoption des chemins de fer. Avec la population croissante , avec la tranquillité intérieure et la paix générale au dehors mieux affermies , dans un ordre de choses plus stable et moins exposé aux commotions violentes et aux révolutions qui sont les suites nécessaires de l'anarchie ou de la ty- rannie , un plus grand nombre d’esprits pourront se livrer à des méditations profondes , à des loisirs fructueux , à des veilles labo— rieuses, à des conquêtes pacifiques dans le domaine de l'intelligence qui enrichiront l'humanité, L’heureuse union des nations sera une des conséquences de leur rapprochement. De mème qu'après la triste période de la féodalité qui réduisait les seigneurs à vivre enfermés dans des châteaux isolés, plantés sur des pics de rochers inaccessibles , et qui divisait la société en une multitude de fractions d'hommes, les uns suzerains, les autres vessaux , attaquant les voyageurs sur les routes pour s'approprier leurs dépouilles, et vivant de brigandages et de rapines , nous awons vu l'émancipation des Communes résulter de l’établissement des grandes voies de communication qui conduisaient à travers un 176 DEUXIÈME SECTION. pays jusqu'au sein de villes populeuses où les hommes , au lien de s’entr'égorger , au lieu de spéculer sur leur ruine mutuelle , asso ciaient leurs efforts pour s'enrichir etse procurer mutuellement les aisances et les commodités de la vie. De mème , après les divisions et les guerres entre les différents états, la construction des che- mins de fer , qui les fera communiquer habituellement entre eux , y introduira peu-à-peu une certaine analogie dans les mœurs , dans les coutumes , dans les lois, et une sorte de fusion ou d’i- tentité de sentiments , d'opinions , de vœux , de besoins et d’inté- rêts communs. Dès lors, plus de ce patriotisme étroit et local qui traite de barbares, comme autrefois chez les Grecs et chez les Ro- mains , quiconque n’était point né sur telle portion déterminée du sol, sur la rive droite ou gauche de tel ou tel fleuve , ou qui ne parlait point tel idiôme particulier. Dès lors aussi , plus d'hommes étrangers les uns aux autres ; plus de ces guerres d’extermination atroces et prolongées qui souillèrent tant de fois nos annales , et dont notre histoire moderne et même contemporaine nous offre encore tant de sanglantsexemples. Peut-être même,de ce concours des nations pourra naître une langue philosophique , d’une appli- cation facile et générale, qui deviendra commune àtous les peuples du monde. Avec l’agriculture et l’industrie de plus en plus florissantes et recevant par l'effet des chemins de fer une nouvelle impulsion pro- gressive , plus de disettes à craindre ; quelques heures , quelques jours au plus, peuvent suflire pour transporter de grands approvi- sionnemets sur des points qui en manquent , ou des populations souffrantes et affamées dans les lieux où les récoltes et les res-— sources pour exister sont surabondantes. Plus de mendicité , ni d’excessive misère. Un heureux et juste équilibre s’établira insen- siblement entre les différentes classes de la société ; peu-à-peu , les idées utiles et fécondes , les bonnes méthodes , les nouveaux procédés de lagriculture, de l’industrie et des arts se transmet- tent , se perfectionnent , se propagent , s'appliquent , se popula- risent. Le commerce , comme l’agriculture et l’industrie , doit éprouver l'influence bienfaisante des chemins de fer qui lui imprimeront une plus forte impulsion , une direction et une activité nouvelles. Par ce nouveau mode accéléré de communications et de trans- ports , toutes les denrées, toutes les choses nécessaires , utiles ou agréables à l’homme,seront facilement expédiées des lieux où elles seront surabondantes , sur tous les points où elles pourront être démandées et trouver des consommateurs. DEUXIÈME SECTION. 177 Le commerce , dans le monde matériel , comme la religion dans le monde moral , est un lien qui unit les hommes. L'influence du commerce a toujours été l’un des moyens les plus actifs de tout progrès social. . C’est par les échanges et par les relations qu'il éta- blit, que les différentes nations se rapprochent et se confondent , et que les traces de la barbarie s’effacent peu-à-peu entièrement. C’est ainsi que l’économie sociale , et la morale publique qui en est la base , répandent au loin des lumières , des vertus et des ri- chesses , trois éléments essentiels de civilisation. Tous ces résultats heureux du plus libre développement de l’in- telligence humaine , depuis le commencement de ce siècle, et bien d’autres résultats que notre siècle doit produire au grand jour , ne seront plus circonscrits dans les limites d’un étât, ni bornés à l’u- sage d’un seule nation ; mais, par la fusion des nations qui sera l’ef- fet naturel et nécessaire des chemins de fer , deviendront la pro- priété commune du genre humain. La paix universelle, qui fut long-temps regardée comme le rève impossible à réaliser de quelques hommes de bien , et dont les bienfaits si désirables sont peut être ajournés à des temps éloignés de nous , sera du moins rendue beaucoup plus facile et plus pro— bable , par l'établissement des chemins de fer. L'universalité de lois sages et humaines , de principes religieux et moraux , tolérants et bienveiïllants , de poids , de mesures et de monnaies pour la commodité des échanges et du commerce , ré- sultera d’une paix générale plus consolidée et d’une civilisation plus rapidement progressive. Enfin , par le bienfait des chemins de fer , sous le rapport phy- sique , grâce aux mesures d'hygiène et de salubrité publique plus généralement répandues , et aux commissions sanitaires , multi pliant par leurs communications mutuelles et par une correspon- dance active, leurs propres lumières et leur influence , et veillant avec une sollicitude éclairée à la conservation des individus , même dans les classes les plus pauvres , et de la société entière , il y'aura en général plus de santé , de force, de bien-être ; les populations seront plus saines , plus robustes , plus vivaces, plus énergiques. Sous le rapport moral el’ social, les abus , les vices , les actes de violence , d’injustice , de cruauté deviendront beaucoup plus rares, ainsi que les difformités et les monstruosités physiques ; la dimi- nution des crimes donnera lieu à une réduction proportionnelle dans le nombre des magistrats chargés de rendre la justice. Les services rendus à la société et les progrès auront un plus grand ca- 178 DEUXIÈME SECTION. ractère de généralité : ils seront plus rapides , plus répandus. I y aura plus d'accord , plus de sympathie , plus de charité active , plus d'amour entre les hommes et entre les peuples. Sous le rapport intellectuel, par des communications plus multi pliées, les travaux de chaque individu dans sa spécialité seront promptement portés à la connaissance de tous ceux qui s’occu- peront de la même branche spéciale des sciences ou des arts , et une somme considérable de temps et de travaux , perdus aujour— d'hui , sera économisée au profit de la société ; une meilleure di- rection, une instruction mieux entendue et plus complète seront données plus facilement à la jeunesse qui, partout, se trouvera plus rapprochée des bonnes écoles et des grands maitres. Enfin , la sphère de l'existence est agrandie. On franchit , en peu d'heures ou en peu de jours , les plus grandes distances. Une activité prodigieuse est imprimée à la machine humaine qui a be- soin d’être fréquemment et fortement remuée et secouée pour ne pas tomber dans l’inertie. -— La vie est plus animée , mieux em— ployée , plus utile , plus agréable, plus féconde ; on vit plus et on vit mieux. -— On est généralement plus sain et plus fort, plus actif et plus laborieux, plus moral, plus intelligent et plus promptement instruit , plus pénétré de sa dignité et du sentiment de ses forces , de ses devoirs , de ses droits, plus social, plus riche , plus heureux. Il est une heure après midi ; M. le Président, d’après Ja décision de la Section, continue à demain la discussion sur les chemins de fer. SÉANCE DU 18 SEPTEMBRE 1839. A onze heures précises , la séance est ouverte sous la présidence de M. Le Gaz. M. Lun, Président du Congrès, dépose trois bro- chures portant les titres suivants : 1° De l'état de l'agriculture en France, par M. De- lacour ; DEUXIÈME SECTION. 179 ® Extrait des séances de la Société d'Agricul- ture de Caen, depuis 1831 jusqu’à 1836, par M. Lair, secrélaire ; 3° Extrait des séances de la même Societé, pour 1858 , par le même. M. Juzrex dépose une brochure intitulée : Le Cul- tivateur, Journal des progrès agricoles, $° cahier de 1839. M. le Président indique ensuite l’ordre du jour dont le premier objet est lalecture d’un Mémoire,présenté par M. de Magneville, sur l’'écorcement du chène. L'auteur , après avoir rapporté les expériences faites par Buffon, pour constater la force respective du cœur , du bois moyen et de l’aubier dans le chêne À propose son écorcement sur pied pour rendre l’aubier aussi résistant que le cœur. Il invoque des expériences faites tant par son père que par lui-même. La Section émet le vœu que ce Mémoire soit inséré par extrait, dans le compte-général des travaux du Con- grès. Buffon fait observer que la briéveté du temps et la longueur de l'expérience ne lui ont pas permis de s’assurer si l’aubier des chè- nes écorcés était de plus longue durée que celui des chênes non écorcés. Je peux résoudre affirmativement cette question , non- seulement par ce que j'ai vu, et par ce que mon père ma souvent répété. IL avait fait abattre , le même jour, sur le même fossé, deux chènes d’égale grosseur et parfaitement sains ; mais l’un d’eux avait été écorcé l’année précédente et, loin de mourir de cette opération, il produisit au contraire beaucoup plus de glands que les années antérieures. Il ft débiter ces deux chênes en planches du même échantillon. Il employa quelques-unes de celles du chêne écorcé , les plus chargées d’aubier ; à faire la porte d’un colombier non couvert , dépendant d'une ferme qu'il avait sur le bord du ma- rais de Meuvaines près Bayeux. Il me l’a fait voir , je l’ai sondée avec la lame d'un couteau et j'ai trouvé l’aubier aussi sain que le cœur du bois ; je crois que cette porte ferme encore ce colombier. Après la mort de mon père, arrivée en 1794 ; je trouvai dans une 180 DEUXIÈME SECTION. cave très-humide de la maison qu'il avait habitée anciennement à Rie près Bayeux, deux bouts de planches de chène couvertes de Byssus ou de moisissures, ayant chacun une portion d’aubier. On voyait gravé en creux sur l’un : ÉCORCÉ 1756, et sur l’autre : NON écorcé 1736. L’aubier du premier était parfaitement sain, et je ne pouvais y faire avec l'ongle que de légères traces comme sur le cœur du bois ; l'aubier du second était entièrement pourri. Ainsi l'aubier du chène écorcé était très-sain après être resté 58 ans dans un lieu très-humide et il aurait pu se garder plus long- temps encore si j'avais pris soin de le conserver. Nous voyons par les taillis en chênes qu'on écorce pour faire du tan , qu'ils donnent du bois de chauffage , des cercles et des per- ches , ou percots de meilleure qualité, et, quoiqu'on les vende plus cher, ils sont encore préférés à toutes les autres escences dont l'écorce n’est employée à aucun usage. On est obligé d’atten- dre que la sève soit montée pour écorcer les taillis de chène et par conséquent leur coupe s'en fait encore plus tard et cependant les cepées ne paraissent pas souffrir de ce retard quoique le bois soit alors en pleine végétation. Ainsi rien ne s'oppose à l’écorcement des chênes, à quelqu’âge que ce soit, pour augmenter la qualité de leur bois. Mon père avait fait Ja remarque qu’un chène,qu'il avait fait écor- cer, avait produit beaucoup plus de glands, l’année qui suivit cette opération , que les années qui l'avaient précédée. Il pensa qu'il en serait de même pour les arbres fruitiers, mais qu'il fallait faire la plaie plus petite, et il se borna à n’enlever qu'un anneau d’écorce d’une à deux lignes au plus de largeur; (il ne connaissait pas, sans doute alors ce qu'avaient publié sur ce sujet Duhamel, Buffon et d’autres auteurs plus anciens). Mon père fit ses premiers essais sur quelques branches de pommiers à couteau, taillés en buisson qui, étant greffés sur franc et plantés dans un sol très- riche, s'emportaient en bois et donnaient très-peu de fruits. Les branches sur lesquelles il avait pratiqué l’incision annulaire devin-— rent seules fertiles. Depuis cette époque, il à continué à l’employer sur les grosses branches des arbres qui n'étaient pas fructueux. Je me rappelle que, dans mon enfance, j'ai vu beaucoup de ces vieux arbres portant des bourelets qui recouvraient les incisions qui leur avaient été faites. J'ai souvent pratiqué cette opération sur divers arbres à fruits et j'ai toujours obtenu un plein succès, quand les sujets étaient vigoureux. J'avais à ma campagne une vigne de Cioutat; elle avait deux grosses branches qui s'étendaient à droite et DEUXIÈME SECTION. 181 à gauche au-dessus d’un espalier , elle donnait très-peu de raisin et encore ne venait-il jamais en maturité, je fis l'incision annulaire à une des branches seulement. Celle-ci me donna beaucoup de grap- pes; très-peu de fleurs coulèrent , tandis que l’autre branche resta stérile. Les journaux ont beaucoup vanté cette opération pour les vignes de treilles et de vignobles ; on a mème inventé un instru— ment pour la faire plus promptement et avec plus d’exactitude. Un de mes voisins à la campagne avait, dans son jardin potager, un prunier à haute tige en plein vent qui était très-vigoureux , mais il ne donnait point de fruits. Sa tête était formée par cinq grosses branches. Je fis l'incision annulaire à deux d’entre-elles; mais craignant la gomme , j'entourai chaque plaie d’une poupée compo- sée de mortierdeterre mêlé avec des feuilles d'herbe,ces deux bran- ches furent les seules qui donnèrent des fruits l'année suivante. Thouin a publié, dans les Annales du Muséum tome 6, un mé- moire sur les effets qu'à produits l’incision annulaire sur le Pavia à fleurs jaunes. Cet arbre avait été écussonné sur un Maronnier d'Inde ordinaire. Il donnait depuis douze ans des fleurs en abon- dance, mais les fruits à peine formés tombaient successivement jusqu'à ce qu’il fussent arrivés à la grosseur d’une noisette, et il en restait très-peu qui paryvinsent à leur parfaite maturité. La sève étant montée dans toute la tête de l'arbre, les feuilles parve- naient aux trois-quarts de leur grandeur naturelle ; au moment où les fleurs épanouies pour la grande partie, quelques-unes défleu- ries et leurs germes noués et arrivés à la grosseur d'un pois, Thouin pratiqua l'incision annulaire sur une des branches seule ment. Il enleva, pour cet effet, une lanière d'écorce d’une ligne et demie de largeur dans toute la circonférence depuis l’épiderme jusqu'à l’aubier de la branche qui avait deux pouces de diamètre. Il n’est tombé qu'un petit nombre de fruits avant leur maturité qui a été de douze jours plus précoce que ceux provenant des autres branches. La branche opérée, qui formait un peu moins que la douzième partie du Pavia, à donné, à elle seule, 17 fruits et les autres réunies n'en ont donné que 25- Ainsi, l'incision annulaire procure l'avantage : 10 D’arrèter les arbres gourmands et de les faire fructifier ; 9 D'assurer les germes des fruits et de les empécher de tomber; 30 Enfin d’en hâter la maturité. J'ai employé aussi, avec beaucoup de succès, l’incision annulaire sur les arbres forestiers lorsqu'ils sont isolés ou plantés à de grandes distances les uns des autres. On sait que ces arbres pous- 182 DEXIÈME SECTION. sent toujours de fortes branches qui absorbent une grande partie de la sève et il n’en parvient qu'une faible quantité pour nourrir et élever la tête. La partie de la tige qui se trouve au milieu de ces branches diminue rapidement de grosseur et on ne peut tirer du tronc qu’une pièce de bois quelquefois très-grosse mais de peu de longueur. L'incision est encore très utile pour éviter la bifurcation des arbres et pour diminuer la vigueur de quelques branches gour- mandes qui attirent une partie de la sève et, si on les coupait d’a— bord, laisseraient un vide qui rendrait l'arbre difforme. Il re— pousse quelquefois, près de la plaie, plusieurs gourmands à la place de celui qu'on a coupé. J'avais un jeune Frêne à fleur ( Fraxinus Ornus Lin. ), très-vigou- reux , dont la pousse de l’année qui devait former sa tige se trouva rompue vers la moitié de sa longueur. Je la taillai immédiatement au-dessous de la fracture, il se développa deux gourmands à son extrémité. J'en conservai un pour remplacer la tige cassée et je rabattis l’autre environ cinq à six pouces du tronc. Mais celle-ci poussa deux nouveaux gourmands. Voyant cela, je fis, au printemps suivant, une incision annulaire sur la portion de branche que j'avais racourcie; les deux gourmands ne poussèrent plus que faible- ment , l'arbre a maintenant une belle tige et on ne peut plus distin- guer l'endroit de sa cassure. Les Pins sont de tous les arbres ceux qui supportent le mieux l'incision annulaire , quelque largeur qu’on veuille donner à la plaie ; j'ai de ces arbres dont j'avais écorcé les branches sur une longueur de plus de huit pouces qui ont végété,ainsi mutilées,pen- dant plus de dix ans; mais je ne leur enlève un anneau d’écorce que de six à douze lignes de largeur suflisante pour que les bou- relets ne recouvrent pas la plaie. La branche opérée ne grossit qu’au dessus de l'anneau, mais ne grossit pas d’une manière sensible au-dessous , si l'anneau a été fait entre les premiers rameaux de la branche et le tronc ; ainsi on peut laisser subsister pendant plu- sieurs années la branche sans faire une plaie plus grande, lorsqu'on vient à la couper ; ce qui est très-favorable aux Pins , auxquels les plaies font toujours un grand mal. Les incisions annulaires que j'ai faites sur beaucoup d'espèces d'arbres , m'ont prouvé que ceux à feuilles persistantes , résineux ou non , supportaient beaucoup mieux cette opération que ceux à feuilles caduques. Je serais disposé à penser que les premiers se nourrissent beaucoup plus par leurs feuilles. Ce que je viens de dire le prouve assez pour les Pins. DEUXIÈME SECTION. 183 J’ai aussi tenté la même expérience sur un Chène vert ( Quer- cus ilex) ; j'ai pratiqué, sur une de ses branches que je trouvais trop grosse, l’incision annulaire , je ne lui donnai qu’une lar- geur d'environ deux lignes. La branche ne s’affaiblit nullement , il se forma, à la partie supérieure de la plaie, un bourelet considé- rable qui finit par rejoindre le petit bourelet inférieur : Au prin- temps suivant je coupai le bourelet supérieur , il s’en forma un nouveau qui s’est soudé avec l’inférieur et la branche est toujours vigoureuse. J'ai fait, cette année, un autre anneau un peu au-des- sus du premier , et la branche est toujours dans le même état, tandis que les branches des arbres à feuilles caduques ne sup- portent cette opération qu’un ou deux ans au plus , à moins que les bourelets aient pu se rejoindre et se souder pour laisser circuler la sève descendante ; ou bien qu’on n’ait point enlevé tout le liber qui est très-adhérent à l’aubier , lorsque la sève n’est pas assez montée. M. Borrix fait l'observation que, dans le nord et l’est de la France , l’écorcement est pratiqué. M. Dezarocue ajoute que lui-même en a fait l’expé- rience , et qu'il a obtenu le même résultat que celui si- gnalé par M. de Magneville. Mais il a laisséle bois écorcé pendant deux ans sur le pied, après l’année de l’écorce- ment. Au printemps , la 1° année, la végétation a re- paru quoiqu’affaiblie ; à la seconde année, il n’a poussé ni branches ni feuilles. La discussion sur les qustions relatives aux chemins de fer est reprise : M. Biner pense que lorsqu'il s’agit d'établir un che- min de fer, les interressés doivent avant tout se poser cette question : le pays fournira-t-il les ressources suffi- santes pour alimenter , sans interruption et complète- ment, la puissance de ce moyen de transport ? M. OnoranT-Desnos lit la note suivante relative à celte question : En admettant l’utilité générale de ce’genre de voies de commu- nication, il ne faut pas perdre de vue que souvent cette utilité n'est que locale ou relative en raison de divers circonstances par- ticulières. 184% DEUXIÈME SECTION. Ainsi l'uniformité de la grande vitesse des transports , sur les chemins de fer, nuit à l'économie de ce mode de transport et en éloigne nécessairement quelques espèces de marchandises. En effet, pour obtenir cette vitesse qui dépasse souvent sept et huit lieues à l'heure , il faut vaincre à grands frais la résistance. Cette résistance, il est vrai, n’est plus de seize millièmes comme sur les routes pavées , mais elle est encore de quatre millièmes, et le mème véhicule qui ne pouvait trainer que 12,000 kilogrammes de chargement sur les routes ordinaires, ne peut encore en tirer après lui que 56,000 au lieu de 75,000 qu'il pourrait entraîner si la vitesse était moins grande. Alors aussi les vibrations augmentant, comme le carré de cette vitesse , elles dégradent proportionnellement et les véhicules et les rails eux mêmes. Ces réparations occasionnées par les vibrations ont, jusqu'à pré- sent, empêché les locomotives de pouvoir long-temps circuler sur les routes ordinaires, avec une vitesse de six à huit lieues à l'heure, et probablement on ne pourra les y maintenir en circulation, sinon avec économie du moins scientifiquement parlant , qu'en réduisant cette vitesse et en ne les montant quesur des routes aussi parfaite ment confectionnées ou entretenues que celles qui existent dans le département de la Sarthe ; et que l’on doit aux soins de M. l’In- génieur Dumas, présent à cette séance. Ces vibrations détruisent en outre si promptement les tails que l'entretien des chemins de fer monte habituellement à plus de 60,000 francs par année et par lieue , et que l’on calcule que tous les quinze ans il faudra remplacer les rails de ce genre de chemin, ce qui occasionnera une dépense, par lieue, de deux cent cinquante mille francs ou une réserve de douze mille francs par année. Les frais de fraction dépendant également de cette vitesse , on doit admettre que, dans le transport des marchandises , l’on devra par économie considérer attentivement le degré de vitesse dont on aura besoin. Car si l’on fait parcourir inntilement une distance de cent-vingt lieues par jour avec une vitesse de huit lieues à l'heure, au prix de 1 fr. 90 €. le tonneau , on dépensera deux-cent-vingt-huit fr., tandis que si cette marchandises dont le transport n'avait pas be- soin d’être aussi hâté , avait mis deux jours à son voyage avec une vitesse moyenne de trois lieues à l'heure, on aurait dépensé pour son transport que soixante-quinze francs, et l’on aurait obtenu une économie de cent-cinquante-trois francs, DEUXIÈME SECTION. 185 C'est donc proportionnellement au besoin des vitesses que les chemins de fer, dans certaines circonstances, seront utiles au trans- port des marchandises, à moins que l’inclinaison de leur plan permette à ces marchandises de descendre d’un point à un autre, sans avoir à supporter les frais de fraction d’un véhicule’, comme cela se voit sur les chemins de fer de St.-Étienne à Lyon. M. Douscer ne BoisraiBauLr fait observer que les deux préopinants sont sortis des questions à résoudre. Ces questions sont : Les chemins de fer sont-ils utiles au commerce , à l’in- dustrie , à l’agriculture? . Par qui convient-il qu'ils soient exécutés? Sur la première question, point de difficulté sérieuse. Sur la deuxième question , l’opinant reprend l’argu- mentation qu'il a développée à la séance d'hier. Il dé- montre que pour les lignes stratégiques et politiques, il faut en réserver l'exécution au gouvernement, sans lui interdire la ressource d'employer les compagnies ; que pour les lignes d’un intérêt purement commercial, il convient de les abandonner aux compagnies , tout en soumettant celles-ci au contrôle le plus sévère sous le rapport de la moralité des entrepreneurs et des chances de succès de l’entreprise. MM. Bingr et Desnos expliquent comment les obser- vations qu’ils ont présentées se rattachaient aux ques- tions posées par le programme. M. Hunauzr DE LA PELTERIE admet, en principe, l’uti- lité des chemins de fer, et quant à leur exécution , ré- serve au gouvernement les lignes politiques, et aux com- pagnies les autres lignes , aux conditions exposées par le préopinant. Mais il pense que réduite à la question d’actualité, il faut se garder d’une précipitation qui serait fatale à l'é- tat, aux compagnies et aux actionnaires. 12 186 DEUXIÈME SECTION. M. Hexri Tuoré dit que le danger n’est point dans les entreprises en elles-mêmes, mais dans les piéges dresssés par les entrepreneurs aux actionnaires de bonne foi. M. le Président résume la discussion et la Section émet un vœu sur lesdivers points de la question. (Voir à la fin du volume. ) La discussion s'ouvre ensuite sur la question posée au programme relativement à la culture du lin. M. de Caumonr dit qu’il a vu la culture du lin réussir sur les sous-sols granitiques , schisteux et calcaires. Il pense que la nature géologique du sous-sol est indiffé- rente. M. Vié cite deux exemples de culture de lin introduite dans l’assolement régulier de deux exploitations com- posées chacune de 7 à 800 journaux de landes récemment défrichées. Dans les deux cas, on a fait réussir le lin après un bon trèfle renversé par un seul labour, exé- cuté par l’araire Dombasle. Depuis 12 ans, MM. Rondeau, frères, qui dirigent une de ces exploitations dans la commune de Château-Laval- lière (Indre-et-Loire), ont continué d'ouvrir chaque an- née , le quart du sol à la culture du lin. M. Hunauzr fait observer que,dans le département de Maine-et-Loire, le lin d'hiver est cultivé sur les terrains secs et élevés, et que le lin de printemps est réservé pour les vallées ou terrain d’alluvion. M.CneverEAux cite un exemple dela culture du lin dans un terrain calcaire après un sainfoin renversé par un seul trait de charrue. Mais il ajoute que ce lin, parvenu à une hauteur remarquable, manquait de qualité. M. Borrix a la parole et lit la note suivante : Ii n’est pas , je crois , de département en France , où le lin soit cultivé avec plus d’étendue que le département du Nord. Le lin que l’on y récolte est de deux sortes , désignées sous les noms de lin de gros , lin de fin. DEUXIÈME SECTION. 187 Le lin de gros est le lin ordinaire du pays , ou le lin obtenu de la première récolte de la graine tirée de Riga. Le lin de fin est le produit de la graine que fournit la première récolte dans le pays de la graine semée , immédiatement après son arrivée de Russie , l'expérience constante ayant prouvé que cette graine étrangère confiée une première fois au sol doux et profond auxquel elle est destinée , croît d’abord avec un tel luxe de végétation qui est impossible d'en obtenir , cette première an— née , la finesse de brins qui donne le fil , dit de Mulquinérée avec le- quel on confectionne les inimitables batistes de Valenciennes. Cette seconde graine s’apelle lin d’après tonne. La culture du lin d’après tonne offre cela de particulier qu'il est semé très-épais , croît rapidement , devient très-haut , et comme il est d’une finesse extrème , des rameaux sont établis par dessus le champ, suspendus au moyen de pieux fichés en terre , pour que les tiges de lin en croissant, passant à travers se trouvent soutenues et protégées contre les vents et la pluie qui les feraient facilement verser. La discussion est continuée à demain. nn SÉANCE DU 19 SEPTEMBRE 1839. Le procès-verbal de la séance d’hier est lu et adopté. M. le Président donne communication de la proposi- tion suivante, faite par la Commission des médailles : La commission propose pour la première médaille , M. Pichon , propriétaire agriculteur , maire de la com- mune de la Guierche; pour une seconde médaille ou, à défaut de médaille, pour une mention honorable, M. Mullier, mécanicien , au Mans, auteur d’un coupe- racine , et d’un hache-paille adopté pour l’école de ca- valerie de Saumur. La discussion est ouverte sur cette proposition. M. Vré fait observer que, pour apprécier le mérite des travaux agricoles de M. Pichon, en eux-mêmes et par rapport à ceux d’autres agronomes, il serait à désirer. 138 DEUXIÈME SECTION. que quelqu'un püt donner des renseignements positifs sur les moyens employés et sur les résultats obtenus. Il expose ensuite, en détail, les travaux auxquels s’est livré M. de Laporte , maire de la commune d'Oïré , arrondissement de la Flèche; ce propriétaire, dit-il, entreprit , il y à douze ans et a continué jusqu'à ce jour, l'exploitation personnelle d’une ferme composée d’en- viron 80 journaux , ( 35 h. 20 ) de terres arables et 25 hommées, (8 h. 25 ) de prairies naturelles. Le fer- mier auquel il succédait, était un des bons cultivateurs du pays. La moyenne des produits obtenus par ce fer- mier qui suivait l’assolement triennal de la contrée , consistait en 5 ou 600 boisseaux , ou quarts d’hectoli- tre de céréales , tant d'automne Te de printemps, et en 15 ou 20 porcs gras. La moyenne des produits obtenus par M. de Laporte, calculée sur les dix dernières années , est celle-ci, elle résulte d’un dépouillement de livres tenus régulière- ment, céréales de toute nature 1850 boisseaux, bœufs gras , 70 pour les quatre dernières années, ce uer nr donne pour moyenne 80. Ce prodigieux accroissement de produits est dù à l’ap- plication judicieuse de l’assolement quadriennal dont les cultures suivent depuis quatre ans la rotation sui- vante : 1° année, betteraves fumées ; 2° année, céréales d’au- tomne ; 3° année,pommes de terre fumées ; 4° année, cé- réales de printemps, récoltes dérobées entre les céréa- les d'automne récoltées la 2° année , et les pommes de terres piquées au printemps de la 3° année , vesces d’hi- ver mêlées de seigle et d'avoine d'hiver. — Entre les céréales de printemps récoltées la 4° année et la culture des betteraves de l’année suivante , trèfle coupé en vert, vers le mois de mai , avant le repiquage des betteraves. C’est, selon M. de Laporte , le seul moyen d'admettre le trèfle d’une manière fixe dans lassolement quadriennal. DEUXIÈME SECTION. 189 M. Vié recommande l'exploitation de M. de Laporte, comme la démonstration pratique la plus complette des règles et des immenses avantages de la culture alterne dont la Section, par un vœu précédent , a recommandé l'adoption générale. M. Trorri-Derarocue donne, sur l'exploitation de M. Pichon , les renseignements suivants : » Depuis quinze ans, M. Pichon fait valoir en per- sonne , environ 120 journaux de terre. Il ne récolte, en prairies naturelles , que 15 charretées , ( 30 milliers }) de foin. IL a introduit sur les terres arables , la culture en grand des prairies artificielles , notamment celle du trèfle et de la luzerne. Celle-ci, depuis 6 ans, occupe 18 journaux. Cette grande part donnée, dans son exploi- tation , à la culture des prairies artificielles , lui a per- mis d'entretenir en très-bon état, 25 à 30 bêtes à cornes et un certain nombre de chevaux et de juments. » M. Picxon a, en outre, depuis quelques années, essayé la culture du colza , sur un défrichement de sa- pinière dont le sol est sec et pierreux. — En 1838 et 1839 , le succès a été complet. » M, Prcnon n’a pas encore adopté d’assolement fixe, mais il s'efforce d'arriver à l’assolement alterne. » M. TrorTé-DELAROGCHE s’attache surtout à faire res- sortir cette circonstance , que M. Pichon est un homme presque entièrement illettré et qui ne doit ses succès qu’à la pratique laborieuse et intelligente des principes exposés dans le Calendrier du cultivateur , par M. de Dombasle et qu’il a pris pour guide les travaux agri- coles. » La Section, consultée sur le 1* paragraphe de la pro- position de la Commission , l’adopte à une grande ma- jorité. Sur le 2° paragraphe relatif à la proposition d’une se- conde médaille, ou au moins , d’une mention honorable en faveur de M. Mullier , mécanicien au Mans. 190 DEUXIÈME SECTION. M. Vié fait valoir les titres , que M. Gourdin , méca- nicien à Mayet, aurait à cette distinction. Il dit que cet homme, totalement dénué d'instruction première , s’est élevé par son seul génie à la réputation d’un des mécaniciens les plus distingués de l’époque. M. Trorré-DELAROGHE reconnaît la supériorité in- contestable de M. Gourdin , mais il fait l’obervation que ce mécanicien n’a rien produit pour l’agriculture, et c’est surtout , sous ce dernier rapport , qu'il recommande les travaux de M. Mullier à l'intérêt de la Section. La Section consultée, adopte le 2° paragraphe de la proposition formulée par la commission des médailles. M. le Président fait un rapport sur un mémoire dé- posé précédemment et intitulé : Considerations sur les charges qui pèsent sur l'agriculture, par M. Chauvin- Lalande. En voici un extrait réproduit d’après le vœu de la Section : Le premier de nos arts , l'art agricole , est sans doute celui qui alimente et vivifie généralement tout , celui duquel nous tirons nos moyens d’existence sociale , car après nous avoir procuré de quoi satisfaire aux premiers besoins de la vie, toutes les sources de nos jouissances en naissent encore. Si je voulais m’étendre sur les travaux pénibles auxquels le cul- tivateur se livre, je détaillerais tous les gros labeurs qu'il est obligé de faire pour tirer du sein de la terre ses produits divers , mais tout le monde les connaît, sans cependant savoir les aprécier ou sans vouloir les prendre en considération. On dit à cela : le cultiva- teur travaille pour lui en travaillant pour la société , c’est une in- dustrie qu'il exerce et dont il retire avantage : j’admets cela , mais pesons tout à une balance bien équilibrée , nous verrons que le far- deau du cultivateur est le plus pesant de tous. Le cultivateur s’est placé lui-même dans sa position , nous dit-on encore , sa profes- sion est libre comme celle des autres; j’admets encore cela, mais ce que je n’admets pas ce sont les charges multipliées que l’on fait peser sur la classe agricole ; car l’agriculture fournit, en dehors de toutes proportions, à toutes les charges publiques , les impôts pé-— cuniaires et les impôts du sang. Les impôts directs frappent et pésent, de tout leur poids, sur le sol qu'il cultive si péniblement ; les DEUXIÈME SECTION. 191 impôts indirects de toutes natures et de toutes espèces l’accablent encore. Obligé de porter dans lés villes et bourgs où il y a marché, ses denrées à vendre, on lui fait payer des droits d’entrée ou de placage , ou de pesage , ou de mesurage ; épuisé de besoin il est forcé d’entrer dans les auberges pour s’y conforter, là ,-il paye en détail moitié plus cher qu’il n’a vendu en gros. Le fisc et les ad ministrations communales ont imposé les denrées qu’il consomme par nécessité, c’est lui qui en supporte encore le fardeau ; le sel qui est pour le cultivateur d’une consommation majeure et de la première importance , tant pour son usage personnel que pour celui de ses animaux auxquels il excite l’appetit et. conserve la santé et pour la fertilisation de ses terres , mais le fise le tient à un prix si élevé qu’il est obligé de s’en priver pour la plus forte partie de ses besoins ; la culture du tabac lui est sévèrement interdite , c’est cependant pour lui une petite jouissance et une faible distrac- tion à ses-peines , maisilne peut en jouir à moins qu’il ne paye au fisc dix à douze fois sa valeur intrinsèque. Ajoutons à toutes ces charges et à bien d’autres que nous allons encore énumérer, que toute la fortune du cultivateur est continuellement exposée aux chances du sort et des intempéries des saisons ; ses bestiaux sont exposés à des maladies épizootiques ou endémiques, à des accidents continuels qui lui font éprouver des pertes considérables. Les orages, les tempêtes , les trombes , les grèles, les vents, les pluies , les inondations , les incendies , les gelées, sont des fléaux dévastateurs qui détruisent, souvent en moins d’un quart d'heure, le fruit du travail et des épargnes de-plusieurs années. Ce n’est ce- pendant pas là ses douleurs les plus poignantes , on lui arrache ses fils pour recruter l’armée , au moment où ils allaient soulager ses vieux jours ; après avoir ainsi payé la majeure partie de l'impôt du sang et de l'impôt pécuniaire, le cultivateur reste l’objet du mépris et des dédains des autres classes de la société. Nos législateurs lui imposent chaque année de nouvelles charges : ce sont des insti- tuteurs à payer et loger , ce sont des chemins vicinaux et commu— naux à faire reparer et entretenir ; ce sont des prestations en na— ture en temps de guerre-ou de passage de troupes, ce sont des réquisitions de voitures, de fourages , d’attelages qui sont le plus souvent mal payées ou nullement payées; la guerre ruine ordinaire ment le cultivateur , c’est aussi un impôt ou un fardeau à sa charge. C’est encore le-cultivateur qui soutient la population indigente des villes et des campagnes , il lui fournit pain , fruits , boissons , bois, et pour récompense de ses générosités il en est souvent pillé et maltraité. La classe laborieuse indigente des campagnes est sou- 192 DEUXIÈME SECTION. tenue par le cultivateur qui lui procure du travail l'année entière et la soulage en outre de ses dons gratuits. Le cultivateur que l’on deprécie tant, que l’on jalouse tant et que l’on accable sans cesse de nouvelles charges, ne les supporte qu’en s'imposant de grandes privations dans tous les besoins de la vie : Il se nourrit du pain le plus grossier associé aux résidus de ses autres productions ; sa boisson est la plus faible , son vêtement est simple et grossier , il n’a donc que ce moyen d'économie pour supporter toutes ces charges ; il faut croire que c’est cet état de gêne et de souffrance qui lui fait dédaigner l'instruction que l’on veut, avec une sorte de violence , lui faire accepter. On veut qu'il ait de beaux che- mins à parcourir pour le transport de ses denrées aux marchés des villes, mais tout à ses frais, c’est comme si on voulait qu'il se vêtit et se nourrit plus somptueusement à même sa bourse ; le cultivateur est homme , par conséquent suceptible d’ai- mer, autant qu'un autre, les commodités et les jouissances de la vie. S'il s'impose des privations , c’est qu'il en sent la nécessité, parce que ses moyens pécuniaires ne pouraient y suflire ; on dit pourtant que l'instruction qu’on veut lui faire rechercher comme de force et les beaux chemins qu’on veut lui faire parcourir en les lui faisant payer, que tout cela est pour son bien-être ; grand Dieu ! quel sera donc le bien-être de familles ruinées ? De quelle utilité sera l’ins— truction pour des êtres qui n'auront pas de pain ? Quel sera l’avan- tage des beaux chemins pour ceux qui n'auront plus rien à conduire aux marchés des villes ? Discutons maintenant les moyens salutaires que l’on pourrait pro duire dans l'intérêt des cultivateurs : Je dirai d’abord qu’une plus sage administration des deniers publics pourrait produire de grandes économies dans les revenus ; il faudrait d’abord ne faire que de l'utile avant que d'entreprendre du somptueux que l’on ne peut souvent pousser à bonne fin; je désirerais que l’on ne changeât pas continuellement la direction de nos routes pour en établir de plus mal commodes, de plus dispendieuses et de plus ruineuses,en enle- vant des terrains souvent très fertiles à l’agriculture , en détrui- sant des plantations d’un bel avenir, en abattant des rangées de maisons pour satisfaire le caprice ou la vengeance d’un ingénieur ou d’un employé des ponts-et-chaussés qui fait parade de tous ces gas- pillages, comme de l'utilité publique, lors que c’est tout simplement de l'utilité privée partagée avec les entreprenneurs. Répétons done qu'avec une économie mieux entendue, on pourrait satisfaire à bien des besoins publics sans accabler au contraire une classe que l’on devrait soulager et protéger. Si on était forcé , malgré les écono- DEUXIÈME SECTION. 195 mies que l’on peut faire en arrêtant le gaspillage , d’avoir recours à d’autres moyens pécuniaires , je désirerais que tous les habitants d’un département concourussent à supporter ces charges, puis- quelles sont communes et utiles à tous , car, sile cultivateur pra- tique le plus les voies de communication, c’est pour tirer les pro- duits de ses champs et pour en approvisionner les cités ; il ne garde pour lui et sa famille, comme je l’ai déjà avancé, que les résidus ou qualités inférieures qu'il emploie à sa subsistance et à son vèête- ment ; doit-il donc d’après cela , seul payer la façon et l'entretien des routes vicinales et communales ? Les propriétaires , renfermés en grand nombre dans les villes, trouvent encore avantage dans la confection des routes , en ce qu'ils le font valoir auprès de leurs fermiers pour élever le prix de leurs fermages ; si l’on établit des voies de communication plus faciles , ce seront donc les citadins, pour la majeure partie, qui en retireront avantage , soit en louant leurs terres plus cher , soit en obtenant les denrées de leur con- sommation à plus bas prix. Il serait donc juste aussi qu’ils concou- russent aux frais de ces chemins , c’est alors qu’il conviendrait de mettre le tout à la charge des départements sauf à élever encore le chiffre, déjà si fort, des centimes aditionels ou des emprunts locaux; il faudrait selon moi faire de l’utile avant de faire du luxe ; mais on veut faire des chemins vicinaux et communaux à l’égal des grandes routes ; pour quelques pieds de moins de largeur que celle que la loi spécifie ou pour quelques légères sinuosités, on envahit des terrains clos, fruités, boisés, qu’il faut payer avant tout, ce qui absorbe souvent la majeure partie des fonds destinés aux travaux de ces chemins, cequien arrête le cours et en prolonge l’exécution; cela met le trouble dans les communes et fait désafectionner l’ad- ministration. F Je désirerais encore que l'instruction primaire , tant dans les villes que dans les campagnes , fût à la charge des départements ; seulement les campagnes fourniraient le logement de l’instituteur ou des institutrices. Le gouvernement viendrait à l’aide des campagnes trop pauvres pour se procurer un local convenable pour l’instituteur et l’ins- titutrice ; dans les communes rurales , le traitement de F'instituteur serait de cinq-cent francs et le logement, dans les communes de deux-mille âmes aglomerées , il n’y aurait nonplus qu'un insti- tuteur salarié par le département , de deux à quatre mille âmes, deux instituteurs, en augmentant toujours d’un instituteur, par chaque deux-mille âmes de population; les cités et les grandes campagnes rurales pourraient fournir des suppléments de traite- 494 EEUXIÈME SECTION. ments à leurs instituteurs et institutrices, cela n’empêcherait pas qu'il s’en établit partout volontairement , mais ceux-ci ne rece- vraient d’autres rétributions que celles de leurs écoliers. Les riches somptueux dédaigneraient les écoles gratuites , ils feraient instruire leurs enfants par des instituteurs spéciaux , ce— pendant ils auraient droit comme lesautres à les envoyer aux écoles gratuites. J’établis donc des écoles gratuites pour tout le monde. On voit souvent des artisans et des cultivateurs qui paraissent riches et qui cependant vivent dans un état de malaise,ils se trouvent quel- quefois dans l'impossibilité de faire les frais des écoles pour une nombreuse famille , aussi négligent-ils l'instruction de leurs en- fants ; c’est donc déjà un grand sacrifice pour le cultivateur et le petit artisan d’être privé des secours du travail de leurs enfants pour les envoyer à l’école ; si on leur demande enfin une rétribu— tion , ils s’y refusent. Il faudrait aussi que , depuis le premier novembre jusqu’au pre- mier avril , il y eut une classe du soir pour éviter des pertes de temps, de travail à ceux pour qu'il est si précieux. Il faudrait encore que , dans certaines localités , les instituteurs se transportassent sur plusieurs points de la campagne où ils réuniraient là plusieurs en- fants des environs ; aucuns fermiers ne refuseraient un local pour voir instruire leurs enfants sous leurs yeux. Tous les jours avant l’heure de la classe, un moniteur ferait la répétition de la leçon dela veille,et,tous les dimanches : il y aurait une répétition de toute la semaine au domicile de l’instituteur ou dans toute autre localité plus convenable , à la suite de laquelle le maître ferait une lecture à la portée du plus grand nombre de ses élèves. La séance serait terminée par une prière. Il faudrait des institutions analogues, pour les filles , tenues par des femmes instruites et dans des locaux sé- parés et distants de ceux des garçons. La discussion est reprise sur les conditions géogra- phiques , géologiques et agronomiques de la culture du lin. Après un débat renouvellé entre MM. Trotté-Delaro- che, Vié, Hunault de la Pelterie, Desnos,et auquel M. Tri- ger a pris part, sur la proposition de M. Trotté-Delaro- che, la Section à déclaré qu’elle n’était pas suffisamment éclairée sur la question , et à émis le vœu que son exa- men füt renvoyé au Congrès prochain. DEUXIÈME SECTION. 195 M. le Président met en discussion, la question sui- vante : quels avantages peut offrir l'emploi de l’armée aux grands travaux d'utilité publique ? la Section décide que la discussion sera envoyée en assemblée générale. M. JuzLien reproduit la proposition de recommander à l'attention du gouvernement , le mode de réparation des grandes routes employé par M. l'ingénieur en chef du département de la Sarthe. La discussion estrenvoyée à demain. La séance est levée à une heure après midi. SÉANCE DU 20 SEPTEMBRE 1839. Ouverte à 11 heures précises, sous la présidence de M. Le Gazz. M. Vié , Secrétaire-adjoint , remplit les fonctions de Secrétaire. M. le Président annonce que la Commission chargée de faire la Statistique du département de la Sarthe, en ce qui touche le commerce , l’industrie et l'agriculture , va faire son rapport par l'organe de M. Trotté-Delaroche , pour le commerce en général, de M. Leguicheux, pour le commerce spécial des toiles de Fresnay-le-Vicomte, de M. Lecomte pour l’industrie et l’agriculture du départe- ment , en général, et de M. Vié, pour l’agriculture de l'arrondissement de la Flèche. Après avoir entendu la lecture de ces divers rapports, la Section décide qu’ils seront communiqués au bureau central , pour que l'insertion en entier , ou par extrait en soit faite, dans le Compte-rendu des travaux du Congrès. Ces rapports sont déposés sur le bureau. 196 DEUXIÈME SECTION. M. le Président donne lecture de la note suivante sur le Pin maritime, communiquée à la Section : La partie méridionale du département de la Sarthe , peu favo- risée de la nature par son sol de sable et de silex, est improductive en céréales dans sa majeure partie. | Le Pin maritime y a été acclimaté depuis un siècle et demi; un ou deux arbres de cette espèce étaient signalés, avant cette époque, comme points de repaire dans la Carte géographique de la pro— vince du Maine. Aujourd’hui, des landes immenses sont couvertes de sapinières devenues précieuses, non comme revenu considérable, mais comme chauffage dans cette partie du département. La culture du Pin à con:ribué à l'augmentation de la popula- tion , en donnant du travail à des malheureux que les récoltes in- productives peuvent à peine nourrir pendant six mois de l’année. La précieuse novation de cette culture de pin maritime, identique à celui des landes de Bordeaux, ne peut, à raison de la température trop froide , produire ici de la résine ; il alimente nos foyers , les fours du boulanger et les fourneaux à chaux ; sa croissance est rapide surtout sur un sol sec et vierge de cette culture ; de simples labours suffisent à la préparation de la terre , en le semant clair et en l’é- claircissant encore dès la deuxième année, et par suite tous les trois ans sans l’élaguer avant quinze ans ; et surtout en laissant un in- tervale égal à la largeur des planches labourées pour la circulation de l’air , la végétation est doublée et l’arbre prend du collet, c’est- à-dire de la grosseur à sa bâse , en retardant une, élévation trop précoce. Si on réduit ensuite l’élagage à la moitié de la hauteur totale de l'arbre, ou peut obtenir, sur un sol convenable, des arbres de deux à quatre pieds de circonférence, soit pour charpente soit pour planches d’un emploi facile. En coupant l'arbre en décembre , janvier et février , des 2rbres de quarante ans sont d’un usage durable , surtout si l’on peut après l'écarissage le laisser deux à trois mois dans l’eau. Le pin mort de- bout , soit naturellement , soit parce qu'on aura enlevé l'écorce du pied, six mois avant de le couper, n’est pas sujet à être piqué de vers. Les arbres trop jeunes et ceux coupés pendant la sève sont dé- truits par les vers; l'emploi de solives de pin exige des précautions : le bois doit être écari et séché par deux à trois mois de soleil, il faut l'entourer de tuiles séches dans des murs neufs. DEUXIÈME SECTION. 197 L'usage de mettre les solives dans un bassin et d'y éteindre de la chaux est encore le meilleur moyen de conservation. Le pin d'Écosse, de meilleurs qualité, et dont l'écorce mince n’a pas l'inconvénient de celle du pin maritime dans le foyer, ne réussit que dans peu de localités du département de la Sarthe ; sa croissance est un peu inférieure à celle du pin maritime , mais sa qualité et sa grande élévation sans courbure le rendent plus précieux. Un naturaliste du département , ayant trouvé , il y a vingt-cinq ans, une espèce de chenilles filantes, aclimatées sur des pins mari- times , et dont les cocons soyeux et très-volumineux! lui parurent identiques à la soie des vers, nourris par la feuille de mûrier blane , crut favoriser le pays en important des cocons dans quelques sa- pinières de la Sarthe. Son essai réussit bien , sous le rapport de la multiplication, mais l’insecte se fixant au sommet de l’arbre l'endommageait notablement, et le faisait bientôt périr ; il falut avoir recours à l’autorité pour ordonner l’abat de toutes les branches infectées de cocons nuisibles, lors mème que la soie eût été d’un emploi facile. Cet insecte a disparu du pays ; mais un autre ennemi, peu connu autrefois dans le Maine, fait des ravages considérables dans les en- virons du Mans. Un puceron noir , connu par les naturalistes sous le nom de... de la grosseur d’un grain de mil et d’une double longueur , attaque les branches du pin maritime à quatre à six pouces de leur extré— mité ; il s’introduit au centre du diamètre de la branche, qui meurt au bout de quelques mois. Rarement il attaque la cime de l’arbre , je suppose que sa posi- tion verticale nuit à son introduction dans l'écorce ; sans cette cir— constance les bois de pin seraient entièrement détruits. Ce fléau , qui a quelque rapport avec le puceron qui endommage le pommier dans le Calvados, ne peut être détruit par les fumi- gations impraticables dans les bruyères qui garnissent les sapi- nières , et d’ailleurs l'universalité des arbres attaqués dans des bois de vingt hectares et plus, ne font pas espérer des moyens de destruction de cet insecte. Il resterait donc à chercher des moyens préservatifs à employer, dans la grande majorité des bois, où ce puceron est inconnu, et dont la propagation croissante menace la culture du pin maritime d’une destruction totale. 198 DEUXIÈME SECTION. Il me semble que des prix pourraient être proposés pour des moyens préservatifs et même de destruction de cet insecte. M. Lecoure fait hommage à la Section; 1° d’un exem- plaire du Aapport général sur l'exposition de l'indus- trie et des arts, en 1836, au Mans ; 2° d'une brochure sur les Comices de la Sarthe. M. Dougzer de BorsrnigauLT exprime le vœu qu'il soit apporté plus de soin et de régularité dans la pu- blication des travaux des sociétés savantes , ou d'utilité publique. La séance est levée à une heure précise après-midi. SÉANCE DU 21 SEPTEMBRE 1839. Elle est ouverte à onze heures précises, sous la prési- dence de M. LE GALL. M. Vié, Secrétaire-adjoint , remplit les fonctions de Secrétaire. M. de LasicoTiÈèRE fait observer que la question re- lative à l'emploi de l’armée dans les travaux publics , laquelle avait été réservée pour la discussion en assem- blée générale du 20 , avait été renvoyée par celle-ci, à la Section , pour y subir un premier examen. MM. Douszer de BorsrutgauLr et de Lasicotière , se font inscrire pour parler contre l'emploi de l’armée. MM. Juzurex et Vié se font inscrire pour cet emploi. Ils prennent successivement la parole. La Section consultée , à la majorité de 18 contre 12, émet le vœu que l'emploi de l’armée aux travaux pu- blics aurait plus d’inconvénients que d'avantages. DEUXIÈME SECTION. 199 M. Juzzren reproduit sa proposition que la Section émet le vœu , que les procédés employés par M. l’ingé- nieur en chef du département de la Sarthe , pour la con- fection et l'entretien des routes départementales , ainsi que des chemins de grande communication , soient re- commandés à l'attention du Gouvernement, et des Con- seils-généraux,pour être imités dans le reste du royaume. La Section adopte, sans discussion, cette proposition ; elle émet en outre le vœu que M. l'ingénieur en chef de la Sarthe veuille bien , en sa qualité de membre du Con- grès , exposer l’économie de son système en assemblée générale. Il est une heure. M. le Président déclare que c’est la dernière séance de la Section. Sur la proposition d’un membre, la Section vote des remerciments à tous les membres du bureau. Le President : LE GaLr. Les Vice-Presidents : DAGONEAU,TROTTÉ-DELAROCHE. Les Secrétaires : SÉVIN, LECOMTE, vié. RRRRRRRRRRRRIRIR LR RRROR RIRIRPLIRAL ARSR LR LRLLLIRIRIELRBLE LOL LLIILLOREE 52 RAPPORT FAIT A LA 5: SECTION AU NOM DES TROIS COMMISSIONS RÉUNIES D'AGRICULTURE, D'INDUSTRIE ET DE COMMERCE , PAR M. LECOMTE , CHEF DE BUREAU A LA PRÉFECTURE DE LA SARTHE (1). ———— Re © © —— — MESSIEURS , Les trois Commissions, formées pour dresser la statistique agricole, industrielle et commerciale du département de la Sarthe, n'ont pas eu le temps de se livrer aux nombreux travaux qu'eût exigés une œuvre aussi importante. D'ailleurs , elles ont reconnu que déjà le savant et laborieux M. Cauvin avait publié unestatistique fort complète de ce départe- ment dans les Annuaires de 1827 à 1854 inclusivement. On s’est borné, dès-lors , à recueillir les renseignements les plus utiles, à constater les faits les plus intéressants et à donner au Congrès quelques apperçus généraux sur la situation du pays. (4) La nomination tardive de ces commissions et les événements arrivés au Mans à cette époque, ont empêché et ces commissions et leur rappor- teur d'accomplir activement la mission dont on les avait chargés. Aussi ce rapport a-t-il été fait verbalement, et, en grande partie, d’après les notes du rapporteur qui les a extraites en toute hâte des documents administratifs, en y joignant quelques observations personnelles. Toutefois , quelques membres ont donné, sur divers objets spéciaux , des détails qui trouveront place dans ee rapport. DEUXIÈME SECTION, 201 J'ai besoin de compter , Messieurs » Sur toute votre indulgence pour oser vous présenter un travail fait à la hâte et dont le seul mérite consiste dans l'exactitude des documents statistiques, et la vérité des observations qu'il contient. Avec un peu plus de temps, et le concours des honorables membres des trois commissions que vous avez formées , je serais parvenu peut-être à mieux remplir vos intentions. Je n’en réclame pas moins , Messieurs Votre bienveillante at- tention avant d’entrer en matière. AGRICULTURE. Je commencerai par vous faire connaître l'importance du dépar- tement , quant à l'étendue et à la nature de son territoire. Aujour- d’hui que les opérations cadastrales sont terminées, on possède des chiffres exacts à cet égard. Il contient, y compris les lacs, rivières, routes et autres terrains non imposables, 620,534 hectares, formant 6,205 kilomètres carrés, ou 314 lieues carrées de 95 au degré. 36 départements seulement lui sont supérieurs sous ce rapport. Il renferme : 395,456 hectares en terres labourables. 58,119 hectares en prairies naturelles. 10,081 hectares en vignes. 77,548 hectares en bois et forêts. - D’après un tableau dressé par M. le Ministre du Commerce (1), et projeté sur le même plan que celui dont l’exécution avait été en- treprise en 1788 par le célèbre agronome Arthur Young , le sol du département de la Sarthe , se divise ainsi qu'il suit : 109,000 hectares de bruyères ou de landes. 150,000 sol de riches terreaux. 136,000 sol de craie ou calcaire. 5,000 sol de gravier. 450,00 sol pierreux. 12,000 sol sablonneux. 165,534 sol de différentes natures. 620,554 (41) Voyez les Archives slalistiques de la France, ouvrage publié par le Souvernement et qui se trouve dans toutes les préfectures. Sans-doute tous les chiffres ne sont pas d’une rigoureuse exactitude et il serait à désirer que le-ministère prit des mesures sérieuses pour obtenir des données plus précises, mais malgré ses imperfections, cet ouvrage offre encore un grand intérêt. 15 202 MÉMOIRES. On y remarquait encore, il y a cinquante ans , une très-grande quantité de landes et de mauvais taillis, qui ont été successivement consacrés à la culture des céréales et des plantes sarelées, ou con— vertis en pinières presqu'exclusivement composées de pin mari- üme et de quelques pins sylvestres. Ces pinières, qui servent à alimenter les fourneaux à chaux et diverses usines ,donnent un re— venu assezavantageux , lorsqu'elles sont bien dirigées, et supérieur le plus souvent à celui des taillis de chène de médiocre valeur. M. Marcellin Vétillart qui a perfectionné cette culture et intro— duit plusieurs variétés de pins , entr’autres le pin Laricio, dont il a récolté lui-même la graine en Corse, a publié , sur la culture des pins , une brochure fort intéressante. il ne se trouve plus dans la Sarthe que fort peu de terrains dits communaux , Soumis à la vaine pâture , et encore les communes songent-elles sérieusement aujourd'hui à changer ce déplorable mode de jouissance si préjudiciable à leurs intérêts et à ceux de l’agriculture (1). Voici un tableau qui peut faire apprécier les produits du dépar- tement en céréales et pommes de terre, ainsi que les progrès suc— cessifs de son agriculture à cet égard. Terres ensemencées , RS en 1815 — en 1835 — en 1838 Froment. . . . 46,900 hect. 56,014 hect. 63,115 hect. Métell. .". 91,700, — .. 30,057. 139 24 Seigle. . . . 48,000 — 42,706 — 33,997 — OISE. ner. as Le 147,000 4458 AT 4 MORT Pommes de terre. 412,000 — 20,530 — 926,910 — Totaux. . . 145,604 202,784 298,295. Pour vous donner maintenant une idée de la manière dont la po— pulation se répartit sur le territoire , je vous dirai que, d’après un récensement fait en 18355 on comptait, à cette époque, dans le dé- partement 109,062 maisons pour 457,372 habitants ; ce qui fait un peu plus de 4 habitants par maison. 15 départements seuls lui sont supérieurs sous ce rapport.Aujourd’hui, la population totale du dé- partement est de 466,888, et le nombre des maisons s’est accru dans une proportion bien plus considérable. On ne peut guères citer que les Communaux de Vion, Louaille et le Bailleul ( arrondissement de la Flèche ), dont l’étendue est de 7 à 800 hec— tares, DEUXIÈME SECTION. 203 À la même époque, le département comprenait 424,521 cotes fon- cières. 36 départements en présentaient un nombre supérieur. Après les céréales , les principales productions du pays con- sistent dans le chanvre, qui offre de si précieuses ressources à nos petits cultivateurs, à nos fileuses , à nos tisserands. Les produits ont au moins quadruplé depuis cinq ans, et tendent chaque jour à s’accroître, surtout à raison de la culture d’une variété de chanvre dite Brémont (1), aujourd'hui presque partout préférée. Plus robuste et de plus fortes dimensions que le chanvre du pays , cette variété donne aussi des produits plus considérables,mais infé— rieurs en qualité. Les divers établissements d’apprètage du chanvre que possède le département, et les besoins de notre marine, depuis plusieurs années, ont maintenu les chanvres à des prix fort avanta- geux pour le cultivateur. Mais, il faut l'avouer, cet état de choses,en favorisant l’industrie et tes petits cultivateurs, nuit un peu à la mul- tiplication et à l'amélioration des bestiaux , base principale de toute bonne agriculture. Le lin est cultivé en très-petite quantité dans le département, et cependant beaucoup de terrains y seraient propres , surtout ceux de la riche vallée de la Sarthe. Mais cette plante textile exige de grands soins pour la culture et le choix de la graine; puis elle n'entre pas aussi facilement que le chanvre dans l’assolement, soit triennal , soit quadriennal. Toutefois, l'expérience a prouvé que la culture du lin, conduite avec intelligence,procurait d'énormes bénéfices, et l’on cite plusieurs cultivateurs du département qui , avec le produit de deux récoltes, ont payé le prix du terrain qu'ils avaient ensemencé. M. Marcellin Vétillart, déjà mentionné , à encore fait paraître sur la culture du lin dans la Sarthe,un mémoire remarquable,et qu’il serait très-utile aux cultivateurs de consulter. Etendre cette culture serait non seu— lement rendre service à ceux-ci, mais encore contribuer indirecte- ment à doter le département de filatures mécaniques, qui ajou- teraient à ses richesses industrielles , tout en diminuant l'énorme tribut que l'Angleterre à su habilement nous imposer. Viennentensuite les plantes etgraines fouragères, parmi lesquelles la graine de trèfle tient un des premiers rangs. Elle est toujours, dans ce département, l’objet de spéculations considérables quoique les étés pluvieux de ces dernières années en aient diminué les pro- . duits. (4) Par corruption du mot Piémont, d'où les Angevins la tirent. Elle porte aussi, par ce dernier motif, le nom de Chanvre d'Angers. 204 MÉMOIRES. On à remarqué, et c’est un fait très-important déjà observé ail leurs, que le trèfle revenant tous les trois à quatre ans sur le même terrain, donnait des récoltes bien moins abondantes qu'au- trefois ; aussi , déjà dans quelques parties du département, com- mence-t-on à y substituer le rai-grass anglais ou le colza destiné à être coupé en vert, de manière à ne semer de trèfle qu'une fois tous les six ou huit ans. Mais il importe de signaler au Congrès la culture du trèfle fa- rouche ou incarnat introduite dans le département, il n’y a pas plus de douze à quinze ans, et presque complètement généralisée au— jourd’hui. C’est un inestimable bienfait pour les contrées arides et sableuses, où le trèfle ordinaire ne pouvait prospérer. Ce nouveau trèfle a le triple avantage : 40 De pouvoir être cultivé comme récolte dérobée, puisque semé après une céreale d'hiver ou de printemps, il est enlevé assez à temps pour qu’on le remplace par des pommes de terre, du maïs, du sarrazin , etc. 20 De produire , soit une abondante pâture dans les circons- tances les plus défavorables , soit un fourage sec très-succulent, quand on suit pour sa dessication la méthode indiquée par M. de Dombasle. 30 D'offrir les moyens de réparer l'insuffisance du trèfle ordi- naire lorsque celui-ci a manqué dans quelques parties. Aux environs du Mans, on a associé, dans des terres de moyenne valeur, de la vesce d'hiver au trèfle incarnat, ce qui a produit d'assez bons résultats , sans que pourtant on puisse inférer du petit nom-— bre d'essais faits à cet égard , que cette méthode soit excellente. Du reste, la vesce d'hiver, comme celle de printemps, mélangée seulement avec un peu de seigle, ou d’avoine pour la soutenir , sont cultivées bien plus en grand qu’autrefois, et donnent d’excel- lents et d’abondants produits. En général , les prairies artificielles augmentent dans une pro- gression très-sensible, depuis quelques années, et c’est assurément le meilleur signe des progrès de l’agriculture. S'il était possible de calcuier cette masse énorme de nouveaux produits remplaçant le plus souvent la jachère improductive, on serait surpris autant que charmé de cette nouvelle source de richesses. Mais peut-être ne s’adonne-t-on pas encore assez aux prairies artificielles permanentes? Le sainfoin, dans les sols calcaires, et Ja luzerne à peu-près dans tous les terrains de moyenne valeur, pourvu qu'ils ne soient pas trop humides, offriraient de précieuses ressources que nos cultivateurs négligent, arrêtés qu’ils sont par la DEUXIÈME SECTION. 205 crainte de diminuer les terres consacrées aux céréales et au chanvre. Et pourtant un raisonnement bien simple devrait les ras- surer : L'augmentation des fourrages entraîne nécessairement celle des animaux , qui à leur tour, produisent une plus grande masse d’engrais. Or ces engrais, répandus plus abondamment, rendent les récoltes aussi bien plus abondantes, et tout en améliorant le sol épargnent la main-dœuvre, l'étendue des terres à ensemencer étant moindre qu'auparavant. Puis, lorsqu'il est temps de rompre ces prairies artificielles , on trouve pour les céréales un sol dont le repos a beaucoup ajouté à la fertilité. Ces considérations ont sans doute frappé déjà quelques esprits, car , dans un rayon de trois à quatre lieues autour du Mans , on rencontre un assez bon nombre de luzernières , dont l’étendue ce- pendant est rarement suffisante, eu égard à l'importance des ex- ploitations. Il faut faire exception pour le canton de Ballon , où quelques propriétaires cultivateurs ont donné d'excellents exemples sous ce rapport , comme pour la culture du colza essayée dans la Sarthe, depuis quatre à cinq ans (1). On compte environ 200 hectares affectés à cette dernière culture dans les cantons de Ballon, Sablé, le Lude, Château-du-Loir, la Chartre et Sillé. Cette plante oléagineuse , qu’on peut aussi donner en vert aux bestiaux , ajoute, sans aucun doute, aux richesses agri- coles du pays ; mais comme elle exige un sol riche et beaucoup d'engrais, elle me semble devoir plutôt suivre que précéder les diverses améliorations que réclame notre agriculture. Occupons-nous maintenant, Messieurs , d’un plante appelée à d’étonnantes destinées , et qui se trouve mêlée aux plus hautes questions économiques , sociales et même politiques de l’époque actuelle. Je veux parler de la betterave champètre. Une fabrique de sucre indigène établie à Changé , à deux lieues du Mans, il y a huit ou dix ans , répandit , dans les environs, la culture de cette plante,et d’autant plus facilement que le directeur de cette fabrique , agriculteur très-habile , obtint des produits ma- gnifiques dans un terrain sableux et humide, d’une assez médiocre valeur. Aujourd’hui encore cette fabrique , malgré l'impôt écra- sant qui la frappe , est en pleine activité, et plus de cinquante hec- tares placés tout à l’entour sont ensemencés , cette année, en bet- teraves. On ne saurait dire combien cette établissement a favorisé l’agriculture et la classe indigente. Espérons que le propriétaire (1) On doit citer principalement , pour ces deux objets, M. Pichon, Joachim, maire de la Guierche. 206 MÉMOIRES. actuel le conservera ne fut-ce que par philantropie. Il aura bien mérité du pays. Mais, si la betterave champêtre sert à la fabrication du sucre, elle est bien précieuse encore pour la nourriture des bestiaux. Nos pe- tits bordagers des environs du Mans Ja cultivent avec soin pour leurs vaches laitières , et elle commence à être admise dans les grandes exploitations , où elle rivalisera avec la pomme de terre. Je dois faire observer que l’on ne donne pas toujours à la culture des betteraves les soins nécessaires ; ainsi elles sont souvent trop rapprochées et ne reçoivent pas tous les binages etsarclages qu'exi- gerait le développement rapide de cette plante. Il faut espérer que l'expérience et l'introduction de nouveaux instruments , propres à économiser la main-d'œuvre , rémédieront à ces inconvénients. La grosse carotte à collet vert, si précieuse pour la nourriture des chevaux, se popularise également, ainsi que les turneps et rutabaga. Mais ces deux dernières plantes étant destinées principalement aux moutons , dont on ne s'occupe pas assez dans le département , ne paraissent pas avoir autant d'avenir. J'ai peu de chose à dire touchant les pommes de terre dont la culture s'étend toujours et doit nous rassurer sur la crainte d’une disette. Elles servent principalement à la nourriture des pores. Il serait utile de les renouveller plus souvent au moyen de semis et d'introduction de nouvelles espèces. Dans quelques localités , la pomme de terre de Rohan a donné de très-beaux produits , mais on ne peut encore se prononcer définitivement sur le mérite de cette variété dans la grande culture. Dans la partie méridionale du département , on cultive le maïs avec soin , en plaçant le plus souvent entre chaque ligne , des pois haricots et des raves ; celles-ci parviennent à une grosseur énorme. La culture du sarrazin, ou blé noir, ne prend pas d’extension, et cela s'explique par l'abondance des céréales et l’avantage des prai- ries artificielles. Je ne m'étendrai pas longuement sur les divers modes de cul- ture : d’abord dans la crainte d’abuser de votre attention et ensuite , parce que la note donnée par M. Vié , et qui se trouvera à la fin du présent, quoique spéciale à l’arrondissement de la Flèche, renferme des détails applicables , à peu de choses près , à tout le département. L'assolement quadriennal tend à se généraliser dans notre pays et à remplacer le triennal ; mais toujours et presque partout, on a le tort de faire deux céréales de suite ( l'orge ou l’avoine après DEUXIÈME SECTION. 207 le froment , méteil, etc), tandis qu'il serait bien plus avantageux d’alterner les diverses espèces de récoltes. On peut ranger au nombre des améliorations qui font le plus d'honneur à l'agriculture sarthoise, l'emploi de la chaux et de la marne à l'amendement des terres. Depuis plus de vingt ans on s’en occupe activement et les résultats sont extrêmement remarquables. Des cantons tout entiers, et, entr'autres, ceux de Sablé et de Brûlon, ont tellement changé de face que la propriété foncière a presque décuplé de valeur. Des terrains marécageux ont été assainis et changés en excellentes prairies, des landes tout-à- fait incultes, converties en terre à froment. On est moins avancé dans la confection des diflérents composts et surtout des engrais liquides qui agiraient si énergiquement sur les choux , betteraves, carottes , etc, dont ils doubleraient les produits. Il est pénible de voir presque partout les urines des animaux complètement perdues, infecter les habitations et cor- rompre les eaux destinées à abreuver les bestiaux. L'’enfouissement de récoltes en vert , telles que pois , vesces, seigle, sarrazin, etc, commence à être pratiqué dans certaines con— trées du département , et les avantages de cette méthode ne tar- deront pas sans doute à frapper les cultivateurs. Une amélioration sensible se fait remarquer dans l'éducation et la qualité des chevaux du département. Pour les chevaux de trait , les races percheronne et bretonne remplacent , sur beaucoup d’endroits, celle du pays , ou la perfectionnent par des croise— ments. D'un autre côté, une station d’étalons royaux , établie au Mans depuis plusieurs années, obtient de grands succès auprès des cultivateurs et contribue aussi puissamment à l'amélioration de l’espèce chevaline. Cette station est composée en grande partie de carossiers très-forts, de race anglaise et normande, qui ont donné de très-belles productions. En 1858, il avait été sailli à cette station. . . 146 juments Cette année, le nombre s’est élevé à . . . . 264. Aux foires du Mans, les poulains d’un an se vendent de trois à cinq-cents francs pour la Normandie. Elevés dans le pays, ils ne réussiront pas aussi bien, à beaucoup près. Quant à la race Bovine, sans doute il faut reconnaître qu’elle s'améliore aussi ; mais malheureusement le nombre d'animaux et surtout de bœufs est loin de suivre une progression croissante. Plu-— sieurs causes, que je vaisindiquer brièvement, ont amené ce fâcheux état de choses. 208 MÉMOIRES. 40 La division des propriétés qui a eu pour conséquence immé-— diate le démembrement des grandes exploitations rurales. 20 La substitution des chevaux aux bœufs, comme bêtes de trait. 30 L'augmentation toujours croissante des porcs,qui,en réalité, ne procurent pas plus de bénéfices au cultivateur , mais lui permettent de les réaliser plus promptement. H faudra bien adopter une marche différente d'ici peu de temps, autrement l'introduction en France, des bestiaux étrangers à des conditions plus favorables , deviendra une impérieuse nécessité. Avis à nos cultivateurs. Du reste , le Maine possède une belle race de bètes à cornes qui lui est propre et qu'on appelle par ce motif race mancelle. Elle a quelqu'afinité avec la race normande, dont elle est probablement issue. Conservée dans toute sa pureté aux environs de Sablé , de Brûlon et autres pays circonvoisins, elle alimente presqu'exclusive- ment les marchés et les foires importantes de ces contrées. Des croisements nombreux opérés avec la race suisse ont pro— duit,dans l'arrondissement du Mans,de bons effets, lorsqu'on y a ap— porté quelque discernement, mais, en général, on manque de per- sévérance et de soin à cet égard. Nous devrions imiter , en cela du moins, les excellents exemples que nous donnent les Anglais ; mais en agriculture, comme en toute autre chose , nous voulons marcher vite et sans contrainte. La patience c’est le génie , a dit Buffon ; que nos agriculteurs se pénètrent bien de cette maxime. Jetons un coup-d'œil maintenant sur la condition actuelle des habitants des campagnes. On ne peut méconnaître qu’elle n'ait aussi éprouvé quelques améliorations. Leurs vêtements, leur nour- riture, sont plus confortables qu’autrefois. Un certain luxe règne aujourd’hui dans les constructions rurales. Les propriétaires y met- tent de l’orgueil et remplacent ces vilaines habitations , construites le plus souvent en bois, dans les parties les plus humides et les plus malsaines de l'exploitation , par d'élégantes maisons, bien placées et laissant passer en abondance, l'air et la lumière qu'on mesurait autrefois avec avarice. Les divers bâtiments ruraux sont spacieux et bien appropriés à leur destination. Presque partout la tuile remplace la paille et le bardeau. Ce sont là des avantages réels, dont les fermiers ne sentent pas encore tout le prix, habitués qu'ils étaient à ne considérer que la bonté du sol , sans prendre nul souci des batiments destinés à leur habitation personnelle et à leurs bestiaux. DEUXIÈME SECTION. 209 Les nombreuses écoles établies depuis 1833,etles nouvelles com- munications ouvertes de tous côtés , feront participer encore bien plus directement les habitants de la campagne, aux bienfaits de la civilisation, qu’un jour ils sauront mieux apprécier. Si en outre les propriétaires voulaient, ou savaient tirer parti de leur position, dans l'intérêt de l’agriculture et de l'humanité , ils exerceraient , sur le sort matériel et moral des cultivateurs, une bien grande influence. Il faudrait tout d'abord consentir des baux à long terme et ne pas laisser le fermier enchaîné par des condi- tions et des usages qui, sans l'empêcher de faire mal, l'arrêtent sou- vent dans le bien qu'il pourrait faire. Depuis longtemps, on demande une nouvelle législation à ce sujet : c’est un des plus grands be- soins de notre époque. D'un autre côté, il est juste dereconnaître qu’en général les cul- tivateurs , pressés par la concurrence , tentent les propriétaires par des prix trop élevés, et ne présentent pas toujours les garanties de capacité et de fortune qu’on serait en droit d’exiger. Je ne dois pas omettre de vous signaler l'extrême division du sol dans la Sarthe. Considérée sous le point de vue agricole, on ne peut nier que cette division ne soit fâcheuse. Sans doute, elle à contribué à l'amélioration d’une agriculture arriérée , parce que le petit propriétaire a été contraint de tirer un plus grand produit de la terre pour laquelle il avait sacrifié un capital assez fort. Il en est de même du petit bordager qui paie un prix élevé de sa tenue. Mais ces améliorations ne s’achètent qu’au prix d’un travail opinâtre. Une famille entière s'emploie à cultiver quelques hectares avec le croc et la bêche, et dépense, avec beaucoup de fatigues, un capital très-précieux , le temps, dont on tirerait un bien meilleur parti avec le secours de quelques instruments perfectionnés , et des avances qu’il n’est possible de faire que dans des exploitations d’une certaine importance. Ajoutons qu'une maladie , une mau- vaise récolte, peuvent causer la ruine du petit bordager , qui se trouve ainsi sans cesse à la merci des événements. Peut-on voir, sous tous les rapports une plus triste condition. ILest facile, du reste, d'expliquer l'extrême division du sol par le prix de plus en plus élévé des biens ruraux ; et comment en serait-il autrement avec cette fièvre de spéculation qui porte impitoyable- ment ses ravages sur les plus beaux domaines. Séduit par l’appât d’un capital qui doit doubler son revenu , le propriétaire sacrifie trop volontiers l'avenir au présent , et de son côté , l'habitant des campagnes aspirant à une indépendance qu’il ne trouve point dans 210 MÉMOIRES. le mode actuel d’affermage , préfère cultiver quelques hectares de terre seulement devenus sa propriété,que de rester fermier d’une ex- ploitation importante. Aussi la propriété foncière, jusqu'ici la plus stable de toutes,est-elle devenue en quelque sorte chose mobilière. On sentira bientôt, je n’en doute pas, la nécessité de réunir plutôt que de diviser les propriétés rurales , afin de les exploiter en grand d’après les nouvelles méthodes qui, en exigeant des fermiers, plus d'instruction et de fortune, leur permettront aussi de produire à meilleur marché. Mais avant tout,on ne saurait trop répandre les vrais principes de la science agricole moderne. Il faut qu’elle pénètre en même temps parmi les propriétaires, les fermiers et les valets de ferme, pour que tous concourent au même but et se prêtent un mutuel appui. Nous avons snrtout besoin,dans notre département,de vulgariser les nou- vaux instruments agricoles qui économisent la main-dœuvre et perfectionnent le travail, car autrement nous perdrions les princi- paux avantages de la culture alterne, laquelle exige beaucoup plus de travail. Quelques propriétaires du département ont su tirer très-bon parti de ces nouveaux instruments ; mais d’autres , inhabiles à les manier , et les ayant placés dans des mains , ou inexpérimentées , ou intéressées à ce qu’on les abandonnât, les ont discrédités pour long-temps. Des institutions agricoles de divers degrés pour éclairer les pro- priétaires , instruire les fermiers et former des valets de ferme, tel serait le moyen de propager la nouvelle agriculture. Pourquoi n’imposerait-on pas à chaque département l'obligation d’en- tretenir une ou plusieurs écoles d'agriculture, comme on l’o— blige à entretenir une école normale primaire ? Pourquoi les prin- cipaux éléments de la science agricole si importante, si intéressante pour tous, ne seraient-ils pas enseignés dans les colléges, les sé- minaires et les écoles normales? En conduisant, une ou deux fois par mois, les élèves de ces établissements à l’école départemen-— tale d'agriculture , ils y acquerraient des notions pratiques suffi santes pour éclairer la théorie. Veuillez excuser cette digression, Messieurs, je rentre dans mon sujet. Examinons maintenant ce qui à été fait dans ce département pour encourager l'agriculture. D’abord la Société d'agriculture sciences et arts du Mans à établi divers concours , fondé quelques prix, distribué des graines fourragères. Voulant répandre plus DEUXIÈME SECTION. 9211 efficacement les découvertes , les améliorations concernant l’a- griculture , elle a publié , à partir de 14856, un bulletin , tantôt mensuel, tantôt trimestriel, qui est envoyé gratuitement à toutes les mairies , ainsi qu'aux comices agricoles de la Sarthe. Elle a aussi fait l’acquisition de quelques instruments, et notamment d’un se- moir Hugues; d’un coupe-paille, et d’un coupe-racines, remarqua- bles par leur simplicité,et leur solidité, de l'invention de M.Mullier, mécanicien au Mans. Nos comices , Messieurs , formés seulement depuis deux ans, ont obtenu d’éclatants succès , ainsi que vous avez pu le voir par la petite brochure des Comices agricoles de la Sarthe que je vous ai fait distribuer. Je ne pourraisque répéter ici les détails qu'elle contient. Je me bornerai à vous rappeler que nous possé- dons actuellement dix-sept comices, chacun ne comprenant, à l'exception des comices du Mans et de St.-Calais, qu'un seul canton ; que leurs concours de l’année dernière ont été très-bril- lants, pour un début : que les animaux primés ou mentionnés hono- rablement, ont encore figuré à la fin de 1838, à des concours d’arron— dissement , et obtenu d'assez fortes primes. J’ajouterai que non-seulement l’administration supérieure est dans l'intention de maintenir les comices et les concours d'arrondissement , mais en- core qu’elle va créer un concours spécial pour les productions pro- venant des étalons royaux. J'ai recherché, Messieurs, quels avaient été, depuis 1850 jusqu’à présent, les sacrifices du département et de l'état en faveur de l’a griculture de la Sarthe. En comprenant la dotation de la Société d'agriculture du Mans, qui s'élève annuellement de 1500 à 1800 fr., j'ai trouvé que le département avait donné l'énorme somme AN NE ER PT LS, se ac x ROAD » Et l’état celle de. . . . . . . . . . . . 11,500. » Ce quiforme un total de. . . . . . . . . . 41,600. » Ces fonds ont été affectés à des concours d’arrondissément , aux comices agricoles qui ont reçu pour deux années 43,100 fr. , à l'entretien d'élèves dans les écoles d'agriculture et vétéri- naires , etc. D'aussi grands sacrifices, Messieurs, méritaient d’être cités. Es prouvent tout l'intérêt que le gouvernement et le conseil général de la Sarthe portent à l’agriculture. Ce dernier , Messieurs , n’a pas borné là ses largesses. Il a voulu encore favoriser une des plus belles et des plus vastes entreprises que l’on puisse concevoir dans l'intérêt de l’agriculture et de lin- 212 MÉMOIRES. dustrie. C’est la confection de cartes géologiques et topographiques. Ces cartes, dressées d’après la réduction des plans cadastraux , à l'échelle d’un à 40,000 mille , ont été entreprises par M. Triger habile géologue du département, qui, le premier, a conçu l’idée d'opérations géologiques assez détaillées , pour donner sur tous les points du territoire , des indications précises relati— vement à la composition des diverses couches du terrain et aux richesses minérales qu’elles renferment. Elles ne coûteront au dé- partement pas moins de 33,000 fr. (1000 fr. par canton). Leur publication aura lieu en mème temps par carré (le département comprendra 45 carrés )et par canton. Un mémoire imprimé , dans lequel toutes les exploitations ru rales de chaque canton seront classées par groupes géologiques , contiendra en outre des renseignements précieux pour les savants, les agriculteurs et les industriels. M. Cordier, inspecteur général des mines , et M. Boblaye, officier d'état-major , qui tiennent le premier rang parmi les géologues, sont venus dans la Sarthe , et ont donné les plus grands éloges au travail que M. Triger commen— çait alors : « Cette entreprise, disait M. Cordier, dans une lettre à » l’un de nos députés , ne fera pas seulement honneur au départe- » ment, mais à la France entière , car il n’existe à l'étranger au— » cun travail du même genre, qui soit susceptible de lui être » comparé. » Après un tel éloge , Messieurs , donné par un sa- vant aussi distingué , il ne reste plus rien à ajouter. RAPPORT Fait par M. Vié, sur l'agriculture de l'arrondisse- ment de la Flèche. Grande culture ou culture par la charrue, tirée par les bœufs et les chevaux (ordinairement quatre bœufs et deux chevaux par charrue), contenance de 20 à 40 hectares. Petite culture. 10 Par la charrue , tirée par deux vaches et un cheval. De 5 à 20 hectares 20 Par les bras de 3 à 5 hectares. Au-dessous de cette étendue , la culture est dite de pièces déta- chées. Elle est intermédiaire entre le jardinage et la petite culture. Qt DEUXIÈME SECTION. 91 Assolement de la grande et de la petite culture. Triennal , excepté dans le canton de Sablé. ( v. plus bas). Cet assolement suit la rotation suivante : 4er année, céréale d'hiver sur fumier, dont les 2/3 après ja- chères et un tiers après le chanvre et les pommes de terre. Après le chanvre on ne fume pas. 2e année, céréale d'hiver de même nature, que celle sémée la 4er année, sur les 3/4, avoine et orge , sur 1/4, et dans le rap- port pour l’avoine., de 2/12 et pour l'orge de 4/12. 3e année , pommes de terre sur le 4/3. Chanvre sur 1/12. Jachère sur 7/12. Nota. Dans la petite culture , le chanvre et les pommes de terre occupent souvent les 2/3 de la 5e année. Cultures d'exception. 40 le trèfle pour graine semé presque exclu-— sivement sur la céréale de printemps, on a la mauvaise habitude de ne le renverser qu’au printemps qui suit l’année de sa récolte , ce qui engendre beaucoup d'herbe et discrédite la culture de cette plante. + Le trèfle pour pâture d'automne est souvent semé sur la ere, ou sur la 2e céréale d'hiver. 2 La betterave champêtre n’a été admise en agriculture que depuis deux ans , dans les cantons de Sablé et de Pontvallain , par l'influence des Comices. 5° Le colza , connu seulement aux environs de la Flèche. 40 Chou cavalier , adopté universellement dans le rapport du 40e des terres arables. 50 Le chou du Poitou, généralement cultivé entre la Flèche et Durtal ; il commence à se propager dans les autres cantons. Cultures intercallaires.1o La vesce mêlée à une ou plusieurs céréales d'hiver ou de printemps , récoltée en vert 1/24. 2% Les navets semés aprèsla récolte de la 2e céréale 1/24. 30 Le trèfle, pour pâture de l’année du semis. ( v. cult. d’ex- ception ). Assolement quadriennal du canton de Sablé. 4er année , céréale d’hiver fumée ( froment ), 2e année , orge sur les 3/5 , avoine sur 1/5 pommes de terre sur 1/5. 3e année, trèfle semé sur la presque totalité de l'orge et de l'avoine de l'année précédente , récolté en vert en été , et en graine en automne, 214 ; MÉMOIRES. 4e année , trèfle pour pâture jusqu’au mois de juin. Demi-jachère , depuis juin jusqu’à la semaille d'automne. Vices de cet assolement. 4° Succession immédiate de 2 céréales. 20 Séjour du trèfle sur le sol, au-delà de l’année de sa récolte , c’est-à-dire pendant au moins 30 mois , à partir du semis. 50 La préférence presque exclusive donnée à l'élève des bes— tiaux sur leur engraissement , d’où production moindre en béné- fice direct et en engrais. Mais pour substituer cette nouvelle spécu- lation à celle des élèves , il faudrait introduire la culture, en grand , des racines et remplacer la rotation en usage par celle-ci : 4er année , racines fortement fumés. 2e. année, céréales d'hiver ou de printemps. 5e année , trèfle sur moitié , vesce de printemps et choux du Poitou sur le reste. 4e année , orge après le trèfle , froment après les vesces et les choux. Particularités. 40 L'emploi de la chaux est universel dans ce canton..et est prescrite par les baux, à raison de 400 hectolitres par hectare. Une excellente notice sur l'emploi de la chaux à été pu- bliée par un propriétaire cultivateur de Sablé. Cette chaux est faite avec les pierres de marbre et cuite par l'anthracite. Elle n’est vendue que 5 fr. 1. 90 La culture à colon partiaire est en usage dans la presque to- talité du canton. Le propriétaire reçoit la moitié des céréales d'hiver et de printemps, ainsi que la moitié du produit des élèves et des bêtes grasses. Il fournit la presque totalité de la chaux. 50 Industrie ou produits livrés au commerce : 10 Les céréales, le produit par hectare est de 300 hectolitres, c’est le triple de la moyenne dans le reste de l’arrondissement ; la plus grande partie est exportée. 20 L'élève des bestiaux et les bêtes à cornes demi-grasses. Exploitations exceptionnelles. 4o Dansles cantons à culture triennale. M. DELAPORTE , maire d'Oizé , canton de Pontvallain, depuis douze ans , exploite personnellement une ferme composée de 80 journaux (35 hectares ) de terres arables et de 33 hommées (11 hectares ) de prés, DEUXIÈME SECTION. 215 Après 4 années d'essais , son assolement à été fixé ainsi qu’il suit : 4er année, betteraves fumées 5/6 , rutabagas 1/6 2e année , céreales d'hiver non fumées sur toute la sole. 3e année, pommes de terre fumées sur la totalité de la sole. 4e année , orge et avoine sur la totalité de la sole. Récoltes intercallaires : 10 Colza pour fourrages, semé de suite après la céréale d’hiver (2e année) et récolté en vert au printemps suivant , avant les pommes de terre. 20 Trèfle semé sur la céréale de printemps ou vesce d'hiver ( 4e année), récolté pour fourrage au printemps suivant , et enfoui, immédiatement pour faire place aux betteraves. D'où six récoltes en quatre ans ! Quatre récoltes pour la nour- riture des bestiaux ! Voici leurs produits : I. En céréales d'hiver , 800 boisseaux ou quarts d’hectolitre. II. En céréales de printemps, 1,200 boisseaux. II. En viande , représentant la plus grande partie des récoltes en racines , prés naturels et artificiels , 80 bœufs gras ! ! !. Pour faire mieux apprécier le mérite de cette culture, je mets en regard les produits obtenus par le fermier que M. Delaporte a remplacé. Ce fermier était un des bons cultivateurs de la contrée. Céréales d'hiver , 500 boisseaux. Céréales de printemps , 200 boisseaux. Viande , 15 à 20 porcs gras. La culture de M. Delaporte est, après celle de M. le comte Des- lien , propriétaire dans la commune de Château-Lavalière ( Indre- et-Loire), le plus bel exemple que je connaisse de l’assolement alterne. 20 M. Beauvais, maire de la commune de St.-Jean-Lamotte , canton de Pontvallain, à pris il y a douze ans et dirigée person- nellement, l'exploitation d'environ 100 journaux( 44 hectares ) de terres dont un quart en landes marécageuses. Il adopte l’as- solement quadriennal alterne. Après quatre ans , les landes étaient entrées dans l’assolement régulier de l’exploitation. Après ces améliorations , le fermage qui, auparavant, n’était que de 800 fr., à été élevé à 1,800 fr. M.Beauvais avait déjà dirigé, avec la même intelligence,des ex- ploitations dans la commune de la Ferté-Bernard. 39 M. Vié, maire de Mansigné , canton de Pontvallain. 216 MÉMOIRES. A la mème époque que messieurs Delaporte et Beauvais, il entre- prit l’exploitation de 84 journaux de terres arables et de 20 hec- tares de prés. Après 4 ans , l'assolement quadriennal alterne avait remplacé l’assolement triennal du pays. Mais les terres arables se partageant en terres argilo-calcaires et en terres siliceuses , il soumit chaque nature de sol à une rotation spéciale. Depuis 6 ans, M. Vié s'étant livré presque exclusive- ment à l'instruction primaire , a loué les trois quarts des terres de son exploitation. Il retire en location , un revenu de 4,375 fr. de ce qui , avant ces travaux , ne rapportait que 950 fr. On a reproché à M. Vié la disproportion des bâtiments avec l'étendue des terres de son exploitation. Il a à répondre que dès l'origine il s'était proposé de créer, sur sa propriété, un grand éta- blissement pour l’enseignement agricole. Il a déjà exposé devant la Section, ce qu'il avait essayé en 1856 et ce qu'il espérait fonder en 1859. M. Lefebvre-Desallays , propriétaire à la Fontaine St.-Martin , canton de Pontvallain. Ce propriétaire , depuis huit ans , a converti en prés environ 15 hectares de landes. Il dirige personnellement une exploitation de 40 hectares de terres arables. Il suit l'assolement alterne. Nota. Ces quatre exemples de culture alterne sont pris dans un seul canton. Je sais que d’autres cantons en fournissent ; mais je manque de données positives sur leur importance etsurleurs résultats. Il en est ainsi du reste du département. Avais-je tort de demander que la statistique du département fût confiée à une commission à laquelle on eût accordé un mois pour des investigations sérieuses ? Je citerai encore ce que j'ai vu dans le canton de Sablé. M. Legris a entrepris de rendre, à une culture régulière, environ 100 journaux de landes , le tiers a été converti en prés d’excel- lente qualité. Ses travaux d'assainissement et de communication sont très-remarquables. Il a suivi l’assolement quadriennal du pays, M. Cherouvrier , maire de Sablé, à introduit la culture alterne dans un domaine d’environ 10 hectares, dont il dirige l'exploitation. Il y à 4 ans , il fit l’acquisition d’un bélier et de quatre brebis de la race Dicrhley , lui et ses fermiers ont obtenu de la race pure et DEUXIÈME SECTION. 217 de croisements avec la race du pays des élèves qui, pour les formes et le lainage , ont conservé toutes les qualités de race. Le troupeau de son domaine est enfermé dans une bergerie à clair-voie du côté du levant. L'hiver , ce côté est garanti par des paillassons. Un taureau et quatre vaches suisses , de la race des montagnes , la plus convenable pour le pays, figuraient dans ses établesaumilieu d'élèves dignes d’eux. M. Seviel, banquier à Sablé, a construit dans une ferme une étable belge pour 30 bêtes à cornes. Il est à regretter que les gens du pays ne sachent par y entrete- nir la propreté, à laquelle la disposition du logement se prête si bien. Fin du rapport de M. Vié. INDUSTRIE. En passant de l’agriculture à l’industrie, je vais avoir encore l'oc- casion , Messieurs, de vous signaler de notables progrès. Commençons d’abord par jeter un coup d'œil rapide sur l’ensem- ble de nos richesses industrielles, en signalant particulièrement les établissements créés depuis 1830. Nous possédons, 10 cinq forges pour la fabrication du fer,chacune avec un haut fourneau , deux fourneaux d’affinerie et une fonderie. Deux de ces importantes usines ont reçu quelques perfectionne- ments depuis 1830, mais néanmoins cette industrie tend à rester stationnaire dans le département. 20 Six filatures de laine ou de coton et quatre fabriques de cou- vertures de laine, parmi lesquelles il faut remarquer la belle fila- ture et la fabrique de cachemires créées par MM. Polino à la Ferté, depuis 5 à 6 ans, ainsi que lanouvelle fabrique de MM. Four- ché et Salmon , au Mans, laquelle prend chaque jour plus d’exten- sion. 3° La fabrique de sucre indigène d'Amigné , à Changé, dont il a déjà été question. 4° Douze papeteries, dont la majeure partie, d’après le système anglais. Celle récemment établie à Bessé, et la fabrique de M. Queutin , entièrement remise à neuf cette année SOnt surtout remarquables. 5° L'ancienne et belle verrerie de Coudrecieux, qui ne se borne plus, comme autrefois, à la fabrication de flacons de pharmacie et des vaisseaux de chimie. On y a joint les verres imprimés ou moulés et ensuite les verres coulés au moyen d'une pression. Les habiles 14 218 MÉMOIRES. industriels qui la dirigent ont su mettre à profit toutes les décou- vertes de Ja science, pour perfectionner leurs produits. 6o Quelques faïenceries, et, entr’autres celle que, depuis 1830, Madame la duchesse Mathieu de Montmorency à établie sur une vaste échelle, près la ville de Bonnétable , dans un but plutôt de philantropie que de spéculation. 7° Cent-soixante-sept poteries briqueteries et tuileries dissé— minées sur tous les points du département , dont trente-deux créées depuis 1830, et soixante-treize fourneaux à chaux, dont qua- rante-deux depuis la mème époque. 8o Trois scieries mécaniques pour l'exploitation des beaux mar— bres de Sablé,employés particulièrement aux monuments funéraires. 90 Deux scieries à bois pour treiïllages , planches et placages, l'une mue par l’eau, fondée au Mans tout récemment ; l’autre située à Ste-Croix, marchant à la vapeur, et dont l'importance s’est considérablement accrue , depuis quelques années. 400 Une fonderie de métaux. 11e Une manufacture d'armes établie par M. Touchard au Mans, pour un fusil de son invention se chargeant par la culasse et à bas- cule horizontale. 120 Une fabrique de produits chimiques et d'eaux gazeuses éta- blie au Mans , en 1837, où l’on convertit la roche de Dolomie, découverte à Fresnay par M. Triger, en sulfate et carbonate de magnésie. 430 Quatre brasseries fondées depuis 1830. 4140 Trois mines d’anthracite à Gastines , Auvers-le - Hamon, et Viré (arrondissement de la Flèche), occupant de 2 à 300 ouvriers. Leur produit annuel s'élève à plus de 150,000 quintaux métri- ques d’anthracite, employé à la fabrication de la chaux. Les mines sont dans un état de prospérité croissante, aussi la valeur des ac- tions a-t-elle presque décuplé. Une troisième pompe à vapeur a été établie depuis 1850 pour l'exploitation de ces mines. 450 Deux établissements pour l’apprêtage des chanvres, dont un surtout, auquel on a joint une filature d’étoupes, acquiert de grands développements et est très-habilement dirigé par M. Trotté-Dela- roche. 160 Cinq moulins à farine construits depuis 1830, d’après les nouveaux systèmes. Ils ont commencé très heureusement la révo- lution qui doit s’opérer dans l’art de la meunerie, si arriéré jus- qu'ici dans la Sarthe. Les produits de ces usines sont très-beaux et se placent bien. DEUXIÈME SECTION. 219 Si, à ces principaux établissements, il est ajouté 847 moulins, la plupart à blé, et les autres à foulon et à tan, quelques tan- neries , huileries, blanchisseries, des fabriques de chapeaux de soie, de ganterie , d’étoffes de laine, de calicot, de bougies, de noir animal , de colle forte etc., plus environ 5,000 métiers à toile, on aura une idée assez complète de l’industrie du département. La fabrication de la toile est, à beaucoup près, la principale in- dustrie du pays, celle qui, employant le plus grand nombre de bras, réagit le plus directement sur le sort des familles qu’elle occupe souvent tout entières , les femmes comme les enfants. Dans cette branche si importante d'industrie, une sorte de crise s’est fait sentir par suite de l’emploi des fils filés à la mécanique , mais en définitive elle a été salutaire à l’industrie toilière qui a pu faire mieux et à plus bas prix avec ces fils. C’est surtout pour les toiles fines que les avantages sont sen$ibles. Aussi l'importante fa- brique de Fresnay, qui éprouvait une sorte de malaise, s’est- elle promptement relevée. L'un des membres de la commission d'industrie vous a donné , Messieurs , sur cette fabrique, des dé- tails si intéressants, si complets, que je crois nécessaire d'insérer ici textuellement son mémoire. APERÇU Sur la fabrique de toiles de Fresnay-le-Vicomte, arrondissement de Mamers ; PAR M. LEGUICHEUX. MESSIEURS, De toutes les industries de la Sarthe , la fabrication des toiles est sans contrédit la plus considérable et une des plus anciennes. Dans ce genre d'industrie, Fresnay a toujours tenu le premier rang , tant pour la finesse que pour la bonté de ses produits. C’est depuis vingt ans que sa fabrique a pris un nouvel essor , et surtout depuis dix seulement qu’elle s’est élevée au degré de prospérité où elle est aujourd’hui. Je n’entreprendrai pas, Messieurs , de vous dire quels ont été les succès et les revers de cette industrie. Je dirai seulement dans quel état elle se trouve aujourd’hui, ét à quoi nous devons l'importance quelle à acquise depuis peu d'années. 290 MÉMOIRES. De tout temps et naguère encore , nos toiles étaient fabriquées avec des fils filés à la main ; ces fils eux mêmes n'étaient pas pro- duits dans le pays, et nos fabricants étaient forcés de les aller cher- cher dans la Mayenne. Ces tissus, fabriqués avec soin et intelli- gence, étaient d'une qualité excellente , mais d’un prix si élevé , que l'usage en était singulièrement restreint. Dans ces derniers temps, l'introduction en France des fils filés à à la mécanique , provenant tant d'Angleterre et d” Écosse que de ces mécaniques elles mêmes importées en France, à fait faire à cette industrie un pas énorme, en lui procurant les moyens de fabriquer à un prix infiniment moindre , et encore en lui donnant les moyens de produire autant que les besoins du commerce l’exigent. Ce dernier point est si vrai, Messieurs, que bien des fabri- cants de notre pays n’ont pu fournir certaines toiles, par le manque de matière première, c’est-à-dire de fils de telle ou telle finesse. Aujourd’hui cet état de choses n’existe plus. Les filatures étrangè- res et les nôtres , suffisent à tous les besoins de notre fabrique et l’ont mise en état de satisfaire à toutes les exigences. Pour parvenir à vous faire connaître presque complètement l'état où se trouve actuellement la fabrique des toiles de Fresnay , voici les questions que j'ai posées : 40 Quel est le nombre des ouvriers tisseurs employés par les fa- bricants de Fresnay , et répartis dans les diverses communes du canton , entr’autres Fresnay , St.- Aubin -de-Locquenay , St.— Ouen-de-Mimbré , St.-Victeur, Assé-le-Boisne, Sougé , etc. ? 20 Combien un ouvrier fait-il annuellement de pièces de toiles ? 3o Quel salaire reçoit-il par chaque toile ? 40 Quelle est la quantité de toiles produites par la fabrique de Fresnay ? 5o Quel est le prix moyen de la valeur de ces toiles ? 6o Quel est le poids moyen de leur pesanteur ? 7 Quelle diminution les toiles ont-elles subie depuis 10 ans ? 80 Les toiles de Fresnay peuvent-elles lutter avec avantage avec celles de Flandre ? 90 Quel avantage y a-t-il à employer des fils filés à la méca- nique ? 400 Quelrang doit prendre la fabrique de toiles de Fresnay tant dans le département qu’en France ? Pour répondre à ces diverses questions , Messieurs , étant tout- à-fait étranger à cette industrie , je me suis adressé aux industriels DEUXIÈME SECTION. 294 eux-mêmes , j'ai comparé les renseignements que j'ai obtenus de chacun d'eux et qu’ils m'ont fournis aussi complaisamment que possible , et c’est d’après cet état comparatif que j'ai résolu les questions que je m'étais posées. 4° Le nombre des ouvriers tisseurs employés dans la fabrique de Fresnay peut être porté à 1,400 environ, non compris les femmes et les enfants employés soit à faire des canettes ou des trames et qui représentent environ l’ouvrage que pourraient faire 3 à 400 femmes. 2 Un ouvrier fait annuellement 9 pièces de toiles. 30 L'ouvrier recoit, pour chaque pièce de toile, une sommme de 40 à 42 fr. ou 498 fr. par an, qui divisé par 363 donne 1 fr. 37 c. par jour. 4° Pour obtenir le nombre des toiles fabriquées annuellement , maintenant rien n’est plus facile, il ne s’agit que de multiplier 1,400 par 9 et on obtient 12,000. 5o Le prix moyen , de la valeur de ces 12,000 pièces étant de 2 fr. 50 c. L'aune , et chaque pièce de toile étant de 60 aunes valant 150 fr., donne donc une somme de 1,890,000 fr. 6 Par le poids moyen de leur pesanteur,on se représente facile- ment la quantité de fil employée par la fabrique. Ainsi le poids moyen étant de 14 kilogrammes, 12,600 pièces ont exigé pour leur confection 176,400 kilogrammes. 70 Quant à la diminution de prix qu'ont subie les toiles de notre fabrique,elle est énorme, et il est certain que ce n’est pas l’exagérer en la portant au quart. Ainsi, il y a 10 à 12 ans , une toile, qui au- jourd’hui ne se paye que 2 fr. 95 c., se payaït alors 3 fr. 8° La réponse à la 8me question est plus sujette à controverse : En effet, à prix égal , les nôtres n’ont pas cette finesse et cette lé— gèreté des toiles de Flandre ; mais quelle différence dans la durée et la solidité ; on peut la représenter comme 1 est à 2 ou 2 1/2, et je conclus de là que nos toiles doivent leur être préférées par toutes les personnes qui pensent au lendemain. 90 J'ai déjà résolu cette question en disant, précédemment, que les fils produits par les filatures étrangères et françaises pouvaient suflire à tous les besoins de la fabrique et satisfaire toutes les exi- gences, et qu’il n’en était pas ainsi au temps où l’on n’employait que des fils filés à la main. 109 Le rang que doit occuper la fabrique de Fresnay dans le dé- partement , n'est nullement équivoque et je la placerai en première 299 MÉMOIRES. Jigne, sans crainte d’être contredit. Quant à celui qu'elle doit tenir en France, la chose est plus difficile et, pour ne blesser personne, tout en rendant cependant justice à qui de droit, je pense qu'elle doit marcher de front avec les meilleures fabriques du royaume. Pour terminer ce sujet, j’ajouterai au tableau les diverses lar= geurs de nos toiles, qui, comme j’ai oublié de le dire, sont pour les 3/4 fabriquées en fil de lin , et l’autre quart en fil de chanvre de la plus belle qualité. Je dirai aussi un mot des fabricants auxquels nous devons le plus attribuer,par leur bonne fabrication, la renommée si justement acquise à nos toiles. La fabrique de Fresnay produit des toiles depuis demi-aune demi-quart jusqu’à 4 aunes 1/2 de largeur. Pour chemises d'enfants et mouchoirs detoileimitant, 70/100 (1/2 aune demi-quart) par leur finesse, les mou- 80/100 ( 2/3 juste) choirs de baptistes et les surpassant de beaucoup en bonté. 87/100 (2/3 plein), de toute finesse, depuis 1/50 2 jusqu’à 3, 4,5, 6 et 7 l’aune. 95/100 (5/4 Id.) Id. 105/100 (53/4 et demi.) Id. 120/100 (l’aune) pour draps, nappes, etc. l’aune demi quart pour draps, nappes. 160/100 (4/3) pour nappes. 180/100 (l’aune 1/2) Id. Là commence l’emploi de deux hommes pour la fabrication. 210/100 (7/4 2 aunes) pour nappes et draps sans couture. 2 aunes 1/2 nappes. £ La 112 Toiles pour tableaux. PAPE QT Trois hommes sont employés 4 aunes 4/2 à cette fabrication. Depuis fort longtemps, Fresnay produit des toiles en très-grande laise, mais ce n’est que depuis peu d'années que M. Berger de Linte a confectionné ces largeurs démesurées de 3 aunes 1/2, 4 aunes et 4aunes 1/2, pour satisfaire aux demandes qui lui avaient été adres- sées par divers peintres de Paris ; aussi, à la dernière exposition gé- nérale, a-t-il obtenu une médaille d'encouragement pour joindre à celles qu’il avait déjà remportées dans les expositions précédentes. Messieurs Goupille, Rousseau, Gouin , fabriquent aussi des grandes laises, mais seulement pour nappes et draps sans coutures, DEUXIÈME SECTION. 293 et ont également obtenu des médailles dans tous les endroits où ils ont bien voulu exposer leurs produits. Messieurs Durand , Hermenault , Geslin , etc, et en général tous nos fabricants, se recommandent par les beaux et bons pro- duits qui sortent de leurs fabriques. Deux ouvriers, par leur adresse et leur bonne fabrication, ont aussi obtenu des médailles. L’un deux, Bayer, en a obtenu une, à l'avant dernière exposition de Paris pour la finesse remarquable, d’une pièce de toile faite par lui. L'autre, Gérard , comme l’ouvrier le plus adroit dans la fabrication des grandes laises 4 aunes à 41/2, a été aussi décoré d’une médaille. Cette émulation, accordée aux ouvriers, fait, qu'aujourd'hui, une grêle de médailles suffirait à peine à récompenser ceux qui en mé- ritent par leur adresse. Le blanchiement des toiles est encore une industrie assez con- sidérable. En effet, trois établissements de ce genre sont en ce mo- ment dans un état très-prospère: D’après des renseignements puisés auprès des industriels eux-mêmes , je puis avancer que ces trois établissements versent dans le commerce environ quatre mille pièces de toiles blanches. Le blanc du pays est fort estimé quoique l’on emploie encore les anciennes méthodes modifiées ce- pendant en quelques points. Fin de la notice de M. Leguicheux. Outre la fabrique de Fresnay, il en existe plusieurs autres moins importantes, il est vrai, mais qui méritent néanmoins d’être eitées. J’indiquerai ici principalement celles de Château-du-Loir , de Sillé , de Beaumont , de Mamers , de Montfort , d'Ecommoy et du Breil. L Au Mans et dans les environs, on ne fabriquait guères jusqu’à présent que de grosses toiles , mais depuis un an , M. Marcellin Vétillart, qui dirige une importante blanchisserie et fait un com- merce considérable de toiles , a créé, à Pontlieue près le Mans, une fabrique qui compte environ 100 ouvriers. Rien n’a été négligé par lui, non-seulement pour tout ce qui tient à la perfection des produits , mais encore pour le bien-être des ouvriers; il emploie, de préférence, dans sa fabrication, les fils anglais de première qua- lité ; ses toiles rivalisent avec celles de Fresnay. Je ne dois pas omettre de vous entretenir, Messieurs , d’une éx— position départementale qui a eu lieu au Mans en 1856 , et dont le 224 MÉMOIRES. succès à été complet. Tous les industriels ont montré le plus grand zèle pour embellir cette solennité, qui, pendant plus d’un mois, a vivement excité l'attention publique. On comptait près de 200 ex- posants : Il a été décerné. 26 médailles d'argent grand module. 27 Id. petit module. 37 Id. de bronze. 90 J'ai remis à votre bureau, Messieurs , quelques exemplaires du compte-rendu de cette exposition, où l’on trouvera tous les détails propres à en faire apprécier l’importance. Tout récemment encore , Messieurs , nos principaux industriels viennent de prendre part à une solennité du même genre , mais plus imposante , et où la victoire a été d'autant plus bélle qu’elle était plus vivement disputée. Je veux parler de l'exposition générale des produits de l’industrie française , à Paris, terminée il y a quelques mois seulement. En 1834, 9 industriels, dont 6 fabricants de toile, avaient envoyé leurs produits à Paris; 5 médailles de bronze leur fürent dé- cernées. Cette année, nous avons eu 14 exposants , dont 8 fabricants de toile. MM. Vétillart père et fils, du Mans, Berger-Delinthe et Goupille, de Fresnay, fabricants de toile, ont obtenu chacun une médaille d'argent. MM. Billon (Jacques) et Rousseau, fabricants à Fresnay, ont ob- tenu une médaille de bronze. La même distinction a été accordée à MM. Gourdin , horloger mécanicien à Mayet, qui avait exposé une horloge destinée à l'hôpital général de Nantes, Landeau frères, marbriers à Sablé, et Lefaucheux au Pont-de-Gennes pour un nouveau système d’en- rayure. Ont été mentionnés honorablement MM. de Perrochel (Max), à St.-Aubin-de-Locquenay , près Fresnay , pour les encourage- ments qu’il donne à la fabrication des toiles de Fresnay, et Fourché et Salmon, fabricants de couvertures , au Mans. Des citations favorables ont encore été décernées à MM.Mullier, mécanicien au Mans , pour son coupe-paille et son coupe-racines dont il à été question dans le cours du présent rapport. Et à M. Souchu, fabricant de grosses toiles, à Bouloire. Je ne pouvais mieux terminer je crois, Messieurs , mon rap- port en ce qui touche l’industrie. Ce DEUXIÈME SECTION. 29 COMMERCE. Quant au commerce du département , Messieurs , le temps m'a tout-à-fait manqué pour coordonner les renseignements que j'au- rais pu vous donner , et j'ai trop peu dé connaissances spéciales dans cette partie pour vous en entretenir sans préparation. Mais M. Trotté-Delaroche, qui est en même temps l’un de nos princi-— paux négociants et président du tribunal de commerce du Mans, a bien voulu suppléer à mon insuffisance. Il ne me reste plus qu’à vous remercier , Messieurs, de l’indul- gence aveclaquelle vous avez accueilli l’esquisse bien imparfaite que je vous ai présentée de l’agriculture et de l’industrie de notre dé- partement. RAPPORT DE M. TROTTÉ-DELAROCHE , swr le Commerce de la Sarthe. MESSIEURS, E Chargé, ce matin même, par votre Commission du commerce et de l’industrie, de vous rendre compte de la situation des affaires commerciales du département de la Sarthe, le temps m’a manqué pour préparer un travail répondant à l'importance du sujet et digne de vous être présenté. Je réclame donc toute votre indulgence pour les quelques notes que je vais avoir l’honneur de vous sou— mettre. Elles se rattachent principalement au chef-lieu du dépar- tement. Depuis quelques années, le mouvement commercial et la circu- lation des capitaux , sont dans une voie croissante de prospérité. La masse des affaires s’est considérablement accrue. Les faillites cependant ont été peu nombreuses ; depuis le commencement de l’année , 5 à 6 ayant d’ailleurs peu d'importance, ont été déclarées au Tribunal de commerce du Mans. Les produits industriels sur lequels se portent les opérations commerciales sont principalement : les toiles, les chanvres pré- parés pour la fabrication des cordages et du fil, le fil à la main, les cuirs tannés et corroyés, notamment les peaux de chevreau pour la ganterie de luxe. Sous ce rapport, la fabrique du Mans 226 MÉMOIRES. compte peu de rivales ; la bougie , les couvertures en laine , enfin les étamines à pavillon, dont la qualité est tellement reconnue , qu'ordinairement le gouvernement demande à notre fabrique les échantillons des fournitures dünt il a besoin pour la marine royale. Le sol du département fournit à ses habitants non-seulement les grains de toute espèce, les bestiaux , les graines de trèfle, les cidres , lès noix, les marrons , les volailles, le gibier , les légumes secs et verts, ainsi que les fruits cuits dont ils ont besoin. L'abon- dance de ces différents produits permet encore d’en exporter de notables quantités. Mais il est forcé d'importer , les sels , les ré- sines, les épiceries, le tuffeau d'Angers, les ardoises, les vins fins et les chevaux de luxe. Les principales exportations consistent dans les toiles et les chanvres. En moyenne, deux millions de mètres de toiles de toutes qua- lités et de canevas d'emballage, se vendent, chaque mois, sur les divers marchés du département. Depuis un an , il a fourni aux ports et aux pays de fabrique de toute la France, au moins 3 milions de kilogrammes en chanvre brut et préparé. Les graines de trèfle sont recherchées par l'Angleterre et la Hollande, et, en ce moment l’abondance de la bonne qualité de la dernière récolte en froment , ont attiré sur les marchés les pour- voyeurs ordinaires de l'immense population parisienne. Cette grande question du commerce des grains , est en ce mo- ment , vous le savez, Messieurs , une question palpitante pour notre ville et son administration. Vos idées en économie politique sont trop élevées, pour que depuis longtemps vous ne vous soyez pas rangés à l'avis unanime de tous les bons esprits qui se sont occupés de ces matières. Mais malheureusement ces sages principes n’ont point encore pénétré parmi nos populations. Les inquiétudes désordonnées , l'émeute dévastatrice en sont les tristes résultats. Puissent enfin, les progrès de l'instruction et de la civilisation , amener chacun à comprendre que pour les grains, comme pour tous autres produits du sol, la liberté et la sécurité du commerce sont les conditions indispensa- ble de l'abondance et du bas prix. 227 092220 00 19 09 09 100000 00 09 09 09 49 39 09 09 : 29 0G IQ 00 0006 00 IQ KG NT NG AA IQIIIIAI IE TROISIÈME SECTION. SCIENCES MÉDICALES. SÉANCE DU 13 SEPTEMBRE 1899. Membres inscrits dans la Section : MM. Lair, Trolley, Hunault de la Pelterie, Vallée, Gendron , Lemercier (de Mayenne), Étoc-Demazy père, Étoc fils , Bourjot , Bouvet, Cauvin , de Caumont , Richelet, Anjubault, Blisson , Verdier , de Marseul , Teilleux , Mordret , Barbier, Gilbert, Bachelier , Vau- chelle-Lonchamp (père) , Vauchelle-Lonchamp (fils), Rousseau (Achilles), Hervé, Leguicheux , Jullien, de Lasicotière, Vié, Beaufils, Chevereaux, Pollet, Tournesae, Janin, Lepage, Piton-Després, Desnos, de Graslin. Formation du bureau provisoire. Président. M. Larr. Vice-Présidents. MM. Éroc-Dewazy père, Hunaurr de la PELTERIE. Secrétaire. M. LePELLETIER ( de la Sarthe ). Secrétaire-adjoint. M. BourIoT-St-HiLAIRE. Formation du bureau définitif. Président. M. VALLÉE. Vice-Présidents et Secrétaires, les mêmes que eeux du bureau provisoire. 298 TROISIÈME SECTION. M. VazLée étant absent , M. Éroc-Demazx père , occupe le fauteuil. Après une courte discussion , les séances de la Section sont fixées à neuf heures du matin. M. le Président donne lecture des questions portées au programme , et les membres qui désirent concourir à leur solution , se font successivement inscrire. M. TROLLEY propose de nouvelles questions qui sont jugées dignes d’être annexées à celles du programme ; elles seront présentées à la séance générale. La séance est levée à onze heures. SÉANCE DU 14 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. HuNAULT DE LA PELTERIE. Lecture et adoption du procès-verbal , sans réclama- tion. Correspondance. Lettre de M. Vallée qui se trouve dans l'impossibilité de présider la Section , devant s’ab- senter pendant une partie de la durée du Congrès. La Section consultée, admet les excuses de M. Vallée en lui conservant le titre de Président honoraire. Lettre de M. Gendron, qui annonce sa prochaine ar- rivée , et l'intention d’être inscrit pour la discussion des questions relatives à la lithotritie. Ordre du jour. Discussion des questions portées au programme. 1° Anatomie. 1° question. « Quelle influence l’anato- mie pathologique a-t-elle exercée pendant ces derniers tems , sur les progrès de la physiologie positive et de Ia médecine pratique ? » TROISIÈME SECTION. 2929 M. LePELLETIER, seul membre inscrit pour discuter cette question, étant absent pour visiter un malade éloigné , la discussion de celte question est ajournée. 2 Physiologie. 2° question. « Quel degré d'utilité pré- sente la physiologie raisonnée , sous le rapport de la médecine pratique ? » Même ajournement et par la même cause. 3° question. « Quel degré de confiance et d'utilité de- vons-nous accorder à la Physiognomonie , qui consiste à déterminer les caractères moraux, par l'examen des caractères physiques de l’homme. » M. BourJor compare les systèmes de Gall et de Lavater; il admet, comme vérité de fait, que la physio- nomie est le miroir de l’âme ; que les qualités morales de l'homme , ses affections , ses penchants se peignent dans ses traits, et que dès-lors en forçant un peu les analogies, on a pu rattacher, sous ce rapport, aux types les mieux déterminés des animaux , les principaux ca- ractères physiognomoniques de l’homme. M. de Lasicorière pense que la phrénologie, à titre de complément de la physiognomonie, a déjà rendu des services en médecine légale. Il rapporte l’histoire d’une femme morte depuis dix ans, et dont il fut possible de reconnaître le cadavre, d’après les données que l’on pos- sédait sur son caractère et ses mœurs. MM. Trozzey et Bouvet admettent une corrélation nécessaire, entre la cranioscopie et la physiognomonie, M. Trozrey demande que l’on élève la discussion jusqu’à l'influence du moral sur le physique, en se pla- çant au point de vue de l’immatérialité de l'âme. M. Huwauzr, craignant que la discussion ne s'engage sur un terrain glissant , invoque l’article onze du régle- ment et propose l'ordre du jour. La Section consultée, ajourne,à mardi, la continuation de la discussion dans les termes réclamés par M.Trolley. 250 TROISIÈME SECTION. k° et 5° question. « La nature du sol exerce-t-elle nne influence notable sur le développement des individus ? » « Quels sont les caractères physiologiques des popula- tions du Maine et de l’Anjou , et en général de la France occidentale à partir de la Loire? Quelles sont les différences appréciables entre les animaux domestiques de ces régions, et ceux des autres localités ? » M. de Caumoxr fait la communication suivante sur la première question. MESSIEURS , J'ai lu, dans notre programme, une question relative à l'influence que peut exercer la nature du sol sur le développement des indi- vidus. Je suis loin de prétendre la discuter, encore plus loin de chercher à la résoudre; je désire seulement soumettre quelques faits d'observation qui m'ont singulièrement frappé lorsque j'ai par- couru les départements du Calvados et de la Manche pour dresser les cartes géologiques de ces deux départements. Jusqu'à présent, on s’est occupé de comparer les races d’hom- mes entr’elles; on a indiqué les différences que présentent les peu- ples du midi et ceux du nord ; mais on a négligé de faire connaître celles qu'offrent les habitants d’une même contrée, et cependant il y en a de très-notables et de fort curieuses , appréciables à de très-petites distances, et qui résolvent affirmativement la question formulée dans votre programme. C’est une vérité incontestable que la nature du sol, que son élé- vation ou son abaissement, les qualités habituelles de l'air, son humidité, sa sécheresse, les variations de température , que les aliments dont l'homme se nourrit, les travaux plus ou moins péni- bles auxquels il se livre, lui impriment un carractère physique et moral particulier. Ainsi j'ai été singulièrement frappé de la différence qui existe entre les habitants du Bessinet ceux du Bocage, en d’autres termes entre les habitants des terrains secondaires et ceux de la zône des schistes intermédiaires. La population de Bayeux, par exemple, est très-différente de celle de l'arrondissement de Saint-Lo; celle- ci, comparée à la première, est généralement moins grande et plus TROISIÈME SECTION. 231 maigre ; les individus ont le teint d’un pâle grisâtre , les cheveux droits et d’un blond fauve tirant sur le brun. Les femmes perdent de bonne heure leurs dents ainsi que la fraicheur du visage. Les hommes et les femmes du Bessin, habitant une région se— condaire très-fertile, atteignent souvent une taille moyenne qui excède de deux pouces celle des habitants de Saint-Lo ; les fem- mes , plus grasses, ont le teint beaucoup plus frais; le tempéra- ment sanguin paraît prédominer chez elles. Si nous suivions, dans le département de la Manche, la zône des terrains secondaires qui vient remplir un golfe au milieu de la presqu'’ile du Cotentin et qui occupe les environs de Carantan et ceux de Volognes, nous retrouverons à peu près les mêmes ca- ractères,avec quelques différences ; ainsi la population de Carentan offre un teint clair et frais ; les femmes ont les dents belles et bien rangées; en un mot, la population de ce pays contraste avec celle de la région schisteuse qui n’en est éloignée que de deux ou trois lieues, À Valognes, où les terrains secondaires plus élevés que ceux de Carentan; sont moins sujets aux inondations , et moins exposés aux maladies qu'elles entrainent , la population est plus développée encore qu’à Carentan ; les femmes y sont remarquablement belles. Mais si l’on quitte le terrain secondaire pour remonter dans la zône de grès ou de schiste qui forme l'arrondissement de Cher- bourg , on remarque bientôt l'influence de ces terrains moins fer- tiles sur la population. Ce que je disais tout à l'heure de l'arrondissement de Cherbourg peut s'appliquer à ceux de Vire , de Mortain , de Coutances et en général à ceux qui sont situés sur le schiste, le grès et les autres terrains anciens. Hâtons-nous de le dire, cependant, les observations que j'ai faites remontent à 45 ou 16 ans, et déjà les différences que je viens de signaler tendent à s’effacer de plus en plus. En effet , la nour- riture devait être pour beaucoup dans le développement plus ou moins grand des populations , et on se l’explique d’autant mieux qu'un préjugé ridicule tendait , il y a 40 ans encore, à faire croire que le sarrazin seul pouvait prospérer dans les arrondissements dont je viens de parler ; la culture du blé y était exceptionnelle. De- puis 30 ans, tout a bien changé dans ce pays qui , grâces au travail de ses habitants et à de meilleures pratiques agricoles, produit an- nuellement des récoltes magnifiques de blé ; et l'amélioration de la nourriture du peuple a changé d’une manière tellement sensible sa constitution physique, que la génération actuelle est déjà com 32 TROISIÈME SECTION. plètement différente de celle qui l'a précédée. Avec les progrès toujours croissants de l’agriculture , avec les moyens qui se mul- tiplient chaque jour et qui favorisent le mélange des individus de ré— gions différentes , nous verrons avant peu disparaître ces dissem— blances si frappantes, il y a quelques années, et déjà moins notables aujourd’hui. Quoiqu'il en soit, d'ici à long-temps encore, il y aura dans les traits du visage , dans la charpente osseuse des populations des diverses régions que je viens de citer, des différences qui n’échap- peront pas à l’anatomiste. Ainsi la région des schistes comparée à celle des terrains secondaires offrira long-temps , des types de fi- gures qui seront rares dans la zône secondaire. Dans ce qui précède , je n'ai parlé que de la population du ter- rain intermédiaire ( Mortain , St.-Lo, Cherbourg), comparée à celle des terrains secondaires inférieurs qui l’avoisinent , e’est-à- dire , des environs de Caen , de Bayeux et de Carentan ; mais si nous nous écartions un peu plus loin vers l’est, jusqu’à la zône argi- leuse qui forme la base du pays d’Auge, et qui appartient géologi- quement parlant aux argiles d'Oxford et de Bradfort , la population nous présentera d’autres caractères. Le pays d'Auge est en grande partie cultivé en herbe , etles terres argileuses qui en forment la base donnent à la végétation une vigueur qu’elle n’a pas dans les autres contrées de la Basse-Nor- mandie. Les habitants des vallées surtout offrent des caractères spéciaux. Comme dans tous les pays adonnés à l'éducation des troupeaux plutôt qu’au labourage , la population est moins agglomérée dans le pays d'Auge que dans les pays de plaine. Les hommes y sont aussi d’une assez haute stature , mais ils ont la fibre molle et prennent de bonne heure de l'embonpoint ; feu M. le doc- teur Trouvé , auquel j'emprunte cette dernière observation , avait remarqué en outre que le tempérament lymphatique dominait chez les femmes de cette région , qu’elles étaient moins fécondes et cessaient de l’ètre beaucoup plus tôt que celles du Bocage. Après ces indications bien sommaires sans doute , ( car pour entrer daus d’autres détails il faudrait ètre médecin et physiologiste), ilne serait pas sans intérêt de jeter un coup-d’œil sur les différences que présente , dans ces diverses régions, le développement des ani- maux domestiques.Mais ces différences qui étaient immenses, il y a quarante ans , sont infiniment moins prononcées aujourd'hui. Des causes analogues à celles qui ont affaibli, depuis quelques années , les caractères que présentait la race humaine, considérée dans les TROISIÈME SECTION. 9535 diverses régions géologiques de la Basse-Normandie , ont aussi 1a- mené à un type commun les animaux domestiques. Effectivement , depuis qu'un système meilleur d’assolemént s’est introduit dans les pays maigres, que les prairies artificielles ont été substituées aux jachères, on a partout amélioré les races. La belle espèce des vaches qui , il y a quaranté ans, n’était nourrie que dans nos gras pâturages du Bessin et du Cotentin , est aujour- d’hui répandue dans toute la Normandie, et l’on à ,; depuis quinze ans, complètement abandonné l'éducation des petites vaches qui autrefois peuplaient les pays schisteux appartenant au terrain inter médiaire. La race des moutons s’est aussi sensiblement améliorée et celle des chevaux n’est plus ce qu’elle était autrefois; mais si nous voulons rétrograder et interroger nos souvenirs de vingt ans, nous nous rappellerons la distribution des races sur le sol bas- Normand , et nous serons frappés du rapport qu'il y avait entr’elles et la nature géologique du sol. Ainsi dans toute la zône des ter- rains secondaires (portion du Cotentin , Bessin) , où nous avons vu la taille humaine plus développée , existait de temps immémorial cette race bovine encore regardée comme la plus belle de France, tandis que, à quelques lieues seulement de cette région , dans celle qui porte le nom de Bocage , on ne trouvait encore que ces vaches beaucoup moins grandes et dont la charpente osseuse, ainsi que la forme de la tête, offraient des caractères particuliers. La taille du cheval était aussi infiniment moins grande dans les terrains anciens que dans le terrain secondaire. Cette différence est encore sensible aujourd'hui, malgré, les croisements opérés, et dans un des pays les plus âpres de la Basse-Normandie , je veux parler de la Hague, où l’on trouve des chevaux de petite taille qui offrent encore des caractères tout-à-fait remarquables. Ce peu de mots suffit , Messieurs, pour indiquer les analogies et les dissemblances qu'offre le développement des êtres suivant la nature du sol qu’ils habitent. Mais si l’homme et les animaux sont dans une dépendance continuelle du sol, l'industrie humaine tend chaque jour à s’en affranchir et à substituer au monde naturel un monde artificiel. Ces influences locales finiront bientôt , comme je l'ai dit en commençant , par être nulles et imperceptibles. Les communica- tions plus faciles , en favorisant les échanges, ont , depuis quinze ans , avec les progrès de l’agriculture , opéré cette amélioration des animâux domestiques dont je parlais tout à l'heure. Les contrées les plus routinières et les plus voisines de la Bretagne ont déjà, de- puis plusieurs années, répudié les petites races, et sont venues en 15 25% TROISIÈME SECTION. chercher d’autres dans le pays fertile. Ainsi continuera de s’opérer cenivellement dont je parlais ; on acclimatera partout les meilleures races, comme on à planté les meilleures espèces d’arbres , et la culture, venant en aide aux terrains maigres , lui fera partout pro— duire une nourriture suflisante pour des animaux du plus gros volume. Les modifications que la culture à fait subir à la Flore du pays, modifications qui ont été constatées soigneusement par nos botanistes, sont donc sensibles aussi sur notre Faune domestique. Il n’est pas moins vrai cependant que l'influence du sol est réelle encore et que l'on peut résoudre affirmativement la question posée dans votre programme. M. Trozzey pense que l'influence du sol ne suffit pas seule pour expliquer les variations des types hu- mains, il signale surtout celle des mœurs, des habi- tudes , de l'éducation , des institutions politiques et re- ligieuses ; il fait observer que dans les grandes villes où se trouvent réunis des hommes de divers pays , les in- fluences communes tendent incessamment à effacer les caractères nationaux de la physionomie , tandis que dans la campagne où les habitudes sont plus libres, moins rappelées à l’uniformité, ces carractères se conservent dans presque toute leur intégrité. M. Boursor développe l’idée fondamentale du système de M. l'abbé Frère, établissant que les nations ont des âges , marchant par périodes régulières , comme ceux des individus, et ajoute que pour le même peuple, si l'âge est moins éloigné de l'enfance dans les campagnes, plus voisin de la virilité dans les villes, d’après cette hypothèse , la physionomie devra présenter plus d’uni- formité dans les premières localités que dans les se- condes. M. Bouver , en déplorant le triste sort des enfants trouvés, fait observer que leur âme , privée des conso- lations et des encouragements de l'amour maternel, s'étiole et se flétrit de manière à ne laisser apparaître dans la physionomie, que des impressions fâcheuses , sans attrait et souvent sans aucun de ces caractères qui TROISIÈME SECTION. 235 distinguent les jours de l'enfance , et font présager les vertus d’un âge plus avancé. M. TrozLey croit trouver dans la physionomie de ces enfants les stygmates de la perversion morale qui pré- side à leur formation , une sorte d’hérédité vicieuse , qui se transmet par voie de génération. M. Hervé , qui a parcouru les États-Unis d’Améri- que , pense, d’après ses observations particulières , que les populations de ces pays , amas confus d'individus , appartenant à des nations différentes, sous l'influence d’une sorte d’uniformité dans les lois , les mœurs , les habitudes , l'éducation , la température , le sol , etc. , dèsla troisième et quatrième génération, arrivent à l'unité d’un type commun , qui, sous le rapport de la physiono- mie et même du langage , offre des modifcations beau- coup moins tranchées, entre ces divers états qu'entre les différentes provinces de France et les divers comtés d'Angleterre. Il fait observer que la race nègre, encore esclave , présente un type qui s’efface peu , bien que susceptible par l'éducation , lorsqu'elle est affranchie , de présenter tous les avantages du plus beau dévelop- pement intellectuel. Ilen est de même pour la race cui- vrée , il a vu des métis de cette race , à la première gé- nération , un sujet par exemple , issu d’un grec et d’une femme de la race rouge, présente l'aptitude la plus re- marquable à la haute littérature et à la philologie. M. de LasicoTiÈRE expose l’opinion de M. Boblaye sur le parcours des barbares émigrants, marchant de l'Est à l'Ouest en suivant des zônes fixes. M. Bouver pense que les peuples nomades ont suivi, dans leur marche, la direction qui leur était imprimée par la préférence pour un sol et des productions analo- gues au sol, aux productions des lieux dont ils étaient partis. M. BacuEL1ER, pour prouver que les institutions libres 236 TROISIÈME SECTION. développent le moral des peuples et que le despotisme abaisse leur courage et leur énergie , compare les Na- politains aux Romains, leurs ancêtres. M. BoursoT ne trouve pas cette application juste et fait observer que, dans tous les temps, les habitants de la Campanie ont été facilement subjugués par les Romains eux-mêmes , ce qu'il faut attribuer à la mollesse des pre- miers dont les mœurs étaient relâchées par une vie trop facile, tandis que les habitants du Latium , les vrais fon- dateurs de la grandeur romaine, étaient forcés d’ar- racher leur subsistance à des contrées de difficile cul- ture. Continuation de la discussion à demain. Séance levée à onze heures. SÉANCE DU 15 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Eroc Demazy, père. Lecture du procès-verbal, réclamation de M. Hervé sur quelques points de rédaction; rectification, adoption. Discussion. 1° question.« Quelle influence l'anatomie pathologique a-t-elle exercée dans ces derniers temps sur les progrès de la physiologie positive et de la méde- cine pratique ? » M. Lerezsetier (de la Sarthe) pense que l'anatomie pathologique , en y joignant l'étude comparative des phénomènes propres à l'état morbide , offrira toujours à la physiologie positive de l’homme une source de lumiè- res plus féconde et plus sûre que celle des vivisections et des expériences faites sur les animaux. Dans la pre- mière voie , l'expérimentation ne sort point de son véri- table domaine , elle s'appuie sur des faits puisés chez le TROISIÈME SECTION. 337 sujet lui-même. Dans la seconde, elle ne se fonde que sur des analogies trop souvent fautives, et cherche au milieu des convulsions et des anomalies fonctionnnelles excitées par les douleurs de l’expé.ience , expression des actes physiologiques accomplis dans le calme et la ré- gularité de l’état normal. Il ajoute que depuis quaranie ans surtout, l'anatomie pathologique a rendu d'immenses services à la médecine pratique, particulièrement sous le point de vue du diagnostic, en appelant toute l’atten- tion des observateurs sur les caractères essentiels des lésions maladives et sur le siége précis des altérations principales , en faisant ainsi le plus souvent disparaitre celte confusion dangereuse des causes et des effets , de la maldie et des symptômes. Toutefois , l'abus a trop sou- vant remplacé l'usage , et l'anatomie pathologique , en s’érigeant en système exclusif, en rapportant toul l’inté- rêt de la clinique médicale aux nécropsies, a, dans cette voie fautive , bien évidemment dépassé le but de sa mis- sion. M. Bacuezrer pense également que l’anatomie patho- logique a rendu de très-grands services à la médecine pratique, surtout en localisant les maladies, en faisant voir que la fièvre n’est pas une affection générale. M. Huwauzr. L’anatomie pathologique a beaucoup promis et peu tenu , elle perd tous les jours de sa valeur et de son importance par les abus que l’on a fait de ses applications. M. Lerezzetier. L’anatomie pathologie et la physio- logie doivent marcher de concert pour le plus grand avantage de Ia médecine d'application. Erigées en sys- tème exclusif, elles en fausseront les principes, en retar- deront les progrès ; renfermées dans les bornes toutes naturelles de leurs attributions , elles en favoriseront au- contraire le perfectionnement et féconderont-ses incon- testables succès. 258 TROISIÈME SECTION. La réponse à cette première question est formulée par M. Lepelletier, mise aux voix et adoptée. (Voir la fin du volume pour cette solution et pour toutes les autres. ) 2° question. Quel degré d'utilité présente Ja physio- logie raisonnée sous le rapport de la médecine pratique? M. Hunauzr fait ressortir les avantages de la physio- logie appliquée à la médecine d'observation et pense qu'il est impossible , sans la première, de faire un pas dans la seconde, sous peine de tomber dans les voies dangereuses de la routine et de l’empirisme. MM. Bourior, Monprer et Loncaawmp, père , adop- tent cette manière de voir en s'appuyant sur les faits et l'expérience. Ils opposent les guérisseurs , les charlatans et les empiriques aux médecins qui raisonnent avant d’a- _gir et qui puisent dans les notions positives de la physio- logie, les véritables indications à remplir dans les alté- rations morbifiques. M. BacueLier oppose à ces idées, qui lui semblent trop exclusives, les faits relatifs à la syphilis, aux fiè- vres intermittentes. M. LerezieTier pense que l’on a compromis la physio- logie par des explications trop absolues, et, que c’est précisément pour n'avoir pas su distinguer l'usage de l'abus, que l’on a fait tomber la médecine dite physiolo- gique, dans un discrédit qu’elle n'aurait jamais éprouvée, si, loin de l’ériger en système , l’on s’était maintenu dans les sages limites auxquelles tous les esprits judicieux l'ont nécessairement bornée. Sans doute le flambeau de la physiologie porte une vive lumière sur les causes , la nature , les indications , les contre-indications, les trai- tements d’un grand nombre de maladies, mais il en est une certaine proportion ou l’'empyrisme raisonné de- vient le seul guide à suivre; telles sont, outre les ma- ladies déjà citées, les fièvres typhoïdes , la rage, la gale, toutes les maladies produites où entretenues par la pré- sence d’un agent morbide inconnu dans sa nature , indi- TROISIÈME SECTION. 259 qué par les termes de vice, de virus; agent que l’on a voulu faire disparaître du nombre des éléments patholo- giques, et que l'observation à constamment fait rentrer dans le domaine des réalités. M. Morprer fait observer, à l’occasasion des fièvres typhoïdes que l'empyrisme adopte trop aisément des méthodes générales pour une maladie donnée , et qu'ii est bien plus sage, avant d'agir, de tenir un compte exact de l’âge, du sexe, du tempéramment, de l'idiosyn- crasie du sujet ; du degré de développement, de l'ancien- neté de la maladie et des complications qu’elle peut offrir. La réponse à la question , rédigée par M. Bourjot , est mise aux voix et adoptée. SÉANCE DU 16 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Eroc-pEmazY , pére. Lecture du procès-verbal. Adoption sans réclamation. A l'occasion du procès-verbal, MM. Richelet, Vallée, Bachelier et Lepelletier , font observer que la deuxième question n’est nullement résolue par la réponse adoptée dans la séance précédente , puisque cette réponse ne dit rien du degré d'utilité de la physiologie, objet essentiel de la question. La rédaction suivante est admise à pré- sentation dans la séance générale : « La physiologie rai- sonnée présente un haut degré d'utilité sous le rapport de la médecine pratique , en donnant au médecin la pos- sibilité de se rendre compte de ses déterminations , sans toutefois lui procurer cet avantage dans l’universalité des cas. » Correspondance imprimée. M. Boursor fait hom- mage au Congrès 1° d’une brochure in-4°, ayant pour titre : Lettre à un medecin de province sur les éta blissements médicaux, et particulièrement sur les 240 TROISIÈME SECTION. dispensaüres ophthalmologiques de Londres. 2° d'uue autre brochure intitulée : Considerations sur les voies lacrymales, et recherches anatomiques sur les. di- mensions du canal nazal. M. Lepeizerier offre au Congrèsles ouvragessuivants: 1° Traité complet sur la maladie srophuleuse et sur ces varietés qu'elle peut présenter, 1 vol. in-8°, Paris 1818, et 1830. 20 Traite de Physiologie médicale et philosophi- que, h vol. in-8°, avec planches et tableaux synopti- ques. Paris 1831 et 1836. 3° Traité sur les Hémorroïdes et sur leur traite- ment, 1 vol. in-8°, Paris 1835. L° Traite sur l'administration de l’'émétique à haute dose dans le traitement des maladies en general , du rhumatisme et de la pneumonie en particulier, 1 vol. , in-8°, Paris 1836. 5° Traité de l'Erysipèle et des differentes varietes qu'il peut offrir, 1 vol. in-8°, Paris 1837. La Section vote des remerciements aux auteurs. Discussion. M. VALLÉE , devant s’absenter, obtient un tour de faveur pour la lecture d’un mémoire en ré- ponse à la 25° question ainsi conçue : rechercher les moyens les plus efficaces de rendre exécutoire les dispo- sitions de l’article du code civil , qui prescrit de consta- ter le décès avant le permis d’inhumation. Depuis plusieurs années, la question des inhumations précipitées a été remise à l’ordre du jour. Les déplorables erreurs que les journaux ont publiées ont eu du retentissement dans les Sociétés savantes, comme dans les conversations familières , et les esprits ont dû naturellement se diriger vers la recherche des moyens pro- pres à en prévenir les récidives. On a dù se demander d’abord si la cause de ces méprises fatales n'était pas dans l'insuffisance de la législation éxistante ; ou bien si les dispositions préservatrices n'étaient pas éludées ? TROISIÈME SECTION. 241 Un examen bien approfondi n'était pas nécessaire pour recon- naître que cette double cause d'erreur éxistait , mais dans des pro portions tellement inégales, que de légères modifications seulement conviendraient pour introduire dans la législation desgaranties suf— fisantes, tandis que l'exécution de la loi était absolument nulle dans la très grandèé majorité des communes et même des villes de France. En effet, quelque effrayante pour les citoyens , quelque humiliante pour les magistrats municipaux que soit cette vérité , il faut la reconnaitre , il faut la proclamer, il faut la hisser comme un signal de détresse sur le fanal des améliorations sociales : Dans les 99/100 des communes de France , les inhumations se font sans que la mort ait été constatée légalement , sans que le délai de vingt-quatre heures ait été observé. Comment se passent les choses , en effet , dans toutes les com- munes où la loi est tombée en désuétude ou, pour mieux dire , n’a jamais été excutée ? Un individu meurt ; les parents sachant que la déclaration du décès est obligatoire , s'adressent à deux voisins ou même à. des personnes-dont la demeure est moins éloignée de la mairie et les chargent de cette démarche que les uns et les autres ne regardent que comme une formalité parfaitement insigni- fiante. Voilà donc deux témoins qui n’ont vu souvent le décédé , ni dans sa maladie , ni après sa mort , lesquels vont rayer de la liste des vivants un individu dont ils ne connaissent le décès que par oui dire. Quant au délai de vingt-quatre heures , délai déjà si imprudem-— ment écourté par le législateur , comme les parents sont générale- ment très-empressés de se.débarrasser du cadavre , comme mal- heureusement la plupart des familles sont entassées dans un espace trop rétréei pour le conserver sans inconvénient , comme surtout la coupable facilité de nos mœurs attache peu d'importance à un mensonge , quand il s’agit de tromper le fisc ou d’éluder les lois , soyez sûr que l'heure du dècès sera presque constamment altérée. S’il a eu lieu dans la nuit , les témoins seront chargés, avec ou sans connaissance de cause, de. le fixer à la veille au soir , de telle sorte que douze heures quelquefois se sont à peine écoulées entre le décès et l’inhumation ! C’est au dix-neuvième, siècle , c’est dans un pays quise dit à la tête de la civilisation , au premier échelon du progrès et des lu- mières, que cela se passe ;:et ce sont des faits tellement notoires , tellement familiers à chacun de nous, qu'il semblerait dérisoire d'en entretenir une assemblé aussi éclairée, s’il n’importait de bien 942 TROISIÈME SECTION. préciser le mal pour s’éclairer dans la recherche et l'application du remède. Inutile d’ailleurs de rappeler ici, outre le danger d’être enterré vivant, les conséquences criminelles qui peuvent découler d’un aussi complet abandon de surveillance. On se demande, avec effroi, quels horribles drames se sont ainsi accomplis dans les mystères de la tombe, et combien de coupables ont pu être soustraits aux cours d’assise , à l'abri de cette impunité offerte au crime ? Mais j'entends les habitants de grandes villes se récrier sur ces lugubres tableaux, en invoquant les mesures prudentes sous la pro- tection desquelles il leur est permis de mourir. En effet, dans la plupart des grandes villes (et c’est bien peu sur 36,000 communes) un service de surveillance des décès est établi et paraît remplir assez complètement son but. C’est ici le lieu d'examiner si c’est dans la loi que sont formulées les précautions dont il s’agit. Non évidemment. Que dispose , en effet , l’article soixante-dix- sept du code ? Qu'aucune inhumation ne sera faite sans une autorisation de l'officier de l'état civil, qui ne pourra la délivrer qu'après s'être trans- porté aupès de la personne décédée, pour s'assurer du décès , et que vingt quatre heures après le décès , hors les cas prévus par les réglements de police. Or , dans toutes les villes où les décès sont constatés , les magistrats municipaux ont compris qu'ils n'avaient , pas plus que leurs administrés , mission pour s’assurer de la réalité de la mort, question tellement délicate et quelquefois tellement difficile , que le médecin lui-même est obligé de suspendre son jugement et de demander un délai pour se prononcer avec certitude. Ils ont donc constamment confié ce jugement à un homme de l’art qu'ils amènent avec eux , ou plutôt qu’ils font accompagner d’un officier de police chargé de les représenter. Ce n’est donc qu’en modifiant la dispo- sition de la loi que l’on est arrivé à organiser un ensemble de me- sures propres à atteindre le but. Doncla loi, telle qu'elle est écrite, dans notre code , est insufhisante. Il est d’ailleurs surabondamment démontré que la loi , même ainsi modifiée, n’est pas appliquée dans l'immense majorité des communes.D'où il suit que les deux causes, que nous avons indiquées aux erreurs en matière de décès, se trouvent justifiées et appellent une modificatiou législative. Au premier aspect, la simple adjonction d'un médecin à l'officier de l’état civil où à son délégué semblerait suffire pour rendre la loi applicable à toutes les localités. Mai il n'en est point ainsi. Les communes rurales , qui forment la majorité dela population, présentent dans l'application des difficultés qui résultent surtout de leur étendue ét de leur pauvreté. Eu égard à l'étendue , trouve- TROISIÈME SECTION. 243 rait-on facilement des maires ou des adjoints qui consentissent à s'imposer la mission d’aller constater les décès à des distances de plusieurs kilomètres ; et quelquefois dans la même journée sur des points opposés de leurs vastes communes ? Surchargés comme ils le sont de jour en jour davantage , abreuvés de dégoûts dans les pénibles fonctions qu’ils remplissent gratuitement et aux dépens de leurs intérêts et de leurs repos , cela est extrêmement douteux. Il faudrait donc se contenter ici de deux témoins pour assister le mé - decin et suppléer l'officier de l’état civil ; car pour recourir au garde-champètre ou à un autre employé assermenté , cela exige rait une rétribution qu'il serait difficile d'obtenir des conseils-mu— nicipaux dont les budgets ne s’alimentent déjà pour ainsi dire qu’à l'aide des centimes additionnels. Que sera-ce donc s’il s’agit de rétribuer le médecin qui nécessairement devra assister à la vérifi— cation ? Quelque philantropie qu’on lui suppose, on ne s’attend pas sans doute qu'il fasse gratuitement pour le mort, ce qu’il n’aura pas toujours pu faire pour le vivant. La médecine gratuite est fa— cile au praticien des villes ; elle ne lui coûte ni beaucoup de temps ni beaucoup de fatigues. Que l’on évalue comparativement l’au- mône du médecin de campagne qui , harassé de fatigues , au retour d’une excursion de plusieurs lieues, recommencera le même trajet pour aller visiter un indigent , à qui il faut souvent fournir encore le remède !....... La charité ne va pas jusqu’à s'imposer le même sacrifice pour visiter un cadavre. Il faut donc que le médecin reçoive des honoraires pour s’assu- jétir à l'obligation de constater les décès. Mais si les communes ne peuvent en faire les frais, il faut bien que ce soit le département ou l’état. Ce serait ici, peut-être , l’occasion de rappeler l'institution des médecins cantonnaux qui fut, l'an passé , prise en considération au Congrès de Clermont, et sur laquelle un de nos compatriotes, l'excellent M. Rasselet , a, l’un des premiers, appelé l'attention du pays et du gouvernement , dans une esquisse trop peu répandue. Il faut lire cetécrit , rempli de vues les plus saines et les plus phi- lantropiques , pour apprécier toute la portée de cette admirable institution qui , pour une somme de quatre à cinq millions , assu— rerait aux malades indigents des campagnes des secours gratuits et intelligents. On ne saurait trop regretter que la Chambre des députés, qui en a été saisie sous la forme de pétition, ait attaché si peu d'impor- tance à un projet qui touche de si près au bien ètre des pauvres les plus nombreux , les plus intéressants et en même temps les moins 24% TROISIÈME SECTION. secourus sur toute la surface de la France. Pour ce qui a trait à notre objet, on conçoit facilement le parti que l’on pourrait tirer des médecins cantonnaux , qui, parcourant tous les jours la surface des communes groupées autour du chef-lieu de canton , seraient parfaitement placés pour y vérifier les décès , sur l'avis des maires. Ici se présente une objection grave. Les signes caractéristiques de la mort , la roideur cadavérique particulièrement, ne se produisant qu’au bout de plusieurs heures, comment serait-il possible dans les communes rurales , dont le médecin réside presque toujours au chef-lieu de canton , que la visite ait lieu en temps opportun ? Les douze ou quinze heures pendant lesquelles cette visite serait vrai- ment concluante , étant évidemment un terme trop limité pour un médecin souvent absent à l'heure où l’avertissementarrive chez lui, souvent aussi démandé, dans plusieurs communes à la fois pour le même objet , il deviendrait nécessaire que le délai de ving-quatre heures fixé par la loi fut prolongé. Or , c’est encore une modifi— cation appelée par les vœux de tous les médecins qui se sont occupés de médecine légale, qui, tous ont reconnu le terme de ving-quatre heures fixé pour l’inhumation , comme insuffisant et exposant à des erreurs tant de fois déplorées. Mais si la loi retardait de vingt-quatre heures le terme déjà fixé pour l’inhumation , quelle source d’embarras , d’afflction , de dé- goût, d’insalubrité même, pour ces pauvres ménages, où la chambre mortuaire est l'unique asile de la famille et où l’on a déjà tant de peine à conserver le corps pendant les vingt-quatre heures de ri- gueur ? Ceci nous conduit forcément à l'institution des salles de dépôt qui permettraient de garder les corps beaucoup plus long-temps et d’en débarrasser les familles indigentes , avant même que le mé- decin, préposé à la vérification des décès, se fût transporté chez elles. Ces salles de dépôt, qui existent en beaucoup de communes d'Allemagne , où même l’on pousse la précaution jusqu’à attacher à la main de chaque mort le cordon d'une sonnette placée dans la chambre du gardien, seraient d’une construction peu dispendieuse . Dans les villes , elles pourraient recevoir la double destination de dépôt des morts et de chapelle pour les cimetières auxquels elles seraient annexées. Dans les communes rurales , une chambre con- tigüe au logement du sacristain pourrait être affectée à cet usage et louée à peu de frais. Parlerons-nous ici de l’inutile et dangereux usage de coudre les morts dans un linceul ; e'est-à-dire de les ensévelir, mot que , pour TROISIÈME SECTION. 9245 le dire en passant, notre langue , par une singulière confusion , emploie souvent , surtout au figuré , comme synonyme d'enterrer ? Il nous suffira de faire remarquer comment ce tissu dans léquel on s’empresse d’empacter , de baïllonner les corps, peut déguiser etétouffer les éléments de vie qui peuventencore se conserver à l’état latent dans les morts apparentes. Dès-lors,ne serait-il pas du devoir du législateur d'interdire sévèrement cet usage que le cercueil rend d’ailleurs tout-à-fait superflu ? Si nous avions la carrière libre pour passer en revue toutes les difficultés que peut soulever cette question de police médicale , nous aurions à discuter la valeur du mode de constatation adopté à Paris et dans la plupart des grandes villes de France , comparative- ment avec les systèmes qui ont été proposés en d’autres localités. Nous aurions aussi à tenir compte de l'indifférence et des suscepti- bilités qui ont retardé ou empêché l'établissement de semblables mesures dans des villes importantes. Ils s’est rencontré des conseils municipaux , qu’à révoltés l’idée d'introduire un médecin étranger dans les familles, pour y visiter un corps dont la maladie devrait être tenue secrète ; oubliant qu'ils admettaient d’une manière bien plus explicite, à ces tristes révéla tions du cercueil, des mercenaires dont la moralité leur offrait ap paremment plus de garanties que le caractère médical , la confiance du magistrat municipal et la sainteté du serment! Croira-t-on qu’il se soit trouvé des conseils municipaux où l’établissemen] d’un méde- ein préposé aux décès ait été combattue par la négation de l'utilité d’une semblable innovation ?.....… Pour ne pas alonger indéfiniment cette communication , renfer— mons nous dans l’interprétation officieuse par laquelle les adminis— trations municipales de la plupart des grandes villes ont devancé la modification de l’article soixante-dix-sept du code civil. Mais cette modification étant à peu-près inapplicable aux com- munes rurales , reconnaissons que la loi doit approprier ses dispo— sitions aux exigences de ces localités , dont les ressources finan- cières sont en raison inverse de l’étendueterritoriale. Reconnaissons en outre que le délai de vingt-quatre heures est insuffisant , tant pour l'opportunité que pour la certitude de la constatation du dé- cès , d’ou résulte la nécessité des salles de dépôt. Par ces considérations, j’ai l'honneur de proposer à la Section de médecine d'adopter la proposition suivante : Il y a urgence à ce que la législation sur la constatation du décès soit revisée et modi- fiée en ce sens: 246 TROISIÈME SECTION. Que la mort sera constatée par un médecin assisté d’un officier de police ou de deux témoins, suivant les localités ; Que le délai de vingt-quatre heures, fixé pour l’inhumation, sera doublé ; Que l’ensévelissement sera sévèrement défendu , au moins pour ce qui concerne la tête ; Qu'enfin , il sera établi, dans chaque commune, une ou plusieurs salles de dépôt , où les morts ne pourront être reçus que douze heures après le décès. MM. Bacuezrer et LEPELLETIER proposent de répé- ter celte lecture en séance générale en raison de son intérêt et pour le fond et pour la forme. La proposition mise aux voix est adoptée. Tous les membres étant convaincus de la nécessité de rendre exécutoire la loi relative à la constatation des décès, sur le fonds de la question, par conséquent, la discussion s'engage sur la forme seulement. M. Boursor propose de demander à la législation , ou au conseil d'état une nouvelle interprétation explica- tive de l'article 55 du code civil, portant que la déclara- tion des naissances, sera faite dans les trois jours de l'accouchement à l'officier de l’état civil auquel l'enfant sera présenté. Il fait observer que s’il est nécessaire , dans l'intérêt des individus et de la société de bien constater les décès , il ne l'est pas moins d'apporter la même attention à la constatation des naissances. [Il désire dès-lors que les deux questions marchent simultané- ment , et que les deux vérifications soient environnées des mêmes soins et des mêmes précautions. Ici l’inter- prétation de la loi paraît vicieuse en obligeant de trans- porter l'enfant à la mairie souvent éloignée , par les sai- sons les plus rigoureuses avec toutes les funestes consé - quences de ce transfert pour un nouveau-né , dont l'organisation est encore si frèle et si peu garantie contre les influences destructives qui l’environnent , il signale surtout l’ophthalmie purulente , l'induration du TROISIÈME SECTION. 257 lissu cellulaire , la pneumonie , etc., comme résultats de ces pratiques dangereuses. La loi interpretée de cette ma- nière,est donctellement barbare,inexécutable, que la rai- son publique en a fait justice, et que l’on se contente le plus souvent de la simple déclaration du père et de la signature de deux témoins pour la forme. Il est aisé de comprendre tous les inconvénients d’une semblable 10- lérance et de sentir combien elle favorise les substitu- tions de sexe et même d'enfant au préjudice de Fétat, ou des familles. M. Bourior propose dès-lors de faire constater les naissances à domicile , soit par un officier de l’état civil, soit par un médecin ayant mission spéciale , et devant se faire assister de deux témoins. Cette communication, en raison de son utilité , sera naturellement rapprochée de celle de M. Vallée et répétée en séance générale. La Section revenant à la question du décès , après une succession d'avis différents , adopte trois propositions en réponse à la 25° question. M. Huxnaur lit des conclusions à peu près sembla- bles qu’il avait formulées dans un précédent Congrès , et qui se trouvent imprimées dans le Compte-rendu de ce dernier, Cette coïncidence d’avis analogues prouve que ces réclamations, bien que du plus haut intérêt , et dela plus grande moralité, n’ont point encore été entendues ; qu'ilest urgent de les exprimer de nouveauet queles vrais philanthropes peuvent , sans se connaître , se rencon- trer dans la même pensée, lors qu'il s'agit des intérêts de l'humanité. La séance est levée à onze heures. 248 TROISIÈME SECTION. SÉANCEDU 17 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Eroc-Dewazx , père. Lecture du procès-verbal, adoption sans réclama- tion. Correspondance manuscrite. M. Gexprox présente un mémoire sur plusieurs opérations de lithotritie et demande un tour de faveur pour en faire la lecture. La Section se rend au désir de M. Gendron et décide que demain 18, la discussion sur la dixième question du pro- gramme , sera immédiatement ouverte après celte lec- ture qui s’y rapporte. M. LereLzrerier présente à la Section un travail ayant pour titre : Études de l'univers , de l'homme, des rap- ports de l'homme avec l'univers, ou Considérations relatives à l'influence des climats , de la civilisation, des institutions politiques et religieuses , des scien- ces et des arts, sur le tempérament, le caractère , les mœurs et le bonheur des nations. La Section nomme une commission et, sur le rapport de.celle-ci, décide que le discours sera lu en Séance générale. Correspondance imprimee. M. TerLxeux fait hom- mage au Congrès d’unebrochure intitulée : Observation sur une pupille artificielle. M.GExprox offre les ouvrages suivants : 1° du Cathe- térisme curatif, du rétrécissement de l'œsophage ; 2 Proposition sur le Croup et la Trancheotomie ; 3 Recherches sur les Épidémies des petites localités. La Section vote des remerciments aux auteurs de ces ouvrages. Discussion. L'ordre du jour est relatif à la troisième question du programme ainsi conçue : « Quel degré de confiance et d'utilité devons-nous accorder à la physio- gnomonie qui consiste à déterminer les caractères mo- TROISIÈME SECTION. 249 moraux par l'examen des caractères physiques de l'homme. M. Bourior. Les animaux, même ceux qui se rappro- chent le plus de nous, ont été doués, par la nature, d’un instinct qui ordonne les appétits avec les organes d’une manière invariable durant la vie; à leception des cas où la nature est elle-même faussée par la domesticité , mais dans l’état normal, pour les individus de la même espèce , mêmes instincts , mêmes manifestations ex- térieures , mêmes formes ; il n’en est pas de même pour lespèce humaine à laquelle appartient une liberté illimitée d'action intellectuelle. L'homme reçut en par- tage une âme capable de se confondre par la pensée , par la connaissance et par l'amour avec l'âme éternelle , la divinité; les admirables travaux des astronomes , des physiciens , des naturalistes, des théologiens de tou- tes les espèces , ne démentrent- ils pas que l’âme de l’homme n’a point de bornes dans ses investigations et dans ses élans? toutefois il existe dans l’homme deux natures , celle de l'instinct et celle de l'intelligence , aussi le voyons-nous par les impulsions de son génie s'élever à des œuvres presque divines , et par ses appé- tits descendre jusqu’au niveau de la brote.Si l'intelligence a ses degrés, ne peut-on pas admettre que les organes qui la servent offrent des modifications relatives dans ces manifestations que nous appelons la forme. Si les instincts des animaux se modifient et se perfectionnent en raison des perfectionnements et des modifications , des masses nerveuses centrales, pourquoi Les degrés = multipliés de l'intelligence humaine ne seraient-ils pas traduits au dehors par des formes variées en volume , en poids de la masse nerveuse antérieure ? si l’ entende- ment humain se composant d’instincts et d’affections est un échiquier , pourquoi nier l'existence de ses cases. Les moralistes , les philosophes , les Pères de l’église comprirent la ntute fâcheuse de l’homme luttant avec 16 250 TROISIÈME SECTION. les désirs animaux , au profit de son intelligence , mais ilsne purent l'expliquer. La superstition s’empara de cette idée et l'astrologie judiciaire chercha dans les cons- tellations la puissance qui doit régir nos facultés et nos destinées. Gall parut enfin et découvrit la véri- table cause de ces admirables rapports. Deux grandes modifications influent sur notre être , et parlant sur nos dispositions morales, l'éducation et l’hérédité ; toute fois la versatilité des volitions humaines est si manifeste, que l’on n’a jamais du penser à faire de la phrénologie un moyen légal de connaître et même d'interroger les cri- minels;ce système ne sera jamais une science essentielle- ment pratique, mais il restera comme l’une des plusbelles découvertes de nos temps modernes, en nous apprenant à maîtriser, à dompter nos penchants, les uns par les autres , elle rendra de très-grands services à l'éduca- tion. M. Boursor revient à l'exposition du système de M. l'abbé Frère. Il passe ensuite aux considérations re- latives à celui de l'avenir , il accorde à ce système plus d'utilité d'application qu'à celui de Gall dans nos relations sociales ; il pense que Eavater l’a seulement perfectionné ; que son origine remonte à la plus haute antiquité, puisque cet adage, que les traits de la phy- sionomie sont le miroir de l'âme , est aussi vieux que le monde. Il entre dans quelques développements sur les rapports de la physiognomonie avec les affections men - tales, et tend à prouver que celle-ci traduit à l'extérieur , l'état intérieur de l’homme , et dit que l’on peut ainsi, avec une grande habitude , arriver à pénétrer dans le caractère intime de ceux que l’on examine. En résumé, la physiognomonie est d’une étude impor- tante dans la vie sociale, et nous est instinctivement en- seignée pour notre plus grand avantage. M. LerezerTier : La physiognomonie est essentielle- ment utile à tout observateur qui veut faire une étude sérieuse de l’homme. Comme théorie physiologique , TROISIÈME SECTION. 251 le système de Gall n’est pas soutenable ; une grande masse cérébrale , douée d’une organisation forte , circonstance beaucoup trop négligée dans les apprécia- tions , présage ordinairement des facultés intellectuelles en mesure de ce développement physique ; jusqu'ici la théorie se trouve encore dans le domaine du vrai; elle entre dans celui de l'erreur à la localisation minutieuse des aptitudes morales et des passions en créant en de- hors des faits propres à les démontrer, des organes par- ticuliers à chacune de ces passions , et de ces aptitudes. Nous avons démontré dans la physiologie médicale et philosophique , d’après le raisonnement et l'expérience, que les impulsions instinctives n’ont pas leur point de départ dans l'encéphale , mais bien dans le système ner- veux ganglionnaire. D'un autre côté , les phrénologistes sont dans l'impuissance absolue de montrer à l’obser- vateur sans prévention , les prétendus organes de ces impulsions et des facultés morales , double circonstance qui nous semble ruiner complètement la théorie de Gall comme système physiologique. Cette même théorie con- sidérée maintenant comme système physiognomonique offre-t-elle plus de valeur? nous ne le pensons pas. En effet, que l’on prenne un crâne réduit au système os- seux, que l’on y trace la circonscription des protubé- rances galliennes avec ou sans les variantes assez nom- breuses de ses continuateurs , et que l’on nous dise, de bonne foi, si l’on s’engagerait à les bien apprécier par le toucher , de manière à reconnaître sans confusion leurs développements relatifs? et par suite, à préciser celui des instincts et des facultés intellectuelles dont elles se- raient l’expression physique? Et cependant, c’est par l'intermédiaire du périoste , des muscles , des aponé- vroses , des cheveux dont ces os sont couverts, que l’on a la prétention de reconnaître ces saillies comparatives ; c’est au fond de l'orbite rempli par des coussinets grais- seux et par les organes de la vue que l’on doit estimer 252 TROISIÈME SECTION. plusieurs de ces protubérances? l'esprit de système peut insister après des objections de cette nature; mais la saine raison n’admettra jamais une théorie fausse dans ses bases, inexécutable dans ses applications. Quant au système de M. l'abbé Frère, nous professons la plus haute estime pour son auteur, mais il nous est impossible d'en admettre et les principes et les consé- quences. En effet, pour nous borner à deux objections capitales, nous ne pensons pas que l’on puisse compa- rer les âges des peuples aux âges des individus; me- surer par des périodes rigoureuses les phases de l'exis- tence des premiers, dont la marche est le plus souvent relative aux circonstances indépendantes de la vie de ces peuples, comme on mesure la durée naturelle des indi- vidus,dont les âges marchent sous l'empire immuable de la nécessité. Nous ne pensons pas davantage que les crânes se modifient par les progrès des nations dans cette marche périodique et réglée d'avance , comme ils le font, dans chaque sujet, par les résultats progres- sifs de leur existence normale. Ce raisonnement nous semble repousser un semblable rapprochement, etl’expé- rience n’offre pas même quelques faits exceptionnels en sa faveur. Nous arrivons au système de Lavater , le seul qui nous paraisse admissible, comme système de physiogno- monie , toutefois avec des modifications importantes , et pour le détail desquelles nous renvoyons à notre ouvrage de Physiologie , le temps et l’espace nous manquant ici pour les reproduire avec toute l'extension qu’elles méri- tent. Lavater s’est trop occupé des formes naturelles et n’a pas assez donné d'importance aux formes acquises ; il a trop souvent interrogé les traits passifs et n’a point suffisamment étudié les moyens d'expression pendant leur mise en activité. C’est en rectifiant ces deux grandes causes d'erreur que l’on arrive à la vérité, que l’on donne à sa théorie physiognomonique toute l'importance et TROISIÈME SECTION. 253 toute la réalité quelle est susceptible d'offrir. Sans doute, le caractère moral d’un sujet donné se présume déjà par les traits physiques de son tempérament ; sans doute aussi , les proportions relatives de son crâne et de sa face font pressentir, chez lui, la prédominence de la raison sur l'instinct, de l'intelligence sur les appétits sensuels et vice-versà ; mais il est des vérités physiognomoniques plus positives encore et moins susceptibles de nom- breuses exceptions. Ainsi, nos idées, nos passions s’ex- priment par des attitudes , des gestes, des inflexions de la voix, des modifications nombreuses dans les traits du visage, par l'écriture, le style, et même par les dispo- sitions que nous imprimons à nos vêtements , à nos ha- bitations, etc. La répétition habituelle de ces expres- sions donne , à tous ces moyens de les effectuer , une manière d’être particulière et toujours conforme à la nature de la disposition morale qui les à sollicitées. N'est-il pas, dès lors, tout naturel de retrouver, dans ces modifications acquises , le caractère des idées et des pas- sions qui les ont effectuées ; et dès lors facile d'apprécier ainsi le moral de l’homme par les dispositions actuelles de son physique, surtout en agrandissant la sphère de cette observation, en donnant à la physiognomonie toute l'extension quelle doit présenter. L'examen d’un seul earactère peut induire en erreur , le concours et surtout la concordance de tous ces caractères, dans l'expression d’une même aptitude , garantit presque toujours des ré- sultats positifs et vrais ; s'il existe encore quelques exceptions , du moins on les trouve en si petit nombre, qu’elles sont incapables de détruire la règle générale. Et dès lors, on est forcé de convenir que la physiognomonie raisonnée fait connaître l’homme moral par l’homme physique, et peut offrir les plus grands avantages au moraliste , au philosophe et surtout au médecin. M. Huwauzr combat également la localisation des ap- titudes et des facultés intellectuelles. IL borne les avan- 9 19 04 TROISIÈME SECTION. tages de la physiognomonie aux applications qu’en peut faire le médecin légiste. M. GEenprow. Tout en rendant justice à la manière dont mes honorables confrères ont exposé leurs idées , je ne partage nullement leurs opinions sur le système de Gall que je préfère, comme théorie physionomonique à celui de Lavater. Les aptitudes , les passions et les facultés intellectuelles étant différentes, il faut nécessaire- ment des organes distincts ; etle développement compa- ratif de ces organes doit donner la mesure propor- tionnelle de ces facultés, de ces passions et de ces aptitudes. M. Lerezzerrer. La différence des aptitudes, des pas- sions et des facultés intellectuelles ne nous semble pas entrainer la nécessité d’un organe approprié à chacune d'elles. Autant vaudrait dire que les opérations ma- nuelles se diversifiant à l'infini dans l'application des arts mécaniques, il faut à celui qui les exécute autant de mains différentes qu’il existe d'opérations diversifiées. N'’est-il pas plus naturel de penser que la volonté, l’in- telligence, l'instinct de l’homme, étant susceptibles de se modifier indéfiniment, peuvent, avec un même organe, effectuer un grand nombre de résultats diversifiés , comme on voit la main d’un chirurgien habile s’affran- chir de ces machines spéciales inventées dans l'enfance de l’art, et pratiquer, avec le même instrument, des opé- rations essentiellement différentes. La réponse à la troisième question, est formulée, mise aux voix et adoptée par la Section. La séance est levée à 11 heures. [Lo] QE QE TROISIÈME SECTION. SÉNCE DU 18 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Eroc-bEMAzY , pére. Lecture et adoption du procès-verbal. M. Eroc-Demazy (fils,) demande un tour de faveur pour lire, en Section , un mémoire sur la Statistique de l'établissement des aliénés, dont il est médecin ; accordé pour la séance de demain. L'ordre du jour amène la lecture du mémoire de M. GEnprow, relatif à la dixième question ainsi for- mulée : « Quels sont les avantages et les inconvénients » de la taille et de la lithotritie envisagées d’une ma- » nière absolue et relative dans leurs applications ? » La discussion est ensuite ouverte sur cette même question. M. GEexpron : Dans la grande majorité des cas, la lithotritie présente des avantages incontestables sur, la taille , mais il est impossible de l’'admettre d’une manière exclusive. M.Huxauzr : La lithotritie présente un grand nombre d’inconvénients que la pratique révèle chaque jour. Le meilleur moyen de ne pas la compromettre consiste à ne pas lui demander plus qu’elle ne peut réellement don- ner. Peut-être la solution de la question n'est-elle pas en- core possible dans l’état actuel de la science. M. Bourior : La lithotritie , chez l'adulte, chez la femme plus spécialement encore , présente, des avan- tages réels sur la taille, mais, chez les enfants, ces avan- tages n'existent plus, et d’ailleurs tous les calculs ne sont pas de nature , soit par leur composition chimique , soit par leur volume , à céder aisément à l’action des instru- ments destinés à les broyer. 