/, [ L\) Nous avons 1'honneur de vous annoncer que le Con- gres scientifique de France se reunira a Dijon le 10 aout prochain pour tenir sa XXIe session. Nous ne vous rap- pellerons pas l'interet qu'offrent ces reunions, qui ont pro- duit deja par toute la France de si beaux resultats, en popularisant le gout des sciences et des arts, et en etablis- santparmiles personnes qui se livrent aux memes travaux des communications utiles et des liens de confraternite r^ciproques. » Le lieu de la reunion ne pouvait etre mieux choisi : aucune ville de France n'oflre plus de ressources que I'an- cienne capitate de la Bourgogne, pour tout ce qui tient a la culture de l'esprit. Dijon renferme dans son sein des societes savantes illustres, dont les travaux sont apprecies par toute l'Europe$ ses archives, sa bibliotheque,contien- nent les plus precieux documents historiques} son musee, ses eglises, ses palais et bien des maisons particulieres offrent un cachet historique que Pon rencontre rarement, si ce n'estdans des villes, comme celle-ci, vouees presque sans partage au culte des sciences, des lettres et des arts. » Les dames ne sont pas exclues des travaux du Gongres; leur presence aux reunions publiques ne peut qu'encou- rager et exciter une noble emulation. Nous avons tout lieu de croire que la reunion prochaine sera brillante et nom- breuse: des savants etrangers ont annonce leur intention dese reunir a nous dans cette solennite scientifique. Nous esperons, Monsieur, que votre concours ne nous manquera pas, et que vous voudiez bien donner votre adhesion au Congres, en nous retournant le bulletin ci-contre. vingt-uiueme session. 7.'." » Veuillez agreer, Monsieur, l'assurance de noire con- sideration la plus distinguee. » Le President, De Caumont. » Les Secretaires generaux, » De Lacuisine, Detourbet, Henri Baudot. » Cette lettre fut suivie d'un nombre assez conside- rable d'adhesions qui parvinrent a M. le secretaire general H. Baudot, qui remplissait en meme temps les fonctions de tresorier. Une commission particuliere fut reunie a Photel de ville par les soins de M. le maire de Dijon, pour donner son avis sur l'organisation des fetes que la ville avait l'intention de donner a l'occasion dela reu- nion du Congres, pour temoigner aux savants etran- gers sa gratitude et tout l'interet qu'attache a ces so- lennites une population lettree qui possede le gout des sciences et des arts. A la suite des deliberations de cette commission, M. le Maire prit Tarrete suivant , qui fut publie et affiche dans la ville de Dijon quelques jours avant l'ouverture du Congres : « Le Congres scientifique de France devant ouvrir , a Dijon, le 10 aout 1854, sa xxie session, cette solennite sera celebree par les fetes dont le detail suit : » Le 13 aout, fete de nuit, donnee au Jardin de l'Arque- buse; — illumination ; — exposition de fleurs ; — fanfares. Le Jardin sera ouvert a T beures et demie. Il sera percu au profit des pauvres un droit d'entree de 50 centimes. » Dans la journee du lendemain, le public sera admis gratuitement a visiter l'exposition. » Le 17 aout, fete a Vhdtel de ville. — Concert donne a H CONGRES SCIENTIFIO.UE DE FRANCE. 7 heures, par MM. les artistes de Dijon, dans la salle Phil- harmonique. » Reception a 8 heures 1/2 dans les salles de la mairie et du musee, illuminees et decorees » Morceaux d'harmonie executes pendant la reception. « 11 sera percu au profit des pauvres un droit d'entr^e de : — 3 fr. pour le concert et la visite des salles de la mairie et du musee; — de 1 fr. 50 pour la visite seulement des salles de la mairie et du musee (1). » Arrete" a Dijon le susdit jour 6 aout 1854. » Le Maire, Andre. » Vu et approuve. » Dijon, le 7 aout 1854. » Le Prefetde la Cdte-d'Or, B°n de Bry. » L'Academie des sciences , arts et belles-lettres de Dijon, \oulant de son cote donner au Congres une marque particuliere de son estime et de sa sympa- thie, resolut d'ouvrir, pendant la tenue du Congres, une seance publique a laquelle tous les membres du Congres presents a Dijon furent pries d'assister. Le jour de cette seance fut fixe au samedi 12 aout, deux jours apres l'ouverture de la session. (0 Le cholera, qui se>issait dans le de"partement de la Cote-d'Or et commencait a faire quelques victimes dans la ville de Dijon, engagea l'au- torite" municipale a retrancherla fele annonce"e pour le 17 aout. Le pu- blic fut instruil de celte determination par une affiche concue en ces termes : MAIRIE DE DIJON. AVIS. Le Maire de Dijon a l'honneur de prevenir ses concitoyens que la fete indi- quee pour jeudi 17 courant n'aura pas lieu. Cette mesure a paru utile au maintien du bon etat sanitaire de la ville. Dijon, 15 aout 1854. ANDRE. VINGT-UNlEME SESSION, PROGRAMME DES QUESTIONS Qui onl etc soumises au Congrk PREMIERE ET S1XIEME SECTION REUNIES. SCIENCES NATURELLES ET PHYSIQUES. 1. A-t-on reconnu la presence du phosphate de chaux dans le terrain cretace de la Bourgogne et des autres con- trees voisines ? 2. Le phosphate de chaux , reconnu en quantite consi- derable dans la craie inferieure du departement du Nord, n'existe-t-il pas aussi dans les couches analogues de la craie de la Bourgogne ? Quelles recherches a-t-on faites pour le decouvrir et l'exploiter? 3. Quelles sont, eu egard a leur nature, les qualites re- latives des marnes, dela craie employees a l'amendement des terres en Bourgogne et en Champagne ? 4. Que reste-t-il a faire pour l'exploration geologique de la Bourgogne et des departements de Pest de la France? 5. Combien y a-t-il d'especes de terrain meuble dans le pays ( circonscrire par sous-region, et appliquer la question a des circonscriptions peu etendues )? 6. Quelle est la nature du sous-sol, et a quelle serie de couches doit-on le rapporter d'apres les donn^es de la geologie ? 10 CQNGRES SC1ENTIFIQUE DE FRANCE. 7. Quels sont les niveaux hydrofuges dans le departe- ment de la C6te-d'Or? En d'autres termes , de quelles couches sortent habituellement les sources qui alimentent les ruisseaux et les rivieres ? 8. L'action du sulfate de fer sur les treilles malades ne serait-elle pas pleine d'efficacite comme sur une foule de v^getaux chloroses ? 9. La Flore de la C6te-d'Or presente-t-elle des faits particuliers? Quelle influence exerce dans ce pays la nature geologique du sol sur la distribution des especes? 10. La pisciculture a-t-elle occupe les savants et natu- ralisles de la Bourgogne ? Quels resultats ont-ils obtenus? 11. La th£orie de la double refraction , telle que l'a cr£ee le puissant genie de Fresnel, est longtemps restee une des parties les plus difficiles de la physique. Penetres de Fimportance capitale de cette vaste conception, des physiciens et des geometres, parmi lesquels on doit citer en premiere ligne Ampere, MM. Hamilton, de Senarmont, et Plucker, Pont completee et transformee. On demande d'apprecier ces remaniements et d'en profiter pour donner a cette theorie une forme qui la rende aussi simple que les autres theories partielles de Poptique. DEUXIEME SECTION. Economie politique-agricole. 1. Quelles sont les causes qui ont empeche Pagriculture en France de faire des progres aussi rapides que ceux accomplis dans les autres branches de Pindustrie natio- nale? Cette inferioritene tient-ellepasa des circonstances denotre organisation interieure et a la direction de notre education, de sorte que les banques agricoles et les en- couragements distribues par le pouvoir seront toujours inr VINGT-UNIEME SESSION. 1 1 suffisants pour elever noire agriculture au niveau qu'elle devrait occuper? Tourquoi cette lenteur relative des progres agricoles ne se fait-elle pas remarquer en Angleterre ? 2. Quels seraient les moyens d'empecher les habitants des campagnes de venir se fixer dans les villes ainsi qu'ils le font aujourd'hui. — Moyens de remediera cette tendance qui prive l'agriculture tout a la fois des intelligences et des capitaux sans lesquels elle ne peut prosperer. Serait-il possible d'augmenter letaux des salaires payes pour les travaux agricoles, ou au moins d'offrir aux bras des aides agricoles un travail plus frequent et plus suivi, de maniere a les placer dans une situation moins diffe- rente de celle dont jouissentles ouvriers de la ville? 3. L'agriculture est-elle suffisamment progressive en France, pour que Pon puisse esperer qu'elle continuera encore longtemps a fournir aux besoins de la population, en supposant que celle-ci suive dans Tavenir la marche ascendante qui s'est fait remarquer depuis le commence- ment du siecle ? 4. Quels seraient les moyens les plus efficaces pour provoquer les ameliorations necessaires ? 5. Quelle a ete, sur les progres de l'agriculture, l'in- fluence des droits protecteurs etablis a l'importation des produits agricoles Strangers? 6. Les autorites locales, ainsi que les corps savants , doivent-ils user de leur influence pour exciter, par les encouragements et les recompenses dont ils disposent, la propagation et le developpement de certaines industries nouvelles dans les yilles destinees, soit par leur position geographique, soit par d'autres causes , a rester villes artistiques? Et reciproquement, l'introduction forcee des arts dans une ville industriellene peut-elle pas devenir pre- judiciable a l'industrie ? 7. Quel est le sort reserve a l'industrie dans les villes traversees par les chemins de fer, et dont 1'eloignement de Paris ne depasse pas un rayon de trois a quatre cents 12 CONGRES SC1ENT1FIQUE. BE FRANCE. kilometres? et, en particulier, le ralentissement de plu- sieurs branches de commerce , qui deja se fait sentir a Dijon, doil-il etre attribue aux voies ferrees que possede cette ville ? Legislation agricole. 8. La vaine pature est-elle nuisible aux progres de l'a- griculture? Pourrait-elle etre immediatement supprimee?- Dansle cas de la negative, quels seraientles reglements a adopter pour en diminuer les inconvenients ? 9. Comment parvenir a l'etablissement d'une police rurale et forestiere suffisamment efficace ? Jlssolements. — Agriculture pratique. 10. Les assolements alternes, c'est-a-dire les assole-" ments dans lesquels les recoltes deble, d'orge ou d'avoine sont loujours separees,soit par des recoltes sarclees, soit par des recoltes fourrageres, sont-ils plus avantageux que Passolement triennal? En cas d'affirmative, comment ex- pliquer la resistance des cultivateurs praticiens a adopter ce genre d'assolements, meme dans les fermes-oii les pro- prietes exploitees sont reunies en assez grandes pieces pour que le cultivateur soit libre de suivre une rotation de son choix? 11. Est-il avantageux de donner au sol une forte fu- mure, sauf a ne la renouveler qu'a des intervalles eloi- gnes? Ne serait-il pas preferable, au contraire, de diviser la fumure entre toutes les annees de Passolement ? Quelle est celle des deux methodes qui fournira les recoltes les plus abondantes ? Dans le cas oil le systeme des fortes fumures, mais plus espacees, ne conviendrait pas a tous les sols , indiquer la nature geologique et la constitution physique de ceux ou il pourrait etre applique avec avantage. 12. Quel serait le meilleur moyen pour rendrc moins VJNGT-UNIEME SESSION. 13 repugnant etsurtout plus frequent l'emploi direct des ma- tieres fecales a la fertilisation du sol ? On entend parler ici des matieres produites par les populations urbaines, qui sont trop souvent negligees et perdues pour l'agricul- ture. 13. Quelle est pour la Bourgogne la meilleure distribu- tion, la forme et l'etendue des batiments d'exploitation pour les fermes d'une etendue moyenne ? 14. Quel changement les progres de l'agriculture doi- vent-ils amener dans l'arehitecture rurale ? 15. Quels sont les meilleurs modes a suivre dans le trai- tement des terrains d'alluvion de la Bresse, au point de vue de Pamendement du sol arable? 16. Les meules de ble sontelles en usage? Quelles sont les formes les plus habituelles? 17. Quels ont'ete les resultats du drainage en Bourgo- gne ? Combien d'heclares de terre y a-t-il de draines en Bourgogne, et particulierement dans le deparlement de la Cdte-d'Or ? 18. A-t-on applique la mecanique agricole dans la Bour- gogne? Les machines a battre fonctionnent-elles ? Y en a-t-il de mues par la vapeur? A-t-on invente dans ce pays de nouvelles machines tendant a simplifier les travaux agri coles? 19. Quels ont ete pour la Bourgogne les resultats de l'abaissement du droit d'entree sur le betail etranger? Le prix de la viande a-t-il sensiblement baisse par suite de celte mesure? 20. Y a-t-il une difference entre la culture de la vigne au xive et au xve siecle en Bourgogne, et la culture de la vigne a notre epoque ? Culture forestiere. 21. Quelles peuvent etre les consequences physiques en France de la destruction des bois par le defrichement? 14 CONG RES SCIENTIFrQUE DE FRANCE. Comment pouvoir utilement operer le reboisement des penles, a raison de la division de la propriete fonciere? 22. Indiquer les moyens les plus economiques et en meme temps les plus certains pour creer des bois sur les montagnes qui ont ete denudees par les abus de la vaine pature ou par une culture irrationnelle. Prendre en consideration, dans la reponse, la nature calcaire ou siliceuse du sol a reboiser ; indiquer les es- sences preferables dans les differentes circonstances oil le reboisement devra s'operer. 23. La coupe rez terre n'est-elle pas nuisible dans cer- tains sols et a certaines essences ? — Le meme effet perni- cieux n'est-il pas exerce sur la recrue par Fenlevement des souches saines ? 24. Quelle a ete la cause principale du deboisement d'une partie importante du sol forestier ? TaOISIEME SECTION. SCIENCES MEDICALES. 1. Determiner le mieux possible les substances indi- genes capables de remplacer le quinquina dans les fievres intermittentes. 2. Exposer les moyens les plus convenables pour tenir tout bdpital et tout bospice a l'abri d'un air vicie et des mauvaises exbalaisons. 3. A quelle methode de traitement doit-on le plus or- dinairement donner la preference dans les plaies pararmes a feu, et dans celles notamment oil se trouvent leses, soit les membres , soit leurs jointures? 4. Dans les climats de l'Est de la France, les prepara- tions mercurielles sont-elles absolument necessaires pour neutraliser le virus sypbilitique? Indiquer les cas de leur admission ou de leur rejet, et YINGT-UNIEME SESSION. 15 d£crire Phydrargyrie ou les suites resultant de Palms des mercuriaux dans celte meme etendue du pays. 5. Rechercher exactement les causes pour lesquelles la lithiase en general, et en particulier les affections calcu- leuses de la vessie, se voient moins frequemment en Bour- gogne que dans tout le cours du siecle dernier. Peut-on de Petude de ces causes deduire des regies hygieniques assnrees contre le retour de cette grande et facheuse maladie, qui frappait aussi bien les enfants que les adultes et les vieillards ? 6. Sur quels principes faut-il se baser et quelle marche convient-il de prendre quand on est dans la penible ne- cessite de provoquer Paccouchement avant terme ? 7. Apprecier Peffet des grandes commotions morales qui,depuis quelques annees, reagissent d'une maniere de plus en plus fatale, tantdt sur le cerveau , tantdt sur le cosur, tant6t sur les organes gastro-hepatiques. Develop- per les consequences de ces fortes emotions selon le tem- perament de ceux qui les eprouvent, et indiquer les moyens d'en paralyser Paction. 8. Les phenomenes designes par le mot inflammation, dont Phistoire anatomique est assez complete, nous sem- blent attendre un corollaire physiologique : nous deman- dons quelles sont les causes de Pinflammation , et si le but de cet evenement morbide n'est pas indique par ses diverses manifestations. 9. Quelles sont les causes principales des maladies de Puterus? Ces affections sont-elles aussi frequentes qu'on le croit generalement ? ^nthropologie. 10. Etat de la science sur la question du principe de la vie. — Importance de cette question en physiologie, en medecine, en psychologie, etc.— Nouvelle tentative d'une solution.— Necessite d'une alliance entre la pbysiologie et la psychologie. 10 CONGRKS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Chimie legale. 11. En supposant qu'un terrain servant aux inhuma- tions soit arsenifere, on demande a quel etat Parsenic peut y exister : c'est-a-dire s'il s'y trouve a Petat metalli- que, ou a Petal d'oxyde, ou a Petat d'arseniate ou d'arse- nite, et, dans ce cas, a quelle base il y est combine. QUATRIEME SECTION. ATICHEOLOGIE ET HISTOIRE. 1. La derniere campagne de Cesar dans les Gaules a-t-elle ete toujoursbien interpretee? et les opinions diversesqui ont ete emises a cet egard ne doivent-elles pas mettre Pesprit en defiance sur certaines positions supposees de lieux historiques, dont les vestiges ne se trouvent point malgre d'actives recherckes. 2. Le plateau de Sainte-Reine, les lieux qui Pavoisi- nent,etleur situation par rapport aux grands mouvements des deux armees de Cesar et de Vercingetorix, repondent- ils a toutes les donnees des Commentaires sur le siege (V^lesia? 3. Oil les Boii s'etablirent-ils chez les Eduens quand Cesar eut taille en pieces Parmee belvetienne? 4. N'y a-t-il pas dans nos contrees bourguignonnes des localites qui ont conserve des traces si profondes des moeurs et du langage des Gaulois, qu'elles percent encore malgre une longue civilisation? Le Morvan n'offre-t-il pas une ample recolte a cet egard? 5. Les deesses meres trouvees en Bourgogne et sur les bords du Rh6ne ont-elles ete suffisamment etudiees ? les a-t-on decrites avec soin? Presenter une monographic de ces divinites gallo romainesj indiquer leur role dans la theogonie paienne. VINGT-UNlEiME SESSION. 17 0. Quelle est la signification du mot Segomon dans les inscriptions gallo-romaines? — Est-ce le nom d'une divi- nite gauloise, ou est-ce la qualification gauloise d'une divinite romaine? 7. La Bourgogne a-t-elle eu une forme particuliere sous la domination romaine pour les monuments funeraires, ainsi que paraitraient l'indiquer les aiguilles ou petils obelisques deposes au musee lapidaire de Dijon-et dans le cabinet de M. H. Baudot ? 8. Quels sont les monuments romains les plus impor- tants dont il existe encore des vestiges dans la Bour- gogne , el particulierement dans le departement de la Cote-d'Or? 9. Quels sont les caracteres qui distinguent entre elles les sepultures romaines , gallo-romaines et merovin- giennes? 10. Le style roman bourguignon est-il assez distinct des autres styles existant a la meme epoque pour former une classe particuliere? — Les limites de la region monumen- tale formee par cette variete du style roman ont-elles ete suffisamment indiquees par M. de Caumont dans son Abe- cedaire d'Archeologie ? 11. Trouve-t-on des indices qui fassent remonter cer- taines eglises de la Cote-d'Or jusqu'au XIesiecle? 12. Existe-t-il des peintures murales du XIIIe siecle dans quelques eglises de la Cote-d'Or? 13. Quelle influence ont eue leV croisades sur la con- cession des chartes de franchise par les seigneurs ? De quelles legislations anterieures derivent les dispo- sitions reglementaires de ces chartes ? 14. Quelle a ete l'influence de saint Martin dans nos contrees ? 15. De Pemploi le plus ancien de Togive en Bourgogne. — Signaler avec soin les nombreux monuments dans les- quels l'ogive se trouve alliee aux formes les plus caracle- risees, et meme les plus anciennes du style romanjtacher de retrouver la date de construction de ces monuments 18 CONGRES SCIENTIFIQUK DE FRANCE. mixtes; indiquer dans quelles parties des edifices figure l'ogive, quelle est sa forme, si elle figure seule, ou si elle alterne avec des arcs en plein cintre. Ce melange de l'ogive aux formes romanes les plus decidees n'est-il pas un des caracteres de l'architecturebourguignonne au moyen age? Ne s'y montre-t-il pas plus tot et ne s'y prolonge-t-il pas plus tard que dans les autres provinces? A quelle epoque le style dit ogival s'elablit-il en maitre, et se degage-t-il completement des traditions precedentes ? 16. Caracteres propres a l'ecole bourguignonne, dans la forme generale des monuments et dans l'ornementa- tion. — Ses limites geographiques. — Comparaison despro- duits de cette ecole, d'une part avec les edifices du nord de la France, et d'autre part avec ceux de la Provence et des provinces meridionales. La Bourgogne n'occupe-t-elle pas sur la carte archeologique une place analogue a celle qu'elle occupe sur la carte geographique? 17.Recbercher les noms et tracer autant que possible les circonscriptions des anciens pagi de la province; en rechercher la trace et le souvenir dans les noms modernes de plusieurs de nos villages. CINQUIEME SECTION. PHILOSOPHIE, LITTERATURE, BEAUX-ARTS. i. Pourquoi en France le pauperisme est-il dans les pays manufacturiers dans la proportion de 1 : 7 , et dans les pays agricoles dans celle del : 36 ? 2. Quelle serait l'influence de la liberte des commerces de la boucherie et de la boulangerie sur les consomma- teurs et les producteurs ? 3. Que doit-on entendre par ces mots : valeur de l'or et de l'argent? 4. Que doit-on entendre par depreciation de ces va- leurs? VINGT-UN1EME SESSION. 19 5. La monnaie , meme celle de billon , doit-elle avoir une valeur intrinseque egale a sa valeur nominate, moins les frais de fabrication? ou bien doit-elle etre le signe repr^sentatif d'une valeur arbitraire? 6. Ne serait-il pas utile de n'avoir que des monnaies d'un seul metal? 7. Est-il possible d'etablir une juste perequation entre les monnaies de divers metaux ayant cours force dans un pays? 8. Les progres qui cbaque jour se manifestent dans les arts, dans l'industrie, dans lafacilite de locomotion, pro- pagent-ils rapidement au sein de toutes les classes de la societe des besoins nouveaux, des desirs ardents de bien- etre et de jouissances? 9. Ces memes progres ouvrent-ils en meme temps des voies a Pintelligence, des moyens de travail, des sources de b^neflces, dans une proportion suffisante pour procu- rer la satisfaction de ces nouveaux besoins? et sont-ils ac- compagnes d'institutions assez puissantes pour temperer l'ardeur des desirs par des habitudes d'ordre, d'economie et de pi evoyance ? 10. Les moyens de locomotion rapide que Ton possede deja , et ceux qui se preparent encore, ne bateront-ils pas le moment oil une langue universelle pourrait bien deve- nir d'une absolue necessite? et ne serait-ce pas aux con- gres scientifiques qu'il appartiendrait de prendre Pinitia- tive dans cette grande question?* 11. Si, comme on doit le supposer, les relations com- merciales necessitent, dans un temps donne, une langue universelle , la langue francaise , deja si repandue, n'au- rait-elle pas plus de chance que toute autre pour devenir universelle? Et, dans ce cas, ne devrait-elle pas, preala- blement , etre mise en parfait accord graphique et pho- nique f Beaux- Arts. 12. Faut-il croire, avec quelques esprits hasardeux, a 20 CONGRES SCIE1NTIFIQUE DE FRANCE. la disposition innee des Aliemands pour lamusique? Leur aptitude bien prononcee pour cet art ne viendrait-elle pas plulot du genre et du nombre de leurs institutions musi- cales ? S'il en est ainsi, et qu'il soit bien prouve que la musique influe d'une maniere avantageuse sur les moeurs populaires, pourquoi cette indifference des villes et des conseils generaux au sujet du remplacementpar des ecoles de chant bien dirigees, des anciennes maitrises qui ont produit les Cherubini, les Lesueur , les Jbbe-Rose, et tam d'autres chanteurs et compositeurs qui sont encore aujour- d'hui l'honneur et la gloire de la France? 1 3. Quels seraient les moyens de faire connaitre et de re- pandre a l'etranger les publications des societes savantes de France ? 14. Faut-il, dans les grandes bibliotheques, faire un de- partement particulier des recueils des societes savantes, ou repartir ces publications dans les specialites auxquelles elles appartiennent? 15. Les recueils des societes savantes occupent-ils dans les bibliotheques publiques la place qu'ils devraient legi- timement y tenir? Sont-ils classes, catalogues, et mis a la disposition des lecteurs ? Quelle serait , au point de vue bibliographique, la meilleure classification de ces publi- cations ? 16. Quel est, du systeme anglais ou du systeme francais, le plus avantageux pour l'excitation intellectuelle et pour le travail academique? 17. Quel est, eu 6gard a la nature des materiaux em- ployes, le style le plus convenable pour les mairies et les justices de paix dans le chef-lieu du canton ? 18. Pourquoi certains artistes de nos jours , peintres et sculpteurs, cherchent-ils le succes dans leur art par une imitation servile de la nature, tandis que les artistes grecs, qui sont encore les matlres de Part, choisissaient les plus beaux modeles et lesidealisaient selon le sujet qu'ils vou- laient representer ? VINGT-UN III: ME SESSION. 21 Questions supplementaires. 19. Jusqu'a quel point les etudes historiques peuvent- elles profiter a la poesie ou aux arts? 20. A quelles causes attribuer l'affaiblissement du gout des classes elevees pour les spectacles, d'une part, et, de l'autre, la decadence de Part scenique en province ? 21. La critique est-elle de quelque utilite pour les arts et pour les lettres? 22. Peut-on signaler, de nos jours, dans la culture des lettres ou dans celle des arts, des differences qu'on puisse attribuer al'esprit particulier de chaque province? 23. La Bourgogne a-t-elle eu sa muse populaire ? 24. Quels sont les desiderata de la biograpbie ou de la bibliographic bourguignonne ? 22 CONGRES SUKNTIFIQUE DE FRANCE. VINGT-UNliM SESSION DU CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE, OUVERTE A DIJON LE 10 AOUT 1854, DANS LA GRANDE SALLE DU PALAIS DES ETATS DE BOURGOGNE. Stance d'ouverture. President provisoire dc I. De Lacnisine, secretaire general. M. le president ouvre la seance a une heure et de- mie, et prie Monseigneur l'Eveque de Dijon, M. de Marnas, procureur general a la cour imperiale de Dijon, M. Andre, maire de la ville de Dijon, M . Huart, recteur de rAcademie universitaire , MM. Frantin , membrede la commission archeologique , Gaulin, ad- joint au maire de Dijon, Colet, vicaire general, Jo- bard, directeur des musees d'industrie de Belgique, Bonnet, Feuillet de Lyon, a prendre place au bureau. MM. les membres du Congres presents a Dijon en assez grand nombre occupent les sieges disposes dans la salle en face du bureau. VINGT-UNIEME SESSION. , 23 M. le president invite l'un de MM. les secretaires ge'neraux a donner lecture de la correspondance. M. Desire Monnier, inspecteur des monuments his- toriques du Jura, exprime ses regrets de ne pouvoir se rendre a Dijon pour assister au Congres. Sa lettre contient d'interessants details sur la grande bataille qui preceda le siege d'Alise. Cette partie est renvoyee a la section d'histoire et d'archeologie. M. le docteur Roux, chevalier de la Legion d'hon- neur, ancien secretaire general du Congres scienti- fique de France, ecrit qu'un service public , alors que la villede Marseille est affligee par le fleau cholerique, l'y retient en ce moment, et qu'il regrette bien vive- ment de ne pouvoir assister aux seances du Congres, comme il se l'etait propose. M. Edouard de Barthelemy annonce que, ne pou- vant se rendre au Congres, il a charge un de ses amis de presenter ses vues sur la 13e question de la 4e sec- tion inscrite au programme. M. Guettet, medecin de l'etablissement hydrothe- rapique de Saint-Seine , recommande a la sollicilude du Congres les restes de l'ancienne abbaye de Saint- Seine, et particulierement l'eglise, qui aurait besoin des reparations les plus urgentes. Renvoye a la sec- tion d'archeologie. M. l'abbe Jacquet, deRosay, pres Cousance (Jura), appelle Tattention du Congres sur son travail relatif a l'origine des sources d'eau vive, et en envoie deux exemplaires, qui sont deposes sur le bureau. Renvoye a la section des sciences naturelles. M. Emile Ame, auteur d'un ouvrage sur les carre- 24 CONGRES SCIERTIFIQUE DE FRANCE. lages emailles, sollicile la bienveillance de M. de Cau- mont pour son remarquable travail. M . le docteur Pissier, aux Riceys , et plusieurs au- tres membres du Congres, medecins et ecclesiastiques, sont retenus dans leurs communes par suite de l'epi- demie cholerique. M. le president annonce qu'il va etre procede a un scrutin secret pour la nomination du president du Congres et de cinq vice-presidents. Le depouillement du scrutin offre les resultats sui- vants : Monseigneur PEveque de Dijon, ayant obtenu l'una- nimite des suffrages, est proclame president du Con- gres pour la xxie session. MM. de Saint-Seine, de Caumont, de Marnas, Jo- bard de Bruxelles et le general Raymond sont pro- claims vice-presidents a une immense majorite. M. de Lacuisine prie Monseigneur l'E\equede vou- loir bien prendre place au fauteuil du president. Monseigneur, dans une improvisation chaleureuse etpleine d'onction, remercie Passemblee de Teminente distinction qu'elle a voulu faire a son caractere. II cede a de graves considerations en acceptant la presidence : c'est la religion que Ton a voulu honorer dans la per- sonne de son ministre ; c'est pour elle qu'il accepte. II ose done, dit-il, feliciter l'assemblee d'avoir fait danscechoix un actede religion et de savoir. L'homme cberche naturellement a se rapprocher de Dieu, et le vrai savant sait que Dieu est le premier et le dernier mot de toute chose. Sa Grandeur jclle un rapide coup d'oeil sur le pro- VINGT-UNIEMK SKSSION. 25 gramme des questions soumises au Congres. Elle voit dans la premiere section les sciences naturelles, qui attestent la presence de Dieu partout et sa puissance infinie s'etendant sur toute la nature. L'agriculture fait naitre aussi de pieuses pensees. En parcourant nos campagnes, qui n'a pas reconnu la main de Dieu dans le simple lis des champs et dans le passereau nourri par le Pere celeste? La science medicale est aussi feconde en enseigne- ments religieux ; elle parle si haut du Createur de 1'homme ! L'archeologie eleve la pensee du savant, qui etudie dans les monuments l'intelligence des peuples, leur civilisation; qui suit la trace des peuples qui ont eta- bli leur demeure jusque dans le centre de l'Amerique, de l'Oceanie, et qui decouvre entre eux tous mille traits de ressemblance qui demontrent une commune origine. Nous, dit Monseigneur, les enfants de la foi, nous aimons a decouvrir cette verite , dans tous les peuples du monde nous ne voyons que des freres; nous aimons a partager avec ces tard Venus de la civilisa- tion les bienfaits de la religion que nos missionnaires francais vont repandre sur les contrees les plus loin- taines. La vraie philosophic est bien digne aussi de la meditation des savants : une philosophic superficielle eloigne 1'homme de Dieu, tandis que, profonde el eclairee, elle le ramene a ce grand Dieu et a ses per- fections adorables. Les arts, l'architecture, la peinture, la musique, doivent a la religion leur plus grande gloire ; elle anoblit, elle perfection ne les talents des artistes; c'est 26 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. elle qui a inspire les plus remarquables chefs-d'oeuvre', elle est la source du beau dans tous les genres. Les sciences physiques sont liees avec celui qui a tout dispose dans la nature, et reportent naturelle- ment vers l'auteur de ces lois generates qui regissent ces myriades d'etres repandus dans l'espace. En voyant l'immensite des mers franchie par la vapeur, l'elec- tricite rapide transmettant la pensee par la puissance du genie de Thomme, comment ne pas tomber a ge- noux devant Dieu qui l'inspire! Les sciences repor- tent l'homme vers Dieu. Monseigneur exprime la pensee que la session qui s'ouvre ne sera pas sterile pour la science. II suivra les seances du Congres avec toute Fassiduite que lui permettront les preoccupations du moment (1). Notre ville , continue Sa Grandeur, est heureuse et here de posseder les savants etrangers qui sont venus partici- per aux travaux du Congres, et qui trouveront un fra- ternel concours dans TAcademie des sciences, arts et belles-lettres de cette ville, ainsi que dans la societe archeologique et 1'administration municipale, qui re- coit le Congres dans son palais avec toute la courtoi- sie du savoir-vivre. Monseigneur termine son elo- quente improvisation, dont nous regrettons de ne pouvoir reproduire qu'une ebauche incomplete, en remerciant l'assemblee de nouveau, et declare la ses- sion du Congres ouverte. (1) Ces tristes preoccupations resultaient du cholera, qui faisait, dans certaines paroisses du diocese de Dijon , de nombreuses victimes auxquelles Monseigneur allait lui- m6me porter des secours et les paroles consolantes de la religion. VINGT-UNIEME SESSION. 27 M. de Caumont prend la parole pour indiquer l'ordre des travaux des differentes sections. Les heures de reunion sont ainsi fixees : Les lre et 6e sections reunies (sciences naturelles, physiques et mathematiques ) ouvriront leurs seances a 7 heures du mating — 2e section (agriculture, com- merce, industrie), 9 heures du matin; — 3e section (sciences medicales), 11 heures et demie du matin; — 4e section ( archeologie et histoire ) , 1 1 heures du matin ; — 5e section ( philosophic , litterature et beaux-arts), une heure apres midi. Seances generates, — tons les jours, a trois heures apres midi. Le meme ordre sera suivi, pour les reunions, pen- dant toute la duree de la session. La seance est levee. Le secretaire general, H. Baudot. SEANCE GENERALE DU 11 AOUT. Presidence de 11. le Marquis de Sninl-Seine, me-prfeidenl. Siegent au bureau : MM. de Caumont, Jobart de Bruxelles , le general Remand et MM. les secretaires generaux. M. le president ouvre la seance, et invite l'un de MM. les secretaires generaux a donner lecture du pro- ces-verbal de la premiere seance du Congres. Ce pro- ces-verbal est lu et adopte. 28 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. II est fait hommage au Congres des ouvrages sui- vants : 1. Iconographie chr&tienne, par Tabbe Crosnier , 1 vol. in-8°. — Offert par l'auteur. 2. Geographie physique, politique, agricole, commer- ciale et industrielle du departement de la Charente-Infe- rieure, atlas de 8 planches in-f°, parM. d'Olivet. — Id. 3. Compte rendu des Travaux de la Societe de statis- tique de Marseille, 1852 et 1853, 1 vol. in-8°, par M. le docteur Roux. — Id. 4. Notice sur d'Anciens Cimetieres trouves en Savoie et dans le canton de Geneve, par M. H. J. Gosse, de Ge- neve, 1 vol. — Id. 5. De l'Etiologie du Goitre et du Cretinisme, par M. L. A. Gosse , docteur-medecin a Geneve. — Id. 6. Un Memoire sur Plusieurs Questions du programme, section de l'agriculture $ — un Memoire sur Plusieurs Ques- tions d'archeologie, et Examen du Si6"ge d'Alesia : par M. Joanne. — Offerts par l'auteur. 7. Divers Bandages, par M. Borsary, sont deposes sur le bureau. 8. Compte rendu des stances generales de la 19e ses- sion du Congres archeologique de France , tenue a Dijon en juillet 1852, 1 vol. in- 8° Offert par la Societe fran- caise pour la conservation des monuments historiques. 9. Un Memoire sur Plusieurs Questions d'agriculture, par M. Wins. — Offert par l'auteur. 10. Un Memoire sur la Vaine P&ture, par M. Berard. — Id. 11. UnReglement sur la Vaine Palure, par M. le docteur Bonnet, de Besancon, 1 vol. 12. Un Memoire sur 1' Arsenic normal, et la possibility de son introduction dans l'economie humaine pendant la vie, sans qu'il en resulte des troubles fonctionnels appre- ciates, par M. le docteur Van den Broeck, brochure in-8°. — Offert par l'auteur. VINGT-UNIEME SESSION. 29 13. La Traduction ties Discours d'Eumene, par M. l'abbe Landriot et M. l'abbe Rocbet, 1 vol. in-8°. — Offert par la Societe eduenne. 14. Les Memoires de la Commission des Antiquites du departement de la C6te-d'Or. — Offerts par cette Commis- sion. 15. Rapport sur une Excursion dans le Midi de la France, 1 vol.;— Definition elementaire de quelques termes d'ar- chitecture : par M. de Caumont, 1 vol. — Offerts par 1'au- teur. 16. Le Vieil Orleans, par M. Huot, 1 vol. — Offert par l'auteur. 17. Tableau geologique du departement de la C6te- d'Or, par M. Malinowski. — Id. Ces divers ouvrages et memoires sont renvoyes aux sections qu'ils concernent. M. le president invite MM. les secretaires particu- liers a faire connaitre a Tassemblee les travaux des diverses sections. M. Ladrey donne lecture du proces-verbal des pre- miere et sixieme sections reunies. M. Tardy lit Je proces-verbal de la section d'agri- culture ; M. Brule, celui de la section medicale ; M. Garnier, celui de la section d'archeologie. M. Simonnet, auquel le temps a manque pour la redaction du proces-verbal de la section de littera- ture, rend compte du travail de cette section. L'assemblee entend ensuite la lecture d'un me- moire de M. Ripault sur les substances indigenes capables de remplacer le quinquina dans diverses circonstances. 30 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. M. le president rappelle au Congres l'heure de la reunion des diverses sections, et il fixe a neuf heures du matin, pour demain seulement, celle de la section de litterature, afin que cette section puisse se livrer a ses travaux avant Touverturfe de la seance de l'Acade- mie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon. La seance est levee. Le secretaire general , Detourbet. Le samedi 12 aout, le Congres n'a pas eu de reu- nion generale. II assistait a une seance publique que l'Academie des sciences , arts et belles-lettres de Di- jon donnait a son occasion. Cette seance solennelle, qui avait attire une foule considerable d'auditeurs , etait embellie par la presence d'un grand nombre de dames elegamment parees. On remarquait dans les places reservees Monseigneur l'Eveque de Dijon, pre- sident du Congres, M. Muteau, premier president de la cour imperiale de Dijon, M. de Marnas, procureur imperial a la meme cour, M. Andre, maire de Dijon, M. Huart, recteur de l'Academie universitaire, le ge- neral Remond, M. de Caumont, directeur de l'lnstitut des provinces, M. Parker d'Oxford, M. Gosse de Ge- neve, M. L. Paris de Paris, M. Chasles , president de la Societe academique d'Auxerre, et tous les autres membres du Congres presents a Dijon. A deux heures, messieurs les Academiciens entrent dans la salle, et prennent place sur des fauteuils dis- poses de chaque cote du bureau. M. le president ouvre la seance, et adresse, au nom VINGT-UNIEME SESSION. 31 de l'Acadeinie, des remerciments aux personnes dis- tinguees qui ont bien voulu designer Dijon comme lieu de reunion pour la xxie session du Congres. II remercie egalement les membres etrangers qui sont venus assister a ces reunions scientifiques, artistiques, litteraires et industrielles, et donner ainsi un nouveau relief a la ville de Dijon , jadis si illustree. II rend compte en peu de mots des travaux de l'Academie, et annonce que la compagnie, voulant honorer les hom- mes qui donnent tant de preuves de devourment et d'abnegation d'eux-memes dans les tristes circons- tances qui frappent en ce moment certaines localites du departement, vient de decerner, pour etre deposee sur sa tombe , une medaille d'or au jeune eleve en medecine M. Paris, enleve si subitement a la science, victime de son zele et de son courageux devour- ment. La seance a ete remplie par la lecture de quatre morceaux qui ont constamment captive Fattention des auditeurs. L'un elait une dissertation sur la comedie grecque de Menandre, YAmant ha'i, que M. Stieve- nart a su reconstruire a l'aide de quelques lambeaux du texte original echappes a la destruction. Cette piece avait un interet particulier par la comparaison des moeurs des temps antiques avec ceux de nos jours. On peut conclure de cette comparaison que les hom- ines sont toujours les memes , sujets aux memes pas- sions, enclins aux memes vices. Une legende bourguignonne , pleine de details emouvants, a ete racontee par M. Mignard. II s'agis- sait d'un chevalier croise prisonnier en Palestine, qui avait ete oublie de sa douce moitie. Celle-ci , prete a 32 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. donner un successeur a ce malheureux epoux, le voit tout a coup apparaitre au moment oil elle allait le trahir par un coupable hymen. Le seigneur de Jours, arrive si a propos pour defendre ses droits, ne put reunir la somme necessaire qu'il venait chercher pour payer sa rancon. Fidele a sa parole, il va se recons- tituer prisonnier; mais Saladin, admirant cette loyaute chevaleresque, lui rend la liberte et le renvoie comble de presents. Les deux autres pieces qui ont termine la seance etaient, un tres-remarquable eloge d'un illustre mem- bre de l'Academie de Dijon, Pamiral Roussin , qui , parti simple mousse en 1793, est arrive par son pro- pre merite aux plus hautes dignites, et une piece de vers aussi en l'honneur de ce celebre marin bourgui- gnon. SEANCE 6£N£RALE DU DIMANGHE 13 AOUT. Presidence de M. Jobard de Bruxelles, vice-president. Siegent au bureau : MM. de Caumont, Chasles d'Auxerre, Huot, procureur imperial a Ussel , et MM. les secretaires generaux. Le proces-verbal de la derniere seance generate est lu et adopte. M. de Caumont propose au Congres de prendre un arrete pour fixer definitivement le lieu ou sera tenue la prochaine session du Congres scientifique. L'as- semblee adopte l'arrete suivant : VINGT-UNIEME SESSION. 33 Jrrete concernant la tenue de la xxne session du Congres scientifique de France au Puy (Haute- Loire), 1° Conformement a la decision prise a Arras en 1853, la xxne session du Congres scientifique de France aura lieu au Puy (Haute-Loire) en 1855. Elle s'ouvrira du 5 au 10 septembre. 2° M. Albert de Brive, nomme secretaire general de cette session, et MM. les secretaires generaux adjoints pren- dronttoutes les mesures necessaires pour la tenue de cette session. lis s'entendront a ce sujet avec Plnstitut des pro- vinces, et lui soumettront le programme des questions a discuter. Ce programme ne pourra etre imprime qu'apres avoir recu Papprobation de la compagnie. 3° La convocation sera faite au moyen d'une circulaire adressee aux savants de la France et dePetranger. MM. les secretaires generaux des precedentes sessions seront pries d'aider MM. les secretaires de la xxir8 session dans les pro- vinces qu'ils habitent. 4° Conformement a la demande exprimee par M. le maire de la Rochelle et parM. Pabbe La Curie, membre de Plns- titut des provinces , la xxme session du Congres scienti- fique s'ouvrira dans cette ville en 1856. M. Pabbe La Curie, de Saintes, est nomme secretaire general de la session, et charge de prendre toutes les mesures qui seront neces- saires pour qu'elle produise les resultats qu'on doit en at- tendre. 5° MM. les secretaires generaux de la xxie session, tenue a Dijon, seront, selon Pusage, charges de la publication du compte rendu de la session. lis reverront, a cet effet, les memoires presentes au Congres, et choisiront ceux qui leur paraltront les plus importants. lis pourront n'impri- mer que par extrait, ou meme supprimer, s'ils lejugent convenable, les memoires qui auraient ete lus et dont Pimpression aurait ete votee en seance. — Le volume sera tire a 600 exemplaires. 34 CONGRES SCIENT1FIQUE DE FRANCE. 6° MM. les secretaires presideront a la distribution du compte rendu, dont 100 exemplaires seront distribues au nom du Congres aux societes savantes de la France et de Petranger, par les soins de l'Institut des provinces. 7° Conformement aux deliberations anterieures , les fonds qui resteront en caisse apres la tenue de la xxie ses- sion et l'impression du compte rendu seront verses dans la caisse de l'Institut des provinces. 8° Apres la distribution du compte rendu aux membres de la xxie session, vingt-cinq exemplaires seront deposes dans les archives de l'Institut des provinces, et le reste mis en dep6t chez M. Derache, libraire, rue du Bouloy, 7, a Paris, qui rendra compte du resultat de la vente a la com- mission administrative de l'Institut des provinces. 9° MM. les secretaires generaux de la xxie et de la xxne session devront se conformer strictement aux arre- tes pris par le Congres dans ses differentes sessions, et au reglement approu\e en 1837 par M. le ministre de l'inte- rieur pour ces reunions scientifiques annuelles (1). Apres l'adoption de cet arrete, M. le president in- vite M. H. Baudot, secretaire general, a donner lec- ture du proces-verbal de la seance de la Societe d'horti- culture de la Cote-d'Or a laquelle le Congres vient d'assister, et qui a ete redige, seance tenante, comme annexe a ses travaux. Exposition de la Societe d"horticulture de la Cote- d'Or. — Seance extraordinaire tenue a V occasion du Congres. Le dimanche 13 aout, le Congres, reuni sous la pre- sidence de M. de Caumont, se transporte, a une heure (0 Le Congres scientifique de France, dont les slatuts ont Cte" approu- ve"s en 1837 parM. le ministre de l'interieur, a e"te" de nouveau autoris^ par le gonvernement. vingt-unieme session. 35 apres midi, au palais episcopal pour remercier mon- seigneur l'eveque d'avoir Lien voulu accepter la pre- sidence du Congres. Monseigneur etait absent : Sa Grandeur etait allee porter des consolations aux mal- heureux atteints de l'epidemie cbolerique qui regneen ce moment a Is-sur-Tille, commune voisine de Dijon. Le Congres alors se dirige au Jardin des plantes et a 1'Arquebuse, ou la Societe horticole du departement de la Cote-d'Or l'a invite a assister a une seance ex- traordinaire qu'elle tient a son occasion. Les membres du Congres parcourent le jardin de TArquebuse , ou ils trouvent disposee avec un gout parfait , sous des pavilions champetres dresses par les soins de M. l'architecte du departement, une exposition de fruits et de fleurs d'une richesse de produits tres-remarquable. Les tables d'exposition , de forme circulaire, sont environnees d'une cein- ture de boux artistement entrelaces , qui les pre- serve des mains indiscretes et ajoute un charme de plus a cet ingenieux arrangement. On remarque les beaux fruits de M. Mozer, d'Argilly, jardinier de M. le coriite d'Arcbiac , qui a presente des especes tout a fait nouvelles en fait de peches , telles que la Marie de Vurtemberg^ la bisconti et la sanguine admirable. Les poires, les pommes, les prunes, les abricots, les cerises, fraises, groseilles et raisins, se font admi- rer par le developpement de leur volume aussi bien que par la fraicbeur et la couleur vermeille qui an- nonce leur bonne qualite et leur maturite parfaite. MM. Yallot et Lieutet se distinguent parmi les ex- posants des beaux fruits de la saison. Une corbeille d' abricots (semis nouveau) appartenant a M. Pillot^ 3G CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. conseiller a la cour imperiale de Dijon, a fixe parti- culierement l'attention des connaisseurs par la qualite et la beaute du fruit. La culture maraichere est representee par des pro- duits abondants et d'une vegetation vraiment merveil- leuse. Le Congres a remarque surtout un champignon comestible du poids de 8 a 10 kilogr., sorti du sol dijonnais ; des collections de plantes legumineuses de toutes especes et des varietes peu communes, telles que aubergines, patates , oxalis, telragone, discora japonica^etcetc. Les produits en ce genre de MM. Mo- zer, Barrat et Marguery, ont ete les plus apprecies. Les fleurs sont aussi abondantes que variees : le jardin en est litteralement jonche. A chaque detour d'allee , l'oeil s'arrete agreablement surpris par des massifs artificiels dresses en amphitheatre au milieu d'une mousse verte et fraiche, ou s'etalent des col- lections d'une infinie variete : ici les fuchsias au feuil- lage delie dont la fleur delicate retombe de son pe- doncule et se divise en grappes legeres ; la les dahlias nouveaux a feuilles lanceolees aux couleurs vives et de teintes les plus diverses ; plus loin les roses odo- rantes, au milieu desquelles on \oit briller la gloire de Dijon, et ces giroflees touffues, et ces mille pen- sees aux feuilles larges et veloutees ; puis les families des reines-marguerites, des petunia, des archimenes et cent autres especes plus ou moins rares qui rejouis- sent l'oeil par l'harmonie de leurs couleurs , et em- baument Fair. par la suavite de leur odeur. Les noms-de MM. Barrat et Lieutet-Jacotot, de Dijon, se font encore remarquer parmi les fleuristes les plus dislingues; mais la bonne part de l'expo- VJNGT-UNIEME SESSION. 37 sition floricole est due au Jardin Lolanique, dont le directeur, aussi obligeant qu'eclaire, assiste de M. Mo- reau, jardinier, a, pour la circonstance , exhibe les belles fleurs du Jardin et fait sortir des serres les plantes exotiques les plus rares et les plus precieuses pour les offrir aux regards de MM. les membres du Congres. Sur la table d'exposition de l'un des pavilions ehampetres on voit une collection aussi complete que possible des instruments de coutellerie horticole. Parmi les scies a main , les serpettes , les secateurs, les couteaux, les greffoirs et autres instruments de la fabrique perfectionnee de M. Ameline-Guerre , on dis- tingue le greffoir a emporte-piece , si precieux pour la greffe des sujets a forte tige, surtout dans les mo- ments ou la seve est peu abondante. Apres avoir parcouru le jardin et examine les pro- duits offerts a ses regards, le Congres, invite par M. le comte d'Archiac, president de la societe horticole, se reunit a deux heures precises , et prend place sur des sieges prepares a cet effet sous les rameaux du geant vegetal de la Bourgogne, ce peuplier noir, qui compte plusieurs siecles d'existence, etmes,ure douze metres de circonference pres de sa base. C'est la qu'en 1 595, sous ses \astes rameaux, le roi Henri IV se ren- dit avec les chevaliers de l'Arquebuse pour disputer le prix d'adresse et tirer le premier coup d'honneur. Apres avoir fait asseoir a ses cotes M. de Caumont et les membres du bureau du Congres, M. Te presi- dent de la Societe d'horticulture ouvre la seance et prononce le discours suivant : Appele par M. le maire de Dijon , et concunemment 3S CONGRE* SCIKNTIFIQUB Dfi FRANCE. avec lui, a Phonneur de contribuera vousrecevoir aujour- d'hui, permettez-moi, messieurs, de vous adresser au nom de la Societe d'horticulture de la C6te-d'Or Pexpression de sa juste reconnaissance pour le bienveillant interet qu'exprime votre presence et pour la part que vous avez bien voulu prendre aux operations du jury de son expo- sition. Quelques breves paroles explicatives sur la Societe dont j'ai Phonneur d'etre pres de vous Porgane. La Societe d'horticulture a pris naissance au commen- cement d'avril 1851. Son but a toujours ete de preter la mutualite de son assistance, ainsi que les moyens d'encouragement dont elle dispose, a Pintroduclion des nouvelles especes d'ar- bres fruitiers et deplantes, comme au developpement des meilleures methodes de culture de ce departement. Enoncons les principales. Nous placerons en premiere ligne Parboriculture, sur- tout l'exportation des fruits qu'elle fait naitre, qui, grace a l'etablissement des differentes lignes de chemins de fer, est appelee a nous doter de capitaux tres-imporlants. Vient ensuite la culture maraichere et l'exportation de quelques-unes de ses branches. Puis enfin la floriculture et ses charmants produits. La Societe d'horticulture, d'apres ses statuts, doit avoir par annee deux expositions semestrielles 5 Une troisieme supplemental a Beaune , a raison du nombre des societaires qui resident dans cet arrondisse- ment. La presente exposition , a laquelle vous voulez bien prendre part, est exceptionnelle. Elle nous a ete demandee parl'autorite municipale. C'est avec le plus vif empressement que nous avons reiini nos efforts et que, de concert avec elle, nous desi- rons meViter vos suffrages eclaires pour une oeuvre de trois annees d'exislence et qui espere se creer un avenir me- ritant. VINGT-UNIEME SESSION. 39 Voila, messieurs, l'etatactuel de la Societe telle qu'elle a ete constitute. C'est avec bonheur que nous profitons de cette solen- nite, qui reunit autour de nous tant de differentes illustra- tions, pour proclamer Pinsigne faveur descendue sur nous du haut du tr6ne imperial. Sa Majeste Plmperatrice , par une lettre bienveillante qu'elle nous a fait adresser, daigne abriter notre societe sous son haut patronage. Nous nous efforcerons chaque jour de meriter cet hon- neur inespere par notre perseverance dans nos travaux, mais surtout par le profond respect qui est grave dans nos coeurs pour notre belle et tres-gracieuse souveraine. Avant de proceder a Pouverture de la seance, qui se terminera par la distribution des medailles dues a la mu- nificence de la ville, qu'il me soit permis, messieurs, au nom de la Societe d'horticulture, d'adresser a M. le ministre de Pagriculture nos respectueux remerciments pour la m^daille d'encouragement en or qu'il a bien voulu accor- der a notre derniere exposition. Que M. le baron de Brj, notre tres-honorable prefet; M. le president du conseil general; M. le maire et Padministration de la ville de Dijon , veuillent bien partager cette reconnaissante gratitude pour le constant appui dont ils ont bonore notre Society. Qu'ils nous traitent dans Pavenir comme par le passe. C'est pour nous un besoin indispensable, soit pour ar- river au but vers lequel nous nous dirigeons, soit enfin pour realiser les progres d'avenir de notre jeune So- ciete. Apres ce discours, M. le president accorde la pa- role a M. le docteur Lavalle, directeur du Jardin des plantes, qui lit une notice tres-interessante sur l'uti- lite que Ton pourrait tirer de la chaleur des eaux de source pour la vegetation des plantes disposees dans 40 CONGRES SCIENTIFJQUE DE FRANCE. des serres temperees. M, Lavalle expose les resultats de sa propre experience. Passant a un autre sujet, M. le directeur offre l'ex- pose suivant touchant la culture des arbres fruitiers dans le departement de la C6te-d'Or : Culture des arbres fruitiers. Il y a quelques annees a peine, quand nous disions que notre departement pouvait trouver d'importantes ressour- ces dans la culture des arbres fruitiers, quand nous soute- nions que le sol et les conditions climateriques y etaient excellents pour la production de bons et beaux fruits, on accueillaitnos paroles avec incredulite et on refusait d'ad- mettre que nous puissions jamais acquerir quelque impor- tance sous ce rapport. Ce ne sont plus des raisons que nous apporterons au- jourd'hui a l'appui de cette verite : les faits commencent a parler assez haut pour n'avoir plus besoin de commen- taires , et rien ne saurait arreter ceux qui veulent planter. Malgre la prodigieuse recolte que le departement de la C6te-d'Or a faite cette annee en poires et en pommes , l'exportation a ete telle, qu'il est deja tres-difficile de se procurer de beaux fruits. La meme cause a fait tellement hausser ces produits , que les poires Saint-Germain , les colmars , les crassanes , les belles de Berri , se vendent au- jourd'bui 15, 20" et 25 cent, et plus en detail, et qu'elles sont achetees par le commerce aux prix de 10 a 12 fr. le cent. Un de nos horticulteurs nous a assure avoir vendu des duchesses au prix de 40 cent, piece. Un tel accroissement dans les prix , dans une annee abondante, prouve assez quel avenir est reserve a cette production, et combien sont apprecies au loin nos beaux fruits. Voici, pour les fruits d'ete, des details aussi exacts qu'il VINGT-UNIEME SESSION. 41 est permis de les desirer en pareille matiere, et qui prou- vent bien qu'il en est de meme a leur egard. M. le maire de la commune de Chendve nous ecrit a ce sujet : « 1° La population de la commune est de 759 ames, ou » 232 menages, d'apres le dernier recensement. » 2° Jl n'y a point de terrain specialement destine a la » culture du cerisier, attendu qu'a Chenove on plante de » la vigne partout. Cependant le nombre des cerisiers cul- » tives par les habitants de Chenove est de 2,197. lis sont » parsemes sur toute I'etendue du territoire pour les 2/3, » et 1/3 sur le territoire des communes voisines, notam- » ment Marsannay et Dijon. Le rendement moyen de cha- » que pied de cerisier a ete de 54 kilogr. 620 gr., ou en » totalite 120,000 kilogr., exportestantaDijon qu'ailleurs. » Le prix moyen du kilogr. a ete de 25 cent. , ce qui pro- » duit, par pied de cerisier, 13 fr. 65 cent., ou, en total, » 29,989 fr. , dont les 2/3 pour le territoire de Chen6ve )> forment une somme de 19,992 f. 66 cent., et le 1/3 pour » les communes voisines celle de 9,996 fr. 33 cent. » Nous tenons de M. Guillot , maire de la commune de Marsannay, les details suivants relatifs a cette commune. Le soin et l'intelligence avec lesquels M. Guillot a releve ces chiffres sur des notes prises chaque jour sur les ventes faites par les habitants de la commune sur le marche de Dijon, donnent a ces notes une valeur que possedent bien peu de renseignements statistiques. Asperges. — 4,500 bottes, vendues en moyenne 90 cent 4,050 f. Cerises. — 1,250 arbres. Moyenne par arbre , 4 fr. 32 c. 27,000 kil. de fruits a 20 cent 5,400 Groseilles et cassis. — 6,000 pieds. Moyenne par pied, 10 cent. 6,000 kilogr. a 10 cent. 600 Abricots. — 3,000 arbres. Moyenne par arbre, 6 fr. 6 cent. 91,000 kilogr. a 20 cent 18,200 Total jusqu'a ce jour 28,250 42 CONGKES SClENTIFfQUE DE FRANCE. « Les cerises et les abricots ont ete achetes sur place » par des marchands etrangers a la localite , et emporles » par paniers de 10 kilogr. pour les cerises, et de 40 kilogr. » pour les abricots : il m'etait facile de compter cbaque » jour les quantites enlevees. » Une partie a ete vendue a Dijon, a peu pres dans la » proportion d'un tiers; ce n'est que la qu'il pourrait y » avoir inexactitude. » Enfin, voici un travail analogue sur la commune de Plombieres, dont nos lecteurs doivent remercier M. le maire de cette commune, et qui n'offre pas moins d'in- teret. Recapitulation dcs fruits expedies 'par la gare de Plombieres au 10 aout 1854. Population, 1,695. — Cerises, 57,364 kil. — Framboises, 20,026 kil.— Cassis, 758 — Abricots, 1,139. Total, 59,287 kilogrammes. Cerises et framboises expedites par voitures hors du departe- ment au 10 aout 1854. Pour Besancon , Langres> Vesoul, Dole : cerises, 10,427 kilogrammes. Pour Chatillon, Dole : framboises, 1,000 kilogrammes. Quoi de plus positif que ces chiffres, qui nous montrent quelques-unes de nos communes trouvant tout a coup un produit important dans des cultures jusqu'a present consi- derees comme insignifiantes ? Ajoutez a cela que si l'exportation n'a pas ete plus con- siderable, ce n'est pas parce que les demandes se sont ar- restees a ces chiffres, mais bien parce que la production n'a pu fournir davantage, et vous comprendrez de quel interet il est pour notre departement de voir ces cultures se mul- tiplier et etre conduites avec soin. J. Lavalle, D. M. , directeur du Jardin des plantes^ VINGT-UN l£ME SESSION*. 43 M. Liegard donne lecture du rapport du jury d'exa- men sur les recompenses accordees aux exposants , qui viennent successivement recevoir des mains de M. le president les medailles qui leur sont decernees, dans l'ordre suivant : Culture rnaraichere. — Rappel de medaille. Premier prix et medaille en vermeil : M. Barrat, jardinier a Dijon. — Premier prix, medaille en vermeil : M. Marguery, jardi- nier a Dijon. Fleurs. — Premier prix, medaille en vermeil : M. Lieu- tet-Jacotot? jardinier horticulteur a Dijon. Fruits, — Premier prix, medaille en vermeil : M. Val- lot-Simonot, jardinier horticulteur a Dijon. — Mention honorable a M. Mozer, jardinier a Argilly (hors con- cours). Arts accessoires. — Medaille d'argent : M. Ameline- Guerre, pour son exposition d'instruments d'horticulture. Mentions honorables a M. Froissard, de.Nuits, pour ses jardinieres 5 Mile Yallotte, pour ses fleurs peintes au pas- tel; M.Moreau, pour sa belle exposition de fleurs hors concours, et pour les soins qu'il a donnes a la decoration de la fete. Apres cette distribution, qui est accueillie par les applaudissements sympathiques des membres du Con- gres et de la societe d'horticulture , M. le president leve la seance, et invite MM. les membres du Congres a visiter le bassin d'experiences pour la verification de Teffet de la chaleur des eaux de Dijon sur la vege- tation. M. le comte d'Archiac et M. Lavalle dirigent en- suite une derniere exploration dans les parties les plus remarquables du Jardin des plantes et de l'Ar- quebuse , et reconduisent le Congres jusqu'a la grille 44 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. du Jardin , ou chacun se separe apres s'etre donne des temoignages de sympathie et de consideration reciproque (1). Le Congres se rend immediatement au palais des Etats pour tenir sa seance generate. Apres la lecture de ce proces-verbal , qui recoit Tapprobation du Congres, M. de Caumont propose de voter des remerciments a MM. les membres du bureau de la societe d'horticulture. Cette proposition est adoptee. M. Ladrey, secretaire des premiere et sixieme sec- tions reunies des sciences naturelles , physiques et mathematiques, est invite a donner lecture du proces- verbal de la derniere seance de ces sections. Apres cette lecture, M. Tardy, secretaire de la deuxieme section d'agriculture, commerce et indus- trie, a la parole pour presenter le resultat des travaux (1) La fete annoncee pour le soir a eu lieu en presence d'unc foule nombreuse de spectateurs accourus de tous les environs pour admirer l'exposition et le jardin brillam- ment illumine. Des globes de feu de diverses couleurs etaient repandus a travers le feuillage des massifs et jus- que sur la cime des arbres les plus eleves$ ces voutes de feu et de verdure, refletees par les eaux limpides des ruisseaux et <{es bassins, dont les bords etaient garnis de fleurs et des plantes les plus rares , formaient un ravissant coup d'oeil. Les pelouses etaient envahies par un nombre considerable de dames elegamment parees , qui se pres- saient autour d'un orcbestre qui faisait retentir les airs d'une musique barmonieuse. Un ciel sans nuage semblait favoriser cette belle soiree, dont les apprets avaient ele ordonnes avec un gout parfait. VINGT-UNIEME SESSION. 45 et discussions qui se sontproduits a la derniere seance de sa section. M. le docteur Ripault succede a M. Tardy, el donne lecture du proces-verbal de la derniere seance de la section de medecine. M. Gamier rend compte de ce qui s'est passe dans la section d'archeologie et histoire a la seance d'hier. M. Simonet, secretaire de la cinquieme section, philosophic , litterature et beaux-arts , donne egale- ment lecture du proces-verbal de la derniere seance de sa section. M. Jobard, de Bruxelles, qui preside, prie M. Chal- les, vice-president, de vouloir bien le remplacer au fauteuil ; puis il presente et fait fonctionner aux yeux du Congres un modele en petit de la pompe de son invention , decrite dans le proces-verbal redige par M. le secretaire des premiere et sixieme sections reu- nies, dont le Congres a entendu la lecture. M. Jobard met egalement sous les yeux du Con- gres une lampe de son invention , qui a le double merite d'augmenter la lumiere et de diminuer la con- sommation de l'huile dans des proportions notables. M. Nodot, conservateur du Cabinet d'histoire natu- relle de Dijon, est invite par M. le president a donner quelques explications sur des especes de coquillages marins adherents a des plaques de ceinturons decou- verts dans des sepultures de l'epoque merovingienne, et deposes par M. Gosse, de Geneve , sur le bureau du Congres. M. Nodot, apres avoir examine avec soin ces appa- rences de coquillages dont l'oxyde de fer aurait rem- place la matiere primitive par suite d'un travail na- 46 CONCURS SCIENTIFKJUE 1)E FRANCE. turelopere par le temps, n'y voit aucun des caracteres qui constituent des corps organises. II ne peut y re- connaitre l'huitre, comme quelques naturalistes Pont fait. Ses motifs sont I'absence totale de charnieres, tres-apparentes ordinairement dans cette espece de coquillage, le manque d'impression musculaire; en un mot, aucun des signes caracteristiques du coquil- lage organise n'existent dans les echantillons soumis a son examen. Ces signes caracteristiques ne se per- dent jamais, dit-il, meme dans les huitres fossiles a l'etat siliceux ; elles conservent toujours ,leurs char- nieres, et Ton distingue encore l'apparence feuilletee du coquillage. La diversite des formes qu'il remarque sur ces plaques de ceinturon sont encore pour lui une nou- velle preuve qui vient confirmer son opinion. II ne voit dans ces objets de formes diver ses que des boursoufflures de fer oxyde, qui affectent, il est vrai, la forme de coquillage; mais ce n'est, selonlui, qu'un jeu du hasard produit par l'oxydation. Souvent, dit-il , on trouve dans la nature de singulieres modi- fications. II cite des exemples, et conclut qu'il lui est impossible de voir un coquillage dans ces boursoufflu- res, dont pas une ne se ressemble. M. Louis Paris , ancien secretaire general du Con- gres scientifique de Rheims, entre dans la salle. M. le president Tinvite a prendre place au bureau. M. le general Raymond dit qu'en comparant entre eux ces coquillages , il en voit plusieurs qui ont une analogie frappante , et qui par consequent doivent etrede la meme espece. L'huitre s'attache a toutesles yingt-unieme session. 47 substances : elle pent s'attacher au fer comme a lout autre objet. M. H. Baudot fait observer que M. l'abbe Cochet a trouve des coquilles d'huitres de l'espece com- mune dans les sepultures merovingiennes qu'il a de- couvertes en Normandie, et que lui-meme a observe dans celles de Charnay qu'il etait d'usage a cette epo- que de placer pres des morts des comestibles. M. Nodot ne nie pas que Ton ait place pres des morts , a cette epoque , des objets comestibles , et que M. Cochet ait decouvert des buitres ; mais ce qu'il a sous les yeux ne presente pas l'apparence de Yostrea folium , L. , que rappelle l'espece trouvee par M. Cochet. II remarque bien par mi les echan- tillons presentes par M. Gosse des concretions cal- caires dans lesquelles on pourrait peut-etre voir quelques traces de charniere; mais, ajoute-t-il, les boursoufflures ferrugineuses n'ont pas la forme ni le caractere de la coquille. M. Gosse fait observer qu'en presentant au Con- gres ces echantillons comme de veritablescoquillages, ce n'est pas seulement son opinion qu'il emet, mais celle de savants naturalistes a l'examen desquels ces pieces ont ete soumises, et, entre autres , M. Rousseau, naturaliste du Jardin des plantes de Paris, auquel M. son pere a presente ces echantillons, et qui n'a pas hesite a y reconnaitre l'huitre marine. M. le president declare la discussion fermee. La seance est levee. Le secretaire general, Henri Baudot. 48 CONCHES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. SEANCE G£N£RAL£ DU LUNDI 14 AOOT. Prfeidencc do Monseigneur FEv4que de Dijon. Siegent au bureau : MM. Muteau , premier presi- dent a la Cour imperiale de Dijon; de Caumont, Jo- bard de Bruxelles et le general Remond ; M. Louis Paris, de Paris, et MM. les secretaires generaux. II est donne lecture du proces-verbal de la seance precedenle; la redaction en est adoptee. MM. Chailloux, des Barres , et Jules Marion , qui n'ont pu se rendre aux seances du Congres , prient celui-ci d'agreer leurs excuses. M. Berard lit le proces-verbal de la section d'agri- culture ; M. Ripault, celui de la section de medecine ; M. Gamier, celui de la section d'archeologie ; M. Ladrey, celui des sections des sciences natu- relles et physiques. M. Simonnet rend compte des travaux de la section de litterature. La Societe francaise pour la conservation des mo- numents et 1'Institut des provinces ont decerne une medaille d'argent a M. Tudot, conservateur du musee de Moulins , et une medaille de bronze a M. le comte Georges de Soultrait, de Macon, pour les objets d'art qu'ils avaient envoyes pour l'exposition d'Avranches, oiwerteau mois dejuillet 1854. VINGT-UNIEME SESSION. 49 M . le president du Congres remet a MM. Tudot et de Soultrait ces deux medailles, et leur adresse ses felicitations. M. Huot, procureur imperial d'Ussel, donne lec- ture d'unMemoire sur les neuvieme et dixieme ques- tions de la cinquieme section inscrites au programme. L'assemblee entend ce Memoir e avec beaucoup d'inte- ret , et M. le president remercie son auteur de cette communication. L'ordre du jour etant epuise, la seance est levee. Le secretaire general , Detourbet. SEANCE GENERALE DD MARDI 15 AOUT Prfeidence de JL le g^ofral Raymond. Siegent au bureau : MM. Louis Paris de Paris , Challes d'Auxerre, de Caumont, et MM. les secre- taires generaux. M. le president ouvrela seance, et prie M. Rouyer, conservateur des forets, et M. Laborie , ingenieur des ponts et chaussees, de vouloir bien prendre place au bureau. Le proces-verbal de la derniere seance generate est lu et adopte. La correspondance presente : Une lettre de M. J. de Fontenay qui annonce que plusieurs raisons I'empecbent, a son grand regret, de se rendre au x 50 CONGRES SCIENTIF1QUE DE FRANCE. Congres. Il aurait desire presenter a Passemblee un tra- vail sur les voies romaines, entrepris par M. Laureau de Thury, et bientdt acheve par M. Roidot-Deleage, accom- pagne d'une carte qui a pour centre Autun , et pour limites Saint-Florentin , Briare , Sancoins , Bourbon-PArcbam- bault, Roanne, Belleville, Bourg, Orbe, Mandeure, Rou- gemont, Plombieres, Bourbonne et Landunum. Cette carte sera completee par Pindication des camps romains et des substructions reconnues. BE. de Fontenay envoie Padbesion de MM. Devoucoux, chanoine, Bulliot, comte de Mandelot, qui ne peuveht se rendre au Congres. Renvoye a la section d'archeologie pour ce qui la concerne. M. le docteur Lavalle «crit a M. le president qu'il ne lui est pas possible de se rendre aujourd'nui dans le sein du Congres pour donner lecture de la notice qui contient le resultat de ses experiences sur la pisciculture. Cette lec- ture est renvoyee a la seance de demain. M. Fraignard, cure de Meussac, annonce que la solen- nite du 15 aout ne lui permet pas de se rendre a Dijon pour prendre part aux travaux du Congres. M. Mathieu, conseiller honoraire a la cour imperiale de Dijon, adresse un memoire sur la 18e question inscrite au programme. Renvoye a la section des beaux-arts. M. Ducbatellier , membre de l'institut des provinces, a Versailles , adresse au Congres un programme contenant ses vues sur l'etablissement d'une bibliotheque generale, constitute surtout au point de vue de Pinstruction et de la moralisation du plus grand nombre. Cette entreprise offrira a toutes les societes sav antes de France, comme a tous les auteurs de la province, le plus economique comme le plus sur moyen de faire connaitre leurs 03iivres et de les repandre. Renvoye a la section de litterature. M. Tournois, sculpteur a Cbazeuil, adresse la descrip- tion d'une croix monumentale formee de figures, qu'il execute en ce moment a ses frais pour en faire don a la commune de Chazeuil, son pays natal. II adresse egale- VINGT-UNIKME SESSION. 51 ment quelques observations sur Pinfluence de la musique sur Ies arts qui se rattachent au dessin. Renvoye an co- mite des beaux-arts. M. N. P. A. Borucki, ancien ingenieur, ecrit an Congres pour le prier de vouloir bien examiner Pouvrage manus- crit intitule : Principes hydrostatiques concemant la vitesse et le volume tfeau aflluente s'ecoulant en une sccondc sur des moteurs hydrauliques , qu'il adresse au Congres et dont il est Pauteur. Madame Fanny Denoix des Vergnes ecrit a M. le presi- dent du Congres pour le prier de vouloir bien oiTrir de sa part a Peminente assemblee plusieurs ouvrages de poesie dont elle est Pauteur, reclamant Pindulgence qui distingue les superiorites. II est fait hommage au Congres des ouvrages sui- vanls : 1. Traite pratique des Champignons comestibles, par M. J. Lavallej 1 vol. in-8° orne de gravures coloriees. — Revue horticole de la C6te-d'Or, annee 1851-1852, par le meme, 1 vol. in-8°. — Offerts par Pauteur. 2. Dubois-Crance, mousquetaire, chevalier de Saint- Louis, depute du bailliage de Vitry aux etats generaux, depute des Ardennes a la Convention , president de cette assemblee, general de division, membre du conseii des cinq cents, inspecteur general des troupes, ministre de la guerre : par Cheri Pauffin , membre de Plnstitut des pro- vinces t brochure in-8°. — Don de Pauteur. 3. Discours de cl6turede la session de 1853 du Congres archeologique de France , prononce par M. le comte de Montalembert; brochure in-12. — Id. 4. Essai sur la Multiplication des poissons par les me- ihodes naturelles et artificielles, brochure in-8°. — Offerle par M. de Caumont. 5. MM. Simon Cornet pere et fils , illustres par les servi- ces militaires du pere,inaugures avecceux de M. le general Decaen,et parleurs entreprises agricoles et commerciales j brochure in 8°. — Offerte par le meme. 52 CONGRES SCiKNTIFIQUE DE FRANCE. 6. Tableaux circulaires de M. N. Bruet, au moven des- quels les personnes musiciennes ou non , peuvent distin- guer sans le moindre calcul, dans un ton quelconque, les sons du genre diatonique,du genre chromatique, ainsi que ceux du genre enharmonique. — Offerts par l'auteur> 7. Solutions et problemes concernant Forigine et la de- couverte des Sources, les eaux slagnantes, et les pheno- menes principaux qui dependent des lois hydrogeologiques, par M. l'abbe Jacquet, 1 vol. in-12. — Id. 8. Expose* des motifs d'une nouvelle loi sur les brevets d'invention , redige a la demande du ministre de Finte- rieur du royaume de Belgique, par M. Jobard, directeur du musee de Findustrie beige, brocb. in-8° — Nouvelle loi des brevets d'invention, votee a Funanimite par les cbambres beiges, broch. in-16. — Brevets de propriete , projet de loi redige, avec la collaboration des principaux inventeurs et industriels de la Belgique, par le directeur du musee de Findustrie beige, broch. in-8°. — Comment la Belgique peut devenir industrielle , a propos de la so- ciete d'exportation , brocb. in-8° , par le meme. — INeces- site de la marque , id. , id. — Offertes au Congres par Fauteur. 9. Memoires bistoriques sur divers points de la patholo- gie urinaire, par le docteur L.-Aug. Mercier, broch. in-8°. — Troisieme serie d'observations et remarques sur le traitementde la retention d'urine causee par les valvules du col de la vessie, par le meme, broch. in-8°. — Obser- vations relatives a un nouveau traitement de la retention d' urine chez les hommes ages, parle meme, broch. in-8°. — Memoire sur un malade affecte d'un calcul dur et volu- mineux avec retention d'urine complete due a une valvule du col de la vessie, et radicalement gueri par lalithotri- tie et l'extraction artificielle des fragments, suivie de l'ex- cision de la valvule, par le meme, brochure in-8°. — Offertes par Fauteur. 10. Quelques Reflexions sur le Cholera-Morbus observe a l'H6tel-Dieu de Paris, dans le service medical de M. VTNGT-UNIEME SESSION. 53 Bally, par H. Ripault, interne des hopitaux, avec une planche gravee et coloriee representant l'alteration la plus commune du tube intestinal dans le Cholera-Morbus, broch. in.8°. — De l'Extension du frein de la langue, con- nue sous la denomination de filet, et procede le plus con- venable pour faire disparaitre ce vice de naissance, etc., par le meme, broch. in-8°. — Restes des Dues de Bourgogne ( 2e race), coffret et fiole de plomb trouves dans le chateau de Saint-Apoliinaire pres Dijon , avec planche lith. Hom- mage du docteur H. Ripault a MM. les membres de la 4e section du Congres, brochure grand in-4°. — Offerles par l'auteur. 11. Eloge de Louis-Gabriel Suchet, marechal de France? due d'Albufera, par M. Bolo, broch. in-8°. — Offerte par l'auteur. 12. Guerrieres et sentimentales poesies, par Mme Fanny Denoix,l vol. in-8°. — Heures de solitude, poesies, par le meme auteur, membre de plusieurs Academies, 1 vol. in-8°. — Inauguration de la statue du general Blanmont, cantate, par id. — Ode lue a 1'inauguration de la statue de Jeanne Hachette, id. — A l'armee francaise, id. — Aux gardes nationales de l'Oise et de la Seine, id. — A MM. de l'Assemblee legislative, sur la taxe des chiens, id. — Honneur a vous! aux vertus, au courage , a la gloire, id. — Ala ville d,Arraslors du Congres scienlifique de France tenu dans cette ville en aout et septembre 1853 , id. — Compiegne,id. — La Foret, a M. Feletz, de l'Academie fran- caise , piece en prose , par id. — Pierrefonds, a M. le comte Charles de C***, id., id. — Offerts au Congres par l'auteur. 13. Memoires sur quelques Hybrides de la famille des Orchidees, par Ed. Timbal-Lagrave, pharmacien, membre de plusieurs societes savantes, a Toulouse, brochure in-8°, ornee de deux planches lith. — Offerte par l'auteur. 14. Monographic ou Rapport a la Commission archeolo- gique de la C6te-d'Or sur la colonne de Cussy, par Henri Baudot 5 1 vol. in-4° avec 4 planches lithographiees. — Offert par l'auteur. 54 CONCHES SC.IENT1FIQUE DE MANGE. 15. Genie de l'Eglise en politique, par M. i'abbe Men£- trier, 1 vol. in-8°. — Offert par l'auteur. 16. Notice historique sur les Origines municipales de la ville de INimes, sur l'eglise primitive Sainte-Marie et sur l'eglise nouvelle de Saint-Paul, parM. Philippe Eyssette; 1 vol. in-8°. — Offert par l'auteur. 17. La Carte geologique du departement du Calvados, dressee en 1825 par M. de Caumont , directeur de 1'Asso- ciation normande, correspondant de l'lnstitut (2e edition), et la Carte geologique du departement de la Manche, dres- see en 1825, 26, 27 et annees suivantes, par le meme, toutes deux coloriees, sont deposees sur le bureau, et oiFertes au Congres par l'auteur. Ces divers ouvrages et memoires sont renvoyes aux sections qui s'occupent des matieres qui y sont trai- tees. M. Ladrey, secretaire des premiere et sixieme sec- tions reunies, est appele a faire un rapport sur les tra- vaux desdites sections. II annonce que les membres de ces sections se sont transported au Jardin des plantes et au Cabinet d'his- toire naturelle, pour visiter ces deux etablissements et pour entendre une communication promise par M. le conservateur Nodot. La, M. Nodot a mis sous les yeux de Tassemblee le squelette d'un animal ante- diluvien d'une grande rarete, qu'il a recompose avec des debris envoyes par M. le vice-amiral Dupotet au Cabinet d'histoire naturelle de Dijon. M. Nodot s'est engage a fournir au Congres une note sur ce sujet. M. le president invite M. Guindey, secretaire de la section d'agriculture , a donner lecture du proces- verbal de ravani-derniere seance de cette section, qui n'a pas encore ete entendu. VINGT-UNIEME SESSION. 55 Apres cette lecture, M. Lebrun fait un rapport sur un instrument nouveau que Ton pourrait appeler Vetrier paisseleur, invente par M. le vicomte de la Loyere, dont le but est d'eviter aux vignerons la fa- tigue et quelquefois aussi les Occidents qui resultent de la plantation du paisseau dans les vignes. Les conclusions du rapport sur cet instrument, que MM. les commissaires out experiment^ eux-memes , sont tout a fait favorables a la nouvelle invention, qui reunit toutes les qualites desirables. M. le president adresse a M, de la Loyere, present a la seance, des felicitations sur son interessante com- munication. M. Genret-Perrotte , qui a rempli les fonctions de secretaire de la section d'agriculture , donne lecture du proces-verbal de la seance du 14 aout de cette meme section. M. le docteur Ripault, secretaire de la troisieme section, est appele a lire le proces-verbal de cette section. A la suite de cette lecture, M. de Caumont propose a l'assemblee qu'il soit fait un rapport sur la marche et les caracteres du cholera dans le departement de la Cote-d'Or. M . le secretaire general pourrait s'enten- dre a ce sujet avec messieurs les medecins qui ont ete le plus particulierement appeles a visiter les differentes communes du departement atteintes par l'epidemie. Cette proposition est adoptee. M. le docteur Ripault expose a Tassemblee quel- ques-unes de ses vues a ce sujet. M, Berard rapporte que, dans une petite commune 56 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. voisiue du lieu qu'il babite, il s'est passe un fait digne de remarque. Pendant un violent orage, une trombe d'eau s'est abattue surle pays, et immediatement apres cet accident, l'epidemie cholerique s'est declaree avec une certaine intensite,* quoique cette localite flit eloi- gned de plusieurs lieues de toutes communes atteintes parce fleau. II resulte de diverses observations medicales que les affections abdominales se declarent souvent a la suite des grands orages. M. Gamier, secretaire de la quatrieme section, ar- cheologie et histoire, est appele a donner lecture du proces-verbal de la derniere seance de cette section. M. Simonnet rend compte des travaux qui se sont produits a la derniere seance de la section de litera- ture , philosophic et beaux-arts. Apres cette lecture, M. le secretaire general lit un Memoire adresse au Congres par M. Pistolet de Saint- Fergeux sur les eglises de l'epoque de transition et sur le style de l'ecole langroise. M. Rerole, professeur de genie rural , a la parole pour donner lecture de son travail sur le meilleur mode d'ameliorer le sol de la Bresse, et des Dombes, en particulier. L'ordre du jour est epuise. La seance est levee. Le secretaire general > Henri Baudot. VINGT-UNIEME SESSION. 57 SEANCE GEHERALE DE CLOTURE. Prfeidence de Monseigneur l'E^qne de Dijon. Siegent au bureau : MM. de Si-Seine , de Caumont, Jobard , Challes \ et MM. les secretaires generaux. Monseigneur ouvre la seance, et invite M. le gene- ral Menne, present a la seance, a prendre place au bureau. Le proces-verbal de la derniere seance generate est lu et adopte. La parole est a M. Ladrey pour la lecture du pro- ces-verbal des lre et 6e sections reunies. M. Guindey prenil ensuite la parole en qualite de secretaire , et donne lecture des proces-verbaux des deux dernieres seances de la 2P section. M. le docteur Ripault donne lecture du proces- verbal de la 3e section. M. Gamier vient ensuite rendre compte des travaux de la 4e section. M. le secretaire Simonet lit le proces-verbal de la derniere seance de la 5e section. M. Lavalle est appele a donner lecture de sa notice sur la pisciculture. Cette lecture est entendue avec beaucoup d'interet. M. Simonet lit un memoire tres-remarquable sur la 18e question inseree au programme, concernant les beaux-arts (1). ( 1 ) Les memoires dont la lecture a ete faite en 58 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FIlANCE. M. Tissot, professeur de philosophie a la Faculle des lettres de Dijon , oblige de s'absenter au moment du Congres pour un service public , n'a pu lui-meme entretenir l'assemblee de la question du principe de la vie , qui fait partie du programme. II a remis a M. le secretaire general le discours suivant, qui a pour objet l'histoire des doctrines du principe vital dans l'antiquile : ESQUISSE HISTORIQUE Des doctrines professees par les philosophes de l'anti- quite relativement au principe de la vie, Considere surtout comme cause des phenomenes organiques et de V organisation elle-meme. Le realisme consiste a dormer un objet reel aux notions generates et aux conceptions univenSelles qui ne corres- pondent a rien de semblable en dehors d'elles. C'est une illusion d'optique inlellectuelle d'autantplus frequente et plus incurable cbez des peuples ou chez des individus, que ces individus ou ces peuples ont plus ^imagination et moins de raison, qu'ils sont plus poetes et moins savants, quails sont plus familiarises avec la synthese et moins avec l'analyse, qu'ils ont l'esprit plus porte au concret et moins a l'abstrait, qu'ils sont plus pres de la nature et moins avances en civilisation. II ne faut done pas s'etonner que les Orientaux en ge- neral, l'Hindou en particulier, aient fait de la nature une force universelle, qui se manifeslerait dans les individus seance generale ont ete textuellement reproduits parmi les travaux de cbacune des sections auxquelles its appar- tiennent, a l'exception du Discours sur le Principe vital dans l'antiquite, qui trouve sa place ici, n'ayant pas ete produit dans les sections. VINGT-UN1EME SESSION. 59 sans doute, mais qui aurait une existence distincte dans la realiteYcomme l'idee generale qui la represente en possede une dans notre pensee. En vain on dit aux esprits ainsi faits qu'une force universelle est une contradiction dans les termes, puisqu'elle est une par le sujet, et qu'elle est plusieurs^par l'attribut; en vain on leur represente que les individus seuls peuvent exister, puisque seuls ils n'impli- quent pas contradiction 5 en vain encore observe-t-on a ces memes esprits que l'universel n'est qu'un apercu de Intel- ligence, qui detache des individus cequ'ils ontde common pour en faire un tout ideal: n'imporle; ils verront dans la nature tout autre chose que des individus quiseressemblent a des degres divers, qui se hierarchisent par consequent, et qui s'harmonisent de genres a genres , d'especes a es- peces, d'individus a individus; tout cela est loin de leur suffire} il leur fautplus que de l'harmonie entre les divers sujets reels, plus qu'une communaute de qualites diverses de plus en plus vaste a mesure qu'on s'eleve davantage par la pensee a des qualites de plus en plus communes, a des proprietes individuelles similaires qui expliquent cette communaute 5 il leur faut, a ces intelligences, une realite universelle qu'ils croient concevoir une, indivisible, et ce- pendant tout entiere dans chaque individu qui en parti7 cipe ou dont elle est le fond. C'est le naturalisme. Generalisez encore, et considerez que la nature elle- meme semble bien agir et penser comme chacun de nous, beaucoup mieux meme que nous ne pouvons le faire ; que nous ne sommes, ainsi que tout le reste, qu'une faible partie de ses ouvrages; que la vraie nature est done la raison in- telligente et active de tout ce qui ne porte pas en soi sa raison d'etre, de tout ce qui n'a qu'une apparence d'exis- tence independante, et qui ne subsiste en realite que par Paction incessante de l'unique et veritable realite. Re- flechissez a tout cela, et vous comprendrez comment le pantheisme a pu naitre dans 1'esprit de l'homme, de i'homme de 1'Orient surtout, dont la pensee, plus ardente comme son climat, plus gigantesque comme les produits de son sol, a pu enfanler cette monstruosite.. 60 CONGRES SCIENTIFIO.UE DE FRANCE. Aussi, dans la pensee de l'Hindou le plus modere, l'homme est-il un produit de la nature et de l'ame ou du genie. La nature (pracriti) a fait le corps, et le genie (pa- ruscha), l'ame, donne naissance au moi. Mais ce n'est la qu'un resultat apparent, une illusion de Pimagination (mayd). Dans la realite, l'homme, comme tout ce qui l'environne, rt'est qu'un phenomene divin. « Brahma ne ressemble point au monde, et hormis Brahma il n'y a rien ; tout ce qui semble exister en dehors de lui est une illusion, comme Papparence de Peau (le mirage) dans le desert de Marou (1). » Pour le philosophe hindou, penetre de 1'esprit des Ve- das, le eorps, le principe vital, l'ame elle-meme,ne sont que de vaines apparences. Il ne peut done pas etre question, dans ce systeme, de l'existence serieuse d'un principe de vie special. Les Grecs, d'un esprit moins generalisateur, plus portes vers le beau que vers le sublime , plus domines par l'idee du fini que par celle de l'infini, furent moins pantheistes que les Orientaux. L'ame, pour eux, se confond aisement avec le corps, ou n'en est qu'un resultat, une sorte d'efflores- cence, l'harmonie de ses parties. Ainsi, le corps, loin d'e- tre fait par l'ame, Paurait plut6t produite, mais comme une chose en peut produire une autre, comme la lyre pro- duit des sons. L'ame, ace compte, depourvue d'existeuce veritable, ne serait nulle part dans le corps (2), et n'au- rait evidemment sur lui aucune influence. C'etait, dit-on, l'opinion d'Hesiode. On sait avec quelle force Platon re- futa ce materialisme deguise (3). Une autre espece de materialisme, mais qui est pourtant un acheminement au spiritualisme, ce sont ces corps sub- tils, legers comme des ombres, qui'vivaient neanmoins (0 Essai sur la philosophie des Hindous, par Colebroocke, trad, par M. Pauthier, p. 276. (2) Sensum animi certa non esse in parte locatum , Verum habitum quemdam vitalem corporis esse, Harmoniam Graii quam dicunt, etr. Lucrece, III, 08. (3)V. lePh^lon. VINGT-UNIEME SESSION. 61 (Tune vie analogue a la vie terrestre, mais dans la region des moils (1). Ces spectres, dans la pensee de ceux qui les avaient imagines, tenaient une sorte de milieu entre le corps et Fame, quoique corporels encore. Cette nature equivoque , ce materialisme deguise , fut longlemps tout le spiritualisme dont les intelligences les plus avancees furent capables. Et quand la nature spirituelle fut plus net- tement concue , on retint encore ce corps subtil pour en faire un intermediaire entre le corps et Fame , sous le nom d'ame vegetative ou sensitive, ou pour servir d'instru- ment a Fame apres la dissolution du corps visible et grossier, sous pretexte qu'il est de la nature de l'ame de ne pouvoir sentir et penser sans corps. Leibnitz lui-meme ne croyait pas a Pindependance absolue de l'ame bu- maine a Pegard du corps dans une vie future, quelque inutile en apparence que puisse etre le corps a l'ame et l'ame au corps dans le systeme de l'harmonie preetablie. Cette opinion sur la necessite pour Fame d'etre unie constamment , ou dans cette vie du moins, a un premier corps sur lequel elle a plus d'action que sur le corps visible qu'elle revet, et qui lui sert d'instrument immediat pour agir sur Fautre, a ete professee par un grand nom- bre de philosopbes des temps modernes (2). On pourrait en suivre la trace depuis Henri de Gand au moins jusqu'a Maine de Biran (3), dont nous ferons plus tard connaltre la doctrine sur ce point. Un apercu fort vague sur Fame par rapport au corps, (l)Tov§£ ^st' dizvonaa fi'mv HjOaxXyjewyv, EtcWxw* avzbg 5e yusz9 dSoa/ocroiai Qsoiglv Tepnerai h Qcddyq you. eyst KcdOdayvpov HStjv. Homere, Odjss. XI, 600. (2) V. Anton. Genovesi, Metaph., p. 1 36, quicite Henri de Ganp ; Za- barella, Physica, q. vn, 8; Paracelse, de Creat. horn., p. 757; Van Helmont, de Sede Anim., n° \ 7, archeon; J. Comenius, Phys., xi; Fludd, ap. Gassend. in Exercitat. 19; Campanella, de Sensu rerum; H. Mo- rus, de Mortalitate anim., ii, 10. On pourrail en citer bien d'autres. (3) Maine de Biran inclinait aux trois ames de Platon. 