256 TROISIÈME SECTION. M. Leuercier de Mayenne : Il est bien difficile d’éta- blir la supériorité de l’une ou l’autre des deux méthodes; leurs succès relatifs dépendent bien souvent de lhabi- leté de ceux qui les pratiquent ; et le praticien donnera toujours la préférence à celle qu’il a le plus souvent em- ployée. Aussi dans la province, trouverait-on peut-être, même encore aujourd’hui , plus de chirugiens partisans de la taille que de la lithotritie. M. Lerezrerier : Pour juger convenablement la question, il faudrait en quelque sorte prendre en particu - lier chacun des cas de maladies calculeuses. Si l’on en- visage le sujet d’une manière générale, on sent aussitôt les difficultés de la solution. D'une manière absolue , la taille mérite la préférence ,pouvant répondre à toutes les indications ; la lithotritie au contraire n'étant plus appli- cable chez les très-jeunes enfants du sexe masculin , pour les calculs ou très-durs ou très-volumineux , dans les complications de rétrécissement du canal de l’urètre, de maladies organiques de la prostate, de la vessie , etc. Aussi la discussion qui s’éleva sur ce terrain, au sein de l'Académie de Médecine, et dans laquelle on voulut dé- cider la question par la comparaison des statistiques de l’une et l’autre méthode , ne produisit-elle aucune solu- tion. Les statistiques ne seraient pas d’ailleurs un moyen impartial de juger , puisque la lithotritie laisse à la taille 1ous les cas graves,soit par eux mêmes, soit par les com- plications qu'ils peuvent offrir. Toutefois,en considérant la question d’une manière relative, en se renfermant dans le domaine des calculs peu volumineux , friables , sans lésions organiques de l'appareil urinaire , affectant un sujet adulte surtout du sexe féminin , la lithotritie présente des avantages réels sur la taille. La réponse est formulée , et adoptée par la Section. Communication. M. Desxos, pharmacien à Alençon, a trouvé dans les eaux minérales de Dangeul et de René, une matière gélatineuse qu'il propose de nommer geŸa- TROISIÈME SECTION. 257 tine minérale ; des alcalis : potasse , soude ; des bicar- bonates , etc. Il ajoute que ces sources , qui paraissent avoir été fréquentées autrefois, le seraient encore aujour- d’hui avec avantage. La place de ces eaux , sous le rap- port de leur action médicale, paraît, à M. Desnos , entre celles des Contrexeville et de Vichy. Voici au reste les détails que M. Desnos nous fait parvenir sur cette com- munication : Comme la plupart des médecins éclairés sont portés à chercher, dans l'usage des eaux minérales naturelles, des moyens de guéri- son contre quelques-unes des maladies chroniques que notre état de civilisation semble multiplier dé plus en plus, ce qui, dans nos contrées rend tributaires d’autres pays les personnes que leur posi- tion ou la modicité de leur fortune empêchent de se déplacer ,ilnous a paru utile de vous communiquer nos recherches sur la composition chimique des eaux minérales froides du Saonois (1). Ces eaux sont assez remarquables, tant par leur alcalinité bien sensible,que par l’a- bondance permanenté de leur écoulement et le dépôt d'une matière organique floconneuse jaune-oranger,qu'’elles fournissent en nota-— ble quantité, ainsi que par les légendes et traditions populaires dont l’une des sources est l’objet, à cause sans doute des ruines et ves- tiges de constructions romaines qui s’observent encore près et aux environs de ses bords, dans le pré du goufre de la Georgette (nom de cette source) appartenant à Madame la comtesse de Gallew, sur le territoire de la commune de René (Sarthe. ) La température habituelle de l’eau des sources dont il s’agit, est d'environ 14 à 15 degrés centigrades , dans le bassin. La surface est pour l'ordinaire recouverte d’une légère pellicule irisée , que viennent rompre et traverser des bulles gazeuses qui se dégagent du fond par intervalles plus ou moins rapprochés, suivant l’état de (1) Cette partie de l’arrondissement de Mamers, qui portait autrefois le nom de Saonois, paraît avoir élé traversée en sens divers, pendant l’épo- que romaine , par des voies ou chemins qui servaient à faire communiquer entr’elles les cités des Eburons, des Carnutes, des Diablintes, des Céno- mans et autres peuplades plus ou moins importantes. Ces chemins devaient se croiser et s’embrancher dans le voisinage de ces sources, où l’on remar- que en divers lieux des vestiges et débris de matériaux d’origine romaine, comme briques, tuiles, ciment, etc. 258 TROISIÈME SECTION. l’atmosphère.L'eau, d'une limpidité parfaite, est fraîche, sapide,légè- rement âpre et néanmoins assez agréable au goût; elle verdit les couleurs bleues végétales , comme les fleurs de Mauve et de Vio— lette qui démontre une alcalinité assez prononcée sur laquelle l’ana- lyse ne laisse aucun doute ; la teinture de noix de Galles y détermine d’abord un abondant précipité blanc-grisâtre auquel succède plus tard une teinte violacée; les eaux de chaux et de barite, l’azotate d'argent, le chlorydrate de barite, l'acide oxalique, le phosphate d’ammoniaque , lorsque le précédent réactif a pro- duit tout son effet en précipitant toute la chaux , y donnent cha- cun un précipité particulier et y indiquent : la teinture de noix de galles, la présence du fer accompagné d’une matière organique azotée , les eaux de chaux et de barite , un ou plusieurs sulfates , l'acide oxalique, des sels calcaires et enfin le phosphate ammonia- cal à la suite du précédent réactif, des sels magnésiens ; et, après une évaporation préalable , le chlorydrate de platine y forme un précipité jaune serin qui dénote la présence d’un alcali libre ou combiné autre que la soude. Au contact de l'air, l’action chimique du bichlorure de mercure en solution dans ce liquide , à la dose d’un décigramme environ par hectogramme , donne naissance à une pellicule d’abord mince et irisée qui augmente de consistance au bout de quelques jours, et prend un aspect oléagineux ; sous cette pellicule se forment en- suite des espèces de paillettes brillantes, jaunes-paille ou citri- nes, orangées et quelquefois brunes-noirâtres , composées de prismes aciculaires réunis en faisceaux. Ces corpuscules , comme la substance au milieu de laquelle ils se forment, sont en partie so— lubles dans l'alcool et l’éther et plus encore dans l’eau alcoolisée qui colore en brun-verdâtre ce qu’elle ne dissout pas ; ils sout décom- posables au feu qui en sépare le chlorure mercuriel, de sorte que nous sommes portés à considérer l’une et l’autre matière comme analogues à ce que, dans ces derniers temps, on a appelé mercure animalisé ou combinaison du bichlorure de mercure avec le blanc d'œuf. Ainsi la matière animalisée amorphe ou gélatineuse, extraite de l’eau de la Georgette , participe en même temps des propriétés de l’albumine et du bitume, dont elle répand sensiblement l'odeur par sa combustion à l’air libre. Nous la nommerons albumine on gélatine minérale , de nomination qui nous semble préférable à celle de matière azotée , animalisée ou de baregine. Ce dernier nom ne généralise pas assez et ne paraît désigner qu'une localité, tandis que cette substance se rencontre plus ou moins abondam— ment dans toutes les eaux minérales , un peu remarquables. Elle TROISIÈME SECTION. 259 donne naissance à ce que M. Frontan , dans un travail sur les eaux des Pyrénées, appellée sulfuraire. Nous considérons celle-ci comme une simple modification de la première , au contact de l'air atmos- phérique qui la transforme en conferves et végétations flocon-— neuses. Plus tard, ces végétations fournissent le dépôt jaune ochracé qu’on remarque près des sources minérales,et particulière- ment de celles de la Georgette, dont le sous-sol des environs offre des traces très-remarquables dans le pré. Pour terminer, nous dirons que les eaux minérales de René et Dangeul , fournies, suivant nous , par des espèces de puits arté- siens (1), donnent à l'analyse environ un millième de principes salins et gélatineux. Ces principes, doivent leur communi- quer quelques vertus médicinales et ont pu autrefois les faire admettre dans la thérapeutique des anciens dominateurs des Gaules, pour qui l'usage des eaux minérales semble avoir été un des pre- miers besoins. Ils pourraient peut-être encore aujourd’hui leur faire prendre place à côté de quelques unes des plus célèbres de la chaîne des Vosges , telles que Plombières , Contrexeville et Bus-— sang, dont elles paraissent égaler ou même surpasser l’alcalinité, en se rapprochant d'elles par leur composition chimique , sinon iden-— tique au moins analogue , à la température près de la première. Sans prétendre qu’on doive, a priori, attribuer à ces eaux de nou- velles propriétés médicinales , ce que nous savons de leur action sur l’économie humaine , nous porte à dire qu’elles paraissent ex- citer l'appétit, favoriser puissamment la transpiration et surtout la secrétion des urines. L'une de ces sources possède encore,chez les habitants du pays, la réputation de fournir une eau médicinale,à la-— (1) L'idée de la possibilité d'existence de courants souterrains, venant de l'un des versants des montagnes des Vosges, se dirigeant vers l'Océan et ali- mentant sur leur passage les sources de Bourbonne, de Provins, de Forges; et en se rapprochant de nous, celles de l’Épine, près Mortagne, de Ferrière, la Verrerie, près Courtonnes, de la Herse, près Bellème, enfin les sources du Saosnois, comme celle qui, à Gué- Chaussé , entretient continuellement le moulin, pourra paraître une rêverie à quelques Géologues. Cependant plusieurs étangs alimentés par de pareilles sources,aux environs de Mamers, ayant un niveau supérieur à celui du sol de cette ville, ainsi que l’analogie de composition chimique de l’eau de ces sources comparée à celles des Vosges , semblant avoir un centre commun de minéralisation, peuvent , jusqu’à un certain point, justifier la croyance des ouvriers carriers de Mamers, qui prétendent entendre parfois le bruit de l’eau souterraine , suivant M. Pesche. ( Dict. Slat. de la Sarthe. Article Mamers. ) 260 TROISIÈME SECTION. quelle quelques uns ont recours ; et que nous avons vu employer avec succès chez les femmes,à l’époque de l’âge critique,et chez les jeunes filles atteintes de chlorose. Nous pensons au reste que là, comme ailleurs, la pratique médi- cale pourrait en tirer parti et les utiliser de préférence aux eaux minérales lointaines, ci-dessus désignées, qu’on est obligé de faire venir à grands frais et d'employer souvent dans un état d’altération qui doit modifier leurs propriétés. Si cette opinion venait à trouver crédit, madame la comtesse de Gallew nous a paru disposée à entreprendre la restauration de l'ancienne source romaine , de manière à l’approprier de nouveau aux usages médicaux. Si nos procédés d'analyse peuvent garantir la précision des ré- sultats obtenus , telle serait, suivant nous, la composition chimique moyenne de l’eau des sources de René et Dangeul. Gaz-carbonique et autres... "un sn 0,005 Bicarbonate detchatx Men RENE O/100 AEMABNÉSIENS NEIL MR EN LUS NI 050 Aer RAR PRE OU BicarbonatesWalc calins nm Don PA EMI 060 Sulfite derChAE AMENER MMS SO OM ON defsoude mate à rt 00e CERIOO0SD demagnésienmper sm chaise MN OE02S Chlorure de sodium. . . EDS Matière organique g neue cube. Has #58003075 Silice-et:alumine:sue ee EME D Re 0,010 Faucpures nes ben MONACO nn ee ‘999, 500 1,000,000 a —— — La réponse à la quatrième question renvoyée à cette séance est mise aux voix et adoptée : La séance est levée à onze heures. TROISIÈME SEETION. 261 SÉANCE DU 19 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. HuNAULT DE LA PELTERIE. Lecture et adoption du procès-verbal. Proposition d'insérer le mémoire de M. Gendron dans le Compte-rendu de la Session. Adopté. L'ordre du jour amène la discussion de la septième question ainsi conçue : «Existe-t-il un genre d’ophthalmie rebelle aux antiphlogitiques et aux dérivatifs les plus puissants? Dans l’affirmative, indiquer la nature et le trai- tement de cette ophthalmie. » M. Boursor, à l’occasion de cette question, commence la lecture d’un mémoire sur l’ophthalmologie , indique les divisons des maladies des yeux qui lui semblent de nature à mieux faire établir la base du traitement de ces maladies. Il désigne comme ne devant pas être combat- tues par les antiphlogistiques : 1° toutes les opthalmor- rhées. 2° la kératite varioleuse. Les moyens qu'il pro- pose dans ces cas exceptionnels sont locaux, astringents, cathérétiques ; il conseille même , pour les cas très- graves , le cautère actuel ; et pour la kératite varioleuse la méthode ectrotique. M. Barprer : Les antiphlogistiques et même les déri- vatifs sont insuffisants dans le traitement de la grande majorité des ophthalmies, la médication topique devient ici la partie essentielle des moyens curatifs. M. Gexpron : Les ophthalmies constitutionnelles, épi- démiques , chroniques, exigent un traitement local ; les moyens les plus utiles, sont les astringents , le calomel , les cathérétiques , surtout le nitrate d'argent même en collyre. M. Huxaurr admet, comme rentrant dans l’excep- tion demandée au Programme, les ophthalmies constitu- 262 TROISIÈME SECTION. uüonnelles , virulentes , épidémiques ; il fait en outre observer que certaines opthalmies résistent tout aussi bien aux moyens locaux, indiqués dans l'exception de MM. Bourjot et Gendron, qu'aux moyens anti-phlogis- tiques. M. LereLLerTier : Nous partageons les opinions de nos honorables collégues pour ce qui est relatif aux ophthal- mies constitutionnelles , virulentes , épidémiques , mais nous ne pensons pas qu'il soit possible de faire entrer dans l'exception toutes les ophthalmies chroniques, puis qu'il serait dès-lors possible de soutenir, pour toute autre inflammation arrivée à ce mode, ce que l’on aurait avancé pour l’ophthalmie, et que d’ailleurs l'observation de chaque jour fournit des preuves en opposition à cette manière de voir. Nous considérons surtout comme exceptionnelle, dans tous les cas , l’opthalmie que nous avons décrite sous le nom d’ophthalmie granuleuse et contre laquelle on peut , d’après l’expérience , employer les insufflations de Calomel avec une entière confiance , et les cautérisations avec le nitrate d'argent, lorsqu'il survient des ulcérations de la cornée. MM. Gexpron et BoursoT n’admettent pas le genre d’ophthalmie décrite par M. Lepelletier sous le titre d'Ophthalmie granuleuse. M. Loxccuawp (père) admet les granulations, mais il les regarde comme l'effet et non comme la cause de l'oph- thalmie. M. Huxauzr considère la granulation du point de vue indiqué par M. Lepelletier ; ces granulations lui parais- sent le résultat d’une sorte d’éruption qui s'effectue sur la conjonctive et la cornée. . M. LereLLeTier : Nous abandonnons bien volontiers les théories systématiques incapables, sans l'observation, d'avancer la science médicale d’un seul pas, et nous ren- voyons aux faits positifs recueillis à l'hôpital du Mans, TROISIÈME SECTION. 265 en présence de nos élèves , insérés dans les journaux de médecine et qui établissent mieux que tous les raisonne- ments possibles, la réalité de l’ophthalmie granuleuse comme altération particulière et rentrant surtout dans l'exception demandée au programme du Congrès. La réponse à la question est formulée et adoptée par le Section. M. Éroc-Dewazy (fils) lit une statistique de l’établis- sement des aliénés dont il est médecin , statistique com- prenant un intervalle de quatre années. Il examine successivement le nombre des aliénés admis , celui des guérisons, des rechutes , les causes de l’aliénation men- tale sous le rapport de la fréquence , les divisions de ce genre de maladie, les décès et les résultats des nécrop- sies. Ce mémoire, dont l'impression est votée , prendra rang à la suite des procès-verbeaux de la Section. M. Leuercier (de Mayenne) demande à lire un travail ayant pour titre : Aperçu sur la Statistique et sur la Topographie médicale du département de laMayenne, avec quelques notions d'hygiène publique et partieu- lière aux professions les plus nombreuses et les plus insalubres. Accordé pour la prochaine séance. M. Morprer fait la même demande pour un mémoire et une statistique sur les révaccinations. Accordé. Correspondance. Réflexions sur les systèmes en mé- decine , par M. Mordret. Du Cholera morbus épidémique par M. Hunault, Application théorique et pratique de la Lithotritie, par M. Hunault. Du Danger des Inhumations Précipitees, par M. Lepage. La Séance est levée à onze heures. 264 TROISIÈME SECTION. SÉANCE DU 20 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Eroc-DEmazx , pére. Lecture et adoption du procès-verbal sans récla- mation. Correspondance imprimée. M.Juzrrex faithommage au Congrès des opuscules suivantes : 1° Journal de vac- eine , août 1838. Proposition à cette occasion à faire en séance générale , renvoyé à la discussion ; 2° Societe centrale d'edilité , mars 1835. Proposition faite par M. Jullien à cette occasion, et mise à l’ordre du jour ; 3° Pièce de vers,adressée à M. Hahnemann, Par M.Mure. Remerciements adressés à M. Jullien au nom de la gection. M. le Président, après avoir consulté la Section, nomme une commission composée de MM. Lepage (d'Or- léans), Lemercier(de Mayenne), et Bourjot (de Paris), pour proposer les candidats au concours des médailles, et des mentions honorables, décernées par le Congrès pour la Section des sciences médicales. M. Boursor fait la proposition suivante pour servir de complément à la solution de la 25° question du Pro- gramme : interprêter l’article 55 du code civilainsi qu'il suit : La présentation d'un enfant nouveau-né aura lieu au domicile de l’accouchée , où , soit l'officier de l’état civil, soit un médecin assermenté et délégué à cet effet , sera tenu de se transporter , pour reconnaître et consla- ter l'identité de l'enfant. Cette proposition est adoptée pour être présentée en séance générale. M. LewerGier lit son travail, sur la Statistique du département de la Mayenne. Il fait ressortir les avanta- ges de la bonne culture ; indique les encouragements dont l’horticulture a besoin ; se livre aux considérations TROISIÈME SECTION. 265 géologiques de sa localité ; en étudie les espèces vé- gétales , animales , les sources minérales etc. ; il exa- mine les influences barométriques , thermométriques , hygrométriques, électriques de cette partie du Maine, sa population , ses hôpitaux , ses prisons , ses casernes, les dépôts de mendicité , etc. La Section adopte le mé- moire pour être imprimé en totalité ou par extrait dans le Compte-rendu du Congrès. L'ordre du jour amène la discussion de la huitième question ainsi conçue : l’action préservatrice du virus- vaccin chez l'homme, est-elle permanente, ou tempo- raire? dans la dernière hypothèse, quelle est la durée moyenne de cette action , quelle est l'époque où la revaccination doit être effectuée ? M. Morprer , à l’occasion de cette question, présente le tableau des vaccinations dans le département de la Sarthe pour 1838, et,dans son mémoire, arrive à la ques- tion des révaccinations ; ilen discute les points princi- paux en s'appuyant sur l'expérience. M. LEPELLETIER propose l'insertion du mémoire de M. Mordret dans le compte-rendu des travaux du Congrès. La Section adopte. Séance levée à 11 heures. N.-B. M. Morprer ayant fait imprimer son mémoire depuis cette décision, ce mémoire ne peut plus faire partie des travaux du Congrès. 17 266 TROISIÈME SECTION. SÉANCE DU 21 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Eroc-Dexazy , père. Lecture du procès-verbal, adoption sans réclamation: Rapport de la commission pour les médailles et les mentions honorables. La commission propose de décerner : 1° Une médaille à M. Lepelletier de la Sarthe, mé+ deein au Mons , pour son Traité de Physiologie , ses pu- blications de médecine pratique et ses titres antérieurs. 2° Une première mention honorable à M. le docteur Gendron, médecin à Château-du-Loir, pour ses tra- vaux de chirurgie et notamment pour les applications qu’il a faites de la lithotritie au traitement des calculs vesi- caux. 3° Une seconde mention honorable à M. Edouard Guéranger , pharmacien au Mans, pour ses travaux de pharmacie et de chimie. &° Une troisième mention honorable à M. le docteur Etoc Demazy (fils,) médecin de lAsile de la Sarthe, pour ses travaux de Statistique médicale appliquée au service des aliénés. 5° Une quatrième mention honorable à M. le docteur Mordret, médecin au Mans, pour ses travaux de Sta- üstique médicale appliquée à la vaccine. La Section réserve à M. le docteur Lemercier, mé- decin à Mayenne, une large part d’éioges pour les tra- vaux qui ont rempli sa carrière médicale et pour la Sta- tistique présentée au Congrès, sur le département de la Mayenne. L'ordre du jour amène la discussion de la sixième question , ainsi formulée : « Est-il possible d'admettre, TROISIÈME SECTION: 267 dans les organismes vivants , une nature médicatrice tendant, par un travail et par des crises favorables, au rétablissement de l’état normal plus ou moins altéré par les maladies ?.» M Fangau de la Cour , médecin à Chatellerault, fait parvenir au Congrès quelques observations relatives à la solution de cette question. Il prend le terme nature meédicatrice dans cette acception répudiée par tous les bons esprits , qui la faisait envisager comme une puis- sance occulte, éminemment sage et prévoyante, veil- lant avec le discernement d’un être qui réfléchit à la Conservation et au rétablissement de l’état normal. Aussi, partant de ce principe qui ne devait plus se reproduire , trouve-t-il « la question surannée, » et pense-t-il « que sa solution a été donnée depuis l'ère de la mé- decine physiologique.» « que c’est une vieille erreur que l'on veut exhumer de la poussière des tombeaux » etc. D'après lui, « agir avec énergie est le meilleur moyen d'obtenir la solution d'une maladie et d’arriver à ce que lon veut bien appeler des crises. » Et cependant une grande vérité lui échappe un peu plus loin : « sans doute, il est des malades abandonnés à la nature , et qui gué- rissent dans un nombre de jours plus ou moins grand , etc. » Ne pourrait-on pas lui demander par quel moyen , s’il n'existe dans l'organisme aucune ten- dance à la guérison ? Comme on le prévoit bien , après avoir ainsi faussé l’idée de ce qu'il faut entendre au- jourd’hui par nature médicatrice , il arrive à cette con- clusion : « j'ai prouvé que la nature est souvent une mère aveugle qui nous conduit au tombeau. » M. Lerezcetier. Une plaie simple marche d'autant plus promptement et plus sûrement à la guérison qu’elle est moins tourmentée par ces applications excitantes, que la vieille chirurgie se croyait obligée d'employer dans le désir incessant d'agir, dans cette pensée que la nature a toujours besoin de l’art. Il est évident que nous ne par- 268 TROISIÈME SECTION. lons pas ici des plaies qui exigent le secours des réunions et des autres moyens chirurgicaux analogues et suscep- tibles de hâter la cicatrisation, lorsqu'ils sont indiqués. Une fièvre éphémère, sans complication guérit par la diète , le repos , et sans le secours d’aucun médicament actif. Une partie gangrenée se sépare le plus souvent du reste de l'organisme , sans aucune provocation artifi- cielle, et par le bienfait d’une inflammation élimina- toire dont la nature a fait tous les frais, etc., etc. Voilà des faits incontestables et dont il serait bien fa- cile d'augmenter l’'énumération. Ces faits ne prouvent ils pas jusqu’à l’évidence , et sans pouvoir être attaqués par des raisonnements spécieux , la réalité d’une ten- dance à la conservation, au rétabissement de l’état nor- mal dans les organismes vivants. Faire , de cette ten- dance une entité distincte et raisonnante , serait aussi contraire à la vérité que de nier sa réalité, lorsqu'elle est fondée sur l'observation. Pour ceux qui suivent la voie de l’exptrience, des détails plus étendus deviendraient surabondants ; pour ceux qui préfèrent la marche systé- matique, ces détails seraient toujours insuffisants, puis- qu'ils ne pourraient être compris. MM. Bourior, Loncnamp (père), le PAGE, LEMERCIER (de Mayenne ,) Morprer; etc., partagent cette ma- nière d'envisager la nature médicatrice. La réponse formulée est adoptée par la Section : Il existe dans l'organisme vivant, une tendance au rétablis- sement de l’état normal altéré, quelle que soit la dénomi- nation employée pour désigner cette tendance sur la réa- lité de laquelle repose tout le système des crises et des guérisons spontanées , système dont la réalité se trouve consacrée par l'observation. » La Section passe à la discussion de la troisième ques- tion ainsi posée : « À quelle opinion doit-on s'arrêter au- TROISIÈME SECTION. 269 jourd'hui, relativement à la nature et au traitement du tétanos traumatique? » M. LerezLeriER : Jusqu'à ces derniers temps, les pra- ticiens ont regardé le tétanos traumatique bien caracté- risé comme une maladie à peu près incurable. Nous par- tagions cette opinion désespérante,lorsqu’un certain nom- bre de faits de cette catégorie , vinrent s'offrir à notre observation, et nous conduisirent positivement à re- chercher la nature et le traitement de cette redoutable affection. Ces faits recueillis en préseuce de nos élèves, à l'hôpital du Mans et dans la ville , nous ont amené à cette conséquence relativement aux deux points fondamentaux de la question. Le tétanos traumatique est, en dernière analyse , une inflammation du névrilème des nerfs encé- phaliques, et par extension de celuide la moëlle épinière. Le traitement sur lequel on peut le plus compter est la saignée portée aussi loin qu’il est possible sans compro- mettre la vie. Par ce moyen, aidé des autres antiphlogis- tiques et des opiacés comme accessoires , nous avons guéri un peu plus de la moitié de nos malades. Chez l’un d’eux ; jeune homme robuste , nous avons tiré douze li- vres de sang dans l’espace de trois jours, en faisant matin et soir une saignée de deux livres, et, huit jours après la dernière, le malade pouvait marcher sans offrir une fai- blesse proportionnée à cette grande émission sanguine ; les tétaniques supportant la saignée avec une étonnante facilité. Ces guérisons avec toutes leurs circonstances, ces insuccès avec les résultats nécropsiques , ont été pu- bliés dans les principaux journaux de médecine. Aucun autre membre n'ayant pris la parole sur le fond de la question , la réponse est formulée et adoptée. La Section passe à la discussion de la onzième ques- tion ainsi conçue : « Dans quels tissus et jusqu’à quel point l’art doit-il admettre aujourd’hui la possibilité de réunir, par une véritable cicatrisation , les parties entiè- rement séparées de l'organisme ? » 270 TROISIÈME SECTION, Des faits de réunions semblables, à celles dont il s’agit ici, sont rappelés par divers membres; toute fois, la discussion ne s'engage pas de manière à faire naître des oppositions sur le point important de la question , dont la réponse est formulée et adoptée. La douzième question est ensuite examinée ; el'e est ainsi conçue : « Quelle est la véritable nature de l’altéra- tion produite par le diastasis des tissus ligamenteux ? quelle est la marche la plus ordinaire des graves acci- dents, qu’il peut occasionner ? quel est le meilleur trai- tement à mettre en usage dans les différentes phases de cette maladie?» M. Lerezzerier : Le diastasis ou entorse , est une des maladies les plus fréquentes et en même temps, l'une de celles dont le traitement estle plus souvent li- vré à l’empirisme et à l'ignorance , avec toutes les suites graves, et quelquefois même funestes , que cette altéra- tion peut entraîner. Ces considérations nous ont con- duit à chercher, dans les faits eux-mêmes, la véritable nature et la thérapeutique raisonnée de cette maladie ; nous avons recueilli un grand nombre d'observations, répondant à tous les degrés , à toutes les phases de cette altération. Nous les avons publiés dans les journaux de médecine , et nous sommes arrivé à ces résultats prati- ques : le diastasis présente évidemment trois périodes principales; chacune de ces périodes est, à proprement parler , une maladie particulière exigeant un traitement spécial et qui diffère essentiellement de celui des autres. 1° Période. Extension plus ou moins violente des tissus blancs , ligamens , aponévroses , tendons. Dou- leur vive et peu durable ; souvent ensuite indolence de la partie , faculté d'exécuter, jusqu'au deuxième ou troi- sième jour, sans souffrance, les mouvements naturels à cette partie, circonstance qui induit en erreur et souvent éloigne les précautions essentielles en pareil cas, pour TROISIÈME SECTION. 971 prévenir les accidents ultérieurs. Traitement , repos absolu , situation de la partie dans une position opposée à celle qu’elle a prise lors du diastasis, réfrigérents continués pendant vingt-quatre heures ; leur emploi d’une ou deux heures , comme on le pratique vulgaire- ment , étant plus nuisible qu'utile par la réaction qu’il provoque ; aussi préférons-nous les applications inces- santes de compresses épaisses , trempées fréquemment dans l'eau froide, à laquelle on ajoute du laudanum et de l'acétate de plomb liquide en proportion convenable, et que l’on continue pendant plusieurs jours, en faisant ob- server le repos de l'articulation ; lorsque le malade commence à marcher , bandes roulées , ou appareil ap- proprié pour soutenir les parties lésées. 2% Période. Développement de l’inflammation dans les tissus affectés de diastasis, réveil de la douleur, surtout lorsque l’on porte la partie altérée dans la situa- tion qu'elle offrait lors de l'accident, gonflement , cha- leur , etc. Traitement franchement antiphlogistique, repos absolu , etc. 3° Période. Passage de l’inflammation à l’état chro- nique , gonflement, dégénération progressive des li- gaments , quelquefois même extension aux synoviales , aux os , avec carie, etc. Traitement. Dérivatifs , ab- sorbans, résolutifs ; dans les cas très-graves , ces dé- sordres articulaires peuvent-être portés au point d'exiger l'amputation. Ainsi le diastasis ou l’entorse n’est point une maladie aussi légère qu’on le pense vulgairement. Cette lésion morbifique exige au contraire toute l'attention des mé- decins expérimentés, qui reconnaîtront avec nous tout ledanger de la'soumettre à des médications uniformes, et sans la distinction essentielle des trois périodes princi- pales qu’elle peut successivement parcourir. L'heure étant avancée , la Section déclare manquer 272 TROISIÈME SECTION. du temps suffisant pour discuter convenablement et ré- soudre celte question éminemment pratique. La séance est levée à onze heures et quart. SÉANCE DU 22 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Eroc-nEmazy , père. L'ordre du jour amène la discussion des 13° 14° et 15° questions ainsi CONÇUES : 13° L’homéopathie, comme théorie médicale, offre-t- elle des bases établies sur l'expérience? 14° Est-il possible d'admettre , d’après l'observation, et même sur quelques inductions positives , la réalité de ce principe fondamental d'homéopathie : que les médi- caments ont une action d'autant plus puissante , sur l’or- ganisme vivant, qu'ils sont administrés à plus faible dose ? 15° La pharmacie homéopathique offre-t-elle , comme le prétendent les partisans de cette doctrine, des pro- cédés particuliers pour extraire la partie essentiellement active des médicaments. La troisième Section du Congrès, comprenant sa mis- sion , dans les véritables intérêts de la science et de l'hu- manité, avait pensé qu'il était de la justice et de l’im- partialité de donner aux partisans de l’homéopathie l'occasion de discuter leurs opinions dans les séances particulières et générales,si propres à mettre en lumière les vérités utiles , à signaler en même temps les erreurs nuisibles. Forte d’une expérience de plus de vingt siè- cles et de cette vérité que l'esprit de système peut quel- quefois ébranler , que le temps rétablit toujours , elle se disposait à juger sans prévention et de bonne foi la va- leur des opinions débattues. Voici les résultats de cette démarche toute de convenance et d’égards. TROISIÈME SECTION. 273 M. Lrreuzerrer : Nous regrettons sincèrement qu'il ne s'élève pas une voix en faveur de lhoméopathie. La discussion eut été franche, loyale et décisive. Les termes en avaient été trop nettement précisés, pour qu’il füt pos- sible de laisser aucune incertitude. Nous n’abuserons pas, toutefois, de la position que l’on nous a faite , en for- mulant ici des objections qui resteraient sans réponse , en développant des considérations qui ne seraient pas controversées. Nous nous bornerons à l'énoncé d’une vérité, qui prendra place dans toutes les convictions qui ne refusent pas accès à l'évidence. Nous attaquons volontiers les choses ; mais nous res- pectons toujours les hommes. Hahnemann , auteur de l’homéopathie, ayant repris ce principe déjà très anciennement établi pour certains cas exceptionnels dans la médecine d'observation : 155- miles similibus curantur , voulut le généraliser, et de l'exception faire la règle. Cette manière de procéder , toute fautive , devenait indispensable pour Hahnemann qui voulait fonder un système. Mais Hahnemann était homme d'esprit, et nous ajouterons de conscience , nous aimons à le penser par respect pour sa mémoire ; à ce double titre, il sentit d’une part qu’en donnant, d’après ce principe ainsi généralisé, tous les médicaments à dose véritablement active, sa méthode serait bientôt condam- née par les funestes résultats de l'expérience ; et de l’au- tre, qu'il se rendrait comptable de tous les accidents qui ne manqueraient pas d'émaner directement de lappli- cation de son système. Que fit-il donc en homme d'esprit et de conscience ? Il conseilla les médicaments à dose tellement réduite qu'ils devenaient complètement inactifs autrement que sur l'imagination , et dès-lors le principe : {es sembla- bles quérissent par les semblables, put trouver son application dans tous les cas sans aucun danger de fait, mais aussi sans aucun avantage; la thérapeutique fut 274 TROISIÈME SECTION. ainsi réduite à la médecine expectante avec tous les in- convénients de laisser marcher les maladies les plus gra- ves en négligeant les occasions de prévenir , d’enrayer, ou du moins d'atténuer leur marche et leurs accidents. Voilà tout le secret d'Hahnemann, voilà toute la vérité relativement à l’homéopathie. Nous en appelons au ju- gement des hommes de sens et de raison même les plus étrangers à l’art de guérir. M. JuzzieN remet à la Section quelques notes de M. le docteur Mure , médecin homéopathe. Nous citons textuellement celles qui touchent le fond de la ques- tion. « Première question. Réponse : La base de l’ho- » méopathie n’est autre chose que le devoir imposé au » médecin de connaître l’action physiologique des mé- » dicaments qu'il administre aux malades. Les bons es- » _prits ont senti cette nécessité à toutes les époques , et » si la rage d'émettre de hasardeuses théories n’avait » écarté les médecins de cette voie d'observation et de » travail, l’art de guérir serait sorti, depuis long-temps, » du cercle vicieux dans lequel il s’agite. » « ...... 11 est un autre point de l’homéopathie que » l’on croit bien vulnérable, si l'on en juge par le nombre » des attaques dont il a été l'objet. Ce serait cependant » un triomphe de peu d'importance. L'homéopathie a » bien une autre valeur et n’est point seulement une » question de doses. Cependant la découverte qui nous » livre tout un nouveau monde de merveilles et laisse » loin derrière elle celle des verres grossissants ne doit » pas être sacrifiée à la légère , et nous en parlerons à- » propos de la 2° et de la 3° question. » « Deuxième question. Réponse : Nous retrouvons » dans la manière dont cette question est posée la trace » de ces préventions aveugles qui flottent dans l’atmos- » phère contre celte pauvre homéopathie, mise si bru- TROISIÈME SECTION. 275 talement au ban de la science. Elle suppose un fait complètement faux, c’est-à-dire que les homéopa- thes affirment que les doses ont d'autant plus d'action, qu'elles sont plus faibles. Nous nous expliquerons. Hahnemann a découvert que la trituration long-temps prolongée développait l'action médécinale des subs- tances qu’il manipulait. Ce fait n'était pas absolument inconnu. Tout ce qu'il fu, ce fut de lui donner plus d'extension et de prolonger son opération pendant des heures entières. Par là l’activité médicamenteuse se développa d’une manière inouie, et il fut obligé de diminuer la dose, surtout lorsque par suite de la spé- cificité du médicament, l’organisation se trouvait plus disposée à éprouver son influence. ..........7 « Troisième question. Réponse : . .... Le suc des plantes est coupé par moitié avec de l'alcool pour for- mer uue teinture mère , puis une goutte de cette tein- ture est mêlée avec cent autres gouttes d'alcool , pour former la dilution suivante et ainsi successivement en donnant un grand nombre de secousses, chaque fois, à la fiole. Les substances animales et minérales sont triturées pendant une heure avec du sucre de lait dans la proportion de un grain pour cent. Le surcroit d’ac- tivité qui résulte de cette manipulation exige qu'un seul grain de cette préparation soit mêlé avec cent autres grains de sucre de lait pour former la deuxième manipulation, et ainsi successivement pour les sui- vantes...… de sorte que toute la pharmaceutique ho- méopathique se réduit à un seul procédé et que , l'u- nité majestueuse qui préside à ses théories,s’étend jus- qu'aux procédés manuels par lesquels elle réalise sa pratique bienfaisante. » « Nous terminons en suppliant le congrès : » 1° De provoquer des essais sur l'action pure des médicaments ; 276 TROISIÈME SECTION. » 2° De prononcer contre la coutume anti-logique et » inhumaine de mêler plusieurs substances médicamen- » teuses dans une même formule ; » 3° De multiplier les essais sur l'accroissement d'ac- » tivité que reçoit un médicament par suite d'une tri- » turation prolongée. » Ces mesures préparatoires faciliteraient l'introduc- » tion graduelle dans les esprits des grands principes » de l’homéopathie et rapprocheraient le jour , où l’hu- » manité jouira pleinement du bienfait de cette décou- » verte sans pareille dans l’histoire de l'esprit hu- » Main... ct La Section passe à l’ordre du jour qui amène la so- lution des autres questions portées au Programme et que l’on trouvera réunies à la fin du volume. La séance est levée à onze heures et demie. La Section vote des remerciements à M. Etoc-Demazy, père, pour la manière dont il l’a présidée pendant toute la Session. Le President honoraire : P. Vauréc. Les Vice-Présidents : Eroc-vemazy , HuNAULT DE LA PELTERIE Les Secrétaires : LerezLerier (de la Sarthe), Boursor- St-HiLAIRE. — 0 —— 19 a LA | Se S2 So So ve Ve Ve Sa Se Se Vo de e Va Se So Sa? Se* Ve Se Se Se 2 So So Se Se Se Ve Se No Se Se Se Se OBSERVATIONS PRATIQUES DE LITHOTRITIE, RÉFLEXIONS SUR LA LITHOTRITIE ET LA TAILLE ; PAR M. E. GENDRON, DOCTEUR-MÉDECIN À CHATEAU-DU-LOIR (Sarthe |. Le Programme de la septième Session du Congrès scientifique de France présente, à l’article Chirurgie , la question suivante : « Quels sont les avantages et les inconvénients de la taille et de » la lithotritie envisagées d’une manière absolue et relative dans » leurs applications. » On peut discuter longuement sur le mérite de ces deux opéra- tions; la lithotritie a rencontré, au sein même de l'Académie royale de médecine, de rudes adversaires. La lutte a été vive, passionnée peut-être, toutefois la défense nous à semblé victorieuse ; et com— ment ne l’eût-elle pas été, lorque plusieurs membres de cette même académie et notamment deux des chirurgiens les plus habiles dans la pratique de la taille, avaient préféré pour eux-mêmes la li- thotritie et proclamaient d’une voix reconnaissante ses succès et ses bienfaits. Les médecins affligés de la pierre ne se déterminent à subir la taille, que, lorsqu'il leur est bien démontré qu'ils n’ont rien à espé- rer de la Kthotritie. Cette préférence qu’on ne peut nier, suflit pour établir d'une manière absolue la supériorité de l’une sur l’autre opération. 278 MÉMOIRES. Malheureusement la lithotritie n’est pas praticable chez tous les calculeux. Il en est dont la vessie ne supporte pas le contact des instru ments. Les vessies uleérées, fongueuses, saignantes au moindre frois- sement du lithotriteur , celles qui sont contractées sur une pierre très-volumineuse,ne pourront être délivrées que par la cystotomie; enfin il est des malades plus à plaindre encore, et sur lesquels au cune opération n'offre de chances de succès. J'ai hâte de terminer ces considérations générales pour arriver à l'exposé succinet de faits pratiques qui parleront plus haut que tous les raisonnements en faveur de la lithotritie. 4ere OBSERVATION. Cultivateur, 66 ans; pendant 8 ans , douleurs progressives de la vessie. Li- thotrilie, 8 séances. Expulsion de fragments appartenant à plusieurs cal- culs. Guérison. M. Bouttevin âgé de 66 ans, cultivateur à Mayet ( Sarthe }), res- sent en 1828 les premiers symptômes de la pierre , progression des douleurs pendant huit ans. En 1856, on le sonde et l’on cons- tate la présence de calculs dans la vessie , douleurs continuelles réveillées par le moindre mouvement , urines sanguinolentes , ef- forts pénibles et souvent impuissants d'expulsion des urines. La lithotritie étant demandée avec instance, la première séance eut lieu le 24 août 1856. Une injection préalablement faite , deux calculs de 6 lignes et de 9 lignes furent successivement saisis et broyés. Les urines entrainèrent à la suite un peu de sarrg et des débris de calculs, segments de petits sphéroïdes. Sept autres séances eurent lieu à cinq, six ou huit jours d’inter— valle. Quelques fragments de pierre s’arrêtèrent dans le canal de l'urè- tre et furent attirés au-dehors à l’aide de la sonde brisée du doc— teur Leroi d'Étiole. Parmi les fragments, on remarquait cinq noyaux d'acide urique et d’urate d’ammoniaque , autour desquels des croûtes de phosphate de chaux s'étaient déposées. Plusieurs ex- plorations constatèrent que la vessie ne contenait plus rien. M. Bouttevin a repris depuis long-temps ses occupations, et mal- gré son âge avancé il supporte bien une marche de plusieurs lieues. TROISIÈME SECTION. 279 9e OBSERVATION. Pompier, 49 ans, pendant 4 ans symptômes de la pierre. 2 pierres volumi- neuses dans la vessie.Lithotritie, 412 Séances, 2 mois de traitement,expul- sion d’une quantité considérable de fragments. Guérison. Yrvoi (Charles), ancien militaire , âgé de 49 ans, pompier à Vendôme, a eu,en 1833, une première attaque de néphrite , il rendit à la suite plusieurs petits graviers avec les urines. En 1834 , difficulté d’uriner , douleurs dans la vessie ; en 1855 , il urine souvent du sang , surtout après une promenade. En 1837 , la sonde introduite rencontre et choque facilement un calcul. Le 15 juillet 1857 , le malade vient à Château-du-Loir , pour sc faire opérer par la lithotritie. La vessie d’une extrême sensibilité supporte difficilement la pré- sence des instruments et les injections. Are Séance, le 18 juillet , un caleul de 11 lignes est saisi et brisé par la percussion. 9e Séance, le 22 , plusieurs calculs, débris du premier, sont pris et broyés par le jeu de la vis de pression. Quarante-deux petites pierres furent rendues à la suite de cette séance. Les douleurs de vessie réclamèrent l'emploi des bains, des sangsues, des tisanes mucilagineuses. 3e Séance , 8 broiements sur des petits calculs. 4e Séance , broiement d’un calcul de 13 lignes et demie. 8e Séance , une pierre de 22 lignes est saisie et échappe à l’ins- trument , reprise dans un autre sens, elle marque au lithomètre 48 lignes. Moins dure que la première , elle est brisée par l’action du volant. De nombrenx broiements furent pratiqués, dans les séances sui- vantes, avec d'autant plus de facilité que la vessie avait acquis de la tolérance. Après deux mois de traitement, Yrvoi est retourné à Vendôme , complètement délivré d’une maladie cruelle , il à repris sa gaité, ses travaux et une santé des plus robustes. 280 MÉMOIRES. 35° OBSERVATION. Cultivateur, 66 ans, pierres multiples. Lithotritie. 5 Séances. Guérison. Ce malade m'a été adressé avec La note suivante, par M. Maugeret jeune , médecin du Lude , rempli de zèle pour la science. « Pommier ( Louis ), cultivateur à Dissé-sous-le-Lude , est âgé de 66 ans ; depuis trois ans il souffre de la pierre. L'apparition des premiers symptômes a été subite, une nuit à la suite d’une journée laborieuse. » Accès de dysurie, de plus en plus fréquents , jet des urines in- terrompu brusquement ; les longues souffrances du malade le font dépérir, toutes les fonctions de l’économie semblent s’altérer. » Présence de la pierre constatée le 4 février 1839. » Entré à l’hospice de Château-du-Loir dans le mois de mars suivant. » Lithotritie sans injection préalable. » Guérison en trois séances ; les fragments recueillis pesaient un gros vingt-quatre grains, ils appartiennent à des pierres de couleur et de composition différentes, la plus volumineuse a marqué au lithomètre sept à huit lignes de diamètre. » Retour du malade dans ses foyers vers le commencement d’a— vril ; il a repris ses travaux et une santé excellente. » 4e OBSERVATION. Recueillie par M. Bodin de la Pichonnerie , médecin à la Chartre-sur- Loir. Femme âgée de 67 ans , pierre de 14 lignes de diamètre , Lithotritie. 5 séances. Guérison. « Madeleine Housseau , âgée de 67 ans, s’apercevait depuis sept à huit ans, que l'émission de ses urines était douloureuse et que leur jet se supprimait brusquement. Ces accidents devinrent très-fréquents en septembre 1858 , leur violence fut telle , que la malade renonça à ses travaux, et fut condamnée à un repos con- tinuel. TROISIÈME SECTION. 281 » Les douleurs intolérables déterminèrent une fièvre hectique , continue ; la malade était dans un état d’émaciation , voisin du marasme. » Le 20 janvier 1839 , je la sondai et reconnus l'existence d’un calcul assez volumineux ; sur mon invitation, le docteur Gendron de Château-du-Loir , se rendit auprès de la malade, décidée à se faire opérer par la lithotritie. » Le 28 janvier , première séance , une pierre de seize lignes de diamètre fut saisie et brisée à coups de marteau , plusieurs broy- ments furent ensuite pratiqués par simple pression. La malade dé- clara que les douleurs de l'opération n’égalaient pas celles quelle ressentait fréquemment. » Le lendemain, la malade avait rendu un grand nombre de frag- ments et semblait soulagée , mais le 50, un fragment très-volu- mineux , s'arrêta dans le canal de l’urèthre et occasionna d'assez vives douleurs , je fus obligé de l’extraire à l’aide d'une sonde cannelée ‘que je glissai au-delà pour le maintenir, pendant que je saisissais sa partie antérieure avec des pinces. Ce fragment trian- gulaire avait neuf lignes sur sept. » Le 4 février , deuxième séance » Qui ne fut ni plus longue , ni plus douloureuse que la première. » Le lendemain , issue d’un grand nombre de fragments. Les jours suivants , il s’en arrêta encore un dans le canal de l’urèthre. Je l’attirai par le même procédé; il avait treize à quatorze lignes de long sur huit à neuf de large. » Le 15 février , troisième séance , broyment de tous les frag— ments qui offrent encore un peu de volume , Ces trois séances de courte durée et accompagnées de douleurs assez supportables , sufirent pour délivrer cette femme d'une maladie cruelle à la- quelle elle eût nécessairement succombé en peu de temps. » Depuis cette époque , Madeleine Housseau , jouit d’une fort bonne santé ; elle a repris beaucoup d’embonpoint , ses forces sont revenues autant que son âge peut le comporter ; elle s’est livrée cet été , aux travaux dela moisson. » 5e OBSERVATION. Maçon, agé de 26 ans, de Vaas.Un petit calcul. Lithotritie. Une seule séance. Guérison. Parent François, âgé de 26 ans, maçon a Vaas > à commencé à souffrir au printemps de 1858 : le régime, les bains, les saignées et les tisanes diurétiques n’améliorent pas sa condition. 18 289 MÉMOIRES. Il est obligé d'interrompre sans cesse ses travaux , pour rendre ses urines. Leur jet est parfois supprimé , le malade souffre dans la vessie et à l'extrémité du gland , il urine quelquefois du sang. Une sonde, introduite dans la vessie, fait reconnaître et choquer un petit calcul. Parent estreçu à l'hospice de Château-du-Loir, vers la fin de décembre 1838, pour être opéré par la lithotritie. On l’ha- bitue à retenir ses urines pendant plusieurs heures , bientôt la vessie en peut contenir de cinq à six onces, on opère alors sans injection. Le brise-pierre est facilement introduit, un calcul de six à sept lignes est saisi et brisé. Huit broyments sont faits sucessivement dans cette même séance qui dura à peine deux à trois minutes. L'opéré rendit à la suite une assez grande quantité de sable et de petits fragments. I fut complètement délivré de ses douleurs ; plusieurs explora- tions faites avec soin , ont constaté que la vessie ne contenait plus aucun corps étranger. Depuis l'opération , Parent n’a éprouvé aucun accident , et s’est livré avec ardeur à ses travaux. Chez ces divers malades , la lithotritie a été plus ou moins com- pliquée; chez quelques-uns, nous avons eu tantôt une séance facile et tantôt une laborieuse ; chez tous , la terminaison a été heureuse. Le dernier , a été délivré par une seule séance qui n’a présenté guères plus de difficulté qu’un simple cathétérisme. Le malade ne s’est même pas couché après l'opération ; quoique son calcul fut petit, déjà il occasionnait des douleurs atroces et des saignements de la vessie. Le moindre mouvement retentissait cruellement dans cet organe, une séance de deux à trois minutes, à peine douloureuse, a suffi pour rendre ce jeune ouvrier à la santé et à ses travaux ; et l’on frémit quand on pense que, pour une affection dont il a été si facile- ment délivré , il aurait fallu , sans la découverte Civiale et Le Roi d'Étioles, compromettre la vie par une opération des plus graves. Les douleurs que la pierre fait éprouver , ne sont pas précisé ment en raison directe de son volume; les calculs dits muraux , composés d’oxalate de chaux , à surface mamelonnée ou à cristaux anguleux, occasionnent les plus vives souffrances. Nous avons, dans ce moment , à l’hospice de Château-du-Loir, un jeune ouvrier dans ces fâcheuses conditions. La pierre dont il souffre cruellement , est sans doute fort petite, jusqu’à présent la sonde introduite plusieurs fois n’a pu la heurter. TROISIÈME SECTION. 283 Un des fragments qu'il a rendus présente une surface hérisée de pointes brillantes et comme vitreuses. Si le jeune homme continue à souffrir , je ferai une exploration avec le lithotriteur , car , c’est un des avantages de la nouvelle mé- thode de pouvoir être appliquée dans les cas douteux, et l’on sait que des calculs, qui n'avaient pas été reconnus préalablement , ont pu être saisis et broyés par le brise-pierre. La multiplicité des calculs , ajoute aux angoisses des malades , le moindre mouvement , alors , retentit dans la vessie. L'émission des urines est aussi plus difficile , plus souvent inter- rompue ; nous avons, dans notre collection , vingt-deux petites pierres qui nous ont été envoyées par le docteur Gendron, de Vendôme , elles ont été retirées de la vessie d’un ancien avocat , âgé de 67 ans, qui s’est tué pour mettre un terme à des souffrances devenues intolérables. La vessie était rouge , ulcérée dans presque toute son étendue , c'était un de ces cas malheureux, où probablement toute opération eut échoué. La lithotritie présente une bien plus grande simplicité et facilité d'exécution , lorsqu'on peut se passer d’injections ; j'ai pu m’en convaincre par mes trois dernières opérations, et j'ai adopté en cela la méthode du docteur Ségalas. L’on habitue le patient à re— tenir ses urines , de manière à ce que la vessie puisse en contenir un verre ordinaire. Alors on introduit, d'emblée, le lithotriteur qu’on fait agir avec d’autant plus d’aisance que la vessie n’est pas stimulée et contractée par le besoin d’expulser un liquide étranger. Quelque douloureuse que soit une séance de lithotritie, et il faut convenir qu'il en est de très-pénibles , et qu'un opérateur prudent doit se garder de prolonger , aussitôt l'épreuve terminée , les ma- lades se remettent en général promptement ; souvent on les voit le jour même, se livrer à de douces occupations et à la promenade. On peut impunément supporter un très-grand nombre d’opéra- tions lithotritiques. J'ai vu un malade qui n’a été délivré de ses calculs qu'après un an de traitement et au moins cinquante séances. Pendant le cours de cette longue épreuve, sa santé n’a jamais été altérée au point de faire craindre pour sa vie, toutefois nous devons déclarer que , lorsque la lithotritie présente un dénouement si incertain et si éloigné , la taille est préférable : le malade en question , n’a jamais voulu s’y soumettre. On a demandé si la lithotritie devait être appliquée aux femmes? assurément oui. 284 MÉMOIRES. Quoïque la taille soit, sur elles, une opération facile,elle présente certainement plus de danger que le broyment de la pierre et elle est trop souvent suivie, d’ailleurs, d’une incontinence d'urine, infir— mité des plus fâcheuses. La lithotritie exige moins de séances sur elles, parce qu’elles rendent aisément de très-gros fragments. Madeleine Housseau , a été guérie en trois séances , d’un calcul volumineux , qui, chez un homme aurait exigé six séances. Je dois au docteur Chauveau, de La Chartre, la moitié d’un calcul urinaire , rendu naturellement par une octogénaire ; cette pierre avait en totalité neuf lignes sur seize. La femme est donc,par son organisation, dans des conditions très- favorables au prompt succès de la lithotritie. Si l'opération de la taille a l'avantage d’être presque toujours plus expéditive, cet avantage est bien compensé par l’innocuité d'une lithotritie bien conduite. Celle-ci, moins douloureuse, est surtout bien moins dangereuse , dans tous les cas , où les deux seraient applicables. C’est que nos organes se remettent facilement d’un froissement même pénible , tandis qu’une blessure de la vessie , quelque soit l'instrument qui l'ait faite, et quelle qu’habile que soît la main qui l'ait dirigé, est toujours une maladie grave et qui compromet l'existence. 285 SE Se 5e Se Se Ve Ve Le * 52 Le Su Se Se. Se SE SU cu Su SV Sù V2 Sa Ve V9 Ja V7 V9 SE VE SH 9 SU SU SU NOTE SUR LA STATISTIQUE MÉDICALE DE L'ASILE DES ALIÉNÉS, DU DÉPARTEMENT DE LA SARTHE ; ( 18 août 1834. — 31 décembre 1838 ). PAR M. G.-F. ETOC-DEMAZY, MÉDECIN EN CHEF DE L'ASILE, MÉDECIN DES ÉPIDÉMIES » MEMBRE DE L’ACADÉMIE ROYALE DE MÉDECINE. 1." MESSIEURS, Je cède aux instances de plusieurs d’entre vous > eN vous sou- mettant quelques notes sur la Statistique médicale de l’Asile des aliénés du département de la Sarthe. Ces notes ; Pour lesquelles j'ai besoin de toute votre indulgence » Sont extraites d’un travail, qu’il ne m'est pas encore possible de terminer Sur les construc- tions , l’administration et le service médical de cet établissement. 1° ADMISSIONS DES ALIÉNÉS. L’Asile de la Sarthe fut ouvert le 18 août 1834. Depuis cette époque jusqu’au 31 décembre 1838 > 267 aliénés des deux sexes y furent admis : 137 hommes et 130 femmes. En outre , sept hommes et trois femmes ; Sortis guéris, ont été réintégrés pour cause de rechûte provoquée par le retour des 286 TROISIÈME SECTION, circonstances qui avaient déterminé la première invasion de la folie. Total des admissions : 277 pour les deux sexes : 144 pour les hommes, 133 pour les femmes. Dans les cinq derniers mois de l’année 1854 , furent admis , par séries plus où moins nombreuses, 60 aliénés : 29 hommes et 31 femmes , renfermés depuis long-temps dans les hospices et les prisons du département. Leur admission , ordonnée par l'autorité administrative , ne pouvant présenter aucune donnée scientifique , je me bornerai à l'indiquer en masse. (1) Pour les aliénés admis ultérieurement , les entrées, dans les douze mois de l’année , ont eu lieu dans l’ordre suivant : DIVISION DES HOMMES. DIVISION. DES FEMMES. Janvier. IR Janvier. PROS US RONLICP. nr MÉNMLICL E E Terce v9 LU ETES eh dt au mt at MAPS ER" ue C7 140 Ari cales ti dt LS Mvlucss us: San ute Mai. LA ROME, 10 Mai. TR RL PES MIN. 20. 5: PONT DURE MS LAS: 14 TRUE is nt lee AU AT anges the à Ge 295 ANGES à: 02e PONT RARES Août: Ve ON PERMET FR 412 Septembre. . + - + 6 Septembre. . . . . 40 Octobre SEAT 1 105 OCtObrE MT ES D Novembre. m,.r :. 149 Novembre, 287.207 Décembre rar. 12 Décembre 0. 8 TOTAL: 2088 M5 LosAkret 2at rés 4102 Je dois faire observer que , pour ces malades , l’époque de leur entrée indique bien rarement celle de l'invasion de la folie ; mais elle fait connaître assez exactement l’époque où les symptômes de la folie , devenus plus violents, ont mis les familles dans la néces- sité de provoquer la séquestration des aliénés. Trente aliénés : 19 hommes et 11 femmes sont étrangers au dé- partement de la Sarthe ; les autres lui appartiennent par leur (1) Nous avons à regretter plusieurs renseignements sur ces malades , sur leur âge, lors de l'invasion de la folie ; sur les causes qui l'ont préparée ou déterminée , etc. 11 ne nous a pas été possible de nous les procurer avec exactitude. TROISIÈME SECTION. 9 19 87 naissance ou par leur domicile. Leur répartition a lieu, de Ia manière suivante , dans les quatre arrondissements : Le Mans. Populat. 164,667. a fourni 66 hom. et 71 fem.-—- 137 > Mamers. . 133,444. La Flèche. 97,543. . St-Calais. . 70,834. . ToTAUx. . RAT 12 . . 9%. : — 36 19 . . 10. . — 29% 118. 119. 937. 20 AGES DES ALIÉNÉS. Les âges, lors de l'invasion de la folie , se rangent dans l’ordre suivant , d’après le nombre des aliénés correspondant à chacun : DIVISION DES HOMMES. ADAAS ANS. ve + À ADO x. ns + 11 DIPENL NM ONE ATE DO dass (6 Eux! 22 30 SERRE EC E (1) DA AO Ete - 0. A6 SOA... . re 45 AA 1.00 nent SRE MENÉS DA 00e L'HSTS EUR © GONE. er 2 Ages inconnus. . . . 29 TOTAL. . . DIVISION DES FEMMES. 425, 20 4n5. dut 7 CINEMA Mn" 14 A DE MEL OS MER EE SOA SD ee le 5 CIEL DFE RCE E ® 40 à 45. . . . . . 40 245 à 50.) Loichete. 5 0 DD. : uendaen1 0 55.460: 2 nr 7 60) 65.746 pc re 2 65 à.702 ARRETE 71 Ages inconnus. . . . 37 5° ÉTAT CIVIL DES ALIÉNÉS. DIVISION DES HOMMES. Célibataires. . . . . 84 NAT SE ae cu pe dat Meur éd, Rav. #16 DOPAE 0 er et TOTAES TRE 130 DIVISION DES FEMMES. Célibataires. . . . . 70 Maniées- 0: < . . 46 NEVER. NIET, *. 44 ÆOTAZL.... . : 430 288 MÉMOIRES. 40 PROFESSIONS DES ALIÉNÉS. DIVISION DES HOMMES. Journaliers. Marchands. Tisserands. Rentiers. Droit. Ménuisiers. Domestiques. . Employés. . Médecins. . Militaires. Filassiers. Maçons. Horlogers. . Tailleurs. . Meuniers. Boulangers. Serruriers. . Cordonniers. Antiquaire. Prêtre. . Instituteur. . Musicien. Charpentier. Percepteur. Cultivateur. Traiteur. Fayencier. . Sabottier. Vannier. Etudiant. De Imprimeur. . . . Jardinier. Cabaretier. . Postillon. À Professions inconnues. . , ToTaL. > = 1 à ©! c in x | meme bemeh nr 19 19 IQ OI CO! OT OGC O! MR CE GE GO © © DIVISION DES FEMMES. Domestiques. . Journalières. aute Sans profession. . . . Rentières. EM EHEUSES 7 RS ER Femmes d'ouvriers. . . Lingères. $ Couturières. . . . Bouchères. ._ .: .… « Marchandes. . . . Garde-malades. Brodeuses. . + . . Cabaretière. . … . Mmstitutrice. 1. re Professions inconnues. ToraAL. | IR 2 19 19 19 19 à I = ct © TROISIÈME SECTION. 50 CAUSES DE L'ALIÉNATION MENTALE. DIVISION DES HOMMES. 289 DIVISION DES FEMMES. 40. Causes prédisposantes. Hérédité. 58 Caractère bizarre. 350 Causes inconnues. 69 TorTaL. 137 20. Causes Chagrins domestiques. 30 Revers de fortune. . . 19 Amour contrarié. . . . 40 PAONETIES, 2 unes ec Masturbation. SE. Erayeur. . . :2% 4 HBHEDSIGS DES MEN, PMP Jalousie. . . . suiÆ Remords de conscience. At Ambition déçue. 3 Excès vénériens. 2 Causes inconnues. 54 ToTaL. . 1437 Hérédité. à Caractère bizarre. :. Causes inconnues. TorTaL. déterminantes. Chagrins domestiques. Amour contrarié. Revers de fortune. . Scrupules religieux. . Frayeur. . . IMiSèrEEL, «20/16 Evrognérie." .! . + Epilepsie. . EST Remords de conscience. Progrès de l’âge. Causes inconnues. ToraL. 5125 -,»r26 79 . 150 ï bo © + » » 9 O1 OI O1 CO => [A =] 6o CARACTÈRES DE L’'ALIÉNATION MENTALE. DIVISION DES HOMMES. Monomanie simple. . . Monomanie avec hallucinations. Monomanie avec penchant à l’homicide. : Monomanie avec hallucinations et penchant à l’ homicide. Monomanie avec penchant au vol. Monomanie avec penchant au suicide. Monomanie avec épilepsie. . Manie simple. Manie avec hallucinations. Manie avec épilepsie. Démence simple. Démence avec épilepsie. Démence avec paralysie générale. . . . . . . . . 10 1 © Us à AO © Ex 19. 19 © 19 n CD 19 = 19 2 a À 290 MÉMOIRES. DIVISION DES FEMMES. Monotmame Simple UE. …. 0, CCE 10 Monomanie avec hallueinations. . . . . . . + . 13 Monomanie avec penchant à l'homicide. . . . . . 9 Monomanie avec hallucinations et penchant à l’homicide. 2 Monomanie avec penchant au vol. . . . . . . . 1 Monomanie avec penchant au suicide. . . . . . . 4 Monomanie avec penchant à l'homicide et au suicide. . 5 Monomanie avec hallucinations et penchant au suicide. . 2 Manieisimple. :-L0NEREMENERRERPAME RL 51 Manie avec hallucinations.) !. 00 TN SENS 16 IMAnie AYECTÉDIIODSIÉA nue e Meg Dee cLo-uioui-dte 2 Démence sumple 4-22 CO Se tc1 Meta 56 Démence avec paralysie générale. . . . . . . . . 1 4 iQ: 1 OR 450 70 GUÉRISONS DES ALIÉNÉS. Nous avons vu que , du 18 août 1834 au 51 décembre 1858, 267 aliénés des deux sexes ont été admis à l’Asile. Parmi eux se trouvaient 29 hommes et 351 femmes , depuis long- temps enfermés dans les hospices et les prisons du département ; ils y étaient abandonnés, comme sont encore les aliénés presque partout en France. La plupart étaient incurables. Je doisnoter cette circonstance , car elle est éminemment nuisible au succès du traitement et à la proportion des guérisons que nous avons obte— nues. Elle existe d’ailleurs dans tous les établissements d’aliénés, pendant les premières années de leur existence. Son influence s’af- faiblit chaque jour , à mesure que de nouveaux malades viennent remplacer les premiers admis. Du nombre des entrées doivent être retranchés.un homme qui s'est évadé, cinq hommes et sept femmes retirés par leurs fa- milles, après avoir éprouvé une amélioration sensible dans leur état mental. Reste done , en comprenant les réintégrations pour cause de re- chûte, 264 aliénés : 138 hommes et126 femmes entièrement sou— us au traitement. TROISIÈME SECTION. 291 Sur ce nombre , nous avions obtenu , à la fin de 1838, 75 gué- risons : 43 chez les hommes et 32 chez les femmes. Le chiffre des guérisons, comparé à celui des entrées, donnait alors la proportion suivante : Pour les deux sexes. . . . . 1 guérison sur Pour leshommesti. :.!à. 1 . (4, 0. Pour les femmes. . . . . . 1 . . Ces cas de guérison sont répartis , de la manière suivante, entre les divers genres d’aliénation mentale : DIVISION DES HOMMES. Monomanie simple. . . . . . . . 8 guérisons. Monomanie avec hallucinations. . . . 9 Monomanie avec penchant à l’homicide. 4 Monomanie avec penchant au suicide. . 1 Monomanie avec penchant au vol. . . 4 Manie simplesus .punr dim + ee + + 415 Manie avec hallucinations. . . . . 5 TOTAL. . . 43 DIVISION DES FEMMES. Monomanie simple. . . . . . . . . . 2guérisons. Monomanie avec hallucinations. . . . . . 3 Monomanie avec penchant à l’homicide. . . 3 Monomanie avec penchant au suicide. ; 5 Monomanie avec penchant au vol. . . . . 4 Monomanie avec penchant à l’homicide et au suicide. 4 Manie simple. . . . AE #S Dir HOUSE 13 Manie avec hallucinations. . . . . . . 6 Total. 32 Les guérisons se rangent dans l’ordre suivant , d’après l’âge des aliénés, lorsque leur raison s’est rétablie : 292 DIVISION DES HOMMES. 40 à 15ans. 1 guérison. ASAN2O +. 2 SRE ce #6 SHARE . : 9 # SO0MASS ES F6 55 à 40 . 7 40 à 45 . . 4 H5VAN50 : 09 HONOR BAMBOU 00 60 à 65 . CA TOTAL. . 45 MÉMOIRES. DIVISION DES FEMMES. 20 à 25ans. 7 guérisons. 2544780; sum CR NE RES SR S5 4.40)... 5 M CS ie A5à SOHCUMNE 50,4 5 Rire 55 à 60 . 1 60 à 65. il ToTaL. . 32 Le tableau suivant représente les guérisons qui ont eu lieu dans chacun des trimestres : DIVISION DES HOMMES. Guérisons. Janvier, Février, Mars. . 7 Avril, Mai #Juin, + L.10.208 Juillet, Août, Septembre. 12 Octobre,Novembre,Décemb. 16 DIVISION DES FEMMES. Guérisons. Janvier, Février , Mars. . 4 Avril, Mai, Juin, Pa 7 Juillet Août, Septembre. . 1 Octobre, Novembre, Décemb. 10 TOTAL. re 0020 TOTADS EN RE 8° DÉCÈS DES ALIÉNÉS. Depuis le 18 août 1834 jusqu’au 31 décembre 1838, 50 aliénés ont succombé : 27 hommes et 25 femmes. Dans une seule année, en 1857 , nous avons perdu 20 malades. Cette mortalité, bien supérieure à celle des autres années , est probablement le résultat de la grippe. Cette épidémie a été funeste à plusieurs aliénés atteints de maladies chroniques et qui, sans son influence , auraient pu prolonger encore leur existence. La proportion des décès, calculés d’après le nombre des entrées est : Pour les deux sexes, 1 décès sur 5, 3 Pour les hommes, 1 D, 2 Pour les femmes, 1 pe, , TROISIÈME SECTION. 293 Les décès sont répartis de la manière suivante entre les diffé rents mois : DIVISION DES HOMMES. DIVISION DES FEMMES. JANVIeE. : … . 0 OA ÉONEC Ares aumatna 6 Février. . . . 1 HÉNTIEL ah-nrogdennarà él 5 Mars. APRES 6 Mars. dt Giant 0 Avril. ENTER 4 ANT Eat cuis O MERE CU is à 0 Mais 0 Café nillos © ITS D RUSSES 0 Fine énndint 2 Millet Les sure 2 Juillet mrnlenaaurer 2 ADMET, Mt 0 À Août. FU RU PET À Septembre. . . . . . 2 Septembre.,sun. seémemuer O MIDÉDREOE ET = es 7e À OCÉODEES en 2 me Novemhre-pnr : m2 Novembre. . . . . 5 Décembre. . . . . 4 Décembre”... 3". 2 MORAL 20-097 HODAL: CU. 0 25 Le tableau suivant représente l’âge des aliénés, lorsqu'ils ont sucecombé : DIVISION DES HOMMES. DIVISION DES FEMMES. AREA SD ANS" EL 8 90 à S05AaRS ob aaliz 2 ELA AD, TT TT OT ele . 5 2 40 à 50 LME 5, & 40 À 50:08ndars of 9 50à60 . . .. 4 2%. 50 à Gduraizs same 6 60 à 70 . te 60 à 70 0 710: à 80 but Rt : 70,80 4 4 0 — 80 à 90 . 1 TOTAL. ne. = 27 ct FOPALS ie Les malades qui ont succombé sont classés dans l’ordre suivant , d’après leur genre d’aliénation : DIVISION DES HOMMES. DIVISION DES FEMMES. Monomanie simple. . . . 2 Monomanie simple. 2 Manie Simple. . . . =. . 5. Maniesimple. | . . . . 5 Manie avec épilepsie. . . 41 Démence simple. . . . . 15 Démence simple. . . . .14 Démence avec TON sé- Démence avec paralysie gén. 5 nérale. . : TorÂL 000 0r.527 Tomar est: 22 Enfin, nous avons noté quelques-unes des altérations trouvées à l’autopsie et qui probablement ont causé la mort. MÉMOIRES. 19 Le] ES DIVISION DES HOMMES. Encéphalite Chronique". .. . . mm ent NON Congestion cérébrale. . , = EndurCissement "du Cerveau. +: + : + .° : Hémorrhagie de la moëlle épinière. : LASER BEUMSIC puiMONATE MEME Nr MA MUT, j, A0 ES EMLÉDTIENMCNTONQUE MERE RENE RUN ANSE MOHÉCAMIEUE "UE TR SRE CADRE BC on, RAR Péritonite: chronique MAT CON Etranglement'intestinal . en 0 0 oO DÉC LV COS PME ET Ce, ee Gansrène externe NE ONE. 1 ve TO 927 CSS SE DIVISION DES FEMMES. Encéphalite chronique. . . . . , . Congestion cérébrale. . MP, BTE EL SRE Hémorrhagie méningée:.7. .°. . .":". °#"2lr Angine gangréneuse. RENE P ECS Apoplexie pulmonaire. . . . ... . . RUDIUTC QUICIEUR NE ON ON Ne Entérite chronique. Fa OM PME, PS Aibcès des treimstmf 6 70e. Mrs PORN Néphrite calculeuse# 00". ECM Te SRE Fièvre typhorde. MM 45) M 55, Loue 0,00 Gangrène externe tt. à À 1 .. 287, > EE ù à à QU > pe à > LL] ot Total. Le 51 décembre 1858, il restait à l’Asile, 133 aliénés des deux sexes : 61 hommes et 72 femmes. TROISIÈME SECTION. 295 RRRRRRIRARIRIRIIRIRIRIRRRRIRIIIIRREREE LRAE RRRIISLLRIIRI AR APERÇU SUR LA STATINTIQUE ET SUR LA TOPOGRAPHIE MÉDICALES DU DÉPARTEMENT DE LA MAYENNE ; PAR LE DOCTEUR LEMERCIER , MÉDECIN DES HOPITAUX ET PRISONS DE LA VILLE DE MAYENNE ; MÉDECIN DES ÉPIDEMIES DE L’ARRONDISSEMENT DE MAYENNE, MEMBRE DU JURY MÉDICAL ET DE L’AGADÉMIE ROYALE DE MÉDECINE DE FRANCE ; ETC. (1) Le département de la Mayenne tire son nom de la rivière qui le traverse du nord au sud , et le partage en deux parties à peu- près égales en superficie ; sa forme est celle d’un carré long presque régulier. Les cinq sixièmes du département sont susceptibles d’être la bourés ; mais les terres ne sont ensemencées le plus ordinairement qu’à des époques éloignées, de sorte qu'après avoir rapporté une année du sarrazin , et une ou deux autres , du froment , du seigle , de l’avoine, elles restent trois , quatre et cinq ans en jachères. La vigne est cultivée dans une petite partie sud du département ; le vin qui s’y récolte est de qualité fort médiocre. (4) Le travail de M. Lemercier ayant été admis à l’impression par extrait, la Commission a jugé nécessaire de le réduire aux limites suivantes, le compte-rendu ne pouvant admettre en-entier des mémoires d’une aussi grande étendue. 296 MÉMOIRES. Il existe plusieurs bois et forèts dans ce département ; leur étendue peut s'élever de 15 à 16,000 hectares. L'étude de la géologie et de la géognosie du département de la Mayenne fait connaître, qu'il est composé de fonds stratifés et massifs, de terrains fossilifères et de terrains non fossilifères, qui se rapportent au sols qui ont reçu les dénominations de primitifs , in- termédiaires ou de transition, secondaires et tertiaires. Le terrain secondaire , a, pour représentant , une petit dépôt de grès-lignite et un dépôt de sable , en général ferrugineux et argi- leux ; cet amas qui recouvre, dans le département, un grand nombre de plateaux élevés , recèle communément des minerais de fer assez riches, pour être exploités avec avantage , pour les forges du pays et des environs; il compose des terrains tertiaires , conjointement avec quelques petits bassins isolés, d'assemblage de coquilles marines, de corps madréporiques, qui indiquent le bou- leversement , la catastrophe , ou la révolution opérée dans l'océan. Un grand nombre de terrains du département, dont quelques uns abruptes ou déchirés,présentent,pour ainsi dire,un niveau constant, une horizontalité régulière des couches superficielles, superpo- sées , d'argile, de sable, de grès, peu épaisses, et font concevoir , que si pendant une partie de la période tertiaire à laquelle cette stratification se rapporte, l'emplacement du département de la Mayenne était, probablement complètement ou presque entièrement immergé, et que son dimergement, sans doute, ne s’est pas produit par une secousse brusque , dont l’action fut rapprochée ; mais sui- vant toute apparence , par un déplacement dans le niveau du cata- clysme dû à la répulsion, à l’immersion de quelques masses ignées, en d’autres contrées. Il s’exploite , dans le département, des mines de houille , dépôt d’alluvion , d'anthracite, de fer, des gîtes métalliféres de per- oxide de manganèse qui pourrait servir les intérèts des blanchis- series de la province ; des tourbières , dépositions fluviales qui fournissent , à beaucoup de malheureux, leur chauffage habituel : des carrières d'ardoise, de marbre gris, noir, rouge , de nuances différentes ; de granit fort recherché, pour les belles et solides cons- tructions , de pierre à bâtir , de pierre à chaux pour les besoins des nombreux fourneaux des localités ; de sable , d’argile ou terre glaise servant à la maçonnerie , à la fabrication des poteries com-— munes , des tuiles, des carreaux, des briques, et à garnir les fentes des reservoirs d’eau et des aquedues , et plusieurs autres usages. On tire aussi des marnes argileuses, siliceuses, meulières, TROISIÈME SECTION. 297 ealcaires, qui varient en qualité et en couleur, suivant les emplace- ments où elles se trouvent. Le Gypse commun, ou pierre à plâtre, sélénite ou sulfate de chaux hydraté, ne s’y découvre nulle part en masse ; seulement ; on le rencontre ; par fois, en petite quantité, dans quelques caves, cavernes , Souterrains , grottes, ete , en stalactites amorphes. De temps emtemps, les laboureurs de Jublains rencontrent des ossements humains, des cercueils, des sarcophages , des frag- ments de briques et de poteries , tous décombres post-diluviens. Le bourg de cette commune , objet des recherches des antiquaires, offre à leur examen , les vestiges de monuments anciens , les fon- dements de bâtiments antiques , des colonnes éparses , des cippes dispersés , des monolithes , des fractions de pierre tombales , des inscriptions éparpillées et tronquées ; l'enceinte et les murs d'un camp, respecté par le temps, que près de vingt siècles n’ont point détruit, que l'administration vient d'acheter , et qu’elle conservera à l'admiration des générations futures ! Dans les environs de Jublains , on voit aussi , en divers lieux, des blocs erratiques du terrain diluvien, cailloux énormes, connus sous le nom d’Autels druidiques, pierres levées des Celtes. Les eaux de toutes les rivières du département et dés ruisseaux qui en sillonnent les diverses régions , sont presque toutes à lit sa blonneux, servent aux besoins des habitants et sont toujours plus Salubres , que les eaux séléniteuses, marécageuses , de puits, de fontaines , d’étangs ou de mares , très-putrescibles et d’un goût désagréable. Elles sont habituellement claires, sans odeur, sans saveur, d’une température , en été , un peu supérieure à celle de puits ou de fontaine , de densité à peu-près de 0,003 de plus que l'eau distillée. L'eau de la rivière de la Mayenne est d'assez bon usage dans la partie sud et sud-ouest ; elle peut convenir pour tous les besoins de la vie. Elle cuit promptement les légumes sans les durcir , dissout le savon sans le caillebotter, et forme avec les farines un pain de bonne qualité. Le département n’a aucun canal de navigation ; il ne possède qu'un bien petit nombre de sources minérales ; aucune d'elles n’est thermale etpar conséquent ne tire son origine des couches profondes du sol. Toutes coulent d’une manière lente, continue et sans in- termittence ; toutes sont plus ou moins férrugineuses , et contien- nent environ vingt grains,par litre, de principes fixes, du carbonate de fer, en plus ou moins grande quantité, comme on le voit par l'analyse, avec le prussiate de fer , l'acide gallique et l'infusion de noix de galle, 19 298 MÉMOIRES. Les sources que la renommée désigne plus particulièrement comme ayant quelques vertus, sont : 40 La fontaine de Pougens , près Château-Gontier : 20 Celles des communes de Niort , Chantrigné et Grazay : Leur température est de quatorze degrés au thermomètre de Réaumur ; elles ont un petit goût d’encre et laissent déposer, sur leurs bords et sur les ruisseaux qui en découlent, de l’ocre à l'état pulvérulent ; leur surface est couverte d’une pellicule ridée, ce qui leur fait donner dans quelques endroits le nom de fontaines rouil- lées. Toutes contiennent du carbonate de fer , du sulfate et du car- bonate de chaux , du carbonate de magnésie, du sulfate de soude , de l’hydro-chlorate de magnésie, de la silice etune matière végéto- animale. La source de Grazay est située dans un bassin, marno- manganésien. On trouve également dans ce bassin , du minerai de fer. Les sondages faits dans cette contrée ont démontré que la manganèse per-oxidée , gris de fer et le minerai d’oxide de fer , sont disseminés en rognons ou amas , en général , peu volu- mineux ; queles gites métallifères sont peu abondants , dans chaque partie de terrain, et souvent confondus , et que l’eau, qui filtre à travers les terres de ces lieux , doit nécessairement con- tenir quelques particules de ces métaux et en être imprégnée. Ces sources minérales sont peu employées comme eaux médicinales ; cependant elles pourraient être utilisées dans le traitement des fièvres intermittentes , soit avec ou sans engorgement de la rate et du foie , dans les leucorrhées , les anémies, et, en général , dans toutes les affections où il est convenable d’user de toniques et d'avoir recours aux préparations ferrugineuses. . . . . . . Laval est la ville la plus considérable du département ; sa popu- lation est au moins de dix-huit mille individus , de tout âge, de tout sexe. Le terrain qu’elle occupe était jadis une immense forêt ; elle est située sur la Mayenne qui la partage en deux portions à peu-près égales. C’est le chef-lieu de préfecture. Elle est irrégu- lièrement bâtie ; la plupart de ses rues sont étroites, tortueuses, mal saines , plusieurs d’accès difficiles par leur rapidité, et les voitures ont peine à les gravir. La partie la plus salubre est placée sur le penchant et le sommet d'une colline ; elle a une belle pro- menade , bien plantée , des habitations de construction nouvelle , dignes d’être prises pour modèles. L'autre portion de Laval est séparée par la rivière et semble occuper la plaine ; une nouvelle traverse a été ouverte, et un nou— veau pont construit ; ce qui promet à l'avenir un beau quartier. Il serait à désirer que l'administration fit ouvrir des quais dont la TROISIÈME SECTION. 299 ville est privée et multiplier les communications des divers quar- tiers, par des rues adjacentes, bien espacées et bien alignées. Laval a un collége, une école normale départementale , un com- mencement de bibliothèque et de cabinet de minéralogie , un hô- pital et un hospice. Ges établissements destinés aux malades , aux vieillards infirmes et aux enfants abandonnés auraient besoin de dehors plus larges , d’être mieux placés , plus à l'écart , moins entourés immédiatement d'habitations, et construits différem— ment. Un lieu de refuge est ouvert au repentir et connu sous le nom de Miséricorde. Cette providence du malheur , fondée par la charité chrétienne , dirigée et administrée avec talent , par une ancienne ouvrière, d’un esprit supérieur à sa condition, à vues élevées , à idées larges , généreuses et compatissantes, renferme plus de trois cents filles, victimes du libertinage , de l’inconduite , de la séduc- tion ou insoumises aux volontés de leurs parents, jadis abandonnées sur le pavé, misérables, mal propres, mal portantes. Elle se soutient seule à présent par son industrie ; son activité , suflit à tout ce qui lui est nécessaire, s'agrandit et étend aux dehors ses bienfaits ct sa surveillance sur celles qui quittent la maison pour rentrer dans le monde. Cette orthopédie de l’immoralité , ce redressement du vice , de la déviation morale, mérite des éloges et d'être imitée danses (CES, HAN, TO RONMEMTUN . EE La ville de Château-Gontier est également située sur la Mayenne. Elle est le chef-lieu du troisième arrondissement ; sa po— pulation est au-delà de six mille habitants. Ses promenades sont belles et bien plantées ; la réfection de son pont, l'ouverture de ses quais, ajoutent à son agrément. Son adminstration locale est active pour son embellissement. Ses hôpitaux sont beaux, bien situés et des mieux tenus du département ; son collége est bien construit, bien placé ; il a de belles cours et de beaux jardins. El est à regretter que cette ville n'ait point de bibliothèque et point de salle de spectacle convenable. La prison de cet arrondissement, accolée à la sous-préfecture , est trop petite pour le nombre de détenus ou de passagers qui s’y trouvent habituellement ; elle manque de la distribution et des cours nécessaires au classe- ment des prisonniers : elle n’a point d’infirmeries séparées pour le traitement des malades renfermés , qu’on doit également sur- veiller quoique malades , et n’admettre dans les hôpitaux que par exception. Mayenne est la seconde ville du département , par sa grandeur , et son industrie. Sa population est de douze à treize mille âmes ; 500 MÉMOIRES. elle est divisée en deux portions inégales , par la rivière , dont elle porte le nom. C’est le chef-lieu du second arrondissement. En gé- néral , elle est mal construite, mal bâtie , excepté sur les places ; une seule rue habituellement sale la partage dans toute sa longueur ; c'était naguère la grande voirie ; les rues qui établissent des communications , avec les autres parties , ne sont presque que des trouées tortueuses, qui ne favorisent point assez la libre circulation de l’air. Sa population est trop nombreuse pour son étendue , ses habitations trop rapprochées, ses logements trop petits et sesnom- breux tisserands , teinturiers , lavandiers, et autres manouvriers sont presque accumulés dans les bas quartiers , près les uns des autres. Une nouvelle traverse est ouverte et offre des emplace- ments larges et salubres pour bâtir ; des quais pourraient être ouverts près du nouveau et de l’ancien ponts , et la rivière rendue navigable ; ces embelissements , non-seulement auraient de l’a- vantage pour la santé publique, mais encore pour la prospérité du pays. Les bienfaits de la traverse nouvelle ne se feront sentir en entier , que lorsque des rues droites et larges seront établies pour faire communiquer cette partie avec les autres endroits de la ville ; l'administration municipale s'occupe , avec sollicitude , des moyens de les faire percer. Des fontaines sont créées çà et là dans différents quartiers;; leurs sources diverses donnent suffisamment d’eau pour la prépara- tion des aliments et l’usage des cuisines. Ces eaux séléniteuses , quoique moins salubres et plus crues que celles de la rivière et des ruisseaux voisins, sont cependant d'assez bonne qualité, dans les temps ordinaires : filtrées au charbon ou dans des pierres poreuses, elles seraient plus limpides , moins pesantes et plus agréables au goût , surtout lorsqu'elles sont rendues troubles par les pluies abondantes. L'analyse chimique prouve qu'elles con- tiennent toutes des carbonates terreux et notamment des sous- carbonate de chaux et de magnésie en proportions variables , suivant leur origine. L’allocation accordée pour le curage, les ré- parations et l'entretien des lavoirs , bassins , égoûts , regards et tuyaux de fontaines de trop petit diamètre , n’est point assez forte, et l'entrepreneur trop peu surveillé. . . . . . L'industrie de Laval, Mayenne et Château-Gontier, consiste particulièrement en filatures de coton , de lin, de chanvre , à fa briquer des calicots, des toiles de coton , des toiles, des coutils , à faire blanchir et teindre des toiles, des mouchoirs et calicots. Le tissage mécanique n’est encore innové que dans une manufacture. Les autres villes, bourgs et villages , ne présentent rien de bien TROISIÈME SECTIOX. 501 notable. Sous le rapport de la salubrité , les habitations rurales des communes sont éparses et divisées par hameaux plus ou moins considérables ; les logements sont en général mal construits, les plus utiles principes d’architecture ignorés ; trop petits , pour le grand nombre d'individus qui les occupent , ils n’ont point assez d'ouvertures. L'impôt sur les portes et fenêtres , en opposition avec les lois de l'hygiène, de l’agronomie , frappe particulièrement de sa fatale influence les bâtiments destinés à tous les besoins des laboureurs. Souvent , par l'incurie des fermiers , ils sont entourés de mares, fumiers ou routoirs. Ceux placés dans les landes peu ou point cultivées ne sont que des chaumières ; une porte basse est la seule ouverture qui permette à l’air et à la lumière d’y péné- trer. Dans ces demeures sombres, sont entassées de nombreuses familles exposées, tout le jour, au froid et à l’humidité ou à la chaleur brûlante du soleil. Dans ces loges , elles éprouvent les ef- fets nuisibles d'une fumée épaisse et abondante , produite par la tourbe humide, la bruyère , les genêts et ajones dont ces pauvres gens font leur chauffage habituel. Les maladies endémiques , qui ont lieu dans le département et qui attaquent un grand nombre de personnes, sont les serophules, dans le jeune âge , quoique cette affection s’y rencontre à toutes les époques de la vie ; la phthisie scrophuleuse , chez les adultes , le scorbut pour les personnes anciennes ; la goutte articulaire , soit aiguë, soit chronique ; les fièvres tiphoïdes , devenues presque endémiques au prélude du printemps ; depuis douze ou quinze ans , chaque année, elles enlèvent à leurs parents beaucoup d'individus , le plus ordinairement dans la force de l'âge. Les affections épidémiques les plus fréquentes sont : la rou- geole , la roséole , la scarlatine souvent meurtrière , soit par les maux de gorge , les parotides , qui accompagnent cette maladie , soit par l’enflure et l’infiltration pulmonaire , qui en sont la suite, l'eczéma aigu, la miliaire, l’uturticaire, la variole, la vaccine, etc.(1) (4) Les enfants du peuple des campagnes sont rarement vaccinés; l’ad- ministration n’accorde aucun fonds pour propager ou encourager cetie heureuse découverte, qui loin de se répandre de plus en plus, paraît se res- treindre de jour en jour, quoique jusqu'ici toutes les personnes vaccinées , à ma connaissance, aient été préservées, sans révaccinalion, de toute va— riole ou varioloïde grave. Il est bien à désirer que Messieurs les mem- hres du Conseil- Général sentent toute l'importance de favoriser un si grand bienfait pour l'humanité. 502 MÉMOIRES. Ja varioloïde, le rhumatisme musculaire , artieuiaire et quelque“ fois celui des viscères, et souvent des muscles du thorax qui sont atteints de pleuro-dynies ; les pyrexies intermittentes de divers types, les fièvres graves , les typhoïdes ou ataxo-adinamiques , pernicieuses ; les fièvres typhoïdes avec des bronchites conco- mitantes des pneumonies hypostatiques , les pleurésies , les pleu- ro-preumenies , les pneumonies , les péritonites , les métrites , les métro-péritonites simples ou compliquées , les péritonites ty- phohémiques , les angines tonsillaires , laryngées , pharyngiennes ou bronchiques pultacées, ou sans fausse membrane, accompa— gnées ou non d’éruptions ; les ophthalmies catarrhales ; les catarrhes pulmonaires , bronchiques; la coqueluche opiniâtre , de longue durée , rebelle aux médications. La grippe, les otites , les oreil- lons , les diarrhées , la colo-rectite fréquemment meurtrière et af- fectant beaucoup d'individus , dans chaque contrée. Les femmes de la Mayenne sont plus attaquées qu'ailleurs de scorbut ; leurs dents se gâtent de bonne heure; le froidet plus en- core l’humidité du pays , leur occasionnent souvent des fluxions , répétées sur toutes les parties de la tête ; les névralgies faciales y sont fréquentes, toujours très-douloureuses et très-rebelles aux remèdes anciens ou récents employés pour les combattre ; lasection des nerfs présumés malades ne réussit même pas à en arrèter les tourments. L'érysipèle de la figure , souvent empiré par les lo- tions , ablutions ou applications excitantes , irritantes , chaudes ou froides, les attaque aussi. L’érysipèle phlegmoneux des membres, s'y voit chezelles, comme chez les hommes, et fait souvent vic- times les personnes qui en sont atteintes , les malades ne faisant point connaître assez tôt leur mal pour qu’uneirritation énergique, au centre, en arrête les progrès, ou répugnant aux incisions utiles, ou parce que les chirurgiens sont parfois trop timides pour les grands débridements à faire. Le goître ne grossit que rarement le col des jeunes filles et de leurs mères; la leucorrhée ne tour- mente les femmes que de loin en loin ; les fièvres intermittentes en attaquent beaucoup au printemps et à l'automne ; elles ne sont ni meurtrières ni de très-longue durée. Les fractures, les luxations, les entorses , sont rarement traitées méthodiquement , même dans la classe aisée de la population des campagnes , quoique des officiers de santé instruits et habiles, se trouvent maintenant dans chaque canton. Des rebouteurs , des hommes traitant bannalement les bestiaux , se sont emparés de cette branche de la chirurgie et jouissent, dans la Mayenne , d’une confiance qui ordinairement l'emporte sur les chirurgiens les plus TROISIÈME SECTION. j 505 famés des villes et des campagnes. Cependant, depuis le dernier rapport du jury médical, par M.Lemercier (1),plusieurs ont été pour- suivis et condamnés, et les charlatants de carrefours sont plus ti mides ; mais les jugeurs d’eau sont toujours aussi éhontés , aussi imperturbables , les appliqueurs de caustiques , aussi impru- dents , aussi téméraires. Il se pratique bien rarement, dans le département, de grandes opérations chirurgicales préméditées; peu d'hommes s'occupent spécialement de cette partie. L'habitude qu'ont les chirurgiens de traiter les maladies internes , et quelques médecins de se livrer à la pratique des accouchements et des opérations les plus usuelles , l'usage des uns et des autres, de visiter les malades des villes et des campagnes, font que le temps et les occasions leur manquent , qu'ils ne s’exercent point aux dissections, que leurs mains n’ont ni la facilité , ni l’habileté nécessaires pour les opérations difficiles, et que beaucoup ignorent les progrès récents de la science , qu’enfin, à quelques exceptions près, ils n’ont, ni la dextérité , ni le savoir qu’il faut posséder pour réussir. L'ophthalmie des nouveaux nés, maladie des plus graves, suivie de perte de la vue , lorsqu'elle n'est pas remédiée , est confondue souvent avec la cécité de naissance, si rare. Cette ophthalmie, quoique très-fâcheuse , cède cependant fréquemment à l’applica- tion prompte et répétée, dès son principe , du nitrate d'argent ; affection qui est encore rendue plus dangereuse par l’exigence de la loi, qui veut que l'enfant soit présenté , dans les trois jours , à l'officier de l’état civil. L’hygiène de l’enfance réclame une mo- dification, sous ce rapport, comme sous celui des inhumations..….… Les maladies qui attaquent les bestiaux , y sont nombreuses, quoiqu’elles dussent l'être encore davantage , d’après l'usage pernicieux qu’on à généralement de les entasser , dans des étables mal propres , étroites, de planchers bas, sans croisées, sans que nulle part on ait l’attention de renouveler et de purifier l'air et les litières toujours rares et fangeuses, et enfin l'habitude de les sortir inconsidérément , pour les mener boire ou les mettre dans les pâ- : turages , ce qui doit nécessairement, en arrêtant ou supprimant la transpiration , altérer la santé des animaux. Tout doit contribuer à engendrer des maladies que l'hygiène préviendrait, mais que (1) Imprimé dans le No du 4 mars 1837, de la Gazette Médicale. 504% S MÉMOIRES. l'ignorance et l'ineptie des empiriques , demandés, de préférence aux vétérinaires, aux hippiatres , rendent souvent mortelles. Ainsi se développent, se propagent, se répandent des épizoo- ties, qui , rarement malgré cela , deviennent générales, qui se- raient bien moins fréquentes, si on faisait des fumigations guy- tonniènes dans les bergeries et écuries, chaque fois qu’elles exhalent des odeurs méphitiques et que la contagion est à craindre. Les altérations de santé les plus dangereuses des bestiaux , sont les charbonneuses , les pneumonies ou fluxions de poitrine , les pleurésies simples et doubles, les entérites ou in- flammations d’entrailles ; les météorismes , dus à la formation presque instantanée d’une grande quantité de différents gaz, de l'acide sulfhydrique (1), les indigestions d’herbes fraîches , pour les mammifères ruminants; pour les solipèdes , les tranchées, la pousse, les ophthalmies passagères et intermittentes ; la perte de la vue momentanée ou constante , connue sous le nom d'affection lunatique ou fluxion périodique , la morve, qui se transmet à l’homme comme aux chevaux , et la phthisie tuberculeuse. Les maladies du foie, avec ou sans hydatides, font périr un grand nombre de moutons , chaque année , dans le départe- ment ; les pâturages et le sol humides , en sont la principale cause. Les affections du conduit digestif et des organes de la respiration font crever beaucoup de Gallinacées ; leur perte est souvent un objet important pour les fermiers du pays , qui spéculent ordinaire- ment sur le produit des volailles. La rage, pour l'espèce canine , soit qu’elle se montre spontané- ment , soit qu’elle soit produite par la morsure de carnassiers qui * transmettent cette cruelle maladie à l’homme ou aux animaux, 0C— casionne,chaque année,dans la Mayenne,bien des pertes de bestiaux et bien des regrets de famille. La cautérisation avec le fer rouge , faite immédiatement après la morsure , et le débridement préalable toujours indispensable , pour bien atteindre , neutraliser et dé— tuire en entier et sur le champ, le virus et le tissu sur lequel il a été déposé, est la seule médication raisonnable que la médecine connaisse. Ce traitement préservatif n’est presque jamais employé à temps ; on voit encore avec peine, dans cette horrible ma- ladie , comme dans la plupart des autres affections , l'empire des ignorants, des donneurs de breuvages, des conseilleurs d’omelettes (1) Un gros d’ammoniaque , dans quatre onces d’eau , fait disparaître peu à peu le gonflement. TROISIÈME SECTION. 505 mystiques , être très-grand sur lhabitant simple et crédule des campagnes. L'homme instruit , le médecin honnête , n'est jamais appelé que le dernier ; il ne l’est même le plus souvent , que lors- que les premiers symptômes d’hydrophobie s’annoncent, que le danger est pressant, qu’il attire les regards de l'autorité , qu'il fixe l'attention des magistrats et que l'administration exige son concours. Qui n’a pas vu périr plusieurs enragés, qu’on eût pu sauver si on avait employé, à temps, la cautérisation immédiate avec ÉD OUEET Me te © + cie 506 RRIILRLRRR AR IIRLORIIRLILOPIBPRIPLLIRILIROR PRRLLLIRLIILRILLIESESLIISSSS QUATRIÈME SECTION. HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE. —— sn À GO SÉANCE DU 19 SEPTEMBRE 1839. Présidence provisoire de M. TRrOLLEY, Vice-Président du Congrès. La séance est ouverte à 9 heures. M. Trorzey, Vice-Président du Congrès, occupe le fauteuil , comme Président provisoire , pour l’organisa- tion du bureau; on procède à l'appel nominal et l'on constate le nombre des membres inscrits à la Section , et présents à la séance. Mais avant de passer à l’organisation définitive du bureau , un membre fait observer que, vu le grand nom- bre de personnes inscrites , il serait bon de nommer trois Vice-Présidents et d’adjoindre au Secrétaire provisoire, trois autres Secrétaires. La proposition est adoptée. Le scrutin s'ouvre pour la nomination du Président et des Vice-Présidents ; le dépouillement des bulletins donne le résultat suivant : M. le Vicomte de Gurrox de la VizzeBerGe, Président. MM. de Cussy, Pozzer et Quenrin , Vice-Présidents. M. l'abbé CneverEaAu est maintenu comme Secrétaire. MM. Ducuazpais, de LasicoTiÈre, de la VILLEGILLE, QUATRIÈME SECTION. 307 présentés par M. le Secrétaire-général , pour être Secrétaires-adjoints sont confirmés par acclamation. En conséquence , M. le vicomte de Guiton de la Vil- leberge prend place au fauteuil, remercie la Section de la confiance qu’elle lui témoigne, ainsi que le bu- reau provisoire. . Le bureau de la 4° Section est définitivement cons- tilué. M. le Président donne lecture des questions inscrites au programme de la Section d'Archéologie et d'Histoire. Sur la proposition de plusieurs membres, il est pris note des mémoires et communications annoncées sur différentes questions. M. l'abbé Voisin fait hommage au Congrès de deux opuscules dont il est l’auteur , l’un intitulé : Origines Blesoises , Vautre : Notice sur le Matoval. M. Pitton- Després fait également hommage au Congrès de ses Etrennes Couterçaises Deux Mémoires de M. Ducrest de Villeneuve sont déposés sur le bureau et confiés à l'examen de la Sec- tion , lun à pour titre : Mémoire sur l'histoire de Bretagne ; autre : Mémoire sur le roman histori- que. Une commission sera nommée pour examiner ces deux Mémoires , et en rendra compte à la Section. Au Congrès Scientifique de Clermont , M. Gonnot , l'un des membres de cette assemblée, demanda qu'un travail fût entrepris sur la valeur de l'argent, des grains et des denrées aux différentes époques du moyen- âge. M. de Caumont s’engagea alors à faire des recher- ches sur cet objet. Pour remplir cet engagement , M. de Caumont lit une notice extraite des écrits laissés par M l'abbé de Larue, sur le prix du blé et des autres den- rées à Caen, depuis Saint-Louis , jusqu’à 1617 , que nous reproduisons ici. 508 QUATRIÈME SECTION. MESSIEURS , L'année dernière, M. Gonnot, membre du Congrès Scientifique, demanda que des recherches fussent présentées sur la valeur de l'argent et du blé aux différentes époques du moyen-âge ; il en- gagea les membres du Congrès, occupés de recherches historiques, à entreprendre ce travail chacun dans sa localité. Pour répondre à cette invitation, je m’engageai, l’année dernière (v. la p. 129 du Compte-rendu), à présenter au Congrès de 1839, le tableau de la valeur du boisseau de blé en bassé-Normandie, à partir du xume siècle. Je vais donc le faire, Messieurs, en m'aidant des notes manuscrites de M. l'abbé de Larue , que j'ai acquises conjointement avec MM Galeron et de Ste.—Marie. Ce tableau du prix du blé et de quelques autres denrées à Caen, a été fait d’après l'étude d’un grand nombre d'actes que feu M. de Larue avait eus à sa disposition ; les prix seront toujours in— diqués en livres tournois. On admettra aussi que sous les deux premières races de nos rois, jusqu’à St.-Louis, le Marc d'argent fin monnayé a toujours valu 48 sous parisis ou 60 sous tournois. Le sac de blé répond alors communément à la dixième partie du mare d'argent , c'est-à-dire , à six sous tournois, et le boisseau, à neuf deniers. Voici maintenant le résultat de nos recherches, à partir du règne de St.-Louis : 1229. Rente d’un setier de blé, (le setier est de douze boisseaux) vendue six francs. L'argent produisait dès-lors un intérêt , au de nier dix. Par conséquent, les six livres donnaient douze sols par an. Le blé valait donc un sou le boisseau. Même année. Rente de soixante-douze boisseaux de blé, quatre chapons , soixante œufs et neuf sols d'argent , vendue cin- quante francs. 1249—1276. Le boïisseau à un sol. En général, pendant le reste de ce siècle , la rente d’un setier ou douze boisseaux de blé est vendue depuis cinq livres dix sols jusqu’à sept livres dix sols. Alors l'argent étant au denier dix , on doit trouver facilement le prix du blé et voir que le minimum est douze deniers le boisseau , et le maximum quatorze deniers et demi. 1509. Rente de dix sols, vendue cinq francs. QUATRIÈME SECTION. 309 4522. Une acre de terre donnée par bail de sept ans, est de dix boisseaux de blé, à Langrune. 1326. Le boisseau est à un sol trois deniers et seize chapons sont vendus seize sols quatre deniers. 1366. Rente de six boisseaux , vendue cinq livres , par consé- quent , le blé à un sol huit deniers. 1368. Le tonneau de cidre, füt et jus, cinq livres. 13580. Rente de dix francs , vendue cent francs. Rente de douze boisseaux de blé, vendue dix livres et par conséquent le boissean à un sol huit deniers. 1581. Le boisseau est depuis un sol six deniers jusqu’à deux sols un denier. Deux setiers de pommes (48 boisseaux au setier), vendus cinquante sols. Le tonneau de cidre , fût et jus, sept livres ou sept livres six sols. 700 livres de fil quinze francs. L'’acre de terre louée , sept boisseaux et demi. Rente de dix livres cent francs. 1382. Le boisseau depuis un sol neuf deniers jusqu’à deux sols trois deniers. Le tonneau de cidre de quatre livres dix sols à cinq livres dix sols. Rente de cinq livres , vendue cinquante livres. Rente de vingt- deux livres , deux cent-vingt livres. 1587. Le boisseau à deux sols. 1395. Le boïisseau depuis un sol huit deniers jusqu'à deux sols. 4400. Le boïsseau à un sol six deniers. 4401. ——————— à un sol huit deniers. 4404. —————— à un sol trois deniers. 1419. ——— à deux sols. Rente de six livres , vendue soixante livres. 1415. Le boisseau à un sol huit deniers. 1414. à un sol six deniers. 1418. —————— à un sol huit deniers. 1490. ————— même prix. Il faut observer ici qu’en cette même année, le roi d'Angleterre, Henri V , ayant conquis la Normandie , changea le boisseau , en ordonnant qu'il serait, dans toute la province, de la même dimen- sion que celui d’Arques qui était de quatorze pots. Depuis cette époque , on trouve les deux mesures souvent mentionnées dans les contrats. La différence entr’elles est d’un sixième, de manière qu'il fallait six boisseaux de l’ancienne mesure pour en faire cinq de la nouvelle. 510 QUATRIÈME SECTION. 1425. Le boisseau , ancienne mesure, se vend vingt denicrs , avec la nouvelle vingt-quatre et vingt-cinq deniers. 1424. Le boisseau à deux sols et deux sols un denier, nouvelle mesure. — Le vin de Bourgogne , trois sols quatre deniers le pot. — Un tonneau de cidre, de six livres cinq sols à sept livres. — Le louage d'un cheval, vingt deniers pour un jour. — Le boisseau d'oignons, trois sols. — La livre de chandelles dix-huit deniers. — Quatre pores gras , six livres sept sols. — Douze moutons , six livres. — Dix poulets, dix sols. — Une genisse , trois livres dix sols. — Douze livres de lin, vingt-sept sols. ù 1427. Le boisseau depuis dix-huit deniers jusqu'à vingt-cinq. — L'orge à dix deniers et l’avoine à cinq et six deniers. — Même prix pendant le siècle suivant. 1429. Le boisseau depuis deux sols sept deniers jusqu'à trois sols six deniers. 1436. Le boïisseau depuis vingt deniers jusqu’à trois et quatre sols. 1457. Mème prix. — Trois bœufs gras, dix-sept livres dix sols. — Six peaux de parchemin , six sols six deniers. 1443. Le boisseau deux sols. 1448. Mème prix. — Rente de deux livres, vendue vingt livres. 1449. Vingt bœufs gras , cent-trente-deux livres dix sols. — Neuf acres de terre à St.-Contest, fieffées pour quatre livres douze sols six deniers de rente. 1460. Le boisseau un sol huit deniers. 1467. \ 1468. 1471. Ÿ Le boisseau, ancienne mesure , deux sols , et nou- | velle mesure , deux sols six deniers. * Le boisseau, ancienne mesure, deux sols six de- 1473. niers, et nouvelle mesure , vingt-deux deniers. — Le 1474. tonneau de cidre, trois livres cinq sols. — Dix-neuf livres de beurre , huit sols. 1477. Le Boisseau , ancienne mesure , quinze deniers , nouvelle mesure , vingt deniers. — Le poivre , six sols la livre. — Le cha- pon , un sol. — Le poulet , neuf deniers. — Le cent d'œufs, vingt deniers. — Le cent d’alouettes , cinq sols. 1418. Le boisseau à ving-deux deniers , ancienne mesure ; mesure nouvelle , deux sols six deniers. 1479. Le boisseau à vingt denicrs , ancienne mesure ; mesure nouvelle , vingt-cinq deniers. QUATRIÈME SECTION. 311 1481. Le boissseau à deux sols, ancienne mesure ; deux sols six deniers , nouvelle mesure. 1288. 1498. Depuis 1494 jusqu’en 1518 , le prix estle même que ci-dessus. 1519. Le boisseau à deux sols au plus bas, et trois sols au plus haut. 1520. Le boisseau à dix-huit deniers, ancienne mesure. — Deux sols , mesure nouvelle, 4321. Le boisseau à trois sols six deniers, ancienne mesure. — Cinq sols, mesure nouvelle. 1522. Le boisseau à trois sols six deniers , mesure nouvelle. 1536. Le boisseau à deux sols six deniers, mesure nouvelle. — Vingt-six deniers, ancienne mesure. 1538. Le boisseau depuis trois sols jusqu’à quatre sols. 1544. Les gages d’un valet de harnais , vingt-quatre livres. — D'un jardinier , vingt-cinq livres. — D’un berger , cinq livres. — L'argent tombe cette année à huit p. 0/0. À Même prix. 1546 le boiss. de 205. à 22 4611 le boiss. à 36 sols. 4547 — à 4 10 4612 — à 21 4564 — de 5 à 6 14613 — à 27 4566 — à 14 sols. 1614 — à 56 4567 — à 15 1615 — à 30 1568 — à 11 1616 — à 28 1569 — à 12 4617 *— à 4 AW70NmNE- au 44 1648 — à 45 4571 — à 14 1619 — à 22 41672 — à 3 4 den. 1620 — à 24 4573 — à 28 sols. 1621 — à 51 1574 — à 15 1622 "— à 58 1575 à 13 1625 — à928 45767 — à 22 1624 — à 37 4577 — à 20 1625 — à 51 à ETES à 135 1626 — à 32 1579 — à 17 1627 — à 51 4600 — à 23 1628 — à 35 1601 — à 21 16929 — à 51 4602 — à 34 1630 — à 45 1603 — à 30 1631 — à 33 4604 — à 32 1632 — à 33 1605 — à 24 1633 — à 56 1606 — à 22 1655 — à 26 1609 — à 41 1658 — à 44% 1608 — à 32 1661 — à 3liv 1609 — à 22 1662 : — à 58 sols 1610 — à 29 1663 — à 45 312 QUATRIÈME SECTION. M. de Lasicorière fait observer qu’un travail com- plet, sur les variations dans le prix des denrées au moyen- âge , sur les disettes survenues à cette époque , et sur les moyens employés pour venir alors au secours des popu- lations souffrantes, offrirait le plus grand intérêt, et qu'il serait à désirer qu'on fit un pareil travail. M. Borrin s'engage à donner une notice sur le prix des denrés, pendant le moyen-àâge, pour les pays de Lille et de Douai. M. le Président, sans vouloir aller en avant sur les re- cherches dont le résultat sera présenté , fait observer que ces variations proviennent presque toujours du plus ou moins de distance des lieux d’où l'on ürait les denrées et des entraves que rencontrait plus ou moins dans le transport de ces mêmes denrées. M. Pozuer demande que, pour l'intelligence des mé- moires présentés sur ce sujet , il soit fait un travail sur le rapport des mesures anciennes avec les mesures nou- velles , et sur la valeur relative de l'argent aux différen- tes époques du moyen-âge : travail qui devrait accom- pagner les mémoires renvoyés aux pièces justificatives. La Section se réunit à M. Pollet pour émettre le même vœu. La séance est levée. SÉANCE DU 14 SEPTEMBRE 1839. Presidence de M. le Vie. DE GUITON DE LA VILLEBERGE. À neuf heures,M. le Président prend place au fauteuil, assisté de MM. les Vice-Présidents et Secrétaires de la Section. M. le colonel QuenTiN donne lecture d’un travail , extrait d'un ouvrage inédit, intitulé : De la Numismati- QUATRIÈME SECTION. 509 queet de la Glyptique, aux différentes époques de l'art chez les anciens et chez lés modernes. Arrivé à l’époque du moyen-àge, M. Quentin a re- marqué que les limites fixées, par le Dictionnaire de l’Académie française, pour la durée de cette époque, éta- blissaient confusion avec le Bas-Empire etla Renaissance ; il s'exprime en ces termes : Les savants ne sont pas d'accord sur les limites du moyen-âge : L'Académie française a, dans son Dictionnaire, fixé les dates de cette époque aux années 475 et 1453. Ainsi cette époque commence à la chute de Rome, et finit à la chute de Constantinople. C’est une période de dix siècles. Or ce terme est bien long pour être com- pris dans une seule époque et sans divisions. Un écrivain,auquel nous avons reproché un paradoxe en matière d'art, mais à qui nous n’en reconnaissons pas moins le mérite d’avoir étudié l'antiquité et de la savoir, a fait, sur la première des dates fixées par l’Académie, une réflexion judicieuse : « Ceux, dit M. Granier de Cassagnac, qui allégueraient l'opinion » de l’Académie sur le sens du mot moyen-äge , tomberaient évi- » demment dans deux erreurs : 40 ils confondraient le moyen- ». âge avec le bas-empire; 2e Ils feraient tomber l'empire romain » un an trop tôt. Le dernier empereur d'Occident, Augustule, » n'ayant été pris et relégué dans le château de Lucullane, par » Odoacre, roi des Herules , qu’au mois de septembre 476, d’après » l’art de vérifier les dates. » (1) Cette critique est juste. Elle eût été plus complète et plus ins— tructive (2) si elle eût indiqué la date qui sépare le bas-empire du moyen-âge. Car le commencement de cette dernière époque est l’objet d’une discussion sur laquelle on ne s’entend point, et la fin n’est pas moins susceptible de discussion que le commencement. Les Bénédictins de Saint-Maur , dans leurs écrits sur la diploma- tique et la paléographie , ont émis sur les bornes du moyen-âge une opinion différente de celle de l’Académie.Dom de Vaines, qui a ré- sumé ces écrits dans son Dictionnaire raisonné de diplomatique , s'exprime ainsi : (page 16, tome 4er.) « Par la haute antiquité , il faut » entendre celle qui précède l'établissement de la domination fran- (1) Voyez le premier chapitre. (2) Feuilleton de la Presse, du 5 février 1839. 510 QUATRIÈME SECTION. » çaise ; par moyen-âge , les siècles suivants jusqu'au Xe ; par bas- » temps, la durée subséquente , mais antérieure à la renaissance » des lettres. » D’après cette définition , le moyen-âge commencerait dans l’an- née 420 avec Pharamond Ier, roi des français, et serait ainsi anté- rieur de 56 ans à la date fixée par l'Académie. La confusion du moyen-âge avec le bas-empire, subsisterait donc et serait même d’un demi-siècle plus longue. Quant à la fin du moyen-âge, elle précéderait de 4 siècles et demi la date fixée par l’Académie ; et ce sont ces 4 siècles et demi auxquels dom de Vaines a donné la déno- mination de bas-temps. M. Dumersan, dans ses Éléments numismatiques, paraît avoir sur l'époque des bas-temps, une opinion toute autre que celle de dom de Vaines. En parlant du denier et du quinaire d’or, il ajoute : (page 104.) « Quelques pièces d’or de plus grands modules se trou- » vent sous les empereurs ; il en existe même des bas-temps de di- »-mension fort grande. Il est propable que ces pièces, nommées » communément médaillons d’or latins, n'étaient pas des monnaies. » Puisque ces médaillons d'or sont appelés latins, il y a tout lieu de penser qu'ils appartiennent aux derniers empereurs romains qui ont précédé la chute de l’empire d'Occident; car après cette époque , les empereurs ne sont plus censés romains. Ils sont grecs et byzantins. Or, à commencer de Dioclétien et de Constantin, l’on voit les médaillons d’or de grand et de petit module devenir assez fréquents dans la Numismatique, jusqu’à Constantin III. Et ces médaillons, qui peuvent être justement appelés latins, puisque les légendes en sont latines, sont antérieurs à la chute de l’empire d'Occident, par conséquent Les bas-temps, bien loin d’être posté- rieurs au moyen—âge, lui seraient antérieurs. Ce qui confirme cette conséquence , c’est l’assertion de M. Du- mersan sur les dimensions fort grandes de quelques médaillons des bas=temps. En effet, il existe, de Justinien Ier, de très grands mé- daillons d’or et de bronze dont les lettres sont latines. Or, Justi- nien , né 7 ans seulement après la fin, non de la vie, mais du règne d'Augustule et qui se trouve, pour ainsi dire, son contemporain, doit ainsi, d’après l'assertion de M. Dumersan sur les médaillons, appartenir aux bas-temps. Après Justinien, le module ordinaire revient presque toujours seul. Quelques médaillons, d’or de petit module, reparaissent à compter de Basile Ier, en 866. Mais ces médaillons ne peuvent être considérés comme latins, puisque les légendes en sont grecques. Le module d'ailleurs est loin d’être grand. Ces médaillons sont QUATRIÈME SECTION. 511 appelés bysantins , et il est évident que ce n’est pas de ces médail- lons dont M. Dumersan a voulu parler. Au milieu de ces opinions toutes contradictoires , qu'il nous soit permis d’en établir une que nous appuyerons sur la nunismatique et l’histoire. Elle sera exempte de la confusion reprochée à la limite fixée par l’Académie, et fixera avec probabilité les incertitudes sur l’époque des bas-temps. Un grand événement nous parait séparer le bas-empire du moyen-âge , et cet événement est la fondation de l'empire de Char- lemagne. Ce prince fut couronné empereur des Romains le 25 dé- cembre 801. Or le bas-empire avait alors cessé d’être latin , il était devenu bysantin. La numismatique vient ici au secours de l’histoire pour appuyer ces deux faits. L’un est justifié par l'introduction des lettres grecques dans les légendes des monnaies de l'empire d'O- rient, introduction dont les premiers signes parurent sous les 2 Ti- bères dans les 20 dernières années du VIe siècle. L'autre fait est établi par un sceau frappé à Rome, à l'effigie de Charlemagne, sceau publié par Leblanc et qui est placé aujourd'hui dans la col- lection des médailles de la bibliothèque royalé. Ce sceau porte la légende latine D. N. Karlus imp. perpetuus et au revers la porte d’une ville surmontée d’une croix, avec cette légende d’une signification importante et positive : Renovatio Romani imperü et à l’exergue, Roma. Plusieurs monnaies de Charlemagne , frappées à Rome, lui donnent le titre d’empereur Karolus imp. et portent au revers l’effi- gie de saint Pierre avec la légende S. C. S. Petrus. Voilà donc le renouvellement de l’empire romain constaté par des monuments numismatiques, qui nous semblent indiquer d’autant mieux le commencement du moyen-âge, qu’il l'exempte de toute confusion avec le bas-empire , et avec Les bas-temps. Mais comment désigner le temps écoulé depuis la chute de l’em- pire romain , jusqu'à son renouvellement par Charlemagne ? Ce temps forme une période de 325 ans, pendant laquelle.s’éleva en Italie la domination des Lombards, et dans les Gaules celle des Francs et de nos Rois de la première race. Cette époque ne pour- rait-elle pas être appelée celle des bas-temps? Une telle dénomi- nation nous paraïîtrait d'autant plus justement appliquée , qu'aucun des temps postérieurs ne fut, autant que celui-ci, entaché d’igno- rance et de barbarie. Et d’abord le temps écoulé depuis le Ile siè- cle jusqu’à la renaissance, auquel dom de Vaines a donné la déno- mination des bas-temps , a été supérieur en civilisation aux deux siècles qui se sont succédés depuis le règne de Justinien , jusqu'au couronnement de Charlemagne ; et si, comme on doit le croire, le 312 QUATRIÈME SECTION. moyen-âge doit être considéré comme une époque intermédiaire entre la civilisation des anciens et la civilisation des modernes, l’é- poque qui a précédé Charlemagne peut encore mieux que les quatre siècles qui ont précédé la renaissance, recevoir la dénomi- nation des bas-temps. L'on ne peut contester que ce ne soit à dater de Charlemagne, que la civilisation éteinte en [talie, depuis la con- quête de Rome par les barbares, commença à renaître et à s’éten- dre parmi les peuples de l'Occident ; et si, par exemple, on compare les mœurs de notre première race,dans le VIe siècle,avec celles de la deuxième et de la troisième, dans les VIILe et XIe siècles, l’on restera convaincu que la civilisation de la première race ne figure qu'au dernier rang dans les fastes de notre histoire. La dénomination des bas-temps conviendrait d'autant mieux à la cinquième époque, que cette époque est celle de la chute de Part, et coïncide ainsi avec celle de la civilisation. Au reste, il importe peu que l’on reconnaisse une époque dite des bas-temps , et nous ne reprocherons pas à l’Académie d'avoir négligé d'en faire mention dans son Dictionnaire ; mais il importe d'éviter la confusion des époques, et par conséquent de séparer , par de justes limites , le moyen-âge du bas-empire. La date fixée par l’Académie, pour la fin du moyen-âge , établit la même confusion d’époques que celle fixée pour le commence- ment. Cette confusion existe avec l'époque de la renaissance. La chute de l'empire grec , en 1453, est tardive. La renaissance avait précédé la prise de Constantinople par Mahomet IX, de plus d’un siècle et demi. Cimabue et le Giotto, son élève, sont nés dans le XIIe siècle. Cimabue est mort l'an 1500 et le Giotto en 1356. Or ces deux peintres célèbres comptent nécessairement dans l’époque de la renaissance, puisque Cimabue même aurait le droit d’en être regardé comme le fondateur. M. Raoul Rochette, en parlant de l’art toscan, comme du prin- cipal phénomène du génie moderne, donne un aperçu des travaux de cet art dans son Cours d'archéologie, et dit : (page 197,) « qu'ils » s’exécutèrent dans la période qu'on appelle de la Renaissance qui » s'étend du XHEX au XVIe siècle. Ils sont tous, ou à peu près tous, » renfermés entre Giotto et Michel-Ange. » Le Giotto profita des leçons de Cimabue pour imiter la nature. J1 bannit, de l’art de peindre, cette manière grecque du moyen-âge, qui, pour nous servir de l'expression naïve de Vasari, était goÿfa, ce qui veut dire à la fois inélégante et disgracieuse. Le Giotto in- troduisit l'art de peindre d’après nature , qui était perdu depuis un grand nombre de siècles. { Ghe molti centinaia d'anni non s’era usate.) QUATRIÈME SECTION. 515 C'est donc à juste titre que le Giotto est compris dans la Renais- sance , comme le restaurateur de la peinture. Nous venons de voir que la mort de ce peintre a précédé la date de 1453 de 117 ans. La fin de Cimabue, en 1300, est d’un siècle et demi antérieure à cette même date. Nous sommes donc fondés à la considérer comme tardive. Xl est évident que,dans les limites fixées par l’Académie pour la fin, comme pour le commencement du moyen-âge, il y a confu- sion d’époques, la première avec le bas-empire , la deuxième avec la renaissance. Une partie des monuments les plus remarquables de la renais- sance , ont été exécutés antérieurement à l’époque de 1453. Nous nous contenterons d’en citer trois pour exemple : 10 Les fameuses portes de bronze de l’église de Saint-Jean à Florence, qu'Andrea Pisano sculpta sur les dessins du Giotto, et qui, après 22 ans de travail , furent terminées en 1339 ; 20 Les autres portes de bronze, plus fameuses encore que Lorenzo Ghiberti sculpta pour la même église, et que Michel-Ange trouvait si belles, qu'il les jugeait di- gnes d’être les portes du paradis ; 3° Enfin la coupole de Sainte Marie del Fiore à Florence, par Brunelleschi, coupole magnifique, à huit faces, objet de l'admiration de Michel-Ange et qui lui ins— pira l’idée de la coupole de Saint-Pierre. Ces chef-d’œuvres et beaucoup d’autres, sont tous plus ou moins antérieurs à l’année 1453. En nous bornant à une seule date, nous remarquons que les portes du Pisan sont plus anciennes de 114 ans. L'Académie, en choisissant la date de 1455, a voulu rattacher la fin du moyen-âge à un grand événement politique, comme elle l'a fait pour son commencement. Mais l'événement devait toujours coïncider avec l'époque qui a succédé au moyen-âge. Or, qu’a de commun la prise de Constantinople avec la renaissance ? La domi- nation ottomane a-t-elle fait renaître la civilisation et les arts dans l’Orient?- Au contraire, elle les y a maintenus dans un état de barbarie encore plus profond. L'Orient n’a participé en rien à la renaissance, pas même par le renvoi des artistes grecs qui, à l’é- poque de 1453, étaient très-inférieurs aux artistes italiens. Si donc on veut rattacher la fin du moyen-âge à un événement politique, ce n’est pas dans l'Orient qu'il faut le chercher, c’est dans le pays même qui a vu finir le moyen-âge et commencer la renaissance. Or ce pays c’est l'Italie, et puisque c’est dans l'histoire de Rome que l’on a pris l'événement auquel se rapporte le com- mencement du moyen-âge, soit en 476 à la chute d’Augustule, comme le veut l’Académie, soit, comme nous le proposons, en 801, au couronnement de Charlemagne ; pourquoi ne pas prendre en- 514 QUATRIÈME SECTION. core,dans l'histoire de Rome,un événement qui indique la fin pré- cise du moyen-âge ? Cet événement est le rétablissement du Saint- Siége à Rome, sousle pape Grégoire XI, en 1375. La résidence des papes à Avignon, pendant plusieurs années, avait privé Rome de toute sa splendeur ; le retour des souverains pontifés dans la capitale du monde chrétien la lui a rendue, ét a dû, par une conséquence nécessaire, influer avantageusement sur la re— naissance de la civilisation, de la littérature et des arts. C’est à ce retour que sont dues les plus magnifiques œuvres des arts, Saint-Pierre de Rome, dont les murs furent élevés par le Bra- mante et la coupole par Michel-Ange. Cette époque coïncide, à 44 ans près, avec l’existence de Cosme de Médecis, qui fut le protec- teur des arts à Florence, et qui contribua puissamment à les faire fleurir. Vasari, qui a écrit la vie des artistes de la renaissance, jusqu’en 1568,a partagé cette époque en trois périodes.La première commence avec Cimabue, né en 1240 et le Giotto son élève. La deuxième, avec Jacopo della Quercia dont il ne fait pas connaître la paissance , mais qui arriva à un âge avancé et mourut en 1418. La troisième, à Léonard de Vinci, né en 1452. Or, la première pé- riode n’était pas encore terminée, que le moyen-âge cessa donc alors d'exister, et cette époque dut céder la place à celle de la renaissance. L'on nous pardonnera d’avoir discuté longuement sur les limites du moyen-âge; mais nous ne pouvions nous exposer au reproche d’avoir attaqué légèrement et sans examen l’autorité de l'Acadé- mie, dans un cas surtout où l'opinion générale est d’accord avec cette autorité ; car nous ne le dissimulons pas, les historiens ac- tuels du moyen-âge en ont étendu la durée jusqu’à la prise de Constantinople, et ont ainsi encouragé une erreur populaire, celle de croire que cé sont les artistes grecs, venus en Italie après la prise de Constantinople , qui ont fait renaître les arts. Or il n’en est rien. De tous ces artistes, aucun n’était comparable, ni pour la peinture, ni pour la sculpture, ni pour l'architecture, ni pour la gravure , aux artistes Italiens; et l'honneur de la renaissance des arts appartient tout entier aux artistes de l'Italie. Si les considérations que nous venons de présenter sont ad- mises, le moyen-âge sera séparé du bas-empire , des bas-temps et de la Renaissance. Toute confusion d’époques cessera; et chaque époque,renfermée dans ses limitesnaturelles,ne sera pas confondue avec celle qui la suit ou qui la précède. Il convient d'autant mieux d'éviter cette confusion , que le moyen—âge fut une époque d'art nouvelle. A la chute de l’art an- QUATRIÈME SECTION. 315 tique, succéda un art nouveau, art appelé improprement gothique, qui a un caractère particulier , et qui appartient exclusivement au moyen-âge, Ce mémoire ne donnant lieu à aucune discussion, M. le Président invite ceux des membres qui auraient quelques observations à faire sur la 1° question du Pro- gramme à les présenter. M. l'abbé Voïsin, qui s’est occupé des Antiquités Cel- tiques et des limites primitives de l’Armorique et du Maine, etc, communique à l'assemblée le résultat de sesrecherches à ce sujet : 1° « À l’époque de l'invasion de la Gaule par Jules César , quelles étaient les limites des provinces Armori- caines ? » L'exposant croit que la question peut être considérée sous le point de vue général : Les limites de l’Armorique, à l’époque de la conquête ; et ,sous le point du vue parti culier : Les limites de chacune des provinces Armori- caines. La question, considérée sous le premier point de vue, est résolue de la manière la plus satisfaisante par l’au- teur de l'Histoire des Gaules (t. 2.p. 37 ). La confé- dération Armoricaine comprenait la presque totalité des nations qui tiraient leur origine des premiers Xymris et représentait la conquête de ces premières hordes étrangères. Les provinces Armoricaines étaient le noyau fédéral oùserattachaient , dans les circonstances impor- tantes les Santons , les Pictons , les Lemovices et les Cenomans. Elles s’étendaient de la Seine à la Loire , se- lon le témoignage de César ,( 7° liv. des Comm) , du géographe Ptolémée, de l’auteur de la Vofiee de l'Em- pire, d'Idace , de Marius Aventicencis, de l'auteur de la vie de St.-Germain et de Danville, etc... “Quant à la question considérée sous le second point de vue , l'exposant pense que ces provinces avaient un système de, divisions territoriales presque semblable. 516 QUATRIÈME SECTION. Et, pour faire mieux connaître les divisions respectives de chaque province , il demande à communiquer un système appliqué à la cité des Cénomans , prétendant qu'il en a été de même pour les cités voisines. Les Celtes et les Romains ont une origine commune ; leurs langues, leurs religions offrent une ressemblance frappante : le Civitas des latins est le Cwmwd , usité dans les Dialectes Galliques : Les Centons sont les cen- iuries des latins etles ribes sont les tribus d'autrefois. La cité des Cénomans a eu pour chef-lieu #in-dinum ou Mur-cin, forteresse auprès d’Ælonnes ; son ressort comprenait de dix lieues de diamètre , le rayon de cinq lieues ou Pierres. De là les Quintes du Mans ou la ban- lieue et le bourg de la Quinte sur les bornes de ce terri- toire. Au centre de chaque canton, se trouve la tour du centre , à quelques ?ierres de distance le bourg et la de- meure du chef. La cité comprenait le département actuel de la Sarthe , elle était bornée par de grandes solitudes et de vastes forêts conservées la plupart jusqu'à nos jours. Cette cité faisait partie de la Celtique ou partie centrale de la Gaule. (César liv. 1. p. 1. des Comm. }et se trouvait la dernière de la confédération particulière des Aulerkes ; d’où le nom de Cénoman, ceux au mit- lieu de la Celtique; mais les derniers d'entre les Au- lerkes. À VEst, était le Pagus Fendocinus quel'on peut traduire les Ceénomans à l'Est, ou la partie Orientale du Maine ; à l'Ouest , les £rviens ou Cénomans à l'Oc- cident ; au Midi , les Labrocins, dont le chef-lieu était Laboratorium des latins ( canton du Lorouer ) que l’on traduit très-bien le Haut-Maine ; et enfin au Nord, les Venuses dont le nom signifie le Pas-Maine. Au Nord de cette cité,se trouvaient encore les Diablintes ou ceux du rivage septentrional, au Midi, les Ændegaves,ceux du pays arrosé par dix fleuves, etles Turons, ceux du pays haut. M. de LasazLe confirme quelques parties de ce QUATRIÈME SECTION. 517 système, en reconnaissant que le ’agoritim ou cité des Erviens n’était qu’une forteresse peu considérable, où se fabriquaient des armes, sur la frontière des Cénomans. M. l'abbé Auber présente quelques considérations pro- pres à confirmer le système présenté. M. DucnaLLais combat plusieurs étymologies qu'il croit pouvoir mieux expliquer au moyen de la langue romaine. M. l'abbé Voisin refuse de défendre chaque éty- mologie en particulier , et désire que l’on examine l’en- semble de son système. Pour provoquer cet examen , il dépose ,sur le bureau,les travaux manuscrits ou imprimés qu’il à entrepris sur celte matière. L'un de ces travaux présente la division territoriale consacrée par les Druides dans les lieux qu'ils choisis- saient pour leur demeure , division retrouvée dans l'Histoire Ancienne de l'île de Man, principal sanctuaire des Druides. M. Pescne ainé fait hommage au Congrès d’une Carte du Diocèse du Mans , accompagnée d’une Descrip- tion topographique et industrielle du Diocèse du Mans, suivie du Guide du voyageur dans la Sarthe et la Mayenne, etles départements limitrophes, par M. N. Des- portes. M. le Président témoigne, au nom de la Section, sa reconnaissance à MM. Pesche et Desportes. Une lettre , renfermant des renseignements sur les Pierres druidiques des environs de Monfort, est adressée à M. le Président de la Section ; elle sera soumise à une commission d'examen. La séance est levée à onze heures. 518 QUATRIÈME SECTION. SÉANCE DU 15 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. le Ve. ne GUITON DE LA VILLEBERGE. À neuf heures , M. le Président déclare la séance ou- verte. M. de LasicoTièrEe présente au bureau une question ainsi conçue : « Dans l’état actuel de la science archéo- logique peut-on admettre l'existence de forts vitrifiés ? En cas d’affirmative , quels sont les caractères physiques et archéologiques de ce genre de construction ? Quels étaient les moyens employés pour lier les pierres avec le feu. M. Castel fait observer que, d’après un article du réglement, toute question autre que celles du Programme doit être préalablement déposée sur le bureau en séance générale. M. de Lasicotière répond qu’à la séance gé- nérale d'hier , il a rempli cette formalité et qu'il ne lui a pas été répondu. M. le Président , vu l'intérêt de la ques- tion , croit pouvoir prendre sur lui de l’admettre. Le bu- reau appuye la décision. » M. Porrix donne lecture d’un mémoire explicatif de deux tableaux du prix du blé dans la Flandre Française aux xvI et xvii siècle, par lui déposé préalablement sur le bureau. Le premier tableau regarde la ville de Lille , c’est un relevé fait sur Epier de cette ville, pendant un espace de 117 années , de 1549 à 1666. QUATRIÈME SECTION. 319 EXTRAIT Du registre du Cop des grains , commenchant au jour de Saint Remy 1549. COP DES GRAINS DE L'ESPIER DE LILLE, POUR LE TERME DE LA SAINT RÉMY. XVC quarante-neuf. “© C0 ———— FROMENT LA RASIÈRE, pesant 115 livres poids de Marc. Années. Sols Parisis. Années. Sols Parisis. Années. Sols P. 4549 54 4578 41. 14 41607 61. 0 1550 52 1579 4 1 1608 10 4 4551 54 1580 4 8 1609 6 5 1552 57 1581 4 16 1610 5 2 1553 66 1582 6 8 46411 6 10 4554 62 14583 10 16(1) 1642 7 0 1555 58 4584 9 0 4613 5 11 1556 107 1585 10 5 1614 5 8 41557 61 1586 14 0 1615 6 16 1558 52 4587 9 10 1616 8 42 1559 76 15838 76 1617 7 12 1560 71 4589 5 17 1618 7 10 1561 72 1590 6 10 4619 5 0 4562 41. 14 1591 4 4 1620 4 8 1563 58 1592 100 1624 6 0 1564 56 1593 5 16 1622 10 0 1565 6 10 1594 8 10 1623 8 8 1566 74 4595 14 10 162% 7 7 4567 71 1596 11 45 1695 9 1 1568 70 1597 10 2 1626 11 10 1569 74 4598 7 1 1627 8 18 1570 77 1599 6 18 1628 6 12 4571 4 14 1600 6 16 1629 8 12 4572 4 6 1601 6 16 1630 9 12 4573 6 45 1602 110 1631 13 10 4874 6 16 1603 7 472 1632 11 14 4575 104 1604 5 gros. 1633 9 0 1576 118 1605 5 6sols. 1654 9 0 1577 100 1606 6 2 p. 1635 10 3 (1) Modéré à 6 liv. 40 s. pour les redevables. 520 QUATRIÈME SECTION. Années. Sols Parisis. Années. Sols Parisis. Années. Sols Parisis. 41656 0081 0 1647 14 0 4658. 9. 2gr.P. 1637 8 18 1648 14 0 41659: 5510 1658 8 18 1649 15 0 1660 9 0 1659 10 2 1650 40 10 16614 13 0 1640 13 12 1651 14 0 1662 11 12 1641 12 12 1652 141 0 1663 10 16 1642 11 10 1653 6 10 1664 6 18 1645 11 16 1654 5 0 1665 6 18 1644 10 16 416551... 7 10 1666 5 10 1645 9 0 1656 8 46 1646 8 0 1657 6 18 Le second a rapport à la ville de Douai , et comprend une période de 100 années , de 1688 à 1788. La mesure locale qu’on a suivie, dans ces tableaux, estla Aasière.La Basière de Lille pesait 115 livres poids de marc , celle de Douai était de 127 livres , poids de marc également. L'épier de Lille , en latin spicarium , était le bureau où se percevaient diverses rentes seigneuriales dues au souverain , en blé , avoine , chapons , gelines, etc. Les prix en argent de ces rentes étaient calculés sur la valeur des denrées aux deux marchés qui précédaient et suivaient le jour de la St.-Remy (1° octobre de chaque année ). QUATRIÈME SECTION. ot 19 ES PRISÉE DES BLEDS DE RENDAGE DITE DE SAINT-ANDRÉ. Fait en la ville de Douay, commencant en l'an 1688. — La mesure est la rasière, pesant 127 livres poids de marc. (Le florin valant environ 25 sols et le patar 1 sol?) Années. fl. patars. Années. fl. patars. Années. fl. patars. 1688 1 18 472205 2 1756 6 12 89 3 3 Ds 6 3 D 7 7 90 2 8 24 . 6 2 5S 5 5 91 4 5 25 6 0 59 6 4 92 -5 8 26 6 2 1760 5 13 93 12 16 27» 52 5 61 5 10 94 6 8 28 4 1 62 5 12 95 4 19 295 1 65 5 17 96 4 18 1750 6 1 64 6 19 97: 4 Q) SANS 19 65 6 17 98 9 12 32 5 3 66 7 2 99 6 4 35 5 415 67 9 5 4700 3 18 54 4 8 68 12 10 AS 5 55 4 9 69 7 45 2. 2 10 36 5 17 1770 8 8 3.35 41 31 5 4 T1 8 14 4 3 9 38 6 3 22, 5 5 5 5 539 6 5 75 9 12 6 -3 2 1740 16 6 74 8 18 1" 12 4 6 5 75 8 8 8 6 13 42 3 6 46, 7 2 9 20 10 43 3 7 717 8 15 1710 9 16 44 3 17 78 7 5 11 8 0 45 4 6 79 6 15 42 10 5) 46 4 18 1780 7 5 43 11 11 4T 5 10 81 6 7 14 6 6 48 6 16 82 7 1 15 2 8 49 6 19 83 8 3 16 2 18 1750 5 415 84 9 1 17 3 5 51 7 9 85 8 12 183 4 11 52 7 5 86 7 19 19 4 7 53 5 9 8T 8 45 1720 5 8 54 4 10 88 11 10 2.2 17 55 3 7 Le même membre offre, à la Section, le relevé des prix du quintal des grains et légumes qui se sont vendus, sur tous les marchés, dans le département du Nord, de 1780 à 1789. À | | ‘ŒUON, np ‘dop 6 6 |ez ar & &irl 98 or 02 gr z gr! er grsligce] 8e & | #8 2 | or 8 | 0L 9 | 2C L | 6ÿ £ | 19 L sliz G | np uofow xu1q 868 | & «| 8 CT] GE ON SF FEI 06 FF] » » | € « | ay le «| 99 |9orslorzl« «| « « |rlsy9 8 ‘AVNOG gsle «le «le «le « Te «ta «ja » gg |la« « | SL | F9 | Sl6ErS e « Sy L ‘SANSHAY « «le ale «le «la «la «le «la «log le «elSgrz |gsele la «le « LS ‘IVYHAN VI Ye Or! eg Lr| CG Fr] 26 Vr| 86 LI] LG 7E| G7 SH « «| 661€ &|Y9IF HL61MSIE «| « £G 0} "AT 88 | çgrs8 | gra «la « | g or « «lGrg lé gle «la «la «1988 | «792 alt &0 6 |'HDNONAAZVH « œla «la «le «la «le «la «lzslseslzez logz 1g 91e «f» » le « sl 0r0r "SHNDUAY kr 5209 [UP om) za | ‘s2vz | * “an x JE “nas | ‘aux | ‘sus *jeunuuoo saù 8104 L_ruva se -ONVO | -11n30 “4 LA onu re en Es ATOS Log |avaaa| aug |NAROUI LRERANTIANOUUT =KO4 à Û ‘SIAUUD X1p $9) ANS 9]N9)09 goguanb np uohow EZATI np U01]DN]DAI AUIUJU09 949794 97) ‘TN “snpour 6847 u9,nbsnf snpur 08LT Smdop { pION np iuewa]iedop np soyoaeu SJUSpp Soj ans snpuoa 1u0s es mb sure sop xd nq JA4TAU QUATRIÈME SECTION. 325 M. de Gurron litensuite un mémoire sur la paroisse et baronnie des Biards , suzeraine d’Isigny, Vezins, Landelles , etc... M. de Lasazse lit un mémoire sur la quatrième question du Programme ainsi conçue : « Signaler les in- convénients et les avantages de ce que l'on nomme Philosophie de l'Histoire. M. le Président et toute l’as- semblée demandent que ce mémoire soit lu en Séance générale. Après une discussion , à laquelle prennent part MM. de Lasicotière , Hervé, Duchallais , M. de Cau- mont fait observer que, vu l'importance de la question, il serait à désirer qu’on nommât une commission chargée d'examiner le travail de M. de Lasalle. Cette proposition est adoptée sans réclamation. La séance est levée. SÉANCE DU 16 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. le Vie. de GUITON DE LA VILLEBERGE. L'un des Secrétaires-Généraux Adjoints , M. Anzu- BAULT, Communique à la Section la décision suivante , prise par la Section des Sciences Naturelles : La lecture des procès-verbaux des Sections particulières absorbant un temps considérable , dans la séance générale , il ne sera présenté qu'un résumé très-succint des travaux de la Section. Cette résolution est également adoptée par la Section d'Archéologie et d'Histoire. M. Lawpron de Lignim dépose sur le bureau les propositions suivantes : 1° Ne serait-il pas urgent de re- commander, à l'attention toute particulière des Congrès, la Science Héraldique si négligée , et cependant si utile pour établir la vérité et constater l’époque précise des 324 QUATRIÈME SECTION. fondations monumentales ? 2° Quels seraient les moyens de rendre plus générale l'étude de cette science ? 3° En- fin , ne serait-il pas nécessaire d’aviser au moyen d’en faire copier les restes ? Renvoyé à la commission. La question du roman historique est à l’ordre du jour ; on lit le mémoire suivant de M. Ducrest-de-Villeneuve : MESSIEURS , La cinquième question , posée par voire Programme à la qua tième section du Congrès scientifique , demande quelle est l’ori- gine des romans historiques, et si ces romans peuvent nuire à l'histoire par le mélange des erreurs qu’ils propagent. L'étude ap- profondie des meilleurs romans de Walter-Scott et l'examen sé- rieux de leur influence sur le goût du siècle pour la science histo— rique , résoudraient peut-être complètement la difficulté sous sa double face; je ne l’aurais point abordée autrement , si mes ré— flexions se fussent portées aujourd’hui pour la première fois sur ce sujet ; mais livré depuis long-temps à une série d’études graves sur l'histoire de Bretagne, encore si peu ou si mal connue, j'ai dû m'enquérir d'abord de la forme littéraire la plus propre à présenter, sous un aspect séduisant , les vérités historiques exhumées des chroniqueurs, et dédaignées du public qui ne lit. point les choses que l’on n’a pas pris soin de parer d'un certain attrait. C’est l'enfant pour lequel on emmielle les bords du vase qu'on lui présente. Le costume sévère de la Clio antique, a dû se modifier et subir plus ou moins les exigences de la mode des temps modernes , pour être admis dans nos salons, et sortir quelquefois de la retraite où s’enferme l'étude laborieuse. La plus grave des sœurs mythologiques d'Apollon n’a pas hésité à faire cette concession au monde futile , pour ne pas resserrer}, dans le cercle toujours étroit des gens studieux,les utiles vérités de ses entretiens , et celles que répand sa plume, pour faire profiter le présent et l'avenir de l'expérience du passé. Mes recherches m'ont mis à mème de constater que ce n’est pas seulement dans notre siècle que Clio a essayé un costume attrayant pour cette partie du monde, qui, de tout temps, a voulu qu'on l'amusât en l’instruisant. C'est à , Messieurs, si je ne me trompe, qu'est la véritable origine du roman historique, et l’'excuse des fables qu'il a dû mêler parfois aux grandes vérités de l'histoire. Son but doit être sans doute de QUATRIÈME SECTION. 325 diminuer , autant que possible, l'influence de l'imagination sur ses âges, en fondant l'attrait qu’il est de son essénce de présenter au lecteur, sur l’animation de son style, et la vie nouvelle qu’il donne aux temps antiques , moins dans leurs grands événements que dans des détails de mœurs et de vie privée qui sortent du do— maine de l’histoire grave. Sa place est, il me semble , entre l’in- folio des Bénédictins et l’in-octavo du mémoire conteur d’anec- dotes. Voilà, Messieurs , tout à la fois et le but que je me suis efforcé d'atteindre dans le faible essai (1) dont je vous prie d’agréer l’hom- mage , et le sujet des réflexions consignées dans ce mémoire-, qui n’est en quelque sorte que la préface de mon œuvre, bien dépassée sans doute par d’autres travaux du même genre sur notre histoire locale , et dans lesquels ma théorie se trouve mieux appliquée. Quelle est donc l’origine des romans historiques, me suis-je dit, avant de mettre en œuvre les matériaux que j'avais amassés ? L'esprit humain est né conteur , et l’on pourrait dire que le ro— man a pris naissance avec l’homme. On le trouve à l'origine de toutes les sociétés, sous la forme de récits fabuleux, aussi bien sous la hutte du sauvage que sous la tente des patriarches nomades. Ce perchant inné pour la fable est un germe qui n’a pas cessé et ne cessera point de recevoir des développements variés, selon les civilisations diverses par lesquelles passera la société humaine. Tout se tient , en ce monde, par une chaîne invisible qu'il n’est donné qu’à l'homme de deviner parfois. Le présent fut en germe dans le passé , comme l'avenir l’est dans le présent, jusques dans les dé- tails les plus minimes. Dieu qui a créé l'harmonie de l’univers , l’a voulu ainsi ; une idée éclôt et doit enchaîner à sa suite une foule d’autres idées qui ne sont que la conséquence de la première. Au moyen-âge , l'esprit chevaleresque jette une digue au-devant du torrent de la dépravation humaïne ; le conte subit aussi sa ré— volution avec la nouvelle institution-qui va modifier la société. Les exploits des Paladins deviennent le sujet de ses récits au foyer du manoir seigneurial. Il ne se borne pas à deviser des aventures ga- lantes , ou à proposer des problèmes amoureux, pour le déduit des nobles dames et damoïiselles. Il raconte aussi l'histoire du témps ; car elle existe sous le voile merveilleux qui couvre les faits d'armes chevaleresques du protecteur de l’opprimé , ‘du défenseur des (1) Le Bandoulier , histoire du temps de Pierre Mauclerc , duc de Bour— gogne. c 21 326 QUATRIÈME SECTION. dames , et du pourfendeur de géants. Le trouvère et le troubadour s’en vont, de castel en castel, récitant l’histoire contemporaine dans leurs chants variés par l'inspiration religieuse, galante ou satirique. Le conte , que nous pouvons appeller le roman du moyen-âge , s’assied dans la cellule du moine studieux , et dicte à sa plume ces chroniques et ces poëmes dans lesquels l’érudition patiente re- trouve aujourd’hui, par fragments, les preuves de l’histoire des siècles écoulés. Souvent l'écrivain ne croyait tracer que les annales de son eouvent , et il a conservé des détails précieux à l'Histoire de ‘France. La légende elle-même, dans ses fables pieuses, vouées au ‘triomphe de la religion du Christ, ne nous a-t-elle pas transmis d'inappréciables monuments historiques, que la saine critique a su facilement-dégager des erreurs qu'y a mêlées l’esprit du temps ? Enfin’lestrouvères et les troubadours, qui pensaient n’amuser que des Châtelaines ou des Châtelains oisifs, ne nous ont-ils pas légué de féconds détails de mœurs, qui font revivre à nos regards les siècles de nos aïeux ? Qu'’ai-je besoin de vous énumérer ici , Messieurs , tous les anneaux de cette chaîne interminable qui commence bien avant le roman du Brut , ou le roman de Rou ( Rollan) , et se pro- longe bien au-delà de ce poëme d'Ermole Nigellin (Lenoir ), qui contient un si curieux épisode de notre histoire bretonne ? A peine aurions-nous l’espace et le temps nécessaires pour nommer en passant les principaux chaînons; depuis ces poëmes antiques, COm— posés comme ceux d’Homère de traditions populaires , et chantés comme eux par les rapsodes , jusqu’à ces annales des monastères, sur le domaine primitif, desquelles combat exclusivement aujour- d’hui la critique historique. Tels furent, pour nous borner à quelques exemples, le poëme breton du Saint Graal, l'épopée des Niebelungen, qui a réformé notre opinion sur Attila , et ces annales de Metz et de St.-Bertin, ces pages de Grégoire de Tours, source inépuisable d’où est sortie,si pittoresque et si lucide, l'histoire jadis obscure de nos premiers rois , sous la plume d’Augustin Thierry. Mais tout cela est sans doute présent à votre mémoire. Pour- suivons l'examen des diverses transformations que lessièeles, dans leur cours, firent subir au roman historique ; transformations qui devaient inévitablement aboutir à la forme qu'il a adoptée de nos jours et qui ne peut être la dernière ; car l'esprit humain est con— damné au changement perpétuel , sinon au perfectionnement pro— gressif. Que devint le roman , tel que l'avait transmis le moyen-âge aux siècles qui lui succédèrent ? Il continua long-temps de produire, en nombre décroissant , des récits historiques au sein du repos des QUATRIÈME SECTION. 327 monastères: mais il préféra les traditions galantes des cours d’'A- mour , quelques peintures de mœurs satiriques, dont le roman du Renart avait été l’illustre modèle; il abandonna la forme du Sirvente pour celle du Fubliau , jusqu’au siècle où l’œuvre d’un grand poëte, L’Aminte du Tasse , jeta sur toutes les productions littéraires une teinte pastorale qui ne devait pas s’effacer de long-temps. L'his- toire alors s’enferma plus étroitement encore dans les écrits mo- nastiques , non pas , il est vrai, sans un grand mélange de mer- veilles ; ou bien elle ne dicta plus que des pages arides aux savants isolés dans l'étude, et s’exila tout-à-fait du roman. Celui-ci, quand il renonça au genre faux des bergeries , ne sut retracer que des événements invraisemblables, corrompu qu'il était par d'anciennes et mauvaises habitudes. Cependant, quelques grands génies le ra- menèrent dans une voie meilleure , et lui apprirent à peindre, avec plus d’éclat et de profondeur qu'il n'avait jamais fait , les mœurs et les passions humaines ; mais il ne s’agit pas pour nous des inspira- tions sublimes de Richardson. Le roman perdit ses vieilles tradi- tions historiques ,. son ancien génie de conteur-annaliste, ou s’il essaya parfois de retrouver près de Clio ses vieux titres de famille et son antique talent d’historien secondaire , il ne sut le faire qu’en bégayant et en grimaçant la vérité. Clio renia son petit fils, ou ne voulut pas le reconnaître dans ce conteur fabuleux qui ne ressem- blait pas mal au geai de la fable. Ce fut Walter Scott qui refit l'éducation de l'enfant égaré.par de mauvais enseignements. IL porta même plus loin que n’avait pu le faire le moyen-âge , les progrès dont son élève était alors suscep- tible. La chaîne des temps fut alors renouée par la main de l'il- lustre Écossais. La généalogie du roman historique était retrouvée. La muse de l’histoire lui. fit cette fois bon accueil , et lui donna de nouveau accès dans sa famille , en inscrivant ce bel éloge au fron- tispice de ses premiers volumes : Histoire d'Écosse ? Voilà, je crois, Messieurs , la filiation du roman historique. Cherchons maintenant s’il a nui et s’il peut nuire à l’histoire. Et d’abord : qui voudrait aujourd'hui, Messieurs, être privé de ces sources antiques , de ces romans du moyen-âge , où l’histoire a tant puisé ? L'avenir, plus heureux il est vrai, n'aura pas besoin 6 grâces à Dieu ! d’aller chercher les fastes de notre temps dans nos romans historiques. Mais cette forme littéraire, quoiqu'il arrive, n’en aura pas moins eu son importance et son utilité contemporaines, puisqu'elle aura répandu le goût des études historiques , et appris aux lecteurs intelligents les faits oubliés de leur propre histoire. Le roman historique aura remis les titres de famille sous les yeux des 528 QUATRIÈME SECTION. fils indifférents et insoucieux de la généalogie de leur race. L'ex- périence des pères, inhumée dans les in-folios bénédictins, n'aura pas péri tout entière pour les enfants. Si l’œil tenace de l’érudit a reconnu la vérité sous le voile plus ou moins transparent dont l'avait couverte le moyen-âge, il est bien plus facile encore de distinguer, de nos jours, dans un bon ro- man historique, ce qui appartient à l’histoire de ce que l'intérêt du drame a exigé de l'imagination de l’auteur. J'ai dit un bon roman , Messieurs , car je ne m'occupe pas ici de cette foule de productions qui s’affublent du manteau historique ;, pâture éphémère des cabinets de lecture de la capitale , qui les dé- verse à son tour sur la province , comme l'Angleterre nous inonde de ses produits manufacturés, au grand détriment de notre indus — trie. Nous ne devons pas juger une chose par l'abus qu’on en fait, Le roman est souvent de l’histoire, comme l’histoire peut être du roman, à dit un savant bibliophile (4). Cela est vrai; tous deux ont des écueils à éviter. Le roc attend les naufrages ; mais un phare protecteur le signale aux yeux les moins clairvoyants. Si, malgré cela, les chutes ont été nombreuses des imitateurs serviles du romancier écossais , nous pouvons aussi Compter , pour exem— ples, des œuvres qui, comme le Cing-Mars d'Alfred de Vigny, ont placé le roman sur le pied de l’histoire, ainsi que l’a dit,de Walter- Scott, le bibliophile que nous citions tout à l'heure. De tels romans ne peuvent propager d'erreurs historiques. Quelle histoire peindrait plus fidèlement que le Cing-Mars de notre Walter-Scott français cette grande époque de Richelieu, où la monarchie de Charle- magne vit ruiner sous la main du ministre-Roi les derniers débris de sa vieille base féodale , pour s'asseoir sur le piédestal de bronze de la royauté absolue. Mais après avoir reconnu la nécessité , comme nous l’avons dit en commençant , d'emmieller les bords du vase pour faire accepter des palais les plus délicats la liqueur bienfaisante qu’il contenait, quels moyens à dû employer le roman historique pour ne pas altérer, par des erreurs séduisantes, les vérités qu’il voulait proclamer ? Le premier écueil à craindre était celui de l'imagination. Elle était là , prête à entrainer la plume de l'écrivain par une route fleurie , fa- cile, mais trompeuse , dans laquelle se seraient égarés à plaisir, sans souci de l’histoire , l’auteur et le lecteur, le maître et l'élève. (4) Paul Delacroix, connu sous le nom de bibliophile Jacob. QUATRIÈME SECTION. 529 Ii fallait donc d'abord mettre un frein à ce coursier hardi , brillant , mais dangereux ; il fallait , non pas lui ôter sa grâce en le forçant à marcher sous des liens qui lui eussent enlevé toute l’élégante li berté de ses mouvemenis, mais tracer autour de lui un cercle in- visible et assez vaste pour qu’il püt y déployer toute son agilité arabe , sans cesser d'obéir aux rênes qui le dirigeaient , sans en traîner son cavalier hors des limites qui l’enfermaient à son insu. L'imagination , Messieurs , devait accompagner l'histoire pour sc— mer des fleurs sur ses pas, et non pour habiller la vérité à sa guise. Faire la part de l’une et de l’autre , régler impartialement l’in- fluence de l'imagination sur une œuvre dont la vérité doit. former la base ; là , gît la grande difficulté. L'auteur d’Ivanhoë peut nous apprendre dans quelle mesure doit se faire cette équitable distri bution. Après avoir banni l'imagination du domaine des faits, et limité son pouvoir à l’arrangement du drame dont ils sont les éléments , on ne devait pas sans doute lui interdire l’accès du style et lui dé— fendre de l’inspirer, dans une sage mesure. Nous ne parlons pas de l'abus. Walter-Scott , tant critiqué sous ce rapport , grâces peut-être à la pâleur de ses traducteurs qui ont copié la pensée en oubliant son vêtement, Walter-Scott peut encore souvent, à cet égard , nous servir de modèle. Le coloris est à la pensée ce qu'un habit convenable est à l'homme dans la société ; et l’une comme l’autre peut dire aussi en certaines circonstances : O mon habit,que je vous remercie ! L'attrait, dans le style, me semble la poignée de fleurs de l’imagi- nation ; mais cet attrait n’est pas le seul qu’il lui soit permis de ré- pandre sur le roman historique. Il est un charme non moins puis— sant qu’il lui appartient de créer, dans la vie qu’elle donne aux personnages mis en scène, dans la peinture des mœurs de l’époque où ils agissent ; ear s’il est défendu à l'imagination d'inventer des caractères et des mœurs historiques , du moins elle a presque toute liberté dans l'emploi des couleurs plus ou moins vives dont elle les revêt. Si elle ne peut inventer des caractères donnés par l’histoire , n'est-ce pas une quasi-création que celle de ces personnages se condaires indiqués par les mœurs du temps , dont ils sont destinés à être le type par la volonté de l’auteur qui les symbolise? Et, dans Ja peinture des mœurs toutes faites qui doivent former son cadre , l'imagination n’a-t-elle pas encore une belle et large part, sans s’écarter de la vérité donnée ? En effet,c’est elle qui évoque et rend vivantes sous nos yeux ces milles scènes variées , ces détails infinis de la vie privée qu’exclut l’histoire , et que le mémoire , censeur 530 QUATRIÈME SECTION. sans méthode , ne présente point d’une manière si intéressante. C'est là, Messieurs, que le pittoresque , dont on a tant abusé, commence à répandre les trésors de sa palette. Mais ïl est encore bien plus à l’aise dans la peinture des lieux et des monuments. C’est là qu’il règne véritablement et que ses ri- chesses descriptives trouvent toutes leur place , sans nuire à la fi- délité du paysage ou à celle de l’architectonique. L’abondance des couleurs qu’il emploie ne doit rien enlever à leur vérité. L'imagi- nation vient à son tour jeter la vie sur la sécheresse topographique et archéologique et nous faire voir la scène où s’accomplit le drame, avec les yeux des personnages qui s’y meuvent. Emus de leurs craintes , animés de leur espoir , nous trouverons aux lieux, où ils nous font vivre , un charme que le pays natal peut seul égaler dans notre souvenir. Après la description des lieux , nous ne devons pas oublier eelle du costume , l’une des principales attributions du pittoresque. C’est à lui de draper, avec plus ou moins d'élégance ou d'originalité, sur les épaules de ses acteurs , les lambeaux de vêtements que lui donne l'histoire. Il faut parler aux yeux,si l’on veut convaincre l’es- prit, et lui faire prendre pour une réalité l’imitation de la vie. L'étude du costume n’est point inutile au succès du drame. Elle ne fut point indigne des méditations du premier tragédien de nos temps modernes. Je n’ai plus qu’un mot à ajouter, Messieurs , à la théorie didac- tique que je me suis faite du roman historique ; ce sera mon dernier précepte littéraire à eet égard. II faut, je crois, que le récit et Pappréciation philosophique des grands événements réservés à l'histoire , ne soient jamais , pour ainsi dire, que côtoyés par le ro- man. Ses tableaux de genre peuvent être appendus autour de la grande toile historique , comme pour la compléter et l'expliquer par de nouveaux et curieux détails ; mais loin de lui l’ambition de rivaliser , lui modeste paysagiste, avec les successeurs de David ! Il doit, pour conserver son utilité, rester en deçà de l’histoire et au-delà des bavardes indiscrétions du mémoire. Maintenant, Messieurs , notre conclusion est facile à prévoir : Les mauvais romans historiques répandent des erreurs, et nuisent à l'histoire ; les bons lui sont utiles etla complètent. Mais, me dira-t-on, les premiers sont les plus nombreux. Cela est vrai, c’est la règle commune ici bas : Ce qui vicie, abonde. Devons-nous pour cela proscrire le bon ? La consé- quence serait dangereuse , si l’on devait repousser tout ce dont on a fait abus. QUATRIÈME SECTION. 351 Mais les bonnes choses même, insisterez-vous peut être , ont leurs inconvénients , et vous n’en signalez aucun dans le roman historique , tel que vous l’entendez. — J'en conviens , le bon ne peut avoir d’inconvénient. — Vous avez donc fait l'éloge plutôt que la critique impartiale du roman historique? — Le roman , ré- pondrai-je , avec le pseudonyme bibliophile que je me plais à citer , le roman a beaucoup de lecteurs et peu de défenseurs. Si , par conviction , je n’avais préféré me faire ici son avocat , j'aurais pu tout aussi bien , par une autre méthode , le justifier des torts dont on l’accuse envers l’histoire. En effet, pour qu'il fût vraiment coupable , il faudrait que ses mensonges , lorsqu'il en commet , trouvassent des lecteurs disposés à les croire sans contrôle. Or , de bonne foi , quel est le lecteur qui croit avoir étudié l’histoire dans un roman ? Quel est plutôt celui qui ne se défie pas de ce genre d'ouvrage , même quand il dit la vérité, et n’est pas tout étonné de retrouver parfois dans l’histoire grave les faits dont il a douté dans un roman ? C’est ainsi que Walter-Scott nous a montré, dans les annales d'Écosse, tous les événements qui forment la base et sou- vent les détails des contes de son hôte. Puis, n’oublions pas que le roman historique n’est destiné qu’à inspirer le désir d’aller puiser aux sources primitives et véritables qui redresseraient les erreurs qu’il aurait propagées. Celles-ci devraient être peu importantes dans tous les cas ; car , nous l’avons dit, il ne faut point qu'il se hausse à l’aide d’échasses sur le piédestal de l’histoire , mais qu’il s’assoie modestement sur la première marche avec son crayon et son album d'artiste. Le penchant de notre siècle pour les études historiques sera mon dernier argument , Messieurs ; j'y vois l'influence bienfaisante du roman fondé sur l’histoire, et dont la forme,un peu usée par l'abus, n’en vivra pas moins pour se développer encore dans de meilleures voies , ainsi qu’elle n’a cessé de le faire , il me semble, depuis son origine au moyen-âge. L'étude raisonnée des sources historiques nous conduira infailli- blement à ce nouveau progrès qui ne peut discontinuer désormais d'avancer ; car la science aussi , Messieurs , crie incessamment , à ses adeptes, ces paroles solennelles que Bossuet place dans la bouche de la mort : Marche ! Marche ! Marche ! M. de LasicoriÈRE a la parole sur le roman histo- rique. It définit le roman historique : un récit dans le- quel la fiction se mêle à la vérité des faits ou des mœurs 302 QUATRIÈME SECTION. historiques dans un intérêt d'enseignement. Ce genre de roman ne tire par Son origine des romans grecs ou latins , il procède au contraire des romans poèmes du moyen-âge. Le merveilleux de ces poëmes est d’origine bretonne, et c’est aussi, de Bretagne , que sont venus les premiers auteurs de ces sortes d'ouvrages. Quant à la forme qu'à revêtue chez nous le roman historique, ilne l'a pas empruntée aux siècles Hutéraires précédents , elle lui appartient en propre. M. de LasiCOTIÈRE , examine ensuite l’utilité ou les inconvénients que peuvent présenter les romans histo- riques : il trouve qu'ils peuvent présenter plus d’avan- tages que de dangers. [I serait bon toutefois,ajoute l’ora - teur, qu'ils fussent accompagnés de l'indication des sour- ces historiques. M. de Lasicotière, termine l’exposition détaillée de ses vues sur ce point , en promettant l'envoi d’un mémoire complet dont les matériaux sont déjà ras- semblés. M. Ducrarcais demande la parole pour répondre au préopinant. Selon lui , la Bretagne n’est pas la source d’où procède le merveilleux des romans du moyen-âge. T1 rappelle les traditions du centre de la France , tradi- tions si semblables à celles de l’Armorique. Comme les Bretons , les Français du centre , qu’on accuse d’être si prosaiques aujourd'hui , conservent une foule de croyances empruntées à la mythologie des Gaulois , et si l’élément celtique ne prédomine pas au même point que dans la Bretagne , il a laissé au moins de profondes uaces. D'ailleurs nos paysans racontent encore, chaque jour , les histoires que les trouvères mettaient en chan- sons.Ganne,quin'est autre que leGannelon de la chanson de Roncevaux,a fourni toutes les vieilles légendes du Pa- risis; Renaud de Montauban a sa tombe près de Cléry,dans l'Orléanais. Il est bien difficile au surplus de donner à qui que ce soit la priorité pour la composition des poëmes de ce genre. Les Espagnols et les méridionaux y ont QUATRIÈME SECTION. 335 autant de droit que nous autres , hommes du Nord. On sait que tous les romans parvenus jusqu’à nous ne sont que des copies de chants plus anciens ; il n’est pas un trouvère , pas un troubadour qui ne l'annonce dans le préambule. M. DucnazLais pense aussi que M. de Lasicotière n’a pas assez tenu compte de l'élément romain. Le moyen-âge rattache tout aux Conquérants du monde. Non seulement ils ont composé des poëmes qui portent le nom d'Alexandre , mais même dans les compositions les plus nationales , les héros de Ftalie jouent un grand rôle. César apparaît toujours comme le type de la valeur et du courage , et Brutus comme le modèle des traitres. Dante place Brutus au fond des enfers avec Gannelon, et l’auteur de la chanson de Rolland s’écrie : Li viel César , qui tant las fut vaillant Hs l'ont murdri 0 leur espée tranchant D’eux est issu Ganne le souduisant. Il pense aussi que le roman de Blanche Basse , qui parut au dix-huitième siècle , n’est pas une œuvre isolée. Le dix-huitième siècle tout entier s’est reporté vers le moyen-âge , de Tressan , la Curne-de-St.-Palaye et les auteurs de la Bibliothèque Universelle des romans le prouvent assez. Il en fut, pour les poëmes du moyÿen-âge, comme pour l’histoire de notre dix-neuvième siècle qui -prétend avoir tout inventé,et lui doit tout.Sans les savants qui se sont occupés de la littérature du moyen âge , à cette époque , Victor Hugo , ( comme romancier du moyen-âge ) n'aurait pas plus existé que Thierry , Michelet et autres, sans l'abbé Lebœuf , Frèret, et les Bénédictins. Quant à l'utilité des romans historiques , M. Duchal- lais pense qu’on peut en faire pour les gens qui ne lisent que des romans et ne liraient pas l’histoire sans la fiction 534 QUATRIÈME SECTION. qui la leur fait accepter ; mais, s'appuyant sur l'exemple d’Alexis Monteil et de Simonde de Sismondi auteur de l'Histoire des Français de tous les états , et de Se- vernia,;romanoù l'on a voulu tracer le tableau de l'Europe, à l’époque de l'invasion des barbares, il croit que la forme romantique , appliquée aux livres sérieux , peut avoir les plus funestes résultats : elle ennuye le lecteur indifférent et rebute le lecteur sérieux. M. de Cussy demande la parole pour combattre M. de Lasicotière. Il pense que le roman historique est plutôt nuisible qu'utile par suite des notions fausses ou extrêmement tronquées dont nous le voyons la plupart du temps pénétrer l'esprit de ses lecteurs. C’est chose heureuse , quand un écrivain veut bien suivre avec quel- que fidélité, dans la mise en scène des faits historiques, la version la plus favorable aux contes qu’il médite. Que de graves et sérieuses erreurs ont ainsi été propagées et laissent une trace presque indélébile dans la pensée des populations. Les Scott et les de Vigny sont sans doute d’admirables exceptions , mais ces grands maîtres n’ont guères fait d'élèves. Après avoir encore entendu sur cette question MM. Quentin , Voisin , Bouvet , la Section adopte les conclusivns suivantes : 1° Le roman historique étant un récit dans lequel la fiction se mêle à la vérité des faits et des mœurs histo- riques, dans un intérêt d'enseignement, ne procède pas chez nous des romans grecs ou latins , mais bien des romans poëmes du moyen-àge… 2° Il peut être plus utile que nuisible à l'Histoire ; il serait bon toutefois qu’il fût accompagné de l'indication des sources historiques. M. le Président croit devoir faire observer que ces conclusions n’ont été adoptées que par neuf voix, tandis que quatre-vingt ou cent personnes ont pris part aux délibérations de la Section qu'il a l'honneur de présider. QUATRIÈME SECTION. 335 M. de Formevize fait hommage au Congrès de deux brochures. 1° Extrait d’une notice sur les Franes- Prements-Canoniers dela ville de Caen : ®° Notice ‘2 historique sur la manufacture d'étoffes de laines de Lisieux. M. Douezer pe BoisraiBauLr fait déposer, sur le bu- reau, une Notice historique sur le Président Giroult, et un travail sur la Cathédrale de Chartres. Ren- voyés à la Commission d'examen. M. le vicomte de Cussy offre , à la Section , de la part de M.Eloy Johanneau : 1° Lettre à M. de Saulcy sur son attribution à la ville de Vaison d’un denier Carlovingien qui porte pour légende : AQUISVASON. 2° Lettre à M. Duchallais sur l'attribution à Brioux et à Thierville de deux monnaies Mérovingiennes portant pour légende : BRIOSSVICO et THEODOBERCIACO. M. BEauDEe adresse ,à M. le Président , la note sui- vante : « Je pense que pour arriver au but que se propose la Société pour la conservation des monuments , il faut avant tout populariser la science archéologique ; que le meilleur moyen serait d'engager les institutions , tant ec- clésiastiques que laïques , à faire suivre aux enfants un Cours d'archéologie , comme cela se fait pour l'histoire naturelle. Je demande permission d'adresser quelques mots à ce sujet... » M. le Président appuye cette proposition. La séance est levée. 536 QUATRIÈME SECTION. SÉANCE DU 17 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. le te. nr GUITON DE LA VILLEBERGE. La séance est ouverte à neuf heures et demie. M. LecoixTRe-Dupoxr ne pouvant assister qu'à quel- ques-unes des séances de la Section , est prié de vouloir bien prendre la parele sur la IX° question du programme ainsi conçue : « Quelles étaient la position sociale et les attributions des Monétaires de la première race. » M. Leconrre-Duroxr dit que l’on ne trouve dans aucun ancien document le titre de Monétaire employé comme un titre d'honneur. Que si le nom de St.-Eloi parut sur les monnaies à une époque où il était premier ministre des Rois de France ; c’est une exception unique dont on ne peut se prévaloir , St.-Eloi ayant pu se réser- ver l’intendance de la monnaie royale comme un souvenir de la profession qui lui avait valu la confiance du Roi, et la haute position à laquelle il était parvenu. Il pense donc que l’on ne peut considérer les Monétaires que comme des agents d’un ordre subalterne, dont les attri- butions consistaient à affiner l'or et l'argent et à fabri- quer les espèces. Pour appuyer son opinion , M. Lecointre recherche quelle à été l’origine de la monnaie aux noms des Mo- nétaires. [1 cherche à démontrer qu'elle existait dans les Gaules même avant Clovis ; qu'il s'y frappait, même avant la fin du V° siècle, une monnaie pour le compte des cités, devenues à peu-près indépendantes de Rome, monnaie qui conservait toujours une tête impériale, par suite de l'habitude qu’avaient les populations de voir ces têtes , et du respect que la législation romaine avait inspiré pour la figure des Empereurs , ainsi qu’il résulte de plusieurs textes des Lois romaines que cite l’opinant. QUATRIÈME SECTION. 537 Que ces monnaies , créées ainsi dans les localités indi- viduelles , furent maintenues par les chefs francs qui les trouvèrent établies , qu’elles devinrent la propriété des corps qui dominèrent dans chaque cité ; d’un sénat, là où une autorité municipale gouvernait ; d’un évêque ou d’une abbaye , là où le pouvoir religieux avait prévalu , comme à Tours , à Poitiers , etc.; du Roïenfin, là où l'autorité royale s'exerçait directement. Qu'’elles durent en conséquence être fabriquées par des hommes de ces localités, habitués à la manipulation des métaux ; par des orfèvres, en un mot. Tel était Ab- bon , à Limoges , que St.-Ouen , malgré l’'emphase de son texte , appelle seulement un homme honorable , un orfèvre éprouvé : Honorabili viro , fabro aurifier pro- batissimo. Ces monnaies fabriquées ainsi sans un contrôle puis- sant qui retint les Monétaires , durent nécessairement subir de fortes ahérations et être un appt à l’avarice de ceux qui les frappaient. Aussi St.-Ouen signale-t-il la mauvaise foi du plus grand nombre des orfèvres de son temps, qui accusaient la lime et le fer de mordre sur le métal. Aussi,dès le temps de Grégoire deTours,beaucoup de stipulations ne sont plus qu’en or et en argent au poids , et non en monnaies fabriquées ; tandis que sous les règnes précédents elles sont généralement évaluées en sols , en triens et en deniers. M. Lecointreen conclut que le discrédit où étaient tombées les monnaies d'or , par la fraude des Monétaires, fut la principale cause qui fit substituer l'emploi presque exclusif de la monnaie d'argent sous les rois Carlovingiens, à l'emploi presque exclusif de la monnaie d’or sous les Mérovingiens. Quant à la dixième question : « Rechercher les ori- gines des monnaies Baronales dans les provinces cen- trales de la France. » M. LecoixTre croit que les types des monnaies Car- lovingiennes,légèrement modifiés, furent les modèles des 5538 QUATRIÈME SECTION. types des monnaies Baronales au x°, x1° et xr1° siècles. Ainsi le monogramme du roi Eudes se continue sur les monnaies de Limoges et donne naissance aux différents types employés à Angoulême , à Turenne , à Bor- deaux , etc. Ainsi la monnaie de Poitou se continua non- seulement avec un type Carlovingien , mais avec la lé- gende même , CARLVS REX, jusqu’à l'événement de Richard Cœur-de-Lion. Les premières monnaies Baro- nales Angevines n’offrent d'autre différence, comparées avec les deniers de Charles-le-Chauve , que le mono- gramme de Foulques, substitué à celui de Charles et le mot Comes substitué dans la légende à celui de ex. Enfin les types des monnaies Chartraines et Blésoises lui semblent des imitations du type des premières monnaies Capétiennes royales frappées à Orléans. M. DucxazLais a la parole sur la première question traitée par le préopinant. M. DucazLais partage entièrement l'avis de M. Le- cointre-Dupont quant à l’origine de la monnaie des Francs. Îl n’est pas besoin, dit-il, de recourir aux traces barbares qu’on donne ordinairement aux peuples germains pour admettre l'existence , en Gaule , de mon- naies au nom et à l'effigie des empereurs, alors même que ce pays n’appartenait plus à l'empire. Il cite,à l'ap- pui de son assertion , les so/idi et les tremissis de Mar- seille et d'Arles au nom de Maurice, qui sont conservés en assez grand nombre, à la Bibliothèque du roi. Ces pièces,pesées par lui, lui ont toujours présenté un poids plus faible que celui des monnaies frappées dans les autres parties de l'empire. M. Lecointre lui semble encore avoir raison, quand il voit l'effigie de l’empereur conservée sur les monnaies dites des Monétaires. Il est impossible , en effet, de voir des effigies différentes dans celles qu'on remarque sur les Aurez de Clotaire, et de Théodebert ec celles qui se trouvent sur les sols d'Or de Maurice à Marseille , et QUATRIÈME SECTION. 539 de Justinien. Quoique Procope dise le contraire , il faut bien admettre un fait attesté par tous les monuments. Passant au fond de la question, M. Duchallais pense que les Monétaires commencèrent à mettre leur nom sur la monnaie, dès l’époque où les espèces Merovingiennes s’affranchirent de la copie servile du style romain. Il cite pour autorité le fameux triens de Vienne , au nom de Maurice , et à la légende ex offécin4 Laurenti et un triens inédit du cabinet du roi, frappé à Clermont sous le règne de Théodebert I, qui porte le nom d'un Mo- nétaire. Il cite deux passages de Grégoire de Tours, dans lesquels cet auteur, parlant du Monétaire de Tours et de celui de Paris , les appelle l’un et l’autre Moneta- rius Urbis, et cherche à prouver, au moyen de ces textes, que, dans chaque ville, il résidait un Monétaire; Il n'ose pas, comme M. Dupont, avancer que ces Mo- nétaires'étaient les commettants de la ville elle-même. Le passage de la vie de saint Eloi , qui parle de son mat- tre Abbon , semble au contraire le désigner comme of- ficier du roi, puisqu'il y est présenté comme dirigeant l'atelier monétaire du fisc royal, fisci publici. Le Mo- nétaire , du reste, pouvait frapper monnaie pour tout autre que pour le roi, puisque l'ordonnance de Pépin, nous montre que ce prince ne retirait pour lui-même aucun seigneuriage, et que sur 22 sols , le Monétaire en retenait un à la personne qui les faisait frapper , ce qui le porte à croire que certains monétaires ne recevaient pas de salaire du roi. Si les textes cités nous présentent le Monétaire résidant dans un lieu , les monuments et un autre texte nous montrent, au contraire, que d’au- tres Monétaires allaient à la suite du domestique , pour percevoir l'impôt dù au fisc. Ainsi on voit saint Eloi frapper, sous Dagobert, des monnaies à Paris au pa- lais, à Marseille , et sous Clovis IT, dans les lieux préci- tés.et de plus à Arles. On ne pourra pas dire qu'il a été successivement Monétaire dans ces lieux, puisque son 540 QUATRIÈME SECTION. historien, saint Ouen , nous présente son séjour en pro- vence, Comme un simple voyage, et qu'il serait bien difficile d'admettre qu'il ait si souvent changé d'atelier monétaire. De plus, l'anonyme auteur du XI° livre de l'histoire des Francs , de Grégoire de Tours, nous mon- tre Bertauld , domestique du palais d’un des fils de Bru- nehaull, allant avec trois cents hommes recueillir les sommes dües au fisc par les cités de la Neustrie. Il est certain, quoique le Monétaire ne soit pas nommé avec le domestique dans le passage de l’anonyme, que cet offi- cier l’accompagnait , car saint Ouen nous montre le domestique et le Monétaire occupés à purifier et à met- tre en lingots l’or reçu dans leur tournée. Ici, M. Duchallais fait observer qu'il ne partage pas tout-à-fait l'avis de M. Lecointre ; dans cet affinage de l'or , il voit tout simplement la réduction en une masse unique , et par conséquent plus transportable , de l’im- pôt payé en toutes espèces d'objets d’or. Il cite quelques textes,pour prouver que les espèces monnoyées n'avaient pas seules cours, et qu'on se servait aussi de morceaux d’or qu'on coupait en morceaux plus ou moins grands selon ses besoins. Comme il trouve des noms de Moné- taires sur les triens frappés aux noms des abbayes, il croit que ces abbayes avaient sous leurs ordres des offi- ciers de ce genre. It y aurait donc eu trois espèces de monétaires : 1° Le Monétaire chargé de percevoir le fisc et d'affiner les métaux , qui voyageait pour le compte du roi.2°Un Monétaire résidant dans les villes et monnoyant tantôt pour le compte du roi et des particuliers comme celui de Limoges , et dans d'autres endroits dépendant tout-à-fait de la ville, comme le croit M. Lecointre; 3° Enfin des Monétaires dépendant des maisons reli- gieuses. Comme M. Lecointre, M. Duchallais pense que les monétaires n’ont jamais été que des officiers subalternes, et que leur nom n’a été mis sur les monnaies que comme QUATRIÈME SECTION. 341 garantie de leurs œuvres , et non pas du tout par hon- neur. Il croit que c’est à tort qu’on a voulu voir, dans les personnages inscrits sur la monnaie comme monétaires , des personnages illustres. Il rappelle , pour le prouver, le nom de CHVLDERICVS MON qu’on trouye sur une mOn- naie de Metz et montre qu’il serait déraisonnable de vouloir trouver dans cet Ulric, obscur Monétaire, un roi de ce nom. L'histoire de Patrice Mummol, telle que la rapporte Grégoire de Tours , prouve encore , quoiqu’en ait dit M. de Saulcy, que le mvmmovs de Chälons-sur- Saône , est un personnage tout différent , car Grégoire de Tours n’eût pas manqué de nous apprendre cette particularité , lui qui traite avec tant d’étendue l’histoire de cet homme. La persistance de saint Eloi, dans le grade de Monétaire, même après son élévation aux hon- peurs, lui font croire cependant que le rôle de Moné- taire n’était pas dépourvu de considération. Il termine enfin en signalant un fait inaperçu jusqu'à présent , et qui lui semble devoir jeter quelque lumière sur l'étude si embrouillée des monnaies mérovengiennes. C’est qu'on trouve quelquefois deux noms de Monétaires sur la même monnaie. Il cite, à l'appui de cela, plusieurs Triens , tel que celui de la monnaie frappée à Châlons, par PRISCVS ET DOMNOLVS DOMNINO., et BETTONO dans la même ville RAGNOMARES M. et ESCOLARE mOn. (C. Rous- seau). Enfin le Triens de MVOYLENYS MON. et de MERO- veys de Leblanc, qu'il ne faut plus donner à un roi du nom de Mérovée, mais à un Monétaire. M. DucnaLLais expose ensuite ses idées sur la deuxième question , de l’origine des Monétaires. La loi qui fait, dit-il, qu'à l’époque où la monnaie mérovingienne commença à apparaître , elle se rattacha long-temps à la monnaie romaine, fit aussi qu’à la chute des Carloyingiens, lorsque la monnaielocale vint à naître, elle copia servilement les espèces carlovingiennes. Ainsi, les deniers de Charles-le-Chauve étant les plus communs 22 542 QUATRIÈME SECTION. et les plus accrédités , chacun s'empressa de copier son type. C’est pour cette raison, que nous voyons Raoul, à Paris , Louis ITT, à Provins, et d’autres , modeler leur monogramme sur celui de Charles ; bien plus, ils Ie co- pièrent tout-à-fait, Eudes à Orléans, Lothaire à Bourges, Louis TIT et Carloman dans d’autres lieux. On retrouve même cette figure aimée du peuple, jusqu’en Angleterre, sur les deniers des anglo-saxons. Bientôt", au X° siècle, quand l'autorité royale ne fut plus respectée, on copia tout-à-fait la monnaie carlovingienne ; ainsi, les deniers Maales &e Melle qui y furent frappés jusqu’au règne de Richard-Cœur-de-Lion, comme l’a prouvé M. Lecointre, ainsi, ceux de Limoges, au type d’'Eudes, de Beauvais au type de Charles-le-Chauve,etc.Cette manière d’imiter les types anciens persista pendant long-temps; nous avons un des deniers au nom de Louis-le-Débonnaire el de Christiana Religio qui avait tout l’aspect des tournois de Louis IX. Le premier pas donc de la monnaie locale, eut pour origine limitation (commencée par les rois carlovingiens eux-mêmes dès le règne du roi Eudes ) des monnaies carlovingiennes plus anciennes. Ce fut d’abord une imitation servile. Dans plusieurs endroits, cette imi- tation continua au moins jusqu'à la fin du XIT* siècle. D’autrefois, on se contentait de prendre son type dans la monnaie carlovingienne , et de fabriquer une pièce anonyme. Ainsi, à Orléans, on prit le portail, souvent reproduit dans cette ville par Louis-le-Débonnaire. et Charles-le-Simple ; à Chinon, on continua de frapper des deniers à l'effigie de Louis , mais on omit son nom ; à Orléans , la légende portait DEXTRA DI BES, et, dans le champ , quelques lettres qui finissaient le sens de Pene- dictus ; à Chinon, le mot Ludovicus rex, élait rem- placé par le nom de la province Tvrow. Paris et ses en- virons , mettaient le nom de ville en deux lignes dans le PARISIS STAM SILVA , : P h: CINÉTAË - HIS NECT : "e CÔLÉ "oiX CR cnrs EL de l'autre côté unecroix, QUATRIÈME SECTION. 343 avec la légende ordinaire GRATIA DI REX, Mais sans nom de roi. Disons en passant, que la ville métropole d'une province imposait souvent son lype aux castra , dé- pendant de son autorité, et même aux cités circonvoi- sines.Ainsi les trois croisettes de Saintes,de Poitiers, etc. sont évidemment la degénérescence du monogramme d’'Eudes, qui, à Limoges, prenant une autre physio- nomie se localisa aussi sur les deniers des vicomtes de Turenne. Telle fut, selon nous, la seconde phase du type local, phase contemporaine de la première, et qui, dès la fin du X° siècle, commença à perdre ses légendes ano- nymes, pour prendre les noms des princes auxquels appartenaient les villes où elles étaient frappées.Aïnsi, à Orléans , nous voyons paraître le nom de Philippe Let de Louis VI ; à Senlis , et c’est un des premiers faits de ce genre , le duc de France Hugues, ajoute son autorité à l'autorité du type Rp CÔLÉ. GRATIA DI REX, en première légende, Hvco »vx,en seconde.Enfin, vers la fin du X° ou la 1" moitié du XI° siècle, à ces types anciens on en substitue de nouveaux ; Paris et le Parisis adoptent l'A et w. Le comte d'Anjou Foulques , le comte du Mans Herbert imposent leurs monogrammes, qui, dans plusieurs lieux, deviennent encore le type immuable des espèces monnoyées tel qu'au Mans et à Angers. Dans d’autres lieux, c’est la figure du Saint ; à St-Quentin , à Souvigny, à Tournus, et enfin à Chartres. M. Duchallais fait observer aussi, qu'il ne peut partager l'opinion de M.Lecointre sur l’origine du type Chartrain; il continue, avec Lelewel, à y voir la dégénérescence d’une tête humaine. Sans doute’, cette figure informe tend , à Ven- dôme et à Châteaudun , à se transformer en Châtel, pour imiter le type Tournois ; mais les premières monnaies, les monnaies anonymes, lui semblent tout-à-fait être la ressemblance dégénérée d'une tête d’homme.La person- nification de la ville, employée à Orléans, (car , selon 544 QUATRIÈME SECTION. lui, il faut dans le type Orléanais voir la personnification d'une ville , et non les barrières des lices d'Arles) ne lui parail avoir aucun rapport avec cette figure. Revenant à la question , il prétend que ce troisième élément du type ‘suivitles mêmes phases que les deux précédents et que d’anonyme , il se chargea de légendes , eu enfin ne dis- parut, comme tous les autres, qu’au triomphe du système tournois , vers le XIV° siècle; et, comme l’a fort bien observé M. Lecointre, l'ordonnance de 1315 lui portaune rude atteinte. Mais, dès avant cette époque , une autre germe de dégénérescence tendait à détruire le type local et à le dénaturer. L’ignorance et la barbarie des mon- nayeurs des X[° et XII° siècles, était extrême ; au XII°, une renaissance s’opéra dans les arts, mais les nova- teurs,plus occupés à réformer les types qu’ils ne compre- naient plus, qu’à les copier fidèlement, les altérèrent de plus en plus, et finirent enfin par remplacer par des croisettes, des fleurs de lys et d’autres figures de leur choix, les pièces des types qui, pour eux, n'avaient plus aucun sens. C’est ainsi que la tête chartraine, d’altéra- tions en altérations, finit, à Châteaudun et à Vendôme, par se transformer en un châtel tournois, pour imiter la monnaie royale; qu'au Mans, le monogramme d’Herbert finit par se transformer en couronne,pour imiter les mon- naies royales de Philippe VI et de Jean ; qu'à Angers, le monogramme de Foulques devint une clé , accostée de deux fleurs de lys ; qu’à Nevers le mot devint une fau- cille, accompagnée d’une étoile et d’une fleur de lys.Tout cela, quelque singulier, quelque bizarre que cela paraisse, n’en est pas moins certain. Comment en douter , quand, sur une monnaie de Troyes, on voit une des lettres du monogramme de Thibault se transformer en fleurs de lys, tandis que toutes les autres parties restent intactes. Avant de terminer , M. Duchallais fait observer encore , que, comme dans les périodes carlovingiennes et méro- QUATRIÈME SECTION. 545 vingiennes , les types accrédités furent copiés par les seigneurs du voisinage qui n’avaient point de types à eux; ainsi le monogramme de Foulques fut copié à Mont- luçon et à Gien , dont le seigneur , nommé Geoffroy , imite servilement le denier de Geoffroy d'Anjou. A Cas- tellumdon (sans doute Chasteldon en Bourbonnais?) le monogramme d'Herbert servit de modèle, et là, pour co- pier le plus exactementque possible la monnaie du Mans, le propriétaire de l'atelier monétaire, qui sans doute était forcé de mettre sur ces espèces le nom du roi de France, écrivait sur la légende Lvpovicvs vavir, pour faire allu- sion bien certainement à la légende des deniers du Mans, sieNum per vivr. Dans certaines localités, ce type devint immuable comme à Gien, dans d’antres, il fut passager, comme à Montuçon. Après cette discussion, MM. Lecointre et Duchallais s’accordent à présenter, comme résultat de la discussion, la réponse suivante à la dixième question : «La Monnaie Carlovingienne a, dansle principe, servi de modèle à la monnaie locale. Ce type , altéré par des dégénérescences successives , se continue dans certaines provinces jusqu’à la généralisation des systèmes tour- nois , parisis (par l'ordonnance de 1315, le roi régla le type des monnaies baronales. ) Vers la fin du XI° siècle, quelques barons et quelques abbayes substituèrent , au type carlovingien , quelques types originaux qui eurent le même sort ; quelques barons même imitèrent les types les plus accrédités de leurs voisins. » M. l'abbé Manceau soumet, à la Section, le dessin co- lorié d’un vitrail légendaire de la cathédrale de Tours et l'accompagne d’une notice descriptive dont la lecture est entendue. M. Lecornrre fait hommage au Congrès : 1° d'un Bap- port sur les travaux de la Societé des antiquaires de l'Ouest, pendant les années 1837 et 1838 ; 2 d’une ÂVo- lice sur une médaille d' Amaury Bouchard; 3° d'un 546 QUATRIÈME SECTION. Rapport sur une découverte de monnaies du moyen- âge ; de la Légende de Saint Julien-le-Pauvre , d’après un manuscrit de la bibliothèque d'Alençon. M. le Président , au nom de la Section, vote des re- merciments au donateur. Ïl est onze heures et demie, la séance est levée. SÉANCE DU 18 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. le Vite. DE GUITON DE LA VILLEBERGE. La séance est ouverte à neuf heures, le procès verbal de la séance précédente est adopté. M. l'abbé Cnevereau étant forcé de s’absenter , M. Ducnazrais,Secrétaire-Adjoint,est chargé de le rem- placer. M. BEAUDE, professeur d'Archéologie monumentale au collége de Goincourt, près Beauvais , dépose sur le bureau un travail relatif à l’Archéologie ; renvoyé à la commision. M. pe FoRMEvILLE a la parole pour lire un travail sur l’Origine et l'Etat des corporations industrielles au moyen-àge. M. le Président remercie M. de Formeville de son in- téressante communication , au nom du bureau, qui dé- cide qu'il sera proposé à la commission centrale d’en faire lecture à la séance générale. M. ne FoRMEvILLE présente ensuite au bureau trois questions, en priant de les soumettre au prochain Congrès : Voici la teneur de ces questions : 1°«Quelest le caractère de l'invasion des Francs dans les Gaules au 5° siècle... Ont-ils détruit les Municipes Romains ? Ces peuples ont-ils voulu alors fonder une QUATRIÈME SECTION. 547 Monarchie? Quelles étaient les institutions gouverne- mentales des Francs, et comment se sont elles déve- loppées dans le pays conquis ? 2° Comment se sont établies nos communes , soit ur- baines , soit rurales ? ° Les Jurandes ont-elles une origine romaine , ger- manique, ou purement française ? M. Dougzer pe Borsrmisauzr, de Chartres, fait quel- ques observations sur le travail de M. de Formeville ; il prétend que les abus attribués par le préopinant à l'existence du compagnonage, ne sont pas tels qu’on les a signalés. Leurs statuts ne contiennent rien que de louable et d’utile. M. Dougzer ne BoisTuiBAULT prend ensuite la pa- role sur Ia sixième question dont il demande la réunion à la seizième. ( Voyez le Programme). L'opinant pense 1° que, contrairement à l'opinion de M. de Caumont, qui place la construction de l'Eglise de Chartres au 1% et 13° siècles (les Cryptes et quel- ques autres parties exceplées), il faut, avec M. de Jolimont , en reporter l'achèvement à Ia fin du XII° siè- cle. L'intérieur de l'Eglise appartient au XII siècle, les piliers ronds, cantonnés en croix, la jolie galerie qui règne au-dessus des arcades , et ses fenêtres divisées en roses et panneaux terminés en trèfles, offrent, dans toute sa pureté , le style du XIT° siècle ; 2° que le caractère de l'architecture de Chartres repousse, comme les docu- ments historiques , l’incendie de 1194, puisqu'une grande partie de ce monument , tel que nous le voyons aujourd'hui , est antérieure à cette époque. Personne n’ayant demandé la parole , la discussion sur la Philosophie de l'Histoire est à l’ordre du jour. M. Pauz DeLasaLe s'exprime en ces termes : Dans le Programme des questions qui doivent s agiter au sein du Congrès , se trouve la question suivante : 548 QUATRIÈME SECTION. « Signaler les avantages et les inconvénients de ce ? Q . us . . . » que l’on nomme ?hrlosophie de l'Histoire. Doit-elle » toujours accompagner l'exposition des faits où s’en » trouver séparée ? » Voici ce que nous avons à dire sur cette question : « Inventorier les faits, les classer, les raconter au monde, voilà ce qui s'appelle de l’histoire ; apprécier ces faits , chercher leur lien et leur tendance , se prononcer sur leur valeur sociale et sur leur moralité relative, en déduire des enseignements pour le présent et des jé à ; ; | nur prévisions pour l'avenir, telle est la Philosophie de l’'His- toire. » On s’effraie beaucoup trop,selon nous, de l'usage dé- sastreux que l’on peut faire des doctrines philosophiques. Toutes les philosophies ne sont pas bonnes, sans doute, mais elles sont nées pour se corriger les unes les autres. Et d’ailleurs , il vaut encore mieux subir un désordre que de supprimer un principe. En ce monde, où ne rè- gne aucune synthèse générale, où chacun produit la sienne et détruit ou dénature à plaisir tout ce qui pour- rait la gêner, un écrivain hostile au progrès, par exem- ple, arrive aisément, au moyen d’un certain savoir faire, à disposer les événements dans l'intérêt particulier de ses tendances ; un novateur fougueux n’y trouve pas moins d'éléments pour étayer ses manœuvres subver- sives; el ceux qui passent leur temps à ébranler une classe, une institution, une croyance, peut-être déjà mortes toutes trois , n’ont qu’à faire un pas dans l'arsenal historique pour y trouver des armes à leur portée. » Les abus auxquels a donnélieu l'emploi de la méthode philosophique ne sont pas un motif suffisant pour la proscrire. S'armer de rigueur contre elle, en haîne d’un mal qu’elle n’a pu empêcher, mais qu’elle n’a pas fait naître, ce serait condamner le vin, parce que quelques malheureux s'énivrent, ce serait nier la providence , QUATRIÈME SECTION. 34 parce qu'il y à des innocents qui souffrent et des misé- rables en honneur. » On fait de l’histoire tout ce qu’on veut» a-t-on dit, et cela est vrai : la plus triste chose qu’on en ait pufaire, ce sont assurément les romans historiques, et ceux-là ne procèdent pas de la philosophie. Mais d’autres aber- rations plus graves doivent être signalées, pour qu'on les évite, si faire se peut. Tant de gens sont disposés à prendre l'imagination pour la raison, et la poésie pour la science , que les erreurs de ce genre doivent être communes. Les historiens de cette sorte sont sujets aux hallucinations les plus étranges : Le vieux Vico les égare ; Hegel et Herder leur montrent des aperçus imaginaires ; Ballanche et Châteaubriand lui-même les bercent d’illu- sions immenses, mais fugitives, et Michelet nous disait un jour, avec une certaine amertume : « On m’accuse d'être Poëte! » » D’autres substituentla fatalité à la providence, et font de la chaîne des événements une lourde entrave jetée à travers la liberté et la moralité humaines. » D'autres encore s'emparent du passé comme d’un pa- trimoine, le divisent en périodes systématiques que rien dans les faits ne justifie, et cherchent à asseoir sur celte base fragile toute une théorie de bien ou de mal, de perfectibilité ou de décadence. » Gardons-nous de tomber dans ces écarts , et surtout de violenter , pour entirer des conséquences absurdes, les œuvres durables qui se produisent. Bacon a dit : « Un peu de science mène à l’athéisme, beaucoup de science mène à la religion. » Nous pouvons dire après lui qu'un peu de philosophie mène à dénaturer l’histoire, que beaucoup de philosophie mène à la compléter et à l'agrandir. C’est là en effet ce qui explique pourquoi tant d’historiens, prétendus philosophes, se sont four- voyés , et pourquoi les hommes, aux instincts bornés et 550 QUATRIÈME SECTION. aux impressions soudaines mais incomplètes, ont pu réprouver en masse ce qu'ils auraient accepté avec ar- deur , s'ils avaient sù distinguer le vrai du faux, et les principes inattaquables des maladroits commentaires dont on est venu les obscurcir. » Au reste, on ne court aucun risque, croyez-le bien , en colorant de quelque poésie la matière historique , en exagérant même, au besoin, les proportions des hom- mes et des choses qui ne sont plus. Il faut aimer l’'hu- manité pour bien la peindre ; la philosophie de l’histoire nous apprendra à ne mépriser aucune civilisation anté- rieure, à ne plus flétrir aucun peuple du nom de bar- bare, à ne plus mettre sur le compte de la nuit des temps ce qui ne doit être attribué qu'aux ténèbres de notre propre intelligence. » Éclairés de ce flambeau, les institutions et les faits ap- paraissent sous des points de vue inconnus jusqu'alors : la vérité rentre dans l’histoire par toutes les portes, même par la porte des songes; si l’on voit moins nette- ment chaque détail, on distingue mieux l’ensemble; et de celte étude élevée , de cette contemplation un peu ré- veuse , naissent des appréciations pleines de portée et de grandeur , de véritables révélations historiques, aux- quelles ne seraient jamais arrivés les faiseurs de chro- nologies , et auxquelles la science exacte viendra tôt ou tard apporter sa rigoureuse consécration. » En résumé, deux écueils se rencontrent sur la route de l'historien ; l’écueil de l’'empirisme, qui le réduit à un rôle puéril, à une biographie vulgaire, à une stérile et sèche nomenclature; l’écueil de lidéalisme , qui im- pose aux faits des combinaisons forcées, de mons- trueuses alliances , dans l'intérêt d’une passion ou d’une utopie. » Les deux écueils existent : Efforcons-nous d’en faire deux soutiens , deux degrés du temple scientifique. QUATRIÈME SECTION. 551 Demandons à la méthode descriptive son secret d’ana- lyse et de détails; à l’autre, ses aperçus infinis et sa remarquable puissance de généralisation. Laissons l’his- torien pur inventorier les faits, discuter les dates, fouiller les décombres et les cartulaires ; mais laissons aussi l'historien philosophe rechercher l'âme de ce grand corps, sa raison d’être et sa destinée. La division du travail est le secret de tous les succès possibles, par- tageons la tâche selon les aptitudes ; séparons, pour les réunir plus tard , la pratique et la théorie. Le cri- terium définitif qui doit dominer la science nouvelle ne peul encore être trouvé, parce que nous sommes trop près des ruines qui viennent de se faire. Maïs le moment viendra où il n’y aura plus autant d'histoires que de peuples, autant de systèmes que d'hommes ; où les croyances ne seront plus seulement des opinions. Ce mo- ment viendra quand la prophétie de Vico : « aux meilleurs l'empire du monde , » sera sur le point de se réaliser dans la sphère de l'intelligence ; et les plus grands enne- mis de notre opinion seront alors sans doute les pre- miers à comprendre que vouloir isoler la philosphie et l'histoire, c’est vouloir le fait sans le droit , l'énigme sans le mot, l’apologue sans la moralité. » M. Léon de LasrcoriÈRE , tout en applaudissant à la justesse et à l'élévation des vues de M. Delasalle , ex- prime le regret qu'il n’ait pas établi d’une manière plus nette la différence qui sépare la philosophie de l'histoire proprement dite, de l’histoire philosophi- que. La philosophie de l’histoire cherche les liens des faits entr'eux et leurs tendances, elle s’appesantit sur leurs causes et sur leurs résultats bien plus que sur leur va- leur individuelle. Dans l’histoire d’un peuple, elle ne voit qu'un des anneaux de la grande histoire de la pen- sée et de la civilisation humaine ; ou bien encore elle 352 QUATRIÈME SECTION. suit le développement de certaines idées , de certaines vérités à travers les faits et les temps. L'histoire philosophique , moins ambitieuse , se con- tente d'apprécier la moralité des faits qu’elle raconte , et leur importance par rapport à ceux qui les ont plus immédiatement précédés ou suivis. Elle repousse la maxime de l’école descriptive serthitur ad narrandum non ad probandum , et , tout en en évitant de regarder les hommes et les choses du passé à travers les opinions etles préjugés modernes , elle ne sépare pas la mora- lité de l’action humaine , elle conduit au tribunal de la critique et de la raison, rois et sujets, peuples et indi- vidus, et leur demande un compte sévère de leur con- duite. La meilleure histoire serait celle qui , à la peinture naïve , variée des mœurs , au narré fidèle des événe- ments , unirait l'esprit de critique qui juge et apprécie les faits en eux-mêmes , et la philosophie qui la combine et la coordonne en vastes systèmes. Maïheureusement la réunion de ces mérites si différents est et sera tou- jours fort rare. L'école descriptive a déjà fait son temps , elle ne pou- vait satisfaire aux exigences de notre intelligence et de notre cœur. L'histoire philosophique, dontle XVITI° siècle atantet si souvent abusé, s’est retrempée dans une étude plus consciencieuse , plus approfondie des faits. Elle offre de grands avantages, elle sera toujours plus populaire que la philosophie de l’histoire. Quant à la philosophie de l’histoire elle-même, elle offre tant d'incertitudes ,et de contradictions; elle se prête si complaisamment à toutes les exigences de l'utopie et de la passion; les vérités philosophiques qui en sont l'âme sont si peu constantes même chez les meilleurs esprits, et les vérités positives, les vérités de détail dont elle doit QUATRIÈME SECTION. 355 exprimer et extraire en quelque sorte la plus pure subs- tance, pour se l’approprier ,sont si peu constantes chez les plus savants , qu’elle offre beaucoup de dangers. Je l'admire ; mais j'en ai peur. Je l’accepte ; je ne puis la conseiller. Si j'étais consulté par un jeune homme vou- lant écrire l’histoire , sur la meilleure méthode à suivre, je lui dirais : « Etudiez , étudiez beaucoup , faites de » l’histoire descriptive d’abord. Contrôlez ensuite les » faits par vous acquis à l’aide de votre raison et de » votre Cœur; mais ne cherchez pas à faire dela philoso- » phie de l’histoire. Si vous êtes assez grand , assez » fort pour cela, vous en ferez plus tard , sans le savoir » et peut-être sans le vouloir... Mais ceux-là seuls » Ont droit d'en faire qui ont remué beaucoup de faits » et d'idées. C’estla massue d’Hercule que peu de mains » ont le droit de toucher. » M. de FoRMEvILLE prend la parole, et, dans une lon- gue improvisation , cherche à établir que la philosophie de l’histoire est bonne comme méthode et non comme principe. « Rechercher, dit-il, les avantages et les inconvé- nients de la philosophie de l’histoire, et se demander s’il faut ou non lui faire faire alliance avec les faits, ce n'est point autre chose que s'occuper de l'application plus ou moins opportune de l'analyse et de la synthèse ; l'un se recueille et coordonne les faits, l'autre en fait sor- tir une loi commune , un dogme ,un système pour l'ap- pliquer à la société. « Dans les premiers temps historiques, il n’y a pas de philosophie de l’histoire , les faits manquent , on les re- cueille ; on fait des chroniques et des légendes. C’est ce que l'on a fait en France durant tout le moyen-âge. » Plus tard, aux XVII* et XVIIL® siècles, ceux qui Ont cru savoir quelque chose se sont livrés aux gran- des synthèses historiques , aux systèmes. 554 QUATRIÈME SECTION. Lorsque le doute revient, comme de nos jours, on emploie d’autres moyens de procéder ; on demande à l'éclectisme qui choisit, de nous faire connaître la raison des choses. » Nous sommes maintenant en toutes choses à cette troisième époque. Partout l'éclectisme règne, comme conséquence de l'esprit d'examen , et il prépare les transactions devenues nécessaires entre les systèmes les plus divergents. » En religion , l'absence de toute croyance a fait naître un éclectisme humanitaire qui ramène les bons esprits à la foi du christianisme. » En philosophie, le chef de l'école, Cousin, professe l'éclectisme ; s’il traduit Platon, Proclus et d’autres phi- losophes, c’est afin d'arriver s’il se peut à l'unité, au mi- lieu de tous leurs systèmes. » En politique , le système constitutionnel s’est établi comme utile intermédiaire entre les monarchies abso- lues , et le radicalisme démocratique. » En médecine, depuis Broussais, a-t-on jamais fait plus d’éclectisme ? » En littérature et dans les arts , la querelle dure tou- jours entre le classique et le romantique. L’anarchie est an camp; mais il s'élève une école, qui, sans abandonner les sévères traditions de l'antiquité, saura profiter de la hardiesse heureuse des novateurs. Les écarts les plus désordonnés ramènent toujours invariablement au vrai. » Quant à l'histoire, que font donc nos grands écri- vains , Guizot, Thierry et Michelet, sont-ce des systè- mes ? non; mais de la science d'observation. » Que peut donc être la philosophie historique à notre époque? Une simple méthode d’étude ou d’ensei- gnement , et non un principe absolu. Les études histo- riques sont trop peu avancées , puisque tout le moyen- QUATRIÈME SECTION. 555 âge nous est encore inconnu, pour pouvoir rien affir- mer dogmaliquement sur nos grands événements na- tionaux du temps passé. » D'ailleurs la philosophie de l’histoire est-elle ja- mais arrivée à la vérité , c’est-à-dire, à l'unité d'opinion parmi les historiens? Non , dans aucun genre. » En effet, dans l’histoire humanitaire, Bossuet, Vico, Herder , Ballanche et autres, se contredisent tous dans l'explication des mêmes faits. L'un fait présider partout la main de Dieu, d’autres le hasard , le fatalisme. Le dernier fait dériver surtout les événements de l’activité humaine , et des lois de la nature. » En fait d’historiens politiques , parmi ceux des deux derniers siècles , tels que Boulainvilliers, Mably , Dubos, etc. Les uns sont pour la monarchie , les autres pour les droits du peuple , surtout dans la grande ques- tion de l'établissement des Francs au V° siècle sur notre territoire. De notre temps , Bonald et de Maistre ont préconisé la royauté comme étant de droit divin , d’au- tres leur ont répondu par la révolution de juillec, et avec ses conséquences les plus radicales. » On ne peut donc pas dire , quant à présent, que la philosophie de l’histoire ait produit la vérité , puisque personne n’est d'accord. Elle serait même plus nuisible qu’utile par les mauvais systèmes qu’elle fait éclore, si toutefois elle n'était toujours heureusement employée comme artifice de méthode pour favorier le dégagement de certains faits inconnus. » Quant à l'application que l’on peut en faire aux re- cherches historiques actuelles , à nos grands événements politiques peu connus , l'emploi doit en paraître à tout homme impartial, merveilleux comme méthode, et fu- neste comme théorie absolue à livrer à Ia jeunesse ; car il n’est pas d'erreurs que l’on ne puisse lui inculquer à l’aide de ce faux semblant de raison ; la prudence de- vrait du moins imposer le doute. 356 QUATRIÈME SECTION. » L'histoire est encore si peu avancée que les meil- leures ne sont que des monographies, c’est la seule voie rationnelle à suivre à notre époque. » Faites donc faire de la philosophie historique à des jeunes gens sur la monarchie de France, sur l'établisse- ment des Communes , sur l’origine des Jurandes , lors- qu'à peine vous connaissez les premiers mots de toutes ces choses. » Il faut donc attendre la lumière des temps , et la chercher plutôt dans l'étude des faits que dans les spé- culations d’une raison encore mal éclairée. » M. le colonel Quenri prend la parole sur la même question : « La philosophie de l’histoire touche de si près à la politique , que souvent l’on confond l’une avec l’autre. C'est le défaut où sont tombés les historiens modernes, qui tous ont donné leurs systèmes politiques, pour de la philosophie. Or ces systèmes sont tous contraires aux vrais principes de la philosophie,dont l'essence est d’être impartiale , et amie de la vérité. » Parmi les historiens modernes, les uns ont écrit l'his- toire dans l'intérêt de la monarchie absolue , les autres dans l'intérêt de la république, les autres dans l’inté- rêt de l’église romaine, les autres dans l'intérêt de l’é- glise protestante ; tous ont eu un but particulier, poli- tique , el iis ont exploité l’histoire dans ce but. Il n’est aucun lecteur qui en ouvrant un ouvrage moderne sur l'histoire, ne voie de suite que l'historien a un-système politique , beaucoup plus applicable à un homme d'état qu’à un philosophe. » L'histoire se compose d'éléments divers, dont la lu mière est nécessaire pour rendre une œuvre historique complète. En première ligne sont les événements ; vien- nent ensuite la religion, les mœurs, les usages, les arts, (out ce qui compose la civilisation. La plupart de QUATRIÈME SECTION. 397 historiens jusqu'aux modernes se sont bornés aux évé- nements, ils ont négligé la civilisation, ils ont laissé ainsi une lacune qu’on cherche à remplir aujourd’hui ; et une histoire n’est complète que lorsqu'elle a satis- fait aux diverses conditions que nous venons d’ex- poser. é » Le désir de présenter des aperçus neufs, de montrer les peuples et les événements sous un jour nouveau, enfante des systèmes. Pour les Soutenir, on choisit les événements favorables à sa cause , On laisse de côté ceux qui lui sont contraires. On se rend ainsi coupable de partialité. : » Lesanciens historiens en ont été eux-mêmes accusés; mais ils ont moins mérité ce reproche que les historiens modernes. Le désir de se présenter comme des philoso- phes et des hommes politiques a séduit , Entraîné ceux- ci,et ils ontemployé l’histoire à servir des syslèmes basés sur leurs inclinations politiques. » La philosophie de l’histoire repose Sur des principes, et non sur des systèmes. Or, ces principes, l'homme ju- dicieux et instruit, les trouve en lui-même et dans son propre fonds, et il voit avec peine qu'un historien veuille lui imposer des doctrines , au lieu de se contenter de lui faire connaître des faits. F » L'homme qui veut être historien réunit tous les do- cuments qui peuvent établir les événements , et la civi- lisation des habitants du pays dont il entreprend l’his- toire. Il analyse ces documents et les soumet à une cri- tique sévère. Quand il a ainsi préparé son travail,ilentre en matière et établit les faits de La manière. la plus claire et la plus exacte. Lorsque certains faits sont rapporiés diversement par les historiens anciens et les chroni- queurs, ils les met en présence les uns des autres, il les Compare , et met le lecteur à même de décider la ques- tion. Alors il est permis à l’auteur de donner son opi- nion personnnelle, en l’'appayant de raisons solides ; Mais 23 358 QUATRIÈME SECTION. il doit être court et surtout impartial ; et il doit même se faire une loi de présenter les objections que son opi- nion peut soulever, afin que le lecteur soit lui-même juge de la question. » Lorsque les faitssont décritsavec critiqueeL exactitude, lorsqu'ils sont accompagnés d’un tableau vrai de la civi- lisation de l'époque décrite, le devoir de l'historien est rempli. Sans doute, ildoit lui être permis d'ajouter quel- ques réflexions aux faits dont il a rendu compte, mais il doit en être très-sobre. Toutes ses assertions doivent être appuyées sur une logique consciencieuse. L'auteur doit se défier surtout de son imagination : ce n’est pas avec l'aide de l'imagination qu'on écrit l'histoire , c’est avec l’aide de la vérité et de la conscience. » Pourquoilit-on l’histoire ? C’estheaucoup moins pour connaître le système politique d’un auteur , et son opi- nion , que pour s’instruire des événements qui ont rendu des peuples et des hommes célèbres. L’historien doit donc éviter les longues dissertations. C’est dénaturer l'histoire et la rendre ennuyeuse, que de la noyer dans des discussions politico-philosophiques. » Pour nous résumer sur cette matière , la philosophie de l'histoire, telle qu'on l'entend aujourd’hui, est l’oc- casion de doctrines dangereuses pour le repos et le bon- heur des peuples. » Parmi beaucoup d'hommes qui ont le talent d'écrire, il en est peu qui soient sans passions et véritablement philosophes.Or, lorsqu'un écrivain n’est pas philosophe, il ne doit pas faire de la philosophie , il doit rester dans l'histoire. Sans refuser donc à l'historien le droit d’émet- tre quelquefois des réflexions philosophiques , il doit lui être prescrit de les rendre courtes et surtout de ne ja- mais hasarder de principes douteux. Or, ce qui est principe et philosophie est toujours fondé , non sur la politique , mais sur les règles étroites de la morale et de l'équité. QUATRIÈME SECTION. 3559 » De ce qu’on nomme la PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE. » Première partie. Jusqu'à présent les inconvénients n’ont pas été moindres que les avantages, et c’est proba- blement cette raison qui a motivé la question. » Deuxième partie. Doit-elle toujours accompagner l'exposition des faits, ou s’en trouver séparée ? » L'écrivain doit rester complétementlibre à cetégard, il doit seulement se borner à ne pas étouffer l’histoire par. des discussions philosophiques. » En définitive, l'absence de prévention est, de tou- tes les qualités de l'historien, la plus désirable et la plus rare. » L'heure avancée force M. le Président d’ajourner à la prochaine séance la continuation de la discussion. M.Larr présente, à la Section,de la part des auteurs : 1° Un ouvrage intitulé : Des moyens de propager le goût de la musique en France et particulièrement dans les départements de l'ancienne Normandie, par M. J.-F. Porte. 2° Un autre ouvrage portant pour titre : De l'etat de la musique en Normandie depuis le IX® siècle jus- qu'à nos jours, par M"° Emma Chappin. La séance est levée. 360 QUATIMIÈMB SECTION, SÉANCE DU 19 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. le Vicomte de Cussy. La séance est ouverte à neuf heures. M. pe Guiron étant forcé de s’absenter, M. le Vi- comte de Cussy siège à sa place. Le procès verbal de la séance précédente est adopté. M. pe Caumonr réclame contre l'opinion émise par M. Doublet de Boisthibault, dans la séance précédente, sur l’âge des constructions de la cathédrale de Chartres. Le style archéologique lui a paru à lui,comme à tous ceux qui s'occupent d’architectonique , présenter tous les ca- ractères du style ogival qui a paru vers le XIL° siècle seulement, il fait observer en outre que l'Église de Char- tres ne fut consacrée qu’en 1260 ; il fallait donc qu'il y eùt quelques parties inachevées avant cette époque. M. pe Caumonr rend du reste hommage au curieux travail de M. Doublet de Boisthibault, et propose au bu- reau d'en voter l'impression. La Section vote l’impres- sion du Mémoire. M. de Caumont présente alors au bureau quelques réflexions qu’il prie d'insérer à la suite du travail de M. de Boisthibault. Cette demande est ac- cueillie. M. »E BorsTurBAULT persiste dans l'opinion par lui émise dans son mémoire , et l’appuie sur les documents historiques et architectoniques qu’il a inventoriés. M. Drouer a la parole pour traiter la sixième ques- tion ainsi conçue : Aechercher les types les plus habi- tuels des médailles Gauloises. I] lit sur ce sujet un mémoire dont voiciun extrait : Dans l’état actuel de l’étude des monnaies des Celtes et des Gaulois, cette étude a été si négligée par le plus grand nombre des QUATRIÈME SECTION. 361 personnes qui s'occupent de notre numismatique nationale, qu'il est assez embarrassant de répondre à cette question d'une manière satisfaisante. En effet , nous n’avons point encore d'ouvrage spécial pour cette branche de notre histoire monétaire, et il n'existe que quelques notices , dissertations ou mémoires isolés sur les médailles des peuples de la Gaule. Depuis trois à quatre ans seulement , on fait, à leur sujet , ilest vrai, des observations et même quelques rares attributions , mais les documents qui en sont résultés , ont été en si petit nombre, qu’il est bien désirable que M.de la Saussaye, directeur de la revue numismatique à Blois, et M. Lambert, bibliothécaire à Bayeux , puissent bientôt livrer au public le résultat de leurs longues et savantes études sur ces médailles. Que leurs excellentes doctrines, que leur système d'explication des monnaies gauloises viennent donc éclairer la marche si obscure de cette époque de notre nu- mismatique nationale ! Toute couverte de ténèbres , envain y saisissons-nous quelque chose de notre passé ? Ces médailles sont muettes le plus souvent, c’est-à-dire dépourvues de toute légende , de toute indicatiou écrite. Et, si déjà nous n’en avions interrogé un grand nombre extraites du sol de la Sarthe, si nous n’en avions aussi étudié une grande quantité trouvées hors ce départe- ment ,il nous serait difficile d'essayer à vous décrire , en ce jour, une partie seulement des types sur lesquels est appelée l'attention du Congrès. Ce mutisme des médailles gauloises, tout extraordinaire qu'il soit, ne doit étonner personne ; il n’est réellement que la conséquence naturelle du principe fondamental des Druides,qui était de ne jamais rien écrire , et qui ne devait souffrir ainsi aucune légende sur les monnaies des Gaules. Ah! pourquoi les historiens latins parlent-ils si peu de nos ayeux ? Pourquoi faut-il qu’il ne nous reste de l’his- toire des Gaulois que ce que César a bien voulu nous en dire dans ses Commentaires ? Conquérant , il dût chercher à faire disparaître notre nationa— lité, il voulût ensevelir dans le plus profond oubli toutes les tradi- tions de nos coutumes , de nos mœurs. Cependant, sans l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie par le farouche Omar, nous ne serions peut-être pas autant au dépourvu de notions sur notre his- toire ; car il existait, dit Ammien Marcellin, une Histoire des Gaules par Timagènes. Espérons qu’elle se retrouvera , mais, en attendant , reconnaissons toujours que les médailles où monnaies gauloises sont : 562 QUATRIÈME SECTION. 49 Ou purement gauloises ; 20 Ou des imitations de monnaies grecques, notamment du statère de Philippe I, roi de Macédoine, et de ses divisions , 30 Ou des imitations de monnaies Romaines ; Et que celles de la deuxième cathégorie s'expliquent fort bien par les fréquents rapports des Gaulois avec les Grecs , mème avant la fondation de Marseille , comme celles de la troisième par les 400 années d'occupation des Gaules par les Romains.Abordons en- suite la question des types les plus habituels des médailles gau- loises ; ils nous serviront, je le crois , à consacrer certaines attri- butions, Et d’abord , avant l'invasion des Romains , quels types voyons- nous sur ces monnaies de cuivre ou potin , moulées, si grossières , si muettes , de même qu'après leur occupation sur celles d’or , ou d’électrum ou d'argent , frappées au marteau ou au mouton ? 10 Celui de la roue à quatre rayons à jour , médaille fort rare , regardée, par le savant M. de Sauley, comme le type de la monnaie primitive d'une grande partie des peuples de la Gaule. 20 Celui du sanglier ou pore , le Sus Gallique , type fort répété et dans lequel vous verrez comme moi l'emblème de l’Élève , par les gaulois , de ces bandes innombrables de pores dont ils se nourris- saient, et dont ils faisaient un commerce énorme avec Rome , toute l'Italie et même la Grèce, Ausonne , poëte latin, mort en 395 , parle des embarras de Bordeaux et de la contrariété des piétons éclaboussés par les nombreux porcs qui y erraient , « Sus lutulenta fugit. » Dans le moyen-àge même , l'importance de l'élève des pores se soutenait également, car ils erraient aussi dans le rues de Paris , vers 1150 , sous Louis le Gros, puisque ce fut un porc qui causa la mort du prince Philippe son fils, en venant se jeter entre les jambes de son cheval. 30 Celui du bœuf couché , Bison ou Aurocbs , très-fréquent sur les médailles moulées des provinces centrales. 49 Celui du taureau Cornupète ; ce type et les deux précédents sont sans doute les emblêmes de la vie de nos ancêtres, presque toute passée au milieu des forêts. 5o Celui d’un cheval à face humaine , dit Pégase Gaulois ; en course , au galop, il entraîne un char conduit par un génie radié, par Apollon peut-être, ou par un personnage assez confus qui QUATRIÈME SECTION. 365 tient un fouet au bout duquel pend devant la tête du cheval un symbole carré renfermant une croix ou un X sic Cq 6° Celui du cheval libre, symbole de l'indépendance pour la- quelle combattirent si long-temps les Gaulois. Ce cheval est quel- quefois aîlé comme le Pégase grec ; presque toujours en course , au galop , il foule aux pieds divers symboles que je crois être les différents monétaires des médailles des peuples qui en ordonnaient la fabrication. 70 Celui du cheval sellé ou monté, emblème de la passion de nos ancêtres pour les expéditions militaires. 80 Celui du cheval au repos ; c'était sans doute l'emblème de Ia paix , quand les Gaules en jouissaient. 90 Celui d’une tête de veau-marin ou phoque, que M. le mar- quis de Lagoy, en l’attribuant aux monnaies de Marseille, re— garde comme une allusion au nom des Phocéens qui fondèrent cette ville. ? (Voïr sa description de quelques médailles inédites de Mas- silia , etc etc, in-40 , 2 pl. gravées ; Aix, Ponticr, 1854.) 10° Celui de la croix , formée de deux barres transversales se croisant à angle droit ; c’est un reste de l'emblème de la monnaie primitive des gaules. 410 Celui d’un oiseau éployé. 12° Ceiui d’une aigle éployée. 130 Celui d’un cerf en course. 140 Celui d’une tête de loup. 150 Celui d’un homme à longue chevelure, nu, sautant ou courant. 160 Celui d’un chien marchant. 470 Celui d’une tête de cheval à crinière tressée. Mais tous ces types sont ordinairement accompagnés de symboles ou emblèmes que nous allons indiquer en rappelant que nous les regardons comme les différents monétaires de ces temps-là. Ces symboles sont ordinairement : L'Aigle ou vautour placé au-dessus du cheval et sem- blant le becqueter , La rouelle à quatre rayons, Une rosace , La fleur dite de lotus , La fleur de lys, Des débris de char , Une hache , 564 QUATRIÈME SECTION. Un glaive à large tranchant , L'étoile à cinq pointes , Une main ouverte, Un vase, Le Diota , sorte de vase grec , Le cercle avec un point au centre , Le triangle , Le croissant ou des croissants adossés , Une arche, Un pont, Un «> couché ou non, Un ennemi ou soldat renversé , Un génie aîlé renversé , Un carré contenant un X ou croix, La croix cantonnée de 4 points , Des lézards , Des rameaux chargés de baies. Enfin et encore le sanglier ou porc, signe sacré sans doute , puisqu'il figurait sur les enseignes militaires des Gaulois; tantôt placé entre les jambes du Pégase Gaulois, on le voit aussi et sur les mêmes médailles du côté de l’avers au-dessus de latèête. Chercherons-nous des explications pour tous ces symboles , en tirerons-nous des conséquences ? Dans l’état de la science , toute explication ne pourrait être qu'hypothétique , il serait prudent d'attendre la publication des ouvrages de M. de la Saussaye et de M. Lambert. Pourtant nous allons essayer de voir si , à l’aide de tel ou tel symbole placé sur les médailles gauloises , on ne pourrait pas dis siper un peu l'obscurité qui règne sur cette matière. Et vraiment , si dans une circonseription de lieu donné , telle qu'un départe- ment et mème l’ancienne province dont il faisait partie, vous trouviez souvent des médailles gauloises presque toujours au même type et au même symbole , ne penseriez-vous pas que cette fabrica- tion appartient bien ét duement au peuple qui habitait le pays où on la découvre ? Ainsi M. Chaudruc de Crazannes a écrit qu'on trouve fré- quemment sur l'emplacement celtique de Vieille Toulouse , situé aux portes de la grande cité actuelle de ce nom, ainsi que dans ses environs, des médailles d'argent offrant à l’avers une tête , celle d'un chef apparemment , et au revers le type de la croix. Entre ses branches, on remarque divers symboles tels que des croissants , la hache , des bracelets , des annelets , des cercles, une enclume , QUATRIÈME SECTION. 565 un marteau , un fruit pareil à celui de l'olivier , une fleur ressem-— blant à la fleur de lys héraldique, etc. Désignées par le peuple,on ne sait pourquoi , sous le nom de Sarrasines , on est d'accord aujour-— d’hui avec MM. de Saulcy , de Chaudruc de Crazannes , Barthé— lemi et Dumège , pour les restituer au peuple des Volces tecto- fages qui était assez voisin de Toulouse, et devait avoir des rela— tions de commerce avec cette ville. C’est beaucoup plus naturel que de recourir aux Maures d’Espagne et de croire, avec un au- teur, dont je reconnais néanmoins toutle talent, que ces monnaies ou médailles d'argent appartiennent à la civilisation Jbérique. Le Poitou, de son côté , offre très-fréquemment des médailles d’or au type du cheval ou Pégase gaulois en course , accompagné des symboles d'une main ouverte et d’un triangle. Vous les rap— porterez sans doute, avec nous, au peuple gaulois qui habitait cette province. Car si M. Lange, zélé antiquaire , en a bien trouvé quelques-unes aux environs de Saumur , leur présence , dans ce dernier pays, s'explique tout-à-fait par son rapprochement du Poitou et les relations commerciales qu’avaient ces deux contrées. Et si je ne devais pas borner ce mémoire , je multiplierais facile- ment les exemples au soutien de mon opinion. Ils fortifieraient en- core , si cela était nécessaire, celle de M. de Sauley, qui, au. Congrès scientifique de Blois , disait, « qu'à l'égard des » médailles muettes , l'indication du lieu où on les trouve habi- » tuellement est souvent le seul moyen de classification et que ce » moyen lui paraît offrir des résultats assez positifs. » Qu'il me soit donc permis de m’en appuyer pour attribuer , au département de la Sarthe , comme à la province du Maine , les médailles gau- loises en or que l’on y déterre journellement , surtout dans les lieux couverts de bruyères. Leur type et leurs symboles m'ont paru jusqu’à ce moment invariables. Leur module, imité du style grec , mais souvent plus barbare , est semblable à celui du statère de Philippe IT, roi de Macédoine et de ses divisions. On y voit, du côté de l’avers, comme sur les pièces macédoniennes, la tête d’Apollon ; du côté du revers , le cheval ou Pégase gaulois à face humaine , galoppant et conduit par Apollon , un génie ou une figure assez informe placée dans un char dont on-ne voit souvent qu’une roue. Cette figure tient à la main un fouet ou cordon au bout duquel pend , devant la tête du Pégase , un symbole carré contenant un X ou une croix au dessous desquels on remarque, mais rarement , trois globules placés en triangle. Ce Pégase gau- lois foule aux pieds un ennemi renversé , et c’est un soldat romain, car on en reconnait le costume , le casque et la lance. C’est donc , 566 QUATRIÈME SECTION. d’après l’opinion de M. de Sauley , une attribution toute probable , car les types et symboles dont sont chargées les médailles que je viens de vous décrire ne se trouvent, en aussi grand nombre que je sache, ailleurs que dans le département de la Sarthe. Et, ap- pliquant encore ce mème principe , que partage aussi un numis- mate non moins instruit, notre honorable collègue M. Lecointre- Dupont, de Poitiers, au département du Calvados et à une grande partie de la Normandie, j'attribuerai à ce pays des médailles gau- loises , en bas argent, qui s’y rencontrent fréquemment, et comme dans le département de la Sarthe, presque toujours aussi dans des lieux couverts de bruyères. Ces médailles, en style assez barbare et de la forme d’un statère grec, offrent à l’avers une tète grossière d’Apollon , entourée de cordons perlés, au milieu desquels se trouve , vers le haut , un sanglier ou porc. Au revers , on voit un Pégase gaulois galoppant et franchissant un autre sanglier ou pore placé entre ses jambes ; ce Pégase a aussi un conducteur , tenant un fouet avec le symbole carré. On en trouva, il y a cinq à six ans, une grande quantité de pareilles au Plessis Grimoult , arrondisse- ment de Vire , département du Calvados , à huit lieues environ de Bayeux. Réduits, comme vous le voyez, Messieurs, par le mutisme tout druidique des médailles gauloises, et après avoir répondu à la question des types les plus habituels de ces médailles, posée dans le Programme du Congrès du Mans , autant, nous le croyons, qu’il soit possible de le faire en ce moment, nous pensons néanmoins qu'on peut attribuer: 19 À LA NORMANDIE, Les statères d'argent, à la tête d’Apollon, avec un sanglier placé quelquefois au-dessus des cheveux , mais toujours entre les jambes du Pégase gaulois. 20 AU MAINE, Les statères et quarts de statères d’or, à la tête d'Apollon et au Pégase gaulois foulant aux pieds un ennemi ou soldat romain renversé. 50 AU HAUT LANGUEDOC, Les médailles ou deniers d'argent de Vieille Toulouse et envi- rons offrant d’un côté une tête de chef , et de l’autre les quatre branches de la rouelle (monnaie primitive des gaules) , cantonnées de divers symboles. QUATRIÈME SECTION. 567 40 AU POITOU, Les statères d'or , à tête d’Apollon, et au Pégase gaulois franchissant une main ouverte et placée verticalement entre ses jambes. Après celte lecture, plusieurs personnes demandent la parole, mais la discussion sur la Philosophie de lhis- toire , déjà entamée dans la séance précédente , de- vant avoir la priorité , les observations sur la sixième question sont ajournées à demain. M. pe Formevizze a la parole, et développe encore le système qu'il a soutenu dans la séance du 18. M. Pau DeLasare prend la parole et répond à M. de Formeville. Ilproteste , en commençant, contre un procédé de discussion qui consiste à mettre toujours la raison , la sagesse, de son côté , et à flétrir en quel- que sorte des adversaires futurs, en les qualifiant d’'hom- mes trop spirituels et de gens d'imagination. Il répond aux arguments de M. de Formeville. « M. de Formeville raisonne dans le relatif, et la ques- tion est posée dans l’absolu; c’est ce quioccasionne son erreur. M. de Formeville oppose l'absence de toute bonne formule philosophique, et l’existence des formules re- connues mauvaises ; Ces inconvénients réels nous invi- tent à chercher quelque chose de mieux , mais non à re- pousser le principe. Si tous les faits ne sont pas connus, il n’y a pas de raison pour que cela finisse; de nouveaux faits viennent toujours s'ajouter aux anciens, et il fau- drait alors ajourner jusqu’à la fin du monde l'application de la philosophie de l’histoire. « M. de Formeville a proposé au lieu de la philosophie de l’histoire, une histoire philosophique; ce n’est là qu'une question du plus au moins, et l'inconvénient de celte transaction serait de substituer à la philosophie de l'histoire , une histoire légèrement philosophisée. 503 QUATRIÈME SECTION. « Quant à l'intervention de la raison, de l’éclectisme, également proposée par M. de Formeville , la raison est une abstraction, l’'éclectisme n'existe plus, et on ne peut pas appuyer le monument historique sur des néga- tions. » Remarquons au reste que de gré ou de force il faut apporter une prévention quelconque dans l'étude de l'histoire , et il est à désirer que cette prévention soit une prévention raisonnée et philosophique. » M. Pau DerasALLe termineen exprimant le vœu que le vote du Congrès, à propos de cette question impor- tante , soit digne des lumières de l'assemblée et des pro- grès de l'intelligence moderne. Il formule ainsi sa réponse à la question du pro- gramme : « La philosophie de l’histoire a, comme toute chose humaine , ses inconvénients et ses avantages; mais les inconvénients de son emploi sont transitoires et relatifs, tandis qu’en raisonnant d’une manière absolue , les in- convénients de la méthode contraire sont graves et des- tructifs de toute science. Au reste, tout en respectant la liberté de chacun , il est possible qu’en raison de la di- versité infinie des systèmes et des opinions de nos jours, en raison aussi de l'espèce de défrichement laborieux qui se fait encore dans le domaine des faits, l’ana- lyse doive chercher à s’isoler momentanément de l'in- fluence des conceptions philosophiques. » M. l'abbé Auger a la parole sur le même sujet et s'exprime ainsi: » S’ilest quelque chose, Messieurs, qui importe à une as- semblée comme lanôtre, c’est surtout de ne laisser aucune idée incomplette , obscure ou fausse sur les matières que vous traitez ici. Il me paraît qu'avant tout il faut définir la philosophie de l’histoire. Qu'est-ce donc? Selon moi l'historien traite philosophiquement son récit , lorsqu'il y attache des idées morales, politiques ou religieuses , QUATRIÈME SECTION. 369 qui evaluent en même-temps et les grandes causes des faits principaux et les conséquences qu'ils ont eues sur les phases suivantes de l'existence d’un peuple; les idées d'appréciation doivent se prendre dans l'ordre moral ; elles doivent dominer tout le discours , démon- trer comment les faits, les siècles et les hommes se lient les uns aux autres dans un but tout providentiel, pour arriver au terme de la route que Dieu leur a faite ici-bas. C’est là ce qu'a si admirablement développé notre grand Bossuet, dans son Discours sur l'his- toire universelle. Et comment se fait-il donc, Mes- sieurs, que l'honorable M. de Formeville ait avancé que Bossuet s'était laissé tromper comme tant d’autres par un système exclusif , qu’à tort il avait voulu faire converger vers le seul peuple hébreu tous les événe- ments et tous les peuples, qu’enfin il avait admis par- tout une sorte de fatalité, présidant au profit de ce peuple unique , à tout ce qui revient vers lui? J’en de- mande pardon au préopinant, mais je respecte encore le génie de Bossuet que j'ai lu et admiré maintefois, et je tiens pour sûr qu'on ne peut traiter autrement qu’il l’a fait et l’histoire et sa philosophie. Bossuet éta- blit la Providence comme un moteur universel agissant sur le monde par une action pour ainsi dire médiate, et se servant pour intermédiaire entre elle et lui de ce petit peuple, presque ignoré en effet dans un coin de la terre, mais d’où devait sortir la lumière dont nous jouissons tous aujourd'hui. Car c’est du Sauveur qu'est venue toute civilisation , et c'est précisément pourquoi les intérêts de la Palestine se trouvent liés d’un bout à l’autre du livre à ceux des nations qui l’environ- nent: Voilà pourquoi encore je comprends peu qu'après avoir lu attentivement ce beau, ce magnifique ouvrage , on parle de lui comme si l’on ne se rappelait ni sa haute portée, ni les vues véritablement philosophiques d’après lesquelles il est conçu. Maintenant, Messieurs, j'ai à 570 QUATRIÈME SECTION. dire quelque mots de ce fatalisme dont on veut faire la doctrine de Bossuet. Le grand homme est fataliste, je l'avoue , mais , comme je le suis moi-même , comme vous l’êtes tous , comme le sera nécessairement quiconque croira à un Dieu unique, souverain ordonnateurde ce qui se passe ici-bas. Ainsi la volonté divine n’est jamais sépa- rée de la liberté humaine : les bons rois sont loués , les princes injustes ou irréligieux sont blâmés , condamnés par l'historien de façon à ne pas laisser croire, il me semble, que le juste ou le coupable aitagi malgré soi.Di- sons donc que cette manière de traiter l’histoire est Ja seule admissible, la seule qui rend l'histoire utile, la seule qui peut offrir à l'humanité les sérieuses leçons dont elle a besoin. Que s’il n’y a rien que d’exclusif, je l'avoue, dans le système de Bossuet, admettant que ce soit un système , c’est que la vérité n’est qu'elle-même ; elle est essentiellement , (passez moi le terme dont vous comprenez ici tout le sens ), elle est essentiellement 2- tolérante , elle ne veut pas, elle ne peut pas être parta- gée, elle est, en un mot, comme la religion, qui se tuerait elle-même, si elle consentaitune seule fois à céder à une autre croyance quelque chose de son absolutisme. Je crois vous avoir démontré, Messieurs, que Bossuet ne doit donc pas être dépouillé de la gloire qu'on lui a laissée jusqu’à ce jour, et le Congrès consacrera cette gloire par un vote qui laisse à la philosophie dont nous parlons , une place que la raison révendique pour elle dans l’ensemble de tous les ouvrages historiques. » La discussion se continue entre MM. Rousseau, Trollé et de Formeville. Quatre réponses sont présen- tées par MM. Quentin, de Formeville, Delasalle et Trollé. Cette dernière est seule acceptée, elle est ainsi conçue : « Le Congrès,sans s'expliquer sur le mérite des divers systèmes de philosophie de l'histoire connus jusqu'ici, pense que la philosophie de l’histoire présente plus d'a + QUATRIÈME SECTION. 571 vantages que d’inconvénients, et que dans toute his- toire proprement dite elle doit nécessairement accom- pagner et vérifier l'exposition des faits. La séance est levée. SÉANCE DU 20 SEPTEMBRE 1839. M. le Vicomte de Cussx occupe le fauteuil. M. DucnazLais, secrétaire-adjoint, donne lecture du procès-verbal qui est adopté. M. Cauvin exprime les regrets de M. Vanderbach, (de Thionville), qui ne peut assister au Congrès, et dé- pose en son nom une notice manuscrite sur le château de Mensberg. Ce travail est renvoyé à l'examen de M. Lambron. La Section se fait rendre compte des mémoires qui lui ont été adressés et dont elle n’a pas encore entendu la lecture, et M. le Président nomme des commissaires pour examiner ces divers travaux. M. PreRRE Victor a adressé un mémoire sur les an- tiquités Scandinaves. M. Dezasazee est chargé de l’examiner. M. Tabbé Tournesac est chargé de rendre compte d'une Dissertation de M. l'abbé Voisin, sur l'église de St-Nicolas, autrement St-Laumer-de-Blois. ILest également chargé d'examiner un Mémoire sur des monuments druidiques des environs de Montfort, par M. Guier , juge de paix de Montfort. L'ordre du jour appelle la discussion sur cette ques- üon du programme : « Rechercher les types les plus habituels des monnaies gauloises. » M.DucnazLais prend la parole : Il pense, que dans les figures représentées sur les médailles gauloises, il ne faut 72 QUATRIÈME SECTION. voir aucune signification allégorique ou symbolique , mais une imitation dégénérée des monnaies grecques et romaines. [l croit aussi que le mutisme de quelques-unes de ces monnaies ne tient pas au système des Druides, parce que nous avons des monnaies gauloises du même temps, ou du moins presque contemporaines, écriles et anépigraphes. L'abondance d’une monnaie dans un pays lui paraît aussi un caractère d'attribution très- douteux. M. Quexrin fait observer que les monnaies gauloises paraissent bien être , d’un côté, une imitation de Phi- lippe de Macédoine, mais qu’au revers, elles en diffè- rent. M. Drousr réplique : Qu'il ne niait aucunement le style grec et romain employé dans la fabrication des monnaies gauloises ; » Que cette doctrine exposée, dès l'an 1836, par M. DE LA SAUSSAYE, élait la sienne , et qu'il se réunissait bien volontiers à M. Duchallais pour tout ce qu’il avait dit de celte imitation par les Gaulois à diverses époques ; Que la question étant posée pour rechercher les types les plus habituels des médailles gauloises , il n'avait point abordé celle du style, mais bien celle des types dont il avait décrit ceux qu’il avait rencontrés, en y joignant la désignation des symboles qui les accompagnaient ; qu'il n’en à point donné d'explication, qu'il en a seulement proposé l'application aux peuples indépendants des Gaules qui correspondaient pour leurs limites au Haut- Languedoc , au Poitou, à la Normandie et au Maine ; Que cette opinion, émise par M. p£ SauLcy , « qu'à » l'égard des médailles muettes , l'indication du lieu où on les trouve habituellement est souvent le seul moyen » de classification et que ce moyen lui paraît offrir des » résultats assez positifs, » il ne peut que s'y ran- ger comme l'ont fait divers numismatistes , entr'autres MM.'Lecointre-Dupont et Chandruc de Crazannes ; de y Ëë QUATRIÈME SECTION. 515 » Que, jusqu’à de nouvelles lumières , il a proposé de reconnaître pour différents Monétaires des ateliers gau- lois certains symboles qu'il a désignés ; et cela, parce que, à défaut de légendes sur les médailles gauloises, où tout reste le plus souvent muet, par le fait des doctrines druidiques , il faut bien pour le numismatiste une bran- che à laquelle il puisse rattacher une classification pré- paratoire ; »Qu'il restera donc bien entendu qu'il n’a présenté que des conjectures et rien d’absolu, l’état de la science ayant besoin de grandes et bonnes lumières que répandront sur la numismatique gauloise les ouvrages préparés de MM. pe LA Saussaye , de Blois, et LamBerr, de Bayeux ; » Que la connaissance des médailles gauloises ne lui paraît pas encore assez avancée pour établir définitive- ment une clasification, qui, par les nouvelles découvertes qui se feront , sera sinon renversée , du moins extrême- ment modifiée. s Qu'il faut enfin faire le plus possible en attendant les monographies des pièces que l’on trouve habituellement dans la circonscription des anciennes provinces des peupies indépendants des Gaules , et que le temps, qui amène et domine tout, jugera plus tard les travaux ac- tuels et leurs doctrines comme leurs systèmes. » La Section , après avoir encore entendu quelques ob- servations de MM. Drouer et DucnaLLais, prie ces derniers de s'entendre pour formuler un projet de ré- ponse à la question proposée.Leur solution est acceptée par la Section : elle est ainsi conçue : « Les types les plus habituels des médailles gau- loises sont, pour une époque, imités des statères de Philippe IT de Macédoine. Le beau caractère du style grec se transformant bientôt en figures bizarres, fut, à une seconde époque , régénéré par l’imitation des mon- naies romaines; mais celle régénération fut de courte 24 574 QUATRIÈME SECTION. durée, et les monnaies gauloises retombèrent bientôt dans la barbarie. » M. pe Caumonwr blâme la manière dont la onzième question a été posée. L'absence de M. Richelet, inscrit pour parler sur cette question , fait ajourner la discus- sion à la séance du lendemain. M. ne Caumowr, pour se conformer à une demande faite dans les précédents Congrès, dépose sur le bureau la note suivante Sur les collections de Médailles et d'Antiquités qui existaient en Normandie : Caen. La ville de Caen n’est pas riche en collections archéolo- giques. La Société des antiquaires de Normandie en possède une qui, commencée en 1895 , n’a pris que três-peu d’accroissement , faute d’un local convenable. Les objets sont disposés dans deux appartements : Dans l’un , on remarque quelques débris de co- lonnes gallo-romaines découvertes à Bayeux , des débris de frises et de mosaïques exhumés à Vieux près de Caen , que l’on croit être l'antique 4regenus et une collection de marbres trouvés à Lille- bonne , Lisieux et Bayeux. Le moyen-âge a fourni, pour ce musée, des fragments très-£u- rieux de sculptures du septième siècle, provenant des démolitions de l’ancienne abbaye de St.-Samson-sur-Ryles ( Eure) ; des portes et autres débris d’édifices des xre et xrre siècles ; enfin quelques pierres tombales des xrrre et xrve siècles. Parmi les objets portatifs, disposés dans la seconde salle, on peut signaler 1000 à 1100 médailles romaines trouvées en Normandie , un magnifique trépied en bronze, découvert à deux lieues de Caen, il y a quelques années ; plusieurs ornements de l’époque gallo-ro- maine ; un certain nombre de médailles celtiques et des haches du même temps en bronze et en pierre dure. Le moyen-âge a fourni quelques agraffes mérovingiennes, un reliquaire très-curieux provenant de l’abbaye de St-Evroult , des débris de crosses trouvés dans les tombeaux des abbesses de Caen, des bas-reliefs en marbre du xve et du xvre siècle , etc. La Société ne possède encore qu'une centaine de monnaies fran- çaises. Si la ville de Caen avait procuré à la Société un local plus vaste , celle-ci aurait pu disposer chronologiquement une série très-com- plète de moulures et de détails architectoniques. Le cours d’anti- QUATRIÈME SECTION. 575 quités que M. de Caumont a professé tous les deux ans près de ce musée , aurait donné à cette collection de détails d'architecture du moyen-âge qui n'existe nulle part en France,une importance réelle, Il eût été d’autant plus facile de former cette collection que plu- sieurs églises , détruites depuis dix ans , auraient fourni, dans leurs ruines, tous les éléments nécessaires. En attendant que la ville de Caen donne un local , ce qui ne paraît pas devoir être très- prochain , M. de Caumont a fait transporter près du musée plu- sieurs portes anciennes dont chaque pièce a reçu un numéro, après leur démolition, de sorte que l’on pourra toujours les remonter , quand on aura un local convenable. Cabinets particuliers. Plusieurs personnes , à Caen , possèdent des médailles romaines et quelques objets curieux, mais on ne peut en citer que deux ou trois dans un ouvrage tel que le vôtre , et en- core ces collections ne sont que l’accessoire de cabinets d'histoire naturelle. Telle est la collection de M. Abel Vautier qui, après avoir réuni à grands frais une quantité considérable d'objets d'histoire natu- relle (oiseaux, coquilles, minéraux , etc. etc.), y a, depuis quelque temps, joint de vieux meubles , des émaux, des médailles et autres objets. Il est probable que cette collection deviendra d'une cer- taine importance par la suite , attendu que le propriétaire , riche négociant, consacre, chaque année, de fortes sommes à son accrois- sement. Après M. Vautier , on peut citer M. Tesson ; mais il a beaucoup moins de choses que le précédent. M. Leboucher, fils, recueille les médailles. Vire. M. Dupont-Costel possède une collection d'objets antiques, rares ou singuliers , dont quelques-uns offrent de l'intérêt. Falaise. M. Galleron et les membres des sociétés savantes de cette ville ont formé , près de la Bibliothèque publique , un cabinet d’autant plus curieux qu’il ne se compose guère que d’ob- jets trouvés dans l'arrondissement. Ce sont des médailles ro- maines , bon nombre de poteries, des urnes cinéraires , des agraffes antiques , etc. etc., ainsi que différents objets du moyen- âge. l La ville de Lisieux n’a point de cabinet , bien que la Société française, pour la conservation des monuments, ait demandé, lors- qu’elle a tenu séance dans cette ville , qu’une salle fût disposée dans la maison commune pour recevoir divers objets antiques trouvés, à cette époque, près de la cathédrale. Le maire de Lisieux 576 QUATRIÈME SECTION. a promis de faire disposer un local, ce qui sera d'autant plus utile que l’on découvre souvent des médailles dans l'emplacement de l’ancienne ville ({e Neomagus Lexoviorum ). A Bayeux, M. Lambert, conservateur de la Bibliothèque, possède quelques médailles romaines et des médailles celtiques. Il se propose de former une collection d'objets antiques près de la Bibliothèque, et la ville vient d’allouer une somme de 10,000 fr. pour la construe- tion d’une galerie où sera placée la Tapisserie de la Reine Mathilde. Vous voyez que la collection promet d’avoir une grande importance. DÉPARTEMENT DE LA MANCHE. Cherbourg. Le département de la Manche est plas riche en col- lections d’antiquités que celui du Calvados ; à la mort de M. Du- chevreuil, qui avait réuni un certain nombre d'objets curieux et 5 à 6,000 médailles romaines , son cabinet a été acheté , en partie par la ville de Cherbourg , en partie par M. de Gerville , de Valogne. La portion achetée par la ville de Cherbourg a été annexée au cabinet d'histoire naturelle et au musée de tableaux , du moins je le crois. Comme M. Duchevreuil avait beaucoup de minéra- logie , je pense que le nombre des objets d’antiquité n’était pas très-considérable ; mais il y en avait quelques-uns de précieux pour le pays , parce qu’ils avaient été découverts à peu de distance de Cherbourg : telles étaient des statuettes en bronze , le moule à haches celtiques que j'ai figuré dans le premier volume de mon Cours d’antiquités , etc, etc. M. Asselin, ancien sous-préfet , possède une très-belle collec- tion de médailles ; je ne saurais vous en dire le nombre , mais je pense qu'il n’en a pas moins de 7 à 8,000 ; car il a toujours été re- gardé comme beaucoup plus riche que M. Ducheyreuil. À Valogne , j'ai déjà dit que M. de Gerville est acquéreur des 6,000 médailles de M. Duchevreuil ; je ne connais pas d’autres cabinet. À St.-Lo, la Société d'histoire naturelle et d'agriculture a obtenu de la ville un local, dans lequel elle a déjà réuni une collec- tion géologique et quelques objets d’antiquités. Mais cette création est toute récente. Coutances n’a pas de collection publique , mais un ecclésiastique de cette ville, M. l'abbé Piton-Desprès , est un collecteur très- zélé, qui a déjà réuni des manuscrits, des tableaux, des briques ro-— maines , des médailles , etc. QUATRIÈME SECTION. 571 Ea ville d’Avranckhes , grâce au zèle de MM. Lemaitre et Lacorne, possède maintenant une petite collection d’antiquités, annexée à un musée d'histoire naturelle qui vient d'être formé. Le zèle que les membres des sociétés d’Avranches déploient pour l'augmentation de cette collection publique fait espérer SUCRE RE d’une certaine importance. Mortain. A Mortain ; comme vous avez pu le lire daus le der- nier numéro du Bulletin monumental , j'ai donné plusieurs chapi- teaux du xue siècle en granite, qui doivent former le noyau d'un musée d'arrondissement ; mais je ne sais quand le maire pourra fournir un local pour les ranger; ils sont encore en ce moment sur la place publique. DÉPARTEMENT DE L'ORNE. Le département de l'Orne est le plus pauvre de tous nos dépar- tements en collections. I1 n’y en a pas une seule qui appartienne à des communes ; seulement M. de Lasicotière , inspecteur des mo— numents du Fr a présenté un mémoire au conseil mu— nicipal d'Alençon afin d'obtenir la création d’un musée près de la bibliothèque , et cette bonne idée est sur le point de recevoir son exécution. M. Lecointre-Dupont est possesseur d’une belle collec tion de monnaies ; M. de Rubhals possède également un certain nombre de pièces en or intéressantes. M. Léger, médecin d'Alençon, a réuni un certain nombre de meubles très-remarquables du xvie siècle, ainsi que beaucoup d’objetscurieux, son cabinet est à peu-près le seul qui mérite d’être cité. Des médailles , quelques objets gaulois, gallo-romains et du moyen-âge ont été réunis par M. de Lasicotière, à Alençon , et de Colleville , au bourg St.-Léonard , (arrondissement d'Argentan ). M. pe Caumoxr lit ensuite quelques passages d’un Mémoire sur la douzième question. « Déterminer te syn- chronisme des différents genres d'architecture dans les provinces de France ? » L'auteur partage la France en plusieurs zônes ou ré- gions monumentales, et décrit le genre d'architecture et d’ornementations particulières à à chacune d'elles, de- puis l’époque Romane jusqu’à celle de Ja Héiouiéé Ce pu me Dit QUATRIÈME SECTION. travail remarquable excite au plus haut degré l'attention de la Section qui en vote l'impression à l'unanimité. M. Rousseau propose à la Section d'inviter M. de Lasicotière à lire son travail sur le Bas-Maine. M. »E LaAsICOTIÈRE répond que ce travail n’est pas encore ter- miné, mais qu’il l'enverra à la commission d’impres- sion. M. le Président soumet à la Section une proposition déposée par M. Lambron , relative à l'utilité que pré- sente la conservation des monuments héraldiques. Cette proposition , amendée par M. pe Cussy, est adoptée en ces termes : « La Section d'archéologie pense qu'il serait utile de s'occuper des moyens de recueillir les monuments hé- raldiques qui se trouvent épars dans les églises et dans les constructions de toute nature, comme moyen de reconnaître l’âge de ces édifices et de les classer chro- nologiquement. Elle recommande cette étude aux ar- chéologues. » La Section propose ensuite la lecture, en séance pu- blique , du Mémoire de M. Lambron, sur les vitraux de la cathédrale de Tours. M. Tournesac a la parole sur la treizième question : « À quelle époque vit-on paraitre l’ogive dans les mo- numents du Maine et de l’Anjou? Quels sont, dans les mêmes contrées , les monuments qui présentent les ca- ractères de transition de la période Aomane à la pé- riode ogivale? » M. Tournesac entre dans quelques développements pour ce qui concerne les monuments du Maine , et fixe , dans celte province, l'apparition de l’ogive, entre les années 1100 et 1125. Sur la quatorzième question. « Déterminer avec préci- sion les caractères architechtoniques qui distinguent, au XI° et XIT siècle , les monuments religieux du QUATRIÈME SECTION. 519 Maine et de l'Anjou? Le style ogival était-il, au XIII° siècle, généralementnt adopté dans ces contrées? » M. Tournesac expose , avec beaucoup de clarté, les différences qui existent dans le Maine entre les monu- ments du XI° et du XII° siècle. Il affirme que l’ogive était généralement en usage au XIII siècle, mais que les campagnes étaient cependant un peu en retard. Quinzième question. « Dans plusieurs provinces, et notamment dans le Maine , l’Anjou, la Normandie, etc. Les monuments religieux d’un certain nombre de com- munes de la même contrée sont d’une ressemblance re- marquable pour le style, l'appareil et la disposition gé- nérale : rechercher l’origine et l'explication de ce fait. » M. Tourwesac attribue ce synchronisme, dans le Maine , au désir d’imiter un beau monument , à la direction d’un même architecte et aussi à la nature des matériaux. M. Dezasazze demande si l’on ne pourrait pas aussi y reconnaître l'influence des corporations ou associations de maçons qui se réunissaient pour la construction de monuments religieux ; on en à des exemples en Bre- tagne, à Chartres, elc. M. TourNesac n’a pas eu connaissance que de sem- blables confraternités d’ouvriers aient existé dans le Maine. M. pe Caumonr a reconnu, en Normandie, que plu- sieurs églises avaient été prises pour types et imitées, au moins dans quelques-unes de Leurs parties; l’église de Coutances est de ce nombre. M. Ducxazrais cite des exemples semblables en So- logne et sur les bords de la Loire, où beaucoup d’églises sont construites sur le modèle de celle de Beaugency. M.Cauvix pense que les églises de la partie du Maine, appelée Champagne , pourraient avoir été construites par l'architecte de l’abbaye de la Couture , de laquelle dépendaient la plupart des prieurés de cette région. 580 QUATRIÈME SECTION. M. de LasicoriÈre fait remarquer que la tradition s’est conservée dans le Maine, touchant la manière de représenter divers sujets. La Section (après avoir entendu , sur cette question, MM. de Caumont, Delasalle, Duchallais et de Lasico- üère ,) prie M. Tournesac de donner par écrit les inté- ressantes considérations qu’il a développées. M. DeLasaLee a la parole : I fait ressortir les avanta- ges que l’on peut retirer des collections , et croit que les efforts particuliers seraient d’un grand secours. Il propose d'inviter les membres du Congrès à organiser des dépôts d’antiquités dans les chef-lieux d'arrondissement. M. de Cussx voudrait étendre cette mesure aux chef- lieux de canton , à cause de l'inconvénient que présente l'éloignement des chef-lieux d'arrondissement. M. Pozcer croit qu'en étendant ainsi la mesure on manquerait le but qu’on se propose. M. de Cussy abandonne sa modification et la Section adopte une proposition de M. Delasalle, ainsi conçue : « Inviter les administrations et les autorités locales à organiser , dans chaque mairie d'arrondissement, un dépôt des objets ou des renseignements historiques, archéologiques, etc. » Inviter les membres du Congrès à provoquer ces dépôts dans leurs localités respectives, et à les faire établir par des hommes de leur choix. » M. de Caumonr communique une note de M. Beaude ayantrapport à cette question : « Quelle direction les pro- vinces doivent-elles donner à leurs travaux historiques ?» La section décide que mention en sera faite au procès- verbal. « Sur cette question du Programme : « Quelles directions les provinces doivent-elles don- ner à leurs travaux historiques ? QUATRIÈME SECTION. 581 » Je me suis demandé, dit M. Beaude,quelle direction peuvent-elles donner à leurs travaux archéologiques ? » J'ai cru qu'avant tout il fallait populariser cette science encore trop peu connue, et que le meilleur moyen serait d'engager les institutions, tant ecclésiastiques que laïques , à faire suivre aux enfants un cours d’archéolo- gie, comme cela se fait pour l’histoire naturelle. » L'exemple de plusieurs grands séminaires, du petit séminaire de Saint-Lucien et du collége de Goincourt, où l'archéologie est mise au rang des études accessoires, en garantit le succès. » - M. DeErasaze présente quelques nouvelles observa- tions sur les murs vitrifiés de Sainte-Suzanne. On lui a assuré que, dans un incendie très-violent qui s'était dé- claré dans une grange de cette ville, on avait reconnu que les pierres avaient été pareiïllement vitrifiées. M. Pozrer fait observer que cette vitrification ne pouvait être que superficielle , puisqu'on se sert de la même espèce de pierre pour la construction des fours à chaux qui sont dans le voisinage. La séance est levée à onze heures et demie. SÉANCE DU 21 SEPTEMBRE 1839. M. de Cussx, premier Vice-Président, occupe le fauteuil. M. de LaviLLeciLce , Secrétaire-Adjoint, donne lec- ture du procès-verbal de la dernière séance. Le procès-verbal est adopté. La discussion est ouverte sur la dix-septième ques- tion ? « Quel est le véritable type des autels correspondants aux différents genres d'architecture ? Quelle est la place de ces autels dans les églises ? » 382 QUATRIÈME SECTION. M. de Cauuonr présente quelques exemples d’autels appartenant à différentes époques depuis le X[° jusqu'au XV° siècle inclusivement. II parle des autels qui se trou- vent dans la crypte de la cathédrale de Spire et dont il a donné une description dans la sixième partie de son Cours d’antiquités. Il décrit'sommairement les autels de Saint-Germain (Oise), de Pontorson (Manche) et quel- ques autres appartenant au X[II° siècle. Il indique aussi quelle différence offrent,avec ceux-ci, les autels du XIT° du XIV° et du XV° siècle, et cite plusieurs exemples de ces Lrois époques , renvoyant du reste à ce qui a été pu- blié dans la sixième partie de son Cours d’antiquités. M. Tournesac s'occupe des autels dans le Maine seu- lement. Pendant l’époque romane, avant le XIII° siè- cle , il n'a pas vu de rétables. Les autels, qui, dans l'o- rigine, présentaient une masse isolée de la muraille consistent, au XI° siècle , en une table supportée par des colonnes. Au XV° siècle, même disposition dans l’église d'Ambrières; on voit trois colonnes , une à chaque ex- trémité et une au centre de la table. Les autels changent d'aspect au moment de la renaissance ; alors les rétables prennent une grande extension en hauteur. M. Doueuer pe BoisraiBauLr pense qu’il est difficile de se prononcer sur la place que les autels occupaient. A Chartres , l'emplacement n’est pas le même qu'autre- fois. Il a acquis la certitude que jadis les autels étaient dans les parties latérales de la nef, et qu’ils s’'appuyaient même contre les piliers. M. TourNesac a constaté la même particularité dans la cathédrale du Mans, où le nombre des autels, dans le XVI siècle, se montait à soixante ou quatre-vingt. M. de Lasrcorière a vu des autels du XI au XI siècle supportés par des colonnes. Cette forme serait donc plus ancienne dans le Maine que dans d’autres pays. QUATRIÈME SECTION. 585 M. Quewrin est d'avis que les types doivent corres- pondre au genre de l'architecture. La place varie sui- vant la forme des édifices : dans les temples antiques, l'autel est au centre; dans les églises en forme de croix latine , il est au deux-tiers de la longueur ; au milieu, quand la forme est celle d’une croix grecque, ou bien sous la coupole. M. Dougzer pe BoisrarBauLT soumet un projet de réponse à la question. Il est adopté en ces termes : « Le type particulier des autels ne peut être posilive- ment indiqué que selon le genre de monument dans lequel ils sont placés. » La place de ces autels dans les églises a varié : tan- tôt les autels se trouvèrent appuyés contre les murailles, tantôt ils en furent isolés. » M. Quenrin ne trouve pas que la seconde partie de la réponse soit assez précisée. Il aurait voulu que l'on répondit que la place des autels dépendait de la forme du monument. Dix-neuvième question. « Quels étaient les procédés ordinaires de manutention du fer dans les magneæ fer- rariæ des Gaulois et des Romains , d’après les débris trouvés sur plusieurs points de la France? M. Tricer à reconnu, en divers endroits, des traces de fourneaux de forges antiques, offrant un talus cir- culaire ayant du rapport avec les fours à chaux du dé- parlement de la Manche , ils sont moins élevés, mais le culot est semblable. A Alonnes, on découvre parmi les scories une assez grande quantité de calcaire brisé en petits morceaux et qui ont été apportés au moins d’une distance de deux lieues. Une médaille de Lucius Verus, trouvée parmi ces scories, prouve que dès cette époque on se servait de calcaire comme fondant. Il a remarqué également que les anciens ne s’attachaient pas à la qua- lité des minérais. 384 QUATRIÈME SECTION. M. de LasicorTière ajoute que , dans le département de l'Orne où de grandes mines paraissent avait existé de tout temps, les scories montrent que le fer était au- refois extrait très-imparfaitement. Non-seulement on se servait de castine, mais aussi de coquilles d’huîtres , comme fondants. M. Tricer fait observer qu’on se sert encore de valves d’huîtres dans certaines forges en Bretagne. M. Pozcer présente un projet de réponse à la ques- tion proposée. La Section l’adopte dans les termes sui- vants : « [lest très-difficile de préciser avec développement les procédés de manutention du fer des magneæ ferrariæ des Gaulois et des Romains ; ce qu’on a reconnu , c’est que les lieux où le fer était travaillé à cette époque , présentaient un talus circulaire au milieu duquel le feu devait être concentré et activé au moyen de soufflets placés à l’entour. Le calcaire paraît avoir été employé dès cette époque comme fondant. On était fort peu difli- cile pour le choix des minérais qui semblent avoir été très-indistinctement employés. » M.TriGER demande ensuite à présenter quelques con- sidérations sur les monuments druidiques de la Sarthe, et croit qu’on s’exagère les difficultés qu’on avait à vaincre pour construire les dolmens ouélever les menhirs.Les uns et les autres se rencontrent à peu de distance des lieux d’où les pierres ont été extraites et sur un terrain plus bas. Partout où la pierre est tendre, on voit des dol- mens; quand elle dure, les dolmens disparaissent. Toutes ces pierres sont brutes; aucune n’a été travaillée. M. de Lasicorière signale le travail d’un officier du génie qui s’est occupé de rechercher les moyens qui ont pu être employés pour construire les dolmens. M. de Cussx fait observer que les remarques de M. Triger concernent seulement le département de la QUATRIÈME SECTION. 3385 Sarthe, et ne sont pas applicables à tous les monuments de ce genre. M. Borrin a découvert et décrit un dolmen du dépar- tement du Nord, dont les pierres ont été prises à quatre lieues. M. Poey-p’Avanr dépose sur le bureau des notes du prix des denrées au XVI siècle dans le Bas-Poitou. NOTES Du prix des denrées, au XV EF siècle, dans le Bas- Poitou, relevées sur un manuscrit de M. Bernard, notaire au Langon , près Fontenay-le-Comte. 1598. — En cette année eut lieu le cher temps, les pauvres man- gaient les herbes des champs et les légumes des jardins et en vin- rent jusqu'à arracher les bois de fougères , les faire sécher et les faire moudre pour en faire du pain ; et toutefois le boisseau de blé ne fut point vendu davantage de 26 sols, en 1598 , suivant l’an- cienne supputatide. 1563 suivant l'Édit — Au commencement de mars , le boïisseau de froment fut vendu, à Marans, 60 sols, à Fontenay plusde 45 sols, et à Sainte-Hermine, la grossaille valait bien 50 sols le boisseau, et à la fin de mars rabaissa de prix à Marans à 45 sols, à Fontenay 50 sols , et à Sainte-Hermine, 25 sols. 4565.—Par suite d’inondations, la brasse de foin fut vendue 9 liv. et je vis refuser d’un petit lot de foin, de 10 pieds de haut, 45 liv. 1571. — Grandes gelées et neiges pendant l'hiver. Chaleurs extraordinaires dans le printemps et l'été; le tonneau de vin fut vendu 56 à 40 liv., le boisseau de froment valaten métive à Fon-— tenay 27 et 30 sols. 1572. — La pâture fut chère ; le boisseau de-froment, mesure de Fontenay fut vendu 58 sols ; la baïllarge (orge à 2 rangs) , 50 et 51 sols. 4573. — Au mois de juin, le boisseau de froment fut vendu, à Fontenay , eent sols et quatre liv. dix sols. 586 QUATRIÈME SECTION. 4377. — En ladite année et jusqu’à la Saint-Venant , l’écu seul était en marchandises à 7 liv. 6 liv. 40 sols et 6 liv., le teston à 56 et 40 sols , le double ducat à 20 liv., et les pièces de quatre réales 56 sols, et toutes les autres espèces étaient mises à haut prix. Mais au commencement de janvier 1578, l’écu seul fut à 60 sols , le tes- ton à 14 sols6 deniers, le double ducat à G liv. 4 sols ; la réale de 4 pièces à 20 sols , et ainsi les autres espèces diminuèrent de prix. Nota, Le boisseau actuel de Fontenay, qui est sans doute le même que celui dont il est question ci-dessus, est censé peser 59 liv. et contient 3 décalitres 4/50e; celui de Saint-Hermine est un peu plus faible. La discussion est ouverte sur la dix-huitième ques- tion. « Quelle nuance convient-il de donner aux murs intérieurs des anciennes églises après les restaurations ? Indiquer les moyens qui donneraient le plus de fixité aux couleurs. Convient-il de laisser les voûtes en moël- lons couvertes d’un enduit , et de blanchir les voûtes en pierre de taille ; n'est-il pas plus convenable de laisser la pierre à découvert?» M. Douger pe BorsraiBauzr est d'avis qu'il ne faut ni blanchir ni mettre d’enduit, et laisser aux pierres leur couleur. M.Tourxesac fait observer queles pierres sontsouvent de diverses nuances, tant par leur nature que par des circonstances particulières, ce qui produit un mauvais effet. M. de Cauwonr pense qu'il serait peut-être bon de mettre en couleur quand la pierre n’est pas homogène dans tout l'édifice. M. l'abbé Auger ne voudrait pas qu’on laissât aux églises leur teinte primitive. Il est ennemi du grattage, mais il voudrait voir donner une légère couche de pein- ture et propose une £einte légérement jaunâtre. QUATRIÈME SECTION. 387 M. Quenrn croit qu'il faut surtout faire attention au style primitif. Trois solutions sont proposées. Celle présentée par M. de Boisthibault est mise aux voix et adoptée par la Section, qui est d'avis de répondre à la 18° question, que, « dans la restauration des anciennes églises, il importe de conserver le caractère primitif auquel elles appar- tiennent. Pour les églises construites en pierres inaltéra- bles , on doit laisser à la pierre sa teinte naturelle. Pour les églises construites en moëllons ou en pierres d’une altération facile, il convient d’enduire les mu- railles d’une couleur le plus en rapport avec le style du monument et la couleur de la pierre. Les commissaires désignés pour rendre compte des Mémoires qui n’ont pas pu être lus présentent leurs rapports. Sur la proposition de M. Doublet de Boisthibault, la Section vote des remerciments au Bureau. M. de Cussy, Président, prend la parole au nom du Bureau et témoigne à la Section combien il est sensible à cette manifestation. La séance est levée à dix heures et demie. Le Président : Le V'® de GUITON DE LA VILLEBERGE. Les Vice-Présidents : de Cussy, PozLer et QuEeNTIN. Les Scerétaires : abbé CnHeverEAU, DucxaLLais, de LasrcoTiÈRE, et de LAVILLEGILLE. 588 LRLRAR RAR LRQ AN IR 22 0Q ALAN LR LR LL AR LRO PR QQ LR LRRRALRRL LA AR LR LE, LALLARASAS, SYNCHRONISME DES DIFFÉRENTS GENRES D'ARCHITECTURE, DANS LES PROVINCES DE FRANCE, PAR M. A. DE CAUMONT, MEMBRE CORRESPONDANT DE L'INSTITUT. MESSIEURS , La question inscrite dans votre Programme concernant la diver- sité de styles que présentent , suivant les différentes provinces , les monuments de même époque, est une des plus importantes , selon moi , que l’on puisse examiner dans l’état actuel de la science ar- chéologique , et je me félicite d'en avoir demandé , dès l’année dernière , l'insertion au Programme du Congrès , espérant qu’elle provoquera d'importantes communications, non seulement dans cette Session , mais encore dans nos Sessions ultérieures. Déjà, en 1850, lorsque je professais mon Cours d’antiquités mo- numentales , j’indiquai sommairement la différence qui existe entre l’état de la sculpture au xx siècle et à la fin du xre, dans plusieurs provinces de France. Mais, depuis cette époque , des voyages multipliés m'ont permis de comparer les uns aux autres les édi- fices de presque tous nos départements , dans le but de rechercher quelles modifications le génie des architectes pouvait avoir in- troduites dans telle ou telle province de France, et, d’autre part, pour examiner s’il y avait synchronisme parfait entre des édifices offrant, à de grandes distances, identité de types architec— toniques. QUATRIÈME SECTION. 389 Ces deux problèmes complexes , dont l’un surtout est difficile à résoudre , à cause de l'incertitude qui règne souvent sur la véri- table date des monuments existants,feront le sujet d’un travail dont j'ai réuni les éléments et que j'espère prochainement ter- miner. Mon but, en prenant la parole, n’est point de vous offrir une solution complète de la question, mais seulement d'indiquer quelques résultats généraux , appréciables par tous les yeux ha- bitués à observer, et dont le principal mérite est d’être nou- veaux. Je ne connais, en effet, personne qui ait essayé de préciser les nuances qui caractérisent-et différencient, à la même époque, l'architecture des diverses contrées de la France, en d’autres termes , de tracer la géographie des styles architectoniques. Je vais donc répondre à la 12e question de votre Programme, dont je crois devoir reproduire avant tout la formule : Déterminer le Synchronisme des différents genres d'architecture dans Les provinces de France. Si l'observateur part du Nord-Ouest de la France , qu’il se di- rige vers la Loire , le Poitou , le Languedoc et la Provence, que de ce point extrême il remonte vers le Nord , en passant par l’Au- vergne et la Bourgogne , il sera frappé de la diversité de la sculp- ture dans ces différentes contrées à des époques identiques. Ainsi les monuments du XIe et du XILe siècles de la Normandie , com- parés à ceux du Poitou , ces derniers comparés à ceux de la Bour- gogne et de l'Auvergne, offriront tous des types généraux uni- formes , les mêmes principes de construction , mais avec des dif- férences dans la manière dont les ornements sont traités , dans la prédominance de telle ou telle sculpture, dans l’adoption de cer- taines formes , de certaines combinaisons habituelles dans une province , plus rares ou insolites dans d’autres , en un mot dans une multitude :de détaïls qui ne frappent pas toujours au pre- mier abord, mais qu'un œil exercé apprécie bientôt avec un peu d'attention. Sans doute il faut bien distinguer dans ces différences ce qui ap- partient à l'influence des matériaux de ce qui vient du goût et de Phabileté des seulpteurs. L'influence des matériaux a toujours été immense, et l’on conçoit que , une pierre tendre éclatant sous le moindre effort de l'outil , telle que la craie, n’a pas dû recevoir les mêmes sculptures que les pierres homogènes et d’une dureté moyenne , comme celles que l’on possède dans le Calvados , dans le Berri et dans plusieurs autres contrées. Le calcaire grossier , 25 390 MÉMOIRES. lardé de coquilles, ne pouvait être travaillé de la même manière que la pierre dont je viens de parler ; enfin le granit, si rebelle au ciseau , ne pouvait recevoir les mêmes moulures que les matériaux plus tendres. Ainsi l’on conçoit que le même système d’'ornementa- tion, je dirai plus,que lamême moulure sera quelquefois rendue tout différemment suivant la pierre que l’architecte aura mise en œuvre, Sur des matériaux,à grain fin d’une dureté moyenne, on a pu tracer des moulures dont les contours et les détails offraient une pureté de trait que l’on ne pouvait obtenir sur la pierre à gros grain ; sur celle-ci , il fallait s’attacher moins à la pureté du trait qu’au relief et à l'effet général des moulures vues à distance. Ce peu de mots suffit pour exprimer ma pensée ; le fait est d’ailleurs tellement pal- pable qu'il n’a pas besoin de démonstration. D faut donc, dans la géographie des styles architectoniques et dans l'appréciation des différences que présentent, sous ce rapport, les diverses provinces de France , tenir , avant tout , compte de l'influence des matériaux sur le choix des moulures et sur la ma— nière de les traiter. Mais après avoir accordé à cette influence toute l'importance qu’elle a «ue sur l’état de l’art, il faut aussi reconnaître des écoles diverses , des différences de goût et d’ha- bileté qui ne peuvent provenir d’aueune autre cause que du génie des architectes. STYLE ROMAN. ARCHITECTURE ROMANE NORMANDE. Et d’abord, si nous comparons l’état de l’architecture romane en Normandie avec ce qu’elle était dans le centre de la France , nous serons frappés de l'infériorité de l’art , quant à la sculpture. Presque tous nos chapiteaux normands du XIe siècle sont d’une simplicité et d’une barbarie que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Les bases, quoique parfois attiques, offrent souvent un chanfrein grossièrement taillé, posé sur un socle également brut. Le fût s'adapte souvent si mal avec le chapiteau qu'on serait tenté de croire que ces pièces n’ont point été faites l’une pour l’autre. On peut voir des exemples de cette négligence des architectes nor- mands , dans l’église de St.—Nicolas de Caen, qui date cependant de la seconde moitié du XIe siècle (1083.) L'élévation de la nef de l'Abbaye aux Dames de Caen, église dans laquelle on remarque des sculptures plus soignées , bien QUATRIÈME SECTION. 591 qu'elle ait précédé de quelques années l’église St.-Nicolas, nous offre , au-dessus du premier ordre , une galerie mesquine d’ar— cades simulées, écrasées par des fenêtres d’une pesanteur extraor— dinaire et de la forme la plus désagréable. Je ne crois pas qu’à la même époque on trouvât de combinaison si peu harmonieuse , je dirai même si choquante , dans les parties de la France plus avan- cées vers le Midi. Quant aux ornements, j'ai déjà indiqué , dans la quatrième partie de mon Cours, ce qui est particulier à l’architecture romano- normande ; j'ai fait remarquer que l’emploi si fréquent chez nous du zigzag , de la frette crénelée, etc. , était beaucoup plus rare dans les autres parties de la France , et que, sous ce rapport, c’é- tait avec l'architecture romane d'Angleterre que la nôtre avait le plus d’analogie. Je ne reviendrai pas sur ces détails qui nous en- traineraient beaucoup trop loin. Sous le rapport de l'élévation et de l'étendue, les monuments normands n’ont rien d'inférieur à ceux des autres parties de la France ; nos grandes églises n'étaient pas moins vastes. D’un autre côté, elles offrirent , vers la fin du XIe siècle , un élément qui ne s’est pas, je crois , aussi bien développé , à cette époque, dans beaucoup d’autres parties de la France ; je veux parler des tours. Nos belles tours carrées , surmontées de leurs pyramides élancées, telles que nous en possédons un assez grand nombre dans nos campagnes, n'existent, je crois, nulle part à la même époque en aussi grand nombre ni avec des proportions plus heureuses ; et je ne serais pas surpris que l'impulsion donnée par Guillaume-le- Conquérant et ses successeurs à l’architecture militaire et à la cons- truction des fiers donjons qui. s’élevèrent à profusion , des deux côtés de la Manche, eût inspiré nos architectes. Nos plus belles tours d’églises se rapprochent effectivement beaucoup,au XIe siècle, par leur ordonnance , des beaux donjons de l’époque, et n’en dif- fèrent que par leur diamètre. Cette hauteur des tours normandes se retrouve , du reste , à la même époque , en Alsace, sur les bords du Rhin et dans quelques autres contrées de la France. Mais on peut dire qu’elles sont exceptionnelles dans les Aquitaines et dans tout le Midi. MAINE ET ANJOU. Si de la Normandie nous passons au Poitou , et même sans nous avancer jusqu’à la Loire , si nous comparons l'architecture du Maine à celle de la Normandie , nous verrons qu'une autre zône 592 MÉMOIRES. monumentale commence dans cette dernière province , non pas que nous voulions établir de limite absolue entre le Maine et la Normandie, car, en fait de styles architectoniques commeé-en toute autre chose , il y a plutôt dégradation insensible entre les produc- tions d’une région et celles d’une région voisine,que des différences tranchées à des distances précises et définies. Je veux dire seule ment que , pris en masse , considérés d’une manière générale , les monuments du Maine et de l’Anjou offrent déjà , comparés à ceux de la Normandie, des traits qui les distinguent et qu'il est facile d'apprécier. Ainsi les chapiteaux m'ont paru généralement mieux traités. Ils offrent plus souvent une imitation des feuillages corinthiens. Ces feuillages sont mieux fouillés , leurs contours plus gracieux , moins raides et plus en relief ; d’autre part , le zigzag et la frette crénelée ont presque disparu. Mais je craindrais , si je m’étendais sur cette architecture, de traiter une question inscrite dans votre programme sous le ne 44 et qui donnera sans doute lieu à des mé-— moires approfondis, rédigés par des hommes beaucoup plus com- pétents. Je ne doute pas que M. l'abbé Tournesac et plusieurs autres membres du Congrès n'aient à vous soumettre des observa- tions précises et développées sur les caractères architectoniques qui distinguent, aux XIe et XIe siècles, les monuments religieux du Maine et de l’Anjou. Je passe donc à l’état de l’art dans le Poitou et sur les bords de la Loire, aux environs de Tours. ARCHITECTURE ROMANE DE L'AQUITAINE DU NORD. Dans toute cette région d’outre-Loire, la sculpture était, aux XIe et XIIe siècles, plus avancée que dans le Nord-Ouest ; le zigzag et les autres détails anglo-normands y sont rares. En revanche , on y rencontre de gracieux enroulements, des rinceaux, et diverses moulures qui nécessitaient à coup sûr plus d’habileté que les mou- lures géométriques de l'école normande et anglaise. D'autre part, la représentation de la figure humaine en bas-relief est bien plus fréquente outre-Loire. Il n’est pas rare d'y rencontrer, principale ment. dans les façades, des scènes composées d'un assez grand nombre de personnages. De petites figures en bas-relief garnissent même par fois les archivoltes (Civray, Parthenay, Thouars,N.-D. de Poitiers, N.-D. de Saintes, Airvault, etc.). Telleest la représentation des vingt-quatre vieillards de l’apocalypse que l’on trouve sur l'une des archivoltes de la porte principale de l’église N.-D. à Saintes; les QUATRIÈME SECTION. 595 zodiaques de Lusignan en Poitou, de Fénioux en Saintonge; les figures de l’église St.-Mesme, à Chinon ; lesnombreuses sculptures en bas-relief couvrant la façade de l’église N.-D. de Poitiers. J'ai déjà, quant à la disposition extérieure , indiqué dans le qua= trième volume de mon Cours d’antiquités , combien les façades des grandes églises du Poitou différaient de celles du Nord-Ouest. L'école d'outre-Loire avait adopté une forme beaucoup plus gra cieuse que l’école anglo-normande et j'ai, pour le faire com- prendre , mis en regard l’église N.-D. de Poitiers avec l’une des grandes abbayes de Guillaume-le-Conquérant. Outre-Loire , on ne voyait pas, au moins habituellement , de grandes tours des deux côtés de la façade, maïs seulement des clochetons octogones ; les tours principales s’élevaient au centre de l'édifice ( N.-D. de Poitiers , Charroust , vieux Parthenay Loches, Airvault, Civray, etc, etc.). Elles offraient ordinairement, à peu de distance du toit, la forme octogone, chose fort rare chez nous où les tours romanes sont presque toujours carrées. En général, les ouvertures sont, dans les églises d’outre- Loire , plus larges et mieux arrondies; les entablements et les cor- niches, mieux profilés. Les voûtes en pierre qui, au XIe et au XIe siècles, n'étaient pres- que jamaïs employées en Normandie , pour les grandes nefs des églises, et que l’on n'osait guère construire qu’au-dessus des bas- côtés , se rencontrent beaucoup plus fréquemment dans les édifices de même âge en Poitou , si l’on en juge par celles que l’on y voit dans un grand nombre d’églises romanes , tandis que la plupart de celles qui existent dans nos églises de même âge, en Normandie , ne datent que du XIILe siècle. Une autre observation à faire , c’est que les voûtes à coupole, dont on voit des exemples au-delà de la Loire (Loches, An- goulême , Périgueux , etc.), et qui sont évidemment imitées des églises byzantines ne se voient point en deçà du fleuve. ® L'appareil est aussi fort différent chez nous de ce qu’il est dans les contrées que nous venons de comparer avec la Normandie. Les petites pierres ont été beaucoup moins employées que l'appareil moyen, et l’on y voit les pièces séparées les unes des autres par un ciment assez épais. Au reste, la grandeur de l'appareil doit .: comme on le pense bien , tenir à la nature des matériaux qui dominent dans la contrée et l'observation que je fais ne peut s’ap- pliquer d’une manière absolue. Je borne à ces généralités ce que j'avais à dire de l'architecture d'outre-Loire , comparée à celle du Nord-Ouest de la France , en 394 MÉMOIRES. avertissant toute fois que la Saintonge avec ses curieuses églises , le Poitou avec ses vastes monuments du même genre , fourniraient chacun quelques caractères distinctifs. Ce n’est point à moi, qui n'ai fait que passer , à étudier ces différences , mais bien aux hommes qui habitent ce pays, et qui l’ont parcouru dans tous les sens , dans le but d’en faire la statistique monumentale. M. de Chergé et plusieurs membres de la société des antiquaires de Poitiers décriront les monuments du Poitou. En Saintonge , le mème travail sera fait par MM. Moreau, Massiou et Lesson. M. Moreau nous à déjà, plusieurs fois, montré ses albums, et il s’est un des premiers occupé de statistique monumentale. STYLE ROMAN DANS LE LANGUEDOC. Par la raison que je viens d'indiquer , c’est à MM. Dumège , de Tournal et Renouvier qu’il appartient de faire connaître, dans tous ses détails, l'architecture du Languedoc et des autres provinces méridionales. Si un examen trop rapide , et, je l’avoue , beaucoup trop superficiel, ne m'a pastrompé, quand j'ai traversé ces provinces, on peut aussi reconnaître, dans leurs monuments,des caractères qui les distinguent de ceux du Poitou et de la Saintonge. En tous cas , l’école de sculpture était , là aussi, plus avancée que dans le Nord , et il suffrait, pour s’en convaincre , de visiter les ornements de la belle église St.-Cernin de Toulouse, l’un des édifices les plus complets que nous possédions en France de la fin du XIe siècle ; d'examiner le beau portail St.-Gilles en Provence , celui de la ca- thédrale d’Arles , et plusieurs autres signalés et décrits par M. Renouvier. Partout les caractères généraux que nous avons as— signés au style roman se rencontrent, mais aussi partout il y à quelques nuances qui en modifient les types, et donnent à chaque contrée une physionomie monumentale particulière et distincte. D'ailleurs, le Midi de la France, qui avait conservé tant de cons- tructions romaines, avait dû être plus fidèle que les régions du centre et du Nord aux traditions antiques. Je ne prétends pas , au reste , que les traditions antiques aient été favorables au dévelop pement de l'architecture au XLe siècle , dans le Midi de la France, en tant qu’il s’agit de l'étendue , de l'élévation et de la grandeur des édifices ; je ne parle ici que de la correction des formes et de. la pureté des détails. QUATRIÈME SECTION. 395 ARCHITECTURE ROMANE D'AUVERGNE. En Auvergne , les monuments d'architecture romane ont une physionomie distincte et des caractères qu'on ne trouve pas dans la Provence et les autres provinces que nous avons citées. Les églises de N.-D. du Port à Clermont , de Brioude , d'Issoire , de St.-Nectaire , celle de Mozat près Riom , de Royat , d'Ennezat , de Volvic et quelques autres , prouvent ce que je viens d'avancer. Ces églises ont entre-elles des rapports si frappants que quelques- unes paraîtraient avoir été faites par les mêmes ouvriers, et sem— bleraient être l’œuvre , sinon des mêmes hommes , au moins de la même corporation. M. Mallay rapporte , dans son bel ouvrage sur les églises romanes de l'Auvergne , qu'au. XIIe siècle, il existait dans cette province une confrérie de maçons qui se faisaient ap- peler les logeurs du bon Dieu; nous ignorons si cette confrérie était ancienne , et il serait curieux de connaître bien son histoire. Quoiqu'il en soit, les églises d’Avergne offrent , en général, une nef avec bas-côtés , un transept et un chœur séparé des bas-côtés qui en font le tour par des arcades portées sur des colonnes mono- cylindriques ; des chapelles. souvent au nombre de cinq , garnis- sent le pourtour du chœur, et assez ordinairement une chapelle apsidale s’ouvre dans le mur oriental de chacun des transepts. Une tour centrale, assez souvent octogone , surmonte l'intersection des nefs: sous le chœur règne une crypte qui ne pénètre pas sous la nef. L'ordonnance des travées est constamment la même, savoir: au-dessus des arcades des bas-côtés, une galerie ou triforium cor— respondant à des tribunes, au moyen de petites arcades cintrées ou multilobées ; les arcs multäobés, qui n'existent pas en Nor- mandie ni dans le Poitou, ont été employés aussi en Bourgogne et en Alsace. Les corniches extérieures , assez souvent ornées d’une moulure en damier, sont très-saillantes et s’appuyent sur des modillons, la plupart du temps ornés d’une suite de moulures imitant des cy- lindres. On remarque aussi , mais beaucoup plus rarement , des fi- gures grimaçantes sur les corbeaux. Un genre de décoration particulier à l'Auvergne , c ro l’em- ploi des marqueteries ou mosaïques grossières à l'extérieur des édifices et spécialement du chœur et des apsides. Cet ornement était en général réservé pour le chevet ou grand comble et les apsides qui l’accompagnent. Il était formé de pierres rouges , 596 MÉMOIRES. noires ou grises , taillées symétriquement en losange , en triangle, etc, etc. ; système qui rappelle les incrustations que nous avons remarquées dans d’autres pays et qui forme toutefois une décoration particulière. Les fenêtres offrent aussi de longs claveaux noirs ou gris , rémi- niscence de ces alternances de pierre et de brique d’une époque plus ancienne. Les chapiteaux des églises byzantines de l'Auvergne sont géné- ralement ornés de feuilles d’acanthe , d'animaux fantastiques et de sujets tirés de l’ancien et du nouveau testament ‘Mozat , Volvie , N. D. du Port, Issoire); les sujets sont d’un grand relief et souvent passablement traités. Les fûts ne m'ont pas habituellement pré- senté ces aggroupements que l’on voit en Normandie; ils ont presque tous une base attique. J'ai été frappé, dans les églises d'Auvergne , de la simpli- cité des portails; on n’y voit pas, comme dans le Poitou et en Normandie , ces archivoltes richement ornées de sculptures qui donnent tant d'éclat à certaines façades ( Civray , N.-D. de Poitiers, ete, etc. ). Les bas-reliefs employés ailleurs que sur les chapiteaux sont aussi très-rares , et nulle part on ne trouve ces statues de grande proportion qui, au XIIe siècle, ornent plusieurs monuments byzantins. Il y aurait beaucoup d’autres renseignements à donner sur l’état de l’architecture romane en Auvergne , mais il ne faut pas ou- blier que je ne fais que jeter un coup-d’æœil rapide. Nous avons publié, dans le troisième volume du Bulletin monumental,un mémoire très-remarquable de M. Renouvier, dont je recommande la lecture à ceux qui voudraient approfondir ce sujet. Depuis cette époque , M. Mallay, architecte, a fait paraître plusieurs livraisons d’un grand ouvrage accompagné de planches représentant les églises byzantines de l'Auvergne , dans lequel on trouvera des renseignements com-— plets sur la statistique monumentale de cette province. J’emprunterai, en terminant, au travail de M.Renouvier, quelques conclusions dont la justesse m'a frappé , lorsque j'ai visité les mo- numents de ce pays : « Des différences sensibles , dit M. Renouvier dans l'ouvrage » que je viens de citer (Bulletin monumental , t. 3. p. 395), ca- » ractériseraient les nefs d'Auvergne , si on les comparait à celles » de Normandie. Plus élancées pendant la première période ro— » mane , elles n’admettent pas ces fûts courts et ramassés , ces » arches chargées de moulures bizarres , multipliées sur plusieurs QUATRIÈME SECTION. 3597 » ordres. La pratique des voûtes cylindriques et croisées y fut » aussi plus avancée et plus constante. Pendant la période de tran— » sition, les colonnes ne se réunirent pas en faisceau comme en » Normandie. Les fenêtres ne se groupèrent pas aussi bien pour » s'acheminer au tracé gothique. Plus tenaces enfin dans leur sys- » tème propre, qui avait acquis dans ses limites une valeur suffi » sante, on ne les voyait pas tendre d’une manière aussi marquée au style gothique par l’altération de chacune de leurs parties. » À l'extérieur, les mêmes tendances se révèlent. Les contre— » forts moins nécessaires à des édifices mieux construits, sont plus rares et moins prononcés que dans le Nord. Les tours n’y » ont qu’un développement très-restreint. Les portails et les fe- » nêtres n’ont pas cette complication d’archivoltes et cette profu- » sion de moulures qui les distinguent ailleurs. Les moulures enfin, » dans les endroits qui les admettent , comme les corniches , les » tailloirs, ne produisent pas les frettes crénelées , les têtes plates » et les zigzags normands , mais des dessins particuliers imités » largement du style antique. Tous ces caractères des églises d'Au- » vergne leur sont communs avec celles du Midi en général , mais » elles ont de plus un système d’ornementation particulier. » Quelques monuments du Languedoc admettent bien les orne- .» ments en pierres noires , mais leur emploi est toujours restreint. » Ceux d'Auvergne , auxquels les volcans éteints des monts Dores »et des monts Domes fournissaient abondamment des laves de » couleur , doivent surtout être signalés pour l'adoption de ces » grandes marqueteries qui décorent l’archivolte des fenêtres , le » fronton des transepts et tout le pourtour des apsides. Cette orne- » mentation, dérivée immédiatement de l’usage qui s’introduisit, » dans les derniers temps de l’art antique, de décorer l’extérieur » des édifices avec des cordons de briques et des incrustations en » terre cuite et en pierre de couleur, et dont la pile de Cing-Mars, » près de Tours, et l’église de St.-Jean à Poitiers nous offrent des » exemples remarquables, fut adoptée dans les édifices romans » les plus anciens, et se prolongea dans quelques pay$ jusqu’au » XIIe siècle. En Auvergne,ces marqueteries tiennent constamment » la place des petites arcatures des galeries apsidales , qui distin- » guent les monuments des bords du Rhin, et que nous avons ob- » servées aussi dans plusieurs monuments du Languedoc, et » de cette multitude d’ornements barbares qui couvrent les édifices » normands. » Ces rapprochements suffisent, je crois, pour déterminer la » physionomie propre du style auvergnat , et pour indiquer , dans L2 >: 598 MÉMOIRES. » l’histoire de l'architecture en France un nouveau type , une nou— » velle école, que l’on ne devra pas confondre avec les écoles déjà » connues. » ARCHITECTURE ROMANE EN BOURGOGNE. En Bourgogne , l’architecture romane a atteint de belles propor- tions et ses détails se distinguent par beaucoup de correction. On peut en dire autant des églises du Bourbonnais et du Nivernais. Sous ce rapport, le grand et bel ouvrage de M. Achille Allier permet de porter un jugement certain sur l’état de cette archi- tecture dans l’ancien Bourbonnais, sans l’avoir parcouru, et vous y verrez une richesse de détails qui caractérisera facilement , à vos yeux, cette région monumentale, comprise entre la Loire et le Jura. Un caractère d’autant plus important qu'il frappe plus vivement l'observateur , c’est l'emploi qu’on à fait de pilastres cannelés dans beaucoup d’églises bourguignonnes et dans le Bourbonnais. M. Mérimée pense qu'il faut chercher l’origine de ces pilastres cannelés dans l'intention que l’on a eue d’imiter les pilastres gallo- romains qui supportent l’entablement des portes d’Arou et de St.— André dans la ville d'Autun. J'avais été d'autant plus porté moi- même à admettre un pareil raisonnement , que, dans la ville de Langres , où il existe deux ares de triomphe gallo-romains , dé- corés de pilastres cannelés , la cathédrale , monument fort remar— quable du XIe ou du XIe siècle, et dont personne ne s'était en- core occupé, lorsque je l’ai visitée , offre une grande quantité de pilastres aussi remarquables par leurs chapiteaux corinthiens largement sculptés , que par leurs cannelures hardiment profilées. Je n'ai pas douté un seul instant qu'à Langres, comme à Autun, la présence des arcs de triomphe ornés de pilastres cannelés n'ait déterminé les architectes de la cathédrale à se servir de pareils pi- lastres pour la décoration de cet édifice, imitant en cela les modèles antiques qu'ils avaient sous les yeux. L'imitation de quelques cha- piteaux a été si heureuse, que je suis resté un instant dans le doute sur l’origine de l’un de ceux qui ont été employés à la décoration des contreforts ou ares boutants de l’apside ; j'ai cru un mo- ment qu’il pourrait avoir été tiré de l’une des portes antiques de la ville. Parmi les églises qui offrent des pilastres eannelés, je peux citer h vaste église de la Charité-sur-Loire , celle de Saulieu , la ca- QUATRIÈME SECTION. 399 thédrale d’Autun , les églises de Tournus, de Ste-Ménéhould , de Souvigny, celle de Lausanne en Suisse , la cathédrale de Lyon, celle de Vienne et quelques autres. M. Bâtissier qui indique aussi la présence de pilastres cannelés dans les églises de Baune, de Paray-le-Moniale et dans les ruines de Cluny , ne doute pas que l'emploi de ces pilastres n'ait été importé de Bourgogne dans le Bourbonnais. Autant que j'ai pu le reconnaître, ce système d'architecture bourguignonne , qui se distingue par beaucoup d’autres caractères, dont l'indication ne saurait trouver place dans un coup-d’œil aussi rapide que celui que je me suis proposé , embrasserait les dépar— tements de l’Allier, de la Nièvre, de Saône-et-Loire, du Doubs, de la Côte-d'Or et quelques autres contrées ; il a même passé au-delà du Jura , puisque j'ai constaté , à Lausanne , la présence de pi- lastres cannelés. La cathédrale de Genêve offre d’ailleurs un sys- tème de riche ornementation, qui rappelle , à beaucoup d'égards , l’église de la Charité-sur-Loire. Je n’ai pu savoir si le beau style de la cathédrale de Langres et ses détails imités des arcs de triomphe romains avaient été reproduits dans les églises du département de la Haute-Marne , comme cela est probable ; mais je n’en ai pas vu de traces dans plusieurs villes situées au Nord de ce diocèse. La région monumentale que je viens d'indiquer d'une manière générale, comprenant la Bourgogne , le diocèse de Langres, le Nivernais et l’ancien Bourbonnais, avec une partie du Forez et de la Suisse , est donc une des mieux caractérisées que l’on puisse si- gnaler et se distingue d’autant plus nettement que, du côté de l'Alsace , elle se trouve limitée par les édifices du style Allemand, dont je vais essayer d'indiquer les principaux caractères , et que, vers la Meuse et les Ardennes, on ne trouve plus cette richesse d’ornementation qui caractérise le roman bourguignon. ARCHITECTURE GERMANO-ROMANE. En parlant de l'architecture romane d’Alsace, je me servais de la. dénomination de style Allemand ; effectivement c’est avec les édifices qui garnissent les bords du Rhin, depuis Cologne et les bords de la Meuse jusque dans la Belgique orientale, que les mo- numents à plein cintre des départements du Haut et du Bas Rhin et ceux du pays Messin offrent le plus d’analogie. Il faut dire même que Ja Bavière et la Prusse Rhénane ne forment, avec l'Alsace, qu’une seule et même région monumentale, et comme on doit faire 400 MÉMOIRES. abstraction des limites politiques , quand on étudie la géographie des styles du moyen-âge aussi bien que la géographie physique , je vous demande la permission de jeter un coup-d’œil sur les cons- tuctions germano-romanes , comprises entre le Rhin , d’une part, la Lorraine , la Bourgogne et les Ardennes de l’autre. Le type germanique offre des caractères assez particuliers pour que je doive m'étendre un peu plus longuement sur ce mode d'architecture , que je ne l’ai fait dans les paragraphes précédents. La forme des églises romanes de l’Allemagne et de l'Alsace diffère souvent beaucoup de celle qui a prévalu, au XIe et au XEle siècles, dans d’autres parties de la France. Plusieurs d’entre elles ont deux apsides principales : l’une à P'Est , l’autre à l'Ouest, comme l’église Ste-Croix de Liège , la cathédrale de Trèves, celles de Worms, de Spire , de Mayence, et il est assez ordinaire , dans ce cas , de trouver des tours placées de chaque côté de ces apsides. ax Quand il n’y a point de terminaison apsidale à l'Ouest , on trouve quelquefois un prolongement carré ou vestibule, répondant comme l’apside orientale au diamètre de la nef centrale , et qui n’en dif- fère que par la forme rectangulaire substituée à la forme semi-cir- culaire : l’église des SS. Apôtres, à Cologne , offre un exemple de cette disposition. Dans les églises qui n’ont, à l'Ouest , aucune saillie semi-circu- laire ou carrée, il n'y a pas toujours , comme chez nous , de por- tail répondant à la grande nef ; les entrées sont de côté. Cette disposition existe habituellement dans les églises les plus ancien nes de Liège et de quelques autres parties de la Belgique. Les dimensions du transept varient beaucoup dans les grandes églises : à Trèves, il a très-peu de saillie sur les ailes de la nef , quoique celles-ci ne soient point garnies de chapelles. Il en présente davantage à Leach , à Bonn , à Mayence , à Spire , à Worms, etc. Le transept est aussi plus ou moins rapproché de la courbure de l’apside ; mais il est rare qu'il en soit distant, comme dans nos églises romanes de Normandie , et souvent il forme la base sur laquelle vient s'appuyer le demi-cercle de l'apside, comme à Trèves , à Mayence , aux églises de St.-Martin , des SS. Apôtres , de St.-Cunibert , à Cologne , et dans un grand nombre d’autres édifices. Quelques transepts se terminent par des apsides semi-cireu- laires ; on en voit des exemples remarquables dans l'église de Ste. QUATRIÈME SECTION. 401 Marie du Capitole, à Cologne , et dans celles de St.-Martin et des SS. Apôtres de la même ville. Lorsque les grandes églises ont deux apsides , on trouve assez souvent deux transepts , placés l’un vers l’apside orientale, Vautre vers l’apside occidentale (1). ( Eglises des SS. Apôtres , de St.-André et de St.-Cunibert, à Cologne, de Leach et de Mayence ). È Les différences que nous venons d'indiquer dans le plan des grandes églises romanes de la région monumentale du Rhin ont dû , comme on le prévoit , apporter à la forme extérieure des mo— difications remarquables. Ces différences consistent dans l’ab- sence d’un portail, à l'Ouest de la façade , remplacé par une saillie apsidale ; dans la disposition symétrique des tours près des deux apsides, et dans le système de décoration le plus habituellement usité. é Les tours le plus souvent carrées, quelquefois rondes ou octo- gones se terminent habituellement , sur chacune de leurs faces, au-dessous de la pyramide, par des frontons triangulaires ; disposi— tion spéciale aux tours de cette région , en y comprenant une partie de la Belgique ( Luxembourg , Liège , Namur). Je ne l’ai jamais observée dans le centre ni dans l'Ouest de la France. A l'intérieur , les grandes églises offrent à peu-près la même ordonnance que les nôtres. Dans quelques-unes, celles de Trèves, Boppart , Andernach, N.-D. de Coblentz, etc. , on remarque, au-dessus des bas côtés, une galerie dont la largeur est égale à celle des aïles , ayant des ouvertures plus ou moins larges sur la nef. J'ai désigné ces galeries sous le nom de tribunes , dans mon Cours d’antiquités. M. Whevwell les mentionne avec raison comme un des caractères de l’architecture germano-romane ; mais beau- coup d’églises de différentes parties de la France en offrent de pareilles, (St.-Etienne de Caen)et cette disposition n’a rien de parti- culier à l'Allemagne. (1) Quoique les apsides transversales soient rarés en France , elles s’y rencontrent quelquefois. J’ai cité, il y a long-temps, celle de la curieuse cathéürale de Noyon, monument du XIIe siècle. Ainsi que M. Whevwell la remarqué, plusieurs églises germano-romanes offrent, aux extrémités du transept , des apsides polygonales : j'ai encore observé que lorsque deux ap- sides existent aux extrémités orientale et occidentale de la grande nef, l’une est ordinairement semi-cireulaire et l’autre polygonale. Dans beaucoup de cas, la forme polygonale annonce une époque plus récente que les apsides semi-cireulaires. 402 MÉMOIRES. La corniche qui surmonte les modillons est richement ornée dans quelques grands édifices ; ce sont ordinairement des billettes ou des contre-billettes qui décorent le larmier , et la cymaise est ornée de feuilles ou de ciselures diverses, qu’il n’est pas facile de décrire. Dans un grand nombre d'églises romanes , il existe un système d'entablement beaucoup plus compliqué , et qui ne se rencontre point dans les édifices religieux de la France occidentale. La cor- niche se trouve au dessus d’une galerie composée de plein-cintres » portés sur des colonnettes quelquefois accouplées, et qui reposent sur un soubassement orné parfois d'un rang de petits panneaux quadrangulaires , séparés les uns des autres par des encadrements, Quelquefois on a rempli ou plaqué ces cavités carrées avec des pierres de couleur, et de loin elles ressemblent aux métopes d'une fris e dorique. C'est ordinairement autour des apsides que l’on trouve ces ga— leries inconnues dans notre architecture romane , mais à Spire, et peut-être ailleurs, elles se prolongent jusqu'à l'extrémité occiden- tale des murs latéraux de la grande nef. Il est impossible de méconnaître, dans les galeries dont je parle , l'élément des balustrades qui, au XIILe siècle, ont couronné les murs de nos cathédrales ; mais ici la disposition est différente ; au lieu de surmonter la corniche , elles la supportent ; au lieu de former balcon découvert et de masquer , comme chez nous, la base des toits coniques, elles se trouvent au-dessous de ces toits où elles forment une allée ouverte. Nous avons bien, dès le XIe siècle , et surtout au XIIe , des ar- cades simulées décorant extérieurement les murs latéraux et les apsides de quelques églises , mais ce sont des applications et non des galeries formant passage ouvert comme celles que je viens d’in— diquer. D'ailleurs cette décoration se trouve ordinairement au niveau des fenêtres, et celles-ei s'ouvrent au milieu des cintres si mulés, au lieu que les galeries apsidales des églises allemandes forment toujours un étage particulier , une sorte d’attique au- dessus des fenêtres; elles se lient à l’entablement et en font en quelque sorte partie. I y à long-temps que M. Schweighauzer a constaté, dans les églises romanes de l'Alsace et des provinces rhénanes, sinon l’ab- sence complète du moins la rareté des frettes crénelées, des losanges , des zigzags et de quelques autres moulures communes en Normandie , sur les monuments des XIe et XILe siècles. Nous ne pouvons que confirmer les remarques de ce judicieux observa- QUATRIÈME SECTION. 403 teur, en répétant ce que nous avons dit précédemment , savoir : que ces moulures sont aussi assez rares dans le Poitou, la Sain- tonge , le Périgord et le Midi de la France. Les moulures ont été employées avec sobriété dans la décoration des églises allemandes ; les archivoltes des arcades et des fenêtres sont presque toujours unies. Celles des portes offrent parfois deux plates-bandes bordées de tores, et qui ne sont que par exception couvertes de ciselures { rinceaux , entrelacs , ete, etc. ). ARCIIITECTURE ROMANE DU NORD DE LA FRANCE. Il me resterait à parler de l'architecture romane de la Picardie et du Nord de la France : Dans ce pays elle a été moins ornée que sur les bords de la Loire , et cependant plus pure de formes que l’ar— chitecture normande. M. Graves , dans son bel ouvrage sur la statistique monumentale de l'Oise, M. Rigollot, dans ses judicieux et savants aperçus sur l’état de la sculpture en Picardie, me parais- sent avoir démontré que , dans cette contrée si voisine de la Nor— mandie, l'emploi du zig-zag , de la frette crénelée et des autres moulures anglo-normandes n'était cependant pas en usage. Il y avait dans cette région plus de correction que chez nous dans les ciselures et les bas-reliefs ; les colonnes et leurs chapiteaux étaient mieux traités, il y avait peut-être aussi plus de nudité dans les surfaces. j STYLE OGIVAL PRIMITIF. Nous avons touché du doigt et simplement indiqué suivant quelles zônes l'architecture du XIe et du XIe siècles s'était déve- loppée et modifiée. Nous allons essayer de jeter un coup-d’œil sur le développement du style ogival dans les mèmes contrées et sur son état au XIILe siècle. Mais nous vous prions de ne pas oublier que ce ne sont que des aperçus, présentés surtout pour provoquer des observations ultérieures sur un sujet qui me paraît d’un haut intérêt et encore neuf à exploiter. Les observations archéologiques que j'ai faites, celles que plu- sieurs observateurs tels que M. Renouvier , M. Merimée et quel- ques autres antiquaires ont entreprises de leur côté, ont démontré que le style ogival du XIIIe siècle , tel que je l'ai décrit dans mon Cours d’antiquités , devient de plus en plus rare à mesure qu'on s’avance du Nord vers le Midi , contrée dans laquelle il a eu beau- 404 MÉMOIRES. coup de peine à s’acclimater. Des observations, faites il y a dix ans, m'avaient porté à circonscrire la région où l'architecture ogivale a pris son plus grand développement dans une ligne idéale embrassant la Normandie, le Maine , l'Orléanais, la Touraine, le pays Chartrain , l'Ile de France , la Champagne et le Nord de la France. Cette circonscription n’était pas d’une exactitude rigou- reuse : elle devra recevoir des modifications , mais nous pouvons provisoirement l’admettre pour ramener nos divisions géographi- ques aux termes les plus simples. Ainsi , dans cette région , le style ogival s’est développé dès le commencement du XIIe siècle avec les caractères que j'ai indi- qués dans mes conférences. Nous le voyons timide encore , mais cependant avec ses formes et ses combinaisons bien arrêtées dans la nef de Fécamp , bâtie à la fin du XIIe et au commencement du XIILe siècle , par l'abbé Radulf, mort en 1220. Le beau chœur de la cathédrale de Bayeux , plus avancé que la nef de Fécamp, s'élevait aussi à la fin du XELe siècle et au commencement du XILLe ; vers le même temps nous voyons surgir nos plus belles cathédrales gothiques, telles que celle de Chartres qui, commencée dans le XILe siècle , fut achevée et dediée en 1260 , par Pierre de Maincy, 76e évêque ; celle de Reims, commencée peu de temps après 1210, par le célèbre architecte Robert de Coucy; la cathédrale d'Amiens commencée en 1221 ; enfin les cathédrales de Paris, d'Auxerre, de Tours , du Mans , de Séez, de Rouen, de Lisieux et tant d’au- tres églises qui appartiennent, au moins en partie au XIIe siècle, ou aux dernières années du XIIe. Sous St.-Louis, cette architecture atteignit son apogée par l’em- ploi des larges fenêtres, des sculptures les plus fines et les plus pures , des formes les plus harmonieuses : La chapelle que ce prince ajouta à son palais, en 1245, (la Ste Chapelle de Paris ) fait époque dans les annales de l'architecture française. De ce moment, le principe d’élévation et de légèreté fit des progrès rapides et le style ogival revêtit les formes les plus grâcieuses. Ainsi , Messieurs , sans chercher d’autres exemples , la Sainte Chapelle de Paris que tout le monde connaît, nous montre l’état de l’art à la fin de la première moitié du XILLe siècle dans les pro- vinces situées au Nord de la Loire. L'architecture ogivale était beaucoup moins avancée dans les autres régions que nous avons citées en parlant de l'architecture romane. Si nous prenons d’abord l'Alsace et les provinces rhénanes, cette région du roman-germanique , nous pourrons affirmer qu'une grande partie des édifices de ce pays, dans lequel le style ogival se QUATRIÈME SECTION. 405 montre à peine, où le style roman prédomine , appartiennent au XIIIe siècle. Le roman de transition régnait encore sur les bords du Rhin , lorsque sur quelques points de la France le style ogival était déjà brillant d'élégance et de légèreté. Ainsi,d’après les recherches des antiquaires de Cologne, l'église de St.-Cunibert , telle qu’elle existe à présent , en exceptant quelques parties reconstruites, fut bâtie par l'archevêque Conrad de Hochsteden , qui la consacra en 1247. Partout, dans cette église l’'ornementation est romane : les plein-cintres dominent, et les ogives qui s’y voient sont mariées aux cintres, comme dans notre roman de transition du XILe siècle. L'église des Apôtres, dans un style roman plus pur que la précé- dente , quoique l’on y remarque la forme ogivale dans quelques ar- cades , est aussi en partie du XIIIe siècle ; car un incendie ayant occasionné de grands ravages à l’édifice en 1199 , on travailla de 4200 à 1219 à réparer les avaries, et il fallut refaire les voûtes et une partie des nefs. Le dôme et la nef deSt.-Géréon de Cologne, commencés en 1212 et achevés vers 1227 , sont aussi dans le style roman de transition. A l'extérieur , on remarque , ilest vrai, des arcs-boutants et des fenêtres géminées qui ne permettent guère de douter que l’archi- tecte de ce dôme remarquable n’eût vu quelques-unes des cathé— drales qui s’élevaient , à cette époque , sur divers points de la France. Mais s’il a essayé d'introduire quelques innovations em— pruntées au style ogival , l’intérieur de ce bel édifice prouve qu'il était néanmoins fidèle aux traditions de l’école romane. I1 serait facile de citer beaucoup d’autres exemples de l'emploi habituel du plein-cintre et du style roman ou byzantin dans le XIELe siècle ; on a même employé ce style, au XIVe, pour les réparations ou additions qui ont été faites à de grandes églises romanes, eten cela les architectes allemands on fait preuve de goût et donné un exemple que les architectes français ne suivaient guère à cette époque. Ainsi, il résulte des observations faites par les antiquaires alle- mands et de celles que j’ai pu faire moi-même, qu’au XIE siècle, on n’employait point , au moins généralement , le style grâcieux et léger que nous trouvons dans nos cathédrales d'Amiens , de Reims , de Chartres et de Paris , style qui régnait aussi en Angleterre, où il a reçu la dénomination d’ancien anglais ( early english ). Il faut dire toutefois que certains édifices exceptionnels nous montrent le style ogival à peu-près aussi avancé que chez nous. 26 406 MÉMOIRES. Telles sont l’église N. D. de Trèves, élevée vers 1227 , et diverses parties de la cathédrale de Cologne , commencée en 1248 , préci- sément un an après la dédicace de l’église St.-Cunibert. Mais ces basiliques, dont le style est si différent de celui qu’on a employé pour la plupart des édifices contemporains, ont très-vraisemblable- ment été construites par des compagnies d'ouvriers étrangers et élevées sous la direction d'artistes ou d’architectes qui apparte- naient à l’école française. Telle est , au moins, la supposition que l'on peut faire et qui paraît assez naturelle. Ce retard dans l'adoption du style ogival, au XIIIe siècle , et la persistance de l'architecture romane parallèlement au style ogival primitif sont remarquables aussien Lorraine et dans le pays Messin; ce qui à fait dire à M. de Sauley , dans une des séances du Congrès de Metz , « Que les phases architectoniques indiquées dans mon Cours d'antiquités monumentales sont applicables au pays Messin, mais qu'il est nécessaire de retarder leur adoption pour certaines époques selon cer- taines influences ou particularités locales (1). » Le retard bien manifeste que je viens de signaler dans le déve- loppement du style ogival dans nos départements de l'Est, se re— marque aussi dans les contrées, où l’architecture romane a été le plus avancée. La formation complète du genre gothique a été plus tardive dans les provinces du centre que chez nous, et si l’on s’a- vance plus au Sud, dans le Lyonnais et le Dauphiné, les monuments de ce style deviennent de plus en plus rares. Il est vrai que cer- taines églises du premier ordre font exception, mais leur rareté confirme , pour ainsi dire, la supposition que je faisais tout à l'heure pour expliquer le style avancé de la cathédrale de Cologne , ils sont peut-être l'œuvre de corporations formant une école à part et composées d'hommes étrangers au pays. M. Renouvier, de Montpellier , dont les observations sont si in- téressantes et si justes, a remarqué que , dans le Languedoc , la Provence, et, en général dans le Midi de la France, l'architecture de transition , cette époque de fusion entre le style roman qui finit et le style ogival qui commence,ne se manifeste qu’au XITLe siècle, comme en Allemagne. Alors seulement l’ogive , tout en gardant une certaine lourdeur, un caractère et des détails romans, com- mence à prédominer et à revêtir des formes qui lui sont propres. Les édifices qui appartiennent incontestablement au XIIIe siècle (1) Compte-rendu de la 5e Session du Congrès , 4 vol. in-80, Paris , De- rache , rue du Bouloy , 1858. QUATRIÈME SECTION. 407 offrent un mélange continuel de cintres et de tiers-points , d’or- nements byzantins et ogivaux , de formes pesantes et élancées. S'il y a quelques exceptions, parmi les monuments du XIÏLe siècle du Midi de la France, elles sont dues, selon l'opinion de M. Renou- vier, conforme en cela à la nôtre, à des. causes étrangères au pays ; c’est ainsi que la salle de la tour des Coutances à Aigues-Mortes , construite sous St.-Louis et probablement par des artistes du Nord, reproduit les collonettes et les feuillages du style ogival pri- mitif. On pourrait citer encore quelques rares exemples de cette espèce. Si de la Provence nous nous transportons dans les autres pro— vinces du Sud , et que même nous remontions vers l’Aquitaine du Nord , nous remarquerons , comme l’a fait judicieusement M. Re- nouvier pour les contrées que nous venons de citer que , pendant que chez nous la forme ogivale était déjà en usage , elle n’était pas comprise dans le Midi par les artistes qui commençaient à l’em- ployer. « L’ogive dans leurs édifices produit l'effet d’un élément étranger » et bizarre ; elle ne se marie pas avec les autres parties des cons- » tructions ; elle y vient en corps , pour ainsi dire , et non en es- » prit ; l'arc plein-cintre est devenu aigu sans que ses proportions » aient été changées , il n’est ni plusétroïit, ni plus élevé, et la » pointe qui le termine est souvent si peu prononcée qu'il faut un » œil attentif pour l’apercevoir. Du reste , l'architecture est restée » la même. Les colonnes sont courtes et rares ; les chapiteaux » carrés , historiés , à feuilles grasses ou à enroulements ; les or- » nements , imités de l’antique ou barbares ; les façades sont » toujours percées de larges portes cintrées ou d’une ogive à peine » sentie , surmontées d’un frontron à peine plus exhaussé que les » frontons antiques ; les tours sont rares et massives. Ce climat, » qui se rapproche déjà de celui de l'Italie, et n'’exige pas de » toîts aigus, résiste tant qu'il peut à l’élancement ogival; et »ces monuments conservent long-temps les traces nombreuses » de l’art romain , auquel ils dûrent leur origine. » Ce coup-d’œil , beaucoup trop rapide sans doute , suffit cepen— dant pour limiter approximativement la région dans laquelle na- quit, en France, et se développa le style ogival primitif, et déjà il conduit, comme vous le voyez, à préciser dans quelles contrées était le siége principal de l’école architeetonique à laquelle nous devons les basiliques ogivales élevées au XHIEe siècle. S’il m'était permis d’analyser l'architecture à plein-cintre qui régnait au XIIe siècle, dans les contrées où le style ogival paraît s'être d’abord dé- 408 MÉMOIRES. veloppé, nous verrions que des combinaisons habituelles dans ce pays, et fort rares ou complètement inconnues dans les autres , pré- paraient insensiblemnt aux innovations que devait consacrer irré- vocablement l'architecture ogivale. Ainsi, dès la fin du XIe siècle , nous trouvons en Normandie et ailleurs, et même en Angleterre , des colonnes de différents modules disposées en faisceau sur le s piliers , tandis que les régions d’outre-Loire ne nous offrent habi- tuellement que les colonnes cantonnées en croix sur les quatre faces du pilier ; nous voyons ces colonnes s’élancer en faisceau jusqu’à la naissance des voûtes, caractère frappant du style go— thique. Si nous comparons les fenêtres aiguës du XIIe siècle avec les fenêtres semi-circulaires du XIe et du XILe siècles, nous pourrons remarquer que les lancettes géminées nous représentent, sauf la forme aiguë des arcades, les cintres géminés si souvent employés dans l'architecture romane du Nord de la France. Enfin l'usage des toits élevés présentant une inclinaison favorable à l'écoulement des eaux pluviales, dut prévaloir de bonne heure dans nos contrées , et c’est encore , comme l'a remarqué M. Whewell , une des causes qui durent puissamment influer sur l'adoption générale de l’arcade en pointe. Mais je veux me borner à esquisser ici la géographie des styles architectoniques, pour ré- pondre à la question insérée dans votre Programme, et si j'insistais sur ces considérations théoriques, vous auriez droit, Messieurs , de me rappeler à la question. Je m’empresse donc d'y rentrer en disant un mot de l’état de l’art au XIVe et au XVe siècles dans les diverses contrées de la France. STYLE OGIVAL SECONDAIRE. La région que nous avons indiquée comme celle où s’est déve- loppé le style ogival primitif , lorsqu'il existait à peine dans d’autres contrées , est aussi celle où les monuments du XIVe siècle ont été le plus brillants et le plus remarquables. Toutefois, à cette époque , les bords du Rhin virent aussi s'élever bon nombre d’édi- fices du mème style. Dans le Midi de la France , ou plutôt au-delà de la Loire jusqu'à la Méditerranée , les monuments gothiques furent toujours assez rares : ils témoignèrent de la timidité des ar- chitectes et de leur tendance à se rapprocher , quant aux dimen- sions, du type des siècles précédents. Il faut toutefois, comme nous l'avons fait déjà pour une autre époque , excepter quelques QUATRIÈME SECTION. 409 cathédrales , telles que celles de Clermont , Toulouse ( le chœur), Narbonne et plusieurs autres. En considérant que , dans le Midi de la France et sur les bords du Rhin, les architectes étaient encore , au XILEe siècle, fidèles aux principes de l’école du XIIe, on pourrait être tenté de croire qu'au XIVe siècle , ils auraient dû adopter le style ogival primi-— tif ; mais il n’en est point ainsi : quand ils se décidèrent à adopter le style ogival , ils le prirent dans l’état où ilse trouvait. Nous le voyons, au XIVe siècle, en Allemagne et ailleurs, avec des caractères à peu près semblables à ceux qui dominent chez nous. En Allemagne , on trouve une preuve de ce que j'avance dans la cathédrale de Francfort, dont le chœur a été bâti en 13515, et qui présente effectivement les caractères de cette époque. Dans la ca- thédrale de Strasbourg , et dans quelques autres, si les dessins géométriques des fenêtres et en général tout le système d’orne- mentation se rapproche beaucoup du nôtre , il faut dire toutefois qu’on remarque dans ces édifices l'emploi de grandes fenêtres fort allongées, d’une légèreté fort remarquable , que nous n’avons pas aussi habituellement chez nous.Ces fenêtres sont employées surtout dans les églises qui n’ont pas de bas-côtés, et qui offrent, par con- séquent , pour l'établissement des jours , des murs verticaux d’une grande hauteur. Telles sont les fenêtres si élevées et dont les me- neaux ont tant de portée et de légèreté, de la cathédrale de Franc— fort, et celles du chœur de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle. On commence aussi à voir se développer , ainsi que la remarqué ju- dicieusement M. Whewell, un système d’ornementation d’après lequel les moulures des façades étaient disposées sur deux plans différents , de manière que les dernières moulures se détachaient complètement des premières et formaient claire-voie. Ce système, que nous trouvons à Strasbourg , dans la façade de la cathédrale, produit un effet tel que la façade semble être placée derrière un riche écran découpé à jour. On comprend combien les édifices ainsi décorés offrent de richesse, et, quoiqu'il en résulte à dis- tance un peu de confusion dans les lignes, on est toujours frappé de l'éclat qu'ils présentent. Au reste , il ne faut pas, en général , je crois, attribuer au XIVe siècle ce brillant système de décora- tion ; il appartient plutôt au XVe, et si nous le trouvons dans la cathédrale de Strasbourg, il ne faut pas oublier que de nombreuses retouches, faites à différentes époques dans cet édifice, rendent fort problématique la date des ornements qu'on y remarque. J’ai même , dans un article inséré au Bulletin monumental , exposé les 410 MÉMOIRES. motifs qui me portent à regarder ces soudures que jai reconnues dans la façade de Strasbourg, comme étant au moins du XVesiècle. L'architecte voulut alors mettre le vaste soubassement de la pyra- mide en rapport avec l’admirable aiguille qui couronne l'édifice et qui , comme l’on sait , ne fut terminée qu'au XVIe siècle. Dans le centre et dans le Midi de la France,je n’ai rien remarqué qui différencie le style du XIVe siècle de celui qui prédomine chez nous et en Angleterre ; seulement, comme je le disais en com— mençant , es édifices de ce genre n’ont pas acquis le même déve- loppement que dans le Nord. STYLE OGIVAL DE LA TROISIÈME ÉPOQUE, DANS LE MIDI. L'observation que je viens de faire relativement à l’architecture du XIVe siècle s'applique , pour le Midi de la France , à larchi- tecture du XVe ; elle n’a pas non plus, dans cette contrée, pris le même développement que dans les régions plus au Nord. Cepen- dant les édifices gothiques de cette époque sont infiniment plus répandus que ceux du XIIIe et -du XIVe siècles. On cite à Lyon, comme une église très-remarquable du XVe siècle, celle de St.- Nizier ; elle ne manque pas d’une certaine élévation ; mais si on la compare à St.-Wulfrand d'Abbeville , à St.-Ouen de Rouen , à la cathédrale de Troyes, à l'église de l’abbaye de St.-Ricquier et à beaucoup d’autres de nos églises du XVe siècle , il faudra recon— naître qu’elle leur est de beaucoup inférieure. L'examen comparé des monuments de cette époque montre donc, de plus en plus, combien l'architecture gothique a eu de peine à se naturaliser dans les provinces centrales et méridionales. EN ALSACE, Il n’en était point ainsi sur les bords du Rhin et en Allemagne ; l'architecture a pris, dans ces pays, au XVe siècle, un admirable développement. Les nervures prismatiques , les colonnettes ef- filées et les autres caractères de l’époque se montrent dans l’ar— chitecture ogivale tertiaire des bords du Rhin , comme chez nous. 1 faut seulement observer que l’on trouve, dans les fenêtres sub divisées en meneaux , des dessins ou compartiments arrondis plus souvent que les dessins contournés si communs chez nous et que QUATRIÈME SECTION. 41 nous avons désignés sous le nom de flamboyants. Les feuillages frisés et plusieurs moulures employées à profusion dans l'Ouest de la France ne se trouvent pas aussi habituellement et sont traités un peu différemment en Alsace et en Allemagne, et, je crois aussi, dans les départements du Midi. Les panneaux , soit en application, soit détachés, et les autres détails qui constituent le style perpendiculaire de M. Rickman , prédominent dans l’ornementation des monuments du XVe siècle. Cette observation est applicable à la plupart des églises de Bel- gique. L'ernementation des églises allémandes du XVe siècle est cependant parfois extrèmement compliquée. C'est, comme je lai dit, à cette époque que paraissent ces espèces de claires-voies ou de panneaux détachés, formant pour ainsi dire un réseau derrière lequel se montrent d’autres moulures sur un second plan. Certains festons et enlacements de nervures furent , je crois, plus fré- quents en ce pays que partout ailleurs. La chaire et les fonts bap- tismaux de Strasbourg doivent être cités comme exemples de la richesse de ces moulures. Les tours offrirent , surtout à cette époque , une légèreté et une élégance supérieures à celles de toutes les autres tours. Rien de plus remarquable en effet que la tour de Strasbourg , celle de Fribourg en Brisgaw , et celle de Thann en Alsace, qui paraît une imitation des deux premières. La Belgique aussi montre, dans l’admirable tour du Beffroi de de Bruxelles, l’habileté et le goût de ses architectes dans l’édifica- tion des pyramides. RENAISSANCE. {1 nous resterait, Messieurs , et ceci ne serait pas la partie la moins curieuse du tableau que je viens de vous présenter, à exa- miner comment le style de la renaissance s’introduisit et vint se substituer à l’ancien style dans les différentes régions de la France; à faire connaître dans quelle contrée cette innovation malheu- reuse fut accueïllie avec le plus d’empressement. Mais cette intro- duction, plus ou moins rapide suivant les lieux, dut tenir à une mul- titude de circonstances que je n’ai point eu le loisir de rechercher et qu'il me serait impossible d'indiquer autrement que pour cer— tains pays. Vous savez , Messieurs , que les artistes italiens attirés en France par François Ier ont élevé, pour ce prince, bon nombre d'édifices de ce style, dans les lieux où il avait des maisons de plaisance. Bientôt le goût du monarque devint contagieux , et les 412 MÉMOIRES. seigneurs et les hauts dignitaires de l’état s'empressèrent de li miter en fesant reconstruire , dans ce style, leurs châteaux et leurs maisons de ville. Les bouds de la Loire nous offrent une zône très— riche de monuments de cette espèce. S'il m'est impossible d'indiquer la géographie des monuments de la renaissance , au moins puis-je dire, dès ce moment, que ce style bâtard n’a pas partout présenté les mêmes caractères. Je crois pouvoir dire aussi que la Belgique, l'Alsace et la Lor- raine ont mis peu d’empressement à l’adopter pour leurs construc- tions. Autant que j'ai pu le remarquer,durant mes courtes excursions dans ce pays, les exemples du style de la renaissance y sont rares ; on y est avec raison resté fidèle à cette architecture ogivale qui avait acquis, au XVe siècle, un si haut degré de perfection dans ces régions septentrionales. Pendant que chez nous on reve- nait au classique, par l'intermédiaire de ce style mixte dont le pa— lais de George d’Amboise, à Gaïllon, et le château de Chambord nous fournissent les plus beaux types , aussi bien que l’apside de l'église St.-Pierre de Caen, et le châte au de Fontaine Henri ; en Belgique , on construisait le plus souvent d’après les règles en vi- gueur à la fin du siècle précédent, Il faut remarquer toutefois qu'alors on donna plus d’extension à l’imitation du style mauresque et de l'architecture gothique-es- pagnole ; ce qui s'explique facilement , puisque cette contrée était soumise à l'Espagne. Les colonnes du palais des évêques de Liége, celle de la bourse d’Anvers, et plusieurs autres édifices offrent des exemples de ce style mauresque. Telles sont , Messieurs , les quelques mots que j'ai cru devoir prononcer ici à l’occasion de la question que vous avez inscrite dans votre Programme. Cette question que j'ai soulevée , il y a dix ans , me paraît toujours du plus haut intérêt ; mais , je le répète , je suis loin d’avoir eu la prétention de la résoudre , j'ai voulu seu— lement vous faire part des observations que j'ai pu faire dans mes excursions archéologiques. Ce ne sont que des pierres d’attente , des matériaux pour un travail sur la géographie monumentale de la France. Si j'ai le loisir de continuer mes recherches à cet égard, je pourrai peut-être , dans une de vos sessions ul- térieures , vous offrir sur ce sujet un travail plus complet et plus digne de vous. RÉPONSES AUX 43° ET 14° QUESTIONS DU PROGRAMME, ( 4me SECTION. ) PAR M. L'ABBÉ TOURNESAC, "INSPECTEUR DES MONUMENTS HISTORIQUES DU DÉPARTEMENT DE LA SARTHE. ET, EE gps Les monuments de l’Anjou ne nous sont pas assez connus pour oser rapporter avec précision les caractères qui en distinguent les différents styles, aussi nous ne parlerons que de ceux de notre province que nous avons étudiés plus spécialement. 43e Question. — « À quelle époque vit-on paraître l’ogive dans les monuments du Maine et de l’Anjou ? Quels sont, dans les mêmes contrées , les monuments qui présentent les caractères de transition de la période romane à la période ogivale ? « Il nous semble qu’à l’aide des faits historiques, joints aux prin-— cipes d'étude monumentale , l’on peut fixer de 1100 à 1120 l’épo- que de l'apparition de l’ogive dans la province du Maine. Les monuments qui présentent les caractères de transition de la période romane à la période ogivale sont : La nef et le portail méridional de la cathédrale du Mans. Une partie de la nef de l’église de la Couture. La façade occidentale de l’église du Pré. La salle de l’'Hôtel-Dieu de Coëffort, au Mans, servant aujour- d'hui d’écurie. MA MÉMOIRES. L'église entière de Fresnay. La nef de la Trinité de Laval. Quelques parties du chœur et de la croisée d’Avenières. La chapelle de St-Crespin-d’Evron. L'église du prieuré de Neuvy et quelques autres de petite di- mension que nous nous abstenons de citer. 44e Question. — Déterminer avec précision les caractères archi— tectoniques qui distinguent, au XIe et au XITe siècle,les monuments religieux du Maine et de lAnjou? Le sytle ogival, etc. ONZIÈME SIÈCLE. Formes des églises. Les églises de petite dimension offrent un carré long, toujours terminé à l’Est par une apside circulaire, Les grandes églises, en forme de croix, sont accompagnées de bas- côtés ( deambulatoria), qui se prolongent autour du chœur. Des chapelles semi-circulaires, au nombre de trois ou de cinq, sont disposées , comme rayons, autour de la maîtresse apside. Les églises de moyenne grandeur sont en forme de croix , mais elles sont privées de bas-côtés et terminées, à l'Orient, par une ou trois apsides dont la plus grande est réservée pour le sanctuaire et les deux autres pour des chapelles qui ont leur entrée dans le transept. Il est bon de remarquer qu’il existe dans les grandes églises une déviation plus ou moins sensible du chœur par rapport à la nef; cette inclinaison, si souvent reproduite alors et sans doute avec intention, cesse d’être en usage, dès que le style ogival prend la place du roman. (1) Ajoutons, à tout ce que nous venons de dire, que plusieurs églises de cette époque , possédent des cryptes dont quelques-unes sont vraiment remarquables par leur étendue, leur caractère et leur belle conservation. Nous pouvons citer celles de la Couture du Mans, de Sillé, de Château-du-Loir, de St-Jean à Château-Gontier, etc. toutes va- rient de forme et de grandeurs. (1) Si le chœur de la cathédrale du Mans, construit sous St-Louis , in- cline sensiblement , considéré du bas de la nef , c’est que l’on posa la nou— velle maçonnerie sur les fondations de l’ancien chœur ; peut-être ailleurs découvrirait-on de semblables exemples. QUATRIÈME SECTION. 415 Appareils. Les monuments du Maine sont construits avec quatre sortes d'appareils. Le petit, composé de pierres carrées et dont la grosseur n’excède pas dix centimètres , laisse appercevoir des joints épais entre les assises assez régulièrement espacées. La na- ture des matériaux varie nécessairement et dépend des productions du sol ; ainsi dans le Nord l’on ne rencontre que le calcaire ; au Mans et dans ses environs, les ouvriers se sont servis de, grès roussart ou ferrugineux ; vers le Midi, l’on trouve le silex pyroma- que et la craie tuffau; enfin à Laval, à Château-Gontier et dans une partie du département de la Mayenne , le marbre est très- fréquemment employé et , par conséquent, la taille plus difficile ne laisse plus appercevoir , sur le parement des murs, ces assises ré gulières du petit appareil, ni d’opus spicatum que nous aimons à retrouver sur nos vieilles maçonneries de la Sarthe. L'opus reticulatum est beaucoup plus rare; quelques exemples dans le Maine font assez voir que ce genre de maçonnerie était alors connu ; mais plus dispendieux et d’une exécution plus diffi- cile, il fut seulement employé avec toute sa richesse à la façade de la cathédrale du Mans. Pour augmenter le bel effet de ce genre de maçonnerie, les ouvriers, interposèrent, comme dans un damier, un morceau de calcaire avec des morceaux de grès rous- sart, puis ils en remplirent les joints épais par un ciment rose dont la teinte nous est encore bien conservée. Ornements. Les moulures sont plates, peu refouillées et peu sail- lantes dans leur profil. Les plus en usage sont des cavets plats, comme ornements des archivoltes de portes et fenêtres ou des im- postes et coussinets. Quant aux sculptures, elles diffèrent essentiellement de celles de Normandie et du Poitou; voici celles que l’on rencontre le plus souvent : Les billettes, le damier, les têtes plates, les grosses perles. Ainsi l’on n’y rencontre presque pas de frètes crenelées ni de zigzags et de contre zigzags. Contreforts. Les contreforts sont le plus souvent un moyen appa- reil de grès ferrifère ou de calcaire grossier, ayant pour largeur le double de leur épaisseur. Leur élévation parvient sans diminution jusqu’à l’entablement ; d’autres fois , mais rarement, le contrefort est terminé par une demi-colonne avec chapiteau qui vientsuppor— ter la corniche d’entablement. Quelque fois encore, à l’extérieur des apsides, les contreforts sont remplacés par des demi-colonnes depuis le pied du mur jusqu’à la corniche. 416 MÉMOIRES. Entablements. La corniche toujours en calcaire grossier , n'offre souvent aucune moulure dans son profil ; taillée d’équerre, la saillie est égale à sa hauteur et repose sur des modillons espacés de 40 à 60 centimètres, ornés de têtes plates humaines, ou d'animaux , ou bien de dessins entrelacés. Portes. Chaque église a son entrée principale au couchant, quel- quefois, une autre porte est située au midi de la nef ou à l’extre- mité de chaque transept. Mais, si leur position est variée en raison du terrain et de la situation de l’église , leur forme ne l’est presque jamais. Toutes ont un linteau surmonté d’un plein-cintre en dé- charge , composé de deux ou trois rangs de claveaux minces symé- triques et en retrait. Les jambages ne sont pas toujours accompa- gnés de colonnettes ni les cintres ornés de sculptures. Fenêtres. Dans les grands monuments et dans ceux d’une étendue moyenne , la largeur des fenêtres repond à peu-près au tiers de la largeur de la porte principale ; mais dans les petites églises , la lumière ne pénètre que par des ouvertures cintrées très-étroiles et allongées comme des meurtrières,dans la proportion de 15 centi- mètres sur un mètre de hauteur. Du reste, les grandes fenêtres sont, comme les portes , com- posées de deux rangs de claveaux minces symétriques et en retrait, avec archivolte qui a pour moulure deux cavets plats, ou des bil- lettes ou encore de grosses perles arrondies. Colonnes. Les arcades reposent tantôt sur des fûts cylindriques , tantôt sur des piliers carrés, cantonnés sur les quatre faces de quatre demi-colonnes. La pierre est mal ragréée et les joints épais présentent constamment des balèvres plus ou moins apparentes. Bases. Les architectes, qui n’adoptaient pas encore de bases uni- formes pour soutenir et orner le bas des colonnes, employaient avec variété des moulures plates et peu refouillées. Le plus souvent ce sont des cavets peu profonds et des tores applatis ; d'autrefois, la base ressemble parfaitement à un chapiteau renversé , com me à l’église du Pré, et à celle d’Avesnières. Chapiteaux. L’astragale est un tore grossièrement arrondi et la corbeilie du chapiteau, courte dans sa proportion, est couverte d'en— trelas , de lions , ou d'animaux imaginaires. Les volutes angulaires n’y sont pas oubliées, et, si elles disparaissent, c’est pour faire place à des têtes de lions ou à des têtes humaines, hors de toute propor- tion comme de toute convenance de dessin. L'on rencontre peu de chapiteaux , sur lesquels le sculpteur du QUATRIÈME SECTION. 417 temps s'est plu à reproduire , sans mouvement Comme Sans pro— portion , les faits qui se rattachent à l'histoire du lieu ou à celle de l’ancien testament. Mais s'agit-il d’orner un tailloir de fleurons , de tresses, de jones croisés, de rubans zigzagués , de rinceaux même , l’exac— titude du dessin , à part la grossièreté de la pierre , satisfait ici , et d'autant mieux que , communément , le profil de ces tailloirs , n’a pour tout ornement que deux ou trois cavets très-applatis. Quoi qu'il ne paraisse régner aucun ordre dans la distribution des ornements de chapiteaux, variés presque à l'infini , les ar- chitectes ont toujours recueilli les plus beaux dessins pour le sanc— tuaire , comme aussi, ils ont réservé les fûts cylindriques pour sou— tenir le pourtour de la maîtresse apside et ont alterné dans la nef une colonne avec un pilier cantonné , ainsi qu’on le remarque dans l'église du Pré etailleurs. ] Arcades. Les arcades , ouvertes pour mettre la nef principale en communication avec les bas-côtés , conservent les mêmes carac- tères que les cintres des fenêtres. Aïnsi donc , le plein cintre a deux rangs de claveaux minces, symétriques et en retrait, mais le tout non couronné d’une archivolte. Dans quelques églises du Maine , les murs latéraux de la nef et des apsides sont tapissés in- térieurement d’une suite de petites arcades , comme la cathédrale, le Pré , Coulongé et autres. Voñtes. Nous avons trois espèces de voûtes : en berceau, d'ar- rête et semi-sphérique. Toutes ont été construites en petit moellon, avec énduit à l'intrados. Les voûtes en berceau , comme à Sillé-le-Guillaume, sont divisées dans leur longueur par des arcs-doubleaux , et n’ont jamais été employées que pour la nef principale, les transepts ou même l'entrée du chœur. Les voûtes d’arrête couvrent les bas- côtés de la nef et ceux du chœur ; enfin les voûtes semi-sphériques trouvent naturellement leur place au fond de toutes les apsides. Sur l’enduit de quelques unes d’elles, l'on apperçoit les peintures qui devaient faire l’ornement principal du sanctuaire , comme dans la chapelle de St.-Crèpin d'Evron. Le Sauveur de grande propor— tion, est accompagné du symbole des quatre évangélistes et d’une infinité de dessins tels que palmettes , rinceaux , etc. Tours. Presque toutes sont situées au point central de la croix ou entre l’apside et la nef, lorsque les églises sont privées de tran— sept. Leur forme est constamment carrée, avec ouvertures cintrées sur les quatre faces pour éclairer et pour laisser échapper le son 418 MÉMOIRES. des cloches. Enfin elles sont terminées par une couverture en bà- tière aux environs d'Alençon, et par une flèche en bois plus ou moins aiguë dans le reste de la province du Maine. » DOUZIÈME SIÈCLE. Tout ce que nous venons de dire des monuments religieux du XIe siècle peut s'appliquer à ceux du XITe, toutefois avec les ob- servations suivantes : Appareil. L'on continue de tailler la pierre avec la laie, marteau à lame tranchante, mais avec beaucoup plus de finesse d'exécution que dans le siècle précédent. (1) L'on cesse l’emploi de l'opus reticulatum. Ornements. Tous les ornements employés jusqu'ici ont disparu et font place aux petites dents de scie , aux festons, et aux zigzags ; trois galons-ornements, employés à la fois pour orner les mou- lures, tels que tailloirs et archivoltes. Les fleurs crucifères lancéolées en sautoir, sont communes, mais on ne les retrouve qu'aux voussures des portes et fenêtres, aux entrecolonnements qu aux nervures des grandes voûtes. L'on trouve aussi les entrelas perlés ou à double filets,les grosses étoiles à quatre pointes, les fleurs crucifères horisontales , les bou tons de roses arrondis, etc. Entablement. Les modillons, saillants comme ceux qui ont pré— cédé, sont couverts de têtes humaines, bien mieux traitées, ou de têtes d'animaux ronde bosse. Portes. Le plein cintre est toujours en vigueur, à quelques excep- tons près, même dans les églises de grande dimension ; les cla- veaux sont ornés de tores avec cavets proprement dits, semés de fleurs crucifères. Deux ou trois colonnettes et chapiteaux de cha— que côté soutiennent la voussure. Fenêtres. Leur grandeur reste la même, mais la moulure de l’ar— chivolte ou les ornements qui la recouvrent font reconnaître aisé ment l’époque de leur construction. Les églises de moyenne et de (1) Dès que le beau style ogival parut , les ouvriers abandonnèrent le marteau tranchant et se servirent constamment partout, dans le Maine, du marteau à dents rectangulaires ou brettelé. QUATRIÈME SECTION. 419 grande dimension, nous offrent les fenêtres géminées avec jam- bages intérieurs, ornés de colonnettes et chapiteaux. Colonnes. Les colonnes du XI£e diffèrent essentiellement de celles dont nous avons parlé au XIe siècle , En ce que la base est uniforme ; les architectes adoptèrent la base attique, dont le profil consiste dans une scotie entre deux tores , avec filets. Son ‘aspect est des plus agréables ; aussi fut-elle alors constamment et uniquement employée. Elle diffère néanmoins de la base classique en ce qu’elle a souvent plus de raideur, et qu’un feuillage épanoui a été ajouté pour couvrir le dessus des quatre angles du socle. Si nous ne craignions de dépasser les bornes que nous nous sommes prescrites en répondant à l’une des questions du pro— gramme, nous pourrions indiquer ici les causes du progrès de la scuplture, si avancée dès les premières années du XIe siècle, dans la province du Maine. Disons seulement que les chapiteaux de la Cathédrale, de la Couture, de l'Hôtel-Dieu de Coëffort, au Mans , sont d’une richesse de composition et d’une exécution peu commu nes. Au lieu de lions et de figures plates, ce sont des feuilles d’a- canthe, avec côtes perlées pour la plupart et évidées à l’aide du tré- pan pour en augmenter la légèreté et l'élégance. Les volutes, les caulicoles, rappellent le chapiteau corinthien ; les tailloirs avancés se couvrent, dans leurs profils, de zigzags cheveronnés, de dents de scie ou de festons simples et bordés. Les chapiteaux du chœur de St.-Laumer de Blois, sont une copie de ceux de la nef de St.— Julien du Mans , mais, nulle part, nous n'avons rencontré d’astra— gales plus richement ornées que dans notre cathédrale. Arcades. L'ogive ne fait que poindre dans certains monuments , ailleurs l’on y conserve le plein-cintre , et partout les claveaux sÿ— métriques sont un peu plus épais. Voites. Les voûtes d’arrête et sphériques sont encore en usagé, Mais pour les grandes nefs , les architectes ont adopté des arcs- doubleaux ogives en tiers-point qui partagent chaque voûte avec grosses nervures ou boudins dirigées en sautoir. Tours. Les saisons ayant altéré le couronnement des tours, nous ne pourrions présenter que des suppositions sur leur carac— tère primitif, Aujourd’hui , lon voit encore la belle tour de Fresnay, accompagnée, aux quatre angles, de quatre petits cloche- tons en pierre ; mais dans les autres églises, la couverture est, 420 MÉMOIRES. 4e comme nous l'avons déjà dit, terminée en forme de bâtière ou par une flèche en bois plus ou moins élancée. Conclusion. Dans la province du Maine , les monuments reli- gieux du XIe siècle , sont d’un style lourd et sévère. La sculpture annonce assez l'enfance de l’art et les premiers essais d'ouvriers peu habiles. Au XIe siècle, la perfection se fait vivement sentir ; les architectes abandonnent la première carrière et font emploi d'une nouvelle pierre calcaire dont le grain plus serré, permet de ragréer et de perfectionner le parement de leur ouvrage , et aux sculpteurs plus adroïits de contourner élégamment les feuillages pour annoncer une véritable renaissance. La province possède encore un grand nombre de monuments re- ligieux de ces deux époques , plus ou moins altérés dans leur plan primitif, ou dans leur style par les additions et les mauvaises res taurations. Quelques-uns cependant nous sont parvenus , exempts de mutilation, comme Fresnay, Ambrières, Coulongé et autres ; aussi est il à désirer que des mesures eflicaces soient prises pour assurer leur belle conservation et les offrir ainsi comme des modèles qui pourront ètre imités. ——— ç—— 421 RAR RQ IRL IRIR LR IIIR AI LRIR RIRE LR ASE RRIRIR RIRE LRRRRRIILILIILLILIRLRIRIRE MÉMOIRE POUR SERVIR DE RÉPONSE A LA 16° QUESTION DU PROGRAMME, ( 4 SECTION. ) PAR M. DOUBLET DE BOIS THIBAULT, MEMBRE DES SOCIÉTÉS DES ANTIQUAIRES DE FRANCE ET DE NORMANDIE , CONSERVATEUR DE LA BIBLIOTHÈQUE DE CHARTRES ; ET DES MONUMENTS HISTORIQUES D'EURE-ET-LOIR s ETC. MESSIEURS , Les historiens du pays Chartrain, en général, et de l’église de Chartres, en particulier, rapportent d’une manière uniforme les divers incendies de l’église de Chartres; aucun d’eux ne parle d’un incendie en l’année 1194. Ce silence, gardé par les uns et par les autres, n'est-il pas la meilleure réfutation d’une opinion dont nous nous proposons de vérifier l'exactitude ou l’erreur ? 40 En 770, sous le règne de Thierry IL, roi de France, Flavius étant évêque , la ville de Chartres ainsi que son église brülèrent. Un vieux poème en parle en ces termes : 27 429 } MÉMOIRES. La première destruction Fut l'an dg l’Incarnation Sept cent soixante et dix. 20 En 858, mème dévastation , lors de l'invasion des Normands ; Hastings était à leur tête, sous l’épiscopat de Frobold, 30 En 962, en 975, Hardouin étant évêque, Richard duc de Normandie, étant en EL avec D prit la ville, l’incendia ainsi que son église. 40 Le 7 septembre 1020, un incendie détruisit complètement l'église. La sainte châsse qui contenait la chemise de la Vierge fut descendue dans un caveau, dans les cryptes de l’église, où le feu retint durant trois jours les hommes courageux qui s'étaient dé— voués en cette circonstance. Fulbert traça le plan d’une nouvelle église et hâta de tous ses efforts sa reconstruction. Lorsqu'il mou-— rut, le 40 avril 1029, les cryptes étaient achevées. La dédicace de l'église souterraine eut lieu le 17 mai ou 16 des kalendes de juin de l'an 4037, suivant une chronique de Maxence , ou le 17 octobre ou 16 des kalendes de novembre de la même année, selon une chronique d'Angers. (Recueil des hist. de France p. D. Bouquet, t. 11, p.29 et 217. an. 1037). 30 Sous l'épiscopat de Théodoric, en 1051, la ville de Chartres fut consumée par les flammes ; on ne voit pas que l’église, qui était en construction, en ait souffert. 60 En 1154, sous Godefroy ou Geoffroy, évèque, l’église échappa, comme par miracle, au violent incendie qui détruisit la ville (re- servala per Dei gratiam ecclesia). 70 Sous Pierre de Maincy, qui mourut en 1286, nouvelle des- truction de la ville, l’église fut préservée (reservatà majori ecclesià). 80 C’est dans cet intervalle de 4134 à 1286 qu’un historien a placé l'insendie de 1194, d’autres l’ont répété sur son témoignage. Quels sont ces historiens ? Rigord (de gestis Philippi Augusti francorum regis , dit : « Eodem anno (1194), Ecclesiæ Beatæ Maricæ carnotensis incendio conflagravit. » (1) (Recueil des historiens des Gaules.—T. 17, p. 41 ). (4) L'auteur d’une notice sur les sinistres de l’église de Chartres a écrit ces lignes : « Rigord le consacre ( lefait ) dans une lettre écrite à St.-Denis à 99 lieues du théâtre de l'événement! !. etc. » ( Annuaire d’Eure-et-Loir pour 1839. p. 270 }. QUATRIÈME SECTION. 495 Guillaume-le-Breton (eod. loc.): In fine sequentis juni ecclesia beat Mariæ carnotensis casuali incen- dio consumpta est, sed post à fidelibus incomparabiliter miro et mira- culoso tabulatu lapideo reparata est. (Id. p. 72). Dans sa Philippide ( Philippidos lib. 4) il est plus explicite : Contigit haud multo decurso tempore post hæc (1 ). Virgo Dei mater, quæ verbo se docet et re 4 Garnoti Dominam , laudabiliore paratu Ecclesiam reparare volens specialiter ipsi Quam dicat ipsa sibi, mirando provida casu Vulcano furere ad libitum permisit in illam , Ut medicina foret prœsens exuslio morbi Quo Domini domus illa situ languebat inerti , Et causam fabricæ daret illa ruina futuræ , Cui toto per nulla hodie splendescit in orbe : Quæ , lapide exciso surgens nova , corpore loto Sub testudineo jam consummata decore , Judicii nihil usque diem timet igne noceri ; Multorumque salus illo provenit ab igne , Quorum subsidiis operis renovatio facta est. (Id. p. 171). / Selon Guillaume de Neubrige (de rebus anglicis, lib. 5) Philippe Auguste incendia Evreux sans épargner l’église de Saint-Taurin : « Denique, ut fertur , quod ex eûdem ecclesià sublatum est, carnotensi civitati illatum , eidem clarissimæ civitati quasi ignis fuit : quæ nimirüm consequenter penè usque ad consumptionem fuit in combustionem et cibus ignis » (2). (Id. t. 18, p. 44). Robert, chanoine d'Auxerre, après avoir dit : « lisdem diebus, Pruvignum, Belvacus et Pictavis, nec longè post (3) Carnotum, urbes populosæ opulentœque , vastis correclæ sunt ignibus el afflictæ: Sed'et per hos dies, multis in locis emergentibus repentè incendiis, occulto Dei judicio, accidit rerum infinita vastatio » ajoute : —Carnotum civitas popu- losa, œdificiisque conferta, subita exustione vastatur; illo quoque in- cendio illa insignis ecclesia nomine Dei genitricis ornata cum toto claustro (1) Ad annum 119% carnolensis urbis incendium refert Rigordus, sup. p- 41. (2) Sub finem mensis junii, carnotensis ecclesia casuali incendio consumpla es, inquit ad. an. 1194 Guillelmys Brito.lbid. p.72. (5) Anno 1194 Carnolensem ecclesiam incendio conflagrasse tradit Rigordus. 424 MÉMOIRES. conflagravit et corruit, ubi etiam reliquiarum et hominum multitudo , nec non et ornamentorum congeries immensa deperiit. (1) Id. p. 258 et 261. Il ne faut pas se préoccuper de ce qu'ont écrit Guillaume le Breton, Guillaume de Neubrige et Robert d'Auxerre. Ils ont ré- pété avec plus ou moins d’exactitude ou pour mieux dire d’exagé- ration , le récit de Rigord, c’est donc à l'opinion de celui-ci que nous devons principalement nous arrêter. Une première observation, quant à Rigord : on ne doit accepter ee qu'il raconte qu'avec beaucoup de réserve. Né en 1187 , Rigord aurait eu 7 ans lors du prétendu incendie de 1194. Il était incapa— ble de conserver par lui-même le souvenir du désastre qu'aurait éprouvé l’église à cette époque. Ensuite les Bénédictins nous don— nent eux-mêmes la mesure de la confiance que doivent nous inspi- rer les rapports de cet historien. Ils écrivent qu’ « il se contente de raconter nuement les événements , mêlant à ses récits, sans beaucoup de discernement, des visions, des songes, des prodiges, hors de toute vraisemblance. » (Préface du t. 17 du Recueil des Hist. des Gaules, p. ij. ) Selon Rigord, l’église de Chartres aurait été consumée par le feu en 1194 (incendio conflagravit). Robert d'Auxerre ajoute pour pein- dre sa complète destruction : Corruit. Il nous paraît difficile d’admettre la date que donne Rigord à cet incendie qui ne pourrait être que celui de 1020, d’après les .re- marques mêmes de ces historiens. Ils admirent en effet la ferveur que mirent les fidèles à réédifier l'église. « Poss à fidelibus incom- parabiliter miro et miraculose tabulatu lapideo reparata est » dit Guillaume Lebreton. Il ajoute dans sa Philippide « Laudabiliore paratu.» N’est- ce pas reconnaître l'enthousiasme vraiment religieux qui s’empara alors du riche comme du pauvre, des rois (2), des seigneurs, des populations pour reconstruire cet antique monument? N'y avait-il pas quelque chose tenant au prodige de voir une multitude d'indi- vidus, d'hommes, de femmes, d'enfants, de toutes les classes, de toutes les conditions, apportant une pierre pour cette arche sainte ; ouvriers improvisés par la foi, couchant autour de l’église pendant la nuit, adressant à l'Étre suprème leurs vœux et leurs prières, et (1) Vincent de Beauvais répète ce récit dans son Miroir historial , liv. 26, ch. 55. (2) Jolimont { Vues pitto. de la cathéd. de Chartres ) dit p. 7 que les rois d'Angleterre , de Danemarck lui envoyérent de l’argent. — La même er- QUATRIÈME SÉCTION. 425 mêlant , au bruit des travaux , le retentissement de leurs cantiques pieux !.…. Lorsque Robert, chanoine d'Auxerre, parle de cette immense collection d’ornements, et du grand nombre d'hommes et de reli- ques qui périrent dans ce désastre, n'est-ce pas rappeler ce que les historiens rapportent à l’occasion de l'incendie de 1020 ? Il y a erreur évidente, selon nous, dans la date donnée par Rigord. Un événement de cette nature, survenu 174 ans après celui de 4020 , eût frappé l'attention des historiens du pays chartrain , de l’église de Chartres en particulier , dont le témoignage est bien au— trement sûr que celui de Rigord, étranger à la localité. Souchet, reçu secrétaire du chapitre de Chartres, le 22 décem- bre 1618, et, qui plus tard en devint l’official, s'exprime ainsi dans son Histoire de la ville et de l'église de Chartres , dont le manus- crit existe à la Bibliothèque de la ville. « Plusieurs auteurs (nous avons vu qu’il fallait les réduire à un,) écrivent que la ville de Chartres fut brûlée cette année (1194), et que l’église cathédrale, avec tout le cloître (1), furent réduits en cendres , où il y eut une grande perte de reliques et de saints, d'hommes et d’ornements » (2). Si cela était, il s’en trouverait quelque chose dans nos archives, et d’ailleurs la chronique de Nor- mandie porte qu'Auguste ayant pris Evreux, il mit le feu dans l’é— glise de Saint-Taurin et fit porter les reliques des saints à Chartres. D'autant que si l’église cathédrale et la ville avaient été consumées par le feu , où est-ce qu'on eût déposé ces reliques de saints ? (Ms. de la Bibl. de Chartres , 5-c.-21. p. 284 et 85). Cette dernière observation de Souchet est grave. Comment au- rait-on porté dans l’église de Chartres les reliques de St-Taurin , si l’église de Chartres avait été dévruite par nn incendie en 1194? le sac d'Évreux eût lieu en 1195 (3). Et puis, si un incendie avait reur est répétée dans le Mandement de M. l’évêque de Chartres , après l’in— cendie de 1836 , p. 5. Canut était roi d'Angleterre et de Danemarck , il n’y eut point de secours envoyés par un prince de Danemarck ; Gilbert , p. 9, a commis la même erreur. (1) Cm toto claustro conflagravil. (Robert d'Auxerre). (2) Reliquiarum et hominum multitudo. ( le même). (3) Le Prévost , Notice sur la chasse de St.-Taurin. Le Brasseur , Hist, 4’Evreux. Roger de Hoveden. Guillaume Lebreton. 426 MÉMOIRES. détruit l'église en 1194, Souchet en eût infailliblement trouvé Ja trace dans les précieuses archives du chapitre. On sait avee quel soin on y enregistrait les événements bons ou fàcheux qui intéressaient l’église , les jours fastes comme les jours néfastes. À l'autorité de Souchet, nous en ajoutons une autre que nous ti- rons du « Poème des miracles de la Vierge, par maistre Jehan Le- Marchant , du commandement de l’évêque de Chartres, l’an mil ect. Gr. in-40. » (Bibl. de Chartres.) Ce poème, écrit originairement en latin, se trouvait dans le trésor de l'église de Chartres. L'auteur n’en est pas connu ; l'original du poème est perdu. L'évêque Mathieu, qui prit possession de son siége en 1246 ou 1247 et mourut en 1259, fit faire cette traduction. Souchet cite (p. 255, cette indication n’est pas exacte) un ouvrage ayant pour titre : « Inventarium miraculorum que in refectione eccle- siæ conmigerunt in thesauro latens, de latino in gallicum reddere curavwit. » dont le poème des miracles pourrait bien être la traduction libre. (Notices par M. Hérisson, p. 346.) Ce poème écrit en lange romane, composé de 6414 vers, con— tient la relation de 52 miracles de la Vierge. Nous eussions dû y lire quelques-uns des épisodes de l'incendie de 1194, si cet incen- die eût existé. Il n’en est pas parlé. On lit à la fin du poème : « Par ce que dit est cidessus, que l’église de Chartres fut arse l’an mil et. xx. ou quel temps fu de nouel édifiée la dite église si come elle est à present... et fist nostre Seigneur les miracles des- sus dit a lenneur de sa seinte mère la Benoïste uierge Marie pour aidier à édifier ycelle Église de Chartres qui est la ppre et especial . chambre de la uierge Marie en terre et elle mesmes en son uivant fut présentement etla uint veoir parce qu’illec estoient les premiers crestiens et que la cité et toute la terre de la conte lui auait ésté donnee par le prince de la terre sicomme les autres ystoires racontent et pour ceste cause se fist elle appeler Dame de Chartres, si comme es miracles dessus dis est deuise, lesquels miracles furent longue— ment réserues et gardes ou trésor de la dite église (1) et estoient en latin , lesquels translata de latin en françois le dit mestre Jehan Le Marchant l'an mil cezxu ainsi sont depuis l’arsure de Ha dite église jusques à la translation d’iceulx miracles. ccxzrr ans ou enuiron (2). » (1) Ce qui confirme ce que dit Souchet plus haut. (2) Ces chiffres sont écrits à une place où l’on a évidemment gratté le QUATRIÈME SECTION. 