62 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. mais apercu en meme temps fort juste et tres-profond a d'autres egards, c'est celui de Thales, qui voit la propriete essentielle de l'&me dans ce que nous appellerions aujour- d'hui l'activite, puisqu'il la definit : Ce qui meut, qui est toujours en mouvement, et d'un mouvement spontane (1). Ce n'est pas a dire cependant que Thales distingu&t bien nettement l'ame d'avec le corps 5 et c'est en cela que celte doctrine pechait le plus. Thales voyait done une &me partout oil il trouvait 011 croyait trouver une force propre. C'est pour cetle raison qu'il en accordait une a l'aimant. Et, comme il rencontrait de la force partout, partout aussi a ses yeux se trouvait une ame; la matiere etait animee^ inseparable d'unprincipe vivant} elle n^etait meme que la manifestation de ce principe, surtout dans les corps orga- nises. Et ce qu'il y a de plus remarquable dans cette doc- trine de Thales, c'est que le corps ne serait que la mani- festation ou la phenomenalite de l'ame : « l'&me s'est convertie en corps par ses vertus propres$ » ce qui veut dire, evidemment , qu'elle s'est donne un corps , qu'elle l'a fait. L'ame est done anterieure et superieure au corps dans la pensee dupere de la philosophic grecque. Si celte pensee n'allait pas jusqu'a convertir par le fait la matiere en esprit, jusqu'a la faire disparaitre, puisqu'elle n'est plus quel'ceuvre de l'ame, Thales aurait ete aussi avance que les dualistes les plus sages de notre temps. Mais comme il est pour Funite de principe, et comme ce principe est au fond spirituel, il se trouve a cet egard au niveau de ceux de nos spiritualistes unitaires les plus hardis. C'est done bien a tort qu'on a voulu faire passer Thales pour le chef de l'ecole materialiste ; et si son theisme meme a passe pour douteux, c'est sans doute parce qu'il etait la conse- quence necessaire de sa doctrine sur les ames ou esprits. Cequifrappait cet homme superieur,ce n'est pas ce qui se voit, c'est ce qui ne se voit pas ; ce ne sont pas les effets, ce sont les causes, les forces, les genies dont le monde est (1) Aristote, 0 *■/*). Et si Fame ne forme pas le corps, il y a du moins entre Pune et Pautre, au de- but de la vie, une sorte d'harmonie preetablie. La pensee du maitre relativement a la reflexion du monde dans Phomme devient plus precise chez les disciples, en ce que Phomme est represente comme reunissant dans son etre les quatre degres de la vie, depuis celle qui est commune a toutes choses visibles, au monde inorganique, jusqu'a celle qui est propre a Phomme. lis remarquerent la liai- son de la vie avec la presence du sang, et, tout en distin- guant Pame d'avecce liquide vivifiant, ils le lui donnerent pour aliment : Pame se nourrit de sang. Et comme les ames une fois separees de leurs corps cherchent a penetrer dans d'autres, voltigeant soucieuses dans les airs, pareilles a des ombres, il n'est pas impossible que cette idee ait fait imaginer celle des vampires , dont Porigine remonterait ainsi beaucoup plus haut qu'on ne le croit communement. Empedocle, en possession de traditions orientales qui le conduisirent a un pantheisme mystique, ne faisait pas repaitre Pame de sang, mais il le lui donnait comme sie- ge, comme son corps de predilection (1). Elle possedait une vertu divine, puisqu'elle etait une emanation du Sphe- ros, ou tout divin, d'oii les corps , ainsi que les ames , le monde entier en general, lirent leur origine. Cette idee , comme on voit , nous ouvre une echappee sur le pantheisme : il n'est plus seulement question de Pame du monde, mais du principe qui est la raison meme du monde , du ^qa/pos ou du tout coordonne dans ses parties, lesquelles ne seraient anlrement qu'un f^y^et, com- me Pappelle Aristote , c'est-a-dire un chaos. (1)Plut., de Placit.phil., it, 5. VlNGT-UNIEME SESSION. 65 Heraclite professait sur la nature de l'ame une opinion qui semble tenir et de celle de Thales et de celle de Py- thagore : c'est un feu, mais un feu celeste, toujours en mou- vement. Ce feu conslitue l'ame du monde, dont celle de l'homme n'est qu'une parcelle. Le naturalisme, deja sensible dans Pythagore, de- vient plus manifeste encore dans Heraclite. L'homme, dans sa partie la plus eminente, est moins un sujet distinct qu'une partie d'autre chose: Fame du monde, sans cesser d'etre l'ame universelle , devient celle de chaque etre vi- vant, de chaque homme en particulier, en penetrant dans l'interieur du corps par les sens ; elle acquiert une sorte d'individualite en entrant dans le corps , dont elle prend la forme (1). Ici l'ame se trouve subordonnee au corps , sans qu'on sache du reste l'origine de ce corps. Anaxagore, qui passe pour le philosophe le plus spiri- tualiste avant Socrale, subordonnait aussi l'ame au corps, puisqu'il derivait la superiorite de l'homme a l'egard des plantes et des animaux, de la superiorite meme de sa for- me corporelle, faisant dependre l'industrie humaine de la main, qui n'est que l'instrument de l'ame, de l'intelli- gence, loin d'en etre la cause (2). Mais il suit de la qu'A- naxagore concevait les ames identiques , non-seulement dans chaque espece,mais encore entretoutes les especes, et que toute la difference entre elles d'une espece a une autre proviendrait de l'espece de corps auquel elle est unie. C'est la encore une autre maniere de subordonner l'ame au corps. Loin que le corps recoive sa forme de lame, il lui donne au contraire la sienne. Une ame, dans (1)Plut., de Pi. phil.,i, 23; StOB. Ecl.phys., 25;DiOG. L., ix, 8; Plat., Cratyl.; Arist. ad Nic, vm, 2. (2) II faut dire que Bayle suspecte l'authenticite du passage ou celte opinion se trouve consignee. En tout cas, Helve"tius ne peut avoir les honneurs de I'invention ; car on a dit avant lui que l'homme n'est le plus intelligent des animaux, ypovipoxaTov rwv ftowy, que parce qu'ila des mains. 66 CONGRES SCCENTIFIQUE DE FRANCE. ce systeme, n'a done par elle-meme aucune forme qui lui soit propre 5 elle n'est, jusqu'au moment oil un corps l'a- chevera pour ainsi dire, qu'une ame virtuelle, une cer- taine espece d'ame possible. Le vovs d'Anaxagore, concu en lui meme, ressemble done a Yvkyi ou matiere premiere des choses, qui n'est qu'une abstraction, une possibility, la meme pour toutes les especes d'etres vivants (1) , mais qui doit ulterieurementrevetir des facultes superieures ou inferieures, suivant les circonstances. Du reste, Anaxagore semble avoir d£ja distingue l'ame sensitive (4UX") de l'ame raisonnable (vovs). Ainsi les animaux auraient aussi deux ames au moins, la 4yX" e^ le vovs; seulement le fwt* uni a un corps d' animal, seraitpar la meme condam- ne a l'inferiorite vis-a-vis du vovs renferme dans un corps d'homme. Les homoeomeries d'Anaxagore sont deja une espece d'atomes organises , qui ont pu en faire concevoir d'au- tres plus £lementaires, ceux deLeucippe etde Democrite, repris plus tard par Epicure et son ecole. Cette theorie de l'atomisme n'est pas aussi opposee a celle du dynamisme qu'on le croit generalement; car les atomes sont animes d'une double force, J'une qui les porte en ligne droite dans les espaces infinis, l'autre qui les en detourne. Et alors meme que cette seconde force serait de l'invention d'Epicure, toujours est-il que les atomes spheriques de nos deux philosophes etaient animes d'un mouvement propre , qui les portait en particulier a sortir du corps qu'ils animaient. Ces ames-atomes de nature ignee, et qui sont la cause de la chaleur dans les hommes, dans les ani- maux et les plantes, n'ont rien de plus ni de moins mate- riel au fond que le feu elementaire d'Heraclite. Au surplus , ces atomes vivifiants , s'ils etaient simples pour Leucippe et Democrite, ne l'etaient pas pour Epi- cure : l'ame n'est pas un atome unique ; e'est un compose (0 NoO? ds 7ias opoibc zari vjxi 6 ^st'^wv nod y ekdaawj. Simplic. , in Phys. Arist., p. 236. VINGT-UNIEIME SESSION. 67 d'un certain nombre de principes tres-delies, de chaleur, d'air, de vent, et d'une matiere sans nom d'oii resulte la sensibility. Cette derniere partie a son siege dans la poitrine ; les autres sont r^pandues dans tout le corps (1). Cette matiere sans nom qui est la cause de la sensibilite, est encore de la matiere, suivant Epicure } et si l'ame dif- fere du corps, il faut se garder de croire que ce soitparce que l'ame serait spirituelle :non, Epicure ne veut pas entendre parler d'esprit 5 c'est chez lui une idee systema- tique arretee. II represente deja une reaction materialiste, vraisemblablement contre les platoniciens. Il ne souffrira meme pas qu'on distingue entre une ame et une autre dans l'homme, entre la 4UX." e^ *e v°vfi entre le principe vital et l'ame raisonnable, comme on l'avait fait plus ou moins explicitement depuis Anaxagore (2) 5 seulement, il distinguera peut-etre entre le principe vegetatif de l'ame el le principe animal ou sensitif. C'est le premier de ces prin- cipes qu'il repandra dans tout le corps, y compris le mi- lieu de la poitrine, tandis qu'il fera de ce point central le siege invariable du principe sensitif, qui est aussi le prin- cipe connaissant, puisque toute connaissance revient au sentir. Nous avons vu la thgorie de l'ame se rattacher au natu- ralisme et au pantheisme : la voici maintenant liee par principe au materialisms. Trois systemes qui n'ont ete possibles que parce qu'on n'avait envisage l'ame que du point de vue ontologique, objectif, externe pour ainsi dire, en se placant hors d'elle, en se faisant spectateur etran- ger, au lieu de rester en elle, dans l'ame ayant conscience 0)DiOG.LAERT.,X, 63 sq. ; Lucrece , ill , 31 sq., 95 sq., 138, 188, 201 sq.; Sext. Emp., Hyp. pyrrh., in , 1 87, 229. (2) Nunc animum atque animum dico conjuncta teneri Inter se , atque unam naturam conficere ex se ; Sed caput esse quasi et dominari in corpore toto Consilium, quod nos animum mentemque vocamus, Idque situm media regione in pectoris haeret. , Hie ergo mens animusque est. Lucrece, de lier. flat., in, 137 sq. 68 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. de soi, de ses etats, dansle moi. En restant fermement at- tache a ce point de vue , qui est le veritable , il est aussi impossible de resoudre Fame de l'homme dans l'ame da monde, d'en faire une partie de quoi que ce soit, de l'a- bimer dans la Divinity meme, ou de l'aneantir en la ma- terialisant, c'est-a-dire en la divisant, qu'il est impossible que le moi soit autre chose que ce qu'il est , Dieu ou mon- de, et que l'unite et l'identite du moi soient la multipli- city et la diversite des choses corporelles. La psychologie experimentale , mais une saine et forte psychologie, est done le meilleur l'unique preservatif scientiBque contre le materialisme, le naturalisme et lepantheisme 5 j'ajoute : et contre le mysticisme , qui a tant d'affinite avec le pan- theisme. J'entends ici par mysticisme la persuasion que Dieu ou quelque nature invisible, superieure, produit en nous toutes nos determinations, les actives aussi bien que les passives, l'agir comme le patir, le vouloir et le pen- ser comme le sentir; systeme non moins dangereux que les precedents, puisqu'il reduit l'homme a n'etre que le jouet de puissances invisibles, amies ou ennemies, et lui 6te avec la liberte et la responsabilite de ses actes, la vo- lonte meme du bien. L'homme n'est alors a ses propres yeux qu'un fantdme sans destinee a lui connue, ou dont il soit charge; il ne nait que pour mourir, apres avoir vecu d'une vie plus apparente que reelle, et sans qu'il puisse ou doive faire autre chose en ce monde que se resigner a son role passif. Il ne se croit pas meme capable de for- mer des voeux; vceux qui resteraient en tous cas steriles au fond de son ame, si la puissance qui le domine ne les rendait efiicaces. De la au fatalisme qui paralyse, decou- rage et demoralise, au quietisme qui endort et corrompt, il n'y a que l'intervalle imperceptible et bientot franchi d'un raisonnement dont la conclusion est aussi necessaire qu'elle est evidente. Ces reflexions , que nous faisons ici une fois pour tou- tes, se representerontsouvent a notre esprit dans le cours de cette esquisse historique} nous avons saisi la premiere, VINGT-UNIEME SESSION. 69 sinon la plus opportune occasion de les faire, pensant qu'il suffirait d'appeler l'attention sur ce point, pour que, d'elle-meme, elle les rappelat quand il serait a propos. Nous reprenons done le fil de notre exposition. Platon, profondenient initie a la connaissance de l'ame par Socrate, qui eut pour maltre Anaxagore et son pro- pre genie, la distingue nettement du corps; elle y preside, suivant lui, comme le nautonnier au navire, et s'en sert comme d'un instrument (1). C'est dans son ecole que cette noble definition de l'homme, gatee par un moderne, a pris naissance : une intelligence qui se sert d'organes. Non- seulement l'ame est distincte du corps, non-seulement elle s'en sert et le domine, mais elle lui est anterieure (2), elle lui est unie par le cerveau (3). Mais toutes les ames ne se ressemblent pas , et cette difference ne provient pas uni- quement du corps (4) . Et dans chaque homme il faut dis- tinguer encore, suivant Platon , trois parties dans l'ame totale, ou plutdt trois ames : la sensitive (s^t^u^), Pap- petitive (flv^co?), et la raisonnable (hbyos) [5]. Les deux premieres ne sont que des forces materielles perissables ; la troisieme seule est immaterielle et immortelle. La cons- cience est le commun lien d'elles toutes ; elle rattache a l'ame raisonnable celles qui ne le sont pas. Les plantes et les animaux n'ont que des ames materielles et perissa- bles (6). Ces idees, qui ont eu la plus grande vogue (7) , et qui ne sont pas encore entierement abandonnees, tant s'en (0 Phedon; 1et Alcibiade; Republ., VH. (2) phedon, des Lois , x. (3) Republ. vii. U) Phedon. (5) Cf. Tennemann, Grundriss der Gesch. d. Phil., p. 129. (,6) phed.; Phileb. sophiste; 1*r Alcib.; Timee; Republ., VIH et ix. (7) Voy.CiCEa., Tuscul, i, 9, 10; Theodoret, Therap.,y, Hippocr*, ap. Soran. Hipp, vita, 10;D. Aug. De Civit. Dei, xxi, 10; Greg, de Nyss., de Horn, opif., 12; Ausone, Ephem., 10; Lactance, de Opif.,\m, 16; Cassiodor., de Anima, 8; /Enee de Gaza et Zacharias, de fmmort. anim., e"dit. Boisson., p. 32, et la note p. 253. 70 CONGRES SCIENTIFI^UE DE FRANCE. faut, out pourtant l'incbnvenient tres-grave de porter a croire que la matiere peut sentir, desirer, agir$ que tous ces e^atspeuvent se passer au dehors de l'ame raisonna- ble, et cependant etre connus d'elle au moyen d'un qua- trieme terme, la conscience, qui est tout a la fois dans l'ame raisonnable et dans les deux ames corporelles, puisqu'elle est une lumiere qui eclaire l'une, et l'etat r6fl£chi ou conscient des autres. II y a la plus d'une im~ possibilite ontologique et psychologique , alors meme qu'il n'y aurait pas le danger tres-prochain de porter au materialisme, ou de confondre ce que Platon avait voulu distinguer. Un autre esprit du premier ordre, superieur a Platon de toute la superiorite de la reflexion ou de la science sur l'inspiration et la poesie, bien que la poesie et l'inspira- tion aient aussi leur genre de superiorite sur la science et la reflexion, Aristote, disciple de Platon, mais disciple d'une independance qui allait peut-etre jusqu'au systeme; Aristote, enfin, dans son traite' de l'ame, commence par faire l'historique substantiel des opinions de ses predecesseurs. C'est une habitude egalement recommandee par la pru- dence , le progres de la science, par la methode et l'e- quite, a laquelle le Stagirite est generalement tres-fidele. La posterite luien doit de la reconnaissance. Dans cette partie historique de sapsychologie, il range les opinions des philosophes qui l'ont precede, sur l'ame, entrois classes, suivant que l'ame y est concue, ou cora- me principe du mouvement (Pythagore, Anaxagore, Leu- cippe, Democrite) ; — ou comme principe du sentiment perceptif (Thales, Heraclite, Anaxagore, Diogene d'Apol- lonie, Empedocle, Alcmeon, Hippon, Critias), — ou comme principe de mouvement et de perception tout a la fois. Dans le premier cas, l'ame est corporelle^ — dans le se- cond, sa spiritualite n'est pas encore bien evidente, puis- que ceux qui professent cette opinion conviennent qu'il n'y a quele semblable qui puisse percevoir le semblable; ce qui porterait a croire que l'ame est de meme nature YINGT-UNIEME SESSION. 71 que les choses a percevoir; — la troisieme opinion ne peut differer des deux premieres. Jusqu'ici done Pimmateria- lite de Pame n'est pas tres-visiblement professee pour Aristote, et nous n'avons pas le droit d'etre moins diffi- ciles que lui (1). Et pourtant il nous dit que tous les phi- losophes sont d'accord pour faire Pame immaterielle (2). Il y a done une immaterialite absolue , celle dont nous parlait d'abord Aristote , et une immaterialite relative, qui pourrait bien n'etre que Pabsence de la solidite visi- ble, resistante, eelle que les autres philosophes repous- sent comme elrangere a Pame, tandis qu'il ne leur repu- gne pas assez de concevoir Pame a la facon des corps fluides. Aristote modifiera profondement les idees psychologi- ques recues jusqu'a lui. Il reconnaitra d'abord dans Phomme quatre degres de vie de plus en plus eleves : la nutrition, le toucher, le mou- vement et la pensee. Et comme il n'y a pas de corps organise qui ne se de- veloppe et ne s'entretienne par la nutrition, il reconnaitra dans toutes les especes d'ames la fonction nutritive. D'oii nous concluons deux choses : la premiere, que, suivant Aristote, les vegetaux memes ont une ame ; la seconde , que , dans les etres d'un ordre plus eleve, la vie organi- que n'est pas due a un principe special, mais est un effet d'une ame unique. Aristote semble meme aller jusqu'a faire du corps lui- meme un effet de Pame, lorsqu'il dit qu'elle en est cause a plusieurs titres : comme principe du mouvement vital, comme essence et comme fin du corps (3). Il resulterait de la , en effet , que si le mouvement vital a commence avec Porganisation , comme il est juste de le penser, et que ce mouvement soit du a Pame comme a son principe, (1) De Anim.,i, 2, S '-8. (2) Ibid., S 20;cf. C.v, S4- (3) De Anima, il, 4. 72 CONG RES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. l'ame est cause efficiente de l'organisation elle-meme (1). Elle en est cause finale encore , si le corps est fait pour Fame, comme il le paralt bien (2). Elle serait en quelque sorte la cause materielle , enfin, si elle en etait l'essence, c'est-a-dire ce qui fait qu'un corps vivant est corps vivant, et telle especede corps vivant plut6t que telle autre, et dans celte espece tel individu plut6t que tel autre encore. Nous allons voir, en effet, que c'est bien la , suivant toute apparence, ce qu' Aristote appelle la forme du corps, forme qui en constitue l'essence, comme elle constitue l'essence de toutes choses : forma dat esse rei, disaient les peripateti- ciens du moyen age. Le stahlisme est done tout entier deja dans le peripate- tisme 5 et je ne sais s'il n'y est pas meme plus profondement, par exemple, si Stahl avait apercu aussi nettement que le philosophe de Stagire, que le corps est fait pour l'ame. Mais par le fait que l'ame , dans la pensee de Stahl , est l'auteur de son corps , elle est censee le construire pour elle et de son mieux. Mais il faut tacher de penetrer plus avant dans la pen- see d'Aristote , en nous rendant un compte rigoureux de ce qu'il entend par corps en general, par corps vivant, par &me, par forme, parl'union de la forme au corps, par le tout indivisible qui enresulte : nous saurons mieux alors si l'ame, consideree independamment du corps, n'est qu'une abstraction dans la pensee d'Aristote, ou si elle est un principe substantiel et distinct. Dans le premier cas, l'ame ne serait qu'un point de vue du corps vivant , ct n'aurait pas plus de duree que lui. Dans le second , l'ame existerait bien d'une existence propre, mais il ne serait pas encore dit par la qu'elle pense lorsqu'elle n'est pas unie a un corps. Oy Eort §e r, tyvyr) rov £covto$ adi^arog ait tot xal ap%>7- Arist. de Anima, II, 4, 3. (2) En effet, c'est la ce que signifie Vivrekeyita du corps, c'est-a-dire fon but dernier, sa fin la plus intime. / VINGTUNIEME SESSION. 73 Deja nous avons vu Aristote insinuer une difference entre la solidite et la non-solidite" des corps } ce second etat, lors surtout, nous le presumons du moins, que la matiere qui le revet ne frappe ni le sens de la vue ni celui du toucher, peut passer pour une sorte d'immate- rialite. A ce compte, les corps solides , visibles ou tangi- bles , seraient seuls materiels dans le sens propre du mot. Mais dans les corps les plus materiels en apparence, dans les corps solides, se trouve deja, suivant Aristote, une vie , c'est-a-dire une force (1). « Sans la vie qui fait le so- lide dans Pespace , plus rien que des grandeurs math£- matiques, abstraites , isolees et sans lien ; rien qu'une division et une dissolution infinie » (2). C'est bien la dis- tinguer avec la derniere rigueur, et beaucoup mieux que ne Pont fait la plnpart des modernes , tels que Descartes et Locke, les deux choses les plus fondamentales que nous connaissions dans les corps , la resistance ou Pimpenetra- bilite, comme force ou donnee sensible 5 Petendue pure ou geometrique, comme donnee intelligible ou rationnelle pure. On voit sufiSsamment par la que la matiere d'Aristote est tres-proche parente des monades de Pytbagore et de Leibniz, tres-proche parente du dynamisme universel,qui, chez les physiciens et les naturalistes de nos jours , par- ticulierement en Allemagne, a pris definitivement la place de Patomisme. En quoi done differe un corps vivant proprement dit d'un corps inorganique, puisque deja les corps de cette derniere espece sont doues d'un premier degre de vie? — C'est parun mouvement propre ou spontane. « Tout corps qui change de soi-meme est vivant. Le principe interieur du changement, la nature, c'est le principe de la chaleur et de la vie, Fame. Le corps que la nature anime est (0 C'est une chose tres-remarquable, et qui prouve la juslesse et la profondeur du ge"nie grec, que la meme racine signifie, dans la langue de ce peuple e^tonnant, force et vie, |3ta, fiiog ! (2) Metaphys., xm, p. 262, Cdit. Brandie. 74 CONGRES SCIENTIFIQUE I)E FRANCE. l'instrument de l'ame » (1). Ici l'ame semble bien etre dis- tincte du corps ; elle serait alors une force sui generis, qui aurait dans le corps meme des effets propres , ceux qu'on remarque dans les corps vivants , et pas ailleurs. On voit encore par Ik que l'ame est une force qui se sert d'une autre force, de la force corporelle, comme d'instrument. Mais Aristote s'explique sur ce point, et res- treint sa pensee premiere. « L'ame ne commande pas au corps comme une puissance independante qui peut se se- parer de l'instrument qu'elle emploie 5 elle n'y est pas comme dans une demeure qu'elle puisse abandonner » (2). L'ame, si elle est une force distincte de celle du corps, n'en est done pas separable. Mais alors est-elle bien une substance distincte meme ? et ne faut-il pas rapporter aux seules apparences ce qu'A- ristote nous a dit d'abord de l'ame comme force speciale unie a la force corporelle? Cela parait bien etre. « L'ame n'est pas, nous dit-il, une substance, un sujet, mais une forme } la forme d'un seul et unique corps dont elle fait la vie propre et Pindividualite. Elle n'est pas le corps , mais sans le corps elle ne peut pas etre. Elle est quelque chose du corps , et ce quelque chose n'est ni la figure, ni le mouvement, ni un accident quelconque, mais la forme meme de la vie, Pactivitespecifiquc, qui determine Pes- sence et tous ses accidents » (3). Voila le point precis de la difficulty, et comme le noyau de la psychologie rationnelle d'Aristote 5 si nous savions au juste ce qu'il a voulu dire par la , nous saurions aussi ce qu'il n'a pas voulu dire. Et comme le c6te positif de sa pensee peut etre plus facilement saisi a mesure qu'on eli- minera un plus grand nombre de fausses interpretations possibles, nous ecarterons dabord celle-ci : a savoir, que si Pame n'est pas une substance , un sujet propre , que si elle est inseparable du corps, sans etre cependant le corps (1) Phys.,vm, 4; de Partib. anim., I, 5; de Anim., 11, H. (2) Polity 1,2; de Anim., I, 3. (3) De Anima, 1 , 3 ; 1 , 2. VINGT-UN IEME SESSION. 75 lui- meme, elle pourraitbien etre son ensemble^ son unite. Non : o elle n'est pas non plus Pbarmonie des parties du corps , ni la resultante de ses mouvements divers : elle est ce qui y produit Paccord et l'barmonie , la cause qui y determine, y dirige, y regie le mouvement. Ce n'est pas une unite de melange et de composition, un nombre, mais une unite simple, I'unite de la forme et de l'acte. Ce n'est done pas une puissance dont le corps serait la realisation, mais la realite derniere d'un corps » (1). Cette realite derniere du corps vivant ne peut done etre le corps en puissance; c'est plut6t le corps vivant en acte, le fait meme d'etre vivant. C'est ce que semblent confirmer les paroles suivantes : « L'ame est done l'acte d'un corps naturel , organise, qui a la vie en puissance » (2). Et en- core : « l'ame en elle-meme n'est que la premiere forme , le premier acte de l'organistne. La forme derniere, la fin supreme, est Paction meme de l'ame , Paction indivisible, superieure au mouvement et au repos » (3). Huit points paraissent certains d'apres ce qui precede : 1° L'ame est distincte du corps ; 2° elle en est insepara- ble cependant; 3° elle n'en est pourtant pas I'unite ; 4° elle en est la forme ; 5° cette forme ne doit pas etre confondue avec la figure ; 6° c'est l'acte de vie ; 7° enfin, cet acte n'est ni substance ni sujet; 8° et pourtant il est cause etprincipe, Le seul moyen de concilier tout cela , c'est , a notre sens, de reconnaitre que l'ame n'est point une substance ou un sujet immobile et mort, comme parait Petre la matiere qui compose les corps inorganiques, mais bien un principe essentiellement actif , produisant infailliblement son effet, (1) De Anima, I, 4; ii, 1, 2. (2) Avar/Moaov ccpoc rnv ^v/^v ovoiocv sivat &q fcfobfc GOd^aroq cpuaixoO Svvdpei £c*>y?v eyovrog' yj §' ovaicc evT&Lyeia.' zoiovtov ctpoc a&poczoq £VTS),i-)(£ioc. De Anim., n, 1. (3) De Anima, n, 1 . L'interpr^tation de ce passage et des pr£c6denls est emprunte"e a M. Ravaisson. Cf. le de Anima, traduit par M. Barthe"- lemy Saint-Hilaire, surtout p. 1 69-1 70. 76 C0NGRES SCIENT1FIQUE DE FRANCE. la vie ; qui n'est par consequent ame ou principe de vie qu'a la condition d'agir, d'informer un corps, et qui cesse d'etre telle, c'est-a-dire d'etre un principe vivant, du mo- ment oil son effet, la vie actuelle d'un corps, la forme vi- vante de ce corps, cesse d'etre. Anterieurement a cet acte et apres cet acte , c'est-a-dire , d'une maniere plus generale et en un mot, independamment de cet acte, l'ame n'est pas un principe de vie, n'est pas une ame , puisqu'elle n'anime rien$ en ce sens elle n'est pas, ou si elle est deja avant d'informer un corps , si elle est encore apres 1' avoir infor- ms, ce n'est que comme forme de vie en puissance, et non en acte 5 c'est une ame virtuellement vivante, ou plut6t virtuellement vivifiante , par opposition a ce qu'elle est lorsqu'elle anime un corps, lorsqu'elle en est l'acte ou la forme de vie. Si c'est Ik Interpretation Writable de la pensee d'Aris- tote, il s'ensuit : 1° que l'ame, sans etre materielle, ni la merae chose que le corps qu'elle anime, est cependant inseparable de ce corps, comme la lumiere est insepa- rable du jour, la cause de son effet 5 2° que l'ame, comme ame vivante , ou vivifiant un corps , qui en est le produit necessaire , n'est pas meme une substance , un sujet dis- tinct de ce corps , puisque en effet le corps , comme corps vivant, est le sujet de l'ame, qui en est la forme 3 3° que l'ame n'existe done pas comme ame reelle avant l'ani- mation ou apres, mais bien comme ame possible, comme substance capable d'informer un corps ou d'en devenir la forme; 4° que la substance derniere d'un corps vivant, la force vivante dans un corps , ne differe en rien a son tour de l'ame, et qu'il serait pour le moins aussi vrai de dire que les corps vivants ne sont que des ames a formes corporelles , que de dire qu'ils sont des corps a forme vivante (1); 5° que les corps vivants constituent une es- (1) Ceci est encore en faveur du spiritualisrae, ou plutol du dynamisme universel d'Aristole. On peut voir sur ce point une dissertation fort ^ten- due de Plessing, oil il etablit qu'Aristole n'admeltait pas l'existence des corps comme on les conqoit ordinairement : Versuch zur Aufklarung der Philosophie des altesten Alter thums, 11 B., S. 259-273. VINGT-UNIEME SESSION. 77 pece particuliere de corps , et ne se forment pas de corps sans vie 5 6° que l'ame est tout a la fois le principe et la fin des corps vivants , c'est-a-dire leur cause et leur realite on leur acte, leur entelechie ou leur essence 5 7° qu'Aris- tote est bien plut6t spiritualiste que materialiste exclusif 5 8° qu'en tout cas , s'il n'y a pas pour lui d'ame vivante et veritable sans corps vivant , il y a moins encore de corps vivant sans ame 5 9° qu'on ne pourrait cependant conclure de la que l'ame perit avec le corps visible, suivant Aris- tote, qu'autant qu'il aurait suppose qu'a la iftort du corps visible, e'en est fait de toute forme corporelle vivante pour l'ame qui a vivifie ce corps. Nous n'oserions cependant nous flatter d'avoir parfai- tement saisi la pensee d'Aristote ; et si l'on croyait meme entrevoir quelques contradictions dans les passages que nous en avons cites, ce ne serait pas la premiere fois qu'un lecteur se serait trouve dans cet embarras en cher- chant dans des ecrits que le temps et les bommes semblent avoir maltraites a l'envi , la pensee vraie de cet incompa- rable genie (1). Malgre le dynamisme d'Aristote, mais a cause de l'in- dissoluble union qu'il avait etablie entre l'ame et le corps, et de l'affirmation si formelle que l'ame est la forme du corps vivant, la vie en acte, l'acte meme de la vie, on put aisement penser que l'ame n'etait qu'un mode du corps vivant, un simple fait, celui de la vie. Aussi voyons- nous Dicearque la confondre avec la vie animale , et ne voir meme dans Pame raisonnable de l'bomme que le resultat de 1'organisme, de 1'heureuse harmonie des par- ties du corps. Le materialisme des sto'iciens n'est pas moins certain. En vain ils distinguent une matiere corporelle et une ma- tiere spirituelle , qui se penetrent reciproquement dans toutes leurs parties 5 en vain ils placent l'ame raisonnable, le xoyiGTiKov dans le cceur : ce principe n'en est pas moins materiel. C'est une espece de feu, d'air, de calorique. (1) V. Idem, ib., p. 385-391. 78 CONGRES SCIENTFFIQUE BE FRANCE. Mais il est vrai de dire que Dieu lui-meme est corporel aux yeux des stoi'ciens, et que notre ame participe de la nature divine $ que si c'est un feu corporel, elle possede neanmoins des vertus qui lui sont propres 5 • c'est un feu actif, intelligent sans doute, et qui est doue d'une vertu plastique ou formatrice. Toutefois cette vertu reste assou- pie dans l'ame, au moins pendant les premiers temps de l'existence, puisque cette ame passe des parents aux en- fants, qu'elle est un produit de leurs facultes, et qu'elle ne commence a vivre qu'apres la naissance. Elle n'agit done comme ame plastique que dans la formation des germes chez les adolescents (1). Les philosophes romains, qui se partageaient generale- ment entre l'epicurisme et le stoicisme, devaient etre par cette raison , a cause du tour assez peu metaphysique de leur esprit, passablement portes au materialisme. II faut excepter Ciceron, qui est platonicien en cela (2). II pa- raltrait meme, d'apres un fragment de l'Hortensius, qu'il serait alle jusqu'a faire proceder le corps de l'ame : Ap- pendix animi corpus. Mais il etait moins avance sur la question de Pimmortalite du principe pensant (3) , ainsi que Seneque (4). Nous ne parlons pas du doux et tendre Virgile : sa philosophie devait avoir une teinte de natura- lisme ou de pantheisme , comme celle de la plupart des poetes (5). Parmi les neoplatoniciens , il faut distinguer ceux qui , rapproches de l'experience par leur profession, comme Galien, tiennent toujours un grand compte de l'apparence (1) Plut., de Placit. phil., iv, 5. (2) Humani animi ea pars quae sensum, quae motum, quae appetitum habet, non est ab actione corporis sejuncta ; quae autem pars animi, ra- tionis alque intelligentiae est particeps , ea tantum maxime viget quum plurirmim abest a corpore. De Divinat., 1 , 32. (3) TuscuL, q. 1. Me vero delectat, idque primum ita esse, deinde, etiamsinon sit, mihi tamen persuaderi velim. (H)Epist. 102, 117. (5) Spiritus intus alit, totamque infusa per artus Mens agitat molem, et se magno corpore miscet. Mn. vn, 727. Sanguinem ille vomit animam. Mncid. ix, 549. VINGT-UNIEME SESSION. 79 oil des faits$ et ceux qui, speculant d'une maniere plus li- bre, ne craignent pas de donner essor aleur imagination, autant au moins qu'au raisonnement : tels sont les Alexan- dras. • Galien admettait un esprit de la vie pour rendre raison des phenomenes physiologiques, et un esprit de l'ame pour expliquer les phenomenes de l'intelligence(l), c'est- a-dire deux ames , ou une ame proprement dite et un prin- cipe vital. Suivant Nemesius, Galien aurait fait consister Tame, le principe vital sans doute, dans le temperament (^p«t«r/f) (2). II n'y a pas la de contradiction avec ce que nous apprend Theon de Smyrne; seulement, l'idee du principe vital, de l'ame animale (t^vsv^o. £&>ik£r), devient un peu plus precise, mais sans gagner en justesse : car le temperament doit etre, au contraire , un effet de l'ame, a moins que Galien, comme Dicearque, n'entende par ame animale un p'roduit de 1'organisation. On trouve aussi les Alexandrins sur les traces du plato- nisme, mais d'un platonisme transforme, exagere, mys- tique. Ainsi, ce n'est plus trois ames seulement qu'ils ad- mettront, il leur en faut quatre, et meme cinq. La premiere, corporelle, ou plut6t qui n'est que le corps meme (to est le principe de l'imagina- tion, de la memoire, de l'opinion, du raisonnement, de la raison et de la volonte. Ce n'est pas tout : il faut un principe qui explique la pensee et la contemplation; ce principe , c'est l'intelligence ( o vov<; ). Et comme il y a dans l'homme une vertu d'amour et de contemplation divine parti culiere, il faut bien qu'elle ait aussi son principe propre. Ce principe, c'est le divin [to 0e7or] (3). (0 Theonis Smyrncei Platonici, etc. (2) De la Nature de l'homme, trad. fr.> p. 40. (3) M. Vagheiiot, Hist, critiq. de I'ecole d' Alexandrie , t. in , p. 360V 80 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Quand meme cette distinction des ames serait aussi ri- goureuse dans la pensee et les ecrits des Alexandrins qu'elle nous Pest ici representee (1) , elle ne serait guere meilleure. Elle n'est soutenable a aucun pojnt de vue; nous voila bien loin, en effet, de Punicite de l'ame. Et cela se concoit : des qu'on veut autant de principes que d'especes de phenomenes, de sentiments, de pensees, il n'y a plus de raison de s'arreter sur cette voie de frac- tionnement du principe de la vie 5 Phomme n'est plus, dans sa substance comrae dans ses £tats, qu'une multiplicity in- definie, dont Punite s'expliquera par un principe etran- ger, ou une inconsequence et une contradiction. Nous ne pouvons pas voir autre chose , en effet , qu'une contra- diction dans la doctrine de Porphyre sur ce point , lors- qu'il dit qu' « il est indubitable qu'une substance peut devenir le complement d'une autre substance : qu'elle fait al or s parti e de cette autre substance, sans changer elle- meme de nature 5 et qu'en devenant le complement de cette substance, elle ne fait qu'un avec elle, en conservant elle-meme son unite » (2). Nous voila bien loin des idees d'Aristote sur le rapport du physique et du moral; il faudra des siecles pour reve- nir a cette doctrine une fois abandonnee en philosophie, et d'autres siecles encore pour y revenir en psychologie, pour fonder enfin sur la connaissance des phenomenes corporels et spirituels la theorie complete et vraie de Paction de Pame sur le corps. Tissot, Professeur de philosophie a la Faculty des lettres de Dijon. (0 V. M. Barthelemy Saint-Hilaire, del'Ecole cTAlexandrie, p. 110. Suivant l'auteur, M. Vacherot await donn^ trop de precision a la psycho- logie des Alexandrins. C'est ainsi, par exemple, que Plotin, en attribuant la sensation a quelque chose qui est distinct de l'ame, sous prCtexte que l'ame est impassible, se sert, pour designer ce quelque chose, tantot du £coov, l'animal , tanlot du to ^.ty^a, le melange , et de plusieurs autres expressions encore. (2) Nemesius, de la Nature de l'Homme , p. 72 , trad. M. J. B. Thibault. VINGT-UNIEME SESSION. 81 L'ordre du jour est epuise. Monseigneur annonce que la vingt-unieme session du Congres est close. II lui reste, ajoute-t-il, une tache a remplir : c'est de remercier, au nom de la cite, l'Institut des provinces d'avoir choisi Dijon pour le lieu de la reunion du Congres. II regrette que les tristes preoccupations du moment aient prive 1'as- semblee d'un certain nombre d'auditeurs. II deplore surtout la cause de leur absence (le cholera). II se fait l'organe des justes eloges que meritent les travaux de chacune des sections du Congres. Tous les rapports qu'il a entendus lui ont paru tres-remarquables par la profondeur des vues et la nettete de leur redaction, lis ont du eclairer les auditeurs sur le but et Fim- portance de ces reunions d'hommes d'elite qui pour- suivent un noble but , celui d'eclairer les etudes et de propager la science. Monseigneur se constitue l'organe de Tassemblee en payant a M. de Caumont, le fondateur du Congres, un juste tribut d' eloges. II remercie egalement , au nom de Tassemblee, MM. les membres des differents bureaux et MM. les secretaires en particulier des ef- forts qu'ils ont faits pour arriver a un resultat aussi satisfaisant que celui qui a ete obtenu. C'est de la reu- nion des hommes de bien et de merite quipossedent le feu sacre, que Ton voit sortir des choses utiles et des resultats dont le pays peut profiter. Messieurs les secretaires ont puissamment contribue a ces resultats par la lucidite de leurs rapports. Leur tache etait difficile : ils s'en sont acquittes avec talent et bonheur. Ces rapports , dit Monseigneur , m'ont 82 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. appris bien des choses que je ne savais pas. Nous avons tous besoin de nous instruire : c'est au Congres a le faire. Plus on connait cette institution, plus on l'ap- precie. J'engage son savant fondateur a perseverer dans la voie qu'il s'est ouverte, a ne pas se laisser de- courager par d'inevitables obstacles : notre siecle a besoin d'enseignements. Monseigneur propose de voter des remerciments a M. de Caumont. L'assemblee accueille avec enthou- siasme cette proposition , qui est adoptee a l'unani- mite. Quant a moi, reprend Sa Grandeur, je ne puis que vous remercier de l'honneur que vous m'avez fait en m' appelant a ce fauteuil : je le dois a cette croix pla- cee sur ma poi trine. Ces sentiments m'ont profonde- ment touche. Monseigneur termine sa trop courte improvisation par des paroles de gratitude envers le Congres, qui s'est rendu en corps au palais episcopal le dimanche 13 aoiit, et qui n'a pu lui presenter ses hommages parce qu'il etait alle porter des paroles de paix et d'encouragement dans une commune voisine atteinte par l'epidemie regnante. M. de Caumont repond a Monseigneur, et, se ren- dant l'interprete du Congres , il le remercie du haut patronage dont il a bien voulu honorer l'assemblee, et qui a si puissamment contribue au succes des tra- vaux de cette session. La seance est levee. Le secretaire general, Henri Baudot. VINGT-UNIEME SESSION. 83 PREMIERE ET SIXIEME SECTIONS REIWIES. SCIENCES NATURELLGi ET I'll %'S 1 4*1 1 US SEANCE DD II AOUT. Prcsidence de $1. Henri Baudot el de M. Paris (de Dijon), La seance est ouverte a sept heures, sous la presi- dence de M. H. Baudot, secretaire general, assiste de MM. de Caumont, Detourbet, et Ladrey, secretaire de la section. On procede immediatement a la nomination du bureau; etapres le depouillement du scrutin, M. Bau- dot proclame : president de la section des sciences naturelles et physiques, M. Gaulin, premier adjoint au maire de Dijon ; vice-presidents , MM. Laborie , ingenieur des porits et chaussees; Paris, Mignard, de Pacademie de Dijon, et Feuillie, de Lyon. En l'absence de M. Gaulin et de M. Laborie, M. Bau- dot invite M. Paris, deuxieme vice-president, a le rem- placer au fauteuil de la presidency Sur la proposition de M. de Caumont, le secretaire donne lecture de la partie du programme renfermant les questions de la premiere section, et invite MM. les membres presents a faire connaitre les parties sur les- quelles ils desirent faire quelque communication. 84 CONGRES SCIENTIF1QUE DE FRANCE. M. Borueki, ancien ingenieur, presente uuMeinoire raanuscrit intitule : Principes hydrostatiques concer- nant la vitesse et le volume d'eau s'ecoulant en una seconde sur des moteurs hydrauliques. Ce travail est renvoye, sur la demande de l'auteur, a une commission composee de MM. Jobard, Laborie et d'Estocquois. M. le president ouvre la discussion sur les questions du programme, et donne la parole a M. de Caumont, qui demande a presenter quelques considerations his- toriques sur les deux premieres questions. Ces questions sont ainsi concues : A-t-on reconnu la presence du phosphate de chaux dans le terrain cretace de la Bourgogne et des autres con- trees voisines ? Le phosphate de chaux , reconnu en quantite conside- rable dans la craie inferieure du departement du Nord, n'exisle-t-il pas aussi dans les couches analogues de la craie de la Bourgogne? Quelles recherches a-t-on faites pour le decouvrir et Pexploiter? M. de Caumont fait remarquer Fimportance du phosphate de chaux pour Fagriculture, et l'utilite qu'il y aurait a signaler dans les diverses localites des gise- ments de cette substance. Deja plusieurs societes agricoles se sont occupees de cette question, et quel- ques-unes ont meme offert des primes destinees a re- compenser les auteurs de ces decouvertes. Au dernier Congres tenu a Arras, M. Delanoue a fait connaitre qu'il existait aux environs de Yalenciennes, dans la craie inferieure, un gisement considerable de phos- phate de chaux. Dans certaines parties, la matiere s' observe en couches de pres d'un metre d'epaisseur, et le* gisement se retrouve Sur une etendue d'environ VINGT-UJSIEME SESSION. 85 quinze lieues. Cette observation a attire rattention de M. Elie de Beaumont et de plusieurs autres geologues qui assistaient au Congres. Reunie a beaucoup d'au- tres faits bien constates dans la science, elle semble demontrer que dans la craie inferieure on trouve presque constamment du phosphate de chaux, tantot en rognons , tantot en couches plus ou moins puis- santes. Elle explique la presence du phosphate de chaux dans un grand nombre de sources naturelles, et par suite, l'heureuse influence de ces eaux dans les irrigations. On sait, en effet, par les experiences de M. Dumas , que le phosphate de chaux est sensible- ment soluble dans de Peau ehargee d'acide carboni- que, et ce phenomeue rend compte des bons resultats produits par cette substance sur la vegetation , et de la maniere dont elle peut passer dans les plantes. Des observations faites cette annee en Normandie ont permis de reconnaitre la presence du phosphate de chaux dans les couches de la craie; mais on n'a pu encore etablir la concordance entre ces couches et celles designees par M. Delanoue. Ces considerations suffisent pour demontrer toute l'importance que presente cette etude ; et M . de Cau- mont exprime le voeu que des recherches nouvelles viennent augmenter nos connaissances, surtout dans les localites ou la presence de la craie rend probable l'existence du phosphate de chaux. M. Carlet declare n'avoir jamais rencontre de phosphate de chaux, ni en couches, ni en rognons, sur aucun point du departement de la Cote-d'Or, et il assure que personne a sa connaissance n'a signale cette substance dans un travail anterieur a ses propres 80 CONGRES SCIliNTIFiyCE DE FRANCE. recherches. Le terrain cretace est, du reste , fort peu abondant dans cette partie de la Bourgogne ; il y a meme ete meconnu pendant longtemps, et, par suite, la position que semble affectionner le phosphate de chaux rend la decouverte d'un gisement de ce sel tres- peu probable dans notre pays. C'est dans les departe- ments voisins , oil la craie se rencontre avec abon- dance, que Ton peut esperer de decouvrir des masses susceptibles d'etre exploiters dans Tinteret de l'agri- culture. Aux questions precedentes se rattache naturelle- ment la suivante : Quelles sont,euegard a leur nature, les qualites relatives des marnes de la craie employees a Pamendement des terres en Bourgogne et en Champagne? M. de Caumont obtient la parole pour en deve- lopper l'utilite et la portee. II rend compte des ex- periences entreprises dans le Calvados pour etudier les marnes au point de vue de leurs qualites com- paratives. Les resultats obtenus par les divers experi- mentateurs ont d'abord paru contradictoires ; mais il est facile d'expliquer cette difference d'opinions , en tenant compte des qualites diverses qui peuvent assu- rer l'efficacite des marnes. Pour qu'une marne soil bonne , il faut qu'elle se delite completement et que le phenomene s'opere assez vile. M. de Gasparin a le premier attire l'attention sur ce fait, que deux marnes de meme composition chimique peuvent donner des resultats tres-differents suivant qu'elles se delitent en- tierement ou qu'elles laissent comme residu des no- dules de calcaire compacte non delitable. Outre ce fait mecanique, la nature chimique de la marne doi1 VINGT-TJNIEME SKSSION. 87 exercer sur ses eflets une influence considerable : tan- tot l'argile, tant6t le carbonate de chaux, dominent; et ' par consequent, avant des'arreter a l'emploi de telle ou telle espece de marne, il faudra tenir compte de la nature du sol. Ajoutons qu' outre' leurs elements es- sentiels, les marnes peuvent renfermer encore d'autres principes : du phosphate de chaux, de l'oxyde de fer, qui jouent un grand role et assurent a quelques va- rietes une superiorite incontestable, et dont il serait difficile de se rendre compte si on ne reunissait toutes ces considerations. M. de Caumont ajoute combien il serait utile de faire dans chaque localite des essais comparatifs, et de determiner d'un cdte la nature et les proprietes des marnes employees, de l'autre la nature du sol sur le- quel elles doivent etre deposees. M. Guinde fait observer que, la craie etant tres-peu abondante dans le departement, on emploie les mar- nes proprement dites. On a reconnu qu'elles sont bonnes ou mauvaises suivant qu'elles ont ete extraites de terrains sees et humides : ainsi les marnes recou- vertes par l'eau dans les puits d'extraction sont ordi- nairement de mauvaise qualite. On a de plus observe que leur emploi reussit tres-bien sur les sols qui ne sont pas calcaires ; des essais entrepris aux environs de Mirebeau sur un terrain calcaire n'ont pas donne de bons resultats. M. Carlet appelle l'attention sur les marnes du cornbrash, qui pourraient etre utilisees avec avantage dans les terrains sees de la grande oolite : ces marnes argilo-calcaires agissent alors surtout par l'argile qu'elles renferment, et il est a desirer que leur emploi, 88 CONG RES SCIENT1FIQUE DE FRANCE. qui commence sur quelques points, soit etendu et en- courage; il produirait d'excellents resultats. II cite encore les marnes du calcaire a entroques , qui n'ont pas ete essayees, et qui seraient tres-utiles dans les ter- rains granitiques. De plus, la chaux employee pour le chaulage provient, dans les environs de Saulieu (Cote-d'Or), du calcaire a gryphees ; M. Carlet pense qu'il serait bien preferable de l'emprunter au calcaire a entroques. Ladrey, secretaire. SEANCE DO 12 AOOT. Presidence de 11. Gaulin. La seance est ouverte sous la presidence de M. Gaulin, Le proces- verbal de la derniere seance est lu et adopte. L'ordre du jour appellela discussion de la 4e ques- tion, ainsi concue : Que reste-t-il a faire pour l'exploration geologique de la Bourgogne et des departements de TEst de la France ? M. Carlet, parlant specialement du departement de la Cote-d'Or, emet l'opinion que les travaux deja termines sur la geologie de cette partie de la Bour- gogne ne laissent que tres-peu de chose a desirer, et la plupart des membres presents a la seance parlent dans le meme sens. M. Malinowski, tout en reconnaissant l'utilite et Timportance des travaux entrepris par les divers sa- VINGT-UNIEME SESSION. 89 vants qui s'en sont occupes , regrette qu'on ait pris pour point de depart les etudes faites en Angleterre sur des terrains analogues, et qu'on se soit borne a etablir la comparaison entre les couches exislant dans ce dernier pays et celles reconnues dans nos contrees. II pense que ces travaux auraient besoin d'etre com- pletes par une etude faite sans idee preconcue, et dans laquelle on se bornerait a une description pure et simple des faits observes. Suivant lui, onarriverait par ce moyen a rectifier une foule de points sur lesquels des idees arretees ont fait porter un jugement peut- etre trop hate. M. de Caumont et plusieurs autres membres font observer que le systeme de M. Malinowski aurait le grand inconvenient d'empecher les observateurs de tenir comple des etudes faites avant eux dans d'autres localites; qu'en donnant a l'ensemble des couches cons- tituant une formation le nom qui lui a ete donne en Angleterre , par exemple, on n'entend pas declarer qu'il y a entre ces couches une identite absolue sous le rapport de la puissance, de la nature mineralogique et meme du nombre des couches. Dans une localite tres-restreinte, cette identite ne s'observe meme pas, si on considere des lambeaux tres-peu distants et appar- tenant evidemment a la meme couche non interrom- pue. Tous ces membres pensent que les craintes expri- mees par M. Malinowski disparaissent, si on examine les principes qui servent de guide a nos savants dans leurs observations. En efFet, dans la description d'un terrain non encore etudie, ils ne se conlentent pas de classer les couches qu'ils ont observees dans un cadre de classification tout dresse d'avance, et de renvoyer 90 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. pour les details a ceux qui ont ete donnes sur les tra- vaux reputes classiques ; mais ils donnent la descrip- tion exacte et minutieuse de tous les faits qu'ils out constates, et la comparaison qui en resulte necessai- rement avec les faits bien connus ailleurs eclaire sin- gulierementles nouvelles etudes en meme temps qu'elle facilite les observations. Les deux questions qui suivent presentant une grande connexion, M. de Caumont demande ales de- velopper simultanement, et a faire connaitre sur ce sujet l'etat de la science. Voici les questions du programme : Combien y a-t-il d'especes de terrain meuble dans le pays (circonscrire par sous-regions, et appliquer la ques- tion a des circonscriptions peu etendues ) ? Quelle est la nature du sous-sol? et a quelle serie de couches doit-on le rapporter d'apres les donnees de la geologie? Les couches meubles ont ete peu etudiees jusqu'ici: a peine a-t-on jete depuis quelques annees les bases de ces interessantes recherches. On a constate qu'il existe en differents points de l'Europe, de l'Asie et de TAmerique, une grande alluvion repandue generale- ment sur la surface de ces continents et formant la base des sols arables. A cette couche, il faut en reu- nir deux autres presentant un moins grand caractere de generality et qui viennent par leur presence modi- fier la premiere couche. Dans cette etude, il faut tenir compte avec beaucoup de soin des changements que peuvent amener les melanges de la matiere consti- tuant ces couches avec les detritus des roches sous- jacentes. VJNGT-UNIEME SESSION. 91 II serait done important de resoudre, pour le de- partement de la C6te-d'Or et les departements voisins, les questions qui viennent d'etre enoncees. II faudrait bien determiner la nature de cette couche superieure au terrain quaternaire et formant la base essentielle des terres arables ; on s'attacherait aussi a reconnaitre si cette couche est unique ou s'il en existe plusieurs, et on indiquerait d'une maniere precise les caracteres qui distinguent chacune d'elles. Quelques membres presentent des considerations sur les tourbes, et il resulte de leurs renseignements que si on a signale sur quelques points du departe- ment deslocalites renfermant des tourbieres,elles n'ont presente jusqu'ici aucune importance, et n'ont donne lieu a aucune exploitation suivie regulierement. Ces gisements sont, du reste, tres-circonscrits. M. le president donne lecture de la septieme ques- tion du programme : Quels sont les niveaux hydrofuges dans le departement de la Cote-d'Or? en d'autres termes, de quelles couches sortent habituellement les sources qui alimentent les ruis- seaux et les rivieres? M. Cadet presente sur ce sujet quelques observa- tions qu'il resume dans les conclusions suivantes : « Le territoire du departement dela C6te-d'Or est com- pris dans trois versants fluviaux, qui sont : celui de la Sadne a Pest, celui de la Seine a l'ouest, et celui de PAr- roux au sud-ouest. Les deux premiers divisent ce terri- toire a peu pres en deux parties egales; le troisieme n'oc- cupe par consequent qu'une tres-faible surface a l'ouest de l'arrondissement de Beaune. » Les couches de terrain servant de plafond aux eaux qui alimentent les ruisseaux de notre departement for- 92 CONGHES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ment cinq horizons principaux} ces couches sont, en com- mencant par les plus inferieures : » 1° Celles des marnes irise'es, qu'on ne rencontre guere que dans le bassin de l'Arroux, entre Arnay-le-Duc et Nolay, et qui donnent naissance a quelques sources ayant des altitudes comprises entre 400 et 450 metres au-dessus du niveau de la mer; » 2° Celles des marnes supra-liasiques (le premier ho- rizon par son etendue ), occupant une partie notable de l'Auxois, et donnant naissance aux sources de tous les ruisseaux qui coulent au fond des grandes et profondes vallees de ce pays. Ces sources ont generalement leur altitude comprise entre les cotes 400 et 550 m.$ » 3° Celles de laterre a foulon, occupant les parties nor A et est du departement, et formant un horizon de quelques sources peu importantes qui alimentent plusieurs ruisseaux des bassins de la Seine et de la Sa6ne. Ces sources ont leur altitude comprise entre les cotes 220 et 460 m. $ » fl° Celles de l'oxford-clay, occupant notamment le Chatillonnais, et donnant naissance a plusieurs sources d'une certaine importance parmi lesquelles on remarque le beau bassin de la Laignes. Ces sources ont des altitudes variant entre 200 et 300 m. 5 » 5°Enfln celles du kimmeridge-clay, n'occupant qu'une tres-faible surface du bassin de la Sa6ne, et donnant nais- sance a quelques sources ayant une altitude comprise aussi entre 200 et 300 m. y> Nous citerons cependant encore pour memoire un sixieme horizon place sur les couches du gault, qu'on ne rencontre qu'en tres-petits lambeaux morceles dans les environs de Mirebeau. Quelques sources peu importantes sourdent de ce terrain. » Nous n'avons pas cru devoir parler des sources des terrains granitiques, que nous considerons comme des suintements sans importance, et qui sourdent a toules les hauteurs de la puissance totale de ce terrain , qui n'est, comme on le sait, point stratifie. » Ladrey, secretaire. VINGT-UNIEME SESSION. 93 SEANCE DU 13 AOUT. President de 1. Gaulin. La seance est ouverte sous la presidence de M. Gaulin. Le proces-verbal de la derniere seance est lu et adopte. M . Mignard lit une note qui a pour objet l'etude de la huitieme question. II se demande si le sulfate de fer, qui a produit de si bons resultats sur une foule de ve- getaux chloroses , ne serait pas aussi tres-propre a prevenir la maladie de la vigne, et meme a la guerir apres son invasion. II fait remarquer combien est fa- cile l'usage de ce procede, surtout lorsqu'il est appli- que aux treilles , et donne quelques details sur les idees qui ont conduit a reconnaitre l'efficacite de cet agent dans les affections maladives des plantes. Cette application du sulfate de fer a ete proposee, pour la premiere fois, vers 1845, par M. Eusebe Gris, savant aussi distingue quemodeste, dontles essais ont ete couronnes d'un plein succes. La mort ne lui a pas permis de poursuivre le cours de ses interessantes re- cberches, mais une longue pratique est venue confir- mer l'exactitude des premiers resultats. Unmembre de la section fait observer que dans ces dernieres annees on a tente d'employer les prepara- tions ferrugineuses, et en particulier le sulfate de fer, pour guerir la maladie de la vigne. Ce procede, com- me beaucoup d'autres, a paru produire, dans certains cas, de bons resultats ; dans d'autres circonstances, il a ete inefficace. 94 CONGRES SCIENTIFIQUli DE FRANCE. M. Jobard parle, a ce sujet, d'essais recents ayant demontre les avantages que presentent les irrigations faites sur les prairies avec de l'eau chargee d'acide sulfurique. Suivant la proportion de cet acide, les effets peuvent etre tres-differents, et la pratique a de- montre qu'a la dose de 2 d'acide pour 100 parties d'eau, l'arrosement produisait de bons resultats. Ces experiences , ainsi que celles recemment faites a Or- leans sur Tinfluence de certains sels agissant sur la vegetation par suite de leurs proprietes deliquescentes, prennent une grande importance et promettent de conduire a des consequences tres-interessantes. Le president donne lecture de la neuvieme question : La Flore de la Cote-d'Or presente-t-elle des faits parti- culiers? Quelle influence exerce dans ce pays la nature geologique du sol sur la distribution des especes ? M. Mignard fait connaitre qu'il a parcouru dans les environs de Chatillon des localites oil se trouvent ex- clusivement des terrains calcaires, et oil cependant on rencontre certaines plantes qui vivent ordinairement dans les terrains siliceux. II cite particulierement le daphne cneorum, le cypripedium calceolus, la cine- raria sybirica, etc. M. Mignard communique en meme temps une no- menclature de plantes observees par lui dans le Cha- tillonnais ; il indique dans un resume statistique les families etles genres auxquels ces plantes appartien- nent , et fait connaitre en meme temps la nature des terrains dans lesquels elles vivent. M. de Caumont rappelle qu'il existe un travail con- siderable du a M. Desmoulins de Bordeaux sur un sujet identique. Ce savant a constate que Ton ren- VINGT-UNIEME SESSION. 95 contrait quelquefois dans les terrains calcaires des plantes vivant ordinairement dans les terrains sili- ceux, et reciproquement. Ces plantes, qui paraissent se trouver dans des conditions defavorables , sont en tres-faible proportion par rapport aux autres. II a reconnu qu'il n'existe qu'un petit nombre d'especes qui habitent d'une maniere completement exclusive telle ou telle nature de terrain. Dans le cas ou on rencontre dans un terrain cal- caire, au milieu, par exemple, d'une plaine de la grande oolite, des plantes vivant babituellement dans les terrains siliceux, on trouve toujours, soit dans les terres arables, soit dans le sous-sol, une quantite de silice plus que suffisante pour expliquer la presence de ces vegetaux. Les sables siliceux sont, en effet, tres- frequents dans certaines couches d'alluvion, ou elles proviennent de la destruction de terrains plus an- ciens, qui etaient eux-memes tres-siliceux. C'est ainsi que Ton explique l'abondance de la digitale (digitalis purpurea) dans certaines contrees calcaires. On trouve facilement la cause de ce fait quand on etudie avec soin la nature du sous-sol, qu'il est souvent difficile de reconnaitre tout d'abord. Depuis le travail de M . Desmoulins, M. Thurmann a public des recherches sur le meme sujet, et cette ques- tion a ete examinee dans une reunion extraordinaire de la societe geologique de France. Ces nouvelles etu- des ont confirme les resultats enonces precedemment. M. le president ouvre la discussion sur la question suivante, dont il donne lecture : La pisciculture a-t-elle occupe les savants et natura- listes de la Bourgogne? Quels resultats ont-ils obtenus? 96 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. M. de Caumont demande la parole, etpresente quel- ques observations qui lui sont personnelles sur la pis- ciculture. II expose que des essais entrepris d'apres les principes de Gehin ne lui ont pas reussi : les eaux, qui etaient un peu limoneuses, ne tardaient pas a obstruer les orifices des boites, et les oeufs mouraient au bout de tres-peu de temps. Ce procede peut donner de bons resultats, mais il faut qu'il soit applique dans une eau parfaitement claire. M. de Caumont conseillerait plutot, avec M . Millet, l'emploi de tamis flottants dans l'interieur desquels sont deposes les ceufs ; mais il a prefere a ces deux systemes celui de M. Coste , et il a opere dans un re- servoir circonscrit et place dans son cabinet. L'appa- reil est tres-simple : deux vases en gres de raeme vo- lume sont places, Tun sur une table , l'autre a terre ; l'eau qui s'ecoule goutte a goutte du premier tombe dans le reservoir, et de la dans le vase inferieur. La figure ci-dessous represente cette disposition : VINGT-UNIEME SESSION. 97 On employait de l'eau de pompe tres-pure ; elle semble preferable a l'eau de riviere. Dans un tel ap- pareil, on peut, malgre sa petitesse, operer sur des milliers d'oeufs. M. de Caumont a completement reussi : sur cent oeufs employes, il a eu quatre-vingt dix-neuf eclosions. II a conserve les petits poissons pendant deux mois, et ils se sont tres-bien portes pendant tout ce temps. Apres cette epoque, ils ont ete abandonnes dans une eau courante. On a pu constater sur quelques-uns qui avaient ete introduits dans une eau courante, mais tenus en cap- tivite, combien etait funeste, apres les premiers temps de l'eclosion, une temperature trop elevee : il faut qu'a cette e'poque, et aussi pendant l'incubation, la tempe- rature reste assez basse. M. de Caumont entre ensuite dans quelques consi- derations sur les inconvenients que presente, d'apres MM. Millet et Coste, Feducation des saumons : au bout d'un an ou de quinze mois, ils peuvent atteindre seulement la longueur de dix a douze centimetres, et apres la seconde annee le developpement s'arrete , ils deviennent rachitiques. Le sejour de la mer leur est absolument neeessaire pour qu'ils puissent acque- rir des dimensions plus considerables. La truite doit etre preferee dans les experiences ayant pour but de peupler nos rivieres : on a reconnu qu'elle pouvait s'acclimater facilement dans les eaux presque dor- mantes, pourvu qu'il y ait beaucoup de fraicheur et d'ombrage. M. de Caumont et plusieurs membres insistent sur les difficultes de se procurer des oeufs dans des condi- T)8 CONG RES SCIENTIFIQUE DE FflANtiB. tions favorables pour l'eclosion. Ce serait s'abuser que de croire qu'on pourra, du premier coup, obtenir ces oeufs a l'etat de maturite qui convient le mieux. L'art de la pisciculture est difficile : on rencontre dans la pratique des obstacles que la theorie n'avait pas pre- vus et ne pouvait prevoir. II est tres*probable qu'on parviendra a les surmonter; mais il faudra, pendant longtemps encore, avoir recours, pour la recolte des oeufs d'abord, et aussi pour bien d'autres details, a des personnes ayant fait de cette question une etude toute speciale. M. le president donne ensuite la parole a M. La- valle, pour faire connaitre les resultats d'essais entre- pris dans la localite sur ce sujet. M. Lavalle entre dans quelques details sur les ex- periences qu'il a entreprises au Jardin botanique de Dijon depuis 1849. II decrit de la maniere suivante les procedes qu'il a employes : Les ceufs une fois deposes dans un endroit convenable, il importe de les surveiller souvent, aGn de detruire tous les insectes qui se seraient introduits dans les espaces oil ils sont disposes, et deles debarrasser de la vase qui au- rait pu les couvrir. Si au bout d'un temps plus ou moins long on voit les ceufs se couvrir de moisissure, on doit desesperer du suc- ces, tous les ceufs atteints sont perdus sans remede. Au contraire, si les oeufs restent fermes et transparents , on peut etre sur du succes. Bient6t on distinguera dans ces ceufs des filaments et deux points excessivement petits, mais parfaitement marques d'un noir pur. Ce sont les yeux du petit poisson. Tout cela deviendra plus evident de jour en jour, et on ne tardera pas a observer des deplacements dans ces points noirs, puis des mouvements tres-evidents du jeune poisson. On pourra, dans l'espace de quelques VJNGT-UNIEME SESSION. 99 minutes, le voir bondir dans l'interieur de l'oeuf et faire comme des culbutes; alors le moment de l'eclosion est proche. Tous ces petits etres ne tarderont pas a rompre la mince enveloppe qui les retient prisonniers, «et si on le desire, il est tres-facile, avec un peu d'attention, d'etre temoin de l'eclosion. L'eclosion une fois operee , les jeunes poissons n'exi- gent aucune espece de soins pendant les premieres se- maines de leur existence. lis se nourrissent sans doute de tres-petits insectes ou d'animalcules microscopiques, et portent a cette epoque, a la partie abdominale, une portion des matieres contenues dans l'oeuf, et qui, en s'assimilant, suffisent a la nourriture des poissons pendant les premiers temps de leur vie. On doit bien se garder a cette epoque de laisser les jeunes poissons se repandre dans une ri- viere ou dans un endroit oil se trouvent d'autres pois- sons. J'en donnerai pour preuve les faits suivants : J'avais depose environ 4 ou 5,000 perches nouvellement ecloses dans un bassin d'assez grande etendue oil je les croyais seules. Sans queje m'en sois apercu, il s'est in- troduit dans ce bassin un brochet qui n'avait pas plus de 12 centimetres de longueur, et une truite un peu plus grosse. Quelques semaines plus tard , c'est a peine s'il restait une centaine de ces perches. Parmi les oeufs qui purent eclore dans le petit bassin chauffe de la serre, il n'y a plus aujourd'hui que cinq ou six de ces brochets, et ces brochets restants out mange non-seulement tous ceux de la meme espece qui elaient eVJos aveceux, mais plus de 300 autres petits poissons. La destruction des jeunes poissons est operee , comme on voit, dans des proportions prodigieuses par les poissons eux-memes. Il est done extremement important de ne re- pandre les jeunes poissons dans les bassins ou les cours d'eau qu'on veut empoissonner que lorsqu'ils ont atteint un certain volume. Aussi toutes les personnes qui se sont occupees de fecondation artificielle ont-elles, et avecrai- son, considere comme un appendice oblige de ces fecon- 100 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. dations les soins a donner au jeune poisson pendant los premiers temps de son existence. Comme, dans les lieux les plus frequentes par la truite, aucune espece de poisson ne fraye avant le milieu de Pete, ce poisson ne se nourrit d'autres poissons que lorsqu'il a deja cinq ou six mois d'existence. Pendant tout ce temps, la truite ne vit que d'insectes, et si on la retient dans un espace trop etroit et oil elle ne trouve pas une nourriture suffisante, elle ne croit qu'a peine , et au bout de sept a huit mois n'a pas encore atteint plus de trois centimetres de longueur. Si cet etat se prolonge, la truite devient faible et comme rachitique , et ne prend plus tard qu'un deve- loppement bien inferieur a celui qu'elle aurait pu acquerir. II en est du reste ainsi de tous les jeunes poissons, qui, lorsqu'ils n'ont pas des leur naissance une alimentation suffisante, perdent en outre la faculte de produire des ceufs convenablement organises. J'ai des carpes placees dans ces circonstances defavorables qui ont trois ans , et qui n'ont pas encore six centimetres de longueur. De tous les aliments que j'ai essayes pour la truite, au- cun ne m'a donne de resultats satisfaisants, si ce n'est les ceufs de fourmis et les fourmis elles-memes, aussitot que les petites truites peuvent s'en nourrir. On ne saurait croire a l'avance combien elles en sont avides. Aussi ne doit-on pas trop s'inquieter du volume de ces ceufs; on voit sou- vent de petites truites en avaler qui paraissent pourtant beaucoup trop volumineux. Avec cette alimentation, la truite atteint en quelques mois neuf a dix centimetres de longueur, et sa peau se revet de ces taches caracteristiques qu'elle conservera toujours. A ce moment , elle commence a se nourrir de jeunes poissons, et si vous faites passer alors vos truites dans un reservoir oil on aura fait eclore depuis une quin- zaine de jours une tres-grande quantite de jeunes pois- sons, et, s'il est possible, de moutelles , de goujons ou de vairons, on sera etonne de larapiditede l'accroissement. Les poids donnes par MM. Gehin et Remy pour des truites VINGT-UNIEME SESSION. 101 de deux et trois ans surtout, sont bien inferieurs a ceux que j'ai obtenus. En efFet, j'ai trouve qu'une truite d'un an pouvait peser de 20 a 25 grammes, qu'a deux ans elle avait atteint le poids de 250 grammes, et a trois ans celui de 750 grammes. Pour le brochet, il est indispensable de lui donner une nourriture formeede proie vivante aussitot qu'il est eclos, et je me suis parfaitement trouve de deposer dans les bas- sins oil etaient ces jeunes poissons du frai de grenouille ou de crapaud. Ce frai , au moment de l'eclosion, donne de petits tetards dont les brochets sont tres-friands. L'ac- croissement de ce poisson est tres-rapide , et il grandit assez vite pour pouvoir , a quatre mois , avaler de petits crapauds d'un centimetre de longueur. A cet age, le jeune brocbet a deja 8 ou 10 centimetres. La mie de pain, le sang desseche reduit en poudre, etc., conviennent parfaitement aux poissons blancs, a la carpe et a la tancbe. M. Lavalle pense que la pisciculture est une ope- ration des plus faciles, en ce sens que si on se trouve dans des conditions favorables quant a la nature , a l'agitation et a la temperature de l'eau, rien n'est plus simple que d'obtenir la fecondation et consecutive- ment l'eclosion de centaines de milliers d'ceufs. L'eloi- gnement des insectes , la disposition des boites , n'of- frent que des difficultes de peu d'importance, qu'il est permis a tout le monde de lever. Ce qui constitue la vraie difficulte pour arriver au but que Ton se pro- pose, le repeuplement des rivieres, c'est l'elevage des jeunes poissons. II offre de tels embarras, qu'on doit dire qu'au point de vue pratique, alors que les petits sont eclos, on n'a encore rien obtenu, ou presque rien. On a dit et publie, ajoute M. Lavalle, qu'on avait jete une enorme quantite de jeunes poissons, et en particulier de 102 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. jeunes saumons, dans nos grandes rivieres. Je ne sais si le fait est vrai, j'ai, pour ma part , des raisons personnelles des plus graves de douter qu'il en ait ete ainsi. Mais en ad- mettant meme que le fait ait eu lieu, une pareille maniere d'agir ne peut avoir aucun resultat. La totalite des jeunes saumons ainsi confies a tous les hasards devait etre morte ou devoree quelques semaines, peut-elre meme quelques jours apres 1' experience* Eu resume , il resulte pour moi de toutes mes observations que la pisciculture pratique est encore tout entiere a trouver, et que ce n'est qu'avec la plus grande defiance qu'on doit accepter les grands re- sultats annonces chaque jour. La seance est levee. Ladrey, secretaire. SfiANCE DU 14 AOHT. Presidence de M. Gaulia. Le proces-verbal de la derniere seance est lu et adopte. M. le president rappelle que les questions du pro- gramme se trouvent epuisees. II resterait a examiner encore la derniere question, sur laquelle M. Billet avait promis de donner quelques developpements; mais, M. Billet s'etant excuse de ne pouvoir prendre part aux premiers travaux de la section , on attendra son retour pour mettre cette question a Tordre du jour. En consequence, M. le president invite les membres presents a faire les communications qu'ils auraient a presenter en dehors des questions inscrites au pro- gramme. VINGT-IWIEME SESSION. 103 M. Jobard fait connaitre a la section un nouveau bee de gaz compose de maniere a meler au gaz une certaine quantite d'air echauffe. Des experiences com- paratives, entreprises pour etudier les avantages de cette disposition, ont demontre que si, avec les autres appareils et une quantite de gaz determined, on ob- tient pour Fintensite lumineuse Fequivalent d'une bougie, on aura avec le bee nouveau, sans augmenter Fafflux du gaz, un pouvoir lumineux egal a celui pro- duit par sept bougies. M. Jobard ajoute qu'il a ete frappe de n'apercevoir a Dijon que le bee papillon, qui peut seduire l'oeil, mais qui est, sans contredit, le moins economique. II croit pouvoir affirmer qu'il y aurait plus d'economie a bruler le gaz dans des cheminees alimentees par de Fair echauffe, qui, n'empruntant pas autant de calo- rique a la flamme , lui permet de garder un volume beaucoup plus considerable , et e'est du volume sur- tout que dependent le pouvoir eclairant et la portee des rayons lumineux. Les observations de M. Jobard doivent etre prises en consideration; car il est l'inventeur du procede au moyen duquel Dijon a ete eclair e pendant trois an- nees, qui est encore employe aujourd'hui a Madrid , et qui vient d'etre introduit a Manchester. Deja.M. Jobard a fait connaitre a FAcademie des sciences, dans sa seance du 8 juillet 1853, qu'au moyen d'un bee special il etait parvenu a obtenir , avec un egal volume de gaz, plus de lumiere qu'on n'en obtient ordinairement avec les bees usuels. La commission nommee par FAcademie pour examiner cette nouvelle disposition a constate qu'elle presentait 104 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. une economie de 35 pour 100; c'.est-a-dire que s'il faut, pour obtenir une intensite lumineuse donnee, 100parties.de gaz avec les anciensappareils, il enfau- dra environ 65 seulement avec le nouveau. M. Payen, rapporteur de la commission, presenta, le 21 novem- bre 1853, un rapport favorable sur l'invention de M. Jobard, et l'Academie a adopte les conclusions du rapport. L'inventeur , en poursuivant ses recherches , vient de modifier encore son systeme , et c'est ce nouveau bee perfectionne qu'il presente a la section. Au moyen de modifications faites a l'appareil primitif , et qui ont toutes pour point de depart le principe enonce precedemment, lequel consiste a alimenter la flamme avec de l'air echauffe, il est arrive a realises 50 pour 100 d'economie sur les bees ordinaires. M. Jobard fait observer qu'il ne revendique pas la priorite de cette idee consistant dans l'emploi de l'air chaud.il connaitparfaitementla disposition employee par M. Chaussenot , et qui consistait dans Tusage d'une double cheminee en verre. L'air s'echauffait en traversant l'intervalle des deux tubes concentriques. L'economie fournie par cette disposition etait aussi de 33 pour 100; mais elle presente des inconvenients qui n'ont pas tarde a faire renoncer a son emploi : Fun des verres s'echauffait trop fortement, de maniere meme a se fondre, et les cheminees devaient etre fre- quemment renouvelees. Cet inconvenient disparait dans le systeme de M. Jobard, qui , perfectionne, ob- tient, comme nous Tavons dit ; une economie de 50 pour 100. VINGT-UNIEME SESSION. 105 Un autre point de vue rend tres-interessante et tres- feconde l'idee que vient de developper M. Jobard. On sait que laquantite de gaz brule par le consommateur est determinee au moyen d'appareils speciaux desi- gned sous le nom de compteurs; or le nouveau bee rend ces appareils inutiles. L'arrivee de Fair est re- glee de telle sorte, qu'on sait tres-exactement com- bien il en entre dans la cheminee pendant un temps donne. Cette quantite d'air peut etre employee a me- surer le volume de gaz qu'elle est destinee a bruler, et il est impossible au consommateur de faire varier ce dernier; car, la proportion d'air restant la meme, puisqu'elle est determinee par les dimensions de l'ap- pareil, si on augmente l'afflux du gaz , il en resultera une combustion incomplete qui ne permettra pas de profiter de cette augmentation frauduleuse dans la proportion du gaz. M. Jobard signale, en terminant sa communica- tion, une disposition tres-simple, qui permet de rea- liser une economie notable sur les cheminees ordi- naires. Elle consiste a placer sur ces cheminees une lame mince de mica, entouree d'un cercle de cuivre et percee de trous. I/un de ces trous est assez grand et situe au centre ; les autres, plus petits, entourent le premier. II est facile de constater les avantages de cette addition : il suffit de diminuer l'afflux du gaz, de maniere a oblenir une lumiere insuffisante, puis de placer la petite plaque; immediatement la flamme augmente de volume, et l'intensite lumineuse est ac- crue d'une maniere tres-sensible. M. Jobard decrit ensuite et fait fonctionner une pompe nouvellement inventee par lui, et qui presente 106 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. une serie de qualites que Ton ne rencontre jamais reunies dans les appareils de ce genre. Elle est sans piston, sans soupape, sans glissiere et sans robinet, bien qu'elle soit aspirante et foulante, a jet continu, et qu'elle garde son amorce. Une invention ne peut etre regardee comme par- faite, dit M. Jobard , que si elle contrefait une des oeuvres du grand inventeur qui nous a donne des spe- cimens de toute espece. Or , la sienne est basee sur limitation de la traction du lait : il tire l'eau de la citerne par un procede analogue a celui que Ton em- ploie pour tirer le lait de la vache. II emploie un tube de caoutchouc vulcanise , et fait le vide dans ce tube au moyen de la pression exercee par un cylindre ro- tatif. Comme le tube serait refoule et marcherait de- vant le cylindre, il le met a l'abri de cet inconvenient, qui a fait echouer sans doute tous ceux qui ont es- saye de profiter des proprietes du caoutchouc vulca- nise dans le meme but. La veritable invention du directeur du musee industriel beige est d' avoir trouve le moyen de presser le tube sans frottement; la matiere qui le constitue ne s'use pas par suite de cette pression; on sait de plus qu'elle est inalterable sous Taction de presque tous les reactifs a la temperature ordinaire. Cette pompe ne pent etre arretee par les corps etrangers qu'elle aspire. M. le baron Seguier a de- montre a l'Academie des sciences qu5un poisson meme ne pouvait etre blesse en la traversant. M. Jobard ajoute qu'il croit mettre sa decouverte a Vabri de la contrefacon en la faisant connaitre. II est persuade que la notoriete, la publicite, est la meil- leure sauvegarde de la propriete\ II est a souhaiter VINGT-UN IEMK SESSION. 107 que cette metbode de prendre possession des inven- tions reussisse et trouve beaucoup d'imitateurs. M. Jobard appelle enfin l'attention de la section sur un travail dont il est 1'auteur, et auquel il a donne pour litre : Memoir e des yeux appliquee a Venseigne- ment du dessin. Apres avoir fait remarquer que tous nos sens sont susceptibles d'etre exerces et d'atteindre un degre de perfection dont heureusement nous ne voyons pas le terme, M. Jobard rappelle qu'on a exerce la me- moire intellectuelle, le sens du tact, Tome, le gout, et ineme l'odorat, mais que la vue n'a jamais ete l'objet d'etudes speciales sous ce rapport. On n'a pas encore songe a creer une memoire des yeux, organes desti- nes a nous rappeler les formes et les couleurs des ob- jets. On sait que nos sens s'engourdissent faute d'exer- cice, tandis que tous peuvent pretendre a une grande perfectibilite, qui ne saurait etre developpee qu'a la condition qu'on les exercera d'une maniere inces- sante. M. Jobard pense qu'on rendrait a la science du dessin, et aux arts en general, un grand service, en habituant l'oeil a retenir longtemps l'impression des objets qui l'ont frappe. C'est a Tapplication de cette faculte tres-developpee chez eux que plusieurs de nos artistes, parmi lesquels nous citerons Horace Yernet, Charlet, Granville, doivent le talent aimable et facile qui leur a ouvert, a leur insu, une route nouvelle. Au- cun d'eux ne s'est rendu compte des causes qui leur avaient fait abandonner les voies de la routine, et il leur aurait ete difficile de communiqueret de repandre une metbode qui pourrait conduire surement vers le 108 CONGRES SCIENTIFIQUE 1>E FRANCE. raeme but les intelligences ordinaires. II y a done un service reel rendu aux arts dans la mise au jour d'un systeme produisant par des moyens certains les resul- tats que nous venons d'indiquer. M. Jobard developpe sa methode. Elle consiste a tracer devant les eleves , sur un tableau , successive- ment des lignes, des traits formant des figures de plus en plus compliquees, des dessins ombres, des ta- bleaux, etc. Le modele reste pendant quelque temps sous les yeux des eleves; une toile tombe pour le de- rober a leurs regards, et chacun est des lors oblige de reproduire aussi exactement qu'il le peut l'original. On peut arriver ainsi, par un exercice de trois a qua- tre mois, a reproduire les dessins les plus compliques. L'invention de M. Jobard est deja un peu ancienne; son idee a ete fecondee par plusieurs praticiens qui Font appliquee sans citer le nom du premier inven- teur, et en ont obtenu d'excellents resultats. Pour donner une idee de l'importance de cette me- thode et de son utilite pratique , M. Jobard rappelle le trait suivant emprunte a son travail original : « Carle Vernet, reprochant a son fils Horace de ne pas suivre assidument ses etudes d'atelier, lui disak : Si tun'etudies pas davantage, tu ne feras rien; ce n'est pas a la chasse qu'on apprend a dessiner. — Pardon, mon pere, repondit notre illustre peintre : j'etudie mes chiens, mes chevaux; je les regarde sauter, et je re- tiens leurs allures et leurs habitudes. — En ce cas, dit le pere, qui sut comprendre immediatement toute la methode, je t'engage a continuer. » M. le president annonce que la section se reunira demain a l'Arquebuse , a Theure ordinaire de ses VINGT-UNIEME SESSION. 109 seances, pour visiter le Jardin botanique et les gale- ries d'histoire naturelle de la ville. La seance est levee. Ladrey, secretaire. Visitc an Musee d'histoire naturelle, an Jardin botanlqne et a rArquennse. Le 15 aout, a l'heure ordinaire de ses seances, la section s'est reunie au musee d'histoire naturelle de la ville. M . Nodot, directeur de ce musee et conservateur des collections, s'est empresse de donner aux membres de la section d'interessants details sur l'origine de cet etablissement et les objets les plus curieux qu'il ren- ferme. Les collections sont etablies dans une vaste galerie qui occupe tout le premier etage des batiments de la promenade de 1'Arquebuse. Elles embrassent la mineralogie, la geologie et la zoologie, et offrent, pour l'etude de chacune de ces parties de la science, des ressources bien suffisantes. Elles se font surtout remarquer par 1'ordre qui regne dans les diverses parties , le classement complet et exact de tous les echantillons et de tous les individus. Nous signale- rons d'une maniere toute particuliere, a cause de son importance locale, une serie complete des roches, des mineraux et des fossiles du departement de la Cote- d'Or. Le developpement donne a cette partie de la collection montre que le savant directeur de ce musee a parfaitement compris sa mission; car si nos etablis- sements de province ne peuvent aspirer qu'a recueillir les specimens les plus curieux et les plus utiles de 110 CONGRES SCIENTIPIQUE DE FRANCE. Phistoire naturelle considered en general, ils doivent au contraire fournir l'etat le plus complet de toutes les productions locales. C'est par ce cote surtout qu'ils offrirent toujours aux savants etrangers un veritable interet. L'attention de la section se porte sur les restes fos- siles d'un animal gigantesque, dont M. Nodot vient de terminer une admirable restauration. Cet animal a ete trouve dans les terrains tertiaires superieurs des environs de Montevideo ; les debris en ont ete legues a la ville par M. le vice-amiral Dupotet. M. le direc- teur du musee se propose de publier incessamment la description de cet etre curieux. La piece toute mon- tee se compose de la carapace complete, d'une portion notable de la tete et des membres, et de la queue pres- que entiere. La longueur totale de l'animal est de pres de quatre metres; la largeur et la bauteur de la cara- pace depassent chacune un metre, Ces nombres don- nent une idee de la grande taille de ce fossile, qui se rapprocbe beaucoup des glyptodons, genre voisin des tatous. M. de Caumont remercie M. Nodot des details in- teressants qu'il a donnes sur cet animal , et le felicite d'avoir enrichi la science par une decouverte impor- tante, en faisant connaitre dans son ensemble un etre dont on n'avait observe jusqu'ici que des fragments. Apres cet examen , la section a parcouru le Jardin botanique, etabli egalement a cote de la promenade de TArquebuse, a laquelle il a ete reuni depuis peu. Elle a visite les serres, l'ecole de botanique, l'ecole d'ar- bres fruitiers, une fort belle collection de vignes, en- fin le musee de botanique, qui, outre un berbier tres- VINGT-UNIEME SESSION. Ill important, renferme deja un grand nombre d'objets curieux. La collection de vignes que possede le Jardin bo- tanique de Dijon a ete commencee sous la direction de M. Morland, et continuee avec le plus grand suc- ces par M. Fleurot, qui enpubliale catalogue en 1840. Nous y trouvons Vindication suivante, qui montre suf- fisamment la richesse de cette collection : « Ces ele- ments furent reunis en 1834. lis sont dus a un envoi d'un grand nombre de varietes extraites du Jardin de Montpellier, a un choix de trente varietes provenant du Jardin de Geneve, recues de M. le professeur Alph. de Candolle. En 1836, MM. Baumann freres en four- nirent soixante-sept varietes tirees de leur bel etablis- sement horticole; enfin, a ces envois on doit aj outer environ cent varietes offertes au Jardin par divers proprietaires de Dijon, et notamment par M. Demer- mety. » Depuis cette epoque, le nombre des varietes a ete presque double, grace aux soins du directeur actuel, M. Lavalle, qui publie en ce moment le catalo- gue complet de toutes les plantes cultivees dans le Jardin. Nous y trouvons cinq cent douze varietes de vignes, auxquelles il en faut aj outer plus de soixante non encore determinees. Nous citerons encore parmi les objets qui devaient attirer l'attention de la section l'arbre colossal qui se trouve dans le Jardin de l'Arquebuse, reuni, comme nous l'avons dit, au Jardin botanique. Cet arbre ap- partient a l'espece dupeuplier noir (populus nigra JL.). Sa hauteur au-dessus du sol est de 37 m. et quelques centimetres; la circonference du tronc au ras du sol est de plus de 1 5 m. A 30 cent, de hauteur on trouve, 112 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. pour cette meme circonference, 12 m.; a 2 in. de hauteur, 7 m. 25 c. ; a 5 m. de hauteur, 6 m. 55 c. Arrive a une hauteur de 8 m. , l'arbre se divise en deux branches qui offrent Tune une circonference de 4 m., et l'autre de 5 m. 90 c. II se divise de nouveau en deux autres branches a une elevation de 15 m. Son volume est evalue a pres de 55 m. cubes. Chaque annee les branches les plus tenues se cou- vrent de feuilles et de fleurs. L'etat actuel de la vege- tation indique une sante tres-florissante, et rien ne peut faire supposer une prochaine destruction. M. Lavalle est arrive, par la comparaison d'une branche coupee avec le tronc, a etablir 1'age approxi- matif de cet arbre : il a trouve le chiffre de 400 an- nees, qu'il regarde comme etant plutot trop faible que trop eleve. Les indications donnees par une piece trouvee aux archives du departement de la Cote-d'Or conduisent de leur cote a placer sa naissance dans la seconde moitie du quatorzieme siecle, ce qui lui don- nerait environ 450 ans d' existence. SEANCE DU 16 AOUT. Presidence de II. Gaulio. Les proces-verbaux des deux precedentes seances sont lus et adoptes. M. de Caumont donne quelques details sur la for- mation d'une nouvelle societe fondee a Paris sous le nom de Societe d'acclimatation, et fait connaitre lebut YINGT-UNlEME SESSION. 113 qu'elle se propose d'atteindre. II rappelle qu'il existe depuis longtemps en Angleterredes societes analogues qui deja sont parvenues a introduire et a aeclimater dans nos pays plusieurs plantes utiles appartenant aux autres continents. Plusieurs proprietaires francais ont pu profiter des bienfaits de cette acclimatation; et on peut citer entre autres plusieurs especes de coniferes dont Introduction chez nous a parfaitement reussi. La societe de Paris s'occupe plus specialement de l'acclimatation des animaux. Elle a publie un pro- gramme detaille de ses projets et des differentes ques- tions qu'elle se propose d'eclaircir. Elle se met a la disposition de toutes les personnes qui voudraient nourrir ou elever des animaux etrangers et se charge de leur procurer les animaux qui seront le point de depart de ces essais. Parmi les especes deja repandues, M. de Caumont cite le cerf-cochon, qui est d'une taille peu elevee, et qui n'exige pas pour son developpement un espace tropvaste. Cet animal pullule beaucoup, etfournit une cha:r qui est bonne a manger. II signale aussi l'in- troduction des poulesde la Cochinchine, dont la chair n'est pas tres-bonne, mais qui sont d'excellentes cou- veuses et servent a la reproduction des autres. Ces poules couvent pendant longtemps sans se fatiguer. On peut leurdonner jusqu'a troisetmeme quatre cou- vees de suite sans interruption; mais il vaut mieux laisser quelques jours d'intervalle entre chaque cou- vee, et alors une poule pourrait donner jusqu'a cinq ou six couvees par an. Aussitot que les petits sont eclos, une autre poule est employee a les conduire, et 114 CONGRESS SC1ENTIFIQUE DE FRANCE. alors la premiere peut se remettre a couver immedia- teraent. On peut leur donner jusqu'a soixante ou quatre-vingts oeufs , et en restreignant le nombre a cinquanle, on aura encore, pour trois couvees conse- cutives, le chiffre considerable de cent cinquante pous- sins. M. Jobard donne quelques details sur les couvees artificielles, et fait connaitre un procede employe dans quelques localites pour conserver les oeufs : on les enveloppe d'argile mouillee et salee, et on les dispose en tas. Le sel penetre lentement dans Foeuf par endos- mose. Au bout d'un certain temps, on enleve l'argile avec de Teau , et les oeufs peuvent des lors se conser- ver longtemps sans alteration. M. de Caumont donne ensuile quelques details sur un travail de M. Dubreuil ayant pour objet l'accrois- sement des arbres exogenes , et insiste sur les avan- tages que presenteraient des etudes analogues entre- prises dans d'autres localites. Les experiences de M. Dubreuil ont etefaites dans la Seine-Inferieure. Le probleme a resoudre est celui-ci : Etant donne un cer- tain nombre d'especes ligneuses forestieres placees sous Tinfluence des memes circonstances? determiner d'une maniere precise le developpement. que chacune d'elles peut acquerir dans le meme temps. Lorsque les arbres sont abattus, on peut determi- ner facilement leur age en comptant le nombre de couches concentriques qu'ils presentent; mais quand ils sont encore debout , on ne peut y arriver que dans des circonstances particulieres. M. Dubreuil, ope'rant dans des pares ou des jardins qui avaient ete plantes a des epoquesbien connues, a pu mesurer un nombre VINGT-UNIEME SESSION. 