497 Ainsi, d’après Jehan Le Marchant, l’église deChartres était en 1259, telle qu’elle fut édifiée après l'incendie de 4020. Ce témoignage vaut bien celui de Rigord. Pourquoi ne nous appuierions-nous pas en- core sur Rouillard, auteur si crédule et si confiant, lequel, dans sa Parthénie ou Histoire de l’église de Chartres (Paris 1609, in-8o) a recueilli tout ce que la tradition la plus fabuleuse à rapporté. Si l'incendie de 1194 eût été connu , sa Parthénie en eût fait mention, elle est muette comme l’histoire de Souchet sur ce point. Qu'on interroge l’ensemble du monument, ou les parties déta- chées , sa statuaire, ses vitraux, on sera amené à reconnaître de plus en plus l’invraisemblance de l'incendie de 1194. Ainsi : 40 Vers 1088, on plaça, au-dessus de la couverture du sanctuaire de l’église, une statue connue sous la dénomination de l’'Ange gardien ; son corps était en bois, recouvert de cuivre ou de métal ; cette statue n'a été détruite que lors de l'incendie arrivé le 4 juin 1836. 20 En 1099, saint Yves fit élever le magnifique jubé (pulpitrum) dont nous avons vu un dessin à la Bibliothèque royale à Paris. Or, ce jubé ne fut détruit par ordre du Chapitre que le 25 avril 1763. (Cabinet des estampes). 50 Sur le clocher vieux , à la plus haute lucarne cintrée, qui re- garde le clocher neuf, on voit gravé sur la pierre le millésime 4114. Au-dessous on lit Adrien. (Ann. d'Eure-et-Loir, p. 268). Parmi les vitraux, on remarque : Fenêtres du chœur, 44e forme. Le donateur de la vitre avec l’ins- cription suivante de son nom : Petrus Baillard. Il était chanoine de la cathédrale de Chartres, dignité que rappelle son costume. Il mourut en 1142. (Gilbert, p. 72. — Langlois de Rouen, de la peinture sur verre , p. 124). A la croisée septentrionale, 8e fenêtre, 16e forme. P. V. comte de Clermont en Beauvoisis. C’est ainsi que l'inscription désigne Philippe, comte de Clermont, de Mortain, de Boulogne, fils de Philippe Auguste et d’Agnès de Méranie. Ce prince, né en 1200, serait mort.en 1255. (Gilbert, p. 64. — Langlois, p. 124). Fenêtres du chœur (16e). Thibaut VI, le jeune, comte de Blois, mort en 1218, armé chevalier. (Id. p. 123. — Gilbert, p. 68). parchemin. L’encre d’ailleurs est différente de celle du corps d écriture du poème. Cette observation ne doit pas jeter de l'incertitude sur Ja date de la traëuction qui est en tête du poème (1252 ). 498 MÉMOIRES. Croisée méridionale, 23e fenêtre. Devant la Vierge se voit Alix de Thouars, femme de Pierre Mauclere , duc de Bretagne, morte en 1291. (Id. p. 125. — Gilbert, p. 74). Comment concilier ces dates de 1142, 1200, 1218, 1221, avec un incendie en 1194? De cet incendie, à l’époque la plus ancienne de ces dates, il ne se serait écoulé que 27 ans pour la reconstruction de l’église, cet intervalle eût été trop court pour son élévation et Ja pose des vitraux qui cependant ont dû être placés peu de temps après la mort des personnages qu'ils représentent. Il n’y a rien d’impossible,dans ce fait,que le vitrail relatif à Pierre Baillard soit antérieur à l'incendie prétendu de 1194. Quelques écrivains dont parle M. Lenoir (1 ) fixent la découverte de la pein- ture sur verre au règne de Charle-le-Chauve (en 840). Langlois de Rouen (2) remarque que l’on a avancé , par inadvertance , que l’u- sage de la peinture sur vérre remontait parmi nous jusqu’au temps de Cimabué, mort en 1300 : « C’est beaucoup trop peu dire, ajoute-t-il, et sans doute c’est du perfectionnement de cet art qu'on voulait parler, puisque nous connaissons plusieurs vitraux regardés comme antérieurs de près de deux siècles à ce célèbre ar— tiste florentin. » L'art de peindre sur verre était donc connu en 1100. Si la plu- part des vitraux de l’église ont été exécutés au 13e siècle, il s’en trouve d’une époque antérieure comme nous venons de le voir (3). (Jolimont, p. 26). Rigord a donc commis une erreur palpable ; on ne peut pas sup— poser, comme on l’a fait bien gratuitement, qu’il ait pris l'incendie de l’église de Saint-Père , qui eut lieu 1134, pour l'incendie de l’é- glise de Chartres, quand il désigne l'incendie de l’église « dédiée à la Mère de Dieu. « C’est bien de l’œuvre de Fulbert dont il a entendu parler, il ne s’est trompé que sur la date de l'événement. C’est ici le moment de nous expliquer sur le style architectoni-— que de la cathédrale de Chartres. Quelle est l’époque de sa cons- truction ? Fulbert en jeta les fondements après l’incendie de 4020. Selon quelques récits, huit ans après elle était achevée ; selon d’autres, (1) Musée des monuments français , t. 8. p. 90. (2) Ut sup. p. 11. (5) Pinaïgrier, qui enrichit l’église de St.—Hylaire de Chartres ( au- jourd’hui détruite) de ses beaux vitraux, vivait dans le cours du XVIe siècle. QUATRIÈME SECTION. 429 son achèvement demanda plus d’un siècle. Où est la vérité? nous n’avons nul intérêt à rechercher si des constructions aussi gigantesques étaient possibles en huit années (1). Il nous sufiit d’nvoquer contre cette tradition le style du monument évidem- ment postérieur à 1028. Nous ajoutons qu'avec les documents his— toriques que nous possédons , la reconstruction de l’église, en huit années, est une fable. (Jolimont, p. 7.—Breviaire de M. de la Neufville , partie d'été, p. 669). C’est le témoignage mème de Fulbert que nous rapportons. Il écrivait en 1020 (ou 1028, suivant Mabillon) (2) au duc d’Aqui- taine : » Gauderem , dilectissime princeps, ad dedicationem vestram de— votus occurrere, nisi me ecclesiæ nostræ nullo modo negligendæ necessitas detineret. Gratià namque Dei, cum adjutorio vestro , cryptas nostras per- volvimus , easque priùsquam hiemalis inclementia lædat, cooperire sat agimus. » ( Hist. des Gaules et de la France, t. 10. p. 468). Si Fulbert a employé huit années à construire les cryptes de son église, comment l’aurait-il achevée à sa mort arrivée en 1029 ? (Gallia christiana, tom. 8, p. 1116. — Dom rl Hist. litt. de France, tom. 7, p. 264). Cette objection fait justice de l'opinion de Guillaume de Malmes- bury (3) qui ne repose sur aucun document, ainsi que de ce que rapporte une Chrohique de l’église de Chartres du 13e siècle (4). Un nécrologe de Chartres, écrit à ce que l’on pense vers 1100, est beaucoup plus en rapport avec la vérité, quand il dit que Fulbert ; « ad restaurationem hujus templi quod per incendium œdificare cœpe- (1) Sainte Sophie de Constantinople, commencée en 532, aurait été ache- vée en 537. ( Lebeau hist. du bas-empire , liv. XLIV }). St-Pierre de Poitiers, brûlé en 1018 , aurait été dédié en 1021 ou 1022 ‘(au plus tard en 1024 ). Collect. des hist. de France ,t. x, p. 202 et 500. Notre-Dame de Cambray , élevée de 1023 à 1030. ( Id. p. 202 ). L'église et abbaye de St.-Etienne de Caën, fondée en 1066 par Guil- Jlaume-le-Conquérant et dédiée , en 1077, par le même prince. (Id. t. 42, p. 462 et la Gallia christ. t, x1, p. 37, Hist. de France , t. 12, p. 270 ). L'église de Laon et autres , etc. (2) Quo dedicatio ecclesiæ S.-Martialis Lemovic. facta est xv. cal. dec. (3) Inter cœtera industriæ sua documenta , ecclesiæ domine nostræ sanclæ Mariæ cujus fundamenta jecerat summam manum mirifico ef- feclu imposuit. Hist. de Fran. t.x, p. 247. (4) Fulbertus diclam ecclesiam à fundamento usque ad summum in decore quo nunc est fère lotaliter eonsummawit. 450 MÉMOIRES. rat, bonam parlem auri et argenti sui reliquit. » Si Fulbert souscrivit par son testament à la réédification de son temple, c’est qu'il n'était pas achevé à sa mort. Nous voyons d’ailleurs depuis des travaux fort importants exé- cutés, ce qui démontrerait que l’édifice était peu avancé, quand Fulbert mourut. L'obit du roi Henri Ier porte qu'il construisit: Lacunar hujus ec— clesicæ. (p. 145). Souchet prétend que c'est la voûte du rond-point, où huit arceaux viennent se réunir dans une mème clef de voûte. Jean , médecin, que l'on croit être le même que Jean Le Sourd, médecin de Henri Ler fit élever. « Vestibulum, Dextri Lateris , p. 9. » Nos modernes historiens ont vu dans ces mots (le portique méridional) c’est une erreur. Jean Le Sourd mourut le 8 des kalendes de Jan— vier 10530. Or le caractère de l'architecture reporterait la construc- tion de ce portique à deux siècles plus tard que 1060. Ce serait donc d’un autre portail dont Le Sourd aurait fait les frais. Ce fut le mème bienfaiteur qui construisit en argent le reposoir des chasses, et la voûte de l’église. (Gilbert p. 13.,Ann. d'Eure-et-Loir, p. 265. Jolimont p. 8. Nécreloge de le Feron ). On voit Saint-Yves, qui fut l’un des évèques les plus illustres du diocèse de Chartres!, remercier la reine Mathilde, femme de Guil- laume-le-Conquérant, du plomb qu'elle donna « Ad tecta resar— cienda vel reficienda. » ; On lit encore dans cet obit : « Adelizia, filia regis Anglorum, pro cujus animä pater et rex jussit fieri campanarium ( p. 222 ). » Hugues, archevêque de Rouen, dit que l’on travaillait avec ar- deur à la construction du clocher en 4145 : « Apud Carnotum cœæpe- runt (homines) in humilitate quadrigas et carpenta trahere ad opus ec- clesiæ construendæ, eorum humilitas etiam miraculis coruscare. Hæc fama celebris circumquaque pervenit nostram denique Normanniam excita- vit. Nostrates igitur benedictione à nobis acceptà, illuc usque profecti sunt el vola sua persolverunt.…. Facta sunt hœc anno incarnati verbi MCXLV. ( Hist. des Gaules de la France, t. 44. p. 319. — Jolimont, p. 8 ). Souchet dit quelque part :« J'ai trouvé,dans un très-ancien nécro- loge du XIEEe siècle , à la date 4441 kal.novembris 4180 : Obiit Beren- garius ecclesiæ artifex bonus. » Ce qui établit que l'on travaillait en core à l’église à cette époque. ( Hérisson , notices, p. 348. ) L'église n’a pu être achevée que sous Thierry, ainsi que le re- connait Paul-Lemoine du XIe siècle,auteur de L’Aganon vetus (1): Cu- (1) Nouv. éd. préparée par le gouvernement. p. 16. QUATRIÈME SECTION. 451 jus Ambrosiæ opus velut torrens affluentes præclarum opus alncæ maris Domini aulæ complentes. » D'après l’épitaphe de Thierry , On avait pensé qu'il avait édifié l'église dans son entier : Virginis ussit adhuc fanum , te præsule, quo non Clarius in terris alibi adhuc fuerat Illud et arte lua renovas ; moderamine dextrâ Et vindociniam construis abbatiam. Souchet (p.216) pense que cela doit s'entendre d’un incendie de la charpente. Le manuscrit de Ghalines parle de deux incendies de la ville en 1032 et 1034, dans lesquels la cathédrale aurait été épargnée. La dédicace de l’église aurait eu lieu sous l'évêque Pierre de Maincy (76e évèque de Chartres ), le 17 octobre 1260, et dédiée à la Vierge sur la demande de St.-Louis. Ces rapprochements suffisent pour établir que Fulbert n’a pas achevé son église. Quant au caractère de son architecture , On trouve, dans l’église de Chartres du style roman et du style ogival. L'architecture romane secondaire a existé de 1000 à 1090. Tant que l'architecture à plein-cintre a régné, on a été dans l'usage de construire des cryptes ou chapelles souterraines.(de Caumont, Cours d’ant. p. 63 et 71 ). Fulbert a construit les eryptes de l'église de 1020 à 1028. L'ogive que nous avons empruntée à l’orient ; employée fré- quemment au XIIe siècle, était connue , selon M. Lenormand , au VIIIe ou IXe siècle. Il y avait done possiblilité pour Fulbert , ou pour Thierry qui lui succéda , de l'appliquer à la construction de l'église , c’est ce qui est arrivé. (Id.p.122 et 131). Quelques observations Sur certaines parties de l'édifice trouvent ici leur place. Le portail royal semble appartenir à l'église primitive ; il aun caractère de simplicité bien remarquable. Quant au frontispice , s’il n’est pas de la première église, dit Montfaucon, on y aura ap— paremment transporté les: statues des rois et de ces saints qui étaient de cette mème église, comme on à fait à la cathédrale de Paris. Nous croyons ces statues faites long-temps avant le fron— tispice , comme celles du troisième portail de Paris. (Montfaucon , Monuments de la monarchie française, t. 4. D. 56). 452 MÉMOIRES. On a remarqué que, dans les XIe et XIe siècles , on commença à sculpter des figures de grande proportion et de les placer aux portes des églises ; que le signe caractéristique de la statuaire de ce temps c'était la raideur et l'absence de mouvement. Cette pesanteur, ce froid morbide se retrouvent dans les statues qui ornent les por- tails de l’église , principalement le portail royal. Un sujet de l’é- poque se retrouve souvent, c’est la représentation des signes du zodiaque. On les voit dans les vousseaux du tympan de la porte à gauche de la porte royale. (M. de Caumont w suprä. p. 102. — Jolimont p. 10 ). Le portail royal appartiendrait aux XIe et XILe siècles... Ce serait dans son ensemble « un des exemples les plus curieux du premier style de transition dans le commencement du XIIe siècle. » (Jolimont p. 11). Le portail septentrional serait de la fin du XITe siècle... L'église n'aurait été terminée qu’à la fin du XIfesiècle. (Id. p. 7). M. de Caumont pense que l’église de Chartres serait du XILe et du XIIe siècles (les cryptes et quelques parties appartenant à l'architecture romane exceptées ) , nous serions plus portés à nous ranger de l'opinion de Jolimont qui en reporterait l'achèvement à la fin du XILe siècle. L'intérieur de l’église appartient tout entier à cette époque. « Les piliers ronds cantonnés en croix , la jolie galerie qui règne au-dessus des arcades , et les fenêtres divisées en roses et panneaux terminés en trèfle offrent dans toute sa pureté le style du XIEe siècle. (F4. ut suprà p. 141.— Id. p. A). En nous résumant, nous disons que le caractère de l'architecture de l’église de Chartresrepousse, comme les documents historiques que nous avons rencontrés, l'incendie de 1194, puisqu’une grande partie de ce monument, tel que nous le voyons aujourd’hui, est an- * ne parle des romans que comme « d’un art qui fait juger autant de Ja corruption de nos » mœurs , que de la politesse de notre galanterie (3). » Les éditeurs de la Bibliothèque française louent l aute Comtesse de Ve ur de la rgy ,; et d’Edèle de Ponthieu de « narrer joliment et (1) P. nr. (2) rx: (5) T. 1 , p. 176, édition de 4722, QUATRIÈME SECTION. 457 » d’avoir tout le talent propre pour amuser ce qu'on appelle le » monde galant et poli (1). » Dans une Lettre sur les romans, publiée dans la Bibliothèque fran- gaise (2) et dans la Continuation des mémoires de littérature de Darti- gny (5), on caractérise en ces termes le genre de mérite qui doit distinguer les diverses espèces de romans : « Le genre héroïque » demande un grand sujet , de l'élévation dans les pensées , de la majesté et de l'harmonie dans le style , du merveilleux dans les incidents ; le roman comique veut un sujet ordinaire , mais agréa- » ble , des pensées pleines de sel, un style badin, des incidents » burlesques , et qui dévoilent quelque ridicule. Un roman Pas- » toral exige beaucoup de simplicité , mais relevée par une naïve » délicatesse. Un roman Historique ou une nouvelle veut un récit » naturel, un air aisé , une exacte vraisemblance , un dénou- » ment facile. » Il est bien vrai que l’auteur ancnyme de cette lettre vante les avantages du mélange de la fiction avec l'histoire ; il est bien vrai aussi qu'il veut qu’on rende la fiction allégorique où instructive , et qu'on lui donne pour base La vérité. Maïs il ne com- prend pas qu’on se propose , en écrivant un roman , d'autre but que « d'instruire et de persuader les hommes en les amusant. en » relevant le prix de la vertu et des bonnes mœurs. » En d’autres termes, le critique admet l’histoire, non pour elle-même et comme but, mais comme moyen. Au reste , l'idéal des romans , Suivant lui, est Télémaque et l’iiade d'Homère. H ne cite pas un autre ro— man dans lequel il y ait quelque chose à apprendre. 11 parait donc que les romans vraiment historiques étaient rares de son temps , bien qu'en ne craignît pas de ravaler jusqu’à eux, ( pardon , si l'expression est dure ) , l’Iiade d'Homère , ou plutôt de les élever jusqu'à elle. Nous trouvons quelque chose de plus curieux et de plus con- cluant dans la Letre de Chapelain déjà citée. pose en principe « que « tout écrivain qui invente une fable dont les actions humaines » font le sujet, ne doit représenter ses personnages ni les faire » agir, que conformément aux mœurs et à la créance de son » Siècle , surtout s’il n'est éclairé que des lumières qu'il tire de » sonsiècle, puisqu'il est constant que nos idées ne vont guère » au-delà de ce que nous voyons ou de ce que nous entendons. » C4 (1) 1725; (5, p. 297. (2) 1798 ; t, 42, p. 46. {5) 1798 ; 4.5 ,p. 198 458 MÉMOIRES. Les interlocuteurs de Chapelain , Ménage et Sarrazin , se gardent bien de le contredire. C’est ainsi qu'au XVIIe siècle on entendait la vérité historique dans le roman, Je conclus done que le XVIEe siècle n'a pas connu le roman his— torique : il ne l’a même pas soupçonné, Le XVIIe siècle aurait-il été plus heureux ? serait-ce à lui que reviendrait l'honneur de l'invention dont nous cherchons vaine- ment la trace depuis si long-temps ? je ne le crois pas. Au XVILLe siècle, le roman change de caractère et de portée. Ce n’est plus une fiction composée dans un but d'agrément et d’ins- truction. C’est un cadre, une forme élastique qui se prête au dé- veloppement capricieux des idées philosophiques , politiques, reli- gieuses de l’auteur ; ce n’est plus une fable intéressante : c'est une dissertation, un pamphlet, un sermon. Le Roman se montra donc railleur, paradoxal, hardi jusqu'à la témérité, étincelant de verve et de raison sous la plume de Mon-— lesquieu ; tour à tour cynique et moral, ignoble et noble avec Diderot ; spirituel , incisif, mordant avec Voltaire ; philosophique, dramatique avec Rousseau. Rousseau lui fit peindre l’action inté— rieure de l'âme sur elle-même ; par une sorte de révélation , il le rendit l'interprète de ces sentiments qu'aucune parole ne mani- feste: l'écho , non pas de ce qui se dit, mais de ce qu’on a senti sans le dire. Plus que tous les autres genres de littérature, peut- être, le Roman ressentit cette inquiétude fiévreuse qui tourmentait les esprits, « ce vague désir de perfectionnement , cette ivresse de » lumières qu’on eroyait avoir acquises, ce dédain superbe pour le » passé, cette effervescence qui allait toujours s’accroissant (1), » symptômes avant-coureurs de la révolution qui se préparait. Il y eut des exceptions. Le Roman fut véritablement el profondé— ment comique sous la plume de Lesage , ce rival de Molière , qui , comme lui, savait approfondir l'homme sans le disséquer , et peindre au lieu de décrire. Il fut finement et spirituellement pré- tentieux avec Marivaux ; agréable, amusant , plein de goût et de douceur avec Prévost.Le vice,revêtu d’impudence et d'affectation, s’étala dans les romans de Crébillon. On a dit qu’il avait été le phi- losophe des femmes : à Rousseau ! !.. Au milieu de l’effervescence générale , parut comme un phéno- mène , tant il contrastait avec le ton et la couleur de ee qui len— tourait, un charmant petit roman, Paul et Virginie. Pourquoi faut-il (1) De Barante, Tableau de la liltéralure au XYHIe siècle. QUATRIÈME SECTION. 459 qu'à la fraîcheur exquise des sentiments et des détails, se mêle parfois une sorte de sensibilité aigre et maussade qui perce dans tous les ouvrages de Bernardin de St.-Pierre ? A la même époque , quelques écrivains s’exercèrent dans un genre qui se rapproche assez du roman historique ; Barthélemy , Marmontel et Florian. Je ne saurais, à vrai dire, voir un roman dans le Voyage du jeune Anacharsis. L'abbé Barthélemy a voulu mettre l’érudition en action, et tracer un vivant tableau de l’ancienne Grèce. L'ouvrage est estimable , surtout à cause de l’époque à laquelle il parut. Mais où est l'intrigue, l’action , le roman ? Il n’en est pas de mème des Incas, et du Bélisaire de Marmontel. Voici dans quels termes l’auteur lui-même parle du genre qu'il a choisi. « Quant à la forme de cet ouvrage , considéré comme pro » duction littéraire , je ne sais , je l'avoue , comment le définir. IL » yatrop de vérité pour un roman, et pas assez pour une his- » toire. Je n'ai certainement pas eu la prétention defaire un poème. » Dans mon plan , l’action principale n’occupe que très-peu d’es- pace : tout s’y rapporte , maïs de loin. C'est donc moins le tissu » d’une fable que le fil d'un simple récit, dont tout le fonds est » historique , et auquel j'ai entremèêlé quelques fictions compa- ». tibles avec la vérité des faits (1). » Mais , sous la plume de Mar- montel , le Roman a été ce qu'était l’histoire elle-même , partial. Marmontel a voulu régenter les rois et les peuples, comme tout écrivain se croyait alors obligé de le faire ; ïl a essayé de « prému- » nir les générations futures contre les séductions et les fureurs du » fanatisme (2). » De son aveu , il eût regardé son ouvrage comme superflu, « sile fanatisme eût.été aux aboïis. » A proprement parler, il ne l’a pas composé pour l’histoire , mais contre l’histoire. Florian avait, lui aussi, des prétentions philosophiques. Il se vante quelque part d’avoir écrit , avant la révolution, le onzième livre de Numa Pompilius , lequel livre , pour le dire en passant , est bien la plus misérable rapsodie qui se puisse imaginer. Florian avait de plus des prétentions poétiques. En revanche il ayait peu de souci de l’histoire. Son Numa en offre la preuve à chaque page , et j'en trouverais , au besoin, la démonstration dans l'indication des sources où il a puisé: Elle a été retrouvée dans ses papiers , et pu- bliée par Guilbert de Pixérécourt (1). Plutarque est le seul histo— (1) Préface des Incas. (2) Introd. des /ncas. {1} Œuvres inédites de Florian , 1. 4, p. 226, 460 MÉMOIRES. rien qui y figure ; mais l'Iliade, l'Enéide | Ovide , Stace , Silius ft liCus , la Araucana , le Tasse , Gessner ont dû être mis bién souvent à contribution , et pour des passages désignés. J'aime mieux Gonsalve. {1 y a plus d'intérêt , de style et de cou lèur. Mais, de bonne foi , peut-on faire ün roman historique d'un livre qui s'ouvre par une invocation aux chasles nymphes qui bai= gnent les tresses de leur longs cheveux dans les eaux limpides du Guadalquivir , ét qui respire d'un bout à l’autre la prétention à la marche imposante et au ton héroïque de l’Epopée ? Laharpe , après avoir condamné sévèrement ce genre d'ouvrage « qu'il ne sait » même comment appeler,» et, après avoir dit que « Gonzalve n'é- » tait, à Vrai dire, ni un poème ni un roman, » le définit « un » récit moitié historique, moitié fabuleux , en prose poétique (1). » J'avoue, pour mon compté , que je trouve dans Gonzalve quelques- uns des caractères du roman historique. Le goût de Florian pour la littérature Espagnole , l'étude qu'il avait faite de l'histoire des Maures , l'ont parfois heureusement inspiré , quoiqu'il ait défi- guré , de manière à le rendre tout-à-fait méconnaissable, le grand capitaine Espagnol. Mais ce mérite est tout exceptionnel, tout per- sonnel à Florian , Si je puis ainsi parler. De son temps, Ja littéra- türe romañcière sémbläit tout entière avoir pris pour devise ces paroles de son maître ét de son chef : « J'ai va les mœurs de mon * temps, et j'ai publié ce livre (2). » IT faut en excepter pourtant un ouvrage atjourd'hui peu connu de Billardon de Sauvigny. L'Histoire de Pierre le Long et de sa très— honorée dame Blanche Bazu , lors de son apparition en 4765, ob— tint un succès de vogue , dont parlent les Mémoires de Mme dé Genlis, Ce roman est écrit « dans le style et selon les mœurs des » siècles dé franchise et de naïveté, » 4 dit l’auteur des Trois siècles littéraires. TL est certain que Säuvigny a su ressusciter avec assez de bonheur les formes du vieux langage français et les usages de la vieille société. Malheureusement il confond quelquefois le naïf avec le niais. Laharpe , qui ne l’aimait pas, a fait allusion à cet ouvrage , quand il parle « dés romans de son temps où l’on a em- » ployé le stÿle de La belle Maguelone et de Pierre de Provence... XI » ya des gens, ajoute-{t-il , qui trouvent dans cette sorte de » pastiche une invention merveilleuse : moi, qui n’y entends pas » finesse , je n'y vois qu'un moyen facile de se passer de style et (1) Cours de lillérature , 1.13, p. 37% (2) Rousseau , la Nouv. Héloïse, OUATRIÈME SECTION. À61 5 d'esprit (1). » Ce dédain n'est pas mérité. L'Histoire de Pierre-le= Long et de Blanche Bazu restera , avec les deux romances de Mon- crif, les Infortunes de la comtesse de Saulx et les Amours d'Alix et d'Alexis , quoiqu’à un rang inférieur , comme une étude curieuse dé style, comme un pastiche heureux. Ces opuscules sont ce que le moyen-âge, injustement dédaigné,a inspiré de plus naïf et de plus riginal aux écrivains du XVIe sièclé. Si Moncrif et Sauvigny n'ont pas complettement réussi dans leur projet de réhabiliter la poésie des anciennes mœurs nationales ; ils ont eu du moins l'honneur de l'entreprendre. Ils ont, à mon sens, laissé bien loin derrière eux le comte de Caylus et mêmé le comte de Tressan ; dont les Romans de chevalerie, tant prônés , n’ont pas d'autre mérite qu'une narration facile et piquanté. Pour accommoder les anciens ‘romans de chevalerie au goût de ses contemporains , le comte de Tressan les a mutilés , défigurés complettement. La révolution éclata. Les temps qui l'avaient immédiatement pré- cédée avaient été déshonorés par une licence incroyable. Cette licence continua, protégée par le régime nouveau. Il est à remar quer d’ailleurs que plusieurs des hommes qui ont joué le principal rôle dans la révolution (2), avaient attaché leur nom à des publi- cations scandaleuses et dignes de tout le mépris des honnêtes gens : triste début dans la carrière de la régénération nationale , et de la réforme des esprits et des mœurs de leurs concitoyens ! Au fort des événements qui se succédaient avec tant de rapidité , peu de romans parurent. Quels événements dans les livres pouvaient va- loir ceux qui se passaient sur la place publique, ou sur la frontière ? Quelles infortunes fabuleuses pouvaient émouvoir des cœurs brisés par la frayeur ou le regret de la perte des amis, des parents ? quel- ques tentatives eurent lieu pour ranimer la pastorale éteinte. C’é- tait la mode de jouer la sensibilité. Il fallait à tout prix revenir aux mœurs naïves de l’âge d’or , à la simplicité primitive : témoins les (1) Cours de litléralure , 1.7, p. 222. (2) Nous citerons seulement Mirabeau, auleur du Rubicon et des Me- moîres d’un libertin de qualité; Louvet, de Faublas; Laclos, des Liaisons dangereuses. St.—Just avait publié Ofgon, poëme licencieux dans le genre de La Puscelle. Gamille Desmoulins avait, au dire de Ch. Nodier, ( Mé- langes de littérature el de crilique, 2, 190 , ) débuté dans la littérature par une traduction de l’Aloysia Sigetana , plus impudente que Poriginal, Faut-il rappeler que le marquis de Sade ne craignit pas d'adresser à chacun des membres du Directoire-Exécutif, un exemplaire richement relié de sés livres infâmes, dont à peine on ose prononcer le nom, et que ceux-ci les acceptèrent ? AG2 MÉMOIRES. mariages ordonnés par Fouché , et dont la Nièvre se souvient encore ! Quand le calme se fut rétabli, les cabinets de lecture furent inondés d’une prodigieuse quantité de petits romans, traduits pour la plupart de l'anglais ou de lallemand; et les Cœlina , les Amanda, les Rosalba, toutes les héroïnes en à, envahirent le roman et régnèrent sans rivales, comme jadis dans la littérature les savants en us. Lantier seul donna son Voyage d’Anténor avec un succès qu’on à peine à comprendre aujourd'hui. Rien de plus pauvre d’érudition que cet Anacharsis des boudoirs. Mme Cottin pa- rut trop tard : Claire d’Albe fut publiée en 1799 ; Malvina en 1801 ; Amélie Mansfield en 1803 ; Mathilde en 1805 : Mais ces héroïnes si touchantes furent bientôt éclipsées par la grâce et la beauté de Del- phine , de Lucile et d’Atala. Une révolution littéraire devait couronner, et, sous quelques rap- ports, consommer la révolution politique. Les réformateurs se mon- trèrent bientôt dans le roman , comme dans tous les autres genres de littérature. Châteaubriand, le premier dans l’ordre des dates, comme le premier par le talent , publia son Atala, 1801. La sensation fut im- mense. René, qui parut l’année suivante, excita le même étonne- ment , la même admiration. René acheva la gloire de Chà- teaubriand. Elle n’a pas grandi depuis ; elle n’a fait que se maintenir. Dans Atala, Châteaubriand avait trouvé, pour raconter les amours de ses deux sauvages dans le désert, une langue originale et neuve comme cette nature inconnue dont il déroulait à nos yeux les magnifiques tableaux. Dans René, il avait peint le vague des passions et ces souffrances sans nom , qui creusent un abyme au fond des âmes. La corde des douleurs chrétiennes vibrait de nou— veau sous une main inspirée, et tous les cœurs vibraient à l'unisson. Il y avait tant de trouble dans la société ! tant de souffrances sans espoir et sans consolation dans les cœurs ! Au milieu des ruines de tout un ordre politique et social , chacun sentait comme le besoin d’en revenir à Dieu et à la nature pour trouver un sol qui ne se dé— robât pas sous ses pieds. Personne , au reste, n'a mieux peint l’im- pression produite par les premiers ouvrages de Châteaubriand que Barthélemy. C'était là ton domaine ; dit-il, Alors que revenant Des huttes du Sachem sur le vieux continent , Tu L'élevas si haut d’un seul bond , que l'Empire, QUATRIÈME SECTION. 465 Un instant s'arrêta pour écouter ta lyre ; Le monde des beaux arts à peine renaissant Se débattait encore dans son limon de sang ; Ce chaos attendait ta parole future , Tu dis le fatlux de la littérature. (1). Les Martyrs vinrent ensuite ; les Martyrs cette belle épopée de la chute du paganisme et du triomphe de la religion chrétienne. C’est un véritable poème pour l'invention et l'inspiration. Sous le rap- port de l'exécution, c’est une étude de la littérature sacrée et de la littérature profane si conciencieuse et si originale , une tra- duction du passé si hardie et si fidèle à la fois qu'elle se place à côté et au-dessus du Télémaque. Les Martyrs sont un des ouvrages de Châteaubriand les moins goûtés, et, pour mon compte , je n’en vois pas un qui lui fasse plus d'honneur sous le double rapport de la science et de l'imagination. Ne croit-on pas entendre , dans les premiers livres , un écho à peine affaibli de la lyre d'Homère ? Plus loin , qui n’a pas senti son cœur battre en parcourant les rues de Rome que le génie de l'écrivain a ressuscitée de sa poussière , et la campagne de Naples semée de palais où résonnent , au milieu des festins , les vers harmonieux de Tibulle et d'Horace (2) ? La guerre des Gaules, l'épisode de Velléda sont d'une admirable beauté (3). Les Harangues de Symmaque , de Hiéroclès et d'Eu- dore (4) , où la science parle comme le cœur , où l’érudition est su- blime comme l'enthousiasme , ne suffiraient-elles pas seules à la gloire des Martyrs Ÿ Je ne saurais passer sous silence les Natchez, ouvrage, où de gran- des beautés rachètent de nombreuses fautes, et cette délicieuse nouvelle du Dernier des Abencerrages, empreinte d’un sentiment si délicat de l'amour , d’une si chaude couleur des lieux et des temps. La censure de l’empire refusa de la laisser publier sans retranche- ment et sans corrections. Chateaubriand la renferma dans son por- tefeuille plutôt que d'accepter cette injure :. éloquente protesta- tion du génie contre la force ! Noble appel du présent à l'avenir ! Une femme aussi devait lutter contre le despotisme , et sa cou— rageuse opposition devait apprendre à l’empereur que le génie est le seul roi qu'on n’enchaîne pas à un char de triomphe , c'était Mne de (1) Némésis , numéro 31. (2) Livres 1v et v. (5) Livresix et x. (4) Liv. xvr. 46% MÉMOIRES. Staël. Son génie et celui de Chateaubriand , partis de points dia- métralement opposés, se rencontrèrent dans le ciel dé la liberté et de la poésie. En 1802, elle publia Delphine où la passion et la rai son parlent un si beau langage ; en 4807 parut Corinne , son chef d'œuvre. On à prétendu que Mme de Stael s'était peinte sous les traits de Corinne ; bel éloge pour toutes les deux ! A la même époque, Sénancourt publiait Obermann (1804); Ober- mann , le lamentable élégiaque des douleurs humaines. C’est Rous- Seau, mais Rousseau sortant d’une révolution qui n’a rien laissé debout, avec un vide affreux au-dedans, comme au-dehors de lui. L'empire marcha vite, si vite que la littérature eut peine à le suivre. Il eut des poètes, mais quels poètes ! des romanciers , mais quels romanciers! des historiens, mais quels historiens! lisez les bulletins de la grande armée ; c'est là qu'est la poésie , l'histoire et le roman... Nous ne saurions , toutefois, au milieu des romanciers qui écri- virent alors, oublier Mme de Genlis. Mme de Genlis continua à publier ses volumineux ouvrages, dans lesquels elle n’a jamais pu s'élever au-dessus de la médiocrité ; (j'en excepte Mlle de Clermont , louée par Chénier lui-même). Quelques-uns de ses romans pré- tendus historiques, offrent de l'intérêt ; mais ils manquent de science et de caractère. Elle à cependant peint âvec une certaine Vérité et avec convenance les mœurs et les habitudes de la cour dé Louis XIV. Mme de Montolieu mérite également d’être citée. La restauration arriva. Aux luttes de l'épée allaient succéder celles de l'intelligence : la France fatiguée de ses agitations guer- rières, en même temps que de son inactivité morale , éprouvait un double besoin de mouvement et de repos. Un grand travail de ré- novation et de changement allait s’opérer au sein de Ia littérature : et, comme signal des nouvelles destinées du roman, à peu près à l'époque où Benjamin Constant publiait son petit chef-d'œuvre d’Adlphe, Walter-Scott publia son Waverley (1815). C'est un beau nom, c'est un grand nom que celui de Walter Scott! Il s'élève sur les limites de deux écoles littéraires , fixant le point d'arrivée de l’une, le point de départ et d'avenir de l’autre. Il est le créateur et le modèle du roman historique moderne : on nous pardonnera d'entrer, à son sujet, dans quelques détails, et de lui payer à loisir notre tribut de respect et d'affection. Une première circonstance nous frappe : Walter-Scott ne pro- cède d'aucun autre romancier anglais. Il a créé son genre. Ce genre lui appartient en propre comme son génie. Pour s’en convaincre, il sufit de jeter un regard sur l'état de la QUATRIÈME SECTION. 465 littérature romancière en Angleterre, à l'époque où parut Waverley. Richàrdson dormait oublié : Fielding se soutenait avec son Tom Jones trop Joué peut-être , malgré son incontestable mérite. Sterne, entrepreneur d'originalité, comme l’a appelé Château- briand, était passé. On lisait encore, comme on lira toujours, le Vi- caire de Wakefield ; on frissonnait à la lecture des romans de Matu- rin , l’auteur de Bertram et de la famille Montario , et de la célèbre Anne Radcliffe, cette inconciliable ennemie des oncles et des tantes (1). Caleb William , le Moine , avaient eu un succès de vogue; mais la faveur appartenait décidément aux romans de mœurs of- frant la critique ou la peinture des habitudes, du jargon , des modes de parler et d'écrire de la haute société. C'est dans ces circonstances que Walter-Scott se révéla comme romancier à l'Angleterre étonnée, et que, de là, ses ouvrages se répandirent par toute l'Europe. Je veux n’en ‘analyser aucun : Ils sont trop connus. Waverley , les Puritains , Ivanhoë sont , à mon gré, les plus remarquables. Je ne parle pas de /a Fiancée , la plus belle composition de Walter-Scott peut-être, mais une des moins historiques, Il y a deux hommes dans Walter-Scott, l'historien et le ro- mancier , le savant et le poète , deux hommes également su- périeurs. Walter-Scott avait fait du moyen-âge une étude sérieuse et profonde. Les mœurs, les coutumes, la vie extérieure et chan- geante de l'individu avaient particulièrement fixé son attention. Doué d’ailleurs de cet instinct divinatoire qui faisait retrouver à Cuvier le système entier d’une génération anté-diluvienne , il lui a sufñ de frapper les vieux temps de sa baguette magique pour res- susciter les choses et les hommes du passé avec leurs formes, leurs couleurs, leur mouvement et leur vie. A son appel merveilleux, les héros de la féodalité ont repris leurs armures , les chevaliers Normands ont envahi la Bretagne , et courbé sous leur joug inso- lent la tête des Saxons; puis la vieille Ecosse est apparue avec ses lacs et ses montagnes, et, au milieu de ses bruyères , se sont agités des bohémiens mystérieux , des partisans intrépides et des presbytériens sauvages. Combien d’autres tableaux son génie puis- sant n'a-t-il pas évoqués et déroulés devant nous ? et quels ta- bleaux ! les luttes du prétendant pour ressaisir la couronne de ses (4) Dans tous ses romans , le rôle odieux est rempli par l’oncle ou la tante de l'orpheline. Quelques particularités de sa vie expliqueraient peut-être cefte sorte d’anlipathie : peut-être aussi n’est-ce que le hazard. 466 MÉMOIRES. pères, et l'héroïsme des Montagnards, ces Vendéens du Nord ; l'intérieur de la cour d’Elisabeth ; la figure hypocrite de Louis XF, et Charles-le-Téméraire plus petit que son rival , avec des pas- sions plus grandes ; les mœurs usées et flétries de la cour du Bas- Empire, aux prises avec la rudesse grossière des Croisés; Londres au temps de Jacques Ier et le pédantisme du bon roi ; le dévou- ment vantard, spirituel et débraillé des Cavaliers aux Stuarts mal- heureux ; que sais-je ? avec quelle vérité il reproduit la physio- nomie des diverses époques ! avec quelle énergie il peint le caractère de ses personnages historiques , et comme il sait mettre en relief leurs qualités et leurs défauts ! La grandeur de l'ensemble ne nuit en rien à la finesse et à la perfection des détails. L'habile écrivain a voulu , avant tout, être exact : il n’a refusé à sa plume au- cune vérité « pas même celle qui nait de la peinture, de l'erreur (1).» Aussi peu d’historiens sont aussi fidèles que ce romancier. « Wal— » ter-Scott , a dit Victor Hugo , allie à la minutieuse exactitude » des chroniques la majestueuse grandeur de l’histoire et l’inté- » rêt pressant du roman ; génie puissant et curieux qui devine le » passé ; pinceau vrai qui trace un portrait fidèle d’après une ombre » confuse , et nous force à reconnaître même ce que nous n’avons » pas vu ; esprit flexible et solide qui s’'empreint du cachet particu- » lier de chaque siècle et de chaque pays , comme une cire molle, » et conserve cette empreinte pour la postérité comme un bronze » indélébile (2). » Toutefois, ce mérite si grand, si vrai, n’est pas le seul de Walter- Scott. Peut-être même n'est-il que la partie la moins relevée de son œuvre. Ce luxe d’érudition historique , a-t-on dit (3) , l'or, la soie , les plumes , les eimiers des casques , les écharpes éclatantes se couvriront encore une fois dans ses ouvrages de cette poussière du temps qu'il avait secouée ; mais ce qui ne s’effacera point, ce sont les beaux tableaux où il dévoile et déploie l'âme de l’homme, avec sa richesse, sa variété, son énergie, sa jeunesse, avec toutes ses qualités immortelles et immuables comme elle. Nous acceptons cet éloge , tout en repoussant l’injure faite à la partie scientifique , historique des romans de notre illustre auteur. Oui, sans doute, le spectacle le plus intéressant pour l'homme , c’est l’homme lui- même , l'homme intérieur , avec ses passions , ses instincts , ses (1) V. Hugo, Littérature et Philosophie mêlée , 1.2, p.30. (2) P. 51 el 32. (5) Voir un excellent article de la nouvelle Revue française, LV, p. 25, QUATRIÈME SECTION. 467 mobiles. Il ne suffit pas de reproduire ce que les folies ou les in- térêts des hommes ont pu jeter de variable et de passager sur la physionomie d’un siècle , il faut avant tout laisser à cette physio- nomie ce que la sagesse de Dieu avait mis d’immuable et d’impé- rissable dans ses traits. Il ne suffit pas d’habiller des mannequins à la mode d’un siècle , de leur donner le costume , l’armure et le nom de Richard , de Charles Edouard ou de Claverhouse ; il faut les animer , leur souffler la vie , et, pour cela , il faut avoir vécu avec les vivants et non pas seulement avec les morts , dans la société et non pas seulement dans les livres. Walter-Scott , sous ce rapport , était plus heureusement disposé que personne. « Il avait un équi- » libre heureux des dons de l’esprit les plus rares , une âme vive » et paisible ; il avait par instinct tous ces préjugés nationaux qui ». donnent du prix et du relief à la vie réelle , et la font prendre au » sérieux ; et il avait aussi cette heureuse inquiétude d’imagina— » tion qui anime la pensée sans nuire au bonheur (1). » Aussi ses romans , Comme nous l’apprennent ses biographes , sont remplis des souvenirs transformés de son père , de ses sœurs , des joies et des affections de son enfance. Les paysages qu’il nous décrit avec tant de charme , il les avait sous les yeux. Les sentiments qu'il exprime , il en avait pénétré la profondeur , et goûté la douceur parfois amère. Il a mis dans ses romans quelque chose de son .cœur et de sa vie honnête et calme, en même temps qu'il y dé- ployait toute la richesse de sa science et de son imagination. Aussi que de vérité , que de variété en même temps dans les sentiments qui sont l’âme et le fond de ses romans (2)! Comme il comprend, comme il fait comprendre le devoir , la famille , la patrie ! avec quelle délicatesse il entr'ouvre , comme des fleurs naissantes , les amours discrettes de quelques femmes au cœur chaste et pas- sionné, Rebecca, Rose , Flora, Diana, Lucy surtout , pauvre Lucy ! une chose encore dont je sais un gré infini à Walter-Scott, c’est d’avoir choisi ses héros en dehors de la foule excentrique des personnages de roman, de leur avoir donné un caractère et un esprit semblables aux nôtres. Les héros de Walter-Scott ne sont pas : (1) Revue franc. , article cité. (2) M. Auguste Barbier, dans un article d’ailleurs fort remarquable sur Angelica Kauffmann, ( Revue des Deux Mondes, mai 1859 ), reproche à Walter-Scott d’avoir sacrifié à La description , le développement des pas- sious ct des caractères. Je ne comprends pas bien ce reproche. 468 MÉMOIRES. Ces inquiets réveurs Dont la vie ennuyée avec orgueil s'étale, Ou s’agite sans but, turbulente et fatale, (4) Ce sont des gens comme nous, ni plus ni moins forts , simples , bons, honnêtes, aux prises avec des événements plus grands qu'eux. Ce qui les distingue , c’est ce qui distinguait Walter-Scott lui-même, « un fond de bon sens , d'esprit droit, ferme et péné- » trant (2). » Ses romans sont donc pleins d'enseignements pra— tiques. Leur lecture repose l'esprit et rafraichit le cœur. Homme rare! Il a voulu traduire dans un langage vif et pressant les senti- ments , les idées que nous n'avons pas toujours demêlés en nous- mêmes, mais qui vivent et s’agitent dans tous : Il ne s’est pas battu les flancs pour éprouver des impressions étrangères aux autres, inconnues, inintelligibles aux autres. Il a voulu porter dans les esprits et les cœurs quelque chose de sa douce et noble séré- nité, réconcilier les hommes avec la réalité, avec le devoir , au lieu de leur désenchanter l’un et l’autre. Il a cherché à intéresser en restant dans la mesure, chose si difficile ! en réglant notre cœur au lieu de le troubler. que son nom soit béni ! Louerons-nous maintenant la richesse d'invention de Walter- Scott, la variété des incidents, l’intérêt des épisodes , la sagesse et le bonheur de l'intrigue, ce je ne sais quoi de modestement épique qu'il répand dans toutes ses compositions ? oh! non : il y aurait peut-être sous ce rapport quelques reproches aussi à lui adresser , et nous ne nous sentons pas le courage de la critique. Nous sommes fiers au reste de nous rencontrer dans notre admi- ration pour Walter-Scott avec les hommes les plus éminents de notre époque , et notamment avec ceux qui, comme historiens , occupent la première place dans la science. Châteaubriand , dans son Essai sur la littérature Anglaise , s'est , il est vrai, montré sé— yère pour Walter-Scott : il lui reproche d’avoir « créé un genre » faux, d’avoir perverti le roman et l’histoire ; » il le place au— dessous de Manzoni et de plusieurs de nos romanciers moder- nes (3). Il avait été moins dur et plus juste dans la préface de ses Études historiques. Que de suffrages d’ailleurs peuvent consoler la mémoire de Walter-Scott de ce suffrage si grand qui lui a manqué ! Nous avons été assez heureux pour entendre M. Guizot rendre un (1) Sainte-Beuve , les Consolalions. (2) Rev. franç., article cité. (3) T. 2, p. 552 et 555, QUATRIÈME SECTION. 469 éclatant et public hommage au génie de l’auteur des Puritains (1). M.Augustin Thierry, l’éloquent et savant historien de la Conquête de l'Angleterre a proclamé Walter-Scott « le plus grand maître qu'il y » ait jamais eu en fait de divination historique (2). » Il avoue que c’est « avec un transport d'enthousiasme qu’il salua l'apparition du » chef-d'œuvre d’Ivanhoë » et que la conformité des vues de l’auteur anglais avec le plan qui s’ébauchait alors dans son esprit, leva ses derniers doutes et fixa sa résolution. (3) « Walter-Scott , dit-il » encore, semble avoir pour le passé cette seconde vue que , dans » les temps d’ignorance, certains hommes s’attribuaient.pour l’a— » venir. Dire qu’il y a plus de véritable histoire dans ses romans » sur l’Ecosse et sur l'Angleterre que dans les compilations philo- » sophiquement fausses qui sont encore en possession de ce grand _ » nom, c’est ne rien avancer d'’étranger aux yeux de ceux qui ont » lu et qui ont compris les Puritains, Waverley , Rob-Roy , l’Ofi- » cier de fortune et la Prison d'Édimbourg (4). » A côté de ce portrait de l'historien , tracé par l'historien , voyons celui du poète tracé par le poète. Nous savons déjà ce que pense V. Hugo : Ecoutons Lamartine dans sa belle Epitre en réponse aux adieux de Walter-Scott à ses lecteurs. Homère de l’histoire à l'immense Odyssée , Qui répandant si loin ta féconde pensée Soulèves les vieux jours, leur rends l’âme et le corps, Comme l’ombre d’un Dieu qui ranime les morts... Notre tâche commence et la tienne est finie : C’est à nous maintenant d’embaumer ton génie. Ah ! si comme le lien mon génie était roi, Si je pouvais d’un mot évoquer devant toi Les fantômes divins dont ta plume féconde Des héros , des amans a peuplé l’autre monde; Les sites enchantés que ta main a décrits , Paysages vivaus dans la pensée écrits ; Les nobles sentiments s’élevant de tes pages Comme autant de parfums des odorantes plages ; Et les hautes vertus que ton art fit germer, Et les saints dévouements que ta voix fait aimer ; Dans un cadre où ta vie entrerait tout entière, (1) A la séance solennelle des Antiquaires de Normandie, le 27 août 1838. (2) Dix années d'études historiques , préface, p. xiv. (5) p. XIIL. (4) p. 140. 30 470 MÉMOIRES. Je les ferais jaillir tous devant ta paupière, Je les concentrerais dans un brillant miroir, Et, dans un seul regard, ton œil pourrait te voir! Semblables à ces feux dont la nuit étincelle, Qui viennent saluer la main qui les appelle , Je les ferais passer rayonnants devant toi ; Vaste création qui saluerait son roi! Je les réunirais en couronne choisie, Dont chaque fleur serait amour et poésie , Et je te forcerais , Loi qui veux la quitter, A respirer la gloire avant de la jeter. Cette gloire sans lache et ces jours sans nuage N'’ont point pour ta mémoire à déchirer de pages ; La main du tendre enfant peut t'offrir au hasard, Sans qu’un mot corrupteur étonne son regard, Sans que de tes tableaux la suave decence, Fasse rougir un front couronné d’innocence ; Sur la table du soir, dans la veillée admis, La famille te compte au nombre des amis , Se fie à ton honneur , et laisse sans scrupule Passer de main en main le livre qui circule; La vierge, en te lisant, qui rallentit son pas, Si sa mère survient, ne te dérobe pas, Mais relit au grand jour le passage qu’elle aime , Comme en face du ciel tu l’écrivis toi-même, Et s’endort aussi pure après l'avoir fermé, Mais de grâce et d amour le cœur plus parfumé. Un Dieu descend toujours pour dénouer ton drame. Toujours la providence y veille,et nous proclame Cette justice occulte et ce divin ressort Qui fait jouer le temps et gouverne le sort. Dans les cent mille aspects de La gloire infinie, C’est toujours la raison qui guide ton génie... La citation est un: peau longue peut-être ; mais que ne feraient pas excuser de pareils vers ? Walter-Scott devait avoir des rivaux et des imitateurs. Le re— tour à l’étude consciencieuse et approfondie de l’histoire nationale; le triomphe de la littérature romantique qui demandait aux croyances, aux sentiments , aux traditions des peuples modernes , la poésie que lui refusait la classique antiquité ; le royalisme des. premières années de la restauration , royalisme pittoresque qui s’habillait en moyen-âge , se passionrait pour les raines féodales et se prosternait devant les croix rongées de mousse ; l'exemple de Walter-Scott et ses lauriers qui empèchaient de dormir plus d'un écrivain avide de gloire ou même d'argent, encouragèrent ces imi— QUATRIÈME SECTION. 47 tateurs et ces rivaux. Ils ont été nombreux en Angleterre , er Italie , en Allemagne , en France surtout. Parmi les auteurs de romans historiques , on peut citer à l'é— tranger : Cooper auquel, à tort, selon moi, on a voulu trouver plus de génie qu'à Walter-Scott lui-même, mais qui a eu du moins le mérite de reproduire, ayec une énergie et une vérité sin— gulière , les mœurs neuves et poétiques des peuplades , restes du vieux monde américain. James , le consciencieux auteur de Darnley et de plusieurs autres ouvrages fort estimés en Angleterre ; Bulwer romancier fécond , brillant, érudit, mais dont les œuvres nom- breuses manquent d'harmonie dans la conception , de pureté dans l'exécution ; Lockard, à la réputation duquel sa qualité de gendre de Walter-Scott a nui plus qu’elle n’a pu lui servir ; Manzoni dont Les Fiancés ont été traduits dans toutes les langues, admirable composition pleine de gräee,de force et de pureté, livre bon plus en- core que beau livre , digne enfin de tous les éloges que lui a pro— digués Châteaubriand (1); Vander Velde, écrivain trop peu connu en France , et dont les esquisses se distinguent par la fraîcheur et la vivacité du coloris ; Zschokke exact jusqu’à la minutie dans ses romans comme dans ses histoires ; Mme Pichler dont l'Agathoclès a eu l’honneur d’être mis plus d’une fois en parallèle avec Les Martyrs de Châteaubriand. Je ne puis omettre le nom de Wieland dont les ouvrages publiés, pour la plupart, avant la révolution, attestent une érudition profonde et un sentiment vrai de l'antiquité. C’est un grand maitre , mais il n’a pas eu et ne pouvait avoir de disciples. It a fait des romans et des poèmes historiques, sans le vouloir, et peut- être sans le savoir. Eu France , nous sommes embarrassés du choix. Les noms se pressent sous notre plume. En première ligne, toutefois, il convient de placer Alfred de Vigny , Victor Hugo et Paul Lacroix, (Jacob- le-Bibliophile ). Cinq Mars et Stello, où respire un sentiment de l’art si profond et si vrai, sont en même temps deux admirables tableaux historiques. Jamais Ia grande figure de Richelieu et le contraste de sa volonté toute puissante avec les honteuses faiblesses de Louis XIII, n’ont été tracés d’une main plus brillante et plus savante à la fois que dans Cing Mars. On a prétendu qu’Alfred de Vigny n'aurait eu en vue que le développement des caractères et des passions ; que l’histoire ne serait intervenue dans son œuvre (1) Essai sur la littérature anglaise , 1.9, P. 334. 472 MÉMOIRES. qu'incidemment, et par hasard, pour ainsi dire; mais, dans sa préface, (4) il a lui-même insisté sur l'importance qu'il attachait à « connaître tout le vrai du siècle » dont il nous offrait la pein- ture, « à se pénétrer profondément de son ensemble et de ses détails. » Dans Stello , il a voulu nous montrer la fatalité qui sem- ble poursuivre les poètes sous toutes les formes de gouvernement. La monarchie absolue les craint ; la monarchie réprésentative les dédaigne comme inutiles; la république les hait et les nivelle comme supériorités aristocratiques; (2) ostracisme perpétuel qui frappe jeunes encore et pleines d'avenir, ces trois nobles têtes , Gilbert, Chatterton, André Chénier! Je ne defends pas cette idée; mais que l'exécution en est donc pure et belle; et quel tableau saisissant des horibles jours de 94! Victor Hugo nous a donné Notre-Dame de Paris; Notre-Dame de Paris, cette belle épopée, cette Iliade gothique comme l’appells Barthélemy , (3) où l’auteur s’est montré tour à tour, et toujours avec le mème suceès, artiste et historien, antiquaire et poète ; Notre-Dame de Paris, cette digne sœur de la vieille cathédrale dont elle porte le nom. Ne retrouve l’on pas, en effet, dans l'œuvre litté— raire , l'inspiration divine et les proportions grandioses de l’œuvre architectonique? Ces nuances de sentiment et d'observation fines et délicates comme les nervures des ogives ou les dentelles des galeries; ce style sculpté en relief et curieusement ciselé comme les chapiteaux des colonnes et les figures du portail, tantôt splen— dide et varié, étincelant de mille couleurs comme les vitraux des magnifiques rosaces, tantôt calme et recueilli comme les profon— deurs des chapelles mystérieuses et sombres; tout, jusqu'à ces figures monstrueuses qui grimacent comme les gargouilles du toit , est une imitation grande comme le modèle, un souvenir beau comme la réalité. Pour tout le monde, Notre-Dame de Paris, est un beau livre; pour nous, c’est un beau roman historique. C’est une fantaisie d'artiste et d’antiquaire, à-t-on dit, une fantaisie à propos de Notre-Dame et du 15e siècle : comme si le roman histo-— rique ne tendait pas toujours à introduire le vrai dans l’art, l’art dans le vrai! C’est une fantaisie philosophique, un livre sur un mot déchiffré par hasard dans un recoin de l’éditice, le mot fatalité : comme si ce vivant et mobile tableau de l’ancien Paris, cette (4) p. #1, 5e édition. in-80. (2) Chap. XXXVHI. (3) Némésis. QUATRIÈME SECTION. 473 peintnre savante et animée des mœurs, des croyances, des habi- tudes du 15e siècle, cette esquisse vigoureuse du caractère et du génie de Louis XI, n'étaient pas histoire et vérité! Victor Hugo n’a fait ni un roman, ni une histoire : il a voulu faire et il a fait un roman historique. " Si le bagage littéraire du bibliophile Jacob est plus volimineux que celui de Vigny ou de Victor Hugo, il est en revanche de moindre valeur. On ne saurait toutefois lui refuser plus d’un genre de mérite. Conteur infatigable , jeune homme qui s’est fait vieillard pour nous dire les temps anciens, il a dessiné, avec esprit tou- jours, et souvent avec vérité, le profil et l'allure des générations éteintes. Il y a dans Les Soirées de Walter Scott, dans la Danse Macabre, les Francs Taupins , le Roi des Ribauds , les deux Fous, plus de véritable érudition que dans beaucoup d'histoires, plus d’inté- rêt que dans beaucoup de romans dé mœurs où prétendus tels. Mais il me paraît moins heureux dans tout ce qui est de sentiment, de style et d'invention. C'est à lui surtout qu’on pourrait reprocher d’avoir sacrifié l’homme intérieur à l’homme extérieur, le style et l'intrigue aux décors et aux costumes. Nisard lui reproche en outre d’avoir « noyé sa précieuse érudition dans je né sais quel » lavage de petits détails et d’arrangements prétendus dramatiques » qui lui ont ôté son relief d’érudit, en augmentant peut être sa » vogue de débitant ; (1) » et malheureusement il n’a pas tort. Combien d’autres noms ne pourrions-nous pas invoquer ? Châteaubriand , si sévère pour Walter Scott, a , dans l’admirable préface de ses Études Historiques, rendu pleine justice à « cêetté » foule d'hommes de talent qui nous ont donné des tableaux em= » preints des couleurs de l’histoire. » Il avoue que « leurs vives » peintures rendront de plus en plus difficile la tâche de l’his- » torien. » H croit même devoir citer deux d'entr’eux : Mérimée, qui a représenté les mœurs à l’époque de la St.-Barthélemy ; Latouche , qui met sous nos yeux une des réactions sanglantes de la contre-révolution Napolitaine. A côté de leurs noms , bien d’au- tres viennent se placer : II est même à remarquer que la plupart des écrivains les plus distingués de nos jours se sont essayés dans le roman ou dans la nouvelle historique. C’est d'abord Alexandre Dumas avec son Acté, son Isabeau de Bavière, Sa Comtesse de Pembrok, et sa Rose rouge, épisode si touchant des guerres mal connues et mal appréciées de la Vendée. C’est Jules Janin avec son (1) Études de crilique et d'histoire liltéraire , page 16. 474 MÉMOIRES. Barnave , pamphlet; Frédéric Soulié qui sacrifie trop au drame, mais qui, dans les deux Cadavres , le Vicomte de Beziers, le Comte de Toulouse , a déployé une riche et puissante imagination, une science du cœur qui n'exclut pas celle de l’histoire ; Balzac, dont les der— niers Chouans, ont commencé la réputation si grande aujourd'hui ; Charles Nodier , qui a retrouvé l’érudition passionnée, dont Ghà- teaubriand avait fait preuve dans ses Martyrs, pour peindre Le dernier Banquet des Girondins, autres martyrs ! Alphonse Royer, dont des Mauvais Garçons, rappellent parfois les belles pages de Norre- Dame de Paris; Eugène Sue, qui, dans Latréaumont , a eu le tort de s'attaquer trop ouvertement à la grande et noble figure de Louis XIV, mais qui a mis au service d’une mauvaise cause beau- coup plus d'esprit, de style et d’érudition qu'il n’en faudrait pour en faire réussir une bonne; Roger de Beauvoir, dont on n’a pas oublié L'Écolier de Cluny; d’Arlincourt, dont nous aurons occasion de reparler : c’est enfin Bergounioux qui n’a pas aussi bien réussi dans Charette et les Deux Maîüresses, que dans ses autres com positions ; des Essarts, dont la Catherine de Lescun, irréprochable au point de vue historique , laisse beaucoup à désirer sous le rap- port du style et de l'invention ; Ernest Ménard ; Guilmeth; Lottin de Laval; Guesdon, plus connu sous lé pseudonyme de Morton- val ; Saintines ; Mme d’Abrantès; Berthoud, dont j'aime mieux les nouvelles que les romans, et tant d’autres qui valent plus ou moins. À côté de ces romanciers , nous né saurions omettre des noms plus graves. Sismondi, l’auteur de la belle Histoire des Français, a publié Julia Severa ou l'an 492, roman historique sur la déca- dence. M. Trognon avait préludé à la publication de travaux plus sérieux sur l’histoire de France, par son roman intitulé : Les Ma- nuscrits de l'ancienne abbaye de St—Julien. Salvandy, Villemain, nous ont donné, le premier Alonzo , le second Lasearis. Ce ne sont pas là, je le veux, leurs principaux titres d'honneur , mais il faut bien voir, dans la composition de ces ouvrages, un sorte d'hommage à l'intérêt, à l'utilité du roman historique. Citerai-je aussi Mar- tignac qui n'avait pas dédaigné de descendre des hauteurs politiques où son talent le condamnait à vivre, pour raconter, dans sa pelite nouvelle du Couvent de Ste-Marie des Bois , un épisode de la guerre d'Espagne, en 1825? « Cet épisode, dit-il, qui parait tenir du » roman, et dont en effet le sujet est à peu près d'invention, ne » semble pas d’abord appartenir à un travail sérieux et historique , » dont la vérité doit être la première condition; mais ila été » placé là comme une sorte de repos pour le lecteur, comme un QUATRIÈME SECTION. 375 » cadre destiné à rapprocher et à réunir des noms fameux, des » monuments célèbres, des particularités singulières , et encore » comme une esquisse de mœurs à laquelle j'ai essayé de » donner l'intérêt du drame (1). » Ces quelques lignes renferment toute la théorie du roman historique. Nous avons dit, en parlant du Voyage du jeune Anacharsis, qu'à nos yeux ce n’était pas un roman. L'invention, en effet, y est nulle ou à peu près nulle. L'auteur voit avec les yeux, parle avec la bouche de son héros. Le scythe Anacharsis, c'est le français Bar— thélemy. Étranger aux temps, aux lieux dont il parle , Barthélemy avait, par trente ans-d'études et de recherches, par le soin qu'il avait pris de s'entourer de toutes les ressources de l’érudition moderne, rendu présens à sa pensée, comme il les rend présens à nos yeux, les anciens jours de l'ancienne Grèce ; il s'était natu- ralisé citoyen d'Athènes. Il a done raconté ce qu'il voyait, ce qu'il savait, et non pas ce qu'il avait rèvé. Ce système ingénieux et simple à la fois, qui, sans fracas d'événements, sans enchevètre- ment d'intrigues et d'aventures, transporte le lecteur au milieu même du siècle qu'on vent lui faire connaitre , a été fréquemment suivi de nos jours. Il présente les objets sous leur aspect vivant et dramatique, à: supprime les transitions toujours si difficiles : ce sont là des avantages trop réels pour être dédaignés. Parmi les écrivains de ce temps qui ont marché sur les traces de l'abbé Barthelemy, et qui, comme lui, n'ont demandé au roman qu’un cadre pour leurs tableaux, qu’un lien pour enchainer les grains épars de leur rosaire scientifique, romanciers qu'il ne faut pas confondre avec les autres, trois surtout nous paraissent dignes d’être cités; Marchangy, Monteil et Charles Désobry- Marchangy , qui, dans la Gaule poétique , avait essayé de prouver que notre histoire offrait de grandes ressources aux beaux arts, à l'éloquence et surtout à la poésie, a consacré son Tristan le Voyageur, à inventorier non plus les richesses littéraires ‘ou artis- tiques de cette histoire, mais les trésors des ancienres coutumes. « Le héros qu’il met en scène parcourt une partie de la France, » S’arrêtant dans les chaumières et les châteaux , dans les villes et » les campagnes , étudiant avec soin les pratiques , les coutumes , » les habitudes, les croyances de chacune des provinces qu'il » visite. Ici, il décrit les cours à la fois chevaleresques et pasto— » rales des Suzerains : là , il écoute les vieillards du lieu qui, sous (1) p. 57. 416 MÉMOIRES. un chêne , rappellent les lois orales qui régissent le pays; plus » loin, il reçoit l'hospitalité dans un monastère ; ailleurs il raconte » les pélerinages , les fables populaires de chaque canton , la vie » privée des bourgeois et des matrones , les privilèges des con— » fréries , des corporations. Déguisé en ménéstrel , il pénètre à la » cour de Charles-le-Mauvais , il s'arrête dans les manoirs des » Clisson, des Dugesclin et des comtes de Foix. Il combat sous » les bannières de France contre les Anglais , dans la Bretagne et » le Limousin ; on le présente au roi de France Charles Y ; il voit » le grand monde de la capitale , et se trouve au milieu du luxe , » des arts , et des plaisirs du temps ; il suit les leçons de l'Univer- » sité et les audiences du Parlement, comme il a suivi les séances » de l’Echiquier de Normandie. En quittant Paris , il se dirige vers » les provinces méridionales , où il est pris par une des grandes » Compagnies qui, en temps de paix, dévastaient la France. Délivré » de ces brigands, dont les mœurs étranges n'avaient pas encore » été décrites , Tristan le voyageur , à travers mille et mille aven- » tures qui lui fournissent l’occasion de nuancer le sujet de toutes » les couleurs du moyen-âge , revient en son manoir , où, pour » l'instruction des siens , il écrit ce qu’il a vu (1). » Marchangy avait, en écrivant , un but politique ; il cherchait à « réconcilier le présent avec le passé ; à prévenir ainsi l'entière » prescription de ce que la naïve sagesse de nos pères avait natu- » rellement trouvé pour nourrir l'esprit de famille et de pro- » priété, ces deux grandes sources des vertus publiques et pri- » vées (2). » IL a complettement échoué dans ses efforts pour réhabiliter les institutions anciennes et ce qu’il appelle Les vertus héroïques, chacun le sait ; mais il a été plus heureux sous le rapport de l’histoire. Le XIVe siècle était une époque convenablement choisie. Siècle intermédiaire entre la barbarie et le mouvement décisif que communiquèrent à l’esprit humain les grandes décou— vertes et les grands événements du XVe siècle , il se prêtait mieux que tout autre à la peinture des anciennes mœurs françaises. Quant à l'exécution, elle est en général satisfaisante. Si l’érudition de Marchangy est souvent de seconde main, elle est toujours curieuse et variée. Son style boursoufflé , tout surchargé d’ornements, de naïvetés prétentieuses et d'archaïsmes néologiques , a de l'éclat, de la pompe et de l'harmonie. On fera mieux que lui ; mais il lui res- > (1) Tristan le voyageur , introd. , p. v et suiv. (2) 16. p.r. QUATRIÈME SECTION. 477 tera toujours l'honneur d’avoir un des premiers signalé les res- sources poétiques de nos antiquités nationales , d’avoir contribué par ses ouvrages et ses conseils à les faire étudier , connaitre et goûter davantage. L'Histoire des français des divers états , par Monteil, est un ouvrage fort remarquable et qui suppose d'immenses recherches. « Monteil, » a dit Châteaubriand , est du petit nombre de ces jeunes savants » qui n’écrivent aujourd’hui qu'après avoir lu ; il eût été un digne » disciple de l’école bénédictine (1). » Monteil a été frappé du peu de place que les français occcupent dans l’histoire de France. L'histoire des campements, des batailles, des naissances , des mariages , des morts des rois, des révoltes des grands vassaux , des querelles religieuses , des luttes parlementaires est tout dans cette histoire ; et cependant ce n’est pas là toute l’histoire natio— nale. En revanche, l’histoire des agriculteurs, des artisans, des commençants , des magistrats, des sayants , des artistes , l’his— toire en un mot des diverses parties du système social des français , la vraie histoire de France restait à faire , et c'est lui qui s’est chargé de l’exécuter. Mais quel cadre choisir ? « Long-temps, dit- » il, il médita sur la forme » et, s’il ne choisit pas la plus grave, la plus usitée , c’est qu'il « dut préférer la plus naturelle, la plus » vraie (2): » J'avoue , pour mon compte , n’avoir attaché qu’une très-médiocre importance à cette forme, si scrupuleusement choi- sie. Que Monteil nous donne Les Lettres de frère Jehan , cordelier de Tours , au frère André , cordelier de Toulouse , Les Plaintes des divers élats , ou Le Voyage en France , c’est toujours lui qui sait , qui voit, qui raconte; c’est toujours son érudition sûre autant que variée , curieuse autant que profonde ; et ce roman, si c'en est un, fait autorité comme Ducange , Dom Bouquet ou Montfaucon. Charles Désobry , dans son ouvrage intitulé Rome au siècle d’Au- guste où Voyage d’un Gaulois à Rome , a voulu donner un Anacharsis romain. Le projet n’était pas nouveau. En Angleterre , Blakwell et Miss Cornelia Knight auteur de Flaminius ; en France, M. de Bugny, M. de Théis, dont le Voyage de Polyclète a obtenu un succès incontestable malgré son très-contestable mérite , Mazois, auquel nous devons le Palais de Scaurus , et plusieurs autres avaient es- sayé , avec plus ou moins de succès, de nous retracer soit l’en— semble des mœurs, des coutumes, des institutions , des arts du (1) Etudes historiques , préface, p.Lxur. (2) Introd. p. vi. 418 MÉMOIRES. Peuple romain , soit quelques détails de ce vaste tableau. Désobry a-t-il été plus heureux que ses dévanciers ? C’est justice de le re- connaitre. Ce n’est pas, il est vrai, que son style ait l'éclat , l'é- légance , la pureté du style de Barthélemy ; que sa fable soit bien heureusement choisie , et que le séjour de Camulogènes à Rome pendant 47 ans soit parfaitement motivé ; ce n’est pas enfin qu'il y ait tou'ours assez de critique dans le choix des autorités et dans la manière de les entendre et de les traduire , assez de fidélité dans les détails et de vérité dans l’ensemble : mais le Voyage d'un Gaulois restera comme un ouvrage de persévérance el de savoir , comme un précieux répertoire , fort commode à consulter , grâce à une table bien faite, comme un excellent manuel d’antiquités romaines (1). Je le répète, au reste , je né saurais voir des romans historiques, proprement dits, dans lès ouvrages dont je viens de parler. Ce sont là des œuvres de science pure. L'intervention tout épisodique de quelques événements ou de quelques personnages d'imagination, ne peut pas plus leur donner le caractère de romans , que le nom d’un personnage historique jeté sans intention et sans développements dans la narration d’un roman , n’en ferait une histoire. Nous sommes done arrivés au Roman historique.Nous examinérons ultérieurement les différentes espèces dans lesquelles il peut se sub- diviser , les différents Systèmes qui peuvent présider à sa compo- sition. Bornons-nous ici à constater le fait de son apparition , de son développement , de son impatronisation dans la littérature. Le roman historique , comme nous l'avons vu , est d'origine moderne. I appartient au XIXe siècle. S'il existe dans la littérature des siècles précédents , c’est par hasard. Comme système , il ne date que des premières années de la restauration. S’il fallait cependant lui trouver des analogues , c’est au moyen-âge , dans les romans de chevalerie , que nous irions les chercher. Rien de plus simple en apparence que cette conclusion ; mais pour avoir le droit de la tirer, ne fallait-il pas démontrer l'impossibilité d’assigner au ro- man historique une date antérieure, de le rattacher comme genre à nos anciens romans ? Nous avons circonscrit la discussion sur le terrain de la littérature française ; nous n’avons fait que de rares excursions dans les littératures étrangères , c’est la faute de notre peu de savoir. Nous avons procédé par exclusion , indiquant les temps où le roman historique ne se trouvait pas, au lieu de ceux où (1) V. Leclerc, Journal des Débats, du 19 octobre 1835. QUATRIÈME SECTION. 279 il se trouvait, c’est notre faute aussi, sans doute , mais c’est encore plus la faute du sujet. Du moment où nous ne demandions pas à en être cru sur parole, il fallait des preuves . et les preuves négatives étaient ici , nous le croyons du moins , les seules possibles. Quelle est l'utilité , quels sont les inconvénients du roman his 4orique ? Ce qui précède a du faire pressentir notre opinion sur cette seconde question. Pourrions-nous condamner le genre , quand nous avons donné tant de louanges à l'inventeur et à ses imitateurs ? L'arbre qui a produit des fruits d’unè saveur si exquise, doit-il être coupé et jeté au feu ? {1 y a deux espèces de romans historiques ; l'un suit l’histoire pas à pas dans le récit qu'il nous trace : l’autre fait sa fable et ne nous donné d'historique que les mœæursét lès usages du temps. Parfois ces deux genrés se confondent en apparence , mais ils restent au fond distincts et séparés. Lé premier, nous l’avouons volontiers, n’a pour nous que peu d’atirait. Ii soutient avec l’histoire une rivalité dangereuse. L'histoire sera toujours plus consciencieuse et plus exacte. Le second est celui dé Walter-Scott et de Cooper , d’Al- fred de Vigny et de Victor Hugo. Il a toute notre estime , toute notre sympathie. Un romanciér dont nous avons parlé, a dit quelque part. « L’his= » toire peut être divisée en trois classes qui se subdivisent elles- » mêmes en autant d'espèces qu’il y a de variétés d'esprit : l’his- » toire mathématique , l’histoire abstraïte où problématique , » l’histoire pittoresque ; la première appartient au bénédictin qui » veut des chartes et les hiéroglyphes de la diplomatique ; la se- » conde, au rhéteur qui veut des systèmes ; la troisième, au peintre » et au poète qui veulent des couleurs et des tableaux (1). » L'histoire pittoresque , c’est le roman historique ; ou plutôt lé roman historique , c’est l’histoire pittoresque. Les faits individuels ne sont pas toute l’histoire, Îls n’en sont que la partie la moins intime et peut-être la moins intéressante. De ce qu'ils se ressemblent , s’en suit-il que les époques se ressemblent entr’elles ? Les événements dont se compose l’histoire ne varient guère en eux-mêmes. Üne guerre , une bataille , une révolte , un traité de paix seront partout identiques , si l’on ne fait ressortir les contrastes qui les différencient à l'infini, les circonstances de temps et de lieu qui leur impriment à chacun une physio- 4) Le biblioph. Jacob, l'Histoire et Le Roman historique, (| En tête de ta Danse macabre.) 480 MÉMOIRES. nomie particulière. Ge sont les ossements qu'Ezéchiel apperçut dans sa vision (1), ossements arides et blanchis , que rien ne distinguait entr’eux jusqu'au moment, où l'esprit de Dieu eût soufflé dessus par la bouche du prophète. Ils se rapprochèrent alors, s’emboitèrent les uns dans les autres ; puis la chair, les nerfs, la peau vinrent les recouvrir ; puis enfin la vie entra en eux, et ils vécurent.... Le souffle qui doit animer , vivifier les événe- ments historiques , c’est l'étude approfondie des mœurs , des usages de la vie publique ou privée de nos pères, c’est l'esprit du temps , cet esprit , chose indéfinissable , qui se compose de mille détails oiseux en apparence , de mille riens fort importants , par leur réunion ; et le prophète, ce sera souvent le romancier. Le roman historique , tel que nous le comprenors , a pour but de colorer les faits dont l’histoire pouvait offrir une esquisse cor- recte et arrêtée , mais froide et pâle ; de mettre en lumière la vé- rité poétique dont M. Guizot a hautement proclamé l'existence (2), de reproduire lies faits avec leur physionomie vivante, et, c’est encore l'expression du grand écrivain que nous venons de citer, « sous leur aspect dramatique. » Le drame ! oui, le drame ; et malheur à qui ne sentirait pas qu'il est au fond de toutes les histoires, attendant la voix qui lui criera : lève toi et marche , surge et ambula. Ecoutons ce que dit du drame Victor Hugo , dans la belle pré- face de son Cromwell. Ce qu'il dit du drame théâtral, peut et doit s'appliquer au drame historique. Il nous l’a bien prouvé dans Notre-Dame. « L'art feuillète les siècles , feuillète la nature, interroge les » chroniques , s’étudie à reproduire la réalité des faits, surtout » celle des mœurs et descaractères, bien moins léguée au doute et » à la contradiction que les faits , restaure ce que les annalistes » ont tronqué , harmonise ce qu'ils ont dépareillé , devine leurs » omissions et les répare , comble leurs lacunes par des imagina- » tions qui aient la couleur du temps , groupe ce qu'ils ont laissé » épars , rétablit le jeu des fils de la providence sous les marion- » nettes humaines , revêt le tout d’une forme naturelle et poétique » à la fois , et lui donne cette vie de vérité et de saillie qui enfante » l'illusion , ce prestige de réalité qui passionne le spectateur , et » le poète le premier , car le poète est de bonne foi. Ainsi , le but (4) Chap. 37. (2) Histoire de la civilisation en France, t.1, p. 395. QUATRIÈME SECTION. 481 » de l'art est presque divin : ressusciter , s’il fait de l’histoire ; » créer, S'il fait de la poésie (1). » Préoccupé d’autres idées , d’autres intérêts, l'historien doit nécessairement négliger ces mille détails qui tombent dans le do- maine de l’antiquaire ou du romancier, de l’un et de l’autre souvent, et qui complétent son œuvre. Il ne peut non plus rien ou presque rien accorder à l'imagination. Les conjectures lui sont interdites. Il ne peut restituer les annales du passé historique , comme certains savants ont restitué celles du globe en comptant les couches qui le couvrent , en redemandant à la terre ces osse- ments , gigantesques monuments d’une création abolie , en recom— posant tout un monde par la science et par l'imagination. Quel- ques historiens ont bien essayé de procéder ainsi , mais sans beaucoup de succès. Des faits, toujours des faits , voilà ce qu’on demande , ce qu'on exige ; comme si les faits étaient toujours suf- fisamment connus ! comme si leur liaison , leur enchaînement ne nous échappait pas, presque toujours , historiquement parlant ! comme si certains faits ne se trouvaient pas , en quelque sorte , en dehors de l’histoire ! Dans les grands personnages , l’histoire n’en- visage guère que le côté de la vie publique, de la représentation , de la gloire. Les faiblesses du caractère,les intrigues de la famille, les détails de la vie privée ont pourtant aussi leur intérêt et leur importance. Et d’où viendrait donc l’engoûment général pour les anecdotes , les mémoires , si l’histoire disait tout , si l’histoire pou- vait tout dire ? C’est peut-être ici le lieu de rappeler qu’un de nos critiques modernes les plus distingués , W. Schlégel, croit trouver une des causes de l’infériorité des romans français, ( et par romans il n’en— tend que « la narration régulière en prose d'événements de la vie » sociale actuelle, » ) dans « la richesse extraordinaire de la » France en Mémoires historiques , en Confessions ou recueils » d’anecdotes et de lettres piquantes , qui tous se rapprochent plus » ou moins de la nature du roman. Je ne sache point, ajoute-t-il , » qu'aucun conte de Marmontel ait jamais inspiré un intérêt aussi » général que ses mémoires ; et quel est le roman français qui » pourrait produire une impression semblable à celle des Con- » fessions de Rousseau (2) ? » L'histoire est un roman dont le peuple est l’auteur, a-t-on dit (4) p. 61. 2; Histoire de la littérature ancienne el moderne, &. n , pag. 24. 482 MÉMOIRES. avec une sorte de vérité, si fréquente est l'intervention de lima— gination dans le domaine des faits, même contemporains, si prompt notre esprit à les accomoder au gré de l'opinion générale, cette puissance tyrannique et capricieuse ! Pourquoi le romancier ne chercherait-il pas à rétablir la vérité qui se réfléchit d’une ma- nière incomplète et souvent fausse dans l’histoire ? Pourquoi la fable ne viendrait elle pas en aïde à la vérité, quand la vérité, abandonnée à elle-même, est souvent convaincue d’impuissance ? Pourquoi cette vérité exilée de l’histoire , n’y rentrerait elle pas par toutes les portes,« même par la porte des songes?» Le mot est juste et profond , e£ c’est à l’un des plus spirituels détracteurs du roman historique que nous sommes heureux de l’emprunter (2). Nous savons que bien peu d'écrivains, parmi les romanciers bistoriques , ont ainsi compris leur mission , et l'ont ainsi remplie. Nous avons déjà blämé ceux qui ont voulu suivre Fhistoire pas à pas ; nous blâmerons également ceux qui ne voient, dans le roman historique , qu'une trame pour le développement d’une idée mo— rale ; qui, remplis de cette idée, la brodent et la commentent avec la fable et l'histoire , le mensonge et la vérité. Ils marchent à leur but à travers tous les obstacles : au lieu que la morale suive les événements, ce sont les événements qui suivent la morale. Que dirons-nous donc de ceux qui exploitent le roman historique dans un intérèt politique et de parti ? Un écrivain, qui s’est fait une réputation dans ces derniers temps, nous semble avoir donné un fâcheux exemple, et son exemple pourtant a eu des imitateurs , maladroits comme ils le sont tous. Nous voulons parler de M. d’Arlincourt. C’est avec un vif intérêt que nous avons lu les Rebelles ; dans le Brasseur Roi , dans Les Écor- cheurs et dans le Double règne , il y a de belles pages, de nobles caractères, des situations dramatiques. Nous avons été souvent étonnés de l’ingénieuse érudition de l’auteur et de l’art avec le- quel il sait plier les événements les plus rebelles en apparence , à sa thèse favorite. Mais, nous l’avouerons, nous n'aimons pas qu'on défigure l'histoire , comme la fait M. d’Arlincourt, en la rappetissant aux mesquines proportions du pamphlet ; qu’on pros- titue sa virginité à toutes les passions du moment. Telle n’est pas la mission de l'écrivain. Il est permis, sans doute , au romancier de tirer une conclusion morale ou politique des faits racontés dans son livre , mais à la condition de rester fidèle à l'histoire, de ne (2) Paul Delasalle, de {a Philosophie de l'histoire. QUATRIÈME SECTION. 483 point sacrifier certaines vérités à des vérités d'un ordre différent. Les hommmes du passé ont véeu ; ils ont porté le poids de leur destinée et de leur temps : Pour Dieu , ne les réveillez pas de leur sommeil ; ne les forcez pas à venir devant nous mentir à leur ca ractère , à leur langage , à leur vie tout entière ! ne jettez pas leurs noms grands et sacrés au milieu de nos misérables querelles ! Res— pect aux morts 1! Si le système admis par M. d’Arlincourt et par ses amis devait prévaloir , on cesserait bientôt de croire à l’histoire qu’ils invoquent ; l'autorité des faits par eux tant prônée , perdrait tout son crédit. Eux-mêmes seront les premières victimes de cet déplorable système - L'écrivain qui sacrifie le passé au présent , lui sacrifie aussi l'avenir ; et les ouvrages éclos des cireonstances pas— sent le plus souvent avec elles. Condamnons done , condamnons sans pitié ceux qui détournent le roman historique de son véritable but ; condamnons surtout ceux qui font de mauvais romans. Mais que leurs écarts ou leur défaut de talent n’influent en rien sur le jugement que nous avons à porter des romans historiques en général. Occupons-nous des bons romanciers, et non des mauvais. L'histoire n’est pas soli- daire des fautes , des bévues de beaucoup d’historiens ; et les ro- manciers historiques ne lui pourront à coup sûr jamais causer le mème préjudice que ces historiens prétendus. Walter-Scott a-t-it plus nui à la vérité historique par ses romans que par ses his— toires ? Quels sont donc les griefs articulés contre le roman historique - et que lui reproche-t-on ? De détourner les esprits sérieux d’études historiques plus gra yes : mais les esprits sérieux ne lisent guère de romans, et, quand ils en lisent , ils savent faire la part de la fable et de la vérité. Nous avons vu comment MM. Thierry et Guizot ont jugé Walter Scott. Cet hommage rendu par les esprits les plus sérieux de France au prince des romanciers, est la plus éclatante justification du genre qu'il avait adopté. Les travaux de MM. Sismondi, Villemain, Salvandy , ceux de Châteaubriand lui-même , fournissent dans le même sens un argument sans réplique ; D'offrir aux esprits frivotes une lecture trop facile et trop peu substantielle : Pourquoi se plaindre d’un bien ? ceux qui n’ap- prennent l’histoire que dans les romans historiques, ne l’auraient sans doute pas étudiée ailleurs. L'avantage est médiocre sans doute ; mais il ne coûte aucun sacrifice. El y a donc tout profit pour eux et pour la science. IT est constant d'ailleurs que quelques per-— sonnes puisent dans la lecture des romans historiques le goût de 484 MÉMOIRES. l’histoire dont l’austérité les avait d’abord rebutées. Cette lecture les initie par degrés aux difficultés de l’étude et aux jouissances du savoir. Les romans de Walter-Scott ont-ils été sans influence sur ce retour vers les études historiques sérieuses qui s’est opéré de- puis quelques années ? n’a-t-il pas excité une curiosité , un intérêt, une passion véritables pour le moyen-âge ? quels voyages nous ont aussi bien fait connaître les mœurs des anciens habitants des Etats- Unis que les romans de Cooper ! quels ouvrages ont fixé, à un plus haut point, l'attention publique sur ces mœurs poétiques et sau— vages ? De mélanger la fable et la vérité, de telle façon que les savants seuls puissent au premier coup-d'œil distinguer l’une de l’autre , de laisser trop souvent le lecteur en suspens ét ne sachant s’il doit admettre ou rejetter : Pourquoi des notes indiquant les autorités sur lesquelles le romancier s’est appuyé, ne viendraient-elles pas éclairer , rassurer le lecteur scrupuleux ? Barthélemy , Monteil , Marchangy, Désobry , d’Arlincourt et beaucoup d’autres , ont usé des notes ; quelques-uns même jusqu’à l'abus. D’autres, comme Walter-Scott , ont cru pouvoir s’en passer. Pour moi , j'avoue que l'indication des sources, où l'auteur a puisé me paraît offrir beau- coup plus d'avantages que d’inconvénients. Elle sert aux savants , et les ignorans n’y perdent rien. De populariser certaines erreurs, d’acréditer certains préjugés auprès de beaucoup de lecteurs : Mais l’histoire n'a-t-elle pas, elle aussi, ses erreurs et ses préjugés ? Cite-t-on en général les romans historiques comme garans d’une opinion ou d’un fait allé- gué ? n’est-on pas au contraire , à leur égard , dans une sorte de défiance qui laisse bien peu de place aux dangers que l’on semble redouter ? Tous ces reproches , il faut bien le dire , s'adressent aux lec— teurs des romans historiques , et non pas au roman historique lui- même. Le roman historique n’apprend pas précisément les faits ; mais il laisse des impressions ; il résume et condense ce que nos sou— venirs ont de trop vague et de trop vaporeux. Il nous fait faire une connaissance intime avec les personnages ; il nous donne une idée plus complète des caractères ; il nous familiarise avec les mœurs , les passions , les préjugés d’une époque ; il peint en un mot où l’histoire esquisse , il montre où elle laisse conclure. Ce sont là de grands , d’incontestables avantages , et je ne vois pas trop ce qu’on pourrait sérieusement y opposer. QUATRIÈME SECTION. 48 Ici se borne ce que nous avions à dire du roman historique, dans Pétat actuel de notre littérature. Quel est son avenir ? par quelles transformations est il appelé à passer avant d'arriver à réaliser le vœu de Victor Hugo, à se montrer , suivant la parole du grand écrivain , « le roman, à la » fois drame et épopée ; pittoresque , mais poétique ; réel, mais » idéal; vrai, mais grand, qui enchassera Walter-Scott dans » Homère (1)?» Je l’ignore. Le roman historique est monté à sa hauteur actuelle , en suivant le mouvement ascensionnel de la lit- térature : Il s'élèvera encore ou tombera avec elle. La question de l'avenir du roman historique est, au reste, la ques- tion de l’avenir du roman lui-même. M. de Bonald a cherché à établir qu’il existe trois époques dis- tinctement marquées dans nos mœurs , et fidèlement répétées dans nos drames et dans nos romans. « Dans leur premier âge , dit-il, » les romans ne sont qu’un tissu d'aventures chevaleresques et » d’un merveilleux souvent extravagant...… dans le second âge, les » romans sont des intrigues de société , et les héros sont dans les » salons... au troisième âge., l’action du roman se passe dans des » boudoirs et des tombeaux ; la licence y est portée jusqu’à l’ebs- » cénité , et le pathétique jusqu’à l'horreur. » ce système , s’il n’est pas vrai, est au moins fort spécieux. Les mauvais jours prédits par M. de Bonald sont arrivés. Les romanciers du XVIILe siècle, complices et fauteurs des désordres de la société qui les entourait , avaient fait une guerre honteuse à la famille , à la pudeur et à la morale publiques. Ils ont trouvé de trop fidèles disciples dans quelques-uns des romanciers de nos jours. En présence des turpitudes étalées sous nos yeux, de cette profanation des choses les plus saintes et des sentiments les plus purs , un critique éminent, Nisard, s’écriait dans un de ses élo- quents manifestes contre la littérature facile : «_ Oui , le roman est condamné à rester immoral , épuisé, im- » puissant , et à périr d’inanition , si la lâcheté du CUBIEe ne vient » à son aide , et ne lui permet ce qui n’a jamais été permis , même » aux romanciers de Sodôme et de Gomorrhe (2). » Malgré ce flétrissant anathème , je crois à l'avenir du roman. (4) Littérature et Philosophie mêlées , 1, 2, p. 59. (2) Etudes, p 53. 486 MÉMOIRES. J’y crois, parce que l’amour de la fiction et du merveilleux est trop naturel à l'esprit de l’homme pour s'éteindre jamais ; et que les récits ayant pour objet de peindre les passions et les senti- ments de l'humanité , les épopées bourgeoïses où nous trouverons, au lieu de la colère d'Achille et des erreurs d'Ulysse , l'analyse de nos propres sensations , la révélation de nos joies et de nos souf- frances intérieures , offriront toujours le mème intérêt. J'y crois, parce que les plus grands écrivains de notre époque ont adopté ce genre et l'ont élevé jusqu’à eux. J'y crois enfin, parce que , le roman étant devenu une forme élastique et souple, qui se prête au développement de toutes les théories morales , sociales ou politiques , il devra nécessairement grandir et s'élever avec les idées qui l'auront inspiré. Nous l'avons vu,sous la plume d’une femme,aborder les plus hautes questions de la famille et de la société, devenir, comme l’a dit Ste.-Beuve, « dithyrambique , grandiose , symbolique et même par mo- » ments apocalyptique (1). » Pourquoi faut-il que cette femme ait si malheureusement abusé de son génie ? qu’elle ait tourné contre son sexe et contre elle-mème tout ce que Dieu lui avait donné de passion , de logique et de poésie ? Mais le mal qu’elle a fait, elle peut encore le guérir. « Plusieurs, a dit Châteaubriand, en parlant » des femmes auteurs, ont été séduites et comme enlevées par » leurs jeunes années ; ramenées au foyer maternel par le désan— » chantement , elles ont ajouté à leur lyre la corde grave ou » plaintive sur laquelle s'exprime la religion ou le malheur (2). » Le roman que Mme Sand a si fort aggrandi , le roman dont elle s’est fait une arme si redoutable contre la société , d’autres, mieux inspirés, sauront s’en servir pour la défense de la morale et de l’éternelle vertu. La vérité et la raison ne finissent-elles pas tôt ou tard par avoir raison ? La forme , d’ailleurs, et c’est la forme que nous défendons ici, n’est pas solidaire des erreurs ou des excès de la pensée. Nous avons signalé une importante transformation du roman ; et nous croyons trouver , dans cette tranformation , le gage de ses nouvelles et belles destinées. Quant au roman historique , je ne dirai pas qu'il est le qua- trième et dernier terme de la progression indiquée par M. de Bo- nald , qu'il doit remplacer l’ancien roman. De sa nature il sera toujours exceptionnel ; il est né d’une occasion et non pas de la (1) Critiques el portrails. Tome 2, page 460, 2) Liliérat. angl., tome 2, page 352. QUATRIÈME SECTION. 487 combinaison fatale de certains événements et de certaines idées ; mais je crois à son avenir par tous les motifs qui viennent d’être donnés. Le goût qui se répand de plus en plus des études histo- riques , l’avide curiosité qui nous porte à interroger avec soin les mœurs et les institutions du passé, pour tâcher d'y surprendre le secret du présent et peut être aussi de l’avenir , sont d’ailleurs des gages assurés de sa durée. Les services qu'il a rendus répondent de ceux qu’il peut rendre encore. FIN DU TOME PREMIER. ya Dirt pb as “2 be 0 4 na myrisint à pt * lié On. : 1 » 3, 10 : ur 27 pe à et et à 4 4 ‘nou EE - Dei . a à és L 'ÉNÈRE. és LR PALETTE + és sol 1h Li PS or Le Shrker- + ve de we OA EU x le a ONNN Ga, Rp. à. : rite sn cr hi ÿ. +° sind nd a +2 fre dcr [475 En P'erri eva LS + bi ue ; v LA 4 We pi ou gts Mens " DRE à : EQ Fe tan Le = M Fu fis re da à seit. Vafutit > | + évrrodhue , réa, EL LES ES) ÿ Led à VAN s Per a à HegaPé CRE et da pes dr £” à | È de A . 2,4 (A 2: Leg L ns E À Fat Je, è ie - | a g (ER peb 94e En A = sisotite, iW r d 1 ! Ÿ ” ras Le " dass CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Le Mans, Imprimerie de CH. RICHELET. CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 200 SEPTIÈME SESSION , Tenue au Mans , en séflndre 1639. — 02002 {} — TOME SECOND. A PARIS, CHEZ DERACHE , LIBRAIRE, RUE DU BOULOY, 7. AU MANS , CHEZ CH. RICHELET , LIBRAIRE, RUE DE LA PAILLE, N° 10, 1839. L” en » = a 1T éde sr: aie 1e l - no L po Da ci # x! 1 CINQUIÈME SECTION. LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS. © — — — — SÉANCE DU 13 SEPTEMBRE 1839. À une heure, les membres du Congrès qui se sont fait inscrire pour cette Section se réunissent dans une des salles de la cour d'assises, et M. Lair, Président du Con- grès, prend place au bureau , ainsi que M. Houdbert , Secrétaire de la 5° Section. Il est procédé , par la voie du scrutin, à l'élection d’un Président et de deux vice-Présidents ; cette opération terminée , et le dépouillement fait, M. Lair proclame que la majorité des suffrages a désigné pour la prési- dence, M. Enow, inspecteur de l'Académie de Caen ; pour vice-Présidents : MM. Gaupix de St-Reuy, et l'abbé AuBer. M. Enow, présent, s’assied au fauteuil, et commence par remercier l'assemblée de l'honneur qu’elle lui fait en l'appelant à la présider , et promet le concours de son zèle. Sur la proposition de M. le Secrétaire général du Congrès, MM. Pauz DELASALLE et BERGOUNIOUX sont ensuile nommés, par acclamation , Secrétaires adjoints. Le bureau ainsi constitué, M. Jullien de Paris, de- mande que l’ordre déjà adopté dans les autres sections. IT. 1 2 CINQUIÈME SECTION. soit suivi dans celle-ci, et que dès-lors les questions portées au Programme soient lues pour que ceux des membres qui se proposent de communiquer quelque travail relatif à ces questions, ou de prendre la parole sur l'objet qu'elles expriment, puissent s'inscrire à mesure qu'elles seront appelées. Cette proposition est adoptée. En conséquence , M. le Secrétaire lit successivement chacune de ces questions et les membres ci-après dési- gnés s'inscrivent , savoir : Sur la 1" question , MM. l'abbé Auger, de Lasr- COTIÈRE , DELASALLE , TROLLEY. Sur la 2° question , MM. Rousseau , Boyer , de Lasr- COTIÈRE , HERVÉ et TROLLEY. Sur la 3° question, M. Houp8err annonce qu’il a un travail qui s’y rattache , sur les progrès des lettres et des arts dans le Maine , pendant les siècles antérieurs au siècle actuel. M. de CaumonrT aura aussi, plus spécialement sur la question telle qu’elle est posée,plusieurs communications à faire. Sur la 4° question , M. de Caumonr. Sur la 6° question , M. RicneLer. Sur la 11° question, MM. CasreL , de CAUMONT. Sur la 12° question, M. Bouver , M. Boyer qui pro- met de plus des communications relatives à l'éducation des aveugles. Sur la 12° bis, MM. Enox et JuLLtes. Sur la 13° question, MM. Boyer, HERVÉ , TROLLEY , Rousseau. Sur la 14° question , MM. Hervé , de LASICOTIÈRE. Sur la 15° question , M. Boyer. M. Menagn-BournicHoN propose à l'assemblée de lui faire part d’un mémoire Sur le parfait accord dela parole avec l'écriture. CINQUIÈME SECTION. 3 M. Boyer a fait des recherches sur les progrès de la Musique , dans les départements de la Sarthe et d’'Indre- et-Loire, depuis soixante ans, et offre de les commu- niquer. Enfin M. Huwauzr de LAPELTERIE a tracé l'historique du Congrès Scientifique de France , depuis sa forma- tion , et se montre disposé à le faire connaître à l’as- semblée. Ces offres sont toutes accueillies avec bienveillance , etun rang sera ultérieurement assigné pour chacune de ces lectures. M. RicueLer, un des Secrétaires-généraux , dépose entre les mains de M. le Président , un mémoire de M. l'abbé Maupoint d'Angers, et qui a pour objet, La réforme morale des jeunes détenus. M. Juzziren demande ensuite qu'il soit nommé une commission chargée de constater l’état actuel de la lit- térature et des arts dans le département de la Sarthe. M. de Caumonr appuie la proposition et désire qu’elle soit étendue aux départements circonvoisins; il offre de mettre à la disposition des commissaires qui seront désignés dans les diverses Sections , quatre médailles d'argent qui pourront être distribuées comme récompen- ses aux personnes qui auront mérilé cet encouragement dans les arts , les lettres, le commerce et l’industrie. L'assemblée adhère avec empressement à la propo- position de M. Jullien et aux vœux de M. de Caumont, et nomme pour membres de cette commission à laquelle elle donne tous pouvoirs pour limiter la circonscription danslaquelle elle croira devoir serenfermer,savoir : pour la philosophie : MM. Bouver, AUBER, JULLIEN. Pour la littérature: MM. Hervé, RoussFAU , CARPENTIN. Pour les arts : MM. Boyer , de LasICOTIÈRE , RICHELFT. À CINQUIÈME SECTION. La commission, arrête qu'elle se réunira, à partir d'aujourd'hui, tous les soirs à huit heures. La séance est levée à trois heures, SÉANCE DU 14 SEPTEMBRE 1839, Présidence de M. Enow. Le procès-verbal de la séance du 13 est lu et adopté sans réclamation. On communique trois pièces de vers de M. Leflaguais (de Caen ), M. Houdbertest prié de les examiner et d'en faire un rapport suceinet. Même commission est donnée à M.Mouchot, à l'égard de l'ouvrage de M. Menard-Bournichon, Sur l'accord parfait de l'écriture et de la parole. M. Juzcren dépose sur le bureau une pièce de vers de Mlle Elise Moreau, intitulée /e Musée de Versailles. L'auteur en fait hommage au Congrès. L'ordre du jour appelle la discussion de la première Question portée au programme. Elle est ainsi conçue: « La littérature romantique peut-elle être considérée comme le moyen de transition vers une littérature nou- velle , ou simplement comme l'expression des idees du jour?» M. Trozcex prend la parole, et se demande d’abord s’il existe une littérature romantique ; on l’a nié, mais c’est à tort, elle a son école, ses adeptes , ses adversai- res ; c'est une modification de la littérature, opérée sous l'influence des temps et des idées. La société a changé, des passions de toutes espèces l’ont profondément re- muée , des instincts, des intérêts nouveaux ont surgi; la littérature, qui ne peut être que l'expression des idées des temps, à dù porter leur empreinte, d'autant plus CINQUIÈME SECTION. 5 qu'elle s’est attachée à peindre la société telle qu'elle est, même dans sa laideur, sacrifiant à la forme et l'exagé- rant pour obtenir plus d'effet. Caril faut voir qu’elle ten- dait à une révolution , qu’elle devait agir sur une masse bläsée, fatiguée , impressionnable seulement aux mou- vements vifs et animés, et que, pour détrôner sa dé- vancière , elle devait marcher dans une voie différente, négligeant quelquefoisles règles du goût dont celle-ci n’eût jamais osé s'affranchir , s'adressant aux passions , agi- tant avec violence tous les sentiments et les orages du cœur pour assurer son triomphe , qu'une attaque me- surée n'eût pu faire réussir. Il y a excès peut-être dans le romantisme, mais la littérature classique est usée , elle est morte. Le romantisme au contraire est plein de sève et d'énergie ; issu d’une lutte opiniâtre, il a encore de l’âpreté, de la rudesse dans ses formes , mais il arrivera à un âge de calme et de maturité. Il est un fait d’ailleurs et c’est en vain qu'on tenterait de le rejeter. M. DerasaLse attaque la position même de la question, il y voit un non-sens ; toute époque en se rattachant au passé et à l’avenirest nécessairementune transition, c'est un anneau de la chaîne infinie dont les deux termes sont inconnus. D'ailleurs, si la littérature classique est morte, le romantisme aussi à fait son temps ; il promettait à sa naissance , c'élait un enfant vigoureux , à qui On aurait pronostiqué une longue carrière, mais à croître il a usé sa constitution ; tel que nos prospectus du jour, il s’est annoncé sous les plus séduisantes apparences, mais qu'a-t-on vu dans cette bouffissure? De la pauvreté, et du vide. On prétend que le romantisme a été créa- teur , qu’il a opéré une révolution novatrice; C’est une erreur , il n’est que la copie d’une littérature ancienne, ilest sorti de l’école de Shakespeare et de l’école alle- mande , c’est plutôt un retour vers le passé : il a pu briller d'un certain éclat , il a pu substituer aux formes 6 CINQUIÈME SECTION. usées de la littérature classique , des formes plus larges , mieux appropriées aux idées nouvelles; mais la société s'est déjà modifiée de nouveau, et voici que s'ouvre l'ère d’une littérature plus stable. On ne peut donc que ré- pondre affirmativement à la question ; seulement sa so- lution était par trop évidente. M.labbé Bouver considèreles deux littératures comme vivant encore et pouvant très-bien sympathiser, non pas peut-être chez le même peuple , mais chez des peuples voisins ; ce qui occasionne la confusion , c’est qu’on n’a pas défini ces littératures. La littérature classique est d’origine romaine, elle est entée sur l'antiquité ; le ro- mantisme', au contraire, est essentiellement national, c'est l'expression des mœurs, de la religion, de la phi- losophie , c’est la subtitution des couleurs vives et vraies du christianisme aux couleurs fausses et usées du paganisme. La littérature classique est celle qui a été reçue, enseignée dans l'enfance de nos sociétés mo- dernes, mais la société grandit, et, comme chez l’indi- vidu, il se fait en elle une réaction ; vientl’âge où elle peut marcher d'elle-même, où jeune et passionnée elle dépasse les bornes du vrai, où elle s’égare , où elle extravague peut-être; c’est l'ère que nous avons traversée , mais l'âge viril succédera et il aménera avec lui une littéra- ture rationnelle, normale, et d’autant plus robuste qu'elle aura résisté à ses propres excès. M. ne Lasicorière pense que la question mérite une solution , mais toutefois avec quelque modification dans sa rédaction; il propose de demander si la littérature romantique est une littérature de transition , autrement on semblerait décider qu’elle est éphémère et sans con- sistance. M. l'abbé Auper refuse même ‘au romantisme le nom de littérature , il n’a pas de règles, il n’a pas su s’en faire, il s'abandonne aux plus incroyables écarts ; c’est une débauche d'imagination. Dans la foule des CINQUIÈME SECTION. 7 écrits qu’il a enfantés, qu’on en cite de comparables à ceux que fournit la littérature classique , et alors la querelle qui s’agite depuis si long-temps pourra être jugée. M. de Lasicotrière répond qu'il est loin de nier les grandes beautés du genre classique, mais sans faire mieux , on peut faire autrement, qu’on attende et les modèles ne manqueront pas. La discussion est close. La question est mise aux voix telle qu’elle est for- mulée au Programme , peu de personnes prennent part au vote. M. le Président fait observer que, dans l'assemblée, il y a peut-être un assez grand nombre de membres qui viennent pour assister , sans se prononcer sur les ques- tions ; de nouvelles formules sont proposées , et soumi- ses sans plus de résultat. Enfin M. Jullien de Paris s’é- lève avec force contre la position de la question qui lui paraît réellement insoluble au sein d'une assemblée consciencieuse et éclairée. En effet, les dénominations de classique et de romantique sont tellement vagues que les meilleurs esprits, et les partisans même de l’une et de l’autre littérature, seraient très-embarrassés d’en donner une définition exacte. Il n'existe, en effet, que deux littératures , l'une bonne , qui conçoit etrem- plit noblement sa mission, l’autre mauvaise, et qui, par ses exagérations el ses écarts, mérite également le blâme des hommes de sens et des hommes de goüùt; par ce motif, il demande l’ordre du jour. M. DeLasarre, sans adopter les motifs du préo- pinant , propose l’ordre du jour pur et simple, qui est adopté. L'assemblée passe à l'examen de la deuxième ques- 1ion : « En admettant la décadence de la littérature actuelle, 5] CINQUIÈME SECTION. quelle en est la cause et quels sont les moyens d'y re- médier.» M. Trozzey à la parole. « On est d'accord , dit-il, que Ja littérature actuelle a commis de grands excès, quelles en sont les causes? l’orateur n'hésite pas à en accuser la démoralisation , l'industrialisme, l’excessive facilité du travail et cette puissance, qu’on ne peut nommer qu'avec certaine précaution, le journalisme littéraire. La démoralisation ; elle est flagrante, non pas toujours sans doute chez les écrivains, mais dans la société, aux passions de laquelle ils sont obligés de s'adresser. L’in- dustrialisme ; lorateur ne fait pas le procès à l’indus- trie, elle est la source de la fortune publique, mais il est de fait que les idées positives absorbent les idées gran- desetélevées. La facilité d'écrire ; qui ne voit qu’aujour- d’hui on se hâte trop de produire,qu'on aspire trop tôt à une célébrité passagère, qu’au lieu de laisser le talent se développer et mürir, on l’énerve, on le tue par une exces- sive précocité, qu'on n'obtient que des demi succès, des fruits avortés ? Enfin, qui contestera que la littérature de journal, littérature indigeste et si bizarrement mé langée,a remplacé, pour la plupart des esprits paresseux ou superficiels , les lectures solides, sérieuses, les tra- vaux de patience et d’érudition. Voilà les causes de la décadence qu’on signale , le remède est à côté : Réfor- mer les mœurs, rendre à l’art sa dignité, rejeter avec dédain toute production qui ne porte pas lé cachet de la conscience et de la vérité. » L'heure étant avancée, la suite de la discussion est remise à demain. CINQUIÈME SECTION. 9 SÉANCE DU 15 SEPTEMBRE 1839. Presidence de M. DE Sanr-Réuy. Le procès-verbal de ia précédente séance est lu et adopté avec une modification demandée par M. Jullien de Paris. L'ordre du jour appelle la continuation de la discus- sion sur la 2° question du Programme. M. Boxer a la parole, et lit un mémoire que nous essayons d'analyser rapidement. La littérature est en voie de progrès , car toutes les parties qui la composent suivent une marche ascen- dante. L'étude des langues , plus répandue, s’est aussi attachée davantage à la définition des termes et de leur valeur, les traductions des auteurs anciens sont de beau- coup supérieures , pour l'exactitude et le style , à celles qui les ont précédées.L’éloquence, qui s’alimente au sein des grandes agitations politiques , a dépassé de nos jours, de toute la hauteur d’une époque régénératrice, l’éloquence destemps antérieurs. Un spiritualisme éclairé a fait place au desséchant pyrrhonisme , son application à l’histoire , a sous la plume des Thierry , des Guizot, donné au récit de nos grands événements, une couleur , un sens moral qui les rattache, pour l'homme méditatif, à la grande histoire de l'humanité. Qu’elles sont vastes et élevées les vues de ces écrivains, qui, planant sur un large ensemble de faits , les comparent , les coordon- nent et démélent à travers leurs complications appa- rentes, la main qui dirige tout ; qu'on les juge à côté de la philosophie étroite du siècle passé. La poésie n'a-t- elle pas trouvé dans Chénier, Ducis , Picard , Delavigne, Lamartine, de nobles interprêtes pour les élans du cœur, les merveilles de la nature , les glorieux faits d'armes du grand homme et les mouvements passionnés de 10 CINQUIÈME SECTION. la scène ? Ne s’est-elle pas montrée dans les pieuses inspirations d’un de nos compatriotes (1), habile à repro- duire les célestes beautés des Psaumes de David ? Qu'on n’accuse donc plus notre époque de pencher vers la décadence, siles noms ne rencontrent souvent parminous qu’indifférence et froideur, c’est que les espritsse précc- cupent malgré eux des orages qui les entourent. » Les mauvais écrits nous inondent , le théâtre est une école de dépravation , cela est vrai , mais quel siècle n’a pas à déplorer de semblables excès’; la lutte du gé- nie du mal contre celui du bien est aussi vieille que le monde. On s’en prend à la littérature romantique , quelle étrange aberration d'esprit ? Le romantisme est la pein- ture du réel, du familier ; le classique tend au beau idéal, qu'y a-t-il donc d’inconciliable entre ces deux genres et pourquoi y voir un antagonisme exclusif! Le romantisme s’est de tout temps mêlé au classique , leur union est la première condition de toute œuvre littéraire et artistique, c’est l’uniou du beau et du vrai. Que notre génération actuelle ne se calomnie donc pas en proclamant la décadence de sa littérature , qu’elle voie ce qu'elle a produit, et qu’elle en soit fière. Enfin l’orateur , dans l'enthousiasme qui l'anime, laisse 1om- ber cette exclamation : « O filia matre pulchrior! » M. de Lasrcorière n'entend pas protester contre son siècle , il sait qu'il possède des hommes d’une su- périorité incontestable et qui n’ont rien à envier au passé , mais il ne suffit pas de quelques noms pour décider de la supériorité d’une époque ; quelquesétoiles peuvent briller au ciel, même au milieu d’une nuit obs- cure , il est donc juste d'étudier une époque dans sa gé- néralité : non pas sans doute que la nôtre le cède en (1) M. de Sapinaud. CINQUIÈME SECTION: 11 rien à ses aînées , mais elle offre maintenant l’affligeant spectacle de la misère, de la décadence , parce qu’elle reste inférieure à elle-même, parce qu’elle ment à ses pro- messes, parce qu'avec des éléments de grandeur elle élève peu de monuments durables. On a cité de grands noms, on a exalté la littérature de l’empire et l'influence du héros qui l’inspirait, on doit l'avouer cependant, la poésie d'alors s’est montrée pâle eLasservie à côté d’une si illustre gloire. Napoléon a été peut-être le seul poète de son temps, et les seuls génies qui aient répondus à leur noble nature, Châteaubriland et Mme de Staël , sont ceux dont la fière indépendance brava la persécu- tion plutôt que de se soumettre ; ils prouvèrent que le génie est le seul roi qu’on n’enchaîne pas à un char de triomphe. On à parlé de nombreuses traductions , mais leur nombre même accuse la pauvreté de notre littéra- ture , et ne prouve pas que les classiques grecs et latins soient plus étudiés qu'auparavant. D'ailleurs quelque soient les illustrations de ce siècle , il faut s'entendre ; ce qu'on nomme /a littérature actuelle est d'une date tout-à-fail récente , elle ne remonte pas au-delà de 1828 ; là s’est opérée une notable novation, là s’est creusé un abyme qui sépare profondément deux épo- ques , mettons donc à l'écart tous les ouvrages de l’époque passée , ce sont des titres qui n’appartiennent point aux débats de la question actuelle, et voulüt-on invoquer des ouvrages récents, encore n'est-ce pas leur date qu’il faudrait consulter , mais leurs principes , leur école et l'esprit qui les inspire. Or, en envyisageant la question sous ce point de vue, comment ne pas admettre que nous restons au-dessous de nous-mêmes , que nous méconnaissons nos grandes destinées ? On a signalé, dans la séance d'hier , plusieurs causes de cette déca- dance actuelle et parmi elles la démoralisation ; certes sans prétendre imposer de la contrainte au génie des écrivains, on pourrait désirer sans doute qu'ils fissent 12 CINQUIÈME SECTION. 4 moins ouvertement appel aux mauvaises passions , qu'ils s’inspiràssent davantage au foyer des sentiments honnêtes, que leur moralité se maintint plus souvent à la hauteur de leur talent.On a cité aussi l'extrême préco- cité des esprits ; et qui n’en voit, chaque jour, de déplo- rables exemples , quand , chez de jeunes et vivaces in- telligences , l'épuisement succède bientôt à une exces- sive dépense de forces ? Le journalisme en ouvrant'ses colonnes à des essais éphémères, ne détourne--il pas de leur vocation des plumes vraiment remarquables ? Les choses ne valent que par ce qu’elles ont coûté. Avouons donc l’infériorité , non pas absolue mais rela- tive, de notre âge , attendons le rémède à ce mal du calme , d’une direction morale , de la réalisation du sublime vœu de Vico : Æux meilleurs l'empire du monde de l'intelligence ! M. Boyer réplique que c’est très-arbitrairement qu'on fait dater de 1828 l’ère de la littérature actuelle , qu'elle est née de nos troubles , et que c’est à ce temps qu'il faut reporter son origine. Mais d’ailleurs depuis 1828 , quels grands modèles d’éloquence n’ont pas fourni la tribune publique et la chaire chrétienne ? L'histoire , la philosophie n’ont-elles pas fait d’immen- ses progrès ? Pourquoi faire deux parts de la littéra- ture ? Il n’y en a réellement qu'une , et sur ce point nul dissentiment possible : le beau sera toujours insépara- ble du bon et du vrai, et ce qui doit nous rassurer en notre avenir , c’est cette tendance religieuse qui se ma- nifeste de toutes parts, et qui ralliera tôt ou tard les es- prits vers une grande unité. M. Hervé croit qu'à procéder , ainsi que l’a fait un honorable préopinant, à retrancher d’une époque quel- conque un certain nombre de sommités littéraires , et à la juger ensuite dansle dénuement où elle demeure, iln’y à nul aspect de justice; si on retranchait ainsi du grand siècle de Louis XIV, les noms de Pascal , de Bossuet , CINQUIÈME SECTION. 45 de Fénélon , de Corneille , de Racine , de Molière , de Lafontaine, etc., où serait sa gloire ? D'ailleurs , pour- quoi assigner une date si rapprochée à notre littérature actuelle , en rejetant hors de la question les chefs-d’œu- vre qui honorent le commencement de ce siècle ? N’est- il pas trop facile de détacher ainsi dans le cours des tempsune espace circonscrit et de réduire arbitrairement le cercle de la discussion ? Ce qu'il faut comparer en littérature , c’est non pas la valeur de tel homme , de tel genre, mais la valeur des idées et celle de leur ex- pression; il est de grandes renommées qu’on ne dépas- sera pas sans doute , ainsi Molière, ainsi Lafontaine ; mais la source des idées, mais la richesse et la justesse de l'expression est-elle moindre aujourd'hui que dans les siècles passés ? Voilà ce qu'il faut examiner,car la lit- térature ne se compose que d'idées, et sa forme et sa cou- leur consistent dans l'originalité et l'appropriation des termes. Or, en ce sens, qui pourra prononcer aujourd'hui qu'il y a décadence ? Le XVIII siècle est-il resté infé- rieur au XVII° siècle ? Les grands noms de Voltaire, de Rousseau, de Buffon, de Montesquieu , de Mira- beau le cèdent-ils à ceux du siècle qui les précède ? et de nos jours, qui donc à porté plus haut l'éclat, l'harmonie, la majesté du style que Châteaubriand , Lamennais , Ballanche? qui s’est montré plus sublime que Béranger dans la poésie lyrique ? Quelle époque offre plus de cé- lébrités parmi les femmes? Un siècle s'enrichit des con- quêtes des temps antérieurs ; d’où viendrait donc notre infériorité prétendue ? Pour apprécier nos ressources actuelles, pour les juger par le meilleur eriterium , de- mandons-nous si la société d'aujourd'hui a moins de bien’être et de lumières que la société d'autrefois ; et, s’il est vrai que, sous ce rapport, elle soit en véritable pro- grès , comment l'expression vivante de son état, com- ment la littérature serait-elle en voie de décadence ? Nos richesses peuvent être moins individuelles , plus 1% CINQUIÈME SECTION. éparses , mais elles ne sont pas pour cela moins réelles. On reproche à notre âge sa corruption ; on a donc ou- blié que les déplorables productions du siècle passé s’inspiraient à des sources plus impures encore ; on at- taque le journalisme , mais la littérature n’est pour lui qu'un accessoire, et qui pourrait méconnaître les grands services qu'il a rendus et le vif éclat dont il a brillé ? Proclamons donc hautement que nous sommes en pro- grès ; les idées vraies sont plus générales , et ont péné- tré plus profondément dans la société ; l'expression, différente sans doute , mais plus vive et plus pittoresque, n’a rien perdu ni de sa justesse , ni de sa précision. M. l'abbé Bouver parle dans le même sens que le préopinant ; c’est à tort qu'on accuse notre siècle de rester en retard de lui même , toujours et de tout temps il y a eu des retardataires et des hommes progressifs , mais l'esprit humain est en marche pour la conquête de l'avenir. Après l’âge de l’effervescence , après les égare- ments de la jeunesse , vient le temps de la réflexion qui perce en avant, or, cette réflexion à pris une direction grave , sérieuse , religieuse , elle est pénétrée d’un pro- fond besoin de croyance , elle est toute empreinte de foi, non pas d’une foi formulée , mais d’une espérance ar- dente qui la ramènera vers la Croix ; comme l'enfant prodigue , la raison humaine s’est souillée par d’é- tranges égarements , elle a secoué le joug de l'autorité et a méconnu toute règle , mais, dans son abjection , elle commence à faire un sérieux retour sur elle-même ; in- décise encore, elle cherche des chemins détournés , mais bientôt la confiance , la foi renaîtra pour elle et elle se dira : surgam ettibo ad patrem. On demande la clôture qui n’est pas appuyée , la dis- cussion est continuée à demain. 4 CINQUIÈME SECTION. 45 SÉANCE DU 16 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Evo. La discussion continue sur la deuxième question. M. Lasicorière pense que la question a été déplacée par les orateurs entendus dans la séance d'hier. Il ne s’a- git pas, en effet, comme ils ont paru le supposer, de savoir si lamasse des idées bonnes et salutaires actuellement en circulation dans la société , et, par contre-coup dans la littérature, est plus ou moins considérable qu’autrefois. À cet égard, aucune difficulté ne saurait s'élever; les tendances élevées , généreuses de notre siècle , son re- tour aux idées religieuses, source de toute inspiration et de toute beauté dans les arts, sont avoués, proclamés par tous. Il ne s’agit pas davantage d'examiner si le XIX° siècle est plus fort, plus grand , plus moral que le XVIIL* ou même le XVII. La littérature étant l’expres- sion des idées de la société, nous devons surtout re- chercher si, en tant qu'expression , elle offre quelques symptômes de décadence. Nos littérateurs pourraient être supérieurs à ceux des siècles précédents , et cepen- dant notre littérature, envisagée dans son ensemble , présenter des symptômes de décadence, uniquement par ce qu’elle ne s’associerait pas au mouvement progressif des idées , qu’elle se bornerait tout au plus à le suivre au lieu de le diriger. Pour le litérateur, « aller en » avant de la foule , c’est la gloire; aller avec elle, c’est » la vie; rester en arrière C’est la mort même. (1) » La condition de la littérature est la même vis-à-vis de la Société. Son infériorité peut donc être relative. Il y a décadence même à faire de grandes choses, si l’on peut , si l'on doit par conséquent faire mieux encore. LA (1) Alfred de Vigny. 16 CINQUIÈME SECTION. D'un autre côté , la littérature ne consiste pas seule- ment dans l’ensemble des ouvrages d’un pays ou d’une époque, mais aussi dans la loi selon laquelle ces ou- vrages sont composés, dans la tendance qui préside à la manière de recueillir, de coordonner, de formuler les idées. Examinons donc si, au fonds, la littérature actuelle est en décadence ou en progrès ; en d’autres termes , si elle est l'expression satisfaisante des idées, des senti- ments que l’on a glorifiés , avec raison sans doute, comme plus le bel apanage de notre siècle. En resserrant la question dans de plus étroites limites, examinons si le reproche d’'immoralité que lui à fait M. Trolley, est fondé. Nous examinerons ensuite, continue M. de Lasico- tière, si, dans la forme et sous le second rapport par nous indiqué , il y a décadence dansle système général, de la composition. M. Trolley avait signalé, comme symptômes et causes à la fois de la décadence , l'esprit de mercantilisme et de spéculation, le journalisme, l’a- bus du travail facile. Nous avons ajouté l'anarchie dans lesesprits, le défaut d'unité, de direction, de règle. Nous ne rétractons rien de ce que nous avions avancé, ou accepté. M. ne Lasrcorière écarte d’abord les objections pré- sentées par quelques-uns des préopinants. M. l'abbé Bouvet à fait remonter aux doctrines du XVITT* siècle les causes de la décadence qu'il ne peut entièrement mé- connaître. Mais, si le XVIIF siècle nous a légué des idées , il ne nous a pas légué des formes sacramentelles. Le moule dont il s'était servi est brisé. Pourquoi lui im- puter des vices de forme qui sont parfaitement indé- pendants du fonds? ce ne sont pas les idées seulement que nous jugeons, c’est aussi l'expression. Quant au mot de Littérature actuelle , il doit être entendu dans un sens restreint. Il s’agit ici de la littéra- CINQUIÈME SECTION. 17 ture nouvelle, de cette littérature dont l'essor date des dernières années de la restauration , et non pas de la lit- térature usée , vieillie de l'empire. Sans doute plusieurs de nos écrivains les plus distingués avaient devancé, pré- paré la réaction de 1828; mais ce n’est guères que de cette dernière époque que date l'invasion et le triomphe des systèmes nouveaux. Tout s’est renouvelé depuis 1828 , le roman, le drame , la satyre, la poésie intime, la forme du vers, tout, jusqu’au nom de la littérature ; elle s'est faite romantique , de classique qu’elle était. On s'est retranché derrière quelques grands noms pour défendre l’ensemble de la littérature actuelle. C’est une erreur de raisonnement; si beaux, si purs que soient certains noms, ils ne peuvent protéger les médiocrités ou les turpitudes qui voudraient s’abriter à leur ombre. Ils dominent la littérature ; ils ne la font pas. N'est-ce point une erreur aussi que d’avoir, dans une ferveur indiscrette pour la supériorité de {a littérature actuelle , invoqué certains noms qui brillent dans les sciences morales, philosophiques, historiques , politi- ques? Ces sciences sont parfois comprises dans le terme général de littérature , mais on restreint le plus souvent le sens de cette expression aux ouvrages d'invention ou d'imagination , aux fruits du génie poétique. C’est dans ce dernier sens que l’on a pu dire que la littérature est l'expression de la société. Les facultés littéraires , dont la faculté de bien sentir est l'âme et le principe , sont soumises dans leur développement à l’action puissante des circonstances. La faculté de bien sentir elle-même estun fait relatif, pour lequel nulle règle générale n’existe etquireste nécessairement abandonné à l'influence des causes variables et accidentelles.En littérature donc l’in- dividu reçoit beaucoup et donne peu, il n’en est pas de même dans les sciences naturelles, nimême dansles scien- ces morales ou politiques. Les savants les font en partie ; elles sont personnelles , et, si l'on ne peut méconnaître Il. 2 18 CINQUIÈMEB SECTION. l'influence de l'esprit du temps sur les plus forts et les plus solides esprits qui se livrent à l'étude de ces di- verses sciences , il faut avouer qu'il y a réciprocité d’in- fluence. Les savants agissent sur les circonstances , comme les circonstances agissent sur eux; la Société reçoit beaucoup en échange de ce qu'elle donne. Com- ment , dès-lors , chercher dans quelques individualités scientifiques , isolées , des raisons de se décider pour ou contre la supériorité de la littérature actuelle ? ces indi- vidualités échappent le plus souvent aux impressions , aux sentiments dont la littérature est l’écho. Elles ne puisent pas toutes aux mêmes sources ; elles n’obéissent pas aux mêmes règles; elles n’ont pas de tendances générales. La partie littéraire, la forme, n'est-elle pas d’ailleurs ce qui les préoccupe le moins? et si quel- que grand ouvrage scientifique leur ouvre les portes de l'Académie , est-ce le fonds ou la forme, l’art ou la science qu'entend récompenser l’Institut ? M. De LasicoTiÈèRE parcourt ‘ensuite la série des griefs articulés contre la littérature actuelle. L'immoralite. Je n’entends pas, dit l’orateur, m'insurger contre mon siècle , faire le procès à nos mœurs, ou même à notre littérature d'une manière absolue ; mon âge et mes sympathies me le défendent. J'aime mon siècle, comme j'aime mon pays. Je suis heureux et fier d’ap- partenir à une époque où le goût du bon, du beau se ranime ; où l’on revient, füt-ce même par le desœuvre- ment et l'ennui, aux idées qui me paraissent nécessaires au bonheur de l'individu , à celui de la famille, à celui de la société. Les nobles, les généreuses croyances re- fleurissent. Les dieux s’en étaient allés ; aujourd’hui les dieux s’en reviennent !… Mais ceci ne saurait nous rendre indulgents sur les excès de la littérature; plus sa mission pouvait être belle CINQUIÈME SECTION. 19 et sainte, pluselle est coupable de ne la pas remplir ou de la remplir mal ; plusnous devons nous montrer sévères ! Quelle estla mission de la littérature et celle de la poé- sie en particulier ? tâcher de rendre les hommes meil- leurs et plus heureux ; consoler ou du moins charmer leurs douleurs en ranimant en eux toute la partie mo- rale , divine, mélodieuse de la pensée ; « populariser » des vérités , de l'amour , de la raison , des sentiments » exaltés de religion et d'enthousiasme; » (1) elles n’ont pas , elles ne peuvent avoir d'autre mission. On a parlé de faire vibrer au fond du cœur toutes les cordes de la sensibilité humaine, d’un miroir où se ré- fléchisse poétiquement la vie réelle ; on a parlé de l’art pour l’art ; mensonge et blasphême! Un de ceux qui , par leur exemple et leurs conseils , non moins que par l'autorité de leur génie, ont le plus contribué à propager ces erreurs, n’a-t-il pas dit, en parlant des poètes : (2) Nous, pasteurs des esprits , qui, du bord du chemin , Regardons tous les pas que fait le genre humain , Poètes par nos chants, penseurs par nos idées, Hätons vers la raison les âmes attardées. Hélas ! qu'ont fait les poètes et les penseurs pour héter vers cet avenir promis les mes attardées ? que font- ils encore ? Il faut bien le dire , le nombre des ouvrages publiés dans un but utile et moral est petit, plus petit que jamais , eu égard du moins à celui des ouvrages qui s'impriment. ; Parmi les littérateurs , les uns , innocents , nous ont initiés à tous leurs caprices , à toutes leurs fantaisies. Pour eux, l’art n’a été qu’un jeu frivole sans but, sans (1) Lamartine. (2) V. Hugo. 20 CINQUIÈME SECTION. portée. Ils nous l’ont montré suspendu aux clochetons d'une cathédrale , à la corolle d’une fleur des champs. Ils nous ont amusés, distraits parfois : mais que nous ont-ils appris , que nous ont-ils enseigné ? qu’ont-ils fait pour l’amélioration de l'individu , de la famille, de la société ? D'autres, plus coupables, ont attaqué ce qu'il y avait en nous de bons et nobles sentiments,sous prétexte de faire la guerre à nos illusions ; ils n'ont pas respecté nos meilleures, nos plus saintes croyances. Dieu, l'huma- nité, la famille, la patrie , ils ont tout désanchanté , tout flétri. Lord Byron a été leur maître , leur modèle ; comme lui , ils ont affecté de ne point voir de mot à l’enigme de l'univers , de regarder la vie comme une affreuse ironie ; comme lui , ils se sont posés en « fils du désespoir qui » méprise et qui renie, qui, portant en lui une incura- » rable plaie , se venge en menant à la douleur par la » volupté tout ce qui l'approche. » (1) Aussi que de lar- mes ont-ils fait couler ! que de plaies ils ont élargies au fond des cœurs , au lieu de les guérir! Désanchante- ment est devenu le mot d'ordre d’une littérature tout en- tière. Poëtes et prosateurs , adoptant la devise célèbre du croisé dans Ivanhoë, des dichados, ont bataillé de droite et de gauche contre tout ce qui restait encore debout de foi, d'amour , d'espérance, au milieu de la grand mélée des passions égoïstes et des passions généreuses ; triste victoire , lamentable triomphe! nos petits hommes in- compris ont éveillé une foule de sympathies , si non pour eux-mêmes , au moins pour leurs douleurs. Ils Sont parvenus à désenchanter la réalité, sans rien don- ner qui püt la remplacer. Que dire de l’immoralité scandaleuse qui déshonore certaines branches de la littérature , le roman entr’au- (1) Châteaubriand. CINQUIÈME SECTION. °1 tres , el le drame? le drame surtout , né du peuple et pour le peuple , le drame si puissant sur la classe popu- laire, qui porte son cœur au théâtre , el va puiser là les leçons du bien et du mal. Hâtons-nous de le dire , toutefois , nous repoussons la vieille banalité du vice puni etde la vertu récompensée. Il y a des ouvrages où celle donnée est respectée,et qui n’en sont pas plus moraux pour cela, il en est d’autres qui peuvent s’en passer. La moralité, pour nous , est dans le but que S’est proposé l’auteur; dans l'impression pro- duite par la lecture ou la vue de son œuvre. Quels sont les tableaux que le roman et le drame mo- dernes étalent sous nos yeux ? quels sont les senti- ments dont ils nous offrent le développement? Le drame et le roman ont tout dit et tout fait. Ils nous ont dévoilé les mystères de la chambre et ceux mêmedu lit. Ils n’ont reculé devant aucune des scènes qui pouvaient , lout en révoltant la pudeur de ceux qui ont une femme , une fille ou une mère , réveiller la curiosité libertine et blâsée des oisifs. Ils nous ont étalé des passions furieuses, des amours grossiers , libidineux ; ils ont arraché à la femme sa dernière pudeur et son dernier vêtement , et, quand ils n’ont pas osé aller jusques-là, n'est-il pas vrai que , dans tous leurs portraits de femme, à l’œil humide , au sein agité, qui aiment quiconque n’est pas leur mari , il y a comme une certaine gène, un cer- tain regret de n’en pouvoir-dire plus , une sourde impa- tience contre les exigences, non plus de la morale , on est convenu de s’en passer , mais des convenances et de l'opinion ? Citons un homme qu’on n’accusera pas à coup sûr de pruderie littéraire , mais qui a eu le droit de dire : Mon vers rude et grossier est honnête homme au fond. Barbier , dans ses ïambes , a déploré en vers ma- gnifiques la décadence de la littérature dramatique : 22 CINQUIÈME SECTION. C'en est fait aujourd’hui de la beauté de l’art , Car l’immoralité levant un œil hagard Se montre hardiment dans nos jeux populaires... avec quelle énergie il peint les femmes sortant de ces drames impurs , et qui vont, D'un pied lent, désertant la salle solitaire , Regagner leur foyer en rêvant l’adultère !! (1) Voilà ce qu’on ne saurait trop déplorer, trop flétrir. Il est bien vrai qu’on nous parle de régénération mo- rale, de foi nouvelle, d'avenir. Mais quelles vertus nous propose-t-on en échange de celle qu’on veut nous enle- ver ? il est bien vrai que c’est au nom de la morale même qu'on attaque ce qu’il y a de plus saint sous le ciel , la famille. Mais qu'est-ce cela, sinon un hommage à la puissance de cette morale qu’on n’ose attaquer ouverte- ment ? il est bien vrai enfin que la pudeur des mots adou- cit parfois ce qu'ont de révoltant certains détails , ou certairs tableaux? cela prouve que la société vaut mieux peut-être que la littérature , et les lecteurs que les au- teurs.:: On a prononcé le nom d’une femme, de Mme Georges Sand; je ne l'aurais pas nommée. mais puisque l’oc- casion se présente de dire ma pensée , je la dirai tout en- tière. Je déplore, dans les ouvrages de Mme Sand, l'abus du plus beau génie qu'une femme ait jamais reçu du ciel. Ce génie,qui luiavait été donné pourle bonheur et la con- solation des autres femmes , qu’en a-t-elle fait ? a-t-elle séché leurs larmes , ou les a-t-elle fait couler? a-t-elle adouci leurs souffrances , ou leur a-t-elle révélé des dou- (1) A. Barbier , Melpomène. CINQUIÈME SECTION. 23 leurs inconnues ? a-t-elle oui ou non,excité celte activité si puissante de malheur qui fait leur tourment? a-t-elle réhabilité le devoir ? ou plutôt ne l’a-t-elle pas flétri, dés- enchanté? n’a-t-elle pas condamné la femme aux jouis- sances du crime ou au supplice de la vertu ? l'anarchie dans les esprits. On s’est récrié contre ce que nous. avions dit de l’ab- sence de toute règle , de toute direction littéraire. On a réclamé en faveur de l'indépendance de la pensée hu- maine. Nous n’entendons pas contester ses droits. Nous savons qu’il est impossible de l’emprisonner dans des règles immuables et uniformes. Le génie se fait à lui- même ses propres règles, et le goût , comme on l’a dit, n’est que la raison du génie. Mais, pour quelques hom- mes qui devraient donner la direction au lieu de la rece- voir et créer les règles au lieu de les subir , combien en est-il qui ne peuvent s’en passer ? ou quelles sont , de nos jours,les règles acceptées par tous les esprits? celles du classique ont fait leur temps ; le romantique n’a pas encore formulé les siennes. A défaut de règles, quelles sont au moins les hommes supérieurs dont l'autorité soit reconnue , et qui servent de maîtres et de modèles? il n’est pas une réputation au-dessus de la critique. Racine et V. Hugo sont également attaqués, conspués: La lit- térature se fractionne en coteries, au lieu de se par- tager en systèmes ; dans ce cahos de doctrines et d'idées, chacun ne prend conseil que de soi , et lautocratie indivi- duelle devient la maladie d’une foule d'écrivains qui se surfont et s’ignorent. S'il en est un plus consciencieux ou plus modeste, qui cherche des règles et un système , il perd à les chercher, pour ne pas les trouver toujours, un temps précieux qu'il est difficile de réparer… Vainement dirait-on que ce qui se remarque de nos jours n’est pas nouveau ; qu’à toutes les époques, le gé- 24 CINQUIÈME SECTION. nie à eu des luttes à soutenir avant de s'imposer au monde; que les grands noms des siècles précédents ont été discutés , controversés , balottés comme les grands noms d'aujourd'hui. Le génie n’est pas nécessairement condamné à s’insurger contre son siècle et son pays. Le génie littéraire surtout, qui, plus que le génie scien- tifique , s'inspire et vit des circonstances , n’a pas tou- jours à affronter d’injustes et tyranniques dédains. Un ministre pouvait se liguer contre le Cid , mais tout Paris, pour Chimène, avait les yeux de Rodrigue ; Mre de Sévigné disait que Racine passerait comme le cafe, mais Racine assistait à sa gloire. Voltaire et Rousseau régnaient sur leur siècle. Qui donc règne sur le nôtre ?.…. Le Mercantilisme. Jamais , il est triste de le dire , l'esprit de spéculation n’a exploité la littérature autant qu'à notre époque, et, comme il est dans sa nature de flétrir tout ce qu'iltouche, jamais la littérature n’a plus souffert de ses atteintes. On pourrait reprocher à la spéculation l’immoralité dont nous avons parlé, le travail facile dont nous parlerons. On peut lui reprocher également d’avoir pressuré , jusqu’à la moëlle des os, beaucoup de littérateurs de nos jours , et des plus spirituels, des plus jeunes , des plus forts ; de leur avoir dérobé, à défaut d'articles , leurs no- tes commencées , leurs titres de contes , leurs brouil- lons , et même leurs noms avec un blanc-seing , quand il n’y avait que cela à prendre ; d’avoir ainsi compromis leurs noms, quand elle ne pouvait compromettre leurs talents... Quelles sublimes inventions ne devons-nous pas à la spéculation littéraire ? n'est-ce pas elle qui fait les pièces de théâtre pour les acteurs , au lieu de former des acteurs pour les pièces de théâtre? n'est-ce pas elle qui a imaginé de remplacer l'esprit, le style, et le senti- CINQUIÈME SECTION. 25 ment par les décors etles costumes ?oh! si quelques- uns de nos grands écrivains employaient à vérifier leurs drames le temps qu’ils perdent à dessiner ou à découper des costumes ? C’est enfin à la spéculation que nous devons la presse pittoresque « vaste refuge des auteurs en décadence , » qui offre les invalides , avec petite paye , à toutes les »_gloires éconduites par leurs libraires. » (4) Le Journalisme. Il y aurait beaucoup à dire sur cette matière, pour- suit M. de Lasicotière , mais ce n’est pas le lieu. Après quelques réflexions sur le rôle , si grand , si beau que pourrait jouer la critique dans Part et la littérature, et sur la manière dont la presse remplit ce rôle , (2) il ex- prime le regret que la presse politique et littéraire ar- rache à leur vocation, à leurs projets plus sérieux , et plus graves , une foule de talents qui s’éparpillent en feuilletons et se dépensent au jour le jour , sans rien laisser après eux. Leur réputation ne brille qu'aux dé- pends de sa durée. C’est l'éclair qui illumine le ciel, mais qui n’a qu'un instant. La Littérature facile. On se rappelle, dit M. de Lasicotière , l’éloquent ma- nifeste publié, en 1833, contre la littérature facile. On se rappelle aussi la réponse spirituelle de Janin à M.Nisard. Ce dernier avait raison alors ; il à raison encore au- jourd'hui. La littérature facile , ce n’est pas la bonne littérature faite facilement , c'est la mauvaise littérature facile à faire. (1) Nisard. (2) M. de Balzac n'avait pas encore publié son Grand homme de province à Paris et Mmede Girardin ses Journalistes.(Note du secrétaire général.) 26 CINQUIÈME SECTION Onl’a définie « toute besogne littéraire qui ne demande ni étude , ni application, ni choix, ni veilles, ni criti- que, niart, ni rien enfin de ce qui est difficile ; qui court au hasard , qui s’en tient aux premières choses venues, qui tire à la page et au volume , qui se con- tente de tout , qui note jusqu'aux moindres bruits du cerveau , jusqu’à ces demi-pensées , sans suile , sans lien , qui s'entre-croisent , se poussent, se chassent, dans la boîte osseuse ; produits moléculaires , résul- tats tout physiques d’une surexcitation cérébrale , que les uns se forment avec du vin , les autres avec la fumée du tabac, quelques-uns avec le bruit de’ leur plume courant sur le papier; éclairs , zig-zags, co- mètes sans queue , fusées qui ratent , auxquelles des complaisants ont donné le nom conciliant de fantaisies. (1).» C’est à nos adversaires de nous dire si la définition est exacte, au moins pour quelques bran- ches de la littérature ! Le même critique a défini la littérature inutile, qui pourrait sous certains rapports se confondre avec la lit- térature facile. « C’est toute littérature qui n’a point de but, qui ne va à rien, qui ne s'inspire ni du passé, nidu présent, ni de l'avenir, qui ne résout rien, qui n’éclair- cit rien, qui n’ajoute aucune notion , soit de critique , soit de psycologie , soit d'histoire au domaine des no- lions acquises ; qui n’aide rien , qui ne conduit à rien , qui n’est mue par aucune pensée ni de renversement, ni de reconstruction, ni même d’érudition inoffensive, qui n’a pas même l'honneur d’être sciemment nuisi- ble. » Qu'en pensent encore les adversaires ? le por- trait est-il ressemblant ? Si la littérature facile,si la littérature inutile sont mau- vaises et dangereuses, ne doit-on pas également condam- ner le travail facile qui n’approfondit rien, n'attend rien? (1) Nisard. CINQUIÈME SECTION. 97 Le défaut de patience estsouvent le défaut de conscience. Quelssont les écrivains qui apportent à la composition de leurs écrits cette exactitude, ce soin religieux qui caracté- risaient la manière des grands écrivains du XVII siècle? en repoussant une partie de leur héritage, nous pouvions sans scrupule accepter celle-ci. Quelques hommes ,sans doute , apportent en naissant la faculté de concevoir le beau, mais ils ne peuvent le réaliser qu’à force de travail. Châteaubriand, sous cerapport, offre un noble exemple :il a travaillé la forme comme le fond de ses ouvrages ; et quand d’autres écrivains érigent leurs fautes en systè- mes , il n’a jamais hésité à reconnaitre et à corriger les siennes. Il est difficile de faire vite et de faire bien. Nos œuvres valent en général ce qu’elles nous coûtent ; aussi l’empressement de nos écrivains à publier, dès l’âge de 30 ans, des œuvres complètes, en 25 ou 30 volumes, aura médiocrement servi les intérêts de leur gloire... M. de LasicoTiÈRE résume la discussion à laquelle il vient de selivrer. « Je n’ai pas,ajoute-1-il,la prétention d’avoir traité la question sous toutes ses faces, de l'avoir même épuisée sous tous les rapports où je l'ai envisa- gée. J’ai signalé quelques-unes des tendances fàcheuses qui se manifestent dans notre littérature , soit au fonds , soit dans la forme , j'aurais pu lui adresser d’autres re- proches , j'aurais pu examiner l'influence des idées ro- mantiques sur les défauts comme sur les mérites que j'ai rélevés en elle. Mais ce n’est ni le moment, ni lelieu. J'ai l'usage de.me maintenir en dehors de tout système et de ne signaler que ce que toutes les opinions littéraires doi- vent confondre dans une commune réprobation. Au reste , en demandant s’il y avait décadence dans la lit- térature actuelle, le programme me paraît avoir mal posé la question : moi-même , en employant le mot de- cadence , je me suis, je le crains, servi d’un mot impro- pre. Il n’y a pas décadence , car nous n'avons pas dé- chu de R gloire des siècles précédents ; car nous mar- 28 CINQUIÈME SECTION. chons en avant , toujours , toujours... Il me paraît seulement que certains obstacles embarrassent notre marche progressive , que nous inclinons dans de fausses directions , que nous »’allons ni aussi vîte , ni aussi droit que le permettent le soleil , le chemin et nos forces. Le remède au mal signalé , quel est-il? il n’est pas de lé- gislation, de puissance humaine qui le puissent décréter, Ce remède n'appartient qu’au temps et à Dieu qui dis- pose du temps. À mesure que l'unité et l'ordre se réta- bliront dans les esprits , l'anarchie littéraire fera pla- ce à quelque chose de plus réglé, de plus sûr , à me- sure que la liltérature romantique se consolidera sur des bases plus fixes, les beautés nouvelles qu’elles nous à révélées deviendront plus classiques et plus popu- laires. À mesure enfin que la société se moralisera , la littérature se purifiera des souillures qu’il faut mainte- nant lui reprocher. Quant au mercantilisme, à l’abus du travail facile , au journalisme , les inconvénients qu'ils entraînent sont essentiellement transitoires. Ces incon- vénients disparaîtront pour faire place à une littéra- ture plus grande , plus pure, plus digne de la société dont elle sera le reflet et l'expression. Les destinées de la littérature sont intimement liées à celles de la so- ciété. Ces destinées seront belles , et je les attends avec confiance, car je crois à l'avenir. » M. Hervé répond qu'on n’a peut-être pas envisagé la question sous le point de vue le plus philoso- phique, et que pour juger équitablement une époque littéraire, on doit examiner les écrivains sous le double rapport de la valeur intrinsèque, de la pensée et du mérite de l'expression ; comme maxime géné- rale , il n’est pas exact de dire , comme on l’a dit, que la littérature est l'expression de la société’; car il existe simultanément trois classes d'écrivains ; les écrivains rétrogrades , les écrivains qui réflètent la société , s’ins- pirent de ses pensées, et c’est seulement de la littéra CINQUIÈME SECTION. 29 ture de ces auteurs qu'il est vrai de dire qu'’eile est l'ex- pression de la société ; la troisième classe se compose de ces hommes qui jettent dans le monde de nouvelles idées civilisatrices, belles et vastes intelligences que leur contemporains regardent quelquefois comme des théo- ristes , des utopistes, parce qu’ils sont supérieurs à leur époque et que leur génie embrasse un trop vaste horison; ces écrivains sont les écrivains d'avenir, les flambeaux de l'humanité et la gloire des nations: - M. Hervé développe ces idées dans son improvisa- üon et trace, dans les différents siècles, le sort des hommes de progrès luttant avec courage contre lesidées de leur époque pour faire triompher la tolérance et la liberté de pensée; il cite l'exemple de Descartes et de plusieurs autres philosophes et les nombreuses persécu- tions qu'ils éprouvèrent à cause de l'indépendance de leurs opinions ; ensuite il combat l’un de ses antagonistes qui veut exclure l’histoire du domaine de la littérature et y faire entrer une foule de romans et de drames qui ne sont pas dignes de figurer parmi les productions lit- téraires. Après cette discussion , on demande la clôture. M. Bouver s’y oppose, craignant qu’une question aussi grave soit résolue sans avoir été suffisamment” traitée , mais la continuation de la discussion n'étant pas appuyée, on met aux voix la clôture qui est prononcée. M. le Président divise la question et propose d’inter- roger d’abord l’assemblée sur la première partie, savoir: La littérature actuelle est-elle en décadence ? M. de Caumont demande qu'il soit nommé une com- mission chargée de présenter une formule de réponse , celle proposition est adoptée. En conséquence , M. le Président nomme MM. Rous- seau, de Lasicotière, Auber, Hervé , Bouvet, qui vou- dront bien se réunir pour soumettre demain cette for- mule à la décision de l'assemblée. 50 CINQUIÈME SECTION. Les 3° 4° 5° et 6° questions, comme se rattachant au même objet et intéressant toutes les Sections du Con- grès, sont renvoyées en séance générale, sur la demande de MM. Hunault de la Pelterie et de Caumont. On passe à l'examen duS IT , relatif aux beaux arts , mais les membres inscrits sur ces questions n'étant pas présents , la discussion est envoyée au jour sui- vant. La 1° question du S IIT, relatif à la philosophie et à la morale , est ainsi conçue : « Quelles ont été les tentatives effectuées dans nos dé- » partements de l'Ouest pour amener l'extinction de la » mendicité ? quels sont les résultats obtenus ? quels sont » les moyens d'accomplir cette œuvre philantropique ? » M. de Caumont rend compte des essais faits par le prince de Monaco,qui consistent dans une association de propriétaires , qui , de concert avec MM. les curés d’une même commune, à l’aide de cotisations, organisent des distributions périodiques de subsistances aux pauvres vraiment nécessiteux , en excluant ceux chez qui l'habitude de mendier s’est invétérée. Il résulte de cette mesure que ces mendiants de profession refluent sur les communes voisines,qui se trouvent forcées de re- courir aux mêmes moyens et qui s'associent même quel- quefois entre elles pour réduire les dépenses. Toutefois, comme les vagabonds se portent où ces institutions n'existent pas , leur but ne sera pas complètement atteint, tant qu’elles ne seront pas généralement ap- pliquées. M. l'abbé Auger rend compte de ce qui a été fait à Poitiers pour cet objet. Cette année, un membre distin- gué de l’administration municipale , M. Bourjot , s’est occupé activement de l'extinction de la mendicité dans une ville où la mendicité est devenue une véritable plaie. Un appel a été fait à la charité publique pour la fon- dation d’un établissement annexé à l’un des hopitaux de CINQUIÈME SECTION. 51 Poitiers, où seraient admis les mendiants. Là ils seraient astreints à un travail journalier, qui produirait des res- sources pécunaires à la maison , et au travailleur lui- même une certaine somme, qui, à la longue, deviendrait pour lui une possession de quelque importance. Tous les soins religieux et moraux feraient partie nécessaire du bienfait accordé à cette nouvelle colonie, et, chaque an- née , une souscription volontaire soutiendrait cette heureuse innovation. M. l'abbé Auger ajoute que, s’il faut tout dire , de bons esprits , Connus parmi ceux qui s'unissent de leurs vœux et de leurs moyens à fonder cet établissement , craignent que les ressources, puisées dans la charité des classes aisées, ne soient de beaucoup restreintes avec le temps. Mais toujours est-ce là un essai utile , louable, et dont il faut désirer la réussite. La séance est levée à 3 heures. SÉANCE DU 17 SEPTEMBRE 1839. Presidence de M. Evo. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté sans réclamation. M. Houpsert , secrétaire de la Section, prévient M. le Président que des affaires lempêcheront d'assister à la séance du lendemain. M. Laurence est invité par M. le Président à remplir provisoirement les fonctions de secrétaire. M.Eroc-Demazy (père) faitun rapportsur un mémoire de M. l'abbé Maupoint, d'Angers , ayant pour uitre : de la Réforme des jeunes détenus. Après avoir donné de grands éloges à l’auteur ,M. le rapporteur demande à 52 CINQUIÈME SECTION. la Section que le travail de M. Maupoint soit lu en séance genérale. Ces conclusions sont adoptéés. M. Houpserr lit une pièce de vers de M. Leflaguais, de Caen , ayant pour titre Æspiration du Poëte ; la Section décide , sur Ja proposition de M. le Président, que celte pièce sera lue en séance générale. M. Moucnor fait un rapport sur une nouvelle mé- thode de lecture de M. Ménard-Bournichon, ayant pour ütre : Parfait accord de la parole et de l'écriture ; le rapporteur, après avoir exposé avec clarté le travail de M. Ménard , reconnaît que cette méthode se recom- mande par une marche toute rationnelle, par les règles qu'elle donne pour applanir et resoudre les difficultés de prononciation et pense que son emploi serait d'une grande utilité dans les écoles primaires élémentaires. Il exprime le vœu que la méthode soit aprouvée par P'Uni- versilé et propose de voter des félicitations à l’auteur. M. le Président pense que la Section n’est pas suffi- samment éclairée pour voter sur les conclusions du rap- port de M. Mouchot, et nomme une commission pour donner son avis sur ces conclusions. Cette commission se compose de MM. Boyer , Parandier , Goslin , Mou- chot, Rousseau et Laurence. Une commission avait été nommé pour rédiger une solution à la question n° 2 du Programme, ainsi conçue : « En admettant la décadence de la littérature ac- tuelle , qu’elle en est la cause , quels sont les moyens d'y remédier ? » Les membres de cette commission étaient MM. l'abbé Auber , l'abbé Bouvet, de Lasico- tüière , Delasalle , Rousseau ( d'Angers ). Les trois der- niers se sont seuls réunis et ont adopté à l'unanimité Ia résolution suivante : « Envisagée d’une manière absolue, la littérature actuelle ne présente aucuns symptômes de décadence; elle est aussi riche en écrivains et en ou- vrages remarquables que la littérature des siècles précé- dents ; elle lui est même supérieure sous divers rapports. CINQUIÈME SÉCTION. 35 Mais on ne peut se dissimuler que de graves abus , ré- sultat, soit de la perturbation morale et intellectuelle qui règne dans la société,soit de l’industrialisme qui exploite letalent,soit enfin de la facilité qui ne sait pas le ménager, se sont introduits dans le système général de la compo- sition. Le remède est dans la consolidation de la litté- rature sur des bases plus fixes , dans le rétablissement de l'unité et de l’ordre dans les esprits, dans une préparation plus patiente et plus consciencieuse des matériaux que les littérateurs doivent mettre en œuvre. M. de LasicorièREe chargé de l'examen d’un mémoire de M. Hauréau, ayant pour titre : Critique des hypo- thèses metaphysèques de Manès et de Pélage , et de l'Idéahisme transcendental de St.-ÆAugustin , pro- pose d'adresser des remerciements à l’auteur ; mais après avoir fait observer quela lecture de ce mémoire pourrait soulever une discussion sur des matières religieuses , il en demande le renvoi à la commission permanente qui décidera s’il doit être imprimé. La Section vote des remerciements à l’auteur. Après avoir entendu MM. Hervé, de Boisthibault , de Lasicotière , Carpentin , la Section décide que le mémoire ne sera pas lu en Séance générale , mais sera renvoyé à la commission permanente qui pourra en au- toriser l'impression. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion sur l'article 11 , ainsi conçu : « Quelles ont été les tentatives effectuées dans nos départements de l'Ouest pour amener l'extinction de la mendicité? « Quels sont les résultats obtenus ? Quels sont les moyens d'accomplir cette œuvre philantro- pique ? M. Casrez regarde le système de M. le prince de Monaco comme susceptible de produire les plus utiles résultats; il lit, à l'appui de son opinion, un compte-rendu IL. 3 54 CINQUIÈME SECTION, des membres de l’association pour l'extinction de la men- dicité dans la ville de Thorigny. M. GENDRON annonce que la mendicité est abolie à Château-du-Loir , que ces heureux résultats sont dus à la générosité constante des habitants. Des dons sont versés annuellement dans la caisse du Bureau de charité. Les indigents sont secourus à domicile , on n’admet à ces secours que ceux qui ont déjà deux ans de résidence dans la commune ; du travail est donné à ceux qui peu- vent être occupés, et le bénéfice produit par ce travail augmente le fonds de secours. M.HuxauLr pe La PELTERIEexposela triste situation du dépôt de mendicité de la viile d'Angers. Le Conseil-gé - néral a cessé d'accorder des secours à cet établissement. La charité publique est insuffisante. Les administrateurs ont fait un nouvel appel au Conseil municipal ; si la ville ne peut se charger de tous les frais d'entretien du dépôt de mendicité , les administrateurs se verront forcés d’en faire sortir les indigents qui y ont été placés , et de les abandonner. Il signale le même embarras dans la ville de Bordeaux; il croit que le moyen de remédier au mal serait de réunir les divers établissements qui existent dans la même ville et de fonder.,à l'instar des maisons de charité de paroisse de l'Angleterre , de grands établissements où se trou- veraient réunis des ateliers de travail, des dispen- saires et des secours à domicile. M. le capitaine CarPENTIN examine les deux systèmes déjà employés , les dépôts de mendicité et les secours à domicile , et donne la préférence au dernier ; en propo- sant de fournir aux indigents, non seulement la nourri- ture , mais le linge et les effets mobiliers dont ils ont besoin , il ajoute que des visiteurs pourraient être char- gés de se faire représenter chaque année les objets don- nés à chaque ménage. M. Casrez approuve le projet de M. Carpentin et CINQUIÈME SECTION. 55 propose d’ajouter,aux effets mobiliers qui seraient donnés aux indigents, des outils pour travailler. M. de Caumoxr fait observer que le système du prince de Monaco à besoin d’être étudié avec soin , que le prince de Monaco s’est adressé jusqu’à présent à des po- pulations extrêmement dociles. Il pense que ce système ne peut être recommandé absolument. M. Vié n’approuve pas les secours à domicile ; il rend compile de ce qui s’est passé dans le canton qu'il habite. Plusieurs communes s'étaient réunies pour donner des secours aux pauvres et les empêcher de mendier , cette mesure n'étant pas générale , les moyens employés n’é- teignaient pas la mendicité. Ils’est vu même obligé d’em- ployer la force pour empécher les mendiants des autres communes de parcourir celles qui faisaient des sacrifices pour nourrir leurs pauvres. Les communes qui s'étaient associées se sont successivement découragées , la com- mune seule qu'il administre a conservé son Bureau de charité. Il ne pense pas que le système du prince de Monaco produise les résultats qu’on semble espérer. Il termine en proposant les colonisations agricoles comme le moyen d’éteindre la mendicité. M. Eroc-Demazy croit que le moyen d'arriver à un résultat assuré serait d'employer simultanément les dé- pots de mendicité et les secours à domicile. Il regarde les secours à domicile seuls comme insuffisants , les se cours n’empécheront pas les vagabonds d’errer dans les Campagnes, la crainte des depôts peut seule les retenir dans leurs communes. Il n’approuve pas la proposition de M. le capitaine Carpentin , parce qu'il ne trouve pas le moyen de punir lindigent qui aura vendu ou changé de destination les objets qu'il aura reçus. M. le capitaine CARPENTIN annonce qu'il donner prochaine séance de nouveaux renseignements. La discussion est renvoyée au lendemain . La Séance est levée à trois heures. a à la 56 CINQUIÈME SECTION. SÉANCE DU 18 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Enox. M. Laurence, invité la veille par M. le président à remplir les fonctions de secrétaire , en l'absence de MM. les secrétaires et secrétaires-adjoints , lit le procès- verbal de la précédente Séance. M. P. Deasazze Secrétaire-adjoint, remplit les fonc- tions de Secrétaire. Après quelques rectifications , faites sur les observa- tions de divers membres, le procès-verbal est adopté. M. le Président annonce que le mémoire de M. Hau- réau , qui avait élait soumis à une commission, est retiré par son auteur. . M. Larr dépose une notice de M. G. Mancel, sur le peintre Malbranche, né à Caen , et un rapport de M. Pattu , ingénieur en chef du Calvados, sur l'expo- sition qui à eu lieu à Caen en 1838. M. J. Hervé offre un discours écrit en anglais, et imprimé à Richemond , sur l’histoire et l'importance de la philosophie. L'ordre du jour appelle la continuation de la discus- sion sur la 11° question du Programme , relative à l'extinction de la mendicité. M. CarpENTiN s'élève contre l'abus des dépôts de mendicité, qui deviennent répulsifs pour les pauvres , en ce qu'ils sont une détention réelle et que leur régime est le même que celui des maisons pénitentiaires. Il ré- clame l'institution d’une seule maison centrale dans cha- que département, pour y retenir les pauvres qui refu- seraient de travailler , et demande pour les autres des secours à domicile , et propose de leur donner des vête- ments et ustensiles. IL appelle la pitié sur les pauvres honteux el propose des moyens d'exécution. CINQUIÈME SECTION. 57 M. Trouxæy adopte en partie le système de M. Car- pentin : trois méthodes sont en présence ; celle des se- cours à domicile et des ateliers de travail, appliquée par M. le prince de Monaco ; celle des dépôts exclusifs de mendicité. Un troisième système concilierait les deux autres. | Le premier système est insuffisant ; il offre bien des secours ; il est empreint à un haut degré du sentiment de la charité, mais il esi privé de toute sanction, de tout moyen qui prévienne les inconvénients el les désor- dres de la mendicité nomade. Le second système est injuste ; le dépôt équivaut à une détention, c’est une atteinte à la liberté, et il ne faut pas en être prodigue. M. Trozrey expose le troisième système ; il demande que la détention , le dépôt , ne soient appliqués que comme châtiment ; il n’atteindra point les pauvres hon- teux , mais seulement fes mendiants incorrigibles. M. Trozzey se livre ensuite à l'examen des moyens d'exécution , et pense que cet examen est tout fait, puisque nous avons d’un côté les expériences du prince de Monaco, de l’autre les maisons de détention et les dépôts de mendicité existants. Il rédige ainsi sa proposition : « Le Congrès pense que le seul moyen d'arriver à l'extinction de la mendicité est de combiner un système préventif et répressif tout à la fois; on y parviendrait en établissant des dépôts, mais il faudrait les concilier avec le système de secours à domicile et d’ateliers tem- poraires , de telle sorte qu’on r’enfermerait dans le dé- pôt que les mendiants infirmes,qui continueraient à men- dier malgré les secours qui seraient à leur disposition dans leurs communes, et les mendiants valides qui re- fuseraient d'entrer dans des ateliers de travail. » M. Eroc-Deuazy se réunit aux systèmes proposés par MM. Carpentin et Trolley. 38 CINQUIÈME SECTION. M. Vié présente des considérations générales sur la somme des prospérilés et des misères de ce monde. M. le Président fait observer à l’orateur que le bien et le mal sont depuis longtemps constatés , et le prie de se renfermer dans la spécialité de la question posée au Programme. M. Vié propose l'introduction en France des colonics agricoles déjà existantes en Hollande et en Belgique. Plusieurs membres invitent M. Vié à restreindre ses développements. M. Vié renonce à la parole. M. l'abbé Bouver pense que le vrai moyen d'arrêter la mendicité, c’est de donner au peuple l'éducation re- ligieuse et morale, de lui apprendre à la fois la sagesse et le travail. M. GosseLix répond à M. Bouvet que l'instruction religieuse et morale n’est pas, ainsi qu'il l’a dit, négligée dans les écoles. M. Dougcer pE BoisrurBAuLT pense que l'éducation est aussi convenable qu'elle peut l'être, et revient à la question. Il se réunit à la proposition de M. Trolley, dont il adopte les motifs; mais il proteste contre l’éta- blissement d’une sorte de système pénitentiaire dans les dépôts. M. Trozzey explique son idée de système peniten- üaire, en disant qu'un pareil système doit autant pré- venir que réprimer. M. Eroc-Demazy considère la privation de la partie du gain affectée aux pauvres déposés comme une peine suflisante. M. Huxaur DE LA PELTERIE cite l'exemple! des maisons de paroisses en Angleterre ; il cherche à conci- lier la dissidence qui existe entre la charité publique et la charité religiewse, et entre les établissements qui en émanent. CINQUIOME SECTION. 34 M. CasreL penche pour le système de M. le prince de Monaco , qui est le seul que l’on ait appliqué ; il for- mule ainsi sa proposition : « La Section, après avoir entendu l'exposé du sys- tème du prince de Monaco, pour l’extinction de la men- dicité , système qui sera développé dans une note jointe au procès-verbal, émet le vœu que des essais de ce sys- tème , qui à déjà produit de bons résultats dans plu- sieurs communes du Calvados et de la Manche, soient fuits dans d'autres départements, soit seul, soil com- biné avec des ateliers de travail et des dépôts de men- dicité. » M. CarPENTiN se réunit àla proposition de M. Trolley, et se réserve après son adoption,s’il y a lieu, de proposer un amendement destiné à la complèter. La proposition de M. Trolley est mise aux voix et adoptée. L’amendement de M. Carpentin est ainsi conçu : « Couvrir les frais par des centimes additionnels à l’im- pôt , discutés annuellement par les conseils municipaux et réglés définitivement par le conseil général , avec l’a- vis préalable du conseil d'arrondissement. » M. pe BoisruiBauLrT fait observer que cet amende- ment est de droit, et rentre d’ailleurs dans la compé- tence administrative. M. Hunauzr appuye l'amendement ; M. Trolley le combat. L’amendement n’est pas adopté. M. le Président met aux voix la proposition de M. Castel. M. Trozzey fait observer que le système de M. Castel rentre dans le sien; mais qu'il peut être utile de le convertir en une recommandation spéciale , ainsi for- mulée : « Le Congrès recommande pour les secours à domi- cile, le mode de distribution appliqué dans plusieurs communes par M. le prince de Monaco. » 30 CINQUIÈME SECTION. M. GExpronN s'oppose à la cotisation des centimes additionnels, parce que les pauvres paieront ainsi pour les pauvres. M. TrozLey répond que la répartition ordinaire des centimes additionnels wengendre pas cet inconvénient, La proposition de M. Castel , réduite aux termes dans lesquels l’a présentée M. Trolley , est adoptée , et il est décidé qu'elle sera ajoutée à la formule déjà accueillie par les votes de la Section. M. boxer offre au Congrès un poème en deux volumes sur l'éducation, et trois notices biographiques dont il est l’auteur. L'ordre du jour appelle la discussion de la 12° ques- tion du Programme, ainsi conçue : « Quelles mesures conviendrait-il d'adopter dans les départements, dans ce celui de la Sarthe en particulier, pour donner aux sourds-muets une éducation propor- tionnée à leurs besoins. » M. Boyer a la parole : il lit un mémoire sur la ques- tion, et annonce qu'il s'occupera en même temps des sourds-muets et des aveugles. Voici un extrait de son Mémoire : » La loi, dit-il, à promis l'instruction primaire à tous. Elle la doit donc aussi aux sourds-muets et aux aveugles , car on ne peut séparer ces deux classes quand il s’agit de soulager l'humanité malheureuse. Les procédés de leur éducation sont une des plus pré- cieuses conquêtes de notre époque. Mais il paraît que leur propagation et leur application éprouvent de grandes difficultés,puisque les écoles destinés à ces infor- tunés sont encore si fort au-dessous de leur nombre ; car quelques statistiques élèvent le nombre des sourds- muets jusqu’à vingt mille, et leurs écoles à Paris et dans les autres villes n’en contiennent pas 600. Les aveugles sont encore plus nombreux, si l’on en juge par ceux que l'on rencontre si souvent ; mais je n’en sais pas le CINQUIÈME SECTION. AT chiffre, et je ne connais d'école pour les instruire qu’à “Paris. » On se borne, dans la question présentée, à deman- der. quelles sont les mesures à adopter pour donner, aux jeunes sourds-muets et aux jeunes aveugles , une éducation proportionnée à leurs besoins, particulière- ment dans le département de la Sarthe. » Il faut l'avouer, Messieurs, notre ville, si riche d'établissements pour tous les degrés d'instruction, ré- clame un complément bien important, et se trouve sur ce point en arrière de l'avantage quelle eut jadis de pos- séder une école de sourds-muets instituée à l’hôpital du Mans, par un respectable chanoine de la cathédrale, M. l'abbé Dumourier , depuis évêque de Bayeux. Ce di- gne prélat eut pour successeur dans ses charitables fonctions un pieux citoyen nommé M. d'Hardemare , dont la mort a privé les pauvres sourds-muets de ce pays d’une éducation appropriée à leur infirmité. » Le chef éclairé de notre diocèse a essayé de relever une école si précieuse à l'humanité, en ouvrant une classe de sourds-muets dans l'établissement de St-Joseph, dont un maître ecclésiastique avait été envoyé à l’école de Paris pour y puiser les principes de cet enseignement ; et venir en appliquer ici les ingénieux procédés. J’i- gnore pourquoi des vues si bienfaisantes n’ont pas eu de résultat. Ce non succès doit nous rendre bien cir- conspects pour proposer des mesures qui puissent ob- tenir un effet satisfaisant. J’oserai toutefois vous sou- mettre celles-ci. » Il me semble qu’il faudrait commencer d’abord par dresser l’état le plus exact qu'il serait possible de tous les jeunes sourds-muets et aveugles, soit de naissance , soit autrement , qui existent, non dans le département mais dans le diocèse ; ce qui pourrait être obtenu mieux par les curés que par les maires qui ne connaissent pas autant en détail toutes les familles et les infirmités qui les 42 CINQUIÈME SECTION. affligent. Ainsi c'est par l'évêché que l'administration pourrait obtenir ces renseignements. » Quand il seraient obtenus, il s'agirait d'ouvrir deux écoles de chaque classe pour les enfants des deux sexes. Nous voici arrivés à la plus grande difficulté, car ces écoles ne pouvant recevoir que des élèves à demeure, seraient nécessairement un peu dispendieuses. » Le moyen le plus économique serait, je crois, de con- fier les garçons à des frères de la Doctrine chrétienne ou à des frères de St-Joseph , ei les filles à des Sœurs de Charité. Un an suffirait pour les former à cet ensei- gnement. » Les écoles seraient organisées pour y recevoir non- seulement des pauvres , mais des pensionnaires payants, qui diminueraient beaucoup les frais de ces maisons. On suivrait,du reste, tout ce quiest pratiqué à la Maison-Mère de Paris, quant aux différents genres d'instruction qui se- rait donnée aux pauvres pour exercer des arts mécani- ques à leur portée et capables de les faire vivre, et aux enfants aisés des riches, pour charmer, par une instruc- tion convenable à leur condition, la triste existence à laquelle ils sont condamnés et qui peut être changée par les merveilles d’un enseignement bien exécuté, en une existence presque aussi heureuse que celle des au- tres individus ; car il n’est point d’affliction que n’adou- cissent le travail et une pieuse éducation. » Car, Messieurs, c’est à ces infortunés surtout qu'il faut apporter les consolations de la religion , qui seule peut offrir des compensations à toutes les misères de la vie. Aussi cette œuvre de charité ne peut-elle être bien faite que par des personnes dévouées au soulagement de l'humanité, et dont la récompense ne peut être sur la terre ; vous ne pouvez, Messieurs, vous faire qu'une très-légère idée de l'incroyable patience qu'exigent de si saintes fonctions. CINQUIÈME SECTION. 43 » Nous ne nous flattons point, Messieurs, du succès des mesures proposées. Le bien est difiicile à faire et trouve souvent des obstacles de la part même de ceux qui de- vraient l'accueillir avec le plus d’empressement. Il y a ici une grande indifférence à vaincre de la part des pa- rents pauvres, qui, regardant des êtres si disgraciés comme le rebut de l'humanité , les laissent languir dans leurs foyers, les traitent comme de vils animaux ! Que dis-je? ils s'en servent quelquefois pour favoriser leur avarice et leur fainéantise , en les traïnant avec eux pour en faire leur gagne-pain. Quant aux enfants des riches, ou ils éprouvent trop souvent une pareille indifférence , ou , ce qui est horrible à dire, des frères, des sœurs, des parents inhumains, craignant que l'instruction ne leur rende leurs droits civils et ne les prive de leur succes- sion,s’opposent à ce qu’ils puissent la recevoir : on peut juger de la funeste influence de ces deux causes par le petit nombre de ceux qui sont envoyés à l’Institut des sourds-muets et des aveugles de la capitale, où les bour- siers de l'état sont le noyau principal de ces établisse- ments. » Enfin l'indifférence publique vient aussi de ce que ces infortunés enfants, oubliés dans le secret des maisons, ne frappent point les regards par le spectacle déplorable de leur misère. N'est-ce pas un motif de plus pour venir généreusement à leur secours ? » Prenez donc, Messieurs, sous votre patronage, ces jeunes infortunés qui n’ont jamais entendu les doux accents de l'amour maternel, et pour qui le monde est un silencieux désert. Prenez sous votre patronage ces malheureux enfants qui n’ont jamais vu le sourire et les regards de la tendresse , et qui coulent leur vie dans une éternelle obscurité : intéressez à leur malheureux sort et les autorités compétentes et notre bienfaisant prélat qui vous aidera de tout son pouvoir dans l’action la plus digne de vos lumières et de votre philanthropie. » 44 CINQUIÈME SECTION. Il est plus de trois heures, la séance est levée et la discussion continuée à demain. SÉANCE DU 19 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Evow. Le procès-verbal de la précédente séance , rédigé par M. DELASALLE , secrélaire-adjoint , est lu et adopté. L'ordre du jour appelle la continuation de la discus- sion sur la 12° question. M. Doucet pe BoisrarBauLrT a la parole. Selon lui, une question préjudicielle est avant tout à décider , celle de savoir si le nombre des sourds-muets et des aveugles, dans le département de la Sarthe, est suffisant pour qu'il leur soit fondé une instilution spé- ciale, autrement il serait facile de suivre l'exemple de certains départements , qui, comme l’a fait celui d'Eure- et-Loir pour les aliénés, se sont abonnés pour un cer- tain nombre de bourses avec des maisons centrales , qui ont été élevées dans le but de donner de l'éducation et de pourvoir aux besoins de ces malheureux Quant au mode à suivre, il est tout tracé par les excellentes ins- titutions que tout le monde connaît, celle qu'a fondée l'abbé de l’Epée et celle des Quinze-Vingts. » M. Boyer réplique que la statistique qu'on de- mande est toute faite, que le nombre des sourds-muets, en France, est de 20,000 et qu'il est probable qu'il suf- fit de le répartir entre les différents départements, en proportion de leur population. Sans doute le départe- ment de la Sarthe pourrait prendre des abonnements à l'excellente institution de M. l'abbé Jamet, à Caen, mais il croit que le Mans est un chef-lieu assez impor- tant pour avoir son institution particulière ; il désire CINQUIÈME SECTION. : 45 surtout appeler la bienveillance publique sur la classe intéressante des jeunes aveugles ; qui, par une fatalité inexplicable, ont été plus négligés que les sourds-muets. Ainsi le préopinant est dans l'erreur en supposant que la maison des Quinze-Vingts donne l’enseignement aux aveugles , ils n’ont pas de classes ; si quelques-uns d’en- ir'eux s’instruisent ou se livrent à quelques genres d'in- dustrie , c’est à l'aide de quelques leçons spéciales ou de leurs propres ressources. Cet établissement est plu- tôt un hospice qu'une école. Et même, pour les sourds- muets, il y a bien des améliorations à désirer , ce n’est guère que depuis quelques années que l’école par- lante y a été rétablie ; il persiste donc à demander une institution pour le département; mais il prévient que pour la réalisation de cette bonne œuvre, il faudrait avant tout former des professeurs. M. Honauzr ne La Pecrerte demande si, dans la Sarthe, on réclame ardemment une institution pour les sourds-muets : il en doute, quand il existe à Angers une institution de ce genre, qui s'ouvre avec libéralité pour les infortunés de Maine-et-Loire et des départe- ments voisins ; il se joint donc à M. de Boisthibault, pour que la question d'opportunité soit préalablement éclairée par des renseignements statistiques. Quant aux jeunes aveugles, il convient qu'ils sont né- gligés et que le nombre des établissements est insuffi- sant , mais il vaudrait mieux d’abord consolider et amé- liorer ceux qui existent que d'en créer de nouveaux. M.l'abbé Bouver envisage la question sous le point de vue philosophique ; elle se rattache d’une manière intime à la grande question de l’origine de nos idées,sur laquelle, aujourd’hui , tous les bons esprits éclairés , par des ex- périences décisives et surtout par celles des sourds-muets, sont d'accord pour admettre que l'intelligence ne se forme que par l’enseignement de la parole. Chez les sourds-muets , cet enseignement ne peut donc être rein- 46 CINQUIÈME SFCTION. placé que par la parole écrite, par la lecture, d'où il suit que sans le bienfait de l'instruction , ces infortunés sont privés de toutes notions complettés, soit intellectuelles, soit morales ; il rappelle combien en général, et dans les campagnes surtout, on rencontre d’indifférence et d’op- position chez les parents eux-mêmes pour ce qui ten- drait à l'éducation des enfants sourds-muets, et ter- mine par proposer au Congrès d'émettre le vœu qu'une loi oblige les parents des sourds-muetsà les envoyer dans une institution nationale , pour y être instruits, s'ils ne justifient que cette instruction leur est donnée dans la famille. M. Trozzey appuie la proposition de M. Bouvet, et demande pour elle la priorité. M.Eroc-Demazy ne pense pas qu’on puisse ainsi con- traindre la volonté des parents. M. de BoisruiBauLr rappelle que lors de la discus- sion de la loi sur l’enseignement , la question de liberté de cet enseignement fut agitée devant les chambres et qu'il fut reconnu, après un mûr examen, qu'on ne devait y porter aucune atteinte, malgré l'exemple de l’Allema- gne où l'instruction est obligatoire. M. TroLLey répond qu'il convient que l’enseigne- ment, en France, soit libre et ne puisse étre imposé, mais qu'ilen est autrement de l’enseignement à donner aux sourds-muets, le laisser libre au milieu de l'apathie, et de la répugnance que l’on reconnaît, c’est une indiffé- rence barbare, un assassinat intellectuel et moral, La priorité pour la propostion de M. Bouvet est mise aux voix et adoptée. M. Gossezix désire qu'il y soit ajouté : que le gou- vernementse chargerait gratuitement de l'éducation des sourds-muets pauvres, et que les autres seraient recus à l'établissement moyennant pension. M. Houpserr demande que la résolution formulée CINQUIÈME SEDTIIGN, 47 par M. Bouvet, soit motivée sur le principe philosophi- que qu'il a invoqué. M. le Président fait observer que sila Section mani- feste le vœu d’une loi qui rende l'éducation des sourds- muets obligatoire, il serait superflu qu’elle s’occupât autant des moyens d'exécution annexés aux formules pro- posées par MM. Boyer et de Boisthibault. Il propose en conséquence qu’en adoptant l'esprit dela proposition de M. Bouvet, la Section nomme une commission chargée de la motiver et de la combiner avec les deux autres: pour en soumettre demain la formule à l’approbation de la Section. Cette proposition est mise aux voix et adoptée. M°° Toucxarp lit une pièce de vers de sa composi- tion intitulée Une Mère. L'assemblée émet le vœu qu'elle soit lue en séance générale. M. Dezassazze lit une notice communiquée par M. Richelet, au nom de l’auteur, sur l'enseignement secondaire au collége du Mans. L'auteur, après quelques considérations sur l’ensei- gnement secondaire , s'exprime en ces Lermes : « On se trompe si l’on suppose que l’état actuel de l’ins- truction secondaire, au collége du Mans, est resté ce qu'il était à la fin du dernier siècle ; quand tout marche autour de nous, l’état stationnaire serait si absurde, que, du fond de la tombe , la congrégation de l’Oratoire qui si long- temps dirigea cet important établissement, en se mon- trant constamment amie des pauvres , aurait droit de s'écrier : Oh! les indignes successeurs ! « À côté de l’a- vantage d’améliorer,se trouve le danger d'innover», a dit une tête couronnée que les lettres réclament comme un de leurs plus fervents adeptes. C’était-là, en effet, l’écueil à éviter ; il ne s'agissait pas de raser l'édifice, comme le voulaient et comme le veulent encore certains novateurs que nous nous abstenons de qualifier, mais de le res- 48 CINQUIÈME SECTION. taurer , de l’approprier aux besoins nouveaux d'une société nouvelle. C’est à cette restauration que le collége du Mans a travaillé et travaille encore avec une sage cir- conspection. C’est ainsi qu'il y a bientôt trente ans , l’é- tude de la langue grecque y était déjà dans un état flo- rissant , lorsque les autres établissements universitaires commençaient à peine à bégayer les premiers éléments de cette langue. Il y aurait de l’ingratitude à passer sous silence le nom de celui qui donna cet élan, ce fut un sa- vant helléniste, un ancien oratorien , le père Rivière, qui réunissait à ses cours maîtres et élèves. Après ce complé- ment donné à l'étude des langues, on sentit le besoin de fortifier l'étude des sciences mathématiques ; il était moralement impossible qu’un seul homme püt suflire à cet enseignement ; alors deux fonctionnaires, ne con- sultant que leur zèle pour la prospérité de l'établisse- ment, secondèrent gratuitement le professeur en titre , de sorte qu’en réalité il y a au collége du Mans, depuis dix ans, trois professeurs de mathématiques , lorsque dans les colléges royaux il n’y en a ordinairement que deux. Il est vrai qu’à l’enseignement des mathématiques ces trois professeurs ont joint celui des autres branches scientifiques ; le titulaire s’est chargé de la physique, de la chimie , de la cosmographie et de la minéralogie, et les deux autres de la zoologie et de la botanique. L'an- cienne manière d'enseigner la philosophie réclamait aussi d'importantes améliorations , elles ont été intro- duites successivement par plusieurs professeurs de mé- rite, et particulièrement, depuis dix ans, par celui qui ne quitte cette chaire que pour être à la tête d'une maison à laquelle son âge et ses talents promettent une longue et intelligente direction. Les habitants de la ville du Mans n’ont pas oublié avec quel succès ce professeur fit un cours public, il y a quelques années; ils savent aussi qu'il vient de faire publier un ouvrage destiné à l’ins- truction religieuse de la jeunesse , instruction qui est la CINQUIÈME SECTION. 49 base de toute bonne éducation. L'histoire et la géogra- phie sont deux branches trop importantes pour avoir été négligées dans un systême raisonné d'instruction. Ces parties si intéressantes ont été coordonnées et distri- buées entre les différents cours, de manière à former un enseignement complet sur ces matières. » Nous arrivons enfin aux arts d'agrément , utiles auxiliaires des études sérieuses, et nous sommes dis- pensés de parler du succès avec lequel la musique est cultivée au collége du Mans, depuis plusieurs années, ayant été prévenus par un honorable membre du Con- grès qui en a parlé dans des termes qui nous dispensent de revenir sur ce sujet. Disons seulement que ce goût pour un art, qui a tant de charmes pour la jeunesse,a élé entretenu par un professeur émérile, qui se regarde tou- jours comme appartenant à une maison , où il a fait en- tendre sa voix perdant plus de trente années. Le dessin n’est pas cultivé avec moins d’ardeur que la musique , comme en font foi les expositions faites à la fin de chaque année scolaire. Des leçons de gymnastique et de nata- tion , si nécessaires pour l'éducation physique , se joi- gnent à l’éducation religieuse, scientifique et littéraire que la jeunesse studieuse vient chercher dans une mai- son recommandable à tant de titres. » À 3 heures la séance est levée. SÉANCE DU 20 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Enow. Le procès-verbal de la précédente Séance est lu et adopté. La formule de la réponse à la 42° question du Pro- gramme , relative aux sourds-muets , est lue par M. de Lasicotière, au nom de la commission ; mise aux voix, elle est adoptée. IL. l 50 CINQUIÈME SECTION. M. Bariseau fait un rapport, au nom de la commis- sion d'enquête , sur les médailles et encouragements à accorder ; il fait observer que la commission à cru convenable de limiter ses recherches au département de la Sarthe et à ceux qui lui sont limitrophes, et ne pas devoir les reporter au-delà de l’année 1832, époque de l'institution du Congrès scientifique de France. La discussion s'engage et l'assemblée émet, en défini- üve , le vœu que les médailles et encouragements soient repartis ainsi qu'il suit : En dehors de tout concours. Mentions honorables : 1° à M. Boyer, du Mans, ofi- de l'Université, pour son poëme de l'éducation. 2° à M. l'abbé Bouver, auteur d’un ouvrage de philo- sophie intitulé : La Raison de la Foi au Catholicisme. 3° à M. JozivarDp du Mans, peintre de paysages. h° à M. MonanTeuiz d'Alençon, peintre de genre et de portraits. 5° à M. Goparp (fils), d'Alençon, graveur sur bois. Concours de Littérature. Histoire. — Mentions honorables à M. Goparp, d’An- gers. À M. l'abbé Frer, curé de Champs, près Mortagne. Poésie. — Mentions honorables à Mlle Marie-Claire CarPeNTIER, de la Flèche. A M. Giraur, de Sablé. À Mme Louise ToucrarD , du Mans. Beaux-Arts. Sculpture. — Une médaille à M. Norrer, de Tours. Dessin et Gravure. — Une médaille à M. HAWKE, d'Angers. ‘CINQUIÈME SECTION. SL Composition musicale. — Mentions honorables à M. Marti, maître de chapelle de la cathédrale du Mans. A M. Bu, maître de chapelle du collége du Mans. M. l'abbé Auger lit un fragment de poésie intitulé : Un Martyr. M. ParanDier fait un rapport au nom de la Commis- sion chargée d'examiner la méthode de M. Menard- Bournichon, Sur l'accord parfait de la parole et de l'écriture. West ainsi conçu : « La commission que vous avez chargée de vérifier le travail de M. Menard, intitulé : Le parfait accord de lecriture et de la parole, S'estréunie, hier 19, dans l’une des salles de l’école primaire supérieure de la ville, à 7 heures du matin; étaient présents MM. Lorence, Boyer, Gosselin, Mouchot, Rousseau, Menard et Pa- randier. M. Menard a exposé son système des zides avec la méthode de lecture qu'il lui applique et qu'il pro- poserait de faire adopter dans les établissements d’en- seignement primaire. » Votre premier rapporteur, M. Mouchot, à la prière de ses collègues, a donné lecture du rapport que déjà il a présenté sur ce travail, et y a ajouté, de vive voix, tous les développements utiles à l'intelligence de la méthode de lecture que son rapport vous a fait connaître. Mais ici une considération a retenu quelque temps votre com- mission ; l’un des membres a fait observer que, pour se prononcer sur la méthode de lecture fondée sur l'emploi des tildes , il fallait préalablement savoir si le système des tildes était ou non admissible. Votre commission s’est arrêtée devant la gravité de cette question; et elle s'est décidée à faire l'examen de la méthode dans la double hypothèse de l'adoption et du rejet même du sys- tême des tildes dans l’écriture. Dans le premier cas, ce- lui de l’adoption du système, votre commission, après l'examen attentif qu’elle a fait de Ja méthode, a cru devoir 52 CINQUIÈME SECTION. lui donner son assentiment ; elle y approuve 1° les deux divisions principales savoir : 1° lecture de l'écriture ré- gulière d’une part, des phrases et des mots composés de lettres ayant leur valeur primitive sans aucune alté- ration; et de l’autre, lecture de l'écriture irrégulière , c'est-à-dire des phrases et des mots admettant des lettres dont la valeur doit être modifiée de quelque manière. Je me dispense de donner des exemples. La commission , toujours dans l'hypothèse qui nous occupe actuellement ; celle du système des tildes, recon- naît que la méthode de lecture présente des procédés rationnels , simples et très-propres à aplanir les diffi- cultés que l’on rencontre généralement dans l'étude des éléments de la lecture : elle reconnaît comme excellents moyens d'atteindre le but : 1° les exercices sur l'écriture non tildée , destinés à former , par la pratique , à la vé- ritable prononciation des mots ; et faciliter le passage à la lecture courante : la gradation des difficultés lui a paru bien observée dans la série des tableaux surtout ; et l'ensemble lui a présenté une méthode aussi complète que facile ; enfin le rapport fait à la commission sur les succès obtenus par l'essai exécuté dans les écoles com- munales de la ville, est venu confirmer l'opinion fa- vorable qu'elle à conçue de la méthode et de ses pro- cédés , dans hypothèse du système. Dans la deuxième hypothèse, celle du rejet même du système , la méthode à paru à votre commission con- server en grande partie sa valeur; mêmes divisions, mêmes procédés, même simplicité dans la succession des procédés, même marche enfin jusqu'au moment où arrive le point décisif de la méthode, celui du pas- sage de la lecture des éléments à la lecture courante non tildée. Eei la commission a reconnu que, dans l’hypo- thèse du rejet des tildes, la méthode de lecture ne se présentait plus avec les mêmes avantages ; elle n’est pas assez convaincue que, dans cette hypothèse, le passage CINQUIÈME SECTION. 53 de la lecture tildée à la lecture courante non tildée, puisse s'effectuer avec le même succès et obtenir un ré- sultat durable ; et il lui semble que , sur ce point, il n’y a que l’expérience qui puisse donner une solution déci- sive. Cependant, dans cette hypothèse même , la com- mission à reconnu que les chances de probabilité étaient au moins égales pour le succès et le non-succès , et , à ce titre , la méthode a paru mériter de fixer l'attention du Congrès, mais ici le travail de votre commission à dù prendre une toute autre direction. Un des membres, dès le principe, à l'exposé de M. Me- nard , avait fait observer que l'ouvrage, outre une mé- thode de lecture et avant tout , présente un mérite d’une autre nature, et, qu’à son avis, il lui semble renfermer tout un systême réalisant aussi complètement que pos- sible le titre de l'ouvrage : Accord parfait de la parole et de l'écriture , que, dès lors et pour cela surtout, il lui paraît mériter une sérieuse attention. En envisageant en effet le système des tildes sous ce nouveau point de vue, conforme à son titre : Le parfait accord de la parole et de l'écriture, on en conçoit la haute portée , et les conséquences que l’on peut en dé- duire dans l'intérêt de l'avenir du langage. M. Menard justifie cette manière de voir par la lecture d’une note écrite dans laquelle il déclare qu’effectivement , dès le principe , il n'avait pas eu en vue une méthode de lec- ture, mais bien le résultat indiqué par le titre même de son livre. Voici autant que possible, ramené à son expression la plus simple , l’ingénieux système des tildes. A l’aide de 5 petits signes de plus à introduire dans notre écri- ture , il fournit un moyen d'indiquer exactement la pro- nonciation de tousles mots de la langue, sans aucun re- cours à leur étymologie ou à leur signification ; et par là de faire disparaître complètement les difficultés de la prononciation, soumise à tant de bizarreries ; aux Ca- 54 CINQUIÈME SECTION. prices si mullipliés de notre langue ; et ce moyen nous a paru réellement infaillible. Deux ou trois exemples seulement suffiront pour vous en convaincre 1° les deux mots mentor et menteur, dont les premières syllabes s’écrivent de la même manière, et se prononcent diffé- remment ; dans le premier , le se prononce comme l'z; dans le second, il se prononce comme l’a,mentor, men- teur; 2° un bénitier et initier ; les deux dernières sylla- bes de ces mots sont absolanmentles mêmes, etcependant, comme dans l'exemple précédent, elles se prononcent tout différemment ; rien pourtant, dans lortographe,n’in- dique cette différence, et on conçoit tout l'embarras qui en résulte. D'ailleurs cette imperfection de notre langue est généralement bien reconnue. Eh bien ! l'em- ploi de l’un des 5 tildes introduits par le système nous offre le moyen de lever la difficulté ; ici c’est une simple cédille , placée sous la lettre dont la prononciation doit- être modifiée. Inutile de vous donner an plus grand nombre d’exem- ples ; l'immense multiplicité des bizarreries de notre lan- gue nous les fournirait trop facilement. Ceux-ci d’ail- leurs suffisent pour faire apprécier l’heureuse découverte de M. Menard, et tout le prix que nous devons y atta- cher. Je vais pourtant résumer ici, avectoute la brièveté possible, la doctrine du Parfait accord de la parole et ’ . de l'écriture. Nécessité de faire disparaître les bizarreries si multi- pliées de notre langue écrite , par rapport à la langue parlée. Pour atteindre ce but , le système introduit , dans l’é- crilure , seulement 5 petits signes analogues à nos ac- cents , qui, comme ceux-ci , par la place qu'on leur fait occuper dans l'écriture, indiquent toutes les voix qui peuvent varier la prononciation des syllabes et des mots. Ces cinq petits signes, désignés sous le nom de tildes, CINQUIÈME SECTION. 35 sont 1° /e tilde dormant, ainsi marqué — comme le si- gne moins dans les quantités algébriques , exemple : fusil. 2° le tilde bref © forme du signe de la brève des latins bien et Loi où l’é et l’o sont brefs ; et ne se pro- noncent pour ainsi dire pas,ainsi que dans les diphthon- gues. 3° le point moniteur, qui est notre point ordinaire, placé sous certaines lettres pour indiquer diverses modi- fications dont le nombre est déterminé : par exemple celles de l’e dans les cas où il a la valeur de l’a , comme dans femme, solennel; et celles des 5 lettres suivantes e, g,%,w et æ. Exemple : second, gangrène, équa- teur, Moscow, dixième , qui se prononcent segond, kangrène , éqouateur, Moscou , dizième. L° le tilde mouillé, quise place sous la consonne dont l'articulation est mouillée , exemple : avril , digne. Nous parlons ici © de la prononciation adoptée par l’Académie, avrilie et Q dinie. 5° le tilde tercé, qui ne se place que sous l’u et l'x dans des cas exceptionnels, comme par exemple junte, œ Bruxelles , qui se prononcent jonte, Brucelles. œæ Ces exemples suffisent pour montrer en quoi consiste le systême qui nous occupe , el prévoir , autant que pos- sible , les conséquences que l’on peut en déduire dans l'intérêt de notre langue. Le temps n’a pas permis à votre commission de véri- fier si le système du « Parfait accord » comprend exacte- ment toutes les particularités de la langue et remédie à toutes ses bizarreries, quant à la prononciation; de ma- nière à remplir parfaitement les conditions de son titre : Accord parfait de la parole et de l'écriture; mais elle se croit suffisamment autorisée à vous présenter,avec ses considérants , les conclusions suivantes : La commission fait deux parties distinctes dans le tra- vail présenté par M. Menard : 1° une méthode de lecture ; 2° un systême de signes à adopter dans notre écriture, 56 CINQUIÈME SECTION. pour établir l'accord parfait entre la langue écrite et Ja langue parlée. Sous le 1° rapport, comme méthode de lecture , considérant 1° que cette méthode , dans le système des tildes , remplit toutes les conditions d’une bonne méthode de lecture ; 2° que dans l'hypothèse même du rejet du système des tildes la méthode pré- sente encore de grandes chances de succès ; 5° que le travail de M. Menard , envisagé sous l’autre rap- port, celui qui répond réellement au titre : Le par- fait accord, ete. , offre un moyen clair et facile de fixer la prononciation de la langue ; que ce système doit tendre , en atténuant les dialectes si variés des provinces, à établir l’uniformité complète quant à la prononciation dans la langue nationale ; qu’il peut faciliter l’étude de la langue même aux étrangers ; qu’il pourrait devenir un moyen de conserver cette prononciation intacte lors même que la langue cesserait d’être une langue vivante ; par ces motifs, votre commission émet le vœu que le Congrès , en accordant au travail de M. Menard lat- tention qu'il lui paraît mériter , appelle celle de l'autorité compétente à l'examen de ce systéme, considéré comme moyen d'établir l'accord parfait entre la parole et l’é- crilure ; Comme une méthode de lecture, qui, dans l'hypothèse du systéme des tildes,présente un succès as- suré, et qui, dans toute autre hypothèse , fait encore es- pérer d’heureux résultats. Après cette lecture, on demande qu’une discussion s’ouvre sur les conclusions de ce rapport. L'heure étant avancée , elle est renvoyée à demain. ce ï "n CINQUIÈME SECTION. SÉANCE DU 21 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Enow. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. L'ordre du jour appelle la discussion sur le rapport de M. Parandier, relatifau système des tildes de M. Me- nard-Bournichon. La nouvelle rédaction, proposée par la commission ,est mise aux voix et adoptée , après quelques observations elle est ainsi Conçue: : « La Section , sans s'expliquer sur le mérite du sys- tème des tildes proposé par M. Menard-Bournichon, recommande son travail à l'autorité compétente et au Conseil-royal de l'instruction publique. » On passe à l'examen de la question 12 (bës) du Pro- gramme. M. Epox lit un mémoire sur l'importance des Salles d’Asyle, leur origine , leur progrès et les améliorations à y introduire. Ce mémoire répond aux questions du Pro- gramme ainsi CONÇUES : « Quels ont été, dans l’ouest de la France , les résul- tats obtenus par la création des Salles d’Asile ? Quels sont les moyens de multiplier et de perfectionner ces établis- sements ?» L'institution des Salles d’Asile, dit M. Edom, est, sans contredit, une des plus importantes de notre époque. En prenant l'enfant du peuple au berceau , elle a pour but de moraliser , par l’éducation , les classes inférieures , c’est-à-dire , d’affermir , sans secousse et sans bouleversement, la société sur sa base. Cette institution est née en Angleterre, vers l’année 1816. Quel- 58 CINQUIÈME SECTION. ques Salles d'asile furent alors ouvertes sous le nom d'Infanus’ Schools, Ecoles de petits enfants. On en compte maintenant plus de cent à Londres et plus de mille dans la Grande Bretagne. Le premier asile fondé en France le fut à Paris, en 1896 , par une association de dames charitables , à la tête desquelles parut bientôt M. Cochin, dont le nom est désormais inséparable de celui des Salles d'asile. Leur nombre s’est successivement accru à Paris jusqu’à 24. Dans les provinces, l'institution a fait d'abord des progrès assez lents , mais, depuis quelques années, elle a pris un essor qui de vient de plus en plus rapide , à mesure que les asiles sont mieux connus. En 1854, quelques villes seulement, telles que Lyon , Rouen, Nimes, la Flèche , Angers, possédaient de ces établissements. Depuis cette époque, une heureuse émulation s’est développée et le Ministre de l’instructiog publique,dans son dernier rapport au Roi, pour l’année 1857, comptait 171 communes présentant un total de 261 Salles d'asile , fréquentées par 29,514 enfants. Toutefois , il ne faudrait pas adopter ces chiffres comme exempts d'erreur, j'en dirai bientôt la raison. Les départements de l'Ouest, compris dans les Académies d'An- gers , de Poitiers , de Rennes et de Caen, comptent deux ou trois Salles d’asile chacun. Ainsi l'Académie d'Angers en possède neuf: quatre dans Maine-et-Loire, deux dans la Mayenne et trois dans la Sarthe. L'académie de Caen en comple sept ; celles de Rennes et de Poitiers proportionnellement le même nombre. Il résulte de cet aperçu que le nombre des Asiles est encore bien insuffisant. Car , pour atteindre le but de leur institution, il devrait être égal à celui des écoles primaires, qu'ils sont destinés à ali menter, ou du moins, à toute agglomération de quatre à cinq mille âmes. Je répondrai, en conséquence , à la première question du Pro- gramme : « Que les résultats obtenus par la création des salles » d'asile , dans les départements de l'Ouest, ont été jusqu'ici peu » considérables par suite du trop petit nombre de ces établis- » sements. » Mais je m'empresserai d'ajouter , « qu'en eux-mêmes ces résul- » tats ont été , en général, extrêmement satisfaisants. » En effet , si j'en juge par l’Académie de Caen, que j'ai plus par- ticulièrement inspectée , les enfants ont trouvé partout dans les Asiles les avantages de l'éducation religieuse, intellectuelle et phy- sique. Ils y ont trouvé , en outre , des secours précieux pour leurs CINQUIÈME SECTION. 59 parents dans le besoin. A l’aide des dons de la bienfaisance pu- blique , des distributions de vêtements ont eu lieu, et, dans la saison rigoureuse , j'ai vu le pain quotidien donné au plus nécessi- teux en même temps que l'instruction. Il faut même avouer que beaucoup d'enfants ont été amenés aux Asiles par la considération de ces aumônes , plus puissante sur des mères de famille indigentes que celle d’une éducation morale dont elles ignorent le prix. C’est ainsi que jadis les populations accou- raient vers le Sauveur du monde pour se faire guérir d’abord des maux du corps, toujours plus vivement sentis que ceux de l'âme. Il conviendra donc que les Asiles conservent ce caractère de bienfaisance charitable. Mais quels sont les moyens de multiplier ces établissements ? Le premier, c'est de les faire bien connaître. Beaucoup de personnes ignorent absolument ce qu'ils sont. Les unes par indiffé- rence , les autres par un malheureux penchant à condamner tout ce qui est nouveau. Ajoutons que le nom même qu’a reçu l’institu— tion contribue puissamment à la laisser ignorer. On s’imagine qu'une Salle d'asile est un lieu , où l’on reçoit de petits enfants uniquement pour les soustraire aux dangers de la rue. Mais comment les y occupe-t-on ? Quels moyens emploie-t- on pour former leur cœur à la vertu en même temps que leur corps à un travail intelligent ? c’est ce qu'on ne se donne pas la peine de rechercher. C’est précisément ce qui fait le mérite des Salles d’a- sile et ce qui les distingue éminemment. L'erreur dans laquelle sont , à cet égard , des populations en- tières , sans en excepter leurs magistrats , n’est point une suppo— sition, c'est malheureusement un fait que j'ai eu le regret de constater. L'année dernière, on me signalait trois Salles d’asile dans un seul bourg du département de l'Orne, je les visitai : c’étaient de misérables petites écoles, où quelques jeunes enfants se trou- vaient confondus sans surveillance parmiles ustensiles d’un ménage mal tenu. Dans la Manche, où l'instruction primaire est généralement florissante , j'ai rencontré plusieurs méprises de ce genre. Ce dé- partement figure dans le rapport officiel de 1837 pour sept salles d’asile , et on lui en assigne seize en 1839 dans l’almanach de l'U- niversité. Eh bien ! il n’en possède réellement qu'une seule , celle de Cherbourg , qui est, je suis heureux de le dire , parfaite- ment tenue. 60 CINQUIÈME SECTION. Ces erreurs, en faussant les Statistiques du gouvernement , trompent l'opinion publique et retardent, pourles localités qu'elles concernent, l'établissement de véritables Salles d'asile. On aurait prévenu , ce me semble, cet inconvénient, si l’on avait donné à cette institution vraiment nouvelle un nom nouveau (1) qui eût excité le désir de la connaître. Mais à défaut de ce moyen, il en reste d’autres, et d’abord reconnaissons que ça été une heureuse inspiration que de ranger la question des Asiles parmi celles qui méritaient d'être traitées au Congrès. J'espère que cette discussion , et surtout la solution qu'elle va amener répondra à la pensée généreuse des auteurs du Programme. Chacun de nous en retirera du moins le sentiment d’un devoir , celui de répandre les notions justes que nous nous serons faites en commun. Sur cet ob- jet, s’il m'était permis , je recommanderais à MM. les ecclésias- tiques qui siégent dans cette assemblée, d’user de leur puissante influence pour dissiper les injustes préventions que beaucoup de personnes pieuses ont conçues contre les Salles d’asile. Ils ne fe- raient en cela qu’imiter un éloquent orateur (2) qui dernièrement, du haut de la chaire de cette métropole, pressait les dames de son nombreux auditoire d’aller visiter la Salle d'asile de la ville (3), en déclarant que lui-mème n'avait pu voir sans attendrissement.ces chers petits enfants , comme il les appelait. J’ajouterai que plusieurs évèques de France ont pris cette œuvre sous leur protection et la favorisent de tout leur pouvoir. Ils témoignent , il est vrai, leur préférence pour les Asiles dont la direction est confiée à des per— sonnes vouées à la vie religieuse. Mais qui oserait soutenir , lors- qu'il s’agit d'emplois qui n’offrent ni dédommagements d’amour— propre , ni avantages pécuniaires , mais seulement d'humbles et obscures vertus à pratiquer, qui oserait soutenir , dis-je , que l’on n’est pas plus assuré de trouver dans le sentiment religieux tout le dévouement nécessaire ? Que l’on essaie de remplacer par des personnes appartenant à la vie séculière, ces admirables sœurs de charité qui se consacrent dans les hospices au service des ma- (1) Sans recourir au grec, comme ressource de toutes les inventions du jour, il eût été facile de trouver, pour les Asiles, un nom simple et com- mode, qui se fût promptement popularisé. Le nom de Scolelle , par exem- ple, de l’Italien Scolelta , petite école. (2) M. l’abhé Frère. (5) On vient de construire , au centre d’un des faubourgs les plus popu- leux du Mans, une deuxième Salle d’Asile qui fait honneur à l'esprit éclairé de l'autorité municipale. CINQUIÈME SECTION. 61 lades, et l'on reconnaîtra pleinement cette vérité. D'ailleurs l’a- vantage d’une grande économie, joint à tant d’autres, devient dé- terminant dans cette question. Les personnes vouées à la vie religieuse n’ont ni établissement à former , ni famille à soutenir , elles vivent de peu et se contentent du plus strict nécessaire. Re- commander ce système de personnel, c'ést donc indiquer un puissant moyen de multiplier les Salles d'asile. J'en proposerai encore un autre. Le gouvernement est inter venu , comme c'était son droit et son devoir , dans l'institution des Salles d’asile qui avait été créées sans lui. Une ordonnance royale, du 22 décembre 1837 a rattaché ces établissements au système gé— néral de la loi du 28 juin 1855, et, par un réglement en date du 24 avril 4858 , le Ministre de l'instruction publique a sagement déter- miné tout ce qui concerne le régime intérieur de ces premières écoles de l’enfance. Il ne cesse d’en favoriser de tout son pouvoir la création par des subventions et des encouragements , mais il lui reste à prendre une mesure plus efficace, c'est de proposer aux Chambres une disposition législative qui impose l'obligation d’avoir une Salle d’asile aux communes que la loi du 28 juin astreint déjà à raison de leur population (6,000 âmes et au-dessus) à avoir une école primaire supérieure. Ce sera entrer dans les intentions de cette loi, qui déclare, à son article premier , que l'instruction primaire pourra recevoir tous les développements que « comportent les besoins et les ressources des localités. » Or, quel besoin plus pressant que de donner à de malheureux enfants l'éducation morale , sans laquelle l'instruction qu’on leur offre dans les écoles d’un degré plus élevé n’atteint qu'imparfaitement son but , celui de les éclairer et surtout de les rendre meilleurs ? Ne pas combler cette lacune , c’est laisser sans base l'édifice dont on à construit le corps et placé le faîte. Et si l’on s’étonnait que la loi n’eût pas elle-même complété tout d’abord son œuvre, je représenterais qu’en 1855 les Salles d'asile étaient à peine connues dans les départements , que réclamer en leur faveur un surcroît de dépenses, alors que les communes n’é— taient préoccupées que de nouvelles charges qu'il s'agissait de leur imposer, c’eût été faire ajourner pour long-temps peut-être une institution qui,maintenant bien appréciée, sera acceptée comme un bienfait. Il me reste à parler des perfectionnements que l’on peut intro- duire dans les Salles d'asile. Le plus important, selon moi, c’est l'entière séparation des sexes , imposée aux écoles des autres degrés. Tous ceux qui 62 CINQUIÈME SECTION. s'occupent d'éducation savent quels inconvénients résultent , sous le rapport moral , du mélange des filles et des garçons, à quelque âge que ce soit, surtout dans une grande réunion d'enfants , où la surveillance la plus active ne peut prévenir tous les accidents, tous les abus. L'expérience, déjà acquise à cet égard dans les Asiles,les témoi- gnages que j'ai recueillis de plusieurs surveillants, de plusieurs dames inspectrices et de personnes graves bien informées , me portent à provoquer de toutes mes forces cette amélioration né- cessaire. — L'enseignement lui-mème profitera de cette mesure et les progrès d’une classe d’enfants seront mieux assurés et plus rapides. Car, dans presque tous les Asiles, j'ai été frappé de l’infé— riorité des filles sous le rapport de l'instruction, et lorsque j'en ai demandé la cause aux directrices , elles m'ont fait cette réponse : C'est que les filles ont moins de facilité pour apprendre. Réponse que l’on ne peut admettre , lorsqu'on sait par expérience que ce sexe, doué de plus de docilité, de plus de finesse et d’amour-propre , ne laisse rien à désirer pour l'acquisition de ces premières connais- sances dans les écoles qui lui sont exclusivement consacrées. Si done les petites filles paraissent inférieures dans les exercices qui leur sont communs avec les garçons, c’est qu’elles s’effacent et se découragent en présence d'un sexe qui a sur elles l'avantage d’une voix plus forte et d’une plus grande hardiesse. Pour me résumer, j'ai l'honneur de proposer au Congrès d’a- dopter ces réponses aux questions du Programme. Premièrement.—Les résultats obtenus, dans l'Ouest de la France, par la création des Salles d'asile, ont été jusqu'ici peu considérables par suite du petit nombre et de la nouveauté de ces établissements ; mais en eux-mêmes ces résultats ont été en général extrèmement satisfaisants. Deuxièmement. — Parmi les moyens qui paraissent propres à multiplier ces établissements , on indique ceux-ci : 10 Faire connaître, par toutes les voies possibles de publicité, le caractère qui distingue essentiellement les Salles d'asile des an- ciennes petites écoles, avec lesquelles elles sont confondues de fait dans un grand nombre de localités. Ce caractère consiste en une méthode ingénieuse , habilement appropriée à la faiblesse de l’en- fance, pour assurer et hâterles progrès de son éducation religieuse, intellectuelle et physique. 20 imposer, comme complément nécessaire d’un système d’ins- truction primaire établi par la loi du 98 juin 1835 , et conformé- ment aux intentions exprimées à son article 1er , l'obligation CINQUIÈME SECTION. 63 d’avoir, au moins une Salle d'asile, dans les communes que cette loi astreint déjà à avoir une école primaire supérieure. 30° Recommander, pour la direction des Asiles, sans exclure une coneurence salutaire, le choix de personnes consacrées à la vie religieuse , afin de conserver à ces établissements le caractère de bienfaisance charitable qui présida à leur création, et qui promet d'assurer leur prospérité , afin d'atteindre plus aisément le but principal de l'institution, savoir, une solide moralisation des classes inférieures , enfin parce que ce système d'organisation est réellement le moins dispendieux. Troisièmement. — Quant aux améliorations à introduire dans les Asiles, on insiste principalement sur la nécessité d’appliquer , le plus tôt possible, à ces établissements , la complète séparation des sexes , déjà exigée pour les écoles des autres degrés ; cette sépa— ration, dont on sent à priori la convenance sous le rapport moral dans tout bon système d'éducation , étant d’ailleurs réclamée par l'expérience acquise dans plusieurs Salles d'asile. CARACTÈRES PISTINCTIFS DES SALLES D'ASILE. Que voyait-on , il y a peu d'années, dans toutes les villes de France ? Que voit-on encore dans un trop grand nombre , lors- qu’on parcourt ces quartiers populeux habités par la classe indi- gente ? Une multitude de malheureux enfants , à peine vêtus , dé— goûtants de malpropreté , exposés à des accidents de tout genre qui menacent à chaque instant leur santé , leur vie même, et au danger , plus grave encore , d’une dépravation précoce. Journelle- ment témoins des scènes de désordre qu’engendre, dans la maison paternelle, la misère, si irritable et si violente, lorsqu'elle n’est pas religieuse , ils ne tardent pas à balbutier le blasphème et l’injure, et à donner, dans un âge tendre, le spectacle affligeant des plus mauvaises passions. Il y a long-temps cependant que des écoles sont ouvertes en France à la classe pauvre. Avant que l’ingénieuse méthode de Lancaster (1) vint rivaliser avec celle du vertueux abbé de la Salle (2), les disciples de ce dernier travaillaient , depuis plus d’un siècle , à moraliser et à instruire les enfants du peuple. (4) Joseph Lancaster, principal auteur de la méthode d’enseignement mutuel, appelée aussi de son nom Méthode Lancastérienne, est mort en 1858, à New-York , à l’âge de 61 ans. | (2) Jean-Baptiste de la Salle, fondateur de la précieuse institution des 64 CINQUIÈME SECTION. Mais l'expérience à démontré qu'il est déjà trop tard quand toutes ces écoles reçoivent cette malheureuse jeunesse , privée du bienfait de l’éducation. A six ans, les premières impressions , tou- jours si vives , ont laissé une profonde empreinte , les inclinations se sont fortifiées. L'enfant apporte à l’école des habitudes vicieuses que l’instituteur le plus habile et le plus vertueux est impuissant à corriger pendant ces quelques heures de la journée , après les- quelles son faible élève est abandonné à l'entrainement de l'exemple et de ses propres penchants. De tout temps il a existé , nous le savons , et il se rencontre en- core de petites écoles où de pauvres femmes, se faisant gardiennes plutôt qu’institutrices de jeunes enfants, s'occupent de leur ap- prendre à prier Dieu et à lire. Mais, outre qu'une rétribution , quelque légère qu'ells soit, écarte de ces écoles la classe indi- gente , on est forcé de reconnaitre qu’elles ne sont point appro- priées à leur destination. Privée d'air et d'espace , l'enfance y est captive et condamnée, sous peine d’un insupportable désordre , à un silence et à une immobilité contraire à sa nature. Par l'effet inévitable de la méthode vicieuse d'enseignement individuel , à l'exception de quelques minutes successivement accordées : à chaque enfant , les longues heures de la journée sont perdues pour l'instruction comme pour l'amusement de cet auditoire , qui serait si heureux d'apprendre. C’est donc avoir rempli une importante lacune dans l’édu- cation du peuple ; c’est avoir sastisfait à un véritable besoin, disons mieux , c’est avoir fait une œuvre de profonde moralisation que d’avoir institué les Salles d'asile. Dans un vaste local (1) qui réunit toutes les conditions de salu brité,, s'élèvent plusieurs rangées de gradins, capables de recevoir jusqu’à trois cents enfants. A leurs regards se présente d’abord l'i- mage du Dieu qui à dit : Laissez venir à moi les petits enfants. Sur les murs sont tracées les lettres de l’alphabet , les figures les plus simples de la géométrie , de courtes sentences morales et reli- gieuses. Au milieu , sont placés les tableaux et les divers objets Frères des écoles chrétiennes, qu’il essaya en 1679 à Reims, sa patrie, mourut en 1719, âgé de 68 ans , à St.-Yon ( près Rouen } , maison professe de son ordre. (4) On s'est attaché à faire connaitre ici moins ce qui a lieu dans telle ou telle Salle d’Asile, que ce qui est prescrit, pour toutes, par le réglement gé- néral que le Ministre de l'instruction publique a approuvé le 24 avril 1838. CINQUIÈME SECTION. 65 qu’emploie une méthode ingénieuse pour donner l’enseignement. Près de cette salle en est une autre spécialement destinée au repas et à servir de chauffoir pendant la saison rigoureuse. En dehors s'étend un préau , en partie couvert et garni de bancs mobiles , en partie découvert et exposé de la manière la plus favorable à la santé des enfants, qui y trouvent tout ce qui peut favoriser leurs yeux. Ce simple exposé suffit déjà pour montrer que dans les asiles tout est disposé pour conduire de front l'éducation religieuse , morale, intellectuelle et physique des enfants. Mais, pour atteindre le but que l’on se propose , il faut que l’action exercée sur eux soit précoce , longue et continue. Aussi l'asile les reçoit-il dès l’âge de deux ans , tous les jours de l’année , et depuis le lever du so— leil jusqu’à son coucher. Le temps est sagement partagé entre les soins du corps et ceux de l'intelligence. Les premiers , on le con- çoit, obtiennent une large part. Il faut une santé robuste à des êtres destinés à payer de leurs sueurs le pain de chaque jour. D'ailleurs l'éducation , qui est ici l’objet principal , se donne aussi bien dans les jeux du préau que dans les leçons de la classe ; celles- ci se composent d’une suite d'exercices variés et habilement ap- propriés à la faiblesse de cet âge. Les enfants ont besoin de mou- vement , on les fait marcher, ils aiment à parler, on les fait chanter. Les petites évolutions par lesquelles ils passent fréquem- ment d’un exercice à l’autre , tout en les délassant , les habituent à l’ordre et à la régularité. Leurs chants, composés avec soin , ex- priment tantôt des pensées morales et religieuses , tantôt les éléments des choses qu’ils apprennent , les noms des lettres, ceux des premiers nombres. L'instruction, donnée de cette manière, n’a plus rien que d’attrayant. Elle devient un jeu; et, c’est ainsi que se réalise , pour les enfants du peuple, le vœu du précepteur d’un prince : Heureuse la jeunesse qui s’instruit en s'amusant ! Tous les exercices de l'asile ont ce caractère. Ils se font sans le secours des livres , la maitresse en tient lieu ; elle prie et l’on prie avecelle , elle raconte et l’on répète ; elle interroge et l’on répond. Ses récits sont de touchantes histoires tirées de la Bible, des anecdotes simples et instructives ; ce sont des notions sur les objets les plus curieux , sur les animaux les plus utiles. Des images, préparées d'avance ou tracées à l'instant, achèvent de rendre ses explications sensibles aux yeux. L’attention générale, ainsi appelée sur un seul et même point , est fortement soutenue par ce désir si vif chez les enfants , de se surpasser les uns les autres. C’est la méthode d'enseignement simultané dans toute la perfection dont elle est susceptible ; elle se montre ici d’une puissance prodigieuse. On IL 5 66 CINQUIÈME SECTION. conçoit à peine la quantité d'idées justes que l’on peut introduire par ce moyen dans ces jeunes intelligences, c’est au point que l'élan de l’institutrice a besoin d’être contenu : elle est sans cesse portée à sortir des limites d’un enseignement , d'autant plus res-— treint qu'il n’est ici qu'ascessoire. Car , nous le répétons , l’objet principal des salles d’asile est l'éducation. Elles sont destinées à procurer, à de malheureux enfants,cette éducation morale que leurs parents n’ont ni le temps ni la faculté de leur donner. Et voici les autres avantages qui naissent de celui-là : la mère de famille, se trouvant déchargée de soins continuels , peut se livrer à un travail lucratif. Elle reçoit en outre , dans la personne de ses enfants , des secours précieux. La charité publique s’empresse de verser dans les asiles des dons qu’elle sait être parfaitement placés. L’asile de Caen (pour ne parler que de celui que nous avons habituelle- ment sous les yeux) a fourni, chaque année, des vêtements au plus grand nombre de ses élèves et du pain aux plus nécessiteux. Tous ces enfants sont exercés aux petits ouvrages de main dont leur âge est capable, en attendant que leur instruction, complétée dans les écoles primaires , leur permette d'apporter dans la famille de nouveaux secours. Cest ainsi que les salles d'asile peuvent devenir un moyen doux d’éteindre la mendicité , cette lèpre des sociétés modernes. Mais, s’il est vrai que le succès de toute institution dépende du choix des personnes chargées de la mettre en œuvre , et si l’on a eu raison de dire en particulier , pour ce qui concerne l’instruc- tion de la jeunesse , tant vaut le maître , tant vaut l’école, c’est ici que ce principe s'applique dans toute sa rigueur. Que de bien peut faire dans un asile une femme sachant allier la douceur à la fermeté, l’activité à la patience , l'amour de l’ordre à celui des enfants ; une femme d’une piété sincère, remplissant cette pénible tâche avec le zèle consciencieux qu’inspire la religion ! Que de germes de vertus ses paroles et ses exemples pourront déposer et faire croître dans ces jeunes cœurs ! L'autorité universitaire n’a pas cru devoir exclure les hommes de la direction des asiles ; mais elle a voulu que des femmes leur fussent constamment adjointes dans le service journalier. Elle a en outre confié, dans chaque localité , la tutelle de ces établisse- ments à une commission composée de dames respectables , char— gées d’y exercer une surveillance toute maternelle. On comprend , en effet , que cette éducation de la première enfance ne convient qu'à des femmes : aussi la raison publique leur donne-t-elle presque partout une préférence exclusive. CINQUIÈME SECTION. 67 Une ville de l’Académie de Caen se distingue jusqu'ici entre toutes par l'esprit vraiment libéral qu’elle a déployé dans la mise en œuvre de cette précieuse institution. La ville d'Alençon a établi son asile dans un bâtiment superbe , entièrement neuf et parfaitement approprié à son but. Faisant taire toute dissidence d'opinion pour n’envisager que le véritable intérèt de l'enfance , elle a choisi pour directrice une religieuse déjà vouée aux fonc- tions de l’enseignement. Cette dame , après être allée à Paris se former à la méthode particulière aux asiles , à formé elle-même deux sous-maîtresses qui la secondent avec une femme de service. L'établissement est tenu avec cet ordre et cette propreté que l’on admire communément dnns les maisons religieuses. La discipline est douce et néanmoins exacte parmi les enfants » Qui témoignent, ainsi que leurs parents , pour la directrice > Un respect qu'impose déjà son costume. L'asile est très-fréquenté. Il jouit de la faveur du clergé de la ville, dont la préférence pour cet état de choses est fondée en raison. Partout où il y a des devoirs pénibles à rem- plir , un dévouement continuel et des vertus douces à pratiquer , le sentiment religieux a sur tout autre une supériorité incontestable. Si, à tous ces avantages, on joint celui d’une économie réelle , la directrice se contentant d’un traitement fort modique , on recon= naîtra que la ville d'Alençon a choisi un mode d'organisation qui mérite d’être pris pour modèle. Il serait à désirer du moins que les villes dont la population exige plusieurs salles d’asile , appliquassent à l’une d’elles ce Sys— tème de personnel, ne fût-ce que pour entretenir entre ces éta— blissements l’utile émulation que les frères de la doctrine chré- tienne excitent parmi les diverses écoles primaires. M. l'abbé GuicLoïs confirme, par son expérience, les idées de M. le président sur la séparation des sexes. M. l'abbé Auser demande la parole. » Nous sommes tous d'accord , dit-il , sur le fond aussi bien que sur la forme de la propositiou émise par M. le Président. Il n’y a donc plus qu’un point sur le- quel on ne s’entendrait pas : celui de savoir s’il faut de- mander dans les Salles d'asile la séparation des deux sexes. Eh ! Messieurs, nous faut-il long-temps délibérer 63 CINQUIÈME SECTION. pour le comprendre ! M. l'abbé Guillois vous à fait concevoir qu'il y avait de grands , d'immenses inconvé- nients à prendre le parti contraire. C'était d’ailleurs l’a- vis de M. Edom : c’est aussi le mien, et indépendam- ment des excellentes raisons queje pourrais faire valoir, je vous ferai observer, Messieurs , qu'ici nous ne devons jamais séparer la question de moralité de la question principale. Nous sommes un Congrès scientifique sans doute , mais n’en devons pas moins être une assemblée morale et religieuse. Demandons toutes les garanties nécessaires à la réussite du vœu que nous formulons , et parmi ces granties ne laissons pas échapper la plus sûre, la plus indispensable ; tenons à honneur de l’exprimer et votons, comme je vote moi-même, l'admission de cette -clause importante de la séparation des sexes dans ces écoles, où se forment les premières impressions, bonnes -ou mauvaises. » M. Juzurex de Paris, pense comme M. Edom , que la dénomination de Salles d'asile a été nuisible à cette insti- tution ; elle a fait croire qu'elle n’était destinée qu’à re- cevoir des enfants pauvres, tandis que beaucoup de familles aisées s’empresseraient de profiter des bienfaits qu’elles procurent à leurs enfants, s’ils pouvaient y être ad- mis moyennant une certaine rétribution. Il rend compte de la méthode d'enseignement suivie par la directrice de la salle d’Asile du 1° arrondissement de Paris. Là, l'attention des enfants est constamment captivée ; un ingénieux système de mouvements à opérer est ima- giné pour s'assurer que leurs oreilles, leurs yeux savent toujours ce qui se dit, ce qui se fait; il recommande celte méthode comme utile à généraliser. Il insiste sur- tout sur le choix à faire dans le personnel des direc- trices, dont les importantes fonctions exigent à la fois , moralité , intelligence, dévouement ; il désirerait aussi qu'on les prit parmi ces femmes vouées à la vie reli- gieuse que leur vocation destine à la pratique des bonnes CINQUIÈME SECTION. 69 œuvres; il garantit qu'un grand nombre de dames pa- tronnes se consacreraient avec zèle à la surveillance de ces premières écoles , dès que l'importance en sera gé- néralement reconnue. M. pe LasicorTière s'attache à démontrer que la sé- paration des salles d’Asile en deux classes, l’une des- tinée aux enfants payant, l’autre, aux enfants pauvres , aurait les plus déplorables conséquences en faisant nai- tre chez les uns un sentiment d’orgueil , chez les autres un sentiment d'envie. Jusqu'à présent on n’a vu que des avantages à entretenir parmi les enfants des idées d'égalité ; qu’on les trouve au moins aux portes de la vie ainsi que dans la poussière du tombeau ; si les pa- rents manifestent à cet égard des préventions et des ré- pugnances, c’est que leur éducation est à faire, et c’est par eux qu'il faudrait commencer. Il cite l'exemple des frères de la doctrine chrétienne, qui ont repoussé toute distinction de classes dans leurs écoles et refusé de prélever un impôt sur la fortune , lors même que cet im- pôt eût pu venir au profit des pauvres.Il insiste aussi sur la nécessité de séparer les deux sexes, il en soutient l’ur- gence, et, si les moyens d'exécution manquent pour le moment , il croit cependant indispensable de déclarer sur le champ le principe. M. Juzuiex répond qu'il a été mal compris, qu'il n’a point cherché à créer deux classes d'enfants , mais qu'il a demandé seulement que les familles fortunées puis- sent être autorisées à payer une rétribution quelconque ; ce serait le moyen de vaincre leur répugnance. L'état ne leur doit point l’éducation gratuite , et elles se font scrupule d'ajouter à ses charges. M. Hunauzr ne LAPELTERIE pense qu'en admettant les enfants des familles riches dans les Salles d'asile, on perdrait de vue le but de cette institution qui a été seu- lement de suppléer à la surveillance des parents que leurs travaux mercénaires forcent d'abandonner leurs 70 CINQUIÈME SECTION. enfants à l’oisiveté et à l’immoralité de la place publique ; d'une œuvre de charité, on voudrait faire une école so- ciale , c’est une entreprise imprudente peut-être. Quoi qu'on fasse, l'égalité, parmi les enfants des classes diffé- rentes , ne sera toujours qu'apparente ; il y a dans l’hié- rarchie morale des lignes de démarcation,qu’ilest impos- sible d'effacer ; vouloir confondre les classes, vainere les répugnances des parents , c’est peut-être compromettre l'existence des Salles d'asile elles-mêmes, quand, dans l’état où elles sont, elles rendent tant de services. M. ParANDIER , inspecteur des écoles primaires, cite les résultats de son expérience; beaucoup de familles enverraient leurs enfants aux salles d’Asile si lensei- gnement n'y était pas tout-à-fait gratuit. M. TrozLer : l'égalité est sans doute une excellente base d'éducation, mais l'égalité ne se décrète pas, ce sont les mœurs , c’est l'opinion qui l’a créent; pour les rencontrer dans les écoles d'enfants, il n’y a qu'un moyen , c’est de les rendre tellement supérieures que les riches comprenant quels avantages ils peuvent en re- ürer , surmontent leurs repugnances dans l'intérêt de leurs enfants ; améliorez les Asiles et bientôt toutes les classes y seront confondues. Il en a été ainsi des écoles chrétiennes ; ce qui y a attiré des enfants des classes ri- ches, c’est l'excellence de la méthode et de la disci- pline. Les erreurs et les préventions ne peuvent-être combattues que par l'évidence , les lois sont impuissan- tes pour les détruire. M. Juzzrex retire sa proposition. La discussion est fermée. La formule, proposée par M. Enou, est mise aux voix et adoptée. M. Vernier communique la note suivante, en ré- ponse à la 14° question ainsi conçue : « La liberté laissée à chaque professeur, dans le choix » d’une méthode d'enseignement , est-elle plus favora- CINQUIÈME SECTION. 71 » ble aux progrès des connaissances humaines qu'une » méthode uniforme , réglementée par le corps ensei- » gnant? » « Il y à environ un an, M. le Ministre de l'instruction publique a arrêté que l'étude des langes vivantes, déjà facultative dans les colléges , serait désormais obliga- toire dans tous, à partir de la cinquième jusqu’à la rhéto- rique inclusivement, et que même elle serait , comme le grec et le latin, une condition d'admission au grade de bachelier ès-lettres. Or , vous le savez , le diplôme de ce grade est, Messsieurs , passez-moi le terme , comme le passe-port nécessaire pour arriver aux diverses pro- fessions libérales et emplois supérieurs de la société. » Maintenant , il s’agit de savoir de quelle nécessité peut être la connaissance des langues modernes pour les 9/10° des élèves des colléges, qui se destinent, ou sont destinés par leurs parents , à ne pas sortir du pays, à devenir jurisconsultes , juges , avocats , avoués ou no- taires , médecins, pharmaciens , prêtres , professeurs ou même employés dans les diverses administrations , tous états fixés au sol, qui généralement s’exercent sans au- cune relation nécessaire avec les populations voisi- nes , et cependant chacune ne pourra les entreprendre qu'après avoir étudié, pendant cinq années , une langue qu'il n’aura jamais occasion de parler, ou qui pourra bien ne pas être celle dont il aurait le plus de besoin par suite d’une détermination ultérieure , ou des change- ments de position locale. » On conçoit, Messieurs , que cette étude soit utile et même nécessaire aux militaires, aux industriels et com- merçants , voyageurs et qu’elle pourrait être obligatoire dans les écoles appropriées à ces professions. C’est alors une sépécialité , rien de mieux, mais doit-il en être de même dans les colléges où l'étude , la comparaison et la littérature des trois langues grecque, latine et fran- gaise fournissent déjà assez de termes et de formes 72 CINQUIÈME SECTION. pour exprimer et peindre les objets de nos pensées et de nos raisonnements. » Nous ne parlerons pas de la dépense et de la difficulté d'obtenir un personnel de deux ou de trois professeurs de plus par chaque collége, puisqu'il en faudra même un spécial pour les élèves de rhétorique ; encore moins in- sisterons-nous sur les frais que les parents seront obli- gés de faire pour l'acquisition d’énormés dictionnaires , de volumineuses grammaires et de nombreux auteurs , car il y aura des cours de différentes forces. Mais que de choses à dire sur le temps employé par le jeune étudiant , pendant cinq années , à l’époque la plus belle de la vie, pour apprendre péniblement une nouvelle prononciation , de nouveaux mots , de nouvelles règles, pour exprimer, d’une autre manière, les choses qu'il sait déjà énoncer dans trois langues différentes. Ne pourrait- il pas en faire un meilleur usage ; et, sile programme des études classiques n’était pas déjà suffisamment étendu, n’y a-t-il pas à apprendre des choses d’un plus grand intérêt, tout à la fois particulier et général. » Ainsi ne serait-il pas plus important de donner aux éléves des notions sur le droitet la rédaction des actes civils; sur l'hygiène et la physiologie ; sur l’agriculture , l'archéologie , sur les principes du dessin et de la musi- que , enfin sur toutes ces connaissances usuelles énon- cées dans les programmes des écoles normales primaires et dont on a besoin dans toutes les professions. Pourquoi n'en ferait-on pas aussi,avec beaucoup plus de raison ,une étude obligatoire, une condition d'admission, ainsi qu’on l'exige pour le brévet de capacité des instituteurs. Par ce moyen , les arts les plus utiles et les plus agréables seraient cultivés avec zèle et succès et plus repandus. » Nous ne parlons toutefois de ces innovations que pour faire remarquer qu'il reste, à cette classe de jeunes gens, beaucoup de choses à apprendre plus urgentes que les langues modernes , parce qu’elles ne sont nécessaires , CINQUIÈME SECTION. 75 nous le répétons, qu'à un petit nombre de sujets ; à ceux surtout qui habitent les frontières et pour qui les communications avec les étrangers sont indispensa- bles; mais, dans ce cas, l'étude en serait toute différente, plus prompte, moins fatigante; l'élève aurait un but , il sentirait la nécessité et l'utilité de son travail. » Dans cette discussion , Messieurs , nous ne préten- dons nullement établir de comparaison entre l'étude des langues modernes et celle des langues anciennes qui est, avec la langue française, la partie véritablement essen- tielle et positive de nos études classiques,et sur le compte desquelles le public instruit est très revenu. C’est une chose démontrée et jugée par des personnes plus habi- les que nous , nous ne pourrions qu'affaiblir leurs rai- sonnements en nous en emparant. Comme elles , nous savons aussi qu’il y a, dans l'étude de ces langues, autre chose que la partie matérielle. » Le meilleur et le véritable système d'instruction ne doit-il pas consister dans un ensemble raisonné et bien coordonné des connaissances (langues , sciences ou arts) les plus utiles, les plus appropriées à notre état et à notre position sociale? ne doit-il pas être dans une équi- libre tel que chacune n’y soit étudiée que, suivant son dé- gré d'importance ? or , dans le plan proposé ; iln’y a plus d'équilibre entre l’étude des mots et celle des cho- ses. Luxe d’un côté, et presque pas le nécessaire de l'autre. à » L’instruction des colléges doit-être générale et non spéciale ni professionelle, et c’est encore pour ne pas faire cette distinction que bien des personnes ont tant de préventions si mal fondées contre les études de ces éta- blissements. » Nous ne sommes point exclusifs, Messieurs, et nous ferions les mêmes observations, nous trouverions les mêmes abus, s’il s'agissait d'étendre les programmes existants des sciences mathématiques, physiques et na- 74 CINQUIÈME SECTION. turelles si bien combinés par les savants qui président à cette partie de l’enseignement. La vie est trop courte , les devoirs et les obligations des divers états sont trop nombreux , pour qu’on puisse augmenter le nombre des années d’études collégiales. S'il en est ainsi , il faut donc choisir, retrancher et spécialiser , quand la nature de l’enseignement l'exige. Il n’est pas possible de faire ap- prendre tout à tous. » Or, nous avons des écoles industrielles et commercia- les, des écoles supérieures, ou intermédiaires qui, dans peu devront être plus nombreuses que les colléges. Eh bien ! qu’une des langues modernes y soit la base des études et y serve de terme de comparaison à la langue française , comme les langues anciennes dans l’instruc- tion secondaire : leur part sera encore fort belle. Les études de ces écoles en seront plussolides et plus appro- priées aux exigences de l’époque. Mais alors on conser- vera intact ce bel et antique édifice , ou plutôt ce grand système des études classiques, qui a porté à un si haut pointnotre gloire littéraire et scientifique, et qui est me- nacé de crouler si l’on s’obstine à vouloir introduire ce nouvel enseignement dans le cadre des études obliga- toires déjà si multipliées. » L'heure avancée ne permet pas d'ouvrir la discussion sur cette question. Avant de se séparer, l’asssemblée vote des remerci- ments à M. le président et aux membres du bureau. A 3 heures la séance est levée. Le Président : Enow. Les Vice-Présidents : Gauninx de Sr-Remy , l'abbé AUBER. Les Secrétaires : Moungerr , PAUL DELASALLE, BERGOUNIOUX. 75 RRRRRRRE AR LIIIIR LR LRIRRRIRIRIRRRRRIR LILAS LLRIRIIIIILIRISLRR LRISLIL RAS MÉMOIRE POUR SERVIR DE RÉPONSE A LA 16° QUESTION DU PROGRAMME, ( 3 SECTION. ) PAR M. BOYER, AUTEUR DU POÈME DE L'ÉDUCATION, ANCIEN PROFESSEUR DE RHÉTORIQUE, OFFICIER DE L’UNIVERSITÉ. 16e Question. « Quelle est celle des trois méthodes suivantes qui paraît la plus propre à populariser le goût de la musique : 40 L'enseignement par le solfége ; 2 l’enseignement par le mélo— plaste, sur des tableaux, avec des chiffres au lieu de notes ; 3° l’en— seignement simultané , suivant la méthode de Wilhem ? » MESSIEURS , Cette intéressante question ne peut être résolue que par un ar- tiste praticien. Ayant uni, dans plusieurs des éducations particu— lières que j'ai faites, l’enseignement de la musique à celui des lettres, et m'étant plu, pendant une longue carrière, à comparer les diverses méthodes sous les rapports importants de la facilité, de la solidité et de la rapidité des progrès que, par leur secours , on 76 MÉMOIRES. peut faire dans l'étude et la culture de l’art, je vais tâcher de ré- pandre sur ce sujet les lumières de l'expérience. Je parlerai , d’a- bord , de l’enseignement par le solfége. L'enseignement du solfége se pratique de plusieurs manières. Le maître dirige et soutient la voix de l'élève soit par la sienne propre, soit par le violon, ou quelqu’autre instrument de ce genre, soit par le piano ou l'orgue , ce qui est de beaucoup préférable ; on sent , en effet , que la voix du maître , quoique réglée par le dia- pason , est nécessairement sujette à quelques variations ; on sent aussi que le violon où quelque autre instrument semblable , offre à peu-près le même inconvenient, et que l’un et l’autre peuvent habituer l'élève à la routine , à moins que le maître n’y apporte une attention et une intelligence fort rares. Mais l’enseignemeut du solfége avec le piano ou l'orgue , en- seignement qui exige la connaissance de l'harmonie , appliquée à l'accompagnement , convient le mieux, sous tous les rapports, parce que la voix de l'élève étant soutenue par desaccords plaqués, acquiert, sans le grave inconvénient de la routine , une intonation juste et solide, et que, de plus , ayaut à lutter contre une masse d'harmonie , elle est provoquée, excitée à développer toute son étendue. L'élève acquiert, ainsi, de la hardiesse , de l’aplomb ; son oreille , remplie de l'harmonie de l'accompagnement, lui fait mieux comprendre le morceau qu’il travaille. Si le maître est assez zélé , assez patient pour lui en réveler les modulations, pour lui faire apprécier ces transitions savantes , toujours s1 bien motivées par l'expression de la pensée musicale ou poétique , alors l'élève électrisé donne à ce qu'il chante le sentiment qui pénètre son âme inspirée. Le voilà devenu musicien. Tel est, Messieurs , en supposant toutefois les dispositions et qualités requises , le résultat certain et même assez prompt de l'enseignement du solfége avec accompagnement de piano ou orgue, qui laisse au maître la faculté, tout en exécutant son accom- pagnement et en poursuivant sa leçon , de faire à son élève toutes les observations dont il a besoin pour bien rendre son morceau. On sent que cet enseignement individuel doit être le plus parfait ; mais il peut être aussi simultané avec un grand succès , et doit par- conséquent populariser le goût de la musique. Quant à la seconde espèce d'enseignement , qui emploie des chiffres au lieu de notes , il exige nécessairement de la part des élèves beaucoup plus d'attention , puisqu'il est un calcul et non une peinture , et que tout ce qui frappe les yeux arrive bien plus promptement et bien plus fidèlement à l'intelligence. On sait que QUATRIÈME SECTION. 77 J. J. Rousseau à fait un Traité de musique , où il a employé un vo— lume entier à démontrer que l’on peut substituer les lettres au notes pour écrire la musique. On ne doit pas être étonné de cela de la part d’un auteur qui n’a cherché à arriver à la célébrité que par la voie des paradoxes les plus extraordinaires. Son système ne pouvait être adopté , et il le savait bien, sans doute ; mais il a fait du bruit par sa singularité. Toutefois, il a eu un genre d'utilité auquel l’auteur n’avait certainement pas songé, car il l’eût dit as- surément ; c’est d’être utile aux aveugles qui , en suivant avec l'index une portée musicale, peuvent laisser échapper les notes placées au-dessus ou au-dessous des cinq lignes, tandis qu’ils ne peuvent manquer de saisir des chiffres placés à la suite les uns des autres sur la même ligne. Les aveugles se servent, cependant, plus habituellement de la musique notée que de la musique chif- frée. Au reste , les artistes ne perdent: point leur temps à lire ce traité de musique chiffrée; il n’est plus lu que par un très-petit nombre de curieux. Il ne faut pas confondre ce Traité de musique avec le Dictionnaire de musique , ouvrage savant, quoique peu utile dans la pratique; car il n’a point fait composer de musique savante à son auteur même. Son Devin du village lui fit une réputa- tion par ses airs naïfs ; mais il n’y a rien dans cet ouvrage qui puisse être comparé pour la science de l’harmonie aux compositions de Hændel , de Lulli, de Pergolèse, ni même de Rameau. L'enseignement de la musique , par les chiffres, ne nous paraît donc nullement propre à populariser cet art, par la raison qu'il ne parle point aux yeux, tandis que notre manière de noter la musique offre un tableau des intervalles si bien approprié à nos yeux , qu'un artiste exercé saisit une mesure , une ligne d’un coup- d'œil ; que dis-je ? il saisit les dix ou douze lignes placées les unes au-dessous des autres dans une partition. Or , qui pourrait déchif- frer une partition exécutée en chiffres ? L'enseignement simultané de Wilhem est ce que je connais de plus ingénieux et de plus véritablement propre à populariser le goût de la musique par sa simplicité et sa clarté. La main harmo- nique dans laquelle l'anneau arme les doigts comme. les différentes clefs arment la portée, est la démonstration la plus frappante qui puisse être employée pour enseigner à solfier et à transposer. J'ai vu, avec un plaisir inexprimable , un jeune maître âgé de 47 ans, élève de Wilhem, réunir autour de lui soixante enfants choisis parmi les cinq-cents qui composaient l’école mutuelle de la Halle aux draps ; il leur fesait exécuter, avec la plus grande précision, les leçons qu’il composait sur le champ avec la main harmonique. 78 MÉMOIRES. Changeaïit-il son anneau de doigt ? ils chantaient à toute sorte de clefs. Puis, sur un tableau rayé de larges portées, il leur fesait exé— cuter des leçons composées, en même temps qu’elles étaient chan— tées, et même avec une basse dessous , en promenant sur deux portées deux petites boules d'ivoire blanches placées à l'extrémité d’une baguette noire. Il leur fit ensuite exécuter des morceaux à trois et quatre parties de musique imprimée , avec une justesse et un ensemble parfaits. Enfin , ils écrivaient sur l’ardoise toutes les phrases musicales qu’il vocalisait, et rendaient un compte parfait de tous les principes. Je vis les mêmes exercices exécutés, d’après la même mé- thode , dans l’école des filles du même local , et avec le même succès. La maitresse était une jeune personne. J’admirai surtout la dictée musicale que ces élèves de dix à douze ans saisissaient avec la même précision que les écoliers écrivent la dictée qui leur est faite dans les classes. Je crois donc , Messieurs , qu'aucune méthode n’est aussi propre à populariser le goût de la musique que celle de Wilhem. Nous disons à populariser , à répandre dans les masses Le goût de la musique ; car pour faire des artistes , il ne faut pas se dissimuler que si l’enseignement simultané est la meilleure préparation , il est insuffisant pour le perfectionnement , pour le fini. Les leçons individuelles deviennent alors indispensables ; nous croyons de- voir ajouter , et nous le ferons avec un grand plaisir , qu'ayant as- sisté aux distributions de prix des Écoles supérieure , mutuelle et de St.-Joseph , nous avons entendu divers morceaux de musique exécutés en chœur par un grand nombre d'enfants , avec une jus- tesse et un ensemble que l’on ne pouvait attendre d’enfants ayant encore si peu d'étude ; nous étant informé du maître (1) si c'était par la méthode de Wilhem qu’il avait obtenu cet heureux résultat , il nous a dit avoir joint à cette méthode des modifications qu’il de- vair à sa propre expérience. Le succès qui a couronné ses efforts , doit l’encourager à poursuivre ce perfectionnement. Il ne faut pas croire que l’enseignement musical simultané soit une chose nouvelle. Il a toujours été en usage dans les psallettes, où le nombre des enfants de chœur était assez considérable pour former une classe ; ils s’instruisaient même les uns par les autres ; et, après avoir reçu tous ensemble la leçon du maître , il exerçait ensuite particulièrement les récitants pour la perfection et le goût. (1) M. Garraud. QUATRIÈME SECTION. 79 Ces écoles fournissaient d'excellents musiciens qui possédaient la connaissance de l'harmonie devenue rare aujourd’hui parmi les praticiens. Il n’en est pas moins vrai que la méthode de Wilhem a perfec- tionné l’enseignement mécanique de l’art, ce qui est suffisant pour en populariser le goût , car il n’est point utile de populariser la science qui ne convient qu’à un degré d'instruction supérieur. Mais, c’est un vrai bienfait envers la société que de répandre le goût d’un art qui embellit la vie , qui en adoucit les peines et les fatigues , surtout dans la classe qui en supporte le plus lourd far- deau, d’un art qui ajoute tant de prix à l'éducation des enfants des riches , rapproche toutes les conditions par un charme commun qui calme les passions et reconcilie les cœurs. 80 S96096590900000000909099989 SÉANCES GÉNÉRALES. DO OO QE, 7, SÉANCE DU 13 SEPTEMBRE 1839. La Séance est ouverte à 3 heures, sous la présidence .de M. Larr. M£r l’évêque du Mans , MM. Cauvin et TROLLEY sié- gent au bureau. Après la lecture du procès-verbal de la séance gé- nérale d'hier, MM. les Secrétaires des Sections don- nent lecture de leurs procès-verbaux des séances du malin. M. le Président invite MM. les Secrétaires à commu- niquer les décisions de leurs Sections pour les soumet- tre à l'approbation du Congrès. M. de Marseuz fait connaître les conclusions de la F“Section, relativement à la 1° question du Programme. Elles sont ainsi formulées : « La Section émet le vœu de » voir le gouvernement et les sociétés savantes favoriser, » de tout leur pouvoir, la publication de Statistiques et » de Catalogues d'histoire naturelle dans les départe- » ments, pour parvenir à la formation d'une Statistique » générale. » M. Derasazze demande que ce vœu soit agrandi en faveur d’autres sciences et propose la rédaction sui- vante : « Émettre le vœu que les maires de chaque chef- » lieu d'arrondissement fournissent un local, dans lequel SÉANCES GÉNÉRALES. 81 » seront déposés tous objets et renseignements relatifs à » l’histoire, à l'archéologie, à l’histoire naturelle, de ma- » -nière à rassembler des matériaux particuliers néces- » saires à la formation d’une Statistique générale. » « Engager tous les membres du Congrès à faire eux- » mêmes de pareils dépôts dans leurs localités respec- » {ives et. à en faire faire dans les localités qui les avoi- »’ sinent, par des hommes spéciaux choisis par eux. » L'assemblée adopte le vœu exprimé par la Section des sciences naturelles , et pense , qu'avant de rien statuer sur la proposition de M. Delasallé, relativement aux au- tres sciences, il est nécessaire qu'elle soit soumise à l'examen de la Section d'histoire. M. Vré rappelle les décisions de la Section d’agricul- ture et de commerce. Sur la 1° question du Programme, la Section a pensé que la culture alterne était une excellente méthode à pro- poser aux cultivateurs , en leur signalant avec prudence les cas assez nombreux d'exception; mais elle a été d’avis aussi que , pour l’adoption de cette méthode , il fallait tout attendre des encouragements accordés par les ad- ministrations et les sociétés savantes , de leurs enseigne- ments et des exemples de l'expérience , sans réclamer l'intervention du législateur. Le Congrès approuve cette solution. Sur la 6° question ainsi conçue : « Ne serait-il pas utile d'étendre , aux domestiques de ville et de campagne , l'obligation légale imposée aux ouvriers des fabriques de se munir de livrets? » La Section s’est prononcée pour l’affirmative. De nombreuses marques de dissentiment se manifes- tent dans l'assemblée , qui prend un vif intérêt à ce sujet. M. le docteur Hunauzr n’a point fait, dit-il , comme le procès-verbal le luiattribue, une objection de l'at- IL. 6 42 SÉANCES GÉNÉRALES. teinte que les livrets porteraient à la liberté individuelle; ce moyen à été opposé par un autre membre. invite le Congrès à ne pas sanctionner la décision de la Section, parce que, suivant Jui, les motifs d'imposer le livret aux ouvriers ne sont nullement applicables aux do- mestiques. Les premiers, en effet, formentune population nomade; ils ont besoin d'être recommandés à de grandes distances par Pindication de leur industrie et des ate- liers où ils l'ont exercée ; le livret , ne contenant guè- res d’autres renseignements , fournit donc au maître les moyens d'apprécier l’ouvrier et celui-ci s’en sert comme d’un passeport, s’il en éprouve quelque gêne, il y trouve aussi beaucoup d'utilité. Les domestiques ont des habitudes plus sédentaires ; il est bien plus facile de connaître leur conduite par cer- taines informations que par des livrets. Les certificats ordinaires, accordés par la faiblesse ou la fausseté , sont aujourd'hui sans crédit. Ne serait-il pas à craindre que les livrets n’éprouvassent le même sort? qu'ils ne fussent à la liberté des personnes, qu’une entrave tout-à-fait inutile à leur moralisation , comme il est arrivé pour les ouvriers, qui paraissent n’avoir rien gagné de ce côté. M. le docteur BoursoT-samNT-HiLaiRE , prend la pa- role en ces termes : « Dans l’état de choses où malheureusement nous en- tons à pleines voiles, la société n'aura bientôt plus d’ap- pui que dans les formules pénales de la loi. Lorsque de toutes parts la morale pratique,appuyée sur la conscience religieuse nous quitte , au lieu de diminuer les restric- tions de la loi, et les empêchements et les obligations qu'elle impose, il faut au contraire les renforcer, les augmenter. C’est dans ce sens que je dis qu'il faut con- sidérer la domesticité , telle qu'elle se trouve instituée. Les rapports de domestique à maître ne sont plus,disons- le, à la honte des uns et des autres, ceux d’un client SÉANCES GÉNÉRALES. 83 soumis , respectueux, membre inférieur de là famille ; mais relevant d’un patron ou maître , attaché à son domestique par les liens d’un patronage moral et civil. Si le servage est réduit au terme d’un contrat à loyer , à court délai, et il en devra toujours être ainsi par le caprice des uns et des autres , il faut que ce contrat soit revêtu de toutes les garanties imaginables vis-à-vis de l'un comme de l’autre. Du côté du domestique, les garan- ties exigibles vis-à-vis du maître , se réduisent à une question de prêt, ou de prix. Si le domestique ne peut ou ne veut plus servirle maître, il quitte celui-ci, exige son salaire et s’en va. La commune renommée a pu l’a- vertir à l'avance de ses devoirs, et aussi de l'humeur et de la solvabilité du maître qu'il consent à servir et des exigences de son service. Quant au maitre, il n’a pas les mêmes facilités pour savoir si le domestique, homme ou femme, fille ou garçon, a les qualités désirables de probité, d’exactitude, de mœurs, d’habileté dans le ser- vice qu'il peut désirer. « Devra-t-il s’en rapporter à un unique renseignement, au certificat isolé du dernier maître, ou à un rapport oral souvent fait de complaisance, ou quelquefois imposé par la crainte, ou exigé par menace ? non sans doute : on doit, pour pouvoir être sûr d’un homme ou d’une femme, remonter à sa vie entière, Le premier certificateur sur un livret, devrait être le père de famille , Ou le maire de la commune du point de départ, et ensuite le premier le deuxième maître, sur un même livret qui deviendrait ainsi une table de moralité. S'il y a interruption et re- prise de la domesticité , le domestique obtiendra des officiers judiciaires, juges de paix, Commissaires de police , attestation de bonne vie et mœurs sur commune renommée , et ce sera la reprise de ses états de service. S'il y a interruption pour reprise en justice, peine cor- rectionnelle ou d'assises à subir, il y aura sur le livret une note de ce fait, note qui empécheràa le domestique 84 SÉANCES GÉNÉRALES. de tromper une honnête famille, et de porter dans son sein des habitudes de vol ou de maayaises mœurs; et de donner à la première enfance, en la personne de nos domestiques, d'infâmes précepteurs. « Mais, dira-t-on,que deviendront ces repris de justice, ces mal-notés par le livret? ils quitteront une profes- sion respectable, quand on en remplit les devoirs avec sagesse et moralité , ils s’isoleront dans la société comme artisans libres , et, en un mot, ils se corrompront moins ainsi dans l'état d'ouvrier en chambre, qu'en maison privée , et ils ne corrompront personne. On à dit que souvent le maître abusera de la pudeur d’une fille à son service, sous la menace du refus de livret. Oh! ici il y a vingt réponses à faire. Que la fille de service, ainsi solli- citée, assigne son maître lui-même par devant le juge de paix , en demande de livret, sous condition de bonne renommée , en présence de témoins , et que le juge dé- livre le certificat de bonne vie et mœurs, sur le refus motivé ou non du maître. S'il y a refus motivé, le juge appréciera les motifs ; s’il en ressort, pour le domestique ou pour le maitre, une note infamante, tant pis pour celui qui aura provoqué ce contradictoire. « En resumé, le livret attesté et légalisé pour le domes- tique de ville et de campagne, nous paraît une bonne mesure à introduire dans notre législation, et régula- risera une profession qui n’en est plus une, sitôt qu'il y a irrégularité dans ses engagements , impossibilité pour le maître de recourir à des antécédeuts précieux, et qui, dans les grandes villes surtout, où l'on n’a que des intermédiaires ou courtiers de servage très-immoraux , expose les familles à recevoir, dans son sein, près d'une femme, d'une fille , d'enfants encore purs de tout souffle corrompu, le rebut des campagnes, quand ce n'est pas l'eætractum des bagnes et des maisons de ré- clusion. » Je vote pour l’aflirmative , et pour l'utilité du livret SÉANCES GÉNÉRALES, 85 à imposer aux domestiques des villes et des campa- gnes, » M. Le Gaux soutient qu'il y aurait atteinte à la liberté, puisque l’industsie des domestiques serait grevée d’une obligation résultant d'une loi exceptionnelle; mais il admet qu'il faut adopter la mesure, si la société eu doit profiter, Comme la moralité et la capacité des domesti- ques ne lui semblent pas pouvoir être garanties par ce moyen ,iln’y voit que des inconvénients et n'y trouve auçun avantage, M. le docteur Lepeczerier approuve l'usage des li- vrets, pour suppléer, par une suite de renseignements réguliers, au défaut et à la perte des certificats, La liberté en doit souffrir quelqu'atteinte, il est vrai, mais cette atteinte né peut gêner que le vice, sans jamais nuire à la vertu. M. Henvé combat l'utilité des livrets des ouvriers même, mais il s'élève surtout contre leur extension aux domestiques. C’est une chaîne pesante , ajoutée à la con- dition déjà bien dure des gens de travail, qu'il faut plutôt chercher à moraliser par l'éducation par les bons traitements et les bons exemples. D'ailleurs, où se trou- vera la garantie contre le mauvais vouloir et les exi- gences injustes des maîtres”? Il est équitable de croire à la moralité jusqu'à preuve authentique du contraire; le livret, avec les dispositions de la société actuelle , ne peut fournir cette preuve , il n’apprend rien de certain à cet égard , il n’est donc qu'un sujet de querelle et d’embarras. La question ést pour M. Hervé d'une haute importance ; il croit qu’elle touche aux bases mêmes de l'organisation sociale. M. Psscue, jeune, voit dans les livrets une source féconde de renseignements utiles, à cause de la facilité qu'ils offrent de consulter un grand nombre de signa- taires. Leur opportunité à été appréciée par l'adminis- s6 SÉANCES GÉNÉRALES. ration du Mans , qui vient de transmettre à l'autorité supérieure le vœu de les voir exiger généralement. M. Trozrey demande à traiter la question en con- sidérant le livret comme la sanction du contrat entre le maître et l’ouvrier, mais l’assemblée ferme la discus- sion , et maintient, à une assez grande majorité, la dé- cision de la Section. M. de Caumonr donne lecture d’un travail, que la Section de médecine a destiné à la séance générale , pour y être entendu et discuté. C’est une suite de faits obser- vés par lui dans les départements de la Manche et du Calvados; les uns fournissent des éclaircissements pour la 5° question, les autres peuvent appuyer la solution affirmative de la 4°, en prouvant que la nature du sol, les qualités habituelles de l'air, etc... les aliments et les travaux de l’homme , impriment au physique et au moral des habitants un caractère particulier. MM. PescuE , jeune, Hunauzr et Le Gazz, citent de nouveaux faits en faveur de cette opinion ; mais ils rap- portent de nombreux exemples pour faire sentir com- bien on éprouverait de mécomptes en préjugeant l’état physique ou moral des habitants sur la seule considéra- tion du sol. M. LEPELLETIER ne croit pas que la nature du sol puisse donner seule les éléments de la solution désirée; on doit les demander à beaucoup d’autres causes d’in- fluence , et agrandir la question , qui lui paraît insolu- ble telle qu’elle est posée au Programme. Sur la proposition de M. de Caumont, la 4° question est renvoyée à la Section. La Séance est levée à 5 heures. SÉANCES GÉNÉRALES, 87 SÉANCE DU 1/4 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Laure. MM.de Caumonret TrozLey , Monseigneur l'Evéque du Mans et M. Cauvin siégent au bureau. M. AnsugauLr lit le procès-verbal de la veille, nulle réclamation ne s'élève. Le procès-verbal est adopté. MM. les sécrétaires des Sections lisent leurs procès verbaux des séances particulières. M. le Président fait savoir que la Section de médecine s’est occupée de changer l'heure fixée pour ses travaux , afin d'éviter l'inconvénient de s’assembler en même temps que la quatrième Section ; car il en résulte que plusieurs membres sont privés de participer aux travaux de l’une ou de l’autre réunion. Il demande si l’on préfé- rerait 6 heures du matin, à 7 heures du soir , comme on l’a proposé. Après une courte discussion , à laquelle prennent part MM. Trolley, Hunault de la Pelterie, Achille Rousseau et Lepelletier , on met au voix, et la majorité se prononce pour conserver l'heure de 9 heures, fixée dès le principe. Sur l'invitation de M. le Président , M. Paul Dela- salle monte à la tribune et donne lecture d'un petit voyage pittoresque sous le titre d’£xcursion dans le Grand Perche. M. DeLasaLLe, après quelques généralités sur le comté du Perche , nous amène à la « fontaine de la Herse située dans la forêt, à gauche et à quelques pas de Ia route, à une demi- Frs de Bellême. Cette fontaine est composée de deux sources , séparées seulement par une cloison de pierres , et dont la vertu minérale n’est pas identique. La grande fontaine a environ trois pieds 88 SÉANCES GÉNÉRALES. de long sur deux pieds et demi de large ; l’autre n’a que deux pieds et demi de long sur une largeur de douze à quinze pouces : l’eau de ces deux sources à un pied et demi de profondeur. Celle de la petite fontaine seulement présente , à la surface , une sorte de pellicule grasse et diversement nuancée; les parois des deux sources sont garnies d’efflorescences jaunâtres ; les eaux en ont toujours été considérées comme ferrugineuses, et administrées comme telles; pourtant il serait possible qu’elles ne fussent que bitumineuses ; une analyse exacte mettrait aisément un terme à cette incertitude. » La fontaine de la Herse , aujourd’hui peu fréquentée par les malades, est surtout célèbre à cause de deux ins- criptions existant sur deux des pierres qui entourent le bassin principal. On lit sur la grande pierre , haute de deux pieds environ, et large de vingt-deux pouces , ce mot : APHRODISIVM. L'autre pierre , qui forme un angle droit avec celle-ci, et qui à tout au plus seize pouces de haut, sur une lar- geur de dix-huit pouces, porte cette inscription , en Ca- ractère de dimension un peu moindre : DIIS INFERIS VENERI MARTI ET MERCVRIO SACRVM « Ces deux pierres, appartenant à un calcaire gros- sier, semé de coquilles, et semblables à celles que lon trouve dans le pays, reposent sur des assises de grès rous- sard, qui sont peut-être tout ce qu'il y a de ferrugineux dans la fontaine de la Herse. » Cette fontaine est placée au milieu d’un cercle de SÉANCES GÉNÉRALES. 89 gazon , planté de quelques arbustes exotiques, et autour duquel règne parallèlement une charmille adossée aux grands arbres de la forêt : cette charmille est percée de plusieurs allées verdoyantes , qui aboutissent chacune, du côté de la source , à quelques degrés de pierre. Non loin delà, dans un bas-fond, on a construit un lavoir. Les inscriptions que nous venons de transcrire , et qui semblent appartenir à l'ère romaine, ont donné lieu à diverses interprétations. Ces inscriptions, en admettant qu’elles ne soient pas apocryphes, ont-elles été placées spécialement en ce lieu, pour caractériser la fontaine de la Herse; ou bien n’y voyons-nous que deux pierres détachées d’un temple voisin ,et placées en cet endroit comme par hasard ? » M. DecasaLre penche pour la dernière hypothèse et pense que cetle fontaine, sous les Romains comme sous les Gaulois , était consacrée à Vénus et à l’A- mour ? Après avoir parcourularoute de Bellême à Mortagne, et visité les environs, l’auteur s'arrête un instant sur le Mont-Cacune , pour dire qu’on y trouve de grands dé- bris, une quantité considérable de briques et de pote- ries fines , brisées ; des fondements, des monnaies ro- maines , des scories de fer, lourdes et encore pleines de minerai, comme celles que laissaient les Romains dans leurs mines. » Le peuple a conservé la tradition qu'il y avait là une grande ville, une ville de désordre et de débauche. « Cétaient, dit un manuscrit ancien, des bacchanales et des orgies qui duraient huit jours: il s’y passait des indécences révoltantes , comme il était d'usage dans le culte de l'idolâtrie. » On y adorait Isis et Osiris, puis Bacchus , Vénus et Mercure. Les Romains auraient ruiné là une ville gauloise; des pirates saxons auraient plus tard , vers l'an 285 , ravagé, au même endroit , une cilé romaine. » 90 SÉANCES GÉNÉRALES. M. DerASALLe nous transporte ensuite dans la com- mune de Champs , dont il fait connaître l'église et sur- tout les belles verrières. « L'église de Champs, dit-il, est sous l’invocation de saint Evroult. Elle appartenait à un manastère dépendant de l’abbaye de ce nom. Le portail est d’une belle architecture romaine : il paraît remonter au commencement du X[° siècle. La plupart des fenêtres appartiennent à un style ogival déjà avancé , et sont or- nées de vitraux d’une grande dimension. » Le premier vitrail, en partant du chœur, représente d’un côté saint Evroult, de l’autre saint Michel terrassant le démon. » Dans le second , sont figurés : le Père éternel, te- nant son fils crucifié dans ses bras (nous avons vu le même sujet sculpté en pierre sur une vieille croix de la commune de Monthoudon) ; quatre anges, dont deux sont en prières , et les deux autres jouant du luth et du rebec; une vierge soulevant le corps de son fils ; une charmante figure de sainte Geneviève , lisant, eten cos- tume complet du XVI siècle ; plus bas de petits grou- pes de génies ( peut-être d’amours ), placés deux à deux , les uns aîlés, les autres sans aîles , et combat- tant avec des flèches. » Le troisième vitrail se compose d’une belle tête de Dieu le Père, et de l’histoire de Ste-Barbe, en quatre ta- bleaux : celui où elle est représentée attachée à un po- teau , couverte de longs cheveux blonds, nue jusqu'à la ceinture, et entourée de bourreaux qui la flagellent, nous à paru surtout d’une belle exécution. « Trois autres vitraux représentent la transfiguration, saint Jacques le Majeur, saint Jean-Baptiste, la Nativité et saint Joseph portant un flambeau ; plus un fragment mutilé de l'arbre de Jessé. » Ces belles verrières courent quelques risques dans SÉANCES GÉNÉRALES. 91 l'église de Champs; mais tantque M. Fret (1) sera là, la conservation en sera assurée. » (1) M. l'abbé Fret, desservant de l'Eglise de Champs , est connu par ses Chroniques Percheronnes.M.Delasalle rappelle dans sa notice que M.l’abbé Fret n’est pas seulement historien, il est aussi poète; etil cite de lui une jolie pièce de vers, dont nous reproduisons ici quelques strophés : LE CURÉ DU VILLAGE. A MON FRÈRE. Frère, de ma retraite obscure Je vais essayer la peinture : De ce vallon où le ruisseau Murmure, Je voudrais Loffrir un tableau Nouveau. Au fond d’un hameau solitaire, Dans une modeste chaumière, Doucement s’écoulent mes jours Sur terre. O Champs ! tu seras mes amours, Toujours. Sur le penchant d’une colline , S’élève l’église voisine, Qu’un bois touffu de sapin noir Domine. Des vieux corbeaux c’est le manoir Le soir. Dans une douce rêverie J'aime à parcourir la prairie Que Flore de mille couleurs Varie, Quand l'aurore humecte de pleurs, Les fleurs. Si, loin du fracas de la ville, Je pouvais , heureux et tranquille, Au sein de mon troupeau toujours Docile , Terminer en paix de mes jours Le cours ! Ah ! que ma tombe solitaire Dans ce champêtre cimetière S’élève un jour sous l'épaisseur Du lierre : C’est le dernier vœu du pasteur Rêéveur ! 92 SÉANCES GÉNÉRALES. M. DerasaLLe visite ensuite l’abbaye de la Trappe, et signale, en terminant son excursion , le château de Montimer , vieux manoir du XIV° siècle, avec donjon et machicoulis. Après cette lecture, M. de Caumont demande la parole etrappelle que les Congrès précédents ont sollicité des So- ciétés savantes un résumé de leurs travaux; qu'il est prêt, pour sa part, à donner les renseignements nécessaires sur les compagnies qui l'ont délégué. Cependant il croi- rait devoir s'abstenir de prendre la parole si d’autres dé- légués n’avaient pas reçu mission de produire des ren- seignements semblabies. M. HunauLr p£ LA PELTERIE, délégué de la Société d'Agriculture d'Angers , est disposé à faire la statistique de cette Société. Sur l'invitation de M. le Président, M. de Caumont fait connaître qu'il a rendu compte, l’année dernière, au Congrès de Clermont , des six années précédentes con- cernant la Société des antiquaires de Normandie. A cette époque, cette Société avait publié une série de 10 vol. in-8° ; dans le cours de l’année 1839 , elle a com- mencé une nouvelle série de Mémoires de format in-4°. Le 1% volume contiendra un travail important de M. l'abbé Desroches , d’Avranches , sur les manuscrits de la Bibliothèque de cette ville et le résumé de son tra- vail ne renfermera pas moins de 300 pages. M. Aucusre LEerrovosr, membre de l'Institut , bien connu par ses savantes et consciencieuses recherches , a donné une Statistique géographique du moyen-àge dans la Normandie, avec les anciennes divisions territo- riales. M. de Foruevizze , une Notice sur les corporations de Lisieux et de Caen. Le même auteur, ajoute M. de Caumont, prépare un semblable travail pour tout l'Ouest de la France. SÉANCES GÉNÉRALES. 95 On doit, à M. le vicomte de GuiTON DE LA VILLEBERGE, un Mémoire sur les châteaux de l'arrondissement d’A- vr.nches ; à M. de Lasicotière , d'Alençon, une notice historique et archéologique sur la cathédrale de Séez, qui n’avait pas encore été. étudiée sous ce double rapport ; enfin à M. Charrier, des renseignements exacts sur les fouilles opérées dans la forêt de Brotonne , où déjà l’on a découvert plus de cinquante édifices pavés en marbre, el une mosaïque du plus beau travail. M. de Caumont annonce que M. Mérimée , inspec- teur général des monuments historiques de France, a fait couvrir d’un toît en planches , ce monument précieux , en attendant qu’il soit transféré dans le musée de Rouen. La Société des antiquaires de Normandie a voté 300 francs pour la continuation des fouilles dans cette importante localité. On doit encore, à M. Vaultier , un travail détaillé sur plus de deux cents communes du Calvados , à M. Castel et à divers autres membres, des notices d’un haut in- térêt. M. de Caumont donne ensuite le détail des sommes votées par la Société et dont le total s'élève à environ 1,000 fr., entr’autres 200 fr. pour des fouilles dans le dé- partement de l'Orne,100 fr. pour le rétablissement d'une colonne milliaire , 200 fr. aussi pour des fouilles sur le bord de la mer, 100 fr. pour la restauration d’un tombeau digne d’intéresser les amis des arts. M. de Caumonr , également délégué par la Société Linéenne de Normandie, fait connaître que cette Société a terminé son volume de l’année dernière.Il signale un tra- vail remarquable de M. Deslengchamps sur les Térébra- tules , travail qui a reçu la sanction de M. de Book et qui formera un demi-volume in-4° accompagné de 20 planches. MM. Chauvin et Lesauvage ont produit deux Mémoires intéressants sur les oiseaux et les plantes marines. 94 SÉANCES GÉNÉRALES, M. de Caumonr parle enfin de l'Association nor- mande qui a tenu deux séances, l’une à Mortain et l’autre à Avranches ; mais il ne croit pas nécessaire d'entrer dans de long détails à ce sujet , en rappelant un tra- vail imprimé de M. de Lasicotière qui a rendu compte de ces deux réunions importantes. Après ce résumé succint, auquel l'assemblée donne son approbation , M. le Présidentfdu Congrès engage les autres délégués des Sociétés à produire, dans les séances suivantes , des renseignements semblables. Deux questions nouvelles, présentées par les Sections, sont déposées sur le bureau pour être soumises à l’exa- men de la commission centrale. Le renvoi à la com- mission en étant prononcé , M. le Président invite M.Jullien de Paris à donner lecture d’un morceau de poésie dont il est auteur. M. Juzzrien monte à la tribune et lit le fragment d’un poème sur Les malheurs de la vertu et du génie. Au moment de clore la Séance , M. le Secrétaire-Gé- néral désigne la place que devront désormais occuper , dans les séances - générales , les Présidents et Vice- Présidents , les Secrétaires et Secrétaires-Adjoints des Sections. La séance est levée à cinq heures. ni SÉANCES GÉNÉRALES. 95 SÉANCE DU 15 SEPTEMBRE 1839. Presidence de M. Larr. M. le Président excuse l'absence de M. Trolley , Vice- Président du Congrès , que des affaires impérieuses ont rappelé chez lui pendant quelques jours. Il donne en- suite la parole à M. Richelet pour la lecture du pro- cès-verbal de la veille. Ce procès-verbal est adopté sans réclamation. M. LePELLETIER , Secrétaire de la Section de méde- cine , dépose sur le bureau les réponses , formulées dans la séance du matin , aux questions du Programme. Une de ces réponses ainsi rédigée : « La physiologie rai- » sonnée ne peut jamais être entièrement écartée de la » médecine pratique,» donne lieu à quelques observations de la part de plusieurs membres qui désireraient un amendement dans la rédaction. L'assemblée, consultée sur la mise en discussion, répond par un vote négatif. L'examen de cetle réponse est renvoyé à la Section de médecine. M. Paul Delasalle est invité à lire son Mémoire , dé- signé par la cinquième Section pour être entendu en séance publique , sur cette question du Programme : « Signaler les avantages et les inconvénients de ce que » l’on nomme la Philosophie de l'Histoire. » Après la lecture du Mémoire de M. Delasalle, M. de Caumonr propose , d'ouvrir la discussion sur cette ques- tion. MM. Hunault de la Pelterie et Castel prennent la parole sur la proposition ; ce dernier , rappelant que la Section à ajourné la discussion à mardi, pense que les personnes qui désirent y prendre part ne sont pas suffi- samment préparées. On demande l’ordre du jour. M. DecasaLce a la parole pour répondre à une partie de la question suivante : « Quelle part , en France , les 96 SÉANCES GÉNÉRALES. » provinces ont-elles prises depuis vingt ans aux progrès » des études historiques et littéraires, au perfectionne- » ment des arts.» Après avoir annoncé qu'il restreindra ses observations à la Normandie, au Maine , à l’Anjou, à la Bretagne et à l'Orléannais , c’est-à-dire aux loca- lités qui lui sont le moins étrangères. M. DeLasazze prie qu'on veuille bien lui pardonner à l'avance les erreurs et toutes les omissions qu'il pourra commettre. Ilémetensuite cette opinion que l’histoire est le champ le plus fécond qui se puisse exploiter en province ; là sont les sources , les monuments , les cartulaires. La province doit réunir tous ces éléments de la grande Histoire générale, et beaucoup d’historiens célèbres , Anquetil et les deux Thierry , par exemple, ont tra- vaillé en province. En Bretagne , dit-il , MM. Duchatellier, de Quimper ; Guépin , de Nantes ; Emile Souvestre , de Morlaix ; ont publié de belles études historiques , et M. Laferrière a écrit, à Rennes, un ouvrage très-remarquable sur l'His- toire du Droit français, En Normandie , des noms illustres se rencontrent ; ce sont ceux de M. l'abbé de Larue , le bénédictin de notre siècle ; de MM. Léchaudé d’Anisy , de Caumont, Deville, Floquet , Licquet, Dubois , Auguste Lepro- vost , de Gerville. Dans le Maine et dans le Perche, MM. Cauvin, Richelet , Pesche , l'abbé Fret , Jules de St.-Vincent. Dans l'Orléanais , MM. Jollois , Lottin , Fleury , Jules Zanole , Vergnaud-Romagnesi. La littérature brille beaucoup moins en province qu'à Paris, parce qu'elle vit d'actualités , et que Paris en est le centre. En Bretagne , l’orateur nomme MM. Fontan et Bri- zeux , de Lorient ; M. Souvestre , de Morlaix ; MM. Boulay-Paty et Turquety , de Rennes ; M. Ernest Menard , de Nantes. SÉANCES GÉNÉRALES. 97 En Normandie, MM. Vaultier, le Flaguais , Déses- sarts, de Caen ; Mme Coueffin, de Bayeux ; M. Ri- chard , de Rouen; MM. Edouard Corbière et Charles Massar , au Hâvre ; M. Couppé, à Cherbourg ; M. Léon de Lasicotière , à Alençon ; M. Bergounioux , à Séez ; M. Alexis Dumesnil. Dansle Maine, M. Girault, Mme Touchard, M. Boyer, Mile Carpentier , M. B. Hauréau. Dans l'Orléanais , M. le vicomte de Cormenin. Les Arts ne sont pas moins cultivés que la littérature : l’auteur , cite, à Morlaix , M. de St.-Germain, dessina- teur et peintre ; à Rouen et à Alençon , MM. Brevière et Godard , graveurs sur bois , M. Garneraÿ , peintre de marine ; M. Monanteuil , dessinateur distingué. La Philosophie est aussi représentée par MM. Baschou de Penhoen , à Brest; Simon , à Nantes; Bouvet au Mans ; Charma, à la faculté de Caen, La Musique est professée et cultivée avec succès dans les mêmes provinces. M. Delasalle parle de l'extension donnée à l’enseignement musical dans le collége du Mans ; du Congrès musical d'Orléans ; de Ia muültiplica= tion des Sociétés philarmoniques ; il signale |, comme compositeur , M. Ernest Déjazet , professeur de piano, à Rouen. Après avoir constaté le mouvement littéraire et artis- tique dont la province est le théâtre , l’orateur , sans em- piéter sur la quatrième question du Programme, relative à la direction qu’il conviendrait de donner à ces études, indique cependant quelques bonnes voies à stivre et quelques pièges à éviter; son opinion se résüme en ces termes : « Il faut, en province, s'occuper des faits et » non des théories. » Il termine en priant de nouveau ses collègues de combler toutes les lacunes qu'il a dû laisser dans une revue trop rapide. La Séance est levée à cinq heures, Il, 7 98 SÉANCES GÉNÉRALES. SÉANCE DU 16 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Lan. Le procès-verbal de la séance générale du 15 est adopté. Les Secrétaires des Sections donnent lecture de leurs procès-verbaux des séances du matin, à l'exception de M. Houdbert, absent. M. RicueLer fait connaître les ouvrages déposés sur le bureau et dont la liste sera publiée dans le compte- rendu. . M. le Président demande si l'on doit continuer la séance à cause des troubles qui agitent la ville ; plusieurs membres prennent la parole pour et contre ta proposi- tion ; l'assemblée consultée répond par un vote affir- matif. M. Vié est alors prié de communiquer une réponse approuvée par la 2° Section, dont il est Secrétaire-Ad- joint, répondant à cette question du programme : quelle serait la meilleure organisation d’un bon enseignement agricole ? Cette réponse se divise en plusieurs paragraphes. T1 s'élève une discussion pour que chacun de ces paragra- phes soit mis séparément aux voix : le 1°", le 2° et le 3° sont adoptés, le 4° , ainsi conçu : « Que dans les colléges royaux, les écoles secondaires et les séminaires on donne quelques notions générales sur l’agriculture , » est com- battu par M. Bourjot-Saint-Hilaire et M. l'abbé Auber, à cause des nombreux travaux dont ces établissements sont déjà surchargés. L'établissement des Cours d’agri- culture est impossible, suivant M. l’abbé Auber, dans les grands séminaires où les études, les plus sérieuses et les plus variées occupent la durée des Cours nécessaire- SÉANCES GÉNÉRALES. 99 ment limitée à un petit nombre d'années. Il admettrait volontiers qu’on introduisit dans les grands séminaires un Cours spécial d'archéologie, qui donnàt aux jeunes ecclésiastiques le goût des arts du dessin, la facilité de pouvoir s’éclairer sur les monuments religieux, et de concourir plus tard activement à leur conservation. Mais il croit que l’on doit tout au plus laisser les Cours d’agri- culture pratique aux maisons de hautes études ecclésias- tiques , dont les élèves peuvent s'occuper , sans nuire à d’autres travaux avec lesquels il sont déjà familiarisés. MM. de Caumont et Castel demandent que l'étude de l'agriculture soit néanmoins recommandée dans les mai- sons de hautes études ecclésiastiques. M. Vié soutient la rédaction du paragraphe. Voici l'amendement proposé par M. Castel : Le Congrès émet le vœu qu'il soit donné des leçons d'agriculture dans les maisons de hautes études ecclé- siastiques , les écoles normales et les écoles primaires supérieures. — Il est adopté. Le 5° paragraphe est admis sans réclamation. M. l'abbé Caevereau, Secrétaire de la section d’his= toire , communique trois réponses faites par la section à des questions du Programme. La rédaction de la % ré- ponse donne lieu à des observations de la part de M. de Lasicotière et de quelques autres membres. M. Hunault de la Pelterie propose le renvoi à la Sec- tion. La réciamation ne portant que sur l'oubli d’un seul mot, reconnu par le Secrétaire , la réponse est mise aux voix et adoptée. M. de Lasicotière demande la parole sur la troisième réponse, formulée par la Section d'histoire. M. Lereccerier, Secrétaire de la Section de médecine, réclame la priorité pour entendre la lecture d’un mé- moire de M. Vallée, sur cette. question du programme : 100 SÉANCES GÉNÉRALES. « Rechercher les moyens efficaces de rendre exécutoires les dispositions de l’article du Code civil, qui prescrit de constater les décès avant le permis d’inhumation. » M. Hunauzr, délégué de plusieurs Sociétés académi- ques d'Angers, rend un compte sommaire des travaux de la Société d'agriculture de cette ville. Il est cinq heures , la séance est levée. séance DU 17 SEPTEMBRE 1859. Présidence de M. Laïr. MM. de Caumont, Trozszex et Cauvin' siégent au bureau. M. Ricmezer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, qui est adopté sans réclamation. MM. les Secrétaires des Sections font un rapport sommaire des travaux de leurs séances. M. Ricnerer signale par leurs titres les ouvrages of- ferts au Congrès par leurs auteurs. L'assemblée décide que ces ouvrages seront déposés à la bibliothèque publique du Mans. M. de Caumonr donne lecture de quelques passages d’une lettre, datée de Clermont-Ferrand, du 14 courant, par laquelle MM. les Secrétaires-Généraux de la sixième Session lui font connaître les résultats de leur compte de gestion. La recette s’est élevée à . . . , . 2,302 f. 50 baidépensé" à "5 7.0 ES EU SNS RES —— — — —— I s’est donc trouvé un déficit de . . , 402 f, 35 Pour le combler, il ne reste que la ressource de la SEANCES GÉNÉRALES. 401 vente de quelques volumes du compte-rendu et le re- couvrement de 120 frans de créances très-douteuses ; mais M. Bouillet , signataire de la lettre, annonce que son collègue et lui sont bien résolus de n’élever aucune réclamation à ce sujet, et qu'ils présenteront la quittance de leur gestion , que leur remettra incessamment le bu- reau de l’Académie de Clermont. ; M. le Président consulte l'Assemblée sur les réponses faites par les Sections aux diverses questions du Pro- gramme, qui leur ont été soumises. Ces réponses, consignées dans les procès-verbaux d'aujourd'hui , sont successivement approuvées sans réclamations. M. Leconwrre-Duroxr, de Poitiers, fait un rapport verbal sur l'établissement, les ressources et les travaux de la société des antiquaires de l'Ouest, et annonce, que, d’après la recommandation du Congrès pendant la sixième Session , les inscriptions ‘et les bas-reliefs du portail de l’église Notre-Dame de Poitiers , ont été examinés et décrits, de manière à pouvoir faire re- connaitre les détails de leur exécution et la pensée mo rale qu’ils réveillent. M. de Caumonr'donne communication des renseigne- ments adressés au Congrès par M. le baron de Cra- zannes, membre de l’Institut, à Montauban, sur l’état et les principales publications des sociétés savantes dans la France méridionale : « Agen.— Une Société d'agriculture, sciences, belles lettres et arts, qui se réunit régulièrement, travaille bien , et a publié 3 volumes in-8° de ses Mémoires. Aix. — Une Société de belles-lettres et une Société archéologique Auch. — Une Société d'agriculture, qui, depuis mil huit cent, publie régulièrement un bulletin, contenant les travaux de ses membres et les comptes-rendus de ses séances. 102 SÉANCES GÉNÉRALES. Avignon.— Une Société de belles-lettres , ci-devant Athénée de Vaucluse , qui a publié plusieurs volumes de Mémoires ; une subdivision de la Société française pour la conservation des monuments. Béziers. — Une Société archéologique , qui travaille bien, distribue plusieurs prix annuels, et a publié, sous la dénomination de Bulletin, 2 volumes de Mémoires. Bordeaux. — Une Académie de sciences , belles- lettres et arts, fondée par le P. de Montesquieu et M. de Tourny, qui travaille bien, s'occupe avec succès de recherches et de travaux archéologiques et histori- ques, et publie régulièrement des Mémoires. — Une Société philomatique, qui travaille bien, et qui encou- rage les découvertes utiles. — Une Société Linéenne , une Société de médecine, et une Société d'agriculture , qui publie un Bulletin, ainsi que la Société philomati- que. — Une division de la Société française. Gap.—Une Société de belles-lettres, sciences et arts, qui a publié plusieurs volumes de son Recueil. Narbonne. — Une Société archéologique, fondée par M. Tournol, antiquaire et naturaliste connu. Lyon. — Une Académie des sciences , belles-lettres etarts.— Une subdivision dela Société française pour la conservation des monuments. Montauban. — Une Société des sciences, agricul- ture et belles-lettres , qui se reconstitue en ce moment sous le titre d’Académie royale, titre qu’elle reçut en 1744, par lettres patentes de Louis XV , fondée par le Franc de Pompignan et l’évêque de Verthamont, dans la première moitié du XVIII° siècle. Publie , tous les mois , un Bulletin agricole, industriel, etc., qui rend compte de ses séances.— Une division de Ja Société fran- çaise pour la conservation des monuments. Moissac. — Une Société archéologique sous la déno- mination de Société du Cloître; elle a besoin d’être en- couragée. SÉANCES GÉNÉRALES. 105 Cahors. — Une Société agricole et industrielle , qui publie périodiquement un Bulletin. — Une subdivision pour la conservation des monuments. Montpellier.— Une Société de médecine ; une Aca- démie des sciences , et une Société archéologique , qui s’est déjà rendue recommandable par les travaux qu’elle a publiés. Ilexiste à Montpellier une division de la Société française, pour la conservation des monuments, présidée par M. Renouvier. Nismes. — Une Académie, sous le nom d’Acadé- mie royale du Gard, qui, depuis plus de 30 ans, publie périodiquement des Mémoires, qui forment plusieurs vo- lumes, où la partie des antiquités est traitée d’une manière remarquable. — Une Société d'agriculture. -- Une subdivision de la Société française pour la con- servation des monuments. Perigueux. — Une Société d'agriculture, sciences , lettres et arts. -- Une subdivision de la Société française pour la conservation des monuments. Rodez. — Une Société d'agriculture, fondée en 1836, qui publie un Bulletin estimé, et une Société de belles- lettres , sciences et arts, qui a fait imprimer , en 1858, le premier volume de ses Mémoires. Carcassonne. — Une Société d'agriculture , sciences et arts. Alby.— Idem. Mont-de-Marsan. — Xdem. Cette Société publie des Bulletins estimés des agriculteurs, etc. Toulouse. — C’est la ville savante, littéraire du Midi de la France ; les associations académiques y abondent : 1° Uue Académie des jeux Floraux , la plus ancienne de l'Europe; on connait les solennités annuelles à l’oc- casion de la distribution de ses fleurs, comme prix d’é- loquence et des différents genres de poésie, et son re- .Cueil de chaque année ; 2° une Académie des sciences- inscriptions et belles-lettres, elle publie annuellement 104 SÉANCES GÉNÉRALES. un volume de ses Mémoires, dont les 4 premiers volumes in-h° sont antérieurs à la révolution de 1789 ; 3° une So- ciété archéologique du Midi, qui a publié 3 volumes in-4° de ses Mémoires et deux livraisons du 4°, recueil très- remarquable , et lun des plus intéressants publiés en province; 4° une Société d'agriculture qui travaille et publie des Bulletins ; 5° une Académie ou Société des beaux-arts, qui a succédé à celle de peinture et de sculpture , etc. ; 6° une division de la Société française pour la conservation des monuments. On a sans doute obtenu des renseignements sur les Sociétés scientifiques et littéraires d'Angoulême, de Niort, de Poitiers, de Limoges, de Blois, de Tours, d'Or- léans, etc. La Société des antiquités de l'Ouest (Poitiers), s’est acquis de justes droits, par ses intéressantes et fré- quentes publications, à l'estime et à la gratitude de tous les archéologues et des savants qui s'occupent de re- cherches historiques. MM. de la Fontenelle , de la Saussaye, etc. fourniront tous les renseignements qu’on pourra désirer sur les Sociétés entre la Garonne et la Loire. Des Commissions archéologiques s’établissent dans presque tous les départements de la France ; l’impulsion est due en très-grande partie à la Société française de M. de Caumont et à son Bulletin monumental. Les archéologues zélés du Midi sont : MM. Dumège, de Castellane (Toulouse), Jouannot (Bordeaux), Ar- dent ( Limoges) , Tournal ( Narbonne) , de Lagoy (Aix), Pelet (Nismes), de Crazanne (Montauban), Calvet (Cahors), de Murcin (Perigueux) , Audierne (Idem.) , Moreau (Saintes), Jauffret (Marseille). Draguignan. — Une Société d’émulation qui a publié des Mémoires. Pau.— Une Société d'agriculture. Tarbes. — Idem. Marseille. — Une Académie royale des belles-let- SÉANCES GRNÉRALES. 405 tres , qui distribue annuellement des prix, et publie d’intéressants Mémoires. C’est une de nos principa- les Académies de province; on lui doit la belle des- criplion statistique du département des Bouches-du- Rhône , puliée par le préfet , M. le Comte, Villeneuve- Bargemont. La Rochelle. Une Académie royale de belles-let- tres , fondée sous Louis XV. — Une Société d’agri- culture. Saintes. — Une Société archéologique récemment instituée et qui demande des encouragements. — Une Société d'agriculture , sciences et arts, qui publie des Mémoires ; une subdivision de la Société française. Rochefort. — Une Société de belles-lettres, sciences et arts , bien composée et qui travaille. St-Jean-d'Angely. — Une société d'agriculture. Jonzac. — Idem. » Aprés la communication de ces renseignements four- nis par M. le baron deCrazanne, M. Bepez, secrétaire de la Société d'agriculture , sciences et arts du Mans, lit un précis succinct des tra- vaux de cette Société : « En 1761, sous le ministère de M. Bertin , la Société d'Agriculture de l’Intendance de Tours fut fondée et partagée en trois bureaux , l’un à Tours même, l’autre à Angers, le troisième au Mans. « Cette Société d'Agriculture subsista jusqu’en 1793, époque où le régime révolutionnaire vint la détruire ; mais.les désordres de l'anarchie n'avaient que com- primé l'essor de l'esprit humain, les sciences , les beaux arts veillaient , attendant des jours plus heureux. « Les savants de notre province continuaient leurs recherches sur les monuments historiques ; ils sentaient le besoin d'apporter à un centre commun, les résultats de leurs études et d’en répandre ainsi les bienfaits. € 106 SÉANCES GÉNÉRALES. » Dès le 25 mars 1794, ils obtinrent, de la municipa- lité du Mans, l'autorisation de se réunir sous le titre de Commission des Arts,et, au mois d'août de la même an- née , l'administration organisa une Commission biblio- graphique, chargée de recueillir et inventorier tous les objets d'arts, livres , manuscrits, cartes , gravures , mé- dailles , échappés au vandalisme de l'époque. » En avril 1795, le département forma un Bureau consultatif d'agriculture et de commerce ; enfin ces di- vers bureaux el commissions se réunirent sous le titre de Bureau central de correspondance des Arts. » Cette Compagnie obtint bientôt la sanction du mi- nistre de l'intérieur, se donna un réglement, prit le litre de Societe libre des Arts du département de la Sar- the, titre qu'elle a remplacé par celui qu'elle porte au- jourd'hui. » C'est déjà vous donner une idée de son zèle que de vous citer l'analyse de ses travaux depuis l'époque de son institution jusqu’à la fin de 1819. Dans l'introduction de cette analyse, dont M. l'abbé Ledru, décédé biblio= thécaire de la Société , est l’auteur ; j'ai puisé les rensei- gnements que je viens de communiquer. » Avec les allocations qui lui sont annuellement ac- cordées par les membres du Conseil-général du départe- ment, la Société du Mans subvient à ses dépenses et décerne des prix dans l'intérêt principalement de l'a- griculture et de l’industrie. » Notre Société tient deux séances par mois, et, par an, une séance publique; tous les trois mois , elle fait pa- raître le Bulletin de ses travaux. » Jusqu'à la fin de 1819, dit M. l'abbé Ledru, le dépouillement des archives présente un total de h00 Mémoires environ, dont l’auteur cite les prin- Cipaux. » Ïl n’est donc besoin que de retracer ici, avec la SÉANCES GÉNÉRALES. 407 brièveté qu'impose un précis succinct, les travaux de la Société , postérieurs à ceux analysés par M. Ledru. L'agriculture et l'économie rurale sont redevables : À M. Berarr, membre résident, entre autres Mé- moires et Notices, de ses Réflexions sur l’état actuel de l'agriculture. À M. Vié , maire de Mansigné, membre correspon- dant, d’un Projet d'établissement d'école pratique d’a- griculture pour le département de la Sarthe , projet adopté par le dernier conseil-général de notre départe- ment. À M. Menarn-Bournicnon, de l'invention du pres- soir portatif; ce pressoir paraît avoir rempli les vues de la Société d'Angers qui en avait fait la demande à celle du Mans. Au même membre, de plusieurs moyens indiqués con- tre les ravages des vers blancs, et d'observations sur les propriétés pernicieuses du gui. À M. Boxer, de ses remarques sur le danger de faire entrer l’arsenic dans le chaulage des semences. À M. Edouard GuéranGer, d'un rapport sur les avan- tages de l’engrais artificiel inventé par M. Jauffret : À M. Marcer, d’un autre rapport sur les avantages et les inconvénients du semoir sarcloir de Hugues. A M. Marcellin VériLzarD , d’une notice sur la culture du lin et d’une autre sur celle du pin maritime. À M. le comte de Mailli, membre correspondant, d’une autre notice sur le même sujet. À M. L. VérizLar», membre correspondant, d’une magnanerie naissante établie sur sa terre de St-Mars- d'Outillé : le zèle éclairé de M. Vétillard fait présager les plus heureux succès de cet établissement. 9° A feu M. Borsseau, d’un Rapport sur lemürier mul- ticaule, 108 SÉANCES GÉNÉRALES, A M. Psseue, et à M. Duvouziner , membre corres- pondant, de plusieurs articles sur l’industrie agricole. A feu M. DEszanDes , membre correspondant , d’une traduction française des douze livres de Columelle sur l’économie rurale. Enfin, à M. DacoxEau, de plusieurs observations sur la physiologie argricole de M. Philip- part de Versailles. Nous signalerons encore en histoire naturelle : Un rapport de M. Edouard GuÉRANGER sur les oiseaux de passage observés au Mans dans l'hiver de 1837 à 1838 , et les recherches du même auteur sur la quantité relative de chaux contenue dans les différentes marnes de notre département. Un récit des herborisations de M. Fréderic GuÉérAN- GER aux environs du Mans. Un Mémoire de M. Salmon , membre correspondant , sur les terrains de transition aux environs de Sablé. Plusieurs membres ne se sont pas adonnés avec moins de zèle à l'étude des sciences médicales , et nos procès- verbaux constatent une observation de M. Etoc-Demazy (père), sur une combustion humaine spontanée, celles du docteur Vallée sur la grippe et ses moyens curatifs. Les propositions du docteur Gendron, membre cor- respondant, sur le croupe, la trachéotomie , et les do- thinentéries par lui observées dans les environs de Chà- teau-du-Loir. Les Rapports annuels du docteur Mordret sur les vaccinations opérées dans le département de la Sarthe, la sollicitude qu’éveille en lui la décroissance survenant chaque année dans le nombre des opérations et les moyens qu'il indique pour remédier à cette calamité ; les observations du même membre sur le danger des sys- têmes en médecine. Le Mémoire du docteur Voisin sur les devoirs du médecin de campagne ; un autre Mémoire du même auteur sur le mode ingénieux et simple qu'il a découvert pour guérir le bégayement. SÉANCES GÉNÉRALES. 109 M. Eroc-Demazy (père) a présenté un Mémoire sur ce qui a été fait dans notre département pour le préser- ver du choléra, et pour venir au secours des personnes qui seraient atteintes de cette maladie. M. Eroc-Dewazy (fils) vous a fait part des ses re- cherches sur la stupidité considérée chez les aliénés, et vous a lu sa Statistique sur l’Asile de la Sarthe, ainsi que son Rapport sur les malades de cet établissement , au 1°° janvier 1839. L’archéologie a rencontré de zèlés interprètes dans M. Richelet, et dans M. Pesche'auteur d’une notice sur les antiquités découvertes dans le département de la Sarthe en 1836. Dans M. Etoc-Demazy , (père), qui nous a donné une Notice intitulée : Excursion archéologique sur la com- mune d’Alonnes, et uue autre sur des médailles trouvées à St-Georges de la Couée. M. l'abbé Tournesac a dû son admission parmi nous à son Mémoire sur les beautés architecturales de Notre- Dame de la Couture du Mans. M. DessoserT, en nous communiquant cinq Notices sur des médailles ou vases antiques par lui découverts aux environs du Mans, ou dans les déblais des anciennes constructions de notre ville. M. Drouer, auteur d’un Rapport sur des pièces de monnaies anciennes, trouvées à St-Michel deChavaignes. Et M. QuenTin, qui compose en ce moment un ou- vrage sur la glyptique et son utilité pour l’iconographie des anciens; ouvrage dont il nous à lu plusieurs frag- ments , sont venus augmenter nos richessses numisma- tiques. MM. Cauvin et PEescxe, dans leurs recherches his- toriques sur le département de la Sarthe , ont fait fleurir dans notre sein la Statistique , science sur l'utilité de 410 SÉANCES GÉNÉRALES. laquelle tous les bons esprits sont aujourd’hui d’ac- cord. L'industrie et le commerce ont suivi parmi nous, la marche progressive qui leur est imprimée dans le reste de la France; la preuve s’en trouve dans le Mémoire de M. Berard sur l'influence que le prix des laines doit éprouver del’importation des cotons; dansles considéra- tions du même auteur sur les conséquences sociales et commerciales de l’établissement des chemins de fer en France. Et dans ses propositions pour concilier les inté- rêts des fabricants du sucre exotique, et des fabricants de sucre indigène , avec ceux du trésor. Dans le Mémoire de M. Vié , membre correspondant : sur la nécessité et la puissance de l'association indus- trielle. M. Max. de PErROCHEL , membre correspondant, 4 trouvé un nouvel encollage pour le parement des chaï- nes de lin et de chanvre. M. Buisson, plus récemment, a doté l'entomologie des instruments et des oulils qu’il a inventés pour l’exer- cice de cette science. M. Vernier à fait un rapport sur [a galvanisation du fer et de l’acier , par le procédé de M. Sorel. Dans l’économie domestique et administrative, nous remarquons : Le Mémoire du docteur Voisin, sur le danger des inhumations précipitées : etles observations que ce Mé- moire à suggérées à MM. Quentin et Vallée. Les réflexions de M. Verdier sur l'emploi peu rai- sonné du combustible en France. Le Mémoire de M. Quentin sur le classement des for- çats libérés. Mémoire où l’auteur traite des questions d'un haut intérêt, d'une manière trop remarquable pour que notre Société ne se soit pas empressée de compter M. Quentin parmi ses membres. SÉANCES GÉNÉRALES. an L'étude de l'histoire n’a pas été suivie par nous avec moins de zèle. M. Cauvin a lu ses diverses Notices sur l’aucienne or- ganisation administrative de notre province, sur ses re“ présentants dans les convocations des Etats-généraux. M. Parzv a fait hommage à notre Société de ses frag- ments historiques sur la ville de Poitiers; ils ont valu à l’auteur son admission comme membre résidant. Le prélat éclairé que nous nous glorifions de posséder parmi nous a invité les curés de son diocèse à rédiger les Chroniques de leurs paroisses. M. DaconEau nous a ‘entretenu de ses observations astronomiques et météréologiques;ilesten outre l’auteur d’une Notice sur la division des temps chez les divers peuples de la terre. M. Houneerr (père), vous a fait connaître annuelle- ment l'influence des accidents athmosphériques sur les productions végétales. Enfin pour que la Société ne fùt étrangère à aucune espèce de science, M. Dagoneau, a prononcé, sur l'ins- titution des justices de paix un mémoire depuis remis aux chambres législatives. Ce Mémoire contient des idées d’une telle justesse, qu’une partie des propositions de l’auteur se trouve adoptée dans la nouvelle loi sur la matière. Cette énumération, dans laquelle j'ai cru devoir passer sous silence les ouvrages imprimés , est sans doute bien incomplète, mais elle suffira, je l'espère, Messieurs, pour faire connaître la marche de nos travaux. » M. Vicror Houpgerr , juge au tribunal civil du Mans , commence la lecture d’un mémoire intitulé : Esquisse sur l’histoire scientifique, littéraire et artistique dans les provinces du Maine et de la Mayenne; ce tra- vail, dont la lecture est interrompue , faute de temps pour l’achever , est le plus étendu qui ait été produit sur ce sujet. 112 SÉANCES GÉNÉRALES. M. lé Président adresse des félicitations à MM. Bedel et Houdbert. La Séance est levée à cinq heures. SÉANCE DU 18 SEPTEMBRE 1839, ‘ Présidence de M. Lam. La Séance est ouverte à trois heures sous la prési- dence de M. Lair. MM. de Caumonr , Tro£Ley et Cauvin siégent au bureau. Le procès-verbal de la Séance d’hier est fu et adopté sans réclamation. MM. les Secrétaires des sections donnent lecture des procès-verbaux. Les vœux et les décisions sont suc- cessivement mis aux voix et adoptés. Le Secrétaire général fait connaître les ouvrages offerts au Congrès par leurs auteurs. M. Trozzex donne communication d’un Mémoire envoyé par la Société royale d’émulation d’Abbeville, contenant la Statistique de ses travaux , dont nous re- produisons un extrait : « La Société d'émulation d’Abbeville instituée le 11 oc- tobre 1797, a été autorisée, par décision du 8 décembre 1814, à prendre le titre de Société royale d'émulation ; cette ordonnance n'ayant pas paru au Bulletin des lois , la société en a réclamé une autre qui a été insérée au Bulletin à la date du 16 novembre 1821. Le nombre de ses membres résidants n’est et ne peut être que de dix-huit. Ils concourent seuls à l’'adminis- tralion et aux dépenses de la société. Malgré les charges assez fortes , et les travaux con- tinuels qu’entrainent les fonctions de membre résidant , SÉANCES GÉNÉRALES. 113 elies sonttoujours vivement sollicitées ; on n'y est nommé qu’au scrutin, l’on exige prélablement la remise d'un mémoire manuscrit ou d’un ouvrage imprimé , qui doit être soumis à l'examen de chacun des sociétaires. » Le nombre des membres honoraires est de six ; celui des correspondants est illimité ; ils ne sont soumis à aucune cotisation, et les publications de la société sont adressées gratuitement. Cet envoi a liéu à tous les cor- respondants qui s'intéressent aux travaux de la société et y concourent, » Le titre de membre honoraire n’est accordé qu'aux anciens membres; celui de correspondant n’est obtenu qu'après les mêmes formalités prescrites ‘pour les rési- dants. Les demandes sont nombreuses ; les admissions sont rares. , » Fondée à une époque difficile, par quelques habitants d’Abbeville, MM. Baillon, père, naturaliste, qui fut col- laborateur de Buffon dans son Histoire des oiseaux ; Bellot, médecin; Boucher de Crèvecœur , auteur de la Flore d’Abbeville , membre associé de l'Institut, aca- démie des sciences ; Boullor, médecin ; de Noyelles, chi- miste ; Lerminier , depuis médecin de l'Empereur ; Morel de Campennelle, depuis membre du conseil géné- ral de la Somme ; de Sénermont , général d'artillerie ; Traullé,membre associé de l'Institut; Tillette de Mautort, propriétaire ; etc, elle s’est maintenue jusqu’à ce jour, sans que ses Réglements aient subi de changements notables. La Société , peu de temps après sa fondation , comp- tait parmi ses membres correspondants : MM Dumont de Courset ; Millin ; Demoustiers ; Duméril ; Laya, de l’Institut ; Sylvestre; Alibert; Andrieux, de l’Institut, Arnauld, de l'Institut; Lapostolle ; Noël de la Morinière; Vigée; Legouvé, de l’Institut ; Xavier Pichat ; Cor- visart ; Rougier-la-Bergerie ; Cambry ; Cuvier ; Pinkerton , St.-Ange , Deleuze , L'héritier, de Tour- Il: 8 414 SÉANCES GÉNÉRALES. mon , Poiret, de Boinvilliers, Sylvestre de Sacy , De Candolle , Villermé , etc , etc. » Un peu plus tard, Lesueur, auteur des Bardes, Mil- levoye, le poète, de Pongerville de l’Académie française; Fauvel, le voyageur , ancien consul à Athènes, Louis Cordier de l'Académie des sciences , tous les cinq nés à Abbeville. » Îl serait également fort long et même assez difficile d'analyser les travaux de la Société de 1797 à 1830. La Société avait adopté un système qui facilitait peut-être la publicité, mais qui laissait peu de traces de son exis- tence : elle n’imprimait ses Mémoires ou le précis de ses séances que sur des feuilles détachées, et n’en formait point de volume. Néanmoins, parmi ces Mémoires, on en trouve quelques-uns qui offrent une importance réelle, moins peut-être par leur étendue , car ils sont en général très-succincts, que par les découvertes aux- quelles ils ont ensuite donné lieu, soit dans les arts, soit dans les sciences.Je citerai entr’autres : Dissertations sur la propriété qu'ont les substances glauques de résister à l'humidité, par M. Boucher de Crèvecæœur (nivôse an VI, décembre 1797).— Réflexions sur le fluide nerveux, par M. Boullon , même date. — Moyen d’accélerer et de ralentir la fermentation du cidre, par le même. — Effet de la lumière sur les végétaux, par M. Dumont de Courset , 1797. — De la formation des perles, par M. Boucher de Crèvecœur, 1797. » Examen de quelques matières tirées du règne végétal qui paraissent propres à remplacer les chiffons pour la fabrication du papier par le même , même année. Ce Mémoire déjà imprimé, en 1795, dans le Magasin en- cyclopédique , a contribué beaucoup au perfectionne- ment des papeteries en France et en Angleterre. » Expérience sur la sève des ormes ; sur l'alcool et la matière sucrée qu'on peut en retirer , par MM. Morel de Campenelle et Boucher de Crèvecœur , germinal SÉANCES GÉNÉRALES. 415 an 7 (mars 1799). La sève de l’orme, d’après ces mémoi- res , est ainsi composée : 1° D'un peu de sucre et de mucose sucré. 2° De carbonate de chaux. 3° D’acétate de potasse , etc. » Observations géorgico-météorologiques, par M. de Courset, 1799. » Remarques sur les Champignons, par M.Boucher de Crèvecœur , même année. »Observations sur les vésicules séminales, par M.Ler- minier , 1799. » Electricité médicale, par M. Buteux , même année. » Analyse des eaux minérales d’Abbeville, par M. de Noyelles , même année. » Essai sur les huiles que l’on extrait des végétaux,par M. Den , 1800. » Traité des plantes comestibles du département dela Somme, par M.Boucher de Crèvecœur.» C'est à M. Bou- cher qu'on doit la cultureet l'usage de la Tetragonia expansa, plante alimentaire ; son premier Mémoire sur ce sujet remonte à 1789. » Mémoire sur la gourme régulière et irrégulière des chevaux, par M. Buteux, même année. » Mémoire sur la fabrication des eaux minérales artifi- cielles , par M. de Noyelles, 1801. » Art vétérinaire, par M. Hurtrel d’Arboral, 1801. » De la culture et de l'emploi du chardon à foulon,par M. Boucher de Crèvecœur , 1804. » De l'extrême finesse du sens,du toucher,de quelques vers marins ; traduit de l'italien de Joseph Olivi , par le même. » Les années suivantes présentent beaucoup plus d’ou- vrages de littérature que de science ; les Archives de la Société conservent plusieurs manuscrits des débuts poé- tiques de M. Millevoye, qui, né à Abbeville, y a fait 116 SÉANCES GÉNÉRALES. ses études , et qui était un des membres les plus assidus de la Société. » Quelques autres poèles et écrivains qui,depuis,se sont fait connaître , figurent aussi parmi ses collaborateurs de cette époque et des suivantes. Leurs travaux ayant acquis un intérêt beaucoup plus général, je ne donne- rai pas ici la nomenclature de leurs essais , et je passerai de suite à l’année 1833 , époque à laquelle les ressources financières de la société lui ont permis de réunir en volume les publications éparses jusqu’à cette époque dans les journaux, ou les recueils des autres Sociétés savantes. » Le volume de 1833 présente, entr'autres Mémoires importants , le Catalogue des mammifères , oiseaux , reptiles, poissons et mollusques , de l'arrondissement d’Abbeville , par M. L. A. F. Baillon. » Une réimpression de la Flore d’Abbeville , par M. Boucher de Crèvecœur. » Une Notice surl'histoire d’Abbeville,par M.Louandre. » Ce volume donne d’ailleurs un résumé des faits prin- cipaux et des séances depuis 1829 ; je ne puis qu'y ren- voyer ,et ne citerai que quelques faits principaux : » Le 20 février 1829 , la Société délivre une médaille d'encouragement à un élève de l’école de dessin d’Abbe- ville, M. Bridoux. Ce jeune homme , en ce moment à Rome , a depuis remporté à Paris le premier grand prix de gravure. » Le 6 novembre, même année, M. Louandre (père), présente à la Société le premier exemplaire de la Bio- graphie d’Abbeville et des environs. » Le 30 avril 1830, la Société décerne une médaille au sieur Beurrier, fontainier, qui, depuis plus de 25 ans , a exécuté dans le pays des puits forés dits artésiens. » Le 9 juillet 1830, M. Boucher de Perthes, président de la Société, lui fait hommage de son ouvrage intitulé : Romances , Légendes et Ballades. SÉANCES GÉNÉRALES. aa? » Le 93 juillet, M. Gaillon, membre résidant, commu- nique à la Société les résultats de ses observations mi- croscopiques sur les Némazoaires. » Le 19 novembre, M. le comte de Riencourt, membre de la Société, offre un prix de 250 francs pour le meil- leur ouvrage destiné à l'instruction et à la consolation des prisonniers. »M. Boucher de Perthes fait hommage de son ouvrage intitulé : Opinion de M. Christophe, et d'un autre volume dont il est également auteur, et ayant pour titre : Chants Armoricains , ou souvenirs dela Basse-Bretagne. » Le 18 mars 1831, M. Ravin, membre correspondant, fait un Rapport sur la géologie et l'archéologie du bassin de la Somme. » Séance du 12 octobre 1832, M. Estancelin, membre correspondant et député de la Somme , offre à la Société un exemplaire de son ouvrage intitulé : Recherches sur les voyages et découvertes des navigateurs Normands. » Le 6 septembre 1833, M. Gaillon fait hommage, à la Société, d'un ouvrage intitulé : Observations sur les li- mites qui séparent le règne végétal du règne animal. » M. Boucher de Perthes, offre deux volumes dont il est auteur : Nouvelles , Satyres et Contes. » Le21 novembre,M.Louandre(père) fait hommage, à la Société, de la première livraison de son Histoire d’Ab- beville. »M.Boucher de Perihes, de la 2° 3° et 4° partie de l'O- pinion de M. Christophe. » M. Picard, membre résidant, lit une notice sur une fouille exécutée à Port-le-Grand, près la maison de M. Hecquet d'Orval, membre de la Société. Plus de 40 vases de terre de grande dimension et qui paraissent d’origine celtique ont été le résultat de cette fouille. », Le 27 juin,un membre rend compte à la Société, de l'ouverture de la tombelle de St.-Ouen , près Noyelles- 118 SÉANCES GÉNÉRALES: sur-mer, (à trois lieues d’Abbeville) ; on y a découvert un cône formé de plusieurs centaines de têtes humaines, au milieu desquelles étaient quelques squelettes entiers ; la mâchoire inférieure trouvée à toutes ces têtes annon- çait qu’elles auraient été déposées là , fraîches encore. » Le 26 septembre , le président offre à la Société un ouvrage intitulé : Petit Glossaire, dont il est auteur. » Pendant l’année 1835, la Société a fait l'offre d'établir un jardin botanique si l’on voulait lui faire la conces- sion d’un terrain. Quelques membres , notamment M. le docteur Picard, se sont engagés à faire annuellement un cours public et gratuit de botanique , et de quelques autres parties d'histoire naturelle. : » Cet exposé, bien que très-incomplet,suffit cependant, surtout si l’on se refère aux volumes de 1835 à 1837 et à celui de 1838 et de 1839, qu’on imprime en ce moment , et qui donnent un compte assez circonstanscié des séances , pour offrir un aperçu de la direction que la Société imprime à ses travaux et de la tache qu’elle s’est imposée. » Dans sa longue existence, elle a éprouvé sans douté quelques traverses, mais elle a reçu aussi d'honorables encouragements, et, dès les premières années de sa fon- dation, l’'empressement que les hommes les plus hono= rables , et même les noms les plus illustres ont mis à s’y faire affilier a toujours été pour elle un juste sujet d'orgueil. » Après la communication de cet intéressant Rapport , M. Houpserr termine la lecture de son « Esquisse de l'histoire scientifique , littéraire et artistique dans le Maine et la Mayenne. » M. le docteur LEPELLETIER , Commmence la lecture d’un travail intitulé : « Etudes de l'Univers, de l'Homme, des rapports de l'Homme avec l'Univers. » L'heure avancée détermine l'honorable membre à finir sa lecture dans une autre réunion. SÉANCES GÉNÉRALES. 419 M. l'abbé Auger lit pour , terminer la Séance , une pièce de vers composée par M. Leflaguais, de Caen, sous le titre : « Aspiration à la Poésie. » La séance est levée à 5 heures. SÉANCE DU 19 SEPTEMBRE 1839, Présidence de M. Lars. MM. de Caumonr, Trozey et CAuvIN siégent au bu- reau. ; Le Secrétaire-général donne lecture du procès-ver- bal de la veille , il est adopté: Les Secrétaires des Sections lisent ensuite les procès- verbaux de la séance du matin, à l'exception du Secré- taire de la Section de littérature. M. le Président demande la lecture des réponses aux questions adoptées dans les Sections. Une seule est re- mise en discussion sur la proposition de M. Achille Rous- seau. Cette réponse est ainsi conçue : « Le congrès, sans s'expliquer sur le mérite des divers systèmes philosophi- ques connus jusqu'ici, pense que la philosophie de l’his- toire présente plus d'avantages que d’inconvénients et que, dans toute histoire proprement dite , elle doit né- cessairement accompagner et vivifier l'exposition des faits. » M. Achille Rousseau voudrait que l’on dit la philoso- phie morale. M. Trolley repousse cet amendement comme inutile. M. Huwauzr a la parole et fait valoir quelques motifs pour demander la révision de la réponse en précisant les termes. M. l'abbé Bouver croit qu'il y aurait inconvénient à 120 SÉANCES GÉNÉRALES. adopter l'amendement de M. Rousseau, parce qué Ia philosophie ne peut pas être supposée sans morale. -M.TnrozLey appuye les observations de M. l'abbé Bou- vet, et fait voir combien ik y aurait d’inconvénient à ôter au mot philosophie toute sa généralité. L'amendement de M. Achille Rousseau, mis aux voix, est rejeté. M. le Président du Congrès rappèle que les commis- sions nommées pour la distribution des médailles offertes par M. de Caumont , ne se sont pas encore réunies et il les invite à s’assembler, ce jour même, dans une des salles de l'Hôtel-de-Ville. M. Enou fait observer qu'il serait utile d'engager tous les membres du congrès, qui auraient des renseigne- ments à fournir, à vouloir bien les communiquer , afin d'éclairer les juges. M. AnsuBauLT donne connaissance des nouveaux ou- vrages offerts au congrès. M. le docteur LePELLETIER à la parole pour continuer la lecture de son mémoire intitulé : « Etudes de l'Univers , de l'Homme et des Rapports de l'Homme avec l'Univers. M. LEPAGE est invité à rendre compte des travaux de la société d'Orléans dont il est le délégué. « Chargé déjà de représenter , l'année dernière, au congrès de Clermont, la Société académique d'Orléans, dit M. Lepage , j'ai fait connaître alors Phistoire de cette Société depuis sa fondation, ses Statuts, et ses travaux les plus remarquables jusques et y compris le mois d'août 1838. Je n'aurai donc à vous entretenir que de ce que la Société a pu faire pendant le cours de l'année qui vient de s’écouler. « La première Section , Messieurs, celle d'agriculture, dans sa constante sollicitude pour l'amélioration de la Sologne, avait engagé la Société à en faire l’objet d’un SÉANCES GÉNÉRALES. 194 concours, et sur la question proposée par la Société pour arriver à ce but si désirable, trois Mémoires ont été en- voyés , tous remplis de vues plus ou moins utiles. La Société , dans sa dernière séance , a jugé le Mémoire de M. Bourdon , propriétaire en Sologne , digne d’être cou- ronné , etune médaille d’or, de la valeur de 300 francs, sera remise à son auteur en séance publique, à la rentrée de la Société. » La Section des arts a reçu de M. Marchand,employé du cadastre dans notre département , un travail fort étendu et fort curieux sur l’ancienne abbaye et sur l'é- glise de Saint-Benoist-sur-Loire , et cet ouvrage à donné lieu à un rapport plein d'intérêt, et remarquable par l'élégance de son style, présenté par M. de Buronnière. » En outre, notre savant compatriote, M. Vergnaud- Romagnési, vient de publier une Notice sur la butte ou tumulus de Mézières, petite commune près de Cléry, à quelques lieues d'Orléans. Cette butte, de très-grande dimension, a donné lieu à de précieuses recherches de la part du profond archéologue. » Dans la Section de médecine , Messieurs, nous nous sommes occupés , sur l'invitation de la Société académi- que d'Angers, qui nous priait de nous associer à ses vues et à ses travaux, des moyens les meilleurs à em- ployer pour arriver à une réforme médicale convenable. Je fus chargé de faire un rapport à ce sujet, et je suis fà- ché de ne pouvoir offrir au congrès mon travail que l'on imprime dans ce moment-Ci. | » Notre collègue, M. le docteur Denys, nous alu, sur le même sujet,un mémoire fort bien écrit, et qui sera imt- primé aussi dans le recueil de la Société. » Quant à la Section des lettres, Messieurs, elle s'oc- cupe principalement de recherches historiques , et notre ville , à cet égard, lui offre de nombreux sujets d'étude. Rarement lit-on dans cette section quelque composition en prose ou en vers, et la société semontre toujours très- 122 SÉANCES GÉN sévère dans l'appréciation du nérite de ces sortes d’ou- vrages. » M. le Président appelle à la ”ibune M. de Forme- ville, pour liré son Mémoire sur les Corporations. Madame Toucnanp est invitée, par M. le Président, à lire une pièce de vers, dont elle est auteur ; intitulée Uné Mere. Il est cinq heures, la séance est levée. SÉANCEZDU 20 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Larr. MM. ide Caumont , Trozzey, Vice-Présidents , et M. Cauvix siégent au bureau. Les secrétaires des Sections donnent lecture de leurs procès-verbaux. Les réponses aux questions du Programme , propo- sées par les Sections, sont présentées à l’Assemblée gé- nérale. La deuxième Section a décidé de renvoyer au Congrès prochain la solution de la question relative à l'emploi de l’armée aux grands travaux d'utilité publique. M. de Caumonr fait observer que ce renvoi n’a en- core eu lieu dans aucun Congrès. M. Bouryor-St.-Hirarre , au nom de la Section des sciences médicales,propose au Congrès d'émettre le vœu que l’article 55 du Code Civil , portant : « Les déclarations de naissance "seront}faites"dans les trois jours de l'accouchement , à l'officier de l’état civil du lieu : l'enfant lui sera présenté ; » soit interprété dans le sens le plus favorable à l'hygiène des enfants. C’est-à- dire que cette présentation ait lieu au domicile de l’ac- couchée , où soit l'officier de l’état-civil, soit un mé- SÉANCES GÉNÉRALES: 493 decin assermenté et délégué à cet effet, sera tenu de se transporter pour reconnaître et constater l'identité de l'enfant. M. BourJorT fait valoir plusieurs motifs d’un haut in- térêt pour appuyer sa proposilion. « Vous avez entendu, dit-il, dans une de vos dernières séances, le docteur Vallée vous développer une suite de propositions tendant à faire introduire,dans les inhuma- tions, toutes les garanties désirables pour que les décès soient constatés et pour qu'en aucun cas la mort appa- rente ne puisse être la cause d’un homicide par impru+ dence. Je viens faire , comme lui , et solliciter de vos lu- mières et de votre approbation une force nouvelle pour conduire à bien une réclamation importante selon moi, qui tend à faire interpréter ,d’une manière plus conforme à l'hygiène publique, l’art. 55 du Code Civil .C’est en fa- veur de la naissance et des soins éclairés qu’elle réclame que je porte la parole devant vous. » La loi devait chercher à assurer à chaque citoyen un état civil fixe et entourer ce premier acte de la vie ci- vile de garanties nombreuses. » L'enfant doit être présenté à l'officier de l’état civil. Mais la loi ne dit pas ow. Sera-ce au domicile de l’enfant? à la mairie ? chez le maire ? Ici la coutume est devenue abusive. C’est l'enfant que l’on transporte naissant, (le délai de trois jours est fatal ), souvent par la rigueur de l'hiver , par la pluie , le vent et la tempête , loin du lit de la mère, quelquefois à une distance considérable, si l'en - fant est né dans une métairie, un hameau , distants du siége de la commune , pour dresser et clore l'acte dans un lieu froid, malsain, comme les bureaux de municipa- lités dans nos campagnes. Qu'en résulte-t-il? c’est que ce brusque changement de température cause , chez ces petits êtres, des pneumonies mortelles , l’induration du tissu cellulaire , et la terrible affection désignée sous le nom d’ophtalmie purulente des nouveaux-nés , à laquelle 124 SÉANCES GÉNÉRALES. sont dus la plupart des cas de fonte de l'œil, et d'une in- curable cécité , qui rend tant d’infortunés victimes d’un sort cruel , et les abandonne à la charge de la société dès le bas âge. La statistique a constaté qu’on doitattribuer à ce transport inopportun des enfants hors du domicile natal , un dixième des décès sur les nouveaux-nés. Cependant la loi n’a pas dit que ce serait l'enfant si faible et si délicat encore qui viendrait au péril de sa vie faire le premier acte d’obéissance à la loi; ne serait-ce pas plutôt au Maire , assisté de témoins , à se rendre au do- micile de l'enfant pour constater l'identité. Mais ob- jectera-t-on , les Maires et les autres officiers de l’état civil ne voudront pas prendre ce soin, et la loi sera dès-lors inexécutable, car , de toutes parts, on a senti si bien ce que cette coutume avait de barbare et d’anti- hygiénique, que la raison publique en à fait souvent justice , et que, parce qu'elle est vicieuse, la loi n’est pas exécutée. On se contente d’une simple déclaration du père ou des témoins , et on dresse l'acte de con- fiance , mais dans cette tolérance il y a encore bien des dangers. Ne pourrait-on pas supposer un accouchement, lorsqu'il n’a pas eu lieu, dans des vues coupables de transmission d’hérédité. La constatation de la naissance, l'enfant étant présenté, a encore pour but de fixer l'i- dentité du sexe. Et il vous suffirait de savoir combien il est difficile de déterminer au moment de la naissance le sexe d’un enfant, pour vous donner à croire que toute personne ne peut de prime- abord désigner si l'enfant nouveau-né est garçon ou fille. Vous avez présente à la mémoire celte charmante lettre de madame de Sévigné, où elle rapporte ses embarras , et ceux des personnes qui l'entouraient en assistant à l’une des eouches de sa fille , pour savoir si l'enfant nouveau-né était bien une demoiselle où un chevalier de Grignan. Pour pa- rer à tous ces inconvénients , et marchant dans la même route que M. le docteur Vallée , je voudrais que dans SÉANCES GÉNÉRALES. 195 chaque commune, les décès comme les naissances fussent constatés par un médecin , à ce préposé par l’autorité municipale , et assermenté , lequel recevrait un droit fixe et serait Soumis, en Cas de négligence , aux mêmes peines que l'officier de l'état civil. Le certificat de vi- site du décédé ou de l'enfant nouveau-né serait affirmé par deux témoins , et, sur le certificat, l'acte civil serait définitivement dietsé et clos. » L'état actuel des choses sur ces deux points de mé- decine légale est déplorable; de tous côtés se sont élévées des voix compétentes pour demander la réforme de ces abus. Une pétition adressée par moi aux Chambres , après avoir eu les honneurs d’un double renvoi aux Mi- nistres dela justice et de l’intérieur,est allée mourir dans les cartons. Puissent, Messieurs, votre concours et votre coopération, m'aider à l'en faire sortir,et, grâces à vous, nous verrons disparaître un ordre de choses tout-à-fait abusif relativement aux décès et aux naissances , abus ou négligence tels que la loi , interprétée comme elle est, reste inexécutée, parce qu’elle n’est pas exécutable. » M. Vié prend la parole , et reconnaît que la loi n'est pas executée dans les communes rurales , que le Maire dresse l'acte de naissance sur simple déciaration sans voir l'enfant. Maisil pense,en effet,qu’on n'obtiendra pas ie transport du Maire au domicile de l'enfant. M. Bourior répond que le moyen proposé par lui d’un droit fixe municipal à un médecin assermenté pour faire ces visites, fonctions qu'il pourrait déléguer à un simple citoyen en cas de maladie , ou d'empêchement grave, tranche la difficulté. M. Guizoïs , curé du Pré , prend la parole pour ap- puyer la proposition, et il relève une erreur ou imputa- tion faite gratuitement aux membres du clergé relative- ment à l'administration du baptême. Jamais les membres du clergé catholique romain ne se refusent à ondoyer ou à administrer le baptême définitif à domicile si 196 SÉANCES GÉNÉRALES. l'enfant est peu viable. Ils ont le soin, en hiver, de faire üédir l’eau del’ablution sacramentelle, et le baptême pou- vant toujours être remis, ou étant volontaire , les cir- constances fatales du délai de trois jours fixé, par la loi civile , ne peuvent, en aucun cas, être attribuées au pré- cepte religieux. L'assemblée consultée donne , à une grande majorité, son approbation et son concours à la proposition de M. Bourjot-St.-Hilaire. M. Douzer pe Borsrnipaurr à la parole pour lire une Notice biographique sur Jacques Charles Giroust , ancien membre de l’Assemblée législative, président du Tribunal civil de première instance de l’arrondisse- ment de Nogent-le-Rotrou. « Ce fut un des hommes rares de notre époque, dit M. de Boisthibault, un homme qui eut toutes les vertus du magistrat et du citoyen. L’his- toire et son pays ont rendu hommage à sa mémoire , à sa vie pure et sans reproches , à ses opinions coura- geuses, qui ne se démentirent jamais. » En terminant cette notice , M. de BorsraIBAULT ajoute : « J’ai tout dit sur Giroust.. je ne descendrai pas de cette tribune sans rendre un dernier et tardif hom- mage à un savant modes'e , à un littérateur plein de goût , à un antiquaire plein d’érudition , je veux vous parler de M. Gaillard , secrétaire perpétuel de lAca- démie royale de Rouen. « Ce fut l’un de ceux quitémoignèrent la plus vive sym= pathie pour cette belle et heureuse pensée à laquelle nous sommes redevables de la création des Congrès , pensée vivifiante autant que progressive , pensée chrétienne urtout, puisqu'elle rapproche les hommes et resserre les liens qui doivent les unir. « Au Congrès de Blois, M. Gaillard occupa l’un des siéges de la Vice-Présidence, il dirigea nos paisibles dis- cussions avec une intelligence remarquable. » Patient dans ses études , actif , laborieux , nous le SÉANCES GÉNÉRALES. 127 vimes soutenir avec la verve d’un jeune homme , avec la gravité , avec la science d’un homme fait à ces luttes des intelligences , auxquelles le Congrès donna lieu en his- toire , en archéologie, en littérature ; et son affabilité ne laissa jamais percer , dans les discussions, ni l’aigreur , nila vivacité d'un amour-propre blessé ; il discutait avec la courtoisie toute chevaleresque , si digne des hommes qui s’estiment et s’honorent, ce dont nous avons ren- contré plus d’un exemple parmi vous. » M. Gaillard était encore plein de vie, quand nous nous séparàmes de lui; quelques mois après les journaux nous apprenaient sa mort. » Il faudrait s'étonner , Messieurs, que depuis lors au- cune voix ne se soit fait entendre dans vos assemblées pour déplorer cette perte , si la bienveillante attention que vous accordez aujourd'hui à l’un de vos collègues , qui s’est imposé la mission de faire cesser cet oubli, n'était une réparation digne de la mémoire de M. Gail- lard , une réparation digne de vous. » L'assemblée , par un murmure 5probateur, fait com- prendre toute sa sympathie pouri souvenir donné à la mémoire d'un des membres les plus actifs et les plus distingués des Congrès. On entend ensuite la lecture d’un Mémoire sur une verrière de la cathédrale de Tours , par M. Lambron. M. Juzrex, de Paris, est appelé pour faire un rapport sur diverses Sociétés académiques dont il est le représentant : « La Société philotechnique, dit-il, fondée en 1795 , et qui se divise en trois classes, pour la littérature, 1 sciences et les beaux-arts , se compose de soixante mem- bres résidants, de trente PT libres, de dix membres honoraires, Fe soixante-deux associés correspondants nationaux , et de vingt-cinq associés correspondants étrangers , en tout de 187 membres, presque tous con- 128 SÉANCES GÉNÉRALES. nus dans le monde scientifique et littéraire par des ou- vrages utiles et par des travaux importants et honorés de l'approbation publique. » Cette Société n’a point jusqu'ici publié de Mémoires annuels, comme la plupart des Sociétés savantes. Elle tient régulièrement trois séances par mois, et de plus deux séances publiques, chaque année. Les séances par- ticulières sont consacrées à entendre des lectures et des rapports sur les inventions , les découvertes nouvelles, les procédés perfectionnés dans les sciences et dans les arts. » Les séances publiques, qui attirent en général un au- ditoire nombreux et choisi, sont employées à des lec- tures particulières de Mémoires et de Notices d’un inté- rêt général, et sont terminées par des morceaux de musique vocale et instrumentale que viennent exécuter les premiers artistes de la capitale. » Tour à tour , les plus habiles chanteurs sont venus animer et embellir , par leurs chants, les réunions où venaient de se faire entendre des savants distingués, oc- cupés d'études graves et sérieuses, des littérateurs ai- mables, des poètes dont les vers ont le plus de retentis- sement dans notre France. » Aussi, la Société philotechnique de Paris appartient moins à la capitale, où elle tient ses séances, qu'à tous les départements de la France, dont elie s’honore de compter dans son sein les principales illustrations scien- tifiques et littéraires. » L'indication de tous les ouvrages, publiés seulement depuis quelques années par les membres de la Société philotechnique , excéderait de beaucoup les bornes dans lesquelles je dois me renfermer. » La Société a pris, en dernier lieu, la résolution de publier désormais, tous les ans,des Mémoires où seront, soit reproduits en entier, soit mentionnés, les travaux de ses membres; et, en applaudissant à l'heureuse et fé- SÉANCES GÉNÉRALES. 429 conde idée de l'institution des Congrès scientifiques en France, elle s’est bien promis d'y déléguer , chaque an- née, un ou plusieurs de ses membres pour lui porter le compte-rendu des travaux de ces intéressantes réu- nions, dont elle apprécie et contribuera à faire valoir toute l'importance. Le même membre présente un rappport verbal sur : La Société nationale de Vaccine ; La Société d’'Instruction élémentaire ; La Société des Méthodes ; La Société de la Morale chrétienne ; La Société Française de Statistique ; L'Académie de l'Industrie agricole, manufacturière et commerciale ; La Société d'Emulation , unie au Cercle du faubourg Saint-Germain ; Le Cercle agricole du faubourg Saint-Germain ; La Société philosophique des sciences ; Ainsi que sur l’Institut historique. M. Laweron lit un Mémoire sur une verrière de la cathédrale de Tours. La Séance est terminée par la lecture que fait M. l'abbé Auber de l'épisode d’un poème dont il est auteur. M. le Président prévient que MM. les présidents et les secrétaires des Sections , formant le comité central , se réuniront, le soir même, pour délibérer sur le lieu où devra se tenir la huitième session du Congrès. La Séance est lévée à cinq heures. Il. 9 130 SÉANCES GÉNÉRALES. SÉANCE DU 2! SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Lair. La Séance est ouverte à trois heures,sous la présidence de M. Lair. MM. de Caumonr et Cauvix siégent au Bureau. Après la lecture et l'adoption du procès-verbal de la séance d'hier, MM. les secrétaires des Sections don- nent lecture des procès-verbaux de leurs séances. Les diverses solutions sont successivement mises aux voix et adoptées. Le Secrétaire général fait connaître les ouvrages offerts au Congrès par leurs auteurs. M. Ducuazzais fait un rapport verbal sur la Société bibliophile historique , fondée à Paris en 1835. Le but principal de ses études à pour objet l'histoire des pro- vinces de France. Deux volumes in-8°, déjà publiés, of- frent une collection de Mémoires et de Dissertations his- toriques , parmi lesquels on distingue : un Essai sur l'introduction du christianisme dans le diocèse d'Evreux ; un Mémoire sur les Æulerei Eburovici ; une Notice sur Guyot de Provins , poète du XIII° siècle, par M. Félix Bourquelot ; un Mot sur les guerres de la Jacquerie , par M. Desjardins ; une Dissertation sur les monnaies mérovingiennes portant pour légende :Bonnaciaco ; une Description du château de Beauté sur Marne , par M. H. Bordier , etc... Le troisième volume des travaux de la même Société doit paraître prochainement et con- tenir un travail sur l'Histoire de l'invasion des Honsrois en Europe,par M. Danieux,couronné par l’Institut, etc. Indépendamment de ces publications , la Société rend compte , dans un Bulletin spécial , de tous les travaux SÉANCES GÉNÉRALES. 4131 historiques qui paraissent. En finissant , M. Duchallais défend la Société contre les attaques récentes de la Revue numismatique,en rappelant les honorables suffrages ob- tenus par plusieurs de ses membres , et notamment par M.Danieux, qui a partagé, avec M. Paillard, auteur d’un Mémoire sur l'invasion Normande au sud de la Loire, la troisième médaille accordée, chaque année, par l’Ins- ditut aux meilleurs travaux sur les antiquités nationales. M. RricueLer obtient ensuite la parole , et lit un mé- moire sur celte question du Programme : « Ne conviendrait-il pas d'établir en France un Institut » général pour les départements, destiné à leur servir de » centre COMUN , en favorisant entre eux des rapports » scientifiques el littéraires ? » MESSIEURS , Les institutions utiles, les projets généreux sont , dans l’ordre des faits ordinaires , l’objet d’une lutte plus ou moins longue avec les préjugés. Avant d’être adoptée d'une manière définitive, une création nouvelle a presque toujours besoin d’être soutenue avec insistance , d’être représentée sous mille formes différentes par un de ces hommes de volonté qui plient et ne rompent pas devant les obstacles. Et ces hommes doivent être rares , surtout , quand oublieux de leur bien particulier, ils travaillent sans relâche à l’in- térêt général. Entravés souvent dans leur marche par des objec- tions sans valeur , par des intérêts privés , par de petites passions jalouses , il leur faut marcher long-temps sur un chemin difficile avant d'arriver à leur but. v Un projet de la plus haute importance , selon nous, pour l’amé— lioration des travaux scientifiques en province , est rappelé tous les ans dans vos Assemblées, reçoit l'approbation générale et n’a pu encore être mis à exécution. Nous croirions très-honorée la ville où se tient votre Septième Session, Messieurs, si elle était appelée à le voir se réaliser. Ce projet se trouve tout entier compris dans la question suivante , posée au Programme par M. de Caumont ; dont le zèle infatigable pour la science est connu de tous : 132 SÉANCES GÉNÉRALES. « Ne conviendrait-il pas d'établir, en France , un Institut géné- ral pour les départements, destiné à leur servir de centre commun, en favorisant entre eux des rapports scientifiques et littéraires ?» Avec nous, Messieurs , vous donnerez sans doute une réponse affirmative , car la province aussi enfante des hommes de travail , des hommes capables de coopérer aux progrès de la science, d’ap- porter leur tribut au vaste édifice des connaissances humaines ; mais souvent ils passent inaperçus dans leur siècle , parce qu'une cause , indépendante de leur volonté , a posé devant eux une bar— rière insurmontable. Relégués au fond des départements , souvent isolés dans leurs travaux , ils entreprennent cependant parfois de longues et pénibles tâches , qui, pour l'ordinaire, sont totalement condamnées à l'oubli, quand elles ne vont pas se perdre dans des recueils à peu près inconnus. Si vous leur donniez les moyens de se révéler, si vous arriviez à les mettre en rapport avec les hommes de leur spécialité , vous obtiendriez une marche uniforme dans les travaux , vous redoubleriez le zèle en l’excitant , vous les feriez marcher dans une voie d'amélioration et de progrès. L'union fait la force ; cette vérité presque banale , admise dans tous les temps , reconnue de tous les peuples pour les actes phy- siques , ne reçoit pas une application moins positive dans les spé— culations de l'intelligence. En effet, considérez la province sous ces deux faces , vous la verrez avec ses nombreuses individualités , fortes et puissantes, si elles étaient réunies , se soumettre sans ef- forts à la tutelle d’un seul maitre. L'institution des Congrès , appli- quée à la France , une fois généralement comprise et limitée dans de justes bornes, est une heureuse idée d’où peut jaillir peut-être l'émancipation provinciale. L'Allemagne et l'Angleterre n'ont pas monopolisé les travaux de l'esprit, et, sous le rapport des sciences et de l’histoire , ces deux pays ne nous sont pas inférieurs. A la vérité , chaque ville importante offre son Université , composée d'hommes à hautes intelligences ; mais, disons-le , toutes cesin- telligences, à quelques honorables exceptions près, se seraient-elles développées, si elles avaient été contraintes d’aller s’impatroniser dans une cité souveraine , où le génie naïssant ne trouve ni secours ni protection ; où le mérite déjà formé rencontre à chaque pas les entraves de la jalousie , où la gloire enfin se dispense le plus sou- vent par des voix achetées au prix de nombreuses humiliations ? Non sans doute , car tous les caractères n’ont pas la force de per- sévérance convenable pour arriver au but ; la plupart même , dé- couragés dès le principe , en voyant leurs travaux consciencieux accueillis avec dédain, quand ils ne sont pas dérobés au profit SÉANCES GÉNÉRALES. 433 d’une réputation peu scrupuleuse, cessent bientôt de se livrer avec ardeur à leurs études favorites. Aussi combien d'hommes attachés, soit par goût, soit par position, au sol proscrit de la province, peuvent-ils , dans leur louable dévoñment , attacher quelque es- time à leur nom, tout en servant les intérêts de la science et en concourant à la gloire de leur pays ? Nous serions cependant mal compris , Messieurs, si l’on nous supposait la pensée de vouloir disputer à Paris sa prééminence sous le rapoort de la littérature et des arts ; là seulement il est permis de se former au goût du siècle par le contact incessant des individualités supérieures. Loin de nous encore la pensée d'établir une rivalité avec ces foyers de lumière que la centralisation seule peut produire , loin de nous enfin la folle ambition de créer un corps capable d'arriver aux savantes élucubrations permises seule- ment dans le lieu , où de riches bibliothèques, où des musées inap- préciables , où des collections en tous genres viennent en aide à l'homme d'étude. Mais d’un autre côté , il faut le reconnaître , aux départements appartient l'étude analytique des sciences historiques et naturelles appliquées à la France ; aux départements seulement, il est permis d'arriver à un résultat complet et fructueux sous ce rapport; là tous les hommes d'étude peuvent fixer sur la toile, où doit figurer le tableau de notre riche patrie, les détails néces- saires pour en composer l’ensemble. Et, nous vous le demandons, Messieurs, quels moyens aurez-vous d’exciter les hommes de la province à sacrifier leur temps dans des recherches pénibles, si vous avez à leur offrir, pour toute compensation, le stérile honneur d'une réputation enchainée dans les limites de leur localité ? Il faut bien l'avouer , on se livre rarement à l'étude ardue des sciences sans être poussé par un intérêt particulier , intérêt bien louable toutefois, quand il tend à conquérir l'estime de ses conci- toyens. L'association nouvelle aurait,entr’autres, avantages celui de laisser à chacun ses œuvres et de leur donner une publicité conve- nable, après avoir reçu la sanction des membres compétents pour les juger. Alors cette publicité ne se bornerait plus aux limites d’un département , comme elle se trouve restreinte dans les Recueils des Sociétés savantes ; alors des travaux de longue haleine pour- raient trouver place dans les Mémoires de l'Institut des provinces et être accompagnés de plans, de figures et de cartes nécessaires à leur intelligence Les dépenses, inséparables de semblables publications, dépassent ordinairement les ressources des Sociétés académiques ; la plupart des auteurs redoutent, de leur côté, d'ajouter aux sacri- fices de l'étude , les charges onéreuses de l'impression et de la 134 SÉANCES GÉNÉRALES. gravure ; et, sans doute, une foule d'importants travaux , relégués, par cette considération , dans les cartons du savant , sont tombés plus tard dans des mains ignorantes qui nous en ont privés pour toujours. L'Institut, une fois établi sur des bases solides , saura comme nous venons de ledire, remédier à cet inconvénient; il pourra, sans être très-onéreux pour chacun des membres en particulier, donner les moyens de révéler des travaux d’un haut intérêt, enfin exciter entre tous une noble émulation , dont les résultats tourneront au profit de la science. Nous craignons de voir donner à notre pensée une extension dé- passant des limites que nous lui avons fixées nous-mêmes , aussi devons-nous dire encore : l’Institut provincial n’est pas appelé à entrer en lutte avec les corps savants de Paris ; à chacun ses de- voirs , à chacun ses droits ; à la province , les travaux d'observa- tions locales , d'appréciation positive, de recherches minutieuses ; à la province, les élucubrations territoriales , à elle le soin de saisir la nature sur le fait ; à Paris , les considérations générales , les vues philosophiques , les décisions particulières sur Les points litigieux ; à lui les sciences abstraites, les travaux comparatifs , en un mot, la philosophie générale de toutes les connaissances de l’homme. Ce résultat, au premier aspect , doit paraitre difficile à obtenir ; il suffit , cependant , nous en sommes convaincus , d’éta— blir l'unité entre les hommes laborieux des diverses localités , d'imprimer à leurs travaux une direction uniforme, en traçant à l'avance de vastes plans, où chacun s’empressera d'apporter la pierre convenablement taillée pour concourir à la construction de l'édifice ; il suffit de mettre en communication les spécialités de la science , d'établir entr’elles des rapports faciles | d'apprécier leur zèle et d'encourager leurs efforts. L'union des Sociétés savantes est encore nécessaire pour arriver au but ; aussi désirerions-nous les voir toutes s'associer à la fondation de l'Institut ; elles seraient comme les anneaux de la grande chaîne qui servirait à réunir tous les départements. Après avoir exposé rapidement notre pen- sée tout entière , nous allons tâcher de nous résumer en posant un exemple pris dans le Programme de la Septième Session du Congrès. La première question de l'Histoire Naturelle est ainsi rédigée : « Quel serait le meilleur mode d'exécution d'un ouvrage com— » prenant l'Histoire et l'Iconographie des animaux, des végétaux et » des minéraux de la France ? » Si l’on veut admettre l’Institut des provinces établi régulière— ment sur tous les points du pays , on le verra , seul peut-être , ca- SÉANCES GÉNÉRALES. 135 pable de fournir les matériaux nécessaires à l'exécution d’une aussi vaste entreprise. Si l’on suppose un cadre uniforme, tracé avec le secours des hommes spéciaux et comprenant toutes les branches de l'histoire naturelle , on verra bientôt , disons-nous, les hommes laborieux des diverses localités adopter ce plan , suivre la marche indiquée , parler la même langue et concourir au même but. Chaque travail devant être reproduit dans son intégrité serait sou- mis à l'examen d’une commission choisié , prise , autant que pos— sible , dans le sein des Sociétés savantes de chaque localité, et of- frirait dès-lors à la science et à l’auteur une garantie de plus, tout en laissant à ce dernier l'honneur de sa production. On comprend aisément que ces travaux partiels seraient destinés à former une œuvre d'ensemble ; chaque pierre de la mosaïque viendrait à la fin prendre régulièrement sa place, et l’on arriverait par ce moyen à des résultats que l'isolement et le défaut d’uniformité ne permet— tront jamais d'atteindre. On conçoit combien il serait aisé de suivre la même marche pour l’agriculture et l’industrie, pour l’his- toire locale , la géographie ancienne , la statistique physique et morale , en un mot pour l’histoire et les progrès des sciences com- parées dans nos départements. Libre plus tard à des esprits synthétiques de venir puiser à ces sources précieuses pour en tirer des généralités utiles; dès-lors, l'Institut des provinces aurait rempli sa tâche en produisant des œu— vres consciencieuses, seulement permises aux observations lo- cales ; en redressant une foule d'erreurs , inséparables de l’isole- ment et du défaut de communication ; enfin en donnant aux hommes d'étude, la possibilité de conquérir, par une publicité rendue nécessaire, le rang auquel ils ont droit de prétendre. L'heureuse institution des Congrès devait naturellement faire naître la pensée d’une association permanente dans les départe- ments ; aussi voudrions-nous voir ces deux créations tendre à la même fin et se prêter un mutuel appui. La nombreuse et impo— sante assemblée , réunie pour la Septième Session du Congrès, les honorables adhésions , adressées avec empressement de tous les points de la France , nous prouvent combien le besoïn de contact se fait généralement sentir. C'est à vous, Messieurs, de vous prononcer sur l'opportunité du projet pour lequel nous venons vous demander votre approba- tion ; sans doute nous prévoyons d'avance une partie des objec- tions qui pourront être faites et nous nous serions préparés à y répondre, si les difficultés de mise en œuvre pouvaient être aplanies dans une discussion. Mais il n’en est pas ainsi , dans cette cir- 136 SÉANCES GÉNÉRALES. constance , la discussion pourrait faire naître des entraves d'un aspect insurmontable ; on pourrait s'arrêter , effrayé par les aspé= rités du terrain avant de faire même quelques pas dans la voie dont l'abord seul est peut-être pénible. C'est à vous, Messieurs , disons-nous, d'approuver l'utilité du projet ; c’est à l'homme qui en a conçu la pensée, au savant dont nous apprécions tous la vo- lonté inébranlable pour la propagation des lumières qu'appartient l'honneur d'en commencer l'exécution. Pour nous , nous nous es— timerions heureux de le seconder de nos faibles efforts, si déjà un grand nombres d'hommes distingués n'avaient pris rang pour l'aider et le faire réussir dans cette noble tâche. M. le docteur LePELLETIER , en soutenant le projet, s'applique à demontrer les obstacles de tout genre que rencontrent les ouvrages écrits ou même imprimés dans les départements ; et cependant il faut recourir à la pro- vince pour tout ce qui est fait et observation. Ce prin- cipe méconnu rend souvent à Paris l'enseignement et les travaux scientifiques erronés ou incomplets. Il cite plusieurs exemples à l'appui de cette opinion et signale surtout les observations des cas pathologiques qui ne présentent pas à Paris les mêmes caractères que dans les autres localités. M. le docteur Huxaurr désapprouve l'établissement d’un Institut pour les départements comme inutile. Il croit le Congrès suffisant ; seulement il demande qu'on lui donne plus de consistance en lui procurant plus de fonds et des moyens de vie. M.de Lasicorière ne refuse pas de croire à l'utilité du projet; mais il voit de grandes difficultés à sa réalisa- tion actuelle et résume son opinion par la proposition suivante qu'il dépose sur le Bureau : « Le Congrès ad- » met en principe l'utilité d'un Institut des départements, » destiné à resserrer les liens qui unissent les savants » entr'eux , à favoriser la publication de leurs travaux et » de leurs observations ; mais il réserve au Congrès » prochain l'examen du plan et des moyens d’exécu- » tion. » SÉANCES GÉNÉRALES: 137 M. Douscer pe BoisrurBauLTr pense qu’en combat- battant la centralisation, le projet la rétablit dans une localité. [ne trouve pas fondés les reproches adressés aux corps de Paris qui, selon lui, accueillent avec em- pressement les travaux des provinces, quand ils ont un mérite réel, et accordent à leurs auteurs d’honorables distinctions , comme il est arrivé à MM. de Caumont, de Lasaussaye,de Saulcy et à beaucoup d’autres que l’Institut s’est adjoint. Au reste , il cherche quels pourraient-être les éléments d’un [Institut des provinces, quels hommes seraient en état de le soutenir vis-à-vis des académies de la capitale ; mais, en résultat, tout en rendant hom- mage à quelques célèbrités éparses dans les provinces, il ne voit pas de forces suffisantes pour surmonter les difficultés et remplir les promesses d’une aussi grande entreprise. M. LamBron voudrait seulement voir à Paris une ins- ütution destinée à protéger la production des ouvrages écrits dans les départements. MM. Derasazze, Hunauzr et BoisTHIBAULT parlent contre le projet qui est Soutenu de nouveau par MM. Ri- chelet , Lepelletier , Bourjot-St-Hilaire et de Caumont. Ce dernier donne , en outre , quelques aperçus sur le plan et les moyens de succès du projet. Il ajoute que de- puis long-temps déjà l’Institut des départements est l’ob- jet des vœux et des méditations d’un certain nombre d'hommes laborieux , qui lui ont promis leur concours et qui sont en mesure de publier des travaux très-im- portants. La clôture de la discussion est réclamée de tous côtés. M. le Président met aux voix l'approbation pure et simple de l’utilité du projet indiqué dans la question qui a fait l'objet de cette discussion. L'assemblée se pro- nonce pour l’affirmative à une très-grande majorité. Le Congrès consulté, décide que la séance générale de demain, s’ouvrira,à midi précis, par la discussion de 138 SÉANCES GÉNÉRALES. la question relative à l'emploi de l’armée aux grands travaux publics, question renvoyée à cette séance par la Section d'agriculture , industrie et commerce. Les rapporteurs des diverses commissions , choisis pour proposer les noms des personnes,auxquelles le Con- grès doit décerner des médailles et des mentions hono- rables en récompense de leurs travaux scientifiques , lit- téraires et artistiques , sont invités à donner lecture de leurs rapports. Les résultats donnent lieu à une discus- sion, à laquelle prennent part MM. Odolant-Desnos, De- lasaile , Edom, Lepelletier qui proposent et font adopter de légères modifications aux conclusions des rapports. Enfin, après un vote distinct , sur chaque proposition, l'assemblée adopte le programme. M. le président annonce que les nominations des Lauréats seront faites dans la réunion générale de de- main qui sera la dernière de la Session. La Séance est levée à 5 heures. SÉANCE DU 22 SEPTEMBRE 1839. Présidence de M. Larr. MM. de CaumonT , TROLLEY et Cauvin siégent au Bureau. Le procès-verbal de la dernière Séance est lu et adopté. M. Bourior-St.-HinarRE fait connaître les réponses proposées par la Section de médecine, dans la Séance tenue ce matin, aux questions du Programme qui res- taient à examiner. Ces réponses sont adoptées par l’Assemblée. Le Secrétaire donne lecture du projet de Programme, SÉANCES GÉNÉRALES. 