115 d'arbres tres-considerable , et est arrive a reunir sur la question precedente des documents tres-importants etbien propres a faire ressortir tout l'interet qui s'at- tache a la continuation de ces recherches. Dans ces observations, il faut avoir soin de men- tionner, outre la localite et le nom de l'espece, la nature du sol, la sorte de plantation en futaie ou sur taillis. M. de Caumont insiste sur les avantages que pre- sentent ces etudes, et il demande que des observations analogues soient entreprises a Dijon , soit au Pare , soit au Jardin botanique. M. Paris fait connaitre un procede dont il est l'in- venteur, et qui permet de prendre l'empreinte des me- dailles au moyen d'un metal avec autant de facilite qu'avec le platre ou le soufre. II designe cette methode sous le nom de procede electro-metallurgique de re- production des medailles. 11 suffit de verser dans un cadre en bois de Talliage fusible et d'imprimer la me- daille sur Falliage encore mou , par un simple choc : on obtient par cette premiere operation un moule en creux. Cette operation repetee sur cette premiere em- preinte en donne une seconde presentant exactement le relief et l'apparence de la medaille, M. Paris ajoute qu'on peut facilement recouvrir de cuivre ces diffe- rents moules, par l'immersion, sous Tinfluence d'un courant, dans une dissolution, d'un fil de cuivre, d'ace- tate, par exemple. Cette operation se fait tres-rapide- ment : en une heure, on peut facilement obtenir douze exemplaires d'une medaille. M. Paris presente a la section plusieurs medailles obtenues par ce procede. 110 COiNGllES SCIENTIFIQUB DE FRANCE. M. de Caumont demande la parole pour remercier, au nora de la section , M. le president de l'assiduite avec laquelle il a bien voulu diriger ses travaux, et du haut interet qu'il a montre pour tout ce qui inte- ressait en general les operations du Congres. M. le president adresse ses remercimenls a la sec- tion. II lui annonce que, Tordre du jour etant epuise, ses travaux sont termines, et il leve la seance. Ladrey, Secretaire des l?e et Ge sections reunies. YINGT-UNIEME SESSION. 117 SECONDE SECTION. AGRICULTURE, COMMERCE ET INDUSTRIE. SfiANCE DU 10 AOUT. Prfeidence dc H. Delourbet el de H. le comte d'Eslerno La seance est ouverte sous la presidence de M. De- tourbet, secretaire general, assiste de MM. de Cau- mont, H. Baudot, Tardy secretaire, Guindey, Berard et Genret-Perrotte , secretaires adjoints. Un scrutin est immediatement ouvert pour la nomination defini- tive du bureau. Par suite du depouillement de ce scrutin, M. d'Es- terno est proclame president de la section d'agri- culture, et MM. Marion, Bonnet, Challes et Lebrun, vice-presidents ; mais M. Bonnet annonce qu'il ne peut accepter,, attendu que ses affaires personnelles ne lui permettront pas d'assister aux seances qui sui- vront la seance actuelle. M. d'Esterno occupe le fauteuil , remercie l'assem- blee de l'bonneur qu'elle lui a fait, et indique que Ton va recueillir les noms des membres du Congres qui desirent prendre la parole sur chacune des questions du programme. Lors de la discussion, la parole sera accordee a ces messieurs dans l'ordre de leur inscrip- tion. II demeure conyenu cependant que les personnes 118 CONGRES SCIENT1FIQUE DE FRANCE. qui auront a fournir des observations seront enten- dues apres les orateurs inscrits. La premiere question miseen deliberation est celle- ei ; Quelles sont les causes qui ont empeche l'agriculture en France de faire des progres aussi rapides que ceux accom- plis dans les autres branches de l'industrie nationale ? Cette inferiority ne tient-elle pas a des circonstances de notre organisation interieure et a la direction de notre edu- cation, de sorte que les banques agricoles et les encoura- gements distribues par le pouvoir seront toujours insuffi- sants pour elever notre agriculture au niveau qu'elle de- vrait occuper? Pourquoi cette lenteur relative des progres agricoles ne se fait-elle pas remarquer en Angleterre ? Selon M. Feuillet, de Lyon, une des causes de la lenteur des progres agricoles provient de la mauvaise direction donnee soit a l'education generale , soit a l'education agricole elle-meme. On insiste trop sur les notions de theorie, et pas assez sur l'enseignement pratique. M. Feuillet voudrait que des professeurs d'a- griculture fussent envoyes dans les campagnes, et charges de faire connaitre de vive voix les methodes les plus avancees de culture, d'en demontrer les avan- tages, et d'exciter ainsi les cultivateurs a les mettre en pratique. De cette mauvaise direction de l'education merae agricole, de la position malaisee dans laquelle restent arretes les agriculteurs routiniers, resulte une tendance a sortir de sa condition, qui est une des plus grandes plaies du pays. II faut revenir a ce qui se pra- tiquait autrefois : le fils du cultivateur continuait l'ex- ploilation paternelle et la perfectionnait. Une autre eirconstanee aussi serait de nature a exercer une V1NGT-UNIEME SESSION. J 19 grande influence sur lesprogres agricoles: ce serait le cas ou il s'etablirait des relations plus frequentes et plus intimes entre le fermier et le proprietaire. Celui- ci pourrait alors, a l'instar des proprietaires anglais, aider le fermier de ses capitaux ; il l'aiderait surtout de ses conseils, s'il avait appris, par des observations et des etudes serieuses, a juger lui-m&me de la valeur des methodes nouvelles. On reconnaitrait bientdt les resultats de cette bienfaisante influence. M. de Caumont attribue aussi la lenteur des pro- gres dont on se plaint au defaut d'initiative de la part des proprietaires. On laisse tout aller de soi-meme, et Pamelioration arrive comme elle peut. En Angleterre, au contraire, proprietaires, gouvernement , societes d'agriculture, ont agi avec ensemble et sur la plus vaste echelle. Si une race de betail, si une pratique agricole, sont reconnues avantageuses, on sacrifie des sommes considerables pour les propager; on prodigue les capitaux aux hommes qui ouvrent une voie nou- velle, et Ton a ainsi imprime a l'agriculture une mar- cbe aussi rapide que celle imprimee a l'industrie ma- nufacturiere. M. Berard signale de son cote les inconvenients des baux trop courts. Le fermier ne veut pas consacrer de fortes sommes a l'achat d'engrais dont il sera force de laisser une partie dans le sol. II est occupe , pen- dant les trois dernieres annees, a ramener la terre a Tetat oil il l'a recue , de sorte que le point de depart est toujours le meme. Nos fermiers sont encore tres- souvent trop pauvres : ils manquent du capital circu- lant pour se livrer aux ameliorations. Trop peu avan- ces pour vouloircourir les chances d'une amelioration, 120 CONGRES SCIENTIFI^UE DE FItASCE. ils n'osent tenter aucune experience, meme celle qui presenterait des chances* favorables. M. Baudot croit que la trop grande division de la propriete produit un effet Tuneste sur l'avancement de la culture, en reduisant les exploitations a des pro- portions ou les methodes nouvelles et les assolements perfectionnes ne sont plus applicables. II deplore la tendance de Teducation, qui conduit dans les villes les fils des cultivateurs, et interrompt ainsi a chaque ge- neration les traditions puisees dans la pratique pater- nelle. M. d'Esterno impute la plus grande partie du mal a l'absence des capitaux dans les mains des cultiva- teurs. II resulte de la qu'il ne peut incorporer au sol une somme assez grande pour le porter a un haul degre de fertilite. II y aurait, dans son systeme, neces- site de developper le credit agricole mobilier , et de faire en sorte que le fermier put offrir sur son betail et sur les produits recoltes une garantie pour les ca- pitaux dont il a besoin. Le pouvoir devrait ouvrir de larges debouches aux denrees agricoles, loin d'en pro- hiber ou d'en imposer la sortie, comme la chose a lieu dans certaines circonstances. La culture oil le capital abonde, celle qui livre ses produits a des prix avanta- geux, doivent prosperer; car c'est, en dernier resul- tat, l'argent confie a la terre qui est le plus puissant agent de fertilite. II existe, enfin, au prejudice de Fa- gricullure, une inegalite choquante dans les droits de douane, qui sont destines a proteger le cultivateur et 1'industriel. Si le premier est protege par un droit de 10 pour 100, le second est soutenu par un droit qua- \'ingt-uni£me session. 121 druple, de sorte que le cultivateur perd sur le fer dont il a besoin plus qu'il ne gagne sur le ble qu'il vend. Et, se resumant , M. d'Esterno formule les propo- sitions suivantes : Premiere proposition. Organisation du credit a court terme ou credit mobilier agricole, fondee sur les principes suivants : 1° Que tout agriculteur puisse donner une garantie effec- tive sur ses bestiaux, ses recoltes et ses autres valeurs mobilieres non engagees, au moyen d'une consignation a domicile ; Que le detournement des valeurs donnees en garantie soit considere comme vol domestique et puni de 2° Que lorsqu'un campagnard se trouvera au-dessous de ses affaires et demeurera sous le coup d'une dette qu'il ne pourra payer, son insolvabilite soit declaree sans frais par le tribunal, a la suite du certificat de carence, et re- coive de la publicity. Deuxieme proposition. Reforme des tarifs dans le sens de legalisation de la protection accordee aux produits agricoles et industriels, de sorte que si cette egalisation ne peut etre atteinte, on fasse du moins quelques pas pour s'en rapprocher. — Levee des prohibitions ou droits a l'exportation. MM. Detourbet et Tardy ne voudraient pas, de leur cote, que Ton fit jouer a Pabsence du capital un role qui est loin de lui appartenir. Et d'abord, n'est-il pas evident, selon M. Detourbet , que la petite propriete, dont nous sommes loin d'avoir a nous plaindre, pos- sede en elle-meme le capital d'amelioration dont elle a besoin ? C'est du travail qu'elle incorpore au sol. Ce fonds ne lui manquera pas. II s'agit seulement de lui montrer de quelle maniere il peut etre employe avec le plus de profit. M. Tardy fait remarquer a son tour 122 CONGRES SClENTIFlQUli DE FRANCE. qu'il existe toujours un certain nombre de proprie- taires cultivateurs qui vivent sur une propriete suffi- samment etendue, l'exploitent par eux-memes, et ob- tiendraient facilement les fonds necessaires pour se livrer aux ameliorations que la science vient de temps a autre leur proposer. Mais si Ton examine ces cul- tures, on reste conyaincu qu'elles sontdirigees d'apres les memes principes que les cultures voisines, et ne font pas des progres plus rapides. Si ces cultivateurs aises prosperent, c'est parce qu'ils sont les premiers ouvriers de leur exploitation ; ils ne confient pas un sou de plus ausolqueleursvoisinspluspauvres qu'eux. Le mal veritable n'est done pas dans l'absence des capitaux; il prend sa source dans l'opinion malheu- reusement repandue au sein de nos campagnes, que la culture est le dernier des etats, le plus penible de tous. C'est de la que resulte cette tendance generale qui en- traineles habitants des campagnes a affluer sans cesse vers les villes pour y conquerir des positions indus- trielles ou retribuees par le gouvernement. Les capi- taux que pourraient obtenir les cultivateurs au moyen des institutions proposees alimenteront encore cette tendance. Ils seront consacres aenvoyer les enfants au college ou bieri a des acquisitions d'immeubles. Serait-il possible de reduire cette tendance funeste a de justes proportions? II semble a l'auteur de ces reflexions qu'un moyen d'y arriver serait de diminuer le nombre des fonctions retribuees par le tresor pu- blic: l'appat serait ainsi diminue, et la tentation moin- dre. Loin de favoriser, il faudrait reprimer au moins par l'opinion toutes les depenses du luxe artificiel et . outre qui nous envahit. Le luxe des villes, en aug- VhNGr-UNIEME SESSION. t 23 mentant sans mesure, engendre, pour l'habitant du village, un attrait irresistible, d'autant plus qu'il se regarde comme condamneinjustement a le produire: alors il fait tous ses efforts pour faire passer ses en- fants de la classe payante a la classe payee. Enfin,une derniere circonstance merite d'etre si- gnaled : c'est la disposition des aides agricoles a executer avecplus de negligence lestravaux manuels lorsqu'ils sont faits pour le compte des cultivateurs plus aises, et surtout lorsqu'il s'agit de cultivateurs ayant les ha- bitudes et les apparences de la fortune. Dans ces cir- constances, le travailleur part de 1'idee que le maitre n'a pas besoin de gagner, et agit en consequence. Aussi les travaux qui lai sont confies, dans ces con- ditions, coiitent plus et rendent moins. M. d'Esterno a oppose deux reponses aux opinions exposees par MM. Detourbet et Tardy. II lui a paru d'abord possible de faire disparaitre l'influence du mauvais travail : c'est d'agir avec le sol de telle facon que le capital employe devienne le principal multipli- cateur de la fecondite, et la perte eprouvee sur le tra- vail manuel pourra etre negligee. D'un autre cote, rien n'empeche de faire a la culture des avances autres que des avances en numeraire. Presque partout le culti- vates ne possede pas le nombre de bestiaux suffisant pour porter sa terre au maximum de produit : qu'on lui avance alors ce betail, en amelioranttoutefois.les lois qui l'empechent d'en disposer au prejudice du preteur. M. Lebrun n'invoque pas non plus le secours des capitaux : il se borne a conseiller au cultivateur d'ele- verune plus grande quantite de betail, et lui indique 124 COISGUES SCIENTIFIQUE DR FRANCE. les moyens de le nourrir. Yoici, en peu de mots, les bases essentielles du systeme qu'il propose : Presque toutes les exploitations agricoles marchent aujourd'hui avec une certaine quantite d'engrais dis- tribuee annuellement sur les terres destinees a porter du ble; mais cette quantite est toujours insuffisante. Une premiere modification a apporter a cet etat de choses deplorable, ce serait de consacrer a des plantes fourrageres l'espace occupe par les plantes sarclees. On augmentera ainsi les fourrages, et par suite la. quantite de fumier. Le cultivateur y gagnera en outre la perte qu'il eprouve sur les plantes sarclees. Rien done ne s'oppose a cette premiere tentative. Plus tard, on convertira encore en prairies artificielles la moitie de l'espace attribue aux avoines, et Ton aura soin d'ap- pliquer directement aux fourrages toute la masse des iumiers dont il sera possible alors de disposer. On ver- rait ainsi la fertilite du sol se developper rapidement, l'espace restreint accorde aux cereales produirait plus que la place plus grande qui leur est faite aujourd'hui, et les frais de main-d'oeuvre seraienl diminues. Par ce moyen, l'amelioration se produira d^elle-meme, sans secours etrangers. L'agriculture recueillera dans son sein tout ce qui lui est necessaire. M. le general Remond pense aussi que la prospe- rite de l'agriculture depend de la production d'un nombreux betail. II conseille, en consequence, la cul- ture du chou branchu du Poitou. Ce fourrage est cul- tive dans la Mayenne, ou il produit une grande abon- dance de nourriture animale, et offre au cultivateur un moyen facile d'augmenter la quantite des fumiers dont il peut disposer. VINGT-UNIEME SESSION. 125 II resulte de cette discussion que les causes de la lenteur des progres de l'agriculture en France sont plus nombreuses que Ton ne paratt le penser ordinai- rement. II serait a desirer qu'une instruction pratique plus etendue put etre donnee aux cultivateurs; que les pro- prietaires, de leur cote, par une etude plus serieuse des principes de l'agriculture, se missent a raeme d'etre d'utiles intermediates entre la science et leurs fer- miers; que Ton rendit plus facile l'obtention des capi- taux destines a etre incorpores au sol ; en outre, que Ton fit tous ses efforts pour diminuer les emigrations qui se dirigent de la campagne vers les villes. II sem- ble , enfin , que Ton peut recommander a Pattention des cultivateurs certaines pratiques qui seraient de nature a provoquer raugmentation du betail, etdont l'adoption serait une chose utile. Le proces-verbal signale deux de ces pratiques. L'examen des questions suivantes a ete renvoye a la prochaine seance. L. Tardy, secretaire. STANCE DU 11 AOUT. Prfeidence de M. d'Eslerno. M . le president ouvrela deliberation sur la deuxieme question du programme, ainsi concue : Quels seraient les moyens d'empecher les habitants des campagnes de venir se fixer dans les villes, ainsi qu'ils le 1*26 CONGRKS SCTENTIFIQUE 1)E FRANCE. font aujonrd'hui t — Moyens de remedier a cette tendance qui prive ('agriculture tout a la fois des intelligences et des capitaux sans lesquels elle ne peut prosperer. Serait-il possible d'augmenterle taux des salaires payes pour les travaux agricoles , ou au moins d'offrir aux bras des aides agricoles un travail plus frequent et plus suivi, de maniere a les placer dans une situation moins difle- rente de celle dont jouissent les ouvriers de la ville ? M. Feuillet fait remarquer que cette question a deja ete traitee, quant a certaines des faces qu'elle presente, dans la discussion qui a occupe la premiere seance. L'Assemblee constituante l'avait posee en 1848, el n'avait pu la resoudre; on avait parle de contrainte morale, sans pouvoir rien formuler de praticable. Peut-etre MM. les cures et MM. les instituteurs arri- veraient-ils a demontrer aux cultivateurs que la ten- dance a laquelle ils obeissent est funeste meme pour eux. II pense aussi que l'usage de contracter des baux plus longs attacherait les families au sol par des liens moins faciles a rompre. M. de Caumont appuie \i\ement le parti que Ton pourrait tirer de Tinfluence exercee par MM. les cures et par les instituteurs; mais, abordant la seconde par- tie de la question, il ne lui parait pas desirable que les salaires agricoles soient augmented. Ils sont suffisants dans les conditions de vie ou se trouve le travailleur fixe a la campagne, et Ton doit reflechir qu'une aug- mentation de salaire aurait pour consequence une augmentation du prix des marchandises de premiere necessite, cequi ne laisserait pas d'avoir son mauvais cote. M. Lebrun regarde le salaire de chaque journee comme suffisant; mais, d'un bout de 1'annee a Paulre, VINGT-UNIEME SESSION. 127 il n'y a pas, pour le travailleur, un nombre dejour- nees suffisant d'employees. Le manoeuvre quitte la campagne parce que son salaire annuel est faible; le fermier fait de meme, parce que ses benefices sont egalement minimes. Creons un travail plus frequent, amenons la culture a une organisation plus produc- tive, et nous aurons ameliore la condition de l'ouvrier agricole sans elever le prixdes produits agricoles. Or, la chose est, suivant lui, possible. A l'appui des idees de M. Lebrun, M. Guindey fait remarquer que dans les pays de fabrique oil les tra- vailleurs sont dissemines dans la campagne, ils ne recoivent pas des salaires plus eleves que les ouvriers travaillant a la terre; ils en recoivent meme de plus faibles, et cependant ils ne courent pas a la ville. La continuite du travail offert lui parait done d'une impor- tance reelle. On parviendra naturellement, par Pappli- cation des machines a l'agriculture, par une direction plus savanle du travail, on parviendra a augmenter le produit brut, et les salaires seront infailliblement augmented. M. d'Esterno invoque , pour garantie de ce resul- tat, ce qui s'est passe en Angleterre. Dans ce pays, le produit annuel de la population rurale est d'environ 660 fr. par tete, tandis qu'en France il n'est que de 250 fr. par tete. II est clair qu'en Angleterre on peut retribuer cette population beaucoup plus cherement qu'en France, sans pour cela lui attribuer une part pro- portionnellement plus forte dans les produits. II faut, du reste, reconnaitre que, toute deduction faile de la moindre valeur de l'argent en Angleterre , le travail- leur agricole recoit dans ce pays un salaire plus eleve 128 CONGBES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. que celui qu'il obtient en France, surtout dans les lo- calites eloignees des grandes villes. M. le general Raymond invoque de son cote, dans cette circonstance, l'autorite du chimistePayen. L'ou- vrier agricole ne consomme pas en viande ou en sub- stance azotee la moitie de la quantite consommee par l'ouvrier de Paris; son regime est d'une insuffisance reelle sous ce rapport ; il est vraisemblable que cette insuffisance le place dans une condition hygienique defavorable. On passe a l'etude de la question portee sous le n° 3 du programme : L'agriculture est-elle suffisamment progressive en France pour que l'on puisse espe>er qu'elle continuera encore longtemps a fournir aux besoins dela population, en sup- posant que celle-ci suive,, dans l'avenir, la marche ascen- dante qui s'est faitremarquer depuis le commencement du siecle? Celte question donne lieu a une assez longue dis- cussion. Qu'il soit permis au secretaire de ne rappor- ter que la partie des opinions emises qui lui a paru avoir un trait plus direct a la solution proposee. M. Lebrun parle le premier. II rappelle que la po- pulation en France a double depuis un siecle et demi; mais il fait remarquer que Taccroissement, qui avait d'abord eterapide, s'est seusiblement ralenti depuis le milieu de la derniere periode de 50 ans. II resulte de la , suivant lui , que l'agriculture a cesse de fournir completement aux besoius du pays; encore, ajoute- t-il, elle n'a fourni cette incomplete sustentation qu'au moyen de ressources temporaires ou extraordinaires : elle a du defricher 1 5 millions d'hectares de forets ou YINGT-UN1EME SESSION. 129 de Liens communaux. Avisons done et avisons promp- teraent, si nous ne voulons voir decroitre la popula- tion, qui est la source de toule puissance. M. l'ingenieur Laborie est d'accord avec M . Lebrun sur un point, e'est que l'accroissement de production doit preceder l'augmentation de la population. II ne discute pas le point de savoir si l'accroissement de la population a ete, a une certaine epoque, plus rapide ; mais il lui semble que la production du sol a ete trop considerablement augmentee pour que Ton puisse l'ac- cuser d'etre a peu pres stationnaire. Si Ton examine la production annuelle du froment , on voit qu'il ne faut pas remonter bien haut pour rencontrer un mo- ment ou toutes les cereales prises ensemble ne produi- saient pas plus que ne produit aujourd'hui le froment a lui seul. Si Ton reunit a ces considerations celle de la plus grande aisance dont jouissent depuis la revo- lution les populations pauvres , on doit conclure, se- lon lui, que des progres suffisants ont eu lieu, et qu'il y a lieu d'esperer que nos neveux ne seront pas plus mal nourris que nous. M. de Saint-Seine fait remarquer que les orateurs sont en realite d'accord sur la possibility de fournir aux besoins futurs de la France. L'un d'eux pense qu'il n'y a qu'a continuer le passe, en provoquant des ameliorations nouvelles; l'autre affirme qu'il faut se hater d'imprimer un mouvement plus rapide. Pour nous, le resultat est le meme : il implique la necessite de ne pas nous endormir dans la situation plus ou moins bonne oil nous sommes arrives. Dans cette discussion, M. Lebrun avait signale l'im- 130 CONGRES SCIENTJFJQUE DE FRANCE. portation des cereales qui a lieu, et qui, calculee sur une periode de vingt ans , produit une moyenne de plus de un million d'hectolitres. M. Parise avait re- pondu que 1' exportation compensait. et au dela, puis- qu'elle est de 3 millions d'hectolitres. La signification du fait allegue par M. Lebrun (malgre qu'il soit, en somme, reconnu que la France importe un million en sus de sa production) , la signification de ce fait n'a pas ete suffisamment discutee pour qu'elle put servir d'argument positif dans la question soulevee; mais la reponse de M. Parise a donne occasion a M. d'Es- terno de rappeler que la France recoit annuellement pour 1 00 millions de produits animaux bruts. II re- sulte de la que nous subvenons peniblement a nos besoins, et que nous devons, a peine de reculer, don- ner une forte impulsion a la machine agricole. On avait egalement argumente de la tendance a l'emigration qui travaille aujourd'hui les populations anglaise et allemande, et M. Jobard de Bruxelles a signale a cet egard un fait qui merite d'etre consigne : Le tenancier irlandais, que nous yoyons se precipiter en aussi grand nombre vers l'Amerique, n'obtient des proprietaires du sol que des baux d'une annee. C'est la sans doute la cause de la profonde misere qui le conduit hors de son pays natal. Quatrieme question, — Quels seraient les moyens les plus efficaces pour provoquer les ameliorations necessaires? M. Lebrun reprendici l'exposition du systeme dont il a fait connaitre hier le caractere principal. Ce sys- teme consiste a remplacer par des fourrages loutes les plantes sarclees et la moitie des avoines, et a creer ainsi une quantite de fumier suffisante pour obtenir VrNGT-UNIEME SESSION. 131 sur la portion de cereales conservee un produit aussi eleve que possible. II voudrait commencer a aborder les details de cette methode de culture; mais M. le pre- sident lui fait observer que ces details seront mieux places a la question qui traite des assolements. L'heure de la cloture de la seance etant arrivee, la discussion est renvoyee a 7 heures du soir. La section d'agriculture declare qu'elle tiendra a cette heure une seance extraordinaire, pour avancer plus rapidement dans Petude des questions que renferme son pro- gramme. L. Tardy, secretaire. SEANCE DU SOIR 11 AOUT. Prfeidence de B. d'Eslerno. M. le president ouvre la seance a 7 heures et demie du soir. M. Tardy, Tun des secretaires de la section, donne lecture du proces-\erbal de la seance du matin. II est adopte, et M. Berard, autre secretaire, rem- place au bureau M. Tardy. . M . le president annonce que la discussion va s'eta- blir sur la 5e question inscrite au programme. Cette question est ainsi concue : Quelle a ete, sur le progres de Pagriculture, Pinfluence des droits protecteurs etablis a Pimportation des produits agricoles etrangers? M. de Caumont exprime en quelques mots la pen- see qu'a une epoque qui s'efface chaque jour de nous, les droits protecteurs ont eu leur utilite, puisqu'ilsont 132 CONGHES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. donne pour resultat un prix tres-modere des denrees en general; mais la marche du temps, son action sur les progres qui s'accomplissent, la lumiere qu'il jette sur le veritable caractere des institutions humaines et sur les effets qui en ont ete les consequences, ame- nent forcement la necessite d'une modification qui soit plus en rapport avec les tendances sociales et les be- soins mieux constates et mieux compris. De la l'uti- lile, sans doute, d'entrer dans la voie de l'abaissement destarifs protecteurs, mais avec circonspection etdans la mesure seulement de ces nouveaux besoins. M. Lebrun repond qu'en effet la protection reglee par les droits de douane a pu avoir son utilite a une autre epoque; mais cependant elle a ete un obstacle a la production des denrees placees sous cette protec- tion, et principalement a celle des denrees agricoles. Le cultivateur, en effet, se reposant avec securitesur une protection qui eloigne la concurrence que ne peuvent lui faire des produits similaires etrangers, ne se sent excite par aucune emulation, ne se voit mena- ce par aucun danger, et demeure dans une indifferente inaction ou plutot dans un statu quo qui maintient l'insuffisance des produits interieurs, et en conserve le prix a un taux trop eleve. C'est la une cause de souffrance pour la masse de la nation , c'est un obs- tacle aux progres si necessaires cependant pour assu- rer sur de plus larges bases nos moyens de subsis- tance. II est done desirable, suivant M. Lebrun, que Ton puisse supprimer les droits protecteurs en ce qui concerne les cereales. Quant aux bestiaux, ces droits sont encore plus nuisibles, si cela est possible, et Ton TINGT-UNIEME SESSION. 133 voit que , malgre Fabaissement considerable de ces droits, l'introduction de la viande etrangere en fran- chise n'a point produit le resultat qu'on en attendait, puisque le prix de cette denree se maintient a un taux aussi eleve. Sans doute, avec la libre entree, la France se \er- rait inondee de bestiaux : mais il faut avouer que c'est notre faute ; car nous sommes loin d'ele\er autant de betail que nous le pourrions si nous savions mettre en ceuvre nos ressources interieures par notre intelli- gence et notre activite. L'eleve des animaux est trop chere chez nous; et si le betail etranger pouvait entrer en franchise, nous l'aurions evidemment a meilleur marche. Nos races indigenes sont trop inferieures* ce qui est un desavan- tage incontestable vis-a-vis les races etrangeres. Nous n'eprouverions done aucun tort par l'introduction entierement gratuite. M. Lebrun ajoute qu'il en serait ainsi merae pour les animaux gras, qui ne peuvent se transporter a de grandes distances, et n'offriraient pas de danger se- rieux par leur concurrence. M. Lebrun termine en disant que nous avons tous les elements necessaires pour arriver a la meme perfection que nos voisins : c'est a nous a nous defendre par notre intelligence et notre travail. . M. Laborie se prononce egalement et avec plus d'energie encore contre les droits protecteurs. II signale comme Fun de leurs plus detestables effets la reaction qu'opposent les nations qui repondent aux droits pro- tecteurs de nos produits par des droits equivalents sur leurs matieres premieres ou leurs denrees manufactu- 134 CONG RES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. rees, qu*il nous serait si aise pourtant d'obtenir a des prix plus moderes. On exagere le mal qui resulterait de la libre intro- duction; car on ne se rend pas compte des entraves naturelles, inevitables, qui subsisteraient encore pour les produits etrangers. Ainsi , par exemple, en ce qui concerne le ble, son transpprt du point le plus rap- proche necoute pas moins de 8 a 10 fr. par hectolitre. Cette augmentation de frais, qui ne pese pas sur les produits indigenes , retablit l'equilibre dans une cer- taine proportion ; de sorte que Taction qui s'exerce- rait ne serait pas sensible et n'offrirait aucun danger. II faut en excepter, toutefois, les departements des frontieres, sur lesquels peserait la gratuite de l'intro- duction ; mais ils ont d'autres moyens pour rivaliser avantageusement , et c'est de la masse qu'il faut s'oc- cuper avant tout. M. Laborie cite encore pour exemple du peu de danger de la suppression des droits protecteurs ou de leur abaissemerit la fabrication du sucre indigene, qui se soutient malgre la concurrence etrangere. II parle dans le meme sens des bestiaux introduits en France et venant de la Belgique. M. Lebrun croit que Ton exagere Pimportance de la masse de ble venant d'Odessa et des ports de la mer Noire. II ajoute, d'ailleurs, que la protection a exerce une action morale tres facheuse , en ce sens qu'elle nous fait eviter la lutte, et que des lors le progres n'a pu eclore sous la force d'inertie de TindifTerence que donne la securite du statulquo. Du reste, les idees nouvelles commencent a se faire - V1NCT-UNIEME SESSION. 135 jour, et les cultivateurs mettront desormais moins de resistance contre des mesures d'abaissement ou d'af- franchissement. M. d'Esterno, president, pense que 1'agriculture a ete jusqu'ici fort maltraitee dans la fixation du tarif de nos droits protecteurs. II trouve aussi que les droits exageres ont de facheux resultats , en ce qu'ils con- traignent les etrangers a grever nos produits; mais il avoue ne pas saisir le motif de la difference qui existe entre les droits protecteurs sur les produits agricoles et ceux qui pesent sur les produits industriels , car il existe une grande disproportion sous ce rapport. Si Ton veut modifier notre tarif douanier, il faudrait , pour agir avec justice et avec sagesse, commencer par attaquer les droits les plus eleves, c'est-a-dire ceux qui pesent sur l'industrie, et qui \ont parfois a 40, 50 et meme jusqu'a 400 pour cent. Notre agriculture a grand besoin de produits industriels et manufactures : elle les paye trop cher par suite des droits a l'impor- tation , et en definitive il y a une perte pour elle; car si elle est d'un cote favorisee de faibles droits que l'in- dustrie lui paye, elle est grevee de droits bien plus eleves qu'elle paye a Findustrie. II y aurait a etablir une ponderation qui n'existe pas : car la protection en Jfaveur de l'industrie s'eleve de 30 a 40 pour 100, tan- dis que celle en faveur de 1'agriculture n'est que de 10 environ; de sorte que si Ton touche encore aux droits protecteurs de 1'agriculture, ce sera precisement en- core la partie la moins favorisee dont les charges s'ac- croitront. II faut done, avant tout, diminuer les droits sur les produits industriels, et surtout sur ceux qui, oomme la coutellerie , par exemple , jouissent d'une 136 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. protection hors de loule proportion avec celle qu'on accorde a tous les autres. Ainsi et en resume, plus de prohibition; puis, ni- yellement graduel des droits, en commencant par ceux qui s'ecartent le plus de la moyenne; puis aussi, il serait necessaire de fonder la reciprocity dans certains cas, et de degrever certains produits de l'Angleterre, tels que, par exemple, sa quincaillerie et ses machines, etc., pour obtenir, en retour , le degrevement de nos vins, etc. M. d'Esterno termine en formulant ainsi sa pensee generale sur les droits protecteurs ; Les droits protecteurs des produits agricoles n'ont d'im- portance que comme contre-poids des droits protecteurs des produits manufactures. Quel que soitle tarif des droits protecteurs, ils seronttoujours suffisants pour 1'agriculture, s'ils sont impartiaux et s'ils protegent dans la meme rae- sure les produits de l'industrie agricole et ceux de l'indus- trie manufacturiere. Une discussion s'engage entre MM. d'Esterno et Lebrun sur les effets des droits protecteurs; et le pre- mier de ces orateurs signale des droits existant sur les produits anglais, tellement eleves que l'introduction en est impossible, ce qui les porte a un tres-haut prix pour les petits consommateurs, par la raison que les objets sur lesquels ces droits sont etablis sont d'un prix, beaucoup plus eleve en France qu'en Angleterre. M. Laborie resume aussi la discussion , et propose au Congres d'adopter sur Particle en discussion la re- solution suivante : L'influence des droits protecteurs a pu , a une certaine epoque, se faire sentir d'une maniere favorable, sans que Ton puisse lui atlribuer pour cela plus d'efficacite qu'elle VINGT-UNIEME SESSION. 137 n'en a en realite $ et si aujourd'hui son action n'est pas completement nulle, nous n'en sommes pas moins arrives au moment d'un examen serieux et impartial pour Padop- tion de mesures qui soient en rapport avec les idees nou- velles et les revelations de Pexperience. Et toutefois, des a present, le Congres exprime une pensee qui lui parait juste : c'est que Pagriculture obtiendrail une condition meilleure de Pabaissement des droits protecteurs de l'in- dustrie que de Pelevation des droits qui la concernent. La redaction de M. Laborie est adoptee par l'as- semblee. M. le president donne lecture de la 6e question. Elle est ainsi concue : Les autorites locales, ainsi que les corps savants, doi- vent-ils user de leur influence pour exciter, par les en- couragements et les recompenses dont ils disposent, la propagation et le developpement de certaines industries nouvelles dans les villes destinees , soit par leur position geograpbique , soit par d'autres causes, a rester villes artistiques ? Et reciproquement, Pintroduction forcee des arts dans une ville industrielle ne peut-elle pas devenir prejudiciable a Pindustrie? M. de Caumont avoue ne pas bien comprendre cette question, et, au surplus, ne la trouve pas placee dans son ordre. M. Paris donne lecture des idees qui lui ont ete suggerees par cet article. M . le president insiste pour que la question, qui ne lui parait pas a sa place, soit renvoyee a la section des beaux-arts. M. Tardy appuie cette proposition. Quelques observations sont presentees par M . Bau- dot sur la distinction des villes en artistiques et in- dustrielles. II n'admet pas que cette distinction puisse etreabsolue; car une ville peutetre artistique en meme 138 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. temps qu'industrielle, et respeclivement, comme il est possible qu'une ville appartenant aujourd'hui a Tune de ces deux denominations seulement . acquiere plus tard la seconde par des evenements imprevus. M. Tardy insiste de nouveau pour le renvoi de la question, qui ne lui parait pas etre du ressort de la section d'agricullure. M. le president met aux voix le renvoi, qui est pro- nonce. L'article 7, dont M. le president donne lecture, est ainsi concu : Quel est le sort reserve a l'industrie dans les villes tra- versers par les chemins de fer, et dont Peloignement de Paris ne depasse pas un rayon de 300 a 400 kilometres? Et en particulier, le ralentissement de plusieurs branches de commerce qui deja se fait sentir a Dijon doit-il elre attribue" aux voies ferrees que possede cette ville? M. de Caumont pense que la question ne peut etre encore resolue; car, dit-il, P experience est incom- plete, et ne peut etre invoquee a l'appui des raisonne- ments. M. Baudot exprime la pensee que le deplacement qui s'opere forcement dans les industries etlesinterets prives s'equilibrera plus tard. lis seront froisses, sans doute, mais dans un cercle relativement restreint, et qui ne touche qu'a des positions particulieres ; et , en definitive, nul doute qu'un bien general ne sorte de ces etablissements. II donne quelques developpements qui confirment cette opinion. Un membre dit que Ton se fait des idees fausses des chemins de fer; qu'en somme, Tensemble et la masse n'en souffrent pas, et qu'il ne faut pas se preoc- VINGT-UN IEME SESSION. 139 cuper de 1'interet prive lorsque 1'interet general est satisfait. M. d'Esterno, president, resume la discussion dans ce dernier sens , et l'assemblee ajourne les debats sur cette question, comme n'etant pas encore assez eluci- dee pour recevoir une solution. M. le president annonce que l'assemblee va passer a l'examen de la huitieme question, relative a la legis- lation agricole , et principalement a la vaine pature. Cet article 8 est ainsi concu : La vaine pature est-elle nuisible aux progres de l'agri- culture? Pourrait-elle etre immediatement supprim^e ? Dans le cas de la negative, quels seraient les reglements a adopter pour en diminuer les inconvenients? M. le president donne lecture a l'assemblee d'un reglement relatif a la vaine pature emane de M. le maire de Besancon. Ce document a ete depose sur le bureau par M. le docteur Bonnet, qui habite cette derniere ville, et qui etait venu assister au Congres dans le but d'exprimer ses idees sur la vaine pature et de se prononcer energiquement pour sa suppres- sion. Le document presente par M. Bonnet a pour objet de demontrer que Ton peut au moins restreindre dans de justes limites le droit de vaine pature, s'il n'est pas possible de le supprimer des maintenant. M. Berard, secretaire, demandela parole, et obtient de l'assemblee la permission de lire un memoire ou il a groupe les faits qui lui font desirer la suppression de la vaine pature. MEMOIRE SUR LA VAINE PATURE. L'usage, ouplutdt Pabus, contre lequel je m'eVleve, avec 140 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. (ant d'autres , entraine avec lui des consequences telle- ment graves sous le rapport moral, tellement facheuses sous le point de vue des interets agricoles, qu'il m'a sem- ble utile de reunir en un seul faisceau forme des faits materiels qui se produisent chaque jour, les motifs con- siderables sur lesquels on doit se baser pour l'abolition complete , immediate de la vaine pature. Jene rechercherai pas dans un obscur passe l'origine, le developpement, les causes d'existence du parcours com- mon apres les recoltes. Je ne nie pas qu'aux epoques pri- mitives et jusqu'a celle oil l'agriculture est entree fran- cbement dans une voie de progres , l'usage de la vaine pature ait eu son utilite , ou plutot sa raison d'etre; et en- core je persiste a croire qu'il a ete , comme il est aujour- d'hui, Pun des plus puissants obstacles aux tentatives d'amelioration et de perfectionnement qui ont ete faites ou qui se font par les agriculteurs eclaires. Il y a des localiles oil cet usage n'existe pas. Je ne con- nais pas ces lieux; mais j'affirmerais que la on obtient des r^sultats bien autrement importants, et qu'en outre les enfants et meme les adulles y sont meilleurs et n'ont pas a un semblable degre les memes vices et la meme igno- rance. Les personnes qui vivent a la campagne , les proprie- taires exploitant par eux-memes , les fermiers un peu in- telligents, savent parfaitement cela; ils se le disentails deplorent ^existence etle maintien de ce qu'ils regardent comme un fleau; ils en enumerent les vices , les abus; ils supputent la perte materielle qui en resulte 5 ils avouent la desastreuse inQuence qui en d^coule pour l'education de l'enfance; mais ils se sentent arretes par la puissance toujours si redoutable de la coutume immemoriale et par l'apparence d'un certain profit qui semble en ressortir au benefice d'une classe nombreuse, celle qui croit posseder assez pour nourrir quelques tetes de b^tail en usant de la vaine pature comme d'un appoint sans lequel elle ne pourrait se creer cette apparence de ressource. VINGT-UNIEME SESSION. 141 11 y a certainement quelque chose qui saisit au premier aspect, et qui vous fait incliner de prime abord pour la conservation de cet usage } car enfin, dit-on, pourquoi perdre ce qu'il n'est pas possible de recueillir? pourquoi n'en pas faireprofiter tous ceux qui se trouvent en position de tenir quelques tetes de betail ? N'est-ce pas meme une perte gen^rale, puisqu'il y aurait moins d'eleves, moins d'engrais , moins de produits ? Il faudrait a coup sur tenir compte de cette opinion dans une certaine mesure, si elle avait quelque chose de reel, si elle n'etait pas detruite par une opinion contraire qui s'appuie maintenant sur les modifications profondes qu'a subies la constitution de la propriete fonciere, et surtoutle mode d'exploitation de cette propriete. Nous n'hesitons pas a dire, dans tous les cas, que les motifs quel'on pour- rait faire valoir pour la conservation de l'usage que nous combaltons, eussent ils quelque valeur, seraient bien fai- bles contre le nombre et la puissance de ceux qui militent pour sa suppression, et que le bien immense qui resulterait de cette derniere, ferait bien vite oublier le faible benefice (s'il y en a) que peut produire cet usage. Voyons done les faits} il ne sera pas difficile d'en tirer la conclusion. Nous les classerons en deux categories : 1° Celle qui se rapporte a l'ordre moral ; 2° celle qui touche aux interets materiels. 1° Ordre moral Dans les pays de vaine pature , on charge les enfants de la garde des troupeaux; il n'est pas rare d'en rencontrer qui n'ont pas plus de cinq a six ans , et generalement e'est de dix a quinze qu'ils sont employes a cette occupation. Or, on se plaint de ce que les ecoles ne sont frequentees que pendant trois ou quatre mois, et de ce que, malgre les efforts du gouvernement et des instituteurs , l'instruction et l'education primaire ne donnent presque pas de resul- tals. Le cure du village , les autorites preposees a la pro- 142 CONGRES SCIENT1FIQUE DE FRANCE. tection dei'ecole, l'instituteur, ont beauprecher, solliciter les parents : rien ne peut prevaloir contre le retour du mois de mars et la necessite de faire paltre le troupeau.Voilale premier et tres-desastreux effet de la vaine pature : point d'instruction, point d'education; le but tant cherche est tout a fait manque 5 la generation reste dans Tignorance, et elle oublie vite les principes du bien qui commencaient a germer dans son esprit sous l'influence des preceptes ecrits et de la parole du maitre. Ceci est deja fort grave, croyons-nous , et suffirait pour poser la question de Pabo- lition de la vaine pature. Mais suivons maintenant ces enfants a travers la cam- pagne qui leur est ouverte de toutes parts , qu'ils regardent comme leur chose a eux, et qui leur offre un aspect bien plus seduisant que les bancs de l'ecole. Les voila partis pour toute la journee; filles et garcons se rencontrent, se reunissent et vagabondent sans que la sollicitude des meres s'en inquiete davantage , sans qu'un ceil vigilant et protecteur vienne comprimer et regler l'essor si naturel et toujours si indiscipline a cet age. Oui , pendant plusieurs mois , pendant les deux tiers de Pannee, une foule d'enfants dont quelques-uns sont pres- que adultes, se repandent, sans guide et sans frein, a travers les plaines , les coteaux , les montagnes , et peuvent se livrer a tous leurs penchants. Parmi eux, il y en a qui deja ont retenu de mauvais propos, ont ete temoins de mauvaises actions, sont impregnes de mauvais conseils, ont des dispositions d'une dangereuse precocite. Que se passe-t-il alors ? Ni les peres , ni les meres , ni M. le cure ne le savent} mais evidemment tous ces enfants ne sont pas a une ecole de bonnes mceurs •, leurs jeux sont desor- donnes, ils se lultent, se renversent, s'etreignent , et les petites filles ne sont pas les dernieres a prendre part a ces ebats ou deja la sainte pudeur du jeune age perd de sa purete et de son innocence. Et puis, que devient cette pudeur, que devient la candide ignorance de tous ces enfants, initios, par le spectacle des TINGT-UNlfeME SESSION. 143 animaux qu'ils conduisent , a des secrets qu'ils ne devraient connaitre que lorsque l'age et la raison peuvent les pr6- munir contre les entrainements des sens ? N'est-ce pas a eux, au contraire,qu'est devolu le soin cynique de veiller aux actes de la reproduction? N'est-ce pas eux qui doivent en rendre compte au retour du paturage avec toutes les remarques , tous les details qui ne devraient etre que du ressort d'hommes faits et appeles par leur position a din- ger l'eleve dn betail ? Oil pense-t-on que ces enfants apprennent les jurements, les blasphemes qu'ils retiennent si bien et qu'ils pronon- centsi sou vent etavectant d'energie? — Qui voulez-vous qui les gourmande et leur fasse sentir l'odieux de leurs mauvais propos ? lis sont la, abandonnes a eux-memes, nous l'avons dit9 pendant huit mois de l'annee : est-il £ton- nant qu'ils soient si grossiers et souvent si insolents? Et puis, ne faut-il pas que le troupeau revienne a Pota- ble bien repu,bien rond, comme l'on dit? N'est-ce pas une recommandation expresse, menacante, de la part des pa- rents eux-memes ? et ne faut-il pas des lors que ces mal- heureux petits bergers, a l'exemple des plus grands, fourragent un peu, qui sur le ble du voisin, qui sur son sainfoin, qui sur son pre, et tous et beaucoup parlout ? Voila de petits maraudeurs qui s'habituent a ne rien res- pecter} et comme il serait cependant possible qu'ils fussent surpris une fois sur cent par le garde champetre , ils ont soin, — les petits apprentis d'une deplorable ruse, — de se mettre en vigie a tour derole pour signaler l'officier rural, afin qu'il ne puisse verbaliser contre les delinquants vo- lontaires, qui se hatent, au moindre signal de la vedette, de ranger leurs betes sur un terrain defruite. Avons-nous besoin de faire ressortir combien peut in- fluer une semblable maniere d'agir sur la conduite gene- rale de ces jeunes etres pleins de memoire, de malice, d'interet deja? et qui plus tard chercheront , n'en doutons pas, a appliquer a d'autres actes plus graves l'adresse, la ruse et le savoir-faire qu'ils ont acquis dans ces habi- tudes pillardes et immorales ? 144 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Oui , ils apprennent le vol , ils apprennent l'astuce pour le coramettre impunement , ils apprennent le mepris de la loi qui proclame le respect du a la propriete, et tout cela, parce qu'il existe un usage que l'on appelle la vaine pa- ture. Au nombre des effets desastreux produits par la vaine pature , on ne doit pas omettre de mentionner lafoule des proces , et par suite , des haines qu'elle engendre. Nous avons occupe pendant trois ans et demi le siege d'une jus- tice de paix, et nous savons a quoi nous en tenir a cet egard. Les condamnations a l'amende, aux frais , aux dom- mages-interets , la perte de temps qu'eprouvent le deman- deur et le defendeur , l'abandon de leurs travaux pendant qu'ils plaident, les depenses et les mauvaises habitudes du cabaret, les haines , les ressentiments vindicatifs : voila les consequences inevitables d'un usage qui n'a qu'un motif pour se maintenir^ c'est celui d'une sorte de pres- cription, comme si l'abus pouvait se prescrire, comme si le mal pouvait s'eterniser par le seul fait de la duree, comme si le progres et le bien pouvaient etre arretes par l'anciennete de la routine. Ainsi, ignorance, mauvaise education, mauvaises moeurs, vagabondage , rapine, dissimulation , mepris de l'autorite, proces, vengeances : voila le resultat evident , palpable au point de vue moral. Comment pourrait-on esperer que quatre mois de con- trainte a l'ecole pussent effacer les mauvais penchants ac- cumules pendant huit mois ? N'est-on pas en droit de conclure que c'est a la vaine pature que l'on doit un certain nombre d'articles de sta- tistique criminelle? N'est-on pas en droit de supposer que c'est a cet usage trop longtemps conserve que sont dus l'origine , le germe de ces mauvaises tendances qui se tra- duisent plus tard en fails plus ou moins graves , et con- courent kpeupler les maisons de correction et les tribunaux criminels? Nous n'exagerons rien , nous ne supposons pas : nous VINGT-UNIEME SESSION. 145 consignors les faits; il est facile d'en tirer la conclusion. Nous pensons, quant a nous, que la conclusion, c'est la ne- cessite d'abolir au plus vite un systeme aussi desastreux sous le rapport moral qu'il peut l'etre sous le rapport de l'interet materiel et agricole. Nous allons nous occuper de celui-ci, en consignant egalement les faits principaux et leurs resultats, et l'ap- preciation en decoulera naturellement pour proscrire Ta- bus que nous combattons. 2° Ordre materiel. Tous les cultivateurs eclaires sont d'accord pour recom- mander l'abolition de 1'assolement triennal ; ils regardent comme les plus arrieres aujourd'hui les pays oil ce systeme est encore pratique j et ils avancent de plus que, meme dans ce cas, la jacbere morte doit disparattre pour porter une recolte fourragere dont la derniere pousse doit etre enfouie comme engrais ; mais plus on avance dans la pra- tique des nouvelles methodes, plus on est unanime a re- connaltre que 1'assolement alterne doit etre substitue a 1'assolement triennal. L'experience , du reste ,n'a fait que confirmer ce que la theorie enseignait avec tant de bon sens. Or, si de toutes parts s'est 61eve ce cri de progres de l'agriculture , si l'on veut serieusement ce progres, si Pon veut que des recoltes plus abondantes en cereales se realisent, que l'eleve du betail prenne les plus larges pro- portions, afin d'obtenir la vie a bon marche, il faut bien que non seulement on encourage l'agriculture par des re- compenses , mais qu'on lui donne les moyens d'agir les plus directs en deblayant les entraves qui s'opposent a cette action. Eb bien! nous ne croyons pas que tant qu'existera l'u- sage de la vaine pature , les cultivateurs puissent modifier d'une maniere generate 1'assolement triennal et lui substi- tuerun autre sysleme. On sait, en effet, que non-seulement chaque cultivateur divise ses soles de maniere a reunir autant que possible cbacune d'elles dans le meme climat, 146 CONG RES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. mais que, par une entente generate , cette division existe sur le territoire de chaque commune, de telle sorte que la sole des froments se trouve concentree, reunie, ag- glomer^e sur un ou deux points , la sole des c^reales de printemps sur un ou deux autres points, et ainsi de la sole delajachere. Supposez que, dans cette distribution rendue necessaire par la vaine pature, un cultivateur ayant des heritages dans ces trois divisions veuille a Passolement triennal substituer Passolement alterne : il se trouvera necessaire- ment qu'il aura a effectuer des ensemencements dans la couture de la jachere; ces ensemencements seront disse- mines en raison du morcellement des heritages qu'il cul- tive, et il aura ici vingt-trois ares , la trente-quatre ares , puis un peuplus loin cinquante ou soixante ares, qui, dis- tances au milieu d'un vaste terrain abandonne a la vaine pature, seront, comme il arrive presque toujours,fourrages par les bestiaux , la bonne volonte des bergers et l'incurie indiscutable des gardes champetres venant merveilleuse- ment en aide a une pareille dilapidation. Les laboureurs sont done obliges de renoncer a tenter quelques essais et de se conformer a un systeme a la modification duquel s'oppose absolument Pabus que nous combattons. Nous avons prononce le mot de garde champetre, et nous nous permettons une digression a cet egard, digression qui se rattache d'ailleurs trop intimement a notre sujet pour qu'elle soit considered comme un hors-d'oeuvre. Personne, que nous sachions, ne prend, generalement parlant, les gardes champetres au serieux; et veritable- ment ils ne peuvent pas , sous Pempire d'une institution aussi vicieuse et surtout aussi incomplete , etre autre chose que ce qu'ils sont, e'est-a-dire incapables de remplir le but pour lequel ils ont ete crees. — Je fais la part des excep- tions , et encore ces rares exceptions sont produites par des causes locales qui les font exister. Ainsi, la ou il y a un maire actif , ferme , eclaire , soutenu par un conseil mu- nicipal qui ne recule pas devant Pallocation d'un salaire YINGT-UNIfiME SESSION. 147 suffisamment remunerateur , un garde champetre bien choisi , tout isol£ qu'il soit de l'ensemble d'un pouvoir hierarchique , peut rendre d'utiles services et empecher dans une certaine mesure quelques-uns des abus dont les cultivateurs ont tant a se plaindre $ mais helas ! combien ces cas sont rares ! et combien sont inactifs et impuissants des agents que rien ne rattache entre eux, qui n'ont ni orga- nisation , ni chefs , ni surveillants , qui pour la plupart du temps sont le produit d'une intrigue, d'un caprice, d'une preference partiale ou haineuse , qui ne verbalisent que selon leur volonte et lorsqu'une contravention est com- mise pour la centieme fois , laissant de c£te les delits se- rieux pour ne s'occuper souvent , et pour quelque motif secret, que de choses insignifiantes! Du reste, il est inutile d'insister : tout le monde est d'ac- cord sur les vices et l'inanite de cette institution, qui n'a ni unite , ni discipline, ni cohesion , ni force , et dont cha- que membre recoit une impulsion differente , quand par hasard il recoit une impulsion autre que la sienne propre. Les conseils generaux ont ete appeles a emettre leur avis sur les modifications a apporter a cet etat de choses 5 et, comme indication d'un projet nouveau, on leur a demande s'il ne serait pas convenable d'embrigader les gardes champetres afin de les soumettre a une regie fixe, a une surveillance serieuse , directe , incessante , ainsi que nous levoyons dans d'autres branches de l'administration. Or ces conseils, ou au moins un certain nombre d'entre eux, tout en reconnaissant le vice radical de la loi actuelle,tout en avouant qu'il y aurait necessite de la modifier et d'y substituerun systeme plus efficace, se sont prononces con- tre l'embrigadement par le motif que ce serait enlever a l'institution son caractere municipal, que l'on doit respec- ter avant tout. On devait s'attendre du moins qu'en rejetant une pro- position qui leur semblait inadmissible, les conseils gene- raux formuleraient d'autres projets pour remplacer ce qu'ils declaraient ne point remplir le but que le legislateur 148 CONGRES SCIENTIF1QUE DE FRANCE. avait en vue; mais il n'en a pas ete ainsi, et ils se sont bornes a rejeter le remede propose , de sorte qu'ils ont prefere conserver le mal que d'essayer de le guerir ou de l'attenuer. Ceci nous parait, a nous gens de campagne et praticiens avant tout , peu conforme au bon sens et a la logique, et nous nous preoccupons peu de la question de savoir si M. le make aura plus ou moins d'empiresur ses gardes champetres } nous ne serions merae pas faches qu'ils fussent soustraits a cette autorite , dont nous con- naissons en general l'inertie, i'indifference et les petits calculs d'interet et de taquinerie. Ce que nous voudrions done , c'est que l'on essayat de l'embrigadement, a moins que Ton n'ait en reserve quelque projetplus efficace; qu'on nous dotat,en unmot, d'une ins- titution serieuse , forte , a l'abri des influences locales , surtout si l'on persiste a grever l'agriculture de l'imp6t le plus lourd et le plus detestable, qui s'appelle la vaine pd- ture. Nous avons vu quel obstacle pour ainsi dire insurmon- table la vaine pature oppose a l'introduction de l'assole- ment alterne en remplacement du vieil assolement triennal. C'est la,certes, un motif puissant, irresistible, indepen- damment detous autres, de rendre a l'agriculture sa liberte d'action en la declarant affrancbie de cette servitude, qui, apres avoir eu sans doute a une certaine epoque une rai- son d'etre, a aujourd'hui mille raisons de n'etreplus. Pour qu'il soit possible a un cultivateur, proprietaire ou fermier, d'eviter les entraves de la vaine pature, il n'a qu'un moyen : c'est la cldture des heritages qu'il cultive. Or, pour le fermier, il faut bien avouer que la chose est impraticable avec un bail aussi ridicule que la plupart de nos baux, dont la duree n'excede pas six ou neuf ans. On comprend, en effet, qu'il ne jouirait pas de sa cloture de maniere a compenser la depense. Pour le proprietaire, il ne peut executer une cloture, sans perte trop considerable, que surdes heritages ayant une superficie importante, ce qui est rare dansnotre pays de morcellement. Ilfaut alors VINGT-UNIEME SESSION. 149 tenter la reunion par l'essai des echanges, et nous savons combien le sot entetement de certains voisins , les exigen- ces outrees de certains autres, rendent difficiles et one- reuses de semblables operations ; nous savons aussi com- bien sont dispendieuses les diverses manieres de clore un heritage et leur entretien , sans compter la perte de l'es- pace enleve a la production. 11 n'y a, deplus, qu'une cl6- ture permanente possible : c'est celle qui se fait avec la pierre mureuse. Quant a la cldture par des haies vives, la vaine pature la rend pour ainsi dire impraticable , a moins que Pon ne fasse la depense considerable de la proteger au dehors par une enceinte quelconque} et meme, quand cette enceinte , apres avoir ete renouvelee deux ou trois fois, et a grands frais, est enlevee pour livrer le plant vif a sa propre defense, celui-ci est aussitdt attaque par les betes ovines , et le succes de la cloture se trouve compromis. Que si vous avezmis une contre-cl6ture en bois sec pour garantir votre plant vif, elle devient bient6t le point d'at- taque des bergers, qui, malgre les defenses tres-exactement publiees par l'autorite, enlevent tres-exactement aussi ce bois pour allumer du feu , lequel , il faut le reconnaitre , n'est pas toujours inutile , tant est apre parfois la tempe- rature a laquelle sont impitoyablement exposes de tout petits enfants. La vaine pature enleve encore une ressource bien pre- cieuse dans les pays de montagne, oil les vastes plateaux qui les couronnent offrent des parties peu propres a l'agri- culture, qui pourraient etre utilisees en produisant du menu bois d'essences secondaires qui se couperait tous les quatre ans et donnerait un assez bon fagotage , ainsi que cela se voit dans certaines localites. Mais la vaine pature ne permet pas une pareille amelioration ; et pourtant, dans bien des pays, c'est la provision de bois qui manque et qui met la gene dans les petits menages. Quant aux plantations d'arbres a haute tige, qu'il serait si necessaire de favoriser pour reparer, au moins dans une certaine mesure , les vides laisses par les defrichements 150 forestiers,elIes sont tout a fait impossibles avec un ennemi aussi. destructeur que l'est la vaine pature } et cependant, que d'heritages qui u'offrent pas a leurs proprietaires un produit agricole en rapport avec la depense de culture, pourraient et devraient etre utilises par des plantations sylvicoles! combien de landes, de terres en friche, de coteaux a pente rapide , d'un sol froid et mal expose, ver- raient se changer leur sterile apparence contre des pro- duits arborescents qui viendraient augmenter la richesse nationale par une recolte si precieuse et si insuffisante aujourd'hui I Eh bien! on peut affirmer que la vaine pature est l'obs- tacle le plus puissant a des essais de plantation qui seraient immediatement aneantis sous la dent rongeuse du mouton et de la chevre , ou sous le couteau malfaisant de l'enfant berger. Voyons ce qui s'est pass£ depuis quelques annees, e'est- a-dire depuis l'epoque oil l'autorite a voulu mettre a exe- cution la loi du 9 vent6se an xin et le decret du 16 de- cembre 1811, qui enjoignent aux proprietaires riverains des grandes routes de planter a leurs frais, pour les en- tretenir a leurs frais et les remplacer aussi a leurs frais , des arbres en bordure sur le sol de leurs proprietes. Quel resultat a ete obtenu? — Deloin en loin, un arbre rabou- gri, maladif, portant l'empreinte des dents des moutons ou le stigmate du frottement energique des animaux de forte taille, a pu survivre pour attester a combien d'atteintes , k combien d'ebranlements mortels il a ete en butte. — Quelle valeur ont aujourd'hui ces plantations qui devraient ce- pendant offrir deja, apres dix ou douze ans , l'aspect d'une vegetation vigoureuse qui permit d'en evaluer le produit eventuel? Quelle difference de ce qui existe aujourd'hui avec le brillant et riche tableau que M, Nau de Champlouis tracait, il y a quelques annees, dans son rapport au conseil general de la C6te-d'Or ? M. le prefet se felicitait et felicitait le departement d'une mesure qui, dans un temps donne, au- VINGT-UNIEME SESSION. 151 rait produit une veritable richesse forestiere. Helas 1 c'etait compter sans son hdte, et le beau reve s'est evanoui sous le souffle destructeur de la vaine pature. Oui, c'est a la vaine pature que l'on doit principalement l'insucces d'une entreprise qui avait certainementson importance tant sous le rapport du benefice materiel qu'elle aurait infaillible- ment donne que sous ceux de la securite publique, de l'as- pect gracieux et de l'abri protecteur qu'offrent toujours un ddme de verdure ou le fut d'un bel arbre. Mais qui done n'a pas assiste, involontairement au moins , a ces evolutions circulaires et rapides des bergers se faisant des pivots de ces arbres nouvellement plantes , tournoyant a l'entour en les ebranlant et les arrachant a demi? Qui done n'a pas vu ces memes bergers, le couteau a la main, enlever a leur hauteur l'ecorce de ces arbres, de maniere a suspendre et arreter la seve dans ces solu- tions de continuity? En ce qui me concerne, j'en ai cons- tate un beau matin soixante-trois ainsi mutiles sur une ligne de qu&tre-vingts bordant la route ! Toujours dans le meme climat, j'ai eu une quantite defrenes et de peu,pliers tellement decbires par les moutons et les chevres , telle- ment renverses par le gros betail , que j'ai ete oblige ou de replanter, ou de renoncer a une depense inutile. Eb bien! abolissez la vaine pature, et tout cela n'arrivera plus , vos plantations reussiront a merveille, et vous verrez surgir comme par enchantement dans les climats les plus denudes, les plus tristes d'aspect, une vegetation qui vous donnera profit et agrement; et de plus vous aurez trouve une source de benefice pour la main-d'eeuvre. Et puisque nous parlons des routes, disons tout de suite que la vaine pature est une cause considerable de degra- dation des voies publiques, et cons^quemment de depense d'entretien. On sail en effet, et chacun a pu s'en convaincre, quele betail pature le long des chemins et des grandes routes sans opposition, qu'il franchit les fosses ou y descend pour remonter de l'autre cote, et que les talus se degra- 152 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. dent aii point de combler en peu de temps ces fosses , a moins d'un entretien de chaque jour. Les pores pratiquent sur les berges leurs fouilles habituelles , ou bien se tien- nent couches au fond des fosses apres en avoir remue la terre , et ils peuvent devenir la cause d'accidents graves , lorsque, surpris dans leur repospar l'approche d'une voi- ture, ils se levent spontanement et d'un seul bond de maniere a effrayer le cheval le moins ombrageux. Il re- sulte aussi de cette tolerance du betail sur les voies pu- bliques une entrave a la circulation 5 et nous ne savons jusqu'a quel point serait responsable celui qui, en condui- sant unevoiture, aurait atteintun animal qui, en paissantsur la route, n'a pas l'instinct d'eviterle choc qui le menace. Demeurons encore un instant sur les routes, et voyons ce qui attend chaque voyageur en voiture legere. A.ussit6t que celle-ci est apercue par Pun des nombreux chiens qui gardent les troupeaux de vaine pature, un aboiement se fait entendre, qui rallie dans un clin d'ceil la meute entiere habituee a cette evolution. C'est alors une course effrenee, une course au clocher ayant le cheval du v6hicule pour point de mire. Les excitations des bergers doublent, s'il est possible, l'ardeur de ces animaux devenus haineux etmechants contretous lesvoyageurspar l'habitude qu'ils ont de les harceler. Les voila, environnant la voiture, c6toyant ouprecedant le cheval avec des aboiements sau- vages, et s'avancant jusqu'a atteindre avec leurs dents les naseaux de cet animal, qui s'inquiete alors, et cherche a eviter les coups de dent par des ecarts de c6te ou par une retraite en arriere; et les bergers d'exciter de plus belle en se livrant a une bruyante hilarite. Trop heureux se- raient-ils s'il arrivait un accident au vehicule ainsi pour- suivi pendant plus d'un kilometre , pour etre repris par une autre meute et d'autres acclamations de bergers , comme si des relais avaient ete etablis a dessein. — Ce trait des conducteurs de troupeaux est a ajouter a ceux qui influent d'une maniere si facheuse , comme nous l'avons fait voir, surle caractere de l'enfance a la campagne. Ou est l'auto- VINGT-UNIEME SESSION. 153 %rit£ qui constate et previenne de pareils abus ? Sont-ce encore les gardes champetres ? Montrez-nous alors les proces-verbaux et les jugements de condamnation, et dites-nous si cette institution des gardes champetres n'est pas une complete deception et presque une ironie. Car enfin , ceci est plus grave encore qu'une contravention et un dommage dans les emblavures , puisqu'il s'agit de la securite des citoyens sur les routes qu'ils pratiquent. Que si Ton calculait la perte generale eprouvee par 1'agriculture par suite du vainpaturage, on serait effraye de Pimportance de cette perte. 11 est facile, neanmoins, de s'en faire une idee a defaut d'une appreciation impos- sible. On peut affirmer que, partout oil le betail peut, en pais- sant, c6toyer des champs ensemences, il y a au minimum cinquante centimetres de la recolte entierement broutes, et cinquante autres centimetres fort endommages. Or, cal- culez tout ce qui se trouve d'abord le long des chemins , et vous verrez que sur un territoire qui serait sillonne par cinquante kilometres de ces voies publiques, vous n'au- rez pas moins de cinq hectares entierement perdus, en comprenant les deux cotes, et cinq autres hectares d'un produit avarie et de peu de valeur. Mais ceci est la petite partie; car, voyez par la pensee quelle peut etre l'etendue des recoltes qui bordent les heritages soumis a la vaine pature , la oil les bergers ne rencontrent aucun obstacle , aucune contradiction, comme il pourrait arriver sur les chemins. Supputez tout ce dommage , toute cette destruc- tion, et alors vous serez etonne du chiffre qui represen- tee cette perte* — Joignez-y une autre espece de dete- rioration que voici : Pour s'opposer a ce que son troupeau ne penetre dans le champ ensemence, le berger se place dans la recolte meme avec son chien, etfait face a son troupeau, qui s'e- tend sur un espace assez vaste. Il faut , dans ce cas fre- quent, que le conducteur et le chien soient toujours en mouvement pour se porter a chaque extremite et refouler 154 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. les betes qui sont entrees dans la recolte. On concoit alors quelles evolutions ces gardiens executent a travers les £pis , sous pretexte de les proteger. Et puis , une bete, ou deux, ou trois, ont penetre dans la cereale malgre le bon vouloir equivoque du berger; le chien est mis a leur pour- suite; elles font plusieurs circuits pour se soustraire a la dent qui les menace; et quand cette lutte, qui se renou- velle pendant bien des jours et pendant *plusieurs beures par jour, est terminee, allez verifier le mal, et vous nous direz alors si vous etes partisan de la vaine pature ! Ce spectacle de la recolte ainsi foulee et pour ainsi dire rava- gee, pour quelques brins d'herbe qu'il faut faire paitre a tout prix, est plus triste encore, plus decourageant que celui des parties mangees entierement. Nous ignorons ce qui se passe dans les autres cantons que celui que nous habitons ; mais dans celui-ci, nous ne sachions pas que cette singuliere maniere de garder les betes ait donne lieu a des proces-verbaux et soit consi- deree comme une contravention. Il est facile de compren- dre cependant l'importance du dommage cause par ces irruptions, qui ont lieu precisement a l'epoque qui precede la moisson, alors que les grains viennent d'acquerir leur plus grand developpement et qu'il n'est plus possible d'y p^netrer sans les endommager. C'est l'instant le plus etroit pour la vaine pature; car les jacheres ont recu leur pre- mier coup de charrue et n'offrent presque plus de ressour- ces ; les betes sont affamees ; la tonte les a rendues plus inquietes, plus indisciplinees ; et, malgre toute la bonne vo- lonte" des enfants, — lorsqu'il y a bonne volonte, — on concoit avec quel elan elles se precipitent la oil elles sen- tent qu'il y a quelque chose pour satisfaire leur appetit, et quelle difficulte existe pour les contenir. — C'est un pre- texte qui parait tellement plausible, on voit les petits gar- diens s'evertuer avec tant d'energie apparente a contenir leurs troupeaux, qu'a peine si I'on ose leur adresser un re- proche ; car ils n'ont pas meme Pair de se douter du tort qu'ils commettent, eux, leurs chiens et leurs moutons. VINGT-UNIEME SESSION. 155 On sait que la vaine pature s'exerce dans les prairies na- turelles, aussit6t apres la recolte du foin , pendant les six derniers mois de 1'annee. Les presnon clos sont abandon- nes a la communaute" sans aucune consideration pour la situation de la prairie, la constitution du sol sur lequel elle repose, le degred'humidite alaquelle elle est exposee, etc. — Eh bien! il arrive souvent que la perte eprouvee par chaque proprietaire par suite de la privation d'une se- conde recolte ou regain n'est rien en comparaison de celle que prepare pour 1'annee suivante le parcours sans frein et sans regie qui s'opere pendant six mois conseculifs au moins sur ces pres. Toutes les fois que l'automne est pluvieux , les prairies, qui generalement sont situees a un niveau peu eleve et d'une pente insensible, se d&rempent rapidement, et plus vite encore sous Taction incessante du pietinement des grosses betes ; les empreintes qu'elles laissent dans le sol sont profondes , accumulees, et offrent, pour ainsi dire, l'aspect des alveoles d'un rayon de miel; la compression inferieure du sol l'a rendu tout a fait impermeable} de sorte que l'eau se maintient en stagnation complete dans ces ca- vites sans nombre} et s'il n'arrive pas auprintemps suivant une saison qui favorise l'absorption rapide de cette humi- dite deletere,la recolte est compromise sous le double rapport de la quantite et de la qualite, celte derniere etant dans tous les cas inevitablement et gravement atteinte, comme il est facile de le concevoir. Voila certainement une grande perte pour l'agriculture, qui se decide alors a hasarder, a grands frais de creation et d'entretien, des clotures, lorsque toutefois elle parvient a reunir une surface d'une certain e importance par suite d'echanges toujours onereux. ^ Nous pourrions, en multipliant les details, poursuivre encore l'examen d'autres faits qui constateraient de plus en plus combien est ruineux pour l'agriculture et combien est abusif le droit de vaine pature. Mais, pour peu que l'on ait habite la campagne, que l'on ait dirige ses courses 156 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. a travers champs , que l'on ait observe les allures, les ha- bitudes des enfants bergers, on completera facilement ce que nous avons omis, comme rentrant dans l'ensemble des faits principaux que nous avons rapportes. Nous constaterons cependant encore comme un puis- sant obstacle aux effets d'une loi d'ordre public et d'inte- ret general, l'abus que nous attaquons ; nous voulons par- ler de la loi sur la chasse. Nous en connaissons le but etles dispositions. Le but, c'est d'empecher la destruction du gibier} c'est de favoriser la multiplication des oiseaux par la conserva- tion des nids, afin d'obtenir la plus grande destruction possible des larves, des chrysalides, des insectes de toute nature qui vivent aux depens des diversesrecoltes confiees a la terre par l'agriculture; c'est de faire disparaitre le braconnage , si fatal a celui qui ne peut disposer ni de loisir ni d'argent. Les dispositions, ce sont les defenses faites par la loi, renouvelees chaque annee par les arretes des prefets, dont l'execution est confiee aux maires, qui ne s'en occupent pas, aux gardes champetres, qui laissent faire, quand ils ne sont pas complices, et a la»gendarmerie , qui est cent fois insuffisante , et qui ne peut consequemment agir que dans de rares exceptions : de sorte que, malgre la loi, les arretes et les agents charges de les executer, il n'y a pas un delit sur mille qui soit poursuivi et reprime. Mais celui qui est le moins surveille, le moins reprime, est precise- ment celui qui, dans une immense proportion, ofifre les plus grands moyens de destruction, qui les accomplit} et ces moyens, c'est encore a la vaine pature que nous en sommes redevables. En effet, depuis le commencement des couvees des di- vers oiseaux jusqu'a l'epoque oil les petits ont pris leur volee, il n'existe qu'un desir chez les enfants, c'est de posseder des nids, consequemment de les decouvrir et de les chercher; c'est le moment de joie pour les bergers : aussi les voyez-vous, abandonnant leurs troupeaux, se VINGT-UNIEME SESSION. 157 glisser le long des haies, franchir les clotures, explorer, avec un ceil avide et si percant a cet age, les bois, les buis- sons , les arbustes , tous les abris , ecarter tous les brins d'herbe, parcourir les sainfoins, les bles qui commencent a monter; leurs chiens, vigoureusement excites, les devan- cent le flair au vent , et font partir les couveuses 5 tout se decouvre successivement, depuis les mesanges si avides de chenilles, jusqu'aux rossignols si friands des larves de terre ; les perdrix , les cailles, sont detruites par quinzaine avant d'eclore, ou englouties par le chien si deja elies ont quitte l'aile maternelle. 11 est vraiment miraculeux qu'il echappe quelque nichee a cette battue generale qui, nous le croyons, est la cause la plus considerable de la disparition de plus en plus constatee du gibier et des petits oiseaux. Nous ne blamerons pas les jeunespatres qui se livrenta cette chasse destructive et sans profit : nous avons tous passe par l'age de l'enfance, et tous nous nous souvenons que, des nombreux hochets offerts a notre turbulence, de tous les joujoux imagines par la tendresse de nos meres pour chasser la souffrance ou l'ennui si pres d'assaillir notre activite inoccupee, aucun ne nous souriait autant et n'attirait au meme degre nos regards et nos desirs qu'un nid d'oiseaux avec de jolis oeufs ou des petits reclamant leurpature; nous avouerons meme que, dans un age plus avance, et jusqu'a la vieillesse, nous nous interessons en- core k ces petits oiseaux, et, si nous nous abstenons de les denicher, nous cberchons encore avec interet a les decou- vrir et a les conserver en les montrant a nos enfants et a nos petits- enfants, qui nous rappellent, par leurs demons- trations de joie, la joie que nous eprouvions a leur age en pareille circonstance. II serait presque cruel de sevir contre un delit commis par des etres qui agissent sans discernement et avec l'en- train naturel a leur jeunesse. A.ussi le moyen, selon nous, de porter remede au mal n'est pas de le punir quand il est fait, mais de le prevenir en abolissant un usage qui, par sa nature meme, par la liberte' aussi deraisonnable 158 CONGRES 9CIENTIFIQUE DE FRANCE. qu'absolue qu'il laisse aux enfants, les porte instinctive - ment et invinciblement a ce braconnage anticipe plus des- tructeur cent fois que le braconnage a coups de fusil, et leur donne un avant-gout de ce dernier, qui leur devient si funeste lorsqu'ils n'en sont pas detournes par le travail. Les oiseaux de toute nature ne sont pas, eux seulement, soumis a cette destruction : les lievres sont aussi com- pris dans la chasse generale, et les chiens des bergers ne laissent guere echapper ceux qu'ils rencontrent si facile- ment quand ils sont encore faibles et incapables de lutter de vitesse contre leurs ardents ennemis. On pensebien qu'independamment de la destruction des petits oiseaux dont l'accroissement serait au contraire si utile pour.diminuer les ravages causes a 1' agriculture par les insectes, la recolte ainsi parcourue et foulee par de nombreux bergers, en eprouve une perte importante, et il sera toujours tres-difficile d'eviter ce resultat avec la faci- lity que donnent aux enfants l'impossibilile d'une surveil- lance serieuse et la repugnance que les gardes eprou- veront toujours a faire des rapports contre un delit qu'ils ne qualifient meme pas de ce nom, et a la perpetration duquel ils se preteraient, au contraire, pour la plupart, tant ces agents comprennent bien leur mission, et tant ils mettent de zele a l'accomplissement de leur devoir, au- quel, du reste, ils ne sont rappeles que par hasard, n'ayant, comme nous l'avons dit, ni discipline, ni regie, ni hierar- cbie. Et cependant, independamment des services serieux qu'ils rendraient en tant que gardes preposes a la cons- tatation des delits et contraventions, ils offriraient une force organisee de 40,000 hommes qui, dissemines sur tout le territoire, se porteraient au premier signal d'un danger dans les localites menacees soit par l'incendie, soit par l'inondation, soit par la reunion de gens malinten- tionnes, et constitueraient une puissance imposante pour faire face aux premiers perils, en attendant un plus grand d^ploiement d'action. Nous avons accumule non pas des raisonnements , niais VINGT-UNIEME SESSION. 159 les fails principaux que la pratique de la vie des champs et notre profession de cultivateur nous a mis a meme d'ob- server et de constater par nos propres yeux; nous en avons fait ressortir le plus brievement possible Pimpor- tance, la gravite etlesresultats. Dans une matiere de cette nature, ce n'est pas Peloquence brillante de la plume ou de la parole qui aurait pu remplacer Peloquence des faits, qu'il ne s'agit que de raconter et de condenser, pour ainsi dire, afin de n'en former qu'un seul bloc, si je puis m'ex- primer ainsi, dont le poids doit determiner les convictions et faire adopter resolument les mesures propres a eviter desormais le mal que nous avons signale. II nous reste a examiner la question la plus delicate, celle de savoir si, a Pepoque oil nous sommes arrives, la vaine pature est en realite un produit avantageux pour ceux qui y prennent part, et quelle est l'importance de ce produit. Peut-il, dans tous les cas, etre assez serieux pour etre victorieusement oppose a Pabolition de la vaine pa- ture fondee sur les motifs si nombreux et si decisifs que nous avons enumeres? Et d'abord, il est constant que la vaine pature ne peut pas suffire a elle seule, meme avec le maraudage coupa- ble qui Paccompagne, pour eiever un nombre quelconque de tetes de betail. Il est indispensable de se faire , soit avec ses propres ressources, soit en acbetant le fourrage et autres denrees alimentaires des animaux, une provision qui doit avoir une certaine valeur, et c'est cette valeur difficile a determiner qu'il serait necessaire de connaitre pour voir si elle se balance en perte ou en profit dans le coiripte de recette et depense du betail eleve. Generalement les possesseurs de petits troupeaux ache- tent du fourrage sur pied, et il leur coute un tiers de plus qu'au fermier en gros, qui, lui, amodie a un taux normal, et qui cependant a beaucoup a faire pour ne pas se trou- ver en perte. Mais il arrive trop souvent dans nos cam- pagnes que Pon ne se rend pas exactement compte de la depense et de la recette effectuees : on neglige surtout 160 CONGRES SCIENTIFIQCE DE FRANCE. l'interet du capital engage et la valeur du temps et du tra- vail personnel. Ainsi, il faut de la paille a celui qui nour- rit du betail, et, pour l'avoir, il exploite quelques terres dans lesquelles il passe une partie de son temps; il paye le laboureur qui donne les facons necessaires, qui trans- porte l'engrais, qui rentre la moisson 5 puis il recolte un peu de laine et quelques agneaux avec le prix desquels il s'acquitte aupres du laboureur et du proprietaire des champs et des pr6s amodies \ mais il ne sait jamais s'il a du profit ou de la perte : car, nous le repetons, il neporte pas en ligne de compte son travail et celui de ses enfants \ seulement, il lui semble qu'il a trouve le moyen de tirer parti de son fils ou de sa petite fille en l'envoyant a la garde de son maigre troupeau a un age oil il ne pourrait l'employer ail- leurs. Il ne considere pas, lui, le pere qui specule avec cette bonhomie, que ce fils ne recevra plus de lecons a l'ecole, que sa fille n'aura plus le precepte de la soeur religieuse ou de l'institutrice, que ses enfants livres a leur liberte seront prives de toute surveillance et contracteront des habitudes immorales ou meme des vices honteux; il se fe- licitera, au contraire, s'ils ont su faire assez bien paitre le troupeau sur les champs ensemences pour le ramener a Petable en bon etat, bien repu, et leur fera de bonnes re - commandations pour le lendemain. Lorsqir'arrive, comme en 1852, une disette de fourrage, le proprietaire du troupeau est oblige, ou de s'en defaire a vil prix en subissant une perte notable, ou de le nourrir avec une extreme parcimonie a l'&able. Ce troupeau af- fame est alors d'une garde plus difficile, et les recoltes ont plus a souffrir encore que d'habitude. Mais tous ces ma- raudages ne peuvent suffire cependant pour entretenir les betes dans un etat satisfaisant de sante : elles maigrissent et deperissent a vue d'oeil ; elles succombent comme les trainards d'une armee epuisee. Une annee comme 1853 survient abondante, mais detestable en qualite : la mau- vaise nourriture, qui n'est pas meme alternee avec quel- ques aliments plus sains, prepare admirablement, avec le VINGT-UMEME SESSION. 1 01 regime restrictif de 1'annee precedente, les maladies et le deperissement, et, pourpeu que 1'annee presente des pha- ses inusitees d'humidite et d'insalubrite, le troupeau pe- rira en entier sous les atteintes de la cachexie aqueuse, comme il arrive depuis bientot un an. Ceci se renouvelle pour ainsi dire periodiquement, et 1'on pourrait presque affirmer qu'a chaque decennalite le troupeau perit en entier, sans compter les pertes partielles et annuelles qui sont presque toujours le resultat de I'm- suffisance de la nourriture. Or, supposons, — et cela ne devrait pas etre une hypo- these, — supposons que la police des champs se fit assez bien, assez rigoureusement pour quele betail conduit a la vaine pature n'enlevat pas la moindre parcelle aux re- coltes en terre ; supposons que ce betail put etre maintenu exclusivement sur les jacheres mortes et les friches sans toucher aux plants de toute espece qui peuvent se trouver a sa portee 5 supposons, en un mot, qu'il ne prenne pour sa nourriture que ce que legalement il doit prendre : pense- t-on serieusement que, reduite a cet infiniment petit, la ressource de la vaine pature put offrir un avantage reel a celui qui l'exerce ? Non, et tout au contraire, ramenee dans ses justes li- mites, la vaine pature ne serait plus, pour les petits pro- prietaires de troupeaux non cultivateurs, qu'une cause de mine} car s'ils persistaient conlre toute evidence a nourrir quelques tetes de betail en comptant sur la ressource du parcours commun, ils seraient obliges d'augmenter leurs frais en proportion exacte de ce qu'ils perdraient par la suppression de l'abus, abus qui est devenu le principal dans le profit de la vaine pature, et qui ne devrait pas meme en etra l'accessoire. Oui, nous maintenons que c'est grace au parcours sur les terres couvertes de recoltes, que la plupart des petits troupeaux trou vent cet appoint a leur nourriture sans lequel il ne serait pas possible de les elever avec quelque avan- tage. Nous affirmons que la vaine pature seule, reduite a ce a 162 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. qu'elle devraitetre, n'offrirait pas a ces troupeaux unpro- duit suffisant pour en permettre Peleve avec avantage, et nous disons qu'en abolissant la vaine pature, ce n'est pas precisement et principalement cet usage que Pon detrui- rait, mais bien le maraudage avec tous les degats qui en sontla suite ettoutes ses consequences immorales. La vaine pature n'offre d'avantage reel qu'a partir de Penlevement de la recolte; car alors la terre, depouillee des moissons, est couverte d'herbes adventices dont beau- coup offrent une nourriture convenable, mais qui souvent operent la meteorisation, qui enleve par-ci par-la quelques betes. C'est Pepoque la plus favorable pour exercerle zele iictif des gardes champetres \ car Pautorite defend Intro- duction du betail dans les champs recoltes jusqu'al'entier enlevement de ce que Pon appelle la couture oil se trouve la moisson. Mais cette defense de Pautorite, c'est a qui Penfreindra le premier 5 c'est a qui pourra profiter du premier sillon depouille pour donner enfin une bonne et complete pature a ses animaux} c'est Pbeure des proces- verbaux en masse , mais arbitraires , capricieux cdmme Pactivite ou Pinertie des gardes , qui se contentent d'une facile tournee et laissent accomplir sur d'autres points du territoire les memes contraventions par d'autre betail. Et, du reste, il ne peut guere en etre differemment} car ces gardes eux-memes ne sont pas assez retribues pour donnei tout leur temps a la surveillance des champs : ils sont faucheurs ou moissonneurs, c'est-a-dire qu'ils travaillent dans les moments les plus remunerateurs, et ce n'est plus que par hasard, pour ainsi dire, qu'ils poursuiveut les contrevenants ; mais alors ils les surprennent en grand nombre et font une veritable razzia dont se moquent les coupables, car ils supputent que Pamende $t les frais ne sont pas, a beaucoup pres, la representation en perte du benefice qu'ils retirent de leurs mefaits } et il est a remar- quer meme que celui qui a cent betes en contravention n'eprouve qu'une condamnation pareille a celui qui en a dix, de sorte que tout est profit pour lui. Aussi celui-la se VINGT-UNIEME SESSION. i 63 risque facilemcnt ; car s'il est pris une fois sur vingt, ce qui est beaucoup, on comprend de quelle faible impor- tance sont pour lui quelques francs qu'il lui en coute pour avoir bien nourri ses cent betes pendant vingt jours. On peut done admettre que, pendant un quart de Pan- ned tout au plus, la vaine pature oflfre (et encore si la sai- son n'est pas trop brulante), une nourriture a peu pres suffisante pour entretenir le troupeau dans un etat passa- ble; puis, apres ce temps, on recommence de mieux en mieux a marauder, a faire vivre les betes aux depens du malheureux laboureur, sans que celui-ci puisse s'opposer a cette perte. La suppression de la vaine pature aurait encore pour re- sultat, croyons-nous, de faire entrer les communes pro- prietaires de terrains dans une voie de progres a laquelle elles ont resiste, pour la plupart, malgre les conseils de Pautorite. Elles seraient forcees ou d'amodier, on do von dre des proprietes qui ne leurrapportentrien, et qui payent cependant un impdt en rapport avec leur valeur. Elles preferent presque toutes ^tablir une imposition extraordi- ■ naire pour faire face a leurs depenses de maison d'ecole, de presbytere ou autres, plut6t que de toucber a leurs terres communales ou de les enlever au parcours commun. Elles ne considerent pas que la propriete fonciere est deja bien assez grevee, et qu'il serait juste et avantageux d'em- ployer leurs ressources a elles, plutdt que les ressources d'autrui. La suppression de la vaine pature pourrait, ce nous semble, modifier avantageusement Paction des com- munes dans bien des circonstances. Nous avons fait voir ce qu'est cet usage qu'on appelle la vaine pature 5 nous Pavons considere sous le double point de vue de Pinteret moral et de Pinteret materiel , et nous nous sommes appuye sur des fails irrecusables qui se renouvellent journellement. Parmi ces faits , tous tres- graves, il en est de tellement graves, que Phesitation ne nous paratt pas meme permise pour demander Pabolition d'un pareil abus. 164 CONGRES SCIENTlFlyUE DE FRANCE. Car, et en resume : C'est une entrave au progres agricole j C'est une perte considerable des produits du sol} C'est un obstacle aux plantations d'arbres fruitiers et forestiers; C'est une cause de depense-considerable par la necessite d'etablir des clotures ; C'est une cause de sterilite pour les prairies basses ; C'est, enfin, la perte du gibier et des oiseaux destruc- teurs des insectes. Puis , ce qui est bien autrement grave : Les enfants deviennent vagabonds, insubordonnes 5 lis sont exposes , — et cela arrive , — a voir se fletrir prematurement leur innocence 5 lis s'habituent au maraudage, qui est un vol, a la dissi- mulation , a l'insolence $ lis ne frequcntont pasl'ecole, et restent dans une igno- rance qui, plus tard, ne permet plus d'agir avec succes sur leur esprit et sur leurs coeurs endurcis. Comment se fait-il qu'en France, on se trouve encore, a 1'epoque oil nous sommes, dans la seconde moitie' du dix-neuvieme siecle , tellement en arriere sous le rapport de l'extirpation d'un pareil abus, que des Elats qui ne passent point pour marcher a la tete des idees et des re- formes, ont regie cependant, d'une maniere remarquable, 1'exercice de la vaine pature en ce qui concerne au moins les enfants qui y sont employes ? Ainsi, uneloi de l'Autriche sur Venseignement obligatoire contient la disposition suivante : « La garde des troupeaux par les enfants les isolant de >» la surveillance des parents, et tendant, en les privant » d'instruction , a developper des habitudes sauvages et » une precoce immoralite, on doit travailler, partout oil » faire se peut, a abolir cet usage. — En tout cas, aucun » patre ne peut etre recu en service s'il ne produit un cer- » tificat de son cure, certificat constatant qu'il a recu dans 165 » l'ecole ^instruction religieuse , et qu'il a subi sur ce » point un examen satisfaisant. » ( Memoir ede M. Eugene Rendu a VEmpereur, fin de 1852.) Nous ne pouvions mieux terminer qu'en consignant cette disposition legislative d'un Etat dont les institutions, si nous ne nous trompons , ne sont generalement point a la hauteur des ndtres 5 mais cette difference entre les deux empires fait mieux ressortir encore la necessite pour notre pays de s'affranchir d'un usage dont le principal carac- tere est si bien defini dans la loi allemande. On a enleve a la presse sa puissance de mal faire, en la soumettant a une surveillance de tous les instants, et sur- tout en reglant le colportage, oil s'alimente le peuple des campagnes. Ce n'est qu'une partie de l'ceuvre a accomplir, et nous croyons que la suppression de la vaine pature doit en etre le complement. II s'elevera des plaintes, un tolle general peut-etre; on criera contre l'autorite, contre les riches, et, comme tou- jours, on accusera les grands proprietaires, interesses, dira-t-on, a l'aboiition de cet usage 5 on dira que l'on enleve le pain au pauvre , et mille autres choses encore : mais aussi, comme toujours, les clameurs s'apaiseront, I'habitude se deracinera, les interets verront qu'ils ne sont, pas si froisses qu'ils l'auront craint^.et lorsque les pre- miers resultats se seront fait sentir, lorsque los enfants se seront ameliores sous l'influence d'une instruction plus continue, d'une education plus efficace 5 lorsque chacun se verra libre de cultiver son champ a sa guise , d'y semer ce qui lui conviendra sans danger d'etre perdu; lorsqu'on verra, en un mot, une transformation sensible s'operer dans le sens de la culture- ameliorante , et les produits s'augmenter dans une notable proportion , on benira la main sure et ferme qui aura accompli ce progres. Cette main ferme, elle existe; elle peut, avec la sym-, pathie populaire dont elle est environnee, prendre l'initia- tive d'une mesure qui aura pour effet de replacer la pro- priete et les interets agricoles dans une situation normale,. 166 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. rationnelle , et de mire disparaitre une anomalie de nos codes et de nos usages. Esperons que l'empereur, £claire par la discussion et le Yceu du Congres, ajoutera ce bienfait a ceux qu'il a accom- plis deja, et a ceux qu'il medite en faveur de l'agriculture et de la morale publique. Mont-Saint-Jean, 26 juillet 1854. P. BERA.RD. M. Tardy presente quelques observations sur le memoire de M. Berard ; il pense que la partie de ce memoire relative aux profits insignifiants de la vaine pature n'est pas traitee avec les developpements qu'elle comporte, et a cet egard il y a lieu de fournir un de- tail qui constatera le peu de valeur qu'apporte la vaine pature dans l'alimentation du betail qui en fait usage. La vaine pature , en effet , dit M. Tardy, n'ofFre au- cun avantage, parce que, n'etant soumise aaucune regie, sesproduits sont gaspilles, et ne donnent qu'une nourriture tres-insuffisante a laquelle il faut suppleer. Si cet usage etait aboli , le cultivateur serait pousse par la necessite a produire des fourrages pour nour- rir son troupeau , qui se trouverait dans de meilleures conditions et qui lui rendrait davantage. Quant aux manoeuvres non-proprietaires, qui ne peuvent avoir que six betes , il est impossible que les depenses qu'entraine le soin d'un si petit nombre de tetes d'animaux puissent etre compensees par le be- nefice de la vaine pature; et puis, de plus, qui les empechera de s'entendre avec les proprietaires et d'a- modier d'eux le droit de paturage? M. Baudot adopte en principe Fabolition dela vaine pature, II expose cependant que cette suppression pourrait avoir des inconvenients serieux dans cer- YINGT-CNIEME SKSSTON. 167 tains cas; et il dit a ce sujet que, dan£ les vastes prai- ries situees sur les rives de la Sadne , la vaine pature ne s'exerce que par le gros betail, dont chaque habi- tant pauvre possede une tete qui se nourrit presque exclusivement du paturage de ces prairies, et oflre par le laitage une grande ressource aux families pen aisees. M. Baudot pense done qu'il faudrait agir avec une grande circonspection dans un pareil cas. M. Lebrun rappelle que, dans l'etat actuel descho- ses, la loi donne aux communes la faculte de regler la vaine pature. M. Tardy repond a M. Baudot qu'il n'est pas plus permis au pauvre qu'au riche de vivre aux depens d'autrui. II reproduit cette assertion , que la suppres- sion de la vaine pature aurait pour resultat tres-heu- reux de forcer les proprietaires de troupeaux a cultiver des prairies artificielles ou des racines pour nourrir leurs bestiaux , qui recevraient une meilleure alimen- tation, mieux distribute, sans courir les risques ni supporter les fatigues du parcours commun et en conservant leur fumier par la stabulation. M. Baudot insiste en invoquant le principe d'hu- manite qui doit toujours intervenir en faveur de la classe pauvre, et explique comment on pourrait, en restreignant d'abord Texercice de ce droit, arriver graduellement a sa suppression totale. M. Laborie repete que ,~m6me a ce point de vue , la suppression de la vaine pature serait un avantage pour Thomme sans aisance, puisqu'il est facile d'etablir que le profit qui resulte de l'exercice de cet usage ne peut en compenser la perte. Enfin M. Tardy, revenant en quelques mols sur les 168 CONGRES SCIENTIFIQUE BE FRANCE. raisons d'abolition qu'il a fait valoir, affirme que la ressource de la vaine pature est illusoire. L'assemblee exprime le desir d'une suppression immediate. Toutefois , c'est au gouvennement a juger si des delais sont necessaires pour preparer les esprits a cette mesure. II est dix heures ; la seance est levee , et renvoyee a demain matin a neuf heures. P. Berard, secretaire. STANCE DU 12 AODT. Prfeidence dc M. d'Esterno. La seance est ouverte par M. le President a neuf heures du matin. M. Berard, Tun des secretaires, fait lecture du proces-verbal de la seance precedente; il est adopte sans opposition. M. le President annonce que l'ordre de la discus- sion appelle la neuvieme question inscrite au pro- gramme , pour etre soumise a la deliberation de l'as- semblee. Cette question, que lit M. le President, est ainsi concue : Comment parvenir a l'etablissement d'une police rurale et forestiere suffisamment efficace ? M. Grappin demande la parole. II signale l'orga- nisation actuelle des gardes champetres comme deplo- rable. Ce sont des agents sans consistance , sans di- gnite. II arrive souvent qu'ils passent leur temps au cabaret avec les individus contre lesquels ils auraient VJNGT-UNIEME SESSION. 169 a verbaliser. lis recoivent d'ailleurs un salaire trop in- suffisant pour esperer qu'ils conservent leur indepen- dance ou qu'ils consacrent leur temps a l'accomplisse- ment de leurs fonctions. M. Grappin ne voit pas d'autres modifications a adopter, pour obtenir une bonne institution des gardes champetres, que de les organiser a l'instar des autres agents de l'administration , les gardes de forets , par exemple. M. Berard, secretaire, donne lecture de quelques considerations qu'il a ecrites sur ce sujet : elles ren- trent tout a fait dans les vues developpees par M. Grap- pin. C'est aussi au vice d'organisation des gardes cham- petres que M. Berard attribue l'inanite de cette insti- tution , qui n'a ni hierarchie , ni cohesion , ni ensem- ble, dont les membres ne sont soumis a aucune regie qui les rattache entre eux et a une direction commune ; car, ajoute M. Berard, on ne peut regarder comme serieuse l'autorite du maire , puisque , a de tres-rares exceptions, ces magistrats s'occupent trop peu des in- terets communaux qui leur sont confies. Cette appre- ciation des maires en general a paru trop severe au Congres , et principalement a M. le secretaire gene- ral , H. Baudot ; de sorte qu'il reste bien entendu que cette phrase n'exprime que la pensee isolee de M. Berard et sous sa seule responsabilite. Mais M. Berard ajoute qu'il lui paraissait superflu de faire cette rectification , puisqu'il a ete parfaitement entendu que le Congres ne prenait aucune resolution, n'emettait aucun voeu , et que les proces-verbaux de- yaient se borner a rendre le plus fidelement possible 170 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. la pensee de chaque membre ayant pris part a la dis- cussion. Les gardes champetres sont designes, et, il faut le dire, sont nommes paries maires; ce choix est presque toujours le resultat d'un caprice, d'une predilection de parente ou de camaraderie , et souvent meme le mo- bile qui a dicte ce choix est moins avouable encore. II est done impossible que restitution actuelle soit conservee plus longtemps, surtout avec cette autre deplorable institution appelee la vaine pature. M. Berard rappelle que les conseils generaux ont ete consultes et ont donne leur avis sur la proposition de former en brigades les gardes champetres, en leur assurant les memes avantages que ceux des autres agents de l'administration. Les conseils generaux n'ont pas< ete d'avis de l'em- brigadement, par cette seule raison, que ce serait en- lever a l'institution son caractere municipal , qu'elle doit conserver avant tout. M. Berard s'etonne qu'un pareil motif, qui a sans doute quelque valeur, ait suffi pour faire rejeter un moyen semblable a celui qui etait propose; quant a lui, ce motif n'est admissible que pour les cas assez rares oil le maire de la commune joint a une intelligence suffisante des interets municipaux qui lui sont confies, la fermete et l'impartialite necessaires pour inspirer a ses subordonnes le respect etl'esprit de discipline sans lesquels l'autorite s'abaisse et devient impuissante. Pourquoi, du moins, les conseils generaux, en reje- lant le remede propose , n'ont-ils pas formule un autre projet? car, enfin, on ne peut avoir la pretention de- raisonnable de conserver une institution que soi-meme VINGT-UNIEME SESSION. 171 on reconnait etre hors d'etat de rendre les services que Pon est en droit d'exiger d'elle. M. Berard s'etonne de ce silence , ou plutot il Pex- plique par Pimpossibilite ou les conseils generaux ont ete de concevoir une organisation autre que Pen> brigadement. II faut done , en l'absence de toute combinaison contraire , revenir a la seule qui paraisse praticable , et y revenir immediatement, car Petat actuel devient de plus en plus intolerable. M. Detourbet se demande s'il ne serait pas possible de rattacher l'institution des gardes champetres a celle des gardes forestiers. II lui semble que Porgani- sation de ces derniers est toute faite et pourrait avec succes s'appliquer aux gardes champetres ; ce serait une operation, pour ainsi dire, complete et dont la direction serait immediatement excellente , puisqu'elle tomberait entre les mains d'agents dont l'experience est incontestable. M. de Caumont verrait quelque inconvenient a cette organisation , qui ferait sortir les gardes champetres de l'autorite oil ils sont places. M. de Caumont fait remarquer, d'ailleurs, que Tadministration forestiere n'est pas etablie dans tous les departements , puisque dans beaucoup de ceux-ci PEtat ne possede pas de fo- rets. M. Pailloux de Saint- Ambreuil signale un mode de gardiennat employe avec succes dans sa localite. Les gardes champetres sont mandes a des jours fixes et pe- riodiques devant le commissaire de police, qui exerce ainsi une surveillance utile, et qui imprime plus d'im- pulsion a Pactivite des gardes. 172 CONGRES SCIIvNTIFIQUE DE FRANCE. M. Lerouyer, conservateur des eaux et forets, sou- leve la question financiers, et se demande ou seraient puises les fonds necessaires pour payer ces nouveaux agents, qui devraient necessairement recevoir un traitement en rapport avec une position plus penible et plus serieuse. M. Grappin repond que, l'institution elant creee dans Pinteret de la propriete , c'est celle-ci qui , a defaut d' autre ressource , aurait , au moyen d'un role extraordinaire, a supporter une charge dont elle est appelee a recueillir les benefices. M. Genret exprime cette pensee , qu'il pourrait etre etabli dans chaque chef-lieu de canton un garde-chef aux fonctions duquel se joindrait celle du ministere public par-decant le tribunal de police. M. de Bry d'Arcy, inspecteur des eaux et forels, pense que Ton devrait separer la police rurale de la police urbaine ou de l'interieur, qui serait confiee a la gendarmerie. M. d'Esterno objecte que si Ton enlevait la police inte- rieure au garde champetre, elle ne se ferait plus du tout; car il faudrait alors aller chercher quelquefois a 4 ou 5 lieues de distance la gendarmerie ; ou bien il faudrait que le maire exercat lui-meme la police, ce qui serait, d'une part , degrader l'institution municipale, et ren- dre, d'un autre cote, cette fonction trop desagreable, ce qui aurait pour resultat d'eloigner les hommes, deja si rares , qui ont les capacites necessaires. M. Lebrun dit que Ton pourrait generaliser une mesure adoptee dans quelques communes et qui pro- duit de bons resultats. Les adjoints ou conseillers municipaux exercent successivement , et a tour de VWGT-UNIEME SESSION. 173 role, la police inter ieure, qui est bien faite alors, et qui, parla division de labesogne, n'est plus qu'une charge tres-restreinte pour chacun des membres qui y prennent part. Ces conseillers sont au nombre de quatre, designes par le conseil. M. le general Raymond exprime l'avis qu'il est necessaire de respecter l'autorite du maire et de la lui laisser sur les gardes champetres. N'existe-t-il pas , d'ailleurs, ajoute M. le general Raymond, un moyen suffisant pour que le garde champetre remplisse son devoir : ce moyen , c'est la responsabilite a laquelle il est soumis. La crainte qu'il eprouve naturellement de voir cette responsabilite attaquee ne suffit-elle pas pour Pengager a remplir son devoir ? II est done de- sirable que l'autorite du maire sur le garde champe- tre ne soit pas deplacee. M. Lebrun repond que, malgre l'adoption d'un nouveau mode d'institution des gardes champetres, rien ne s'opposerait a ce que l'autorite du maire con- tinual de s'exercer. M. d'Esterno, president, prend la parole pour com- pleter la discussion, et va s'occuper, dit-il, d'un point qui n'a pas ete aborde : c'est celui qui concerne la poursuite des delits. Et d'abord , il est une circonstance qu'il faut bien remarquer : c'est que, d'apres des circulaires ministe- rielles de diverses epoques, le ministere public ne veut pas que Ton poursuive les delits ruraux de peu d'importance. C'est dans le but de restreindre autant que possible les frais de poursuite, que celle-ci ne s'exerce qu'avec la plus grande circonspection. Or, le parquet et les juges de paix doivent se sou- 174 CONGRES SCIENTIPIQUE DB FRANCE. mettre aux ordres qu'ils recoivent a cet egard , et Ton comprend des lors ce que l'impunite d'une foule de de- Jits peut donner d'encouragement et d'audace a ceux qui se font une habitude, un jeu de les commettre. M. d'Esterno entre ici dans des details qui consta- tent combien est contradictoire la legislation repres- sive en matiere de delits et de contraventions. Les faits qu'il rapporte , et qui ont tant de ressemblance entre eux, donnent lieu cependant a une poursuile et a une penalite bien differentes. C'est pour M. d'Esterno une occasion qu'il saisit de faire la critique de ces contradictions qu'il ne peut s'expliquer, et il le fait avec une verve et un entrain qui annoncent qu'il a ete au moins le temoin des faits qu'il expose. Plusieurs citations de ce genre ont convaincu le Congres qu'il y a necessite de retoucher la loi sous ce rapport, afin d'en coordonner les dispositions penales de maniere a faire disparaitre ces disparates par trop choquantes signalees par M. d'Esterno. Pourquoi, en efFet, le vol d'un arbre dans un bois est-il puni avec une severite tres-faible , tandis que le vol d'un arbre dans la campagne est sous le coup d'une penalite bien plus rigoureuse ? N'est-ce pas ce- pendant le meme delit ? Pourquoi encore, si l'arbre vole a ete descie sur place apres son abatage de maniere a permettre au voleur de I'enlever en une ou plusieurs fois a dos d'homme , la peine est-elle tres-inferieure a celle qui sera appliquee au meme voleur ayant enleve le meme arbre sur une voiture? Pourquoi celui qui vole des fruits en les mettant dans un sac est-il plus coupable que celui qui les met YINGT-UN1EME SESSION. 175 dans sa poche? comrae si cette derniere n'etait pas, elle aussi, un sac, avec cette seule difference qu'il est adherent a l'habit au lieu d'en etre separe , ce qui rend au contraire le vol plus facile et plus coupable? Pourquoi le vol d'une buche dans une coupe est-il poursuivi plutot que le vol de la merae buche prise dans un arbre debout? M. d'Esterno signale encore l'inconvenient grave qui resulte pour les proprietaires depouilles d'etre obliges de poursuivre en leur propre nom les delits dont ils sont vie times, le ministere public se refusant a poursuivre d'office. II en resulte que les delits restent impunis ; car les proprietaires sont voles par des gens qui n'offrent aucune responsabilite, et ne veulent pas courir la chance de perdre , en sus de la valeur des objets qui leur ont ete derobes , le montant assez rond des frais , sans compter les haines qu'ils s'attirent , les vengeances qu'on leur reserve. M. d'Esterno conclut de tous ces faits que le Congres pourrait et devrait emettre un voeu qui aurait pour but : 1° D'enjoindre au ministere public de poursuivre tous les delits et contraventions , sans distinction de delits fo- restiers, ruraux ou urbains; 2° De retirer les circulates du ministre de la justice adressees aux procureurs imperiaux, juges de paix, et qui seraient contraires a la premiere proposition; 3° De conferer aux personnes de bonne reputation et de bonne volonte le titre de -garde adjoint, entrainant le droit de verbaliser, comme cela a lieu dans plusieurs de- partements ; 4° De transformer en journees de travail la condamna- tion a la prison du delinquant insolvable. M. d'Esterno justifie le troisieme voeu qu'il pro- 176 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. pose d'emettre, relalif a la creation des gardes ad- joints. II compare cette institution toute gratuite a celle des constables d'Angleterre. lis seraient choisis parmi les proprietaires, et offriraient toutes les garan- ties de moralite et d'impartialite. M. de Bry d'Arcy, inspecteur des eaux et forets, insiste particulierement sur la proposition de ratta- cher les gardes champetres a 1'administration fores- tiere, qui serai t alors chargee d'exercer les poursuites dans tous les cas. La surveillance des gardes cham- petres ressortirait de l'administration forestiere, qui est toute creee et fonctionnerait avec toute l'economie possible et tous les resultats que Ton pourrait attendre d'une fondation nouvelle. Repondant a l'objection qui a ete presentee de l'absence d'administration forestiere dans les depar- tements prives de forets domaniales , M. l'inspecteur dit que Ton emploierait les gardes des cours d'eau, qui se trouvent sous la direction des agents forestiers. M. le general Raymond appelle l'attention du Con- gres sur 1'insuffisance ou plutot l'absence de toute repression pour les usurpations de terrain. II desi- rerait que Faction publique intervint dans la pour- suite faite a requete de la partie civile , pour infliger une penalite pecuniaire assez importante, afin de re- primer ce qu'il regarde comme un delit trop frequent et trop menage. L'un de MM. les membres du Congres n'adopte pas les vues presentees par M. le general Raymond, et argue de la difficulte qu'il y a a reconnaitre le veri- table caractere des anticipations. L'action, a cet egard, doit rester purement civile, car il s'agit d'apprecia- VINGT-UNIEME. SESSION. 177 lion ou ^interpretation des titres. Le bornage est d'ailleurs un remede efficace contre les entreprises des envahisseurs. M. de Caumont dit quelques mots sur les abus de la peche, qui ne sont, pour ainsi dire, soumis a aucune repression. II desire que Ton ait recours enfin a des moyens plus efficaces pour arriver a empecher la destruction des cours d'eau , et a faire respecter les proprietes qui en sont riveraines. Parmi ces moyens, il en est un qui serait employe avec efficacite : c'est la delivrance des permis de peche, comme il y en a pour la chasse. Les parties interessees feraient gar- der avec plus de rigueur , et le braconnage de la peche pourrait diminuer notablement. II est onze heures. M. le president declare la seance levee, et annonce qu'en conformite des resolutions arretees, il y aura seance demain a neuf heures du matin. P. Berard, secretaire. SEANCE DH 13 AODT. Presidcncc de I: d'Eslerno. M. le president ouvre la seance , et prie M . Gen- ret-Perrotte de vouloir bien, en l'absence de M. Tardy, remplir les fonctions de secretaire. M. Berard donne lecture du proces-verbal de la seance precedente. II est adopte sauf de legeres mo- difications. L'assemblee est appelee a l'examen de la 1 0e ques- tion du programme, ainsi concue : 12 178 CONGRES SCIENTIFIQUE 1)E FRANCE. Les assolements alternes , c'est-a-dire les assolements dans lesquels les recoltes de ble, d'orge ou d'avoine sont toujours sdparees soit par des recoltes sarclees , soit par des recoltes fourrageres, sont-ils plus avantageux que Passolement triennal? En cas d'affirmative , comment ex- pliquer la resistance des cultivateurs praticiens a adopter ce genre d'assolement, meme dans les fermes oil les pro- prietes exploitees sont reunies en assez grandes pieces pour que le cultivateur soit libre de suivre une rotation de son choix? La parole est a M. Lebrun , qui expose un systeme de culture qui consiste en ceci : Diviser, comme dans le systeme triennal, la ferme en trois parties egales 5 en consacrer deux aux prairies arti- ficielles, et la troisieme a la culture du ble. En entrant en ferme, le tiers (les sombres) est ense- mence partie en colza, partie en seigle, et partie en vesce d'hiver : le tout est mange' en vert. Au printemps, de mars en mai, immediatement apres Penlevement du colza, etc., la terre est labouree et fumee, puis ensemencee de vesces de printemps, que l'on recolte egalement en vert, deux mois ou deux mois et demi apres. — Cette deuxieme recolte faite, la terre est labouree, fumee de nouveau, et r£ense- mencee en vesces et avoine, et, dans les annees seches, de turquis ; apres un intervalle de deux mois ou deux mois et demi, la recolte est coupee en vert. Tout ce qui ne peut etre consomme en vert est rentre comme fourrage sec. De cette maniere , trois fois du fumier, trois labours , et un terrain parfaitement en etat, bien nettoye, et bien dis- pose a recevoir les cereales de Pannee suivante. Ce qui est fait la premiere annee sur le premier tiers de la ferme, est fait Pannee suivante sur le second tiers. On le voit, dans ce systeme on remplace les recoltes pio- che*es, et meme la recolte des caremages, ou cereales de printemps, par des prairies artificielles dont le produit, VINGT-UNIEME SESSION. , 179 presque toujours mange en vert, est Ires-favorable a la sant4 du betail. Beaucoup de fourrage, beaucoup de bestiaux, beau- cuup d'engrais. line moindre quantite de terre consacree a la culture du ble, mais n^anmoins une recolte plus considerable, le sol etant mieux fume et mieux cultive. Des travaux repartis sur toute Pannee, et devant plus retenir aux champs les manouvriers , qui , hors les travaux de la fauchaison et de la moisson , ayant peu d'occupation a la campagne , sont plus disposes a aller habiter la ville. M. Pailloux, maire de Saint- Ambreuil , dit qu'il lui parait impossible de supprimer les plantes sarclees. II n'a pu, dans sa culture, se contenter de plantes fourrageres, et il fait remarquer d'ailleurs que le sar- clage est necessaire au nettoiement du sol. M. Lebrun repond que, dans son systeme , le sol de ses prairies artificielles , recevant trois coups de char- rue, ne se charge pas de mauvaises herbes; que ces herbes n'ont pas le temps de se produire. M. Lebrun ajoute, sur une observation qui lui est faite, que les vesces bien fumees produisent le double d'une recolte de trefle. M. Lebrun convient que le climat de la Cote-d'Or, dans les annees tres-seches; ne se preterait pas tou- jours a l'application de son systeme ; mais il fait re- marquer que les grandes secheresses font ici 1'ex- ception, et qu'en ce cas encore il ne perdrait qu'une recolte sur trois. M. Detourbet demande s'il n'y a pas inconvenient a produire sur un meme point trop de fourrage vert, et si, en attendant pour le recolter en sec, le systeme de culture de M. Lebrun ne pourrait pas s'en trouver derange. "180 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. M. Lebrun dit qu'il n'y aura jamais trop de fourrage vert; qu'il ne craint que le trop peu. II ne voit pas en quoi la necessite ou il serait de recolter en sec le re- tarderait assez pour deranger son systeme de culture. A M. Payotte , qui lui fait observer que dans le pays qu'il habile on ne peut supprimer la culture du mais, M. Lebrun dit que, dans son systeme, rien n'empeche que le mais ne soit seme comme fourrage. M. Detourbet demande si le colza donne en vert ne presente pas quelque danger pour le betail. M. Lebrun repond qu'il pourrait y avoir inconve- nient a nourrir le betail exclusivement de colza vert. Aussi il pense que sur les cinq repas que Ton doit donner aux animaux , trois doivent etre donnes avec du foin , deux seulement avec du colza. Quand il n'y a point de colza, on donne du seigle vert, et du seigle seul, sans inconvenient. Si,huit jours avant la floraison, on a trop de vert pour la con- sommation, on fauche le seigle et on le fait secher, le seigle, apres la floraison , ayant pour effet de jau- nir d'une maniere prononcee le lait des vaches et de nuire a sa qualite. M. d'Esterno fait observer que , le systeme de M. Le- brun etant un systeme de culture alterne, il s'ensuit qu'il ne contreditpas la question du programme, qui porte : Les assolements allernes sont-ils plus avanta- geuoc que V assolement triennal? qu'il faut done pla- cer M. Lebrun au nombre de ceux qui , dans cette enceinte (et cela parait etre l'unanimite), adoptent Paf- firmative. M. Lebrun declare qu'a la verite il donne la prefe- rence a un assolement alterne sur l'assolement trien- V1NGT-UNIEME SESSION. 181 nal ancien , mais seulernent a 1'assolement alterne qui est celui qu'il vient d'exposer ; que , s'il s'agissait d'au- tres assolements egalement alternes , et surtout du quadriennal, il repondrait non! a la question du pro- gramme, parce qu'il leur prefere encore 1'assolement triennal. Les assolements alternes, a ajoute M. Lebrun, et surtout le quadriennal, que beaucoup d'agronomes considerent commele meilleur, ne sontpas aussi avan- tageux que 1'assolement triennal pur. — Dans celui- ci, les deux tiers du sol doivent produire des recoltes epuisantes : l'autre tiers est abandonne au repos de la jachere et profite des cultures ameliorantes et net- toyantes qu'on lui donne ; il lui faut une petite quan- tity de fumier pour soutenir sa production de cereales sur les deux tiers de la ferme. Si la jachere est supprimee , le sol perd l'ameliora- tionque cette jachere produit. II faut, pour la rem- placer, semer au moins la moitie de la sole en prairies artificlelles pour fournir plus de fumier. On seme alors l'autre moitie en recoltes sarclees , qui suppleent aux labours de jacheres. Ainsi modifie, 1'assolement triennal devient pro- ductif de denrees venales sur les 5/6 de la ferme, et se soutient au moyen d'une augmentation d'engrais fournis par 1/6 de culture fourragere. L'assolement quadriennal ne fournit, lui, que 1/2 de cereales et 1/4 de recoltes sarclees, c'est-a-dire 3/4 au lieu de 5/6 de produits a vendre. II est done moins productif et ne se maintient pas mieux ; car s'il donne un quart de prairies artificielles au lieu de 1/6 , il ne fournit que 1/2 de paille au lieu de 2/3, 182 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. et le fumier n'est pas augmente par lui ; il serait plutot diminue. Mais le quadriennal donne 1/4 a piocher au lieu de 1/6 ; il augmente l'etendue d'une culture toujours onereuse et pour laquelle on trouve peu d'aides dans les saisons oil elle arrive. Et cette culture ne laisse jamais de produit net. Ainsi, dans Passolement alterne, c'est-a-dire celui dans lequel les cereales ne reviennent qu'une annee sur deux, on obtient toujours, quel que soit le nom- bre des annees de la rotation , 1/6 de cereales en moins, 1/6 moins de paille, et on a un douzieme en plus de travail onereux a faire. Yoila pourquoi , dit M. Lebrun, les cultivateurs resistent a adopter les assolements dits perfectionnes , et que partout oil le sol est assez puissant pour supporter Passolement triennal a pleine culture, ils preferent celui-ci a tout autre. Dans les contrees plus riches , comme il s'en ren- contre dans le departement de la Cote-d'Or, ils culti- vent alternativement du ble et du ma'is ou du colza; mais dans les terres a faible produit , on conserve le triennal pur, c'est-a-dire avec jacheres : les cultures sarclees y seraient ruineuses. Les cultivateurs preferent done aux assolements oil les cereales se succedent , ceux ou elles alternent , parce que les premiers sont les seuls qui peuvent four- nir assez de grains, et parce qu'ils sont ceux qui laissent le plus grand produit net. Dans les premiers , bien cultives , on obtient jusqu'a 18 hectolitres de grains a l'hectare, tandis que dans les aulres on n'en obtient jamais plus de 1 5. VINGT-UN1EME SESSION. 183 M. Berard (lit qu'on prefere l'assolement triennal , parce que, avec la vaine pature, la culture perfection- nee est generalement impossible. M. Rerolle dit qu'une cause de preference du sys- teme triennal, c'est qu'il facilite le cours des travaux, en donnant aux cultivateurs tout l'hiver pour prepa- rer les cereales de printemps. II ajoute que cet assole- ment s'appuie sur des pres naturels , et que , dans le Midi, avec un systeme de prairies artificielles, on ne serait jamais stir de pouvoir nourrir. M. Detourbet croit que dans le systeme de M. Le- brun il faudrait le double d'attelages. Quant a la cause de la preference donnee a 1'ancien assolement par nos cultivateurs, il croit qu'elle est principalement dans la necessite des avances qu'une autre culture entrainerait, et dans lesquelles avances les fermiers ne pourraient rentrer qu'apres trois ou quatre annees. M. le general Raymond fait ressortir les avantages immenses que le cultivateur peut retirer de la culture de la luzerne pour remplacer les prairies naturelles. II recommande l'emmeulage des foins au dehors , le fourrage etaut mieux place la que sur les etables , ou il recoit toutes les emanations du betail. II y a la, d'ailleurs, des raisons d'economie sous le rapport des constructions, qui peuvent etre moins etendues quand une partie notable de la recolte est mise en meules. M. d'Esterno est aussi d'avis que la cause du refus d'adoption de Fassolement alterne tient a la difficulte pour les cultivateurs de se procurer un capital suffisant. II faut , avant de tripler sa recolte , acheter des trou- peaux, des attelages, et ce sont des depenses que la plu- part des cultivateurs sont hois d'etat de pouvoir faire. 184 CONGRES SCIENTIFJQUE DE FRANCE. Oil il faudrait au moins une demi-tete de betail, repre- sentant 150 fr. , par hectare, c'est en general, dans nos fermes, un sixieme de tete, un capital de 50 fr. Le point de depart est une augmentation des engrais qui creent la fertilite du sol. II faut que le cultivateur soit mis a meme de faire a la terre de larges avances. M. Lebrun pense qu'avec de meilleurs moyens de traction et de meilleurs instruments que ceux qu'on emploie , on pourrait suffire avec le tiers des chevaux que Ton occupe. M. Detourbet pense que dans tous les systemes de culture il arrive un moment oil il faut toujours re- courir a la jachere pour purifier le sol. II ajoute que dans le mode propose par M. Lebrun, il faudrait une quantite enorme de betail , et que quand il arriverait qu'on recoltat les prairies en herbe seche, on trou- verait le sol couvert de mauvaises herbes. M. de Saint-Seine pense que Tune des causes qui eloignent les cultivateurs des nouveaux modes de cul- ture , c'est la necessite d' avoir une plus grande quan- tite de betail, et par consequent plus de batiments pour le loger. II croit que la depense de construction doit dans ce cas s'elever a 500 fr. par tete de betail. M. de Caumont pense que si Ton emmeulait beau- coup dehors , on pourrait employer les anciennes granges au logement du betail, et eviter par la de nouvelles constructions. _ M. Laborie demande si une plante , pour etre don- nee en vert , ne doit pas etre coupee dans un espace assez court de la vegetation , et s'il n'y a pas la une objection contre le systeme de M. Lebrun, dont il a, au surplus , entendu Pexpose avec beaucoup d'interet, VINGT-UNIEMIi SESSION. 185 M. Lebrun repond que dans son systeme on doit semer de l'herbe de mars en novembre, et en avoir toujours en bon etat pour etre coupee. II fait remar- quer, d'ailleurs, que l'herbe qui serait trop avancee pour etre mangee en vert, serait toujours utilisee en fourrage sec. M. d'Esterno, pensant que la discussion est epuisee sur la 1 0e question , presente a l'approbation de l'as- semblee cette double proposition : Les assolements alternes, c'est-a-dire les assolements dans lesquels les recoltes de cereales sont separees par d'autres recoltes fourrageres ou sarclees, sont-ils plus avantageux que les assolements oil deux recoltes de ce- reales se succedent sans interruption? Oui. Sur cette autre question du programme : Comment expliquer la resistance des cultivateurs praticiens a l'adoption des assolements alternes? M. d'Esterno pro- pose la reponse suivante : Parce (\ue la culture perfectionnee exige de grandes avances de capitaux que les proprietaires et les cultiva- teurs sont jusqu'ici hors d'etat de faire. M. Lebrun pense que Ton ne doit pas mettre aux voix les propositions de M. d'Esterno , parce que de la part du Congres il s'agit plutot de mettre en evidence et de discuter les questions du programme , que de leur donner une veritable solution , qui souvent pourrait laisser a desirer, sans conduire a rien ; — que l'assem- blee, d'ailleurs, s'est decidee dans ce sens dans une precedente reunion ; et qu'enfin si , dans les solutions proposees par M. le president, il ne devait y avoir que la manifestation de l'opinion particuliere de M . d'Es- terno et des membres qui partageraient sa maniere de 186 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. voir, et non celle de l'assemblee en corps , M. Lebrun ne mettrait aucune opposition a ce que ces solutions fussent mentionnees au proces-verbal. L'assemblee decide que des enonciations du pro- ces-verbal , s'il est fidele , l'opinion de la majorite resultera suffisamment. La seance est levee. Genret-Perrotte , secretaire. SfiANCE DU 14 A0UT, Presiiieuce de M. dEslerno. M. le president ouvre la seance et invite M. Gen- ret-Perrotte, secretaire adjoint, a donne'r lecture du proces-verbal de la derniere seance ; ce prooes-verbal est adopte. M. Rerolle souleve alors la question de savoir si, dans l'interet des secretaires , il ne serait pas prefe- rable que le proces-verbal ne contint que le resume dechaque discussion, propose par la personne meme qui aurait traite chacune des questions, ou, a son de- faut, par le president, et avec adjonction des consi- derantsqui ont motive telle ou telle opinion. Apresune discussion assez longue, a laquelle prennent part MM. Kerolle , Labor ie , Jobard , Berard , Genret-Perrotte et M. le president, il est decide que, dans les cas oil il se sera manifeste des opinions differentes sur une meme question, les conclusions de chacun seront mises aux VINGT-UNIEME SESSION. 187 voix et adoptees ou rejetees a la majorite des membres presents. M. le president donne lecture de la lle question: Est-il avantageux de donner au sol une forte fumure , sauf a ne la renouveler qu'a des intervalles eloignes ? Ne serait-il pas preferable , au conlraire, de diviser la fumure entre toutes les annees de l'assolement? Quelle est celle des deux methodes qui fournira les recoltes les plus abon- dantes ? Dans le cas oil le systeme des fortes fumures, mais plus espacees, ne conviendrait pas a tous les sols, indiquer la nature geologique et la constitution physique de ceux oil il pourrait etre applique avec avantage. M. Rerolle prend la parole, et fait remarquer que cette question n'a d'importance qu'a un point de vue general ; car , les terres argileuses retenant entre leurs pores l'engrais qu'on leur fournit, et surtout les engrais ammoniacaux, on peut les fumer a forte dose, tandis que ce serait une methode dangereuse pour les sols siliceux. Le meilleur moyen d'utiliser l'engrais, sans qu'il s'en perde par evaporation, serait de le donner a chaque plante en particulier. M. Jobard cite a cette occasion M. de Renneville, qui dispose ses plantes en quinconce et leur fournit l'engrais a chaque pied. M. Laborie ajoute que cette question doit etre traitee sous toutes reserves et avec beaucoup de circonspection; car nous voyons les champs dela Champagne pouilleuse, de qualite tres-mediocre, pren- dre une tres-grande valeur par l'adjonction de 150 a 200,000 kil. d'engrais. La section, en presence d'une question aussi complexe et qui demande de nouvelles et nombreuses etudes, passe a l'ordre du jour. M. le president donne lecture de la 12e question : 188 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Quel serait le meilleur moyen pour rendre moins re- pugnant et surtout plus frequent Femploi direct des ma- tieres fecales a la fertilisation du sol? On entend parler ici des matieres produites par les populations urbaines , qui sont trop souvent negligees et perdues pour Pagricul- ture. M. Laborie reeonnait que mieux vaut faire de la poudrette que de tout perdre, mais que c'est la i'en- fance de Tart, et une source de perte considerable. Mettant aussi de cote les procedes chimiques, qui n'ont pas rempli le but, il propose de faire aboutir toutes les fosses d'aisances dans des egouts collecteurs qui ame- neraient les matieres solides et liquides a un reservoir commun oil elles seraient melees au moyen d'agita- teurs mecaniques et refoulees dans des tuyaux de fonte par une machine a vapeur. Elles seraient ainsi chas- sees meme a plusieurs kilometres , pour etre versees , soit dans un ruisseau, soit dans une riviere pour servir a l'irrigation , ou etre utilisees de toute autre maniere. Apres lecture faite, la 13e question est ajournee. M. le president ayant donne lecture de la 14e ques- tion , il est dit quelques mots sur la suppression desi- rable des couvertures en chaume et sur la propension actuelle a mettre en meules toutes les denrees, foins et cereales , ce qui a d'ailleurs l'avantage de les garan- tir contre les ravages causes par les rats et les souris; puis la question est ajournee. M. le president donne lecture de la 1 5e question : Quels sont les meilleurs modes a suivre dans le traite- ment des terrains d'alluvion de la Bresse, au point de vue de l'amendement du sol arable? M. Rerolle annonce qu'il a etudie les terrains dont il VINGT-UNIEME SESSION. 189 s'agit sur une surface de 30 a 40 lieues carrees, com- prise entre Lyon , le Rhone , la riviere d'Ain , Bourg , Macon et la Saone. Le sol est argileux , compacte , et renferme de la silice a un etat de tenuite extreme. L'eau s'y conserve parfaitement bien ; mais cependant ce ter- rain n'est pas si impermeable que les etangs ne per- dent chaque annee, par infiltration, une couche d'eau de 1 m. 40 de hauteur, ce qui tient a la presence, dans le sous-sol, d'une couche de gros graviers en- chasses dans une gangue argileuse , et aussi a la con- traction, inegale par rapport a la masse tout entiere, d'une couche d'argile pure. Ameubli par la main des hommes , ce terrain devient de la boue pendant l'hiver, et dur comme la brique pendant les secheresses. Par suite de ces proprietes , les engrais s'y perdent, delaves par les eaux, ou emprisonnes par la compacite du sol entre les molecules terreuses. Ainsi done , tassement du sol, etouffement des plantes et perte des engrais, sont les caracteres que presente ce terrain. Pour y re- medier, M. Rerolle indique, en reponse a la question du programme : le chaulage , le defoncement , le drai- nage et l'irrigation. Le chaulage apporterait au sol un element constitutif qui lui manque. II existe dans les Dombes, non-seulement les couches de marne indi- quees par M. Puvis, mais d'autres encore renfermant 34 a 59 0/0 de calcaire , et dont jusqu'a present on a fait peu d'usage. Le defoncement fournirait aux plan- tes une couche meuble plus considerable ; malheureu- sement, son prixde revient est tres-eleve. Le drainage a donne deja d'excellents resultats : diverses experiences sont tout a fait concluantes a cet egard, et on espere meme a la longue une sorte de defoucement par suite 190 CONGRES SCIENTIFIQDE DE FRANCE. du delitement des couches inferieures sous Taction successive de Pair et de l'eau. En tout cas, il diminue beaucoup Pinconvenient de ces depots de silice que les eaux formaient autrefois a la surface. Le drainage est facile a etablir dans les Dombes; car le sol est un pla- teau d'une elevation d'environ 100 m. au-dessus du niveau du Rhone; et d'ailleurs on dispose d'une cou- che absorbante formee de graviers, et avec laquelle quelques coups de sonde peuvent mettre les eaux en communication. L'irrigation produirait egalement de merveilleux resultats. II y a encore 1,800 etangs d'une superficie de 16,000 hectares sur 25 lieues carrees de territoire. Ces etangs , peu profonds, se dessechant par la chaleur, sont une cause de maladie.De plus , l'herbe croit tres-facilement dans les Dombes. Les vallees sont inclinees , les etangs superposes , la quantite d'eau qui tombe annuellement considerable; enfin, les bras sont rares : de sorte que toutes les circonstances sont reu- nies pour indiquer la culture des prairies comme la plus avantageuse , et l'irrigation comme une source de richesses. Ainsi done, il est bien demontre que chaulage , defoncement, drainage et irrigation sont les amelio- rations qui conviendraient le mieux. Puis, abordant la question pecuniaire, M.Rerolle emetl'opinion qu'il serait tres-desirable qu'une loi etendit aux entrepre- neurs ruraux le privilege que Particle 2103 du Code civil accorde aux architectes des villes sur la plus- value creee par les travaux qu'ils ont entrepris. Ce n'est, en efFet, qu'a la condition d'offrir aux capitaux benefice et securite, qu'ils se hasarderont dans des en- treprises agricoles. Des societes meme pourraient se VINGT-UN1EME SESSION. 191 former , qui , a l'abri de cette garantie , effectueraient les travaux, et preleveraient ensuite une certaine part du benefice qui en resulterait, ou se feraient payer par annuites. II en resulterait un grand benefice pour tous ; car le drainage est d'une reussite incontestable et assuree, qui permettrait certainement aux pro- prietaires de payer Tannuite sans amoindrir leurs re- venus. M. d'Esterno appuie vivement la demande de M. Re- rolle. II fait ressortir Pavantage qu'il y aurait pour l'agricullure a l'extension de Fart. 2103. II met en parallele la situation des villes et des campagnes, et remarque que si on a cberche a encourager les tra- vaux urbains par Tart. 2103 du Code civil , on n'a pas traite les campagnes avec autant de sollicitude. N'est- il pas bizarre, en effet, qu'un entrepreneur soit favo- rise par un privilege sur la plus-value des travaux , ou ne le soit pas , selon que l'entreprise aura eu lieu a la ville ou a la campagne ? C'est la un resultat fa- cheux, qui choque autant le bon sens que l'equite. M. Genret demande que ce privilege soit de droit, et resulte de la loi sans procedure ni formalite; car les architectes eux-memes ne profitent jamais de leur pri- vilege : il faudrait a Favancedes declarations et des for- malites qui le feraient rejeter par les proprietaires. La section se separe en demandant que le rapport de M. Rerolle soit redige in extenso , et lu en assem- bled generate. JLa seance est levee. E. Guindey, secretaire. 192 ' CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. SEAHCE DU 15 AOUT. Presidence de II. d'Eslerno. La seance est ouverte a neuf heures. Le proces- verbal de la seance precedente est lu et adopte. La parole est accordee a M. Rerolle pour la lec- ture de son rapport sur la 15e question. Rapport sur les meilleurs modes a suivre dans le traitement des terrains d'alluvion de la Bresse, au point de vue de V amendement du sol arable? Messieurs , Ne m'attendant pas a l'honneur de traiter cette impor- tante question en presence du Congres , je n'ai pas etudie' les alluvions de la Bresse dans toute leur etendue ; mais, habitant la Dombes , c'est-a-dire la partie du depot de la Bresse qui reclame le plus imperieusement des ameliora- tions, ayant ete charge parte Gouvernement d'executer des travaux de drainage pour servir a l'instruction du departement de PAin et des departements voisins , j'ai du reflechir aux moyens d'amender le terrain sur lequel j'o- perais : ce sont ces reflexions sur lesquelles je demande la permission d'appeler un instant votre attention. Afin d'eviter des generalites trop souvent funestes a l'agriculture, j'insiste de nouveau pour vous faire remar- quer que mes observations ont ete tres-circonscrites. La partie du depdt de la Bresse qui a ete exploree serait assez bien limitee par une ligne qui, partant de Lyon, remon- terait le Rh6ne jusqu'k la riviere d'Ain , longerait cette riviere jusqu'a Pont-d'Ain, irait en droite ligne a Bourg, puis a Macon, et enfin descendrait la Saone pour rejoindre k Lyon le point de depart. VINCT-UNIEME SESSION. 193 Ce que je vais avoir Phonneur de vous dire me semble bon pour presque toute cette contree , dont la surface est de plus de 80 lieues carrees, mais pourrait Men etre mau- vais pour le reste du dep6t de la Bresse , parce que la composition physique et la composition chimique varient, parce que, surtout, les influences meteorologiques peu- vent etre tres-diflferentes suivant les lieux. Le depdt de la Bresse est forme dans ses couches supe- rieures d'un melange intime d'argile et d'une silice extre- mement tenue. Ce melange est generalement homogene} mais on y rencontre quelquefois des cailloux roules avec gangue sableuse ou gangue ferrugineuse : tantdt c'est l'ar- gile qui domine, comme aux environs de Bourg; tantdt c'est la silice, comme dans le plateau de la Dombes. Le terrain arable manque generalement de l'element calcaire. Quand il n'a pas ete ameubli, soit par les agents atmos- pberiques, soit paries hommes, il est extremement dur$ il faut presque partout le pic pour Pattaquer. Son impermeabilite est si grande , qu'a un metre de pro- fondeur le sous-sol est pour ainsi dire sec. Heureusement, ce terrain se delite facilement a Pair, et se trouve par- couru en tous sens par de tres-petites veines d'une terre legerement permeable, qui ont sans doute pour origine les nombreuses crevasses qui ont du se produire apres la retraite des eaux au fond desquelles le depdt s'est forme. Quand le sol a ete desagr^ge par une cause quelconque, il a une disposition extraordinaire a devenir boue a la inoindre pluie, et brique a la plus petite secheresse. Il resulte d'une telle composition de graves inconvenients au point de vue agricole. La silice, a cause de sa tenuite , qui est si grande qu'il faut 4 ou 5 nitres superposes pour obtenir une liqueur limpide, est entratnee par les eaux les plus faibles, et tombe dans les interstices laisses entre les corpuscules terreux. Ce depdt, facilite par l'humidite souvent exces- sive de la terre, qui permet a la silice de circuler libre- 13 194 CONGRES SCIENT1FIQUE DE FRANCE. ment, ne tarde pas a remplir tous les pores du sol arable, et a recouvrir sa surface d'une couche blanche et imper- meable. II requite de la que la terre cultive'e se tasse.tres- rapidement, et que la respiration des plantes est conside- rablement genee. Mais ce n'est pas tout : le sous-sol etant impermeable , les engrais solubles , sous l'influence des pluies , se me- langent a l'eau dont le sol est bient6t sature, et s'ecoulent avec elle aux courants voisins , et de la a la mer. Survient- il, au contraire, de la secheresse, la terre se transforme en un beton extremement dur qui emprisonne Pengrais, s'oppose a sa decomposition et, par suite, a la nutrition des plantes, qui n'ont plus alors ni assez d'air, ni assez d'aliments. II en est ainsi tres-souvent pendant Pete $ mais des que les pluies reviennertt, l'engrais mis en liberte se decompose , puis s'evapore dans Pair, ou s'enfuit dans les ruisseaux. On perd de la sorte la plus grande partie des engrais 5 car ce n'est que tres-rarement que la saison per- met a la vegetation de les utiliser convenablement. Ajoutez a eel a la difficulte de trouver une epoque favo- rable pour ameublir la terre suivant les besoins des di- verses plantes , et vous comprendrez combien les recoltes doivent etre incertaines, combien la culture offre de diffi- cultes. Enfin, a toutes ces calamites s'en joint une plus grande encore , e'est l'insalubrite. Elle est due a Pimper- meabilite du sol, et surtout a Pexistence de dix-huit cents etangs qui occupent une surface de 16,000 hectares, et laissent exhaler des effluves si terribles, que dans ce malheureux pays le nombre des morts surpasse celui des naissances, et que la vie moyenne n'y est que de 20 ans, tandis qu'elle depasse 35 ans dans le reste de la France. Ainsi le tassement rapide du sol cultive, Pasphyxie des plantes, une perte considerable d'engrais, une grande difficulte de culture, Pincertitude des recoltes, Pinsalu- brite : tels sont les maux qui affligent Pagriculteur de ces contrees. Voyons les meilleurs moyens de les faire dis- paraUre. VINGT-UNIEME SESSION. 195 Selon nous, ce sont : 1° Le chaulage , 2° le defoncement , 3° le drainage , 4e l'irrigation appliquee a la creation de vastes prairies. Le chaulage est necessaire non-seulement pour intro- duce Pelement calcaire qui manque a la couche cultivee, raais encore pour detruire la cohesion du sol et faciliter Paccomplissement des phenomenes de la vegetation. Ses effets, dans les alluvions de la Bresse, sont excellents, et si generalement reconnus, qu'il est inutile d'insister sur Pef- ficacite de cet amendement. On peut regarder aussi comme evident que le defon- cement est une amelioration de premier ordre dans toutes les lerres, qu'il les rend a la fois moins sensibles a Phumidite et a la secheresse, tout en offrant aux plantes un plus vaste magasin d'aliments. Son utilite , dans le sol de la Bresse, est bien constalee, et ne fera que grandir avec le drainage, auquel il sera un puissant auxiiiaire. Ce- pendant je crois devoir faire observer que,le defoncement 6tant tres-couteux, il conviendrait, avant de l'entrepren- dre, d'attendre si le drainage, en mettant Pinterieur du sous-sol et sa surface superieure en contact avec Pair, qui a la propriete de le deliter, ne produira pas un defon- cement suffisant pour bien des cas , pour les pres par exemple. Quant aux avantages du drainage, les travaux deja exe- cutes dans la Bresse les constatent de la maniere la plus complete : il diminue le tirage, augmente le nombre des jours pendant lesquels il est possible de travailler la terre, et, pour ces deux raisons, permet de supprimer des atte- lages; il donne la facilite de labourer a plat; par suite, celle d'utiliser les raies des planches, c'est-a-dire d'agran- dir au moins d'un cinquieme la surface productive, et aug- mente la fertilite, etc. En un mot, le drainage est une operation lucrative; de plus, il fera sans aucun doute dis- paraitre les etangs et Pinsalubrite du pays : n'eut-il que ce seul resultat, cela suffirait pour le placer au premier rang des amendements a introduire dans les alluvions de la Bresse. 19G CONGRES SCIENT1FIQUE DE FIIANCE. L'irrigation, enfin, noussemble de la plus haute impor- tance pour ces contrees, les raisons en sont nombreuses : 1° Avec une population extremement faible, accablee de maladies et de miseres, il serait bien difficile de rem- placer immediatement le systeme de culture actuel, base sur les etangs, par un systeme autre que le systeme pas- toral. 2° Le sol et le climat sont extremement favorables a la vegetation herbacee, a tel point que les terres laissees sans culture se couvrent spontanement, et dans bien peu de temps ," d'une herbe abondante et d'assez bonne qua- lite. S'il convient generalement de seconder la nature, il y aurait folie de la combattre en cette circonstance. 3° Les terres d'alluvion ayant recu fort peu d'engrais jusqu'a ce jour, il en faudra des quantites enormes pour les amener a cet etat de fertilite maxima qu'il conviendrait de donner a toute terre que l'on cultive. Il sera done ne- cessaire que les plantes qui puisent leurs elements dans Patmosphere, fournissent assez d'engrais pour remplacer celui que l'exportation enleve sous forme de cereales, de lait, de viande, etc., et celui qui doit etre accumule en terre pour ameliorer la machine a produire les vegetaux. Aucune autre culture ameliorante ne me semble ici devoir l'emporter sur la prairie irriguee, qui procurera a la fois l'element organique et Pelement mineral qu'eile puisera dans les limons que chaque instant voit perdre dans la mer. 4° La seconde capitale de la France, Lyon, pouvant consommer presque sur place tous les produits des pres, nulle culture ne donnera delongtemps un produit net plus grand que celui des prairies irrigu^es. 5° Enfin, l'irrigation faite au moyen de nombreux reser- voirs est sans contredit le meilleur moyen d'empecher les inondations de la plaine, dont la frequence et les ra- vages croissent avec la suppression des etangs. Le chaulage, le defoncement, le drainage et l'irrigation, sont done bien les amendements les plus convenables VINGT-UNIEME SESSION. 197 pour les alluvions de la Bresse. Mais ces operations sont- elles possibles? Nous n'en doutons pas. Le chaulage se fait deja depuis longtemps avec des chaux venues des montagnes voisines. Une augmentation trop considerable dans le prix du combustible pourrait seule arreter le de>eloppement de ce mode de chauler; mais deviendrait-il impossible, qu'il ne faudrait pas de- sesperer. Il existe dans les alluvions de la Bresse de nom- breux depdts de marne : nous en avons rencontre" souvent dans les tranches, dans les sondages, dans les puits que nous avons fait executer; la marne affleure en bien des lieux : on pourrait peut-etre Putiliser pour le chaulage, et obtenir ainsi une notable economic Le defoncement s'effectue ordinairement dans le pays avec le pic et la beche$ mais ce moyen, le plus parfait sans doute au point de vue de l'amelioration, est beaucoup trop couteux. Les foui Ileuses anglaises executent un defon- cement de 30 a 40 centimetres de profondeur avec facilite et grande economies leur usage devrait etre recommande\ Pour les defoncements plus profonds , la charrue Gui- bal, au dire d'agriculteurs qui l'ont employee, serait ex- tremement avantageuse ; il faudrait l'essayer. Le drainage, des son apparition en France, a ete re- garde comme le sauveur de la Bresse ; seulement on crai- gnait de manquer de pente pour l'ecoulement des eaux. Ce n'est pas que le relief naturel du terrain s'oppose a l'assainissement du pays 5 loin de la : le sommet du pla- teau est a plus de 100 metres au-dessus des courants dans lesquels il verse ses eaux par une foule de petites vallees dont la pente moyenne est de plusieurs millimetres par metre. Si la contree est couverte d'eau, c'est qu'on la re- tient par des barrages qui, etablis transversalement aux petites vallees, forment des etangs etages les uns au-dessus des autres, depuis la plaine jusqu'a la ligne de faite. Pour voir disparaitre entierement les eaux, il suffirait de lever les pelles de ces etangs. Mais ces etangs ont de nombreux partisans qui ne veulent pas les detruire, et les eaux ont 198 CONGRES SCIENT1F1QUE DE FRANCE. ete amenagees de telle sorte que, quand un etang estpiein, l'etang place immediatement en amont puisse faire ecou- ler les eaux de la surface, mais non celles du drainage, qui seraient a 1 m. ou 1 m. 50 plus bas. Cette difficulty de faire disparaitre les eaux de l'interieur des terres n'existe plus, l'etude geologique des alluvions nous ayant conduit a penser qu'il y a sous la plus grande partie du pays des etangs une couche aquifere d'oit l'eau s'echappe par les nombreuses sources qui bordent le plateau. Nous avons eu recours aux puits absorbants pour faire ecouler les eaux de drainage dans les cas oil il eut ete impossible, a moins de depenses excessives, de recourir a tout autre moyen d'egouttement. Il existe deja plusieurs de ces puits a des distances considerables les uns des autres; ils fonc- tionnent bien. Il est done permis de dire qu'avec les puits absorbants il n'est pas une parcelle du plateau qui ne puisse etre assechee. Ces puits absorbants semblent de- voir jouer un grand r61e dans l'assainissement de la Dom- bes 5 mais ils pourraient aussi etre employes pour creer un moteur a bon marcbe. Il existe a la Saulsaie un puits qui a 23 metres de profondeur et absorbe 30 litres par se- conde : l'utilisation de cette cbute par une turbine Koeclin donnerait un moteur d'autant plus precieux, qu'il absor- berait peu d'eau reiativement a sa puissance. Enfin, Messieurs, j'arrive aux irrigations. Rien n'est plus facile que d'irriguer les alluvions de la Bresse. D'abord, il existe de nombreux cours d'eau qui pourraient fournir a l'arrosement de vastes etendues} ensuite,rien ne s'oppose a ce qu'on etablisse des reservoirs capables d'alimenter l'irrigation de toules les vallees} les anciens etangs eux- memes pourraient etre utilises dans ce but : il suffirait de prendre quelques precautions pour empecber leur insalu- brite. Nul pays n'est mieux fait pour etre irrigue au moyen de reservoirs que le terrain de la Bresse. Il y tombe an- nuellement une couche d'eau de 1 m. 20, e'est-a-dire le double de la moyenne de la France. Le mois de juin est gendralement pluvieux, a raison sans doute de la fonle VINGT-UNIEME SESSION. 199 des neiges environnantes, qui, en refroidissant Pair, con- dense les nuages venus de pays plus chauds. Le sol imper- meable laisse arriver l'eau au reservoir, qui la conserve parfaitement. L'arrosementexige peu d'eau, et, le sol des vallees etant nivele par les etangs, les travaux de terras- sements sont reduits aux plus petites proportions, d'au- tant plus qu'avec le drainage l'irrigation est singuliere- ment simpliflee : il suffit d'amener l'eau } on n'a plus a s'inquieter de la faire evacuer, elle s'ecoule par les drains. Mais, Messieurs, ce serait peu de vous avoir demontre quels sont les meilleurs modes d'amender le sol des al- luvions de la Bresse : il faut aussi vous faire connaitre par quel moyen on peut se procurer les capitaux neces- saires. Ce moyen, s'appliquant indistinctement a toutes les contrees qui ont besoin d'etre assechees et arrosees, est d'un interet general, et son examen me semble une des questions les plus importantes qui puissent fixer votre attention. Ce moyen consiste a obtenir du gouvernement une loi qui etende aux entrepreneurs de drainage et d'ir- rigation le privilege accord^ aux architectes et entrepre- neurs de constructions de canaux, etc., par Part. 2103 du Code civil, privilege qui, comme vous le savez, accorde a Parchitecle, sur la plus-value provenant des travaux, au moment de la vente, un droit de priorite sur tout au- tre, meme sur un vendeur non paye. Avec une telle loi, vous verrez, sans aucun doute, se former de suite des societes dont le but serait de faire pour les particuliers des travaux de drainage et d'irriga- tion moyennant une somme payable soit au fur et a mesure de la livraison des travaux, soit par annuites comprenant les interets. Des lors plus d'empechement a Pexecution de ces bien- faisants travaux. En efFet, le drainage et l'irrigation etant deux operations qui, lorsqu'elles sont bien executees , donnent une augmentation de recolte s'elevant jusqu'a 20, 30, 40, 50 pour cent de Pargent depense pour les etablir, les propri&aires pourront, dans la plupart des cas, s'ac- 200 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. quitter envers les societes sans toucher ni a leur capital, ni a leurs revenus, et verrontainsi, apres quelques annees, leurs rentes augmentees de 20, 30, 40, 50, 100 francs par hectare. C'est peut-etre le seul moyen qui reste aux proprietaires oberes de sortir de leur situation facheuse. Les faveurs des societes seraient reclamees de tous cdtes, et les capitaux seuls limiteraient Petendue des operations. Mais les fonds ne dernanderaient pas mieux que d'ac- courir vers Pagriculture, qui, des lors, leur offrirait entiere securite etun dividende pouvant s'elever facilement de 15 a 20 pour cent} car ce dividende se composerait non-seu- lement du benefice de Pentrepreneur sur chaque opera- tion , mais aussi de Pinteret a cinq pour cent que le pro- prietaire devrait payer pendant toute la duree de Pannuite. Si a la loi dont il s'agit on ajoutait la simplification des formalites a remplir pour conserver le privilege, et le droit de faire circuler des titres representant la valeur des engagements souscrits par les proprietaires, les opera- tions se simplifieraient, les capitaux, attires par un bene- fice d'autant plus grand que la meme somme servirait a faire plus d'operations dans la meme annee , ne manque- raient certainement pas aux societes , et on pourrail dire qu'on aurait le credit foncier veritablement applique aux ameliorations agricoles. En resume , les meilleurs modes d'ameliorer le soL arable des alluvions de la Bresse sont : 1° Le chaulage, 2° le defoncement, 3« le drainage, 4° les irrigations appliquees aux prairies naturelles. Pour faciliter ces operations, le Congres devrait : 1° Conseiller des essais de chaulage avec la marne que Pon rencontre presque partout dans les alluvions a une faible profondeur, et quelquefois a la surface ; 2° Recommander Pemploi des fouilleuses anglaises, et des essais de defoncement avec la charrue Guibal ; 3° Employer tons les moyens de publicite dont il dis- pose, user de toute son influence dans les di verses assem- blies deliberantes et aupres de PEtat, pour obtenir une loi VINGT-UNIEME SESSION. 201 qui etende aux entrepreneurs de drainage et d'irrigation le privilege accord^ aux architectes et aux entrepreneurs de constructions , de canaux , etc. , par Particle 2103 du Code civil, avec simplification des formalites a remplir pour conserver le privilege, et droit, pour les grandes societes de drainage et d'irrigation, de faire circuler des litres representant la valeur des engagements pris par les pro- prietaries envers elles$ 4° Enfin, faciliter autant qu'il pourra la formation de societes dont le but serait d'executer , pour les particu- Hers , des travaux de drainage et d'irrigation moyennant une somme payable soit au fur et a mesure de la livraison des travaux , soit par annuites comprenant les interets. Dijon, 15 aout 1854. REROLLE, Ing^nieur, professeur de g^nie rural a la Saulsaie. M. Shall fait remarquer que la legislation actuelle est suffisante dans le cas de la garantie demandee par M. Rerolle, que la jurisprudence accorde hypotheque a l'architecte du jour ou il met sa science au service des proprietaires , et que cette hypotheque peut etre recla- mee aussi bien dans le cas d'entreprises agricoles que d'entreprises urbaines. M. d'Esterno, tout en rappelant que la discussion est close a cet egard, fait observer que le privilege demande par M. Rerolle est bien pre- ferable a une simple hypotheque. M. le president donne lecture de la 14e question, aj our nee lors de la precedente seance : Quel changement les progres de l'agriculture doivent- ils amener dans P architecture rurale? M. le general Raymond pense que l'emploi des meu- les pour le foin, et meme pour le ble, donnera d'excel- lents resultats; qu'il est possible de mettre ces meules 202 CONGRES SCIKNTIF1QUE DE FRANCE. completement a l'abri des degats causes par les rats, au moyen de colonnes de metal surmontees de plateaux. On peut, du reste, diviser ces meules en plusieurs par- ties, de inaniere a ce qu'il soit possible d'enlever en une seule journee toute la masse qui remplit un des com- partiments. Get usage des meules permettra d'utiliser pour le logement des bestiaux ou des employes de la ferme les batiments autrefois occupes par les recoltes. M. Detourbet ajoute que, les progres de l'agricul- ture exigeant une plus grande quantite de betail , il faudra plus de batiments , et par consequent , avec une faible depense de plus , on en obtiendra de nou- velles facilites pour 1'engrangement. II annonce, du reste , une importation anglaise appelee a donner de bons resultats : c'est la construction , au milieu de la cour de ferme , d'un vaste hangar construit en bois de peu de valeur et couvert en paille. A deux metres du sol environ , on etablit un plancher , de sorte qu'on peut rentrer, au bas de ce hangar, tous les chariots, charrues , en un mot tout ce qu'on designe en Bour- gogne sous le nom de harnais, et a la partie supe- rieure les grains et denrees qui demandent a etre mis a couvert. Pour emp&cher le ravage des souris, les poteaux de ce hangar sont revetus a la partie supe- rieure de chapiteaux en fer-blanc. Ce hangar presente de plus l'avantage de pouvoir etre transforme, en cas de besoin, en bergerie provisoire. Pour M. Lebrun, la question predominate est celle de convenance des batiments pour tel ou tel service. Les progres de la culture amenant de plus en plus l'augmen- tation du betail et la specialisation des constructions, il imporle de n'employer que les materiaux les moins VINGT-UNIEME SESSION. 203 couteux, car la question d'economie est aussi une question capitale. Les couvertures en paille seraient les meilleures de toutes et les plus avantageuses sous beaucoup de rapports , sans l'immense inconvenient qu'elles ,presentent d'etre formees d'elemenls eminem- ment combustibles. On peut obvier a cet inconvenient en trempant la paille destinee a la couverture , poignee a poignee, dans un baquet rempli d'argile delayee dans de l'eau et saturee de sel. Cette methode rend la paille tellement incombustible , qu'on peut entretenir du feu sous une toiture ainsi preparee sans parvenir a l'enflammer. Cette couverture est tres-economique. La paille ainsi preparee conserve sa propriete incombus- tible pendant plusieurs annees : l'eau delave tres-peu l'argile qui enduit la paille ; on a d'ailleurs la ressource de s'en servir comme engrais, on n'y perd que la main- d'ceuvre. En Normandie , les paysans emploient habi- tuellement ce genre de couverture sans aucune pre- paration, sauf a jeter la paille sur le fumier quand elle est usee par le soleil et la pluie. C'est, du reste, la couverture la moins couteuse qu'on puisse employer : elle revient en Bourgogne a 5 fr. la toise toute posee. La couverture en pannes, employee dans d'autres pays> n'a pas reussi en Bourgogne. M. Detourbet attribue ce resultat a la difficulte que Ton eprouve a se procurer ce genre de tuiles, a leur pesanteur relative presque aussi grande que celle des tuiles ordinaires; et enfin elles ne mettent pas a l'abri des alternatives de temperature d'une maniere aussi complete que la paille. La couverture en bardeaux a egalement l'inconvenient d'etre tres-froide en hiver, tres-cbaude en e(e. 204 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. M. Baudot signale ces inconvenients , et developpe les avantages de la couverture en chaume , dont le seul inconvenient est la combustibilite. II entre dans quel- ques details, sur les causes des incendies qui , parti- culierement depuis la creation des compagnies d'as- surances , desolent nos campagnes , tandis que dans un temps plus recule ces malheurs etaient beaucoup plus rares. II n'est pas incontestable, d'ailleurs, que la paille soit incombustible lors meme qu'elle aurait ete impregnee de diverses substances par le procede Bou- cherie ou autre. M. Lebrun cite encore un genre de couverture plus economique que tous les precedents : c'est le carton bitumine. L'epaisseur des murs et la force de la char- pente deviennent , avec cette nouvelle invention , par- faitement inutiles. Le carton a ete employe il y a une vingtaine d'annees par M. Houzeau, qui s'en est servi pour couvrir tous les batiments de la forge de Grand- pre. La legerete de cette toiture la rend susceptible d'etre enlevee par un coup de vent ; mais c'est la un inconvenient qui lui est commun avec bien d'autres genres de toitures. Les hangars couverts en zinc, en paille, en ardoise, et meme en tuiles, peuvent etre decouverts par le vent. Ainsi les progres de Tagriculture ameneront a em- ployer de plus en plus les meules pour mettre les re- coltes a couvert, el a utiliser pour les batiments de culture les materiaux les moins couteux. M. le president donne lecture de la 16e question : Les meules de ble sont-elles en usage? Quelles sont les formes les plus habituelles ? II est repondu a cette question que les meules de VINGT-UN IEME SESSION. 205 ble sont en usage dans plusieurs localite's de la Cote- d'Or, et qu'il est a souhaiter que leur emploi se pro- page encore davantage. Une des formes adoptees le plus souvent est celle d'un long parallelogramme for- me de plusieurs autres adaptes bout a bout. Mais quelle que soit la forme qu'on leur donne , ronde ou carree , il est bon qu'elles ne contiennent de gerbes que ce qui peut en etre battu dans une jour nee. M. le president lit la 17e question : Quels ont ete les resultats du drainage en Bourgogne? Combien d'hectares de terre y a-t-il de draines en Bour- gogne, et particulierement dans le departement de la Cote- d'Or? Le drainage n'a ete applique jusqu'a present qu'a une surface tres-restreinte. On cite dans le depar- tement les drainages de Talmay et de Fauvernay, et ceux de Louhans en Saone-et-Loire. Les resultats ob- tenus , quoique peu nombreux , font esperer du drai- nage l'amelioration de bien des localites. M. le president lit la 18e question : A-t-on applique la mecanique agricole dans la Bour- gogne? Les machines a battre fonctionnent-elles ? Y en a-t-il de mues par la vapeur? A-t-on invente dans ce pays de nouvelles machines tendant a simplifier les travaux agricoles? M. d'Esterno presente un petit instrument invente par M. de Laloyere , dont le but est de faciliter la plan- tation des ecbalas dans lesvignes.Cette plantation est, enefFet, une des operations les plus fatigantes de la culture viticole. On a deja essaye de substituer au tra- vail purement manuel des ouvriers un instrument qui permettait d'agir sur l'extremite superieure du pais- 200 CONCRES SCIEP}TIFIQU£ DE FRANCE. seau; mais la transmission de l'effort dans le sens de la longueur occasionnait souvent sa rupture et pou- vait determiner des accidents. Cet inconvenient ne se presente plus dans l'instrument presente aujourd'hui par M. de Laloyere. C'est une sorte d'etrier en fer adapte solidement au pied de l'ouvrier par deux cour- roies. La partie exterieure de l'etrier porte deux griffes en fer, droites et paralleles, entre lesquelles rien n'est plus facile que d'introduire l'echalas dans la position meme qu'il doit occuper sur le sol. Un leger mouve- ment de bascule imprime a l'instrument maintient ferme le paisseau entre les griffes et permet a l'ou- vrier d'employer tout son poids pour l'enfoocer soli- dement en terre. MM. d'Esterno, Shall, Lebrun et Berard conviennent de se reunir pour faire fonction- ner ce nouvel appareil sous leurs yeux et en rendre compte a la section. La seance est levee a onze heures. E. Guindey, secretaire. SEANCE DU 16 AOUT. Presidence de H. d'Esterno. La seance est ouverte a neuf heures un quart. Le proces-verbal de la precedente seance est lu et adopte. La parole est a M. Lebrun, qui rend compte, en ces termes, du paisseleur de M. de Laloyere : Rapport sur une machine a enfoncer les paisseaux. Messieurs, le petit appareil presente par M. E. de La- T1NGT-UNIEME SESSION. 207 loyere, de Savigny-sous-Beaune , a votre section, et que vous a decrit M. Guindey , votre secretaire, est un instru- ment du genre de ceux qui rendent de grands services a l'agriculture , en diminuant la fatigue, quelquefois bien rude, du travailleur, et qui a ce merite, joint celui, mal- heureusement trop rare, de la simplicite. Destine a fixer en terre les paisseaux de la vigne avec le pied , il rend facile , prompte et beaucoup moins penible l'operation , qui jusqu'ici s'est pratiquee a la main , et qui alors exigeait un efTort assez considerable dans lequel il fallait ployer la partie superieure du corps d'une maniere fatigante, ou exposait les femmes, qui la font ordinairement, a se blesser au sein en passant le paisseau sous l'aisselle pour l'enfoncer. La commission que vous avez nominee , accompagnee de votre president et de l'inventeur , est allee essayer le modele que vous avez sous les yeux. Cbacun des membres l'a essaye, et a pu s'assurer qu'il remplit de la maniere la plus parfaite la fonction pour laquelle il a ete imagine. L'instrument, attache au pied gauche, se prete merveil- leusement aux mouvements naturels de la marche,qu'il retarde peu. Le vigneron place avec la main droite un echalas devant lui, il avance la jambe gauche enbaissant la pointe du pied, et saisit 1'echalas vers le bas avec les deux machoires du sabot } il baisse alors le talon comme pour s'appuyer dessus, et enfonce le paisseau 5 il n'a plus qu'a relever la pointe du pied pour lacher le paisseau 5 apres ce leger temps d'arret ilpeut continuer sa marche. Il a paru aux membres de la commission qu'au moyen de l'ingenieuse invention de M. de Laloyere on pourrait achever l'operation du paisselage en beaucoup moins de temps que par le procede ordinaire. Nous avons dit que ce serait avec une bien moindre fatigue et sans aucun danger. La commission croit done que le paisseleur de M. de La- loyere est une veritable bonne fortune pour le vigneron. Le Rapporteur de la commission, A. Lebrun. 208 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. M. le president donne ensuite lecture dela 19* ques- tion : Quels ont ete pour la Bourgogne les resultats de Pa- baissement du droit d'entree sur le Detail etranger? Le prix de la viande a-t-il sensiblement baisse par suite de cette mesure? M. d'Esterno , tout en constatant qu'il n'y a pas eu abaissement des prix de la viande, pense neanmoins que l'introduction des bestiaux etrangers a du arreter la hausse en amenant la surabondance de bestiaux dans les departements frontieres, et par suite une cer- taine reaction merae sur les marches de l'interieur. M. Detourbet pense que l'abaissement des droits d'entree n'a eu d'effet que sur l'importation des ani- maux de race perfectionnee destines a ameliorer notre elevage, mais qu'il n'entre point d'animaux gras des- tines a la boucherie. Chaque peuple produit la viande necessaire a sa consommation, mais n'a point un sur- croit de population animale a fournir a ses voisins.La Suisse et la Baviere rhenane sont peut-etre les seuls pays voisins a meme de nous vendre des animaux de boucherie. II ajoute qu'il a ete a meme de s'assurer que sur les marches francais voisins de la Sardaigne, il vient plutot des boeufs gras de la Vendee que des boeufs sardes. M. le general Raymond fait remarquer que le prix du pain reagit sur celui de la viande; que beaucoup d'ou- vriers, et surtout ceux de Paris, savent fort bien qu'il est plus avantageux de se nourrir de viande que de pain, surtout lorsque le prix du pain est aussi eleve , et que cet accroissement dans la consommation de la viande a eu pour consequence naturelle d'en augmenter le prix. VINGT-UNIEME SESSION. 209 La reponse est done negative pour les deux ques- tions du programme. M. le president donne lecture de la 20e question : Y a-t-il une difference entre la culture de la vigne au xive et an xve siecle en Bourgogne, et la culture de la vigne a notre epoque? M. Detourbet fait ressortir la difference de culture de la vigne telle qu'elle se pratiquait autrefois , et telle qu'elle se fait aujourd'hui. Cette difference tient essen- tiellement auchangementde plant. Autrefois on pros- crivait soigneusement le garnet pour ne cultiver que le pineau. Ce changement de plant a entraine comme consequence un changement dans tout le systeme de culture. Les ceps etaient autrefois tres-espaces , on ne fumait ni on ne provignait, et on ne cultivait rien autre chose que de la vigne. Aujourd'hui , au contraire, on cherche a obtenir le plus grand produit possible. On a diminue les distances entre les plants , et on uti- lise encore cet espacement par la culture des menues graines , ce qui necessite l'emploi des engrais pour subvenir a toute cette vegetation. M. le president donne lecture de la 21 e question : Quelles peuvent etre les consequences physiques en France de la destruction des bois par le defrichement? Comment pouvoir utilement operer le reboisement des pentes, a raison de la division de la propriete forestiere? M. Le Rouyer, conservateur des forets , fait obser- ver quelle est rimmensite de la question proposee, si on veut l'etudier sous toutes ses faces. Le deboise- ment a amene comme consequences : la denudation des pentes , le ravinement , la destruction des parties basses , un changement dans 1'etat climatologique des 210 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. differentes contrees; et il ne serait pas moins interes- sant de Tetudier sous le rapport de l'influence que peut exercer la disparition des grands vegetaux sur la production des plantes moins elevees. M. d'Esterno propose de s'en tenir a l'etude des consequences purement materielles que peut entrai- ner le deboisement. M. le general Raymond considere les bois comme ayant une grande influence sur la quantite d'acide carbon ique contenu dans 1'air. Par l'absorption qu'ils font du carbone et de ses composes, ils purgentl'at- mosphere des matieres carboniques exhalees par le regne animal. Sous ce point de \ue, leur importance est grande, et il ne serait pas impossible que l'absence des forets favorisat la frequence des epidemies. Ils ont de plus l'avantage de retenir les terres sur les coteaux et d'empecher l'empierrement des parties basses. A ce dou- ble point de vue, les forets ont done une influence con- servatrice qui doit les faire respecter et meme retablir. M. LeRouyer appelle encore l'attention sur ce fait de destruction des coteaux et des plain es par les tor- rents qui charrient violemment en quelques heures toute l'eau dont les forets pouvaient auparavant re- tarder l'ecoulement pendant plusieurs jours. II prevoit qu'un moment yiendra ou certaines parties du terri- toire seront inhabitables faute de combustible. II cite des departements autrefois forestiers , ou les habitants sont aujourd'hui reduits a bruler des plaques de gazon desseehees ( Haute-Loire , foret de Mezingue ) ; d'autres localites, telles que la pointe du Finistere, ou on se sert pour le meme usage de bouse de vache dessechee. Du reste , cette question est tellement complexe , qu'il ne VINGT-UNIEME SESSION. 211 peut citer que des difficultes et des obstacles sans pro- poser de solution. M. d'Esterno fait remarquer que ce deboisement des montagnes est d'autant plus funeste, que, la des- truction de tout sol vegetal s'ensuivant presque tou- jours, c'est autant de terrain perdu pour la production des plantes utiles. II voudrait, du reste, voir appliquer en cette matiere le principe que chacun est respon- sable du dommage cause par son fait a autrui , meme sans intention. Ce serai t peut-etre un moyen indirect deprevenirle deboisement des pentes. II arrive souvent que le proprietaire du coteau n'est pas proprietaire de la plaine inferieure , et que le deboisement de ce coteau amene Tensablement des proprietes inferieures. Dans ce cas, s'il etait possible de demander des dom- mages-interels , le proprietaire forestier serait retenu dans ses projets de defrichement par la crainte des in- demnitee a payer. II est repondu a cette maniere de voir que le droit de propriete est absolu , et que chacun peut user de sa chose et meme la detruire comme bon lui semble. M. d'Esterno pense neanmoins que ce cas est ana- logue a celui ou nous causons un dommage a notre voisin par notre faute, et qu'il doit lui etre assimile dans les consequences. Du reste, si les tribunaux n'en ont pas accorde , c'est qu'ils n'ont jamais ete appeles a decider en pareille matiere, tant il y a certitude pour chacun qu'une pareille demande ne serait pas prise en consideration. M . de Saint-Seine objecte , d'ailleurs , qu'il faudrait distinguer si le proprietaire de la pente a expose son terrain aux degradations par le deboisement, ou seule- 212 CONGRES SCIENT1FJQUE DE FRANCE. ment par le defrichement : la solution ne devrait pas etre la nieme dans les deux cas. M . de Caumont ajoute que ce transport de mater iaux sur les parties basses est regarde dans beaucoup de cas comme un grand bienfait, et qu'on ambitionne une pareille degradation , bien loin de demander des dommages interets. M. Le Rouyer represente que dans le cas de demande en defrichement on s'enquiert en premier lieu du dan- ger qui peut en resulter pour les proprietes infe- rieures. M. d'Esterno lui oppose les bois del'Etat, dont quel- ques-uns, sous une pente de 45°, ont ete vendus avec faculte de defricher. II persiste done a penser que des dommages-interets devraient etre accordes au proprie- taire qui voit son champ detruit ou deteriore par Pim- prudence des proprietaires forestiers. M. Le Rouyer repond que le defrichement des pla- teaux est tout aussi dangereux que celui des coteaux , parce que la neige £n est chassee par le vent et va s'ac- cumuler sur quelque partie des pentes environnantes, oil elle forme plus tard des torrents ; que ces torrents augmentent leur faculte devastatrice par leur reunion, et que les parties ensablees du territoire sont quelque- fois situees a 80 ou 100 lieues du point de depart, et qu'en ce cas , il n'est pas possible de rechercher le pro- prietaire dont les travaux imprudents ont determine les inondations. M. Morelot ajoute que s'il est de principe en droit que toute personne est responsable du dommage cause a autrui par son fait meme involontairement, il est de principe aussi que personne ne peut etre condamne VINGT-UNIEME SESSION. 213 pour avoir use d'uu droit ecrit dans la loi , de bonne foi et dans un but d'utilite , lors raeme que l'usage de ce droit porterait prejudice au voisin. M. Laborie soutient cette opinion, que le droit de propriete est absolu et que nul n'est passible de dom- mages-interets pour avoir use de sa chose comme bon lui semble. II prend pour exemple l'abatage d'une ligne de peupliers , qui laissera le territoire sans abri contre la violence des vents. II ajoute qu'il y a lieu de distinguer entre les bois de montagne et les bois de plaine, que l'importance des premiers est incon- testable, mais qu'il n'en est pas de meme pour les seconds, dont le sol pourrait rapporter a son proprie- taire un revenu plus considerable s'il etait en culture ou en prairie. A propos de la distinction proposee par M. Laborie , M. Baudot fait observer qu'il y a danger a accorder trop legerement des facultes de defricher, meme en plaine; que souvent le sol des bois defriches est epuise par quelques recoltes successives, et que le proprie- taire se trouve en definitive avoir fait une tres-mau- vaise affaire; que d'ailleurs les forets en plaine peuvent seules fournir les pieces de construction pour la char- pente, qui deviennent tous les jours de plus en plus rares , et que c'est une raison de plus pour maintenir ces forets. II entre aussi dans quelques details sur cer- taines perturbations atmospheriques si prejudiciables a l'agriculture , causees , selon lui , par la destruction des bois. Comme il parait trop restreint de se servir separe- ment du mot pente ou montagne , attendu que tous les terrains en pente ne sont pas en montagne et que tous 214 CONCHES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. les terrains de montagne ne sont pas en pente, M. le general Raymond propose de prendre surtout en con- sideration la faculte productive du sol. II desire voir conserver en bois toute terre qui ne peut fournir du ble. M . Detourbet objecte qu'il faut distinguer deux in- terets dans la question : l'interet particulier, auquel personne n'a le droit de toucher et que chacun com- prend comme il l'entend ; et Futilite publique. C'est sous ce dernier point de vue uniquement que la ques- tion peut etre envisagee. M. de Bry d'Arcy desirerait voir fonctionner d'une maniere utile les commissions chargees d'etudier les conditions locales et d'indiquer la convenance ou Tin- convenient des defrichements. En definitive , il est repondu a la question du programme, comme Fa pro- pose M. Laborie. Dans les terres de montagne le de- boisement est tres-funeste , il est moins prejudiciable dans les plaines. La discussion s'engage sur le 2e paragraphe de la 21 e question. M. de Bry d'Arcy pense que les commissions dont it vient de parler pourraient indiquer quels sont les ter- rains communaux dont la replantation est urgente , et que, pour les terrains des particuliers , elles pourraient demander Impropriation pour cause d'utilite publi- que; car il n'est pas possible de forcer les proprietaires au reboisement quand ils ne le veulent pas. La vaine pature parait etre encore un obstacle au reboisement des pentes. M. de Saint-Seine fait observer que le reboisement est rendu quelquefois impossible par la denudation complete du rocher meme. VINGT-UNIEME SESSION. 215 M. Michel repond que cette plantation a parfaite- ment reussi en Auvergne pour les pins. M. Detourbet ajoute que, meme dans les sols cal- caires, on peut esperer le reboisement en utilisant d'abord comme abris les buissons de cerisiers qui s'y trouvent. II ajoute que M. Lambert de Chatillon a pu replanter 100 hectares de montagnes d'une maniere tres-peu couteuse en soulevant avec une large pioche une plaque de gazon et placant en dessous un petit plant de 2 a 3 ans. La reprise n'en est cependant as- suree qu'avec une annee pluvieuse. II annonce de plus qu'il a observe le semis naturel de pins et d'epiceas sur la montagne calcaire des environs de Dijon, etque ces semis poussent bien , pourvu qu'ils trouvent de l'abri dans le commencement. La mesure prise par le dernier gouvernement de se faire rembourser une partie de la plus-value dont beneficiait le proprietaire a qui il ac- cordant permission de defricher, parait bonne a quel- ques personnes, mais exorbitante a la plupart, lors meme que cet argent serait employe par le gouverne- ment a favoriser le reboisement. M. Detourbet demande s'il n'y aurait pas avantage a ce que les communes soient autorisees a echanger ou a vendre, sous condition de reboisement, leurs communaux situes en pente, sauf a elles a se procurer d'autres terrains de valeur equivalente, si toutefois elles y trouvaient avantage. M. de Saint-Seine fait observer que plusieurs com- munes ne veulent ni vendre ni cultiver leurs terrains communaux. Enfin M. Shall propose de repondre a la question du programme : Peut-on arriver utilement au reboise- 216 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. ment des pentes en raison dela division dela propriete forestiere? de la maniere suivante, qui a l'assentiment de l'assemblee : Les pentes des montagnes defrichees appartiennent en grande partie aux communes. Dans tous les cas oil les pentes ne sont pas indispensables au paturage des bestiaux , le gouvernement pourrait user du droit de tutelle qu'il a sur les proprietes communales, en contraignant les communes a operer le reboisement sous la direction des agents forestiers. L'inviolabilite des proprietes particulieres interdit d'user du meme moyen a leur egard ; mais on peut en faciliter le reboisement en supprimant la vaine pature, qui en rend la conservation si difficile, en etendant la mesure du degrevement d'impot , et en accordant des encouragements par distribution degrainesou au- tres moyens semblables. La seance est levee a onze heures. E. Guindey, secretaire. STANCE DU 17 AODT. Presidence de II. d'Esterno. La seance est ouverte a neuf heures un quart. Le proces-verbal de la seance precedente est lu et adopte. M. le president donne lecture de la 22e question : Indiquer les moyens les plus economiques et en meme temps les plus certains pour creer des bois sur les mon- tagnes qui ont ete denudees par les abus de la vaine pature ou par une culture irrationnelle. VINGT-UNIEME SESSION. 