139 rédigé en conséquence des décisions des Sections rela- tivement aux médailles offertes par M. de Caumont. PROGRAMME Des Médailles et Mentions honorables accordées par Ze Congrès dans sa septième Session, tenue au mois de septembre 1839. — 2: CD— PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS. SCIENCES NATURELLES , PHYSIQUES ET MATHÉMATIQUES. 4o Mentions en dehors du concours. — M. Desportes, pour ses travaux en histoire naturelle et pour la Flore du Maine ; M. Blavier, ingénieur des mines au Mans, pour son Essai sur la statistique géologique et minéralogique de la Mayenne. Concours. Médaille.— M. Triger, de Mamers, pour sa Carte géo- logique de la Sarthe et son Cours de géologie fait au Mans. Mention honorable. — Mme Cauvin, pour ses travaux sur la Botanique. DEUXIÈME SECTION. AGRICULTURE , INDUSTRIE ET COMMERCE. 40 Mention honorable en dehors du concours. — M. Gourdin , méca- nicien à Mayet. Concours. Médaille.—M.Pichon, agronôme, maire de la Guierche, pour ses travaux agricoles. Mention honorable. — M. Mullier, mécanicien au Mans, pour son hache-paille , adopté à l’école de cavalerie de Saumur , pour son coupe-racines et sa machine orthopédique. TROISIÈME SECTION. SCIENCES MÉDICALES. Concours. Médaille. — M. Lepelletier (de la Sarthe), pour sa Physiologie, son Traité des scrophules , ses autres ouvrages et son Cours de Physiologie professé au Mans. 140 SÉANCES GÉNÉRALES. Mentions honorables. — M. Gendron , de Château-du-Loir, pour plusieurs Mémoires imprimés dans les Recueils de médecine ou séparement ; M. Guéranger au Mans, pour ses travaux chimiques et son Cours; M. Etoc-Demazy, fils, au Mans, pour sa Statistique de l'établis- sement des Aliénés, qu'il dirige avec autant de zèle que d’habileté; M. Mordret au Mans , pour divers Mémoires et ses observations sur la révaccination. QUATRIÈME SECTION. ARCHÉOLOLOGIE , HISTOIRE. Mentions honorables. — M. Godard, d'Angers, pour son Histoire d'Anjou ; M. l'abbé Fret, curé de Champs près Mortagne , pour ses Chroniques Percheronnes. CINQUIÈME SECTION. LITTÉRATURE, BEAUX-ARTS, PHILOLOGIE, PHILOSOPHIE , ENSEIGNEMENT. Ao Littérature et Poésie. Mention honorable en dehors du concours. —M. Boyer, du Mans, pour son Poëme sur l'éducation. Médaille. — Mie Carpentier, de la Flèche, pour ses Poésies. Mentions honorables. — M. Girault, de Sablé, pour ses Poésies et autres œuvres littéraires ; Me Louise Touchard, du Mans. 20 Philosophie. Mention honorable en dehors du concours. — M. Bouvet, principal du collège du Mans , pour son ouvrage intitulé : la Raison de la foi au catholicisme. 50 Beaux-Arts. Mentions honorables en dehors du concours.— M. Jolivard, du Mans, peintre de paysage. M. Monanteuil, d'Alençon, peintre de genre. SÉANCES GÉNÉRALES. : 4141 Gravure sur bois. Mention honorable en dehors du concours. — M. Godard fils, d’A- lençon. Sculpture. Médaille. — M. Norietz, de Tours. Dessin et Gravure. Médaille. —M. Hawke, d'Angers , a publié ses vues pittoresques des bords de la Loire et a fourni les gravures qui accompagnent l'Histoire d'Anjou. Musique. Mentions honorables. — M. Martin, compositeur, au Mans ; M. l'abbé Blin, maitre de chapelle, au collége du Mans. Ce Programme reçoit l'approbation du Congrès. On annonce que les médailles seront distribuées lors- que les noms des lauréats y auront été gravés (1). M. Juzren, de Paris , demande qu’on insère au compte rendu des travaux du Congrès les réponses adressées par M. le docteur Murr aux questions du Programme relatives à l’homéopathie. Après une discussion , à laquelle prennent part MM. Trozcey , LEPELLETIER et BOISTHIBAULT , l’assem- blée pense que les limites du compte-rendu ne permet- tent pas d'y mentionner les réponses qui n’ont pas été admises. Toutefois la réclamation de M. Jullien est ren- voyée à la Commission de publication. Le Congrès prononce également le renvoi , à la même Commission d’un Mémoire , présenté par M. Edom, sur les Salles d’Asile. (1) Cette distribution a été faite par M. Cauvin , ptésident de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts du département de la Sarthe, dans la séance publique tenue au Mans, le 31 décembre 1839, 142 SÉANCES GÉNÉRALES. M. TroLLEY recommande et fait renvoyer à la même Commission le travail de M. labbé Maupoint sur les jeunes détenus. L’honorable Vice-Président adresse à l'assemblée des témoignages de sa reconnaissance pour les suffrages qu’il en a reçus. M. Ricuecer lit le projet d'arrêté fait par les Bureaux pour désigner le lieu où se tiendra la huitième Session du Congrès et pour la publication des travaux de la septième , il est ainsi conçu : La Commission centrale s'est réunie, Messieurs , le 20 sep tembre dans une des salles du Palais de Justice, pour choisir le siége de la huitième session du Congrès ; après avoir longuement délibéré , la majorité des suffrages a désigné la ville de Besançon. Elle vous propose de nommer M. Weiss, secrétaire-général et MM. Clerc , conseiller et Bourgon professeur à la faculté des lettres , secrétaires-généraux — adjoints ; elle vous soumet en con- séquence le projet d'arrêté suivant : Arrêté pris par le Congrès dans la Séance générale du 22 sep- tembre 1839. Art. Premier. La huitième Session du Congrès scientifique de France s'ouvrira à Besançon (Doubs), dans la première quinzaine de septembre 1840. Art. 2. Le Congrès sera divisé en six Sections , qui porteront , comme à la Session précédente, les dénominations suivantes : 4. Sciences Näturelles ; . Agriculture, Industrie et Commerce ; . Sciences Médicales ; Archéologie et Histoire. Littérature et Beaux Arts ; . Sciences Physiques et Mathématiques. Art. 3. Sous aucun prétexte, il ne pourra être apporté de chan= gements à ces divisions. Art. 4. M. Weiss est chargé de remplir les fonctions de secré= taire-général de la huitième Session, en s’adjoignant M. Clerc , conseiller à la Cour royale, et M. Bourgon, professeur à la Faculté des lettres. Les secrétaires des Sections doivent être à l'avance désignés par les secrétaires-généraux. SÉANCES GÉNÉRALES. 143 Ant. 3. La convocation, pour le prochain Congrès, sera faite au moyen d’une Circulaire adressée par M. le Secrétaire-Général de la huitième Session aux savants de la France et de l'étranger. MM. les Secrétaires-Généraux des Congrès précédents sont priés d'aider M. Weiss dans cette distribution , pour les contrées qui les avoisinent. Art. 6. Nul ne sera admis à se faire inscriré au nombre des membres du Congrès, s’il n’est porteur d’une lettre de convo- cation. Art. 7. Les Secrêtaires-Généraux de la septième Session s’oc- cuperont immédiatemént de la publication du Compte-rendu du Congrès, de concert avec MM. les Présidents et Secrétaires des Sections en résidence au Mans, qui formeront , avec eux, le co- mité de publication. Le volume sera tiré à 600 exemplaires. Ant. 8. Cette Commission est chargée de revoir les Mémoires lus dans les Séances ; elle choisira ceux qui lui paraîtront les plus importants , et pourra n’imprimer que par éxtrails ou supprimer tout-à-fait, si elle le juge convenable , les Mémoires présentés pendant la session , lors même que l'impression en aurait été de mandée par une Section , ou que la lecture en aurait été faite en Séance générale, Art. 9. La même Commission présidera à la distribution du Compte-rendu , dont cent exemplaires au moins et cent-cinquante exemplaires au plus , seront adressés, au nom du Congrès , aux Académies et Sociétés savantes de France ; la Commission pro- noncera sur toutes les difficultés qui pourraient s’élever ultérieure- ment ; elle donnera au Secrétaire-Général , chargé de la huitième Session, tous les renseignements qu'il pourra réclamer ; en un mot, elle sera investie des mêmes attributions que le Congrès qu’elle représentera, jusqu’à la publication du Compte-rendu de la septième Session. Fait et arrêté en Séance générale , le 22 septembre 1839. M. le docteur HunaULT DE LA PELTERIE, préfère la ville de Strasbourg pour le siège de la Huitième Session et pense que l'érection projetée, dans cette ville, d’un monument à la mémoire de Guttemberg,est une circons- tance très-favorable à Ia réunion simultanée d’un Con- grès ; il formule en conséquence sa proposition , pour Strasbourg, de la manière suivante : e* 144 SÉANCES GÉNÉRALES. « Le Congrès scientifique de France considérant que l'inauguration d’un monument à la mémoire de Guttem- berg est une solennité éminemment nationale et scienti- fique, dont il est important de relever l'éclatetla pompe, par tous les moyens en rapport avec l’inmense service rendu, par son immortelle invention, à tous les pro- duits du génie et de l'intelligence humaine ; «Considérant,d’ailleurs, queles Congrès qui se sont po- séseux-mémes comme les représentants dela science dans les provinces, ne peuvent,sans faillir à leur mission, faire défaut d’une manière quelconque.à cette grandesolennité; » Considérant enfin que la réunion des deux solennités est on ne peut plus propre à en rehausser l'éclat et la re- nommée, ainsi qu'à assurer les résultats qu'ils se pro- posent mutuellement, arrête, etc. » M. de Caumonwr fait valoir les droits de la ville de Besançon à la préférence et cite les noms des hommes de mérite sur le zèle desquels on peut compter pour une bonne organisation. La discussion est close , l'arrêté proposé par la Com- mission est mis aux voix et adopté à une grande majorité. L'assemblée est ensuite consultée sur la dixième ques- tion de la deuxième Section du programme , relative à l'emploi de l'armée aux grands travaux d'utilité pu- blique. Cette question déjà débattue dans la Section de l'agriculture et de l'industrie a été renvoyée à la séance générale. M. de Lasicorière combat les arguments présentés pour l’affirmative dans la Section. L'exemple des Ro- mains ne lui paraît pas admissible, à cause de la diffé- rence de leur civilisation comparée à la nôtre. La con- servation de leurs conquêtes les obligeait à de grands ouvrages stratégiques et autres pour lesquels il ne trou- vaient des ouvriers nombreux et intelligents que dans leurs armées ; d’ailleurs ils avaient des soldats mercenai- res et on les employait à ces travaux, ils usaient d’un SÉANCES GÉNÉRALES. 145 droit. Quant aux Suédois, leur caractère docile à l'égard duquel on peut tout tenter, tout improviser, la place en- core dans une position exceptionnelle ; l’obéissance pas- sive semble chez eux toute naturelle, et la discipline n’est pas compromise par des changements successifs dans leurs habitudes. Chez nous , avec nos mœurs et nos lois actuelles, on ne peut espérer de semblables résul- tats : les hommes, que l’on ferait dévier de la ligne stric- tement déterminée parle régime militaire,y rentreraient difficilement ; la discipline en recevrait de graves atlein- tes, la santé même des troupes souffrirait de ces alter- natives d'occupations si opposées ; au reste , les travaux, considérés en eux-mêmes , n’offrent point les avantages annoncés sous le rapport de la qualité et de l'économie ; l'expérience l’a suffisamment démontré. D'un autre côté, l'intérêt du pays qui devrait fournir les ouvriers est gra- vement lésé; on arrache aux indigents le pain sur lequel ils comptaient, on prélève un impôt sur les classes la- borieuses. Suivant M. Vié, le travail est le meilleur moyen de moraliser les hommes, c’est pour cela qu’il veut l’appli- quer aux soldats. Le séjour et l'oisiveté des villes exer- cent sur eux une fàcheuse influence , il faut les éloigner des lieux de débauche et les jeter dans le moule de l'in dustrie , en uilisant leurs loisirs , par des travaux modé- rés au profit de la société, qui doit les rendre à leur fa- mille aussi moraux qu'elle les a pris. L’orateur pense que les usages conformes à cet égard des Romains, des Suédois , des Prussiens et d’autres nations, sont des au- torités pour son opinion. Îl ne veut pas toutefois que le soldat travaille dans les villes, mais bien dans les cam- pagnes où, très-souvent, comme en Bretagne, on serait heureux d’avoir des bras étrangers pour ménager et ne point enlever ceux nécessaires à l’agriculture. M. Trozzey combat l'emploi de l’armée aux travaux publics comme présentant pour elle de graves inconvé- II. 10 146 SÉANCES GÉNÉRALES. nients. Le soldat se sentirait trompé dans l'estime qu’il portail de son état, et il serait à craindre qu'an senti- ment d'amour - propre blessé et de dignité personnelle compromise n’empéchàt les enrôlements volontaires dont le besoin se fait sentir de plus en plus pour le recrute- ment des sous-officiers. Les antécédents , la position so- ciale de beaucoup de jeunes-gens leurs feraient redou- ter les travaux publics, qu'ils considéreraient toujours comme une sorte de travaux forcés. Dans l'armée même, l'infanterie y étant appliquée à l'exclusion de la cavale- rie qui n’y est pas propre, cette espèce de privilége en faveur des cavaliers entretiendrait de fàcheux préjugés et ferait germer de funestes divisions. Après avoir fait valoir ainsi l'intérêt dela discipline, M. Trolley termine en rappelant que les 60 millions portés au budget pour être dépensés en grands travaux publics, exécutés par la classe ouvrière , au soulagement de laquelle ïls ont été destinés, ne peuvent, sans injustice à son égard, être entamés par un autre mode d'emploi. M. P. Dezasazze cherche à se placer à un point de vue élevé , et conciliateur par cela même. Pour savoir quelle solution on doit donner à la ques- tion proposée , il est indispensable d'examiner où nous en sommes , et de consulter la philosophie de l'histoire. Cet examen nous apprend que l'élément guerrier va toujours en décroissant , et que, par une conséquence nécessaire , l'élément pacifique prend journellement des forces nouvelles. Si le progrès se continue , que fera-t-on de ces belles intelligences qui se vouaient au métier des armes, que fera-t-on de ces masses imposantes qui n'auront plus de mission ni d'emploi ? Lorsqu'on en sera arrivé à ce point, il sera inutile de discuter les avantages et les inconvénients de la mesure; il faudra l’accepter comme une nécessité invincible, et SÉANCES ÉNÉRALES. 147 nos armées de soldats deviendront, par la force des choses, des armées de travailleurs pacifiques. L'orateur s’abstient de citer comme antécédents, les travaux des légions romaines et des régiments sué- dois ; ces nations étaient organisées pour la guerre , et, les travaux réalisés , étaient eux-mêmes des travaux guerriers. Mais il signale le projet soumis, en 1798, au gouvernement espagnol, par Henri-St-Simon , et , plus près de nous, l'établissement des compagnies Dors rang, et les routes sHiégiques. | Il termine en disant que la question est une question de temps, d'avenir, et que c’est déjà un progrès que de l'avoir posée et d’avoir cherché à la résoudre. M. Dovscer DE BoisraiBAULT pense qu'on ne peut changer brusquement les habitudes des soldats, en les employant aux travaux publics, sans occasionner le re- lâchement de la discipline, la perte de l'estime de leur profession , des jalousies dans les corps obligés au tra- vail à l’égard de ceux qui en seraient exemptés , enfin de très-grands ravages dans la santé des troupes. A l'ap- pui de cette dernière objection, il cite l'expérience de Louis XIV, qui fit travailler ses soldats au canal de Main- tenon. Par suite de la fatigue inaccoutumée qu'ils éprou- vèrent , leurs rangs furent tellement décimés , la mor- talité fut si grande, que des raisons de politique firent commander , sous les peines les plus graves, un silence absolu sur ces faits. Quant aux motifs d'économie, M. de Boisthibault n’y croit pas; il dit qu’en Angleterre , où tout se calcule , on ne fait pas travailler les troupes, et que Napoléon, que le respect pour la liberté de son pays n’arrêtait pas, ne faisait point des ouvriers de ses soldats. M. l'abbé Auger n’espère pas que les soldats travail- lant dans les campagnes y reprissent des habitudes plus morales ; au contraire, suivant lui, la liberté plus grande dont ils jouiraient les exciterait à se livrer à de nou- 148 SÉANCES GÉNÉRALES. veaux désordres, et toute moralisation disparaîtrait des localités par eux occupées. M. Hervé répond aux objections tirées de l'exemple de Napoléen et de l'Angleterre : l'Empereur occupait assez ses soldats à faire des conquêtes , et l'Angleterre, comme les Etats-Unis, ne conservant pas d'armée per- manente, ne peuvent l’employer aux travaux publics. Il pense que cet emploi est un avantage dans les autres pays. MM. Juin de Paris et HUNAULT DE LA PELTERIE, ajoutent encore quelques considérations , le premier pour et le second contre l’affirmative , en se fondanttous deux sur les expériences récentes dont il apprécient dif- féremment les résultats. L'assemblée ferme la discussion,et,ne voulant pas for- muler de réponse à la question , qui lui semble devoir être éclaircie par de nouvelles expériences , elle en ren- voie l'examen au prochain Congrès. M. de Caumonr prend ensuite la parole et dit : MESSIEURS , «Nous avons une dette à remplir envers notre savant et respectable Secrétaire-Général , M. Cauvin. C’est à son zèle éclairé que nous devons les résultats heureux de la septième Session : tout avait été préparé par M. Cauvin et par ses honorables collègues MM. Richelet et Anju- bault , avec cette activité, celte sagesse qui assurent la réussite de toute chose. » Nous sommes heureux de le proclamer , d’être en cela l'interprète des membres du Congrès scientifique et d’avoir été choisi par eux pour adresser à M Cauvin l'expression de la profonde gratitude dent nous sommes tous pénétrés pour lui. Nous le prions de vouloir bien accepter cette médaille destinée à perpétuer le souvenir de notre réunion et du généreux concours qu'il a prêté SÉANCES GÉNÉRALES. 149 à la consolidation et à l'accroissement de l'institution du Congrès. » Les services que, depuis si long-temps, il rend aux savants et à la science , son zèle infatigable que l’âge n’a point refroidi méritaient sans doute cette distinction, qui n'avait encore été décernée à aucun de ses prédé- cesseurs. Puisse-t-il trouver dans cet hommage spontané des membres de l'assemblée , dans ce témoignage de notre sympathie , la récompense des fatigues insépa-: rables du Secrétariat-Général et des travaux prépara- toires si habilement conduits , auxquels nous devons le succès de la septième Session du Congrès. » Après ce discours, M. de Caumont remet unemédaille à M. Cauvin, qui manifeste , par ses remerciments et sa vive émotion , la reconnaissance dont il est pénétré. M. Ricuezer s'adressant aux membres étrangers , s'exprime ainsi : MEssIEURS, « Nous sommes arrivés au terme de nos travaux.Avant de se séparer de vous , vos Secrétaires-Généraux éprou- vent le besoin d'exprimer à l’assemblée combien ils sont reconnaissants envers les nombreux étrangers qui ont bien voulu se rendre à leur appel, envers chacun desmem- bres en particulier, envers les Présidents et les Secré- taires des Sections,de l’empressement et du’zèle que tous se sont plu à apporter dans cette réunion solennelle. «Ce n’est pas ici le lieu de faire ressortir tout ce qu’il ya de grand, d'utile , de moral, dans l'institution des Con- grès ; vous l'avez apprécié depuis long-temps , Mes- sieurs , ei vous venez de le sanctionner dans vos actes. Honneur donc à celui qui, poussé par un généreux dé- vouement , par un zèle bien entendu pour la science, par le désir de propager le goût de l'étude dans nos provinces, eut le premier l’heureuse idée d'importer en France cette belle institution. 150 SÉANCES GÉNÉRALES. » La ville du Mans n’oubliera pas l'honneur d’avoir été choisie pour le siége de la septième Session du Congrès ; c'est une belle page qu’elle se glorifiera d'enregistrer dans ses annales. » Qu'il nous soit permis encore de remercier, en vote nom , notre honorable Président de l’activité et du soin qu'il a mis à diriger nos séances publiques et qu’une part de notre reconnaissance retourne à MM. les Vice- Présidents , dont les efforts l'ont si dignement secondé. » [1 nous reste une dette à acquitter. Nous devons re- mercier enfin les dames qui ont bien voulu s'associer à toutes nos réunions ; leur présence assidue prouve l’in- térêt qu’elles ont pris à nos travaux et c’est pour nous une douce récompense. » Sur la proposition de M. Etoc-Démazy (père }, le Congrès vote , par acclamation des remerciments à MM. le Président, les Vice-Présidents et les Secrétaires- Généraux. M. Lair, président du Congrès, prononce le discours suivant : MESSIEURS , «Appelé par vos suffrages à diriger vos travaux,j'éprou- vais une crainte bien naturelle en me chargeant de fonc- lions qui, dans beaucoup d’assemblées , sont souvent pénibles et difficiles à remplir. Je ne voyais que la difficulté. Mais j'ai été bientôt rassuré par la confiance que vous m'avez accordée. J'avais aussi en ma faveur les témoignages d'estime, et, j'ose dire, d’attachement que plusieurs d’entre vous m’avaient donnés précédemment. » Jamais, Messieurs , Congrès n’a présenté , dans ses travaux , plus d'ensemble , jamais ses membres n’ont montré un zèle plus éclairé pour le bien public et pour les progrès de la Science. » Jen’entreprendrai pas ici de vous retracer le tableau si animé de vos intéressantes discussions. Chaque jour SÉANCES GÉNÉRALES. 451 vos secrétaires vous en ont rendu un compile fidèle , et je l’affaiblirais en voulant le reproduire. » Remercions M. le Secrétaire-Général, ce respectable vieillard dont le grand âge n’a point diminué l'activité , remercions également ses deux honorables collabora- teurs pour avoir préparé la marche de nos travaux et facilité leurs succès. Offrons des actions de grâces au vénérable prélat de ce diocèse qui a bien voulu nous honorer de sa présence, et faire, en quelque sorte, lui- même l'ouverture du Congrès. Je présente aussi à votre gratitude M. le Président du Tribunal Civil, qui, en met- tant à votre disposition le palais de justice pour la tenue de vos séances, a permis que le temple austère de Thémis fut ouvert aux amis des Muses. C’est avec non moins de bienveillance et d'empressement que M. le Maire vous a reçus dans l'enceinte municipale pour vos réu- nions du soir. Le département de la Sarthe, célèbre par les savants et les hommes de lettres qu'il a MR et dont l’histoire vous à été retracée si dignement par un de vos collégues, devait naturellement être choisi pour une de vos réu- nions annuelles ; et le Mans, qui depuis long-temps est le centre d’un commerce florissant par son industrie agri- cole, est devenu aussi un centre de connaissances , de lumières et de progrès. Avec quelle rapidité, Mesices se sont écoulés les dix jours que nous avons passés dans cette ville hospitalière. En la quittant à regret, je dois, au nom de tous les membres qui composent cetle nom- breuse assemblée, adresser aux habitants de cette belle cité des remerciments pour leur accueil amical et leur cordialité. Qu'ils reçoivent ici l'expression de notre vive reconnaissance. M. le docteur LereLLetier, répond à M. le Prési- dent : « Dans toute autre occasion, M. le Président , nous croirions manquer aux convenances en prenant la pa- 452 SÉANCES GÉNÉRALES. role après vous , mais lorsqu'il s’agit d’un échange de bons procédés et de sentiments affectueux, il nous de- vient impossible de vous laisser le dernier mot. » Organe de nos concitoyens, qu'il nous soit donc per- mis de vous exprimer tout le prix que nous attachons aux relations si fructueuses et si douces que nous ve- nons d'entretenir avec des hommes dont nous estimons le caractère et les talents , dont nous conserverons à ja mais le souvenir. » La ville du Mans comptera toujours,au nombre de ses titres les plus honorables, l'avantage d’avoir été choisie pour la septième Session du Congrès scientifique de France, et de ses jours les plus heureux , le trop petit nombre de ceux que vous avez passés au milieu de nous. » Un fait a surtout excité profondément nos sympa- thies , et le fait ne sera pas perdu pour l'avenir de la belle institution qui vient de nous rassembler : dans les discussions même les plus importantes , les plus animées et les plus vives, pas un seule expression irritante, pas un seul mot désobligeant ne sont échappés à l’improvi- sation !.. Ce résultat siremarquable, si précieux à cons- tater dans l'intérêt du bon exemple , à qui le devons- nous ? sans doute en partie à la sagesse des Statuts du Congrès; mais , pourrions-nous ne pas l’attribuer aussi, plus particulièrement peut-être , M. le Président , à cet esprit de conciliation , à cette aménité de caractère qui vous distinguërent toujours , et qui ne pouvaient man- quer de dominer incessamment l'assemblée , par le charme et la séduction de leurs puissants reflets. M..le Président déclare la septième Session du Congrès terminée et lève la séance. Le President : Larr. Les Secrétaires. Généraux : Cauvix, RiCHELET, ANJUBAULT. ESQUISSE SUR L'HINTOIRE SCIENTIFIQUE , LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE DU MAINE; PAR M. VICTOR HOUDBERT , SECRÉTAIRÉ DE LA 5me SECTION: Dans le monde intellectuel , comme dans le monde physique , tout travail d'organisation est lent, graduel et presque insensible. Jusqu'à ce que l’effetse manifeste, jusqu'à ce que la production apparaisse, tout semble reposer dans la plus stérile inertie. Quelquefois même, par l’ordre et dans les vues de la providence, éclate une interruption violente ; les grandes perturba- tions de la nature , les révolutions intestines des peuples, les invasions étrangères ramènent à leur suite une af- freuse confusion ; on dirait alors que le chaos va re- prendre son empire et que c'en est fait désormais de tout progrès de l'humanité. Mais bientôt , dans ce pêle- mêle d'éléments divers, fermente une réaction vitale qui vient tout ranimer ; et peu à peu le sol se féconde, et du milieu de ces ruines l'édifice social s'élève, sans que 154 MÉMOIRES. d'abord la main de l’ouvrier se montre, sans qu’à cette œuvre de tous, aucun attache son nom. Il en est de même de la langue : pendant qu'avec le temps les mœurs se polissent, pendant que les natio- nalités se forment , elle aussi se dégrossit, se façonne et parvient à la longue à cette précision logique, à cette clarté d'expression qui attestent une parfaite unité dans les idées et dans les sentiments. S'il est vrai que la parole ait été donnée à l’homme en même temps que la vie , ce n’a dû être d’abord qu’une parole inculte, agreste,mono- syllabique peut-être,qui,comme la terre elle-même,devait être travaillée,maniée, fouillée pour revêtir des formes va- riées et produire cette abondante moisson d’idées,que l’i- népuisable champ de la littérature fait journellement éclore. Or, à ce défrichement laborieux et aride, chacun, dans le principe,apporte son tribut de fatigue et de peine, et son travail reste obscur et ignoré. Toutes les origines sont ainsi marquées au coin de la souffrance , couvertes d’un voileépaiset en quelque sorte mystérieux; mais, plus tard, dans le jour qui commence à paraître,on aperçoit un mouvement général vers un but commun , les masses s’agitent , les esprits fermentent , les matériaux se ras- semblent, chaque tribu , chaque province les a prépa- rés suivant sen génie.C’est le temps des littératures loca- les, indécises, rudimentaires , où les individualités s’effa- cent ; jusqu’à ce que vienne une main puissante qui s'em- pare de ces matériaux épars , qui se les approprieet les fait entrer dans un plan régulier et majestueux. C'est alors l'époque classique de la littérature ou des arts ; celle qui s'attache à des noms entourés de grandeur et de gloire et qui revêt par là comme une sorte de personnification. Ce que nous nous proposons ici,c’est de moutrer, dans une esquisse rapide,quelle place importante notre pays a occupée dans cette sphère d'activité. S'il n’a pas eu le privilé ge de donner naissance à ces génies d’un ordre supérieur qui immortalisentune époque , il est vrai ce- MÉMOIRES. 453 pendant qu’il a fourni, et en grand nombre, de ces hom- mes de labeur, qui ont puissamment aidé le progrès des arts et des lettres,et parmi lesquels plusieurs resteront à jamais mémorables. Beaucoup de nos compatriotes l’igno- rent peut-être ; on étudie peu encore Son pays, quoique le moyen d'avancer la science , l'histoire et même la philosophie soit d'explorer la contrée qu’on habite , de l’'observer dans ses productions , dans ses monuments , dans ses mœurs , de constater des expériences dont l’en- semble servira plus tard à composer un corps d'histoire ou de doctrine. L’humanité n’est qu'une grande famille ; mais, pour la bien connaître, il faut avant tout s'attacher aux individus. Qu'on ne s’attende pas de notre part à une critique bien rigoureuse , à une observation minutieuse de la circonscription territoriale qui à varié ; nous disons nôtres et nous revendiquons comme tels tous ceux qu'une tradition constante rattache à notre sol. La con- fraternité ne naît pas seulement des lois de famille ; il en est une plus vraie, peut-être, et surtout plus étroite, c’est celle qui naît des relations de l'intelligence et du cœur, espèce d'adoption, d'autant plus intime qu'elle est spontanée et en quelque sorte instinctive. Nous voulons tracer à grands traits un sommaire de l’histoire scienti- fique , littéraire et artistique de- notre province , un ta- bleau, où le pays puisse reconnaître ses principales célé- brités ; forcés de restreindre notre cadreaux personnages les plus éminents , nous tâcherons du moins de les mettre en relief, en laissant dans un plan plus éloigné grand nombre de figures qui leur font un brillant cor- tége. Nous ne savons si nos couleurs paraîtront assez vives , mais nous éprouvons du moins le sentiment inié- rieur qui peut les animer. Le Mans n’a pas eu, comme les villes de la Gaule narbonnaise, aux [frs siècles de l'ère chrétienne, l’avan- 156 MÉMOIRES. tage de trouver, dans le voisinage de Marseille, un foyer de lumière qui le mît en participation des richesses du monde ancien. Sous la domination des Romains , malgré les efforts d’une administration éclairée et protectrice , la civilisation intellectuelle fit peu de progrès dans le Nord de la Gaule; et, pendant qu'une assimilation com- plette identifiait le Midi avec l'Italie , les provinces ar- moriques, harcelées d’ailleurs par les barbares, s'insur- geaient contre une puissance qui leur avait ravi leur rude et ancienne liberté. Il est probable cependant que quelques jeunes gens enlevés à leur famille furent con- duits, dès ce temps, à Rome , pour y être initiés aux grandes connaissances de l'antiquité et y occupèrent quelquefois des postes importants ; mais le clergé lui- même, seul dépositaire alors des traditions littéraires , ne produisit dans nos contrées aucun nom comparable aux Salvien de Marseille , aux Rustique de Narbonne , aux Sidoine de Clermont, et traversa,dans l'obscurité des cloîtres | ces temps désastreux , où les invasions des hordes du Nord avaient suspendu toute étude libérale, anéanti tout esprit de critique , ramené les supersti- tions , les préjugés et le cortége ordinaire de l’igno- rance. VT siècle. — Ce n’est qu'au VI° siècle qu'on voit ap- paraître l’école d’Anille (depuis St.-Calais) , déjà assez renommée pour que Chilpéric 1°, qu'on représente comme versé dans la latinité, y envoyàt son fils Mérovée, celle de St.-Pavin-des-Champs , et celle que fonda près de son église épiscopale S£.-Bertrand, ce grand évêque du Mans, dont Fortunat , dans sa louange hyperbolique , compare les poésies aux meilleures que Rome eût jamais entendues. Mais déjà se répandait cette admirable institution,qui, sous la règle de St.-Benoît, devait lutter avec succès contre l'envahissement de la barbarie et les ténèbres de l'ignorance , et le Mans voyait se former dans ses murs MÉMOIRES. 157 une pépinière de ces hommes savants et infatigables qui, plus tard, après avoir élaboré les nombreux documents rassemblés par leurs soins, devaient consacrer à l'Histoire littéraire de la France , ce grand et beau monument qu’il ne leur a pas été donné de terminer , et qui ne pouvait être continué que par une collaboration assidue , sti- mulée par la plus généreuse émulation. « Les couvents » de St.-Benoît , dit un historien moderne (1), étaient » les seuls lieux de la terre, où l'inégalité de race et d’o- » rigine disparaissait : là se réfugièrent la liberté et la » lumière ; là s’élabora la science moderne ; là prirent » des formes nouvelles la liuérature , la musique , l'ar- » chitecture ; c’est par eux que l'esprit de l'évangile se » conserva , que le travail fut sanciifié par des mains » libres et que l'humanité continua son laborieux déve- » loppement. » Mais , il faut le dire , la littérature des VI et VIT: siècles, en affectant exclusivement une forme religieuse , n’est guères, à cette époque de décadence des lettres , qu’un tissu de Légendes et de Vies des saints,où l’imagi- nation se plaît souvent à créer des modèles de perfec- tion. C’est là cependant qu'il faut aller chercher les élé- ments de nos annales, en demélant la vérité à travers le merveilleux des récits ; et, sous ce rapport ,; nous sommes assez riches encore des débris que le temps nous a conservés. L'architecture aussi était toute religieuse alors , et le culte catholique s’en emparait pour substituer à la Ba- silique grecque le style sévère de l’Eglise lombarde. Il en reste aujourd'hui bien peu de traces ; si, cependant , ce qui est contestable, sans doute, mais comme le pensent beaucoup d'auteurs, les statues mutilées, qu'on remarque à la porte kutérale de la nef de la cathédrale du Mans,datent (1) Lavallée, Histoire des Français. 458 MÉMOIRES. des Rois Mérovingiens , leurs formes toutes grossières qu’elles sont, font encore honneur au ciseau qui les a taillées. VIII siècle. — Au VITT siècle , la décadence intel- Icctuelle s'arrête, et le flot de linvasion barbare est re- foulé. A la voix de Charlemagne, les écoles semultiplient, et répondent à l'impulsion donnée par les habiles maîtres qu'il fait venir de Rome. Le goût des lettres se répand , la musique d'Italie pénètre dans les églises de la Gaule. Charlemagne lui-même , du sein de la société de savants dontilest entouré,propose dans les écoles des questions, sur lesquelles il provoque les dissertations des érudits. Son génie , devançant les siècles , était pénétré de l'idée féconde qui, plus tard,a créé les Académies etles Congrès. IA° siècle. — Mais l'éclat de ce grand règne ne lui survécut pas , et le Mans fut heureux encore , au milieu du mouvement rétrograde qui s’opérait , d’élire pour évêque, un Æ{drie, qui avait puisé le goût de la science dans le palais même de Charlemagne, et s'était distingué par des écrits. Æ{drie sut imprimer à son école épis- copale une direction qui la maintint, lors qu'autour d'elle s’étendait un réseau de ténèbres , lorsque l’em- pire se démembrait , lorsque l'aristocratie féodale allait faire peser sur les masses son joug de fer. ÆX° siècle.— Ainsi, quand l'unité de pouvoir s’affaiblit, quand, aux ravages des Normands, se joignent les dépré- dations des seigneurs pour porter partout le deuil et la disette , quand des prédications sinistres frappent le monde de stupeur, il semble qu’un germe de dissolution a atteint la société du X° siècle, et qu'elle est frappée au cœur; mais avançons jusqu’au siècle suivant , et déjà nous allons trouver une constitution régulière ; des abus, sans doute , du relâchement dans la discipline , mais des conciles pour y porter remède ; des guerres intestines , mais une autorité spirituelle assez forte pour obtenir des trèves de Dieu; enfin une somme de connaissances et d'i- MÉMOIRES. 159 dées , qui annonce déjà que l'intelligence va régner sur la matière. Alors le X: siècle ne se montre plus à nous que comme une époque de conception, où l'esprit humain re- plié sur lui-même préparait l'apparition de ces hommes éminents , qui, dans le X[°, répandirent partout leurs doctes enseignements. XI° siècle. — Ce X[I° siècle si fécond en grandes idées,où Grégoire VIT ne craint pas de heurter de front le pouvoir territorial pour faire régner à sa place le pou- voir de l’ordre et de la moralité, est aussi celui où un ins- tinct aventureux décide la conquête de l'Italie méri- dionale et celle de l'Angleterre, et, par l'éloignement des seigneurs qui vont porter à l'étranger la langue et le caractère français , facilite l’affranchissement des com- munes. Alors la ville du Mans entre avec ardeur dans la nouvelle voie qui s’est ouverte; la première, elle donne le signal de l'insurrection pour secouer le jong de Guillaume-le-Bâtard , et se créer un gouvernement indé- pendant ; et, marchant du même pas à l'émancipation intellectuelle, elle ouvre à sa jeunesse studieuse une école rivale de celle de Chartres, qui, par les leçons d'Erme- nulphe , de Robert le Grammairien et d’4rnauld, prélude à l’état florissant qu'elle doit déployer sous le patronage du célèbre Hildebert. XII siècle. — Mildebert est, sans contrédit, l'un des hommes les plus remarquables de ce temps. Né au diocèse du Mans, sur les confins du Vendômois, il avait été disciple du fameux Béranger à l’école de Tours, et son profond savoir l'avait fait appeler, par l’évêque Hoël, à la tête de celle du Maus qu'il dirigea jusqu’à 1097 , époque où il succéda à Hoël. Et, même alors , chargé du gouvernement d'un vaste diocèse, en bulte aux persé- cutions haîneuses de Guillaume-le-Roux , ayant à lutter à la fois contre le despotisme de cet impérieux souve- rain, les basses colomnies de l'envie, etles soulèvements populaires suscités par les prédications fanatiques d’un 160 MÉMOIRES. fougueux sectateur de Brüys , sa noble fermeté résiste aux tourments qui l’assiégent , aux rigueurs de la cap- tivité , aux privalions poignantes d’un dénument ab- solu ; il surmonte avec courage ces pénibles épreuves , se livre avec ardeur aux enseignements de la chaire, où son érudition, dégagée des vaines subtilités d’une dia- lectique pointilleuse,va constamment puiser aux sources pures de l'écriture et de la tradition ; il répand au loin , par des lettres nombreuses , des instructions utiles et variées ; il traite en prose et en vers plusieurs sujets de morale ,où il fait avec goût un emploi habile des maximes de Cicéron et de Sénèque ; il s’essaie même dans le genre satyrique, et, quand ses ouvrages répandus en Franceet en Italie, deviennent classiques entre les mains de la jeunesse romaine , il trouve encore, au milieu de travaux si multipliés et si divers , des loisirs à con- sacrer à l'étude de l'Histoire naturelle, science alors complettement inconnue. Certes, un prélat si digne, et doué d’une capacité telle, qu’elle eût été étonnante encore dans un âge moins re- culé , méritait bien d’être signalé comme une des prin- cipales célébrités de celte époque et peut encore se placer avec quelque avantage au-dessous de cette grande figure qui domine le XIT°siècle,de St.-Bernard qui l'ho- norait d’une estime particulière , et qui « par le double » ascendant du génie et de la vertu, gouvernait à la » fois les peuples , le clergé et les rois. » (Lavallée ). Qu'on juge alors. si sous la direction d’un génie aussi vaste, dotée par ses soins de maîtres habiles, et favo- risée d’ailleurs par le règne pacifique de Louis-le-Gros, l’école du Mans dut suivre une progression rapide et ac- quérir promptement une grande renommée. Aussi devint-elle si florissante, qu'on y venait de plu- sieurs points de la France, que l'Angleterre y envoyait desélèves eu y prenait des sujets de distinction. C’est ainsi que Geofroy, doyen de la cathédrale, est MÉMOIRES. 161 appelé, à cause de son savoir et de son éloquence, par Henri [ en Angleterre où il devient abbé de St.-Alban, eta, le premier, l'honneur d’y faire représenter quelques essais detragédies chrétiennes, essais qui, plus tard, trou- vèrent des imitateurs dans le but de substituer des œu- vres régulières et décentes aux farces des jongleurs sou- vent mêlées d’impiétés. Ainsi Guillaume de Buris signale par la variété de ses connaissances el la pureté de ses mœurs un péleri- nage à Jérusalem en 1126 ; Raoul devient patriarche d’Antioche; Hardouin, autre élève de la même école, mérite d’être élu en 1160 au siége archi-épiscopal de Bor- deaux ; enfin Æenri II fils de Geofroy-le-Bel , parvenu au trône d'Angleterre, y porte ce goût pour les belles lettres qui lui avait été inculqué à l’école de la cathé- drale , se plaît à s’entourer d'hommes instruits et fait ainsi réfléchir l'éclat de sa couronne sur le pays qui l’a và naître et où il a reçu les premiers éléments de la science. Et parmi les objets compris dans l’enseignement , dans ce quadrivium classique qui les énumerait alors , l’école du Mans ne négligeait pas l'étude de la musique; l’histoire a conservé le nom d'André, maitre de cha- pelle de la cathédrale, en 1134. Or déjà la musique, qui avait été cultivée et enseignée par Abbon, par Remy d'Auxerre , à l’égal des hautes sciences , avait pris , au XII siècle, quelque chose de la musique des Grecs ; elle s'était perfectionnée , mais aussi , en perdant de ses formes, elle inclinait vers une teinte de mollesse contre laquelle Aëlrède, disciple de St.-Bernard, s'élevait avec sévérité. Toutefois quand Hildebert se montrait si jaloux d'achever et de décorer sa cathédrale , que lui-même était l’ordonnateur des plans et présidait à leur exécu- tion , il est certain qu'il ne devait rien négliger pour que le talent d'André et de ses élèves y contribuât à la pompe des cérémonies religieuses. II. 41 162: MÉMOIRES. AIIE , XIF®, XP" siècles. — ci notre horizon, qui a brillé d’un vif éclat, va peu à peu s’obscurcir et se cou- vrir de nuages épais. Les croisades se sont multipliées et en enflammant une ardeur belliqueuse ont détourné des études pacifiques une jeunesse bouillante qui les dé- daigne , parce que, même sans lettres , elle trouve ac- cès au sein des ordres de chevalerie. La dialectique à dégénéré en misérables arguties , le dissolvant syllo- gisme a tout attaqué ; l'antique foi, cette croyance de tradition et du cœur, s'énerve sous les froides analyses d’une manie raisonneuse ; les écoles provinciales font place aux universités et, parmi ces dernières, l’univer- sité de Paris devient envahissante comme la royauté de Philippe Auguste, et tend à une centralisation absor- bante que favorise singulièrement Fétendue de ses fran-— chises. Alors aussi , des débris de fa langue romane , s'était formée une langue nouvelle et une littérature appro- priée à son génie ; l'esprit railleur , ficencieux ow sceptique de ce temps se montrait, dans les productions les plus originales , à côté de ces romans de chevalerie, assemblage bizarre de traditions populaires et de mer- veilleux,où l'imagination s’abandonne aux écartsles plus étonnants. Dans la foule de ces hommes errans , de ces trouvères qui ont passé en laissant quelquefois leurs noms, mais sans note de leur origine , notre pays eut- il ses représentants ? C’est là une question tombée dans le domaine des conjectures. Ce que nous savons toute- fois , c'est que nos chroniques locales sont semées d'évé- nements assez variés pour avoir dû trouver leur histo- rien-poète , comme le prouve l’épisode de la fameuse bataille de Pontvallain , dans le Aoumant de Bertrand du Glaiequin que notre Bibliothèque conserve comme un de ses plus précieux manuscrits. Et comment,dans ces temps calamiteux,où la perte de Calais laissait en France une porte ouverte aux Anglais, MÉMOIRES. 163 où les fatales défaites de Poitiers et d’Azincourt avaient moissonné la fleur de notre chevalerie , les études n’eus- sent-elles pas été suspendues , l'intelligence comprimée dans notre province continuellement ravagée par la guerre ? Du moins alors le courage n’a pas failli; et au tableau de nos malheurs nous pouvons encore opposer la gloire acquise.à la fin de cette lutte de peuple à peuple, par notre vaillant capitaine de Ste.-Suzanne Ambroise de Loré, qui défendit avec tant de constance les droits de Charles VIT , en même temps qu’animée du plus saint enthousiasme , l’admirable fille de Domremy réveillait ce roi de sa lorpeur et, après avoir délivré Orléans, le faisait sacrer à Rheims. Mais si le Mans ne doit plus être un foyer d’études qui attire les étrangers dans son enceinte, il va cependant re- prendre le renom qu’il s’est acquis par les hommes distin- gués qui iront chercher la science au sein des universités et en deviendront eux-mêmes les principales lumières. Ainsi, même au règne de Charles VIT, vient s'offrir à nous un autre exemple de fidélité, donné par un savant docteur que la ville du Mans s’honore d’avoir vu naître, Jean-de-Courtecuisse appelé, en 1421, à l'évêché de Paris et qui préféra se retirer à Genève plutôt que de reconnaître l'autorité de l'Anglais Henri V qui, maitre de Paris, s’intitulait orgueilleusement roi de France. Il était aumônier de Charles VI et docteur en Sorbonne , lors- qu'au grand scandale de la chrétienté , plusieurs Papes se disputaient la chaire de St.-Pierre. Déjà l'Université de Paris avait suspendu la déclaration d’obédience au Pontife d'Avignon ; elle voulut négocier et députa notre Prélat auprès des deux Papes pour obtenir leur abdica- tion volontaire ; mais, bien que, dans cette mission déli- cate, notre compatriote eût signalé son éloquence et son habileté , il fallut, pour mettre fin à ce schisme déplo- rable et rétablir cette unité, sans laquelle il n’y a point de pouvoir , que, sur la proposition de Jean Gerson , chan- 164 MÉMOIRES. celier de l'Université et le plus grand docteur de la France , le concile de Constance , quelques années plus tard, se déclaràt supérieur au Pape et déposât ceux dont les prétentions obstinées troublaient la paix de l'église. Or, comme on le juge bien, ces questions de supré- matie du souverain pontife , d’infaillibilité en matière de foi , qui ont été si souvent renouvellées depuis, étaient , dans des circonstances pareilles , quotidiennement agi- tées dans les écoles , alors surtout, qu’autorisée par les ambitions terrestres et la corruption du clergé, une pre- mière voix de réforme se faisait déjà entendre. C’est dans des conférences approfondies , lues aux cours de la Sorbonne, que Courtecuisse déploya sur ces sujets graves une netteté d'idées , une érudition éclairée , une sagesse de jugement qui font encore lire aujourd'hui ces traités avec intérêt et fruit à côté de ceux de son grand contem- porain , de l’illustre Jean Gerson. Avec un caractère différent, mais un talent à peu près égal , un autre Manceau fut, à la même époque, chargé d’une mission pareille. Guillaume Fillastre , né à la Enze, en 1344, évêque de Rheims où il avait enseigné a abord les mathématiques et la jurisprudence , fut dé- puté auprès de Benoît XIII pour obtenir son abdication. La négociation de Fillastre fut infructueuse devant l'o- piniâtreté qu’il rencontra; mais son habileté fut remar- quée par Jean XXIII qui lui conféra la pourpre dans l'espoir de se l’attacher. Cependant,fidèle à ses devoirs et aux intérêts de l’église, Fillastre prononça lui-même , au nom du concile de Constance , la sentence de dépo- sition , concourut à l'élection de Martin V et fut choisi comme légat du Saint Siège , pour mettre un terme aux querelles sanglantes des Armagnacs et des Bourguignons, et amener une pacification,que la prise de Rouen par les Anglais (1419), faisait vivement désirer et que l'assassinat du pont de Montereau rendit malheureusement impos- MÉMOIRES. 165 sible. Au milieu d’une carrière traversée par 1ant d’éve- nemens politiques, ce qui recommande particulièrement Fillastre à notre attention , c’est le goût prédominant qui le rappelait toujours à l'étude des sciences et des arts. Ainsi, en même temps qu'il cherchait dans la traduction de Platon les enseignemens d’une haute philosophie , il traduisait aussi la Cosmographie de Ptolomée , annotait Pomponius-Mela et laissait des ébauches géogra- phiques qu'on conserve encore aujourd’hui précieuse- ment. Enfin, jaloux de marquer aussi de son empreinte un admirable monument d'architecture, il faisait achever l’une des tours de sa cathédrale de Rheims. Voilà sans doute de ces hommes que notre pays doit s’honorer d’avoir produits ; et de plus il semble que la famille des Fillastre ait voulu réunir tous les genres de mérite ; car, à côté de celui qui nous a paru le plus remarquable , se distinguent encore trois frères, l’un évêque de Tournay adonné à l’histoire, l’autre cultivant la poésie avec succès, et le troisième versé dans la juris- prudence et occupant, au Mans, les premières fonctions de la magistrature. Après eux, Jean Glapion de la Ferté-Bernard , s’ac- quit par l’ascendant de ses prédications une telle influence morale que , chargé par le cardinal Ximènes de négocier avec les insurgés de Bruges la liberté de Maximilien , il fut assez heureux pour surmonter tous les obstacles : gagna la confiance intime de l'Empereur et parvint à l’ar- chevêché de Tolède, où il rendit encore des services ie portans. Geoffroy Boussard, recteur de l'Université de Paris, se fit connaître par plusieurs traités et surtout par une nouvelle édition de l'Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée. GuyJouanneaux honora l'ordre desBénédictins par ses études sur la langue latine et ses commentaires sur Terence, et Dubreil porta à la cour de Louis XII, l'a- ménilé de ses manières et les tributs de sa muse ; tous 166 MÉMOIRES. essais aujourd’hui délaissés, mais qui préparaient alors l’époque de la renaissance. Pendant les trois siècles que nous venons de parcourir, l'architecture aussi acquit au milieu de nous de grands développemens.Nouspouvonsensuivre, en quelque sorte, les progrès dans le principal monument qu'elle nous a élevé. Ainsi , au style lourd d'architecture lombarde de la nef de la cathédrale, nous voyons succéder la légèreté et l'élégance du style oriental dans les colonnes fuselées du chœur et leurs gràcieuses ogives, dans la délicatesse infinie des ornemens dont elles sont chargées. Pour cétte œuvre d'art et de piété, les évêques consacrèrent leurs revenus et furent souvent aidés par les magnifiques lar- gesses des comtes et des rois. Ainsi celte forêt d’arc- boutans et d’aqueducs dont l’admirable enchevêtrement forme autour du chœur un si pittoresque et si solide appui, est dû , en partie, à la munificence de la veuve de Richard-Cœur-de-Lion , de Berengère dont le mausolée méritait d’être placé dans l’église, dont elle avait été la bienfaitrice. Bientôt, sous l’épiscopat de Geoffroy de Loudun (1255) et d'Adam Chastelain (1430), le chœur se garnit de magnifiques vitraux qui l’éclairent d’un jour mystérieux si favorable au recueillement , et, à l’aide des libéralités de Charles I, comte du Maine, et du roi Charles VI, la rose de l'aile gauche , cette merveilleuse découpure décorée elle-même des portraits des hommes célèbres de la province , termina cette grande basilique , qui, gratifiée encore, à la fin du XV° siècle par le cardinal de Luxembourg, d’orgues d’une étonnante richesse , semble ainsi avoir réuni tous les arts pour élever vers Dieu la pensée du chrétien et la reporter ensuite sur les bienfaiteurs de l'humanité. Quelle main d'artiste a accompli de si grandes choses ? quel adroit ciseau a évidé ces.fines dentelles, tressé ces guirlandes de feuillages et de fleurs appendues avec pro- fusion aux arceaux de la cathédrale et de celle des cha- MÉMOIRES. 167 pelles de Solesme qui remonte au règne de Charles VIIF? Quel génie créateur a animé ces statues et, sousles seules inspirations de la foi catholique, empreint, sur cette ad- mirable figure de la Madeleine, le type de la prière et de la mélancolie ? qui a donné à ces pierres la végétation et la vie ? Aujourd’hui le talent anoblit les noms propres en les popularisant , mais l’histoire d’alors.se tait; l'artisan d'œuvres aussi belles est mort inconnu ; la tradition a tout au plus quelques vagues souvenirs , et les recherches de l’érudition ne nous rapportent de ce temps qu’un seul nom , celui de Âaieneuve , surnommé Maître Simon du Mans , architecte qu’un auteur contemporain re- garde commme un second Vitruve et qui enrichit notre pays de plusieurs édifices , parmi lesquels la chapelle de Pévêché attestait encore à la fin du du siècle dernier la hardiesse de ses conceptions. XVF siècle. — En abordant le XVI siècle , nous devons bien nous garder d’y apporter nos idées d’au- jourd’hui. Vouloir le juger du point de vue où nous sommes , ce serait exiger de l’enfance la vigueur et la maturité de l’âge viril. Nous devons, au contraire , nous reporter à la situation de la France au moment où, la féodalité tombée , tout semble tendre à une forte centra- lisation, où les peuples, touten dessinant leur nationalité, se voient, se touchent et entremélent leur histoire. La découverte récente de l'imprimerie a étendu le domaine des idées ; nos guerres en Italie ont avec elle ramené le comact de l'antiquité. Alors se sont repandus dans les esprits des germes de fermentation et de progrès qui les remuent avec violence ; alors une ère de régéneration semble s'ouvrir, tout est en quelque sorte à refaire ; c’est un temps d’agitation et de lutte , où l'intelligence fera effort pour briser l’ancienne enveloppe et revêtir une forme nouvelle. Doit-on s'étonner dès-lorssi, au milieu des tiraillements qu'amène un nouvel ordre de choses , il y à fluctuation, 168 MÉMOIRES. balancement ? si l'élément ancien prédomine quelque- fois, et si, dans l’enfantement d’une langue nationale , le travail se fait souvent sentir ? Quelque soit le génie des hommes qui les premiers l’aideront à se dégager des langes qui l’'embarrassent , il est impossible qu’ils s’af- franchissent tout à coup des habitudes de l’école, et qu'imitateurs passionnés des modèles qu'ils y ont ad- mirés , leur érudition un peu pédantesque ne leur fasse pas porter dans l'expression de leurs pensées quelque chose des formes , des tournures, des locutions qui leur sont familières. Les progrès sont lents en toute chose , le bon goût dans le choix des mots et des images, le sentiment de l'harmonie dans leur contruction et leur arrangement ne peuvent être que le résultat du frotte- ment des siècles , et, pour être juste envers une époque, il faut la mettre en regard des temps qui l'ont précédée et voir de quelle hauteur elle les dépasse. Or , avec ce sage esprit de critique, si nous jetons les yeux sur les richesses que le XVI siècle nous a livrées , notre pays peut s'enorgueillir , peut-être , de celles qu’il a produites. Sciences naturelles et médicales , poésie, ju- risprudence , beaux-arts, trouvent dans notre province des génies vraiment créateurs dont les noms et les œuvres, en subissant l'épreuve des âges , sont restés en- tourés d'estime , et quelques uns même d’admiration. Ainsi quel nom plus considérable pourrait-on citer de ce temps que celui de Pierre Belon, qui, selon le témoi- gnage de Tournefort et de Buffon , se distingua parmi ceux qui ont le plus contribué aux progrès des sciences dans le XVI siècle ? Aidé de la protection de René du Bellay , évêque du Mans , et du cardinal de Tournon , après avoir suivi en Allemagne les excursions botaniques . de Valerius Cordus, les voyages qu’il entreprit en Grèce, en Egypte, en Palestine, lui firent recueillir une abondante collection d’objetsd'histoire naturelle et une foule d’obser- vations précieuses dans lesquelles le premier , peut-être ;, MÉMOIRES. 169 il fit preuve de cette sagacité prudente qui met à l'écart tout ce que l'expérience n’a pas vérifié. Ce qui le recom- mande surtout dans les nombreux ouvrages qu'il a laissés, c’est l'amour du vrai, c’est la rectitude de son jugement, c’est son éruditionsolide,et ce sage scrupule par lequel il est porté à observer avec précision et à contrôler les observations des anciens, scrupule heureux qui lui à valu le mérite d’être le créateur de l'anatomie comparée. Belon aimait son pays et se plût à l’enrichir d'arbres utiles et exotiques. Les liens de la reconnaissance l’a- vaient attaché au vertueux évêque du Bellay et celui-ci rassemblait avec bonheur dans ses beaux jardins de Touvoye et d’Yvré , les seuls qu’on admirât alors en ce genre , tant en France qu’en Allemagne et en [italie , les plantes rares que lui faisait parvenir son savant ami. Lui même les cultivait et s’appliquait à les propager avec le plus généreux désintéressement. Sans doute, en selivrant à ces fructueux essais , du Bellay était aidé des utiles con- seils de David Brossard, religieux de Saint-Vincent qui publia dans ce temps un traité sur l’art de greffer et de faire des vergers ; toujours est-il, qu’à force de soins et d'intelligence, il parvint à naturaliser ainsidans le Maine, la Touraine et l’Anjou diverses espèces de vigne et une foule d’arbres fruitiers qui ont fait de ces contrées le verger de la Francé. Voilà de ces bienfaits dignes à jamais de notre recon- naissance. La conquête d’une province coûte des larmes et du sang, celle d’une plante alimentaire est souvent plus utile et reçoit pour couronne les bénédictions de l'humanité. Pourquoi faut-il qu’au milieu d’une carrière aussi belle, Belon soit tombé sous les coups d’un assassin jaloux de sa gloire ! Si Pierre Belon est regardé comme le fondateur de l’a- natomie comparée , son compatriote , Ambroise Paré, est honoré comme le père de la chirurgie française. Il était né de parents pauvres ; mais favorisé par quelques 470 MÉMOIRES. circonstances qui l’'appelèrent à Paris , il fit, dans l'art médical , des progrès si étonnants, que les traités qu’il publia en français furent bientôt traduits en plusieurs langues, et que,choisi par Henri IT pour son chirurgien, il conserva jusques sous Henri III ce poste honorable, où sa sévère probité et ses éclatants services lui acquirent une confiance absolue et une affection bien rares. — « Non, non, disait la soupçonneuse Catherine de Médicis à des hommes qui avaient accusé Ambroise Paré d’un attentat par le poison à la vie de François IL, Ambroise » esL trop homme de bien et notre bon ami, pour en » avoir eu seulement la pensée.» C’est ainsi que, quoique protestant , il échappa à l’horrible massacre de la Saint- Barthelemy par la protection spéciale de Charles IX, qui, rapporte Brantôme , « l’envoya quérir et venir le soir » dans sa chambre et garde-robe , et lui commanda de » n’en bouger, disant qu'il n’était point raisonnable » qu'un qui pouvait servir à tout un petit monde fut » ainsi massacré.» Quel éloge dans ce peu de mots ! Après Ambroise Paré, i\ suffit de citer les noms de médecins qui honorèrent en même temps que lui la pro- vince : Aubert, qui exerçait à Lausanne et dont la ré- putation balançait celle des plus savants médecins de son temps ; Jacques Lepeltier , qui étudia la nature des af- freuses épidémies qui désolèrent la ville du Mans au XVI' siècle et en fit un traité , et Mathurin Heret qui, à la pratique de sa profession,joignait le goût des études de Platon. + Nous venons de rappeler à la mémoire des Manceaux deux grandes célébrités qui, au mérite de la science réu- nirent celui de faire du bien , c’est à elles sans doute que nous devions ce premier tribut de reconnaissance ; mais il est des hommes qui, dans un ordre différent, comman- dent aussi justement au cœur de leurs compatriotes un no- ble sentiment d’orgueil. Voyez-vous cette belle figure de Guillaume Langeay du Bellay, où la fierté d’un carac- MÉMOIRES. 471 tère altier et indépendant se marie avec la perspicacité astucieuse de l’adroit diplomate ? jugez si elle ne décèle pas un esprit vaste, aux conceptions hardies, au langage éloquent? Excellent homme de guerre, grand orateur , bon écrivain , Guillaume , par son courage dans les com- bats , l’habileté de ses négociations et le style de ses mé- moires sur François l‘, mérita d’être comparé à Xéno- phon. Il fut le premier , a-t-on dit de lui, qui sûtallier trois choses bien rares , la science de la guerre , la no- blesse et l’érudition. Son frère, Jean du Bellay, fut évêque du Mans après la mort de René. Investi de la confiance de François [*°, chargé des affaires de France auprès du saint-siège, dé- coré de la pourpre romaine , il se trouva bientôt mêlé aux plus importantes négociations, à l’époque où Fran- çois [°* défendait l’indépendance de l'Europe contre les envahissements de la maison d’Autriche et où Henri VIII, pour satisfaire son impudique inconstance, se détachait du centre de l'unité qu’il venait de défendre lui-même contre les attaques de Luther. Ces travaux ne l’empé- chèrent pas de selivrer avec ardeur à l'étude des langues et de nous laisser des poésies latines qui lui ont valu des éloges honorables,quoique exagérés sans doute,de l'his- torien de Thou et du chancelier de l'Hospital. Ici vient se placer, avec son costume un peu trop grec et romain , cette aggrégation d'hommes de lettres dont l'érudition enthousiaste ne fit subir à la langue poétique une épreuve à laquelle toute chose semble d’ailleurs sou- mise ,que pour lui faire trouver, dans l’invasion d'un élé- ment étranger, plus de force etde vigueur,et l’amener par un laborieux effort au degré de perfection où la trouva le XVII:'siècle. Dégagée alors des entraves de l'esprit d'imi- tation et nourrie des pensées de l’antiquité,elle reprit dans ses formes son indépendance et son originalité. On s’est montré trop sévère peut-être envers ces admirateurs ido- lâtres des chefs-d’œuvre de littérature que l'imprimerie : 172 MÉMOIRES. venait d’exhumer de la poussière des monastères, et on a méconnu le rôle qu'ils étaient appelés à remplir. Hommes de transition entre la simplicité inculte du vieux lan- gage , l’élégant badinage de Marot et le style soutenu , l'élévation lyrique de Malherbe , ils eurent à vulgariser parleurs premières ébauches les grands sujets empruntés aux anciens qui devaient trouver plus tard des inter- prètes dignes d'eux. Aussi nous ne nous étonnons pas si, dans la suite des temps , par un de ces retours qu'on a qualifiés de rétrogrades et qui ne sont cependant qu’une juste réaction , quelques esprits généreux ont noblement relevé leurs services. Et , d’ailleurs , sans un mérite réel, comment expli- quer l'engouement subit dont s’éprit le XVI° siècle pour cette pléïade poétique dont Ronsard était le chef? pour ces hommes célèbres qui, comme lui, fonthonneur à notre province et qu'il s'était attachés par les liens d’une sainte confraternité : Lazare de Baïf, Jean Antoine son fils qui puisa avec Ronsard le goût de la poésie fran- çaise aux leçons de Jean Dorat, Robert Garnier , V'é- mule de Jodelle, mais qui le surpassa, Vicolas Denisot, l'ami de Pierre Belon, que sa modestie eût laissé ignoré peut-être, si ses contemporains ne l’eussent couvert d’é- loges ? N'y a-t-il donc rien à conserver dans la prodigieuse abondance de ces essais divers, où tous les genres sont parcourus ? Croit-on que, même aujourd'hui, tout doive périr de ces poésies qui long-temps firent décerner à leurs auteurs les palmes du triomphe ? Qu'on nous per- mette quelques citations, et si elles ne doivent plus ren- contrer aujourd'hui cet énivrement excessif qu’elles ex- citaient autrefois , peut-être du moins réveilleront-elles au milieu de leurs compatriotes quelques vives sympa- thies pour ces noms glorieux, qui sont nos titres d’hon- neur dans les annales de la littérature. MÉMOIRES. 173 L'art de faire des vers, dût-on s’en indigner , Doit être à plus haut prix que celui de régner. Tous deux également nous portons des couronnes, Mais, roi, je la reçus, poètc tu la donnes. Voilà ce qu'écrivait Charles IX à Ronsard, et cet éloge était vrai dans le temps. Mais si, malgré l'immense ascendant qu'il acquit sur son siècle, Ronsard ne mérita pas le titre de législateur du parnasse, il est vrai cepen- dant qu'il était né avec un véritable talent poétique, qu'il avait de la verve , du coloris , de l'invention. Ses images ont souvent de la hardiesse ; qu’on en juge par les frag- ments de cette pièce où en personnifiant {a promesse menteuse , il fait le satyrique tableau de nos journalières déceptions : Un soir que je dormais, donnant repos à l’âme, En songe m’apparut l’image d’une dame Qui monstroit à son port n’être pas de bas lieu, Aiïns sembloit, à la voir, sœur ou femme d’un Dieu. Ses cheveux étoient beaux, et les traits de sa face Monstroient diversement je ne sçais quelle grâce Qui domptoit les plus fiers et d’un tour de ses yeux Eust appaisé la mer et séréné les cieux ; Elle portoit au front une majesté sainte, Sa bouche, en souriant, de roses était peinte ; Elle étoit vénérable et quand elle parloit Un parler emmiellé de sa lèvre couloit. Autour de cette nymphe erroit une grand’ bande Qui d’un bruit importun mille choses demande ; Seigneurs , soldats, marchands, courtisans, mariniers, Les uns vont les premiers, les autres les derniers, Selon le bon visage et selon la caresse, Que leur fait en riant cette brave déesse : Elle allaite un chacun d’espérance, et pourtant , Sans être contenté, chacun s’en va content ; Elle donne à ceux-ci tantôt une accolade , Tantôt un clin de tête et tantôt une œillade ; 474 MÉMOIRES. Aux autres elle donne et faveurs et honneurs , Et de petits valets en fait de grands seigneurs. Aussi je lui demande et aussi la déesse Me répond à son tour : Ami, je suis Promesse, Dont le pouvoir hautain, superbe et spacieux, Commande sur la mer, en la terre et aux cieux : La troupe que tu vois me suit à la parole , Et, pour un petit mot qui de ma bouche vole, Je suis crainte et servie et je puis ébranler Le cœur des plus constans qui m’écoutent parler. J'habite les palais et les maisons royales ; Je loge en ces chasteaux et en ces grandes salles Qui ont les soliveaux argentés et dorés, Superbes en piliers de marbre élabourés. Les rois, les empereurs , les seigneurs et les princes Ne peuvent rien sans moi, je garde leurs provinces , Je flatte leurs sujets, et, puissante, je fais -La guerre, quand je veux, les trèves et la paix. Je détruis les cités, je perds les républiques , Je corromps la justice et les lois politiques, Je fais ce que je veux , tout tremble dessous moi, Et ma seule parole est plus forte qu’un roi. - . - . . . - - .- . . . . . - Certes ici Ronsard ne parle ni grec ni latin , sa phrase est correcte, son tour facile , certains vers ont une coupe nouvelle , le récit est animé et l'ironie pleine de finesse. On voit que le poète peut produire sans le secours de li milation. Qui ne se plairait à la douce mélodie de ce sonnet plein de charmes? Je vous envoie un bouquet que ma main Vient de trier de ces fleurs épanies : Qui ne les eust à ce vespre cueillies Chutes à terre elles fussent demain. Cela vous soit un exemple certain Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries, En peu de temps choiront toutes flétries , Et, comme fleurs, périront tout soudain. MÉMOIRES. 275 Le temps s’en va, le temps s’en va, ma dame, Las ! non le temps, mais nous nous en allons, Et tost serons étendus sous la lame‘: Quand serons morts, plus ne sera nouvelle De ces amours des quelles nous parlons ; Donc aimez-moi ce pendant qu’êtes belle. Ronsard s’attachait particulièrement à la richesse des - rimes, dont la recherche tourne si fréquemment au profit de la pensée. Il est le premier qui ait entremêlé réguliè- rement les rimes masculines et féminines, et cette heu- reuse innovation prouverait à elle seule qu'il avait le sentiment de l’harmonie et qu’il aurait fait faire à la poësie un immense progrès. s Robert Garnier trouva la tragédie dans sa première enfance. Les succès de Jodelle qui venait, par une entre- prise hardie, de substituer aux mystères des confrères de la passion des pièces de l’école grecque, échauffè- rent sa verve. Dès l’abord il laissa loin de lui son devan- cier et recueillit à son tour les applaudissements enthou- siastes d’une foule empressée qui, suivant Pasquier, n'avait «rien oui de semblable. » Si son action languit , si là marche de ses pièces est lente et trop souvent entra- vée par de longs récits ou des chœurs , du moins la cou- leur tragique commence à s’y montrer, le style a plus de noblesse et d’élévation , les situations plus de force et d'intérêt et dans les chœurs on trouve quelquefois ce su- blime d'expressions et d'images qui les à fait comparer à des odes. Ainsi dans la tragédie de Porcie : Notre courte félicité Coule et recoule vagabonde Comme un gallion agité - Des vagues contraires de l’onde. Celui qui, volage, se fonde Sur un si douteux fondement 476 MÉMOIRES. Semble qu'en l'arène mféeonde Il entreprenne un bastiment. La fortune n’outrage pas Volontiers les personnes basses ; Elle n’appesantit son bras Que sur les plus illustres races : Les rois craignent plus ses menaces Que les durs laboureurs ne font Et le foudre est souvent aux places Qui plus haut élèvent leur front. Les édifices orgueilleux , Voisinant le ciel de leurs testes, Ont tant plus le chef sourcilleux Battu d’ordinaires tempestes Qu'ils élèvent plus haut leurs testes ; Et les aquilons furieux Ne battent guères que les faistes Des rochers plus audacieux. Ces vers ont du nombre et les pensées de la hauteur. Ne trouve-t-on pas de la dignité à ce monologue de Cé- sar dans la tragédie de Marc-Antoine ? Grands dieux qui, sans mourir, livrez tout au trépas ; Qui, sans jamais changer , changez tout ici-bas ; Vous avez élevé jusques au ciel qui tonne La romaine grandeur par l’effort de Bellone, Maitrisant les humains d’une horrible fierté , Captivant l'univers, veuf de sa liberté ! Toutefois aujourd’hui cette orgueilleuse Rome Sans bien, sans liberté, ploye au vouloir d’un homme ; Son empire est à moi, sa vie est en mes mains ; Je commande, monarque, au monde, et aux Romains ; Je fais tout, je peux tout, je lance ma parole Comme un foudre bruyant de l’un à l’autre pole, Tout reconnaît César, tout frémit à sa voix Et son nom seulement épouvante les rais- MÉWVOIRES. 177 Qu'on juge si le récit de la bataille de Tapse n’a pas du mouvement et de la vie. Scipion harangue ses soldats au moment du combat : Voici, mes compagnons, le beau jour, voici l'heure Qu'il convient que chacun où soit libre ou qu’il meure. . . . . 0 » » . . . . . » . . . . . 0 » . Nous ne combattons point pour ravir des trésors, Nous ne combattons point pour eslargir nos bords, Nous combattons, enfans, pour notre propre vie, Pour les biens , les honneurs , les lois et la patrie : Ores le bien, l'empire et l’état des Romains (le vrai prix du vainqueur ) balance entre vos mains. Or sus, montrons-nous donc dignes de nos ancêtres, Combattons de tel cœur que demeurions les maistres. Que ce:cruel tyran, percé de part en part, Tombe mort en la presse au pied de son rempart ; Et que ses bataillons, comme touchés d’un foudre , Renversés par monceaux ensanglantent la poudre. Ainsi dit, et ses gens, criant tous à la fois, De parole et de rmaïns applaudissent sa voix. Le bruit monte léger jusques dedans les nues, - . = % » . . . » . e . . . . . . » » = . La trompette commence, et lors comme tempeste Hs courent l’un sur l’autre et de pieds et de teste ; La poussière se lève, et comme gros nuaux , Ténébreuse enveloppe et hommes et chevaux ; Les flèches et les dards grèêlent dessus les armes, La terre, décochant tremble sous les gens d'armes, L'air résonne de cris, le soleil appâlit, Le feu sort des harnais et dans le ciel jaillit. Inutile sans doute de multiplier ces citations; c’en est assez pour faire concevoir comment, en entendant pour la première fois des tirades de cette facture, les oreilles françaises furent flattées jusqu’à l’enthousiasme; les longueurs disparaissaient devant la vivacité des ima- ges. Toutefois nous ne résistons pas au désir de rappe- Il. 12 178 MÉMOIRES. ler encore quelques strophes de l'élégie de R. Garnier, sur la mort de Ronsard, afin de donner un exemple de sa manière en Ce genre : Notre esprit incertain aussitôt qu'il raisonne La mort va redoutant ; Et sans cette frayeur que la raison nous donne On ne Ia craindrait tant. . - . . - - to e . . . . - - . - - - - . « Encor dès que le ciel en une belle vie Quelques vertus enelost, La chagrineuse mort qui les hommes envie, Nous la pille aussi tost. Ainsi le verd émail d’une riante prée Est soudain effacé ; Ainsi l’aimable teint d’une rose pourprée Est aussi tost passé. La jeunesse de l’an n’est de longue durée; Mais l'hiver aux doigts gourds , Et l'été rembruni de la torche éthérée , Durent presque toujours. Mais las ! Ô doux printemps, votre verdeur fanie Retourne au même point : Mais quand notre jeunesse une fois est finie Elle ne revient point. Robert Garnier avait trouvé dans les travaux de La= zare de Baïf, né au château des Pins, près la Flèche, un noble sujet d’'émulation. Celui-ci cultivait les lettres avec succès et s'était fait un nom par sa traduction de l’Elec- tre de Sophocle et de l'Hécube d’Euripide, en même temps qu’il défendait les intérêts de la France près des cours étrangères. C’est pendant ane de ses ambassades à Venise, que naquit Jean- {ntoine le poète le plus fé- cond et le plus varié de ce temps. Sa maniere est facile, sans recherche, sans affectation ; sou style a de la naïveté ’ MÉMOIRES. _ 479 et se rapproche du badinage de Marot; on le lit avec plaisir parce qu'il est clair ; et puis il y règne je ne sais quel laisser-aller qui tient d'un gai sans-souci. I} dit à son livre en le lançant dans le monde : Les uns diront que tu es rude, D'autres que tu sers plus l'étude Que la cour, tant tu es divers! Laisse-toi blasmer et redire À qui ne voudra point s’instruire Par la lecture de tes vers. Tel louera ce que moins je prise, Et tel ce que plus j’autorise En se moquant méprisera. Jupiter ou pleuve ou repleuve, Toujours quelque fascheux se treuve Qui du temps présent se plaindra. Ne trouve-t-on pas, dans la fable qui suit , quelque those dont le bonhomme a su profiter ? LE LOUP ET L'ENFANT. Un loup ayant fait une questé De toutes parts, enfin s’arresté A l’huis d’une cabane aux champs, Au cri d'un enfant que sa mère Menaçait, pour le faire taire, De jetèr aux loups ravissants. Le loup qui l’euït en eust joyé, Espérant d'y trouver sa proie. Et tout le jour il attendit Que la mère son enfant jette : Mais le soir venu , comme il guette, Ün autre langage entendit : Car la mère qui, d'amour tendre , En ses bras son fils alla prendre, Le baisant amoureusement, ÂAvecques lui la paix va faire, 180 Avec ce tour d'esprit, Baïf devait manier avec aisance les sujets légers, et nous en avons la preuve dans une chanson imitée de Martial qu'il aurait pu intituler : mon rêve de bonieur. Mais voici une épigramme qui, par son application usuelle, devrait être dans tous Les sou- venirs : MÉMOIRES. Et le dorlotant pour l'attraire Lui parle ainsi flatteusement : Nenni, nenni, non, non, ne pleure, Si le loup vient, il faut qu'il meure > Nous tuerons IC Joup s’il y vient. Quand ce propos il oui: lire, Le loup grommelant se retire. Céans l’on dit l’un , l'autre on tient. LE CALCUL DE LA VIE. Œu as cent ans et davantage ; Mais caleale de tout ton âge Combien en eut ton créancier , Combien tes folles amourettes , €ombien tes affaires secrettes, Combien ton pauvre tenancier, €ombien tes procès ordinaires Combien tes valets mercénaires, Combien ton aller et venir : Ajoute aussi tes maladies , Ajoute encore tes folies , Si tu pouvais t'en souvenir : Et tout cela qui, sans usage , S'en est allé pour ton dommage ; Si tout cela tu en rabas, Tu verras avoir moins d'années Que tu ne t'en étois données, Et que tout jeune tu t’en vas. MÉMOIRES. 181 Terminons ici nos extraits ; mais ajoutons qu’à la même époque, douze manceaux furent successivement recteurs de l’université de Paris ; accordons aussi quelque faveur aux poésies d’Æmy Dénent de René Flacé, aux essais dramatiques de Jean Galléry , de Michel Bourrée, et, en considérant quelle belle page nous est faite dans l'histoire littéraire du XV [° siècle, ranimons en nous ce sentiment puissant qui produit les grandes choses ; l’a- mour de la patrie. A ce mot et à celui d'histoire littéraire que nous ve- nons de prononcer, comment la pensée ne se porterait- elle pas sur notre La Croir du Maine, cet homme qui aimait son pays et ses compatriotes jusqu’à la partialité ? Investigateur infatigable, après avoir réuni une quan- tité considérable de livres pour sa bibliothèque particu- lière et employé quinze ans de sa vie à des analyses et à des recherches, il conçut l’idée de publier, sous le titre de Bibliothèque française, une nomenclature de tous les ouvrages alors connus et une notice biographique sur leurs auteurs. C’est le premier travail qui ait été fait dans ce genre, ilespérait par là, et surtout en s'adressant à Henri LIT, faire naître le projet d'une bibliothèque na- tionale et propager de plus en plus le goût de l’instruc- tion. Sa vaste organisation avait embrassé le plan d’une véritable encyclopédie ; il voulait que l’érudition histo- rique s’attachàt aux antiquités, aux monuments; aux inscripüons ; qu’elle décrivit les lois, les usages, les mœurs , les singularités ; lui-même avait déjà ce travail tout fait pour sa province du Maine ; il voulait qu’on étudiât les langues, les dialectes, dans leurs racines, leurs synonymies, leurs ressemblances, sachant combien la linguistique vient au secours de l’histoire, en laissant sur le globe des traces vivantes du croisement des races. Il avait fait pour cela un appel à ses contemporains el, sans doute, on y eût répondu et notre illustre savant eût pu élever un monument gigantesque dont sa Bibliothè- 182 MÉMOIRES. que française n'eut été que le piédestal , si un exécrable assassinat ne l’eût enlevé à sa patrie, comme Belon , dans toute la force de l’âge et du talent. Si, à côté de notre premier peintre français Jean Cou- sin, notre paysne peut produire que le nom assez obscur de Mare Duval qui cependant fut, en méême-temps que lui, peintre et graveur à la cour de Charles IX, et celui de Micolas Denizot; si la musique ne nous présente de même que des notabilités locales, telles que Maigret qui, dès 1506, Ia cultivait avec succès et, vers la fin du XVI° siècle, Julien Belin et Thomas Gendrot , dont l'un di- rigeait la Psallette et l’autre savait déjà réunir l’expres- sion et la noblesse dans des compositions à quatre voix, la sculpture, en revanche, livre à notre admiration le grand nom de Germain Pilon.C'est à lui, dit un biogra- phe éclairé, et à Jean Gougeon dont il futle contempo- rain et l'émule, que la France est redevable des premiers ouvrages de sculpture qui, parmi nous, dans les temps modernes , ont le plus rapproché du bon goût de l’anti- que. Renfermé uniquement dans l'exercice d’un art où il sut s’avancer vers la perfection , sa vie est toute entière dans ses ouvrages. On ignore s’il avait vu l'Italie; mais de combien d'œuvres étonnantes n’a-t-il pas enrichi Paris, où Catherine de Médicis avait apporté le goût des beaux arts inné dans sa famille ? Sans rappeler ce mo- nument funéraire élevé à la mémoire d'Henri IT, ces inixitables bas reliefs, où la foi, l'espérance et Ja charité - se présentent avec des attributs et des poses d’un goût parfait; ces statues de François IT et de Catherine, où la gravité du style de Michel-Ange s’harmonise avec la grace du Primatice, qui ne connaît cet admirable groupe des trois grâces que le musée français produit à côté des belles statues de l'antiquité ? En face de pareils chefs d'œuvre, tout éloge devient superflu; il est de ces hom- mes qu’il suffit de nommer. = Mais ce que nous sommes heureux de rappeler, c’est Ca MÉMOIRES. 183 qu'après avoir perdu, par le marteau du vandalisme ré- volutionnaire, une belle statue de Saint Bernard à la quelle G.. Pilon avait mis son nom, nous possédons en- core, quoique mutilé , un monument qui seul suffirait à sa gloire, c'est celui de Guillaume Langey du Belley qui décore une des chapelles de la cathédrale. La brillante renommée de Langey méritait, sans doute, d’inspirer le génie d’un grand artiste ; mais, quand son digne compa- _triote consacrait à ce beau mausolée l’habileté de son ciseau , cet honneur du moins ne s’attachait pas à des res- tes sans gloire. Nous n’avons rien dit de la chapelle de Solesmes qui porte la date de 1550 ; la tradition attribue à Pilon une large coopération aux groupes qu'elle renferme, peut- être est-ce à tort. Celte question de critique est hors de notre sujet. Mais quelque soit l’artiste auquel nous les devons, ainsi que les prodigieux détails de sculpture qui ornent l'autel dit de la pamoison,nousnous en emparons comme d’une richesse locale, reste précieux du temps de la renaissance, monument mystique autant que mo- nument d'art, épopée catholique burinée sur la pierre et d'autant plus éloquente qu’elle est toute de sentiment et de méditation. L'architecture eut aussi,dans ce temps,au Mans, un ar- tisterecommandable .Onvoyaitencore,aucommencement de notre siècle, sur l'allée supérieure de nos promenades publiques, un superbe jubé d'ordre corynthien qu'une barbare négligence a laissé depuis tomber en ruines. Ce morceau d'architecture , enlevé pendant la révolution à l'église des Jacobins , avait été construit en 1554, par Pierre Boisselerat et décoré par uet autre artiste du Mans, de plusieurs bustes et ornements dont le dessin correctrévélait un véritable talent.Combien n’avons-nous pas à regretter de pertes de ce genre ? Dans l’église de Saint-Vincent, le bas-relief du martyre de Saint Lau- rent, l'assomption de la Vierge; dans celle de la Cou- 184 MÉMOIRES. ture, le sarcophage d'Hélie de la Fléche; dans celle de la Mission , les anciens tombeaux de la chapelle du Gué-de-Maulny, et à la cathédrale, les tombeaux en plomb de la famille de Lavardin. Ainsi les fureurs poli- tiques , instruments aveugles d’une ignorance jalouse , s'attaquent aux œuvres du génie comme à des trésors précieux pour Fhomme éclairé. Quand donc les bienfaits de Ja civilisation auront-ils rendu impossible ces retours à la barbarie ? La mécanique devait aussi rencontrer, dans le Maine, un génie inventif : bel Foulon de Loué , partage avec Aubry Olivier l'honneur de la découverte du balancier, qui contribua si puissamment à la perfection du mon- nayage. Déjà decoré du titre d'ingénieur d'Henri IT , il reçut bientôt celui de maître à monnaie et obtint, près du palais du roi, un local propre à recevoir sa nouvelle ma- chine. Foulon est de plus l'inventeur de l’holomètre , instrument qui donne immédiatement et sans calcul la valeur des angles et le résultat des mesures, et qui fut en usage jusqu'à l’époque (1628), où l'invention des lo- garithmes vint faciliter les opérations de la trigono- métrie. ( Ledru ). Ainsi notre pays eût , au XVI siècle, l'honneur de se distinguer par tous les genres de mérite ; ainsi l’âge de la renaissance si violemment agité par les grandes luttes de l'esprit humain , mais aussi qui imprima à sa marche une si vive impulsion, vit naître parmi nous des athlètes vigou- reux, passionnés pour les sciences et les arts et qui se- condèrent d’un puissant effort le mouvement qui s’opérait. AV'IF siècle. — Mais , il faut le dire, cette époque est pour nous l’époque la plus brillante. Bientôt va s'ou— vrir Ce règne à jamais mémorable, où un homme à grandes vues ne paraît s'asseoir sur le trône et y porter l'esprit d’une domination absolue que pour associer à son em- pire celui des arts et du génie. Les temps de labeur sont passés , celui de la réalisation s'approche , la langue va MÉMOIRES. 185 se fixer, le goût s’épurer et, pour élever à l'honneur de l'esprit humain une pyramide impérissable , tout à l'heure apparaîtront sur la scène du monde les hommes vraiment forts , les géants de l'intelligence. C’est vaine- ment que nous chercherions alors parmi les nôtres quel- ques-unes de ces illustrations étonnantes que l’admira- tion générale a en quelque sorte popularisées ; mais ces génies privilégiés eux-mêmes auraient-ils pu élever aussi haut le monument qu'ils nous ont laissé autrement qu’en bâtissant sur un sol déjà habilement préparé par des mains moins connues, eten trouvant autour d'eux des auxiliaires laborieux dontles noms,pour rester dans une sphère infé- rieure , n'en brillent pas moins d’un éclat sans emprunt? Ainsi lorsque l’astronomie attendait en France une in- telligence puissante qui repondit aux grandes décou- vertes de Copernic , de Keppler , de Galilée , voici venir J. Picard qui,par l'application des lunettesaux quarts de cercle et aux secteurs pour la mesure des angles, par- vient à des vérifications jusques là reputées impossibles et facilite, par la précision de ses calculs , les profondes recherches de Newton. Le premier , il observe la lon- gueur. du pendule à secondes et demande des expé- riences en divers lieux du globe pour savoir si cette lon- -gueur est la même partout, en tenant compte de la dilatation des métaux ; le premier aussi , il appelle l’at- tention des astronomes sur les mouvements des astres connus sous le nom d’aberrations , et donne les moyens de déterminer tout à la fois les ascensions directes du soleil et celles des étoiles ; il fixe les moments précis des solstices avec la même exactitude que ceux des équi- noxes. Enfinil partage, avecAuzout, l'honneur de l’inven- tion du micromètre. « Sa carrière , dit Condorcet , a été » toute remplie d’occupationsutiles dont les fruits s'éten- » dront peut-être au-delà de sa mémoire. » Picard en effet joignait à beaucoup de science une extrême mo- destie; et qui ne sait que la modestie, tout en rehaussant 186 MÉMOIRES. le vrai talent, n’est pas toujours pour lui un brevet d'im- mortalité ? Sans tenir à des considérations niesquines d’amour-propre, Picard employa son crédit auprès de Colbert, pour faire appeler en France Cassini dont la ré- putation pouvait éclipser la sienne, et vit, sans ombrage , ce rival trop heureux peut-être,placé à la tête de l'Obser- vatoire dont la création était due à ses propres soins.Mais heureusement la gloire n’a point failli à la mémoire de Picard,et, de nos joursencore,n’y eüt-il pour la perpétuer que la pratique usuelle de ses inventions, c'en serait assez sans doute pour sauver de l'oubli le nom de leur autenr. Ainsi, à côté de Descartes , le chef d'école, l’apôtre du doute méthodique , voyez-vous s'asseoir le savant , le bon P. Mersenne son condisciple au collége de la Flèche , dont l’inaltérable amitié le préserve de la fougue de ses passions et le ramène aux études sérieuses ? dont les pieux conseils le maintiennent dans cette foi primitive queDescartes suttoujours conserver sur le terrain glissant du rationalisme? Mersenne qui, commelui et aveclui,en- treprend de ruiner la puissance tyrannique d’Aristote et plus heureux que le père de la philosophie nouvelle, sait par sa prudence échapper aux persécutions de l'envie ? Mersenne l'inventeur de la cycloïde , cette courbe dont Pascal s’empara pour en découvrir les propriétés ; Mer- senne enfin adonné à la science avec tant d’universalité et de profondeur, qu'il estconsulté sur Lout ce qui ressort de l'esprit humain , qu'il devient le centre d’un immense commerce littéraire , et le secrétaire de l'Europe sa- vante ? Théologien habile , philosophe éclairé , grand mathématicien , Marin Mersenne s'était appliqué en outre à la science de l'harmonie ; il a publié sous le titre d’Harmonie universelle, un ouvrage fort recherché qu'on regarde comme un chef-d'œuvre. A côté de Mailebranche, quoique dans un rang moins élevé , nous pouvons citer notre compatriote ernard Lami, son contemporain et, comme lui, membre de la cé- MÉMOIRES. 187 lèbre congrégation de l’Oratoire. Chez lui, l'application aux sciences exactes et à la philosophie s’alliait avec l’é- tude des langues anciennes et modernes , les belles lettres, une saine critique et une vaste érudition. Sorti du collége du Mans, où les leçons de Mascaron , l’éloquent panégyriste de Turenne , lui avaient inculqué le goût de la littérature , il se montra bientôt lui-même capable d’en tracer des règles , d'établir des principes. Sa Rhétorique, ses Réflexions sur l’art poétique lui valurent d'honorables suffrages , ses traités de mathématiques se distinguent par leur clarté ; « il faut toujours y revenir , a dit d’Alembert , si l'on veut acquérir , en mathéma- » tique, des connaissances précises. » J.-J. Rousseau préférait ses Éléments de géométrie à ceux d’Euclide ; ses Entretiens sur les sciences qui ont mérité des éloges de Bayle ont pour but , c’est l’auteur qui l'annonce , de montrer comment on doit se servir des sciences pour se faire l’esprit juste et le cœur droit , but excellent, but de toute bonne éducation ; la science unie à la morale et à la religion , voilà ce qu'avec l'esprit le plus juste et le plus orné , le cœur le plus sensible et le plus droit , Ber- nard Lami était digne d'enseigner. Et cependant Bernard Lami fut persécuté ; trop clairvoyant pour ne pas recon- naître qu'une soumission servile aux doctrines d’Aris- tote retenait la philosophie dans des entraves dégra- dantes , il voulut, à l'exemple de Descartes, l’affranchir de son joug et proclamer, dans son enseignement scho- laire , une méthode qui ouvrit au raisonnement une nou- velle voie ; mais, destitué de ses emplois , il lui fallut courber la tête sous la main du plus fort , et chercher loin de son pays un refuge, où bientôt ses vertus lui ga- gnèrent tous les cœurs, et où il mit fin à un grand ou- vrage qui l’occupait depuis bien des années, son Traité sur la sainte cité de Jérusalem et sur son temple ; c’est le fruit de ses immenses recherches sur l’histoire et les arts du peuple hébreu , c’est son chef-d'œuvre. 188 MÉMOIRES. Venons aux hommes qui , sortis de nos écoles , por- taient dans la chaire chrétienne l’enseignement évangé- lique avec un ton plein de dignité, alors que Bour- daloue maîtrisait les convictions par l’ascendant d'une raison toujours victorieuse , que Bossuet atteignait dans l'oraison funèbre à toutes les sublimités de l’éloquence, et que Massillon arrivait aux sources de la persuasion par l'élégance et les douceurs du langage. Parmi ces prédi- cateurs du second ordre , nous pouvons compter Ma- thurin Hubert, oratorien comme Lami, qui, pendant quarante ans, fit entendre à Paris la parole chrétienne, souvent même en présence de Bourdaloue qui se plaisait à l'écouter , et Jean Louis de Fromentières , évêque d’Aire qui composa une oraison funèbre d'Anne d’Au- triche et prêcha devant Louis XIV plusieurs sermons pleins de force et de grandes leçons. Les leçons que l’histoire fournit , ont plus que toutes autres une grande portée; mais l’histoire, dans le temps où nous nous reportons, n’était encore qu'en ébauche. Nul grand écrivain ne s'était rencontré , qui coordonnât les documents épars et résumât sur l’ensemble des faits ; on avait tout au plus alors des histoires locales. Mais, tout informes, tout incomplettes qu'elles sont, il faut sa- voir rendre grâces à ceux qui nous les ont livrées ; sans eux, la nuit des temps aurait tout obscurci. Or, dès 1544, Jean Orry , avocat au Mans , avait fait des re- cherches sur les antiquités de son pays ; un siècle après environ, J/. Maan écrivit l'histoire de l'Eglise de Tours ; Courvaisier et Jean Bondonnet, bénédictin, publièrent les Vies des évêques du Mans. Chacun de ces deux ou- vrages est la critique de l’autre, mais les faits principaux ne changent pas, et il en est ainsi de toute histoire; quand les-passions , l'esprit de système et souvent même l’ima- gination s’exercent sur les détails secondaires, les grands événements restent invariables , jalonnant à travers les siècles la marche de l'humanité. MÉMOIRES. 1389 Les sciences naturelles n’avaient pas fait non plus de progrès sensibles depuis Belon ; il était réservé à nos jours de les porter à leur perfection. Cependant on trouve encore au Mans , dans le XVI[° siècle , un émule de ce grand homme, Louis Morin qu'un goût passionné pour la botanique suivit dans l'emploi de médecin de l’'Hôtel- Dieu à Paris. Dans sa vieillesse, revenu au Mans sa chère patrie , il rassembla une grande quantité de mé- dailles et de plantes, et composa une riche bibliothèque. Tournefort a donné son nom à une plante rapportée du Levant , c'était vouloir éterniser sa mémoire. Quant à la science du droit, elle n’entrepas dans le plan que nous nous sommes tracé. Nous ne pouvons cependant ne pas mentionner des hommes de la province qui ont débrouillé le dédale de nos coutumes, tels que, Julien Bodreau, Mathurin Louis des Malicottes , et ce gé- néreux avocat qui s’associa à Pélisson pour la défense du malheureux surintendant Fouquet Roland Levayer de Boutigny. Pendant quenotre province se recommandait ainsi aux yeux de la France, deux voyageurs l’honoraïent à l’étran- ger : François Pyrard, par son Voyage aux Indes Orien- tales, aux Maldives et aux Moluques, où il fit preuve d’une véracité bien rare ; mais surtout Joachim Bouvet jésuite, par sa mission apostolique à la Chine. Membre de l'Académie des sciences, ayant fait une étude spéciale des mathématiques, du dessin, de l'astronomie et de la théologie , et par-dessus tout brûlant de cette sainte ar- deur qui fait affronter les tortures, Bouvet échappa ainsi que son intrépide confrère Gerbillon , à des dangers de toute espèce et fut assez heureux pour se faire accueillir avec bienveillance par l’empereur. Bientôt il lui donna deslecons de mathématiques et de philosophie, et à la fa- veur de l’intime confiance qu'il gagnà dans ce poste élevé, obtint une résidence dans le palais impérial , un vaste emplacement pour une église, et, ce qu'il am- 190 MÉMOIRES. bitionnait le plus, un édit solennel qui permit d’ensei- gner publiquement la religion chrétienne. « Le bruit de cet évènement,» dit un de nos dignes compatriotes (1) qui lui a consacré une notice biogra- phique, « l’un des plus éclatants qu'offrent les fastes de l'église, retentit dans toute la terre. Rome se flatta de » voir accroître son empire; la France se flatta d’avoir » donné naissance aux deux héros des missions orienta- » les ; le Maine se félicita de ce que le front de l’un » de ses enfants était ceint d’une palme aussi glorieuse. » Tout l'Occident tressaillit de joie, dans l'espoir que sa » religion allait fleurir aux bornes de l'hémisphère, » Chez la nation la plus nombreuse et la plus renommée » de l'univers. Tout paraît justifier d’abord ces grandes » espérances; toutes persécutions cessent. Ce n’est » point en vain que les apôtres de la foi élèvent libre- » ment la voix au milieu d’une population de 150 mil- » lions d'habitants. Des milliers de néophytes, parmi les- » quels on compte trois princes du sang impérial, se » rangent sous les drapeaux de l’évangile. Il semble que » les Jésuites puissent se flatter de voir triompher la » croix dans ces beaux climats. Apparence trompeuse ! » espoir fragile ! Dieu, dont les voies sont inaccessibles à nos faibles lumières, en a décidé autrement. » Quelques contradictions et l'absence que fit Bouvet , pour revenir en France chercher de nouveaux mission- naires, détruisirent en grande partie l'œuvre à laquelle il avait consacré son savoir , la douceur de son caractère et ce prosélytisme patientqui sait ne procéder que par de- grés. Bouvet est mort à Pékin. Il avait composé, en lan- . gue tartare, une géométrie et un traité de philosophie à l'usage de l'empereur Kam-Hi. Les relations qu’il a lais- sées de ses voyages sont pleines de faits curieux et d’ob- servations intéressantes sur l’histoire naturelle. Mais, > > (4) 3. Pôté, MÉMOIRES. 191 conduit par sa foi au centre d’une population païenne, et jalouse de ses croyances qu’elle dit aussi anciennes que le monde, notre pieux compatriote avait surtout à cœur d'étudier ces vieilles traditions, assuré par avance que fouiller l'antiquité, c’est y chercher la confirmation de la vérité catholique. Aussi, dans une lettre à Leibnitz cet homme de science et de foi, Bouvet énumère-til les preuves qui démontrent à ses yeux que les dogmes du christianisme ont été, dans un âge reculé, apportés à la Chine ; il retrouve dans leur religion des traces évidentes du mystère de la trinité et, dans leurs livres sacrés, une concordance frappante avec les principaux articlesde no- tre foi ; recherches érudites qui exercent encore aujour- d’hui plusieurs jeunes hommes laborieux et qui ont conduit le savant A. de Rémusat à de si importantes déductions. La littérature , au XVII siècle , resta chez nous dans l'ombre. Marin Cureau de. la Chambre devint membre de l’Académie française , mais ce titre fut sou- vent donné à la faveur. Louis Belin de la Fuye eût quelques succès dans la poésie, mais quelle comparai- son à faire entre lui et les poètes de son temps ? Il a ce- pendant quelques strophes où l’on trouve du nombre, de l’aisanceet qu’il est bon de noter dans la pénurie où nous nous trouvons; Car, bien que nous ayons fourni, pour les bouffonneries du Roman comique , théâtre et acteurs si nous ne pouvons Cependant révendiquer qu'un reflet de la renommée que s’est acquise, par cette création origi- nale et la verve facile de quelques tirades heureuses , le facétieux chanoine du Mans , l'invalide de Pontlieue. Mais les beaux arts vont nous offrir quelques dédom- magements. Louis Bouteiller, maître de musique de là cathédrale , remporte suecessivement dix sept prix alors que Lulli introduisait dans l'harmonie ses heu- reuses innovations. Il compose plusieurs pièces que Louis XIV et sa cour se plaisent à redemander. Legoux fait preuve d’un vrai talent de composition dans les ta- 192 MÉMOIRES. bleaux dont il décore nos églises. Guillebault mérite le prix de l’Académie de Rome , par son Enlèvement des Sabines et place au cloître de N.-D. de Paris une Ae- surrection de Lazare qui sanctionne sa réputation. Les frères Demeaux doivent à leurs pinceaux l'honneur d’être appelés à la cour de Christine de Suède , et Bois- nard prête aussi aux sujets religieux l'animation et le coloris de la peinture. Mais , des tableaux estimés qu'il nous avait laissés et que les hommes de nos jours ont pu encore apprécier , aucun n’a échappé au fanatisme révolutionnaire ; pertes regrettables pour l’histoire de l'art, vandalisme d’autant plus aveugle, qu’il a détruit en même temps un excellent tableau de /a mort de St.- Dominique, par Lesueur, ce grand peintre que quelques biographes de la province , par excès de patriotisme peut-être , font naître sur notre sol. On le voit , sans avoir rien produit du premier ordre , la peinture comptait néanmoins alors dans le Maine des artistes de talent , et pour encourager ces heureuses dispositions un ami de humanité P£card du fau fonda au Mans une école gratuite de dessin ; bienfait qui doit attirer sur son nom la reconnaissance de la jeunesse. Quelques sculpteurs d’un vrai mérite devaient aussi nous laisser des souvenirs de l’école de G. Pilon sans ap- procher de sa perfection. Pourquoi faut-il que de leurs œuvres , il ne nous reste que quelques débris? Hon- neur toutefois à ceux qui nous les ont conservés ! Ainsi93 avait vu dévaster le sépulcre de la cathédrale dû au ciseau de Labarre, père (1610) ; depuis ce monument a été en partie réintégré. Mais que sont devenues les figures autrefois admirées qui décoraient le jubé de St.- Vincent? celles du grand autel et de la chapelle de St.-Laurent dont la Ste.-Ccile placée à la cathédrale peut nous faire apprécier le mérite? Labarre fils y avait travaillé avec son père. Que sont devenues les sta- tues de la Vierge , placées en 1638 , par Biardeau sur MÉMOIRES. 193 les portes de notre ville ? une seule a été sauvée ; elle couronne aujourd'hui, à la cathédrale, le seul débris qui nous reste du jubé de l'architecte Hoyaw. À cette place, il semble que par la dignité mélancolique de son ex- pression , par la large ondulation de ses draperies , on ait voulu opposer la sévérité de l'art chrétien à l’élé- gance fleurie de l'architecture grecque. Quand nous re- connaissons aujourd'hui , malgré leurs mutilations , dans les groupes du Sépulcre des cordéliers qui déco- rent encore l’une des chapelles de St.-Julien, une cor- rection de dessin, une variété de poses , une légèreté de ciseau qui tiennent de la bonne école , comment ne regretterions-nous pas l’Assomption de la Vierge qui surmontait, avant la révolution, le grand autel de St.— Vincent et plusieurs autres statues également empreintes du talent de Meérillon père et fils? Et cependant nous n’avons pas épuisé la liste de nos artistes. A leur tête nous aurions dû mentionner peut- être le nom d’Æmbroise Duval , célèbre sculpteur en bronze que Colbert rappela de la cour d'Angleterre ; où ses grands talents le faisaient occuper , pour l’employer aux groupes de Versailles. Le Crucifix de bronze, placé dans l’église des jésuites de la rue St.-Antoine à Paris, était de lui; et, comme si la nature avait dû perpétuer le talent dans la famille de nos sculpteurs , sa fille Marthe était auteur du bas-relief qui décore ce beau monument et des deux anges qui le couronnent. Ainsi le mouvement artistique qu'imprimait autour de lui le puissant Louis XIV , se faisait aussi sentir jusques dans nos provinces ; ainsi, après notre grand sculpteur G. Pilon, le pays se suffisait encore avec ses propres ressources. Tel est le privilége du génie, de se survivre en quelque sorte à lui-même par l'émulation qu'il fait naître. Considérerons-nous comme artistes, ces hommes dont l'industrie a fait la fortune de notre cité ? Æalay qui, IL. 13 494 MÉMOIRES. au commencement du XVII° siècle , établit la manufac- ture de cire , son continuateur Julien Hossard, et Jean François V'éron, le fondateur de nos manufactures d'étamines ? Quelle est donc l'invention utile qui ne puisse s'égaler aux beaux-arts , et est-il une cé- lébrité mieux méritée que celle qui réside dans la mé- moire du pauvre ? XVIIE siècle. — Nous avançons vers des temps plus rapprochés de nous. Tout à l’heure les personnages que nous aurons à citer, nos pères les auront connus , et quelques-uns même d'entre nous auront peut-être encore vécu parmi eux ; mais, soit que le prestige de la distance cessant , les objets s’amoindrissent , soit bien plutôt que notre étoile ait réellement pâli, ilest certain du moins que dans le flot de productions de toute espèce qui vont se ré- pandre en France, nous n’en verrons que quelques-unes qui puissent signaler nos Manceaux. Il est toutefois une considération à laquelle nous devons nous arrêter. Quelle est la propension spéciale qui paraît deminer chez nos compatriotes? Celle des études graves et positives. Explo- rations laborieuses de l'antiquité, observations attentives des phénomènes de la nature , sciences exactes : voilà ce qui, dans les siècles passés, a marqué la supériorité des Hildebert , des Filastre , des Belon, des La Croix du Maine, des Mersenne ; dans la littérature, des ébauches étonnantes pour leur temps, mais trop souvent calquées ; dans les arts, la statuaire , mais avec une teinte ascé- tique et sévère. IL faut le reconnaître , notre domaine n’est pas celui de l’imagination ; nos esprits savent ana- lyser , déduire , ils sont capables de s'élever à de grands sujets par les efforts d’une méditation soutenue; mais nos mains sont inhabiles à manier la baguette magique de la divine enchanteresse. Ce que nous avons vu jusqu'ici l’a montré, et dans tout le cours de notre histoire intellec- tuelle nous n’aurons tout à l'heure à signaler à cetteobser- vation de fait qu'une brillante et prodigieuse exception. MÉMOIRES. 195 Or , voilà qu'après avoir été long-temps maintenue dans le cercle des anciennes traditions , la pensée ha- maine rejelte toul-à-coup le passé et gravite , à son insçu peut-être, vers une régénération radicale ; voilà que l'imagination, qui ne connaît pointde bornes, se joint à l'esprit philosophique pour le lancer dans le dédaie des hypothèses ; voilà que les pernicieux exemples d’une cour dissolue portent dans les mœurs un déplorable re- lâchement , que tout est mis en question , que pour tout entreprendre , on ne s'attache qu'aux superficies, que l'esprit ne gouverne plus que par la saillie et l'audace ; alors sans doute , il ne nous était pas donné d’avoir un rôle actif dans ce drame mouvant et passionné , et les personnages que nous avons produits semblent plus ap- partenir, par leur caractère etleurs ouvrages, au temps des Pascal et des Nicole qu'à l'ère philosophique du XVII siècle. va Ainsi , alors que les revers de la France lui faisaient chèrement expier l'éclat de ses conquêtes , alors que l’a- baissement d’un monarque autrefois si puissant mettait à nu sa vanité et ses faiblesses ; alors que les scandales de la régence, la licence de ses mœurs achevaient de dépouiller la royauté de son prestige et préparaient une réaction qui menaça de tout envahir, de pieux cénobites, dans le silence de la retraite, continuaient à élaborer ces œuvres de patience et d’érudition qui, sans eux, se- raient peut-être encore à faire. Julien Garnier met- tait au jour la meilleure édition de St.-Basile ; Tassin continuait le traité de diplomatique de D. Mabillon ; Plancher entreprenait l'Histoire de Bourgogne ; Hous- seau se livrait aux investigations historiques sur le Maine et l’Anjou , et tous , par leur commune collabo- ration, contribuaient, sous la direction de D. Rivet, à ce grand monument où, pour la première fois, la France put lire son Histoire littéraire et qui porte à sa base l’em- preinte collective des bénédictins de St.-Vincent du Mans. 196 MÉMOIRES. Né au milieu des prospérités du grand règne, £tienne PBréard qui, après d'excellentes études latines, s'était résigné à la modeste profession de son père , avait tra- versé obscur et ignoré dans son attelier de serger , les temps d'humiliation et de désordre qui suivirent nos triomphes, et, sans contact avec la dépravation qui l’en- tourait , se livrait dans sa vieillesse et dans les intervalles de repos que lui laissaient ses infirmités,à de nombreuses traductions en vers latins. Le voilà qui, confiant dans ses propres forces, et dans l’exaltation de sa foi, essaie de re- produire dans la langue de Virgile les beautés du poème de la Religion et qui surmonte avec bonheur les difficultés de cette entreprise. [l n’a point cherché la gloire , il ne suppose même pas que ses ouvrages méritent quelque attention , et cependant sa traduction lui attire bientôt une distinction flatteuse et lui mérite des secours de la part du chancelier Daguesseau ; et Racine fils, à quiil en à fait hommage , lui adresse une lettre de remercie- ment dont nous aimons à citer un fragment , tant elle fait honneur à l’un et à l’autre. « M. le Chancelier qui a su par quelles saintes occu- » pations vous vous consoliez dans vos malheurs a été » édifié et attendri : sunt hîie sua prœæmia laudi, sunt » lacrymæ rerum. Vous croyez, Monsieur, m'avoir » quelque obligation et vous me faites des remerciments, » lorsque je vous en dois. Vous ignorez l'honneur que » votre ouvrage fait au mien, ét l'amour propre qu’il » m'inspire , parce que vous ignorez, et, en cela, vousne » ressemblez pas à nous autres poètes, ce que c’est que » l'amour propre. Quand je songe à la peine qu’on a eue » à vous trouver dans votre ville même, où vous » avez sacrifié vos jours à un emploi mécanique ; quand » je songe que ce n’a été que l’adoucissement que vous » avez cherché dans vos maux, qui vous a engagé à » mettre en vers les vérités dont vous êtes pénétré, j'en » conclus que vous êtes bien plus digne que moi de MÉMOIRES, 197 » chanter la religion. Vous croyez,sans doute, ne mar- » cher qu'après moi, comme mon traducteur, dans la » carrière poétique ; et moi je vois, par la manière dont » vous vous êtes toujours caché, que, n'ayant jamais » attendu votre récompense des hommes, je ne marche » que bien loin après vous dans la carrière qui doit » nous conduire tous à l'objet de nos vers. » Vers la même époque, Louis Caraccioli, neveu du P. Bouvet, si celèbre par sa mission à la Chine, se délas- sait des fatigues de la guerre en publiant ses traités de morale et surtout ses lettres empreintes d’une douce philosophie, d’une tendre piété qui font aimer la reli- gion en parlant au cœur , et rendent faciles tous les de- voirs de la vie , en apprenant à les pratiquer ; lettres que l’auteur attribue à Clément XIV et que celui-ci n'eût pas désavouées. Dalibard , après avoir eu l'honneur d'enseigner les mathémathiques à Buffon et peut-être aussi les premiers éléments d'histoire naturelle, faisait, le premier, connai- tre en France la méthode de Linné ,| par la classification de sa Flore des environs de Paris, et le premier aussi ré- pétait, en présence de Louis XV, les expériences électri- ques de Franklin. Enfin, si nous avançons dans le XVIII* siècle, nous trouvons Jean-Jacques Garnier.Né sans fortune, il par- vint par son seul mérite, et la vaste étendue de ses con- naissances à une chaire d’hébreu à Paris.Cette chaireen lui assurant une position, lui permit dese livrer à cette éton- pante activité d'esprit qui embrassait l'enseignement des langues , l'économie politique et les études historiques les plus approfondies. Membre de l’Académie des Ins- criptions et Belles-Lettres, associé de l’Institut, Garnier fut choisi pour continuer les travaux de Villaret sur l’His- toire de France; et quand déjà, dans son traité de F Ori- gine du gouvernement français , il avait montré quel- les institutions civiles et militaires , derniers débris de 419$ MÉMOIRES. la civilisation romaine, avaient survécu, sous la dernière race de nos rois, aux invasions des peuplades du nord , Garnier était digne sans doute de consacrer à no- tre histoire son érudition , la sagacité de sa critique et limpartialité de ses récits. En avançant encore , nous reconnaissons aux habiles mesures qui reparent,temporairement au moins, le crédit de la France épuisé par une guerre désastreuse , les sa- ges conseils, la direction prépondérante de François Véron de Forbonnais, économiste profond, dontles vues élevées et pratiques pouvaient sauver sa patrie sur le penchant de sa ruine, si elles n’eussent dù échouer de- vant l'esprit d’intrigue et de rapacité. Voilà par quels travaux nos compatriotes payaient leur tribut au XVIÏII* siècle. En même temps Coulomme s'inspirant dela grosse gaîté de Scarron reproduisait, par des tableaux d’une composition facile et que notre Musée possède, les scènes les plus plaisantes duRoman comique; Barrier excellait dans l'art de graver la pierre et enri- Chissait de ses précieux ouvrages le cabinet du Roi, et Claude Chappe perfectionnait l'art des signaux par l’in- vention du télégraphe, Nousflavonsdit; dans l’exquisse que nousvenonsdetra- cer, la science et les arts occupent la part la plus large et l'imagination ne joue qu'un rôle tout-à-fait secondaire. Mais ce vide devait être comblé. Il était réservé à un no- ble vieillard dont la vie avait été partagée entre les pé- rils de la guerre et les études sérieuses, de se livrer sur le déclin de ses jours , aux brillantes féeries des romans, et aux enchantements de la poésie (Delille).—Zouis- Elisabeth de la Vergne, comte de Tressan était néau Mans en 1705, lorsque son oncle était évêque de ce dio- cèse; bientôt appelé, chez M!° de Tressan sa tante, aux conversations vives et spirituelles de Fontenelle, de Chaulieu , de Voltaire, son émulation sagement dirigée et une facilité des plus étonnantes lui firent parcourir le MÉMOSRÉS. 199 cercle des connaissances les plus variées. La diplomatie s’en empara d’abord, mais son instruction le portant vers la carrière militaire , il la suivit avec la plus grande dis- tinction jusqu’à la mort du malheureux roi de Lorraine, qui le traitait en ami et dont il avait charme le cœur par les agréments de son esprit. Rendu à lui-même et aspi- rant à une retraite paisible , il en choisit une conforme à ses goûts dans la vallée de Montmorency. C'est là que déjà sexagénaire et au milieu des poignantes douleurs de la goutte, sans s’assujettir à un calque servile, mais avec l'heureuse hardiesse du génie et une rare finesse dé tact, il eût l'art de captiver l’inconstante multitude des lecteurs en remettant en lumière, avec des couleurs mieux appropriées à son temps, les récits merveilleux de nos anciennes chroniques, les fantastiques prouesses de nos braves paladins , Amadis des Gaules, Artus de Bre- tagne, etc. et cela, dit Laharpe, « dans une narration » facile et gaie , où tout respire cette galanterie aimable » quin’est mêlée d'aucune fadeur, et cette décence d'ex- » pressions qui donne une grâce nouvelle aux images » de la volupté. » « Le talent le plus jeune, disait Delille au comte de Tressan, lorsque dans sa soixante-quinzième année on le reçut à l’Académie, le talent le plus jeune vous » envierait la fécondité de votre plume élégante, etce » que vous appelez votre vieillesse ; car ce mot semble « ne devoir jamais être fait pour vous, ressembleàces » beaux jours d'hiver si brillants, mais si rares dont la » plus belle saison serait jalouse. » Peut-être tous ceux qui ne cultivent les lettres que » comme un moyen de bonheur devraient-ils vous imiter; » peut-être faudrait-il que nos études, au lieu de suivre » l'impressionetle caractère de l'âge,luttassentcontreson » impression ; que, Comme vous, on Opposât des médita- » tions sérieuses et profondes à la bouillante effervescence » etaux dangereuses erreurs de la jeunesse ; que, comme 260 MÉMOIRES. » vous, onégayät des fleurs de la littérature la plus aima- » ble, cedéclin del’âge où la raison chagrine ternit et dé- » Colorenosidées, etque,par ce moyen,on retintdu moins » Je plus long-temps qu’il serait possible , les douces il- » lusions qui s’envolent. Mais pour cela, il faudrait et ce » fond de raison qui vous a distingué de si bonne heure, » et cette tournure d'imagination toujours jeune, tou- » jours fraîche qui, n’en déplaise à tous les romans pos- » sibles, est la véritable fée, la véritable enchanteresse. » C’est par elle que vous avez rajeuni nos anciens poë- » tes de chevalerie ; ils ont acquis plus de goût et d’élé- » gance et n’ont presque rien perdu de leur antique » naïveté. » Nous nousarrêtons ici; nous avons terminé la tâche que nous nous étions tracée. Les noms que nous aurions à citer maintenant sont dans la mémoire de tous nos contempo- rains. Parmi les hommes recommandables que nous avons connus, ceux qui n’existent plus ont trouvé des mains plus habiles que les nôtres qui ont jeté quelques fleurs sur leurs tombes, et quant à ceux qui honorent encore leur pays, le temps n’est pas venu de les juger. Nous n’avons donc eu en vue que le tableau du passé ; mais en jetant, avec un certain orgueil national , des re- gards de satisfaction sur celui que nous venons de dérou- ler,si dans la foule des personnages qui se présentent à nos yeux nous en distinguons quelques-uns seulement qui pa- raissent à jamais dignes des hommages de la postérité, qu'une considération du moinsajouteencore,s’ilse peut, à l'estime que tous ont méritée, c'est que tous, hommes de cœur ei de probité, ont consacré leur vie et leurs ta- lents à des œuvres de bien, c’est que lous sont restés purs du contact de l'irréligion et que pas un n’a souillé sa plume par une pensée d’immoralité. ÉTUDES PHYSIOLOGIQUES DE L’UNIVERS , DE L'HOMME, DES RAPPORTS DE L'HOMME AYEC L'UNIVER ; PAR M. ALM. LEPELLETIER DE LA SARTHE. Messieurs, Nous avons particulièrement à vous entretenir ici de l'influence des climats, de la civilisation, des institutions publiques et religieuses, des sciences et des arts sur le tempéramment, le caractère , les mœurs et le bonheur des nations. Après avoir médité les plus importantes productions de la philosophie générale, de l'hygiène publique et particulière, après avoir cherché, dans les résultats de ce travail, les lois fondamentales sur lesquelles doivent reposer le développement de la meiïlleure constitution physique et morale des individus, par une conséquence nécessaire , la prospérité , le bonheur des peuples , nous avons senti profondément le besoin de revenir encore à l'observation des faits pour combler un vide immense, une lacune inexplicable dans ce difficile et vaste ensei- gnement. 202 | MÉMOIRES. Plusieurs philosophes , animés par le feu sacré de fa philantropie , n’ont-ils pas éprouvé, comme nous, la nécessité d’un système d'éducation physique et morale en même temps plus naturel, plus large dans ses bases, plus complet dans ses développements, disons-le, Mes- sieurs, plus digne de son objet ? «-Nous employons tous nos efforts, dit Cabanis, à nous procurer de bons fruits , de belles fleurs , des ani- maux vigoureux... Combien n'est-il pas honteux de né- gliger totalement la race de l’homme ; comme si elle nous touchait de moins près, comme s’il était plus essentiel d’avoir des bœufs grands et forts , des pêches bien odo- rantes et des tulipes bien tachetées que des citoyens sa- ges et bons! » Nous ne voulons pas ici, Messieurs , faire la critique de notre pays, de notre siècle, nous désirons seulement ouvrir , avec le concours de vos lumières , pour nous si précieux , des voies générales de progrès et d'améliora- tion. Nous professerons constamment un respect pro- fond et religieux pour les institutions adoptées. A notre sens , le mépris que l’on jette aux représentations d’un pouvoir , quel qu'il soit, devient toujours un funeste élé- ment de désordre et renversement dans l’état social. D'un autre côté , lorsque la constitution physique et morale de l’homme est encore loin d’avoir acquis son plus beau développement, lorsque le bonheur des na- tions est encore imparfait, lorsque nous croyons entre- voir des moyens d'amélioration dans un sujet de si haute importance, une réserve silencieuse nous semblerait peu digne du cœur et du nom Français ! A quelle époque de la civilisation , à quelle réunion d'intelligences,de bons sentiments pourrions-nous mieux nous adresser , lorsqu'il s’agit de la prospérité des peu- ples , lorsque nous avons à plaider la cause de l’huma- nité ?.. IL nous importait avant tout, Messieurs, de vous faire MÉMOIRES. 203 bien apprécier les dispositions qui nous animent. Nous avons à parcourir , avec vous , des sentiers escarpés et périlleux ; nous avons besoin de votre appui pour ne pas faillir.Nous allons rencontrer et des pics abruptes et des volcans mal éteints; veuillez donc bien ne pas oublier que nous n’avons point la prétention d'atteindre toujours le sommet des uns, et surtout l'intention coupable de ranimer le dangereux foyer des autres. Pour mieux faire apprécier l’ensemble de l'immense tableau que nous avons à dérouler sous vos yeux, ta- bleau que nous esquisserons à grands traits , le temps et l'espace nous manquant ici pour les détails , nous le di- viserons en trois parties : 1° étude de l’univers: 2° étude de l’homme ; 3° étude des rapports de l’homme avec l’u- nivers. A0 ÉTUDE DE L'UNIVERS. Que chacun de nous, Messieurs, veuille bien se re- cueillir un instant, qu’il rassemble toutes ses facultés d'investigation pour les élever à la hauteur du merveil- leux spectacle qui va s'offrir à nos regards! Placés en face de ce vaste univers, sans préoccupa- tion , sans esprit de système , que voyons-nous ? Ici je ne m'adresse pas exclusivement aux- moyens d'observation dans lequels s’est renfermé le sensualisme, j'interroge en même temps l'intelligence , l'œil de la pensée, qui, franchissant l’étroite circonscription du fini , s'élève jusqu’à la cause première , jusqu’à son au- teur ; à son auteur qu’elle peut comprendre, du moins en partie, Car elle n’a pas été formée pour l'ignorance absolue , qui, brisant tous ses rapports avec la divinité, s’éléverait en accusation contre la sagesse éternelle. L'univers ne sera jamais représenté suffisamment par cet ensemble commensurable que forment la terre, les mers, l'atmosphère et tous les grands corps célestes qui 204 MÉMOIRES. roulent incessamment dans l’immensité ? Point d'effet sans cause, point d'harmonie universelle sans un moteur central ; point de diversités temporaires, sans unité pri- mordiale, éternelle, point d’univers sans un Dieu, point d’athéisme de bonne foi. Nous le pensons du moins, et ce n'est pas dans une réunion d'esprits aussi distin- gués , aussi judicieux que cette croyance pourrait être ébranlée. Sans ajouter à ces preuves de fait décisives pour toute saine intelligence des démonstrations qui nous semble- raient inconvenantes en vous les adressant, nous répon- drons à la grande question déjà formulée : dans l'univers se trouvent l'infini, l'unité primitive ; le fini, la diversité temporaire ; les rapports indispensables du fini et de l'infini. Séparons un instant, par la pensée , les deux éléments essentiels de l’économie universelle , nous comprendrons mieux ultérieurement les relations diversifiées qu’il nous sera donné d'entretenir avec eux. Ici, Messieurs, nous éprouvons le besoin de dégager notre intelligence de ses entraves matérielles pour l’éle- ver à toute sa hauteur ; il s’agit de comprendre Dieu. Que les amis des saines doctrines se rassurent; dans cette investigation d’immense portée , nous ne procéde- rons point par voie de système. Nous ne dirons pas avec le sensualisme abusif : Dieu n’est point accessible à nos sens , nous ne pouvons le comprendre dans sa nature es- sentielle , donc il n'existe pas. Nous ne dirons point d’a- vantage avec l’idéalisme exclusif : Dieu est absolument incompréhensible , il faut admettre son existence par la foi sans même chercher à la démontrer. Nous plaçant au contraire en dehors de toute opinion religieuse ou philosophique,négligeant, pour un instant, la science acquise , nous porterons , sur le grand livre de l'universles yeux d’une intelligence égalementéloignée de l'orgueilleuse prétention de ne rien croire sans pouvoir MÉMOIRES. 205 tout expliquer, et de la crédulité contemplative impo- sant à l'esprit l'obligation de tout admettre sans lui lais- ser la faculté de rien examiner. Qu’avons-nous à craindre dans cette intuition su- blime ? la raison humaine, procédant avec de semblables dispositions, pourrait-elle jamais s’égarer en remontant à la raison divine , son principe et sa fin? Lorsque franchissant la sphère dont nos sens peuvent embrasser les dernières limites, nous élevons notre pen sée vers l'infini , jusqu’au premier degré de l’inspiration, qu'elle idée vient aussitôt se révéler à notre conscience? l'idée de l’unité primitive , de l’éternelle vérité , de la rai- son divine. Notre intelligence comprend-ellé bien cette idée ? c’est ici qu'il faut préciser la valeur des expressions pour ne pas s'engager dans cette voie d’aberrations conti- nuélles, où les nombreux systèmes philosophiques sont venus se heurter incessamment depuis l’origine des siè- cles. … Notre intelligence comprend-elle bien cette idée ; comprend-elle bien Dieu ? Comme idée positive, sans doule, comme idée adé- quate, nous ne le pensons pas. C’est dans ce sens que nous comprenons le fini par l'infini, la diversité secon- daire par l'unité primitive , la vérité relative par la vérité absolue , la raison humaine par la raison divine. C’est encore dans le même sens que nous comprenons, en procédant par une voie directement opposée, la raison divine par la raison humaine, la vérité absolue par la vérité relative, l'unité primitive par la diversité secon- daire , l'infini par le fini. Quant à l’idée de Dieu consi- déré dans son essence et dans toutes ses perfections, à l'idée adéquate , elle n’est point à notre portée. Là finit le domaine de notre intelligence; là commence le do- maine de la Foi !.…. Jusqu'ici nous avons envisagé Dieu d’une manière abs- tractive, suivons-le maintenant dans ses rapports avec 206 MÉMOIRES. l'univers , assistons au grand phénomène de la création. Nos idées prendront alors plus de consistance , devien- dront moins incomplètes ; et notre foi s’affermira d’au- tant plus qu’elle s'exercera sur des vérités que nous com- prendrons davantage. Dans toute existence, comme l’a dit un philosophe moderne , se trouvent nécessairement trois temps , {rois conditions; jamais plus, jamais moins. Ces trois condi- tions sont unies d’une manière si intime qu'il est impos- sible d'en détruire une seule sans anéantir en même temps les deux autres. Telles sont : l'unité, la diversité, le rapport de l'unité à la diversité. En les appliquant à la raison éternelle , ces trois con- ditions deviennent les trois éléments combinés dans lu- nité primitive. C’est, pour nous servir du langage sacré , le Dieu trois fois saint, c’est la TRINITÉ mystérieuse re- présentée par les trois caractéres symboliques du plus sublime enseignement. Supposons un instant, par la pensée , la raison éter- nelle se disposant à la manifestation. Elle veut : l'univers apparaît !.…. Tous les objets de ce vaste ensemble ne sont autre chose que les résultats variés de cette grande ma- nifestation. C’est la diversité temporaire émanant de l'unité primordiale, avec les rapports nécessaires de l'unité à la diversité. L'homme raisonnable , intelligent et libre , objet comme tout les autres de cette manifestation divine, pourrait-il done seul rester étranger à son auteur ? n’existerait-il donc pour lui, par une exception bien étrange, aucune relation de la diversité à l'unité ? Dieu aurait-il formé notre intelligence pour ne pas le comprendre , notre cœur pour ne pas l'aimer ? aurait-il voulu nous isoler entièrement de son Etre en brisant tous les rapports d'harmonie qui se rencontrent toujours en- tre la cause et l'effet? Une pareille disposition devien- MÉMOIRES. 207 drait la plus inconcevable des anomalies. Un tel Dieu n’existerait pas pour nous !… Ainsi , que nous procédions par l'intuition directe ou par le raisonnement; que nous descendions de la vérité absolue à la vérité relative, que nous remontions de la vérité relative à la vérité absolue , nous arrivons toujours à ce. résultat nécessaire; l'unité primordiale existe ; la diversité temporaire en est la manifestation ; il existe des rapports essentiels entre la diversité temporaire et l’u- nité primitive , entre l'homme et Dieu... Telle est la vé- rité fondamentale qu’il nous importait avant tout de bien établir. Nous verrons en étudiant ces rapports ; lin- fluence profonde que leurs modifications exercent sur l'infortune ou le bonheur de l'humanité. Abandonnons maintenant les hautes régions vers les- quelles notre intelligence a dà s'élever dans la recherche de l'infini , de l'unité primordiale, établissons-nous dans la sphère du fini, de la diversité temporaire ; de ce nou- veau point de vue, qu'apercevons-nous , Messieurs ? Sous nos pieds, la terre si diversifiée dans ses élé- ments , sa composition, la nature , l'importance et la fé- condité de ses produits ; dans les influences qu’elle pré- sente incessamment sur tous les êtres doués de la vie depuis le végétal rudimentaire jusqu’à l’homme. Devant nous , ces mers immenses dont les abimes ef- frayants n’ont pas su mettre obstacle aux excursions au- dacieuses de l’ambition et du génie ! ü Autour denous,cette atmosphère qui nous enveloppe de toutes partis avec des condilions nécessaires d’existence et de conservation. Sur nos têles, ce ciel majestueux, incommensurable , où se trouvent suspendus par une force magique le foyer de chaleur qui nous anime et nous vivifie, ces mondes inconnus et dont nous pouyons cependant calculer toutes les révolutions. Ces innombrables points lumineux qui 208 MÉMOIRES, semblent comnie autant de flambeaux destinés à éclairer le merveilleux spectacle de l'univers! Avons-nous jamais assez bien compris, Messieurs, toutes les influences que cet univers doit exercer profon- dément sur nous? avons-nous jamais assez bien apprécié tout ce que notre esprit et notre cœur ont à gagner dans cette majestueuse contemplation ?.. Sans doute , elle nous prouve l'impuissance, la fragilité de notre organi- sation physique ; mais ne nous révèle-t-elle pas, en même lemps, la grandeur , la perfection d’une âme suscepti- ble de s'élever à d’aussi sublimes conceptions ? là se trouve déjà, pour l’homme , le partage de la caducité, de la faiblesse corporelle ; de l'immortalité, de la force morale ? N'’anticipons pas ici , Messieurs sur les considérations relatives à l'homme , et qui vont devenir l’objet de notre seconde partie. 20 ÉTUDE DÉ L'HOMME. Si nous portons actuellement le flambeau de l'analyse dans l'examen des nombreuses manifestations de la rai- son éternelle , des diversités infinies de l'unité primitive, nous les voyons former par les progrès de leurs attributs, une chaîne immense dont leurs variétés constituent les anneaux. Le rapport nécessaire doit exister partout entre ces diversités temporaires et l'unité primitive , toutefois à des degrés différents,suivant l'importance et l'élévation de ces diversités dans la chaîne des êtres. Le premier anneau de cette longue série nous est pré- senté par le minéral amorphe et rudimentaire , avec ses conditions matérielles , ses attractions et ses affinités bornées. Viennent ensuite les minéraux à formes plus ou moins régulières avec une augmentation progressive et graduée dans le nombre et la variété de leurs élé- ments ; dans le développement et la spécialité de leurs attributs. Jusqu'ici l'existence de ces diversités est en- MÉMOIRES. 209 core passive , elle rentre sans aucune modification dans toutes les conditions de l’économie universelle. C’est à cette première partie de la chaîne des êtres que les na- turalistes ont accordé la dénomination de règne minéral. Ici commence une série toute particulière. Aux con- ditions de l’existence passive , s'unissent les conditions de l'existence active que l’on nomme la vie. L'ensemble des êtres qui jouissent de ces conditions forment ,au mi- lieu de la grande économie universelle, une petite écono- mie particulière , se gouvernant par des lois spéciales et que l’on a désignée sous le titre d'économie vivante.Cette nouvelle série, dont la vie constitue le caractère fonda- mental et commun, va nous offrir des séries secondaires établies sur des caractères non moins importants. Le végétal, réduit dans ses facultés de conservation, comme individu et comme espèce , aux moyens les plus simples de l'existence active, nous représente le pre- mier chaînon de la série des êtres vivants. Nous la voyons se Compléter par une succession de végétaux dont les organes et les appareils se multiplient d’une manière progressive; dont les conditions vitales sont portées jusqu'à la sensation apparente , jusqu'aux mou- vements partiels et visibles. Là, toutefois, se borne pour eux les conditions de l'existence active ; l’ensemble de ces êtres a reçu lenom de règne végétal. Une autre série peu différente, à son origine, de celle que nous venons de présenter , s’en distingne bien- tôt par le développement de Ia motilité qui prend les caractères gradués du mouvement d'ensemble , d'une locomotion plus ou moins parfaite , et vers les anneaux supérieurs de cette chaîne , par les manifestations pro- gressives d'une puissance immatérielle s’exerçant dans le domaine exclusif des besoins organiques, sans au- cun phénomène de conscience et de raison. Lés z00- logistes ont accordé le titre de règne animal à l” ensemble de tous ces êtres. Il. 1% AO MÉMOIRES. Ici , Messieurs , vient se placer l'anneau qui termine la chaîne des diversités temporaires et qui , d’une part, se fixant aux plus élevées de ces diversités, par ses con- ditions matérielles , par ses attributs instinciifs, de Pautre, va se rattacher à l'unité primordiale par la rai- son, la conscience qui distinguent essentiellement l’hom- me des animaux , laissant entre eux et lui cet inter- valle immense que rien ne peut combler : la réunion des individualités de cet ordre constitue le genre humain. D’après ces considérations générales sur la filiation des diversités temporaires, il nous est bien plus facile de comprendre la nature de l’homme , la position qu'il occupe et les relations qu’il doit entretenir dans l’uni- vers. Pour arriver plus sûrement à ces résultats , nous l’étudierons actuellement dans les deux condi- tions principales de son existence : comme individu , comme peuple. Si nous recherchons , sans prévention , la nature de l'homme , envisagé comme individu , que trouvons nous ? D'une part , un corps soumis aux lois générales de Ia matière. Des organes, des appareils animés par les conditions d’une existence active , constituant , par leur association et par l'harmonie qui régularise tous leurs actes, cet ensemble admirable que les physiologistes ont désigné par le nom d'organisme vivant. Jusqu'ici , l'homme appartient encore aux animaux , où du moins ne peut en être distingué que par des nuances bien sou- vent insuffisantes et fugitives : mêmes besoins, mêmes impulsions , mêmes infirmilés , même fin. D'un autre côté , nous trouvons un principe immaté- riel doué de conscience et de raison, dans lequel sur- gissent par des inspirations sublimes , l’idée de la sa- gesse éternelle , de l'unité primitive , l'horreur du vice , du mensonge, l'amour de la vertu, de la vérité, les af- fectueux élans du cœur , les traits brillants du génie, MÉMOIRES. 211 éléments du feu sacré qui l’échauffe, l'anime , l’embrâse, en lui communiquant cette vie purement intellectuelle qui tend à le rapprocher incessamment de la divinité. Ainsi , deux natures opposées appartenant l’une à la matière , l’autre à l'esprit , se trouvent unies dans l'homme par une mystérieuse combinaison ; nous ex- pliquent en même temps ses appétits terrestres , ses modifications par les influences physiques de l'univers ; ses désirs vagues, indéterminés , surnaturels ; ce besoin indicible , impérieux de communiquer avec la vérité ab- solue, avec la raison éternelle, pour y trouver cet ap- pui fixe que les objets matériels sont incapables de lui présenter ; pour obtenir ce complément d'existence morale qu'il chercherait vainement dans les plaisirs sen- suels ! En résumant ces idées sur la nature de l’homme, pourrions-nous désormais l’abaisser à ce niveau dégra- dant vers lequel des écrivains, qui se décoraient du beau titre de philosophes , n’ont pas craint de le faire des- cendre ? dirons-nous avec eux : « l’homme est le pre- mier des animaux , l’homme est un animal essentielle- ment philosophique ; l’homme est une masse organisée, sensible, qui reçoit l'esprit de tout ce qui l’environue et de ses besoins ? » Non , Messieurs , nous donnerons la préférence et vous la donnerez avec nous à ces défini- tions plus dignes de leur objet : « l’homme est une âme raisonnable qui exerce ses facultés par des organes terrestres et mortels, l’homme est une intelligence servie par des organes. » Si nous avions besoin d’autres faits pour nous affer- mir dans cette croyance, nous pourrions nous demander quelles seraient les conséquences naturelles du système opposé à celui que nous venons d'établir ? quelles se- raient ces conséquences , Messieurs?... l’abrutissement de l’homme , son abandon sans réserve aux plaisirs sensuels , son éloignement pour la science , pour tout ce 912 MÉMOIRES. qui teud à la propager. C'est alors que nous verrions le désespoir substitué à l'espérance , l'infortune au bon- L'homme , étudié comme peuple , nous offre encore des considérations d’un grand intérêt. Nous compre- nons , sous le nom de peuple, un ensemble d'hommes réunis dans un même pays , par un intérêt commun et gouvernés par des institutions politiques. C’est as- sez faire comprendre que nous ne parlons pas ici des hordes sauvages. Pour nous, une société ne mérite le nom de peuple qu’autant qu’elle est garantie par l'intérêt général , par la prépondérance de la force morale sur la force physique , et qu’elle offre, au moins , un premier dégré de civilisation. Dans cette réunion d’individualités peuvent s’établir l'une ou l’autre des trois conditions principales qui ren- ferment les éléments essentiels de toutes les institutions politiques. Les volontés particulières dont un peuple se compose, tantôt convergent spontanément vers la réa- lisation d’une pensée commune ; tantôt divergent sur plusieurs points et vont se concentrer dans l'expression d’un certain nombre d'idées spéciales et différentes ; tantôt enfin se courbent, avec plus ou moins de résis- tance et de réaction , sous le joug d’une volonté domi- nante. C’est à ces trois conditions fondamentales , si di- versement considérées , que lon a donné les noms de démocratie , de représentation législative et de monar- chie absolue ; toutes les formes gouvernementales , quelles que soient leurs modifications , se rattachent nécessairement soit à l’une de ces conditions , soit aux combinaisons diverses qu’elles peuvent offrir. Dans cette même réunion d’individualités peuvent également s'établir l'une ou l’autre des trois conditions principales qui renferment les éléments essentiels de toutes les institutions religieuses. Les croyances parti- culières d’un peuple se réunissent et se résument dans MÉMOIRES. 213 an culte tantôt borné à des objets matériels , tantôt élevé à des êtres d’une sphère surnaturelle , et plus ou moins diversifiés , tantôt enfin porté jusqu’à la hauteur de l’u- nité primordiale , de la raison éternelle. Ces trois con- . ditions fondamentales , si différemment appréciées, ont reçu les noms d'idolâtrie, de polythéisme, et de théisme. _ Toutes les formes religieuses, quelles que soient leurs variétés , se rapportent nécessairement , soit à l’une de ces conditions, soit aux combinaisons différentes qu’elles peuvent présenter. Quelques philosophes rêveurs ont vainement pré- tendu que l’homme était constitué pour l’état sauvage et pour l'isolement. Il suffit de considérer sa faiblesse native , les besoins de son cœur , les impulsions de son génie,pour sentir aussitôt qu'ii fut naturellement destiné à la sociabilité. A l'état de peuple qui nous paraît une conséquence de ses dispositions et de ses intérêts, il offre Récessairement des institutions politiques et religieuses formant l’âme du corps social, et produisant, sur les mœurs et le bonheur des individus , les influences profondes qui nous restent maintenant à considérer. 30 ÉTUDE DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC L'UNIVERS. Après avoir étudié l’univers dans ses caractères fonda- mentaux , l'homme dans sa nature et dans ses besoins , considérons l’organisation et l'intelligence humaines exerçant, dans ce domaine mystérieux et sans limites , les facultés qui lui sont départies , avec ces résultats si différents : peine , plaisir , maladie , santé , infortune , bonheur. Qu'il nous soit permis , dans l'examen de celte grande question, qui comprend à la fois notre passé , notre présent et notre avenir, de remonter à l’o- rigine des choses , d'interroger avec vous les faits pri- 214 MÉMOIRES. mitifs sur la nature desquels reposent nos plus grands et nos plus chers intérêts. Impatient de briser les liens matériels qui l'enchaînent si péniblement à la terre , l’homme tend incessamment à s'élever dans cette sphère immense de relations incon- nues à toutes les autres diversités de la création. Désor- mais en mesure de satisfaire aux besoins ardents de son cœur, aux sublimes inspirations de son génie, cet homme va se mettre en rapport avec tous les objets de l'univers. Non seulement il va toucher ceux que sa main peut sai- sir ; mais encore , il va poursuivre de ses investigations tous ceux que son œil peut atteindre dans l’immensité. Que dis-je , l’immensité n’opposera point à son âme les bornes du fini ; cette âme est immatérielle et dès-lors pourra comprendre tous les phénomènes intellectuels de son incommensurable domaine ; s'élever jusqu’à son auteur ; jusqu’à l'unité primitive, à la raison éternelle. Suivons l’homme dans tous ces rapports ; notre objet est de les bien comprendre, et de leur imprimer la direction la plus certaine pour arriver au bonheur. Influence des rapports de l'homme avec l'unité pri- milive. L'homme recut en partage la raison , l'instinct , la volonté. Son existence toute entière va se consumer dans cette lutte incessante qui s'établit au sortir de l’en- fance , entre l'instinct et la raison, avec des résultats dif- férents suivant la prédominence actuelle de l’une ou l’autre de ces puissancesrivales. Dans l'adolescence, pré- dominence de l'instinet ; dans l’âge véril , équilibre en- tre la raison et l'instinct ; dans la vieillesse , prédomi- nence de la raison. Telle est ordinairement dans l'état de nature l'influence proportionnelle de ces deux élé- ments de notre activité morale. Trop développée , cette activité paraît morbide et destructive ; la vie, comme l'a dit un philosophe , devient une maladie morale pour tous les êtres qui sentent et qui pensent trop vivement. Mal dirigée, cette activité conduit l'homme à sa perte MÉMOIRES. 215 en lui faisant traverser un abîme de chagrins et d’en- puis qui ne peuvent avoir d'autre terme que les regrets et le désespoir !.… Déjà , Messieurs , nous sentons ici la nécessité de modifier la nature par l'éducation, d'appuyer la raison humaine sur la raison divine. Dans un sujet de cette importance et qui nous touche d'aussi près , lors que les faits sont à notre disposition , lorsque notre intelligence nous dirige, lorsque la rai- son nous éclaire pour les apprécier et les ériger en lois, irons-nous demander à la science des préceptes et des enseignements ? Ouvrirons-nous les annales de l’es- prit humain , pour nous égarer avec lui dans le dédale affligeant des systèmes et des vaines théories , lors que nous pouvons trouver la vérité en lisant dans notre cœur , dans notre conscience ? Ici, Messieurs , j'en appelle à vos souvenirs, à votre sens intime. Dans le cours de son existence morale, chacun de vous n’a-t-il pas distingué des temps essen- tiellement différents , des modifications profondes et va- riées dans tout son être ? Des temps d’insouciance, de tiédeur , d'indifférence , où toutes les relations se trou- vaient comme suspendues , où celte existence morale vide, sans attrait et sans fruit, portait au découragement, au dégoût de la vie ! Des temps de vertige et d’aberra- tion , où la plus fâcheuse activité se consumait dans l'ac- complissement d'actions mauvaises, repoussées par la conscience , laissant dans l’âme celte angoisse morale , cette profonde amertume, élément le plus inévitable et le plus certain du malheur !... Des temps de lucidité , d’é- lévation mentale , de facilité , de spontanéité dans l’ac- tion de produire; de produire dans l’ordre du bien , de la vérité ; des temps d'expansion mentale, où le cœur cherche les occasivns de s’épancher dans l’accomplis- sement d’une bonne action ; où l'âme en paix , inacces- sible aux ennuis de la vie,trouve en soi le com lément de 216 MÉMOIRES. satisfaction intérieure qui seule peut constituer le véri- table bonheur. Voilà les faits , Messieurs , les faits tels que nous pou- vons tous les sentir et les comprendre. Est-il donc si difficile d'en trouver l'explication ? C’est à votre cons- cience que nous laisserons encore le soin de la donner. Dès l'instant où vous réfléchirez sur ces faits, vous comprendrez avec nous que le premier temps de l’exis- tence morale dont nous venons d’esquisser les principaux traits répond à l'oubli de l'unité primitive, à l'attention qui s'énerve et s’absorbe dans le culte exclusif des diver- sités temporaires. Que le second temps coïncide avec la répulsion de la raison divine par l’orgueil dont l’obsti- nation s'attache à suivre abusivement les conseils si souvent mensongers de la raison humaine. Que le troi- sième enfin dérive naturellement de l'élévation de notre âme vers son auteur ; de sa communication intime ayec la vérité absolue ; de cette confiance , de cette condes- cendance de l'âme qui, sans aliéner son libre arbitre , s’abandonne avec sécurité aux inspirations de la sagesse éternelle , comme un ami cède à l'influence de son ami, tout en conservant le mérite et l'indépendance de son action. Comprenons bien ces idées , Messieurs, gravons-les profondément dans le cœur des peuples ; revenons-y souvent dans les embarras , dans les difficultés de la vie ; nous ne le ferons jamais sans fruit. Ici, Messieurs , nous ne craignons pas dénoncer un axiôme impérissable , car il est établi sur l’éternelle vérité : le jour où ces prin- cipes envabhiront toutes les intelligences , animeront tous les cœurs , ce jour là commencera pour l'humanité une ère nouvelle, une ère de régénération et de progrès vers la paix générale , vers le bonheur parfait ! Influence desrapports de l'homme avec les diversi- tés temporaires.La première de ces actions principales qui s'offre à notre observation est celle des climats. Atta- MÉMOIRES 217 ché au sol par ses conditions matérielles, soumis à toutes les influences de la chaleur , du froid, de la sécheresse, de l'humidité, des Hbostrons BA ro de la com- position atmosphérique , des aliments , des eaux, des lieux , par les lois même de son organisation et de sa vi- talité, l'homme ne saurait échapper aux profondes modi- fications que des agents aussi puissants, aussi nombreux, déterminent incessamment dans sa nature primitive. Sans admettre ces influences comme la cause exclusive des variétés du genre humain , nous reconnaissons la part qu’elles ont du prendre dans l'établissement et la conservation de ces variétés. Pour esquisser à grands traits le tableau des climats, nous devons éviter les détails minutieux qui nuiraient à l'intelligence de l’ensemble , et ne pas nous occuper ici des localités. Climat, %waë, signifie géographiquement dégré de latitude ; hygiéniquement,zône, division du globe ter- resire caractérisée surtout par une tempéralure propre qui sert à la distinguer des autres. Les conditions de chaleur et de lumière doivent avant tout servir à diversifier les climats; toutefois il ne faut pas les considérer comme les seules influences capables de changer profondément la nature de l’homme ; il faut noter au même titre les conditions des terrains , des eaux, des vents , les qualités hygrométriques , électri- ques et miasmatiques de l'atmosphère ; celles des pro- duits de la végétation , des animaux qui modifient le régime alimentaire et la satisfaction des autres besoins physiques. Pour conserver, à ces grandes modifications, les traits fondamentaux qui lesdistinguent, nous devons simplifier la division des climats. En partant de cette idée , nous les réduirons à trois principaux. Climats : chaud , froid , tempéré. Leurs divisions peuvent aisément s'effectuer sur le globe terrestre au moyen des cercles parallèles à 218 MÉMOIRES. l'équateur. Ainsi, les climats seront , pour nous , des sections de la sphère établies entre l’équateur et les pôles. La température marquera surtout leurs différences par le degré d'obliquité des rayons du soleil, obliquité progressive en raison de la déclinaison croissante des régions équatoriales vers les régions polaires. Leclimatchaud, compris entre l'équateur et le tren- tième degré de latitude , sous la dénomination de zône torride , embrasse une grande partie de l'Afrique , de l'Asie, de l'Amérique et de l'Océanie. Sa température ordinaire est de 24 à 25 degrés. La lumière s’y montre plus abondante et plus forte que dans les autres climats , l'air y tient en dissolution une quantité si considérable d’eau qu’elle y tombe , année commune, jusqu'à la hau- teur de 70 pouces. L'équilibre électrique facilement dé- truit par les conditions de l'atmosphère , s’y rétablit par des orages terribles et fréquents. Des vents réguliers et continus , ordinairement dirigés de l'Est à l'Ouest, y di- minuent la chaleur qui, sans eux, deviendrait insuppor- table , et dissipent les émanations miasmatiques dont les influences délétères auraient bientôt moissonné tous les habitants ; des vents irréguliers, et souvent destruc- teurs dans leurs déchaînements, s’y font quelquefois sen- tir , tel est surtout le redoutable hannattan qui soulève des mers de sable dans les déserts de l'Afrique. Dans ce climat , les jours sont à peu près constamment égaux aux nuits. La végétation y fait des prodises, y développe une grande quantité de substances aromatiques et de poisons violents. Les quadrupèdes y sont nombreux , grands et féroces ; les oiseaux s’y font remarquer par les plus brillantes couleurs , et les reptiles y portent des venins très-meurtriers. Au milieu de ces puissantes conditions, l'homme éprouve nécessairement des modifications profondes et remarquables par leur uniformité : la taille s'élève peu , le tempérament y devient bilieux , souvent mélaneo- MÉMOIRES. 219 lique ; la force musculaire est moins développée que dans les autres climats , comme l’ont démontré les ex- périences faites avec le dynamomètre ; la constitution physique est bientôt flétrie par le développement exces- sif et les abus de l’excitabilité nerveuse. La caducité semble toujours y devancer le nombre des années , etles exemples de longévité ne s’y rencontrent qu'à titre de faits exceptionnels. Les mœurs y sont relâchées , les habitudes molles , paresseuses , les passions violentes concentrées ou terribles dans leurs explosions ; la vie contemplative et les idées religieuses, tournées vers le fanatisme ; c’est dans ce climat surtout que l’on observe un grand nombre de solitaires extatiques ; c’est là par- ticulièrement que l’on trouve des Ermites , des Fakirs , des Marabous , des Bonzes , des Brames et des Dervi- ches. Le caractère est ordinairement timide , lâche , superstitieux ; de là, ces croyances bizarres et ridicules, ces invasiors si faciles , et celte apparente docilité à se courber honteusement sous le joug d’un gouvernement despotique. Les sciences , les arts sont peu cultivés , et l'esprit humain semble demeurer stationnaire dans ces brülantes contrées. Il est aisé de comprendre que ces régions ne sont pas naturellement favorables au déve- loppement du bonheur des peuples , et de sentir en même temps ce que l'hygiène publique aurait à faire pour amener ces derniers à de meilleures conditions physiques et morales. Le climat froid , que nous rapprochons du précédent pour mieux faire sentir les contrastes, est renfermé entre le 55° degré de latitude et les pôles, sous le nom de zône glaciale. Il comprend le nord de la Suède , la Nouvelle Zemble , le Spitzhberg, la Sibérie, le Kamtschatka , l’Is- lande , le Groënland , la baie d'Hudson et les contrées peu connues du nord de l'Amérique. Le froid peut y des- cendre jusqu’à 72 degrés , là chaleur y devient quelque- fois momentanément aussi forte qu'aux tropiques , la lu- 220 MÉMOIRES. mière est faible et diffuse , les phénomènes électriques peu marqués , les aurores boréales fréquentes, l'air sec et vif, les pluies n’y donnent que 18 pouces d’eau chaque année, les jours et les nuits s’y trouvent de six mois ; ces dernières sont diminuées par le crépuscule , par la pré- sence de la lune et des étoiles, qui brillent d’un éclat par- ticulier dans ces climats, en raison de la grande pureté de l'atmosphère. Les vents généraux les plus habituels y soufflent du nord au sud et du sud au nord ; la végé- tation est pauvre, les animaux rares se réduisent par degrès au Renne pour seul habitant de ces tristes lieux, où des neiges et des glaces éternelles s’opposent à la vé- gétation et même aux progrès de la culture. Soumis à ces pénibles conditions , l'homme se trouve modifié d’une manière presque toujours défavorable ; sa taille reste souvent au-dessous de la moyenne , avec les caractères d’un développement incomplet ; il passe ra- pidement de l’enfance à la caducité. Dans la nécessité de se livrer à des exercices continuels pour se garantir des influences destructives du froid , pour se procurer , par la chasse et par la pêche , des alimens que le sol est incapable de lui fournir , il arrive au tempéramment musculaire à l'exclusion de l’excitabilité nerveuse , du développement des facultés intellectuelles , toujours très bornées chez ces peuples. Il suffit pour le démontrer de citer les Lapons , les Groënlandais , les Samoyèdes, les Zembliens, les Ostiaques et les Esquimaux. Les habitudes y sont grossières , les passions brutales , instinctives ; l'esprit obtus, le caractère indépendant, réfractaire à la civilisation. Toutefois les améliorations ne sont pas im- possibles , même dans ces regions si peu disposées au progrès. C’est à l'hygiène publique, soutenue par le puis- sant concours de la philantropie , qu’il appartient de les effectuer. Le climat tempéré , qui s'étend depuis le 30° jusqu’au 55° degré de latitude , sous le titre de zône temperée , MÉMOIRES. 291 comprend, pour l'hémisphère austral, le Cap de Bonne- Espérance , la terre de Diémen , le Chili, la Nouvelle- Zélande , etc. Pour le boréal , presque toute l'Europe, la haute Asie, la Tartarie, le Thibet, une partie de la Chine, le Japon, l'Amérique septentrionale, etc. Sa température varie de 15 degrès au-dessous de zero jusqu’à 30 au- dessus. La lumière et l'électricité s'y trouvent en pro- portions moyennes ; l'atmosphère y paraît tantôt pure , tantôt brumeuse ou nébuleuse. Il n’y tombe que 20 pouces d’eau chaque année. Les jours et les nuits y sont égaux, seulement aux équinoxes de printemps et d'automne ; dans les autres périodes , ils prennent alternativement une prédominance relative. Les quatre saisons : prin- temps, été, automne , hiver, s’y caractérisent de manière à ne pouvoir plus être confondues. Les vents généraux les plus ordinaires viennent de l’ouest ; des vents irré- guliers s'y manifestent souvent , plusieurs même ont pris un caractère particulier par leurs effets : tels sont le si- rocco d'Italie , le solano d'Espagne. Du reste, très-variés dans leurs effets, relatifs à la chaleur , à la sécheresse , au froid, à l'humidité de l'atmosphère. Le sol, naturellement fertile , est encore susceptible de s'améliorer beaucoup par la Culture ; la végétation s'y montre abondante et surtout diversifiée. Les animaux , très-nombreux et très- variés , y deviennent susceptibles d'éducation et de con- cours aux travaux domestiques. Sous l'influence de ces heureuses conditions égale- ment étrangères à tous les extrêmes , l’homme éprouve des modifications avantageuses , lorsqu'elles sont conve- nablement dirigées. La taille y peut offrir toutes les mesures connues ; elle est en général au-dessus de 1a moyenne , et présente les exemples les plus fréquents d’une grande élévation; la constitution est ordinairement belle, saine ; les tempéramments, très-diversifiés, avec prédominance du sanguin dans le centre, du lymphatique au nord et du bilieux au midi. Le caractère est mobile , 222 MÉMOIRES. entreprenant, courageux ; le cœur susceptible des épan- chemens les plus vrais et du plus généreux dévouement. L'esprit est vif, brillant, avec un mélange de profondeur et de légèreté, variable suivant les régions et les habi- tudes ; le génie surtout paraît naturalisé dans cet heu- reux climat. Les passions y sont fougueuses , mais sans brutalité ; les mœurs douces, la civilisation facile et ra- pide ; les modes, les coutumes et même les institutions remarquables par leur instabilité. Patrie des sciences et des arts, ces régions privilégiées manifestent cons- tamment leurs aptitudes pour toutes les formeslibérales, et leurs antipathies pour la servitude et le despotisme. C’est de ce point central du monde intellectuel que sont parties et quepartiront, dans tous les temps, les lumières qui peuvent éclairer , et les enseignements qui doivent moraliser l'univers. Pour être heureux dans ce climat , l'homme a donc toujours deux moyens puissants à sa disposition, le savor et le vouloir. Cette conséquence nous conduit tout natu- rellement à rechercher quelles sont les influences de la civilisation des institutions politiques et religieuses , des sciences et des arts sur les mœurs et le bonheur des na- tions. A notre sens, la civilisation est le progrès de la force morale sur la force physique , de la raison sur les pas- sions, des principes fondamentaux sur les choses de fait; et lorsqu'elle s'élève à l'établissement d’un état social , l'institution d’une puissance publique plus forte que la puissance des individus. La civilisation bien comprise , bien dirigée, conduit donc l’homme au perfectionnement de son être. Une belle constitution physique , un cœur pur, une àme fortement trempée, un génie quis’agrandit et s'élève par ses propres inspirations , un caractère qui se polit et se façonne pour le commerce habituel de la vie , qui se forme à la philan- tropie , à la vertu par le précepte et par l'exemple, des a MÉMOIRES. 293 mœurs qui s’adoucissent et s'épurent , un bonbeur d’au- tant plus parfait et plus inaltérable qu'il est moral , in- tellectuel , solidement établi sur la vérité , sur la raison, tls sont , Messieurs ; les résultats merveilleux de cet immense progrès. À Qu'une philosophie chagrine et maladive ne vienne donc plus attaquer les avantages de Ta civilisation et des lumières avee l'arme du talent et du paradoxe. Qu'elle apprenne au contraire à mieux distinguer le vrai du faux , l'usage de l'abus !.… Sans doute l'esprit humain peut s’égarer , sans doute il s’égare trop souvent dans cette voie d'amélioration. C’est alors qu'il prend l'apparence pour la réalité, le gi- gantesque pour le grand, le clinquant pour l'or , l'erreur pour la vérité. C’est alors que l’orgueil se constitue roi d’un peuple, que le luxe avec toutes ses formes devient le digne ministre d’un tel souverain ; c'est alors que la somme des besoins factices dépasse bientôt la somme des ressources naturelles et positives ; et, par une Consé- quence nécessaire, le cœur se refroidit, l'âme se déprave et se resserre; l'astuce, l'intrigue prennent la place de la loyauté ; l'égoïsme , celle de l'intérêt général ; dès-lors , avec le courage, la grandeur d'âme, la moralité, la vertu, s'évanouissent les bienfaits de la civilisation , et l'édifice social ébranlé dans ses fondements chancèle et crou- le de toutes parts! Telleest, Messieurs, la cause ordi- naire , pour ne pas dire la cause exclusive de la déca- dence des nations.Quel enseignement pour les peuples !.… quel enseignement pour les rois !.… Dès l'instant où l'homme s’unit à ses semblables pour vivre avec eux dans une communauté d’affections et d’in- iérêts , il sent naître dans son cœur et dans son esprit le besoin de former alliance avec l'unité primitive dont il émane , avec la diversité temporaire dont il fait partie. De là, cette origine toute naturelle des institutions reli- gieuses et politiques. Pourquoi faut-il que ces institutions 294 MÉMOIRES. qui devraient former , d’une part, le véritable moyen de communication de l’homme à la divinité , de l’autre, le lien unissant l’homme à l’homme, pour faire, du genre humain , une seule et même famille , pourquoi faut-il que ces institutions deviennent si souvent des moyens qui éloignent la diversité temporaire de l'unité primitive; des élémens de désunion , de haine entre les individus ; de dissentions,de guerres sanglantes, interminables entre les nations ? Pourquoi, Messieurs ? Parce que la raison humaine ,dans son fol orgueil,veut à tout prix s'affranchir des salutaires inspirations de la raison éternelle ; parce que le cœur de l’homme , se renfermant toujours dans l'étroite circonscription de l’égoïsme, ne sait jamais placer l'intérêt particulier dans l'intérêt général ; parce que l'esprit de l’homme , dans sa turbulente inquiétude , em- ploie tous ses efforts à ruiner les réalités du présent pour y substituer les chimères de l'avenir ? Gardons-nous donc enfin, Messieurs , de ce déplorable système de tou- jours détruire pour édifier toujours ! C’est un système fu- neste à tous , un systême de perturbation générale, qui ne laissera jamais ni paix , ni stabilité, ni bonheur aux nations |. Après avoir assuré ses moyens d'existence et de con- servation, l’homme, entraîné par un penchantirrésistible, s'arrête à la contemplation de la nature. Frappé de l’é- tonnant spectacle qui vient s'offrir à ses yeux, il sent toute son incapacité pour produire et pour entretenir d'aussi merveilleux résultats. D'abord il s’abandonne à l’admi- ration ; bientôt l'admiration le conduit insensiblement au culte ; une religion s'établit pour lui! Trois objets essentiellement différents viennent s’offrir à sa vénération. Il adopte l’un ou l’autre, suivant la di- rection de ses idées et le caractère de ses mœurs. Lorsqu'il s'arrête aux objets matériels de ses jouis- sances physiques , nous le voyons les ériger en divinités et s’abaisser lui-même jusqu’à leur adoration. Dans cette MÉMOIRES. 295 idolatrie le cœur se rétrécit avec les objets de son culte; l'esprit languit sans développement et sans clarté. Dans ses préoccupations puériles et supersticieuses , l'idée de la mort , d'une mort avec laquelle tout finit, le courbe incessamment sous le joug d’une terreur profonde qui ne permet aucune expansion à son intelligence et n'offre aucun encouragement à sa vertu. Avec de semblables croyances , quelle force morale pourra présenter un peuple ? quelle impulsion communiquera-t-il aux sciences et aux arts ? où seront ses garanties de bonheur et d’a- venir ? L'histoire s’est chargée de répondre !... Lorsque, s’élevant dans une sphère supérieure à celle de la matière inerte , son culte s'adresse à des êtres sur- naturels ,; son imagination forme bientôt un olympe qu’elle peuple à son gré des divinités les plus étrange- ment diversifiées. Les vices comme les vertus, les pas- sions les plus dégradées comme les passions les plus nobles , l'idiotisme comme le génie , tout a son dieu dans cette bizarre institution.Sous l'influence d’un polythéisme aussi extravagant, quel avenir , quel bonheur garantirez- vous à l’homme ? qu’attendrez-vous de la moralité d’un peuple qui fléchit un genou suppliant devant les images de Tisiphone et de Bacchus ; d’un peuple dont le culte est manifesté par des libations , des saturnales et des orgies? Ouvrez, Messieurs , les annales des temps , vous y trou- verez encore la réponse !...… Lorsqu'abandonnant ces vaines illusions des sens et de l'esprit, sa raison s'élève à la raison éternelle, à l'unité primitive , l’homme comprend alors sa véritable dignité ; homme sent tout son être se perfectionner et grandir, par la nécessité de grandir et de se perfectionner pour un culte dont l’objet est la perfection et la grandeur même! Dans ce théisme imposant etconsolant tout àla fois, la vertu, la vérité seules trouvent-des encouragements ; le bonheur s’appuiesurune base indestructible, et le présent n’est plus sans avenir! Icilescroyances, lesdémonstrations II. 15 296 MÉMOIRES: du culte se diversifient. II n'appartient pas à notre sujet de suivre ces institutions religieuses dans leurs modifica + tions secondaires ; il n’entre pas dans nos intentions d'aborder , sans nécessité, des questions irritables où chacun aurait le droit de conserver et de soutenir ses convictions personnelles. Toutefois, si nous demandions à l’histoire à quelle institution devons-nous l’affranchisse- ment de la pensée , la civilisation , la moralisation de l'univers, l'abolition de l'esclavage, la conquête heureuse de cette liberté dont nous éprouvons tous le besoin au fond du cœur ; ce livre admirable que l'intelligence bu- maine atiaquerait vainement, parce que l'intelligence humaine seule était incapable de le produire , ce code sacré qui résume à la fois toute la philosophie , toute la morale, dans cette expression si simple , si touchante et si naturelle de nos rapports avec l'unité primitive , avec la diversité temporaire : honore Dieu , aime ton pro- chain comme toi-même ! nous savons tous quelle serait la réponse de l'histoire ! Possesseur d’un culte quile met en rapport avec l’objet de ses croyances , homme a besoin d'établir des prin- cipes, de sanctionner des lois qui réglent, garantissent les intérêts généraux et particuliers. Trois modes fonda- mentaux peuvent également servir de base à ces insti- tutions. Suivons encore ici l'ordre naturel des faits. Pour les peuples, la vertu vaut mieux que l'innocence. La vertu présente, en effet, un instrument de défense et de conservation. L'innocence n’est qu'un état, bien avan- tageux sans doute , mais un état que les circonstances peuvent modifier ou changer même entièrement, Un peuple, avec des institutions mâles et fortes , avec des principes de vertu solidement établis, est bien plus cer- ain de son bonheur et de son avenir, qu'un peuple dans sa naïve inexpérience , abandonné aux seules im- pulsions de la nature primitive. Suivons l'esprit humain dans l'établissement de ses institutions politiques. MÉMOIRES. 597 L'homme est persuadé par les idées , gouverné par les lois, subjugué par la force matérielle. Dans la première de ces conditions , il agit sans arrière-pensée , avec un esprit de coopération et de concours ; dans la seconde, il marche entre les intérêts particuliers et les intérêts généraux , il raisonne et fait de l'opposition ; dans la troisième , il n’a plus d'autre intérêt que l'intérêt per- sonnel , son action s’isole dans l’étroite circonscription de l’égoïsme, sa tendance est la révolte et le renverse- ment d’une puissance qui le subjugue et lopprime. Tels sont les trois caractères fondamentaux de toutes les ins- titutions politiques, répondant aux trois gouvernements : libre , représentatif, absolu. Dans le gouvernement absolu , le cœur est froid, le génie sans inspiration , la volonté courbée sous un joug plus ou moins pénible , toutes les facultés sont com- primées dans leurs moyens d'expression ; le physique s'énerve et s’abâtardit, les tempéraments lymphatique et mélancolique prédominent ; le caractère se décou- rage et s’affuiblit ; la moralité s’altère, les vices n'ayant alors d’autre frein que celui de la crainte. L'homme ne trouvant autour de lui que des rapports insuflisants aux besoins de son âme, s’abandonne bien souvent à toutes les rêveries de lidéalisme et de la comtemplation. La pensée de l'infini dominant presque toujours dans l’abso- lutisme abusif, conduit à des travaux gigantesques, sou- vent sans autre satisfaction que celle d'une orgueilleuse volonté. Les fameuses pyramides de Gersey auraient- elles jamais été bâties sur le sol de l'indépendance et de la liberté ? Dans le gouvernement représentatif, l'intérêt public et particulier peuvent être garantis par le balan- cement du'pouvoir. Ici, comme partout ailleurs, l’équi- libre est difficile à maintenir , les intérêts ne sont alors ni parfaitement généraux ni complétement particuliers. L'opposition se trouve à l’ordre du jour ; la carrière est ouverte aux ambitions qui s’agitent, se pressent et se 238 MÉMOIRES, heurtent dans tous les sens : aussi les tempéraments qui prédominent sont le bilieux et le nerveux. A côté du be soin de produire, se trouve presque toujours la nécessité de faire valoir ses productions pour en assurer le succès. L'esprit s'engage dès-lors, quelquefois à son insu, dans la voie souvent étroite et toujours fausse du népotisme , de l'intrigue et du savoir-faire. Pour compensation à ces inconvénients , les mœurs en général s’épurent ; le ca- ractère s'élève et s’anoblit, la vertu trouve des encoura- gements, le génie des applications dans les luttes parle- mentaires. Telle est du moins la règle. Sans doute elle offre des exceptions ; c’est qu'il existe à côté des natures vraiment grandes , comprenant la dignité de l’homme , d’autres natures dégradées et vénales ! Dans le gouvernement libre, et nous le supposons avec ses caractères de perfection, l'intérêt particulier n'existe plus, il est absorbé par Fintérêt général, Le cœur s’a- bandonne alors à ses épanchements , l'esprit à son acti- vité, le génie à ses sublimes inspirations. C’est alors aussi que brille de tout son éclat cette liberté pure dont le nom seul fait battre les cœurs généreux , cette liberté qui donne de l'impulsion au talent, du mérite à la vertu; cette liberté qui, dans son usage, présente une puis- sance de conservation et d’avenir,mais qui,dans ses abus, devient un instrument destructeur , dont les funestes at- teintes ne respectent pas même la main imprudente qui n’a pas su le manier. Favorisée dans ses développements , la constitution physique est belle et forte ; le tempérament devient athlétique ou sanguin ; le caractère, fier, courageux, in- domptable ;les mœurs, pures ; la vertu, mâle , incorrup- ble. C’est alors surtout que la force morale, en équilibre avec la force physique , ne reconnaît plus d'obstacles à son pouvoir, opère des merveilles et commande impé- rieusement l'admiration de l'univers !… Telles sont, Messieurs, les trois conditions principales MÉMOIRES. 229 autour desquelles viennent se grouper toutes les institu- tions du même ordre. Nous les avons considérées exclu- sivement sous le point de vue de l'hygiène publique et de la philosophie. Loin de nous la pensée d'aborder leurs modifications étrangères à notre sujet,et de vous entrai- ner sur le cratère encore fumant des dissentions poli- tiques. Loin de nous , même la pensée de manifester ici nos préférences , nous sommes trop pénétrés de la vérité d'un grand principe souvent méconnu dans les théories exclusives: Si les nations doivent se plier aux institutions politiques, les institutions politiques à leur tour doivent être appropriées aux besoins des nations. Dès que ces peuples ont trouvé l’appui nécessaire dans leurs institutions législatives , ils dirigent naturellement leur attention vers la culture des sciences , des lettres et des arts. Cette culture est-elle favorable à l’épuration de leurs mœurs , aux garanties de leur bonheur ?.. Mes- sieurs, vous 'éprouvez sans doute, comme nous, un éton- nement bien pénible en voyant l’un de nos plus beaux génies résoudre cette question par la négative !..……. Ce quinous surprend,ce qui nous afflige encore bien davan- tage, c’est qu'une académie toute entière ait pu se laisser assez subjuguer par les beautés de la forme pour sacrifier la vérité du fond en couronnantun semblabletravail!….Du reste , il existe conséquence dans les idées de l’auteur ; celui qui considérait le progrès des sciences et des arts comme un progrès vers le mal, était précisément celui qui faisait l'apologie de l’état sauvage à l’exclusion de la civilisation des peuples ! Prêcher ainsi les avantages de l'ignorance et de la bar- barie , les dangers de la civilisation et du progrès des lu- mières, c’est confondre l'usage avec l'abus, c’est marcher à contresens de l'esprit humain, de la raison , de la vé- rité , c’est méconnaître les besoins les plus pressants de l'humanité, ceux de l'intelligence !.… c’est faire la cri- vique la plus amère de nos effors commmuns, de la belle 230 MÉMOIRES. et noble institution qui nous rassemble aujourd'hui ; c'est vouloir briser le lien des rapports qui viennent de s’é- tablir entre nous avec des résultats si doux pour le cœur et si fructueux pour l'esprit. Je me rassure, Messieurs , de tels enseignements n'auront pas un écho dans cette enceinte. Sans doute la culture des lettres, des sciences et des arts offre ses dangers et pour le moral et pour le phy- sique. Embrassée d’une manière abusive, dans cet âge, où l’organisation à besoin de compléter son développe- ment , où les facultés intellectuelles sont encore au-des- sous des obligations qu’on leur impose; soutenue à l’ex- clusion des phénomènes conservateurs de la vie dont elle absorbe tous les instants et tous les moyens, celte culture énerve la constitution , développe des tendances mala- dives, un tempérament mélancolique, excite limagi- nation , en portant quelquefois atteinte au génie ; le feu qu'elle allume est sacré , sans doute , mais incessamment agité par un souffle imprudent, ce feu consume et détruit jusqu'à son propre foyer. Regardez autour de vous, Messieurs, vous reconnaîtrez que nous écrivons de l’his- toire ; vous reconnaîtrez , avec nous , que dans l’intérèt même de la culture des sciences , des lettres et des arts, il faut éviter les abus. C’est assez faire comprendre que tous les reproches adressés aux progrès des connais- sances humaines ont une fausse portée , puisqu'ils re- tombent naturellement sur des applications fautives dont ces progrès ne sauraient être comptables. Ramenée à des applications plus sages, combien la culture des arts, des lettres et des sciences n’offre-1-elle pas d'avantages pour la moralisation , pour le bonheur des peuples ! C’est elle qui donne à l'esprit son vérhable, son seul aliment ; qui dégage et répand les émana- tions du génie ; qui porte l’âme à toute sa hauteur en préparant aux cœurs faits pour la comprendre , des jouissances toujours pures, toujours sans remords , des MÉMOIRES. 231 jouissances qu’il chercherait vainement ailleurs. C'est elle qui polit, adoucit les mœurs ; développe, agrandit la force morale, cette force qui, seule aujourd’hui, présente un poids dans la balance des nations ! Telles sont, d’après nous, Messieurs, les modifications générales des influences que les climats, les institutions politiques et religieuses, les sciences et les arts exercent sur le tempérament , le caractère , les mœurs et le bonheur des peuples. Nous déposons ces idées générales dans vos esprits ; disons mieux encore, dans vos cœurs, avec la ferme confiance qu’elles y porteront leurs fruits. Médecin physiologiste, ou si vous l’aimez mieux, ob- servateur de l'humanité, il nous appartenait de vous signaler ses besoins. Esprits éclairés , amis des institu- tutions sages , philantropes dévoués au soulagement de vos semblables, c’est à vous qu'il est réservé de trouver et de mettre en usage les moyens les mieux appropriés à la satisfaction de ces besoins. Vous comprenez trop bien vos obligations , Messieurs, pour ne pas laisser au , fond de notre àme la conviction que vous les remplirez - dignement ; puissiez-vous penser que nous ne sommes pas restés trop au-dessous de celle que nous nous étions imposée ! Nous devons le dire, mais nous le dirons avec douleur , ii existe un obstacle immense aux progrès de ces améliorations , au développement de l'intelligence humaine! Cet obstacle, Messieurs, c’est la centralisation. On veut coërcer toute la lumière dans un même foyer.On ne sait donc pas qu'elle offusque souvent alors à son ori- giue , et que , dans son émission , elle s’affaiblit aussi en raison du carré de la distance. Si vous ne les connaissiez comme nous, Messieurs , nous exposerions ici les nom- breux inconvénients d’un systême funeste à tout ce qui porte le nom d'institution et de progrès !