217 Prendre en consideration, dans la r^ponse, la nature calcaire ou siliceuse du sol a reboiser; indiquer les essen- ces preTerables dans les differentes circonstances oil le reboisement devra s'operer. M. LeRouyer fait remarquer qu'il n'est pas possible de repondre a cette question d'une maniere absolue; que tout depend des circonstances locales , telles que l'altitude du lieu au-dessus du niveau de la mer , de la temperature, de la nature geologique du terrain. II ajoute que, dans les terrains tres-denudes , il ne faut pas s'attacher a semer de suite telle essence plutot que telle autre , mais que le point essentiel est de couvrir le terrain avec des broussailles ou des herbes de quel- que nature que ce soit, et que l'emploi des coniferes est par la suite tres-avantageux en ce sens, qu'ils ont la propriete de former tres-promptement une couche de detritus qui augmente d'autant la fertilite du sol. M. de Bry d'Arcy insiste sur la difficulte d'indiquer des procedes pratiques generaux , mais fait remarquer que les terrains en montagne a proximite des forets de pins, ou seulement des bouquets de bois, peuvent se re- peupler par le semis naturel , pourvu qu'on en ecarte soigneusement les bestiaux. Ce moyen est tres-long, mais a en meme temps l'avantage d'etre peu couteux. M. de Saint-Seine fait observer que ce moyen ne s'applique nullement a la Cote-d'Or, ou il n'existe pas de forets de pins. II maintient done ce qu'il a avance precedemment, que les terres calcaires ne conviennent point a la vegetation des pins, et que le meilleur moyen de replanter ces terrains serait d'y creer d'a- bord des abris, et surtout d'y creuser des fosses trans- versaux, qui ont l'avantage de maintenir Fhumidite, 218 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. de fournir une certaine quantite de limon dont on peut se servir avantageusement pour les plantations, et d'arreter les degradations causees par la descente trop rapide des eaux de pluie. Le moyen est couteux sans doute; mais il s'agit de reussir, et c'est le seul moyen praticable. II est certain qu'en plantant des bois, personne n'entend faire une speculation qui lui soit profitable personnellement, mais qu'on travaille pour ceux qui viendront apres nous. M. de Bry d'Arcy ajoute que toutes les forets com- mencent par la presence de quelques cepees d'epines. II cite a cet egard les iles du Rhin , qui ne sont formees que de sable depose par les eaux; que ces iles se re- couvrent d'abord de ronces et d'epines , et qu'a l'abri de cette vegetation parasite, les arbres forestiers se developpent et finissent par former une foret. M. Lebrun est d'avis que les coniferes ne viennent tres-bien qu'a une hauteur de 4 a 500 metres au-dessus du niveau de la mer ; qu'au-dessous de cette altitude, il faut leur donner une exposition au nord. M . le president donne lecture de la 23e question : La coupe rez terre n'est-elle pas nuisible dans certains sols et a certaines essences ? M. Le Rouyer fait observer qu'il n'est pas possible de donner a cette question plus qu'a la precedente une solution positive; car appliquer par tout la meme me- sure sans consideration de circonstances et de localites serait tres-mauvais. Ainsi , sur les bords de la Saone et dans tous les endroits humides la coupe rez terre est tres-mauvaise , parce que, l'humidite survenant, et souvent avec elle un depot limoneux , il arrive que VIHGT-UNIEME SESSION. 219 les souches en sont recouvertes, qu'elles pourrissent et meurent. Ed montagne , il faut couper un peu haut. Sur les pentes , il faut maintenir la coupe a une hau- teur moyenne, parce qu'il arrive que dans ces cir- constances l'eau ravine le terrain, degarnit les ra- cines, les exhausse en dessus du terrain; et si dans ces conditions on coupait la souche trop pres , on detrui- rait toute sa vitalite. Cependant couper rez terreest le principe admis en art forestier; car de cette maniere on force le bourgeon a sortir de la souche entre deux terres ; il prend racine , se nourrit par lui-meme, et par consequent on assure ainsi aux souches une duree il- limitee. Seulement , il faut savoir modifier le principe selon les circonstances. M. le president donne lecture de la 24e question : Quelle a ete la cause principale du deboisement d'une partie importante du sol forestier? Pour M. de Saint-Seine, la cause du deboisement involontaire a ete le paturage dans les bois , l'impre- voyance et la negligence des proprietaires. M. Michel, independamment de ces causes, consi- dere les charges qui pesent sur la propriete forestiere comme une des causes qui ont rendu cette propriete onereuse et lourde aux proprietaires. lis payent , d'a- bord, plus d'impots proportionnellement que les terres en culture; its ne sont nullement proteges par la loL Si les proprietaires forestiers payent comme les autres pour la garde de leurs bois , ils n'en sont pas mieux gardes pour cela , et ils sont encore obliges d'avoir des gardes forestiers , puis de poursuivre eux-memes les delits qui se commettent; de sorte que, sous ce rap- port, il y a reellement desavantage a avoir des bois. 220 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. En outre, les produits forestiers payent a l'octroi de certaines villes, et surtout de Paris, un droit d'entree egaletmeme superieur auproduitqu'en a retire lepro- prietaire lui-meme. Cependant il est juste de reconnai- tre que cette annee les produits similaires ont ete frap- pes d'un droit d'entree a peu pres equivalent, c'est-a- dire les fers pour les constructions et les houilles pour chauffage. Les lois de douanes sont encore defavora- bles aux bois : l'exportation en est interdite, tandis que 1'importation en est autorisee, ce qui tend a en avilir la valeur. Ainsi r les ecorces peuvent sortir de France par une seule voie ; mais 1'administration a de plus le droit d'accorder arbitrairement des facultes de sortie qu'elle peut aussi revoquer arbitrairement. Cette an- nee, une pareille permission ayant ete accordee, les ecorces ont augmente beaucoup; sa suppression les a fait baisser de 25 p. 0/0. Ainsi toutes les mesures con- cordent pour amener la destruction des bois. Cepen- dant, les proprietaires ne fournissant plus de bois a la marine , l'Etat devrait songer a en produire dans ses forets. De plus , 1'administration forestiere releve d'un ministere qui ne peut la eonsiderer que comme une administration purement fiscale. II en resulte , d'une part, que les proprietes forestieres de l'Etat ne peuvent etre considerees que comme un moyen de se procurer de l'argent , une chose avec laquelle on bat monnaie en cas de besoin , et que la propriete forestiere appar- tenant aux particuliers n'a point de representant offi- ciel aupres du gouvernement. M. d'Esterno ajoute que les produits forestiers sont encore sur le pied d'inegalite avec les autres produits similaires pour tout ce qui regarde les trans|>orts» YIKGT-U&IRME SESSION. 221 Ainsi, le prix de transport des bois sur les canaux est, a poids egal, plus considerable que ceux de la houille! (Test encore la une cause d'inferiorite choquante. En resume , les causes du deboisement et de la de- faveur dont jouit la propriete forestiere sont, pour M. Michel : L'abus du parcours ; Le peu de respect des populations pour les forets ; La difficulte de les faire garder, et celle non moins grande de poursuivre les delits qui y sont commis; L'elevation des frais de transport par canaux et chemins de fer ; Les droits d'octroi dans certaines villes ; La prohibition d'exporter ; Et enfin l'annexion de l'administration forestiere au ministere des finances. II est a souhaiter de voir cette administration dans une position telle , qu'elle puisse prendre en serieuse consideration les interets particuliers de la propriete forestiere, et meme ceux de l'agriculture. M. le president donne lecture de Tart. 2 de la 5e section , qui se rattache directement a Fagriculture : Quelle serait l'influence de la liberte du commerce de la boucherie et de la boulangerie sur les consommateurs et les producteurs? M. d'Esterno etablit que le commerce dela bouche- rie a Paris est encore un monopole ; que la viande , outre sa valeur intrinseque deja tres-grande, est en- core rencherie de tous les frais de deplacement qu'est oblige de subir chaque consommateur pour s'en pro- curer. II n'y a, en effet , a Paris qu'un nombre tres-li- mite d'etaux; et corarae, dans un but de protection CONGRES SCIENT1FIQUE DE FRANCE. speciale, le colportage de la viande est inlerdit, cha- que menage est oblige de s'approvisionner directement a un etal quelquefois tres-eloigne , et par consequent eprouve une perte de temps qui s'ajoute au prix de la viande. Les boulangers , les marchands de poissons , de volailles,etc, peuvent colporterleursdenrees,et eviter ainsi une gran de perte de temps aux consoinmateurs. Les bouchers seuls jouissent d'un privilege qu'il im- portede faire disparaitre. Ce n'est la qu'une disposition qui leur est exclusivement avantageuse sans compen- sation pour le consommateur. Le monopole dont ils sont investis a pour effet de tenir le prix de la viande de boucherie a un taux tres-eleve , lors meme que les bestiaux sont en baisse. M. d'Esterno est done d'avis que le colportage de la viande est le meilleur moyen d'attaquer directement ces abus et de s'en debarrasser. M. Michel appuie la proposition de M. d'Esterno. II signale ce fait, que les marchands forains ne pou- vaient autrefois vendre de la viande qu'une fois par semaine a Paris, et jamais deux fois de suite dans le meme endroit : on voulait les empecher par la de se creer une clientele serieuse, et de faire ainsi concur- rence aux bouchers patentes. On a depuis etendu ces droits des bouchers forains , et la creation d'une nou- velle institution, la vente a la criee du marche des Prouvaires , a rendu de tres-grands services. Mais cette vente est encore trop restreinte : les ouvriers ne peu- vent pas y assister, et les bouchers ont ete assez puis- sants pour obtenir que plusieurs personnes ne pour- raient se reunir pour acheter en commun et partager ensuite leurs achats. Ils ont fait considerer cet arran- gement comme une vente en detail de viande de bou- YINGT-TJNIEME SESSION. cherie, ce qui est defendu ailleurs que chez eux. La x proposition de M. d'Esterno parait a Fassemblee le meilleur moyen d'atteindre directement un privilege qui n'a plus sa raison d'etre. II est a souhaiter que le colportage de la viande soit autorise , en reservant toujours a la police le droit de surveiller ce commerce et de saisir toute viande de qualite inferieure. Quelques membres expriment ensuite le regret d'a- voir vu disparaitre des boulangeries et boucheries creees par association dans le but de supprimer, au- tant que possible, les intermediaires , et de fournir le pain et la viande a bon marche et de bonne qualite. M. Micbel cite la ville de Colmar, ou une boulange- rie particular e , qui avait voulu reunir ces qualites , est tombee sous les efforts des meuniers et boulangers de la ville. II ajoute qu'a Grenoble il s'etait forme un etablissement qui avait pour but de fournir des aliments de bonne qualite au meilleur marche possi- ble; quecette institution, entravee un instant par l'ad- ministration , est maintenant favorablement vue, et qu'elle donne d'excellents resultats. Depuis, la societe de saint Yincent de Paul , a Bar-le-Duc , a cree un fourneau economique sur le meme pied qu'a Grenoble. Cet etablissement peut fournir pour 25 ou 30 cent, la nourriture necessaire au repas d'un homme, et, mal- gre ce bon marche, n'est point en perte; il semaintient actuellement par ses propres ressources. Un autre eta- blissement du meme genre a ete cree a Nancy. L'examen des differentes questions soumises a la 2e section du Congres etant termine, la section d'agri- culture, sur la proposition de son president, emet le 224 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. desir que les voeux du Congres relatifs a l'agriculture puissent etre mis sous les yeux de l'empereur. M. Berard se rend Tinterprete de toutes les per- sonnes qui ont assiste aux seances de la section d'a- griculture, en exprimant des remerciments a M. le president pour le zele qu'il a apporte dans ses fonctions et la maniere distinguee avec laquelle il a su conduire les discussions et presider les seances. Tous les membres presents demandent que l'ex- pression de ces remerciments soit inseree au proces- verbal. La seance est levee a onze heures. E. Guindey, secretaire- yingt-unieme session. 225 TROISIEME SECTION. SCIENCES Til Hl( l| |> SEANCE DD II AOUT 1854. Presidence de I. H. Baudot ct de B. Merrier (de Paris). La troisieme section du Congres s'est reunie le 1 1 aout , a onze heures et demie du matin ( heure conve- nue pour ses seances), dans la salle du conseil mu- nicipal, et son premier soin a ete, sous la presidence de M. H. Baudot, secretaire general, de constituer son bureau en nommant M. Mercier, de Paris , president; et M. Brulet, de Dijon, secretaire. Ces Messieurs prennent place au bureau. M. Mer- cier, president, adresse ses remerciments de l'honneur que vient de lui faire la section , et declare la seance ouverte. II est communique une lettre ecrite par M. le doc- teur V. Bally, ancien president de TAcademie de me- decine, a Paris, etpresidentdes sections medicalesdu Congres precedentes , pour exprimer ses regrets de ne pouvoir assister aux seances de l'Assemblee. La sec- tion, en faisant connaitre ses plus bienveillantes sym- pathies pour cet eminent praticien, apprecie hautement les motifs de l'absence de M. Bally, retenu dans son *5 226 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FR\NCE. departement pour y porter, au besoin, ses secours eclaires et devenus necessaires par l'epidemie dont les ravages desolent beaucoup de localites voisines du lieu ou il reside. La lettre de M. Bally sera remise entre les mains de MM. les secretaires generaux , lors de la reunion des sections qui doit avoir lieu a trois heures. M. le president depose sur le bureau les brochures dont il a fait hommage au Congres (voyezpage 52). M. Mercier lit ensuite la premiere question du pro- gramme, ainsi concue : Determiner le mieux possible les substances indigenes capables de remplacer le quinquina dans les fievres inter- mittentes. M. Ripault demande la parole, et fait la lecture a ce sujet du memoire suivant : Messieurs , Un ouvrage magnifique aussi bien par la pensee qui Pa fait concevoir que par son execution typographique, a paru au commencement du siecle dernier sous le titre (Vffistoire des plantes qui naissent aux environs tfAix et dans plusieurs autres endroits de la Provence; gros in-folio orne de cent belles gravures : c'est le professeur Garidel qui l'a mis au jour, sous les yeux et d'apres les conseils de l'illustre Tournefort. L'auteur avait dedie son impor- tant travail a MM. les Procureurs du pays de Provence , en appuyant son hommage de la consideration suivante : « Vous n'ignorez pas, Messieurs, que si notre province » a le bonheur de posseder tout ce qui lui est necessaire » pour l'entretien de la vie, sans qu'elle soit obligee de » recourir a ses voisins , elle n'a pas moins l'avantage de » voir naitre chez elle tous les secours qu'elle peut espe- » rer pour ses malades. » Dans le cours du livre il justifie VJNGT-UNIEME SESSION. 22*7 cette assertion , en designant trente plantes de sa riche conlree, conseillees avec plus ou moins de fondement contre les fievres intermittentes. Cette pensee du professeur de Montpellier, qui ne nous preoccupe plus assez en France aujourd'hui, nous la re- trouvons cependant precisee bien long-temps avant lui. Des 1'an 1504, un des savants places a la tete des natura- listes lyonnais , Saint-Simj)horien-Champier, a avance" des principes en tous points semblables dans un ouvrage re- garde comme contenarit des paradoxes a cette epoque. En parcourant son ffortus gallicus ou Campus JElysius, le Jar- din francais ou les Champs-Elys6ens, Pon y decouvre cette idee mal jugee de son temps, mais qui presente une grande verite : c'est que chaque partie de la France, ou cbacun de nos departements , pour parler nettement, produit tous les remedes necessaires pour le traitement des maladies , re- medies bien superieurs aux drogues que nous faisons , a grands frais, venir de 1'Amerique, des Indes, ou d'autres points eloignes du globe , et que nous ne consommons tou- jours qu'alt^res et sophistiques. Il n'est pas aise, sans doute, de trouver des agents ca- pables de posseder, pour remplacer le quinquina, des proprietes absolument equivalentes k cette substance, qui tend a devenir de plus en plus rare, et consequemment de plus en plus couteuse. En these generale , aussi bien qu'en saine philosophic appliquee a Phistoire des regnes de la nature , ce serait etrangement se fourvoyer que de s'arreter a la pensee qu'il pourrait exister deux vege- taux ou deux elements organiques exact ement identiques quant a leurs vertus sur l'economie et quant aux effets qui pourraient Pimpressionner au raeme degre , et sans y eveiller de modifications tant soit peu differentes. Mais, puisque la necessite semble devoir assez prochainement nous imposer de tres-rigoureuses conditions, sous ce rap- port, sachons parer a la difficulte de se procurer un cher remede; cherchons done un ou plusieurs medicaments qui puissent etre substitues au preferable , qui contiennent 228 CONGRES SCIENT1FIQUE DE FRANCE. dans leurs principes innes, par la force de leur nature, une vertu presque analogue , dut-on ne devoir qu'en aug- menter la dose , pourvu que le prix de la substance soit attenue; car rien de plus important dans la pratique en general que le prix d'un remede, si sa modicite, en fait de depense, n'en altere pas l'efficacite : tacbons, dans nos fecondes contrees, de trouver des succedanes; recueil- lons pieusement ces sauveurs indigenes, propageons-les, comme on se plait a propager les bonnes idees, surtout quand a la facilite de se procurer ces agents precieux, sont joints tous les avantages d'une preparation aisee , d'une conservation constante et d'un etat qui ne laisse pas sup- poser que la fralcbeur en puisse promptement deperir et passer. Sous toutes les latitudes, Messieurs, dans chaque con- tree du globe, la terre ne manque jamais de fournir les matieres propres a servir d'agents neutralisant bien des maladies qui y ontpris germe , surtout s'il s'agit de depra- vations survenues dans le sang ou les humeurs excremen- titielles. C'est ce qu'aimait a repeter notre Dumont d'Ur- ville , dans ses voyages de long cours , en invoquant son experience basee sur les nombreuses applications de ses recherches aux gens de mer qu'il conduisait a d'inces- santes decouvertes. Cook n'adopta precedemment qu'une pens^e semblable^il lui avait donne le plus de vogue pos- sible. Toujours ces grands navigateurs eurent le talent de trouver , dans les pays qu'ils parcouraient , des vegetaux qu'ils savaient transformer en remedes de bon aloi, a la place de ceux quails n^avaient plus dans les cases des na- vires reservees a cette destination. Les equipages ne s'en trouvaient pas mal ; loin de la : des maladies etaient promp- tement arretees dans leur cours, et d'autres se trouvaient prevenues , en quelque sorte , des les premieres atteintes dont elles semblaient vouloir frapper les marins. Dans toute fievre intermittente prolongee ou non, de- venue a la longue tierce ou quarte, nul remede qui ait pour la combattre plus d'excellence que le quinquina. VINGT-UNIEME SESSION. 229 L*on ne concoit pas comment il ait pu se faire que les stahliens seuls aient songe" a le proscrire pr^cisement dans ce cas-la. Leur gout pour des hypotheses a pu leur suggerer un aussi singulier eloignement. Quoi qu'il en soit, le quinquina jouissait d'une telle reputation , et le debit en etait si grand, que deja du temps de Morton on ven- dait du mauvais quinquina, du quinquina sans vertu. En 1797, Jean-Emmanuel Gilibert, ancien medecin de I'hdpital general de Lyon , qui fut honore d'une longue correspondance avec le grand Haller,vit ceder facilement les fievres intermittentes , qui furent nombreuses , aux amers et au chardon etoile ( centaurea calcitrapa), il jugea rarement a propos d' employer pour les combattre le quin- quina. G'est en 1797 qu'une epizootie tres-singuliere et d'une nouvelle espece detruisit en quatre a cinq semaines, dans la ville de Lyon et bien ailleurs , du nord au midi , en Europe , presque tous les chats , souvent mortellement frappes en trois ou quatre heures. Ce mal terrible pour l'espece feline a trouve en ce temps-la un nosographe habile et capable dans M. Bredin fils , professeur de l'ecole veterinaire. En 1784, toujours a Lyon, sevissaient des doubles tierces , et meme aussi des fievres quartes. Cinquante-cinq individus, au grand hdpital, ont ces fievres intermittentes, de types divers ; eh bien! ces cinquante-cinq sujets, enfants, adultes et vieillards, sont gueris par le chardon etoile ou la racine de benolte en poudre (Geum seu urbanum / seu rivale); l'emploi du quinquina ne fut adopte alors seu- lement que pour les fievres quartes trop prolongees : en 1784 l'on se plaignait de l'abus que l?on faisait du quin- quina. L'on epuisait , disait-on , ce remede heroi'que par une prodigalite destinee , t6t ou tard , a en reduire le be- nefice ^je dirais presque a en appauvrir la bienfaisance. Le saule blanc (salix alba), que les Celtes nous ont fait connaitre sous cette denomination , frappes qu'ils etaient de le voir croitre et se multiplier pres des cours d'eau (sa/proche, is eau), passe pour un febrifuge excellent. 230 CONGRES SCIEKTIFIQUE DE FRANCE. Son efficacite , disent d'assez prompts enthousiastes , sur- passe celle du quina. Bouillon-Lagrange, qui ne mesurait son opinion qu'avec le produit du creuset chimique, lui trouve, en le comparant au vegetal des pitons de l'Ameri- que , une analogie de composition dont on doit s'estimer heureux de s'accommoder dans le traitement des fievres in- termittentes. La oil sontmarais et sol fangeux, la naissent res fievres qui minent et qui tuent.... Mais la aussi croit le saule, qui chasse l'ennemi destructeur. Singuliere coin- cidence dont des temoignages nous offrent presque par- tout l'exemple ! Vauquelin vantait le saule contre les fievres. C'etait, avec le quinquina, le vegetal dont l'ecorce en decoction precipitat le plus nettement en vert la solution de sulfate de fer. A ce sujet, il faut rendre hommage au pharmacien de Verone , Fontana , qui parait avoir ete le premier ( c'etait en 1825 ) a faire ressortir de l'ecorce de ce saule la sali- cine; mais, pour revenir a notre cause, c'est-a-dire au principe reellement vegetal , je n'entends preconiser de vant vous que l'ecorce , rien que l'ecorce seule du saule blanc , sans m'occuper de son mode d'administration (soit pou- dre , soit decoction) , sujet qui est en dehors du cadre de la question. Pourquoi ne plus revenir aux applications sur les carpes , les poignets , les pieds,etc, de la pulpe d' anemone patens? Rarement ce secours , il y a qua'tre-vingts ans , a manque de produire son effet dans les fievres tierces, meme com- pliquees de toux et de stethomyodynie, d'osphyalgie ou d'autres symptdmes brisants pour les malades? Objectera- t-on les phlyctenes que cause cette pulpe? Tant mieux! ce leger dep6t de lymphe sur des surfaces cutanees peut aider a atloucir les effets trop vehements de l'agent mor- bifique, aux sympt6mes proteiformes ou larves? L'on favorise, de la sorte, des Eruptions artificielles qui pro- curent les benefices de certaines crises preliminaires. Je ne veux rien dire d'une substance qui constitue un de nos plus violents poisons, et que l'on cherche loujours. \;NGT-CNIEME SESSION. 231 apreconiser contre les Gevres en question. 11 me suflit de rappeler que cette substance est hautement reprouvee par Stahl. Aussi suis-je tres-dispose a laisser aux bons paysans de la Lithuanie, oil il s'est en quelque sorte cantonne, l'u- sage de l'arsenic, meme selon ce qu'ils appellent minima dosi, c'est-a-dire un quart de grain de mort aux rats dans une pinte d'eau. Abandonnons done ce moyen meme aux grands de ce pays et a ces gentilshommes qui , dans l'en- nui de voir durer leurs fievres , absorbent ce qu'ils ap- pellent le magique arcane des Juifs. Si , pour tous ceux qui usent de Parsenic, l'on n'a pas eu bien frequemment des suites funestes a constater , il faut convenir qu'outre les violentes coliques gueries chez certains arsenivores, il a fallu s'attacher souvent a detruire l'effet des traces pro- fondes du passage de l'arsenic dans le corps , c'est-a-dire la stupeur des membres, la paralysie . les tremblements, et d'autres dommages inseparables d'ordinaire pour l'e- conomie, assezpeu curieuse de semblables remedes. D1 H. RlPAULT. Apres la lecture de ce memoire , et sur la proposi- tion de M. Feuillet, la section decide que ce travail sera lu a la seance generale de ce jour. Nous dirons seulement qu5a propos de l'arsenic, dont il est fait mention dans la lecture precedente. M . A. Grabowski exprime son etonnement de n'avoir jamais entendu parler de cet agent , qui , dit-on , est d'un usage habituel, immodere et presque de fantaisie dans son pays natal. II croit que e'est une histoire a la maniere de celle qui a ete faite sur la plique polonaise, dont la description lui parait etre d'une trop grande exageration. M. Feuillet, au sujet de l'arsenic , rappelle qu'assez souvent I'economie s'habitue aux doses graduees d'un poison, et que l'usage a peu pres quotidien de cette 232 CONGRES SCIBNTIFIQUE DE FRANCE. substance veneneuse obtient de la part de l'organisme une tolerance tellement soutenue, qu'elle fmirait par equivaloir a une immunite complete. L'on passe a la seconde question, ainsi formulee : Exposerles moyens lesplus convenables pour tenir tout hdpital et tout hospice a l'abri d'un air vicie et des mau- vaises exhalaisons. M. Ripault demande et obtient la permission de lire une note dans laquelle il expose la necessite, pour bien trailer ce sujet, d'apprecier la depravation de Pair qu'occasionne le sejour d'un grand nombre de per- sonnes dans un meme lieu, surtout si, de sa nature, ce lieu sert de refuge a des malades et a des blesses. Au surplus, que de paroles remplies de sentiments d'humanite n'a-t-on point fait entendre sur cette tou- chante ettriste matiere ! Le fait est, dit notre confrere, que meme encore aujourd'hui, dans les hopitaux, l'air est bien mauvais, surtout le matin. II enumere les causes nombreuses et incontestables des exhalaisons qui puisent dans ces secourables demeures des germes d'entretien perpetuels, et se demande s'il n'y aurait pas quelque moyen d'en attenuer 1'efFet. Parmi les ameliorations a proposer d'urgence, il signale la se- paration des malades dans les salles. En attendant Fadoption de cette mesure reclamee depuis si long- temps deja par ceux-la memes que les maux et la mi- sere obligent a quitter leurs propres foyers , pourquoi ne pas abolir ces pernicieux , ces epais rideaux de lit , receptacles impurs de toutes les puanteurs contagieu- ses possibles? Ces rideaux funestes, il voudrait les voir, dans les plus grandes salles et les plus elevees, et ailleurs aussi, remplaces par des sortes de stalles, ap- VINGT-UNIEME SESSION. 233 propriees pour chaque lit , d'une hauteur convenable (2 metres par exemple) , qui permettraient le complet isolement des malades, qui leur eviteraient F aspect d'un mourant ou d'un mort, qui leur epargneraient l'effroi produit par la vue de ces mille et une opera- tions pratiquees si souvent et comme a l'improviste sur un voisin. Ce systeme d'isolement se preterait par- faitement, d'ailleurs, a tous les moyens de ventilation bien fixes par la science et mis en application dans les constructions de nos jours avec une habilete qui ne laisse rien a desirer. M. Grabowski fait observer que ces stalles pour- raient etre eloignees du sol de maniere a permettre a Pair de Circuler au-dessous comme au-dessus, sans frapper peniblement les malades, sans meme qu'ils en ressentissent Paction, au moyen de couloirs convena- blement disposes pour cela. M. Feuillet insiste sur la necessite d'isoler des au- tres habitations Pensemble de tout hopital ainsi que les divers corps de batiments qui le composent. M. Mercier annonce qu'il se propose de demander, dans la plus prochaine seance , la permission de faire part a la section de certaines recherches auxquelles il s'est livre sur plusieurs points , encore peu connus , des maladies des voies urinaires. La seance est levee a une heure et demie. A. Brulet , d. m. , secretaire. 234 CONGIIES SCIENTIFIQUB DE FRANCE. SEANCE DU 12 AODT. Prfeidence de M. le docleur Mercier. La seance est ouverte a l'heure designee la veille, et qui sera l'heure habituelle pour les reunions de la section de medecine. Apres la lecture et l'adoption du proces-verbal , M. Mercier, president , prend la parole. Beaucoup de malades, dit-il, sans affection du systeme nerveux, n'urinentpas ou n'urinent que tres-mal. Chez un bon nombre la sonde penetre sans rencontrer d' obstacle, souvent meme Purine ne s'ecoule qu'avec leuteur par la sonde, et on est oblige de presser sur le bas-ventre pour Paccelerer. Quelquefois, en examinantl'interieur de la ves- sie apres la mort, on trouve une ou plusieurs turaeurs qui s'elevent de la prostate et ferment le col de la vessie; mais plus souvent on ne distingue aucune saillie, et on en conclut alors que Puretre est libre et que c'est la vessie qui ne chasse pas Purine : comme cet etat se rencontre principalement cbez les hommes &ges , on a oublie com- pletement qu'on peut Pobserver aussi a tout autre age , et on a decrit une paralysie essentielle, primitive, senile de la vessie. Si Pon eut fait plus d'attention , on aurait vu que sou- vent , sans faire une saillie appreciable du c6te de la vessie, le bord posterieur de Porifice urethral est projete en avant de maniere a recouvrir le bord anterieur, et a fermer cet orifice a la maniere d'une soupape. M. Mercier a designe ce genre d'obstacie sous le nom de valvules du col de la vessie, et il en a reconnu deux especes : les unes sont cons- tituees par une hypertrophic uniforme et reguliere des gra- nulations glanduleuses du lobe moyen de la prostate; les autres par une retraction du tissu musculaire qui ferme VINGT-UNIEME SESSION. 235 haturellement le col de la vessie. Les unes appartiennent presque exclusivement a la vieillesse , les autres debutent le plus souvent dans un age pen avance. C'est de celles-ci* que M. Mercier s'occupe principalement. Pour en faire mieux comprendre la formation, il com- mence par exposer ses recherches relativement a la struc- ture du col de la vessie. Cet orifice, dit-il, n'est pas ferme par un sphincter orbi- culaire , comme on le croit generalement.Un plan de fibres musciilaires transversales occupe le bas-fond de la vessie , depuis les orifices ureteraux jusqu'a celui de l'uretre, ab- solument comme le plan qu'on nomme cravate de Suisse occupe la grosse tuberosity de l'estomac; et de meme que celles-ci se portent sur toute Petendue des parois anterieure et posterieure de l'organe, de maniere que les plus rap- prochees de l'orifice cardiaque se dirigent presque trans- versalement vers son cote droit et peuvent en determiner l'occlusion, de meme les fibres du plan musculaire de la vessie dont il est actuellement question , s'etalent de cha- que c6te en eventail et suivent diverses directions \ les posterieures se portent sur les ureteres et sur la paroi posterieure de la vessie , les moyennes sur les parois la- terales, tandis que les anterieures obliquent d'autant plus en avant qu'elles sont plus rapprochees du col , et se jet- tent par leurs extremites dans la paroi anterieure. Lorsque ces dernieres se contractent, leurs extremites etant fixes, c'est leur anse qui se souleve , determinant ainsi une sail- lie du bordposterieur du col de la vessie au-dessus deson bord anterieur et fermant cet orifice comme par une sou- pape. Un autre plan beaucoup plus mince , place entre le pre- cedent et la muqueuse, prend naissance dans l'uretre, au- dessus et sur les c6tes du verumontanum , et se porte sur tous les points de l'orifice du col et de la vessie. Quand il se contracte, il tend evidemment a dilater le col; et comme c'est le bord posterieur qui a surtout besoin d'etre lire en arriere, c'est de ce cdte surtout que ces fibres sont plus 236 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. nombreuses et se dirigent plus perpendiculairement a la resistance. Dansl'etatnaturel, ces deux plans antagonistes agissent alternativement; mais qu'il survienne de l'irritation, de l'inflammation dans le bas-fond de la vessie ou dans la partie profonde de l'uretre ( calculs , blennorrbagies chro- niques, etc.) , les fibres muscul aires deviendront le siege de contractures , et comme celles qui ferment le col l'em- portent de beaucoup en force sur celles qui le dilatent,la retention complete ou incomplete d'urine aura lieu. Cette retention pourra n'etre que passagere si l'irritation qui lui a donne lieu n'est que passagere , ou si elle ne resulte que de l'exasperation passagere d'une inflammation babituelle. Si, au contraire, la contracture dure longtemps , les fibres musculaires qui en etaient le siege se raccourcissent, et l'obstacle au cours de Purine devient permanent. M. Mercier reconnait ces valvules a l'aide d'une sonde droite terminee par un bee de 12 a 15 mill, faisant avec la tige un angle de 110 degres. Le talon de eel explorateur donne la sensation nette de la resistance existant derriere le col de la vessie, et, lorsqu'on est parvenu dans cet or- gane , on peut faire circuler son bee tout autour du col sans etre oblige de lui imprimer un mouvement d'ascen- sion , comme il faudrait le faire si l'on rencontrait une tu- meur. Les valvules n'offrent plus de gravite par elles-memes , parce qu'il est actuellement facile d'y remedier} mais il n'en est pas de meme des complications , telles qu'inflam- mations de la vessie et des reins, etc. L'essentiel est done de ne pas attendre trop tard pour les traiter. Le traitement est palliatif ou curatif. Le premier consiste dans Pemploi methodique des sondes. M. Mercier conseille, autant que possible, les sondes elasti- ques a courbure fixe et tres-prononcee. Il ne veut pas qu'on les laisse a demeure, parce que, si cette metbode a produit quelquefois du bien ? elle a amene bien plus sou- vent des accidents. YINGT-UNIEME SESSION. 237 On a conseille , dans l'idee qu'on avait affaire a une pa- ralysie essentielle de lavessie, des stimulants locaux ou generaux, des injections, l'electricite, le seigle ergote,la strychnine , la noix vomique, etc., et l'on a meme cru ob- tenir des guerisons. On n'a vu qu'une partie de la verite a cet egard : on a quelquefois rendu ainsi a la vessie la con- tractilite qu'une longue distension lui avait fait perdre ; inais l'obstacle persistant, cette contractilite ne tardera pas a disparaitre de nouveau ; tandis que si l'on avait d'abord attaque l'obstacle, la contractilite serait revenue sponta- nement, ou du moins aurait pu etre provoquee d'une ma« niere plus durable. M. Mercier conseille done d'inciser ou d'exciser les valvules, suivant qu'elles sont musculaires ou prostatiques. Les Academies des sciences et de medecine ont deja hautement sanctionne ces methodes operatoires, etM. Mercier fait voir des instruments simples et tres-in- g^nieux pour les pratiquer. II previent ensuite la repro- duction de l'obstacle en pratiquant de temps en temps une pression sur le fond de la plaie jusqu'a ce que ses bords soient cicatrises isolement. Le meme membre presente en outre un brise-pierre a mors plats et fenetres , qui offre sur ceux qu'on emploie habituellement l'avantage d'une action plusrapide et d'une pulverisation plus parfaite , ainsi qu'une sonde a double courant a I'aide de laquelle les detritus de la lithotritie peuvent etre evacues jusqu'a la derniere parcelle , meme dans les cas oil le malade ne peut pas emettre une seule goutte d'urine spontanement. Ces differents extraits, accompagnes de demonstra- tions manuelles et de l'exhibition de tous les instru- ments propres a en rendre l'intelligence plus precise, interessent vivement les membres de la section, qui fe- licitent M. Mercier pour la communication instructive qu'il vient de presenter. La seance est levee a une heure et demie. A. Brulet, secretaire. 238 CONCHES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. SEAICE DU 13 AOUT. Prfeidence de M. Mercier. La seance est ouverte a onze heures. Le proces- \erbal de la derniere seance est lu et adopte. M. Feuillet, de Lyon, fait hommaged'un memoire imprime dont il est l'auteur, et qui a pour titre : « Faire connaitre et ressortir l'importance des etudes physiologiques pour les progres de la philosophic et de la sociologie. » M. Jobard, directeur du musee industriel beige, a Bnrxelles , venu parmi nous pour nous initier a ses ingenieuses decouvertes, membre de la section des sciences naturelles , offre a la section medicate plu- sieurs brochures , une entre autres sous ce titre : De la memoire des yeux appliquee a Fenseignement du dessin. Bruxelles, 1848. M. Jobard accompagne l'hommage de ce dernier travail d'une note manuscrite dans laquelle il resume ainsi lui-meme ses propres idees : MISE AU POINT AGE OCULAIRE NATUREL. La mise au point des yeux s'opere de la meme facon que la mise au point d'une lorgnette de theatre. Seulement Poperation est plus lente : ceux qui n'ont pas la patience d'attendre,prennent des besides, et deviennent les clients et les esclaves des lunettiers pour le reste de leurs jours. Nous avons echappe a cet esclavage en etudiant la com- position de l'oeil, qui est muni de tous les muscles neces- saires a ^appropriation de la vue aux necessites de la V YINGT-UNIEME SESSION. 239 vie. Nous avons ete successivement myope et presbyte, presbyte et myope a volonte , selon nos besoins. Ces deux sortes de vues sont egalement bonnes. Dans l'enfance , nous avions la vue longue 5 elle est devenue courte par la lecture, le dessin et l'etude. Devenu geograpbe, elle s'est allongee pour l'observation des signaux lointains, puis raccourcie par une longue application a la gravure des infiniment petits; puis, tres-longue par les voyages, et enfin, moyenne par la vie ordinaire des villes. Vingt fois nous avons pris des besides qui nous servaient tres-bien dans un moment de presse; mais nous les rejetions bien vite, assure de recuperer au bout de quelques jours le point d'oii nous etions parti, ce qui n'a jamais manque d'arriver. Cette experience personnelle ne doit pas etre perdue : c'est ce qui nous engage a la communiquer au Congres , avec l'explication suivante, que les medecins physiolo- gistes comprendront , ou redresseront s'il y a lieu. Le globe de l'oeil est enveloppe de muscles divers qui servent a sa rotation dans tous les sens 5 mais ils ont, en outre, la mission d'allonger ou d'aplatir cet appareil, et ces deux dernieres operations demandent du temps et de la persistance a cause de Phumeur vitree, du cristallin, de la pupille etde la cornee, qui offrent une resistance a l'ef- fort des muscles qui les enveloppent. Leur action lente ne repondant pas immediatement a l'impatience de l'homme, il s'imagine que ses yeux sont uses , il se hate de prendre des lunettes. Ses muscles finissent par s'atropbier par le manque d'exercice , et au bout de trois generations, ce d£- faut devient congenial , de sorte que les generations qui vont suivre auront besoin de lunettes en sortant de nour- rice. Il arrivera pour l'ceil ce qui est arrive pour l'oreille, dont le pavilion mobile, chez les sauvages, se dirige au son comme celui de beaucoup d'animaux. Les orteils des civilises eprouvent le meme dechet. Un autre aurait fait un gros livre la dessus. Cette courte notice me parait suffisante pour faire comprendre que les 240 CONGBES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. yeux ne s'usent pas, ne s'affaiblissent pas par le travail et la lecture de nuit des plus fins caracteres, mais qu'ils s'exercent, s'ameliorent et se conservent par l'exercice. C'est du moins ce qui nous est arrive et a beaucoup de nos amis auxquels nous avons raccommode la vue par notre procede. En resume, le mal naitrait des muscles qui enve- loppent l'oeil, dont les efforts ne pourraient pas repondre a l'impatience de Phomme, qui veut tout voir sans remise. M. Pailloux, chevalier de la legion d'honneur, an- cien chirurgien-major, fait observer , a l'occasion de la lecture precedente, que la myopie et d'autres affec- tions identiques de la vision dependraient, d'apres cer- taines donnees de la physiologie positive, presque exclusivement de l'etat du crystallin,dont la forme chan- geraitetsubirait seule des modifications independantes pourtant de sa condensation propre, de sa transpa- rence et de ses differentes conditions physiques. M. Mercier admet Pinfluence de la force musculaire pour quelques conditions de la vision ; l'on ne saurait disconvenir que l'appareil des muscles de Poeil , for- tifie ou debilite, ne doive produire des modifications particulieres sur Tenergie de la perception des rayons lumineux. — La myopie accidentelle s'apprecie aise- ment : il n'en est pas de meme de la presbytie, ce qui donne lieu de supposer, en definitive , qu'a l'egard de cette derniere condition, il y a un changement no- table dans la disposition des milieux de l'oeil ou de ses enveloppes : il survient un etat particulier pour ses humeurs et le reste , qui est tel que Ton ne peut reel- lement pas mettre de cote, ni livrer a un abandon absolu, rasage des agents physiques destines a servir d'excellents auxiliaires a une vue qui nous fuit pour aboutir a une affection souvent bien grave. II n'y a VINGT-UNIEME SESSION. 241 pas sans doule, a-t-on dit, de lunettes plus fausses que celles d'or , mais nous pouvons en trouver de simples pour rendre la vue moins trouble. — Quant a la me- thode preconisee par M. Jobard, elle s'applique- ega- lement, mais dans un sens inverse, aux deux genres de lesions appeles myopie et presbytie. M. le president passe ensuite a la troisieme question du programme, ainsi concue : A quelle methode de traitement doit-on le plus ordinai- rement donner la preference dans les plaies par armes a feu , et dans celles notamment oil se trouvent leses soit les membres , soit leurs jointures ? Le membre faisant, a cette seance, les fonctions de secretaire, demande a parler en peu de mots sur cette question devenue toute palpitante d'interet aujour- d'hui. II pense que par methode de traitement Ton n'a voulu probablement que designer les cas oil Pampu- tation doit etre pratiquee. En un mot, il ne doit etre question que de lesions graves, les autres rentrant na- turellement dans le cadre des lesions ordinaires. Or, quand on est oblige de recourir a une operation tou- jours dangereuse, il faut examiner dans quelles con- ditions se trouve la blessure, et aussi celui qui l'a recue. Chez les uns, abaissement de la temperature autour de la plaie, sensibilite du membre ou de l'en- droitblesse exaltee; sensibilite generale exagereeega- lement. Chez d'autres, c'est l'inverse : il y a stupeur complete, insensibilite souvent de la partie lesee. Les accidents primitifs , enfin, se manifestent par une etrange perturbation de l'influx nerveux, qui a, en grande partie , cesse dans le voisinage , et de la circu- lation, qui est toujours singulierement troublee, par- 242 CONGRES SCIENTIFfQUE DE FRANCE. fois meme abolie dans le point compromis. S'agit-il d'un membre , .que faire alors? II faut amputer. La question ainsi limitee, renfermee, pour ainsi dire, dans-la necessite de l'amputation , demandons-nous de suite, en quel temps convient-il d'agir? Ici, timidite ou lenteur; la, hardiesse ou promplitude : voila les deux ecueils. Danger de part et d'autre , et cela par des raisons completement opposees Convenons pourtant, alin d'abreger, que la hardiesse de la main sacrifiant des membres qu'une extreme circonspection pourrait conserver quelquefois, a toujours ete moins fatale a l'humanite que la timidite de la main ajournant l'emploi de l'instrument tranchant. Cet ajournement , partant d'un bon motif, tient au fond a une trop haute idee que Ton a de la puissance de la nature , sans son- ger aux orages que celle-ci , pour arriver a son but , est obligee de soulever, orages dont la violence devient telle souvent pour l'economie , qu'elle en est mortel- lement atteinte. Or, sur les champs de bataille notam- ment, comme il est aise de pressentir les suites funestes des plaies par armes a feu qui siegent aux membres ou a leurs jointures , et comme partout ailleurs , Ton est presque toujours dans l'attente d'une fievre de con- somption qui n'hesite guere a surgir pour paralyser de la sorte une main tendue trop tard a titre d'office, n'ayons pas la crainte d'aggraver l'etat du blesse en amputant sans delai. Retarder sous le vain pretexte que Ton evite par la d'augmenter la stupeur, comme le pretendait dans le temps FAcademie de chirurgie, c'est oublier que Ton donne prise a une stupeur bien autrement funeste. L'amputation immediate n'ajoute qu'une stupeur inoffensive, pour ainsi dire, a celle nee VINGT-UN1EME SESSION. 243 de la blessure , tandis qu'une tardive operation donne l'eveil au meme phenomene une seconde fois avec de grands risques pour la vie, vu qu'on le provoque dans un organisme cruellement eprouve deja.... D'apres ces principes, qui ont bien leur cole rationnel, Ton peut supposer que s'il nous etait donne de reculer d'un siecle, pour nous retrouver al'epoque de 1756, nous ne vcrrions plus l'Academie de chirurgie decerner la palme, dans cette grave question , au theoricien Faure, mais a Boucher , le vrai praticien , dont les preceptes nous paraissent etre de la plus imposante valeur. M. le president, en approuvant cetle maniere d'en- visager la 3e question du programme , rappelle qu'il existe des cas assez nombreux ou , bien que differee , Famputalion n'en a pas moins ete couronnee de beaux succes; qu'au surplus, mise en quelque sorte a l'ordre du jour, cette matiere doit acquerir un baut degre d'importance; que des releves se font la-dessus, d'ou il ne doit ressortir que des documents d'un poids puis- sant pour la direction de la pratique de la cbirurgie. M . Pailloux , a ce sujet, rapporte brievement deux observations. II les a recueillies au mois de juin 1832. Les deux blesses de balle, et grievement, se refuserent a l'amputation, qui leur etait presentee comme un uni- que moyen de salut, et ils ont pu obtenir le benefice d'une guerison fort lente, il est vrai, mais enfin qui a ete complete. M. Feuillet rend compte d'un cas analogue, en insistant sur cette consideration importante, que la pratique civile presenle beaucoup plus de commodite la-dessus que la chirurgie des camps. JUL Mercier fait ensuite 1'expose d'un cas ou le pied 244 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANC R. avait ete ecrase au point d'ainener deux cbirurgiens celebres de Paris a en proposer la disarticulation d'apres la metbode de Chopart. Le blesse s'y opposa , et sa soumission au traitement dirige pour conjurer rinflammation trouva sa recompense dans une gueri- son parfaite. M. Mercier, president, etant oblige de retourner a Paris, adresse avec effusion des remerciments a la section medicale pour la bienveillance de ses colle- gues et les excellents rapports qu'il a eus avec eux. Sa tache lui a ete rendue facile, grace a cette condition- la, qui seule est Tame de toute union veritable entre des hommes faits pour s'apprecier et se resserrer entre eux d'autant plus vivement qu'ils y sont convies par la plus fraternelle des recommandations , celle qui emane du president general du Congres. La seance est levee a une heure et demie. Dr H. Ripault , faisant fonctions de secretaire. SEANCE DU 14 AOUT, Presideijpe de M. Feuillet, de Lyon. Le depart de M. le Dr Mercier pour Paris oblige la section a proceder a la nomination d'un nouveau president. A l'unanimite des suffrages , M. Feuillet, de Lyon , est designe pour occuper le fauteuil devenu va- cant. En y siegeant , M. Feuillet prononce des paroles toucbantes de remerciment. II voudrait ne pas avoir VINGT-UMEME SESSION. 255 ce poste d'honneur, oil, neanmoins, on ne le verra point manquer a la bonne direction exigee de toute reunion qui se consacre entierement a des questions profitables a Phumanite et a la plus noble des sciences , en raison des puissantes considerations qui en moti- vent la haute portee. M. le docteur Grabowski fait tres-obligeamment observer a M. le president nouvellement elu qu'il suffit d'avoir publie, comme il Fa fait, des travaux ou sont mis en relief des points delicats se rattachant a Pimportance des etudes physiologiques pour les pro- gres de la philosophic et de la sociologie , et qu'ainsi il merite Phonneur de presider le corps medical qui assiste au present Congres. M. Pailloux, de son cote, rappelle que depuis long- temps M. Feuillet est un habitue plein de zele pour le Congres scientifique de France, dont l'institution lui a toujours paru susceptible de rendre, sous tous les rapports possibles , les plus importants services. II cite, entre autres preuves , le temoignage de Fun des secre- taires de la section meme de medecine au Congres tenu a Toulouse en 1852 , qui a ecrit dans les memoi- res de cette session (t. ler, p. 132, que « M. Feuillet a su se faire specialement remarquer par sa grande erudition et ses connaissances profondes de la science medicale. » Apres la lecture et Tadoption du proces -verbal de la seance du 13 aout, M. le president annonce que Fattention de la section va se diriger sur la quatrieme question du programme. Elle tient, dit-il, a Fun des points les plus graves, a Fun, assurement, des plus es- sentiels de Fart medical : 210 CONGHES SCIKNTIFIQUE BE FRANCE. Dans les climats de Pest de la France, les preparations mercurielles sont-elles absolument necessaires pour neu- traliser le virus syphilitique? — Indiquer les cas de leur admission ou de leur rejet, et decrire Fhydrargyrie, ou les suites resultant de l'abus des mercuriaux dans cette meme etendue du pays. Le membre faisant fonctions de secretaire demande et obtient la parole pour soumettre quelques observa- tions relatives a cette.question. II expose que depuis que 1' observation et la maturite de l'esprit qui en de- rive lui ont permis de contempler sans eblouissement la lumiere qui nous guide par son concours dans les dedales infinis de 1'art de guerir, il repetera toujours ce qu'il avait avance a l'epoque du cholera-morbus en 1832, a savoir que, quelle que soit la methode de trai- ter les malades , la mort n'en suit pas moins son cours permanent. Les medications, si variees et si bien combinees qu'on les suppose , ne lui font rien perdre ni rien ac- querir sur la part de victimes qui lui est devolue, et sur ses droits qu'une imprescriptible destinee lui as- sure sans recours/Ne deduisons pourtant pas de re- sultats pareils rinutilite de la science medicale; mais, pour les maladies syphilitiques, tachons de donner a Part sa valeur reelle et de le rendre victorieux des rnaux qu'il faut refouler et detruire , en nous soumet- tant a l'appreciation des phenomenes et des forces de la nature. Ce sont la des verites qui sans doute n'ont pas une date recente; qu'il nous soit permis seulement de combattre des erreurs fatales par la tendance qu'elles ont a se repandre, en continuant plus que ja- mais d'etre funestes pour bien plus de monde qu'on oe saurait se le figiirer. VINGT-UNIEME SESSION. 247 Accoutumons -nous done , pour Temploi du mer- cure, a distinguer deux temps dans la rnaladie qui peut rendre son administration tout a fait necessaire : 1° le levain du mal meme; mais qu'entend-on par levain d'une affection contagieuse? L'on entend un element introduit et capable de changer toutes les matieres organo-vegetales en une substance sembla- ble a ce meme element qui en est devenu le genera- teur essentiel et comme exclusif par les mouvements secrets qu'il excite la ou il se depose a l'aide d'une fer mentation qu'il y fait couver et puis naitre. Sans doute, il ne faut pas , comme dans les temps passes, admettre de ferments physiologiques , soit biliaires, soit uri- naires ou salivaires, ni autres de cette nature; mais il n'en faut pas rejeter d'anti-physiologiques ou de pu- trides, et, parlant dela, des ferments contagieux. Ces derniers tiennent une bien large place dans le cadre de la nosologic medicale. 2° Le developpement reel du levain , e'est-a-dire son action virulente ou le virus meme , qui ne se produit guere ni aussi vite ni aussi uniforme, ou veritablement virus qu'on affecte de le croire. Si pour soi-meme deja Ton est trop dispose a craindre son apparition, il est bon de convenir que Ton rencontre encore plus de disposition la-dessus de la part de sources etrangeres, dont l'interet consiste a entretenir de vaines apprehensions. Trop souvent Ton multiplie au dela de la realite les symptomes de la syphilis, en considerant comme tels ce qui ne consti- tue pas de complications reelles ni de degeneration sensible dans un mal faussement envisage. — Th. Sy- denham, cet eminent et profond observateur de qui l'on a dit qu'il eutcreel'art deguerir, si cet art n'avait 248 CONGRES SCIBNT1FIQUE DE FRANCE. pas existe, en nous tracaut de la syphilis un tableau presque complet, nous dit que si parfois il la traitait par les frictions avec Ponguent mercuriel , le plus or- dinairement il ne retirait aucun avantage de l'emploi des sels mercuriaux pris interieurement. Les gonor- rhees d'alors, nos urethrites d'aujourd'hui, comment les attaquait-il ? Par les purgatifs; et encore il s'etait assure que sur cent gonorrhees les deux tiers au moins cedaient aux lavements, aux bains et aux delayants. Pour le tiers en sus oules anciennes, il reservait seuls les purgatifs. m Ici Pauteur de cette communication entre dans de longs developpements etdes details etendus, en citant bien des auteurs competents pour justifier ses asser- tions, auxquelles Ton nedoit pas refuser un cote juste, d'apres l'avis des membres presents a la reunion , et it dit qu'a dose non suffisamment menagee , le mercure, dans les climats de Test de la France, determine sur- tout des inflammations aigues et chroniques de plus d'un genre, des maladies cutanees et des membranes muqueuses , des affections profondes de tous les tissus, enfin une sorte d'empoisonnement qui mine le corps a\ec lenteur. II provoque, chez nous, cette fievre mer- curielle decrite par Hahnemann sous de trop sombres couleurs , mais qui , on l'affirme , car Ton pourrait en montrer des exemples s'il etait permis de divulguer des secrets , conduit de la paleur et de la faiblesse a une bouffissure generale. Le mercure altere le sang , il lui enleve sa couleur et sa consistance. C'est peut- etre en Bourgogne , plutot qu'ailleurs , que Ton peut assurer qu'il semble reagir sur le systeme nerveux a tel point qu'apres avoir provoque des tremblements VJNGT-UJSIEME SESSION. 249 et d'autres lesions graves des sens, il finit quelquefois par 6tre la cause des affections mentales. Aussi est-il bien facheux que Ton doive non-seulement deplorer ici l'emploi que Ton fait d'une maniere excessive des preparations mercurielles , mais encore l'usage que Ton fait trop promptement de ces preparations, sans attendre le moment convenable de les administrer. Constamment ou a peu pres, Ton y a prematurement recours. Elles sont trop tdt prescrites, presque tou- jours des les premieres apparences du mal. Aussi, que de revers ? Yit-on jamais meler des condiments indispensables a l'instant meme qu'une decoction ani- male se trouve soumise a Taction du feu? N'a-t-on pas au prealable un moirvement essentiel a faire deve- lopper ? et une ecume, un rebut de matieres, ne doivent- ils pas preceder la penetration des substances propres a assurer a la preparation ses qualites necessaires ? De meme pour la maladie en question : ses premiers flux , laissons-les s'ecouler ; apres quoi Ton agit selon ses phenomenes subsequents. De la sorte, Ton n'aura plus a combattre deux maux qui se tiennent tete , d'a- bord la syphilis, tourmentee a son debut et quand on pouvait lui donner un cours normal selon les prin- cipes suivis presque toujours par la nature , et puis un remede qui, se sentant sans action ou en prenant une pernicieuse, parce qu'il est comme tourmente aussi dans les temps mal choisis de son application , veut , au prix de l'economie meme, se degager de la mauvaise voie ou on l'a fourvoye. Apres ces differentes remarques sur la 4e question, M. le president laisse la parole a M. Jobard, qui de- 250 CONGRES SCIENTIFIQCE DE FRANCE, mande a presenter a la Section une communication sous ce titre : « Guerison manuelle des contusions. » M. Jobard expose que le frottement manuel continue jusqu'a l'echaufFement el l'enlevement de la douleur, guerit en quelques minutes des contusions tres-graves qui, laissees a elles-memes, auraient demande plu- sieurs semaines. La contusion, dit-il, ecrase et aplatit les vaisseaux de toute espece qui, ne pouvant se rouvrir spontane- ment, arretent le cours habituel des fluides rouges et blancs qui s'accumulent devant ces sortes d'ecluses, avant de s'ouvrir d'autres routes par les vaisseaux col- lateraux. De la, stase du sang, couleur bleuatre de la peau, pyogenie, ouverture de la peau et guerison or- dinaire naturelle. Si , au moment de la contusion, qui nous fait por- ter instinctivement la main et frictionner un instant la place douloureuse, on continue le frottement en appuyant de plus en plus , le sang, pousse mecanique- ment, rouvre les vaisseaux et en chasse le sang caille ; la douleur disparait,et ne laisse plus qu'un engourdis- sement leger des nerfs contusionnes qui peut cesser le lendemain. Cetraitement naturel des contusions survenues aux enfants par leurs chutes frequentes, a toujours re- pondu aux experiences faites par M. Jobard sur lui- meme et sur les autres. Le docteur Baude, de l'universite de Louvain, l'a recommande a ses eleves. M.- le Dr Grabowski recommande, dans les cas de rctte nature , les simples compresses trempees dans de VINGT-UNIEME SESSION. 251 Feau froide, avec une position elevee de la partie lesee de maniere a refouler la circulation. La seance est levee. Dr H. Ripault , f. f. de secretaire. STANCE DD 15 AOUT. Prfeidence de M. Peuillet. M. le president declare la seance ouverte. Le proces-verbal de la seance de la veille lu et adopte, M. le president passe a la 5e question du pro- gramme : Rechercher exactement les causes pour lesquelles la lithiase en general, et en partieulier les affections calcu- leuses de la vessie, se voient moins frequemment en Bourgogne que dans tout le cours du siecle dernier. — Peut-on, de P etude de ces causes , deduire des regies hy- gieniques assurees contre le retour de cette grande et fa- cheuse maiadie, qui frappait aussi bieri les enfants que les adultes et les vieillards. Le membre charge encore des fonctions de secre- taire demande la permission d'exposer quelques notes qui peuvent etre d'un certain a propos; car il n'ose- rait pas entreprendre la tacbe de resoudre un sujet pour lequel il faudrait des recherches multipliees sous bien des rapports. II commence par rappeler que Pun des chirurgiens les plus renommes, M. Velpeau, a ecrit, il y a quinze ans , dans sa Medecine operatoire, la simple ligne suivante,qui est assez significative pour notre question : « M. Ouvrard, de Dijon, a perdu trois 252 CONGRES SCIENTIFIQUE 1)E FRANCE. operes de la taille sur soixante. » M. Ouvrard a pratique la chirurgie pendant vingt-sept annees environ : il est mort en 1 832. En continuant sa communication, le meme membre ajoute : Je tiens le fait suivant de M. Gueniard, ancien cbirurgien du grand hopital de Dijon, qui a lui-meme taille beaucoup de calculeux, et qui est mort au mois de fevrier 1841. Hoin, me dit-il en 1836, fit, a l'hopital de Dijon, le vendredi saint de l'annee 1764, I'operation de la taille sur huit enfants qui avaient la pierre. II lui arrivait en outre de repeler souvent cetle operation chez des individus de tout age : les calculs de la vessie etaient plus frequents dans ce temps-la qu'aujourd'hui. La taille se pratiquait a Beau- ne et dans toutes les villes de la Bourgogne oil il y avait des hopitaux. Les chirurgiens de Saint-Come en- voyaient, de fois a autre, de Paris, des lithotomistes dont on retenait les lecons, en sorte que dans le pays il n'y avait pas d'etablissement de bienfaisance oil , chaque annee, Ton ne fit frequemment la taille. L'on peut voir s'il en est de meme de nos jours, s'il n'est pas curieux en meme temps d'avoir a constater com- bien les affections calculeuses semblent se presenter rarement. Ici, M. Jobard fait observer qu'en Egypte cesont les femmes qui se chargent de pratiquer I'operation dont on parle , et elles y reussissent souvent. L'autre membre, reprenant son sujet, croit devoir rappeler, puisqu'il vient de prononcer le nom de Hoin, que ce fut en cette meme annee 1764, le 28 juillet, que ce chirurgien a pratique, a l'hopital de Dijon , pour la premiere fois chez nous , sur un cou- vreur tombe dix-neuf jours auparavant d'un batiment VINGT-UNIEME SESSION, 253 haut de 132 pieds, Pamputation dans Particulation du genou droit. II se fondait, pour la reussite, sur des probabilites seulement, mais dont le celebre Brasdor fit sentir les bonnes raisons : lisez la-dessus son essai sur les amputations dans le tome cinquieme des Me- moires de PAcademie royale de chirurgie. Brasdor, du reste , a le soin d'entrer dans des developpements utiles pour l'art, sur Poperation de Hoin et sur les suites qu'elle eut pour le couvreur ainsi ampute de toute une jambe, qui, sept ans apres, montait a Pe- chelfe sur les toits et marchait toujours bien avec sa jambe de bois chaussee. Apres avoir touche quelques mots sur les calculs de la vessie, disons a present, au sujet des calculs biliai- res, que leur frequence dans les temps passes, no- tamment dans le dernier siecle , avait eveille singu- lierement Pattention de Fallope, Glisson, Boerhaave, Hoffmann, Bianchi , Morgagni , Haller, Soemmering, et specialement de Durande dans la capitale de la Bourgogne. Tous ces savants medecins, praticiens consommes , et Durande avec eux , tombent d'accord sur les causes determinantes de leur formation : nour- riture indigeste, mal choisie dans le sein meme de la pauvrete, et surtout prise en exces, les aliments acer- bes et acides, les farineux, glutineux, et en particulier toutes les especes de fromage, dont on faisait une consommation abusive. A ce sujet, M. Jobard fait remarquer qu'en Chine Pon n'use ni du lait ni de ses produits : reste a savoir si les calculs biliaires s'y font observer moins que dans les pays ou le lait et ses preparations variees concou- rent pour beaucoup a Palimentation. 25i CONGRES SniENTIFIQUE DE FRANCE. Quant au Iraitemeni de ces calculs, mentionnons d'abord en France les noms de Fourcroy et de Yau- quelin , et a Dijon , celui de Durande. Un homme qui a ete eminent comme praticien, le doeteur Bietl, et Cadet de Gassicourt de son cote, ont cherche a don- ner une idee precise de Taction du remede du medecin dijonnais, qu'ils ont juge utile par ses effets dissolvants. lis font observer que son melange de trois parlies d'e- ther sulfurique et de deux d'essence de terebentbine avait obtenuFapprobation de medecins eclaires, et que les bons effets de cette preparation avaient ete jusqu'a etre celebres (c'estleur expression) par Soemmering et Richter. II ne faut pas perdre de vue une precaution que prenait Durande, et dont nous ne tenons pas compte. II ne faisait usage de son melange que huit jours apres l'emploi des emollients et des aperitifs. Le malade, apres chaque dose de la mixture, buvait deux ou trois tasses, representant chacuneune bonne ver- ree , d'abord de petit lait , puis de bouillon de \ eau, et enfin de chicoree. Comme de nos jours on semble ne pointdevoirsepreoccuperdesmoindres menagements, ne nous etonnons done pas si le remede degoute le malade et ne produit plus d'effet. Ne nous attendons pas non plus a voir les calculs se dissoudre, se fondre, et puis sortir par les selles , convertis en une mature blanchatre et savonneuse, semblable a de la poix. Sans avoir a nous prononcer sur l'efficacite de ce melange comme agent de dissolution , nous profiterons de cette circonstance pour communiquer de certaines remarques entieremenl ignorees au sujet des recher- ches de Durande sur les concretions biliaires. Nous voulons d'abord signaler une longue correspondance, VlNGT-l'NtEMR SESSION. 255 dont les pieces \ous sont representees, en Ire ledocteur Durande, de Dijon, et le savant Aubry, intendant en ce temps-la (1763-1767) des eaux minerales de Luxeuil. II resulte de la lecture de ces lettres authen- tiques et qui nous viennent de la famille meme > qu'a- vant 1768 le medecin dijonnais n'avait pas encore eu l'idee de preconiser le melange d'ether sulfurique et de terebenthine, qui eut longtemps une vogue extraordi- naire. Nous appellerons ensuite votre attention sur le manuscrit que nous vous presentons, et qui avait ete offert comme marque d'amitie a Durande. C'est un tra- vail inedit du docteur Aubry sur les eaux de Luxeuil, leur composition chimique, leur temperature , les con- ditions, enfin, dans lesquelles la nature les offrait en 1'annee 1763. Ce travail estimable est devenu d'un prix reel aujourd'hui , pour peu que Ton tienne a eta- blir le rapport direct, qui peut ainsi se faire aisement, entre l'etat chimique de ces eaux a l'epoque sus-enon- cee et leurs conditions physiques actuelles, d'ou Ton deduirait avec assez de precision leur utiiite compa- rative. II s'agit d'un intervalle de quatre-vingt-une annees; en fait de temps, c'est quelque chose. L'on doit d'autant plus tenir compte des observations d'Au- bry, « tres-connu en France par son ouvrage intitule les Oracles de Cos y lequel peut etre considere comme le premier traite de semeiotique publie en francais » ( Biographie medicale en 7 vol. , t. ler, p. 41 1 ), qu'elles ont ete relevees avec les soins et le degre d'exactitude que comportait l'etat des sciences naturelles a cette epoque. M. le president, a la vue des textes que Ton fait passer devant la section, invite le membre qui les pos- 256 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. sede as'entendre avec quelques personnescompelentes pour s'assurersi Ton ne pourrait pas, dansle recueil du Congres, donner a cette derniere communication, d'un interet incontestable, des developpements plus etendus et accompagnes des extraits les plus essentiels du manuscrit en question. M. Jobard renouvelle ensuile Imposition de faits diversdont il a entretenules membres d'une autre sec- tion : il fait passer sous les yeux du bureau un porte- plume encore fort peurepandu, et que Ton designe sous la denomination d'electrogalvanique, en raison de l'avantage qu'il a de developper un courant d'elec- tricite susceptible, a ce qu'il parait, de guerir les crampes des doigts et les tremblements dont certains ecrivains sont peniblement affectes. M. le president donne lecture de la 6e question : Sur quels principes faut-il se baser, et quelle marche convient-il de prendre , quand on est dans la penible ne- cessite de provoquer Paccoucbemeni avant terme? Le membre qui a eu la parole pour entrer dans quelques details sur la question precedente, demande et obtient la permission de dire quelques mots sur celle-ci. II exprime son etonnement dlavoir a consta- ter que ce n'est que depuis 1835 que cette question touche assez serieusement les hommes de Tart en France, tandis que l'Angleterre et TAllemagne, sous le salutaire manteau de leurs principes religieux et bumanitaires, avaient longtemps auparavant justifie la convenance des saines pratiques de la science sur cette importante matiere. L'on n'a point, dit-il, a preciser ici les conditions dans lesquelles raccouchement premature et Topera- VINGT-UNIEME SESSION. 257 tion qu'il necessite sont legitimes. Ces conditions sont bien connues d'apres les debats auxquels elles ont donne lieu, et qui ont eu un grand relentissement. L'on ne doit point de nouveau faire retentir dans le Congres des paroles qui sont a la connaissance de tous les me- decins. II faut en ce moment viser au but de la ques- tion, sans ambitionner l'honneur de la resoudre dans tous les points difficiles dont elle est herissee. Or, puis- que Faccouchement premature ne peut plus etre con- sidere comme un acte d'avortement coupable, puis- qu'il n'y a pas la moindre ressemblance, ni dans Pidee, ni dans Pexecution, entre Tun etl'autre cas, et puisque le principe se trouve place au-dessus de toute discus- sion , il ne faut plus se borner seulement a l'examen des moyens les plus convenables de provoquer avant terme une delivrance heureuse pour deux, mere et en- fant (ici sont exposes, avec toute Petendue des raison- nements necessaires, les manoeuvres diverses et les procedes mecaniques pour raccouchement force, puis l'effet des douches et des injections intra-vaginales et uterines, afin d'arriver a ce resultat); il est indispen- sable encore de faire preuve de toute la delicatesse et de 1'habilete de conduite que doit suivre un bon me- decin qui ne veut pas jeter Pepouvante dans le sein d'une famille entiere, a commencer par la femme en- ceinte. La-dessus, de longues considerations avec quelques exemples a l'appui sont reproduites par Pau- teur de cette communication ; puis il passe en revue les moyens de secours et les precautions qu'il regarde comme les plus efficaces pour preparer convenable- mentles personnes interessees a voir un succes souvent inespere venir repondre aux efforts et aux tentatives J7 258 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. des hommes de l'art dans un pareil concours de cir- constances qui ne s'acheve pas toujours avec bonheur. La section parait, a cette occasion, apprecier surtout la recommandation queFonafaite de recourir sans de- lai, pour ces cas exceptionnels , aux conseils de me- decins d'une loyaute sans tache, de ces praticiens que Ton est heureux de rencontrer assez souvent , hommes eclaires, pleins de prudence, et possedant l'ensemble des qualites reelles faites pour donner de l'assurance au confrere qui les invoque, et ranimer le courage tou- jours pret a s'abattre dans une femme enervee deja par l'apprehension des maux dont elle se voit menacee. M. le president annonce que , sur la demande de plusieurs membres , Ton abordera dans la seance pro- chaine, qui doit avoir lieu demain, la 9e question du programme, avant de traiter la 7e et la 8e, que la sec- tion s'occupera d'examiner ensuite si elle en a le loisir. La seance est levee. H. Ripault, /*. f. de secretaire. S£ANCE DU 16 AOUT. Presidencc de M. Feuillet. Apres la lecture et l'adoption du proces-verbal de la seance du 1 5 aout , M. le president appelle Patten- tion des membres sur la 9e question, ainsi concue : Apprecier PefFet des grandes commotions morales qui , depuis quelques annees , reagissent d'une maniere de plus en plus fatale, tantdt sur le cerveau, tantdt sur le C03ur, lantot sur les organes gastro-hepatiques. Developper les VINGT-UINIEME SESSION. 259 consequences de ces fortes emotions selon l'e temperament de ceux qui les eprouvent, et indiquer les moyens d'en paralyser Paction. La parole est accordee par le president au medecin qui, cette fois encore , remplace M. le secretaire de la section. Nous allons nous borner a extraire du travail de l'auteur les documents qui suivent, et qui peuvent donner une idee assez precise de la maniere dont la question a ete envisagee par lui. II declare qu'il ne faut pas ici s'egarer dans le dedale des discussions me- taphysiques sur le siege des passions et leur mecanis- me : contentons-nous d'etudier l'influence du moral sur le physique, influence qu'attestent des observations qui semblent de plus en plus se multiplier depuis un quart de siecle au moins. II n'est done pas question d'arracher quelques lambeaux de pages aux doctrines de Cabanis et d'autres medecins ou philosophes qui ont tant ecrit sur cette matiere. II est inutile de rap- peler aussi ce qui n'est ignore de personne : e'est que les passions en general, ces moteurs puissants et continuels de l'economie animale, engendrent pres- que toujours les maladies subites les plus graves, ou bien des derangements dans la sante qui deviennent incurables Pour nous renfermer dans le cadre de la question, telle qu'elle a ete posee, et pour appre- cier convenablement l'effet des gran des commotions de Tame reagissant d'une maniere fatale sur un ou plusieurs organes les plus importants de notre etre , commencons par 1'exposition de quelques faits pro- pres a justifier nos principes la-dessus. Mr occupant une belle charge comme officier pu- blic, a Vepoque de la revolution de 1830, se derail !260 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. de son emploi, sinon avec regret, du moins pour gouter un repos honorable ou il avait l'espoir d'eviter des agitations importunes. Sa constitution etait forte, sa physionomie toujours calme indiquait une habi- tuelle et froide indifference. Survient la revolution du 22 fevrier 1848, et avec elle la cardiopalmie pour ce monsieur , qui , six mois apres , meurt d'un ane- vrisme. Un savant, un homme qui a fait de fortes etudes et avec succes, mais imbu des prejuges dont une pointe d'ambition frappe certaines tetes souvent, d'ailleurs plein de l'idee qu'un jour de grandes fonctions lui se- ront reservees , ne negligeait aucune occasion de se produire. C'etait un sujet doue d'une merveilleuse souplesse et habile a se rapprocher des personnages les plus eleves par leur nom ou leur credit. Tout en caressant de la sorte ses plus flatteuses chimeres, il n'avait pas fait compte avec une royaute constitution- nelle surgissant tout d'un coup. Alors, il est vrai, il fit bien preuve de cette adroite finesse qui permet de louvoyer afin de profiter du bon vent ; car pour lui , comme pour tant d'autres , virer toujours ou aller en tournoyant n'etait que l'affaire d'un tour d'esprit. Dans le doute ou Ton etait de son zele impromptu cette fois, il fut soumis a quelques epreuves : c'est dire assez quelle part ne manquerent pas de prendre a cette occasion les mauvais propos , qui n'etaient pas encore absolument dedaignes dans notre pays. En moins d'une semaine le courage chez lui vint a fle- chir, et la tete a se perdre. Delire aigu et puis fixe. II n'est plus en France : une contree ardente de revolu- tions reclame ses lumieres, l'appelle a son secours. V1NGT-UNIEME SESSION. 261 Eperdu lui-meme , bouleverse , par bonheur il trouve enfin secours et guerison dans un asile dont il ne s'est plus eloigne et oil il ressent encore aujourd'hui toutes les joies que procure une vie sedentaire et paisible. — Les grandes commotions morales , dans ce dernier cas , avaient egare l'esprit sans atteindre le coeur. Une autre personne d'un temperament bilieux , d'un age bien viril, vivait en paix avant les evene- ments de 1 830, et M n'avait pas le moins du monde l'idee de convertir son existence honorable et tran- quille en une vie d'agitation etde travaux penibles Mais, vivement surexcite par la force des evenements memes , il croit qu'il y va de son honneur de meltre a son profit, et aussi pour le bien general, le boule/- versement de l'Etat. II se montre dans la capitale, se produit dans les bureaux, fait sonner haut son im- portance reconnue ailleurs , le merite qu'il se suppose, et surtout ses ecus. Une place importante est le fruit de ses demarches. II n'est pas toujours bon d'avoir un haut emploi, ainsi que sut l'apprendre cette per- sonne a ses depens. Aux fatigues de son poste eleve succederent les soucis, le degout, puis une affection gastro-hepatique tenace et rebelle aux traitements les plus compliques et les mieux combines : le tout s'est termine par un epuisement des forces presque total et par des vomissements qui n'ont cesse qu'avec l'existence. Que d'exemples n'aurait-on pas a citer? Mais parmi les alterations que causent dans la sante les commotions morales, une des plus poignantes est Tagenesie» Quelle peine profonde pour unhomme de se sentir incapable d'engendrer pour avoir aspire trop a la renommee! 262 CONGRES SCIENTJFIQUE DE FRANCE. Les fortes emotions de Tame am en en t 1'impuissanee, souvent avec des complications qui affectent diverse- ment l'organisme. Bien que leur maniere d'agir varie, et qu'elles s'impregnent du caractere, de la sensibilite et du temperament des individus, elles aboutissent a un resultat identique : en definitive, c'est la mort sur- venant un peu plus tot ou un peu plus tard. Tout de- pend de^l'appareil organique lese le premier. Repondre a la seconde partie de la question n'est pas une legere difficulte. Comment pouvoir positive ment developper les consequences des grandes com- motions dont on vous a retrace quelques exemples, et cela en etudiant le temperament des personnes qui viennent a en ressentir le choc? II semblerait plus simple dedonner des conseils pour en paralyser Taction. De la sorte, on arriverait au but en se bornantainvo- quer l'hygiene et la connaissance des propres capaci- tes departies par la nature achacun denous. La mede- cine, qui consiste, non pas simplement a guerir les inaux physiques, mais a diriger les hommes dansleurs rapports avec leurs semblables, et dans le cercle bien trace de leurs facultes ou de leurs moyens, serait une sorte de medecine toute nouvelle. Elle est encore a naitre. Si le medecin eclaire pouvait etre le maitre de designer la carriere sociale que feraient bien d'adop- ter ceux dont il connait Faptitude et le temperament, combien n'etendrait-on pas Tempire d'un art devenu alors d'une utilite comprise ? Par la , Ton previendrait beaucoup de maux et de malheurs. Mais, quelque ha- bile que soit repute un medecin, comment pourrait-il modifier a son gre les penchants d'autrui, retenir 1'am- bition de celui-ci , comprimerla haute opinion qu'un VINGT-UNIEME SESSION. 263 autre adeses propresfacultes, moderer, en un mot, les mouvements desordonnes formant aujourd'hui le fond de Tame de la plupart des hommes ? Combien de Put- nam-Swit de nos jours, prompts comme lui a s'ecrier : « Dans la litterature ou le barreau, la cbaire ou le theatre, dans l'un ou l'autre, sinon dans tous, j'ai la certitude de reussir. » Notre secret a nous autres me- decins doit consister a conduire ces mouvements avec adresse , en nous appliquant a saisir le caractere des gens, apres avoir gagne leur confiance. Sans faire de cures surprenantes , nous parviendrons a delivrer de maladies tres-facheuses une foule de victimes egarees dans leur propre jugement sur leur compte person- nel Encore s'il s'agissait de passions ordinaires, fruit d'un esprit faible et mal eclaire , pourrions-nous puiser dans ces indices speciaux le moyen d'appliquer des remedes profitables !.... Au contraire, tout est muet chez 1'hommedevenu soucieux par l'idee quile domine de sortir de sa condition habituelle, qui veut devenir un personnage et se croit transforme en messie de l'Etat. Prives que nous sommes ici des signes qui nous guident dans la recherche des maladies communes de Pesprit, nous nous demandons en vain a quelle source il faut aller pour prevenir les pernicieux effets des grandes agitations sur les personnes trop impressionnables, et par quels remedes aussi Ton peut provoquer la dispa- rition de ces tristes effets une fois produits. L'hygiene assurement trouve ici sa place la premiere , surtout pour les victimes de ce genre pernicieux d'egarement. Passons outre pour les details quant a la reserve et a la prudence qu'elle nous suggere comme par une im- pulsion nalurelle; ou plutot, faisons mieux : compre- 264 CONGRES SC1ENTIF1QUE DE FRANCE. nons dans I'hygiene une medecine qui peul s'adminis- trer avec plus de sueces que les agents therapeutiques tires d'une officine. II s'agit de secours moraux , doux remedes qui sortent du coeur du medecin. A ce dernier se trouve alors reserve le soin de connaitre l'etendue de ses ressources; car ce sont ses bonnes pa- roles d'une eloquence persuasive parce qu'elles sont touchantes , qui deviennent comme les instruments les meilleurs de la medecine. II y a pour les cas qui nous occupent un precepte de Celse que Ton n'hesitera pas a mettre en pratique. Ainsi, pour trailer les gens de- venus infirmes par suite de commotions trop fortes sur leur moral, appliquons-nous a corriger leur pas- sion par une autre. Detournons ces passions nou- velles par la diversion. Ranimons Tame abusee par une gaiete qu'engendrent la musique, les longs exer- cices, une gymnastique incessante, etc. Plus d'un malade ainsi perdu par ses errements instantanes pourra sentir Tutilite et la verite des avis qu'on lui donne; son salut depend de sa promptitude a les met- tre a profit. Malheureusement, nous sommes tous con- tracts de reconnaitre que ces excellenles recomman- dations sont rarement susceptibles de rectifier l'esprit des individus tourmentes par les passions de 1'espece particuliere que nous envisageons, et qui proviennent de nos moeurs entierement metamorphosees , si nous les comparons avec celles des siecles precedents. Ja- mais on n'aneantira Taction desviolentes commotions de 1'ame sur le nombre infini de ces personnes qui ne Irouvent dans les agitations generates qu'un aliment indigeste et an fond Ires-inalsain, mais dont elles aiment a se rassasier, a limitation des enfanls, pour VINGT-UNliiME SESSION. 265 qui le sue douceatre de certaines planlesveneneuses ne peut offrir que de perfides attraits. M. Feuillet , de son cote , dans un examen qu'il fait de la question a son point de vue, insiste sur la delica- tesse des organes variables pour les deux sexes et sur la sensibilite que Ton voit souvent exaltee par des ma- ladies qui troublent l'harmonie des fonctions. L'ane- vrisme du coeur ne resulte pas seulement d'emotions morales repetees, mais encore d'une fatigue excessive et de travaux corporels epuisants. Toutefois il faut que ces maladies aient ete melees de chagrins et de peines ; car le coeur est un organe Ires-fort et vigou- reux, fait pour resister a des assauts continuels et rei- teres. En frappant le coeur , les grandes commotions alterent les sources de la vie materielle; en frappant le cerveau, elles ne jettent que du desordre 'dans 1'es- prit, alterent l'organe et detruisent la force de Fame sur lui. II ne faut pas s'y tromper, il existe dans le cerveau un etre libre et independant de lui , un etre qui le dirige, qui y fait sa residence, et qui souffre de le sentir ou faible ou altere et incapable de le seconder. Cet etre, e'est Tame, l'ame sens intime, intelligence, conscience que 1'etre humain connait quand il dit moi C'est par un mecanisme analogue qu'agissent les fortes emotions, quand elles se portent sur les or- ganes gastro-hepatiques. Elles tendent,de concert avec les travaux fatigants, a affaiblir le principe vital en alterant peu a peu les organes qui Pentretiennent. Leurs consequences inevitables et fatales sont d'en- gendrer des maladies graves, anevrisme, delire, folie, lesions profondes du systeme nerveux , quelquefois paralysfe, epilepsie, idiotisme, etc. En outre, celles 266 CONGRES SCIENTIVIQL'E DE FRANCE. qui reagissent sur le cerveau amenent dans les idees de Fame des reflexions Iristes qui determinent pour les temperaments bilieux des resolutions funestes dont le suicide devient la malheureuse consequence. Pour les temperaments sanguins , les commotions morales les menent aux sentiments de la haine , de la vengean- ce, qui leur font prendre aussi quelquefois d'aff reuses resolutions contre ceux qui leur ont occasionne ces emotions. Dans les femmes, qui ont un temperament plus faible et plus delicat, ces sortes de mouvements les conduisent a des maladies de langueur. Chez les enfants et les vieillards, leurs consequences sont aussi tres-deplorables : etres faibles, parce qu'ils nc sont pas encore bien formes ou parce qu'ils degenerent, les premiers sentent disparaitre en eux les sources de la vie qui cbmmencent a s'y former, les seconds eprou- vent les memes effets, parce qu'il n'y a plus en eux la meme force et la meme actrvite. Au surplus , rien ne parait plus convenable pour paralyser les effets des fortes emotions morales repetees ou soutenues , que de conseiller la distraction , les voyages , les courses et les derivatifs. M. le Dr Grabowski annonce a la section que l'epi- demie a cesse tout a fait defrapper, non loin de Dijon, la ville de Mirebeau, oil il a prodigue ses soins, et qu'il vient de quitter, son ministere ne l'obligeant plus du tout a y rester. Cette nouvelle est accueillie avec une faveur marquee de la part des membres presents. La seance est levee. Dr H. Ripault , f. f de secretaire. VINGT-UN1EME SESSION. 267 NOTE SUR LMNOCULATION DE LA MALADIE ASIATIQUE. L'^pidemie qui , depuis trente-huit ans, ravage le monde, ne se propage d'une maniere aussi universelle et ne s'en- tretient qu'au moyen de la reproduction des miasmes chez Phomme malade, comme le font les graines ensemencees dans un terrain meuble et bien prepare. L'air est incontestablement un moyen de vehicule 5 mais ce grand purificateur ne saurait transporter au loin des atonies organiques sans les decomposer } et il n'est pas ad- missible de supposer qu'un poison parti de la presqu'ile du Gange, d'oii il est originaire , comme chacun sait, puisse , par des milliers de detours, et en parcourant des milliers de lieues,atteindre Archangel sur la mer glaciale, et meme la Siberie , puis de la parvenir a Pequateur, apres avoir francbi toutes les latitudes intermediates , sans etre renouvel^ par un milieu quelconque; et ce milieu c'est Vhomme. Le mot epidemie, que le vulgaireprend pourune cause, veut dire tout simplement sur le peuple, ou qui est repandu dans le peuple. Consideree comme cause, P epidemie est done une abs- traction, et une abstraction desolante, car elle ne laisse aucune prise a Pindustrie humaine. Evidemment une mala- die qui dependrait de modifications de Patmosphere , ou de quelque cause generate, comme Pelectricite, une force tel- lurique, la direction du pdle magnetique, Pozone, Pin- fluence des astres, etc., ne serait point accessible a la puissance de Part. Mais les epidemies contagio-infectieuses , comme la va- riole , permettent d'esperer , puisque nous en avons des exemples , que Pon trouvera un specifique , un contre- poison qui en modere Penergie ou qui en detruise les ger- mes. Deja ce moyen semble avoir ete trouve a laHavane, dans Pinoculalion du virus de la fievre jaune. 268 CONGRES SC1KNTIFIQUE DE FllANCE. Avant d'exposer le moyen que je croirais propre a l'in- sertion du virus de la maladie asiatique, que je nongime Hydrhemo-Choladree , e'coulement de Veau du sang par les in- testins , il importe de s'expliquer sur ces granulations ou utricules qui se rencontrent en quantitesur la surface inte- rieure de l'intestin chez ceux qui sont morts pendant la cyanose. Beaucoup d'entre elles ont une depression ombi- licale visible a l'oeil nu } quelques-unes se voient a la loupe ; enfin, il en est qui, pour etrevues, ontbesoin de la lentille du microscope. Ce sont de veritables meats. Ces utricules se divisent en trois ordres : 1° Utricules vides ou sans matiere; 2° Utricules renfermant une matiere blancbe , plus ou moins plastique ; 3° Celles qui ne semblaient pas ombiliquees , mais qui avaient des points obscurs au centre. C'etait chose com- mune de voir ces points obscurs, qu'il ne fall ait pas confon- dre avec les points noirs qui provenaient de l'exsudation sanguine. 9 J'arrive maintenant au point capital de cette notice, ce- lui de diriger l'attention sur ces elevures, qui pourraient bien receler l'element contagieux, comme dans les pus- tules varioliques. Or, la matiere contenue dans ces utri- cules est exactement la meme que celle des dejections alvines, mais moins delayee, moins melangee} d'oii je conclus qu'elles fourniraient les materiaux favorables au developpement d'une maladie benigne. Il est bien entendu que les premieres experimentations seraient faites sur les animaux. M. Serres a considere ces elevures comme un etat pa- thologique et le resultat d'une eruption qu'il designe sous les noms de Psorie, Psorenterie. Si cette idee ingenieuse est l'expression d'un vrai phenomene pathologique , que ce soit ceque j'appellerais tme variole interne, le probleme serait resolu, et l'inoculation aurait son plein et salutaire effet. Des essais courageux ont etc tentes. On dit que le sang VINGT-UNIEME SESSION. 269 des malades a ete inocule , que les matieres excrementi- tielles ont ete prises en lavement. M. le Dr Ripault, qui a montre tant d'energie et de devouement pendant la formi- dable epidemie de 1832, a, en ma presence, deguste les matieres du vomissement. Aucune de ces experimentations n'a ete suivie d'effet remarquable. Le mode de recherche n'etait pas , a la verite , semblable au n6tre ; car nous sup- posons que dans les utricules il se fait une elaboration analogue a ce qui se passe dans les pustules varioliques. V. Bally, De TAcad^mie imp^riale de me"decine , et de rAcade"mie de Dijon. 11 est bon de rappeler ici que cette Note accompagnait l'envoi d'une lettre de M. Bally au Congres. 270 CONGRES SCfENTJFlQUE DE FRANCE. QUATRIEME SECTION. ARCHE0L06IE E T HISTOIRE, SEANCE DU 11 AOUT. Presidence de H. H. Baudol el de IB. de Soullrait M. Henri Baudot , Tun des secretaires generaux du Congres , declare la seance ouverte. II annonce qu'on va proceder a la formation du bureau. Un scrutin est ouvert, et, par suite de son depouillement : M. Frantin, membre de l'Academie de Dijon, est proclame president ; MM. Georges de Soultrait, Huot, Canat et Rossi- gnol , sont nommes vice-presidents ; M. Joseph Gamier remplit les fonctions de secre- taire. En Pabsence de M. Frantin, M. de Soultrait occupe le fauteuil. M. le president depouille la correspondance. M. le president donne lecture des trois premieres questions du programme, questions trop intimement liees entre elles pour que chacune puisse etre traitee a part d'une maniere complete. 1. La derniere campagne de Cesar dans les Gaules a- t-elletoujours ete bien interpretee?etles opinions diverses qui ont ete* emises a cet egard ne doivent-elles pas met- VINGT-UNIEME SESSION. 271 tre I'esprit en defiance sur certaines positions supposees de lieux historiques dont les vestiges ne se trouvent point malgre d'actives recherches. 2. Le plateau de Sainte-Reine , les lieux qui l'avoisinent et leur situation par rapport aux grands mouvements des deux armees de Cesar et de Vercingetorix, repondent-ils a toutes les donnees des Commentaires sur le siege d'A- Jesia ? 3. Oil les Boii s'etablirent-ils chez les Eduens, quand Cesar euttaille en pieces l'armee helvetienne? II ouvre ensuite la discussion par la communication d'une lettre de M. Desire Monnier (du Jura), qui, dans Timpossibilite oil il se trouve de pouvoir assister au Congres , lui soumet neanmoins les questions sui- vantes, qui toutes ont trait au ler § du programme : 1° Oil se trouvait Cesar quand Labienus vint lerejoindre ? Etait-il encore sur le territoire des Senones? Serait-ce a Joigny, qui se flatte d'une origine romaine? Les Senones etant insurg^s comme toutes les Gaules (excepte* trois pays), Cesar s'y serait-il arrete? — 2° Conibien de temps Cesar et Labienus reunis sont- ils restes a ce poste avant de se mettre en marche vers la Sequanie? Il se passa bien des evenements entre la jonc- tion et la retraite, des evenements qui supposent plusieurs mois de duree : seraient-ils demeures tout ce laps de temps au milieu d'un peuple ennemi , et par consequent sans ressources pour eux ? 3° PTest-il pas probable que Cesar aura ete rejoint par Labienus chez les Lingons, restes fideles a l'alliance de Rome? Chez les Lingons, les troupes romaines etaient alimentees, et a l'abri detoute attaque^ chez les Lingons, Cesar trouvait des distractions aux travaux de la guerre dans un commerce amoureux dont il est resulte une tige de Jules dont se flattait d'etre issu Julius Sabinus. Vos monuments retracent les noms de cette famille. 4° Ce camp de Jules Cesar au Mont-Afrique aurait-il , en 272 CONGKES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. depit du prejuge des savants qui ne veulent pas toujours rendre a Cesar ce qui est a Cesar, aurait-il reellement vu les tentes de l'armee romaine? Serait-ce Dijon meme qui aurait ete 1'emplacement de sa castrametation? Il est temps, Messieurs, que vous vous accordiez sur ce point. 5° D'ou vinrent les Gaulois coalises pour s'opposer au passage des Romains ? Y vinrent-ils en trois journees de campements , trims castris? ou bienles Gaulois formerent- ils trois camps pour s'opposer a la fuite de Cesar? Oh montre-t-on Pemplacement favorable a un grand combat , aux environs et a une journee de marche d'Alesia ? — Il ne s'agit pas simplement de dire : C'est en tel endroit ; il faut de plus y montrer des traces d'un champ de balaille, des tumuli par centaines, des debris d'armures, des re- trancbements , des antiquites de I'epoque , des denomi- nations- significatives , des traditions, des institutions commemoratives encore subsistantes , telles que des anni- versaires de victoire. 6° Si rien de tout cela ne se trouve a une journee de marche d'A.lise , il faut franchement abandonner le theme de Laureau (1 ) et de ceux qui le sui vent , par la seule raison de la distance. Et alors il convient d'examiner impartia- lement si l'obscurite' du texte des Commentaires n'est pas nee de retranchements de certains passages par des abre- viateurs. Car, ne nous tramons pas dans l'orniere que nous ont faite les professeurs et les traducteurs qui ne veulent pas entendre que Cesar ait redige des ephemerides , c'est- a-dire un journal de ses campagnes tenu jour par jour, et que les Commentaires n7en sont que le resume , comme ce nom meme le signifie. 7° Une fois rendus a ce point de depart , nous nous rap- pellerons que les anciens n'avaient pas de ponctuation positive , qu'on s'en est passe pendant bien des siecles , et que l'absence de pareils signes a donne lieu a de fortes (1) Loreau ou Laureau, dans sou histoire de France avant Chlovis, marque le ehamp de bataille dont il s'agit entre Tonnerre et Montbard , sur les bords de l'Armancon. YINGT-UMEME SESSION. 273 meprises. Pour ne parler ici que du texte qui nous inte- resse, je pense que votre altero die ad AXesiam castra fecit doit etre place entre deux points et faire une phrase in- dependante, qui signifierait qu'mi autre jour il alia cam- per devant Alesia. Demandons-nous done pourquoi altero die ne signitierait pas quelquefois un autre jour, 8° Demandons-nous aussi , avec le meme desir de de- couvrir la verite , si les mots cum in Sequanos, per extremos Linqonum fines , iter faceret ne peuvent pas signifier que Cesar, partant de l'extreme frontiere de la cite de Langres, etait en marche dans la Sequanie ? 9° Si l'on m'accorde ces dernieres modifications, je me fais fort de montrer, sur trois points de la Sequanie , Pern- placement detrois champs debataille , a une lieueet demie de distance les uns des autres , et semes de plus de 150 tumuli et de plusieurs castrametations. J'y ouvrirais la terre, et j'y montrerais des antiquites de l'epoque celtique ; j'interrogerais les denominations* locales , et elles me re- pondraient par le nom de C£sar et de ses lieutenants 5 je laisserais parler les traditions et les souvenirs par des usages conserves jusqu^a nos jours. Vous seriez etonne de cette accumulation de preuves. 10° M. Lavirotte m'a fait des objections tirees des loca- lity montagneuses , qui prouvent qu'on se serait fait a Dijon une fausse idee des pays oil coule la riviere d'Ain. On les croit inabordables a la cavalerie : e'est une erreur dementie par les faits militaires dont les tumuli et les voies gauloises peuvent deposer. La lecture de cette lettre suscite plusieurs obser- vations de la part de M. Rossignol. Le mot altero die , que M. Picot, daus son histoire de Geneve, a rendu par un autre jour, n'a jamais signifie en bonne lati- nile que le lendemain. Ensuite, les monuments mate- riels dont parle M. Monnier , comme preuve irrecu- sable d'un grand engagement sur les bords de l'Ain , n'ajoutent aucune force a son opinion, attendu que is 274 CONGKES SCIENTIFrQUE 1)E FRANCE. les tumuli _, et de Ires-considerables, n'ont point tou- jours ete eleves a la suite de combats. C'est, du reste, une propension plus patriotique que fondee des mono- graphes des siecles precedents, et peut-etre meme du commencement du notre, d'attribuer a Cesar en par- ticulier les origines des lieux dont ils ecrivaient l'his- toire. M. le president depose sur le bureau le memoire suivant de M. Cesar Lavirotte : NOTES ET CONJECTURES Bestinees a indiquer V emplacement du combat livre a Cesar par Fercingetorix , chef des Gaulois insurges , lequel eut pour resultat une nouvelle victoire des Romains , puis le siege et la prise d'Jlise, suivie de la soumission complete des Gaules. Ces notes ont ete pr^parees un peu a la hate pour re- pondre a la lre question du programme du 21e Congres scientifique, section d'archeologie et d'histoire, ainsi concue : « La derniere campagne de Cesar dans les Gaules a- » t-elie ete toujours bien interpretee ? et les opinions di- » verses qui ont ete emisesacet egard ne doivent-elles pas » mettre l'esprit en defiance sur certaines positions suppo- » sees de lieux historiques dont les vestiges ne se trouvent » point malgre d'actives recherches ? « II est hors de doute que le vague remarque dans quel- ques-unes des descriptions topographiques des Commen- taires de Cesar et ['absence dedications nominales ont pu donner lieu a des interpretations plus ou moins erronees. Chacun , a defaut de preuves irrecusables , a done cru pouvoir profiler de cette incertitude pour attribuer a sa localite l'honneur d'avoir ete le siege de quelque fait me- morable. C'est ainsi, par exemple, qu'aujourd'hui une con- VINGT-UNIEME SESSION, 275 tro verse s'est eleveeentre des archeologues(l) au sujet de 1 'emplacement oil fut livre le combat important mentionne au 7e livre des Commentaires, §§ 66, 67 et 68. Toutefois, relativement a ce fait de guerre, que Cesar, par malheur, a trop brievement decrit dans le recit de la plus laborieuse , de la plus decisive et de la plus savante de ses campagnes, il semble, en rapprochant les circonstan- ces qui ont precede et suivi le combat en question, qu'il ne devrait pas y avoir autant d'incertitude sur la contree oil il s'est passe qu'on voudrait y en trouver; et c'est ce que nous allons essayer de demontrer. Mais , pour y par- venir, il faut qu'on nous permettc de suivre pas a pas le grand capitaine dans les diverses operations de cette cam- pagne : courte analyse retrograde absolument necessaire pour bien apprecier le fait qui est l'objet de ces notes. En quittant les contrees gauloises j usque-la soumises et paisibles, pour se rendre en Italie suivant sa coutume a la fin de chaque campagne, Cesar fit prendre les quartiers d'hiver a ses troupes : deux legions sur la limite des Tre- viriens , deux dans le pays des Lingons , et les six autres chez les Senonais. Mais la mauvaise saison ne touchait pas encore a son terme, quand il fut informe par ses lieute- nants que plusieurs cites et peuplades gauloises s'etaient liguees, s'armaient pour reconquerir leur independance, et faisaient de menacantes dispositions pour mettre obsta- cle a son retour d'ltalie.. A. de telles difficulles , Cesar n'eut a opposer que son courage, saferme volonte, et une surprenante celerite dans son action. Ainsi, lorsque ses nouveaux adversaires le croyaient encore au-dela des Alpes, il accourt a Narbonne, y reunit tout ce qu'il peut de soldats, jette des garnisons sur les limites septentrionales de la Provincia, se fraye un passage a travers les neiges profondes qui couvraient encore les Cevennes , penetre au cceur du pays des Arvernes revokes , y porte l'epouvante, (1) M. Dt*sir6 Monnier, du Jura, arch6o!ogue ^rudit, distingue, et observaleur judicieux , et le r^daeteur de ces notes. £76 CONCHES SC1ENTIFIQUE DE FRANCE. y laisse ses troupes pour harceler ses ennemis^ il gagne Vienne, capitale de la Province, sans que personne ne s'en doute, y prend avec lui la cavalerie qu'il y avait fait reu- iiir, puis, cheminant jour et nuit , il traverse le pays eduen, dont il contient les peuples par sa presence, et vient re- trouver a Langres les deux legions qu'il y avait mises en quartier d'hiver$ il appelle a lui les huit autres legions re- parties chez les Trevires et les Senones $ enGn il se trouve a la tete d'une puissante armee (1). De son c6te , Vercingetorix , chef des Gaulois , qui ne se decourage pas, laisse les Arvernes a eux-memes, brule et saccage leBerri pour enlever aux Romains les ressour- ces de ce pays, et vient bouleverser la ville nouvellement edifiee par les Bo'iens, cette peuplade de la Germanie dont Cesar, apres la defaite des Helvetiens, desquels elle etait auxiliaire , avait gratifie les Eduens pour en former une colonie entre la Loire et l'Allier. En apprenant la conduite barbare du chef gaulois a l'e- gard du Berri, Cesar, qui de Langres s'etait porte sur le Senonais, laisse deux de ses legions a Jgendicum (Sens) avec tous ses equipages, et, marchant au secours des Bo'iens, attaque et prehd en trois jours Genabum (Orleans), ou il passe la Loire, penetre en Berri, et, malgre Vercin- getorix, met le siege devant Jvaricum (Bourges), qui toute- fois ne se rendit qu'apres de rudes assauts, ce qui le determina a laisser ses troupes y prendre un peu de repos. Il les laisse done, et se dirige vers le pays eduen, sous pre- texte d'arranger certains differends entre les magistrals , mais plutdt pour maintenir ce peuple puissant dans son alliance, et il en obtient un renfort de dix mille hommes de pied et de toute leur cavalerie , qu'il emmene avec lui etralliea son armee sous Bourges. De ces troupes reunies a ses Romains il forme deux corps d'armee : Pun, compose (0 La legion romaine, suivant Polybe , 6tait forte, au temps de Cdsar, de 5 a 6 mille hommes de pied et d'un dixieme en cavalerie. Ainsi cette armCe aurait compte" au dela de 50 mille combatlants. VINGT-UNIEME SESSION. 277 de quatre legions, fut mis sous le commandement de La- bienus, et dirige sur Sens et Lutece pour contenir les peuples du nord de la Gaule , et au besoin les reduire a la soumission ; — et l'autre , fort de six legions avec les auxi- liaires e'duens t fut conduit par Cesar sur les bords de l'Allier afin de s'approcher de la forte place de Gergovie, capitale des Arvernes, foyer de l'insurrection , dont il lui importait de se rendre maitre. Mais , pour mettre obstacle a ce dessein , Vertnngetorix s'etait hate de faire rompre les ponts et gardaitlui-meme la rive gauche de l'Allier. Cependant Cesar, par une sa- vante manoeuvre, trompe son adversaire, traverse le fleuvepresque a ses yeux,et le force a se replier sous les retranchements de Gergovie. Alors commencerent les ope- rations d'investissement de cette place — Ici, et pour abreger, nous passerons sous silence les details de ce siege, grand episode de la guerre des Gaules savamment decrit dans les Commentaires , et oil les Romains firent en vain des prodiges de valeur; eomme aussi nous tairons les sourdes menees des Eduens se disposant a trahir la cause de Cesar 5 et nous arriverons a la levee du siege de Ger- govie, motivee sur ce que, jaloux d'epargner le sang de ses soldats, Cesar ne voulut pas acheter cette victoire trop cher. — Bref, il decampa, repassa l'Allier, etmarchait avec confiance pour se rapprocher du pays des Eduens , lorsqu'il apprit que ces perfides allies , auxquels il avait accorde l'honneur de former son avant-garde, venaient de piller et d'incendier la ville eduenne de Noviodunum. (Nevers), oil il avait place en dep6t ses otages, ses ma- gasins, sa caisse militaire et une partie de ses bagages. Alors, sans perdre son temps a en tirer vengeance, ne voulant pas d'ailleurs que le passage de la Loire lui soit dispute par cestraitres ,il les laisse la, porte sa direction au nord dans Pintention de se rapprocher de Labienus , passe le fleuve, malgre les obstacles de la fonte des neiges au printemps, et fait route sur le Senonais. Pendant ces circonstances, Labienus, de son cote, en 278 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. quittant Sens, oil il ne laissa qu'un faible detachemeut a la garde de ses bagages, se dirigea vers Lutece avec les juatre legions que Cesar lui avait confiees } et sur ce ter- rain il eut a faire le siege de cette ville, qu'il reduisit, comme aussi a combattre et a repousser Pinsurrection des Bellovaces et autres peuplades. Cette expedition terminee, il retrograda sur Sens pour y reprendre ses equipages, el immediatement apres (1) il opera sa jonction avec Cesar, qui, en Patoendant, avait du procurer un peu derepos a ses Iroupes fatiguees du siege de Gergovie, en les laissantse i avitailler sur les bords de la Seine. Cesar, jugeant sainement les difficultes de sa position au milieu de populations livrees a Pesprit de revolte, ne pouvant plus tirer de secours de la Province romaine,ni de Pltalie, et voyant sa cavalerie reduite aux contingents de ses legions depuis la defection de celle des Eduens, dut srigement songer a la retraite. Alors, n'ayant rien aredou- ter sur sa gauche, puisqu'il etait assure des Treviriens , des Remois et des Lingons , il fit un changement de front , prit sa direction vers l'est , ayant sa droite appuyee a la Seine, qu'il dut remonter ; par ce mouvement retrograde il se rapprochait des secours en cavalerie que les Germains lui envoyaient , et il pouvait ainsi par la Sequanie, pays fidele, atteindre la Province, qui n'etait encore que menacee par les insurges gaulois : il prit done cette direction en tra- versal le pays des Lingons. Mais ce mouvement de retraite, etant connu des Gaulois, ranima au plus haut degre leur courage ; une assemblee g^nerale des peuples confederes, reunie aBibracte (Autun), lit un appel a tous les amis de Pindependance, qui fut e'eoute' ; une armee qui comptait au moins cent mille com- battants, dont une forte partie a cheval, se trouva sou- dainement organisee , et Vercingetorix fut elu pour la (0 Hoc negolio confeclo, Labiemib rcvei tilur Agcndicimi ubi irnpedi- menla relicta erant; hide cum omnibus copiis ad Esesarem pervcuii. Liv. 7, S 68. VINGT-UNIEME SESSION. 279 commander. — C'est ici qu'enfin nous arrivons au fait de guerre qui est Pobjet principal de ces notes conjecturales. — Alors, accourant par le pays eduen au-devant de Cesar pour lui barrer le passage, Vercingetorix Patteignit bien- t6t et vint menacer Parmee romaine sur son flanc en po- sant devant elle trois camps (1) a la distance de dix mille pas (15 kilometres), ce qui dut determiner Cesar a faire ex^cutera ses troupes une conversion par sa gauche afin de faire face a l'ennemi. Puis le lendemain Vercingetorix, apres avoir dispose son infanterie en reserve pres d'une riviere (2), lance en avant sa cavalerie divisee en trois colonnes d'attaque contre le centre et les ailes des legions romaines. — Cesar, ay ant ordonne une disposition sem- blable a ses cohortes a cheval,accepte le combat; Paction s'engage et s'anime ; les Gaulois serrent de pres les cavaliers romains, que leur nombre plus faible fait plier un instant; mais Cesar arbore ses aigles et fait deployer Pinfanterie de ses legions; Fattaque des Gaulois n'en est pas moins vive , quand tout a coup Paffaire change de face par Pentree en ligne du renfort attendu des Germains, qui tournent la po- sition des Gaulois , culbutent et mettent en pleine deroute leurs cavaliers dont il est fait un horrible carnage (3) ; ce- pendant Vercingetorix recueille ceux qui sont epargnes , au milieu de sa reserve d'infanterie, regagne ses camps, et ordonne incontinent (protinus) la retraite, qu'il dirige sur Alise, ville qui certainement etait peu eloignee de lui sur sa gauche (4) ; mais Cesar fit poursuivre l'ennemi tant que le jour dura,et lui tua encore trois mille hommes. Enfin, le lendemain [altero die] (5) il amena ses legions victorieuses autour d' Alise, oil nous lelaisserons achever (OCircitermilliapassuum decern Vercingetorix trinis castris consedit. Liv. 7. (2) Plumen ubi Vercingetorix pedestribus copiis consederat.... Liv. 7. (3) Omnibus locis fit caedes. (A) Environ 50 kilometres. (5) Tous les traducteurs ont inlcrprcie" altero die par Ic lendemain. 280 CONGRES SC1ENT1FI0,UE DE FRANCE. la plus notable de ses campagnes dans les Gaules, par un grand siege ou de puissants efforts de la part des Gaulois et les hauts talents strategiques de Cesar furent deployes. A present le plus difficile de notre tache sera d'essayer de preciser les lieux qui furent temoins du combat que nous venons de citer. A cetegard, il nous semble, d'apres l'expose qui precede, que la donnee la plus certaine pour arriver a une conclusion doit etre cherchee dans la dis- tance entre le champ de bataille et la cite d'Alise. Et cette distance resultera naturellement de l'espace de temps que mirent a la parcourir les troupes de Vercingetorix et de Cesar. Or, cette duree de temps n'est-elle pas determinee par les expressions textuelles des Commentaires ? Ainsi , aussit6t apres le choc entre les deux armees , Vercingeto- rix rallie ses troupes derriere ses camps (1), et incontinent les conduit et les met a l'abri dans l'enceinte d'Alise , tan- dis que C^sar, apres avoir sans doute passe la nuit afaire panser ses blesses et donner la sepulture aux morts, sui- vant son habitude, — n'opere que le lendemain son mou- vement sur Alise pour en commencer l'inyestissement (2). — Done cette distance peut etre evaluee a environ dix heures de marche militaire necessaires pour une armee (3) aussi nombreuse qu'etait encore celle des Gaulois 5 mais en quel lieu prendre le point de depart apres le combat ? e'est ce qui devient fort embarrassant. Ne pourrions-nous pas repondre que, comme il devait exister un moyen de communication entre Langres et Geneve, villes ay ant de Pimportance des ces temps an- ciens(4), il serait presumable que Cesar, apres avoir (0 Vercingetorix copias suas ut pro castris collocaverat reduxit; pro- tinusque Alesiam iter facere ccepit. Liv. 7, $ 68. (2) Altero die ad Alesiam castra fecit. (3) Vercingetorix, dans une allocution pour re"clamer des secours afin de faire lever le si^ge d'Alise, dit : « Qui si indiligentiores fuerint, millia hominum octoginta delecta secum interitura demonstrat » Liv. 7, S 71. (4) Une voie romaine, traced sous Auguste, perfeclionna bientot la communication entre ces deux villes. VINGT-UN1EME SESSION. 281 quitte la haute Seine, ayant rencontre cette route, qui l'eut conduit fort directement sur la Province romaine , l'aurait suivie quelque temps, et ce fut alors qu'il fut arrete dans sa marche par les Gaulois, peut-etre a la hauteur de Thil- Chdtel, lieu antique oil passait ce chemin , et a qui la tra- dition immemoriale a maintenu jusqu'a nous le nom usuel de Trechdteau ou de Tri-Chdteau, qui lui serait reste des trinis castris de Vercingetorix (1). Cette opinion, nous le pressentons, est fort hasardee et manque de points d'appui solides.Toutefois, s'il nous etait permis de nousy arreter, ce ne serait pas seulement a cause de la coincidence du nom vulgaire avec les Trims- Castris ; mais c'est plutdt parce que la position de ce lieu est une plaine legerement ondulee , et parfaitement disposee pour recevoir des camps , ainsi que pour faire combattre de la cavalerie, et se trouvait precisemenl placee sur la ligne de retraite que durent suivre les Romains se dirigeant^ers la Sequanie par V extreme limite du pays des Lingons (2)» Et en eflfet cette limite est tout a fait rapprochee de Trechdteau. Enfin nous penserions , sans cependant qu'il nous soit possible de designer le nom d'un lieu , que la bataille dont il s'agit aurait ete livree en avant et au nord de la Tille , riviere au bord de laquelle Vercingetorix aurait tenu son infanterie en reserve pendant que sa cavalerie combattait. Peut-etre aussi ce combat se passa-t-il pres de la Vin- geanne? Mais nous ne pouvons nous arreter a l'idee que la riviere mentionnee a ce sujet par Cesar put etre la Sadne, qui a la verite forme aussi limite de la Sequanie vers Gray et plus bas , parce que ce fleuve est trop eloigne d'Alise , et que d'ailleurs l'illustre auteur des Commentai- res n'aurait pas omis de citer son nom , qu'il a repete plu- sieurs fois ailleurs. (1) Une carte ge"ographique de 1650 de"signe Thil-Chatel sous le nom de Chateau-des-Tres; sur une autre carte de J 737 on lit Tre"-Chateau ou Tri-Chateau. A cela on peut opposer une charte de 1033 qui de"signe ce lieu Tille-Castro. Mais la tradition a bien aussi son autorite". (2) Quum Caesar in Sequanos per exlremos Lingonum fines iter face- ret. Liv. 7, § 66. 282 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Mais sous un aulre point de vue, nous considerons oorame etant inadmissible l'opinion inverse a la notre, qui tendrait a placer en Franche-Comte les Trinis-Castris , et l'emplacement du combat sur le premier gradin des Monts- Jura, aux bords de la riviere d'Ain, a plus de 1 92 kilometres, c'est-a-dire quatre journees de marche fort longues d'Alise, position oil l'on rencontre a la verite de nombreux tumuli groupes en triangle sur les trois points de Clair vaux-les- Vaux-d'Ain , d'Orgelet et de Conliege, au-dessus de Lons- le-Saunier, et espaces les uns des autres par 12 et 14 ki- lometres , ce qui aurait laisse trop de vide entre les corps de troupes combattants. En consequence, nous pensons, d'unepart, qu'araison du grand eloignement de ces trois positions sur le Jura, de la place d'Alise, il eut ete physi- quement impossible a Vercingetorix d'y conduire des le soir de la bataille sa nombreuse armee et ses impediments, ( et qui d'ailleurs aurait eu les embarras du passage des tleuves du Doubs et de la Sa6ne), et qu'ainsi une discus- sion sur ce point de controverse n'est raisonnablement pas soutenable. Et de l'autre part, nous pouvons dire avec as- surance que le fait de guerre en question s'est passe sur le territoire des Lingons , et non dans le centre de la Se- quanie. Mais en meme temps , nous regrettons de ne pas pouvoir assigner une position certaine : ce a quoi nous eussions peut-etre reussi si notre age trop avance nous eut permis de faire militairement des reconnaissances to- pographiques entre Alise, la Tille, la Vingeanne et la Sadne. Champignolles-les-Hospitaliers , ce 8 aout 1854. C. Latirotte, Ancien officier au corps imperial d'etat-major, elc. , etc. , de TAcademie de Dijon. M. Mignard lit une dissertation manuscrite sur la derniere campagne de Cesar dans les Gaules : VINGT-UN IEMK SESSION. 283 LA DERNIERE CAMPAGNE DE CESAR DANS LES GATJLES, ou fcamen de ces deux questions (lrc et 3e de la section archoologique) : « La derniere campagne de Cesar dans les Gaules a- » t-elle ete toujours bien interpreter? Et les opinions di- rt verses qui ont ete emises a cet egard ne doivent-elles » pas mettre l'esprit en defiance sur certaines positions » supposees de lieux bistoriques dont les vestiges ne se » trouvent point malgre d'actives recherches? » Oil les Boii s'etablirent-ils chez les Eduens quand » Cesar eut taille en pieces l'armee helvetienne? » Les ephemerides de Cesar (1) doivent a leur concision generale et a la brievete" des descriptions de lieux Pin- convenient de provoquer tres-frequemment de graves dif- ficultes dans Interpretation des faits ; et je me demande quelquefois s'il n'en sera pas un jour ainsi des immortels bulletins de notre Cesar moderne. x Le nom de Gergovia n'est pas, comme celui de la capi- tale des Mandubiens, ecrit sur une pierre de ses fau- bourgs (2). Un certain esprit de reserve doit done presider aux opinions que je presente ici, tant sur la derniere campagne de Cesar dans les Gaules, que sur l'etablisse- ment des BoYens dans la confederation eduenne} questions connexes et depuis longtemps litigieuses, que j'ai plut6t la pansee d'etudier que la pretention de decider. Je commence par analyser succinctement la campagne (0 Les Commentaires, liv. vn, pour tout ce qui a rapport a cette dis- sertation. (2; On a trouve" sur les flancs du monl Auxois la fameuse pierre dont 1'inscriplion commence par le mot MAUTIALIS, et finit par les mob IN ALISIA. — Celle pierre est scellcc dans la muraille du palais des Archives, a Dijon. 284 CONGRES SCIENTIF1QUE »E FRANCE. de Cesar, en suivant pied a pied le texte des Commen- taires : Vercingetorix arvemus summce potentice adolescens, etc. Vercingetorix , jeune prince arverne d'un grand credit , ayant ete investi de la souveraine autorite, en commenca l'usage par marcher de la capitale des Arvernes(l) contre les Bituriges, ipse in Bituriges proficiscitur. Ces derniers, qui etaient dans.l'alliance des Eduens, et par consequent dans celle des Romains, y renoncerent pour s'unir aux Arvernes, statim se cum Jrvernis conjungunt. Alors Cesar donne ordre aux legions de la Province ro- maine de se reunir sur le territoire des Helviens, qui lou- che a celui des Arvernes, in Helvios, qui fines yjfrvernorum contingunt, convenire jubet. Les Arvernes effrayes conjurent Vercingetorix de les secourir; car tout le poids de la guerre allait peser sur eux. Touche de leurs prieres, il leve son camp et quitte le pays des Bituriges pour se rendre chez les Arvernes : quorum Me precibus motus castra ex Biturigibus movet inAr- vernos versus. Cesar va reunir sa cavalerie aVienne, et ses legions chez les Lingons 5 ce que Vercingetorix ayant appris, il ramene son armee chez les Bituriges, et va, de la , pour faire le siege de la ville des Boiens. Tout cela est exprime dans le passage qui suit : « Hac re cognita, Vercingetorix rursus in Bituriges exer- citum reducit, atque inde profectus Gergoviam Boiorum oppi- dum , quos ibi helvetico prcelio victos Ccesar collocaverat M- duisque attribuerat, oppugnare instituit. » D'apres ce texte , c'est dans la capitale des Bituriges que s'etait rendu Vercingetorix, a en juger par ces mots : inde profectus, qui viennent ensuite. Or, si Gergovia Boiorum eut ete Bourbon-l'Archambaut, ou autre lieu du Bourbonnais, (0 C'tHail Gergovia Arvernorum, qu'il faut bien se garder tie con- fondre avec Gergovia Boiorum. (letle deniiere est la ville que nous '•herchons. VINGT-UNIEME SESSION. 285 Vercingetorix n'aurait done fait que des allies et des venues sur la meme route, et serait venu coup sur coup et pour la troisieme fois sur ses pas, pour assieger la petite cite des Boiens. II est bien plus raisonnable de penser que Vercingeto- rix, qui desirait eloigner la guerre de son pays natal , l'Arvernie, alia au contraire harceler Parmee de Cesar et la tenir en echec; tactique que n'a cesse, au surplus, de mettre en oeuvre le general gaulois pendant toute la guerre. Or Cesar etait alors a Jgendicum, et Vercingetorix s'en rapprochait sensiblement en allant mettre le siege devant la ville de Gergovia Boiorum; mais, entendons-nous bien, cette ville , au lieu d'etre tout a fait au midi de la confe- deration eduenne , etait au contraire, tout a fait au nord de cette meme confederation, et e'est ce que la suite de cet expose va etablir. Cesar, disons- nous , etait a Jgendicum (Sens), d'ou, apres avoir fait avertir les Bo'iens de son approche, il se dirigea vers leur cite, duabus Agendici legionibus atque im- pedimentis totius exercitus relictis, ad Boios proficiscitur. Or, e'est ici , e'est a l'occasion de l'itineraire de Cesar, qu'il y a des opinions fort indecises : aussi ai-je expose, sur une petite carte, un trace en bleu pour les opinions les moins probables; un trace en rouge pour celles qui reunissent les plus graves autorites ; et, enfin, j'y ai indi- que la circonscription que je donne aux Boii. Une autre petite carte, en regard, donne les limites de la confede- ration eduenne avec celles des peuples qui l'avoisinent , et dont il est question dans cette memorable campagne. L'abbe Lebeuf a demontre de la maniere la plus evi- dente que fellaunodunum est Auxerre , et Genabum Gien, localite parfaitement placee dans le rayon d'operations de Cesar, qui , d'Auxerre , avait douze ou quinze lieues a peine a faire pour aller delivrer Gergovie, s'il n'avaitpas voulu d'abord assurer ses convois de vivres et ne point 286 C0NGRES SCIENTIFIQITE DE FRANCE. laisser de villes fortes sur ses flancs : ne quern post se hos- temrelinqueret quo expeditiorc re frumentaria uteretur, etc. C'est pour cela qu'il emporte d'assaut Vellaunodunum et Genabum, c'est-a-dire Gien (1), dont l'aficien nom est Genabie, ainsi que le prouve l'abbe Lebeuf, et qui est une ville aujourd'hui ruinee, sur la Loire et sur les frontieres des Camutes, des Bituriges et des Senonais. Cesar avait a punir les Bituriges , qui avaient quitte son parti pour s'unir aux Arvemes , ainsi que nous l'avons vu des le debut. Aussi, apres la prise de Gien , passe-t-il la Loire et march e-t-il sur la cite des Bituriges , exercitum Ligerim transducit atque in Biturigum fines pervenit. Il n'a- vait plus a hesiter, puisqu'il venait d'apprendre la levee du siege de Gergovia Boiorum. En effet, Vercingetorix abandonnait ce siege {oppugna- tione desistit), et, craignant la diversion dont Cesar me- nace les Arvernes , son pays de predilection et sa capitale, il faisait diligence pour s'opposer a la marche de Cesar (obviam Cwsari proficiscitur ) , qui allait commencer ses hostilites contre les Bituriges par le siege de Noviodunum, oppidum Biturigum positum in via. En effet, Cesar, n' ay ant plus a secourir Gergovie des Boiens, dont le siege venait d'etre leve par Vercingetorix, (1) D'apres le compte de Ce"sar lui-meme, il emploie moins de sep t jours a accomplir cette brillante campagne ( voir le resume' du S xi du liv. vu des Commentaires ) : Depart d'Agendicum et arrived pres de Vellaunodunum \ jour. Deux jours de circonvallation ; le 3^ jour la ville se rend 3 Le second jour de marche , de Vellaunodunum a Genabe , CCsar enleve celte derniere ville d'assaut a minuit (paulo ante mediant noctem), ci 2 1/2 En tout i 6 1/2 Or, je le demande, si Genabum e"lait Orleans au lieu d'etre Gien, Ce*sar aurail-il pu accomplir en un si court espace de temps tous ces hauts fails d'armes, quand on pense surtoul au trajet qu'il aurait en a faire de Sens a Orleans, et ensuite d'Orle'ans a Noviodunum, et a I'^loignement oil i! se serait plactf, el des allies qu'il allait secourir, et de son centre d'o- peTations? VINGT-UNIKME SESSION. 287 n'a plus qu'a poursuivre sa route et a preserver ses der- rieres par la prise de Noviodunum (1) , place dans la di- rection de VArvernie, pays cki il essayera plus tard de frapper un grand coup par le siege de sa principale place de guerre (2). Si Gergovia JSoiorum avait ete dans le Bourbonnais, Vercingetorix n'avait point a en discontinuer le blocus ; car il ne se serait pas expose , en abandonnant le siege de cette ville, a se placer de la maniere la plus defavorable , c'est-a-dire tout a fait entre les Boiens, qui etaient d'intre- pides guerriers, et l'armee de Cesar. Dans une premiere rencontre , la cavalerie de Vercin- getorix, qui ne cessait, pendant toute la campagne, d'ob- server les mouvements de Cesar, et precedait le gros de l'armee gauloise, fut mise en fuite, et Cesar, apres ce succes et apres la reddition de Noviodunum , se dirigea sur Avaric (Bourges), principaleplace des Bituriges. Il comptait que la possession de cette ville le rendrait maitre de tout le pays: eo oppido recepto (3) civitatem Biturigum se inpo- testatem redacturum confldebat. Pendant la marche strategique de Cesar, Vercingeto- rix incendiait les villages et les bourgs , depuis la Bote jusque vers Jvaricum, dont Cesar faisait le siege (a Boia quoquoversus , quo pabulandi causa adire posse videantur), et le harcelait sans cesse sur ses derrieres ( minoribus Ccesarem itineribus subsequitur) [4] , sans engager, de ba- taille decisive, le suivant ainsi a la piste jusque sous les murs de la principale ville des Arvernes (5) (Vercingetorix, castris prope oppidum in monte positis , etc. ) \ et , lorsque (1) Les uns disent Nevers, et les autres Sancerre. L'abbe" Lebeuf est de ce dernier sentiment. (2) Gergovia Arvernorum (Clermont en Auvergne). (3) Les mots oppido recepto, ville recouvre"e , font suffisamment con- naitre que Vercingetorix l'avait occupCe , comme je l'ai de"ja fait pres- sentir pr^cCdemment. (4) Les soldats de Vercing&orix l'accuserenl meme de vouloir les tra- hir, tanl il rapprochait son camp de celui des Romains. (5) Gergovia Arvernorum. 288 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Cesar, apres avoir abandonne le siege, revint surses pas etse dirigea vers la S£quanie par l'extreme frontiere des Lingons (quum Ccesar in Sequanos per extremos Lingonum fines iter faceret), Vercingetorix vint asseoir trois camps a dix milies des Romains : circiter millia passuum decern ab Romanis , trinis castris Vercingetorix cons edit. Vous le voyez , Messieurs , Vercingetorix n'a cesse de harceler Cesar des le moment oil ce dernier met son ar- mee en mouvement; il le previent meme en quittant les Bituriges, et c'est en se rappro chant du Senonais qu'il va assieger la ville capitale des Boi'ens. Voyons maintenant les opinions diverses qu'on a emi- ses et qu'on emet encore sur la position de Gergovia Boio- rum. — Ni les geographes , ni les arch£ologues qui pla- cent cette ville dans le Bourbonnais ne sont d'accord sur le lieu. C'est Moulins, selon les uns$ c'est Bourbon - l'Ar- chambault, c'est Souvigny , selon les autres, etc., etc. Les habitants du JVivernais considerent les Boi'ens com- me ayant habite leur pays (1). La question a deja ete posee au Congres de Nevers. Un membre (2) a soutenu que les ruines signalees a Saint- Re verien, dans le Nivernais, ne sont autres que celles de Gergovia Boiorum; un autre membre a dit qu'il ne pensait pas que ces ruines fussent encore assez bien etudiees pour se prononcer (3). Selon M. l'abbe Crosnier, le chateau de Buy (4) , dans la commune de Saint-Pierre-le-Moutier , occuperait un coin de l'emplacement de Gergovie ; mais dans toutes ces localites qui se disputent obstinement une ville impor- tante , a-t-on trouve des medailles gauloises , gallo-ro- maines, et du Haut et Bas-Empire , documents rev^lateurs qui laissent le privilege de dire l'age d'une ville ? A-t-on (.1) Congres arch, de France, ise session, page 148. (2) M. Boniard. (3) M Baudoin d'Avallon. (4)Le nom de Buy, dit ML Crosnier, ne rappellerait-il pas les anciens habitants el leur ville, urbs, civitas ou Gergovia Boiorum? VIKGT-UNIE.V1E SKSSI0N. , 280 trouve des monuments caraeteristiques , des thermes par exemple , des statues de marbre ou de pierre , tout un r£- seau de grandes voies , etc. , etc.? Les recherches les plus actives n'ont pas manque dans tous ces lieux, oil il n'y a pas un monticule qu'on n'ait fouill4, pas d'indices de mines qu'on n'ait poursuivis; et pourtant, qu'est-il resulte de ces investigations? Rien autre chose que des inductions toujours vagues et sans resultals, et n'ayant d'autre appui quel'opinion de quelques geogra- ppes signalant une partie du sol eduen plutot qu'une autre. Aussi, au lieu de chercher au nord de la confederation eduenne, a-t-on cherche exclusivement au midi , parce qu'on n'a pas interprete dans son vrai sens la derniere campagne de Cesar. Neanmoins , deux choses m'ont frappe dans les savan- les discussions du Congres de Nevers (1) : la premiere, c'est l'opinion emise par un membre (2), a savoir « qu'il ne serait pas eloigne de croire qu'il y avait aussi des Boiens repandus sur d'autres parlies du sol eduen. » La deuxieme, c'est l'opinion d'un autre membre (3), consistant a dire que les Boiens occupaient un lieu sur les limites communes des Eduens, des Carnutes et des Senonais. Ce sentiment est conforme a celui de Pline (liv. rv, chap. 18) , qui, dans sa description de la Gaule lyonnaise, place les Boiens dans l'ordre suivant : Tntus autem Hedui fwderati, Carnuti fcederati, Boii, Senones, etc. 11 y a quelque chose dans ces deux opinions qui n'est pas formel comme la mienne , mais qui lui donne nean- moins un tres -grand poids. Discutons maintenant les avis des geographes et des auteurs- Le point de geographie le plus conteste, c'est la posi- (0 Congres arch, de France, I8e session, page 173. {_>) M. Devoncoux , id,, ib. 5) M. Boniard., id., ii>., p. 154. 19 290 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. tion des Boiens sur la carte de l'ancienne Gaule (1). Tout cequ'onsait, c'est que cette peuplade obtint de Cesar, par l'entremise des Eduens, la permission de s'etablir dans un district particulier, sur les limites des possessions de ces derniers (2). D'Anville dit : « Cette ville des Boiens, dont il est fait mention sous le meme nom de Gergovia que celui que portait une ville des Jrverni, ne nous est point con- nue (3). » Schcepflin dit : « La ville des Boiens c'est Ger- govie. Oppidum Boiorum fuit Gergovia a Ccesare memo- rat a (4). » Adrien de Valois (5) s'exprime de cette maniere : « Qui » sont done ces Boiens, demanderat-on? — Je pretends » que , d'apres Cesar, il faut les chercher dans les ft on- » tieres des Eduens 5 mais, commeles limites des Eduens » s'etendent loin en longueur et en largeur, et renferment » quatre dioceses, il n'est pas facile de dire oil ces Boiens » peuvent etre trouves, surtout a cause que la ville etait » de moindre importance, de peu de population et d'un » territoire borne. » En somme, Adrien de Valois, comme on le voit,laisse la question indecise. Il n'en est pas de meme de Walkenaer (6). Ce savant geograpbe se prononce en disant : « Plusieurs indica- tions reunies tendent a placer les Boii dans le diocese mo- derne d'Auxerre. Un lieu tres-pres d'Entrains, lieu nom- meBoui, et au diocese d'Juxerre, me parait etre un reste de Pancien nom du peuple boien. » « D'ailleurs, ajoute Walkenaer (7) , Jutissiodorum n'est connu que comme le nom d'une ville, et non d'un peuple, (l)Le g^ographe Morula disait, apres avoir prononc^ sur ce point to- pographique : « Adhuc hcereo. » ( Voir Tabbe" Lebeuf , Eclairc. , t. 2 , p. 241.) (2) Caesar, 1, ch. 28. (JJ Danville , Notice de l'ancienne Gaule, p. 167. (4) Schoepflin, Vindicice celticce, p. HO. (5) Notitia Galliarum , p. 91. (6)Ge"og. anc. des Gaules , p. 82. CtjLoc cit., p. 84. * VINGT-UNIEME SESSION. 291 et il est naturel d'attribuer ce territoire au seul peuple de la Gaule dont 1' emplacement n'est pas clairement indique par les auteurs. Lorsque l'on observe que tous les autres territoires se trouvent occupes par des peuples particu- liers, il reste demontre que les Boii ont du necessairement habiter le diocese d'Auxerre. » Or, d'apres ses propres apercus , qu'aurait done pense Walkenaer si l'on etait venu lui annoncer qu'a 10 ou 12 lieues nord-est d'Auxerre , on venait de trouver une ville d'une mediocre etendue, mais entouree de fortes murail- les, renfermant des tbermes et edifices remarquables, aussi fortifiee par l'art que par l'avantage de sa position, repondant de son age gaulois par ses medailles gauloises et par celles de la serie des empereurs romains depuis Auguste, et repondant de son dernier age gallo-romain par ses medailles du 3e et 4e siecle a l'effigie de quel- ques-uns des trente tyrans et de Constantin le Grand } si on lui eut fait connaitre qu'a cette ville se reliait un r6- seau de sept voies romaines , et qu'independamment du Boui pres d'Entrains , qui formait la limite sud-ouest de cette petite cite, il.y avait a 8 kilometres de cette ville ruinee un autre Boui, formant la limite nord-est du meme territoire \ s'il avait su encore qu'un tumulus voisin (1) servait de delimitation entre ce territoire et le Pagus lin- gonicus 5 que , toute supputation faite , les Mandubiens touchant presque a Entrains, et les Lingons a Bouix,le pays etait de peu de largeur et avait a peine 12 ou 15 lieues de longueur? Si on lui eut fait connaitre toutes ces choses, dis-je, Walkenaer n'aurait pas manque de s'ecrier : « Mais ne cberchons plus la Gergovia Boiorum : e'est evidemment cette petite capitale que vous venez d'exhumer. » Il est certain , ainsi que nous l'apprend la notice de la Gaule , que la confederation des Eduens fut renfermee dans les limites de la Premiere Lyonnaise, et qu'elle comprenait (i) Le tumulus de Ceril'y, place a quelques pas de la grande voie rp- maine d'Auxerre a Langres. 292 C0NGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. les peuples de la cite de Lyon comme metropole , et des cites on dioceses deLangres, d?Autun, de Chalon-sur-Sadne, de Macon, de Never s, et pays adjacents. Quoique generalement les circonscriptions diocesaines se rapportent aux anciennes divisions territoriales de la Gaule , cependant il y a une multitude d'exceptions , sur- tout dans les limites extremes des dioceses (1). C'est ainsi qu'une partie du territoire de Nevers, dependant d'abord de la cite d'Autun, a et^ rattachee depuis a la Quatrieme Lyonnaise ou Senonie, dont la metropole est Sens (2) $ c'est ainsi que le Pagus duesmensis , au centre de la C6te-d'Or, est, pour la plus grande partie, du diocese d'Autun, et, pour une petite partie, du diocese de Langres (3). Il etait impossible que, dans les contrees ou provinces frontieres, les divers dioceses ne s'echancrassent pas muluellement. J'en trouve des temoignages irrecusables dans les divers pagi des contrees de la Gaule qui nous occupent en ce moment. Ainsi , les frontieres du Pagus tomodorensis (le Tonnerrois), et celles du Pagus latis- censis (le Chatillonnais ) [4],ont ete longtemps douteu- ses : aussi M. Lemaistre, dans sa notice sur Pancien Tornodurum, rappelle-t-il que le savant Henrion dePan- sey considerait le Tonnerrois comme fait de pieces rap- portees. On voit dans l'annuaire du d^partement de l'Yonne de 1845 que Molesme et Vertaut faisaient partie de cet archidiacone de Tonnerre, compose de lambeaux de dio- ceses. Ainsi ces frontieres eduennes ont ete , pour ainsi dire, flottantes dans les differentes divisions politiques qu'a subies le sol. (1) Vo r les Eclairc. de l'abbe" Lebeuf, t. 2, p. 237. (2) Voir Gallia Christiana, et Essais sur les divers lerritoires de la Gaule , par Gu^rard. (3) Ainsi le diocese d'Autun s'e"tend jusqu'aux portes de Chatiilon, puisque le village d'Ampilly-le-Sec dCpendait de ce diocese. (4) C'est precisCment sur les limites extremes et conligues de ccs deux pagi que se trouve la montagne de Vertaut, sur laquelie sont les ruines de la ville gallo-romaine dont nous cherehons le nom. VUNGT-UNIEME bESSION. 293 Pour compliquer la diiliculte, une grande confusion a eu lieu entre Latisco, sur la montagne de Vix, et Lansuine, sur la colline de Verlaut. Par suite d'un certain amour du merveilleux qui cherche a donner un quartier de noblesse de plus a une petite province, on a pretendu que la ville de Lansuine avait ete la premiere capitale du Pagus latis- censis ou pays de la Montagne , et que Latisco n'en avait ete que la seconde (1). A cela il n'y a qu'une petite diffi- culte : c'est que Lansuine etait une ville etemte avant la circonscription des pagi, qui ne date que du 4e ou 5e siecle (2). De plus encore , et comme il existe dans les titres dioce- sains de la cite de Langres un archidiacone du Lassois ou Lessois , on en a applique sans facon les effets a Lan- suine, sans prendre garde que l'-existence des archidia- cones est de beaucoup posterieure a la mine de cette ville. L'historien Grosley a bien senti ce ridicule : aussi est-ce a la ville de Chatillon qu'il attribue ce titre (^archi- diacone. « Il y a, dit-il, dans le pays et le diocese de Lan- gres , un canton qu'on a appele anciennement l'archidia- cone de Lassois, en latin archidiaconatus Pagi latiscensis, dont Chatillon etait le chef-lieu. » Cette meme pretention critiquee par Grosley avait aussi choque Delamothe, historien chatillonnais du siecle dernier 5 car il s'ecrie ( MS. p. 231 ), en faisant allusion au pretendu archidiacone' de Lansuine : « Qui croira qu'un archidiacone ait pris et retenu jusqu'a nos jours le nom d'une ville qui avait cesse d'etre bien avant que cet archidiacone eut pris son exis- tence? » On peut juger par tout ce que jeviens de dire, combien sont peu sures les bases sur lesquelles on s'appuie pour rattacher la contree de Lansuine au diocese de Langres. (1) A ce compte, !a ville de CMlillon-sur-Seine serait la 3e capitale du Pagus latiscensis. (2) Voir Guerard, Essai surle systeme des divisions terriloriales, p. H. — Voir aussi les Memoires do Guignes sur les royaumes de Provence et do Rourgogne,.p. 4 et suiv. 294 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Dans un recueil de notes imprime en 1840, par M. L. Coutant (1) , je lis ce passage , sur lequel un de mes con- freres de l'Academie de Dijon a appele tout recemment mon attention : « Les Eduens, auxquels les Boiens avaient rendu de grands services, obtinrent que cette brave nation leurfut incorporee. On leur assigna une contree qui devint la frontiere de la Bourgogne , et les Eduens leur firent part des droits et privileges dont ils jouissaient eux-memes. » Apres avoir cherche les terres les plus propres a la culture, ils s'elablirent sur la voie romaine qui conduit d'Alise a Troyes , dans une belle vallee arrose'e par la petite riviere de laLaignes, ou, au rapport de plusieurs historiens ( Dubreuil , J. Vignier, Bruzen , etc. ) , ils jeterent les fon- dements des trois bourgs appeles les Riceys. Quelques-uns d'entre eux allerent s'etablir sur les limites de la Franche- Comte et de la Bourgogne (2). » Or, comme on ne pensera point que les Riceys soient autre chose que des bourgades de vignerons,il faut bien pourtant chercher quelque part la capitale de ces Boiens dans la contree oil on les inslalle. Or je n'en vois guere , il faut en convenir, de plus favorable que celui que j'in- dique,et rien ne m'etonne davantage que de voir que M. L. Coutant lui-meme n'y ait pas songe. Toutes les raisons que j'ai donnees militent singuliere- ment en faveur de l'opinion de Walkenaer , qui place les Boiens dans le voisinage d'Auxerre , ville qui n'avait pas dans la Gaule le titre de cite que lui a confere plus tard l'erection d'un eveche , et dont le territoire , en quelque sorte neutre , borde celui des Eduens au nord-ouest. Quant au nom meme de Landunum , il ne faut pas s'en preoccuper; car c'est ainsi que J. Vignier a baptise sans facon notre ville des Boiens, en accolant au mot latin (1) Recueil de notes et de pieces historiques pour servir a l'hisloire des Riceys, depuis !eur fondation jusqu'a nos jours. (Paris, 18/to, in-8°.) (2) En se fondant sur les memes autoritCs, M. L. Coutant, dans ses fragments historiques sur Bar-sur-Seine, re*pete la meme assertion. (Bar- sur-Seine, 1847, in-8°.) VINGT-UNIEME SESSION. 295 dunum, desinence sonore et commune aux lieux gaulois, le mot land, importe dans les Gaules par les Francs , et dont la signification est terre, contree ou pays. Le moyen age n'avait pris que ce premier mot land, et 1'avait associe au nom de la petite riviere qui baigne le pied de la colline, de cette maniere : Lanz ad Lagnim, et en francais Lanz-sur-Laigne , denomination qui s'est peu a peu adoucie et transformee en cet autre mot Lanssuine , derniere formule aeceptee vraisemblablementparles vieux titres. M. Challe prend la parole pour relever d'abord une erreur dans laquelle, dit-il , M. Mignard est tombe sur un fait episodique. II a, sur la foi de Lebeuf, pris Auxerre pour le Yellaunodunum des Commentaires , et Gien pour Genabum. Lebeuf a, il est vrai, avance d'abord cette opinion dans un memoire desa jeunesse. Mais il a ete rudement refute par d'Anville , et plus tard, en publiant son histoire d'Auxerre, il s'est a peu pres relracte. Rien de serieux ne venait, en effet, a l'ap- pui de ce systeme, que l'auteur faisait reposer seulement sur ce que, comme Vellaunodunura, Auxerre est a deux journees de marche de Sens, et sur ce qu'un vil- lage a dix kilometres d'Auxerre porte le nom de Vallan . Mais Yellaunodunum etait, selon les Commentaires, sur la route de Sens a Genabum, ville des Carnutes, situee sur la Loire. Et quand meme ce serait Gien , Auxerre n'etait pas sur sa route. Auxerre, Sens et Gien forment les trois pointes d'un triangle equilateral. II y a dix-huit lieues de Sens a Gien en ligne droite, et trente-quatre en passant par Auxerre. Mais il y a plus encore : Genabum n'est pas Gien , c'est Orleans ; tous les geographes en sont maintenant d'accord. Gien n'est appele dans les chroniques du sixieme siecle que 206 CONGIIES SCIENTiFIQUE DE FRAISCE. Giemus ou Giomus. II n'a jamais apparlenu au terri- toire des Carnutes, qui finissait a Orleans, et il a tou- jours ete du Pagus Auxerrois et du diocese d'Auxerre. La carle de Peutinger marque remplacement de Ge- nabum ou Cenabo sur la Loire, et les distances mar- quees sur cette carte s'appliquent juste a Orleans, ou abondent d'ailleurs les antiquites romaines. S'expliquant ensuite sur les conclusions du me- moire de M. Mignard , M. Challe declare qu'il ne peut les admettre. On peut debattre sur l'emplacement pre- cis oil fut etablie la colonie des Boiens. Est-ce dans le triangle forme a l'emboucbure de l'Allierpar cette ri- viere et la Loire? Est-ce dans le Nivernais, comme des ecrivains de ce dernier pays Font allegue depuis quel- ques annees ? Ou bien les trente-deux mille Boiens, qui trainaient sans doute leurs families avec eux, et que Cesar donna pour colons etauxiliairesauxEduens, occuperent-ils a la fois et les marais a dessecher sur les bords de TAllier, et les forets a defricher dans le Nivernais? On peut admettre ou rejeter telle ou telle de ces opinions. Mais ce qui est avere par les Commen- taires, c'est que leur nouveau pays etait voisin de la Loire, et interpose entre les Eduens et les Bituriges: les Commentaires le disent en propres termes. On voit d'ailleurs queVercingetorix, apres avoir amene cette derniere nation a la grande confederation qu'il for- mait contre la domination romaine, voulant y faire entrer de force les Eduens, penetre sur le territoire des Boiens et assiege leur Gergovie, et que, pour la de- livrer, Cesar, parti de Sens, passe la Loire, entrechez les Bituriges, assiege leur Noviodunum, et force ainsi a revenirVercingetorix, qui u'avait pas meme penetre VINGT-UN I EME SESSION. 297 sur les terres eduennes. Ces donnees sont inconci- liables avec le systeme de M. Mignard. II suppose les Boii etablis non chez les Eduens, mais sur le territoire des Autissiodori, qui formaient bien un Etat separe, quoi qu'il en dise, Civitas Autissiodorum , corame le porte la Notice des provinces de V empire. Bien plus , il place la Gergovie boienne , non du cote de la Loire , mais du cdte oppose par rapporl aux Eduens. Et enfin Landunum, oil il veut mettre cetle place, n'etait ni sur le territoire des Eduens, ni sur celui d'Auxerre. II etait dans le pays des Lingons, a dix lieues a Test des limites du Pays Auxerrois, qui, jusqu'en 1 789, sont demeurees tres-exactement marquees par le perimetre de son diocese. On peut done douter encore, apres le travail de M. Mignard, de l'em placement de la Gergo- vie des Boiens; mais a coup sur elle n'etait point a Landunum. Elle etait sur les terres cedees par les Eduens aux Boiens a l'ouest de leur territoire, et en- tre ce territoire et le pays des Bituriges. M. Huot cite a l'appui de l'opinion de M. Challe l'exislence, a Gien meme, d'un faubourg situe sur le cbemin qui mene a Orleans, lequel porte encore le nom de faubourg de Genabe. M. Mignard, en l'absence de documents certains qui prouvent l'existence d'une veritable Gergovia dans le voisinage de la Loire, maintient son opinion, appuyee, dit-il, par des geographes et plusieurs savants. M. Rossignol declare qu'il ne faut, dans cette cir- constance, ni rechercher les traces du mot Boii dans l'etymologie des noms de lieux, ni dans les ruines des cites qui ont disparu. La question, selon lui, doit etre examinee de plus baut. Cesar, dil-il, a fait neu^ 298 CONGRES SCIENTIF1QUE DE FRAJNCfa. campagnes dans les Gaules : a la (in de la sixieme, il hiverne ses troupes au nord chez les Lingons et les Trevires, et passe ensuite en Italie, oil il apprend bien- tot le soulevement des peuplades gauloises.Ici Taction se divise en deux parts : Tune a lieu dans le bassin de la Seine, 1' autre dans celuide la Loire. Cesar arrive, rassemble le peu de forces qu'il trouve dans la Pro- vince romaine, occupe les Cevennes, et fait harceler les rassemblements gaulois. Puis, sans perdre de temps et a travers tous les obstacles il se rend a Sens. A cette nouvelle, Yercingetorix penetre jusqu'a la Loire et cherche a s'y fortifier en assiegeant la Ger- govia Boiorum. Au bruit de sa marche , Cesar, ayant reuni ses legions, part de Sens, emporte Vellaunodu- num , gagne Genabum, et enfin Noviodunum : ce qui confirme l'opinion emise par M. Challe. L'heure avancee ne permettant pas de continuer la discussion , elle est renvoyee a la seance procbaine. La seance est levee. Garnier, secretaire. SEANCE DU 12 AOUT. Presidence de H. Franlin. MM. de Caumont, Parker (d'Oxford), deSoultrait et Rossignol prennent place au bureau. Le proces -verbal de la derniere seance est lu et adopte. La discussion continue sur les premiere et troisieme questions. VINGT-UNIEME SESSION. 299 M. le president fait remarquer que jusqu'a ce moment de la discussion , Ton ne s'est point assez pre- occupe des limites des dioceses. 11 faut, dit-il, cher- cher les Boii entre les Eduens et les Bituriges, c'est- a-dire dans le Bourbonnais. Personne n'ignore que FEglise , des son origine , a fonde sa hierarchie sur la delimitation des provinces romaines. Les metropoles civiles furent les metropoles ecclesiastiques ; les sim- ples cites recurent des eveches; et le prince des eve- ques resida dans Rome. C'est la la base geographique dans les questions douteusesvrelativement aux Gaules romaines. A part quelques fondations d'eveches re- cents, et particulierementdeceux qui furent eriges par les papes d'Avignon , la circonscription des dioceses de France represente exactement celle des anciennes ci- tes. La geographie romaine s'oppose done a l'assertion de M. Mignard, qui place la Gergovia des Boii a l'extre- mite septentrionale du diocese d'Autun. Pourquoi la cite d'Alesia, chef-lieu des Mandubii , situee a l'extre- mite nord de ce diocese, n'avait-elle point recude siege episcopal? C'est que les Mandubii, petit peuple des Gaules, n'etaient que des clients des Eduens. Cesar nous fait entendre que les Boii furent fixes entre les limites des Eduens et celles des Bituriges. Or, jusqu'a la creation toute recente de 1'eveche de Moulins, le Bourbonnais etait partage entre la juridiction eccle- siastique d'Autun et celle de Bourges. Ceci semble trancber la question. II n'est done point possible de placer la Gergovia des Boii au nord du canton des Eduens. M. Mignard, quoi qu'il en dise, a d'ailleurs contre lui les opinions si respectables d'Adrien de Yalois et de d'Anville. — Ainsi s'exprime Yalois : 300 CONGRES SC!ENTIFIQUE DE FlUJNCE. In Mduorum finibus qucerendos Boios esse non pko- cul a Biturigibus contendo... Haud difficulter acces- serim Coquillo asserenti partem pagi Burbonensis, sed earn ianlummodo quam Liger et Elaver claudunt et ubi Molince sunt, quw hodieque JZduis seu augustodu- nensi dicecesi adscribitur, Boios veterumesse. (Vales. verbo Boii, p. 91.) Les citations > daire (1). » Les deesses Meres y sont representees retenant de (J) Eulre les arcades x et xi, n° 73. VUNGT-UNiEME SESSION. 313 » leurs deux mains des fruits qui reposent sur leurs vete- » ments; celle du milieu a, de plus, une patere dans la main » droite et une corne d'abondance dans la gauche. » Cette description infirme quelque peu celle de D. Mar- tin et celle que j'ai faite d'apres son dessin : au lieu de deux pommes que les femmes de cote ont dans leurs mains, ellesparaissent en avoir trois dans celui deM. deBoissieu; cecin'est qu'un detail sans aucune signification. Avant de quitter le monument d'Aisnay, je dois faire remarquer qu'il existe une difference notable dans la ma- niere de lire Pinscription : MAT. AVG. PHE. EGN. MED. Le P. Menestrier la rend [par Matri augustw Philenus Egnatius medicus, croyant que le voeu n'est offert qu'a la femme du milieu, deesse de Pabondance, sous le nom de Mere sainte; ce qui est insoutenable, comme je l'ai fait voir. D. Martin ecrit Matribus augustis, etMillin de meme. Quant au dernier mot, il peut se rendre par Medicus ou par Me- diomatrix, c'est-a dire que Philenus Egnatius, quia offert ce vceu aux Meres augustes, etait ou medecin, ou du pays Messin. M. de Boissieu, que j'ai deja cite plushaut, fait remar- quer que la ponctuation s'oppose au double nom de Phi- lenus Egnatius (« L'L apres le PH , dit-il , est d'ailleurs » lie a EGN ); que toute lecon qui Pen separe doit etre fau- » tive^ je crois done qu'il faut lire avec Orelli : « MATRibus AVGustis PHILEG N MEDicus. » » Quant a Pabreviation MED , on doit, je pense, Pinter- » preter par medicus. Le surnom du pays de Mediomatrix, » ou de Mediomatricus , qui semble avoir prevalu, n'est » fonde que sur la fausse opinion admise par quelques au- » teurs, et, entre autres, par D. Martin, que les deesses » Meres etaient des divinites propres du territoire 3Iessin. n Cette opinion , qui repose sur la decouverte faite a Metz » d'un curieux bas-relief representant ces deesses, nepeut » etre soutenue. » Nous sommes arrives a un autre point de la question , e'est-a-dire a donner une monographic des deesses Me- 314 CONGRES 5CJENTIFIQUE DE FRANCE. res. Cette chose est deja faite. Elles sont toujours repre- sentees par trois femmes vetues, assises ou debout, tenant en mains des cornes d'abondance , des pateres ou des fruits. Je ne leur connais point d'autres attribuls. Or, cha- que fois que 1'on verra dans un bas-relief trois femmes reunies , ayant des fruits en mains ou dans leur giron, des pateres et des cornes d'abondance, on pourra, sans crainte de se tromper, dire que ce sont des Meres ou Matrones. Nous en avons vu des exemples dansles monuments de Di- jon et d'Aisnay, comme on pourrait en voir de nouveaux dans ceux de Metz, dessines par Gruter, Keysler, Mont- faucon et D. Martin (1), oil ces femmes sont debout; de Munster-Eiffel, rapporte" par Gruter; etde Steenhove, dont parle Keysler, oil elles sont assises avec les marques dis- tinctives que nous avons signalees. Ceci fait, nous arrivons a la partie la plus epineuse de la question, c'est-a-dire que nous allons indiquer le r61e des deesses Meres dans la theogonie paienne. Ce point a ete discute" et fort embrouille. Parmi les au^ teurs qui en ont parle, il en est peu qui se soient fait une opinion vraie ; ils ont donne des suppositions, ils ont avance des idees que nous allons chercher a eclaircir. Comme les anciens disent peu de chose de ces deesses , on ne peut traiter de cette matiere que d'apres les inscrip- tions et les monuments qui nous en restent, et les opinions rontradictoires des auteurs modernes. Gruter s'est contente de citer les inscriptions qu'il con- naissait en Phonneur de ces divinites. Chorier, dans ses Antiquites de Fienne, et le P. Menestrier, dans son Histoire mnsulaire de Lyon , se sont assez £tendus sur ce sujet. Fa- bretti en parle dans son Be ^qumductibus^ et Spon dans ses Mecherches curieuses d'antiquite's. Keysler a fait une dis- sertation particuiiere sur ces deesses. Montfaucon en a dit peu de chose. D. Martin , dans la Religion des Gaulois, en (•) II est dessine" dans Gruler, p. 92; Keysler, p. 39i; Montfaucon > V. n, pi. 192, n° 3; D. Martin, p. 147, pi. 34. YINCT-UNIEME SESSION. 315 a parle fort au long. L'abbe Banier, dans les Memoires de VJcademie des inscriptions et belles-lettres , a donne une dis- sertation speciale oil les opinions diverses de differenls auteurs sont examinees. Legouz de Gerland, dans ses Dis- sertations sur Vorigine de laville de Dijon, en a aussi parle au sujet du relief trouve a Bressey 5 mais il s'est contente de citer les opinions vraies ou douteuses de quelques-uns des auteurs que je viens de nommer. Enfin, M. de Boissieu, dont je n'ai connu l'ouvrage, si justement louable a plus d'un titre, qu'apres avoir presente ce memoire, a donne sur ces divinites des conclusions dont je me suis beaucoup approche,tant mes rechercbes consciencieuses m'avaient fourni I'occasion de rencontrer la verite. Si nous cberchons a connattre l'origine du culte rendu aux deesses Meres, nous remonterons dans la plus haute antiquite, d'apres Pausanias et Plutarque. Pausanias dit qu'a « vingt stades d'Athenes,il y a un promontoire qu'on « appelle Colias, oil l'on voit une statue de Venus , et celles » des deesses nominees Genetylles; » et il croit que ce sont les rnemes divinites que les Phoceeus d'lonie honorent sous lenom de Genna'ides. Plutarque, dans Marcellus, parle d'une ville de Sicile nominee JEngyum, Enguie, oil on sacrifiait aux deesses Meres, et dit que le temple de cette ville consacre a ces deesses avait ete bati par les Cretois , qui eux-memes te- naient ce culte de leurs ai'eux les Pheniciens. Nous ne pous- serons pas plus loin nos recherches sur l'origine de ce culte, que nous voyons se perdre dans la nuit des temps, oil les deesses Meres vont se confondre avec V Astarte des Syriens, qui etait la mere de tous les dieux. Comme la terre avait plusieurs divinites, les Syriens multiplierent leur Astarte , et en firent plusieurs qu'ils nommerent A2TAPTAI , d'oii les autres peuples formerenl leur Cybele , leur Junon , leur Ceres et les deesses Meres, dont le nom- bre egalait celui des temples et des autels que l'on consa- crait en leur honneur. • Cborier, chez les modernes, ne fait remonter cette ori- 316 CONGRES SClENTIFrQUB DE FRANCE. gine a Rome qu'aux regnes de Pertinax etde Severe. 11 est peut-etre probable queles Romains n'employerent le nom de Meres pour designer ces deesses qu'a Pepoque de ces empereurs; mais il n'en est pas moins vrai qu'ils leur ren- daient deja un culte en les confondant avec les nymphes champetres. D. Martin croit que les Meres etaient peut-etre les divi- nites propres de Metz, en 1 atinjf ediomatrix , mot compose de Medius et de Matrce, ou les Maires, appelees aussi Meres end'autres lieux; et il soupconne fort qu'ii faille rapporter Porigine de celles des autres vilies a Petablissement de celles de Metz. Ce que dit D. Martin est fort douteux. Les dresses meres pouvaient bien etre les divinites speciales de Metz, comme Segetia en etaitune chez les Segusiens; mais le culte de ces divinites n'est pas originaire de cette ville ou de ce pays. II s'agit maintenant de savoir quelles etaient les deesses Meres. Chorier, Fabretti, Spon, et Legouz de Gerland apres eux , croient qu'elles etaient des divinites champetres , et les confondent avec les autres divinites de ce genre. Le P. Menestriera cru d'abord que les trois deesses d'Aisnay representaient les trois Gaules^ mais il s'est retracte en- suite, et s'est arrete a croire que c'etaient les trois Parques, ou les trois deesses qui presidaient aux destinees des hommes; etil s'appuie du temoignage de Varron, qui fait deriver leur nom de Penfantement. Mais plus loin il parle de saint Augustin , qui dit (Cite de Dieu , liv. iv), en se mo- quant des anciennes superstitions des Romains , que leurs moissons etaient sous la garde de trois deesses, dont celle qui en prenait soin quand les grains etaient encore caches dans la terre se nommait Seia; celle qui en etait la gardienne quand ils etaient sur la terre , Segetia; et celle a qui ils en confiaient la garde quand ils etaient dans les greniers , Tut elina. Nous avons vu dans la premiere partie de ce travail que le pere Meneslrier croyait voir dans le bas-relief VINf.f-UNIEME SESSION. 317 d'Aisnay la deesse de l'abondance ou Segetia, et les rives de la Sadne. 11 se rapporterait avec saint Augustin, s'il donnait aux femmes de c6te les noms de Sei'a et de Tute- lina; ce qui ne pourrait exister, parce que, les attributs de ces deesses n'etant pas les memes, elles devraient avoir en main des signes caracteristiques de leurs fonctions. Keysler pretend , dans la dissertation qu'il a faite a leur £gard, que les Maires etaient des druidesses, dont quelques- unes avaient ete divinisees de leur vivant. II s'appuie sur le texte de Cesar, qui appelle matres familias, meres de fa- mille, les druidesses de l'armee d'Arioviste*, et sur Tacite, qui montre , dans la description des moeurs des Germains , le respect qu'ils avaient pour les femmes en general, et pour les druidesses en particulier. Ces dernieres etaient regardees par eux, de leur vivant, comme des divinites; mais nous n'avons point de raisons pour admettre que les deesses Meres elaient des druidesses divinisees , et nous en avons pour l'idee contraire. D'ailleurs, le culte des deesses Meres etait repandu dans des contrees ou il n'y avait jamais eu de druidesses. Cette opinion de Keysler est done insoutenable. D.Martin dit qu'une bonne partie des monuments eriges en l'honneur de ces divinites sont des vceux qu'on faisait pour la prosperite de la maison de l'empereur, des mai- sons et des families. 11 dit de plus : « 11 y a des inscriptions » consacrees aux Junons, aux Heres, aux Commodeves, » aux Dames ou Mattresses, etc. Tous ces noms sont syno- » nymes, et ne peuvent signifier que la meme chose. Il n'y » a que la corruption de la langue latine qui regnait dans » les differentes provinces oil furent faites ces inscriptions, )> qui ait pu former la difference qui existe entre ces mots. » Puis, examinant les opinions de Chorier, de Fabretti et de Keysler, il tfouve que la veritB et la solidite manquent au sentiment specieux de ce dernier. Arrivant a 1'opinion du P. Menestrier apres sa retractation, e'est-a dire a l'idee que les Meres etaient les memes que les Parques , D. Mar- tin l'approuve , et voici de quelle maniereil appuie cetle 318 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. opinion : « Quand nous disons que les Maires etaient les » Parques, nous ne les regardons pas sous I'idee de ces di- » vinites inflexibles qu'on s'en forme quelquefois , et aux » decrets desquelles les dieux n'etaient pas moins soumis » que les hommes } mais nous entendons trois deesses qui » Etaient soeurs , qui presidaient a la conception et aux en- » fantements, et decidaient de la longueur et de la brievete » de la vie , du bonheur ou du malheur des personnes , et 0 enfin des richesses ou de la pauvrete des families , selon » qu'on s'etudiait a les gagner. » II plait a D. Martin de dire que les Meres etaient les memes que les Parques, mais non ces Parques inflexibles... Arretons-nous ici! 11 y aurait done eu de deux sortes de Parques presidant a la naissance et a la fortune des parti- culiers : les unes dont on pouvait obtenir la protection a force de presents ; et les autres inflexibles comme le Des- tin , avec lequel elles ont ete souvent confondues. De ces dernieres , il n'existe point de monument ; mais on les trouve depeintes dans les poetes, et certes elles n'ont pas Pair de bonte que nous rencontrons chez les deesses Meres. On les representait sous la Ggure de trois femmes acca- blees de vieillesse ? avec des couronnes faites de gros flo- cons de laine blanche entremeles de fleurs de narcisse; une robe blanche leur couvrait tout le corps , et des rubans de la meme couleur nouaient leurs couronnes. Comme le dit Catulle, l'une tenait la quenouille , l'autre le fuseau, et la troisieme les ciseaux pour couper le fil. Lycophron ajoute qu'elles etaient boiteuses , pour faire voir l'inega- lite des evenements de la vie. Cette esquisse rapide des Parques et de leurs attributs fait voir au premier coup d'oeil la difference qui existe enlre elles et les deesses Meres. Ces dernieres divinites ne sont done point les Parques, et s'en distinguent de beaucoup, en ce qu'au lieu d'avoir en main une quenouille, un fuseau et des ciseaux, elles ont des fruits et des comes d'abondance, qui ne paraissent avoir aucune influence sur la vie des individus, mais, au vingt-unieme session. 319 contraire , qui font voir que le r61e de ces divinites etait de faire prosperer les fruits de la terre, alin d'entretenir Pa- bondance dans les maisons et les provinces qui leur etaient consacrees. Vient ensuite Pabbe Banier, qui combat les opinions emises par les auteurs qui Pont precede dans la discus- sion de cette matiere , et dont les conclusions sont : Que les deesses Meres Etaient les memes que les Junons ou Genies, apres avoir dit que ces divinites etaient commu- nes a plusieurs peuples ? quoiqu'elles aient ete principa- lement bonorees dans la Gaule et la Germanie; que leur culte n'etait pas borne aux cboses cbampetres , puisqu'on les invoquait pour la sante et la prosperite des empe- reurs et des particuliers ; enfin , qu'elles etaient souvent confondues et avaient un meme culte avec les Suleves, les Commodeves, les Junons, les Matrones, les Sylvatiques et semblables divinites cbampetres. Voila , Messieurs , les opinions avancees au sujet des deesses Meres par les auteurs qui s'en sont occupes : les uns en ont fait les Parques, les autres des druidesses, et d'autf*es enfin les ont confondues avec les divinites cbampetres, ou bien avec les Genies ou Junons. Le moment est venu d'exprimer ce que nous pensons a cet egard. Les deesses Meres n' etaient point et ne pou- vaient point etre les Parques , nous Pavons demontre plus haut. Elles n'etaient point non plus des druidesses divi- nisees , malgre toutes les apparences qui existent en fa- veur de cette opinion. Nous savons que les Gaulois, et les Germains plus particulierement , avaient une grande ve- neration pour les femmes , mais qu'elle etait encore plus exaltee pour les druidesses. lis reconnaissaient en elles une aureole divine qui les rendait soumis aux oracles qu'elles prononcaient. De leur vivant ces femmes etaient bonorees comme representant la divinite a laquelle leur vie etait consacree , et bientot elles etaient confondues avec cette divinite meme. Velleda , Aurinie, Arete, Segovie et plusieurs autres pretresses en sont des exemples ; mais 320 CONGRES SCIKNTIFIQUE DE FRANCE. nulle part il n'est fait mention que le culte des deesses Meres soit d'origine germaine ou gauloise , si ce n'est dans Keysler et ceux qui l'auront copie. De tous temps les hommes out reconnu qu'il existait des esprits protecteurs qui veillaient a leur surete, leur donnaient de bonnes inspirations, affermissaient leur for- tune, et leur rendaient le courage et l'espoir s'ils les avaient perdus. Chaque homme avait un de ces esprits particulierement a lui , comme nous avons dans la reli- gion chretienne nos anges gardiens , il Pappelait son ge- nie; les femmes avaient un genie femelle nomine Junon. Mais, outre ces genies particuliers des hommes et des fem- mes, les nations, les peuples* et les provinces avaient aussi les leurs. Les Lares et les Penates avaient la garde du foyer domestique , et les Manes veillaient au respect des sepultures. La nature morte n'etait point depourvue de genies. Dans l'ancienne mythologie nous voyons les fon- taines, lesrochers et les bois ayantpour genies des Nym- pbes sous les noms de Naiades, d'Oreades et de Dryades. Il n'est pas douteux que les Gaulois aient reconnu l'exis- tence de ces genies places dans les elements 5 leur vene- ration pour les bois et les fontaines l'indique assez. Mais nous ignorons les noms qu'ils leur donnaient. Nous avons des renseignements plus positifs sur ces di- vinites a l'epoque gallo-romaine ; nous savons, par exem- ple , que les divinites propres .des routes etaient des nym- phes nominees Bivies , Trrvies, Quadrivies, etc., suivant qu'elles protegeaient des chemins a deux , trois ou qua- tre» issues , et dont elles etaient les deesses Meres. Les Gaulois leur erigeaient des chapelles a la campagne, qui portaient le nom de Cancelli ; ils s'y transportaient avec des bougies, y faisaient des offrandes , y sacrifiaient une truie , prononcaient des paroles magiques sur du pain , sur des herbes ou des ligatures pour les charmer, et ca- chaient ces choses dans un arbre creux , ou dans des che- mins a deux, a trois et a quatre issues, et pretendaient par la non-seulement garantir leurs bestiaux de toute con- VINGT-UNIEME SESSION. 321 tagion et de la mort m&me$ mais encore ils croyaient procurer la perte detous ceux de leurs ennemis. Le culte rendu aux autres deesses Meres devait exiger sans doule les m6mes offrandes et les memes ceremonies : le lait , le vin , le miel, les fruits de toutes sortes ; mais particuliere- ment les pommesetla truie pleine, symbole de recondi- te, devaient leur etre offerls. A l'origine les Meres ont ete, sans contredit , des divi- nit^s champetres , protegeant les jardins, les champs, les maisons et les routes $ elles presiderent plus tard aux vil- les, aux provinces et aux nations qu'elles prenaient sous leur tutelle, et dans lesquelles elles avaient soin d'entrete- nir l'abondance et la prosperite, en veillant a la sante de ceux qui les invoquaient. Chaque ville, chaque province, chaque nation, avait ses Meres particulieres} elles en etaient les genies propres, comme le prouvent les inscrip- tions : Matronis F^accallinehis, Matrones du bourg de Wach- lendorff; — Romanehis, de Rumanhym, proche de Ju- liers; — JDalmatarum, deDalmatie, etc.; Matribus Gallaicis, Meres de Galice} — Pannoniorum , dePannonie; — Trevi- rist du pays de Treves, etc. , etc. Celles qui presidaient a la maison de Pempereur etaient surnommees Augustes. Nous avons vu que les deesses Meres , quoique 6tant les memes divinites , sont parfaitement distinctes les unes des autres, et par consequent tres - nombreuses. Elles furent appelees en divers lieux sous differents noms, mais leur culte devait etre le m6me partout : ainsi nous pla- cons au rang des deesses Meres les Maires , Meres et Matrones, dont les noms sont synonymes, les Junons (1), les Bivies, Trivies et Quadrivies, les Suleves, les Sylvati- ques, etc., etc., et autres divinites protectrices des champs. Elles etaient representees au nombre de trois , et nous n'en savons pas la raison; mais ce nombre parait avoir (!) Je ne pretends point ici confondre les Junons ou Genies des femmcs avec les dresses Meres. Ces dernieres etaient bien des Junons, puisqu'elles ont iation moni pour monimen- tvm? J'explique l'inscription de Lyon par : MARTI SEGvsianO MONImentvm SACRVM Monument consacre a Mars Segusien. Et celle qui a ete trouvee a Nuits, par : GALLIO LlBERTVS MATVRCl Votum. Solvens. Libenter. Merito. DEO. SEGvsianO MONImentvm. DONAVI Moi Gallio , affranchi de Maturcus , accomplissant volon- tiers un vceu merite, au dieu segusien j'ai donne ce mo- nument. Segomon , je le repete , ne serait plus le nom chine divinite gauloise, ni la qualification gauloise d'une divi- nite romaine, mais la simple indication que le monu- ment present etait consacre a Mars Segusien, dont le nom primitif ou gaulois avait ete remplace, sous la domination romaine, par celui du dieu des Romains. Dans le cas oil vous m'objecteriez, Messieurs, les re- gies de la ponctuation, je crois devoir vous rappeler, d'apres Buffier, Restaut, l'Encyclop^die, etc., que les prin- cipes en sont encore si incertains et si peu fix£s par Pu- sageuniforme et constant des bons auteurs, que l'on serait tente" de la prendre pour une invention moderne. II de- vient en outre evident que , dans le style epigraphique , la ponctuation n'est plus la meme que celle rencontr£e dans les auteurs , et qu'elle a varie selon les temps et se- lon les lieux. Ainsi, sur les inscriptions qui datent de la decadence , on trouve le plus souvent un point triangu- laire apres chaque mot 5 ce point indique le sens impar- fait, ou le rapport du mot precedent avec le suivant, rap- port qu'il devient inutile de designer lorsque Vaffiniteentredeux mots est etablie par la contraction, comme dans segomoni. Je crois devoir aussi vous rappeler, Messieurs, que, d'apres d'autres regies attestees par Diomede, liv. 11, 328 CONG RES SCIEJNTlFMiUE DE FRANCE. y/lstedius de Gram, lat., etc., les anciens, pour marquer la fin d'une phrase ou une distinction parfaite , ne mettaient pas, comrae nous, le point a la fin du dernier mot, mais au dessus; de sorte que, sur une inscription de deuxlignes, ce point, qui parait appartenir au dernier mot de la pre- miere ligne , n'est, en realite, que le point final de la se- conde \ c'est ainsi que le point place apres deo. convient plutdt au dernier mot, qui est donavi. Ne pensez pas, Messieurs , que mes explications boule- versent les regies de la paleographie : elles ne se ratta- chent qu'a de rares inscriptions devenues inexplicables par une ponctuation mal entendue , et par des contrac- tions bizarres ; plus tard je produirai d'autres exemples tellement en harmonie avec les objets sur lesquels ils sont inscrits, qu'il est impossible de s'y tromper. Voici, en attendant , une inscription d'un autre genre , qui prouve qu'en fait d'abreviations et de contractions , les artistes du moyen age ne le cedaient en rien aux anciens. Hader- niere ligne de cette inscription, gravee sur une croix du xne siecle, et publiee par laSocieteacademique de Laon, est ainsi concue (1) : LOG I QVO STAS TRARSCAE Cette ligne forme le complement du 5e verset du cha- pitre in de l'Exode pour : LOCVS IN QVO STAS TERRA SANCTA EST II est heureux que le second livre de l'Ancien Testa- ment vienne nous reveler le veritable sens de ces mots; £ar si l'inscription eut et^ trouvee incomplete, et ailleurs que sur une croix, plus d'une personne aurait cru avoir de- couvert un lieu nomme trarsca ou le domicile d'une deesse trarscae, digne epouse de segomon. La lecture de ces deux memoires suscite de nom- breuses objections dela part de MM. Foisset, Canat et Rossignol , notamment sur la maniere en dehors de (t) V. lc Bulletin monumental, 20c' volump, n° 2, p. 102. VINGT-0N1EME SESSION. 329 toute regie, suivie par M. Protat, dans ses explications epigraphiques.Elles donnent lieu aune vive discussion que Theure avancee ne permet point de terminer. La stance est levee. STANCE DD 13 AOUT. Presidence de II. Frantin. MM. de Caumont, Huot, Canat et Rossignol prennent place au bureau. Le proces-verbal de la derniere seance est lu et adopte. On reprend la discussion sur la sixieme question. M. Protat insiste sur Interpretation qu'il a donnee au bronze de Nuits , et signale a l'appui de son opinion un monument decouvert enLorraine, sur l'inscription duquel on n'a point trouve de ponctuation. M. Rossignol repond qu'il y a dans l'esprit de la ponctuation des principes positifs dont on ne doit point s'ecarter. Le genie du latin comportait deux langues : la langue ecrite , la langue monumentale , qui toutes deux avaient leurs regies invariables et bien connues. Les mots monimentum donavi n'ont jamais ete reunis ; cette locution n'est pas latine. Revenant a la question, le mot Segomon, dit-il, n'a jamais ete analyse dans ses racines.En decomposant ce nom,onpourraitle croire d'origine germaine : il n'en est rien pourtant ; car on Fa trouve a Autun sur des monuments du temps d'Auguste, epoque qui precede les invasions germaniques. II repousse egalement l'o- pinion de MM. Taylor et Ch. Nodier, qui, seduits par 330 CONGftES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. le mot grec gto, je pese,je recompense, en ont voulu faire une sorte de Mars re'munerateur. Segomon , selon lui , vient du celtique , non de ce celtique arbitraire compose par Bullet avec toutes les langues du globe, mais du celtique qui se parle encore dans les coins recules du pays de Galles et de la Basse-Bretagne , de cet idiome conserve par Legonidec, par M . de la Yille- Marque et plusieurs autres. SEG signifie foudre, vio- lence, MON impetueux, rapide, rapide fulminanti. Or on sait que parmi les moyens dont les Romains usaient pour s'assimiler les peuples Vaincus , figurait en pre- miere ligne l'admission dans le Pantheon romain des divinites de ces peuples, qu'ils associaient a leurs propres divinites indigenes dont les attribute avaient quelque analogie avec ceux des peuples vaincus. On devra par consequent chercher le dieu Segomon dans les croyances celtiques. La septieme question, mise a l'ordre du jour, est ainsi concue : La Bourgogne a-t-elle eu une forme particuliere sous la domination romaine pour les monuments funeraires, ainsi que paraltraientl'indiquer les aiguilles ou petits obelisques deposes au musee lapidaire de Dijon et dans le cabinet de M. H. Baudot ? M. Rossignol declare qu'il n'a jamais rien vu dans cette forme de monuments qui se distinguatdecequ'on trouve par toute la Gaule. Cependant les monuments funeraires en forme d'obelisque d'a peu pres un metre dc hauteur, decouverts en assez grand nombre aux environs de Dijon , Lui paraissent dignes de fixer l'at- tenlion des archeologues. Partant de Tesprit d'imita- VINGT-UNIEME SESSION. 331 tion qui peu a peu fait degenerer les grandes choses, il pense que cette forme d'origine peut-etre egyptienne a ete importee dans nos contrees par les Romains, qui la tenaient des Etrusques. II cite a ce propos la pierre de Couhard, aux environs d'Autun. La commission des Antiquites de Dijon possede dans son musee lapidaire un tombeau provenant de Memont, dont l'inscription MONIMENTVM ATTICIANI, au lieu d'etre gravee a la tele ou sur les cotes selon l'usage ordinaire, Test a la partie inferieure et etroite du cercueil; de sorte que, comme ce tombeau se trouve dresse sur sa partie su- perieure, c'est-a-dire sur sa tete, l'inscription parait decorer le sommet d'un obelisque. Mais, dit M. Ros- signol, pourquoi cette singuliere disposition? La rai- son en est simple. Lorsqu'a la coutume de l'incinera- tion des morts succeda celle de les inbumer ( c'etait a l'epoque de la decadence), dans Fintention de conser- ver bien plus longtemps des restes precieux on em- ploya comme cercueils des bornes milliaires, des obe- lisques : de la cette singularite. Au surplus, dit-il, on lui en a signale de semblables qui existent sur les bords du Rhin. M. de Caumont n'a remarque d'obelisques qu'en Bourgogne ; il n'en a point vu en Normandie. Les monuments funeraires conserves dans les musees de Bordeaux sont des cippes en forme d'autel. A Saintes, ces cippes, plus eleves, ofFrent la representation des morts. Les obelisques trouves aux environs de Dijon lui paraissent la preuve d'un cimetiere important dont il serait bon de preciser les limites. M. Baudot repond a M. de Caumont que le cippe conserve dans son cabinet a ete trouve au milieu de CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. beaucoup d'autres au climat des Poussots, a Test de la ville , pres du lieu ou , dit-on , le medecin Gue- nebaut decouvrit le tombeau de Chyndonax , pretre de Mithra, et ou encore on a trouve un autre cippe en forme de chapiteau retourne, recouvert d'unepierre, et qui renferniait une urne cineraire en verre. M. Rossignol ajoute qu'on peut fixer les limites de cet ancien cimetiere a Test, entre les murs du Castrum et la voie romaine. Quant aux obelisques, ils sont loin de predominer les cippes; on ne les trouve, du reste, qu'aux environs de Dijon. Opinion partagee par M. Baudot , pour qui la decouverte d'urnes funeraires temoigne d'une epoque fort ancienne; ce que M. de Caumont confirme en disant que les cippes n'ont ja- mais servi qu'aux incinerations. On passe ensuite a la huitieme question : Quels sont les monuments romains les plus importants dont il existe encore des vestiges dans la Bourgogne, et parti culierement dans le departement de la C6te-d'Or? M. Baudot cite la colonne de Cussy. M. Rossignol demande la preference pour Autun , qui a lui seul est un veritable musee archeologique. II cite ensuite Lan- dunum, Chalon, Dijon, Beaune, Saulieu, etc. Selon M. Foisset, cette question aurait du etre l'objet d'un memoire, semblable, par exemple, a celui publie ces annees dernieres par M. Edouard Clerc pour la Franche-Comte. L'examen de cette question est ren- voye a la Commission des Antiquites du departement, qui a deja reuni les elements de ce travail, et con> mence notamment une carte arcbeologique de la Cote-d'Or. YiNGT-lTNIEME SESSION. 333 La quatrieme question, qui etait reservee, est mise en discussion. En voici la teneur : N'y a-t-il pas dans nos contrees bourguignonnes des lo- calites qui ont conserve des traces si profondesdes moeurs et du langage des Gaulois, qu'elles percent encore malgre" une longue civilisation ? Le Morvan n'offre-t-il pas une am- ple recolte a cet egard ? M. M ignard , qui a fait une etude particuliere des patois bourguignon et morvandeau , ne voit pas qu'il y ait entre eux de grandes differences. Selon lui, le dialecte morvandeau derive dubourguignon. Fenelon, dit M. Mignard, regrettait 1'abandon du patois : il y trouvait, disait-il, je ne sais quoi de court, de naif, de hardi, de vif et de passionne que La Fon- taine connaissait et imitait. Le patois, c'est la langue vivante et nue; le beau langage, c'est la coquette paree et etouffant le naturel. Le bonhomme La Fontaine fourmille d'expressions, de tournures et d'idiotismes qui etaient le langage de son enfance, et qui constituent une partie de la vigueur et de la grace de son langage. Ce n'est pas dans la langue francaise que La Fontaine a trouve cette expression du lievre qui allait prendre sa gou- lee, etc., etc. La majeure partie des mots du patois ne se trou- vent point dans la langue latine. II faut les chercher dans une langue autochtone, et c'est la Bretagne qui nous en offre les sources. Et, chose remarquable, ce sont encore les affinites du breton avec le gaelique d'Irlande et l'idiome erse de l'Ecosse. Le Morvan a ete longtemps inhabite et inculte ; je ne pense pas qu'il faille y chercher de preference a 334 CONGRES SCIENT1FIQUE DE FRANCE. d'autres pays le type gaulois. On y trouve au contraire le type bourguignon du langage , beaucoup plutot que tout autre ; et si Ton veut comparer la parabole de l'en- fant prodigue recueillie dans le Nivernais avec cette meme parabole traduite par Amanton , on y trouvera peu de difference. Charles Nodier accuse quelque part les savants d'e- tre de grands monsieurs qui renient leur mere , parce qu'ils portent toujours l'habit francais et ne se sou- viennent plus du vieux langage de leur nourrice. II y a du vrai dans cette accusation : on a abuse ; car de quoi n'abuse-t-on pas? Mais le patois bourgui- gnon est un veritable idiome qui a ses dialectes, et dont La Monnoye, qui appartient au xvne siecle, au siecle du genie, a use ainsi qu'Aime Piron. On parle encore aujourd'hui aux portes de Dijon, a Talant et a Fontaine , la langue de La Monnoye et d'Aime Piron; et il m'arrive, dit M. Mignard en ter- minant, il m'arrive del'ecouter avec uncertain plaisir et de rechercher l'occasion de l'entendre. D'apres M. Frantin, la question de l'origine des dialectes doit etre surtout consideree au point de vue ethnographique. II n'y a point eu d'idiome bourgui- gnon proprement dit. Le patois bourguignon n'est qu'un francais corrompu. II n'y a pas de poemes bour- guignons populaires; ceux que nous connaissons ne sont qu'un amusement de lettres qui habitaient les villes, qui parlaient tres-bon francais, et qui se sont plu a faire chanter un paysan bourguignon dans son langage naif et malin. Ce qui fait rechercher aujour- d'hui avec tant de curiosite les poesies indigenes, c'est 1'etude primordiale de la vie intellectuelle des provin- VINCT-UNIEME SESSION. 