… Vous avez bien apprécié le mal, vous en cherchez le remède , en disant , au programme de vos questions : « Ne conviendrait-il pas d'établir en France un Institut 232 MÉMOIRES. général pour les départements , destiné à leur servir de centre commun , en favorisant entre eux des rapports scientifiques et littéraires? » Déjà vous l'avez appliqué ce remède , il fera bientôt sentir son efficacité : qu'il nous soit permis de rappeler ce que nous avons dit ailleurs à cette occasion : « Les hommes de vérité , de progrès et d'avenir se trouvaient naturellement portés les uns vers les autres par une sympathie fraternelle ; il ne manquait à leur concours si désirable et si fructueux , que l’occa- sion et les moyens de se réunir ; ces moyens, cette oc- casion , ont pris naissance dans l’une des plus morales , des plus belles institutions, dans celle des congrès scien- üfiques. Honneur à l'esprit judicieux qui le premier comprit l'importance de ce besoin , et fit accueillir l’heu- reuse pensée d’y répondre ! » C’est ainsi que nous avions apprécié l'esprit d’un col- lègue dont les relations offrent tant d’aménité. Que di- rions-nous donc aujourd'hui de son esprit et de son : CUT À Pourrions-nous ne pas associer dans cette pensée celui que nos vœux unanimes ont appelé à diriger ces discus- sions , et ne pas réclamer, pour nous, une part de cette bienveillance affectueuse qui semble remplir toute son âme ? Qu'il nous soit permis en terminant, Messieurs , de vous exprimer notre vive gratitude pour l'indulgence avec laquelle vous avez toujours accueilli nos paroles. Qu'il nous soit permis d'espérer , qu’en retour de nos bons sentiments , vous nous conserverez la place que nous ambitionnons dans vos souvenirs. 233 RL LARRIRAN IRIS RRIRILIIRRIR LR LLLIIE RAPPORT SUR LA RÉFORME DES JEUNES DÉTENUS, RRARER ADRESSÉ AU CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE, PAR M. MAUPOINT, AUMONIER DES PRISONS D'ANGERS. MESSIEURS , S'il est vrai que, dans certaines entreprises de bienfai- sance de création moderne, d’autres nations aient pris pour elles les honneurs de l'initiative et ne nous aient laissé que le rôle secondaire , quoique non moins hono- rable au fond , d’imitateurs de ces sortes d'œuvres ; du moins , nous est-il doux et consolant de penser qu'uné des plus importantes , sans contredit, doit à la France la gloire de son origine. Nous voulons parler de /’OEuvre des Jeunes Détenus. Nos voisins , il est vrai, se sont occupés avant nous de l'amélioration du sort des détenus en général, mais non du Jeune détenu en particulier. Née à Paris, en août 1831 , grâce au dévouement et à l’habileté de ses fondateurs , la réforme des jeunes détenus y fit en peu de temps de rapides progrès. Bientôt après, Lyon et Bordeaux tentèrent d’imiter la capitale. Les résultats obtenus par ces villes sont imparfaits sans doute, comme tout ce qui commence ; le temps et la patience se charge- 534 MÉMOIRES. ront du reste. La mine est ouverte , nous n’en avons en- core effleuré que la surface ; aux vrais penseurs de la creuser et d'en arracher de vive force les riches trésors que récèle son sein. IE y va de l'assainissement d’une société dans laquelle le crime, pour éclore, n'attend pas la vieillesse , d’une société dont malheureusement Ja moralité semble aller en sens inverse de ce qu’on est convenu d'appeler, improprement, civilisation. Quoi de plus propre à remuer l'âme, à réveiller l'attention des magistrats, à encourager les bonnes volontés , et à sti- muler les nobles efforts du publiciste qui voudra bien consacrer quelques parcelles de son temps à un genre de réflexions pénibles et douloureuses pour le présent, mais pleines de joie et de consolations pour l'avenir ? Puisque , dans la cause sacrée de l'humanité , chaque homme est soldat, et est appelé à descendre dans l'arène pour en défendre les droits, sans autre mission que celle qui vient du cœur, sans autre litre que celui qui confère naturellement le droit de se dévouer pour ses semblables, et de s'occuper de toutes les bonnes œuvres, j'oserai donc essayer devant vous, Messieurs, quelques timide observations sur la nécessité de OF uvre dite des Jeunes detenus et sur l'organisation qu'il conviendrait de lui donner. Du reste, jem’estimerai beaucoup trop heureux, si ces observations qui ne sont pas neuves et n’ont pas la pré- tention de l'être, peuvent un instant fixer l'attention de votre comité, el porter un seul de ses membres à s’occu- per activement d’une réforme demandée à grands cris par la société et la religion ! 1° La nécessité de cette réforme est urgente. Pour s'en convaincre, il n'est pas besoin de longs raisonne- ments : il suffit de jeter un coup d'œil sur l'intérieur ac- tuel de nos prisons. Dans quel état, en effet, les jeunes détenus s’y trouvent-ils? Dans le même état que les au- tres criminels , que les vieux piliers de prisons. La diffé- MÉMOIRES, 235 rence des âges , l'échelle des moralités , la diversité des caractères n’y sont comptés pour rien. Avoir escroqué quelques pièces de monnaie, dérobé un fruit, donné des coups aux passants ou méprisé les corrections pater- nelles , c’est souvent tout le crime des enfants dont nous parlons ; tandis que sur les autres pèsent souvent les plus graves inculpations ; sont-ils déclarés infâmes , vo- leurs de grand chemin , meurtriers , pertubateurs au re- pos public …. n'importe? jeunes et vieux sont réunis sous le même toit, dans la même cour, mangent à la même gamelle, dorment dans la même chambrée; encore si, soit dans l’une soit dans l’autre classe de ces détenus, les condamnés étaient séparés de ceux qui ne sont en- core qu’en état de prévention ! mais non : c’est un pêle- mêle qui fait mal à observer. N'est-ce pas là une in- croyable. anomalie, une des lacunes les plus tristes de notre législation , une des plus ‘importantes questions d'humanité foulée aux pieds ? Qu’arrive-t-il de cette imprudente fusion? des désor- dres inouis. Ces maisons , qui devraient être des maisons de correction et de repentir, se changent en écoles de débauche, en sertines immondes, où cuvent et bouillon- nent tousces vices hideux qui n’attendent qu'une occasion pour éclater. Tirer auprès des nouveaux venus un infer- nale gloriole de leur vie passée,en empoisonner le récit de plaisanteries obscènes et d’horribles bons mots,dérou- leravecun dégoûtant cynisme les ténébreuses combinai- sons dont ils se sont servis , pourarriver à leursfins, que dis-je? chercher à grossir leurs attentats el à paraître plus coupables qu'ils ne le sont réellement, telle est la journalière occupation de nos licenciés-ès-crimes. Aussi, moins contagieuse est la peste. L’imagination des jeunes s'exalte, s’enflamme ; une fois sortie de ses bornes , eur curiosité ne peut plus s’arrêter , les interrogations suc- cèdent aux interrogations... C’en est fait ; ils n'ont que trop bien compris les fatales leçons qui leur ont été pro- 236 MÉMOIRES. diguées par tous leurs sens ; elles se sont inoculées jusqu’au plus intime de leur âme ; l'avenir est plein pour eux de terribles mystères ! les infortunés ! nous les avions vus entrer dans la prison, cachant dans leurs mains la honte qui colorait leurs traits , ils en sortiront l'œil sec, le front d’airain, décidés à marcher sur les traces de ceux qu'ils ont pris pour modèles dans cette prison, peut- être même à les surpasser dans la carrière de l’oppro- bre et du sang. La légèreté , l’étourderie , l'impré- voyance avaient été les premiers mobiles de leurs pre- mières chûtes ; les secondes seront marquées au coin de la finesse , de la ruse, et des plus noires pensées. Est-il étonnant, après cela, que les récidives se multi- plient dans une effrayante proportion ; que les trois quarts ou au moins que la moitié des libérés rentrent sous les verroux, quelque temps après leur libération? ce qui nous étonne, c’est qu'il n’y ait pas autant de récidives que de mises en liberté. Telles qu'elles sont actuellement, nos prisons sont des lieux d'apprentissage de toutes les perversités humaines ; si au bout de quelques mois, de quelques semaines de vacance , les libérés ne répon- dent plus à l’appel de leurs ex-geôliers, n'est-ce pas vu que l’occasion de commettre de nouveaux crimes leur ait manqué, ou qu'ils ont été manqués eux-mêmes par Ja police ? la logique semblerait le vouloir ainsi. C’est en partant de cette désolante, mais rigoureuse conclusion, qu’on peut toucher du doigt l’absolue né- cessilé d’une réforme prompi'e, rationnelle, énergique, pour les jeunes détenus. Plus ils sont abandonnés, plus ils méritent la pitié. Plus leur âge et leur caractère sont flexibles , plus ils faut tourner vers le bien cette flexibilité et les soustraire au contact d'hommes aussi dé- pravés et aussi dégradants que le sont ceux qui peuplent habituellement les prisons du royaume. Cette nécessité une fois reconnue, c’est à ladminis- tration d'élever des maisons pénitentiaires de jeunes dé- MÉMOIRES. 937 tenus, non dans tous les départements à la fois, ce qui serait beaucoup trop dispendieux , mais dans certaines localités centrales , qui sembleraient le plus convenables au but qu'on se proposerail. D'ailleurs , l'important ici est moins encore de recon- naître la nécessité de l’œuvre des Jeunes detenus, que de bien apprécier la nature des ressorts qu'il faudrait mettre en jeu pour procurer à ces établissements une réussite aussi prompte que durable. Pour mettre plus d’enchainement dans nos idées, dis- tinguons de suite trois sortes d'organisation qu'il con- viendrait de donner à l'œuvre des Jeunes détenus , or- ganisalion physique, organisation morale, organisation personnelle. L'organisation physique comprend le réglement in- térieur des exercices de la maison. Ici se présentent à nous les réglements d’Auburn et de Philadelphie; lun avec ses cellules séparées et son isolement complet; l’autre avec son travail com- mun, mais avec son silence rigoureuxet non interrompu pendant le jour entier. Lequel de ces deux systèmes appliquer de préférence aux maisons pénitentiaires de jeunes détenus? Quoi- qu'appuyé sur des noms justement célèbres , le sys- tême de Philadelphie ne nous paraît pas, à nous, ayan- tageusement applicable aux simples prisons, à plus forte raison n’en voulons-nous pas pour les jeunes détenus. L'introduction chez eux de ce mélancolique systême serait un vrai meurtre. La solitude est bonne conseillère dans H prospérité , très-mauvaise dans l’adversité. Quant au système d’'Æuburn, le silence absolu qu’il admet pour base de ses opérations comprimerail mala- droitement les rapports sympathiques qui doivent exister parmi des enfants. Vouloir enchaîner leur lan- gue , c’est ridicule , c’est impossible. Noire idée fondamentale étant que ces maisons doi- 553 MÉMOIRES. vent se regarder , par dessus tout, comme des maisons d'éducation, notre plus vif désir serait que leur régle- ment ressemblàt presqu'en tout point à celui qui règne dans les autres maisons d'éducation, sauf d’indispensa- bles exceptions attachées au titre méme de ces établisse- ments pénitentiaires. | Sans doute le travail en commun, pendant le jour, et silencieux autant que possible , ainsi que l'isolement de nuit, forment bien tout le fonds de notre système , mais par les nombreuses modifications qu'il aurait à subir, il ne ressemblerait nullement à celui d’Awburn. Nous trouvons, par exemple , que deux heures au moins de recréation par jour ne sont pas trop pour des enfants. L’are toujours tendu ne peut servir. L'Hygiène des jeunes détenus s'oppose à ce qu'il ne puissent ja- mais courir , sauter, se livrer aux bruyantes manœuvres de leur àge. Un travail trop prolongé devient lassitude et dégoût ; repris après le repas, ce n’est plus un travail, c’est un besoin ; c’est la récréation prolongée , seulement sur un ton plus sérieux. De plus, il faudrait au jeune détenu deux à trois heures de classes par jour. Dans ces classes, on ensei- gnerait la lecture , l'écriture, le catéchisme surtout. Tous les moyens possibles pour mettre en relief une sage et prudente émulation y seraient employés. Pourquoi n'y verrait-on pas des croix et des places d'honneur ? pourquoi pas, à la fin de l’année, une brillante distri- bution de prix ? Quoi de plus utile encore au pénitencier, qu’une bi- bliothèque , parfaitement choisie ? les jours de dimanche et de fêtes, où tout travail est suspendu, ne rendrait- elle pas à ses lecteurs de signalés services, pourvu , toutefois , que des mains habiles appropriassent les li- vres au degré de science et de capacité de chaque indi- vidu? Maintenant , ce serait au travail manuel d’absorber le MÉMOIRES: 939 reste de temps laissélibre par les classes et les récréations, Le travail manuel, c’est là toute la richesse, toute la pro- priété de l'immense majorité du genre humain. C’est l’u- nique trésor que lui ait ménagé la providence,et, certes, si elle sait le faire valoir, elle verra bientôt qu’elle n’est pas la plus mal partagée. Il est donc essentiel que , de bonne heure, le jeune détenu se pénètre de ces maximes sacrées. « L'homme est né pour travailler, comme l’oi- seau pour voler. » Et encore : « Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas.» Non, sûrement, hors de la prison , il ne mangera pas, il ne pourra manger , le pauvre détenu qui ne voudra pas travailler, et alors la nourriture qu’il eùt demandée honorablement à la sueur de son front , il sera forcé d’aller la mendier au vol, au brigandage... Le travail, nous semble donc indispensa- ble dans les maisons de jeunes détenus. Nous le regar- dons comme la première et la dernière condition de leur existence et de leur consolidation. Nous avons parcouru, dans le plus grand détail, le pé- nitencier des jeunes détenus de la Gironde, et nous y avons trouvé des ateliers de menuiserie, de charpen- terie et de vannerie. La présence d’un étranger peut sans doute stimuler l’activité des travailleurs ; toujours est-il que, devant nous , les mains fonctionnaient à mer- veille. Nous n’avons pas été peu agréablement surpris de les entendre accompagner ce travail du chant des canii- ques. Alors, la joie se réflétait sur tous les fronts, et, sans les sentinelles armées qui montaient la garde aux portes des ateliers , l'illusion eüt été complète et nous n’eussions pas cru être en semblable lieu. Dans cette maison , le produit du travail est réparti en trois lots: l’un pour [a masse de réserve qu’on remet au libéré , lors de sa sortie du pénitencier; l’autre pour la quotité disponible, c'est-à-dire pour le denier de po- che ; la troisième part est pour la maison. Sur cette troi- sième part sont payés les chefs d’atelier , qui sont pris au 340 MÉMOIRES, dehors , parcequ'il est d'expérience que les détenus obéissent mieux à un ouvrieren titre, qu’à des chefs choi- sis parmi les plus habiles d’entr'eux. Ne croyons pas pourtant que les détenus puissent se livrer tous ensemble aux mêmes exercices. Dans leurs rangs se trouvent des natures humbles, souples, obéis- santes ; d’autres sont portées à l’insubordination , à la mutinerie , à la révolte. D’autres enfin ne seront ni do- ciles, ni désobéissantes; sournoises et concentrées en elle-mêmes , elles se laisseront difficilement deviner ; ce ne sera qu’à force de ruses et d'adresse qu’on en viendra à bout. De là trois classes de caractères qui demandent trois classes à part : classes de récompense , d'épreuve, de punition,où se répéteront les mêmes travaux ,mais sé- parément. On procéderait au renouvellement des classes chaque fois qu’on le jugerait à propos. Plusieurs autres réglements partiels complétant ce que nous appelons l’organisation physique, trouveraient ici convenablement leur place. Toutefois, comme ces dé- tails changent avec les localités et les différents adminis” traiteurs , laissons-les de côté, pour nous oceuper de l’or- ganisation 20rale , beaucoup plus importante que l'organisation physique , ou plutôt sans laquelle l’orga- nisation physique serait comme un corps sans àme. Par organisation morale, nous entendons la mise en œuvre des meilleurs moyens possibles pour arriver à mo- raliser le jeune détenu. Nous ne l'avouerons pas sans peine; il est des écri- vains , quoique versés sur la matière, qui regardent en pitié le rapprochement de ces deux mots «moraliser un détenu. » D'après eux, «la mission de l'État, n’est pas d'entreprendre l'amélioration morale des condamnés : son activité n'étant dirigée que contre les actions oppo- sées à la loi, il n’a pas à s'occuper des motifs intérieurs de ces actions et la moralité de ces citoyens ne peut jamais être le but de ses eflorts ; elle peut tout au plus MÉMOIRES. 241 l'intéresser d’une manière négative. « La peine doit pu- nir, elle moralisera si elle peut» a dit aussi un célèbre inspecteur des prisons. La peine doit punir ! volontiers, mais quel est le but de la loi en punissant ? Punit-elle pour punir? Nous ne pouvons le croire. Qu'elle punisse les incorrigibles, les roués , ceux qui se font un jeu de la punition, qu’elle les punisse sans autre fin que les punir , à la bonne heure ; mais il est clair que, dans la punition qu'elle inflige au jeune détenu, elle doit se proposer avant tout son amé- lioration morale, car sait-on bien ce que c’est qu'un jeune détenu? lui, la plupart du temps, n’a jamais souri aux caresses d’une mère , jamais tressailli aux louanges d’un père , puisque des calculs exacts nous montrent un cinquième de ces enfants orphelins de père et de mère, un quart sans mère, la moitié sans père. S'ils n’ont pas à pleurer sur des tombes, n’ont-ils pas à verser des lar- mes plus amères sur l’inconduite de leurs parents ? Quelle n’est pas l'influence des parents sur les enfants? L'enfant n’est après tout qu'un automate qui, par simple amusement, singe ce qu'il voit, répèle ce qu'il entend. S'il n'entend que des blasphêmes,il blasphêmera sans scru- pule ; s’il ne voit que des fautes, il les prendra innocem- ment pour des devoirs. Or, la seule éducation qu'il lui soit donnéde recevoir, l'éducation de la rue, lui apprendra-t- elle suffisamment ce que c’est que l’âme, la vertu, la cons- cience et la religion ? Quand il aura sesdix ans, il est vrai, la religion cherchera bien à donner une saine direction à son intelligence, mais, hélas! les notions contraires à son saint enseignement n’auront-elles pas déjà prévalu ? Le bon grain ne sera-t-il pas étouffé par l’ivraie ? A qui 1 faute? à l'enfant? non ; aux parent$”? oui. Si done Ja loi tient à punir, qu'elle punisse les parents , qu’elle les, écroue , qu'elle venge la société sur eux. En donnant à leurs enfants la vie du corps, ils leur ont brutalement ar- raché la vie de l'âme , cette vie sans laquelle on. ne sera Il. 16 : 242 MÉMOIRES. jamais #n homme ; ils sont homicides en ce sens. Mais l'enfant, le pauvre enfant, que la loi n’aggrave pas son malhear , qu’elle ait pitié de lui, qu’elle n’achève pas de J'abratir sous le poids des mauvais traitements; quelle se dise : c’est un orphelin , il n’a ni père ni mère, à moi de lui en tenir Heu et non de bourreau... Qu'à cette vivi- fiante pensée , elle remette son glaive dans le fourreau , prenne l'enfant entre ses bras, et s'intéresse à sa mora- lité d’une manière positive, très-posilive, et non d’une manière négative. C’est aïnsi que nous comprenons sa mission toute providentielle ; nous ne lui en connaissons pas d'autre. Cette mission done , la plus glorieuse de toutes, com- ment s’y prendra-t-on pour l’accomplir ? Est-ec à l'esprit ou au cœur du jeune détenu que nous irons frapper pour le moraliser ? à l'esprit? Qu'on ne s’y trompe pas , ce n’est pas l’esprit qui mo- ralise. Partout aa tour de nous, nous entendons retentir ces mots : « Aux lumières , aux lumières ! ce sont les lu- mières qui nous manquent. C’est le défaut de lumières quiremplit les prisons. Ouvrons des écoles au peuple, et le peuple s’instruira , et les prisons s’écrouleront d’elles- mêmes.» Mensonge grossier, amère déception que ces paroles. Nos lumières! oui, nous en voulons! nous en voulons pour nous, pour les autres , pour tous, pour les plus pauvres ! nous en voulons pour nos jeunes détenus, puisque pour eux nous demandons plusieurs heures de classes par jour ! Mais les lumières que nous voulons sont des lumières qui éclairent et non des lumières qui imcendient, des lumières qui réforment la conduite etnon des lumières qui la détériorent. Non, non, ce n’est pas l'esprit seul qui moralise ! celte opinion {trop franche, trop nettement formulée, heurtera peut-être trop de préjugés pour que nous ne la motivions pas. Venons-en donc aux faits. Quel est le point du royaume le plus cultivé, le plus MÉMOIRES. : 243 Scintillant de toutes les clartés de la science ? la capitale, Quel est l'autre point du royaume le plus arriéré pour les mœurs , le plus fécond en crimes de tout genre? encore Paris. Donc ce n’est pas l'esprit qui moralise. Que de villages, en France, qui n’ont jamais eu et n'auront jamais les honneurs d’un seul point sur la carte géographique ; de villages perdus au sein des forêts , loin de toute grande route, où l’on trouve à grande peine deux outrois personnes qui sachent signer, combien de ces villages, disons-nous , n’ont pas , parmi les familles qui les habitent, un seul nom que les pères ne puis- sent citer avec orgueil à leurs enfants, comme modèle de parfaite probité? Donc ce n’est pas l'esprit qui mo- ralise. Dans tous les royaumes, la mémeobservation se repro= duit. Pas de pays,en Europe, ou l'instruction se soit plus infiltrée dans les masses qu’en Angleterre , EL cependant la population criminelle n’y est-elle pas plus nombreuse qu'ailleurs? Le nombredes jeunes détenus y est de 29 oo au-dessus de 16 ans. Donc ce n’est pas l'esprit qui mo- ralise. Depuis quelques temps , l'industrie progresse en Au- triche d’une manière étonnante. Eh bien ! des savants ont voulu s'informer par eux-mêmes de la corrélation qui existe, dans les différentes provinces, ou pour mieux dire, dans les différents royaumes de ce vaste empire , entrela somme d'instruction dont elles jouissent et la somme des crimes portés devant les tribunaux. Les deux plateaux de la balance sont loin d’être égaux. La Basse-Autriche est la plus instruite et la plus démorali- sée. La plus morale et la moins instruite est la Gallicie qui présente à peine un criminel sur 1,800 habitants. Dira-t-on encore que c’est l'esprit qui moralise ? Nous n’en finirions pas si nous voulions poursuivre ce parallèle. En ne s'adressant qu’à l'esprit du jeune dé- 244 MÉMOIRES. tenu, il ne saurait donc y avoir de réforme péniten- tiaire possible. Puisqu'ilen est ainsi, que volontiers nous cririons à notre tour : au cœur , au cœur! c'est le cœur qui, de nos jours , est trop négligé et reste trop en arrière de l'esprit! Ouvrons des écoles aux enfants du peuple, mais que, dans ces écoles , on parle au cœur , au cœur surtout , au Cœur toujours , et c’est alors véritablement que nous n'aurons plus besoin de prisons. « C’est du cœur , nous dit l'évangile, que sortent les mauvaises pensées , les homicides , les adultères , les fornications, les vols , les faux témoignages , les blasphêmes et toutes les choses qui souillent l'homme. » Toute la réforme pé- nitentiaire est dans ces lignes. La chercher ailleurs , après que la sagesse éternelle s’est prononcée , c’est va- uité , folie. Puisque le cœur est le grand coupable , c’est le cœur qu'il faut punir. Puisque c'est au cœur qu'est le grand foyer d'infection , c’est le cœur qu'il faut assiéger, cerner de toutes parts , emporter d’assaut, pour le purger ensuite de ses immondices. Tant que la hache ne va pas à la racine de l'arbre, le bücheron peut bien arracher quelques branches , quelques fruits , mais il n’est pas en son pouvoir d'empêcher l'arbre de pousseret de repousser sans cesse. Or , dans le jeune détenu, la racine produc- trice des mauvais fruits , des mauvaises habitudes , c’est le cœur. Tant que la hache de la maison pénitentiaire ne l'atteindra pas , ce cœur , tant qu'elle ne taillera pas dans le vif , on réussira, tout au plus, à en extirper quel- ques vices ; mais bientôt après , ils repousseront plus vi- vaces que jamais. Avant de purifier le dehors de lacoupe, purifions le dedans. Ces lumieres du cœur , si ardentes , si propres à por- ter le jour jusques dans ses plus obscures sinuosiiés, qui les communiquera ? Celle à qui ila été donné d'en haut de les communiquer à toute chair, celle qui a nettoyé l'univers des saletés et des orgies du paganisme , celle MÉMOIRES. 225 qui a fait du repentir une seconde innocence , la foi chrétienne. Après avoir réformé le monde , elle peut bien , nous l’espérons , réformer le jeune détenu. Pour lui, ne tient-elle pas en réserve des trésors d'amour ? Chose incroyable ! son divin fondateur a tellement at- taché d'importance à cet amour du captif, que, dans toute l'énergie de l'expression , il s’est enchaîné à sa chaîne et a décidé qu’il regarderait comme fait à lui- même tout le bien qn’on rendrait au moindre d’entr’eux : « J'étais captif et vous m'avez visité. » Paroles admi- rables qui, avant J.-C., ne s'étaient trouvées sur les lèvres d'aucun philosophe , que la terre dût écouter avec un singulier étonnement et qui , bien méditées , suffiraient pour donner une idée de tout ce qu'il y a, dans les en- trailles du catholicisme , de chaleur et de vie pour la cause du malheur sous quelque forme qu’elle se présente. « J'étais captif et vous m'avez visité , » Ô ! vous qui vous intéressez avec raison au sort du jeune détenu , qui vous occupez si activement d’adoucir l’amertume de son sort, méditez bien cette courte phrase et vous ne serez pas long-temps à la recherche de l’amélioration morale qu'il conviendrait de donner aux prisons. Lais- sez , laissez agir la religion dans ces jeunes âmes, dans toute la plénitude de sa puissance et de sa charité. Que son ministre s’introduise souvent auprès de ces enfants ; qu’au milieu des exercices du culte , pour ressusciter en eux leur dignité d'homme et relever leur courage abattu , il commente avec force l’ensemble de nos croyances, puis les grâcieuses et compatissantes allégo- ries de l’évangile qui ont trait à leur position ; qu’en- suite, dans un tribunal autre que celui où ils ont entendu retentir à leurs oreilles la sentence de condamnation , ils aillent recevoir la sentence de grâce qui endormira leurs remords et cicatrisera les blessures cuisantes de l’âme ; qu'on permette , en un mot, à la foi catholique de suivre, auprès du jeune détenu , le cours de ses inspirations cé- 946 MÉMOIRES. lestes , et peu à peu nous la verrons transformer et refondre complètement leurs sentiments et leur con- duite. C’est en suivant ce système d'organisation morale,dans son pénitencier de Bordeaux, que le charitable évêque d'Alger, avant son départ de Bordeaux , n’a pas eu à gé- mir sur une seule récidive de la part des jeunes détenus qui avaient été confiés à ses mains paternelles et à son héroïque devouement. Pourquoi , partout ailleurs qu’à Bordeaux, les mêmes causes ne produiraient-elles pas les mêmes effets ? Passons actuellement à une autre organisation qui assurera le succès des deux autres , c’est-à-dire, à l'or- ganisalion personnelle. Cette dernière organisation comprend , comme l'in- dique son nom , toutes les personnes chargées du gou- vernement de la maison. Indépendamment du directeur et de l’aumônier , la maison se Composera d'agents subalternes, dont le choix est très-important à la marche régulière de l'œuvre. Il suffit d’un grain de sable pour arrêter les rouages de la machine la mieux organisée. j Ces subalternes se trouvent-ils facilement ? oui , sion ne tient qu'au nombre, si on ne veut que des hommes à services matériels , quine comprennent de leurs charges que les appointements : non , si on désire des gens qu aient foi dans leur mission , des hommes dont le dé- vouemeni soil à toute épreuve , qui sachent ce que c’est qu'aimer un jeune détenu et s’en faire aimer. Inutile donc de dire que nous sommes entièrement de l'avis de ceux qui ne veulent confier qu'à un corps reli- gieux une œuvre aussi importante que celle-à. Qu'on y réfléchisse de sang-froid ; où trouver ailleurs plus de zèle que chez eux , plus de détachementdu monde , plus d’abnégation de sa propre volonté , plus d'immolation volontaire de tout son être? La sainteté des devoirs im” MÉMOIRES. 247 posés à l’homme par Dieu , l'utilité du travail , l'excel- lence de la subordination , qui pourra mieux l’inculquer au jeune détenu ? les habitudes sauvages , indépen- dantes , hasardeuses , qui les pliera plus promptement aux divers exercices d’une vie calme paisible et disci- plinée ? Qu'on crie tant qu’on voudra contre leur habit, c'est cet habit qui inspirera toujours plus de confiance au malheur. Les instincts populaires sont pour lui. Le pénitencier de Lyon en est une preuve vivante. Tenu par les frères de St.-Joseph , il présente au voyageur un coup-d'œil qui le plonge dans l’étonnement et l’ad- miration. Entre les détenus et les religieux existe une grande sympathie. Ce ne sont pas des geôliers qu'ils voient en eux , ce sont des amis, des frères. Là , point de com- plots formés dans l'ombre , point de projets d'évasion scellés des plus mystérieux serments , point de ces sourdes machinations qui , au besoin , employeraient pour réussir la massue ou le poignard. L’obéissance y est prompte, parce que le commandement y est doux. Aussi des frères ont ils beaucoup plus à recompenser qu’à punir , et si par hasard ils se trouvent forcés à ce dernier cas , la prudence extrême qu'ils apportent au discernement des caractères fait que toujours le châti- ment est en harmonie avec la faute et ne produit aucun effet dont on ait à se repentir. Disons-le même à leur honneur : ils en sont venus au point de se faire regret- ter sincèrement de leurs élèves , et nous nous sommes laissé dire que le jour de leur libération n’était pas pour eux un jour d’aussi grande joie qu'on se le figure. Plu- sieurs ont été jusqu’à mouiller des larmes de leur recon- naissance les mains de leurs bienfaiteurs. Nous ne sa- vons , en vérité , qui ces larmes honorent le plus, de ceux qui les versent ou de ceux qui les font verser ! La France devrait donc s’estimer heureuse de voir peu à peu ses jeunes détenus confiés à des mains si habiles et 948 MÉMOIRES. si dévouées. Tout ce qu'il y aurait à craindre , c'est qué Lyon n'ait pas assez de sujets pour former des colonies: mais si Lyon est trop pauvre pour déverser ses sujets sur d’autres villes , ces mêmes villes ne seraient-elles pas assez riches pour députer à Lyon quelques novices qui reviendraient ensuite implanter dans leurs murs les traditions iyonnaises ? Honneur , honneur mille fois à ceux qui mettraient au jour de semblables vocations ! Le personnel des pénitenciers est completé par les so- ciétés de patronnage. Rien de plus moral, de plus heu- reusement inventé que ces sortes de sociétés. Grâce à elles , le jeune détenu , au sortir de la prison, n’est pas jeté nu sur le pavé de la rue, exposé à voir les passants le montrer du doigt, lui enlever la confiance publique dont il a besoin pour vivre, et le stigmatiser d’une flétris- sure qui, en lui rappelant ce qu'il à été, lui ferme presque tout retour à la vertu. La société de patronage, au contraire, efface son passé , prépare son avenir. Parmi les citoyens les plus honorables d’une ville, elle lui choi- sit un protecteur qui le prend par la main pour le rele- ver de son abjection , l’adopte pour son fils , et, par ses bons exemples ainsi que par ses sages conseils, l'en- courage à ne plus regarder en arrière et à marcher d'un pas ferme dans les voies de l'honneur et de la vertu. On s'associe pour étudier, pour commercer, pour se réjouir; on s'associe pour tout, associons-nous désormais pour propager les bons principes dans le cœur de ceux qui les ont perdus ! Dieu et les hommes béniront de sembla- bles associations ! Puissent donc ces pénitenciers tant désirés se mulli- plier bientôt dans nos principales cités! Puissent les vœux de tous les honnêtes gens être couronnés de suc- cès ! que la dépense n’effraie pas nos économistes! l’état recueillera au centuple ce qu'il aura semé. En calculant d’un côté et le temps que chaque membre de la jeune population criminelle est ordinairement destiné à passer MÉMOIRES. 249 en prison , et l'énorme dépense que causent les débats judiciaires et l'entretien des criminels dans la prison ; en calculant, d'autre part, le bénéfice net qui résultera du régime de ces sortes de maisons, ne parviendraient- elles à retirer d'une vie coupable que la moitié de ces jeunes et intéressantes créatures , ce bénéfice serait im- mense. Ainsi, avec ces établissements , nous avons tout à gagner, rien à perdre. Pourrions-nous ne pas les dé- sirer, les aider , les protéger, chacun de tout son pou- voir ? LOTS 56 MÉMOIRE SUR L'HISTOIRE DE BRETAGNE ; PAR M. DUCREST DE VILLENEUVE, MEMBRE CORRESPONDANT DE LA SOCIÉTÉ ROYALE ACADÉMIQUE DE NANTES, ET DE LA SOCIÉTÉ DE STATISTIQUE DES DEUX SÈVRES. ns MESSIEURS , Le savant historien de la conquête de l'Angleterre par les Normands affirme, à la fin de sa onzième lettre sur l’histoire de France (édition de 1827 ), que Rennes et Nantes n'ont fait partie de la Bretagne que depuis la défaite de l'Empereur Karl-le-Chauve, en 851, par le chef des Bretons , Erispoë. Cette opinion, fondée sur un pas- sage des Annales de St.-Bertin, m'a semblé, par son im- portance dans notre histoire locale et par son contact avec l’histoire générale du pays , digne d’être discutée d’après les sources originales , et j'ai cru faire œuvre pie d’historien , non pas en m'élevant contre un maître de la science , ce n’est point là mon but, mais en exa- MÉMOIRES. 254 minant avec une impartialité d'autant plus grande une question que M. Augustin Thierry n’a fait , il me semble, que toucher , en passant par l’un de ses points , dans le curieux épisode qu'il a exhumé pour nous , au sein de l’une de ses veilles si chèrement payées , du poème an- tique et pittoresque d'Ermold Nigellin. Il est vrai qu'ailleurs , dans le livre 1°, p. 44, 3" édi- tion de l'Histoire de la conquête de l’Angleterre, M. Au- gustin Thierry semble avoir modifié son opinion , en af- firmant que des gouvernements franks s’établirent de 508 à 511, dans les villes de Nantes et de Rennes, et que ces villes payèrent le tribut aux rois franks. La limite serait plus étroite ici, puisqu'elle se bornerait à une occupa- tion passagère de trois ans. Quoiqu'il en soit, examinons , Messieurs ; l'examen consciencieux ne peut être un crime aux yeux de la science. Notre bonne foi obtiendra pardon del’indul- gence même de celui qu’elle contredit. J'ai mis d’abord, dans le premier plateau de la balance, la grave autorité sur laquelle s’appuie l’auteur de l'épi- sode sur l’histoire de Bretagne. C'était l'épée de Brennus qu'il s'agissait d'enlever avec de l'or fin. Cet or est-il pur ? vous en jugerez , Messieurs. On trouve à la page 68 , indiquée par M. Augustin Thierry , de la Collection des Seriptores rerum fran- cicarum, ce passage des Annales du monastère de Saint Bertin : « Respogius ( Herispogius ) Filius Nomenigii ad Ca- » rolum veniens, in urbe Andegavorum datis manibus » suscipitur,et tàm regalibus indumentis, quàm paternæ » potestatis ditione donatur, additis insuper ei Rhedo- » nibus, Namnetis et Ratense. » Puis en note au bas de la page : « Has urbes Nomenoius armis occupârat , et Carolus » ejus filio condonavit quæ ided ab hoc tempore Bri- » tannia pars esse cœpere. Hæc oppida Chlodoveus di- 252 MÉMOIRES. » tioni francicæ adjunxerat, ut observat Pagins ad hane » AnNUM, NUM. 8. » Cette note du savant Dom Bouquet limite la signifi- cation générale de la phrase de M. Thierry , dans sa lettre XI , et la réduit à ces termes : « De Clovis à Charles-le-Chauve , Rennes et Nantes » cessèrent d’appartenir à la Bretagne , et n’en firent de » nouveau partie qu'après la défaite de Charles par » Érispoë , en 851. » Nos recherches doivent donc se borner à cet espace de temps qui s'écoule de Clovis à l’empereur Karl, sur- nommé le Chauve. Or, voici ce que j'ai trouvé à mettre dans le plateau opposé de la balance : D'abord Grégoire de Tours , Adrien de Valois, le bénédictin D. Morice et ses excellentes preuves , Dom Bouquet et Daru. Permettez-moi maintenant de suivre , dans le déve- loppement de ces divers témoignages , le récit des faits donnés par l’histoire. Budic était chef des Bretons, sous le titre de roi, si commun alors , que lui avait transmis Conan Mériadec , lorsqu'une peuplade de Franks vint attaquer les fron- tières de la Bretagne, vers l'an 490. Clovis n’était point à sa tête ; il était occupé dans une guerre contre les Ton- griens , selon Grégoire de Tours. Cette peuplade luua pendant sept ans contre les Bretons et fut constamment repoussée. Les Franks étant devenus chrétiens, après la bataille de Tolbiac, un traité termina la guerre et récon- cilia les deux peuples, qui réglèrent leurs limites, dit un contemporain , Procope , dans un passage cité aux preuves de D. Morice. Il n’est pas probable , comme l'observe le savant bénédictin , que les Bretons vain- queurs se soient reconnus, par ce traité, tributaires des vaincus , ni qu'ils leur aient abandonné deux de leurs villes les plus importantes avec leur territoire. Budic MÉMOIRES. 233 n’eut point été inhumé à Nantes , comme l'affirme D. Mo- rice , s’il n’en eùt été possesseur indépendant , depuis l'époque où il l'avait délivrée des barbares qui l’assié- geaient , selon le récit de Grégoire de Tours. Il n’y eût pas fondé l'église de Saint-Cyr , où fut déposé son corps, si les Franks fussent restés maîtres de cette ville, par suite du traité conclu entr’eux et les Bretons. Quelles furent donc ces limites imposées aux Franks ? Celles, dit l'abbé Gallet, cité aux preuves de D. Morice, celles de l’ancien royaume Armoricain de Conan Mé- riadec, qui s'étendait depuis le Mont-Jou (Mont-Saint- Michel), jusqu'à Nantes. Les Franks s’établirent en de- hors de cette ligne. N'y eut-il pas un roi frank dans le Maine ? Sans doute le voisinage de ce roi barbare dut être souvent funeste aux marches de Bretagne , et les chroniqueurs dévoués aux intérêts franks, auront pris pour une occupation, les invasions momentanées des Franks , ou le seul fait de leur séjour sur la frontière bretonne. Reprenons le récit des faits : Budic meurt vers 509 ; son fils Hoël est obligé de se réfugier près d’Artur dans l’île de Bretagne, car une bande de Frisons , alliés des Franks et plus heureux qu'eux, envahit la Bretagne, et s’y maintient sur certains points , conquérante pendant quatre ans. Rennes et Nantes furent alors les premières à passer sous leur pouvoir , mais non sous celui de Clovis absent , et dans l'intérêt duquel il est au moins difficile de croire qu’a- gissait cette bande aventurière. Hoël revient d’exil avec les troupes auxiliaires d’Artur , et chasse les Frisons , sans condition, sans doute. Le vainqueur n’en fait guères, l’histoire l’eût dit d’ailleurs. Elle se borne à raconter, sous la plume des chroniqueurs, (1) que Clothaire, fils de Clovis, envoya féliciter Hoël et l’inviter de venir le trouver à sa (1) Ingomar , Chronique des rois brelons armoricains, 254 MÉMOIRES. cour. Le chef breton s’y rendit, et fit alliance avec le chef Frank, sans avouer ni reconnaître aucune dépen- dance à son égard , sans en être même sollicité par Clo- thaire, qui n'avait pour but, peut-être, que de se donner un allié puissant et utile à ses projets de conquête du reste des Gaulois, ainsi que le pense D. Morice dans ses preuves. Rennes et Nantes appartinrent donc bien à la Bretagne pendant les 32 ans du règne d'Hoël 1°, ou Bioval, roi Hoël. Mais si nous passons au déplorable partage de la Bretagne entre les cinq enfants d'Hoël, dont l’un eut Rennes et l'autre Nantes , nous voyons le chef Frank, Clothaire, saisir l’occasion de se jeter sur la Bretagne, y poursuivre son fils , et s'emparer des pays de Aennes, Vannes et Vantes, laissant le reste aux princes bretons fugiuifs , sous la condition d'hommage. C’est donc bien Clothaire , et non pas Clovis, qui le premier envahit la Bretagne , et en détacha Rennes et Nantes, afin d'en faire sous ses gouverneurs des senti- nelles qui surveilleraient le reste du pays. Chilpéric, ayant eu dans son partage la conquête bre- tonne de Clothaire, Guérech ou Waroch , comte de Vannes, entreprit de la lui disputer. Ouvrons ici Grégoire de Tours, aux livres 5, 8, 9 et 10, il nous dira les succès comme les revers du chef breton, qui prouve du moins que ses droits à la possession de Rennes et de Nantes étaient égaux à ceux du conquérant, et qu'il ne faisait que réclamer des droits de conquête un peu plus an- ciens. 578.— Guérech , sommé par Chilpéric de reconnaître la suzeraineté des Franks et de leur payer tribut, défait leur armée près de la Vilaine où elle était venue camper, puis se hâta, trois jours après, de faire la paix avec ceux qu’il avait vaincus , se soumettant, non pas sans arrière- pensée , à la domination qu'il voulait repousser." MÉMOIRES. 255 579.— En effet, l’année suivante, il entre dans le pays de Rennes , y met tout à feu et à sang , fait des prison- niers , enlève un riche butin , et regagne son comté de Vannes, sans que personne s'oppose à sa retraite ni songe à l’attaquer. 586. — Sept ans après, Clothaire If, fils de Chilpéric, ou plutôt son tuteur et oncle Gontran, roi d'Orléans, veut soumettre les Bretons, restés indomptables. Il leur envoie Beppolen, qui avait épousé la nièce de Saint- Félix , évêque de Nantes; ce chef des troupes Frankes se présente devant Rennes et se voit repoussé par les ha- bitants. Il ne peut se faire admettre dans la ville , dont il a reçu le gouvernement au nom du roi Frank. L'année suivante il revient avec de nouvelles forces , et réussit celte fois ; mais, à peine est-il parti, que les habitants se soulèvent et massacrent son fils qu'il avait laissé pour commander à sa place. 590. — Sur ces entrefaites Judual , jeune prince bre- ton , réfugié à la cour de Childebert, revient dans le pays où avait régné son père comte de Rennes. II se li- gue avec Guérech, et tous les deux font de nouvelles incursions sur les territoires de Nantes et de Rennes. Gontran y envoie de nouveau Beppolen avec un autre chef nommé Ebrocaire. Tous deux succombent. Rennes et Nantes, disent les chroniqueurs (1), n’en restent pas moins soumises au gouverneur qu'y avait établi Gon- tran. Mais bientôt Guérech trouve un nouvel appui dans son fils Canas, qui l’avait déjà aidé à battre Ebracaire et Beppolen. Ils envahissent le pays de Rennes et de Nan- tes. Childebert IT, qui avait succédé à Gontran, fait mar- cher une armée en Bretagne. Une bataille opiniâtre est livrée entre Rennes et Vitré, dans un lieu dont le prieuré (4) Grégoire de Tours, liv. 10 ch. 9. 256 MÉMOIRES. d’Allion , a depuis consacré la mémoire. Les Franks sont vaincus. Rennes et Nantes rentrent au pouvoir des Bretons , après 47 ans d’usurpation sans cesse contestée el souvent repoussée. Après Guérech , Hoël IIT remporte encore une vic- toire sur les Franks , qui le laissent paisible possesseur de Rennes et de Nantes, ainsi que du reste de la Breta- gne (1). Les rois Franks, dit Gallet, cité par D. Morice, n’en font plus mention dans leurs partages. 612. — Hoël avait régné 18 ans; Salomon IT, son fils, régna 20 ans ; sans que ses droits, sur les villes de Rennes et de Nantes, fussent contestés par les rois Franks. 11 fut inhumé dans l’abbaye de Saint-Melaine, qu’il avait fait rebâtir. 632. — Mais après Salomon , Judicaël (2), son frère, fut obligé de soutenir ses droits, les armes à la main contre les prétentions de Dagobert, dont les troupes fu- rent vaincues , et qui eut recours alors à la diplomatie de Saint-Eloi. La piété du prince Breton céda facilement à l'adresse du saint évêque de Noyon. Cependant s’il reconnut la suprématie du roi Frank, ce que ne dit pas explicitement la Chronique de Saint-Denis, il n’en garda pas moins, sous condition d'hommage, la possession pleine et entière de son royaume, dont l'indépendance fut peut-être plus réellement compromise par les pré- sents de Dagobert, qui ne traita pas les Gascons avectant d'égard. Je sais qu’on trouve le passage suivant dans la Vie de Dagobert, par un moine de Saint-Denis : « Là, deman- » dant pardon , il (Judicaël ) promit de réparer tous les (4) Geoffroi de Montmouth , Frédegaire ch. 20 et 36, Fortunat poém. y. iv. IV, (2) Chronique de Marmouliers, Jugement, Vie de St.-Judicaël , Bulle du pape Adrien 1v, Chroniques annaux. MÉMOIRES, 257 » dommages que les Bretons de son royaume aväient » causés aux Franks , et il s’engagea par serment à » se soumettre lui et le royaume de Bretagne , au pouvoir du roi Dagobert et de tous ses successeurs. » Mais l’auteur de cette chronique ne fut pas contem- porain du roi Dagobert, dont il fait plutôt l'éloge que la biographie. Ce texte ne peut donc balancer l’au- torité de celui de Saint-Ouen, le chancelier de Dagobert, qui a écrit la Vie de Saint-Eloi, et fut témoin oculaire du séjour de Judicaël à la cour du roi Frank. Puis, quand la soumission du roi Breton, sous condition d'hommage, eût réellement eu lieu, cela ne prouverait pas que les villes de Rennes et de Nantes fussent restées exclusive- ment sous le pouvoir direct de Dagobert, comme espè- ces d'ôtages déposés entre les mains de ses gouverneurs. L'histoire eût dit au moins les noms de ces gouverneurs 4 comme elle l’a fait à d’autres époques. Mais poursuivons notre récit. 638. — L’abdication de Judicaël laissa la couronne à Akain IT, son fils , qui régna jusqu’en 690 , et ne fut pas inquiété par les Franks (1). Il conserva done la posses- sion de Rennes et de Nantes, au moins aux mêmes con- ditions que son père , si conditions il y eut , puisque non seulement la Chronique de Saint-Denis , mais encore la biographie de saint-Eloy , tracée par un contemporain digne de foi, n’en disent rien , et que la biographie parle au contraire d'un simple traité d'alliance entre Judicaël et le roi Frank. 690.— Alain mort, son faible successeur, Grasson , devint comte de Cornuailles. Rennes et Nantes retom- bent au pouvoir des Franks avec d’autres parties de la Bretagne. Elle avait aussi laissé ses rois fainéants, mais non ses maires du palais, pour sauver du moins son indépendance. Pépin lui envoie ses gouverneurs qui la > (1) Annales de Metz, Adrien de Valois 1. 3. p. 304. (7 IL. 1 258 MÉMOIRES. pressurent , usurpent les revenus des églises et se font évêques d'épée. Les vexations exercées par ces nouveaux conquérants produisirent à la fin,dans le peuple, l'énergie qui n’exis- tait plus dans les chefs. Les Bretons se soulèvent ; ils re- poussent, pour quelque temps, le joug que la main puis- sante de Charlemagne allait appesantir sur leurs têtes; mais non pas sans de longs efforts qui témoignèrent de leurs vieilles habitudes d'indépendance. 786-799-811. — Le nouvel empereur d'Occident dut envoyer deux de ses lieutenants , qui mirent douze an- nées à soumettre le peuple Breton. Des révoltes vinrent encore,à plusieurs reprises,protester contre la conquête, qui ne fut jamais tranquille. 814.— Lorsque le grand empereur laissa,par sa mort, Fempire qu’il avait créé à son fils, Louis-le-Débonnaire, Morvan au Morman, le chef Breton , refusa le tribut aux Franks et commença cette expédition malheureuse , dé- crile avec lant de vérité et de couleur locale, dans le poëme contemporain d'Ermolb Nigellin, cité par M. Au- gustin Thierry , dans sa Lettre onzième sur l’histoire de France. Cette insurrection n'est-elle pas une nouvelie preuve du peu de racines qu'avait jetées la conquête et de la peine qu’elle avait eue à s'établir ? 822. — Quatre ans après, un autre chef Breton, Viomarch, soulève encore ses compatriotes. Tout projet d’insurrection était sûr de trouver de l'écho dans le peu- ple. Louis-le-Débonnaire est obligé de faire une seconde campagne pour reprendre sa conquête , toujours prête à lui échapper. Quarante jours lui suffisent pour cette ex- pédition ; mais les Bretons , avant son arrivée, avaient lutté pendant deux ans avec succès. 825. — A peine le vainqueur s'est-il éloigné qu’une nouvelle révolte éclate sous la conduite de Diomarch, qui succombe cette fois par la trahison du comte de Nantes, Lambert , créature du roi Frank. MÉMOIRES. 259 826. — Pour mieux assurer cette fois sa conquête, Louis-le-Débonnaire nomma son lieutenant en Bretagne, un Breton, Nominoë, dont la fidélité lui était connue comme gouverneur de Vannes. De cette source va renaître l'ancienne indépendance de la Bretagne. 830-836. — Louis-le-Débonnaire mort, Nominoë ne se croit pas lié envers ses successeurs. Cependant Char- les-le-Chauve vient au Mans, et non pas à Rennes ou à Nantes, réclamer ses droits de suzeraineté sur la Bre- tagne ; Nominoë se soumet; mais il saisit bientôt l’occa- sion de secouer le joug des roisFranks. Lambert, l’ancien ou nouveau comte de Nantes (1), dépouillé de son gou- vernement par Charles-le-Chauve, vient chercher un ap- pui et un vengeur près de Nominoë, qui l’institue de nouveau comte de Nantes , et lui donne, sous les ordres de son fils Erispoë, des troupes pour conquérir ses états. 843. — Pendant que Lambert recouvre, perd et re- prend son ancienne puissance , Nominoë s'empare d’une partie du comté de Rennes. Charles-le-Chauve le laisse faire , non pas de bon gré. La puissance des rois Franks commençait à déchoir en Bretagne. 84h. — Nominoë et son allié Lambert poussent alors leurs conquêtes au-delà des pays de Rennes et de Nan- Les, jusqu'aux portes d’Angers.Charles-le-Chauve occupé de ses dissentions de famille, se borne à menacer les Bretons. Nominoë étend ses conquêtes dans le Poitou. 845. — Charles-le-Chauve vient enfin en Bretagne se faire battre sous les murs du monastère de Ballon , dans les landes de Bains , près Redon. Il a recours alors aux négociations. Il consent de fait, par le traité d'Angers, à (1) Nouveau, dit la Chronique de l’Astronôme. 260 MÉMOIRES. l'indépendance de la Bretagne ; car l’amnistie qu’accorde le vaincu ne saurait être onéreuse pour le vainqueur. fl est donc probable, et le silence des Chroniques en a fait foi, que si Charles se réserva quelques droits de suze- raineté , cette réserve fut purement nominale , et qu'elle put encore moins s'étendre à la possession réelle des vil- les de Rennes et de Nantes. En effet, Nominoë ne songe plus qu’à se faire recon- naître roi, malgré la défense de Charles ; mais il fallait se faire couronner par la puissance ecclésiastique, pour que ses droits ne fussent plus contestés.Les moyens éner- giques qu'il employa , pour applanir Les obstacles que lui suscila son clergé , prouvent encore son indépendance complète de la puissance des rois Franks. 848.— Il dépose quatre évêques opposants, leur donne des successeurs, crée deux nouveaux évêchés, Tréguier et Saint-Brieuc, puis se fait couronner dans l'église de Dol, à la quelle il rend son titre de métropole, que lui avait donné jadis Hoël, mais que lui avait sans doute fait perdre la domination des Franks. 850. — Cependant Charles-le-Chauve revient en Bre- tage , s'empare de Rennes et de Nantes , puis les aban- donne à l'approche de Nominoë , qui rentre dans ces villes et en ruine les fortifications. Nominoë ayant porté de nouveau la guerre sur le ter- ritoire des Franks , meurt frappé par le bâton pastoral de l’évêque d'Angers, disent les annales de Metz. Il laisse la royauté à l’un de ses fils , Erispoë ; mais , selon Dom Morice , un autre de ses enfants , nommé Gurvent, était alors comte de Rennes. 851. — Charles-le-Chauve vient se faire battre une quatrième fois en Bretagne. Vaincu dans une nouvelle bataille livrée encore près de la Vilaine, sur le territoire de Redon , l'empereur Frank dut s’estimer heureux des proposi Lions de paix que lui fit le chef Breton. MÉMOIRES. 261 Les chroniqueurs des pays franks , qui voyaient tous les événements de leur époque et jugeaient ceux des époques antérieures à travers le prisme de la royauté franke qui les dominait, ont écrit , ilest vrai, qu'E- rispoë vint trouver Charles à Angers, et lui ayant livré les mains en signe d'hommage , en reçut non seulement les insignes royaux , mais encore toul ce qui avait formé l’éténdue des états de son père , et de plus les villes de Rennes etde Nantes. Nousavons vu que l'autorité de Char- ies-le-Chauve sur ces deux villes n’avait jamais été que celle d’un maître de passage, souvent expulsé de sa con- quête. Il donnait donc ce qui ne lui appartenait pas; car le droit du plus fort , le seul titre de ses prédécesseurs de- puis la conquête des Frisons au temps de Budic , était passé du côté du nouveau chef des Bretons. Et , avant Charles-le-Chauve , les rois Franks chaque fois qu’ils revinrent en Bretagne , ne commencèrent-ils pas par s'emparer de Rennes et de Nantes ? Ces deux villes leur échappaient donc toujours ? Elles restaient bretonnes , malgré la domination momentanée à la- quelle les soumettait la puissance des armes. Si nous poussions nos recherches historiques en deçà du règne de Charles-le-Chauve , si nous les étendions dans les siècles suivants , nous verrions que les deux villes de Rennes et de Nantes continuèrent de changer souvent de maîtres ; et que les Franks et les Bretons y commandèrent tour à tour, toujours au même titre, le droit de conquête, celui des Bretons étant le plusancien, je ne dis pas le plus légitime. Le temps ne légitime pas la violence. Mais nous sommes arrivés au terme de notre récit ; nous avons parcouru le cercle tracé par l’auteur des Let- tres sur l’histoire de France et de la conquête de l’An- gleterre. Il ne conteste pas qu'à dater du traité fait, en 851, entre le chef Breton Erispoë et l’empereur Karl-le- 262 MÉMOIRES. Chauve , Rennes et Nantes n'aient fait partie de la Bre- {agne. Il ne nous reste plus rien à mettre dans la balance que cette note de Dom Morice , vol. 1° , p. 198 de ses Preuves : « M. de Valois, liv. 6, p. 281, s'étend fort au long » sur ce passage de Grégoire de Tours ( où se trouve, » Jiv. 4, le fameux #am, si peu concluant et soupçonné » d’interpolation , à propos de la mort feinte de Ma- » cliau ); après avoir rapporté tout ce qui a été écrit sur » l'indépendance ou la vassalité des Bretons , il conclut » que ces peuples, quoique souvent domptés par les » rois de la 1° et de Ja 2° race , n’ont cependant jamais » reconnu véritablement leur empire sur eux. » En effet, Adrien de Valois dit p. 283 : « In agrum Namneticum, Redonicumque pagam » sæpè excurrisse , id quod Gregorius seribit de Wa- » roco , et cum Chilperici atque Gunthramni regum du- »_cibus pugnavisse, nequaquàm convenire ei qui Fran- » eorum regibus parerel.» Or ce qu’Adrien de Valois di ici de Guérich n'est-il pas aussi applicable à toutes les autres résistances des villes ou des chefs bretons ? Et nous avons vu que Ren- nes et Nantes étaient toujours prêtes à partager ces ré- sistances. Vannes ne fut-elle pas , comme ces deux vil- les , soumise parfois à un tribut momentané , sans cesser pour cela d’être bretonne ? Ces expressions : wrbes francicæ ditionis appliquées par les chroniqueurs aux villes de Rennes et de Nantes , ne doivent donc s'entendre , je crois , que d’un pouvoir passager au moment dont parle l'écrivain, à moins qu'on n'aime mieux les attribuer à sa partialité en faveur de la domination franke. M. Augustin Thierry reconnaît aussi, dans le passage que nous avons déjà cité du livre 1°* de l’histoire de Ja conquête de l'Angleterre, que Les Bretons refusèrent de MÉMOIRES 263 payer le tribut imposé aux villes de Nantes, Vannes et Rennes , et que seuls ils osèrent tenter de soustraire leur petite contrée au destin de la Gaule entière. Par ces mots : les Bretons ,il ne faut donc pas enten- dre, selon lui , les habitants de Rennes , Nantes et Van- nes ! Cependant Adrien de Valois n'exclut aucune des villes dont M. Augustin Thierry fait une exception trop générale , je crois, au reste de la Bretagne , à moins qu'il ne faille l’enfermer dansles limites de 508 à 511 in- diquées en marge du passage. Ainsi interprétée , l'opinion du savant historien de la conquête de l'Angleterre , se rapprocherait de notre conclusion : Quand les villes de Rennes et de Nantes payèrent tri- but aux Franks ou cessèrent de faire partie de la Bre- _tagne, ce ne fut qu’en passant sous le joug d’une inva- sion momentanée. L'autorité d’Adrien de Valois, citée par Don Morice, resterait ainsi entière , et l’auteur des Lettres sur l’his- toire de France ne la recuserait pas sans doute , puis- qu’elle a reçu la sanction de ses éloges. J'attends la vôtre, Messieurs ; elle servira de docu- ment à une Histoire de Bretagne que je prépare pour les écoles primaires du pays , d’après l'étude des historiens originaux. “ee 6884 264 Se.sa Se Ke Se Se Se se Se Se se Se Se 2 Se 50 Vo Ver Se Se Vo Je va (2 Sa 2 2 V7 1 Ve V5 So Lo ù @ ESSAI SUR L'ÉTAT DES CORPORATIONS INDUSTRIELLES AU MOYEN-AGE; PAR H. DE FORMEVILLE , PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE NORMANDIE, MEMBRE DE PLUSIEURS AUTRES SOCIÉTÉS SAVANTES, CORRESPONDANT DU MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE POUR L'HISTOIRE DE FRANCE ; CONSEILLER À LA COUR ROYALE DE CAEN, Messieurs, Tous ceux qui se sont fait un nom dans le monde, hommes d'église ou de châteaux , hommes de camps ou de palais, n’ont jamais manqué d'écrivains pour célébrer leurs hauts-faits et leur puissance. Le peuple , au contraire , quoique soutien naturel et agent puissant de toutes ces gloires, toujours obscur et ignoré , est demeuré jusquà présent sans historiens. MÉMOIRES, 265 Pourtant aussi , il a eu son histoire , remplie de pa- tientes misères et d’élévation , d’excès monstrueux et de grandes vertus , de poésie et d’héroïsme. Aujourd’hui qu'il a fait son avénement jusqu'aux pre- miers rangs de la société , à lui enfin de débrouiller ses annales et d’en faire sortir ses longues tribulations , sa vie perpétuelle de combats, et ses progrès dans l’art diffi- cile de la civilisation. ‘Des hommes éminents s'occupent maintenant, sur tous les points de la France , de remuer la poussière des ar- chives , et de jeter les bases d’une grande œuvre, l’his- toire du Zéers-É‘tat. Qu'ils nous servent de modèles, mais honneur avant tout au savant historien (*) qui, durant sa carrière ministérielle , conçut le premier cette pensée si nationale , et qui sut, pour la féconder , en confier l'exécution aux talents supérieurs de M. Augustin Thierry. Qu'il me soit donc aussi permis , en suivant de loin les traces de ces grands hommes , de vous entretenir un instant de l’histoire du peuple, et, spécialement, de celle des corporations industrielles connues , au moyen-âge, sous le nom de Confreries de Métiers et de Jurandes. La jurande était une charge ou office de juré , donnée à l'élection, à un prud’homme ou ancien de chaque mé- tier, pour indiquer les assemblées de la communauté , y présider , recueillir les voix , dresser les délibérations , recevoir les apprentis , être présent à la confection de leur chef-d'œuvre pour la maîtrise , après le leur avoir donné, et les recevoir maîtres , faire des visites , afin de saisir les ouvrages défectueux ; recevoir les deniers du corps , empêcher les entreprises sur le métier et en faire exécuter les statuts et réglements. L'origine des jurandes est encore fort controversée. Un écrivain moderne a parlé des jurandes juives , (*) M. Guizot. 266 MÉMOIRES. grecques et romaines. Selon lui, les corporations de mé- tiers sont de tous les temps et de tous les pays. Elles ont eu une origine commune et elles diffèrent peu dans la forme et le but. En un mot , les Jurandes modernes ne sont que la continuation des corporations d’ou- vriers de l'antiquité et surtout des Collegia opificum des Romains (1). D’autres pensent au contraire que nos Jurandes ont une origine germanique qui ne remonte pas au-delà de l'invasion de l’Europe par les barbares, au V° siècle. Car, disent-ils , le gouvernement romain , après ses 450 an- nées d'existence sur notre sol, fut totalement renversé , dans les Gaules, avec ses 115 municipes ou communes, et, par conséquent, avec les corporations de métiers qui composaient ce système administratif municipal. Les Francs se mirent à leur place, du moins jusqu’à la Loire, et les institutions romaines ne purent continuer de subsister qu'au-delà de ce fleuve , au Midi de la France, dans les pays de droit écrit (2). Selon quelques autres personnes enfin , la fusion qui s’est opérée en France entre les Gaulois , les Romains etles Francs, et qui a formé nos mœurs nationales , aurait donné , à nos corporations de métiers, le caractère d'indépendance qui leur est propre et qu’elles n’ont em- prunté de personne. Quant à nous , il nous semble en effet que si les cor- porations d'ouvriers ont eu un caractère théocratique dans l'antiquité (3) , et administratif chez les Ro- mains (4), elles ont été , au contraire, féodales au moyen-âge , indépendantes et communales à la chute de la féodalité, monarchiques avec la royauté , et pourtant, Sous tous ces régimes , combattant sans cesse pour leur liberté politique ou industrielle , ou pour leurs mono- poles jusqu'au moment où chez nous , abusant de leurs priviléges, elles ont péri,en 1791,pour faire place à la li- berté du commerce. MÉMOIRES. 267 En examinant nos Jurandes , dans leurs rapports po- litiques et industriels , poétiques et religieux , nous arriverons facilement aux conséquences que nous venons d’énoncer. Quoiqu’elles nous présentent de grandes différences d'organisation et de développement en Europe , cepen- dant elles peuvent être ramenées à une origine Com— mune : la liberté. Si elles ont ensuite marché dans des voies différentes , c'est aux mœurs des peuples et aux événements politiques et sociaux qu’il faut en demander les raisons. Parcourons rapidement les diverses périodes de notre histoire moderne. Elle fut successivement gauloise et ro- maine , chrétienne , franque et féodale , communale et populaire , puisenfin monarchique. A l'établissement des Romains , durant près de cinq siècles , dans nos grands états européens , succéda, au LÉ iibelel la grande invasion germanique, d'où sortirent la féodalité , les communes modernes , puis des royautés et des républiques. Il a appartenu à chacune de ces grandes époques d’avoir son action directe ou son influence sur les Ju- randes. Durant les quatre premiers siècles de l’ère chrétienne, sous la domination romaine en Europe , nul doute que ce fut , avec les institutions municipales de ce peuple , que furent introduites, en Italie eten Espagne , dans l'Allemagne et dans les Gaules et jusqu’en Angleterre et en Algérie , les corporations d'ouvriers déjà répandues dans tout l'Empire sous le nom de Collegia opificum. Non seulement toutes les industries durent être clas- sées, mais encore certains arts libéraux jusqu ’aux mimes et aux bouffons, à l'instar de ceux de la ville éternelle (5). Lorsque ce régime fut renversé par l'invasion des bar- bares , au V° siècle, les corporations de métiers survé- curent-elles à la destruction des municipes ? non évi- 268 MÉMOIRES. demment , excepté dans les cités qui conservèrent quel- ques débris du régime municipal ancien, Les barbares aimaient le luxe tout nouveau pour eux , et les belles étoffes, mais ils n'avaient point besoin de l’organisa- tion administrative des corporations , eux qui ne rele- vaient que de leur épée. Ils laissèrent donc subsister les métiers , non les corporations. Mais à la fin du IX° siècle( 877, sous Louis IT }, lors- que le démembrement du vaste empire de Charlemagne et l'invasion des pirates normands eurent fait naître la féodalité , comme une nécessité de ces temps d’anar- chie ; lorsque le réseau féodal se fut étendu sur les hom- mes et sur les terres , comment les gens de métier au- raient-ils pu se soustraire à cette domination devenue européennne ? l’évêque , le seigneur laïc, le roi lui- même dans ses domaines, établirent les dimes , les tailles et les subsides. De toutes parts on obéissait , parce qu’on achetait ainsi la protection du Donjon et du Monastère. Mais bientôt ces redevances, en quelque sorte volontaires , et de contrat social, devinrent sou- mises à toutes les tyrannies imposées par la violence féodale ; et les hommes de métier furent enrégimentés , non plus dans un intérêt de commune défense , mais pour faire toutes les corvées et les Zourveoieries sei- gneuriales : de là, n’en doutons pas , l’origine des cor- porations de cette époque (6). Ainsi, tous les individus, même les corps de métiers, furent enlacés dans la hiérarchie féodale , jusqu’au mo- ment où la liberté communale apparut, à la fin du XI° siècle ou au commencement du XII°. Alors , sous le nom de Confrérie de métiers, surgit aussi la Jurande , c’est-à-dire la liberté du travail, à côté de la liberté politique proclamée par la Commune. Déjà les gens de la cité ou du village étaient classés par méliers, pour la facilité des corvées et pour l’indus- trie domestique , car ainsi l'avait voulu la féodalité. MÉMOIRES. 269 Mais, lorsque l'heure est venue où les Communes, en armes , se lèvent pour repousser ou pour venger quel- ques avanies seigneuriales , ce sont les hommes des mé- tiers qui paraissent sous les bannières de leurs Jurandes pour aller au combat et conquérir des libertés municipa- les. L'esprit d'association est répandu par toute l'Europe. De toutes parts on est debout pour faire commune ; et la ville, qui ne peut obtenir une charte municipale, con quiert du moins quelques libertés industrielles, c’est-à- dire quelques Jurandes (7). Voyons en même temps ce qui se passe dans les états voisins de la France. Du côté de la Flandre, au nord de l'Allemagne , la puissance commerciale se développe avec ardeur.Quatre- vingt villes marchandes forment, au XIT° siècle,la Ligue anseatique, puissante association qui fera souvent peur aux rois ; des Gildes de marchands et d’autres associa- tions s’y forment encore. La plus célèbre fut, sans doute, celle des villes Souabes , qui, quoique peu importantes pour la plupart , surent pourtant maintenir avec énergie leurs prérogatives contre les comtes et les ducs de Wur- temberg (8). Le reste de l'Allemagne demeurera encore pendant lon g-temps sous le joug féodal. Les Flandres et les Pays-Bas sont déjà en rivalité de commerce avec l'Angleterre, chez laquelle paraît, en 1100 , la première charte de corporation à Lon- dres (9). Plus tard, ces luttes prendront un caractère politique féodal dans les guerres contre les rois de France et les ducs de Bourgogne. Après une lutte de cent ans, les Communes de Flandre, avec leurs cent mille hommes de métiers sous les armes, et d’accord pour cette fois avec les Anglais , les unes pour leurs fabriques , et ceux-ci pour leurs laines, sauront vaincre, en France, les derniers soutiens de la féodalité, et renverser les restes de la chevalerie française à Courtrai, à Crécy et à Poitiers. 270 MÉMOIRES. En Italie, même spectacle et mêmes prodigèes opé- rés par l’industrie. Des le IX siècle, Venise est en répu- blique, d’autres villes adoptent ensuite cette forme de gou- vernement. La féodalité est entièrement détruite par les Communes, et la noblesse même se faitmarchande. Toute la puissance du pays est dans les villes, comme dans l'Allemagne féodale, la force s'est réfugiée dans les campagnes. En un mot, dans tout le nord de l'Italie, dans sa partie celtique , la corporation industrielle do- mine , elle y est au pouvoir, elle gouverne (10). En Espagne, enfin, nous voyons le même principe in- surrectionnel agiter les esprits , il produira un résultat encore plus national. Après plus de quatre cents ans de domination , les derniers des Sarrasins sont expulsés du sol espagnol. Mais les longues guerres , entre eux et les chrétiens , avaient ruiné l’agriculture et l’industrie si florissantes au temps des Arabes ; et si les rois chrétiens rétablissent, dès le XI° et le XI[° siècles, des fabriques et des métiers, s'ils surveillent les priviléges des Gre- mios Où corporations de métiers, en les réglementant , c’est dans le but de rétablir l’ordre et la sécurité dans l’état. Mais, de son côté, la Commune stipule aussi ses droits ; el c’est dans les ordonnances municipales des villes que se trouveront insérés les Statuts des Gre- mios (11). Jusques-là , nous avons vu se former les corporations de métiers, plutôt dans un but de vague indépendance et de résistance à la tyrannie féodale, que dans des vues purement industrielles. Maintenant, au XIII° siècle , les corps de métiers vont s'organiser , prendre un caractère politique dans le gou- vernement , et devenir des Jurandes. Sans en porter encore le nom , qu’ils ne prendront légalement que sous Henri ET. Mais dans quel but ce travail intérieur va-t-il s’opé- rer? Le même esprit de liberté va-t-il continuer à se pro- MÉMOIRES. 274 duire? Non, Messieurs, l'ennemi commun , la féodalité est vaincue ; il ne restera plus,à chaque corporation ,qu'à s’occuper de ses intérêts privés en se conformant aux mœurs nationales. Aussi la vie nouvelle des Jurandes deviendra-t-elle toute industrielle et communale en Flandre et en Italie, toute mystique et poétique en Allemagne , tout adminis- trative politique et religieuse en France et en Espagne. Si l'on se demande pourquoi il en fut ainsi, c’est que le génie mystique de la vieille Allemagne, qui fut em- porté en Europe au V° siècle (12), demeura symbolique et poétique dans la moderneAllemagne,s’éteignit en (om— bant dans le sensualisme flamand et l'industrialisme des Pays-Bas , et se mélangeant en France avec nos mœurs gallo-romaines el nolre esprit positif de guerrier-franc , s'y Lransforma de manière à faire vivre dans la Jurande, la pratique morale et religieuse , à côté de la règle indus- trielle et légale. Rendons compte de ces transformations. Bruges et Anvers s'associent , en 1164, à la ligue an- séatique. Du XIII au XV I° siècle, on ne voit que riva- lités songlantes entre les villes belges, au milieu des- quelles l'esprit de corps parle plus haut que le patrio- tisme général. Louvain occupe,en 1360, cent vingt mille ouvriers dans trois ou quatre mille fabriques de draps ; Ypres et Bruges autant. Mais ces trois villes sont, tour à tour, écrasées par Gand qui se glorifie de ses quatre- vingt mille citoyens en état de porter les armes, quoi- que l'on y voie quatorze cents homicides, en dix mois, dans les seuls lieux de débauche. La rivalité des bras- seurs et des fouleurs de la ville de Gand, en 134h (13), y renverse la puissance de Jacques Arteveldt et lui coûte la vie ; Bruges a des priviléges , elle s'oppose à ce qu’on en accorde de semblables à l'Ecluse. L’Ecluse , de son côté, se croit en possession de la mer, et en refuse l'u- sage à Bruges. De part et d'autre on court aux armes. 272 MÉMOIRES. Ypres soupçonne Popéringhe de contrefaire ses étoffes ; les tisserands de la ville d’Ypres vont détruire Popérin- ghe. Pour des questions de navigation ou de métier , on voit Malines se soulever contre Bruxelles, Anvers contre Malines, Bruges contre Anvers. Pise et Gênes s’épuisent aussi par des rivalités qu’en- fante la liberté commerciaie, tandis qu’en France , c’est par des procès ruineux que se décident les questions de prééminence entre les corporations, si l’on en excepte toutefois les rivalités de Rouen contre Paris, qui voulut, au XIV° siècle, lui enlever la navigation de la Seine. Dans les associations allemandes de l'étudiant et de l’ar- tisan, du musicien et du chasseur, c'estun tout autreordre d'idées. Le but intéressé n’est pointle premier qu’on s’ef- force d'atteindre. L'essentiel , ce sont les réunions ami- cales, les services mutuels, et ces rites, ces symboles, ces initiations, qui constituent pour les associés une religion de leur choix. La table commune, dit Michelet, est un autel où l'Allemand immole l’égoïsme. L'homme y livre son cœur à l’homme , sa dignité et sa raison à la sensua- lité. Tout est mystère et symbole dans les Statuts de leurs corporations ; le devoir est exprimé en termes va- gues, sous forme d'aventures de voyages incidentées , de manière à faire naître des circonstances d’où puis- sent sortir les règles de la conduite qu’il faut tenir. Ri- sibles et touchants mystères de la vieille Allemagne, ajoute-t-il , symbolisme sacré des forgerons et des ma- çons, graves initiations des tonneliers et des charpen- tiers, qu'est-ce que tout cela, si ce n’estuniquement de la sympathie et du désintéressement ?(14). Est-il besoin maintenant de se demander comment se formèrent, au XIV° siècle, les sociétés des maîtres-chan- teurs de l’Allemagne, après que la poésie des Minne- sanger, qui, durant les XIL° et XIII siècles, était la langue des seigneurs et des princes, fut devenue celle de la bourgeoisie et des hommes de métier! Ainsi le voulut, MÉMOIRES. 273 sans doute , le caractère national. Le mysticisme devait produire la poésie du cœur et s’épureren quelque sorte en Jui donnant une sainte et touchante origine; c’est en ef- fet au sein de la vieille chevalerie allemande, que nâquit le culte de la femme , et qu’il se développa en se transfor- mant sous le nom de Marie , type idéal de toutes Les per- fections et de toutes les vertus. Aussi fut-ce un solennel et touchant hommage que celui rendu, en 1318, à la mé- moire du chanoine Henri de Messen (dit Frauenlob, louange des femmes), fondateur de ces corporations, lorsque les femmes de Mayence obtinrent à sa mort le triste privilége de porter son corps, en grande solennité, jusqu’au parvis de l'Eglise, lieu de la sépulture (15). Il serait trop loug de rappeler ici l’histoire des Juran- des Italiennes, qui ne fut autre que l’histoire sanglante des républiques de cette contrée (16). Il serait également superflu de vous montrer l’alliance intime des Gremios, ou Jurandes espagnoles, avec le systême municipal des différentes provinces et des pe- tits royaumes de l’ancienne Ibérie, puisque durant toute l'existence de ces corporations, leur développement industriel , politique et religieux , fut à peu près en tout semblable à celui des Jurandes françaises , soit avant, soit après leur conversion, à l'autorité monarchique (17). Quant aux Jurandes françaises, leur triple caractère est facile à reconnaitre. L'institution est à la fois Zndustrielle, Politique et Religieuse. Industrielle, dans le Statut de chaque métier, vérita- ble code de travail positif et clair, comme la charte de la Commune , et dans le monopole qui en est la consé- quence. Politique, dans son alliance avec le système commu- nal de la fin du moyen-âge , et avec la fiscalité monar- chique , qui la réglementa à son tour. Enfin morale et Religieuse, dans les réglements de la IL. 18 974 MÉMOIRES. confrérie, dont l'esprit tout chrétien rappelle les an- ciennes associations germaniques. A ces caractères qui distinguent les Jurandes fran- çaises , comment pourrait-on encore les confondre avec les Colléges d'ouvriers de l'empire Romain ? Reprenons ces trois points. Avant que Philippe-Auguste et surtout Saint Louis eussent organisé les métiers de Paris et de la France , un ordre admirable existait déjà dans ces corps. La lo- gique de la morale et de l'intérêt avait étabK la régu- larité dans leurs réglements, que redigeaient eux-mêmes les prud'hommes ou anciens du métier (18). Le Prévot de Paris, sous Saint-Louis, n’en fit en effet que le ré- collement ; chaque métier possédait donc déjà son orga- nisation complète , qui réglait les devoirs des artisans, des apprentis , des compagnons , des maîtres et des gar- des-jurés. Tout était fixé invariablement, la dimension et la forme des objets fabriqués , la limite entre les di- verses industries , et jusqu'aux heures du travail ; enfin, la police intérieure de chaque profession, et tant d'autres choses qu'il serait oiseux d’énumérer ici (19). De cette organisation légale , résultèrent diverses transformations politiques : d’une part, la facilité pour les Jurandes de se joindre aux mouvements populaires des Communes ; et de l’autre, pour la royauté, le moyen de les soumettre à la fiscalité , soit à titre d’ancien droit féodal , soit sous prétexte de protection. Ainsi , d’un côté , les hommes de métier proclamaient leur indépendance ; de l’autre , leurs professions s’ache- {aient encore soit du roi, soit des seigneurs , haut-justi- ciers (20). Quelques métiers restaient libres, ou deve- naient francs ; d’autres demeuraient à la nomination des Communes; et un petit nombre enfin, tels que les con- fréries de macons se soumettaient à des règles secrètes. Se servant même de signes cabalistiques pour se recon- naître, ils se répandirent, au XII° et XIIL° siècle, en ü MÉMOIRES. 273. Europe, en une vaste franc-maçonnerie, pour cons- truire des ponts, des routes, des églises , des tours, des murailles et des châteaux. Concluons donc que de cette époque du XIII° siècle date la véritable organisation administrative des Juran- des, organisation tellement forte qu’elle servit de base aux édits derénovation de Henri IT et de Henri IV, jus- qu'en 1776, époque où les Jurandes, supprimées mo- mentanément , ne reprirent vie que pour succomber dé- finitivement en 1791 (21). Quant à l'intervention active de ces corporations dans les événements politiques de notre pays, si l’on en excepte quelques heureux résultats, tels que la conquête des li- bertés communales de la France, leurs mouvements, durant nos mauvais jours du XIV° siècle, devinrent dé- sordonnés,anarchiques et sanguinaires. Ici, sous la régence du Dauphin de Viennois , depuis Charles V,c’est le prévôt Marcel avec ses trois mille arti- sans, qui, dans la ville de Paris, se rend redoutable à l’au- torité royale. La carrière de cet homme est courte et terrible. En 1336, il sauve Paris et le met en défense , puis il dicte au Dauphin,en 1357, la fameuse ordonnance de réforme du royaume. Mais ensuite, tirant de prison Charles-le-Mauvais, pour l’opposer au Dauphin dont il tue les conseillers , il donne ainsi un chef à tous les ban- dits; puis, après avoir désorganisé les états qui l’a- b andonnent, et s’être allié à la Jacquerie qui échoue , il périt, à l’une des portes de Paris, de la main d'un des Echevins , au moment où il allait en livrer les clefs aux bandes sanguinaires de Charles-le-Mauvais. Sous Charles VI, même intervention des corporations de Paris dans les factions . Les unes sont avec les Zour- guignons , les autres passent du côté des 4rmagnacs. C’est la corporation des Bouchers, auxiliaire des moines, qui , ayant à sa tête le bourreau Capeluche, tient pri- sonniers le roietle dauphin dans l'hôtel Saint-Pôl.Les éco- 276 MÉMOIRES. liers de l’université débordent bientôt les bouchers eux- mêmes, sous le nom d’écorcheurs, et leur chef, nommé Caboche , donne sun nom à cette révolution. Ce parti sanguinaire est l'instrument des Bourguinons ; plus tard, il en devient le maître ; et son héros Capeluche, après avoir forcé les portes du palais, aborde le duc de Bour- gogne, dont il se croit devenu légal, en Jui frappant dans la main en signe d'amitié. Etrange rapprochement opéré par l'audace , et qu’une juste terreur devait bientôt faire cesser. Le bourreau Capeluche ne tarde point à être arrêté , et il périt sur l’échafaud souillé d’actions infâmes. Cependant le gouvernement ressaisit un instant le pouvoir, etilest obligé de supprimer les confréries de metiers , dont la funeste énergie a mis la France à deux doigts de sa perte. Rétablies depuis, les corporations de Paris figureront encore dans nos troubles politiques ; et, durant les guer- res de la ligue , on les emploiera comme instruments pour maintenir l'esprit de révolte dans la nation. Mais ce n’est pas seulement à Paris que les Jurandes apparaissent pour fomenter l'insurrection sous prétexte de liberté. Elle se mêlent , dans les provinces , à tous les mouvements insurreclionnels desCommunes, et lorsque, en 1381 , les quatre oncles de Charles VI eurent doublé certains impôts abolis par Charles V, les gens de mé- tier de Rouen s’assemblèrent durant trois jours, 26, 27 et 28 février , sur la place du Vieux-Marché , et élurent un marchand drapier (Jean le Gras), pour roi de France. On pilla , on massacra , l'impôt subsista, et six des plus mutins, ayant porté leurs têtes sur l’échafaud, tout rentra dans l’ordre. Sous le rapport religieux, enfin, on trouve dans cha- que Jurande , à côté du Statut industriel et municipal, une confrérie religieuse qui possède aussi son réglement simple et clair. MÉMOIRES, 277 Nulle part la charité chrétienne ne s'exerce avec plus d'intelligence et de dévouement. Les confrères se sub- viennent par des secours mutuels ; l'association soutient, de ses deniers communs , celui qui ‘veut faire un péleri- nage à Jérusalem. Elle paye les absoutes de l'Eglise pour celui de ses membres qui a pu encourir ses censures ou l'excommunication. Et, dans ses jours de deuil, quand elle a perdu un des siens, elle lui fait rendre avec soin les devoirs religieux , et accompagne ses restes mortels jusqu’à leur dernière demeure. Les femmes mêmes ont droit'à ces touchants souvenirs de la communauté , quoi- qu'elles ne fassent point,en général, partie de la Jurande. Dans ces associations], il est défendu de blasphémer , ni de s’injurier les uns les autres. La confraternité n'est point un vain mot ; mais aussi l'honneur du corps veut que ‘ous les délits soient punis, comme les contraven- tions aux Statuts seront réprimés ; et que les délits graves entraînent même l’expulsion de la communauté. C'est cet esprit de corps, Messieurs, qui fait aussi prendre place àla corporation dans l'église. Elle y a son banc, son cierge et ses fondations d'offices religieux, messes et vêpres, obits et processions (22). Et lorsque arrive le jour de la fête du patron , le clergé va chercher proces- sionnellement la roi de la confrérie à son hôtel; l'a- mène à l'église pour assister aux offices et le reconduit chez lui avec le même cérémonial, en portant, en tête du cortége,la bannière armoriée qui rappelle aussi par fois des faits glorieux. En retour de ces services religieux , la Jurande qui s’est constituée en rentes envers l’église , fait cepen- dant les frais du luminaire et de la sonnerie , fait maintes offrandes à la chapelle , donne des stalles ma- gnifiquement sculptées au chœur de l'église et des verrières de couleur pour ses croisées. Si, maintenant nous considérons les Jurandes sous un dernier point de vue, elles ont encore droit de fixer, 278 MÉMOIRES. pour un instant , notre attention. Une espèce de blason féodal vient armorier leurs bannières; elles ont aussi leurs cris d'armes et leurs tournois. Il se trouve enfin des poëtes pour chanter les métiers , leurs combats et leurs jeux. Sur la bannière , on voit toujours d’abord le saint qui protége la corporation. Bientôt cependant à côté, ou à la place du saint , se glissent peu à peu les insignes du métier, ou armes parlantes, qu’elle imprime sur ses actes et grave sur son sceau (23). Puis , à limitation des jeux chevaleresques ; les classes bourgeoises exécutent desjoutes et des tournois; les confréries religieuses deviennent même des espèces de chevaleries. Ils se forme des associations bizarres , dont les statuts et les exercices ne sont que des parodies de ceux des classes guerrières. Il y a des villes entières de chevalerie arquebusière. Les ducs de Bourgogne , le chevalier Bayard et d’autres grands seigneurs prennent part à ces divertissements. Les tournois de Valenciennes, aux XITI° et XIIL° siècles, sont aussi célèbres que la guerre des Castellani et des Nicoloti, ou des ou- vriers de l’arsenal contre ceux de la ville, au XVI°siècle à Venise (24). Que dirai-je enfin, Messieurs , pour compléter au - tant que possible l'aperçu que je viens de vous pré- senter. Il s’est trouvé des poètes , au moyen-àge , qui ont fait passer , dans leurs vers , les sujets les moins poé- tiques , tels que des Traités de physique , les /nstitutes de Justinien, et jusqu’à la sage Coutume de Normandie. Ils rimèrent aussi des statuts de corporation de métier, et, simples jongleurs ou ménestrels, ils chantaient, dans les carrefours , des vers composés en l'honneur des dif- férentes classes d'artisans (25). I était réservé aux trouvères et aux troubadours de célébrer, dans les châteaux , les hauts-faits des clas- MÉMOIRES. 979 ées aristocratiques qui les faisaient vivre. Mais s'ils frappaient vivement les hommes de loi dont ils n'avaient rien à espérer ni à craindre ; s'ils caricaturaient sans pitié les médecins et les jongleurs dont la science leur était également indifférente ; s'ils réservaient leurs plus amères satyres pour les moines et les prêtres dont ils encouraient journellement les justes censures , du moins ils traïitaient avec une certaine distinction les mar- chands , les gens de la hanse et de la corporation , labo- rieux , sensés , qui quelquefois appuyaient bien le doigt sur la balance , mais que l’on tenait pour hommes puis- sans, et qu’on savait toujours exacts aux offices de la paroisse et jaloux, avant tout , de leurs priviléges et de leurs franchises. Si je suis parvenu, Messieurs, à vous donner une idée générale, quoique fort incomplète , de nos Ju- randes du moyen-àge, ici mon rôle d’historien doit cesser ; et je laisse à d’autres le soin d'en tirer les conséquences politiques et sociales applicables à nos temps actuels. APPENDICE à à (4) On lit, dans l'Histoire des Classes ouvrièrés et des Classés bourgeoises, par M. Granier de Cassagnac, que les Jurandes ‘se sont montrées chez les Juifs, du temps de Salomon, avec les quatre-vingt mille ouvriers, et leurs trois mille deux cents maîtres employés à la construction du temple de Jérusalem ; qu’elles paru- rent en Grèce, du temps de Thésée , lorsqu’en fondant Athènes il divisa les habitants de l’Attique , en nobles, laboureurs, arti- sans et gens de métiers ; et qu’elles existaient , à n’en pas douter , à Rome, dans les Collegia opificum, ou Colléges d'ouvriers, si connus depuis Numa leur fondateur, jusqu’à la chûte de l'empire. 280 MÉMOIRES, (2) Les Allemands pensent que l’origine de leurs corporations de métiers, ( Zunfle, confraternitates, confréries,) peut être attri- buée, soit aux Colléges d'artisans, existant dans leurs villes ro+ maines, soit à la tendance constante des Germains à se réunir en association, tendance dont on rencontre les résultats de très-bonne heure dans le droit (hofrecht), qui gouverne les hommes non li- bres (Ministerialem). Îls ajoutent que les corporations de métiers se formèrent dans le but d’astreindre les artisans à une étude régu- lière et à un exercice honnète de leurs professions, conformément à leursstatuts, où à la tradition reçue. Leurs chefs étaient nommés par le Seigneur, plus tard aussi, par le Conseil municipal. Elles ne paraissent pas, dans le principe , avoir formé une partie intégrante de la constitution , etc. (Histoire des villes d'Allemagne , par Ch. de Lancizolles , 1829. Revue Germanique, t. 3., p. 495.) (5) Voir dans l'Histoire du théâtre moderne, par Magnin , t.1., p. 73, cé que dit l’auteur de l'esprit de caste asservissant pour les corporations ; de l’immutabilité de l’art en Egypte et en Orient; et des occupations des gens de métier, associés en corporations pour le sérvice des temples. (4) M. Granier de Cassagnac a parfaitement développé les fonc tions des Colléges d'ouvriers, dans les rouages de la grande admi- histration romaine. On ne peut que renvoyer à cette partie entiè rement neuve de son excellent ouvrage. (3) Nous trouvons, dans la Notice des dignités de l'empire , que tous les Colléges d'ouvriers, dans tout l'empire romain, étaient sous la direction du grand officier de l'empire, appelé le Comte des largesses sacrées : que chaque Collége ou Gynécée particulier , était gouverné par un Procureur , et que , durant la domination romaine dans les Gaules, il y fut établi six Gynécées ou manufactures de draps et de toiles , sous l'autorité de six procureurs, à Arles, Lyon, Reims, Tournai, Trèves et Metz. Cette Notice nous apprend encore qu'il y avait des fabriques d'armes , à Strasbourg, Macon, Autun, Soissons, Reims, Trèves et Amiens , et de plus un entrepôt très- considérable de lins, à Vienne en Dauphiné, et un autre en Italie. Trois procureurs surveillaient également trois fabriques de mon- naie à Lyon, Trèves et Arles. Au surplus, la Notice constate que les Romains avaient établi, à l'occident de l'empire, des Gynécées dans quinze provinces différentes; deux en Illgrie, quatre en Italie , un en Afrique, deux dans la Gaule, cinq chez les Belges , etun en Angleterre. (Guidi Panciroli, Commentarium in Notitia , p. 445, chap. 58.) On lit aussi,dans Camden Britannia , t. 1., p. 450,ou in-fe,p. 190, MÉMOIRES. 281 qüe, durant la domination romaine en Angleterre, il y fut établi à Venta Belgarum ( Winchester), une manufacture d’étoffes de laine et de fil ou Gynécée , pour l’usage de l’armée romaine. Sans doute, il s’y en établit ensuite d’autres pour les particuliers, à son imita- tion. Quant à l'Algérie, il n’est pas douteux que les corporations in— dustrielles organisées , que nous avons trouvées à l’époque de notre conquête, avaient également une origine romaine. Lors de nos établissements à Alger, il existait, en effet, encore dans cette ville , sous les ordres de son gouvernement eivil et municipal, des chefs de corporations ( Amins), chargés de maintenir l’ordre dans les différentes Classes industrielles , et de délibérer, avec les autres fonctionnaires de la cité , sur les mesures à prendre dans les cir- constances importantes. Une partie des impôts que payaient ces corporations était fixée à tant par personne, et s’acquittait en rai- son des métiers ou professions , de sorte qu'elle était considérée comme portant sur les industries , etc. (Tableau de la situation des établissements français dans l'Algérie, 2e partie, p. 186. 220 et 371. éd. in-4). Le régime des Municipes avait jété desi profondes racines, que, sur la rive gauche du Rhin et la droite du Danube, la plénitude des droits municipaux continua de résider, jusqu’à la moîitié du neu— vième siècle, dans les villes de Salsbourg, d’Augsbourg , de Colo- gne et de Trèves, qui étaient d’origine romaine; on y voyait des places de vente sous le nom de Fora rerum venalium , les hommes de métier y étaient en corporations, et les métiers étaient hérédi- taires. La ville de Cologne conserva, même assez long-temps, durant le moyen-âge , un conseil tiré de l’ancienne Curie , chargé de la police des marchés, et de la surveillance sur les corps de métiers , c’est ce qu’on appelait, avant le 12e siècle ; droit de cité, ou liberté romaine. Les Francs , lors de leur conquête, avaient un inté— rêt à laisser subsister quelques-unes de ces institutions, ete. (His- toire des villes d'Allemagne, par Lansizolle, et de Strasbourg, par Grandidier). Il en fut de même en France, où les Capitulaires de Dagobert IL, et de Charlemagne, et l’édit de Pistes , des 7e et 9e siècles, s’occupèrent de l’organisation des boulangers et des métiers, et où, selon Ducange, il existait alors des corporations de bahutiers, d’srbalétriers et de marchands de diverses professions, gouvernées par un chef appelé Roi des métiers. Aussi M. de Cas- sagnac fait-il remarquer, avec raison, que la corporation moderne des boulangers de Paris était greffée sur l’ancienne corporation romaine, puisqu'elle était sujette à un droit de hauban , consistant 282 MÉMOIRÉS. en un muid de vin payé par an au roi, droit qui se trouvé mentionné dans les Capitulaires de Dagobert IF, de l’an 650, et de Charlema- gne, de l'an 803. Il en était de même des corporations de bateliers dans la Gaule romaine: (6) Voyez l'Evèque de Strasbourg, il distribue par Classes tous ses gens, sélon les différents services qu'ils lui doivent. Tous les artisans lui font la corvée. Les marchands lui servent de messagers par tout lé diocèse ; enfin, il donne une sorte de jutidiction et de discipline sur tous cés hommes , à certains officiers de sa cour. Puis après, 1263, l'Evêque partage avec la bourgeoisié! la moitié des offices. Indépéndemment de la communauté des marchands, il y avait dans la ville douze corps de métiers, à la tête de chacun des quels était ur maître nommé par le Bourgrave. (Histoire de l’E- glise et [des Evèqués de Strasbourg, par Grandidier, — Ancienne constitution de la ville de Strasbourg , publiée par Sciller). Presque partout, le long du Rhin et du Danube, les artisans devinrent corvéables. L'ordre des Décurions disparaissant, on ne forma plus qu'une Classe d'hommes-liges privilégiés , seuls admis sibles aux emplois seigneuriaux. On voit, d’après le Lex salica emendatior,t. 11. cap.5., et d’après le Capitulare devillis Caroli Magni, cap. 45. , quelle importance les Seigneurs Francs attachaient à pos- séder dans leürs domaines des artisans corvéables. Les artisans libres couraient risque de se voir soumettre au droit seigneurial ; de là la tendance de toutesles villes à faire revivre l’ancienne organisation municipale et libre de la commune romaine. Les Evêques, les Abbés, et les Seigneurs laïcs donnaient donc des réglements aux corps de métiers , et ils en recevaient un droit annuel, appelé Hanse, ou droit d'association; ces métiers se ven- daïent même comme droit seigneurial , et le produit de ces ventes était donné à des gens de la cour du Seigneur. Celui-ci, comme maître de la terre, l'était aussi des-métiers , et il ne les cédait qu’à prix d'argent. (Voir la Charte de Louis VIL, de l’an 1160, dans Depping, livre des métiers d’Etienne Boileau, p. 79). Cet état de choses se prolongea même assez long-temps , après la chûte de la féodalité ; car nous voyons en Normandie, que, vers 4206, le second Abbé d’'Ardennes donnait des statuts aux coute- liers de la ville de Caen. (Essais sur la ville de Caen, par l'abbé Delarue , t. 2., p. 107). M. de Gerville, de Valognes , possède une charte en latin, de l’an 1234, par laquelle l'Evêque de Coutances donna des statuts aux tisserands en toile de la ville de St.-Lo. Les Evèques de Lisieux en firent autant jusqu’au XVe siècle. (Voir leurs concessions de statuts de métiers, aux archives de la MÉMOIRES; 983 préfecture du Calvados), L'abbaye de Fécamp conserva, jusqu'au XVIILesiècle au moins, par arrêt du Conseil d'état du 2 mars 1721, et du parlement de Rouen, de l’année 1737, le droit de recevoir des maîtres et gardes des métiers sur ses territoires, et de faire la police sur ces communautés, de préférence aux officiers de police de la ville dé Rouen. (Mèmes archives, papiers de Fécamp). (7) C’est ainsi que la ville de Troye, qui n’était point ville de loi ou ville jurée, c’est-à-dire qui n’avait point de commune, était néanmoins ville de loi, quant au fait de la draperie, puisque les dra- piers y étaient en jurande et élisaient des maîtres et gardes, ayant autorité sur ce métier. (Ordonn. des rois de France, t. 3., p. A0). (8) Lancizolles, revue Germanique, t. 3., p. 195. (9) (Première charte de corporation à Londres).Revue française, t. 4., p. 51. (10) Dans les contrées du centre, dans Rome et l’Etrurie, le Ro— main sans action politique, rêve encore ou mendie , sans faire au- cune œuvre servile. Naples est toujours grecque, ville d'avocats, quoique aient fait les barbares. Au midi se trouve l’idéalisme , la spéculation et les Grecs, puis au nord, le sensualisme , l’action et les Celtes. Les charpentiers, les menuisiers , les colporteurs. et les maçons viennent toujours de Novarre, de Como et de Bergame. Cette immobilité dure depuis des siècles. (Michelet, introduction à l'Histoire Universelle, p. 63.) Si l’on en croit M. de Châteauneuf, dans son Histoire des Monts de Piété, ce serait en Italie que ces établissemonts auraient pris naissance au XVe siècle, pour se répandre de là, dans les villes industrielles de Flandre et ailleurs: (11) A l’époque où les corporations de métiers prirent partout un caractère politique, c’est-à-dire vers le XIILe siècle, absorbées en Espagne par les rois chrétiens, elles devinrent, entre leurs mains, un moyen d'ordre et de richesse publique, par le rétablis- sement du commerce. Dans les premiers temps, en effet, des royaumes de Léon et de Castille (Xe et XIe siècles), les guerres continuelles contre les Sarrasins , ses conquérants, depuis le VIII siècle, obligèrent fré- quemment les habitants des plaines de la Castille à chercher, dans les places fortes, un asyle contre les brigandages. Ils préféraient l'éducation des troupeaux au travail des champs. Depuis la conquête de Tolède, les expéditions contre ces mêmes Sarrasins, maîtres des provinces de Jaen , Cordoue, Murcie et Séville, firent aban- donner la culture des terres. Les Castillans suivirent le drapeau de leurs rois et de leurs seigneurs. Les guerres et les divisions intes— 284 MÉMOIRES. tines, surtout depuis le règne d’Alphonse-le-Sage (1232), rendi- rent les campagnes désertes. Par suite, l’agriculture, si florissante au temps des Arabes, fut réduite à un état complet de décadence dans les Castilles, et, successivement, dans lés ‘autres provinces conquises. Uue égale calamité pesait sur les fabriques ; celles de cuirs, de basanes , de rubans, de modes, de tapis et de sparteries de toute espèce ; celles de soie, qui avaient fait tant de progrès entre les mains des Arabes ; celles d’armes et de tissus de laine, dirigées par les Castillans, possesseurs des mines de fer de la Biscaye et des nombreux troupeaux nourris dans les Castilles et dans l’Estramaduré allèrent toujours en déclinant. * Ce fut alors que, parvenus au trône, les rois catholiques exécutè- rent la grande pensée de rétablir l’ordre et la sécurité, par une sévère et impartiale administration de la justice , et par le rétablis- sement des fabriques et de l’industrie. Ces rois prescrivirent en effet un récensement général du royaume , rétablirent l’uniformité des poids et mesures, remédièrent à l’altération des monnaies, s’attachèrent principalement à restaurer l’agriculture, la fabrique et lé commerce, encouragèrent la navigation, et levèrent les obsta- cles qui gènaient l’industrie, en facilitant la circulation de tous les produits. Aussi les arts industriels et les fabriques prirent-ils un accroissement prodigieux ; celles de draps se multiplièrent ; celles de soie revinrent à leur ancienne splendeur ; la tannerie et tous les travaux qui en dépendent, s'étendirent et se perfectionnèrent, etc. En même temps, de nombreuses améliorations furent introduites dans les ordonnances particulières , relatives aux priviléges des corporations d'arts et métiers, ou Gremios. On y ajouta quelques ordonnances générales ; et depuis le commencement du XIIe siè— cle, les hommes de métier reçurent de l'autorité royale, ou la per- mission de se réunir en corporations, ou l’ordre de se dissoudre, (Consulter le livre 4, t. 2., no 10, des Constitutions de la princi- pauté de Catalogne, et le t.3., de l'Appendice, pour l'éducation populaire du comte de Campomanes). On trouve , dans ce dernier ouvrage , une liste de quelques emplois de la ville de Barcelone, indiquant queles tailleurs d’habits obtinrent, en 1229,la permission du roi, de se réunir en corps de métier ; les orfèvres, en 1249; les cordonniers, en 4270; les fabriquants de mors, en 1290; les tisseurs de lin, en 4400; les maîtres verriers dans la même année ; les peintres sur verre en 1439. On ne sait quelle fut, dans le royaume de Castille, l’origine de l’existence de ces corporations, comme corps politiques autorisés. On trouve seulement, dans le Code des ordonnances de Séville], que la corporation des brodeurs y existait MÉMOIRES. 285 en 1433: celle des fabriquants de voiles de soie, en 1453 ; celle des bâtiers en 1461 ; celle des fourbisseurs en 1478. Il en existait dans d’autres provinces, à des époques antérieures. On peut encore remarquer dans une pragmatique de Charles Ier, de l’an 1552, formant la 4e loi, tit. 44., livre 8 du nouveau recueil (A), que les confréries existantes dans le royaume , et les diverses officialités eurent ordre de se dissoudre , Sans pouvoir se reconstituer à l’ave- nir, à moins d’une autorisation préalable. Beaucoup d’ordon- nances supprimèrent des associations de métiers qui n'étaient pas en confréries, ou les soumirent à diverses taxes et prescriptions gênantes pour l'exercice des aris et de l’industrie. Quant au développement de ces corporations ou confréries de métiers, elles étaient, comme partout en Europe, entièrement communales. Aussi avaient-elles une grande part dans l'adminis- tration municipale, et leurs statuts et réglements faisaient-ils partie des Fueros ou ordonnances municipales des villes et bourgs. (Voir les Mémoires historiques sur la marine, le commerce etles arts de l’ancienne ville de Barcelone, par D.Antonio de Capmani, 2 vol. in-40). Ce point y est traité avec détail, dans la 3e partie. I y parle aussi de la fondation des corporations de cette ville , ainsi que des ordonnances et réglementsrelatifs à leur création et à leur réforme. Le nombre ces ordonnances municipales, relatives aux corpora- tions, était fort grand. Elles n’ont point été réunies en un corps de législation spéciale, mais on les retrouve dans le Code des ordon- dances de Séville, imprimé en 1526, et réimprimé, 4 vol. in-fo., en 1682 ; dans celles de Tolède, publiées sans date ; dans celles de Sarragosse, qui parurent en 1646 ; dans célles de Grenade, im- primées en 1552, et réimprimées en 1670 ; dans celles de Valla- dolid et de Murcie. (Tous livres très-rares, même en Espagne ) et pour Madrid, dans les premiers tomes des Mémoires de D. Enge- rio Larruga, t. 4., p. 43. Quant aux ordonnances de Tolède, Séville , Grenade et Jaen, on en trouve un extrait assez étendu dans le t. 3. de l’Appendice du comte de Capomanes). Tout porte donc à croire que l’origine de ces corporations fut d’abord simplement industrielle en Espagne, sous l'influence de l'autorité royale. C’est, d’ailleurs , ce que démontrent les Statuts particuliers de leurs métiers, tous remplis de dispositions relatives aux procédés de fabrication et à la police des confréries de ces métiers. (Voir une cédule royale de D. Juan IT, du 21 mars 1455, qui se trouve à la suite des ordonnances. sur les fabriquants de voiles de soie de Séville ).On y trouve que le roi leur octroie la fa— culté d’élire annuellement deux Alcades inspecteurs. Il en est de 286 MÉMOIRES. même dans le corps des tisseurs de laines et de lin, des fabriquants de soie torse et de tapis de table , des tisseurs de toiles d’or , (con frères ou non confrères ). Cependant l'esprit religieux venant successivement à prévaloir , les corporations industrielles virent se former dans leur sein, en Espagne comme en France, des confréries religieuses, ayant des ordonnances particulières pour l'application desquelles on avait recours à l’autorité ecclésiastique. (On trouve dans le recueil des ordonnances de Séville que diverses associations de cette ville avaient des hôpitaux particuliers, et même des Monts de Piété, destinés à assister les veuves et les orphelins des maîtres qui venaient à décéder ; que des amendes étaient appliquées aux mai- tres et officiers qui ne comparaissaient point aux fêtes auxquelles on les appelait ; qu’ils étaient tenus d'assister avec leurs cierges et la bannière de la confrérie, à la procession del corpus, (de la Fête- Dieu) et que le produit des amendes s’appliquait au paiement de la cire du corps, c’est-à-dire du luminaire que la confrérie entre- tenait à l'Eglise. Les réglements des métiers s’occupaient, de leur côté, de la qualité des étoffes, de leurs longueurs et largeurs, du nombre de fils de chaque espèce de toiles, des amendes pour mau- vaise fabrication , et des fautes que pouvaient entrainer l’interdic- tion temporaire ou perpétuelle du métier; puis des conditions d'apprentissage, des examens et des formalités, plus ou moins bursales et vexatoires, exigées pour entrer dans la corpora- tion , etc. etc. Ainsi, dans chaque corps de métier en Espagne, il y avait maî— trise, jurande et confrérie religieuse ; deux centres, l’un purement admiuistratif et l’autre religieux; deux espèces de réglements , ceux du corps de métier, et ceux de la confrérie; chaque Gremios avait plusieurs chefs, revêtus de divers titres, tels que ceux d’ins- pecteurs, de contrôleurs, etc. Ils étaient chargés de tenir la main à l'exécution des réglements qui avaient force de loi, mais seulement après la sanction du conseil royal. Quelquefois cette sanction ob- tenait les honneurs d’une pragmatique. Au surplus, pour arriver à la maîtrise , il fallait passer par les degrés de l'apprentissage , des examens et du chef-d'œuvre. C'était alors qu’on pouvait exercer le monopole de l’industrie, au préjudice de tous ceux qui n'avaient pas reçu ce degré d'initiation, et cela se pratiquait ainsi dans toutes sortes d'industries , car elles étaient toutes en corporation. Indé- pendamment des corporations de première nécessité, tels que celles des fabriquants de draps, de soieries, de toiles, de chapel- leries , des boulangers, des pâtissiers, confiseurs, marchands de MÉMOIRES: 287 vins et autres , il y avait encore celle des propriétaires de vignes à Malaga, et une foule d’autres, dans tous les genres d’indus- tries, etc., etc. Les nombreux documents, à l’aide desquels nous avons composé cette note, ont été recueillis sur les lieux mêmes, par les soins obligeants de M. Guttière, professeur à l’université de Madrid. Nous sommes heureux d’avoir trouvé, dans ce savant étranger, un zèle si dévoué, et sans lequel cette partie de notre travail serait demeurée pour nous d’une exécution impossible. (12) Ce fut en effet l'Allemagne qui donna, au Ve siècle, les Suèves à la Suisse et à la Suède ; à l'Espagne ses Goths ; ses Lom— bards à la Lombardie; ses Anglo-Saxons à l'Angleterre, et ses Francs à la France. Elle nomma et renouvela toutes les popula- tions de l’Europe, langue et peuple. L'élément fécond pénétra partout. (13) Les tisserands et les foulons de la ville de Gand, qui sou- vent avaient eu des débats dans les élections des magistrats, se livrèrent , en 1344, une bataille décisive sur la place publique, plus de 1,500 foulons furent tués ; les autres furent chassés de la ville, et leurs métiers entièrement détruits. Cette journée fut ap- pelée depuis, le mauvais lundi. Après cette victoire des tisserends, leur Doyen, Gérard Denis , acquit une grande influence , il devint l'adversaire de Jacques d’Artevelde , et sut inspirer des soupçons contre lui. Edouard II se trouvait à l’Écluse avec une armée, et négociait avec des villes flamandes, afin de faire reconnaître son fils pour leur gouverneur. D’Artevelde favorisa ce projet et intro- duisit les Anglais dans sa maison; mais son ennemi l'y suivit avec ses partisans , et le massacra avec un grand nombre d’Anglais. Rarement, dit Michelet (Hist. de France, t. 2. p. 398), l'étin< celle fanatique tombait envain sur ces grandes multitudes de tisse- rands. A Gand, ils occupaient 27 carrefours , et formaient, à eux seuls, un des trois membres de la société ( Ondergherst). Autour d'Ypres, en 1332, ils étaient plus de deux cents mille. Avant l’é- migration des tisserands en Angleterre, vers 1582, il y en avait à Louvain cinquante mille. En 1380, ceux de Gand sortirent avec trois armées. Les autres métiers prenaient aussi parti, et tous les gens de Gand, de Bruges, d’Ypres, armés et enrégimentés d’a- vance , se trouvaient , au premier son de cloche, sous la bannière du Bourgmeister. (14) Michelet, introduction à l'Histoire Universelle. De ce que le principal caractère des corporations Allemandes paraît avoir été pacifique et amical, il n’en faut pourtant pas 288 MÉMOIRES. conclure que jamais elles ne sont intervenues dans la politique. Ilest certain, au contraire, que lors de l'établissement des institu— tions municipales en Allemagne, depuis le milieu de IXe siècle jusqu’au XIe, la participation des artisans à l'administration mu— nicipale , et la conquête des droits de bourgeoisie ne se firent pas sans combats. fl paraît même que des luttes longues et pénibles s’en suivirent, qui ne le cédèrent en rien aux révolutions des ré- publiques de l’antiquité, et à celles qui déchirèrent l'Italie, au moyen-âge. Dans certains endroits même, cet élément politique devint si puissant que toute la constitution municipale reposa sur la division de la bourgeoisie entière , en corporations de métiers, de sorte que chaque citoyen était obligé de s’affilier à l’une de ces corporations. Un soulèvement des hommes de métier, en 1568, força le conseil municipal, composé alors des membres tirés de l'ancien ordre de la chevalerie, à changer sa constitution. On envoya des députés, dans plusieurs villes impériales , telles que Ypres, Mayence, Worms, Strasbourg, Bâle et Constance , pour y étudier les institutions qui avaient eu pour résultat l'admission des hommes de métier dans la bourgeoisie. A leur retour, il se forma une constitution qui organisa deux conseils municipaux. L'un chargé de l’administration active, composé de 15 nobles et 99 hommes de métier, était présidé par deux Bourgmestres, l’un noble et l’autre homme de métier. Les nobles devaient entrer dans les vingt-sept corporations de métiers , sauf à y former, à vo- lonté , une association particulière entre eux. L'autre conseil mu— nicipal (grand conseil), chargé de contrôler le premier, était formé de deux cents quatre membres, tirés des corporations, etc. (Lancizolle, 2e période, Revue Germanique , t. 3. p. 195). (15) Une grande révolution s’opéra, au XIVe siècle, en Allema- gne, par tout l'empire, dans la poésie des Minnesanger. Jusqu’a- lors, et durant les XIIe et XIIIe siècles, cette poésie avait été exclusivement le domaine des Empereurs, des Seigneurs et des Princes. Avec les pélerins de la 2e croisade, avaient pénétré les suaves compositions des poètes de la Provence et de la Catalo- gne, des troubadours et des trouvères , et ces poésies avaient passé dans les chants des Minnesanger. Cependant, vers la fin du XIIe ‘siècle, le style des poètes Souabes ne trouva plus d’imitateurs ; l’art expira au sein de la noblesse , et, tout-à-coup, la scène chan- gea. La muse quitta les châteaux , se retira dans les villes, et se livra avec abandon à la bourgeoisie et aux corporations de métiers. Les Meister-Sanger , et les Minnesanger, ces sociétés célèbres de maîtres chanteurs, se composèrent entièrement d'hommes tirés MÉMOIRES. 289 des dernières classes de la société. Elles prirent le monopole de la versification, et étendirent leurs associations sur presque tout l'empire. On ne chanta plus les aventures romanesques des anciens preux , ni Roland, ni tant d’autres ; la poésie devint grave, même sur les choses frivoles , elle prêcha la moralité du bon exemple, et répandit d’utiles enseignements, à limitation, sans doute , du doc— teur en théologie, Henri de Messen, qui avait été son premier fondateur. (Revue Germanique, 1835, t, 4. p. 294). (46) On sait que le système féodal fut aboli en Italie, plutôt que dans aucune autre partie de l'Europe, et qu'au XIIe siècle, toutes les villes Ttaliennes étaient libres. (Sismondi, Histoire des Républiques lialiennes , t. 1. p. 361, t. 5. p. 4). La conséquence immédiate de ce fait, fut l'institution politique des corps de métiers dans toutes les républiques. Mais c’est surtout à Florence que leur intervention dans le gouvernement se mon- tra avec le plus d'énergie, Guelfes et Gibelins soulevèrent l’I- talie, durant îes XIIe, XIIIe et XIVe siècles. C'étaient d’un côté, es défenseurs de l'Eglise et du peuple , et, de l’autre, les cham- pions des prérogatives du monarque et, de la noblesse. Les corpo- rations des métiers devinrent aussi Guelfes et Gibelins; mais ces dénominations changeant d'objet, à la fin du XIVe siècle, la lutte .de cés deux partis se’confondit avec celle des républiques contre le despotisme. (id. t.5. p. 219). La première organisation politique des métiers eut lieu à Flo- rence, en 4266, par Guido Novello, capitaine des gardes de Manfred, en Toscane ; afin de satisfaire les Guelfes et le peuple, il forma douze corps darts et métiers, dont sept furent appelés arts majeurs, et Cinq, arts mineurs, ayant des consuls, des capitaines et une enseigne. Cette aristocratie roturière lutta cependant bientôt contre lui-même, et plus tard contre le peuple. (t. 3. p. 361). Lorsqu’au mois de juin 1282, les Florentins établirent leur forme de gouvernement , qu’ils nommèrent Seigneurie , ils la composèrent de six membres, appelés Prieurs des arts, pour indiquer que les premiers citoyens de chaque métier devaïent réprésenter la répu- blique. Beaucoup de républiques, et notamment Sienne et Arezzo, adoptèrent ensuite ce divieto, Les nobles étaïent exclus de ces sei- gneuries. (t. 4. p. 51 à 56). Ces oligarchies roturières devinrent aussi odieuses au peuple qu'aux nobles. De là, les collisions violentes qui ensanglantèrent souvent la république. De là, la fameuse ordonnance de 1292 , contre les Magnats (Ordinamenti della giustizia), monument de la plus odieuse tyrannie, pour lexécution duquel on fut obligé de Il. 19 290 MÉMOIRES. créer une milice bourgeoise, soumise à un gonfalonier de justice, qui fut un officier civil. Le premier des gonfaloniers commença par faire raser la maison des Galigai. Puis une réaction s’opéra en 1294, et le pouvoir retourna aux mains de la riche bourgeoisie. (t. 4, p. 59 à 70). Plus de 80 ans après, dans la grande révolution qui éclata à Florence, lors des luttes entre les Ricci et les Albizzi, en 1378, les vingt et un corps de métiers s’assemblèrent, les arts majeurs favo- risent Ja noblesse populaire, la magistrature, les Guelfes et le parti des Albizzi; les arts mineurs accusent ceux-ci d’aristocratie ; et les artisans, surtout ceux de la manufacture de laine, se plai- gnent de ne pouvoir obtenir justice de leurs maîtres. Ils sont en armes sur la place , sous le nom de Ciompi (compères); on parle- mente inutilement, ils attaquent, pillent et brüûlent les maisons des Albizzi et de plusieurs chefs du parti Guelfe; puis, après dix joursde calme apparent, ils se confédèrent de nouveau le 14 juillet; et le 91, ils livrent la ville au pillage et à l'incendie. Le lendemain , ils s'emparent du palais du Podestat , et, de là, ils dictent leurs condi- tions à la seigneurie qui est forcée de les accepter , et, après qu’il se sont emparés des clefs de la ville et du pouvoir, une nouvelle seigneurie est nommée par les syndics des arts et par ceux du peu- ple. Mais Le peuple à son tour veut la renverser ; alors, surgit de ses rangs un cardeur de laine qui se dévoue pour sauver la patrie , et qui plus tard sera exilé ; on le nomme Gonfalonier de justice , il s'oppose à la révolte, et, après une lutte meurtrière , il fait mettre bas les armes à la populace. Aïnsi, les honneurs restent partagés entre les arts Majeurs et Mineurs. Le parti Alberti ou Gi- belin triomphe. (t. 7. p. 130 à 453). Plus tard , le 11 décembre 1379 , une nouvelle conspiration des Albizzi est découverte ; on arrête les suspects , les jages les dé- clarent innocents , mais les consuls des arts leur adjoignent quatre citoyens pour assesseurs. Les interrogatoires recommencent , des condamnations à mort sont prononcées par les assesseurs seuls. Les Guelfes sont exécutés Comme aristocrates , et, enfir, après trois ans , le 21 janvier 1382, le parti des Albizzi reprend l’auto— rité, réforme constitution, abolit toutes les Jois révolution- uaires et la nouvelle corporation des Ciompi. Les arts Mineurs , sont exclus du Gonfalon de justice , et, après vingt combats durant toute l'année, à la suite desquels sont prononcés de nouveaux exils, ils sont réduits au tiers des honneurs publies. Enfin, en 1387, uwie-nouvelle Balie (commission) plus aristocratique exile les AE- rh D: 1d0 MÉMOIRES. 294 berti et consacre le triomphe des arts Majeurs , ou des Guelfes sur le peuple. (t. 7. p. 158 et 175 à 178 ). Ces exemples suffisent pour donner une idée du gouvernement politique des Métiers en Italie. (17) On peut en dire presque autant de l'Angleterre, malgré le contraste bizarre résultant des deux principes opposés qui forment la nationalité de ce pays, la féodalité et l’industrie , l’égoïsme d’i- solement , et l’égoïsme d’assimilation; mais partout il s’y rencontre un point commun qui leur sert de lien , c’est l’acquisition et la jouissance de la richesse , la féodalité y a ses châteaux et l’in- dustrie , ses corporations. Mais comme l’industrie règne sans par— tage , à condition de laisser vivre l'aristocratie , toutes les popula- tions des villes y sont partagées en corporations de métier, d’origine ‘communale , auxquelles les plus grands personnages de l’An- gleterre et le roi lui-même sont obligés de s’affilier. (48) On trouve dans les ordonnances d’Etienne Boileau, pour les métiers de Paris , au XIIIe siècle , que déjà sous Philippe Auguste ilexistait une organisation régulière dans les métiers. Le livre de Boileau ne fut que le récolement de tous les statuts déjà exis- tants. (19) Quant au statut en lui-même , il règle , dans une longue série d'articles législatifs , les devoirs et la hiérarchie de tous les membres de la corporation ; äl détermine Îes conditions de capa- cité des aspirants , et l'espèce de chef-d'œuvre qu'il faut faire pour devenir maître. Il veille surtout à ce.que chaque industrie de- meure isolée, et à ce que la ligne de démareation reste parfaite- ment distincte entre les professions même qui se touchent de plus près, entre le savetier et le cordonnier , le pâtissier et le rôtis— seur , le tailleur et le fripier , le haut et le bas Brouetteur , etc... X1 æst surtout un point qui fixe invariablement l'attention dans tous les métiers, c’est le monopole ou la conservation de chaque in- dustfie dans la famille de celui qui l’exerce, aussi les fils de maîtres y sont-ils toujours admis de préférence à d’autres , «et avec dis— pense de tout examen ou chef-d'œuvre. Mais ce qu’il y avait en- core de plus déplorable , et qui entraîna la ruine des Jurandes 5 c'était la défense expresse de rien changer à la nature ou à la forme des objets manufacturés. Immobilité fatale qui arrêtait à jamais tout élan industriel,et, par. conséquent , toute découverte et tout progrès. (20) Tel était le droit de Hanse que chacun payait en entrant dans une corporation industrielle. (21) Les anciens statuts de corporations furent en effet remis en 292 MÉMOIRES. vigueur par Henri I, après un grand nombre d'ordonnances corit= plèmentaires de la part des rois ses prédécesseurs. Henri IV con firma aussi, en 1597, l'édit rendu à ce sujet en 158#. Enfin un édit du mois de mars 1673 ajouta quelques dispositions à celles déjà établies, et créa de nouvefles communautés. Cet édit et ceux de 1581 et 1597 servirent de base jusqu’en 1776, époque de l’abo— lition momentanée des Jurandes françaises , à toutes les mesures dont elles furent l’objet. Fs en contiennent même pour Fa première fois le nom et la véritable institation. Par suite de cette organis#— tion, les villes devinrent jurées où non jurées , suivant qu’elles eu- rent ou non des chefs de communauté Jurés. 11 y eut de grandes et de petites Jurandes , des communautés patentées ef non paten- tées, etc. Puis, après avoir rempli leur rôle utile qui était la ré sistance à Ja féodalité, et l'organisation des industries , abüsant elles-mêmes tyranniquement de leurs priviléges dans l'intérêt de leurs monopoles , elles périrent par leurs propres excès, et furent supprimées définitivement le 47 mars 1791. (22) Dans certaines villes, les corporations de métier avaient leurs processions dites des métiers. Telle était à Caen , eelle de la fête de la Pentecôte , qui avait pour but le transport et le don de tous les déniers à Dieu des 40 à 50 corps de métiers ; à Fhôpital de cette ville, et à laquelle un nombreux clergé ne formait réellement qu'un accessoire obligé ; d'anciennes traditions rapportent que ces offrandes furent instituées en expiation des usures qui se commet taient autrefois dans le commerce de Caen , mais les historiens de cette ville n’ont jamais pu constater la réalité de cette prétendue amende honorable. (Recherches sur la ville de Caen et ses ori- gines , par de Bras, Huet, et l'abbé Delarue ). Telle était la procession du saint Sang à Bruges , à laquelle as- sistait le porte-croix de tous les métiers au milieu des évêques , des abbés , da bourgmestre et des conseillers de à commune, des chanoines, des échevins et d’autres magistrats, suivis des confré— ries de St.-Miehel ou de l'escrime de St.-Georges, ou de l grande et de la petite arbalète , et des archers de St.-Sébastien ou de l'arc-en-main. (Revue du Nord. Janvier 1858, p. 61). Telle-était encore la procession du Vendredi-Saint à Séville, à la— quelle figuraient, au milieu des plus grands personnages de robe et d'épée , le président de la confrérie, accompagné des corpora- tions , etc... ( Journal des débats du 13 avril 1839 ). (23) Saint Eloi était le patron des forgerons, St.-Fiacre,des jardi- niers,St.-Yves,des avocats,etc.La Basoche de Normandie avait pour cachet deux écritoires croisées. Les armoiries des épiciers apothi— MÉMOIRES. 295 evires de Paris représentaient une main qui sort d'un nuage dans un ciel étoilé et qui tient un fléau avec des balances. Au-dessus est cette devise : Lances et Pondera servant. À Florence, les plu- mes étaient l’attribut des arts ou corporations de la soie et de la laine. D’autres avaient la roue de fortune , etc. ( Voir l'Armorial général de d’Hosier, aux manuscrits de la bibliothèque du roi, les Origines du droit par Micheret , p. 220 à 226, etles curieuses recherches de notre savant confrère M. Cauvin, secrétaire géné- ral: du Congrès du Mans, sur les armoiries des communautés d'arts et métiers, de plusieurs villes principales du Maine , dans son Supplément à l'Essai sur la statistique du département de la Sarthe, p. 78 et suivantes }. Du temps de St.-Louis , la classe des bourgeois se divisait em sept grands métiers dont chacun avait un Prieur ou syndic qu'ils élisaient, et des armoiries particulières servant à distinguer les quartiers qu’ils eccupaient dans la ville. ( Histoire du pouvoir mu- nicipal en France , par le Ber, p. 294). On peut voir , dans le même ouvrage , p. 509 ,ce qui con- cerne l’histoire des toupiniers et des behours de Lyon; des arbalêtriers de Ghâlons , etc. ; du prince de l’Etrille , de l'amour , de la plume en Flandre , des chevaliers du plat d'argent, de la fête de 1'Epinette, à laquelle les arbalètriers de Paris pren- nent part en 1349. Les joûtes de la lance , à Valenciennes , où le vainqueur recevait un éperon d'or, et auxquelles assista le duc Jean de Bourgogne, er 4416. Des erdonnances de 1311 et 1314 défendirent ces joûtes et tournois en France. Dans nos temps modernes, on célébrait encore , dans les Pays-Bas et en Flandre, ces fètes d'institution du moyen-âge , telles étaient celles de Ste.-Marguerite de Flandre à Lille, du Gayant à Douai , des Incas à Valenciennes, du comte de la Mi-Carème à Hazebrouck. ( Journal le Temps , du 24 mars 1838 ). Le jour de St.-Simon à Venise, les ouvriers de l'arsenal et ceux de la ville qui habitent ordinairement des quartiers diffé rents , et ne se mèlent jamais , se donnent rendez-vous au pont des Serfs , armés de bâtons et se livrent des batailles régulières. Tout le monde y accourt , et la noblesse n’y fait pas défaut. Un poète vénitien en a fait le sujet d’un fort joli poëme. ( Revue des deux mondes , du mois de juin 1839 , p. 690). (25) Notre littérature du moyen-âäge a conservé les dires des changeurs , des cordonniers , des tisserands, des bochiers, des cordiers et de beaucoup d’autres professions. ( Voir une lettre de M. Jubinal au journal l’Artiste , en 1838). 294 MÉMOIRES, (26) Il existait en Grèce de pareils chants. Outre les chansons bucoliques des pâtres, des moissonneurs , des journaliers , ete., chaque corps de métier , dans les villes, avait sa chanson particu- lière. Il y avait le chant des baigneurs, celui des tisserands, nommé Elinos ; il y avait la chanson des tisseurs de laine, celle des bou- langers , celle des ouvriers qui tournent la meule , des gens qui tirent de l’eau des fontaines, des bateliers et des rameurs , enfin les chansons des nourrices , que Platon approuve comme néces- saires au développement de l’âme et du corps. ( Magnin , Origines du théâtre moderne , t. 1 ). La littérature de Venise Commence au XIIe siècle, avec les relations des voyageurs ; ce sont des commerçants qui en sont les premiers poètes : les marchands de Venise tournent leurs re- gards vers l'Orient ; ils partent avec leurs pacotilles et des lettres du pontife , visitent Alexandrie, Constantinople, Samarcand , et viennent raconter avec naïveté les merveilles de l'Asie. Tels sont Marco-Polo, les Zeno, et les Ca-da-Mosto. ( Revue des deux mondes, juin 1839 , p. 690 ). 295 BIRT PIN TEE CESSE DOS VISE SE TS TES TSSSISIIIISISÉIÉEIE ESS VE NOTICE HISTORIQUE SUR LA PAROISSE ET BARONNIE DES BIARDS, SUZERAINE D'ISIGNY , VEZINS, LANDELLES , ETC. ; PAR M. LE VICOMTÉ DE GUITTON DE LA VILLEBERGE, MEMBRE DE PLUSIEURS SOCIÉTÉS SAVANTES . MESSIEURS , Les Biards, Sanctus Martinus de Biardis, ancien prieuré-cure, dont le bénéfice valait environ deux mille francs de revenu avant la révolution de 1789, fut fondé l'an 1081. Située dans les anciens comté de Mortain et évêché d’A- vranches, cette paroisse contient 1034 hectares de terre et1073 âmes, nulle fabrique et seulement deux usines à blé. Son sol,en côteaux,est propre à toutesles cultures,les her- 296 MÉMOIRES. bages y sont bons, et ses habitants sont, de temps im- mémorial , éleveurs de chevaux et de bêtes à cornes, On a prétendu qu'elle avait été fondée par les Ambi- bares (4mbibari), et les gens du pays montrent encore aujourd’hui la rue de la Poissonnerie , et diverses autres choses, tendantes à faire croire que leur bourg était au- trefois une ville. Quoiqu'il soit possible qu’une colonie de ces peuples , que d’autres ont placés sur les bords de la Saône , à Hambie sur l’Ambiote , et même à Am- brières , (1) frontière du Maine, ait habité cette rive de la Sélune , je ne reporte pas la fondation des Biards au- delà du X° siècle, parce que, dans toute l'étendue de la commune, il n’y a nul vestige d’'oppida , ni même de construction romaine ; que nul objet d’antiquité n’y a été trouvé ; que l'œil le plus observateur n’y aperçoit riem d’instructif ni même de curieux , et que ce nom est évi- demment danois, espèce de contraction de celui de Bier, que portait le terrible Côte-de-Fer, et de celui de l’aven— tureux explorateur Biarne, fils d'Heriulf, qui pénétra au Groënland en l’an 986. Biard est le nom d’une des seize runes scandinaves ; les Danois appelaient anciennement leur Laponie la Biarmie , et, encore aujourd’hui , cette province est divisée en petites contrées qu'ils nomment Biars. La forêt de Cerisy , entre Saint-Lô et Bayeux, à été aussi appelée la forêt des Biards , peut-être parce qu'elle produisait beaucoup de bouleau et que biard est aussi le nom de cet arbre en langue scandinave. Situé à un quart de lieue du bourg , le château des Biards , ruiné d’abord par Etienne de Blois, et puis en 1368 , par les Bretons, au service de Charles V, était, comme ceux de l’époque des navigateurs normands, une espèce de vigie ou exploraloratorium , juché , comme (1) Plusieurs géographes se sont accordés à placer dans l'Avranchin ce peuple de la Gaule Celtique , mais l’évêque Kobert Cenault et le bénédic— tin Denis Briant, auteur du Cenomania , lui donnent pour capitale Am— brières, Ambreriæ, quise trouve dans le pays des Diablintes. MÉMOIRES. 207 V’aire d’un oiseau de proie,sur une cime escarpée et allon= gée en forme de cap ; la Sélune, qui coule au pied de ce rocher perpendiculaire, les y avait sans doute amenés, et us avaient choisi ce posie pour y bâtir un fort, qui devint une demeure baronniale, d’où la vue plungeait sur le cours de celte rivière, eLs’étendait sur des côteaux abruptes et sur le chemin enzig-zag qui conduit à Landelles ; sa forme était celle d’un polygone irrégulier, ayant 80 mètres sur sa plus grande longueur , et environ 30 de largeur ; ses murs étaient maçonnés à chaux et à sable; des fossés , à peine reconnaissables aujourd'hui, en complétaient la circonvallation du côté de la terre ; enfin les habitants se sont emparés des pierres de cette forteresse pour bâtir et faire des murs de clôture, qui abondent dans son voi- sinage. La chapelle, actuellement en ruine, était dans le bayle ou ballium extérieur et semble même avoir fait partie de fa seconde enceinte murale du château ; ce n’est pas la primitive , on voit évidemment qu’elle a été maçonnée avec des pierres provenues de constructions plus an- Ciennes ; il y avait une fenêtre à ogive derrière l'autel et une de chaque côté ; la porte extérieure était au bas de la nef, uneautre moins grande, dans un des côtés, com- muniquait dans la cour du château ; sur l'autel en granit on remarque en creux, du côté de l'évangile , Femplace- ment de la pierre sacrée ; le maçonnage de ce petit édi- fice est lié avec de l'argile et semble être du XVI siècle ; sa longueur est de 12 mètres et sa largeur de six ; elle était, ainsi que la primitive , dédiée à Saint-Nicolas, ce qui vient encore à l’appui de mon système , car on sait que les reliques et le culte de ce saint nous furent ap- portés par les gentilshommes normands qui conquirent et fondèrent le royaume de Naples , et rien n’annonce qu'aucun des dieux du capitole ni même de l’Edda l’aient précédé sur cet escarpement aride. Les gens du pays sont persuadés qu’il y a des trésqrs 598 MÉMOIRES. enfouis sous ses ruines, et M. l'abbé des Grippes, curé actuel des Biards,m’a dit sérieusement que, l'an dernier, des personnes venues de l'Angleterre en avaient enlevé un pendant la nuit ; un homme de la paroisse m'a fait voir le trou où l’on prétend qu'il a été trouvé. Le premier historien qui fasse mention d’un person nage du nom de Biard , est Robert Wace , dans ces deux vers : D'Avÿrancin i fu Richarz ; Ensemble od li cil de Biarz. Par lesquels il semble dire que ce Biarz, qui suivit le duc Guillaume à la conquête , avait le prénom de Ri- chard. (1) (1) Je crois que ce n’est pas par erreur , ainsi qu’on le lui reproche, que ce poëte porte Richard d’Avranches , surnommé Goz, au nombre des che- Yaliers de la conquête; ce passage d’Orderic Vital : « Facto autem Senlatio bello et tege Guillelmo multis hostium tumultibus occupato , præfactus tyro cum Hugone suo consobrino Richardi de Abrincis cognomento Goz filio iterum ad Anglos transit, et semper in omnibus exercitiis quæ a militibus agenda erant, inter præcipuos viguit. Deinde post mullos agones prædicto Hugoni, comitatus Cestrencis datus est et Robertus princeps mililiæ ejus et totius provinciæ gubernator factus est, » prouve que son fils Hugues, dit Le Loup, n'y passa qu'après la bataille de Senlac ou d’'Hastings. Il est présumable même que Goz mourut en Angleterre, et que ce fut plas par cette considé- ration et celle d'enrichir son neveu et celui de ses deux confidents , l’évêque Odon et le comte de Mortain, que pour des services personnels , que le con- quérant Jui donna le comté de Chester en 1070 seulement , tandis que les vainqueurs d’'Hastings étaient lous récompensés depuis deux et trois ans. Il sérait extraordinaire aussi que Wace n’eût pas connu l’histoire d’un des plus puissants seigneurs d'Angleterre et de Normandie, où il fonda l’abbaye de St-Sever , et qui mourut moine à Chester en 4011; et, puisque son fils Richard , né seulement en 1089, aussi seigneur ou gouverneur des pays que forment aujourd’hui les arrondissements d’Avranches et de Vire et le comté de Chester , périten 1120, ainsi que la comtesse Mathilde , sa femme , dans un naufrage trop célébre ( celui de la nef blanche }, pour que Orderic—Vital et surtout Wace, qui nous transmet jusqu’au cri de guerre de ces seigneurs (Sire St-Sever), s’y soient trompés. Enfin on lit , dans ce premier chro- niqueur, que Robert était déjà passé en Angleterre sous le règne d'Edouard et l’on ne voit que dans la liste du manuscrit, publié par Taylor, que Hu- gues y eût passé en 1066. MÉMOIRES. 399 Ce que l’on trouve ensuite de plus ancien est cette do- nation , extraite d'un manuscrit du XIV° siècle, ayant appartenu à l'abbaye de la Couture du Mans : «Johellus abbas,an.Domini 1081 abbatia potitus est hic ex diocesi abrencensi oricondus erat,cujus fratres eccle- siam de Vezins donant onde prioratus de Biards ut sequi- tur;anno 1082 Valterius et Radulfus d’Astinus de depreca- tione domini abbatis Johelli fratris eorum Deo et sancto Petro Culturæ dederuntecclesiam de Vezins et omnia ad eam pertinentia,scilicet decimam,sepulturam et sex acras terræ,el offerendam altaris,et quod presbyter de eis hoc et de abbate et monachis teneat suam partem ecclesiæ , sicut tenebat a supradictis duobus fratribus Walterio et Radulfo d’Asting. Dederunt etiam decimam totius suæ pecuniæ que decimatur omni vaccarum , equarum, tam illarum equarum quas apud Vezins habent quam cæte- rarum ubicunque habeant in Normaniæ velin alia terra: facta est autem hæc donatio apud Traceium sub idoneis testibus Guillelmo de Traceio,Gislebertonepote ejus,Bur- cardo præposito , Reginaldo infanti filio Ranulfi Avenelli, Hugone filio Herberti de Bosleio, Hugone de Tanu, Her- berto de Milerio,Pagano de Vilereyo, Ernesio; de famulis abbatis Guillelmo Tustano , Guillelmo de Belino ; affuit etiam Aufredus armiger d'Hastino,Ranulfus armiger,Ga- leterii. Post tertiam vero diem quo hæc facta sunt annuit Guillelmus de Biard in capella castri acram unam terræ quæ estjuxta viridariumad faciendam vineam subis testi- bus, normanno filio Gamerii, Josselino, Hugone capella- no; annuit et idem Guillemus eodem die et eodem in loco donum de Vezino astantibus tribus præfactis testibus et aliis multis. Hanc etiam donationem a supradictis mili- tibus factam Michael Episcopus Abrencensis, de assensu Gisleberto archidiaconi sui Abrencencis in ecclesia beati Andreæ anno ab incarnatione Domini millesimo octogesi- mo etsecundo approbavit et auctoritate sua confirmavit. Cum autem longo tempore posteà hæredes supra dictorum 500 MÉMOIRES, militum adversus continuam et diuturñarh tonächorüm de Cultura possessionem super ecclesia de Vezins recla- massent,scilicetGuillelmus d'Hastin et Jacobus et Gerva- sius fratres ejus et Guillelmus de Flacheio qui nomen uxo- ris suæ Havois jus in ecclesia prescripta clamabat et mul- tas monachis et Roberto capellano eorum molestias et in- jurias irrogassent, tandem in presentià Richardi episcopi abrencensis amicabiliter inter eos compositio interessit in buncmodum:Guillemus d’Astin et fratres ejus prædicti jus quodin ecclesia et inejus pertinentisclamabantex integro dimiserunt in manu episcopi abrincensis et monachorum de Cultura pro se et pro hæredibus suis in perpetuum refu- taverunt fide corporaliter præstita quod nibil penitus in ecclesià vel ejus pertinentiis de cetero reclamarent. Hoc ipsum etiam fecerunt Guillelmus de Flacheio et uxor ejus Haoys; et acceptis pro ujus modi pace ab abbate el mona- chis sexagenta solidos cenomanenses monetæ , in manu episcopi fide corporaliter interveniente se pacem hance per- petuo servaturos firmaverunt. Cœterum Jacobi d'Asting fratri Guillelmo d’Asting abbas etmonachi deCultura con- eesserunt pro amore Dei in elemosinam quinque solidos Cenoman. monetæ redendus ei annuatim per manum prioris de Biard quousque in aliquo beneficio ecclesiastico ei providerent. Actum anno Domini incarnationis 1174, publicè Abrincensis Ricardi episcopo presente et compo- sitionem supradictam auctoritate suæ confirmante Gilber- Lo ; testibus, Guillelmo archidiacono et Rogerio cantore, Guillelmo thesaurario et nigro et pluribus aliis tam cleri- cis quam laicis. »—Ce manuserit termine là cette charte, mais nous avons retrouvé dans un autre les noms des té- moins et les voici : Guillaume Testard, M° Richard et Hu- gues Troismonts et Guillaume de Lolif. Du côté de l'abbé, ce sont Guillaume de Champfort , prieur des Biards , et Guyard , le secrétaire et Gervais du Rosel ou le Roussel, Robert,prêtre de la même église, le prêtre Guillaume, Ro- bert de Byarz, Gautier de Chalandrey et Raoul de Fonte- MÉMOIRES: 304 hay ; et du côté des seigneurs , ce sont Garin Gastin, Geoffroy Paumier , Robert Macrachre , Guillaume Le Verdais, Le Crasseux et Guillaume le Normand et des paroissiens du même village , Aubert Tellier , Raoul Aveine , Gauthier le Long et Geoffroi du Jardin. On voit par ces actes : 1° Que l’église de Vezins et le prieuré des Biards furent donnés à l’abbaye de la Couture du Mans, dans le château de Guillaume de Tracy, aïeul d’un des meurtriers de St-Thomas Beket, par les frères d’Astins ou d’Asting, d'origine danoise. Wace dit : Hastinz i vint primierement , Ki fist maint povre et maint dolent: Compainz è mestre fu Bier, Ke l’en clamont Coste-de-Fier: Leur nom , éteint en Normandie , se conserva célèbre en Angleterre ; on connaît entr’autre la fin tragique du grand chambellan , qui, après avoir trempé ses mains dans le sang de son prince, fut décapité , en 1483 , par l’ordre de l’usurpateur qu’il avait servi. 2° Que deux jours après , Guillaume de Biard étant dans la chapelle de son château , donna aussi un acre de terre pour faire une vigne au prieur , el ratifia, sans doute comme suzerain, la donation de l’église de Vezins. Eudes Rigaud , archevêque de Rouen, visita le prieuré des Biards en 1250 ; son revenu était alors de deux-cent-vingt livres, et sept religieux le desservaient, Au commencement du XV° siècle , une ordonnance d'Henri V , roi d'Angleterre, le priva d’un faible revenu qu'il avait conservé dans ses états ; (1) enfin , l'habita- (1) Per nos ordinatum extiterit quod ômnes possessiones prioratuum alienigenorum in prædicto regno nostro Angliæ existentes in manibus nos tris ad nos et hæredes nosiros remañeant in perpetuum, exceptis certis pos- sessionibus hujus modi prioratuum alienigenarum in prædicta ordinatione expressatis et declaratis. ( Monastic. Anglic. t. 5, page 145). 502 MÉMOIRES. tion prieurale et ses dépendances furent vendues , par suite de la révolution de 1789, à M. Lelièvre ; la seule largeur du cimetière sépare cette maison du chœur de l'église. L'an 1106, après la bataille de Tinchebrai, où Robert, duc de Normandie , et son cousin , le comte de Mortain, furent pris par Henri 1%, roi d'Angleterre , qui les fit mourir en prison ; Robert de Vitré, à cause de sa mère, Agnès de Mortain , et du traité fait entre André de Vitré, son père, et Robert, comte de Mortain, son aïeul , se présenta pour lui succéder dans ses états, mais il n’y trouva d’obéissant que le sire des Biards qui, ayant été l’un des plèges ou garants du traité précité, crut devoir lui ouvrir les portes de son château. Etienne de Blois , auquel Henri avait donné le comté de Mortain , assembla ses troupes dans l'intention d’as- siéger cette forteresse. Robert , en ayant été averti : « commandeisnelement que li corneurs cornent por faire mouvoir enseignes et banières et que li trompeurs trompent por faire issir li chivaliez », puis marche fière- ment à sa rencontre , et après l'avoir battu et mis en fuite , rentra triomphant, Grasses rendant al roi de glore Par qui a eu si grand victore. (M. S. du Prieuré ). Ce fut pendant la durée de ce conflit que le château des Biards,devenu le siége d’un des prétendants au comté de Mortain , atteignit son apogée ; mais ce ne fut pas pour long-temps, car Etienne, à la tête d’une nouvelle armée , parvint à chasser son compétiteur de tout ce comté et du château des Biards qu'il ruina. Robert de Vitré , légitime héritier du comté de Mor- tain , et par conséquent suzerain de la baronnie des Biards , perdit pour toujours cet état ; il mourut en l'an 1135 , laissant plusieurs enfants de son mariage avec MÉMOIRES. 305 Emma Hay , fille de Gautier Hay , seigneur de la Guer- che (1). L'an 1145 , l’ainé , aussi nommé Robert , espérant toucher le cœur d’Etienne, alors roi d'Angleterre, en lui représentant que descendus l’un et l’autre de la mère du grand Guillaume , il serait blâmé s’il continuait à re- tenir l'héritage d’un parent aussi proche , se rendit à sa cour qui était alors en haute Normandie. Il le trouva chassant dans la forêt de Vernon et en fut bien accueilli; le hasard fit qu'Etienne et Robert, séparés de la compa- gnie , poursuivirent un cerf qu'ils forcèrent. Descendu de cheval , Robert se mit à défaire la bête, et ayant son couteau à la main , il demanda au roi ce qu'il avait fait du comte de Mortain? le roi inquiet de cette question répondit prudemment , je ne saurais vous dire ici ce qu'il est devenu , mais achevez votre travail et à notre retour je vous en donnerai nouvelles certaines : rentrés au château de Vernon, et après le repas , le roi prit Ro- bert en particulier et le conjura tellement de lui dire ce qu'il eût fait s’il lui eût avoué avoir fait mourir son bi- sayeul , que Robert oubliant la prudence , répondit , je vous eusse tué !... Etienne, peu généreux, s’abandonna d'abord à la colère et aux menaces les plus terribles; puis reprenant son sang-froid , il dit à son cousin : re- tournez dans votre pays , j'ai juré que de ma vie , aucun des hoirs de celui qui m'a battu aux Biards n'aurait terre dans mes états ; exemple à la fois honteux pour les prin- ces puissants et affligeant pour les faibles. 11 paraît que les maisons d’'Hasting et de Biards furent enveloppées dans la disgrâce de celle de Vitré, car, ainsi qu’il est énoncé dans les chartes ci-dessus , Fan 1174, présent Robert des Biards et Guillaume de Champ- (1) Cette famille Hay s’est conservée en Bretagne , où elle porte le sur- nom de marquis des Netumières, et en Angleterre, où elle porte celui de marquis de Tweeddale, F 304 MÉMOIRES. Fort , prieur du dit lieu , Guillaume , Jacques et Gervais d'Asting, et Guillaume de la Flèche , époux de leur sœur Havois , sont réduits à renoncer à toûtes préten- tions sur Vezins, moyennant soixante sous , monhaie du Mans , plus cinq sous de rente, à titre d’aumône , au dit Jacques, jusqu'à ce qu'il fût pourvu d’un bénéfice ecclé- siastique. Il sert bien que forturie puét fère honor et honte : Quand fortune a fet homme per à roi ou a conte Por un pou d'aventure, de mesdit, de méconste Fortune la monté, fortune le desmonte. Après avoir essuyé l'ingratitude d’un si faible secours sur les biens de leurs ayeux , ces infortunés gentils- hommes se retirèrent à Mayet , proche la Flèche , ( chà- teau célèbre pour s'être, au mois de juillet 1099, défendu victorieusement contre le roi Guillaume Le Roux ; ül avait été apporté à la famille de leur beau-frère, dans le XI°siècle, par Mathilde, fille de Gervais de Château- du Loir , qui épousa Elie de Beaugency , seigneur de la Flèche , depuis , comte du Maine, et dont les descen- dants devinrent rois d'Angleterre }, ils firent bâur près de là , sur le ruisseau de Sable, un château avec chapelle et moulin auquel ils donnèrent le nom de Vezins qu'ils adoptèrent. Ils possédaient aussi dans cette même pa- roisse le château de Vaulogé,dont Jean’de Vezins fit hom- mage en 1394 et 1407. Un Fouques d’Asting fat évêque de Lisieux dans le XIIT® siècle , on ignore s’il appartenait à cette famille. Guillaume Avenel , sénéchal du comté de Mortain dont la famille habitait le Manoir , chef-lieu du Grand Fief du Bois-Avenel (1), situé proche le bourg actuel de (1) Ge fief s'étendait sur la paroisse d'Hamelin et appartenait à la maison de Carhonel de Canisy à l’époque de la révolution ; le nom de Bois-Avenel que portait ce château , parce qu'il était situé dans les bois qui couvraient MÉMOIRES. 305 Landelle à une demi-lieue des Biards, et sous la mou- vance de cette baronnie ainsi que l'indique encore ce vers de Wace : « Des Biards i fu Avenels, » il est pro- bable que ce poète parle de Ranulphe Avenel , père de Reignard, enfant dont il est fait mention dans la Charte, ut supra de 1081 et dans la Chronique d’Aimé , moine du Mont-Cassin , à l’article des comtes d’Avelin et dans celle de l’église de Catane en Sicile, où l’on voit l’épi- taphe de son neveu Renaud Avenel. [Il y a encore près des vestiges de leur château du Bois-Avenel, une belle pièce d’eau qui en alimentait les fossés; la chapelle en fut desservie par les religieux du prieuré des Biards jusqu'en l'an 1147 , que , à la démande de Guillaume, précité , les bois qui forment aujourd’hui une partie de la paroisse de Landelle (1) furent distraits de celle de St.-Martin des Biards pour en former une nouvelle , toujours sous le vocable de St.-Martin et sur laquelle le prieur des Biards se conserva un trait de dîmes. Notre manuscrit indique deux autres chapelles existantes alors dans le territoire de St.-Martin de Landelle ; il s’en trouve trois aujourd'hui , savoir : celle de Ste.-Ma- delaine et celles des manoirs de Rommilly et de la Pommeraie , cette dernière était d’une beauté assez re- marquable. L'église actuelle de Landelle est moderne , mais ses fonds baptismaux remontent à son origine , car leur di- mension annonce qu'ils ont été fails pour immerger , alors la majeure partie du sol , est une preuve d’ancienneté conservée par quelques autres du voisinage , tels que ceux de Boisferrant , du Bois-Guil- laume, Bois-Chicot, du Bois-Février, et qui rappèle que les Gaulois pla- aient leurs habitations au milieu des bois et près des rivières : César dit de la maison d’Ambiorix : ædificio circumdato sylva. (1) Au XIHe siècle, les forêts ne faisaient partie obligée d'aucune paroisse; mais venaient-elles à être défrichées et à se couvrir de maisons , les nou veaux habitants priaient l’évéque de leur désigner l’église où ils devaient recevoir les sacrements, Ie 20 & MÉMOIRES. rit qui fat abandonné vers le XITI° siècle, sa tour, et, à l'abside , une gracieuse fenêtre ogivale, divisée dans sa hauteur par deux meneaux bysantins qui la partagent en trois lancettes , me semblent remonter au XVI® siècle. Les Pères du concile, tenu à Poitiers en 1148 , ayant ar- rêlé que chaque paroisse aurait son prêtre particulier , celle-ci fut pourvue d’un curé, Guillaume Avenel , dis-je, épousa la fille aînée de Ro- bert des Biards vers l’an 1180 , Entre leurs deux hostels bien demie lieue avoit De bois grant et foillu qui a eulz deux estoit. Peu de temps après , ce baron, partant pour Ja terre sainte avec son fils , laissa sa femme et sa seconde fille nommée Avoise, à son château des Biards ; pendant son absence , cette jeune personne fut séduite par un ménestrel que sa mère avait hébergé. Pour comble de malheur , le retour imprévu de son père ne permit pas de le prévenir , etla vue de la honte de son enfant l’en- flamma d’une telle colère que cette victime de l'amour , épouvantée, fut se précipiter par dessus les remparts de la forteresse ; il était nuit , un ange la soutint par ses vêtements , au point que, malgré que la rivière coule au pied à une profondeur de près de cinquante mètres, elle évita le gouffre et tomba sur un monceau de paille qui était sur le bord , sans autre mal que la perte du fruit de sa faiblesse (1). La meunière du lieu,qui avait été sa nour- rice , la recueillit secrètement, et puis la conduisit à Mortain , chez une ancienne domestique de sa famille, où elle resta long-temps cachée. Sa pauvre mère mou- rut de douleur et Robert de Biards qui venait de perdre (4) Les personnes qui ont lu l'inscription apposée , rapport à un semblable événement sur la terrasse de la cathédrale de Berne, seront moins étonnées de ce prodige. MÉMOIRES. 307 son unique fils en Palestine, dégoüté du monde , em- brassa l’état monastique à l’abbaye de la Couture. L’in- fortunée Avoise, dévorée de remords , disparut de son asile, et, déguisée en hermite, vint, sous le nom de frère Guyon, se retirer dans une groite au milieu d’un bois situé en la paroisse de Landelle, sur le versant opposé au château de son père, d’où, contemplant chaque jour le déchirant théâtre de ses fautes , elle languissait dans le jeûne et la prière. La vesqui de racine et mangea l’herbe amère, Totes nuis y passoit en piteuse prière , Soffrant faim , soffrant froid, son pauvre corps meurtri Sur la pierre gissoit implorant Jesu Crist. (M. S. du Prieuré). Une maininvisible déposait, chaque mois,deux pains à la porte de son hermitage. Dix hivers s'étaient ainsi écoulés , lorsque sa réputation lui attira la visite d’un vieux religieux qui , venant du Maine , avait couché au presbytère d'Hamelin ; celui-ci surprit l’anachorète n'ayant plus qu'un souffle de vie et l’employant à gémir au pied d’une croix. Hélas, s’écria-t-il, à ce lugubre as- pect, malheureux , vous êtes sans doute comme je suis moi-même ? Après un mouvement de surprise, une voix presque éteinte répondit : Mon Dieu , qui vous amène en ce lieu, révérend père? Les chagrins m'ont enveloppé de cette bure et guident encore mes pas chancelants vers ces bords où jadis. Ah ! ministre du Rédempteur, puis- que vous êtes étranger et malheureux aussi, daignez vous asseoir sur ce banc et je vais déposer dans votre sein le cruel secret de ma longue pénitence ; ce prêtre écoutant sa confession tomba évanoui , et reprenant ses sens, prononça ces mots. Ah, chère Avoise , ma pau- vre fille , dans quel état je te retrouve ! mon Dieu, celle -qui expia ainsi sa faute, ne nâquit pas pour vous of- fenser ; ah ! c’est encore mon digne sang ; enfin , après 508 MÉMOIRES. s'être reconnus et avoir versé des larmes de pardon , de tendresse et d'espérance en un monde plus heureux ; obéissant aux devoirs sacrés de leurs vœux, ils s’arra- chèrent aux sentiments de la nature et se séparèrent pour ne plus se revoir que dans l'éternité (1). Avoise succonmba peu après, et ses parents apprenant, à son lit de mort, ce douloureux secret, firent ériger son hermitage en une chapelle mémorative sous l’invocation de Ste.-Madelaine , dont les ruines actuelles annoncent une date postérieure , et vraisemblablement une recons- truction a remplacé celle dont parlent le manuscrit et la tradition. Les familles Avenel et de Biards donnèrent cet ora- toire à l’abbaye de Savigny , et le prieur des Biards lui transmit, en même temps , son trait de dimes dans le- quel était ladite chapelle, à condition que les religieux y acquitteraient les fondations ; dans la suite, ces derniers abandonnèrent ce même trait de dimes , la chapelle Ste.-Madelaine et les fondations aux curés de Landelle, moyennant un retour annuel de 45 livres tournois. Une branche eadette de cette famille, dont Robert des Biards,qui figure dans l'accord ut supra fait à Avranches en 1174 , paraît être le chef, se conserva dans la pa- roisse des Biards , au lieu que lon nomme encore au- jourd'hui la ville des Biards ; les traces du vieux ma- noir s'y découvrent loujours , et il est présumable que c'est cette »1/la qui a donné l’idée d’une cité antique. Jean des Biards , sans doute fils de ce dernier , figura l'an 1221, aux assises d’Avranches. Une Avoise des Biards était prieure de l’abbaye du Pré, au Mans,en 1330; son frère Jean fut chanoine et grand dépensier de la ca-. (4) M. Guillotin, de Saint-James , a donné celte épisode en vers alexan= drins. MÉMOIRES. 309 thédrale de Bayeux , et l’autre, nommé Robert , fut tué à a bataille de Crécy. Tant le navra l’Anglois qu'il trespassa de vië Chascun deses vassiaux le ploure et braitet crie. (M.S. du Prieuré). Julienne Malherbe , sa veuve , s'étant remariée à Hugues de Chollet , jeune écuyer , son fils Guillaume rappela le proverbe : * Avoir si est de tel affaire Que li fiz en traist sa mere, (Hbidem.) Car ayant fait enlever son beau-père , il le fit retenir en Bretagne, où il fut long-temps enfermé dans le don- jon d’un de ses parents, au grand regret de la pauvre Châtelaine dont on a conservé celte tendre complainte : Tant là amor esprouvé en ce pays Et Bretagne où las ! un felon l’a pris Dix mois i fu en paour de sa vie Et chascun jour cuidoit bien estre occis Et l'angoisse que por li je santis Plourer my feist es pieds de ce doux fis Si tendrement tenu, chier et norri, Que tant amai, et or lui crie merci ! Et s’en plourant merci troveir ne puis A tel dolor morir m'en voist d’ennuis. Le roi Jean, informé de ces aventures, fit mettre Hu- gues en liberté et accorda à Guillaume des lettres de grâces, en décembre 1352 (1). Le 24 juillet 1486 , Léon (1) Guillelmus de Biardis scutifer de rémissione captionis Huguenini de Chol- ket marili de matris suæ et ductionis extra regnum et incarcerationis, mense decembri 1352. Per regem P. Sunon, sine financia, (Reg. thes. 81. n. 559. Bibliothèque royale. } 310 MÉMOIRES, Chollet, descendant de ces époux , rendit hommage à la chambre des comptes à Paris , des terres et fiefs de Bouillon , de la Godefroy et de la Planche-Jumelle, tenus d’Avranches. L'an 1368 , le connétable Duguesclin fit détruire le château des Biards par les Bretons du camp de Cham- peaux et de la garnison de Genets. Sur la liste des 119 gentilshommes qui défendirent le Mont St.-Michel,en 1423, le sieur des Piards est le 14°. L'an 1459, Guillaume de Guiton et Guyonne des Biards sa compagne et épouse , donnèrent trois vergées de terre au prieuré des Biards , laquelle donation fut ac- ceptée par maître Thomas Bridet , alors prieur , sous le vidimus de Jean, évêque d’Avranches. L'an 1460, Louis d’Arcourt rendant aveu de la baron- nie de St.-Vigor à Charles VIT, comprend Guyon des Biards au nombre de ses vassaux , et Montfaut, en 4463, fait mention de ce même Guyon. On croit qu'il fut le der- nier mâle de cette antique maison que les Painel de Hambie mettaient au nombre de leurs plus belles al- liances. ( La Roques , tom. 1% , p. 415 ). Cependant je trouve, dans mon chartrier , une lettre datée du 20 mai 1664, d’un M. de Biards , seigneur de St.-Georges en l'élection de Bernay , dans laquelle il dit à Charles de Guiton , qu'ayant appris que la maison des Biards était tombée en quenouille dans la sienne , il le prie de vou- loir bien lui envoyer quelques titres , pour lui aider à prouver sa descendance de Guyon des Biards , dont son sixième ayeul était fils naturel , mais avait été légitimé et reconnu par Louis XII. Charles de Guiton a écrit au pied de cette lettre : Le cachet de ce monsieur est le véritable écu des Biards et je lui ai envoyé sept titres en parchemin. Pendant les malheurs de la maison des Biards, l’an 1184, un curé de leur paroisse ayant reconnu en tenir l'église de la faveur de Fouques, abbé, ce qui fut attesté MÉMOIRES. KE par Guillaume, évêque d’Avranches, en sa maison située devant l’église SL.-Julien (1). Voici le texte latin : « Sacer- dos ecclesiam St.-Martini de Biards agnoscit se istam ecclesiam ex dono Fulconis abbatis tenere quod testatus Willelmus AbrencensisEpiscopus in domo suû quæ estante ecclesiam B. Juliani, presente Richardo abbati St.-Petri de Cultura,Gaufredo Britone,Gervasio de Feriratà,etc.,annc 1184. Sig. Episcopo. » Guillaume Avenel, sénéchal de Mortain,devenu seigneur des Biards par son mariage avec l'héritière de cette baronnie, présenta un mémoire au roi Richard, à son retour d'Allemagne, l'an 1195, contre l'abbé de la Couture pour ravoir l’église des Biards; mais il paraît qu'il échoua, car Gaultier, archevêque de Rouen, en con- firma la possession à celte abbaye (2). Rolland Avenel, leur fils aîné , voulut aussi faire revivre les droits de sa mère sur l’église des Biards (3) , cependant l’an 1211 , il en fit la remise à l’évêque d’Avranches et finit par y re- noncer définitivement en 1218 , sur la déclaration de ce prélat , qui affirme que cette controverse a élé terminée devant les délégués du pape, et, depuis cette époque, les abbés de la Couture nommaient au prieuré-cure des Biards , et à l'église de Vezins. Voici les articles du ma- (4) Cette église Saint-Julien aura sans doute disparu, lorsque saint Louis fit fortifier Avranches. (2) Omnibus presentibus fidelibus ad quos presens scriptum pervenerit Walterius..de ecel. de Biarz.. Rothomagensis Archiepiscopussalutemin Dom., noverituniversitas vestra quod Willelmus Avenel miles dominus de Biars..apud abbatiam de Cultura publice professus est nibil reclamare... recolimus fac— tum fuisse eo tempore quo tunc memoriæ Richardus Rex Anglorum de Ale- mania venit x ot... adhuc res testimonia sigillum nostrum...... p. Senuby apponendum. (3) Au XIe siècle , les peuples ayant cru toucher à la fin du monde, une grande quantité de propriétaires épouvantés , donnèrent la majeure partie de leurs biens aux couvents et aux églises , pour sauver leurs âmes; dans le siècle suivant, les richesses et les grandes possessions des ecclésiastiques excitèrent les regrets et l’envie ; de là toutes les démarches des séculiers pour recouvrer les pieusesdonations qu’une terreur superstitieuse avait arrachées à leurs pères. « 519 MÉMOIRES. nuscrit : Eodem anno 1211, Garino Abbati Rolland Ave- nel ecclesiæ de Biard, dimittis Guillelmo abrincensi Epis- copoanno1211-1218,Willelmus abrincensisepiscopus tes- tatur quod vidit litteras Willelmi prædecessoris sui quibus controversia circa Ecclesiam de Biard coram G..de Sancto- Vincentio et P.deBelloloco abbatibus judicibus! a papa de- legatis terminatur R.abbate de Cultura Herberto de Novi Eleemosinario, etc.,anno 1218.» Cemême Rolland Avenel porta bannière au service de Philippe-Auguste, comme baron des Biards. Son oncle, Robert Avenel, était curé de Gratot, en 1187 ; on présume que c’est lui qui, lan 1221, donna son bois de Polwarth à l’abbaye de Kelso, en Ecosse (Collins, Peerage IX, p. 284). Guillaume, sé- néchal de Mortain, fit une donation à l’abbaye de Savigny, en 1228, du consentement de Nicolas, son fils, seigneur de Terre-Gaste ; on trouve encore Olivier, Henri et Thomas Avenel, fils de ce dernier, chevalier en 1243, et Guillaume , vivant en 1272, qui fit accord avec Guil- laume de Marcilly, son vassal. Un Robert Avenel figura avec Pierre de Landelle et Gilbert de Malesmains , aux assises tenues à Avranches, vers la fin du XITI° siècle, régnant Philippe-le-Hardi. En 1281-1303 et 1310, on trouve Nicolas Avenel, chevalier ; et en lan 1314, Robert Avenel et Geoffroy de Vezins , chanoines, com- parants dans la collégiale de Aukelande. (Monast. Anglic., 1.3, p. 41). L'an 1339 , Guillaume Avenel de- vint seigneur de Vernon et d’Anfreville, par son mariage avec Françoise de Cailletot, fille de Guillaume de Cail- letot et de Marie de Vernon, baronne de l’Angle et de Nehou. Nicolas Avenel, son jeune frère, servit Charles- le-Mauvais, contre la France; le 28 décembre 1363, il remplaça Guillaume de Mutelian dans la charge de capitaine de Tinchebray,avec 300 écus par an de gages ; on a voulu en faire la souche des seigneurs d'Octeville l'Avenel, près Valognes ; mais, je crois que c’est à tort, car je tiens de mon savant ami, M. de Gerville, que, dès MÉMOIRES. 3135 le XIT° siècle, Richard Avenel et Henri son fils , don- nèrent à l’abbaye de Montebourg,une terre in Octeville. Fralin Avenel fut établi capitaine de Saint-James, le 15 septembre 1367.Jean Avenel, avec six autres écuyers avec lui, fit montre à Carentan, le 23 décembre 1378, dans la compagnie de messire Bureau de la Rivière. Guillemette Avenel, épouse de Raoul de la Champagne, rendit aveu pour moitié de la seigneurie des Biards, le à mars 1393 ; décédée sans postérité, vers l'an 1406, sa nièce Guillemette Avenel, mariée à Guillaume Le Sote- rel, seigneur des Chéris, garde et gruyer de la forêt de Lande-Pourrie et comté de Mortain, qui possédait déjà l'autre moitié, réunit la totalité de cette baronnie; ce Soterel avait un frère nommé Richard, seigneur de Milly, lequel n'eut qu'une fille, nommée Guillemette , qui épousa Thomas Pigace, le 29 décembre 1402. Guillaume Le Soterel, fils de ce premier, épousa Peronnelle de Husson, fille d'Émery, qui lui apporta les fiefs de Janté et Husson en Brecey. Henri V, d'Angleterre , confisqua ses biens, etle3 mars 1419,donna la baronnie des Biards à Thomas Bowet, lequel fit quelques réparations au château, d’où, avec ses gens, il fondait comme un oiseau de proie, sur les pays environnants, et, après en avoir rançonné les malheureux habitants, ils retournaient chargés de butin, dans leur fort; enfin ce dangereux chef fut tué, revenant d’une expédition dans le Maine , et ce fut envain que ses gens cherchèrent son trésor, jamais ils ne purent dé- couvrir le lieu où il l'avait caché ; c’est ce trésor que l’on prétend avoir été enlevé par un Anglais en 1837. On ne sait pas à quelle époque ce château fut rendu à son fils François , chambellan de Louis XI , et dernier du nom de Soterel (1), lequel n'eut qu'une fille, aussi nommée Françoise, mariée à Jean de Tardes, échanson (1) Dans le XVITe siècle une famille Sautereau , du Dauphiné, prétendit avec quelque fondement être de la même souche. 314 MÉMOIRÉS. du roi, qui, à cause d’elle, rendit aveu le 25 juillet 1493 , des seigneuries de Vernon, l’Angle, Néhou, des Biards, d'Anfreville, de Janté, Moissé, Husson, La Bohineuse en Romagny, etc. Françoise de Tardes, fille unique, épousa, vers 1530, Nicolas de Mouy, d’une maison con- sidérable (1) ; car j'ai vu un testament du 15 novembre 1520 ,de son aïeule Jacqueline d’Estouteville, veuve de feu Jacques de Mouy, chevalier, baron et seigneur de Mouy, châtelain hérédital de Beauvais et de Belencombre,Saint- Denis-le-Thiboust, et de Charles Mesnil, capitaine de Saint-Quentin et Ribemont , conseiller et chambellan du roi, maître des eaux et forêts en Normandie et Picardie. Dans un aveu de 1539, on lit : Nicolas de Mouy, che- valier, baron dudit lieu de Mouy, châtelain hérédital de Belencombre , Saint-Denis-le-Thiboust, Charles-Mesnil, et à cause de madame Françoise de Tardes , sa compa- gne et épouse, baron aux droits d'elle, des Biards, l’Angle, Néhou et Anfreville. Cette dame était morte en 1545 , laissant l’usufruit de ses biens à son mari. Leur fils Antoine , rendit aveu de la baronnie des Biards, le 20 février 1555 (2) ; il épousa Charlotte de Chabannes, d’où sortit Charles de Mouy, qui en rendit aussi aveu, le 30 février 1574 ; il avait épousé Catherine de Sezanes, comtesse de Cerny, dont il n'eut qu'une fille , nommée Claude, mariée en premières noces à Georges de Joyeuse, et ensuite à Henri de Lorraine. L'an 1561 , Michel de Crux, prieur et curé des Biards étant décédé, Jean de Guiton, seigneur du petit fief de ce nom , présenta , pour lui succéder , M° Jean Cado ; mais l'abbé de la Couture s’opposa à sa nomination, sur (1) Dont le véritable nom était G oulard ou Gueulard. (2) La baronnie de l’Angle, de Néhou , fut vendue par lui ou son fils Charles, à Nicolas de Briroi. MÉMOIRES, 315 quoi survint un procès que cet abbé gagna à l’official d'Avranches; il se nommait Nicolas Fumée, et je crois devoir copier ici la note suivante, qui est jointe aux pièces du procès, « successeur du bon Hugues Gaudin, originaire de ce pays, et qui a fait tant de bien à Vezins etici. Cet abbé mourut en 1575, il était fils d’un maître d’hôtel de François 1°"; son oncle Adam Fumée, évêque de Sombre et abbé de la Couture dès 1536, lui résigna cette abbaye, qu'il fut obligé de quitter pour crime d'hé- résie ; ils descendaient du fameux Adam Fumée , méde- cin des rois Charles VIT, Louis XI et Charles VITT ; leurs armes sont d'azur , à deux faces d’or , accompagnées de six besants d'argent ». Charles de Mouy vendit les Biards , en 1575 , à Jac- ques Leprevost , descendant de Guillaume Leprevost , vicomte de Mortain , en 1440 , qui laissa celte terre avec celle de Montreuil et de Bieville-la-Rivière , à Marie Le- prevost , sa fille unique , qui les porta en dot à François ou Jacques Duparc , seigneur de Cresnay , Chêne-Dolé, etc. , dont on voit les armes à la façade du Château-de- Cresnay , qu'il avait fait bâtir ; il rendit aveu de la ba- ronnie des Biards , le 12 juin 1583, et, en 1592, il pré- senta à la chapelle Saint-Michel de Mortain , M° Guil- laume Chupault , et ce, comme baron et seigneur en partie des Biards. De ce mariage sortirent deux filles , savoir : Jacqueline Duparc , dame de Cresnay , mariée à Louis de Boulainvilliers , baron de Courtenay, d’où sor- tit Louise de Boulainvilliers ,mariée, en 1626, à François Dubois, seigneur de la Fresnaye, Poillé , Precey et Saint- Quentin , dont la famille tomba en quenouille dans la personne de Françoise Dubois , fille de René , seigneur de Saint-Quentin , et de Jeanne Duquesne , qui épousa Jean de Guiton , le 30 mai 1743 (ces Dubois portaient pour armes, d’or à l'aigle éployé) ; et Antoinette Duparc, baronne des Biards, mariée à Tanneguy de Varignie , seigneur de Blainville et capitaine de Pontorson. 516 MÉMOIRES. Les honneurs de l’église des Biards lui furent disputés par Jean de Guiton , se disant aussi seigneur des Biards (voir les recherches de Roissy); monseigneur Péricard, évêque d’Avranches, et l'officialité n'ayant pas voulu dé- cider ce différent, renvoyèrent les parties devant Jacques Poirier , seigneur d’Anfreville , lieutenant-général civil et criminel et président du baillage d’Avranches , le- quel , après avoir oui maître Médar Martin , curé dudit lieu , par sentence de l'an 1604, adjugea lesdits hon- neurs au sieur de Varignie ; Catherine de Guiton , fille de celui-ci , et de Jacqueline de Saint-Germain , fille de Christophe , seigneur de Juvigny , et varlet de chambre du roi, épousa , le 9 décembre 1596, Jean D'Ouillenson, seigneur d'Ouilly, Cahan et Combercourt , fils de feu Thomas , vicomte de Coulibeuf , Fribois et chevalier de l'ordre du roi , dont nous verrons la famille terminer la liste des barons des Biards ; enfin, la famille de Guiton a vendu tout ce qu’elle possédait dans cette baronnie, en 1805. Adrienne de Varignie , fille de Tanneguy et d'An- toinette, porta en dot , à Jean de Saint-Ouen , cette sei- gneurie et celle de Montfreville. La baronnie des Biards revint ensuite à une Marguerite de Varignie , mariée à Louis de Pierrepont , qui , en 1690, la fit ériger en mar- quisat. Leur fils, Jean-Louis de Pierrepont , marquis des Biards, eut , de son mariage avec Colette de Géraldin, une seule fille nommée Anne Louise Marguerite , qui épousa , en 1759, Jacques Gabriel D'Oillamson , exempt aux gardes, desquels nâquit, le 26 janvier 1769, Guillau- me-Louis-Gabriel Raimond , dernier marquis des Biards. La tour de l’église est cerrée , placée sur la grande porte , au bas de la nef ; elle semble intérieurement être du XITI° siècle ; son arcade est à ogives, et les retombées des nervures de sa voüte reposent sur deux personnages allégoriques , que l’on croit être Robert des Biards , laï- que el moine ; mais le portail d'architecture fleurie a été depuis refait en sous-œuvre ; il est surmonté d’un bas- MÉMOIRES. 517 relief en pierre de Caen , représentant saint Martin à cheval ; cette tour est une des plus belles du pays ; toute en pierre de granit ; quatre contre-forts plats existent à sa base , et quatre jolis tourillons la couronnent ; une autre tour cylindrique , beaucoup plus petite et formant saillie, est appliquée sur son côté nord ; elle contient l'es- calier en spirale ; la nef est éclairée par quatre croisées modernes ; elle a été reconstruite en 1760 ; aux frais des paroissiens; le transept l'avait aussi été, en 1751 par les soins de monsieur Joseph Letourneur , alors curé ; le maitre autel est détaché à la romaine ; ie chœur paraît remonter au commencement du XVI siècle. Il était or- né d’une belle vitrine , représentant l’histoire d’Avoise des Biards jusqu’à sa mort, donnée en 1532 par noble homme frère Martin de Broc, originaire de Saussaie près Coutances , alors prieur des Biards et de Berné ou Bernay, ainsi que le constatent quelques fragments conservés aux fenêtres du chœur et de la sacristie. On y voit aussi deux petits écussons, l’un d'azur à une bande chargée de trois roses , et l’autre aussi d’azur à la face lozangée ; il n’y a pas un seul tombeau dans cette église ; ils furent ( n’a dit un homme du pays) tous brisés pour reconstruire le transept et la nef ; enfin , son style primi- tif est ogival , et comme dans toutes celles qui ont été reconstruites en partie , il gémit de son association hété- roclite avec celui des autres siècles. On ignore s’il existe encore de ces Avenel , bienfai- teurs des abbayes de Savigny , Saint-Sauveur , Monte- bourg, Ambie , qui furent célèbres en Italie et en Angle- terre ; mais on trouve dans Vautier , page 149 , que le 1° mars 1419, Henri V confisqua la terre de Chalandré , sur Guillaume Avenel et la donna à Edouard Wilson ; dans Montfaux , Guillaume Avenel, à Chalandré ; Jean, à Moulines ; Gilles, à Fontenay ; et Jean , à Bru- cherville, près Carentan. Sous le règne de François IT, Pierre Avenel dénonça la çonjuration d’Amboise et reçut 318 MÉMOIRES. une forte récompense des Guises. En 1599 , Roissy cite Thomas Avenel demeurant à l’Apenti ; Jean , à Cha- landré ; Julien , à Fontenay-le-Husson ; Charles-Claude et René fils de Pierre, demeurant au Mesnil-Thebault , et Jean, sieur de la Cocherie , à Romagny. En 1617, un Claude Avenel, sieur des Touches , demeurait dans la paroisse des Biards, et enfin Chamillard cite Robert, Jean et Antoine Avenel dans le comté de Mortain. . ARMOIRIES DES SEIGNEURS ET BARONS DES BIARDS. = —— 2 © M — 4. Des Biards , d'argent fretté de sable de six pièces. 2, D'Hasting, d'Asting et même Hastins , d’or à une manche mal taillée de gueules. 3. Avenel, de gueules à trois aigles d'argent. k. Soterel , d'azur à la croix d’or accompagnée de quatre éperviers d'argent , ou quatre sauterelles , car on ne distingue pas bien le scel. 5. Tardes , vairé et contre-vairé d'argent et d'azur. 6. Mouy ou Moy (anciennement Goulard), de gueules fretté de sable. 7. Le Prevost, d'azur au lion d’or, tenant de trois pates , un sabre la poignée en haut , la pointe en bas. 8. Du Parc, d'azur à trois molettes d’éperon d'argent. ; P g 9. Warignies ou Warignie , de gueules , à trois che- vrons d'argent. MÉMOIRES. 319 10. Guiton, d'azur à trois carseques ou angons d'argent 11. Pierrepont , d'azur au chef denché d’or. 12. D'Oilliamson ou D'Ouillenson, d'azur à l'aigle éployé d'argent bequé et membré d’or , posé sur un baril de même , cerclé d'argent. 520 RRRRAR LR PIRRIRIPIIRISIILIRLRIIR LILI GITE ANTIQUITÉS SKANDINAVES, NOTICE PAR M. PIERRE VICTOR, MEMBRE DE PLUSIEURS SOCIÉTÉS SAVANTES. — 25 > À — MESSIEURS, Si l'étude des antiquités skandinaves a trouvé de- puis longtemps, dans le Nord, de nombreux et passion - nés amateurs, il n’en est pas de même dans nos con- trées; à peine savons-nous s’il existe des antiquités skandidaves , et , dans le petit nombre d’érudits qui le savent , il en est bien peu qui les connaissent (1). (1) Parmi les membres de la Société des antiquaires de France, pla- sieurs se sont occupés de l'histoire du Nord, mais sans s’arrêter beaucoup à ses monuments proprement dits. M. Depping lui-même, qui a publié sur les invasions et sur la littérature des anciens Normands, les meilleærs ou— vrages que nous possédions , a négligé la partie archéologique de leurs an- nales, qu’il pourrait cependant traiter mieux que personne, MÉMOIRES. 521 Cependant la Suède, la Norvège, le Danemark , renferment des monuments, d'autant plus dignes de no- tre attention, qu'ils sont d’un caractère particulier à ces pays et qu’ils peuvent fournir d’utiles éclaircissements à l’histoire de l’Europe entière. Ces trois états ont chacun leurs musées d'antiquites nationales , formés d'objets remarquables, qui ont déjà jeté sur les annales du nord, une vive lumière, et qui prouvent que ces Vormands fameux , dont nous ne connaissons guères que les invasions et les rapines , n’ont pas toujours été plongés dans la barbarie qu'on leur a imputée communément. Je me propose de donner, dans la relation artistique, du voyage que j'ai fait dans le Nord , un aperçu de ces monuments. Je ne veux ici qu’en signaler l'existence et montrer que le domaine des antiquités septentrionnales, n’est point aussi pauvre et aussi aride que pourraient le faire supposer le laconisme et quelquefois le silence absolu des voyageurs français, qui ont, jusqu’à ce jour, exploré la Skandinavie. La science archéologique n’est pas encore très-avan- cée. Elle manque d'ensemble et de classification ; pour la rendre régulière et complète, utile à l’histoire et aux arts, il faudrait parcourir tous les pays qui peuvent four- nir des matériaux favorables à ses progrès ; et jusqu’à présent nous avons à peu près borné nos recherches aux contrées autrefois soumises à la domination des Grecs et des Romains. Nous commençons cependant à sentir la nécessité de les étendre plus loin. Cette tendance s’est manifestée naguères dans les renseignements deman- dés par nos comités historiques, et par l’Académie des inscriptions et belles-lettres, à la Commission scientifi- que, envoyée dans le Nord, sous la direction de M. Gati- mard.Mais les questions mêmes,posées à cette occasion, donnent la mesure de nos connaissances sur les antiqui- tés de cette partie du globe. IL. 21 322 MÉMOIRES. Ces instructions, dues à des hommes de mérite et de savoir , recommandent de visiter avec soin les mo- numents chrétiens , et elles ne disent rien des monu- ments païens. EMes invitent à relever scrupuleusement dans les églises, toutes les inscriptions des mausolées , à tracer an dessin rigoureux de toutes les sculptures , de tous les tableaux qui les décorent , (ornements assez ra- res dans les temples protestants); et à peine touchent- elles un mot des nombreux fumulus, qui couvrent le territoire skandinave ; et elles passent entièrement sous silence ces monuments originaux, sur le granit desque}s le Nord à imprimé son cachet de fer en caractères ru- niques. La Skandinavie offre peu de ces hardis édifices reli- _gieux , l'orgueil du moyen-àge , et encore moins de ces magnifiques antiquités architecturales, de ces brillants chefs-d’œuvre de sculpture , la gloire de la Grèce et de l'Italie. On n’y rencontre point d'arcs de triomphe, d’é- légantes colonnades, de temples majestueux ; mais on y voit des monuments d'une simplicité mâle et agreste, qui,pour être dénués du charme des beaux arts,n'en pré- sentent pas moins,dans leur austère physionomie et dans les souvenirs historiques qu'ils retracent, un sujet de puissant intérêt et d’attachantes méditations. De simples fombeaux de terre, de rustiques autels de granit, des cercles, et des obélisques de pierre brute, voilà généralement en quoi consistent les monu- mentspaiens qui restent élevés sur le sol skandinave. Maïs souvent par l'étendue de leurs proportions , par la har- diesse de leur construction , par la diversité de leurs formes,par les dessins etles caractères dont le le burin du skalde les à sillonnés, ces vestiges massifs et pittoresques des temps passés, frappent les regards et parlent à l'âme un langage qui la captive. Ces monuments ont eu diverses destinations : ils ont été des temples, des forteresses, des enceintes d’as- MÉMOIRES. 