335 ces qui ont subi plus tard l'ascendant d'un peuple plus puissant ou d'une langue plus cultivee. C'est encore Pinteret qui s'attache aux langues et aux civilisations primitives. Or il n'y a rien de cela dans notre Bour- gogne, vieille province toute francaise. Le paysan bourguignon chante des chansons francaises qu'il corrompt plus ou moins par sa prononciation ou de- nature par son accent. Toujours on Pa preche ou ca- techise en pur francais, qu'il a toujours compris. La poesie pretendue bourguignonne, dont notre La M on- noye est le plus celebre representant, ne remonte pas au dela du xvne siecle, c'est-a-dire a Pepoque du plus beau developpement de la vraie langue francaise. Le paysan bourguignon ignore meme ces noels fa- meux ; il ne les a jamais chantes , non plus que ceux d'Aime Piron , ni les autres poemes badins bourgui- gnons, qui ne sont guere goutes ou apprecies que par les citadins lettres. II n'y a done eu jamais proprement de poesie bour- guignonne indigene , c'est-a-dire composee par un peuple qui n'ait pense et chante que dans ce dialecte. A la demande de M. Foisset de poursuivre la ques- tion dans son veritable jour, c'est-a-dire au point de vue ethnographique , M. Mignard persiste dans Popinion qu'il a emise des analogies frappantes qui existent en- tre les idiomes bourguignon et morvandeau. M. Rossignol affirme a son tour qu'il n'existe pas de poesie bourguignonne; qu'il a habite les deux con- trees , qu'il en a parle les idiomes vulgaires , qu'il n'y a vu que des differences sans importance, mais rien qui implique le caractere du langage gaulois. Cependant, si les Gaulois n'ont point laisse de traces 336 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. dans la langue , ils en ont laisse dans les hommes, et par le caractere moral , et par le physique. Les gens de la montagne , les Bequins , comme les appellent les habitants de la plaine, sont d'une structure a la fois grande et anguleuse; mais sont-ce des descendants des Gaulois? Qui le prouve?Les auteurs? Cesar lui- meme en a-t-il conserve le portrait? Tacite ne parle que desGermains. On dit , ajoute M. Rossignol , que les chevaux du pays, petits, sobres, infatigables, sont les memes que ceux des hordes d'Attila; supposition qu'on ne doit admettre qu'avec beaucoup de reserve. Le sol grani- tique du Morvan n'a-t-il pu, d'ailleurs , modifier le caractere physique des races d'hommes et d'ani- maux? M. Foisset regrette que Fabsence de MM. de Fonte- nay et Bulliot, d'Autun, prive le Congres des lumieres qu'ils n'auraient pas manque de fournir sur cette in- teressante question. Quant a lui, il ne partage point Topinion de M. Rossignol. A ses yeux, les gens du Morvan descendent d'une peuplade gauloise. Cepen- dant il faut distinguer deux races encore aujourd'hui bien determinees , savoir : les Bequins et les Laillots , dont le dialecte offre des differences marquees, surtout dans l'emploi des voyelles. On entend, dit M. Foisset, par Bequins les habitants de l'arriere-cote, de Tancien pays d'Auxois, du pagus Jlesiensis, vivant sur un sol calcaire, hommes doux, de bonnes inoeurs , et qu'il ne faut pas confondre avec les Laillots, c'est-a-dire les veritables Morvandeaux , habitant une terre granili- que qui se lie au massif des Cevennes par un eperon prolonge jusque dans 1'Autunois. Ceux-ci sont gens VINGT-UNIEM* SESSION. 337 de petite stature, et dont les habitudes un peu apres semblent contraster avec celles de leurs voisins. M. Rossignol , modifiant son assertion , declare adherer a l'opinion de M. Foisset. M. Frantin rappelle un curieux travail de M. Pier- quin de Gembloux , adresse a l'Academie des sciences de Dijon, en Tan 1843. M. Pierquin a pretendu, non sans quelque raison , que les Morvandeaux etaient un peuple d'origine hunnique. II y a quelque analogie entre leurs superstitions et celles des peuples du nord de l'Asie. lis observent des rites singuliers dans leurs obseques et dans les actes importants de la vie. II existe encore de nos jours une difference sensible entre leurs moeurs et celles de leurs voisins bourguignons. Les caracteres physiques de cette race, quoique de sang mele, sont encore remarquables. Le melange desHuns avec les etrangers, dit M. Pierquin, a suffi pour alterer les traces physionomiques. Cependant, sur les points du Morvan ou Pon peut presumer qu'eurent lieu des stations hunniques, on retrouve la tetecarree, les yeux en amande et petits, la face aplatie, le nez legerement epate, les cheveux raides et le visage glabre. II n'y a pas jusqu'au cheval morvandeau qui, comme l'a remar- que M. Pierquin, offre tous les caracteres du cheval tartare. II est petit, laid, sobre et tres-facile a nourrir; il a la tete remarquable par sa brievete, ainsi que par ledeveloppement de la machoire inferieure. D'ailleurs supportant aisement toutes les variations et les intem- peries des saisons, robuste et infatigable. M. Frantin ne se prononce pas sur l'epoque oil cette peuplade hunnique a pu s'etablir dans nos contrees. II fait seulement remarquer que, meme avant l'in- 21 338 CONGRES SCIENTtFIQUE DE FttANCE. vasion d'Attila, dont cette discussion a rappele le souvenir, des tribus de Sueves, d' Alains, avaient ete eta- blies dans les Gaules par les Romains. La notice des dignites de Fempire mentionne les prefets des Sanna- tes , des Taifales , des Lwti bataves , des Maures , et aut res barbares cantonnes dans nos provinces, quel- quefois meme sous leurs cbefs naturels. On sait qu'Aetius, quoique vainqueur d'Attila, ap- puya principalement son credit dans Fempire sur les alliances hunniques, et que, suivant la politique ro- maine des derniers temps , qui opposait barbares a barbares, il attira des hordes de Huns dans les provin- ces comme auxiliaires etrangers. Le nom des Taifales, tribu scythique, existe encore dans le canton deThi- fauge , en Poitou. D'apres tous ces caracteres, il n'y a rien de paradoxal a supposer qu'une peuplade hunni- que a ete fixee dans ce canton aux limites indecises, pays de paturages, sejour naturel d'un peuple pasteur, qui a pris le nom de Morvan. Quant a lui, il penche pour Fopinion de M. Pierquin. On peut constater encore Fantipathie qui a existe longtemps , et qui n'est point encore eteinte, entre lesBourguignons d'origine, peu- ple laboureur, et les Morvandeaux, gens d'habitudes pastorales ainsi que leurs ancetres. Comme le vent d'ouest, froid et pluvieux, qui souffle du Morvan sur nos contrees, est ordinairement peu favorable auxbiens de la terre, le vieux proverbe bourguignon s'exprime ainsi : Point ne vient de Morvand Bonnes gens ne bon vent. La huitieme question etant epuisee, on passe a la suivante : VINGT-DK1£MK SESSION. 339 Quels sont les caracteres qui distinguent entre elles les sepultures romaines, gallo-romaines et meYovingiennes? M. Gosse fils, de Geneve, donne lecture d'une notice qui pourrait concourir a fixer la date qu'on doit assigner a des tombeaux classes par M. de Caumont dans 1'ere romane primitive. Voici les conclusions de son travail : M. Gosse signale, comme devant servir a eclairer la question , trois faits observes dans des fouilles qu'il a fait executer non loin du lac sur les bauteurs. 1° La representation, sur des agrafes en bronze, d'une adoration de la Croix suivant le mode egyptien , et dans des circonstances qui lui font reconnaitre une epoque peu eloignee de celle ou les Gaules se conver- tirent a la foi chretienne. Des agrafes de cette espece ont ete trouvees en Bourgogne et dans le canton de Geneve depuis que M. Troyon a publie la description de la premiere agrafe du meme genre. 2° Le second fait observe par M. Gosse est une de- formation artificiellede plusieurs cranes, queM. Gosse, suivant en cela l'opinion de Scaliger, croitle resultat d'une coutume moresque. Ici ML Gosse deplore avec raison le peu d'attention que le plus souvent on ac- corde aux debris humains trouves dans les tombeaux , et qui pourtant, dans plus d'une circonstance, pour- raient fournir d'utiles renseignements a la science. On sait que , dans le moyen age, a une epoque qui s'eloigne a la verite de celle qu'a rappelee M. Gosse, les Sarrasins ont occupe toute la region alpine , depuis les Alpes maritimes, ou ils etablirent leur colonie du Fraisnet ou Frawinetum, jusqu'aux Alpes cotiennes et pennines. 3° M. Gosse de'pose sur le bureau des plaques de ceinturons en fer sur lesquelles se voient des boursou- 340 CONGRES SC1KNTIFIQUE DE FRANCE. flures de meme metal, ayant la forme de coquilles ma- rines et qui ont ete reconnues pour telles par plusieurs savants. II se demande comment il se fait que ces cein- turons aient ete plonges dans l'eau de mer , y aient sejourne un certain temps, puis comment ils en ont ete retires et portes dans l'interieur des terres pour, en dernier lieu, etre deposes dans des tombeaux. Telles sont, dit M. Gosse, les questions curieuses sur lesquelles je crois devoir attirer l'attention des antiquaires qui s'interessent aux monuments fune- raires de l'epoque que j'ai indiquee en commencant. Dans la seance generate de ce jour, a laquelle nous renvoyons, il s'est eleve une discussion a ce sujet, ou M. Nodot, conservateur du cabinet d'histoire natu- relle, a pris la parole, et ou Ton s'est efforce d'expli- quer ces faits qui interessent a la fois les naturalistes et les archeologues. Du reste M. Gosse s'est engage a soumettre les ceinturons ou se trouvent ces pseudo- coquilles a Texamen de plusieurs savants , et en parti- culier de M. Alcide d'Orbigny. M. Gosse se reserve de publier un travail special et complet sur cette matiere, qu'il n'a pas encore suffisamment approfondie. C'est pour cela, apparemment, qu'il n'a point juge a pro- pos de laisser sa notice sur le bureau, et que nous ne pouvons nous-meme toucher cette matiere obscure qu'en passant et pour renseignement ulterieur. M. de Saint-Seine depose sur le bureau, de la part de M. Pistollet de Saint-Ferjeux , un manuscrit inti- tule : Memoire sur les eglises de l'epoque de transition et sur le style de Vecole langroise. Le bureau devant faire visite a M&r l'Eveque, la seance est levee. VINGT-UNIEME SESSION. 341 STANCE DH 14 AOUT. PrfeidencedeB.franlin. MM. Parker d'Oxford, Canat, de Soultrait et de Caumont prennent place au bureau. Le proces -verbal de la derniere seance est lu et adopte. On revient a la discussion de la neuvieme question , laquelle n'avait point ete epuisee. M. Gosse, rappelant ce qui s'est passe a la seance generate de la veille a l'occasion de l'examen des coquillages sur les agrafes en fer, se propose de faire examiner la chose a Paris. II demande que la note lue en seance ne soit point pu- bliee, son intention etant de lui donner une forme plus complete. M. le president met la dixieme question a Tordre du jour. Le style roman bourguignon est-il assez distinct des au- tres styles existant a la meme epoque , pour former une classe particuliere ? — Les limites de la region monumen- tale formee par cette variety du style roman ont-elles et^ suffisamment indiqu^es par M. de Caumont dans son Abece- daire d'archeologie? M. de Caumont expose combien il serait important de preciser les limites de cette region , qu'il n'a fait qu'indiquer dans son Abecedaire; il recommande \i- vement cette question a l'examen des archeologues de Dijon. M. Foisset declare que la question est complexe. Y 342 CONGRES SClENTIFiyUE DE FRANCE. a-t-il un style bourguignon ? a-t-on precise ses carae- teres ? M. de Soultrait affirme 1'existence de ee style, dont les caraeteres generaux ont ete bien soirvent definis. Toutefois, le style bourguignon, ayant ete usite non- seulement en Bourgogne, mais encore dans le Niver- nais et dans la plus grande partie du Bourbonnais , a du necessairement offrir des caraeteres particuliers dans chacun de ces pays. Ce sont ces nuances qu'il se- rait a propos de determiner. Ainsi, parexemple, on ne trou\e ni en Nivernais, ni en Bourbonnais, ces petite* arcatures appliquees, si nombreuses dans les monuments romans de la Bourgogne : les corniches, dans ces provinces, sont soutenues par des modillons generalement assez richement sculptes , au lieu de l'e- tre par de petites arcatures comme dans un grand uombre de monuments bourguignons ; les chapiteaux histories, si frequents en Bourgogne, sont peut-etre un peu moins repandus en Nivernais , et Ton en re- trouve fort peu dans le Bourbonnais. M. de Soultrait parle des pilastres canneles qui sont Tun des caraeteres generaux du style ; il cite les piliers earres de l'ancienne eglise paroissiale de Souvigny, pres de Moulius , qui offrent des cannelures tellement variees et tellement bizarres , que quelques archeolo- gues etaient portes a les croire modernes. M. de Soultrait cite la Charite en Nivernais et Sou- vigny en Bourbonnais, comme ayant ete des types de raretiitecture bourguignonne dans ces pays. M. de Caxtmont, dans le but de preciser la question, declare qu'il ne faut point renfermer les limites de la region bourguignonne dans relies de la province. Ces YINGT-UNIEME SESSION. 343 limites , coimne il les a indiquees , s'etendent de Lan- gres a Lyon, c'est-a-dire au Rhone, et rayonnent meme des deux autres cotes. M. de Soultrait voudrait, au reste, que Ton etablit une distinction entre l'architecture bourguignonne proprement dite et l'architecture clunisoise. II dit quelques mots du melange des styles romano-bour- guignon et romano-auvergnat dans le sud du Bour- bonnais. M. Foisset ne pense pas que l'influence architecto- nique de Cluny, l'irradiation, comme il l'appelle, se soit etendue au nord au dela de Tournus. II a par- couru le Brionnais, pays d'un grand interet au point de vue de l'architecture et de l'archeologie chretienne, et trop peu \isite, trop peu etudie jusqu'a ce jour. M. Foisset croit y retrouver l'influence de Cluny, non point a Anzy, eglise de premier ordre a ses yeux, et bien plus ancienne que Cluny; mais a Paray, ville du Charollais qui confine au Brionnais, eta Semur, qui etait la capitale de cette derniere contree, comprise, comme Charlieu, dans le bassin de la Loire. M . Canat , revenant sur les termes de la question , montre que l'architecture auvergnate est essentielle- ment romane et qu'elle se differencie de celle de Bour- gogne. A ses yeux, un des caracteres distincts de cette derniere , e'est l'emploi de pilastres carres : te- moin Saint-Philibert de Dijon. Les cannelures ne sont point indispensables pour fixer Page de ces monuments. C'est aussi l'usage des chapiteaux histories, dont il pour- rait citer de nombreux exemples.Notre-Dame d'Autun est un type a cet egard.En resume, les piliers sont can- neles, mais presque toujours carres. Quant a l'eglise de 314 CONGllES SCIENT1FIQUE DE FRANCE. Cluny, elle ne peut etre comparee a aucune autre. Le Brionnais , dont les eglises ont ete inspirees par Cluny, quant au plan du moins, se recommande par une ri- chesse inouie d'ornementation. C'est le roman fleuri dans sa plus luxuriante expression. L'eglise de Paray rappelle celle de Cluny. Semur-en-Brionnais , au con- traire, en differe sensiblement, de meme que l'eglise de Charlieu, dont il ne reste que le porche a deux etages qui offre des details d'ornements d'une richesse sans exeniple. L'eglise d'Anzy, mentionnee par M. Foisset, se caracterise par un roman a piliers carres, different de celui de Semur, Son style en est tout a fait distinct. Celle deChateauneuf est mixte, et celle duBois-Sainte- Marie d'un roman severe. M . de Soul trait estime qu'il serait fort a propos de dresser une carte des diverses nuances du style bour- guignon. Ainsi, il est evident que Cluny, Tournus, la Charite, Souvigny, ont ete les types de monuments qui, tout en offrant des caracteres romans generaux, se distinguent par de nombreux caracteres qui leur sont propres. II lui paraitrait convenable de pousser cette division aussi loin que possible. Ainsi Ton a reconnu un style particulier aux monuments religieux du Brionnais, auxquels se rattachent Charlieu et quel- ques petites eglises bourbonnaises du bassin de la Loire, comme Neuilly-en-Donjon. Lui-meme recon- naitrait encore des styles divers aux environs deBour- bon-PArchambault et sur la lisiere des departements del'Allier et de la Creuse, en dehors du style propre a Souvigny. Selon M. Canat, l'eglise de Tournus est plus an- cienne qu'on ne le pense generalement. Un de ses VINGT-UN IEME SESSION. 345 types particuliers, ce sont ses piliers ronds en blocage revetu d'un moyen appareil. L'atrium qui la precede n'a point ete construit dans le meme temps ; il est un peu plus ancien, et offre trois nefs. L'eglise est intacte. Ses robustes piliers sont couronnes de chapiteaux feuil- lus d'un style particulier qui rappelle le galbe corin- thien, anterieur certainement a celui de Cluny, et en cela bien differents des chapiteaux de la grande eglise benedictine, dont rornementation si riche se fait ad- mirer dans ce que la chapelle de Bourbon en montre encore. L'eglise de Chapaye, poursuit M. Canal, de- rive deTournus. Ses piliers sont ronds. Son clocher, du xnesiecle, est bati en obelisque, genre de construction, fait observer M. Parker, extremement rare a rencon- trer. M. Canat ajoute que dans les contrees bourgui- gnonnes qu'il a visitees les beaux clochers romans sont tous octogones ; il en cite plusieurs exemples. M. de Soultrait a remarque en Bourbonnais Pusage des grosses colonnes dont a parle M. Canat, particu- lierement a Saint-Menoux, et a Rougeres. La cathe'- drale de Plaisance, monument du xne siecle, qu'il a recemment visitee, est supportee par des piliers res- semblant a ceux de Tournus. II exprime de nouveau, en se resumant, ledesir de voir executer une carte archeologique sur laquelle on tracerait la circonscription particuliere des divers styles romans bourguignons. MM. Canat et de Suri- gny etudieraient le midi de la Bourgogne; les archeo- logues de Dijon se reserveraient la region du nord; lui-meme offre son concours et celui de M. l'abbe Crosnier pour l'etude speciale du Nivernais et du Bourbonnais. 34G CONGIIES SCIENTIFIQUE 1)E FRANCE. M . Rossignol appuie la proposition qui vient d'etre faite. Selon lui, l'irradiation de Cluny, c'est-a-dire le roman emane de cette abbaye , ne s'est point arrete a Tournus : il faut remonter a trente lieues plus haut , a Monthelie, village qui a appartenu a Cluny, etdont Feglise, aujourd'hui formee de differents styles, con- serve des restes et une base emanes de Cluny. II observe que cette ressemblance ne git pas dans les details, beaucoup plus riches dans 1' abbaye mere, mais dans les lignes generates de Tedifice. II y a la une distinction dont le classificateur doit tenir compte : une charpente osseuse parail etre le trait particulier de ce genre d'architecture. Maintenant , quant a l'execution de la carte, M. Rossignol pense qu'au lieu de diviser, comme on l'a propose, la Bourgogne en differentes circonscriptions territoriales, on devrait, partant de ce principe que la Bourgogne comprend deux cotes geologiques bien marques , tenir compte de cette dis- position , qui necessairement a du avoir son influence sur la construction et la matiere des edifices religieux; en consequence, etudier les monuments par bassins ou zones geologiques. M. Foisset ne voit pas la necessite d'une pareille division : il suffira d'indiquer cette particularite aux archeologues qui s'occupent de la carte. M. Bizard depose la note suivante : M. Canat donne a P architecture du xne siecle , dans le Brionnais,un caractere et une richesse d'ornementation qu'il circonscrit dans des limites trop etroites. Tout en reeonnaissanl que le Brionnais renferrae en effet des mo- numents du xue siecle fort remarquables , M. Bizard a l'honneur de faire observer a >I. Canat , et M. de Caumont VINGT-UNIEME SESSION. 347 peut deposer 388 CONGRES SCIENTIFKjITE DE FRANCE. \ jourd'hui ont, comrae le francais, des irregularites dans leur orthographe. Aucun idiome, par consequent, ne servira de vehicule commun a la pensee humaine. Une langue universelle serait celle qu'un congres cosmopolite etablirait, en empruntant des mots aux diverses nations : on en formerait ainsi une langue artificielle. M. H. Baudot fait observer que, par la force meme des choses, le francais et l'anglais se sont imposes aux etrangers , le premier comme langue diplomatique, et l'anglais comme le langage du commerce. C'est Tun de ces idiomes qui aura le plus d'avenir; peut-etre un dialecte special se formera-t-il de la combinaison des deux langues. M. Berard pense que le francais se repandra comme nos modes, par le choix spontane des autres nations. M. Jobard depose entre les mains du secretaire un tableau de signes destines a representer aux yeux le mouvement du discours. II croit pouvoir appeler aussi 1' attention de la Section sur une methode qui consiste- rait a inscrire sur les cartes geographiques , au moyen de signes extremement simples, la population des villes. II depose egalement sur le bureau un modele de ces sortes de chiffres. M . Joanne remet a la section un memoire dans lequel il s'efForce de ramener les signes graphiques a un systeme primitif originel, aussi ancien que les pre- miers sons dela voix humaine. Les premieres exclamations naturelles sont , sui- vant Pauteur : ah et ou ; deux lettres servent a les re- presenter , A et V. Le premier de ces sons est affecte aux lieux eleves, le deuxieme aux lieux bas ou pro- VINGT-UN IEME SESSION. 389 fonds; Tun est l'expression de la joie, l'autre est Tex- pression de la douleur. Les rayons de soleil qui des- cendent du ciel figurent un A , ceux de l'astre qui se couche figurent unV; a l'aspect du soleil au plus haut du ciel, rhomme profere une exclamation de joie et cree la lettre qui la peint ; il profere un cri de regret lorsque le soleil disparait, et il cree en meme temps le signe figure qu'il a devant les yeux. Cette interpretation est celle de la tradition, suivant laquelle leDieuThot aurait invente les caracteres en imitant le ciel. Les autres lettres sont nees de ces deux signes primordiaux, auxquels est venu s'adjoindre l'exclama- tion oh , figuree par la lettre O, qui represente aussi le soleil. II y a done une correlation entre la prononciation et le systeme graphique , et une langue bien faite ne doit pas s'ecarter de cette loi. La langue francaise, nommee par Rivarol la lan- gue humaine, tient par ses racines a toutes les langues de l'Europe, elle a quelques chances de devenir uni- verselle. Pour que la prononciation fut plus facile a deduire des signes ecrits, il serait bon de restituer a la lettre U le son ou qu'elle a dans to us les idiomes. Les lettres doubles 0 et $ seraient pareillement une bonne acquisition ; mais il serait dangereux de faire subir a notre orthographe des reformes trop radi- cales. Simonnet, secretaire. 390 CONCHES SC1F.NT1FIQUE DE FRANCE, SEANCE DU 12 AOUT Pr&idencc de M. Foissel. M. Pailloux, vice-president , et M. Simonnet, se- cretaire, siegent au bureau. En prenant place au fauteuil, M. Foisset dit qu'il etait loin de s'attendre a l'honneur qu'on a bien voulu lui faire en l'elisant, en son absence , president de la cinquieme section. Toutefois il ne croit pas devoir decliner cet honneur imprevu, ne voulant pas s'ex- poser a une fausse appreciation de ses sentiments a l'egard des Congres, qu'il considere en soi comme une des plus heureuses idees qui aient ete concues pour donner un peu de notoriete , de mouvement et de re- lief aux etudes desinteressees , dans nos provinces. Seulement M. Foisset demande pardon d'aborder la direction des travaux de la section, sans preparation aucune, etranger qu'il est a la redaction du program- me, et n'ayant pu, depuis qu'il est publie, s'occuper d'aucune des questions dont il se compose. En effet r il n'avait pas espere d'avance , qu'a ce moment de 1'an- uee judiciaire, ses devoirs de magistrat lui permissent de prendre une part serieuse aux seances du Congres. II essayera neanmoins de remplir la tache qui lui est imposee et il n'en desespere point absolument, si le bienveillant concours des membres de la section lui vient en aide. Le Secretaire donne lecture du proces-verbal de la seance precedenle, qui est adopt e sans reclamation. VINCT-UN1EME SESSION. 391 M. Foisset, qui n'avait point assiste a cette pre- miere seance , demande la permission d'exprimer sa vive et pleine adhesion aux vues presentees par Mes- sieurs Simonnet et Rossignol sur la dixieme et la on- zieme questions du programme. Selon lui , on ne cree point une langue , pas plus qu'on ne cree un peuple. Chaque langue est une chose vivante qui a sa consti- tution, son organisme, son idiosyncrasie , son en- fance, son adolescence, samaturite, sa vieillesse, et par consequent ses lois naturelles de progres et de decadence. Rompre le lien deja trop affaibli qui unit Torthographe a l'etymologie, ce serait nous rendre barbares en pure perte. Les etrangers, en effet, n'en prononceraient pas mieux noire langue, et certes Us la sauraient moins bien, quand on aurait rendu meconnaissables toutes ses origines et desappris son genie en desapprenant son orthographe tradition- nelle , ou Ton a tort de ne voir que les caprices de Fusage et une sorte de convention tout arbitraire. Notre orthographe sauvegarde notre langue en nous rappelantses sources , et par consequent ses lois, ses analogies naturelles, et surtout les conditions legiti- mes de son developpement normal. Cette considera- tion decisive ne peut etre ici qu'indiquee. M. Foisset ajoute qu'on se fait une idee tout a fait fausse, quand on reve une langue composee d'em- prunts faits a toutes les autres. C'est comme si Ton re- vait un corps vivant compose de membres empruntes a d'autres etres. Ne voit-on pas que chaque langue a sa grammaire comme sa lexicologie ; que chaque grammaire a sa logique, et chaque vocabulaire ses analogies propres; qu'une langue hybride serait un 392 CONGRES SCIENTIFI^UE DE FRANCE. monstre, etqueles monstres ne sont pas viables, ou du moins qu'il ne leur est pas donne de se perpetuer? On ne s'est pas rendu bien compte , dans cetle dis- cussion, de ce qui se passe lorsqu'une langue se de- compose et se transforme. Qu'on etudie la metamor- phose du latin en roman et du roman en francais : on verra que cette transformation graduelle ne s'est point accomplie artificiellement et d'un seul coup ; une logique instinctive a preside a l'elaboration du nouvel idiome, dontl'idiomeancien a forme la base, et c'aete l'oeuvrede neuf siecles (de Charlemagne a Louis XIV). Ainsi procede la nature, et ce qu'elle produit est du- rable, en proportion meme de ce qu'elle fait entrer du passe dans le present. Du reste, une langue artificielle est un roman, comme l'utopie de Thomas Morus. Quel peuple a jamais parleunepareille langue? Com- ment la rendre populaire ! D'autre part , une langue purement commerciale , comme la langue franque (sorte de roman corrompu qu'on parle dans les echelles du Levant ), est un idio- me a la fois incomplet et tronque , lequel ne merite vraiment pas le nom de langue. Est-ce de la sorte qu'on se represente l'idiome universel dont on reve Tavenement ? Evidemment notre langue a de tout autres chances d'universalite que celle-la, mais a une condition , c'est qu'elle restera la langue de Bossuet et de Racine. Ce sont nos grands ecrivains qui l'ont rendue universale; et c'est avec son orthographe qu'elle a subjugue l'Europe. On dirapeut-etre que c'est malgre son orthographe, soit; mais aujourd'hui que la conquete est faite, ne la compromettons point par une reforme imprudente. M. Foisset n'entend jamais VINGT-UNIEME SESSION. 393 reproduire celte these de 1'alteration de l'orthographe francaise au profit de 1'universalite de la langue, sans se rappeler le mot douloureux de Philopcemen a un Grec qui proposait je ne sais quelles concessions aux etrangers : « Malheureux ! es-tu done si impatient de » voir s'accomplir les destinees de la Grece? » M. le President appelle l'attention des membres presents sur les lacunes du programme, dont plu- sieurs questions ( les sept premieres ) ont ete ecar- tees d'uncommun accord. Ces lacunes, il importe de les combler. Les personnes presentes sont invitees a proposer denouveaux sujets de discussion, dont Vin- dication serait prealablement soumise a Tapprobation du bureau general. Un projet de programme sup- plemental comprenant six questions est provisoire- ment arrete. Lecture est donneedela douzieme question. M. le Secretaire fait observer qu'un membre du Congres s'est reserve le soin de la trailer ulterieurement. Nean- moins une discussion immediate s'engage sur les en- couragements qu'il serait opportun de donner aux etudes musicales et sur les causes qui ont favorise ou arrete le progres de ces etudes dans la province. M. Pailloux demande si les ecoles de chant ont reussi a Dijon. M. Yves Boissard repond qu'il n'en existe pas en ce moment, que Ton avait cependant senti la necessite d'en organiser, que, deux ecoles ayant ete etablies, le defaut de fonds a force de renoncer a cette entreprise. M. Pailloux a remarque qu'en parcourant la ville . on rencontre peu de magasins d'instruments de musi- 394 CONGlVES SCIENTIFIQUE DK FRANCE. que; il en a induit que Dijon ne compte qu'un petit nombre de virtuoses. M. Yves Boissard fait observer qu'il existe dans la ville des artistes distingues comme chanteurs ou ins- trumentistes ; on peut meme citer un compositeur. M. Roidot demande si la musique a pris place a Dijon dans la vie sociale , et si les artistes que Ton vient de citer se font entendre souvent. Si Ton penetre dans la vie domestique des Grecs, on s'apercoit que la musique avait une large place dans leurs habitudes intimes, dans leurs festins, dans leurs ceremonies fu- nebres, etc. Est-elle chez nous autre chose qu'un plaisir de convention? Se reunit-on volonliers pour entendre de la musique classique? M. le president ramene la question a son vrai sens pratique. La musique est depuis plusieurs annees un element oblige de 1'education de jeunes personnes ; il y a peu de families dont un membre au moins n'ait appris la musique : le gout general y a-t-il gagne ? M. Pailloux fait remarquer qu'a Arras, lors du dernier Congres , la musique avait une part dans tou- tes les fetes; l'entrainement du public etait significatif ; des artistes de Belgique et d'Allemagne ont trouve la un accueil enthousiaste. M. Foisset place la Flandre au nombre des provin- ces qui sont sans doute privilegiees sous ce rapport ; en Franche-Comte pareillement , ainsi qu'en Alsace , les populations semblent Mre mieux douees musicale- ment que les notres par la nature. M. Jobard fait part a la section de decouvertes qui prouvent quelle importance les anciens accordaient a la musique. Leurs peintures nous representent non- VINGT-UMEME SESSION. 395 settlement les acteurs, mais encore les orateurs ac- compagnes par un joueur de flute. Malgre la vaste etendue de leurs theatres, ils voulaient que Poreille ne perdil rien des sons de la voix. Sous les banes des spectateurs et sous la scene, on a trouve des vases d'ai- rain qui multipliaient les vibrations au profit de tous les auditeurs. Plus le son avait de volume , plus on devait se montrer exigeant pour sa qualite. Le joueur de flute n'avait d'autre mission que de donner le ton a l'acteur qui pouvait s'egarer dans son debit. M. Huot fait observer que ces urnes etaient pyri- formes. M. Jobard ajoute que M. Marlois a construit des especes de mortiers qui ont la propriete d'augmenter le volume du son. On peut d'ailleurs demontrer en quelque sorte materiellement comment la gamme nous est donnee dans la nature; en soufflant dans un tube de caoutchouc d'une certaine longueur, on n'ob- lient qu'un son uniforme; si, au contraire, on opere apres l'avoir roule en spirale autour du bras, ce qui tout a l'heure n'etait qu'un bruit se decompose en plusieurs sons, qui forment une gamme naturelle. Ce phenomene a recu le nom de vibration spiro'ide. Suivant M. Pailloux, il appartient au Congresd'ex- primer un voeu et d'insister pour que des institutions s'etablissent , ayant pour objet de developper dans les populations le gout musical. Dijon est heureusement place; de Beaune, de Chalon, pourraient venir des virtuoses dont les frequentes reunions n'auraient que de bons resultats. C'est Temulation qui a produit dans le Nord ces fetes musicales qui surprennent les* habi- tants des provinces moins privilegiees. 396 CONCHES SCIENTIFIO.UE DB FRANCE. M. Foisset rappelle que des festivals onl eu lieu a Chalon et qu'ils n'ont pas ete continues. M. Boissard (Edmond) fait observer que la Societe Philharmonique de Dijon a dure 18 ans, mais qu'elle tenait lieu de spectacle plutot que d'encouragement ; le gout public y a peu profite. — II existe pourtant a Dijon des matinees musicales, mais reservees exclusi- vement a un tres-petit nombre d'amateurs. M. Jobard et M. Huot s'accordent a dire que le de- faut de disposition des parents pour la musique sem- ble passer aux enfants. II est difficile que ceux-ci voient s'eveiller puissamment en eux une faculte que les personnes chargees de leur education ne sont pas a meme de cultiver. M. Roidot pense qu'il est aussi important d'etudier les causes qui ont amene la decadence de Part musical, que les moyens propres a le ressusciter. Ainsi , on ne saurait nier que la mine des instituts religieux n'ait fait disparaitre d'utiles foyers de propagande mu- sicale. M. Jobard expose comment une bonne methode d'en- seignement est favorable a l'apprentissage des eleves. Un violoniste qui ne possedait qu'un seul instrument est venu a Charleroi ; il a reuni des eleves qu'il a ins- truits par la methode Jacotot ; chacun d'eux a appris un instrument different, et est devenu assez habile pour que tous ces virtuoses reunis fussent en etat de figurer avec honneur dans des concours de musique. La discussion est close sur ces questions inciden- tes. Un membre du Congres s'etant reserve de traiter ex professo la douzieme question , la section s'ajourne au surlendemain pour entendre cette lecture. VINGT-UNlEMF, SESSION. 397 STANCE DD 14 AOUT. Presidence de II. Foisset. MM. de Vesvrotte , Tudot , Pailloux et Darbois , vice-presidents, et M. Simonnet, secretaire, prennent place au bureau. Le proces-verbal de la seance precedente est lu et adopte. M. de Caumont lit une lettre adressee au Congres par M. du Chatellier. Elle a pour objet de recomman- der au patronage des societes savantes la publica- tion d'une Bibliotheque universelle, composee de tous les ouvrages utiles, et destinee a satisfaire a tous les besoins scientifiques et litteraires. Cette lettre est annexee au proces-verbal, ainsi que le programme de la publication annoncee. M. Huot est charge de faire un rapport sur la com- munication faite au Congres de la part de M. du Cha- tellier. L'ordre du jour appelle la lecture d'un memoire de M. Huot sur les huitieme et neuvieme questions. Apres l'avoir entendu , la Section decide que ce me- moire sera lu a la seance generate ; il est concu en ces termes : Les progres qui chaque jour se manifestent dans les arts, dans Pindustrie, dans la facilite de locomotion, propa- gent-ils rapidement au sein de toutes les classes de la so- ciete des besoins nouveaux , des desirs ardents de bien- etre et de jouissance ? 398 CONGRES SCIENTIFI(JIJK J)E FRANCE. Je n'hesite pas a r^pondre a la question telle qu'elle est posee : — Non. Les desirs ardents de bien-etre et de jouissance se manifestent, non pas egalement dans toutes les classes de la societe, mais principalement chez les homines qui n'appartiennent a aucune classe , chez les individus diclasses , chez ceux qui, appartenant par leur naissance, par leur position pecuniaire , a une classe inferieure , s'e- levent d'un degre par l'education, l'intelligence et le sa- voir. Si a ces a vantages ils savent joindre le travail et surtout la patience, ils franchissent a la longue tous les degres de l'echelle sociale, ils arrivent a des positions eminentes, et on les cite comme un exempleet un encoura- gement a tous ceux qui veulent suivre leurs traces. Mais ce sont la de rares exceptions. Trop souvent ceux qui ont l'intelligence, le savoir, l'education, sont inpa- tients; apres avoir travaille quelques annees , ils s'eton- nent de ne pas voir le resultat repondre a ieurs efforts et au me>ite qu'ils s'attribuent. Ils s'etonnent de voir des hommes qui, comme science, comme intelligence, comme travail, ne les valent peut-etre pas, avancer plus vite qu'eux parce qu'ils ont pour appui les avantages d'une position de famille et de fortune qui facilitent les efforts indivi- duels. Plus aveugles que les pai'ens, qui n'accusaient, en pareil cas , que le destin , ils accusent la societe , ils se flattent de la refaire, et, en attendant , ils s'efforcent de la d^truire 5 ils pouvaient etre des hommes utiles , ils de- viennent des hommes dangereux. Oh! pour ceux la, sans doute, les progres qui chaque jour se manifestent dans les arts, dans l'industrie , dans lafacilite de locomotion, dans la facilite de locomotion surtout, ces progres propagent des besoins nouveaux, des desirs ardents debien etre et de jouissance. Tel petit avocat qui , il y a cent ans, eut plaid6 devant son bailliage, regardant la cour de parlement comme une region inaccessible pour lui, et fut mort a quatre-vingts ans, sans avoir franchi l'espace immense de quarante lieues VINGT-UN IEMK SESSION. 399 qui I'en separait, s'en va,par le chemin de fer, entre son dejeuner et son diner, au chef-lieu de la cour pour entendre plaider par un des aigles du ressort Paffaire qu'il a plaidee lui-meme devant son petit tribunal. Il trouve naturellement que l'aigle ne plaide pas aussi bien que lui 5 il sort de l'audience raal dispose , il revient coucher chez lui apres avoir fait quatre-vingts lieues (aller et retour); il est agite par cette locomotion furibonde, par ce qu'il a vu, par ce qu'il a entendu dans ce voyage a vol d'oiseau. II compare les masures de son humble chef-lieu d'arrondis- sement aux hdtels de la grande ville, ses miserables bou- tiques aux splendides magasins. Il se demande pourquoi Me un tel, qui ne le vaut pas , gagne 10,000 francs par an, tandis qu'il ne gagne pas cent louis 5 il s'endort , la rage dans le coeur, et, vienne unjour de revolution, cet homme, si les circonstances l'y poussent, deviendra un implacable tribun. J'ai choisi cet exemple au hasard. J'aurais pu prendre le m^decin de campagne, qui se demande pourquoi il par- court les montagnes et les vallees de son canton sur un maigre cheval, tandis que son confrere de la ville par- court de belles rues dans un moelleux coupe 5 j'aurais pu prendre le professeur du college communal, qui se de- mande pourquoi il explique la regie liber Petri a des bam- bins indociles , tandis que son confrere de la faculte des lettres expose a un brillant auditoire un brillant assem- blage de lieux communs frenetiquement applaudis ; mais j'aurais toujours choisi mes exemples dans une classe spe- ciale et parmi des individus qui n'appartiennent que de nom a cette classe et qui aspirent a en sortir. Mais si nous descendons d'un degre, en admettant que cela soit descendre, si nous prenons nos exemples dans ce qu'on appelle la basse classe , parmi les ouvriers et les paysans , croyez-vous que les progres des arts , de l'in- dustrie, de la locomotion, developpent beaucoup chez eux les desirs de bien-etre et de jouissance? Pour moi , je ne le crois pas. 400 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE.' Ces desirs et l'envie qu'ils font naitre ont exisle de tout temps} ils sesont propages dans ces dernieres annees, moins par les causes enoncees dans la question, que par une autre cause dont elle ne parle pas; je veux dire les mauvaises lectures. Il y atel article de journal, telroman a bon marche , qui a fait plus de mal, a ce point de vue, que tous les progres industriels, que tous les chemins de fer du monde. Je dis que ces desirs et ces aspirations au bien-etre ont existe de tout temps : dans l'antiquite , non pas cbez l'es- clave, qui n'etait qu'une chose et qui se regardait comme tel , mais chez l'affranchi, qui , sorti de l'esclavage , aspi- rait et arrivait souvent a une position superieure a celle de beaucoup d'hommes libres 5 au moyen age , chez ceux qui se sont appeles les Bagaudes, chez ceux qui ont forme la Jacquerie 5 plus tard, chez ceux qui ont fait nos revolu- tions modernes. C'est qu'en effet , le desir du bien-etre est un desir na- turel a l'homme. Si vous le livrez a lui-meme , il n'a plus de bornes 5 pour le temperer, vous n'avez qu'un remede : la moralisation par une education proportionnee au mi- lieu oil il doit vivre , et surtout par la religion , le plus efficace de tous les moyens de moralisation. Il y a dans les vieilles ballades bretonnes un chant du XVe siecle qui est une rude replique a l'admirable, mais parfaitement fausse hyperbole de Virgile : 0 fortunatos nimium , sua si bona norint. Agricolas ? Cette ballade est intitule'e : Le Laboureur (or Labourer) . Elle retrace dans ce langage de l'Armorique, aussiru- gueux que le granit au milieu duquel il est ne , toutes les fatigues , toutes les souffrances , toutes les privations de l'homme des champs, opposees au bien-etre et auxjouis- sances de l'homme de ville. Approchez tous, Bretons, pour entendre un. chant Sur la vie du laboureur; il a ete fait il n'y a pas longtemps : Une vie rude et penible! Repos ni jour ni nuit ! Le laboureur travaille par tous les temps, VINGT-UNIEME SESSION. 401 Aussi bieu sous la froidure que sous la chaleur; Par la neige,le givrc, le tonnerre, le vent, la pluie, la gelie, la grele, Vous le verrez dans son champ, travaillant ploye en deux. Le labourcur est vetu le plus souventde toile; II n'est pas frise chaque jour comme le bourgeois j~ Ses habits sont en gucnilles et salis par la terre; Les gens de la ville qui le rencontrent crachent sur lui de de*goiit. II est bien different, Petat du pauvre labourcur, Bieu different de l'etat des bourgeois de la ville. Ceux-ci ont viande , poisson et pain blanc chaque jour; Le laboureur, uneassielteedebouillie,du painnoir etde l'eau chaude. Le laboureur doit payer, payer en tout temps, Payer les tailles au roi trois et qua tie fois; Et quand il lui faut payer son maitre, s'il n'a plus d'argent, On vend son bien. — Alors, grand gemissement! II lui faut encore payer I'obit au eure, — C'est l'usage et cela est juste, La quete aux pretres et l'aumone aux pauvres; Et, pourqu'ils ne manquent pas, leur salaire a ses serviteurs. Le laboureur se voit chaque jour vexe* Par les gensde lois qui le grugent, De son peu de bien le depouillent, Et il lui faut aller dehors et n'avoir mot a dire. Ets'il lui arrive de compter son pauvre argent, Ce pauvre argent amasse avec lant de peine, Cela fait lire les gens de la ville, qui se moquent de lui. Enfin, le laboureur, en quelque lieu qu'il aille, Estl'objetdu dedain et du mepris de tous; Et cependant , s'ils voulaient reflechir, ces gens-la ! C'est par les bras du laboureur que le monde entier subsist*1. Voila notre vie, helas! notre vie bien rude; Notre vie est pitoyable , notre dtoile est dure, Notre e'tat est penible. — Repos ni jour ni nuit. Oh ! ne demandez pas un refrain a ceux qu'ont pervertis, non pas les progres de Pindustrie , non pas les progres de la locomotion, mais les mauvaises lectures, mais les mau- vaises doctrines. Ceux-la vous en repeteraient un que l'on ne chante plus, mais que l'on chantait il ya soixante ans : fair a, gaira, les aristocrates , etc. Mais demandez-le au poete illettre, inconnu, qui a com- pose ce chant il y a plusieurs siecles , au fond de quelque hameau ignore du Morbihan$ et, a c6te de cette peinture 26 402 &iergique des souffrances du pauvre, vous trouverez a la fin de chacun des vers qui se terminent par ces mots : Itepos ni jour ni nuit /... ces mots remplis d'une admirable resi- gnation : « lie^omp-hi a galours vad, davont d'or Baradoz, supportons tout cela de bon cceur pour gagner le paradis ! Vous le voyez , elles ne sont pas nouvelles, ces compa- raisons que fait le pauvre entre son sort et celui du riche ; mais la conclusion peut changer selon que le pauvre sera bien ou mal endoctrine. — Que cette facilite de locomo- tion, que ces progres de Pindustrie, aient rendu plus sensi- ble la difference, nul ne le conteste ; mais le maitre souve- rain de toutes choses a mis a c6te de chaque agent nuisible un agent bienfaisant, laissant a Pintelligence del'homme le soin de le decouvrir ou d'en regler Pemploi. A chaque poison son antidote; et si les chemins de fer sont un poi- son, ils portent leur antidote en eux-memes. lis sont ouverts pour tous, que tous en profitent, et le bien com- pensera le mal. Aujourd'hui , a quelques exceptions pres , il n'y a pas d'eveque qui ne puisse en peu de temps par- courir tout son diocese , de prefet tout son departement, de recteur toute son academie , de procureur general tout son ressort. Que tous en profitent , que tous aillent voir par eux-memes et de pres ce qui se passe dans le moin- dre recoin de leurs circonscriptions respectives; que tous aillent par eux-memes encourager le bien et combattre le mal: plus les etforts partiront de haut, plus ils seront efficaces, et nous pourrons alors repeter avec une des gloires de la chaire moderne ces belles paroles pronon- cees il y a quinze ans a Notre-Dame de Paris : « Faites des » chemins de fer, faites-en beaucoup, faifes-les rapidesj » sillonnez-en la France, etPEurope, et Punivers entier. » Quand les paiens de Pancienne Rome construisaient ces superbes voies que les siecles ont eu peine a detruire et dont nous admirons les restes, ilne prevoyaientpas qu'un jour les apotres chretiens s'en serviraient pour aller por- ter en tous lieux la verite, la lnmierc et la morale de PK- vangile!... YINGT-UNIEME SESSION. 403 Ceci nous amene naturellement a la neuvieme question, inseparable de laprecedente : Ces memes progres ouvrent-ils en meme temps des voies a Pintelligence , des moyens de travail 9 ^des sources de benefices, dans une proportion suffisante pour procurer la satisfaction de ces nouveaux besoins ? et sont-ils accom- pagnes destitutions assez puissantes pour temperer l'ar- deur des desirs par les habitudes d'ordre, d'economie et deprevoyance? La question , je l'avoue , me semble prematuree $ et en outre, la derniere partie ne pourrait etre traitee sans aborder des considerations politiques que le reglement nous interdit. Quant aux progres de 1'industrie, il est in- contestable, elementaire, qu'ils satisfont autant de besoins qu'ils en fontnaitre, et peut-etre davantage; il est cons- tant que, depuis que Pon fabrique des bas et des chaus- settes a 6 sous , des chemises a 30 , il y a moins de gens qui vont nu-piecls, il y a plus de gens qui changent souvent de linge. J'entendais raconter dernierement a un vieux magistral que lorsqu'il avait ete envoye pour la pre- miere fois dans un chef-lieu d'arrondissement , n'ayant paslaliste des personnesappartenantalabonne society de Pendroit, et auxquelles il voulait faire une visite d'arri- vee, il etait entre dans toutes les maisons oil il voyait des rideaux aux fenetres. On ne pourrait prendre aujourd'hui une pareille base d'appreciation , sans se compromettre singulierement. En un mot, plus les moyens de produc- tion et de transport sont nombreux, rapides , economi- ques, plus la consommation augmente, plus il y a de be- soins satisfaits sans qu'ils aient, pour ainsi dire, le temps de naitre. Il y a des gens qui demandent pourquoi Pou- vrier ou le paysan ne peut pas boire un verre d'eau sucree : je leurreponds que c'est parce qu'ils ne le veulent pas, et qu'avec ce qu'ils depensent au cabaret pour boire une bouteille de vin, ils se feraient sixbouteilles d'eau sucree. On pourrait , quant a 1'industrie , multiplier les exemples a Pinfini. 404 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. Quant aux moyens de locomotion, je repete que la ques- tion est prematuree. lis ne sont pas assez repandus, assez perfectionnes pour fournir une base serieuse d'apprecia- lion. En un mot, les chemins de fer, que nous avons tous vus nattre il y a moins de vingt ans, sont encore dans Fen- fance.Une enfance robuste, sans doute, comme celle d'Her- cule etouffant les serpents caches dans son berceau; mais il y aurait injustice a juger leurs resultats actuels sans tenir compte de leurs resultats futurs , de meme qu'il y aurait eu injustice a juger l'imprimerie au xve siecle. A cette epoque, il est evident que beaucoup de gens, fort sen- ses du reste, ne voyaient dans l'invention des caracteres mobiles et du papier que la ruine des copistes , des par- cheminiers et de toutes les professions se rattachant a ce qu'on appelait alors Vecrevinerie; de meme qu'aujourd'hui beaucoup d'esprits superficiels ne voient dans les che- mins de fer que la ruine duroulage , des bourreliers , des marechaux , des charrons et des aubergistes des ancien- nes routes. Mais placez vous a un point de vue plus large : du haut du xve siecle, contemplez ceux qui Font suivi ; voyez les chefs-d'oeuvre de Fesprit humain se propageant des le xvie dans toute FEurope, et au xixe , Fhomme studieux se composant une bibliotheque presque complete avec la somme qui, autrefois, eut a peine paye deux ou trois ma- nuscrits} et alors vous nesongerez pas plus aux quelques ecrivains et parcheminiers dont Guttemberg a cause la ruine, que vous ne songez, en lisant le recit d'une de nos victoires, a Fbumble fantassin enleve par un boulet. Et puis, d'ailleurs , n'est-il pas probable que , des les commencements de Fimprimerie, beaucoup de ceux qui exercaient les professions ruinees par elle lui ont de- mande d'autres moyens d'existence? et ce resultat n'est-il pas devenu plus sensible de jour en jour? les fils de co- pistes ou d'enlumineurs n'ont-ils pas du devenir composi- teurs, pressiers, papetiers ou relieurs? Je m'imagine vo- lontiers que si les Didot pouvaient refaire leur genealogie VINGT-UNIEME SESSION. 405 complete , ils se trouveraient pour ai'eul quelque humble copiste dela rue de l'Ecrevinerie, lequel serait bien sur- pris de voir aujourd'hui quelle position a faite a ses des- cendants cet art dont lui-meme avait maudit la naissance. — De meme, de nos jours, beaucoup de gens qui exercaient des professions ruinees par les chemins de fer ont trouve* dans les chemins de fer eux-memes d'autres moyens d'existence, et ce resultat deviendra chaque jour plus sen- sible.— Et si l'on veut prevoir les modifications que l'avenir de ces nouvelles voies reserve au monde , les centres de population deplaces , les prix de transport presque anni- hiles, les distances supprimees, non-seulement, comme aujourd'hui, entre les grandes villes , mais encore par un vaste reseau de nombreux embranchements , entre les moindres localites , on est force de convenir qu'il ne nous est pas plus possible d'entrevoir ce que sera le monde dans un siecle, qu'il n'etait possible a nos peres d'entrevoir, en 1754, le monde tel qu'il est aujourd'hui. Une seule chose me parait certaine et appreciable dans un avenir prochain , c'est l'influence exercee par les chemins de fer sur les relations entre Paris et la province. Paris et la pro- vince sont depuis longtemps dans un etat de defiance mu- tuelle : on pourrait les comparer a ces parents ou amis qui se trouvent en froid, pour employer une expression fami- Here , parce qu'un mechant ou un sot a repete a chacun d'eux que Pautre avait medit de lui; mais vienne un tiers conciliant et sage qui les eclaire mutuellement sur leurs pretendus griefs, et ils se tendront la main. Le chemin de fer sera cet heureux intermediaire qui fera cesser un long malentendu. La province reconnaitra que Paris, apres tout, est assez bon prince; et la grande ville reconnaitra de son cote que la province renferme des hommes et des choses que 1'eloignement tenait a l'ecart, et dont la valeur lui etait restee longtemps inconnue. La discussion s'engage sur la douzieme question du programme. 400 CONGRES SCIENTIPIQUE DE FRANCE. M. Debillemont lit un memoire ou il traite les deux parties que comporte cette matiere. Suivant lui , la Providence n'a pas favorise un cli- raat au prejudice d'un autre. Si Jomelli, Porpora, Ci- marosa, Rossini, sont nes dans la patrie du Dante, sous l'influence d'institutions habilement dirigees par un clerge intelligent, l'Allemagne peut citer les noms de Mozart, de Haydn, de Weber, et se glorifie des encouragements qui sont donnes a Tart musical dans les moindres localites. — L'art est essentiellement cosmopolite, et fleurit dans tous les temps : a la sculp- ture paienne a succede chez nous l'art religieux. — En France , jusqu'au milieu du xvine siecle , nos theatres et nos concerts empruntaient des executants a l'ltalie. Rameau parut, dota notre patrie de metho- des d'enseignement , et depuis lors, nous pouvons mettre en parallele nos compositeurs avec ceux de nos voisins. Remarquons que dans les villes oil il existe un opera, le chant populaire est moins grossier qu'ail- leurs. Creons en province , sur une moindre echelle, des ecoles qui nous rendront le meme service que le Conservatoire rend dans la capitale. Nous aurons un art different de la musique passionnee de l'ltalie, de la musique reveuse de l'Allemagne. En resume, il exisle partout des aptitudes que l'enseignement peut developper. — Le moyen de reconstituer l'ensei- gnement, c'est de doter les ecoles communales d'insti- tuteurs qui pourront apprendre les elements de leur art a leurs eleves. Les instituteurs seront eux-memes instruits dans l'ecole normale departementale par des professeurs sortis du Conservatoire de Paris. II y au- rait ainsi trois degres dans l'enseignement de la mu" VINGT-UNIEME SESSION. 407 sique , et le plus humble eleve sorti de l'ecole com- munale pourrait franchir un jour ces trois echelons. Quatre professeurs a l'ecole normale : un professeur elementaire, un professeur de chant, un professeur de piano , un maitre de composition. L'auteur du me- moire, en eflet, pense que le chanteur, l'instrumen- tiste, doit posseder des notions d'harmonie, de meme que Ton exige du tragedien qu'il connaisse la poe- tique. — Les appointements de tous les professeurs ne s'eleveraient pas au dela de 6,000 fr., et l'entretien de l'ecole departementale ne couterait pas plus de 10,000 f. M. Debillemont fait remarquer que chaque departement depense environ 4,500 fr. pour soutenir quelques cours existants deja dans les divers etablisse- ments d'instruction, de telle sorte que son projet pourrait se realiser moyennant une augmentation de depense annuelle de 5,500 fr. seulement. — En fait, ajoute-t-il, les maitrises sont tombees dans des mains inhabiles. L'ecole departementale rendrail les memes services, et le culte divin serait assure, comme par le passe. M. l'abbe Schwach adopte le meme point de depart que M. Debillemont : Les Allemands ne doivent pas a la nature une aptitude musicale plus heureuse que les autres nations; s'ils l'emportent sur nous, c'est, en effet, grace a une education bien dirigee depuis long- temps. Les memes conditions produiront partout les memes resultats. Depuis les Lacedemoniens, qui avaient reclame le secours de Tyrtee , jusqu'aux armees de la revolution, qui marchaient en chantant des refrains devenus nationaux, les natures les plus grossieres sont sensibles a la musique. Mais ce sentiment inne peut 408 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. s'egarer, si Part destine a le developper suit uiie voie dangereuse : c'est dire assez que Peducation musi- cale des masses ne doit etre confiee qu'a des maitres nourris dans de bons principes. Un comite superieur charge de faire les choix et de surveiller Penseigne- ment; des instituteurs repandus dans chaque localite, charges non-seulement de faire un cours de chant; mais exerces a jouer de Porgue : voila ce qui existe en Allemagne et en Alsace, et ce qu'il faudrait etablir dans le reste de la France. — L'auteur de la question semhle avoir voulu supprimer les maitrises au profit des ecoles communales et departementales. Du mo- ment oil Ton reconnait que les maitrises ont rendu de vrais services, il faut les maintenir, les doter de fonds suffisants, leur donner des eleves dont elles puissent suivre Peducation et les progres jusqu'a Page adulte. Les chanteurs ainsi formes figureront aux ce- remonies du culte , tandis que les eleves des ecoles laiques ne s'y croiraient nullement obliges. L'art lui- meme est interesse a la conservation des maitrises : c'est dans leur sein que la musique religieuse est nee , que les bonnes traditions se sont conservees ; c'est a leur influence que Pon doit Haydn et Mozart; elles peuvent encore rendre les memes services si on leur en fournit les moyens. M. le president fait observer que M. Debillemont n'a pas parle expressement de la suppression des maitrises : il a entendu dire sans doute qu'elles pour- raient coexister avec les ecoles laiques, et que les deux institutions pourraient avoir le meme personnel. M. le president ajoute que la question, telle que la posent les deux preopinants, en implique une autre YJNGT-TTNIEME SESSION. 409 beaucoup plus generate. Affirmer que Peducation musicale fait a elle seule les peuples musiciens , n'est- ce pas dire implicitement que les intelligences nais- sent egales et sans aptitudes predominantes?Ce qu'on affirme de l'egalite innee des nations a l'endroit de la musique, pourquoi ne Paffirmerait-on pas des indi- vidus?Pour etre consequent, il faut aller jusque-la. On ne l'oserait toutefois; car Pexperience de chaque jour proteste contre une these aussi absolue. Or, s'il existe des predispositions individuelles avant toute education, pourquoi n'y aurait-il pas aussi des predis- positions nationales ? Est-ce que les races humaines ne sont pas de grandes individuality dont chacune a son caractere plus ou moins tranche et sa physiono- mie propre? Pour rentrer dans ladouzieme question, pourquoi la France n'a-t-elle point les institutions musicales de PAllemagne? N'est-ce point parce qu'elle n'en a pas pressenti les avantages? Et pourquoi cela, sinon precisement parce que nous sommes moins naturelle- ment musiciens que les Allemands? On ne peut nier que l'esprit francais ne soit generalement plus positif et plus precis que l'esprit germanique, et Ton peut douter que ce positif et cette precision d'esprit con- courent a l'aptitude musicale. En France meme , ou 1'unite nationale est plus complete que nulle part ail- leurs, il est des zones plus favorisees quant a Yinneisme du sentiment musical : le Midi est plus naturellement musicien que le centre de la France. — Certes l'edu- cation peut beaucoup , mais elle ne peut pas tout. — Sans doute il faut encourager les institutions mu- sicales; mais il ne faut pas trop attendre des encou- 410 CONGRES SCIEKTIFIftUE DE FRANCE. ragemenls merae les mieux entendus et les mieux diriges. — On ne peut meconnaitre, par exemple, qu'il existe aujourd'hui dans les families franchises un bien plus grand nombre d'individus connaissant passable- ment le mecanisme d'un instrument, qu'on n'en pou- vait citer il y a cinquante ans, — Le gout general y a-t-il beaucoup gagne? M. Yves Boissard fait observer qu'on ne peut rien affirmer tant que plusieurs generations n'ont point participe successivement aux memes encourage- ments. M. Mignard rend compte de l'opinion de M. Neu- komm , un des premiers organistes de l'Allemagne, suivant lequel son pays doit sa superiorite a la solli- citude du gouvernement, qui a etabli une ecole de mu- sique, un organiste dans chaque commune. M. Rossignol pense que notre aptitude musicale est en general assez pauvre , mais qu'il est imprudent de proclamer trop baut ce defaut : il ne faut pas faire nai- tre ledecouragement,ni creer un obstacle de plus aux tentatives d'amelioration. M. Jobard n'est nullement dispose a croire qu'il existe des categories d'individus privilegiees et d'au- tres desberitees par la nature. — II a entendu des ou- vriers allemands cbanter d'une facon detestable. II ne croit done pas a la superiorite innee des Allemands en fait de sens musical. — Les Anglais n'ont aucun prejuge de cette nature : ils ont remarque la superio- rite des Francais a l'exposition de 1851 , pour la fabri- cation des objets d'art industriel dits articles de Paris et autres; ils n'ont pas hesite a faire une depense de 10,000,000 pour etablir cette industrie dans leur V1NGT-UNIEME SESSION. 411 pays, et ils esperent lutter avec succes a la prochaine exposition. M. Debillemont fait la part des differences que Ton remarque entre le gout des nations : comme elles ont des qualites diverses, la musique de chacune a un ca- ractere special. Quant au defaut de sentiment , il faut l'attribuer en general a un defaut d'education. A Pa- ris on reunit 1,200 choristes venus de localites diffe- „ rentes. A Dijon, un cours de chant, qui n'existe plus, a forme jusqu'a 1 50 executants. Le Secretaire appelle Tattention de la section surun fait qui est a sa connaissance personnelle. La petite ville de Joinville , isolee au milieu d'une region dont les populations en general ont peu d'aptitude pour les arts, renferme plusieurs virtuoses distingues. Une sociele philharmonique composee de trente a quarante executants a subsiste pendant quelque temps dans cette petite ville. On attribue generalement la persis- tance de ce gout musical aux traditions que la mai- trise de la chapelle ducale y a laissees. M. Roidot fait remarquer que dans une discussion qui s'engage sur 1'observation de certains faits , il im- porte de ne pas apporter d'idees absolues. La France n'est pas incarnee dans un type exclusif. It y a parmi nous, comme l'a fait observer M. le president, des races qui ont des aptitudes italiennes, d'autres des aptitudes allemandes ; il est bon de les developper la oil elles se rencontrent. Dans tous les cas, il faut etre prudent dans ^admission de principes philosophiques qui concluent a des demandes de fonds. Puis, il ne faut pas s'exagerer la puissance de l'argent, ni sur- tout confondre les moyens de developper les actes 412 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. liberaux avec ceux qui font prosperer les arts me- caniques. L'argent est une puissance en matiere industrielle, surtout lorsqu'il s'agit seulement de reproduire Tap- plication des inventions d'autrui. Mais la musique, etant l'expression du sentiment le plus intirne, est plus rebelle que l'industrie. L'argent peut appeler sur un terrain donne d'habiles executants qui enseigneront un metier a leurs eleves; ils neleur donneront pas un sentiment que la nature leur aura refuse. M. de Caumont, revenant sur les conclusions de M. Debillemont, insiste sur le meilleur mode d'encou- ragement a donner a Fart musical. Suivant lui , Part profane, Tart religieux, ont tous deux des droits a notre interet. Mais il est a regretter que l'lnstitut n'admette dans son sein que des compositeurs d'opera. II est a craindre que cet esprit d'exclusion ne sub- siste encore longtemps. II n'est done pas a desirer que ce corps savant soit charge de diriger le retablisse- ment des maitrises : un comite choisi en dehors de l'lnstitut rendrait sous ce rapport plus de services. M. Debillemont fait observer qu'il propose de pla- cer les nouvelles institutions sous le patronage de l'lnstitut, parce que ce corps est le seul qui existe en ce moment. II n'y a pas d' autre ecole d'enseignement superieur que le Conservatoire. M. Rossignol ne voit pas d'inconvenient a ce qu'il existe des ecoles religieuses et des ecoles laiques pour l'enseignement du chant. Ces deuX branches de 1'art repondent a deux sentiments divers qui ont pareille- ment droit a notre interet. Suivant M. Poisot, s'il existe deux foyers d'ensei- VINGT-UNIEME SESSION. 413 gnement musical, Tun doit etre subordonne a Pau- tre, l'enseignement profane a l'enseignement religieux. Us se soutiendront l'un l'autre, et lepluseleve empe- chera que l'art profane ne se corrompe. M. l'abbe Schwach insiste pour qu'il n'y ait pas fusion entre les deux enseignements : il importe de maintenir dans touteleur purete, dans toute leur se- verite, les principes qui ont forme Haydn et Mozart. M . Baudot tient a constater que la societe philhar- monique de Dijon n'a pas ete sterile , comme on Fa dit. II enumere les bienfaits qu'elle a repandus dans le pays, et ne croit pas devoir entrer dans la dis- cussion des causes qui ont entraine sa chute , ces causes etant tout a fait independantes du gout d'un public empresse qui a temoigne le plus vif regret de cette suppression momentanee. M. Foisset resume ainsi la discussion : Faisons des efforts pour decouvrir de veritables aptitudes et pour en favoriser le developpement. Nous devons recon- naitre que Tadministration seule , en France , est en etat de donner des encouragements efficaces. L'art profane s'est separe de l'art religieux : c'est la un fait qu'il faut accepter en regrettant ce divorce. En conse- quence , la restauration des maitrises avec leurs traditions speciales est necessaire; l'intervention de l'autorite episcopate ne peut etre que favorable a l'ob- tention de ce resultat. La section s'ajourne au lendemain 15 aout/a 6 heu- res du soir. M. Paris demande a ajouter quelque chose au de- bat. Etant l'un des doyens des artistes dijonnais, il croit avoir interet a proclamer que les artistes en ge- 414 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. neral ne sont pas ligues contre les maitrises. Per- sonnellement, il applaudira a toutes les tentatives qui seront faites pour leur assurer de l'avenir. II pense que l'opinion emise par M. Debillemont n'est qu'une opi- nion individuelle, et que la fusion des maitrises avec une institution laique serait la ruine de l'artreli- gieux. La seance est levee. STANCE DU 15 AODT. Presidcucc de II. Foisset. La seance est ouverte. Le proces- verbal de la troisieme seance est hi et adopte. II est donne lecture de la 13e question du pro- gramme. M. de Caumont appelle l'attention de la section sur les rapports a etablir entre les societes savantes de France et celles de Fetranger, Aujourd'hui que les communications peuvent avoir lieu par Finterme- diaire des libraires de Paris, il ne faut pas negliger de se procurer les interessanles publications des Aca- demies de Berlin, de Yienne et de Munich. M. le President fait observer que , depuis peu de temps, l'Academie de Dijon est en rapport avec TA1- lemasrne: l'Academie de Yienne fait des envois. Des rapports du meme genre avec FAngleterreont ete eta- blis des 1820 par les soins de M. Cesar Moreau, VINGT-UNIEME SESSION. 415 alors eleve vice-consul de France a Londres.il n'y en a pas avec Saint-Petersbourg. M. de Caumont repond que cette derniere ville fait des envois a la Societe francaise. M. le president rend hommage auluxe typographi- que des ouvrages que l'Academie de Dijon a recus des societes savantes des Etats-Unis, sans prejudice, certes, de l'interet intrinseque de ces publications. Lecture est donnee de la quatorzieme question. M. de Caumont a remarque que dans la plupart des bibliotheques il n'existe pas de classification spe- ciale pour les recueils des societes savantes. Ces re- cueils sont dissemines; et comrae ceux qui veulent les consulter en ignorent souvent l'existence et ne peu- vent, dans tous les cas , deviner ce qu'ils contiennent, ces publications sont en quelque sorte perdues pour la science. A la bibliotheque de l'lnstitut , le catalogue n'en contient pas une nomenclature complete, et d'ailleurs c'est au grenier qu'on a l'habitude de les classer. M. d'Estocquois assure qu'a Besancon un compar- timent special est destine aux publications de cette nature. La salle de lecture contient une collection re- marquable d'anciens journaux litteraires. M. le president partage completement 1'opinion de M. de Caumont. — II est impossible de deviner, d'a- pres le titre que se donnent les societes savantes, quels peuvent etre les sujets dont elles s'occupent. — A 1'Academie de Dijon il existe un classement spe- cial; mais il conviendrait d'y aj outer un repertoire qui , sous forme de table des matieres , donnerait au 416 CONGRES SCIENTIFIQUB DE FRANCE. moins un apercu general de ce qui est traite dans les recueils en question. La quinzieme question, ayant le meme objet que la precedente , ne donne lieu a aucune observation nou- velle. Cependant M . Jouanne a fait deposer sur le bu- reau un memoire dans lequel il exprime le voeu que la collection des comptes rendus du Congres scienti- fique trouvat place dans la bibliotheque de Dijon. L'auteur du memoire s'etonne que des collections d'empreintes de medailles en soufre ou en metal leger ne soient pas mises a la disposition des jeunes gens et des personnes studieuses, dans les dep6ts publics. De- puis 1807, M. Mionnet a cherche a propager cette meme idee ; il a fait valoir la superiority de ces em- preintes sur les gravures , dont l'exactitude n'est ja- mais parfaite; le bon marche devrait les recommander aux villes , au gouvernement. L'administration cen- trale ferait une ceuvre utile, en dotant chaque chef- lieu de departement d'une collection complete de medailles antiques et de camees reproduits par ce procede. M. de Caumont fait observer a cette occasion que les socieles savantes en general mettent peu d'em- pressement a faire retirer les exemplaires des comptes rendus des Congres, lesquels sont deposes a la librai- rie Derache. — D'apresune decision du Congres tenu a Toulouse , l'lnstitut des provinces a ete charge d'en operer la repartition : ces exemplaires seront dorena- vant distribues avec plus de regularite. Lecture ayant ete donnee de la seizieme question , M. de Caumont en explique le sens. En Angleterre , les societes savantes n'ont pas recours a l'initiative YINGT-UNIEME SESSION. 417 dugouvernement. La plus ancienne, la Societe royale de Londres, a pres de 30,000 francs de rente. Les pu- blications se propagent parce qu'on les achete , et le resultat commercial n'est pas moins satisfaisant que le resultat scientifique. — En France , il eut ete a desirer peut-etre que le pouvoir central abandonnat les societes savantes a elles-memes. II faut s'accou- tumer a faire des sacrifices avec quelque desinte- ressement; les ressources viennent ensuite. Get esprit d'iniliative nous serait surf out necessaire pour les en- treprises qui interessent seulement la province. M. le President appelle l'attention de la section sur la portee decette question. L'esprit francais en gene- ral ne manque pas d'initiative. Ainsi les pays Gran- gers nous empruntent des superieures pour les soeurs de charite, pour celles du Sacre-Coeur, etc. Mais l'es- prit public ne favorise guere que ces oeuvres de cha- rite. On peut citer pourtant la Societe Asiatique, qui s'est fondee avec quarante souscripteurs, et qui maintenant, au moyen des sympathies qu'elle s'est attirees et des ressources qui en ont ete la consequence, livre au public des classiques orienlaux a peu pres au prix ordinaire des classiques des autres langues. Ses occu- pations ne sont cependant pas populaires. II est seu- lement a craindre, donnons cet avis en passant, que FAllemagne ne nous enleve la superiority que nous avions conquise comme orientalistes. A Petersbourg, on imprime les glossaires en russe et en allemand, au lieu de les faire en russe et en francais. Cependant les orientalistes allemands sont les eleves des Sacy, des Chezy et des Burnouf. 27 418 CONGRES SC1BNT1FIQUE DE FRANCE. Malheureusement la Societe Asiatique a rencontre peu d'imitateurs. En 1831, on avait eu le projet de faire une his- toire litteraire de Bourgogne pour les trois derniers siecles. L'ouvrage devait avoir six volumes. Suivant la methode des Benedictins , un demi-volume d'his- toire generale devait etre d'abord consacre a chaque siecle ; le reste aurait ete donne aux biographies in- dividuelles. On s'etait assure du concours de plusieurs personnes distinguees. Ainsi, Mme de Genlis avait pro- mis la vie de M,ne du Deffand, qu'elle avait connue. L'Academie de Dijon a fait tous ses efforts, avec l'ap- pui d'un Prefet, pour obtenir une allocation de 600 fr. ; la demande a ete rejetee , avec cette explication r Qu'une bonne entreprise ferait son chemin sans se- cours etrangers , qu'une mauvaise ne meritait pas d'etre encouragee. M. d'Estocquois fait observer que la Societe d'emu- lation du Doubs ne recoit que 200 francs du departe- ment; du reste, ses souscripteurs suffisent a ses be- soins, et il lui reste assez de ressources pour faire quelques acquisitions d'objets d'histoire naturelle. Celle des Yosges se soutient egalement loute seule. M. Roidot pense que les entreprises desinteressees ont besoin de persistance dans les caracteres, de fixite dans les conditions sociales. Les Anglais sont riches, leur societe est fermement assise; ils ont de longues vues d'avenir. Nous manquons de cette fixite, les con- ditions chez nous se deplacent trop rapidement. C'est a peine si de grandes associations industrielles peu- vent se former sous le patronage de noms eminents , et avec l'appui des capitaux etrangers. Les entreprises VINGT-UNIBME SESSION. 419 quiontun but desinteresse ont bien moins de chances de succes. Celles-ci ne peuvent etre soutenues que par des bommes de loisir, doues de connaissances elevees, et suffisamment riches pour satisfaire leurs gouts d'un ordre superieur. Nous voyons rarement ces trois con- ditions reunies. M. de Caumont dit que nous pourrions tenter sur une petite echelle ce qui se fait en Angleterre dans de vastes proportions. Pour trouver des souscripteurs , il est necessaire de les chercher dans plusieurs departe- ments, de les encouragerparle bon marche. La presse locale peut rendre a cet egard des services utiles; mais il faut pour cela qu'elle s'eleve; elle est trop sou- vent insignifiante et a peu d'autorite. En Angleterre, les journaux de certaines localites de mediocre im- portance ne s'en recommandent pas moins par leur merite aux lecteurs serieux. C'est parl'appui des jour- naux qu'il avait su former, que M . Hugo de Colmar a pu reunir dans toutes les classes de la population 4,000 souscripteurs pour le transferement d'une bi- bliotheque et pour faire des acquisitions de tableaux. M. le President cite des exemples empruntes au siecle dernier, qui prouvent que l'esprit francais serait assez dispose aux entreprises liberales, et que le de- faut d'initiative actuel devrait etre attribue aujour- d'hui aFabsence de grandes fortunes. Ainsi, FAcade- miede Dijon, le jardin botanique , Fecole des beaux- arts, etaientdesfondationsindividuelles de MM. Pouf- fier, deRuffey, Legouz de Gerland, Fyot de Lamar- che. Elles avaient en outre le merite d'etre des fonda- tions desinteressees. — M. le President pense, enfin, qu'il faut entreprendre peu a la fois, diviser Faction , 420 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCB. viser au bon marche. Les souscriptions de la Societe Asiatique etaient de 40 fr. seulement. M. Roidot cite la Societe pour la propagation de la foi comme un exemple de grands resultats obtenus a Taide de faibles moyens individuels. , La dix-septieme question n'est pas traitee. M. Paris presente un memoire sur la sixieme ques- tion de la section d'agriculture, que Ton a renvoyee a la section des beaux-arts. II pense que Ton peut clas- ser les lilies en villes artistiques et villes industrielles. Dijon, oil, malgre les encouragements de toutes sortes, les industries qu'on a tente d'y acclimater : sucre- ries , savonneries, papeteries, etc., n'ont pas pu se soutenir ; ou cependant la culture intellectuelle s'est toujours maintenue ; Dijon est une ville artistique. MM. Lecurieux,Rude et JoufTroy sontles dignessuc- cesseurs des Gagnereaux et des Devosge. — Lyon, au contraire, ne semble pas aussi bien doue sous le rap- port artistique. — II faut done reconnaitre entre ces deux villes une difference bien remarquable dans les tendances de cbaque population , difference telle, que les efforts que Ton ferait pour acclimater dans chacune d'elles des institutions opposees a ses instincts, echoue- raient en quelque sorle fatalement. — L'auteur du memoire conclut qu'il faut etre sobre d'encourage- ments enversles arts dans les villes industrielles, sobre d'encouragements en faveur de l'industrie dans les villes artistiques. Au contraire, on ne saurait trop favoriser le developpement des instincts particuliers dont les unes et les autres sont douees. Le Secretaire fait observer que les arts ont rendu de grands services a la fabrication lyonnaise, L'ecole VINGT-XTNIEME SESSION. 421 de peinture a produit des tableaux de fleurs remar- quables qui ont servi de modeles a l'industrie. L'ccole de dessin de la ville de Paris est frequentee par des jeunes gens qui apporteront plus tard dans l'exercice de leur profession un bon gout particulier qui recom- mande a l'admiration des etrangers les produits de l'industrie parisienne. — Les republiques italien- nes, les grandes communes de Flandre, etaient aussi florissantes par leur industrie que par les beaux-arts. M . le President et M. de Caumont s'accordent a re- connaitre qu'il faut encourager chaque ville a con- server ses traditions, mais que les villes exclusivement artistiques perdraient bientot toutes leurs qualites si elles n'etaient pas soutenues au moins par une cer- taine prosperite commerciale. M . le President ajoute que Lyon a produit non-seu- lement une ecole de peinture applicable a l'industrie, mais encore des artistes eminents, tels que MM. Flan- drin et Orsel. M. Roidot pense que les republiques italiennes et les grandes villes de Flandre dorvent plutot leur illustration artistique a leur position de capitales qu'a leur prosperite commerciale et industrielle. Une capitale ou la noblesse et les grandes fortunes sont etablies, ou se debattent de grands interets, a une vitalite feconde qui se revele a la fois par une grande production artistique et industrielle. — Van Eyk de Bruges travaillait dans une residence ducale; d'ail- leurs il a beaucoup voyage. — II faut se garder de faire de Tart le vassal de l'industrie. On a vu des villes devoir leur prosperite artis- tique a leur importance politique, et perdre Tune CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. en meme temps que l'autre. Autun peut etre cite comme exemple. M. de Caumont rappelle cependant que Nuremberg a diisa superiorite artistique a la richesse d'une bour- geoisie industrielle qui a encourage les arts. M. le President fait observer que les grandes repu- bliques italiennes peuvent sans doute etre considerees comme des capitales. Bruges a ete la residence d'un due de Bourgogne; mais Anvers, Gand, n'ont ete que de grandes municipalites , fondees par une industrie flo- rissante. On ne peut nier que les arts n'v aient ete cultives avec eclat et avec succes. Les hotels de ville de la Belgique sont des oeuvres d'architecture d'une richesse et d'une originalite remarquables. Des \illes de second ordre , Audenarde, par exemple , etonnent par la magnifique facade de leur palais municipal. — La discussion qui vient d'avoir lieu a prouve seule- ment que l'industrie n'e^t pas fatalement destinee a etouffer les arts , et que ceux-ci, au conti aire, lui ren- dent souvent de precieux services. Leur coexistence est desirable a tous egards. La seance est levee. SEANCE DO 16 AOUT. Presidcnce de II. de Vesvroltc, vice-president. La seance est ouverte. Le proces-verbal de la der- niere seance est lu et adopte. La discussion est ouverte sur la 18e question. VINGT-tTNIEME SESSION. 423 Pour repondre a cette question, M. Simonnet, secretaire, donne lecture du memoire suivant : Messieurs, Lorsque Goethe ecrivait : « On supporte les plus mauvais » tableaux, parce qu'on a l'habitude de voir des choses » beaucoup plus laides, » il etait loin de prevoir qu'un jour a venir ces choses beaucoup plus laides seraient re- produites par la statuaire et par la peinture avec une fide- lite assez scrupuleuse pour mettre en defaut sonaxiome. Goethe pensait done que la nature est laide quelquefois. Plusieurs artistes de nos jours sont d?un avis different : sui- vant eux, toutes les productions de la nature ont une beau- te propre} que l'on prenne au hasard les formes creees, pourvu qu'elles soient fidelement reproduites, leur image ne saurait manquer d'eveiller le sentiment du beau. Tel est certainement le premier article de foi de l'ecole rea- liste : le Congres demande comment cette £cole a pris naissance, et, frappe de la contrariete des principes qu'elle professe, et des maximes des anciens, il a voulu enga- ger le proces entre les deux systemes et en provoquer la decision. Cette question ne peut naitre que sous certaines condi- tions de temps et a une certaine epoque de Part. Si nous mettions en presence les artistes grecs qui ont precede l'ecole eginetique, avec les artistes du moyen age qui ont fait les memes efforts pour balbutier un langage qu'ils ne connaissaient pas , les uns et les autres seraient egalement impuissants a rendre compte de leurs doctrines. Dedale , Canachus et Cimabue cherchaient avant tout a imiter les formes de la nature : leur inexperience et celle de leurs successeurs immediats etaient aux prises avec les difficul- tes du metier : si leurs oeuvres sont gauches, si les formes sont lourdes , e'est a leur main, et non a leur intelligence, que nous devons nous en prendre. Nous reconnaissons ce- pendant que les premiers sculpteurs grecs, aussi bien que les premiers peintres de la renaissance italienne , se pro- 424 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. posaient uniquement de retracer Pimage de la Divinity : en s'efforcant de lui dormer la beaute convenable, ils eHaient conduits a rechercher dans la nature les formes les plus propres a rendre cette idee. La voie dans laquelle ils sont entres, et oil les ont suivis leurs successeurs, devait les conduire au meme resultat,l'etude et la representation d'un certain ideal. Lorsque Part a conquis ses procede*s , lorsque la main de l'artiste est assez exercee pour lui permettre de rendre indistinctement toutes les formes qui Penvironnent, et de suivre les fantaisies de son imagination, la difliculte' ne Parrete plus, la nature avec son infinie variety est sou- mise a ses facultes d'imitation ; il est maltre de choisir en- trele beau et le laid. Au temps de Lysippe et de Praxitele , dans Pecole de Rome, dans celle de Bologne, dans celle d'Anvers, comme dans Pecole francaise des trois derniers siecles, il existait des praticiens exerces au maniement de la brosse ou du ciseau; il enexiste encore aujourd'bui; c'est alors seule- ment que les artistes sont responsables devantlaposterite de leurs qualites comme de leurs defauts, de leurs bons comme de leurs mauvais principes. Nous supposerons done Partiste du xixe siecle assez exerce, au sorlir de Pecole, pour rendre le corps bumain dans toutes ses attitudes, s'il est peintre de figures; pour reproduire sur la toile le miroitement des eaux, la trans- parence de Pair, la legerete du feuillage, les asperites du terrain, s'il est peintre de marines ou de paysages, el nous lui demanderons compte de ses predilections pour un genre ou pour un autre. S'il choisit Pecole realiste , il se justifiera sans doute de la maniere suivante : La nature est assez riche pour meriter par elle-meme notre attention, elle n'a rien a emprunter a l'imagination de l'artiste. Sous toutes les latitudes on trouve Phomme aux prises avec les miseres de sa condition ; partout le devoir accompli , le sacrifice et le devouement meritent YINGT-UNIEME SESSION. 425 nos sympathies ; partout le conflit des passions amene des situations interessantes; on rencontre chez tousles peu- ples desperes, des epoux , des fits, des amis: le jeu de leurs affections, de leurs joieset de leurs donleurs, lerire et les larmes, sont un ample spectacle offert a l'artiste; loin de se plaindre de la penurie de la nature, il a plu- t6t lieu d'etre embarrasse de sa fecondite. Si l'on ajoute que chaque physionomie a son caractere propre, que chaque temperament se trahit dans les mouvements , dans les traits de Pindividu; que de conlrastes, que d'harmonies a reproduire sur la toile ! que de figures originates a tailler dans le marbre ! Chaque saison, chaque heure de la journee, chaque climat, offre au paysagiste des teintes et des aspects differents : l'imaginalion du peintre et celle du statuaire sont pauvres au regard de la crea- tion. Que si, au contraire, le caprice de chacunse mele de corriger la nature, oil s'arretera-t-on dans cette voie? A la variete des formes on substituera une froide uniformite, quelque chose de convenu, de raide, d'academique, pour trancher le mot. Lors done que je voudrai peindre un sujet quelconque, si je trouve dans mon voisinage la situation que je cher- che a reproduire, une ecole, un mariage, une nativite , un enlerrement, je ne sortirai pas de la ville ou du quar- tier que j'habite ; j'y prendrai mes acteurs parmi les per- sonnes que je rencontre tous les jours 5 je tacherai d'imiter fidelement leurs altitudes et leurs physionomies$ mon ta- bleau sera fait. Si je veux m'elever plus haut, emprunler mes sujets a l'histoire ou aux scenes de notre religion, Jacques, mon voisin, sera le modele d'Agamemnon ou de saint Paul ; Jacqueline , sa femme, sera Clytemnestre ou la Mere du Sauveur, suivant le besoin que j'en aurai. Cha- cun de ces personnages apparlenait comme vous et moi a la nature organique; en leur pretant des masques pris dans la realite , je ne saurais leur faire aucun tort. Tel sera le plaidoyer du realiste : on peut d'abord re- marquer que, pour donner plus de valeur a son systeme , 426 CONGUES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. il s'efforce de Popposer a la theorie academique, dont quelques ceuvres froides et trop peu naturelles ont ete jus- tement critiquees par quiconque a le vrai sentiment de Part. Ainsi, c'est en partie a la satiete que ces ceuvres pa- les ont produite que nous devons attribuer la reaction de Pecole naturaliste. Il y a du vrai dans ses arguments, si on les rapproche de ceux qu'elle combat 5 mais, commetoutes les reactions, le naturalisme a eu ses exces : s'il a obtenu quelque faveur, il doit Pattribuer a la repulsion que Pe- cole adverse a inspiree. Mais ce sentiment negatif est un point de depart quelque peu factice : il ne saurait rempla- cer le veritable instinct de Part, lequel est spontane, et par consequent independant des circonstances exterieu- res. Fonder une ecole de peinture par depit et par aver- sion contre une autre ecole, ce peut etre un bon calcul pour surprendre le succes et acquerir une popularity momen- tanee. Mais il faut avouer que ce procede convient mieux a une marchande de modes qu'a un artiste serieux, dont les vues doivent etre plus desinteressees. Essayons maintenant de demeler ce qu'il peut y avoir de vrai et de faux dans la theorie que nous examinons. Nous reconnaissons que la nature offre des modeles de toutes sortes } mais plus elle est feconde dans ses produc- tions, plus nous devons sentir la necessite de faire, parmi ce grand nombre d'exemplaires, un choix convenable. L'ecole realiste pretend, au contraire, que le premier mo- dele venu est satisfaisant: ainsi, lepeintre qui voudra re- presenter un enterrement, devra se transporter dans le cimetiere voisin et assister a la premiere ceremonie fune- bre qu'il y rencontrera. S'il copie scrupuleusementce qu'il aura sous les yeux , voici ce qui pourra arriver. Au nom- bre des personnes qui auront pris part a la scene qui doit servir de modele , il se trouvera des physionomies mal- heureuses. Quelques -uns des parents du defunt sont doues par la nature d'un embonpoint florissant qui re- pugne a Pexpression de la douleur ; les personnages principaux auront des traits plus durs ou moins nobles VINGT-UNIEME SESSION. 427 que les simples assistants , etc. : de telle sorte que le ta- bleau, pour etre vrai, manquera de vraisemblable et cho- quera le spectateur, revolte a bon droit de voir des figures exprimer des sentiments tout differents de ceux que com- portait la situation. Que si vous dites que vous assignerez aux modeles of- ferts par le hasard a votre imitation les r61es qui vous parattront convenir le mieux aleurs physionomies, je vous demanderai a quelles marques vous reconnaitrez qu'un idle convient plut6t a celui-ci qu'a celui-la , et pourquoi vous vous permettez d'intervertir ceux que vous a pre- sented la r£alite. Convenez done bien plutot que, malgre vous , vous etes oblige de violer vos propres principes, de consulter votre sentiment avant de rien demander a la nature, et que e'est seulement apres avoir evoque interieurement vos modeles, que vous les cberchez parmi la variete inlinie des objets reels qui vous environnent; vous vous proposez de les copier seulement alors que vous reconnaissez qu'ils pre- sented quelque conformite avec le produit de votre imagination. Mais ce cboix doit etre fait avec prudence ; un entraine- ment irreflechi dans cette voie ne serait pas moins fatal aux arts que Fengouement pour limitation servile des pro- ductions de la nature. En consultant aveuglement son ima- gination seule , Partiste s'expose a former des types pu- rement conventionnels, depourvus de vie et d'interet. Telle est, en effet, la marcbe des arts d'imitation : ils oscillent entre deux extremes, le naturalisme grossier, et la repro- duction inintelligente de fantomes a la disposition de tout le monde, le genre academique proprement dit. C'est done entre ces deux ecueils que Partiste duxixe siecle doit se frayer une carriere. Si nous parvenons a decouvrir comment les anciens et les grands maitres de la renaissance ont su les eviter, nous aurons par la meme signale les causes qui ont produit Panarchie dans le do- 428 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. maine des arts , et la guerre civile entre le genre acade'mi- que et le naturalisme. Les premiers artistes grecs ayant tout a creer, Poeuvre d'art ainsi que les moyens d'execution ne pouvaient tom- ber dans le style academique, produit de la routine qui ap- partient aux epoques de decadence. Restait l'antre defaut : comment ont-ils pu s'elever assez hautpour se soustraire a limitation puerile de la nature, forces qu'ils etaient de la consulter sans cesse et de la suivre pas a pas ? Nous avons deja remarque que les premieres ceuvres d'art avaient pour objetla representation des dieux etdes heros } Part etait quelque chose de sacre , et il n'eiit pas etc' permis a un artiste derabaisser la nature divine et de s'affranchir des lois qui lui etaient imposees a cet egard par la religion , par les conceptions des poetes classiques et par l'imagination populaire a laquelle ils s'adressaient. Les immortels, dont le calme et la serenite' etaient le plus beau privilege, ne pouvaient etre represented sous des for- mes vulgaires. Et pourtant c'est la figure humaine qu'ils devaient revetir : de la pour les sculpteurs la necessite de copier avec un soin scrupuleux les formes de Phumanite, et en meme temps le devoir d'en ecarter tout ce qui pou- vait sentir les besoins terrestres et les miseres de la vie mortelle, afin d'y laisser subsister sans melange le calme de l'expression, Paisance des mouvements qui constituent la beaute classique. Plus la matiere etait rebelle et le tra- vail penible, plus Pesprit s'irritait en presence de Pobsta- cle, plus aussi la conception etait vive et se refletait dans Poeuvre avec originalite. L'apprentissage etait lent , le progres difficile ^ Partiste etait serieux, et ne composait pas au hasard , sachant bien que Pexecution d'un sujet improvise lui couterait autant de peine que celle d'une composition murie avec patience. Lorsque les methodes se propagerent avec les recettes du metier, les artistes ne songerent pas a s'ecarter des principes de ceux qui les avaient precedes dans la carriere : les ceuvres primitives, objet de la veneration des peuples , etaient des modeles YINGT-UNJEMB SESSION. /J29 consultes toujours avec respect; le gout public, dont l'6du- cation etait faite, ne demandait a la statuaire que la re- presentation des memes dieux et des memes heros. Les peintres et les sculpteurs de la renaissance italienne prirent pour sujets de composition les scenes de l'Ancien et du Nouveau Testament ; leurs premiers essais Irahissent sans doute I'inexperience de leurs mains; maisil est im- possible de se trouver en presence des ceuvres de Giotto et de ses successeurs, sans se rendre compte de leurs efforts pour atteindre a l'ideal. Bien avant d'avoir acquis une connaissance precise des formes de la nature , ils cher- cherent a donner a leurs figures l'expression du recueil- lement et de I'extase , quelque chose de la beaute que la tradition cbretienne attribuait aux saints et aux anges. Les artistes de nos jours ne se croient plus obliges de renfermer leur imagination dans le cercle des sujets em- pruntes aux legendes pai'ennes ou cbretiennes ; ils ne font pas les m6mes efforts que leurs devanciers pour atteindre a la reproduction des types eleves que la tradition avait consacres. Aussi , a partir du xvne siecle, voit-on ces types degenerer : ce qui devrait etre grand devient gra- cieux et maniere; puis le commun et l'insignifiant enva- hissent les ateliers; enfin, quelques esprils sinceres, mais inexperimentes, recherchent les sujets bideux, sous pre- texte de faire une reforme; le gout public applaudit a la reaction; du bideux on tombe dans le trivial, non moins triste et non moins pueril que la vulgarite academique, contre laquelle on avait vouiu protester. D'ailleurs, d'autres genres de peinture ont surgi , a cdte* de ceux qui , jusqu'au xvue siecle, avaient exclusivement occupte les artistes. 11 suffit de parcourir les salles d'expo- sition de peintures modernes pour se convaincre que les sujets religieux et mytfiologiques sont en minorite. La peinture historique proprement dite et celle de genre oc- cupent le plus grand nombre des artistes, et attirent les sympathies du public. Suivant nous, il y a la une cause de decadence. Sans contester Phabilete et le bon gout dont 430 CONGRES SCIEJSTIFIQUE DE FRANCE. quelques maitres ont fait preuve en traitant des sujets historiques , il est facile de se convaincre que ce genre de peinture ne laisse pas a Pimagination une independance suffisante. Un mauvais choix suflit pour paralyser un talent reel et pour lui faire produire une oeuvre mediocre. No - tons, en effct, queles choix ne sont pas toujours libres, soit que les amateurs imposent leur gout personnel , soit que la mode regnante affectionne une certaine epoque, un auteur eh vogue, etc. On a vu, en effet, les salons peuples de motifs empruntes a l'histoire du moyen age, aux dra- mes de Shakespeare, aux scenes tragiques de la revolu- tion, a Pepopee guerriere de PEmpire. 11 arrive trop sou- vent que des recits tres-emouvants ne fournissent aux arts plasliques qu'une matiereingrate, d'autant plus perilleuse pour Partiste qu'elle est plus seduisante a la lecture. On pent voir comment Lessing, dans son traite sur les limites dela poesie et de la peinture, refute le systeme du comte de Caylus, qui pretendait trouver a chaque pas dans les poemes homeriques des scenes propres a faire des sujets de tableaux. Ces poemes, du moins, ont l'avantage de re- presenter les hommes et les dieux dans un cadre gran- diose, avec un costume des plus favorables, et sous des traits singulierement nobles : plus Paction oil ils se meuvent est eloignee de nous, plus il semble que Pimaginationde Partiste ait de liberte pour les grouper dans un tableau. Comment done le systeme du comte de Caylus soutiendra- t-il l'examen , si on Papplique a Phistoire de temps plus modernes, oil les caracteres et les costumes des acteurs sont plus arretes , plus bizarres , plus pauvres, sinon sous le rapport de la couleur , du moins sous celui de la forme et du mouvement ? Si le peintre veut elre fidele a la verite historique, il consultera les portraits contempqrains 5 il y trouvera des physionomies determinees qui s'imposeront a son talent :1a representation exacte en pourra plaire a des antiquaires; mais elle ne satisfera pas Phomme de gout, qui ne regarde comme beau que la justesse des proportions , Pharmonie des formes, Peievation des types. V1NGT-UJSIEME SESSION. 431 Ces sortes (limitations ont eu le plus grand succes: Pecole historique, encouragee par la munificence du sou- verain qui arestaure Versailles, compte des noms distin- gues, des maitres qui ont laisse de nombreux imitateurs. Mais Part, suivant nous, s'est fourvoye $ il s'est fait ar- cheologue, et il n'en pouvait etre autrement des qu'on aspirait a faire revivre le passe sur la toile. On a feuillete les miniatures du moyen age, on a fait de son atelier un musee de meubles et de costumes, et l'on s'est attache a representer des personnages dans le cadre au milieu du- quel ils ont vecu. On a reussi a inspirer Pinteret que pourrait faire naitre une representation theatrale 5 mais en meme temps on a abdique les privileges et les franchises des grandes ecoles 5 on a renonce aconsuiterson imagination, pour suivre pas a pas les chroniqueurs, s'estimant heu- reux de trouver dans un recit complet les attitudes , les mouvements , les expressions , la disposition des person- nages a representer , et Parrangement de la scene oil ils agissent. Tout au plus se reserve~t-on le choix du sujet et celui des dimensions de la toile. On a ete plus loin : lors- qu'on a voulupeindre une bataille, les bulletins des gene- raux sous les yeux , on a reproduit Paction avec une fide- lite telle, que ceux qui y ont assiste peuvent se croire transportes au milieu de la realite , sur le terrain meme des manoeuvres. Hatons-nous de dire que des chefs-d'oeu- vre en ce genre ont ete produits : mais on peut se deman- der si , en faisant admirer Phabilete de Partiste, ils pro- duisent le meme interet que les oeuvres classiqaes, sorties tout entieres de Pimagination de leurs auteurs, composees avec recueillement, et qui eveillent en nous des senti- ments, et non des reminiscences. I/unite, la simplicite, Pelevation du sujet, manquent a ces compositions histo- riques} le spectateur ne sort pas du monde reel, il ne se sent pas transporte dans une sphere superieure. C'est dire assez que nous attribuons a Pinvasion de ce nouveau genre le defaut capital de nos artistes modernes. Apres avoir arbore pour banniere la representation de la 432 CONGRKS SGIENTIFIQUE DE FRINGE. v^rite historique , on s'est demande si la realite de tous les jours, celle que I'on coudoie dans la rue, n'avait pas les memes droits que l'autre , et l'on a pris pour modele le premier passant venu, le premier paysage que l'on trouve en sortant du faubourg; on a ete jusqu'a modeler par frag- ments sur le vif les formes d'un modele d'atelier, celles d'une courtisane en renom, pour tailler dans le marbre des ceuvres equivoques , plus propres a exciter dangereu- sement l'imagination, le desir, qu'a eveiller le sentiment du beau. Le tableau historique est devenu tableau de genre : seulement, au lieu de chercher a plaire par les moyens que comporte cet ordre de productions , on y a introduit un style pretentieux qui remplace la naivete, la simplicity qui faisaientle charme de ces ceuvres agreables. C'est dire assez que nous n'entendons pas critiquer la faveur que merite le tableau de genre proprement dit, lorsqu'il traite des sujets convenables. Le tableau de genre est destine a reproduire les scenes infiniment variees de la vie populaire; il comporte un certain ideal, d'autant plus difficile a atteindre que la plupart des sujets a trai- ter touchentau trivial. LesFlamands, les Hollandais, sont des maitres que l'on ne sauraittrop etudier: un observa- teur superficiel , rappelant un mot attribue a Louis XIV, les enveloppera tous dans unememe reprobation: mais ces magots auxquels le grand roi refusait 1 hospitalite de Ver- sailles, se payent depuis longtemps au poids de l'or; ils ont force les portes de tous les palais. Le bien-etre du foyer domestique, les plaisirs de la ta- ble, une conversation , un tete-a-tete , un concert d'instru- ments, les distractions du cabaret, une fete de village; tel est le theme commente par tant de chefs d'oeuvre: mais ces petites scenes sont disposees.avec lesoin le plus delicat et le plus ingenieux; chaque personnage chante, boit ou danse avec une telle naivete, une bonhomie si comique et sifranche, qu'ils eveillent le sentiment de l'art aussi bien qu'un interet de curiosite. L'artiste ne s'est pas rendu l'es- clave inintelligent de ses modeles : maitre des formes VINGT-UNIEME SESSION. 433 dont il se sert pour rendre sa pensee , il s'est joue dans les combinaisons variees qu'il a su leur donner} il a su les assouplir sous sa main. On peut citer, il est vrai, tel per- sonnage qui porte la peine de sa gloulonnerie, mais il fait partie d'un ensemble qui n'a rien de repoussant. Les va- lets de comedie ont ete admis de tous temps dans les ceu- * vres oil ils figurent; leurs sentiments peuvent etre peu Aleves, ils sentent quelquefois le vin et la corde; ils en portent souvent le chatiment. Mais lorsqu'ils enlrent en scene , si leur gaiele est de bon aloi , on est volontiers in- dulgent pour leurs defauls. On ne voit avec degout que le vice qui etale ses doctrines ou qui cache son jeu pour ar- river a des fins honteuses. Soit que le peintre, imitateur servile de la nature, ne l'ait pas assez etudiee pour la representer avec aisance, ou que son imagination soit trop pauvre pour mettre en ceuvre le fruit de ses etudes , on remarque dans la plupart des productions modernes, avec une certaine prestesse du pinceau, unecertaine raideur dans les attitudes, une grande inexperience dans la composition de Pensemble, bien differentes des qualites de nos Flamands, si studieux de la nature et si habiles a exciter notre interet. Il est a regrelter, en outre, que le gout du public ou la mode impose aux artistes ses preferences et ses antipa- thies, la plupart du temps mat juslifiees. Le nombre des peintres est si grand , que chacun redoute la concurrence et s'efforce d'arriver au succes par la voie la plus com- mode. I'our conquerir la vogue, on imite celui qui la pos- sede , non par sympathie pour son talent, mais pour jouir de la meme faveur. On peindra une procession dans le style renaissance, ou un repas sur 1'herbe a la Watteau, uniquement parce que 1'une ou l'autre de ces epoques fait fureur dans la decoration des appartements et chez les tapissiers de bon ton. La part reservee a 1'intelligence de chacun est alors bien faible ; la sponlaneite de Pimagina- tion est paralysee, et il y a lieu de s'etonner que des oeu- vres concues dans unpareilsysteme presenlent encore des 434 CONGRES SCIENTIFUJUB DE FRANCE. traces d'un veritable talent et a coup sur une grande ha- bilete de fac-simile. Grace a cette meme concurrence, le travail en commun n'existe plus : on ne voit plus d'ecoles de peinlure propre- %ment dites, oil les eleves, groupes autour du maftre, tra- vaillaient sous ses yeux et se corrigeaient mutuellement pendant toute leur vie. L'ecole de Rome presente quelques- uns de ces avantages; mais ceux qui en font partie ne sont encore que d'habiles apprentis qui vont la-bas pour ter- miner leurs etudes; des qu'ils les ont achevees, ils se separent, et chacun suit la voie qui lui convient. En resume , si Part d£choit, c'est que ceux qui le culti- vent sont abandonnes a eux-memes de trop bonne heure; c'est que les caprices de la mode enlevent aux hommes de talent Pindependance et la possibility de travailler sans preoccupation 5 c'est que Phistoire a envahi le domaine de la peinture proprement dite , et lui a impose des lois trop severes, destructives de ses anciennes franchises. Mais le remede est a cote du mal. Le gouvernement et les grandes villes font executer des ediGces destines a des usages civils et religieux, ou font restaurer les anciens. D'importants travaux d'art ont ete executes, et Pon ne peut meconnallre que la peinlure a fresque a contribue a ameliorer la maniere de ceux qui s'y sont adonnes. L'ar- tiste k qui Pon propose des sujets eleves, et qui entreprend une oeuvre destinee a subsisler avec le monument dont elle fait partie, deploie toutes ses forces, s'aifranchit des preoccupations de la mode, et peut associer a ses efforts des eleves qui heriteront de ses methodes. C'est de ce c6te que nous attendons la renaissance. Que nos artistes se d^gagent de plus en plus de leurs habitudes d'imitation, sans cesser de faire des etudes serieuses : leurs forces se- ront doublees, leurs productions seront plus interessantes, et nous ne serons plus exposes a rencontrer dans les salles d'exposition des toiles qui paraissent etre des parodies de la nature, et faire la satyre de Part meme qui les a pro- diiites. VINGT-UN1EME SESSION. 435 La section decide que ce memoire sera hi en seance generale. M. Jobard ( de Bruxelles ) signale ces vers de Boileau : II n'est point de serpent, point de monstre odieux Qui, par l'art imite, ne puisse plaire auxyeux.... comme un encouragement pour l'ecole realiste. Cette ecole n'opere raeme pas comme le macon qui choisit la meilleure pierre, le charpentier qui choisit le meilleur bois pour la construction d'un edifice. — II y a trois manieres de faire un portrait : une cari- cature, une imitation exacte et minutieuse, une re- presentation ou l'ideal trouve quelque place. Chacun des trois exemplaires du meme original pourra etre extremement ressemblant , quoique peints d'apres un systeme different. M. le doyen Mathieu, conseiller, donne lecture d'un memoire sur la meme question, lequel est ainsi concu : Messieurs , A l'origine et dans l'enfance des arts, les hommes, gui- des seulement par le penchant a l'imitation, qui est naturel a presque tous les individus, eprouvaient une sorte de plaisir a reproduire a Paide de substances inertes etflexi- bles a la fois les objets de la nature qui frappaient leurs regards et leur imagination ; ils ne les cboisissaient pas au moyen d'une comparaison reflechie de leurs merites et de leurs defauts respectifs ; ils ne s'appliquaient qu'a arri- ver a la ressemblance la plus exacte qu'il leur fut possible. Ce n'est qu'apres des essais multiplies en ce genre et par le cours du temps qu'ils s'apercurent que certains objels representes, et la forme humaine surtout, leur plaisaient plus que d'autres : c'est alors que le cboix commence a s'introduire parmi ces imitations, et que les peuples les 436 CONCHES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. trouverent dignes de figurer a leurs yeux les dieux qu'ils adoraient, et qui, dans l'origine, etaient surtout les heros qui avaient rendu des services eminents aux models, et que leur reconnaissance avait divinises. Mais bient6t ils senlirent que les formes et les proportions de l'humanite ne repondaient pas a l'idee de puissance , de force et de souverainete, attributs essentiels de la divinity et, trop peu habiles encore pour exprimer ces qualites au moyen de la perfection et du choix des formes, ils agrandirent demesurement les proportions de leurs images : de la les colosses assyriens et egyptiens, dont la beaute consiste dans la masse plutot que dans la suavite des contours et la justesse du relief, sans parler des prescriptions hiera- tiques qui assujettissaient les representations des rois et des dieux a des attitudes determinees et invariables. Un peuple que la nature avait doue du sentiment du beau dans les productions des arts aussi bien que dans celles de l'esprit, ne tarda pas a faire sortir ses imitations plastiques des langes elroites oil la theocratie egyplienne avait emprisonne l'art de la statuaire; et, trouvant parmi ses concitoyens les modeles d'une nature elevee et choisie, il imita avec intelligence ce qu'il avait journellement sous les yeux, et l'appliqua aux representations des heros et des dieux. Ce ne fut point par la masse ni par le volume que les Grecs crurent mieux exprimer le caractere celeste de leurs divinites, mais en choisissant les formes les plus parfaites pour en composer un ensemble harmonieux et flatteur a l'ceil. Ils inventerent la generalisation des formes, qui ne represente plus tel ou tel individu, meme doue de beaute, mais la beaute elle-meme. Non-seulement ils appliquerent ce systeme a la figure humaine, mais aussi a la represen- tation des animaux : tel fut le merite et la superiority de la statuaire grecque. A l'egard de la peinture , trop peu de monuments nous restent des artistes celebres dont l'his- toire a conserve les noms et cite les ouvrages , pour que nous puissions en avoir une juste idee: mais la raison d'analogie nous porle a conclure que chez les Grecs la VINGT-UN IEME SESSION. * 437 peinture n'etait pas inferieure a sa soeur ainee, ce qui sensi- ble prouve par les recits des auteurs qui ont rapporte les etonnantes impressions produites par certains tableaux. Ce n'est pas que nous ignorions qu'une classe d'artistes, designes sous le nom de rhyparographes , ne se soient li- vres a la representation d'objets bas et vulgaires, de sce- nes triviales, mettant sans doute leur merite dans la servile exactitude a reproduire leurs modeless et les musees nous offrent encore des caricatures en bronze, monuments de cette degradation de Part. Si de la Grece nous passons a Pltalie , heritiere de ses arts et de son genie, sans nous arreter aux artistes qui les premiers y ont ouvert la carriere des arts du dessin , en suivant inspiration religieuse qui deja elevait le style de leur imitation , nous arrivons a Leonard de Vinci , a Michel- Ange, k Raphael, ce prince de la peinture. Nous trouvons chez eux limitation de la nature choisie et Pins- piration poetique qui sait embellir les sujets les plus vul- gaires, qui exprime toutes les formes sans les reproduire materiellement , et qui sait vetir ses figures d'elegantes draperies, qui ne sont pas telle ou telle etoffe, a la diffe- rence des ecoles venitienne et hollandaise, qui ont tire une partie de leur gloire, de leur habilete a varier les vetements de leurs personnages. Ces grands maitres d'lta- lie avaient en cela suivi le systeme des quelques peintures antiques qui nous restent, et oil les draperies legeres et bien jetees ne sont ni de la laine , du lin ou de la fourrure, mais des tissus innommes qui font valoir les formes sans les etouffer sous une ampleur de mauvais gout, ou sous un eclat qui distrait Pceil du spectateur de Pobjet principal. Chez les Venitiens, les Hollandais, les Flamands, au contraire, les artistes se sont appliques a rendre avec exac- titude les tapis , le satin , le velours , les broderies , les diamants et les ornements d'or et d'argent; ils y ont excel- le , et en ce genre ils ont merite leur renommee : toutefois ce n'est point encore la la degradation de Part, dont ils soutenaient d'ailleurs la noblesse par le talent d'exprimer 438 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. les passions et les affections de Pame. Non , ils ne sont point descendus dans leurs oeuvres jusqu'au culte de la lai- deur. Cependant, en passant, j'apercois Rembrandt, qui, traitant des sujets nobles et Aleves, y introduit des person- nages vulgaires et d'ignobles caracteres de letes $ mais la magie de son coloris et sa science profonde du clair-obscur le sauvent de la reprobation que le bon gout prononce contre les imitateurs du laid dans les arts plastiques. Amenes par celte revue rapide jusqu'a nos jours, nous trouvons en France les restaurateurs de notre ecole de peinture , Vien et L. David , qui s'inspirerent de Part an- tique, et puiserent les principes de leur science aux plus pures sources du vrai et du beau 5 bientdt les chefs-d'oeuvre de la Grece et de Rome, fruits de nos victoire*, publique- ment exposes dans notre capitale , inspirerent aux artistes le gout des belles formes et celui des sujets eleves, en meme temps que la vue des tableaux des grands maitres d'ltalie leur offrait les modeles de Part religieux. Naturel- lement le style 4\e\e auquel on s'adonna dut s'appliquer aux sujets mythologiques , ainsi qu'a ceux des histoires grecque et romaine, qui representaient toute Pantiquite, qui permettaient ou meme exigeaient la representation du nu, ce criterium de la science artistique} alors les ar- tistes s'attacherent a reproduire la beaute humaine, ainsi que Pavaient fait les anciens et le divin Raphael 5 ils eviterent surtout d'exprimer la laideur , a moins qu'elle ne servit a Peffet d'un contraste n^cessite par le sujet meme. Cette tendance a la s^verite du style reagit sur Par- ehitecture et les arts accessoires en general, qui lui durent cette distinction caracteristique du gout francais. Cette periode , durant laquelle nos artistes gravitaient vers la perfection , se prolongea jusqu'a Pepoque oil une revolution, aussi violente qu'inattendue, bouleversant tous les droits politiques , sembla confondre aussi les principes de toules choses , et bientdt dans notre pays mobile une reaction se fit dans les ceuvres de Part comme dans celles de la litterature. On se degouta des dieux et des heros an- V1NGT-UNIEME SESSION. 439 liques; on ne voulut plus voir les peplum, les chlamydes, ni les toges, ni les accessoires assortis a la majeste des compositions heYoiques$ on s'eloigna meme des sujels modernes noblement represented : il fallut d'autres per- sonnages et d'autres costumes. On se rua surtout sur le moyen age : cottes d'armes , cuirasses polies, hauberts, lames de Tolede, dagues, poi- gnards soigneusement fourbis, panaches, veteraents aux vives et tranchantes couleurs, s'emparerent des regards de la foule, qu'ils charmerent par la verite et la vivacite de leur representation, si differente du calme et de la dignite, caractere habituel des gran des ceuvres de l'antiquite et de l'ltalie classique. Toutefois ce n'etait pas encore la le culte de la laideur , et un amateur judicieux ne saurait blamer dans Part une sage variete de moyens et d'effets. Le cercle des compositions pittoresques et artistiques avait ete a peu pres parcouru et epuise} on ddsesperait de faire mieux que ses devanciers , il fallut faire autrement. Les maitres flamands et hollandais, on le sait, se sont sou- vent eloignes de Pelegance et de l'elevation du style dans le choix de leurs sujets et le caractere de leur dessin$ mais ils rachetaient leur negligence en ce point par la verite de l'expression , la vivacite du coloris et la transparence des tons. Remarquons encore qu'ils se restreignaient a des figures de petite proportion, oil les defauts sont moins choquants que dans les representations de grandeur natu- relle, et qu'ils n'auraient point donne a un convoi villa- geois ou a des baigneuses rustiques les dimensions du tableau des Sabines ou du Leonidas aux Thermopyles. Plus degradee encore serait la statuaire , dont le prin- cipal merite est dans la beaute des formes non moins que dans l'expression des passions, si elle descendait a repro- duce les difformites physiques ou les alterations de la souffrance dans 1'homme ou dans les animaux} si surtout elle donnait a ces representations les proportions qu'elles ont dans la nature. Quelle est enfin la cause de ce systeme errone dont nous 440 CONCHES SClENTlFIylE DE FRANCE. ne ferons pas ressortir le vice et l'aberration? Ne serait-ce pas le besoin d'emotions violentes auxquelles nous ont en quelque sorte accoutume's nos trop nombreuses revolu- tions politiques, aussi bien que la mobilite de notre carac- tere , qui, comme chez les Atbeniens, s'ennuie d'entendre toujours Arislide qualifie de Juste? Ne seraient-ce pas en- core les productions de cette litterature effrenee qui a mis tous les vices en relief et dramatise tous les crimes ; dont les ceuvres immorales, deplorables resultats d'une perni- cieuse facilite d'ecrire , deviennent la lecture quotidienne de la foule desceuvree, qui repousse les livres serieux et utiles? Ne serait-ce pas, apres lout, cette satiete maladive de notre epoque qui court a l'inconnu , disant : (}Mt It nous faut du nouveau, n'eti fut-il plus au monde. N'avons-nous pas suffisamment qualifie le realisme, puisqu'il faut lui laisser le nom qu'il se donne, exprimant la pretention de repr^senter la realite des objets dans toute leur verite , et d'avoir surpasse tous les efTorts de Part ant^rieur vers ce but? N'est-il pas Paveu de l'im- puissance de faire mieux , de faire aussi bien que les de- vanciers, et la tentative malheureuse d'une route nou- velle, un triste ecart de l'imagination, ou, ce qui est plus bas encore, une ignoble speculation? 16 aout 1854. Adrien MATHIEU, Conseiller honoraire. M. Foisset fils fait remarquer qu'aucun des memoi- res , suivant lui , ne repond completement a la ques- tion : il demanderait une analyse plus exacte des causes de cette degradation des arts. M. Baudot pense que les artistes ont cultive le beau, tant qu'ils se sont adresses aux classes elevees, qui accueillaient avec faveur des oeuvres qui repon- daient a leur gout distingue. — Le patronage des clas- ses superieures de la societe a disparu avec les grandes fortunes. Les artistes ont aujourd'hui a satisfaire un autre public plus vulgaire et dont l'education n'a pas VINGT-UNliblE SESSION. 441 developpe le gout. C'est aux sens qu'ils parlent; il ne faut pas s'etonner si leurs oeuvres sont sensualistes. La grande peinture n'est cultivee que par quelques hommes eminents qui ont su meriter et conquerir plus specialement la faveur du gouvernement. M. Foisset (fils) pense qu'il y a impuissance de pensee chez les artistes. Ceux qui sont charges de de- corer nos eglises fournissent trop souvent des oeuvres mediocres : ils aspirent au style eleve, etne produisent que des formes academiques ou se revele leur defaut de foi, d'inspiration et d'originalite. M. Baudot repond que Ton peut ciler dans les egli- ses des oeuvres distinguees. Du reste, les acquisitions de tableaux par le gouvernement se font apres cha- que exposition annuelle. Les objets d'art les plus re- marquables se placent par leur merite intrinseque; ils ont d'avance leur destination : le choix du ministre ne peut done porter que sur les morceaux d'un ordre inferieur, provenant ordinairement de jeunes artistes qui ont besoin d'etre encourages. II suffit qu'un offi- cier municipal influent reclame un don de cette na- ture, pour que cette faveur lui soit accordee; il ne saurait se montrerbien scrupuleux sur le choix; son but le plus ordinaire est d'aj outer au credit dont il jouit parmi ses administres. M. de Caumont ajoute qu'il est arrive souvent qu'un college electoral important a obtenu de son represen- tant des dons trop nombreux. Des communes ont ete litteralement encombrees de tableaux de cette nature. M. Jobard dit un mot de l'etat de la peinture en Chine. II y a trois siecles, le gout pour cet art etait si ardent, que Ton faisait quinze cents lieues pour voir 442 CONGRES SCIKNT1FIQIJE DE FRANCE. une peinture remarquable , et que Ton vendait ses do- maines pour faire l'acquisition d'un beau tableau. Un jour un empereur, se lassant de ce luxe dispendieux, declara qu'il n'acheterait plus aucun tableau. Son peu- ple, essentiellement imitateur, suivit son exemple, et les peintres virent leur art tomber au niveau des plus vils metiers. lis furent reduits a faire des dessins ob- scenes destines a etre vendus sous le manteau. L'art se borna des lors a la confection de petites oeuvres d'imi- tation. Les Anglais ont appris, depuis lors, la pein- ture a l'huile aux Chinois; ils ont particular em ent reussi dans le paysage , et ont acquis un merite egal a celui de nos artistes de deuxieme ordre. Si, chez nous, le gouvernement renoncait a proteger les arts, il arriverait, comme en Cbine, que 3,000 artistes tom- beraient dans la misere, el nous aurions une invasion de magots pour satisfaire le gout des particuliers. M. Yves Boissard pense que les sculpteurs ont su, mieux que les peintres, maintenirladignitede leur art. La sculpture a fait des progres serieux : meme lors- qu'elle se borne a des oeuvres de petites dimensions, elle ne cesse pas d'etre distinguee. M. Baudot fait observer que cette circonstance s'ex- plique parce que, la sculpture s'associant souvent a 1' architecture , elle doit conserver un style eleve. II developpe ses idees a ce sujet. M. Jobard expose au Congres une methode de des- sin qui consiste a faire Teducation de l'artiste en exercant sa memoire visuelle. II a publie en 1831 un traite special sur cette matiere. On peut comparer Toeil exerce par ce procede a la plaque photographi- que qui retient les images; et l'oeil non exerce au mi- roir, sur lequel ces memes images ne font que glisser. VINGT-UNIEME SESSION. 443 Plusieurs hommes sont doues de cette faculte de retenir le souvenir des objets avec tous leurs details, et de les reproduire ensuite de memoire ; faculte aussi singuliere que celle des Mondeux, des Mangiamele et des Burn, doues par la nature du genie du calcul. On peut developper cette faculte chez Feleve : il emporte chez lui un modele de nez, de plante ou d'a- nimal qu'il etudie avec soin; il le remet au professeur, et doit le reproduire ensuite de memoire sur le papier. On arrive au bout de quelques mois a faire repro- duire un tableau dont l'esquisse, les ombres et la cou- leur sont l'objet d'une etude successive etspeciale. Horace Yernet est doue au plus haut degre de cette memoire plastique. Le general russe de Hoven exer- cait cette faculte a cheval, sous le feu meme de l'en- nemi. Le general Bacler a publie ses esquisses de vues d'Espagne , publiees chez Engelmann ; M. Jobard a publie 300 vues de Belgique et de Hollande d'apres le meme artiste. M. Jobard entretient ensuite la section d'un pro- cede qui consiste a imbiber un papier de taches d'en- cre de Chine , disposees a peu pres au hasard : en le pliant en deux et en exercant une certaine pression , on etale cette tache d'encre , qui produit alors un des- sin symetrique assez fantastique, lequel represente a Tceil des ornements dont l'artiste peut ensuite profiter. Ces empreintes peuvent servir de modeles d'ornemen- tation pour l'industrie, pourvu qu'on ait soin de les modifier convenablement. Ce procede d'isographie peut s'appeler le kaleidoscope chromographique. Le papier glace, l'encre de Chine et le pinceau sont les 444 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. instruments fort simples de cette sorte d'embryogenie sans limites. M. Huot fait un rapport sur le prospectus adresse au Congres par M. de Chatelier. Ce dernier se pro- pose de publier une Bibliotheque universelle destinee a renfermer en quelques volumes d'un prix modere une histoire de toutes les connaissances. Son projet ne contient pas encore des indications suffisantes quant au prix et quant aux matieres qu'il se propose de traiter : mais il annonce au moins l'intention de ren- dre un grand service aux sciences et aux lettres. M. Baudot depose sur le bureau : 1° deux lettres de M. Fournier, sculpteur a Cbazeuil , qui traite de l'in- fluence de la musique, et qui enlretient le Congres d'un projet de construction d'une croix de sa compo- sition, qu'il execute a ses frais pour son pays natal; 2° Plusieurs brochures dont Mademoiselle Fanny Benoit fait hommage au Congres; 3° Un tableau circulaire de M. Bruet, a l'usage des personnes qui etudient la musique. La seance est levee. La section s'ajourne au len- demain a 7 heures du matin. STANCE DD 17 AOUT. Prfeidence de 1. Foisscl. Le proces-verbal de la precedente seance est adopte. M. Simonnet developpe la premiere question du programme supplementaire, laquelle est ainsi concue ; VINGT-UN1EME SESSION. 445 « Dans quelle mesure et jusqu'a quel point les etudes his- » toriques peuvent-elles profiter a la poesie et aux ails? » II faut faire la part du bien et celle du mal. Il existe deux sortes d'histoire : celle dont les anciens ont donne des mo- deles. Dans leurs recits, et dans ceux des modernes qui les ont imites , les personnages et leurs actions sonl pre- sented avec une grandeur epique en quelque sorte : bien que les horames et les choses soient emprantes a la realite, ils ne manquent pas d'un certain ideal J Tite-Live , Salluste et Tacite, Plutarque ensuite,sont de veritables artistes. Les poetes, comme Corneille ou Racine, lorsqu'ils deman- derent des inspirations a ces historiens , y trouverent une matiere deja preparee. Leurs heros peuvent ressembler sans inconvenient a leurs modeles. — Mais il existe une his toire critique impitoyable qui met au jour les habitudes les plus intimes des hommes : c'est celle qui recherche dans Suetone, dansPlaute, dans Juvenal, des renseignements pre" - cieuxsur leur temps ; de meme les memoires que nous pos- sedons sur le moyen ^ige nous ont fait connaltre le milieu dans lequel ont agi les personnages, leurs costumes, leurs physionomies, leurs ameublements. Les evenements, ainsi racontes, sont aussi prosai'ques que des faits contempo- rains 5 les heros sont descendus de leur piedestal, et le poete dramatique ou le peintre qui voudra les faire entrer dans son oeuvre sous ce jour historique , tombera dans le realisme , se soumettra a toutes les exigences de la cri- tique, consacrera un temps precieux a reproduire des ac- cessoires, et perdra l'independance de son imagination. Du reste , on ne peut nier que l'etude de l'archeologie n'ait fait faire de precieuses decouvertes quant aux proce- des des arts ; les peintres y ont puise une connaissance de la couleur locale que leurs predecesseurs ne possedaient pas au meme degre. M. le president examine la question sous un autre point de \ue : sans doute, la critique historique de- pouille de leur prestige bien des grands hommes, dont 446 CONGRES SCIENTIFIQUE 1)E FRANCE. on a deja dit qu'ils perdent beaucoup de leur gran- deur aux yeux de leurs valets de chambre; mais on peut ajouter que les fines analyses , si interessantes dans les romans de Walter-Scott, lui ont attire beau- coup d'imitateurs maladroits. Ceux-ci n'ont pas senti que l'etude du coeur humain n'etait pas moins remar- quable, dans les romans dont il s'agit, que la pein- ture des epoques destinees a leur servir de cadre. On s'est borne a emprunter aux chroniques des details minutieux qu'il faut reserver a l'archeologie, a moins qu'ils ne servent d'accessoires a une action interes- sante. II est facile de reconnaitre que des ceuvres qui pechent par la verite historique peuvent se recom- mander a notre admiration par d'autres avantages : tels sont plusieurs drames de Shakespeare oil Ton peut signaler des anacbronismes, mais ou la verite gene- rale, la peinture vive et vraie du coeur humain, et, par suite, le mouvement et la vie, rachetent amplement le defaut de verite locale. Ainsi, dans Jules Cesar, les personnagespopulairesontete copies dans lestavernes de Londres plutot que d'apres les traditions romaines ; Menenius Agrippa, dans Coriolan, parle de Caton, etc. La nature et l'homme sont le principal. Aussi notre theatre francais, si violemment attaque sous le pre- texte que la verite historique en etait absente, a sur- vecu a ces critiques, parce que la verite humaine y domine et qu'elle est, comme on l'a tant redit, de tous les temps et de tous les lieux. Les drames qu'on a voulu opposer a notre tragedie classique ne sont point parvenus a la supplanter, nonobstant leurs ef- forts pour y accumuler la couleur locale. La meme chose peut se dire des artistes du xvie siecle et des YINGT-UNIKME SESSION. 447 notres : les premiers etaient moins preoccupes de Pexactitude historique du costume, mais ils sentaienl et rendaient mieux les emotions humaines. M. Roidot reconnait que les arts plastiques qui se proposent d'exprimer le beau different de Thistoire qui raconte purement et simplement le passe. Cependant, a cote de la peinture proprement dite, s'est produite la peinture dite historique; elle a gagne a l'etude du passe : elle ne doit pas se borner a une imitation puerile; mais si, a la recherche du beau proprement dit, les artistes ajoutent l'exactitude des accessoires, ils parleront a Tame en meme temps qu'a nos souvenirs. S'ils sacrifient, au contraire, leur but principal a la mise en scene, ils tomberont dans le defaut de ces ecrivains qui ont cherche a surprendre notre interet en exhumant servilement le moyen age , ses ustensiles et ses locutions les plus triviales. Avouons cependant que d'habiles ecrivains ont trouve une certaine poesie dans des peintures de la plus minutieuse exactitude; de meme qu'elle existe dans la reproduction ingenieuse des details de notre vie intime. C'est une veine nouvelle qui a ete heureu- sement exploite'e par quelques auteurs etrangers. M. le President resume ainsi les opinions emises : On est d'accord qu'ilfaut realiser l'ideal , idealiser le reel. Mais ces deux elements coexistent dans Fhis- toire; Part ne doit pas les separer. Sous ce rapport, un historienmoderne, Jean de Muller, dans son His- toire des Suisses, a su concilier la scrupuleuse exac- titude d'un erudil avec une poesie de recit digne de Tepopee. II a inspire le Guillaume Tell de Schiller, qui est son chef-d'oeuvre , et qui, a son tour, a inspire 448 CONGRES SCIENTIFIQUE DB FRANCK. celui de Rossini. La peinture ou la statuaire aurait pu s'en inspirer comme la musique. Cet exemple dit lout. On passe a la seconde question du programme sup- plemental : « A quelle cause faut-il attribuer Paffaiblissement du » gout des classes elevees pour les spectacles, d'une part, I et de l'autre, la decadence du theatre en province? » Suivant M. Roidot, poser la question, c'est faire i'a- veu de la degradation de Part dramatique lui-meme. Ledrame s'est amoindri par Peffacement des types, par l'absence d'un but moral, par ses doctrines anti- sociales : il n'est pas etonnant qu'il inspire peu de sympathie aux classes superieures. — Lorsqu'on jette les yeux sur les volumineux repertoires de pieces qui ont defraye les theatres depuis le commencement de ce siecle, on est frappe de la vulgarite des types, et en meme temps de la variete des combinaisons de l'in- trigue theatrale. — Calderon a produit pres de 3,000 pieces, l'equivalent de tout notre repertoire moderne : elles doivent leur interet a la grande elevation des caracteres, et aon a la variete de combinaison ; elles ont ete tres-populaires , et Paction emprunte toute sa puissance a quelques sentiments fortement exprimes. — Chez nous, les personnages du drame sont loin de se distinguer par leur caractere moral : il semble que plusieurs de nos ecrivains aient ecrit leurs pieces moins pour representer Phumanit^ aux prises avec les passions que pour mettre au jour leur connaissance des mille details qui constituent la couleur locale. En second lieu, Goethe et Schiller, suivant M. Roi- dot , ont souvent emis dans leurs oeuvres des doctri- nes antisociales. II serait facile d'en signaler dans VlNGT-UNIEME SESSION. 449 Faust : dans Don Carlos, tout l'interet est concentre surle marquis de Posa, un reveur qui convertit Phi- lippe II a ses opinions ; Domingo , l'inquisiteur, sert de repoussoir au premier role; il est represente sous des couleurs odieuses. — Marie Stuart nous est donnee comme une victime de la politique jalouse et tyran- nique de sa rivale ; le drame appelle nos sympathies sur ses faiblesses. — L'opera de la Muette, aBruxelles, a ete Tun des moteurs de la revolution. — Ainsi, en Europe, le theatre a ete souvent un instrument d'op- position, et Ton s'explique la repugnance des classes superieures a en encourager les succes. En province , le defaut de culture intellectuelle de la masse du public Pa rendu avide demotions gros- sieres, et peu sensible aux beautes classiques. Les au- teurs se sont contentes de tenir la scene toujours rem- plie de peripeties. De plus , des pieces entieres ont ete sacrifices a un seul role destine a tel artiste en re- nom. II arrive que les acteurs de province qui ne sont pas inities a la maniere de cet artiste ne rendent qu'imparfaitement ce role difficile. lis sont aussi im- puissants a le jouer qu'a copier la maniere de tel autre comedien qui excelle a chanter la chansonnette. On prefere aller Pentendre a Paris. M. le President commence par constater un fait : c'est Tabsence d'un veritable public au theatre , sur- tout en province. Le theatre, a dit M. Yillemain, etait la religion des classes elevees au xvnr siecle. Ceux qui ont feuillete ce qui s'est conserve des correspon- dances privees de cette epoque, savent quel evene- ment c'etait alors, meme en province, que l'annonce 29 450 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. d'une piece nouvelle a Paris. Un calme immemorial a Tinterieur de la France avait accoutume les esprits a une securite sans nuages et sans limites. II y avait partout un nombre imposant d'hommes deloisir, pour qui les spectacles etaient un besoin, etqui apportaient au parterre les habitudes d'un esprit exerce a compa- rer et a juger les compositions et les representations dramatiques. Ces habitues du theatre formaient un noyau compacte; quelques connaisseursy donnaientle ton ; il y avait la un foyer permanent , des principes de gout communs, des traditions. Les revolutions ont emporte tout cela. L'insurrection romantique a eclate au moment meme oil les derniers representants de ce public d'elite commencaient a disparaitre. Toutes les traditions de l'age precedent sur Tart dramatique se sont trouvees en question ; la confusion s'est mise dans les esprits, meme chez les lettres. La maree mon- tante des moBurs democratiques a mele les specta- teurs. Moins homogenes et se renouvelant chaque soir, ils ont cesse de constituer ce qu'on nommait au- trefois un public. Get etat de choses devait reagir fata- lement sur le theatre; il devait inevitablement abou- tir a Faffaiblissement du gout des classes elevees pour les spectacles et a la decadence de Tart scenique en province. Ce n'est pas seulement 1'inferiorite des pieces et des acteurs de notre temps qu'il faut reconnaitre : c'est l'indifference relative des spectateurs pour les chefs- d'oeuvre memes de la scene francaise joues par des artistes de premier ordre, comme on a pu l'observer a Dijon pour Phedre, jouee par Mademoiselle Rachel. Ce ne sont pas seulement les pieces et les acteurs qui VlNGT-CNIEMB SESSION. 451 manquent au public; c'est aussi le public qui fait de- faut aux acteurs comrae aux pieces. M. le President assigne uue autre cause a cet abais- sement continu du sens litteraire au milieu de nous : c'est la direction trop mecanique et trop formaliste imprimee a l'instruction publique. Autrefois on deve- nait avocat, medecin, ingenieur, a la suite d'examens speciaux, mais sans etre assujetti, au seuil des ecoles speciales, a une epreuve commune telle que celles du baccalaureat es lettres. Cette necessite prealable du baccalaureat , au debut de toutes les carrieres, impli- quait un programme officiel, et le programme a na- turellement reagi sur les etudes. Les eleves ont ete jetes dans un moule uniforme et forces de mener de front les etudes les plus disparates ( Farithmetique et les humanites , la geometrie et la rhetorique). II a fallu apprendre de tout un peu et tout a la fois ; en sorte qu'on a emboite les intelligences dans une grande machine ou elles sont incessamment engre- nees d'un rouage dans un autre, sans qu' une part suffisante ait ete faite a la spontaneite des esprits , a Tinitiative individuelle , a la reflexion de cbaque eleve et a son action sur lui-meme. II en resulte a la longue une sorte d'abatardissement intellectuel et surtout lit- teraire, un amoindrissement de la faculte d'admirer, une atrophie du sentiment du beau. Nous marchons droit au regime chinois, au regime du mandarinat, qui repose tout entier ( lui aussi ) sur ce principe , que les examens et les concours sont la clef de toutes les carrieres publiques. Que Ton veuille bien comparer le mouvement des etudes de 1820 a 1829 , et Tatonie 452 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. qui a suivi l'introduclion des nouveaux programmes , en remontant a 1840. M. le President, apres avoir donne lecture de la 3e question supplementaire : « La critique est-elle de » quelque utilite pour les hommes de lettres ou les » artistes? » — exprime la pensee qu'un pareil sujel n'aurait pu preter a la controverse dans un temps oil des principes acceptes par tous servaient de regie commune et aux artistes et aux critiques. Mais, grace a l'anarchie qui a divise la litterature et les arts , il s'est produit une doctrine particuliere , d'apres la- quelle toute critique, quelle qu'elle soit, etouffe le genie : en consequence, les artistes et les litterateurs de la nouvelle ecole ne sont pas disposes a accueillir favorablement les observations du public. On peut affirmer a coup sur qu'a l'egard de ces personnes, au- cun juge n'a le droit d'elever la voix, puisqu'elles de- clinent sa competence. Aucun membre du Congres ne demande la parole pour soutenir cette these. M. le President en tire cette consequence, qu'elle n'est au fond qu'un paradoxe plus ou moins interesse. L'originalite vraie ne sera jamais paralysee par la cri- tique. La critique, d'ailleurs, est l'une des formes de 1'intelligence humaine ; elle en est un developpement naturel et legitime; la nier, c'est nier Fhomme. On peut en abuser, comme de I'imagination. Mais, comme criterium du beau, elle en propage et feconde le senti- ment; c'est ce qu'a fait Winckelmann. Comme contre- poids a la Folle du logis, on ne saurait non plus en meconnaitre 1'utilite. VlNGT-UNIEME SESSION. 453 La 4° question , ainsi concue : « Peut-on signaler » de nos jours encore, en France, dans les lettres et » dans les arts, des styles differents qui doivent etre » attribues a des differences marquees dans l'esprit » particulier a chaque province? » — ne donne lieu a aucune discussion. M. le President se borne a dire que la centralisation litteraire est chez nous un fait depuis longtemps con- somme. L'affaissement des caracteres n'est pas moindre dans les arts de l'esprit que dans l'ordre politique. Sur la 5e question : De la Muse populaire en Bouv- gogne, M. Mignard donne lecture d'un memoire qui est annexe au proces-verbal. II est ainsi concu : Messieurs, Ce n'est qu'avec les progres de la philologie qu'on a vu l'importance qu'il y a d'etudier les poetes du vieux langage roman, afin d'examiner de pres l'influence qu'ils ont eue sur le francais devenu la langue imiverselle ; mais, pendant une longue epoque de dedain public pour ce qu'on appelait les patois, on a laisse de toutes parts perir les productions des poetes qui avaient fait servir les dialectes aux inspirations de leur muse. Ainsi la Bourgo- gne ne s'est pas plus occupee que les autres provinces de la recherche ou plutdt de la renommee de ses poetes , ou elle l'a fait tres-tard, et quand le mouvement philologique est venu jusqu'a elle pour lui demander, comrae aux au- tres provinces, des termes de comparaison. Jusqu'ici on ne trouve guere, dans les collections, de pieces bourguignon- nes qui remontent a un temps anterieur a l'annee 1590. Je trouve a ce millesime, en effet, une piece de vers en patois bourguignon , sous le titre de : JRecit d'une Masca- rade, par un vigneron, a un sien compere. On attachait alors si peu d'importance a ces productions, si necessaires aujourd'hui pour l'etude des langues , que l'auteur n'y a •154 CONGRES SCIENTIFIQUE D£ FRANCE. pas mis son nom. 11 existe une piece- de vers de 1604, dont l'auteurest egalement incoimu. J'en vois une del609, in- titulee Isme'nias, ou I'Ebolation de Tailan, par un avocat du nom de Richard. La destruction du chateau de Talant etait alors un evenement, parce que cette petite ville avait des privileges qui excitaient l'envie des bourgeois de la cite voisine; et il est extremement curieux de lire dans un de nos poetes populaires les vers remplis de verve et le ta- bleau acheve qui represente les Paysans- Bourgeois de Tai- lan siegeant a la salle des Etats de Bourgogne , cachant leurs mains calleuses, et ne sachant comment poser leurs pieds. Une autre piece de Pannee 1611 est attribute a Benigne Perardj elle est intitulee le Rejouisseman de lai demantelure de Tailan. A cette epoque encore les beaux esprits de Dijon ecri- vaient dans un latin pur et elegant , et ^ouvent fort licen- cieux. Il m'arrive quelquefois de les lire, et je croirais volontiers que c'est en le faisant qu'un de nos illustres poetes francais a pu s'inspirer de ce vers : Le latin dans les mots brave rhonnetete". Cependant on s'etaitapereu que le patois avait de la vi- gueur, de la bonhomie , une rondeur impayable , et qu'il pouvait bien aussi avoir des regies et une grammaire. Aussi les poetes l'adopterent-ils 5 et il etait piquant, d'ail- leurs, que les poetes vinssent enfin parler comme tout le monde. Beaucoup de poetes precederent Aime Piron et Lamonnoye, qui representent le xvne siecle du genre. Je nommerai seulement Brechillet, Benigne Perard, Beguil- let, Tassinot, Lourdelot, Flory, etc., etc. Mais, Messieurs, ce qui est arrive a l'idiome bourguignon, est arrive aussi aux autres idiomes des provinces; et, pour ne citer que les principaux, je puis vous dire que, pour l'idiome lan- guedocien et pour un de ses dialectes les plus purs, le Toulousain, on n'a pas recueilli de productions en pa- tois avant 1659. C'est le poete Goudelin qui commence la pleiade, et certainement il y a eu des poetes de ce genre avant lui. Dans l'idiome de la Guyenne, le plus ancien VINGT-UHIEME SESSION. 455 poete populaire connu est Arnaud d'Aubasse, fabricant de peignes a Moissac. Dans beaucoup d'autres idiomes, ce n'est qu'au commencement du xvine siecle qu'on a recueilli ou pense a recueillir ce qu'il pouvait y avoir de populaire en ce genre de productions. Nous n'avons le recueil des poesies bretonnes que depuis que M. de la Villemarque a fouille (ous les villages des Bre- tons jBretonnants. Quant aux poetes flamands , nous n'aurons leurs produc- tions que lorsque M. de Coussemaker, qui veut bien m'ini- tier a ses travaux , les aura trouvees ; et il se donne en ce moment une peine inflnie, dont l'exemple est digne d'eloges, et pourrait etre suivi utilement en Bourgogne. Le poete le plus populaire, le plus bourguignon, si vous l'aimez mieux, de tous nos poetes du patois, c'est, sans contredit, Aime Piron : a 81 ans, il ecrivait encore sa piece de poesie intitulee VEvaireman de lai Peste; et, dans une autre piece intitulee lai Gade dijonnoise, il se moquait du conseil municipal, qui avait etabli des postes aux portes de la ville pour empecberla peste de Marseille d'entrer. Lamonnoye trempe quelquefois sa plume dans' une ecri- toire francaise; mais Aime Piron, jamais, parce qu'il vi- vait plus avec le peuple et les paysans qu'avec les grands seigneurs ; et s'il faisait le charme des grands diners de Monseigneur (le prince de Conde), c'est qu'il n'etait pas possible de nepas se divertir beaucoup de sa verve et de son enjouement. Il etait la gazette vivante et redoutable de cette epoque : on le craignait et on le cajolait. Il a im- mensement £crit, et il fournissait pendant les avents tous les vielleurs (les vieleu, joueurs de vielle) des rues, soit en noels , soit en cantiques. Il y a des in-folios de ces mor- dantes et spirituelles productions qui ont disparu aujour- d'hui, et dont les amateurs donneraient plus d'argent que des meilleurs livres connus. Pour finir par une observation generale sur le patois , il ne faut pas croire que le patois morvan differe beau- 456 CONGRES SCIENTIF1QUE DE FRANCE. coup de notre idiome roman bourguignon : il en est tout simplement un dialecte. On ne peut, par exemple, entendre le patois de la Nievre sans lui trouver les rapports les plus directs avec Pidiome roman bourguignon. Je ne ferai qu'un rapprochement : on sait qu'a Dijon on met les reduplicatifs a toute sauce , or les habitants de la Nievre n'agissent pas d'autre sorte : je lis , au verset II de la traduction de l'Enfant prodigue ( piece venant de la Nievre ) : Ein homme aivot deux ren- fans. Shnakenbourg, dans son tableau synoptique des idiomes populaires, a fort bien remarque aussi que les habitants du Nivernais disent un renfant pour exprimer un accroisse- ment de famille. lis disent encore : el a ben des rannees, c'est- a-dire il y a bien des annees. A voir les reduplicatifs bourguignons , on croirait a une invasion d'augments et de redoublements grecs. Le mot gripai, par exemple, qui signifie prendre avec avidite, offre plusieurs genres de modifications : il y a le mot gri- pai, puis regripai, puis encore resegripai. Amanton, queje regardecomme un puriste du genre, a ecrit quelque part : * Ai !e beuille et peu le rebeuille. On voit encore dans le Virgille virai : Lai vilie braille, et le" faubor Re"braille anco troi foi pu for. Je suis fache , Messieurs , de n'avoir eu qu'un temps trop restreint pour examiner cette interessante question 5 mais je prends volontiers Pengagement de continuer cette etude, qui appartient naturellement a un Bourguignon. M. le President reconnait qu'il existe toute une lit- terature en langage bourguignon; mais il se demande si elle est le produit de Pinspiration populaire pro- prement dite , ou de la fantaisie de quelques gens d'esprit. Ces oeu\res piquantes sont devenues popu- VINGT-UNIEME SESSION. 457 laires a un certain degre; mais peut-on citer un poete en patois bourguignon qui appartienne reellement a la classe illettree? — On trouve dans les campagnes quelques rares exemples de chansons satiriques plus ou moins bien rimees par les paysans, a qui peut encore s'appliquer l'observation de Caton : Argute loqui, qualite qui distinguait les Gaulois. — Cette ma- lice se retrouve dans les Noels bourguignons. Ceux qu'Aime Piron a composes, et auxquels son nom a survecu, etaient imprimes sur des feuilles volantes, aujourd'hui introuvables. — Amanton est le dernier de ces poetes bourguignons; encore n'etait-ce qu'un curieux, un amateur. — Toutefois l'etablissement du telegraphe au.Logis du Roi a inspire un dialogue en patois entre Jacquemart et Tappareil aerien. Cette petite composition ne manquait pas de piquant. 6e question. Desiderata de la biographie bour- guignonne. M. H. Baudot fait esperer a la section que beau- coup de documents interessant Thistoire litteraire de la province seront un jour en etat d'etre publies. Ce sont des materiaux recueillis par Monsieur son pere, pour fa ire suite a Papillon : Bibliographic hour- guignonne. M. le President donne lecture d'une note deja sou- mise au Conseil general dela Cote-d'Or en 1832, et qui repond directement a la question proposee. Elle est ainsi concue : C'est la gloire de la France que chacune de ses provinces ait eu son illustration propre et son aureole distincte. La Bretagne ne montre pas sans orgueil ses monuments 458 CONGEES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. druidiques et ses donjons chevaleresques , sa pierre de Carnac, et les cottes de mailles d'un Guesclin, d'un Clis- son , dignes freres d'armes , ou le gantelet de fer de Beau- manoir, le he>os du combat des Trente. La Normandie a sa double epopee de la conquete d'An- gleterre par Guillaume le Batard , et de celle des Deux- Siciles par les sept fils d'un simple chevalier, le sire de Hauteville. Pour nous, le renom de nos dues (Parisiens ou Flamands) ne nous appartient qu'a demi. — Letitre special de laBour- gogne, ce qui la distingue surtout entre toutes les contrees du sol francais, e'est son extreme civilisation, sa rare culture intellectuelle , sa fecondite incessante en hommes qui ont excelle dans tous les arts de l'esprit. Cette illustration n'est pas d'hier. Sans parler de Clteaux ni de Cluny, ces deux grands foyers d'&udes qui , dans la longue nuit du moyen age , rayonnerent d'un si vif eclat, qui ne sait que la Bourgogne a pris sa part entiere de l'ere de la renaissance , et que tout le xvi^siecle s'est reflechi dans son sein? Au temps de Dumoulin et de Cujas, ces geants de la jurisprudence moderne , elle aussi compta de celebres an- notateurs de son droit municipal, d'eminents interpretes de la raison ecrite. C'est alors qu'elle eut son vieux Chas- seneuz , le pere des commentateurs de nos coutumes , celui-la meme qui, premier president du parlement de Provence, empecha jusqu'a sa mort la sanglante execution de Cabriere et de Merindol^ son president Begat, que l'Hospital nommait son ami, et que notre illustre Bouhier appelle un grand homme \ Doneau , le premier qui en Eu- rope ait ramen£ la science du droit a un enseignement synthetique , puissant esprit qui preceda Domat d'un sie- cle, et dont les ceuvres, classiques en Allemagne, s'y r^- impriment a la honte de notre oublieuse patrie; puis l'egal des Harlay , des de Thou , le president Fremiot , plaisante ecritoire, disait Mayenne, dont il sortit des boulets contre la Ligue} et, dans les rangs opposes, le president Jeannin, VINGT-UMEME SESSION. 459 «onseiller integre, negociateur habile, qui sauva Dijon de la St-Barthelemy, et la France du vasselage de PEspagne. Or, dans un developpement parallele, la Bourgogne de ce temps avait ses hebrai'sants, tels que Genebrard; ses humanistes, entre lesquels Mignault, qui, a Pinstar des Au- dits de Pepoque , avait cache son nom sous celui de Mi- nos 5 ses poetes de Pecole de Marot , comme Papillon et Des Autels, ou de celle de Ronsard, comme Peveque de Chalon, Pontus de Thiard; enfin, ses libres penseurs , ses lettres protestants , republicans ou incredules , Hubert Languet, par exemple, et Bonaventure Desperiers. Les artistes, on le sait, ne manquerent pas a ce pe- riode , et parmi eux encore la Bourgogne fut dignement representee. Andre Colomban de Dijon , aveugle ainsi qu'Homere, architecte et statuaire ainsi que Michel-Ange, batit en moins de 25 ans (1506-1531) Peglise de Brou^ le plus recent, mais non certes le moins admirable de nos monuments gothiques. Vers le meme temps, Guillaume Philandrier , de Chatillon - sur - Seine , citoyen romain comme Montaigne, et devenu architecte en commentant Vitruve , etablissait avant Vignole Pexistence d'un cin- quieme ordre d'architecture , et elevait les voutes de la cathedrale de Rodez. Plus tard, Hugues Sambin, architec- teur de Dijon , comme il se nomme lui-meme , ornait sa ville natale du beau portail de Peglise Saint-Michel. Son bas-relief du Jugement dernier montre en lui le dernier eleve de la colonie d'artistes qui avait sculpte les mauso- lees de nos dues et les admirables figures du puits de Moi'se. Tel fut le xvie siecle au milieu de nous. Mais le mouve- ment intellectuel qui caracterise une epoque ne s'arrete point en presence du chiffre qui ouvre une nouvelle serie d'annees. Le xvie siecle ne finit point avec Pan 1600 : il projette au loin son ombre sur les premieres annees de l'&ge suivant, alors qu'un Bourguignon, Saumaise, re- gnait en dictateur sur la republique des lettres , et que Pauteur du traite de VJbus, e'est-a-dire de la monogra- 460 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. phie juridique la plus memorable de ce temps, Fe>refc 6crivait de la meme main son dialogue De claris fori bur- gundici oratoribus, un des livres les plus ciceroniens qui aient paru depuis Ciceron. Bientdt commence avec Philibert de la Mare une litte- rature « philologique , biographique, anecdotique, parti- culiere au sol bourguignon , oil nos peres portaient leur caractere ami d'une certaine force piquante, satirique et maligne, » litterature qui, se personnifiant dans notre erudit et spirituel Lamonnoye, fut mediocrement conti- nuee par Bernard Michault jusque par-dela 1760 , et par M. Peignot s'est perpetuee jusqu'a nos jours. Fidele alliee de la franche jovialite de nos mceurs bourgeoises, elle crea le vaudeville bourguignon , echo lointain des ma- licieux fabliaux de la vieille France, et fit parler sans grimace a Virgile le patois de nos vignerons , dont la cour si polie du grand roi s'etonna de gouter la narquoise rudesse. A c6te de cette litterature fleurit une seconde generation de jurisconsultes et d'artistes : Bernard Martin, l'oracle de notre coutume , et Pierre Lemuet, qui traduisit Palladio, abregea Vignole , et batit a Paris le Val-de-Grace et les Petits-Peres ; Francois Florent, savant commentateur du droit romain , et Nicolas Quentin , dont Poussin admirait les tableaux; Claude Jehannin, le Papinien de la Bour- gogne, et Jean Dubois , que ses chefs-d'oeuvre avaient fait appeler a Paris, mais qui prefera sa province aux faveurs de Versailles. Quelques savants se montrent deja, et a leur tete, le plus fecond des physiciens , Mariotte , et le marechal de Vauban, qu'il suffit de nommer : mais ils sont rares en- core; l'heure du developpement scientifique n'etait pas encore venue pour notre pays. Ainsi passa le xvir9 siecle , non sans refleter longtemps sa lumiere sur la peViode qui succede. Enfin , l'homme qui le resumait en lui seul, jurisconsulte superieur, philo- logue , antiquaire, versificateur egalement celebre, le pr^- VINGT-UNIEME SESSION. 461 sident Bouhier s'^teint (1746), et cl6t en Bourgogne la litterature du siecle de Louis XIV. Prononcer le nom du president de Brosses, c'est eVo- quer a la fois tout le xvme siecle. Homme etincelant d'es- prit , etonnant de savoir , grand magistrat , enthousiaste des arts et se connaissant a tous, il y a de tout en lui , du Freret et du Montesquieu, du Court de Gebelin, du Winc- kelmann et du d'Anville. Ami intime de Buffon et de Sainte-Palaye , il s'entretient avec le premier des causes cachees des volcans 5 avec le second , des manuscrits du Vatican et des ruines d'Herculanum , jusque-la inconnues en France. Il laisse tomber le sarcasme avec une profusion presque voltairienne} et en meme temps il restjtue Sal- luste , comme eut fait Cuvier d'un squelette fossile a la vue de quelques ossements. Il expose l'histoire pheni- cienne des premiers ages du monde, et debrouille le chaos des dynasties assyriennes , ou bien encore l'origine de la langue et de la nation grecques, la veille du jour oil il retracera en des phrases pleines de nerf les details de l'abdication, de la mort et des funerailles de Sylla. Il publie une Histoire de la navigation aux terres aus- trales, et son Traite de la formation mecanique des langues; et ces deux livres sont restes, au milieu des travaux pos- terieurs , comme deux pyramides dont la hauteur n'a pas £te depassee. Les ecrits de ce grand homme , si pres de nous et deja trop peu connu, ceux de son ami Sainte- Palaye, du laborieux abbe Lebeuf, de Melot, de Sallier, du marquis de Courtivron, de Fevret de Fontette (ce cor- tege d'hommes doctes qui, avec Larcher et Buffon, sie- gerent pour la Bourgogne a 1'Acadernie des inscriptions et belles-lettres), donnent a ce periode litteraire je ne sais quel aspect grave que les mceurs privees dementaient deja. Cependant le progres des Etudes scientifiques dans cette province se dessinait de plus en plus. Nos trois grands naturalistes , Buffon, Daubenton, Montbeillard , se don- naient la main. L'Academie qui couronna Jean-Jacques, 462 CONGRES SCIl'NTfFIQUE de France. faisait place a celle qu'illustrerent Guyton de Morveau, les docteurs Maret , Durande el Cbaussier, les chirurgiens Enaux, Hoin, Leroux, et l'ingenieur Gauthey, dont le nom aurait du rester au canal du Centre , concu et acheve par lui dans le temps meme oil Dijon, par ses soins, commu- niquait avec la Sa6ne, en attendant qu'il tracat pour Paris les plans da canal de l'Ourcq. L'Academie peut revendi- quer une juste part de cette gloire. La nouvelle nomen- clature chimique fut presque enliere elaboree en son sein. Par elle, Dijon s'enrichit d'un jardin des plantes , d'un observatoire , et vit repeter avec eclat les experiences a^rostatiques de Paris. La revolution eclate, et l'impul- sion donnee aux sciences dans nos murs se transporte sur un autre theatre. Guyton de Morveau s'elance de nouveau dans les airs pour observer l'ennemi sur le champ de ba- taille de Fleurus. Un autre membre de notre Academie , Carnot, dirige de son cabinet les dix armees qu'improvise la France envahie. Un depute de la C6te-d'Or fait decreter la plus belle creation de cette epoque, l'Ecole polytecb- nique. Un autre deaios compatriotes, Monge, en organise et en vivifie les etudes. Cette seconde moitie" du dernier siecle ne fut pas moins glorieuse pour les arts. On se souvient peu aujourd'hui du paysagiste Lallemand, ni du peintre Venevaut, le premier Dijonnais qui ait et^ de l'Academie roy ale de peinture. Mais on n'a pas oublie que Dijon put se glorifier un moment de posseder la meilleure ecole des beaux-arts, non pas de la France seulement, mais de toute l'Europe. Boucher regnait encore a Paris, Pompeo Batoni en Italie (et avec eux le faux coloris et la mignardise), que deja, depuis six ans, V Ecole de Dijon seule etudiait I 'antique et honorait la nature. Avant meme que Devosge pere eut rendu au bon gout ce public et courageux hommage, un Bourguignon, Greuze, le premier , le plus populaire des reformateurs de Part , avait proteste contre l'affeterie contemporaine par des ta- bleaux qui, pour le naturel et le caractere naif des tetes, n'ont pas ete surpasses depuis. C'etait encore un Bour- VINGT-UNIEME SESSION. 463 guignon, un £leve de Devosge, Prudhon, qui devait r6- agir le premier contre la rigidite academique de David , par des compositions pleines de poesie, de mollesse et de grace. Ce sont la certes d'immortels travaux. Pourquoi faut-il qu'ils attendent encore un historien? N'est-il pas temps qu'une plume amie en fasse ressortir l'enchainement et la portee, qu'elle nous explique tour a tour l'ecrivain par l'homme et i'homme par l'ecrivain , nous faisant assister a l'education progressive de ces hautes intelligences, et nous montrant ce que chacun de ces jurisconsultes, de ces hommes de lettres, de ces savants , de ces artistes, dut a ses devanciers, a ses conlemporains, au pays oil il est ne? Que si l'on demande ce qui a ete fait pour honorer, que dis-je? pour conserver leur memoire, je vais le dire. Un Morisot, un Chevannes, un Lantin, avaient ecrit leurs sou- venirs sur les hommes de leurs temps ; tous ces travaux sont inedits, sinon perdus; les manuscrits de Philibert de La Mare ont ete vendus a des libraires de Hollande, de qui il a fallu les racheter, non pour Dijon, mais pour les bibliotheques de Paris; les livres du president Bouhier, la plus riche collection privee de l'Europe , ont ete emmene's a Clairvaux , d'oii la revolution les a disperses a Troyes et ailleurs. Reste le sec catalogue de Papillon, qui s'ar- rete en 1740 , et cette simple nomenclature bibliogra- phique n'a pas meme eu de continuateur. I/Academie de Dijon a eu la pensee de reparer cette injure. , Elle a juge pressant de mettre la main a l'o3uvre pen- dant qu'elle compte encore dans ses rangs des hommes qui ont vecu avec les Maret et les Morveau \ pendant que les enfants du president de Brosses , de Gueneau de Mont- beillard, de Monge, sont encore pleins de vie et de sou- venirs. II lui a paru digne du Conseil general de la C6te-d'Or de s'associer a l'erection tardive de ce monument, consa- cre a la gloire du pays , par une allocation solennelle et 464 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. speciale. Le patriotisme local doit-il chercher ailleurs ses naturels et legitimes interpreles ? Pleine de confiance dans le vote du Conseil, l'Acade- mie, dans sa seance du 14 mars 1832, a decide qu'une histoire litteraire de Bourgogne serait publiee sous ses auspices, et sur un plan analogue a celui de V Histoire litteraire de France qui a paru dans le siecle dernier. Ce plan est double , il comprend a la fois Phistoire ge- nerate du mouvement intellectuel de la Bourgogne aux xvie, xvue et xvme siecles, et la biographie particuliere de chacun des hommes celebres qui ont pris une part no- table a ce mouvement. Ainsi chaque periode litteraire serait apprecie dans son ensemble et d'une seule vue, dans un morceau historique d'une etendue convenable, afin de mettre en saillie les points de liaison qui unissaient les travaux contemporains. Ce morceau historique formera comme une introduction a la partie biographique , dans laquelle les notabilites lit- teraires ou scientifiques de chaque periode seront passees en revue une a une 5 et c'est la que trouveront place les anecdotes etles traits de detail qui caracterisent la physio- nomie individuelle d'un homme illustre, et qui ne peuvent se dessiner suffisamment dans le cadre d'une histoire ge- nerale. Dans cette seconde partie surtout, l'Academie payerait la dette de la Bourgogne envers un Bossuet, un Crebillon, un Piron, un Rameau, un Lalande, une Sevigne, une Genlis, et tant d'autres qui, n'appartenant a notre province que par leur naissance et par leurs premieres etudes, ne peuvent tenir que bien peu de place dans ce tableau gene- ral du mouvement intellectuel de cette province, mais dont nous sommes trop fiers, et a trop bon droit, pour ne pas leur rendre un hommage digne de leur haute renommee. A c6te" de ces vies glorieuses, elle raconterait des vies plus modestes, passees aussi loin de Dijon, mais qui ont reflechi sur la Bourgogne un legitime £clat : celles de dom Clemencet et de dom Clement, createurs de cette ceuvre VINGT-UNIEME SESSION. 465 raonumentale d' erudition , VJrt de verifier les Dates; celles de Denon, l'auteur du Voyage en Egypte, de Larcher, le savant traducteur d'fle>odote, du spirituel Cazotte, de Dubois de Jancigny (l'ami le plus intime de Malesherbes), du chevalier de Bonnard, dont les poesies legeres sont d'une facilite si brillante, et de Clement de Dijon, dont la critique acer^e a si bien justifie" le sobriquet que lui donna Voltaire. Ces notices, comme celles de la Biographie universelle , seraient confiees a des hommes speciaux 5 les m^decins se- raient apprecies par des medecins , les geometres par des geometres, tous et chacun par des esprits competents. Les traditions de famille seraient interrogees avec scrupule; et, si notre attente n'est pas decue , VHistoire litteraire de Bourgogne, concue dans de larges proportions, elaboree avec conscience, ^crite avec amour, oeuvre solidaire de l'Academie et du pays 5 serait un de ces monuments que le zele d'un seul ne suffit point a el ever, et par lesquels une soci^t^ litteraire peut se rendre ce temoignage qu'elle est demeuree iSdele a son passe comme a son avenir. M. le President annonce que les travaux de la sec- tion sont termines. Tous les membres de la section se reunissent pour remercier M. de Caumont de son assiduite a nos seances, et de la part qu'il a bien voulu prendre a nos discussions. Des remerciments sont egalement adresses a M. le President et au Secretaire. Simonnet, secretaire. FIN. 30 TABLE DES MATIERES. Pages Preambule - . . .. 1 Programme des questions qui out ete soumises au Congres 9 SEANCES GENERALES. Seance d'ouverture : Correspondance. — Election du bureau. — Analyse du discours de Monseigneur l'Eveque de Dijon, president du Congres. — Ordre des travaux 22 2e Seance : Ouvrages offerts au Congres. — Lecture des proces-verbaux des sections particulieres et memoires (1) 27 Compte rendu de la seance publique de PAcademie de Dijon 30 3e Seance : Arrete concernant la tenue de la xxne ses- sion du Congres au Puy (Haute-Loire). — Lecture du proces-verbal de la seance extraordinaire de la Societe d'horticullure de la C6te-d'Or , et de l'Ex- position horticole. Discours du president. Lecture d'une notice sur la culture des arbres fruitiers dans la C6te-d'Or, par M. Lavalle. Distribution de me- dailles aux exposants. — Lecture des proces-ver- baux des sections. — Communications diverses. — Explications sur des coquillages adherents a des plaques de ceinturons trouvees par M. Gosse, de Geneve, dans des tombeaux merovingiens 32 4e Seance : Lecture des proces-verbaux des sections et memoires. — Remise de medailles a MM. de Soul- trait et Tudot, de la part de la Societe francaise pour la conservation des monuments et de l'lnsti- tut des provinces 48 (1) Les memoires se irouvent rapporttfs dans lcs travaux des seclious auxquelies ils apparliennent. 4G8 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 5e Seance : Correspondance. — Ouvrages offerts au Congres. — Lecture des proces-verbaux des sec- tions et de plusieurs memoires 49 6e Seance : Lecture des proces-verbaux des sections et de plusieurs memoires. — Esquisse historique des doctrines professees par les philosophes de Pantiquite relativement au principe de la vie, par M. Tissot. — Cl6ture de la session. — Analyse du discours de cldture prononce par Monseigneur Pe- veque de Dijon , president du Congres 57 PREMIERE ET SIX1EME SECTIONS REUNIES. SCIENCES NATURELLES ET PHYSIQUES. lre Seance : Election du bureau. — Memoire de M. Borucki renvoye a une commission. — Examen des trois premieres questions du programme 83 2e Seance : Examen des 4e, 5e, 6e et 7e questions ^ob- servations et conclusions lues parM. Carrelet 88 3e Seance : Note de M. Mignard sur la 8e question. — Examen des 8e,9e et 10e questions $ observations de M. de Caumont, et appareil de son invention pour la pisciculture. — Note de M. Lavalle sur ses expe- riences de pisciculture au jardin botanique de Dijon . 93 4e Seance : Communication de plusieurs inventions nouvelles par M. Jobard de Bruxelles. Bees de gaz*, appareil pour augmenter la chaleur dans les chemi- nees. Pompe nouvelle aspirante et foulante. — Me- thode du meme auteur pour faciliter les etudes artistiques, intitulee : Memoire des yeux appliquee a l'enseignement du dessin 102 Visite au Musee d'histoire naturelle, au jardin bo- tanique et a l'Arquebuse 109 5e Seance : Details sur la Soci^te d'acclimatation. — Etude sur Paccroissement des arbres exogenes. — Procede de Mv Paris pour la reproduction des me- dailles. • 112 VINGT-UNIEME SESSION. 469 deuxiMe section. AGRICULTURE, COMMERCE ET INDUSTRIE. fl,e Seance : Election du bureau. — Examen de la premiere question inscrite au programme. — Pro- positions formulees par M. d'Esterno , president. . . 117 2e Seance : Examen des 2e, 3e et 4e questions. 125 3e Stance : Examen des 5e, 6e, 7e et 8e questions. — Memoire sur la vaine pature, par M. BeVard 131 4e Seance : Examen de la 9e question. — Voeux for- mulas par M. d'Esterno, president 168 5e Seance : Examen de la 10e question. — Exposition d'un nouveau systeme de culture par M. Brun 177 6e Seance : Examen des lle, 12e et 15e questions. . . . 186 7e Seance : Lecture du rapport sur les meilleurs mo- des a suivre dans le traitement du terrain d'alluvion de la Bresse au point de vue de l'amendement du sol arable, par M. Rerolle. — Examen des 14e, 16e, 17e et 18e questions. — Presentation de l'&rier paisseleur par M. Delaloyere 192 8e Seance : Rapport sur une machine a enfoncer les paisseaux (l'etrier paisseleur), par M. A. Lebrun. — Examen des 19e, 20e et 21e questions 206 9e Seance : Examen des 22e, 23e et 24e questions. — Discussion sur Part. 2 du programme de la 5e sec- tion^ qui se rattache a l'agriculture 216 TROISIEME SECTION. SCIENCES MEDICALES. lre Seance : Election du bureau. — Memoire de M. le docteur Ripault sur les substances capables de rem- placer le quinquina dans les fievres intermittentes. — Examen des lre et 2e questions du programme. 225 2e Seance : Discours de M. le docteur Mercier sur di- vers points de la pathologie urinaire, et presenta- tion de plusieurs instruments de chirurgie 234 3e Seance : Note de M. Jobard de Bruxelles sur la mise au pointage oculaire naturel. -Examen de la 3e question. 238 470 CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 4e Stance : Examen de la 4e question. — Observations , de M. Jobard sur la guerison manuelle des contu- sions \ 244 5e Seance : Examen des 5e et 6e questions 251 6e Stance : Examen de la 9e question 258 Note sur l'inoculation de la maladie asiatique, par M. le docteur Bally 267 QUATRIEME SECTION. ARCHEOLOGIE ET HTSTOIRE. 1re Seance : Election du bureau. — Examen des trois premieres questions du programme. — Questions posees par M. Desire" Monnier. — Notes et conjectu- res destinees a indiquer Pemplacement du combat livr£ a Cesar par Vereingetorix , etc., par M. Lavi- rotte. — Dissertation sur la derniere campagne de Cesar dans les Gaules, ou examen des deux pre- mieres questions du programme, par M. Mignard. . 270 2e Seance : Continuation de la discussion sur les lreet 3e questions. — Reponses de M. Mignard aux cri- tiques de son memoire. — Examen des 2e et 5e questions. — Memoire sur les Deesses Meres, par M. Adolphe Grange. — Examen de la 6e question. — Note de M. Grange sur le dieu Segomon. — Me- moire de M. Protat sur le meme sujet 298 3'* Seance : Discussion sur la 6e question. — Examen des 7e, 8e et 9e questions 329 fte Seance : Examen de la 10e question. — Analyse d'un memoire de M. Pistolet de Saint-Ferjeux sur ce sujet. — Examen de la lle question 341 5e Seance : Lecture d'une notice surunemonnaie ine- dite de Langres par M. Ph. Salmon. — Examen des 12e,13e, 14e etl5e questions. —Note de M. Edouard de Barthelemy sur la 13e question 354 6e Seance : Examen des 16e et 17e questions. — Me- moire sur les pagi. — Pagus Tornodorensis, par M. Lemaistre. — Discours de cloture des travaux de la section, parM. Frantin, president 370 VINGT-UN1EME SESSION. 471 CINQUIEME SECTION. PHILOSOPHIE, LITTERATURE, BEAUX-ARTS. lre Seance : Election du bureau. —7 Extrait d'un me- moire de M. Paris sur notre systeme graphique. — Memoire de M. Simonnet sur les memes questions, , 10e et lle du programme. — Examen de ces ques- tions. — Analyse d'un ourrage presente par M. Joanne 380 2e Seance' : Continuation de la discussion sur les 10e et lle questions. — Examen de la 12e question. . . 390 3e Seance : Communication relative au projet de M. du Chatellier de former une Bibliotheque uni- verselle. — Memoire de M. Huot sur les 8e et 9e questions du programme. — Reprise de la discus- sion sur la 12e question. — Analyse d'un memoire de M. Debillemont. — Analyse de la replique de M. Schwach. — Discussion 397 4e Seance : Examen des 13e, 14e, 15e et 16e questions. — Analyse d'un memoire de M. Paris sur la 6e ques- tion de la section d'agriculture , renvoyee a la sec- lion des beaux-arts. Discussion a ce sujet 414 5e Seance : Memoire de M. Simonnet sur la 18e ques- tion. — Memoire de M. Mathieu sur le meme sujet. — Discussion. — Methode etprocede de M. Jobard relatif au dessin. — Analyse du rapport de M. Huot sur le projet de Bibliotheque universelle de M. du Chatellier. — Depdt sur le bureau de plusieurs ou- vrages 422 6e Seance : Examen de la lre question du programme supplemental. — Note de M. Simonnet. — Discus- sion. — Examen des 2e, 3e et 5e questions. — Me- moire de M. Mignard sur la muse populaire en Bour- gogne. — Note de M. Foisset sur la 6e et derniere question du programme supplemental 444 FIN 1)E LA TABLE DES MATIERES. Dijon, imp. de Domllier. LISTE GENERATE DES MEMBRES DU CONGMS SCIENT1FI0I I, HE FRANCE, VINGT-UNIEME SESSION. Abord-Beltn, aneien magislrat, a S an I enay (Cote-d'Or). Andre, maire de la ville de Di-on. Arbaumont (Jules d'), a Dijon. Arcelot (marquis d'), proprietaire a Arcelot (Cote-d'Or). Archiac (le comte d '), president de la societe d'horticulture, a Dijon. Argout (le comte d'), receveui ge- nerates finances de laCole-d'tr. Baudot (Henri), secretaire-general du congres, president de la com- mission archeologique de la Cote- d'Or. Baudot ( Adrien),membre de la com- mission archCologique de la Cote- d'Or. Barthelemy (Edouard de ), au cha- teau de Courmelais, (Marne). Bazard, docteur medecin, a Dijon. Belime (Frederic), notaire, a Yit- teaux (Cote-d'Or). Belin(L), professeur d'architeciure a l'e'cole des beaux-arts de Dijon. Berbis ( Louis de ), proprietaire, a Dijon. Berard, propriClaire, a Mont-Saint- Jean (Cote-d'Or). Bertini, conseiller a la faculte de mCdecine, depute* auparlement,a Turin. Beru (de), proprietaire, a Beru pres Tonnerre. Beurtheret(P.), redacteurdu Spec- tateur, a Dijon. Bessy, membre de la commission archeologique de la Cote-d'Or. Billet, membre de l'academie de Dijon, professeur de physique a la faculte des sciences. Bizard, professeur de dessinaSe- mur (Cote-d'Or). Bizouard, membre de la commis- sion archeologique, a Dijon. Boissard (Yves;,homme de letlres, a Dijon. Boissard (Edmond), conseiller a la cour imperiale, a Dijon. Bolo, notaire, a Limoriest (Rhone). Bonnet, docteur, professeur d'agri- culture, a Besanqon. Boucher de Crevecoeur de Per- thes, president de la societe d'e- mulation, a Abbeville. Bouet, deiegue de la societe fran- chise. Bouillet (J. B.), membre deplusieurs academies, a Clermont-Ferrand (Puy-de-Ddme). Bourdin de Montreal, president d'honneur de la societe des arts de Paris, a Lyon Bretenieres (le baron de), a Dijon. Brives (Albert de), president de la societe academique de la Haule- Loire, au Puy. Broin (de), proprietaire, a Broin. BRossE(!e comte de), a Bois-le-Roi, pres Fontainebleau. Brulet , docteur-medecin , secre- taire de l'academie, a Dijon. Bry (le baron de), prefet de la Cote- d'Or. Bry-Darcy (de), inspecteur des fo- rets, aDijor. 474 CONGRES SCIBKTIFIQUE DE FRANCE, Bruno r, proprietaire, a Dijon. Buillot , membre de la societe eduenne, aAutun. Bure (Albert de), de la societe d'e- muiation, a Moulins (Allier). Buyer (Jules), a la Chaudeau, pres Saint-Loup (Haute-Saone). Camusat de Vaugourdon, proprie- taire, a Troyes. Canat, president de la socie'te d'ar- cheologie et d'histoire de Chalon- sur-Saone. Carnot (Francois), membre du con- seil general, a i\olay (Cote-d'Or). Carrelet (J.), conducteur desponts et chaussees, a Saulieu. Cacmont, membre dela cpmmission archeologique dela Cote-d'Or. CAUMONT(de), directeur de l'lnstitul des provinces, a Caen. Cellard, banquier, a Dijon. Challe, president de la societe his- torique et naturelle de l'Yonne, a Auxerre. CnARRET(de), membre de la commis- sion archeologique, a Dijon. Codchard, cure de Malain (Cdle- d'Or). Courtivron (le marquis de), propria - taire, a Dijon. Cugnotet (N. -Georges), proprie- taire, a Dijon. Cusst (le vicomte de), membre de l'lnslitut des provinces, a Bayeux. Darbois, membre de la commission archeologique de la Cote-d'Or , professeur de sculpture a recole des beaux-arts de Dijon. Dard, directeur de I'Hotel-Dieu , a Beaune (Cote-d'Or). DEiAcouR(le baron), a Loches (In- dre-et-Loire). De Lacuisine, secretaire general, president a la cour impgriale de Dijon. Desmoulins (Charles), president de la Societe linneenne, a Bordeaux. Destot pere, geometre, a Dijon. Detourbet, secretaire general , pre- sident du comite central d'agri- culture de la Cote-d'Or. Donet (Pierre-FranQois),ancien pro- viseura Rouvray (Cote-d'Or). Devoucoux, ciianoine, a Aulun. Dugast, docteur-medecin , a Dijon. Duperrat (Auguste), directeur de la ferme-ecole des Landes. Duret, docteur-medecin , maire a IVuils (Cote-d'Or). Duret, proprietaire , a Dijon. Elie, huissier, a Dijon. Esterno (Le comte d'), membre du • conseil general d'agriculture,a La Selle, pres Autun. Estocquois (d'), professeur a la fa- culty des sciences, a Besancon. Febvre, negotiant, a Dijon. Ferriot, propria., a Moloy (Cote- d'Or). Feuillet, juge de paix , a Lyon. Foisset, conseiller, membre de la commission archeologique, a Dijon. Foisset (Paul,) Ills , a Dijon. Fontenay ( Joseph de ) , secretaire de la societe Eduenne, a Autun. Fraigniaud (Leon-Frangois), cure de Meussac (Charente-Inferieure). Frantin, membre de la commission d'archeologie , a Dijon. Gagnon, general commandant la subdivision de la Cote-d'Or. Gallix, pr6tre desservant de Thoi- res (Cdte-d'Or). Garnier , archiviste , membre de la commission archeologique , a Di- jon. Garnier, horloger mecanicien, a Paris. Gaugain , tresorier de la societe franchise, a Bayeux. Gaulin, membre de la commission archeologique de la Cote-d'Or, adjoint au maire de Dijon. Gaulot, ancien nolaire, a Dijon. Genret-Perrotte , proprietaire , a Dijon. Gillotte, proprietaire, a Fronle- nard (Sadne-et-Loire). Givelet (Charles), de Reims. Gosse (Jean-Bapliste) , membre de la societe d'histoire et archeolo- gie de Geneve, a Geneve. Gourgues ( le vicomte Alexis de au chateau de Languais. Grange (Adolphe), a Dijon. VINGT-UNIEME SESSION. 475 Grabowski, docleur - medecin , a Dijon. Grapin, membre de la commission archeologique, a Dijon. Grasset, membre de la commission archeologique de la Cote-d'Or, conseiller a la cour. Greau alne,manufactu rier, a Troyes. Gros (Vivant), proprietaire, a Dijon. Gueneau jVAumont, professeur ho noraire, a Dijon. Gueniard, cure" de Montlay (Cote- d'Or). Gueniot (Alexandre), etudiant en medecine,aDijon. Guettet, medecin de l'etablisse ment hydrothe'rapique , a Saint- Seine-l'Abbaye (Cote-d'Or). Guignard , bibliothCcaire de la ville de Dijon , membre de la commis- sion archeologique. Guillemot, secretaire general de la prefecture de la Cote-d'Or. Guillemot , president de la societe d'archeologie de Beaune, juge au tribunal civil. Guindey, proprietaire, a Dijon. Hercourt (Gilbert), docteur-mede- cin, a Lyon. Hericourt (le comte d'), a Sou- chez (Pas-de-Calais). Huart , recteur de l'aeademie uni- versitaire , a Dijon. Humbert, architected Beaune (Cote- d'Or). Hcot (Paul), procureur imperial d'Ussel (Correze). Jacquet, pretre, a Rosay, pres Cou tance (Jura). Joanne, membre de la commission archeologique de Dijon. Jobard , directeur du musee royal de l'industrie, a Bruxelles. Joliet (Henri), docteur en droit* a Dijon. Jolimont (de), archeologue, a Dijon Laborie (Louis), ingenieur des ponts et chaussees, a Dijon. Lachadenede (Adolphe de), pro- prietaire, a Dijon. Ladrey, professeur a la faculU des sciences, a Dijon. LACURiE,inspecteur des monuments historiques de la Charente-Infe- rieure, a Saintes. La Loyere (le comte de), president du cornice agricole, a Savigny, pres Beaune. Landrot, cureaFontaine-en-Dues- mois (Cdte-d'Or). Larribe, ancien sous-prefel, a Ali- se-Ste-Reine (Cote-d'Or). Latour, ancien juge depaix,aCha- gny. Latour (Gilbert), a Chagny Sao- ne-et-Loire). Lavirotte (Cesar), correspondant de la societe archeologique de la Cote-d'Or, a Champignolle. Le Blanc -Dervau, ingenieur en chef retraite, a Auxerre. Lebrun, membre du comite central d'agriculture, a Dijon. Lemaire, architecte, membre de la commission archeologique, a Di- jon. Lemaistre, membre de la commis- sion d'archeologie, a Tonnerre. Le Router, conservateurdes forets, a Dijon. Loisy (Edouard de), a St-Emiland (Saone-et-Loire). Londe (Adolphe de la), a Rouen. Malinowski, professeur au lycee, a Dijon. Mallet, proprietaire, a Bayeux. Mandelot (le comte de), a Autun. Mammert, percepteur a Saint-Seine- l'Abbaye (Cdte-d'Or). Marion (Pierre), president de la chambre de commerce , a Dijon. Marnas (de), procureur general a la cour imperiale de Dijon. Mathieu, ancien conseiller, a Dijon. Mazeau, notaire honoraire , a Que- tigny. Menne, general en retraite, a Di- jon. Mercier,D. M., a Paris. Merode (le comte Felix de), ancien ministre d'Etat de Belgique. Michelin (Henri), proprietaire, a Moulins(Allier). Mignari), membre de la commis- sion archeologique de la Cote- d'Or, a Dijon. 5a *&*.%Qjt> - 476 C0NGRES SCIEN1IFIO.UE DE FRANCE. Michel, proprietaire , a Paris. Minot, cure , a Quetigny. Monnier (Desire), a l)omblans( Ju- ra^. Mora (Pascal de), a Moulins (Al- lier). Moreau(J. B.), statuaire, membre de la commission archeologique, a Dijon. Morelet (Arthur), membre de la commission archeologique , a Di- jon. Morelot, doyen de la faculte* de droit, a Dijon. Mouras (de), etudiant en droit, a Dijon. Muteau, premier president a la cour imperiale de Dijon. Neotille (T.), professeur a 1'ecole de droit, a Dijon. Ouvrard, depute" de la Cote-d'Or. Palloux, docteur-medeGin, a Saint- Ambreuil. Paris, membre de I'academie, a Dijon. Paris (Louis), ancien bibliothCcaire- archiviste de la ville de Reims. Parker, d'Oxford (Angleterre). Petit (Paul), archilecte, membre de la commission archeologique, a Dijon. Prisset, membre de la commission archeologique', a Dijon. Protat, membre correspondant de la commission archeologique de la Cote-d'Or, a Brazey. Remond, general en retraile, a Regnier (Jules), negociant, a Dijon. Renardet, gCometre, a Dijon. Renier-Trelanne , ne"goc, a Dijon. Rerolle, professeur de genie rural, aLaSaulsaie. Ripault, docteur-medecin, membre de I'academie, a Dijon. Rivet (M«r), eveque de Dijon. Rochefond (de), propriCl. , a Dijon. Roidot, substitut du procureur ge- neral, a Dijon. Rossignol, archiviste de la Cote- d'Or, membre de l'acade'mie de Dijon. Roux, docteur-medecin, a Marseille. Saint-Ferjeux (Theodore de), a Langres. Saint-Seibe (le marquis de) , vice- president de la commission ar- cheologique de la Cote-d'Or. Saint-Seine (Raoul de), a Dijon. Sarcus (le comte de), membre de!a commission archeolog. , a Dijon. Secretaire (le) de la societe acade- mique de l'Aube, a Troyes. Sellier, president de la society d'a- griculture , sciences et arts de la Marne, a Chalons-sur-Marne. Simonnet, substitut du procureur imperial, a Dijon. Societe de medecine de Besancon. Soultrait (le comte Georges de), membre des comites historiques, a Toury (Nievre). Soultrait (Abel de), conseiller de prefecture, a Moulins ( Allier). Stievenart, doyen de la faculte des lettres, a Dijon. Sugier, propr. , a Malain (Cote-d'Or). Tardy, secretaire du comite central d'agriculture, a Dijon. Testenoire (Victor) , botaniste , a Lyon. Thomas (J.), desservanl a Aubaine (Cote-d'Or). Tissot, professeur de philosophic a la faculte* de Dijon. Torct (Ernest de) , numismatiste , a Dijon. Tocrnois (Jean), sculpteur, a Cha- zeul. Trulard, homme de lettres, a Dijon. Tudot, conservateur du musee de Moulins. Vernier, depute de la Cote-d'Or. Vesvrotte (le comte de), membre de la commission archeologiuue, a Dijon. Viallannes, professeur a recole de medecine , a Dijon. Vienne (Henri), ancien archiviste, membre de la commission archeo- logique, a Gevrey-Chamberlin (Cote-d'Or). Vogue (le marquis de), proprie- taire , a Moulins (Allier). ^►<-