323 semblées nationales ; ils honorèrent la mémoire des héros; ils rappellent de grandes actions et de patrio- tiques sacrifices. Ceux-là même qui offrent le moins d'intérêt à l'étranger en ont souvent un très-vif pour l’homme du Nord, auquel ils révèlent les mœurs et les coutumes de ses pères , la gloire et les hauts faits de ses ancêtres. Pour lui, de simples pierres ont quelquefois une signification éloquente et dont le sens varie selon leur emplacement, leur disposition et leur configura- tion. Dans ces poétiques contrées , les noms même des montagnes , des lacs et des rivières réveillent souvent en lui de glorieux ou de touchants souvenirs. Ces tombelles de gazon , ces aires granitiques , où la plupart des historiens ne voyent que les monuments d’un temps barbare , les lieux de rassemblement de guerriers farouches, les traces de la célébration d’un culte sangui- naire , ont été souvent consacrés à de plus nobles usa- ges. La justice y rendait ses arrêts, la poésie y faisait entendre ses accents ; cette structure grossière esl moins due à la barbarie de l’époque qu’à la nature du pays, aux idées sociales et aux croyances religieuses de la nation. Cesédifices ouverts,ces assemblées en plein air ,conve- naient à l'esprit d'indépendance et de liberté d’un peuple, d’ailleurs trop sensible aux beautés de la nature pour trouver beaucoup d’attraits aux prestiges de l’art. Pendant longtemps, l'habitant du Nord crut ne pouvoir donner à la divinité un sanctuaire plus digne d’elle que la voûte des cieux; il ne voyait point de temples plus beaux que ces ma- jestueuses enceintes de rochers,ces imposantes forêts de sapins, (car les temples fameux d’Upsala, en Suède, et de Leyra , en Danemarck, dürent leur fondation aux {ses d'Orient), des tertres tapissés de verdure, lui semblaient plus agréables aux morts et d’un aspect moins sombre pour les vivants, que d’arides sépulcres de marbre, couverts d'images funéraires ; et la mémoire des hom- mes, cultivée par les chants des Skaldes, lui paraissait 324 MÉMOIRES. donner aux exploits des héros une consécration plus glo- rieuse que le témoignage inanimé d’un froid et fastueux mausolée. Aujourd’hui encore, dans beaucoup de provinces du Nord, on conserve cette aversion pour les murailles et pour les cités. Les monuments d'architecture y sont dé- daignés , comme si lou jugeait ne pouvoir en élever que de mesquins , auprès de ces colossales édifications de la nature au milieu de ces débris grandioses et pit- toresques des révolutions du globe, qui décorent de toutes parts, la péninsule skandinave. Et, aujourd'hui comme autrefois, le caractère national et les principes religieux, ne sont point étrangers à celte disposition. On sait avee quelle ardeur le Nord embrassa, dans les temps modernes, un eulte qui proscrit la pompe des édifices, Fornement des temples et l’adoration des ima- ges. Aussi, les objets d'art que les églises du Nord possédaient avant la réformation, en ont-ils disparu en grande partie , lorsqu'elles furent transformées en tem- ples protestants. Ce n’est donc point là , qu’on peut trouver beaucoup de ces sortes d’antiquités religieuses devant lesquelles nos fervents adorateurs du genre gothique , nos romantiques séminaristes de la restaura- tion se prosternent avec idolâtrie. Ainsi, l’on à imposé une tâche assez stérile aux explorateurs de ces con- trées , en les chargeant d'examiner et de relever sur toute chose, les trésors des Eglises , les chasses des reliquaires , les fiquri-nes de la Vierge et des Ap6- tres. Parmiles églises, les monastères , les châteaux et autres édifices en pierre du moyen-âge , qui se rencon- trent au milieu des vilies et des Gaard en bois , de la skandinavie , beaucoup sont en ruine. Quant aux cons- tructions des temps plus reculés, le peu de traces qu'il en reste, n’offrent guères d'intérêt que par les souve- nirs qu’elles réveillent. Leyra et Upsala , ces deux an- MÉMOIRES. 5925 tiques siéges de la puissance politique et théocratique des nations septentrionales, ne consistent plus que dans quelques débris peu faits pour donner une idée de leur grandeur passée. - Les anciens édifices chrétiens de la Skandinavie ne diffèrent de ceux du reste de l’Europe, que par de légè- res modifications. L'architecture du moyen-âge , à laquelle les Skandinaves ne sont pas étrangers, ne présente, même dans leur patrie, rien qui égale les merveilles qu'elle a enfantées dans les autres pays. Ce- pendant elle y a laissé des monuments qui peuvent in- téresser l'archéologie, par divers détails de construc- tion et par des accessoires d’ornementation empreints de l'influence des lieux. «+ La part que ces peuples habiles et entreprenants ont prise après leur conversion au christianisme , à cette ar- chitecture hardie , et le caractère septentrional qu'ils lui ont imprimé, ne me paraissent pas avoir été jusqu’à ce jour assez remarqués. Cette architecture , si impro- prement appelée gothique chez nous, est désignée avec bien plus de justesse par les Anglais, sous le nom d’ar- chitecture normande, car si l’on ne peut pas dire pré- cisément qu'elle tire du Nord son origine , c’est du moins de là , que sont sortis les hommes qui ont le plus contribué à sa formation. Si les Goths d'Asie, aux- quels on l’attribue et qui n’ontlaissé dans leurs migrations, que des traces de dévastation, l'avaient importée en Eu- rope , elle y eût déjà existé au VIF siècle; et l'on sait qu'elle est bien postérieure à cette époque. Ce n’est qu’a- près que les Skandinaves eürent envahi l'Allemagne, la Neustrie et l'Italie, lorsque, convertis au christianisme , ils réédifièrent les temples qu'ils avaient saccagés, qu'on la voit prendre naissance. D'abord, copistes de l’arcade cintrée dont les monu- ments Saxons et gaulois leur offrent le modèle , les hom- mes du Nord lemploient dans toute sa pureté; mais 326 MÉMOIRES. avant de s'établir dans nos contrées, ils avaient visité l'O- rient, ils avaient vu Byzance , et ils associèrent bientôt à l'architecture romane l'architecture byzantine, fusion qui semble préluder à la composition du style ogival. Ils portent ensuite leurs armes en Espagne eten Syrie ; ils revoient l'Orient, si plein d’attraits pour eux, l'Orient, où leurs ancêtres plaçaient Æsgard le séjour des Dieux ; etils modifient de nouveau leurs monuments dans le goût oriental. Séduits par les longs füts des colonnes mauresques, ils les accolent en faisceaux serrés , entrela- çent les arcs à plein ceintre; et de ces combinaisons for- ment l’ogive. L'art architectural du moyen-àge est créé. Au milieu de tout ce qu'il a emprunté à l’art méri- dionnal , vous y voyez toujours percer et dominer le ca- ractère du Nord. Constamment attachés à la mère-patrie, les Skandinaves semblent avoir voulu en perpétuer le souvenir , en reproduisant , dans leurs édification, la nature gigantesque des régions hyperboréennes. Dans ces gerbes de colonnes jaillissantes,dans la forme ogivale de ces arceaux élancés , on croit voir l’image des pins altiers de leurs montagnes , la courbure et] le croisement des branchages de leurs forêts pyramidales ; dans ces frontons triangulaires, dans ces clochetons aigus qui couronnent les portes et les tours , la reproduction des aiguilles de leurs rochers à pic; il n’est pas jusqu’au demi- jour et aux mystérieux effets de lumière de cette architecture saisissante , qui n’aient quelque chose de la teinte sombre et mélancolique du noir feuillage des bois du Nord. Quelques modifications que lui fasse subir le cours des siècles , l'architecture normande conserve toujours, à travers ses altérations, l'ensemble de sa phy- sionomie première. Examinez en Angleterre , dans l’ouest de l'Allemagne, en Normandie et dans plusieurs autres de nos provinces, les monuments religieux du moyen-âge,notamment ceux de transition entre l’époque romane et l’époque norman- MÉMOIRES... 327 de , ainsi que les édifices des premiers siècles de cette dernière période, et vous y rencontrerez des indices bien plus précis de leur origine orzentalo-skandinave. Les hommes du Nord , comme pour s'assurer dans l’a- venir l'honneur de leurs œuvres , y ont souvent apposé leur sceau. Vous y voyez l’image de leur pays et le souvenir de leur ancienne religion , se reproduire dans l'ornementation et dans la statuaire , car la mémoire d'Odin enflamma leur imagination longtemps encore après qu'ils eûrent abjuré son culte. Les chapiteaux , les pilastres , les archivoltes etc. , présentent d’évidents emblêmes de la nature septentrionnale.. Parmi ces monstres fantastiques qui les décorent, plusieurs sont empruntés à la mythologie skandinave, et les symboles de la religion odinique y figurent associés aux mystères catholiques. Pour qui a parcouru le Nord, observé ses usages et. étudié ses antiques croyances , les traces de cette em- preinte locale sont nombreuses et frappantes. Ici, ce sont des torsades, des dentelures et autres ornements sculptés, semblables à ceux qu’on voit encore dans les maisons de bois et sur les meubles de plusieurs provin- ces réculées de la Skandinavie,des découpures lapidaires d’un goût analogue aux broderies des vêtements de l’ha- bitant de ces cantons ; là , des casques, des boucliers qui rappellent l’armure des anciens guerriers normands , de petites calottes grecques , pareilles à celles dont se coëf- fent encore, de nos jours, les paysans de la Norvège centrale ; ailleurs, des pommes de pin, des aigles, des dragons et autres objets caractéristiques du Nord; des serpents, entrelacés à la façon de ceux qui entourent les inscriptions runiques des monuments lapidaires de la Suède. Sur plusieurs chapiteaux des églises normandes du X° et X[° siècles, on voit deux chimères ailées face à face, figures symboliques, qui ont, pour plusieurs antiquaires, 328 MÉMOIRES. un sens caché, et que d’autres regardent comme les deux génies du bien et du mal, en pretendant qu'elles offrent l'embléme du manichéisme , dont la religion chrétienne conserva quelque temps des traces; mais il en avait alors disparu ; et l’on sait que ce dualisme , ce système d'un bon et d’un mauvais principe, d’une puissance in- tellectuelle régissant le monde à côté d’une puissance physique , formait l’un des dogmes fondamentaux de la religion skandinave. Sur un chapiteau de l’église de Saint-Georges , à Bo- cherville, est représenté un homme armé d’un marteau ; à cet attribut et à quelques autres indices, on doit être porté à y reconnaître le dieu Thor. Dans une église de Graville,on voit,au fond d’une niche,une figure sculptée, armée de la foudre, qu’on n’a pas manqué de prendre pour Jupiter ; mais Thor était aussi le dieu de la foudre, et la divinité protectrice de ces mêmes Norvégiens, qui ont envahi et gouverné la Neustrie. L'auteur d'un magnifique ouvrage publié en Angle- terre , sur les Antiquités architecturales de la Nor- mandie, M. Cotman remarque que « les architectes » normands se sont appliqnés à copier le genre romain, » en y ajoutant des ornements originaux, inconnus et » hardis, qu’on ne peut concevoir d'un peuple étranger » aux lois de l’art et de l'humanité. Dans l'église de » Bocherville, dit-il, un chapiteau a l'air de montrer le » bon pasteur et la brebis pascale avec une croix ; un » autre semble faire allusion à un combat entre les com- » pagnons d'Enée et les harpies, et beaucoup d’autres » objets à la mythologie et à l’histoire skandinave. » Mais ici deux sujets eux-mêmes ne pourraient-ils pas s’y rapporter ? j'ai vu des scènes pastorales et la figure de la croix, sur plusieurs d’antiquités septentrionales des temps païens. Plusieurs monuments lapidaires , antérieurs à l'introduction du christianisme dans le Nord, portent une croix; et le marteau, ce sceptre de MÉMOIRES. 329 Thor , en avait quelquefois la forme. Ne serait-il pas également plus naturel de voir, dans les autres figures, une scène de la mythologie skandinave , que la repré- sentation d’un épisode de l'Énéide? On est frappé , en visitant les cabinets archéologiques de la Suède et du Danemarck,del’analogie qui existe entre le dessin des diverses antiquités qu'ils renferment et l'ornementation des édifices appelés gothiques. On croit voir, dans les ornements; les armes, les parures skandi- naves des IX° et X° siècles , ainsi que dans les entrela- cements gravés sur les pierres runiques, le germe de ces arabesques bizarres , de ces découpures légères et Com- pliquées qui distinguent la sculpture architecturale des siècles suivants. Les Anglais , plus versés que nous dans l’histoire du Nord, plus à même de comparer leurs antiquités avec celles de la Skandinavie, ont déjà fait entr’elles des rap- prochements d’un grand intérêt. Ils ne se sont pas bornés à l'étude des monuments de leur pays ; ils ont encore relevé avec soin les traces de ceux que leur offrent nos provinces, et particulièrement la Normandie, si riche en anciens édifices religieux. C’est , sans contredit, dans les monuments anglo-normands , et dans les monuments gallo-skandinaves , que l’on peut puiser les documents les plus précieux sur l'iconographie de l'architecture du moyen-àge. Grâce aux travaux de la Société des antiquaires de Normandie , aux savantes recherches de MM. de Cau- mont , Leprévost, Langlois, Lechaude-Danisy , etc, l'étude des antiquités normandes a fait, depuis 1824 , de notables progrès (1). Nulle part peut-être, l'architecture (4) C’est en 1824, que l’auteur de cette notice fit paraître sa Tragédie des Skandinaves, et les remarques historiques et mythologiques qui l’accom- pagnent. C’est aussi, vers cette époque, que fut fondée la Société des anti- 330 MÉMOIRES: du moyen-âge n'a été étudiée avec plus de zèle et plus de fruit que dans cette province , si avancée dans toutes les branches des sciences et des arts. Il appartiendrait à cette société patriotique d'étendre ses investigations et ses lumières, non seulement à la Bretagne, à la Picardie, au Maine , au Poitou, mais encore à l'Angleterre , à l'Allemagne , à la Sicile, à tons les pays où leurs ancêtres ont pu laisser des traces de leur génie varié et puissant. Mais c’est surtout à la mère-patrie qu'il lui serait né- cessaire de recourir si, comme elle se le propose , elle veut « rassembler et publier tous les faits propres à éclaircir et à compléter l'histoire de la Normandie.» Ce sont les régions skandinaves, leurs antiquités , leurs annales , qu’il faudrait avant tout explorer. Cette entre- prise , qui intéresse l’histoire de la France entière , a été trop long-temps négligée , et je ne sais même si elle a jamais été conçue et projetée. Ce n’est pourtant que là qu'on peut espérer de trouver la clef de tant de monu- ments dont nous n'avons encore pu pénétrer ni le carac- tère , ni la destination , ni l’origine. Cette exploration , faite avec le temps et le soin qu’elle réclame , remplirait un vide immense et ne contribuerait pas peu à ag- grandir la sphère étroite, dans laquelle l'archéologie a été jusqu’à présent renfermée. Elle amenerait des com- paraisons qui ont échappé aux antiquaires du Nord eux- mêmes, qui n’ont peut être pas non plus assez étendu leurs investigations au-delà de leur pays. Quelquefois , ils auraient pu consulter les historiens francs et les mo- numents de nos contrées plus sûrement que certaines pages islandaises. Si la Skandinavie n’est pas très-riche en anciens monuments d'architecture , elle l’est davantage en anti- quilés d’une autre espèce ; et c’est cette classe de mo- antiquaires de Kopenhague , qui a donné une si grande impulsion à l’é- tude des antiquités septentrionales. MÉMOIRES... 334: numents que je signale surtout à l'attention de l’archéo- logue , parce que c’est celle qu'il nous importe le plus d'interroger. L’historienet l’antiquaire peuvent consulter avec fruit, dans le Nord, une grande diversité d'objets sculptes, gravés et fabriques. Cette classe d’antiquités offre à la numismatique et à la paléographie, d'intéres- sants sujets d'étude. Sous ces rustiques monuments païens , qui ne semblent attester que la grossièreté des peuples qui les ont élevés, il en est qui donnent d'eux une opinion moins défavorable. En fouillant la terre, en re- muant la cendre des sépulcres , vous y découvrez avec surprise des armes,des outils,des ustensiles habilement travaillés, des monnaies, des médailles, des ornements, des parures de cuivre , d’or et d'argent, quelquefois ar- tistement ciselés. Beaucoup de ces objets précieux ornent déjà les musées de Stockholm et de Kopenhague. S'il en est dans le nombre, d'étrangers au pays, ceux-là même révèlent des relations avec des peuples plus policés et une adoption deleurs usages ,qui prouve que le Nord était anciennement parvenu à un certain degré de civilisation, Les beaux arts, dont la culture demande à être fé- condée par le climat méridional , pour qu'ils atteignent la perfection , ne sont pas néanmoins étrangers aux peuples du nord. Le goût en est même plus répandu au- jourdhui dans les trois royaumes que dans beaucoup d’autres pays ; et ils y étaient déjà cultivés dans les temps païens. Les Skandinaves connaissaient non seulement plusieurs arts industriels , mais encore la poésie, la sculpture, la broderie, etc. Ils avaient acquis une grande habileté dans la construction des navires , ainsi que dans le travail des métaux. Les Sagas parlent des riches éten- dards brodés, des armures brillantes, des vaisseaux ornés de figures dorées qu'ils possédaient sous le règne d'Ha- rald Haarfager. La sculpture sur bois paraît avoir été en honneur chez eux très-anciennement ; on en renconire 832 MÉMOIRES. encore des traces dans des gaard isolés ; malheureuse- ment le temps n’accorde pas, aux ouvrages de cette ma- tière , une longue durée. D'un autre côté , lorsque la réformation détruisit les œuvres du catholicisme , celui- ci avait déjà fait disparaître la plupart des ouvrages qui, émanés de l'Odinisme, le menaçaient d'en perpétuer les croyances. Cependant, beaucoup d'objets de tout genre se sont retrouvés , depuis qu'on s’est livré aux perquisi- tions nécessaires , et chaque jour les musées du Nord s’enrichissent de découvertes nouvelles. Les recherches archéologiques sont , en Suède et en Danemarck , depuis une trentaine d'années surtout , l'objet des soins et de l'intérêt de toutes les classes de citoyens ; savants, princes, particuliers , fonctionnaires publics , tous y concourent selon leur position et leurs moyens. L’habitant du Nord est fidèlement attaché à sa patrie et aux usages de ses pères ; il en vénère les tra- ditions , il en contemple les vestiges avec un sentiment de respect et d’admiration que nous ne connaissons pas. Ces débris des temps passés sont souvent, pour lui, de saintes reliques dont son esprit national est jaloux , et qu’il montre avec orgueil à l'étranger comme monu- ments de la gloire de ses ancêtres. Aussi, n'est-il point de pays où le goût pour l'étude des antiquités soit aussi répandu et aussi vif. Cet amour des sciences historiques a été poussé chez quelques anciens antiquaires jusqu’au fanatisme ; la prétention, commune à toutes les nations , de se donner une haute et illustre origine s’est élevée en eux à un degré tout particulier. L'un d’eux appelait la vindicte publique sur ceux qui ne voulaient pas reconnaître les anciens Suédois pour les vainqueurs de Rome ; un autre prétendait que tous ceux qui refusaient de regarder les runes comme la plus an- cienne écriture du monde méritaient d’être assommés à coups de pierres runiques. Les antiquaires de nos jours sont plus tolérants, et leur amour de la science, par cela MÉMOIRES. 333 même qu'ilest plus modéré, est aussi plus éclairé. La science leur doit, depuis un demi-siècle , de grands et lumineux progrès. La Suède , la Norvège et le Danemarck ont produit une foule de savants archéologues et d’historiens distin- gués dont tous les ouvrages ne sont pasexempts d'erreurs et de préventions, mais ils se distinguent en général par une profondeur d’érudition, une patience de recherches et une exactitude de relevés qui n’appartiennent qu'aux hommes du Nord. Quelqu'ait été le succès de leurs ef- forts, ils n'ont cependant encore fait qu'ouvrir la voie des explorations qu’il reste à entreprendre. L’insuffisance des fonds, le manque de bras et les difficultés du terrain sont des obstaclès qui s’opposeront encore,long-temps, à la découverte de toutes les richesses archéologiques que doivent receler ces vastes contrées. Ces considérations ne doivent pas toutefois arrêter et décourager l’antiquaire , qui peut espérer, sinon de par- venir à compléter ses découvertes , du moins de remplir plusieurs lacunes. On ne sait que peu de choses des temps antérieurs à Sigge-Odin , dans le Nord ; et les trois ou quatre siècles qui ont suivi son apparition sont même enveloppés de beaucoup d’obscurité. L’archéo- logie pourrait seule jeter, par la suite, quelques éclair- cisssements sur ces époques importantes. Il faut donc rechercher son secours avec ardeur. Les historiographes du Nord le comprennent , et les difficultés , loin de ra- lentir leur zèle, semblent laccroître de plus en plus. Les anciennes colonies skandinaves de l'Islande et du Groënland sont elles-mêmes , depuis plusieurs années, l'objetides investigations les plus actives. La Société des antiquaires de Kopenhague y fait exécuter des fouilles qui n’ont pas été stériles , et qui promettent des résultats plus fructueux encore ; sans doute ces travaux ne s’arré- teront pas là : elle tournera aussi sesregards vers d’autres régions ; Car ce n’est pas dans le Nord seul que sont ré- 334 MÉMOIRES. pandues les antiquités skandinaves. Pour explorer fleur domaine dans toute son étendue, il faudrait visiter toutes les contrées que les peuples septentrionaux ont envahies et soumises à leur domination ; il faudrait parcourir l'Europe depuis la Baltique jusqu’à la Méditerranéee, de- puis les côtes occidentales de la France jnsqu’aux con- fins orientaux de la Russie, et étendre même cette explo- ralion aux plages lointaines du nouveau monde. Les ossements des guerriers d'Odin reposent dans les plaines du Rhône et de la Durance, sur les rives de la Loire et de la Seine , et avec eux sans doute plus d’un débris de leurs armures. M. Lebas qui vient de faire paraître , dans l'Univers pittoresque , un précis inté- ressant de l’histoire de Suède, où il passe en revue di- verses antiquités suédoises, parle d’un monument lapi- daire près de Saumur , qui a une grande ressemblance avec un monument du même genre de la Westrogothie. Pinkerton prétend que les roches de Carnac ne sont ni Celtiques ni Druidiques, et qu’elles appartiennent aux Goths-Belges. Qui sait si elles n'auraient pas une ori- gine plus septentrionale encore ? et combien de tom- belles , réputées gauloises , pourraient bien être skan- dinaves ! (1) La Normandie doit en posséder un grand nombre : plusieurs de celles qu’on y a découvertes ont fait naître des questions , qu'avec une connaissance plus approfondie des monuments du Nord , on eùt peut-être plus facilement résolues. Des bouts de lance, des haches, (1) Tout récemment on vieut de découvrir dans le département de la Nièvre un tumulus parfailement semblable , dit-on, à ceux du même genre , relrouvés dans le nord de l’Europe , et renfermant , comme les tombelles skandinaves , des ossements mélés à des colliers, des bracelets et autres ornements en fer et en cuivre ; mais ces similitudes n’empèchent pas nos antiquaires de l'appeler un {umulus gaulois , et de considérer ces insignes comme provenant des (emps barbares de la Gaule. MÉMOIRES. + 335 des anneaux et une espèce de hausse-col d’un caractère tout-à-fait septentrional, ont été trouvés, il y a plusieurs années , dans le département de la Manche. Sur les bords du Rhin, près de Worms et près de Mayence , on a découvert une assez grande quantité de bracelets et de colliers , semblables à ceux que portaient autrefois les peuples du Nord. J’en ai vu, dans cette dernière ville, qui ne différaient en rien de ceux que j'ai observés depuis dans les cabinets d’antiquités suédoises et danoises. Divers monuments skandinaves existent dans les îles britanniques,et probablement en plus grand nombre que ceux qu'on y connaît déjà. L’Angleterre offre des débris de forteresses , des pierres runiques ; l'Écosse des obé- lisques , des cercles de jugement ; l'Irlande des tom- belles , des retranchements de guerre qui leur appar- tiennent. Des buttes sépulcrales et des vestigesde fortifications, de même origine, ont été reconnus en Amérique ; des coins et autres instruments en silex, pareils à ceux qui sont renfermés dans les {wmulus du Nord, ont été trouvés aux Antilles , il est aujourd'hui constaté que ces audacieux navigateurs ont étendu leurs excursions jus- qu'aux plages du Nouveau-Monde; etune pierre runique, découverte depuis peu d'années, à Grippsholm en Suède, atteste que les anciens Suédois ont même abordé aux rivages africains. On voit que le champ des ANTIQUITÉS SKANDINAVES est vaste. Je bornerai mon examen à la Skandinavie , domaine immense dont on pourra juger les ressources par le coup-d’œil que je me propose de jeter sur chacun des trois états qui le composent. VERRIÈRES DU CHŒUR DE LA SAINTE ÉGLISE MÉTROPOLITAINE DE TOURS. LÉGENDE DE SAINT EUSTACHE; PAR M. L’ABBÉ MANCEAU. MESSIEURS, Parmi les nombreux titres que le moyen âge s'est acquis à l'admiration des hommes , à la reconnaissance de tous ceux qu'unissent les doubles liens de la Religion et de Art, un des plus incontestables, est bien évidem- ment , la merveilleuse création , le gigantesque enfan- tement de nos somptueuses basiliques ; monuments vé- nérables , qui rediront à tous les siècles et la vive foi et les sublimes inspirations de nos pères, de ces hom- mes vigoureux , que d’insensés détracteurs ont osé en blasphémant appeler barbares. MÉMOIRES. 537 Tout est beauté, tout est ravissant, tout est leçon dans nos vieilles cathédrales ; depuis les parvis du temple, jusqu’à ses régions les plus intimes, depuis ses dalles jusqu’au sommet de ses tours pyramidales , mais surtout dans ses radieuses verrières , dont l’éclatante splendeur et les riches dessins procurent à l’âme un indicible ra- fraîchissement; un enseignement céleste la transporte dans un monde de paix et de gloire. Et cependant, ces œuvres toutes parfumées de la plus sainte poésie, toutes palpitantes d'intérêt national, depuis rois siècles, ont été négligées, dédaignées; je dirai pres- qué méprisées. Si dans ces jours de progrès des arts ei de renovation du goût, de véritable renaissance, de culte antique, de nouveaux hommages sont rendus à la peinture vitrifiée, à nos gothiques verrières, que l’action destrüctive du temps épargna, ceux que la main des hommes ne put défoncer, graces solennelles en soient rendues au restaurateur de l’Archéologie. À sa voix, de nombreux disciples sont accourus pour arrêter la marche rapide du vandalisme : inspirés par son génie , partout ils ont publié la richesse, Ja haute instruction , la sublime pensée de nos brillantes verrières, ce livre scellé, depuis hélas ! trop d'années : s'ouvre tous les jours ; la nuit de l'ignorance disparaît pour faire place à la lumière du jour , et quand tous les trésors de notre vieille peinture sur verre auront été révélés , alors qui pourra mesurer la profondeur de l’abyme où s'était précipité le bon goût, dans les trois derniers siècles ? Alors aussi, Messieurs, un devoir sacré, un devoir national nous sera imputé , tous nos efforts d'artistes et de Français devront se réunir à l’effet de faire renaître en France l'art de la peinture sur verre , de le populari- ser , en veillant surtout à la conservation , à l'intelligente restauration de ces œuvres transparentes que nous ont léguées les verriers du moyen-àge. II. 22 258 MÉMOIRES. Le savant fondateur de la Société française pour Ia conservation des monuments l'a dit : Le meilleur moyen de conserver, c’est de décrire. Eh bien! Messieurs, je veux être disciple docile, et avec ses conseils et les vôtres, je vous révelerai les richesses que renferme la verrière d'une belle église de France, l’église métropo- litaine de Tours. Quinze verrières complètes forment la muraille dia- phane du beau chœur de cette église; elles appartien- nent, Sans contredit, ainsi que les deux roses du tran- sept, à la période dite mosaïque avec ses cartels, ses fonds d'azur réticulés; à cette époque de la peinture vitrifiée, où l’art négligeant la perfection du dessin , tendait spécialement à marier , par menues dimensions, les tons autilnetiques et à créer cette chaleureuse, cette ravissante harmonie des couleurs que ne pourront jamais produire les tableaux des verrières du XV° siècle. Une seule de ces verrières nous a été léguée intacte par nos pères; elle renferme avec magnificence toutes les armoiries de l’illustre famille de Laval-Montmorency, ainsi que de ses alliances. Un de nos savants compatrio- tes aura l'honneur de vous en développer toute l’impor- tance. A la droite du chœur de la métropole de Tours, à la première fenêtre, nous apparaît , Messieurs , la légende de saint Placide ou de saint Eustache, légende qui ne pouvait échapper à l'attention toute particulière de nos ayeux du moyen-âge, tant la vie qu’elle contient, ren- ferme de merveilles et publie de touchantes leçons; et tant aussi elle flattait une de leurs passions favorites : saint Eustache était un des premiers patrons des chas- seurs. Cette verrière , haute de trente-deux pieds, large de Mad ve ce -...,Sse compose de vingt-quatre cartels ovales, séparée par trois meneaux légers , terminée par deux petits et un grand , quatre feuilles superposées. Le MÉMOIRES. 339 grand médaillon contient l'image de l'Eternel , assis sur son trône et dominant tout l’ensemble de la verrière. Ce fut vers la fin du premier siècle, sous l'empire de Trajan , que Placide édifia par ses vertus, étonna par ses malheurs , tout le monde entier. [llustre général , il s'était acquis une haute célébrité en vainquant les Par- thes et réduisant, à une paix honteuse , ces fiers ennemis de Rome. Issu de l’une des plus anciennes comme des plus no- bles familles de l'Empire , la noblesse de son âme sur- passait encore cette illustration originelle. Aussi , bientôt dégoûté des basses flatteries des cour- tisans , de la corruption de la cour, s’empressa-t-il de gagner les profondeurs de la solitude, entre les villes de Tibur et de Préneste, dans le riche domaine de ses pères , qu’il partagea tous les jours avec l’indigence. Une épouse belle et vertueuse répondait dignement aux charitables inclinations de Placide. Deux fils dont les précoces dispositions faisaient entrevoir les plus belles espérances, resserraient encore les liens de ces deux époux. Le bonheur habitait au sein de cette tendre famille ; aussi de nombreux amis, de vieux soldats s’em- pressaient-ils de la visiter souvent ; ils venaient souvent participer aux fêtes de la forêt, car Placide aimait ar- demment les plaisirs bruyants de la chasse ; la chasse avec ses dangers, ses fatigues , était pour Placide l’image de la guerre. Une autre guerre se faisait alors avec d’autres com- bats, c'était la grande lutte du christianisme contre le vieux paganisme; commencée depuis cent années, elle ébranlait déjà le monde entier , le sang du martyre cou- lait à grands flots; mais ce sang généreux ne pouvait éteindre la patience de ces héros, leur foi vive, leur magnanimité. Spectacle étrange, qui, frappant avec force la grande âme de Placide, l'inclinait comme malgré lui, vers la croyance chrétienne si vaillemment soutenue. 540 MÉMOIRES. Déjà il avait abandonné le culte grossier des idoles, banni loin de sa famille la superstition du paganisme, lorsqu'un événement merveilleux vint subitement ou- vrir ses yeux, el les ouvrir au brillant flambeau de ta vérité. Un jour, Placide se livrant, avec ses nombreux amis, aux exercices ordinaires de la chasse, se mit à poursui- vre de toute la rapidité de son coursier, un cerf d’une grandeur prodigieuse ; son ardeur l’eut bientôt emporté loin de ses compagnons , au plus épais de la forêt ; déjà il allait saisir sa proie , l'arc était tendu, la flèche dirigée , mais Ô prodige ! une croix à l’auréole éblouissante , dont la clarté brillait au loin dans l’obscurité de la forêt, lui apparaît entre les bois du cerf. Le Christ l'appelle par son nom, avec une douceur inexprimable « Placide, Placide, » il tombe à genoux de frayeur et s’écrie : « Seigneur, qui êtes-vous? Je suis le Christ, mort sur une croix pour Le sauver, loi et tous les hommes. Ah! Seigneur , qu'exigez-vous de moi? — Va dans la cité voi- sine, chez l’évêque des chrétiens, là tu apprendras ce que tu dois faire. » La vision disparut comme un éclair et Placide se trouva bientôt plongé dans l'obscurité de la forêt , mais son àme était éclairée. Les cartels 1, 2, à et 4 contiennent cette première période de la vie de saint Eustache; on l'y voit monté sur-un cheval, sonnant du cor, poursuivant le cerf lancé, puis en adoration devant la croix lumineuse qui brille entre les bois du cerf. Sitôt que les premiers rayons de l’aurore commencè- rent à dissiper les ténèbres de la nuit, Placide s’em- pressa de recourir vers la demeure où sa famille, ses amis l’attendaient dans la plus cruelle perplexité, qui fut bientôt remplacée par l'expression de la plus sincère allégresse. Trajana , surtout, l'épouse de Placide, ne MÉMOIRES. 344 pouvait contenir toute l'ardeur de sa joie; elle, dont l'âme tendre avait été saisie de tant d’angoisses ! Cependant le général ne pouvait plus contenir en lui- même , toutes les émotions de la nuit, toutes les mer- veilles opérées en sa faveur, il se hâte donc de révéler à sa digne compagne et l'apparition lumineuse et la pro- messe qu'il a faite d'aller ‘se présenter à l'évêque. Celle- ci, toute ravie, témoigne à Placide que sa félicité est sans bornes , puisqu'elle voit l’heureuse réalisation de ses vœux les plus chers, l'accomplissement si désiré des promesses que Dieu lui a faites en vision. Tous deux se présentent donc à l'évêque Jean, lui racontent tous les prodiges opérés, le prient d'achever ce que Dieu a si merveilleusement commencé, deman- dant la grâce du saint baptême pour eux et leurs deux enfants. Touché jusqu'aux larmes de cet événement miracu- leux , l’évêque Jean n'oublie rien pour accélérer la ré- ception du baptême et après s'être empressé de faire connaître les principales vérités de l’évangile, à ces fer- vents néophites, il leur conféra la grâce tant désirée. Placide reçut au baptême le nom d’Eustache , Trajana, celui de Théophyta. Le fils aîné fut nommé Agapius et le plus jeune Théophytus. Après avoir reçu le baptème d’eau, ces fervents et nouveaux chrétiens, reçurent bientôt le baptême des souffrances. Dieu , pour les éprouver, les purifier et don- ner au monde de rares exemples de patience et de rési- gnation, les fit boire à la coupe amère de la vie. Une peste cruelle ravageant la contrée, fit périr leurs amis et leurs serviteurs , ils supportèrent ce fléau en vérita- bles chrétiens qui doivent bénir la Providence, alors même que la tribulation est à son comble. Mais chose inouie! ces mêmes hommes qu'ils avaient soulagés de toutes les ressources de leur charité, oubliant les bien- faits passés , les chassèrent impitoyablement , comme la 342 MÉMOIRES. cause de la colère des Dieux. Dépouillés de toutes leurs richesses , ils furent contraints de s’embarquer pour l'Egypte. Les cartels 5, 6, 7 et 8 rappellent cette deuxième pé- riode de la vie du Saint. On y voit son baptême, celui de son épouse accompagnée de ses deux enfants, cette infortunée famille fuyant vers la mer et s’embarquant sur un Vaissau. Ce vaisseau était le domaine d’un marchand maure, qui voulut bien , moyennant une légère rétribution d'argent , recevoir à son bord les pauvres voyageurs. Le temps fut favorable pendant toute la traversée, et la pieuse fa- mille put alors se refaire en paix de toutes ses fatigues et de ses longues et dures privations. Ils étaient dans le calme et pourtant un orage terrible les attendait au port. La beauté de Théophyta avait touché le cœur du noir africain. L'infàme ! il conçu l’affreux projet de la ravir à son époux, à ses enfants. C'est en vain que Eustache et sa vertueuse épouse le supplient à genoux de ne point percer leur âme de la plus affreuse douleur ; sourd à leurs prières, il ordonne qu’on précipite impi- toyablement vers l'Egypte Eustache et ses enfants. Le monstre fait regagner la pleine mer, entraînant avec lui la pieuse mais désolée victime. E Le malheureux époux vainement tendait les bras vers la mer, pour réclamer sa tendre Théophyta, le vaisseau fendait les ondes et disparaissait dans l’immensité des mers. Cependant Eustache n’oubliait pas qu'il était père, et père chrétien, que sa foi et ses obligations devaient maîtriser sa douleur , qu'il avait à veiller à la conserva- tion de ses deux enfants. La Providence, en qui il se confiait pleinement, lui offrit une grotte hospitalière , où il put faire reposer les jeunes compagnons de son infortune. Là, fatigués, abattus, ces tendres enfants ne tardèrent pas à se livrer au sommeil. Mais Eustache MÉMOIRES. 343 ne dormait pas , sa douleur , son inquiétude avaient trop d'intensité ,il priait Dieu pour ses enfants , il priait pour sa chère Théophyta. Quand Hagapius et Théopytus ouvrirent les yeux à la lumière du jour, il fallut de nouvelles consolations, car ils demandaient leur mère, et leur mère n’était plus là pour les couvrir de ses caresses, pour leur prodiguer ses soins maternels ; Eustache alors se met en chemin pour découvrir dans la plaine les aliments nécessaires à la vie. Une large rivière s’opposant au passage, le mal- heureux père essaya la traversée, chargé du plus jeune de ses enfants , il réussit à porter son précieux fardeau vers la rive opposée ; il retournait plein de joie vers son fils aîné , lorsque tout-à-coup un énorme lion menace de le ravir , il accourt de toute sa vitesse de père , mais vai- nement ; déjà le lion avait saisi sa proie et l’emportait - vers la forêt par une course rapide. Quel désespoir ! Théophytus avait vu la bête féroce enlever son frère, il poussait des cris lamentables ; hélas ! trop lamentables, puisqu'attiré par leur écho , un loup furieux se précipi- tant sur lui l'emporta bientôt dans la solitude du désert, en présence du malheureux Eustache qui vit disparaître son second fils dans l'impossibilité de lui porter aucun secours. Quelles angoisses indicibles ! Ce courageux guerrier qui, tant de fois avait exposé sa vie sur le champ de bataille, sentit son courage s’abattre, ses membres se roidir. En quelques instants, il avait perdu sa patrie, ses amis, son épouse et ses enfants, sa dernière espé- rance. Mais il avait été marqué du signe de la croix au saint baptême , il voulut le porter avec honneur , en marchant courageusement dans la route des douleurs que lui avait tracée le Divin Maître ; il se résigna à la volonté su- prême et alors le Seigneur versa, dans son âme abreuvée de souffrances , des torrents de consolations ; le fardeau devint léger , et le joug plein de douceur. 344 MÉMOIRES. Les cartels 9, 10, 11 et 12 nous révèlent cette époque de la vie de saint Eustache. On l’y voit chassé du vais- seau , ainsi que ses enfants, par les soldats du Maure, traversant le fleuve d’où il apperçoit l’affreux enlèvement de ses fils , lesquels sont arrachés de a dent meurtrière des bêtes féroces par le dévouement de quelques bergers et bücherons. Soutenu par sa foi, Eustache se mit à parcourir les campagnes, cherchant une terre habitée. Enfin, après des peines et des privations inouies, il eut le bonheur de trouver un asyle dans la maison d'un vénérable vieil- lard, qui lui offrit charitablement, car il était chrétien, de partager avec lui les travaux et les productions des champs. Eustache vivait depuis quinze ans dans ceite humble et paisible retraite , et dans l'ignorance absolue des évé- nements qui pouvaient intéresser sa patrie; lorsque le soir d’un beau jour , à l'ombre des monts que ne doraient déjà plus les rayons du soleil ; il apperçut deux cavaliers aux armes étincelantes. Eustache avait été général, et général victorieux ; aussi, la vue de ces brillantes ar- mures jeta-t-elle dans son âme d’involontaires senti- ments de joie, mais qui se manifestaient bien vifs, quand il reconnut en eux ses deux fidèles serviteurs, Acacius et Antiochus: « Qui vous amène en ces lieux déserts, mes amis, » dans cette solitude où depuis tant d’annés n’a pas » brillé une lance romaine? — Nous parcourons l’'E- » gypte, dirent-ils , par ordre de l'Empereur , réclamant » partout le général Placide, jusqu'ici, nos recherches » ont été vaines et inutiles. » Le vieux général voulut feindre encore, mais impossible, tant il était pressé d’é- motions ; il se fait connaître à eux, leur découvre les nobles cicatrices de sa large poitrine, leur raconte ses malheurs si touchants , et après avoir pleuré avec eux, se dispose à obéir aux ordres de l'Empereur, mais non MÉMOIRES. 545 pas encore sans regrets, sans sacrifices , Car il abandon- nait et le généreux Clément et la paisible vallée de Badyssus et tous ses nombreux amis. Fidèle à la voix de son maître, Eusiache se dirige donc avec les deux cavaliers vers la capitale du monde. Le voyage fut des plus heureux et bientôt l'Empereur vit à sa cour celui qu’il cherchait avec tant d’empressement ; le général que l’armée réclamait pour vaincre de nou- veau les Parthes indomptés. Après avoir entendu avec attendrissement le récit des longues et lamentables dou- leurs d'Eustache , après lui avoir prodigué toutes les consolations possibles , l'Empereur lui dit : Placide , j'ai besoin de vous nommer général en chef de l’armée qui doit marcher contre les Parthes , je remets entre vos mains le sort de la patrie, partez et répondez à mon at- tente , à celle de l'armée, à celle de l'empire. Trajan le revêtit ensuite des insignes du commandement, lui mit le bâton de généralissisme aux acclamations universelles de la cour , de l’armée et du peuple romain. On voit, aux cartels 13, 14, 15 et 16, cette quatrième période de la vie du Saint. Armé d’une houlette , il reçoit deux cavaliers , retourne avec eux vers l'Empereur , aux genoux duquel il reçoit les insignes du commandement. Et ces insignes ne tardèrent pas à être enrichis des lauriers de la victoire. A la voix du nouveau général, l’ordre le plus parfait se rétablit dans l’armée. A sa présence, le courage renaît dans tous les cœurs , quelques jours suffisent pour arri- ver, combattre et vaincre. Les Parthes sont taillés en pièce et réduits à une paix honteuse. Couverte de gloire et de richesse, l’armée , conduite par son général vain- queur , dirigea sa marche triomphale vers le capitole romain, pour assister à l'ovation du vainqueur des Par- thes. Partout, sur son passage, elle fut accueillie par les plus vives ee Eustache était heureux, mais comme son bonheur 346 MÉMOIRES. allait grandir encore , bientôt il devait revoir sa tendre épouse, ses bien aimés enfants? Un jour, quelques officiers du général, après avoir pris leur repas dans la maison d’un riche habitant , vinrent s'asseoir à une table de pierre, au milieu d’un jardin verdoyant et non loin des tentes du camp. Là, chacun racontait à plaisir les aventures plus ou moins merveilleuses de sa vie , lorsque tout-à-coup deux jeunes officiers se précipitent avec effusion dans les bras l’un de l'autre, s’'appelant mutuellement par leur propre nom, et se prodiguant les témoignages de la fraternité la plus touchante. C'était la reconnaissance des enfants d'Eus- tache , tous deux avaient eu le bonheur d'échapper à la dent meurtrière des bêtes féroces, grâce à un généreux dévouement. Pendant cette scène attendrissante , une servante , une mère, Théophyta sentait défaillir son cœur , pressée qu’elle était par une émotion que nul ne saurait expri- mer. Elle avait entendu Agapius dire à son frère Théo- phytus : « Tes yeux n’ont-ils donc jamais revu notre » bonne mère? Oh! sielle vivait? » Elle vivait, en effet, la pauvre mère, l'épouse infor- tunée ! mais elle était inconnue , elle était esclave. Dieu qui l'avait prise sous sa sainte protection l’avait délivrée miraculeusement de la puissance de l’infàme africain, qu’il avait frappé de mort subite avant qu’il pût mettre à exécution son infernal dessein ; mais les esclaves du Maure l'avaient privée de la liberté. Elle vivait! Mais quel moyen efficace emploiera-t-elle pour se faire reconnaître par ses enfants, elle esclave et ses enfants au milieu de toutes les jouissances de la vie ! Elle n’osait, elle n’osait,et cependant elle était impé- tueusement excitée; enfin la mère s'approche de ses fils. « Nobles et jeunes guerriers , oserai-je , leur dit-elle, » d’une voix entrecoupée , vous adresser une prière ! » Je suis Romaine; une affreuse catastrophe m'a ravi MÉMOIRES. 547 » mon époux, autrefois vainqueur des Parthes, et mes » deux enfants en bas âge, et j'ai été vendue comme es- » clave. » Alors dit précipitamment Agapius , vous dési- rez donc recouvrer votre liberté , venez avec nous saluer le général, lui seul peut vous la rendre, venez et ne craignez pas. À cette proposition si anattendue et si contraire à ses espérances , Théophyta tombe dans une subite indéci- sion; puis s’armant d’un nouveau courage et mettant sa confiance en Dieu , elle se met à suivre de loin les deux officiers. Ceux-ci , après avoir rendu leurs hommages au géné- ral, lui avoir raconté les malheurs de l’esclave , l'intro- duisent toute tremblante au milieu de la magnifique de- meure du triomphateur Romain ; Eustache était revêtu de toutes les marques de sa dignité! Théophyta allait ouvrir la bouche pour lui exposer ses infortunes, lorsque soudain elle reconnaît en lui son époux Eustache. Oh! quel joie délirante s’empara de l'âme de la pauvre es- clave ? Qui n’a pas ressenti de ces joies subites et eni- vrantes, ne comprendra jamais la souffrance de bonheur que Théophyta ressentit en ce moment. Elle veut se pré- cipiter vers Eustache, les bras tendus pour l’embrasser, mais l’œil sévère du général ne la reconnaît pas, et alors au délire de la joie succède la plus poignante des dou- leurs. Alors aussi, sans se laisser abattre, elle lui raconte avec énergie les moindres circonstances de leur vie privée, depuis la vision céleste jusqu’à l’affreuse séparation du vaisseau. Eustache écoute , réfléchit , écoute encore , et voilà que tout-à-coup il reconnaît visiblement les traits du visage , le doux son de la voix de Théophyta , sa ten- dre épouse lui est rendue , après seize années de la plus cruelle séparation. Dieu 2 sait quels torrents de féli cité furent versés alors dans l'âme d’Eustache et de Théophyta. 548 MÉMOIRES. Quelle ineffable joie dut aussi pénétrer le cœur des deux fils, au moment heureux où il leur fut donné de prononcer de-nouveau les doux noms de ceux qui leur avaient donné le jour. Eustache ne pouvait en croire à ses yeux, 11 lui sem- blait habiter un autre monde, aussi invita-t-il haute- ment l'armée à célébrer son bonheur et surtout ses fi- dèles serviteurs , et tous ensemble adressèrent à Dieu l'hommage de la plus vive reconnaissance. Les cartels 17, 18, 19 et 20 nous initient à cette pé- riode de la vie de saint Eustache, il y apparaît partant pour l’armée, livrant bataille contre les ennemis ; ses enfants se reconnaissent auprès d’une table, non loin des tentes du camp, puis enfin Théophyta reconnue par Eustache. Toute l'armée témoigna , par de vives acclamations , combien elle était heureuse du bonheur de son général ; ce ne fut qu'une fête continuelle jusqu'aux portes de Rome , où l'Empereur et le peuple attendaient Eustache pour couronner en lui le vainqueur des Parthes. Mais Ô dessein admirable de la divine Providence ! Au lieu de la palme de laurier que lui destinait l'Empereur , le ciel lui en reservait une immortelle et inflétrissable. L'Empereur Trajan était mort et Adrien lui avait suc- cédé. Ce nouvel Empereur, ennemi des chrétiens , était devenu leur persécuteur acharné ; et, quand, avant l'ova- tion , il voulut conduire Eustache au temple pour offrir de l’encens aux faux dieux; celui-ci fut aussi surpris qu'in- digné de sa proposition. Comment, s’écrie l'Empereur, vous refusez d'offrir de l’encens aux dieux de la patrie ; Eustache répond avec calme : Je suis Chrétien , le Dieu que j'adore m'a donné la victoire, par Jésus-Christ son Fils, à lui seul la gloire et la reconnaissance. Transporté de colère , Adrien se sentait entrainé vers la vengeance, mais il n'osait faire mourir le vainqueur des Parthes ; c’est pourquoi , aux accents de la fureur succédèrent une MÉMOIRES. 549 fausse douceur, des promesses failacieuses , et lorsque Eustache fut de retour en son palais, de faux amis, émissaires corrupteurs d’Adrien, essayèrent, mais en vain , d’ébranler sa foi. Je suis chrétien, telle était l’in- cessante réponse du général. Voyant que ni la promesse , ni la séduction ne pou- vaient affaiblir la mâle conviction d’Eustache, Adrien transporté de colère, ordonne aussitôt qu’il soit amené devant lui, pour l’intimider par des menaces. « Je viens » s'écrie-t-il, d'apprendre avec le sentiment de la plus » profonde indignation , que vous persisiez dans votre » refus d'offrir de l’encens aux dieux de la patrie , et que » votre épouse et vos fils loin de chercher à vous fléchir, » vous ont au contraire confirmé dans votre funeste ré- » solution. Obéissez ou je vous livre tous à la rigueur du » supplice. — Je suis prêt à obéir à l'empereur, quand » ses ordres ne seront point en opposition avec la loi de » Dieu, vous pouvez , prince, nous enlever la vie pré- » sente, cette vie misérable, mais Dieu nous donnera » promptement celle qui n’aura jamais de bornes et où » les peines et les douleurs n'habiteront jamais, brisez » nos Corps ; et nos âmes, rendues à la liberté, s’envole- » ront au séjour des bienheureux. Outré de fureur , Adrien arrache lui-même au général les insignes du commandement et ordonne qu’on le traîne , lui, sa femme et ses enfants, à l’amphithéatre, pour y être broyés par la dent meurtrière des bêtes féroces ; victimes héroïques de la barbarie , ces âmes généreuses s’avancent pleines de joie vers le lieu du supplice , heureuses de pouvoir mourir pour l’amour de celui qui avait donné sa vie pour la rédemption uni- verselle. Mais , ô prodige ! Les bêtes sauvages ont moins de férocité que le tyran Adrien, elles respectent les saints martyrs , elles n’osent les saisir. elles vont ramper à leurs pieds comme de timides agneaux. Un cri unanime 550 MÉMOIRES. se fait entendre aussitôt ; le peuple entier demande grâce , mais la colère du tyran n’est pas encore assouvie ; Eustache et ses compagnons seront condamnés à un supplice encore plus cruel , à périr dans les flanes d’un taureau d’airain rougi par les flammes. Sitôt que le supplice est préparé , les bourreaux s’em- pressent de saisir leurs victimes, mais déjà le martyr Eustache, prosterné , les mains élevées vers le ciel avait fait cette prière, « O Dieu tout puissant, exaucez nos » vœux les plus chers, faites qu'après avoir été purifiés » par ce feu, nous soyons dignes d’être reçus dans le » séjour de votre gloire éternelle. » À peine Théophyta , Agapius et Théophytus eurent-ils répondu {men , qu'ils furent précipités avec Eustache dans l’horrible instrument de la colère impériale. Ils moururent bientôt , mais leurs corps restèrent intacts au milieu des flammes et leurs âmes s’envolèrent dans la cité des saints où bien vite ils oublièrent la tribulation de la terre. Les quatre derniers cartels contiennent cette dernière période de la légende. St.-Eustache professe sa foi de- vant l’empereur en présence des courtisans , il fait sa prière suprême , et enfin périt glorieusement , avec son épouse et ses deux fils, dans les flancs enflammés d’un taureau d’airain. Au plus haut de la verrière , assis sur son trône , dans sa majesté divine, apparait le rémunérateur fidèle , le seigneur des guerriers : il assiste aux glorieux combats des martyrs , il entend tous les gémissements de la terre , promettant une gloire assurée, une gloire éter- nelle à tous les braves , qui semblables à son fils et aux saints martyrs auront combattu vaillamment. Non, vous ne fütes jamais barbares , artistes chré- tiens, vous dont les œuvres sublimes peuvent aider si puissamment le pauvre exilé à porter , avec courage et résignation , le lourd poids de cette vie passagère ! 351 III STI TITI SI IIS TESTS II IIS III SELS IIS SES ISSN IEIS ES SITES RÉPONSES ET NOTES RELATIVES AUX QUESTIONS DU PROGRAMME. PREMIÈRE SECTION. SCIENCES NATURELLES. Are Question. Quel serait le meilleur mode d’exécution d’un ouvrage compre- nant l’histoire et l’iconographie des animaux , des végétaux et des minéraux de la France ? Ouvrage dont le gouvernement pourrait favoriser la publication au moyen des fonds destinés aux travaux scientifiques. Réponse. Le Congrès émet le vœu de voir le gou- vernement , les conseils-généraux et les sociétés sa- vantes favoriser de tout leur pouvoir la publication des statistiques et catalogues d'histoire naturelle dans les départements , pour parvenir à la formation d’une sta- tistique générale. e 352 RÉPONSES ET NOTES 4e Question. A quelle cause peut - on rapporter les migrations acciden- telles de certains oiseaux ? Ces migrations peuvent-elles devenir périodiques ? Observations et discussion ,t. 1°, p. 51 et 57. 5e Question. Les différences de conformation observées dans le bec de cer- tains individus du Loxia curvirostra , L., suflisent-elles pour accu— ser deux espèces ? Observations et discussion, t. 1°, p. 58 et 59. 6e Question. Quelles sont les causes et les résultats de l'agrégation acciden— telle de certains insectes vivant naturellement isolés , et que l’on voit quelquefois voler par troupes innombrables , à la manière des Acridium ? Observations et discussion, 1.1, p. 61 à 64. 9e Question. Les débris orgâniques , rencontrés dans l’écorce du globe, doivent-ils ètre considérés comme appartenant aux types et aux principes des espèces qui peuplent actuellement ce globe , ou comme les vestiges d’une création différente ? Observations , t. 1%, p.77 et 78. — Réponse. La nature a procédé par créations successives et par grandes époques géologiques dans la production des êtres organisés, plutôt que par voie de transformation et de procédé métamorphique. 10e Question. De quelle valeur est la considération des végétaux vivants pour déterminer à quelle formation géologique appartient le sol qui les produit ? Discussion , t. 1°, p.79et 83. — Réponse. La Sec- tion pense qu'il existe une relation intime entre la nature AUX QUESTIONS DU PROGRAMME. 533 constitutive du sol et celle des plantes qui y végètent ; elle admet également,comme à peu près prouvée, l’exis- tence de rapports entre la nature du sol et celle des ro- ches constituant le sous-sol, ou sol géologique. Mais elle pense que la relation qui pourrait exister entre la nature des végétaux et l’époque de formation géologique , à laquelle ce sous-sol appartient , n’est pas démontrée jus- qu’à présent. La considération des végétaux vivants est donc d’une très-faible importance et même presqu'iputile , pour déterminer à quelle formation géologique appartient le sol qui les produit , bien qu'il y ait des rapports cer- tains entre quelques plantes et la nature du sol minéra- logique 41e Question. Quelles sont les causes qui ont déterminé la consolidation des sables tertiaires à leur partie supérieure , de manière à former des grès en couches plus ou moins continues , tandis que les parties inférieures de ces dépôts conservent l’état de sables incohé- rents ? Observation ,t. 1”, p.84 et 85. 12e Question. À quel étage du terrain jurassique doit-on rapporter les marnes bleues généralement employées dans les arts ? Peut-on les assi- miler aux argiles de Dives , aux marnes d'Oxford ? Réponse. Les marnes bleues de la Sarthe , qui se trou- vent intercallées entre le coral- rag et la grande oolithe, doivent évidemment être rapportées aux marnes d'Ox- ford ou aux argiles de Dives , quoiqu’on n’y ait pas en- core rencontré la gryphée dilatée, que l’on regarde comme caractéristique de ce terrain. 13e Question. Quels ont été les variations et les mouvements de niveau opérés, dans le sol du département de la Sarthe , depuis la formation des Il. 28 554 RÉPONSES ET NOTES terrains primordiaux jusqu'à celle des dépôts tertiaires les plus ré— cents ? Reponse. Pendant la période qui s'est écoulée avant le dépôt des terrains secondaires, les mouvementsopérés dans le sol du département de la Sarthe paraissent avoir été très-considérables , puisque les couches de ce ter- rain sontsouvent redressées jusqu'à la verticale. Les ter- rains secondaires , quoique disloqués sur certains points, n’ont pas élé autant agités , en ce que toutes leurs cou- ches présentent encore aujourd’hui une disposition à peuprès horizontale ; enfin les terrains tertiaires ne semblent pas avoir été agilés, puisqu'ils présentent , sans perturbations sensibles , toutes les conditions dans lesquelles ils ont dù se déposer. 17e Question. A quelle époque géologique appartiennent les minerais de fer de la Sarthe et de la Mayenne ? Quelle différence la formation géo- logique de ces minerais apporte-t-elle dans leurs produits ? Réponse. Les minerais de fer de Ia Sarthe appar- tiennent à trois époques très-différentes : au terrain de transition, aux terrains secondaires et aux Lerrains Ler- tiaires supérieurs. Les minerais appartenant aux ter- rains de transition donnent pour produits des fers cas- sants , tels sont ceux du Port-Brillet, de Chaillant , etc. Les minerais des terrains secondaires donnent au con- traire des fers doux , tels sont ceux des forges de Moncor , d’Antoigny et de la Gaudinière ; enfin, les minerais tertiaires donnent du fer doux , mais un peu cassant à froid , tels sont ceux des forges de Vibraye. 18e Question. Quel est le niveau géologique du grès ferrifère ou roussard dans le département de la Sarthe ? Indiquér ce niveau de la manière la plus rigoureuse. Réponse. 11 existe dans la Sarthe du grès ferrifère de plusieurs époques géologiques ; mais le grès ferrifere , AUX QUESTIONS DU PROGRAMME. 355 dit roussard , employé généralement dans le pays , ap- partient évidemment à l'étage inférieur du terrain cré- tacé , puisqu'on y remarque un grand nombre des co- quilles de ce terrain. 19e Question. À quel étage appartiennent les grès tertiaires de la Sarthe ? Sont-ils inférieurs aux dépôts d’eau douce de la même localité ? Doit-on les rapporter aux grès de Fontainebleau ? Réponse. Il est de toute évidence que les grès ter- tiaires de la Sarthe sont inférieurs aux calcaires d’ean douce de la même localité , puisque , sur une foule de points , il est facile d’en constater la superposition. On doit les rapporter au grès de Fontainebleau , puisque, comme ce dernier, ils existent au-dessous du calcaire d’eau douce supérieur et de quelques marnes vertes , qui représentent le Gypse des terrains tertiaires. 20e Question. Les empreintes végétales , que l’on trouve constamment dans les grès tertiaires de la Sarthe, sont-elles produites par des plantes développées sur place , ou par celles que des courants peuvent avoir amenées de lieux plus ou moins éloignés ? Réponse. Les empreintes que l’on remarque dans le grès tertiaire ont appartenu à des plantes qui ont vécu sur place et n’ont pas été charriées. La plupart des bancs de cette roche offrent une foule d'empreintes de racines, qui, toutes , affectent une position verticale. 23e Question. Est-il possible de faire des puits artésiens dans la ville du Mans ? Les essais tentés dans cette ville prouvent-ils que le terrain ne présente pas les conditions nécessaires pour fournir des sources jaillissantes ? Observations, 1. 1%, p.92. Reponse. -- I n'y a pas probabilité de trouver des eaux jaillissantes sous la ville du Mans, attendu que le terrain sur lequel cette ville 336 RÉPONSES ET NOTES repose, n'offre presqu'aucune des circonstances voulues pour le succès des puits artésiens. Bâti sur le grès vert même, et sur des couches de sable qui plongent sensiblement au sud-est, et s'y en- foncent de manière à n'être traversées qu’à cent mètres environ sous la ville de Tours, le Mans ne peut attendre du terrain erefaee aucun des avantages qu'on en obtient dans cette localité, puisque les couches sablonneuses d’où sortent les eaux jaillissantes à Tours, s’y trouvent à la surface même du sol, et qu'elles y sont traversées par une foule de vallées, où elles viennent s’égoutter à des niveaux plus bas de quarante mètres au moins que le Mans. Au-dessous du terrain ereface, on ne peut guère non plus compter sur quelque succès dans les formations jurassiques : 1° Parce qu’en général ce terrain n'offre, dans cette contrée, que de très-faibles couches sablonneuses. 2° Parce que tout le terrain jurassique y est aussi tra- versé par des vallées profondes, et notamment par celle de la Sarthe, à des niveaux de beaucoup inférieurs éga- lement à celui de la ville du Mans. 24e Question. De quelle manière se propagent l'Uredo earies, D. C. et les champignons du même ordre qui se développent sur les céréales ? Observation, 1. 1°, p. 93-94. Réponse. — Il n'y a pas de faits pour déterminer la cause de l Uredo caries, et des champignons du même ordre, qui se développent sur les céréales. Mais on peut dire, en général, qu'une trop grande humidité, soit du sol, soit de l’atmosphère, ou bien encore une trop forte quantité d'engrais donnée à la terre, en favorisent le développement. AUX QUESTIONS DU PROGRAMME. 3957 DEUXIÈME SECTION. AGRICULTURE , INDUSTRIE ET COMMERCE. Aere Question. Le système de culture alterne , développé dans les ouvrages de messieurs Mathieu de Dombasle , Thaer , Bella et autres agro— nomes modérnes , étant donné comme le meilleur connu , quels sont les moyens d’en amener la prompte et fructueuse application ? Quelle est , à cet égard , la tâche du gouvernement , quelle est celle des particuliers ? Discussion, t. 1°”, p.53-54.— La section émet le vœu que la méthode alterne soit propagée de préférence à toute autre, que cette propagation soit surtout faite par les exemples donnés par les propriétaires ruraux, et que le gouvernement se borne à l’encourager. 9e Question. Quelle seraït la meïlleure organisation d’un bon enseignement agricole ? Discussion, 11%, p. 157-162; t. 2°,162-163. Reponse. — Il est utile : 1° de maintenir et d'encourager quelques grands établissements agricoles destinés à former des propriétaires cultivateurs et des professeurs d’agricul- ture ; 2° qu’il soit établi, dans chaque département, une ou plusieurs écoles pratiques d'agriculture où seraient admis des élèves, tant internes qu'externes, qui y rece- vraient l'instruction propre à en faire, soit de bons fermiers, soit de bons valets de ferme ; 5° que dans les départements où il existe une école normale, l’école d'agriculture soit placée de manière à pouvoir être fré- quentée par les élèves de l’école normale. 4° Le Congrès . 258 RÉPONSES ET NOTES émet en outre le vœu qu'il soit donné des leçons d’agricut- ture dans les maisons de hautes études ecclésiastiques,les écoles normales et les écoles primaires supérieures ; 5° le Congrès désire aussi que le projet communiqué par M. Vié, l’un de ses membres, de créer, dans le dépar- tement de la Sarthe, sur sa propriété et sous sa direction gratuite, une école d'agriculture, où seraient admis également les enfants trouvés et les enfants des culti- vateurs, soit adopté et imité dans les départements, à titre d'institution privée, ou comme soutenu par une société de bienfaisance. 3e Question. Quelles sont les conditions géographiques , géologiques et agro- nomiques de la culture du lin ? Observations.,t. 1%, p.186. 7e Question réunie aux deux suivantes. Quelle est l'importance et l'utilité des chemins de fer , sous le triple rapport de l’agriculture , de l’industrie et du commerce ? 8e Question. Quel mode d’exécution doit-on préférer pour l'établissement des chemins de fer , et particulièrement pour les quatre lignes législa- tivement autorisées ? 9e Question. Quelle influence présenterait, sur la circulation des capitaux et sur le taux de l’intérèêt de l'argent, l'exécution successive ou simul- tanée de ces quatre lignes de chemins de fer ? Discours et discussions, t.1°,p.164-178 et 183-185. Réponses. — La section estime que importance et Futi- lité des chemins de fer sont incontestables, sous le rap- port des intérêts généraux et locaux ; l'industrie, Pagri- culture et le commerce y sont également intéressés rela- tivemént au mode d'exécution. AUX QUESTIONS DU PROGRAMME. 359 La Section pense que, pour les grandes lignes, il faut laisser au gouvernement comme aux entreprises particu- lières la facuité de les exécuter, sauf le droit pour le gouvernement d'exécuter ces grandes lignes, selon les besoins des intérêts nationaux. Relativement aux autres lignes, elles peuvent être exécutées par le soin des compagnies particulières ; toutefois, la concession de ces lignes ne devra être ac- cordée qu'avec la plus grande réserve, et seulement lorsque le pouvoir législatif ou exécutif aura assuré, par un examen rigoureux, par tous les moyens qu'il jugera convenables , les garanties réelles de leur exécution. Quant à l'influence de la création des chemins de fer sur la circulation des capitaux et pour les intérêts de l'argent, la Section se trouve dans l’impossibilité de formuler, quant à présent, une solution. Les lignes établies jusqu'ici en France et ailleurs, sont en trop petit nombre , et trop peu de temps s’est écoulé depuis leur exécution, pour que l’on puisse donner sur ce point des aperçus exacts et des résullats certains. 10e Question. Quels avantages peut offrir l'emploi de l’armée aux grands tra— vaux d’utilité publique ? Discussion, 1.2, p. 144-148. (Le congrès ne se pro- nonce pas sur cette question, et en renvoie l'examen à la prochaine Session ). TROISIÈME SECTION. SCIENCES MÉDICALES. Aer Question. Quelle influence l’Anatomie pathologique a-t-elle exercée dans ces derniers temps sur les progrès de la Physiologie positive et de la Médecine pratique ? 360 RÉPON ET NOTES Réponse. L'anatomie pathologique a rendu et rendra toujours de grands services à la physiologie positive ; appliquée à la médecine pratique , elle offre les mêmes avantages , mais elle a souvent dépassé son but. 2e Question. Quel degré d'utilité présente la Physiologie raisonnée sous le rapport de la médecine pratique ? Réponse. La physiologie raisonnée présente un haut degré d'utilité sous le rapport de la médecine pratique , en donnant au médecin la possibilité de se rendre compte de ses déterminations , sans toutefois lui procurer cet avantage dans l’universalité des cas. 3e Question. Quel degré de confiance et d'utilité devons-nous accorder à la Phfsiognomonie , qui consiste à déterminer les caractères moraux par l’examen des caractères physiques de l’homme ? Reponse. La physiognomonie présente , pour déter- miner les dispositions morales de l’homme par les ca- ractères physiques , un degré de confiance borné aux traits acquis , et relatif aux expressions les plus habi- tuelles du sujet. 4e Question. La nature du sol exerce-t-elle une influence notable sur le dé— veloppement des individus ? Réponse. Dans les influences qui modifient les indi- vidus , la nature du sol doit être considérée seulement comme l’une des causes de ces modifications. 5e Question. Quels sont les caractères physiologiques des populations du Maine et de l’Anjou , et en général de la France occidentale à partir de la Loire ? Quelles sont les différences appréciables en— tre les animaux domestiques de ces régions et ceux des autres lo— calités ? AUX QUESTIONS DU PROGRAMME. 361 Memoire , t. 1°, page 230. Discussion , t. 17 p. 234 9 1 P et 236. 6e Question. Est-il possible d'admettre , dans les organismes vivants, une nature médicatrice tendant , par un travail et par des crises favo- rables , au rétablissement de l’état normal plus ou moins altéré par les maladies ? Réponse. Vexiste, dans l'organisme vivant, une ten- dance au rétablissement de l’état normal altéré , quelque soit la dénomination employée pour désigner cette ten- dance , sur la réalité de laquelle repose tout le système des crises et des guérisons spontanées ; système dont la réalité se trouve consacrée par l'observation. 7e Question. Existe-t-il un genre d’ophthalmie rebelle aux antiphlogistiques et aux dérivatifs les plus puissants ? Dans l’affirmative , indiquer la nature et le traitement de cette ophthalmie. Réponse. Ilexiste plusieurs genres d’ophthalmies ré- belles aux antiphlogistiques et aux dérivatifs , notam- ment les ophthalmies constitutionnelles , virulentes , épidémiques ; les moyens le plus généralement utiles dans ces cas sont : les astringents , le calomel , les caté- rétiques , et surtout le nitrate d'argent. 8e Question. L'action préservatrice du virus vaccin , chez l'homme , est-elle permanente ou temporaire ? Dans la dernière hypothèse, quelle est la durée moyenne de cette action , quelle est l’époque où la révac- cination doit être effectuée ? Réponse. Jusqu'ici l'expérience n’a pas démontré que l’action du virus vaccin soit seulement temporaire. Toutefois cette conséquence pratique ne doit pas ex- clure les révaccinations qui peuvent avoir l'avantage , lorsqu'elles réussissent , de prouver que, dans ces cas , du moins , la première vaccination aurait pu n’être pas suffisante pour prévenir l'invasion varioleuse. 362 RÉPONSES ET NOTES 9e Question. L A quelle opinion doit-on s'arrêter aujourd’hui relativement à la nature et au traitement du tétanos traumatique ? Réponse. La Section pense qu'il n'existe point encore dans la science un assez grand nombre de faits pour fournir la base d’une solution définitive. 10e Question. Quels sont les avantages et les inconvénients de la taille et de la lithotritie envisagées d’une manière absolue et relative dans leurs applications ? Réponse. La lithotritie, considérée d’une manière re- lative, et dans la grande majorité des cas, mérite la pré- férence. Envisagée d’une manière absolue, la question ne peut plus avoir la même solution , la taille trouvant en- core son application dans un certain nombre de cas où la lithotritie n’est pas proposable. Aie Question. Dans quels tissus et jusqu’à quel point l’art doit-il admettre au— jourd'hui la possibilité de réunir , par une véritable cicatrisation , les parties entièrement séparées de l'organisme ? Réponse. Des faits déjà nombreux dans la sience prouvent, pour certains tissus, la possibilité de réunir, par une véritable cicatrisation, des parties entièrement séparées de l'organisme. 42% Question. Quelle est la véritable nature de l’altération produite par le dias- tasis des tissus figamenteux ? Quelle est la marche la plus ordinaire des graves accidents qu’il peut occasionner ? Quel est le meilleur traitement à mettre en usage dans les différentes phases de cette maladie ? Reponse. La Section manque du temps suffisant pour discuter convenablement et pour donner la solution de cette question spéciale , importante et pratique. AUX QUESTIONS DU PROGRAMME. 363 13e Question, réunie aux deux questions suivantes. L'Homéopathie , comme théorie médicale, offre-t-elle des bases établies sur l'expérience ? 14e Question. Est-il possible d'admettre , d’après l'observation , et même sur quelques inductions positives , la réalité de ce principe fondamental d'Homéopathie : que les médicaments ont une action d’autant plus puissante, sur l'organisme vivant , qu'ils sont administrés à plus faible dose ? 15e Question. La Pharmacie homéopathique offre-t-elle , comme le pré- tendent les partisans de cette doctrine , des procédés parti- culiers pour extraire la partie essentiellement active des médica— ments ? Réponse. Pour les médecins qui ne se laissent pas fa- cilement abuser par l'attrait des systèmes les plus imagi- naires , l’homéopathie ne présente actuellement au- cune valeur , n’ayant point obtenu la sanction de l’expé- rience. 16e Question. Quelle part doit-on attribuer, dans la guérison des affections ty— phoïdes , à l'emploi des émissions sanguines et des purgatifs ? Réponse. Les purgatifs paraissent offrir plus d'utilité que la saignée dans le traitement des affections 1y- phoïdes, les émissions sanguines doivent être faites avec discrétion dans les maladies , et réservées aux cas de congestions dangereuses versles organes importants. 91e Question. Quels sont les meilleurs principes d’après lesquels on doit construire les établissements publics destinés au traitement des aliénés ? Réponse. L'établissement des aliénés de la Sarthe, sans remplir encore toutes les conditions voulues pour 364 EÉPONSES ET NOTES le traitement de la spécialité,peut être considéré comme l'un des meilleurs modèles dans le genre , en y in- troduisant tous les perfectionnements qu'il est suscep- tible d'offrir. 29e Question. Les progrès de la civilisation ont-ils exercé une heureuse in- fluence relativement à la longévité , au nombre , à la gravité des maladies épidémiques et sporadiques ? Réponse. La civilisation , renfermée dans les amélio- rations d'hygiène publique et particulière qu’elle amène tout naturellement, permet de résoudre la Eee par l’affirmative. 25e Question. Rechercher les moyens efficaces de rendre exécutoires les dis positions de l’article du Code civil qui prescrit de constater les dé- cès avant le permis d’inhumation ? Réponse. W y à urgence à ce que la législation sur la constatation du décès soit révisée et modifiée dans ce sens : 1° Que la mort soit constatée par un médecin as- sisté d’une officier de police ou de deux témoins, suivant les localités. 2 Que le délai de 24 heures fixé pour l’in- humation soit doublé. 3° Que l’ensevelissement soit sé- vèrement défendu , au moins pour ce qui concerne la tête. 4° Qu'enfin il soit établi, dans chaque commune,une ou plusieurs salles de dépôt où les morts ne pourront pas être transportés avant le délai de 12 heures. 26e Question. Le magnétisme minéral , le magnétisme animal, l'électricité , le galvanisme , l’électroponcture , l’acuponcture, etc. , envisagés dans leurs applications à l’organisme vivant, offrent-ils des rap ports d'identité ou seulement d’'analogie dans leur nature et leurs actions ? Quel usage utile peut-on faire de ces moyens dans le trai- tement des maladies ? Reponse. La Section pense que les rapports sont ici AUX QUESTIONS PU PROGRAMME. 365 purement analogiques , et que l'observation rigoureuse n’a point encore prononcé définitivement sur l'utilité de ces moyens dans le traitement des maladies. Le Congrès émet aussi le vœu que : L’art. 55 du code Civil portant : Les déclarations de naissance seront faites dans des trois jours de l'accouchement à l'officier de l'état civil du lieu, l'enfant lui sera presente ; Soit interprété dans le sens le plus favorable à l’hy- giène des enfants. C'est-à-dire que cette présentation aura lieu au domicile de l’accouchée , où , soit l'officier de l’état civil, soil un médecin assermenté et délégué à cet effet , sera tenu de se transporter pour reconnaître et constater l'identité de l'enfant. ( Voir t. 11, p. 122. ) 28e Question. Quelles sont les maladies contagieuses transmissibles des ani- maux à l’homme et de l’homme aux animaux ? Quelles sont les mo- difications relatives aux caractères , au traitement de ces maladies, suivant qu’elles affectent l’homme ou les animaux ? Reponse. La rage , le charbon , la morve , le farcin, la gale sont aujourd’hui considérés comme pouvant se transmettre de l’homme aux animaux et vice versd. Quant aux modifications des caractères morbides et du traitement , la Section pense qu’elles sont relatives aux différences de constitution de l’homme et des animaux. h° Section. 366 RÉPONSES ET NOTES QUATRIÈME SECTION. HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE. Aer Question, A l’époque de l'invasion de la Gaule , par Jules César , quelles étaient les limites des provinces armoricaines ? Ceslimites ont-elles reçu plus d’étendue dans le cours des quatre premiers siècles de l'ère chrétienne ? Discussion, 1, L°”,p. 315 à 317. ? ? 4e Question. Signaler les avantages et les inconvénients de ce que l’on nomme Philosophie de l'Histoire. Doit-elle toujours accompagner l'exposition des faits ou s'en trouver séparée ? Observation et discussion, t. 1%, p. 350 à 359, et 367 à 370. — éponse. Le Congrès , sans s'expliquer sur le mérite des divers systèmes philosophiques con- nus jusqu'ici , pense que la philosophie de l'histoire présente plus d'avantages que d’inconvénients et que , dans toute histoire proprement dite , elle doit né- cessairement accompagner et vivifier l'exposition des faits. 5e Question. Quelle est l’origine des romans historiques ? Ces romans peuvent-ils nuire à l’histoire par le mélange des erreurs qu’ils pro- pagent ? Mémoires , t. 1%, p. 324 et 435. — Discussion , t. 1%, p. 331 à 334. — ficponse. 1° Le roman histo- rique étant un récit dans lequel la fiction se mêle à la vérité des faits et des mœurs historiques, dans un in- térêt d'enseignement, ne procède pas chez nous des romans grecs ou latins, mais bien des romans poëmes AUX QUESTIONS DU PROGRAMME. 367 du moyen-àge. 2° [l peut être plus utile que nuisible à l'histoire ; il serait bon toutefois qu'il fût accompagné de l'iidication des sources historiques. 6e Question. Suivant l’histoire, un incendie détruisit la cathédrale de Chartres le 7 septembre 1020 , sous l'épiscopat de Fulbert, qui en com- mença la reconstruction. Est-il également démontré qu’un se- cond incendie , arrivé en 1194, ait de nouveau détruit cet édi- fice ? Observation, 1. 1°, p.357 et 361. — Memoire , p. 421. — Note sur ce Mémoire, p. 133. 8e Question. Rechercher les types les plus habituels des médailles gauloises ? Mémoire , 1. 1%, p.360. — Discussion , p. 371 et 373. — Rise Les types les plus habituels des mé- dailles gauloises sont,pour une époque, imitées des sta- tères de Philippe II de Macédoine ; le beau caractère du style grec se transformant bientôt en figures bizarres, fut, à une seconde époque, régénérée par l’imitation des monnaies romaines , mais celte régénération fut de courte durée, et les monnaies gauloises retombèrent bientôt dans la barbarie. 9e Question. Quelles étaient la position sociale et les attributions des Moné- taires de la première race ? Discussion , t. 1”, p. 336 et 338. Acponse. En gé- néral les irons n'ont occupé qu'une position se- condaire. Leurs attributions étaient de présider à l'affinement des métaux et à la fabrication des mon- naies. Ils ne mettaient leurs noms sur les pièces que comme garantie de leur travail et non par honneur. Il paraît y avoir eu des monétaires royaux et des moné- taires des lieux et des établissements religieux « qui avaient le droit de monnoyage. 568 RÉPONSES ET NOTES 10e Question. Rechercher les origines des types des monnaies baronnales dans les provinces centrales de la France. Discussion , 1. 1°, p. 337 et suivantes. — Réponse. La monnaie carlovingienne a dans le principe servi de modèle à la monnaie locale. Ce type altéré par des dé- généressences successives se continua dans certaines provinces jusqu’à la généralisation des systèmes tour- nois Parisis , par l'ordonnance de 1315, le roi régla le type des monnaies baronnales. Vers la fin du X[°siècle, quelques barons et quelques abbayes substituèrent au type carlovingien , quelques types originaux qui eu- rent le même sort; quelques barons même , imitèrent les types les plus accrédités de leurs voisins. 12e Question. Déterminer le synchronisme des différents genres d'architecture dans les provinces de France ? Memoire, t. 1°, p. 388. 45e Question , réunie à La suivante. A quelle époque vit-on paraître l’ogive dans les monuments du Maine et de l’Anjou ? Quels sont, dans les mêmes contrées , les monuments qui présentent les caractères de transition == la pé— riode romane à la période ogivale ? A4e Question. Déterminer avec précision les caractères architectoniques qui distinguent , au XIe et au XIIe siècles, les monuments religieux du Maine et de l’Anjou ? Le style agival était-il , au XIE siècle , généralement adopté dans ces contrées ? Observation, 1. 1°, p.378-379.— Mémoire, p. M3. 47e Question. Quel est le véritable type des autels correspondants aux diffé- rents genres d'architecture ? Quelle est la place de cesautels dans les églises ? AUX QUESTIONS DU PROGRAMME. 369 Observation, t. 1, p. 381-382. Réponse. — Le type particulier des autels ne peut être positivement indiqué, que selon le genre du monument dans lequel ils sont placés. La place de ces autels, dans les églises, a varié ; tantôt les autels se trouvèrent appuyés contre les murailles, tantôt ils en furent isolés. 18e Question. Quelle nuance convient-il de donner aux murs intérieurs des an- ciennes églises après les restaurations ? Indiquer les moyens qui donneraient le plus de fixité aux couleurs.Convient-il de laisser les voûtes en moëllon couvertes d’un enduit , et de blanchir les voûtes en pierres de taille; n’est-il pas plus convenable de laisser la pierre à découvert ? Observation, 1. 1%, p. 386. Reponse. — Dans la restauration des anciennes églises, il importe de con- server le caractère primitif auquel elles appartiennent; pour les églises construites en pierres inaltérables, on doit conserver à la pierre sa teinte naturelle. Pour les églises construites en moëllons, ou en pierres d’une alté- ration facile , il convient d’enduire les murailles d’une couleur le plus en rapport avec le ton du monument, et la couleur de la pierre. 19e Question. Quels étaient les procédés ordinaires de manutention du fer dans les magnæ ferrariæ des Gaulois et des Romains , d’après les débris trouvés sur plusieurs points de la France ? Observation, t. 1°, p. 383. Réponse. — Il est très- difficile de préciser avec développement les procédés de manutention du fer des magnæ ferrariæ des Gaulois et des Romains ; ce qu’on a reconnu , c’est que les lieux où le fer était travaillé à cette époque, présentaient un tius circulaire , au milieu duquel le feu devait être concentré et activé, au moyen de soufflets placés à l'entour. Ces talus présentent la forme des anciens fours HE 2 370 RÉPONSES à chaux. Le calcaire paraît avoir été employé, dès cette époque, comme fondant. On était fort peu difficile pour le choix des minerais, qui semblent avoir été très-indis- tinctement employés. Propositions et vœux émis par la Section,en dehors du Programme. 1° Inviter les administrations et les autorités locales à organiser, dans chaque mairie d'arrondissement, un dépôt des objets ou des renseignements historiques, archéologiques, etc. — Inviter les membres du Congrès à provoquer ces dépôts dans leurs localités respectives, et à les faire établir par des hommes de leur choix. 2° La Section d'archéologie pense qu'il serait utile de s'occuper des moyens de recueillir les monuments héraldiques qui se trouvent épars dans les églises et dans les constructions de toute nature, comme moyen de reconnaître l’âge de ces édifices et de les classer chro- nologiquement. Elle recommande cette étude aux ar- chéologues. CINQUIÈME SECTION. LITTÉRATURE, BEAUX ARTS, PHILOSOPHIE, PHILOLOGIE ENSEIGNEMENT. 1ere Question. La littérature romantique peut-elle être considérée comme le moyen de transition vers une littérature nouvelle, ou simplement comme l'expression des idées du jour ? > . U « Discussion, t. 2, p. 4 à 7. 2e Question. En admettant la décadence de la littérature actuelle , quelle en est la cause et quels sont les moyens d'y remédier ? AUX QUESTIONS DU PROGRAMME. 371 Discussion, 1. 2, p. 7 à 29. Réponse. — Envisagée d'une manière absolue, la littérature actuelle ne présente aucun symptôme de décadence; elle est aussi riche en écrivains et en ouvrages remarquables que la littérature des siècles précédents ; elle lui est même supérieure sous divers rapports. Mais on ne peut se dissimuler que de graves abus, résultat, soit de la perturbation morale etintellectuelle qui règne dans la société, soit de l’indus- trialisme qui exploite le talent, soit enfin de la facilité qui ne sait pas le ménager, se sont introduits dans le système général de la composition. Le remède est dans la conso- lidation de la littérature sur des bases plus fixes, dans le rétablissement de l'unité et de l’ordre dans les ‘esprits, dans une préparation plus patiente et plus conscien- cieuse des matériaux que les littérateurs doivent mettre en ordre. 3e Question. Quelle part, en France , les provinces ont-elles prise , depuis vingt ans, aux progrès des Étuad historiques et littéraires, au per- fectionnement des arts ? Observation, 1. 2, p. 95. — Mémoire, p. 153 et suivantes. 6e Question. Ne conviendrait-il pas d'établir, en France, un Institut gé- néral pour les départements , destiné à leur servir de centre com- mun , en favorisant entre eux des rapports scientifiques et litté- raires ? Mémoire, 1. 2, p. 131. — Discussion, p. 136-137. Réponse. — L'assemblée générale se prononce pour l'affirmative, à une très-grande majorité. 11e Question. Quelles ont été les tentatives effectuées , dans nos départements de l'Ouest , pour amener l'extinction de la mendicité ? Quels sont les résultats obtenus ? Quels sont les moyens d'accomplir cette œuvre philanthropique ? 372 RÉPONSES Observution, 1.2, p. 30 et 31. Discussion, p. 33 à 39. Réponse.— La Section, après avoir entendu l’exposé du système du prince de Monaco, pour l'extinction de la mendicité, émet le vœu que des essais de ce système, qui a déjà produit de bons résultats dans plusieurs com- munes du Calvados et de la Manche, soient faits dans d’autres départements, soit seul, soit combiné avec des ateliers de travail et des dépôts de mendicité. {mende- ment. — Le Congrès recommande, pour les secours à domicile, le mode de distribution appliqué dans plu- sieurs communes, par M. le prince de Monaco. 12e Question. Quelles mesures conviendrait-il d'adopter dans les départe- ments , dans celui de la Sarthe en particulier , pour donner aux sourds-muets une éducation proportionnée à leurs besoins ? Mémoire et discussion, 1. 2, p. 41 à 47. Réponse. — 1° considérant que le sourd-muet réduit à lui-même er aux moyens ordinaires,ne peut arriver à la connaissance de ses devoirs, sans l’éducation sociale, d’après les mé- thodes adoptées dans les maisons établies à cet effet ; 2° considérant que les familles témoignent une indiffé- rence fàcheuse, par rapport au développement intellec- tuel et moral des enfants sourds-muets. Le Congrès pense que le gouvernement devrait pro- poser une loi qui obligerait les familles à envoyer les enfants sourds-muets dans les établissements publics, oùles pauvres seraient instruits gratuitement ; à moins qu’elles ne justifiassent qu'ils reçoivent, dans la maison paternelle, l'éducation et l'instruction convenables et suffisantes. Le Congrès émet également le vœu que,dès à-présent, des recherches soient faites par les administrations dé- partementales, à l'effet de constater d’abord le nombre des sourds-muets dans chaque localité, et de s'occuper ensuite de la création d'établissements devant pourvoir à l'éducation des sourds-muets. AUX QUESTIONS DU PROGRAMME. 315 Le Congrès émet encore le vœu que de semblables recherches soient faites , dans l’intérêt d’une classe non moins intéressante que les sourds-muets , les aveugles. 13e Question. Quels ont été , dans l'Ouest de la France , les résultats obtenus par la création des Salles d'asile ? Quels sont les moyens de multi- plier et de perfectionner ces établissements ? Mémoire, t.2, p. 57.—Discussion, 67 à 70.Reponse. 1° Les résultats obtenus dans l’ouest de la France, par la création des salles d’asile ont été jusqu'ici peu considérables, par suite du petit nombre et de la nou- veauté de ces établissements ; mais en eux-mêmes, ces résultats ont été, en général, extrêmement satisfaisants. 2° Les moyens qui paraissent les plus propres à mul- tiplier les asiles, sont : Premièrement, de faire connaître, par toutes les voies possibles de publicité, le caractère qui distingue essen- tiellement les salles d’asile des anciennes petites écoles avec lesquelles elles sont confondues, de fait, dans un grand nombre de localités : ce caractère consistant en une méthode ingénieuse, habilement appropriée à la fai- blesse de l'enfance, pour assurer et hâter les progrès de son éducation religieuse, intellectuelle et physique. Deuxièmement, d'inviter le gourvernement à se mettre en mesure d'imposer, comme complément néces- saire du système d'instruction primaire établi par la loi du 28 juin 1833, et conformément aux intentions expri- mées à l’article I (1); l'obligation d’avoir, au moins, . une salle d’asile, aux communes que cette loi.astreint, à raison de leur population, à avoir une école primaire supérieure. (1) Le dernier paragraphe de l’art. 4er de la loi du 28 juin 1855 , est ainsi conçu : « Selon les besoins et les ressources des localités, l'instruction » primaire pourra recevoir les développements qui seront jugés convena- » bles ». 374 RÉPONSES Troisièmement, recommander, pour la direction des asiles, mais sans exclure une concurrence utile, le choix de personnes consacrées à la vie religieuse, afin de conserver à ces établissements le caractère de bienfai- sance charitable qui présida à leur création, afin d’at- windre plus aisément le but principal de l'institution, qui est une solide moralisation des classes inférieures, enfin, parce que ce système d'organisation est réelle- ment le moins dispendieux. 3° Quant aux moyens de perfectionner les salles d'asile, le Congrès se borne à insister sur la nécessité d’appli- quer,le plus tôt possible, à ces établissements, la complète séparation des sexes, déjà exigée pour les écoles des autres degrés; cette séparation, dont on sent, &@ priori, la convenance, sous/le rapport moral, dans tout bon système d'éducation , étant en effet réclamée par l’expé- rience acquise dans la plupart des salles d’asile. 14e Question. L'étude des langues vivantes est-elle d’une assez grande utilité aux professions qui exigent le titre de bachelier ès-lettres pour en faire un article du programme d’examen, et la rendre obliga- toire depuis la cinquième jusqu’à la rhétorique inclusivement ? Mémoire, 1.2, p.70. (C'est par erreur qu’on a repro- duit , dans le volume, la 13° question du programme, au lieu de la 14°.) A5e Question. Quelle est celle des trois méthodes suivantes qui paraît le plus propre à populariser le goût de la musique : 40 L'enseignement par le solfége ; 20 l’enseignement par le méloplaste sur des tableaux avec des chiffres au lieu de notes ; 30 l’enseignement simultané , suivant la méthode de Wilhem ? Memoire, 1. 2, p. 75. AUX QUESTIONS DU PROGRAMME. 875 SIXIÈME SECTION. SCIENCES PHYSIQUES ET MATHÉMATIQUES. Aer Question. Déterminer, dans les phénomènes météréologiques , quelle est l'influence du calorique dégagé par la compression et la condensa- tion des gaz et des vapeurs. Mémoire, 1. 1%, p. 66 à 70. 2e Question. Recueillir de observations sur les étoiles filantes relativement au jour , aux lieux , à la quantité , à l’espace de temps , à la direc- tion , aux circonstances, de mouvement , de couleur ; de grosseur apparente , et même à l’état de l'atmosphère. Observations, 1. 1°, p.70. 376 LISTE DES MEMBRES. PI II IS DIS III II SSII ISSN LISTE DES MEMBRES QUI ONT ADHÉRÉ À LA SEPTIÈME SESSION DU CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. BUREAU GÉNÉRAL. PRÉSIDENT. M. LAIR, conseiller de préfecture, secrétaire de la Société d'agriculture et du commerce. — Caen. VICE-PRÉSIDENTS. MM. pe CAUMONT, membre correspondant de l’Ins- ttut , directeur de la Société française pour la conserva- tion des monuments historiques. — Caen. TROLLEY , professeur à la Faculté de droit de Caen. SECRÉTAIRES-GÉNÉRAUX , MM. CAUVIN , président de ja Société d'agriculture sciences et arts de la Sarthe,membre de plusieurs Sociétés savantes.--Le Mans. LISTE DES MEMBRES. 377 RICHELET,ancien bibliothécaire, membre de plusieurs Sociétés savantes. — Le Mans. , ANJUBAULT, bibliothécaire de la ville, membre de plusieurs Sociétés savantes. — Le Mans. TRÉSORIER-ARCHIVISTE. BLISSON , membre de la Société entomologique de France, de la Société d'agriculture , sciences et arts de la Sarthe , de la Société pour la conservation des mo- numents. — Le Mans. SECTIONS, 1°. SCIENCES NATURELLES ; 6°. SCIENCES PHYSIQUES ET MATHÉMATIQUES. PRÉSIDENT. M. BINET, professeur d'astronomie au Collége de France. — Paris. VICÉ-PRÉSIDENTS. MM. DUMAS, ingénieur-en-chef du département de la Sarthe. — Le Mans. BLAVIER , ingénieur des mines , membre de la So- ciété d'agriculture sciences et arts de la Sarthe. — Le Mans. SECRÉTAIRES. L'abbé de MARSEUL , bachelier-ès-sciences , chef d'institution à N.-D. de Sainte-Croix , membre de la Société entomologique de France et de plusieurs autres Sociétés savantes. -- Le Mans. VERDIER , professeur de physique et de mathémati- ques au Collége du Mans, membre de plusieurs Sociétés savantes. -- Le Mans. 378 LISTE DES MEMBRES. CASTEL, membre de la Société géologique de France, et de plusieurs autres Sociétés académiques.— Bayeux. (Calvados...) 2° AGRICULTURE , INDUSTRIE, COMMERCE. PRÉSIDENT. M. LE GALL, conseiller à la Cour royale de Rennes, membre de plusieurs Sociétés savantes. — Âennes. (Ille-et-Vilaine. ) VICE-PRÉSIDENTS. MM. DAGONEAU , juge de paix , ancien président de la Société d'agriculture sciences et arts de la Sarthe. — Le Mans. TROTTÉ pe La ROCHE, président du Tribunal de commerce,membre de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe. — Le Mans. SECRÉTAIRES. MM.SÉVIN, avocat, membre du Conseil-général du département de la Sarthe. -- Le Mans. CHEVERAUX , membre de plusieurs Sociétés savantes. — Evreux (Eure.) LECOMTE, chef de division à la préfecture, secré- taire du Comice agricole et de la Commission des monu- ments. — Le Mans. VIÉ, agronome , membre correspondant de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe, maire. — Mansigne. 3° SCIENCES MÉDICALES. PRÉSIDENT. M. VALLÉE (Prarox), D. M, ancien vice-président de la Société d'agriculture sciences et arts de Ja Sarthe, LISTE DES MEMBRES. 379 membre de plusieurs autres Sociétés savantes, — Le Mans. VICE-PRÉSIDENTS. MM. ÉTOC-DEMAZY, père , vice-président de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe, membre de plusieurs autres Sociétés savantes. — LeMans. HUNAULT pe La PELTERIE, docteur en médecine. — Angers. (Maine-et-Loire.) SECRÉTAIRES. LEPELLETIER , docteur en médecine , membre de plusieurs Académies. — Le Mans. BOURJOT-SAINT-HILAIRE , professeur d'histoire naturelle au Collége de Bourbon et médecin-praticien- oculiste, membre de plusieurs Sociétés savantes. — Paris. L° HisTOIRE ET ARCHÉOLOGIE. PRÉSIDENT. . M. le vicomte ne GUITON pe LA VILLEBERGE, membre de plusieurs Sociétés savantes. — {vranches. VICE-PRÉSIDENTS. MM. le vicomte »e CUSSY, officier supérieur , mem- bre de la Société pour la conservation des monuments. — Saint-Mandé , près Paris. POLLET , conservateur de la bibliothèque de Vitré, inspecteur des monuments historiques. —/’itré. (Ille-et- Vilaine.) QUENTIN, lieutenant-colonel de cavalerie, cheva- valier de la Légion-d’Honneur, membre de la Société d'agriculture , sciences et arts de la Sarthe. -- Le Mans. 380 LISTE DES MEMBRES. SECRÉTAIRES. MM. CHEVEREAU (l'Abbé), sous-supérieur et pro- fesseur au Grand-Séminaire du Mans, membre de la Société française pour la conservation des monuments. DUCHALLAIS , numismate. LASICOTIÈRE (Léon »E), avocat, inspecteur de la Société française pour la conservation des monuments historiques. -- Ælençon. (Orne.) LAVILLEGILLE (ArrHur DE), secrétaire du Co- mité des chartes , chroniques et inscriptions. -- Paris. 5° LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS. PRÉSIDENT. M. EDOM , inspecteur de l’Académie de Caen , mem- bre de plusieurs Sociétés savantes. VICE-PRÉSIDENTS. MM. GAUDIN pe St-REMY, conseiller de préfec- ture, membre de la Société d’agriculture,sciences et arts de la Sarthe. L'abbé AUBER, de do membre de plusieurs Sociétés savantes. SECRÉTAIRES. MM. vicror HOUDBERT, juge au Tribunal du Mans. PAUL DÉLASALLE, avocat, membre de plusieurs Sociétés savantes. — Mamers. BERGOUNIOUX, Auditeur au Conseil d'Etat. LISTE DES MEMBRES. 381 LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES. MESSŒURS : ALLARD (aLexanDRE), négociant. — Le Mans. ANFRAY ( auGusre) , juge au Tribunal civil. — Le Mans. ANJUBAULT , secrétaire-général de la 7° section , conservateur de la bibliothèque. -- Le Mans. ANJUBAULT , ancien notaire à Paris. — Le Mans. ARNAULD (cnarzes), secrétaire de la Société de sta- tistique. — Viort. AUBER ( l'abbé ), chanoine honoraire , directeur de l'Ecole cléricale. — Poitiers. AUCERNE , greffier en chef du Tribunal de première instance. — Le Mans. AUVERGNE (d’), ancien maire. — Meusnes, près Selles-sur-Cher. ( Loir-et-Cher ). AUX (le Marquis GUSTAYE d’), — Paris. AUX ( Madame la marquise d’ ) -- Le Mans. BACHELIER. D.-M. , membre de la Société de méde- cine. — Le Mans. BACHELIER, propriétaire. — S£e-Scholasse. ( Orne). BACHELIER , maître de poste. — Sille-le-Guillaume. BACOT de ROMANS, (suLes ).— T'ours.(Indre-et-Loir). BARACÉ ( raoUL DE ), naturaliste. — Angers. BARBEU - DUROCHER (ALFRED), propriétaire. — Le Mans. BARBIER , docteur en médecine. — Le Mans. 582 LISTE DES MEMBRES. BARISEAU, professeur au Collége de Mayenne. BASSE, député et maire de la ville du Mans. BAUDOT , ancien magistrat, membre de plusieurs So- ciétés savantes. — Dijon. (Côte-d'Or). BAUDRY , propriétaire. — La Ferté-Bernard. BAUDRY (Madame) , — La Ferté-Bernard. BAYLE-MOUILLARD , secrétaire de l’Académie de Clermont-Ferrand. (Puy-de-Dôme). BAZIN , maire de St-Calais, membre du Conseil-géné- ral du département de la Sarthe. — ,St-Calais. BEAUDE, professeur au Collége. — Goincour, près Beauvais. (Oise . BEAUFILS (micuez), maître de pension, professeur de Botanique. — Le Mans. BEAUNAY (de), membre du Conseil général du dé- partement de la Sarthe, et de la Commission pour la conservation des menuments. — Malicorne. BEAUVAIS de St-PAUL , membre de la Société pour la conservation des monuments historiques. — 54-Mi- chel-de-Chavaignes. (Sarthe. ) BEDEL , agréé près le Tribunal de commerce du Mans, secrétaire de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe. — Le Mans. BÉGUIN , géomètre-expert. — St-Pavin-des-Champs. ( Sarthe ). BELON, libraire. — Le Mans. BÉRARD de BONNIÈRE, propriétaire. — Le Mans. BERARD , aîné, ancien négociant, membre de plu- sieurs Sociétés savantes. — ?ontlieue. (Sarthe. ) BERCY (l'Abbé), directeur des études à Tessé, membre LISTE DES MEMBRES. 383 de la Société pour la conservation des monuments. — Le Mans. BERGOUNIOUX(EnovaR»), auditeur au Conseil-d’Etat. — Paris. BERTHAULD, procureur - général , près la Cour royale. — Caen, (Calvados). BERTRAND, docteur-ès-lois. — Caen. BESSE, professeur de rhétorique au Collége royal mi- litaire. — La Flèche. (Sarthe). BIARDEAU (simon ) professeur de rhétorique. — Saumur. (Maine-et-Loire). BINET , professeur au Collége royal de France, président de la 1° Section. — Paris. BLAVIER , ingénieur des mines, membre de la Société d'agriculture , sciences eLarts de la Sarthe, vice-prési- dent de la 1re Section. — Ze Mans. BLISSON , trésorier de la 7° Session du Congrès. —Le Mans. BOILEAU (zLouis-Prerre), membre de plusieurs So- ciétés savantes. — Tours. ( Indre-et-Loire), BONDU. — Ze Mans. BORDEAU , peintre. — Le Mans. BOTTIN, membre de plusieurs Sociétés savantes. ?aris. BOUCHER (5.-8.) , professeur au Petit-Séminaire de Tours. — Tours. ( Indre-et-Loire). BOUCHET , architecte. — Le Mans. BOUDET, propriétaire, — Le Mans. BOUILLER (1sinore) , curé de la Trinité de Laval, chanoine honoraire du Mans. — Laval. (Mayenne). BOUILLET (J.-B.), inspecteur divisionnaire des 384 LISTE DES MEMBRES. monuments historiques, membre de l’Académie de Clermont-Ferrand, secrétaire-général de la sixième Session du Congrès scientifique. -- C/ermont. BOULANGER (RENÉ), agent-voyer. — Sille-le-Guil- laume. (Sarthe). BOURASSÉ , professeur d'histoire naturelle au Petit- Séminaire de Tours, membre de la Société entomo- logique de France. — Tours. (Indre-et-Loire). BOURDON (vrraz) , sous-principal du Collége du Mans. — Le Mans. BOURDY , avoué. — Le Mans. BOURJOT-S-HILAIRE, Professeur d'histoire naturelle au Collége de Bourbon et médecin-praticien-oculiste , membre de plusieurs Sociétés savantes. — Paris. BOURMAULT (l'Abbé), membre de la Société fran- çaise pour la conservation des monuments. — Chà- teau-du-Loir. (Sarthe ). BOURCIER, procureur du Roi, membre de la Société pour la conservation des monuments. — Le Mans. BOUVET, principal du Collége du Mans, membre de plusieurs Sociétés savantes. — Le Mans. BOUVILLE ( anarToze de ) , membre de plusieurs Sociétés savantes, au Château de Bouville, près Blois. (Loir-et-Cher. ) BOYER , ancien professeur de rhétorique, officier de l'Université, membre de plusieurs Sociétés savantes. — Le Mans. BRULEY-DESVARANNES, préfet du département de la Sarthe. — Le Mans. BUVIGNIER (armanD ) membre de la Société philo- matique. — /’erdun. (Meuse ). BUSSON-LAGROYE, propriétaire. — Le Mans. LISTE DES MEMBRES. 385 CAILLARD-d'AILLIÈRES, ancien député, membre du Conseil-Général du département de la Sarthe , maire. — Aillères. CAMPEAU-DESAINT , notaire à Savigné-l'Évêque , — Savigne-l Evèque. (Sarthe). CARIOL, banquier , ancien député, membre de l’Aca- démie de Clermont-Ferrand. — Clermont-Ferrand. CARPENTIN (capitaine de cavalerie), numismate. CARTIER, l’un des directeurs de la Revue numis- matique, membre de plusieurs Sociétés savantes — Amboise. (Indre et Loire). CAUMONT ( de) membre correspondant de l’Institut , directeur de la Société française pour la conserva- tion des monuments historiques , etc. vice-président de la 7° Session du Congrès. — Caen. CAU VIN, secrétaire général de la 7° Session du Congrès. membre de plusieurs Sociétés savantes. — Le Mans. CAUVIN (Mn), naturaliste. — Le Mans. CELLIER , prêtre à N.-D. de Ste-Croix-lès-le-Mans. CHAILLOU (nyppozTE ), membre du Conseil-Géné- ral du département de la Sarthe. — Yore-l Évéque. CHANCEREL , maire de la Ferté-Bernard. (Sarthe). CHOURCES (de) membre de la Société pour la con- servation des monuments. — Piace’. (Sarthe). CHAPPE, ancien administrateur des lignes télégra- phiques. — ÆUlonnes , près le Mans. CHAPPE ( fils). — Æonnes. CHASSEVANT (uLren) , professeur de mathématiques au Collége d'Alençon. (Orne). CHATEL, professeur de dessin et de peinture. — Le Mans. Il. 25 386 LISTE DES MEMBRES. CHATELAIN (3EAN-BAPTISTE FRANCOIS), homme de dettres , chevalier de l'Ordre civil de Prusse. — Paris. CHAUVEL (Louis), licencié en droit. — Le Mans. CHAUVIN-FOUCHARD , ancien négociant. — Le Mans. CHAUVIN-LALANDE, naturaliste, membre de plu- sieurs Sociétés savantes. — Pizieux. (Sarthe ). CHEROUVRIER (EmILE-BENJAMIN) , notaire, maire de la ville de Sable. (Sarthe). CHEVALLIER , membre du Conseil-Général du dépar- tement de la Sarthe, et maire de la Chartre. CHEVERAUX (rnéogazp), membre de plusieurs Socié- ‘és savantes, secrétaire de la 3° Sect.—£'vreux.(Eure). CHEVEREAU , sous-supérieur du Séminaire, secré- taire de la 4° Section. — Le Mans. CHORIN , desservant de St-Victeur, membre de plu- sieurs Sociétés savantes. — $£.-Victeur. (Sarthe). CLINCHAMP (M suzes de). Le Mans. CLOCHEAU (l'Abbé) directeur au grand Séminaire. — Le Mans. CINTRAT ( PIERRE-LÉGER ) , membre du Comité d'agriculture de l’arrondissement de la Flèche, — La Fontaine-Saint-Martin. (Sarthe). CODRE ( dela), propriétaire. — Sainte-Croix-lès- le-Mans. (Sarthe). COHENDET , propriétaire. — Le Mans. COLETTIS ( le général) , ambassadeur de Grèce. — Paris. CONDREN DE SUZANNE (de), inspecteur de l'Aca- LISTE DES MEMBRES. 387 démie d'Angers, membre de la Société des sciences et arts. — Angers. e CORMIER , propriétaire. — Le Mans. COULON , curé de Château-du-Loir , membre de la commission du département de la Sarthe pour la conservation des monuments historiques. — Ché- teau-du-Loir. (Sarthe). COURONNE, agréé près le Tribunal de commerce, greffier de la Justice de paix du 3° arrondissement. — Le Mans. COUTARD {le Comte de ), lieutenant-générat , mem- bre de la Société pour la conservation des monu- ments. — Paris. CRINIER , employé dans les Ponts-et-Chaussées. — Paris. CUSSY (le vicomte de), officier supérieur, membre de la Société pour la conservation des monuments. Vice-Président de la 4° Section. — St-Mande, près Paris. DAGONEAU, juge de paix, ancien président dela Société d'agriculture sciences et arts du Mans , vice-prési- dent de la 2° Section. — Le Mans. DAGOREAU (fils), docteur en médecine. — $4-Calais. (Sarthe). DELARUE, architecte, membre de plusieurs Socié- tés savantes. — Le Mans. DELASALLE, avocat et littérateur.—Mamers.(Sarthe). DEMAUDE , receveur des Hospices. — Le Mans. DAMNEY DE SAINT-LAURENT , juge-suppléant. — Le Mans. DEMBOUR , graveur, membre de l’Académie royale de Metz. — Metz. (Moselle. ) 388 LISTE DES MEMBRES. DEPOISIER ( l'abbé sosera }), professeur au Petit Séminaire de Paris. — Partis. DERACHE, libraire. — Paris. DERODE, chef d'institution. — Æ£squermes. (Nord). DESCARS (l'Abbé), principal du Collége de Château- Gontier. — Château-Gontier. ( Mayenne ). DESCARS , curé de Malicorne. — Malicorne. (Sarthe). DESGRAVIERS , notaire. — Le Mans. DESJOBERT , receveur de l’enregistrement, membre de plusieurs Sociétés savantes. — Le Mans. DESLOGES, membre de la Société des sciences et des lettres. — Caen. (Calvados ). DESNEUBOURGS, juge de paix.—Malicorne. (Sarthe). DESNOS, pharmacien, membre de plusieurs Sociétés savantes. — Æ{lençon. (Orne.) DESPORTES (narcisse), conservateur du Musée, membre de plusieurs Sociétés savantes. — Le Mans. DESPORTES (FRÉDÉRIC ), propriétaire. — Ste-Croix. DIARD , naturaliste. — $4-Calais. (Sarthe ). DOAZAN (eusrave), inspecteur des forêts. —ZLe Mans. DORIZE , huissier-royal. — Le Mans. DOUBLET DE BOISTHIBAULT, avocat , membre de la Société royale des antiquaires de France et de Normandie , conservateur de la bibliothèque de Chartres , conservateur des monuments historiques d'Eure-et-Loir. — Chartres. DOUHET (F. de), membre de l'Académie de Cler- mont-Ferrand. -- Clermont. (Puy-de-Dôme). DROUET , ancien maître de forges, membre du Conseil- Général et de plusieurs Sociétés savantes. —ZLe Mans. LISTE DES MEMBRES. 389 DROUIN , curé de Cherré , près la Ferté- Bernard. — Cherré. (Sarthe ). DUCAS ( cmarLes-Louis), agent de change. — Lille. (Nord). DUCHALLAIS (aporrue), numismate.-— Beaugency. (Loiret). DUCHEMIN DE VILLIERS , ancien magistrat. — Laval. (Mayenne ). DUCREST DE VILLENEUVE , membre de plusieurs Sociétés savantes. — Rennes. ( Ille-et-Vilaine). DUFOUR (rnéonore-Louis), juge de paix du canton de Beaumont. — Beaumont. (Sarthe). DUGAS ( PIERRE ), professeur de rhétorique au Col- lége du Mans. — Le Mans. DUGUÉ , ancien notaire, membre de la Société pour la conservation des monuments. — Le Mans. DUGUÉ ( jeune), membre de la Société française pour la conservation des monuments.— Le Mans. DUMAS, ingénieur en chef du département de la Sarthe, vice-président de la 1° Section. — Le Mans. DUMOULINET, membre correspondant de la Société d'agriculture , sciences et arts du Mans, maire de Ste- Suzanne. — (Mayenne). DUPONT ( cHarLes ), membre de la Société des an- tiquaires de l'Ouest. — Poitiers. (Vienne). DUROUSSET , receveur des impôts du premier ar- rondissement. — Le Mans. DUTERTRE DES COURBES , membre du Conseil- Général du département de la Sarthe. — Juille’ EDOM , inspecteur d’Académie, membre de plusieurs Sociétés savantes , président de la 5° Section.— Caen. 390 LISTE DES MEMBRES. ESPAULART (anozpne), membre de la Société pour la conservation des monuments. — Le Mans. ETOC-DEMAZY (père), vice-président de la Société d'agriculture , sciences et arts du Mans, membre de plusieurs Sociétés savantes , vice-président de la 3° Section. — Le Mans. ETOC-DEMAZY (cusrave) médecin en chef de l’Asile de la Sarthe, membre de la Société d'agriculture, sciences et arts du Mans et correspondant de l’Aca- démie royale de Médecine. — Le Mans. ETOC-LATOUCHE ( FRÉDÉRIC ) , ancien pharmacien , membre de la Société française pour la conservation des Monuments. — Sainte-Croix. (Sarthe). FANEAU DE LA COUR ( aucusre ), membre de plu- sieurs sociétés savantes. — Chatellerault. (Vienne ). FANEAU DE LA COUR (æmiLe), médecin , membre de plusieurs Sociétés savantes. — S+-Æignan. (L.-et-C.). FAUCON-DUQUESNAY , docteur en médecine, — Caen. (Calvados) FLEURIOT , imprimeur. — Le Mans. FLEURY , rédacteur en chef du journal de Cherbourg. — Cherbourg. (Manche ). FORMEVILLE (de), président de la Société des anti- quaires de Normandie, conseiller à la Cour royale de Caer, correspondant du Ministère de l'Instruc- tion publique. — Caen. ( Calvados). FOULARD, horticulteur , membre de la Société d'a griculture, sciences et arts du Mans.— Le Mans. FRÉBOURG ( Louis-vincenr), membre de la Société d'agriculture, sciences et arts du Mans. — Contilly. :( Sarthe). LISTE DES MEMBRES. 394 FRESNAYE (rrépéric de la) membre de plusieurs Sociétés savantes. — Falaise. (Calvados). FRET (l'Abbé), curé de Champs, près Mortagne, membre de la Société des antiquaires de Normandie. FRUGLAYE (le comte de la ), membre de plusieurs Sociétés savantes.— Morlaix. (Finistère). GAIGNARD (l'Abbé), professeur au Collége du Mans. GANDONNIÈRE (l'Abbé), secrétaire particulier de Mgr. l’évêque du Mans. GARNIER ( ér1ENE) , propriétaire — Sainte-Croix lès-le-Mans. GAUDE ( aueusre ), membre de la Société d’agricul- ture , sciences et arts du Mans , directeur des con- tributions indirectes. — £vreux. (Eure). GAUDIN DE SAINT-REMY , chevalier de la Légion- d'Honneur, conseiller de préfecture , membre de la Société des arts du Mans. Vice - Président de la 5° Section.— Le Mans. GAUTHIER, directeur des diligences. — Le Mans. GENDRON, docteur-médecin, membre du Jury mé- dical du département de la Sarthe et correspondant de la Société d'agriculture , sciences et arts du Mans, — Château-du-Loir. (Sarthe). GÉRAULT , curé d'Evron , membre de la Société pour la conservation des monuments. -— £vron. ( Mayenne ). GESLIN (PIERRE-CONSTANT), commis-greffier du Tri- bunal civil. — La Flèche. (Sarthe). GILBERT ( l'abbé ) , directeur de la Psallette. — Le Mans " 592 LISTE DES MEMBRES. GIRARD ( père ), propriétaire. — Sainte-Croix-lès- le-Mans. GIROUARDIÈRE (Madame la comtesse CéciLra de la). — Le Mans. GIVENCHY (ne), membre de plusieurs Sociétés savan- tes, secrétaire général de la 3° Session du Congrès scientifique de France. —S#-Omer. (Pas-de-Calais.) GOBIL ( l'Abbé ) , membre de la Société pour la con- servation des monuments. — Laval. GONOD, professeur au Collége royal, bibliothécaire de la ville, vice-président de l’Académie de Cler- mont-Ferrand.—Clermont-Ferrand.(Puy-de-Dôme). GOSLIN ( cHaRLes ), sous-inspecteur des Écoles pri- maires. — Le Mans. GRANDMOULIN , docteur ès-lettres et licencié ès- sciences, curé archidiacre de St-Quentin, membre de la Société académique de la même ville. -— 5£.- Quentin. (Aisne). GRASLIN ( de}, membre de la Société entomologi- que de France. — {uw château de Malitourne , près Château-du-Loir. (Sarthe). GRENESCHE, curé. — La Ferté-Bernard. (Sarthe). GUÉPIN , substitut du procureur du Roi, membre de la Société pour la conservation des monuments his- toriques. — Le Mans. GUÉRANGER ( rRÉDÉRIC ), professeur de troisième au Collége du Mans, membre de la Société d'agricul- ture , sciences et arts de cette ville. GUIET ( érrEeNNE-LouIs ), juge de paix du canton de Montfort. (Sarthe). GUILLOIS, curé du Pré, membre de la Société LISTE DES MEMBRESI 593 française pour la conservation des monuments. — Le Muns. GUITON de VILLEBERGE(Ie Vicomte de), membre de la Société des Antiquaires de Normandie. — Ævran- ches. (Manche ). HARDOUIN-DUPARC (FRANçoIS JuLIEN), Président du Tribunal Civil. — Le Mans. HAURÉAU( sarru. ), Rédacteur en chef du Courrier de la Sarthe. — Le Mans. HENRI (le Baron). — Le Mans. HERMANGE (vicror ), propriétaire.—ZLe Mans. HERVÉ (3Ean), homme de Lettres. — Le Mans. HIÉLARD (Madame aLine) — Le Mans. HIRON (1sinore), professeur à Notre-Dame de Ste- Croix-lès-le-Mans. (Sarthe). HOUDBERT (père), ancien Président de la Société d'Agriculture , Sciences et Arts. — Le Mans. HOUDBERT, fils, juge , secrétaire de la 5° section du Congrès. — Le Mans. HOURIER (1. aucusre), membre de la Société fran- çaise de Statistique universelle. — Metz. (Moselle) HUET -DUBIGNON , propriétaire. — Monthizot. (Sarthe). HULKES , de l'Université de Cambridge. HUNAULT de la PELTERIE, docteur en médecine.— Angers. (Maine-et-Loire). HUOT , membre de plusieurs Sociétés savantes. — /’er- sailles. ( Seine-et-Oise ). ISON (le Comte d’). — Caen. ( Calvados ). JANIN, docteur en médecine, chirurgien en chef de 394 LISTE DES MEMBRES. l'hôpital du Mans, membre de plusieurs Sociétés sa- vantes. — Le Mans. JANNART de MÉDEMANCHE , ancien adjoint au maire du Mans. — Paris. JAVARY-DUGUESSEAU, président du Tribunal. — St-Calais. (Sarthe ). JEGOU , ingénieur des Ponts et Chaussées. —Ze Mans. JOUBERT ( racQuEs-craRLEs ), membre de plusieurs Sociétés savantes. — Beaulieu. (Maine-et-Loire ). JOUSSET-DESBERRIES, juge d'instruction au Mans, membre de la Société pour la conservation des mo- numents. — Le Mans. JULLIEN , intendant militaire en retraite , fondateur de la Revue encyclopédique , membre de plusieurs Sociétés savantes et étrangères. — Paris. LAHAYES, chirurgien. — Foulletourte. (Sarthe). LAIR (p. A.), conseiller de préfecture, secrétaire de la Société d'agriculture et du commerce, membre de plusieurs Sociétés savantes. Président de la 7° Ses- sion du Congrès. — Caen. LALANDE (yuzes), avocat. — Le Mans. LALANNE, professeur de géométrie au Collége royal militaire. — La Flèche. LAMBRON DE LIGNIM , capitaine de cavalerie. — Tours. (Indre-et-Loire). LANDEL, premier adjoint au maire de la ville du Mans. — Le Mans. LANGLE (rerpiNanp de) , propriétaire. — Vitre. (Ille-et-Vilaine). LANGLE (aueusre de), propriétaire. — Fitre. (Ille- et-Vilaine. LISTE DES MEMBRES. 393 LARGÉ, inspecteur d’Académie , membre de l'Aca- démie royale de Clermont-Ferrand. -- Clermont. LASICOTIÈRE ( Léon ne), avocat, inspecteur de la Société française pour la conservation des monu- ments historiques. — Æ{/lençon. (Orne). LATOUCHE (fils). Le Mans. LAURANCE, principal du Collége.—Luval.(Mayenne). LAVILLEGILLE, (arraur DE) secrétaire du Comité des chartes , chroniques et inscriptions. — Paris. LEBAILLIF (Abbé), chanoine honoraire de la Ca- thédrale du Mans, membre de la Société pour la con- servation des monuments. — Le Mans. LECHAT ( azexanDRE ), membre de la Société pour la conservation des monuments. — Le Mans. LÉCHAUDÉ d’ANISY, membre de la Société pour la conservation des monuments. — Caen. (Calvados). LECOINTRE-DUPONT, membre de plusieurs Socié- tés savantes. — Poitiers. (Vienne). LECOMTE, chef de bureau à la préfecture de la Sar- the, secrétaire du Comice agricole et de la Com- mission des monuments. — Le Mans. LECOQ , professeur d'histoire naturelle, membre de l’Académie de Clermont , secrétaire général de la 6° Session du Congrès scientifique. — Clermont- Ferrand. LEFEBVRE-DU-BREUIL , ancien conseiller de Préfec- ture. — Le Mans. LEFOYER, notaire. — La Ferte-Bernard. (Sarthe). LE GALL, conseiller à la Cour royale, président de la 3° Section. — Aennes. (Ille-et-Vilaine. LEGLAY (le Docteur) , membre de plusieurs Sociétés 396 LISTE DES MEMBRES. savantes, garde général des archives de Flandre et Vice-Président de la 3*° Session du Congrès Scienti- fique. — Lille. (Nord). LEGUICHEUX, ancien pharmacien, membre de la Société pour la conservation des monuments, — Fresnay. LEHELLOCO, élève ingénieur des Ponts et Chaussées. — Le Mans. LELAIR, professeur du Petit Séminaire de Tessé. — Le Mans. LELONG ( PIERRE ARSÈNE ), député de la Sarthe , mem- bre du Conseil Général du département. — Château- du-Loir. LEMERCIER, D.-M., médecin de l'Hôpital et des pri- sons, correspondant de la Société royale de médecine et du Jury médical de la Mayenne. — Mayenne. LEMORE (Louis), contrôleur des contributions direc- tes. — Le Mans. LEPAGE, D.-M., membre de la Société académique d'Orléans. -- Orleans. (Loiret). LEPELLETIER , docteur-médecin, secrétaire de la 3° Section. — Le Mans. LEPRINCE, adjoint de la Mairie du Mans, professeur , membre de la Société des sciences et arts du Mans. — Le Mans. LERET-DAUBIGNY , ancien receveur de l’enregistre- ment. — Le Mans. LE VER, (le Marquis) ancien colonel, membre de plusieurs Sociétés savantes. — Roquefort, par Fau- ville. (Seine Inférieure. } LHERMITE, docteur en médecine. — Saint-Calais. (Sarthe). LISTE DES MEMBRES. 397 LOMBARD, capitaine d'État-Major. — Le Mans. LORY (aîné), avocat. — Laval. (Mayenne). LOTTIN (l'Abbé), chanoine, membre de plusieurs Sociétés savantes. — Le Mans. LOUANDRE, membre de la Société académique d’Ab- ville, et bibliothécaire de cette ville. — Æbbeville. (Somme). MAGDELAINE , ingénieur en chef du département de la Mayenne. — Laval. ( Mayenne). MAGNEVILLE (de), fondateur du Muséum d’his- toire naturelle, membre de plusieurs Académies. — Caen. (Calvados). MAILLY (le Comte de), ancien Pair de France, membre de plusieurs Sociétés savantes. — Æu Chà- teau de la Roche-de- Vaux, commune de Requeil. (Sarthe). MALLAY, Architecte, membre de l’Académie de Clermont-Ferrand. — Clermont-Ferrand. MALLET , pharmacien. — Le Mans. MANCEAU (l'Abbé), chanoine honoraire , membre de plusieurs Sociétés savantes. — Tours. ({ndre-et- Loire ). : MARHALLA (de), membre de la Société pour la conservation des monuments.— Quimper.(Finistère). MARSEUL, chef d'institution à N.-D. de Ste-Croix, secrétaire de la 1" Section. MATHIEU, professeur au Collége royal , membre de l'Académie de Clermont-Ferrand. — Clermont-Fer- rand. (Puy-de-Dôme). MAUBOUSSIN , notaire. — Le Mans. 398 LISTE DES MEMBRES. MAUDUIT, conservateur du Muséum d'histoire na- turelle, membre de plusieurs Sociétés savantes. — Poitiers. (Vienne ). MAUTOUCHET ( l'abbé), économe au Grand-Sémi- naire du Mans. — Le Mans. MEINADIER , préfet du Puy-de-Dôme. — Clermont. MÉNARD-BOURNICHON , ancien chef de bataillon du Génie, membre de plusieurs Sociétés savantes. — Le Mans. MÉNARD DE LA GROYE ( M" uyprouTE). — Le Mans. MÉNARD DE LA GROYE ( azPnéE ), propriétaire. — Le Mans. MÉNARD DE LA GROYE (nyPpoLITE), propriétaire. Le Mans. MERSON ( le Commandant ) , membre de la Société des sciences et lettres. — Blois. (Loir-et-Cher). MESNARD DE SEILLAC, correspondant de la Société d'agriculture du Mans, membre du Conseil Général du département de la Sarthe. — Le Grand-Luce. MONNOYER, membre du Conseil municipal, impri- meur.— Le Mans. MONSEIGNEUR L'EVÊQUE du Mans. MONSEIGNEUR L'EVÊQUE de Séez. MORANCÉ (l'Abbé), membre de la Société française pour la conservation des monuments, vicaire. — La Ferté-Bernard. (Sarthe). MORAND (de), propriétaire. — Le Mans. MORDRET , docteur en médecine, membre de plu- sieurs Sociétés savantes. — Le Mans. & LISTE DES MEMBRES. 399 MOREAU (l'abbé), supérieur de la Maison de N.-D. de Sainte-Croix-lès-le-Mans. MOREAU , membre de plusieurs Sociétés savantes , bibliothécaire de la ville de Saintes.—wSaëntes. (Cha- rente-Inférieure). MOUCHOT ( rméonore ), directeur de l'École pri- maire supérieure. — Le Mans. MOUSSERON , propriétaire. — Le Mans. MURR , docteur en médecine , élève du docteur Hahne- mann , fondateur de l’'Homéopathie. MUSSET (le Marquis de), ancien député, membre de plusieurs Sociétés savantes. — Cogners. (Sarthe). NEPVEU DE BELLEFILLE, membre correspondant de la Société des arts du Mans , et de la Société pour la conservation des monuments, maire. — Chemire- le-Gaudin. (Sarthe). NEUVILLE ( de) , propriétaire. — Le Mans. NIQUEU , membre du Conseil municipal. — Le Mans. ODOLANT-DESNOS , secrétaire de l’Académie de l’In- dustrie , ingénieur civil des Mines. — Paris. OGIER ( armé), propriétaire. — Le Mans. OLINCOURT ( d’}), ingénieur-civil, membre de plu- sieurs Sociétés savantes. — Bar-le-Duc. (Meuse ). PAIN (ré£ux), avocat. — Le Mans. PALLU , juge au Tribunal du Mans, membre de plu- sieurs Sociétés savantes. — Le Mans. PALLU, juge au Tribunal civil de la Flèche, membre de plusieurs Sociétés savantes.—La Flèche.(Sarthe). PAPINEAU, ex-président de l'assemblée du Bas-Ca- nada. — Paris. 400 LISTE DES MEMBRES. PARANDIER , inspecteur des écoles primaires. — Le Mans. PASTORI, directeur de la bibliographie Universelle. — Parme. PATIER-DUPONCEAU,, propriétaire. — Le Mans. PERCHERON, curé de Saint-Pavace. (Sarthe). PERROCHEL( le Comte de )}, membre du Conseil-Gé- néral du département de la Sarthe, de la Société entomologique de France et de plusieurs autres So- ciétés savantes. — uw château de St-Aubin, près Fresnay. (Sarthe ). PESCHE ( jeune), membre de plusieurs Sociétés sa- vantes. — Le Mans. PESCHE,, libraire. — Le Mans. PETITBON-GILONNIÈRE, propriétaire. — La Ferte- Bernard. (Sarthe }. PIÉDOR , avoué. — Le Mans. PILON, notaire. — Le Mans. PITTON-DESPREZ ( l'abbé ), conservateur des ar- chives épiscopales. — Coutances. (Manche). PIQUET , professeur au Collége du Mans, membre de la Société d'agriculture sciences et arts. — Le Mans. PHILLEMAIN (de ), propriétaire. —#’endôme.(Loir- et-Cher ). POEY-D'AVANT , numismate et receveur de l’enre- gistrement. — Ballon. (Sarthe). POIRRIER (auçcusre) directeur de l’école normale. — Le Mans. POLLET (marre), conservateur dela bibliothèque de Vi- tré, inspecteur des monuments historiques. — l'îtré. (Ille-et-Vilaine). LISTE DES MEMBRES. 401 PORTE ( dela ), membre de la Société des sciences et lettres de Blois. — Y’endôme. (Loir-et-Cher ). PORTE (awBroise de la), propriétaire et maire. — Oise. (Sarthe). PROUST (azmiRE), licencié en droit. — S-Calais. (Sarthe). QUENTIN, lieutenant-colonel de cavalerie,en retraite, chevalier de la Légion-d'Honneur , membre de la Société d’agriculture,sciences et arts de la Sarthe..Vi- ce-président de la 4° Section. -- Le Mans. REAL DE AJUA , poète. — Le Chili. ( Amérique. ) RÉSIMONT (le Général), membre de plusieurs Socié- tés savantes. — Saënt-Péters bourg. RICHARD-d'ISIGNY , ancien magistrat, membre de plusieurs Sociétés savantes. — ire. ( Calvados ). RICHEBOURG ( de ) jeune , propriétaire. — Le Mans RICHELET, secrétaire-général de la 7° Session du Congrès. — Le Mans. RIVAULT , membre de la Société pour la conservation des monuments. — $S4-Julien. (Sarthe ). RIVIÈRE-THORÉ, vérificateur des poids et mesures, membre de la Commission archéologique du dépar- tement de la Sarthe. -- La Flèche (Sarthe). ROBIN-MASSÉ , docteur en médecine. — 46. Avit, commune de St-Denis-des-Ponts, près Châteaudun. (Eure-et-Loir ). ROHRBACHER (l'abbé). — Nancy. (Meurthe). ROOSMALEN (de), professeur, secrétaire perpétuel et fondateur de la Société d'Emulation, pour les scien- ces, les lettres et les arts de Paris; secrétaire gé- néral de la Société d'Encouragement ; secrétaire gé- néral de l’Athénée des beaux-arts. — ?aris. IL. 26 402 LISTE DES MEMBRES. ROSIAU, médecin de l’Hospice et des prisons. — Ma- mers. (Sarthe). ROUSSEAU (awagLe), professeur de dessin à l'École primaire supérieure. — Le Mans. ROUSSEAU (acnrLze), homme de lettres, membre de plusieurs Congrès. — {ngers. (Maine-et-Loire ). ROUSSELIN , premier président à la Cour Royale. — Caen. (Calvados). SAINT-MAIXENT ( aueusre de ), chevalier de St- Louis, membre de la Société d'agriculture, sciences et Arts de la Sarthe. — St-Maixent. (Sarthe ). SALABERRY (le Comte de), ancien député, membre de la Société des sciences et lettres de Blois, au Château de Fossé, près Blois. (Loir-et-Cher ). SALLE (madame la comtesse dela). — Le Mans. SALMON (RENÉ sosErn), membre du Conseil-Général du département de la Sarthe , correspondant de la So- ciété d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe.—5Sa- ble. (Sarthe). SAUSSAYE (dela), membre correspondant de l’Institut, secrétaire général de la 4° Session du Congrès, mem- bre de la Société des sciences et lettres. — Blois.(Loir- et-Cher). SAVARDAN, docteur-médecin, correspondant de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe. — La Chapelle-Gaugain. (Sarthe). SCELLES (l'abbé), professeur de rhétorique. — Fire. (Calvados). SEIGNOUX (l'Abbé), vicaire.—Chemireé-le-Gaudin. (Sarthe). SIDNEY-SMITH (l'Amiral ). — Paris. LISTE DES MEMBRES. 403 SÉVIN, membre du Conseil-général du département de la Sarthe , secrétaire de la 2° Section. SOCIÉTÉ de Médecine d'Angers. — Une Adhésion. SOCIÉTÉ Royale d'Emulation d’Abbeville. — Une Adhésion. SOCIÉTÉ d'agriculture d’Avesnes. — Deux Adhésions MM. AUBRY (arrrep), membre corres- Déni. pondant, contrôleur des contribu- cxeues tions directes. — Chäteau-du-Loir. DURIEUX. — Paris. SOCIÉTÉ Royale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux. — Une adhésion. SOCIÉTÉ des sciences et des lettres de Blois. — Une adhésion. ASSOCIATION NORMANDE DE CAEN. — Six ad- hésions. MM. GODEFROY, trésorier dela Société. CANEL , inspecteur de l'Association. NASSE (rRÉDÉRIc), membre de l’Asso- ciation normande. — Pontaudemer. PES RENAULT , juge d'instruction. — Délégués : Domfront. — Orne. DESNOS, membre de plusieurs Sociétés savantes. — Æ{lençon. DE CAUMONT , membre de plusieurs Sociétés savantes. — Caen. SOCIÉTÉ des Antiquaires de Normandie. — Caen. Trois adhésions. MM. GUITON de VILLEBERGE (le Vi- Hu comte de). — {vranches. Délégués F CASTEL. — RES DUPRÉ (l'Abbé). — Cherbourg. SOCIÉTÉ Linnéenne de Normandie. — Caen. Deux adhésions. 404 LISTE DES MEMBRES. MM. LECLERC docteur en DÉVEURE , A président de la Société. — Caen. Délégués : FAUCON-DUQUESNAY , docteur en médecine , archiviste. — Caen. SOCIÉTÉ Francaise pour la conservation des monu- ments. — Caen. Trois adhésions. MM, GAUGAIN, trésorier. LÉCHAUDE-D’ANISY , membre de plusieurs Sociétés savantes. MARHALLA (de).— Quimper. SOCIÉTÉ d'Agriculture et de Commerce. — Caen.Trois adhésions. ÿMM. DESLONCHAMPS. | DESCHAMPS. LAIR. SOCIÉTÉ d'Agriculture, du commerce, sciences et arts de Calais. Une adhésion. SOCIÉTÉ d'Emulation du département des Vosges. -— Épinal. Une adhésion. SOCIÉTÉ Philharmonique. — Le Mans. Délégué : M. BOYER. SOCIÉTÉ de l'Union. — Le Mans. Une adhésion. Délégués : Délégués : SOCIÉTÉ royale académique de Nantes et de la Loire- Inférieure. — Vantes. Une Adhésion. SOCIÉTÉ Nantaise d'Horticulture. — Mantes. Une Adhésion. SOCIÉTÉ royale des sciences, belles-lettres et arts d'Orléans. Une adhésion. Délégué : M. PAYEN. SOCIÉTÉ Philotechnique de Paris. Deux adhésions. Dé MM. JULLIEN , membre de celte Société. ÉIÉSRES À PESCHE , membre correspondant. SOCIÉTÉ d'’agricuhure, sciences et arts de la ville du Mans. Trois adhésions. LISTE DES MEMBRES. 405 MM. CAUVIN. Délégués : ETOC-DEMAZY, père. BEDEL. SOCIÉTÉ des antiquaires de l'Ouest. — Poitiers. Une adhésion. Délégué : M. AUBER (l'Abbé) , chanoine et directeur de l’École cléricale de Poitiers. SOCIÉTÉ Académique de Poitiers. Une Adhésion. Délégué : M. AUBER (l'Abbé), chanoine de Poitiers, supérieur du Petit Séminaire, membre de plusieurs Sociétés savantes. SOCIÉTÉ des sciences et arts de Rennes. (Ille-et-Vi- laine). Trois adhésions. Délégué : M. LE GALL. SOCIÉTÉ d'agriculture et d'industrie de Rennes. Une adhésion. Délégué : M. LEGALL , ancien Député, conseiller à la Cour Royale. Président de la 2° Sec- tion. SOCIÉTÉ d'Archéologie du midi de la France. — Tou- louse. Une adhésion. Délégué : M. CASTELLANE (le Marquis de), membre de plusieurs Académies. SOCIÉTÉ médicale du département d'Indre-et-Loire. — Tours. Une adhésion. SOCIÉTÉ d'agriculture, commerce, sciences et arts du département de la Marne. — Chélons-sur-Marne. Une adhésion. SOCIÉTÉ Polymatique du Morbihan. — J’annes. Une adhésion. SOCIÉTÉ Académique de Clermont-Ferrand. Une ad- hésion. SOLÉRAC (M: de ). — Le Mans. SOREAU , propriétaire. — Le Mans. 406 LISTE DES MEMBRES. SPENCER SMITH, membre de la Société Royale de Londres. TAILHAND , président de chambre à la Cour royale de Riom, président de l’Académie de Clermont-Fer- rand. — Aiom. (Puy-de-Dôme ). TEILLEUX , docteur en médecine , ophtalmologiste et naturaliste. — Le Mans. THÉVENOT,, secrétaire de l’Académie de Clermont- Ferrand. — C{ermont-Ferrand. THIEULLEN, préfet des Côtes-du-Nord.—St.-Brieux, THOMAS (ruéopore), ancien préfet du département de la Sarthe, préfet du Jura. — Lons-le-Saulnier. THORÉ ( menri ), ancien magistrat. — Le Mans. THORÉ (cmaARLes) , négociant. — Le Mans. TILLY (ccémeNT DE), membre de la Société pour la conservation des monuments. — Le Mans. TOUCHARD (Madame Louise), — Le Mans. TOUPIOLLE, naturaliste. — Le Mans. TOURNESAC (l'Abbé), membre de plusieurs Sociétés savantes, inspecteur des monuments historiques. — Le Mans. TRIGER, géologue, chargé de la Carte géologique du département de la Sarthe, membre de plusieurs So- ciétés savantes. — Le Mans. TROLLEY, professeur à la Faculté de Droit, 2° Vice- Président de la 7° Session du Congrès. — Caen. TROTTÉ DE LA ROCHE, président du Tribunal de commerce, membre du Conseil-Général et de la LISTE DES MEMBRES. 407 Société des arts. Vice-président de la 2° Section. —Ze Mans. VALLÉE (»Laron), docteur-médecin, membre de plusieurs Sociétés savantes. Président dela 5° Section. — Le Mans. VANDERBACH, docteur en médecine, membre cor- respondant de l’Institut historique de France, et de la Société d'histoire naturelle du département de la Moselle. — Thionville. VANSSAY (le Baron de), ancien conseiller d'état et ancien préfet. — {uw Château de la Barre, près Saint-Calais. — Conflans. (Sarthe ). VANSSAY (madame de). — Le Mans. VAUCHELLE-LONGCHAMP , médecin au Mans, mem- bre de la Société de médecine de cette ville. —ZLeMans. VAUCHELLE-LONGCHAMP , fils, médecin. — Le Mans. VEILLARD (conwsranT), propriétaire. — Le Mans. VERDIER ,, professeur au Collége du Mans , secré- taire de la 6° Section. -- Le Mans. VIBRAYE (le Comte de), membre de la Société des sciences et lettres de Blois. — Cheverny.(L.-et-Ch.) VIÉ, agronome, membre correspondant de la Société d'agriculture , sciences et arts du Mans, maire. Se- crétaire de la 2° Section. — Mansigne. Sarthe ). VILLIERS ( de), conservateur du Muséum d'histoire naturelle de Chartres, membre de plusieurs Sociétés savantes nationales et étrangères. VOISIN (lAbbé ), vicaire de St.-Nicolas, membre 408 LISTE DES MEMBRES. de la Société pour la conservation des monuments, — Blois. ( Loir-et-Cher ). ZACKZEWSKI ( Mrcuer ), polonais refugié, profes- seur de mathématiques, ancien élève de l’école polytech- nique de Varsovie. 409 RRIRRRRRIRRR OUVRAGES OFFERTS PAR LEURS AUTEURS, RRARRA AU CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE, PENDANT LA SEPTIÈME SESSION TÉNUÉ AU MANS EN SEPTEMBRE 1839. Fabulas de don Gabriel-Alejandro Real de Ajua. Paris, 1839, in-18. A discourse on the history and importance of the philosophy “of the human mind ; by J. Hervé. Richmond, 4830, in-80. Angers et Paris. Août et février. (Pièce de vers de M. le docteur Hunault de la Pelterie.) Angers , 1831 , in-80. Propositions aphoristiques touchant la nature, le siége et le traitement du choléra... par le même. Angers, 1832, in-80. Sur l’appréciation théorique et pratique de la lithotritie..…; par le même. Angers, 1835, in-80. Discours (en vers) sur le tremblement de terre de la Marti- nique et le désastre de la ville de Fort-royal; par le même. Angers, 1839, in-80. 410 OUVRAGES OFFERTS Association des médecins, chirurgiens et pharmaciens du dé- partement de Maine-et-Loire, pour la création d’une caisse de prévoyance ; par le même. Angers, 1837 , in-8o. Journal de vaccine et de maladies des enfants... par M. L. M. James, docteur-médecin. 9e année , août 1858 ; Paris, 1838, in-80. Lettre à M. Duchallais sur l'attribution de la légende Brios- sovico, à Brioux ; par M. Eloy Johanneau. Blois , 1829 , in-8o. Lettre à M. de Saulcy, sur son attribution à la ville de Vai- son, d’un denier carlovingien qui a pour légende Aquis Vason; par le même. Blois, 1830, in-80. Essai général d'éducation physique, morale et intellectuelle , suivi d’un plan d'éducation pratique pour l'Enfance, l’Adolescence et la Jeunesse... par M. Marc-Antoine Jullien de Paris. Paris, 1835, in-80. Appel au bon sens national et à la conscience publique , sur la crise actuelle et sur les prochaines élections ; par le même. Paris, 1839, in-80. Mémorial encyclopédique et progressif des connaissances hu- maines, etc... par MM. Bailly de Merlieux et Jullien de Paris..." 9e année, nos 97-104; janvier — août 1839. Paris, 1839, in-80. Projet d'établir à Paris une société centrale d’édilité, par M. Jullien de Paris. Versailles, 4835, in-80. Mémorial horaire ou thermomètre d'emploi du temps... par M. Jullien de Paris. Milan, imp. roy. 1813, in-80. Comptes (17) rendus des travaux de la Société Philotechni- que, par M. le baron de Ladoucette, secrétaire perpétuel. Séances des années 1832-1839. Paris, in-80. Discours sur la 8e exposition des produits des arts du dépar- tement du Calvados, en 1806, par Pierre-Aimé Lair. Caen, 1819, in-80, sur papier paille. Notice sur une médaille d'Amaury-Bouchard, par M. Lecointre- Dupont. Poitiers, in-80. AU CONGRÈS. AA La légende de Saint-Julien-le-Pauvre, d’après un manus- crit de la bibliothèque d’Alençon, par M. Lecointre-Dupont. Poi- tiers, 1839, in-8o. Rapport sur les travaux de la Société des Antiquaires de l'Ouest, pendant l’année académique 1837-1838;par le même.Poitiers,in-80. Rapport sur une découverte de monnaies du moyen-âge ; par le même. Poitiers , in-80. Mémoire sur le danger des inhumations précipitées ; par le docteur Lepage , d'Orléans. — Blois, 1837, in-8o. Des hémorrhoïdes et de la chute du rectum ; par M. Alm. Le- pelletier ( de la Sarthe). Paris, 1834, in-8o. De l'emploi du tartre stibié à haute dose dans Île traitement des maladies en général, dans celui de la pneumonie et du rhuma- tisme en particulier ; par le même. Paris, 1835, in-80. Traité de l’érysipèle et des différentes variétés qu’il peut offrir; par le même. Paris, 1836 , in-8c. Physiologie médicale et philosophique ; par le même. Le Mans, 4 vol. in-80. Eléments d’Arithmétique raisonnée à l’usage des Frères de S.-Jo- seph....par M. l'abbé S. A. de Marseul,1re partie.Paris,1839,in-12. Epitome historiæ sacræ de l’Homond, trad. du latin en grec; par des professeurs du petit séminaire de Saint-Nicolas à Paris. Paris, 1835, in-12. Réflexions sur les systèmes en médecine; par M. Mordret, d. m., Le Mans, 1838 , in-12. Le Musée de Versailles, poème ; par Mlle Elise Moreau. In-8° (1839). À Hahnemann, (vers de M. le D. J.-B. Murr). Paris, 1839, in-8o. Phytotymie , ou étymologie des noms formés du grec, usités en botanique ; par Emmanuel Paty, professeur. Paris, 1839, in-80. Etrennes Coutançaises.…. concernant le diocèse de Coutances; 412 OUVRAGES OFFERTS par M. l'abbé Martial Pitton-Desprez. 4e, 5e et 6e année. 1833-47. Coutances, 1836, in-18. Des moyens de propager le goût de la Musique en France, et particulièrement dans les départements de l’ancienne Normandie ; par M. J.-F. Porte. Caen, 1833, in-8o. Rapport sur l'extrait du 2e cours gratuit de M. Lombard, relatif à l'éducation et à la conservation des abeilles..; par M. Revel de la Brouaize, conseiller à Caen. Caen, 14820 , in-8o. Derniers moments de la duchesse d’Abrantès ; par M. de Roos- malen , professeur. Paris, 14838, in-80. Pensées de Mne la princesse de Salm , 5e édit. Paris, 1836, in-8o, Ouvrages divers en prose, suivis de mes soixante ans; par la même. Paris, 1835 : 2 vol. in-18. Poésies de Mme la princesse de Salm , 3e édition. Paris, 1835, 2 vol. in-18. L'Imitation de J.-C., trad. en vers français ; par M. de Sapinaud de Boishuguet. Angers, 1839, in-18. Etudes de micromammologie. Revue des musaraignes, des rats et des campagnols, suivie d’un index méthodique des mammifères de l’Europe ; par M. Ed. de Selys-Longchamps. Paris , 1839, ip-80 avec fig. Observation sur une pupille artificielie ; par M. Teiïlleux , ocu- liste au Mans. Paris, 1826, in-80. Espérance et foi ; par Mme Louise Touchard, avec une préface de M. Hauréau. Le Mans , 1839, in-18. Ecole d'application pour l’agriculture et l’industrie rurale établie dans le département de la Sarthe, commune de Mansigné.… fondée par une Société d'agronômes..….. dirigée par M. Vié, maire de Mansigné. Le Mans, 1836, in-8o. Projet d’une école pratique d’agriculture pour le département de la Sarthe , proposé à M. le Préfet par M. Vié.…. Le Mans, 1839, in-4o. AU CONGRÈS. 443 Origines blésoises ; par M. l'abbé Voisin. Blois, 1839, in-8o. Notice sur Matoval ou origines de Saint-Calais : par le même. Blois, 1839, in-8o, Société française pour la conservation des monuments histori- ques. Procès-verbaux des séances générales tenues depuis 1836: jusqu’en 1839; par les secrétaires MM. Cardin, Anjubault, Man— ceau, etc. Caen, 1837-39, in-8o. Assemblée générale annuelle de la Société de la morale chré- tienne. Séance du 22 avril 1839. Paris, in-8c. Annales du parlement français ; par un Société de publicistes sous les auspices des deux Chambres, session de 4839. 4re et 2%e livraison. Paris, 1839, in-8o. Bibliographie universelle. Résumé périodique des publications nouvelles de tous les pays... Paris, 1839, 2e année, Are, 2e et 5e livr. in-80. Mémoires de la Société royale d'agriculture et de commerce de Caen. Caen, 1827-37, 4 vol. in-8o. Notions de Géométrie et de Cosmographie à l'usage des maisons d'éducation ; par M. l'abbé... Le Mans, 1837, in-18. Société d’agriculture, sciences et arts d'Angers. Souvenirs de lexposition de peinture et de sculpture ancienne de 1839. 2 cahiers. in-80. Des comices agricoles de la Sarthe. Le Mans , 1839 , in-8o. Le Cultivateur, journal du progrès agricole et bulletin du cercle agricole de Paris. Août, 4839, Paris, in-8o. Rapport sur une jambe artificielle imaginée par M. Ferdinand Martin, chirurgien, fait par M. Blandin à l’Académie de méd. le 17 avril 1838. Paris, 1838, in-S8o. La Ruche, journal d’études familières ; par MMes L.-S. Belloc et Ad. Montgolfier. No 31, 1er juillet 1838. Paris, in-8. Abrégé des études élémentaires de la Musique d’après les meil- 414 OUVRAGES OFFERTS leurs auteurs de France et d'Italie; par C. Blin, maître de cha- pelle au collége du Mans. Le Mans, 4838, in-12. Almanach-Bottin du commerce de Paris, des départements de la France et des principales villes du monde...; par Séb. Bottin, 1839. Paris, in-80. Tableau figuratif de la structure minérale du globe ou résumé synoptique du cours de géographie de M. Nérée Boubée. Paris, 1839. Histoire naturelle des perroquets, 3e vol. supplémentaire pour faire suite aux deux volumes de Levaillant, contenant les espèces laissées inédites par cet auteur et récemment découvertes..; par M. Bourjot Saint-Hilaire... Paris, 1837-58, grand in-40, {re livr. Lettre à un médecin de province sur les établissements médi- caux et particulièrement sur les dispensaires ophtalmiques de Lon- dres ; par le docteur Bourjot Saint-Hilaire. Paris, 1836, in-40. Considérations générales sur les voies lacrymales ; par le même. Paris, 1837 , in-80 avec fig. Notice biographique sur François Pichon, ancien maître de mu— sique au Mans ; par M. Boyer, régent de rhétorique. Le Mans, 1856, in-8e. Notice biographique sur M. l'abbé Dubreuil, principal du collége du Mans; par le même. Le Mans, 1859, in-12. Notice biographique sur René Renvoisé , sous-principal du col- lége du Mans ; par le même. Le Mans, 1858. in-12. L'Éducation , poème en douze chants ; par le même. Le Mans, 1838, 2 vol. in-80. , Balsamelæon , eau hémostatique et antiscorbutique ; par M. Pierre Brocchieri, napolitain. Paris, 1839, broch. in-40. Epitre à M. de Caumont, président de l’Associatiou Normande; par M. E. Castillon de Saint-Victor (en vers). Avranches, 1839, in-80. Essai sur la distribution géographique des roches dans le dépar- AU CONGRÈS. 415 tement de la Manche ; par M. de Caumont. 2e partie. Caen, 1838, 23 pag. in-40. Revue Normande rédigée par une Société de savants... sous la direction de M. de Caumont. 2e vol. Caen ; 1833, in-8e. De l’état de la Musique en Normandie depuis le IXe siècle jus— qu’à nos jours ; par Mile Emma Chuppin. Caen, 1837, in-8o. De l’état de l'Agriculture en France et de l’abaissement du droit d'importation sur les bestiaux étrangers ; par Ad. Delacour. Paris, 1838, in-80. Génération des courbes, dites sections coniques, ramenées à une question de géométrie élémentaire; par Victor Derode. Lille, 1839, in-80. Introduction à l'étude des Langues ; 3e partie de la méthode; par le même. Lille, 1856, in-8o. Introduction à l'étude des Langues. Principes élémentaires de grammaire destinés aux commençants; par le même. 2e et 3e par— tie, 2e édition. Lille, 1838, in-8o. Notice sur la méthode d'enseignement de M. Jacotot; par le même. Lille, 1830 , in-8o. Eloge du haut et noble prince Louis-Antoine-Henri de Bourbon Condé, duc d’Enghien ; par le même. Lille, 1827, in-8o. L’Autorité considérée comme principe de la certitude; par le mème. Lille , 1830 , in-80. La Foi considérée comme le fondement de toutes nos connais- sances,et quelques mots sur la méthode de Descartes; par le même. Lille, 1829, in-8o. Introduction à l'étude de l’'Harmonie ou exposition d’une nouvelle théorie de cette science ; par le même. Paris, 1828, in-8o. Sur M. de La Mennais, à l’occasion des Paroles d’un Croyant. Broch. in-8o. 416 OUVRAGES OFFERTS Carte du diocèse du Mans, ancien et moderne, comprenant ka Sarthe et la Mayenne, partie de l'Orne, Loir-et-Cher, Indre-et- Loir. (Offert par M. Pesche, libraire.) Description topographique et industrielle du diocèse du Mans, suivie du guide du voyageur dans la Sarthe , la Mayenne et les dé- partements limitrophes ; par N. Desportes, 2 édition. Le Mans, 4838, in-18. (Offert par M. Pesche, libraire.) Flore de la Sarthe et de la Mayenne, disposée d’après la mé— thode naturelle, avec l'indication des propriétés médicales des plan- tes et leur usage dans les arts; par N. Desportes. Le Mans, 1858, in-80. Le Bandoulier, histoire du temps de Pierre de Dreux, dit Mau- clerc, duc de Bretagne ; par M. E. Ducrest de Villeneuve. Paris, 1837 , 2 vol. in-80. Discours sur l'amour de son état , prononcé à la distribution des prix du collége royal de Caen, le 10 août 1825 ; par M. Edom , pro- fesseur. Caen , 1825, in-80. Notice biographique sur M. l'abbé Rousseau, inspecteur de l'académie de Caen ; par M. Edom. Caen, 1836, in-80. Visite au collége royal de Caen, ancienne abbaye de St-Etienne, fondée dans le XIe siècle, par Guillaume-le-Conquérant ; par le même. Caen, 1829, in-80. Notice historique sur la manufacture d’étoffes de Lisieux, depuis sa fondation comme corporation en 1435, jusqu’à la suppression des Communautés d’arts et métiers en 1791 ; par M. H. de Formeville, conseiller à la Cour royale de Caen. Caen, 1837, in-80. Examen critique du projet de loi sur l'Instruction secondaire , présenté par le Ministre de l'instruction à la Chambre des députés, dans la séance du 1er février 1856 ; par M. J.-P. Gasc, professeur. Paris, 1836 , in-80. Considérations sur la nécessité et les moyens de réformer le ré— ÂU CONGRÈS. 417 gime universitaire adressées au ministre de l’instruction publique. par J.-P. Gasc. Paris, 1829, in-8o. Pétition adressée à la chambre des députés sur les réformes qu’exigent, dans l'éducation publique, l’état actuel de la civilisa tion... par J.-P. Gasc. Paris, 1833, in-8o. Procédé pour lancer des navires à la mer; par M. Gasc, cons- tructeur à Caen. Caen, 1839, in-8o. Fourier et son système ; par Me Gatti de Gamond. Paris, 1838, in-8o. Recherches sur les épidémies des petites localités; par Esprit Gendron. Paris , 1834, in-8o. Propositions sur le croup et la trachéotomie ; par le même. Paris, 4835 , in-80. Du cathétérisme curatif, du rétrécissement de l’œsophage ; par le mème. In-80. Recherches sur la confession auriculaire ; par M. l'abbé Guillois, euré du Pré. Le Mans, 1836, in-12. Essai sur les superstitions ; par le même. Lille, 1836 , in-8o. Nouvelle explication du catéchisme , où le dogme et la morale sont expliqués par 400 traits historiques ; par le même. Le Mans, 4835, in-12. Explication historique, dogmatique et morale du nouveau caté— chisme , à l'usage du diocèse du Mans; par le même. Le Mans, 1839, in-12. Essai de statistique minéralogique et géologique du département de la Mayenne ; par M. Ed. Blavier. Le Mans , 1837, in-80. Annuaire Normand, rédigé par l'Association normande ; 5e an- née. Caen , 1839, in-80. Nora. Ces ouvrages ont été, par décision du Congrès , déposés à la Bibliothèque publique de la ville du Mans. HI. 27 te Pa x F5 1 20rS : Da à É + ou SAATATÉ vit % 22 PU RTE" 1% ss HT Hi rater eng :0b CERCLE UT he aodie, - A7 7. \ 3 + PEER # ro nf, AG LAS RC H jure at ten ns ) Pr a qu gl tx 2 MATIERE 4e US 6 UN RE rs NAME 2 dl Elu A Lai mit VE ot Hnteationt or, ire cris adide CE ES \ } TANT ET ri LA l % RAR ba +: da à — * OA Sn AL une EMA) à: 5 à Es are ni OU ESP PEU FARATHEO OT AP M at > . outre tu DEF, mini ] \] 214 x Yo "That lerx 2 à Sao Lu dite ah Pi 1, sé sie Se * ne 114 - b EL t fs ons 40h a És , MAMA ut QuA si ES Mr, est sat ps eu Nas}; se sis et ad ARR SE ati ta le Kiss LA. EL b # . ue mg run ‘a alice 40 MrpLir sob” Saphoted ani on Dur tomes de Fra ds porn Neutre ons 0 y nos st FT LL DENT 8 ÊTTA 1p RTS hui ae 2 sna0 TON , san “J “tél A& 407" SO | L N à attend" ‘Ass PUR nt na SR d ” M 0 Lt Re L 74 ? hole DE. 1-88 ro ne mn e 349 RSI TO TO IT DIT ISIN III III II ITIS LIT SISTS INIST IIT INIST TITI TITI IT STE TABLE DU PREMIER VOLUME. PRÉFACE ; page V—IX. ARRÊTÉ, pris à Clermont-Ferrand, pour la tenue, au Mans, de la septième Session du Congrès Scientifique de France ; p.1x-xI. CmcuLaIRE de convocation au Congrès Scientifique de France, par MM. les Secrétaires-Généraux de la septième Session ; page XII-XVI. CirouLaIRE de MM. les Secrétaires-Généraux à MM. les Prési- dents des Sociétés-Savantes ; page. XVII. CircuLaiRE de MM. les Secrétaires-Généraux aux habitants des départements de la Sarthe et de la Mayenne ; page xvil1-xix. PROGRAMME arrêté par le comité d’organisatiôn de la septième Session ; page. XX—XXII. QuesTions proposées pour chaque Section ; page XXII-XxXxHI. EXCURSIONS ; page XXXIV. SÉANCE d'ouverture de la Septième Session du Congrès; p. xxXxY. Discours de M. Cauvin, Secrétaire-Général ; page XXXV-XXXIX. Formation du Bureau Général ; page x. FixaTion des heures et de la durée des séances de chaque Sec- tion ; page XLII. ” 420 TABLE PREMIÈRE ET SIXIÈME SECTIONS RÉUNIES. HISTOIRE NATURELLE , SCIENCES PHYSIQUES ET MATHÉMATIQUES, SÉANCE DU 15 SEPTEMBRE 1839 ; page 45.—Organisation du Bu reau ; p. 44. Hommage fait par M. Boubée, d’un Tableau figuratif de la structure minérale du globe ; p. 44. Communication , par Mme Cau— vin, d’une liste des plantes observées, par elle, en Bretagne ; page 45. Hommages d'ouvrages , par MM. Bourjot St-Hilaire et Em. Paty; 45. SÉANCE DU 14 SEPTEMBRE. — Proposition faite de traiter une question d’arithmétique, par M. Zachrewski ; p. 45. Communication d’un fascicule d’Hydrophytes du Morbihan, extrait d'un herbier publié par livraison, par M. Lelièvre De la Morinière; p. 46. Carte du canton de Montfort, présentée par M. Guiet ; p. 46. Ouvrages offerts par MM. Binet et Blavier ; p. 46. Discussion de la première question du Programme , par MM. Le Gall, Bourjot St-Hilaire et Hunault de la Pelterie ; page 46-48. Résolution à ce sujet; page 48. Examen, par M. Castel, du tableau figuratif du globe, offert par M. Boubée ; page 49. Notice sur l'Éphémère diptère, par M. Drouet ; pages 49-50. Discussion de la quatrième question du Programme, par M. Bourjot St-Hilaire; pages 50-57. Remarques, à ce sujet, par M. Hunault de la Pelterie; page 37. SÉANCE DU 15 SEPTEMBRE. — Dépôt, sur le bureaa, par M. de Lasicotière , d’ossements fossiles et de fragments de murs vitrifiés; page 57. Commission nommée pour leur examen ; page 58. Autre commission chargée de faire un rapport sur le catalogue des plantes de Bretagne , présenté par Mme Gauvin; page 58. Discussion de la cinquième question du programme, par MM. Bourjot St-Hilaire, Hunault de la Pelterie et le Gall; pages 58-59. Discussion de la sixième question, par MM. le Gall, Bourjot St-Hilaire et de Lasicotière ; pages 60-64. Ordre du jour pour la séance suivante ; page 65. SÉANCE DU 16 SEPTEMBRE. — Médaille d'argent mise à la dispo- sition de la Section, par M. de Caumont, pour être décernée au savant qui aura rendu le plus de services, dans le pays, aux sciences naturelles, physiques ou mathématiques ; page 65. Commission nommée pour désigner les personnes reconnues les plus dignes de recevoir cette médaille et des mentions honorables; « DU PREMIER VOLUME. 494 page 65. Dépôt sur le bureau, par M. de Marseul, d’un Mémoire de M. le Dr Bravais, sur l’inflorescence des graminées : pages 65-66. Hommage de la Flore de la Sarthe et de la Mayenne , par M. N. Des- portes ; page 66. Communication de M. Zackrewski, sur les amélio- rations à introduire dans l’enseignement de l’arithmétique ; p. 66. Mémoire de M. Verdier, sur la sixième question du programme : pages 66-70. Communications de MM. Binet et Hunault de la Pel- terie, sur les étoiles filantes : page 70. Mise à l’ordre du jour, poux la Séance du 17 septembre, des questions de géologie du pro- gramme ; page 71. SÉANCE DU 17 SEPTEMBRE. — Ouvrage d’arithmétique , offert par M. de Marseul ; page 71. Rapport de M. Bourjot St-Hilaire, sur les ossements fossiles des cavernes de l’Erve; pages 71-73. Examen: des fragments de murs vitrifiés de Ste-Suzanne , par M. Bourjot St-Hilaire ; pages 73-75. Observations de M. de Lasicotière, sur le même sujet ; page 75. Renseignements de M. de Caumont, sur les remparts vitrifiés de la Courbe; pages 7135-76. Discussion de la neuvième question du Programme par MM. Bourjot St-Hilaire et Le Gall; pages 76-78. Réponse à cette question formulée par M. Bourjot St-Hilaire et adoptée par la Section ; page 78. Discus-— sion de la dixième question du Programme, par M. Le Gall; p. 79-80. SÉANCE DU 18 SEPTEMBRE. — Communications , par M. Chorin, de la Carte géologique de St-Victeur, et par M. Gilbert, de la traduction manuscrite d’un ouvrage anglais de M. Lozivy, sur la ‘Concordance des époques géologiques avec celles de la Bible ; page 80. Suite de la discussion de la dixième question du Programme , par MM. Le Gall, Cauvin, Blavier, Triger, elc. ; p. 80-85. Ré- ponse à la dixième question arrêtée par la Section ; p. 83. Ordre du jour pour la séance du 19 septembre ; discussion de la dixième question du Programme, par M. Triger; pages 84-85. SÉANCE DU 19 SEPTEMBRE. — Commission nommée pour l’exa- men de la traduction de l’ouvrage de M. Lozivy ; page 86. Rapport de M. Le Gall sur le catalogue des plantes de Bretagne, communi- qué par Me Cauvin ; pages 86-88. Renvoi à la Commission de pu-— blication du Mémoire de M. Brayais sur l'inflorescence des grami- nées ; page 88. Impression votée, du Mémoire de M. Blisson sur la recherche des larves des Lépidoptères ; page 88. Ordre du jour pour la prochaine séance ; page 89. SÉANCE DU 20 SEPTEMBRE. — Rapport de M Hunault de la Pelterie , sur la médaille d'argent à décerner et les mentions ho- 499 TABLÉ norables à accorder aux personnes qui ont rendu le plus de ser vice, dans le pays, aux sciences naturelles ; pages 89-90. Notice de M. Le Gall sur une Fumeterre; pages 90-91. Discussion de la vingt-troisième question du Programme , par M. Triger, etc. Réponse à cette question ; page 92. SÉANCE DU 21 SEPTEMBRE. —Communication, par M. Zackrewski d’un Mémoire sur l’origine des mathématiques ; page 92. Hommage, par M. de Caumont, d’un ouvrage sur les Roches de la Manche ; page 93. Rapport de M. Triger sur la Carte géologique de Saint- Victeur ; page 93. Opinion de M. Le Gall sur l’Uredo caries, et for— mule , par le même, de la réponse à la vingt-quatrième question du Programme ; pages 93-94. Clôture des travaux de la Section ; page 94. Examen sur l'inflorescence dés graminées, par M. Bravais pages 95-126. Essai sur une méthode propre à faciliter la recherche et l'étude des larves des Lépidoptères, par M. Blisson ; pages 127-149. DEUXIÈME SECTION. AGRICULTURE, INDUSTRIE ET COMMERCE. SÉANCE DU 13 SEPTEMBRE. — Organisation du Burean ; p. 150. Inscription des membres qui ont l'intention de prendre la parole sur les questions posées dansle Programme ; page 451. Choix de trois commissions chargées de recueillir des renseignements sur Fétat de l’agriculture, etc.; pages 151-152. SÉANCE Du 14 SEPTEMBRE. — Discussion sur la première ques- tion du Programme, par MM. Vié, Quentin, Bachelier et Che- vreaux ; pages 155-156. Discussion sur la sixième question, par MM. de Caumont, Lair, Hunault de la Pelterie et Vié; p. 154-156. SÉANCE Du 15 SEPTEMBRE. — Discussion sur la deuxième ques- tion, par MM. Vié, Anfray et Le Gall; pages 157-160. SÉANCE DU 16 SEPTEMBRE. — Addition au Programme d’une nouvelle question sur les Haras ; page 161. Suite de la discussion sur la deuxième question, par MM. Girard, Bottin, Jullien, Cou- ronne , Chevereaux et Le Gall ; pages 161-162. Formule de la ré- ponse à la deuxième question ; pages 162-163. DU PREMIER VOLUME. 495 SÉANCE DU 17 SEPTEMBRE. — Discussion des questions sept à douze, relatives aux chemins de fer, par MM. Quentin, Hervé, Hunault de la Peltrie, Binet, Doublet de Boisthibault, Vié et Jullien ; pages 164-178. SÉANCE DU 18 SEPTEMBRE. — Hommages de brochures, par MM. Delacour, Lair, et Jullien ; pages 178-179. Extrait du Mémoire de M. Magneville, sur l’écorcement du chêne; pages 179-183. Obser- vations de MM. Bottin et Delaroche à ce sujet ; page 183. Suite de la discussion des questions sept à douze sur les chemins de fer, par MM. Binet, Odolant-Dénos, Doublet de Boïisthibault, Hunault de la Pelterie et H. Thoré ; pages 183-186. Discussion de la question relative à la culture du lin, par MM. de Caumont, Vié, Hunault , Chevereaux et Bottin ; pages 186-187. SÉANCE DU 19 SEPTEMBRE. —Propositions de la Commission des médailles ; page 187. Discussion sur ces propositions par MM. Vié et Trotté-Delaroche ; pages 187-190. Extrait d’un Mémoire, de M. Chauvin, sur les charges qui pèsent sur l’agriculture; p. 190-194. Suite de la discussion sur la culture du lin, et renvoi de la ques- tion au Congrès prochain ; page 194. Renvoi, en assemblée géné- rale , de la question relative aux avantages que peut offrir l’emploi de l’armée aux grands travaux d'utilité publique ; page 195. SÉANCE DU 20 SEPTEMBRE. — Notice sur le Pin maritime; pages 196-198. Hommage de deux brochures, par M. Lecomie ; page 198. SÉANCE DU 21 SEPTEMBRE. — Discussion de la question rela- tive à l'emploi de l’armée dans les travaux publics , renvoyée à la Section par l'assemblée générale, pour un premier examen ; page 198. Opinions à ce sujet, de MM. de Lasicotière, Doublet de Boisthibault , Jullien et Vié ; page 198. Vœu exprimé par la Sec- tion ; page 198. Proposition de M. Jullien relative au procédé em- ployé par M. l'Ingénieur en chef de la Sarthe, pour l'entretien des routes départementales ; page 199. Décision de la Section sur cette proposition ; page 99. RapporT, au nom des trois Commissions réunies d'Agriculture, - d'Industrie et de Commerce, par M. Lecomte ; p. 200-212. RapporT sur l’agriculture de l'arrondissement de la Flèche, par M. Vié; pages 212-219. APERÇU sur la fabrique des toiles de Fresnay, par M. Legui- cheux ; pages 219-295. 42% TABLE RapporrT sur le commerce de la Sarthe, par M. Trotté-Dela= roche ; pages 225-096. TROISIÈME SECTION. SCIENCES MÉDICALES. SÉANCE DU 13 SEPTEMBRE. — Formation du Bureau ; p. 227. SÉANCE DU 14 SEPTEMBRE. — Discussion de la troisième ques- tion, par MM. Bourjot, de Lasicotière, Trolley, Bouvet et Hu- nault ; page 229. Gormmunication de M. de Caumont sur la troisième question ; page 230-234. Discussion à ce sujet, par MM. Trolley , Bourjot, Hervé, de Lasicotière, Bouvet et Bachelier ; p. 234-256. SÉANCE DU 15 SEPTEMBRE. — Discussion de la première ques- tion, par MM. Lepelletier , Bachelier, Hunault, Bourjot , Mordret et Longchamp ; pages 236-259. SÉANCE DU 16 SEPTEMBRE. — Réponse à la première question arrêtée par la Section; page 239. Hommages d'ouvrages , par MM. Bourjot et Lepelletier ; p. 239-240. Mémoire, en réponse à la vingt-cinquième question , par M. Vallée ; pages 240-245. Propo- sition à ce sujet ; pages 246-247. SÉANCE DU 17 SEPTEMBRE. — Présentation de Mémoires manus=+ crits, par MM. Gendron et Lepelletier ; page 248. Hommages de brechures par MM. Teilleux et Gendron ; page 248. Discussion de la troisième question, par MM. Bourjot, Lepelletier et Gendron ; pages 249-254. SÉANCE DU 18 SEPTEMBRE. — Discussion de la dixième question par MM. Gendron, Hunault, Bourjot, Lemercier et Lepelletier ; pages 255-956. Mémoire de M. Desnos sur la gélatine minérale dé- couverte dans les eaux de Dangeul ; pages 237-260. SÉANCE DU 19 SEPTEMBRE. Discussion sur la septième question, par MM. Bourjot, Barbier, Gendron, Hunault, Lepelletier et Lonchamp ; pages 261-263. Impression votée de la Statistique de établissement des Aliénés, par M. Etoc-Démazy fils ; page 263. Lecture accordée, pour la prochaine Séance, des Mémoires de MM. Lemercier et Mordret ; page 263. SÉANCE DU 20 SEPTEMBRE. — Hommage de trois opuscules de divers auteurs ; page 264. Commission nommée pour proposer les DU PREMIER VOLUME. 298 tandidats au concours des médailles ; page 264. Propositions adop- tées, de M. Bourjot, pour servir de complément à la solution de la vingt-cinquième question ; page 264. Impression votée (en totalité ou par extrait), de la statistique médicale de la Mayenne, par M. Lemercier ; page 265. Discussion sur la huitième question , par M. Mordret ; page 265. SÉANCE DU 21 SEPTEMBRE. — Rapport de la Commission pour les médailles ; page 266. Observations, adressées par M. Faneau de la Cour, relative à la solution de la sixième question; p. 267. Discusssion de la même question , par M. Lepelletier et autres ; page 268. Réponse adoptée ; page 268. Discussion de la neuvième Question, sur le traitement du tétanos traumatique , par M. Lepel- letier ; page 269. Discussion de la onzième question, par divers membres et réponse adoptée ; page 270. Examen de la douzième question, par M. Lepelletier ; pages 270-271. SÉANCE DU 22 SEPTEMBRE. — Discussion des questions treize à quinze sur l’homéopathie, par M. Lepelletier ; pages 273-974. Notes de M. le docteur Murr, communiquées par M. Jullien , sur ce su= jet ; pages 274-976. Osservaïions. Pratiques de lithotritie , par M. Gendron ; pages 277-984. Note sur la Statistique médicale de l’Asile des Aliénés, par M. Etoc-Demazy ; pages 283-994. APERÇU sur la Statistique et sur la topographie médicales du dé- partement de la Mayenne , par M. Lemercier ; pages 295-305. QUATRIÈME SECTION. HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIÉ. SÉANCE DU 15 SEPTEMBRE. — Formation du bureau ; p. 306-307. Hommage d’opuscules, par MM. Voisin et Pitton-Després; p. 307. Dépôt, sur le bureau, de deux mémoires de M. Ducrest de Ville- neuve , Commission nommée pour leur examen ; page 307. Notice de feu M. l'abbé de Larue , sur le prix du blé et des autres denrées à Caen, depuis St-Louis jusqu’à 1607, communiquée par M. de Caumont ; pages 307-311. Observations , à Ce sujet, par MM. de Lasicotière , Bottin et Pollet ; page 319. 426 TABLE SÉANCE DU 14 SEPTEMBRE. — Extrait d'un ouvrage inédit sur la Numismatique et la Glyptique, par M. Quentin, pages 312-315. Dis- cussion de la première question du programme, par MM. Voisin, Delasalle et Duchallais, pages 315-317. Hommage, par M. Pesche, aîné, d’une Carte du diocèse du Mans,accompagnée d’une Descrip- tion topographique du même diocèse, par M. N. Desportes, p. 317. SÉANCE DU 15 SEPTEMBRE.— Question présentée par M. de La- sicotière, relative aux forts vitrifiés, page 318. Tableaux du prix du blé dans la Flandre française aux XVIe et XVII siècles, par M. Bottin, pages 318-321. Relevé du prix des grains vendus sur le marché du département du Nord de 4780 à 1789, par le même, page 322. SÉANCE DU 16 SEPTEMBRE. — Depôt, sur le bureau,de proposi- tions sur la science héraldique, par M. Lambron de Lignim, p. 323- 324. Mémoire de M. Ducrest-de-Villeneuve sur le roman histo- rique, p. 524-3351. Discussion sur ce sujet, par MM.de Lasicotière , Duchallais, de Cussy et divers, pages 333-534. Conclusions adop- tées par la Section,page 334. Hommage d'ouvrages de MM. de For- meville, Doublet de Boisthibault et Eloy Johanneau, page 335. Note de M. Baude sur la conservation des monuments, page 335. _ SÉANCE Du 17 SEPTEMBRE. — Discussion des neuvième et dixième Questions,par MM.le Cointre-Dupont et Duchallais,p.336- 345. Dessin d’un vitrail légendaire de la cathédrale de Tours, pré— senté par M. l'abbé Manceau , page 345. Hommage de trois opus- cules, par M. le Coiïntre, pages 345-346. SÉANCE DU 18 SEPTEMBRE. — Questions présentées par M. de Formeville, page 346. Opinion de M. Doublet de Boisthibault sur l’âge des constructions de la cathédrale de Chartres, page 346. Dis- eussion sur la philosophie de l’histoire , par MM. Delasalle, de Lasicotière, de Formeville et Quentin, pages 547-559. Hommage d'ouvrages de M. Porte et de mademoiselle Chappin, page 559. SÉANCE DU 19 SEPTEMBRE.—Réclamation de M. de Caumont con- tre l'opinion de M. Doublet de Boisthibault sur l’âge des construc- tions de la cathédrale de Chartres, page 360. Mémoire de M. Drouet sur les types les plus habituels des médailles gauloises, page 360— 367. Suite de la discussion sur la philosophie de l'histoire , par MM. de Formeville, Delasalle, l'abbé Auber et autres, pages 367- 570. Réponse adoptée par la Section, pages 370-371. ‘ DU PREMIER VOLUME. 497 SÉANCE DU 20 SEPTEMBRE. — Divers membres chargés de l'examen de Mémoires présentés à la Section, page 371. Discussion sur la Question relative aux types des monnaies gauloises, par MM. Duchallais, Quentin et Drouet, pages 571-375. Réponse adoptée par la Section, pages 573-574. Note sur les collections de médailles et d’antiquités qui existaient en Normandie, par M. de Caumont, pages 374-511. Passages d’un Mémoire sur la douzième Question, par M. de Caumont, page 377-578. Réponse à la propo- sition déposée par M. Lambron sur la conservation des monu- ments héraldiques, pages 378. Discussion sur les Questions trei- zième à quinzième, par MM. Tournesac, Delasalle, de Caumont, Duchallais, Cauvin et de Lasicotière, pages 278-580. Proposition de M. Delasalle, tendante à organiser des dépôts d’antiquités dans les chefs-lieux d'arrondissement, page 380. Discussion et résolution prise à ce sujet, page 380. Note de M. Beaude sur la direction que les provinces doivent donner à leurs travaux historiques, page 380- 581. Nouvelles observations sur les murs vitrifiés de Sainte-Su- zanne, par MM. Delasalle et Pollet, page 381. SÉANCE DU 21 SEPTEMBRE. — Discussion sur la dix-septième Question , par MM. de Caumont, Tournesac, Doublet de Boisthi- bault, de Lasicotière et Quentin, pages 381-383. Réponse à la Ques- tion, page 283. Discussion sur la dix-neuvième Question, par MM. Triger et de Lasicotière, pages 383-384.Réponse proposée par M. Pollet et adoptée par la Section, page 384.Considérations sur les monuments druidiques de la Sarthe, par M. Triger, page 384. Ob- servations de MM. de Lasicotière, de Cussy et Bottin sur le même sujet, pages 384-585. Notes du prix des denrées, au XVIe siècle, dans le Bas-Poitou, d’après un manuscrit de M. Bernard, commu- niquées par M. Poey-d’Avant, pages 385-386. Discussion sur la dix- huitième Question, par MM. Doublet de Boisthibault, Tournesae, de Caumont, l'abbé Auber et Quentin, pages 386-587. Solution adoptée, page 387. SYNCHRONISME des différents genres d'architecture dans les pro- vinces de France, par M. de Caumont, pages 388-419, RÉPONSES aux treizième et quatorzième Questions du Programme (quatrième Section), par M. Tournesac, page 215-2920. MÉMOIRE pour servir de réponse à la seizième Question du Pro- gramme (quatrième Section), par M.Doublet de Boisthibault,p.421- A923. 49238 TABLE DU PREMIER VOLUME. Réponse de M. de Caumont à M. Doublet de Boisthibault, pages 433-434. MéMoiRE sur le roman historique, par M. de Lasicotière, p.455- 487. FIN DE LA TABLE DU PREMIER VOLUME. 429 de So Sa So SE S2 SE Se so Se So Se Jo a So Jo Su Jo So So Ve Ne Va Ne Ve Se Se Se SE Ke Se a Se Save TABLE DU SECOND VOLUME. CINQUIÈME SECTION. LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS. ‘ SÉANCE DU 13 SEPTEMBRE. — Formation du bureau, page 1. Inscription des membres qui se proposent de parler sur les ques- tions du Programme , page 2. Offres par divers membres de com— muniquer des Mémoires, pages 2-3. Dépôt, sur le bureau,d’un Mé- moire de l’abbé Maupoint sur laréforme morale des jeunes détenus, page 3. Choix d'une Commission chargée de constater l’état actuel de la littérature et des arts dans la Sarthe et les départements cir— convoisins, page 3. Offre, par M. de Caumont, de quatre médailles pour être distribuées aux personnes qui auront mérité cet encou— ragement dans les arts, les lettres, etc., page 3. SÉANCE DU 14 SEPTEMBRE.—Communication de trois pièces de vers de M. Leflaguais, page 4. Hommage d’une pièce de vers de mademoiselle Élise Moreau, page 4. Discussion de la première Question du programme, par MM. Trolley, Delasalle, Bouvet , La sicotière, Auber et Jullien, pages 4-7. Discussion sur la deuxième Question, par M. Trolley, page 8. 430 TABLE SÉANCE DU 15 SEPTEMBRE. — Suite de Ja discussion sur la deuxième Question, par MM. Boyer, de Lasicotière, Hervé et Bou- vet, pages 9-14. SÉANCE DU 16 SEPTEMBRE. — Continuation de la discussion sur la deuxième Question, par MM. de Lasicotière, Hervé et Bouvet, pages 15-29. Commission nommée pour formuler une réponse à la Question, page 29. Discussion sur la première Question du para- graphe IIE, par MM. de Caumont et Auber, pages 50-51. SÉANCE DU 17 SEPTEMBRE.—Rapport de M. Étoc-Demazy, père, sur un Mémoire de l'abbé Maupoint, ayant pour titre : de la Réforme des jeunes détenus, page 21. Lecture d’une pièce de vers de M. Le- flaguais (Aspiration du poète), renvoyée à la Séance générale, p. 32. Rapport de M. Mouchot sur une nouvelle méthode de lecture, par M. Menard-Bournichon,32. Commission nommée pour donner son avis sur les conclusions du rapport, page 52. Réponse à la deuxième Question présentée par la Commission chargée de ce travail,p. 32— 33. Rapport de M. de Lasicotière sur la Critique des hypothèses méta- physiques de Manès et de Pélage, et de l'idéalisme transcendental de saint Augustin, par M. Hauréau , page 33. Décision prise sur ce rapport, page 53. Suite de la discussion sur la onzième Question, par MM. Castel, Gendron, Hunot de la Pelterie, Carpentin, de Cau- mont, Vié et Étoc-Demazy, pages 33-55. SÉANCE DU 18 SEPTEMBRE.—Hommage d'ouvrages de MM.Man- cel, Pattu et Hervé, page 36. Continuation de la discussion sur la onzième Question, par MM. Carpentin, Trolley, Vié, Bouvet, Gosselin , Doublet de Boisthibault, Hunault de la Pelterie, et ré— ponse à la Question, pages 36-40. Hommage d’un poëme sur l’'Édu- cation, et de trois Notices biographiques , par M. Boyer, page 40. Mémoire de M. Boyer sur la douzième Question, pages 40-44. SÈANCE DU 19 SEPTEMBRE. — Suite de la discussion sur la douzième Question, par MM. Doublet de Boisthibault, Boyer, Hu- vault de la Pelterie, Trolley, Étoc-Demazy, Houdbert et Josselin, page 44-47. Réponse à faire à la Question renvoyée à une commis— sion, page 47. Lecture d’une pièce de vers (une Mère), par ma- dame Touchard, renvoyé à la Séance générale, page 47. Notice d’un anonyme sur l’enseignement secondaire , lue par M. Delas- sale, pages 47-49. SÉANCE DU 20 SEPTEMBRE. — Mise aux voix et adoption de la réponse à la douzième Question, page 49. Rapport de M. Bariseau DU SECOND VOLUME. 431 sur les médailles et encouragements’à accorder, page 50. Décision prise à ce sujet, puges 30-51. Rapport de;/M.Parandier au nom de la Commission chargée d'examiner la méthode de M. Menard-Bour- nichon sur l'accord parfait de la parole et de l'écriture, pages 50-56. SÉANCE DU 21 SEPTEMBRE. — Décision de la Section sur le rap- port de M. Parandier relatif à la méthode de M. Menard-Bourdi- chon, page 57. Examen de la Question douze bis du Programme ; mémoire de M.Edom sur l'importance des salles d’asile,pages 57-67. Observations sur le Mémoire de M. Edom,{par MM. Guillois, Au- ber, Jullien, de Lasicotière, Parandier et Trolley, pages 67-70.Note de M.3Verdier en réponse àila douzième Question, page 10-74 Mémoire pour servir de réponse à la seizième Question du Pro- gramme (cinquième Section), par M. Boyer , pages 15-79. SÉANCES GÉNÉRALES. SÉANCE DU 13 SEPTEMBRE. — Adoption de diverses décisions des Sections, page 80-81. Discussion de la Question déjà résolue affirmativement par la Section sur l'utilité d'imposer aux domesti- ques l'obligation de se munir de livrets, par MM. Hunault, Bour- jot Saint-Hilaire, Le Gall, Lepellelier, Hervé, Pesche jeune et Trolley, page 81-86. Approbation donnée à la décision prise par la Section sur ce sujet, page 86. Discussion sur les quatrième et cin— quième Questions de la Section des sciences médicales,par MM. de Caumont, {Pesche jeune, Hunault, Le’Gall et Lepelletier, page 86. Renvoi de la quatrième Question à la Section. SÉANCE DU 14 SEPTEMBRE. — Excursion dans le grand Perche, par M. Delasalle, pages 87-92. Résumé des travaux de la Société des antiquaires de Normandie depuis la tenue du dernier Congrès, par M.de Caumont, pages 92-93. Résumé, par le même, des derniers travaux de la Société linnéenne de Normandie, et de l’association normande, pages 95-94. Notice de M. Delasalle sur la part que les provinces ont prise, depuis vingt ans, aux progrès des études his- toriques, etc., pages 95-97. SÉANCE DU 16 SEPTEMBRE. — Adoption de diverses réponses aux questions du Programme, pages 93-99. 432 TABLE SÉANCE DU 17 SEPTEMBRE. — Décision de l'Assemblée pour le dépôt, à la Bibliothèque dufMans, des ouvrages offerts au Congrès, page 100. Résultat du compte de gestion des secrétaires généraux de la Sixième session , communiqué par M. de Caumont, page 100. Rapport verbal fait par M. Lecointre-Dupont sur les travaux de la Société des antiquaires de l'Ouest, page 101. Communication, par M. de Caumont, des renseignements adressés par M. de Crazannes Sur les travaux des Sociétés savantes de la France méridionale, pages 101-105.Précis des travaux de la Société d'agriculture, scien— ces et arts du Mans, par M. Bedel, pages 105-111. SÉANCE DU 18 SEPTEMBRE. — Extrait d'un mémoire envoyé par la Société d’émulation d'Abbeville, contenant la statistique de ses travaux, lue par M. Trolley, pages 112-118. Lectures diverses, par MM. Houdbert, Lepelletier et Auber, pages 118-119. SÉANCE DU 19 SEPTEMBRE. — Lecture des réponses à diverses questions adoptées dans les Sections, page 119. Discussion à ce su— jet, par MM. Achille Rousseau, Hunault, Bouvet et Frolley, p.119— 420. Compte rendu des travaux de la Société d'Orléans, par M. Le- page, pages 120-1921. SÉANCE DU 20 SEPTEMBRE. — Interprétation de l’art. 55 du Code civil dans le sens favorable à l'hygiène des enfants, proposée, au nom de la Section des sciences médicales, par M. Bourjot- Saint-Hilaire, pages 122-195. Observations à ce sujet, par MM. Vié et Guillois, et décision de l’Assemblée, page 195. Notice biographi- que sur J. C. Giroust, par M. Doublet de Boisthibault, page 126. Souvenir, par le même, à la mémoire de M. Gaillard, vice-prési- dent au Congrès de Blois, pages 126-127. Rapport de M. Jullien sur divers Sociétés académiques de Paris, pages 127-199. SÉANCE DU 21 SEPTEMBRE.—Rapport verbal de M. Duchallais sur la Société bibliophile historique, fondée à Paris, pages 150-131 Mémoire de M. Richelet sur la Question du Programme, relative à l'établissement d’un Institut général pour les départements,pages131- 156. Discussion sur ce mémoire par MM. Lepelletier, Hunault, de Lasicotière, Doublet de Boisthibault, etc., pages156-157. Approba- tion donnée par l’assemblée au projet de M. Richelet, page 137. Adoption du programme présenté par les commissions des médail- les, page 158. DU SECOND VOLUME. 453 : SÉANCE DU 22 SEPTEMBRE. — Programme des médailles et mentions honorables accordées par le Congrès, pages 138-141. Pro- jet d'arrêté proposé par les Bureaux pour la désignation du lieu où se tiendra la huitième Session du Congrès,et pour la publication du Compte-rendu de la septième, pages 142-143. Discussion sur ce projet d'arrêté, par MM. Hunault et de Caumont , et décision de l’Assemblée, page 144.Discussion sur la question relative à l'emploi de l’armée aux grands travaux d'utilité publique, par MM. de Lasicotière, Vié, Trolley , Delasalle , Doublet de Boisthibault, Hervé, Jullien et Hunault, pages 144-148. Renvoi de l'examen de la Question au prochain Congrès, page 148. Discours de MM. de Caumont , Richelet, Lair et Lepelletier, sur la clôture de la Session , pages 148-152. Exquisse sur l’histoire scientifique , littéraire et artistique du Maine , par M. Houdbert , pages 153-200. Erupes physiologiques de l'univers , de l'homme , des rapports de l’homme avec l'univers , par M. Lepelletier ; pages 201-255. Rapport sur la réforme des jeunes détenus, par M. l’abbé Maupoint, pages 235-249. Mémoire sur l’histoire de Bretagne , par M. Ducrest de Ville-— neuve ; pages 250-263. Essar sur l’état des corporations industrielles au moyen-âge , par M. de Formeville}, pages 264-294. Norice historique sur la paroisse et baronnie des Biards, etc. , par M. de Guiton de Villeberge , pages 295-519. ANTIQUITÉS skandinaves, par M. Victor , pages 520-555. Nerrières du chœur de l’église métropolitaine de Tours, par M. l'abbé Manceau , pages 536-360. Réponses et notes relatives aux Questions du Programme , pages 350-375. COMPOSITION DU BUREAU , pour la 7e Session du Congrès scientifique de France , page 376. Liste des membres qui ont adhéré à la septième Session du Congrès scientifique de France ; pages 381-408. LE 28 n > 454 ABLE DU SECOND VOLUME. Ouvracess offerts par leurs auteurs, au Congrès scientifique de France, pendant la 7e Session, tenue au Mans en septembre 1839 ; page 409: % 14 Ro Ah du: : Ne Ne ME ven € eut et RS OUR | MONS AL | 1 Ca : ALT 4 À . EUR k 2 À 1 2,77" Dole U L d THAT HN THh É RES HHES HHAHNE HAE HR HER Ésies: + re